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Initiation à la Géopolitique

Isabelle FACON

5.1
Russie

.50.4
Les chemins de la puissance

:193
2
8195
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1614
1101
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UT1
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5.1
Isabelle Facon

5.1
RUSSIE

50.4
193.
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Les chemins de la puissance

1
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:
1614
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Toul
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Artège Sciences Humaines


larvo
scho
univ.
InItIatIon à la géopolItIque
Collection dirigée par Olivier Zajec

Déjà parus :

5.1
La stratégie de l’Iran, entre puissance et mémoire, Matthieu Anquez,

50.4
novembre 2008
2030, La fin de la mondialisation ?, Hervé Coutau-Bégarie,

193.
décembre 2008
Les secrets de la géopolitique, Olivier Zajec, décembre 2008

952:
L’Égypte, au coeur du monde arabe, Pascal Meynadier, mai 2009

1
Le Viet Nam, des blessures de l’Histoire à l’Asie du XXIe siècle,

8888
Bénédicte Chéron, mai 2009
La Pologne, géopolitique du phénix de l’Europe, Sophie Cassar,
:
1614
mars 2010
1101
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Toul

© Mars 2010
ISBN : 978-2-916053-8-20
:UT1

ISBN pdf 978-2-360404-8-65


x.com

Cartographie : Sigrid Conrad


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d d p d p d
larvo

p p
© Groupe Artège
scho

d
0 - 75 0
univ.

9 p d - 66 000 p
d f
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À mes parents.

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50.4
5.1
5.1
50.4
Sommaire

193.
952:
Introduction ...................................................................11

1
8888
Chapitre I
:
Vision de soi et du monde : les invariants 1614
de la pensée stratégique russe....................................15
1101

1 – Un constant sentiment d’insécurité......................16


se:21

Une menace « tous azimuts ».............................................16


Une expansion territoriale à vocation défensive ?..................17
ou

La « forteresse assiégée » : la centralité du facteur militaire...19


Toul

2 – La quête d’autorité internationale d’un pays au


:UT1

destin spécifique..............................................................22
Le plus grand pays du monde : la Russie
x.com

puissance territoriale....................................................23
La conviction d’un destin unique.........................................24
larvo

Les hésitations maritimes d’un État-continent .....................31


scho

7
univ.
Russie, les chemins de la puissance

3 – Contraintes et vulnérabilités de la puissance


territoriale.........................................................................35
Unité nationale et intégrité territoriale : une diversité
difficile à maîtriser..........................................................35
La Russie face au monde : entre aspiration
européenne et « troisième voie ».......................................46
Au XXIe siècle : permanences et rémanences...........................52

5.1
50.4
Chapitre II
Quête de puissance et relations internationales..59

193.
952:
1 – L’ex-empire : pesanteurs stratégiques
et géopolitiques..................................................................60

1
8888
L’espace post-soviétique dans le projet de sécurité
et de puissance russe........................................................61
:
1614
Un « étranger » à part.........................................................64
Les moyens de l’influence : entre « soft power » et coercition.........70
1101

2 – La Russie, puissance européenne à sa manière....80


se:21

L’Europe, référent de la puissance russe................................83


Sentiment d’exclusion...........................................................86
ou

Une Europe qui inquiète, agace et déçoit...............................96


Toul

3 – La relation aux États-Unis : syndrome


de la superpuissance déchue et rivalité eurasiatique...99
:UT1

Rivalité russo-américaine en Eurasie....................................99


x.com

La nostalgie de l’ordre bipolaire..........................................103


larvo
scho

8
univ.
Sommaire

4 – Incertitudes orientales.............................................110
Asie versus Occident ?........................................................111
Le poids de l’Asie dans l’économie globalisée :
un motif d’intérêt supplémentaire pour la Russie..........115
La Chine, défi à la puissance russe.....................................118
Proche et Moyen-Orient, Amérique latine et Afrique :
un rayonnement et des ambitions limités........................126

5.1
Chapitre III

50.4
Les instruments de la puissance..............................129

193.
1 – La fin de la priorité à l’outil militaire ? ..............130

952:
Nécessaire normalisation pour le complexe

1
militaro-industriel.........................................................130

8888
Les outils militaires reconsidérés.........................................132
Les réelles priorités militaires..............................................135 :
1614
2 – Une difficile intégration à l’économie globalisée...144
1101

Économie de rente et grande puissance :


une incompatibilité russe...............................................146
se:21

Sur la voie de la diversification...........................................152


La « faute de l’autre » ? Les failles
ou

de l’intégration russe à l’économie-monde .....................155


Toul

3 – Le multilatéralisme : attentes et ambiguïtés russes..163


:UT1

Le multilatéralisme comme multiplicateur de prestige..........165


Les vertus protectrices du multilatéralisme..........................170
x.com

Multilatéralisme russe contre pluralisme géopolitique .........173


Contradictions et insuffisances............................................176
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9
univ.
Russie, les chemins de la puissance

Conclusion ......................................................................179

Sélection bibliographique............................................187
Ouvrages..............................................................................187
Articles et monographies...................................................188
Documents .........................................................................190
Documents officiels............................................................191

5.1
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193.
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1
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:
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1101
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ou
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5.1
50.4
Introduction

193.
La Russie, une grande puissance de fait ?

952:
« Dans notre subconscient, au cœur de notre être, se trouvent

1
8888
des priorités de grande puissance. C’est pourquoi nous réagissons
avec enthousiasme quand nous entendons le slogan “la Russie se
:
1614
relève”. Ce mythe ne disparaîtra pas. Il ne fera que s’adapter
aux époques et aux circonstances et, plus important, aux intérêts
1101

et aux visions de nos leaders1. » La réalité russe contempo-


raine confirme largement ce propos de Viktor Sheinis,
se:21

scientifique témoin des grands moments politiques qui


ou

ont dessiné l’histoire de la Russie depuis le milieu du


Toul

XXe siècle2. La Russie n’a, en effet, jamais renoncé au


:UT1

 – Viktor SHEINIS : « On Useful and Harmful Falsifications of


Russian History », RFE/RL, 24 mai 2009.
x.com

 – Ancien député et membre du parti d’opposition Iabloko, pro-


fesseur et chercheur à l’Académie des sciences russes, un des arti-
sans, enfin, du Code électoral russe, Viktor Sheinis est né en 93,
larvo

en Ukraine soviétique.
scho

11
univ.
Russie, les chemins de la puissance

fond à l’ambition de se faire reconnaître par ses parte-


naires internationaux comme une puissance à la respon-
sabilité globale, détentrice d’un rayonnement planétaire.
Même la profonde crise économique, politique, mili-
taire qu’elle a connue dans les années 1990 n’a pas eu
raison de cette aspiration. Pourtant, le pays est, à cette
époque, resté à la périphérie des relations internationa-
les, ne parvenant plus guère à faire entendre sa voix sur

5.1
les évolutions en Europe et peinant même à influencer

50.4
ses voisins immédiats – deux axes prioritaires, tradition-
nellement, de sa diplomatie. La frustration que Moscou

193.
en a retirée s’est exprimée vigoureusement bien avant

952:
l’arrivée au pouvoir de Vladimir Poutine – que l’on se
souvienne de l’intense résistance du Kremlin à l’élargis-

1
8888
sement de l’OTAN, ou de sa réaction brusque, en 1999,
quand l’Alliance atlantique est intervenue militairement
:
1614
contre la Serbie pour mettre fin à la crise du Kosovo.
Vladimir Poutine, depuis 000, a travaillé à remettre
1101

son pays au cœur du jeu mondial, et à décomplexer la


population, en tentant, en particulier, de la réconcilier
se:21

avec son passé plus ou moins ancien – Viktor Sheinis


souligne, d’ailleurs, à quel point les Russes se montrent
ou
Toul

défensifs face à toute lecture critique de leur histoire. Si


l’on en croit les sondages, un facteur de la popularité
:UT1

de Vladimir Poutine résiderait dans le sentiment qu’ont


les citoyens russes qu’il a su rendre à la Russie de son
x.com

importance sur la scène internationale. Dmitriï Medvedev,


qu’il a choisi pour lui succéder en avril 2008, ne compte
larvo
scho

12
univ.
Introduction

visiblement pas revoir à la baisse les ambitions du


Kremlin sur la scène mondiale.
L’idée que la Russie ne peut qu’être une grande puis-
sance demeure donc un leitmotiv pour les Russes. Ils
restent profondément marqués par plusieurs siècles
d’expansion territoriale, offrant à leur pays une sta-
ture territoriale inégalée, et par le rôle de second pôle
idéologique et stratégique, à égalité théorique avec les

5.1
États-Unis, dont leur pays a bénéficié pendant plus de

50.4
quarante ans. Ces circonstances ont enraciné différents
« mythes stratégiques » russes, comme la conviction que

193.
la Russie a un destin à part ou encore le sentiment que

952:
ses voisins n’ont de cesse de l’affaiblir, voire d’empiéter
sur son territoire, en jouant, en particulier, de ses vul-

1
8888
nérabilités internes (fragilités de la Fédération, faille dé-
mographique, déséquilibres structurels de l’économie,
:
1614
limites de l’appareil militaire…).
Caractéristiques territoriales et culture politique et
1101

stratégique marquée par l’orthodoxie et l’autocratie se


sont combinées pour enraciner des réflexes particu-
se:21

lièrement tenaces qui compliquent sans doute l’effort


d’adaptation de la Russie à un monde globalisé où elle
ou
Toul

n’a pas encore pleinement trouvé sa place. Conflits en


Tchétchénie, amenuisment du pluralisme politique, ré-
:UT1

duction des prérogatives des autorités régionales, neu-


tralisation d’une partie des médias, pressions sur les
x.com

voisins (jusqu’à la guerre, en Géorgie, en 2008), regain


d’une rhétorique militarisée destinée à intimider les
larvo

Européens : beaucoup d’éléments se sont conjugués


scho

13
univ.
Russie, les chemins de la puissance

pour donner le sentiment aux observateurs étrangers


que la conception que la Russie a de la puissance et
des moyens de la puissance a finalement peu changé
par rapport à l’époque impériale et l’ère soviétique, que
beaucoup englobent dans une continuité historique.
Si, dans la recherche identitaire qu’elle a engagée en
1991 en quittant l’Union soviétique, la Russie est res-
tée fortement influencée par les visions de soi et du

5.1
monde construites au cours de son histoire millénaire,

50.4
ses dirigeants n’en semblent pas moins lucides sur les
insuffisances nationales qui obèrent le rayonnement

193.
international de leur pays. Dans ces conditions, il est

952:
difficile de dire comment s’équilibreront, à terme, les
tiraillements observables dans le complexe positionne-

1
8888
ment international de Moscou – entre envie de « sédui-
re » et tendances coercitives ; entre volonté d’ouverture
:
1614
et tendance au repli sur soi ; entre multilatéralisme et
tentation unilatéraliste…
1101
se:21
ou
Toul
:UT1
x.com
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univ.
5.1
50.4
Chapitre I

193.
Vision de soi et du monde : les invariants
de la pensée stratégique russe

952:
1
8888
Dans l’imaginaire géopolitique courant, la Russie est
représentée comme le cœur d’un ensemble continen-
:
1614
tal participant de façon fondamentale aux équilibres
du monde. Cette vision fait écho à l’image que ce pays
1101

s’est forgé de lui-même en s’appuyant sur ses caracté-


se:21

ristiques territoriales, également déterminantes de son


rapport au monde. Ces caractéristiques ont été, au fil
ou

des siècles, source, pour la Russie, d’un sentiment de


Toul

puissance qui n’a d’égal que son sentiment de vulnéra-


bilité. Elles ont produit un ensemble de représentations
:UT1

stratégiques qui influencent sensiblement, aujourd’hui


encore, la politique intérieure et l’attitude internationale
x.com

de Moscou. Ces repères tantôt ont motivé, tantôt ont été


renforcés par des traits spécifiques de la culture politique
larvo
scho

15
univ.
Russie, les chemins de la puissance

russe, marquée par l’empreinte de l’orthodoxie et par


l’exercice autocratique du pouvoir.

1 – Un constant sentiment d’insécurité

Une menace « tous azimuts »


Historiquement, la Russie est une place à la fois
enclavée et ouverte. L’absence de frontières naturelles

5.1
suffisamment protectrices y a très tôt fait naître un sen-

50.4
timent d’encerclement et de vulnérabilité. La constitu-

193.
tion même du premier État russe résulte de l’arrivée à
Kiev d’éléments étrangers, des Scandinaves (les Varègues),

952:
s’associant aux tribus slaves locales pour établir, au

1
IXe siècle, le premier État russe (la Rous’ kiévienne). Plus

8888
tard, au XIIIe siècle, l’invasion mongole a conforté un
sentiment d’insécurité permanent, et la perception de :
1614
la Russie d’être soumise à une menace « tous azimuts »,
1101

provenant de toutes les directions de l’environnement


géostratégique.
se:21

La partie européenne du territoire a toujours été res-


sentie comme plus particulièrement disputée. L’Ouest
ou

apparaît en effet, aux yeux des Russes, comme la me-


Toul

nace la plus sérieuse – du fait de la récurrence des in-


vasions à partir de cette direction (Suédois, Polonais,
:UT1

Français, Allemands…). Au Temps des Troubles (1598-


x.com

1613), la double invasion polonaise et suédoise provo-


que un choc. Au XXe siècle, les interventions des États
larvo

ouest-européens au cœur de la guerre civile russe ont


scho

16
univ.
Vision de soi et du monde

accru ce sentiment d’un « ennemi occidental » particu-


lièrement virulent. Aujourd’hui encore, cette perception
persiste ; est révélatrice, de ce point de vue, l’attention
particulière qu’attache la Russie à l’organisation de la
sécurité européenne (cf. chapitre II). C’est aussi à l’Ouest,
il faut dire, que la logique expansionniste de l’État russe
s’est heurtée à la plus grande résistance – on pense en
particulier à la guerre de Livonie, au XVIe siècle, quand

5.1
Ivan IV, soucieux de donner à son pays une ouverture

50.4
sur la Baltique, fut contrarié par la Pologne et la Suède :
elle durera vingt-cinq ans… La violence de l’invasion

193.
tataro-mongole, au XIIIe siècle, causant la chute de Kiev,

952:
la perte de 50 % de la population de la Russie et une
occupation longue de près de trois siècles, enracinera

1
8888
durablement, outre une indéniable empreinte culturelle,
une appréhension du « risque asiatique ». Moscou n’a
:
1614
pas non plus oublié sa longue rivalité avec les Ottomans
puis les Turcs aux confins méridionaux.
1101

Une expansion territoriale à vocation défensive ?


se:21

En septembre 2004, au lendemain de la prise d’ota-


ou

ges de l’école de Beslan, le président russe Poutine sem-


Toul

blait toujours inquiet, regrettant que son pays « qui autre-


fois avait le plus puissant des systèmes de défense de ses frontières
:UT1

extérieures, s’est du jour au lendemain retrouvé sans protection,


à l’ouest comme à l’est » et devrait consentir des moyens
x.com

substantiels pendant de longues années avant de re-


trouver des frontières solides… Pour les spécialistes
larvo
scho

17
univ.
Russie, les chemins de la puissance

de la géopolitique, mais aussi de nombreux historiens,


la vulnérabilité liée à l’enclavement et à la fragilité des
défenses terrestres de la Russie expliquerait sa quête in-
fatigable d’expansion territoriale, dans toutes les direc-
tions (voir carte). L’addition de territoires serait conçue
comme le moyen le plus sûr d’assurer la protection
d’un État russe soucieux de repousser les frontières de
la menace extérieure. Les souverains russes se sont lan-

5.1
cés d’autant plus volontiers dans cette aventure expan-

50.4
sionniste qu’elle semblait aisée – pour la même raison
qui rendait le territoire russe vulnérable à la convoitise

193.
des voisins, à savoir sa situation sur une grande plaine

952:
ouverte. Cette démarche d’élargissement des frontières
sera validée, aux yeux des dirigeants russes, par diffé-

1
8888
rents épisodes historiques au cours desquels la profon-
deur territoriale ainsi acquise s’avérera effectivement
:
1614
une force. La maîtrise de grands territoires a de fait of-
fert à la Russie des réserves en temps et en espace fort
1101

précieuses face aux assauts de la France napoléonienne


ou, plus tard, à l’invasion de l’Allemagne nazie. La soif
se:21

d’expansion territoriale des Russes a également des cau-


ses économiques, les terres « originelles », situées très
ou
Toul

au nord, constituant un milieu peu hospitalier et peu


fertile. L’expansion a procuré au pays des ressources na-
:UT1

turelles de plus en plus importantes. Cela ne fera, para-


doxalement, qu’accentuer son sentiment d’être soumis
x.com

aux appétits territoriaux de ses voisins, soupçonnés de


vouloir contrôler ses richesses énergétiques et minéra-
larvo

les (énergie, fer, or, ressources hydrauliques, platine…).


scho

18
univ.
Vision de soi et du monde

Sans doute peut-on voir, dans les limitations imposées


dans les années 2000 aux investissements étrangers
dans le secteur énergétique russe, un avatar de cette
appréhension…
Un élément clef de la puissance russe : les ressources
naturelles
Part de la production mondiale (%)
Rang

5.1
en 2008
Minerai de nickel 17,1 1

50.4
Minerai de fer 5 5
Minerai de cuivre 4,8 6

193.
Or 7,1 6
Acier 5,1 4

952:
12,4 2
Pétrole
6,3 % des réserves mondiales 6

1
19,6 % 1

8888
Gaz
23,4 % des réserves mondiales 1
4,6 % 5
Houille
:
19 % des réserves mondiales 2 1614
Source : Images économiques du monde 2010, Armand Colin, 2009
1101

La « forteresse assiégée » : la centralité du facteur


se:21

militaire
« Il existe une loi politique et peut-être naturelle qui exige
ou

que deux voisins forts et proches, quelle que soit leur mutuelle
Toul

amitié au début, finissent toujours par en venir à un désir d’ex-


:UT1

termination réciproque », écrit Dostoïevski dans Le Journal


d’un écrivain. La grande fluidité des rapports de force in-
x.com

ternationaux fait fortement écho au sentiment constant


des souverains russes de ne pouvoir se fier durablement
larvo

à aucune alliance. La Russie s’est tôt faite à l’idée qu’elle


scho

19
univ.
Russie, les chemins de la puissance

« n’a de véritables amis et d’alliés que son armée et sa


Marine » – vision qui a d’ailleurs pris valeur d’adage po-
pulaire. Ces dernières se trouvent assez logiquement va-
lorisées du fait des logiques d’expansion territoriale et de
conquête militaire qui motivent l’État russe depuis des
siècles.
Au début du XVIe siècle, la Russie, tirant des leçons
des événements des siècles passés, entreprend de se

5.1
doter de moyens militaires susceptibles de limiter les

50.4
risques d’invasion étrangère. En outre, elle constate que
si l’avancée à l’est est assez commode, passant principa-

193.
lement par la soumission de populations peu nombreu-

952:
ses, les puissances occidentales et l’Empire ottoman
constituent des obstacles et des menaces autrement plus

1
8888
considérables. C’est Pierre le Grand qui va instaurer le
« militarisme d’État1 », en donnant la priorité, dans sa
:
1614
stratégie globale, aux moyens militaires, largement mo-
tivé en cela par la guerre du Nord. La Russie s’engage
1101

alors dans une militarisation dont elle ne se désenga-


gera pas avant longtemps. Le tsar organise la société et
se:21

l’économie autour de l’effort de guerre, met en place un


système de recrutement universel. C’est à partir de là
ou
Toul

que, parmi les instruments de mesure de la puissance, la


Russie met en avant le facteur militaire.
:UT1

 – Voir, à ce sujet, le spécialiste russe Alexander M. GOLTZ


x.com

(représentant des « libéraux ») & Tonya L. PUTNAM (professeur


à l’université de Columbia), « State Militarism and Its Legacies
– Why Military Reform Has Failed in Russia », International Security,
larvo

Fall 004, Vol. 9, n° , p. -58.


scho

20
univ.
Vision de soi et du monde

L’Union soviétique a repris cet héritage, continuant à


accumuler ressources matérielles et humaines au profit
de l’effort militaire. Il s’agissait alors pour elle de défen-
dre le système soviétique contre le système capitaliste,
« impérialiste » et agressif par nature. M. Frounze dira :
« La situation de forteresse assiégée, ce qu’a été jusqu’à présent
notre pays, n’est pas passée et ne passera pas tant que le capital
régnera dans le monde […] l’énergie et la volonté du pays doivent

5.1
continuer à être dirigées vers la constitution et la consolidation de

50.4
notre puissance militaire[…]. Nous sommes contraints d’appeler
aux armes tous les peuples de notre union, de transformer l’union

193.
en camp armé » (cité par Golts, 2005, p. 13). L’URSS, pays

952:
des pénuries et de la négligence à l’égard des industries
de biens de consommation et des services, inquiéta et

1
8888
fascina par ses succès dans les domaines stratégiques,
dont le nucléaire et le spatial (premier satellite artificiel,
:
1614
premier homme dans l’espace), où Moscou a cherché
à être l’égale des États-Unis (les supplantant même
1101

parfois, fût-ce provisoirement). En Europe centrale et


orientale, c’est par la menace de l’emploi, voire l’emploi
se:21

de la force militaire que l’Union soviétique constitua


puis consolida autour d’elle un glacis protecteur d’États
ou
Toul

« frères ». Par ailleurs, c’est largement par le transfert


d’armements qu’elle nourrit ses positions dans le Tiers-
:UT1

monde.
Cet ordre de priorités, drainant les ressources au
x.com

détriment du développement économique et social,


mettra durablement en cause la capacité de rattrapage
larvo

de la Russie sur les puissances européennes en termes


scho

21
univ.
Russie, les chemins de la puissance

de capacités technologiques et de bien-être de la popu-


lation. Avec le temps, et même si la société paysanne
russe a montré plus d’une fois au cours de l’histoire sa
capacité de révolte, le peuple russe semble avoir retiré
de la puissance ainsi acquise par son pays une forme de
compensation de ses dures conditions de vie – voire
un « substitut » à la liberté ? (H. Carrère d’Encausse, La
Russie inachevée, p. 31). En 2009, alors que la crise écono-

5.1
mique frappe le pays de plein fouet, le fait que Vladimir

50.4
Poutine et Dmitriï Medvedev ne cèdent rien sur la « vo-
cation russe à la puissance2 » les aide sans doute à préserver

193.
leur popularité en cette nouvelle période délicate.

952:
1
2 – La quête d’autorité internationale d’un pays au

8888
destin spécifique
:
1614
L’extension remarquable des dimensions territoria-
les de la Russie est allée de pair avec des ambitions for-
1101

tes en politique étrangère. Ces aspirations ont souvent


se:21

donné l’impression de trancher avec l’état réel des ca-


pacités économiques et techniques ainsi qu’avec le ni-
ou

veau de développement social du pays. Mais elles ont


Toul

également été généralement « reconnues » par les parte-


naires et adversaires de la Russie, du fait de sa situation
:UT1

géographique et de l’importance des moyens militaires


qu’elle a mis au service d’un expansionnisme impérial
x.com

2 – Expression de J.-R. Raviot, interview Nouvelle Europe, 27 janvier


larvo

2008. http://www.nouvelle-europe.eu
scho

22
univ.
Vision de soi et du monde

faisant toujours passer au second plan le bien-être de


la population. À partir du XVIIIe siècle, les apports et
contributions culturels et scientifiques russes ont éga-
lement joué leur rôle dans la place accordée à la Russie
dans la politique internationale.

Le plus grand pays du monde : la Russie puissance


territoriale

5.1
Au fil de ses gains territoriaux, la Russie a acquis, es-

50.4
time-t-elle, les dimensions d’une superpuissance. À son
immensité territoriale s’ajoute sa situation intermédiaire

193.
entre l’Europe et l’Asie, au carrefour des grandes zones

952:
stratégiques mondiales. Ces traits confèrent à la Russie,
qui compte onze fuseaux horaires, une présence qui va

1
8888
de l’Arctique aux mers européennes et à l’océan Pacifi-
que, de l’Europe au Moyen-Orient en passant par l’Asie
:
1614
orientale. Ces éléments ont nourri la conviction des
autorités russes que leur pays doit rechercher un rayon-
1101

nement et une action sécuritaire allant au-delà du seul


se:21

niveau régional, auquel sa conception essentiellement


continentale aurait pu l’amener à se limiter. La Russie
ou

estime ainsi qu’elle est investie d’une responsabilité de


Toul

nature globale, voire d’une « mission » internationale.


Au lendemain de l’éclatement de l’Union soviétique,
:UT1

la question s’est à nouveau posée : la Russie n’est-elle


pas avant tout une puissance régionale, et ne doit-elle
x.com

pas concevoir sa relation au monde comme puissance


régionale ? Ce questionnement est alimenté par la sévère
larvo
scho

23
univ.
Russie, les chemins de la puissance

attrition des moyens économiques et militaires suscitée


par l’effondrement économique des années 1990. Mais
la plupart des responsables russes, ainsi que la majeure
partie de la population, semblent réticents à se résoudre
à une limitation du champ de rayonnement de leur pays.
Cette permanence est la cause d’un immense inconfort
pour Moscou face au constat, depuis la fin des années
980, du recul, voire de l’effacement, de son influence

5.1
dans le traitement de nombreux dossiers clefs de la vie

50.4
internationale. Pour que leur pays soit reconnu comme
grande puissance incontournable, ils mettent en avant

193.
différents attributs de puissance objectifs acquis à la

952:
fois à l’ère impériale et du temps de l’URSS, dont la
Russie est l’héritière juridique – ampleur territoriale, siè-

1
8888
ge de membre permanent au Conseil de sécurité, armes
nucléaires, réseaux dans les anciens pays « frères » au
:
1614
Proche et Moyen-Orient3… La revendication d’une re-
lation particulière avec les États-Unis est un symptôme
1101

de la difficulté de la Russie à se penser en « puissance


moyenne » (cf. chapitre II).
se:21

La conviction d’un destin unique


ou
Toul

La puissance territoriale de la Russie et son statut


revendiqué de pivot géopolitique ont fortement contri-
:UT1

bué à enraciner dans l’esprit des Russes l’idée de la


x.com

3 – La Russie a récupéré les anciennes ambassades de l’URSS et,


moins avantageux, sa dette extérieure. Elle en a également repris
larvo

les engagements internationaux (traités, conventions…).


scho

24
univ.
Vision de soi et du monde

« spécificité » de leur pays et de ses intérêts, et, en corol-


laire, le rejet d’un modèle extérieur, quel qu’il soit. Mais
cette vision s’explique évidemment aussi par le choix
orthodoxe, qui imprègne la culture politique russe de-
puis la christianisation du pays en 988 par Vladimir Ier.
Le Kremlin, cœur du pouvoir russe, n’est-il pas entouré
d’églises ? Depuis la chute de Byzance, en 1453, Mos-
cou, héritière de l’orthodoxie, est censée être la troisiè-

5.1
me (et la dernière Rome), faisant de son souverain, qui

50.4
ne tient son pouvoir que de Dieu, le guide de la chré-
tienté4. Ce choix a amené les Russes, peuple « porteur de

193.
Dieu » selon Dostoevskiï, à se sentir dépositaires d’un

952:
message de pureté à défendre et à étendre, notamment
contre l’expansion catholique, dont les pays européens

1
8888
sont le vecteur privilégié. Au Temps des Troubles, « c’est
contre un occupant catholique polonais venu de l’Ouest que le pays
:
1614
commence à penser son identité nationale » (M.-P. Rey, 2003,
p. 5, cf. bibliographie). Cela amène d’ailleurs à supposer
1101

que cette rupture, autant que les « siècles mongols » au


cours desquels le second État russe s’est constitué, a
se:21

nourri les difficultés de compréhension entre la Russie


et l’Europe, et contribué à tenir la Russie éloignée de
ou
Toul

la pensée moderne. Aujourd’hui encore, l’Église ortho-


doxe et l’Église catholique entretiennent des relations
:UT1

malaisées, la première dénonçant « catégoriquement le pro-


sélytisme auquel se livrent les catholiques sur le territoire de la
x.com
larvo

4 – Pierre le Grand, cependant, supprimera le Patriarcat, le rem-


plaçant par un saint-synode sous l’autorité d’un fonctionnaire laïc.
scho

25
univ.
Russie, les chemins de la puissance

Russie […]. La Russie n’est ni un désert spirituel, ni un champ


de conquêtes pour l’Église catholique romaine », disait le Pa-
triarche Alexis II (interview avec Nathalie Ouvaroff).
Dans un registre complètement différent, l’expé-
rience soviétique ira dans le même sens d’une vision
messianique du rôle de la Russie. À ce moment-là, les
Russes s’enorgueillissent d’être « le » pays où se déve-
loppe un modèle d’organisation politique et sociale iné-

5.1
dit, visant à la formation d’un homme nouveau, modèle

50.4
à étendre pour le bien de l’humanité. Une fois encore,
donc, l’idée d’une spécificité russe, voire d’une supério-

193.
rité, au moins morale, est mise en avant. Cependant, les

952:
responsables soviétiques hésiteront alors entre expor-
tation de la révolution à l’échelle planétaire et « révolu-

1
8888
tion dans un seul pays »…
Cette vision d’elle-même a amené la Russie à oser
:
1614
défier les grandes puissances – surtout au XIXe siècle
pour la Russie tsariste – et à s’opposer à tout projet
1101

hégémonique, réel ou perçu, de leur part – d’abord la


Pologne, puis la France et l’Allemagne, l’Angleterre, en-
se:21

fin, plus récemment, les États-Unis. Quand la Russie n’a


pas la possibilité de diffuser et d’étendre son modèle,
ou
Toul

elle doit alors au moins se concentrer sur sa protec-


tion… La force du religieux dans l’histoire russe n’est
:UT1

pas pour rien dans la tendance défensive de la politi-


que de Moscou à l’égard du monde extérieur. François
x.com

Thual explique la force, dans les sociétés orthodoxes,


du « sentiment, en tant que dépositaire de la vérité, d’être entouré
larvo

d’ennemis » (entretien, 1998).


scho

26
univ.
Vision de soi et du monde

La revendication traditionnelle d’une particularité


russe explique aujourd’hui le malaise de certains repré-
sentants de l’élite politique et culturelle face à la mon-
dialisation dont ils redoutent le pouvoir uniformisateur.
Dans le monde globalisé, dira le patriarche Alexis II aux
diplomates russes en mars 2003, « la Russie doit rester elle-
même ; elle doit préserver les valeurs de sa civilisation millénaire »
(cité par K. Rousselet, cf. bibliographie). Une vision lar-

5.1
gement partagée en Russie, où ils sont nombreux à ap-

50.4
prouver le rejet par Vladimir Poutine de tout modèle et
système de valeurs extérieur dès lors qu’il est imposé ou

193.
perçu comme tel. En effet, Vladimir Poutine n’a jamais

952:
cessé de mettre en avant le thème de la spécificité, du
caractère unique de la Russie, et de la nécessité qui en

1
8888
découle, pour elle, de cultiver son autonomie sur la scè-
ne internationale. Sur ce point, il bénéficie du soutien
:
1614
sans ambiguïté de l’Église orthodoxe. On peut rattacher
à tout cela l’actuel débat sur la démocratie en Russie, et
1101

la revendication par cette dernière du droit de dévelop-


per son propre modèle (la « démocratie souveraine ») et
se:21

son rejet de la propension des pays occidentaux à diffu-


ser un modèle qui se veut « universel » (cf. chapitre II).
ou
Toul

En tout état de cause, le fait que progressivement


la Russie se soit constituée comme un État-continent,
:UT1

comme un bloc en soi, capable de vivre en autarcie, ca-


dre bien avec l’idée qu’elle se fait de sa singularité dans
x.com

les affaires du monde.


larvo
scho

27
univ.
Russie, les chemins de la puissance

Le renouveau de l’Église orthodoxe


L’émotion soulevée par la disparition, en décem-
bre 2008, du patriarche Alexis II a exprimé l’impor-
tance prise par l’Église orthodoxe dans la vie publi-
que russe depuis la disparition de l’URSS. Alexis II
avait accompagné ce regain, que le brouillage des
repères d’une société russe en plein choc politi-
que, économique et social avait favorisé (70 à 80 %
des Russes se déclarent orthodoxes ; entre 1990

5.1
et 2005, plus de 16 000 églises ont été rouvertes5).

50.4
L’Église orthodoxe entretient un lien étroit avec
l’histoire du pays depuis que, en 1326, la métropole

193.
religieuse fut transférée à Moscou. Le tsar est censé
détenir son pouvoir de Dieu (sauf sous Pierre le

952:
Grand). La doctrine de la « Nationalité officielle »

1
choisie par les tsars au XIXe siècle était « orthodoxie,

8888
autocratie, génie national6 » – une Russie chrétien-
ne face à l’envahisseur tatar, une Russie héritière
:
1614
de Byzance face aux pays européens catholiques
(K. Rousselet). Cela confère à l’orthodoxie un rôle
1101

clef dans la formation de l’identité nationale russe.


L’Église se pose aujourd’hui en garante des valeurs
se:21

spirituelles nationales, et donne son avis sur de


nombreux sujets de société. Par exemple, face à la
ou

« fronde des régions » des années 1990, le patriar-


Toul

che s’exprima contre la fragmentation de l’espace


national (F. Thual, cf. bibliographie).
:UT1
x.com

5 – Interview du Patriarche Alexis II avec N. Ouvaroff.


larvo

6 – Pravoslavie, samoderjavie, narodnost’.


scho

28
univ.
Vision de soi et du monde

Pour le Kremlin, l’Église orthodoxe représente


une « offre idéologique non négligeable7 » (A. Moniak-
Azzopardi, p. 30, cf. bibliographie) ; elle constitue
un appui et bien souvent un « agent » du plan pou-
tinien de restauration d’une idée nationale forte à
laquelle peut adhérer une majorité de la population.
Vladimir Poutine et Dmitriï Medvedev s’affichent
en orthodoxes pratiquants. L’actuel Premier minis-
tre entretient un lien étroit avec Tikhon Chevkou-

5.1
nov, supérieur du monastère de la Sainte Rencontre

50.4
(Moscou), connu pour ses positions conservatrices.
L’Église, après avoir accompagné les deux campa-

193.
gnes présidentielles de Vladimir Poutine, a soutenu
la candidature de D. Medvedev. Parmi les religions

952:
« traditionnelles » (orthodoxie, islam, judaïsme,
bouddhisme), elle est la seule à avoir passé des ac-

1
8888
cords avec différentes institutions d’État, dont les
« structures de force ». Pour certains observateurs,
:
cette proximité fragilise le principe de laïcité, inscrit 1614
dans la Constitution (art. 14). De nombreuses cri-
1101

tiques s’expriment sur le traitement privilégié dont


bénéficie l’Église orthodoxe par rapport aux autres
se:21

confessions, et jugent les relations État-Église insuf-


fisamment distantes. À cette critique, les représen-
ou

tants de l’Église répondent que « [l]’Église n’intervient


Toul

pas dans la politique du gouvernement et le gouvernement


ne se mêle pas des affaires de l’Église. Cependant, il y a
:UT1

des problèmes communs que nous devons résoudre ensemble,


sur un pied d’égalité, comme des partenaires, pour le bien
x.com

7 – Ce texte analyse le traitement dont font l’objet en Russie les


religions non traditionnelles, que l’auteur pense « menacées dans leur
larvo

activité, voire dans leur existence ».


scho

29
univ.
Russie, les chemins de la puissance

de notre pays et de notre peuple : la pauvreté, la situation


des personnes âgées et dépendantes, l’éducation des jeunes,
le patriotisme et la morale8 ». En tout état de cause, un
débat existe à ce sujet en Russie, et nombreux sont
ceux qui s’inquiètent, entre autres, de la dimension
de « guide moral » que le pouvoir politique sem-
ble vouloir confier à l’Église, ce qui est présenté
comme participant du souci de lutter contre la cor-
ruption et autres symptômes de la crise sociale et

5.1
morale de la Russie post-soviétique.

50.4
La composante religieuse a fortement influencé
l’attitude de la Russie à l’égard du monde extérieur.

193.
Elle a été un facteur essentiel du regard ambivalent
que pose toujours la Russie sur l’Europe catholique.

952:
La laïcité « à la russe » semble d’autant plus fragile

1
que d’une certaine façon, elle faisait partie du « pac-

8888
kage » de transformations politiques et sociales que
le gouvernement russe avait mises en avant pour
:
1614
marquer sa volonté de se rapprocher des pays occi-
dentaux au début des années 1990 (K. Rousselet) –
1101

choix qui ne fait plus aujourd’hui l’unanimité au sein


des élites et de la population russes. À l’heure où la
se:21

Russie insiste sur son rejet des modèles extérieurs


et sur la grandeur du sien – attitude de tout temps
ou

liée à l’orthodoxie –, l’Église emboîte le pas au pou-


Toul

voir dans la dénonciation de l’hégémonisme améri-


cain. Dans l’ex-URSS, l’Église orthodoxe est censée
:UT1

adoucir le lien avec les républiques ex-soviétiques les


plus rétives à la tentation hégémonique de Moscou,
x.com

en premier lieu la Géorgie et l’Ukraine orthodoxes.


