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Droit des obligations

Le contrôle des clauses pénales abusives


en droit québécois: la clause pénale
peut-elle être punitive?*

Julie PAQUIN
Professeure adjointe à la Faculté de droit
(Section de droit civil) de l'Université d'Ottawa

La clause pénale est une institution à gibles', l'article 1623 C.c.Q. permet
la fois très ancienne et très fréquemment maintenant aux juges de réduire la peine
utilisée en droit civil des contrats. Définie stipulée dans un contrat lorsqu'elle est
par le Code civil du Québec comme la abusive. Ce faisant, le Code civil a créé
clause par laquelle les parties à un contrat une situation paradoxale : alors qu'un des
évaluent par anticipation les dommages- buts reconnus des clauses pénales est d'évi-
intérêts en prévoyant la « peine » payable ter aux parties d'avoir à s'engager dans la
en cas d'inexécution', elle permet à son discussion des dommages subis, la déter-
bénéficiaire d'être indemnisé sans avoir à mination du caractère abusif ou non d'une
prouver le préjudice qu'il a subil peine implique nécessairement une com-
La « nouvelle moralité contractuelle » paraison de celle-ci avec les dommages
introduite dans le Code civil du Québec effectivement subis par la partie qui en
en 1994 a entraîné des changements fon- réclame l'application.
damentaux relativement au sort des clau- Le nouveau pouvoir d'intervention
ses pénales en droit québécois des contrats. des juges a aussi mis en lumière une ques-
Alors qu'elles étaient auparavant intan- tion qui portait peu à la controverse au

