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« 

Qui a tué le secret bancaire ? » C’est ainsi qu’un auteur s’est désolé de l’expansion des
dérogations du secret bancaire. Or, cet assouplissement n’est pas une mauvaise chose
mal ». L’arrêt du 15 mai 2019 relate en effet la levée du secret bancaire afin d’exercer le
droit de la preuve.
En l’espèce, des époux, titulaires d’un compte bancaire ont émis plusieurs chèques
dans un établissement de crédit à l’ordre d’une société pour un montant global de 14 194
euros. La banque leur avait refusé la communication de la copie de l’endossement des
chèques ainsi que les informations concernant le bénéficiaire effectif du compte crédité sur le
motif du secret bancaire.
Les titulaires du compte ont saisi le juge des référés, sur le fondement de l’article 145 du code
de procédure civile, afin d’ordonner à la banque de produire le verso des chèques que la
banque leur a opposé notamment le secret bancaire. Dans un arrêt du 7 septembre 2017, la
Cour d’appel de Bordeaux a rejeté leur demande, infirmant l’ordonnance du juge des référés.
Dès lors, les époux ont formé un pourvoi en cassation.
La cour d’appel a infirmé l’ordonnance du juge des référés au motif qu'en produisant les
pièces demandées, la banque divulguerait les informations figurant au verso des chèques et
porterait ainsi atteinte au secret dont sont titulaires les bénéficiaires desdits chèques.
A quelles conditions le secret bancaire peut-être levé à l’exercice du droit de la preuve ?
Dans un arrêt du 15 mai 2019, la chambre commerciale de la Cour de cassation a cassé
partiellement la décision de la Cour d’appel de Bordeaux au visa de l’article L511-33 du code
monétaire et financier. Cette dernière aurait dû rechercher si la communication des
informations figurant au verso des chèques n’était pas indispensable à l’exercice du droit à la
preuve des demandeurs et proportionnée aux intérêts antinomiques en présence. En effet, ces
informations auraient pu permettre à rechercher l’éventuelle responsabilité de la banque lors
de l’encaissement desdits chèques.
En cassant partiellement l’arrêt, la Cour de cassation admet explicitement la levée du secret
bancaire à condition d’une atteinte indispensable à l’exercice du droit de la preuve (I) et d’un
contrôle de proportionnalité des intérêts antinomiques en présence (II).
I- L’admission explicite de la levée du secret bancaire à condition d’une atteinte
indispensable à l’exercice du droit à la preuve

Face au dilemme entre le droit de la preuve et le secret bancaire, la cour de cassation


impose une atteinte indispensable à la manifestation de la vérité, autrement dit à
l’exercice du droit de la preuve
A. Le dilemme entre droit de la preuve et le secret bancaire
CHAPEAU

1. L’empêchement légitime obligation du secret bancaire


 dérogation possible
La finalité du secret bancaire est de protéger la confidentialité d’information
recueillies par le banquier. Cette notion a été reconnue par la loi du 24 janvier 1984 relative à
l’activité et au contrôle de l’établissement de crédit et figure aujourd’hui à l’article L511-33
du code monétaire et financier. Destiné à protéger le client dans la relation de confiance qu’il
nous avec son banquier, cette obligation comprend le devoir de discrétion et le secret
professionnel du banquier.
En l’espèce, les clients souhaitent la communication de la copie de l’endossement des chèques
ainsi que les informations concernant le bénéficiaire effectif du compte crédité. Or, la banque
opposait le secret bancaire. Dès lors, les demandeurs au pourvoi faisaient valoir une
dérogation du secret. En effet, étant édicté dans l’intérêt particulier du client du banquier, il
peut subir des exceptions. L’article L511-33 du code monétaire et financier énonce qu’il est
inopposable au juge judiciaire, contrairement au juge civil et commercial.
En l’espèce, les titulaires du compte bancaire ont demandé la levée du secret bancaire aux
visas de l’article 10 du code civil ainsi que les articles 9 et 11 du code de procédure civile.
Ces dispositions renvoient tous à la question probatoire. Aux termes de l’article 10, il est fait
obligation d’apporter son concours à la justice en vue de la manifestation de la vérité.
L’article 9 dispose également qu’il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi
les faits nécessaires au succès de sa prétention. Enfin, l’article 11 rappelle que les parties sont
tenues d’apporter leur concours aux mesures d’instruction. Cependant, les parties ou le tiers
ne sont pas obliger de respecter le pouvoir d’injonction du juge en matière de communication
en invoquant un empêchement légitime tel que le secret bancaire. Cela rend impossible la
production d’un élément de preuve.
Bien que le secret bancaire constitue un motif légitime, il est possible de l’écarter. La
jurisprudence a admis une dérogation si la demande est dirigée contre la banque en celle de
partie au procès intenté contre elle dans un arrêt de la chambre commerciale de la Cour de
cassation du 19 juin 1990. Les faits de l’arrêt étudié révèlent cette possibilité

