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I.- La genèse de la
reconnaissance jurisprudentielle
du devoir de mise en garde
pesant sur le banquier
1. L’avantage résultant de l’octroi de crédit (c’est-à-dire la
possibilité pour l’emprunteur de s’acquitter du paiement d’une
dette pour laquelle il ne dispose pas suffisamment de
liquidités) peut être bien moindre que le risque d’endettement
qu’il fait peser à son encontre, lorsque ses capacités de
remboursement ne sont pas suffisantes et/ou pérennes.
A.- Au commencement était l’obligation
de conseil
2. En pratique, les tribunaux ont progressivement eu à connaître
de différends qui demandaient que l’on résolve la question de
savoir s’il pèse sur le banquier une obligation de
conseiller son client quant à l’opportunité de l’opération
envisagée.
La difficulté résidait, notamment, dans le fait qu’il pèse sur le
banquier une obligation de non-ingérence (également appelée
non-immixtion) dans les affaires de sa clientèle, laquelle
est susceptible de rentrer en conflit avec un tel nouveau devoir de
conseil. De la non-ingérence du banquier résulte l’impossibilité
d’orienter son client et de le dissuader de solliciter un financement.
Dans un arrêt du 27 juin 1995 la première chambre civile a retenu
une obligation de conseil à la charge du banquier dispensateur
de crédit.
Jurisprudence :
Cass. 1ère civ., 27 juin 1995, n° 92-19212, Bull. 1995 I, n° 287,
200.
3. Toutefois, la chambre commerciale de la cour de cassation,
apportait une nuance quant à cette obligation de conseil. Il ne
pesait sur le banquier aucune obligation de conseil à l’égard
de l’emprunteur, sauf lorsqu’il possède des informations sur
les risques encourus de l’opération ou sur la fragilité financière
de l’emprunteur, que celui-ci ignorait.
Jurisprudences :
Cass. com., 26 mars 2002, n° 99-13810, Bull. 2002, IV, n° 57, p.
57.
Cass. com., 1er juil. 2003, n° 98-22286 (non publié au bulletin).
B.- Puis vint progressivement le devoir de
mise en garde
4. Etant rappelé que le devoir de non-ingérence du banquier
dans les affaires de son client est un principe qui ne s’est
jamais affadi, la jurisprudence a progressivement
substitué au devoir de conseil un devoir de mise en
garde, moins intrusif et plus respectueux de ce principe.
Jurisprudences :
Cass. 1ère civ., 12 juil. 2005, n° 03-10921, Bulletin 2005, I, n° 327,
p. 271.
Cass. 1ère civ., 12 juil. 2005, n° 02-13155, Bulletin 2005, I, n° 324
p. 268.
Cass. 1ère civ., 12 juil. 2005, n° 03-10770, Bulletin 2005, I, n° 325
p. 269.
5. La chambre commerciale puis, la chambre mixte de la cour de
cassation, venaient ensuite parachever cette instauration d’un
devoir de mise en garde pesant sur le banquier.
Jurisprudences :
Cass. com., 3 mai 2006, no 04-15517, Bull. 2006, IV, n° 101, p. 99.
Cass. com., 3 mai 2006, n° 02-1121, Bull. 2006, IV, n° 102, p. 100.
Cass. com., 3 mai 2006, n° 04-19315, Bull. 2006, IV, n° 103, p. 102.
C.- Enfin, le devoir de conseil d’origine
jurisprudentielle disparut
6.Certes, en matière de crédit immobilier, le prêteur ou
l’intermédiaire peut fournir à l’emprunteur un service de
conseil en matière de contrats de crédit dont les contours sont
déterminés par la loi (art. L. 313-13 à L. 313-15 c. consom.).
Par ailleurs, en toutes matières, la banque peut parfaitement
contracter une obligation de conseil envers son client. C’est un
service pour lequel elle peut se faire rémunérer. Si une telle
obligation est contractée, alors le banquier se doit de la respecter,
sous peine d’engager sa responsabilité civile.