La présente étude a reçu l'appui de la A l'exception des cas d'exécution par-


Fondation pour la recherche juridique et tielle de l'obligation, à l'égard desquels
de la Fondation du droit de l'Ontario. l'article 1076 C.c.B.C, prévoyait que «si
L'auteure tient à remercier tout parti- l'obligation a été exécutée en partie, au
culièrement Monsieur Marcelo Ciecha- profit du créancier, et que le temps pour
nowiecki pour l'aide apportée au travail l'entière exécution soit de peu d'impor-
de recherche. tance, la somme stipulée peut être ré-
Art. 1622 C.cQ. duite, à moins que le contraire ne soit
Art 1623 al. 1 C.c.Q. stipulé ».
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temps de l'intangibilité des clauses, soit quité. Dans le droit romain, qui ne sanc-
celle de savoir si la peine prévue demeure tionnait que les accords portant sur des
payable même si le bénéficiaire de la sommes d'argent, la stipulatio poenae par
clause n'a subi aucun dommage. En d'au- laquelle une partie s'engageait à payer
tres mots, la clause pénale doit-elle être une somme d'argent en cas de défaut de
considérée comme une estimation des remplir une autre obligation devient un
dommages, et donc sans application lors- moyen de rendre obligatoires les engage-
que ceux-ci sont inexistants, ou peut-elle ments ne portant pas sur une somme
également revêtir le caractère d'une peine d'argent ainsi que les coutumes et usages
dissuasive, justifiant son application même provinciaux non reçus dans le droit ro-
en l'absence de préjudice? Tandis que la main''.
doctrine québécoise reste divisée sur cette Sous sa forme le plus ancienne, la
question, les tribunaux québécois ont dé- stipulatio poenae s'exprimait ainsi : « Si tu
veloppé différents moyens de gérer les cas ne me donnes pas Pamphile, me donneras-
où une partie réclame le paiement d'une tu cent?». Elle était conçue comme une
peine alors même qu'elle n'a subi aucun stipulation conditionnelle, la peine étant
préjudice. payable dès la réalisation de la condition,
La présente étude vise à faire le point sans qu'il soit nécessaire que cette condi-
sur cette question, tout en offrant quel- tion constitue une stipulation valable. La
ques pistes de réflexion quant à la nature clause pénale permettait ainsi de valider
et au rôle des clauses pénales en droit qué- des stipulations autrement nulles, comme
bécois. Tout d'abord, nous exposerons les les stipulations pour autrui. Suivant cette
règles applicables aux clauses pénales en logique, la peine était due dès l'accom-
ancien droit français ainsi que dans le plissement de la condition, sans besoin
Code civil français et le Code civil du Bas que le débiteur soit en demeure, et elle
Canada, avant de présenter la réforme demeurait entièrement payable en cas de
introduite en 1994 dans le Code civil du réalisation partielle de la condition.
Québec. Ensuite, nous traiterons des dé- Par la suite, on assistera au dévelop-
bats doctrinaux actuels sur l'applicabilité pement d'un deuxième type de clause
des clauses pénales en cas d'absence de pénale («me donneras-tu Pamphile? Si tu
préjudice, pour enfin examiner les posi- ne me donnes pas Pamphile, me donneras-
tions prises par les tribunaux québécois tu cent?»), dans laquelle la peine sert de
sur cette question. sanction à une obligation distincte et exé-
cutoire en elle-même. La peine joue alors
un rôle de persuasion, tout en servant à
I. Origine et évolution éviter certains écueils liés à l'évaluation
de la clause pénale judiciaire des dommages payables par un
débiteur fautif. La présence d'une clause
A. De la peine à l'indemnité : pénale protégeait le créancier contre une
l'introduction du contrôle
judiciaire Charles MARUANI, La clause pénale, thèse
de doctorat. Université de Paris, Faculté
La clause pénale est généralement
de droit et de sciences économiques, 1935,
considérée comme remontant à l'Anti- p. 27.
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évaluation trop faible de son préjudice quer à ces clauses usuraires déguisées en
par le juge, tout en lui permettant d'évi- interdisant toute clause pénale conclue
ter de devoir faire la preuve du préjudice «en fraude d'usure». Cependant, les cri-
subi et de son montant'. tères proposés'" pour permettre de dis-
A l'origine, la clause était conçue es- tinguer les clauses pénales valides des
sentiellement comme une peine imposée stipulations d'intérêt se révèlent insatis-
au débiteur; la somme prévue était ainsi faisants.
entièrement payable, « même en cas d'exé- C'est finalement le recours à la dis-
cution partielle, et même si les domma- tinction entre la notion d'usure et celle
ges subis étaient inférieurs à celle-ci, même d'intéressé, ou de dommages-intérêts, qui
s'il n'y avait eu aucun dommage»''. De fournit aux canonistes la solution qu'ils
plus, en droit romain primitif, le créan- recherchent. Selon les canonistes, la pro-
cier était autorisé à cumuler la peine et les hibition de l'usure vise les gains réalisés
dommages-intérêts découlant de l'inexé- par les prêteurs. Or, les dommages-
cution'. Par la suite, la notion de réparation intérêts payables en cas de non rem-
gagnera en importance: « [l]es juriscon- boursement à l'expiration du terme ne
sultes chercheront à épargner au débiteur constituent pas un tel gain assimilable à
le poids de la double charge de la poena de l'usure, mais la simple réparation du
et des dommages intérêts. »' dommage découlant du manquement de
À l'époque franque, la clause pénale l'emprunteur. Une peine peut ainsi échap-
se développe considérablement', alors per à l'application des règles sur l'usure
même que son aspect réparateur s'atté- dans la mesure où elle représente les dom-
nue au bénéfice de son caractère pénal. mages et intérêts que le prêteur est en
L'utilisation des clauses pénales devient droit de réclamer à titre d'intéressé. La
éventuellement un enjeu de taille au notion même de clause pénale en vient
Moyen-Âge, en raison de l'interdiction donc à regrouper deux réalités différen-
du prêt à intérêt par l'Église catholique. tes : en matière de prêt d'argent, la peine
La prohibition de l'usure, conçue comme ne sera légitime que si elle a un caractère
toute somme s'ajoutant au capital em- indemnitaire, c'est-à-dire si elle représente
prunté, entraine en effet une proliféra- les dommages-intérêts soufferts par le
tion de clauses destinées à contourner la créancier, alors que dans les autres matiè-
prohibition en présentant comme des res, les clauses visant à imposer une peine
peines les stipulations d'intérêt. Les ca- aux débiteurs défaillants demeurent va-
nonistes entreprennent alors de s'atta- lides, peu importe les dommages subis.
La conception réparatrice, plutôt
que punitive, de la clause pénale, déve-
Id., p. 29.
loppée par les canonistes à l'égard des
Id.
prêts d'argent se généralise par la suite en
André FLINIAUX, « L'évolution du concept
de clause pénale chez les canonistes du
Moyen Age», dans Mélanges Paul Four- '" Comme l'intention des parties (soit de
nier, Paris, Recueil Sirey, 1929, p. 233, à la forcer le paiement de la peine plutôt que
page 235. d'inciter à rembourser le capital) ou le
C. MARUANI, préc, note 4, p. 31 et 32. fait pour le préteur d'avoir coutume de
A. FLINIAUX, préc, note 7, à la page 236; pratique l'usure: voir A. FLINIAUX, préc,
C. MAKUANI, préc, note 4, p. 34 et 35. note 7, aux pages 238 et 239.
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s'étendant à tous les types de contrats, l'ancien droit", c'est-à-dire que « le juge
avant de faire son entrée dans le droit pouvait refuser de l'appliquer si bon lui
séculier. Ainsi, dans son Traité des obliga- semblait, dans le cas notamment où le
tions, Pothier décrit la peine comme com- débiteur défaillant lui semblait de bonne
pensatrice des dommages et intérêts que foi»'"". Dans une perspective juridique,
le créancier souffre de l'inexécution de leur fonction n'est pas tant d'inciter les
l'obligation principale". Cette consécra- débiteurs à remplir leurs obligations que
tion du caractère compensatoire de la de renverser le fardeau de preuve relatif
clause pénale n'est pas sans conséquence à l'établissement des dommages-intérêts.
pratique. D'abord, elle fait en sorte que le C'est au débiteur désirant éviter l'appli-
créancier doit choisir entre l'exécution cation de la clause qu'il incombera de
du contrat et l'application de la peine, prouver que le montant de la peine dé-
sans pouvoir les cumuler. Par ailleurs, la passe considérablement celui du dom-
logique indemnitaire permet au juge de mage qu'il a occasionné au créancier.
modérer une peine qui serait excessive eu
égard aux dommages subis, tout en auto-
risant le créancier à réclamer plus que la B. Le retour de la peine :
peine si elle est insuffisante pour couvrir la force obligatoire
les dommages'^. des clauses pénales
Jusqu'à la fin du XVIIP siècle, la
clause pénale est donc considérée comme 1. Le Code civil de 1804
ayant un caractère purement commi-
natoire, au sens donné à ce terme dans L'adoption du Code civil français de
1804 marquera un tournant dans l'his-
toire des clauses pénales. En effet, et mal-
Robert Joseph POTHIER et Jean Joseph gré l'influence avouée de Pothier sur les
BuGNET, Oeuvres de Pothier annotées et
codificateurs, ceux-ci rejettent son ap-
mises en corrélation avec le Code civil et la
proche fondée sur l'équité dans le traite-
législation actuelle, 2' éd., t. 2, Paris, Cosse
et Marchai / Henri Pion, 1861, p. 176.
Pour Pothier, en effet, une telle peine ex- Voir par exemple: Jean J. ROLLAND DE
cessive était nécessairement fondée sur ViLLARGUES (dir.). Répertoire de la juris-
une erreur ayant vicié le consentement prudence du notariat, t. 2, Paris, Adminis-
du débiteur: «c'est la fausse confiance tration de la Jurisprudence du Notariat,
qu'il a qu'il ne manquera pas à cette obli- 1841, p. 570 et 571 : «On entendait par
gation primitive, qui le porte à se sou- clauses comminatoires, certaines stipula-
mettre à une peine aussi excessive; qu'il tions auxquelles la jurisprudence ne don-
croit ne s'engager à rien en s'y soumet- nait pas tout l'effet qu'elles devaient avoir,
tant, et qu'il est dans la disposition de ne quoiqu'elles fussent valables en elles-
s'y pas soumettre, s'il croyait que le cas de mêmes. Le mot comminatoire vient du
cette peine pût arriver; [...] c'est pour- mot latin comminari, qui signifie mena-
quoi ces peines excessives doivent être ré- cer; et tel était le sens dans lequel s'enten-
duites à la valeur vraisemblable à laquelle daient les clauses dont il s'agit. [...] Pour
peuvent monter au plus haut les dom- qu'elles fussent réellement commina-
mages et intérêts du créancier, résultans toires, il faudrait que les juges pussent les
(sic) de l'inexécution de l'obligation pri- remettre ou les modérer. »
mitive.» (Id.,p. 180). C. MARUANI, préc., note 4, p. 60.
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ment de ces clauses. Privilégiant l'approche dommages et les clauses pénales apparaît
d'Azon, les codificateurs tranchent en fa- clairement à l'occasion de leurs discus-
veur de l'intangibilité des clauses pénales. sions au sujet de l'intangibilité de ces clau-
Du même coup, cependant, ils affirment ses. Ainsi, dans une version préliminaire
explicitement le caractère indemnitaire du Code présentée au Conseil d'État en
de la clause pénale, qui constitue, selon novembre 1803" , les codificateurs affir-
l'article 1229 C. civ. fr., «la compensation maient d'une part l'intangibilité de la
des dommages et intérêts que le créancier clause pénale, définie à l'article 122 comme
souffre de l'inexécution de l'obligation «celle par laquelle une personne, pour
principale ». La nature de la clause pénale assurer l'exécution d'une convention, s'en-
devient ainsi quelque peu paradoxale: gage à quelque chose en cas d'inexécu-
malgré sa nature indemnitaire, elle de- tion». Bien que l'article 125 précisait que
meure valide, peu importe le montant la peine était « la compensation des dom-
des dommages réellement subis par la mages et intérêts que le créancier souffre
partie qui réclame son application. de l'inexécution de l'obligation princi-
L'étude des discussions ayant en- pale», aucune disposition du projet ne
touré l'élaboration du Code nous éclaire traite explicitement de la possibilité pour
quant au contexte ayant donné naissance le juge de modifier le montant de la peine
à cette étrange situation. D'abord, il con- prévue, si ce n'est la mention de l'article
vient de souligner que, pour les codifica- 128 selon laquelle la peine peut être ré-
teurs, les clauses pénales et les clauses visant duite dans les cas où l'obligation princi-
l'évaluation des dommages-intérêts cons- pale a été exécutée en partie.
tituaient deux réalités qui, bien que sus- La situation était fort différente en
ceptibles de recoupements, demeuraient ce qui concerne les clauses de stipulation
distinctes. Ces deux notions faisaient en de dommages, que, selon l'article 49, les
effet l'objet de deux séries de dispositions juges avaient le pouvoir de modifier lors-
séparées: d'une part, le Code contenait que la somme stipulée «excédfait] évi-
une disposition portant sur les stipula- demment le dommage effectif»". Dans
tions de dommages figurant dans la sec- ce projet, la clause de dommages stipulés
tion sur le « Règlement des dommages et équivalait donc à une clause de limitation
intérêts résultant de l'inexécution de de responsabilité retirant au créancier le
l'obligation»''; d'autre part, une section droit de demander plus que le maximum
distincte regroupait diverses dispositions prévu par la convention, sans restreindre
portant sur les clauses pénales propre-
ment dites. Ce n'est que par la suite que
les auteurs en viendront à confondre ces
deux types de clauses et à leur appliquer Id., p. 3 et suiv.
le même principe d'intangibilité. Id., p. 11 : « Lorsque la convention porte
que celui qui manquera de l'exécuter
La distinction faite par les codifica- payera une certaine somme, il ne peut
teurs entre les clauses de stipulation de être alloué à l'autre partie une plus forte
somme, quoique le dommage se trouve
plus grand. Le juge peut, au contraire,
Pierre-Antoine FENET, Recueil complet des modérer celle stipulée, si elle excède évi-
travaux préparatoires du Code civil, t. 13, demment le dommage effectif.» (art. 49
Paris, Imprimerie Ducessois, 1827, p. 10. du Code civil français).
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le droit du débiteur de réclamer, confor- marquer la différence entre la clause de


