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Hugo TD Droit pénal n°2

11/02/23
CHOPIN
Droit pénal TD n°2 : le choix de la qualification

Document n°1 :

La chambre criminelle de la cour de cassation s'est prononcée le 3 mars 1960, dans un arrêt de
rejet "'Ben Haddadi", sur le cumul idéal d'infraction.

Le 1er juin 1958, un homme jette une grenade dans un café, dégradant le bâtiment et blessant
ses occupants.

Cet homme est condamné par le tribunal permanent des Forces armées des chefs de tentative
de destruction par l'effet d'une substance explosive et de tentative d'homicide.

Ainsi, un même fait obéissant à plusieurs intentions distinctes peut-il entraîner plusieurs
déclarations de culpabilité ?

La chambre criminelle rejette le pourvoi et confirme la décision du tribunal. Après avoir


rappelé que l'infraction de destruction par explosif d'un édifice vise à protéger la propriété et
est constituée dès lors que l'auteur agit volontairement pour détruire cet édidice, elle explique
que si l'auteur vise en en outre l'atteinte à la vie d'une personne, alors il commet un second
crime, caractérisé par une intention coupable essentiellement différente. Ainsi, un même fait
revêtant une dualité de fautes intentionnelles et portant atteinte à deux valeurs sociales
distinctes peut être déclaré coupable pour deux infractions différentes.

Document n°2 :

Par un arrêt de rejet rendu le 22 novembre 1983, la chambre criminelle de la cour de cassation
s'est exprimée sur le cumul de qualifications.

Deux hommes ont notamment pris le contrôle d'un aéronef en vol, arrêtant et détenant comme
otage son pilote.

La chambre d'accusation de la cour d'appel de Paris ordonne le 30 août 1983 leur renvoi
devant la cour d'assises de l'Essonne, notamment pour avoir exercé le contrôle d'un aéronef en
vol par violence ou menace de violence, et arrêté et détenu le pilote soit pour faciliter la
commission d'un crime ou d'un délit, soit pour favoriser leur fuite ou assurer leur impunité
comme auteur ou complice d'un crime ou d'un délit avec ces circonstances que l'arrestation a
été exécutée sous de faux noms et que l'otage a été menacé de mort. Les deux accusés forment
un pourvoi en cassation. Au soutien de leur pourvoi, les accusés affirment que le contrôle de
l'aéronef en vol, supposant la contrainte du pilote, et sa prise d'otage constituent un cumul
idéal d'infraction, lequel doit se résoudre en n'envisageant les faits que sous leur plus haute
qualification pénale.
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Ainsi, les qualifications de détournement d'un aéronef et de prise d'otage de son pilote,
procédant d'un même fait mais visant des intérêts protégés distincts, peuvent-elles se
cumuler ?

La cour de cassation rejette le pourvoi, expliquant que le détournement d'un aéronef et la prise
d'otage en vue de l'exécution d'un ordre ou d'une condition constituent deux crimes distincts
dont la nature et les éléments constitutifs sont différents, s'analysant en un cumul réel
d'infractions. Elle précise que ces deux comportements, caractérisés par des éléments
moraux différents, protègent des intérêts collectifs et individuels distincts : le premier la
liberté de la circulation dans l'espace aérien ainsi que la sécurité des personnes à bord,
et le second la protect° de la personne et de la vie. En conséquence, une double
déclaration de culpabilité est possible, sous la réserve du respect de la règle du non-
cumul des peines.

Document n°3 :

Par un arrêt de cassation partielle en date du 26 octobre 2016, la chambre criminelle de la


cour de cassation s'est prononcée au visa du principe non bis in idem sur la question du cumul
idéal d'infractions.

En l'espèce, une femme ayant détourné plusieurs centaines de milliers d'euros au préjudice de
ses employeurs versait sur le compte bancaire de son concubin environ 600 000 euros. Avec
ces fonds, l'homme effectuait diverses dépenses pour le couple (véhicules, voyages) et
acquérait en commun avec sa concubine plusieurs immeubles.

Le concubin était poursuivi pour recel et blanchiment. Le tribunal correctionnel le déclarait


coupable du premier chef et le relaxait du second, relevant que l'utilisation des fonds pour
acquérir une maison ne constituait pas une manoeuvre particulière mais la simple utilisation
des fonds recelés. Le condamné et le ministère public interjetaient appel de cette décision.

