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Ohadata D-17-05

L’OCTROI ABUSIF DE CRÉDIT À UNE


ENTREPRISE EN DIFFICULTÉ EN DROIT
OHADA, ÉTUDE À LA LUMIÈRE DU
JUGEMENT DU TRIBUNAL DE COMMERCE
D’ABIDJAN DU 30 OCTOBRE 2014
Par

Emmanuel Douglas FOTSO

Doctorant en droit des affaires, Attaché Temporaire d’enseignement et de


Recherche (ATER) - Université Paris 13

1
1. Ah ! Le banquier, encore et toujours le banquier… ! C’est désormais bien connu des
syndics nommés dans le cadre des procédures de liquidation des biens d’une entreprise : pour
accroitre la masse de l’actif à distribuer, il faut tourner le regard en direction du banquier
ayant consenti des crédits à l’entreprise et faire valoir à son encontre un soutien abusif dans le
but d’obtenir des dommages et intérêts. Si l’article 118 de l’Acte Uniforme de l’OHADA1
portant organisation des procédures collectives d’apurement du passif (AUPC) constitue le
fondement juridique de l’action en responsabilité du syndic contre le banquier, il reste que ce
texte est imprécis et que jusqu’alors la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA) n’a
pas eu l’occasion de se prononcer sur les conditions de son application. Dès lors, la décision
rendue par le Tribunal de commerce d’Abidjan le 30 octobre 20142 relativement au soutien
abusif, mérite toute l’attention d’autant plus qu’elle est, à notre connaissance3, l’une des
premières décisions dans l’espace OHADA, à se prononcer sur les conditions d’application de
l’article 118 de l’AUPC.

2. Les faits. En l’espèce, après l’échec d’une procédure de règlement préventif, une
procédure de liquidation des biens est ouverte à l’encontre de la société PRONIBEX-CI et le
syndic nommé dans la procédure de règlement préventif est reconduit pour la liquidation.
Quelques éléments du dossier l’amènent rapidement à montrer le banquier du doigt : la
créance bancaire à elle seule s’élève à 4.837.591.623 F CFA, soit plus de 65% du total du
passif de l’entreprise et est garantie par d’importantes sûretés. Pour le syndic, la société
PRONIBEX-CI était dans une situation financière très déséquilibrée au moment de l’octroi
des crédits bancaires et tous les états financiers transmis à la banque faisaient ressortir cet état.
Il conclut que la banque, qui ne pouvait ignorer la situation alarmante de la société
PRONIBEX-CI, avait néanmoins consenti à celle-ci des crédits, la maintenant ainsi « sous
respiration artificielle » pendant plusieurs années jusqu’à la date de cessation des paiements.

3. L’action en responsabilité dont le Tribunal de commerce d’Abidjan était saisi visait


alors à obtenir, sous le fondement de l’article 118 de l’AUPC, la condamnation du banquier
soit au paiement de dommages et intérêts, soit à la déchéance des sûretés dont le banquier
était titulaire en garantie de son importante créance.

4. En réplique, la banque avait opposé à l’action du syndic une fin de non recevoir. Elle
faisait valoir que si le syndic était admis par l’article 118 de l’AUPC à demander la déchéance
des sûretés prises par un créancier, c’était uniquement, ajoutait-elle, s’il s’agissait des sûretés
prises ou consenties sur le patrimoine du débiteur. Les sûretés litigieuses ayant été consenties
par des tiers sur leur patrimoine, le syndic n’avait pas qualité pour en demander la déchéance.

5. Au fond, la banque rejetait toute responsabilité dans la faillite de la société


PRONIBEX-CI et mettait en cause la responsabilité du syndic. Elle soutenait notamment que
le syndic qui était déjà intervenu dans la procédure du règlement préventif et qui connaissait
les difficultés de la société PRONIBEX-CI avait laissé s’écouler trois années avant d’alerter le
juge commissaire sur l’état avéré de la cessation des paiements. Son inertie aurait, selon la

1
L'Organisation pour l'Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires, a été créée par le Traité portant le même
nom, signé le 17 octobre 1993 à Port-Louis (Ile Maurice). L'OHADA regroupe aujourd'hui 17 pays : Bénin,
Burkina Faso, Cameroun, Centrafrique, Comores, Congo, Côte d'Ivoire, Gabon, Guinée, Guinée-Bissau, Guinée
Équatoriale, Mali, Niger, République Démocratique du Congo, Sénégal, Tchad et Togo.
2
Trib. Com. Abidj., 30 octobre 2014, RG n° 1887/14, affaire KOFFI KONAN c/ SOCIETE BANQUE OF
AFRICA COTE D’IVOIRE, voir la décision reproduite en annexe.
3
Les décisions de justice étant rarement publiées dans l’espace OHADA, il est difficile d’être très affirmatif.

2
banque, aggravé la situation de l’entreprise, causant ainsi aux créanciers, dont elle-même, un
préjudice dont elle demandait réparation sur le fondement de l’article 43 de l’AUPC.

6. Problèmes juridiques. La juridiction commerciale d’Abidjan avait donc à répondre à


trois problèmes juridiques :
- A quelles conditions un créancier engage t-il sa responsabilité au sens de l’article 118
de l’AUPC ?
- Le syndic a-t-il qualité pour engager une action en déchéance des sûretés prises par un
créancier pour garantir un crédit considéré comme abusif ?
- A quelles conditions le syndic engage t-il sa responsabilité civile au sens de l’article
43 de l’AUPC ?

7. Solution. Dans une intéressante décision rendue le 30 octobre 2014, le Tribunal de


Commerce d’Abidjan va d’abord écarter la fin de non recevoir soulevée par la banque. Selon
le Tribunal, les dispositions de l’article 118 de l’AUPC n’indiquent pas que les sûretés
constituées au profit des créanciers doivent être nécessairement consenties par les débiteurs
ou porter sur leurs biens. Ce qui importe est que ces sûretés garantissent des créances sur des
débiteurs faisant l’objet d’une procédure collective. Dès lors le syndic était recevable en son
action en déchéance de sûretés bancaires.

8. Au fond, le Tribunal va juger, s’agissant de l’action en soutien abusif contre le


banquier, que « la responsabilité de la banque pour soutien abusif recherchée par le
demandeur ne peut être retenue que s’il est établi, conformément aux dispositions de l’article
118 susvisé, que la banque a apporté un soutien artificiel à la société PRONIBEX-CI dont
elle connaissait la situation irrémédiablement compromise ou qu’elle a pratiqué une politique
de crédit ruineux pour cette société qui a nécessairement provoqué une croissance continue et
insupportable de ses charges financières ». Quant à l’action dirigée contre le syndic, la
juridiction commerciale d’Abidjan note que le temps par lui mis à produire son rapport ne
peut à lui seul être considéré comme fautif, s’il n’est pas prouvé qu’il soit la résultante de la
négligence du syndic ou de son impéritie.