La désignation, en février 2009, à la tête de l’Église
larvo

8 – Entretien avec le patriarche Alexis II, op. cit.


scho

30
univ.
Vision de soi et du monde

russe du métropolite Kirill de Smolensk, auparavant


chef des Relations extérieures du patriarcat de Mos-
cou, a conforté la tendance déjà marquée de l’Église
orthodoxe à prendre position sur les questions de
politique étrangère.
Si les messages de l’Église orthodoxe (patrio-
tisme et singularité russes) vont dans le sens du
discours attendu par un pan majoritaire de la po-
pulation, il lui reste encore à faire face à un défi de

5.1
taille : le faible nombre de « vrais » pratiquants.

50.4
Les hésitations maritimes d’un État-continent

193.
Hervé Coutau-Bégarie conteste l’idée répandue qui

952:
« veut à tout prix considérer [la Russie] comme l’archétype de la
puissance continentale9 ». De fait, la longueur de ses côtes

1
8888
(aujourd’hui près de 38 000 km), mais aussi le fait que
le territoire de la Russie est quadrillé par de très nom-
:
1614
breux fleuves et rivières, font de la culture maritime un
élément constitutif de l’identité russe. Le premier État
1101

russe, la Rous’ kiévienne, devait largement sa prospérité


se:21

et son rayonnement au fait qu’il contrôlait la route com-


merciale entre la Baltique et la mer Noire. Depuis Pierre
ou

le Grand, l’apparition d’une marine russe et l’ouverture


Toul

du pays sur la Baltique, les dirigeants russes ont travaillé


à assurer et conserver l’accès de la Russie aux mers li-
:UT1

bres. Ils cherchent ainsi à pallier la fragilité que constitue


x.com

9 – Hervé COUTAU-BÉGARIE, « La Russie et la mer. Sur un “dé-


terminisme” géopolitique », Hérodote, n° 47, 4e trimestre 1987,
larvo

p. 85-93.
scho

31
univ.
Russie, les chemins de la puissance

l’enclavement du pays, à atténuer son sentiment


d’encerclement tout en élargissant encore son espace
d’influence. Sous Brejnev, l’Union soviétique était par-
venue au rang de seconde puissance navale mondiale.
Dans le même temps, les intérêts et la stratégie ma-
ritimes et navals de la Russie n’ont jamais fait l’objet
d’une vision très claire et stable. Les dirigeants russes
puis soviétiques n’ont pas tous attaché le même prix

5.1
à son développement, comblant la Marine « d’attentions

50.4
pour mieux la négliger lorsque d’autres besoins de l’État faisaient
leur apparition10 ». Cela traduit, en creux, les doutes qui

193.
existent plus ou moins consciemment sur l’intérêt pour

952:
la puissance continentale par excellence qu’est la Russie
de se doter d’importants moyens navals. Après tout, elle

1
8888
a déjà suffisamment à faire pour protéger ses arrières
continentaux sans songer à investir en parallèle dans des
:
1614
ambitions navales fortes, alors qu’elle est capable de vi-
vre en autarcie sur ses ressources et celles de ses voi-
1101

sins terrestres immédiats, à la différence de la France,


la Grande-Bretagne, ou la Hollande, qui ont besoin des
se:21

mers pour leurs échanges. En outre, son accès aux mers


libres s’est de tout temps avéré fort compliqué : les
ou
Toul

ouvertures sur ces mers sont soit « contrôlables » par


les détroits d’autres pays (Baltique, mer Noire, Pacifi-
:UT1

que), soit difficilement praticables pour des raisons cli-


matiques (mer du Nord, Pacifique). En interne, pour le
x.com

0 – Mikhail TSYPKIN, Rudderless in a Storm: The Russian Navy 1992-


2002 , Conflict Studies Research Centre, Royal Military Academy,
larvo

décembre 2002, p. 2.
scho

32
univ.
Vision de soi et du monde

transport des marchandises, le chemin de fer est préféré


à la navigation intérieure, qui est saisonnière.
Pourtant, le fait que l’éclatement de l’URSS ait ame-
nuisé les ouvertures de la Russie sur les mers Noire et
Baltique a suscité une certaine crispation de la part des
autorités russes, qui y voient un facteur d’isolement et
un obstacle supplémentaire au rayonnement de leur
pays. Cela explique, entre autres, les efforts politiques

5.1
qu’ils ont déployés pour conserver le droit d’utiliser

50.4
la base de Sébastopol, désormais située en Ukraine,
jusqu’en 2017, une situation que Moscou entend visi-

193.
blement prolonger aussi longtemps que possible. Ceci

952:
est une priorité, de même que le projet de préserver sa
présence en Baltique et de protéger ses intérêts dans la

1
8888
Caspienne. La Russie est-elle pour autant entrée dans
une nouvelle ère de vastes ambitions maritimes et nava-
:
1614
les ? Vladimir Poutine, originaire de Saint-Pétersbourg, a
résolu, après une décennie calamiteuse pour la Marine
1101

russe11, de redorer son blason. La Doctrine maritime


qu’il a signée en juillet 00 affirme qu’« historiquement,
se:21

la Russie est une grande puissance maritime ». Sous Poutine,


les moyens navals ont été mis à contribution dans l’ef-
ou
Toul

fort destiné à signifier aux pays occidentaux que « la


puissance russe est de retour », avec des sorties en
:UT1

Méditerranée et dans la mer des Caraïbes. Moscou a


fait part de son intention de moderniser et d’élargir les
x.com

 – Le naufrage du Koursk à l’été 000 en avait été un événement


emblématique, mais certainement pas l’unique et le plus sérieux
larvo

symptôme…
scho

33
univ.
Russie, les chemins de la puissance

installations dont elle dispose en Syrie (principalement


Tartous). En tout cas, il est probable que la Russie tente
de renforcer le potentiel de sa Marine marchande pour
servir son désir de se raccrocher à l’économie globa-
lisée (cf. chapitre III), dans laquelle les échanges mariti-
mes occupent une part principale et croissante. Un des
arguments utilisés par ceux qui estiment, en Russie et
ailleurs, que les autorités russes devraient se replier sur

5.1
des préoccupations essentiellement continentales – à sa-

50.4
voir qu’une majeure partie du littoral russe est prise par
les glaces pratiquement toute l’année (côte arctique12)

193.
– pourrait par ailleurs perdre, à terme, de sa pertinence,

952:
du fait du réchauffement climatique.
Sans nul doute, la Russie vit son immensité territo-

1
8888
riale comme un atout à valoriser coûte que coûte pour
justifier sa revendication de puissance et d’autorité in-
:
1614
ternationale. Mais l’« atout territorial » est de tout temps
apparu, aussi, comme une gêne. Aujourd’hui, différents
1101

commentateurs occidentaux et russes jugent que l’un


des principaux obstacles à la modernisation de la vie
se:21

politique, économique, sociale de la Russie réside, pré-


cisément, dans sa taille – dont l’ampleur explique aussi
ou
Toul

la difficulté constante de Moscou à valoriser de façon


égale l’ensemble de ses vastes espaces, et à assurer la
:UT1

cohérence de son territoire. En tout cas, de différentes


manières, l’accumulation de territoires au fil des siècles
x.com

12 – C’est vrai aussi, pour des temps plus courts, de parties du


larvo

littoral du Pacifique et de la mer Baltique.


scho

34
univ.
Vision de soi et du monde

a constitué, pour la Russie, une complication dans la


consolidation d’une identité russe et d’une stratégie
claire à l’égard du monde extérieur.

3 – Contraintes et vulnérabilités de la puissance


territoriale

Le jeu historique entre les invasions étrangères et

5.1
l’accumulation progressive de nouveaux territoires a

50.4
rendu difficile la définition de l’espace national et com-

193.
pliqué l’établissement d’une culture, de « mythes » na-
tionaux communs permettant de fédérer le complexe

952:
ensemble russe.

1
8888
Unité nationale et intégrité territoriale : une
diversité difficile à maîtriser
:
1614
Conséquence de l’expansion territoriale continue,
1101

les dirigeants russes ont eu à composer avec l’hétéro-


généité des populations des territoires conquis au profit
se:21

de l’Empire, et à concevoir des solutions et des moyens


pour s’assurer de l’allégeance des peuples éloignés du
ou

centre politique et administratif de l’État. La tendance


Toul

au déplacement des hommes se dessine tôt – ainsi, mé-


fiant à l’égard de Novgorod qu’il vient de rattacher à la
:UT1

Moscovie, suspectant de sa part une volonté de pour-


x.com

suivre ses liens avec l’Europe occidentale, Ivan III, au


XVe siècle, décide de déporter vers d’autres villes une par-
larvo

tie de ses habitants – tandis que des Moscovites étaient


scho

35
univ.
Russie, les chemins de la puissance

dépêchés à Novgorod… (cf. S. Martin). La situation se


complique encore quand la Moscovie, en s’ouvrant vers
le sud et vers l’est, ajoute à ses « possessions » des po-
pulations non slaves, avec des religions et des langues
différentes.
Les cas ne manquent pas dans l’histoire où cer-
tains peuples ont effectivement posé des difficultés au
Kremlin, que l’on pense à la révolte des Bachkirs, dési-

5.1
reux de préserver leurs traditions, au début du XVIIIe siè-

50.4
cle, ou encore à la difficulté d’intégrer les peuples cau-
casiens dans l’ensemble russe. Au XIXe, les dirigeants

193.
russes sont confrontés non seulement à l’éclosion du

952:
mouvement révolutionnaire, mais aussi à des revendi-
cations nationalistes. En tout cas, l’inquiétude de l’État

1
8888
russe vis-à-vis de ses éléments constitutifs pèse dans
son sentiment de vulnérabilité à l’égard du monde ex-
:
1614
térieur, qui apparaît d’autant plus vigoureux que le pays
se sait menacé par des fragilités intérieures. Le souvenir
1101

est vif, en effet, des conséquences du manque d’unité


politique qui a facilité les premières invasions étrangères
se:21

(l’État de Kiev était déjà bien affaibli par les conflits en-
tre principautés au moment de l’invasion mongole, au
ou
Toul

XIIIe siècle) ; mais aussi de l’éclatement de l’Empire russe,


pendant la Première guerre mondiale, sous la pression
:UT1

des interventions étrangères s’appuyant sur les failles


du tissu politique, social et national russe. Aujourd’hui
x.com

encore, la Russie vit dans la crainte du morcellement


territorial lié à une action consciente de ses adversaires
larvo

cherchant à lui ôter de sa puissance. On se souvient de


scho

36
univ.
Vision de soi et du monde

la phrase de Vladimir Poutine après la sanglante prise


d’otages à l’école de Beslan, en septembre 2004, qui,
pour être énigmatique, montrait la vivacité de cette in-
quiétude : « Certains veulent nous arracher les morceaux les
plus “juteux”, d’autres les aident. »
Cette inquiétude n’a fait que conforter le réflexe de
centralisation des pouvoirs russes autocrates soucieux
de soumettre l’ensemble du corps social. Elle peut en

5.1
partie expliquer la méfiance du Kremlin à l’égard des

50.4
processus démocratiques, ainsi que la puissance tradi-
tionnelle, dans ce pays, des institutions policières et de

193.
sécurité intérieure. L’État russe n’a en tout cas pas hésité

952:
à user de la coercition afin de garantir l’efficacité de son
contrôle sur les différentes composantes de l’empire

1
8888
multinational. Le choix de ce mode d’organisation po-
litique et sociale, outre qu’il rendait plus facile de met-
:
1614
tre l’ensemble de la population au service de l’effort de
puissance militaire et impérial, devait minimiser autant
1101

que possible les failles internes susceptibles d’encoura-


ger et de servir les velléités agressives des puissances
se:21

voisines. La profondeur des racines historiques de ce


choix et la brutalité des moyens mis en œuvre sont sans
ou
Toul

doute en partie à l’origine de l’apparente indifférence


de la population russe à l’idée démocratique et partici-
:UT1

pative.
Le pouvoir soviétique avait lui aussi imaginé de
x.com

nombreuses méthodes pour soumettre les populations


autochtones et autres minorités, comme les découpages
larvo

administratifs mis en place par Staline pour mieux les


scho

37
univ.
Russie, les chemins de la puissance

contrôler – découpages à l’origine de différents conflits


gelés dans l’ex-URSS au XXIe siècle. Par exemple,
Moscou donnait aux minorités un statut de républi-
que ou de région autonomes au sein de leur république
d’appartenance. Ce fut le cas pour la Géorgie, dont le
Kremlin espérait ainsi réduire les velléités nationalistes.
L’Ossétie et l’Abkhazie « se réveillèrent » dès les années
1990, quand les différentes composantes de l’URSS

5.1
commencèrent à parler autonomie, voire indépendance.

50.4
Une fois que la Géorgie a recouvré son indépendance,
les deux régions autonomes ont réclamé la leur. Ainsi, les

193.
frontières administratives internes à l’URSS étaient loin

952:
de correspondre toujours à des cohérences ethniques
ou nationales. Des campagnes de répression ciblées ont

1
8888
également eu lieu, notamment contre les Ukrainiens
(on pense en particulier aux famines de 1932-1933),
:
1614
sans parler des déportations massives de populations
au lendemain de la Seconde guerre mondiale.
1101

Dans l’ère post-Guerre froide, cet aspect n’a rien


perdu de son acuité. L’analyse de la composition de la
se:21

population de la Fédération de Russie montre une as-


sez forte homogénéité ethnique – 79,8 % de la popu-
ou
Toul

lation étant composée, selon le recensement de 2002,


de Russes. Mais la Fédération compte toujours près
:UT1

de 130 nationalités et groupes ethniques. Surtout, tan-


dis que, au cours de la décennie 1990, l’État russe est
x.com

démuni financièrement et affaibli politiquement, bon


nombre de régions le défient ouvertement, par exemple
larvo

en adoptant des lois contraires à la législation fédérale.


scho

38
univ.
Vision de soi et du monde

Si la rhétorique sur la menace émanant de l’OTAN a,


à l’époque, beaucoup mobilisé l’attention des obser-
vateurs en Occident, la politique de sécurité russe est
alors, en réalité, très fortement marquée par le thème de
la prévalence de la menace intérieure, qui rejoint, entre
autres, le problème de l’intégrité territoriale.
Quand Boris Eltsine appelle les régions et les répu-
bliques de la Fédération de Russie à « prendre autant

5.1
de souveraineté qu’elles pouvaient en avaler », en 1990

.50.4
à Kazan (capitale du Tatarstan), il est dans une logique
utilitariste : il cherche à se faire des alliés dans son rap-

:193
port de forces avec le président soviétique. Les effets

1952
ont dépassé la visée initiale. La Tchétchénie semble
avoir entendu cet appel très nettement, mais elle n’est

8888
pas la seule. À l’époque, le risque est en effet jugé im-
portant de voir certaines régions affirmer une volonté
614:
de quitter la Fédération, par exemple à la faveur d’un
1011

désir de contrôler de manière autonome les ressources


naturelles basées sur leur territoire. Le Tatarstan, qui
:211

détient des ressources pétrolières et minières et qui a


revendiqué son indépendance en 1992, s’est montré
ouse

particulièrement exigeant dans la négociation d’un


Toul

traité avec le Kremlin ; la revendication d’indépendan-


ce de la Tchétchénie n’était pas sans lien avec la déten-
:UT1

tion de ressources énergétiques. Dans les années 1990,


c’est la « guerre des lois ». La république de Carélie,
x.com

ancienne terre finnoise et frontalière de la Finlande, ou


encore le Bachkortostan, la Iakoutie, la Bouriatie dé-
larvo

clarent la prééminence de leurs lois sur la Constitution


scho

39
univ.
Russie, les chemins de la puissance

fédérale. Or, Moscou ne se souvient que trop bien que


l’effondrement de l’URSS doit beaucoup à la fronde
des républiques constitutives de l’Union, désireuses de
donner corps au droit de sécession que leur accordait
théoriquement la Constitution soviétique. Le souci de
préserver coûte que coûte l’intégrité de la Fédération
explique pourquoi, en dépit d’une réticence historique
très forte de l’armée à accepter des missions d’ordre

5.1
interne et à jouer les arbitres dans des conflits politi-

.50.4
ques intérieurs, celle-ci est intervenue avec la violence
que l’on sait « contre le peuple », en Tchétchénie, et ce

:193
à deux reprises.

1952
Une « nouvelle Russie » en conflit : la Tchétchénie
Quand le premier conflit tchétchène éclate en

8888
décembre 1994, il ramène à la mémoire l’histoire
tumultueuse commune à ce peuple montagnard 614:
et à l’Empire russe. Ce dernier ne parviendra à
1011

contrôler le Caucase que vers 1860. L’ère soviéti-


que ne contribuera guère à concilier les deux par-
:211

ties : Staline, au motif que les Tchétchènes auraient


collaboré avec les nazis, décide en 1944 de déporter
ouse

une grande partie de la population tchétchène en


Asie centrale.
Toul

C’est cette hostilité mutuelle qui rejaillit à l’occa-


sion du premier conflit déclenché par un président
:UT1

Eltsine à l’époque soucieux de redorer son blason


politique par une victoire qu’il imaginait rapide
x.com

contre la république récalcitrante, dont le président,


Djokhar Doudaev, avait déclaré l’indépendance en
larvo

99. Le conflit durera jusqu’en août 996, lorsque


scho

40
univ.
Vision de soi et du monde

Moscou se résout à signer à Khassaviourt un ac-


cord de paix qui l’oblige à retirer ses troupes, dé-
moralisées par cette guerre contraire à la tradition
de non-intervention de l’armée russe dans la vie
politique intérieure et par le déchaînement de cri-
tiques de la presse et de la société, hostiles à cette
opération mal préparée.
Contrairement à la première guerre, visant offi-
ciellement à la restauration de l’ordre constitution-

5.1
nel et de l’intégrité territoriale, la seconde campagne

.50.4
militaire, engagée fin 999 et livrée, elle, au nom de
la lutte contre le terrorisme, bénéficie du soutien

:193
de la population. Entre les deux conflits, celle-ci a
eu l’occasion d’entendre parler de la criminalité en-

1952
démique qui règne en Tchétchénie et de la montée
des radicaux islamistes face auxquels le président

8888
tchétchène Maskhadov s’avère impuissant. La né-
cessité d’une nouvelle intervention militaire est, par
614:
ailleurs, justifiée par la perception d’une réelle me-
nace. D’une part, en août 1999, les rebelles tchét-
1011

chènes tentent des incursions sur le territoire du


Daghestan voisin, avec l’objectif affiché de créer une
:211

république islamique ; d’autre part, les Tchétchènes


ouse

sont accusés d’être à l’origine de la série d’attentats


intervenus dans plusieurs villes russes en septem-
Toul

bre. L’armée, soucieuse de prendre sa revanche, ne


se pose plus les questions qu’elle se posait en 1994.
:UT1

À ses yeux, Vladimir Poutine, contrairement à Boris


Eltsine, assume ses responsabilités au lieu de les
x.com

reporter sur l’armée ; en outre, il veut reconstruire


les outils militaires. Mieux organisée, la campagne
larvo

militaire sera relativement aisée dans sa phase


scho

41
univ.
Russie, les chemins de la puissance

initiale – avant d’entrer dans une étape plus péni-


ble de harcèlement par la guérilla tchétchène des
troupes russes, lesquelles multiplient les exactions
contre la population civile tchétchène.
En interne, l’une des principales conséquences
de la seconde guerre aura été d’asseoir la crédibilité
de Vladimir Poutine comme successeur de Boris
Eltsine. Les conflits en Tchétchénie ont eu aussi des
répercussions sur les relations internationales de la

5.1
Russie. Effrayant ses voisins, convaincus de pouvoir

.50.4
y lire un retour de l’ancien Empire russe à ses vieux
démons impérialistes et militaristes, la première

:193
guerre a largement contribué à refroidir les espoirs
des pays occidentaux que la Russie s’était effecti-

1952
vement engagée sur la voie de la démocratisation
et de la construction d’un État de droit. Elle les a

8888
cependant aussi confortés dans l’idée d’une Russie
largement impuissante militairement, ce qui a pu re-
614:
lativiser leur souci de ménager Moscou sur certains
dossiers de politique internationale – élargissement
1011

de l’OTAN, Balkans, etc. L’Occident se montrera


plus discret dans sa critique après le 11 septem-
:211

bre 2001, le Kremlin valorisant auprès de ses par-


ouse

tenaires la question du « terrorisme international »,


désormais présente au cœur du conflit – et ce même
Toul

si le choix russe de l’option militaire pour régler ce


problème séparatiste a contribué à la radicalisation
:UT1

d’une partie de la rébellion tchétchène. Les guerres


tchétchènes ont aussi donné lieu à la réactivation de
x.com

certains mythes russes. Elles ont notamment ren-


forcé la méfiance de la Russie à l’égard du monde
larvo

extérieur, la présence de mercenaires arabes dans


scho

42
univ.
Vision de soi et du monde

le camp tchétchène dès le premier conflit amenant


certains responsables russes à interpréter le conflit
en termes de complot ourdi de l’extérieur. On a éga-
lement vu réapparaître le thème classique, depuis
l’invasion mongole, qui veut que la Russie serve de
rempart à l’Europe contre la barbarie.
Le référendum organisé en Tchétchénie en
mars 2003 a été présenté à Moscou comme le
début de la normalisation dans la république (il

5.1
portait sur un projet de Constitution ancrant

.50.4
officiellement la Tchétchénie à la Fédération de
Russie, et sur des projets de loi sur des élections

:193
présidentielle et législative). En avril 2009, le
Kremlin a proclamé la fin de « l’opération anti-

1952
terroriste » en Tchétchénie. Auparavant, Moscou
avait progressivement transféré l’essentiel des

8888
fonctions de « nettoyage » des rebelles et de
sécurisation au pouvoir tchétchène pro-russe,
614:
mené par le jeune président Ramzan Kadyrov, et
à ses milices. Ces derniers, de l’aveu de différents
1011

experts russes, deviennent toutefois de plus en


plus incontrôlables, et la situation en Tchétchénie
:211

demeure marquée par l’insécurité et la criminalité,


ouse

criminalité profitant visiblement à de nombreux


intérêts tchétchènes et russes…
Toul

La crise de la Fédération, menacée dans sa soli-


dité par des forces centrifuges dans les années 1990,
:UT1

a amené Vladimir Poutine à faire de la restauration


x.com

de la « verticale du pouvoir » – autrement dit la réaf-


firmation de la suprématie du pouvoir central sur les
larvo

sujets de la Fédération russe – une priorité de son


scho

43
univ.
Russie, les chemins de la puissance

premier mandat présidentiel. S’engage alors un proces-


sus de recentralisation en plusieurs étapes : formation
des grands districts fédéraux ; suppression de l’élection
des chefs d’Exécutif régionaux au suffrage universel…
En outre, le pouvoir fédéral modifie le régime de par-
tage des ressources fiscales, au détriment des régions
(environ 60 % des revenus fiscaux vont désormais au
Centre). Il faut dire aussi que les régions se félicitent

5.1
plutôt de la restauration de la capacité de l’État à jouer

.50.4
son rôle de gestion et de coordination. En mai 2009, la
nouvelle Stratégie de sécurité nationale indique que le

:193
gouvernement « n’a pas cédé à la pression du nationalisme,

1952
du séparatisme […], a prévenu le discrédit du régime constitu-
tionnel, préservé la souveraineté et l’intégrité territoriale […] ».

8888
Cela traduit a priori une plus grande tranquillité du pou-
voir central russe quant à la fiabilité des « sujets » de la
614:
Fédération. Il n’en demeure pas moins que les respon-
1011

sables russes entrevoient différentes menaces pour l’in-


tégrité, à terme, de la Fédération de Russie. Le Caucase
:211

demeure instable – un état de fait qui, nourri par des


conditions sociales et économiques parmi les plus mau-
ouse

vaises au sein de la Fédération, va bien au-delà du seul


Toul

problème tchétchène.
Par ailleurs, reconnaissant les risques liés aux dis-
:UT1

parités entre les niveaux de développement économi-


que des sujets de la Fédération, Moscou semble atta-
x.com

cher une attention particulière à la Sibérie orientale et


à l’Extrême-Orient sans pour autant donner l’impres-
larvo

sion de parvenir à concevoir une véritable stratégie de


scho

44
univ.
Vision de soi et du monde

développement de ses territoires frontaliers de la Chine


(cf. chapitre III). En creux, les angoisses russes concer-
nant la possible attraction que pourrait exercer, à terme,
l’Union européenne sur Kaliningrad, enclavée entre la
Pologne et la Lituanie (ou celle du dynamisme écono-
mique de l’ensemble Chine-Corée du Sud-Japon sur la
région de Vladivostok) ou encore sa difficulté évidente
à envisager sereinement un aggiornamento avec le Japon

5.1
sur les îles Kouriles rappellent que la crainte est tou-

.50.4
jours vivace en Russie, surtout après le « départ » des
anciennes républiques soviétiques, de subir de nouvel-

:193
les amputations territoriales. En témoigne également

1952
son attachement à défendre, au Conseil de sécurité, le
principe de l’intégrité territoriale et de la non-ingérence

8888
dans les affaires intérieures des États souverains.
Les autorités russes doivent également prendre en
614:
compte la diversité religieuse de la Russie, État pluri-
1011

confessionnel. Vladimir Poutine, orthodoxe, a évité


tout geste pouvant être interprété comme une marque
:211

de stigmatisation à l’égard des autres religions. Cette


précaution s’adresse en particulier à la communauté
ouse

musulmane, qui regrouperait une vingtaine de millions


Toul

de Russes (l’Islam est la deuxième religion du pays),


concentrés à Moscou et dans le sud du pays. La vigi-
:UT1

lance particulière dont elle fait l’objet s’explique d’une


part par les deux conflits en Tchétchénie (le Kremlin a
x.com

craint des effets possibles de radicalisation d’une partie


de la communauté musulmane dans d’autres régions) ;
larvo

d’autre part par le fait que la Russie perçoit, à tort ou


scho

45
univ.
Russie, les chemins de la puissance

à raison, un risque de contagion à son territoire d’un


Islam radical lié à la situation à ses frontières méridio-
nales, en Afghanistan et en Asie centrale. L’équilibre est
difficile à trouver entre volonté de contrôle et souci de
dessiner des relations harmonieuses État-Islam. L’éta-
blissement de liens plus étroits avec le monde arabo-
musulman (en 005, notamment, Vladimir Poutine ob-
tient pour la Russie le statut d’observateur au sein de

5.1
l’Organisation de la conférence islamique) est supposé

.50.4
satisfaire ces deux objectifs.
En tout cas, cette diversité est également mobilisée

:193
comme un atout : les officiels russes valorisent fréquem-

1952
ment l’expérience spécifique et, selon eux, positive de leur
pays comme État multinational (et pluriconfessionnel),

8888
la mettant en perspective de la situation internationale,
marquée par la crainte d’un « choc des civilisations ».
614:
La Russie face au monde : entre aspiration
1011

européenne et « troisième voie »


:211

La position de la Russie au carrefour de l’Europe et


de l’Asie est aussi source d’interrogations sur ses affini-
ouse

tés identitaires, et sur ses choix de développement. La


Toul

Russie, à partir de Pierre le Grand, se veut puissance


européenne (le symbole en étant le transfert, en 1712,
:UT1

de la capitale de Moscou à Saint-Pétersbourg). Dans le


même temps, il ne perçoit que trop bien le décalage en-
x.com

tre elle et l’Europe en termes de niveau de développe-


ment économique, technique et social. Chez certains, ce
larvo
scho

46
univ.
Vision de soi et du monde

constat, souvent expliqué par les deux siècles et demi de


joug mongol, suscite de l’amertume mais aussi une en-
vie de « rattraper » l’Europe. Chez d’autres, il renforce
l’aspiration à défendre une « singularité russe ». De là
provient un « entre-deux existentiel spécifiquement russe13 »,
découlant d’une approche ambivalente de l’Europe –
entre ceux qui désirent des liens plus étroits (voire l’in-
tégration) avec elle, clef, selon eux de la modernisation

5.1
de la Russie ; et ceux qui restent convaincus de la supé-

.50.4
riorité morale, du destin « à part », voire du « génie » de
leur pays, qu’ils jugent capable de trouver par lui-même

:193
les sources de sa modernisation – une discussion qui

1952
renvoie, aussi, au conflit orthodoxie-catholicisme. Pour
ces derniers, la Russie doit être une force d’équilibre

8888
face à l’Europe, voire une force d’opposition. Ce débat
entre occidentalistes et slavophiles a été particulière-
614:
ment actif au XIXe siècle. Il porte notamment sur la pé-
1011

riode de Pierre le Grand, les premiers estimant que c’est


lui qui, en la modernisant selon le modèle européen, a
:211

permis de faire de la Russie une grande puissance, les


seconds, qu’il a plaqué sur ce pays une culture étrangère
ouse

qui le perd. Cette discussion n’est pas dissociable du fait


Toul

qu’au-delà de cet effet de miroir avec l’Europe, négatif


pour la Russie, les principales puissances européennes
:UT1

ont toujours été les principaux adversaires et rivaux


géopolitiques de la Russie. Cette caractéristique nourrit
x.com

13 – Expression empruntée à Thomas GOMART, Questions interna-


larvo

tionales, p. 42.
scho

47
univ.
Russie, les chemins de la puissance

les réflexions de ceux qui pensent que l’Europe tient à


maintenir la Russie dans son retard et souhaite l’exclure
des grands jeux d’influence mondiaux.
À la fin des années 980, les évolutions brutales de
l’espace stratégique et de l’environnement géopolitique
de la Russie ont réactivé ces interrogations identitaires,
plus ou moins bien assumées selon les périodes histori-
ques mais jamais complètement éteintes. On a assisté au

5.1
regain d’un débat sur la voie à choisir par la Russie, tant

.50.4
en politique intérieure qu’en diplomatie, débat qu’il se-
rait simplificateur, sans doute, de réduire au retour de la

:193
discussion occidentaliste/slavophile, mais qui porte ce-

1952
pendant toujours la marque du conflit entre l’attirance
et le rejet à l’égard de « l’Ouest ». Au début des années

8888
1990, on a le sentiment que les « penchants » occiden-
talistes l’emportent – la Russie inscrivant son destin fu-
614:
tur et sa modernisation politique et économique dans
1011

une communauté de valeurs avec les pays occidentaux.


Le développement d’un « partenariat stratégique » avec
:211

l’Occident constitue la priorité d’Andreï Kozyrev, mi-


nistre des Affaires étrangères jusqu’au début de 1996.
ouse

Ce dernier se trouve vite vigoureusement contesté,


Toul

les Russes – à commencer par les élites politiques et


diplomatiques – ne semblant pas se reconnaître dans
:UT1

sa vision des choses. Il sera remplacé par Evguéniï


Primakov, à qui fut prédit, un temps, un destin pré-
x.com

sidentiel. Comme ministre des Affaires étrangères, il


inaugura une ligne non seulement plus distanciée vis-à-
larvo

vis de l’Occident mais aussi plus volontiers encline à le


scho

48
univ.
Vision de soi et du monde

défier sur certains dossiers internationaux – de la même


manière qu’il avait, en tant que Premier ministre, fait
appel à des solutions censées être plus conformes à la
spécificité de l’économie nationale14.
Certains ont parlé de ces débats en Russie post-
soviétique en termes de conflit entre « atlantistes » et
« eurasistes ». Ce dernier terme, qui renvoie à un cou-
rant de pensée remontant aux années 1920 valorisant

5.1
les racines asiatiques du pays, d’une part est galvaudé,

.50.4
d’autre part fait l’objet de plusieurs interprétations. Il
n’est pas possible de restituer ici la complexité de cette

:193
discussion. Ce concept est souvent utilisé simplement

1952
pour désigner la politique de la Russie envers les pays
de l’ex-URSS, avec une distinction entre un eurasisme

8888
modéré ou « slave », qui évoque une forte proximité
entre la Russie d’une part et l’Ukraine, la Biélorussie,
614:
voire la Moldavie d’autre part, et un eurasisme ex-
1011

trême, qui voudrait rattacher le destin de la Russie à


l’ensemble de l’ex-URSS (J. O’Loughlin, P. F. Talbot,
:211

p. 39-40, cf. bibliographie). Au sens le plus large,


l’eurasisme insiste sur le destin de la Russie comme
ouse

grande puissance, et sur la détention par la Russie


Toul

d’une personnalité et d’intérêts propres, en particu-


lier dans l’espace post-soviétique.
:UT1
x.com

14 – Il est actuellement à la tête de la Chambre de commerce et


larvo

d’industrie.
scho

49
univ.
Russie, les chemins de la puissance

Les « eurasistes » […] soutiennent que la Rus-


sie demeure le cœur d’une civilisation distincte fon-
dée sur un mélange unique de peuples qui partagent
une destinée commune depuis presque un millénaire.
Il existe de nombreux types d’eurasisme, dont : un
eurasisme pragmatique, qui reflète simplement le fait
que la Russie est à la fois une puissance européenne
et une puissance asiatique ; le néo-eurasisme, avec
une inflexion plus impérialiste qui dénigre l’Orient

5.1
comme élément substantiel tout en mettant en avant

.50.4
les facteurs géopolitiques ; un eurasisme inter-civili-
sation, qui se concentre sur l’identité multiethnique

:193
de la Russie ; et un eurasisme mystique qui distingue
nettement la méga-région comme contrepoint spiri-

1952
tuel à la dégradation occidentale.
Richard Sakwa, Putin, Russia’s Choice, p. 269

8888
Quoi qu’il en soit, le différentiel d’écho populaire en-
tre les thèses d’Alexandre Douguine, considéré comme 614:
représentant une version extrême de l’eurasisme (et sou-
1011

vent décrit comme un inspirateur de Vladimir Poutine),


:211

et les partisans d’une communauté de destin entre


Russie et Europe est parlant. Le premier est largement lu
ouse

et écouté. Il voit la Russie comme un univers en soi, dont


les intérêts sont distincts de ceux de l’Occident, voire ne
Toul

peuvent qu’être en contradiction avec eux. Soucieux de


:UT1

contrer la vague de « révolutions de couleur » intervenue


dans l’espace post-soviétique (cf. chapitre II), il plaide en
x.com

faveur de politiques économiques quasi autarciques. Les


seconds rencontrent une audience d’autant plus restrein-
larvo

te que certains de leurs représentants les plus en vue


scho

50
univ.
Vision de soi et du monde

sont proches ou apparentés aux « libéraux » qui étaient


influents dans la vie politique russe dans les années de
« thérapie de choc » (voir encadré). Or, ils sont nombreux,
en Russie, à considérer que la violente crise russe (écono-
mique, diplomatique) des années 1990 découle de l’appli-
cation aveugle de « recettes occidentales » inappropriées.
Ce qui signifie au mieux que la Russie a une voie spéci-
fique et doit bâtir ses propres solutions ; au pire que ces

5.1
recettes étaient conçues pour répondre à la volonté pré-

.50.4
sumée des puissances occidentales de réduire l’influence
de Moscou dans le jeu mondial.

:193
Ce débat interne permanent brouille la posture inter-

1952
nationale de Moscou. Ses priorités diplomatiques n’ont
pas cessé d’évoluer depuis la disparition de l’URSS –

8888
relations avec l’Occident, liens avec les voisins immédiats,
présence dans l’espace asiatique… On verra plus loin que
614:
Moscou se sent toujours rejetée par l’Europe. Mais elle
1011

refuse elle-même ouvertement une intégration trop for-


te aux organisations qui structurent l’espace européen.
:211

Ainsi, beaucoup de Russes se montrent négatifs quant à


l’éventualité d’une adhésion à l’OTAN et à l’Union euro-
ouse

péenne, jugée trop contraignante par rapport aux intérêts


Toul

dont leur pays, « eurasiatique », dispose ailleurs – en Asie


ou dans l’ex-URSS. « Nous n’avons jamais eu l’intention d’en-
:UT1

trer dans l’OTAN, parce qu’adhérer à un tel bloc signifie la limi-


tation de la souveraineté du pays », a dit Vladimir Poutine15.
x.com

5 – Au Kremlin, en présence du président ukrainien Iouchtchenko,


larvo

le 12 février 2008.
scho

51
univ.
Russie, les chemins de la puissance

Le caractère aléatoire des alliances de la Russie au


cours de son histoire, ainsi que « l’élasticité » de son
espace territorial16, qui a certes beaucoup crû mais a
aussi connu des phases de contraction (dont la dernière
date de 1991, avec la disparition de l’Union soviétique),
contribuent, tout en la compliquant, à cette continuelle
recherche identitaire de Moscou.

