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Nature juridique et preuve du paiement

La relation entre un débiteur et un créancier se fonde sur l'existence d'un lien juridique. Ce
lien juridique crée une obligation à l'égard du débiteur qui devra s'exécuter pour en être libéré.
L'une des causes d'extinction normale et logique de cette obligation est le paiement
constituant une satisfaction du créancier.

La notion de paiement ne doit pas s'entendre uniquement au sens strict du terme, c'est-à-dire
le versement d'une somme d'argent, elle doit être interprétée de manière globale comme
l'accomplissement par le débiteur de son obligation qui entrainera par la suite la satisfaction
du créancier.

Selon l'article 1342 du Code civil, le paiement est défini en tant que l'exécution volontaire de
la prestation due, cette opération entraine en principe la satisfaction du créancier et par
conséquent la libération du débiteur. Alors, le paiement peut viser aussi bien une somme
d'argent que la fourniture d'un service ou le transfert d'un bien.

Sommaire
1. L'hypothèse qualifiant le paiement d'acte juridique
1. Les dispositions du Code civil, insinuant l'appartenance du paiement à la
catégorie d'actes juridiques
2. Le courant jurisprudentiel exigeant la preuve écrite du paiement
2. L'hypothèse considérant le paiement en tant que fait juridique
1. Le revirement jurisprudentiel acceptant la preuve par tout moyen et qualifiant
le paiement de fait juridique
2. Une hésitation théorique, contournée par un pragmatisme pratique

Extraits
[...] Elle ne pose pas d'attendu de principe et n'affirme que le paiement est un acte juridique,
mais se fonde pour en fixer le régime sur l'ancien article 1341 du Code civil. Cependant, cet
article qui est actuellement l'article 1359 du Code civil vise l'admissibilité des modes de
preuve en matière d'actes juridiques. Cette référence à l'ancien article 1341 du Code civil peut
être interprétée de nouveau comme un argument en faveur de l'appartenance du paiement à la
catégorie d'actes juridiques. [...]

[...] Cela témoigne d'un partage des visions même entre les praticiens du droit. De plus,
l'ordonnance du 10 février 2016 donne naissance à l'article 1352-8 du Code civil qui dispose
que le paiement se prouve par tout moyen, mais aucune disposition issue de l'ordonnance ne
se prononce sur la nature juridique du paiement. La situation devient plus ambiguë à l'égard
de ce qu'elle l'était. Cette formule retrouvée à l'article 1352-8 apporterait-elle encore plus de
légitimés à l'hypothèse selon laquelle le paiement est un fait juridique ou ce n'est rien d'autre
qu'une fixation du régime probatoire du paiement, sans aucune incidence sur l'attribution de
cette opération à une quelconque catégorie juridique ? [...]
[...] Sur cette question les avis ont été partagés tant au sein de la Cour de cassation qu'au sein
de la doctrine. Par conséquent, il sera légitime d'analyser, dans un premier temps l'hypothèse
tendant à qualifier le paiement d'acte juridique et dans un second temps l'hypothèse tendant à
qualifier le paiement de fait juridique (II). L'hypothèse qualifiant le paiement d'acte juridique
D'une part les dispositions mêmes du Code civil donnent des indices sur la nature juridique du
paiement d'autre part, c'est la jurisprudence qui a affirmé à plusieurs reprises que le paiement
se prouve par écrit. [...]

I - L'hypothèse qualifiant le paiement d'acte juridique

A – Les dispositions du Code civil, insinuant l'appartenance du paiement à la catégorie


d'actes juridiques

Après avoir analysé l'article 1342-2 du Code civil, il en résulte qu'une capacité juridique est
exigée pour que le paiement soit possible. De même le paiement est soumis aussi à la
condition de consentement, situation similaire à celle de l'acte juridique qui exige une capacité
juridique et un consentement.

L'exigence d'un consentement, d'une capacité, ces conditions font référence au régime
commun de validité des contrats, or le contrat est un acte juridique et non un fait juridique, par
analogie on pourrait penser que le paiement est un acte juridique. C’est notamment la
première position de la Cour de Cassation retenue en la matière, au moins par le régime de
preuve applicable.

B - Le courant jurisprudentiel exigeant la preuve écrite du paiement

La Cour de Cassation s’est prononcée implicitement sur la nature juridique du paiement le 5


octobre 1976. Les juges de la première chambre civile ont retenu que la preuve du paiement
est une preuve écrite, ils écartent ainsi une photocopie qui était présentée par le débiteur en
tant que preuve du paiement.

Par cette décision, les juges de la cour de cassation ne se prononcent pas explicitement sur la
nature juridique du paiement mais en déterminent le régime probatoire. Pourtant ce n’est pas
parce que le paiement doit être prouvé par écrit qu’il constitue forcément un acte juridique.