9. Plan. Si l’on occulte la question de la responsabilité du syndic, l’on note que cette
décision apporte une contribution non négligeable quant au régime juridique du soutien abusif
dans l’espace OHADA, notamment d’une part sur la recevabilité de l’action du syndic (I) et
d’autre part sur la caractérisation de la faute du banquier (II).

I. La recevabilité de l’action du syndic en soutien abusif

10. Le syndic a-t-il qualité pour engager, au nom des créanciers, une action en
responsabilité contre le banquier pour soutien abusif ? Si une telle action a longtemps été
déclarée irrecevable (A), il est acquis depuis longtemps que le syndic a bel et bien qualité
pour engager cette action. Dès lors, le rempart procédural dressé en l’espèce par la banque
contre l’action du syndic ne pouvait qu’être écarté (B).

A. Une action jadis considérée comme irrecevable.

11. En Afrique, comme en France, le banquier s’est toujours méfié de l’action en soutien
abusif et a utilisé toutes sortes d’artifices pour paralyser cette action très souvent envisagée
par le syndic. On se souvient que jusqu’en 1976, en France, toutes les actions intentées par le

3
syndic en tant que représentant de la collectivité des créanciers avaient été astucieusement
combattues par les banques. Ces dernières faisaient valoir essentiellement que le syndic
représente la masse des créanciers et ne saurait agir au profit de certains créanciers seulement
et au détriment des intérêts des autres créanciers. L’action du syndic n’était alors recevable
que si la faute reprochée à la banque avait causé un préjudice à la totalité des créanciers de la
masse4. Il a fallu attendre 1976 pour que, en France, l’arrêt Laroche mette fin à cette astuce de
procédure5 en jugeant que « le syndic trouve, dans les pouvoirs qui lui sont conférés par la
loi, qualité pour exercer une action en paiement de dommages-intérêts contre toute personne,
fût-elle créancière dans la masse, coupable d’avoir contribué, par des agissements fautifs, à
la diminution de l’actif ou à l’aggravation du passif » 6.
En Afrique, avant même l’avènement de l’OHADA, des décisions de justice avaient
également retenu une telle solution. A une banque qui soutenait que les syndics de la faillite
ne peuvent plaider, même au nom d’un groupe de créanciers contre d’autres créanciers dans la
masse, le Tribunal de première instance de Ouagadougou avait répondu que « le syndic
représente la personnalité morale de la masse et (…) a le droit d’agir en justice contre toute
personne pour défendre ses intérêts »7.

12. L’AUPC reprend en partie cette jurisprudence ancienne puisqu’en son article 72, il
dispose que « la décision d'ouverture de la procédure de redressement judiciaire ou de
liquidation des biens constitue les créanciers en une masse représentée par le syndic qui,
seul, agit en son nom et dans l'intérêt collectif et peut l'engager ». C’est donc un véritable
monopole qui est reconnu au syndic. Dès lors que son action vise la défense de l’intérêt
collectif, elle doit être déclarée recevable.

B. Un nouveau rempart procédural imaginé par le banquier mais rejeté par les juges

13. Dans l’espèce commentée, le banquier avait trouvé un autre rempart procédural pour
échapper aux foudres de l’action dirigée contre lui par le syndic et tendant à obtenir, sous le
fondement du deuxième alinéa de l’article 118 de l’AUPC, la déchéance des sûretés prises.
Selon ce texte, « la juridiction compétente choisit, pour la réparation du préjudice, la
solution la plus appropriée, soit le paiement de dommages-intérêts, soit la déchéance de leurs
sûretés pour les créanciers titulaires de telles garanties ».

14. Le banquier soutenait que si le syndic a bien le pouvoir d’agir seul en justice dans
l’intérêt collectif des créanciers, l’action du syndic en déchéance des sûretés bancaires prises
en garantie de crédits ne présente un intérêt collectif pour les créanciers que si les lesdites
garanties portent sur les biens du débiteur objet de la procédure collective. L’action du syndic
devait alors, selon la banque, être déclarée irrecevable dès lors que les sûretés, dont bénéficiait
la banque en contrepartie des crédits accordés au débiteur, avaient été consenties par des
tierces personnes sur des biens leur appartenant.

4
Cass. com., 9 juin 1969, Bull. civ., 1969. IV. n° 215; Cass. Com., 2 mai 1972, RTD Com., 1972, p.974, obs. M.
CABRILLAC et J .- L. RIVES-LANGES.
5
C. GAVALDA, J.C.P. 1971, II, 16 686, note sous Cour d’Appel d’Aix-en-Provence, 2 juillet 1970, Banque
X….et autres c. Bernard ès qualités et SARL COFEG.
6
Com. 7 janvier 1976, Dalloz 1976. J.277, note F. DERRIDA et J – P. SORTAIS.
7
TPI Ouagadougou, 13 juin 1984, Revue Burkinabé de droit, n° 12, décembre 1987, p. 501 à 518 ; note F-M
SAWADOGO.

4
15. A priori, l’argument ne manque pas de pertinence. La déchéance d’un droit est le fait
de ne plus pouvoir en obtenir la reconnaissance en justice8. Le dictionnaire du vocabulaire
juridique Gérard CORNU y voit simplement la « perte d’un droit, encourue à titre de
sanction, pour cause de fraude »9. La déchéance sollicitée par le syndic, si elle est admise,
n’aura pas de conséquence directe dans le patrimoine du débiteur et donc sur les actifs que les
créanciers ont vocation à se partager. Il en est ainsi parce que les biens sur lesquels sont
assises les garanties ne font pas partie du patrimoine du débiteur. En conséquence, la
déchéance des garanties bancaires ne profitera qu’aux personnes ayant consenti ces garanties.
On pourrait même prolonger le raisonnement en se demandant si, dans le cadre des sûretés
souscrites sur les biens d’un tiers, le banquier dispose d’un privilège dans la liquidation du
débiteur dans la mesure où ses sûretés sont justement assises sur des biens appartenant à un
tiers, lesquels biens sont hors de la procédure de liquidation du débiteur. Dans ces conditions
le banquier n’est-il pas en réalité un créancier chirographaire dans la procédure de liquidation
du débiteur ? La réponse affirmative ne souffre d’aucun doute10. Elle a été admise par la
jurisprudence française11 même s’il reste vrai que le créancier, dans ce cas, conserve sa
garantie et peut l’opposer au constituant12.