5.1
Au xxie siècle : permanences et rémanences

.50.4
Le « bagage territorial » et historique de la Russie,
les craintes et les ambitions qui l’accompagnent, les ré-

:193
flexes qu’il a installés demeurent très présents dans les

1952
représentations collectives russes sur le monde dans le-
quel le pays évolue. Une certaine « dose » de continuité

8888
semble assez inévitable. Après tout, la Russie conserve
son statut de première puissance territoriale – même 614:
si elle souffre visiblement de la diminution des dimen-
1011

sions de son espace (l’Union soviétique s’étendait sur


 millions de km², la Russie – sur « seulement » 7 ;
:211

la population est passée de 250 millions pour l’URSS à


150 pour la Russie).
ouse

Le sentiment perdure que la Russie, dont les fron-


Toul

tières terrestres sont aujourd’hui longues de plus de


0 000 km, est entourée de voisins dont les intentions
:UT1

ne sont pas forcément bienveillantes à son endroit. Cer-


tes, le discours officiel martèle que la menace extérieure
x.com

6 – Expression empruntée à Denis Eckert et Vladimir Kolossov,


larvo

p. 15. , cf. bibliographie


scho

52
univ.
Vision de soi et du monde

s’est fortement atténuée, que le risque d’un conflit mi-


litaire d’envergure est quasi inexistant, même à l’ouest.
En même temps, il est visible que l’élargissement de
l’OTAN et du spectre de ses missions, de même que le
dynamisme de la puissance militaire américaine empê-
chent la Russie d’envisager sereinement l’ordre interna-
tional post-Guerre froide. Au-delà de la proclamation,
dès 1996, d’un « partenariat stratégique » avec la Chine,

5.1
la montée en puissance politique et militaire de cette

.50.4
dernière, sa vitalité économique et démographique,
nourrissent bien des soupçons, parmi les stratèges rus-

:193
ses, quant aux intentions futures du voisin oriental. La

1952
crainte d’un « dépeçage » qui serait motivé par les res-
sources naturelles dont dispose la Russie – notamment,

8888
pour l’énergie, la grande « réserve sibérienne » – n’a pas
complètement disparu. Depuis l’éclatement de l’URSS,
614:
nombre d’analyses estiment que plusieurs puissances
1011

(États-Unis, Europe occidentale, Japon et Chine) cher-


chent à obtenir un accès aussi libre que possible aux
:211

ressources naturelles de la Russie et que cette menace


pourrait s’incarner militairement (A.F. Klimenko17).
ouse

La concurrence que la Russie subit dans le cadre des


Toul

grands projets liés à l’énergie dans l’espace ex-soviétique


renouvelle le « syndrome de la forteresse assiégée » de
:UT1

Moscou. Toujours à l’est, la pérennisation et la conso-


lidation de l’alliance de sécurité nippo-américaine, les
x.com

17 – À l’époque directeur du Centre de recherche militaire et stra-


larvo

tégique, « cerveau » de l’État-major général de l’armée russe.


scho

53
univ.
Russie, les chemins de la puissance

tendances à la prolifération nucléaire (Iran, Corée du


Nord) confortent le complexe obsidional de la Russie,
de même que, dans sa périphérie immédiate, le terro-
risme, les trafics illicites, la criminalité organisée...
En conséquence, si elle ne consacre plus ses ressour-
ces en priorité massivement à la Défense, Moscou n’a
pas fait évoluer autant que les Européens sa vision de
la sécurité, qui reste dominée par le rapport de forces

5.1
militaire (cf. chapitre III). Ainsi, les propositions que la Rus-

.50.4
sie, en 2008, fait pour « améliorer » l’ordre de sécurité
européen appellent à un recentrage sur les questions de

:193
« sécurité dure » (hard security). Au sud, en Asie centrale,

1952
c’est par le déploiement de bases militaires et par le dé-
veloppement d’une alliance, l’Organisation du Traité de

8888
sécurité collective (OTSC), qu’elle se propose de lutter
contre terrorisme, extrémisme et trafics de drogue.
614:
Par rapport au projet de puissance que la Russie
1011

poursuit depuis plusieurs siècles, le déclin des années


1990 a suscité une véritable blessure pour les autorités
:211

et la population russes. La Russie ne pèse alors que peu


dans la gestion du processus de paix au Proche-Orient,
ouse

dans la réponse aux conflits en ex-Yougoslavie, sur la


Toul

redéfinition de l’architecture de sécurité européenne…


La violente récession économique, la faiblesse générali-
:UT1

sée des institutions étatiques, la mobilisation de l’attention


des politiques sur le conflit en Tchétchénie, les aléas de la
x.com

santé du chef de l’État sont autant de causes de cette ab-


sence diplomatique difficile à admettre pour un pays
larvo

de tout temps motivé par une conviction messianique.


scho

54
univ.
Vision de soi et du monde

C’est donc un héritage fort complexe que Vladimir Pou-


tine doit gérer lorsqu’il arrive au pouvoir au tournant du
XXe siècle dans une Russie bousculée à la fois par le choc
financier de 998 et l’intervention militaire, contre son
avis, de l’OTAN contre la Serbie (juin 1999).

La thérapie de choc : une transition brutale


vers l’économie de marché

5.1
La thérapie de choc a été mise en place en 1992
par le Premier ministre Egor Gaïdar, conseillé par

.50.4
des économistes occidentaux et sous la pression du
FMI. Les axes principaux, portant sur les grands

:193
équilibres macroéconomiques, en ont été la sup-

1952
pression des contrôles des prix (libéralisation qui
produisit, sans surprise, de l’inflation – mais celle-

8888
ci dura plus longtemps qu’escompté), l’élimination
des subventions ainsi que du contrôle des taux de
change, la libéralisation du commerce. Un autre 614:
volet a été la privatisation, à un rythme spectacu-
1011

laire, d’un grand nombre d’actifs jusque-là contrô-


lés par l’État, permettant à de nombreux entrepre-
:211

neurs proches des cercles du pouvoir de récupérer


à bas prix, et dans des conditions généralement
ouse

peu transparentes, des pans entiers de l’économie.


Avantagés, dans le processus, par le désordre lié à
Toul

l’absence d’institutions permettant de gérer effica-


cement la privatisation de masse (1992-1994), mais
:UT1

aussi, dans bien des cas, par leur appartenance à l’an-


cienne élite communiste, les nouveaux propriétaires,
x.com

les « oligarques », ont commencé à faire pression


sur les pouvoirs politiques pour consolider et pé-
larvo

renniser leurs nouvelles positions dominantes. Le


scho

55
univ.
Russie, les chemins de la puissance

pouvoir eltsinien y consentait moyennant soutien


financier. Aujourd’hui encore, beaucoup de criti-
ques, en Russie comme en Occident, jugent que
l’approche choisie pour la transition économique
en Russie a été trop brutale (rythme, bien-fondé
d’une politique de rigueur budgétaire et monétaire
en période de récession, désengagement excessif
de l’État…) et n’a pas tenu suffisamment compte
des spécificités de l’économie russe. Les conditions

5.1
de la transition, creusant les inégalités, ont rendu la

.50.4
population russe relativement indifférente au sort
de Mikhail Khodorkovskiï, jugé emblématique des

:193
quelques « privilégiés » qui se sont enrichis sur le
dos de la population russe à la faveur des « privati-

1952
sations sauvages ». Elles expliquent aussi pourquoi
une grande partie de la population russe considère,

8888
comme le discours officiel, que la Russie n’a pas à
reprendre à son compte des modèles étrangers (en
économie comme en politique) et n’est pas choquée 614:
par la forte tendance au retour de l’État dans l’éco-
1011

nomie nationale depuis le milieu des années 2000.


Une plaisanterie russe moque Egor Gaïdar en esti-
:211

mant qu’il a fait plus en quelques mois pour discré-


ouse

diter, en Russie, le capitalisme que soixante-dix ans


de propagande communiste…
Toul

Il n’est donc pas étonnant que, dès lors qu’il a recou-


:UT1

vré sa puissance, fût-ce de façon superficielle, ce pays


ait revendiqué avec force sa « place légitime » dans les
x.com

affaires internationales. Au début de la décennie 2000,


la position de la Russie s’améliore nettement : taux de
larvo

croissance annuel de 6-7 % en moyenne, accalmie en


scho

56
univ.
Vision de soi et du monde

Tchétchénie, constitution de réserves financières esti-


mées à 600 milliards de dollars avant la crise globale…
La consolidation de l’assise du pouvoir lors des élec-
tions législatives de 2003 et le succès de Poutine aux
présidentielles de 2004, conjugués au maintien, à partir
de 2003, des prix des matières premières à des niveaux
élevés, ont permis à la Russie de reprendre confiance en
elle. La Russie rembourse sa dette extérieure, les voca-

5.1
bles « indépendance » et « intérêt national » dominent

.50.4
sa rhétorique internationale, formant ainsi le contexte
d’une redéfinition de ses rapports avec l’ensemble de

:193
ses partenaires internationaux.

1952
8888
614:
1011
:211
ouse
Toul
:UT1
x.com
larvo
scho

57
univ.
univ.
scho
larvo
x.com
:UT1
Toul
ouse
:211
1011
614:
8888
1952
:193
.50.4
5.1
5.1
.50.4
Chapitre II
Quête de puissance et relations

:193
internationales

1952
8888
Au début du XXIe siècle, les médias et certains cer-
cles d’expertise occidentaux soupçonnent la Russie de 614:
ne pas avoir renoncé à ses instincts impérialistes. En
1011

tout état de cause, la question des relations avec l’ancien


espace impérial impose à Moscou des redéfinitions pé-
:211

nibles. Cette démarche est rendue plus complexe par le


ouse

« pluralisme géopolitique » qui se développe dans cette


zone depuis le début des années 1990, en particulier du
Toul

fait de l’engagement croissant des puissances occiden-


tales, ces mêmes puissances qui, aux yeux de Moscou,
:UT1

ont refusé de l’intégrer dans leur communauté, la pri-


vant ainsi d’un signe extérieur de grandeur.
x.com
larvo
scho

59
univ.
Russie, les chemins de la puissance

1 – L’ex-empire : pesanteurs stratégiques et


géopolitiques

La république russe, menée par Boris Eltsine, a été


une force motrice essentielle dans les événements qui
ont fait éclater l’Union soviétique. Avec le recul, on
peut voir dans l’« activisme » dont la Russie a fait preuve
pour recouvrer son autonomie face au pouvoir soviéti-

5.1
que le souci de renouer avec son identité propre, gom-

.50.4
mée par sa fonction de centre politique et administratif
de l’URSS. Il s’agit d’un « retour de la Russie à elle-même »,

:193
pour reprendre l’expression d’Hélène Carrère d’Encausse
(p. 11), qui amène les Russes à se demander ce qu’ils ont

1952
effectivement retiré de ce statut, et s’il ne serait pas plus

8888
léger de vivre libérés du poids économique et social des
autres composantes de l’empire. Cependant, à l’époque,
cette analyse envisage déjà des cas particuliers. Le destin 614:
de la Russie, de l’Ukraine, de la Biélorussie et, peut-être,
1011

du nord du Kazakhstan ne devrait-il pas être commun,


:211

s’interrogent de nombreux intellectuels et officiels,


dont Alexandre Soljenitsyne ? La transformation de ses
ouse

anciennes « possessions » en « nouveaux États indépen-


dants » (NEI) exige un énorme travail d’adaptation de
Toul

la part d’un pays qui existe en tant qu’empire depuis le


:UT1

XVIe, empire qui, pour compliquer les choses, s’est bâti


dans la continuité territoriale. Les Russes ressentent tou-
x.com

jours un sentiment de perte par rapport à des territoires


qui étaient globalement réunis dans l’Empire russe dès le
larvo

milieu du XIXe siècle… Pour certains auteurs, aujourd’hui


scho

60
univ.
Quête de puissance et relations internationales

encore, une difficulté pour la Russie est que « la conscience


territoriale russe s’étend au-delà des frontières présentes du pays »
et que « l’imposition de frontières à l’espace “russe” est vue comme
non naturelle et impermanente » (J. O’Loughlin, P. F. Talbot,
p. 29, cf. bibliographie).

L’espace post-soviétique dans le projet de sécurité et


de puissance russe

5.1
Suite à l’éclatement de l’Union, la Russie est, avec

.50.4
l’Ukraine et la Biélorussie, à l’origine de la constitution
d’une Communauté des États indépendants (CEI), à la-

:193
quelle adhéreront avec plus ou moins d’enthousiasme

1952
selon les cas la plupart des républiques ex-soviétiques1.
Tandis que l’Ukraine et d’autres NEI y voient le cadre

8888
d’un divorce civilisé entre les anciennes républiques de
l’URSS, la Russie affirme très vite son désir de voir la 614:
CEI stimuler la restauration des liens entre ces États,
1011

projet qui lui aurait donné naturellement, compte tenu


de son poids territorial, économique et militaire, le rôle
:211

de leader. Même la phase initiale de négligence relative


de Moscou envers cette zone (1992-1993) est en soi
ouse
Toul

1 – Si les républiques d’Asie centrale se sont montrées très


vite désireuses de rejoindre la CEI, la Géorgie, la Moldavie et
:UT1

l’Azerbaïdjan ont marqué plus de réticence (pour les « convaincre »,


la Russie n’hésitera pas à instrumentaliser les conflits séparatistes
x.com

auxquels les trois étaient, et sont d’ailleurs toujours, confrontés).


Les républiques baltes ont immédiatement opté pour les structures
euro-atlantiques. En 009, la Géorgie a quitté définitivement la
larvo

CEI.
scho

61
univ.
Russie, les chemins de la puissance

parlante : elle ne s’explique pas uniquement par son


manque de moyens de l’époque ou par la concentration
de ses efforts diplomatiques sur la recherche d’un par-
tenariat stratégique avec l’Occident : elle signifiait aussi
que la Russie estimait que la force des liens la rattachant
aux éléments de son ex-empire allait de soi et ne néces-
sitait pas d’investissement politique particulier.
L’espace post-soviétique représente beaucoup pour

5.1
la Russie, tant en termes de sécurité que de puissance.

.50.4
Moscou reste motivée par le souci de maîtriser le plus
possible les espaces contigus à son territoire pour re-

:193
pousser le plus loin possible les frontières de la menace

1952
extérieure. Après 1991, elle se sent privée de ses tradi-
tionnelles « zones tampons » à l’ouest et au sud. Si elle

8888
ne peut plus consolider ses abords par le contrôle terri-
torial, elle espère continuer à exercer cette maîtrise par
614:
l’instauration de liens politiques, économiques et sécuri-
1011

taires étroits avec ses voisins. C’était notamment l’objet


du Traité de sécurité collective de la CEI, établi dès 1992,
:211

et que la Russie a beaucoup travaillé à renforcer depuis


le début des années 2000, certes avec un nombre plus
ouse

restreint de volontaires. Pendant longtemps, également,


Toul

Moscou a tenté d’imposer une gestion collective de la


« frontière extérieure » de la CEI, et maintenu à cette
:UT1

fin des gardes-frontières sur le territoire de plusieurs


NEI (aujourd’hui seulement l’Arménie, et, depuis 2009,
x.com

l’Ossétie du Sud et l’Abkhazie). Et elle a toujours estimé


qu’elle seule pouvait assumer le rôle de « gendarme »
larvo

(règlement des conflits et actions de stabilisation) dans


scho

62
univ.
Quête de puissance et relations internationales

l’espace post-soviétique (voir dans l’encart central, la


carte pour emplacement des bases russes dans la CEI).
Évidemment, l’entrée éventuelle de certains NEI
dans l’OTAN est une idée insupportable pour une Russie
toujours motivée par son complexe d’encerclement. Or,
lors de son sommet à Bucarest, en avril 2008, l’Alliance
a annoncé que l’Ukraine et la Géorgie « deviendraient
membres de l’OTAN ». La réponse de Moscou ne se

5.1
fait pas attendre, par exemple par la voix du directeur du

.50.4
Département de la coopération européenne au ministère
des Affaires étrangères : « La Russie fera tout pour empêcher

:193
l’Ukraine et la Géorgie de rejoindre l’alliance2. » Le souhait

1952
de mettre à mal les plans otaniens de la Géorgie est en
partie à l’origine des choix musclés de Moscou lors du

8888
conflit de l’été 008.
L’indépendance des NEI met sérieusement en cause
614:
la façon dont la Russie, depuis plusieurs siècles, pense
1011

sa puissance, en interrompant, comme le fait remarquer


Anne de Tinguy, la « logique de mouvement et de métamorpho-
:211

se, qui fait […] partie des grands points de repère de la Russie
au cours de son histoire3 ». Pour la Russie, ne pas parvenir à
ouse

s’imposer comme puissance dominante dans son ancien


Toul

espace impérial compromet tout espoir d’apparaître


comme un acteur incontournable, un pôle d’influence
:UT1

dans le jeu mondial et de s’y faire respecter. En outre,


son identité eurasiatique, fondement de sa prétention
x.com

 – Interfax-AVN, 8 avril 008.


3 – Anne de TINGUY, « La sortie de l’Empire : le poids de l’héri-
larvo

tage », dossier Russie de Questions internationales, p. 10.


scho

63
univ.
Russie, les chemins de la puissance

historique à jouer un rôle global en faisant le lien entre


Europe et Asie, dépend de sa capacité à « rayonner »
dans cette zone. Enfin, des relations privilégiées avec les
anciennes républiques de l’URSS apparaissent comme
la garantie de l’accès géopolitique de la Russie à d’autres
zones stratégiques (Europe, Moyen-Orient, Asie du
Sud-Est, Asie centrale…), accès qu’elle mobilise tra-
ditionnellement pour justifier sa prétention à jouer un

5.1
rôle central dans la sécurité internationale.

.50.4
Un « étranger » à part

:193
À peine la disparition de l’URSS est-elle entérinée

1952
que le ministère des Affaires étrangères russe imagine
la formule d’« étranger proche » pour désigner l’espace

8888
post-soviétique, qui exprime bien la place particulière
que la zone occupe dans les préoccupations de Moscou4. 614:
Manque de moyens et dispersion de l’appareil politique
1011

obligent, l’effort d’affirmation de la suprématie russe


dans cette zone n’a pas été d’une grande efficacité dans
:211

les années 1990. Aujourd’hui, la Russie indique de façon


toujours plus précise son souci de s’aménager un rôle
ouse

prédominant dans l’ensemble de la région CEI. Après


Toul

le conflit en Géorgie, le président Medvedev a parlé à


:UT1

4 – Aujourd’hui, les officiels russes évitent cette expression – sans


x.com

doute parce qu’elle est très connotée et que son utilisation alimente
les accusations, dans les NEI et en Occident, sur le néoimpéria-
lisme présumé de la Russie. Le terme n’en est pas moins toujours
larvo

très usité dans la presse et dans les débats d’experts russes.


scho

64
univ.
Quête de puissance et relations internationales

plusieurs reprises des « intérêts privilégiés » que la Rus-


sie y conserve.
La constance avec laquelle l’Empire russe a, histo-
riquement, poursuivi son expansion et les efforts qu’il
a toujours déployés pour compenser les pertes territo-
riales quand il a eu à en subir motivent sans doute les
NEI dans leur prudence, voire leur méfiance, face à la
volonté de la Russie de rassembler sous son leadership les

5.1
anciennes républiques de l’URSS. Ces précautions, liées

.50.4
à la crainte d’une possible résurgence de l’impérialisme
russe, ne sont pas le moindre des facteurs de l’échec de

:193
la CEI, si souvent qualifiée de coquille vide, à trouver

1952
sa substance. Il faut dire aussi que bien des éléments
dans la politique russe ont conforté ces États dans leur

8888
détermination à limiter les possibilités pour Moscou de
restaurer une emprise trop forte sur eux. De ce point
614:
de vue, le fait que même les NEI les plus soucieux de
1011

ménager Moscou n’ont pas souhaité reconnaître avec


elle l’indépendance de l’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie
:211

en 2008 n’a rien d’anodin.


Pour certains analystes, les enjeux que l’espace post-
ouse

soviétique recouvre dans le projet de sécurité et de puis-


Toul

sance russe sont suffisamment lourds pour que Moscou


puisse envisager de mettre en cause les frontières des
:UT1

NEI, devenues internationales (directement calquées


sur le dessin des frontières internes à l’URSS, elles ne
x.com

semblent pas avoir grande légitimité aux yeux de nom-


breux responsables et intellectuels Russes). Différents
larvo

événements sont venus à l’appui de cette impression.


scho

65
univ.
Russie, les chemins de la puissance

On pense aux nombreux propos d’officiels russes tra-


hissant une nostalgie certaine de l’URSS, voire de l’épo-
que impériale. Par exemple ceux, récurrents, de Iouriï
Loujkov, maire de Moscou, appelant à la « reconquête »
de la Crimée, offerte en 954 par Nikita Khrouchtchev
pour marquer le trois-centième anniversaire de l’alliance
russo-ukrainienne de Pereïaslav – un don qui ne s’expli-
que que, précisément, par le caractère formel à la fois du

5.1
droit à la sécession offert par la Constitution soviétique

.50.4
aux républiques de l’URSS et des frontières internes à
l’Union. Il faut dire que le cas de l’Ukraine est très par-

:193
ticulier, la majorité des Russes la considérant comme le

1952
berceau du premier État russe. Les nombreux mariages
mixtes russo-ukrainiens ou encore le fait que l’Ukraine

8888
soit orthodoxe servent à faire valoir la proximité entre
les deux peuples. Le souci persistant de certains « stra-
614:
tèges » américains influents de contribuer à couper dé-
1011

finitivement l’Ukraine de la Russie afin de garantir l’im-


possibilité de la résurgence de l’Empire russe n’a sans
:211

doute pas aidé le travail de rupture. « Sans l’Ukraine, es-


time Zbigniew Brzezinski, la Russie cesse d’être un empire
ouse

eurasiatique. La Russie sans l’Ukraine peut toujours rechercher


Toul

un statut impérial, mais elle deviendrait alors un État impérial


principalement asiatique5. »
:UT1

En septembre 2003, la Russie décide de construi-


re une digue à partir de la presqu’île russe de Taman
x.com

en direction de Touzla, île située au milieu du détroit


larvo

5 – Le Grand échiquier, Bayard Éditions 1997, p. 18.


scho

66
univ.
Quête de puissance et relations internationales

de Kertch et rattachée à l’autorité administrative de


la Crimée en 1941. Le président Koutchma se rend à
Touzla pour y réaffirmer l’intangibilité des frontières
de l’Ukraine. Cette initiative russe a contribué à l’image
d’une Russie insuffisamment respectueuse de la souve-
raineté recouvrée des républiques ex-soviétiques. À l’été
2009, un nouvel épisode s’ouvrait, suite à l’envoi par
le président Medvedev d’une lettre à son homologue

5.1
Iouchtchenko déplorant la dégradation des relations bi-

.50.4
latérales et espérant que la prochaine présidentielle (jan-
vier 2010) y remédierait – un message accueilli comme

:193
une ingérence russe dans la vie politique ukrainienne et

1952
un signe supplémentaire des « vieux complexes impé-
rialistes » de la Russie.

8888
Nous ne pouvons appréhender ce que nous
observons dans les années de votre présidence
614:
autrement que comme un rejet par la partie ukrai-
1011

nienne des principes d’amitié et de partenariat pré-


sents dans le Traité de 1997 […]. J’en donnerai ici
:211

quelques exemples […]. La position anti-russe de


l’Ukraine par rapport à l’attaque barbare du ré-
ouse

gime Saakashvili contre l’Ossétie du Sud […] des


armements ukrainiens ont tué des habitants pa-
Toul

cifiques et des soldats russes de maintien de la


paix à Tskhinvali […]. Les dirigeants politiques
:UT1

d’Ukraine, ignorant l’avis des citoyens de leur pays


– sans même parler de la position de la Russie […]
x.com

– continuent obstinément la politique d’adhésion


à l’OTAN […] les tentatives de compliquer l’ac-
larvo

tivité de la flotte de la mer Noire de la Russie


scho

67
univ.
Russie, les chemins de la puissance

[…]. On a en outre l’impression que Kiev cher-


che constamment à miner les liens économiques
avec la Russie, en premier lieu dans le domaine de
l’énergie […]. En conséquence de la ligne de votre
administration, il y a des tentatives de révision de
l’histoire commune, d’héroïsation des complices
des nazis, d’exaltation du rôle des nationalistes ra-
dicaux, d’imposer à la communauté internationale
des interprétations teintées de nationalisme de la

5.1
famine de masse en URSS en 1932-1933 comme

.50.4
un «génocide du peuple ukrainien». L’éviction de
la langue russe de la vie sociale, de la science, de

:193
l’enseignement, de la culture, des médias, des pro-
cédures judiciaires continue […]. Je souhaite vous

1952
informer de ce que dans ces conditions, où les di-
rigeants ukrainiens mènent une ligne anti-russe, j’ai

8888
décidé de différer l’arrivée en Ukraine de notre nou-
vel ambassadeur […]. En Russie, on espère que les
nouveaux dirigeants de l’Ukraine seront disposés à 614:
établir entre nos pays des relations qui répondront
1011

vraiment aux véritables aspirations et aux intérêts


de la sécurité européenne.
:211

Lettre du président russe Medvedev au pré-


ouse

sident ukrainien Iouchtchenko, 11 août 2009


Toul

Cette image découle aussi en grande partie du jeu


:UT1

trouble de Moscou à l’égard des conflits séparatistes sur


le territoire de plusieurs de ces États6, qui ne va pas dans
x.com

6 – Conflits qualifiés de « gelés » parce qu’en suspens depuis la


première moitié des années 1990 sans que leur soit apportée une
larvo

solution politique.
scho

68
univ.
Quête de puissance et relations internationales

le sens du respect de l’intégrité territoriale que la Russie


réclame pour elle-même. Le cas le plus spectaculaire est
sans doute celui de la Géorgie : l’Abkhazie et l’Ossétie
du Sud bénéficient depuis le début des années 990 d’un
soutien multiforme (distribution de passeports russes à
la majeure partie de la population, aide économique et
militaire…) de la part de la Russie, soucieuse de fragi-
liser la rétive Tbilissi et de contrecarrer son projet de

5.1
rejoindre l’OTAN. Le choix d’une réaction militaire

.50.4
forte à l’attaque de la Géorgie sur Tskhinvali à l’été 008
(les troupes russes se sont enfoncées sur le territoire

:193
géorgien au-delà des limites de l’Ossétie du Sud) visait,

1952
clairement, à s’assurer de la réalisation de cet objectif.
Moscou a également contribué à l’enracinement du

8888
conflit séparatiste de Transnistrie, territoire de Moldavie.
Face aux aspirations euro-atlantiques de cette dernière
614:
et à l’implication croissante de l’UE en vue de trouver
1011

une solution politique, Moscou a accentué ses pres-


sions sur Chisinau. En mai 2008, la Moldavie, cédant
:211

à Moscou, a déclaré une politique de neutralité. Après


la guerre en Géorgie, Moscou a multiplié les efforts
ouse

diplomatiques concernant le possible règlement des


Toul

conflits du Haut-Karabakh et de la Transnistrie dans


le souci d’éviter un effet de contagion du conflit géor-
:UT1

gien, mais aussi que d’autres, après la « guerre des cinq


jours », qui, aux yeux de nombreux observateurs, l’a
x.com

discréditée comme force de maintien de paix, tentent


de prendre l’initiative.
larvo
scho

69
univ.
Russie, les chemins de la puissance

Les moyens de l’influence : entre « soft power » et


coercition
La politique russe dans la région a connu un certain
nombre d’inflexions depuis 99, marquant une pénible
adaptation par la Russie de ses stratégies à l’égard d’un
espace marqué par des influences extérieures de plus
en plus nombreuses. Lorsqu’elle constate que son ob-
jectif, prioritaire, de stabilisation de sa périphérie n’est

5.1
pas réalisé, Moscou prend parfois des mesures tran-

.50.4
chant avec son souci de limiter l’engagement d’acteurs
extérieurs dans son « étranger proche ». Quand elle a

:193
pris conscience de son incapacité à faire face seule à

1952
l’instabilité croissante en Asie centrale, surtout à par-
tir de l’arrivée des Taliban à Kaboul en 1996, Moscou

8888
n’a pas hésité à mutualiser l’effort de sécurisation avec
la Chine. Cet enjeu est d’ailleurs la cause initiale de la 614:
formation de l’Organisation de coopération de Shan-
1011

ghai7, et compte toujours au nombre de ses fonctions.


Plus étonnant encore, Moscou a accepté, en septem-
:211

bre 2001, le déploiement de forces militaires occiden-


ouse

tales dans cette partie de son ancien espace impérial,


en considérant que l’opération en Afghanistan était
Toul

susceptible de contribuer au réglement des problèmes


de sécurité de l’Asie centrale. Et en juillet 2009, malgré
:UT1

la forte dégradation des relations bilatérales intervenue


dans les années Bush, Moscou autorisait le transit de
x.com

7 – Russie, Chine, Kazakhstan, Kirghizstan, Ouzbékistan, Tadji-


larvo

kistan.
scho

70
univ.
Quête de puissance et relations internationales

troupes et de matériels militaires américains par son es-


pace aérien sur des vols civils ou militaires (des accords
similaires avaient auparavant été conclus avec la France,
l’Allemagne, l’Espagne).
Avec plus ou moins de bonheur, Moscou essaie de
faire évoluer ses méthodes pour se doter d’un soft power
afin de tenter de compenser le recul de son influence
dans l’ensemble de l’espace post-soviétique. Moscou

5.1
a entériné l’échec de la CEI, et s’est, dès le début des

.50.4
années 2000, recentré sur des cadres de coopération bi-
latéraux et multilatéraux plus restreints mais mobilisant

:193
les liens avec les NEI les plus convaincus de l’intérêt

1952
de la coopération avec Moscou (cf. chapitre III). Dès les
tous premiers temps de sa présidence, Vladimir Poutine

8888
a aussi engagé des actions dans le domaine de l’infor-
mation et de la culture, ce qui passe en particulier par
614:
un effort de renforcement de la place de la langue russe
1011

dans les États voisins ; l’établissement dans ces mêmes


pays de programmes d’information ; l’encouragement à
:211

des échanges d’étudiants… La Russie abandonne aussi


les stratégies de séduction qui ont échoué à « fidéliser »
ouse

les NEI. Elle rompt avec la politique longtemps pour-


Toul

suivie consistant à subventionner de fait des économies


des NEI par la pratique de tarifs énergétiques large-
:UT1

ment inférieurs aux prix du marché mondial. Même la


Biélorussie et l’Arménie, pourtant alliées politiques et
x.com

militaires de la Russie, ont dû faire face à ce changement


sensible dans la ligne de Moscou, justifié par le souci de
larvo

recentrer sa politique sur la réalisation prioritaire de son


scho

71
univ.
Russie, les chemins de la puissance

intérêt économique. Pendant l’hiver 2006-2007, Moscou


indique à Minsk qu’elle compte aligner le prix de ses
fournitures de gaz à la Biélorussie sur les prix européens
à compter du 1er janvier 2007 (230 dollars pour 1 000 m3
versus 468) si le gouvernement biélorusse refuse à Ga-
zprom d’entrer au capital de Beltransgaz, la compagnie
nationale qui gère les gazoducs d’exportation biélorus-
ses. Un compromis a été trouvé en décembre 2006 : la

5.1
Biélorussie ne paiera « que » 100 dollars jusqu’en 2011

.50.4
en échange de l’entrée de Gazprom au capital de Bel-
transgaz (50 % – elle est actuellement à 37,5 %). Si cet-

:193
te crise a trouvé momentanément une solution, elle a

1952
durablement miné la confiance entre les deux pays : la
Russie cherche à contourner la Biélorussie comme pays

8888
de transit ; cette dernière tend à se rapprocher de plus
en plus de l’UE, et refuse de reconnaître l’indépendance
614:
de l’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie…
1011

En 2003, Anatoliï Tchoubaïs, un des idéologues rus-


ses de la « thérapie de choc » (voir encadré), parle de
:211

l’opportunité pour la Russie d’établir un « empire libé-


ral ». La formule a vite disparu du discours officiel –
ouse

elle était en effet jugée maladroite à l’heure où la Russie


Toul

tentait d’adoucir son image dans l’ex-URSS. Il n’en de-


meure pas moins que Moscou, disposant de ressources
:UT1

financières plus abondantes mais aussi d’une « capacité


d’orientation » plus forte sur les grands acteurs économi-
x.com

ques nationaux (notamment dans le secteur énergétique),


larvo

8 – Arnaud DUBIEN, Questions internationales, p. 36.


scho

72
univ.
Quête de puissance et relations internationales

multiplie les opérations lui ouvrant une place dans le ca-


pital des secteurs stratégiques des pays de la CEI. Pour
Vladimir Poutine, l’intégration dans le domaine écono-
mique ne peut que faciliter l’intégration politique entre
les États. Pendant la crise financière et économique glo-
bale, la Russie, pourtant elle-même durement touchée,
poursuit son effort de reconquête de son influence dans
la CEI par la voie économique. Proposant son assistance

5.1
financière à ses voisins (prêts aux États), elle a constitué

.50.4
un fonds anticrise pour la Communauté économique
eurasiatique doté à hauteur de dix milliards de dollars,

:193
dont 7,5 fournis par la Russie. C’est également au plus

1952
fort de la crise qu’elle a formé une union douanière avec
la Biélorussie et le Kazakhstan. Elle maintient, pendant

8888
la crise, sa politique d’acquisition d’actifs dans les pays
voisins. Par exemple, la VEB a acheté 75 % de Promin-
614:
vestbank (la sixième banque ukrainienne).
1011

Mais ces évolutions, qui semblent traduire une vo-


lonté de normalisation des modes de relations avec les
:211

NEI, coexistent avec des politiques qui trahissent une


crispation de Moscou quant à tout ce qui lui échappe
ouse

dans son voisinage immédiat. Les pays qui se montrent


Toul

trop peu intéressés à cultiver « l’héritage culturel et ci-


vilisationnel commun9 » si cher aux diplomates russes
:UT1

subissent des pressions. Tbilissi, par exemple, s’est vu


imposer un régime de visas ainsi qu’un embargo sur
x.com

ses exportations en Russie. La Moldavie a été un temps


larvo

9 – Concept de politique étrangère de la Fédération de Russie.


scho

73
univ.
Russie, les chemins de la puissance

soumise au même traitement commercial. Le levier


énergétique est utile pour une Russie qui est le four-
nisseur quasi exclusif des républiques occidentales de
l’ex-URSS (les États baltes, mais aussi la Biélorussie,
l’Ukraine, et la Moldavie). Peu après les révolutions de
couleur, Kiev a eu à subir la « diplomatie de l’énergie »
russe dans sa version punitive, Moscou décidant d’appli-
quer à ce pays, sans transition, les tarifs pratiqués dans

5.1
les échanges avec les pays européens (ce qui revenait à

.50.4
une augmentation de 400 % !). Cette première crise du
gaz avec l’Ukraine, en janvier 006, intégrait le paramè-

:193
tre du choix euro-atlantique de plus en plus affirmé de la

1952
diplomatie de Kiev – en plus de la persistance de sa det-
te énergétique à l’égard de Moscou et des prélèvements

8888
illégaux sur le gaz transitant par son territoire. Moscou
escomptait que cette mesure, en mettant le président
614:
Iouchtchenko, incarnation de la révolution orange, en
1011

position délicate, parviendrait à tempérer les aspirations


otaniennes de Kiev. Avec la « guerre des cinq jours »,
:211

en 2008, Moscou a espéré parvenir à discréditer la


Géorgie comme pays de transit dans le souci de relativi-
ouse

ser l’intérêt de l’Occident pour des tracés d’évacuation


Toul

des ressources Caspienne-Asie centrale contournant


le territoire de la Russie… Et en août 2009, Gazprom
:UT1

lançait un gazoduc Russie-Ossétie du Sud, reliant cette


dernière à un village d’Ossétie du Nord10. Lorsque la
x.com

Russie se retire, en 2000, du régime de libre-circulation


larvo

10 – Sur la « diplomatie de l’énergie » voir aussi chapitre III.


scho

74
univ.
Quête de puissance et relations internationales

des personnes physiques dans la CEI, et du même coup


renonce à un des rares éléments contribuant effective-
ment à l’intégration de l’espace post-soviétique, elle se
dote de leviers pour compliquer la vie des citoyens des
États les plus récalcitrants à sa volonté, en espérant que
leur mécontentement sera répercuté sur les gouverne-
ments. Par ailleurs, Moscou n’hésite pas à user de leviers
informels pour tenter d’influencer les résultats électoraux

5.1
dans les pays voisins – le dispositif était particulièrement

.50.4
étoffé, de ce point de vue, à l’occasion de la présidentielle
ukrainienne qui a débouché sur la révolution orange.