mément à l'ancien droit, la diminution dommages-intérêts à laquelle le juge ne
d'une somme supérieure aux dommages peut rien changer, et la clause pénale qui
réellement subis'*. est susceptible d'être réduite »^°.
Dès le 3 novembre 1803, cependant, Lors de sa présentation au corps
le président de la section de législation du législatif, le 28 janvier 1804, Bigot de
Conseil d'État, Bigot de Préameneu, pro- Préameneu justifie la décision prise en
pose, au nom de la section, de mettre fin précisant que:
au pouvoir de révision des juges à l'égard « Si on eût donné aux juges le droit de
des clauses de dommages stipulés et réduire la somme convenue, il eût aussi
d'opter plutôt pour la « règle simple » se- fallu leur donner celui de l'augmenter en
lon laquelle «quand les parties ont fixé cas d'insuffisance. Ce serait troubler la
elles-mêmes le taux des dommages-inté- foi due aux contrats. La loi est faite pour
rêts, leur prévoyance ne devait pas de- les cas ordinaires, et ce n'est pas pour
meurer sans effet, et qu'il fallait respecter quelques exceptions que l'on devrait ici
leur convention, d'autant plus que, dans déroger à cette règle fondamentale, que
d'autres contrats, on ne corrige pas les les conventions sont la loi des parties.»^'
stipulations que les circonstances rendent Quant aux clauses pénales, il con-
ensuite excessives»". La section propose, vient de leur appliquer « les raisonnements
en conséquence, la rédaction suivante: faits sur la fixation d'une somme stipulée
«Lorsque la convention porte que celui pour dommages et intérêts »". En consé-
qui manquera de l'exécuter paiera une quence, « [l]e créancier ne doit pas être
certaine somme, il ne peut être alloué à admis à dire que cette peine est insuffi-
l'autre partie une somme plus forte ni sante, ni le débiteur à prétendre qu'elle est
moindre. » La suite des travaux de prépa- excessive »^\
ration verra, sur proposition de la section La distinction faite par les codifica-
de législation du tribunat, l'addition des teurs entre clauses de dommages stipulés
et clauses pénales conservera une certaine
mots «à titre de dommages-intérêts» après
pertinence pendant la première moitié
les mots «une certaine somme», l'objet
du XIX'= siècle. Ainsi, en 1819, Duranton
de cette modification étant « de détermi-
précise que, bien que la clause pénale et
ner la juste application de l'article, et de
la clause dont parle l'article 1152 C. civ.
fr. aient toutes deux pour fonction de
Selon les rédacteurs, le fait d'accorder des
fiixer des dommages-intérêts payables en
droits au débiteur et non au créancier re- cas d'inexécution, et ainsi de dispenser le
lativement à l'ajustement du montant créancier de prouver le préjudice subi, il
prévu était justifié par le fait que «le faut prendre garde de ne pas les confon-
créancier qui reçoit moins qu'il n'eût dre. En effet, tandis que «dans l'obliga-
exigé, si, lors de la convention, il eût pu tion avec clause pénale, le créancier peut
prévoir l'avenir, reçoit cependant tout ce négliger le bénéfice de cette clause, et de-
qu'il a stipulé, et a renoncé à recevoir da-
vantage; qui si, au contraire, il reçoit tout
ce qui a été convenu, et que le dommage là., p. 147.
soit moindre, il s'enrichit.»: ¡d., p. 56 et Id., p. 234.
57. Id., p. 262.
Id., p. 57. U.
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mander l'exécution de l'obligation prin- C. civ. fr. ne constituent au fond « qu'une


cipale [...] l'autre clause est comme un clause pénale »^l Cette opinion est égale-
forfait : en sorte que le créancier ne peut ment partagée par Laurent, qui affirme
demander que la somme convenue »^''. en 1887 que la clause pénale est identique
Dans un cas comme dans l'autre, cepen- à la clause prévue par l'article 1152 C. civ.
dant, le créancier « doit suivre la loi qu'il fr.'°. Cette identité explique d'ailleurs
s'est faite à lui-même dans la prévoyance selon lui l'absence de règle explicite et
de ce cas »~'. Le Répertoire Dalloz de 1860 spécifique concernant l'intangibilité des
reprend les distinctions faites par Duran- clauses pénales. En effet, l'adoption d'une
ton, précisant que « [c]'est aux juges qu'il telle disposition «était tout à fait inutile,
appartient de reconnaître, d'après les car la peine n'est pas autre chose que
termes de la convention, si les parties ont l'évaluation des dommages-intérêts par
voulu faire une stipulation pénale »'''. On convention: la clause pénale et les
ajoute comme distinction supplémentaire dommages-intérêts conventionnels sont
entre les deux types de clauses que, con- une seule et même clause sous des noms
trairement à la stipulation de dommages- différents. Il faut donc dire de la peine ce
intérêts, la clause pénale « n'entraine pas que l'article 1152 dit des dommages-
[...] la contrainte par corps contre le dé- intérêts conventionnels»".
biteur en cas d'inexécution »".
Cette assimilation, par la doctrine,
Huit ans plus tard, cependant, la dis- des clauses pénales et des clauses de dom-
tinction entre les dommages stipulés et mages-intérêts va de pair avec une cer-
les clauses pénales semble avoir disparu taine confusion relativement à la nature
de la doctrine française. Dans son traité de la clause pénale. Alors que d'aucuns
sur les contrats, Demolombe juge ainsi lui attribuent une nature réparatrice, d'au-
« hors de propos » de s'étendre sur la dis- tres insistent sur son caractère de peine
position de l'article 1152 C. civ. fr., qui privée; d'autres encore adoptent plutôt
constitue «évidemment une clause pé- une vision «dualiste» suivant laquelle la
nale»^'. En 1871, Aubry et Rau déclarent nature de la peine dépend de son mon-
que les conventions visées à l'article 1152 tant: «jusqu'à un certain seuil, le mon-
tant du préjudice, la peine est une simple
évaluation conventionnelle de la répara-
Alexandre DURANTON, Traité des contrats tion de droit commun; au-delà; elle re-
et des obligations en général, suivant le vêt la nature d'une peine privée »'-.
Code civil, t. 2, Paris, Imprimerie de
P.Gueffier, 1819,p.452.
Id., p. 462. Charles AUBRY et Charles RAU, Cours de
Désiré DALLOZ et Armand DALLOZ, Réper- droit civil français d'après la méthode de
toire méthodique et alphabétique de légis- Zachariae, 4' éd., t. 4, Paris, Imprimerie
lation, de doctrine et de jurisprudence. et librairie générale de jurisprudence
Nouvelle édition, vol. 33, Paris, Bureau Marchai, Billard et Cie, 1871, p. 106.
de la jurisprudence générale, 1860, p. 357. François LAURENT, Principes de droit civil,
W.,p.21O. 4' éd., t. 16, Bruxelles, Bruylant, 1887,
Charles DEMOLOMBE, Cours de Code civil: p. 422.
Des contrats ou des obligations conven- Id.,p.449.
tionnelles en général, Bruxelles, J. Stienon, Denis MAZEALJU, La notion de clause pé-
1868, p. 606. aris, L.G.D.J., 1992, p. 318.
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La détermination de la nature de la des débats, de {sic) enquêtes qu'il ne per-


