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Julie PAQUIN
Professeure adjointe à la Faculté de droit
(Section de droit civil) de l'Université d'Ottawa
La clause pénale est une institution à gibles', l'article 1623 C.c.Q. permet
la fois très ancienne et très fréquemment maintenant aux juges de réduire la peine
utilisée en droit civil des contrats. Définie stipulée dans un contrat lorsqu'elle est
par le Code civil du Québec comme la abusive. Ce faisant, le Code civil a créé
clause par laquelle les parties à un contrat une situation paradoxale : alors qu'un des
évaluent par anticipation les dommages- buts reconnus des clauses pénales est d'évi-
intérêts en prévoyant la « peine » payable ter aux parties d'avoir à s'engager dans la
en cas d'inexécution', elle permet à son discussion des dommages subis, la déter-
bénéficiaire d'être indemnisé sans avoir à mination du caractère abusif ou non d'une
prouver le préjudice qu'il a subil peine implique nécessairement une com-
La « nouvelle moralité contractuelle » paraison de celle-ci avec les dommages
introduite dans le Code civil du Québec effectivement subis par la partie qui en
en 1994 a entraîné des changements fon- réclame l'application.
damentaux relativement au sort des clau- Le nouveau pouvoir d'intervention
ses pénales en droit québécois des contrats. des juges a aussi mis en lumière une ques-
Alors qu'elles étaient auparavant intan- tion qui portait peu à la controverse au
temps de l'intangibilité des clauses, soit quité. Dans le droit romain, qui ne sanc-
celle de savoir si la peine prévue demeure tionnait que les accords portant sur des
payable même si le bénéficiaire de la sommes d'argent, la stipulatio poenae par
clause n'a subi aucun dommage. En d'au- laquelle une partie s'engageait à payer
tres mots, la clause pénale doit-elle être une somme d'argent en cas de défaut de
considérée comme une estimation des remplir une autre obligation devient un
dommages, et donc sans application lors- moyen de rendre obligatoires les engage-
que ceux-ci sont inexistants, ou peut-elle ments ne portant pas sur une somme
également revêtir le caractère d'une peine d'argent ainsi que les coutumes et usages
dissuasive, justifiant son application même provinciaux non reçus dans le droit ro-
en l'absence de préjudice? Tandis que la main''.
doctrine québécoise reste divisée sur cette Sous sa forme le plus ancienne, la
question, les tribunaux québécois ont dé- stipulatio poenae s'exprimait ainsi : « Si tu
veloppé différents moyens de gérer les cas ne me donnes pas Pamphile, me donneras-
où une partie réclame le paiement d'une tu cent?». Elle était conçue comme une
peine alors même qu'elle n'a subi aucun stipulation conditionnelle, la peine étant
préjudice. payable dès la réalisation de la condition,
La présente étude vise à faire le point sans qu'il soit nécessaire que cette condi-
sur cette question, tout en offrant quel- tion constitue une stipulation valable. La
ques pistes de réflexion quant à la nature clause pénale permettait ainsi de valider
et au rôle des clauses pénales en droit qué- des stipulations autrement nulles, comme
bécois. Tout d'abord, nous exposerons les les stipulations pour autrui. Suivant cette
règles applicables aux clauses pénales en logique, la peine était due dès l'accom-
ancien droit français ainsi que dans le plissement de la condition, sans besoin
Code civil français et le Code civil du Bas que le débiteur soit en demeure, et elle
Canada, avant de présenter la réforme demeurait entièrement payable en cas de
introduite en 1994 dans le Code civil du réalisation partielle de la condition.
Québec. Ensuite, nous traiterons des dé- Par la suite, on assistera au dévelop-
bats doctrinaux actuels sur l'applicabilité pement d'un deuxième type de clause
des clauses pénales en cas d'absence de pénale («me donneras-tu Pamphile? Si tu
préjudice, pour enfin examiner les posi- ne me donnes pas Pamphile, me donneras-
tions prises par les tribunaux québécois tu cent?»), dans laquelle la peine sert de
sur cette question. sanction à une obligation distincte et exé-
cutoire en elle-même. La peine joue alors
un rôle de persuasion, tout en servant à
I. Origine et évolution éviter certains écueils liés à l'évaluation
de la clause pénale judiciaire des dommages payables par un
débiteur fautif. La présence d'une clause
A. De la peine à l'indemnité : pénale protégeait le créancier contre une
l'introduction du contrôle
judiciaire Charles MARUANI, La clause pénale, thèse
de doctorat. Université de Paris, Faculté
La clause pénale est généralement
de droit et de sciences économiques, 1935,
considérée comme remontant à l'Anti- p. 27.