16. Mais à la vérité, prétendre que le syndic n’a pas qualité pour agir au motif que les
garanties bancaires ne sont pas assises sur les biens du débiteur est un argument fort
critiquable puisque méconnaissant l’esprit même du droit des procédures collectives. Le
dispositif du soutien abusif et les sanctions qui en découlent visent en premier lieu à
reconstituer le patrimoine du débiteur afin de parvenir à son redressement si possible ou à un
désintéressement optimal des créanciers. La déchéance des sûretés bancaires s’inscrit dans
cette logique puisqu’elle a d’abord vocation à faire sauter des hypothèques constituées sur les
biens du débiteur et rétablir ainsi l’égalité entre les créanciers sur la distribution du prix de
réalisation.

17. Mais le dispositif de déchéance des garanties bancaires a également une fonction
sanctionnatrice. En effet, la déchéance des sûretés bancaires vise aussi à sanctionner le
banquier créancier dont le comportement aura été abusif. La déchéance comme le relève le
Professeur Jacques MOURY13, se présente comme une sanction supplémentaire de la
responsabilité et non comme une sanction spécifique de la disproportion des garanties14. Elle
vise donc à sanctionner un comportement fautif à savoir l’octroi de crédits fautifs. C’est ce
que souligne le Tribunal de Commerce d’Abidjan lorsqu’il relève que la déchéance prévue à
l’article 118 de l’AUPC est une sanction à l’encontre du créancier fautif qui vise à lui faire
perdre son statut de créancier privilégié. Mais la formule « créancier privilégié » utilisée par
le Tribunal de commerce d’Abidjan n’est pas heureuse puisque la banque n’est pas un

8
S. TOE., La responsabilité du banquier dispensateur de crédit à une entreprise en difficulté en droit OHADA à
la lumière du droit français, Revue de l’ERSUMA, juin 2012, spéc. n°67.
9
Vocabulaire Juridique G. CORNU, 10e éd., PUF, 2014, p. 299, v. Déchéance.
10
En ce sens v. A. LIENHARD, Le créancier garanti par une caution hypothécaire n’est pas un créancier
privilégié du débiteur, D. 2001, p. 2743, obs. sous CA Colmar, 29 mai 2001 ; V. aussi obs. A. LIENHARD sous
com. 21 juin 2005 : D. 2005, p. 1851; Egalement P.-M LE CORRE, Pratique des procédures collectives, Dalloz
référence, sept. 2001, n° 824.
11
CA Colmar, 1ère ch. civ., 29 mai 2001, aff. Sparkasse Hanauerland c/ Gall-Heng : D. 2001, p. 2743.
12
Cass. Civ. 3ème, 24 juin 1999 : JCP 1999, I, n° 116, n° 9, obs. Ph. DELEBECQUE;
13
J. MOURY, La responsabilité du fournisseur de « concours » dans le marc de l’article L.650-1 du code de
commerce, D. 2006, p. 1743, spéc. n° 30.
14
V. également R. DAMMANN, La situation des banques, titulaires de sûretés, après la loi de sauvegarde des
entreprises, Banque et Droit, n° 103, sept- oct. 2005, p. 16 et s., spéc. p. 20.

5
créancier privilégié dans la procédure collective du débiteur dès lors que ses garanties portent
sur des biens appartenant à un tiers.

18. Le dispositif de l’article 118 de l’AUPC perdrait donc tout intérêt si le banquier
pouvait y échapper en faisant inscrire ses sûretés sur des biens n’appartenant pas au débiteur.
L’esprit de la loi commanderait de ne point faire de distinction entre les sûretés inscrites sur
les biens du débiteur et celles inscrites sur les biens ne lui appartenant pas. D’ailleurs il n’y a
pas de raison de distinguer là où la loi ne distingue pas. L’article 118 de l’AUPC vise
simplement « la déchéance de leurs sûretés pour les créanciers titulaires de telles garanties ».
Il faut donc entendre par la notion de sûretés toutes les sûretés, réelles ou personnelles, y
compris, celles qui n’atteignent pas le patrimoine du débiteur15. C’est cette solution que
retient le Tribunal de commerce d’Abidjan qui, dans l’espèce commentée, relève que l’article
118 de l’AUPC n’indique pas que les sûretés constituées au profit des créanciers doivent être
nécessairement consenties par les débiteurs ou porter sur leurs biens. Ce qui est important,
note le Tribunal, c’est que les sûretés litigieuses garantissent des créances sur des débiteurs
faisant l’objet d’une procédure collective d’apurement du passif indépendamment des
personnes qui offrent ces garanties ou des biens qui en sont l’objet. La solution est certes
sévère pour le banquier mais mérite approbation puisque conforme à l’esprit du droit des
entreprises en difficulté.

19. Au fond, la banque prétendait aussi, que la demande du syndic tendant à obtenir la
déchéance des sûretés était contraire à l’article 93 de l’AUPC. Ce texte prévoit que les
créanciers conservent leur action pour la totalité de leur créance contre les coobligés de leur
débiteur. Le Tribunal n’a pas examiné cette question et on comprend pourquoi. La déchéance
des sûretés bancaires n’est possible que lorsque le soutien bancaire est reconnu abusif. En
effet, la reconnaissance de la responsabilité du créancier est le préalable indispensable au
prononcé de la sanction, dont elle est ainsi la condition nécessaire, mais suffisante16. Or en
l’espèce, l’abus n’a pas été retenu faute de preuve.

II. La caractérisation de la faute du banquier

20. L’absence d’une définition légale de la notion d’agissements fautifs. L’invocation de


la responsabilité du banquier au titre du soutien abusif est devenue un effet de mode. Acteur
principal du crédit, le banquier est en même temps perçu comme le responsable idéal17 en cas
de faillite de l’entreprise financée. L’AUPC contient une disposition qui constitue le
fondement juridique d’une action en responsabilité pour soutien abusif contre le banquier. Il
s’agit de l’article 118 de l’AUPC qui dispose que « Les tiers, créanciers ou non, qui, par leurs
agissements fautifs, ont contribué à retarder la cessation des paiements ou à diminuer l’actif
ou à aggraver le passif du débiteur peuvent être condamnés à réparer le préjudice subi par la
masse sur action du syndic agissant dans l’intérêt collectif des créanciers. La juridiction
compétente choisit, pour la réparation du préjudice, la solution la plus appropriée, soit le

15
En ce sens, v. R. BONHOMME, La place des établissements de crédit dans les nouvelles procédures
collectives, in Mélanges B. BOULOC, Dalloz, 2007, spéc. p. 70 ; Egalement J.-P. SORTAIS, Responsabilité
bancaire, soutien abusif et droit des entreprises en difficultés, in Entreprises en difficulté, Coll. Droit 360°, Lexis
Nexis, 2012, p. 617 et s., spéc. p. 624, n° 1370.
16
En ce sens, v. J. MOURY, op. cit., n° 30 et s.
17
R. ROUTIER, La responsabilité du banquier, LGDJ, 1997, p.5 et s. spéc. p.13.