La cour d'appel d'Orléans, le 30 juin 2015, le déclarait coupable pour recel et pour
blanchiment. Concernant le recel, la cour d'appel estimait qu'au regard du contexte des faits,
de l'importance des sommes virées, de la connaissance par le prévenu de la situation judiciaire
et financière de sa concubine, de la situation fiancière du couple, et des bénéfices importants
retirés des fonds transmis sur son compte, le prévenu ne pouvait raisonnablement ignorer
l'origine frauduleuse des fonds. Concernant le blanchiment, la cour d'appel relevait que le
couple, et en particulier le prévenu, avait réalisé des opérations de placement et de conversion
du produit du délit d'escroquerie commis par la concubine en achetant en commun divers
biens. Elle notait également que les fonds avaient été virés en grande partie sur le compte
bancaire du prévenu qui ne pouvait pas en ignorer l'origine frauduleuse au regard de
l'importance des sommes en cause et de sa connaissance tant de la situation judiciaire et
financière de sa compagne que de la situation financière du couple. Le prévenu formait un
pourvoi en cassation. A l'appui de son pourvoi, le demandeur citait les articles 6 et 7 de la
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ConvEDH, 111-3 et -4, 121-3, 321-1 et 324-1 du code pénal, préliminaire, 591 et 593 du code
de procédure pénale,
Il soutenait que l'un des biens immobiliers avait été acheté quasi exclusivement par la
concubine, en usant directement des fonds détournés, sans opération visant à opacifier le
circuit financier, de sorte que lui- même ne pouvait avoir participé à une opération de
blanchiment. Le demandeur contestait également l'élément moral de l'infraction, estimant que
les juges ne rapportaient ni la preuve de sa connaissance certaine de l'origine frauduleuse des
fonds ni celle de sa volonté d'apporter son concours à une opération de placement. Il soutenait
enfin que la cour d'appel consacrait une présomption irréfragable de culpabilité, violant la
présomption d'innocence et les principes de loyauté et du procès équitable. Le demandeur
affirmait que l'élément moral du délit de recel supposait la connaissance certaine de l'origine
frauduleuse des fonds perçus, ce qu'il estimait non établi en l'espèce. Il soutenait également
que la cour d'appel consacrait une présomption irréfragable de culpabilité, et violait les
principes de loyauté, de présomption d'innocence et du procès équitable en se fondant sur les
déclarations d'un témoin dont il contestait la pertinence.

Ainsi, des faits matériellement différents mais unis par une même intention coupable, à savoir
le versement de fonds d'origine frauduleuse sur un compte bancaire ensuite utilisés pour
acquérir un bien, peuvent-ils donner lieu à deux déclarations de culpabilité du prévenu, l'une
pour recel et l'autre pour blanchiment ?

La cour de cassation casse partiellement l'arrêt de la cour d'appel. Elle rejette dans un premier
temps le pourvoi soutenant que la cour d'appel n'avait pas suffisamment caractérisé la
connaissance de l'origine frauduleuse des fonds, et explique que la cour d'appel a justifié́ sa
décision. Dans un second temps, la chambre criminelle énonce dans un attendu de principe, au
visa exprès du principe ne bis in idem, que "des faits qui procèdent de manière indissociable
d'une action unique .... fussent-elles concomitantes". La cour de cassation estime que le
versement des fonds sur le compte du prévenu constituait un préalable nécessaire à
l'acquisition de biens, et ne pouvait donc caractériser à la fois le recel et le blanchiment. Elle
casse donc l'arrêt de la cour d'appel concernant la condamnation du chef de recel.

Fiche 4 : Crim 15 Décembre 2021

La chambre criminelle de la Cour de cassation réunie en formation


solennelle a rendu un arrêt de rejet le 15 décembre 2021 qui se trouve être
la dernière décision en date marquant une nouvelle étape dans
l’évolution jurisprudentielle des principes ne bis in idem et de non-cumul
de qualifications pour les mêmes faits.
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En l’espèce, un notaire, demandeur au pourvoi, a produit d’une part
de fausses attestations notariales ainsi qu'un faux certificat de dépôt
fiduciaire ; d’autre part a trompé deux de ses clients pour les inciter à
vendre leurs parts dans une société sans réelle garantie de recevoir
quelque paiement que ce soit de l'intégralité du prix de vente.

