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AJDA 2011 p.906

De Compagnie générale d'énergie radio-électrique à Mlle Susilawati : la responsabilité du fait des traités entre rigueur et
réalisme

Hafida Belrhali, Professeure de droit public à la faculté de droit de Grenoble

L'affaire Mlle Susilawati rejoint ces quelques espèces relatives à des diplomates pour le moins indélicats qui font rimer
immunité et impunité. La requérante a été employée par le délégué permanent adjoint du sultanat d'Oman auprès de
l'UNESCO. La lecture des conclusions du rapporteur public M. Roger-Lacan, que nous remercions d'avoir accepté leur
transmission par le centre de recherches et de diffusions juridiques du Conseil d'Etat, permet d'en savoir davantage sur ce
conflit du travail. Mlle Susilawati a été embauchée en décembre 1996 par M. M. et a quitté son emploi en mars 1998 en
raison de conditions de travail qui semblent constituer un cas de travail forcé (nombre d'heures de travail excessif, absence
de paiement de la rémunération prévue, absence de congés hebdomadaires ou annuels, refus de remettre des bulletins de
salaire). Le jugement du conseil de prud'hommes de Paris du 1er février 1999 a condamné son employeur. Saisie par celui-
ci, la cour d'appel de Paris confirme cette position le 3 mai 2001 : M. M. doit verser 218 961 francs au titre des rappels de
salaires et de diverses indemnités dus à Mlle Susilawati. Soutenue par le comité contre l'esclavage moderne et le syndicat
CFDT, l'intéressée voit échouer ses démarches pour obtenir l'exécution de l'arrêt de la cour d'appel : son employeur
invoque le statut de diplomate et l'immunité d'exécution dont il bénéficie au titre de l'article 31 de la convention de Vienne
du 18 avril 1961. L'accord relatif au siège, aux privilèges et aux immunités de l'UNESCO renvoie en effet à cette
disposition. Mlle Susilawati se tourne alors vers le ministre des affaires étrangères pour obtenir réparation de l'Etat. Elle
considère que son préjudice résulte de l'impossibilité où elle s'est trouvée d'obtenir l'exécution de décisions de justice
rendues en sa faveur, du fait d'une immunité prévue par des dispositions conventionnelles. C'est donc la responsabilité de
l'Etat du fait des traités que la requérante recherche. Le ministre saisi rejette sa demande et les juridictions administratives
confirment ce rejet tant en première instance qu'en appel.

La ténacité de la requérante est enfin récompensée par la décision du 11 février 2011. La responsabilité de l'Etat est
engagée en application de la jurisprudence Compagnie générale d'énergie radio-électrique (CE 30 mars 1966, req.
n° 50515 , Lebon 257 ; GAJA, 17e éd., 2009, n° 83 ; AJDA 1966. 350, chron. J.-P. Puissochet et J.-P. Lecat ; D. 1966.
582, note J.-F. Lachaume ; JCP G. 1967. II. 15000, note J. Dehaussy ; RD publ. 1966. 774, concl. M. Bernard, et 955,
note M. Waline). Avant 1966, face aux demandes d'indemnisation des conséquences préjudiciables de conventions
internationales, le juge administratif a d'abord opposé l'irrecevabilité fondée sur la théorie des actes de gouvernement, puis
constaté l'irresponsabilité de l'Etat en la matière. Il a ensuite admis la responsabilité du fait des conventions internationales
en matière contractuelle (CE 22 déc. 1961, SNCF ; RD publ. 1962. 646, concl. M. Combarnous). Enfin, le juge
administratif va plus loin en 1966 en affirmant le principe de responsabilité de l'Etat, sur le fondement de l'égalité devant
les charges publiques, pour assurer la réparation de préjudices nés de conventions conclues par la France. Certes
constitutive d'un progrès, la jurisprudence Compagnie générale d'énergie radio-électrique instaure, sur le modèle de la
responsabilité du fait des lois, ce qui s'apparente à un « produit de luxe », un « mythe » ou encore une « vitrine » de la
responsabilité sans faute (v. respectivement R. Chapus, Droit administratif général, t. 1, Montchrestien, p. 1380 ; Ph.
Godfrin, La responsabilité du fait des conventions internationales est-elle un mythe ?, note sous CAA Paris 16 juill. 1992
[2 esp.], Mlle Yasmine Aga Khan, req. n° 91PA01073, Syndicat des copropriétaires du 14-16, boulevard Flandrin, req.
n° 91PA00980, RFDA 1993. 156 ; M. Deguergue, « Réparation » in J. Andriantsimbazovina et al. [dir.], Dictionnaire
des droits de l'Homme, PUF, 2009, p. 846). En effet, pour les requérants, la réunion des différentes conditions requises
constitue un parcours d'obstacles et rares sont ceux qui les surmontent. Seuls deux recours indemnitaires ont abouti depuis
1966 (CE 29 oct. 1976, Ministre des affaires étrangères c/ Consorts Burgat, req. n° 94218 , Lebon 452 ; RD publ.
1977. 213, concl. J. Massot ; CE 29 déc. 2004, Almayrac, req. n° 262190 , AJDA 2005. 427 , chron. C. Landais et F.
Lenica ; RFDA 2005. 586, concl. J.-H. Stahl ). L'affaire Susilawati donne l'occasion au Conseil d'Etat d'indemniser
une victime sur ce fondement pour la troisième fois. La requérante obtient après douze ans de procédure une
indemnisation de plus de 33 380 €, c'est-à-dire l'équivalent de la condamnation prononcée par la cour d'appel de Paris.