2. Le renforcement du critère pr faire l’atteinte

Dans cet arrêt, la Cour de cassation admet explicitement que le droit de la preuve peut être
opposé au secret bancaire. Contrairement à l’arrêt du 29 novembre 2017, les juges acceptent
de lever le secret bancaire. Cependant, elle impose la démonstration d’une atteinte
« indispensable » à l’exercice du droit à la preuve des titulaires du compte.
Cette condition suppose que les plaideurs n’ont pas d’autres moyens de preuve. La Cour avait
accepté la levée du secret bancaire dans un arrêt du 5 avril 2012 dès lors « que s’il n’est
d’autre moyen d’établir la réalité du droit litigieux ». Elle avait précisé que « la nécessité de la
production litigieuse quant aux besoins de la défense ». Dans l’arrêt étudié, la Cour de
cassation renforce le caractère en imposant une atteinte « indispensable » et non selon un
critère de nécessité. En l’espèce, les plaideurs ont intenté un recours contre la banque elle-
même. La seule possibilité de prouver le défaut de vigilance de la banque est par la
communication des versos des chèques et les informations sur le bénéficiaire. Ils ne peuvent
pas contourner le refus de la banque de communiquer les pièces à moins d’une atteinte au
secret bancaire.
Les juges de la Haute Cour ne peuvent pas juger en fond mais rappellent seulement cette
condition. Or, par ce constat, il est évident que l’atteinte est « indispensable » à l’exercice du
droit de la preuve.

B. Manifestation de la vérité
CHAPEAU

1) La transparence indispensable à la manifestation de la vérité


Le secret bancaire est un motif légitime afin de déférer à un pouvoir d’injonction du juge.
Cependant, le secret n’est pas un obstacle absolu à la manifestation de la vérité. En principe,
le refus de communiquer les versos des chèques et les informations du bénéficiaire est de
protéger ce dernier qui peut expressément choisir de lever le secret au banquier. Or, en
l’espèce, l’établissement de crédit se protège par cet obstacle de telle sorte que les plaideurs
ne disposent pas de preuve. Cette stratégie est contraire à la protection du droit à la preuve
reconnue par la Cour européenne des droits de l’homme le 10 octobre 2006. La levée du
secret bancaire est requise puisque l’information est pertinente dans l’exercice du droit à la
preuve. Les plaideurs demandent ces informations dans le seul but d’engager la responsabilité
de la banque, et non pas contourner la confidentialité des pièces dans un intérêt illicite.
Les normes juridiques protègent les justiciables et condamnent ceux qui ne respectent pas les
règles. Ce n’est en aucun cas un moyen de se protéger de la violation d’une norme. Ainsi, la
Cour de cassation prend en considération un impératif de vérité en imposant une atteinte
indispensable du secret bancaire à l’exercice du droit de la preuve. La communication des
informations confidentielles est essentielle à la manifestation de la vérité. Il s’agit de savoir si
la banque a bien commis un défaut de vigilance.
2) Le caractère relatif du secret professionnel
L’auteur J-J Daigre dans son article « la production forcée de pièce dans le procès civil –
faculté de droit de Poitiers » en 1979 a fait part d’une réflexion qui semble importante pour
comprendre le raisonnement des juges à lever ou non le secret bancaire. Il distingue les
secrets et l’obligation de contribuer à la manifestation de la vérité.
La communication des informations protégés par le secret bancaire dépend du degré du secret
professionnel. D’une part, les secrets absolus constitueraient un motif légitime et d’autre part,
les secrets relatifs pourraient être levés au profit de la manifestation de la vérité. En l’espèce,
les titulaires du compte demandent la communication de pièces et des informations
concernant le bénéficiaire des chèques. Dans cette affaire, le secret est relatif de sorte qu’il
n’est pas d’ordre public, absolu et illimité dans le temps tel que le cas des avocats ou des
médecins.
De plus, la Cour de cassation soulève dans cet arrêt un débat. Sur le fondement de l’article 57
de la loi du 24 janvier 1984, un courant jurisprudentiel conférait l’opposabilité absolue dans le
procès civil. Or, cette opposabilité absolue est critiquable car la seule saisine du juge civil
suffit à écarter le secret. Il reste tout autant discutable que le secret bancaire soit une barrière
infranchissable derrière laquelle le banquier est protégé.
 TRANSITION : Atteinte indispensable pour la levée du secret bancaire 
contestable que le secret bancaire soit levée facilement mais ne doit pas constituer
un rempart donc contrôle de proportionnalité