Droit des obligations 389
évaluation trop faible de son préjudice quer à ces clauses usuraires déguisées en
par le juge, tout en lui permettant d'évi- interdisant toute clause pénale conclue
ter de devoir faire la preuve du préjudice «en fraude d'usure». Cependant, les cri-
subi et de son montant'. tères proposés'" pour permettre de dis-
A l'origine, la clause était conçue es- tinguer les clauses pénales valides des
sentiellement comme une peine imposée stipulations d'intérêt se révèlent insatis-
au débiteur; la somme prévue était ainsi faisants.
entièrement payable, « même en cas d'exé- C'est finalement le recours à la dis-
cution partielle, et même si les domma- tinction entre la notion d'usure et celle
ges subis étaient inférieurs à celle-ci, même d'intéressé, ou de dommages-intérêts, qui
s'il n'y avait eu aucun dommage»''. De fournit aux canonistes la solution qu'ils
plus, en droit romain primitif, le créan- recherchent. Selon les canonistes, la pro-
cier était autorisé à cumuler la peine et les hibition de l'usure vise les gains réalisés
dommages-intérêts découlant de l'inexé- par les prêteurs. Or, les dommages-
cution'. Par la suite, la notion de réparation intérêts payables en cas de non rem-
gagnera en importance: « [l]es juriscon- boursement à l'expiration du terme ne
sultes chercheront à épargner au débiteur constituent pas un tel gain assimilable à
le poids de la double charge de la poena de l'usure, mais la simple réparation du
et des dommages intérêts. »' dommage découlant du manquement de
À l'époque franque, la clause pénale l'emprunteur. Une peine peut ainsi échap-
se développe considérablement', alors per à l'application des règles sur l'usure
même que son aspect réparateur s'atté- dans la mesure où elle représente les dom-
nue au bénéfice de son caractère pénal. mages et intérêts que le prêteur est en
L'utilisation des clauses pénales devient droit de réclamer à titre d'intéressé. La
éventuellement un enjeu de taille au notion même de clause pénale en vient
Moyen-Âge, en raison de l'interdiction donc à regrouper deux réalités différen-
du prêt à intérêt par l'Église catholique. tes : en matière de prêt d'argent, la peine
La prohibition de l'usure, conçue comme ne sera légitime que si elle a un caractère
toute somme s'ajoutant au capital em- indemnitaire, c'est-à-dire si elle représente
prunté, entraine en effet une proliféra- les dommages-intérêts soufferts par le
tion de clauses destinées à contourner la créancier, alors que dans les autres matiè-
prohibition en présentant comme des res, les clauses visant à imposer une peine
peines les stipulations d'intérêt. Les ca- aux débiteurs défaillants demeurent va-
nonistes entreprennent alors de s'atta- lides, peu importe les dommages subis.
La conception réparatrice, plutôt
que punitive, de la clause pénale, déve-
Id., p. 29.
loppée par les canonistes à l'égard des
Id.
prêts d'argent se généralise par la suite en
André FLINIAUX, « L'évolution du concept
de clause pénale chez les canonistes du
Moyen Age», dans Mélanges Paul Four- '" Comme l'intention des parties (soit de
nier, Paris, Recueil Sirey, 1929, p. 233, à la forcer le paiement de la peine plutôt que
page 235. d'inciter à rembourser le capital) ou le
C. MARUANI, préc, note 4, p. 31 et 32. fait pour le préteur d'avoir coutume de
A. FLINIAUX, préc, note 7, à la page 236; pratique l'usure: voir A. FLINIAUX, préc,
C. MAKUANI, préc, note 4, p. 34 et 35. note 7, aux pages 238 et 239.
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s'étendant à tous les types de contrats, l'ancien droit", c'est-à-dire que « le juge
avant de faire son entrée dans le droit pouvait refuser de l'appliquer si bon lui
séculier. Ainsi, dans son Traité des obliga- semblait, dans le cas notamment où le
tions, Pothier décrit la peine comme com- débiteur défaillant lui semblait de bonne
pensatrice des dommages et intérêts que foi»'"". Dans une perspective juridique,
le créancier souffre de l'inexécution de leur fonction n'est pas tant d'inciter les
l'obligation principale". Cette consécra- débiteurs à remplir leurs obligations que
tion du caractère compensatoire de la de renverser le fardeau de preuve relatif
clause pénale n'est pas sans conséquence à l'établissement des dommages-intérêts.
pratique. D'abord, elle fait en sorte que le C'est au débiteur désirant éviter l'appli-
créancier doit choisir entre l'exécution cation de la clause qu'il incombera de
du contrat et l'application de la peine, prouver que le montant de la peine dé-
sans pouvoir les cumuler. Par ailleurs, la passe considérablement celui du dom-
logique indemnitaire permet au juge de mage qu'il a occasionné au créancier.
modérer une peine qui serait excessive eu
égard aux dommages subis, tout en auto-
risant le créancier à réclamer plus que la B. Le retour de la peine :
peine si elle est insuffisante pour couvrir la force obligatoire
les dommages'^. des clauses pénales
Jusqu'à la fin du XVIIP siècle, la
clause pénale est donc considérée comme 1. Le Code civil de 1804
ayant un caractère purement commi-
natoire, au sens donné à ce terme dans L'adoption du Code civil français de
1804 marquera un tournant dans l'his-
toire des clauses pénales. En effet, et mal-
Robert Joseph POTHIER et Jean Joseph gré l'influence avouée de Pothier sur les
BuGNET, Oeuvres de Pothier annotées et
codificateurs, ceux-ci rejettent son ap-
mises en corrélation avec le Code civil et la
proche fondée sur l'équité dans le traite-
législation actuelle, 2' éd., t. 2, Paris, Cosse
et Marchai / Henri Pion, 1861, p. 176.