:193
Il est évident que la mission civilisatrice de la na-

1952
tion russe sur le continent eurasiatique doit conti-
nuer. Elle consiste à ce que les valeurs démocratiques,

8888
multipliées par les intérêts nationaux, enrichissent et
renforcent notre communauté historique.
Vladimir Poutine, Adresse à l’Assemblée 614:
fédérale, 25 avril 2005
1011

Le thème de la protection des « compatriotes » à


:211

l’étranger, qualifiée de priorité présidentielle par Boris


Eltsine en 1996, est aussi mobilisé dans cette logique
ouse

de pression. Que la Russie se préoccupe du sort de ses


Toul

compatriotes, qui seraient encore 18 millions dans la CEI


(contre 25 millions en 1989), n’a rien d’illégitime. Mais les
:UT1

pays voisins, dont Moscou souhaiterait qu’ils instaurent


la double citoyenneté pour les populations russes et
x.com

confèrent au russe le statut de langue officielle, ont


toujours eu le sentiment que ces populations, souvent
larvo
scho

75
univ.
Russie, les chemins de la puissance

concentrées en une seule région (Ukraine orientale, nord


du Kazakhstan), pouvaient être instrumentalisées par la
Russie, ainsi dotée d’un levier de choix pour s’ingérer
dans la vie de ces nouveaux États indépendants. Mais ce
qui apparaissait comme un problème potentiel est perçu
comme un vrai risque suite à la guerre en Géorgie – la
Russie a justifié son intervention militaire par, entre autres,
la nécessité de défendre les citoyens russes d’Ossétie,

5.1
dont une grande partie de la population avait obtenu,

.50.4
au cours des années précédentes, des passeports russes.
C’est l’une des raisons pour lesquelles aucun pays de la

:193
CEI n’a souhaité suivre Moscou sur la reconnaissance de

1952
l’indépendance de l’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie.
Révolutions de couleur et démocratie

8888
souveraine
Avant les révolutions des roses en Géorgie (no- 614:
vembre 003), orange en Ukraine (fin 004), des
1011

tulipes au Kirghizstan (mars 2005), la Russie avait


déjà eu l’occasion d’exprimer son hostilité à l’en-
:211

gagement des puissances occidentales dans l’ex-


URSS. Ces acteurs « extra-régionaux », ainsi qu’elle
ouse

les qualifie, lui avaient déjà infligé des revers de


taille dans son « pré carré » géopolitique – la déci-
Toul

sion sur l’oléoduc Bakou-Tbilissi-Ceyhan, premier


tube d’évacuation des hydrocarbures de la région
:UT1

contournant son territoire, ou encore la formation


en 1996 du GUAM. Cette « association » composée
x.com

de la Géorgie, de l’Ukraine, de l’Azerbaïdjan et de


la Moldavie vise explicitement à réduire la dépen-
larvo

dance de ses membres à l’égard de la Russie, et ce


scho

76
univ.
Quête de puissance et relations internationales

avec le soutien des États-Unis et de certains pays


européens. Toutefois, pour Moscou, avec les révo-
lutions de couleur, l’Occident a franchi une étape
qualitative dans son effort pour nourrir le « plura-
lisme géopolitique » en ex-URSS. Ces révolutions,
amenant au pouvoir à Kiev et à Tbilissi des équipes
favorables à l’adhésion aux structures euro-
atlantiques, portent un coup sévère au projet de la
Russie d’intégration de la zone CEI sous son égide.

5.1
En étant potentiellement source d’une démocratisa-

.50.4
tion de ces pays, elles risquent de priver progressive-
ment la Russie des liens politiques et économiques

:193
plus ou moins formels qui servent si efficacement
son influence dans ces pays. « Le programme de dissé-

1952
mination de la démocratie est sans doute formidable, ironise
Gleb Pavlovskiï, un des conseillers politiques du

8888
Kremlin, mais dans sa propre zone privilégiée, la Russie
est tout simplement obligée de la contrôler, sans quoi elle
serait incompétente ». Ainsi, Moscou a concentré son 614:
décryptage des révolutions de couleur sur le thème
1011

de l’action subversive des pays occidentaux, mini-


misant le poids des facteurs locaux, dont, dans les
:211

deux cas, l’exaspération populaire face à l’incurie et


ouse

la corruption des pouvoirs en place. Dans le même


temps, la participation occidentale est indéniable, et
Toul

beaucoup d’analyses ont décrit les similarités entre


les différents mouvements, notamment concernant
:UT1

le rôle des ONG internationales (Soros, Freedom


House).
x.com

Les révolutions de couleur ont présidé à un re-


tour très net et assumé des logiques de jeu à somme
larvo

nulle dans le discours russe : tout effort d’orientation


scho

77
univ.
Russie, les chemins de la puissance

des États de l’ex-URSS vers les structures euro-


atlantiques constitue un gain pour l’OTAN ou
l’UE, et un revers pour la Russie. Moscou craint
une répétition des révolutions dans d’autres répu-
bliques de l’ex-URSS (elle a resserré ses liens avec
différents régimes autoritaires, en particulier en
Asie centrale, également désireux de prévenir ce
danger). Elle se dit prête à éradiquer le risque d’un
phénomène du même ordre sur son propre terri-

5.1
toire. Les révolutions ont sans doute renforcé la

.50.4
volonté de maîtrise gouvernementale sur l’ensem-
ble de la vie politique et sociale nationale. Il faut

:193
dire que le président Poutine a amené au Kremlin
bon nombre de personnalités anciennement mem-

1952
bres du KGB, dont l’une des missions, du temps
de l’URSS, était précisément de contrer les tentati-

8888
ves d’actions subversives orchestrées par « l’ennemi
extérieur ». Entre autres conséquences politiques
internes des révolutions de couleur, on peut men- 614:
tionner la popularisation du thème de la « démo-
1011

cratie souveraine », élaboré par Vladislav Sourkov,


conseiller de l’administration présidentielle, pour
:211

rappeler au reste du monde que la Russie doit rester


ouse

libre dans le choix de son modèle politique et éco-


nomique. On peut aussi mentionner la formation,
Toul

en 2005, du mouvement politique de jeunes Nachi


(« les nôtres »), qui, soutenant le président Poutine,
:UT1

sont censés incarner une jeunesse russe patriote et


capable, contrairement aux jeunes Ukrainiens et
x.com

Géorgiens, de résister aux influences extérieures…


Les autorités russes semblent plus optimistes
larvo

quand à l’éventuel « agenda de démocratisation »


scho

78
univ.
Quête de puissance et relations internationales

de l’administration Obama, lequel aurait compris,


selon Sergeï Lavrov, que « toute prétention à l’universa-
lité de certains modèles de développement ne fonctionne pas
et se solde par des utopies, et parfois par des catastrophes »
(discours au MGIMO, le 1er septembre 2009).

La place qu’occupe l’espace post-soviétique dans la


vision qu’a la Russie de sa propre puissance est telle-
ment centrale que, pour certains experts russes, Vla-

5.1
dimir Poutine était prêt à lui sacrifier d’autres intérêts

.50.4
stratégiques. Ainsi, la réaction modérée de la Russie de
Poutine à l’invitation, en 2002, des États baltes à entrer

:193
dans l’OTAN11, au retrait unilatéral, la même année, des

1952
États-Unis du traité ABM (voir infra), à la guerre en Irak
en 2003 (Moscou laissant les initiatives les plus « osées »

8888
à la France) s’expliquerait par un « deal » que le Kremlin
aurait proposé à Washington : Moscou reconnaissait 614:
le leadership global des États-Unis, en échange de quoi
1011

ceux-ci ne contestaient plus son rôle spécial dans l’espa-


ce post-soviétique, et lui y accordait une position hégé-
:211

monique (Trenin, p. 90, cf. bibliographie). S’il s’avérait


ouse

qu’une telle « transaction » a vraiment été tentée par la


Russie, alors les « révolutions de couleur » l’ont néces-
Toul

sairement déçue. Et si la Russie lit les projets de l’UE à


l’égard de son nouveau voisinage oriental12 (Politique de
:UT1

voisinage, Partenariat oriental, Initiative de coopération


dans la mer Noire…) comme des projets trahissant des
x.com

11 – Ce fut fait en 2004.


larvo

 – Ukraine, Moldova, Biélorussie, Caucase du Sud.


scho

79
univ.
Russie, les chemins de la puissance

desseins « impérialistes » ou des logiques de « sphères


d’influence », c’est qu’elle peine elle-même à appréhen-
der ses voisins sous un autre angle que celui-là.

2 – La Russie, puissance européenne à sa manière

On l’a dit, la Russie s’estime historiquement plus


vulnérable sur son flanc occidental. Cela a joué forte-

5.1
ment dans sa perception négative de l’élargissement

.50.4
de l’OTAN vers l’est – d’autant plus que les pays
« entrants » formaient auparavant pour elle une zone-

:193
tampon protectrice à l’ouest. « En prenant la décision

1952
d’accueillir en son sein des États d’Europe centrale et orien-
tale, l’OTAN ignore avec ostentation les appréhensions de la

8888
Russie à propos du regain de la confrontation armée dans cette
région », estiment les militaires russes, expliquant que 614:
cet élargissement « [réduit] sensiblement le temps d’alerte
1011

stratégique de la Russie par une réduction de la “zone-tam-


pon” entre [elle et] les frontières de l’Alliance » (A. F. Klimenko).
:211

Plus de dix ans plus tard, le discours de la Russie n’a


ouse

guère changé, et ses diplomates se plaisent à rappeler


que le père du containment lui-même, George Kennan,
Toul

avait jugé que l’élargissement serait « l’erreur la plus


fatale de la politique américaine dans toute la période post-
:UT1

Guerre Froide13 ».
Mais la vigueur de l’opposition de Moscou à cet élar-
x.com

gissement traduit également son sentiment qu’il érode


larvo

13 – « A Fateful Error », New York Times, 5 février 1997.


scho

80
univ.
Quête de puissance et relations internationales

son poids européen. Car c’est aussi surtout à l’ouest et


de l’ouest que la Russie a recherché continuellement la
reconnaissance de son statut de puissance. Faire par-
tie intégrante du jeu européen est depuis longtemps
perçu par les responsables russes comme une condi-
tion nécessaire de la satisfaction de leur aspiration de
grandeur. Le projet de Mikhaïl Gorbatchev d’établir
une « maison européenne commune » de l’Atlantique

5.1
à l’Oural était une version modernisée de cette ap-

.50.4
proche. Aujourd’hui encore, les officiels russes mul-
tiplient les déclarations présentant la Russie comme

:193
« le plus grand État européen », comme l’a fait Vladimir

1952
Poutine dans sa lettre pour les cinquante ans de l’UE,
le 25 mars 2007, comme le fait le Concept de politique

8888
étrangère.
Le discrédit du Conseil Russie-OTAN : une 614:
vision russe
1011

[…] depuis sa fondation, le CRO n’a absolu-


ment RIEN fait de tant soit peu important pour
:211

ce qui est d’éliminer les stéréotypes stratégiques da-


tant de la Guerre froide. Il n’a formulé AUCUNE
ouse

évaluation stratégique commune sur les menaces


et les méthodes pour les combattre […]. La « ma-
Toul

tière de la coopération » était médiocre avant la


« guerre du Caucase ». C’est pourquoi son « gel »
:UT1

après août 2008 n’a rien ajouté à rien. À présent


x.com

[…] la Russie est davantage nécessaire à l’OTAN


que le contraire. La Russie a-t-elle eu réellement
besoin, un jour, de cette organisation ? En revan-
larvo

che, l’OTAN a besoin de la Russie comme voie de


scho

81
univ.
Russie, les chemins de la puissance

transit vers l’Afghanistan. Mais Moscou a accepté


d’accorder aux États-Unis et à leurs alliés, sans pas-
ser par l’OTAN, un corridor pour acheminer leur
fret « non militaire » en Afghanistan. Le Conseil n’a
absolument RIEN fait de ce qu’il aurait dû faire
(compte tenu de sa vocation officielle) ni avant, ni
après la guerre en Ossétie du Sud. Rappelons-le,
pour ceux qui l’auraient oublié : c’est l’Union euro-
péenne qui est intervenue en tant que médiatrice

5.1
entre Moscou et Tbilissi, et plus concrètement, le

.50.4
président français Nicolas Sarkozy.
[…] il m’est très difficile de comprendre com-

:193
ment nous pouvons, en même temps, critiquer
l’OTAN – devenue, depuis longtemps, un véri-

1952
table anachronisme, car elle assume de plus en
plus des missions qu’elle ne doit absolument pas

8888
accomplir (telles sa mission au Kosovo, ou ses
tentatives de s’attribuer une partie des fonctions
614:
de l’ONU et de l’OSCE) – et affirmer qu’il est
nécessaire de modifier la coopération avec elle,
1011

de la renforcer, de la porter à un nouveau ni-


veau concret, de lui donner un contenu nouveau.
:211

Comme le disait Stirlitz, dans le film russe 17 mo-


ouse

ments du printemps : « quelque chose cloche ». Soit


l’OTAN n’est pas un anachronisme (bien que ce
Toul

soit une évidence pour nous), soit il s’agit d’une


coopération trompeuse.
:UT1

Andreï Fediachine, « OTAN-Russie : où


irons-nous en boitant ? », RIA Novosti, 30 avril
x.com

2009
larvo
scho

82
univ.
Quête de puissance et relations internationales

L’Europe, référent de la puissance russe


Le jeu des grandes puissances, longtemps, a été ce-
lui des États européens. La Russie, convaincue de sa
grandeur, n’a eu de cesse de se faire admettre dans le
concert politique européen. Elle y parvient sous Pierre
le Grand, pour qui il s’agissait de l’objectif diplomatique
prioritaire et qui a ouvert sa fenêtre sur la Baltique préci-
sément pour signer l’appartenance de son pays au cercle

5.1
des grands acteurs européens. L’idée de « grandeur par

.50.4
l’Europe » relève aussi du souci récurrent de la Russie
de tenter de rattraper son retard sur les Européens, et

:193
d’obtenir auprès d’eux les techniques qui lui manquent

1952
afin de se moderniser et de parachever ainsi son « ap-
pareil de puissance ». Dès le XVIe, Ivan IV constate les

8888
avancées techniques de l’Europe et admire son niveau
de développement économique, ce qui le rend « relative- 614:
ment tolérant à l’égard des étrangers présents en Russie », auto-
1011

risés à y déployer une activité économique (M.-P. Rey,


p. 5, cf. bibliographie). Sous Pierre le Grand, l’ouver-
:211

ture de la Russie sur l’Europe est largement guidée par


ouse

le désir du tsar de faire profiter son pays des savoir-faire


et techniques européens, qu’il veut voir appliqués dans
Toul

tous les domaines d’activité ; pour ce faire, il accueille


de nombreux spécialistes européens. L’intérêt est égale-
:UT1

ment culturel : on se souvient de la place réservée aux


architectes italiens (conception de Saint-Pétersbourg),
x.com

des liens de Catherine II avec Voltaire et Diderot (avant


que sa méfiance à l’égard de l’impact possible en Russie
larvo
scho

83
univ.
Russie, les chemins de la puissance

d’une « contagion » des idées libérales ne l’emporte dans


ses priorités). Au moment de la stagnation brejnévien-
ne, à nouveau, les responsables soviétiques recherchent
un temps auprès des pays européens des transferts de
technologies pouvant aider à une relance de l’économie
soviétique, essoufflée. Aujourd’hui encore, beaucoup
d’experts et d’officiels russes jugent incontournable la
relation avec l’Europe pour stimuler la modernisation

5.1
de l’économie russe. Moscou recherche ainsi des par-

.50.4
tenariats industriels et technologiques qui lui permet-
traient de rattraper son retard dans certains domaines

:193
(électronique, informatique…). Bien que plus discrète-

1952
ment dans les années 2000, certains jugent même né-
cessaire que l’Europe aide la Russie à restructurer ses

8888
institutions.
Moscou espérait que d’avoir laissé se faire l’éman-
614:
cipation des pays membres du Pacte de Varsovie allait
1011

rendre naturelle son intégration à la grande famille euro-


péenne (telle est la lecture russe d’une Moscou « ma-
:211

gnanime » qui, contrairement à ce qu’elle avait décidé


pour Budapest en 1956 et Prague en 1968, a choisi de
ouse

ne pas réagir militairement aux révolutions de velours


Toul

dans ses « satellites » d’Europe centrale et orientale).


Or, vingt ans plus tard, la Russie considère qu’elle est
:UT1

marginalisée en Europe et que ses intérêts de sécurité


n’y sont pas correctement pris en compte – d’où les
x.com

propositions du président Medvedev sur un nouveau


traité de sécurité européenne (voir encadré), qui doit lui
larvo

permettre de corriger la perte d’influence en Europe


scho

84
univ.
Quête de puissance et relations internationales

qu’elle estime subir depuis les décisions prises dans les


années 1990 (élargissement de l’OTAN, de l’UE, traite-
ment des crises dans les Balkans…).

Propositions sur une nouvelle architecture


de sécurité
Évoqué pour la première fois par le président
Medvedev lors de son voyage à Berlin le 5 juin 2008,
le projet russe d’un nouveau traité de sécurité

5.1
européenne est mentionné dans le Concept de

.50.4
politique étrangère de juillet 2008 : « L’objectif
principal de la politique étrangère russe dans la direction

:193
européenne est la création d’un système démocratique,
réellement ouvert de sécurité collective et de coopération

1952
à l’échelle de la région, assurant l’unité de la région euro-
atlantique – de Vancouver à Vladivostok, sans admettre

8888
sa fragmentation et la reproduction des anciennes approches
de bloc. » Beaucoup d’observateurs et d’officiels 614:
européens et américains y voient une nouvelle
1011

tentative de miner le lien transatlantique. Le Concept


de politique étrangère dit cependant souhaiter
:211

« l’unité réelle de l’Europe, sans lignes de divisions, via une


interaction équitable entre la Russie, l’Union européenne
ouse

et les États-Unis ». Parmi les principes mis en avant


dans la proposition russe, assez floue, figurent :
Toul

l’indivisibilité de la sécurité, le respect de l’intégrité


territoriale, la nécessité d’assurer une meilleure
:UT1

coordination des organisations internationales de


sécurité œuvrant dans l’espace euro-atlantique.
x.com

En suspendant fin 007 l’application du traité


sur les forces conventionnelles en Europe (FCE), la
larvo

Russie escomptait sans doute créer un électrochoc


scho

85
univ.
Russie, les chemins de la puissance

et par conséquent amener les pays européens à


la table de négociation. Les propositions russes
sont discutées sous les auspices de l’OSCE. Ainsi,
Moscou considère avoir atteint un des principaux
objectifs de sa démarche : « Nous avons réussi à lancer
un solide processus de réflexion autour de l’initiative sur la
conclusion d’un Traité de sécurité européenne. Que certains
de nos partenaires soient prêts ou non à le reconnaître, la
crise caucasienne a servi d’impulsion puissante pour repenser

5.1
la situation. Plus personne ne nie l’existence d’un problème

.50.4
systémique dans l’architecture de sécurité européenne que
nous avons héritée de la période de la “Guerre Froide” », se

:193
félicite le chef de la diplomatie russe. Pressée par
ses partenaires de préciser ses attentes, Moscou a

1952
présenté un projet de traité en décembre 2009.

8888
Sentiment d’exclusion
Le problème est que la Russie semble bâtir elle- 614:
même sa solitude européenne. Avec encore plus de
1011

netteté après les révolutions de couleur, elle a pris ses


distances avec les horizons politiques qu’elle disait,
:211

au début des années 1990, vouloir partager avec les


ouse

Européens – démocratisation, État de droit… Son


intervention en Géorgie, jugée disproportionnée par
Toul

les Européens, ne facilite pas les choses. Cela rap-


pelle que l’aspiration européenne de la Russie a his-
:UT1

toriquement été aussi ambivalente que récurrente.


x.com

L’idée qu’avait Pierre le Grand de l’Europe repré-


sentait en fait une véritable « révolution socio-économique
et mentale », et elle ne s’est pas imposée à toutes les
larvo
scho

86
univ.
Quête de puissance et relations internationales

périodes de l’histoire russe, loin s’en faut (M.-P. Rey,


p. 6, cf. bibliographie). On a vu combien la Russie,
sûre de son caractère unique, a pu être ambiguë dans
ses relations avec l’Europe – l’Europe catholique du
temps des tsars (qui craignaient le risque de déstabi-
lisation du régime et de perte d’identité que pouvait
comporter une trop grande ouverture sur l’Europe) ;
l’Europe capitaliste à l’époque des Soviets.

5.1
La marginalisation dont la Russie estime faire l’ob-

.50.4
jet sur le continent européen depuis la fin de la Guerre
froide ne fait qu’accentuer cette ambivalence. En effet,

:193
après la chute du mur de Berlin, la vie du continent

1952
est structurée par deux organisations – l’OTAN et
l’Union européenne – dont la Russie n’est pas mem-

8888
bre. À ses yeux, cela la prive de sa juste place dans
les processus décisionnels diplomatiques et de sécu-
614:
rité européens. Le parallélisme entre l’élargissement de
1011

l’Alliance atlantique et celui de l’UE a nourri la vision


d’un ensemble euro-atlantique qui écarte la Russie,
:211

en dressant de nouveaux murs politiques entre elle et


le reste de l’Europe. Des murs administratifs aussi –
ouse

l’entrée des nouveaux membres de l’UE dans l’espace


Toul

Schengen suscitant un resserrement des contrôles aux


frontières. Quand il était président, Vladimir Poutine
:UT1

a même proposé l’intégration de son pays à l’espace


Schengen – tentant d’utiliser l’enclave de Kaliningrad
x.com

comme cas « pilote » pour une évolution vers un ré-


gime sans visa entre son pays et l’UE.
larvo
scho

87
univ.
Russie, les chemins de la puissance

L’enclave de Kaliningrad : point d’intégration


ou site de confrontation stratégique ?
L’enjeu de Kaliningrad a été présenté, au début
des années 2000, comme un test pour les relations
entre Moscou et l’UE élargie. Ce territoire, ex-
Königsberg (établie au XIIIe siècle par les cheva-
liers teutoniques), d’une surface de 5 000 km² et
comptant près d’un million d’habitants, a été rat-
taché en 1945 à la RSFSR. Suite à l’élargissement

5.1
de l’UE de 2004, il est devenu une exclave russe

.50.4
située entre Pologne et Lituanie, accessible à partir
du reste de la Russie seulement par voie maritime

:193
ou au prix du passage de deux frontières (Biélorussie,
Lituanie). Au terme d’un assez complexe processus

1952
de négociation sur la meilleure façon de pallier les
possibles conséquences négatives de la nouvelle

8888
situation sur le transit de biens et de personnes à
partir de et vers Kaliningrad, notamment du fait
614:
de l’introduction de visas, la Russie et l’UE ont
trouvé différents accords de facilitation du transit
1011

de biens et de personnes.
:211

Bien que les deux parties se félicitent de leur


succès à régler cette épineuse question, la situation
ouse

de Kaliningrad pose toujours des problèmes.


Les Européens s’inquiètent du fossé de santé
Toul

économique entre l’enclave (marquée, dans son


économie, par son passé de « ville fermée »
:UT1

militarisée) et les régions européennes voisines,


qui alimente la criminalité et la détérioration de la
x.com

situation sanitaire. La Russie craint, pour sa part,


que Kaliningrad, qui lui offre un port libre de glaces
larvo

sur la Baltique, puisse à terme se trouver aspirée


scho

88
univ.
Quête de puissance et relations internationales

par la zone de prospérité européenne dans laquelle


la région se trouve insérée. Certes, Kaliningrad
n’appartient que depuis peu à la Russie, ce qui
accentue l’inquiétude de Moscou, mais l’Allemagne,
en 1990, a fait savoir qu’elle renonçait à toute
prétention sur l’enclave. L’oblast’, longtemps un
bastion de l’Armée rouge (avec, notamment, le
commandement de la flotte de la Baltique, depuis
déplacé à Saint-Pétersbourg) et du complexe

5.1
militaro-industriel soviétique, demeure un atout de

.50.4
choix dans les postures stratégiques russes à l’égard
d’un Occident jugé menaçant. Bien que le niveau

:193
de forces militaires dans la région ait sensiblement
diminué depuis la disparition de l’URSS, les officiels

1952
russes menacent régulièrement d’y installer des armes
nucléaires ou des missiles en réponse à des mesures

8888
jugées défavorables aux intérêts de la Russie (crise
du Kosovo en 1999, crise des antimissiles dans les
années 2000…). Cette vision de Kaliningrad comme 614:
enclave stratégique rend le gouvernement russe
1011

hésitant quant au degré d’ouverture qu’il y offre aux


investisseurs étrangers.
:211

Pour Moscou, la présence des nouveaux membres


ouse

des deux organisations ne peut qu’aggraver la situation.


Toul

L’analyste Dmitriï Trenine n’est pas seul à juger que « la


Pologne et les États baltes, en particulier la Lituanie et l’Estonie,
:UT1

se sont affirmés comme experts, superviseurs et guides des poli-


tiques de l’Europe envers la Russie » (2008). Il est vrai que
x.com

ces pays, pour des raisons historiques bien comprises,


n’optent pas toujours, au sein de l’OTAN et de l’UE,
larvo

pour des positions très constructives sur la « question


scho

89
univ.
Russie, les chemins de la puissance

russe ». Moscou n’en détient pas moins une grande


part de responsabilité dans l’acrimonie développée à
son encontre par ces États. Investissant peu d’énergie
diplomatique dans la redéfinition de ses liens avec ses
anciens « satellites », elle les irrite en traitant en priorité
avec les pays de la « vieille Europe » – Allemagne, France,
Italie, Royaume-Uni… Les officiels russes se plaignent
aujourd’hui fréquemment de l’action freinante que les

5.1
nouveaux membres exercent sur les pourparlers russo-

.50.4
européens sur différents sujets.
De plus, les pays d’Europe centrale et orientale et la

:193
Russie font de l’histoire du XXe siècle une lecture très

1952
différente. Les premiers sont plus prompts à mettre en
exergue le pacte de non-agression Molotov-Ribbentrop

8888
d’août 1939 (et ses protocoles sur le partage de
l’Europe en sphères d’influence), la seconde à mettre
614:
l’accent sur la responsabilité des dirigeants européens
1011

dans l’affirmation des « appétits » de l’Allemagne na-


zie (Munich, septembre 1938) et sur les énormes per-
:211

tes soviétiques dans le second conflit mondial (souvent


évaluées à 20 millions de personnes). Pour Moscou, la
ouse

position des pays d’Europe orientale est source d’un mé-


Toul

contentement d’autant plus grand qu’elle risque de fra-


giliser le mythe construit en Russie autour de la « Grande
:UT1

Guerre patriotique », de la contribution du peuple so-


viétique à la libération du continent européen du nazis-
x.com

me, si important dans la conscience collective nationale,


mais aussi dans l’argumentaire de Moscou sur l’appar-
larvo

tenance européenne de la Russie (la libération est venue


scho

90
univ.
Quête de puissance et relations internationales

de l’Est, martèlent les officiels russes)… En avril 007,


l’incident autour de l’enlèvement du monument au sol-
dat soviétique en Estonie, qui symbolise la victoire des
Soviétiques sur le nazisme pendant la Seconde Guerre
mondiale, a illustré la force de ce choc des visions his-
toriques ; il correspond à la vision largement répandue
en Europe centrale et orientale et dans les États baltes
que l’URSS n’a pas été un libérateur, mais bien plutôt un

5.1
occupant. À cela, Moscou répond en mettant en avant

.50.4
le rôle des Waffen SS dans plusieurs pays européens.
Ces débats ont amené le président Medvedev à créer,

:193
en mai 009, une commission contre la falsification des

1952
faits et événements historiques destinés à nuire au pres-
tige international de la Russie, une initiative contestée à

8888
l’intérieur du pays comme à l’étranger.
La nouvelle donne européenne préoccupe d’autant
614:
plus la Russie que les nouveaux membres se montrent
1011

très actifs à appuyer le désir de l’Ukraine et de quelques


républiques ex-soviétiques de se rapprocher de l’UE et
:211

de l’OTAN, voire d’y adhérer un jour. D’une part, cela


active le réflexe jaloux de Moscou à l’égard de son étran-
ouse

ger proche ; d’autre part, les Russes voient dans la possi-


Toul

ble entrée des NEI dans l’OTAN et l’Union, ou même


dans l’établissement de liens étroits entre eux, un risque
:UT1

d’épaississement du mur entre la Russie et le reste du


continent. Si l’Union européenne n’est généralement
x.com

pas abordée par les Russes en termes aussi négatifs que


l’OTAN, dont la composante militaire « aggrave le cas »,
larvo

on observe que son image se détériore progressivement


scho

91
univ.
Russie, les chemins de la puissance

dans les sondages – résultante, probablement, d’un dis-


cours officiel russe sur l’UE qui se veut plus acéré. Une
enquête menée par le centre de sondage de l’opinion
publique Levada montre ainsi que si, en mars 2005,
77 % des personnes interrogées appréhendent l’Union
européenne « très bien ou bien dans l’ensemble », ce
n’est plus le cas que de 57 % en mai 200914. Il faut dire
aussi que les dirigeants russes s’expriment sur le « destin

5.1
européen » de la Russie principalement dans les tribu-

.50.4
nes occidentales – considérant sans doute que les Rus-
ses sont surtout sensibles aux arguments sur la spéci-

:193
ficité de leur nation et sur sa capacité à « résister » aux

1952
Occidentaux…
Comme pour pallier son sentiment d’isolement sur

8888
la scène européenne, Moscou insiste fortement sur la
force du lien économique qui l’unit à l’UE. De fait, leurs
614:
échanges n’ont pas cessé de croître depuis l’éclatement
1011

de l’URSS. L’accent placé par les autorités russes sur


l’interdépendance énergétique entre l’Europe et la
:211

Russie, voire sa dramatisation, apparaît presque comme


une façon pour le Kremlin de démontrer que la relation
ouse

russo-européenne, quasi organique, est inévitable et de-


Toul

vrait par conséquent faire l’objet d’un soin plus attentif


de la part des pays européens. Dans ce contexte, la « di-
:UT1

plomatie de l’énergie » russe en direction de l’Europe a


évolué depuis 2000. À cette époque, quand le nouveau
x.com

14 – Lien de cause à effet ? Le « partenariat oriental » de l’UE a été


larvo

lancé le 7 mai 2009.


scho

92
univ.
Quête de puissance et relations internationales

président Poutine faisait de l’approfondissement des


liens avec l’UE une priorité, il avait proposé que le par-
tenariat énergétique serve à créer un lien fort entre les
deux pôles du continent. Aujourd’hui, l’UE s’étant élar-
gie et s’intéressant de trop près, aux yeux de Moscou,
au « voisinage commun », la politique énergétique de la
Russie semble davantage viser à minimiser les risques de
voir émerger une Union trop solidaire politiquement,

5.1
risques que relativise le fait que tous les pays membres

.50.4
de l’UE ne sont pas tous dépendants au même degré de
la Russie pour leurs approvisionnements énergétiques.

:193
La question des relations énergétiques avec Moscou est

1952
en effet l’un des sujets suscitant des profondes divisions
internes à l’UE, état de fait que la Russie cherche à en-

8888
tretenir en « récompensant », par des participations dans
des projets énergétiques (exploitation de gisements, ga-
614:
zoducs…), les pays les plus ouverts à ses visions sur la
1011

situation politique et sécuritaire en Europe – Allemagne


(gazoduc Nord Stream), France (participation à l’exploi-
:211

tation de Shtokman, South Stream), Italie, Grèce…


ouse

Russie-Europe : une relation économique or-


ganique
Toul

L’un des quatre « espaces » de coopération qui


structurent les relations UE-Russie est consacré
:UT1

aux enjeux économiques, et sa finalité est de créer


à terme un marché ouvert et intégré entre les deux
x.com

acteurs. La Commission européenne parle d’une


complémentarité évidente, l’une, l’UE, ayant besoin
larvo

de rehausser ses perspectives de croissance pour le


scho

93
univ.
Russie, les chemins de la puissance

plus long terme, ce en quoi peut l’aider le marché


russe, en expansion, et l’importation d’énergie rus-
se ; l’autre, la Russie, devant développer une écono-
mie de la connaissance afin de valoriser ses points
forts historiques dans le domaine de la science et la
technologie. Les entreprises des pays membres de
l’UE sont les premiers investisseurs dans l’écono-
mie russe (selon la Commission européenne, près
de 75 % des investissements étrangers directs en

5.1
Russie proviennent de membres de l’UE).

.50.4
Entre 2000 et 2006, les exportations de l’UE
vers la Russie ont plus que triplé en valeur (de

:193
22,7 milliards d’euros à 72,4 milliards d’euros), tan-
dis que ses importations de Russie doublaient (de

1952
63,8 à 140,6 milliards d’euros). Mais ces échanges
sont déséquilibrés. La Russie réalise plus de 50 %

8888
de ses échanges commerciaux avec l’UE, mais, troi-
sième partenaire commercial de l’UE derrière les
614:
États-Unis et la Chine, elle ne compte que pour en-
viron 6 % des exportations de l’Union et 10 % de
1011

ses importations. Autre déséquilibre : la première


exporte principalement des matières premières et
:211

des hydrocarbures vers la seconde, dont les expor-


ouse

tations sont composées majoritairement de machi-


nes, équipement de transport, produits manufactu-
Toul

rés, produits alimentaires…


L’énergie compte pour quelque 50 % des ex-
:UT1

portations russes vers l’Europe. Pour l’instant,


l’UE reçoit 63 % des exportations de pétrole russe
x.com

(65 % pour le gaz). La Russie est plus dépendante


des consommateurs européens que ces derniers ne
larvo

le sont d’elle, a plaisanté, en son temps Vladimir


scho

94
univ.
Quête de puissance et relations internationales

Poutine (sommet de Lahti, octobre 2006)… Alors


que la Russie a progressivement restreint, depuis
2000, les investissements étrangers dans son sec-
teur énergétique (allant jusqu’à remettre en cause
les participations de certaines compagnies euro-
péennes), elle demande à pouvoir opérer des inves-
tissements dans le secteur énergétique de différents
pays européens.
Selon certaines prévisions, l’UE pourrait réaliser

5.1
avec la Russie jusqu’à 70 % de ses importations

.50.4
d’énergie à l’horizon 2030 (pour l’instant, la Russie
couvre 30 % des importations de pétrole de l’UE,

:193
soit 27 % de sa consommation ; et 44 % des
importations de gaz, soit 24 % de sa consommation

1952
totale). Cela supposerait une sensible amélioration
du climat politique. La Russie refuse de ratifier la

8888
charte de l’Énergie, qu’elle a signée en 1994, ce qui
rejoint son refus, désormais récurrent, de signer
614:
avec l’UE des documents à la rédaction desquels
elle n’a pas participé. Parmi les points de désaccord
1011

figurent les bas prix que le gouvernement russe


pratique sur le marché national. Un autre facteur de
:211

discorde porte sur les crises d’approvisionnement


ouse

intervenues au cours des dernières années,


notamment avec le gaz transitant par l’Ukraine (en
Toul

particulier janvier 2006 et hiver 2008-2009). S’il


paraît difficile de nier la part de responsabilité de la
:UT1

partie ukrainienne dans ces contentieux, la Russie,


choisissant de couper le gaz, en sort discréditée en
x.com

tant que fournisseur fiable d’énergie pour l’Europe.


Celle-ci recherche péniblement des options pour
larvo

atténuer sa dépendance actuelle et future à l’énergie


scho

95
univ.
Russie, les chemins de la puissance

russe, démarche que les suggestions de représentants


de Gazprom et du gouvernement russe selon
lesquelles la Russie va rediriger ses flux énergétiques
vers l’Asie n’ont fait qu’intensifier. Le risque semble
pour l’heure limité – les clients asiatiques ne sont pas
prêts à payer aussi cher que l’Europe les hydrocarbures
russes et les infrastructures sont à bâtir – même si
à terme Moscou souhaitera sans doute desserrer sa
dépendance à l’égard du marché européen. Parmi ces

5.1
options figurent celles portant sur l’exportation des

.50.4
hydrocarbures de la Caspienne et d’Asie centrale par
des tracés contournant le territoire russe. Le projet-

:193
phare, de ce point de vue, est le Nabucco, qui doit lier
l’Asie centrale, voire l’Iran, à l’Europe via la Turquie ;

1952
il bénéficie du soutien de Washington. La Russie,
quant à elle, s’applique à pérenniser les divergences

8888
d’intérêt énergétique entre les Européens pour
promouvoir des tracés lui permettant de consolider
ses positions comme fournisseur de l’UE mais aussi 614:
de se défaire de sa dépendance à l’égard des pays
1011

de transit jugés problématiques, comme l’Ukraine


(Nord Stream : Russie – Allemagne du nord via la
:211

Baltique ; South Stream : du sud de la Russie vers


ouse

l’Italie et vers l’Autriche).


