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08/01/2021 Retour sur la responsabilité du banquier en matière de crédit affecté - Actualité | Dalloz Actualité

Publié sur Dalloz Actualité (https://www.dalloz-actualite.fr)


Actualité

Retour sur la responsabilité du banquier en


matière de crédit affecté
le 8 janvier 2021
AFFAIRES | Banque - Crédit | Consommation
CIVIL | Contrat et obligations
En matière de crédit affecté, le prêteur qui a versé les fonds sans s’être assuré, comme il y était
tenu, de la régularité formelle du contrat principal ou de sa complète exécution, peut être privé en
tout ou partie de sa créance de restitution, dès lors que l’emprunteur justifie avoir subi un préjudice
en lien avec cette faute. Tel n’est pas le cas lorsque les emprunteurs ont reçu, sans émettre de
réserves, une éolienne en bon état de fonctionnement et que la banque a débloqué les fonds à leur
demande.

Civ. 1re, 25 nov. 2020, FS-P+I, n° 19-14.908

Le crédit affecté, que le Code de la consommation qualifie également de crédit lié, est celui «
servant exclusivement à financer un contrat relatif à la fourniture de biens particuliers ou la
prestation de services particuliers ; ces deux contrats constituent une opération commerciale unique
» (C. consom., art. L. 311-1, 11°). Dès lors, le crédit est intimement lié au contrat principal,
l’anéantissement du second entraînant nécessairement celle du premier (C. consom., art. L. 312-55
: « En cas de contestation sur l’exécution du contrat principal, le tribunal peut, jusqu’à la solution du
litige, suspendre l’exécution du contrat de crédit. Celui-ci est résolu ou annulé de plein droit lorsque
le contrat en vue duquel il a été conclu est lui-même judiciairement résolu ou annulé. Les
dispositions du premier alinéa ne sont applicables que si le prêteur est intervenu à l’instance ou s’il
a été mis en cause par le vendeur ou l’emprunteur »). L’emprunteur est alors, en principe, obligé de
restituer le capital au prêteur, excepté si ce dernier a commis une faute ayant entraîné un préjudice
à l’égard de l’emprunteur (la faute de celui-ci pouvant toutefois conduire à un partage de
responsabilité. V. par ex. Civ. 1re, 20 mai 2020, n° 18-23.529, Dalloz actualité, 16 juin 2020, obs J.-
D. Pellier ; D. 2020. 1101 ; RTD com. 2020. 701, obs. B. Bouloc ). Encore faut-il démontrer tous
ces éléments, ce qui n’est pas toujours chose aisée, comme l’illustre un arrêt rendu par la première
chambre civile de la Cour de cassation le 25 novembre 2020. En l’espèce, un couple d’emprunteurs
a, le 9 juin 2012, après un démarchage à domicile, acquis une éolienne auprès d’une société, qui a
été placée en liquidation judiciaire le 24 octobre 2012. Ils avaient souscrit, le jour de l’acquisition,
auprès d’une banque, un prêt destiné à la financer. L’éolienne a été installée le 2 juillet 2012 et la
banque a versé les fonds au vendeur au vu d’un certificat signé par Mme Y… attestant de la
livraison de l’éolienne et de la réalisation des travaux et lui demandant de débloquer les fonds. Par
acte du 21 octobre 2013, les emprunteurs ont assigné la banque et le liquidateur judiciaire du
vendeur, ès qualités, en annulation des contrats de vente et de prêt, en restitution des échéances
payées et en paiement de dommages-intérêts, en se prévalant d’irrégularités du contrat de vente
relatives à l’absence de certaines mentions obligatoires. Le contrat de vente ainsi que le contrat de
crédit ont été annulés.

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08/01/2021 Retour sur la responsabilité du banquier en matière de crédit affecté - Actualité | Dalloz Actualité

La cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 6 février 2019, condamne solidairement les emprunteurs
à restituer à la banque le capital prêté. Les intéressés se pourvurent donc en cassation. Mais la
Cour régulatrice rejette le pourvoi : elle rappelle tout d’abord que « La résolution ou l’annulation d’un
contrat de crédit affecté, en conséquence de celle du contrat constatant la vente ou la prestation de
services qu’il finance, emporte pour l’emprunteur l’obligation de restituer au prêteur le capital prêté
» (pt 5). Elle tempère ensuite cette règle en précisant que « Cependant, le prêteur qui a versé les
fonds sans s’être assuré, comme il y était tenu, de la régularité formelle du contrat principal ou de
sa complète exécution, peut être privé en tout ou partie de sa créance de restitution, dès lors que
l’emprunteur justifie avoir subi un préjudice en lien avec cette faute » (pt 6). Mais elle estime qu’«
Après avoir constaté que les emprunteurs avaient reçu, sans émettre de réserves, une éolienne en
bon état de fonctionnement et que la banque avait débloqué les fonds à leur demande, la cour
d’appel a estimé, dans l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation, qu’ils ne justifiaient pas
d’un préjudice en lien avec la faute invoquée, tenant à l’absence de vérification de la régularité
formelle du contrat principal, de sorte qu’elle n’a pu qu’en déduire qu’ils devaient restituer le capital
emprunté » (pt 7).