Pour Pothier, en effet, une telle peine ex- Voir par exemple: Jean J. ROLLAND DE
cessive était nécessairement fondée sur ViLLARGUES (dir.). Répertoire de la juris-
une erreur ayant vicié le consentement prudence du notariat, t. 2, Paris, Adminis-
du débiteur: «c'est la fausse confiance tration de la Jurisprudence du Notariat,
qu'il a qu'il ne manquera pas à cette obli- 1841, p. 570 et 571 : «On entendait par
gation primitive, qui le porte à se sou- clauses comminatoires, certaines stipula-
mettre à une peine aussi excessive; qu'il tions auxquelles la jurisprudence ne don-
croit ne s'engager à rien en s'y soumet- nait pas tout l'effet qu'elles devaient avoir,
tant, et qu'il est dans la disposition de ne quoiqu'elles fussent valables en elles-
s'y pas soumettre, s'il croyait que le cas de mêmes. Le mot comminatoire vient du
cette peine pût arriver; [...] c'est pour- mot latin comminari, qui signifie mena-
quoi ces peines excessives doivent être ré- cer; et tel était le sens dans lequel s'enten-
duites à la valeur vraisemblable à laquelle daient les clauses dont il s'agit. [...] Pour
peuvent monter au plus haut les dom- qu'elles fussent réellement commina-
mages et intérêts du créancier, résultans toires, il faudrait que les juges pussent les
(sic) de l'inexécution de l'obligation pri- remettre ou les modérer. »
mitive.» (Id.,p. 180). C. MARUANI, préc., note 4, p. 60.
Droit des obligations 391
ment de ces clauses. Privilégiant l'approche dommages et les clauses pénales apparaît
d'Azon, les codificateurs tranchent en fa- clairement à l'occasion de leurs discus-
veur de l'intangibilité des clauses pénales. sions au sujet de l'intangibilité de ces clau-
Du même coup, cependant, ils affirment ses. Ainsi, dans une version préliminaire
explicitement le caractère indemnitaire du Code présentée au Conseil d'État en
de la clause pénale, qui constitue, selon novembre 1803" , les codificateurs affir-
l'article 1229 C. civ. fr., «la compensation maient d'une part l'intangibilité de la
des dommages et intérêts que le créancier clause pénale, définie à l'article 122 comme
souffre de l'inexécution de l'obligation «celle par laquelle une personne, pour
principale ». La nature de la clause pénale assurer l'exécution d'une convention, s'en-
devient ainsi quelque peu paradoxale: gage à quelque chose en cas d'inexécu-
malgré sa nature indemnitaire, elle de- tion». Bien que l'article 125 précisait que
meure valide, peu importe le montant la peine était « la compensation des dom-
des dommages réellement subis par la mages et intérêts que le créancier souffre
partie qui réclame son application. de l'inexécution de l'obligation princi-
L'étude des discussions ayant en- pale», aucune disposition du projet ne
touré l'élaboration du Code nous éclaire traite explicitement de la possibilité pour
quant au contexte ayant donné naissance le juge de modifier le montant de la peine
à cette étrange situation. D'abord, il con- prévue, si ce n'est la mention de l'article
vient de souligner que, pour les codifica- 128 selon laquelle la peine peut être ré-
teurs, les clauses pénales et les clauses visant duite dans les cas où l'obligation princi-
l'évaluation des dommages-intérêts cons- pale a été exécutée en partie.
tituaient deux réalités qui, bien que sus- La situation était fort différente en
ceptibles de recoupements, demeuraient ce qui concerne les clauses de stipulation
distinctes. Ces deux notions faisaient en de dommages, que, selon l'article 49, les
effet l'objet de deux séries de dispositions juges avaient le pouvoir de modifier lors-
séparées: d'une part, le Code contenait que la somme stipulée «excédfait] évi-
une disposition portant sur les stipula- demment le dommage effectif»". Dans
tions de dommages figurant dans la sec- ce projet, la clause de dommages stipulés
tion sur le « Règlement des dommages et équivalait donc à une clause de limitation
intérêts résultant de l'inexécution de de responsabilité retirant au créancier le
l'obligation»''; d'autre part, une section droit de demander plus que le maximum
distincte regroupait diverses dispositions prévu par la convention, sans restreindre
portant sur les clauses pénales propre-
ment dites. Ce n'est que par la suite que
les auteurs en viendront à confondre ces
deux types de clauses et à leur appliquer Id., p. 3 et suiv.
le même principe d'intangibilité. Id., p. 11 : « Lorsque la convention porte
que celui qui manquera de l'exécuter
La distinction faite par les codifica- payera une certaine somme, il ne peut
teurs entre les clauses de stipulation de être alloué à l'autre partie une plus forte
somme, quoique le dommage se trouve
plus grand. Le juge peut, au contraire,
Pierre-Antoine FENET, Recueil complet des modérer celle stipulée, si elle excède évi-
travaux préparatoires du Code civil, t. 13, demment le dommage effectif.» (art. 49
Paris, Imprimerie Ducessois, 1827, p. 10. du Code civil français).
