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Droit des obligations : droit de la responsabilité civile
Anne BAZELA
Fiche n° 1
Introduction au droit de la responsabilité civile
« Le débiteur n'est tenu que des dommages et intérêts qui ont été prévus ou qui pouvaient être
prévus lors de la conclusion du contrat, sauf lorsque l'inexécution est due à une faute lourde
ou dolosive. »
« La réparation a pour objet de replacer la victime autant qu'il est possible dans la situation où
elle se serait trouvée si le fait dommageable n'avait pas eu lieu. Il ne doit en résulter pour elle
ni perte ni profit ». (la réparation intégrale)
« Celui qui a causé un dommage à autrui alors qu'il était sous l'empire d'un trouble mental
n'en est pas moins obligé à réparation. »
Mais attendu que la cour d'appel a retenu à bon droit que la nullité du contrat n'excluait pas
l'action en responsabilité contre le contractant dont la faute a été, en l'espèce, caractérisée ;
[…]
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Sur le deuxième moyen, pris en sa première branche du pourvoi principal formé par les époux
X..., et le deuxième moyen du pourvoi provoqué, réunis, formé par la caisse primaire
d'assurance maladie de l'Yonne :
Vu les articles 1165 et 1382 du Code civil ;
Attendu qu'un arrêt rendu le 17 décembre 1993 par la cour d'appel de Paris a jugé, de
première part, que M. Y..., médecin, et le Laboratoire de biologie médicale de Yerres, aux
droits duquel est M. A..., avaient commis des fautes contractuelles à l'occasion de recherches
d'anticorps de la rubéole chez Mme X... alors qu'elle était enceinte, de deuxième part, que le
préjudice de cette dernière, dont l'enfant avait développé de graves séquelles consécutives à
une atteinte in utero par la rubéole, devait être réparé dès lors qu'elle avait décidé de recourir à
une interruption volontaire de grossesse en cas d'atteinte rubéolique et que les fautes
commises lui avaient fait croire à tort qu'elle était immunisée contre cette maladie, de
troisième part, que le préjudice de l'enfant n'était pas en relation de causalité avec ces fautes ;
que cet arrêt ayant été cassé en sa seule disposition relative au préjudice de l'enfant, l'arrêt
attaqué de la Cour de renvoi dit que " l'enfant Nicolas X... ne subit pas un préjudice
indemnisable en relation de causalité avec les fautes commises " par des motifs tirés de la
circonstance que les séquelles dont il était atteint avaient pour seule cause la rubéole
transmise par sa mère et non ces fautes et qu'il ne pouvait se prévaloir de la décision de ses
parents quant à une interruption de grossesse ;
Attendu, cependant, que dès lors que les fautes commises par le médecin et le laboratoire dans
l'exécution des contrats formés avec Mme X... avaient empêché celle-ci d'exercer son choix
d'interrompre sa grossesse afin d'éviter la naissance d'un enfant atteint d'un handicap, ce
dernier peut demander la réparation du préjudice résultant de ce handicap et causé par les
fautes retenues ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il soit nécessaire de statuer sur les autres griefs de l'un et l'autre
des pourvois :
CASSE ET ANNULE
Document 7 : article L.114-5 du code de l’action sociale et des familles (ancien art. 1er de
la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002, dite « anti-Perruche »)
Considérant qu'aux termes du paragraphe I de l'article 1er de la loi du 4 mars 2002 susvisée :
« La personne née avec un handicap dû à une faute médicale peut obtenir la réparation de son
préjudice lorsque l'acte fautif a provoqué directement le handicap ou l'a aggravé, ou n'a pas
« Lorsque la responsabilité d'un professionnel ou d'un établissement de santé est engagée vis-
à-vis des parents d'un enfant né avec un handicap non décelé pendant la grossesse à la suite
d'une faute caractérisée, les parents peuvent demander une indemnité au titre de leur seul
préjudice. Ce préjudice ne saurait inclure les charges particulières découlant, tout au long de
nationale.
