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AIX-MARSEILLE UNIVERSITE

FACULTÉ DE DROIT ET DE SCIENCE POLITIQUE

TRAVAUX DIRIGÉS DE DROIT CIVIL

Droit des personnes

Séance n° 4

Les droits de la personnalité (I)

L’intégrité physique

Cours de M. Philippe MOURON

Maître de conférences HDR en droit privé

Licence 1 è r e année

Division B – Aix-en-Provence

Document de travaux dirigés réalisé par M. Philippe MOURON

Année universitaire 2023-2024


Séance n° 4
Les droits de la personnalité (I)
L’intégrité physique

L’analyse des normes juridiques


Remarques générales sur l’analyse des normes juridiques :

Ne pouvant commettre un déni de justice (article 4 du Code civil), l’office du juge consiste à
interpréter les normes juridiques pour les rendre applicables au litige qui lui est soumis, et
apporter une solution au problème de droit. Ces normes peuvent être de diverses natures
(constitutionnels, conventionnels, légaux, réglementaires,…) et leur application par le juge sera
elle-même dépendante de la hiérarchie des normes.
La compréhension des normes juridiques est donc essentielle pour mener à bien le commentaire
d’arrêt. Il vous appartient donc de rechercher les textes mentionnés dans les décisions de justice,
les lire et les comprendre. Là encore, le cours, ainsi que les manuels, ouvrages et revues
juridiques vous seront utiles pour en comprendre le sens, mais aussi l’origine et la portée.
A ce titre, veillez toujours à noter les dates de création et d’entrée en vigueur d’une norme
juridique. Outre la connaissance du contexte dans lequel elle a intégré le droit positif, cela vous
permettra de savoir si la décision que vous commentez lui est antérieure ou postérieure. C’est
là un point essentiel qui orientera votre commentaire en fonction de la solution rendue.

Exercices :

1) Analysez l’article 16-3 du Code civil, en expliquant son contexte de création, son
apport au droit positif et sa portée.

2) Vous commenterez l’arrêt suivant :


Conseil d’Etat, ord. réf., 16 août 2002, n° 249552

3) Lisez l’article de presse référencé en page n° 5. Que pensez-vous de cette affaire au


regard du principe de non-patrimonialité du corps humain ?

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I) La dignité humaine

Conseil d’état, Assemblée, 27 octobre 1995, Commune de Morsang-sur-Orge, n° 136727

Vu la requête enregistrée le 24 avril 1992 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat,


présentée pour la commune de Morsang-sur-Orge, représentée par son maire en exercice
domicilié en cette qualité en l'hôtel de ville ; la commune de Morsang-sur-Orge demande au
Conseil d'Etat :
1°) d'annuler le jugement du 25 février 1992 par lequel le tribunal administratif de Versailles a,
à la demande de la société Fun Production et de M. Wackenheim, d'une part, annulé l'arrêté du
25 octobre 1991 par lequel son maire a interdit le spectacle de lancer de nains prévu le 25
octobre 1991 à la discothèque de l'Embassy Club, d'autre part, l'a condamnée à verser à ladite
société et à M. Wackenheim la somme de 10 000 F en réparation du préjudice résultant dudit
arrêté ;
[…]
Considérant qu'aux termes de l'article L. 131-2 du code des communes : La police municipale
a pour objet d'assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publique ;
Considérant qu'il appartient à l'autorité investie du pouvoir de police municipale de prendre
toute mesure pour prévenir une atteinte à l'ordre public ; que le respect de la dignité de la
personne humaine est une des composantes de l'ordre public ; que l'autorité investie du pouvoir
de police municipale peut, même en l'absence de circonstances locales particulières, interdire
une attraction qui porte atteinte au respect de la dignité de la personne humaine ;
Considérant que l'attraction de lancer de nain consistant à faire lancer un nain par des
spectateurs conduit à utiliser comme un projectile une personne affectée d'un handicap physique
et présentée comme telle ; que, par son objet même, une telle attraction porte atteinte à la dignité
de la personne humaine ; que l'autorité investie du pouvoir de police municipale pouvait, dès
lors, l'interdire même en l'absence de circonstances locales particulières et alors même que des
mesures de protection avaient été prises pour assurer la sécurité de la personne en cause et que
celle-ci se prêtait librement à cette exhibition, contre rémunération ;
[…]