Toul

Une Europe qui inquiète, agace et déçoit


Dans la seconde moitié de la décennie 2000, la
:UT1

Russie semble davantage considérer l’UE comme une


puissance politique qu’il faut prendre au sérieux. Est-ce
x.com

un point positif ? La Russie, en effet, a davantage


eu tendance, depuis le XXe siècle, à ignorer, mépriser
larvo
scho

96
univ.
Quête de puissance et relations internationales

ou instrumentaliser l’Europe communautaire. Cette in-


flexion peut-elle faciliter les rapports UE-Russie et per-
mettre, progressivement, l’édification d’un réel partena-
riat stratégique, objectif officiel des deux acteurs pour
leur relation ? Le problème est que ce changement de
posture de Moscou semble lié avant tout aux actions de
l’UE dans le voisinage commun, que Moscou observe
avec d’autant plus de méfiance qu’au moment des ré-

5.1
volutions de couleur en Géorgie et en Ukraine, les po-

.50.4
sitions de Bruxelles étaient aux antipodes des siennes.
La politique de voisinage et le partenariat oriental15 sont

:193
interprétés au Kremlin comme des stratégies d’entrisme

1952
destinées à miner ses positions dans son « étranger pro-
che ». Les deux acteurs se sont affrontés sur le conflit

8888
gelé en Transnistrie. Aujourd’hui, leurs positions sont
nettement divergentes sur la Géorgie – Bruxelles refu-
614:
sant de reconnaître l’indépendance de l’Ossétie du Sud
1011

et de l’Abkhazie. C’est qu’il y a une vraie incompatibilité


entre les projets sécuritaires des deux acteurs dans le
:211

voisinage commun : chacun voit dans la projection de


son modèle et de ses normes la meilleure façon d’y as-
ouse

surer la stabilité. Or, l’incompréhension entre Moscou


Toul

5 – La PEV a pour but de renforcer la coopération politique,


:UT1

sécuritaire, économique entre l’Union européenne et ses nouveaux


voisins suite aux élargissements de 2004 et 2007. Le partenariat
x.com

oriental, lancé en 2009, propose un approfondissement des rela-


tions avec six États d’Europe de l’Est – Arménie, Azerbaïdjan, Bié-
lorussie (sous réserve de progrès en matière de démocratisation),
larvo

Géorgie, Moldavie et Ukraine.


scho

97
univ.
Russie, les chemins de la puissance

et l’UE sur le thème des normes et des valeurs n’a pas


cessé de se creuser au cours des dernières années, et
ce de façon encore plus nette après les révolutions de
couleur.
Ainsi, au début du XXIe siècle, la Russie semble trouver
l’Europe trop active et trop déterminée en Eurasie alors
qu’elle regrette, par ailleurs, l’atonie européenne face à
« l’hégémonisme » américain, l’impuissance de l’UE à

5.1
jouer pleinement son rôle dans la mise en place d’un

.50.4
ordre international multipolaire… C’est sans doute en
ce sens que, pour Gleb Pavlovskiï, l’Union européenne

:193
« procrastine sur le plan stratégique », et se laisse diviser par

1952
les États-Unis, avec lesquels certains membres de l’UE
entretiennent « des relations spéciales » créant des « complica-

8888
tions européennes16 ». En fait, la Russie post-soviétique, dans
son projet de puissance, a tenté de confier une fonction
614:
à l’Europe : l’aider à égaliser son rapport stratégique
1011

avec les États-Unis (traditionnellement, ces derniers ont


d’ailleurs tendance à se méfier des risques que pourrait
:211

comporter un rapprochement trop profond entre la


Russie et l’Europe, d’où, par exemple, son soutien aux
ouse

efforts européens en matière de diversification énergé-


Toul

tique). Moscou a espéré un temps réussir à susciter un


:UT1

16 – 13 juillet 2009. Fondateur du quotidien Kommersant, directeur


de la « Fondation pour une politique efficiente », Gleb Pavlovskiï est
x.com

l’un des conseillers en communication les plus en vue du Kremlin.


Il est crédité d’avoir facilité la réélection de B. Eltsine et l’élection
de V. Poutine en 000. Il a conseillé ce dernier au moment de la
larvo

présidentielle ukrainienne de 004.


scho

98
univ.
Quête de puissance et relations internationales

« rassemblement » russo-européen susceptible de consti-


tuer un pôle fort dans la vie internationale, voire rendant
évidente la nécessité de faire sortir les États-Unis du jeu
européen. Or, au-delà de quelques déclarations de sympa-
thie, l’Europe n’a jamais véritablement joué ce jeu russe.

3 – La relation aux États-Unis : syndrome de la


superpuissance déchue et rivalité eurasiatique

5.1
.50.4
La diplomatie russe s’est concentrée, dans les an-
nées 1990 et 2000, sur le rejet d’un ordre international

:193
« injuste » car soumis aux instincts hégémoniques des

1952
États-Unis. En parallèle, l’affirmation de l’OTAN dans
les affaires internationales, en nourrissant l’impression

8888
d’un désir de Washington de modeler les relations in-
ternationales et européennes selon son intérêt propre, 614:
a amené la Russie à chercher à diviser États-Unis et
1011

Européens en mobilisant ces derniers contre les premiers.


:211

Rivalité russo-américaine en Eurasie


ouse

À cet égard, la déception de la Russie a été particuliè-


rement forte pendant les huit années de l’administration
Toul

Bush (2000-2008), quand elle a tenté sans grand succès


« d’enrôler » les Européens contre des initiatives améri-
:UT1

caines jugées contraires à ses intérêts, en particulier l’in-


x.com

tensification de l’arrimage de l’Ukraine et de la Géorgie


à l’espace OTAN et le projet d’installer en Pologne
larvo

et en République tchèque des éléments du bouclier


scho

99
univ.
Russie, les chemins de la puissance

antimissiles américain. Dmitriï Rogozine, représentant


permanent de la Russie à l’OTAN, l’a redit au moment
du conflit en Géorgie : « Les partenaires européens ne doi-
vent pas dissimuler en permanence leur propre opinion. L’Europe
n’est plus aussi soumise qu’il y a quelques années, à l’époque de la
“Guerre Froide”. S’ils ne veulent pas de nouvelle “Guerre Froi-
de”, ils se doivent d’exprimer leur opinion comme le font à présent
des leaders européens importants17. » Mais, choisissant la carte

5.1
de l’intimidation (intensification de la pression énergé-

.50.4
tique, mise en cause envisagée du traité sur les Forces
nucléaires intermédiaires (FNI), menace de pointer des

:193
missiles sur Prague et Varsovie, d’installer des missiles

1952
dans l’enclave de Kaliningrad, moratoire sur la mise en
œuvre du traité sur les forces conventionnelles en Eu-

8888
rope (FCE)…), Moscou n’a obtenu que des réponses
très timides de l’UE, qui se contente d’indiquer que ces
614:
affaires sont du ressort de l’OTAN.
1011

Pour les Russes, la période Bush a vu l’expression


sans limite de la stratégie américaine de roll back (refou-
:211

lement) et de containment (endiguement) pratiquée contre


la Russie par les différentes administrations qui se sont
ouse

succédé à Washington depuis la fin de la Guerre froide.


Toul

Cette grille de lecture a été appliquée aussi bien pour


l’élargissement de l’OTAN, son intervention pour régler
:UT1

le problème du Kosovo (puis le processus qui a conduit


en 2008 à l’indépendance de ce territoire) que pour
x.com

17 – « OTAN : les partenaires européens doivent exprimer ex-


plicitement leur propre opinion sur la Russie (Rogozine) », RIA
larvo

Novosti, 19 août 2008.


scho

100
univ.
Quête de puissance et relations internationales

l’engagement américain en faveur de voies d’évacuation


des hydrocarbures de la zone Caspienne – Asie centrale
contournant le territoire de la Russie. Les Russes sont
particulièrement vigilants quant à l’attrait qu’exercent,
aux États-Unis, les thèses géopolitiques selon lesquelles
la puissance qui contrôle l’Eurasie contrôle les destinées
du monde. Une vision qui fait sensiblement écho aux
visions géostratégiques de la Russie, pour laquelle sa ca-

5.1
pacité à dominer, politiquement, économiquement ou

.50.4
militairement la grande plaque eurasiatique condition-
ne sa puissance… Du coup, les initiatives américaines

:193
en Europe et en Eurasie (Europe centrale et orientale,

1952
Balkans, CEI…) sont systématiquement interprétées, à
Moscou, comme autant de mesures destinées à préve-

8888
nir la réémergence de la Russie comme grande puis-
sance. Fait intéressant, les Russes ne reprennent guère,
614:
au contraire, les analyses nombreuses, ailleurs, sur le
1011

désengagement progressif des États-Unis de l’Europe


au profit de l’Asie et du Moyen-Orient. La présence
:211

américaine en Europe et en Eurasie, vue comme visant


à l’amenuisement des positions de la Russie dans son
ouse

champ de rayonnement traditionnel, est perçue comme


Toul

illégitime. Moscou l’a à nouveau signifié au moment de


la « guerre des cinq jours » en Géorgie, en laissant la
:UT1

porte entrouverte pour les Européens, acceptant qu’ils


jouent le principal rôle dans la médiation pour le rè-
x.com

glement de cette crise tandis qu’elle fermait le dialogue


avec les États-Unis, dont elle a dénoncé la responsabi-
larvo

lité dans le déclenchement des hostilités. Est également


scho

101
univ.
Russie, les chemins de la puissance

insupportable, vu de Moscou, le souci traditionnel de


Washington de contribuer à relativiser la dépendance
énergétique des Européens à l’égard de la Russie, dont
les États-Unis jugent qu’elle est nuisible à la cohésion
politique de l’OTAN.
Un politologue russe estime, en substance, que l’ad-
ministration Obama, dont rien ne garantit qu’elle ne
cédera pas aux accents messianiques traditionnels de la

5.1
diplomatie américaine, ne mettra pas fin à la tension

.50.4
récurrente entre les deux États sur les enjeux eurasia-
tiques : « l’Amérique […] n’est prête à aucun compromis sur

:193
les affaires de CEI et de sécurité européenne », soit les deux

1952
questions essentielles dans la politique de sécurité et de
puissance russe18. Sergeï Markov, un des conseillers po-

8888
litiques du Kremlin, commentant le discours d’Obama
au MGIMO en juillet 2009, a regretté que le nouveau
614:
président américain n’ait pas répondu à la question de
1011

savoir pourquoi l’antiaméricanisme est répandu dans le


monde ; et de préciser qu’en Russie, « il existe du fait des
:211

politiques agressives des Américains dans l’espace post-soviétique


[…]. Les États-Unis sont convaincus que l’influence de la Russie
ouse

devrait être limitée à ce qui se passe à l’intérieur de ses frontières.


Toul

Qu’elle ne devrait pas être entourée d’États amis mais de régi-


mes hostiles […], contrôlés par Washington19 ». Beaucoup de
:UT1

commentateurs russes ont dénoncé la teneur des propos


tenus, quelques jours après la visite moscovite d’Obama,
x.com

18 – Dmitriï SOUSLOV, du SVOP, Russia Profile, 15 juillet 2009.


larvo

19 – Reuters, 7 juillet 2009.


scho

102
univ.
Quête de puissance et relations internationales

de son vice-président Joseph Biden à Kiev et Tbilissi.


Ce dernier, le 23 juillet, a tranquillisé le Parlement géor-
gien sur le fait que le « redémarrage20 » dans les rela-
tions avec Moscou ne se ferait pas au détriment de la
Géorgie : « Nous nous en tenons au principe que les démocraties
souveraines ont le droit de prendre leurs propres décisions, et de
choisir leurs propres partenariats et leurs propres alliances. Nous
sommes contre la conception du XIXe siècle sur les sphères d’in-

5.1
fluence. Elle n’a pas sa place au XXIe siècle […]. Nous compre-

.50.4
nons que la Géorgie aspire à rejoindre l’OTAN. Nous soutenons
pleinement cette aspiration. »

:193
La nostalgie de l’ordre bipolaire

1952
La sensibilité de Moscou à la politique américaine

8888
est amplifiée par sa forte nostalgie du statut prestigieux
dont elle bénéficiait du temps de la Guerre froide. Pour 614:
une Russie motivée par des instincts messianiques et
1011

qui s’est de tout temps mesurée aux grandes puissances


du moment, comme pour signifier sa propre grandeur,
:211

cette ère a constitué un épisode particulièrement gra-


tifiant. De ce point de vue, la Guerre froide est une
ouse

sorte de moment de grâce – la Russie est la seconde


Toul

superpuissance, en situation de parité stratégique avec


les États-Unis dès les années 1960 ; elle est un des deux
:UT1

pôles autour desquels le monde est organisé ; elle est le


x.com

20 – En référence à la volonté de l’administration américaine d’en-


gager un « redémarrage » (reset) dans les relations russo-américaines
que le même Biden avait déclarée, lors de son discours à l’occasion
larvo

de la 45 e conférence de sécurité à Munich, en février 2009.


scho

103
univ.
Russie, les chemins de la puissance

dépositaire d’un des modèles idéologiques auxquels tous


les pays du monde peuvent se référer. Et au milieu des
années 1970, de nombreux États se sont effectivement
tournés vers l’URSS, bien au-delà du champ tradition-
nel de rayonnement de Moscou – Asie, Amérique la-
tine, Moyen-Orient, Afrique… L’effondrement du
bloc de l’Est et de l’attrait de son système idéologique
constitue un choc pour Moscou, mais elle n’a pas dit

5.1
son dernier mot. Au plan du discours, les Russes ne ces-

.50.4
sent de mettre l’accent sur la « responsabilité commune
pour les destinées du monde » partagée entre Moscou

:193
et Washington, en tant que principales puissances nu-

1952
cléaires, pour reprendre les termes de Sergeï Lavrov de-
vant les étudiants du MGIMO le 1er septembre 2009.

8888
C’est l’une des raisons pour lesquelles la Russie reste
attachée à l’architecture bilatérale d’accords de désar-
614:
mement stratégique – outre qu’elle lui permet en théo-
1011

rie de garder un œil sur l’état de la doctrine et des arme-


ments nucléaires américains, elle renvoie l’image d’une
:211

équivalence politique Moscou-Washington. La quête


(déçue) d’un partenariat stratégique avec Washington
ouse

correspond, en fait, pour la Russie, à la recherche d’une


Toul

validation de fait de la persistance de son importance


dans la vie mondiale.
:UT1

À deux reprises, estime Moscou, Washington a re-


fusé cette offre de partenariat stratégique – dans les
x.com

années 1990, au début des années 2000 après les atten-


tats du 11 septembre 2001. L’administration Clinton
larvo

souhaitait faciliter la transition politique et économique


scho

104
univ.
Quête de puissance et relations internationales

en Russie, ne serait-ce que pour prévenir de sa part un


éventuel regain militariste et impérialiste. Mais il n’a ja-
mais été question pour les responsables américains, hier
et aujourd’hui, de reconnaître la Russie comme par-
tenaire de rang équivalent – le décalage de puissance
patent (économique, diplomatique, militaire) entre les
deux États ne l’impose nullement – un décalage que
beaucoup d’Américains sont d’ailleurs explicitement

5.1
désireux de pérenniser. Par ailleurs, dans l’après-Guerre

.50.4
froide, la puissance américaine est soucieuse de réduire
le plus possible les contraintes à son action internatio-

:193
nale. Les États-Unis contournent le Conseil de sécurité

1952
de l’ONU (Kosovo, Irak…), ils souhaitent développer
un bouclier antimissile pour faire face aux nouvelles

8888
menaces de prolifération, quitte à abandonner le trai-
té ABM de 1972, « pierre angulaire », pour le Kremlin,
614:
de l’équilibre stratégique bilatéral. Moscou vit les deux
1011

phénomènes comme niant sa puissance. Son droit de


veto au Conseil de sécurité, élément juridique de puis-
:211

sance, représente l’un de ses rares outils lui permettant


de contrer les puissances occidentales (cf. chapitre III).
ouse

Le traité ABM, finalement dénoncé par l’administration


Toul

Bush en décembre 2001, maintenait l’équilibre de la dis-


suasion entre les deux puissances, en limitant pour cha-
:UT1

cune le nombre de systèmes antimissiles susceptibles


d’intercepter les missiles nucléaires de l’autre. Il rassu-
x.com

rait ainsi la Russie, fragilisée dans ses instruments mi-


litaires (cf. chapitre III), en sanctuarisant théoriquement
larvo

son territoire contre toute attaque des États-Unis.


scho

105
univ.
Russie, les chemins de la puissance

La nouvelle approche du Kremlin en politique


étrangère est que comme grand pays, la Russie
n’a pas d’amis… ; qu’aucune grande puissance ne
veut d’une Russie forte, qui serait un concurrent
formidable, et que beaucoup veulent une Russie
faible qu’ils pourraient exploiter et manipuler. En
conséquence, la Russie a un choix entre accepter
la soumission et réaffirmer son statut de grande
puissance, revendiquant ainsi sa juste place dans

5.1
le monde aux côtés des États-Unis et de la Chine

.50.4
plutôt que de se contenter de la compagnie du Bré-
sil et de l’Inde. Les États-Unis et l’Europe peuvent

:193
protester contre ce changement dans la politique
étrangère russe, cela ne changera absolument rien.

1952
Dmitri Trenin, « Russia Leaves the West », p. 87-88

8888
La seconde tentative ratée (tel est le bilan que tire
Moscou du retrait américain du traité ABM, de la guerre en 614:
Irak, des révolutions de couleur, du « forcing » américain
1011

sur Nabucco, de l’indépendance du Kosovo, du soutien


politique et militaire des États-Unis à Kiev et Tbilissi…) a
:211

fait office de leçon – il n’y aura pas de troisième « fenêtre


ouse

d’opportunité ». Au plan symbolique, on a vu les officiels


russes se satisfaire ouvertement de la fin prochaine
Toul

de la domination de la puissance américaine, prise au


piège, selon eux, de l’excès de ses ambitions. Tel a été
:UT1

le discours récurrent autour de l’enlisement de l’OTAN


en Afghanistan, des difficultés américaines en Irak mais
x.com

aussi de la crise des subprimes… En outre, la Russie se


montre beaucoup plus sceptique que l’ensemble de la
larvo
scho

106
univ.
Quête de puissance et relations internationales

communauté internationale sur « l’effet Obama », et ne


répond qu’avec grande prudence à sa volonté d’ouverture.
Le président Medvedev a accueilli l’élection de son
nouvel homologue américain en menaçant d’installer
des missiles Iskander dans l’enclave de Kaliningrad si
Washington maintenait ses projets antimissiles en Pologne
et en République tchèque21. Les responsables russes,
avec d’ailleurs les dirigeants d’autres pays, ont dénoncé

5.1
la responsabilité américaine dans le déclenchement de

.50.4
la crise financière et économique globale. Les propos
de Joseph Biden, tenus à l’occasion de son voyage en

:193
Géorgie et en Ukraine en juillet 009, sur la marge de

1952
manœuvre offerte à l’Occident par les faiblesses de la
Russie conforteront cette ligne de fermeté de Moscou,

8888
déterminée à protéger, cette fois-ci, ses « lignes rouges »
– intégration des pays de la CEI dans l’OTAN, systèmes
614:
antimissiles en Europe, ingérences étrangères dans sa vie
1011

politique intérieure… Les déclarations du vice-président


américain ont d’ailleurs suscité des réponses cassantes du
:211

Kremlin, se demandant qui, au sein de l’administration


Obama, fait la « politique russe » de Washington…
ouse

Tout semble indiquer que les Russes, convaincus de ce


Toul

qu’Obama va échouer en Asie centrale et au Proche et


Moyen-Orient, sont déjà tournés vers le prochain cycle
:UT1

électoral américain, dont ils pensent qu’il sera moins


favorable aux intérêts russes.
x.com

21 – Ce plan a été suspendu par l’administration Obama à


larvo

l’automne 2009.
scho

107
univ.
Russie, les chemins de la puissance

Ils ont une population qui se rétrécit, ils ont une


économie qui dépérit, ils ont un secteur et une struc-
ture bancaires qui ne vont probablement pas pouvoir
tenir pendant les quinze prochaines années, ils sont
dans une situation où le monde change devant eux et
ils s’accrochent à quelque chose du passé qui n’est pas
tenable […]. Je pense que nous sous-estimons large-
ment l’atout dont nous disposons […]. Il n’est jamais
malin d’embarrasser un individu ou un pays lorsque

5.1
ceux-ci sont en train de perdre sérieusement la face

.50.4
[…]. C’est très difficile de gérer la perte d’empire.
Joseph Biden, extraits d’un entretien avec le Wall

:193
Street Journal, 23 juillet 2009
Cette déclaration de Biden […] risque sinon

1952
d’interrompre, du moins de ralentir la normalisation
des relations russo-américaines […] c’est la première

8888
fois que [de telles évaluations] sont exprimées par
un haut responsable de l’administration américaine, 614:
celui-là même qui a appelé au « redémarrage »
1011

des relations avec Moscou […]. La question reste


ouverte – Biden donnait-il sa position personnelle
:211

et le faisait-il de sa propre initiative, ou bien le vice-


président agissait-il sur instruction d’Obama ? La
ouse

vision du professeur Alekseï Bogatourov22 semble


convaincante […]. « Dans l’administration [Bush],
Toul

il y avait un vice-président énergique et agressif,


Richard Cheney, dont tout le monde pensait qu’il
:UT1

était le leader en coulisse, fait remarquer l’expert


[…]. Il était facile pour Biden de se situer dans ce
x.com

rôle puisque l’opinion publique et les députés se sont


larvo

22 – Du MGIMO, l’Institut d’État de Moscou des relations inter-


nationales, qui forme les diplomates russes.
scho

108
univ.
Quête de puissance et relations internationales

habitués à ce qu’il en soit ainsi. » Du coup, Biden


se conduit comme si la politique étrangère relevait
de sa sphère de compétence exclusive, privilégiée
ou supplémentaire, ce qui en fait ne correspond
pas à la Constitution […]. Mais les propos de
Biden auront inévitablement des conséquences en
politique étrangère. En tout cas, on peut supposer
qu’ils ne renforceront pas, à Moscou, la confiance
en Washington. Or, il en faudra pour résoudre les

5.1
questions du jour – désarmement, problème des

.50.4
programmes nucléaires iranien et nord-coréen.
« Biden se glisse dans le rôle de l’éminence

:193
grise », Nezavisimaïa Gazeta, 27 juillet 2009
En cherchant par tous les moyens à peser sur les

1952
choix diplomatiques américains, la Russie tente confu-

8888
sément de recréer l’illusion d’une relation particulière
avec la première puissance mondiale, qu’elle voudrait
déterminante pour les équilibres internationaux – sem- 614:
blant presque considérer que résister à l’hyperpuissance
1011

américaine, lui dire non, est en soi un signe extérieur


:211

de puissance. À cet égard, la cicatrisation est d’autant


plus difficile à réaliser qu’à Washington aussi, une partie
ouse

des élites politiques et intellectuelles peine à dépasser


le bagage de perceptions mutuelles négatives hérité de
Toul

la Guerre froide. L’absence d’échanges économiques


:UT1

substantiels ne permet pas de stabiliser le rapport russo-


américain, comme c’est le cas dans la relation UE-
x.com

Russie. Sans doute les deux pays ont-ils d’autant plus


de mal à s’entendre qu’ils penchent pour le même type
larvo

d’options et qu’aucun des deux ne rejette le rapport de


scho

109
univ.
Russie, les chemins de la puissance

force : comme le fait remarquer le chercheur bulgare


Ivan Krastev, « La Russie croit en la puissance, en l’unilaté-
ralisme, et en la poursuite sans contrainte de l’intérêt national »
et en ce sens, « les instincts de la politique étrangère de la Russie
sont plus «américains» qu’européens » (p. 6, cf. bibliographie).
Pour toutes ces raisons, Moscou n’a de cesse de rela-
tiviser la puissance américaine, qu’elle appréhende com-
me gênante pour sa sécurité, ses intérêts et sa stature

5.1
internationale. Consciente de son incapacité à réaliser

.50.4
seule cet objectif, elle cherche à amplifier son pouvoir
d’influence en s’appuyant sur de nouveaux et d’anciens

:193
amis en Orient pour obliger les États-Unis à prendre en

1952
compte ses intérêts.

8888
4 – Incertitudes orientales
614:
Si les élites russes se réfèrent fréquemment au statut
1011

« spécial » et « global » que leur pays retire de son empla-


cement entre Europe et Asie, ce dernier axe a toujours
:211

fait l’objet d’un intérêt moindre dans l’effort diploma-


ouse

tique russe que la dimension européenne/occidentale.


Pourtant, la Russie aime à dire qu’elle souhaite prendre
Toul

en Asie la place que la géographie lui a donnée : deux


tiers de son territoire sont en Asie ; sa côte Pacifique
:UT1

est plus longue que celle des autres pays de la région à


l’exception de l’Indonésie ; et elle a des frontières com-
x.com

munes, terrestres ou maritimes, avec la Chine, le Japon,


la Corée du Nord et la Mongolie.
larvo
scho

110
univ.
Quête de puissance et relations internationales

Asie versus Occident ?


Quand, au début des années 990, la Russie pensait
justifier son statut de grande puissance par son entrée
dans le club des grandes puissances occidentales indus-
trialisées, elle a pourtant largement négligé la dimension
orientale de sa politique extérieure, à l’exception, nota-
ble, de la relation avec la Chine. Lorsque, dès le milieu de
la même décennie, Moscou s’est estimée déçue dans son

5.1
attente de « partenariat stratégique » avec l’Occident, elle

.50.4
a consacré de nouveau davantage d’énergie à ses parte-
nariats asiatiques et orientaux, sous l’égide d’Evgueniï

:193
Primakov, remplaçant Andreï Kozyrev à la tête du mi-

1952
nistère des Affaires étrangères à partir de 1996. Dans
ce cadre, elle reste toutefois très motivée par son souci

8888
« d’atteindre » l’Occident – le Kremlin cherchant à s’ap-
puyer sur des alliances avec d’autres acteurs désireux, 614:
comme la Russie, d’éviter que le monde devienne « uni-
1011

polaire » et soit dominé par le système de valeurs oc-


cidental. Cette démarche semble plus structurée dans
:211

le cas des pays asiatiques qu’en Amérique latine ou au


ouse

Proche et Moyen-Orient. De fait, les « appuis » les plus


utiles se trouvent en Asie – c’est là que sont certains des
Toul

grands « émergents » dont la vitalité fait s’interroger les


experts sur la « fin » possible de l’Occident.
:UT1

Attachement à la diplomatie multilatérale, défense


de la diversité des cultures et des civilisations, dialo-
x.com

gue entre les civilisations et entre les religions, démo-


cratisation des relations internationales, aspiration
larvo
scho

111
univ.
Russie, les chemins de la puissance

à un ordre mondial multipolaire fondé sur l’égalité des


nations, grandes et petites, sur le respect de la souverai-
neté et de l’intégrité territoriale des pays, sur le droit in-
ternational et le respect mutuel, rejet des ingérences dans
les affaires intérieures… Ces termes récurrents dans le
discours diplomatique russe figurent dans bon nombre
de déclarations conjointes entre la Russie et ses partenai-
res asiatiques – que ce soit dans le cadre bilatéral des

5.1
« partenariats stratégiques » avec l’Inde et la Chine, dans

.50.4
celui de la « troïka » Inde-Chine-Russie, imaginé par
Evgueniï Primakov en 996 et remis au goût du jour par

:193
Vladimir Poutine23, ou encore de l’Organisation de coo-

1952
pération de Shanghai. Cette dernière, qui impressionne
aussi les analystes occidentaux du fait de l’identité de ses

8888
membres observateurs (Inde, Pakistan, Iran, Mongolie), ne
se contente pas de déclarations – elle a tout de même de
614:
facto obtenu de l’Ouzbékistan qu’il exige des États-Unis
1011

qu’ils quittent la base de Karshi-Khanabad, en 2005. La


Russie est par ailleurs sans doute le pays du « BRIC » (Bré-
:211

sil-Russie-Inde-Chine24) qui mobilise le plus activement le


ouse

23 – Celui-ci lui donne même un peu plus de surface politique en instituant


la pratique des rencontres trilatérales annuelles. Les trois pays partagent des
Toul

visions communes sur le rejet d’un ordre international donnant la part la plus
belle aux puissances industrialisées occidentales, sur l’intégrité territoriale, la
:UT1

non-ingérence, le terrorisme… Les trois parties ont envisagé la possibilité de


coordonner leurs positions au sein de l’OMC si la Russie finissait par y entrer.
24 – C’est la banque Goldman Sachs qui la première, en 2003, a mis en
x.com

avant les possibilités de ce groupe, dont les membres bénéficient alors des
plus dynamiques taux de croissance du PIB et de réserves financières subs-
larvo

tantielles, et dont on pense qu’ils pourraient compter, en 2025, pour 40 %


de la croissance mondiale.
scho

112
univ.
Quête de puissance et relations internationales

leitmotiv qui veut que ces émergents doivent retirer de


leur force de frappe économique une influence politique
accrue. La crise économique globale, loin de l’en détour-
ner, amène la Russie à mettre encore plus en avant les
atouts du BRIC. En juin 009, la ville d’Ekaterinbourg
accueillait le premier sommet formel du BRIC. Cette
configuration sied en effet assez bien à son souci de dé-
montrer que la prédominance de l’Occident dans la vie

5.1
mondiale a fait son temps. Un dialogue particulier s’im-

.50.4
pose, dit le directeur du Département de planification
au ministère des Affaires étrangères, entre ces pays qui

:193
sont « les centres de croissance économique et d’influence politique

1952
les plus importants, qui ont des intérêts globaux et un poten-
tiel d’intégration significatif dans leur région », ce qui s’inscrit

8888
dans le processus de formation d’un « système internatio-
nal polycentrique » et appelle à la création de « nouveaux
614:
mécanismes de diplomatie de réseau et de leadership collectif des
1011

grands États du monde ». Le premier vice-Premier minis-


tre russe Igor Chouvalov a regretté, au nom du BRIC,
:211

que les marchés de l’alimentation japonais, américains


et européens demeurent pratiquement fermés aux pro-
ouse

duits des quatre pays25.


Toul

[…] Ainsi, le PIB commun de l’Inde et de la


Chine en parité de pouvoir d’achat dépasse déjà
:UT1

celui des États-Unis. Le PIB des États du groupe


BRIC – Brésil, Russie, Inde et Chine – évalué selon
x.com
larvo

5 – « VTO zajimaet BRIK » [L’OMC étouffe le BRIC], Interfax,


1er septembre 2009.
scho

113
univ.
Russie, les chemins de la puissance

le même principe dépasse le PIB de l’Union euro-


péenne tout entière. Selon les experts, ce fossé va
s’élargir dans un avenir prévisible. Il ne fait pas de
doute que le potentiel économique des nouveaux
centres de la croissance mondiale sera inévitable-
ment converti en influence politique, et la multipo-
larité se renforcera.
Vladimir Poutine, Conférence de Munich sur
la sécurité, 10 février 2007

5.1
Comme cela a été souligné, un autre thème mobi-

.50.4
lisé avec plus ou moins de conviction par la Russie est

:193
celui du possible desserrement des liens énergétiques
avec l’Europe au profit des clients asiatiques. La « Stra-

1952
tégie de l’énergie » adoptée par la Russie en 2003 (ho-
rizon 2020) prévoit une augmentation des exportations

8888
de pétrole vers l’Asie Pacifique de 3 % à 30 % (de 0 %
à 25 % pour le gaz). Le projet, pour l’instant en sus- 614:
pens, portant sur l’établissement de deux gazoducs de
1011

la Russie vers la Chine a été interprété comme partici-


pant d’une stratégie de pression sur une Europe avec
:211

laquelle les relations ne sont pas au beau fixe. À ce jour,


ouse

la Russie n’est pas allée loin dans cette démarche de di-


versification. Il reste plus rentable pour elle de vendre
Toul

à l’Europe, la mise en chantier de nouveaux tubes est


onéreuse, posant le problème du partage des coûts. En
:UT1

2009, elle réalise toujours la quasi-intégralité de ses ex-


x.com

portations de gaz avec « l’Ouest » (UE plus Turquie et


Balkans) ; pour le pétrole, les clients sont aussi, princi-
larvo

palement, les Européens et les pays de la CEI.


scho

114
univ.
Quête de puissance et relations internationales

Le poids de l’Asie dans l’économie globalisée : un


motif d’intérêt supplémentaire pour la Russie
L’accent que la Russie place sur la dimension « mul-
tipolarité » et « contrepoids à l’Occident » est si vigou-
reux qu’il brouille l’analyse que l’on peut faire du ca-
ractère plus actif de sa politique asiatique, qui relève
pourtant aussi d’enjeux distincts du rapport complexe
de Moscou à l’Occident. Le mouvement de la Russie

5.1
vers les pays asiatiques découle en effet aussi, en partie,

.50.4
du constat d’un déplacement du centre de gravité de la
vie économique mondiale vers l’Asie. Vladimir Poutine

:193
explique en tout cas que « la région Asie Pacifique est l’un

1952
des leaders du développement économique. C’est très naturellement
que la Russie aspire à développer ses relations avec nos voisins à

8888
l’est. Cela correspond aussi directement à notre aspiration à déve-
lopper la côte orientale de l’Extrême-Orient russe26. » 614:
D’ailleurs, Vladimir Poutine n’a pas attendu la
1011

guerre d’Irak et les révolutions de couleur pour


multiplier, dès le tout début des années 2000, les
:211

visites en Asie (Chine, Corées, Inde, Japon) en même


ouse

temps qu’il travaillait à remettre sur pied le partenariat


avec l’Occident après la « première » crise du Kosovo.
Toul

En juin 2003, la Russie paraphait à Pnom-Penh une


déclaration conjointe Russie-ASEAN (l’Association
:UT1

des Nations de l’Asie du Sud-Est, dont Moscou est


x.com
larvo

26 – Vladivostok Times, 14 mai 2009.


scho

115
univ.
Russie, les chemins de la puissance

« partenaire de dialogue27 ») de partenariat en matière de


paix et de sécurité, de prospérité et de développement en
Asie Pacifique. L’année suivante, elle adhérait au Traité de
Bali sur la paix et la coopération en Asie du Sud-Est.
La Russie s’est toujours perçue comme un pays
eurasiatique. Nous n’avons jamais oublié que l’es-
sentiel du territoire russe se trouve en Asie. Certes,
il faut reconnaître que nous n’avons pas toujours

5.1
exploité cet avantage. Je pense qu’il est temps pour

.50.4
nous et pour les pays de la région Asie Pacifique
de passer de la parole aux actes, et d’intensifier nos

:193
relations économiques, politiques et autres.
Vladimir Poutine, 9 novembre 2000 (article pour

1952
les médias des pays de la région Asie Pacifique)

8888
La Russie serait sans doute plus à l’aise dans sa
géopolitique si elle se sentait plus présente en Asie, ce
614:
que conditionne, notamment, sa capacité à développer
1011

ses territoires extrême-orientaux… Elle s’en sentirait


sans doute moins fragile dans son assise territoriale. Mais
:211

elle reste perçue, à l’échelle régionale, comme un acteur


dont les intentions politiques sont instables. Au-delà de
ouse

la Chine, la Russie n’a pas rencontré grand succès dans


Toul

son effort pour accroître sa présence en Asie orientale


et Pacifique. Dans le contexte de l’effort diplomatique
:UT1

27 – Depuis 1993, la Russie est membre du Forum régional ASEAN sur la


x.com

sécurité. Le premier sommet ASEAN-Russie s’est tenu en 2005. En 2009,


le président Medvedev a nommé un représentant auprès de l’ASEAN. La
larvo

Russie est aussi membre de l’APEC (Asia Pacific Economic Cooperation) ; elle
doit accueillir le sommet de ce forum en 0, à Vladivostok.
scho

116
univ.
Quête de puissance et relations internationales

multilatéral sur le problème nucléaire nord-coréen


(auquel elle s’est raccrochée en 2003), Moscou ne joue
qu’un rôle mineur. Elle n’a pas pu freiner le mouvement
de rapprochement entre l’Inde et les États-Unis. Elle
n’a pas résolu son problème territorial avec le Japon
(voir encadré), même si la relation économique bilatérale
progresse.
Kouriles : la paix impossible ?