Considérant que les trois premiers alinéas du paragraphe I de l'article 1er de la loi du 4 mars
2002 précité ont été codifiés à l'article L. 114-5 du code de l'action sociale et des familles par
d'un préjudice du fait de sa naissance porterait atteinte au principe selon lequel nul n'ayant le
droit de nuire à autrui, un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ;
que cette interdiction, qui prive du droit d'agir en responsabilité l'enfant né handicapé à la
suite d'une erreur de diagnostic prénatal, alors que ce droit peut être exercé par un enfant dont
le handicap a été directement causé par la faute médicale, entraînerait une différence de
Considérant qu'aux termes de l'article 34 de la Constitution : « La loi détermine les principes
commerciales » ; qu'il est à tout moment loisible au législateur, statuant dans le domaine de sa
cas échéant, d'autres dispositions, dès lors que, dans l'exercice de ce pouvoir, il ne prive pas
général d'appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement ; que cet article
lui donne seulement compétence pour se prononcer sur la conformité d'une disposition
dispose que la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse » ;
que le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des
situations différentes ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu
que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct
Considérant, en premier lieu, qu'il ressort des termes des deux premiers alinéas de l'article L.
114-5 du code de l'action sociale et des familles qu'il n'est fait obstacle au droit de l'enfant de
invoquée a eu pour seul effet de priver sa mère de la faculté d'exercer, en toute connaissance
de cause, la liberté d'interrompre sa grossesse ; que ces professionnels et établissements
demeurent tenus des conséquences de leur acte fautif dans tous les autres cas ; que, par suite,
susvisé, le législateur a estimé que, lorsque la faute d'un professionnel ou d'un établissement
de santé a eu pour seul effet de priver la mère de la faculté d'exercer, en toute connaissance de
cause, la liberté d'interrompre sa grossesse, l'enfant n'a pas d'intérêt légitime à demander la
réparation des conséquences de cette faute ; que, ce faisant, le législateur n'a fait qu'exercer la
compétence que lui reconnaît la Constitution sans porter atteinte au principe de responsabilité
Considérant, en troisième lieu, que les dispositions contestées ne font obstacle au droit de
l'enfant né avec un handicap d'en demander la réparation que dans le cas où la faute invoquée
n'est pas à l'origine de ce handicap ; que, dès lors, la différence de traitement instituée ne
Considérant, par suite, que les griefs dirigés contre le premier alinéa de l'article L. 114-5 du
Considérant que, selon la requérante, l'exigence d'une faute caractérisée pour que la
responsabilité des professionnels et établissements de santé puisse être engagée vis-à-vis des
parents d'un enfant né avec un handicap non décelé pendant la grossesse, ainsi que l'exclusion,
pour ces parents, du droit de réclamer la réparation du préjudice correspondant aux charges
pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui » ; qu'il résulte de ces dispositions qu'en principe,
tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute
duquel il est arrivé à le réparer ; que la faculté d'agir en responsabilité met en œuvre cette
exigence constitutionnelle ; que, toutefois, cette dernière ne fait pas obstacle à ce que le
législateur aménage, pour un motif d'intérêt général, les conditions dans lesquelles la
responsabilité peut être engagée ; qu'il peut ainsi, pour un tel motif, apporter à ce principe des
exclusions ou des limitations à condition qu'il n'en résulte pas une atteinte disproportionnée
aux droits des victimes d'actes fautifs ainsi qu'au droit à un recours juridictionnel effectif qui
responsabilité d'un professionnel ou d'un établissement de santé vis-à-vis des parents d'un
enfant né avec un handicap non décelé pendant la grossesse, le législateur a entendu prendre
diagnostic médical prénatal ; qu'à cette fin, il a exclu que cette faute puisse être présumée ou
avec celle de faute lourde ; que, par suite, eu égard à l'objectif poursuivi, l'atténuation
tenus d'indemniser les parents des préjudices autres que ceux incluant les charges particulières
découlant, tout au long de la vie de l'enfant, de son handicap ; que, dès lors, le troisième alinéa
de l'article L. 114-5 du code de l'action sociale et des familles n'exonère pas les professionnels
Considérant, en deuxième lieu, qu'il résulte des travaux parlementaires de la loi du 4 mars