clause pénale n'est pas qu'une question met pas pour la réduire ? w^"
théorique. Elle représente un enjeu réel
dans les cas où le créancier qui réclame 2. Le Code civil du Bas Canada
son application n'a subi aucun dom-
mage. Faut-il alors, comme le préconise Lors de la rédaction du Code civil du
Dalloz, refuser son application, au motif Bas Canada, l'assimilation des clauses pé-
qu'elle constitue la compensation des nales aux stipulations de dommages n'est
dommages-intérêts ? Ou faut-il plutôt lui pas encore totalement consacrée dans la
donner effet de façon à reconnaître son doctrine française. Tout comme le Code
aspect pénal? La majorité de la doctrine Napoléon, le Code civil du Bas Canada
française opte pour la deuxième solution. contient deux séries de dispositions. D'une
Ainsi, Thoureau pensait que : part, la section intitulée « Des dommages-
«soutenir qu'il n'y a pas de préjudice, intérêts résultant de l'inexécution des
c'est, sous une autre forme, chercher à obligations » reproduit pour l'essentiel les
établir que le créancier en a éprouvé un articles 1145 à 1154 du Code civil fran-
infiniment petit. C'est toujours discuter
çais. Elle s'en écarte cependant en pré-
sur la quotité des dommages contraire-
ment à l'art. 1152. En effet, quelque petit voyant une exception au pouvoir du juge
que soit le dommage, la peine est due en de diminuer les dommages dans les cas
entier. [...] le débiteur qui ne peut, d'une où l'obligation a été exécutée en partie à
façon absolue, établir en justice que la l'avantage du créancier : les parties pour-
peine est supérieure au dommage, ne ront écarter ce pouvoir au moyen d'une
pourra point l'établir non plus dans l'hy- stipulation (art. 1076 C.c.B.C). D'autre
' pothèse où ce dommage sera infiniment part, la section intitulée « Des obligations
petit, c'est-à-dire nul ; parce que son ar- avec clauses pénales » diffère de la version
gumentation devrait toujours prouver
française sur deux points. D'abord, les
que le dommage est plus petit que toute
quantité donnée. »" codificateurs omettent de reproduire l'arti-
cle 1229 C.N., prévoyant que la peine est
De même, pour Merlin, si le Code
la compensation des dommages-intérêts
civil ne permet pas de réduire la clause
résultant de l'inexécution de l'obligation.
pénale dont le montant excède le dom-
mage, souffert par le créancier, « [c]om-
ment donc permettrait-il de la neutraliser
Philippe-Antoine MEKLIN, Répertoire uni-
tout-à-fait, sous le prétexte que le créancier versel et raisonné de jurisprudence, 5'éd.,
n'a souffert aucun dommage? Comment t. 12, Paris, J.P Roret/Garnery, 1827,
autoriserait-il, pour neutraliser tout-à- p. 292; voir également: Marcel PLANIOL,
fait la stipulation pénale, des recherches. Traité élémentaire de droit civil, T éd., t. 2,
Paris, Pichón, 1902, p. 84: «il n'y a pas
lieu de rechercher si le créancier souffre
ou non un dommage par suite de l'inexé-
cution de l'obligation. La convention
faite à forfait a justement pour but de
Edme THOUREAU, De la clause pénale dans supprimer tout examen de ce genre. La
les obligations en droit romain et droit clause pénale est due (et c'est là un de ses
français, thèse de doctorat, Paris, Faculté grands avantages), dès que le débiteur est
de droit. Université de Paris, 1883, p. 187. responsable de l'inexécution».
Droit des obligations 395

Pour les codificateurs québécois, une telle payés, si le débiteur n'exécute pas son
assimilation de la peine stipulée aux obligation, ou s'il ne l'exécute que tardive-
dommages-intérêts « sans aucune restric- ment. Elle tient donc lieu de dommages et
tion, est une confusion de choses qui dif- intérêts; elle en est la compensation»"*.
fèrent sous plusieurs rapports et sont De plus, si Mignault reste silencieux sur
régies par des règles différentes»''. En- la question de savoir si un créancier peut
suite, le Code civil du Bas Canada ex- réclamer la somme prévue dans la clause
prime le principe d'intangibilité des pénale même dans les cas où le manque-
clauses pénales en des termes plus expli- ment du débiteur n'a entraîné aucun pré-
cites que son pendant français. En effet, judice, Langelier, quant à lui, y répond
dans le Code Napoléon, l'intangibilité des par l'affirmative: «le créancier qui a sti-
clauses pénales ne pouvait découler que pulé une pénalité pour le retard dans
d'une interprétation a contrario de l'ar- l'exécution de l'obligation a le droit de
ticle 1231 C.N. portant sur les cas d'exé- l'exiger alors même qu'il n'aurait souffert
cution partielle de l'obligation, ou, aucun dommage»".
comme la doctrine le fit dans les années Si elle est claire en doctrine, l'assimi-
suivant l'adoption du Code, d'une appli- lation des clauses pénales et des clauses de
cation du principe d'intangibilité ex- stipulation de dommages continue d'ali-
primé à l'article 1152 C.N. relativement menter les débats devant les tribunaux
aux clauses de dommages stipulés. L'ar- pendant plusieurs années", comme l'in-
ticle 1135 C.c.B.C. prévoit quant à lui la diquent les arguments soulevés dans le
règle générale selon laquelle « le montant cadre de l'affaire Canadian Rubber^''. Dans
de la peine ne peut être réduit par le tri- cette affaire, un contrat de vente de pièces
bunal », sauf en cas d'exécution partielle. d'équipement électrique prévoyait le paie-
De plus, les parties demeurent libres ment d'une somme de 25 $ pour chaque
d'écarter ce pouvoir de révision excep- jour de retard dans la livraison des mar-
tionnel en concluant «une convention chandises commandées. Le fournisseur
spéciale à l'effet contraire ».

Comme dans la doctrine française,


la distinction que font les codificateurs Pierre-Basile MIGNAULT, Le Droit civil
entre clauses pénales et clauses de stipu- canadien, vol. 1, Montréal, Whiteford &
lations de dommages s'estompera rapi- Théoret, 1895,p.521.
dement dans la doctrine québécoise à la François LANGELIER, Cours de droit civil
suite de l'adoption du Code. Dès 1895, de ¡a province de Québec, t. 3, Montréal,
Mignault affirme ainsi que la clause pé- Wilson & Lafleur, 1907, p. 528.
nale constitue « l'estimation que les par- On peut présumer que la distinction faite
ties font elles-mêmes, du montant des en common law entre liquidated damages
et penalty n'est pas étrangère à la persis-
dommages et intérêts qui devront être
tance de ce débat devant les tribunaux
québécois.
Canadian General Electric Company c.
COMMISSAIRES CHARGÉS DE CODIFIER LES LOIS Canadian Rubber Company of Montreal,
DU BAS CANADA EN MATIÈRES CIVILES. Code [ 1914] 47 e s . 24 (C. rév.) ; cette décision
civil du Bas Canada. Premier, Second et de la Cour de révision a été confirmée
Troisième Rapports, Québec, Imprimé par par la Cour suprême du Canada ([1915]
George E. Desbarats, 1865, p. 25. 52R.C.S.349).
396

avait alors plaidé que la clause en ques- jurisprudence''^.


tion ne constituait pas une clause pénale,
mais bien une clause de dommages liqui-
dés visée par l'article 1076 C.c.B.C, dont II. La clause pénale dans le
l'application exige du créancier qu'il al-
Code civil du Québec:
lègue et prouve la présence d'un préju-
dice. Sous la plume du juge Creenshields, peine ou compensation ?
la Cour de révision rejette cet argument :
L'adoption du Code civil du Québec
« If it was held to be necessary that the
signale un changement important relati-
defendant should allege damages, it is
vement aux clauses pénales. D'une part,
certainly necessary that it should prove
its damages ; but the precise object of the sur le plan de la structure du Code, on
clause in the contract was to settle and procède au regroupement de l'ensemble
determine in advance the damage, and des dispositions relatives aux clauses pé-
thereby relieve the defendant from mak- nales dans la section II du chapitre VI
ing proof difficult under such circum- portant sur l'exécution de l'obligation,
stances at all times and impossible at sous le titre « De l'évaluation anticipée ».
other times. »"" Ensuite, l'alinéa 2 de l'article 1623 C.c.Q.
Cette position se consolide au cours met fin à l'intangibilité des clauses pé-
du 20'^ siècle, tant en doctrine"" qu'en nales, dont « le montant de la peine stipu-
lée peut être réduit si l'exécution partielle

