Vous êtes sur la page 1sur 60

1

Farid EL BACHA
Professeur
Faculté de Droit de Rabat Agdal

Cours

THEORIE GENERALE DES OBLIGATIONS

LES FAITS JURIDIQUES

La responsabilité civile
Les quasi-contrats

A l’usage des étudiants de la licence en droit

2016

1
2

Selon l’article 1er du DOC, les obligations dérivent des conventions et autres
déclarations de volonté, des quasi-contrats, des délits et des quasi-délits. Les conventions
et autres déclarations de volonté constituent des sources volontaires d’obligations. Ces
dernières ont été voulues, les parties ont voulu assumer les conséquences de leurs
engagements. L’inexécution de ces engagements, le retard dans leur exécution ou une
exécution défectueuse peuvent engendrer une responsabilité de nature contractuelle.

Les quasi - contrats, les délits et les quasi -délits sont des sources involontaires
d’obligations. Dans toutes ces situations, une personne va se trouver obligée sans l’avoir
voulu et sans avoir voulu assumer les obligations qui seront mises à sa charge. Il peut
s’agir d’un fait qui lui est profitable, comme dans les situations de quasi-contrats. Il peut
également s’agir, et c’est le cas le plus fréquent, de faits dommageables qui sont à
l’origine d’une responsabilité civile. Un dommage est causé, il doit être réparé si la
responsabilité est engagée.

2
3

PARTIE 1
LES FAITS JURIDIQUES DOMMAGEABLES

LA RESPONSABILITE CIVILE DELICTUELLE

3
4

La responsabilité civile est donc l’obligation de répondre des conséquences


dommageables de ses agissements. On perçoit déjà l’intérêt pratique du droit de la
responsabilité civile délictuelle. Qu’un dommage soit causé par un conducteur
automobile, un médecin, un enfant en bas âge, un préposé …. le droit de la
responsabilité a vocation à s’appliquer. Les affaires de responsabilité civile occupent ainsi
une part importante du contentieux porté devant les tribunaux.

Sur le plan théorique et des principes, la responsabilité civile met en cause toute
l’organisation sociale puisqu’elle délimite le domaine du licite et de l’illicite. Il s’agit en
effet de savoir quand on peut agir impunément et quant on doit répondre de ses actes
dommageables.

Le droit de la responsabilité civile délictuelle offre également un bel exemple d’un droit
jurisprudentiel. A partir de textes limités, les tribunaux ont construit le droit de la
responsabilité en précisant les règles applicables aux différents régimes de responsabilité.
Aidée en cela par la doctrine, la jurisprudence a contribué au progrès et à l’évolution du
droit de la responsabilité, en dépit des flottements inévitables de la création
jurisprudentielle.

Pour mieux appréhender la notion de responsabilité civile délictuelle, il importe de


distinguer responsabilité contractuelle et responsabilité délictuelle d’une part,
responsabilité pénale et responsabilité civile d’autre part.

Il sera alors plus utile de tenter de répondre à une question essentielle :Pourquoi une
personne est-elle obligée de réparer le dommage causé ? C’est le problème du fondement
de la responsabilité. (Chapitre Préliminaire).

La distinction responsabilité contractuelle - responsabilité délictuelle. La


responsabilité civile contractuelle sanctionne l’inexécution ou le retard dans l’exécution
d’un contrat. La responsabilité contractuelle est le prolongement de la violation
d’obligations contractuelles.
La responsabilité civile délictuelle, quant à elle, sanctionne un dommage né en dehors de
toute relation contractuelle. Par délictuelle, il faut entendre responsabilité engagée à la
suite d’un délit au sens strict (fait volontaire et illicite) ou d’un quasi-délit (fait
involontaire et illicite).

4
5

Entre le conducteur qui blesse un piéton qui va réclamer réparation, il n’y a pas de
convention.

Le principe de cette distinction est simple mais en pratique il soulève certaines difficultés.

En matière de transport bénévole de personnes , la jurisprudence avait très tôt considéré


qu’ « il existe incontestablement entre celui qui sollicite ou accepte de participer à l’usage
d’une voiture automobile et le gardien de celle-ci qui consent ou offre spontanément
cette participation, une convention sui generis qui, pour être purement de bienfaisance,
n’engendre pas moins des obligations ; que, par l’échange certain des volontés,
l’automobiliste s’engage à transporter le tiers qui monte dans sa voiture… ». Opérant un
revirement de jurisprudence, la Cour Suprême décide en 1967 de placer la responsabilité
civile du transporteur bénévole de personnes sur le terrain de la responsabilité délictuelle
(art.88 du DOC) et non contractuelle (C.S, 20-12-1967 ; GTM, 1968, n°2, p.23-24).

S’agissant du transport rémunéré, il a été décidé que la responsabilité contractuelle du


transporteur prévue à l’article 106 de l’ancien code commerce ne joue que tant que le
voyageur reste en contact avec le véhicule. Elle prend fin et laisse place à une
responsabilité délictuelle, fondée sur l’article 88 du D.O.C., lorsque le voyageur quitte
momentanément le véhicule pour des motifs personnels. En l’espèce, c’est à bon droit,
décide la cour suprême, que la décision attaquée a appliqué les règles de la responsabilité
délictuelle puisqu’il n’est pas contesté que l’accident est survenu au moment où le
voyageur avait les pieds au sol. (C.S. Civ., 18-1-1978, R.J.P.E.M., 1978, n. 34, p. 270 ;
R.J.L., 1979, n.129, p. 28). Selon l’article 485 du nouveau code de commerce (1996), le
transporteur répond des dommages qui surviennent à la personne du voyageur pendant
le transport. Sa responsabilité peut être écartée que par la preuve d’un cas de force
majeure ou de la faute de la victime.

De même, la responsabilité du médecin est de nature contractuelle et les rapports


existant entre un médecin et un malade constituent un « contrat sui generis ». (Trib.1ère
Inst.Casablanca, 24-12-1945, GTM, 1946. N°973, p.51, C.A.R, 29-1-1946, GTM, 1946,
n°976, p.76 ).

5
6

Depuis 1936, la responsabilité médicale est classiquement une responsabilité de type


contractuelle. En effet, à cette date, la cour de cassation française, dans l’arrêt « Mercier »
(Cour de cassation, Civ., 20 mai 1936) a considéré « qu’entre le médecin et son client, se
forme un véritable contrat, comportant pour le praticien l’engagement, sinon bien
évidemment de guérir le malade, ce qui n’a jamais été allégué, du moins de lui donner des
soins non pas quelconques mais consciencieux, attentifs et réserves faites de
circonstances exceptionnelles, conformes aux données actuelles de la science ; que la
violation, même involontaire de cette obligation contractuelle est sanctionnée par une de
même nature, également contractuelle ». Il existe cependant des situations où cette
responsabilité sera de nature délictuelle, lorsqu’aucun contrat n’a pu se former entre le
médecin et son patient ( patient inanimé, mineur ou incapable) . Le dommage peut
également être situé hors du champ contractuel et ne pas participer de l’acte médical
proprement dit. ( un patient trébuchant au sein du cabinet médical sur une marche mal
réparée) .

La distinction peut également soulever quelques difficultés lors du processus de


formation du contrat. Il est permis de mettre fin aux pourparlers à tout moment en vertu
du principe de la liberté contractuelle. Cette rupture ne doit pas être fautive, abusive sous
peine de voir la responsabilité de celui qui rompt les pourparlers engagée en vertu de la
responsabilité délictuelle du fait personnel et non contractuelle. Il en est également ainsi
en cas de violation d’une obligation précontractuelle de renseignement. Ainsi la
responsabilité encourue dans les situations précontractuelles, c’est-à-dire lorsque le fait
générateur se produit avant la formation du contrat, demeure en principe de nature
délictuelle.

La responsabilité contractuelle suppose l’existence d’un contrat valable. La responsabilité


née d’un contrat annulé est de nature délictuelle. L’exploitation d’une situation de
faiblesse du contractant ou l’utilisation de manoeuvres dolosives ayant conduit à la
formation du contrat peut entrainer des actions en responsabilités délictuelles car dans
ces situations le contrat, annulé, est censé n’avoir jamais existé.

6
7

Le contractant qui se plaint de l’inexécution d’un contrat peut-il, si tel est son intérêt,
placer son action en responsabilité sur le terrain de la responsabilité civile délictuelle ? Le
contractant a –t-il le choix ? Les tribunaux n’admettent pas le principe dit du « cumul des
responsabilités ».Le contractant victime d’une inexécution ne peut agir que sur le terrain
de la responsabilité contractuelle. Les règles de la responsabilité civile délictuelle sont
donc sans application lorsqu’il s’agit d’une faute commise dans l’exécution d’une
obligation résultant d’un contrat. La règle du non cumul peut trouver un fondement
dans le principe de la force obligatoire des conventions. Permettre à la victime d’une
inexécution du contrat de s’écarter du cadre contractuel et invoquer d’autres règles
constituerait une atteinte à ce principe.
La distinction entre responsabilité contractuelle et responsabilité délictuelle est
aujourd’hui critiquée et d’autres sont proposées (responsabilité de droit commun et
responsabilités spécifiques, liées à des professions ou à un domaine.) Elle garde
cependant un intérêt. En matière contractuelle, seul le dommage prévisible est réparable.
Il y a là une règle qui se justifie car le contrat a pour finalité de prévoir et d’organiser, par
anticipation, une relation conventionnelle.

Responsabilité civile et responsabilité pénale. La responsabilité civile répare un


dommage causé. La responsabilité pénale punit et sanctionne une infraction commise,
un trouble à l’ordre social.
À partir de là, on peut mieux saisir la portée de la distinction même si le législateur a
expressément assigné aux dommages intérêts une finalité punitive en obligeant les
tribunaux à évaluer différemment les dommages selon qu’il s’agit de la faute du débiteur
ou de son dol ( article 98, al.2).

Le domaine de la responsabilité pénale est limité en raison du principe de la légalité des


délits et des peines. La responsabilité pénale n’est engagée qu’à la suite de la commission
d’une infraction prévue par un texte dont l’interprétation doit rester stricte. Par contre,
tout fait quelconque qui cause un dommage à autrui peut être source de responsabilité
civile et les textes la régissant sont souvent interprétés par les juges avec une grande
liberté.

7
8

Alors que le code pénal comprend plus de six cents articles, le code des obligations et
contrats consacre moins de trente articles aux délits et aux quasi-délits. Alors que la
responsabilité civile suppose la réalisation d’un dommage, la responsabilité pénale peut
être engagée même en cas de simple tentative (art.114 à 117 du code pénal).

La responsabilité pénale est soumise au principe de la personnalité des peines alors qu’il
existe une responsabilité civile du fait d’autrui. (Parents du fait de leurs enfants,
commettants du fait de leurs préposés).

Les domaines des deux responsabilités peuvent cependant se recouper car un même fait
peut constituer un délit pénal et un délit civil. (Le responsable d’un accident de
circulation commis à la suite d’un excès de vitesse peut engager une responsabilité civile
(réparer le dommage causé) et pénale (répondre pénalement de l’infraction commise :
non respect du code la route).

Les démarches qui vont conduire aux deux responsabilités ne sont pas identiques. C’est
par l’action publique intentée devant les tribunaux répressifs qu’est déclenchée la
démarche judiciaire pour la sanction de l’infraction commise. C’est devant les juridictions
civiles que la victime d’un dommage porte son action pour obtenir réparation. Si le
tribunal civil est saisi de l’action civile et le tribunal répressif de l’action publique, deux
règles s’imposent pour éviter les risques de contrariété de décisions :

- Le tribunal civil doit surseoir à statuer tant qu’il n’a pas été prononcé sur l’action
publique. On dit que le criminel tient le civil en l’état. L’objectif de cette règle classique est
donc d’éviter des contradictions entre les deux ordres de juridictions mais elle peut
retarder ou paralyser le procès dans ses aspects civil , commercial ou social.
Afin de parer aux lenteurs de la justice occasionnées par l’application de ce principe,
la loi française du 5 mars 2007 a modifié l’article 4 du Code de procédure pénale en
restreignant sa portée. Ainsi « la mise en mouvement de l'action publique n'impose pas la
suspension du jugement des autres actions exercées devant la juridiction civile, de
quelque nature qu'elles soient, même si la décision à intervenir au pénal est susceptible
d'exercer, directement ou indirectement, une influence sur la solution du procès civil ».

- La chose jugée au criminel a autorité au civil. La juridiction civile ne peut pas contredire ce
qu’a jugé la juridiction répressive. La cour suprême a récemment décidé que cette
autorité était d’ordre public. (Arrêt du 6 octobre 2004, dossier n°452/04, Bulletin
d’information de la Cour Suprême,n°16/2006, p.24).
Cela signifie, positivement, qu’une condamnation au pénal entraîne condamnation à

8
9

dommages intérêts, lorsque le préjudice est établi. Le tribunal civil ne peut pas dire qu’il
n’y a pas faute quand la juridiction répressive a constaté une infraction pénale. Il a ainsi
été jugé qu’une « constatation de la faute de la victime par le juge pénal, faute qui a été
déterminante pour l’application de la peine, s’impose au juge civil et exonère pour partie
l’automobiliste de la responsabilité du dommage tant à l’égard de l’article 78 du DOC
que de celles de l’article 88 du DOC » (CAR, 10-12-1963, GTM, n°1350, p.50).

Négativement, une relaxe au pénal exclut de même une condamnation à dommages


intérêts. Si le juge répressif décide qu’il n’y a pas faute d’imprudence, le juge civil ne peut
pas engager la responsabilité du défendeur pour imprudence. (Trib.1ère Instance,
Casablanca, 16-6-1930, G.T.M, 1930, n°417, p.260). Il a été jugé que « la faute pénale
comprend tous les éléments de la faute civile. Par suite, lorsqu’un conducteur
d’automobile a été relaxé par la juridiction pénale, motif pris de ce qu’aucune faute n’a
été relevée à son encontre, une telle affirmation générale est absolue, l’autorité de la
chose jugée s’y attache et met obstacle à ce que le juge civil recherche ou relève dans la
cause qui lui est soumise l’existence d’un quasi-délit de nature à engager sa responsabilité,
soit entière, soit partagée ».
La cour suprême a de même décidé que le demandeur qui produit un jugement définitif
le déclarant non coupable de vol pour défaut de preuve et prononçant son acquittement,
les juges du fond saisis de l’affaire en peuvent en aucun acas débattre à nouveau sur le
vol ou procéder à une enquête le concernant. (Arrêt du 6 octobre 2004, dossier
n°452/04, Bulletin d’information de la Cour Suprême,n°16/2006, p.24).

Mais la relaxe laisse, en principe, substituer la responsabilité civile lorsque cette dernière
n’a pas pour fondement une faute. C’est pourquoi il a été justement décidé que « s’il n’est
pas permis au juge civil de méconnaître ce qui a été nécessairement et positivement jugé
par la juridiction pénale, soit quant à l’existence du fait qui forme la base commune de
l’action publique et de l’action civile, soit quant à la qualification légale, soit quant à la
participation du prévenu à l’événement dommageable, il conserve sa liberté
d’appréciation toutes les fois qu’il ne décide rien d’inconciliable avec ce qui a déjà été
jugé au pénal ».Trib. 1re inst. Casablanca, 17-1-1949, R.M.D., 1949, p. 69-78. note H
Carteret).
La relaxe au pénal n’exclut donc pas toujours la responsabilité civile. Il en est ainsi toutes
les fois que la faute n’est pas une condition de mise en œuvre de la responsabilité civile.
Il en est ainsi également lorsque l’infraction n’a causé aucun préjudice.

Lorsqu’un même fait est constitutif d’un délit pénal et d’un délit civil, la victime peut
porter son action civile devant la juridiction répressive. Elle déclenche ainsi l’action

9
10

publique si celle-ci ne l’a pas été par le ministère public et pourra tirer avantage des
preuves rassemblées au pénal.

CHAPITRE PRELIMINAIRE
LES FONDEMENTS DE LA RESPONSABILITE CIVILE
DELICTUELLE

La question des fondements de la responsabilité civile délictuelle est essentielle


puisqu’elle tente de répondre à une question cruciale: pourquoi une personne est tenue
de réparer un dommage causé à autrui ? La question n’est pas uniquement théorique ;
elle commande le régime et les conditions de mise en œuvre de la responsabilité.
Il y a des fondements classiques et des fondements plus récents. Il convient de les
présenter (Section 1) avant de préciser leur impact sur le droit positif. (Section 2).