2002 susvisée que les dispositions critiquées tendent à soumettre la prise en charge de toutes
les personnes atteintes d'un handicap à un régime qui n'institue de distinction ni en fonction
des conditions techniques dans lesquelles le handicap peut être décelé avant la naissance, ni
en fonction du choix que la mère aurait pu faire à la suite de ce diagnostic ; qu'en décidant,
ainsi, que les charges particulières découlant, tout au long de la vie de l'enfant, de son
handicap, ne peuvent constituer un préjudice indemnisable lorsque la faute invoquée n'est pas
Considérant que les dispositions critiquées tendent à répondre aux difficultés rencontrées par
les professionnels et établissements de santé pour souscrire une assurance dans des conditions
économiques acceptables compte tenu du montant des dommages-intérêts alloués pour réparer
compte les conséquences sur les dépenses d'assurance maladie de l'évolution du régime de
responsabilité médicale ; que ces dispositions tendent ainsi à garantir l'équilibre financier et la
Considérant, en troisième lieu, que les parents peuvent obtenir l'indemnisation des charges
particulières résultant, tout au long de la vie de l'enfant, de son handicap lorsque la faute a
obtenir une telle indemnisation lorsque le handicap n'a pas été décelé avant la naissance par
suite d'une erreur de diagnostic ; que, dès lors, la différence instituée entre les régimes de
Considérant, en quatrième lieu, que le troisième alinéa de l'article L. 114-5 du code de l'action
sociale et des familles prévoit que la compensation des charges particulières découlant, tout au
long de la vie de l'enfant, de son handicap relève de la solidarité nationale ; qu'à cette fin, en
droit à la compensation des conséquences du handicap quelle que soit son origine ; qu'ainsi, il
Considérant que, dans ces conditions, la limitation du préjudice indemnisable décidée par le
législateur ne revêt pas un caractère disproportionné au regard des buts poursuivis ; qu'elle
2005 SUSVISÉE :
susvisée : « Les dispositions de l'article L. 114-5 du code de l'action sociale et des familles tel
qu'il résulte du 1 du présent II sont applicables aux instances en cours à la date d'entrée en
en cours et par voie de conséquence aux faits générateurs antérieurs à son entrée en vigueur »
laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a
point de Constitution » ;
but d'intérêt général suffisant et de respecter tant les décisions de justice ayant force de chose
jugée que le principe de non-rétroactivité des peines et des sanctions ; qu'en outre, l'acte
constitutionnelle, sauf à ce que le but d'intérêt général visé soit lui-même de valeur
strictement définie ;
Considérant que le paragraphe I de l'article 1er de la loi du 4 mars 2002 susvisée est entré en
vigueur le 7 mars 2002 ; que le législateur l'a rendu applicable aux instances non jugées de
manière irrévocable à cette date ; que ces dispositions sont relatives au droit d'agir en justice
indemnisables lorsque cette responsabilité est engagée ; que, si les motifs d'intérêt général
précités pouvaient justifier que les nouvelles règles fussent rendues applicables aux instances
à venir relatives aux situations juridiques nées antérieurement, ils ne pouvaient justifier des
modifications aussi importantes aux droits des personnes qui avaient, antérieurement à cette
date, engagé une procédure en vue d'obtenir la réparation de leur préjudice ; que, dès lors, le 2
du paragraphe II de l'article 2 de la loi du 11 février 2005 susvisée doit être déclaré contraire à
la Constitution,
DÉCIDE :
Article 1er.- Les premier et troisième alinéas de l'article L. 114-5 du code de l'action
sociale et des familles sont conformes à la Constitution.
Mesdames, Messieurs,
En matière de droit civil, le calendrier ministériel de l’année 2016 fut singulier :J’ai été
nommé en janvier juste avant la promulgation de l’ordonnance portant réforme du droit des
contrats le 10 février, travail considérable qui permet à l’un des trois piliers de l’ordre
juridique de renouer avec sa tradition civiliste d’accessibilité aisée, de prévisibilité garantie et
d’attractivité naturelle. J’ai été contraint de mettre en œuvre une vaste loi voulue par l’un des
collègues que toutes les professions règlementées avaient vécu comme une hostilité à leur
égard, alors même que ce n’était ni la volonté du Premier ministre, ni celle du législateur. Et
enfin je prépare une réforme qui sera de facto portée par mon – éventuel – successeur !Je ne
sais pas si le destin est joueur, mais de fait, il m’a évité l’ivresse de l’autosatisfaction
ministérielle dans ces domaines !