En première instance, le notaire en question, alors demandeur au


pourvoi en cassation s’est vu être, déclaré coupable des infractions citées
de faux et usage de faux, d’escroquerie, de banqueroute et d’abus de biens
sociaux. De là, ce dernier a écopé d’une condamnation à deux ans
d'emprisonnement ainsi qu'à dix ans d'interdiction de gérer. Après avoir
interjeté appel, il voit confirmée la décision des juges du premier degré
par la cour d’appel de Reims dans un arrêt du 15 décembre 2020. Le
demandeur au pourvoi attaque donc cette dernière décision dans une
optique de cassation.

Au soutien de son pourvoi, le demandeur argue le fait selon lequel


la cour d’appel de Reims aurait violé le principe ne bis in idem en
prononçant deux déclarations de culpabilité alors que les faits
procédaient de manière indissociable d'une action unique caractérisée
par une seule intention coupable.

Les juges de cassation ont alors eu à se questionner si la violation du


principe ne bis in idem en cas de poursuites concomitantes est tolérée ?

La Cour de cassation répond à la positive et de ce fait rejette le


pourvoi en maintenant le principe de l’interdiction du cumul des
qualifications lors de poursuites concomitantes ; mais en restreignant tout
de même son champ d’application.
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Crim. 5 décembre 2000 :
En l’espèce, la SNCF confie un chantier à la société annexe : transfesa, qui
sous-traite à son tour une partie du chantier à une société tiers : société
Trafer. Un salarié de cette derniere société (Tafer) décède lors de ses
heures de travail et sur son lieux de travail dans l’exercice de ses
fonctions.

Une action en justice est alors mise en œuvre contre les deux président
directeur généraux qui sont accusé d’homicide involontaire pour non-
respect des consignes de sécurité, ainsi que d’infraction et de délit
d’entrave. (Pas trop compris le délit d’entrave).

Trop peu d’information sur la première instance nous permettent de


nous épancher sur la procédure primaire. Néanmoins nous pouvons
comprendre que les PDG souhaitent alléger leur situation pénale en
refusant les trois condamnations. Ce sont les mêmes motifs que
soutiennent les PDG en seconde instance. En cela, la Cour d’appel établit
que le concours d’infractions porte et sur l’homicide involontaire et sur
l’infraction à la réglementation relative à la sécurité des travailleurs et sur
le délit d’entrave au fonctionnement du CHSCT. Ainsi elle ne fait pas
droit aux prétentions des deux PDG et les condamne.

Un pourvoi en cassation est formé par les PDG au motif que la cour
d’appel a cumulé deux délits qui ne peuvent selon ces dernier faire l’objet
d’un cumul, en l’espèce le délit d’entrave et le délit d’homicide
involontaire. Ai si selon les demandeur en cassation, la cour d’appel a
méconnu l’article 132-3 du code pénal. En effet, les PDG arguent que à
l'occasion d'une même procédure, la personne poursuivie est reconnue
coupable de plusieurs infractions en concours, chacune des peines
encourues peut être prononcée, dans leur cas les peines sont de même
natures (délit). La cour d’appel n’aurait dû prononcer qu’une seule peine
dans la limite du maximum légal le plus élevé.

Les demandeurs arguent au soutient de leur pourvoi que selon l’article


132-3, ils ne peuvent être condamné plusieurs fois pour deux délits de
même nature. Ainsi ces derniers demandent une condamnation unique
pour la totalité des trois infractions délictuelle.

Les juges de cassation ont eu à répondre à la question : est-ce que pour un fait
unique correspondant a plusieurs qualifications pénale une cour peut prononcer
plusieurs déclarations de culpabilité ?

La Cour répond à la négative et casse l’arrêt de la cour d’appel en faisant


droit aux arguments en indiquant que la cour d’appel a privé sa décision
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de base légale en méconnaissant l’article 132-3 du code pénal disposant
que la peine la plus lourde/grave englobe les autres.