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Pour les codificateurs québécois, une telle payés, si le débiteur n'exécute pas son
assimilation de la peine stipulée aux obligation, ou s'il ne l'exécute que tardive-
dommages-intérêts « sans aucune restric- ment. Elle tient donc lieu de dommages et
tion, est une confusion de choses qui dif- intérêts; elle en est la compensation»"*.
fèrent sous plusieurs rapports et sont De plus, si Mignault reste silencieux sur
régies par des règles différentes»''. En- la question de savoir si un créancier peut
suite, le Code civil du Bas Canada ex- réclamer la somme prévue dans la clause
prime le principe d'intangibilité des pénale même dans les cas où le manque-
clauses pénales en des termes plus expli- ment du débiteur n'a entraîné aucun pré-
cites que son pendant français. En effet, judice, Langelier, quant à lui, y répond
dans le Code Napoléon, l'intangibilité des par l'affirmative: «le créancier qui a sti-
clauses pénales ne pouvait découler que pulé une pénalité pour le retard dans
d'une interprétation a contrario de l'ar- l'exécution de l'obligation a le droit de
ticle 1231 C.N. portant sur les cas d'exé- l'exiger alors même qu'il n'aurait souffert
cution partielle de l'obligation, ou, aucun dommage»".
comme la doctrine le fit dans les années Si elle est claire en doctrine, l'assimi-
suivant l'adoption du Code, d'une appli- lation des clauses pénales et des clauses de
cation du principe d'intangibilité ex- stipulation de dommages continue d'ali-
primé à l'article 1152 C.N. relativement menter les débats devant les tribunaux
aux clauses de dommages stipulés. L'ar- pendant plusieurs années", comme l'in-
ticle 1135 C.c.B.C. prévoit quant à lui la diquent les arguments soulevés dans le
règle générale selon laquelle « le montant cadre de l'affaire Canadian Rubber^''. Dans
de la peine ne peut être réduit par le tri- cette affaire, un contrat de vente de pièces
bunal », sauf en cas d'exécution partielle. d'équipement électrique prévoyait le paie-
De plus, les parties demeurent libres ment d'une somme de 25 $ pour chaque
d'écarter ce pouvoir de révision excep- jour de retard dans la livraison des mar-
tionnel en concluant «une convention chandises commandées. Le fournisseur
spéciale à l'effet contraire ».
Id., 27.
Par exemple, Faribault déclare qu'un juge Québec, Presses de FUniversité Laval,
saisi d'une demande d'application d'une 1975, p. 398 qui écrivait que « [l]a règle
clause pénale « ne sera appelé à décider d'intangibilité trouve aussi appui dans la
que deux choses, savoir: si le débiteur est notion même de clause pénale (penalty),
en faute selon les dispositions des articles qui est définie comme le paiement d'une
1070, 1071 et 1072, et si cette faute a somme convenue pour l'inexécution (ou
causé un préjudice au créancier. S'il dé- l'exécution tardive) d'un contrat, indé-
cide dans l'affirmative, il devra condam- pendamment d'un préjudice».; Chantai
ner le débiteur à payer le montant que les PEUKEAULT, Les clauses pénales, Cowansville,
parties ont fixé à l'avance.»: Léon Éditions Yvon Biais, 1988, p. 84: la cour
FARIBAULT, Traité de droit civil du Québec, ne doit «pas considérer l'absence de dom-
t. 7-bis, Montréal, Wilson & Lafleur, mage réel, ce prérequis n'existant pas, la
1957, p. 421. Voir également: Louis clause pénale dispensant de cette preuve».
BAUDOUIN, Le droit civil de la Province de Voir : Boretskyc. Amherst Bowling Recrea-
Québec, Montréal, Wilson & Lafleur, tion Inc., [1965] e s . 521: «La susdite
1953, p. 585, professant que «la clause clause pénale constituait la loi entre les
pénale dispense le créancier qui en de- parties. D'après la doctrine et la jurispru-
mande l'exécution de toute preuve. Elle dence, il n'y a pas lieu d'établir si le
agit automatiquement, sans que le créan- créancier souffre ou non un dommage
cier soit tenu de prouver l'existence du par suite de l'inexécution de l'obligation.
préjudice, que lui cause soit le retard, soit La convention entre les parties a juste-
l'inexécution. Cette dispense de preuve ment pour but de supprimer tout examen
est normale ; elle est même un des buts de ce genre; la clause pénale s'applique
essentiels de cette institution.»; Maurice dès que le débiteur est responsable de
TANCELIN, Théorie du droit des obligations. l'inexécution.»
Droit des obligations 397
montant sans que le défaut du débiteur doctrine de ré-ouvrir le sens établi des
ne lui cause aucun préjudice ou dom- termes de base du droit »'". Conformé-
mage. En effet, accepter l'application ment à l'ancien droit, une clause pénale
d'une clause pénale même en l'absence demeure donc applicable, que le créan-
d'un préjudice subi aurait pour effet de cier ait ou non subi un préjudice. De
permettre l'enrichissement d'une partie même, pour Baudouin et Jobin, l'affir-
au détriment de l'autre et il s'ensuivrait mation selon laquelle une clause pénale
alors un déséquilibre entre les parties.»" est sans effet en l'absence de préjudice est
Lluelles et Moore sont également une «affirmation contestable qui nie le
d'avis que l'application de la clause pé- caractère comminatoire que les parties
nale requiert la présence d'un préjudice. peuvent légalement donner à la clause et
Selon eux, l'article 1623 C.c.Q. ne déroge qui est trop générale sur le pouvoir du
pas à l'exigence d'un préjudice, mais « ne tribunal de réviser une pénalité abusive »•''°.