C’est donc avec la conscience du rythme d’écoulement du temps que je viens vous entretenir
d’une réforme historique. Ainsi que je vous l’avais indiqué à certains d’entre vous le 29 avril
dernier place Vendôme, l’ordonnance de février ne marquait nullement la fin du chantier de
modernisation du droit des obligations...
Comme vous le savez, le droit de la responsabilité civile a volontairement été exclu de son
champ de l’habilitation. Compte-tenu de la sensibilité particulière des enjeux propres à cette
matière. La pleine appropriation par le Parlement avait été jugée nécessaire.
Mais ne nous y trompons pas. Bien que dissociées dans le temps, la réforme du droit des
contrats et de celle du droit de la responsabilité ne sont pas dissociables sur le fond.
La deuxième est d’autant plus nécessaire qu’elle viendra parachever la première. Et cela
donnera naissance à un véritable régime de responsabilité contractuelle. L’ambition est donc
de bâtir un projet :
En effet, le droit commun de la responsabilité civile repose sur cinq articles (parmi les 2 281
articles que comportait à l’origine le code civil) et qui sont demeurés pratiquement inchangés
depuis 1804. Cette concision est à l’image de la faible importance accordée à l’époque à ce
mécanisme juridique, qui trouvait alors peu d’occasions d’être mis en œuvre.
« Cette partie du code civil s’est hypertrophiée […]. Les dommages se sont multipliés : la vie
urbaine nous jette les uns sur les autres, les machines explosent, l’inflation des lois fait
foisonner les manquements à la loi. Et en face les victimes sont devenues plus exigeantes».
Le constat est lucide et pourtant, lorsque ces lignes ont été écrites en 1996, la révolution
numérique n’avait pas eu lieu, les véhicules autonomes et bien d’autres robots relevaient
encore de la science-fiction...
Ces cinq articles ont – néanmoins – résisté au temps, grâce à l’impressionnante œuvre de
construction jurisprudentielle de la Cour de cassation qui a su les adapter à l’évolution des
mœurs, de la société et de la langue française.
Reste que celui qui procède à la seule lecture des articles 1382 à 1386 du code civil n’aura
qu’une vision parcellaire, pour ne pas dire erronée, du droit français de la responsabilité.
Car seule une connaissance de la riche et subtile jurisprudence de la Cour de cassation permet
à ce jour d’en appréhender la technicité.
- Pour pouvoir compter sur un droit lisible, transparent et porteur de sécurité juridique
utile aux citoyens comme aux acteurs économiques,
Dans ce but, le législateur de 2017 devra aller plus loin que la seule codification de la
jurisprudence.
- Ainsi que dans le rapport de juillet 2009 des sénateurs Alain ANZIANI et Laurent
BÉTEILLE,
De surcroît, j’ai souhaité que l’avant-projet élaboré par mes services soit soumis à une large
consultation publique.
Cette dernière s’est ouverte le 29 avril 2016 et a pris fin le 31 juillet 2016.
Ce dont témoignent les échanges intervenus entre la DACS (Direction des affaires civiles et
du sceau) et les principaux contributeurs.
- Mais aussi les impératifs économiques rappelés par les représentants des milieux
économiques.
Ainsi, c’est grâce à vous, magistrats, universitaires, professions du droit, acteurs de la vie
économique, que l’avant-projet de la Chancellerie a pu être – notablement –amélioré.
« En lui» écrivait CARBONNIER« sont récapitulées les idées, autour desquelles la société
française s’est constituée au sortir de la Révolution, et continue de se constituer de nos jours
encore, développant ces idées, les transformant peut-être, sans avoir jamais dit les renier ».
Ces idées fondatrices sont encore le cœur de la réforme que je vous présente, et je pense en
particulier à l’objectif d’égalité de traitement des victimes.
Evidemment, nous n’avons pas la prétention, fort dangereuse du reste, de régler toutes les
hypothèses de mise en jeu de la responsabilité civile.
- De moderniser,
Ainsi, nous aurons élaboré un droit adapté aux problématiques de notre société contemporaine
et qui pourra, à son tour, traverser le temps.