Il ne faut pas attribuer une nature juridique à une notion à partir de son régime. Néanmoins, la
confirmation de l'arrêt du 5 octobre 1976 renforce l'hypothèse selon laquelle le paiement est
un acte juridique. Dans un arrêt du 19 mars 2002, de la première Chambre civile de la Cour de
cassation précise que celui qui excipe du paiement d'une somme d'argent est tenu d'en
rapporter la preuve conformément aux règles édictées par les articles 1341 et suivants du
Code civil ; . [...]

Malgré ces arguments tendant à assimiler le paiement à un acte juridique, les contre-
arguments sont également nombreux en faveur de la qualification du paiement en tant que fait
juridique.
II - L'hypothèse considérant le paiement en tant que fait juridique

Par un virement jurisprudentiel la Cour de Cassation semble mettre fin à ce débat théorique
(A), mais ce n’est pas qu’une fin des débats en matière probatoire et non un point de vue
théorique (B).

A- Le revirement jurisprudentiel acceptant la preuve par tout moyen et qualifiant le


paiement de fait juridique

Par un arrêt de principe du 6 juillet 2004 la Première Chambre Civile déclare que le paiement
se prouve par tout moyen.

Cette formule retrouvée par l’article 1352-8 apporterait –elle encore plus de légitimité à
l’hypothèse selon laquelle le paiement est un fait juridique ou ce n’est rien d’autre qu’une
fixation du régime probatoire du paiement, sans aucune incidence sur l’attribution de cette
opération à une quelconque catégorie juridique ?

Alors que la jurisprudence déclare dans un attendu de principe que le paiement est un fait
juridique, l’article 1352-8 ne reprend pas cette formule, il milite plutôt vers la détermination
du régime probatoire du paiement, que sur une qualification nette de sa nature juridique.

Cette réticence du législateur peut être due à la persistance du caractère incertain et complexe
de la nature juridique du paiement ou plutôt à la dualité de cette nature.

Si on distingue les obligations de donner et celles de faire ou de ne pas faire, une dualité peut
être remarquée. S’agissant de l’obligation de donner, le geste du débiteur « dissocié de
l’obligation qu’il éteint, constitue en lui-même un acte juridique puisqu’il modifie les droits
de chacun ». D’autre part, l’obligation de ne pas faire doit être regardée comme un fait
juridique, parce que c’est un simple fait matériel. Quant à l’obligation de faire celle-ci est
toujours selon Mme Nicole CATALA, un fait juridique.

B - Une hésitation théorique, contournée par un pragmatisme pratique

Ainsi, dans l'affaire en question, l'élément litigieux étant le montant de la somme remise à la
banque, ce serait effectivement un fait juridique que l'on peut prouver par tout moyen. La
doctrine influençant indirectement les décisions juridictionnelles, on remarque que la
jurisprudence ne reprend pas toujours le raisonnement de l'arrêt étudié. Ainsi, la même
chambre, la première chambre civile dans un arrêt du 19 mars 2002 exige une preuve du droit
commun c'est-à-dire un écrit (article 1341 du code civil) pour le paiement d'une somme
d'argent. On était en présence d'une obligation de même nature, or les juges semblent qualifier
ce paiement d'acte.
Résumé du document
Les relations obligationnelles se sont développées avec l'émergence des sociétés de
consommation. Notamment, pour réaliser leurs rêves, les individus ont souvent recours à
l'emprunt auprès d'un établissement de crédit. Les engagements n'étant pas perpétuels, pour se
libérer d'une obligation il suffit d'effectuer le paiement de la prestation prévue. Mais face à un
litige, le justiciable pourrait être amené à prouver qu'il l'a effectivement réalisé. Se pose alors
la question de son mode de preuve et donc de sa nature juridique. La Première Chambre civile
de la Cour de cassation, dans un arrêt du 6 juillet 2004, dut alors se prononcer sur cette
interrogation.

En l'espèce, une banque consent un prêt. Une renégociation du taux, à la baisse, intervient. La
banque signifie aux emprunteurs un commandement aux fins de saisie immobilière car elle
n'aurait pas reçu la partie du remboursement dû. Les emprunteurs prétendent ne rien devoir
pour l'instant au regard de l'échéancier conventionnel de remboursement. De plus, ils
invoquent un vice de forme lors de la renégociation du prêt, qui empêcherait alors la banque
de recevoir les intérêts de la période postérieure à la date de la renégociation.