concerne que le fardeau de la preuve en En réponse à cet argument, Lluelles et
cette matière. Certes, le créancier n'est Moore admettent la possibilité pour une
pas tenu de prouver le préjudice, il lui clause à caractère dissuasif de s'appliquer
suffit de prouver l'inexécution fautive.
même en l'absence de préjudice. Cepen-
[...] Mais le débiteur, lui, a parfaitement
dant, selon eux, «il importerait que ce
le droit de contester la présence d'un pré-
caractère comminatoire soit particulière-
judice et d'éviter l'application d'une
ment apparent, en termes de volonté des
clause pénale, s'ü parvient à convaincre le
contractants, pour évacuer un principe
juge que l'inexécution n'a causé nul pré-
aussi fondamental que l'exigence d'un
judice au créancier. »"
préjudice en matière de responsabilité ci-
De son côté, Tancelin déplore cette
vile»''.
position qui consiste, d'après lui, à mini-
miser à tort le rôle comminatoire de la Sur la base de la doctrine actuelle,
clause pénale sur le fondement d'« argu- un juge appelé à se prononcer sur l'appli-
ments exégétiques fragiles, voire même cation d'une clause pénale en l'absence
inexistants »•". Selon lui, le nouveau Code de préjudice peut choisir entre les deux
«réaffirme clairement le caractère com- options suivantes :
minatoire de l'institution par l'emploi 1. choisir de déclarer la clause inap-
répété du mot peine. Les règles d'inter- plicable, rendant ainsi superflue
prétation des lois ne permettent pas à la toute analyse de son caractère abu-
sif sous l'article 1623 C.c.Q.;
2. appliquer la clause, sous réserve
Vincent KARIM, Les obligations, 3' éd., vol. d'une éventuelle réduction si elle
2 «Articles 1497 à 1707 C.c.Q.», Mon-
est abusive, mais sans l'annuler,
tréal, V^ilson & Lafleur, 2009, p. 839 et
840.
D. LLUELLES et B. MOOKE, préc, note 43, •" Id., p. 782.
p. 1876; voir également: Sébastien '° Jean-Louis BAUDOUIN et Pierre-Gabriel
GRAMMOND, Anne-Françoise DEBRUCHE et JoBiN, Les obligations, 6' éd., par P.-G.
Yan CAMPAGNOLO, Quebec Contract Law, JOBIN avec la coUab. de Nathalie VÉZINA,
Montréal, Wilson & Lafleur, 2011, p. 242. Cowansville, Éditions Yvon Biais, 2005,
Maurice TANCELIN, Des obligations en p. 913.
droit tnixte du Québec, T éd., Montréal, " D. LLUELLES et B. MOORE, préc, note 43,
Wilson & Lafleur, 2009, p. 783. p. 1877.
Droit des obligations 399
afin de conserver son effet dissua- Cet obiter dictum du juge Wéry ins-
sif. pirera l'année suivante la juge Sévigny
Quelle est la position privilégiée par dans Oberson c. Placements Jean Maynard
les tribunaLix québécois ? Inc.'''. Dans cette affaire, une peine était
Afin de le savoir, nous avons identi- prévue en cas de non obtention de la li-
fié dans les bases de données juridiques bération des demandeurs de certaines ga-
québécoises l'ensemble des décisions ren- ranties à l'intérieur du délai prévu par la
dues par les tribunaux relativement à convention. Or, les demandeurs n'avaient
l'application de l'article 1623 C.c.Q. de- fourni aucune preuve prima facie de l'exis-
puis l'adoption du Code civil du Québec, tence d'un quelconque préjudice lié à cette
afin d'identifier celles dans lesquelles on violation. La juge refusa d'ordonner le
avait soit plaidé, soit établi que le créan- paiement de la peine, invoquant la possi-
cier de la clause pénale en cause n'avait bilité prévue à l'article 1623 C.c.Q. de
subi aucun préjudice. modifier les clauses dont l'application
D'après nos recherches, c'est en 1999 heurterait «le sens élémentaire de la jus-
que la question de l'applicabilité d'une tice »'^'. Selon cette décision, une clause
clause pénale en l'absence de préjudice pénale est donc réductible « à néant » sous
subi par le créancier a été traitée pour la l'article 1623 C.c.Q., et non, suivant le
première fois par un juge québécois. L'af- raisonnement de l'affaire Giguèré''\ inap-
faire Giguère c. LéonariP- concernait une plicable, en l'absence de préjudice.
convention entre actionnaires compre- En 2003, la Cour du Québec adopta
nant une clause de non-concurrence liée une position semblable dans Lefebvre c.