Id., 27.
Par exemple, Faribault déclare qu'un juge Québec, Presses de FUniversité Laval,
saisi d'une demande d'application d'une 1975, p. 398 qui écrivait que « [l]a règle
clause pénale « ne sera appelé à décider d'intangibilité trouve aussi appui dans la
que deux choses, savoir: si le débiteur est notion même de clause pénale (penalty),
en faute selon les dispositions des articles qui est définie comme le paiement d'une
1070, 1071 et 1072, et si cette faute a somme convenue pour l'inexécution (ou
causé un préjudice au créancier. S'il dé- l'exécution tardive) d'un contrat, indé-
cide dans l'affirmative, il devra condam- pendamment d'un préjudice».; Chantai
ner le débiteur à payer le montant que les PEUKEAULT, Les clauses pénales, Cowansville,
parties ont fixé à l'avance.»: Léon Éditions Yvon Biais, 1988, p. 84: la cour
FARIBAULT, Traité de droit civil du Québec, ne doit «pas considérer l'absence de dom-
t. 7-bis, Montréal, Wilson & Lafleur, mage réel, ce prérequis n'existant pas, la
1957, p. 421. Voir également: Louis clause pénale dispensant de cette preuve».
BAUDOUIN, Le droit civil de la Province de Voir : Boretskyc. Amherst Bowling Recrea-
Québec, Montréal, Wilson & Lafleur, tion Inc., [1965] e s . 521: «La susdite
1953, p. 585, professant que «la clause clause pénale constituait la loi entre les
pénale dispense le créancier qui en de- parties. D'après la doctrine et la jurispru-
mande l'exécution de toute preuve. Elle dence, il n'y a pas lieu d'établir si le
agit automatiquement, sans que le créan- créancier souffre ou non un dommage
cier soit tenu de prouver l'existence du par suite de l'inexécution de l'obligation.
préjudice, que lui cause soit le retard, soit La convention entre les parties a juste-
l'inexécution. Cette dispense de preuve ment pour but de supprimer tout examen
est normale ; elle est même un des buts de ce genre; la clause pénale s'applique
essentiels de cette institution.»; Maurice dès que le débiteur est responsable de
TANCELIN, Théorie du droit des obligations. l'inexécution.»
Droit des obligations 397

de l'obligation a profité au créancier ou si position laisse cependant entière la ques-


la clause est abusive ». tion de savoir si une clause pénale est ap-
La possibilité pour le juge de réduire plicable en l'absence de tout préjudice.
une clause considérée comme abusive est En d'autres mots, un juge convaincu
en soi porteuse d'un paradoxe. En effet, qu'un créancier n'a subi aucun préjudice
comme le reconnaît l'article 1623 al. 1 peut-il refuser d'appliquer la clause, ou
C.c.Q., un des principaux avantages des doit-il plutôt réduire son montant s'il le
clauses pénales est justement de dispen- considère abusif?
ser le créancier de devoir prouver le pré- Une étude de la doctrine québécoise
judice qu'il a subi. Or, la détermination actuelle faillit à apporter une réponse
du caractère abusif d'une clause pénale claire et uniforme à cette question, les
implique nécessairement, quoique non auteurs étant partagés à la fois sur la
exclusivement, la détermination du mon- question de la nature des clauses pénales
tant réel des dommages subis par le créan- et sur la marche à suivre par le juge en cas
cier et sa comparaison avec le montant d'absence alléguée ou prouvée de préju-
de la pénalité prévue par la clause. dice. Selon Pineau, Burman et Caudet,
La doctrine et la jurisprudence ont l'application d'une clause pénale ne peut
tenté de régler le problème de l'apparente se faire en l'absence totale de préjudice, et
perte d'utilité d'une clause pénale révi- ce, en raison de la nature même d'une
sable, en optant pour une interprétation telle clause. En effet, selon eux, «le nou-
qui préserve une partie des avantages de veau Code insiste davantage sur l'aspect
la clause pour le créancier, malgré la pos- estimatoire d'une évaluation par antici-
sibilité de réduire son montant. On af- pation que sur l'aspect comminatoire,
firme ainsi que si, d'une part, le créancier même si le terme peine est utilisé »'*'. La
ne doit prouver que la faute, et non les clause pénale constituant une évaluation
dommages eux-mêmes, pour réclamer conventionnelle des dommages-intérêts,
l'application de la clause, le débiteur peut son application requiert la présence d'un
de son côté tenter de convaincre le juge préjudice'''. De même, Karim professe
que le montant de la peine est excessif que:
par rapport aux dommages réels. Ce ne « S'il est vrai que le but de la clause pé-
sera que dans de tels cas que le créancier nale est d'éviter au créancier d'avoir à
pourra être contraint de faire la preuve prouver les dommages subis, il est égale-
du préjudice subi afin d'établir le carac- ment vrai que l'existence d'une clause
pénale dans le contrat ne signifie pas que
tère non abusif du montant fixé*". Cette
le créancier a le droit de réclamer le

Cette interprétation de l'article 1623


C.c.Q. rappelle le système établi sous Claude Masse, Cowansville, Éditions
l'ancien droit et mentionné ci-haut, se- Yvon Biais, 2003, p. 527, à la page 551 ;
lon lequel la fonction principale des Didier LLUELLES et Benoît MOORE, Droit
clauses pénales était de renverser le far- des obligations, T éd., Montréal, Éditions
deau de preuve relatif à l'établissement Thémis, 2012, p. 1876.
des dommages-intérêts. Voir également : Jean PINEAU, Danielle BURMAN et Serge
Vincent KARIM, «La clause pénale et le GAUUET, Théorie des obligations, 4' éd.,
pouvoir de révision des tribunaux », dans Montréal, Éditions Thémis, 2001, p. 791.
Pierre-Claude LAFONU (dir.). Mélanges Id., p. 787.
398 (2013)47i</r[/M387

montant sans que le défaut du débiteur doctrine de ré-ouvrir le sens établi des
ne lui cause aucun préjudice ou dom- termes de base du droit »'". Conformé-
mage. En effet, accepter l'application ment à l'ancien droit, une clause pénale
d'une clause pénale même en l'absence demeure donc applicable, que le créan-
d'un préjudice subi aurait pour effet de cier ait ou non subi un préjudice. De
permettre l'enrichissement d'une partie même, pour Baudouin et Jobin, l'affir-
au détriment de l'autre et il s'ensuivrait mation selon laquelle une clause pénale
alors un déséquilibre entre les parties.»" est sans effet en l'absence de préjudice est
Lluelles et Moore sont également une «affirmation contestable qui nie le
d'avis que l'application de la clause pé- caractère comminatoire que les parties
nale requiert la présence d'un préjudice. peuvent légalement donner à la clause et
Selon eux, l'article 1623 C.c.Q. ne déroge qui est trop générale sur le pouvoir du
pas à l'exigence d'un préjudice, mais « ne tribunal de réviser une pénalité abusive »•''°.
concerne que le fardeau de la preuve en En réponse à cet argument, Lluelles et
cette matière. Certes, le créancier n'est Moore admettent la possibilité pour une
pas tenu de prouver le préjudice, il lui clause à caractère dissuasif de s'appliquer
suffit de prouver l'inexécution fautive.
même en l'absence de préjudice. Cepen-
[...] Mais le débiteur, lui, a parfaitement
dant, selon eux, «il importerait que ce
le droit de contester la présence d'un pré-
caractère comminatoire soit particulière-
judice et d'éviter l'application d'une
ment apparent, en termes de volonté des
clause pénale, s'ü parvient à convaincre le
contractants, pour évacuer un principe
juge que l'inexécution n'a causé nul pré-
aussi fondamental que l'exigence d'un
judice au créancier. »"
préjudice en matière de responsabilité ci-
De son côté, Tancelin déplore cette
vile»''.
position qui consiste, d'après lui, à mini-
miser à tort le rôle comminatoire de la Sur la base de la doctrine actuelle,
clause pénale sur le fondement d'« argu- un juge appelé à se prononcer sur l'appli-
ments exégétiques fragiles, voire même cation d'une clause pénale en l'absence
inexistants »•". Selon lui, le nouveau Code de préjudice peut choisir entre les deux
«réaffirme clairement le caractère com- options suivantes :
minatoire de l'institution par l'emploi 1. choisir de déclarer la clause inap-
répété du mot peine. Les règles d'inter- plicable, rendant ainsi superflue
prétation des lois ne permettent pas à la toute analyse de son caractère abu-
sif sous l'article 1623 C.c.Q.;
2. appliquer la clause, sous réserve
Vincent KARIM, Les obligations, 3' éd., vol. d'une éventuelle réduction si elle
2 «Articles 1497 à 1707 C.c.Q.», Mon-
est abusive, mais sans l'annuler,
tréal, V^ilson & Lafleur, 2009, p. 839 et
840.
D. LLUELLES et B. MOOKE, préc, note 43, •" Id., p. 782.
p. 1876; voir également: Sébastien '° Jean-Louis BAUDOUIN et Pierre-Gabriel
GRAMMOND, Anne-Françoise DEBRUCHE et JoBiN, Les obligations, 6' éd., par P.-G.
Yan CAMPAGNOLO, Quebec Contract Law, JOBIN avec la coUab. de Nathalie VÉZINA,
Montréal, Wilson & Lafleur, 2011, p. 242. Cowansville, Éditions Yvon Biais, 2005,
Maurice TANCELIN, Des obligations en p. 913.
droit tnixte du Québec, T éd., Montréal, " D. LLUELLES et B. MOORE, préc, note 43,
Wilson & Lafleur, 2009, p. 783. p. 1877.
Droit des obligations 399