SECTION1 : PRESENTATION DES DIVERS FONDEMENTS

10
11

1°) La responsabilité fondée sur la faute

La faute est le fondement classique de la responsabilité. C’est une responsabilité


subjective fondée sur la conduite de l’auteur du dommage, sur l’appréciation –morale- de
son comportement. Pour que la responsabilité de ce dernier soit engagée, la victime doit
prouver la faute de celui-ci conformément au droit commun de la preuve. La victime
doit prouver la faute, la défaillance ou l’écart de conduite ayant engendré le dommage. Si
cette preuve n’est pas rapportée, la victime n’obtiendra pas réparation et elle supportera
la charge du dommage dont l’origine n’est pas prouvée. L’auteur qui a causé un
dommage mais qui s’est comporté comme il aurait dû le faire ne verra pas sa
responsabilité engagée. Le dommage restera sans réparation en l’absence de faute
prouvée.

Un tel fondement suffisait au début du siècle dernier et il inspirait très largement les
règles du code civil français, du DOC et de la jurisprudence ; les accidents étaient peu
nombreux et d’importance minime. L’apparition et le développement du machinisme
dans l’industrie, les transports (notamment la circulation automobile) multipliaient
considérablement les accidents auxquels étaient exposées des personnes vulnérables, en
situation de faiblesse: salariés, piétons…. L’accident était synonyme de misère et la
nécessité d’établir une faute à l’origine du dommage laissait souvent les victimes sans
réparation. Les exigences accrues de sécurité, le développement de l’assurance, la
nécessité de protéger les victimes en situation de faiblesse, les difficultés de trouver une
faute à l’origine d’un dommage devaient conduire à assigner à la responsabilité un autre
fondement : le risque.

2°) La responsabilité fondée sur le risque

C’est une responsabilité objective, causale, fondée sur le lien de causalité objective entre
le préjudice et l’activité du tiers responsable. Il suffit que le dommage se rattache
matériellement à l’activité du tiers pour que la responsabilité de ce dernier soit engagée,
car celui qui exerce une activité doit en assumer les risques, surtout dans le cas où cette
activité est source de profits.

Cette théorie, favorisée par le prodigieux développement de l’assurance, est plus facile à
mettre en œuvre que celle de la faute qui implique une recherche psychologique et une
appréciation morale. En vertu de la théorie du risque, il s’agit simplement de rapporter la
preuve matérielle d’un rapport de causalité.

11
12

Celui qui introduit un danger dans la vie sociale doit le faire à ses risques et périls et non
aux risques et périls d’autrui. Toute activité dommageable, même en l’absence de faute,
doit engager responsabilité. C’est le risque créé.

Il y a également la thèse du risque profit. Ceux qui tirent profit de leurs activités doivent,
par cela même, en supporter les conséquences dommageables.
La théorie du risque écarte ainsi la faute comme condition de responsabilité. L’objectif
n’est pas d’apprécier le comportement de l’auteur du dommage mais de réparer le
dommage causé. Il s’agit de réparer et non de punir.

L’homme est ainsi pratiquement tenu de répondre de tous ses actes par le seul fait qu’ils
causent un dommage à autrui. Cela a pu paraître excessif et on a reproché à la théorie du
risque créé le fait que la victime a également agi et contribué à la création du risque.
Dans le risque profit, la victime profite également de son activité (le salarié victime
perçoit un salaire).

3) La théorie de la garantie

La théorie de la garantie part de l’idée que le fondement de la responsabilité a toujours


été recherché du côté de l’auteur du dommage : a-t-il commis une faute ? A t-il créé un
risque ? A-t-il profité de son activité dommageable ? Son auteur (Boris STRACK) a
proposé, dans une thèse remarquée (1947) d’inverser l’ordre des valeurs et de considérer
essentiel non pas l’auteur du dommage mais la victime dont les droits ont été atteints.
C’est l’atteinte aux droits de la victime qui justifie protection et garantie juridiques. Mais
le droit de la victime ne doit pas méconnaître le droit d’agir reconnu à l’auteur. Droit à la
sécurité et droit d’agir entrent ainsi en conflit et pour le résoudre, B.STRACK opère une
distinction entre le type de dommage causé. Le droit d’agir l’emporte quand le dommage
est de nature économique ou moral. La responsabilité n’est alors engagée qu’en cas de
faute de l’auteur. (Droit de concurrencer, de critiquer….). Il s’agit de droits de nuire
consacrées par le droit positif. Les dommages sont d’une certaine façon nécessaires. Le
droit d’agir l’emporte. Lorsque les dommages ne présentent pas ce caractère de nécessité,
lorsqu’il est possible d’agir sans les causer, le droit à la victime va prévaloir et justifier la
responsabilité de l’auteur. Tel est le cas des dommages matériels ou corporels (les
accidents de circulation où « le permis de conduire n’est pas un permis de tuer »). Cette
théorie a essayé de donner plus de cohérence au droit de la responsabilité civile: le
dommage matériel et le dommage corporel donnent lieu à réparation sans faute, en vertu
du droit à la sécurité. Le dommage économique ou moral exige une faute prouvée de

12
13

l’auteur en vertu du droit d’agir.

4) Le principe de précaution

Le principe de précaution « consiste essentiellement à responsabiliser l'individu au défaut


d'anticiper et de prévenir des risques qui restent impossibles à vérifier dans le présent,
mais dont la réalisation future est susceptible d'entraîner un préjudice sérieux et
généralisé ».
Ainsi quand des risques particulièrement graves sont encourus, même s’ils ne sont que
potentiels en l’état actuel des connaissances scientifiques et technologiques, la prudence
impose leur prévention à peine de responsabilité sans faute prouvée. C’est le principe de
précaution qui permet aux victimes potentielles et pas seulement actuelles d’obtenir des
mesures de prévention afin d’éviter la réalisation de dommages graves et collectifs de
nature écologique, sanitaire….

Ce fondement, qui inspire des lois récentes en matière de protection de l’environnement,


se caractérise par une remise en cause des conditions classiques de mise en œuvre de la
responsabilité. La réalisation d’un dommage n’y est plus en effet une condition
essentielle. La responsabilité sanctionne la négligence quant aux mesures qui devaient
être prises pour éviter le dommage et non le dommage lui - même.

SECTION 2 : LES FONDEMENTS DE LA RESPONSABILITE CIVILE


DELICTUELLE EN DROIT POSITIF

On constate un déclin certain de la faute (§1) qui conserve malgré tout une place
importante (§ 2). Cela a permis à certains auteurs de parler de « renouveau de la faute ».

§1- Le déclin de la faute

La théorie du risque a influencé le droit positif marqué par des régimes de responsabilité
détachés de l’idée de faute.
La réparation des accidents du travail est essentiellement fondée sur le risque.
En vertu de l’article 485 du code de commerce (1996) , le transporteur répond des
dommages qui surviennent à la personne du voyageur pendant le transport et sa
responsabilité ne peut être écartée que par la preuve d' un cas de force majeure ou de la
faute de la victime.

13
14

La loi du 12 mai 2003 relative à la protection et à la mise en valeur de l’environnement


prévoit dans son article 63: « Est responsable, même en cas d’absence de preuve de faute,
toute personne physique ou morale stockant, transportant ou utilisant des hydrocarbures
ou des substances nocives et dangereuses, ou tout exploitant d’une installation classée,
telle que définie par les textes pris en application de la présente loi, ayant causé un
dommage corporel ou matériel directement ou indirectement lié à l’exercice des activités
susmentionnées »).

De même, l’article 4 de la loi 12/02 du 7 Janvier 2005 relative à la responsabilité civile en


matière de dommages nucléaires prévoit que « l’exploitant d’une installation nucléaire est
réputé responsable de tout dommage nucléaire causé par un accident survenu dans cette
installation nucléaire. »

La jurisprudence a également été influencée par la théorie du risque en fondant des


régimes sur des présomptions non pas de faute mais de responsabilité de plein droit. Il a
été ainsi maintes fois décidé que le gardien d’une chose est de plein droit responsable du
dommage causé par cette chose à moins qu’il en démontre, non pas qu’il n’a pas commis
de faute, mais qu’il a fait tout ce qui était nécessaire pour l’empêcher et que le dommage
ne s’est produit que sous l’effet d’une cause étrangère qui ne peut pas lui être imputée
(Cass.Civ. 5-3-1958, RMD, 1959, p.208-209, note Rodière. C.A.R 15-4-1960, RAC,
T.XX, p.376).

Ce déclin de la faute s’est accentué avec le déclin de la responsabilité individuelle


(G.Viney). Le développement de l’assurance substitue à la responsabilité personnelle,
individuelle, un système de répartition collective des risques. Parfois c’est l’Etat qui
indemnise les victimes en répartissant le coût de cette indemnisation sur la collectivité.
Tel est le cas notamment quand le fonds de garantie automobile, financé par la
collectivité, indemnise des victimes lorsque le responsable est non assuré, inconnu ou
insolvable ou lorsque l’assureur est insolvable ou a fait l’objet d’une liquidation judiciaire.
Cet organisme a été créé par Dahir du 22.02.1955, et est actuellement régi par les
dispositions de la loi 17-99 portant code des assurances (Livre deux, titres III, articles
133 à 157).

Le droit évolue ainsi du système de responsabilité à un système de répartition collective


de risques. Une évolution qui ira en se confirmant face au développement des risques
écologiques et sanitaires majeurs. Certains auteurs craignent cependant que ce déclin de
la responsabilité individuelle ne se traduise par une charge financière excessive pour la
collectivité.

14
15

§2- La place toujours importante de la faute

Bien que le droit de la responsabilité évolue vers plus d’objectivisme en se détachant de


la faute, cette dernière conserve malgré tout une place essentielle, importante, qu’il
s’agisse d’ailleurs de la faute commise par l’auteur du dommage ou par la victime.

Le principe demeure en effet que tout fait quelconque de l’homme qui, sans l’autorité de
la loi, cause sciemment et, volontairement à autrui un dommage matériel ou moral,
oblige son auteur à réparer ledit dommage, lorsqu’il est établi que ce fait en est la cause
directe. (Article 77 du DOC). De même, « Chacun est responsable du dommage moral
ou matériel qu’il a causé, non seulement par son fait, mais par sa faute, lorsqu’il est établi
que cette faute en est la cause directe. (Article 78 du DOC.)

Le mineur, dépourvu de discernement, ne répond pas civilement du dommage causé par


son fait. Il en est de même de l’insensé, quant aux actes accomplis pendant qu’il est en
état de démence. (Article 96 du DOC.) Le mineur dépourvu de discernement et l’insensé
ne sont donc pas responsables car ils ne peuvent pas commettre de faute.

La loi 12/02 du 7 Janvier 2005 relative à la responsabilité civile en matière de dommages


nucléaires qui précise dans son article 4 que « l’exploitant d’une installation nucléaire est
réputé responsable de tout dommage nucléaire causé par un accident survenu dans cette
installation nucléaire » souligne toutefois que si l’exploitant prouve que le dommage
nucléaire résulte, en totalité ou en partie d’une négligence grave de la personne qui l’a
subi ou que cette personne a agi ou amis d’agir dans l’intention de causer un dommage,
le tribunal compétent peut dégager l’exploitant, totalement ou partiellement, de son
obligation de réparer le dommage subi par cette personne. (Article 17) .

Il est de même admis en jurisprudence que « quand des fautes sont imputables à la fois à
l’auteur de la victime et à la victime d’un accident de la circulation, il y a lieu à partage de
responsabilité » (CAR, 1-11-1941, RAC, T XI, p.32).

Les juges du fond, qui relèvent les fautes respectivement commises par le prévenu et par
la victime d’un accident, peuvent légitimement estimer que ces fautes ont toutes deux
concouru à la réalisation de l’accident et procéder en conséquence à un partage de
responsabilité. (C.S. Crim., 19-VII-1962, R.A.C.S., T. III, p. 303). La faute de la victime
peut ainsi réduire ou supprimer ses indemnités.

15
16

Selon l’article 752 du DOC, l’indemnité peut être réduite, lorsqu’il est établi que
l’accident dont l’ouvrier a été victime l’a été par son imprudence ou par sa faute. La
responsabilité du maître cesse complètement, et aucune indemnité n’est allouée, lorsque
l’accident a eu pour cause l’ivresse ou la faute lourde de l’ouvrier.

On constate ainsi que le droit de la responsabilité combine divers fondements (faute et


risque). Il les combine aussi bien en droit qu’en jurisprudence.

Il arrive parfois que les tribunaux affichent clairement le fondement qu’ils assignent à un
régime de responsabilité. (CAR, 21-6-1960, GTM 1961, N°1286, p.27 ; Trib 1ère Inst.
Fès 27-11-1963, GTM 1964, n 1345 p28).

TITRE 2
LES CONDITIONS DE LA RESPONSABILITE CIVILE

La responsabilité civile suppose établi un fait générateur de responsabilité, un fait


dommageable (CHAPITRE 1), un dommage (CHAPITRE 2) et un lien de causalité
entre ces deux éléments (CHAPITRE 3).

CHAPITRE 1
LE FAIT GENERATEUR DE RESPONSABILITE

Il existe trois régimes de responsabilités: du fait personnel, du fait d’autrui et du fait des
choses. Ce sont les régimes généraux (section 1). Il existe également des régimes

16
17

spéciaux. (Section 2).

SECTION 1 : LES REGIMES GENERAUX DE RESPONSABILITE

Une personne peut engager sa responsabilité civile pour un dommage qu’elle a


personnellement et directement causé. C’est la responsabilité du fait personnel. (§1). Une
personne peut également engager sa responsabilité pour un dommage causé par une
autre personne. C’est la responsabilité du fait d’autrui (§2). Une personne peut enfin
engager sa responsabilité pour un dommage causé par l’utilisation d’une chose. C’est la
responsabilité du fait des choses (§3). Il existe ainsi plusieurs régimes de responsabilité
civile délictuelle.

§I : La responsabilité du fait personnel

C’est le régime de base qui trouve son fondement dans les articles 77 et 78 du DOC.

Article 77 : « Tout fait quelconque de l’homme qui, sans l’autorité de la loi, cause
sciemment et, volontairement à autrui un dommage matériel ou moral, oblige son auteur
à réparer ledit dommage, lorsqu’ il est établi que ce fait en est la cause directe.

Toute stipulation contraire est sans effet. »


Article 78 :« Chacun est responsable du dommage moral ou matériel qu’il a causé, non
seulement par son fait, mais par sa faute, lorsqu’il est établi que cette faute en est la cause
directe.
Toute stipulation contraire est sans effet.
La faute consiste, soit à omettre ce qu’on était tenu de faire soit à faire ce dont on était
tenu de s’abstenir, sans intention de causer un dommage. »

C’est un régime basé sur la faute prouvée. La victime qui agit sur la base de ce régime
doit prouver la faute de l’auteur du dommage pour obtenir réparation. La faute est la
condition préalable de la responsabilité du fait personnel. Il faut nécessairement une
faute dûment prouvée pour que cette responsabilité soit engagée. Ce n’est donc pas un
régime très favorable aux victimes.

1°) Notion de faute

Que faut-il entendre par faute ? D’après l’article 78 du DOC, la faute consiste, soit à
omettre ce qu’on était tenu de faire soit à faire ce dont on était tenu de s’abstenir, sans

17
18

intention de causer un dommage. Il s’agit de la faute d’imprudence et de négligence, du


quasi-délit. Le «fait » visé au premier alinéa de l’article 78 étant la faute intentionnelle, le «
délit civil ».

La faute, telle qu’elle peut se dégager des dispositions et applications du DOC et telle
qu’elle est perçue et analysée en jurisprudence implique deux éléments: un élément
objectif, l’illicéité, la violation d’un devoir, et un élément subjectif, l’imputabilité de cette
violation.

A – L’illicéité ou la violation d’un devoir (l’élément objectif)

La faute est « un manquement à une obligation préexistante ». Les tribunaux se


conforment à cette définition et il n’existe pas de condamnation fondée sur la faute sans
violation préalable d’une obligation.
On ne peut être en faute dans l’observation et le respect des obligations qui nous
incombent.
Le problème se pose de savoir quand peut-on considérer qu’il y a manquement à une
obligation préexistante ?

La loi pose un ensemble de normes qui s’imposent à tous. Ces normes sont des règles de
conduite sociale. La transgression de ces normes constitue une faute. La faute civile
apparaît ainsi comme un écart par rapport à une norme. La Cour de cassation française a
constamment défini la faute comme la violation d’une norme de conduite (civ. 16 juil
1953, JCP 1953 11. 7792).