à une clause pénale. Dans sa décision, le Pelossé^. Dans cette affaire, la violation
juge Wéry conclut que les faits reprochés d'une promesse d'achat par les promet-
à la débitrice ne constituent pas une vio- tants-acheteurs avait entraîné un profit
lation de la clause de non-concurrence, pour le promettant-vendeur, qui avait re-
écartant de ce fait le paiement de la peine vendu la maison à un tiers à profit en
prévue. Il ajoute cependant que, «bien plus d'encaisser l'acompte des promet-
que l'existence d'une clause pénale dis- tants-acheteurs. Il s'agissait donc de déter-
pense le créancier de son obligation miner si les vendeurs avaient néanmoins
d'établir le montant de ses dommages, il droit à la pénalité prévue dans la pro-
n'apparaît pas déraisonnable d'exiger de messe. Après avoir mentionné le critère
lui, à tout le moins, une preuve prima fa- de la preuve prima facie comme condi-
cie qu'il a effectivement subi de tels dom- tion d'application de la clause, le juge
mages »" et ce même, comme en l'espèce, Gosselin le rejette au profit de la réduc-
en présence d'une clause indiquant que tion de la clause aux termes de l'article
«le seul défaut est réputé causer un pré- 1623 C.c.Q.:
judice aux créanciers de l'obligation de
non-concurrence »'^.
« [l]e Tribunal est plus à l'aise de quali- l'application d'une clause pénale conte-
fier le problème auquel il est ici con- nue dans un baiFl Malgré sa conclusion
fronté comme en étant un de clause selon laquelle il ne s'est produit aucune
pénale abusive en regard de l'absence de violation contracttieUe susceptible d'en-
préjudice, qu'un problème de clause pé- trainer le paiement de la pénalité, le juge
nale ayant perdu sa force obligatoire qualifie ainsi, en obiter dictum, l'impact
parce que le créancier a fait défaut de de l'absence de preuve de préjudice subi :
prouver une condition d'ouverture. Ce «]a]s the French authors Terré, Simler,
qui revient à dire que, de l'avis du Tribu- and Lequette have opined, the purpose
nal, le problème ne découle pas de la of a penal clause is to eliminate debate
clause pénale elle-même, mais plutôt du not only about the extent, but also the
fait que dans un cas d'espèce, sa réalisa- reality of the damage suffered in the
tion paraît abusive au point de heurter la event of its breach.
justice contractuelle. »" Thus the creditor of the obligation does
En conséquence, le juge choisit de not have to prove the prejudice he suf-
« réduire à néant »'^' la pénalité prévue. fers if it is not performed. The loss of the
Plusieurs décisions de la Cour supé- performance itself constitutes the preju-
rieure et de la Cour du Québec contre- dice, so that just as the creditor may in
disent cependant ces deux affaires, en that event compel the performance, he
optant plutôt pour la seconde option, may alternatively exact its pre-agreed
soit la réduction de la clause. Par exem- monetary equivalent. »"'
ple, en 2001, un jugement de la Cour De plus, selon lui, même si l'article
supérieure ordonne le paiement d'une 1623 C.c.Q. permet de réduire la peine,
pénalité prévue dans un bail commercial, celle-ci doit néanmoins demeurer supé-
malgré l'absence de dommages subis par rieure aux dommages réellement subis,
le locateur'^'. En 2002, dans l'affaire Pellin afin de préserver sa fonction dissuasive".
c. Bedcé-, qui ne mentionne ni l'affaire
Oberson", ni l'affaire Ciguèré*, le juge
Frappier conclut qu'en l'absence de preuve 299 Sir Wilfrid Laurier Investments Ltd. c.
de perte pécuniaire et vu le caractère mi- Trust général du Canada, 2003 CanLII
neur des violations contractuelles ayant 6357 (QC es.).
entraîné l'application de la clause pénale, Id., par. 43-44.
il y a lieu de réduire la clause de 320 000 $ Plusieurs décisions rendues par la Cour
du Québec entre 2001 et 2012 concluent
à 20 000 $. L'année suivante, le juge
également à l'application des clauses pé-
Fraiberg, est appelé à se prononcer sur
nales en l'absence de preuve de préjudice,
voir : Amjot Singh Transport [AST] Inc. c.
RM Logistic (Red Market Inc.), 2010
Id., par. 38. QCCQ 1262, [2010] J.Q. No 3745 (C.Q.)
Id., par. 39. (QL/LN) ; Entreprises Cam construction Inc.
3353672 Canada Inc. c .Diab, [2011] J.Q. c. Tcheutchoua Peughouia, 2010 QCCQ
No2145(C.S.) (QL/LN). 6692, [2010] J.Q. No 7486 (C.Q.) (QL/
Pellin c. Bedco, division de Gérodon Inc., LN) ; Les systèmes de formation et gestion
]2002] J.Q. No 5544 (C.S.) (QL/LN), J.E. Perform Inc. c Kherbouche, [2003] J.Q.
2003-217 (C.S.). No 17697 (C.Q.) (QL/LN), J.E. 2004-55
Oberson c. Placements Jean Maynard Inc., (C.Q.); Mécanique Boucherville Inc. c.