Commentaire de l’arrêt de la chambre


criminelle de la Cour de cassation du 9 juin
2022, n° 21-80.237 :

Par un arrêt en date du 9 juin 2022, la Chambre criminelle de la Cour de cassation a eu à


statuer sur le principe non bis in idem ou principe en vertu duquel nul ne peut être poursuivi et
condamné deux fois à raison d’un même fait.

En l’espèce, trois personnes ont – par le biais d’un contrôle douanier ayant découvert
d’importantes sommes d’argents transportés en espèces dans des caches aménagées à l’intérieur
de véhicules automobiles – sont accusées des chefs de transfert de capitaux sans autorisation, de
blanchiment en bande organisée et d’association de malfaiteurs.
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Ainsi, les trois prévenus font l’objet d’une ouverture d’information judiciaire. En effet,
par un jugement du 24 octobre 2019, le tribunal, après avoir requalifié les faits de « blanchiment
aggravé » en « blanchiment présumé en bande organisée », a condamné les trois prévenus. Le
Procureur de la République, ainsi que les trois prévenus ont fait appel de cette décision.
Effectivement, la Cour d’appel de Bordeaux, par un arrêt en date du 15 décembre 2020, a
condamné une prévenue pour tentative de transfert de capitaux sans déclaration, blanchiment
aggravé et association de malfaiteurs, les deux autres aux mêmes motifs, mais en qualifiant la
« tentative » de transfert de capitaux en « transfert ». Qui plus est, les deux derniers, ont été aussi
condamnés à quatre ans d’emprisonnement, à une amende douanière et à une mesure de
confiscation. Dès lors, un pourvoi est interjeté par les trois prévenus. Il est composé de cinq
moyens, seul le premier est, selon la Cour, recevable.
Les demandeurs aux pourvois (regroupés en un) arguent une violation du principe non bis
in idem. En cela, ils considèrent également que la Cour d’appel a méconnu les articles 6 de la
Convention européenne des droits de l’homme, 4 du Protocole n° 7 annexé à cette Convention,
132-71, 450-1, 324-1, 324-2 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale. En d’autres
termes, ils soulèvent le fait qu’une action unique reprochée à un prévenu, ne peut donner lieu à
une double déclaration de culpabilité. Ainsi, la Cour d’appel n’aurait pas fait une application
correcte du principe d’unicité de qualification imposé par le concours idéal.

La question posée à la Cour de cassation était de savoir, si une même personne – pour un fait
unique – peut-être déclaré coupable des chefs d’association de malfaiteurs et de blanchiment aggravé en bande
organisée ? Autrement dit, un cumul de qualifications peut-il, ici avoir lieu ?

Par un arrêt en date du 9 juin 2022, la Chambre criminelle de la Cour de cassation a


répondu par la négative en rejetant les pourvois. Les juges ont d’abord rappelé sa jurisprudence
antérieure sur le principe non bis in idem, relatif à son infléchissement de l’arrêt du 15 décembre
2021. En effet, la chambre criminelle considère que le principe ne s’applique plus au cas où l’une
des qualifications correspondrait à un élément constitutif ou une circonstance aggravante de
l’autre. En d’autres termes, deux conditions cumulatives sont nécessaires pour se fonder sur
l’interdiction de cumul de déclarations de culpabilité pour un fait unique à savoir l’identité des
faits matériels ainsi que leur définition légale.

Dès lors, de nombreuses interrogations se posent. Déjà, la décision – bien qu’elle ne fasse pas
l’unanimité au sein de la doctrine – était plutôt attendue en réalité. Elle s’inscrit alors dans une
jurisprudence novatrice au sujet de l’application du principe non bis in idem. Les juges, ont motivé
leur décision en se confrontant directement à celui-ci, chose qui ne s’est pas avérée si simple. Par
une démonstration logique et cohérente sous certains aspects, les juges ont fait l’impasse sur
l’application du principe soulevant ainsi de nombreux soucis, notamment celui du pouvoir qu’à le
juge. En effet, ils ont soulevé deux conditions cumulatives permettant l’application du principe,
restreignant alors celui-ci.

En cela, toutes ses interrogations s’inscrivent dans une problématique plutôt générale, qui est en
quoi la décision des juges de la Haute juridiction est novatrice quant au principe non bis in idem ?
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Pour y répondre, il faut se pencher sur la confrontation entre les différentes qualifications
retenues et la mise à l’écart du principe (I), rendant ainsi son appréciation de celui-ci plus restrictif
(II).

