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SANCTIONS DE L’INEXÉCUTION

La responsabilité contractuelle: régime juridique


19 NOVEMBRE 2019 / AURÉLIEN BAMDÉ / POSTER UN
COMMENTAIRE
Cinquième et dernière sanction susceptible d’être encourue par la partie qui a
manqué à ses obligations contractuelles : la condamnation au paiement de
dommages et intérêts.

Cette sanction prévue par l’article 1217 du Code civil présente la particularité de


pouvoir être cumulée avec les autres sanctions énoncées par le texte. Anciennement
traitée aux articles 1146 à 1155 du Code civil, elle est désormais envisagée dans
une sous-section 5 intitulée « la réparation du préjudice résultant de l’inexécution
du contrat ».
Tel qu’indiqué par l’intitulé de cette sous-section 5, l’octroi des dommages et
intérêts au créancier vise, à réparer les conséquences de l’inexécution contractuelle
dont il est victime.

Si, à certains égards, le système ainsi institué se rapproche de l’exécution forcée par
équivalent, en ce que les deux sanctions se traduisent par le paiement d’une somme
d’argent, il s’en distingue fondamentalement, en ce que l’octroi de dommages et
intérêts a pour finalité, non pas de garantir l’exécution du contrat, mais de réparer
le préjudice subi par le créancier du fait de l’inexécution du contrat. Les finalités
recherchées sont donc différentes.

S’agissant de l’octroi de dommages et intérêts au créancier victime d’un dommage,


le mécanisme institué aux articles 1231 et suivants du Code civil procède de la
mise en œuvre d’une figure bien connue du droit des obligations, sinon centrale : la
responsabilité contractuelle.

Classiquement, il est admis que cette forme de responsabilité se rapproche très


étroitement de la responsabilité délictuelle.

Ce rapprochement ne signifie pas pour autant que les deux régimes de


responsabilité se confondent, bien que le maintien de leur distinction soit contesté
par une partie de la doctrine.
==> Responsabilité contractuelle et responsabilité délictuelle

 La responsabilité contractuelle désigne l’obligation de réparer les


dommages résultant d’un défaut dans l’exécution d’un contrat : inexécution,
mauvaise exécution ou encore exécution tardive.
 La responsabilité délictuelle, encore appelée extracontractuelle, sanctionne
quant à elle les dommages causés à autrui en dehors de tout lien contractuel,
l’obligation de réparation puisant alors à la seule source de la loi.
Deux thèses s’affrontent s’agissant du maintien de la dualité entre responsabilité
contractuelle et responsabilité délictuelle :

 La thèse contre le maintien de la dualité


 Premier argument
 Le principe même de l’existence d’une responsabilité
contractuelle est contesté.
 Pour les tenants de cette vision, la réparation des dommages
causés par le défaut d’exécution d’un contrat relève du domaine de la
responsabilité délictuelle ; en l’absence de dommage, seule
l’exécution forcée du contrat peut être recherchée, le cas échéant sous
la forme d’un équivalent pécuniaire à l’exécution en nature.
 Deuxième argument
 Les frontières entre le domaine de la responsabilité contractuelle
et celui de la responsabilité délictuelle s’avèrent incertaines et
mouvantes, l’évolution de la jurisprudence se caractérisant, pour
l’essentiel, par un élargissement du domaine de la responsabilité
contractuelle, un accroissement des obligations résultant du contrat et
une extension des personnes liées par un contrat.
 Troisième argument
 La portée de la distinction entre responsabilité contractuelle et
responsabilité délictuelle s’amenuise.
 Leurs régimes se ressemblent en effet sur bien des points –
définition du préjudice réparable, établissement du lien de causalité,
règles de prescription – et leurs résultats sont souvent semblables, de
sorte qu’une erreur de qualification peut rester sans conséquence. Elle
n’est pas sanctionnée par la Cour de cassation.
 La thèse pour le maintien de la dualité
 Premier argument
 La responsabilité contractuelle poursuit un objectif indemnitaire
qui ne saurait se limiter à la seule fonction d’exécution forcée du
contrat.
 En cas d’inexécution, le créancier insatisfait doit pouvoir non
seulement exiger l’exécution du contrat ou sa résolution, mais aussi et
cumulativement, le cas échéant, obtenir réparation.
 Or cette réparation, économiquement et juridiquement, ne se
confond pas avec la prestation conventionnellement due.
 Deuxième argument
 Si les règles communes aux deux branches de la responsabilité
l’emportent assez largement (…), il en subsiste d’autres qui, propres à
la responsabilité contractuelle, font obstacle à une assimilation
complète.
 Ainsi le principe selon lequel la réparation est à la mesure du
dommage prévisible se justifie par le fait que l’économie du contrat
consiste précisément à prévoir et à organiser, par anticipation, un
rapport conventionnel.
 Les mêmes considérations conduisent à admettre plus largement
le jeu de clauses exclusives ou limitatives de responsabilité en
matière contractuelle.
La distinction entre les deux régimes de responsabilité a classiquement pour
corollaire le principe de non-cumul des responsabilités contractuelle et délictuelle.

==> Principe de non-cumul

La jurisprudence a depuis longtemps posé un important principe de non-cumul des


responsabilités contractuelle et délictuelle (V. en ce sens Cass. req. 21 janv. 1880).
Certains auteurs, minoritaires, étaient pourtant contre la reconnaissance de ce
principe, au premier rang desquels figurait Planiol. Selon lui, partisan du cumul des
responsabilités « la responsabilité délictuelle est préexistante à toute
réglementation et se superpose seulement à la première à la manière d’un
sédiment ».
La thèse avancée n’a cependant pas convaincu la Cour de cassation qui a toujours
maintenu sa position.

Dans un arrêt du 11 janvier 1922 la haute juridiction a ainsi jugé que « les articles
1382 et suivants sont sans application lorsqu’il s’agit d’une faute commise dans
l’exécution d’une obligation résultant d’un contrat » (Cass. civ. 11 janv. 1922).
Dans un arrêt du 11 janvier 1989, la Cour de cassation a encore considéré que « le
créancier d’une obligation contractuelle ne peut se prévaloir contre le débiteur de
cette obligation, quand bien même il y aurait intérêt, des règles de la
responsabilité délictuelle » (Cass. 1ère  civ. 11 janv. 1989, n°86-17323).
Selon le principe du non-cumul encore qualifié de non-option, si un dommage se
rattache à l’exécution d’un contrat, il n’est pas possible d’en demander la réparation
sur le fondement de la responsabilité délictuelle.

Il n’est donc a fortiori pas possible de cumuler les deux voies et de demander


réparation du même dommage sur deux fondements différents car il y aurait
enrichissement sans cause de la victime à être indemnisée deux fois pour un seul
dommage.
Les raisons de ce principe sont diverses. Il s’agit principalement d’éviter que le
demandeur, en choisissant la voie de la responsabilité délictuelle, puisse échapper à
des contraintes qu’il avait acceptées et qui rentraient dans les prévisions de son
cocontractant, en particulier une clause limitative de responsabilité, ou encore se
dispenser de la charge de la preuve, en invoquant la responsabilité de plein droit
prévue par le premier alinéa de l’article 1242 du code civil.

En faveur du cumul des responsabilités, on a surtout fait valoir que la responsabilité


délictuelle serait une institution d’ordre public. Elle constituerait un minimum que
le contrat pourrait augmenter mais non diminuer. Or les clauses limitatives de
responsabilité sont admises.

Telles sont les raisons pour lesquelles, l’avant-projet de loi de réforme du droit de
la responsabilité civile consacre ce principe de non-cumul sous réserve d’une
exception très importante au profit des victimes de dommages corporels.

Celles-ci doivent pouvoir opter en faveur du régime qu’elles estiment leur être le
plus favorable, à condition toutefois d’être en mesure d’apporter la preuve des
conditions exigées pour justifier le type de responsabilité qu’elles invoquent.

==> Un régime juridique provisoire

Ainsi qu’il l’est précisé dans le rapport au Président de la République relatif à


l’ordonnance du 10 février 2016, la réforme du droit des obligations n’opère aucun
bouleversement radical en matière de responsabilité contractuelle.
En effet, la sous-section 5 consacrée à la réparation du préjudice résultant de
l’inexécution du contrat est une reprise à droit constant de la section 4 du chapitre
III de l’actuel titre III du code civil, avec quelques ajustements formels.

La raison en est, selon le rapport, que la responsabilité contractuelle ne peut être


réformée isolément de la responsabilité extracontractuelle : il est généralement
admis que, fondamentalement, ces deux formes de responsabilité sont des
mécanismes de même nature, qui reposent sur l’existence d’un fait générateur, d’un
dommage, et d’un lien de causalité entre les deux.

Seules des différences de régime les opposent, fondées essentiellement sur


l’originalité du fait générateur en matière contractuelle, et que l’ordonnance du 10
février 2016 ne modifie pas.

Aussi, a-t-il été annoncé que le régime de la responsabilité contractuelle a vocation


à être réformé dans le cadre du futur projet de réforme globale de la responsabilité
civile, qui détaillera les dispositions communes aux responsabilités contractuelle et
extracontractuelle, et les dispositions propres à chacun de ces deux régimes.

Pour l’heure, c’est seulement une modernisation du régime de la responsabilité


contractuelle qui est intervenue, ce qui s’est traduit essentiellement par une
codification des grands principes forgés par la jurisprudence antérieure.

Ces grands principes s’articulent autour de deux axes que sont :

 D’une part, les conditions de la responsabilité contractuelle


 D’autre part, l’aménagement de la responsabilité contractuelle
Section 1: Les conditions de la responsabilité contractuelle
À l’instar de la responsabilité délictuelle la mise en œuvre de la responsabilité
contractuelle est subordonnée à la réunion de trois conditions cumulatives :

 L’inexécution d’une obligation contractuelle


 Un dommage
 Un lien de causalité entre l’inexécution de l’obligation et le dommage
§1: L’inexécution d’une obligation contractuelle
L’article 1231-1 du Code civil dispose que « le débiteur est condamné, s’il y a lieu,
au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l’inexécution de l’obligation,
soit à raison du retard dans l’exécution, s’il ne justifie pas que l’exécution a été
empêchée par la force majeure. »
Il ressort de cette disposition que, pour être remplie, la condition tenant à
l’exécution contractuelle, un manquement contractuel doit, d’une part, être
caractérisé. D’autre part, ce manquemen doit pouvoir être imputé au débiteur, faute
de quoi sa responsabilité ne pourra pas être recherchée.

I) L’exigence d’un manquement contractuel


L’article 1231-1 du Code civil subordonne la mise en œuvre de la responsabilité
contractuelle à l’existence :

 Soit à l’inexécution de l’obligation


 Soit d’un retard dans l’exécution de l’obligation
Il ressort de cette disposition que l’inexécution contractuelle doit être entendue
largement, celle-ci pouvant être totale ou partielle. Mais elle peut également
consister en une exécution tardive ou défectueuse.

Plus généralement, l’inexécution visée par l’article 1231-1 du Code civil


s’apparente en un manquement, par le débiteur, aux stipulations contractuelles.

La question qui alors se pose est de savoir en quoi ce manquement doit-il consister
pour être générateur de responsabilité contractuelle ; d’où il s’ensuit la
problématique de la preuve.

A) Le contenu du manquement


Très tôt la question s’est donc posée de savoir ce que l’on doit entendre par
manquement contractuel, le Code civil étant silencieux sur ce point.

Plus précisément on s’est demandé si, pour engager la responsabilité contractuelle


du débiteur, le manquement constaté devait être constitutif d’une faute ou si
l’établissement d’une faute était indifférent.

1. Problématique de la faute
Sous l’empire du droit antérieur à l’ordonnance du 10 février 2016, le Code civil
semblait apporter deux réponses contradictoires à cette interrogation.

 D’un côté, l’article 1137, al. 1er disposait que « l’obligation de veiller à la


conservation de la chose, soit que la convention n’ait pour objet que l’utilité
de l’une des parties, soit qu’elle ait pour objet leur utilité commune, soumet
celui qui en est chargé à y apporter tous les soins raisonnables. »
 On en déduisait, que pour rechercher la responsabilité contractuelle du
débiteur, il appartenait au créancier, non seulement de rapporter la preuve
d’une inexécution, mais encore d’établir que le débiteur ne s’était pas
comporté en bon père de famille.
 Classiquement, l’expression « bon père de famille» désigne la
personne qui est avisée, soignée et diligente.
 Conformément à cette définition, le débiteur ne pourrait, dès lors, voir
sa responsabilité contractuelle engagée que s’il peut lui être reproché des
faits de négligence ou d’imprudence que le contractant, bon père de
famille, placé dans les mêmes conditions, n’aurait pas commis.
 D’un autre côté, l’article 1147 prévoyait que « le débiteur est condamné, s’il
y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l’inexécution
de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, toutes les fois qu’il
ne justifie pas que l’inexécution provient d’une cause étrangère qui ne peut
lui être imputée, encore qu’il n’y ait aucune mauvaise foi de sa part. »
 À la différence de l’ancien article 1137 du Code civil cette disposition
n’exigeait pas du créancier qu’il prouve que le débiteur ne s’est pas
comporté en bon père de famille pour que sa responsabilité puisse être
recherchée.
 Il s’évinçait donc de l’article 1147 que l’absence de faute du débiteur
était sans incidence : seule importe l’existence d’une inexécution
contractuelle.
Au bilan, tandis que l’ancien article 1137 du Code civil subordonnait la mise en
œuvre de la responsabilité contractuelle à l’établissement d’une faute, l’article
1147 ne l’exigeait pas, la seule inexécution contractuelle se suffisant à elle-même.
Pour sortir de l’impasse et résoudre cette contradiction, un auteur, René Demogue,
suggéra de raisonner en opérant une distinction entre :

 D’une part, les obligations de moyens qui relèveraient de l’application


de l’article 1137 du Code civil
 D’autre part, les obligations de résultat qui obéiraient, quant à elles, à la
règle posée à l’article 1147
2. Obligations de moyens et obligations de résultat
==> Exposé de la distinction
Demogue soutenait ainsi que la conciliation entre les anciens articles
1137 et 1147 du Code civil tenait à la distinction entre les obligations de résultat et
les obligations de moyens :
 L’obligation est de résultat lorsque le débiteur est contraint d’atteindre un
résultat déterminé
 Exemple: Dans le cadre d’un contrat de vente, pèse sur le vendeur une
obligation de résultat : celle livrer la chose promise. L’obligation est
également de résultat pour l’acheteur qui s’engage à payer le prix
convenu.
 Il suffira donc au créancier de démontrer que le résultat n’a pas été
atteint pour établir un manquement contractuel, source de responsabilité
pour le débiteur
 L’obligation est de moyens lorsque le débiteur s’engage à mobiliser toutes
les ressources dont il dispose pour accomplir la prestation promise, sans
garantie du résultat
 Exemple: le médecin a l’obligation de soigner son patient, mais n’a
nullement l’obligation de le guérir.
 Dans cette configuration, le débiteur ne promet pas un résultat : il
s’engage seulement à mettre en œuvre tous les moyens que mettrait en
œuvre un bon père de famille pour atteindre le résultat
La distinction entre l’obligation de moyens et l’obligation de résultat rappelle
immédiatement la contradiction entre les anciens articles 1137 et 1147 du Code
civil.

 En matière d’obligation de moyens


 Pour que la responsabilité du débiteur puisse être recherchée, il doit
être établi que celui-ci a commis une faute, soit que, en raison de sa
négligence ou de son imprudence, il n’a pas mis en œuvre tous les
moyens dont il disposait pour atteindre le résultat promis.
 Cette règle n’est autre que celle posée à l’ancien article 1137 du Code
civil.
 En matière d’obligation de résultat
 Il est indifférent que le débiteur ait commis une faute, sa responsabilité
pouvant être recherchée du seul fait de l’inexécution du contrat.
 On retrouve ici la règle édictée à l’ancien article 1147 du Code civil.
La question qui alors se pose est de savoir comment déterminer si une obligation
est de moyens ou de résultat.

==> Critères de la distinction
En l’absence d’indications textuelles, il convient de se reporter à la jurisprudence
qui se détermine au moyen d’un faisceau d’indices.
Plusieurs critères – non cumulatifs – sont, en effet, retenus par le juge pour
déterminer si l’on est en présence d’une obligation de résultat ou de moyens :

 La volonté des parties


 La distinction entre obligation de résultat et de moyens repose sur
l’intensité de l’engagement pris par le débiteur envers le créancier.
 La qualification de l’obligation doit donc être appréhendée à la
lumière des clauses du contrat et, le cas échéant, des prescriptions de la
loi.
 En cas de silence de contrat, le juge peut se reporter à la loi qui,
parfois, détermine si l’obligation est de moyens ou de résultat.
 En matière de mandat, par exemple, l’article 1991 du Code civil
dispose que « le mandataire est tenu d’accomplir le mandat tant qu’il en
demeure chargé, et répond des dommages-intérêts qui pourraient
résulter de son inexécution ».
 C’est donc une obligation de résultat qui pèse sur le mandataire.
 Le contrôle de l’exécution
 L’obligation est de résultat lorsque le débiteur a la pleine maîtrise de
l’exécution de la prestation due.
 Inversement, l’obligation est plutôt de moyens, lorsqu’il existe un aléa
quant à l’obtention du résultat promis
 En pratique, les obligations qui impliquent une action matérielle sur
une chose sont plutôt qualifiées de résultat.
 À l’inverse, le médecin, n’est pas tenu à une obligation de guérir (qui
serait une obligation de résultat) mais de soigner (obligation de moyens).
 La raison en est que le médecin n’a pas l’entière maîtrise de la
prestation éminemment complexe qu’il fournit.
 Rôle actif/passif du créancier
 L’obligation est de moyens lorsque le créancier joue un rôle actif dans
l’exécution de l’obligation qui échoit au débiteur
 En revanche, l’obligation est plutôt de résultat, si le créancier
n’intervient pas
==> Mise en œuvre de la distinction
Le recours à la technique du faisceau d’indices a conduit la jurisprudence à ventiler
les principales obligations selon qu’elles sont de moyens ou de résultat.
L’examen de la jurisprudence révèle néanmoins que cette dichotomie entre les
obligations de moyens et les obligations de résultat n’est pas toujours aussi
marquée.

Il est, en effet, certaines obligations qui peuvent être à cheval sur les deux
catégories, la jurisprudence admettant, parfois, que le débiteur d’une obligation de
résultat puisse s’exonérer de sa responsabilité s’il prouve qu’il n’a commis aucune
faute.

Pour ces obligations on parle d’obligations de résultat atténué ou d’obligation de


moyens renforcée : c’est selon. Trois variétés d’obligations doivent donc, en réalité,
être distinguées.

 Les obligations de résultat


 Au nombre des obligations de résultat on compte notamment :
 L’obligation de payer un prix, laquelle se retrouve dans la
plupart des contrats (vente, louage d’ouvrage, bail etc.)
 L’obligation de délivrer la chose en matière de contrat de vente
 L’obligation de fabriquer la chose convenue dans le contrat de
louage d’ouvrage
 L’obligation de restituer la chose en matière de contrat de dépôt,
de gage ou encore de prêt
 L’obligation de mettre à disposition la chose et d’en assurer la
jouissance paisible en matière de contrat de bail
 L’obligation d’acheminer des marchandises ou des personnes en
matière de contrat de transport
 L’obligation de sécurité lorsqu’elle est attachée au contrat de
transport de personnes (V. en ce sens ch. mixte, 28 nov. 2008, n° 06-
12307).
 Les obligations de résultat atténuées ou de moyens renforcées
 Parfois la jurisprudence admet donc que le débiteur d’une obligation
de résultat puisse s’exonérer de sa responsabilité.
 Pour ce faire, il devra renverser la présomption de responsabilité en
démontrant qu’il a exécuté son obligation sans commettre de faute.
 Tel est le cas pour :
 L’obligation de conservation de la chose en matière de contrat
de dépôt
 L’obligation qui pèse sur le preneur en matière de louage
d’immeuble qui, en application de l’article 1732 du Code civil,
« répond des dégradations ou des pertes qui arrivent pendant sa
jouissance, à moins qu’il ne prouve qu’elles ont eu lieu sans sa faute»
 L’obligation de réparation qui échoit au garagiste et plus
généralement à tout professionnel qui fournit une prestation de
réparation de biens (V. en ce sens 1ère  civ. 2 févr. 1994, n°91-18764).
 L’obligation qui échoit sur le transporteur, en matière de
transport maritime, qui « est responsable de la mort ou des blessures
des voyageurs causées par naufrage, abordage, échouement,
explosion, incendie ou tout sinistre majeur, sauf preuve, à sa charge,
que l’accident n’est imputable ni à sa faute ni à celle de ses
préposés» (  L. 5421-4 du code des transports)
 L’obligation de conseil que la jurisprudence appréhende parfois
en matière de contrats informatiques comme une obligation de moyen
renforcée.
 Les obligations de moyens
 À l’analyse les obligations de moyens sont surtout présentes, soit dans
les contrats qui portent sur la fourniture de prestations intellectuelles, soit
lorsque le résultat convenu entre les parties est soumis à un certain aléa
 Aussi, au nombre des obligations de moyens figurent :
 L’obligation qui pèse sur le médecin de soigner son patient, qui
donc n’a nullement l’obligation de guérir (V. en ce sens 1ère  civ. 4
janv. 2005).
 Par exception, l’obligation qui échoit au médecin est de
résultat lorsqu’il vend à son patient du matériel médical qui est
légitimement en droit d’attendre que ce matériel fonctionne (V. en
ce sens 1ère  civ. 23 nov. 2004).
 Il en va de même s’agissant de l’obligation d’information
qui pèse sur le médecin, la preuve de l’exécution de cette
obligation étant à sa charge et pouvant se faire par tous moyens.
 L’obligation qui pèse sur la partie qui fournit une prestation
intellectuelle, tel que l’expert, l’avocat (réserve faite de la rédaction
des actes), l’enseignant,
 L’obligation qui pèse sur le mandataire qui, en application
de l’article 1992 du Code civil « répond non seulement du dol, mais
encore des fautes qu’il commet dans sa gestion. »
 L’obligation de surveillance qui pèse sur les structures qui
accueillent des enfants ou des majeurs protégés (V. en ce
sens 1ère  civ., 11 mars 1997).
==> Sort de la distinction après la réforme du droit des obligations
La lecture de l’ordonnance du 10 février 2016 révèle que la distinction entre les
obligations de moyens et les obligations de résultat n’a pas été reprise par le
législateur, à tout le moins formellement.

Est-ce à dire que cette distinction a été abandonnée, de sorte qu’il n’a désormais
plus lieu d’envisager la responsabilité du débiteur selon que le manquement
contractuel porte sur une obligation de résultat ou de moyens ?

Pour la doctrine rien n’est joué. Il n’est, en effet, pas à exclure que la Cour de
cassation maintienne la distinction en s’appuyant sur les nouveaux articles 1231-
1 et 1197 du Code civil, lesquels reprennent respectivement les anciens articles
1147 et 1137.

Pour s’en convaincre il suffit de les comparer :

 S’agissant des articles 1231-1 et 1147


 L’ancien article 1147 prévoyait que « le débiteur est condamné, s’il y
a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de
l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution,
toutes les fois qu’il ne justifie pas que l’inexécution provient d’une cause
étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu’il n’y ait aucune
mauvaise foi de sa part. »
 Le nouvel article 1231-1 prévoit que « le débiteur est condamné, s’il y
a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de
l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution,
s’il ne justifie pas que l’exécution a été empêchée par la force majeure.»
 S’agissant des articles 1197 et 1137
 L’ancien article 1137 prévoyait que « l’obligation de veiller à la
conservation de la chose, soit que la convention n’ait pour objet que
l’utilité de l’une des parties, soit qu’elle ait pour objet leur utilité
commune, soumet celui qui en est chargé à y apporter tous les soins
raisonnables».
 Le nouvel article 1197 prévoit que « l’obligation de délivrer la chose
emporte obligation de la conserver jusqu’à la délivrance, en y apportant
tous les soins d’une personne raisonnable. »
Une analyse rapide de ces dispositions révèle que, au fond, la contradiction qui
existait entre les anciens articles 1137 et 1147 a survécu à la réforme du droit des
obligations opérée par l’ordonnance du 10 février 2016 et la loi de ratification du
21 avril 2018, de sorte qu’il y a tout lieu de penser que la Cour de cassation ne
manquera pas de se saisir de ce constat pour confirmer la jurisprudence antérieure.

B) La preuve du manquement


La mise en œuvre de la responsabilité du débiteur est subordonnée à la preuve d’un
manquement contractuel.

Deux questions alors se posent :

 D’une part, sur qui pèse la charge de la preuve ?


 D’autre part, quel est l’objet de la preuve ?
Ces questions sont manifestement indissociables de la problématique consistant à
se demander si, pour engager la responsabilité contractuelle du débiteur, le
manquement constaté doit être constitutif d’une faute ou si l’établissement d’une
faute est indifférent.

Le régime de la preuve en matière contractuelle est, en effet, radicalement différent


selon que la mise en œuvre de la responsabilité du débiteur est où non subordonnée
à la caractérisation d’une faute.

On en revient alors à la distinction entre l’obligation de moyens et l’obligation de


résultat qui détermine le régime probatoire applicable.

 Lorsque l’obligation est de moyen, le créancier doit établir la faute du


débiteur
 Autrement dit, il doit démontrer que le débiteur n’a pas mis en œuvre
tous les moyens dont il disposait pour atteindre le résultat convenu ainsi
que l’aurait fait le bon père de famille.
 La gravité de la faute ici importe peu : la responsabilité du débiteur est
engagée dès lors qu’il est établi qu’il a manqué à ses obligations
contractuelles par négligence ou une imprudence.
 Cette gravité de la faute ne sera prise en compte que pour déterminer
s’il y a lieu d’exclure les clauses limitatives ou exclusives de
responsabilité
 Lorsque l’obligation est de résultat, il suffit au créancier de démontrer que
le résultat promis n’a pas été atteint
 Dans cette configuration, la charge de la preuve est en quelque sorte
inversée : ce n’est pas au créancier de démontrer que le débiteur a
manqué à ses obligations, mais au débiteur de prouver que le résultat
stipulé au contrat a bien été atteint.
 L’exécution, même partielle, des obligations du débiteur, ne lui permet
pas de s’exonérer de sa responsabilité.
 Seul compte ici l’atteinte du résultat auquel s’est engagé le débiteur.
 Pour s’exonérer de sa responsabilité, ce dernier ne disposera que d’une
seule option : établir la survenance d’une cause étrangère.
II) L’imputabilité du manquement
S’il est absolument nécessaire pour que le débiteur d’une obligation engage sa
responsabilité qu’une inexécution du contrat, même partielle, puisse lui être
reprochée, il est indifférent que cette inexécution ne résulte pas de son fait
personnel.

Lorsque, en effet, l’inexécution contractuelle est imputable au fait d’autrui ou au


fait d’une chose, le débiteur est également susceptible d’engager sa responsabilité.

La question qui immédiatement se pose est alors de savoir dans quelle mesure le
débiteur répond-il du fait d’autrui et du fait d’une chose.

==> L’inexécution contractuelle est imputable au fait d’autrui


Il est classiquement admis que le débiteur d’une obligation peut engager sa
responsabilité contractuelle du fait d’autrui.

Tout d’abord, la loi prévoit de nombreux cas de responsabilité contractuelle du fait


d’autrui. Il en va ainsi en matière de :
 Contrat de bail, le preneur répondant des dégradations et des pertes qui
arrivent par « le fait des personnes de sa maison ou de ses sous-locataires»
(  1735 C.civ.)
 Contrat d’entreprise, le maître d’ouvrage répondant « du fait des personnes
qu’il emploie» (  1797 C. civ.)
 Contrat d’hôtellerie, l’hôtelier étant responsable « du vol ou du dommage de
ces effets, soit que le vol ait été commis ou que le dommage ait été causé par
leurs préposés, ou par des tiers allant et venant dans l’hôtel.» (  1953 C. civ.)
 Contrat de mandat, le mandataire répondant « de celui qui s’est substitué
dans sa gestion (  1994 C. civ.)
 Contrat de transport, le commissionnaire de transport étant « garant des
faits du commissionnaire intermédiaire auquel il adresse les marchandises.»
(  L. 132-6 C. com.)
Ensuite, la jurisprudence reconnaît la responsabilité contractuelle du fait d’autrui
lorsque le débiteur a volontairement introduit un tiers dans l’exécution de son
obligation.

Il en va ainsi du préposé, du sous-traitant, du mandataire, des représentants du


débiteur et plus généralement de tous ceux interviennent sur la demande du
débiteur dans la relation contractuelle.

Il en résulte a contrario que lorsque l’intervention du tiers est spontanée, le


débiteur n’engage pas sa responsabilité contractuelle en cas d’inexécution
contractuelle du fait de ce tiers.
Dans un arrêt du 15 janvier 1993 la Cour d’appel de Grenoble a parfaitement
résumé la règle en affirmant que « la responsabilité contractuelle du fait d’autrui
couvre les fautes de toutes les personnes auxquelles le débiteur de l’obligation fait
appel pour l’exécution du contrat » (CA Grenoble, 15 janv. 1993).
Reste que la responsabilité contractuelle du fait d’autrui ne va en général conduire à
faire peser la charge de la dette de réparation sur la tête du cocontractant débiteur
que de manière temporaire.

En effet, celui-ci sera fondé, dans le cadre de l’exercice d’une action récursoire, à
obtenir le remboursement des sommes qu’il aura exposées auprès du tiers à
l’origine du dommage.

==> L’inexécution contractuelle est imputable au fait d’une chose


Bien que le Code civil soit silencieux sur la responsabilité contractuelle du fait des
choses, elle a pourtant été conceptualisée par la doctrine qui distingue deux
hypothèses :

 Première hypothèse : la chose est l’objet de l’obligation


 Cette hypothèse renvoie aux contrats qui ont pour objet le transfert de
propriété de la chose ou sa mise à disposition.
 Tel est le cas des contrats de vente, d’entreprise ou encore de bail
 Pour ces contrats, le contractant qui transfère la propriété ou la
jouissance de la chose est, la plupart du temps, tenu de garantir son
cocontractant contre les vices cachés
 Aussi, lorsqu’un tel vice affecte l’usage de la chose, l’inexécution
contractuelle a bien pour origine cette chose.
 Le débiteur de l’obligation de garantie engage donc bien sa
responsabilité contractuelle du fait de la chose objet du contrat
 Seconde hypothèse : la chose est un moyen d’exécuter l’obligation
 Cette hypothèse renvoie principalement aux contrats d’entreprise dont
l’exécution suppose l’utilisation de choses par le maître d’œuvre tels que,
par exemple, des outils ou des instruments.
 Aussi, le maître d’œuvre engage sa responsabilité lorsqu’un dommage
est causé par l’une des choses qu’il avait sous sa garde et qu’il a utilisée
pour fournir la prestation promise.
§2: Le dommage
À titre de remarque liminaire, il peut être observé que l’utilisation du terme
dommage ou de préjudice est indifférente. La plupart des auteurs les tiennent pour
synonymes.

Pour certains, il convient néanmoins de les distinguer en ce que :

 Le dommage serait le fait brut originaire de la lésion affectant la victime


 Le préjudice constituerait, quant à lui, la conséquence de cette lésion
Toujours est-il que, à l’instar de la responsabilité délictuelle, la responsabilité
contractuelle requiert la caractérisation d’un préjudice. La réparation due au
créancier de l’obligation demeura néanmoins limitée au préjudice prévisible.

I) L’exigence d’un préjudice


Alors que la responsabilité délictuelle ne se conçoit pas en dehors de l’existence
d’un dommage, la question s’est posée en matière de responsabilité contractuelle.

On s’est, en effet, demandé s’il était nécessaire de rapporter la preuve d’un


dommage pour engager la responsabilité contractuelle de son cocontractant.
Cette interrogation a suscité vif débat en doctrine, notamment en suite d’un arrêt
rendu par la Cour de cassation le 30 janvier 2002.

Dans cette décision, la troisième chambre civile avait, au visa de l’article 1147 du
Code civil ensemble l’article 1731, affirmé que « l’indemnisation du bailleur en
raison de l’inexécution par le preneur des réparations locatives prévues au bail
n’est subordonnée ni à l’exécution de ces réparations ni à la justification d’un
préjudice » (Cass. 3e  civ. 30 janv. 2002, n°00-15784).
Par cette décision, il était donc admis qu’en matière de bail le créancier n’avait pas
à justifier d’un préjudice pour engager la responsabilité contractuelle du preneur.

Finalement, la Cour de cassation est revenue sur sa position dans un arrêt du 3


décembre 2003 aux termes duquel elle a jugé que « dommages-intérêts ne peuvent
être alloués que si le juge, au moment où il statue, constate qu’il est résulté un
préjudice de la faute contractuelle » (Cass. 3e  civ. 3 déc. 2003, n°02-18033).
Cette position a manifestement été confirmée par le législateur à l’occasion de la
réforme du droit des obligations, lequel n’a pas repris l’ancien article 1145 du Code
civil, disposition sur laquelle s’appuyait la jurisprudence pour écarter l’exigence du
préjudice en matière de responsabilité contractuelle.

À cet égard l’article 1145 disposait que « si l’obligation est de ne pas faire, celui
qui y contrevient doit des dommages et intérêts par le seul fait de la
contravention. »
Aussi, la Cour de cassation en déduisait que pour les obligations de ne pas faire, il
n’y avait pas lieu pour le créancier de justifier d’un préjudice, ce qui était une
lecture pour le moins erronée du texte, celui-ci le dispensant seulement de mettre
en demeure son débiteur (V. en ce sens Cass. 1ère  civ. 10 mai 2005, n°02-15910).
En tout état de cause, l’article 1145 du Code civil a été écarté par l’ordonnance du
10 février 2016 qui a, en revanche, repris l’ancien article 1149 devenu 1231-2.

Cette disposition prévoit, pour mémoire, que « les dommages et intérêts dus au
créancier sont, en général, de la perte qu’il a faite et du gain dont il a été privé,
sauf les exceptions et modifications ci-après. »
La lettre du texte ne laisse que peu de place au doute quant à l’exigence d’établir un
préjudice pour engager la responsabilité contractuelle du débiteur.

II) Les caractères du préjudice


Reprenant les termes de l’ancien article 1149 du Code civil, l’article 1231-2 issu de
l’ordonnance du 10 février 2016 dispose que « les dommages et intérêts dus au
créancier sont, en général, de la perte qu’il a faite et du gain dont il a été privé,
sauf les exceptions et modifications ci-après. »
L’article 1231-3 ajoute que « le débiteur n’est tenu que des dommages et intérêts
qui ont été prévus ou qui pouvaient être prévus lors de la conclusion du contrat,
sauf lorsque l’inexécution est due à une faute lourde ou dolosive. »
Il ressort de la combinaison de ces deux dispositions que, pour être réparable, le
préjudice qui résulte d’une inexécution contractuelle doit

 D’une part, être certain.


 D’autre part, être prévisible
A) Un préjudice certain
Si l’on se reporte à la définition du dictionnaire, est certain ce qui ne fait pas de
doute, ce qui est conforme aux critères de la vérité.

Ainsi, le dommage est certain lorsqu’il est établi et avéré.

Le dommage certain s’oppose, en ce sens, au préjudice éventuel, soit le préjudice


dont on ne sait pas s’il se produira.

Pratiquement, par certitude du dommage, il faut entendre, au sens de l’article 1231-


2 du Code civil, que le dommage s’est réalisé :

 Soit parce que la victime a éprouvé une perte (1)


 Soit parce que la victime a manqué un gain (2)
1. La victime a éprouvé une perte
La perte éprouvée par la victime peut être :

 Soit actuelle
 Soit future
a) Le préjudice actuel
Le dommage actuel est celui qui s’est déjà réalisé. À la vérité, lorsque le dommage
est déjà survenu, cette situation ne soulève guère de difficulté s’agissant de
l’indemnisation de la victime.

Mais quid lorsque le dommage ne s’est pas encore réalisé ? Peut-on réparer un
préjudice futur ?
b) Le préjudice futur
==> Préjudice futur et préjudice actuel

Contrairement à une idée reçue, le préjudice futur ne s’oppose pas au préjudice


actuel en ce qu’il ne serait pas réparable.

Ces deux sortes de préjudice s’opposent uniquement en raison de leur date de


survenance.

Au vrai, dès lors que le préjudice futur et le préjudice actuel présentent un caractère
certain, tous deux sont réparables.

==> Préjudice futur et préjudice éventuel

En matière de responsabilité, le préjudice futur s’oppose, en réalité, au préjudice


éventuel dont la réalisation n’est pas certaine.

Dès lors que l’éventualité du préjudice « ne s’est pas transformée en certitude »,
pour reprendre une expression de François Terré, le préjudice n’est pas réparable,
contrairement au préjudice futur dont la réalisation est certaine.
==> Le préjudice futur certain

Ce qui importe c’est donc que le préjudice futur soit certain pour être réparable.

La Cour de cassation a eu l’occasion d’affirmer ce principe en jugeant, dès 1932


que « s’il n’est pas possible d’allouer des dommages-intérêts en réparation d’un
préjudice purement éventuel, il en est autrement lorsque le préjudice, bien que
futur, apparaît aux juges du fait comme la prolongation certaine et directe d’un
état de choses actuel et comme étant susceptible d’estimation immédiate » (Cass.
crim., 1er  juin 1932).
Surtout, le projet de réforme de la responsabilité civile envisage l’introduction
d’un article 1236 dans le Code civil qui disposerait que « le préjudice futur est
réparable lorsqu’il est la prolongation certaine et directe d’un état de choses
actuel »
Exemples :
 Dans un arrêt du 13 mars 1967, la Cour de cassation a estimé que la victime
d’un accident de la circulation était fondée à obtenir réparation du préjudice
futur occasionné par l’ablation de la rate, laquelle est de nature à raccourcir
son espérance de vie ( 2e civ., 13 mars 1967).
 Dans un arrêt du 3 mars 1993, la Cour de cassation a jugé que «  des
propriétaires d’immeubles justifiaient d’un préjudice certain du fait de la
présence d’une ancienne carrière de calcaire asphaltique et du classement,
à la suite d’effondrements du sol, comme zone de risque d’une partie du
territoire de la commune, dès lors qu’elle relève que les tassements de sol
se poursuivront de façon lente et irrégulière, avec parfois une accélération
brutale, imprévisible et dangereuse, et que le sous-sol étant « déconsolidé »
d’une manière irréversible, les immeubles seront soumis à plus ou moins
brève échéance à de graves désordres voire à un effondrement qui les
rendra inhabitables» (  2e civ., 3 mars 1993).
2. La victime a manqué un gain
Le dommage réparable ne consiste pas toujours en une perte pour la victime ; il
peut également s’agir d’un manque à gagner.

La Cour de cassation qualifie ce manque à gagner, lorsqu’il est réparable, de perte


d’une chance.

 Reconnaissance de la perte d’une chance comme préjudice réparable


 Dans un arrêt fondateur du 17 juillet 1889 la Cour de cassation a
reconnu, pour la première fois, le caractère réparable de la perte de
chance.
 En l’espèce, le client d’un huissier de justice est privé de la
possibilité de faire appel d’un jugement et, par voie de conséquence,
de gagner son procès en raison de la faute commise par l’officier
ministériel, laquelle faute a entraîné la nullité de l’acte portant
déclaration d’appel.
 La Cour de cassation reconnaît au client de l’étude un droit à
réparation, sur le fondement de la perte de chance (  req., 17 juill.
1889)
 Depuis lors, la Cour de cassation reconnaît de façon constante à la
perte de chance le caractère de préjudice réparable (V. en ce sens 1re
civ., 27 janv. 1970  ; Cass. 2e civ., 7 févr. 1996; Cass. 1re civ., 16 janv.
2013)
 Définition
 La Cour de cassation définit la perte de chance comme « la
disparition, par l’effet d’un délit, de la probabilité d’un événement
favorable, encore que ; par définition, la réalisation d’une chance ne
soit jamais certaine» (  crim., 18 mars 1975).
 Dans un arrêt du 4 décembre 1996, la Cour de cassation a
sensiblement rectifié sa définition de la perte de chance en jugeant que
« l’élément de préjudice constitué par la perte d’une chance présente un
caractère direct et certain chaque fois qu’est constatée la disparition,
par l’effet de l’infraction, de la probabilité d’un événement favorable
encore que, par définition, la réalisation d’une chance ne soit jamais
certaine» (  crim., 4 déc. 1996).
 Conditions
 Il ressort des définitions retenues par la Cour de cassation de la perte
de chance que pour être réparable, elle doit satisfaire à plusieurs
conditions :
 L’éventualité favorable doit exister
 Autrement dit, la victime doit avoir été en position de chance, position
dont elle a été privée en raison de la production du fait dommageable.
 Exemple : la Cour de cassation a-t-elle refusé d’indemniser un ouvrier
boulanger, victime d’un accident le privant de la possibilité d’ouvrir sa
propre boulangerie, dans la mesure où il n’avait effectué aucune
démarche en ce sens (  2e civ., 3 déc. 1997)
 Le critère utilisé par la Cour de cassation afin de déterminer si
l’éventualité existe est, le plus souvent, le bref délai.
 Moins l’éventualité favorable espérée par la victime se réalisera à
brève échéance et plus le juge sera réticent à reconnaître la perte de
chance
 La disparition de l’éventualité favorable doit être réelle
 Autrement dit, la perte de chance ne doit pas être hypothétique.
 La disparition de l’événement favorable doit être acquise, certaine.
 En somme, la condition qui tient au caractère réel de la perte de
chance n’est autre que la traduction de l’exigence d’un préjudice certain
 La victime ne doit pas avoir la possibilité de voir se représenter
l’éventualité favorable espérée.
 En somme, la disparition de cette éventualité doit être irréversible.
 Ainsi, la Cour de cassation a-t-elle estimé que le candidat qui a perdu
la chance de se présenter à un concours ne peut obtenir réparation de son
préjudice, dès lors qu’il a la possibilité de s’inscrire une nouvelle fois
audit concours (  2e civ., 24 juin 1999)
 La chance perdue doit être sérieuse
 Cela signifie qu’il doit y avoir une probabilité suffisamment forte que
l’événement favorable se réalise (V. en ce sens 1er  civ. 4 avr. 2001)
 On peut ainsi douter du caractère sérieux de la chance d’un étudiant de
réussir un concours, s’il n’a pas été assidu en cours et s’il ne s’est livré à
aucune révision.
 On peut également douter du sérieux de la chance d’un justiciable de
gagner un procès, dans l’hypothèse où il ne dispose d’aucune preuve de
ce qu’il avance.
 Présomption du préjudice
 Dans un arrêt du 14 octobre 2010, la Cour de cassation a posé une
présomption de certitude de la perte de chance, « chaque fois qu’est
constatée la disparition d’une éventualité favorable».
 Autrement dit, la haute juridiction estime que le préjudice est certain,
et donc réparable, dès lors qu’est établie la disparition du gain espéré par
la victime.
 Il s’agit d’une présomption simple, qui donc supporte la preuve du
contraire.
 Réparation de la perte d’une chance
 Dans la mesure où la réalisation de l’événement favorable n’est, par
définition, pas certaine, l’indemnité allouée à la victime ne saurait égaler
le gain espéré.
 Ainsi, le montant de la réparation du préjudice sera-t-il toujours
proportionnel à la probabilité que l’événement se réalise (  1re civ., 27
mars 1973).
 Le juge devra donc toujours prendre en compte l’aléa lors de la
réparation du préjudice.
 Contrôle exercé par la Cour de cassation
 L’évaluation de la perte de chance relève de l’appréciation souveraine
des juges du fond
 La Cour de cassation ne contrôlera que la prise en compte de l’aléa
dans l’indemnisation.
 Elle rappelle en ce sens régulièrement que « la réparation d’une perte
de chance doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à
l’avantage qu’aurait procuré cette chance si elle s’était réalisée»
(  1er  civ., 9 avr. 2002).
B) Un préjudice prévisible
L’article 1231-3 du Code civil prévoit que « le débiteur n’est tenu que des
dommages et intérêts qui ont été prévus ou qui pouvaient être prévus lors de la
conclusion du contrat, sauf lorsque l’inexécution est due à une faute lourde ou
dolosive. »
Pour être réparable, le préjudice qui résulte d’une inexécution contractuelle doit
ainsi être prévisible, soit avoir été envisagé contractuellement par les parties.

Lorsque, toutefois, une faute lourde ou dolosive est susceptible d’être reprochée au
débiteur, le son cocontractant sera fondé à réclamer une réparation intégrale de son
préjudice, soit au-delà de ce qui avait été prévu au contrat.

==> Principe

C’est là une différence fondamentale avec la responsabilité délictuelle, la


responsabilité contractuelle ne donne pas lieu à application du principe de
réparation intégrale du dommage.

En effet, l’article 1231-3 du Code civil dispose que « le débiteur n’est tenu que des
dommages et intérêts qui ont été prévus ou qui pouvaient être prévus lors de la
conclusion du contrat […] ».
Cette règle procède de l’idée, comme rappelé dans le Rapport au Président de la
République relatif à l’ordonnance du 10 février 2016 que le contrat est avant tout
un instrument de prévisibilité.

Il est donc logique d’en limiter la réparation aux dommages qui ont été prévus ou
qui étaient prévisibles lors de la conclusion du contrat.

À cet égard, la prévisibilité porte tant sur la cause du dommage (sa nature) que sur
sa quotité (son montant).

Aussi, en matière de contrat de transport par exemple, il ne suffit pas que le


transporteur soit en mesure de prévoir les dommages susceptibles d’advenir aux
marchandises pour que son cocontractant soit fondé à solliciter une complète
indemnisation en cas de sinistre.

