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TD n°2 

: Droit bancaire

« Que reste-t-il du monopole bancaire ? » Le titre de l’article de M. Roussille en 2013 semble


énonciateur de la tendance et provocateur. Pourtant, en effet, le monopole bancaire connait déjà de
nombreuses exceptions. Pire encore, la méconnaissance de l’interdiction de réaliser des opérations de crédit
par des établissements non agrées est sanctionné pénalement mais n’entraine pas de sanctions civiles.
En l’espèce, aux termes d’un contrat du 19 novembre 2012, une société s’est engagée à acheter chaque
année, pendant cinq ans, une quantité de lubrifiants à une autre société. Cet engagement prévoit des droits à des
remises, c’est-à-dire que la société venderesse lui consent une avance d’un montant de 30 000 euros,
amortissable en cinq annuités de 6 833 euros chacune. Le même jour, le gérant et son épouse se sont rendus
caution solidaire des engagements envers la société venderesse.

Après la mise en liquidation judiciaire de la société créancière, la société venderesse a assigné les cautions en
paiement de la somme due au titre de l’avance sur remise. Les juges de première instance ont débouté la société
demanderesse de l’ensemble de ses demandes dirigées contre les cautions. Dès lors, cette dernière a interjeté
appel. Par une décision du 16 novembre 2012, la Cour d’appel de Paris a prononcé la nullité du volet relatif au
prêt du contrat. La société venderesse a alors formé un pourvoi en cassation invoquant différents moyens.

La Cour d'appel de Paris a caractérisé les avances au montant de 30 000 euros comme une opération de crédit
consentie au sens de l'article L. 313-1 du code monétaire et financier en violation de l'interdiction de l'article L.
511-5 dudit code. Les juges du fond ont alors prononcé la nullité du volet relatif au prêt du contrat en retenant la
pratique habituelle de ce type d’opérations de la société créancière. Le contrat souscrit en violation du monopole
bancaire devait donc annuler.

Il s’agissait pour la Cour de cassation de se prononcer sur la conséquence d’une avance sur remise accordé par
une société venderesse non agréé, violant le monopole bancaire.

La seule méconnaissance par une société de l’exigence d’agrément subordonnant la conclusion d’une avance sur
remise qest-elle de nature à entrainer la nullité du contrat qu’elle a conclu ?

La seule violation du monopole bancaire par la conclusion d’une avance sur remise qualifiée d’opération de
crédit est-elle de nature à entrainer la nullité de l’opération ?

Ainsi, la Haute Cour a répondu par la négative en infirmant la décision de la Cour d’appel de Paris rendu le 16
novembre 2012. Les juges relèvent d’une part que le liquidateur de la société venderesse aurait dû être appelé à
l’instance et d’autre part que l’annulation du contrat en raison de la violation du monopole bancaire de l’article
L511-5 du code monétaire et financier n’est pas valable. Concernant ce second point, la Cour justifie sa solution
par le fait que le prêt accordé par la société venderesse est une opération de crédit prohibé puisque seuls les
établissements de crédit peuvent effectuer ces opérations de banque à titre habituel. Cette société n’était pas
agréé à exercer habituellement cette activité alors même que les parties avaient « dans l’esprit un complément
indissociable de l’engagement d’approvisionnement exclusif souscrit ». Nonobstant cette violation, les juges de
la Haute Cour concluent que le seul fait qu’une opération de crédit ait été conclue en méconnaissance de cette
interdiction n’est pas de nature à en entrainer l’annulation ».

Dans cet arrêt, la Cour de cassation caractérise la violation du monopole bancaire (I) mais refuse tout de même
de prononcer la nullité de l’opération de crédit de la seule violation du monopole bancaire (II).

I. La caractérisation de la violation du monopole bancaire

Les juges de la Haute Cour constate que le prêt en cause est bien constitutif d’une opération de crédit (A). Or, ce
type d’opération est en l’espèce réservé aux établissements de crédit. Dès lors, le monopole bancaire a été violé
(B).
prêt en cause est bien constitutif d'une opération de crédit prohibée, à laquelle le fournisseur a habituellement
recours, peu important que cette pratique ait constitué dans l'esprit des parties un complément indissociable de
l'engagement d'approvisionnement exclusif souscrit

A. La qualification d’opération de crédit

Dans cette affaire, une société s’est engagée à acheter une certaine quantité de lubrifiants à une autre société,
ouvrant un droit à des remises. Dès lors, cette dernière a consenti une avance du montant de 30 000 euros,
amortissable en cinq annuités de 6833 euros chacune. La question posée à la Cour de cassation était alors de
savoir si cette opération correspondait à une opération de crédit laquelle est réservée au seul exercice d’un
établissement de crédit.  définition opération de crédit

La société venderesse réfute la caractérisation de l’avance sur remise comme une opération de crédit en faisant
grief à la décision de la Cour d’appel. En effet, elle défend son argumentation sur le fondement de l’article L511-
5 du Code monétaire et financier de sorte que le monopole bancaire autorise une exception qui s’applique selon
elle à cette opération. L’interdiction d’effectuer des opérations de banque à titre habituel « ne fait pas obstacle à
ce qu'une entreprise, quelle que soit sa nature, puisse dans l'exercice de son activité professionnelle consentir à
ses contractants des délais ou avances de paiement, et réalise une opération de crédit dès lors que celle-ci n'est
pas une opération purement financière mais constitue le complément indissociable d'un contrat
d'approvisionnement exclusif entrant dans le champ de son activité habituelle ».

