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Dalloz actualité 09 décembre 2022

Quand le nantissement de compte-titres rencontre le bénéfice de subrogation

Com. 30 nov. 2022, F-B, n° 20-23.554

Cédric Hélaine, Docteur en droit, Juriste assistant placé auprès du premier président de la cour d'appel d'Aix-en-
Provence

Résumé

Dans un arrêt rendu le 30 novembre 2022, la chambre commerciale de la Cour de cassation opère plusieurs rappels importants autour
de la mise en jeu du bénéfice de subrogation par la caution, notamment en présence d'un nantissement de compte-titres et d'une cession
de créance professionnelle.

Parmi toutes les sûretés réelles issues de droits spéciaux, le nantissement de compte-titres occupe une place particulière en
raison de sa grande efficacité. On sait que l'ordonnance n°Â 2021-1192 du 15 septembre 2021 n'en a modifié que certains
aspects à travers des changements subtils afin de rendre encore plus efficace ce nantissement spécial (v. C. Hélaine,
Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Spin off #2)Â : le nantissement de compte-titres, Dalloz actualité, 28 sept. 2021).
Toutefois, peu d'arrêts publiés sont rendus à son sujet chaque année. L'arrêt du 30 novembre 2022 reste, donc,
particulièrement important dans ce sens en ce qu'il vient rappeler un élément fondamental de sa validité et de son
opposabilité. La décision est également originale par la combinaison de plusieurs sûretés consenties au créancier : deux
sûretés réelles (un nantissement de compte-titres et une cession de créances professionnelle) et une sûreté personnelle (un
cautionnement). Rappelons brièvement les faits ayant donné lieu au pourvoi. Un établissement bancaire consent, le 26 mars
2008, à une société un prêt in fine d'un montant de 10Â 500Â 000Â €, outre intérêts, remboursable le 26 mars 2013 afin
de financer partiellement l'acquisition de plusieurs milliers d'actions d'une seconde société. Ce prêt est garanti, d'une part,
par un nantissement desdits titres acquis et, d'autre part, par une cession de créances nées ou à naître au titre d'une promesse
d'achat consentie par des sociétés tierces, débitrices cédées dans le cadre d'un pacte d'actionnaire précédemment conclu en
2007. Par un second acte conclu en 2011, une personne physique se rend caution envers la banque du remboursement du
prêt dans la limite de l'engagement souscrit le 26 mars 2008. Voici que le débiteur principal ne règle plus les échéances :
elle est condamnée à payer à la banque la somme de 9Â 822Â 280,85Â € outre intérêts. La banque assigne alors en
paiement la caution qui a opposé son bénéfice de subrogation en soutenant notamment que le créancier avait laissé perdre
par sa faute ses autres garanties (la cession de créance professionnelle et le nantissement de compte-titres) qu'elle aurait pu
récupérer par voie subrogatoire selon elle. Les juges du fond, en appel, condamnent la caution au paiement d'une somme de
9Â 822Â 280,82Â € outre intérêts, avec capitalisation. La cour d'appel saisie du litige refuse, en effet, le bénéfice de
subrogation à la caution en estimant qu'aucune faute ne peut être imputée à la banque au titre d'un éventuel devoir de
vigilance justifiant l'application d'une telle décharge de son engagement.

Voici la caution qui se pourvoit en cassation reprochant à ce raisonnement plusieurs biais. Le premier concerne le
nantissement de compte-titres qui devait, selon la demanderesse au pourvoi, voir sa déclaration portée à la connaissance du
teneur du compte. Le second a trait au jeu du bénéfice de subrogation. Les arguments sont d'inégale portée devant la
chambre commerciale : l'un conduit à un rejet du pourvoi, l'autre entraîne une subtile cassation pour défaut de base légale
mais uniquement concernant le nantissement de compte-titres. Nous étudierons ces points dans cet ordre.

De l'inutilité d'une notification au teneur du compte

Le nantissement de compte-titres issu du code monétaire et financier fonctionne d'une manière particulière quand on le
compare à d'autres sûretés réelles. L'opération repose sur une déclaration laquelle reste un acte unilatéral (P. Simler et
P. Delebecque, Droit civil. Les sûretés, la publicité foncière, 7e éd., Dalloz, coll. «Â Précis », 2016, p. 629 s.,
n°Â 675). Bien évidemment, cette déclaration doit normalement être précédée d'un contrat pour échanger le consentement
requis sur la création de sûreté. Mais c'est la déclaration que le code monétaire et financier prend comme référentiel pour la
validité de la garantie. Faut-il, alors, notifier cette déclaration ou est-elle suffisante à elle seule ?

La question connaît, en jurisprudence, peu de remous (v. par ex. Com. 20 juin 2018, n°Â 17-12.559, Dalloz actualité, 25
juill. 2018, obs. X. Delpech ; D. 2018. 1381 ; ibid. 1884, obs. P. Crocq ; AJ contrat 2018. 439, obs. L.-J. Laisney ). On sait
que la déclaration n'a pas à être notifiée, d'où le paragraphe n°6 de l'arrêt lequel précise que, «Â nonobstant toute clause
contraire du contrat de nantissement, le nantissement est valable et opposable aux tiers, par le seul effet de cette déclaration,
sans qu'aucune notification au teneur du compte-titres nanti ne soit requise » (nous soulignons). Ce serait, en effet, ajouter
à l'article L. 211-20, I, du code monétaire et financier une condition que le texte ne connaît pas, et ce par ailleurs avant
comme après l'ordonnance n°Â 2021-1192 du 15 septembre 2021.