Cette norme est le plus souvent légale ou réglementaire, fixée par un texte. Mais il peut
s’agir d’un écart par rapport à une norme non codifiée, une règle de prudence et de
diligence. L’auteur du dommage ne s’est pas comporté comme il aurait dû le faire,
comme se serait conduite une personne normalement diligente placée dans les mêmes
conditions. La faute est ainsi une défaillance de conduite, non pas forcément par rapport
à une norme écrite mais par rapport à un comportement de référence. Il appartient ainsi
aux juges du fait de constater les faits desquels ils peuvent déduire l’existence ou
l’absence de faute à la charge de l’auteur ou de la victime d’un dommage ; mais leur
appréciation à cet égard est soumise au contrôle de la Cour Suprême (CS Civ.9-7-1963,
RACS, T.2, p.132).

Le Droit impose ainsi un modèle de conduite et tout écart par rapport à ce modèle peut
être source de responsabilité. Le modèle est celui du « bon père de famille ».Le DOC

18
19

consacre le concept.(art.945). La responsabilité suppose une comparaison entre « ce qui a


été et ce qui aurait dû être ». Il y eu par hypothèse, un écart de conduite, une défaillance.

Comment cependant convient-il d’apprécier cette défaillance et cet écart de conduite ?


Faut-il tenir compte du comportement habituel de l’auteur du dommage (appréciation in
concreto) ? Faut-il l’apprécier par rapport à un modèle abstrait, une personne
normalement prudente, l’homme raisonnable placé dans la même situation, le bon père
de famille (appréciation in abstracto) ? Les tribunaux retiennent l’appréciation in
abstracto pour ne pas favoriser la personne habituellement imprudente.

La faute ainsi définie peut être intentionnelle ou non intentionnelle. C’est la distinction
du délit et du quasi-délit de l’article 1er du DOC. En droit civil, cette distinction ne
devrait pas avoir d’intérêt puisqu’il s’agit non pas de punir mais de réparer le dommage
causé. Et c’est l’importance du dommage et non l’intention qui sert de base à la fixation
des indemnités. Même causé sans intention, le dommage appelle réparation. Selon
l’article 78:« Chacun est responsable du dommage moral ou matériel qu’il a causé, non
seulement par son fait, mais par sa faute, lorsqu’il est établi que cette faute en est la cause
directe. »
La responsabilité et la réparation qui en découle doivent compenser le préjudice causé et
non punir l’auteur du dommage. Il n’y a pas à réduire le montant de l’indemnité en cas
de quasi-délit et l’augmenter en cas de délit. La responsabilité civile n’a théoriquement
pas pour fonction de punir mais de réparer le dommage causé. C’est pourquoi il a
toujours été admis en jurisprudence que la réparation du dommage devait être égale à
l’intégralité du préjudice (CS Crim, 6-3-1962, GTM, 1962, n°1310, p.52 ; RACS, T.3,
p.161).

L’article 98, al.2 du DOC qui oblige les tribunaux à évaluer différemment les dommages
selon qu’il s’agit de la faute du débiteur ou de son dol procède d’une vision punitive des
dommages –intérêts. Rien cependant n’interdit aux juges d’appliquer cette disposition.
Les juridictions répressives y recours parfois arguant de leur droit d’évaluer les
indemnités, dans les limites des conclusions de la partie civile, sans être tenues de «
spécifier les bases sur lesquelles ils en ont calculé le montant » (CS Crim, 22-7-1963,
RMD, 1964, p.398.)

Il est par ailleurs interdit de souscrire une assurance couvrant les fautes intentionnelles
de l’assuré.

Contrairement à la faute légère et inexcusable, le DOC consacre le concept de faute


lourde qu’il rapproche de l’imprudence grave (article 82) et dont il dit, à l’article 83, qu’il

19
20

s’agit d’une faute qu’une personne n’aurait pas dû commettre. La gravité de la faute
commise par la victime peut faire cesser la responsabilité ou réduire le montant des
indemnités (voir par exemple l’article 752 du DOC et la législation sur la réparation des
accidents du travail).

Il convient enfin de distinguer la faute d’action de la faute de commission. Cette


distinction pose la question de savoir si une personne peut engager sa responsabilité par
son attitude passive. Les tribunaux ne sanctionnent l’omission que lorsqu’elle est dictée
par l’intention manifeste de nuire. L’auteur d’une histoire de la TSF a été condamné par
les tribunaux français pour ne pas y avoir mentionné le nom de son inventeur, Branly.
(Arrêt Branly, Civ.27Février 1951, D.1951.329, note H.Desbois).

B - L’imputabilité de la violation du devoir ( élément subjectif )

Il est admis en droit et en jurisprudence qu’il ne saurait y avoir de faute que si l’agent
possède le discernement, c’est-à-dire est à même d’avoir conscience du caractère illicite
de son acte, de pouvoir distinguer le bien du mal. L’acte doit donc être imputé à son
auteur. Un dommage, quelque soit son importance, reste ainsi sans réparation si son
auteur n’a pas conscience, au moment de sa commission, du caractère illicite de son
agissement. La situation est injuste pour la victime qui peut cependant agir contre les
personnes chargées de la surveillance de l’auteur dépourvu de discernement.

Se fondant sur la faute subjective, le DOC consacre en effet le principe de


l’irresponsabilité des personnes dépourvues de discernement.

Ainsi, aux termes de l’article 96 « le mineur, dépourvu de discernement, ne répond pas


civilement du dommage cause par son fait. Il en est de même de l’insensé, quant aux
actes accomplis pendant qu’il est en état de démence.

Le mineur répond, au contraire, du dommage causé par son fait, s’il possède le degré de
discernement nécessaire pour apprécier les conséquences de ses actes. »

De même, les sourds-muets et les infirmes ne répondent des dommages résultant de leur
fait ou de leur faute que s’ils possèdent le degré de discernement nécessaire pour
apprécier les conséquences de leurs actes. (Article 97 du DOC).

Sur cette base, les tribunaux ont donc estimé que ne pouvaient « être considérés comme
des fautes au sens des articles 78 et 88 du DOC, les actes accomplis par des aliénés ou

20
21

des mineurs en bas – âge, l’un et l’autre sont, en effet, considérés comme irresponsables
pour défaut de discernement ». (CS Civ.15-6-JCS, 1968, n°3, p.20).

En droit français, la rège est différente. Celui qui a causé un dommage à autrui alors qu’il
était sous l’empire d’un trouble mental n’en est pas moins obligé à réparation. (Art.482-2
du code civil). La jurisprudence française à étendu cette règle aux mineurs dépourvus de
discernement. (Arrêt Le Maire :Ass.plén.9 mai 1984, D ; 1984 .525, concl. Cabannes,
note F. Chabas.). Ces solutions se fondent sur une conception objective de la faute.

Dissocier la faute du discernement permet par ailleurs d’envisager la responsabilité civile


des personnes morales. Ces dernières peuvent répondre des fautes dont elles se rendent
coupables par leurs organes sans que cela exclut la responsabilité de leurs dirigeants.

2°) La faute dans l’exercice d’un droit: la théorie de l’abus de droit

Peut-on commettre une faute en exerçant un droit dont on est titulaire ?


La réponse est donnée à l’article 94 du DOC aux termes duquel « Il n’y a pas lieu à
responsabilité civile, lorsqu’une personne, sans intention de nuire, a fait ce qu’elle avait le
droit de faire. Cependant, lorsque l’exercice de ce droit est de nature à causer un
dommage notable à autrui et que ce dommage peut être évité ou supprimé, sans
inconvénient grave pour l’ayant droit, il y a lieu à responsabilité civile, si on n’a pas fait
ce qu’il fallait pour le prévenir ou pour le faire cesser. »

Il ressort de ce texte que le principe est qu’il n’y a pas de responsabilité lorsqu’une
personne exerce un droit dont elle titulaire. Cependant, le titulaire d’un droit qui fait ce
qu’il avait le droit de faire mais dans l’intention de nuire à autrui abuse de son droit et
engage sa responsabilité. L’intention de nuire rend illicite un acte objectivement licite. Le
propriétaire qui élève un mur dans le seul but de gêner son voisin abuse de son droit de
propriété, commet un abus de droit et engage sa responsabilité. Le caractère absolu du
droit de propriété ne fait pas obstacle à un usage abusif de ce droit.

La jurisprudence française a eu à décider dans de nombreux arrêts, dont le plus célèbre


est l’arrêt Clément Bayard, que le propriétaire abuse de son droit dès lors qu’il l’exerce
dans la seule intention de nuire.

Dans cet arrêt -Clément Bayard (Req. 3 août 1915 D. P. 1917. 1. 79)- le propriétaire d’un
terrain y avait édifié deux carcasses de bois d’une hauteur de 15 mètres, surmontée de
piquets en fer, et séparées l’une de l’autre de quelques mètres. Ces édifices étaient situés

21
22

juste en face des hangars de Clément Bayard et avaient pour seul objectif de gêner ce
dernier dans ses manoeuvres sur des dirigeables. La cour de cassation a estimé que le
propriétaire avait agi dans le seul but de nuire et l’a condamné à démolir les dits édifices.

En jurisprudence marocaine il a de même été considéré que « celui qui se sert de son
droit d’une manière préjudiciable à autrui, sans intérêt légitime, pour la satisfaction d’un
mobile malicieux ou dans le dessein manifeste de nuire » commet un abus de droit. (Trib.
1re inst. Casablanca, 20-111-1930, G.T.M., 1930, n° 399, p. 116).

Ainsi et dans un premier temps, les tribunaux ont admis qu’une plainte ou dénonciation
portée non seulement dolosivement, mais même avec légèreté, sans que son auteur se
soit assuré de la vraisemblance de ses imputations, peut donner ouverture à une action
en dommages-intérêts. (Trib. 1ère Inst. Rabat, 11-XII-1918, R.L.J.M., 1920, p. 79).
Par la suite, les décisions de justice, confirmées par la cour suprême, ont été plus
restrictives. Une action en justice ne peut donner lieu à dommages-intérêts, pour abus de
droit, que si le demandeur a agi par pure malice, mauvaise foi ou erreur grossière
équipollente au dol. (Trib. 1re inst. Casablanca, 16-11-1952, R.M.D., 1954, p. 37, note R.
Rodière ; Arrêt de la Cour suprême n° 45, 9 février 1958, Arrêts de la Cour suprême en
matière civile, 1958-1996, publication de la Cour suprême, 1997, CS, Civ, 15-8-1979,
GTM, n.s,1985, p.11).
Un plaideur qui exerce une voie de recours uniquement pour nuire à son adversaire
abuse de son droit et s’expose non seulement au paiement d’indemnité mais également à
une amende civile. (Art. 164 du code de procédure civile de 1974 qui sanctionne l’appel
purement dilatoire dans la procédure d’injonction de payer). Il a également été décidé
que lorsque la saisie conservatoire apparaît plutôt comme un acte comminatoire que
comme une mesure de sûreté, elle présente un caractère abusif et il peut être accordé au
saisi la réparation du préjudice causé. (CAR., 31-XII-1935, R.A.C., 1. VIII, p. 431).

De même, commet un abus de droit celui qui, ayant acquis dans l’indivision la moitié
d’une maison immatriculée se refuse à faire inscrire son achat sur le titre foncier, dans le
dessein manifeste d’échapper à l’exercice du droit de préemption par le copropriétaire.
(CAR., 20-VI-1946, R.A.C., T. XIII, p. 532).

L’abus consiste donc à détourner le droit de sa fonction, de son esprit et de sa finalité.

L’exercice d’un droit peut causer préjudice à un tiers sans qu’il soit établi à l’encontre de
son titulaire une faute dans la manière de l’exercer ou dans le but poursuivi. La question
s’est surtout posée à propos des troubles de voisinage .Les auteurs admettent

22
23

généralement le principe de la réparation.

La jurisprudence française distingue entre les troubles ordinaires qui doivent être
supportés par les voisins et les inconvénients anormaux de voisinage dont les tiers sont
en droit d’obtenir réparation pour le préjudice qui leur est causé.

C’est la même règle qui est édictée à l’article 92 du DOC en vertu duquel « les voisins ne
sont pas fondés à réclamer la suppression des dommages qui dérivent des obligations
ordinaires du voisinage, tels que la fumée qui s’échappe des cheminées et autres
incommodités qui ne peuvent être évitées et ne dépassent pas la mesure ordinaire ».

§ 2 – La responsabilité du fait d’autrui

Le principe de la responsabilité du fait d’autrui est posé à l’article 85 du DOC qui précise
qu’ « on est responsable non seulement du dommage que l’on cause par son propre fait,
mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre… ».
La question s’est posée de savoir cet article pose un principe général de responsabilité
pour autrui ou ne fait qu’annoncer les régimes spéciaux qu’il développe (fait des
commettants, fait des parents….) ? La liste des personnes qui doivent répondre des
dommages causés par autrui selon l’article 85 est-elle limitative ? Bien que les tribunaux
appliquent le principe de la responsabilité du fait d’autrui à de nombreuses personnes
(Les aéro-clubs responsables des fautes commises par les moniteurs, le pilote considéré
préposé temporaire et occasionnel de l’armateur.( CAR., 20-VI-1958, G.TM., 1958, n°
1235, p. 83 ; R.M.D., 1959, P 72, note Lacombe ; RAC., T. XX, p. 831.Trib. 1re Inst.
Casablanca, 4-I-1932, R.L.J.M., 1933, p.77), la jurisprudence n’a pas énoncé un principe
général de responsabilité du fait d’autrui.

Par un arrêt de l’assemblée plénière de la Cour de cassation française (29 mars 1991), il a
été décidé que la liste des personnes responsables de l’article 1384 ne présentait pas un
caractère limitatif. (D.1991, 324, note Larroumet.) Ainsi toute personne qui dispose d’un
pouvoir de direction et de contrôle sur l’activité d’une autre peut engager sa
responsabilité pour les dommages que celle-ci viendrait à causer.

L’article 85 du DOC précise les cas où la responsabilité du fait d’autrui va jouer.

I - Le père et la mère du fait des dommages causés par leurs enfants


mineurs
II - Les maîtres et les commettants du fait de leurs préposés

23
24

III - Les artisans


IV - Les instituteurs

I - LA RESPONSABILITE DES PARENTS DU FAIT DE LEURS


ENFANTS MINEURS

Le père et la mère après le décès du mari, sont responsables du dommage causé par leurs
enfants mineurs habitant avec eux (article 85 al.1). La responsabilité ci-dessus nous
précise l’article 85 du DOC a lieu à moins que les père et mère et artisans ne prouvent
qu’ils n’ont pu empêcher le fait qui donne lieu à cette responsabilité. La loi fait ainsi
peser sur les parents une présomption de faute. Le dommage causé par l’enfant présume
un défaut d’éducation ou de surveillance.

1°) Les conditions d’application de la présomption

S’agissant des personnes responsables, il convient d’abord de préciser que le DOC fait
peser la responsabilité sur le père. La mère ne voit sa responsabilité engagée qu’après le
décès du mari. C’est à elle qu’est confiée en premier lieu la garde de l’enfant (article 171
du code de la famille). La garde, qui consiste à préserver l’enfant de ce qui pourrait lui
être préjudiciable, l’éduquer et veiller à ses intérêts, incombe cependant selon l’article 164
du code de la famille au père et à la mère tant que les liens conjugaux subsistent. Le père
et la mère ne doivent-ils donc pas être déclarés solidairement responsables des
dommages causés par leurs enfants ? Il faut ajouter que ce sont légalement les parents
(père et mère) qui doivent à leurs enfants un certain nombre de droits dont la garde et
l’éducation fondée sur la bonne conduite, (article 54 du code de la famille). Enfin le
mariage vise légalement la fondation d’une famille stable sous la direction des deux
époux.

La première condition a trait à la minorité de l’enfant. L’enfant doit être mineur le jour
de l’accident. La garde cesse en effet avec la majorité. Selon l’article 166 du code de la
famille, la garde de l’enfant se prolonge, aussi bien pour le garçon que pour la fille,
jusqu’à sa majorité légale. (Dix huit années, article 209 du code de la famille). La cour
suprême a ainsi cassé des arrêts ayant condamné le mineur à réparation. (Cass Crim, 15-
4-1983, JCS, 1984,n°33-34, p.166).

La deuxième condition légale est relative à la cohabitation. Condition justifiée car en


l’absence de cohabitation, il n’y a pas de possibilité réelle de surveillance et d’éducation.
Il a ainsi été jugé que « le père (ou la mère) ne saurait être responsable du dommage
causé par son enfant mineur qui, au cours d’un jeu, a blessé un enfant de la famille dans

24
25

laquelle il avait été invité à jouer, le père ayant été dans l’impossibilité manifeste
d’empêcher le fait dommageable de se produire ». (CAR, 8-11-1952, RMD, 1954, p.181-
182 note Rodière.).