Il faut encore que les parties aient prévu la valeur des marchandises acheminées, en
particulier si elle est élevée. À défaut, l’indemnisation sera limitée au
remboursement du prix moyen des marchandises qu’il transporte habituellement.
Ainsi, l’exigence de prévisibilité du préjudice suppose que celui qui s’engage soit
en mesure de savoir à quoi il s’expose dans l’hypothèse où l’inexécution de son
obligation cause un dommage à son cocontractant.

Lorsque, dès lors, la prestation porte sur une chose, le débiteur doit en connaître la
valeur, faute de quoi en cas de perte, de disparition ou de détérioration, les
dommages et intérêts alloués au créancier de l’obligation inexécutée ne pourront
pas correspondre à cette valeur.

==> Exception

Par exception au principe de prévisibilité du préjudice, l’article 1231-3 du Code


civil pose que, en cas de faute lourde ou dolosive, la réparation du préjudice causé
au cocontractant est intégrale.

La question qui immédiatement se pose est alors de savoir ce que l’on doit entendre
par faute dolosive et faute lourde.

Si les textes sont silencieux sur ce point, le Rapport au Président de la République


relatif à l’ordonnance du 10 février 2016 indique que « les articles 1231-3 et 1231-
4 sont conformes aux articles 1150 et 1151, mais consacrent en outre la
jurisprudence assimilant la faute lourde au dol, la gravité de l’imprudence
délibérée dans ce cas confinant à l’intention. »
C’est donc vers la jurisprudence antérieure qu’il convient de se tourner pour
déterminer ce que l’on doit entendre par faute lourde et par faute dolosive.

La différence entre les deux fautes tient, en substance, à l’intention de l’auteur de la


faute :

 La faute lourde
 Elle est définie par la jurisprudence, selon la formule consacrée,
comme « le comportement d’une extrême gravité, confinant au dol et
dénotant l’inaptitude du débiteur de l’obligation à l’accomplissement de
la mission contractuelle qu’il avait accepté» (V. en ce sens Ch. Mixte 22
avr. 2005, n° 03-14112).
 La faute lourde comprend donc deux éléments :
 Un élément subjectif : le comportement confinant au dol, soit à
une faute d’une extrême gravité.
 Un élément objectif: l’inaptitude quant à l’accomplissement de
la mission contractuelle.
 La faute dolosive
 Elle est définie quant à elle comme l’inexécution délibérée, et donc
volontaire, des obligations contractuelles.
 À cet égard dans un arrêt du 27 juin 2001, la Cour de cassation a jugé
en ce sens que « le constructeur […] est sauf faute extérieure au contrat,
contractuellement tenu à l’égard du maître de l’ouvrage de sa faute
dolosive lorsque, de propos délibéré même sans intention de nuire, il
viole par dissimulation ou par fraude ses obligations contractuelles»
(  3e  civ. 27 juin 2001, n°99-21017).
 Il ressort de la jurisprudence que la faute dolosive suppose que le
débiteur ait seulement voulu manquer à ses obligations contractuelles. Il
est indifférent qu’il ait voulu causer un préjudice à son cocontractant.
Nonobstant la différence qui existe entre ces deux notions, la faute lourde est
régulièrement assimilée à la faute dolosive par la jurisprudence.

Dans un arrêt du 29 octobre 2014, la Cour de cassation a ainsi rappelé que « la
faute lourde, assimilable au dol, empêche le contractant auquel elle est imputable
de limiter la réparation du préjudice qu’il a causé aux dommages prévus ou
prévisibles lors du contrat et de s’en affranchir par une clause de non-
responsabilité » (Cass. 1ère  civ. 29 oct. 2014, n°13-21980).
L’assimilation de la faute lourde à la faute dolosive aurait, selon le Rapport au
Président de la République relatif à l’ordonnance du 10 février 2016, été reconduite
par le législateur, de sorte que les solutions dégagées par la jurisprudence antérieure
sont toujours valides.

En tout état de cause, lorsque la faute lourde ou la faute dolosive sont caractérisées,
la limitation de l’indemnisation à concurrence du préjudice prévisible est écartée à
la faveur du principe de réparation intégrale qui trouve alors à s’appliquer.

§3: Le lien de causalité


À l’instar de la responsabilité délictuelle, la mise en œuvre de la responsabilité
contractuelle est subordonnée à l’établissement d’un lieu de causalité entre
l’inexécution de l’obligation et le préjudice causé au cocontractant.

Cette exigence est exprimée à l’article 1231-4 du Code civil qui dispose que « dans
le cas même où l’inexécution du contrat résulte d’une faute lourde ou dolosive, les
dommages et intérêts ne comprennent que ce qui est une suite immédiate et directe
de l’inexécution. »
Autrement dit, selon ce texte, qui est une reprise de l’ancien article 1151 du Code
civil, y compris lorsque le débiteur a commis une faute lourde ou dolosive, il
n’engage sa responsabilité contractuelle qu’à la condition que soit établi un lien de
causalité entre le préjudice et l’inexécution du contrat.

L’exigence d’un rapport de causalité entre le fait générateur et le dommage


constitue ainsi le troisième terme de l’équation en matière de responsabilité
contractuelle.

Il ne suffit pas, en effet, d’établir l’existence d’un fait générateur et d’un dommage
pour que le cocontractant victime soit fondée à se prévaloir d’un droit à
indemnisation.

Pour que naisse l’obligation de réparation, encore faut-il que soit établie l’existence
d’une relation de cause à effet.

On ne saurait rechercher la responsabilité d’une personne si elle est étrangère à la


réalisation du fait dommageable. Comme s’accordent à le dire les auteurs, il s’agit
là d’une exigence de la raison !

Comme le souligne le doyen Carbonnier le rapport de causalité peut être envisagé


de deux façons distinctes dans le procès en responsabilité :

 La victime du dommage tentera, de son côté, d’établir l’existence d’un lien


de causalité afin d’être indemnisée de son préjudice. Pour ce faire, il lui
appartiendra :
 D’une part, d’identifier la cause du dommage
 D’autre part, de prouver le lien de causalité
 L’auteur du dommage s’emploiera, quant à lui, à démontrer la rupture du
lien de causalité afin de faire échec à l’action en responsabilité dirigée contre
lui.
 Cela revient, pour ce dernier, à se prévaloir de causes d’exonération.
Ainsi, l’étude du lien de causalité suppose-t-elle d’envisager les deux facettes du
lien de causalité

I) L’existence d’un lien de causalité


Bien que l’exigence d’un rapport de causalité ne soulève guère de difficulté dans
son énoncé, sa mise en œuvre n’en est pas moins éminemment complexe.

La complexité du problème tient à la détermination du lien de causalité en elle-


même.

Afin d’apprécier la responsabilité du défendeur, la question se posera, en effet, au


juge de savoir quel fait retenir parmi toutes les causes qui ont concouru à la
production du dommage.

Or elles sont potentiellement multiples, sinon infinies dans l’absolu.

==> Illustration de la difficulté d’appréhender le rapport de causalité

 En glissant sur le sol encore humide d’un supermarché, un vendeur heurte un


client qui, en tombant, se fracture le coccyx
 Ce dernier est immédiatement pris en charge par les pompiers qui décident
de l’emmener à l’hôpital le plus proche.
 En chemin, l’ambulance a un accident causant, au patient qu’elle transportait,
au traumatisme crânien.
 Par chance, l’hôpital n’étant plus très loin, la victime a été rapidement
conduite au bloc opératoire.
 L’opération se déroule au mieux.
 Cependant, à la suite de l’intervention chirurgicale, elle contracte une
infection nosocomiale, dont elle décédera quelques jours plus tard
==> Quid juris : qui est responsable du décès de la victime?
 Plusieurs responsables sont susceptibles d’être désignés en l’espèce :
 Est-ce l’hôpital qui a manqué aux règles d’asepsie qui doivent être observées
dans un bloc opératoire ?
 Est-ce le conducteur du véhicule à l’origine de l’accident dont a été victime
l’ambulance ?
 Est-ce le supermarché qui n’a pas mis en garde ses clients que le sol était
encore glissant ?
 Est-ce le vendeur du magasin qui a heurté le client ?
À la vérité, si l’on raisonne par l’absurde, il est possible de remonter la chaîne de la
causalité indéfiniment.

Il apparaît, dans ces conditions, que pour chaque dommage les causes sont
multiples.

Une question alors se pose :

Faut-il retenir toutes les causes qui ont concouru à la production du dommage
ou doit-on seulement en retenir certaines ?
==> Causes juridiques / causes scientifiques

 Fort logiquement, le juge ne s’intéressera pas à toutes les causes qui ont concouru
à la production du dommage.
Ainsi, les causes scientifiques lui importeront peu, sauf à ce qu’elles conduisent à
une personne dont la responsabilité est susceptible d’être engagée

Deux raisons l’expliquent :

 D’une part, le juge n’a pas vocation à recenser toutes les causes du
dommage. Cette tâche revient à l’expert.
 D’autre part, sa mission se borne à déterminer si le défendeur doit ou non
répondre du dommage.
Ainsi, le juge ne s’intéressera qu’aux causes du dommage que l’on pourrait
qualifier de juridiques, soit aux seules causes génératrices de responsabilité.

Bien que cela exclut, de fait, un nombre important de causes – scientifiques – le


problème du lien de causalité n’en est pas moins résolu pour autant.

En effet, faut-il retenir toutes les causes génératrices de responsabilité ou seulement


certaines d’entre elles ?

==> Les théories de la causalité

Afin d’appréhender le rapport de causalité dont l’appréhension est source de


nombreuses difficultés, la doctrine a élaboré deux théories :
 La théorie de l’équivalence des conditions
 La théorie de la causalité adéquate
> La théorie de l’équivalence des conditions
 Exposé de la théorie
 Selon la théorie de l’équivalence des conditions, tous les faits qui ont
concouru à la production du dommage doivent être retenus, de manière
équivalente, comme les causes juridiques dudit dommage, sans qu’il y ait
lieu de les distinguer, ni de les hiérarchiser.
 Cette théorie repose sur l’idée que si l’un des faits à l’origine de la
lésion n’était pas survenu, le dommage ne se serait pas produit.
 Aussi, cela justifie-t-il que tous les faits qui ont été nécessaires à la
production du dommage soient placés sur un pied d’égalité.
 Critique
 Avantages
 La théorie de l’équivalence des conditions est,
incontestablement, extrêmement simple à mettre en œuvre, dans la
mesure où il n’est point d’opérer de tri entre toutes les causes qui ont
concouru à la production du dommage
 Tous les maillons de la chaîne de responsabilité sont mis sur le
même plan.
 Inconvénients
 L’application de la théorie de l’équivalence des conditions est
susceptible de conduire à retenir des causes très lointaines du
dommage dès lors que, sans leur survenance, le dommage ne se serait
pas produit, peu importe leur degré d’implication.
 Comme le relève Patrice Jourdain, il y a donc un risque, en
retenant cette théorie de contraindre le juge à remonter la « causalité
de l’Univers».
> La théorie de la causalité adéquate
 Exposé de la théorie
 Selon la théorie de la causalité adéquate, tous les faits qui ont
concouru à la production du dommage ne sont pas des causes juridiques.
 Tous ne sont pas placés sur un pied d’égalité, dans la mesure où
chacun possède un degré d’implication différent dans la survenance du
dommage.
 Aussi, seule la cause prépondérante doit être retenue comme fait
générateur de responsabilité.
 Il s’agit, en d’autres termes, pour le juge de sélectionner, parmi la
multitude de causes qui se présentent à lui, celle qui a joué un rôle majeur
dans la réalisation du préjudice.
 Critique
 Avantage
 En ne retenant comme fait générateur de responsabilité que la
cause « adéquate », cela permet de dispenser le juge de remonter à
l’infini la chaîne de la causalité
 Ainsi, seule les causes proches peuvent être génératrices de
responsabilité
 Inconvénient
 La détermination de la « véritable cause du dommage », procède
plus de l’arbitraire que de la raison.
 Sur quel critère objectif le juge doit-il s’appuyer pour
déterminer quelle cause est adéquate parmi tous les faits qui ont
concouru à la production du dommage ?
 La théorie est alors susceptible de conduire à une injustice :
 Tantôt en écartant la responsabilité d’un agent au seul
motif qu’il n’a pas joué à un rôle prépondérant dans la réalisation
du préjudice.
 Tantôt en retenant la responsabilité de ce même agent au
motif qu’il se situe en amont de la chaîne de causalité.
==> L’état du droit positif
Quelle théorie la jurisprudence a-t-elle retenu entre la thèse de l’équivalence des
conditions et celle de la causalité adéquate ?

À la vérité, la Cour de cassation fait preuve de pragmatisme en matière de


causalité, en ce sens que son choix se portera sur l’une ou l’autre théorie selon le
résultat recherché :

 Lorsqu’elle souhaitera trouver un responsable à tout prix, il lui faudra retenir


une conception large de la causalité, de sorte que cela la conduira à faire
application de la théorie de l’équivalence des conditions
 Lorsque, en revanche, la Cour de cassation souhaitera écarter la
responsabilité d’un agent, elle adoptera une conception plutôt restrictive de
la causalité, ce qui la conduira à recourir à la théorie de la causalité adéquate
En matière de responsabilité contractuelle, afin de guider le juge dans sa recherche
du lien de causalité, les parties n’hésiteront pas à établir, dans le contrat, une liste
des préjudices qu’elles considèrent comme indirect et donc exclus du domaine du
droit à indemnisation.

L’analyse de la jurisprudence révèle que le préjudice indirect est celui, soit qui
n’est pas une conséquence immédiate de l’inexécution, soit qui résulte de la
survenance d’une cause étrangère (fait de la nature, fait d’un tiers ou fait du
créancier).

En tout état de cause, la Cour de cassation exerce un contrôle sur la caractérisation


du lien de causalité par les juges du fond, de sorte que la preuve de la causalité ne
saurait être négligée par les parties (V. en ce sens Com. 13 sept. 2011, n°10-15732).
II) La rupture du lien de causalité
A) Notion de cause étrangère
Il ne suffit pas qu’une inexécution contractuelle soit établie pour que naisse une
obligation de réparation à la charge du débiteur de l’obligation violée .

Encore faut-il que ce dernier ne puisse pas s’exonérer de sa responsabilité.

Pour mémoire :

Dans la mesure où les conditions de mise en œuvre de la responsabilité civile sont


cumulatives, le non-respect d’une d’entre elles suffit à faire obstacle à
l’indemnisation de la victime.

Aussi, en simplifiant à l’extrême, le défendeur dispose-t-il de deux leviers pour


faire échec à l’action en réparation :
 Soit, il démontre que le dommage subi par le demandeur ne constitue pas
un préjudice réparable, en ce sens qu’il ne répond pas aux exigences
requises (certain et prévisible).
 Soit, il démontre que le dommage ne serait jamais produit si un événement
étranger à son propre fait n’était pas survenu.
 Il doit, en d’autres termes, établir que, de par l’intervention de cet
événement – que l’on qualifie de cause étrangère – le lien de causalité a
été partiellement ou totalement rompu.

==> Notion de cause étrangère

La notion de cause étrangère désigne, de façon générique tout événement, non


imputable à l’auteur du dommage dont la survenance a pour effet de rompre
totalement ou partiellement le rapport causal.

Autrement dit, si la cause étrangère au fait personnel, au fait de la chose ou au fait


d’autrui ne s’était pas réalisée, le dommage ne se serait pas produit, à tout le moins
pas dans les mêmes proportions.

C’est la raison pour laquelle, dès lors qu’elle est établie, la cause étrangère est
susceptible de constituer une cause d’exonération totale ou partielle de
responsabilité.
Si les textes relatifs à la responsabilité civile ne font nullement référence à la cause
étrangère, tel n’est pas le cas en matière de responsabilité contractuelle.

L’article 1218 du Code civil dispose en ce sens que :

« Il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu’un événement échappant


au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la
conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures
appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur. »
L’article 1351 prévoit encore que :

« L’impossibilité d’exécuter la prestation libère le débiteur à due


concurrence lorsqu’elle procède d’un cas de force majeure et qu’elle est
définitive, à moins qu’il n’ait convenu de s’en charger ou qu’il ait été
préalablement mis en demeure. »
==> Manifestations de la cause étrangère

La cause étrangère est susceptible de se manifester sous trois formes différentes :

 Le fait d’un tiers


 Un tiers peut avoir concouru à la production du dommage, de sorte
que s’il n’était pas intervenu aucun fait illicite n’aurait pu être imputé au
défendeur.
 Le fait de la victime
 La victime peut avoir commis une faute qui a contribué à la production
de son propre dommage.
 Le cas fortuit
 Il s’agit d’événements naturels (inondation, tornade, incendie) ou
d’actions humaines collectives (grève, guerre, manifestation)
B) Cause étrangère et force majeure
Trop souvent la cause étrangère est confondue avec la force majeure alors qu’il
s’agit là de deux notions biens distinctes :

 La cause étrangère consiste en un fait, un événement dont la survenance a


pour effet de rompre le lien de causalité entre le fait générateur de
responsabilité et le dommage
 La force majeure consiste quant à elle, non pas en un fait, mais en plusieurs
caractères que la cause étrangère est susceptible d’endosser.
Si sous l’empire du droit antérieur à l’ordonnance du 10 février 2016 le cas de force
majeur n’était défini par aucun texte, il était traditionnellement défini comme un
événement présentant les trois caractères cumulatifs que sont l’extériorité,
l’imprévisibilité et l’irrésistibilité.

Les critères traditionnels que l’on prête à la force majeure ont-ils été repris
par l’article 1218 du Code civil qui définit la force majeure comme ?

Cette disposition prévoit qu’« il y a force majeure en matière contractuelle


lorsqu’un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être
raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne
peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l’exécution de son
obligation par le débiteur ».
Selon le Rapport au président de la république relatif à l’ordonnance du 10 février
2016 l’intention du législateur est claire : le texte reprend la définition prétorienne
de la force majeure en matière contractuelle, délaissant le traditionnel critère
d’extériorité, également abandonné par l’assemblée plénière de la Cour de
cassation en 2006, pour ne retenir que ceux d’imprévisibilité et d’irrésistibilité.

Si la volonté d’abandonner le critère d’extériorité est difficilement contestable,


reste qu’une analyse de l’article 1218 interroge sur le succès de la manœuvre.

1. Sur le critère d’extériorité


==> Notion

Dans la conception classique, l’événement constitutif de la force majeure doit être


extérieur (ou résulter d’une cause étrangère), c’est-à-dire doit être indépendant de
la volonté de l’agent, à tout le moins à son activité.

En matière contractuelle, la condition d’extériorité était évoquée à l’article 1147 du


Code civil, qui faisait référence à la « cause étrangère » non imputable au débiteur.
L’extériorité s’entendait ici d’un événement indépendant de la volonté de celui qui
doit exécuter le contrat et rendant impossible l’exécution du contrat.

À cet égard, il ne suffisait pas que l’exécution de l’obligation soit rendue plus
difficile ou plus onéreuse par la survenance de l’événement extérieur (Cass., com.,
12 novembre 1969), il fallait qu’elle soit effectivement impossible.
Si l’empêchement n’était que momentané, la jurisprudence considérait le débiteur
n’était pas libéré et l’exécution de l’obligation était, dans ces conditions, seulement
suspendue jusqu’au moment où l’événement extérieur venait à cesser (Cass.,
1ère  civ., 24 février 1981).
La condition d’extériorité de l’événement n’était pas, non plus, caractérisée si
l’empêchement d’exécution du contrat résultait de l’attitude ou du comportement
fautif du débiteur (Cass., 1ère  civ., 21 mars 2000).
Ainsi, le vendeur ne pouvait pas invoquer une force majeure extérieure pour
s’exonérer de sa responsabilité en cas de vice caché (Cass. 1ère  civ., 29 octobre
1985), ni en principe le chef d’entreprise en cas de grève de son propre personnel
(Cass., Com., 24 novembre 1953).
Reste que la Cour de cassation a finalement renoncé à l’exigence d’extériorité de
l’événement pour retenir le cas de force majeure exonératoire de responsabilité.

==> Les fluctuations de la jurisprudence

À compter des années 1990, la Cour de cassation a commencé à admettre, dans


plusieurs arrêts, que puissent exister des circonstances internes au débiteur, comme
la maladie, la grève ou des circonstances économiques (le chômage ou l’absence de
ressources, par exemple) susceptibles de constituer des cas de force majeure ;

 La grève a ainsi pu être considérée comme un événement extérieur (,


1ère  civ., 24 janvier 1995), sauf si elle résultait du fait ou d’une faute de
l’employeur
 La maladie a également été déclarée constitutive d’un cas de force majeure
irrésistible, bien qu’elle n’ait pas été extérieure à la personne :
 Dans le cas d’un élève empêché, du fait de la maladie, de suivre
l’enseignement dispensé par l’école contractante (, 1ère  civ. 10 février
1998,)
 Dans le cas de l’annulation d’un voyage en Égypte, par une agence de
voyages, en raison de la maladie de l’égyptologue qui devait
accompagner les visiteurs (, 1ère  civ., 6 novembre 2002)
 Dans le cas du malaise brutal d’un conducteur d’automobile qui, ne
pouvant plus maîtriser son véhicule, a causé un grave accident de la
circulation (  crim. 15 novembre 2005).
Afin de mettre un terme à l’incertitude qui régnait en jurisprudence, la Cour de
cassation a voulu entériner l’abandon du critère de l’extériorité dans un arrêt
d’assemblée plénière du 14 avril 2006 (Cass. ass. plén., 14 avr. 2006, n° 02-
11.168).
Dans cette décision, après avoir rappelé « qu’il n’y a lieu à aucuns dommages-
intérêts lorsque, par suite d’une force majeure ou d’un cas fortuit, le débiteur a été
empêché de donner ou de faire ce à quoi il était obligé, ou a fait ce qui lui était
interdit » les juges ont affirmé « qu’il en est ainsi lorsque le débiteur a été empêché
d’exécuter par la maladie, dès lors que cet événement, présentant un caractère
imprévisible lors de la conclusion du contrat et irrésistible dans son exécution, est
constitutif d’un cas de force majeure »
Cette solution a, deux ans plus tard, été reprise par la première chambre civile qui,
dans un arrêt du 30 octobre 2008, a considéré que « seul un événement présentant
un caractère imprévisible, lors de la conclusion du contrat, et irrésistible dans son
exécution, est constitutif d’un cas de force majeure ». Elle ne fait ainsi plus de
l’extériorité de l’événement une condition au caractère exonératoire de la force
majeure (Cass. 1ère  civ. 30 oct. 2008, n°07-17134).
Bien que l’on eût pu penser que la définition du cas de force majeure était
désormais ancrée en jurisprudence, cela était sans compter sur la chambre sociale
de la Cour de cassation qui, dans un arrêt du 16 mai 2012, a réintroduit l’exigence
d’extériorité de l’événement, en affirmant que « la force majeure permettant à
l’employeur de s’exonérer de tout ou partie des obligations nées de la rupture d’un
contrat de travail s’entend de la survenance d’un événement extérieur,
imprévisible lors de la conclusion du contrat et irrésistible dans son exécution »
(Cass. soc. 16 mai 2012, n° 10-17.726)
Manifestement, cet arrêt n’est pas sans avoir jeté le trouble sur l’exigence
d’extériorité dont la mention n’a pas manqué d’interroger les auteurs sur les
intentions de la Cour de cassation.

Cette interrogation s’est d’autant plus renforcée par la suite que la troisième
chambre civile s’est, à son tour, référée dans un arrêt du 15 octobre 2013 au critère
de l’extériorité pour retenir un cas de force majeure (Cass. 3e  civ. 15 oct. 2013,
n°12-23126).
Constatant que la jurisprudence ne parvenait pas à se fixer en arrêtant une
définition de la force majeure, le législateur a profité de la réforme du droit des
obligations pour mettre un terme, à tout le moins s’y essayer, à l’incertitude
jurisprudentielle qui perdurait jusqu’alors, nonobstant l’intervention de l’assemblée
plénière en 2006.

==> La réforme du droit des obligations

Bien que le rapport au Président de la République signale que le législateur a, lors


de l’adoption de l’ordonnance du 10 février 2016, entendu délaisser « le
traditionnel critère d’extériorité », les termes de l’article 1218 du Code civil pris en
son alinéa 1er interrogent sur l’effectivité de cette annonce.
Cette définition prévoit, en effet, que pour constituer un cas de force majeure
l’événement invoqué doit avoir échappé au contrôle du débiteur.

La question qui immédiatement se pose est alors de savoir à quelles hypothèses


correspond un événement qui échappe au contrôle du débiteur.

En première intention, on pourrait considérer qu’il s’agit d’un événement qui serait
étranger à son activité, car ne relevant pas de son contrôle. Cette interprétention
conduirait néanmoins à réintroduire le critère d’extériorité. Or cela serait contraire
à la volonté du législateur.

Aussi, convient-il d’admettre que le nouveau critère posé par l’article 1218 couvre


un spectre plus large de situations, lesquelles situations sont susceptibles de
correspondre, tant à des événements externes qu’internes. Ce qui importe, pour
constituer un cas de force majeure, c’est que le débiteur n’ait pas de prise sur
l’événement invoqué.

Pris dans cette acception, le critère de « l’absence de contrôle » autorise à inclure, à


l’instar de certaines décisions, dans le giron des cas de force majeure la maladie du
débiteur ou encore la grève à la condition néanmoins que, dans ces deux cas,
l’événement invoqué ne résulte pas de la conduite du débiteur.

En effet, la maladie qui serait causée par la conduite à risque du débiteur ne


devrait, a priori, pas être constitutive d’un cas de force majeure. Il en va de même
pour une grève qui prendrait sa source dans une décision de l’employeur.
2. Sur le critère d’imprévisibilité
Le deuxième élément de la définition de la force majeure posé par l’article 1218 du
Code civil est l’imprévisibilité de l’événement.

Le texte prévoit en ce sens que la force majeure est constituée lorsque notamment
l’événement invoqué « ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la
conclusion du contrat ».
La reprise du critère de l’imprévisibilité par le législateur appelle trois remarques :

En premier lieu, il peut être observé que l’imprévisibilité s’apprécie par référence à
une personne ou un contractant prudent et diligent, et en tenant compte des
circonstances de lieu, de temps, de saison. Il faut que le sujet n’ait pas pu prévoir la
réalisation du dommage.
En deuxième lieu, l’imprévisibilité doit s’apprécier au jour de la formation ou de la
conclusion du contrat, le débiteur ne s’étant engagé qu’en fonction de ce qui était
prévisible à cette date (Cass., com., 3 octobre 1989).
Tout s’ordonne, dans le domaine contractuel, autour des prévisions des parties et
des attentes légitimes du créancier : il faut que l’événement-obstacle crée une
difficulté d’exécution dont le créancier ne pouvait raisonnablement espérer la prise
en charge par le débiteur (20).

Dès lors, si l’événement était prévisible au moment de la formation du contrat, le


débiteur a entendu supporter le risque de ne pas pouvoir exécuter son obligation.

En dernier lieu, l’emploi de la formule « raisonnablement prévu » suggère que


l’imprévisibilité de l’événement puisse n’être que relative, en ce sens qu’il n’est pas
nécessaire que l’événement soit absolument imprévisible pour constituer un cas de
force majeure.
Cette conception de l’imprévisibilité est conforme à la jurisprudence antérieure qui
se contentait d’événements « normalement prévisibles » (Cass., 2e  civ. , 6 juillet
1960 ; Cass. 2e  civ. 27 octobre 1965).
Il est, en effet, constant en jurisprudence que, l’événement est jugé imprévisible en
fonction du temps et du lieu où il se produit et des circonstances qui
l’accompagnent. Il s’apprécie par référence à un homme prudent, mais aussi par
rapport à l’absence de faute de l’agent qui ne pouvait pas prévoir l’événement.

Pour que l’événement soit imprévisible, il faut, peut-on dire, qu’il provoque un
« effet de surprise » au regard du lieu, du moment et des circonstances dans
lesquels il se produit, de telle manière qu’il n’ait pu être prévu par un homme
prudent et avisé.

Ce caractère relatif de l’imprévisibilité est admis par la jurisprudence même dans le


cas d’événements naturels : ainsi, en fonction des circonstances de lieu, de date, de
saison, peuvent ne peut pas être regardés comme des cas de force majeure, le
verglas, la tempête, le vent, l’orage, les inondations, les chutes de neige, le
brouillard, les glissements et effondrements de terrains, etc…

3. Sur le critère d’irrésistibilité


Troisième et dernier critère caractérisant la force majeure posée par l’article 1218,
al. 1er du Code civil : l’irrésistibilité.
Le texte dispose que la force majeure est constituée lorsque les effets de
l’événement « ne peuvent être évités par des mesures appropriées. »
Le rapport au Président de la république précise que l’irrésistibilité de l’événement
doit l’être, tant dans sa survenance (inévitable) que dans ses effets
(insurmontables).

L’irrésistibilité implique donc une appréciation du comportement de l’individu


pendant toute la durée de réalisation de l’événement : de son fait générateur à ses
conséquences.

Pour que l’événement soit irrésistible il faut que la personne concernée ait été dans
l’impossibilité d’agir autrement qu’elle l’a fait.

À cet égard, la doctrine à la notion d’événement « inévitable » ou


« insurmontable ». Aussi, dès lors que l’événement peut être surmonté, y compris
dans des conditions plus difficiles par le débiteur, il n’est pas fondé à se prévaloir
de la force majeure.

C’est donc à une appréciation « in concreto » de l’irrésistibilité que se livre la


jurisprudence, en recherchant si l’événement a engendré ou non pour le sujet une
impossibilité d’exécuter l’obligation ou d’éviter la réalisation du dommage et en
vérifiant si un individu moyen, placé dans les mêmes circonstances, aurait pu
résister et surmonter l’obstacle.
Il peut, en outre, être observé que la jurisprudence antérieure n’exigeait pas une
impossibilité absolue de résister, pour le débiteur, à l’événement à l faveur d’une
approche relative de l’irrésistibilité

En effet, cette dernière est appréciée par référence à un individu ordinaire,


normalement diligent, placé dans les mêmes circonstances de temps, de lieu, de
conjoncture. De nombreux arrêts jugent fortuit, par exemple, l’événement
« normalement irrésistible » ou celui dont on ne pouvait pallier les inconvénients
par des mesures suffisantes.

Il est intéressant de noter que cette approche relative de l’irrésistibilité de la force


majeure est aussi celle de la Cour de justice de l’Union européenne, qui a rendu un
arrêt, le 17 septembre 1987, s’efforçant de donner une définition de la force
majeure en excluant l’idée d’une « impossibilité absolue » (CJUE 17 septembre
1987).
La Cour de Luxembourg affirme dans cet arrêt que la force majeure « ne
présuppose pas une impossibilité absolue », mais qu’elle « exige toutefois qu’il
s’agisse de difficultés anormales, indépendantes de la volonté de la personne et
apparaissant inévitables mêmes si toutes les diligences utiles sont mises en
œuvre ».
C) Cause étrangère de l’inexécution et cause étrangère du préjudice
En matière de responsabilité contractuelle, la cause étrangère est susceptible
d’affecter la chaîne de la causalité à deux endroits différents :

 En premier lieu, la cause étrangère peut être à l’origine de l’inexécution


contractuelle, de sorte que cette inexécution ne pourra pas être imputée au
débiteur, à tout le moins que partiellement
 En second lieu, la cause étrangère peut être à l’origine de la production du
dommage de sorte que celui-ci ne pourra pas être imputé à l’inexécution
contractuelle
Dans les deux cas, la survenance de la cause étrangère a pour effet de rompre,
tantôt totalement, tantôt partiellement, la chaîne de la causalité.

La question qui alors se pose est de savoir dans quels cas cette rupture de la
causalité justifie que le débiteur de l’obligation inexécutée puisse s’exonérer de sa
responsabilité.

1. La cause étrangère de l’inexécution


L’article 1231-1 du Code civil prévoit que « le débiteur est condamné, s’il y a lieu,
au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l’inexécution de l’obligation,
soit à raison du retard dans l’exécution, s’il ne justifie pas que l’exécution a été
empêchée par la force majeure. »
Ainsi, lorsque l’inexécution contractuelle est imputable à une cause
étrangère, l’article 1231-1 exonère le débiteur de sa responsabilité. Cette cause
étrangère peut résulter du fait de la nature, du fait du créancier ou du fait d’un tiers.

En tout état de cause, pour être exonératoire de responsabilité, elle devra présenter
les caractères de la force majeure, soit, conformément à l’article 1218, al. 1 er du
Code civil, consister en un « événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne
pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les
effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l’exécution de
son obligation par le débiteur ».
A contrario, lorsque la cause étrangère ne revêt pas les caractères de la force
majeure, les conséquences de l’inexécution contractuelle devront intégralement être
supportées par le débiteur.
À l’examen, l’appréhension de la cause étrangère par la jurisprudence diffère selon
qu’elle résulte du fait d’autrui ou du fait du créancier.

==> La cause étrangère résulte du fait d’autrui

Pour que l’implication d’autrui dans l’inexécution contractuelle soit exonératoire de


responsabilité pour le débiteur, cette implication doit présenter les caractères de la
force majeure.

Dans le cas contraire, le débiteur devra indemniser le créancier du préjudice qui lui
a été causé par autrui. Tout au plus, ce dernier disposera d’une action récursoire
contre le tiers impliqué dans l’inexécution du contrat.

==> La cause étrangère résulte du fait du créancier

Lorsque cette inexécution est imputable au créancier, deux situations doivent être
distinguées :

 Première situation : l’implication du créancier dans l’inexécution


contractuelle présente les caractères de la force majeure
 Dans cette hypothèse, la règle posée à l’article 1231-1 du Code civil
ne soulève pas de difficulté : le débiteur peut s’exonérer de sa
responsabilité
 À cet égard, il est indifférent que l’implication du créancier soit
fautive : le seul fait du créancier suffit à libérer le débiteur du paiement
de dommages et intérêts
 Ce qui importe c’est la caractérisation de la force majeure qui dès lors
qu’elle est établie produit un effet exonératoire
 Seconde situation : l’implication du créancier dans l’inexécution
contractuelle ne présente pas les caractères de la force majeure
 La problématique est ici plus délicate à résoudre.
 En effet, se pose la question de savoir si, en raison de l’implication du
créancier dans l’inexécution du contrat et, par voie de conséquence, dans
la production de son propre dommage, cette, circonstance pour le moins
particulière, ne pourrait pas justifier, nonobstant l’absence de force
majeure, que le débiteur puisse s’exonérer de sa responsabilité.
 Une application stricte de l’article 1231-1 du Code civil devrait
conduire à répondre par la négative.
 Seule la force majeure peut exonérer le débiteur de sa responsabilité.
 Reste que lorsque c’est le créancier lui-même qui concourt à la
production de son propre dommage, il ne serait pas illégitime de lui en
faire supporter, au moins pour partie, les conséquences de l’inexécution.
 À l’examen, la jurisprudence a tendance à exiger une faute du
créancier pour que le débiteur soit dispensé, à due concurrence de son
implication dans l’inexécution contractuelle, du paiement de dommages
et intérêts.
 Dans un arrêt du 25 novembre 2015, la Cour de cassation a jugé en ce
sens que « la faute du client, lorsqu’elle revêt une certaine gravité,
exonère, totalement ou partiellement en fonction de son influence
causale, l’hôtelier de sa propre responsabilité» (  1ère  civ., 25 nov. 2015,
n°14-21434)
 Le seul fait non fautif du créancier ne permettra donc pas au débiteur
de se dégager de sa responsabilité : il doit pour y parvenir démontrer la
faute de son cocontractant.
2. La cause étrangère du préjudice
Lorsque la cause étrangère a pour effet de rompre la causalité entre l’inexécution
contractuelle et le préjudice, il est indifférent qu’elle présente ou non les caractères
de la force majeure.

Dans cette configuration, nonobstant l’imputation de l’inexécution contractuelle au


débiteur, il n’a pas concouru à la production du dommage.

Dans ces conditions, il n’y a pas lieu de retenir sa responsabilité, sa défaillance,


bien que caractérisée, étant étrangère au préjudice causé à son cocontractant.

Section 2: La mise en oeuvre de la réparation du dommage


La mise en œuvre de la réparation est envisagée aux articles 1231-6 et 1231-7 du
Code civil. Tandis que le premier encadre les dommages et intérêts dus à raison du
retard de paiement d’une obligation, le second régit ceux dus à raison d’une
condamnation en justice
§1: Les dommages et intérêts dus à raison du retard de paiement d’une
obligation de somme d’argent
L’article 1231-6 du Code civil dispose que « les dommages et intérêts dus à raison
du retard dans le paiement d’une obligation de somme d’argent consistent dans
l’intérêt au taux légal, à compter de la mise en demeure. »
À l’examen, ce texte reprend les dispositions de l’ancien article 1153 mais en
modernise et simplifie la formulation.

Ainsi, en cas de retard d’exécution d’une obligation portant sur une somme
d’argent, le texte prévoit que l’indemnisation du créancier pour le préjudice causé
par ce retard, consiste en l’octroi, à titre forfaitaire, d’intérêts – moratoires –
calculés au taux légal et dont l’assiette correspond au montant de la créance due.
L’article 1231-6 ayant une valeur supplétive, il n’est pas interdit aux parties de
prévoir un taux conventionnel. Ce taux conventionnel devra néanmoins, pour
s’appliquer, être expressément stipulé dans le contrat et ne peut être inférieur à trois
fois le taux légal.

En tout état de cause, l’alinéa 2 de l’article 1231-6 précise que les intérêts


moratoires « sont dus sans que le créancier soit tenu de justifier d’aucune perte ».
Est ici posée une présomption de dommage en cas de retard dans l’exécution d’une
obligation de somme d’argent.
Cela signifie que les intérêts moratoires sont automatiquement alloués au créancier,
sauf à ce que le débiteur neutralise la présomption de dommage et démontrer
l’absence de préjudice à raison du retard dans l’exécution de l’obligation.

Quant au point de départ des intérêts moratoires, l’alinéa 1er de l’article 1231-6 du


Code civil prévoit qu’ils courent à compter de la mise en demeure du débiteur.
L’alinéa 3 dispose, enfin, que « le créancier auquel son débiteur en retard a causé,
par sa mauvaise foi, un préjudice indépendant de ce retard, peut obtenir des
dommages et intérêts distincts de l’intérêt moratoire. »
Il ressort de cette disposition que le retard dans l’exécution d’une obligation peut
donner lieu à une indemnisation distincte des intérêts moratoires. Il appartiendra
néanmoins au créancier de démontrer, d’une part, la mauvaise foi du débiteur,
d’autre part l’existence d’un préjudice distinct du retard.

§2: Les dommages et intérêts dus à raison d’une condamnation en justice


L’article 1231-7 du Code civil dispose que « en toute matière, la condamnation à
une indemnité emporte intérêts au taux légal même en l’absence de demande ou de
disposition spéciale du jugement. »
À l’instar de l’article 1236-1, ce texte porte donc sur les intérêts moratoires qui, là
encore, sont forfaitaires et automatiques, puisque fixés au taux légal.

La particularité de ces intérêts moratoires est toutefois triple :

 D’une part, ils sont dus à raison d’une condamnation en justice et non à


raison de l’inexécution d’une obligation contractuelle
 D’autre part, ils jouent de plein droit, même en l’absence de demande ou de
mention au jugement
 Enfin, ils ne sont pas circonscrits au domaine des obligations de somme
d’argent : ils s’appliquent « en toute matière», contrairement aux intérêts
moratoires visés à l’article 1231-6
Quant au point de départ des intérêts moratoires dus à raison d’une condamnation
en justice, l’article 1231-7 pose le principe qu’ils courent à compter du prononcé du
jugement, sauf si la loi ou le juge en disposent autrement.

L’alinéa 2 de cette disposition complète le dispositif en prévoyant que « en cas de
confirmation pure et simple par le juge d’appel d’une décision allouant une
indemnité en réparation d’un dommage, celle-ci porte de plein droit intérêt au taux
légal à compter du jugement de première instance. Dans les autres cas, l’indemnité
allouée en appel porte intérêt à compter de la décision d’appel ».
Deux situations doivent alors être distinguées :

 Le jugement de première instance est confirmé en appel


 Dans cette hypothèse, les intérêts moratoires dus à raison de la
condamnation courent à compter de la décision de première instance
 Le jugement de première instance est infirmé en appel
 Dans cette hypothèse, les intérêts moratoires dus à raison de la
condamnation courent à compter de la décision d’appel
En dépit de la règle ainsi posée, l’article 1231-7 octroie au juge la faculté d’y
déroger, ce qui pourrait impliquer qu’il décide de faire courir les intérêts moratoires
à compter de la décision d’appel au lieu de la décision de première instance et
inversement.

Section 3: L’aménagement conventionnelle de la responsabilité contractuelle


L’aménagement conventionnel de la réparation – qui se distingue de
l’aménagement de la responsabilité, puisqu’il ne porte que sur les effets de la
responsabilité, même s’il peut avoir, en pratique, des effets semblables à une
exonération de responsabilité – peut prendre deux formes :

 Première forme
 Il peut s’agir de clauses limitatives de réparation, se traduisant par une
diminution du montant de la réparation.
 Seconde forme
 Il peut s’agir de clauses dites « pénales », par lesquelles les
contractants évaluent forfaitairement et par avance les dommages et
intérêts dus par le débiteur en cas d’inexécution totale ou partielle, ou
d’exécution tardive du contrat.
 Le forfait peut s’avérer soit plus élevé, soit plus faible que le préjudice
résultant de l’inexécution de l’obligation.
§1: La clause pénale
==> Notion

La clause pénale fait très souvent l’objet d’âpres discussions lors de la conclusion
de contrats commerciaux. Et pour cause, c’est à ce moment précis de la négociation
que les parties évoquent la question de la réparation du préjudice en cas de
manquement contractuel du prestataire.

La clause pénale se définit comme la stipulation « par laquelle les parties


déterminent, forfaitairement et d’avance, l’indemnité à laquelle donnera lieu
l’inexécution de l’obligation contractée »[1].
En stipulant une clause pénale, les contractants cherchent à anticiper les difficultés
liées à l’évaluation judiciaire des dommages et intérêts en cas d’inexécution totale,
partielle ou tardive d’une obligation contractuelle. L’évaluation peut, de la sorte,
être inférieure au montant du préjudice effectivement subi. Elle présentera alors de
nombreuses similitudes avec les clauses limitatives de responsabilité.

Mais elle peut également prévoir une indemnisation supérieure au dommage


susceptible d’être occasionné ; ce en vue de mettre la pression sur le débiteur pour
qu’il satisfasse, spontanément, à ses engagements. Elle s’apparentera en ce cas à
une peine privée.

Bien que la stipulation de cette clause tende à concurrencer, voire empiéter, sur le
monopole juridictionnel de l’État[2], elle n’en a pas moins toujours été admise en
droit français.
Ainsi, sous l’empire du droit antérieur, le Code civil abordait-il les clauses pénales,
d’abord, de manière générale, à l’article 1152, puis, de façon plus spécifique,
aux articles 1226 et suivants.

Elle est désormais régie à l’article 1231-5 qui simplifie et synthétise, en un seul


texte, l’essentiel des dispositions des anciens articles 1226 à 1233 et 1152 relatifs
aux clauses pénales.

==> Nature

Parce que la clause pénale emprunte ses caractères à de nombreuses figures


juridiques, les opinions divergent quant à sa nature.

Pour certains, elle serait une peine privée contractuelle[3]. Les partisans de cette
thèse le justifient en soutenant, tout d’abord, que la fonction principale de la clause
pénale consiste à contraindre le débiteur à satisfaire à ses obligations.
Ainsi se caractériserait-elle, essentiellement, par sa fonction comminatoire[4]. Or
cette fonction est inhérente à la notion de peine.
Le deuxième argument – déterminant – avancé par les tenants de la thèse répressive
consiste à dire que l’inexécution d’une obligation contractuelle suffit à déclencher
l’application de la clause pénale.

Aussi, comme en matière de peine, sa mise en œuvre est indépendante de la


caractérisation d’un préjudice. Enfin, si la clause pénale s’apparente à une peine
privée cela s’explique par le fait que son montant est forfaitaire, de sorte que la
gravité du manquement sanctionné est sans importance.

Dès lors qu’une inexécution est constatée, le débiteur doit s’acquitter de


l’intégralité du montant prévu contractuellement par la clause. Bien que les
arguments qui abondent dans le sens de la thèse répressive soient pour le moins
séduisants, cette thèse ne fait pas l’unanimité.

Pour des auteurs tels que Demolombe, Josserand ou encore Philippe Le Tourneau,
la clause pénale ne serait, en réalité, qu’une clause de dommages-intérêts.
L’argument principal avancé repose sur l’ancien article 1229 du Code civil qui
disposait que « la clause pénale est la compensation des dommages et intérêts que
le créancier souffre de l’inexécution de l’obligation principale ».
Sa fonction principale serait donc la réparation ; une réparation qui viendrait se
substituer à l’évaluation judiciaire. D’où la règle énoncée à l’alinéa 2 de l’article
1229, qui prévoyait que le bénéfice de la clause pénale ne peut pas se cumuler avec
l’exécution de l’obligation principale.

Le principe de non-cumul posé par cette disposition démontrerait que la clause


pénale a vocation à réparer et non à punir. Là encore, les arguments avancés au
soutien de la thèse réparatrice sont extrêmement convaincants.

Les auteurs qui la soutiennent demeurent néanmoins minoritaires. Au surplus, la


définition de la clause pénale posée par l’ancien article 1229 du Code civil n’a pas
été reprise par l’ordonnance du 10 février 2016, ce qui n’est pas, désormais, sans
priver leur raisonnement de base légale.

