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Tribunal de Grande instance de Paris, 2 juin 1976, 1re chambre – 1re section

S.A.S. princesse de Monaco et Rainier III c. Soc. France éditions et publications

Dans son numéro du 2 juill. 1975 le quotidien France Soir a publié, avec une photographie de
l’immeuble où le prince et la princesse de Monaco ont installé leur résidence parisienne, un bref
commentaire contenant l’indication de l’adresse de cet immeuble et des pièces qui le
composent. Le prince Rainier III et la princesse Grace de Monaco, estimant que cette
divulgation porte atteinte à leur vie privée ont assigné la Soc. France éditions et publications en
paiement de 150 000 F. de dommages-intérêts. La société défenderesse soutient que la
publication de la photographie litigieuse ne porte pas plus atteinte à la vie privée des souverains
de Monaco que ne ferait celle de leur palais princier et en outre que l’art. 9 c.civ., dont
l’application suppose d’ailleurs la preuve d’un préjudice, non rapportée en l’espèce, a pour objet
la protection des personnes et non des choses.

LE TRIBUNAL; Attendu que la divulgation de l’adresse du domicile ou de la résidence d’une


personne sans le consentement de celle-ci constitue une atteinte illicite à sa vie privée; Attendu
que ce principe doit être appliqué, s’agissant de personnalités officielles, dès lors qu’elles
manifestent, par le fait même d’acquérir une résidence privée, l’intention d’y échapper
occasionnellement à la curiosité publique leurs fonctions attirent nécessairement sur elles;
Attendu que c’est donc en l’espèce à bon droit que les souverains monégasques reprochent au
journal France-Soir d’avoir dilué l’adresse d’une résidence jusqu’alors inconnue du grand
public et où ils seraient désormais exposé, contre leur volonté, à des risques d’indiscrétions, de
sollicitation ou même d’actes de malveillance; qu’ils subissent ainsi par la faute d’un journaliste
dont doit répondre la société défenderesse un préjudice qu’il importe de réparer par l’allocation
des dommages-intérêts ci-dessous précisés ;

Attendu en revanche que la description donnée de l’aménagement intérieur de l’immeuble n’est


pas assez précise pour que l’on puisse y voir une intrusion dans la vie privée de ses habitants;
Attendu qu’il n’y a pas lieu à exécution provisoire;

Par ces motifs, condamne la Soc. France éditions et publications à payer au principe Rainier III
et à la princesse Grace de Monaco, 20 000 F de dommages-intérêts ; dit n’y avoir lieu à
exécution provisoire; condamne la Société France éditions et publications au paiement des
dépens.

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Cour de Cassation, Chambre civile 2, du 8 juillet 2004, 03-13.260

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, DEUXIEME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Chambéry, 14 janvier 2003), qu'en juin 1988 est paru un numéro
du bulletin municipal de la commune de Lovagny comportant outre un éditorial du maire M.
X..., un article de M. Y... intitulé "Histoires des vieilles familles de Lovagny", consacré en
partie aux membres de la famille Z... ayant vécu entre 1725 et la première moitié du siècle
suivant où il était fait référence à "deux époux ayant connu une longue vie d'errance et de misère
et traversé une période assez agitée" et allusion à "des séparations, des mariages consanguins,
des naissances hors mariage" au cours de la même période ; qu' estimant que cet article portait
atteinte à leur vie privée comme comportant des appréciations sur la vie de leurs ancêtres, les
consorts Z... ont assigné la commune de Lovagny, son maire, ainsi que M. Y... en réparation de
leur préjudice moral sur le fondement des articles 9, 1382 du Code civil et 8 de la Convention
européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Attendu que les consorts Z... reprochent à l'arrêt de les avoir déboutés de leur demande contre
M. Y... en réparation du préjudice causé par la publication d'un article écrit par ce dernier et
consacré à leur famille, alors, selon le moyen, que les renseignements relatifs aux ascendants
d'une personne relèvent de la propre vie privée de cette dernière et qu'en statuant comme elle
l'a fait la cour d'appel a violé les articles 8 de la Convention européenne de sauvegarde des
droits de l'homme et des libertés fondamentales et 9 du Code civil ;

Mais attendu que l'arrêt retient à bon droit que le droit d'agir pour le respect de la vie privée
s'éteint au décès de la personne concernée, seule titulaire de ce droit, et n'est pas transmis à ses
héritiers ; qu'ayant relevé que le texte litigieux, à vocation historique et s'appuyant sur des
documents dont la consultation est libre, ne concernait que des personnes décédées, sans que
soit cité aucun des consorts Z... présents dans la procédure, de sorte qu'aucune atteinte à la vie
privée dans sa dimension familiale n'était établie, la cour d'appel a légalement justifié sa
décision au regard des textes cités par le moyen ;

PAR CES MOTIFS :

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REJETTE le pourvoi ;

Condamne les consorts Z... aux dépens ;

Vu l’article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette les demandes respectives des
consorts Z... et de M. X... ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Deuxième chambre civile, et prononcé par le
président en son audience publique du huit juillet deux mille quatre.