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II) Le corps humain

a. L’indisponibilité et la non-patrimonialité du corps humain

Cour de cassation, Assemblée plénière, 31 mai 1991, n° 90-20.105

Vu les articles 6 et 1128 du Code civil, ensemble l'article 353 du même Code ;
Attendu que, la convention par laquelle une femme s'engage, fût-ce à titre gratuit, à concevoir
et à porter un enfant pour l'abandonner à sa naissance contrevient tant au principe d'ordre public
de l'indisponibilité du corps humain qu'à celui de l'indisponibilité de l'état des personnes ;
Attendu selon l'arrêt infirmatif attaqué que Mme X..., épouse de M. Y..., étant atteinte d'une
stérilité irréversible, son mari a donné son sperme à une autre femme qui, inséminée
artificiellement, a porté et mis au monde l'enfant ainsi conçu ; qu'à sa naissance, cet enfant a été
déclaré comme étant né de Y..., sans indication de filiation maternelle ;
Attendu que, pour prononcer l'adoption plénière de l'enfant par Mme Y..., l'arrêt retient qu'en
l'état actuel des pratiques scientifiques et des mœurs, la méthode de la maternité substituée doit
être considérée comme licite et non contraire à l'ordre public, et que cette adoption est conforme
à l'intérêt de l'enfant, qui a été accueilli et élevé au foyer de M. et Mme Y... pratiquement depuis
sa naissance ;
Qu'en statuant ainsi, alors que cette adoption n'était que l'ultime phase d'un processus
d'ensemble destiné à permettre à un couple l'accueil à son foyer d'un enfant, conçu en exécution
d'un contrat tendant à l'abandon à sa naissance par sa mère, et que, portant atteinte aux principes
de l'indisponibilité du corps humain et de l'état des personnes, ce processus constituait un
détournement de l'institution de l'adoption, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement dans l'intérêt de la loi et sans renvoi, l'arrêt rendu le 15
juin 1990 par la cour d'appel de Paris.

Cour de cassation, 1ère Chambre civile, 23 février 1972, n° 70-12.490

Sur le premier moyen, pris en ses deux branches : attendu qu'il résulte des énonciations de l'arrêt
confirmatif attaque que homme dit X... a, en qualité de régisseur général, engage la demoiselle
Z..., âgée de dix-sept ans, pour tenir le rôle de la jeune fille tatouée dans une séquence du film
paris secret produit par la société Ulysse productions ;
Qu'aux termes du contrat une tour Eiffel et une rose devaient être tatouées sur une des fesses de
la demoiselle Z..., le tatouage devant être enlevé quinze jours plus tard par un chirurgien et
devenir la propriété de la société Ulysse productions ;
Que le contrat fut exécuté mais qu'une importante cicatrice subsista après l'enlèvement du
tatouage ;
Que la demoiselle Z… devenue majeure a assigné l'assistant réalisateur, la société Ulysse
productions et homme dit x... pour voir annuler le contrat et pour s'entendre condamner a des
dommages-intérêts ;

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Attendu qu'il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir condamné homme dit X... à verser des
dommages-intérêts a la demoiselle Z..., alors, selon le moyen, que l'entrepreneur de spectacles
répond du fait des personnes qu'il emploie et qu'en toute hypothèse un préposé n'engagerait pas
sa responsabilité en exécutant les ordres de son commettant et qu'il aurait appartenu à la cour
d'appel de définir exactement le rôle et les fonctions du régisseur au lieu de les qualifier
d'importantes, sans répondre aux conclusions où il était indiqué que le régisseur n'avait pas la
qualité de directeur de production, ce qui aurait exclu toute faute personnelle de sa part ;
Qu'il est encore soutenu que les juges du second degré ne pouvaient légalement décider que le
régisseur avait commis des fautes personnelles en procédant dans des conditions immorales et
illicites à l'engagement d'une actrice dont il connaissait l'état de minorité sans rechercher s'il
n'avait pas agi sur l'ordre ou sous la contrainte du chef de production ou de tous autres, les
fonctions de régisseur étant celles d'un agent d'exécution charge de matérialiser par écrit les
instructions à lui données sans possibilité de les discuter ou de s'y opposer, sous peine de voir
rompre son contrat de travail a ses torts ;
Mais attendu, d'une part, que homme dit X... n'a pas prétendu devant la cour d'appel qu'il était
un simple agent d'exécution ayant agi sur ordre ou sous la contrainte ;
Qu'ainsi le moyen est nouveau et mélange de fait et de droit, en sa seconde branche ;
Que, d'autre part, la cour d'appel, qui a répondu aux conclusions prétendument délaissées en
énonçant que quel que soit son titre exact homme dit X... avait des fonctions importantes
puisqu'il avait signé le contrat d'engagement de la demoiselle Z..., a pu estimer que celui-ci
avait commis une faute personnelle en engageant une mineure dans des conditions immorales
et illicites et qu'elle a ainsi légalement justifié sa décision sur ce point ;
D'où il suit que le moyen est mal fondé dans sa première branche et irrecevable en la seconde ;
[…]
Par ces motifs : rejette le pourvoi formé contre l’arrêt rendu, le 16 mars 1970, par la Cour
d’appel de Paris.