Cette décision suscite l'intérêt pour trois raisons. Tout d'abord, elle offre, conformément aux conclusions de M. Roger-
Lacan, une application réaliste de la jurisprudence de 1966 quant aux exigences relatives au préjudice. Ensuite, elle
renoue, quoique de manière discrète, avec l'exigence d'incorporation régulière de la convention dans l'ordre juridique
interne formulée en 1966 et aménagée ultérieurement. Sur ce point, elle restreint le champ de la responsabilité du fait des
traités. Enfin, si la solution adoptée est favorable à la requérante, il n'en demeure pas moins intéressant de revenir à la
source de ses difficultés : l'immunité d'un diplomate. Cette affaire invite en effet à réexaminer le régime des immunités
des Etats étrangers et de leurs diplomates à l'aune du droit à un procès équitable.

L'application réaliste des exigences relatives au préjudice

La décision du 11 février 2011 reprend fidèlement le considérant de principe de 1966 en affirmant que « la responsabilité
de l'Etat est susceptible d'être engagée, sur le fondement de l'égalité des citoyens devant les charges publiques, pour assurer
la réparation de préjudices nés de conventions conclues par la France avec d'autres Etats et incorporées régulièrement
dans l'ordre juridique interne, à la condition, d'une part, que ni la convention elle-même ni la loi qui en a éventuellement
autorisé la ratification ne puissent être interprétées comme ayant entendu exclure toute indemnisation et, d'autre part,
que le préjudice dont il est demandé réparation, revêtant un caractère grave et spécial, ne puisse, dès lors, être regardé
comme une charge incombant normalement aux intéressés ». Certaines exigences énoncées ne soulèvent pas de difficulté
dans l'affaire qui nous intéresse. Le juge considère que les conventions invoquées et leurs lois de ratification n'ont pas
exclu toute indemnisation. Il constate également la gravité du préjudice en raison du montant des sommes dues et de la
situation de la requérante (v., à l'inverse, en l'absence de préjudice grave de Mme Millet, CE 1er juin 1984, Ministre des
relations extérieures c/ M. Tizon et Mme Millet, req. n° 36414, Lebon 194 ; D. 1986. IR 34, obs. F. Moderne et P. Bon
; RFDA 1985. 117, note P. Bon). En revanche, les caractères direct et certain du préjudice ainsi que sa spécialité prêtent
à discussion en l'espèce, comme dans nombre d'affaires.

A propos des caractères direct et certain du préjudice, le Conseil d'Etat a pu considérer, à propos d'une immunité
diplomatique, qu'il n'existe pas de lien entre la convention de Vienne et le préjudice d'un requérant n'ayant pas exercé la
voie de recours qui lui était ouverte devant le juge judiciaire. Ainsi l'épuisement des voies de recours est pris en compte
par le juge administratif (CE 1er juin 1984, Ministre des relations extérieures c/ M. Tizon et Mme Millet préc., à propos
du préjudice subi par M. Tizon). Dans l'affaire Syndicat des copropriétaires du 14-16, boulevard Flandrin, le syndicat
requérant se voit également reprocher de n'avoir pas interjeté appel d'un jugement du tribunal de grande instance de Paris
alors que « cet appel n'apparaissait pas comme manifestement voué à l'échec » selon le Conseil d'Etat. Dès lors, le préjudice
invoqué n'est pas certain (CE 4 oct. 1999, Syndicat des copropriétaires du 14-16 boulevard Flandrin, req. n° 142377 ,
D. 2000. 253 , obs. P. Bon et D. de Béchillon ; JCP G. 2000. II. 1718, note H. Haupin). Ce raisonnement est remis
en cause par certaines analyses : « A quel moment de la procédure civile aurait-il fallu s'arrêter pour voir le juge
administratif commencer à appliquer le droit commun de la responsabilité sans faute ? En appel ou en cassation ? Quel
degré de réalisme possède alors la responsabilité du fait des conventions internationales s'il faut avoir passé huit ou dix ans
à épuiser les voies de recours civiles pour acquérir le droit de l'invoquer ? » (P. Bon, D. de Béchillon, obs. préc.). Dans
l'affaire Susilawati, le juge administratif aurait pu refuser l'engagement de la responsabilité de l'Etat, dans la mesure où la
requérante n'a pas saisi le juge de l'exécution après le refus opposé par le diplomate de se soumettre à l'arrêt de la cour
d'appel. Le Conseil d'Etat considère que cette circonstance ne saurait être regardée comme ayant privé l'intéressée d'une
chance raisonnable de recouvrer sa créance. La formule laisse penser qu'une telle démarche était vouée à l'échec. Il semble
ainsi que la juridiction fasse preuve d'une approche plus réaliste dans son exigence à l'égard de cette justiciable.

Quant au caractère spécial du préjudice, le juge administratif peut opposer à la victime l'exception de risque accepté et la
portée générale des dispositions invoquées.