À l’examen, la majorité des auteurs estiment que la vérité se situerait au milieu, soit
entre la thèse répressive et la thèse réparatrice.

Autrement dit, la clause pénale revêtirait une nature hybride. La conjugaison de sa


fonction comminatoire et réparatrice ferait d’elle, tout à la fois une peine privée et
une clause de dommages-intérêts.

Pour justifier cette thèse il est avancé que, dans la mesure où le montant fixé
conventionnement par les parties peut être inférieur ou supérieur au préjudice
éprouvé par le créancier, la clause pénale s’apparenterait, tantôt à une clause
limitative de responsabilité, tantôt à une peine privée. D’où sa nature hybride.

Au total, il apparaît que, tant les théories monistes, que la théorie dualiste sont
séduisantes : chaque thèse a le mérite, en faisant ressortir un ou plusieurs traits
saillants de la clause pénale, de lever un peu plus le voile sur sa nature.

À cet égard, nonobstant leurs divergences, ces thèses partagent toutes un point en
commun : les auteurs admettent, en effet, unanimement que la clause pénale
remplit une fonction réparatrice.

Et si, pour les partisans de la thèse répressive, cette fonction n’est qu’accessoire,
elle n’en demeure pas moins pour eux une caractéristique de la clause pénale.
Denis Mazeaud affirme en ce sens que « quand un préjudice a été causé par
l’inexécution illicite imputable au débiteur, la peine fait accessoirement fonction
de réparation »[5].
Elle remplit ainsi la même fonction que la responsabilité contractuelle, à la
différence près, néanmoins, que la clause pénale vise, non pas à réparer le préjudice
effectivement subi par le cocontractant, mais à allouer au créancier une indemnité
de réparation forfaitaire.

==> Le caractère forfaitaire de la clause pénale

L’article 1231-5 du Code civil prévoit que « lorsque le contrat stipule que celui qui
manquera de l’exécuter paiera une certaine somme à titre de dommages et intérêts,
il ne peut être alloué à l’autre partie une somme plus forte ni moindre. »
Il s’infère de cette disposition que la clause pénale présente un caractère forfaitaire,
en ce sens que, en cas d’inexécution contractuelle, elle fera office d’indemnité de
réparation indépendamment du montant du préjudice subi par le créancier.

L’enjeu pour les parties sera alors de fixer un montant de la clause pénale qui,
d’une part, ne risque pas d’être révisé par le juge, parce que excessif, d’autre part,
qui soit suffisamment élevé pour correspondre au préjudice qu’elle vise à réparer.

Conséquence, du caractère forfaitaire de la clause pénale, d’aucuns soutiennent


qu’elle est libératoire.

==> Le caractère libératoire de la clause pénale

Dans la pratique, il est un débat récurrent qui revient entre les parties : la clause
pénale est-elle ou non libératoire ? L’enjeu de cette question ne saurait être
mésestimé.

Dans l’hypothèse où elle le serait, le paiement de la pénalité par la partie qui a


manqué à son obligation ferait purement et simplement obstacle à l’introduction
postérieure, par le créancier, d’une action en responsabilité contractuelle devant les
tribunaux.

À l’inverse, si la clause pénale revêtait un caractère libératoire, cela signifierait que


l’allocation de dommages et intérêts conventionnels pourrait se cumuler avec une
indemnisation judiciaire. L’hésitation entre les deux thèses est permise.
D’un côté, lorsque la clause pénale stipule que le débiteur devra payer une
indemnité en cas de retard dans l’exécution de sa prestation, elle se rapproche très
fortement de l’astreinte. Or le prononcé d’une astreinte par le juge est indépendant
de l’octroi au créancier de dommages et intérêts (Cass. 1ère  civ., 28 fév. 1989).
D’un autre côté, la clause pénale vise à indemniser les conséquences d’un
manquement à une obligation contractuelle. Il apparaîtrait dès lors troublant que le
créancier puisse bénéficier d’une double indemnisation, avec le risque que le
montant des dommages et intérêts cumulés soit supérieur à celui qui lui aurait été
alloué judiciairement.

Reste que si la clause pénale se voit assigner, même accessoirement, une fonction
réparatrice, il peut en être réduit qu’elle revêt, corrélativement, un caractère
libératoire.

L’ancien article 1229 du Code civil prévoyait en ce sens que « la clause pénale est
la compensation des dommages et intérêts ». Par compensation il fallait
comprendre que l’indemnité perçue par le créancier supplante l’indemnité
réparatrice qui lui aurait été allouée par le juge.
À cet égard, on peut ainsi lire sous la plume d’éminents auteurs que « l’évaluation
conventionnelle des dommages-intérêts est substituée à l’évaluation judiciaire
qu’elle rend inutile »[6].
Par ailleurs, si la clause pénale n’était pas libératoire, rien ne la distinguerait de
l’astreinte. Or le prononcé d’une astreinte peut se cumuler avec l’octroi de
dommages et intérêts (V. en ce sens Cass. 1ère  civ., 28 fév. 1989 : Bull. civ. I, n. 97).
L’application de la clause pénale ne saurait, en conséquence, se cumuler avec
l’octroi d’une indemnisation judiciaire. La cour de cassation abonde indirectement
en ce sens lorsqu’elle admet qu’un cumul n’est possible que dans l’hypothèse où le
préjudice dont la réparation est demandée est distinct de celui couvert par la clause
(Cass. soc., 21 nov. 1978 : Bull. civ. 1978, V, n° 589 ; Cass. com., 20 mai 1997 :
JCP G 1997, IV, 1441).
Mieux, dans un arrêt du 14 juin 2006, la Cour de cassation a jugé que la clause
pénale « constitue une évaluation forfaitaire et anticipée du montant du préjudice »
(Cass. com. 14 juin 2016 n°15-12734).
La solution ici dégagée par la Cour de cassation, qui ne laisse guère place au doute
sur le caractère libératoire de la clause pénale, a été confirmée par l’ordonnance du
10 février 2016 qui précise à l’article 1231-5 du Code civil que cette clause vise à
octroyer à cocontractant victime d’une inexécution contractuelle « une certaine
somme à titre de dommages et intérêts ».
Si le créancier perçoit des dommages et intérêts du chef de l’application de la
clause pénale, c’est que son préjudice a été réparé et que, par voie de conséquence,
l’objet du litige potentiel susceptible de l’opposer au débiteur est épuisé.

Aussi, sera-t-il irrecevable à agir en responsabilité contractuelle une fois le montant


de la clause pénale réglé. Encore faut-il que les conditions de mise en œuvre de la
clause pénale soient réunies.

I) Les conditions de mise en œuvre de la clause pénale


A) Une inexécution contractuelle
La clause pénale vise à sanctionner une inexécution contractuelle, indépendamment
du préjudice susceptible d’être causé au créancier.

L’inexécution donnant lieu à la mise en œuvre de la clause pénale doit néanmoins


avoir été définie contractuellement pas les parties.

Autrement dit, il doit avoir été prévu, dans le contrat, le fait générateur qui ouvrira
le droit au paiement de pénalités.

Quant à la nature de l’inexécution, elle peut consister, tant en un retard, qu’en


l’absence de délivrance de la chose. Plus généralement elle consiste en la fourniture
d’une prestation non conforme aux stipulations contractuelles.

À cet égard, il est indifférent que l’inexécution sanctionnée porte ou non sur une
obligation essentielle : ce qui importe c’est que l’obligation en cause soit
expressément visée par la clause pénale.

En cas de survenance d’une cause étrangère ayant pour effet d’empêcher le


débiteur d’exécuter son obligation, la jurisprudence admet que le jeu de la clause
pénale est neutralisé, sauf stipulation contraire (V. en ce sens Cass. req. 3 déc.
1890)
Ainsi, pour que les pénalités soient dues, l’inexécution contractuelle doit être
imputable au débiteur.

Enfin, il convient d’observer que l’inexécution du contrat est une condition


suffisante à la mise en œuvre de la clause pénale. Des pénalités pourront, dans ces
conditions, être dues au créancier même en l’absence de préjudice (V. en ce
sens Cass. 3e  civ., 12 janv. 1994, no 91-19540).
C’est là tout l’intérêt de la clause pénale, elle ne remplit pas seulement une fonction
réparatrice : elle vise également à sanctionner une inexécution contractuelle.

B) La mise en demeure du débiteur


L’article 1231-5 du Code civil dispose que « sauf inexécution définitive, la pénalité
n’est encourue que lorsque le débiteur est mis en demeure. »
Ainsi, la mise en œuvre de la clause pénale suppose, au préalable, la mise en
demeure de la clause pénale, faute de quoi les pénalités ne sont pas dues.

Cette exigence est directement reprise de l’ancien article 1230 du Code civil qui
prévoyait que « soit que l’obligation primitive contienne, soit qu’elle ne contienne
pas un terme dans lequel elle doive être accomplie, la peine n’est encourue que
lorsque celui qui s’est obligé soit à livrer, soit à prendre, soit à faire, est en
demeure. »
Si la mise en demeure est la règle, le créancier en sera dispensé lorsque
l’inexécution de l’obligation est définitive, soit lorsque le débiteur ne sera pas en
mesure de surmonter son retard. Tel est le cas, par exemple, lorsqu’il a failli à son
obligation d’acheminer au pli avant une date butoir.

En tout état de cause, dans les cas où elle est exigée, la mise en demeure devra être
adressée au débiteur selon les formes prévues aux articles 1344 et suivants du Code
civil.

Pour rappel, la mise en demeure se définit comme l’acte par lequel le créancier
commande à son débiteur d’exécuter son obligation.

Elle peut prendre la forme, selon les termes de l’article 1344 du Code civil, soit
d’une sommation, soit d’un acte portant interpellation suffisante.

Au fond, l’exigence de mise en demeure préalable à toute demande d’exécution


d’une obligation vise à laisser une ultime chance au débiteur de s’exécuter.

À cet égard, l’absence de mise en demeure pourrait être invoquée par le débiteur
comme un moyen de défense au fond lequel est susceptible d’avoir pour effet de
tenir en échec la demande d’application de la clause pénale formulée par le
créancier.

Quant au contenu de la mise en demeure, l’acte doit comporter :


 Une sommation ou une interpellation suffisante du débiteur
 Le délai – raisonnable – imparti au débiteur pour se conformer à la mise en
demeure
 La menace d’une sanction
En application de l’article 1344 du Code civil, la mise en demeure peut être notifiée
au débiteur :

 Soit par voie de signification


 Soit au moyen d’une lettre missive
Par ailleurs, il ressort de l’article 1344 du Code civil que les parties au contrat
peuvent prévoir que l’exigibilité des obligations stipulées au contrat vaudra mise en
demeure du débiteur.

II) La révision judiciaire de la clause pénale


Pendant longtemps la question s’est posée de savoir si le montant de la clause
pénale était susceptible de faire l’objet d’une révision par le juge lorsque le
préjudice effectivement subi par le créancier ne correspond pas au montant des
pénalités dues.

 D’un côté, il a été avancé que l’exercice de ce pouvoir de révision par le juge
est justifié lorsque le montant de clause pénale est manifestement excessif.
 D’un autre côté, il est fait interdiction au juge de modifier les prévisions des
parties, sauf pour les cas de contrariété d’une clause à l’ordre public
En réaction à la jurisprudence qui avait refusé d’annuler les clauses pénales dont le
montant était excessif au motif qu’il n’appartenait pas au juge de s’ingérer dans les
relations contractuelles des parties, le législateur lui a reconnu ce pouvoir par
l’adoption de la loi du 9 juillet 1975.

Il était ainsi prévu à l’ancien article 1152, al. 2 du Code civil que « le juge peut,
même d’office, modérer ou augmenter la peine qui avait été convenue, si elle est
manifestement excessive ou dérisoire. »
Ce pouvoir de révision de la clause pénale octroyé au juge a été confirmé par
l’ordonnance du 10 février 2016 qui a repris, dans les mêmes termes, à l’article
1231-5, al. 2 du Code civil, le second alinéa de l’ancien article 1152.

Ainsi, la révision de la clause pénale doit demeurer exceptionnelle : ce n’est que


dans l’hypothèse où l’écart entre le préjudice subi et le montant des pénalités dues
est manifestement excessif que la clause peut être révisée.
Cette révision peut conduire le juge, tant à augmenter le montant de la clause, qu’à
le diminuer, ce qui sera le plus souvent le cas.

Il doit donc se livrer à une sorte de contrôle de proportionnalité, étant précisé qu’il
est interdit au juge de se référer, tant au comportement du débiteur (V. en ce
sens Cass. com. 11 févr. 1997, n°95-10851), qu’à sa situation financière (Cass.
1ère civ., 14 nov. 1995, no 94-04.008).
Le juge n’est autorisé à apprécier le caractère excessif du montant de la clause
qu’au regard du préjudice effectivement subi par le créancier. À cet égard, la
jurisprudence admet qu’il puisse se faire assister d’un expert (Cass. 3e  civ., 13 nov.
2003, n°01-12.646).
Dans l’hypothèse où le juge estime que la clause est manifestement excessive,
aucune obligation ne lui est faite de ramener son montant au niveau du préjudice
subi par le créancier.

Par ailleurs, dans un arrêt du 24 juillet 1978, la Cour de cassation a précisé que
s’« ‘il appartient aux juges du fond, souverains dans l’appréciation du préjudice
subi par le créancier, de fixer librement le montant de l’indemnité résultant de
l’application d’une clause pénale dès lors qu’ils l’estiment manifestement
excessive », ils ne peuvent toutefois pas « allouer une somme inférieure au montant
du dommage ».
Il existe donc un seuil qui s’impose au juge – le montant du préjudice subi par le
créancier – en deçà duquel les pénalités dues ne peuvent pas être réduites.

Les solutions ci-dessus énoncées valent non seulement en cas d’inexécution totale
de l’obligation sanctionnée par la clause pénale, mais également en cas
d’inexécution partielle.

L’alinéa 3 de l’article 1231-5, qui lui reprend les termes de l’ancien article 1231,
dispose en ce sens que « lorsque l’engagement a été exécuté en partie, la pénalité
convenue peut être diminuée par le juge, même d’office, à proportion de l’intérêt
que l’exécution partielle a procuré au créancier, sans préjudice de l’application de
l’alinéa précédent. »
§2: Les clauses limitatives et exonératoires de responsabilité
I) Le principe de validité des clauses exonératoires ou limitatives de
responsabilité
Alors que l’on assiste à une convergence des règles qui régissent la responsabilité
contractuelle et la responsabilité délictuelle, une différence subsiste : tandis que la
première peut être limitée, voire écartée par le jeu d’une convention, la seconde ne
peut souffrir d’aucun aménagement contractuel.

 S’agissant de la responsabilité délictuelle


 La jurisprudence a toujours condamné les clauses limitatives de
réparation en matière délictuelle lorsqu’elles concernent des cas de
responsabilité pour faute.
 Dans un arrêt du 5 juillet 2017, la Cour de cassation a jugé en ce sens
que « les articles 1382 et 1383, devenus 1240 et 1241 du code civil, sont
d’ordre public et que leur application ne peut être neutralisée
contractuellement par anticipation, de sorte que sont nulles les clauses
d’exonération ou d’atténuation de responsabilité en matière délictuelle»
(  1ère  civ. 5 juill. 2017, n°16-13407).
 La haute juridiction admet, en revanche, de telles clauses dans le cadre
de régimes de responsabilité pour faute présumée ou de responsabilité
sans faute.
 Est ainsi licite la clause par laquelle des propriétaires d’animaux
décident de s’affranchir de l’application des dispositions de l’article 1385
du code civil, lesquelles mettent en place une responsabilité de plein droit
du propriétaire d’animaux pour les dommages causés par ces derniers (V.
en ce sens req. 16 nov. 1931).
 La pertinence du maintien d’une exclusion de toute possibilité
d’aménagement contractuel en matière de responsabilité pour faute
prouvée est discutée.
 Certains auteurs estiment en effet souhaitable d’autoriser des clauses
limitatives ou exonératoires dans des conditions plus proches de celles
existant en matière contractuelle.
 Ces derniers sont, semble-t-il, en passe d’être entendus puisque le
projet de réforme du droit de la responsabilité civile envisage d’autoriser
la stipulation de telles clauses, dès lors qu’elles ne visent pas à limiter ou
exclure l’indemnisation en cas de dommage corporel (  1281).
 S’agissant de la responsabilité contractuelle
 Parce que le débiteur n’est tenu de réparer que le préjudice prévisible,
soit celui prévu par les parties au contrat, la jurisprudence a admis, très
tôt, la validité des clauses limitatives de responsabilité (
 Les juridictions sont, à cet égard, allées plus loin en autorisant les
parties, au nom de la liberté contractuelle, à stipuler des clauses qui
exonèrent de toute responsabilité (V. en ce sens civ. 15 juin 1959).
 À l’examen, la validité des clauses exonératoires et limitatives de
responsabilité n’a nullement été remise en cause par la réforme du droit
des obligations.
 Le nouvel article 1231-3 du Code civil prévoit, en effet, que « le
débiteur n’est tenu que des dommages et intérêts qui ont été prévus ou
qui pouvaient être prévus lors de la conclusion du contrat».
Au total, seules les clauses exonératoires ou limitatives en matière de responsabilité
contractuelle bénéficient d’une validité de principe.

Elles sont particulièrement fréquentes, par exemple, dans les contrats de transport
ou de déménagement, dans lesquels sont insérées des clauses dont l’objet est de
fixer, une fois la faute contractuelle établie, le maximum des dommages et intérêts
que le créancier pourra recevoir, c’est-à-dire, en d’autres termes, un plafond de
réparation.

Reste, que la stipulation de ces clauses est prohibée dans un certain nombre de
contrats, sans compter que leurs effets sont susceptibles d’être neutralisés dans
plusieurs situations.

II) Les exceptions au principe de validité des clauses exonératoires ou


limitatives de responsabilité
Bien que, en matière de responsabilité contractuelle, la validité des clauses
limitatives et exonératoires de responsabilité soit, par principe, admise, certains
textes encadrent, voire prohibent leur stipulation.

Aux côtés de ces textes spéciaux qui tendent à se multiplier et intéressent des
matières pour le moins variées, il faut également compter sur une disposition de
portée générale, introduite par l’ordonnance de 10 février 2016, qui vise à réputer
non-écrite toute clause qui porterait atteinte à une obligation essentielle du contrat.

A) Les textes spéciaux qui prohibent de l’aménagement conventionnel de la


responsabilité
De nombreux textes spéciaux prohibent donc la stipulation de clauses exonératoires
ou limitatives de responsabilité :

 En matière de contrat de travail, l’article L. 1231-4 du Code du travail


prévoit que l’employeur et le salarié ne peuvent renoncer par avance au droit
de se prévaloir des règles qui régissent le licenciement, soit, en particulier,
celles qui gouvernent les indemnités de rupture
 En matière de contrat de bail d’habitation, l’article 4, m) de la loi n° 89-462
du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs prohibe toute clause
« qui interdit au locataire de rechercher la responsabilité du bailleur ou qui
exonère le bailleur de toute responsabilité»
 En matière de contrat de consommation, l’article R. 212-1, 6° du Code de la
consommation dispose que « dans les contrats conclus entre des
professionnels et des consommateurs, sont de manière irréfragable
présumées abusives, au sens des dispositions des premier et quatrième
alinéas de l’article L. 212-1 et dès lors interdites, les clauses ayant pour
objet ou pour effet de […] supprimer ou réduire le droit à réparation du
préjudice subi par le consommateur en cas de manquement par le
professionnel à l’une quelconque de ses obligations»
 En matière de contrat de vente volontaire de meubles aux enchères
publiques, l’article 321-14 du Code de commerce prévoit que « les sociétés
de ventes volontaires de meubles aux enchères publiques sont responsables
à l’égard du vendeur et de l’acheteur de la représentation du prix et de la
délivrance des biens dont elles ont effectué la vente. Toute clause qui vise à
écarter ou à limiter leur responsabilité est réputée non écrite. »
 En matière de contrat d’hôtellerie, l’article 1953, al. 2 du Code civil pose
que, d’une part, les hôteliers « sont responsables du vol ou du dommage de
ces effets, soit que le vol ait été commis ou que le dommage ait été causé par
leurs préposés, ou par des tiers allant et venant dans l’hôtel», d’autre part,
que « cette responsabilité est illimitée, nonobstant toute clause contraire, au
cas de vol ou de détérioration des objets de toute nature déposés entre leurs
mains ou qu’ils ont refusé de recevoir sans motif légitime. »
 En matière de contrat de louage d’ouvrage, l’article 1792-5 du Code civil
prévoit que « toute clause d’un contrat qui a pour objet, soit d’exclure ou de
limiter la responsabilité [du constructeur], soit d’exclure les garanties
prévues aux articles 1792-3 et 1792-6 ou d’en limiter la portée, soit
d’écarter ou de limiter la solidarité prévue à l’article 1792-4, est réputée
non écrite»
 En matière de contrat de transport de marchandises, l’article 133-1 du
Code de commerce énonce que « le voiturier est garant de la perte des
objets à transporter, hors les cas de la force majeure. […]. Toute clause
contraire insérée dans toute lettre de voiture, tarif ou autre pièce
quelconque, est nulle. »
 En matière de contrat de transport maritime, l’article L. 5422-15 du Code
des transports dispose que « est nulle et de nul effet toute clause ayant
directement ou indirectement pour objet ou pour effet […] de soustraire le
transporteur à la responsabilité définie par les dispositions de l’article L.
5422-12»
En dehors des textes spéciaux qui prohibent l’aménagement conventionnel de la
responsabilité, c’est le droit commun qui s’applique. Or en droit, commun, les
clauses limitatives ou exonératoires de responsabilité sont valides, sous réserve
qu’elles ne portent pas atteinte à une obligation essentielle du contrat.

B) L’atteinte à une obligation essentielle du contrat


L’article 1170 du Code civil prévoit que « toute clause qui prive de sa substance
l’obligation essentielle du débiteur est réputée non écrite. »
Nouveauté de l’ordonnance du 10 février 2016 dans le Code civil, ce texte trouve
notamment à s’appliquer aux clauses limitatives et exonératoires de responsabilité.

La codification de cette dernière solution, sur une question qui a donné lieu à de
nombreux arrêts parfois inconciliables, permet de fixer clairement le droit positif
sur le sort de ces clauses.

Contrairement à ce qu’avaient pu retenir certaines décisions de la Cour de


cassation, une clause limitative de responsabilité portant sur une obligation
essentielle du débiteur ne sera pas nécessairement réputée non écrite : elle n’est
prohibée que si elle contredit la portée de l’engagement souscrit, en vidant de sa
substance cette obligation essentielle.

1) La construction de la jurisprudence Chronopost et Faurecia


1.1 La saga Chronopost
En résumant à gros trait, dans le cadre de l’affaire Chronopost, la Cour de cassation
a été amenée à se prononcer sur la question de savoir si une clause stipulée en
contradiction avec l’engagement principal pris par l’une des parties pouvait faire
l’objet d’une annulation.

C’est sur le terrain de la cause que la Cour de cassation a tenté de répondre en se


servant de cette notion comme d’un instrument de contrôle de la cohérence du
contrat, ce qui n’a pas été sans alimenter le débat sur la subjectivisation de la cause.
Afin de bien saisir les termes du débat auquel a donné lieu la jurisprudence
Chronopost, revenons sur les principales étapes de cette construction
jurisprudentielle qui a conduit à l’introduction d’un article 1170 du Code civil.

==> Premier acte : arrêt Chronopost du 22 octobre 1996

 Faits
 Une société (la société Chronopost), spécialiste du transport rapide,
s’est engagée à livrer sous 24 heures un pli contenant une réponse à une
adjudication.
 Le pli arrive trop tard, de sorte que la société cliente ne parvient pas à
remporter l’adjudication.
 Demande
 La société cliente demande réparation du préjudice subi auprès du
transporteur
 Toutefois, la société Chronopost lui oppose une clause qui limite sa
responsabilité au montant du transport, soit 122 francs.
 Procédure
 Par un arrêt du 30 juin 1993, la Cour d’appel de Rennes, déboute la
requérante de sa demande.
 Les juges du fond estiment que la responsabilité contractuelle du
transporteur n’aurait pu être recherchée que dans l’hypothèse où elle
avait commis une faute lourde.
 Or selon la Cour d’appel le retard dans la livraison du pli ne constituait
pas une telle faute.
 En conséquence, le client du transporteur ne pouvait être indemnisé du
préjudice subi qu’à hauteur du montant prévu par le contrat soit le coût
du transport : 122 francs.
 Solution
 Par un arrêt du 22 octobre 1996, la chambre commerciale casse et
annule l’arrêt de la Cour d’appel au visa de l’article 1131 du Code civil.
 La Cour de cassation affirme, au soutien de sa décision que dans la
mesure où la société Chronopost, spécialiste du transport rapide
garantissant, à ce titre, la fiabilité et la célérité de son service, s’était
engagée à livrer les plus de son client dans un délai déterminé, « en
raison du manquement à cette obligation essentielle la clause limitative
de responsabilité du contrat, qui contredisait la portée de l’engagement
pris, devait être réputée non écrite».
 Analyse
 Tout d’abord, il peut être observé que, en visant l’ancien article
1131 du Code civil, la Cour de cassation assimile à l’absence de cause
l’hypothèse où la mise en œuvre de la clause limitative de responsabilité
a pour effet de contredire la portée de l’obligation essentielle contractée
par les parties.
 En l’espèce, la société Chronopost, spécialisée dans le transport
rapide, s’est engagée à acheminer le plus confié dans un délai déterminé
en contrepartie de quoi elle facture à ses clients un prix bien supérieur à
ce qu’il est pour un envoi simple par voie postale.
 En effet, c’est pour ce service, en particulier, que les clients de la
société Chronopost, se sont adressé à elle, sinon pourquoi ne pas
s’attacher les services d’un transporteur classique dont la prestation serait
bien moins chère.
 Ainsi, y a-t-il manifestement dans le délai rapide d’acheminement une
obligation essentielle soit une obligation qui constitue l’essence même du
contrat : son noyau dur.
 Pourtant, la société Chronopost a inséré dans ses conditions générales
une clause aux termes de laquelle elle limite sa responsabilité, en cas de
non-respect du délai d’acheminement fixé, au montant du transport, alors
même que le préjudice subi par le client est sans commune mesure.
 D’où la question posée à la Cour de cassation : une telle clause ne
vide-t-elle pas de sa substance l’obligation essentielle du contrat, laquelle
n’est autre que la stipulation en considération de laquelle le client s’est
engagé ?
 En d’autres termes, peut-on envisager que la société Chronopost
s’engage à acheminer des plis dans un délai rapide et, corrélativement,
limiter sa responsabilité en cas de non-respect du délai stipulé à la somme
de 122 francs ?
 Il ressort du présent arrêt, que la Cour de cassation répond par la
négative à cette question.
 Elle estime, en ce sens, que la stipulation de la clause limitative de
responsabilité était de nature à contredire la portée de l’engagement pris
au titre de l’obligation essentielle du contrat.
 En réduisant à presque rien l’indemnisation en cas de manquement à
l’obligation essentielle du contrat, la clause litigieuse vide de sa
substance ladite obligation.
 Aussi, cela reviendrait, selon la Cour de cassation qui vise l’article
1131 du Code civil, à priver de cause l’engagement du client, laquelle
cause résiderait dans l’obligation d’acheminer le pli dans un délai
déterminé.
 Elle en déduit que la clause limitative de responsabilité doit être
réputée non-écrite.
 Critiques
 Plusieurs critiques ont été formulées à l’encontre de la solution retenue
par la haute juridiction
 Le visa de la solution
 Pourquoi annuler la clause du contrat sur le fondement de
l’ancien article 1131 du Code civil alors même qu’il existe une
contrepartie à l’obligation de chacun des contractants ?
 La contrepartie de l’obligation de la société
Chronopost consiste en le paiement du prix par son client.
 La contrepartie de l’obligation du client consiste
quant à elle en l’acheminement du pli par Chronopost.
 Jusqu’alors, afin de contrôler l’existence d’une
contrepartie, le contrat était appréhendé globalement et non réduit
à une de ses clauses en particulier.
 La subjectivisation de la cause
 Autre critique formulée par les auteurs, la Cour de
cassation se serait attachée, en l’espèce, à la fin que les parties ont
poursuivie d’un commun accord, ce qui revient à recourir à la
notion de cause subjective alors que le contrôle de l’existence de
contrepartie s’opère, classiquement, au moyen de la seule cause
objective.
 Pour la Cour de cassation, en concluant un contrat de
transport rapide, les parties ont voulu que le pli soit acheminé à
son destinataire dans un certain délai.
 Or, si l’on s’en tient à un contrôle de la cause objective
(l’existence d’une contrepartie), cela ne permet pas d’annuler la
clause limitative de responsabilité dont la mise en œuvre porte
atteinte à l’obligation essentielle du contrat : l’obligation de
délivrer le pli dans le délai convenu.
 Pour y parvenir, il est en effet nécessaire d’apprécier la
validité des clauses du contrat en considération de l’objectif
recherché par les contractants.
 Le recours à la notion de cause subjective permet alors
d’écarter la clause qui contredit la portée de l’engagement pris,
car elle entrave la fin poursuivie et ainsi la cause qui a déterminé
les parties à contracter.
 Tel est le cas de la clause limitative de responsabilité qui
fait obstacle à la réalisation du but poursuivi par les parties, cette
clause étant de nature à ne pas inciter la société Chronopost à
mettre en œuvre tous les moyens dont elle dispose afin d’exécuter
son obligation, soit acheminer les plis qui lui sont confiés dans le
délai stipulé.
 Au total, la conception que la Cour de cassation se fait de
la cause renvoie à l’idée que la cause de l’obligation
correspondrait au but poursuivi par les parties, ce qui n’est pas
sans faire écho à l’arrêt Point club vidéo rendu le 3 juillet 1996,
soit trois mois plus tôt, où elle avait assimilé le défaut d’utilité de
l’opération économique envisagé par l’une des parties à l’absence
de cause.
 La sanction de l’atteinte à l’obligation essentielle
 La cause étant une condition de validité du contrat, son
absence était sanctionnée, en principe, par une nullité du contrat
lui-même.
 Tel n’est cependant pas le cas dans l’arrêt Chronopost où
la Cour de cassation estime que la clause limitative de
responsabilité est seulement réputée non-écrite.
 Pourquoi cette solution ?
 De toute évidence, en l’espèce, la Cour de cassation a
statué pour partie en opportunité.
 Si, en effet, elle avait prononcé la nullité du contrat dans
son ensemble, cela aurait abouti au même résultat que si l’on avait
considéré la clause valide :
 Le client reprenait son pli
 Chronopost reprend ses 122 francs.
 Aussi, en réputant la clause non-écrite, cela permet
d’envisager la question de la responsabilité contractuelle de la
société Chronopost, la clause limitative de responsabilité ayant été
neutralisée.
 Plus largement, la sanction retenue participe d’un
mouvement en faveur du maintien du contrat : plutôt que
d’anéantir l’acte dans son ensemble, on préfère le maintenir,
amputé de ses stipulations illicites.
 La Cour de cassation parvient donc ici à une solution
équivalente à laquelle aurait conduit l’application des règles
relatives à la prohibition des clauses abusives.
 Toutefois, ce corpus normatif ne trouve d’application que
dans le cadre des relations entre professionnels et consommateurs,
ce qui n’était pas le cas en l’espèce.
 Dès lors, on peut estimer que la Cour de cassation s’est
servie dans cet arrêt du concept de cause comme d’un instrument
d’éradication d’une clause abusive stipulée dans un contrat qui,
par nature, échappait au droit de la consommation.
==> Deuxième acte : arrêt Chronopost du 9 juillet 2002
La solution retenue dans l’arrêt Chronopost n’a pas manqué de soulever plusieurs
questions, dont une en particulier : une fois que l’on a réputé la clause limitative de
responsabilité non-écrite comment apprécier la responsabilité de la société
Chronopost ? Autrement dit, quelle conséquence tirer de cette sanction ?
 Faits
 La Cour de cassation est amenée à se prononcer une seconde fois sur
l’affaire Chronopost jugée une première fois par elle le 22 octobre 1996
 Elle statue ici sur le pourvoi formé par la société Chronopost contre
l’arrêt rendu sur renvoi le 5 janvier 1999 par la Cour d’appel de Rouen
 Problématique
 À l’instar du contrat vente, de bail ou encore de prêt, le contrat de
messagerie est encadré par des dispositions réglementaires.
 Plus précisément il est réglementé par le décret du 4 mai 1988 qui
organise son régime juridique.
 Aussi, dans le deuxième volet de l’affaire Chronopost, la question
s’est posée de savoir si le décret du 4 mai 1988 réglementant les contrats
de type transport était applicable au contrat conclu entre la société
Chronopost et son client ou si c’est le droit commun de la responsabilité
contractuelle qui devait s’appliquer.
 Quel était l’enjeu ?
 Si le décret s’applique, en cas de non-acheminement du pli dans
les délais par le transporteur, celui-ci prévoit une clause équivalente à
celle déclarée nulle par la Cour de cassation dans l’arrêt du 22 octobre
1996 : le remboursement du montant du transport, soit la somme de
122 francs, celle-là même prévue dans les conditions générales de la
société Chronopost.
 Si, au contraire, c’est le droit commun de la responsabilité qui
s’applique, une réparation du préjudice subie par la société cliente du
transporteur est alors envisageable.
 Solution
 Tandis que la Cour d’appel condamne la société Chronopost sur le
terrain du droit commun (réparation intégrale du préjudice) estimant que
le contrat type messagerie était inapplicable en l’espèce, la Cour de
cassation considère que le décret du 4 mai 1988 avait bien vocation à
s’appliquer.
 Au soutien de sa décision, la Cour de cassation affirme que dans la
mesure où la clause limitative de responsabilité du contrat pour retard à la
livraison était réputée non écrite, cela entraîne nécessairement
« l’application du plafond légal d’indemnisation que seule une faute
lourde du transporteur pouvait tenir en échec».
 En appliquant le droit commun des transports, cela revient alors à
adopter une solution qui produit le même effet que si elle n’avait pas
annulé la clause litigieuse : le remboursement de la somme de 122
francs !
 Dans cet arrêt, la Cour de cassation précise toutefois que le plafond
légal d’indemnisation est susceptible d’être écarté en rapportant la preuve
d’une faute lourde imputable au transporteur.
 D’où la référence dans le visa, entre autres, à l’ancien article 1150 du
Code civil qui prévoyait que « le débiteur n’est tenu que des dommages
et intérêts qui ont été prévus ou qu’on a pu prévoir lors du contrat,
lorsque ce n’est point par son dol que l’obligation n’est point exécutée. »
 La solution retenue par la Cour de cassation dans son arrêt du 9 juillet
2002 a immédiatement soulevé une nouvelle question :le manquement à
une obligation essentielle du contrat pouvait être assimilé à une faute
lourde, ce qui dès lors permettrait d’écarter le plafond légal
d’indemnisation prévu par le décret du 4 mai 1988.
==> Troisième acte : arrêts Chronopost du 22 avril 2005
Arrêts Chronopost III
(Cass. ch. mixte, 22 avril 2005)
 Faits
 Dans la première espèce
 Une société qui avait décidé de concourir à un appel d’offres
ouvert par la ville de Calais et devant se clôturer le lundi 25 mai 1999
à 17 h 30, a confié à la société Chronopost, le vendredi 22 mai 1999
l’acheminement de
 Sa candidature n’est cependant parvenue à destination que le 26
mai 1999 en raison d’un retard dans l’acheminement du pli.
 Dans la seconde espèce
 Une société a confié à la société Chronopost un pli destiné à la
ville de Vendôme, contenant son dossier de candidature à un
concours d’architectes.
 Le dossier devait parvenir au jury avant le 4 janvier 1999.
 Toutefois, il n’est délivré que le lendemain.
 Demande
 Dans les deux arrêts, les clients de la société Chronopost demandent
réparation du préjudice occasionné du fait du retard de livraison du pli
confié au transporteur
 Procédure
 Première espèce
 Par un arrêt du 24 mai 2002, la Cour d’appel de Paris accède à
la requête du client de la société Chronopost.
 Les juges du fond estiment que le plafond d’indemnisation
prévu au contrat-type messagerie devait être écarté dans la mesure où
le retard d’acheminement du pli qui avait été confié à la société
Chronopost « caractérise une négligence d’une extrême gravité,
constitutive d’une faute lourde et dénotant l’inaptitude du
transporteur, maître de son action, à l’accomplissement de la mission
contractuelle qu’il avait acceptée»
 Seconde espèce
 Par un arrêt du 7 février 2003, la Cour d’appel de Versailles
déboute le client de la société Chronopost de sa demande.
 Les juges du fond estiment dans cette espèce que si l’obligation
de livrer dans les délais le pli confié au transporteur constitue une
obligation essentielle du contrat, le manquement à cette obligation ne
suffit pas à caractériser une faute lourde.
 Dès lors, pour la Cour d’appel de Versailles, il n’y a pas lieu
d’écarter le plafond d’indemnisation prévu par le décret qui
réglemente les contrats-type messagerie.
 Solution
 Tandis que dans la première espèce, la Chambre mixte casse et annule
l’arrêt de la Cour d’appel, dans la seconde le pourvoi formé par le client
de la société Chronopost est rejeté.
 Deux enseignements peuvent être tirés des deux arrêts rendus le même
jour par la chambre mixte le 22 avril 2005 :
 Définition de la faute lourde
 La Cour de cassation répond à l’interrogation née de
l’arrêt du 9 juillet 2002 : la définition de la faute lourde
 Aussi, dans la deuxième espèce jugée par la chambre
mixte, la faute lourde est définie comme « le comportement d’une
extrême gravité, confinant au dol et dénotant l’inaptitude du
débiteur de l’obligation à l’accomplissement de la mission
contractuelle qu’il avait accepté».
 La faute lourde comprendrait donc deux éléments :
 Un élément subjectif : le comportement confinant
au dol, soit à une faute d’une extrême gravité.
 Un élément objectif: l’inaptitude quant à
l’accomplissement de la mission contractuelle.
 Faute lourde et manquement à l’obligation essentielle
 Dans la première espèce la Cour de cassation estime
que « la faute lourde de nature à tenir en échec la limitation
d’indemnisation prévue par le contrat-type ne saurait résulter du
seul fait pour le transporteur de ne pouvoir fournir
d’éclaircissements sur la cause du retard »
 Dans la seconde espèce, la haute juridiction affirme
encore que « la clause limitant la responsabilité de la société
Chronopost en cas de retard qui contredisait la portée de
l’engagement pris étant réputée non écrite, les dispositions
précitées étaient applicables à la cause, et constaté que la société
Dubosc ne prouvait aucun fait précis permettant de caractériser
l’existence d’une faute lourde imputable à la société Chronopost,
une telle faute ne pouvant résulter du seul retard de livraison »
 En d’autres termes, il résulte des deux arrêts rendus par la
chambre mixte le 22 avril 2005 que le simple manquement à une
obligation essentielle du contrat ne saurait caractériser à lui seul
une faute lourde
 Pour que la faute lourde soit retenue, il aurait fallu que
soit établie, en plus, l’existence d’un élément subjectif : le
comportement d’une extrême gravité confinant au dol.
 Ainsi, était-il nécessaire de démontrer que la société
Chronopost avait délibérément livré le pli qui lui a été confié en
retard, ce qui n’était évidemment pas le cas en l’espèce.
 D’où le refus de la Cour de cassation d’écarter le plafond
légal d’indemnisation prévu par le décret du 4 mai 1988.
 La chambre mixte a dès lors fait le choix d’une approche
extrêmement restrictive de la faute lourde, à tel point que les
auteurs se sont demandé si cela ne revenait pas à exclure toute
possibilité d’écarter le plafond légal d’indemnisation en raison de
l’impossibilité de rapporter la preuve de la faute lourde.
==> Quatrième acte : Arrêt Chronopost du 30 mai 2006
 Faits
 Deux montres, confiées par une société au transporteur Chronopost
pour acheminement à Hong Kong, ont été perdues pendant ce transport
 Demande
 La société cliente engage la responsabilité de Chronopost.
 Au soutien de sa demande, elle avance que la clause limitative de
responsabilité dont se prévaut le transporteur ne lui est pas opposable.
 Procédure
 Par un arrêt du 11 mars 2004, la Cour d’appel de Paris déboute le
client de la société Chronopost de toutes ses demandes.
 Étonnamment, les juges du fond adoptent une solution pour le moins
différente de la jurisprudence initiée par la Cour de cassation dix ans plus
tôt.
 Ils considèrent que, en confiant un pli à la société Chronopost pour
qu’elle l’achemine jusqu’à son destinataire, elle « avait nécessairement
admis, en déclarant accepter les conditions générales de la société
Chronopost, le principe et les modalités d’une indemnisation limitée en
cas de perte du colis transporté »
 La clause limitative de responsabilité était, dans ces conditions,
parfaitement applicable à la société cliente.
 Ainsi, la Cour d’appel refuse-t-elle d’apprécier la validité de la clause
limitative de responsabilité en se demandant si elle ne portait pas atteinte
à une obligation essentielle, ni même si la société Chronopost n’avait pas
manqué à son obligation de délivrer le pli dans le délai prévu par le
contrat.
 Solution
 Par un arrêt du 30 mai 2006, la Cour de cassation casse et annule
l’arrêt de la Cour d’appel de Paris au visa de l’article 1131 du Code civil.
 Sans surprise, la chambre commerciale reproche aux juges du fond de
n’avoir pas recherché « si la clause limitative d’indemnisation dont se
prévalait la société Chronopost, qui n’était pas prévue par un contrat-
type établi par décret, ne devait pas être réputée non écrite par l’effet
d’un manquement du transporteur à une obligation essentielle du
contrat»
 Ainsi, la haute juridiction fait-elle une exacte application de la solution
dégagée dans le premier arrêt Chronopost rendu le 22 octobre 1996.
==> Cinquième acte : Arrêt Chronopost du 13 juin 2006
 Faits
 Une société a confié à la société Chronopost l’acheminement d’un pli
contenant une soumission pour un marché d’équipement de matériel de
rafraîchissement et portant la mention : « livraison impérative vendredi
avant midi ».
 Le délai de livraison n’ayant pas été respecté, l’offre n’a pu être
examinée
 Demande
 Le client de la société Chronopost engage sa responsabilité aux fins
d’obtenir réparation du préjudice subi
 Procédure
 Par un arrêt du 2 décembre 2004, la Cour d’appel de Paris accède à la
demande du demandeur en déclarant le plafond légal d’indemnisation
inapplicable,
 La Cour d’appel relève pour ce faire que « la société Chronopost,
spécialiste du transport rapide garantissant la fiabilité et la célérité de
son service, s’était obligée de manière impérative à faire parvenir le pli
litigieux le vendredi avant midi à Champagnole, localité située à 25
kilomètres du lieu de son expédition, où il avait été déposé la veille avant
18 heures, qu’elle n’avait aucune difficulté à effectuer ce transport limité
à une très courte distance et que, au regard de ces circonstances, sa
carence révèle une négligence d’une extrême gravité confinant au dol et
dénotant l’inaptitude du transporteur, maître de son action, à
l’accomplissement de la mission qu’il avait acceptée»
 Elle en déduit que, en l’espèce, la faute lourde ce qui, conformément à
l’ancien article 1150 du Code civil, rendait inapplicable la clause légale
de limitation de responsabilité du transporteur résultant de l’article 8,
paragraphe II, de la loi n° 82-1153 du 30 décembre 1982.
 Solution
 Par un arrêt du 13 juin 2006, la Cour de cassation casse et annule la
décision des juges du fond notamment au visa de l’article 1150 du Code
civil.
 La chambre commerciale réitère ici la solution dégagée par la chambre
mixte le 22 avril 2005 en affirmant que « la faute lourde de nature à
tenir en échec la limitation d’indemnisation prévue par le contrat type ne
saurait résulter du seul manquement à une obligation contractuelle, fût-
elle essentielle, mais doit se déduire de la gravité du comportement du
débiteur».
 Or en l’espèce, le seul manquement susceptible d’être reproché au
transporteur était de n’avoir pas exécuté son obligation essentielle, de
sorte que cela n’était pas suffisant pour caractériser une faute lourde.
 Pour y parvenir, la Cour de cassation rappelle que cela suppose de
démontrer d’adoption par le transporteur d’un comportement d’une
extrême gravité confinant au dol.
1.2 L’épilogue de la saga Chronopost : les arrêts Faurecia
La saga des arrêts Chronopost a donné lieu à un épilogue qui s’est déroulé en deux
actes.