6
paiement de dommages-intérêts, soit la déchéance de leurs sûretés pour les créanciers
titulaires de telles garanties ».

21. En 2012, Fatoma THERA18 s’était déjà interrogé sur le contenu de la notion de faute ou
d’agissements fautifs au sens de l’article 118 de l’AUPC. Il relevait que l’imprécision de la
notion par le législateur conduisait inévitablement à un fait générateur à contenu large et
ouvrait la voie à une explosion du contentieux ainsi qu’à des cas de responsabilité difficile à
cerner. Le contenu de la notion d’agissement fautif se posait effectivement en l’espèce au
Tribunal de commerce d’Abidjan puisqu’elle n’est pas définie par l’AUPC.

22. L’application de l’article 118 de l’AUPC est nouvelle dans l’espace OHADA (A) même
si la solution à laquelle elle aboutit avait déjà été retenue ailleurs, notamment par la
jurisprudence française (B).

A. Une solution nouvelle en droit OHADA

23. La décision du Tribunal de commerce d’Abidjan est particulièrement intéressante


puisqu’elle parait être la première, à notre connaissance, à se livrer à la caractérisation de la
faute du banquier au sens de l’article 118 de l’AUPC. Le tribunal retient que la responsabilité
du banquier pour soutien abusif ne peut être retenue que si la banque a apporté un soutien
artificiel à la société dont elle connaissait la situation irrémédiablement compromise ou si elle
a pratiqué une politique de crédit ruineux pour cette société qui a nécessairement provoqué
une croissance continue et insupportable de ses charges financières. L’agissement fautif au
sens de l’article 118 de l’AUPC est donc constitué par deux comportements alternatifs du
banquier : soit l’octroi d’un crédit artificiel, soit l’octroi d’un crédit ruineux.

24. Le crédit artificiel. C’est un crédit qui a pour conséquence d’induire en erreur les tiers.
Le banquier qui consent un crédit à un client dont il sait qu’il est dans une situation
irrémédiablement compromise commet un abus et donc une faute. Face à un tel client, le
banquier doit s’abstenir et donc cesser tout soutien financier. En effet, la confiance est un
élément important dans le monde des affaires. Toute entreprise est à la quête d’une bonne
réputation. Dans l’établissement de cette réputation, les banques jouent un rôle important. La
confiance qu’elles accordent à un client en lui accordant un concours renforce notablement
son crédit parce qu’elle marque que les banques le considèrent comme honorable19. Celui qui
justifie avoir le soutien et donc la confiance de la banque est présumé solvable. Et là est tout
le problème : le crédit bancaire peut constituer une sorte de brevet de moralité, qui encourage
les tiers à traiter avec un commerçant malhonnête20. La banque peut ainsi, par son soutien,
conférer à un client une apparence de solvabilité qui a pour conséquence de tromper les tiers.
Par son soutien, le banquier masque la réalité de la situation du crédité, les partenaires de ce
dernier se fient à l’apparence trompeuse de prospérité conférée par le crédit bancaire, lui font
confiance, contractent avec lui alors même que sa situation financière réelle, mais ignorée, ne
permettra pas un remboursement. Dès que s’ouvre la procédure collective, le masque tombe,
la situation financière réelle du débiteur est connue. On se rend compte que si cette situation

18
F. THERA, La réforme de l’OHADA et les procédures collectives d’apurement du passif, L’Harmattan, 2012,
p. 218.
19
J. STOUFFLET, L’ouverture de crédit peut-elle être source de responsabilité envers les tiers ? JCP 1965, I,
1882.
20
J.-L RIVES-LANGE et M. CONTAMINE-RAYNAUD, Droit bancaire, 6e éd., Dalloz, 1995, spéc. n°653.

7
financière désastreuse n’avait pas été habillée par les concours bancaires, elle n’aurait
échappé à personne, le crédité n’aurait pas pu s’endetter davantage puisque, conscients de son
état réel, ses partenaires ne se seraient pas engagés et donc n’auraient pas été abusés. En clair,
le crédit octroyé par le banquier était trompeur. Mieux, c’était un cadeau empoisonné, puisque
en créant une apparence de solvabilité, le crédit agit comme un leurre : il donne au débiteur
l’illusion de pouvoir échapper à la faillite et offre aux créanciers une perspective de paiement
qui n’est en réalité, qu’un mirage21.

25. Mais la faute de la banque suppose que le crédité soit dans une situation
irrémédiablement compromise ou en état de cessation des paiements au moment du crédit et
que le banquier ait eu conscience de cet état. La connaissance de l’état de cessation des
paiements du débiteur a pu par exemple être déduite d’une lettre adressée au ministre du
commerce dans laquelle les banques affirmaient elles mêmes que la société financée était, du
fait d’une gestion désastreuse, en cessation des paiements et ne se maintenait que grâce aux
concours bancaires22.

26. En l’espèce, c’est sur le terrain du crédit artificiel que le syndic entendait faire
condamner la banque. Selon lui, la banque avait maintenu le débiteur sous respiration
artificielle, ce qui avait trompé les tiers en leur donnant l’illusion d’une société en bonne
santé. La preuve de ses allégations a cependant fait défaut au syndic dont l’action a été rejetée
au motif qu’il ne rapportait pas la preuve que la société était en cessation des paiements au
moment des crédits bancaires. Le crédit ne pouvait donc être considéré comme artificiel, mais
était –il ruineux ?

27. Le crédit ruineux. Le syndic avait également tenté de plaider le caractère ruineux du
crédit bancaire. Il y a crédit ruineux, indépendamment de la situation financière désespérée ou
non du client, lorsque le banquier arrose ce dernier de crédits qui constituent en réalité des
cadeaux empoisonnés, puisque devant entrainer sa ruine. Un tel crédit est fautif, dès lors que
par son montant, sa destination ou ses modalités, il est inadapté aux besoins de l’entreprise et
la met en conséquence en difficulté.

28. De nombreuses décisions françaises ont condamné des banquiers pour crédits ruineux.
Tel est le cas du crédit dont le montant ou le coût entraine pour le client une charge
excessive23, d’un crédit hors de proportion avec ses capacités de remboursement24, des crédits
dont le coût est insupportable pour l’équilibre de la trésorerie du débiteur et incompatible pour
lui avec toute rentabilité25 ou des crédits qui, par leur montant excessif, ne peuvent que
conduire à l’effondrement de la société en l’absence de toute perspective sérieuse de
développement ou de redressement26. Le crédit ruineux correspond en fin de compte à un
crédit disproportionné par rapport aux capacités de l’emprunteur. En réalité il traduit une faute
du banquier caractérisée par un manquement à son obligation de vigilance.