A propos de l'exception de risque accepté, le commissaire du gouvernement Massot souligne en 1976 que, lorsqu'un
diplomate étranger noue des rapports juridiques avec un cocontractant, soit celui-ci a connaissance du statut du premier
et accepte donc un risque, soit il ignore sa situation et « le préjudice perdra incontestablement tout caractère d'anormalité
: il n'y a pas que les diplomates étrangers qui fassent des chèques sans provision ! ». L'alternative ainsi présentée peut
sembler particulièrement sèche pour la victime d'un diplomate mauvais payeur. Dans ces conditions, l'indemnisation
accordée dans l'affaire Burgat, Letourneur et Loiseau paraît tout à fait exceptionnelle. Dans cette espèce, qui offre le
premier cas d'indemnisation sur le fondement de la responsabilité du fait des traités, la locataire des requérants a conclu
un bail avant d'épouser un diplomate et de bénéficier alors des immunités le concernant. Alors qu'ils ne payaient pas leur
loyer, les époux ne pouvaient faire l'objet d'une procédure d'expulsion. Le risque accepté n'a pas été opposé aux bailleurs
dans la mesure où, à la date de conclusion du bail, la cocontractante ne bénéficiait nullement de l'immunité diplomatique
(CE sect. 29 oct. 1976, Dame Burgat, Letourneur et Loiseau, req. n° 94218 , Lebon 452 ; AJDA 1977. 30, note F.
Nauwalaers et L. Fabius ; RD publ. 1977. 213, concl. Massot). A l'inverse, l'exception de risque accepté peut faire échouer
les demandes indemnitaires des personnes entretenant, en connaissance de cause, des rapports juridiques avec des
diplomates étrangers (v. CE 24 nov. 1982, Compagnie d'assurances La France, req. n° 35548, Gaz. Pal. 14 avr. 1983, p.
161). Dans cette affaire Susilawati, la cour administrative d'appel de Paris estime que « la requérante ne pouvait ignorer,
lors de la conclusion de son contrat de travail, la qualité de diplomate de son employeur, et par suite les immunités de
juridiction et d'exécution dont il pouvait disposer ». La rigueur d'un tel raisonnement conduit à considérer que le
cocontractant d'un diplomate, dont il connaît la qualité, agit à ses risques et périls. Il existe, certes, un mécanisme de
renonciation à l'immunité dont la mise en oeuvre est complexe et tributaire de l'Etat accréditant (v. art. 32 de la convention
de Vienne ; v., par ex., CA Paris 15e ch., sect. B, 19 oct. 2007, n° 06/00943). La solution est toutefois particulièrement
sévère pour un employé qui, s'il connaît le statut de son employeur, n'en mesure pas nécessairement tout le particularisme.
A l'inverse, le Conseil d'Etat considère que la cour a commis une erreur de droit. Il adopte un raisonnement fondé sur les
caractéristiques du contrat de travail et de l'ordre public social. La décision commentée précise en effet qu' « un salarié ne
peut être réputé avoir par avance accepté le risque résultant de la méconnaissance par son employeur des dispositions
d'ordre public applicables à la conclusion et à l'exécution de son contrat de travail ». Elle ajoute que « parmi ces
dispositions, figurent celles permettant le recouvrement, même contraint, des créances salariales du salarié sur son
employeur en contrepartie du travail effectué ». A nouveau, la décision du 11 février 2011 est empreinte de réalisme en
considérant que le salarié ne peut avoir renoncé à sa propre rémunération. Etant donné la situation de la requérante, le
raisonnement du juge est particulièrement bienvenu sur ce point, adoptant une lecture circonstanciée de la notion de
risque accepté après que M. Roger-Lacan a souligné le particularisme de l'espèce. Selon lui, le raisonnement appliqué par
le Conseil d'Etat « quand un propriétaire avisé loue un appartement parisien à un diplomate [ne] se transpose [pas] sans
difficulté à une personne migrante, recherchant un emploi de niveau modeste dont la nature s'accorde rarement avec un
niveau élevé de connaissances juridiques, et dont la rémunération va rarement de pair avec la possibilité de s'adjoindre
des services de conseil au moment de la signature du contrat, à la différence des baux immobiliers ».

L'obstacle du risque accepté étant surmonté, il reste encore à admettre le caractère spécial du préjudice au regard de la
rédaction de la convention de Vienne. Le juge administratif s'attachant à la généralité des effets des dispositions des
accords internationaux invoqués, la plupart des requêtes relatives à la responsabilité de l'Etat du fait des traités y
achoppent. Il en va ainsi pour la Compagnie générale d'énergie radio-électrique comme pour d'autres requérants (CE 9
déc. 1987, Compagnie générale des goudrons et bitumes, req. n° 25244 , Lebon 405 ; D. 1988. SC 369, F. Moderne
et P. Bon ; CE 25 mars 1988, Société Sapvin, req. n° 65022 , Lebon 133 ; D. 1989. SC 120 ; RFDA 1988. 993, obs.
D. Ruzié ; CE 26 mars 2003, Santinacci, req. n° 244533 , Lebon 151 ). En l'espèce, tandis que la cour administrative
d'appel de Paris a souligné « la généralité des conventions internationales invoquées et le nombre de personnes auxquelles
elles peuvent s'appliquer », le Conseil d'Etat précise qu'il appartenait aux juges du fond de retenir « outre la portée des
stipulations internationales en cause, le nombre connu ou estimé de victimes de dommages analogues à celui subi par la
personne qui en demandait réparation ». La jurisprudence antérieure combine en effet ces deux considérations : la portée
plus ou moins générale des stipulations mises en cause et le nombre de victimes de dommages analogues à celui du
requérant. La prise en compte de ce deuxième élément est favorable aux demandeurs tant la généralité de la plupart des
dispositions conventionnelles formerait structurellement un obstacle significatif à l'engagement de la responsabilité de
l'Etat.