I- Une mise à l’épreuve par le juge du principe non bis in idem

Bien que les juges ne soient pas à leur première confrontation à l’égard d’un conflit de
qualification (A), ceux-ci vont révéler des conditions cumulatives à l’application du principe de
non-cumul afin de résoudre le cas d’espèce (B).

A) Un conflit de qualification : mise à l’écart du principe non bis in idem

En l’espèce, les juges de la Haute juridiction ont eu à faire face à un conflit de


qualification de la norme pénale. Ce conflit intervient lorsqu’un fait unique tombe effectivement
sous le coup de plusieurs qualifications. En l’occurrence, ici, les juges se sont posé la question de
savoir si le principe ne (non) bis in idem – prévue en droit pénal – pouvait s’appliquer. L’enjeu de
cette décision est important, puisqu’en l’espèce les juges s’interrogent de savoir si un cumul de
qualification peut avoir lieu alors même qu’un fait unique est à l’origine. Le « flou » tant législatif
que doctrinale sur cette question laisse place à l’interprétation ou tout du moins aux juges
d’adopter une posture au cas par cas. Bien que ce principe soit prévu aux articles 8 de la
Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyens de 1789, ainsi qu’à l’article 368 du Code de
procédure pénale, son application évolue avec la jurisprudence. Effectivement, sur ce point la
Haute juridiction et ses juges ne sont pas à leur première confrontation face à ce principe de non-
cumul, notamment sur la qualification des chefs d’association de malfaiteurs et de bande
organisée. A première vue, partant d’un fait unique, le principe de non-cumul s’applique. Et
d’ailleurs, les juges ne manquent pas de rappeler leur jurisprudence antérieure afin de mieux s’en
éloigner sur ce point.

En effet, le concours entre l’association de malfaiteurs et la bande organisée avait été


écarté – leur cumul – par un arrêt de la Chambre criminelle du 9 mai 2019 1 au titre du principe
susmentionné. De plus, le principe n’est pas méconnu même lorsque les faits caractérisant les
chefs sont identiques2. C’est alors, que les juges rappellent judicieusement l’ « infléchissement » de
20213. Celui-ci est de nature à modifier les décisions antérieures, puisqu’il précise les deux
conditions cumulatives (identité des faits matériels et définition légale) nécessaires pour appliquer
le principe. Autrement dit, si les conditions ne sont pas respectées, le principe est écarté et un
cumul s’applique.

Ainsi, c’est là-dessus que vont se baser les juges pour prendre leur décision.

1
Pourvoi n°18-82.885, Bull. crim. 2019, n°90.
2
Crim., 22 avril 2020, pourvoi n°19-84.464, publié au Bulletin.
3
Crim., 15 décembre 2021, pourvoi n°21-81.864, publié au Bulletin.
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B) Une émergence de deux conditions cumulatives inhérentes a l’application du principe non
bis in idem

Les juges vont venir préciser leur interprétation du principe de non-cumul en posant deux
conditions cumulatives pour l’application du principe « l'une tenant à l'identité des faits matériels
caractérisant les infractions en concours, l'autre à leur définition légale » (§ 11). Cela marque la position de la
Cour vis-à-vis du cumul de qualifications. Par interprétation, si l’une des conditions n’est pas
remplie, le cumul est possible. Ainsi, les infractions en concours doivent chacune l’une de l’autre
être caractérisé (identité de fait matérielle) mais aussi, être prévue par un texte légal. Comme ici,
les deux qualifications n’ont pas le même fondement légal, l’application du principe de non-cumul
ne peut s’appliquer puisque les conditions ne sont pas remplies. Mu par leur volonté de confirmer
l’arrêt de 20214 et de leur interprétation du principe non bis in idem, les juges vont plus loin dans
leur développement.