Article de presse :
OTTAVI M., « Tim Steiner, enchères et en os », Libération, 8 octobre 2012
https://next.liberation.fr/arts/2012/10/08/tim-steiner-encheres-et-en-os_851770

b. Le droit de disposer de son corps


Cour européenne des droits de l’Homme, 1ère Section, K.A. et A.D. contre Belgique,
n° 42758/98 et 45558/99

[…]
83. L’article 8 de la Convention protège le droit à l’épanouissement personnel, que ce soit sous
la forme du développement personnel (…) ou sous l’aspect de l’autonomie personnelle qui
reflète un principe important qui sous-tend l’interprétation des garanties de l’article 8 (…). Ce
droit implique le droit d’établir et entretenir des rapports avec d’autres êtres humains et le
monde extérieur (…), en ce compris dans le domaine des relations sexuelles, qui est l’un des
plus intimes de la sphère privée et est à ce titre protégé par cette disposition (…). Le droit
d’entretenir des relations sexuelles découle du droit de disposer de son corps, partie intégrante
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de la notion d’autonomie personnelle. A cet égard, « la faculté pour chacun de mener sa vie
comme il l’entend peut également inclure la possibilité de s’adonner à des activités perçues
comme étant d’une nature physiquement ou moralement dommageables ou dangereuses pour
sa personne. En d’autres termes, la notion d’autonomie personnelle peut s’entendre au sens du
droit d’opérer des choix concernant son propre corps » (…).
84. Il en résulte que le droit pénal ne peut, en principe, intervenir dans le domaine des pratiques
sexuelles consenties qui relèvent du libre arbitre des individus. Il faut dès lors qu’il existe des
« raisons particulièrement graves » pour que soit justifiée, aux fins de l’article 8 § 2 de la
Convention, une ingérence des pouvoirs publics dans le domaine de la sexualité.
85. En l’espèce, en raison de la nature des faits incriminés, l’ingérence que constituent les
condamnations prononcées n’apparaît pas disproportionnée. Si une personne peut revendiquer
le droit d’exercer des pratiques sexuelles le plus librement possible, une limite qui doit trouver
application est celle du respect de la volonté de la « victime » de ces pratiques, dont le propre
droit au libre choix quant aux modalités d’exercice de sa sexualité doit aussi être garanti. Ceci
implique que les pratiques se déroulent dans des conditions qui permettent un tel respect, ce qui
ne fut pas le cas.
[…]