Chacun sait en effet que la solidité de cette « constitution civile » a grandement aidé la société
française à traverser une histoire mouvementée, longtemps caractérisée par l’instabilité des
constitutions politiques.
Sans pour autant oser se rattacher au mot de Stendhal qui affirmait en 1840 « composant «La
Chartreuse », pour prendre le ton, je lisais chaque matin deux ou trois pages du code civil. »
Le plan retenu est simple, didactique car largement inspiré des travaux universitaires, et en
particulier ceux du groupe de travail du professeur CATALA.
- Dispositions préliminaires,
- Conditions de la responsabilité,
- Effets de la responsabilité,
S’agissant de la structure du projet, la consécration dans une section dédiée d’un ensemble de
règles communes aux responsabilités contractuelle et extracontractuelle mettra fin à nombre
de controverses doctrinales.
Cela limitera aussi les risques de contentieux. En effet, la détermination du préjudice
réparable et du lien de causalité exigés sont des facteurs communs à ces deux régimes de
responsabilité. Ces derniers doivent recevoir les mêmes définitions et être soumis aux mêmes
conditions.
Une telle conception n’interdit évidemment pas de consacrer des exceptions, justifiées par la
spécificité du fait générateur en matière contractuelle. Je pense par exemple à la force majeure
ou à la limitation du dommage réparable à celui qui était raisonnablement prévisible au jour
de la conclusion du contrat.
Au-delà de cette clarification conceptuelle, le projet consolide les grands principes du droit de
la responsabilité civile énoncés par les rares textes actuels, ainsi que de multiples apports
jurisprudentiels.
Dans la tradition du code civil de 1804, un principe général est maintenu : celui selon lequel
« on est responsable du dommage causé par sa faute ». Avant de devenir un principe
juridique cardinal, ce précepte philosophique est consubstantiel à la condition de l’homme
moderne, dont la responsabilité est le corollaire de la liberté. Ainsi le principe de la
responsabilité pour faute traduit une exigence morale plus que jamais d’actualité.
Conformément à une tradition juridique française bien établie, un autre principe : celui de la
réparation intégrale du dommage, est aussi affirmé. En l’espèce, le projet sanctuarise des
principes dégagés par la jurisprudence. C’est notamment le cas du principe:
Cela permet une juste indemnisation de la victime tout en respectant sa liberté dans l’usage
qu’elle en fait.
Là où ce régime de responsabilité n’était jusqu’à présent régi que par l’article 1384 du code
civil, chaque hypothèse de responsabilité de plein droit est désormais l’objet d’un article
spécifique :
- Responsabilité des parents du fait de leur enfant mineur,
- Et responsabilité du fait de celui dont le mode de vie est organisé et contrôlé à titre
permanent.
Sur quelques points néanmoins, il est proposé de remettre en question certaines évolutions
jurisprudentielles.
Tout d’abord, une condition commune à tous ces cas de responsabilité du fait d’autrui, est
introduite.
Il y aurait ainsi une rupture avec la jurisprudence de la Cour de cassation sur la responsabilité
des parents du fait de leur enfant mineur.
Le projet consacre alors le principe selon lequel toute responsabilité du fait d’autrui suppose
l’existence d’un fait de nature à engager la responsabilité de l'auteur direct du dommage.
Celle-ci donne lieu depuis plus de 30 ans à une jurisprudence complexe, source
d’interprétations divergentes et donc d’insécurité juridique.
Cela permet ainsi une égale et juste indemnisation entre toutes les victimes d’un tel préjudice.
Suite à la consultation, nous avons toutefois ajouté que la victime pourrait invoquer les
stipulations expresses du contrat qui lui sont plus favorables que l’application des règles de la
responsabilité extracontractuelle.
Ainsi, la situation des victimes ne peut pas être plus défavorable que dans le droit positif
actuel, sans néanmoins que son principal inconvénient, le forçage du contrat par la découverte
d’obligations de sécurité, ne demeure.
La protection renforcée des victimes de dommages corporels constitue l’une des autres
innovations majeures du projet. Dans le droit fil des différents avant-projets de réforme du
droit de la responsabilité civile, nous avons fait le choix de placer l’intégrité de la personne au
sommet de la hiérarchie des intérêts protégés. Sont ainsi proposées un ensemble de règles
destinées à améliorer et harmoniser l’indemnisation des victimes de dommages corporels.