5.1
Le contentieux des îles Kouriles (Shikotan,

.50.4
Itouroup, Kounachir, Habomai – noms en russe),
rattachées à l’Union soviétique à l’issue du second

:193
conflit mondial, continue de gêner le dialogue bi-
latéral. En 956, Moscou et Tokyo ont signé une

1952
déclaration mettant fin à l’état de guerre entre les

8888
deux pays, et dans laquelle l’URSS disait envisager
la possibilité d’abandonner les deux plus petites îles
en échange de la signature d’un traité de paix. 614:
Vladimir Poutine a tenté de débloquer la situation,
1011

en proposant un partenariat énergétique au Japon


(notamment dans le pétrole), et en donnant le
:211

sentiment qu’un compromis serait possible – cession


de deux îles contre signature d’un traité de paix et
ouse

mesures économiques. Le compromis frontalier


finalement trouvé en 004 avec la Chine, par lequel
Toul

la Russie a accepté le partage entre les deux pays des


îles Bolchoï et Bolchoï Oussouriïskiï, ainsi que la
:UT1

cession de l’île Tarabarov, avait même laissé penser


à certains que cela pouvait augurer d’une solution
x.com

pour le problème des Kouriles. Mais en 2009,


les deux parties restent dans l’impasse. Le Japon
larvo

insiste sur la restitution des quatre îles – position


scho

117
univ.
Russie, les chemins de la puissance

réaffirmée en juin 009 par le Parlement, appelant


le gouvernement japonais, par des amendements
à la loi sur les « Territoires du Nord », à déployer
tous les efforts possibles pour obtenir la restitution
de ces territoires au Japon. En réponse, le Conseil
de la Fédération de Russie a proposé d’examiner
la possibilité d’un moratoire sur les échanges sans
visas entre le Japon et les Kouriles. Des responsa-
bles politiques locaux, à Vladivostok, ont dénoncé

5.1
cette tentative du Japon de revenir sur le bilan de

.50.4
la Seconde Guerre mondiale. Moscou est d’autant
plus sensible aux initiatives de Tokyo en la matière

:193
qu’elle se sent directement « concernée » par le ren-
forcement de l’alliance de sécurité nippo-américaine

1952
intervenu au cours des dernières années.
Si l’enjeu semble ne plus bloquer les relations éco-

8888
nomiques et commerciales autant que par le passé (les
échanges commerciaux augmentent, et les deux pays
ont signé en mai 2009 un accord majeur de coopé- 614:
ration nucléaire, visant les marchés intérieurs et ceux
1011

de pays tiers), il reste un écueil dans l’épanouissement


éventuel des relations russo-nippones, que Moscou
:211

jugerait pourtant fort utile face au « poids lourd »


ouse

chinois.
Toul

La Chine, défi à la puissance russe


Le souci commun de contrebalancer la puissance
:UT1

américaine a constitué un facteur clef de la consolida-


x.com

tion rapide du « partenariat stratégique » proclamé par


Moscou et Pékin en 996. Celui-ci s’est d’ailleurs accé-
larvo

léré après les révolutions de couleur, dont les deux pays


scho

118
univ.
Quête de puissance et relations internationales

craignent dans une même mesure la contagion à l’Asie


centrale et à leur propre territoire. En 2005, la Chine et
la Russie tenaient pour la première fois des exercices
militaires conjoints dont l’envergure semblait constituer
un signal aux États-Unis et à Taïwan. Cette relation est
sous-tendue par d’importantes ventes d’armes de 1991
à 200428, et par des échanges commerciaux en constante
progression. La coopération bilatérale pour la stabilité

5.1
de l’Asie centrale, dont il a déjà été question, témoigne

.50.4
aussi, a priori, d’un certain degré de confiance entre les
deux acteurs.

:193
Toutefois, la Chine est, en même temps que le

1952
complice le plus utile, sans doute, dans l’entreprise de
tenir tête aux États-Unis, l’acteur le plus susceptible

8888
d’amenuiser la puissance de la Russie à l’échelle régionale
et globale, voire sa sécurité, à plus ou moins brève
614:
échéance. Moscou l’a d’ailleurs bien perçu. Ainsi, en
1011

engageant dès les premiers temps de son indépendance


des négociations avec la Chine sur les frontières et en
:211

acceptant de « lâcher » quelques territoires, en signant


avec elle des accords de démilitarisation de la frontière,
ouse

en lui proposant un Traité de paix pour vingt ans (signé


Toul

en juillet 2001), la Russie montre qu’elle veut se libérer


d’un problème de sécurité potentiel en créant avec la
:UT1

RPC des relations de bon voisinage durables. Car,


contrairement à ce qui se passe avec l’Inde, avec laquelle
x.com

28 – Sur cette période, la Russie était le principal fournisseur d’ar-


mes de l’armée chinoise (85 % des importations chinoises d’arme-
larvo

ment, près de 70 % des exportations d’armement russes).


scho

119
univ.
Russie, les chemins de la puissance

les relations ont toujours été stables, la vision russe de


la Chine n’est pas dénuée d’inquiétude stratégique. Il n’a
d’ailleurs pas échappé à Pékin que la Russie a engagé
avec New Delhi des coopérations militaro-industrielles
d’un niveau qualitativement supérieur à celles qu’elle
mène avec la Chine, ce qui est l’un des facteurs du
tassement des exportations d’armes russes à l’armée
chinoise depuis le milieu des années 2000.

5.1
Deux enjeux alimentent la vision d’une Chine ro-

.50.4
gnant sur le statut de puissance et la sécurité nationale
russes : la présence chinoise, humaine et commerciale,

:193
dans l’Extrême-Orient russe ; la rivalité en Asie centrale.

1952
Pour l’instant acceptée par Moscou du fait du dépeu-
plement et du manque de main-d’œuvre qui pèsent sur

8888
les territoires russes de l’Extrême-Orient, la présence
chinoise dans la région l’inquiète néanmoins pour le
614:
plus long terme. D’une part, le décalage démographi-
1011

que entre les deux côtés de la frontière sino-russe est


tel que, pensent de nombreux experts et décideurs, il
:211

provoquera un jour un appel d’air conduisant à une co-


lonisation plus ou moins brutale de cette partie de la
ouse

Fédération de Russie (le rapport est de 1 à 20, avec 6 à


Toul

7 millions d’habitants côté russe, plus de 130 millions


côté chinois). Nulle part autant que dans cette région
:UT1

la Russie ne ressent avec autant d’acuité le risque de ne


pas être capable de « tenir » son territoire. La crainte
x.com

est d’autant plus vive que certains officiels chinois affir-


ment que leur pays devrait tenter de récupérer les terres
larvo

perdues aux termes des traités inégaux du XIXe siècle.


scho

120
univ.
Quête de puissance et relations internationales

Par ailleurs, Moscou observe avec inquiétude le dé-


ploiement de l’influence chinoise en Asie centrale post-
soviétique. Le commerce de la Chine avec ces républi-
ques a pratiquement rejoint, depuis 2000, le niveau des
échanges entre ces dernières et Moscou. Pékin passe
des accords énergétiques directement avec ces États, au
grand dam de la Russie, dont l’intérêt est de cadenasser
au maximum le jeu autour des ressources centre-asiatiques,

5.1
qui lui sont si utiles pour s’acquitter de ses obligations

.50.4
énergétiques envers l’Europe… Dans ce contexte, l’Or-
ganisation de coopération de Shanghai, incarnation de

:193
la coopération sécuritaire en Asie centrale entre Moscou

1952
et Pékin, est également, pour la Russie, un des outils lui
permettant théoriquement de canaliser l’engagement

8888
croissant de la puissance chinoise dans cette partie de
son « pré carré ». S’opposant aux efforts de Pékin pour
614:
renforcer la composante économique de l’OCS, dont
1011

elle sait qu’elle ferait la part trop belle à la Chine, Moscou


développe par ailleurs en Asie centrale des institutions
:211

dont la Chine est absente et par lesquelles elle marque


sa prééminence dans la région (Organisation du Traité
ouse

de sécurité collective, Communauté économique eura-


Toul

siatique…). La perspective d’un ensemble OTSC/OCS


formant une alternative au duo UE/OTAN, hypothèse
:UT1

jugée crédible par de nombreux analystes occidentaux,


paraît donc, en réalité, peu vraisemblable.
x.com

Même si Moscou, notamment pour crédibiliser


l’existence d’un axe sino-russe de résistance à l’Occident,
larvo

minimise ses préventions et tend à passer sous silence


scho

121
univ.
Russie, les chemins de la puissance

les problèmes dans le partenariat avec Pékin, elle res-


sent que la Chine peut porter atteinte à sa puissance,
notamment en contribuant à son « évanescence » en
Asie orientale et Pacifique. La Russie considère ainsi
que la Chine n’a pas fait grand-chose pour accroître son
importance dans les pourparlers sur le dossier nucléaire
nord-coréen, ce que souhaitait Vladimir Poutine. Sur la
scène globale, déjà, Moscou prend ombrage de la vita-

5.1
lité chinoise. Il lui a été difficile de constater que c’est

.50.4
Pékin, et non plus elle, qui, au lendemain de la Guerre
froide, occupe le rang de premier rival stratégique aux

:193
yeux des États-Unis (même si c’est précisément pour

1952
cette raison que le Kremlin insiste autant sur la force
de la coordination stratégique russo-chinoise quand il

8888
est en délicatesse avec l’Occident). D’ailleurs, il n’a pas
échappé à Moscou que Pékin ne l’a guère soutenue dans
614:
son discours de plus en plus hostile à l’Occident de-
1011

puis 2005 (sur l’indépendance du Kosovo, par exemple,


les deux pays n’ont pas fait front commun ; l’OCS n’a
:211

pas reconnu l’indépendance de l’Ossétie du Sud et de


l’Abkhazie).
ouse

La Russie souffre aussi du déséquilibre qualitatif dans


Toul

le commerce bilatéral. Les exportations russes vers la


Chine sont en effet dominées par les matières premiè-
:UT1

res (selon les données officielles russes, en 006, com-


bustibles minéraux, bois, engrais, poisson et produits
x.com

de la mer, métaux lourds et légers, cellulose et minerais


comptaient pour 90,5 % des exportations de la Russie
larvo

en Chine) tandis que les exportations chinoises vers la


scho

122
univ.
Quête de puissance et relations internationales

Russie sont composées globalement de produits manu-


facturés (non seulement biens de consommation, textile
ou alimentaire mais aussi machines-outils) – une situa-
tion nouvelle dans les relations bilatérales. En 2007, les
deux pays ont établi une chambre pour le commerce de
machines et de produits de haute technologie, supposée
corriger ce déséquilibre. Celui-ci se retrouve également
au niveau frontalier : la Chine est accusée de ne pas in-

5.1
vestir dans des activités qui pourraient contribuer au dé-

.50.4
veloppement des régions frontalières russes, lesquelles,
en conséquence, se désindustrialisent et se spécialisent

:193
dans l’exportation de matières premières (notamment

1952
bois) vers la Chine. Pour certains, ces distorsions expli-
queraient la réticence apparente de Moscou à accroître

8888
sensiblement ses fournitures d’énergie à la Chine, dont
elle chercherait ainsi sinon à contenir l’essor, du moins
614:
à ne pas y contribuer.
1011

Les relations énergétiques Chine-Russie


Depuis les années 990, Pékin réclame, sans
:211

grand succès jusqu’à présent, un accroissement des


ouse

fournitures énergétiques russes à son profit. Plus le


déséquilibre qualitatif des échanges commerciaux
Toul

se creuse, plus la Russie tend à la réserve en matière


énergétique. Les fournitures de pétrole à la Chine
:UT1

sont réalisées par voie ferrée ; la Russie ne vend pas


de gaz à la RPC.
x.com

Dans les années 2000, la Russie, motivée par le


souci de diversification des marchés prescrite dans
larvo

sa Stratégie de l’énergie, travaille à l’établissement


scho

123
univ.
Russie, les chemins de la puissance

d’un « oléoduc oriental ». Deux options sont


envisagées : un oléoduc vers la Chine ; un oléoduc
vers la côte Pacifique, alimentant le Japon et la
Corée du Sud (avec une branche possible vers la
RPC). Fin 2004, Moscou a opté pour la seconde
option – soit un tracé Taichet-Skovorodino-
Perevoznaïa (avec une branche vers la Chine),
d’une capacité de 80 millions de tonnes de brut
par an. Ce choix semble influencé, entre autres,

5.1
par le caractère attrayant des propositions de

.50.4
financement faites par le Japon. Liée aussi
au souci de la Russie de ne pas se rendre trop

:193
dépendante d’un seul client asiatique, la décision a
suscité des tensions dans les relations avec Pékin.

1952
Igor Setchine, vice-Premier ministre, annonçait
toutefois en avril 2009 que le premier tronçon

8888
de l’oléoduc Sibérie orientale-Pacifique (Taichet-
Skovorodino plus construction d’un terminal
pétrolier à Kozmino, près de Vladivostok) serait 614:
prochainement mis en service, six kilomètres
1011

restant à construire. La deuxième étape portera


sur le tronçon Skovorodino-Kozmino. En
:211

avril 2009, Chine et Russie, dans le cadre de leur


ouse

« dialogue énergétique », signaient un accord


de coopération pétrolière portant sur vingt-
Toul

trois ans, et englobant le projet de branche de


l’oléoduc oriental vers la Chine, qui permettra
:UT1

la fourniture à cette dernière de 15 millions de


tonnes de brut par an sur vingt ans.
x.com

Côté gaz, deux gazoducs doivent être construits


d’ici à 2011, mais les deux parties ne trouvent pas
larvo
scho

124
univ.
Quête de puissance et relations internationales

d’accord sur le tarif des fournitures et sur le fi-


nancement des infrastructures ad hoc. En outre, la
Chine a signé des accords avec le Turkménistan et
le Kazakhstan, vers lesquels elle s’est tournée en
grande partie du fait des ambiguïtés des intentions
russes à son égard.
La Chine s’est sentie « visée » par le déman-
tèlement de la compagnie pétrolière Ioukos par
les autorités russes, dans la mesure où le groupe

5.1
de M. Khodorkovskiï avait entre autres projets

.50.4
de construire un oléoduc vers la Chine, ce que le
Kremlin aurait jugé contraire aux intérêts natio-

:193
naux. À peu près à la même période, Moscou a
refusé aux firmes énergétiques chinoises l’accès

1952
à l’appel d’offres pour l’acquisition de parts de
Slavneft. Depuis, la Russie se montre moins ré-

8888
ticente à la possibilité de coopérations entre fir-
mes énergétiques des deux pays – acquisition par
614:
la China National Petroleum Corporation de 5 %
dans le capital de Rosneft, la principale compa-
1011

gnie pétrolière russe, participation de Sinopec au


capital d’Oudmourtneftegaz, JV Rosneft (5 %) -
:211

CNPC (49 %) (Vostok Energy). En février 009,


ouse

Transneft et Rosneft ont obtenu de la Banque de


développement chinoise un crédit de 25 milliards
Toul

de dollars sur vingt ans – dans le cas de Transneft


(0 milliards), ces moyens seront mis à profit pour
:UT1

la construction de l’embranchement vers la Chine


de l’oléoduc oriental.
x.com
larvo
scho

125
univ.
Russie, les chemins de la puissance

Proche et Moyen-Orient, Amérique latine et


Afrique : un rayonnement et des ambitions limités
Le souci de contrecarrer « l’hégémonisme » américain
et occidental, et la quête d’appuis pour lutter contre cet
adversaire dans son voisinage immédiat ont également
incité Moscou, dans les années 2000, à élargir sa présen-
ce au Proche et au Moyen-Orient, d’où elle avait été as-
sez absente dans la décennie 1990. Dans cette région, le

5.1
Kremlin a tenté de tirer profit de l’exaspération suscitée

.50.4
par la guerre en Irak. Même avant 003, la diplomatie
de Primakov préconisait le renforcement des relations

:193
avec l’Irak de Saddam Hussein, avec la Syrie, avec l’Iran,

1952
dans le souci de démontrer l’indépendance de la diplo-
matie russe à l’égard de Washington. Les bonnes rela-

8888
tions avec les acteurs de la région sont mises en avant
dans la diplomatie de l’énergie russe, dans sa « variante 614:
intimidation ». Ainsi, de façon récurrente, Moscou re-
1011

met au goût du jour le projet, initialement imaginé par


les Iraniens, d’un cartel du gaz qu’elle constituerait avec
:211

d’autres grands producteurs – Iran, donc, mais aussi


ouse

Qatar, Kazakhstan, Algérie…


L’Iran, dans son bras de fer avec la communauté in-
Toul

ternationale, a profité du souci de Moscou d’offrir des


options diplomatiques différentes de celle des États-
:UT1

Unis (l’effort russe pour reporter et atténuer les sanc-


tions internationales venait aussi en récompense de la
x.com

« bonne conduite » de Téhéran dans le Caucase et l’Asie


centrale, où les Iraniens ont, pour l’instant, renoncé à
larvo
scho

126
univ.
Quête de puissance et relations internationales

toute ambition d’exporter la révolution islamique). Les


mêmes facteurs ont largement contribué au rappro-
chement Russie-Turquie, cette dernière estimant que
la « politique » américaine en Irak n’a nullement tenu
compte de son intérêt de sécurité propre et souhai-
tant, comme le Kremlin, éviter l’« euro-atlantisation »
croissante de la mer Noire – de quoi mettre de côté
un temps les rivalités anciennes entre les deux anciens

5.1
empires, partageant le sentiment d’être dédaignés par

.50.4
l’Occident29.
Mais tous ces interlocuteurs font eux aussi le constat

:193
que les positions de la Russie sont assez fluctuantes,

1952
voire incohérentes. Il est vrai que, en partie mue par son
intérêt économique, Moscou n’hésite pas à rechercher

8888
des liens stratégiques avec Israël tout en vendant des
armes à l’Iran et à la Syrie, à cultiver sa relation avec
614:
Téhéran tout en cherchant à établir des coopérations
1011

militaro-industrielles et nucléaires avec les monarchies


du Golfe. Tous ont, en outre, en mémoire les revirements
:211

opérés par la Russie post-soviétique quand celle-ci, dans


les années 1990, a jugé possible un rapprochement avec
ouse

les pays occidentaux. En réalité, Moscou ne se mobilise


Toul

jamais de façon constante au-delà de la grande masse


continentale eurasiatique. Hormis à l’ère soviétique,
:UT1

Moscou a toujours conçu sa présence au Moyen-Orient


et en Afrique comme un « luxe stratégique ».
x.com

29 – Il convient d’aouter aux facteurs de cette relative compli-


cité russo-turque le souci commun de stabiliser le Caucase du Sud,
larvo

suite au conflit en Géorgie de 008.


scho

127
univ.
Russie, les chemins de la puissance

En conséquence, la Russie, par son opportunisme di-


plomatique et, aujourd’hui, économique, et du fait de sa
« priorité eurasiatique », se place elle-même dans une si-
tuation à laquelle elle s’est accoutumée au fil des siècles :
elle n’a pas de véritables amis, fiables sur le long terme,
ce qui correspond à sa vision historique que ses allian-
ces sont par nature instables. D’ailleurs, si elle considère
que les pays occidentaux constituent la menace la plus

5.1
sérieuse à son emprise sur l’espace post-soviétique, cela

.50.4
ne l’empêche pas de veiller à ce que d’autres puissances
régionales (Chine, donc, mais aussi Turquie, Iran…) ne

:193
développent pas à leur tour d’ambitions trop affirmées

1952
vis-à-vis de son « étranger proche ».
Les permanences qui marquent l’approche russe du

8888
monde ne signifient pas que la Russie n’a pas cherché
à dégager un nouveau mode d’existence et d’action de-
614:
puis la fin de la Guerre froide, mais plutôt qu’elle n’y est
1011

pas pleinement parvenue.


:211
ouse
Toul
:UT1
x.com
larvo
scho

128
univ.
5.1
.50.4
Chapitre III
Les instruments de la puissance

:193
1952
La Russie impériale puis soviétique était parvenue à

8888
s’imposer comme puissance en dépit de ses faiblesses
et retards techniques, technologiques, voire institution-
614:
nels. Aujourd’hui, cette reconnaissance « automatique »
1011

ne va plus de soi. Moscou ne peut ni ne veut plus s’ap-


puyer exclusivement sur les leviers traditionnels qui lui
:211

avaient permis de compter dans le « concert des grands »


– conquêtes territoriales et hypertrophie des outils mi-
ouse

litaires. Sur le plan technologique, la Russie accuse tou-


Toul

jours un retard considérable dans nombre de domaines


par rapport aux grands pays industrialisés, et elle ne
:UT1

parvient pas à s’imposer en acteur majeur des relations


économiques mondiales. Elle en retire une frustration
x.com

certaine, qu’elle cherche à compenser en s’appuyant sur


des mécanismes multilatéraux.
larvo
scho

129
univ.
Russie, les chemins de la puissance

1 – La fin de la priorité à l’outil militaire ?

« Mikhaïl Gorbatchev puis Boris Eltsine ont posé un prin-


cipe révolutionnaire : le visage militariste que la Russie a présenté
au reste du monde pendant des siècles n’était ni “normal” ni
“civilisé” » (G. Sokoloff, p. 8, cf. bibliographie) : cette
formule résume bien la profondeur de la rupture enga-
gée par les pères de la perestroïka par rapport à la tra-

5.1
dition de militarisation de la société russe (cf. chapitre I).

.50.4
Mais les responsables russes ont-ils suivi cette logique
jusqu’au bout ?

:193
Nécessaire normalisation pour le complexe militaro-

1952
industriel

8888
Aux yeux des réformateurs artisans de la perestroïka
(1985-1991), le poids démesuré des dépenses militaires
est une cause essentielle de la stagnation qui caractérise 614:
l’économie soviétique depuis Brejnev. Lorsqu’ils com-
1011

parent la situation nationale à celle des autres grands


:211

États, ils constatent que c’est désormais la capacité à se


mesurer à la concurrence économique et technologique
ouse

internationale qui détermine la puissance, davantage


Toul

que l’accumulation de moyens militaires. Il leur appa-


raît donc nécessaire de réévaluer la stratégie militarisée
:UT1

de l’État soviétique, tant pour redynamiser son économie


que pour lui donner une chance de sauver son rang de su-
x.com

perpuissance, mis en cause par l’incapacité du complexe


militaro-industriel (CMI) à suivre les progrès technologi-
larvo

ques de ses homologues occidentaux. La démilitarisation


scho

130
univ.
Les instruments de la puissance

de la politique du Kremlin prendra des formes variées :


réduction des budgets de défense, retrait d’Afghanistan,
programmes de conversion des industries d’armement,
rapatriement des troupes déployées en Europe centrale
et orientale…
Boris Eltsine n’est pas revenu sur cette logique. Il
faut dire que la délicate situation économique à laquelle
il était confronté ne lui aurait guère permis d’inves-

5.1
tir fortement dans les outils militaires. Mais, comme

.50.4
M. Gorbatchev, le premier président de la Russie post-
soviétique est convaincu que le primat du complexe mi-

:193
litaro-industriel dans la répartition des ressources est à

1952
l’origine de la fragilité des fondements de la puissance
nationale. L’industrie d’armement et autres secteurs

8888
identifiés comme faisant partie du CMI, par exemple
le spatial, voient le soutien gouvernemental se réduire
614:
comme peau de chagrin. L’absence de moyens budgé-
1011

taires amènera l’équipe au pouvoir, de toute façon acca-


parée par d’autres urgences, à différer la mise en œuvre
:211

des projets de modernisation de l’armée. Les militaires,


nourrissant un fort ressentiment à l’égard des autorités
ouse

civiles, qu’ils jugent incompétentes et irresponsables, et


Toul

ce avec encore plus de force après le premier conflit en


Tchétchénie, en ont profité pour enraciner « leur » mo-
:UT1

dèle – tourné vers le scénario d’un conflit majeur avec


les forces de l’OTAN. L’élargissement de l’Alliance et ses
x.com

opérations militaires dans les Balkans leur ont servi d’ar-


gument pour valider, auprès des autorités et de l’opinion
larvo

publique, leurs visions traditionnelles. Ainsi, les forces


scho

131
univ.
Russie, les chemins de la puissance

armées russes conserveront longtemps une forme, une


culture et des comportements relativement proches de
ceux de l’Armée rouge, bien que dans une version dé-
gradée. En effet, les pouvoirs politiques, conscients de
ne pas avoir les moyens budgétaires voulus pour une
restructuration en profondeur des forces et soucieux
d’éviter une confrontation avec l’institution militaire,
renonceront à lui imposer des réformes radicales (no-

5.1
tamment une évolution vers la professionnalisation).

.50.4
Initialement, Vladimir Poutine a semblé suivre la li-
gne de démilitarisation de la politique internationale de

:193
ses prédécesseurs. En novembre 2000, quelques mois

1952
après son élection, il a proposé à Washington d’impor-
tantes réductions des arsenaux nucléaires stratégiques.

8888
Il a également fermé, en 2001, d’anciennes bases so-
viétiques à l’étranger (au Vietnam – Cam Ranh Bay, à
614:
Cuba – Lourdès).
1011

Les outils militaires reconsidérés


:211

C’est pourtant Vladimir Poutine qui va procéder à


une revalorisation notable des outils militaires. La situa-
ouse

tion économique lui facilite la tâche. Aidé, d’un point


Toul

de vue budgétaire, par les prix élevés des hydrocarbures,


il multiplie par quatre le budget de défense entre 2000
:UT1

et 2007, l’amenant à un niveau proche des 3,5 % du PIB


que les précédents gouvernements ambitionnaient, sans
x.com

jamais y parvenir, depuis 1992 (mais laissant la Russie


toujours très loin derrière les États-Unis, et à un niveau
larvo
scho

132
univ.
Les instruments de la puissance

de budget inférieur à celui de la Chine ou encore de


la France – le budget russe se situant, en 2008, à un
peu plus de 36 milliards de dollars, contre 600 pour les
États-Unis, un peu plus de 60 pour la RPC et de 40
pour la France1). À l’ère Poutine, un soin particulier est
apporté à démontrer la capacité de la Russie à améliorer
le rapport de forces avec les pays occidentaux. Moscou
entoure d’une grande publicité l’effort qu’elle fournit

5.1
pour moderniser son arsenal nucléaire stratégique, cen-

.50.4
sé sanctuariser le territoire russe contre toute éventuelle
attaque occidentale. En 2007, les patrouilles de bombar-

:193
diers stratégiques russes reprennent ; ils effectuent des

1952
sorties à proximité de l’espace aérien de pays membres
de l’OTAN. La Marine russe reprend du poids – ses na-

8888
vires s’affichent en Méditerranée, et même en mer des
Caraïbes, pour des exercices avec la Marine vénézué-
614:
lienne à la portée politique très forte (décembre 2008).
1011

Dans l’étranger proche, également, et de façon bien


moins symbolique, Moscou veut marquer sa détermina-
:211

tion à protéger ses intérêts par tous les moyens, y com-


pris militaires. Le renforcement de sa présence militaire
ouse

dans l’ex-URSS, notamment au travers de l’OTSC (cf.


Toul

chapitre II), en témoigne. L’ampleur de son intervention


militaire en Géorgie, à l’été 2008, aussi.
:UT1

Pour beaucoup d’analystes, tout ceci est la preuve que


la Russie renoue avec ses vieux démons militaristes. Il
x.com

semble en effet que la société russe se sente plus à l’aise


larvo

1 – Évaluations du Military Balance, de l’IISS (2009).


scho

133
univ.
Russie, les chemins de la puissance

quand son pays donne l’impression de disposer d’une


force militaire crédible. Elle partage avec le Kremlin la
conviction que les autres grandes puissances n’ont pas
démilitarisé leur politique extérieure autant que l’a fait la
Russie. Aux yeux des Russes, les exemples qui justifient
cette idée ne manquent pas : élargissement géographi-
que et fonctionnel de l’OTAN, opérations de l’Alliance
atlantique dans les Balkans, guerre en Irak, efforts des

5.1
États-Unis pour obtenir le droit d’utiliser des bases en

.50.4
Europe et en Eurasie, dispositif antimissile, etc.
Certes, la démilitarisation en profondeur de la so-

:193
ciété, de l’économie et de la politique extérieure russes

1952
relevait d’un choix délibéré. Mais en Russie, ce proces-
sus n’a pas été progressif et cohérent mais chaotique : la

8888
crise des années 1990 a conduit au quasi-effondrement
de l’ensemble du système militaire, qui s’est à l’époque
614:
trouvé incapable de réduire la rébellion tchétchène.
1011

De ce fait, l’amenuisement de la force militaire natio-


nale, dans des conditions où la vulnérabilité géopoli-
:211

tique était ressentie comme forte, a été vécu comme


subi davantage que choisi. Moscou en a retiré d’autant
ouse

plus de frustration que l’ancien « ennemi principal », les


Toul

États-Unis et leurs alliés de l’OTAN, sont désormais


en situation avantageuse dans le domaine militaire par
:UT1

rapport à la Russie, sur le plan quantitatif comme qua-


litatif (les militaires russes ont en effet pu constater le
x.com

creusement du fossé technologique à chaque emploi


des forces américaines et otaniennes – les deux conflits
larvo

en Irak, les Balkans, l’Afghanistan). La vision est


scho

134
univ.
Les instruments de la puissance

également largement répandue en Russie que son en-


treprise de démilitarisation, qui faisait partie intégrante
de son effort pour rejoindre la communauté euro-at-
lantique, loin de lui profiter, a fortement contribué au
manque de respect perçu de l’Occident à son égard, et
n’a en tout cas pas servi son intégration en Europe. Ce
point de vue n’est sans doute pas absent de la décision
de Moscou de suspendre l’application du traité sur les

5.1
forces conventionnelles en Europe. Enfin, l’État russe

.50.4
post-soviétique s’est, en définitive, construit largement
sur fond de guerre, en Tchétchénie, ce qui peut avoir

:193
ralenti le processus de démilitarisation de la conscience

1952
nationale russe.

8888
Les réelles priorités militaires
Dans le même temps, l’idée, souvent rebattue dans 614:
la presse occidentale, que l’on assiste à une remilitarisa-
1011

tion de la Russie de Poutine est à relativiser. D’abord,


l’effort de défense plus substantiel qu’elle met en œuvre
:211

depuis le début des années 2000 apparaît comme une


entreprise de rattrapage des conséquences de plus d’une
ouse

décennie de sous-investissement dans les outils militaires.


Toul

Ces conséquences sont sérieuses – en témoigne, entre


autres, la difficulté du Kremlin à faire rapidement bou-
:UT1

ger les choses, tant sur la professionnalisation partielle


des forces armées qu’en matière de renouvellement des
x.com

équipements. De ce point de vue, les nombreux échecs


rencontrés dans le développement du nouveau missile
larvo
scho

135
univ.
Russie, les chemins de la puissance

balistique intercontinental naval (Boulava) sont parti-


culièrement emblématiques. L’intervention en Géor-
gie a montré, elle aussi, que l’armée russe revient de
très loin, et qu’il lui faudra de nombreuses années
avant de pallier l’effet de traîne de la crise des années
1990. Opération préparée de longue date, elle n’en
a pas moins été marquée par de sérieuses défaillan-
ces – organisationnelles, en matière d’équipement, de

5.1
communications…

.50.4
Une autre limite pèse sur l’ambition militaire de la
Russie actuelle : la reconnaissance par le Kremlin des

:193
dangers du surinvestissement dans la défense. Ce point

1952
demeure un leitmotiv pour les autorités russes qui, de-
puis Boris Eltsine, s’en sont tenues à l’objectif d’orga-

8888
niser la défense du pays en fonction de ses capacités
économiques. Sergeï Lavrov, le ministre russe des Af-
614:
faires étrangères, a, dans un de ses articles, clairement
1011

opposé la notion de militarisation à celle de modernisa-


tion – accusant même les États-Unis de chercher à en-
:211

traîner son pays sur la voie de l’investissement dispro-


portionné dans le secteur militaire afin de l’empêcher de
ouse

devenir une grande puissance moderne2. Si l’évolution


Toul

en ce sens est lente et si les résultats ne s’en font pas


encore sentir nettement, le gouvernement russe dit ne
:UT1

plus vouloir sacrifier à la puissance militaire les enjeux


x.com

2 – Sergeï LAVROV, « Vnechniaia politika Rossii i novoe katches-


tvo geopolititcheskoï sitouatsii » [La politique étrangère de la Rus-
sie et la nouvelle nature de la situation géopolitique], pour l’An-
larvo

nuaire diplomatique 2008.


scho

136
univ.
Les instruments de la puissance

du développement économique et social (santé et dé-


mographie, équipement, logement, enseignement…).
Autre élément important, en toile de fond : la guerre
d’Afghanistan (1979-1989) et ses milliers de cercueils
de zinc ont durablement miné l’appétit de la population
russe pour des interventions militaires loin des fron-
tières du territoire national. Et même, apparemment, à
proximité : une enquête menée en mars 2003 indique

5.1
que si une majorité des personnes interrogées seraient

.50.4
satisfaites d’une éventuelle réunification avec les États
de l’ex-URSS, les mêmes se montrent nettement plus ré-

:193
servées dès lors que cette possibilité est associée à l’idée

1952
de coût, notamment militaire (J. O’Loughlin, P. F. Tal-
bot, p. 35, cf. bibliographie).

8888
Le projet de réforme militaire que le tandem Poutine-
Medvedev semble vouloir réaliser après le conflit en
614:
Géorgie devrait, cette fois-ci pour de bon, amener une
1011

rupture radicale avec le système soviétique. Les effectifs


du corps des officiers supérieurs sont réduits de façon
:211

sensible, et la structure organisationnelle des forces est


allégée (voir encadré ci-dessous)…
ouse

La réforme militaire après la « guerre des cinq


Toul

jours »
Suite à la guerre en Géorgie, le pouvoir russe
:UT1

a lancé un programme de restructuration de l’ar-


mée, dont l’échéance de réalisation est 2020. La
x.com

configuration traditionnelle de l’armée russe, qui


compte toujours un peu plus d’un million d’hom-
larvo

mes, en sera bouleversée : passage d’une armée


scho

137
univ.
Russie, les chemins de la puissance

fondée sur la mobilisation de masse à une armée


de dimensions plus restreintes, mais aussi plus
mobile, et de déploiement rapide ; abandon de la
structuration en divisions au profit d’une organisa-
tion en brigades. Le système de formation militaire
et d’entraînement doit aussi être modernisé. Quant
au corps, pléthorique, des officiers supérieurs, il
doit être drastiquement réduit au profit d’un corps
plus abondant de sous-officiers – cette mesure de-

5.1
vant, entre autres, permettre de réduire le phéno-

.50.4
mène de dedovchtchina – cette maltraitance infligée
aux nouveaux conscrits par les « anciens » chargés

:193
de leur encadrement. Il s’agit là d’un des éléments
contestés avec le plus de véhémence au sein de

1952
l’institution militaire, dont de nombreux représen-
tants jugent que ces plans des autorités civiles vont

8888
« détruire » l’armée.
Certaines des mesures envisagées ne font, en
définitive, qu’accélérer un mouvement déjà en- 614:
gagé de plus ou moins longue date. S’il n’a pu être
1011

mis en œuvre jusqu’à présent, le principe d’une


armée plus mobile est présent à l’esprit des auto-
:211

rités russes depuis le début des années 1990, et


ouse

un certain nombre de brigades de déploiement ra-


pide avaient déjà été formées avant le lancement
Toul

du programme. Et le débat sur le maintien d’un


système de recrutement fondé sur la conscription,
:UT1

nettement mis en cause du fait de la persistance


de la dedovchtchina et de la crise démographique,
x.com

est dans l’air depuis vingt ans. Ces dernières an-


nées avaient vu une évolution vers un système de
recrutement mixte (conscrits-professionnels). Les
larvo
scho

138
univ.
Les instruments de la puissance

formations de disponibilité permanente, de plus


en plus nombreuses (elles compteraient, en 2008,
170 000 hommes), sont composées en majeure
partie de soldats sur contrats. La durée du service
militaire a été ramenée à un an en 2008 (contre
deux auparavant).
Si ces évolutions signifient que le pouvoir russe
n’envisage plus sérieusement un conflit conven-
tionnel majeur sur le théâtre européen avec les

5.1
armées occidentales (dont la taille a été fortement

.50.4
réduite depuis la chute du Mur de Berlin), elles vont
en revanche dans le sens des ambitions de la Russie

:193
dans son « étranger proche ». L’armée russe pour-
rait ainsi devenir un outil plus inquiétant pour ceux

1952
de ses voisins qui tentent d’échapper à son emprise
(en d’autres termes plus susceptible d’intervenir

8888
dans des crises plus ou moins spontanées mettant
en cause, par exemple, les populations russes dans
les pays de la CEI), mais aussi plus efficace aux 614:
yeux de ses alliés de l’OTSC (Arménie, Biélorussie,
1011

républiques centre-asiatiques).
À travers cette réforme, dont la crise
:211

économique ralentira sans doute la mise en œuvre,


ouse

le tandem Poutine-Medvedev semble en tout cas


déterminé à mettre la dernière touche à l’effort
Toul

engagé par Vladimir Poutine en vue de mettre


fin à l’autonomie dont dispose traditionnellement
:UT1

l’armée dans la gestion des affaires la concernant,


ce qui, avec les restrictions budgétaires extrêmes,
x.com

a constitué un facteur majeur des blocages de la


réforme militaire depuis la fin de l’URSS. La réforme
en cours relève d’ailleurs de la responsabilité du
larvo
scho

139
univ.
Russie, les chemins de la puissance

premier « vrai » ministre civil de la Défense en


Russie, Anatoliï Serdioukov, décrié au sein du Haut
commandement.

Sur deux grands axes d’action, Moscou devrait


continuer à envisager le recours à la force militaire
pour protéger son intérêt national et y consacrer les
moyens politiques et financiers voulus. Il en va ainsi,
d’une part, de la zone ex-soviétique. D’autre part, les

5.1
officiels russes mentionnent de plus en plus fréquem-

.50.4
ment la possibilité d’une mobilisation des outils mi-
litaires pour la protection des intérêts économiques

:193
nationaux. Il est probable que dans ce cadre, la Russie

1952
soit préoccupée principalement par ses approches im-
médiates (Caspienne, Arctique, mers Noire et Baltique).