III) Les expressions du droit à la santé

a. Nécessité thérapeutique et respect de l’intégrité du corps humain

Conseil d’Etat, ord. réf., 16 août 2002, n° 249552

[…]
Considérant qu’il résulte de l’instruction que Mme X., hospitalisée le 28 juillet 2002 au service
des soins intensifs post-opératoires du centre hospitalier de Saint-Etienne, a fait savoir
oralement puis confirmé par écrit qu’en raison des convictions qui sont les siennes comme
Témoin de Jéhovah, elle refusait, quelles que soient les circonstances, l’administration de tout
produit sanguin ; que les médecins du centre hospitalier, estimant que le recours à une
transfusion sanguine s’imposait pour sauvegarder la vie de la patiente, dont l’état évoluait dans
des conditions qui présentaient un risque vital à court terme, ont néanmoins pratiqué un tel acte
le 5 août 2002 ; que Mme X. et sa sœur ont alors saisi, le 7 août 2002, le juge des référés du
tribunal administratif de Lyon en lui demandant, sur le fondement des dispositions de l’article
L. 521-2 du code de justice administrative, d’enjoindre au centre hospitalier de ne procéder en
aucun cas à l’administration forcée d’une transfusion sanguine sur la personne de l’intéressée ;
que, par son ordonnance du 9 août 2002, le juge des référés a enjoint au centre hospitalier de
s’abstenir de procéder à des transfusions sanguines sur la personne de Mme X. ; qu’il a toutefois
précisé que cette injonction cesserait de s’appliquer si la patiente “venait à se trouver dans une
situation extrême mettant en jeu un pronostic vital” ; que les requérantes font appel de cette
ordonnance en tant qu’elle comporte une telle réserve ;
Considérant que l’article 16-3 du code civil dispose: “Il ne peut être porté atteint à l’intégrité
du corps humain qu’en cas de nécessité thérapeutique pour la personne./ Le consentement de
l’intéressé doit être recueilli préalablement hors le cas où son état rend nécessaire une
intervention thérapeutique à laquelle il n’est pas à même de consentir” ; qu’aux termes de
l’article L. 1111-4 du code de la santé publique, dans la rédaction que lui a donnée la loi du 4

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mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé : “Toute personne
prend, avec le professionnel de santé et compte tenu des informations et des préconisations qu’il
lui fournit, les décisions concernant sa santé./ Le médecin doit respecter la volonté de la
personne après l'avoir informée des conséquences de son choix. Si la volonté de la personne de
refuser ou d’interrompre un traitement met sa vie en danger, le médecin doit tout mettre en
œuvre pour la convaincre d’accepter les soins indispensables./ Aucun acte médical ni aucun
traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne et ce
consentement peut être retiré à tout moment” ;
Considérant que le droit pour le patient majeur de donner, lorsqu’il se trouve en état de
l’exprimer, son consentement à un traitement médical revêt le caractère d’une liberté
fondamentale ; que toutefois les médecins ne portent pas à cette liberté fondamentale, telle
qu’elle est protégée par les dispositions de l’article 16-3 du code civil et par celles de l’article
L. 1111-4 du code de la santé publique, une atteinte grave et manifestement illégale lorsqu’après
avoir tout mis en œuvre pour convaincre un patient d’accepter les soins indispensables, ils
accomplissent, dans le but de tenter de le sauver, un acte indispensable à sa survie et
proportionné à son état; que le recours, dans de telles conditions, à un acte de cette nature n’est
pas non plus manifestement incompatible avec les exigences qui découlent de la convention
européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, et notamment
de son article 9 ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède que Mme X. et Mme Y., épouse Z. ne sont pas
fondées à soutenir que c’est à tort que, par l’ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal
administratif de Lyon, à qui il appartenait, contrairement à ce que soutiennent les requérantes,
de déterminer les limites de l’injonction qu’il formulait, a décidé que l’injonction qu’il adressait
au centre hospitalier universitaire de Saint-Etienne de s’abstenir de procéder à des transfusions
sanguines sur la personne de Mme X. cesserait de s’appliquer si l’intéressée venait à se trouver
dans une situation extrême mettant en jeu un pronostic vital ; qu’il y a lieu toutefois d’ajouter à
la réserve mentionnée par le juge des référés qu'il incombe au préalable aux médecins du centre
hospitalier d’une part de tout mettre en œuvre pour convaincre la patiente d’accepter les soins
indispensables, d’autre part de s’assurer que le recours à une transfusion soit un acte
indispensable à la survie de l’intéressée et proportionné à son état ;
ORDONNE :
Article 1 : Avant de recourir, le cas échéant, à une transfusion dans les conditions indiquées à
l’article 2 de l’ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Lyon en date du 9
août 2002, il incombe aux médecins du centre hospitalier universitaire de Saint-Etienne d’une
part d’avoir tout mis en œuvre pour convaincre la patiente d’accepter les soins indispensables,
d’autre part de s’assurer qu’un tel acte soit proportionné et indispensable à la survie de
l’intéressée.
Article 2 : L’article 2 de l’ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Lyon en
date du 9 août 2002 est réformé dans le sens indiqué à l’article 1er de la présente décision.