préc, note 55. Québec Express International, 2012 QCCQ
Giguère c. Léonard, préc, note 52. 3826; D'Aragon c. St-Pierre, [2000] n° AZ-
Droit des obligations 401
C'est en 2007 que la Cour d'appel de Gestess Plus. Cependant, les relations
est appelée à se prononcer pour la pre- d'affaires entre Gestess Plus et le client
mière fois sur la question. Dans Rohitaille étaient déjà terminées lors de l'embauche
c. Gestion L. Jalbert Inc.''^, la Cour doit dé- de Mme Harvey, dont la conduite n'avait
terminer s'il y a lieu d'imposer une péna- ainsi causé aucun dommage à son ex-
lité de 50 000 $ à la suite d'une « violation employeur. Au nom de la majorité, le
mineure» d'une clause de non-concurrence juge Pelletier précise que, bien qu'une
par Robitaille. Au nom de la Cour, la juge clause puisse dispenser son bénéficiaire
Thibaut s'exprime ainsi : de prouver non seulement l'étendue, mais
« [e]n premier lieu, il s'agit de vérifier si l'existence même d'un préjudice, «cette
cette violation mineure a entraîné un seule dispense ne permet pas de conclure
préjudice pour les intimées et, dans le dans tous les cas à l'application de la clause
cas contraire, si l'application de la clause pénale»". En effet, une telle clause ne
pénale ne devrait pas être écartée. peut s'appliquer en l'absence de préjudice
En effet, la jurisprudence et la doctrine
que si la volonté des parties à cet effet est
sont à l'effet que le tribunal peut exiger
claire. Or, en l'espèce, malgré que Gestess
du créancier de la clause pénale la preuve
prima facie de l'existence d'un préjudice
Plus avait l'intention de donner une por-
subi.»" tée comminatoire à la clause pénale,
La Cour conclut qu'en l'espèce, le « [c]ette seule volonté ne permet cepen-
seul recrutement par Robitaille d'une in- dant pas de tirer ici ¡'inference que les
firmière qui aurait pu autrement être re- parties entendaient conférer à ce carac-
tère particulier de la clause une impor-
crutée par l'autre partie constitue une
tance telle qu'elle devait rendre la pénalité
preuve prima facie de préjudice qui n'a
exigible lors même que le manquement
pas été écartée par Robitaille. Cependant, n'emporterait aucune conséquence né-
la peine prévue étant nettement supérieure faste au créancier. [...]
au préjudice « potentiellement subi »^'', la [F]aute de préjudice, l'appelante «Plus»
Cour la réduit de 50 000 à 20 000 $. ne pouvait réclamer l'application de la
L'année suivante, la Cour d'appel est clause pénale pas plus qu'elle n'aurait été
appelée à préciser sa position dans ¡a dé- justifiée d'exiger le paiement de dom-
cision Gestess Plus (9088-0964 Québec Inc.)
mages-intérêts. »"'
c. Harvey^'. Dans cette affaire, une ex- Ainsi, la Cour d'appel confirme l'ap-
employée de Gestess Plus, M"" Harvey, proche prise dans Robitaille^ selon la-
avait violé une clause de non-concurrence quelle l'application d'une clause pénale
en ayant travaillé chez un ancien client est conditionnelle à la preuve de l'exis-
tence d'un préjudice, à tout le moins en
l'absence d'une indication claire des par-
00036671 (C.Q.); RCI Environnement ties à l'effet contraire. Le tribunal s'écarte
Inc. c. Marketing & communications
cependant de Robitaille quant à la ma-
Magenta Inc., 2009 QCCQ 5742, [2009]
n°AZ-50562165(C.Q.).
nière de procéder pour établir l'existence
2007 QCCA 1052, [2007] J.Q. No 8193
(C.A.) (QL/LN).
Id., par. 45-46. Id., par. 20.
Id., par. 54. 7íi., par. 21-22.
2008 QCCA 314, [2008] J.Q. No 1093 Robitaille c. Gestion L. Jalbert Inc., préc,
(C.A.) (QL/LN). note 68.
402 (2013) 47 Ä/TiJM 387
d'un tel préjudice : plutôt que de faire ap- dépend ultimement du caractère diss-
pel à la notion de preuve prima facie pou- uasif ou estimatoire que les parties ont
vant être exigée du créancier reprise par entendu donner à cette clause. Elles sous-
la juge Thibaut, le juge Pelletier opte entendent qu'une clause purement esti-
pour l'existence d'une présomption sim- matoire ne pourra trouver application
ple de l'existence de préjudice pouvant que si un préjudice a effectivement été
être repoussée par le débiteur. Cette no- subi. Au contraire, une clause dont le ca-
tion de présomption simple de préjudice ractère dissuasif ressort clairement sera
sera reprise par la suite par la Cour supé- applicable, mais pourra être réduite (mais,
rieure dans deux décisions rendues en on le suppose, non pas annulée) si elle est
2010 et 2012. Dans Gennium Produits abusive.
pharmaceutiques Inc. c. Rioia'', le juge
Marc-André Blanchard écarte clairement
l'idée selon laquelle un créancier doive
fournir une preuve prima facie de préju- La doctrine et la jurisprudence ac-
dice afin de pouvoir réclamer la pénalité. tuelles font état d'un certain flottement
Selon lui, c'est plutôt au débiteur d'éta- quant à la bonne manière d'appliquer ou
blir l'absence de dommages afin d'écarter d'écarter une clause pénale dans les cas
l'application de la clause"'. Cette appro- où le créancier n'a pas subi de préjudice.
che est de nouveau reprise par la Cour Chacune des options étudiées, si elle de-
dans RPM Excavation Inc. c. AllarcC, avec vait finalement prévaloir en droit québé-
cependant une réserve importante : le dé- cois, ne serait pas sans causer certains
biteur ayant établi l'absence de préjudice problèmes. Trois points méritent d'être
ne pourra éviter de ce fait l'application soulignés à cet égard, soit le pouvoir du
de la clause pénale « si le caractère com- juge d'annuler une clause pénale aux ter-
minatoire de la clause pénale démontre mes de l'article 1623 C.c.Q., la question
clairement que l'intention des parties était de la preuve de l'absence de préjudice, et
d'évacuer l'exigence d'un préjudice»'*. la détermination par le juge du caractère
estimatoire ou dissuasif d'une clause pé-
Les décisions Gestess^'' et RPM Exca-
nale particulière.