II- Le rappel du contrôle obligatoire de proportionnalité des intérêts


antinomiques en présence
CHAPEAU

A- Une solution marquant la nécessité d’un équilibre entre la protection du


client et le droit de la preuve
CHAPEAU

1) Le rappel de la recherche obligatoire du degré d’atteinte

En imposant une atteinte « indispensable » au secret bancaire pour exercer le droit à la preuve,
la Cour de cassation rappelle également un contrôle de proportionnalité de l’atteinte aux
intérêts antinomiques en présence. Cette exigence a déjà été posé dans des termes similaires
dans un arrêt de la chambre civile du 16 octobre 2008 énonçant « si cette mesure d’instruction
n’était pas proportionnée au droit des demandeurs d’établir la preuve d’actes de concurrence
prohibée attribués à l’agent général et à la préservation des secrets d’affaires de ses mandats
actuels » ou encore dans un arrêt de la chambre commerciale du 24 mai 2018. Elle contraint
ainsi à évaluer s’il y a plus d’intérêt à conserver le secret bancaire ou à exercer le droit de la
preuve. Ce contrôle est in concreto, c’est-à-dire selon l’espèce.
Cette deuxième condition vise à garantir un équilibre entre le droit de la preuve et le secret
bancaire. La Cour reproche aux juges de ne pas avoir rechercher si l’atteinte est proportionnée
à l’intérêt de protéger la confidentialité du bénéficiaire et l’intérêt de remettre une preuve
engageant la responsabilité de la banque. Autrement dit, elle dénonce le fait de valider le refus
de la banque à communiquer les informations sans évaluer le degré de l’atteinte au secret
bancaire. Ils auraient dû apprécier si l’atteinte comprenait un caractère abusif en comparant la
portée des droits concernés.
En se prononçant sur la nécessité d’un contrôle de proportionnalité des intérêts antinomiques
en présence, la Cour de cassation renvoie les juges à vérifier le degré du caractère abusif de
l’atteinte puisqu’elle ne peut statuer sur le fond.
2) La constatation évidente du secret bancaire comme obstacle à la
responsabilité du banquier