==> Premier acte : arrêt Faurecia du 13 février 2007


 Faits
 La société Faurecia a souhaité déployer sur ses sites en 1997 un
logiciel intégré couvrant principalement la gestion de production et la
gestion commerciale
 Conseillée par la société Deloitte, elle a choisi le logiciel V 12,
proposé par la société Oracle mais qui ne devait pas être disponible avant
septembre 1999
 Des contrats de licence, de maintenance et de formation ont été
conclus le 29 mai 1998 entre les sociétés Faurecia et Oracle, tandis qu’un
contrat de mise en œuvre du « programme Oracle applications » a été
signé courant juillet 1998 entre les sociétés Faurecia, Oracle et Deloitte
 Dans l’attente de la livraison de la livraison du nouveau logiciel, une
solution provisoire a été installée
 Toutefois, cette solution provisoire ne fonctionnait pas correctement et
la version V 12 du logiciel n’était toujours pas livrée.
 La société Faurecia a dès lors cessé de régler les redevances dues à son
fournisseur, la société Oracle, laquelle avait, entre-temps, cédé ses droits
à la société Franfinance.
 Demande
 La société Faurecia assigne alors la société Oracle ainsi que la société
Deloitte aux fins d’obtenir la nullité des contrats conclus pour dol et
subsidiairement leur résolution pour inexécution de l’ensemble des
contrats signés par les parties
 Procédure
 Par un arrêt du 31 mars 2005, la Cour d’appel de Versailles a estimé
que l’indemnisation susceptible d’être allouée à la société Faurecia en
réparation de son préjudice devait être limitée au montant prévu par la
clause limitative de responsabilité.
 Cette clause trouvait, en effet, pleinement à s’appliquer en l’espèce,
dans la mesure où la société Faurecia ne caractérisait pas la faute lourde
de la société Oracle.
 Les juges du fond avancent au soutien de cette affirmation que, non
seulement la société Faurecia n’établit aucun des manquements aux
obligations essentiels reprochés à la société Oracle, mais encore que ces
manquements ne sauraient résulter du seul fait que le logiciel ne lui a pas
été livré, ni que l’installation provisoire ait été ultérieurement
désinstallée.
 La solution de la Cour d’appel était ainsi, en tous points, conforme à la
jurisprudence Chronopost de la Cour de cassation.
 Solution
 Par un arrêt du 13 février 2007, la chambre commerciale casse et
annule l’arrêt de la Cour d’appel de Versailles au visa de l’article
1131 du Code civil.
 Après avoir relevé que « la société Oracle s’était engagée à livrer la
version V 12 du progiciel, objectif final des contrats passés en septembre
1999 et qu’elle n’avait exécuté cette obligation de livraison ni en 1999 ni
plus tard sans justifier d’un cas de force majeure, puis relevé qu’il
n’avait jamais été convenu d’un autre déploiement que celui de la
version V 12 », la cour de cassation considère que le manquement
reproché à la société Oracle portait sur une obligation essentielle.
 Or elle estime que pareil manquement « est de nature à faire échec à
l’application de la clause limitative de réparation».
 Deux enseignements peuvent être tirés de cet arrêt Faurecia I
 En premier lieu
 dès lors qu’une clause vient limiter la responsabilité du
débiteur d’une obligation essentielle, elle doit être réputée non
écrite.
 Les clauses limitatives de responsabilité seraient, en
somme, sans effet dès lors que le manquement reproché à une
partie porterait sur une obligation essentielle.
 En second lieu
 Le seul manquement à une obligation essentielle suffit à
caractériser la faute lourde.
 Il s’agit donc de la solution radicalement opposée à celle
adoptée par la Cour de cassation, par deux fois, dans ses arrêts du
22 avril 2005 et du 13 juin 2006.
 Sur ce point, la chambre commerciale opère donc un
revirement de jurisprudence.
 Désormais, le simple manquement est suffisant quant à
faire échec à la clause limitative de responsabilité.
 Il n’est plus besoin de rapporter la preuve d’un
comportement d’une extrême gravité imputable au débiteur de
l’obligation essentielle.
 Analyse
 La position adoptée par la Cour de cassation dans cet arrêt Faurecia I a
été unanimement critiquée par la doctrine.
 Les auteurs ont reproché à la chambre commerciale d’avoir retenu une
solution « liberticide » en ce sens que cela revenait à priver les parties de
la possibilité de stipuler une clause limitative de responsabilité dès lors
qu’une obligation essentielle était en jeu.
 L’application de cette jurisprudence aurait conduit, en effet, à
considérer que seules les obligations accessoires au contrat pouvaient
désormais faire l’objet d’une limitation de responsabilité, ce qui n’est pas
sans porter atteinte à la liberté contractuelle des parties.
 La Cour de cassation s’est, de la sorte, écartée de la solution dégagée
dans l’arrêt Chronopost I où elle avait décidé que la clause limitative de
responsabilité ne devait être réputée non écrite qu’à la condition que
ladite clause prive la portée de l’engagement pris.
 Dans l’arrêt Faurecia I, la chambre commerciale ne formule pas cette
exigence.
 Elle se satisfait de la seule présence dans le contrat, d’une clause
limitative de responsabilité susceptible d’être activée en cas de
manquement à une obligation essentielle.
 Animée d’une volonté d’encadrer le recours aux clauses limitatives de
responsabilité la Cour de cassation est, à l’évidence, allée trop loin.
 Aussi, un retour à la solution antérieure s’est très rapidement imposé.
==> Second atce : arrêt Faurecia du 29 juin 2010
 Faits / procédure
 Après que dans l’arrêt Faurecia I, la Cour de cassation a cassé et
annulé la décision de la Cour d’appel de Versailles, l’affaire est renvoyée
devant la Cour d’appel de Paris.
 Par un arrêt du 26 novembre 2008, les juges parisiens, qui donc
statuent sur renvoi, décident de résister à la chambre commerciale.
 Ils estiment, en effet, que la clause limitative de responsabilité était
pleinement applicable en l’espèce, conformément à la solution qui avait
été adoptée par la première Cour d’appel qui avait été saisie.
 Solution
 Par un arrêt du 29 juin 2010, la Cour de cassation rejette le pourvoi
formé par la société Faurecia contre la décision de la Cour d’appel de
Paris.
 Deux questions étaient soumises à la chambre commerciale :
 Première question: la clause limitative de responsabilité
portant sur une obligation essentielle doit-elle être réputée non-
écrite ?
 À cette question, la Cour de cassation répond par la
négative.
 Elle affirme en ce sens que « seule est réputée non écrite
la clause limitative de réparation qui contredit la portée de
l’obligation essentielle souscrite par le débiteur»
 Ainsi, la Cour de cassation renoue-t-elle à la solution
classique dégagée dans l’arrêt Chronopost I.
 Pour qu’une clause limitative de responsabilité soit
annulée, elle doit vider de sa substance l’obligation essentielle.
 Dans le cas contraire, elle demeure valide.
 En l’espèce, la Chambre commerciale relève que « si la
société Oracle a manqué à une obligation essentielle du contrat,
le montant de l’indemnisation négocié aux termes d’une clause
stipulant que les prix convenus reflètent la répartition du risque
et la limitation de responsabilité qui en résultait, n’était pas
dérisoire, que la société Oracle a consenti un taux de remise de
49 %, que le contrat prévoit que la société Faurecia sera le
principal représentant européen participant à un comité destiné à
mener une étude globale afin de développer un produit Oracle
pour le secteur automobile et bénéficiera d’un statut préférentiel
lors de la définition des exigences nécessaires à une continuelle
amélioration de la solution automobile d’Oracle pour la version
V 12 d’Oracles applications»
 Elle en déduit que la clause limitative de réparation ne
vidait pas de toute substance l’obligation essentielle de la société
Oracle
 Rien ne justifiait donc que ladite clause soit réputée non-
écrite.
 Seconde question: le manquement à une obligation essentielle
est-il constitutif d’une faute lourde ?
 La Cour de cassation renoue là aussi avec la solution
antérieure.
 Elle affirme que « la faute lourde ne peut résulter du seul
manquement à une obligation contractuelle, fût-elle essentielle,
mais doit se déduire de la gravité du comportement du débiteur»
 Le seul manquement à une obligation essentielle ne suffit
donc pas à caractériser une faute lourde.
 Il est nécessaire de démontrer l’existence d’un
comportant d’une extrême gravité confinant au dol imputable au
débiteur de l’obligation essentielle.
 Or en l’espèce, la société Oracle n’a pas rapporté la
preuve d’une telle faute.
Au total, avec l’arrêt Faurecia II la Cour de cassation renoue avec la jurisprudence
Chronopost dont elle s’était écartée dans l’arrêt Faurecia I.
Le législateur n’a pas manqué de saluer ce revirement en consacrant la solution
adoptée dans l’ordonnance du 10 février 2016 à l’article 1170 du Code civil.

2) La consécration légale de la jurisprudence Chronopost et Faurecia


Aux termes de l’article 1170 du Code civil « toute clause qui prive de sa substance
l’obligation essentielle du débiteur est réputée non écrite. »
Ainsi, le législateur a-t-il entendu consacrer la jurisprudence initiée par l’arrêt
Chronopost I, puis qui s’est conclue sur l’arrêt Faurecia II.

Plusieurs observations peuvent être formulées au sujet de la règle introduite par


l’ordonnance du 10 février 2016 dans le Code civil.

==> Sur le domaine d’application de la règle


Il peut tout d’abord être observé que, de par sa généralité, l’application de la règle
édictée à l’article 1170 n’est pas cantonnée au domaine des clauses limitatives de
responsabilité.
Cette disposition a vocation à s’appliquer à toute clause qui porterait atteinte à une
obligation essentielle du contrat.

On peut ainsi envisager que cela concerne, par exemple les clauses de non-
concurrence qui seraient stipulées sans contrepartie

Il peut encore s’agir des clauses dites de réclamation insérées dans les contrats
d’assurance vie aux termes desquelles la victime d’un sinistre doit, pour être
indemnisée par son assureur, présenté sa réclamation pendant la durée de validité
du contrat. À défaut, la clause a pour effet de priver l’assuré de l’indemnisation
d’un sinistre alors même que celui-ci est survenu pendant la durée d’efficacité du
contrat et que les primes d’assurance ont été dûment réglées.

==> Sur les conditions d’application de la règle


L’application de la règle édictée à l’article 1170 du Code civil est subordonnée à la
réunion de deux conditions cumulatives:

 L’existence d’une obligation essentielle


 Le législateur a repris à son compte la notion d’obligation essentielle
dégagée par la Cour de cassation dans l’arrêt Chronopost I
 Que doit-on entendre par obligation essentielle ?
 L’ordonnance du 10 février 2016 ne le dit pas.
 Une ébauche de définition a été donnée par Pothier qui, dès le XVIIIe
siècle, décrivaient les obligations essentielles comme celles « sans
lesquelles le contrat ne peut subsister. Faute de l’une ou de l’autre de
ces choses, ou il n’y a point du tout de contrat ou c’est une autre espèce
de contrat».
 Il s’agit, autrement dit, de l’obligation en considération de laquelle les
parties se sont engagées.
 Ainsi, la réalisation de l’opération économique envisagée par les
parties dépend de l’exécution de l’obligation essentielle.
 Elle constitue, en somme, le pilier central autour duquel l’édifice
contractuel tout entier est bâti.
 La stipulation d’une clause qui viderait de sa substance l’obligation
essentielle
 L’ordonnance d’une 10 février 2016 conditionne l’annulation d’une
clause sur le fondement de l’article 1170 du Code civil qu’à la condition
qu’elle « prive de sa substance l’obligation essentielle du débiteur »
 Ainsi, le législateur a-t-il choisi de reprendre à l’identique la solution
dégagée par la Cour de cassation dans l’arrêt Faurecia II ?
 Pour mémoire, dans l’arrêt Faurecia I, la Chambre commerciale avait
estimé que dès lors qu’une clause limitative de responsabilité portait sur
une obligation essentielle elle devait être réputée non écrite (  com. 13
févr. 2007).
 Sous le feu des critiques, la Cour de cassation a été contrainte de
revoir sa position dans l’arrêt Faurecia II.
 Dans cette décision, elle choisit de renouer avec la jurisprudence
Chronopost en affirmant que « seule est réputée non écrite la clause
limitative de réparation qui contredit la portée de l’obligation essentielle
souscrite par le débiteur» (  com. 29 juin 2010).
 Si, indéniablement, l’article 1170 consacre cette solution, reste
néanmoins une question en suspens : que doit-on entendre par
« substance» ?
 Plus précisément, qu’est-ce qu’une clause qui prive de sa substance
une obligation essentielle ?
 Dans l’arrêt Chronopost, la Cour de cassation s’était placée sur le
terrain de la cause pour justifier sa solution.
 Elle estimait, en effet, que la mise en œuvre de la clause limitative de
responsabilité conduisait à priver de son intérêt l’utilité de l’opération
économique convenue par les parties : l’acheminement du pli confié au
transporteur dans un bref délai.
 La question qui immédiatement se pose est alors de savoir si le
législateur a entendu assimiler la privation de l’obligation essentielle de
sa substance à l’absence de cause, telle que, envisagée dans l’arrêt
Chronopost, soit dans sa conception subjective ?
 Si l’on compare les expressions « substance de l’obligation» (art.
1170) et « portée de l’obligation » (arrêt Chronopost), il apparaît que le
sens de chacune d’elles est sensiblement différent.
 Le terme substance renvoie à l’idée de contenu de l’obligation :
en quoi consiste la prestation convenue par les parties ?
 Le terme de portée renvoie quant à lui à l’idée de cause de
l’obligation : pourquoi les contractants se sont-ils engagés ?
 Aussi, selon que l’on raisonne sur la base de l’un ou l’autre terme, le
champ d’application de l’article 1170 du Code civil est susceptible d’être
plus ou moins étendu.
 Si l’on s’en tient à la lettre de l’article 1170, ne pourront être
pris en considération que les éléments prévus dans le contrat pour
apprécier la validité d’une clause qui affecterait une obligation
essentielle
 Si en revanche, l’on s’écarte de la lettre de l’article 1170 à la
faveur d’une conception finaliste, pourront alors être pris en compte,
les mobiles des parties, telle que l’utilité de l’opération économique
envisagée individuellement par elles.
 Pratiquement, la seconde conception offre, de toute évidence, une bien
plus grande marge de manœuvre au juge qui pourra, pour apprécier la
validité de la clause affectant une obligation essentielle, se référer à des
éléments extérieurs au contrat : les mobiles des parties.
==> La sanction de la règle
Le législateur a décidé d’étendre la sanction prévue initialement pour les seules
clauses abusives, aux clauses qui portent atteinte à une obligation essentielle du
contrat : elles sont réputées non-écrite.

Cela signifié que, non seulement la clause est privée d’effet, mais encore qu’elle
disparaît du contrat.

La conséquence en est un retour immédiat au droit commun qui s’appliquera à la


situation juridique, initialement réglée par les parties, mais qui, sous l’effet de la
sanction du juge, est devenue orpheline de tout cadre contractuel.

Est-ce à dire que, dans les différents arrêts Chronopost la suppression de la clause
limitative de responsabilité permettrait aux clients d’être indemnisés de leurs
préjudices ?

S’agissant de ce cas spécifique, la réponse ne peut être que négative.

Le droit commun a prévu que, en matière de contrat-type message, l’indemnisation


du préjudice en cas de retard de livraison du pli ne peut excéder un certain plafond,
soit celui-là même fixé par la société Chronopost.

Une suppression de la clause serait donc inopérante, sauf à ce que le client soit
susceptible d’établir une faute lourde à l’encontre du transporteur, conformément à
la jurisprudence constante de la Cour de cassation (V. notamment l’arrêt Faurecia
II : com. 29 juin 2010).
III) La neutralisation des effets des clauses exonératoires ou limitatives de
responsabilité
Plusieurs moyens de droit sont susceptibles d’être invoqués aux fins de neutraliser
les effets d’une clause exonératoire ou limitative de responsabilité.

A) Les moyens de droit tirés de l’opposabilité de la clause


Pour être opposables, les clauses qui aménagent la responsabilité contractuelle
doivent avoir été stipulées dans le contrat et acceptées par le cocontractant.

L’article 1119 du Code civil dispose en ce sens que « les conditions générales
invoquées par une partie n’ont effet à l’égard de l’autre que si elles ont été portées
à la connaissance de celle-ci et si elle les a acceptées. »
Il en résulte que la clause doit être insérée dans la documentation contractuelle et
être lisible. S’il est admis qu’elle puisse figurer sur une facture, c’est à la condition
qu’il soit établi que la partie contre laquelle elle est stipulée en a eu connaissance et
qu’elle y a consenti.

Certaines juridictions ont pu déduire ce consentement, dans le cadre de relations


d’affaires, de l’absence de contestation du cocontractant dans un certain délai.

Lorsque, par ailleurs, la clause est contredite par des mentions manuscrites ou des
courriers échangés entre les parties, la Cour de cassation considère qu’elle est de
pur style, en conséquence de quoi elle est privée d’effet.

Dans un arrêt du 14 octobre 2008, la chambre commerciale a ainsi jugé que « c’est
sans dénaturation des conclusions de la société LCI mais par une interprétation
souveraine de la portée de la mention « sans reconnaissance de responsabilité de
la part des armateurs » que la cour d’appel, en relevant que cette mention était
contredite par les courriers échangés, en a déduit qu’elle n’était qu’une clause de
style dépourvue de valeur juridique » (Cass. com. 14 oct. 2008, n°07-18955).
Enfin, en cas de discordance entre clauses contractuelles, l’interprétation du contrat
doit se faire à la lumière des alinéas 2 et 3 de l’article 1119 du Code civil qui
prévoient que :

 D’une part, « en cas de discordance entre des conditions générales


invoquées par l’une et l’autre des parties, les clauses incompatibles sont
sans effet. »
 D’autre part, « en cas de discordance entre des conditions générales et des
conditions particulières, les secondes l’emportent sur les premières. »
Pour produire ses pleins effets, une clause limitative ou exonératoire de
responsabilité doit ainsi, non seulement, être dépourvue de toute ambiguïté quant à
sa formulation, mais encore ne pas être contredite par une autre clause du contrat,
voire par les échanges qui ont pu intervenir entre les parties dans le cadre de la
conclusion de l’acte.

B) Les moyens de droit tirés de la faute lourde ou dolosive


En application de l’article 1231-3 du code civil, les effets d’une clause exonératoire
ou limitative de responsabilité peuvent être neutralisés en cas de faute lourde ou
dolosive, le créancier de l’obligation violée étant alors fondé à réclamer la
réparation intégrale de son préjudice.

Très tôt, la jurisprudence a abondé en ce sens. Dans un arrêt du 15 juin 1959 la


Cour de cassation a, par exemple, jugé que « seuls le dol ou la faute lourde de la
partie qui invoque, pour se soustraire à son obligation, une clause
d’irresponsabilité insérée au contrat et acceptée par l’autre partie, peuvent faire
échec à l’application de ladite clause » (Cass. com., 15 juin 1959, n° 57-12362)
La question qui immédiatement se pose est alors de savoir ce que l’on doit entendre
par faute dolosive et faute lourde.

Si les textes sont silencieux sur ce point, le Rapport au Président de la République


relatif à l’ordonnance du 10 février 2016 indique que « les articles 1231-3 et 1231-
4 sont conformes aux articles 1150 et 1151, mais consacrent en outre la
jurisprudence assimilant la faute lourde au dol, la gravité de l’imprudence
délibérée dans ce cas confinant à l’intention. »
C’est donc vers la jurisprudence antérieure qu’il convient de se tourner pour
déterminer ce que l’on doit entendre par faute lourde et par faute dolosive.

La différence entre les deux fautes tient, en substance, à l’intention de l’auteur de la


faute :

 La faute lourde
 Elle est définie par la jurisprudence, selon la formule consacrée,
comme « le comportement d’une extrême gravité, confinant au dol et
dénotant l’inaptitude du débiteur de l’obligation à l’accomplissement de
la mission contractuelle qu’il avait accepté» (V. en ce sens Ch. Mixte 22
avr. 2005, n° 03-14112).
 La faute lourde comprend donc deux éléments :
 Un élément subjectif : le comportement confinant au dol, soit à
une faute d’une extrême gravité.
 Un élément objectif: l’inaptitude quant à l’accomplissement de
la mission contractuelle.
 La faute dolosive
 Elle est définie quant à elle comme l’inexécution délibérée, et donc
volontaire, des obligations contractuelles.
 À cet égard dans un arrêt du 27 juin 2001, la Cour de cassation a jugé
en ce sens que « le constructeur […] est sauf faute extérieure au contrat,
contractuellement tenu à l’égard du maître de l’ouvrage de sa faute
dolosive lorsque, de propos délibéré même sans intention de nuire, il
viole par dissimulation ou par fraude ses obligations contractuelles»
(  3e  civ. 27 juin 2001, n°99-21017).
 Il ressort de la jurisprudence que la faute dolosive suppose que le
débiteur ait seulement voulu manquer à ses obligations contractuelles. Il
est indifférent qu’il ait voulu causer un préjudice à son cocontractant.
Nonobstant la différence qui existe entre ces deux notions, la faute lourde est
régulièrement assimilée à la faute dolosive par la jurisprudence.

Dans un arrêt du 29 octobre 2014, la Cour de cassation a ainsi rappelé que « la
faute lourde, assimilable au dol, empêche le contractant auquel elle est imputable
de limiter la réparation du préjudice qu’il a causé aux dommages prévus ou
prévisibles lors du contrat et de s’en affranchir par une clause de non-
responsabilité » (Cass. 1ère  civ. 29 oct. 2014, n°13-21980).
L’assimilation de la faute lourde à la faute dolosive aurait, selon le Rapport au
Président de la République relatif à l’ordonnance du 10 février 2016, été reconduite
par le législateur, de sorte que les solutions dégagées par la jurisprudence antérieure
sont toujours valides.

En tout état de cause, lorsque la faute lourde ou la faute dolosive sont caractérisées,
la clause limitative ou exonératoire de responsabilité est écartée à la faveur du
principe de réparation intégrale qui trouve alors à s’appliquer.

[1] J. Carbonnier, Droit civil : les biens, les obligations, éd. PUF, coll.
« Quadrige », 2004, t. 2, n°1094, p. 2222
[2] J. Béguin, Rapport sur l’adage « nul ne peut se faire justice soi-même » en
droit français, Travaux Association H. Capitant, t. XVIII, p. 41 s
[3] D. Mazeaud, La notion de clause pénale, LGDJ, coll. « bibliothèque de droit
privé », 1992, n°495, p. 287 et s.
[4] J. Mestre, obs. RTD civ. 1985, p. 372 s
[5] D. Mazeaud, op. cit., n°630, p. 359
[6] F. Terré, Ph. Simler et Y. Lequette, Droit civil : les obligations, 9e éd. Dalloz,
coll. « Précis droit privé », 2005, n°624, p. 615
 

 
La restitution d’une chose autre qu’une somme d’argent: régime juridique
28 OCTOBRE 2019 / AURÉLIEN BAMDÉ / POSTER UN
COMMENTAIRE
Lorsqu’un contrat est anéanti, soit par voie de nullité, soit par voie de résolution,
soit encore par voie de caducité, il y a lieu de liquider la situation contractuelle
dans laquelle se trouvent les parties et à laquelle il a été mis fin.

Pour ce faire, a été mis en place le système des restitutions. Ces restitutions
consistent, en somme, pour chaque partie à rendre à l’autre ce qu’elle a reçu.

Avant la réforme des obligations, le Code civil ne comportait aucune disposition


propre aux restitutions après anéantissement du contrat. Tout au plus, il ne
contenait que quelques règles éparses sur la mise en œuvre de ce mécanisme, telles
que les dispositions relatives à la répétition de l’indu, dont la jurisprudence s’est
inspirée pour régler le sort des restitutions en matière contractuelle.

La réforme du droit des obligations a été l’occasion pour le législateur de combler


ce vide en consacrant, dans le Code civil, un chapitre propre aux restitutions.

Surtout, le but recherché était d’unifier la matière en rassemblant les règles dans un
même corpus normatif et que celui-ci s’applique à toutes formes de restitutions,
qu’elles soient consécutives à l’annulation, la résolution, la caducité ou encore la
répétition de l’indu.

À l’examen, le régime juridique attaché aux restitutions s’articule autour de trois


axes déterminés par l’objet desdites restitutions.
À cet égard, les règles applicables diffèrent selon que, la restitution porte sur une
chose autre qu’une somme d’argent, sur une somme d’argent ou sur une prestation
de service.

En substance, il ressort des textes que :

 D’une part, la restitution d’une chose autre qu’une somme d’argent se fait,
par principe, en nature et lorsque cela est impossible, par équivalent
monétaire
 D’autre part, la restitution d’une somme d’argent inclut les intérêts au taux
légal et les taxes acquittées
 Enfin, la restituons d’une prestation de service a lieu en valeur
Nous nous focaliserons sur la première forme de restitutions.

==> Textes

La restitution d’une chose autre qu’une somme d’argent est régie aux articles
1352 à 1352-3 du Code civil. L’article 1352-5 du Code civil en complète le régime.

==> Domaine

Par chose, il faut entendre, tant les meubles que les immeubles, à l’exclusion des
sommes d’argent.

La restitution de ces dernières fait l’objet d’un traitement spécifique à l’article


1352-6. Cette disposition a, en effet, vocation à s’appliquer lorsque l’exécution de
l’obligation consiste en le paiement d’une valeur monétaire.

Quant aux contrats dont l’anéantissement conduit à la restitution d’une chose autre
qu’une somme d’argent , il peut s’agir, tout aussi bien de contrats translatifs de
propriété (contrat de vente, contrat d’entreprise, donation, échange etc.), que de
contrats qui ne font que mettre à la disposition du débiteur une chose sans lui en
transférer la propriété (contrat de bail, contrat de dépôt, contrat de prêt, etc.).

==> Régime
Lorsque la restitution porte sur une chose autre qu’une somme d’argent, le principe
posé par l’article 1352 du Code civil, c’est la restitution en nature.

Par exception, soit lorsque la restitution en nature s’avère impossible, la restitution


se fera en valeur, soit par équivalent monétaire.

I) Principe : la restitution en nature


1. Exposé du principe
L’article 1352 du Code civil pose donc le principe de restitution en nature des
choses autres qu’une somme d’argent.

L’instauration de ce principe, d’abord reconnu par la jurisprudence, puis consacré


par la loi, procède de l’objectif poursuivi par le législateur qui vise à remettre les
parties dans la situation patrimoniale à laquelle elles se trouvaient au moment de la
survenance de l’irrégularité entachant l’acte ou de son inexécution.

Aussi, le retour à ce statu quo ante suppose, avant toute chose, d’exiger des parties
qu’elles restituent à l’autre ce qui se trouve encore entre dans leurs patrimoines
respectifs.
Lorsqu’il s’agit de restituer en nature un corps certain, la partie qui le détient devra
restituer à son cocontractant le même corps certain que celui qui lui a été remis lors
de son entrée en possession.

Lorsque, en revanche, la restitution porte sur une chose de genre, la chose rendue
devra être de même nature, être restituée dans la même quotité et présenter les
mêmes qualités.

2. Mise en œuvre du principe


Si, en cas d’anéantissement d’un acte, la restitution, en nature, des choses qui se
trouvaient dans les patrimoines respectifs des parties est une étape nécessaire vers
un retour au statu quo ante, cette opération n’est, dans bien des cas, pas suffisante.
Entre le moment où la chose a été remise et la date de sa restitution, des
événements sont, en effet, susceptibles d’avoir affecté l’état de la chose.

Elle peut, tout aussi bien avoir été détériorée ou s’être dégradée, qu’avoir fait
l’objet d’améliorations ou de réparations.
Des dépenses auront, par ailleurs, pu être exposées pour assurer sa conservation. La
chose peut encore avoir produit des fruits en même temps qu’il a été permis à son
détenteur d’en jouir.

Aussi, afin de se rapprocher de la situation dans laquelle les parties se trouvaient au


moment de la survenance de l’irrégularité ayant entaché l’acte ou de son
inexécution, il est nécessaire de rétablir les équilibres qui ont pu être rompus en
raison :

 Soit des dépenses exposées par détenteur de la chose pour assurer sa


conservation
 Soit des circonstances qui ont affecté l’état de la chose (plus-values et moins
values),
 Soit de la jouissance que la chose a procurée et des fruits dont le détenteur a
tiré profit
Pour ce faire, les articles 1352-1, 1352-3 et 1352-5 du Code civil prévoient un
certain nombre de règlements accessoires à la restitution, en principal, de la chose
qui visent, selon la doctrine, à tenir compte de l’écoulement du temps.

Plus précisément, ces règlements accessoires à la restitution de la chose ont été


institués pour traiter :

 Les conséquences des dégradations et détériorations de la chose


 Le sort des fruits et de la valeur de jouissance procurés par la chose
 Le sort des dépenses exposées pour la conservation et le maintien de la chose
a) Les conséquences des dégradations et détériorations de la chose
L’article 1352-1 du Code civil dispose que « celui qui restitue la chose répond des
dégradations et détériorations qui en ont diminué la valeur, à moins qu’il ne soit
de bonne foi et que celles-ci ne soient pas dues à sa faute. »
Il ressort de cette disposition que la restitution en nature de la chose suppose
qu’elle soit rendue au créancier dans le même état que celui dans lequel elle se
trouvait au moment de sa remise.

Aussi, dans l’hypothèse où la chose objet de la restitution est dégradée ou


détériorée, pèse sur la partie qui détient la chose une obligation d’indemnisation du
créancier, ainsi que le suggère l’emploi du terme « répond ».
La question qui immédiatement se pose est alors de savoir ce que l’on doit entendre
par dégradation et détérioration.
Plus précisément, ces deux notions couvrent-elles seulement les altérations
anormales affectant accidentellement ou intentionnellement l’état de la chose ou
embrassent-elles également l’usure résultant de l’usure normale de la chose ?

Dans le silence des textes, les deux interprétations sont possibles. Reste que, par
analogie avec les règles qui régissent le contrat de bail, il peut être postulé que
l’usure normale de la chose restituée ne donne pas lieu à indemnisation, à l’instar
du local restitué au bailleur en fin de bail.

À cet égard, dans un arrêt du 8 mars 2005 la Cour de cassation avait considéré
que « l’effet rétroactif de la résolution d’une vente oblige l’acquéreur à indemniser
le vendeur de la dépréciation subie par la chose à raison de l’utilisation qu’il en a
faite, à l’exclusion de celle due à la vétusté » (Cass. 1ère  civ., 8 mars 2005, n° 02-
11594).
Lorsque, en revanche, l’altération de l’état de la chose ne résulte pas de son usure
normale, alors le débiteur de l’obligation de restituer doit indemniser le créancier.

Cette indemnisation est toutefois subordonnée à la réunion de deux conditions


alternatives :

 Première condition : la mauvaise foi du débiteur de l’obligation de


restituer
 L’article 1352-1 du Code civil prévoit que l’indemnisation ne peut
avoir lieu en cas de dégradation ou de détérioration de la chose qu’à la
condition que le débiteur de l’obligation de restituer soit de mauvaise foi.
 Ce dernier sera de mauvaise foi lorsqu’il connaissait la cause
d’anéantissement du contrat et qu’il a malgré tout accepté de recevoir la
chose.
 Autrement dit, le débiteur savait qu’il ne pouvait pas valablement
détenir et jouir de la chose.
 Il importe peu que la dégradation ou la détérioration de la chose soit
de sa faute : dans les deux cas, dès lors que sa mauvaise foi est établie, il
a l’obligation d’indemniser le créancier de la restitution.
 Seconde condition : la faute du débiteur de l’obligation de restituer
 Il s’infère de l’article 1352-1 du Code civil que, dans l’hypothèse où le
débiteur serait de bonne foi, le créancier ne pourra solliciter une
indemnisation que s’il démontre que les dégradations ou détériorations de
la chose résultent de la faute du débiteur.
 À défaut, aucune indemnisation ne sera due, sauf à ce que le débiteur
de l’obligation de restitution soit de mauvaise foi, ce qui sera suffisant
pour l’obliger à réparer le préjudice résultant de l’altération de l’état de la
chose.
b) Le sort des fruits et de la valeur de jouissance procurés par la chose
L’article 1352-3 du Code civil dispose que « la restitution inclut les fruits et la
valeur de la jouissance que la chose a procurée. »
La règle ainsi posée vise tenir compte de l’utilisation de la chose par le débiteur
entre le moment où il est en entrée en possession de cette chose et la date à laquelle
il doit la restituer.

Pendant cette période, ce dernier a, tout d’abord, pu en jouir, soit tirer profit de sa
possession. Tel est le cas de l’acquéreur d’un véhicule qui dispose de la possibilité
de le conduire ou de l’acquéreur d’un immeuble qui peut l’habiter.

La possession d’une chose peut ensuite permettre à son détenteur d’en percevoir les
fruits. Selon la définition donnée par Gérard Cornu, les fruits, s’entendent « des
biens de toute sorte (sommes d’argent, biens en nature) que fournissent et
rapportent périodiquement les biens frugifères (sans que la substance de ceux-ci
soit entamée comme elle l’est par les produits au sens strict) ; espèce de revenus
issus des capitaux, à la différence des revenus du travail. Ex. : récoltes, intérêts des
fonds prêtés, loyers des maisons ou des terres louées, arrérages des rentes. ».
Si les avantages que procure la jouissance de la chose et, éventuellement, la
perception de ses fruits sont sans incidence sur sa substance, en ce sens que cela ne
lui apporte aucune moins-value, ni plus-value, sa seule restitution au créancier, en
cas d’anéantissement du contrat au titre duquel elle avait été transférée, ne permet
pas d’obtenir les effets recherchés par cet anéantissement, soit le retour des parties
au statu quo ante.
Tandis que le débiteur de l’obligation de restituer s’est enrichi en tirant profit de la
jouissance de la chose et en percevant les fruits, le créancier a, quant à lui, été privé
de son utilisation.

Aussi, afin de rétablir l’équilibre qui a été rompu consécutivement à la disparition


de l’acte, très tôt la question s’est posée de l’indemnisation de ce dernier.

La question est alors double. Elle tient à l’indemnisation du créancier de


l’obligation de restituer résultant :
 D’une part, de la jouissance de la chose par le débiteur
 D’autre part, de la perception des fruits par le débiteur
Mettant fin à une jurisprudence fournie qui n’est pas sans avoir tergiversé, en
particulier sur l’indemnisation de la jouissance de la chose, l’ordonnance du 10
février 2016 prévoit que, tant la valeur de la jouissance de la chose que les fruits
procurés par elle au débiteur donnent lieu à restitution.

L’article 1352-7 précise toutefois que l’étendue de cette restitution varie selon que
le débiteur de l’obligation de restituer était de bonne ou de mauvaise foi au moment
où il a perçu les fruits ou a commencé à jouir de la chose.

a1. Le principe de la restitution de la valeur de la jouissance de la chose et de


ses fruits
α) La restitution de la valeur de la jouissance de la chose
==> Droit antérieur

Sous l’empire du droit antérieur, la jurisprudence était fluctuante, s’agissant


d’octroyer au créancier de l’obligation de restituer une indemnité visant à
compenser la jouissance de la chose par le débiteur.

À l’analyse, deux positions s’affrontaient : celle de la première chambre civile qui


refusait d’indemniser le créancier à raison de l’utilisation de la chose restituée par
le débiteur et celle de la troisième chambre civile qui admettait que ce dernier
puisse percevoir une indemnité.

Cette situation qui opposait les deux chambres a conduit la chambre mixte à se
prononcer. Son intervention n’a toutefois pas suffi à mettre fin au débat.

 La position de la première chambre civile : le refus d’indemniser


 Dans un arrêt du 2 juin 1987, la première chambre civile a jugé que
« dans le cas où un contrat nul a […] été exécuté, les parties doivent être
remises dans l’état où elles étaient auparavant, en raison de la nullité
dont la vente est entachée dès l’origine ».
 Toutefois, elle a ajouté que « le vendeur n’est pas fondé à obtenir une
indemnité correspondant au profit qu’a retiré l’acquéreur de l’utilisation
de la machine» (  1ère  civ. 1 juin 1987, n°84-16624)
 La première chambre civile a précisé sa position dans un arrêt du 11
mars 2003, aux termes duquel elle a affirmé que « en raison de l’effet
rétroactif de la résolution de la vente, le vendeur n’est pas fondé à
obtenir une indemnité correspondant à la seule utilisation du véhicule
par l’acquéreur» (  1ère  civ. 2003, 01-01673)
 La première chambre civile fait ici manifestement une application
stricte du principe de l’anéantissement rétroactif du contrat : si
l’acquéreur doit remettre la chose, abstraction faite de l’évolution de sa
valeur, au même état que si les obligations nées du contrat n’avaient pas
existé, le vendeur doit restituer le prix, le principe du nominalisme
monétaire interdisant toute revalorisation.
 Cette position n’était toutefois pas partagée par la troisième chambre
civile
 La position de la troisième chambre civile : l’admission d’un droit à
indemnisation
 Dans un arrêt du 12 janvier 1988, la troisième chambre civile a adopté
une position radicalement inverse à celle retenue par la première chambre
civile.
 Au visa de l’article 544 du Code civil, ensemble les articles 1644,
1645 et 1646 du même Code, elle a jugé que « lorsque la vente d’une
chose est résolue par l’effet de l’action rédhibitoire, cette chose est
remise au même état que si les obligations du contrat n’avaient pas
existé»
 Elle en a tiré la conséquence que « l’acquéreur doit une indemnité
d’occupation au vendeur de l’immeuble qui recouvre sa qualité de
propriétaire, sauf si celui-ci connaissait les vices de l’immeuble»
(  3e  civ. 12 janv. 1988, n°86-15722).
 La troisième chambre civile a réitéré sa position dans un arrêt du 26
janvier 1994 aux termes duquel elle affirmait que « la résolution de la
vente anéantit les stipulations du contrat et que l’acquéreur doit une
indemnité d’occupation au vendeur de l’immeuble qui recouvre sa
qualité de propriétaire» (  3e  civ. 26 janv. 1994, n° 91-20934).
 Elle a, à nouveau, retenu cette solution dans un arrêt du 12 mars 2003
(  3e  civ. 12 mars 2003, n°01-17207), soit le lendemain de l’arrêt rendu
par la première chambre civile qui adoptait la position inverse (Cass.
1ère  civ. 2003, 01-01673).
 L’intervention de la chambre mixte
 Dans un arrêt du 9 juillet 2004 la chambre mixte s’est finalement
prononcée sur la question qui opposait la première civile à la troisième
chambre civile.
 Dans cette décision elle a jugé que « le vendeur n’est pas fondé, en
raison de l’effet rétroactif de l’annulation de la vente, à obtenir une
indemnité correspondant à la seule occupation de l’immeuble» (  ch.
mixte, 9 juill. 2004, n° 02-16302).
 Ainsi la chambre mixte de la Cour de cassation a-t-elle opiné dans le
sens de la position adoptée par la première chambre civile.
 Dans un arrêt du 9 novembre 2007 elle a toutefois semblé opérer un
revirement de jurisprudence en retenant la solution inverse.
 Elle a, en effet, considéré dans cette décision que « c’est sans
méconnaître les effets de l’annulation du contrat de bail et dans
l’exercice de leur pouvoir souverain d’appréciation que les juges du fond
ont évalué le montant de l’indemnité d’occupation due par l’EURL en
contrepartie de sa jouissance des lieux» (  ch. mixte, 9 nov. 2007, n° 06-
19508).
 Les auteurs ont interprété cette décision comme opérant, non pas un
revirement de jurisprudence, mais une distinction entre les contrats de
vente et les contrats de bail.
 Tandis que pour les premiers aucune indemnité ne serait due au
vendeur, pour les seconds, le bailleur serait fondé à réclamer une
indemnisation au preneur.
 Cette interprétation qui semblait avoir été validée par un arrêt rendu le
24 juin 2009 par la première chambre civile (  3e  civ. 24 juin 2009, n°n°
08-12.251) a toutefois été remise en cause par une décision de la chambre
commerciale du 3 décembre 2015.
 Cette dernière a, en effet, jugé que « la remise des parties dans l’état
antérieur à un contrat de location-gérance annulé exclut que le bailleur
obtienne une indemnité correspondant au profit tiré par le locataire de
l’exploitation du fonds de commerce dont il n’a pas la propriété» (  com.
3 déc. 2015, n°14-22692).
Au bilan, la jurisprudence était pour le moins incertaine quant au bien-fondé de
l’octroi d’une indemnité au créancier correspondant à l’usage de la chose restituée.

Quant à la doctrine, les auteurs étaient partagés.

Planiol et Riper étaient favorable à la reconnaissance d’une indemnité de jouissance


à la charge du débiteur de l’obligation de restituer. Pour eux « la liquidation
comportera le paiement de la valeur de toute chose consommée, de toute
jouissance, de tout service reçu, dont l’autre partie n’aurait pas eu, en exécution
des conventions, la contrepartie effective »[2].
Dans le même sens, pour Marie Malaurie, dans certains cas, une indemnité de
jouissance peut être versée. Les restitutions sont bilatérales et gouvernées par une
« règle de corrélation », cette indemnité compensant l’utilisation du bien aurait
pour « corollaire les intérêts légaux qui indemnisent forfaitairement la jouissance
de l’argent à laquelle pourrait prétendre l’acheteur »[3].
Dans ces conditions une indemnité est due en l’absence de corrélation entre la
jouissance du prix et celle de la chose. À ce titre, deux exemples d’indemnisation
sont cités : la perception partielle ou la non-perception du prix par le vendeur et la
jouissance de la chose conjuguée à la perception des fruits par l’acquéreur.

À l’inverse, pour Jean-Louis Aubert, « l’utilisation du bien faite par l’acheteur se


situe indéniablement hors le champ des restitutions »[4].
Pour les tenants de cette thèse « seules sont restituables, en valeur, les prestations
fournies en exécution du contrat annulé, c’est-à-dire mises, par le contrat, à la
charge de celui qui les a exécutées»[5].Or, à la différence d’un bailleur tenu d’une
obligation de faire, le vendeur n’a exécuté aucune obligation relative à la
jouissance, il n’est donc tenu que d’une obligation de délivrance, en exécution de
l’obligation de donner résultant du contrat de vente. Dès lors, l’octroi d’une
indemnité d’utilisation « outrepasserait la restitution intégrale » puisque, dans un
contrat de bail, l’indemnité d’occupation correspond à la restitution en valeur de la
jouissance, tandis qu’en matière de vente, l’indemnité est réclamée en plus de la
restitution en nature de la chose[6].
Si, à l’examen, la doctrine était plutôt défavorable au versement d’une indemnité de
jouissance au créancier de l’obligation de restituer, le législateur a, lors de la
réforme du droit des obligations, finalement tranché en faveur d’une indemnisation.

==> Ordonnance du 10 février 2016

L’article 1352-3, al. 1re prévoit que la restitution de la chose donne lieu,


corrélativement à la restitution de la valeur de la jouissance.
Ainsi, l’ordonnance du 10 février 2016 a-t-elle renversé la position qui avait été
adoptée antérieurement par la chambre mixte de la Cour de cassation en matière de
contrat de vente.

Manifestement, le nouvel article 1352-3 du Code civil n’opère aucune distinction


entre les contrats de vente et les contrats de bail. On peut en déduire que cette
disposition a vocation à s’appliquer à tous les contrats.
Quelle que soit la nature du contrat anéanti, le créancier de l’obligation de restituer
sera donc fondé à réclamer au débiteur le versement d’une indemnité de jouissance.

L’alinéa 2 de l’article 1352-3 précise que « la valeur de la jouissance est évaluée


par le juge au jour où il se prononce. »
Quant à l’évaluation de la valeur en tant que telle de la jouissance, c’est vers le
Rapport au Président de la République qu’il convient de se tourner pour
comprendre ses modalités de calcul. Selon ce rapport, l’indemnité de jouissant doit
être regardée « comme un équivalent économique des fruits que la chose aurait pu
produire. »
En d’autres termes, si la chose objet de la restitution est un immeuble, la valeur de
la jouissance doit être calculée sur la base des loyers qui auraient pu être perçus par
le créancier de l’obligation de restituer.

L’application de cette méthode de calcul conduit immédiatement à s’interroger sur


l’octroi d’une indemnité de jouissance en cas de restitution d’un bien non frugifère.

Le rapport au Président de la République semble s’y opposer. Toutefois, l’article


1352-3 du Code civil ne l’interdit pas, de sorte qu’il convient d’attendre que la
jurisprudence se prononce avant de tirer des conséquences sur la portée de la règle.

β) la restitution des fruits produits par la chose


À l’instar de la valeur de la jouissance de la chose, le nouvel article 1352-3 du
Code civil pose que les fruits qu’elle a procurés au débiteur ont vocation à être
restitués au créancier en cas d’anéantissement du contrat.

Cette règle n’était toutefois pas d’application systématique ce qui a conduit le


législateur lors de la réforme du droit des obligations à clarifier les choses.

==> Droit antérieur

Sous l’empire du droit antérieur, pour déterminer si, en cas d’anéantissement d’un
acte, il y avait lieu de restituer les fruits procurés par la chose, la jurisprudence
distinguait selon que le débiteur était de bonne ou mauvaise foi.

Dans un arrêt du 5 juillet 1978, la Cour de cassation a jugé en ce sens, application


de l’article 549 du Code civil, « le possesseur de bonne foi fait siens les fruits dans
le cas où il possède de bonne foi » (Cass. 3e  civ. 5 juill. 1978, n°77-11157). Elle a
eu l’occasion de préciser ensuite que le possesseur de bonne foi ne doit restituer les
fruits au propriétaire qu’à compter de la demande qu’il en a fait (Cass. 3e  civ. 28
juin 1983)..
À l’inverse, la chambre commerciale a, dans un arrêt du 14 mai 2013, considéré
que « la circonstance que la restitution consécutive à l’annulation d’une cession de
droits sociaux a lieu en valeur ne fait pas obstacle à la restitution au cédant des
fruits produits par les parts sociales litigieuses et perçus en connaissance du vice
affectant l’acte annulé par celui qui est tenu à restitution » (Cass. com. 14 mai
2013, n°12-17637). Ainsi, lorsque le débiteur est de mauvaise foi, pèse sur lui une
obligation de restitution des fruits.
L’ordonnance du 10 février a mis fin à cette jurisprudence qui subordonnait la
restitution des fruits à la mauvaise foi du débiteur.

==> Ordonnance du 10 février 2016

En application de l’article 1352-3 du Code civil, les fruits doivent être restitués
sans que cette restitution dépende de la bonne ou mauvaise foi du débiteur de la
restitution.