Le défaut de cohabitation n’écarte la responsabilité des parents qu’autant qu’il a été


légitime. Une faute des parents à l’origine du défaut de cohabitation maintient leur
responsabilité. Il est ainsi de jurisprudence constante que la présomption de faute pesant
sur les parents joue à moins que l’absence de cohabitation ne résulte d’un motif non
légitime. Lorsque le mineur n’habite pas avec son père, la responsabilité de celui-ci reste
engagée si le défaut de cohabitation résulte d’une faute du père, ou si le dommage n’a été
rendu possible que par une faute de sa part. « (C.A.R., 9-11-1953, R.MD., 1953, pp.374-
378, note R. Rodière, CS, Crim.20-2-1964, RACS, T.4, p.200).

Faut-il enfin que le mineur ait commis une faute pour engager la responsabilité des
parents ? Le DOC n’édicte pas une telle condition. Cela peut s’expliquer par la
prééminence de la faute subjective. Les dommages causés par les mineurs dépourvus de
discernement sont, par hypothèse, non fautifs. (Voir article 96 du DOC). Exiger une
faute que le mineur ne peut juridiquement pas commettre rendrait illusoire la
responsabilité des parents pour tous les dommages causés par les enfants dépourvus de
discernement.

Après avoir exigé la faute du mineur comme condition de la responsabilité des parents,
la jurisprudence française a décidé qu’un acte objectivement illicite du mineur permettait
d’engager la responsabilité de parents, alors même qu’il ne lui était pas subjectivement
reprochable. (Civ.2ème, 16 juillet 1969, Bull Civ, II, n°255, p 183, RTDCiv, 1970 .575,
obs G .Durry.). Plus récemment, la cour de cassation affirme que « la responsabilité de
plein droit encourue par les pères et mères des dommages causés par leur enfant mineur
habitant avec eux n’est pas subordonnée à l’existence d’une faute de l’enfant » (Civ 2ème,
10 mai 2001, Bull Civ II, n°96, JCP 2001, II, 10613, note J/Mouly.).

2°) La portée de la présomption pesant sur les parents

La responsabilité des parents repose sur une présomption de faute. Cela signifie que du
dommage causé par l’enfant, la loi déduit une faute des parents, faute d’éducation ou de
surveillance. Il s’agit d’une présomption réfragable, c’est-à-dire que les parents peuvent
l’écarter en prouvant qu’ils n’ont pas commis de faute.

C’est ainsi que les tribunaux ont interprété l’article 85 qui engage la responsabilité des

25
26

parents à moins qu’ils ne prouvent « qu’ils n’ont pu empêcher le fait qui donne lieu à
cette responsabilité. »

La responsabilité du père en raison des dommages causés par son enfant mineur
habitant avec lui, repose ainsi selon la Cour d’appel de Rabat, sur une présomption de
faute et doit être écartée s’il est établi que tant au point de vue éducation que de la
surveillance, le père s’est comporté comme une personne prudente et n’a pu ainsi
empêcher l’acte dommageable. C.A.R. 24-1-1958, R.M.D., 1961, p. 133-135, note R.
Rodière ; R.A.C., T. XIX, p.390 et CAR, 15-7-1938, RAC, T.IX, p 597).La cour suprême
a par la suite confirmé ce fondement (CS Crim, 3-XII-1964, RACS, T.IV, p 302).

En France, la tendance est à une plus grande sévérité à l’égard des parents. Dans un
premier temps, la cour de cassation se contente d’un acte du mineur qui soit la cause
directe du dommage invoqué par la victime .Pour que soit présumée, sur le fondement
de l’art. 1384 al. 4 du Code civil, la responsabilité des père et mère d’un mineur habitant
avec eux, il suffit que celui-ci ait commis un acte qui soit la cause directe du dommage
invoqué par la victime .(Arrêt Fullenwarth, Ass. Plén. 9 mai 1984, D 1984.525). En 1997,
elle décide que seule la force majeure ou la faute de la victime pouvait exonérer un père
de la responsabilité de plein droit encourue du fait des dommages causés par son fils
mineur habitant avec lui, optant ainsi pour une certaine objectivisation de cette
responsabilité ( arrêt « Bertrand » (Civ. 2ème, 19 février 1997, Bull. n° 55) .
Par la suite, elle affirme en 2001 que la responsabilité des parents n’est pas subordonnée
à l’existence d’une faute de l’enfant. ( Civ 2ème, 10 mai 2001, Bull Civ II, n°96, JCP 2001,
II, 10613, note J /Mouly.). Les parents ne peuvent donc pas s’exonérer en prouvant que
l’enfant a eu un comportement normal, licite, irréprochable. Des auteurs ont ainsi pu
écrire à ce sujet que « la responsabilité de l’anormalité cède la place à la responsabilité de
la normalité ».

Le père, la mère, mais aussi les autres parents ou conjoints répondent des dommages
causés par les insensés, et autre infirmes d’esprit, même majeurs habitant avec eux, s’ils
ne prouvent:
1- Qu’ils ont exercé sur ces personnes toute la surveillance nécessaire :
2- Ou qu’ils ignoraient le caractère dangereux de la maladie de l’insensé:
3- Ou que l’accident a eu lieu par la faute de celui qui en a été la victime.

La même règle s’applique à ceux qui se chargent, par contrat, de l’entretien ou de la


surveillance de ces personnes.

II- LA RESPONSABILITE DES COMMETTANTS DU FAIT DE LEURS


PREPOSES

26
27

Selon l’article 85 du DOC, les maîtres et les commettants sont responsables du


dommage causé par leurs domestiques et préposés dans les fonctions auxquelles ils les
ont employés.
Contrairement à la responsabilité des parents, l’article 85 reste muet sur les conditions
d’exonération des commettants. Faut-il en déduire que les commettants n’ont aucune
possibilité d’exonération ? L’analyse des conditions de la responsabilité des commettants
et surtout de ses effets montre que les possibilités d’exonération des commettants sans
particulièrement réduites. Cette analyse n’est pas facilitée par la jurisprudence qui fonde
la responsabilité des commettants tantôt sur la notion d’autorité - la responsabilité est là
où est l’autorité - (Trib. 1ère inst. Casablanca, 8-1-1932, G.T.M., 1932, n° 485, p. 82),
tantôt sur une présomption de faute (Trib. 1ère Inst. Casablanca, 1-III-1944, G.T.M.,
1944, n° 951, p. 81) tantôt enfin sur la garantie de solvabilité (CAR., 21-VI-1960, G.T.M.,
1961, n°1286, p. 27).

1°) Les conditions de la responsabilité des commettants

La mise en œuvre de la responsabilité civile des commettants du fait de leurs préposés


suppose réunies trois conditions : un lien de préposition ou une relation de commettant
à préposé, un acte dommageable commis par le préposé et, comme le veut l’article 85,
un lien entre cet acte dommageable et les fonctions auxquels le préposé est employé.

a- Une relation de commettant à préposé

Il doit y avoir un lien de subordination entre le commettant et le préposé. Les tribunaux


ont en effet très tôt tenu à préciser que « le critérium en matière de responsabilité du fait
d’autrui est que la responsabilité est là où est l’autorité et que le lien de subordination est
indispensable dans les rapports de préposé à commettant. » (Trib. 1ère inst. Casablanca,
8-1-1932, G.T.M., 1932, n°485, p. 82, CAR., 10-V-1944, R.A.C., 1. XIII, p. 456). Le
commettant est responsable du dommage causé par le préposé sur lequel il exerce les
pouvoirs d’ordre et de direction. (C.S. Civ., 23-XI-1965, R.A.C.S., T. Il, p. 297). La
responsabilité du fait du préposé suppose chez le commettant le droit de donner au
préposé des ordres ou des instructions sur la manière de remplir les fonctions auxquelles
il est employé (Cass. Crim., 12-VII-1946, R.A.C., T.XIV, p. 220).

Sur cette base, il a été décidé qu’il n’existait aucun lien de commettant à préposé entre le
joueur « amateur » d’une association de football et l’association elle-même et qu’il n’y
avait pas lieu, en conséquence, à l’application de l’article 85 du D.O.C. (Trib. 1ère inst.

27
28

Casablanca, 15-XI-1937, G.T.M., 1938, n° 756, p. 11).

C’est parce que le commettant commande, use d’une autorité, qu’il a la responsabilité des
actes de son préposé. Le commettant est responsable du dommage causé par le préposé
sur lequel il exerce les pouvoirs d’ordre et de direction.

En conséquence, « lorsqu’un exploitant agricole a accepté d’envoyer un de ses ouvriers


labourer avec son tracteur le champ d’un autre exploitant et que celui ci a été blessé,
condamne à bon droit le propriétaire du tracteur à réparer le dommage en qualité de
commettant du conducteur responsable de l’accident, l’arrêt qui constate que cet
employeur avait donné à cet ouvrier un emploi du temps bien déterminé auquel la
victime n’aurait pu le faire déroger. Une telle constatation révèle en effet qu’au moment
de l’accident le conducteur du tracteur n’était pas sous la direction et la subordination de
la victime mais était demeuré sous celles de son employeur habituel ». (C.S. Civ., 23-XI-
1965, R.A.C.S., T. Il, p. 297).

Le propriétaire d’une automobile, conduite par un tiers qui a provoqué un accident, ne


peut être tenu pour civilement responsable du conducteur, s’il n’est justifié que ce
dernier ait eu la qualité de préposé du propriétaire du véhicule ou que, au moment de
l’accident, le véhicule ait été conduit par ordre ou pour le compte de son propriétaire.
(C.S. Crim., 26-V-1960, R.A.C.S., T. 1, p. 287).

L’hypothèse la plus fréquente où le préposé va engager la responsabilité du commettant


est donc celle d’une relation de travail. Les pouvoirs d’ordre et de direction définissent
en effet le contrat de travail. Souvent le préposé sera le salarié.

Les tribunaux vont cependant définir le lien de préposition de manière singulièrement


large, extensive.
Premièrement, la préposition ne suppose pas nécessairement un contrat de travail et le
préposé n’est pas forcément le salarié. La femme a pu être considérée préposée de son
mari, le mari celui de sa femme, le propriétaire d’une automobile qui recourt au service
d’un ami, comme conducteur, devient le commettant de celui-ci s’il lui donne des
instructions précises. La personne chargée par des chauffeurs de taxi de surveiller leurs
véhicules en stationnement et de les pousser à la main pour qu’ils gardent leur place dans
la file a pu être considérée comme préposé de ces chauffeurs. (C.S. Civ., 26-1-1960,
R.A.C.S., T. 1, p. 137).
Un anesthésiste a pu être considéré préposé occasionnel du chirurgien, seul qualifié pour
lui donner des instructions, le contrôler et surveiller l’exécution. (Trib. 1re inst.

28
29

Casablanca, 30-VI-1965, G.T.M., 1965, p. 68).

Deuxièmement et après avoir décidé que la responsabilité du fait du préposé suppose


chez le commettant le droit de donner au préposé des ordres ou des instructions sur la
manière de remplir les fonctions auxquelles il est employé, (Cass. Crim., 12-VII-1946,
R.A.C., T. XIV, p. 220), les tribunaux se sont contentés d’une autorité exercée en fait,
même en dehors de toute relation juridique légitime. Le chef d’une bande de malfaiteurs
a pu être considéré responsable en tant que commettant des dommages causés par des
membres de sa bande. Le droit de donner des ordres n’est pas nécessaire, le fait d’en
donner suffit.

Troisièmement, l’exigence d’une préposition exclut les activités exercées de manière


indépendante de l’application de l’article 85 du DOC. L’exercice des professions
médicales par exemple est en principe incompatible avec la préposition et la
subordination. On constate cependant une évolution en jurisprudence. L’indépendance
professionnelle dont jouit le médecin dans l’exercice de son art n’est pas incompatible
avec sa soumission à une organisation des fonctions permettant la qualification de
relation de travail.

b- Le dommage doit avoir été causé dans l’exercice des fonctions du préposé

Il s’agit là d’une exigence légale. Les commettants sont responsables du dommage causé
par leurs préposés dans les fonctions auxquelles ils les ont employés.
Il y a des situations où l’application de cette règle ne pose pas de problèmes. Un
chauffeur qui, pendant les heures de travail, blesse un piéton avec le véhicule de
l’entreprise, engagera la responsabilité du commettant. Ce même chauffeur qui, pendant
son congé, blesse un piéton avec son propre véhicule, verra engagée sa propre
responsabilité et non celle de son commettant. Il n’y a, disent les tribunaux, aucun lien
de connexité entre l’acte dommageable et la fonction du préposé. (CAR., 21-X-1959,
R.M.D., 1961, p. 401).

Entre ces deux situations extrêmes se situe ce que doctrine et jurisprudence qualifient
d’abus de fonctions ou de détournement de fonctions. La jurisprudence offre de
multiples situations d’abus de fonctions. Le commettant doit-il, par exemple, être déclaré
responsable de l’accident causé à un tiers par l’explosion d’un détonateur dont son

29
30

préposé avait, sans l’en aviser, transporté une caisse à son domicile, estimant que celui-ci
risquait d’être dérobé si elle était laissée dans le chantier de l’entreprise ? Le propriétaire
d’un car est-il civilement responsable de la faute quasi-délictuelle de son préposé qui,
après l’arrivée du car, blesse un voyageur en lançant un colis du haut de l’impériale ? La
responsabilité des commettants s’étend-elle aux dommages résultant de l’abus de
fonction, c’est-à-dire l’acte en vertu duquel le préposé utilise soit ses fonctions elles-
mêmes, soit des moyens mis à sa disposition par le commettant pour l’exercice de ces
fonctions, dans un but étranger à celui qui lui a été fixé par le commettant.

La jurisprudence est quasi-unanime à considérer que la responsabilité des commettants


en raison des actes commis par leurs préposés dans l’exercice de leurs fonctions s’étend à
l’abus desdites fonctions. (Cass. Civ., 13-111- 1936, R.A.C., T. VIII, p. 501.Cass. Crim.,
10-111-1949, RAC., T. XV, p. 371).

Mais la mise en œuvre de ce principe laisse apparaître de nettes divergences. Certains


tribunaux ont une conception extrêmement extensive de l’abus de fonctions. Toutes les
fois que l’acte dommageable peut être rattaché à ses fonctions par une circonstance de
lieu, de temps ou de moyens, la responsabilité du commettant est engagée. Les juges du
fond, qui constatent que les fonctions du prévenu n’étaient pas étrangères à la conduite
du véhicule de son commettant, que les facilités accordées à son préposé pour l’exercice
de ses fonctions de chauffeur lui avaient fourni l’occasion et le moyen d’accomplir l’acte
dommageable, justifient légalement leur décision déclarant le commettant civilement
responsable de son préposé. (C.S., Crim., 2-III-1961, R.A.C.S,. T. II, p. 179).

Dans le même esprit, il a été décidé que la responsabilité du commettant est engagée
quand le préposé abuse de ses fonctions, notamment en matière de délit de contrebande
commis par son préposé avec l’automobile qu’il était chargé de conduire, et il importe
peu que le préposé ait agi à l’insu ou contrairement aux instructions du commettant, ou
pour son compte personnel. (Trib. 1ére Inst. Kenitra, 17-IV-1951, R.M.D., 1952, p. 133-
136; CAR., 13-VII-1951, R.M.D., 1952, p. 133). De même, le propriétaire d’un véhicule
est civilement responsable de l’accident causé par son préposé, conducteur utilisant le
véhicule sur un parcours non prévu par le commettant et transportant, au mépris de
l’interdiction formulée par ce dernier, des passagers à titre onéreux, dès lors que c’est à
l’occasion de ses fonctions et en raison des facilités qu’elles lui procuraient que le
préposé a pu commettre le dommage. (C.S. Crim., 18-11-1960, R.A.C.S., T. 1, p. 219).

D’autres adoptent une conception plus restrictive de l’abus de fonctions. Elles rejettent
plus facilement la connexité entre préposition et abus de fonctions ou écartent la

30
31

responsabilité du commettant quand la victime ne pouvait ignorer qu’elle se trouvait en


présence d’un abus de fonctions.

Il a ainsi été décidé que le commettant ne saurait être déclaré responsable d’un accident
dont a été victime une personne transportée dans un camion lui appartenant et conduit
par son préposé, alors qu’en ayant pris place dans ce camion, qui n’était nullement
agencé pour le transport des voyageurs, cette personne ne pouvait ignorer qu’elle se
trouvait en présence d’un abus commis par le chauffeur dans son service. (CAR., 23-VI-
1959, G.T.M., 1959, n°1257, p. 94).
Les tribunaux écartent de même la responsabilité des commettants lorsque le préposé a
été envisagé par la victime de l’acte dommageable comme ayant agi pour son compte
personnel. (CAR., 27-11-1959, G.T.M., 1959, n° 1251, p. 58).