29. En l’espèce, le syndic soutenait que « dès 2005, ladite société qui affichait une perte
nette d’un milliard neuf cent soixante-dix millions huit cent vingt-trois mille trois cent quatre-

21
F. PASQUALINI, Responsabilité du banquier, Rép. com. Dalloz, octobre 2005, spéc. p. 8, n°50.
22
Tribunal de Libreville, 17 mars 1992 : Penant, n° 817, janv. – avril 1995, note DIOP– O’NGWERO.
23
Cass. com., 27 sept. 2005, n° 03-20285, BRDA 2005, n°22, p. 9.
24
Cass. com., 22 mai 2001, n° 97-24460
25
Cass. Com., 17 mars 2004, n° 01-15969.
26
Cass. Com., 22 mai 2001, n° 99-10437.

8
vingt (1.970.823.380) F CFA et une absence de capitaux propres, était étouffée par les frais
financiers relatifs aux crédits, responsables en partie, de son déficit ». Là encore l’argument
n’est pas retenu par le Tribunal et on comprend pourquoi. C’est qu’en effet, la disproportion
entre le crédit et les capacités financières de la société emprunteuse s’apprécie au moment de
l’octroi du crédit ; et le syndic, qui soulevait la disproportion devant le Tribunal, ne rapportait
pas la preuve qu’une telle disproportion eût existé au moment de l’octroi du crédit.

A. Une solution inspirée de la jurisprudence française

30. Antérieurement à la loi française de sauvegarde des entreprises du 26 juillet 200527, la


question de la responsabilité du banquier pour soutien abusif s’était également posée devant
les juges français qui, sous le fondement de l’article 1382 du code civil, avaient fini par
élaborer une jurisprudence stable concernant les faits caractéristiques du soutien abusif.

31. L’arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation du 22 mars 200528


constitue l’aboutissement de cette jurisprudence. Dans cette affaire, un entrepreneur, pour les
besoins de financement de son activité professionnelle, avait sollicité et obtenu de son
banquier divers concours financiers avant d’être mis ensuite en redressement puis en
liquidation judiciaires. Faisant valoir que la banque, par l’octroi de crédits abusifs, avait
artificiellement concouru à l’aggravation du déficit de l’entrepreneur et maintenu une fausse
apparence de solvabilité de nature à induire en erreur d’autres créanciers, le liquidateur avait
assigné la banque en paiement des dommages et intérêts. La Cour d’appel avait fait suite à
cette demande aux motifs que lorsqu'elle avait accordé les concours litigieux, la banque avait
connaissance des difficultés de l'entreprise, que le fonctionnement des comptes avait entraîné
des agios de plus en plus importants, que les échéances de prêts n'ont plus été payées à partir
de mars 1994, que la banque a cumulé les garanties, ce qui confirmait la connaissance par elle
de la situation compromise de son client et qu'elle avait enfin rompu ses crédits lorsqu'elle a
pris conscience de la ruine de son client en juin 1995. Dans son arrêt du 22 mars 2005, la
Cour de cassation française censure ces motifs qu’elle dit « impropres à faire apparaître que
la banque avait ou bien pratiqué une politique de crédit ruineux pour l'entreprise devant
nécessairement provoquer une croissance continue et insurmontable de ses charges
financières, ou bien apporté un soutien artificiel à une entreprise dont elle connaissait ou
aurait dû connaître, si elle s'était informée, la situation irrémédiablement compromise ».

32. C’est donc dans cette solution de son homologue français que le juge de l’OHADA est
allé chercher l’inspiration pour résoudre une difficulté nouvelle à laquelle il était confronté.
Par sa décision du 30 octobre 2014, le Tribunal de commerce d’Abidjan apporte ainsi une
pierre importante à la construction de l’édifice du soutien abusif dans l’espace OHADA et
réduit le risque de contentieux et même d’insécurité juridique qu’avait pu inspirer l’article 118
de l’AUPC notamment son manque de précision.

27
La loi de sauvegarde des entreprises consacre désormais, en cas d’ouverture d’une procédure collective, le
principe d’irresponsabilité des créanciers pour les préjudices subis du fait des concours consentis. Voir article
L.650-1 du code de commerce. Pour les applications jurisprudentielles de ce texte, voir Com., 27 mars 2012,
pourvoi n° 10-20.077, D. 2012, p. 1455, note R. DAMMAN et A. RAPP, et p. 2204, obs. P.-M. LE CORRE,
JCP E 2012. 1274, note D. LEGEAIS, et 1508, n° 9, obs. P. PÉTEL ; également :Com., 16 octobre 2012,
pourvoi n° 11-22.993, Rev. sociétés 2012, p. 730, obs. Ph. ROUSSEL GALLE, JCP E 2012. 1753, note D.
LEGEAIS, BJE 2012, p. 379, note L. LE MESLE.
28
Com., 22 mars 2005, Bull. civ. IV, n° 67, RTD com. 2005, p. 578, obs. D. LEGEAIS, Bull. Joly Sociétés
2005, p. 1213, note F.-X. LUCAS, RPC 2005, p. 387, obs. A. MARTIN-SERF.

9
33. Mais il convient de relever que postérieurement à la jurisprudence française du 22
mars 2005 précité, le droit français a évolué sur la question du soutien abusif. Pour mettre fin
à la frilosité des banques françaises à financer les entreprises, la loi de sauvegarde des
entreprises du 26 juillet 2005 a posé le principe, en cas d’ouverture d’une procédure
collective, de l’irresponsabilité du créancier pour concours consentis29. Ce verrou législatif
écarte désormais toute possibilité de rechercher la responsabilité du banquier après ouverture
d’une procédure collective, sauf dans 3 cas limitativement prévus par la loi à savoir la fraude,
l’immixtion caractérisée dans la gestion du débiteur et la prise de garanties disproportionnées.
La jurisprudence30 a même posé un deuxième verrou en exigeant, outre la preuve de l’un des
trois cas de responsabilité, la preuve d’une faute du banquier.

34. Certains auteurs31 ont suggéré au législateur de l’OHADA l’idée d’une limitation de la
responsabilité du banquier afin de favoriser le soutien bancaire aux entreprises africaines.
Mais dans la réforme de l’AUPC intervenue le 10 septembre 2015, le législateur de l’OHADA
a maintenu le principe de responsabilité prévu à l’article 118.