Il ressort du 3e alinéa de cette disposition que la restitution des fruits doit, par
principe, avoir lieu en nature, ce qui n’est pas sans rappeler le principe général posé
par l’article 1352 du Code civil qui impose cette modalité de restitution pour la
chose elle-même.
Ce n’est que si la restitution des fruits en nature est impossible, qu’elle peut
intervenir en valeur.

À cet égard, le texte précise que, en cas de restitution en valeur :

 D’une part, l’estimation doit se faire « à la date du remboursement des


fruits par le débiteur», soit plus précisément à la date du jugement
 D’autre part, cette estimation doit être effectuée « suivant l’état de la chose
au jour du paiement de l’obligation», ce qui signifie que le créancier ne peut
réclamer la restitution que des seuls fruits que la chose était susceptible de
produire dans l’état où elle se trouvait au moment de sa remise au débiteur.
Le législateur a entendu ici consacrer la solution dégagée par la Cour de
cassation dans un arrêt du 20 juin 1967 aux termes duquel elle avait jugé que
« si le possesseur doit restituer les fruits au propriétaire, qui revendique la
chose, à compter du jour de la demande, le propriétaire ne saurait prétendre
qu’aux fruits qu’aurait produits la chose dans l’état où le possesseur en a
pris possession » (  1ère  civ., 20 juin 1967)
Il convient enfin de préciser que les règles qui gouvernent la restitution des fruits
ne sont pas d’ordre public, ainsi que le prévoit le troisième alinéa de l’article 1352-
3 du Code civil. Les parties peuvent y déroger par convention contraire, ce qui
implique qu’elles sont libres de prévoir que l’anéantissement du contrat ne donnera
pas lieu à restitution des fruits.

Les contractants peuvent encore stipuler des modalités d’évaluation de la valeur des
fruits différentes de celles fixées par l’article 1352-3.

a2. L’étendue de la restitution de la valeur de la jouissance de la chose et de ses


fruits
L’article 1352-7 du Code civil dispose que « celui qui a reçu de mauvaise foi doit
les intérêts, les fruits qu’il a perçus ou la valeur de la jouissance à compter du
paiement. Celui qui a reçu de bonne foi ne les doit qu’à compter du jour de la
demande. »
Il ressort de cette disposition que, s’agissant de la restitution des fruits et de la
valeur de la jouissance, l’étendue de cette restitution dépend de la bonne foi du
débiteur.

Si, conformément à l’article 2268 du Code civil la bonne foi est toujours présumée,
la mauvaise foi est, quant à elle, caractérisée lorsqu’il est établi que le débiteur de
l’obligation de restituer avait connaissance et de la cause d’anéantissement du
contrat et qu’il a malgré tout accepté de recevoir la chose.

Deux situations sont donc susceptibles de se présenter :

 Le débiteur est de mauvaise foi


 Dans cette hypothèse, le débiteur doit les fruits qu’il a perçus ou la
valeur de la jouissance à compter du paiement, soit à compter de la date à
laquelle il est entré en possession de la chose.
 Le débiteur est de bonne foi
 Dans cette hypothèse, le débiteur doit les fruits qu’il a perçus ou la
valeur de la jouissance à compter du jour de la demande, ou de la date
d’introduction de l’action en justice.
c) Le sort des dépenses exposées pour la conservation et le maintien de la chose
L’article 1352-5 du Code civil dispose que « pour fixer le montant des restitutions,
il est tenu compte à celui qui doit restituer des dépenses nécessaires à la
conservation de la chose et de celles qui en ont augmenté la valeur, dans la limite
de la plus-value estimée au jour de la restitution. »
Il ressort de cette disposition que toutes les dépenses qui ont été exposées par le
débiteur pour conserver ou pour améliorer à la chose donnent lieu à restitution.

Cette règle participe toujours de l’idée que si le débiteur ne doit pas s’être enrichi
en jouissant de la chose ou en en percevant les fruits, il en va de même pour le
créancier qui ne doit pas pouvoir tirer profit de la restitution de la chose lorsqu’elle
a fait l’objet d’améliorations ou que des frais de conservation ont été exposés par
son détenteur.

Pour cette raison, l’article 1352-5 du Code civil prévoit que les frais et dépenses
exposées par le débiteur de l’obligation de restituer durant l’exécution du contrat
doivent être supportés par le créancier.

À l’examen, l’évaluation de la restitution est envisagée différemment selon que les


dépenses exposées concernent la conservation de la chose ou l’amélioration de la
chose.

 S’agissant des dépenses de conservation de la chose


 L’article 1352-5 du Code civil prévoit que « les dépenses nécessaires
à la conservation de la chose» doivent être supportées par le créancier de
l’obligation de restituer
 La question qui immédiatement se pose est de savoir quelles sont les
dépenses de conservation visées par cette disposition.
 La lecture du texte révèle que seuls les dépenses nécessaires à sa
conservation donnent lieu à restituer.
 Autrement dit, ces dépenses doivent être indispensables, ce qui exclut,
par hypothèse, les dépenses somptuaires au sens de l’article
 Concrètement, il s’agira ainsi des dépenses courantes, des frais
d’entretien, ainsi que des frais attachés à la possession de la chose, tels
que les impôts let autres taxes par exemple.
 Contrairement à ce que suggère la lettre de l’article 1352-5 du Code
civil, afin de déterminer le montant de la restitution, il n’y a pas lieu de
plafonner les dépenses de conservation à hauteur de « la plus-value
estimée au jour de la restitution. »
 Et pour cause ce type de dépenses n’a pas vocation à apporter une
plus-value à la chose, seulement à la maintenir dans son état initial.
 L’indemnisation du débiteur doit donc couvrir l’intégralité des
dépenses de conservation exposées, sans limite de montant.
 Le plafonnement de l’indemnisation ne concerne, en réalité, que les
dépenses d’amélioration.
 S’agissant des dépenses d’amélioration de la chose
 L’article 1352-5 du Code civil prévoit que « les dépenses qui ont
augmenté la valeur de la chose» doivent être supportées par le créancier
de l’obligation de restituer, ce « dans la limite de la plus-value estimée
au jour de la restitution ».
 Il ressort de ce texte que l’indemnisation due au débiteur doit être
calculée, non pas sur la plus-value intrinsèque apportée à la chose, mais
sur la base des dépenses exposées.
 Ainsi, dans l’hypothèse où la plus-value serait de 200 et que les
dépenses exposées par le débiteur représenteraient un coût de 100, la
restitution ne pourrait pas être supérieure à 100.
 Seules les améliorations résultant de dépenses ne peuvent donc donner
lieu à restitution.
 L’article 1352-5 précise que le montant de l’indemnisation est, en
toute hypothèse, plafonné à hauteur de « la plus-value estimée au jour de
la restitution».
 Aussi, de deux choses l’une :
 Soit le montant le montant des dépenses exposées est inférieur à
la plus-value apportée à la chose auquel cas le débiteur pourra être
intégralement indemnisé
 Soit le montant des dépenses exposées est supérieur à la plus-
value apportée à la chose auquel cas l’indemnisation du débiteur sera
plafonnée à hauteur de cette plus-value.
 À cet égard, tandis que le montant des dépenses s’apprécie au jour où
elles ont été exposées, le montant de la plus-value est, quant à lui,
apprécié à la date de la restitution, soit du jugement.
II) Exception : la restitution en valeur
L’article 1352 du Code civil prévoit que, par exception au principe de restitution en
nature de la chose, lorsque cette restitution est impossible, elle a lieu en valeur.

Ce texte envisage ainsi l’hypothèse du débiteur qui n’est plus en possession de la


chose au jour où naît l’obligation de la restituer.
Seule alternative pour surmonter l’obstacle : obliger le débiteur à restituer la chose
par équivalent, soit en valeur.

Bien que simple en apparence, cette solution n’est toutefois pas sans soulever
plusieurs difficultés.

Ces difficultés tiennent :

 D’une part, à la délimitation du domaine de l’impossibilité


 D’autre part, aux modalités d’estimation de la valeur restituée
1. Le domaine de l’impossibilité
==> L’étendue du domaine de l’impossibilité
La première question qui se pose est de savoir à partir de quand peut-on considérer
que la restitution de la chose est impossible.

Lorsque la chose a disparu ou a péri, l’impossibilité de la restituer s’impose d’elle-


même. Il en va de même pour les choses consomptibles.

Plus délicate est, en revanche, la question pour les choses dont le débiteur est
toujours en possession mais pour lesquelles la restitution représenterait pour lui un
coût si élevé qu’il serait déconnecté de l’économie initiale du contrat.

Dans un arrêt du 18 février 1992, la Cour de cassation a répondu à cette question en


censurant une Cour d’appel pour avoir mis à la charge d’un débiteur une obligation
de restituer en nature consécutivement à l’anéantissement d’un contrat considérant,
au cas particulier, que « l’obligation de restitution en nature du matériel impose
des travaux coûteux au revendeur de carburant, non justifiés par des nécessités
techniques en raison de la durée de vie des cuves, et qu’elle est susceptible de le
dissuader de traiter avec un autre fournisseur ; qu’elle est ainsi disproportionnée
avec la fonction qui lui a été fixée de faire respecter l’exclusivité d’achat du
carburant et constitue un frein à la concurrence d’autres fournisseurs, la cour
d’appel a violé le texte susvisé » (Cass. com. 18 févr. 1992, n°87-12844).
Ainsi, pour la Cour de cassation, lorsque la restitution en nature serait
disproportionnée eu égard le résultat recherché par l’anéantissement de l’acte, soit
un retour au statu quo, elle ne peut avoir lieu qu’en valeur.
Cette solution a été réaffirmée par la troisième chambre civile dans un arrêt du 15
octobre 2015 aux termes duquel elle a cassé la décision d’une Cour d’appel à
laquelle elle reprochait de n’avoir pas recherché « si la démolition de l’ouvrage, à
laquelle s’opposait la société Trecobat, constituait une sanction proportionnée à la
gravité des désordres et des non-conformités qui l’affectaient » (Cass. 3e  civ. 15
oct. 2015, n°14-23612).
Dans le silence de l’article 1352 du Code civil sur la notion d’impossibilité, peut-on
considérer que cette jurisprudence a été reconduite par le législateur ?

D’aucuns postulent que la réponse à cette question résiderait dans la comparaison


de l’article 1352 avec l’article 1221.

En effet, cette dernière disposition exige expressément la réalisation d’un contrôle


de proportionnalité pour déterminer s’il y a lieu d’exclure l’exécution forcée en
nature d’une obligation en cas d’inexécution du contrat.

Tel n’est pas le cas de l’article 1352 qui est silencieux sur ce point s’agissant de
l’exclusion de la restitution de la chose en nature.

Pour l’heure la jurisprudence ne s’est pas encore prononcée, de sorte qu’il est
difficile de tirer des conclusions sur le maintien de la jurisprudence antérieure.

==> Cas particulier de la revente de la chose

L’article 1352-2 du Code civil envisage le cas particulier de la revente de la chose


qui devait être restituée au vendeur en suite de l’anéantissement du contrat.

Cette disposition prévoit, plus précisément, que lorsque l’acquéreur revend la chose
qui lui a été délivrée, la restitution s’opère en valeur.

Selon le texte, il y a néanmoins lieu de distinguer selon que l’acquéreur est de


bonne ou de mauvaise foi.

Si, de prime abord, l’on est tenté d’apprécier la bonne foi de l’acquéreur au
moment de la délivrance de la chose, certains auteurs plaident pour que cette
appréciation se fasse au stade de la revente[7].
Il peut, en effet, parfaitement être envisagé que l’acquéreur ignorât la cause
d’anéantissement du contrat au moment de la délivrance de la chose, mais que, en
revanche, il l’ait revendue en toute connaissance de cause.
L’objectif recherché par l’article 1352-2, al.2 étant de sanctionner l’acquéreur qui,
sciemment, a cherché à tirer profit de la revente de la chose au préjudice du
vendeur, il ne serait pas aberrant d’apprécier sa bonne foi au jour de la revente de la
chose.

Dans le silence de l’article 1352-2, c’est à la jurisprudence qu’il reviendra de se


prononcer sur cette question.

Reste que, en toute hypothèse, il y a lieu de distinguer selon que l’acquéreur est de
bonne ou de mauvaise foi.

 L’acquéreur est de bonne foi


 Dans cette hypothèse, l’article 1352-2 prévoit qu’il ne doit restituer
que le prix de la vente de la chose
 Le prix à restituer est celui, non pas de l’acquisition initiale de la
chose, mais celui de la revente.
 L’acquéreur ne peut ainsi tirer profit de la revente, ni s’appauvrir,
l’objectif recherché étant une opération à somme nulle.
 L’acquéreur est de mauvaise foi
 Dans cette hypothèse, l’article 1352 dispose qu’il « en doit la valeur
au jour de la restitution lorsqu’elle est supérieure au prix. »
 Autrement dit, pour déterminer le montant de la somme à restituer, il
convient de se placer non pas au moment de la revente de la chose, mais
à la date de sa restitution qui, concrètement, correspond à celle du
jugement.
 À cet égard, le texte oblige l’acquéreur de mauvaise foi à restituer la
plus forte des deux sommes entre le prix de revente de la chose et sa
valeur au moment de la restitution
 Aussi, de deux choses l’une :
 Soit la valeur de la chose au moment de la restitution est
inférieure au prix de revente auquel cas l’acquéreur ne devra restituer
au vendeur que ce seul prix de revente
 Soit la valeur de la chose au moment de la restitution est
supérieure au prix de revente auquel cas l’acquéreur devra restituer au
vendeur non seulement ce seul prix de revente, mais encore la plus-
value réalisée au jour du jugement
 Le sort réservé ici à l’acquéreur de mauvaise foi est manifestement
pour le moins défavorable dans la mesure où il sera privé des profits
réalisés en suite de la revente de la chose.
2. Les modalités d’estimation de la valeur restituée
Une fois admis que la restitution de la chose en nature est impossible, reste à
estimer sa valeur afin que puisse être restituée au créancier une somme d’argent.

Deux questions alors se posent :

 D’une part, à quelle date la valeur de la chose doit-elle être estimée ?


 D’autre part, quel critère d’estimation retenir pour déterminer la valeur de la
chose ?
==> Sur la date d’estimation de la valeur de la chose
Sous l’empire du droit antérieur à l’ordonnance du droit des obligations, la
jurisprudence avait posé, en l’absence de texte, que pour estimer la valeur de la
chose restituée il y avait lieu de se situer à la date de remise de la chose.

Dans un arrêt du 14 juin 2005, la chambre commerciale a jugé en ce sens,


s’agissant d’une annulation de cession de titres sociaux, que « l’annulation de la
cession litigieuse confère au vendeur, dans la mesure où la remise des actions en
nature n’est plus possible, le droit d’en obtenir la remise en valeur au jour de
l’acte annulé » (Cass. com. 15 juin 2005, n°03-12339).
Cette solution a été reconduite dans une décision rendue le 14 mai 2013 aux termes
de laquelle la Cour de cassation a considéré que « l’annulation d’une cession de
parts sociales confère au vendeur, dans la mesure où leur restitution en nature
n’est pas possible, le droit d’en obtenir la remise en valeur laquelle doit être
appréciée au jour de l’acte annulé » (Cass. com. 14 mai 2013, n°12-17637).
Prenant le contre-pied de cette jurisprudence, l’ordonnance du 10 février 2016 a
retenu la solution inverse en prévoyant que lorsque la restitution de la chose a lieu
en valeur, cette valeur est « estimée au jour de la restitution. »
Ce n’est donc plus à la date de la remise de la chose au débiteur que sa valeur doit
être estimée, mais au jour du jugement qui ordonne sa restitution.

L’objectif recherché par le législateur était de calquer la restitution en valeur sur la


restitution en nature.

Autrement dit, il a voulu que les plus-values et moins values réalisées par le
débiteur soient prises en compte dans l’évaluation du montant de la restitution. Il ne
faudrait pas qu’une partie s’enrichisse au préjudice de l’autre, à raison de la
survenance de circonstances postérieures à la conclusion du contrat anéanti.

Il peut être observé que, contrairement à la restitution de la valeur de la jouissance


ou des fruits procurés par la chose, il est indifférent, ici, que le débiteur soit de
bonne ou mauvaise foi : dans les deux cas, l’estimation de la valeur à restituer doit
être effectuée au jour de la restitution de la chose.

==> Sur le critère d’estimation de la valeur de la chose

Autre question qui se pose lorsque la restitution de la chose a lieu en valeur : quid
du critère de son évaluation ? En d’autres termes, doit-on retenir le prix stipulé par
les parties dans le contrat ou doit-on se référer au prix du marché ?

L’article 1352 est silencieux sur ce point. Reste que dans un arrêt du 8 mars 2005,
la Cour de cassation avait considéré, au visa de l’ancien article 1184 du Code civil,
que « la créance de restitution en valeur d’un bien, est égale, non pas au prix
convenu, mais à la valeur effective, au jour de la vente, de la chose remise » (Cass.
1ère  civ., 8 mars 2005, n° 02-11594).
Ainsi, est-ce une approche objective qui avait été retenue par la première chambre
civile, la position adoptée consistant à dire, en substance, que l’estimation de la
chose doit être effectuée sur la base de sa valeur effective au moment de sa
restitution et non en considération du prix initialement fixé par les parties.

Manifestement, cette solution se concilie parfaitement bien avec l’exigence


d’estimation de la valeur de la chose au jour de sa restitution, de sorte qu’il est fort
probable que la solution dégagée par la Cour de cassation en 2005 soit maintenue.
Les effets de la résolution du contrat
17 OCTOBRE 2019 / AURÉLIEN BAMDÉ / POSTER UN
COMMENTAIRE
==> Le droit antérieur

Sous l’empire du droit antérieur, il était classiquement admis que la résolution


judiciaire ou unilatérale entraînait l’anéantissement rétroactif du contrat. Cela
impliquait, pour les parties, de revenir au statu quo ante, soit de faire comme si le
contrat n’avait jamais existé.
Ce principe était directement issu d’une transposition de la règle énoncée pour la
clause résolutoire à l’ancien article 1183 du Code civil.

Cette disposition prévoyait que « la condition résolutoire est celle qui, lorsqu’elle
s’accomplit, opère la révocation de l’obligation, et qui remet les choses au même
état que si l’obligation n’avait pas existé. »
La résolution avait ainsi pour conséquence d’anéantir l’acte, tant pour ses effets
passés, que pour ses effets futurs.

Une distinction avait néanmoins été introduite par la jurisprudence, entre, d’une
part, les contrats à exécution instantanée et, d’autre part, les contrats à exécution
successive.

 S’agissant des contrats à exécution instantanée


 Pour rappel, le contrat à exécution instantanée est celui dont les
obligations peuvent s’exécuter en une prestation unique
 Aussi, ce contrat crée-t-il des obligations dont l’exécution s’effectue
immédiatement, dans un trait de temps
 Tel est le cas notamment de la vente
 Pour cette catégorie de contrat, le principe était l’anéantissement
rétroactif de l’acte frappé de résolution.
 Dans un arrêt du 22 juin 2005, la Cour de cassation a, par exemple,
affirmé que « la résolution de la vente emporte anéantissement rétroactif
du contrat et remise des choses en leur état antérieur et que la confusion
résultait de la vente» (  3e  civ. 22 juin 2005, n°03-18624).
 Il en résultait alors l’obligation pour les parties de se restituer, en
nature, ou par équivalent, les prestations exécutées, l’objectif étant de
revenir au statu quo ante.
 S’agissant des contrats à exécution successive
 Pour mémoire, le contrat à exécution successive est celui dont les
obligations d’au moins une partie s’exécutent en plusieurs prestations
échelonnées dans le temps.
 Tel est le cas du bail ou du contrat de travail.
 Dans la mesure où, l’exécution de ce type de contrat s’étire dans le
temps, plus délicate est la question des effets de la résolution
 Comment, en effet, procéder à la restitution de prestations dont la
fourniture s’est échelonnée dans le temps ?
 Pour le contrat d’assurance ou de bail par exemple il est illusoire
d’envisager des restitutions réciproques et de faire comme si le contrat
n’avait jamais existé.
 Aussi, la jurisprudence a-t-elle été conduite à aménager le principe de
l’effet rétroactif de la résolution, d’abord, en l’assortissant d’une
exception, puis en instaurant des exceptions à l’exception.
 L’exception au principe de l’effet rétroactif de la résolution
 Pour les contrats à exécution successive, la jurisprudence
a très tôt admis que la résolution avait pour effet d’anéantir le
contrat seulement pour l’avenir.
 Dans un arrêt du 1er octobre 1996, la Cour de cassation a
jugé en ce sens que « la résiliation d’un contrat successif n’opère
que pour l’avenir» (  1ère  civ., 1er  oct. 1996, n°94-18657).
 Ainsi, lorsque les effets de la résolution sont limités
lorsque le contrat prévoit la fourniture de prestations échelonnées
dans le temps.
 Dans un arrêt du 20 décembre 1982, la première chambre
civile avait précisé que « dans les contrats a exécution successive,
la rétroactivité de la résolution, résultant de l’application de
l’article 1184 du code civil, ne peut remonter au-delà de la date a
laquelle le débiteur a cessé de remplir son obligation» (  1ère  civ.
20 déc. 1982).
 Les exceptions à l’exception du principe de l’effet rétroactif
 Le critère de l’indivisibilité des prestations fournies
 Dans plusieurs arrêts, la Cour de cassation a été
conduite à juge que lorsque dans l’esprit des parties le contrat
forme un tout indivisible, l’inexécution devait entraîner la
disparition rétroactive du contrat, nonobstant la fourniture
échelonnée des prestations.
 Il en résulte que chaque partie doit restituer à
l’autre ce qu’elle a reçu, sans qu’il y ait lieu à indemnisation
pour la prestation fournie.
 Dans un arrêt du 3 novembre 1983, la Cour de
cassation a considéré, par exemple, au visa des anciens articles
1183 et 1184 du Code civil, siège de la résolution, que « dans
les contrats a exécution échelonnée, la résolution pour
inexécution partielle atteint l’ensemble du contrat ou
certaines de ses tranches seulement, suivant que les parties
ont voulu faire un marché indivisible ou fractionne en une
série de contrats» (  1ère  civ. 3 nov. 1983, n°82-14003).
 À cet égard, dans un arrêt du 8 octobre 2009, la
Cour de cassation a censuré une Cour d’appel qui avait écarté
l’effet rétroactif de la résolution d’un contrat de maîtrise
d’œuvre au motif qu’elle n’avait pas recherché « comme elle y
était invitée, si le maître de l’ouvrage n’avait pas voulu
conclure avec l’architecte une convention indivisible et si les
différentes prestations confiées à ce dernier, bien
qu’échelonnées dans le temps, étaient indissociables,
obligeant l’architecte, aux torts exclusifs duquel la résolution
du contrat était prononcée, à restituer les honoraires qu’il
avait perçus» (  1ère  civ. 8 oct. 2009, n°08-17437).
 Le critère du niveau d’exécution des prestations
fournies
 Dans un arrêt du 30 avril 2003, la Cour de
cassation a jugé que « si, dans un contrat synallagmatique à
exécution successive, la résiliation judiciaire n’opère pas
pour le temps où le contrat a été régulièrement exécuté, la
résolution judiciaire pour absence d’exécution ou exécution
imparfaite dès l’origine entraîne l’anéantissement rétroactif
du contrat» (  3e  civ., 30 avr. 2003, n° 01-14890).
 Il ressort de cette décision que c’est un nouveau
critère qui a été posé par la haute juridiction pour déterminer si
la résolution du contrat à exécution successive devait ou non
être assortie d’un effet rétroactif.
 De deux choses l’une :
 Ou bien le contrat a été partiellement
exécuté, auquel cas la résolution opère seulement pour
l’avenir soit à compter de la date d’inexécution de la
prestation
 Ou bien le contrat n’a jamais été exécuté,
auquel cas la résolution est assortie d’un effet rétroactif, de
sorte qu’il y a lieu de remettre les parties au statu quo ante
 Selon, le cas, la résolution du contrat à exécution
successive pouvait ainsi être assortie d’un effet rétroactif.
Au bilan si, en dépit du silence des textes, on était parvenu, sous l’empire du droit
antérieur, à se doter d’un régime juridique encadrant les effets attachés à la
résolution du contrat, reste que ce régime demeurait incertain sur certains aspects.
Son application pratique n’était, par ailleurs, pas sans soulever de nombreuses
interrogations demeurées sans réponse.
Aussi, la réforme du droit des obligations a été l’occasion, pour le législateur, de
combler le silence des textes, en précisant la date d’effet de résolution, mais encore
en envisageant ses conséquences.

==> L’ordonnance du 10 février 2016

Au nombre des innovations introduites par l’ordonnance du 10 février 2016 figure,


notamment, l’abandon de la fiction juridique de la rétroactivité traditionnellement
attachée à la résolution par la doctrine et la jurisprudence, dans la mesure où elle
avait, en principe, pour effet d’engendrer des restitutions.

Dorénavant, ces restitutions sont traitées à l’alinéa 3 de l’article 1229 du Code civil.
Elles n’ont lieu que lorsque les prestations échangées n’avaient d’utilité qu’en cas
d’exécution complète du contrat résolu, la distinction contrat instantané/contrat à
exécution successive ne paraissant pas toujours adaptée pour déterminer dans
quelle mesure les restitutions doivent avoir lieu.

Lorsque, en revanche, les prestations ont trouvé une utilité au fur et à mesure de
l’exécution réciproque du contrat, la résolution n’aura pas d’effet rétroactif.

De nombreux praticiens du droit y étant très attachés, le terme de « résiliation »,


couramment utilisé en matière contractuelle, a été réintroduit, sans modifier la
conception unitaire de l’ordonnance : le troisième alinéa précise désormais que
lorsque la résolution ne donne pas lieu à restitution pour la période antérieure à la
dernière prestation n’ayant pas reçu de contrepartie, elle est qualifiée de résiliation.

La résiliation est donc simplement un cas déterminé de résolution aux contours


clairement délimités par le texte, applicable tant aux contrats instantanés qu’aux
contrats à exécution successive, et se caractérisant par son absence de restitution.

I) L’anéantissement du contrat
A) La date de la résolution
L’article 1229, al. 2 du Code civil prévoit que « la résolution prend effet, selon les
cas, soit dans les conditions prévues par la clause résolutoire, soit à la date de la
réception par le débiteur de la notification faite par le créancier, soit à la date
fixée par le juge ou, à défaut, au jour de l’assignation en justice. »
Cette disposition, issue de l’ordonnance du 10 février 2016, fixe la date de prise
d’effet de la résolution, laquelle dépend du mode opératoire retenu.

 La clause résolutoire
 Lorsque la résolution du contrat procède de la mise en œuvre d’une
clause résolutoire, l’article 1229 prévoit qu’elle produit ses effets dans les
conditions stipulées par les parties.
 Les parties sont ainsi libres de fixer la date prise d’effet de la
résolution.
 A cet égard, elles peuvent prévoir que la résolution opèrera de plein
droit à la date de l’inexécution de l’obligation sans qu’il soit besoin pour
le créancier de mettre en demeure le débiteur.
 Les contractants peuvent encore stipuler dans le contrat un délai à
l’expiration duquel la résolution produira ses effets, le fait générateur de
ce délai pouvant être, par exemple, la mise en demeure du débiteur, ou la
date d’exigibilité de l’obligation.
 La résolution unilatérale par notification
 Lorsque la résolution procède de l’exercice par le créancier de sa
faculté de mettre fin unilatéralement au contrat, la résolution prend effet à
la date de réception par le débiteur de la notification de sa décision.
 La solution est logique dans la mesure où il s’agit là d’un acte
unilatéral de volonté et qui, à ce titre, ne produit ses effets que lorsqu’il
est porté à la connaissance de la personne contre laquelle le droit
potestatif est exercé.
 La résolution judiciaire
 Lorsque la résolution est judiciaire, l’article 1229 du Code civil
prévoit qu’elle prend effet « à la date fixée par le juge ou, à défaut, au
jour de l’assignation en justice.»
 Ainsi, lorsque c’est le juge qui prononce la résolution du contrat, dans
le cadre des pouvoirs qui lui sont conférés par l’article 1228, il lui
appartient de fixer la date de prise d’effet de cette résolution qui donc
peut être différente de la date de la décision.
 Cette faculté pour le juge de disjoindre les deux dates avait déjà été
admise par la jurisprudence (V. en ce sens 3e  civ. 1er  oct. 2008, n°07-
15338).
 Faute de se prononcer, sur la date de prise d’effet de la résolution c’est
la date de l’assignation qui devra être retenue.
B) La rétroactivité
L’article 1229, al. 1er dispose que « la résolution met fin au contrat ». Cette
disposition rappelle ainsi l’effet principal de la résolution : elle rompt le lien
contractuel entre les parties en mettant fin au contrat.
La question qui immédiatement se pose est de savoir si l’effet rétroactif attaché
classiquement à la résolution est maintenu ou s’il a complètement été abandonné.

À l’examen, si l’anéantissement rétroactif du contrat n’est pas érigé comme


principe gouvernant les effets de la résolution, il n’est pas non plus écarté par
l’ordonnance qui dorénavant opère une distinction fondée sur le critère de l’utilité
des prestations échangées :

 Lorsque les prestations échangées ne pouvaient trouver leur utilité que par
l’exécution complète du contrat résolu, la résolution est assortie d’un effet
rétroactif
 Lorsque les prestations échangées ont trouvé leur utilité au fur et à mesure de
l’exécution réciproque du contrat, la résolution ne produit aucun effet
rétroactif
Aussi, selon que les parties se trouvent dans l’une ou l’autre situation, l’étendue des
restitutions sera plus ou moins importante.

C) Les restitutions
Les restitutions consécutives à la résolution du contrat sont envisagées à l’alinéa
3e de l’article 1229 du Code civil.
Ces restitutions visent à liquider la situation contractuelle dans laquelle se trouvent
les parties et à laquelle la résolution a mis fin.

Ainsi que le résument des auteurs, au fond, il ne s’agira pas ici de « restaurer la
situation patrimoniale des parties au jour de la conclusion du contrat, mais [de]
corriger le déséquilibre consécutif à l’inexécution constatée, les deux hypothèses
pouvant au demeurant coïncider »[1].
1.  L’étendue des restitutions
Le texte envisage les restitutions en opérant une distinction entre les prestations qui
ont trouvé une utilité dans l’exécution complète du contrat, et celles qui ont trouvé
leur utilité au fur et à mesure de son exécution.

==> Les prestations échangées ne peuvent trouver leur utilité que par


l’exécution complète du contrat
Cette situation correspond, manifestement, aux contrats à exécution instantanée,
ainsi qu’aux contrats à exécution successive pour lesquels les prestations forment
un tout indivisible.

Dans cette hypothèse, soit lorsque les prestations échangées ne peuvent trouver leur
utilité que par l’exécution complète du contrat, l’article 1229 prévoit que « les
parties doivent restituer l’intégralité de ce qu’elles se sont procuré l’une à
l’autre ».
Ici la résolution opère un anéantissement rétroactif du contrat. Les restitutions qui
s’imposent aux parties concernent tant la période antérieure que postérieure à la
résolution.

La règle énoncée par le texte est, à l’examen, conforme à la jurisprudence


antérieure qui avait posé le principe de l’effet rétroactif de la résolution pour les
contrats à exécution instantanée ainsi que pour les contrats prévoyant la fourniture
de prestations échelonnées mais indivisibles.

==> Les prestations échangées trouvent leur utilité au fur et à mesure de


l’exécution réciproque du contrat
Cette situation correspond aux contrats à exécution successive qui se caractérisent
par l’échelonnement dans le temps des prestations fournies.

Dans cette hypothèse, l’article 1229 prévoit « qu’il n’y a pas lieu à restitution pour
la période antérieure à la dernière prestation n’ayant pas reçu sa contrepartie ».
Ainsi, lorsque les prestations ont trouvé une utilité au fur et à mesure de l’exécution
réciproque du contrat, la résolution n’a pas d’effet rétroactif. Cela signifie
qu’aucune restitution ne peut intervenir pour la période antérieure à l’inexécution
du contrat.

Le texte précise que « dans ce cas, la résolution est qualifiée de résiliation ». Cette
précision tient à la demande formulée par certains praticiens du droit de conserver
le terme de « résiliation », couramment utilisé en matière contractuelle.
Reste que la résiliation correspond à un cas particulier de résolution aux contours
clairement délimités par le texte, car se caractérisant par son absence de restitutions
qu’elle entraîne pour la période antérieure à l’inexécution du contrat.
Ainsi que l’indique le rapport au Président de la République, la question des
restitutions est désormais détachée, formellement, de la rétroactivité, les restitutions
devenant un effet de la loi.

2. La mise en œuvre des restitutions


S’agissant des modalités de mise en œuvre des restitutions, l’article 1229, al.
4e renvoie aux articles 1352 à 1352-9 du Code civil.
En substance, il ressort de ces dispositions que :

 D’une part, la restitution d’une chose autre qu’une somme d’argent se fait,
par principe, en nature et lorsque cela est impossible, par équivalent
monétaire
 D’autre part, la restitution d’une somme d’argent inclut les intérêts au taux
légal et les taxes acquittées
 Enfin, la restituons d’une prestation de service a lieu en valeur
II) L’étendue de la résolution
A) La survivance à la résolution de certaines clauses contractuelles
Si, par principe, la résolution a pour effet d’anéantir le contrat, tantôt en produisant
un effet rétroactif, tantôt en opérant que pour l’avenir, l’article 1230 dispose que
certaines clauses sont susceptibles de lui survivre .

Cette disposition prévoit en ce sens que « la résolution n’affecte ni les clauses
relatives au règlement des différends, ni celles destinées à produire effet même en
cas de résolution, telles les clauses de confidentialité et de non-concurrence. »
La règle énoncée est directement inspirée de la pratique des affaires. Les Principes
de droit européen des contrats et le code Gandolfi la prévoient également.

Certaines clauses conservent ainsi leur efficacité nonobstant l’anéantissement du


contrat. L’article 1230 vise notamment :

 Les clauses relatives au règlement des différends qui peuvent prendre la


forme de
 clauses compromissoires
 clauses attributives de compétence
 clauses de conciliation ou de médiation
 Les clauses de confidentialité
 Les clauses de non-concurrence.
Plus généralement, le texte prévoit que le maintien de la clause dépend de sa
finalité : elle doit avoir été stipulée en vue de produire des effets après la disparition
du contrat.

Au nombre de ces clauses figurent, par exemple :

 Les clauses pénales (  3e  civ. 6 janv. 1993, n°89-16011)


 Les clauses limitatives de responsabilité (  com. 7 févr. 2018, n°n° 16-20.352)
B) L’extension de la résolution aux contrats interdépendants
En vertu de l’effet relatif, chaque contrat doit, en principe, être regardé comme
autonome de sorte qu’il ne peut produire d’effet sur les autres contrats.

Quid néanmoins, de l’hypothèse où, par exemple, un même bien fait l’objet de
plusieurs contrats de vente successifs ? Le vendeur initial doit-il être regardé
comme un véritable tiers pour le sous-acquéreur ? Ou peut-on estimer qu’existe un
lien contractuel indirect entre eux ?

C’est toute la question de l’application du principe de l’effet relatif dans les


groupes de contrats.

Deux groupes de contrats doivent être distingués :

 Les ensembles contractuels


 Ils regroupent des contrats qui concourent à la réalisation d’une même
opération
 Les chaînes de contrats
 Elles regroupent des contrats qui portent sur un même objet
S’agissant des ensembles contractuels, ils se rencontrent lorsqu’une opération
économique suppose, pour sa réalisation, la conclusion de plusieurs contrats.

La question qui alors se pose est de savoir si l’anéantissement de l’un des contrats
est susceptible d’affecter l’existence des autres contrats ?

Schématiquement, deux approches peuvent être envisagées :

 L’approche stricte
 Au nom d’une application stricte du principe de l’effet relatif, chaque
contrat de l’ensemble ne devrait produire d’effets qu’à l’égard de ses
contractants
 Le sort de chacun des contrats ne devrait, en conséquence, être
déterminé que par son propre contenu et non par les exceptions ou causes
d’extinction susceptibles d’affecter les autres.
 L’approche souple
 Elle consiste à considérer que de la création d’un ensemble contractuel
naît un lien d’indivisibilité entre les contrats, de sorte qu’ils seraient
interdépendants
 En raison de cette interdépendance, le sort des uns serait alors lié au
sort des autres.
Après s’être arc-boutés sur une position pour le moins orthodoxe pendant des
années, les tribunaux ont finalement opté pour l’approche souple. Ce mouvement
ne s’est cependant pas opéré sans tâtonnements.

L’ordonnance du 10 février 2016 est venue parachever cette lente évolution


jurisprudentielle.

La réforme des obligations engagée a, en effet, fourni l’occasion au législateur de


faire rentrer dans le Code civil le concept d’ensemble contractuel.

Le nouvel article 1186 du Code civil prévoit ainsi à son alinéa 2 que « lorsque


l’exécution de plusieurs contrats est nécessaire à la réalisation d’une même
opération et que l’un d’eux disparaît, sont caducs les contrats dont l’exécution est
rendue impossible par cette disparition et ceux pour lesquels l’exécution du contrat
disparu était une condition déterminante du consentement d’une partie. »
La règle est désormais posée : l’anéantissement d’un acte qui appartient à un
ensemble contractuel entraîne consécutivement la disparition des autres.

Il conviendra néanmoins d’établir que le contrat anéanti forme un tout indivisible


avec les autres contrats susceptibles d’être touchés par cette disparition.

 Il ressort de l’article 1186, al. 2 du code civil que, semblablement à la Cour de
cassation dans ces dernières décisions, le législateur a combiné le critère objectif et
le critère subjectif pour définir l’indivisibilité.
 Le critère objectif
 La reconnaissance d’une indivisibilité suppose :
 D’une part, que plusieurs contrats aient été « nécessaires à la
réalisation d’une même opération»
 D’autre part, que l’un d’eux ait disparu
 Enfin, que l’exécution ait été « rendue impossible par cette
disparition»
 Ces trois éléments doivent être établis pour que le premier critère
objectif soit rempli, étant précisé qu’ils sont exigés cumulativement.
 Le critère subjectif
 Principe
 La deuxième partie de l’alinéa 2 de l’article 1186 précise que
l’indivisibilité peut encore être établie dans l’hypothèse où les
contrats « pour lesquels l’exécution du contrat disparu était une
condition déterminante du consentement d’une partie»
 Ainsi l’indivisibilité contractuelle peut-elle résulter, en plus de
l’économie générale de l’opération, de la volonté des parties.
 Dès lors, que les contractants ont voulu rendre plusieurs contrats
indivisibles, le juge est tenu d’en tirer toutes les conséquences qu’en
aux événements susceptibles d’affecter l’un des actes composant
l’ensemble.
 Condition
 L’alinéa 3 de l’article 1186 du Code civil pose une condition à
l’application du critère subjectif
 Aux termes de cette disposition, « la caducité n’intervient
toutefois que si le contractant contre lequel elle est invoquée
connaissait l’existence de l’opération d’ensemble lorsqu’il a donné
son consentement. »
 L’anéantissement des contrats liés au contrat affecté par une
cause de disparition est donc subordonné à la connaissance par les
différents cocontractants de l’existence de l’ensemble, soit que les
contrats auxquels ils sont partie concourraient à la réalisation d’une
même opération économique.
Dès lors que les critères ainsi posés par l’article 1186 du Code civil sont remplis, la
disparition du contrat résolu entraînera donc, par effet de contamination,
l’anéantissement des autres contrats de l’ensemble contractuel auquel il appartient.

[1] G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations, Dalloz, 2e éd,


2018, n°621, p. 621.
La résolution judiciaire: régime juridique
14 OCTOBRE 2019 / AURÉLIEN BAMDÉ / POSTER UN
COMMENTAIRE
==> Généralités
L’ordonnance du 10 février 2016 a introduit dans le Code civil une sous-section
consacrée à la résolution du contrat.

Cette sous-section comprend sept articles, les articles 1224 à 1230, et est organisée
autour des trois modes de résolution du contrat déjà bien connus en droit positif que
sont :

 La clause résolutoire
 La résolution unilatérale
 La résolution judiciaire
Selon le rapport au Président de la république, il est apparu essentiel de traiter de la
résolution du contrat parmi les différents remèdes à l’inexécution, et non pas
seulement à l’occasion des articles relatifs à la condition résolutoire qui serait
toujours sous-entendue dans les contrats selon l’ancien article 1184.

Ainsi l’article 1224 énonce les trois modes de résolution du contrat précités, la


résolution unilatérale et la résolution judiciaire étant soumises à une condition de
gravité suffisante de l’inexécution, par opposition à la clause résolutoire dont l’effet
est automatique dès lors que les conditions prévues au contrat sont réunies.

Surtout, fait marquant de la réforme, l’ordonnance du 10 février 2016 a introduit la


résolution unilatérale du contrat, alors qu’elle n’était admise jusqu’alors par la Cour
de cassation que comme une exception à notre traditionnelle résolution judiciaire.

Aussi, dans les textes, le contractant, victime d’une inexécution suffisamment


grave, a désormais de plusieurs options :

 Soit il peut demander la résolution du contrat au juge


 Soit il peut la notifier au débiteur sa décision de mettre fin au contrat
 Soit il peut se prévaloir de la clause résolutoire si elle est stipulée dans le
contrat
Nous ne nous focaliserons ici que sur la première option.
Dans le droit fil du droit antérieur, l’article 1227 du Code civil confirme, la
possibilité pour le créancier de saisir le juge pour solliciter la résolution du contrat.

Cette disposition prévoit, en ce sens, que « la résolution peut, en toute hypothèse,
être demandée en justice. »
==> La possibilité de recourir, en toute hypothèse, à la résolution judiciaire

L’assertion « en toute hypothèse » indique que le juge peut être saisi pour
prononcer la résolution judiciaire même si une clause résolutoire a été prévue au
contrat, ou même si une procédure de résolution par notification a été engagée,
conformément à la jurisprudence.
Le choix d’un mode de résolution n’est donc nullement exclusif de la résolution
judiciaire à laquelle il peut, par principe, toujours être recourue.

Alors que, sous l’empire du droit antérieur, la résolution judiciaire était envisagée
comme le principal mode de résolution du contrat, ce mode est dorénavant
subsidiaire, en ce sens qu’il a vocation à être mise en œuvre :

 Soit faute de clause résolutoire stipulée dans le contrat


 Soit en cas de contestation de litige ouvert entre les parties.
En effet, afin de se prémunir contre tout risque de remise en cause de sa faculté de
résolution unilatérale, le créancier peut préférer saisir le juge aux fins de solliciter
la résolution judiciaire.

==> La possibilité de renoncer contractuellement à la résolution judiciaire

Qu’en est-il de la possibilité pour une partie de renoncer contractuellement à la


faculté de solliciter la résolution judiciaire ?

Dans un arrêt du 3 novembre 2011, la Cour de cassation avait jugé « qu’un


contractant peut renoncer par avance au droit de demander la résolution
judiciaire du contrat et relevé que la clause de renonciation, rédigée de manière
claire, précise, non ambiguë et compréhensible pour un profane » (Cass. 3e  civ. 3
nov. 2011, n°10-26203).
Le rapport au Président de la République indique que l’article 1227 du Code civil
n’entend pas remettre en cause cette jurisprudence qui valide les clauses de
renonciation judiciaire.
À l’examen, ces clauses ne font en principe que limiter les modalités de l’exécution
de l’obligation sans priver le créancier du droit d’obtenir l’exécution de sa créance
par l’un des autres remèdes énumérés par l’article 1217 de l’ordonnance (tels que
l’exécution forcée en nature).

Il appartient donc à la juridiction saisie de vérifier, au cas par cas, que la restriction
ainsi consentie ne porte pas atteinte à la substance même du droit et au droit d’agir
en justice.

En outre, il est des cas où c’est la loi qui fera obstacle à la résolution judiciaire.
L’article L 622-21, 2° du Code de commerce dispose, en ce sens, que, en cas de
procédure collective, « le jugement d’ouverture interrompt ou interdit toute action
en justice de la part de tous les créanciers dont la créance n’est pas mentionnée au
I de l’article L. 622-17 et tendant […] à la résolution d’un contrat pour défaut de
paiement d’une somme d’argent. »
En dehors des restrictions textuelles du recours à la résolution judiciaire, elle est
donc, sauf clause contraire, toujours permise. Sa mise en œuvre est néanmoins
subordonnée à la réunion de plusieurs conditions dont le juge ne manquera pas
contrôler le respect.

I) Les conditions de mise en œuvre de la résolution judiciaire


En application de l’article 1224 du Code civil, la mise en œuvre de la résolution
judiciaire est subordonnée à la démonstration d’une inexécution contractuelle
suffisamment grave.

Faute de précisions supplémentaires sur cette exigence, c’est vers la jurisprudence


qu’il convient de se tourner pour en comprendre la teneur.