Les tribunaux exigent parfois une relation de cause à effet entre l’acte dommageable du
préposé et ses fonctions.
Ainsi une personne chargée par des chauffeurs de taxi de surveiller leurs véhicules en
stationnement et de les pousser à la main pour qu’ils gardent leur place dans la file peut
être considérée comme préposée de ces chauffeurs. Mais il n’y a pas de lien de connexité
entre ce rapport de préposition et l’abus de fonction ayant consisté pour cette personne,
non titulaire du permis de conduire, à mettre l’un des taxis en route, à le conduire à une
allure folle tous feux éteints, hors du parc de stationnement, et à renverser un piéton sur
le trottoir. Le chauffeur de ce taxi ne saurait donc être déclaré responsable de l’accident
en qualité de commettant. (C.S. Civ., 26-1-1960, R.A.C.S., T. 1, p. 137). Plus récemment
et confirmant cette tendance, la Cour Suprême exige « une relation de cause à effet »
entre le fait dommageable et les fonctions du préposé. (CS Soc.18-3-1975, RJL, 1977,
n°126, p.20).

2°) Les effets de la responsabilité des commettants

Si ces conditions sont réunies, le commettant, à moins d’un abus de fonctions, ne peut
pas s’exonérer en prouvant qu’il n’a pas commis de faute, qu’il a bien surveillé son
préposé…. Le commettant est présumé responsable et pour écarter sa responsabilité, il
devra prouver que le dommage est dû à un cas de force majeur ou à une faute de la
victime présentant les caractères de la force majeure. Il s’agit d’une présomption de
responsabilité. L’article 85 n’ayant pas prévue, comme il l’a fait pour les parents, de
possibilité d’exonération par la preuve de l’absence de faute ou d’une bonne surveillance
du préposé.

31
32

La responsabilité du commettant n’exclut pas celle du préposé. La victime peut agir


directement contre le préposé sur la base de sa responsabilité du fait personnel qui se
fonde sur une faute prouvée. Si le dommage a été commis par l’utilisation d’une chose, le
préposé ne peut être poursuivi en tant que gardien de cette chose car selon la Cour
Suprême, « les qualités de gardien et de préposé sont incompatibles ». (CS Civ, 26-I-1963,
RMD, 1963, p.408.) Il est admis en jurisprudence que la « préposition implique un lien
de subordination et de dépendance incompatible avec les pouvoirs d’usage, de contrôle
et de direction qui constituent la garde. (CAR, 31-III-1950,RAC, T.XVI, p.236-237).

Pour la Cour d’appel de Rabat, la responsabilité civile du commettant a seulement pour


but de protéger les tiers contre l’insolvabilité de l’auteur du délit ou quasi-délit cause du
dommage, mais non de décharger cet auteur de la responsabilité qui lui incombe et à
laquelle il ne peut se soustraire. (CAR., 21-VI-1960, G.T.M., 1961, n° 1286, p. 27).

Le commettant qui a indemnisé la victime du fait de l’acte dommageable de son préposé


peut se retourner contre ce dernier en exerçant une action récursoire. En jurisprudence
française, depuis un arrêt de la cour de cassation rendue par l’assemblée plénière en 2000
( Arrêt Costedoat, 25/2/2000, JCP, 2000, II.10295, note Billiau), le préposé n’engage
plus sa responsabilité et est ainsi protégé contre l’action de la victime ou le recours du
commettant. Cette solution rompt avec la conception classique d’un commettant garant
de la solvabilité du préposé. Il faut cependant que le préposé ait agi dans les limites de
ses fonctions. S’il en abuse ou s’il commet une faute intentionnelle, il ne mérite plus
protection.

III- LA RESPONSABILITE DES ARTISANS

Les artisans sont responsables du dommage causé par leurs apprentis pendant le temps
qu’ils sont sous leur surveillance.
Cette responsabilité, précise l’article 85, a lieu à moins que artisans, comme pour les
pères et mères, ne prouvent qu’ils n’ont pu empêcher le fait qui donne lieu à cette
responsabilité.

IV- LA RESPONSABILITE DES INSTITUTEURS

Les instituteurs sont responsables du dommage causé par les enfants et jeunes gens
pendant le temps qu’ils sont sous leur surveillance.
Cette responsabilité est prévue à l’article 85 bis du DOC qui substitue la responsabilité
de l’Etat à celle de l’instituteur : « La responsabilité de l’Etat sera substituée à celle de ces

32
33

agents qui ne pourront jamais être mis en cause devant les tribunaux civils par la victime
ou ses représentants ».
Les fautes, imprudences ou négligences invoquées contre eux, comme ayant causé le fait
dommageable, devront être prouvées conformément au droit commun par le demandeur
à l’instance.
L’article 85 bis est applicable “ toutes les fois que, pendant la scolarité ou en dehors de la
scolarité, dans un but d'éducation morale ou physique non interdit par les règlements, les
enfants ou jeunes gens confiés ainsi audits agents se trouveront sous la surveillance de
ces derniers”.

Les accidents dont peuvent être victimes les élèves dans les écoles sont régis par le dahir
du 26-10-1942 relatif à la réparation des accidents survenus aux élèves des établissements
scolaires publics. L’Etat assume une responsabilité de plein droit, uniquement
conditionnée par la survenance du fait dommageable au sein de l’établissement scolaire.
La victime, si tel est son intérêt, peut toujours agir sur la base du droit commun de la
responsabilité civile, en l’occurrence l’article 85 du DOC qui fonde la responsabilité sur
la faute prouvée de l’établissement (CS, 26 mai 1994, Arrêts de la cour suprême, 1958-
1996, Publications de la Cour Suprême, 1997, p.229).

La jurisprudence française a largement interprété les conditions d’application de la


responsabilité des enseignants édictée à l’article 1384 du Code civil. Cette responsabilité
ne concerne pas uniquement les instituteurs mais d’une manière générale tous les
membres de l’enseignement secondaire voire supérieur lorsqu’ils ont une obligation de
surveillance. Cette responsabilité joue également non seulement pendant la période
scolaire, mais également si l’enfant est sous la surveillance de l’instituteur pendant une
période de vacances ou de sortie.
Dans les établissements privés, les membres de l’enseignement sont soumis au droit
commun de la responsabilité.

§3 -La responsabilité du fait des choses

Selon l’article 88 du DOC, « chacun doit répondre du dommage cause par les choses
qu’il a sous sa garde, lorsqu’il est justifié que ces choses sont la cause directe du
dommage, s’il ne démontre :
1- Qu’il a fait tout ce qui était nécessaire afin d’empêcher le dommage ;
2- Et que le dommage dépend, soit d’un cas fortuit, soit d’une force majeure, soit de la
faute de celui qui en est victime. »
L’article 1384, al 1er du code civil qui a inspiré l’article 88 du DOC, ne faisait

33
34

qu’annoncer les régimes particuliers prévus aux articles article 1386 (89 du DOC)
(écroulement ou ruine partielle d’un édifice) et article 1385 (86 du DOC) (fait des
animaux).

La victime d’un dommage résultant de l’explosion d’une machine (une chose) ou d’un
accident d’automobile devait prouver une faute à l’origine du dommage pour obtenir
réparation. Dans cet esprit, il avait été décidé que « la faute restait la première source de
la responsabilité civile et dans ce cas c’est l’article 78 du DOC qui s’applique. Seul un
rôle subsidiaire est dévolu à l’idée de risque qui découle de l’article 88 du DOC ».
( Trib.paix, Casablanca, 17-IV-1931, GTM, 1931, n°451, p.173).

La doctrine (Saleilles et Josserand) eut alors l’idée d’ériger en principe général de


responsabilité du fait des choses. Ce principe allait avoir un essor considérable tout au
long du XXème siècle comme on peut le constater à travers l’analyse des conditions de
la responsabilité du fait des choses : l’intervention d’une chose(A), le caractère causal de
cette intervention dans la production du dommage (B) et un gardien de la chose (C). Il
sera alors plus utile de présenter les causes d’exonération du gardien (D).

A - Une chose

Il s’agit en principe de toute chose. L’article 88 s’applique aussi bien aux meubles qu’aux
immeubles. Pendant un temps, les tribunaux ont considéré que « la responsabilité du
propriétaire de la chose, telle qu’elle est établie par l’article 88 du D.O.C., ne saurait être
étendue aux immeubles ». (CAR., 5-XI-1924, G.T.M., 1924, n° 150, p. 339). (CAR., 28-
XI-1936, G.T.M., 1937, n° 714, p. 45). (CAR., 14-1-1944, R.A.C., T. XII, p. 369). Ils en
ont notamment déduit que « le propriétaire d’un immeuble, dans lequel un incendie a
éclaté, n’est pas responsable du préjudice causé aux immeubles voisins par le sinistre, s’il
n’est pas établi que ce sinistre est la conséquence directe d’une faute à lui imputable. »

Un revirement s’opère en 1945 lorsque le tribunal de première instance de Casablanca


décide que « la présomption de responsabilité édictée par l’article 88 du D.O.C. concerne
aussi bien les meubles que les immeubles dont on a la garde. (Trib. 1re inst. Casablanca,
9-IV-1945, G.T.M., 1945, n° 961, p.85). Ce revirement a par la suite été confirmé et
permis aux tribunaux de décider que « la généralité de l’expression de l’article 88 du
D.O.C. n’autorise aucune distinction entre les meubles et les immeubles. La
responsabilité du fait des choses dont a la garde s’entend aussi bien des choses
mobilières que des choses immobilières ». (CAR., 30-IV-1952, R.M.D., 1953, p. 413-419,
note H. de La Massue). Les termes de l’article 88 du D.O.C. dira la Cour d’appel un an

34
35

après, « sont d’une généralité absolue. Il n’y a donc pas lieu de faire une distinction entre
les choses mobilières et les choses immobilières. » (CAR, 17-XI-1953, RMD, 1956, p.172,
note Gayral). (CAR., 30-V-1958, G.T.M., 1958, n° 1235, p. 82; R.M.D., 1958, p. 419-420;
R.A.C, T.XX, p. 71).

Contrairement à la jurisprudence antérieure à 1945 en matière d’incendie d’immeuble, il


a pu alors être jugé que « s’il est constant que le feu a pris naissance sur un fonds et s’est
communiqué à un autre fonds, le propriétaire du premier fonds devra, pour se décharger
de la présomption de responsabilité pesant sur lui, prouver que le dommage causé à son
voisin est dû à un cas de force majeure ou à la faute de celui-ci et qu’il a fait en outre tout
ce qui était en son pouvoir pour l’éviter. » (CAR., 17-XI-1953, R.M.D., 1956, p. 172,
note M. Gayral).

La présomption de responsabilité pèse donc sur le gardien de la chose, meuble ou


immeuble, à la seule condition, en cas d’immeuble, que l’article 89 ne soit pas applicable,
c’est-à-dire que le dommage ne provienne pas de l’écroulement ou de la ruine partielle
d’un édifice ou autre construction.

En décidant que les termes de l’article 88 sont d’une généralité absolue, la jurisprudence
permet d’écarter d’autres distinctions proposées par la doctrine. Cette dernière a en effet
pu soutenir que la responsabilité du fait des choses ne pouvait s’appliquer qu’aux choses
atteintes d’un vice propre ayant causé le dommage, aux choses non actionnées par la
main de l’homme et aux choses en mouvement (contrairement aux choses inertes). Cette
jurisprudence n’autorise pas enfin à distinguer les choses dangereuses des choses non
dangereuses.

B- Le fait de la chose

Pour que la responsabilité du gardien soit engagée, il faut que la chose soit
matériellement intervenue dans la réalisation du dommage. Les tribunaux parlent parfois
de « participation matérielle de la chose au dommage » (CAR, 4-X-1940, RAC, T.X,
p.533). Il n’est pas nécessaire pour cela qu’il y ait eu contact matériel entre la chose et la
victime du dommage. Si l’article 88 du D.O.C. n’exige pas la matérialité du contact,
encore faut-il que la chose ait participé au dommage, c’est-à-dire que le rapport de
causalité entre les faits allégués et le dommage définitif ait joué la condition nécessaire. II
ne suffit donc pas, pour que la responsabilité du gardien soit engagée, que la chose ait pu
ou ait exercé une influence psychologique sur la victime au moment de l’accident. (CAR,
22-VI-1956, R.M.D., 1956, p.364). Le fait de la chose exprime ainsi l’exigence d’un

35
36

rapport de causalité reliant la chose au dommage .

La chose doit encore en effet avoir joué un rôle actif dans la production du dommage.
Une chose en mouvement est supposée avoir joué un rôle actif. Lorsque la chose est
inerte cette supposition tombe et il appartient alors à la victime de prouver qu’elle a joué
un rôle actif, qu’elle n’était pas dans une situation normale. Certaines décisions de
jurisprudence française ont cependant admis que « la chose inerte peut jouer un rôle actif
du simple fait qu’elle a été l’instrument du dommage ». (Civ .2éme, 18 sept.2003, JCP
2004, II, 10013, note C. Le Tertre.)

C- La garde de la chose

L’article 88 du DOC ne définit pas la notion de garde. C’est la jurisprudence qui s’en est
chargée en procédant à la détermination du gardien et en en tirant un certain nombre de
conséquences.

Dans un arrêt célèbre (arrêt Franck), la cour de cassation française décide, dans un
affaire où un voleur s’était emparé d’une voiture et avait écrasé un piéton, que le
propriétaire « privé de l’usage, de la direction et du contrôle de sa voiture, n’en avait plus
la garde » ( Arrêt Franck, Ch.réunies, 2 déc .1941, DC, 1942,25, note G .Ripert). La garde
était ainsi définie et le gardien celui qui avait la maîtrise de la chose. Cette théorie se
fonde sur la théorie de la garde matérielle. La théorie de la garde juridique aurait conduit
à considérer que le propriétaire reste gardien « tant qu’il ne s’est pas volontairement
dessaisi de la chose».

La jurisprudence marocaine est allée dans le même sens. En 1965, la Cour Suprême
considère que le gardien d’une chose est celui qui a sur elle les pouvoirs d’usage, de
direction et de contrôle. (C.S, Civ 2-XI-1965, R.AC, S T, Il, p, 283-284). Elle confirme
les juridictions de fond qui avaient adopté la même définition et en avaient tiré un certain
nombre de conséquences. Le tribunal de première instance de Casablanca avait ainsi en
1961, ( G.T.M.,1961, n° 1300, p. 112) décidé que la responsabilité pèse en premier lieu
sur le propriétaire qui est réputé gardien à moins qu’il ne prouve qu’au moment où s’est
produit le fait dommageable il en avait perdu la garde de sa chose, soit parce que celle-ci
lui avait été indûment soustraite, soit parce qu’il l’avait confiée pour un usage
entièrement libre à une personne tenue de l’utiliser aussi raisonnablement que lui-même.
Mais cette responsabilité doit jouer dans toute sa rigueur si le propriétaire de la chose,
tenu d’exercer sur elle un contrôle permanent et de veiller à ce qu’elle ne cause pas
d’accident, ne prouve pas ni n’offre de prouver qu’il avait délégué à un tiers l’usage, la

36
37

direction et le contrôle de sa chose, ou qu’il avait été dépossédé de ces mêmes pouvoirs
par l’effet d’un vol.

La présomption de responsabilité édictée à l’encontre du gardien d’une chose qui a causé


un dommage est fondée sur l’obligation de garde corrélative aux pouvoirs d’usage, de
direction et de contrôle qui caractérisent le gardien. Celui qui a reçu une chose à titre de
locataire, et en est ainsi devenu le nouveau gardien, en assume donc, vis-à-vis des tiers,
tous les risques dommageables, même ceux qui proviennent des pièces de cette chose,
sauf recours contre celui dont il la tient. C’est ainsi que, dans le cas de location d’une
voiture, le locataire ne peut, en cas d’accident causé par ce véhicule, se décharger de la
présomption de responsabilité de l’article 88 du D.O.C. qui pèse sur lui en sa qualité de
gardien, sous le prétexte que seuls les défauts dudit véhicule auraient été la cause de cet
accident. (Cass. Civ., 11-VI-1953, G.T.M.1953, n°1137, p. 167; R.M.D., 1955, p. 70-73,
note R. Rodiére ; R.A.C., T.XVII, p. 515-516).