35. Ce maintien de responsabilité parait justifié au regard du contexte africain. En effet, la


frilosité affichée par les banques africaines ne trouve pas sa véritable source dans le risque de
responsabilité. Certes ce risque existe mais il nous parait très insignifiant. D’ailleurs cette
responsabilité n’est recherchée que de manière exceptionnelle et lorsqu’elle est recherchée,
elle n’est que rarement retenue. Les véritables causes de la frilosité résident dans le manque
de structuration des entreprises qui évoluent essentiellement dans l’informel et qui sont donc
très généralement incapables de soumettre un dossier de financement répondant aux exigences
bancaires. La frilosité des banques s’explique également par l’incompatibilité existant entre le
système financier des Etats africains et les besoins de financement des entreprises. En effet,
pour leur développement, les entreprises africaines ont des besoins en crédits d’investissement
qui sont des crédits à long terme. Or les banques de l’espace OHADA sont essentiellement
des banques commerciales spécialisées dans les crédits à court terme. Peu de banques sont
orientées vers l’investissement.

36. Et même en supposant que le principe de responsabilité du banquier résultant de


l’article 118 de l’AUPC eût été la cause véritable de la frilosité des banquiers africains, une
limitation de la responsabilité des banques n’aurait pas été sans obstacles juridiques.
L’atteinte qu’une telle limitation porte à des principes constitutionnels des Etats membres
(principe de la responsabilité civile, principe d’égalité de tous devant la loi, le droit d’accès au
juge), aurait entrainé au niveau des Etats membres de l’OHADA, des débats de
constitutionnalité interminables. Dans ces conditions, l’unanimité requise pour l’adoption ou
la révision des Actes Uniformes aurait immanquablement fait défaut pour la révision de
l’AUPC.

29
V. art. L.650-1 du code de commerce.
30
Cass. com., 27 mars 2012, n°10-20077 : D. 2012, p. 1455, note R. DAMMAN et A. RAPP.
31
F. THERA, op. cit., p. 364, spéc. n°568 ; S. TOE., op. cit., spéc. n°68 in fine.

10
TRIBUNAL DE COMMERCE D’ABIDJAN

JUGEMENT N° RG N° 1887/14 DU 30 OCTOBRE 2014

Affaire :

MONSIEUR KOFFI KONAN (Me ALLEGRA Kouassi Mathias)

Contre

SOCIETE BANQUE OF AFRICA CÔTE D’IVOIRE (BOA-CI) (Me Mohamed Lamine


FAYE)

LE TRIBUNAL

Vu les pièces du dossier ;


Vu l’échec de la tentative de conciliation ;
Ouï les parties en leurs fins, demandes et conclusions ;
Et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS


DES PARTIES

Par exploit d’huissier en date du 19 juin 2014, Monsieur KOFFI Konan, Expert-comptable
agissant en qualité de Syndic de la liquidation de la société PRONIBEX-CI a assigné la
société BANK OF AFRICA Côte d’Ivoire dite BOA-CI à comparaître, le 03 juillet 2014
devant le Tribunal de ce siège en responsabilité et en paiement de la somme de quatre
milliards huit cent millions (4.800.000.000) de francs CFA à titre de dommages-intérêts ; A
l’appui de son action, Monsieur KOFFI Konan expose que par jugement n°176 du 21 février
2013, le Tribunal de Première Instance d’Abidjan a prononcé la liquidation des biens de la
société PRONIBEX-CI et fixé la date de cessation des paiements au 1er septembre 2011 ; Que
pour rendre sa décision, ladite juridiction a tenu compte du niveau de la dette de la société
PRONIBEX-CI s’élevant à quatre milliards huit cent trente-sept millions cinq cent quatre-
vingt-onze mille six cent vingt-trois (4.837.591.623) F CFA que celle-ci était incapable de
payer ; Qu’il ressort cependant de la déclaration de créance de la BOA-CI en date du 25 mars
2013 que celle-ci à elle seule a une créance de trois milliards cent quatre-vingt-cinq millions
trois cent quatre-vingt-six mille trente et un (3.185.386.031) F CFA garantie par des sûretés
dont :

- un cautionnement hypothécaire d’une valeur de quatre milliards quatre cent soixante-


quatorze millions huit cent mille (4.474.800.000) de F CFA ;

- deux garanties bancaires de cent huit millions (108.000.000) de F CFA et deux cent trente-
deux millions (232.000.000) de F CFA ;

- une garantie bancaire de deux cent millions (200.000.000)

de F CFA au titre de la caution délivrée au Conseil de Régulation du Café et du Cacao ;

11
Que l’ensemble des soixante-huit (68) autres créanciers de la société PRONIBEX-CI n’ont
qu’une créance globale d’un milliard six cent millions (1.600.000.000) de F CFA ;

Que ce niveau élevé de créances suscite des interrogations dans la mesure où tous les états
financiers transmis par la société PRONIBEX-CI à la BOA-CI indiquaient une situation
financière très déséquilibrée ;

Qu’en effet, dès 2005, ladite société qui affichait une perte nette d’un milliard neuf cent
soixante-dix millions huit cent vingt-trois mille trois cent quatre-vingt (1.970.823.380) F CFA
et une absence de capitaux propres, était étouffée par les frais financiers relatifs aux crédits,
responsables en partie, de son déficit ;

Que selon le rapport du gérant de la société PRONIBEX-CI, la BOA-CI ne pouvait ignorer


cette situation ;

Que c’est cependant dans ces conditions désastreuses que cette banque n’a pas hésité, le 05
octobre 2006, à procéder à la consolidation des dettes de la société PRONIBEX-CI après deux
autres consolidations intervenues les 21 juin 2004 et 1er octobre 2004 ;

Qu’en effectuant trois consolidations successives du compte courant de la société


PRONOBEX-CI et en donnant l’illusion que cette société avait les garanties suffisantes pour
les justifier, la BOA-CI a voulu tout simplement retarder la cessation de paiement de ladite
société ;

Que la banque qui a maintenu ainsi la société PROBENIXCI « sous respiration artificielle »
jusqu’au 1er septembre 2011, date provisoire de la cession des paiements, et porté le passif de
ladite société à plus de quatre milliards (4.000.000.000) de F CFA l’a incontestablement
aggravé ;

Qu’en conséquence de cette attitude doublement fautive et en application des dispositions de


l’article 118 de l’Acte Uniforme OHADA portant organisation des procédures collectives
d’apurement du passif, le tribunal doit :

- soit condamner la BOA-Ci à payer la somme de quatre milliards huit cent millions
(4.800.000.000) de F CFA à la société PRONOBEX-CI à titre de dommages et intérêts ;