En qualifiant l’avance sur remise comme une avance de paiement constituant le complément indissociable d’un
contrat d’approvisionnement exclusif entrant dans le champ de son activité habituelle, la demanderesse s’inspire
d’une argumentation classique en la matière.

Cependant, dans cet arrêt, la Cour de cassation qualifie ce moyen comme inopérant. A l’instar de la Cour
d’appel, la Haute Cour relève que l’avance sur remise ne correspond ni en l’octroi de délais de paiement ni en la
perception d’avances de paiement. Par ce constat, les juges rejettent la qualification de l’opération comme un
complément indissociable d’un contrat exclusif entrant dans le champ de son activité habituelle. Il convient de
préciser que le caractère habituel de ce type de prêt avait été confirmé par la société elle-même. La jd interprète
le critère habituel, ce qui est répréhensible est la pluralité de clients. En réalité, il s’agit d’une véritable opération
de crédit. En fixant des annuités avec des intérêts, la société venderesse a obtenu une contrepartie ce qui révèle
une opération financière.

Par conséquent, cette opération de crédit ne correspond pas aux exceptions par l’article L511-7 1 du
Code monétaire et financier. Les juges de la Cour d’appel ont bien déduit que les sociétés ont conclu une
opération de crédit au sens de l’article L313-1 du même code en méconnaissance de l’interdiction par l’art L511-
5 dudit code.

B. La caractérisation d’opération de crédit prohibé

Depuis l’adoption de la définition européenne de l’établissement de crédit en 2013, les établissements


de crédit sont des entreprises dont l’activité consiste pour leur propre compte et à titre de profession habituelle, à
recevoir des fonds remboursables du public et à octroyer des crédits. Un établissement qui n’est pas autorisé à
effectuer chacune de ces opérations ne peut pas être qualifié de tel.

L’activité de crédit à titre onéreux est réservée aux établissements de crédits. Le législateur a choisi de créer un
monopole bancaire afin de protéger des déposants quat à leurs liquidités de dépôts et assurer le contrôle de la
distribution de crédits. Toutefois, certaines exceptions sont admises. Certains organismes sur le fondement de
l’art L511-6 CMF comme le trésor public ou la banque de France peuvent exercer cette activité. En outre,
l’article L511-7 CMF admet une exception au monopole bancaire. Cette disposition offre la faculté pour une
entreprise d’accorder dans l’exercice de son activité professionnelle des délais ou avances de paiement à ses
cocontractants. Dans l’arrêt étudié, la société demanderesse soutient son argumentation sur ce fondement c’est-à-
dire le crédit inter-entreprises.

Après avoir reconnu l’opération de crédit prohibé, la Cour de cassation constate la méconnaissance de
l'interdiction édictée par l'article L. 511-5 de ce code. Cette disposition prévoit que l’opération de crédit est
prohibée « à toute personne autre qu'un établissement de crédit ou une société de financement d'effectuer des
opérations de crédit à titre habituel ». L'alinéa 2 du même article interdit, quant à lui, « à toute personne autre
qu'un établissement de crédit de recevoir à titre habituel des fonds remboursables du public ou de fournir des
services bancaires de paiement ». Dès lors, en caractérisant l’opération de crédit, les juges reconnaissent la
violation du monopole bancaire, « peu important que cette opération ait constitué, dans l'esprit des parties, un
complément indissociable de l'engagement d'approvisionnement exclusif souscrit par la société B. envers la
société F. » Les juges de la Haute Cour s’alignent sur la Cour d’appel sans donner de motivation supplémentaire.

TRANSITION

II. L’absence de nullité de l’opération de crédit de la seule


violation du monopole bancaire

La Haute Cour ne prononce pas la nullité du contrat comme la jurisprudence antérieure (A).
Cependant, elle soutient une nouvelle argumentation.(B)

A. L’abscence de nullité de l’opération de crédit ’aligne avec


jurisprudence antérieure – solution pas surprenante

La société venderesse soutient que la violation du monopole bancaire est « sanctionnée pénalement et
sur le plan disciplinaire, la seule méconnaissance des dispositions de l'article L. 511-5 du code monétaire et
financier n'est pas de nature à entraîner la nullité des contrats conclus ». La Cour d’appel a ainsi violé l’article
L511-5 du CMF. En effet, des sanctions pénales sont prévus au titre du délit d’exercice illégal de profession de
banquier selon l’art L 571-3 CMF qui prévoit une amende et un possible emprisonnement de 3 ans. Elles sont
appliquées que si l’exercice était à titre illégal. Il a également été jugé que cette violation pouvait constituer un
acte de concurrence déloyale selon un arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation du 15 janvier
2020.