Il a de même été décidé que la responsabilité du gardien juridique d’un scooter, cause
d’un accident, ne saurait incomber au propriétaire, puisqu’il avait perdu, en prêtant
l’engin à sa fiancée, alors que lui-même était rappelé sous les drapeaux, le pouvoir d’user
de la chose, de la surveiller et de la contrôler. (Trib. Paix Kenitra, 18-111-1957, R.M.D.,
1958, p. 84-92, note M. Sumien).
Lorsque le propriétaire d’un véhicule a cédé à un tiers la garde de la chose, il ne peut plus
être considéré comme responsable. (Trib. 1re inst. Casablanca, 11-11-1962, R.M.D.,
1962, p. 752).
La non délivrance de la carte grise par le vendeur à l’acheteur n’empêche pas ce dernier
de devenir gardien dès la livraison, dès lors qu’il a un pouvoir de commandement et de
contrôle sur le véhicule. (CAR . 16-11-1960, R.M.D., 1961, p. 129). En cas de vente d’un
véhicule, l’acquéreur a la qualité de gardien et engage sa responsabilité avant même
l’accomplissement des formalités de cession. (CS Crim, 14-12-1980, JCS, n°28, p.222).

La garde cependant ne peut porter que sur une chose sur laquelle on peut exercer les
pouvoirs d’usage, de direction et de contrôle. Les alpinistes n’ont pas été considérés
gardien des pierres qui tombent sur leur passage (Civ 2ème, 24 avril 2003, D.2003, IR,
1340.)

La garde est en principe alternative et non cumulative. La chose ne peut avoir qu’un seul
gardien. Quand le propriétaire loue une chose lui appartenant, c’est le locataire et lui seul
qui en devient gardien.

37
38

Une difficulté peut surgir quand des personnes différentes ont un pouvoir d’usage, de
direction et de contrôle sur divers éléments de la chose. En déchargeant des bouteilles de
gaz, une d’entre elles explose et blesse un salarié du transporteur. Si l’accident a pour
origine une mauvaise manipulation des bonbonnes de gaz, une mauvaise disposition qui
a permis l’explosion, c’est le gardien du comportement - en l’occurrence le transporteur -
qui est responsable. Si la bouteille a explosé par suite d’un vice de fabrication, c’est le
propriétaire gardien de la structure qui est responsable et non le transporteur. C’est la
distinction entre la garde de la structure et la garde du comportement. La distinction
paraît juste, il n’y a pas de raison que le gardien du comportement soit responsable pour
un vice de la chose auquel il est étranger.

Une difficulté peut également surgir en cas d’exercice en commun d’une activité ayant
causé un préjudice. (des joueurs, des chasseurs….) Selon l’article 99 du DOC « si le
dommage est causé par plusieurs personnes agissant de concert, chacune d’elles est tenue
solidairement des conséquences, sans distinguer si elles ont agit comme instigateurs,
complices ou auteurs principaux. » La règle établie en l’article 99 s’applique au cas où,
entre plusieurs personnes qui doivent répondre d’un dommage, il n’est pas possible de
déterminer celle qui en est réellement l’auteur, ou la proportion dans laquelle elles ont
contribué au dommage. Celui qui a indemnisé conservant un recours pour moitié contre
l’auteur .(Civ.2ème, 24 janv.1996, Bull Civ, II, n°7).

Enfin le gardien doit avoir une certaine indépendance. La qualité de gardien est
incompatible avec celle de proposé. Il est admis en jurisprudence que la « préposition
implique un lien de subordination et de dépendance incompatible avec les pouvoirs
d’usage, de contrôle et de direction qui constituent le gardien (CAR, 31-III-1950, RAC,
T.XVI, p.236-237).

D - Les causes d’exonération de la responsabilité du fait des choses.

L’article 88 du DOC énonce clairement que chacun doit répondre du dommage cause
par les choses qu’il a sous sa garde, lorsqu’il est justifié que ces choses sont la cause
directe du dommage, s’il ne démontre :
1- Qu’il a fait tout ce qui était nécessaire afin d’empêcher le dommage ;
2- Et que le dommage dépend, soit d’un cas fortuit, soit d’une force majeure, soit de la
faute de celui qui en est victime.

La preuve de l’absence de faute du gardien ne suffit pas à l’exonérer, à le libérer de sa


responsabilité. Même s’il a fait « tout ce qui était nécessaire afin d’empêcher le dommage

38
39

», c’est-à-dire qu’il s’est comporté comme il aurait dû le faire, sa responsabilité reste


engagée. Le gardien doit en outre prouver que « le dommage dépend, soit d’un cas
fortuit, soit d’une force majeure, soit de la faute de celui qui en est victime ». Pour la
Cour suprême, l’article 88 crée une présomption de responsabilité à la charge du gardien
qui lui impose, pour s’en décharger l’obligation de prouver, outre que le dommage
dépend d’une cause étrangère, qu’il a fait tout ce qui était nécessaire pour l’empêcher.
(CS.Civ, 25-II-1965, GTM, 1965, p.53).
La présomption de responsabilité édictée par l’article 88 du D.O.C. à l’encontre de celui
qui a sous sa garde la chose inanimée qui a causé un dommage, est détruite par la preuve
d’un cas de force majeure ou d’une cause étrangère non imputable au gardien. Le cas
fortuit ou la force majeure, pour exonérer le gardien de la chose de la présomption de
responsabilité pesant sur lui, doit consister en un événement qu’on ne peut prévoir et
dont on ne peut empêcher les effets.(CAR, 29-VII-1955, RAC,T XVIII, p.217) Le fait
d’avoir été ébloui par les phares d’une autre automobile, venant en sens inverse, est un
fait prévisible et non un cas fortuit ou de force majeure. (CAR., 14-111-1930, R.L.J.M.,
1932, p. 77).

Le gardien de la chose s’exonère de la présomption de responsabilité en rapportant la


double preuve que le dommage provient de la faute de la victime ou d’un cas fortuit ou
de force majeure et qu’il a fait tout le nécessaire pour éviter le dommage qu’ainsi, la faute
du tiers n’emporte exonération que si elle présente les caractères de la force majeure ou
du cas fortuit. (C.S. Civ., 2-XII-1959, R.M.D., 1961, p. 154).

La faute de la victime n’exonère totalement le gardien que si, imprévisible et inévitable,


elle a été la cause exclusive du dommage. Tant que ce caractère imprévisible et inévitable
n’est pas démontré, le gardien ne peut prétendre qu’à un partage de responsabilité.
(CAR., 31-111-1950, R.A.C., T. XVI, p.236).

L’évènement ne peut être considéré cause étrangère que s’il est extérieur au gardien lui-
même. Le gardien reste donc responsable lorsque le dommage est dû à un vice de la
chose. La rupture d’un câble de commande des freins d’un véhicule automobile ne
saurait être considérée comme un cas fortuit ou de force majeure, le gardien de ce
véhicule ayant l’obligation de s’en prémunir en faisant procéder à toutes vérifications
utiles. Doit donc être accueillie l’action en réparation du préjudice causé à la victime d’un
accident survenu à la suite de la rupture d’un câble de commande des freins. (CAR., 3-
XI-1932, R.A.C., T. VII, p.30).

Les tribunaux apprécient la notion de force majeure et de cause étrangère avec une

39
40

certaine rigueur. La rupture d’un câble de frein, le fait d’avoir été ébloui par les phares
d’une voiture venant en sens inverse, la chute de la foudre, l’orage n’ont pas été
considérés cas de force majeure. Il a par contre été jugé que l’accident provoqué par un
enfant de cinq ans qui, jouant sans surveillance sur la route, fait brusquement irruption
sur la chaussée au moment où arrive le véhicule est dû à la faute exclusive et imprévisible
de la victime, (Trib. 1ère Inst. Casablanca, 31-X-1958, G.T.M., 1959, n°1250, p. 54).

Si le dommage provient d’une cause étrangère qui n’est pas imputable au gardien, par
définition imprévisible et insurmontable, pourquoi faut-il encore exiger qu’il prouve qu’il
a fait a fait tout ce qui était nécessaire afin d’empêcher le dommage ? Prouver la force
majeure n’est–il la preuve que la gardien n’est pas en faute. ?

La cause étrangère est un événement imprévisible et irrésistible que l’on n’a pas pu
prévoir et auquel on ne peut résister, dont on ne peut éviter les effets. Le gardien a été
mis dans l’impossibilité d’éviter le dommage. En maintes occasions, le DOC fait état
d’une force majeure ou un cas fortuit « non imputable à leur faute » …. La preuve de
l’absence de faute n’étant pas exonératoire, l’article 88 ne repose pas sur une
présomption de faute mais bien sur une présomption de responsabilité.

SECTION 2 : LES REGIMES SPECIAUX DE RESPONSABILITE

Certains régimes spéciaux de responsabilité sont consacrés par le DOC (§1), d’autres par
des textes particuliers (§2).

§1- Les régimes spéciaux prévus par le DOC : la responsabilité du fait des
animaux et la responsabilité du fait de la ruine d’un bâtiment

A- la responsabilité du fait des animaux

En vertu de l’article 86 du DOC, chacun doit répondre du dommage causé par l’animal
qu’il a sous sa garde, même si ce dernier s’est égaré ou échappé, s’il ne prouve :
1- Qu’il a pris les précautions nécessaires pour l’empêcher de nuire ou pour le surveiller ;
2- Ou que l’accident provient d’un cas fortuit ou de force majeure, ou de la faute de celui
qui en a été victime.

Ce texte fait peser sur le gardien de l’animal une présomption de faute puisqu’il peut se

40
41

libérer en prouvant qu’il a pris les précautions nécessaires pour l’empêcher de nuire ou
pour le surveiller, c’est-à-dire qu’il n’a pas commis de faute. L’article 86 fait peser sur le
gardien de l’animal une présomption de faute. Il n’existe cependant aucune
responsabilité s’il est prouvé que l’on a pris les précautions nécessaires pour empêcher le
dommage ou que la victime a commis une faute. La responsabilité doit être partagée s’il
y a eu fautes réciproques. (Trib. 1ère inst. Rabat, 24-1-1925, G.T.M., 1925, n° 175, p.
157).

Cette règle se distingue de celle de l’article 1385 du code civil français qui fait peser sur le
propriétaire de l’animal une présomption de responsabilité. Le propriétaire ne pouvant se
libérer qu’en prouvant la cause étrangère. Influencé plus par l’article 1385 du code civil
que par l’article 86 du DOC, les tribunaux ont pu, par moments, faire peser sur le
gardien de l’animal une présomption de responsabilité. (C.A.R., 20-XI-1945, G.T.M.,
1940, n° 985, p. 150; R.A.C., T.XIII, p. 150). Il a en effet été décidé que le propriétaire
d’un animal est responsable, aux termes de l’article 86 du D.O.C., du dommage causé par
cet animal. Il ne saurait se décharger de la présomption de faute existant à son encontre
qu’en prouvant la faute de la victime, la force majeure ou le cas fortuit. (Trib. 1ère Inst.
Fès, 25-XI-1931, G.T.M., 1932, n° 480, p. 45. CAR., 18-IV-1939, R.A.C., T. X, p. 182).
Dans le même esprit, il a été jugé que l’animal domestique qui a blessé, indirectement, un
laboureur engage la responsabilité civile de son propriétaire qui en est « le gardien », au
sens de l’alinéa 1er de l’article 86 du D.O.C., si celui-ci ne prouve que l’accident provient
d’un cas fortuit ou de la faute de la victime. (CAR, 14-11-1946, R.A.C., T. XIII, p. 442;
G.T.M 1940, n° 979, p. 109).

Le propriétaire peut se décharger de la responsabilité si la maîtrise de l’animal a été


confiée à une autre personne. Car si aux termes de l’article 86 du D.O.C. chacun doit
répondre du dommage causé par l’animal qu’il a sous sa garde, « encore faut-il que la
personne recherchée en responsabilité ait eu, au moment où le dommage a été causé,
l’usage personnel de l’animal, c’est-à-dire, qu’elle en ait été la détentrice et qu’elle ait eu
sur lui un pouvoir de direction ». (CAR., 5-1-1960, G.T.M., 1960, n° 1271, p. 5T ;
R.M.D., 1960, p, 423).

Les juges à qui est soumise une demande de dommages-intérêts, fondée sur « la
présomption de responsabilité de l’article 86 du D.O.C. », doivent rechercher qui, de la
victime ou du propriétaire, avait la garde juridique de la chose ayant causé le dommage.
Le gardien de la chose n’est pas en effet nécessairement son propriétaire. Spécialement,
le chef de culture qui fait le tour de la propriété agricole de son patron, en montant un
cheval docile, dont il a d’habitude la libre disposition, doit en être considéré comme le

41
42

seul gardien, alors surtout qu’il exerce ses fonctions dans la propriété, sans être sous la
dépendance de son patron. Dès lors, celui-ci n’est pas responsable de l’accident survenu
à son préposé, alors surtout que le dommage causé n’est pas dû au comportement de
l’animal, mais seulement à la chute de la victime sur le sol. (C.A.R., 20-XI-1945, G.T.M.,
1940, n°985, p. 150; R.A.C., T. XIII, p. 150).

B- La responsabilité du fait de la ruine d’un bâtiment.

Aux termes de l’article 89 du DOC, le propriétaire d’un édifice ou autre construction est
responsable du dommage causé par son écroulement ou par sa ruine partielle, lorsque
l’un ou l’autre est arrivé par suite de vétusté, par défaut d’entretien, ou par le vice de la
construction. La même règle s’applique au cas de chute de ruine partielle de ce qui fait
partie d’un immeuble comme les arbres, les machines incorporées à l’édifice et autres
accessoires réputés immeubles par destination. Cette responsabilité pèse sur le
propriétaire de la superficie, lorsque la propriété de celle-ci est séparée de celle du sol.

Lorsqu’un autre que le propriétaire est tenu de pouvoir à l’entretien de l’édifice, soit en
vertu d’un contrat, soit en vertu d’un usufruit ou autre droit réel, c’est cette personne qui
est responsable.

Lorsqu’il y a litige sur la propriété, la responsabilité incombe au possesseur actuel de


l’héritage.

Certaines décisions judiciaires anciennes avaient considéré que ce texte établissait une
présomption de faute à la charge du propriétaire, ce dernier pouvant donc se décharger
de sa responsabilité en prouvant qu’il n’a pas commis de faute. (CAR., 5-XI-1924, R.A.C.,
1925, T. III, p. 87 ; CAR., 28-XI-1936, R.A.C., T. IX, p. 201). La dite présomption
n’étant d’ailleurs opposable qu’au propriétaire de l’immeuble ou à celui qui a la charge de
son entretien. (CAR., 5-XI-1924, R.A.C., 1925, T. III, p. 87). D’autres y avaient vu une
responsabilité de plein droit. (CAR., 28-XI-1936, R.A.C., T. IX, p. 201).

Les tribunaux ont par ailleurs veillé à ne pas élargir le champ d’application de ce texte. La
responsabilité du fait des immeubles est réglée par l’article 89 du D.OC., lequel n’établit
une présomption de faute que pour les cas expressément déterminés où le dommage,
provenant du fait d’un immeuble, est dû à l’écroulement ou à la ruine partielle et lorsque
l’un ou l’autre de ces événements est arrivé par suite de vétusté, par défaut d’entretien ou
par le vice de construction, ladite présomption étant opposable au propriétaire de
l’immeuble ou à celui qui a la charge de son entretien. Pour la cour d’appel de Rabat,

42
43

c’est étendre de façon arbitraire le champ d’application de l’article 89 du D.O.C que de


prétendre y faire entrer les rochers qui, s’élevant au-dessus du sol, constituent une
menace pour les personnes qui passent ou qui travaillent au-dessous. La chute de ces
rochers ne saurait donner lieu à l’application de l’article 89, c’est-à-dire à une
responsabilité de plein droit fondée sur le défaut d’entretien ou le vice propre, car l’idée
d’entretien, comme celle de construction, suppose un ouvrage de l’homme. (CAR., 28-
XI-1936, R.A.C., T. IX, p. 201). Voir aussi CAR., 5-XI-1924, R.A.C., 1925, T. III, p. 87) ;
CAR . 14-1-1944, G.T.M., 1944, n° 949, p. 48).

La responsabilité du propriétaire, quasi délictuelle, entrant dans le cadre de l’article 89,


vise aussi bien les dommages causés au locataire que ceux causés aux tiers. (CAR., 5-XI-
1937, R.A.C., T. IX, p. 404; G.T.M., 1938, n° 759, p. 35). Les tribunaux ne peuvent
donner acte d’une convention par laquelle le locataire décharge le propriétaire de toute
responsabilité en cas d’écroulement de l’immeuble loué, cette convention ne pouvant
engager aucune des parties dans leurs rapports personnels et dans leurs rapports avec les
tiers. (CAR., 16-XI-1949, RAC., T. XVI, p. 39).

§2- les régimes spéciaux prévus par des textes particuliers

A - L’indemnisation des victimes d’accidents de circulation

Le dahir portant loi n° 1-84-177 du 2.10.1984 fixe les limites, les bases et la procédure
relatives à l’indemnisation des victimes d’accidents causés par des véhicules terrestres à
moteur.