- soit prononcer la déchéance des sûretés dont la BOA-CI est titulaire en garantie de sa
créance sur la société PRONOBEX-CI ;

En réplique, la BOA-CI soulève in limine litis une fin de non recevoir tirée du défaut de
qualité pour agir en ce qui concerne le chef de demande afférent à la déchéance des sûretés ;

Qu’en effet, il explique que le bien immeuble, objet des affectations hypothécaires en garantie
de paiement de la créance de la banque vis-à-vis de la société PRONIBEX-CI, relève des
actifs de la société TORICAF ou de Monsieur KHALIL Rafic intervenant en qualité de
coobligés et non du patrimoine de la société débitrice elle-même ;

Qu’en conséquence, Monsieur KONAN Koffi, syndic de la liquidation des biens de la société
PRONIBEX-CI, n’a pas qualité pour agir en sa demande aux fins de déchéance de ces sûretés
consenties par des tiers sur des biens n’appartenant pas à ladite société car la masse des

12
créanciers qu’il représente n’a un intérêt collectif que sur les actifs provenant du patrimoine
du débiteur ;

Que tel n’étant pas le cas en l’espèce, ladite demande est irrecevable ;

Que sur le fond du litige, elle indique qu’elle a accordé des concours financiers à la société
PRONIBEX-CI sur la période allant de décembre 2002 à octobre 2006 ;

Que les différentes conventions de crédits ont été assorties chacune de garanties notamment
des cautions hypothécaires consenties tantôt par Monsieur KHALIL Rafic tantôt par la société
TORICAF représentée par le susnommé ;

Que suivant requête en date du 1er avril 2009, la société PRONIBEX-CI a sollicité du
Tribunal de Première Instance d’Abidjan, l’ouverture d’une procédure de règlement préventif
;

Qu’à l’analyse du plan d’apurement du passif soumis à l’assemblée des créanciers, la BOA-CI
avait marqué des réserves quant à la capacité de la société PRONIBEX-CI ; Que le Tribunal
de Première Instance d’Abidjan a cependant homologué le projet de concordat ayant résulté
dudit plan et a admis la société PRONIBEX-CI en règlement préventif suivant jugement en
date du 28 juillet 2010, désignant Monsieur KOFFI Konan en qualité de Syndic de l’exécution
du concordat ;

Qu’il a fallu près de trois ans après la décision d’homologation du concordat pour que le
Syndic se résolve à dresser un rapport sur la base duquel le Tribunal de Première Instance
d’Abidjan a prononcé, le 14 février 2013, la liquidation des biens de la société PRONIBEX-
CI et fixé provisoirement la date de cessation des paiements au 1er septembre 2011 ;

Que la dernière convention de soutien financier passée par la banque avec la société
PRONIBEX-CI remontant au 05 octobre 2005, elle n’a donc pu aggraver le passif de celle-ci
puisque les derniers crédits qu’elle lui a octroyés sont intervenus cinq ans avant la date de la
cessation des paiements sus indiquée ;

Qu’au surplus, le demandeur n’excipe d’aucun élément objectif de nature à établir que la
banque a commis le moindre agissement fautif au sens des dispositions de l’article 118 de
l’Acte Uniforme portant procédures collectives d’apurement du passif ;

Qu’en revanche, Monsieur KOFFI Konan, Syndic dans la procédure de règlement préventif et
dans celle subséquente de liquidation des biens, a laissé s’écouler près de trois années en se
gardant d’alerter le Juge commissaire sur l’état avéré des cessations des paiements ;

Que le Syndic aurait pu ainsi permis d’éviter l’aggravation préjudiciable de l’état de cessation
des paiements de la société PRONIBEX-CI et du préjudice financier des créanciers ;

Que du rapport de gérance que Monsieur KOFFI Konan a produit, il ressort que les dirigeants
de la société PRONIBEX-CI et le commissaire aux comptes de ladite société avaient pleine
connaissance de l’état de cessation de paiement dont ils ont frauduleusement évité la
déclaration et que le Syndic ne pouvait ignorer ;

13
Que la BOA-CI n’ayant nullement préjudicié aux droits de la masse des créanciers, Monsieur
KOFFI Konan doit être débouté de sa demande en paiement de dommages et intérêts pour le
compte prétendu de l’intérêt collectif de ladite masse ;

Que la demande afférente à la déchéance des suretés se heurte aux dispositions de l’article 93
de l’Acte Uniforme OHADA portant organisation des procédures collectives d’apurement du
passif qui permet aux créanciers de conserver leur action pour la totalité de leur créance
contre les coobligés de leur débiteur ;

Qu’en effet, les biens grevés par les sûretés consenties à la banque par des tiers ne relevant
pas des actifs de la société PRONIBEX, la débitrice, cette demande est mal fondée et doit être
également rejetée ;

Que depuis l’entame de son mandat, le Syndic ne pouvait ignorer le risque de non
recouvrement d’une créance cumulée de plusieurs milliards encouru par la BOA-CI, qu’il
s’est abstenu de signaler ;

Que ce fait constitutif d’une faute professionnelle et éthique engage la responsabilité civile de
Monsieur KOFFI Konan ; Que cette faute lui a fait subir un préjudice financier objectivé par
le non remboursement de sa créance en principal et par le cumul des intérêts conventionnels ;

Que ce préjudice a été aggravé par l’inertie intentionnelle et fautive du syndic du règlement
préventif qui, par une collusion objective avec les dirigeants de la société PRONIBEX-CI, a
laissé perdurer artificiellement une situation de cessation de paiement au bout de laquelle il
est devenu, à sa propre suite, syndic de la procédure de liquidation des biens du débiteur ;

Qu’à titre reconventionnel, la BOA-CI sollicite la condamnation de Monsieur KOFFI Konan


au paiement de la somme de cinq cent millions (500.000.000) de F CFA à titre de dommages
et intérêts en couverture partielle de son préjudice financier et ce, sur le fondement des
dispositions des articles 43 de l’Acte Uniforme OHADA portant organisation des procédures
collectives d’apurement du passif et 1382 du code civil ;

SUR CE

En la forme

Sur le caractère de la décision (…)

Sur le taux de ressort (…)

Sur la recevabilité de l’action

La BOA-CI soutient que Monsieur KONAN Koffi, syndic de la liquidation des biens de la
société PRONIBEX-CI, n’a pas qualité pour initier la demande aux fins de déchéance des
sûretés dont la banque est bénéficiaire au motif que ces sûretés ont été consenties par des tiers
sur des biens ne faisant pas partie des actifs de ladite société ; la masse des créanciers que
celui-ci représente n’ayant un intérêt collectif que sur les actifs provenant du patrimoine de la
société PRONIBEX-CI. Il est constant que l’action introduite par Monsieur KOFFI Konan est
fondée sur les dispositions de l’article 118 de l’Acte Uniforme OHADA portant organisation
des procédures collectives d’apurement du passif qui dispose : « Les tiers, créanciers ou non,

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qui, par leurs agissements fautifs, ont contribué à retarder la cessation des paiements ou à
diminuer l'actif ou à aggraver le passif du débiteur peuvent être condamnés à réparer le
préjudice subi par la masse sur action du syndic agissant dans l'intérêt collectif des créanciers.
La Juridiction compétente choisit, pour la réparation du préjudice, la solution la plus
appropriée, soit le paiement de dommages-intérêts, soit la déchéance de leurs sûretés pour les
créanciers titulaires de telles garanties ».