Le mécanisme du nantissement de compte-titres signe, avec cette incroyable souplesse, toute sa potentialité. Les juges du
fond avaient donc, tout à fait justement, rappelé que la notification n'était qu'une faculté offerte au créancier sans pour
autant que celle-ci puisse s'analyser en une condition de validité de l'opération (§Â 7). Cette jurisprudence constante se voit,
dans l'arrêt du 30 novembre 2022, confirmée sans aucune difficulté. La seule vérification nécessaire reste donc la signature
de la déclaration de nantissement et, bien évidemment, l'inscription effective des titres. Sur ce point, les nantissements de
compte-titres conclus après le 1er janvier 2022 pourront suivre ce principe, rien n'ayant changé sur ces points, à moins
d'un revirement majeur de jurisprudence.

Ceci étant précisé, l'arrêt explore l'argumentation du demandeur au pourvoi concernant le bénéfice de subrogation.

Précisions plurielles sur le bénéfice de subrogation

Il faut ici distinguer concernant la cession de créance d'une part et le nantissement de compte-titres d'autre part puisque ces
deux points étaient les pivots de l'argumentation de la caution pour se voir déchargée de son engagement.

En ce qui concerne la cession de créance, d'une part. La caution demanderesse au pourvoi estimait que l'absence dans le
bordereau de cession de créances des mentions exigées par le code monétaire et financier avait rendu lesdites cessions
inopposables aux débiteurs cédés (v. sur les effets collatéraux de l'absence de telles mentions en jurisprudence, v. Com. 9
avr. 1981, n°Â 89-20.871, RTD com. 1991. 421, obs. M. Cabrillac et B. Teyssié ). Or la cession de créance
professionnelle est fiduciaire par nature : elle reste fondée autour de l'exclusivité. Bien justement, la chambre commerciale
rappelle donc que le moyen ne peut être fondé en droit. Comme l'a relevé l'arrêt d'appel, la banque n'évite pas le concours
avec les créances chirographaires. Allons plus loin, en réalité, le créancier devient propriétaire à titre de garantie des créances
cédées. Par conséquent, lorsque la caution devient subrogée elle ne peut pas récupérer un tel droit par subrogation
personnelle (qui transfère les accessoires de la créance, comme un gage ou une hypothèque qui sont des droits préférentiels).
La solution, empreinte d'une certaine logique, méritait d'être soulignée car on doutait parfois de sa pérennité (sur le rappel
de la jurisprudence en la matière, v. C. Albigès et M.-P. Dumont, Droit des sûretés, 8e éd., Dalloz, coll.
«Â Hypercours », 2022, p. 218 s., n°Â 271). Quant à sa survivance après l'ordonnance n°Â 2021-1192 du 15
septembre 2021, il faudra attendre une confirmation prétorienne car les auteurs sont divisés sur la question.

En ce qui concerne le nantissement de compte-titres d'autre part. Le demandeur au pourvoi estimait que les juges du fond
n'avaient pas recherché si, en s'abstenant d'exercer son droit de gage sur le compte d'instruments financiers à la date de la
défaillance du débiteur principal, le créancier n'avait pas fait perdre un droit préférentiel par son fait fautif à la caution.
Cette dernière soutenait, en effet, que la valeur des actions était très nettement supérieure au montant de la créance garantie,
ce qui lui était favorable. La cassation est prononcée pour défaut de base légale et il est intéressant de revenir plus en détail
sur celle-ci. Elle signifie que le moment dans la réalisation de la sûreté, avant l'ordonnance n°Â 2021-1192 du 15 septembre
2021, peut éventuellement jouer pour déterminer si un fait fautif a fait perdre un droit préférentiel à la caution (ici un droit
sur des actions dont la valeur aurait été bien supérieure). Ceci interroge. Peut-on véritablement reprocher au créancier le
moment de la mise en jeu de la sûreté qui, après tout, lui appartient notamment en présence de concours de plusieurs droits
personnels ou réels accessoires à sa disposition ? Quoi qu'il en soit, il n'y aurait pas réellement de perte d'un droit
préférentiel en pareille situation mais diminution de l'efficacité dudit droit, ce qui peut être une clef de lecture pour la cour
d'appel de renvoi.

Au demeurant, peut-on raisonner ainsi pour les cautionnements conclus après le 1er janvier 2022 ? La nouvelle mouture
de l'article 2314 du code civil précise désormais que «Â la caution ne peut reprocher au créancier son choix du mode de
réalisation d'une sûreté ». Faut-il inclure dans le «Â mode de réalisation », la date d'exercice du droit de gage sur le
compte d'instruments financiers de l'espèce ? La question se discute et une précision jurisprudentielle s'imposera en tout
état de cause. Une constante toutefois : cet ajout sur l'indifférence du mode de réalisation ne doit pas être étendu à des
horizons trop lointains. Affaire à suivre !
Mots clés :

CIVIL * Contrat et obligations * Sûretés


AFFAIRES * Sûretés et garantie

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