Effectivement, en l’espèce, en relevant une incompatibilité manifeste entre l’association


de malfaiteurs et l’infraction de blanchiment aggravée (en bande organisée), les juges opèrent une
scission entre les deux, faisant de ces qualifications deux choses bien distinctes, bien que cela ait
été déjà admis auparavant5. De plus, lorsqu’ils évoquent que « ce principe ne s'oppose pas à ce qu'une
même personne soit déclarée concomitamment coupable des chefs d'association de malfaiteurs et d'une infraction
commise en bande organisée » (§ 18). Autrement dit, lors de poursuite concomitante, le cumul
demeure possible sans pour autant qu’il soit obligatoire d’établir des faits distincts afin de
caractériser le délit et la circonstance aggravante, et ceux bien que l’association ait eu pour seul
but l’infraction. En l’espèce, les juges ont retenu que l’association de malfaiteurs était caractérisée
en vue de commettre le blanchiment, donc pas distinct de cette même infraction. Dès lors, la
première des conditions n’étant pas remplies, le principe de non-cumul ne peut s’appliquer.
L’exception de cette non-application tient au fait, que la bande organisée est une « circonstance
aggravante réelle » (§ 15) du blanchiment.

Après avoir observé la résolution du conflit de qualification qui se posait, l’heure est à l’analyse de
l’application du principe non bis in idem.

II- Une position restrictive des juges de la Cour pour le moins novatrice quant au
principe non bis in idem

Les juges de la Haute juridiction vont fonder leur décision sur des bases légales solides pour
justifier une interprétation parfois restrictive du principe (A), ce qui laisse un avenir hypothétique
(B).

4
Crim., 15 décembre 2021, pourvoi n°21-81.864, publié au Bulletin.
5
Crim., 8 juillet 2015, pourvoi n°14-88.329.
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A) Une interprétation du principe : source de complication

Dès lors, après avoir rappelé les fondations de leur décision, les juges n’avaient plus qu’à
appliquer les visas susmentionnés. Ce faisant, ils se réfèrent aux articles 450-1 6 et 132-717 du
Code pénal. Le premier est relatif aux caractéristiques du délit d’association de malfaiteurs, le
second, la circonstance aggravante de bande organisée. Selon la Cour, ces deux choses sont bien
distinctes, puisqu’elle le rappelle « la bande organisée est une circonstance aggravante réelle » (§ 15) là où le
délit implique une participation à un groupement établi en vue de commettre une infraction. Dès
lors, leur définition est bien distincte, ne respectant alors pas les conditions posées. Ainsi, le
cumul est possible d’après la Cour car ils « ne correspondent pas » (§ 16). La décision peut sembler
cohérente au regard Code pénal, car les fondements légaux ne sont pas les mêmes, il parait alors
logique de distinguer les deux qualifications. Mais cela pose un certain nombre de difficultés, en
réalité. Cette prise de position de la Haute juridiction peut être perçue comment manquant de
clarté et de fermeté. Effectivement, le rejet démontre d’une certaine façon une mise à l’écart –
sous réserve de la réunion de certaines conditions – du principe de non-cumul. En restreignant
celui-ci les juge ont fait, ce qui justement dépasse leur office, à savoir interpréter indirectement de
manière restrictive un principe admis.

Le rôle du juge est d’interpréter la loi strictement, gageons que dans ce cas-ci – bien qu’aucun
fondement légale dans notre droit interne prévoie le principe non bis in idem –, le juge n’a pas
opéré d’interprétation stricte du principe non bis in idem mais une interprétation restrictive. Or,
stricte et restrictive n’induisent pas en soit la même chose. Quand l’un suppose une lecture
précise de la lettre de la loi ou d’un principe sans s’en écarter, l’autre suppose que le juge réduit
l’interprétation déjà faite. Alors, soit le juge discrédite les interprétations déjà faites (dans d’autres
décisions), soit il se substitut au législateur et fait lui-même par sa plume de bouche du droit, une
loi de forme. Qui plus est, cette décision suscite une interrogation supplémentaire puisque les
juges, in fine précise que « peu important que l'association de malfaiteurs ait visé la préparation de la seule
infraction poursuivie en bande organisée. » (§ 18). Or, le côté quelque peu « nébuleux » est révélateur
« moins d’une démonstration que d’une pétition de principe 8». Ce point de vue est renforcé par le fait que
les juges retiennent un même fait, pour caractériser l’association de malfaiteurs – qui a pour but
de préparer la seule infraction – et la bande organisée, qui qualifie l’infraction. Ainsi, il y avait
bien une identité de faits entre d’une part, la préparation comme dans le passage à l’acte.
Toutefois, la Cour retient, à la surprise générale une pluralité de qualification. Et c’est là
justement, qu’est observé une surinterprétation du principe non bis in idem ou du moins, trop
restrictive. Reste, en suspens l’intérêt d’un tel infléchissement. Qui du juge ou du législateur peut
réduire un principe juridique ? nul ne se pose la question a priori, voilà qui, dans les esprits des
justiciable pour qui la justice peut être absconse, vient assombrir plus qu’il ne l’était le droit
français et le rôle attribué à chacun au sein de notre État de droit. Pas sûr que cet octroi de la part
du juge d’un tel pouvoir entre en parfaite résonnance avec le principe de séparation des pouvoirs.