Dans sa solution, la Cour de cassation admet l’absence de nullité du contrat en s’alignant sur une jurisprudence
antérieure. Le débat concernant les sanctions civiles en vue de la violation du monopole bancaire a été le sujet
d’une longue saga jurisprudentielle. Une divergence de la jurisprudence persistait dans les années 1990 entre la
chambre commerciale favorable à la nullité (Chambre commerciale 19 novembre 1991) et la première chambre
civile défavorable (Chambre civile 24 février 1993). Est toutefois intervenu l’assemblée plénière de la Haute
juridiction dans un arrêt du 4 mars 2005 affirmant l’absence de nullité. Cette solution a ensuite été reprise par la
chambre commerciale dans un arrêt du 7 juin 2005 et confirmé à plusieurs reprises comme dans l’arrêt de la
Chambre commerciale du 8 janvier 2008.

C’est en le sens de l’arrêt du 4 mars 2005 que la société venderesse fonde son argumentation. Dans cet arrêt
antérieur, un établissement belge avait consenti des prêts hypothécaires à des résidents français avant l’entrée en
vigueur de la deuxième directive de coordination bancaire qui a instauré l’agrément unique. Or, certains
emprunteurs à une époque de baisse des taux avaient invoqué la nullité de ces prêts au motif qu’ils avaient été
accordés par une E dépourvu d’agrément en France. La Cour de cassation n’avait pas caractérisé l’opération
comme une opération de crédit mais un complément indissociable d'un contrat exclusif entrant dans le champ de
son activité habituelle ». Dès lors, la société venderesse dans l’arrêt étudié s’est appuyé sur ce fondement afin
d’éviter l’annuler du contrat.
Cette solution de nature à affaiblir le monopole bancaire parait surprenante. Les crédits accordés devront être
exécutés jusqu’à leur terme malgré leur caractère illicite. Les prêteurs peuvent alors méconnaitre le monopole
bancaire et être assurés de percevoir l’ensemble des intérêts liés aux opérations passées.

Les juges de la Cour de cassation s’alignent sur la jurisprudence de l’arrêt du 4 mars 2005 en refusant la
nullité du contrat malgré la violation du monopole bancaire. Or, la solution de 2022 émet une subtile différence
qui est en réalité un gros changement.

B. Subtilité différente

La cour de cassation a retenu que l’opération de crédit ait été conclue en méconnaissance de
l’interdiction d’octroyer des crédits résultant du monopole bancaire « n’est pas de nature à en entrainer
l’annulation ».

Cette solution s’inspire de la jurisprudence antérieure. Toutefois, il existe une subtile différence d’argumentation
entre ces deux arrêts. La Cour de cassation dans la décision du 4 mars 2005 a retenu que l’opération ne
constituait pas une opération de crédit prohibée celle pratiquée de manière habituelle par un fournisseur auprès
de sa clientèle et liée à l’activité commerciale dès lors que cette activité n’était pas purement financière. Il
s’agissait d’un complément indissociable d’un contrat d’approvisionnement exclusif. Contrairement à l’arrêt de
2005, la Haute Cour caractérise le prêt consenti comme une opération de crédit prohibé en violation du
monopole bancaire. Ainsi, en reconnaissant la qualification de l’opération de crédit, les juges n’utilisent pas
l’argument du prêt complément indissociable de l’opération contractuelle afin d’éviter de prononcer la nullité.
Malgré cette approche différente, ils n’admettent pas la nullité du contrat.

Il parait plus honnête de la part de la Cour de cassation de reconnaitre que la société venderesse a exercé une
opération de crédit prohibé que de contourner cette caractérisation en associant cette opération comme un
complément indissociable à un contrat afin de rejeter la nullité. Par ailleurs, il convient d’admettre le dilemme
que posé ces affaires. En effet, les juges étaient contraints de conserver la force obligatoire du contrat au
détriment de sa licéité. Il ne peut être concevable de libérer le débiteur de ses engagements.

Enfin, il convient de préciser que l’arrêt du 4 mars 2022 concernait des opérations de crédit réalisé par des
personnes morales qui avaient au moins dans leur pays la qualité établissement de crédit. L’arrêt étudié a ainsi
permis étendre cette jurisprudence aux personnes morales non agréées ayant effectué de façon habituelle des
opérations de crédit.

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