vation^" suggèrent que l'application d'une
Comme nous l'avons vu, une des so-
clause pénale en l'absence de préjudice
lutions préconisées par certains juges en
cas d'absence de préjudice consiste à an-
2010 QCCS 4543. nuler, ou « réduire à néant », la clause en
Id., par. 37 : « dans l'éventualité ou le dé- question en l'absence de préjudice. Cette
biteur de l'obligation a été en mesure de solution est cependant problématique en
prouver que son créancier n'a subi aucun ce qu'elle semble contredire le texte même
dommage, alors, ce dernier n'aura pas le de l'article 1623 C.c.Q., qui mentionne la
droit de recevoir le bénéfice de la clause possibilité de «réduire» une clause abu-
pénale». sive, et non de l'annuler". De plus, une
2012 QCCS 1007.
Id., pat. 41.
Gestess Plus (9088-0964 Québec Inc.) c. En comparaison, l'article 1437 al. 1
Harvey, préc, note 71. C.cQ. prévoit quant à lui clairement la
RPM Excavation Inc. c. Allard, préc, possibilité d'annuler une clause abusive :
note 77. «La clause abusive d'un contrat de
Droit des obligations 403
pouvant être exigée du créancier récla- ancien droit, les clauses pénales avaient
mant l'application d'une clause pénale. une fonction indemnitaire. Lorsque les
Cette notion de preuve prima facie fut parties leur donnaient une fonction dis-
par la suite reprise, de façon moins heu- suasive, en prévoyant une peine supé-
reuse, dans d'autres décisions (Oberson^^ rieure aux dommages prévisibles, elles
et Pelossé^) reposant quant à elles sur le étaient considérées comme commina-
caractère abusif d'une peine réclamée en toires au sens initial donné à ce mot,
l'absence de préjudice, pour se retrouver c'est-à-dire qu'elles ne liaient pas le juge,
sous la plume de la juge Thibaut dans qui pouvait réduire le moment de la
Robitaillê'^. Moins d'un an plus tard, dans peine en fonction de celui des dommages
Gestess'", la Cour d'appel optait plutôt subis. L'introduction de l'intangibilité des
pour l'hypothèse selon laquelle l'article clauses pénales dans le Code civil de 1804
1623 C.c.Q. créait une présomption de et la confusion subséquente entre les
préjudice, suggérant ainsi qu'il incombe clauses de dommages stipulés, à fonction
au débiteur de renverser cette présomp- compensatoire, et les clauses pénales pro-
tion en prouvant l'absence de dommages. prement dites, qui ont un caractère dis-
Cette approche présente l'avantage de suasif, rendront inutiles la détermination
permettre aux tribunaux de traiter de la de la fonction de clauses particulières. La
même manière les cas où il n'existe au- distinction refera surface en France à la
cun préjudice et ceux dans lesquels ce suite de l'adoption de la loi de 1975 don-
préjudice est minime ou difficile à prou- nant aux juges le pouvoir de réduire les
ver. Dans tous les cas, ce sera au débiteur clauses pénales abusives. En effet, il
de la clause d'établir la disproportion semble que les juges français ont depuis
entre le préjudice subi et la peine récla- fait preuve d'une plus grande clémence
mée. Dans les cas où cet exercice révéle- avec les clauses à fonction compensatoire
rait l'absence totale de préjudice, la peine qu'avec les clauses dissuasives, qui sont
pourra simplement être écartée, plutôt plus susceptibles d'être réduites".
que seulement réduite. Cependant, elle Cette approche, qu'on peut rappro-
présente également pour les débiteurs un cher de celle qui prévalait dans l'ancien
inconvénient important, soit la difficulté droit, n'a pas été introduite jusqu'à pré-
de prouver l'inexistence d'un fait, parti- sent en droit québécois, évitant aux juges
culièrement lorsque le fait en question québécois de devoir s'engager dans l'exer-
concerne la situation d'une autre partie. cice périlleux de déterminer l'intention
Finalement, il importe de dire un qui animait les parties lors de la rédac-
mot sur la distinction entre clauses com- tion d'une clause. Une telle introduction
pensatoires et dissuasives (ou «commi- pourrait cependant devenir inévitable au
natoires»). Comme nous l'avons vu, en vu de certaines décisions faisant dépen-
dre le sort d'une clause pénale des fonc-
" Oberson c. Placements Jean Maynard Inc.,
tions que les parties lui ont attribué : ainsi,
préc, note 55. une clause pourra s'appliquer même en
™ Lefebvre c. Pelasse, préc, note 58. l'absence de préjudice, mais seulement si
" Robitaille c. Gestion L. Jalbert Inc., préc,
note 68.
'° Gestess Plus (9088-0964 Québec Inc.) c. " D. LLUELLES et B. MOOKE, préc, note 43,
Harvey, préc, note 71. p. 1881.
Droit des obligations 405