Qui peut admettre aujourd’hui que la victime d’une erreur médicale soit indemnisée
différemment, selon qu’elle a reçu des soins à l’hôpital public ou dans le secteur privé ?
Ceux-ci sont indispensables, non seulement, pour les praticiens et régleurs, mais aussi pour
les victimes.
Sera ainsi supprimée la possibilité pour ces tiers payeurs de récupérer auprès du responsable,
les prestations versées à la victime au titre de ses préjudices personnels.
En effet, ce recours diminue aujourd’hui d’autant les indemnités perçues par la victime.
En matière d’accidents de la circulation, le projet fait entrer dans le code civil, où elles
trouveront leur place naturelle, les dispositions de la loi du 5 juillet 1985 bien connue sous le
nom d’un de mes illustres prédécesseurs.
Mais notre ambition ne se limite pas à donner plus de visibilité à la loi Badinter.
Le projet reprend, en effet, des améliorations suggérées par l’ensemble des travaux
universitaires et parlementaires que j’ai cités.
L’objectif étant de remédier aux iniquités qu’a pu engendrer la mise en œuvre de ces
dispositions âgées maintenant de 30 ans déjà.
Le champ d’application de la loi est ainsi étendu aux tramways et aux chemins de fer, comme
l’avait proposé le député Guy LEFRAND dans sa proposition adoptée à l'unanimité lors de
son examen à l'Assemblée nationale le 16 février 2010.
Le sort des conducteurs victimes, jusque-là exclus de la protection offerte par la loi Badinter,
est amélioré:
Seule sa faute inexcusable lui sera dorénavant opposable, sans toutefois exiger qu’elle soit la
cause exclusive de l’accident.
La seconde innovation notable du projet est d’inscrire dans le marbre du code la fonction
préventive de la responsabilité civile, jusqu’alors trop méconnue de notre droit positif.
Fortement inspiré des travaux du professeur TERRÉ, le projet consacre tout d’abord la
cessation de l’illicite, comme fonction autonome de la responsabilité civile en matière
extracontractuelle.
En confiant au juge la possibilité de prescrire toute sanction ayant pour objet ou pour effet de
prévenir le dommage ou de faire cesser un trouble illicite, il ne s’agit plus seulement de
réparer le dommage, mais d’agir sur sa source.
De même, l’introduction dans notre droit commun de l’amende civile vient conforter cette
fonction préventive.
L’objectif, pour reprendre les mots d’un éminent auteur, est de prévenir la commission de
fautes.
Des fautes, qui, malgré l’octroi de dommages et intérêts à la victime à hauteur de son
préjudice, « laissent à leur auteur une marge bénéficiaire suffisante pour qu’il n’ait aucune
raison de ne pas les commettre. ».
Contrairement aux dommages et intérêts punitifs, le montant de l’amende ne sera pas versé à
la victime de la faute, mais à l’Etat ou à des fonds d’indemnisation.
Il n’y a donc nulle crainte de voir poindre devant nos tribunaux les dérives que l’on connaît
outre-Atlantique.
« Quand un galet ne se trouve pas bien dans un mur, le mur ne se trouve pas bien debout », a
écrit Pierre-Jakez HÉLIAS, que je vous avais déjà cité lorsque j’ai lancé la consultation
publique en avril 2016.
Vos contributions décisives ont permis de faire du projet de réforme un édifice, constitué de
galets subtilement équilibrés.
Et elles lui ont donné une solidité suffisante, j’en suis convaincu, pour résister à la période
électorale qui s’annonce.
Je ne doute pas que ce projet, qui transcende les clivages, trouvera très bientôt, et grâce à vous
tous, sa place naturelle aux articles 1240 et suivants du code civil.
Je vous remercie.
Document 10 : Point sur le projet de réforme de la responsabilité civile 13 mars 2017
(source Dalloz etudiant).
La tendance qui prévaut en droit de la responsabilité civile est la réparation du dommage subi
par la victime, comme en témoigne l’essor de la responsabilité sans faute en jurisprudence et
la collectivisation de l’indemnisation en législation. Le projet de réforme de la responsabilité
civile, présenté par la Chancellerie le 13 mars 2017 a pour objectif de codifier et de
moderniser le droit de la responsabilité civile lequel est, pour l’essentiel d’origine prétorienne.