L'avenir dira si la lecture réaliste offerte par cette décision tient davantage à la situation de la requérante ou si elle ouvre
la voie à une reconnaissance de la responsabilité du fait des traités moins exceptionnelle. Sa portée peut cependant être
amoindrie en raison d'une autre condition posée en 1966, aménagée en 2004 et qui réapparaît ici de manière singulière
dans sa version initiale.

Condition d'incorporation régulière dans l'ordre juridique interne : le retour

Selon la décision Compagnie générale d'énergie radio-électrique peuvent être indemnisés les préjudices nés « de
conventions conclues par la France avec d'autres Etats et incorporées régulièrement dans l'ordre juridique interne ». Les
conclusions du commissaire du gouvernement Bernard éclairent cette formule : « seules les conventions internationales
ayant acquis force de loi du fait de leur ratification ou de leur approbation et de leur publication peuvent être assimilées
aux lois au point de vue de la responsabilité de l'Etat [...] la convention internationale ratifiée et publiée n'est pas un acte
de gouvernement, c'est une loi ». La démarche du commissaire du gouvernement est explicite : il ne s'agit pas d'indemniser
les conséquences des conventions non ratifiées (ou approuvées) ou non publiées, ni des autres actes diplomatiques pour
lesquels sont exclus tant les demandes indemnitaires que les recours en annulation. Surtout, il s'agit de ne pas trop étendre
le champ de cette nouvelle responsabilité (M. Bernard, concl. préc., RD publ. 1966. 784). Sur l'affaire SA Coparex, les
conclusions d'Alain Bacquet contestent déjà le rapprochement entre loi et traité et proposent d'abandonner la condition
de l'incorporation régulière. Le commissaire du gouvernement considère que la responsabilité du fait des traités peut être
fondée directement sur la rupture d'égalité sans passer par l'assimilation à la loi. Mais ses conclusions ne sont pas suivies
et le préjudice résultant d'un accord, qui n'a pas été régulièrement introduit dans l'ordre juridique interne, n'est pas
indemnisé (CE 13 juill. 1979, SA Coparex, req. n° 4880, Lebon 320 ; AJDA 1980. 371, concl. A. Bacquet). En 2004,
en revanche, l'arrêt Almayrac, deuxième cas d'indemnisation après l'affaire Burgat, mentionne les conventions « entrées
en vigueur dans l'ordre interne », sans évoquer leurs conditions d'incorporation (CE 29 déc. 2004, M. Almayrac et autres,
AJDA 2005. 427 , chron. C. Landais et F. Lenica ; RFDA 2005. 586, concl. J.-H. Stahl ; Dr. adm. 2005, n° 42 ;
JCP Adm. 2005. 1109, comm. M.-C. Rouault). La jurisprudence Almayrac a donc élargi le champ d'application de la
responsabilité sans faute du fait des conventions internationales, conformément aux conclusions de Jacques-Henri Stahl.
A l'aune de cette décision, l'irrégularité des conditions d'incorporation (qui n'est pas un moyen d'ordre public) ne fait pas
obstacle à l'indemnisation. L'Etat ne peut plus invoquer l'irrégularité de l'incorporation d'une convention pour échapper
à toute responsabilité. Si le moyen est soulevé, se pose alors la question d'une responsabilité pour faute de l'Etat pour cette
introduction irrégulière. En effet, en 1998, le Conseil d'Etat a accepté de contrôler le respect par l'autorité compétente de
l'article 53 de la Constitution prévoyant l'intervention du législateur avant la décision de ratifier ou d'approuver un accord
international (CE 18 déc. 1998, SARL du parc d'activités de Blotzheim et SCI Haselaecker, req. n° 181249 , AJDA
1999. 127, chron. F. Raynaud et P. Fombeur et 180 ; D. 1999. 56 ; RFDA 1999. 315, concl. G. Bachelier ).

De manière surprenante, et sans y être invité par son rapporteur public, le Conseil d'Etat renoue avec la condition
d'incorporation régulière de la convention internationale. Certes, en l'espèce, elle ne fait guère difficulté : la décision
mentionne les lois du 6 août 1955 et du 20 novembre 1969 qui ont autorisé la ratification respectivement de l'accord
relatif au siège, aux privilèges et aux immunités de l'UNESCO et de la convention de Vienne. Cependant, elle limite
l'étendue de la responsabilité sans faute. Même si la responsabilité pour faute reste envisageable en cas d'incorporation
irrégulière d'une convention, l'établissement du lien de causalité entre celle-ci et le préjudice subi par un requérant peut
faire débat. De plus, renouer avec la rédaction de 1966 fait échec aux prolongements attendus après l'arrêt Almayrac
envisageant une responsabilité pour tout acte de droit international produisant des effets sur des sujets de droit interne
(CE 29 déc. 2004, M. Almayrac et autres, préc.). La décision Susilawati constitue donc un resserrement de la
responsabilité du fait des conventions internationales sur les seules hypothèses admises en 1966. Compréhensif à propos
des caractères du préjudice, le juge rétablit la rigueur de la position adoptée en 1966 sur le champ de la responsabilité
sans faute et paraît donner d'une main ce qu'il reprend de l'autre (v., dans le même sens, F. Melleray, comm. sous cet arrêt,
Dr. adm. 2011, comm. 42). En outre, si la solution rendue dans l'affaire Susilawati est bienvenue, elle ne doit pas
dissimuler le problème originel lié à l'effet des immunités, ni les questions qu'elles soulèvent au regard du droit à un procès
équitable.

