Vous êtes sur la page 1sur 15

André

Blaise
Essama

DÉCOLONISER LA VILLE
2013 - présent
Il est 15h sur Radio Équinoxe et L’activiste André
Blaise Essama a encore frappé. Il a détruit ce
matin l’œuvre éphémère de l’artiste française
Sylvie Blocher installée depuis hier au carrefour
Mobil Bonakouamouang à Douala.

Acha et Kenjo sont assis devant leur maison à Oyack,


un quartier de Douala au Cameroun.
Le message d’Essama est clair :
„installer dans les rues les statues
des héros camerounais ou rien !"

C’est qui ce
Essama ? Et Je ne connais pas la
l’artiste française. Mais Essama !
française ? C’est un fou qui détruit
les monuments en ville.
L’installation de Sylvie Blocher est une photo d‘elle-même de trois mètres
de haut. Dans ses mains, elle tient une pancarte sur laquelle est écrit :
« Bien que je n’en aie pas le droit je vous présente mes excuses. »

Balance
ça !

Les excuses de Sylvie Blocher font référence aux crimes


commis par les Français pendant la colonisation au Cameroun.

Nos héros
d’abord !
YEAH !

Quel problème Essama


a-t-il avec cette femme ?
Elle s’excuse pour ce que les
Français ont fait chez nous.

Je te dis que ce gars est un fou !


Une fois, il a même décapité la
tête d’un autre monument !
La tante Leke sort de la maison.

Acha, je crois que tu te trompes sur Essama.


L’installation de Sylvie Blocher ne fait que
remuer le couteau dans la plaie.

Essama lutte depuis des années pour


que la ville de Douala rende hommage
aux camerounais qui se sont
battus contre les colons.
Essama a tenté d’installer une statue de
John Ngu Foncha au même carrefour
Bonakouamouang, mais la police l'a stoppé.
John Ngu Foncha (1916-1999) était un homme politique camerounais.
Après l’Indépendance du Cameroun, Foncha s’est engagé pour la réunification
des deux territoires anciennement colonisés par l’Angleterre et la France.
Il a aussi défendu les droits de la minorité anglophone.

Pour un Cameroun fédéral !


Après la colonisation allemande, les
Anglais et les Français ont occupé nos
terres pendant 40 ans. C’est pourquoi
nous avons deux systèmes différents
qui ne peuvent fonctionner qu’au
sein d’un État fédéral.

colonisation allemande occupation française 1961


1884-1916 et anglaise indépendance du Cameroun,
1919-1960 état fédéral
En 1972, le Cameroun devint un État
centralisé. La zone anglophone
perdit nombre de ses droits.

Foncha fit un discours à ce sujet au parlement camerounais


en 1994 : « Pour vivre en paix, le Cameroun a besoin d’un
système qui prenne en compte les différences héritées
des deux colonisations française et anglaise …

… Nous avons des systèmes scolaires et juridiques


différents. L’anglais doit être reconnu au même
titre que le français comme langue officielle. »

Ces policiers qui traînent la statue


de Foncha ignorent son rôle dans la
réunification des deux Cameroun. Un
monument en son hommage serait une fierté.
Mais hélas ! Certains préfèrent protéger
des monuments et des noms de
rue issus de la colonisation.
Les colons allemands, français et
anglais nous ont volé nos terres,
imposé leurs langues, leurs
économies, leurs politiques, dans
le seul but de s’enrichir avec
l’exploitation de nos ressources !

Je n’en peux plus de dire


avenue du Général De
Gaulle quand je prends
le taxi en plein Douala.
Le Général De Gaulle,
c’est un ancien président
français nooh ?

Oui ! Les soldats camerounais ont


même combattu pour lui et la France
libre lors de la Seconde Guerre
Mondiale. Mais à la veille de notre
indépendance, il a tout fait pour
que le Cameroun reste sous le
contrôle de la France.

Donc nos soldats l’ont aidé


et après, il a fait tuer les
camerounais qui voulaient
notre indépendance ? C’est ça la
France-Afrique
mes enfants.

Est-ce pour ça qu’Essama veut mettre


avenue Ernest Ouandié à la place ?
Évidemment. Pour savoir où tu vas,
il faut savoir d‘où tu viens.
Ces noms de rue attribués
aux blancs célèbrent notre
subordination.
Il doit être inscrit dans vos
têtes que nous ne vivons pas
sous le ciel de l’indépendance et
la souveraineté pour lesquelles
nos ancêtres se sont battus.

Félix Moumié (1926_1960) Ernest Ouandié (1924 _ 1971) Osendé Afana (1930_ 1966)

Voici quatre activistes importants qui ont lutté


pour l’Indépendance du Cameroun. Ils étaient tous
membres du parti UPC - Union des Peuples Camerounais.
Fondé le 10 avril 1948, il a été le premier parti
d’opposition à combattre ouvertement le système
colonial. Il fut interdit en 1955 par le pouvoir
colonial français.
Ruben Um Nyobe, secrétaire général du parti,
a été assassiné le 13 novembre 1958 par l’armée
française.
Deux ans plus tard, un ancien agent des services
secrets français tue Felix Moumié en Suisse.
Osendé Afana et Ernest Ouandié sont morts
dans les années 60 en tentant de renverser
Ruben um Nyobe (1913_1958) le gouvernement mis en place par la France.
La première fois que j’ai entendu
parler d’Essama, c’était en 2015, lors
de son action contre le monument
du Général Leclerc à Bonanjo.

Oui moi aussi. Il a coupé


la tête du Général.

En 1940, le Général Leclerc a été envoyé par le gouvernement français au Cameroun.


Il y a mobilisé des troupes pour combattre les Allemands en Europe.
La statue de Leclerc est à Bonanjo
depuis 1948, en face de l’ancien palais
du roi Douala Manga Bell.

Nous n’avons pas besoin


de ce monument à Douala.
tout ça c’est
du vandalisme et
rien d’autre !

Tanti, est-ce que la


France rend hommage aux
soldats camerounais qui
ont combattu pour
la France Libre ?

Malheureusement non, ma fille.


Elle ne célèbre que ses soldats qui
ont assassiné nos indépendantistes.
C’est aussi l’une des raisons des
actions menées par Essama - malgré
le risque de croupir en prison.
Essama a été emprisonné à plusieurs reprises
en voulant libérer la mémoire collective
camerounaise. Une fois, il a dû y rester six mois.

Pourquoi est-ce qu’on


l’enferme alors, si ce qu’il
fait est bien pour l’histoire
et la mémoire du Cameroun ?

Plus de 50 ans après le 1er janvier 1960, le combat


pour l’Indépendance n’est toujours pas terminé.
La lutte anticoloniale doit continuer. Chaque
génération doit œuvrer pour la décolonisation
totale de notre système politique et de nos esprits.
© Initiative Perspektivwechsel e. V., 2019.
Hochsitzweg 15
14169 Berlin
initiativeperspektivwechsel@gmail.com
www.initative-perspektivwechsel.org

Cette publication est un extrait du livre


Widerstand. Drei Generationen antikolonialer Protest in Kamerun
paru en Allemagne en 2019.

André Blaise Essama – Décoloniser la ville, 2013-présent


Dessin: Daniel Assako (Negro Illustrator)
Texte: Hilaire Djoko, Katharina Lipowsky, Bathilde Maestracci

Relecture: Hilaire Djoko, Dolly Afoumba, Katharina Lipowsky, Bathilde Maestracci

Graphisme: Anneke Gerloff

Le contenu de cette publication est soumis à la licence Creative Commons suivante :

Vous aimerez peut-être aussi