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b. Droit à la santé et conditions de détention

Cour européenne des droits de l’Homme, 3ème Section, Florea c./ Roumanie, 14 septembre
2010, n° 37186/03

[…]
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
5. Le requérant est né en 1949 et réside à Botoşani.
6. Il fut arrêté et placé en détention provisoire le 20 février 2002 étant accusé de vol qualifié.
Le 21 mars 2002, il fut transféré à la prison de Botoşani.
7. Le 7 octobre 2002, le requérant fut condamné pour vol qualifié à quatre ans et six mois de
prison par jugement du tribunal de première instance de Botoşani. Ce jugement devint définitif.
A. Les conditions de détention
8. Lors de son incarcération à la prison de Botoşani, le requérant souffrait d'hépatite chronique
et d'hypertension artérielle au stade I/II. En prison, il partagea les cellules nos 2, 67 et 95, mal
chauffées et mal aérées y compris avec des détenus fumeurs. Ainsi, il dut partager la cellule no
67 pendant environ huit ou neuf mois avec un nombre de détenus allant de 110 à 120, alors
qu'elle contenait seulement 35 lits. 90% de ces détenus étaient des fumeurs, selon le requérant.
9. A trois reprises, à savoir du 21 septembre au 9 octobre 2002, du 12 au 25 juin 2003 et du 25
octobre au 5 novembre 2003, il fut transféré dans l'hôpital pénitentiaire de Târgu Ocna, pour
recevoir des soins médicaux, selon lui, en raison de l'aggravation de son état de santé. Il y
séjourna dans les salles nos 1 et 2.
10. Le requérant fut renvoyé en prison où il dût cohabiter avec des fumeurs. Selon lui, son
alimentation, consistant principalement en des graisses animales (lard de porc), n'était pas
adaptée à son hépatite. Sa cellule de prison n'était pas aérée, il y faisait froid et il y avait en
permanence de la fumée de cigarettes.
11. Après son deuxième séjour à l'hôpital, à son retour en prison, le requérant allègue avoir été
maintenu dans une cellule sans lits et avec un sol en béton, pendant une période de quatorze
jours.
12. Par une lettre du 6 novembre 2003, le ministère de la justice expliqua, en réponse aux
plaintes du requérant, qu' « en raison du phénomène de surpopulation dans les prisons, la
capacité d'accueil étant réduite, les détenus pouvaient être amenés à dormir à deux dans un lit,
jusqu'à ce qu'un accueil correct soit possible ». La même lettre indiquait que du 30 juillet au 8
août 2003, le requérant avait dormi à même le sol selon son propre souhait, en raison de la
canicule. Le ministère informa le requérant qu'en raison de l'espace limité, la séparation des
détenus fumeurs et non fumeurs était impossible.
13. Par une pétition du 26 juillet 2004 adressée au directeur général de l'Administration des
prisons, le requérant se plaignait de ne recevoir qu'un traitement médical pour son hypertension
et non pour ses autres maladies. Il faisait également valoir qu'en dépit du fait que le directeur
de la prison avait établit que la cellule no 2 que partageait le requérant avec d'autres malades
chroniques, devrait être occupée uniquement par des détenus non-fumeurs, jamais cette
consigne n'avait été respecté, car il y avait en permanence au moins un détenu fumeur. Selon le
requérant, cette situation augmentait la tension entre les codétenus.