afin de conserver son effet dissua- Cet obiter dictum du juge Wéry ins-
sif. pirera l'année suivante la juge Sévigny
Quelle est la position privilégiée par dans Oberson c. Placements Jean Maynard
les tribunaLix québécois ? Inc.'''. Dans cette affaire, une peine était
Afin de le savoir, nous avons identi- prévue en cas de non obtention de la li-
fié dans les bases de données juridiques bération des demandeurs de certaines ga-
québécoises l'ensemble des décisions ren- ranties à l'intérieur du délai prévu par la
dues par les tribunaux relativement à convention. Or, les demandeurs n'avaient
l'application de l'article 1623 C.c.Q. de- fourni aucune preuve prima facie de l'exis-
puis l'adoption du Code civil du Québec, tence d'un quelconque préjudice lié à cette
afin d'identifier celles dans lesquelles on violation. La juge refusa d'ordonner le
avait soit plaidé, soit établi que le créan- paiement de la peine, invoquant la possi-
cier de la clause pénale en cause n'avait bilité prévue à l'article 1623 C.c.Q. de
subi aucun préjudice. modifier les clauses dont l'application
D'après nos recherches, c'est en 1999 heurterait «le sens élémentaire de la jus-
que la question de l'applicabilité d'une tice »'^'. Selon cette décision, une clause
clause pénale en l'absence de préjudice pénale est donc réductible « à néant » sous
subi par le créancier a été traitée pour la l'article 1623 C.c.Q., et non, suivant le
première fois par un juge québécois. L'af- raisonnement de l'affaire Giguèré''\ inap-
faire Giguère c. LéonariP- concernait une plicable, en l'absence de préjudice.
convention entre actionnaires compre- En 2003, la Cour du Québec adopta
nant une clause de non-concurrence liée une position semblable dans Lefebvre c.
à une clause pénale. Dans sa décision, le Pelossé^. Dans cette affaire, la violation
juge Wéry conclut que les faits reprochés d'une promesse d'achat par les promet-
à la débitrice ne constituent pas une vio- tants-acheteurs avait entraîné un profit
lation de la clause de non-concurrence, pour le promettant-vendeur, qui avait re-
écartant de ce fait le paiement de la peine vendu la maison à un tiers à profit en
prévue. Il ajoute cependant que, «bien plus d'encaisser l'acompte des promet-
que l'existence d'une clause pénale dis- tants-acheteurs. Il s'agissait donc de déter-
pense le créancier de son obligation miner si les vendeurs avaient néanmoins
d'établir le montant de ses dommages, il droit à la pénalité prévue dans la pro-
n'apparaît pas déraisonnable d'exiger de messe. Après avoir mentionné le critère
lui, à tout le moins, une preuve prima fa- de la preuve prima facie comme condi-
cie qu'il a effectivement subi de tels dom- tion d'application de la clause, le juge
mages »" et ce même, comme en l'espèce, Gosselin le rejette au profit de la réduc-
en présence d'une clause indiquant que tion de la clause aux termes de l'article
«le seul défaut est réputé causer un pré- 1623 C.c.Q.:
judice aux créanciers de l'obligation de
non-concurrence »'^.

[2000] J.Q. No 3079 (C.S.) (QL/LN), J.E.


2000-1951 (C.S.).
[1999] J.Q. No 2217 (C.S.) (QL/LN), J.E. Id., par. 42.
99-1504 (C.S.). . . Giguère c Léonard, préc, note 52.
Id., par. 63. [2004] J.Q. No 5458 (C.Q.) (QL/LN), J.E.
Id., par. 64. 2004-955 (O.S.).
400 (2013)47ií/rLrM387

« [l]e Tribunal est plus à l'aise de quali- l'application d'une clause pénale conte-
fier le problème auquel il est ici con- nue dans un baiFl Malgré sa conclusion
fronté comme en étant un de clause selon laquelle il ne s'est produit aucune
pénale abusive en regard de l'absence de violation contracttieUe susceptible d'en-
préjudice, qu'un problème de clause pé- trainer le paiement de la pénalité, le juge
nale ayant perdu sa force obligatoire qualifie ainsi, en obiter dictum, l'impact
parce que le créancier a fait défaut de de l'absence de preuve de préjudice subi :
prouver une condition d'ouverture. Ce «]a]s the French authors Terré, Simler,
qui revient à dire que, de l'avis du Tribu- and Lequette have opined, the purpose
nal, le problème ne découle pas de la of a penal clause is to eliminate debate
clause pénale elle-même, mais plutôt du not only about the extent, but also the
fait que dans un cas d'espèce, sa réalisa- reality of the damage suffered in the
tion paraît abusive au point de heurter la event of its breach.
justice contractuelle. »" Thus the creditor of the obligation does
En conséquence, le juge choisit de not have to prove the prejudice he suf-
« réduire à néant »'^' la pénalité prévue. fers if it is not performed. The loss of the
Plusieurs décisions de la Cour supé- performance itself constitutes the preju-
rieure et de la Cour du Québec contre- dice, so that just as the creditor may in
disent cependant ces deux affaires, en that event compel the performance, he
optant plutôt pour la seconde option, may alternatively exact its pre-agreed
soit la réduction de la clause. Par exem- monetary equivalent. »"'
ple, en 2001, un jugement de la Cour De plus, selon lui, même si l'article
supérieure ordonne le paiement d'une 1623 C.c.Q. permet de réduire la peine,
pénalité prévue dans un bail commercial, celle-ci doit néanmoins demeurer supé-
malgré l'absence de dommages subis par rieure aux dommages réellement subis,
le locateur'^'. En 2002, dans l'affaire Pellin afin de préserver sa fonction dissuasive".
c. Bedcé-, qui ne mentionne ni l'affaire
Oberson", ni l'affaire Ciguèré*, le juge
Frappier conclut qu'en l'absence de preuve 299 Sir Wilfrid Laurier Investments Ltd. c.
de perte pécuniaire et vu le caractère mi- Trust général du Canada, 2003 CanLII
neur des violations contractuelles ayant 6357 (QC es.).
entraîné l'application de la clause pénale, Id., par. 43-44.
il y a lieu de réduire la clause de 320 000 $ Plusieurs décisions rendues par la Cour
du Québec entre 2001 et 2012 concluent
à 20 000 $. L'année suivante, le juge
également à l'application des clauses pé-
Fraiberg, est appelé à se prononcer sur
nales en l'absence de preuve de préjudice,
voir : Amjot Singh Transport [AST] Inc. c.
RM Logistic (Red Market Inc.), 2010
Id., par. 38. QCCQ 1262, [2010] J.Q. No 3745 (C.Q.)
Id., par. 39. (QL/LN) ; Entreprises Cam construction Inc.
3353672 Canada Inc. c .Diab, [2011] J.Q. c. Tcheutchoua Peughouia, 2010 QCCQ
No2145(C.S.) (QL/LN). 6692, [2010] J.Q. No 7486 (C.Q.) (QL/
Pellin c. Bedco, division de Gérodon Inc., LN) ; Les systèmes de formation et gestion
]2002] J.Q. No 5544 (C.S.) (QL/LN), J.E. Perform Inc. c Kherbouche, [2003] J.Q.
2003-217 (C.S.). No 17697 (C.Q.) (QL/LN), J.E. 2004-55
Oberson c. Placements Jean Maynard Inc., (C.Q.); Mécanique Boucherville Inc. c.
préc, note 55. Québec Express International, 2012 QCCQ
Giguère c. Léonard, préc, note 52. 3826; D'Aragon c. St-Pierre, [2000] n° AZ-
Droit des obligations 401