À cet égard, le projet propose une consolidation des acquis jurisprudentiels et comporte des
innovations qui tiennent notamment à l'introduction de dispositions à caractère punitif et
préventif.
■ La codification du droit positif
Les conditions de la responsabilité civile
Le projet reprend les trois conditions de la responsabilité (fait générateur, préjudice, lien de
causalité). Certaines catégories de préjudices sont spécifiquement mentionnées : le préjudice
futur (projet, art. 1236) et le préjudice de perte de chance (projet, art. 1238). La causalité ne
fait l’objet d’aucune définition, pour laisser une marge de liberté aux juges. Quant au fait
générateur, la faute est définie comme « la violation d’une prescription légale ou le
manquement au devoir général de prudence ou de diligence » (projet, art. 1242). En matière
de fait des choses, sont codifiées les règles prétoriennes ; on relèvera que le domaine de cette
responsabilité de plein droit est limité aux seules choses corporelles (projet, art. 1243 al. 1er).
En matière d’imputation du dommage à autrui, la responsabilité des père et mère du fait de
leurs enfants, qui figure à l’article 1246, est limitée par l’exigence d’un fait générateur de
nature à engager la responsabilité de l’enfant (faute ou fait d’une chose. La responsabilité des
parents pour le simple fait causal de leur enfant - c'est-à-dire en l'absence de tout fait
générateur de nature à engager la responsabilité personnelle de celui-ci -, initiée par l’arrêt
d’Assemblée plénière du 9 mai 1984 « Gabillet », semble donc être abandonnée.). En outre, la
condition de cohabitation est supprimée. Quant à la responsabilité des personnes qui sont
investies de la mission d’organiser et de contrôler à titre permanent le mode de vie d’autrui, la
solution de l'arrêt « Blieck » (Cass., ass. plén., 29 mars 1991, n° 89-15.231) est confirmée
(projet, art. 1247). En matière de responsabilité du commettant du fait du préposé, sont
consacrés la définition du lien de subordination de même que la notion d’abus de fonction, ou
encore le principe de l’immunité du préposé (projet, art. 1249). Toutefois, cette immunité ne
tombe plus qu’en cas de faute intentionnelle, ou lorsque, sans autorisation, le préposé aura agi
à des fins étrangères à ses attributions (projet, art. 1249 al. 4. La jurisprudence « Costedoat »
est donc modifiée. V. Cass., ass. plén., 25 févr. 2000 nos 97-17.378 et 97-20.152).
Les effets de la responsabilité civile
En matière extracontractuelle, est consacré le principe jurisprudentiel de la réparation
intégrale (projet, art. 1258). En matière contractuelle, est repris le principe de la réparation du
dommage prévisible, sauf faute lourde ou dolosive (projet, art. 1251). Le projet consacre aussi
la dualité des modes de réparation, en nature ou par l’octroi de dommage-intérêts (projet, art.
1259) - ces deux types de mesure pouvant se cumuler afin d’assurer la réparation intégrale du
préjudice.
Les régimes spéciaux de responsabilité
Le droit spécial est repris mais deux créations suscitent l’intérêt. D’une part, la faute
inexcusable du conducteur victime d’un dommage corporel peut lui être opposée, en vue de
limiter son indemnisation, même si elle n’est pas la cause exclusive de l’accident (projet, art.
1287, al. 3). Ensuite, le régime de la responsabilité du fait des produits défectueux comporte
un nouveau cas dans lequel le défendeur à l’action ne pourra pas opposer, en vue de
s’exonérer, le risque de développement : le projet prévoit que le producteur ne peut invoquer
cette cause d’exonération lorsque le dommage a été causé par tout produit de santé à usage
humain (projet, art. 1298-1).
Le principe de non-cumul
Le principe est consacré : un contractant victime de l’inexécution d’une obligation
contractuelle lors de l’exécution du contrat et imputable à son débiteur, ne peut pas, alors
même qu’il y aurait intérêt, exercer une action en responsabilité extracontractuelle.