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14. Un rapport médicolégal datant du 4 janvier 2005 constatait que le requérant souffrait
d'hypertension artérielle essentielle au stade II/III, d'hépatite chronique, d'hypersplénisme,
d'angor, d'obésité commune de grade I et d'hypertrophie bénigne de la prostate. Le rapport
concluait que ces maladies pouvaient être traitées dans le réseau sanitaire du ministère de la
Justice. Selon les recommandations médicales contenues dans ce rapport, le requérant devrait
suivre un régime alimentaire hypo sodique et hypocalorique, il devrait éviter le tabac, ainsi que
la consommation des graisses animales et de condiments.
[…]
B. L'action en dédommagement formée par le requérant au titre des conditions de détention
inappropriées
22. Le 28 avril 2004, alors qu'il se trouvait toujours en prison, le requérant saisit le tribunal de
première instance de Botoşani d'une action en dédommagement fondée sur les articles 998-999
du code civil, au titre de la dégradation de son état de santé à cause de son incarcération dans
des cellules avec des détenus fumeurs et des mauvaises conditions de détention.
23. Par jugement du 3 septembre 2004, le tribunal de première instance déclina sa compétence
en faveur du tribunal départemental de Botoşani.
24. Par jugement du 6 décembre 2006, le tribunal départemental débouta le requérant de ses
prétentions au motif que le rapport de causalité entre les conditions de détention, y compris la
fumée de tabac provenant des codétenus et les maladies du requérant, dont certaines semblaient
avoir préexisté à son incarcération, n'avait pas été établi.
25. Le requérant ne forma pas de recours contre ce jugement.
[…]
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 3 DE LA CONVENTION
[…]
B. Sur le fond
[…]
50. La Cour relève que les mesures privatives de liberté impliquent habituellement pour un
détenu certains inconvénients. Toutefois, elle rappelle que l'incarcération ne fait pas perdre à
un détenu le bénéfice des droits garantis par la Convention. Au contraire, dans certains cas, la
personne incarcérée peut avoir besoin d'une protection accrue en raison de la vulnérabilité de
sa situation et parce qu'elle se trouve entièrement sous la responsabilité de l'État. Dans ce
contexte, l'article 3 fait peser sur les autorités une obligation positive qui consiste à s'assurer
que tout prisonnier est détenu dans des conditions qui sont compatibles avec le respect de la
dignité humaine, que les modalités d'exécution de la mesure ne soumettent pas l'intéressé à une
détresse ou à une épreuve d'une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent
à la détention et que, eu égard aux exigences pratiques de l'emprisonnement, la santé et le bien-
être du prisonnier sont assurés de manière adéquate
[…]
57. La Cour observe ensuite que le manque d'espace dont le requérant se plaint semble avoir
été encore aggravée par le fait que les possibilités de circuler en dehors de sa cellule étaient
limitées de manière significative (…). En effet, il ressort des déclarations concordantes des
parties que le requérant ne pouvait en principe passer hors de sa cellule qu'au maximum une
heure et demie par jour. La Cour note également que les conditions dans lesquelles le requérant

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pouvait faire sa promenade journalière à la prison de Botoşani étaient peu confortables en raison
de l'exiguïté de la cour de promenade (…).
58. La Cour note également qu'il ressort des déclarations des parties qu'à la prison de Botoşani,
à l'exception d'une période initiale d'environ trois mois, pendant laquelle il a été affecté à des
travaux légers (…), le requérant n'a bénéficié d'aucune activité en plus de l'heure de promenade
réglementaire et a donc été confiné dans sa cellule pendant 23 heures par jour. Le temps
considérable que le requérant a passé enfermé dans sa cellule ne pouvait qu'aggraver les
conséquences résultant de la promiscuité régnant à l'intérieur.
59. Qui plus est, la Cour relève que le requérant a été enfermé dans une qui servait à la fois de
chambre et de salle à manger, où les détenus devaient prendre leurs repas. Ainsi les conditions
d'hygiène à l'intérieur d'une telle cellule, ne pourraient être que déplorables.
[…] le requérant n'a jamais disposé de cellule individuelle. Bien au contraire, il a dû partager
pendant près de trois ans des cellules, dans lesquelles il était confiné 23 heures par jour, avec
des détenus fumeurs. Qui plus est, il a dû supporter le tabagisme de ses codétenus même dans
la cellule no 2 destinée à l'infirmerie de la maison d'arrêt de Botoşani (…) et dans les salles des
malades chroniques de l'hôpital pénitentiaire de Târgu Ocna, (…) et ce, en dépit de la
recommandation du médecin à son égard (…).
[…]
3. Conclusion
63. De l'avis de la Cour, les conditions de détentions subies par le requérant ont dépassé le seuil
de gravité requis par l'article 3 de la Convention.
64. Partant, il y a eu violation de l'article 3 de la Convention.
[…]

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