C'est en 2007 que la Cour d'appel de Gestess Plus. Cependant, les relations
est appelée à se prononcer pour la pre- d'affaires entre Gestess Plus et le client
mière fois sur la question. Dans Rohitaille étaient déjà terminées lors de l'embauche
c. Gestion L. Jalbert Inc.''^, la Cour doit dé- de Mme Harvey, dont la conduite n'avait
terminer s'il y a lieu d'imposer une péna- ainsi causé aucun dommage à son ex-
lité de 50 000 $ à la suite d'une « violation employeur. Au nom de la majorité, le
mineure» d'une clause de non-concurrence juge Pelletier précise que, bien qu'une
par Robitaille. Au nom de la Cour, la juge clause puisse dispenser son bénéficiaire
Thibaut s'exprime ainsi : de prouver non seulement l'étendue, mais
« [e]n premier lieu, il s'agit de vérifier si l'existence même d'un préjudice, «cette
cette violation mineure a entraîné un seule dispense ne permet pas de conclure
préjudice pour les intimées et, dans le dans tous les cas à l'application de la clause
cas contraire, si l'application de la clause pénale»". En effet, une telle clause ne
pénale ne devrait pas être écartée. peut s'appliquer en l'absence de préjudice
En effet, la jurisprudence et la doctrine
que si la volonté des parties à cet effet est
sont à l'effet que le tribunal peut exiger
claire. Or, en l'espèce, malgré que Gestess
du créancier de la clause pénale la preuve
prima facie de l'existence d'un préjudice
Plus avait l'intention de donner une por-
subi.»" tée comminatoire à la clause pénale,
La Cour conclut qu'en l'espèce, le « [c]ette seule volonté ne permet cepen-
seul recrutement par Robitaille d'une in- dant pas de tirer ici ¡'inference que les
firmière qui aurait pu autrement être re- parties entendaient conférer à ce carac-
tère particulier de la clause une impor-
crutée par l'autre partie constitue une
tance telle qu'elle devait rendre la pénalité
preuve prima facie de préjudice qui n'a
exigible lors même que le manquement
pas été écartée par Robitaille. Cependant, n'emporterait aucune conséquence né-
la peine prévue étant nettement supérieure faste au créancier. [...]
au préjudice « potentiellement subi »^'', la [F]aute de préjudice, l'appelante «Plus»
Cour la réduit de 50 000 à 20 000 $. ne pouvait réclamer l'application de la
L'année suivante, la Cour d'appel est clause pénale pas plus qu'elle n'aurait été
appelée à préciser sa position dans ¡a dé- justifiée d'exiger le paiement de dom-
cision Gestess Plus (9088-0964 Québec Inc.)
mages-intérêts. »"'
c. Harvey^'. Dans cette affaire, une ex- Ainsi, la Cour d'appel confirme l'ap-
employée de Gestess Plus, M"" Harvey, proche prise dans Robitaille^ selon la-
avait violé une clause de non-concurrence quelle l'application d'une clause pénale
en ayant travaillé chez un ancien client est conditionnelle à la preuve de l'exis-
tence d'un préjudice, à tout le moins en
l'absence d'une indication claire des par-
00036671 (C.Q.); RCI Environnement ties à l'effet contraire. Le tribunal s'écarte
Inc. c. Marketing & communications
cependant de Robitaille quant à la ma-
Magenta Inc., 2009 QCCQ 5742, [2009]
n°AZ-50562165(C.Q.).
nière de procéder pour établir l'existence
2007 QCCA 1052, [2007] J.Q. No 8193
(C.A.) (QL/LN).
Id., par. 45-46. Id., par. 20.
Id., par. 54. 7íi., par. 21-22.
2008 QCCA 314, [2008] J.Q. No 1093 Robitaille c. Gestion L. Jalbert Inc., préc,
(C.A.) (QL/LN). note 68.
402 (2013) 47 Ä/TiJM 387

d'un tel préjudice : plutôt que de faire ap- dépend ultimement du caractère diss-
pel à la notion de preuve prima facie pou- uasif ou estimatoire que les parties ont
vant être exigée du créancier reprise par entendu donner à cette clause. Elles sous-
la juge Thibaut, le juge Pelletier opte entendent qu'une clause purement esti-
pour l'existence d'une présomption sim- matoire ne pourra trouver application
ple de l'existence de préjudice pouvant que si un préjudice a effectivement été
être repoussée par le débiteur. Cette no- subi. Au contraire, une clause dont le ca-
tion de présomption simple de préjudice ractère dissuasif ressort clairement sera
sera reprise par la suite par la Cour supé- applicable, mais pourra être réduite (mais,
rieure dans deux décisions rendues en on le suppose, non pas annulée) si elle est
2010 et 2012. Dans Gennium Produits abusive.
pharmaceutiques Inc. c. Rioia'', le juge
Marc-André Blanchard écarte clairement
l'idée selon laquelle un créancier doive
fournir une preuve prima facie de préju- La doctrine et la jurisprudence ac-
dice afin de pouvoir réclamer la pénalité. tuelles font état d'un certain flottement
Selon lui, c'est plutôt au débiteur d'éta- quant à la bonne manière d'appliquer ou
blir l'absence de dommages afin d'écarter d'écarter une clause pénale dans les cas
l'application de la clause"'. Cette appro- où le créancier n'a pas subi de préjudice.
che est de nouveau reprise par la Cour Chacune des options étudiées, si elle de-
dans RPM Excavation Inc. c. AllarcC, avec vait finalement prévaloir en droit québé-
cependant une réserve importante : le dé- cois, ne serait pas sans causer certains
biteur ayant établi l'absence de préjudice problèmes. Trois points méritent d'être
ne pourra éviter de ce fait l'application soulignés à cet égard, soit le pouvoir du
de la clause pénale « si le caractère com- juge d'annuler une clause pénale aux ter-
minatoire de la clause pénale démontre mes de l'article 1623 C.c.Q., la question
clairement que l'intention des parties était de la preuve de l'absence de préjudice, et
d'évacuer l'exigence d'un préjudice»'*. la détermination par le juge du caractère
estimatoire ou dissuasif d'une clause pé-
Les décisions Gestess^'' et RPM Exca-
nale particulière.
vation^" suggèrent que l'application d'une
Comme nous l'avons vu, une des so-
clause pénale en l'absence de préjudice
lutions préconisées par certains juges en
cas d'absence de préjudice consiste à an-
2010 QCCS 4543. nuler, ou « réduire à néant », la clause en
Id., par. 37 : « dans l'éventualité ou le dé- question en l'absence de préjudice. Cette
biteur de l'obligation a été en mesure de solution est cependant problématique en
prouver que son créancier n'a subi aucun ce qu'elle semble contredire le texte même
dommage, alors, ce dernier n'aura pas le de l'article 1623 C.c.Q., qui mentionne la
droit de recevoir le bénéfice de la clause possibilité de «réduire» une clause abu-
pénale». sive, et non de l'annuler". De plus, une
2012 QCCS 1007.
Id., pat. 41.
Gestess Plus (9088-0964 Québec Inc.) c. En comparaison, l'article 1437 al. 1
Harvey, préc, note 71. C.cQ. prévoit quant à lui clairement la
RPM Excavation Inc. c. Allard, préc, possibilité d'annuler une clause abusive :
note 77. «La clause abusive d'un contrat de
Droit des obligations 403