Le texte fixe les modalités d’indemnisation des dommages corporels causés à des tiers
par un véhicule terrestre à moteur soumis à l’obligation d’assurance. Il s’agit non pas
d’une remise en cause des principes de la responsabilité civile mais d’une barémisation
des indemnités, jusque-là laissés à l’appréciation souveraine des juridictions. Ce régime –
régi par un texte particulier- se rattache cependant plus aux aspects liés à la réparation du
dommage.

Outre le remboursement des frais et dépenses, l’indemnisation due à la victime


compense :

43
44

a) en cas d’incapacité temporaire de travail : la perte du salaire ou des gains


professionnels qui en résulte, compte tenu de la part de responsabilité imputable à
l’auteur de l’accident ou au civilement responsable ;
b) en cas d’incapacité physique permanente : la perte du salaire ou des gains
professionnels qui en résulte pour la victime ainsi que les dommages causés à son
intégrité physique et, le cas échéant, les préjudices suivants : recours à une tierce
personne, changement total de profession, conséquences défavorables de carrière,
interruption définitive ou quasi définitive de scolarité, préjudice esthétique et pretium
doloris.

En cas de décès de la victime des suites de l’accident, les personnes envers lesquelles elle
était tenue à une obligation alimentaire en vertu des règles de son statut personnel ainsi
que toute autre personne aux besoins de laquelle elle subvenait ont droit à la
compensation de la perte des ressources qu’elles ont subie du fait de sa mort.

Le conjoint de la victime décédée et ses ascendants et descendants au premier degré ont


seuls droit à la réparation du préjudice d’affection dans les limites fixées par le dahir.

L’indemnisation de la victime pour incapacité physique permanente comporte une


indemnité principale déterminée en fonction des éléments suivants:
1- le capital de référence, tel que fixé dans le tableau annexé au dahir portant loi, compte
tenu de l’âge de la victime au moment de l’accident et de son salaire ou de ses gains
professionnels;
2- le taux d’incapacité de la victime fixé, par le médecin-expert, par référence au «
barème fonctionnel des incapacités » établi par voie réglementaire.
3- la part de responsabilité imputable à l’auteur de l’accident ou au civilement
responsable.

L’indemnisation due aux ayants droit de la victime pour perte de ressources du fait du
décès de cette dernière est répartie entre eux, conformément à des pourcentages prévus
par la loi appliqués au capital de référence de la victime, et en prenant en considération la
part de responsabilité imputable à l’auteur de l’accident ou au civilement responsable.
Les dispositions du dahir ne sont pas applicables à la réparation des dommages matériels
qu’ils soient causés au véhicule ou à tous autres biens se trouvant à l’intérieur ou à
l’extérieur de ce dernier.

B- La loi du 12 mai 2003 relative à la protection et à la mise en valeur de


l’environnement

44
45

Cette loi a notamment pour objet de « mettre en place un régime spécifique de


responsabilité garantissant la réparation des dommages causés à l’environnement et
l’indemnisation des victimes » (Article 1).
Selon son article 63 « Est responsable, même en cas d’absence de preuve de faute, toute
personne physique ou morale stockant, transportant ou utilisant des hydrocarbures ou
des substances nocives et dangereuses, ou tout exploitant d’une installation classée, telle
que définie par les textes pris en application de la présente loi, ayant causé un dommage
corporel ou matériel directement ou indirectement lié à l’exercice des activités
susmentionnées. » Il s’agit d’une responsabilité objective, sans faute.

La personne à qui incombe la réparation dudit préjudice, aux termes de l’article 63, peut
cependant demander de limiter sa responsabilité à un montant global par incident. Ce
montant est fixé par voie réglementaire.
Pour bénéficier de cette limitation de responsabilité, la personne à qui incombe la
réparation du préjudice doit déposer, auprès du tribunal où l’action est engagée, une
caution dont le montant égale la limite de sa responsabilité. Cette caution peut être
constituée soit par le dépôt d’une somme, soit par la présentation d’une garantie bancaire
ou de toute autre garantie admise par la législation en vigueur. La personne visée a
l’article 63 de la loi n’est pas fondée à se prévaloir d’une limitation de responsabilité si
l’incident est causé par sa faute. L’administration peut imposer à tout auteur d’une
infraction, ayant eu pour conséquence une dégradation de l’environnement, de remettre
en l’état l’environnement lorsque cette remise en l’état est possible.

C- La loi 12/02 du 7 Janvier 2005 relative à la responsabilité civile en matière de


dommages nucléaires

Cette loi a pour objectif d’assurer la réparation civile des dommages que pourraient
causer certaines utilisations pacifiques de l’énergie nucléaire, conformément aux
dispositions de la convention de Vienne relative à la responsabilité civile en matière de
dommages nucléaires.
Aucune personne autre que l’exploitant d’une installation nucléaire n’est responsable
d’un dommage nucléaire.

L’exploitant est réputé responsable de tout dommage nucléaire causé par un accident
nucléaire survenu dans cette installation nucléaire.
Lorsqu’un dommage nucléaire engage la responsabilité de plusieurs exploitants
d’installation nucléaire, et s’il n’est pas possible de déterminer avec certitude quelle est la

45
46

part du dommage attribuable à chacun d’eux, ils en sont conjointement et solidairement


responsables, chacun d’eux à concurrence du montant de leur responsabilité tel que
prévu à l’article 22 de loi.

La loi opte pour un système de responsabilité objectif mais la faute conserve une place.
En effet si l’exploitant d’une installation nucléaire prouve que le dommage nucléaire
résulte, en totalité ou en partie, d’une négligence grave de la personne qui l’a subie ou
que cette personne a agi ou omis d’agir dans l’intention de causer un dommage, le
tribunal compétent peut dégager l’exploitant, totalement ou partiellement, de son
obligation de réparer le dommage subi par cette personne.

Tout exploitant d’une installation nucléaire est tenu d’avoir et de maintenir une
assurance ou une autre garantie financière à concurrence, par accident, du montant de sa
responsabilité civile tel que prévu à l’article 22 de la loi.

Les personnes ayant droit à réparation d’un dommage nucléaire en vertu de la cette loi
peuvent, à leur choix, intenter une action en réparation soit contre l’exploitant
responsable, soit directement contre l’assureur ou contre toute autre personne
fournissant une garantie financière en vertu de l’article 19 de la dite loi.

D- La loi 24-09 du 17 août 2011 relative à la sécurité des produits et des services

Cette loi a pour objet d’établir les exigences que les produits et services mis à disposition,
fournis ou utilisés sur le marché doivent respecter en précisant les obligations mises à la
charge des différents responsables de la mise à disposition sur le marché des produits et
services (producteurs, importateurs, distributeurs) et de compléter le DOC par un
chapitre sur la responsabilité civile du fait des produits défectueux.
Ce chapitre, qui fixe le régime de cette responsabilité, a été maladroitement rattaché par
la loi à l’article 106 du DOC qui ne concerne que la question de la prescription de
l’action en indemnité.
Désormais, l’article 106-1 du DOC tel que complété par la loi 24/09 pose le principe que
le producteur est responsable du dommage causé par un défaut de son produit. Il y a là
une présomption de responsabilité qui pèse sur le producteur. Pour obtenir réparation, la
victime est tenue, selon l’article 106-7 d’apporter la preuve du dommage qui lui a été
causé par le produit défectueux. Elle n’a pas à prouver une faute du producteur. Ce
dernier engage sa responsabilité même si le produit a été fabriqué dans le respect des

46
47

règles de l’art ou de normes existantes ou qu’il a fait l’objet d’une autorisation


administrative. Les cas dans lesquels le producteur peut s’exonérer sont limitativement
fixés par la loi :
- le producteur prouve qu’il n’a pas mis le produit à disposition sur le marché ;
- le défaut qui a causé le dommage n’existait pas au moment où le produit a été mis en
circulation ou que ce défaut est né postérieurement ;
-le produit n’a été ni fabriqué en vue de la vente ou de toute autre forme de distribution
à des fins commerciales, ni fabriqué ou distribué dans le cadre de son activité
commerciale ;
- le défaut est dû à la conformité du produit avec des règles obligatoires émanant des
pouvoirs publics, ou que le défaut ne pouvait être décelé dans l’état des connaissances
scientifiques et techniques au moment de la mise à disposition du produit sur le marché.

L’idée de faute n’est cependant totalement absente. La responsabilité du producteur peut


en effet être réduit ou supprimée lorsque le dommage est causé conjointement par un
défaut du produit et par la faute de la victime ou d’une personne dont la victime est
responsable.

La responsabilité du producteur ne peut être réduite ou écartée par une clause limitative
ou exonératoire de responsabilité.

47
48

CHAPITRE 2
LE DOMMAGE

SECTION 1 : LES CATEGORIES DE DOMMAGES

Le dommage ou préjudice est une condition essentielle de la responsabilité civile dont la


finalité est la réparation. Même si la faute est établie, l’auteur ne verra pas sa
responsabilité civile engagée s’il n’a pas causé de dommage : cas de l’automobiliste qui
commet un excès de vitesse sans causer d’accident. Le préjudice établi doit être à la base
de toute action de dommages intérêts (CAR, 11-2-1961, RAC T.XXI, p.135) Cela
distingue la responsabilité civile de la responsabilité pénale.
Le DOC définit ce qu’il faut entendre par dommage et permet de distinguer le dommage
matériel et le dommage moral. (Articles 77 et 78).

48
49

Aux termes de l’article 98 du DOC, les dommages, dans le cas de délit ou de quasi-délit,
sont la perte effective éprouvée par le demandeur, les dépenses nécessaires qu’il a dû ou
devrait faire afin de réparer les suite de l’acte commis à son préjudice, ainsi que les gains
dont il est privé dans la mesure normale en conséquence de cet acte.

Le dommage matériel (patrimonial ou pécuniaire) recouvre une atteinte au patrimoine,


aux biens et une atteinte à la personne (dommage corporel). Il peut s’agir
- d’une perte éprouvée, subie : bien détruit, frais médicaux….
- d’un gain manqué : la victime est mise dans l’impossibilité temporaire ou définitive de
réaliser un revenu qui lui aurait été acquis si l’évènement n’était survenu : perte de
salaires par exemple. On parle de gain manqué puisque sans l’évènement le patrimoine
de la victime se serait accru.

Le préjudice moral ou extrapatrimonial est l’atteinte portée à des droits


extrapatrimoniaux c’est-à-dire ne faisant pas partie des biens constitutifs du patrimoine.
Il peut s’agir d’une douleur physique (pretium doloris), d’une souffrance psychologique
pour une victime défigurée (préjudice esthétique), d’une souffrance due à la privation
d’une activité affectionnée (préjudice d’agrément) -CS Crim.19-IV-1962, RACS, T III,
p.230,- d’une atteinte à la vie privée ou à l’honneur, aux sentiments ( perte d’un être
cher).
Le préjudice résultant pour les parents du décès accidentel de leur fils existe tant sur le
plan matériel que sur le plan affectif par les frais exposés par eux pour élever l’enfant et
la douleur que leur cause la perte d’un être cher et ce, sans qu’il soit besoin d’établir
qu’ils étaient à la charge de la victime. (CAR., 15-1-1963, RAC., T. XXIII, p. 99).

Les droits extra-patrimoniaux n’ayant pas une valeur pécuniaire, et n’étant donc pas
évaluable en argent, le problème de leur réparation a pu être posé. Certains auteurs se
sont en effet farouchement prononcés contre la réparation des dommages moraux. Ils se
fondent sur la différence qualitative entre le bien endommagé (valeur morale) et le
moyen par lequel on entend le restaurer (valeur pécuniaire).

Selon eux, quel qu’en soit le montant offert, l’argent attribué à la victime d’un dommage
moral ne saurait réparer le tort qui lui est causé. La valeur morale n’étant pas quantifiable,
on ne pourrait pas la mesurer et déterminer son équivalent pécuniaire. Pour ces auteurs,
l’allocation d’une indemnité correspondant au préjudice extrapatrimonial est inefficace et
ne saurait se justifier que par la notion de peine privée, ce qui constitue une atteinte au
principe de la séparation de la responsabilité civile et de la responsabilité pénale.

49
50

Ce point de vue est aujourd’hui dénoncé par la plupart des auteurs qui estiment que
l’allocation d’une indemnité peut procurer une satisfaction de remplacement, et que la
faute du responsable doit être nécessairement sanctionnée.

La cour de cassation française s’est très tôt prononcée en faveur de l’indemnisation du


préjudice moral.
Le principe de la réparation du préjudice moral est admis en jurisprudence et consacré
par le DOC aux articles 77 et 78 du DOC : tout fait quelconque de l’homme qui, sans
l’autorité de la loi, cause sciemment et, volontairement à autrui un dommage matériel ou
moral, oblige son auteur à réparer ledit dommage,…. « Chacun est responsable du
dommage moral ou matériel qu’il a causé, non seulement par son fait, mais par sa faute,
lorsqu’il est établi que cette faute en est la cause directe… ».

SECTION 2 : LES CARACTERES DU DOMMAGE REPARABLE

Le préjudice ne peut s’entendre que d’un dommage actuel et certain. La perte d’un
manque à gagner hypothétique, d’un lucrum cessans incertain et futur ne constitue qu’une
possibilité de préjudice éventuel et ne saurait constituer le dommage certain et direct,
seul susceptible d’être considéré par le juge. (CAR, 15-VI- 1937, RAC, T.IX, p.467).

La réparation du dommage doit être égale à l’intégralité du préjudice. L’incapacité


permanente partielle dont reste atteinte la victime d’un accident, affecte l’ensemble de
son activité et donc sa capacité de travail. Notamment, chez un jeune enfant, le préjudice
inhérent à la réduction de capacité, bien qu’il doive se réaliser dans l’avenir, est certain et
doit être réparé. (C.S. Crim., 6-III-1962, G.T.M., 1962, n° 1310, p. 52; R.A.C.S., T. III, p.
161).

Pour pouvoir être réparé, le préjudice allégué doit donc être certain et il suffit de
rapporter la preuve de la matérialité du dommage. Le problème se pose plutôt pour ce
qui concerne le préjudice futur, c’est-à-dire celui qui n’est pas encore réalisé, qui n’existe
pas matériellement au moment où sa réparation est envisagée. (Exemple : revenus
auxquels pouvait s’attendre la victime d’un accident). Le dommage futur peut être
également certain, s’il apparaît comme inévitable et devant nécessairement se réaliser
dans l’avenir.

Au préjudice futur réparable, c’est-à-dire celui qui apparaît comme inévitable, s’oppose le
préjudice futur éventuel, celui dont la réalisation est subordonnée à un événement. C’est
ce qu’on appelle la perte de chance. Celle-ci est- elle réparable ? Il appartient aux juges

50
51

d’apprécier les chances de réalisation du dommage. Si ces chances sont légères, minces,
le dommage sera considéré comme simplement éventuel, et par conséquent non
réparable. Si elles sont par contre fortes, la condition de certitude serait alors remplie, et
le dommage réparable. (Un étudiant victime d’un accident la veille de l’examen perd une
chance de réussir et peut ainsi obtenir réparation, perte d’une chance de gagner un
procès…). La réparation dépend alors de la chance perdue et non de l’avantage qu’aurait
procuré cette chance si elle s’était réalisée ( Civ.1ère , 9 avril 2002,Bull.Civ.n°116 ). La
notion de perte de chance permet de relativiser l’exigence de certitude du préjudice.

Le dommage doit être la suite directe du fait reproché au tiers, il faut un lien de causalité
entre le préjudice et la faute. L’exigence du caractère direct vise à écarter des actions
intentées par des personnes autres que la victime immédiate principale : parent, conjoint
qui peuvent se prévaloir d’un dommage par ricochet.

La jurisprudence a admis que ces personnes, bien que n’étant pas victimes principales,
mais victimes médiates, pouvaient se prévaloir de la qualité de victime principale, cette
disparition les privant des revenus ou subsides que leur procurait la victime immédiate.

La victime peut agir dès lors qu’il y a atteinte à son intérêt. Mais cet intérêt doit être
légitime, c’est-à-dire n’être contraire ni à la loi ni aux bonnes mœurs. Il est admis en
jurisprudence que « le demandeur d’une indemnité délictuelle ou quasi-délictuelle doit
justifier non d’un dommage quelconque, mais de la lésion certaine d’un intérêt légitime
juridiquement protégé».(Cass Civ 21-X-1952, RMD, 1955, p.217 note J.Ch.Laurent ;
RAC, T.XVII, p.278-279).