La solution est justifiée : si la jurisprudence admet « assez facilement » la faute du banquier « par
faveur pour les emprunteurs » (D. Legeais, Opérations de crédit, 2e éd., LexisNexis, 2018, n° 1905.
V. égal., T. de Ravel d’Esclapon, La responsabilisation du prêteur lors de la remise des fonds en
matière de crédit affecté, LPA, 28 juill. 2017, p. 23), encore faut-il qu’un préjudice en lien avec le
manquement de la banque en découle (sur le rôle du préjudice en la matière, v. N. Boullez, La
responsabilité bancaire est-elle soluble dans la protection du consommateur ayant souscrit un crédit
affecté ? Gaz. Pal., 22 oct. 2019, p. 46). Or, en l’occurrence, un tel préjudice n’était pas allégué,
comme l’ont relevé les magistrats de la cour d’appel de Paris (Paris, pôle 5, ch. 6, 6 févr. 2019, n°
18/04658 : « Considérant au surplus que même à considérer que Sygma Banque devait déceler les
anomalies précitées et en avertir ses clients pour leur permettre d’opter ou non pour une nullité, sa
faute s’analysant comme un manquement à une obligation d’information ne pourrait être
sanctionnée que sur le fondement d’une perte de chance pour les emprunteurs d’avoir renoncé au
contrat ; Qu’un tel préjudice n’est pas allégué tandis que les pièces produites démontrent que les
appelants ont reçu un ouvrage en bon état de fonctionnement qu’ils ne prétendent pas avoir déposé
ou détruit comme autorisé par décision exécutoire du tribunal se bornant, comme il vient d’être
exposé, à déplorer l’absence de garantie de longue durée, la perte des 1 000 € promis, préjudices
liés à la seule déconfiture de leur prestataire, ou encore leur déception sur l’efficacité du système
en terme d’économie d’énergie, tous préjudices sans lien avec un éventuel manquement de la
banque »). Cela est heureux pour le prêteur, qui n’aurait manifestement pas pu appeler en garantie
le vendeur sur le fondement de l’article L. 312-56 du Code de la consommation du fait de sa
liquidation judiciaire (selon ce texte, « Si la résolution judiciaire ou l’annulation du contrat principal
survient du fait du vendeur, celui-ci peut, à la demande du prêteur, être condamné à garantir
l’emprunteur du remboursement du prêt, sans préjudice de dommages et intérêts vis-à-vis du
prêteur et de l’emprunteur ». V., Civ. 1re, QPC, 7 nov. 2018, n° 18-14.982, FS-P+B, ayant refusé de
transmettre au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité relative à ce
texte : « la condamnation à garantie, de nature indemnitaire, prononcée à la demande du prêteur
en application de l’article L. 311-33 du code de la consommation, dans sa version issue de la loi n°
2010-737 du 1er juillet 2010, oblige le vendeur, pour le cas où l’emprunteur n’y satisferait pas lui-
même, à rembourser le prêt ; que le vendeur qui a désintéressé le prêteur dispose d’une action
récursoire contre l’emprunteur, de sorte que la disposition critiquée ne porte pas atteinte au droit de
propriété et n’est entachée d’aucune incompétence négative ; D’où il suit que, la question posée ne
présentant pas un caractère sérieux, il n’y a pas lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel »).

Toutefois, cet arrêt laisse entière la question de la nature du préjudice subi par l’emprunteur du fait
du manquement de la banque : s’agit-il nécessairement d’une perte de chance, comme le suggère
la cour d’appel de Paris (Paris, 6 févr. 2019, préc.) ? On peut en douter au regard de la
jurisprudence de la Cour de cassation (Civ. 1re, 14 févr. 2018, nos 16-29.119, 16-29.118, 16-29.110,

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16-29.121 et 16-29.122 : « ayant relevé que le bon de commande faisant foi avait été établi en
méconnaissance des dispositions du code de la consommation relatives au démarchage à domicile,
la cour d’appel a pu, par ces seuls motifs, retenir qu’en libérant les fonds prêtés sans vérifier la
régularité du contrat principal, la banque avait commis une faute, dont elle a souverainement estimé
que le préjudice subséquent, distinct d’une perte de chance de ne pas conclure l’opération en
cause, devait être réparé par la privation de la créance de restitution de ces fonds »).

Quoi qu’il en soit, la prise en considération du préjudice en lien avec la faute de la banque permet
de rééquilibrer les relations entre le prêteur et l’emprunteur.

Site de la Cour de cassation


par Jean-Denis Pellier

Dalloz actualité © Éditions Dalloz 2021

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