Les juges de première instance et la Cour d'appel accueillent la demande des emprunteurs et
prononcent alors la déchéance du droit de la banque aux intérêts postérieurs à la date de la
renégociation. La banque forme alors un pourvoi en cassation. Selon elle, les preuves
apportées constituaient un commencement de preuve par écrit, ratifié implicitement par les
époux emprunteurs, donc la Cour d'appel a commis une erreur en lui reprochant qu'elle
n'apportait pas de commencement de preuve par écrit. De plus, les renégociations ont conduit
à une diminution du taux d'intérêt. Ceci étant favorable aux débiteurs, la renégociation est
réputée régulière (article 115 II de la loi du 25 juin 1999 relative à l'épargne et à la sécurité
financière). La banque devrait donc continuer à percevoir les intérêts postérieurs à la
modification contractuelle.

Le juge a dû alors se demander de quelle manière se prouve l'existence du paiement d'une


somme d'argent. Une autre interrogation se posait à lui pour résoudre ce litige, celle de savoir
si le caractère favorable de la renégociation d'un prêt présumant sa régularité, s'appréciait au
regard de tous les éléments sur lesquels elle a porté (...)

Sommaire
Introduction

I) Le paiement d'une somme d'argent, une nature juridique instable

A. L'affirmation du paiement comme fait à prouver par tout moyen


B. Une qualification imprécise faisant polémique

II) Une sanction plus fréquente par un caractère favorable global

A. L'extension critiquable de l'appréciation du caractère favorable de la renégociation


B. L'intention manifestement punitive de la Cour de cassation

Extraits
[...] Selon elle, les preuves apportées constituaient un commencement de preuve par écrit,
ratifié implicitement par les époux emprunteurs, donc la Cour d'appel a commis une erreur en
lui reprochant qu'elle n'apportait pas de commencement de preuve par écrit. De plus, les
renégociations ont conduit à une diminution du taux d'intérêt. Ceci étant favorable aux
débiteurs, la renégociation est réputée régulière (article 115 II de la loi du 25 juin 1999
relative à l'épargne et à la sécurité financière). La banque devrait donc continuer à percevoir
les intérêts postérieurs à la modification contractuelle. Le juge dut alors se demander de quelle
manière se prouve l'existence du paiement d'une somme d'argent. [...]

[...] C'était donc à elle de prouver qu'elle n'avait pas acquit cette somme d'argent. Les juges
auraient alors estimé que le paiement de l'obligation d'une somme d'argent était un fait.
Cependant, ceci n'est que supputation et il est vrai que la lettre de l'arrêt évoque le paiement
comme fait juridique sans distinction de la nature de l'obligation qu'il éteint. On pourrait aussi
dire que la Cour parle de paiement, comme synonyme de versement. Donc le versement est un
fait qui se prouve alors par tout moyen. [...]

[...] Ainsi, dans l'affaire en question, l'élément litigieux étant le montant de la somme remise à
la banque, ce serait effectivement un fait juridique que l'on peut prouver par tout moyen. La
doctrine influençant indirectement les décisions juridictionnelles, on remarque que la
jurisprudence ne reprend pas toujours le raisonnement de l'arrêt étudié. Ainsi, la même
chambre, la première chambre civile dans un arrêt du 19 mars 2002 exige une preuve du droit
commun c'est-à-dire un écrit (article 1341 du code civil) pour le paiement d'une somme
d'argent. On était en présence d'une obligation de même nature, or les juges semblent qualifier
ce paiement d'acte.

[...] Cependant, cette sanction est inopportune car l'anéantissement rétroactif du contrat de
prêt que la nullité engendrerait, implique que l'emprunteur rembourse intégralement le crédit
consenti sans pouvoir bénéficier de l'échéancier conventionnel. Ainsi la nullité inhibe les
caractéristiques mêmes de l'emprunt. Pour cette raison, une sanction spécifique a été créer,
spécifique à la nature du contrat qu'elle affecte. Il s'agit de la déchéance du droit aux intérêts
conventionnellement prévus imposée à la banque ne respectant pas les exigences de formalité.
Ainsi, le consommateur peut maintenir l'exécution du contrat tout en sanctionnant le prêteur.
[...]

[...] Ainsi, selon la Cour de cassation, la renégociation ne présente pas un caractère plus
favorable pour les emprunteurs. La conséquence directe de cette extension d'appréciation est
celle de l'usage amoindri de la présomption et donc de la limitation de l'étendue des
validations législatives des renégociations. Cette décision est certes critiquable du fait de la
modification de loi, mais elle a le mérite de moraliser les relations contractuelles bancaires.
Les établissements bancaires auraient ainsi moins tendance à dissimuler des clauses faisant
peser des obligations supplémentaires aux emprunteurs car le juge pourra toutes les apprécier
et éventuellement écarter le jeu de la présomption. [...]

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