Immunités des diplomates, immunités des Etats étrangers et droit au procès équitable

La convention de Vienne précise à son article 31 que les agents diplomatiques bénéficient d'une immunité de juridiction
(concernant les juridictions tant pénale que civile et administrative) assortie d'une immunité d'exécution. Elle prévoit trois
exceptions relatives aux actions concernant un immeuble privé, une succession ou une activité professionnelle ou
commerciale exercée par l'agent diplomatique en dehors de ses fonctions officielles. Or, l'affaire Susilawati ne relève
d'aucune de ces trois exceptions. Il paraît donc étonnant que le conseil de prud'hommes puis la cour d'appel de Paris
condamnent l'employeur de la requérante dans ce contexte (les juridictions judiciaires ne sont pas tenues de soulever
d'office une telle immunité, qui cependant peut être invoquée même en appel, v. M.-L. Niboyet, G. de Geouffre de la
Pradelle, Droit international privé, LGDJ, 2009, p. 447). Peut-on y voir une volonté de circonscrire l'immunité des agents
diplomatiques ? Le comité contre l'esclavage moderne souligne à ce titre le caractère exceptionnel des deux
condamnations prononcées en 1999 dans des affaires relatives à des employées de maison de diplomates (Cons. prud'h.
Paris 1er févr. 1999, Ismah Susilawati c/ Kamal Hasan M. ; Cons. prud'h. Créteil 29 juill. 1999, Marcelle Rasoanjanafara
c/ Pascal Chaigneau cités in G. Vaz Cabral [dir.], Action nationale comparée de lutte contre l'esclavage moderne :
Belgique, Espagne, France, Italie, CCEM, p. 34 disponible sur
http://www.esclavagemoderne.org/img_doc/daphne_ccem98_fr.pdf).

Les Etats étrangers quant à eux bénéficient d'une immunité de juridiction issue d'un principe coutumier de droit
international. Or la jurisprudence récente de la Cour de cassation tend à la circonscrire. Elle applique une distinction
entre les « actes d'autorité » et les « actes de gestion » en considérant que, pour un Etat étranger employeur, seuls les
premiers sont couverts par l'immunité (v. Cass., ch. mixte, 20 juin 2003, Mme Soliman c/ École saoudienne de Paris et
autres, n° 00-45.629, D. 2003. 1805 ; Rev. crit. DIP 2003. 647, note H. Muir Watt ; JCP 2004. II. 000, note J.-G.
Mahinga ; JDI 2003. 1115, note I. Pingel ; R. de Gouttes, L'évolution de l'immunité de juridiction des Etats étrangers in
Rapport annuel de la Cour de cassation 2003, Doc. fr., 2004, p. 249). Ainsi, la cour rejoint les efforts développés en droit
international pour délimiter les immunités des Etats étrangers. Les travaux de la commission du droit international ont
abouti à la convention sur l'immunité juridictionnelle des Etats et de leurs biens adoptée par l'assemblée générale des
Nations unies le 2 décembre 2004. La jurisprudence judiciaire correspond également à une meilleure prise en compte du
droit à un procès équitable. Respectueuse des immunités des Etats, la Cour européenne des droits de l'homme les
considère d'abord comme des limitations implicites au droit d'accès à un tribunal, dont la conventionnalité est néanmoins
subordonnée à la poursuite d'un but légitime et à l'existence d'un « rapport raisonnable de proportionnalité entre les
moyens employés et le but visé » (v. CEDH 21 nov. 2001, Fogarty c/ Royaume-Uni, req. n° 37112/97 ; v. F. Sudre et
al., Les grands arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme, PUF, 2003, p. 274). En 2010, dans l'affaire Cudak,
elle prend acte de la tendance existant en droit international pour cantonner l'immunité de juridiction des Etats en matière
de droit social et condamne la Lituanie en relevant une entrave à l'exercice du droit d'accès à la justice (CEDH 23 mars
2010, Cudak c/ Lituanie, req. n° 15869/02 , JCP Adm. 2010. 2555 ; JCP 2010. Actu. 395, note C. Picheral).