6
Article 450-1 du Code pénal : « Constitue une association de malfaiteurs tout groupement formé ou entente établie en vue de la préparation, caractérisée par un ou
plusieurs faits matériels, d'un ou plusieurs crimes ou d'un ou plusieurs délits punis d'au moins cinq ans d'emprisonnement. ».
7
Article 132-71 du Code pénal : « Constitue une bande organisée au sens de la loi tout groupement formé ou toute entente établie en vue de la préparation, caractérisée
par un ou plusieurs faits matériels, d'une ou de plusieurs infractions. ».
8
Action de partir d’une situation à démontrer, en la considérant déjà démontre et en tirant des conclusions. Xavier Pin, Professeur à l’Université Jean Moulin
Lyon III, RSC 2022 p.811.
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Après quoi, la question de l’impact de cet arrêt se pose.

B) Une décision qui affaiblie le principe de non bis in idem

L’arrêt, puisqu’il est récent s’installe en rupture des décisions antérieures déjà évoquées. Elle
est l’évolution cependant – en l’entérinant – de la décision de 2021. Pour certains auteurs, il s’agit
– comme la Cour la rappelée – d’un infléchissement. Tandis que pour d’autres, tel que Xavier
Pin, il s’agit là plutôt d’un « revirement »9 de jurisprudence. Notamment au regard des décisions
ultérieures, tel est le cas dans un arrêt du 22 juin 2022 10 qui tend à s’installer dans la continuité de
la décision du 9 juin 2022. En effet, les juges ont répété qu’en cas de poursuites concomitantes, le
principe non bis in idem n’interdit le cumul de qualification que lorsque les infractions retenues
répriment des faits identiques mais qui sont prévus par différents fondements légaux. En cela,
une telle position de la part de la Cour semble quelque peu novatrice et « grotesque » tant elle
pose une nouvelle condition à un principe établi depuis de nombreuses années. Un principe
acquis dans l’esprit des justiciables. La boîte de Pandore ouverte, le sort du principe de non-
cumul reste en suspens.

Les juges ont davantage affaibli le principe de non-cumul, et de là la garantie juridique aussi.
Celle-ci permettant aux justiciables de savoir à quoi s’en tenir. Par ailleurs, au regard de la
doctrine et de ce qui en ressort, les juges ont pris l’habitude de simplement rappeler le principe,
mais ils l’ont tellement cisaillé, que celui-ci a perdu en valeur. Ce flou permanent, pose question.
Parce qu’aussi bien d’un côté, le principe peut avoir vocation à s’appliquer, que de l’autre non. En
réalité, c’est aux juges de la Haute juridiction de décider si les conditions sont respectées. La
considération du principe non bis in idem comme pilier du droit pénal est remis en cause. On peut
considérer celui-ci comme toujours effectif en théorie, mais en réalité son application tient plus à
l’office du juge. Le problème n’est pas tant la décision en elle-même, bien qu’on aurait pu
aisément penser que si la décision de 2021 avait été différente, celle-ci n’aurait jamais eu lieu. Le
réel problème, c’est ce que la décision laisse transparaître vis-à-vis de l’office du juge et ses
pouvoirs. Remplaçant le législateur sur ce point, ou du moins, en prenant de telles libertés
d’interprétations, le juge se place au-devant de ce qu’il est en temps normal. Est-ce à dire alors
que l’office du juge – dans la lignée du déclin de la loi pénale – est renforcée peu à peu par cette
décision ?

9
Idem.
10
22 juin 2022, Cour de cassation, Pourvoi n° 21-83.360.

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