Il est évident de constater que l’atteinte du secret bancaire est proportionnée afin d’exercer le
droit de la preuve des plaideurs. En effet, la banque a utilisé le secret professionnel comme un
obstacle pour engager sa responsabilité. Cet établissement de crédit n’a même pas demandé
au bénéficiaire s’il souhaitait la levée du secret bancaire. Cette omission est en réalité une
véritable stratégie de la part de la banque pour bloquer volontaire le recours des demandeurs
au pourvoi.
En principe, le secret bancaire est au bénéfice du bénéficiaire. Or, dans les faits, la
confidentialité profite à la banque. Cependant, celle-ci ne peut pas justifier un empêchement
légitime du pouvoir d’injonction puisqu’elle est partie au procès en responsabilité intentée
contre elle. Cette inopposabilité à l’autorité judiciaire agissant dans le cadre d’une procédure
pénale est une dérogation du secret bancaire depuis l’arrêt de la chambre commerciale du 19
juin 1990. D’autres décisions se sont alignées sur ce raisonnement tel que l’arrêt de la
chambre commerciale du 29 novembre 2017.
Lorsque la demande de communication de documents est dirigée contre l’établissement de
crédit en sa qualité de tiers confident, la Cour de cassation refuse l’atteinte selon l’arrêt du 13
juin 1995. Cependant, si le banquier est lui-même partie au procès en vue de rechercher son
éventuelle responsabilité dans la réalisation de l’opération contestée, le levée du secret
bancaire est légitime.
Dans l’arrêt étudié, la Cour d’appel de Paris n’a pas accueilli la demande de communication.
C’est pourquoi, la banque a pu se retrancher derrière le secret bancaire pour ne pas avoir à
produire une preuve. Cette décision n’était pas juste à l’égard des plaideurs en étant contraire
au droit d’accès à la justice.

B- Une solution confirmant l’assouplissement de la jurisprudence au profit


du droit à la preuve
CHAPEAU
1) Une solution s’inscrivant dans le contexte européen

Les normes communautaires ont aussi été confrontés à ce contentieux. Si l’article 8 de la


charte fondamentale de l’Union européenne institue le secret bancaire comme la protection
des données à caractère personnel, l’article 47 de cette dite charte renvoie au droit
fondamental d’accès au tribunal impartial dont l’obtention des informations est parfois
nécessaire afin de pouvoir faire prévaloir ses droits.
Ces dispositions reflètent le même conflit entre le droit de la preuve et le secret bancaire
présent dans l’arrêt étudié. Par ce constat, la Cour de justice de l’Union européenne recherche
un équilibre entre les intérêts antinomiques des affaires. Dans un arrêt du 16 juillet 2015, la
CJUE a jugé, en réponse à une question préjudicielle intéressant la compatibilité de
dispositions de droit interne allemand avec celles de la directive 2004/48/CE du 29 avril 2004,
relative au respect des droits de propriété intellectuelle, que le secret bancaire ne saurait
autoriser les établissements bancaires à refuser « de manière illimitée et inconditionnelle » la
production d'éléments de preuve, sauf à porter atteinte au « droit fondamental à un recours
effectif ». Ce raisonnement est identique au contrôle de proportionnalité qu’exige la Cour de
cassation afin d’admettre la levée du secret bancaire.
Dans un arrêt du 13 septembre 2018, la CJUE a rappelé la nécessité de concilier le respect des
droits de la défense et le secret. C’est dans ce contexte que s’inscrit l’arrêt du 15 mai 2019.
2) Une solution critiquable quant à la protection du bénéficiaire du
chèque
Il est évident que cette solution est juste à l’égard des plaideurs en vue de l’exercice de leur
droit à la preuve. Cependant, cette décision reste critiquable quant au sort du bénéficiaire du
chèque.
Il suffirait de démontrer que l’atteinte au secret bancaire est indispensable à l’exercice du
droit de la preuve et proportionnée aux intérêts antinomiques en présence pour lever la
confidentialité des informations du bénéficiaire. L’admission ou le refus de communication
des pièces conduit alors à désigner un perdant.
Le secret bancaire était au profit de la banque et non du bénéficiaire. Or, en principe, la
confidentialité protège ce dernier. Dans l’hypothèse que les juges lèvent le secret en vue
d’engager la responsabilité de la banque, le bénéficiaire est contraint de dévoiler ses données
personnelles.
En l’espèce, le secret peut être levé si le bénéficiaire l’autorise. Or, ce dernier n’a même pas
exprimé son choix. La banque a décidé à sa place pour son propre intérêt. Dès lors, il convient
de s’interroger sur l’absence de la protection du bénéficiaire face au droit fondamental des
tireurs, c’est-à-dire leur droit de la preuve.

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