Quant aux immunités des diplomates, leur cantonnement serait difficile car les termes de l'article 31 de la convention de
Vienne sont explicites : ces immunités sont conçues de manière absolue, sous réserve des seules exceptions mentionnées.
Il n'en demeure pas moins qu'elles heurtent le droit à un procès équitable. D'autant, comme le souligne à juste titre le
professeur Pacteau, que la Cour européenne y rattache le droit d'obtenir l'exécution des décisions de justice (v. CEDH
19 mars 1997, Epoux Hornsby c/ Grèce, req. n° 18357/91 , D. 1998. 74 , note N. Fricero ; RTD civ. 1997. 1009,
obs. J.-P. Marguénaud ; B. Pacteau, La responsabilité publique du fait des traités. Une sortie du bois ?, comm. sous cet
arrêt, JCP Adm. 2011, comm. 2103). Le comité contre l'esclavage moderne appelle de ses voeux une telle restriction et
souligne que, sur 173 affaires suivies fin 1999 par cette association, 67 concernent des personnes employées par des
diplomates. Le droit à un procès équitable et l'obligation pour les Etats de réprimer effectivement l'esclavage domestique
au titre de l'article 4 de la Convention européenne des droits de l'homme y gagneraient. Une réponse ministérielle énonce
uniquement les éléments d'une politique de prévention des abus de certains diplomates en matière de droit du travail
(Rép. Min. affaires étrangères, JO Sénat 8 juill. 1999, p. 2305). La responsabilité de l'Etat du fait des traités offre certes
une compensation aux inconvénients des immunités diplomatiques. Toutefois, elle reporte sur la collectivité les
conséquences d'agissements individuels et laissera sans doute encore des victimes insatisfaites. Demeure donc d'actualité
la formule d'Abraham de Wicquefort : « le plus sûr est de ne point contracter avec l'ambassadeur » (L'Ambassadeur et ses
fonctions, La Haye, J. et D. Steucker, 1680, livre I, p. 899). Encore faut-il avoir le choix...

Mots clés :
RESPONSABILITE * Responsabilité du fait des lois et des traités

AJDA 2011 p.906

De Compagnie générale d'énergie radio-électrique à Mlle Susilawati : la responsabilité du fait des traités entre rigueur et
réalisme

Arrêt rendu par Conseil d'Etat

11-02-2011
n° 325253
Sommaire :
L'Etat est reconnu responsable du préjudice subi par l'employée d'un diplomate du fait des conventions internationales
régissant l'immunité de ce dernier. Il s'agit du troisième cas d'application positive de la jurisprudence Compagnie générale
d'énergie radio-électrique. Le raisonnement du Conseil d'Etat sur certaines des conditions de cette responsabilité est
empreint de réalisme mais la décision renoue tout de même avec l'exigence d'incorporation régulière des conventions
internationales. L'engagement de la responsabilité de l'Etat est bienvenu même si la question des limites des immunités
diplomatiques reste à poser.

Texte intégral :
Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 16 février 2009 et 14 mai 2009 au secrétariat du
contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour Mlle Ismah SUSILAWATI, [...] ; Mlle SUSILAWATI demande au
Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt n° 07PA02236 du 8 décembre 2008 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté sa
requête tendant, d'une part, à l'annulation du jugement n° 0606864 du 27 avril 2007 par lequel le tribunal administratif
de Paris a rejeté sa demande d'annulation de la décision du 27 février 2006 du ministre des affaires étrangères qui a rejeté
sa demande tendant à la réparation des préjudices qu'elle a subis du fait de l'impossibilité à laquelle elle se serait heurtée
pour obtenir l'exécution des décisions de justice rendues à son profit, et, d'autre part à la condamnation de l'Etat à lui verser
la somme de 73 562,12 €, assortie des intérêts légaux à compter de la date de réception de la demande préalable ;

2°) réglant l'affaire au fond, d'annuler la décision du 27 février 2006 du ministre des affaires étrangères et de condamner
l'Etat à lui verser la somme de 73 562,12 €, augmentée des intérêts de droit à compter de la date de réception de la
demande préalable et des intérêts capitalisés ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 3 000 € au titre de l'article L. 761-1 du code de justice
administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu l'accord relatif au siège, aux privilèges et aux immunités de l'Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science
et la culture et la loi n° 55-1071 du 12 août 1955 autorisant sa ratification ;

Vu la convention de Vienne du 18 avril 1961 et la loi n° 69-1039 du 20 novembre 1969 autorisant sa ratification ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Michel Thenault, Conseiller d'Etat,

- les observations de la SCP Masse-Dessen, Thouvenin, avocat de Mlle SUSILAWATI,


- les conclusions de M. Cyril Roger-Lacan, rapporteur public ;

La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Masse-Dessen, Thouvenin, avocat de Mlle SUSILAWATI ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que par un arrêt du 3 mai 2001, la cour d'appel
de Paris, confirmant le jugement du conseil de prud'hommes de Paris du 1er février 1999, a condamné M. Kamal Hassan
M., ancien employeur de Mlle SUSILAWATI, alors délégué permanent adjoint du sultanat d'Oman auprès de
l'organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture (UNESCO), à lui verser des sommes s'élevant à
33 380,50 € à titre de rappels de salaires et de diverses indemnités ; que Mlle SUSILAWATI n'a pu obtenir l'exécution
de ces décisions, tant ses demandes amiables que les commandements adressés par des huissiers de justice s'étant vu
opposer le fait que M. M. bénéficiait du statut de diplomate et était à ce titre couvert par l'immunité d'exécution prévue
par la convention de Vienne du 18 avril 1961 à laquelle renvoie l'accord relatif au siège, aux privilèges et aux immunités
de l'UNESCO ; que Mlle SUSILAWATI a alors saisi le ministre des affaires étrangères d'une demande tendant à la
réparation, sur le terrain de la responsabilité sans faute de l'Etat, du préjudice subi par elle du fait de l'impossibilité où elle
s'est trouvée d'obtenir l'exécution de ces décisions de justice du fait de l'immunité d'exécution dont bénéficiait son ancien
employeur en sa qualité de diplomate accrédité auprès de l'UNESCO ; que sa demande a fait l'objet d'une décision de
rejet en date du 27 février 2006 ; que par un arrêt en date du 8 décembre 2008, la cour administrative d'appel de Paris a
confirmé le rejet, prononcé par un jugement du 27 avril 2007 du tribunal administratif de Paris, de sa demande tendant
à ce que l'Etat soit condamné à lui verser une somme de 73 562,12 € en réparation des préjudices qu'elle estime avoir
subis de ce fait ; que Mlle SUSILAWATI se pourvoit en cassation contre cet arrêt ;