Mais en dehors de ces hypothèses de devoir de conseil d’origine
légale ou contractuelle, il n’existe plus de devoir de conseil pesant
sur le banquier dispensateur de crédit d’origine prétorienne, bien
que certains arrêts de la cour de cassation maintiennent encore une
confusion entre la notion d’obligation de conseil et celle de devoir
de mise en garde (Cass. 1ère civ., 5 mars 2015, n° 14-11205, non
publié au bulletin, qui évoque une “obligation de conseil et de mise
en garde”).
Jurisprudences :
Cass. com., 13 janv. 2018, n° 13-25856, (non publié au bulletin).
Cass. com., 18 mai 2016, n° 14-15988, (non publié au bulletin).
Cass. com., 9 févr. 2016, n° 14-23210, Bulletin d’information 2016,
n°844, chambre commerciale, n° 881.
VIII.- Financement de
construction de maison
individuelle et devoir de mise en
garde du banquier
A.- Obligations légales
50. En matière de construction de maison individuelle, le
législateur est intervenu afin de poser un régime dérogatoire,
protecteur du maître de l’ouvrage emprunteur.
Il découle des termes de l’article L. 231-10 du code de la
construction et de l’habitation que : “aucun prêteur ne peut
émettre une offre de prêt sans avoir vérifié que le contrat
comporte celles des énonciations mentionnées à l’article L. 231-
2 qui doivent y figurer au moment où l’acte lui est transmis et ne
peut débloquer les fonds s’il n’a pas communication de l’attestation
de garantie de livraison”.
La responsabilité du banquier est susceptible d’être engagée dès
lors qu’une offre de prêt est émise, alors que certaines énonciations
ainsi prévues par la loi font défaut.
Notamment, le point j de l’article L. 231-2 prévoit la référence de
l’assurance de dommages souscrite par le maître de l’ouvrage. En
cas de défaut, la responsabilité de la banque peut être engagée, le
préjudice s’analysant alors en une perte de chance de mettre en
oeuvre la garantie.
Les énonciations de l’article L. 231-2 du code de la construction et
de l’habitation sont les suivantes :
“a) La désignation du terrain destiné à l’implantation de la
construction et la mention du titre de propriété du maître de
l’ouvrage ou des droits réels lui permettant de construire ;
b) L’affirmation de la conformité du projet aux règles de construction
prescrites en application du présent code, notamment de son livre
Ier, et du code de l’urbanisme ;
c) La consistance et les caractéristiques techniques du bâtiment à
construire comportant :
-tous les travaux d’adaptation au sol, notamment, le cas échéant,
ceux rendus nécessaires par l’étude géotechnique mentionnée aux
articles L. 112-22 et L. 112-23 du présent code, dont une copie est
annexée au contrat ;
-les raccordements aux réseaux divers ;
-tous les travaux d’équipement intérieur ou extérieur indispensables
à l’implantation et à l’utilisation de l’immeuble ;
d) Le coût du bâtiment à construire, égal à la somme du prix
convenu et, s’il y a lieu, du coût des travaux dont le maître de
l’ouvrage se réserve l’exécution en précisant :
-d’une part, le prix convenu qui est forfaitaire et définitif, sous
réserve, s’il y a lieu, de sa révision dans les conditions et limites
convenues conformément à l’article L. 231-11, et qui comporte la
rémunération de tout ce qui est à la charge du constructeur, y
compris le coût de la garantie de livraison ;
-d’autre part, le coût des travaux dont le maître de l’ouvrage se
réserve l’exécution, ceux-ci étant décrits et chiffrés par le
constructeur et faisant l’objet, de la part du maître de l’ouvrage,
d’une clause manuscrite spécifique et paraphée par laquelle il en
accepte le coût et la charge ;
e) Les modalités de règlement en fonction de l’état d’avancement
des travaux ;
f) L’indication que le maître de l’ouvrage pourra se faire assister par
un professionnel habilité en application de la loi n° 77-2 du 3 janvier
1977 sur l’architecture ou des articles L. 111-23 et suivants lors de
la réception ou par tout autre professionnel de la construction
titulaire d’un contrat d’assurance couvrant les responsabilités pour
ce type de mission ;
g) L’indication de l’obtention du permis de construire et des autres
autorisations administratives, dont une copie est annexée au
contrat ;
h) L’indication des modalités de financement, la nature et le
montant des prêts obtenus et acceptés par le maître de l’ouvrage ;
i) La date d’ouverture du chantier, le délai d’exécution des travaux
et les pénalités prévues en cas de retard de livraison ;
j) La référence de l’assurance de dommages souscrite par le maître
de l’ouvrage, en application de l’article L. 242-1 du code des
assurances ;
k) Les justifications des garanties de remboursement et de livraison
apportées par le constructeur, les attestations de ces garanties
étant établies par le garant et annexées au contrat.