Plusieurs enseignements peuvent être tirés des décisions rendues :

 Une inexécution
 Pour que la résolution judiciaire soit prononcée une inexécution du
contrat doit pouvoir être constatée par le juge
 La question qui immédiatement se pose est de savoir si cette
inexécution doit être totale ou seulement partielle.
 Le texte ne le dit pas à la différence de celui qui régit la réduction du
prix.
 On peut en déduire que rien n’interdit d’envisager qu’une exécution
imparfaite du contrat puisse justifier la résolution judiciaire du contrat.
 Aussi, l’inexécution pourrait-elle consister, tant en un retard, qu’en
l’absence de délivrance de la chose et plus généralement à toute
fourniture de la prestation non conforme aux stipulations contractuelles.
 Au vrai, ce qui importe, ce n’est pas tant que l’inexécution
contractuelle soit totale ou partielle, mais qu’elle soit suffisamment
grave, au sens de l’article 1224 du Code civil, pour justifier la résolution
du contrat.
 Une inexécution non-imputable au créancier
 Dans un arrêt du 21 octobre 1964, la Cour de cassation a jugé que « la
résiliation ne saurait être réclamée par le créancier lorsque
l’inexécution de ses obligations par le débiteur est la conséquence de sa
propre faute» (  1ère  civ. 21 oct. 1964).
 Ainsi, lorsque l’inexécution contractuelle est imputable au créancier, il
est irrecevable à solliciter la résolution judiciaire du contrat.
 La solution sera toutefois différente lorsque l’inexécution sera
imputable, tant au créancier, qu’au débiteur.
 Dans cette hypothèse, le juge prononcera la résolution aux torts
réciproques des parties (  3e  civ. 3e, 6 sept. 2018, n° 17-22.026).
 L’indifférence de la faute du débiteur et de la survenance d’une cause
étrangère
 Il ressort de la jurisprudence qu’il est indifférent que l’inexécution
contractuelle ait été causé par la survenance d’un cas de force majeur ou
que le débiteur n’ait commis aucune faute : la résolution judiciaire est
encourue du seul fait d’une inexécution suffisamment grave du contrat
 Dans un arrêt du 2 juin 1982, la première chambre civile a considéré
en ce sens que « la résolution d’un contrat synallagmatique peut être
prononcée en cas d’inexécution par l’une des parties de ses obligations,
même si cette inexécution n’est pas fautive et quel que soit le motif qui a
empêché cette partie de remplir ses engagements, alors même que cet
empêchement résulterait du fait d’un tiers ou de la force majeure ;»
(  1ère  civ.2 juin 1982, n°81-10158).
 Peu importe donc que le débiteur soit fautif, ou qu’il ait été empêché
par une cause étrangère, ce qui compte c’est la démonstration d’une
inexécution du contrat.
 À cet égard, l’article 1218 issue de l’ordonnance du 10 février 2016 va
plus loin puisqu’il prévoit que, « si l’empêchement est définitif, le contrat
est résolu de plein droit».
 Autrement dit, en cas de survenance d’un cas de force majeur, il n’est
pas nécessaire de saisir le juge : la résolution du contrat est acquise de
plein droit.
 Une inexécution contractuelle suffisamment grave
 Faute de précision à l’article 1227 du Code civil sur la teneur de
l’inexécution contractuelle susceptible de justifier la résolution judiciaire,
c’est vers l’article 1224 qu’il convient de se tourner.
 À l’instar de la résolution unilatérale par notification, la mise en œuvre
de la résolution judiciaire est subordonnée à la démonstration d’une
inexécution suffisamment grave.
 Que doit-on entendre par inexécution suffisamment grave ? Les textes
sont silencieux, la volonté du législateur étant de laisser une marge
d’appréciation au juge.
 Il ressort de la jurisprudence que l’inexécution est suffisamment grave
pour justifier la résolution du contrat notamment dans les cas suivants :
 Lorsque le manquement porte sur une obligation essentielle du
contrat
 Lorsque le préjudice subi par le créancier est substantiel
 Lorsque le débiteur est, soit de mauvaise foi, soit adopte une
conduite déloyale
 Afin d’apprécier la gravité de l’inexécution, le juge doit tenir compte
de toutes les circonstances intervenues jusqu’au jour de la décision
(  3e  civ. 5 mai 1993, n°91-17097)
 L’indifférence de la mise en demeure du débiteur
 À la différence de la mise en œuvre de la clause résolutoire ou de la
résolution unilatérale, la résolution judiciaire n’est pas subordonnée à la
mise en demeure du débiteur.
 La Cour de cassation rappelle régulièrement en ce sens que
l’assignation en résolution vaut mise en demeure (  1ère  civ., 23 mai 2000,
n° 97-22.547).
 Dans un arrêt du 9 octobre 1996 elle a encore jugé que « l’obligation
de délivrer un commandement de payer préalablement à l’assignation
n’était requis que pour l’application d’une clause résolutoire et non
lorsqu’il était demandé au juge de prononcer la résiliation du bail»
(  3e  civ. 9 oct. 1996, n°92-17331).
 Cette dispense de mise en demeure procède de l’idée que, en cas
d’assignation du débiteur, il peut toujours exécuter le contrat, ce qui dans
l’esprit du législateur, est l’issue qui doit primer sur toutes les autres.
 Reste que, si la mise en demeure n’est pas une condition de mise en
œuvre de la résolution judiciaire, elle peut se révéler utile en cas
d’inexécution particulièrement grave du contrat.
 Elle peut, en effet, permettre au créancier d’établir sa bonne foi et sa
volonté d’avoir tout tenté pour sauver le contrat avant de recourir le juge.
 Il ne fait aucun doute que cette démarche sera favorablement appréciée
par la juridiction saisie qui, en l’absence de réaction du débiteur, ne
pourra que constater l’obstination du débiteur à ne pas exécuter ses
obligations.
II) Les pouvoirs du juge
En cas de saisine du juge, l’article 1228 vient préciser l’objet de son office. Les
pouvoirs du juge s’exerceront toutefois dans le cadre délimité par les demandes des
parties en application du principe dispositif qui préside au procès civil.

Le texte prévoit que le juge, peut, selon les circonstances, retenir plusieurs options :

 La résolution du contrat
 Selon le mode de résolution choisi par le créancier pour mettre fin au
contrat, le juge pourra :
 Soit constater la résolution du contrat s’il intervient a
posteriori pour contrôler la mise en œuvre d’une clause résolutoire ou
d’une résolution unilatérale par notification.
 Lorsque le Juge ne fait que constater la résolution du
contrat, il convient de noter que le fait générateur de cette
résolution réside, non pas dans la décision de justice rendue, mais
dans la décision prise par le créancier de mettre un terme au
contrat.
 Dans ces conditions, la résolution ne devrait produire ses
effets
 Soit dans les conditions prévues par la clause
résolutoire,
 soit à la date de la réception par le débiteur de la
notification faite par le créancier,
 Soit prononcer la résolution, s’il est saisi en ce sens, en cas
d’inexécution suffisamment grave
 Dans cette hypothèse, c’est bien la décision de justice qui
produit l’effet résolutoire
 Il en résulte que la résolution du contrat produit ses
effets :
 Soit à la date fixée par le juge
 Soit, à défaut, au jour de l’assignation en justice.
 En tout état de cause, que la résolution soit constatée ou
prononcée, dès lors que le juge fait droit à la demande du
créancier, la résolution du contrat s’imposera au débiteur.
 L’exécution du contrat
 Faute de constater ou de prononcer la résolution, l’article 1228 du
Code civil investi le juge du pouvoir d’ordonner l’exécution du contrat.
 Il opterait pour cette solution lorsque :
 Soit l’inexécution du contrat n’est pas établie
 Soit l’inexécution contractuelle n’est pas suffisamment grave
pour justifier la résolution
 Soit les conditions de mise en œuvre de la clause résolutoire ne
sont pas réunies
 À cet égard, dans un arrêt du 27 octobre 2010, la Cour de cassation a
validé la décision d’une Cour d’appel qui avait estimé, en matière de
contrat de bail, que « les faits ne pouvaient justifier la résiliation du bail
que s’ils avaient persisté au jour où elle statuait» (  3e  civ. 27 oct. 2010,
n°09-11160).
 C’est donc au jour où le juge statue qu’il convient de se situer pour
déterminer si l’inexécution contractuelle est de nature à justifier la
résolution du contrat.
 L’octroi d’un délai
 Lorsque le juge ordonne l’exécution du contrat, il peut octroyer un
délai au débiteur.
 S’agit-il d’un délai de grâce ? S’il en présente les traits, ne serait-ce
que dans la similitude de rédaction de l’article 1228 avec l’article 1343-
5 du Code civil, les deux délais ne se confondent pas.
 En effet, tandis que le délai de grâce ne peut être supérieur à deux ans
et est consenti au débiteur en considération de sa situation personnelle, tel
n’est pas le cas du délai énoncé à l’article 1228 qui n’est assorti d’aucune
limite temporelle et dont l’octroi dépend plutôt de la difficulté
d’exécution de la convention.
 Ainsi ce délai sera consenti au débiteur si le juge estime que
l’exécution du contrat est encore possible.
 L’octroi de dommages et intérêts
 L’article 1228 rappelle que le juge peut aussi, n’allouer que des
dommages s’il considère que la résolution n’est pas suffisamment grave
pour justifier la résolution du contrat
 Cet octroi de dommages et intérêt vise à réparer le préjudice subi par
le créancier résultant d’une inexécution insuffisamment grave, mais bien
réelle et préjudiciable pour ce dernier.
La résolution unilatérale du contrat par notification: régime juridique
8 OCTOBRE 2019 / AURÉLIEN BAMDÉ / POSTER UN
COMMENTAIRE
==> Généralités
L’ordonnance du 10 février 2016 a introduit dans le Code civil une sous-section
consacrée à la résolution du contrat.

Cette sous-section comprend sept articles, les articles 1224 à 1230, et est organisée
autour des trois modes de résolution du contrat déjà bien connus en droit positif que
sont :

 La clause résolutoire
 La résolution unilatérale
 La résolution judiciaire
Selon le rapport au Président de la république, il est apparu essentiel de traiter de la
résolution du contrat parmi les différents remèdes à l’inexécution, et non pas
seulement à l’occasion des articles relatifs à la condition résolutoire qui serait
toujours sous-entendue dans les contrats selon l’ancien article 1184.

Ainsi l’article 1224 énonce les trois modes de résolution du contrat précités, la


résolution unilatérale et la résolution judiciaire étant soumises à une condition de
gravité suffisante de l’inexécution, par opposition à la clause résolutoire dont l’effet
est automatique dès lors que les conditions prévues au contrat sont réunies.

Surtout, fait marquant de la réforme, l’ordonnance du 10 février 2016 a introduit la


résolution unilatérale du contrat, alors qu’elle n’était admise jusqu’alors par la Cour
de cassation que comme une exception à notre traditionnelle résolution judiciaire.

Aussi, dans les textes, le contractant, victime d’une inexécution suffisamment


grave, a désormais de plusieurs options :

 Soit il peut demander la résolution du contrat au juge


 Soit il peut la notifier au débiteur sa décision de mettre fin au contrat
 Soit il peut se prévaloir de la clause résolutoire si elle est stipulée dans le
contrat
La résolution unilatérale est donc érigée au rang de principe concurrent de la
résolution judiciaire ou de la clause résolutoire

Néanmoins, son régime est plus rigoureusement encadré qu’en droit positif,
puisque le créancier qui choisit la voie de la résolution unilatérale est tenu de
mettre en demeure son débiteur de s’exécuter, et si celle-ci est infructueuse, d’une
obligation de motivation (article 1226).

==>Ratio legis
L’article 1226 introduit donc dans le code civil la résolution unilatérale par
notification du créancier de l’obligation non exécutée.

Ce mode de résolution était expressément visé par l’article 8 de la loi d’habilitation


du 16 février 2015 portant modernisation et simplification du droit.

L’article 1226 du Code civil constitue indéniablement une nouveauté, puisqu’il


consacre un mécanisme absent du code civil mais reconnu par la jurisprudence et
les projets d’harmonisation européens.

À cet égard, la Cour de cassation avait déjà défini les contours de la résolution
unilatérale par notification, en considérant que, d’une part, « la gravité du
comportement d’une partie à un contrat peut justifier que l’autre partie y mette fin
de façon unilatérale à ses risques et périls » et que, d’autre part, « cette gravité
[…] n’est pas nécessairement exclusive d’un délai de préavis » (Cass. 1ère  civ. 13
octobre 1998, n° 96-21485).
Dans un arrêt du 28 octobre 2003, elle avait précisé que peu importe que « le
contrat soit à durée déterminée ou non » (Cass. 1ère  civ. 28 octobre 2003, n° 01-
03662).
Le texte voté consacre cette faculté. La résolution unilatérale n’est d’ailleurs plus
appréhendée comme une exception au principe de la résolution judiciaire, mais est
traitée comme une faculté autonome offerte au créancier qui, victime de
l’inexécution, aura désormais le choix, en particulier en l’absence de clause
résolutoire expresse, entre les deux modes de résolution, judiciaire ou unilatérale.

Cette innovation s’inscrit dans une perspective d’efficacité économique du droit.


Elle repose, en effet, sur l’idée que le créancier victime de l’inexécution, au lieu de
subir l’attente aléatoire du procès et de supporter les frais inhérents à l’intervention
du juge, peut tout de suite ou dans un délai raisonnable, conclure un nouveau
contrat avec un tiers.

La sécurité juridique et la protection du débiteur ne sont pas sacrifiées pour autant à


l’impératif économique puisque cette faculté est très encadrée.

I) Les conditions de la résolution unilatérale


L’exercice par le créancier de la faculté de résolution unilatérale est subordonné à
la réunion de deux conditions cumulatives :

 Une inexécution contractuelle


 Une inexécution suffisamment grave
A) Une inexécution contractuelle
Pour que le créancier soit fondé à exercer sa faculté de résolution unilatérale, une
inexécution du contrat doit pouvoir être constatée

La question qui immédiatement se pose est de savoir si cette inexécution doit être
totale ou seulement partielle. Le texte ne le dit pas à la différence de celui qui régit
la réduction du prix.

On peut en déduire que rien n’interdit d’envisager qu’une exécution imparfaite du


contrat puisse justifier l’exercice de la faculté de résolution unilatérale.

Aussi, l’inexécution pourrait-elle consister, tant en un retard, qu’en l’absence de


délivrance de la chose et plus généralement à toute fourniture de la prestation non
conforme aux stipulations contractuelles.

Au vrai, ce qui importe, ce n’est pas tant que l’inexécution contractuelle soit totale
ou partielle, mais qu’elle soit suffisamment grave, au sens de l’article 1224 du
Code civil, pour justifier la résolution du contrat.

B) Une inexécution suffisamment grave


Il faut se reporter à l’article 1224 pour connaître la teneur de l’inexécution
contractuelle susceptible de justifier l’exercice, par le créancier, de la faculté de
résolution unilatérale du contrat.
Selon la lettre de ce texte, l’inexécution doit être « suffisamment grave », ce qui
immédiatement interroge sur les hypothèses que couvre cette notion. Quels sont
manquements « suffisamment graves » qui justifient la résolution du contrat ?
Là encore, les textes sont silencieux sur ce point, la volonté du législateur étant de
laisser une marge d’appréciation au juge en cas de contrôle a posteriori consécutive
à une contestation portée en justice.
Reste que pour apprécier le bien-fondé de la résolution unilatérale, le critère de la
gravité du comportement du débiteur a été abandonné à la faveur de celui de la
gravité de l’inexécution.

Sous l’empire de la jurisprudence Tocqueville (Cass. 1ère  civ. 13 octobre 1998, n°


96-21485), la Cour de cassation se référait, en effet, à la gravité du comportement
du débiteur.
Dans un arrêt du 10 février 2009, la chambre commerciale jugeait en ce sens que
« la gravité du comportement d’une partie à un contrat peut justifier que l’autre
partie y mette fin de façon unilatérale à ses risques et périls, peu important les
modalités formelles de résiliation contractuelle » (Cass. com. 10 févr. 2009, n°08-
12415).
Cette position adoptée par la Cour de cassation conduisait à adopter une approche
subjective de la situation.

Autrement dit, les juridictions étaient invitées à se focaliser, moins sur le caractère
essentiel de l’obligation violée ou sur le préjudice subi par le créancier, que sur la
mauvaise foi du débiteur et sa déloyauté.

Aussi, en focalisant le regard sur la gravité de l’inexécution contractuelle et non


plus sur le comportement du débiteur, le législateur a objectivé l’approche qu’il
convient d’adopter quant à apprécier le bien-fondé de la résolution unilatérale.

Désormais, ce qui autorise le créancier à mettre fin, de son propre chef, au contrat
c’est la seule gravité du manquement constaté. Cette gravité peut procéder, soit du
caractère essentiel de l’obligation qui a été violé, soit du préjudice particulièrement
lourd subi par le créancier.

Est-ce à dire que la gravité du comportement du débiteur n’est dorénavant plus


susceptible de justifier la résolution unilatérale du contrat ?
Plusieurs arrêts rendus par la Cour de cassation après l’adoption de l’ordonnance
portant réforme du droit des obligations, suggèrent de répondre par la négative.

Dans ces arrêts, en effet, elle maintient que « la gravité du manquement de l’une
des parties peut justifier que l’autre partie mette fin à l’engagement de manière
unilatérale à ses risques et périls » (V. notamment en ce sens Cass. com. 6 déc.
2016, n°15-12981)
Ainsi, l’exigence de se focaliser désormais sur la gravité de l’inexécution
contractuelle n’exclut pas d’apprécier cette gravité à la lumière du comportement
du débiteur. On songe, en particulier au comportement qui rendrait impossible le
maintien de la relation contractuelle dans des conditions normales (V. en ce
sens Cass. 1ère  civ. 13 mars 2007, n°06-10229).
La question qui sans doute se posera sera de déterminer si la gravité de
l’inexécution contractuelle doit être appréciée objectivement ou subjectivement.

Tandis qu’une approche objective commanderait de regarder l’économie générale


du contrat, l’inexécution grave étant celle portant atteinte à son existence,
l’approche subjective conduirait, quant à elle, à se tourner vers la commune
intention des parties, la gravité de l’inexécution se déduisant des prévisions qui ont
été stipulées comme essentielles par elles.

II) La mise en œuvre de la résolution unilatérale


A) La mise en demeure du débiteur
==> Principe

L’article 1226 du Code civil subordonne l’exercice de la faculté de résolution


unilatérale à la mise en demeure préalable du débiteur.

Ce texte prévoit en ce sens que « sauf urgence, il doit préalablement mettre en


demeure le débiteur défaillant de satisfaire à son engagement dans un délai
raisonnable. »
Il convient de le prévenir sur le risque auquel le débiteur s’expose en cas
d’inaction, soit de subir l’anéantissement du contrat.

Pour rappel, la mise en demeure se définit comme l’acte par lequel le créancier
commande à son débiteur d’exécuter son obligation.
L’alinéa 2 précise que « la mise en demeure mentionne expressément qu’à défaut
pour le débiteur de satisfaire à son obligation, le créancier sera en droit de
résoudre le contrat. »
À l’examen, la mise en demeure doit donc répondre à des exigences de forme et de
fond.

 Le formalisme de la mise en demeure


 La mise en demeure que le créancier adresse au débiteur doit répondre
aux exigences énoncées à l’article 1344 du Code civil.
 Elle peut prendre la forme, selon les termes de l’article 1344 du Code
civil, soit d’une sommation, soit d’un acte portant interpellation
suffisante.
 En outre, en application de cette même disposition, elle peut être
notifiée au débiteur :
 Soit par voie de signification
 Soit au moyen d’une lettre missive
 Le contenu de la mise en demeure
 En application de l’article 1226, al.2 du Code civil, pour valoir mise
en demeure, l’acte doit mentionner « expressément qu’à défaut pour le
débiteur de satisfaire à son obligation, le créancier sera en droit de
résoudre le contrat».
 À défaut, le créancier sera privé de la possibilité de se prévaloir de la
résolution du contrat.
 Pour être valable, la mise en demeure doit donc comporter
 Une sommation ou une interpellation suffisante du débiteur
 Le délai – raisonnable – imparti au débiteur pour se conformer à
la mise en demeure
 La menace d’une sanction
 La mention de la clause résolutoire
L’absence de mise en demeure peut être invoquée par le débiteur comme un moyen
de défense au fond aux fins de faire échec aux prétentions du créancier.

==> Exceptions

 La stipulation d’une clause


 En application de l’article 1344 du Code civil, il est toujours permis,
pour les parties, de prévoir que l’exigibilité des obligations stipulées au
contrat vaudra mise en demeure du débiteur.
 Dans cette hypothèse, l’exercice de la faculté de résolution unilatérale
ne sera donc pas subordonné à sa mise en demeure du débiteur.
 À cet égard, le rapport du Président de la République précise que dans
le silence de l’article 1226 sur son caractère impératif, « il doit être
considéré que cette disposition n’est pas d’ordre public, y compris en cas
d’urgence. »
 L’urgence
 L’article 1226, al. 1er prévoit expressément que, en cas d’urgence, le
créancier est dispensé de mettre en demeure le débiteur préalablement à
l’exercice de la faculté de résolution unilatérale.
 Par urgence, il faut entendre le risque imminent de préjudice pour le
créancier susceptible de résulter de l’inexécution contractuelle V. en ce
sens 1ère  civ. 24 sept. 2009, n°08-14524).
 En pareil cas, il convient, pour ce dernier, de réagir vite raison pour
laquelle il est autorisé à rompre le contrat sans formalité préalable et donc
sans octroyer au débiteur un délai raisonnable pour s’exécuter.
B) La notification de la résolution au débiteur
L’article 1226, al. 3 dispose que « lorsque l’inexécution persiste, le créancier
notifie au débiteur la résolution du contrat et les raisons qui la motivent. »
Ainsi, l’exercice de la faculté de rompre unilatéralement le contrat est-il
subordonné à la notification de la décision du créancier.

Cette notification peut intervenir soit, par voie d’exploit d’huissier, soit par voie de
mise en demeure. En tout état de cause, elle vise à porter à la connaissance du
débiteur la décision prise à son endroit.

Si, la notification matérialise l’exercice, par le créancier, de son droit potestatif à


résoudre unilatéralement le contrat, l’article 1226 exige que cette notification soit
motivée.

En d’autres termes, le créancier a l’obligation de préciser dans l’acte, l’inexécution


contractuelle qu’il estime suffisamment grave pour justifier sa résolution.

Cette exigence vise à permettre, tant au débiteur, qu’au juge d’apprécier le bien-
fondé de la décision du créancier.
Dans l’hypothèse où le débiteur estimerait que le motif invoqué par le créancier
serait impropre à justifier la résolution du contrat, il pourra toujours saisir le juge
afin de faire trancher le litige.

III) Le contrôle judiciaire de la résolution unilatérale


L’article 1226, al. 4e du Code civil prévoit que « le débiteur peut à tout moment
saisir le juge pour contester la résolution. »
Ainsi, le recours au juge, en cas de résolution unilatérale du contrat, est toujours
ouvert au débiteur.

Cette possibilité est conforme à la jurisprudence antérieure, selon laquelle la


résolution unilatérale se fait aux « risques et périls » du créancier, condition reprise
par le premier alinéa de l’article 1226.
Il incombera alors au juge d’apprécier le bien-fondé de la rupture du contrat. Plus
précisément il lui faudra vérifier que l’inexécution dont s’est prévalu le créancier
était suffisamment grave pour justifier la résolution.

En tout état de cause, en cas de saisine du juge par le débiteur, l’article 1226, al.
4e du Code civil pose que c’est au créancier qu’il reviendra de prouver la gravité de
l’inexécution
En simplifiant à l’extrême, trois issues sont alors possibles :

 Première issue : la constatation de la résolution du contrat


 Si le juge considère que les conditions de la résolution unilatérale
étaient réunies, il ne pourra alors que constater l’acquisition de la
résolution
 Dans le même temps, il pourra condamner le débiteur au paiement de
dommages et intérêts si le créancier en fait la demande, en application
de l’article 1231-1 du Code civil.
 Deuxième issue : la constatation d’une inexécution pas suffisamment
grave pour justifier la résolution du contrat
 Lorsque le juge est saisi par le débiteur, il peut considérer que, si
l’inexécution du contrat – totale ou partielle – est bien avérée, elle n’est
pas suffisamment grave pour justifier la résolution.
 Dans cette hypothèse, l’article 1228 du Code civil offre plusieurs
alternatives au juge
 Il peut
 Soit constater ou prononcer la résolution
 Soit ordonner l’exécution du contrat, en accordant
éventuellement un délai au débiteur
 Soit allouer seulement des dommages et intérêts.
 Au vrai tout dépendra des demandes formulées par le débiteur qui peut
préférer prendre acte de la volonté du créancier de rompre le contrat ou
exiger son exécution forcée : c’est selon.
 Troisième issue : la constatation de l’absence d’inexécution du contrat
 Autre hypothèse susceptible de se présenter : le juge considère que le
débiteur n’a pas failli à ses obligations
 Aussi, dispose-il, dans cette configuration, de la faculté :
 Soit de constater, sur la demande du débiteur, que la rupture du
contrat est définitivement consommée
 Soit ordonner l’exécution forcée du contrat
 Dans les deux cas, le juge pourra assortir l’option choisie d’une
condamnation du créancier au paiement de dommages et intérêts.
La clause résolutoire: régime juridique
2 OCTOBRE 2019 / AURÉLIEN BAMDÉ / POSTER UN
COMMENTAIRE
L’ordonnance du 10 février 2016 a introduit dans le Code civil une sous-section
consacrée à la résolution du contrat.

Cette sous-section comprend sept articles, les articles 1224 à 1230, et est organisée
autour des trois modes de résolution du contrat déjà bien connus en droit positif que
sont :

 La clause résolutoire
 La résolution unilatérale
 La résolution judiciaire
Selon le rapport au Président de la république, il est apparu essentiel de traiter de la
résolution du contrat parmi les différents remèdes à l’inexécution, et non pas
seulement à l’occasion des articles relatifs à la condition résolutoire qui serait
toujours sous-entendue dans les contrats selon l’ancien article 1184.

Ainsi l’article 1224 énonce les trois modes de résolution du contrat précités, la


résolution unilatérale et la résolution judiciaire étant soumises à une condition de
gravité suffisante de l’inexécution, par opposition à la clause résolutoire dont l’effet
est automatique dès lors que les conditions prévues au contrat sont réunies.
Surtout, fait marquant de la réforme, l’ordonnance du 10 février 2016 a introduit la
résolution unilatérale du contrat, alors qu’elle n’était admise jusqu’alors par la Cour
de cassation que comme une exception à notre traditionnelle résolution judiciaire.

Aussi, dans les textes, le contractant, victime d’une inexécution suffisamment


grave, a désormais de plusieurs options :

 Soit il peut demander la résolution du contrat au juge


 Soit il peut la notifier au débiteur sa décision de mettre fin au contrat
 Soit il peut se prévaloir de la clause résolutoire si elle est stipulée dans le
contrat
Nous ne nous focaliserons ici que sur la résolution conventionnelle.

Reconduisant la règle qui était déjà énoncée sous l’empire du droit


antérieur l’article 1224 du Code civil prévoit donc que la résolution du contrat peut
résulter « de l’application d’une clause résolutoire ».
==> L’intérêt de la clause résolutoire
Si, avec la consécration de la résolution unilatérale, la clause résolutoire a perdu
une partie de son utilité, sa stipulation dans un contrat conserve un triple intérêt

 Premier intérêt
 La stipulation d’une clause résolutoire présente l’avantage, pour le
créancier, de disposer d’un moyen de pression sur le débiteur.
 Un cas d’inexécution de l’une de ses obligations visée par la clause, il
s’expose à la résolution du contrat.
 La stipulation d’une clause résolutoire apparaît ainsi comme un
excellent moyen de garantir l’efficacité du contrat.
 Ajouté à cela, cette clause ne fait nullement obstacle à la mise en
œuvre des autres sanctions contractuelles qui restent à la disposition du
créancier.
 Rien n’empêche, en effet, ce dernier de solliciter l’exécution forcée du
contrat, de se prévaloir de l’exception d’inexécution ou de saisir le juge
aux fins d’obtenir la résolution judiciaire.
 La liberté du créancier quant au choix des sanctions demeure la plus
totale, nonobstant la stipulation d’une clause résolutoire.
 Deuxième intérêt
 Tout d’abord, la mise en œuvre de la clause résolutoire n’est pas
subordonnée à la démonstration « d’une inexécution suffisamment grave»
du contrat.
 Dès lors qu’un manquement contractuel est visé par la clause
résolutoire, le créancier est fondé à mettre automatiquement fin au
contrat, peu importe la gravité du manquement dénoncé.
 Mieux, dans un arrêt du 24 septembre 2003, la Cour de cassation a
jugé que la bonne foi du débiteur « est sans incidence sur l’acquisition
de la clause résolutoire» (  3e  civ. 24 sept. 2003).
 À l’examen, seuls comptent les termes de la clause qui doivent être
suffisamment précis pour couvrir le manquement contractuel dont se
prévaut le créancier pour engager la résolution du contrat.
 Troisième intérêt
 La clause résolutoire a pour effet de limiter les pouvoirs du juge dont
l’appréciation se limite au contrôle des conditions de mise en œuvre de la
clause (  com. 14 déc. 2004, n°03-14380).
 Lorsque la résolution est judiciaire ou unilatérale, il appartient au juge
d’apprécier la gravité de l’inexécution contractuelle.
 Tel n’est pas le cas lorsqu’une clause résolutoire est stipulée, ce qui
n’est pas sans protéger les parties de l’ingérence du juge.
 La stipulation d’une clause résolutoire est ainsi source de sécurité
contractuelle.
 D’où l’enjeu de la rédaction de la clause qui doit être suffisamment
large et précise pour rendre compte de l’intention des parties et plus
précisément leur permettre de mettre fin au contrat chaque fois que le
manquement contractuel en cause le justifie.
I) Le contenu de la clause résolutoire
L’article 1225 du Code civil dispose que « la clause résolutoire précise les
engagements dont l’inexécution entraînera la résolution du contrat. »
==> L’étendue de la clause

Il ressort de cette disposition qu’il appartient aux contractants de viser précisément


dans la clause les manquements contractuels susceptibles d’entraîner la résolution
du contrat.

Le champ d’application de la clause résolutoire est ainsi exclusivement déterminé


par les prévisions des parties.
Aussi, les contractants sont-ils libres de sanctionner n’importe quel manquement
par l’application de la clause résolutoire. Sauf stipulation expresse, la gravité du
manquement est donc indifférente, l’important étant que l’inexécution contractuelle
dont se prévaut le créancier soit visée par la clause.

À cet égard, lors des travaux préparatoires portant sur la loi de ratification de
l’ordonnance du 10 février 2016, certains auteurs se sont demandé si l’obligation
pour les parties de préciser « les engagements dont l’inexécution entraînera la
résolution du contrat » devait les contraindre à dresser la liste, engagement par
engagement et si, de ce fait, les clauses résolutoires visant de manière générale tout
type de manquement, courantes en pratique, seraient désormais invalidées.
Pour la Commission des lois, tel ne devrait pas être le cas. Le texte autoriserait,
selon elle, la survivance de ces clauses dites « balais ».

À l’examen, l’article 1225 exige seulement que la clause exprime les cas dans


lesquels elle jouera, et ne s’oppose donc pas à l’insertion d’une clause qui
préciserait qu’elle jouera en cas d’inexécution de toute obligation prévue au
contrat. La jurisprudence antérieure validant ce type de clauses a donc vocation à
survivre.

==> La rédaction de la clause

Régulièrement, la Cour de cassation rappelle que « la clause résolutoire de plein


droit, qui permet aux parties de soustraire la résolution d’une convention à
l’appréciation des juges, doit être exprimée de manière non équivoque, faute de
quoi les juges recouvrent leur pouvoir d’appréciation » (Cass. 1ère  civ. 25 nov.
1986, n°84-15705).
La clause résolutoire doit ainsi être rédigée en des termes clairs et précis, faute de
quoi le juge peut écarter son application.

À cet égard, en cas d’ambiguïté de la clause, l’article 1190 du Code civil prévoit


que « dans le doute, le contrat de gré à gré s’interprète contre le créancier et en
faveur du débiteur, et le contrat d’adhésion contre celui qui l’a proposé. »
Aussi, non seulement la clause doit clairement viser les manquements contractuels
susceptibles d’entraîner la résolution du contrat, mais encore elle doit, selon la
Cour de cassation, « exprimer de manière non équivoque la commune intention des
parties de mettre fin de plein droit à leur convention » (Cass. 1ère  civ., 16 juill.
1992, n° 90-17760)
==> Dispositions spéciales
Dans certaines matières, le législateur a encadré la stipulation de clauses
résolutoires, le plus souvent par souci de protection de la partie réputée la plus
faible.

 En matière de bail d’habitation, l’article 4 de la loi n° 89-462 du 6 juillet


1989 dispose que « est réputée non écrite toute clause […] qui prévoit la
résiliation de plein droit du contrat en cas d’inexécution des obligations du
locataire pour un motif autre que le non-paiement du loyer, des charges, du
dépôt de garantie, la non-souscription d’une assurance des risques locatifs
ou le non-respect de l’obligation d’user paisiblement des locaux loués,
résultant de troubles de voisinage constatés par une décision de justice
passée en force de chose jugée»
 En matière de bail commercial, l’article L. 145-41 du Code de commerce
prévoit que « toute clause insérée dans le bail prévoyant la résiliation de
plein droit ne produit effet qu’un mois après un commandement demeuré
infructueux. Le commandement doit, à peine de nullité, mentionner ce
délai. »
 En matière de procédure collective, l’article L. 622-14 du Code de
commerce dispose que « lorsque le bailleur demande la résiliation ou fait
constater la résiliation du bail pour défaut de paiement des loyers et charges
afférents à une occupation postérieure au jugement d’ouverture, le bailleur
ne pouvant agir qu’au terme d’un délai de trois mois à compter dudit
jugement. »
 En matière de contrat d’assurance-vie, l’article L. 132-20 du Code des
assurances pose que « lorsqu’une prime ou fraction de prime n’est pas payée
dans les dix jours de son échéance, l’assureur adresse au contractant une
lettre recommandée par laquelle il l’informe qu’à l’expiration d’un délai de
quarante jours à dater de l’envoi de cette lettre le défaut de paiement, à
l’assureur ou au mandataire désigné par lui, de la prime ou fraction de
prime échue ainsi que des primes éventuellement venues à échéance au
cours dudit délai, entraîne soit la résiliation du contrat en cas d’inexistence
ou d’insuffisance de la valeur de rachat, soit la réduction du contrat. »
II) La mise en œuvre de la clause résolutoire
Plusieurs conditions doivent être réunies pour que la clause résolutoire puisse être
mise en œuvre.

==> Le droit d’option du créancier


Parce que le principe qui préside à l’application des sanctions attachées à
l’inexécution contractuelle est celui du libre choix du créancier, la mise en œuvre
de la clause résolution est à sa main.

Autrement dit, nonobstant la stipulation d’une clause résolutoire, le créancier peut


renoncer à la mettre en œuvre.

À cet égard, dans un arrêt du 27 avril 2017, la Cour de cassation a jugé, après avoir
relevé que « la clause résolutoire avait été stipulée au seul profit du bailleur et que
celui-ci demandait la poursuite du bail […] que la locataire ne pouvait se
prévaloir de l’acquisition de la clause » (Cass. 3e  civ. 27 avr. 2017, n°16-13625)
À l’analyse, seule la stipulation d’une clause résolutoire dont la mise en œuvre est
automatique, soit n’est pas subordonnée à la mise en demeure du débiteur, est
susceptible de faire échec à la renonciation du créancier à se prévaloir d’une autre
sanction, en particulier de l’exécution forcée (V. en ce sens Cass. 1ère  civ., 21 mars
1995, n° 93-12.177).
==> La mise en demeure du débiteur

L’article 1225 du Code civil pris en son second alinéa dispose que « la résolution
est subordonnée à une mise en demeure infructueuse, s’il n’a pas été convenu que
celle-ci résulterait du seul fait de l’inexécution. La mise en demeure ne produit
effet que si elle mentionne expressément la clause résolutoire. »
Plusieurs enseignements peuvent être tirés de cette disposition :

 Premier enseignement : l’exigence de mise en demeure du débiteur


 L’application de la clause résolutoire est subordonnée à la mise en
demeure du débiteur.
 Il convient de le prévenir sur le risque auquel il s’expose en cas
d’inaction, soit de subir l’anéantissement du contrat.
 Pour rappel, la mise en demeure se définit comme l’acte par lequel le
créancier commande à son débiteur d’exécuter son obligation.
 La mise en demeure que le créancier adresse au débiteur doit répondre
aux exigences énoncées aux articles 1344 et suivants du Code civil.
 Elle peut prendre la forme, selon les termes de l’article 1344 du Code
civil, soit d’une sommation, soit d’un acte portant interpellation
suffisante.
 En application de l’article 1344 du Code civil, la mise en demeure
peut être notifiée au débiteur :
 Soit par voie de signification
 Soit au moyen d’une lettre missive
 Deuxième enseignement : l’exigence de mention de la clause résolutoire
 En application de l’article 1225 du Code civil, pour valoir mise en
demeure, l’acte doit expressément viser la clause résolutoire.
 À défaut, le créancier sera privé de la possibilité de se prévaloir de la
résolution du contrat.
 Pour être valable, la mise en demeure doit donc comporter
 Une sommation ou une interpellation suffisante du débiteur
 Le délai – raisonnable – imparti au débiteur pour se conformer à
la mise en demeure
 La menace d’une sanction
 La mention de la clause résolutoire
 Troisième enseignement : la dispense de mise en demeure
 Si l’article 1223 du Code civil pose érige au rang de principe
l’exigence de mise en demeure, ce texte n’en est pas moins supplétif.
 C’est la raison pour laquelle il précise que l’exigence de mise en
demeure n’est requise que si les parties n’ont pas convenu que la clause
résolutoire jouerait du seul fait de l’inexécution.
 Dans ces conditions, libre aux contractants d’écarter l’exigence de
mise en demeure.
 La résolution du contrat opérera, dès lors, automatiquement, sans qu’il
soit besoin pour le créancier de mettre en demeure le débiteur : il lui
suffit de constater un manquement contractuel rentrant dans le champ de
la clause.
 Reste que dans un arrêt du 3 février 2004, la Cour de cassation a
précisé que pour que la dispense de mise en demeure soit efficace, elle
doit être expresse et non équivoque (  1ère  civ. 3 févr. 2004, n°01-02020).
==> La bonne foi des parties

Bien que l’article 1225 soit silencieux sur la bonne foi des parties, il est de
jurisprudence constante que :

 La bonne foi du créancier, d’une part, est une condition de mise en œuvre
de la clause résolutoire
 Régulièrement la Cour de cassation rappelle que la mauvaise foi du
créancier neutralise l’application de la clause résolutoire dont il ne peut
alors pas se prévaloir (  1ère  civ. 16 févr. 1999, n°9–21997).
 Cette règle procède du principe général énoncé à l’article 1104 du
Code civil aux termes duquel « les contrats doivent être négociés, formés
et exécutés de bonne foi.»
 Ainsi, est-il constant que le bailleur se voit refuser l’acquisition de la
clause résolutoire en raison de la mauvaise foi dont il a fait montre au
cours de l’exécution du contrat (V. en ce sens 3e  civ. 3 nov. 2010, n°09-
15937).
 La bonne foi du débiteur, d’autre part, ne saurait fait échec au jeu de la
clause résolutoire
 Dans un arrêt du 24 septembre 2003, la Cour de cassation a jugé que
« en cas d’inexécution de son engagement par le débiteur sa bonne foi
est sans incidence sur l’acquisition de la clause résolutoire» (  3e  civ., 24
sept. 2003, n° 02-12474).
 L’intérêt de stipuler une clause résolutoire réside dans l’objectivité du
critère de sa mise en œuvre : elle est acquise en cas manquement
contractuel rentrant dans son champ d’application et indépendamment de
la gravité de l’inexécution.
 Lier sa mise en œuvre à la bonne foi du débiteur reviendrait alors à
vider de sa substance l’intérêt de sa stipulation.
La résolution du contrat: vue générale
1 OCTOBRE 2019 / AURÉLIEN BAMDÉ / POSTER UN
COMMENTAIRE
==> Notion

La résolution du contrat est l’une des cinq sanctions dont est susceptible de se
prévaloir le créancier en cas d’inexécution du contrat.

Classiquement, elle est définie comme l’anéantissement rétroactif d’un contrat. En


ce qu’elle a pour effet de rompre le lien contractuel, la résolution est la plus
radicale des sanctions de l’inexécution.

À cet égard, la résolution se distingue notamment de la résiliation et de la nullité :

 Résolution et nullité
 Tandis que la nullité sanctionne le non-respect d’une condition de
validité d’un acte juridique lors de sa formation, la résolution sanctionne
une irrégularité qui procède de la survenance d’une circonstance
postérieure à la formation.
 Ainsi, la nullité intervient au moment de la formation du contrat alors
que la résolution ne peut survenir qu’au cours de son exécution.
 Résolution et résiliation
 Bien que les deux notions soient proches, elles doivent être distinguées
 Si les deux sont des remèdes qui visent à sanctionner l’inexécution du
contrat, elles ne produisent pas les mêmes effets : la résolution conduit à
un anéantissement rétroactif du contrat, tandis que la résiliation met
seulement fin à la convention pour l’avenir.
 Par ailleurs, on parle de résiliation pour les contrats à exécution
successive et de résolution pour les contrats à exécution instantanée.
 

==> Les modes de résolution du contrat sous l’empire du droit antérieur


Sous l’empire du droit antérieur à l’ordonnance du 10 février 2016, la résolution du
contrat était régie par l’article 1184 du Code civil.

La jurisprudence interprétait cette disposition comme autorisant trois modes de


résolutions articulés autour d’un principe et de deux exceptions.

 Le principe : la résolution judiciaire


 L’ancien article 1184 du Code civil prévoyait que « le contrat n’est
point résolu de plein droit».
 La jurisprudence en déduisait que la résolution du contrat supposait,
par principe, la saisine du juge.
 On considérait, en effet, que le débat judiciaire devait permettre
d’envisager des alternatives à l’anéantissement rétroactif du contrat.
 Surtout, l’intervention du juge devait permettre de vérifier la réalité de
l’inexécution, condition de la résolution.
 Les exceptions : la clause résolutoire et la résolution unilatérale
 L’exception conventionnelle : la clause résolutoire
 L’article 1184 du Code civil disposait que « la condition
résolutoire est toujours sous-entendue dans les contrats
synallagmatiques, pour le cas où l’une des deux parties ne satisfera
point à son engagement. »
 Ainsi, est-il admis que la résolution du contrat procède d’une
stipulation contractuelle.
 En cas de stipulation d’une clause résolutoire, la résolution est
encourue de plein droit, soit sans qu’il soit besoin de recourir le juge.
 Et lorsque celui-ci est malgré tout saisi par le débiteur, ses
pouvoirs demeurent limités au contrôle des conditions de mise en
œuvre de la clause.
 Il n’appartient pas, en effet, au juge d’apprécier la pertinence du
recours à la résolution.
 L’exception jurisprudentielle
 Très tôt la question s’est posée de savoir si le juge pouvait
écarter l’exigence posée à l’ancien article 1184 du Code civil qui
subordonnait la résolution du contrat à la saisine du juge ou à la
stipulation d’une clause dans le contrat.
 Après de longues hésitations jurisprudentielles et de vifs débats
doctrinaux, la Cour de cassation a admis que la résolution puisse
intervenir en dehors de la saisine du juge ou de la stipulation d’une
clause.
 Dès le 19e siècle elle avait admis que, dans certaines
circonstances très particulières, un contractant puisse mettre fin
unilatéralement au contrat.
 Le manquement observé devait toutefois être entouré de
circonstances d’une particulière gravité.
 Tel était le cas, lorsqu’un théâtre était contraint d’exclure un
spectateur qui perturbait la représentation en raison de son état
d’ébriété (  corr. Nice, 2 janv. 1893 : S. 1893).
 Dans un arrêt du 13 octobre 1998, la Cour de cassation a
considérablement étendu le domaine de la résolution unilatérale en
jugeant que « la gravité du comportement d’une partie à un contrat
peut justifier que l’autre partie y mette fin de façon unilatérale à ses
risques et périls» (  1ère  civ. 13 oct. 1998, n°96-21485).
 Puis dans un arrêt du 20 février 2001, elle a précisé sa position
en ajoutant que la résolution unilatérale du contrat était admise « peu
important que le contrat soit à durée déterminée ou non» (  1ère  civ.
20 févr. 2001, n°99-15170).
 Si, cette jurisprudence a ouvert la voie de la résolution
unilatérale, l’exercice de cette faculté n’en restait pas moins sans
risque pour le créancier qui devait agir « à ses risques et périls».
 

[table id=295 /]

==> Les modes de résolution du contrat envisagés par l’ordonnance du 10


février 2016

L’ordonnance du 10 février 2016 a introduit dans le Code civil une sous-section


consacrée à la résolution du contrat.

Cette sous-section comprend sept articles, les articles 1224 à 1230, et est organisée
autour des trois modes de résolution du contrat déjà bien connus en droit positif que
sont :

 La clause résolutoire
 La résolution unilatérale
 La résolution judiciaire
Selon le rapport au Président de la république, il est apparu essentiel de traiter de la
résolution du contrat parmi les différents remèdes à l’inexécution, et non pas
seulement à l’occasion des articles relatifs à la condition résolutoire qui serait
toujours sous-entendue dans les contrats selon l’ancien article 1184.

Ainsi l’article 1224 énonce les trois modes de résolution du contrat précités, la


résolution unilatérale et la résolution judiciaire étant soumises à une condition de
gravité suffisante de l’inexécution, par opposition à la clause résolutoire dont l’effet
est automatique dès lors que les conditions prévues au contrat sont réunies.
Surtout, fait marquant de la réforme, l’ordonnance du 10 février 2016 a introduit la
résolution unilatérale du contrat, alors qu’elle n’était admise jusqu’alors par la Cour
de cassation que comme une exception à notre traditionnelle résolution judiciaire.