Sur la responsabilité sans faute de l'Etat :

Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi ;

Considérant que la responsabilité de l'Etat est susceptible d'être engagée, sur le fondement de l'égalité des citoyens devant
les charges publiques, pour assurer la réparation de préjudices nés de conventions conclues par la France avec d'autres
Etats et incorporées régulièrement dans l'ordre juridique interne, à la condition, d'une part, que ni la convention elle-
même ni la loi qui en a éventuellement autorisé la ratification ne puissent être interprétées comme ayant entendu exclure
toute indemnisation et, d'autre part, que le préjudice dont il est demandé réparation, revêtant un caractère grave et spécial,
ne puisse, dès lors, être regardé comme une charge incombant normalement aux intéressés ;

Considérant, en premier lieu, que pour juger que Mlle SUSILAWATI ne pouvait se prévaloir d'un préjudice spécial de
nature à engager la responsabilité de l'Etat envers elle sur le fondement de la responsabilité sans faute du fait de
l'application de conventions internationales, la cour administrative d'appel de Paris a relevé que la requérante ne pouvait
ignorer, lors de la conclusion de son contrat de travail, la qualité de diplomate de son employeur, et par suite, les immunités
de juridiction et d'exécution dont il pouvait le cas échéant bénéficier en vertu des conventions internationales ci-dessus
mentionnées ; que si le contrat de travail de Mlle SUSILAWATI ne précise pas la loi applicable, la loi française doit être
appliquée à ce contrat exécuté sur le territoire français ; qu'un salarié ne peut être réputé avoir par avance accepté le risque
résultant de la méconnaissance par son employeur des dispositions d'ordre public applicables à la conclusion et à
l'exécution de son contrat de travail ; que parmi ces dispositions, figurent celles permettant le recouvrement, même
contraint, des créances salariales du salarié sur son employeur en contrepartie du travail effectué ; que, par suite, en
opposant à Mlle SUSILAWATI l'exception du risque accepté au motif qu'elle ne pouvait ignorer la qualité de diplomate
de son employeur et les immunités de juridiction et d'exécution dont ce dernier pouvait le cas échéant bénéficier en vertu
des conventions internationales susvisées, la cour administrative d'appel a entaché sa décision d'une erreur de droit ;

Considérant, en second lieu, que pour écarter l'existence d'un préjudice spécial de nature à engager la responsabilité de
l'Etat envers elle, la cour a également relevé que la généralité des conventions internationales invoquées et le nombre de
personnes auxquelles elles peuvent s'appliquer faisaient obstacle à ce que le préjudice allégué puisse être regardé comme
revêtant un caractère spécial, nonobstant la circonstance que les diplomates étrangers qui sont susceptibles de s'en
prévaloir sont en nombre restreint ; que, toutefois, il appartenait aux juges du fond de retenir, pour apprécier le caractère
spécial du préjudice, outre la portée des stipulations internationales en cause, le nombre connu ou estimé de victimes de
dommages analogues à celui subi par la personne qui en demandait réparation ; que par suite, la cour a commis une erreur
de droit en jugeant que le préjudice invoqué par Mlle SUSILAWATI ne pouvait, compte tenu du nombre de diplomates
étrangers auxquelles ces conventions internationales peuvent s'appliquer, être regardé comme revêtant un caractère
spécial ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la requérante est fondée à demander l'annulation de l'arrêt attaqué ;

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de
l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;

Considérant que pour les motifs indiqués ci-dessus, c'est à tort que le tribunal administratif de Paris s'est fondé, pour
écarter l'action en responsabilité engagée par Mlle SUSILAWATI, sur ce que la requérante ne pouvait ignorer la qualité
de diplomate de son employeur et sur ce que la généralité desdites conventions internationales et le nombre de personnes
auxquelles elles peuvent s'appliquer faisaient obstacle à ce que le préjudice invoqué puisse être regardé comme revêtant
un caractère spécial de nature à engager la responsabilité de l'Etat envers la requérante sur le fondement de la
responsabilité sans faute du fait de l'application des conventions internationales ;

Considérant qu'il appartient au Conseil d'Etat, saisi du litige par l'effet dévolutif de l'appel, de statuer sur les demandes
indemnitaires présentées par Mlle SUSILAWATI sur le terrain de la responsabilité sans faute devant le tribunal
administratif ;

Considérant, d'une part, qu'il ne ressort pas des termes de l'accord relatif au siège, aux privilèges et aux immunités de
l'UNESCO et de la convention de Vienne auquel cet accord renvoie que les parties ont exclu toute indemnisation par
l'Etat des préjudices nés de leur application ; que ni la loi du 6 août 1955 ni celle du 20 novembre 1969 qui ont autorisé
la ratification respectivement de cet accord et de cette convention n'ont, elles non plus, exclu cette indemnisation ;