La jurisprudence française a pendant longtemps refusé à la concubine, en cas d’accident


mortel survenu au concubin, le droit d’agir en réparation contre le tiers responsable. Elle
se fondait sur l’immoralité du concubinage considéré comme contraire à l’institution du
mariage. Actuellement cette position a été assouplie, et la concubine peut agir en
réparation du tort qui lui est causé par la mort de son concubin.

CHAPITRE 3

UN LIEN DE CAUSALITE ENTRE


LE FAIT GENERATEUR ET LE DOMMAGE

L’exigence de causalité entre le fait générateur et le dommage est légale. Tout fait
quelconque de l’homme qui, sans l’autorité de la loi, cause sciemment et, volontairement

51
52

à autrui un dommage matériel ou moral, oblige son auteur à réparer ledit dommage,
lorsqu il est établi que ce fait en est la cause directe. (Article 77 du DOC). De même, «
Chacun est responsable du dommage moral ou matériel qu’il a causé, non seulement par
son fait, mais par sa faute, lorsqu’il est établi que cette faute en est la cause directe.
(Article 78 du DOC.)

La mise en œuvre de cette exigence légale pose parfois problème. Plusieurs événements
peuvent en effet avoir concouru à la réalisation du dommage et toute la difficulté
consiste à déterminer celui ou ceux qui ont été la cause du dommage.

On peut soutenir que tous les événements ayant contribué à la réalisation du dommage
doivent être considérés en être la cause. C’est la théorie de l’équivalence des conditions.
Une personne quitte son domicile et est mortellement blessée alors qu’elle se dirigeait
vers son médecin avec lequel elle avait pris rendez-vous. Appliquer la théorie de
l’équivalence des conditions sans nuances conduirait à retenir la responsabilité du
médecin. Cela est naturellement excessif et inacceptable. C’est pourquoi une seconde
théorie dite de la causalité adéquate a proposé de ne considérer comme ayant concouru à
la réalisation du dommage que les événements ayant directement participé à sa
réalisation. Seuls les événements ayant joué un rôle déterminant seront retenus. C’est à
cette théorie que se rallie le DOC en exigeant dans ses articles 77 et 78 « la cause directe
».

Malgré cela il est des situations ou le doute devient permis et les tribunaux décident
selon les circonstances propres à chaque espèce. Le suicide d’une personne gravement
blessée dans un accident a pu être imputé à l’auteur de cet accident (Crim. 4 janv 1971,
D.1971, 164.). De même, les tribunaux ont considéré que l’auteur d’un accident de
circulation à la suite duquel une personne a été transfusée et contaminée par le sida a pu
être considéré responsable de cette contamination. (Civ 1ere, fevr.1993, JCP, 1994, II,
22226, note Dorsner-Dolivet.)

52
53

TITRE 3
LES QUASI-CONTRATS

Il convient de rappeler qu’aux termes de l’article 1er du DOC, les quasi-contrats


constituent une source d’obligations.
Les trois quasi-contrats prévus par le DOC sont la gestion d’affaires, (Chap 1), le
paiement de l’indu (Chap 2) et l’enrichissement sans cause (Chap 3).

CHAPITRE 1
LA GESTION D’AFFAIRES

Selon l’article 943 du DOC, lorsque, sans y être autorisé par le maître ou par le juge, on
gère volontairement ou par nécessité les affaires d’autrui, en son absence ou à son insu, il
se constitue un rapport de droit, analogue au mandat.

Le quasi-contrat est analogue au mandat mais il n’est pas un mandat car le mandat est
une convention qui suppose que le mandant accepte et consente à l’intervention du

53
54

mandataire. Dans la gestion d’affaires, le maître n’a pas chargé une personne de gérer ses
affaires. Il y a ainsi « gestion d’affaires et non mandat lorsqu’un gérant de ferme donne à
bail cette ferme après le décès du propriétaire et alors que le domaine est sans direction
utile par suite de la situation litigieuse et de l’éloignement des héritiers. »(Trib.1ère Inst.
Rabat, 23-11-1927, GTM, 1928, n°305, p.61).

SECTION 1 : LES CONDITIONS DE LA GESTION D’AFFAIRES

Le géré ne doit pas avoir donné son accord sinon on serait en présence d’un mandat.
Lorsque le maître ratifie expressément ou tacitement, les droits et les obligations des
parties entre elles sont en effet en vertu du DOC régis par les règles du mandat, depuis
l’origine de l’affaire. (Article 958)

La gestion doit avoir été réalisée et entreprise nous dit le DOC « en l’absence ou à l’insu
du maître ». Le gérant est par hypothèse non autorisé. En outre, le maître ne doit pas
s’être opposé à la gestion et à l’immixtion du gérant d’affaires.

Le gérant d’affaires qui s’est immiscé dans les affaires d’autrui contrairement à la volonté
connue ou présumée du maître, ou qui a entrepris des opérations contraires à sa volonté
présumée, est tenu de tous les dommages résultant de sa gestion, même si on ne peut lui
imputer aucune faute. (Article 947)
Néanmoins, la volonté contraire du maître ne saurait être invoquée lorsque le gérant
d’affaires a dû pourvoir d’urgence:
1°A une obligation du maître provenant de la loi dont l’intérêt public exigeait
l’accomplissement ;
2°A une obligation légale d’aliments, à des dépenses funéraires ou à d’autres obligations
de même nature. (Article 948)
Il est admis que la gestion d’affaires peut concerner des actes juridiques, des actes
d’administration et des actes matériels.

La gestion doit être opportune et utile. Elle doit l’avoir été, nous dit le DOC, dans
l’intérêt du maître et d’une manière utile (Article 949). Il n’est pas nécessaire qu’il y ait
urgence. Cette dernière n’intervient que pour écarter la volonté contraire présumée du
maître. (article 948). L’opportunité et l’utilité de la gestion, qui doit s’apprécier au
moment où elle est entreprise, est laissée a l’appréciation du juge.

SECTION 2 : LES EFFETS DE LA GESTION D’AFFAIRES

54
55

La gestion d’affaires crée des obligations à la charge du gérant et du maître de l’affaire.

1- Le gérant est tenu de continuer la gestion qu’il a commencée, jusqu’à ce que le maître
soit en état de la continuer lui-même, si cette interruption de la gestion est de nature à
nuire au maître. (article 944)
Il doit apporter à sa gestion la diligence d’un bon père de famille, et se conformer à la
volonté connue ou présumée du maître de l’affaire.

Le gérant est tenu et répond également de toute faute même légère mais il n’est tenu que
de son dol et de sa faute lourde lorsque son immixtion a eu pour but de prévenir un
dommage imminent et notable qui menaçait le maître de l’affaire ou lorsqu’il n’a fait que
continuer, comme héritier, un mandat commencé par son auteur.

Au même titre que le mandataire, il est tenu de rendre compte de sa gestion. Il est tenu
des mêmes obligations que le mandataire quant, à la reddition de ses comptes et à la
restitution de tout ce qu’il a reçu par suite de sa gestion.
Il est soumis à toutes les autres obligations qui résulteraient d’un mandat exprès.

A l’égard des tiers, le gérant est tenu s’il a agi en son nom. S’il a agi au nom du maître de
l’affaire, il y a représentation et c’est ce dernier qui est engagé.

2- Le maître de l’affaire quant à lui doit décharger le gérant des suites de sa gestion et
l’indemniser de ses avances, dépenses et pertes.
Lorsque l’affaire est commune à plusieurs personnes, elles sont tenues envers le gérant
dans la proportion de leur part d’intérêt.
La loi confère au gérant un droit de rétention des choses appartenant au maître pour le
remboursement de ses créances.

55
56

CHAPITRE 2
LE PAIEMENT DE L’INDU

Un arrêt de la cour d’appel de Rabat résume parfaitement le paiement de l’indu. Il y a


paiement de l’indu lorsque le solvens a payé par erreur à l’accipiens, sans être le débiteur
de celui-ci, et toute intention de libéralité chez le solvens étant exclue. L’accipiens s’est
ainsi enrichi sans cause et le solvens a une action en répétition contre celui-là. (CAR, 16-
III-1940, RAC, T.X, p.428). Le paiement dont il s’agit désigne l’exécution d’une
obligation, quelque soit son objet, pas uniquement l’obligation de payer une somme
d’argent. Equivaut au payement, selon l’article 74 du DOC la dation en payement, la
constitution d’une sûreté, la délivrance d’une reconnaissance de dette ou d’un autre titre
ayant pour but de prouver l’existence ou la libération d’une obligation.

SECTION 1 : LES CONDITIONS DE LA REPETITION DE L’INDU

Le DOC subordonne la répétition de l’indu à une erreur de droit ou de fait du solvens.


En effet, selon l’article 68 « Celui qui se croyant débiteur, par une erreur de droit ou de

56
57

fait a payé ce qu’il ne devait pas, a le droit de répétition contre celui auquel il a payé.
»Celui qui a payé n’était pas débiteur. S’il paie en connaissance de cause, il ne peut
prétendre à répétition.
II n’y a pas donc pas lieu à répétition, lorsqu’on a acquitté volontairement et en
connaissance de cause ce qu’on savait ne pas être tenu de payer. (Article 69). La preuve
de l’erreur est appréciée librement par les juges du fond. (CS, Civ.16-I-1962, RACS, T1,
p.291.)

SECTION 2 : LES EFFETS DE LA REPETITION DE L’INDU

Le principe est que le solvens dispose d’une action en répétition contre l’accipiens. Le
DOC exclut le droit à répétition dans le cas où l’accipiens a été payé par une autre
personne que son débiteur et « de bonne foi et en conséquence de ce payement, il a
détruit ou annulé le titre, s’est privé des garanties de sa créance, ou a laissé son action se
prescrire contre le véritable débiteur. Dans ce cas, celui qui a payé n’a recours que contre
le véritable débiteur. » Article 68 du DOC et, pour des applications, Trib. 1ere Inst
Casablanca, 22-XII-1930, GTM, 1931, n°437, p.60 et CAR, 16-III-1940, RAC, T.X,
p.428.

Il n’y a également pas lieu à répétition si le payement a été fait en exécution d’une dette
prescrite ou d’une obligation morale, lorsque celui qui a payé avait la capacité d’aliéner à
titre gratuit, encore qu’il eut cru par erreur qu’il était tenu de payer ou qu’il ignorât le fait
de la prescription (Article 73).
Aux termes de l’article 75 du DOC, l’accipiens de bonne foi doit restituer «
identiquement ce qu’il a reçu ». L’accipiens de mauvaise foi doit restituer en plus les
fruits accroissements et les bénéfices.
Dans le même esprit, celui qui a reçu de bonne foi a vendu la chose n’est tenu qu’à
restituer le prix de vente s’il était encore de bonne foi au moment de la vente.

57
58

CHAPITRE 3
L’ENRICHISSEMENT SANS CAUSE

L’enrichissement sans cause trouve son fondement dans les articles 66 et 67 du DOC.
Celui qui a reçu ou se trouve posséder une chose ou autre valeur appartenant à autrui,
sans une cause qui justifie cet enrichissement, est tenu de la restituer à celui aux dépens
duquel il s’est enrichi. (Art 66)
Celui qui, de bonne foi, a retiré un profit du travail ou de la chose d’autrui, sans une
cause qui justifie ce profit, est tenu d’indemniser celui aux dépens duquel il s’est enrichi
dans la mesure où il a profité de son fait ou de sa chose. (Art 67)
Il s’agit là d’un principe général. En droit français, c’est la jurisprudence qui a reconnu à
l’appauvri une action contre l’enrichi (action de in rem verso).

Des articles 66 et 67 et de leurs applications jurisprudentielles, il est possible de préciser


les conditions et les effets de l’enrichissement sans cause.

58
59

SECTION 1 : LES CONDITIONS DE L’ENRICHISSEMENT SANS CAUSE

L’exercice de l’action sur la base de l’article 66 du DOC suppose un enrichissement et un


appauvrissement corrélatif ainsi que l’absence d’une cause qui justifie l’enrichissement.

1°) Un enrichissement et un appauvrissement corrélatif

L’enrichissement se manifeste par un accroissement de l’actif du patrimoine sans


contrepartie: encaissement d’une créance, récolte améliorée par des engrais…. Il peut
aussi s’agir de la réalisation d’une économie lorsqu’une personne profite d’un service
qu’elle n’a pas rémunéré. Tel est le cas par exemple d’une personne qui a requis
l’immatriculation d’un immeuble en son nom et au nom de ses copropriétaires et qu’elle
a, seule, acquitté les frais pour parvenir au titre foncier. Cette personne est dès lors
fondée à demander à tous ceux qui ont été appelés à bénéficier des avantages et des
garanties attachés à la délivrance du titre foncier, de participer à ces frais. (CAR, 28-III-
1935, RAC, T.VIII, p.287.)

L’appauvrissement est l’envers de l’enrichissement. Cet appauvrissement peut se traduire


par une diminution du patrimoine ou un manque à gagner.

2°) Absence de cause de l’enrichissement

Celui, nous dit le DOC, qui a reçu ou se trouve posséder une chose ou autre valeur
appartenant à autrui, sans une cause qui justifie cet enrichissement, est tenu de la
restituer à celui aux dépens duquel il s’est enrichi. (Art 66). La cause est la raison, le
fondement juridique qui justifie l’enrichissement. Celui qui prétend que son
enrichissement est fondé sur une libéralité doit le prouver. (CS, Civ. 26-1-1977, Arrêts de
la Cour Suprême rendus en matière civile,1958-1996, Publication de la Cour suprême,
1997, p.55).

L’exigence d’une cause justifiant l’enrichissement a conduit les tribunaux à considérer


que l’action de in rem verso n’est pas recevable lorsque le créancier se trouve appauvri
par le fait de la prescription. L’action ne pouvant « suppléer une voie de droit devenue
inopérante » (CAF, 16-XII-1963, RMD, 1964, p.238.) La prescription, motif juridique,
est une cause légitime d’enrichissement. L’enrichissement est causé toutes les fois qu’il
trouve sa justification dans un acte juridique passé entre l’enrichi et l’appauvri. Un
contractant qui agirait sur la base de l’article 66 pour appauvrissement dû au paiement

59
60

d’une clause pénale excessive se verrait opposer le contrat comme cause de cet
appauvrissement. Son action devrait être placée non sur la base de l’article 66 du DOC
mais sur celle de l’article 264 qui autorise le tribunal à réduire le montant des dommages-
intérêts convenu s’il est excessif ou augmenter sa valeur s’il est minoré.

Des contractants avaient pu contester, sur la base de l’article 66 du DOC, des décisions
les ayant condamné à des astreintes jugées excessives. Les tribunaux n’ont pas suivi. Le
prétendu enrichissement du créancier victime de l’inexécution a pour fondement
l’obligation et la décision judiciaire inexécutées. (Farid EL BACHA, L’astreinte en droit
marocain, mémoire de DES, Rabat, 1984, p 60 .)

Il reste enfin à préciser que des actions en enrichissement sans cause avaient été
engagées par des victimes de l’immatriculation foncière. Les dispositions restrictives de
l’article 64 du dahir du 12 août 1913 sur l’immatriculation foncière ainsi que le
particularisme du régime des livres fonciers n’offraient aux intéressés que les seuls
recours prévus au dit article, à l’exclusion de toute autre voie de recours. Les tribunaux
ont cependant admis le droit, pour les parties lésées, d’exercer en outre, l’action en
dommages-intérêts basée sur l’article 66 du DOC compte tenu du fait que cette action a
un caractère général et non subsidiaire. Après quelques flottements dus à l’influence de la
jurisprudence française où l’action de in rem verso a un caractère subsidiaire, les
tribunaux marocains ont considéré que l’article 66 du DOC formulait « un principe
général de droit privé, susceptible de recevoir application même si des moyens
particuliers de droit s’offrent à l’intéressé » (CAR, 20-IV-1939, RAC, T.X,p.145)

SECTION 2 : LES EFFETS DE L’ENRICHISSEMENT SANS CAUSE

Celui qui s’est enrichi indûment au préjudice d’autrui est tenu à une obligation légale de
restitution. (Art 75 du DOC). L’enrichi doit « restituer identiquement ce qu’il a reçu ».
Pour apprécier l’enrichissement et l’appauvrissement corrélatif, les juges doivent se
placer au jour de la fixation de l’indemnité à moins que des circonstances exceptionnelles
ne les autorisent à fixer cette indemnité à la date des faits d’où procède l’enrichissement.
(Cass.Civ.25-VI-1956, GTM 1956, n°1198, p.127).

L’obligation de restitution peut se heurter à certaines contraintes. Ainsi en cas


d’enrichissement sans cause dû à une procédure d’immatriculation foncière, le caractère
définitif et inattaquable du titre foncier ne permet à l’appauvri d’exercer qu’une action en
indemnité.

60

Vous aimerez peut-être aussi