■ Les innovations du projet
Exclusivité de la responsabilité extracontractuelle en cas de dommage corporel
Le contractant qui subit, pendant l’exécution du contrat, un dommage corporel causé par son
cocontractant doit, en principe, exercer une action en responsabilité extracontractuelle.
Toutefois, il peut invoquer les stipulations expresses du contrat qui lui seraient plus favorables
(projet, art. 1233-1).
Relativité de la faute contractuelle et responsabilité des parties à l'égard des tiers
Le projet revient sur le principe de l’assimilation des fautes contractuelle et délictuelle
(L'Assemblée plénière s'est orientée vers l'énoncé d'un principe de l'assimilation des fautes
contractuelle et délictuelle en affirmant « que le tiers à un contrat peut invoquer, sur le
fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce
manquement lui a causé un dommage ». V. Cass., ass. plén., 6 oct. 2006, n° 05-13.255) et
réaffirme, à titre de principe, la règle de la relativité de la faute contractuelle. Aussi, le tiers
victime d’un dommage causé par une faute contractuelle imputable à un débiteur contractuel
doit, pour que son action en responsabilité extracontractuelle soit couronnée de succès,
apporter la preuve que la faute contractuelle de celui-ci constitue à son égard un fait
générateur de responsabilité extracontractuelle (faute ou fait de la chose). Toutefois, s’il a un
intérêt légitime à la bonne exécution du contrat, dont l’inexécution lui a causé un dommage,
le tiers peut exercer une action en responsabilité contractuelle, auquel cas le débiteur pourra
lui opposer les clauses de son contrat destinées à gérer le risque d’inexécution (par exemple,
une clause limitative de responsabilité).
Cessation de l’illicite
Le souci de prévention se marque par l'introduction de l'action en cessation de l'illicite. Ainsi,
en matière extracontractuelle, le juge peut prescrire les mesures raisonnables propres à
prévenir le dommage ou faire cesser le trouble illicite auquel est exposé le demandeur (projet,
art. 1266).
L’amende civile
En matière extracontractuelle, le juge peut condamner l'auteur d’une faute lucrative (La faute
« qui est commise avec l'intention de procurer à son auteur un profit supérieur à la somme que
représentait la réparation du dommage subi par la victime et qui a effectivement engendré ce
profit », G. Viney, « L'espoir d'une recodification du droit de la responsabilité civile », D.
2016. 1378) qui a causé un dommage à une amende civile (projet, art. 1266-1). Afin d'éviter
un enrichissement injustifié de la victime, les dommages et intérêts punitifs ne sont pas
consacrés. L’amende est versée à un fonds d'indemnisation ou au Trésor public, et non à la
victime. Le principe de la réparation intégrale du préjudice n’est donc pas affecté par
l’amende civile, laquelle renforce sensiblement la fonction punitive du droit de la
responsabilité civile.
L'obligation de minimiser son dommage
A l’exception des dommages corporels, le juge a la faculté de réduire les dommages-intérêts
lorsque la victime n'aura pas pris les mesures sûres et raisonnables, au regard de ses facultés
contributives, qui lui auraient permis d'éviter l'aggravation de son préjudice. Ce devoir, qui
peut se réclamer aussi bien de l’impératif d’efficacité économique du droit que d’une
exigence d’ordre moral imposée à la victime, porte atteinte au principe de la réparation
intégrale, puisque la victime ne recevra qu’une indemnisation partielle de son préjudice.
Règles spécifiques au dommage corporel
Le projet codifie la théorie de la causalité alternative qui permet, en présence d’un dommage
corporel causé par une personne indéterminée parmi « des personnes identifiées agissant de
concert ou exerçant une activité similaire », de considérer comme responsable chacun des
membres du groupe, sauf à ce qu’il démontre qu’il ne peut l’avoir causé (projet, art. 1240). En
outre, alors que la faute de la victime emporte une exonération partielle du défendeur à
l’action en responsabilité, en matière de préjudice corporel, seule une faute lourde pourra
produire un tel effet (projet, art. 1254). Quant aux clauses limitatives ou exclusives de
responsabilité, dont le projet admet la validité de principe en matière extracontractuelle, elles
sont prohibées en matière de dommage corporel (projet, art. 1281).