Il en résulte que les créanciers titulaires de sûretés peuvent être déchus de leurs garanties en
réparation du préjudice subi par la masse s’il est établi que ceux-ci ont commis une faute en
soutenant abusivement le débiteur ou en participant à sa ruine.

Le texte légal n’indique pas cependant que les sûretés constituées au profit des créanciers
doivent être nécessairement consenties par les débiteurs ou porté sur leurs biens contrairement
à ce que la BOA-CI prétend. Les dispositions de l’article 118 susvisé exigent seulement que
ces sûretés garantissent des créances sur des débiteurs faisant l’objet d’une procédure
collective d’apurement du passif indépendamment des personnes qui offrent ces garanties ou
des biens qui en sont l’objet, la déchéance prévue étant une sanction à l’encontre du créancier
fautif, lui faisant perdre son statut de créancier privilégié.

Il s’ensuit qu’en tant que syndic, Monsieur KOFFI Konan peut demander que les créanciers
de la société PRONIBEX-CI, admise en liquidation des biens, soient déchus des sûretés dont
ils sont titulaires, même si ces garanties n’ont pas été consenties par ladite société et portent
sur des biens ne faisant pas partie des actifs de celle-ci.

Il convient, dès lors, de rejeter le moyen soulevé par la défenderesse. L’action de Monsieur
KOFFI Konan ayant été régulièrement introduite, il y a lieu de la déclarer recevable.

Sur la recevabilité de la demande reconventionnelle (…)

Au fond

Sur la demande en réparation

Monsieur KOFFI Konan, Syndic de la liquidation de la société PRONIBEX-CI, soutient que


la BOA-CI a eu une attitude doublement fautive en procédant à trois consolidations
successives du compte courant de ladite société qui ont retardé la cessation des paiements et
aggravé son passif qu’elle a porté à plus de quatre millions (4.000.000) de F CFA.

Sur le fondement des dispositions de l’article 118 de l’Acte Uniforme OHADA portant
organisation des procédures collectives d’apurement du passif, il demande au tribunal, soit de
condamner la BOA-CI à payer la somme de quatre milliards huit cent millions
(4.800.000.000) de F CFA à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi par
la masse ; soit de prononcer la déchéance des sûretés dont la BOA-CI est titulaire en garantie
de sa créance sur la société PRONIBEX-CI.

La responsabilité de la banque pour soutien abusif recherchée par le demandeur ne peut être
retenue que s’il est établi, conformément aux dispositions de l’article 118 susvisé, que la
banque a apporté un soutien artificiel à la société PRONIBEX-CI dont elle connaissait la
situation irrémédiablement compromise ou qu’elle a pratiqué une politique de crédit ruineux

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pour cette société qui a nécessairement provoqué une croissance continue et insupportable de
ses charges financières.

En l’espèce, le demandeur ne justifie pas en quoi les consolidations successives du compte


courant de la société PRONIBEX-CI convenues par les parties constituent un soutien artificiel
de la BOA-CI à cette société ; encore qu’il ne démontre nulle part que celle-ci était en
cessation des paiements au moment de ces opérations. En outre, le Syndic se borne à affirmer
que la BOA-CI a aggravé le passif de la société PRONIBEX-CI sans rapporter la preuve que
le banquier a mené l’entreprise à la ruine en lui consentant des crédits dont elle ne pouvait
assurer le rembourser. Il s’ensuit que les conditions de mise en oeuvre de la responsabilité de
la BOA-CI prescrites par les dispositions de l’article 118 de l’Acte Uniforme OHADA portant
organisation des procédures collectives d’apurement du passif ne sont pas réunies.

Il convient par conséquent de déclarer la demande en réparation formulée par le Syndic mal
fondée et de l’en débouter.

Sur la demande reconventionnelle

La BOA-CI fait valoir que l’inertie de Monsieur KOFFI Konan, précédemment syndic de la
procédure de règlement préventif à laquelle la société PRONIBEX-CI a été admise, a
dissimulé la situation de cessation des paiements pendant trois ans contribuant ainsi à retarder
la mise en liquidation des biens de ladite société et à aggraver le préjudice financier de la
banque résultant du non remboursement de sa créance. Il sollicite que la responsabilité civile
du demandeur soit retenue en application des dispositions des articles 43 de l’Acte Uniforme
OHADA portant organisation des procédures collectives d’apurement du passif et 1382 du
code civil, et que celui-ci soit condamné à lui payer la somme de cinq cent millions
(500.000.000) de F CFA à titre de dommages et intérêts.

La BOA-CI ne produit toutefois aucun élément prouvant que le Syndic a commis une faute
consistant en une dissimulation de la cessation des paiements de la société PRONIBEX-CI au
cours de la procédure de règlement préventif, le temps par lui mis à produire son rapport ne
pouvant à lui seul être considéré comme fautif, s’il n’est pas prouvé qu’il est la résultante de
la négligence du syndic ou de son impéritie. L’une des conditions d’application de l’article
1382 n’étant pas satisfaite, la responsabilité civile du Syndic ne peut être engagée, de sorte
que la demande reconventionnelle en réparation introduite par la banque est à rejeter, celle-ci
étant mal fondée.

Le demandeur succombe à l’instance. Il y a lieu de la condamner aux dépens

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement, contradictoirement et en premier ressort ;


Rejette la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité pour agir ;
Reçoit Monsieur KOFFI Konan, agissant en qualité de Syndic de la liquidation de la société
PRONIBEX-CI, recevable en son action et la société BANK OF AFRICA Côte d’Ivoire dite
BOA-CI en sa demande reconventionnelle ;
Constate la non conciliation des parties ;
Dit Monsieur KOFFI Konan et la BOA-CI mal fondés respectivement en leur action et
demande reconventionnelle ;
Les en déboute ;

16
Condamne le demandeur aux dépens.
Ainsi fait, jugé et prononcé publiquement les jour, mois et an que dessus.

Et ont signé le Président et le Greffier./.

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