Lorsque le constructeur assure la fabrication, la pose et
l’assemblage sur le chantier d’éléments préfabriqués dans les
conditions définies à l’article L. 111-1-1, le contrat précise en outre
la description et les caractéristiques des éléments préfabriqués,
ainsi que les modalités selon lesquelles le maître de l’ouvrage est
informé de l’achèvement et de la bonne exécution de la fabrication
de ces éléments.
Dans le cas prévu au précédent alinéa, les modalités de règlement
mentionnées au contrat, en vertu du e de l’article L. 231-2, tiennent
compte de l’état d’avancement des travaux de construction et de
l’achèvement de la fabrication des éléments préfabriqués.
Les stipulations du contrat, notamment celles relatives aux travaux
à la charge du constructeur, au prix convenu, au délai d’exécution
des travaux et aux pénalités applicables en cas de retard
d’exécution, ainsi que celles relatives aux modalités selon
lesquelles le maître de l’ouvrage est informé de l’achèvement et de
la bonne exécution de la fabrication des éléments préfabriqués,
peuvent se référer à des clauses types approuvées par décret en
Conseil d’Etat”.
B.- Déblocage des fonds au vu de
l’attestation de garantie et de livraison
51. Comme mentionné ci-dessus, le point k de l’article L.
231-2 du code de la construction et de l’habitation prévoit que
le contrat doit prévoir les justifications des garanties de
remboursement et de livraison apportées par le constructeur,
les attestations de ces garanties étant établies par le garant et
annexées au contrat.
Les fonds ne peuvent être débloqués qu’au vu de cette attestation.
En vertu de l’article L. 231-4 du même code, la délivrance d’une
telle attestation peut être érigée en condition suspensive. Faute
pour cette condition d’être réalisée, le contrat de construction sera
caduc.
Si la délivrance de ces justificatifs ne constitue pas une condition
suspensive, il n’en restera pas moins que leur non-délivrance sera
sanctionnée par la nullité du contrat.
En tout état de cause, la responsabilité du banquier est susceptible
d’être engagée, tant par le maître d’ouvrage que par le garant, dès
lors qu’il met les fonds à disposition, sans s’être préalablement
assuré de la remise des justifications des garanties de
remboursement et de livraison.
IX.- Cautionnement et
responsabilité de la banque tirée
d’un manquement à son devoir
de mise en garde
A.- Le devoir de mise en garde envers la
caution non avertie
52. Il appartient au banquier de mettre en garde la caution du
risque d’endettement découlant d’un accord de financement
sur la personne du débiteur principal (l’emprunteur) et des
éventuelles conséquences sur sa propre situation, en termes
de risques d’endettement et de capacités de remboursement,
dans l’hypothèse qui ne doit jamais être écartée d’une
défaillance du débiteur principal.
Pour que l’action puisse prospérer, il convient que le crédit soit
excessif et que la caution soit non avertie. Si tel est le cas, la
caution devra en outre rapporter la preuve :
d’une faute commise par le banquier ;
d’un préjudice subi ;
d’un lien de causalité entre le préjudice subi et la faute
commise.