Considérant, d'autre part, qu'il résulte de l'instruction qu'eu égard au montant des sommes en cause et à la situation de la
requérante, le préjudice invoqué par Mlle SUSILAWATI revêt un caractère de gravité de nature à ouvrir droit à
indemnisation ; que compte tenu de la rédaction des stipulations de conventions internationales en cause et du faible
nombre des victimes d'agissements analogues imputables à des diplomates présents sur le territoire français, le préjudice
dont elle se prévaut peut être regardé comme présentant un caractère spécial et, dès lors, comme ne constituant pas une
charge incombant normalement à l'intéressée ; qu'il résulte également de l'instruction que si Mlle SUSILAWATI, qui n'a
pu obtenir de son ancien employeur l'exécution des décisions de justice le condamnant au versement des sommes dont il
est redevable au titre des salaires et diverses indemnités dues à la requérante, n'a pas saisi le juge de l'exécution, cette
circonstance ne saurait être regardée, dans les circonstances de l'espèce, eu égard aux termes de l'article 31 de la convention
de Vienne du 18 avril 1961 relative aux relations diplomatiques, comme l'ayant privée d'une chance raisonnable de
recouvrer sa créance alors même que son ancien employeur avait cessé ses fonctions en France le 31 octobre 2005 et ne
pouvait plus se prévaloir des immunités attachées à sa qualité de diplomate ; que par suite, le préjudice dont se prévaut
Mlle SUSILAWATI doit également être regardé comme présentant un caractère certain ; qu'ainsi, la responsabilité de
l'Etat se trouve engagée, à son égard, sur le fondement du principe de l'égalité devant les charges publiques ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que Mlle SUSILAWATI est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le
jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à la réparation
du préjudice que lui a causé l'impossibilité d'obtenir l'exécution de l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 3 mai 2001, du
fait de l'immunité d'exécution dont jouissait son employeur en application de l'accord relatif au siège, aux privilèges et aux
immunités de l'organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture (UNESCO) et de la convention
de Vienne auquel cet accord renvoie ;

Sur les indemnités :

En ce qui concerne le principal :

Considérant qu'il sera fait une juste appréciation du montant des indemnités dues à Mlle SUSILAWATI en condamnant
l'Etat à lui verser les sommes qui lui avaient été accordées par la cour d'appel de Paris, et correspondant au montant des
salaires et indemnités dus à Mlle SUSILAWATI par M. M., son ancien employeur ; qu'il y a lieu, en revanche, d'exclure
de ce montant la somme correspondant au montant de l'astreinte prononcée par la cour d'appel envers M. M. à raison du
retard dans la remise des bulletins de salaires à la requérante ; que le montant ainsi déterminé, qui s'élève à la somme de
33 380,50 €, doit être augmenté des intérêts au taux légal qui ont couru de plein droit sur ces sommes, conformément à
l'article 1153-1 du code civil, à compter de la date à laquelle est intervenu le jugement du conseil de prud'hommes de Paris
prononçant cette condamnation, et jusqu'à la date de leur demande d'indemnisation par l'Etat ;

En ce qui concerne les intérêts et les intérêts des intérêts :

Considérant, d'une part, que Mlle SUSILAWATI a droit aux intérêts au taux légal afférents à l'indemnité en principal
calculée comme il est dit ci-dessus, à compter de la date de sa demande d'indemnité au ministre des affaires étrangères,
soit le 16 décembre 2005 ;

Considérant, d'autre part, qu'en vertu de l'article 1154 du code civil, lorsqu'ils sont dus au moins pour une année entière,
les intérêts échus des capitaux peuvent produire des intérêts ; que pour l'application de ces dispositions, la capitalisation
des intérêts peut être demandée à tout moment devant le juge du fond ; que Mlle SUSILAWATI a demandé la
capitalisation des intérêts dans sa réclamation préalable présentée à l'administration le 16 décembre 2005, puis le 27 avril
2006 devant le tribunal administratif ; que cette demande prend effet à compter du 16 décembre 2006, date à laquelle les
intérêts étaient dus pour une année entière ; qu'il y a lieu de faire droit à cette demande tant à cette date qu'à chaque
échéance annuelle à compter de cette date ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du
code de justice administrative et de mettre à la charge de la l'Etat le versement à Mlle SUSILAWATI de la somme de 3
000 € au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

Décide :

Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris du 8 décembre 2008 et le jugement du tribunal administratif
de Paris du 27 avril 2007 sont annulés.

Article 2 : L'Etat est condamné à verser à Mlle SUSILAWATI la somme de 33 380,50 €, avec les intérêts au taux légal à
compter de la date du jugement du conseil de prud'hommes de Paris en date du 1er février 1999 jusqu'au 16 décembre
2005. A compter de cette date, la somme correspondante portera elle-même intérêt au taux légal. Les intérêts échus à la
date du 16 décembre 2006, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date, seront capitalisés à chacune de ces
dates pour produire eux-mêmes intérêts.

Article 3 : L'Etat versera à Mlle SUSILAWATI la somme de 3 000 € au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code
de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de Mlle SUSILAWATI est rejeté.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à Mlle SUSILAWATI et à la ministre des affaires étrangères et européennes.

Demandeur : Susilawati (Mlle)


Composition de la juridiction : M. Vigouroux, prés., M. Thenault, rapp., M. Roger-Lacan, rapp. publ., SCP Masse-
Dessen, Thouvenin, av. (sera publié au Lebon)

Mots clés :
RESPONSABILITE * Responsabilité du fait des lois et des traités

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