8888
La Stratégie de sécurité nationale (mai 2009) estime en
tout cas que « dans un contexte de lutte compétitive pour les 614:
ressources, on ne peut exclure que des problèmes soient réglés
1011

par le recours à la force – l’équilibre des forces existant près


des frontières de la Fédération de Russie et des frontières de
:211

ses alliés peut être mis en cause ». Les autres contingences


ouse

(risque de conflit avec l’OTAN ou avec la Chine) sont


renvoyées au nucléaire, qui reste au cœur de la posture
Toul

de défense russe. D’ailleurs, selon les informations dis-


ponibles, le projet de nouvelle doctrine militaire, très
:UT1

discuté en Russie en 2009, « musclerait » les termes de


la politique nucléaire de Moscou.
x.com

L’accroissement de l’investissement de l’État dans


l’industrie d’armement au cours des années 2000 a
larvo
scho

140
univ.
Les instruments de la puissance

contribué à la perception que l’État russe tend insen-


siblement à renouer avec le primat des facteurs mili-
taires dans son projet de puissance. Mais cette lecture
aussi est à équilibrer : c’est surtout que, dans l’effort
gouvernemental destiné à aménager les conditions
d’une diversification du tissu économique national
devant permettre à la Russie de s’illustrer autrement
que par les matières premières dans les échanges glo-

5.1
balisés, l’industrie de défense apparaît comme un des

.50.4
quelques rares secteurs potentiellement « utiles » de
l’industrie russe…

:193
L’industrie d’armement russe : atout ou handi-

1952
cap de l’économie russe ?
En pleine crise économique et en dépit de la

8888
chute des prix des hydrocarbures, les autorités rus-
ses indiquent fin 008 que les commandes d’arme-
614:
ment constitueront, malgré la nécessité de revoir à la
1011

baisse les prévisions budgétaires, un poste protégé.


Les déceptions quant aux performances de l’armée
:211

lors du conflit en Géorgie expliquent cette décision.


Mais joue également pleinement la conviction des
ouse

autorités russes que ce secteur industriel est l’un des


plus à même de servir la modernisation technologi-
Toul

que et la diversification de l’économie. La chose est


assez logique puisque le gouvernement soviétique
:UT1

y avait investi massivement et qu’il concentre donc,


théoriquement, les meilleures réalisations scientifi-
x.com

ques et technologiques nationales.


De fait, l’industrie russe conserve son rang par-
larvo

mi les leaders sur le marché mondial de l’armement.


scho

141
univ.
Russie, les chemins de la puissance

Pourtant, malgré une situation plus favorable que


jamais depuis la disparition de l’URSS, avec les
bons résultats à l’export et une commande natio-
nale à la hausse, l’état de l’industrie d’armement est
en réalité mitigé. En témoignent, entre autres, les
scandales qui émaillent les fournitures d’armement
de la Russie, les clients (Chine, Inde, Algérie…)
déplorant la qualité décevante des matériels livrés
et/ou les retards dans la fourniture.

5.1
Pour beaucoup d’experts russes, le complexe

.50.4
industriel de défense serait en fait condamné à un
déclin irrémédiable si ses principaux problèmes ne

:193
sont pas corrigés rapidement – obsolescence de
l’appareil de production, manque d’investissements

1952
et de soutien du secteur bancaire et financier na-
tional, déficit de personnels qualifiés et vieillisse-

8888
ment de l’ensemble de la main-d’œuvre, défaut de
capacités d’innovation… Beaucoup doutent de la
pertinence des choix privilégiés, ces dernières an- 614:
nées, pour la réorganisation du secteur, à savoir
1011

la constitution de grands groupes intégrés – nids


de corruption et multiplicateur d’inefficacité, se-
:211

lon certains observateurs, quand leur finalité, telle


ouse

qu’elle est affichée par le Kremlin, est de renforcer


le secteur en éliminant les entités non rentables ou
Toul

redondantes, de rationaliser l’utilisation des ressour-


ces, de limiter les concurrences fratricides sur les
:UT1

marchés internationaux, et d’attirer ainsi, à terme,


des investisseurs privés (voire étrangers)… Parmi
x.com

les principaux groupes jusqu’ici constitués : OAK


(Corporation aéronautique unifiée), OSK (Corpo-
ration navale unifiée), RTV (Corporation Missiles
larvo
scho

142
univ.
Les instruments de la puissance

tactiques), Almaz-Anteï (systèmes de défense anti-


aérienne)… La corporation d’État Rostekhnologii,
aux mains d’un proche de Vladimir Poutine, Sergeï
Tchemezov, intègre Rosoboronexport (la centrale
d’exportations d’armement) et des éléments de l’in-
dustrie de défense (hélicoptères notamment). En
2009, toutefois, les goskorporatsii font l’objet de cri-
tiques de plus en plus nombreuses, portant sur leur
propension à générer toujours plus de corruption

5.1
et d’inefficacité…

.50.4
En l’état actuel des choses, le rééquipement massif
des forces russes s’annonce donc long, complexe et

:193
laborieux. L’accroissement de la commande d’État,
dicté par le souci de Vladimir Poutine de donner

1952
la priorité à la modernisation de l’équipement de
l’armée nationale, ne fait qu’accroître les pressions

8888
sur l’industrie d’armement. Après plus de dix ans
de sous-investissement, le complexe industriel de
défense est censé être capable à la fois de finaliser 614:
la mise au point du Boulava, de se préparer à la pro-
1011

duction en série du chasseur de cinquième généra-


tion, tout en renouvelant complètement l’équipe-
:211

ment des forces en matériels de communication…


ouse

Il ne l’est visiblement pas. L’armée russe en vient


à s’intéresser plus que sérieusement à l’acquisition
Toul

de systèmes étrangers (notamment français) – en


rupture avec sa tradition autarcique (drones, maté-
:UT1

riels électroniques, bâtiments navals…). L’achat de


matériels étrangers devra théoriquement permettre
x.com

aux industriels russes de profiter des technologies


modernes qu’ils contiennent et de rattraper ainsi
leur retard.
larvo
scho

143
univ.
Russie, les chemins de la puissance

L’une des raisons pour lesquelles la Russie reste am-


bivalente quant au fait de minorer les leviers militaires
dans sa politique de puissance semble résider dans sa
difficulté à peser d’une autre façon, par les facteurs
économiques. Comment avoir un impact sur ses parte-
naires quand on ne dispose pas de l’attrait économique
de la Chine ? Dans ce contexte, jouer la carte militaire
pour impressionner voisins, adversaires et partenaires

5.1
apparaît, avec l’énergie, comme l’un des rares biais per-

.50.4
mettant à Moscou de préserver son influence dans la
société internationale.

:193
1952
2 – Une difficile intégration à l’économie
globalisée

8888
Un des objectifs de Mikhaïl Gorbatchev, quand il 614:
a engagé sa « nouvelle pensée » (novoe mychlenie), pen-
1011

dant de la perestroïka en politique étrangère, était de


raccrocher progressivement son pays à une économie
:211

mondiale de plus en plus ouverte, et dont l’Union so-


ouse

viétique était largement exclue. Aujourd’hui, les offi-


ciels russes continuent de marteler que l’ancrage de
Toul

la Russie dans l’économie globalisée est un gage es-


sentiel de son autorité et de sa présence sur la scène
:UT1

internationale. Au tout début de son double mandat,


le président Poutine avait regretté que la Russie n’y
x.com

ait pas encore trouvé sa juste place, et invitait le mi-


nistère des Affaires étrangères à réserver un espace
larvo
scho

144
univ.
Les instruments de la puissance

beaucoup plus grand aux enjeux économiques dans


toutes les relations extérieures du pays. En 2008, la
Russie, qui ambitionne de compter, à l’horizon 2020,
au nombre des cinq premières puissances économi-
ques (en PIB), aime à valoriser son potentiel comme
pont commercial entre Europe et Asie. Son objectif,
affirme son programme de développement socio-
économique à l’horizon de 2020, est de « renforcer le

5.1
poids économique de la Russie dans le monde, assurant son

.50.4
leadership régional et la réduction de son retard par rapport
aux pays développés », notamment dans les technologies

:193
de dernière génération.

1952
Mais le rééquilibrage de la politique de puissance
russe au profit des enjeux économiques n’a pas vraiment

8888
eu les effets escomptés. La Russie, qui n’est toujours pas
membre de l’OMC, représentait, avant le déclenche-
614:
ment de la crise globale, moins de 2 % du commerce
1011

mondial (7 % pour la Chine). Avec la crise mondiale,


les importations et les exportations se sont fortement
:211

contractées – revenant à 50 % des niveaux enregistrés


en 2008. Ainsi, au début du XXIe siècle, la Russie ne pèse
ouse

que relativement peu dans la vie économique interna-


Toul

tionale ; et les secteurs par lesquels elle y est visible ne


satisfont pas nécessairement sa revendication d’un sta-
:UT1

tut de grande puissance.


x.com
larvo
scho

145
univ.
Russie, les chemins de la puissance

Économie de rente et grande puissance : une


incompatibilité russe
L’économie de la Russie apparaît relativement ouver-
te – si l’on en croit la part que représentent les échanges
de biens et de services dans son PIB, proche de 50 %.
Mais il s’agit d’une ouverture en trompe-l’œil, liée en
grande partie au caractère d’économie de rente de ce
pays. De fait, dans les échanges globalisés, la Russie s’il-

5.1
lustre principalement par ses exportations de matières

.50.4
premières. Détentrice des premières ressources mon-
diales en gaz, disputant, ces dernières années, le premier

:193
rang à l’Arabie saoudite pour le volume de production

1952
de pétrole, elle contrôle quelque 50 000 km d’oléoducs et
50 000 km de gazoducs3. Le pétrole, le gaz, les métaux

8888
légers et lourds sont les premiers secteurs à l’exportation
(voir tableau). Ce sont les revenus de ces exportations qui 614:
ont porté, dans les années 2000, le rétablissement relatif
1011

de l’économie nationale, et qui ont permis à Moscou de


reprendre confiance en soi, de rembourser en large part
:211

sa dette extérieure, de constituer un matelas financier de


ouse

bonne taille. L’équipe Poutine a en effet bénéficié, sur-


tout dans la période 2004-2008, d’une conjoncture très
Toul

favorable pour les prix des matières premières, une cir-


constance absente de l’équation des gouvernements rus-
:UT1

ses dans les premières années de l’indépendance, ainsi


privés d’un levier budgétaire essentiel.
x.com

3 – Denis ECKERT, « Le plus grand pays du monde », Revue


larvo

L’Histoire, n°344, juillet-août 009, p. 9.


scho

146
univ.
1995 2000 2002 2003 2004 2005 2006 2007
1,4 1,6 Produits alimentaires et ma-
2,8 3,4 3,3 4,5 5,5 9,1
-- -- tières premières agricoles
-- -- -- -- -- --
1,8% 1,6 % 2,6 %
(hors textile) 2,5 % 1,8 % 1,9 % 1,8 % 2,6 %
33,3 55,5 58,9 76,6 105 156 199 228
Produits minéraux -- -- -- -- -- -- -- --
42,5 % 53,8 % 55,2 % 57,3 % 57,8 % 64,8 % 65,9 % 64,7 %
7,8 7,4 7,4 9,2 12 14,4 16,8 20,8
Produits de l’industrie
-- -- -- -- -- -- -- --
chimique, caoutchouc
10 % 7,2 % 6,9 % 6,9 % 6,6 % 6% 5,6 % 5,9 %
0,3 0,3 0,3 0,3 0,4 0,3 0,4 0,3
Cuir et peaux, fourrures, et
-- -- -- -- -- -- -- --
articles liés
0,4 % 0,3 % 0,3 % 0,2 % 0,2 % 0,1 % 0,1 % 0,1 %
Produits de l’industrie du 4,4 4,5 4,9 5,6 7 8,3 9,5 12,3
bois, de la cellulose et du -- -- -- -- -- -- -- --

147
papier 5,6 % 4,3 % 4,6 % 4,2 % 3,9 % 3,4 % 3,2 % 3,5 %
1,2 0,8 0,9 0,9 1,1 1 1 0,9
Textile, produits textiles et
-- -- -- -- -- -- -- --
chaussure
1,5 % 0,8 % 0,8 % 0,7 % 0,6 % 0,4 % 0,3 % 0,3 %
20,9 22,4 19,9 23,7 36,7 40,6 48,9 56,9
Métaux, pierres précieuses
-- -- -- -- -- -- -- --
et articles liés
Les instruments de la puissance

26,7 % 21,7 % 18,7 % 17,8 % 20,2 % 16,8 % 16,3 % 16,1 %

(www.gks.ru, dernière consultation en août 009)


univ.
8 9,1 10,1 12 14,1 13,5 17,4 19,7
(en milliards de $, et en % du total des exportations)

Source : Service fédéral pour la statistique d’État


scho
larvo Machines, équipement et
x.moyens -- -- -- -- -- -- -- --
com:de transport
UT1 10,2 % 8,8 % 9,5 % 9% 7,8 % 5,6 % 5,8 % 5,6 %
1 1,6 1,6 1,9 2,1 2,5 3,1 4,4
Structure des exportations de la Fédération de Russie

Toul
Autres ouse --
:1,3 -- -- -- -- --
1,4 % 1,1 % 1% 1% 1,2 %
21%11 1,5--% 1,4--%
0116
Total 78,2 103 14:8107
8 134 182 241 301 352
8819
5 2:19
3.50
.45.1
Russie, les chemins de la puissance

Sous Vladimir Poutine, Moscou a structuré une « di-


plomatie de l’énergie » visant à renforcer sa visibilité
dans l’économie globalisée, et à affirmer l’image d’une
Russie incontournable dans un monde marqué à la fois
par une demande croissante pour les hydrocarbures (la
Chine, notamment, devenant de plus en plus gourman-
de) mais aussi un amenuisement avéré des ressources et
une insécurité grandissante dans les grandes zones d’ap-

5.1
provisionnement (en premier lieu, multiplication des

.50.4
tensions au Proche et Moyen-Orient). Cette diplomatie
de l’énergie ne s’est pas toujours exprimée, comme elle

:193
le fait aujourd’hui, sur le mode de la confrontation et

1952
de la pression. Au début des années 2000, le discours
de Moscou mettait l’accent sur le souci de se poser en

8888
fournisseur fiable et stable des consommateurs. Les re-
lations se tendant simultanément avec les pays occiden-
614:
taux et certains États du voisinage, la politique russe
1011

s’est cependant faite plus offensive, visant à renforcer le


pouvoir de négociation et de pression du Kremlin sur
:211

ses adversaires politiques. On a vu avec quelle vigueur


cette pression s’exerce vis-à-vis de certains pays de la
ouse

CEI, ainsi que de l’Union européenne (cf. chapitre II).


Toul

Dans ces conditions, il importait d’autant plus au


Kremlin d’assurer le renforcement de son emprise sur le
:UT1

secteur énergétique national, en particulier les acteurs du


domaine pétrolier, qui, dans les années Eltsine, avaient
x.com

largement échappé au contrôle étatique à la faveur de


privatisations particulièrement avantageuses pour les
larvo

acquéreurs. Le démantèlement, à partir de 2003, de


scho

148
univ.
Les instruments de la puissance

Ioukos (au profit de Rosneft, restée sous le contrôle de


l’État) en aura constitué l’épisode le plus emblématique
mais aussi le plus dramatique (la condamnation extrê-
mement sévère dont son PDG, Mikhaïl Khodorkovskiï,
a fait l’objet devait servir d’exemple pour les autres
« oligarques », surtout ceux éventuellement tentés par
des ambitions politiques4). Les grandes compagnies de
l’énergie sont ainsi appelées à devenir les principaux

5.1
outils de la diplomatie de l’énergie – le DG de Gazprom,

.50.4
Alexei Miller, proche de Vladimir Poutine, se fera sou-
vent l’écho de ses messages. Et il n’est pas anodin que

:193
le successeur désigné de Vladimir Poutine ait occupé

1952
auparavant (entre 2000 et 2008) les fonctions de prési-
dent du Conseil des directeurs de Gazprom.

8888
En parallèle, la Russie cherche à conserver un contrô-
le maximal sur les ressources de la zone Caspienne/Asie
614:
centrale – en empêchant la construction de routes d’éva-
1011

cuation de ces ressources contournant son territoire, en


signant des contrats de long terme avec les pays de la
:211

région… La Russie tente aussi, sans grand succès, de


contrôler le plus possible les réseaux de gazoducs d’ex-
ouse

portation vers l’Europe (via l’Ukraine et la Biélorussie).


Toul

4 – Ioukos poursuivait notamment deux projets jugés nuisibles


:UT1

aux intérêts russes par certains acteurs gouvernementaux : le pro-


jet d’oléoduc vers la Chine (cf. chapitre II), le projet d’oléoduc dé-
x.com

bouchant à Mourmansk et permettant d’approvisionner les États-


Unis par supertankers. Ioukos était, en outre, en pourparlers avec
ExxonMobil sur la vente éventuelle de 40 % de ses parts, ce à quoi
larvo

l’État s’est opposé.


scho

149
univ.
Russie, les chemins de la puissance

Sa dépendance à l’égard de l’Ukraine pour le transit des


hydrocarbures vers l’Europe lui pose particulièrement
problème du fait des tarifs élevés pratiqués par Kiev,
des impayés et des prélèvements sur les gazoducs5. Les
efforts gouvernementaux en vue de doter la Russie
d’une capacité de produire et d’exporter du gaz liquéfié6
participent de cette même intention de consolider un
levier énergétique multiforme et polyvalent – contrôle

5.1
interne, contrôle des ressources d’autres pays, contrôle

.50.4
des voies d’évacuation, diversification des produits et,
à terme, des marchés… Moscou, qui tente d’afficher

:193
autant que possible un front uni avec les autres produc-

1952
teurs d’énergie (cf. projet d’« Opep du gaz », rappro-
chements périodiques avec l’Opep, dont elle n’est pas

8888
membre), travaille à ajouter à cet arsenal l’entrée dans
le capital d’activités en aval (distribution, raffinage…)
614:
dans les pays européens.
1011

Cependant, le gouvernement russe a conscience des


limites de sa force de frappe énergétique, et ce à dif-
:211

férents niveaux. En témoignent, en creux, la consti-


tution de réserves visant à soutenir l’économie en cas
ouse

d’effondrement des prix de l’énergie ; ou encore les


Toul

5 – Le gazoduc Yamal-Europe, permettant le contournement du


:UT1

territoire ukrainien, passe par la Biélorussie. Celle-ci résiste à la


demande de Gazprom d’échanger ses dettes énergétiques contre le
x.com

contrôle du tronçon qui passe par le territoire biélorusse…


6 – Une première usine de liquéfaction a été inaugurée en fé-
vrier 009 sur l’île de Sakhaline. Les sociétés actionnaires en sont
larvo

Gazprom, Royal Dutch/Shell, Mitsui et Mitsubishi.


scho

150
univ.
Les instruments de la puissance

anticipations de prix du baril sur lesquelles sont fon-


dés les prévisions budgétaires russes, généralement
fixées assez bas. L’Union européenne, son principal
client, appelle fréquemment, à raison, son fournis-
seur à investir davantage dans l’exploitation de nou-
velles ressources. De sérieux doutes pèsent, en effet,
sur la capacité de la Russie à réaliser pleinement ses
contrats de long terme, faute de mise en exploitation

5.1
de nouveaux gisements. Les gisements actuellement

.50.4
en exploitation ont été mis en service dans les années
1960-1970. Les sociétés pétrolières privatisées dans les

:193
années 1990 n’étaient pas intéressées aux perspectives

1952
de long terme, mais à des enjeux bien plus immédiats,
à savoir la maximisation de la production et des expor-

8888
tations. Le gouvernement russe hésite, pour sa part, à
aborder de nouveaux gisements en Sibérie orientale,
614:
plus délicats d’accès (conditions géologiques extrê-
1011

mes), compte tenu du coût et de la nécessité qui en


découle de faire appel à des investissements étrangers.
:211

De plus, l’UE propose à la Russie des coopérations


en matière de maîtrise de la consommation intérieure,
ouse

l’économie et les foyers russes étant particulièrement


Toul

énergivores. Par ailleurs, la crise globale a démontré,


s’il en était besoin, la vulnérabilité des économies for-
:UT1

tement dépendantes de l’exportation de matières pre-


mières. La Russie a en effet payé d’un prix très élevé la
x.com

chute des prix de ces dernières liée au ralentissement


de la croissance mondiale.
larvo
scho

151
univ.
Russie, les chemins de la puissance

Surtout, les dirigeants de la Russie post-soviétique


ne retirent pas du statut de puissance énergétique que
des avantages : ils en ressentent également de l’humilia-
tion. À leurs yeux, le pays à l’origine du premier satellite
artificiel et des grandes réalisations technologiques mi-
litaires du temps de la Guerre froide devrait pouvoir se
distinguer dans le monde globalisé également par des
industries de pointe et à forte valeur ajoutée. Selon le

5.1
Concept de développement socio-économique, la pro-

.50.4
duction de l’ensemble des secteurs de constructions
mécaniques ne compte plus que pour environ 3 % du

:193
PIB russe contre 28-30 % pour le complexe énergéti-

1952
que et les branches des matières premières ; la part des
services est réduite. Cette distorsion, on l’a vu, se re-

8888
trouve dans la structure des exportations de la Russie.
Avec l’Union européenne comme avec la Chine, il s’agit
614:
d’un constat très problématique – avec la première, qui
1011

ne cesse de dire aux Russes qu’en définitive, ils doivent


le regain de vitalité économique de leur pays à ses im-
:211

portations d’énergie, cela conforte l’amertume liée au


retard technologique récurrent ; avec la seconde, cela
ouse

pose la question de la capacité de la Russie à moderniser


Toul

son outil industriel, Pékin menaçant d’éclipser, dans de


nombreux domaines, le potentiel russe.
:UT1

Sur la voie de la diversification


x.com

Moscou n’a donc de cesse de corriger cette anoma-


lie. Depuis plusieurs années, les mots clés de la politique
larvo
scho

152
univ.
Les instruments de la puissance

économique russe sont « diversification » et « moder-


nisation ». Le Kremlin estime avoir permis au pays
de passer le cap de la crise structurelle qu’il traversait
depuis l’éclatement de l’URSS et atteint ses objectifs
en termes de stabilité macroéconomique – un bilan
d’ailleurs plutôt validé par les organisations internatio-
nales (FMI, Banque mondiale). Il annonce donc son
intention de passer à une nouvelle étape de son projet

5.1
de développement national, qu’incarne son programme

.50.4
socio-économique horizon 2020. Ce document prescrit
au gouvernement, entre autres, de faire en sorte que,

:193
dès 2014-2017, la production de haute technologie et

1952
l’économie de la connaissance constituent un apport au
PIB équivalent à celui fourni actuellement par les sec-

8888
teurs dits « traditionnels » – énergie, matières premiè-
res… Différentes mesures ont été prises qui doivent à
614:
terme permettre une participation plus importante des
1011

secteurs « non traditionnels » dans les échanges globali-


sés : action régalienne pour soutenir les secteurs manu-
:211

facturiers dont l’État pense qu’ils porteront la moderni-


sation et le renforcement de la capacité d’innovation de
ouse

l’économie russe, constitution de géants industriels in-


Toul

tégrés susceptibles de concurrencer les grands groupes


internationaux, action volontariste pour le développe-
:UT1

ment de nouvelles technologies (nanotechnologies, par


exemple)… Parmi ces secteurs figurent, sans surprise,
x.com
larvo
scho

153
univ.
Russie, les chemins de la puissance

ceux dans lesquels les Soviétiques avaient le plus massi-


vement investi – militaire, spatial, nucléaire7…
Le secteur nucléaire est mis en avant comme sec-
teur de haute technologie – Sergeï Kirienko, à la tête
de Rosatom, la corporation d’État pour l’énergie ato-
mique, vante les contrats passés avec le groupe amé-
ricain Fuel Co Group en 2009 sur la fourniture d’ura-
nium faiblement enrichi et de services (contrat de plus

5.1
d’un milliard de dollars). Des alliances sont en cours

.50.4
d’établissement avec l’Allemagne et le Japon. L’Inde et
la Chine sont clients de l’industrie nucléaire russe, de

:193
même que l’Iran. Le secteur de l’armement fait aussi

1952
l’objet de beaucoup d’intérêt de la part du Kremlin,
qui le considère comme un autre pan de la vitrine de

8888
la Russie comme puissance manufacturière et techno-
logique. Le gouvernement soutient activement cette
614:
industrie, cinquième secteur exportateur russe après
1011

pétrole, gaz, métaux légers et lourds. Cette dimension


est l’un des facteurs de sa position sur le dossier nu-
:211

cléaire iranien, qui a vu Moscou, à plusieurs reprises,


retarder et atténuer les sanctions de la communauté
ouse

internationale, pour préserver son intérêt économique


Toul

(ventes d’armes et coopération nucléaire), en Iran et


au-delà : en se montrant capable de tenir ses engage-
:UT1

ments malgré la pression occidentale, la Russie espère


attirer ou fidéliser d’autres clients pour ses secteurs
x.com

7 – Des grands groupes ont déjà été constitués, auparavant, dans


larvo

l’énergie, les métaux, les produits chimiques…


scho

154
univ.
Les instruments de la puissance

sensibles. Les opportunités dans ces domaines sont le


moteur principal de ses efforts en direction des zones
non prioritaires de sa diplomatie – Proche et Moyen-
Orient, Afrique, Amérique latine. À l’heure de la crise
internationale, le gouvernement a choisi de ne pas mé-
nager son soutien à ces mêmes secteurs, ce que lui ont
permis, dans un premier temps, les réserves financiè-
res accumulées au cours des dernières années (elles

5.1
se situaient à un niveau de 600 milliards de dollars au

.50.4
début de la crise).

:193
La « faute de l’autre » ? Les failles de l’intégration
russe à l’économie-monde

1952
Tout en reconnaissant ouvertement les failles de

8888
l’économie nationale, les dirigeants russes tendent à im-
puter à d’autres la responsabilité de l’intégration relati- 614:
vement limitée de leur pays dans l’économie globalisée.
1011

C’est ce que sous-entend, par exemple, Sergeï Lavrov,


lorsqu’il dit percevoir des « réactions extérieures négatives au
:211

renforcement de l’économie russe et à l’élargissement de son rôle


dans les affaires internationales8 ».
ouse

Parmi les exemples les plus fréquemment mention-


Toul

nés pour étayer cette vision figurent les critiques – par-


fois les sanctions – dont la Russie fait l’objet quand elle
:UT1

exporte ses produits non énergétiques. Il faut dire que


les industriels du nucléaire ou de l’armement russe se
x.com

8 – Sergeï LAVROV, « Containing Russia: Back to the Future ? »,


larvo

19 juillet 2007, sur le site du MAE russe.


scho

155
univ.
Russie, les chemins de la puissance

tournent surtout vers des pays jugés sensibles par la


communauté internationale, et au moins par les pays
occidentaux – Iran, Syrie, Chine, Nicaragua, pour ne
citer que les plus importants. Il faut dire aussi que les
Russes se souviennent que la courte phase d’alignement
sur les positions occidentales a signifié, pour leur pays,
des pertes en termes financiers ou d’image. On peut
citer, pour les années 1990, le soutien de la Russie aux

5.1
pays occidentaux sur l’Irak ou sur les sanctions contre

.50.4
la Libye, ou encore la renonciation à la vente de tech-
nologies de moteurs à l’Inde et les sanctions contre la

:193
Serbie. Dans tous les cas, la Russie a eu à y perdre – su-

1952
bissant les effets de la fermeture de marchés tradition-
nels, de l’impossibilité de recouvrer des dettes substan-

8888
tielles, ou encore du discrédit en tant que fournisseur
fiable… Les pertes économiques (non négligeables
614:
par rapport au contexte budgétaire qui était alors ce-
1011

lui de la Russie) ont suscité à Moscou une amertume


d’autant plus grande qu’elle estime avoir été privée de
:211

reconnaissance pour son soutien aux Occidentaux sur


des dossiers sensibles par rapport à sa tradition diplo-
ouse

matique. L’élargissement de l’OTAN revêt également


Toul

une dimension de cet ordre – les nouveaux pays mem-


bres acquérant évidemment moins de systèmes russes
:UT1

du fait de l’effort requis de standardisation avec les


forces de l’Alliance.
x.com

Dans un autre ordre d’idées, la Russie retire du dépit


de la position prudente des pays européens face à ses
larvo

offres de partenariats industriels susceptibles de susciter


scho

156
univ.
Les instruments de la puissance

des transferts de technologies au bénéfice de son éco-


nomie dans les domaines où elle connaît des faiblesses
structurelles. Elle déplore les barrières qui lui sont tou-
jours imposées dans l’accès à certaines technologies de
pointe. Le fait que les industriels russes pourraient de
toute façon peiner à introduire et maîtriser les éventuel-
les technologies acquises à l’étranger ne change rien à
cette analyse. De même, Moscou s’offusque de la mé-

5.1
fiance témoignée à l’égard de ses éventuelles prises de

.50.4
participation dans le capital de sociétés européennes et
autres acquisitions – sans sembler tenir compte du fait

:193
que l’inquiétude occidentale à cet égard s’explique no-

1952
tamment par le manque de transparence et la corrup-
tion endémique dans les milieux économiques et finan-

8888
ciers russes, dissuasive pour les investisseurs étrangers
et drain pour l’économie nationale9. La Chine, cela a été
614:
dit, est accusée de ne rien faire pour corriger les déséqui-
1011

libres dans ses rapports commerciaux avec la Russie et


de chercher, comme l’UE, à cantonner son voisin russe
:211

au rang de réservoir de matières premières. S’ajoutent à


cela les mesures antidumping que l’Union européenne
ouse

et les États-Unis imposent à certaines exportations rus-


Toul

ses, notamment les métaux, profitant ainsi du fait que


la Russie n’est toujours pas membre de l’OMC.
:UT1

9 – Le phénomène a, de façon assez prévisible, été accentué par


x.com

la manne financière liée aux hydrocarbures. En 008, la Russie se


situait au 147e rang de l’Indice de perception de la corruption de
Transparence International, à égalité avec le Bengladesh, le Kenya
larvo

et la Syrie.
scho

157
univ.
Russie, les chemins de la puissance

La Russie en (difficile) marche vers l’OMC


Moscou a fait acte de candidature au GATT en
juin 993. Mais Vladimir Poutine, en arrivant au
pouvoir en 2000, a fait de l’adhésion à l’OMC une
de ses priorités, fixant l’objectif d’une accession fin
2003. Pour le nouveau président russe, sans doute
encouragé dans sa réflexion par le retentissement
provoqué par l’entrée de la Chine en 2001, cela peut
renforcer la visibilité de la Russie dans l’économie

5.1
globalisée tout en lui permettant de bénéficier des

.50.4
accords négociés au sein de l’OMC, de participer
à la négociation des futurs accords, et d’espérer

:193
obtenir l’assouplissement de mesures anti-
dumping imposées par Européens et Américains

1952
(notamment sur l’acier). Moscou pense que l’Or-
gane de règlement des différends pourrait s’avérer

8888
protecteur des intérêts économiques et commer-
ciaux nationaux face à la force de frappe des géants
614:
commerciaux que sont les États-Unis, l’UE et la
Chine. Il semblerait que le gouvernement russe se
1011

soit également intéressé, un temps, à la dimension


plus indirecte, à savoir le caractère stimulant des
:211

processus d’adhésion pour les réformes internes,


ouse

en particulier des réformes institutionnelles devant


améliorer le climat de l’investissement. Une équipe
Toul

assez dynamique de négociateurs est alors mise en


place, tandis que le Code fiscal et le Code douanier
:UT1

sont réformés.
Depuis l’enthousiasme est retombé, et la date de
x.com

l’achèvement présumé des négociations est constam-


ment reportée. Il est notamment reproché à la
larvo

Russie de faire payer aux consommateurs nationaux


scho

158
univ.
Les instruments de la puissance

des prix de l’énergie inférieurs à ceux du marché,


ce qui équivaut à des subventions aux industries
nationales, d’avoir imposé des tarifs élevés pour
protéger le marché automobile et avions civils, de
ne pas assurer de façon satisfaisante la protection
des droits de propriété intellectuelle (un problème
particulièrement sérieux avec les États-Unis, qui se
plaignent de l’ampleur du piratage électronique).
Des désaccords pèsent entre la Russie et le grou-

5.1
pe de Cairns sur la question du soutien au secteur

.50.4
agricole. Même quand le cadre législatif russe est
adapté en fonction des négociations OMC, étape

:193
considérée comme achevée, la mise en œuvre pose
parfois problème. Certaines orientations récentes

1952
de la politique économique russe alourdissent le
climat – subventions aux industries prioritaires, en-

8888
couragement à la substitution aux importations…
Si la ligne officielle est que la candidature rus-
se à l’OMC n’est pas remise en question, Igor 614:
Chouvalov, premier vice-Premier ministre russe, a
1011

évoqué la perspective d’un retrait de la demande


d’adhésion et de la suspension des engagements
:211

pris dans le cours des négociations. La Géorgie n’a


ouse

toujours pas fait évoluer sa position sur le proto-


cole bilatéral d’accession. D’une façon générale, la
Toul

Russie ne perçoit pas l’accession à l’OMC comme


une urgence économique – puisque la majeure par-
:UT1

tie des biens qu’elle exporte sont des articles qui,


peu soumis au risque protectionniste (énergie, ma-
x.com

tières premières), ne relèvent pas véritablement de


la compétence de l’OMC.
larvo
scho

159
univ.
Russie, les chemins de la puissance

À ces incompréhensions s’ajoute la position ambiva-


lente de la Russie quant au degré d’intégration souhai-
table dans l’économie globalisée. Là aussi, le discours
russe ambiant est que dans le fond, les négociateurs de
l’OMC posent des conditions exigeantes pour préve-
nir l’adhésion de la Russie. Des secteurs de l’économie
russe sont hostiles à la possible entrée, en tout cas à
l’entrée rapide, de la Russie dans l’OMC – automobile,

5.1
industrie agraire… Industries pharmaceutique, chimi-

.50.4
que, électronique et alimentaire font valoir leur droit au
développement avant l’ouverture, un argumentaire uti-

:193
lisé également par les acteurs du secteur des services, y

1952
compris les secteurs financiers. Le pouvoir, quant à lui,
s’inquiète du coût social de l’entrée éventuelle de leur

8888
pays à l’OMC. Cette préoccupation porte surtout sur
les régions ou les villes qui dépendent d’une seule acti-
614:
vité, voire d’une seule entreprise relevant des secteurs
1011

susceptibles d’être perdants suite à l’entrée du pays dans


l’OMC. Les responsables russes martèlent que globa-
:211

lisation est synonyme de compétition – situation face


à laquelle le pays ne se sent pas très bien armé. Cette
ouse

vision inquiète s’explique en partie par une très forte


Toul

conscience des problèmes qui obèrent l’avenir écono-


mique de la Russie et sa capacité à prendre une pleine
:UT1

place dans la globalisation – du déficit démographique


au problème des infrastructures (notamment pour le
x.com

transport et l’énergie), en passant par la faible efficacité


de la gouvernance étatique, les failles au plan de l’appli-
larvo

cation des lois et la corruption endémique, l’insuffisante


scho

160
univ.
Les instruments de la puissance

concentration du capital, le manque de créativité du


personnel de management… Des personnalités jugent
qu’il serait préférable que la Russie attende d’avoir mo-
dernisé son économie, ce qui peut passer par d’impor-
tantes subventions à certains secteurs, avant d’adhérer à
l’OMC10. D’aucuns considèrent même que, prématuré,
ce processus pourrait revenir à laisser aux autres puis-
sances économiques le « soin » de restructurer l’écono-

5.1
mie russe, qui serait alors probablement cantonnée au

.50.4
rang de réservoir de matières premières, et conduirait
en tout cas au remplacement de la majorité de la pro-

:193
duction nationale par des produits d’importation. Au

1952
plus fort de la crise globale, en juin 2009, la Russie, la
Biélorussie et le Kazakhstan annonçaient leur intention

8888
de négocier de façon groupée leur adhésion à l’OMC
en qualité d’union douanière, formant pour ce faire une
614:
délégation unique – et suscitant des réactions internatio-
1011

nales négatives. Tout en traduisant le souci de donner la


priorité à l’intégration économique régionale (toujours
:211

l’étranger proche…), cela semble indiquer que Moscou


considère que l’entrée dans l’OMC compliquerait enco-
ouse

re, par son système de contraintes, la gestion de la crise


Toul

et la mise en œuvre des réformes structurelles dont la


nécessité a été clairement mise en évidence par l’am-
:UT1

pleur du choc de la crise mais pour lesquelles la Russie


entend concevoir ses propres solutions.
x.com

0 – « Rossiia-VTO : kak vstoupat’ » [Russie-OMC : comment en-


larvo

trer ?], 26 août 2009.


scho

161
univ.
Russie, les chemins de la puissance

La Russie s’est lassée de la solitude. Des années


durant, elle a avancé sur un chemin interminable
vers l’OMC. Elle s’est arrêtée. Elle a attendu [la]
Biélorussie et le Kazakhstan. Ils se sont mis d’ac-
cord sur la création d’une union douanière. Pour
avancer ensemble. À trois. C’est tout de même
plus gai ainsi […]. Les partenaires ont réagi plu-
tôt nerveusement. Ils parlent de notre imprévisi-
bilité. Ils disent que cela leur a fait un choc […].