Aussi, dans les textes, le contractant, victime d’une inexécution suffisamment


grave, a désormais de plusieurs options :

 Soit il peut demander la résolution du contrat au juge


 Soit il peut la notifier au débiteur sa décision de mettre fin au contrat
 Soit il peut se prévaloir de la clause résolutoire si elle est stipulée dans le
contrat
La résolution unilatérale est donc érigée au rang de principe concurrent de la
résolution judiciaire ou de la clause résolutoire

Néanmoins, son régime est plus rigoureusement encadré qu’en droit positif,
puisque le créancier qui choisit la voie de la résolution unilatérale est tenu de
mettre en demeure son débiteur de s’exécuter, et si celle-ci est infructueuse, d’une
obligation de motivation (article 1226).

En outre, il semble résulter de l’article 1228 que le juge peut, si la résolution


unilatérale est infondée, ordonner la poursuite de l’exécution du contrat.
Sanction de l’inexécution du contrat: la réduction du prix de la prestation
30 SEPTEMBRE 2019 / AURÉLIEN BAMDÉ / 1 COMMENTAIRE
==> Généralisation en droit commun de la sanction
Issu de la réforme du droit des obligations, l’article 1223 du Code civil dispose que
« en cas d’exécution imparfaite de la prestation, le créancier peut, après mise en
demeure et s’il n’a pas encore payé tout ou partie de la prestation, notifier dans les
meilleurs délais au débiteur sa décision d’en réduire de manière proportionnelle le
prix. »
Ainsi, au nombre des sanctions susceptibles d’être invoquées par le créancier en cas
de défaillance du débiteur, figure la faculté de solliciter la réduction du prix de la
prestation.

Il s’agit d’une sanction intermédiaire entre l’exception d’inexécution et la


résolution, qui permet de procéder à une révision du contrat à hauteur de ce à quoi
il a réellement été exécuté en lieu et place de ce qui était contractuellement prévu.
À l’examen, l’article 1223 du Code civil a été envisagé par l’ordonnance du 10
février 2016 aux fins de généraliser une sanction connue du code civil, la réduction
du prix, inspirée des projets d’harmonisation européens.

Si le code civil ne prévoyait pas de façon générale la possibilité pour le créancier


d’accepter une exécution non conforme du débiteur, en contrepartie d’une
réduction proportionnelle du prix, cette faculté existe en droit positif à titre spécial,
par exemple :

 En matière de garantie des vices cachés par l’action estimatoire de l’article


1644 du Code civil
 En matière de vente immobilière en cas de contenance erronée ou de mesure
erronée de plus d’un vingtième (articles 1617 et 1619 C. civ.).
À la différence de ces textes spéciaux, l’article 1223 offre toutefois la possibilité au
créancier d’une obligation imparfaitement exécutée d’accepter cette réduction sans
devoir saisir le juge en diminution du prix. C’est là la véritable nouveauté
introduite par cette disposition.

==> Modifications apportées par la loi de ratification du 20 avril 2018

Lors de l’élaboration de la loi de ratification adoptée le 20 avril 2018, on s’est


interrogé sur l’intérêt du dispositif de réduction du prix mis en place qui, au fond,
autorise les parties à renégocier leur contrat, ce qu’elles peuvent naturellement faire
sans texte :

 Le créancier de l’obligation imparfaitement exécutée mettrait en demeure le


débiteur de respecter le contrat conclu.
 Celui-ci, se trouvant dans l’impossibilité d’exécuter le contrat, offrirait au
créancier d’exécuter imparfaitement son obligation et le créancier de
l’obligation pourrait en contrepartie solliciter une réduction proportionnelle
du prix.
Initialement, le texte issu de l’ordonnance du 10 février 2016 prévoyait seulement
que « le créancier peut, après mise en demeure, accepter une exécution imparfaite
du contrat et solliciter une réduction proportionnelle du prix. »
Comme relevé par l’un des rapporteurs au projet de loi, le terme qui prêtait à
confusion était celui « d’acceptation », qui laissait à penser qu’une offre préalable
d’exécution imparfaite aurait été faite par le débiteur au créancier.
Or, il y a fort à parier que, dans de nombreux cas, le débiteur mis en demeure de
s’exécuter ne se risquera pas à faire une telle offre, qui constituerait un aveu de sa
défaillance.

Dans l’esprit des rédacteurs de l’ordonnance, il semble que cette absence d’offre de
la part du débiteur de l’obligation n’empêche pourtant pas le créancier d’« accepter
» son exécution imparfaite et de mettre en œuvre le mécanisme de réduction
proportionnelle du prix.

Le créancier est alors érigé en véritable juge de l’exécution du contrat.

Cette situation est sans grande conséquence dans l’hypothèse où le créancier de


l’obligation imparfaitement exécutée a déjà acquitté le prix, puisqu’il ne pourra que
solliciter la réduction du prix auprès du débiteur et saisir le juge en cas de refus de
celui-ci d’obtempérer.

Il en va tout autrement si le créancier de l’obligation, qui estime que son exécution


est imparfaite, n’a pas encore acquitté l’intégralité du prix.

Dans cette hypothèse, le deuxième alinéa de l’article 1223 l’autorisait à notifier au


débiteur « sa décision de réduire le prix dans les meilleurs délais ».
Le débiteur se voyait alors imposer cette réduction, à charge pour lui de saisir le
juge pour la contester.

L’effet de la décision unilatérale était alors très fort puisque toute latitude était
laissée au créancier pour apprécier l’ampleur de l’inexécution et le montant de la
réduction demandée.

Cette deuxième hypothèse n’est pas sans avoir provoqué certaines inquiétudes,
notamment de la part des professions exerçant une activité de conseil, telle que la
profession d’avocat, qui craignaient des abus.

En effet, un client pourrait accepter la convention d’honoraires de son avocat puis,


par la suite, s’estimer insatisfait de l’exécution du contrat et décider de réduire les
honoraires dus, estimant que la prestation ne valait pas le prix fixé.
En donnant ce pouvoir unilatéral au créancier, les rédacteurs de l’ordonnance se
sont écartés complètement de ce qu’est le contrat : la chose des parties.

Aussi, lors de l’élaboration de la loi de ratification, le législateur, en a tiré la


conséquence qu’il convenait de supprimer le terme « accepter », qui prêtait à
confusion, car il laissait supposer qu’une offre préalable d’exécution imparfaite
devrait être formulée par le débiteur pour que le créancier puisse mettre en œuvre le
mécanisme de réduction du prix.
Il a, en outre, été décidé qu’il n’y avait pas lieu, comme le faisait l’article 1223
dans son ancienne rédaction, de créer une différence si sensible dans le pouvoir du
créancier selon qu’il a payé ou non le prix.

Lorsque le créancier a déjà payé le prix, il ne peut que « solliciter » une réduction
auprès du débiteur, alors que s’il n’a pas totalement payé, il peut « décider »
unilatéralement cette réduction.
Il en est résulté la suppression du terme « solliciter » qui s’appliquait à l’hypothèse
dans laquelle la réduction du prix intervenait alors que le créancier de l’obligation
imparfaitement exécutée s’était déjà acquitté du prix, bien conscient des limites de
cette solution, puisque cette décision unilatérale du créancier serait sans effet si le
débiteur refusait de rembourser les sommes déjà versées.
Par cohérence, le législateur a également modifié l’article 1217 du code civil, qui
énumère les différentes sanctions encourues en cas d’inexécution du contrat, pour
remplacer, concernant le mécanisme de la réduction du prix, le mot « solliciter »
par le mot « décider ».
Il en a, par ailleurs, profité pour détailler la formulation de l’article 1223 dont les
conditions de mise en œuvre sont désormais clarifiées.

Ces conditions diffèrent selon que la réduction du prix intervient :

 avant le paiement du prix (  1223, al. 1er  c. civ.)


 après le paiement du prix (  1223, al. 2e  civ.)
I) La réduction du prix intervient avant le paiement du prix par le débiteur
L’article 1223, al. 1er du Code civil dispose que « en cas d’exécution imparfaite de
la prestation, le créancier peut, après mise en demeure et s’il n’a pas encore payé
tout ou partie de la prestation, notifier dans les meilleurs délais au débiteur sa
décision d’en réduire de manière proportionnelle le prix. »
Ainsi, dans l’hypothèse où le créancier de la prestation imparfaitement exécutée
n’aurait pas encore payé tout ou partie du prix, il doit notifier au débiteur sa
décision unilatérale de réduire le prix proportionnellement à l’inexécution
constatée, dans les meilleurs délais.

Il ressort du texte que l’exercice par le créancier de sa faculté de réduire le prix de


la prestation est subordonné au respect de plusieurs conditions.

==> Conditions de fond
 Une exécution imparfaite
 Pour que le créancier soit fondé à réduire le prix de la prestation, une
exécution imparfaite du contrat doit pouvoir être constatée
 Aussi, en se référant à la notion d’« exécution imparfaite», le texte
vise l’hypothèse d’une exécution partielle de la prestation, ce qui, par
voie de conséquence, rend inéligible à la réduction du prix les cas où
l’inexécution de l’obligation est totale.
 Une exécution imparfaite peut consister en un retard, en une
délivrance partielle de la chose et plus généralement à toute fourniture de
la prestation non conforme aux stipulations contractuelles.
 La notification dans les meilleurs délais de la décision de réduction du
prix
 Il ressort du premier alinéa de l’article 1223 du Code civil que la
réduction du prix suppose une notification du débiteur dans les meilleurs
délais.
 Trois enseignements peuvent être tirés de la règle ainsi posée :
 Premier enseignement
 La réduction du prix procède d’une décision unilatérale
du créancier.
 Aussi n’est-il pas nécessaire pour lui de saisir le juge pour
que, d’une part, soit constatée l’exécution imparfaite du contrat et,
d’autre part, pour que la sanction de la réduction s’applique.
 Cette sanction est donc à la main du créancier qui dispose
d’un pouvoir discrétionnaire en la matière
 Le débiteur demeure libre de contester en justice la
réduction du prix appliquée par le créancier s’il estime qu’elle est
mal fondée ou s’il considère qu’elle n’est pas proportionnelle à la
gravité de l’inexécution du contrat.
 Deuxième enseignement
 L’application de la sanction de réduction du prix de la
prestation est subordonnée à la notification de la décision du
créancier.
 Cette notification peut intervenir soit, par voie d’exploit
d’huissier, soit par voie de mise en demeure.
 Elle vise à porter à la connaissance du débiteur la
décision prise à son endroit.
 En ce qu’elle est constitutive d’une déclaration de
volonté, conformément au droit commun, le créancier n’a pas à
motiver sa décision.
 La notification matérialise l’exercice, par le créancier, de
son droit potestatif à réduire le prix de la prestation.
 Troisième enseignement
 L’article 1223, al. 1er du Code civil exige que la
notification de la décision du créancier intervienne dans les
meilleurs délais.
 Autrement dit, le créancier ne doit pas tarder à informer le
débiteur de sa décision de réduire le prix de la prestation.
 Une réduction du prix proportionnelle à l’inexécution
 L’article 1223 du Code civil précise que la réduction du prix sollicitée
par le créancier de l’obligation imparfaitement exécutée doit être
proportionnelle à la gravité de cette inexécution.
 Cette exigence se justifie par la nature de la sanction que constitue la
réduction du prix.
 Il s’agit, en effet, d’une sanction intermédiaire entre l’exception
d’inexécution et la résolution, qui permet de procéder à une révision du
contrat à hauteur de ce à quoi il a réellement été exécuté en lieu et place
de ce qui était contractuellement prévu.
 L’exigence de proportionnalité de la réduction du prix vise à garantir
le maintien de l’équilibre contractuel qui ne doit pas être modifié par le
créancier sous prétexte de l’exécution imparfaite d’une obligation.
==> Conditions de forme
 Notification par mise en demeure du créancier
 La mise en œuvre de la sanction de réduction du prix est subordonnée
à la mise en demeure préalable du débiteur
 Il convient de le prévenir sur le risque auquel il s’expose en cas
d’inaction, soit de se voir imposer une réduction du prix de la prestation.
 La mise en demeure que le créancier adresse au débiteur doit répondre
aux exigences énoncées aux articles 1344 et suivants du Code civil.
 Pour rappel, la mise en demeure se définit comme l’acte par lequel le
créancier commande à son débiteur d’exécuter son obligation.
 Elle peut prendre la forme, selon les termes de l’article 1344 du Code
civil, soit d’une sommation, soit d’un acte portant interpellation
suffisante.
 Quant au contenu de la mise en demeure, l’acte doit comporter :
 Une sommation ou une interpellation suffisante du débiteur
 Le délai – raisonnable – imparti au débiteur pour se conformer à
la mise en demeure
 La menace d’une sanction
 En application de l’article 1344 du Code civil, la mise en demeure
peut être notifiée au débiteur :
 Soit par voie de signification
 Soit au moyen d’une lettre missive
 Par ailleurs, il ressort de l’article 1344 du Code civil que les parties au
contrat peuvent prévoir que l’exigibilité des obligations stipulées au
contrat vaudra mise en demeure du débiteur.
 Dans cette hypothèse, la mise en œuvre de la réduction du prix ne sera
donc pas subordonnée à sa mise en demeure.
 Acceptation par écrit du débiteur
 Dans l’hypothèse où le créancier décide de réduire le prix de la
prestation, l’article 1223 al. 1er précise que « l’acceptation par le débiteur
de la décision de réduction de prix du créancier doit être rédigée par
écrit.»
 L’acceptation – écrite – par le débiteur de la décision du créancier de
réduire le prix de la prestation a pour effet mettre définitivement fin à
toute contestation ultérieure du prix.
 Si le débiteur n’acceptait pas la réduction de prix, il peut toujours
saisir le juge pour contester la décision du créancier.
II) La réduction du prix intervient après le paiement du prix par le débiteur
L’article 1223, alinéa 2 du Code civil dispose que « si le créancier a déjà payé, à
défaut d’accord entre les parties, il peut demander au juge la réduction de prix. »
Il ressort de cette disposition que dans l’hypothèse où le créancier de la prestation
aurait déjà payé l’intégralité du prix, il ne pourra que demander au juge d’ordonner
au débiteur un remboursement des sommes versées proportionnel à l’inexécution
constatée.

Sauf à ce que le débiteur accepte la réduction du prix, ce qui, en pratique sera


rarement le cas, le créancier n’aura d’autre choix que de saisir le juge aux fins
d’obtenir la mise en œuvre effective de la sanction qu’il aurait appliqué s’il n’avait
pas payé le prix de la prestation.

Cette disposition autorise ainsi le juge à prononcer la réduction du prix de la


prestation, plutôt que d’octroyer au créancier des dommages et intérêts
compensatoires, ce qui suppose l’établissement d’une faute et d’un lien de causalité
entre la faute et le préjudice.

A l’évidence, lorsque c’est une réduction du prix de la prestation qui est sollicitée
par le créancier, seule l’exécution imparfaite du contrat devra être démontrée, ce
qui n’est pas sans faciliter la tâche du créancier sur lequel pèse la charge de la
preuve.
L’exécution forcée en nature: régime juridique
24 SEPTEMBRE 2019 / AURÉLIEN BAMDÉ / POSTER UN
COMMENTAIRE
Parce que les contrats sont pourvus de la force obligatoire (art. 1103 C. civ),
lorsqu’une partie, qui s’est engagée à fournir une prestation ou une chose, ne
s’exécute pas, elle devrait, en toute logique, pouvoir y être contrainte. C’est la
raison pour laquelle la loi le lui permet.
Cette possibilité, pour le créancier, de contraindre le débiteur défaillant à honorer
ses obligations vise à obtenir ce que l’on appelle l’exécution forcée.

Pratiquement, l’exécution forcée peut prendre deux formes :

 Elle peut avoir lieu en nature: le débiteur est contraint de fournir ce à quoi il
s’est engagé
 Elle peut avoir lieu par équivalent: le débiteur verse au créancier une
somme d’argent qui correspond à la valeur de la prestation promise
initialement
Tandis que les rédacteurs du Code civil avaient fait de l’exécution par équivalent le
principe, pour les obligations de faire et de ne pas faire, l’ordonnance du 10 février
2016 a inversé ce principe en généralisant l’exécution forcée en nature dont le
recours n’est plus limité, en simplifiant à l’extrême, aux obligations de donner.

==> Droit antérieur
Pour mémoire, sous l’empire du droit antérieur, le Code civil distinguait trois sortes
d’obligations :

 L’obligation de donner
 L’obligation de donner consiste pour le débiteur à transférer au
créancier un droit réel dont il est titulaire
 Exemple: dans un contrat de vente, le vendeur a l’obligation de
transférer la propriété de la chose vendue
 L’obligation de faire
 L’obligation de faire consiste pour le débiteur à fournir une prestation,
un service autre que le transfert d’un droit réel
 Exemple: le menuisier s’engage, dans le cadre du contrat conclu avec
son client, à fabriquer un meuble
 L’obligation de ne pas faire
 L’obligation de ne pas faire consiste pour le débiteur en une
abstention. Il s’engage à s’abstenir d’une action.
 Exemple: le débiteur d’une clause de non-concurrence souscrite à la
faveur de son employeur ou du cessionnaire de son fonds de commerce,
s’engage à ne pas exercer l’activité visée par ladite clause dans un temps
et sur espace géographique déterminé
L’ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats a abandonné
la distinction entre ces obligations, à tout le moins elle n’y fait plus référence.

Le principal intérêt de la distinction entre les obligations de donner, de faire et de


ne pas faire résidait dans les modalités de l’exécution forcée.

Pour le comprendre envisageons l’exécution forcée de chacune de ces obligations


prises séparément.

 L’obligation de donner
 Lorsque l’engagement souscrit consiste en une obligation de donner, il
y a lieu de distinguer selon qu’il s’agit de payer une somme d’argent ou
selon qu’il s’agit de transférer la propriété d’un bien :
 Lorsqu’il s’agit d’une obligation de payer
 Dans cette hypothèse, seule l’exécution forcée en nature
est envisageable.
 En pareil cas, il ne saurait y avoir d’exécution par
équivalent, dans la mesure où, par hypothèse, il n’existe pas
d’autre équivalent à l’argent que l’argent.
 Lorsqu’il s’agit de transférer la propriété d’un bien
 En cas de défaillance du débiteur, l’exécution forcée n’a
pas lieu de jouer dans la mesure où la défaillance du débiteur
intéresse l’effet translatif du contrat.
 Aussi, est-ce plutôt une action en revendication qui devra
être engagée par le créancier aux fins de voir reconnaître son droit
de propriété
 Quant à l’obligation de délivrance de la chose, elle relève
de la catégorie, non pas des obligations de donner, mais de faire.
 L’obligation de faire
 Lorsque l’engagement pris consiste en une obligation de faire, les
deux formes d’exécution forcée sont possibles.
 Reste que, dans certains cas, l’exécution forcée en nature d’une
obligation de faire soulèvera des difficultés.
 En effet, forcer une personne à fournir la prestation promise pourrait
être considéré comme trop attentatoire à la liberté individuelle.
 Ajouté à cela, contrainte une personne à fournir une prestation contre
sa volonté, serait susceptible d’exposer le créancier à une exécution
défectueuse de cette prestation qui, dès lors, ne répondrait pas aux
attendus stipulés dans le contrat.
 L’obligation de ne pas faire
 Il n’est guère plus envisageable de faire respecter, par la force, une
obligation de ne pas faire sauf à porter atteinte à la liberté individuelle.
 L’obligation de ne pas faire se prête ainsi difficilement à l’exécution
forcée en nature.
Fort de ces constats, le législateur, en 1804, en avait tiré la conséquence à
l’ancien article 1142 du Code civil qui disposait que « toute obligation de faire ou
de ne pas faire se résout en dommages et intérêts en cas d’inexécution de la part
du débiteur. »
Le principe posé par ce texte était donc que les obligations de faire et les
obligations de ne pas faire ne pouvaient faire l’objet que d’une exécution forcée par
équivalent, soit se traduire par le versement d’une somme d’argent au créancier.

Par exception, la loi avait néanmoins envisagé certains cas où l’exécution forcée en
nature était possible pour les obligations de faire et de ne pas faire :
 L’ancien article 1143 prévoyait que « néanmoins, le créancier a le droit de
demander que ce qui aurait été fait par contravention à l’engagement soit
détruit ; et il peut se faire autoriser à le détruire aux dépens du débiteur,
sans préjudice des dommages et intérêts s’il y a lieu»
 L’ancien article 1145 disposait encore que « si l’obligation est de ne pas
faire, celui qui y contrevient doit des dommages et intérêts par le seul fait de
la contravention».
Portée par une doctrine majoritairement favorable à une extension du domaine de
l’exécution forcée, la jurisprudence a progressivement admis qu’elle puisse être
envisagée pour les obligations de faire et de ne pas faire, dès lors qu’elles ne sont
pas intimement liées à la personne du débiteur (V. en ce sens pour les obligations
de faire Cass. 3e  civ., 11 mai 2005, n°03-21136 ; pour les obligations de ne pas
faire Cass. 1ère  civ., 16 janv. 2007, n°06-13983).
Pour ce faire, la Cour de cassation s’est notamment appuyée sur une lecture
audacieuse de l’ancien article 1184 du Code civil, combinée à une lecture
restrictive de l’ancien article 1142.

En effet, l’ancien article 1184 du code civil semblait ouvrir la possibilité, pour


toutes les obligations, de quelque nature qu’elles soient, d’une exécution forcée en
nature au choix du créancier en prévoyant que « la partie envers laquelle
l’engagement n’a point été exécuté, a le choix ou de forcer l’autre à l’exécution de
la convention lorsqu’elle est possible, ou d’en demander la résolution avec
dommages et intérêts ».
Toutefois, la lettre du texte de l’ancien article 1142 paraissait limiter aux seules
obligations de donner la possibilité d’une exécution forcée en nature : « toute
obligation de faire ou de ne pas faire se résout en dommages et intérêts en cas
d’inexécution de la part du débiteur. »
Pour concilier ces deux textes, la Cour de cassation, suivant en cela la doctrine
majoritaire, a inversé le principe posé par l’article 1142, pour revenir au fondement
de la règle qu’il formule et considérer que seules sont exclues du champ
d’application de l’exécution forcée en nature les atteintes directes à la liberté de la
personne du débiteur.

D’ailleurs, les articles 1143 et 1144 nuançaient déjà l’affirmation posée par l’article


1142 en prévoyant des dérogations au principe de la condamnation à des
dommages-intérêts.

Aussi, la jurisprudence a-t-elle fait une application très restrictive des termes de
l’article 1142 du code civil, et paraît avoir reconnu, avec la majorité des auteurs, un
véritable droit à l’exécution forcée en nature, en considérant que tout créancier peut
exiger l’exécution de ce qui lui est dû lorsque cette exécution est possible (Cass.
3e  civ., 19 février 1970, n°68-13.866 ; Cass. 3e  civ., 3 novembre 2017, n°15-
23188). La possibilité d’obtenir l’exécution forcée en nature n’est donc exclue
qu’en cas d’impossibilité matérielle, juridique ou morale.
Manifestement, les auteurs qui plaidaient pour un abandon de la soustraction des
obligations de faire et de ne pas faire à l’exécution forcée en nature ont été
entendus par le législateur qui n’a pas manqué l’occasion, lors de l’ordonnance du
10 février 2016, d’inverser le principe posé à l’ancien article 1142 du Code civil,
conformément à la jurisprudence qui avait réduit à la portion congrue la portée de
ce texte.

==> L’ordonnance du 10 février 2016

L’ordonnance du 10 février 2016 dispose désormais à l’article 1221 du Code civil


que le créancier d’une obligation peut, après mise en demeure, en poursuivre
l’exécution en nature.

Ainsi, ce texte rompt avec la lettre de l’ancien article 1142 du code civil, dont la
Cour de cassation avait déjà retenu une interprétation contraire au texte et qui était
également contredit par la procédure d’injonction de faire prévue par les articles
1425-1 à 1425-9 du code de procédure civile.

Le principe est donc dorénavant inversé. Il est indifférent que l’engagement


souscrit consiste en une obligation de donner, de faire  ou de ne pas faire, le
créancier est fondé, par principe, à solliciter l’exécution forcée en nature de son
débiteur, sauf à ce que :

 Soit l’exécution est impossible


 Soit il existe une disproportion manifeste entre son coût pour le débiteur de
bonne foi et son intérêt pour le créancier.
À cet égard, le créancier dispose toujours d’une alternative prévue à l’article
1222 du Code civil qui consiste, « au lieu de poursuivre l’exécution forcée de
l’obligation concernée, de faire exécuter lui-même l’obligation ou détruire ce qui a
été mal exécuté après mise en demeure du débiteur, et de solliciter ensuite du
débiteur le remboursement des sommes exposées pour ce faire ».
Aussi, convient-il de distinguer deux sortes d’exécution forcée en nature :
 Celle qui intéresse l’intervention du débiteur
 Celle qui intéresse l’intervention d’un tiers
I) L’exécution forcée en nature qui intéresse l’intervention du débiteur
A) Principe
1. Contenu du principe
L’article 1221 du Code civil issu de l’ordonnance du 10 février 2016 autorise donc
le créancier à solliciter l’exécution forcée en nature en cas de défaillance de son
débiteur.

Le principe ainsi posé est repris, en des termes plus généraux, par l’article 1341 du
Code civil qui dispose que « le créancier a droit à l’exécution de l’obligation ; il
peut y contraindre le débiteur dans les conditions prévues par la loi. »
==> Indifférence de la nature des obligations en cause

Tandis que sous l’empire du droit antérieur, cette forme d’exécution forcée ne
pouvait intervenir que pour les obligations de payer, désormais, le texte ne
distingue plus selon que la prestation inexécutée consiste en une obligation de
donner, de faire ou de ne pas faire.

Toutes les obligations, quelle que soit leur nature, sont susceptibles de faire l’objet
d’une exécution forcée en nature.

Une interrogation demeure toutefois pour l’obligation de ne pas faire, dont on voit
mal comment elle pourrait donner lieu à une exécution forcée en nature. En effet,
contraindre le débiteur à s’abstenir de ne pas faire quelque chose que le contrat lui
interdit, reviendrait, par hypothèse, à porter une atteinte excessive à sa liberté
individuelle.

L’exécution forcée en nature est donc inenvisageable pour les obligations de ne pas
faire, à l’exception du cas prévu à l’article 1222 du Code civil qui autorise le
créancier à « détruire ce qui a été fait en violation » d’une obligation. Il pourra
alors « demander au débiteur le remboursement des sommes engagées à cette fin. »
En dehors du cas particulier de l’obligation de ne pas faire, l’exécution forcée en
nature est à la portée du créancier.

==> Absence de hiérarchisation des sanctions


À cet égard, elle figure en bonne place dans la liste des sanctions attachées à
l’inexécution du contrat énoncées à l’article 1217 du Code civil puisqu’elle figure
en deuxième place après l’exception d’inexécution.

Est-ce à dire que l’exécution forcée en nature prime les autres sanctions que sont la
réduction du prix ou la résolution du contrat ?

Dans le silence du texte, il y a lieu de considérer que le principe posé est le libre
choix de la sanction dont se prévaut le créancier.

Aussi, le créancier est-il libre de solliciter la résolution du contrat plutôt que


l’exécution forcée en nature.

À cet égard le rapport au Président de la république relatif à l’ordonnance du 10


février 2016 précise que l’ordre de l’énumération des sanctions énumérées
à l’article 1217 du Code civil n’a aucune valeur hiérarchique, le créancier victime
de l’inexécution étant libre de choisir la sanction la plus adaptée à la situation.

Au surplus, le choix fait par le créancier s’impose au juge dès lors que les
conditions d’application de la sanction invoquée sont réunies.

==> Possibilité de cumul des sanctions

Le dernier alinéa de l’article 1217 règle l’articulation entre les différentes sanctions
qui, en application de ce texte, peuvent se cumuler, dès lors qu’elles ne sont pas
incompatibles.

Que doit-on entendre par « sanctions incompatibles » ? L’article 1217 du Code


civil ne le dit pas.
Il est néanmoins possible de conjecturer, au regard de la jurisprudence antérieure,
que l’incompatibilité de sanctions se déduit des effets attachés à chacune d’elles.

Plusieurs combinaisons peuvent ainsi être envisagées :

 Exécution forcée en nature et résolution


 Tandis que l’exécution forcée en nature vise à contraindre le débiteur à
fournir la prestation ou la chose convenue, la résolution a pour effet
d’anéantir rétroactivement le contrat, soit de faire comme s’il n’avait
jamais exigé.
 Manifestement, les effets recherchés pour ces deux sortes de sanctions
sont radicalement opposés.
 Il en résulte que, en cas de défaillance du débiteur, exécution forcée en
nature et résolution ne sauraient se cumuler (V. en ce sens 3e  civ. 7 juin
1989, n°87-14083)
 Exécution forcée en nature et réduction du prix
 L’obtention d’une réduction de prix suppose que l’obligation dont se
prévaut le créancier n’a été qu’imparfaitement exécutée.
 Aussi, cette sanction vise-t-elle à ramener le prix au niveau de la
quotité ou de la qualité de la prestation qui a été effectivement fournie.
 De son côté, l’exécution forcée en nature vise plutôt à contraindre le
débiteur à parfaire l’exécution de l’obligation souscrite.
 Il n’est donc pas question ici, pour le créancier, de renoncer à la
quotité ou à la qualité de la prestation stipulée dans le contrat.
 Les objectifs recherchés pour les deux sanctions sont, là encore,
opposés.
 Exécution forcée en nature et réduction de prix sont, dans ces
conditions, incompatibles.
 Exécution forcée en nature et dommages et intérêts
 L’article 1217 du Code civil dispose que des dommages et intérêts
peuvent toujours être sollicités quelle que soit la sanction choisie par le
créancier.
 Il en résulte que l’exécution forcée en nature peut être cumulée avec
une demande d’octroi de dommages et intérêts.
 Ces derniers visent à indemniser le créancier pour le préjudice subi en
raison de l’inexécution totale ou partielle du contrat.
2. Conditions de mise en oeuvre
Pour que l’exécution forcée en nature puisse être mise en œuvre, plusieurs
conditions doivent être réunies :

 D’une part, la créance dont se prévaut le créancier doit être certaine, liquide
et exigible
 D’autre part, le débiteur doit avoir préalablement été mis en demeure de
s’exécuter
==> Caractère certain, liquide et exigible de la créance
Bien que les articles 1221 et 1222 du Code civil ne le prévoient pas expressément,
l’exécution forcée en nature ne se conçoit que si la créance dont se prévaut le
créancier est certaine, liquide et exigible.

 Sur le caractère certain de la créance


 Une créance présente un caractère certain lorsqu’elle est fondée dans
son principe.
 L’existence de la créance doit, autrement dit, être incontestable.
 C’est la une condition indispensable à la mise en œuvre de l’exécution
forcée en nature, ne serait-ce que parce que, à défaut de certitude de la
créance, le créancier échouera à obtenir un titre exécutoire et donc à
s’attacher les services d’un huissier de justice aux fins qu’il instrumente
une mesure d’exécution forcée.
 Sur le caractère exigible de la créance
 Une créance présente un caractère exigible lorsque le terme de
l’obligation est arrivé à l’échéance.
 Pour que l’exécution forcée en nature puisse être invoquée, encore
faut-il que la créance dont se prévaut le créancier soit exigible
 À défaut, il n’est pas fondé à en réclamer l’exécution et, par voie de
conséquence, obtenir l’exécution forcée en nature de l’obligation en
cause.
 Pour déterminer si une obligation est exigible, il convient de se
reporter au terme stipulé dans le contrat.
 À défaut de stipulation d’un terme, l’article 1305-3 du Code civil
dispose que « le terme profite au débiteur, s’il ne résulte de la loi, de la
volonté des parties ou des circonstances qu’il a été établi en faveur du
créancier ou des deux parties».
 Ainsi, le terme est-il toujours présumé être stipulé à la faveur du seul
débiteur.
 L’instauration de cette présomption se justifie par les effets du terme.
 La stipulation d’un terme constitue effectivement un avantage consenti
au débiteur, en ce qu’il suspend l’exigibilité de la dette.
 Le terme autorise donc le débiteur à ne pas exécuter la prestation
prévue au contrat.
 Il s’agit là d’une présomption simple, de sorte qu’elle peut être
combattue par la preuve contraire.
 Les parties ou la loi peuvent encore prévoir que le terme est stipulé,
soit à la faveur du seul créancier, soit à la faveur des deux parties au
contrat.
 Sur le caractère liquide de la créance
 Une créance présente un caractère liquide lorsqu’elle est susceptible
d’être évaluable en argent.
 À l’évidence, pour que l’exécution forcée en nature puisse être mise en
œuvre, encore faut-il que la prestation ou la chose promise soit
déterminée.
 À défaut, aucune exécution forcée ne saurait avoir lieu, faute de
détermination de son objet.
==> Mise en demeure
Les articles 1221 et 1222 du Code civil subordonnent la mise en œuvre de
l’exécution forcée en nature à la mise en demeure préalable du débiteur.

Pour rappel, la mise en demeure se définit comme l’acte par lequel le créancier
commande à son débiteur d’exécuter son obligation.

Elle peut prendre la forme, selon les termes de l’article 1344 du Code civil, soit
d’une sommation, soit d’un acte portant interpellation suffisante.

Au fond, l’exigence de mise en demeure préalable à toute demande d’exécution


forcée en nature vise à laisser une ultime chance au débiteur de s’exécuter.

À cet égard, l’absence de mise en demeure pourrait être invoquée par le débiteur
comme un moyen de défense au fond lequel est susceptible d’avoir pour effet de
tenir en échec la demande d’exécution forcée en nature formulée par le créancier.

Quant au contenu de la mise en demeure, l’acte doit comporter :

 Une sommation ou une interpellation suffisante du débiteur


 Le délai – raisonnable – imparti au débiteur pour se conformer à la mise en
demeure
 La menace d’une sanction
En application de l’article 1344 du Code civil, la mise en demeure peut être notifiée
au débiteur :

 Soit par voie de signification


 Soit au moyen d’une lettre missive
Par ailleurs, il ressort de l’article 1344 du Code civil que les parties au contrat
peuvent prévoir que l’exigibilité des obligations stipulées au contrat vaudra mise en
demeure du débiteur.

Dans cette hypothèse, la mise en œuvre de l’exécution forcée en nature ne sera


donc pas subordonnée à sa mise en demeure.

==> Titre exécutoire

Bien que les articles 1221 et 1222 du Code civil suggèrent qu’il suffit au créancier
de remplir les conditions énoncées ses textes pour que l’exécution forcée en nature
puisse être mise en œuvre, il n’en est rien.

Cette dernière est, en effet, subordonnée à l’obtention, par le créancier, d’un titre
exécutoire. L’article 111-2 du Code des procédures civiles d’exécution dispose en
ce sens que « le créancier muni d’un titre exécutoire constatant une créance
liquide et exigible peut en poursuivre l’exécution forcée sur les biens de son
débiteur dans les conditions propres à chaque mesure d’exécution. »
Pour rappel, par titre exécutoire, il faut entendre, au sens de l’article L. 111-3 du
Code des procédures civiles d’exécution :

 Les décisions des juridictions de l’ordre judiciaire ou de l’ordre administratif


lorsqu’elles ont force exécutoire, ainsi que les accords auxquels ces
juridictions ont conféré force exécutoire ;
 Les actes et les jugements étrangers ainsi que les sentences arbitrales
déclarés exécutoires par une décision non susceptible d’un recours suspensif
d’exécution, sans préjudice des dispositions du droit de l’Union européenne
applicables ;
 Les extraits de procès-verbaux de conciliation signés par le juge et les parties
;
 Les actes notariés revêtus de la formule exécutoire ;
 Les accords par lesquels les époux consentent mutuellement à leur divorce
par acte sous signature privée contresignée par avocats, déposés au rang des
minutes d’un notaire selon les modalités prévues à l’article 229-1 du code
civil ;
 Le titre délivré par l’huissier de justice en cas de non-paiement d’un chèque
ou en cas d’accord entre le créancier et le débiteur dans les conditions
prévues à l’article L. 125-1 ;
 Les titres délivrés par les personnes morales de droit public qualifiés comme
tels par la loi, ou les décisions auxquelles la loi attache les effets d’un
jugement.
À défaut de titre exécutoire, le droit pour le créancier à l’exécution forcée en nature
de sa créance n’est que purement théorique, en ce sens qu’il demeure privé de la
possibilité de requérir le ministère d’un huissier de justice pour mise en œuvre de
l’exécution proprement dite.

L’article 1er de l’ordonnance du 2 novembre 1945 prévoit, en effet, que « les


huissiers de justice sont les officiers ministériels qui ont seuls qualité pour […]
ramener à exécution les décisions de justice, ainsi que les actes ou titres en forme
exécutoire ».
Ainsi, les huissiers de justice ne sont autorisés à diligenter une procédure
d’exécution forcée qu’à la condition qu’ils justifient d’un titre exécutoire.

B) Exceptions
L’article 1221 du Code civil assortit le principe de l’exécution forcée en nature de
deux exceptions :

 L’existence d’une impossibilité d’exécution pour le débiteur


 L’existence d’une disproportion manifeste entre le coût pour le débiteur et
l’intérêt du créancier
1. L’impossibilité d’exécution pour le débiteur
L’article 1221 du Code civil pose que, dans l’hypothèse où il est avéré, que
l’exécution de l’obligation en cause est impossible, le créancier ne peut en
demander l’exécution forcée en nature.

Cette règle n’est pas sans faire écho à l’adage latin nullus tenetur ad
impossibile qui signifie « à l’impossible nul n’est tenu ».
Surtout, elle ne fait que consacrer la jurisprudence antérieure qui, très tôt, avait
admis que l’exécution forcée en nature soit exclue en cas d’impossibilité rencontrée
par le débiteur.

Reste que la Cour de cassation a tours eu une approche pour le moins restrictive de
cette exception dont le champ d’application était circonscrit à l’impossibilité :

 Matérielle : arrêt de la fabrication du modèle du véhicule vendu (  com., 5


octobre 1993, n°90-21.146), empiétement, s’il est impossible, de démolir et
reconstruire l’immeuble à l’emplacement prévu (Cass. 3e  civ., 15 février
1978, n°76-13.532)
 Juridique: dans un arrêt du 27 novembre 2008, la première chambre civile a,
par exemple, jugé que « viole l’article 1142 du code civil la cour d’appel qui
ordonne sous astreinte au propriétaire d’un local à usage d’habitation de
délivrer ce bien à celui avec qui il avait conclu un contrat de bail, alors
qu’elle avait relevé que ce local avait été loué à un tiers » (  1ère  civ., 27
novembre 2008, n°07-11282)
 Morale: tel est le cas lorsque l’obligation étant éminemment personnelle,
son exécution forcée porterait une atteinte trop forte aux droits et libertés
fondamentaux de celui qui y est tenu. À cet égard, dans un célèbre arrêt
Whistler du 14 mars 1900, la Cour de cassation, après avoir affirmé que le
contrat par lequel un artiste s’était engagé à peindre un portrait était « d’une
nature spéciale, en vertu duquel la propriété du tableau n’est définitivement
acquise à la partie qui l’a commandé, que lorsque l’artiste a mis ce tableau
à sa disposition, et qu’il a été agréé par elle », a approuvé la cour d’appel de
n’avoir pas ordonné l’exécution forcée de ce contrat au peintre qui refusait
de terminer son tableau, le condamnant uniquement à des dommages-intérêts
(  civ., 14 mars 1900)
En l’absence de précision de l’article 1221 du Code civil sur le domaine de
l’exception tenant à l’impossibilité pour le débiteur d’exécuter ses obligations, il est
fort probable que les solutions adoptées par la jurisprudence rendue sous l’empire
du droit antérieur à l’ordonnance du 10 février 2016 soient reconduites.

Pour s’en convaincre, il suffit de se reporter au Rapport au Président de la


République qui précise que « l’exécution forcée en nature ne peut être ordonnée en
cas d’impossibilité (matérielle, juridique ou morale, en particulier si elle porte
atteinte aux libertés individuelles du débiteur) ».
2. L’existence d’une disproportion manifeste entre le coût pour le débiteur et
l’intérêt du créancier
L’impossibilité pour le débiteur d’exécuter la prestation promise n’est pas la seule
exception au principe d’exécution forcée en nature.

L’ordonnance du 10 février 2016 a ajouté une nouvelle exception : l’exécution en


nature ne peut être poursuivie s’il existe une disproportion manifeste entre son coût
pour le débiteur et son intérêt pour le créancier.

Cette nouvelle exception, selon le Rapport au Président de la République est


directement inspirée des projets européens d’harmonisation du droit des contrats.
Au fond, elle vise à éviter certaines décisions jurisprudentielles très contestées :
lorsque l’exécution forcée en nature est extrêmement onéreuse pour le débiteur sans
que le créancier y ait vraiment intérêt, il apparaît en effet inéquitable et injustifié
que celui-ci puisse l’exiger, alors qu’une condamnation à des dommages et intérêts
pourrait lui fournir une compensation adéquate pour un prix beaucoup plus réduit.

Tel est le cas, lorsque par exemple, l’acquéreur d’une maison individuelle contraint
le constructeur à la démolir pour la reconstruire, considérant que « le niveau de la
construction présentait une insuffisance de 0,33 mètre par rapport aux stipulations
contractuelles ». Nonobstant le coût des travaux à supporter par le constructeur, la
Cour de cassation avait considéré que « la partie envers laquelle l’engagement n’a
point été exécuté peut forcer l’autre à l’exécution de la convention lorsqu’elle est
possible » (Cass. 3e  civ., 11 mai 2005, n° 03-21136).
La nouvelle exception introduite à l’article 1221 du Code civil a été présentée par
le législateur comme une déclinaison de l’abus de droit, formulée de façon plus
précise, pour encadrer l’appréciation du juge et offrir une sécurité juridique accrue.

Aussi, commettrait un abus de droit le créancier qui exigerait cette exécution alors
que l’intérêt qu’elle lui procurerait serait disproportionné au regard du coût qu’elle
représenterait pour le débiteur et que des dommages et intérêts pourraient lui
fournir une compensation adéquate à un prix inférieur pour le débiteur.

La Cour de cassation semble avoir elle-même ouvert la voie en censurant un arrêt


qui avait ordonné la démolition d’un ouvrage au motif que la cour d’appel n’avait
pas recherché si cette démolition « constituait une sanction disproportionnée à la
gravité des désordres et des non-conformités qui l’affectaient » (Cass., 3ème civ.,
15 octobre 2015, n° 14-23.612).
En inscrivant cette exception dans la loi, les rédacteurs de l’ordonnance ont entendu
mettre fin à ces hésitations de la jurisprudence, tout en limitant au maximum le jeu
de cette exception qui constitue une atteinte à la force obligatoire du contrat.

En tout état de cause, pour faire échec à la demande d’exécution forcée en nature
du créancier le débiteur devra démontrer qu’il existe une disproportion entre le coût
de l’exécution et l’intérêt pour le créancier de la mise en œuvre de cette exécution.

C’est donc à un test de proportionnalité que les juridictions vont devoir se livrer
pour apprécier l’application de l’exception au principe de l’exécution forcée en
nature dont ne priveront pas d’invoquer les débiteurs en délicatesse avec les
stipulations contractuelles.
La rédaction retenue pour l’article 1221 soulève cependant plusieurs interrogations
de la part de la doctrine et des praticiens du droit.

L’exigence d’une « disproportion manifeste » entre le coût pour le débiteur et


l’intérêt pour le créancier est certes plus précise et moins critiquée que la formule
qui avait été retenue initialement dans le projet d’ordonnance, selon laquelle
l’exécution en nature devait être écartée si son coût était « manifestement
déraisonnable », cette appréciation ne prenant en considération que la situation du
débiteur.
Toutefois, loin de priver la Cour de cassation de tout rôle normatif en ce domaine,
la réforme soulève de nouvelles questions auxquelles elle devra répondre pour
assurer l’unification de l’interprétation du nouveau droit des contrats.

La principale crainte exprimée est celle de voir dans l’article 1221 du Code civil
une incitation pour le débiteur à exécuter son obligation de manière imparfaite
toutes les fois où le gain attendu de cette inexécution sera supérieur aux dommages
et intérêts qu’il pourrait être amené à verser, c’est-à-dire permettre au débiteur de
mauvaise foi de profiter de sa « faute lucrative ».
Sans aller jusqu’à évoquer de véritables gains pour le débiteur, n’est-il pas à
craindre qu’un constructeur ne pouvant honorer tous les contrats qu’il a en cours
choisisse de privilégier l’exécution parfaite de certains contrats au détriment
d’autres contrats, n’encourant plus l’exécution forcée en nature, le cas échéant très
coûteuse, mais seulement le versement de dommages et intérêts ?

Pour résoudre cette difficulté, et éviter ce genre de calculs du débiteur, il a été


précisé dans le texte qu’en cas de disproportion manifeste du coût pour le débiteur
au regard de l’intérêt pour le créancier, il ne pourrait être fait échec à la demande
d’exécution forcée en nature qu’au bénéfice du débiteur de bonne foi.

La question se pose encore de savoir si l’intérêt pour le créancier doit s’apprécier


objectivement ou subjectivement ? Autrement dit, doit-on tenir compte des
conséquences matérielles et financières sur la situation du créancier (appréciation
subjective) ou doit-on ne se focaliser que sur les conséquences de l’inexécution
contractuelle sur l’économie de l’opération (appréciation objective) ?

Dans le même sens, le coût de l’exécution forcée doit-il s’apprécier au regard du


prix de la prestation fixée contractuellement ou au regard de la situation financière
du débiteur ?
Ce sont là, autant de questions auxquels la jurisprudence devra répondre, faute de
précisions apportées par le législateur sur les critères d’application de l’exception
ainsi posée.