…………………………………………………………………………………………………...

Fiche d’arrêt de la 2e chbre civ. de la C.Cass du 14 décembre 2017 (16-26.687) : infans


conceptus pro nato habetur quoties de comodo ejus agitur

Ce qu’il faut retenir :

Par un arrêt du 14 décembre 2017, la Cour de cassation a reconnu qu’un enfant peut demander
réparation du préjudice subi du fait de la mort accidentelle de son père, survenu alors qu’il était
conçu et non encore né.

L'enfant conçu est réputé né chaque fois qu'il y va de son intérêt (infans conceptus pro nato
habetur quoties de comodo ejus agitur).

Arrêt de la 2e chbre civ. de la C.Cass du 14 décembre 2017 (16-26.687)

Faits

M. X, époux et père de 2 enfants, est victime d’un accident mortel du travail au cours d'une de
ses missions.

Mme X... (veuve) a saisi, en présence de la caisse primaire d’assurance maladie des Vosges, un
tribunal des affaires de sécurité sociale (TASS) pour faire juger que l’accident était dû à la faute
inexcusable de l’employeur et obtenir réparation de son préjudice et de celui de ses enfants.
Elle agit ainsi tant en son nom personnel qu’en qualité de représentante légale de ses 2 enfants
mineurs, dont Zachary, né après l'accident et la mort de son père.

Au 1er degré, l’épouse du défunt obtient alors réparation de son préjudice et de celui des
enfants.

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L’employeur, qui admet le préjudice de l’enfant aîné, déjà né au moment de l’accident, a
contesté qu’un préjudice puisse être également déclaré pour l’enfant né après l’accident.

Procédure

● 23 avril 2014 : La cour d'appel de Nancy rejette la demande d’indemnisation du préjudice


moral d’un enfant né après la mort de son père, après avoir pourtant reconnu l’existence de
plusieurs préjudices subis par ce dernier à compter de sa naissance.

L’épouse du défunt se pourvoit alors en cassation.

● 10 septembre 2015 : C.Cass rend un arrêt de cassation. Elle estime que la cour d'appel a violé
le principe général du droit infans conceptus. L'affaire est renvoyée devant une nouvelle CA.

● 29 septembre 2016 : La cour d’appel de Metz estime que l'enfant né après la mort de son père
souffre de l’absence définitive de ce dernier. Elle reconnaît ainsi un préjudice pour l'enfant
cadet.

Mécontente de cette décision, la société d’assurance de l’employeur (Axa France IARD ; et


autre) forme à son tour un pourvoi en cassation.

● 14 décembre 2017 : C.Cass rend un arrêt de rejet. La solution donnée par la CA le 29


septembre 2016 était juste et doit être respectée.

Problématique juridique

● Demandeur : la société d'assurance de l'employeur, Axa France IARD et autre

● Défendeur : Mme X... ; et autres

Problématique juridique

Un enfant simplement conçu mais né après le décès accidentel de son père peut-il faire valoir
un préjudice moral et obtenir indemnisation des suites de cette disparition prématurée ?

Solution juridique

Oui.

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Dès sa naissance, l’enfant peut demander réparation du préjudice résultant du décès accidentel
de son père survenu alors qu’il était conçu.

Par ailleurs, elle estime que Zachary X... - souffrant de l’absence définitive de son père décédé
dans l’accident - la cour d’appel a caractérisé l’existence d’un préjudice moral ainsi que le lien
de causalité entre le décès accidentel de Abdallah X... et ce préjudice.

Le droit à réparation est certes antérieur à la naissance, mais sa mise en œuvre est conditionnée
par celle-ci.

Pour aller plus loin

L’enfant simplement conçu est traité comme s’il était né lorsqu’il y va de son intérêt, de son
avantage.

Enoncée par aucun texte, cette règle générale résulte de l’adage romain infans conceptus pro
nato habetur, quoties de commodis ejus agitur. La loi l’applique dans des cas particuliers (art.
311 al. 2 du code civil) concernant la filiation par exemple). Autrement dit, l’enfant simplement
conçu devient titulaire de droits antérieurement à sa naissance, dès l’instant de sa conception :
il peut faire l’objet d’une reconnaissance, recueillir une succession, être institué donataire...

Le moment de la conception est fixé par la loi (art. 311 du code civil) : l’enfant est présumé
conçu dans la période qui s’étend du 300e jour au 180e jour inclusivement avant la naissance.

Ce principe permet de reconnaître à l’enfant une personnalité juridique provisoire, alors qu’il
n’est pas encore né. Cette fiction juridique anticipe la réalité et est conditionnée par un
événement futur, la naissance de l’enfant et le fait qu’il soit né viable.

Mais attention : selon la jurisprudence, l’enfant simplement conçu peut même être tenu d’une
obligation spécifique, celle d’assumer les frais de funérailles de son parent décédé avant sa
naissance : le fait que l’enfant n’ait pas connu son père n’exclut même pas qu’il ait à respecter
cette obligation.

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