interprétation large d u m o t «réduire» qui purement et simplement. Le droit qué-


inclurait la «réduction à néant» vien- bécois tolère les peines raisonnables.»'^
drait remettre en question le caractère dis- De même, pour Lluelles et Moore,
suasif de telles clauses. Ainsi, Baudouin et «l'article 1623 ne concerne que la réduc-
Jobin sont d'avis que : tion du montant ; il ne saurait être ques-
« [l]e législateur n'a accordé aux tribu- tion d'annuler la clause au profit de la
naux que le pouvoir de réduire le mon- valeur réelle du préjudice»". Selon Pineau,
tant de la peine; le juge, en vertu de Burman et Gaudet, «le tribunal qui pro-
l'article 1623 ne saurait donc annuler la cédera à la réduction de la peine doit
pénalité abusive ni en modifier les mo- maintenir celle-ci au-delà du préjudice
dalités [...] Quand une pénalité est abu-
réel, à défaut de quoi il se trouverait à
sive, comme on le verra dans un instant,
faire totalement disparaître l'utilité d'une
le rôle du tribunal est de la réduire à un
montant acceptable, et non de l'annuler telle clause»*''. Ces auteurs considèrent
ainsi qu'une clause pénale est tout sim-
plement inapplicable, et non annulable,
en l'absence de préjudice'\
consommation ou d'adhésion est nulle
II semble donc que l'annulation d'une
ou l'obligation qui en découle, réduc-
clause pénale devrait passer par une dé-
tible.» La question de savoir si cet article
peut être invoqué au lieu de l'article 1623 claration de son inapplicabilité, et non
G.c.Q. pour obtenir l'annulation d'une par sa réduction à néant sous l'article 1623
clause pénale contenue dans un contrat C.c.Q. Ceci soulève à son tour la question
d'adhésion ou de consommation ne fait de la preuve requise pour conclure à
cependant pas consensus dans la doc- l'inapplicabilité. Comme nous l'avons vu,
trine. Comparer à cet effet : D. LLUELLES et dans la première décision québécoise
B. MOORE, préc, note 43, p. 1041 et 1042 portant sur cette question (Giguèré''), on
(«il nous semble que l'article 1623 n'est mentionnait qu'une preuve prima fade
pas exclusif de l'article 1437») et J.-L.
BAUDOUIN et P.-G. JODIN, préc, note 50,
par. 119 (« une opinion largement répan- J.-L. BAUDOUIN et P.-G. JOIÎIN, préc,
due avance qu'on devrait permettre au note 50, p. 167 et 168.
débiteur, dans un contrat d'adhésion ou D. LLUELLES et B. MOORE, préc, note 43,
de consommation, de s'appuyer sur l'ar- p. 1879; voir aussi: V. KARIM, préc,
ticle 1437 - qui confère aussi le pouvoir note 46, p. 832 : « lorsqu'il ne s'agit pas
d'annuler une clause abusive - pour ré- d'un contrat d'adhésion ou de consom-
clamer du juge qu'il annule la pénalité, mation, le tribunal ne peut annuler la
au motif que le débiteur, dans un tel clause pénale. Il peut seulement réduire
contrat, pourrait choisir entre la règle gé- le montant jugé excessif et déraisonna-
nérale de l'article 1437 et celle de l'article ble.»
1623. C'est là faire fausse route, à notre
J. PINEAU, D. BUIÍMAN et S. GAUDET, préc,
avis: seul l'article 1623 est pertinent.») Il
note 44, p. 798.
est à noter que les arguments au soutien
Évidemment, il reste toujours la possi-
de l'une ou l'autre de ces options corres-
bilité de réduire la peine à un montant
pondent à ceux utilisés pour justifier
purement symbolique ; il faudrait cepen-
l'applicabilité d'une clause pénale en
dant déterminer le seuil auquel une peine
l'absence de préjudice, soit le caractère
symbolique sera susceptible de conserver
dissuasif ou purement compensatoire de
l'effet dissuasif de la clause.
la clause.
Giguèrec. Léonard, préc, note 52.
404 (2013)47i<;rt;M387

pouvant être exigée du créancier récla- ancien droit, les clauses pénales avaient
mant l'application d'une clause pénale. une fonction indemnitaire. Lorsque les
Cette notion de preuve prima facie fut parties leur donnaient une fonction dis-
par la suite reprise, de façon moins heu- suasive, en prévoyant une peine supé-
reuse, dans d'autres décisions (Oberson^^ rieure aux dommages prévisibles, elles
et Pelossé^) reposant quant à elles sur le étaient considérées comme commina-
caractère abusif d'une peine réclamée en toires au sens initial donné à ce mot,
l'absence de préjudice, pour se retrouver c'est-à-dire qu'elles ne liaient pas le juge,
sous la plume de la juge Thibaut dans qui pouvait réduire le moment de la
Robitaillê'^. Moins d'un an plus tard, dans peine en fonction de celui des dommages
Gestess'", la Cour d'appel optait plutôt subis. L'introduction de l'intangibilité des
pour l'hypothèse selon laquelle l'article clauses pénales dans le Code civil de 1804
1623 C.c.Q. créait une présomption de et la confusion subséquente entre les
préjudice, suggérant ainsi qu'il incombe clauses de dommages stipulés, à fonction
au débiteur de renverser cette présomp- compensatoire, et les clauses pénales pro-
tion en prouvant l'absence de dommages. prement dites, qui ont un caractère dis-
Cette approche présente l'avantage de suasif, rendront inutiles la détermination
permettre aux tribunaux de traiter de la de la fonction de clauses particulières. La
même manière les cas où il n'existe au- distinction refera surface en France à la
cun préjudice et ceux dans lesquels ce suite de l'adoption de la loi de 1975 don-
préjudice est minime ou difficile à prou- nant aux juges le pouvoir de réduire les
ver. Dans tous les cas, ce sera au débiteur clauses pénales abusives. En effet, il
de la clause d'établir la disproportion semble que les juges français ont depuis
entre le préjudice subi et la peine récla- fait preuve d'une plus grande clémence
mée. Dans les cas où cet exercice révéle- avec les clauses à fonction compensatoire
rait l'absence totale de préjudice, la peine qu'avec les clauses dissuasives, qui sont
pourra simplement être écartée, plutôt plus susceptibles d'être réduites".
que seulement réduite. Cependant, elle Cette approche, qu'on peut rappro-
présente également pour les débiteurs un cher de celle qui prévalait dans l'ancien
inconvénient important, soit la difficulté droit, n'a pas été introduite jusqu'à pré-
de prouver l'inexistence d'un fait, parti- sent en droit québécois, évitant aux juges
culièrement lorsque le fait en question québécois de devoir s'engager dans l'exer-
concerne la situation d'une autre partie. cice périlleux de déterminer l'intention
Finalement, il importe de dire un qui animait les parties lors de la rédac-
mot sur la distinction entre clauses com- tion d'une clause. Une telle introduction
pensatoires et dissuasives (ou «commi- pourrait cependant devenir inévitable au
natoires»). Comme nous l'avons vu, en vu de certaines décisions faisant dépen-
dre le sort d'une clause pénale des fonc-
" Oberson c. Placements Jean Maynard Inc.,
tions que les parties lui ont attribué : ainsi,
préc, note 55. une clause pourra s'appliquer même en
™ Lefebvre c. Pelasse, préc, note 58. l'absence de préjudice, mais seulement si
" Robitaille c. Gestion L. Jalbert Inc., préc,
note 68.
'° Gestess Plus (9088-0964 Québec Inc.) c. " D. LLUELLES et B. MOOKE, préc, note 43,
Harvey, préc, note 71. p. 1881.
Droit des obligations 405

le tribunal est d'avis que les parties lui


ont attribué une fonction dissuasive, et
non seulement compensatoire. En atten-
dant que les tribunaux procèdent à la cla-
rification de ce domaine du droit, les
parties qui veulent s'assurer de l'applica-
tion d'une clause pénale, même dans
l'éventualité où elles n'auraient pas subi
de préjudice, seraient bien avisées de l'in-
diquer de façon expresse et claire dans
leur contrat.
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