II) L’exécution forcée en nature qui intéresse l’intervention d’un tiers


L’article 1222 du Code civil prévoit que « après mise en demeure, le créancier
peut aussi, dans un délai et à un coût raisonnables, faire exécuter lui-même
l’obligation ou, sur autorisation préalable du juge, détruire ce qui a été fait en
violation de celle-ci. »
À l’analyse, cette disposition octroie au créancier une alternative en lui permettant,
au lieu de poursuivre l’exécution forcée de l’obligation concernée, de faire exécuter
lui-même l’obligation ou détruire ce qui a été mal exécuté après mise en demeure
du débiteur, et de solliciter ensuite du débiteur le remboursement des sommes
exposées pour ce faire.

Ce mécanisme, que l’on appelle la faculté de remplacement) n’est pas nouveau,


puisqu’il reprend en substance les anciens articles 1143 et 1144 et ne fait, au fond.

L’ordonnance du 10 février 2016 innove néanmoins en abandonnant l’exigence


d’obtention d’une autorisation judiciaire pour que puisse être exercée cette faculté,
sauf à ce qu’il s’agisse de détruire ce qui a été fait en violation d’une obligation
contractuelle.

L’article 1222 du Code civil doit ainsi être lu comme posant un principe, lequel
principe est assorti d’une exception.

A) Principe : la faculté discrétionnaire de remplacement


Grande nouveauté introduite par la réforme du droit des obligations, l’article
1222 du Code civil facilite la faculté de remplacement par le créancier lui-même,
puisqu’il supprime l’exigence d’une autorisation judiciaire préalable pour faire
procéder à l’exécution de l’obligation, le contrôle du juge n’intervenant qu’a
posteriori en cas de refus du débiteur de payer ou de contestation de celui-ci.

En somme la faculté de remplacement conféré au créancier lui permet de solliciter


les services d’un tiers aux fins qu’il exécute lui-même l’obligation de faire ce qui
incombait au débiteur défaillant.
L’article 1222 précise que, en pareille circonstance, le créancier peut demander au
débiteur le remboursement des sommes engagées à cette fin.

==> Domaine

La faculté de remplacement dont est titulaire le créancier peut être exercée pour
toutes les obligations de faire, dès lors que le résultat recherché et prévu dans le
contrat peut être atteint.

Son domaine naturel d’élection est celui des obligations de fournir un bien
mobilier. Ainsi, l’acheteur qui n’a pas été livré de la chose convenue, peut exiger
qu’elle lui soit fournie par un tiers en cas de manquement par le vendeur à son
obligation de délivrance.

L’exercice de la faculté de remplacement est également admis en matière de contrat


d’entreprise.

La jurisprudence admet régulièrement en ce sens que le maître d’ouvrage puisse


faire réaliser les travaux convenus par une entreprise autre que celle à qui le marché
a initialement été confié.

Il en va de même pour le preneur qui, en cas d’inaction de son bailleur, peut faire
solliciter les services d’un tiers pour que soient effectuées les réparations
nécessaires à la jouissance paisible de la chose louée.

==> Conditions

L’exercice de la faculté de remplacement conférée au créancier est subordonné à la


réunion de trois conditions cumulatives :

 Première condition : la mise en demeure du débiteur


 La faculté de remplacement ne peut être exercée par le créancier qu’à
la condition que le débiteur ait été mis en demeure de s’exécuter.
 Il convient de le prévenir sur le risque auquel il s’expose en cas
d’inaction, soit de devoir supporter le coût de la prestation fournie par un
tiers.
 La mise en demeure que le créancier adresse au débiteur doit répondre
aux exigences énoncées aux articles 1344 et suivants du Code civil.
 Deuxième condition : l’observation d’un délai raisonnable
 La faculté de remplacement dont dispose le créancier ne pourra être
envisagée qu’à la condition que ce dernier ait attendu un délai
raisonnable entre la date d’échéance de l’obligation et la sollicitation
d’un tiers, ne serait-ce que parce qu’il a l’obligation d’adresser, au
préalable, une mise en demeure.
 Aussi, le débiteur doit-il disposer du temps nécessaire pour régulariser
sa situation.
 Reste à déterminer ce que l’on doit entendre par délai raisonnable
 Sans doute doit-on considérer que le délai raisonnable commence à
courir à compter de la mise en demeure du débiteur.
 Quant au quantum de ce délai, il conviendra de prendre en compte,
tout autant les impératifs du créancier, que la situation du débiteur.
 Troisième condition : le respect d’un coût raisonnable
 Dernière condition devant être remplie pour que le créancier soit fondé
à exercer la faculté de remplacement que lui octroie l’article 1222, le coût
de l’intervention du tiers doit être raisonnable
 L’appréciation du caractère raisonnable de ce coût devra s’apprécier
au regard du montant de la prestation stipulée dans le contrat.
 L’intervention du tiers ne devra pas, en d’autres termes, engendrer des
frais disproportionnés eu égard l’obligation à laquelle s’était engagé
initialement le débiteur
B) Exception : l’exigence d’une autorisation judiciaire
Dans le cadre de l’exercice de la faculté de remplacement, l’obtention d’une
autorisation judiciaire est exigée dans deux cas :

==> La destruction de ce qui a été fait en violation d’une obligation


contractuelle

Si, l’ordonnance du 10 février 2016 a supprimé l’exigence d’une autorisation


judiciaire préalable pour faire procéder à l’exécution de l’obligation inexécutée par
un tiers, elle maintient, en revanche, la nécessité d’une autorisation pour obtenir la
destruction de ce qui a été réalisé en contravention de l’obligation, compte tenu du
caractère irrémédiable d’une telle destruction afin d’éviter les abus de la part du
créancier.
Reprenant les termes de l’ancien article 1444 du Code civil, le second alinéa de
l’article 1222 oblige ainsi le créancier à saisir le juge, lorsqu’il s’agit de faire
détruire ce qui a été fait en violation d’une disposition contractuelle.

Le texte ajoute que le créancier peut « demander au débiteur le remboursement des


sommes engagées à cette fin.. »
Reste que c’est au juge, dans cette hypothèse, qu’il reviendra de trancher, soit
d’autoriser ou de refuser l’intervention d’un tiers.

==> Le versement d’une avance sur frais exposés

Le second alinéa de l’article 1222 du Code civil complète le dispositif encadrant la


faculté de remplacement conférée au créancier en lui permettant de solliciter la
condamnation du débiteur à faire l’avance des sommes nécessaires à l’exécution ou
la destruction en cause.

Ainsi, lorsque le créancier ne souhaite pas supporter temporairement le coût de


l’intervention du tiers dans l’attente d’être remboursé par le débiteur, il n’aura
d’autre choix que de saisir le juge.

Cette obligation de saisir le juge vaut, tant lorsqu’il s’agit pour le créancier
d’exercer sa faculté de remplacement, que lorsqu’il s’agit de faire détruire ce qui a
été fait en violation d’une obligation contractuelle.
Sanction de l’inexécution du contrat: la faculté de remplacement du créancier
24 SEPTEMBRE 2019 / AURÉLIEN BAMDÉ / POSTER UN
COMMENTAIRE
L’article 1222 du Code civil prévoit que « après mise en demeure, le créancier
peut aussi, dans un délai et à un coût raisonnables, faire exécuter lui-même
l’obligation ou, sur autorisation préalable du juge, détruire ce qui a été fait en
violation de celle-ci. »
À l’analyse, cette disposition octroie au créancier une alternative en lui permettant,
au lieu de poursuivre l’exécution forcée de l’obligation concernée, de faire exécuter
lui-même l’obligation ou détruire ce qui a été mal exécuté après mise en demeure
du débiteur, et de solliciter ensuite du débiteur le remboursement des sommes
exposées pour ce faire.
Ce mécanisme, que l’on appelle la faculté de remplacement) n’est pas nouveau,
puisqu’il reprend en substance les anciens articles 1143 et 1144 et ne fait, au fond.

L’ordonnance du 10 février 2016 innove néanmoins en abandonnant l’exigence


d’obtention d’une autorisation judiciaire pour que puisse être exercée cette faculté,
sauf à ce qu’il s’agisse de détruire ce qui a été fait en violation d’une obligation
contractuelle.

L’article 1222 du Code civil doit ainsi être lu comme posant un principe, lequel
principe est assorti d’une exception.

I) Principe : la faculté discrétionnaire de remplacement


Grande nouveauté introduite par la réforme du droit des obligations, l’article
1222 du Code civil facilite la faculté de remplacement par le créancier lui-même,
puisqu’il supprime l’exigence d’une autorisation judiciaire préalable pour faire
procéder à l’exécution de l’obligation, le contrôle du juge n’intervenant qu’a
posteriori en cas de refus du débiteur de payer ou de contestation de celui-ci.

En somme la faculté de remplacement conféré au créancier lui permet de solliciter


les services d’un tiers aux fins qu’il exécute lui-même l’obligation de faire ce qui
incombait au débiteur défaillant.

L’article 1222 précise que, en pareille circonstance, le créancier peut demander au


débiteur le remboursement des sommes engagées à cette fin.

==> Domaine

La faculté de remplacement dont est titulaire le créancier peut être exercée pour
toutes les obligations de faire, dès lors que le résultat recherché et prévu dans le
contrat peut être atteint.

Son domaine naturel d’élection est celui des obligations de fournir un bien
mobilier. Ainsi, l’acheteur qui n’a pas été livré de la chose convenue, peut exiger
qu’elle lui soit fournie par un tiers en cas de manquement par le vendeur à son
obligation de délivrance.
L’exercice de la faculté de remplacement est également admis en matière de contrat
d’entreprise.

La jurisprudence admet régulièrement en ce sens que le maître d’ouvrage puisse


faire réaliser les travaux convenus par une entreprise autre que celle à qui le marché
a initialement été confié.

Il en va de même pour le preneur qui, en cas d’inaction de son bailleur, peut faire
solliciter les services d’un tiers pour que soient effectuées les réparations
nécessaires à la jouissance paisible de la chose louée.

==> Conditions

L’exercice de la faculté de remplacement conférée au créancier est subordonné à la


réunion de trois conditions cumulatives :

 Première condition : la mise en demeure du débiteur


 La faculté de remplacement ne peut être exercée par le créancier qu’à
la condition que le débiteur ait été mis en demeure de s’exécuter.
 Il convient de le prévenir sur le risque auquel il s’expose en cas
d’inaction, soit de devoir supporter le coût de la prestation fournie par un
tiers.
 La mise en demeure que le créancier adresse au débiteur doit répondre
aux exigences énoncées aux articles 1344 et suivants du Code civil.
 Deuxième condition : l’observation d’un délai raisonnable
 La faculté de remplacement dont dispose le créancier ne pourra être
envisagée qu’à la condition que ce dernier ait attendu un délai
raisonnable entre la date d’échéance de l’obligation et la sollicitation
d’un tiers, ne serait-ce que parce qu’il a l’obligation d’adresser, au
préalable, une mise en demeure.
 Aussi, le débiteur doit-il disposer du temps nécessaire pour régulariser
sa situation.
 Reste à déterminer ce que l’on doit entendre par délai raisonnable
 Sans doute doit-on considérer que le délai raisonnable commence à
courir à compter de la mise en demeure du débiteur.
 Quant au quantum de ce délai, il conviendra de prendre en compte,
tout autant les impératifs du créancier, que la situation du débiteur.
 Troisième condition : le respect d’un coût raisonnable
 Dernière condition devant être remplie pour que le créancier soit fondé
à exercer la faculté de remplacement que lui octroie l’article 1222, le coût
de l’intervention du tiers doit être raisonnable
 L’appréciation du caractère raisonnable de ce coût devra s’apprécier
au regard du montant de la prestation stipulée dans le contrat.
 L’intervention du tiers ne devra pas, en d’autres termes, engendrer des
frais disproportionnés eu égard l’obligation à laquelle s’était engagé
initialement le débiteur
II) Exception : l’exigence d’une autorisation judiciaire
Dans le cadre de l’exercice de la faculté de remplacement, l’obtention d’une
autorisation judiciaire est exigée dans deux cas :

==> La destruction de ce qui a été fait en violation d’une obligation


contractuelle

Si, l’ordonnance du 10 février 2016 a supprimé l’exigence d’une autorisation


judiciaire préalable pour faire procéder à l’exécution de l’obligation inexécutée par
un tiers, elle maintient, en revanche, la nécessité d’une autorisation pour obtenir la
destruction de ce qui a été réalisé en contravention de l’obligation, compte tenu du
caractère irrémédiable d’une telle destruction afin d’éviter les abus de la part du
créancier.

Reprenant les termes de l’ancien article 1444 du Code civil, le second alinéa de


l’article 1222 oblige ainsi le créancier à saisir le juge, lorsqu’il s’agit de faire
détruire ce qui a été fait en violation d’une disposition contractuelle.

Le texte ajoute que le créancier peut « demander au débiteur le remboursement des


sommes engagées à cette fin.. »
Reste que c’est au juge, dans cette hypothèse, qu’il reviendra de trancher, soit
d’autoriser ou de refuser l’intervention d’un tiers.

==> Le versement d’une avance sur frais exposés

Le second alinéa de l’article 1222 du Code civil complète le dispositif encadrant la


faculté de remplacement conférée au créancier en lui permettant de solliciter la
condamnation du débiteur à faire l’avance des sommes nécessaires à l’exécution ou
la destruction en cause.
Ainsi, lorsque le créancier ne souhaite pas supporter temporairement le coût de
l’intervention du tiers dans l’attente d’être remboursé par le débiteur, il n’aura
d’autre choix que de saisir le juge.

Cette obligation de saisir le juge vaut, tant lorsqu’il s’agit pour le créancier
d’exercer sa faculté de remplacement, que lorsqu’il s’agit de faire détruire ce qui a
été fait en violation d’une obligation contractuelle.
L’exception d’inexécution: domaine, conditions, effets
18 SEPTEMBRE 2019 / AURÉLIEN BAMDÉ / POSTER UN
COMMENTAIRE
L’article 1217, al. 1er du Code civil dispose que la partie envers laquelle
l’engagement n’a pas été exécuté, ou l’a été imparfaitement, peut :
 Soit refuser d’exécuter ou suspendre l’exécution de sa propre obligation ;
 Soit poursuivre l’exécution forcée en nature de l’obligation ;
 Soit obtenir une réduction du prix ;
 Soit provoquer la résolution du contrat ;
 Soit demander réparation des conséquences de l’inexécution.
Au nombre des sanctions de l’inexécution d’une obligation figure ainsi ce que l’on
appelle l’exception d’inexécution.

==> Définition
L’exception d’inexécution, ou « exceptio non adimpleti contractus », est définie
classiquement comme le droit, pour une partie, de suspendre l’exécution de ses
obligations tant que son cocontractant n’a pas exécuté les siennes.
Il s’agit, en quelque sorte, d’un droit de légitime défense contractuelle susceptible
d’être exercé, tant par le créancier, que par le débiteur :

 Lorsque l’exception d’inexécution est exercée par le créancier elle


s’apparente à un moyen de pression, en ce sens qu’elle lui permet, en
refusant de fournir sa prestation, de contraindre le débiteur à exécuter ses
propres obligations
 Lorsque l’exception d’inexécution est exercée par le débiteur, elle remplit
plutôt la fonction de garantie, en ce sens qu’elle lui permet de neutraliser
l’action de son créancier tant que la prestation promise n’a pas été fournie
==> Origines
Jusqu’à l’adoption de l’ordonnance du 10 février 2016, le Code civil ne
reconnaissait aucune portée générale à l’exception d’inecécution qui n’était
envisagée que par certaines dispositions traitant de contrats spéciaux :

 En matière de contrat de vente


 L’article 1612 du Code civil dispose que « le vendeur n’est pas tenu
de délivrer la chose, si l’acheteur n’en paye pas le prix, et que le vendeur
ne lui ait pas accordé un délai pour le paiement.»
 L’article 1612 énonce encore que « il ne sera pas non plus obligé à la
délivrance, quand même il aurait accordé un délai pour le paiement, si,
depuis la vente, l’acheteur est tombé en faillite ou en état de déconfiture,
en sorte que le vendeur se trouve en danger imminent de perdre le prix ;
à moins que l’acheteur ne lui donne caution de payer au terme.»
 L’article 1653 prévoit que « si l’acheteur est troublé ou a juste sujet
de craindre d’être troublé par une action, soit hypothécaire, soit en
revendication, il peut suspendre le paiement du prix jusqu’à ce que le
vendeur ait fait cesser le trouble, si mieux n’aime celui-ci donner
caution, ou à moins qu’il n’ait été stipulé que, nonobstant le trouble,
l’acheteur paiera. »
 En matière de contrat d’échange, l’article 1704 dispose que « si l’un des
copermutants a déjà reçu la chose à lui donner en échange, et qu’il prouve
ensuite que l’autre contractant n’est pas propriétaire de cette chose, il ne
peut pas être forcé à livrer celle qu’il a promise en contre-échange, mais
seulement à rendre celle qu’il a reçue.»
 En matière de contrat d’entreprise, l’article 1799-1 prévoit que « tant
qu’aucune garantie n’a été fournie et que l’entrepreneur demeure impayé
des travaux exécutés, celui-ci peut surseoir à l’exécution du contrat après
mise en demeure restée sans effet à l’issue d’un délai de quinze jours»
 En matière de contrat de dépôt, l’article 1948 prévoit que « le dépositaire
peut retenir le dépôt jusqu’à l’entier paiement de ce qui lui est dû à raison
du dépôt».
==> Généralisation jurisprudentielle

Bien que réservée, sinon contre (Cass. req., 1er déc. 1897), l’extension du champ
d’application de l’exception d’inexécution en dehors des textes où elle était
envisagée, la jurisprudence, sous l’impulsion des travaux de grande qualité de René
Cassin, a finalement admis qu’elle puisse être généralisée à l’ensemble des contrats
synallagmatiques.
Dans un arrêt du 5 mars 1974, la Cour de cassation a, par exemple, jugé que « le
contractant poursuivi en exécution de ses obligations, et qui estime que l’autre
partie n’a pas exécuté les siennes, a toujours le choix entre la contestation
judiciaire et l’exercice à ses risques et périls de l’exception d’inexécution » (Cass.
civ. 1re, 5 mars 1974)
La généralisation, par la jurisprudence, de l’exception d’inexécution reposait sur
deux principaux arguments qui consistaient à dire que :

 D’une part, en autorisant la partie envers laquelle l’engagement n’a pas été
exécuté à forcer l’autre à l’exécution de la convention, l’ancien article 1184,
al. 2 du Code civil n’interdisait nullement le recours à l’exception
d’inexécution dans la mesure où elle consiste précisément en un moyen
indirect de provoquer l’exécution du contrat
 D’autre part, on ne saurait voir dans les textes qui envisagent l’exception
d’inexécution une portée restrictive, mais une application d’un principe
général
==> Consécration légale

Si la réforme des sûretés avait amorcé la généralisation de l’exception


d’inexécution en introduisant un article 2286 qui confère un droit de rétention sur la
chose à « celui dont la créance impayée résulte du contrat qui l’oblige à la livrer »,
c’est l’ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des obligations qui
l’érige en principe général.
Désormais, l’exception d’inexécution est présentée, à l’article 1217 du Code civil,
comme la première des sanctions dont dispose le créancier d’une obligation en
souffrance. Les articles 1219 et 1220 en définissent quant à eux le régime.

Tandis que le premier de ces articles pose les conditions d’exercice de l’exception
d’inexécution, le second autorise, et c’est là une nouveauté, le créancier à mettre en
œuvre cette sanction de façon anticipée.

I) Le domaine de l’exception d’inexécution


==> Droit antérieur

Classiquement, la sanction que constitue l’exception d’inexécution est associée aux


contrats synallagmatiques.
Pour mémoire, un contrat est synallagmatique lorsque les contractants s’obligent
réciproquement l’un envers l’autre.

En d’autres termes, le contrat synallagmatique crée des obligations réciproques et


interdépendantes à la charge des deux parties. Chaque partie est donc tout à la fois
créancier et débiteur. L’interdépendance et la réciprocité des obligations sont ce qui
caractérise les contrats synallagmatiques.

Sous l’empire du droit antérieur à l’ordonnance du 10 février 2016, si l’exception


d’inexécution n’était envisagée par le Code civil que pour des contrats
synallagmatiques, tels que la vente, l’échange ou encore le dépôt, à l’examen son
domaine ne se limitait pas à cette typologie de contrats.

En effet, l’exception d’inexécution a été envisagée, tantôt par la jurisprudence,


tantôt par la doctrine, dans d’autres cas :

 Dans les contrats synallagmatiques imparfaits


 Il s’agit de contrats qui sont unilatéraux au moment de la formation de
l’acte, car ne créant d’obligations qu’à la charge d’une seule partie, et qui
au cours de son exécution donne naissance à des obligations réciproques
de sorte que le créancier devient également débiteur.
 Exemple  : dans le cadre de l’exécution d’un contrat de dépôt, le
dépositaire sur lequel ne pèse aucune obligation particulière lors de la
formation du contrat, peut se voir mettre à charge une obligation si,
en cours d’exécution de la convention, le dépositaire expose des frais
de conservation
 Très tôt, la jurisprudence a admis que les contrats synallagmatiques
imparfaits puissent donner lieu à l’exercice de l’exception d’inexécution
par une partie.
 Cette jurisprudence repose sur l’idée que l’obligation qui naît au cours
de l’exécution du contrat existait, en réalité, au moment de la formation
de l’acte, à tout le moins les parties ne pouvaient pas ignorer qu’elle
puisse naître, de sorte que l’obligation originaire et l’obligation
éventuelle se servent mutuellement de cause.
 Dans les rapports d’obligations qui résultent de quasi-contrat
 La jurisprudence considère que dès lors qu’un quasi-contrat est
susceptible de créer des obligations réciproques entre les parties,
l’exception d’inexécution peut être invoquée.
 Il en va ainsi, notamment, en matière de gestion d’affaires qui oblige
le gérant d’affaires à continuer la gestion engagée en contrepartie de quoi
il échoit au maître de l’affaire de l’indemniser de tous les frais exposés.
 À cet égard, dans un arrêt du 15 janvier 1904, la Cour de cassation a
jugé que « le mandataire auquel il doit être assimilé quand, comme dans
l’espèce, l’utilité de sa gestion est reconnue, le gérant d’affaires a, par
application de la règle inscrite dans l’article 1948 en faveur du
dépositaire, le droit de retenir la chose qu’il a gérée jusqu’au payement
de tout ce qui lui est dû à raison de sa gestion» (  civ. 15 janv. 1904).
 Dans les rapports d’obligations qui résultent de la loi
 En doctrine, la question s’est rapidement posée de savoir si l’exception
d’inexécution ne pouvait pas également être admise dans les rapports
d’obligations qui résultent de la loi.
 En effet, le contrat n’ayant pas le monopole de la création des
obligations connexes et réciproques, certains auteurs en ont déduit que
rien n’interdirait que l’exception d’inexécution puisse être invoquée dans
le cadre de rapports d’obligations créés par la loi, tels que le lien
matrimonial qui existe entre les époux ou encore le lien de filiation qui
existe entre l’adoptant et l’adopté.
 Cette thèse pourrait donc conduire à admettre que l’un des membres
du couple suspende l’exécution de l’une de ses obligations (devoir de
cohabitation par exemple) à l’exécution par son conjoint de ses propres
obligations.
 Aussi, une partie de la doctrine milite pour que le domaine de
l’exception d’inexécution ne se limite pas au domaine contractuel et soit
étendu à l’ensemble des rapports synallagmatiques.
 Reste que pour que l’exception d’inexécution puisse être invoquée, il
ne suffit pas que les obligations créées entre les parties soient
réciproques, il faut encore qu’elles soient interdépendantes, soit qu’elles
se servent mutuellement de cause.
 Or dans le cadre du rapport juridique créé par la loi dans le cadre du
mariage par exemple, il n’existe aucune interdépendance entre les
obligations des époux.
 L’exception d’inexécution pourrait, dans ces conditions, difficilement
justifier la suspension du devoir conjugal dans l’attente de l’exécution de
l’obligation de contribution aux charges du mariage.
==> L’ordonnance du 10 février 2016
Les projets Catala et Terré avaient expressément circonscrit la mise en œuvre de
l’exception d’inexécution au domaine des contrats synallagmatique.

Le projet Terré prévoyait en ce sens que « si, dans un contrat synallagmatique, une
partie n’exécute pas son obligation, l’autre peut refuser, totalement ou
partiellement, d’exécuter la sienne, à condition que ce refus ne soit pas
disproportionné au regard du manquement ».
Ce cantonnement de l’exception d’inexécution au domaine des contrats
synallagmatiques n’a manifestement pas été repris par l’ordonnance du 10 février
2016 portant réforme du droit des obligations.

Le silence de l’article 1219 du Code civil sur le domaine de l’exception


d’inexécution suggère, en effet, que cette sanction peut faire l’objet d’une
application en dehors du cadre contractuelle, conformément à la jurisprudence
antérieure.

Aussi, il est fort probable que l’exception d’inexécution puisse jouer toutes les fois
qu’il sera démontré l’existence d’un rapport juridique qui met aux prises des
obligations réciproques et interdépendantes.

II) Les conditions de l’exception d’inexécution


Nouveauté de la réforme des obligations, l’article 1220 du Code civil prévoit la
possibilité pour le créancier d’exercer l’exception d’inexécution par anticipation,
soit avant que la défaillance du débiteur ne survienne.

Aussi, les conditions de l’exception d’inexécution diffèrent, selon que la


défaillance du débiteur est avérée ou selon qu’elle est à venir.

A) L’exercice de l’exception d’inexécution consécutivement à une inexécution


avérée
La mise en œuvre de l’exception d’inexécution est subordonnée à la réunion de
trois conditions cumulatives qui tiennent :

 Aux obligations des parties


 À l’inexécution d’une obligation
 À l‘exercice de la sanction
1. Les conditions tenant aux obligations des parties
==> Exigence de réciprocité des obligations
L’exception d’inexécution ne se conçoit qu’en présence d’obligations réciproques,
ce qui implique que les parties endossent l’une envers l’autre tout à la fois la qualité
de créancier et de débiteur.

L’exception d’inexécution ne présente, en effet, d’intérêt que si le créancier peut


exercer un moyen de pression sur son débiteur. Or ce moyen de pression consiste
en la suspension de ses propres obligations. En l’absence de réciprocité, cette
suspension s’avérera impossible dans la mesure où le créancier n’est débiteur
d’aucune obligation envers son cocontractant.

À cet égard, comment le bénéficiaire d’un don pourrait-il exercer l’exception


d’inexécution alors qu’il n’est débiteur d’aucune obligation envers le donateur ? De
toute évidence, le donataire sera bien en peine de suspendre l’exécution
d’obligations qui ne lui incombent pas.

C’est la raison pour laquelle, l’existence d’une réciprocité des obligations est
primordiale. L’exception d’inexécution puise sa raison d’être dans cette réciprocité.

==> Exigence d’interdépendance des obligations

Bien que l’article 1219 du Code civil n’exige pas expressément que les obligations
des parties soient interdépendantes pour que l’exception d’inexécution puisse jouer,
il définit néanmoins cette sanction comme « la possibilité offerte à une partie de ne
pas exécuter son obligation si l’autre n’exécute pas la sienne ».
L’exigence d’interdépendance est ici sous-jacente : l’exception d’inexécution est
subordonnée à la démonstration par le créancier que la créance inexécutée dont il se
prévaut est issue d’un rapport juridique ayant donné naissance à l’obligation qui lui
échoit envers son débiteur.

Un lien d’interdépendance (de connexité) doit donc exister entre les deux
obligations réciproques. Pour être interdépendances, ces obligations doivent se
servir mutuellement de cause, soit avoir été envisagées par les parties comme la
contrepartie de l’une à l’autre.

Ainsi, dans le contrat de vente, le prix est stipulé en contrepartie d’une chose,
raison pour laquelle on dit que les obligations de délivrance de la chose et de
paiement du prix sont interdépendantes.
==> Exigence du caractère certain, liquide et exigible de la créance du
créancier

Pour que le créancier soit fondé à se prévaloir de l’exception d’inexécution il doit


justifier d’une créance au moins certaine et exigible. Quant à l’exigence de liquidité
de la créance, la jurisprudence est partagée.

 Sur le caractère certain de la créance


 Une créance présente un caractère certain lorsqu’elle est fondée dans
son principe.
 L’existence de la créance doit, autrement dit, être incontestable.
 Pour que l’exception d’inexécution puisse jouer, la créance du
créancier doit être certaine, à défaut de quoi il y aurait là quelque chose
d’injuste à suspendre l’exécution d’une obligation dont l’existence est
contestable.
 Aussi, cela explique-t-il pourquoi en matière de bail la Cour de
cassation dénie au locataire le droit d’exercer l’exception d’inexécution
en réaction au refus du bailleur d’effectuer des travaux (  com., 30 mai
2007, n° 06-19.068)
 Tant que la question de savoir si la demande de réalisation de travaux
n’est pas tranchée par un juge, la créance dont se prévaut le locataire
n’est pas fondée dans son principe ; elle demeure hypothétique.
 Dans un arrêt du 7 juillet 1955, la Cour de cassation a considéré en ce
sens que « les preneurs ne peuvent pour refuser le paiement des
fermages échus, qui constituent une créance certaine, liquide et exigible,
opposer au bailleur l’inexécution par lui de travaux qui représentent une
créance incertaine» (  soc., 7 juill. 1955)
 Sur le caractère exigible de la créance
 Une créance présente un caractère exigible lorsque le terme de
l’obligation est arrivé à l’échéance.
 Pour que l’exception d’inexécution puisse être invoquée, encore faut-il
que la créance dont se prévaut l’excipiens soit exigible
 À défaut, il n’est pas fondé à en réclamer l’exécution et, par voie de
conséquence, à suspendre l’exécution de ses propres obligations
 Pour déterminer si une obligation est exigible, il convient de se
reporter au terme stipulé dans le contrat.
 À défaut de stipulation d’un terme, l’article 1305-3 du Code civil
dispose que « le terme profite au débiteur, s’il ne résulte de la loi, de la
volonté des parties ou des circonstances qu’il a été établi en faveur du
créancier ou des deux parties».
 Ainsi, le terme est-il toujours présumé être stipulé à la faveur du seul
débiteur.
 L’instauration de cette présomption se justifie par les effets du terme.
 La stipulation d’un terme constitue effectivement un avantage consenti
au débiteur, en ce qu’il suspend l’exigibilité de la dette.
 Le terme autorise donc le débiteur à ne pas exécuter la prestation
prévue au contrat.
 Il s’agit là d’une présomption simple, de sorte qu’elle peut être
combattue par la preuve contraire.
 Les parties ou la loi peuvent encore prévoir que le terme est stipulé,
soit à la faveur du seul créancier, soit à la faveur des deux parties au
contrat.
 Sur le caractère liquide de la créance
 Une créance présente un caractère liquide lorsqu’elle est susceptible
d’être évaluable en argent ou déterminée
 Tout autant que l’absence de caractère certain de la créance interdit
l’exercice de l’exception d’inexécution, il a été admis dans certaines
décisions que l’absence de liquidité puisse également y faire obstacle.
 La Cour de cassation a par exemple statué en ce sens dans un arrêt du
6 juillet 1982, toujours, en matière de contrat de bail, considérant que les
travaux réclamés par un locataire à son bailleur « représentent une
créance indéterminée » (  3e  civ., 6 juill. 1982).
 Cette jurisprudence est toutefois contestée par une partie de la doctrine
qui soutient que la liquidité de la créance indifférente, s’agissant de
l’exercice de l’exception d’inexécution.
 Dans un arrêt du 20 février 1991, la Cour de cassation a d’ailleurs
adopté la solution contraire (  3e  civ. 20 févr. 1991, n° 89-18.372).
2. Les conditions tenant à l’inexécution
L’article 1219 du Code civil prévoit que l’exception d’inexécution ne peut être
soulevée par le créancier qu’à la condition qu’il justifie « d’une inexécution
suffisamment grave ».
La question qui immédiatement se pose est alors de savoir ce que l’on doit entendre
par « inexécution suffisamment grave ».
Pour le déterminer, il convient de se reporter à la jurisprudence antérieure dont on
peut tirer plusieurs enseignements :

 Premier enseignement : l’indifférence de la cause de l’inexécution


 Principe
 Peu importe la cause de l’inexécution imputable au débiteur, dès
lorsque cette inexécution est établie, le créancier est fondé à se
prévaloir de l’exception d’inexécution.
 L’inexécution du contrat postule la faute du débiteur à qui il
appartient de démontrer qu’il rentre dans l’un des cas qui neutralisent
l’exception d’inexécution
 Exceptions
 Par exception, l’exception d’inexécution ne pourra pas jouer
dans les cas suivants
 Lorsque la créance du débiteur est éteinte
 Lorsque le débiteur justifie d’un cas de force majeure
 Lorsque l’inexécution procède d’une faute de l’excipiens
 Deuxième enseignement : indifférence du caractère partielle ou totale de
l’inexécution
 L’article 1219 du Code civil n’exige pas que l’inexécution de
l’obligation dont se prévaut le créancier soit totale
 Il est donc indifférent que cette inexécution soit partielle : l’exception
d’inexécution peut jouer malgré tout (V. en ce sens 1ère  civ. 18 juill.
1995, n° 93-16.338)
 Troisième enseignement : indifférence du caractère essentiel ou
accessoire de l’obligation objet de l’inexécution
 La jurisprudence a toujours considéré qu’il était indifférent que
l’inexécution porte sur une obligation essentielle ou accessoire.
 Ce qui importe c’est que l’inexécution soit suffisamment grave pour
justifier l’inexécution, et plus précisément, s’agissant de l’inexécution
d’une obligation accessoire, que la riposte soit proportionnée, ce qui
implique que le créancier ne suspende pas une obligation essentielle (V.
en ce sens 1ère  civ., 25 nov. 1980)
 Quatrième enseignement : exigence de gravité de l’inexécution
 Sous l’empire du droit antérieur à l’ordonnance du 10 février 2016, la
jurisprudence rappelait régulièrement que, au fond, il est indifférent que
l’inexécution de l’obligation soit partielle ou que cette inexécution porte
sur une obligation accessoire.
 Pour la Cour de cassation, ce qui importe, c’est que l’inexécution soit
suffisamment grave pour justifier l’exercice de l’exception d’inexécution
(V. en ce sens 3e  civ. 26 nov. 2015, n°14-24210).
 À l’examen, ce critère a été repris par le législateur lors de la réforme
du droit des obligations.
 L’article 1219 du Code civil pose, en effet, que l’exception
d’inexécution ne peut être soulevée par le créancier que si l’inexécution
présente un caractère suffisamment grave.
 La question qui immédiatement se pose est de savoir comment
apprécier cette gravité ?
 L’examen de la jurisprudence antérieure révèle que, pour apprécier le
bien-fondé de l’exercice de l’exception d’inexécution les juridictions
cherchaient moins à évaluer la gravité du manquement contractuel en tant
que tel qu’à regarder si la riposte du créancier était proportionnelle à
l’importance de l’inexécution invoquée.
 Dès lors que cette riposte était proportionnelle à la gravité du
manquement, alors les juridictions avaient tendance à considérer que
l’exception d’inexécution était justifiée. Dans le cas contraire, le
créancier engageait sa responsabilité.
 Si la formulation de l’article 1219 du Code civil est silencieuse sur
l’exigence de proportion de la riposte au regard de l’inexécution
contractuelle, le Rapport au Président de la République relatif à
l’ordonnance du 10 février 2016 précise quant à lui que l’exception
d’inexécution « ne peut être opposée comme moyen de pression sur le
débiteur que de façon proportionnée».
 Ce rapport indique, en outre, que « l’usage de mauvaise foi de
l’exception d’inexécution par un créancier face une inexécution
insignifiante constituera dès lors un abus ou à tout le moins une faute
susceptible d’engager sa responsabilité contractuelle.»
 Ainsi, selon le législateur, la gravité du manquement contractuelle ne
doit pas être appréciée abstraitement : elle doit, tout au contraire, être
confrontée à la riposte du créancier.
 Ce n’est qu’au regard de cette confrontation que le juge pourra
déterminer si le manquement contractuel dont se prévaut le créancier était
suffisamment grave pour justifier l’exercice de l’exception d’inexécution.
 Reste à savoir si la Cour de cassation statuera dans le sens indiqué par
le législateur, sens qui, finalement, n’est pas si éloigné de la position
prise par la jurisprudence antérieure (V. en ce sens 1ère  civ., 12 mai 2016,
n° 15-20.834)
 Les conditions tenant à l’exercice de l’exception d’inexécution
L’article 1219 du Code civil ne prévoit aucune condition d’exercice de l’exception
d’inexécution.
D’une part, cette disposition n’exige pas que le créancier, pour exercer l’exception
d’inexécution, saisisse le juge aux fins qu’il constate l’inexécution du contrat.
L’appréciation du caractère suffisamment grave de l’inexécution qui fonde
l’exception d’inexécution est à la main du seul créancier qui donc l’exercera à ses
risques et périls

Dans l’hypothèse où la suspension de ses propres obligations ne serait pas justifiée,


il s’expose à devoir indemniser le débiteur.

D’autre part, le créancier n’a nullement l’obligation de mettre en demeure son


débiteur de s’exécuter.
L’exception d’inexécution peut être exercée en l’absence de l’accomplissement de
cette formalité préalable qui, pourtant, est exigée pour la mise en œuvre des autres
sanctions attachées à l’inexécution contractuelle, que sont :

 L’exécution forcée en nature (  1221 et 1222 C. civ.)


 La réduction du prix (  1223 C. civ.)
 L’activation de la clause résolutoire (  1225, al.2 C. civ.)
 La résolution par notification (  1226, al. 1er  C. civ.)
 L’action en responsabilité contractuelle (  1231 C. civ.)
Bien que l’article 1219 du Code civil ne subordonne pas l’exercice de l’exception
d’inexécution à la mise en demeure du débiteur, elle peut s’avérer utile, d’une part,
pour faciliter la preuve de l’inexécution qui, au surplus, peut être constatée par acte
d’huissier, d’autre part pour établir la bonne foi du créancier dont la riposte a été
exercée avec discernement puisque, offrant la possibilité au débiteur de régulariser
sa situation.

B) L’exercice de l’exception d’inexécution par anticipation d’une inexécution à


venir
1. Consécration légale
L’article 1220 du Code civil prévoit que « une partie peut suspendre l’exécution de
son obligation dès lors qu’il est manifeste que son cocontractant ne s’exécutera
pas à l’échéance et que les conséquences de cette inexécution sont suffisamment
graves pour elle. Cette suspension doit être notifiée dans les meilleurs délais. »
Ainsi, cette disposition autorise-t-elle le créancier à exercer l’exception
d’inexécution par anticipation, soit lorsqu’il craint que son débiteur ne s’exécute
pas à l’échéance.
C’est là une nouveauté de l’ordonnance du 10 février 2016, la jurisprudence
antérieure étant quelque peu hésitante quant à la reconnaissance de l’exercice de
cette faculté au créancier en l’absence de texte.

La chambre commerciale avait néanmoins amorcé cette reconnaissance dans un


arrêt du 11 février 2003 en jugeant que « l’exception d’inexécution a pour objet de
contraindre l’un des cocontractants à exécuter ses propres obligations ou de
prévenir un dommage imminent, tel qu’un risque caractérisé d’inexécution »
(Cass. com. 11 févr. 2003, n°00-11085).
Quoi qu’il en soit, l’article 1220 issue de l’ordonnance du 10 février 2016 va plus
loin que la jurisprudence antérieure, puisqu’il introduit la possibilité pour le
créancier d’une obligation, avant tout commencement d’exécution du contrat, de
suspendre l’exécution de sa prestation s’il est d’ores et déjà manifeste que le
débiteur ne s’exécutera pas.

Il s’agit d’une faculté de suspension par anticipation de sa prestation par le


créancier avant toute inexécution, qui permet de limiter le préjudice résultant d’une
inexécution contractuelle, et qui constitue un moyen de pression efficace pour
inciter le débiteur à s’exécuter.

Ce mécanisme est toutefois plus encadré que l’exception d’inexécution,


puisqu’outre l’exigence de gravité suffisante de l’inexécution, la décision de
suspension de la prestation doit être notifiée dans les meilleurs délais à l’autre
partie.

2. Conditions
Outre les conditions propres à l’exception d’inexécution ordinaire que sont les
exigences de réciprocité et d’interdépendance des obligations, l’article 1220 pose
trois autres conditions que sont :

 Le caractère manifeste de l’inexécution à venir


 La gravité des conséquences attachées à l’inexécution à venir
 La notification de l’exercice de l’exception d’inexécution
==> Sur le caractère manifeste de l’inexécution à venir
Pour que le créancier soit fondé à exercer l’exception d’inexécution par
anticipation, il doit être en mesure de prouver que le risque de défaillance du
débiteur à l’échéance est manifeste.
Autrement dit, la réalisation de ce risque doit être prévisible, sinon hautement
probable. Afin d’apprécier le caractère manifeste du risque d’inexécution, il
convient de se reporter à la méthode d’appréciation du dommage imminent adopté
par le juge des référés lorsqu’il est saisi d’une demande d’adoption d’une mesure
conservatoire.

En effet, pour solliciter la prescription d’une mesure conservatoire, il convient de


justifier l’existence d’un dommage imminent, ce qui, finalement, n’est pas très
éloigné de la notion de « risque manifeste d’inexécution ».
Le dommage imminent s’entend du dommage qui n’est pas encore réalisé, mais qui
se produira sûrement si la situation présente doit se perpétuer.

Ainsi, appartient-il au demandeur de démontrer que, sans l’intervention du Juge, il


est un risque dont la probabilité est certaine qu’un dommage irréversible se
produise.

En matière d’exception d’inexécution par anticipation il est possible de raisonner


sensiblement de la même manière : si le créancier ne réagit pas, par anticipation, en
suspendant l’exécution de ses obligations, il est un risque de défaillance de son
débiteur et que, par voie de conséquence, cette défaillance lui cause préjudice.

La probabilité de cette défaillance doit être suffisamment forte pour justifier


l’exercice de l’exception d’inexécution.

==> Sur la gravité des conséquences attachées à l’exécution à venir

L’exercice de l’exception d’inexécution par anticipation est subordonné à


l’établissement de la gravité des conséquences susceptibles de résulter de
l’inexécution.

La formulation de l’article 1220 est différente de celle utilisée par l’article 1219 qui


vise, non pas la gravité des conséquences du manquement, mais la gravité –
intrinsèque – du manquement.

L’article 1220 invite, en d’autres termes, le juge à apprécier les conséquences de


l’inexécution plutôt que ses causes.
Par gravité des conséquences du manquement, il convient d’envisager le préjudice
susceptible d’être causé au créancier du fait de l’inexécution. Ce préjudice peut
consister soit en une perte, soit en un gain manqué.

Ce qui donc peut justifier l’exercice de l’exception d’inexécution ce n’est donc pas
le risque de non-paiement du prix de la prestation par le débiteur, mais les
répercussions que ce défaut de paiement est susceptible d’avoir sur le créancier.

==> Sur la notification de l’exercice de l’exception d’inexécution

À la différence de l’article 1219 qui, pour l’exercice de l’exception d’inexécution


ordinaire, n’exige pas que le créancier adresse, au préalable, une mise en demeure
au débiteur, l’article 1220 impose l’accomplissement de cette formalité, lorsque
l’exception d’inexécution est exercée par anticipation.

Plus précisément, cette disposition prévoit que la suspension de l’exécution des


obligations du créancier « doit être notifiée dans les meilleurs délais » au débiteur.
Quid du contenu du courrier de mise en demeure ? Le texte ne le dit pas. On peut
en déduire, que le créancier n’a pas l’obligation de motiver sa décision, ni
d’informer le débiteur sur les conséquences de sa défaillance. Il n’est pas non plus
tenu d’observer des formes particulières quant aux modalités de notification.

Il est toutefois conseillé, a minima, d’adresser la mise en demeure au créancier par


voie de lettre recommandé avec accusé de réception.
Quant à la sanction de l’absence de mise en demeure du débiteur préalablement à
l’exercice de l’exception d’inexécution, l’article 1220 du Code civil est également
silencieux sur ce point.

Le plus probable est que cette irrégularité soit considérée comme entachant
l’exercice par anticipation de l’exception d’inexécution d’une faute et que, par voie
de conséquence, cela expose le créancier à une condamnation au paiement de
dommages et intérêts.

III) Les effets de l’exception d’inexécution


L’exercice de l’exception d’inexécution a pour effet de suspendre l’exécution des
obligations du créancier, tant que le débiteur n’a pas fourni la prestation à laquelle
il s’est engagé.
Aussi, le contrat n’est nullement anéanti : l’exigibilité des obligations de
l’excipiens est seulement suspendue temporairement, étant précisé que cette
suspension est unilatérale.
Dès lors que le débiteur aura régularisé sa situation, il incombera au créancier de
lever la suspension exercée et d’exécuter ses obligations.

En tout état de cause, l’exercice de l’exception d’inexécution n’autorise pas le


créancier à rompre le contrat (V. en ce sens Cass. com. 1er  déc. 1992, n° 91-10930).
Pour sortir de la relation contractuelle, il n’aura d’autre choix que de solliciter la
résolution du contrat, selon l’une des modalités énoncées à l’article 1224 du Code
civil.

En l’absence de réaction du débiteur, le créancier peut également saisir le juge aux


fins de solliciter l’exécution forcée du contrat.

À l’inverse, dès lors que l’exercice de l’exception d’inexécution est justifié, le


débiteur est irrecevable à solliciter l’exécution forcée du contrat ou sa résolution.
Le créancier est par ailleurs à l’abri d’une condamnation au paiement de dommages
et intérêts.

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