5.1
La décision était effectivement inattendue. Res-

.50.4
ponsable. Justifiée ? Je ne sais pas. L’avenir le dira.
Mais elle est très explicable. Cela fait seize ans que

:193
nous entrons dans l’OMC. Battant ainsi tous les
records. On n’a fait mariner personne aussi long-

1952
temps. [L’OMC a respecté] près de 150 pays. Mais
le plus grand, on l’envoie paître […]. L’Ukraine est

8888
entrée en 2008. L’Arménie en 2003. La Moldavie
en 2001. Le Kirghizstan en 1998 […]. Cela vou-
drait dire que [dès 1998], les lois et règles de là- 614:
bas correspondaient aux exigences internationa-
1011

les. Donc elles étaient déjà meilleures que les lois


russes d’aujourd’hui […]. Je connais bien ce pays
:211

remarquable. Pourvu qu’il envoie un Kirghize in-


ouse

telligent. Pour qu’il nous fasse entendre raison à


nous qui sommes stupides […]. En bref, on ne
Toul

nous laisse pas entrer, voilà tout. Il semble que


nos autorités en aient eu assez […]. Et qu’elles
:UT1

soient allées vers là où on veut bien de nous.


A. Livchtchits, Finansovye Izvestiia, 1er juillet 2009
x.com

Dans la globalisation, la Russie se retrouve face à ses


contradictions. Elle n’a jamais été aussi insérée, politi-
larvo

quement et économiquement, dans le monde. Cela a


scho

162
univ.
Les instruments de la puissance

quelque chose de perturbant pour une puissance qui,


à différentes périodes de son histoire, a opté pour un
mode d’existence quasi autarcique. Il est d’ailleurs frap-
pant d’entendre certains responsables russes affirmer
que si elle y est amenée, la Russie peut vivre isolée, n’a
pas peur de l’isolement – des propos entendus au mo-
ment de la guerre en Géorgie. Et il semble évident que
Moscou, surtout depuis le début des années 2000, re-

5.1
fuse plus fréquemment les contraintes de cette inser-

.50.4
tion et craint, comme avant, les effets d’une trop grande
exposition au monde, aux influences extérieures. Cela

:193
peut expliquer, en définitive, son manque de goût pour

1952
les projets d’intégration et leur dimension fréquemment
normative. En revanche, la Russie professe, depuis son

8888
indépendance, un attachement fort au multilatéralisme,
qu’elle voit avant tout comme un multiplicateur de
614:
prestige et un protecteur de ses intérêts fort utile dans
1011

sa phase actuelle de vulnérabilité.


:211

3 – Le multilatéralisme : attentes et ambiguïtés


ouse

russes
Toul

Depuis l’ère Gorbatchev, Moscou met en avant le


thème du multilatéralisme. La « Russie pense que la diplo-
:UT1

matie multilatérale fondée sur le droit international devrait gé-


rer les relations régionales et globales », résume le ministre
x.com

russe des Affaires étrangères, Sergeï Lavrov (2007). Of-


ficiellement, cet accent sur le multilatéralisme relève du
larvo
scho

163
univ.
Russie, les chemins de la puissance

constat, d’ailleurs largement partagé, que dans l’ordre


mondial contemporain, aucun État ne peut, seul, faire
face aux menaces, désormais souvent transnationales et
amplifiées par la globalisation, et appelant par consé-
quent, au-delà des réponses nationales, des actions mul-
tilatérales.
Les officiels russes insistent sur cette grille de lec-
ture lorsqu’ils parlent de terrorisme international, de

5.1
prolifération des armes, de trafics de drogue et autres

.50.4
phénomènes de la criminalité organisée transnationale.
Ces enjeux sont mis en avant dans les propositions de

:193
coopération de sécurité que la Russie fait, notamment,

1952
aux pays occidentaux dans une forme de « deal » qui
justifierait que ces derniers mettent de côté, au nom

8888
de la logique multilatérale, leurs objections quant aux
évolutions internes en Russie ou à ses agissements dans
614:
l’espace post-soviétique.
1011

[…] le président des États-Unis a dit très clai-


rement que son administration revisite la situation
:211

dans le monde, les menaces qu’il est nécessaire de


ouse

contrer, et parmi elles les plus importantes sont le


terrorisme, la prolifération des armes de destruc-
Toul

tion massive, et tout ce qui lui est lié. La principale


conclusion qu’en tire B. Obama est que les États-
:UT1

Unis ne pourront pas faire face à ces menaces en


solitaire. Il faut une coalition d’États qui voient les
x.com

choses de la même manière, et dans cette coalition,


le rôle de la Russie est irremplaçable […]. Le prési-
dent Obama a très clairement dit que son approche
larvo
scho

164
univ.
Les instruments de la puissance

des affaires internationales se distinguera de celle


de l’administration précédente, en premier lieu du
fait que sur la scène mondiale, l’actuelle administra-
tion agira non par le diktat mais par la coopération
internationale, dans laquelle un rôle irremplaçable
est dévolu à la Russie. Nous y sommes prêts, com-
me nous l’étions dans les années précédentes, mais
malheureusement, nous nous sommes heurtés à
l’incompréhension de Washington.

5.1
Sergeï Lavrov, interview sur la chaîne d’informa-

.50.4
tion Vesti, 7 juillet 009

:193
Le multilatéralisme comme multiplicateur de
prestige

1952
Pour les officiels russes, l’ONU demeure le cadre le

8888
plus approprié pour encadrer et guider la réponse multi-
latérale aux défis et menaces globaux et transnationaux
614:
contemporains. Alors que beaucoup de voix, dans le
1011

monde, expriment des critiques et des doutes sur l’effi-


cacité des Nations unies, la position russe (qui reconnaît
:211

d’ailleurs le besoin de renforcer et de réformer l’Orga-


nisation) n’a rien d’étonnant. L’ONU satisfait en effet
ouse

aux préoccupations essentielles qui sous-tendent l’inté-


Toul

rêt de Moscou pour le multilatéralisme, principalement


des considérations de prestige (validation du statut de
:UT1

la Russie comme grande puissance) et le souci de pro-


tection de ses intérêts face aux acteurs plus puissants
x.com

qu’elle, en premier lieu les États-Unis.


larvo
scho

165
univ.
Russie, les chemins de la puissance

La forme même du Conseil de sécurité de l’ONU,


celle d’un cercle fermé (cinq membres permanents
disposant d’un veto) consacre de facto son statut de
« grand », en dépit des nombreuses contraintes et limi-
tations qui pèsent sur sa puissance. Pour cette raison,
l’insistance de la Russie sur la nécessité d’un ordre in-
ternational « plus démocratique » suscite une certaine
ironie de la part de nombreux commentateurs. Il ne

5.1
s’agit en effet pas pour Moscou de faire en sorte que

.50.4
chaque membre de la communauté internationale dis-
pose d’une même voix que les autres – elle cache assez

:193
mal, en réalité, qu’elle a peine à admettre que la Pologne

1952
ou la Lituanie aient vocation à peser autant, dans la dé-
cision, que les États-Unis, la France ou… la Russie, tous

8888
de grands États dignes de disposer d’une responsabilité
spéciale dans la vie internationale… Pour elle, l’objec-
614:
tif est l’établissement de fait d’une forme de directoire
1011

des « grands » dont elle ne peut concevoir d’être ex-


clue – une approche classique depuis qu’elle-même est
:211

parvenue à s’imposer dans ce type de formations de


choix (concert des puissances européennes puis condo-
ouse

minium soviéto-américain de la Guerre froide). Cette


Toul

aspiration est parfaitement servie par le maintien du


statu quo au Conseil de sécurité : ainsi, si, officiellement,
:UT1

Moscou encourage l’élargissement du nombre de mem-


bres permanents, force est de constater qu’elle n’y a jus-
x.com

qu’à présent pas contribué activement, au-delà de son


soutien de principe à l’entrée de l’Inde par exemple.
larvo
scho

166
univ.
Les instruments de la puissance

Cette approche russe, qui n’est pas étrangère à l’image


d’impérialisme qu’elle conserve dans les pays d’Europe
centrale et orientale, s’est exprimée dans son refus d’être
englobée dans la Politique européenne de voisinage de
l’UE et dans sa demande consécutive d’un mécanisme
distinct Russie-UE consacrant la spécificité du rap-
port entre ces deux grands acteurs. La constitution du
Conseil OTAN-Russie en 2002, qui accorde à Moscou

5.1
une voix égale à celle des membres de l’Alliance sur une

.50.4
dizaine de sujets d’intérêt commun, répondait elle aussi
à cette attente russe (même si, au lendemain de la guerre

:193
en Géorgie, la Russie considère que ce mécanisme a dé-

1952
montré son inutilité, du fait qu’elle avait, à la veille du
conflit, demandé, sans succès, une réunion du COR).

8888
La vision russe de l’ordre international optimal
La Russie est intéressée à un système de rela- 614:
tions internationales stable, fondé sur les principes
1011

de l’égalité en droits, du respect réciproque et de


la coopération mutuellement profitable des États
:211

et reposant sur le droit international. Ce système


ouse

doit assurer une sécurité fiable et égale pour chaque


membre de la communauté internationale en matiè-
Toul

re politique, militaire, économique, d’information,


humanitaire et autres. Son instrument principal est
:UT1

la diplomatie multilatérale.
Le centre de la régulation des relations interna-
x.com

tionales et de coordination de la politique mondiale


au XXIe siècle doit demeurer l’ONU, qui a prouvé
qu’elle est sans alternative et qui est investie d’une
larvo
scho

167
univ.
Russie, les chemins de la puissance

légitimité unique. La Russie soutient les efforts vi-


sant à renforcer son rôle central et de coordination.
Cela suppose : le respect inconditionnel des buts et
principes fixés dans la Charte de l’ONU ; la réfor-
me rationnelle de l’ONU en vue de son adaptation
progressive aux réalités politiques et économiques
changeantes du monde ; la poursuite du rehausse-
ment de l’efficacité de l’action du Conseil de sécuri-
té de l’ONU, qui porte la plus grande responsabilité

5.1
pour le maintien de la paix et de la sécurité interna-

.50.4
tionales, l’octroi à cet organe, dans le processus de
sa réforme, d’une plus grande représentativité en

:193
assurant qu’il soit opérationnel comme de besoin
dans son activité. Toute décision sur la création de

1952
nouveaux sièges au Conseil de sécurité de l’ONU
doit être prise sur la base de l’accord le plus large

8888
entre les États membres de l’ONU. Le statut des
cinq membres permanents du Conseil de sécurité
de l’ONU doit être maintenu. 614:
La Russie attache une grande importance à un
1011

renforcement de la gouvernabilité du développe-


ment mondial, à la création d’un système interna-
:211

tional qui s’autorégule, ce qui exige un leadership


ouse

collectif des principaux États du monde, qui doit


être représentatif sur le plan géographique et civili-
Toul

sationnel et se réaliser dans le plein respect du rôle


central et de coordination de l’ONU. À cette fin, la
:UT1

Russie renforcera son interaction dans des formats


tels que le G8 et son dialogue avec ses partenaires
x.com

traditionnels, la «troïka» (Russie, Inde et Chine),


le «quatuor» BRIC (Brésil, Russie, Inde et Chine),
larvo
scho

168
univ.
Les instruments de la puissance

mais aussi en ayant recours à d’autres structures in-


formelles et plateformes de dialogue.
Concept de politique extérieure de la Fédéra-
tion de Russie, 12 juillet 2008
Cette quête d’influence et de prestige via les formats
multilatéraux explique aussi la satisfaction que retire
la Russie du fait d’être, depuis 2002, membre de plein
droit du G8, qui se rapproche à bien des égards du prin-

5.1
cipe d’un club « select » de grandes puissances jouant

.50.4
un rôle particulier dans la gouvernance globale. L’on
se souvient, d’ailleurs, de la pompe déployée lorsqu’elle

:193
a assuré, en 2006, la présidence du G8 et accueilli son

1952
sommet à Saint-Pétersbourg. Cependant, l’appartenance
au G8 n’a pas la même portée que la présence au sein

8888
du « groupe des 5 » du Conseil de sécurité : Moscou ne
dispose d’aucun veto dans ce groupement dont les dé- 614:
cisions ne sont pas contraignantes pour le reste de la
1011

communauté internationale, et elle n’est pas membre du


G7 (concentré sur les aspects finances et économie, soit,
:211

théoriquement, le cœur de l’activité du G8). Le déplace-


ment, ces dernières années, de l’intérêt de Moscou vers
ouse

d’autres cadres multilatéraux informels, comme le trian-


Toul

gle Russie-Inde-Chine ou le BRIC (cf. chapitre II) traduit


sans doute le constat de la banalisation du G8, dont
:UT1

l’importance s’est trouvée diluée par la montée en puis-


sance du G20. D’ailleurs, avant la crise globale, la Russie
x.com

n’était que moyennement enthousiaste à l’idée d’élargir


le G8 aux pays émergents et d’autres acteurs pour lui
larvo
scho

169
univ.
Russie, les chemins de la puissance

assurer une meilleure représentativité. Ce n’est qu’à par-


tir de 2007, alors que les relations avec les États-Unis se
dégradaient de plus en plus – donnant lieu, entre autres,
à des appels de John Mc Cain et d’autres à l’éviction de
la Russie du G8 – que Moscou a revisité la question et
suggéré un élargissement du G8.
Le fait que la Russie n’ait pas réussi à rejoindre
l’OMC revêt également une forte dimension politique :

5.1
cet échec, si ses implications économiques ne sont pas

.50.4
dramatiques (voir encadré), est vexant pour la Russie, qui
retire de l’irritation de la présence au sein de l’Organi-

:193
sation de la Chine, de l’Ukraine mais aussi de « petits »

1952
pays de l’ex-URSS, comme le Kirghizstan ou la Géorgie.
Dans ce contexte, la possible entrée dans l’Organisa-

8888
tion de coopération et de développement économiques
(OCDE) serait perçue comme un facteur de « com-
614:
pensation » : la procédure s’est engagée en juin 2009,
1011

et pour le directeur du Département des négociations


commerciales du ministère russe du Développement
:211

économique, Maksim Medvedkov, la Russie pourrait


adhérer à l’OCDE sans devenir membre de l’OMC.
ouse

Les vertus protectrices du multilatéralisme


Toul

Moscou attend de l’ONU qu’elle soit le vecteur prin-


:UT1

cipal de l’édification d’un ordre international « démo-


cratique ». Par cela, elle entend que les Nations unies,
x.com

en premier lieu le Conseil de sécurité, protègent la com-


munauté internationale des tentations unilatéralistes des
larvo
scho

170
univ.
Les instruments de la puissance

États-Unis, notamment pour ce qui concerne le recours


à la force militaire. D’ailleurs, d’une façon générale, les
options multilatérales que la Russie promeut, quelles
qu’en soient la composition ou la solidité institutionnel-
le, qu’il s’agisse de l’Organisation du Traité de sécurité
collective, du BRIC ou de l’Organisation de coopéra-
tion de Shanghai, portent fortement la trace de sa vo-
lonté de faire contrepoids aux États-Unis et à l’OTAN.

5.1
Ainsi, dans sa politique d’exportation d’armement, elle

.50.4
ne reconnaît que les sanctions de l’ONU, et non cel-
les imposées unilatéralement par les États-Unis ; elle

:193
utilise son siège de membre permanent pour prévenir

1952
des sanctions réclamées par Washington ou en limiter la
portée, surtout lorsqu’elle estime qu’il s’agit d’un possi-

8888
ble précédent applicable à elle-même ou à son « étran-
ger proche ».
614:
Vu du Kremlin, le droit international, incarné en
1011

premier lieu par la Charte de l’ONU, même si de nou-


velles circonstances (en particulier le terrorisme inter-
:211

national) peuvent justifier qu’on lui apporte de la sou-


plesse, reste le meilleur rempart contre la « dictature
ouse

des valeurs » qu’à son sens les États-Unis et les pays


Toul

occidentaux cherchent à imposer – démocratie, droits


de l’homme…, des notions autrement plus subjectives
:UT1

à ses yeux. La Charte et le droit de veto de Moscou


sont théoriquement les meilleurs garants du maintien
x.com

du statu quo face à l’affirmation des nouveaux impératifs


d’ingérence humanitaire. C’est la raison pour laquelle
larvo

l’opération Force alliée de l’OTAN en 1999 a constitué


scho

171
univ.
Russie, les chemins de la puissance

le choc que l’on sait pour Moscou. De fait, l’OTAN a


choisi de se passer de mandat du Conseil de sécurité (il
était clair que le veto de la Russie et de la Chine était
acquis, les deux invoquant le principe de non-ingérence
dans les affaires internes des États souverains, en l’oc-
currence la Serbie). Ce traumatisme, lié à la dévaluation
subie par le Conseil de sécurité à cette occasion, expli-
que la position de la Russie, par la suite, sur la guerre

5.1
en Irak. Il est également très présent dans l’inquiétude

.50.4
exprimée par Moscou sur le risque qu’elle entrevoit que
l’OTAN puisse vouloir se substituer à l’ONU en ma-

:193
tière de paix et de sécurité.

1952
C’est pour les mêmes raisons que Moscou, au dé-
but des années 1990, a tenté de valoriser l’OSCE pour

8888
contrer l’affirmation de l’OTAN comme élément cen-
tral de l’architecture de sécurité en Europe post-Guerre
614:
froide (cf. chapitre II). De fait, elle y dispose, comme tous
1011

les autres membres, d’un droit de veto, ce qui à son sens


aurait permis que ses visions et approches soient pri-
:211

ses en compte pour l’organisation politique et sécuri-


taire sur le continent. Cette idée russe n’a pas séduit
ouse

grand monde en Europe et aux États-Unis, comme le


Toul

constate Sergeï Lavrov : « Nos partenaires comprenaient


parfaitement bien à l’époque qu’il fallait choisir entre l’élargis-
:UT1

sement de l’OTAN et une OSCE forte. On sait quel choix a


été fait – et c’est précisément pour cette raison que nous avons
x.com

aujourd’hui une OSCE faible » (MGIMO, 1er septembre


2009). Aujourd’hui, la Russie a renoncé à ce projet, et
larvo

est même devenue l’un des adversaires les plus farouches


scho

172
univ.
Les instruments de la puissance

de l’OSCE, qu’elle accuse de s’intéresser trop exclusi-


vement à l’ex-URSS. C’est notamment à l’OSCE que
s’adressent les reproches récurrents des diplomates rus-
ses sur le fait que certains États instrumentalisent les
organisations internationales pour justifier des ingéren-
ces dans les affaires intérieures des États, des actions
contraires aux intérêts des autres membres, et analysent
les situations sur la base de « doubles standards ». Il est

5.1
vrai que l’OSCE s’est faite assez présente dans l’espace

.50.4
post-soviétique, notamment dans la surveillance des
processus électoraux. Elle a également essayé de jouer

:193
un rôle dans le déblocage des conflits gelés en Moldavie

1952
et dans le Caucase – pour lesquels Moscou, pour pré-
venir l’engagement « excessif » des autres grandes puis-

8888
sances, a conçu dans les années 1990 des mécanismes
de règlement qui lui font la part belle. Son opposition,
614:
après la « guerre des cinq jours », en Géorgie, au renou-
1011

vellement du mandat de la Mission d’observation de


l’ONU en Abkhazie et de celui de l’OSCE en Ossétie
:211

du Sud a bien marqué sa vision sélective de l’utilité du


multilatéralisme dès lors qu’il concerne son voisinage.
ouse

Multilatéralisme russe contre pluralisme géopolitique


Toul

Au début des années 2000, Moscou a renoncé à


:UT1

s’appuyer sur la Communauté des États indépen-


dants comme moteur de l’intégration, autour d’elle,
x.com

de l’espace post-soviétique (cf. chapitre II). Elle n’en a


pas pour autant abandonné les options multilatérales.
larvo
scho

173
univ.
Russie, les chemins de la puissance

OTSC, Communauté économique eurasiatique, État


d’Union Russie-Biélorussie, espace économique uni-
fié, OCS : autant d’initiatives que Moscou met en avant
pour témoigner de ce qu’elle demeure capable de susci-
ter des mouvements d’intégration (politique, économi-
que, militaire), prérogative des grandes puissances. On
peut toutefois parler de multilatéralisme, de formes de
coopération poussées, plutôt que d’intégration (terme

5.1
retenu officiellement par les Russes), compte tenu des

.50.4
fortes limites que rencontrent ces formats, en partie du
fait même de Moscou.

:193
Certes, la Russie, à cet égard, dispose d’un atout de

1952
taille : son poids prédominant (économique, militaire,
territorial) par rapport à tous les autres États de l’es-

8888
pace eurasiatique. Toutefois, la plupart de ces organisa-
tions, hormis l’OCS (dont la force motrice est plutôt la
614:
Chine) et, dans une moindre mesure, l’OTCS, peinent
1011

à trouver leur rythme de croisière. Les pays concernés


ne partagent pas nécessairement toutes les ambitions
:211

de Moscou, et en tout état de cause, leur engagement


peut s’avérer fluctuant – les États disposant de peu de
ouse

ressources ayant généralement tendance à multiplier


Toul

leurs opportunités diplomatiques et économiques en ne


s’enfermant pas dans des dispositifs trop exclusifs. Le
:UT1

projet d’espace économique unifié – lancé en 003 avec


la Biélorussie, le Kazakhstan et l’Ukraine – comporte
x.com

théoriquement trois étapes (zone de libre-échange,


union douanière, espace économique pleinement
larvo

intégré – avec libéralisation des mouvements de


scho

174
univ.
Les instruments de la puissance

main-d’œuvre, de marchandises et de services, et une


monnaie commune). Mais Kiev a déjà fait savoir qu’el-
le n’avait pas l’intention d’aller au-delà de la première
étape, au motif que cela obérerait son projet de rejoin-
dre l’Union européenne (la Commission européenne
a d’ailleurs déclaré cet espace commun susceptible de
compromettre tant la réalisation du projet d’espace écono-
mique européen commun entre l’UE et la Russie que les

5.1
aspirations européennes de l’Ukraine). Or, sans l’Ukraine,

.50.4
le projet perd largement de son intérêt pour la Russie.
Les cadres multilatéraux impliquant des acteurs

:193
de la zone post-soviétique permettent en tout cas à

1952
Moscou d’ajouter un argument dans son effort pour
réduire l’influence des acteurs extérieurs dans l’espace

8888
post-soviétique : les acteurs locaux sont bien organi-
sés entre eux (OTSC, OCS, coopérations dans la mer
614:
Noire…), les apports des « extra-régionaux » ne sont
1011

donc pas nécessaires. Cette posture russe dissuade


l’OTAN de donner suite aux propositions russes de
:211

coopération OTSC-OTAN, répétées depuis 2005, car


elle craint de cautionner ce faisant les raisonnements
ouse

russes en termes de sphères d’influence. En parallèle,


Toul

Moscou cherche activement à faire reconnaître « ses »


initiatives multilatérales par l’ONU. Il serait cependant
:UT1

réducteur de limiter les projets multilatéraux encouragés


par Moscou à des actes visant à faire obstacle au plu-
x.com

ralisme géopolitique dans la zone ex-URSS. L’énergie


qu’elle a consacrée ces dernières années à renforcer
larvo

l’OTSC et à fortifier, avec Pékin, l’OCS apparaît non


scho

175
univ.
Russie, les chemins de la puissance

seulement comme une marque de vigilance à l’égard


de la présence occidentale en Asie centrale, mais aussi
comme une réponse à une situation afghane qui se dé-
grade, avec le développement consécutif de risques de
déstabilisation de la région…

Contradictions et insuffisances
Mais même dans ces cadres-là, qui drainent le plus

5.1
gros de l’énergie « pro-multilatéraliste » de la Russie,

.50.4
celle-ci joue le plus fréquemment la carte du bilatéral
et de l’informel, ce qui bien souvent limite la force ins-

:193
titutionnelle des organisations concernées. Par ailleurs,

1952
Moscou ne s’engage pas fortement comme moteur des
processus d’intégration qu’elle dit vouloir y promou-

8888
voir. Elle y poursuit son intérêt propre – qui semble
bien souvent s’arrêter à renvoyer vers le reste du monde 614:
l’image d’un chemin commun avec le plus grand nom-
1011

bre possible de républiques ex-soviétiques. D’une façon


générale, son credo multilatéraliste est discrédité par la
:211

teneur de ses agissements dans l’ex-URSS. Tandis qu’el-


le réclame le respect de la souveraineté des États et du
ouse

principe de non-ingérence quand il s’agit d’elle ou de


Toul

ses alliés politiques – Chine ou Inde, Serbie ou Irak –


elle semble avoir de cette notion une interprétation plus
:UT1

souple dès lors qu’il s’agit de ses voisins. Au moment du


conflit en Géorgie, la Russie ne s’est à aucun moment
x.com

tournée vers l’ONU.


larvo
scho

176
univ.
Les instruments de la puissance

Par ailleurs, les contributions de la Russie au maintien


de la paix sous l’égide de l’ONU demeurent marginales.
Chine ou Ukraine, par exemple, se montrent plus ac-
tives en la matière. Cela s’explique par le manque de
moyens qui continue de frapper l’armée russe, mais
peut-être aussi par une absence de volonté de proje-
ter sa force militaire au-delà de sa « zone stratégique »,
la plaque continentale eurasiatique. A contrario, les cas

5.1
où la Russie se montre coopérative signifient qu’elle y a

.50.4
un véritable intérêt (cas des coopérations avec l’OTAN
pour l’Afghanistan ou, avant, dans les Balkans, SFOR et

:193
KFOR) ou qu’elle veut faire preuve de bonne volonté

1952
(par exemple dans le cas de la contribution à la force
européenne pour le Tchad). Il est en revanche fort im-

8888
probable, compte tenu du climat politique des relations
Russie-États-Unis et des orientations prioritaires de son
614:
projet militaire, que Moscou consacre beaucoup d’éner-
1011

gie et de moyens à améliorer l’interopérabilité entre ses


forces et celles de l’OTAN.
:211

Nombreux sont les experts, qu’ils soient russes ou


occidentaux, qui pensent, au vu de tout ceci, que l’atta-
ouse

chement de la Russie au multilatéralisme est finalement


Toul

chose transitoire, dictée par sa faiblesse, et qu’il pourrait


passer par pertes et profits si la Russie parvenait à dé-
:UT1

passer ses vulnérabilités. À leurs yeux, cela oblige à dou-


ter de la sincérité des nombreuses propositions que fait
x.com

la Russie – pour un nouvel ordre de sécurité européen,


de sécurité énergétique ou encore pour une nouvelle
larvo

architecture financière internationale. Une chose est


scho

177
univ.
Russie, les chemins de la puissance

sûre : ces propositions signifient que la Russie se sent


mieux à même d’influencer, aujourd’hui, ses partenaires
dans un sens favorable à ses intérêts que dans les années
1990, où, estime-t-elle, trop de choses se sont décidées
sans elle…

5.1
.50.4
:193
1952
8888
614:
1011
:211
ouse
Toul
:UT1
x.com
larvo
scho

178
univ.
5.1
.50.4
Conclusion

:193
L’ère post-Guerre froide a constitué pour la Russie

1952
un nouveau « temps des troubles » – reconfiguration
territoriale, chaos économique et politique, reflux diplo-

8888
matique… Surprise par sa propre faiblesse, y compris
dans le domaine militaire, qu’elle a toujours privilégié 614:
dans sa façon de s’affirmer face aux autres puissances ;
1011

décontenancée par le peu de séduction qu’elle exerce


sur les composantes de son ancien empire ; et décon-
:211

certée par l’échec relatif de son effort pour s’ajuster aux


ouse

critères de puissance du monde contemporain, elle se


tourne spontanément vers les repères les plus enraci-
Toul

nés de sa culture politique et géopolitique. Elle le fait


d’autant plus naturellement que celle-ci repose sur l’idée
:UT1

très forte d’une spécificité de la Russie, spécificité qu’il


x.com

convient de protéger contre le monde extérieur.


Ce pays demeure en effet tourmenté par des représen-
larvo

tations anciennes qui ne facilitent pas son adaptation à la


scho

179
univ.
Russie, les chemins de la puissance

nouvelle donne internationale. Tout en retirant toujours


beaucoup d’inquiétude de sa difficulté à maîtriser éco-
nomiquement et humainement ses grands espaces, elle
estime que sa stature territoriale (dimensions et situation
à un carrefour stratégique) est l’un des meilleurs atouts
pour s’imposer en tant que grande puissance. Pour cette
même raison, elle éprouve les plus grandes difficultés
à normaliser sa relation avec les anciennes composan-

5.1
tes de l’empire russe/soviétique, dont l’indépendance

.50.4
a rogné sur sa marge spatiale et, pense-t-elle, amenuisé
sa sécurité. L’orthodoxie et le bagage culturel et politi-

:193
que qui l’accompagne redeviennent objectivement une

1952
forte référence identitaire – les dirigeants russes voyant
dans les thèmes qu’elle propose (gloire nationale, spé-

8888
cificité et supériorité morale de la Russie) des éléments
susceptibles d’avoir sur le corps social l’effet réparateur
614:
recherché par Vladimir Poutine. Autre récurrence : le
1011

réflexe de défiance à l’égard du monde européen et oc-


cidental (qui le lui rend bien, d’ailleurs), son complexe,
:211

aussi, vis-à-vis des pays d’une « communauté euro-


atlantique » dont elle ne cesse de penser qu’elle véhicule
ouse

une menace – militaire, idéologique – pour la Russie.


Toul

Cette lecture est d’autant plus vivace que jusqu’à pré-


sent, Moscou a essuyé des revers répétés sur le « front
:UT1

ouest » (élargissement de l’OTAN, indépendance du


Kosovo, détermination de l’Ukraine à adhérer à l’UE,
x.com

voire à l’OTAN, incapacité à matérialiser le partenariat


énergétique avec l’UE…). Cette focalisation semble
larvo

parfois lui faire négliger des pistes d’action sur d’autres


scho

180
univ.
Conclusion

dossiers qu’elle considère pourtant comme des défis


majeurs pour sa sécurité – qu’il s’agisse du terrorisme,
de l’Islam radical ou des enjeux de la pérennisation de
sa présence en Extrême-Orient.
Il reste qu’enfermer ce pays dans une analyse déter-
ministe qui le considère de façon sous-jacente comme
une menace ne peut que l’endurcir encore dans ses ré-
flexes les plus tenaces : les Russes sont, en effet, très

5.1
sensibles et très au fait de ce que l’on dit d’eux à l’étran-

.50.4
ger, surtout en Occident. La Russie, habituée à s’im-
poser par le militaire et par la conquête territoriale, ne

:193
redoute pas d’être crainte. Dmitriï Trénine a sans doute

1952
en partie raison quand il dit que « même l’Union soviétique
s’inquiétait plus de son image » que la Russie d’aujourd’hui

8888
(p. 94, cf. bibliographie). Mais elle commence, aussi, à
mesurer les limites de l’efficacité de la pression à laquel-
614:
le elle soumet ses voisins. Toutes les républiques
1011

ex-soviétiques, même les plus proches de Moscou,


tiennent à diversifier leurs partenariats diplomatiques et
:211

économiques. L’Ukraine annonce qu’elle a l’intention


de réduire de 50 % ses importations de gaz, la Géorgie
ouse

diversifie avec un certain succès ses relations économi-


Toul

ques extérieures… Le projet de Moscou, encore assez


peu articulé, de déployer un pouvoir d’attraction dans
:UT1

l’espace post-soviétique montre bien qu’elle a conscien-


ce que l’éloignement des NEI n’est pas lié qu’à « l’action
x.com

subversive » des puissances occidentales.


Cela a été dit, Moscou ne veut plus retomber dans
larvo

le piège du « tout militaire ». Traditionnellement rétive


scho

181
univ.
Russie, les chemins de la puissance

aux modèles extérieurs, elle reproduit pourtant dans


le discours, à défaut de pouvoir les appliquer toujours
dans la réalité, des concepts qui sont censés incarner
une certaine modernité des modes de développement
économique et social dans le monde actuel (partena-
riat public-privé, développement durable, innovation,
et même soft power…). Traumatisée par la « thérapie
de choc » des années 1990, elle n’en rejette pas pour

5.1
autant le discours libéral, et certains des artisans de la

.50.4
rude transition économique des années 1990 occupent
toujours des positions avantageuses – le plus embléma-

:193
tique d’entre eux étant sans doute Anatoliï Tchoubaïs,

1952
aujourd’hui DG de Rosnanotekh, la compagnie d’État
en charge du développement des nanotechnologies.

8888
Essayant de se poser en force de proposition sur les
grandes questions économiques, sécuritaires et socia-
614:
les, la Russie ne donne pas l’impression de vouloir,
1011

à nouveau, se couper du monde – même si, comme


pour se rassurer face à sa difficulté à peser fortement
:211

dans la société internationale globalisée, elle use par-


fois d’un discours qui indique qu’elle n’a pas peur de
ouse

l’isolement. Ses dirigeants reconnaissent plus volon-


Toul

tiers qu’avant la responsabilité propre du pays dans


le « retard russe » et, quel que soit par ailleurs le juge-
:UT1

ment que l’on puisse porter sur les solutions propo-


sées, ils effectuent un diagnostic de plus en plus froid
x.com

et lucide des failles de la puissance nationale. Même le


mythe messianique est en train de devenir relatif – la
larvo

Russie se veut toujours détentrice d’un rôle particulier


scho

182
univ.
Conclusion

sur la scène mondiale, mais elle insère de plus en plus


cette revendication dans des contextes multilatéraux
moins fermés.
Beaucoup dépendra sans doute de la façon dont la
Russie évoluera sur le plan intérieur – historiquement, la
construction de l’empire russe et la revendication d’un
rôle à part dans la vie internationale sont étroitement
liées à l’exercice autocratique du pouvoir, soumettant

5.1
l’ensemble des composantes de la société au projet de

.50.4
l’empire. Ces derniers temps en Russie, durcissement
des tendances centralisatrices, limitation du pluralisme

:193
politique, rétrécissement de l’espace public, pressions

1952
sur la sphère médiatique, retour en force de la puissance
étatique dans l’économie ne vont a priori pas dans le sens

8888
de changements fondamentaux. Pourtant, à l’heure où
beaucoup d’observateurs estiment la Russie incapable
614:
de générer des régimes politiques autres qu’autoritai-
1011

res, les responsables russes inscrivent le développe-


ment de la démocratie et de la société civile dans leur
:211

projet pour le moyen terme (notamment la Stratégie de


sécurité nationale, adoptée en mai 2009). La méthode,
ouse

qui est apparemment d’« imposer la démocratie d’en


Toul

haut », quand certaines étapes de consolidation (ayant


trait à l’économie et à la solidité de la Fédération)
:UT1

seront acquises, pose certainement question ; les mo-


tifs de cette profession de foi sont peut-être liés prin-
x.com

cipalement à l’espoir de revitalisation de l’économie,


l’objectif numéro 1 du Kremlin, pour lequel le tandem
larvo

Poutine-Medvedev semble juger inévitable, à terme,


scho

183
univ.
Russie, les chemins de la puissance

une certaine dose de libéralisation politique. La chose


n’en est pas moins intéressante à l’heure où, dans ses
rapports avec l’Europe, la Russie insiste plutôt sur son
dédain des « leçons » qu’elle reçoit sur le thème de la
démocratisation.
Quels que soient ses choix à venir, la Russie demeure
profondément influencée par ses traits géographiques
et territoriaux, et c’est peut-être là son principal pro-

5.1
blème alors qu’elle y voit un argument incontournable

.50.4
pour faire valoir son autorité internationale. Cela dit,
bien des observateurs étrangers ne jugent pas vain l’ar-

:193
gument territorial de Moscou : il en va ainsi de Richard

1952
Pipes, qui fut Director of East European and Soviet Affairs
au Conseil de sécurité national sous Reagan : pour lui,

8888
« l’influence de la Russie dans les affaires mondiales découle non
de sa puissance économique ou de son autorité culturelle mais de
614:
sa situation géopolitique unique. Elle est non seulement le plus
1011

vaste État du monde […], elle domine aussi la masse terrestre


eurasiatique, touchant directement à trois régions majeures : Eu-
:211

rope, Moyen-Orient, et Extrême-Orient. Cette position lui per-


met d’exploiter à son avantage les crises qui interviennent dans les
ouse

zones les plus peuplées et les plus stratégiques du globe […] elle
Toul

est et demeurera un acteur majeur dans la politique mondiale1. »


En définitive, le risque ne serait-il pas, pour la Russie, de
:UT1

s’en tenir à cette position de facilité de la « puissance de


facto », confortée par la détention de l’arme nucléaire, un
x.com

choix qui pourrait l’amener à se contenter de s’illustrer et


larvo

1 – « Pride and Power », Wall Street Journal, 22 août 2009.


scho

184
univ.
Conclusion

de peser dans le monde par la nuisance, l’obstruction ou


la coopération conditionnelle ? Cela ne garantirait pas,
tant s’en faut, une valorisation optimale des ressources
naturelles, humaines et intellectuelles dont dispose ce
pays.

5.1
.50.4
:193
1952
8888
614:
1011
:211
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:UT1
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x.com
:UT1
Toul
ouse
:211
1011
614:
8888
1952
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.50.4
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