La qualité de non avertie de la caution s’apprécie de manière
concrète.
La faute du banquier créancier résulte du défaut d’alerte de la
caution quant au risque de non-remboursement du prêt par le
débiteur principal (l’emprunteur), d’une part et le risque
d’endettement lié à son propre engagement, d’autre part.
B.- La situation de la caution avertie
53. S’agissant d’une caution avertie le principe est bien
l’absence d’obligation pesant sur le banquier au titre du devoir
de mise en garde.
Néanmoins, en l’état de la jurisprudence, le tempérament peut
venir lorsque la caution est en capacité de démontrer que
la banque aurait eu, sur son patrimoine, ses revenus et ses
facultés de remboursement raisonnablement prévisibles en l’état du
succès de l’opération financée et entreprise par la société des
informations que par la suite de circonstances
exceptionnelles, elle-même aurait ignorées.
Si rapporter une telle preuve s’avère effectivement difficile, il
convient à notre sens, que l’avocat spécialiste en droit bancaire ne
néglige pas ce moyen et qu’il l’exploite de manière rigoureuse dans
toute la technicité qu’il comporte.
C.- Le devoir de mise en garde se
distingue du dol
54. Lorsque la caution cherche à se dégager de son
engagement contracté en faveur du créancier elle peut,
notamment, chercher à obtenir la nullité du contrat de
cautionnement pour dol. Cela signifie qu’elle reproche à
l’organisme de prêt de ne pas avoir porté à sa connaissance
certaines informations quant au prêt ou à la santé financière
de l’emprunteur qui, si elles lui avaient été connues, l’auraient
dissuadée de s’engager en tant que caution.
Le devoir de mise en garde, quant à lui, porte plutôt sur l’information
donnée à la caution quant au risque de non-remboursement par le
débiteur principal.
Bien qu’il soit parfois difficile de les distinguer, il s’agit bien de deux
actions différentes. Sans qu’il soit nécessaire de rentrer dans le
détail dans le cadre de la présente étude, il doit néanmoins être
noté que les régimes juridiques de ces actions diffèrent également.
Il appartient à l’avocat spécialiste en droit bancaire de bien
développer les moyens juridiques et les demandes quant à l’une ou
à l’autre de ces actions (ou les deux en distinguant un moyen
principal et un moyen subsidiaire).
Pour aller plus loin sur cette notion : voir § IV. 24 de notre étude
sur ce site “Cautionnement : 54 moyens de défense et de recours
de la caution”.
D.- Le devoir de mise en garde se
distingue du principe de proportionnalité
55. Du principe de proportionnalité dégagé par la
jurisprudence il convient de retenir, de manière synthétique,
que la banque engage sa responsabilité si elle fait consentir
un cautionnement manifestement excessif par rapport aux
patrimoine et revenus de la caution.
56. Du
principe de proportionnalité tel que désormais
directement prévu par la loi (articles L. 332-1 et L. 343-4 du
code de la consommation) nous pouvons retenir le
mécanisme suivant.
L’engagement de cautionnement ne pourra être opposé à
la caution personne physique par le créancier si les deux
conditions cumulatives sont réunies :
appréciée au jour de la signature de l’engagement de
cautionnement : l’engagement n’est pas manifestement
disproportionné aux biens et revenus de la caution ;
appréciée au jour où la caution est appelée en paiement par le
créancier : le patrimoine de la caution ne permet pas de faire
face à son obligation de paiement.
Pour aller plus loin sur cette notion : voir § IV. 27 de notre étude
sur ce site “Cautionnement : 54 moyens de défense et de recours
de la caution”.
Dans le cadre de la défense de la caution non avertie, le recours au
moyen tiré du manquement au devoir de mise en garde du banquier
est sans doute moins contraignant pour le plaideur, en ce qu’il ne
nécessite pas de répondre de manière drastique aux conditions
légales susvisées.