Radicalisation de La Jeunesse - Eyrolles

Michel Fize
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La montée des extrêmes

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DE LA JEUNESSE
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La « génération radicale »,
détonante autant que déroutante
La montée du radicalisme, religieux et politique,
a nettement marqué l’Europe ces derniers mois.
Engagement djihadiste, vote d’extrême-droite…
La séduction croissante qu’exercent « les extrêmes »
sur une fraction de la jeunesse en colère, en proie à
3874
l’inquiétude ou désabusée, interroge. Cette jeunesse
serait-elle sacrifiée ? Et le serait-elle, seule ?
4206
C’est la société tout entière qui est remise en cause
dans ses fondements. Michel Fize, sociologue reconnu
1:16
et spécialiste de la jeunesse, dresse un portrait
scientifique extrêmement rigoureux des jeunes tentés
1.11
par le radicalisme. Il fait ressortir leurs convergences,
5.13
leurs divergences et les raisons de leur malaise. Ainsi,
en creux, fait-il apparaître les urgences d’aujourd’hui
5.23
et les besoins de l’Europe de demain.
6:10
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Michel Fize est sociologue (CNRS), écrivain et ancien

Conseiller régional d’Île-de-France. Il est spécialiste
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des questions d’adolescence, de jeunesse et de famille.

Il a publié à ce jour une trentaine d’ouvrages autour
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de ces thèmes.
© Marc Pilot
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61, bd Saint-Germain
75240 Paris Cedex 05
www.editions-eyrolles.com
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Mise en pages : Facompo
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En application de la loi du 11 mars 1957, il est interdit de reproduire intégrale-

ment ou partiellement le présent ouvrage, sur quelque support que ce soit, sans
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autorisation de l’éditeur ou du Centre français d’exploitation du droit de copie,

20, rue des Grands-Augustins, 75006 Paris.
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© Groupe Eyrolles, 2016

ISBN : 978-2-212-56517-1
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Du même auteur
La Démocratie familiale : évolution des relations parents-adolescents,

Paris, Les Presses de la Renaissance, 1990.
Les Bandes. De l’« entre soi » adolescent à l’ « autre-ennemi », Paris,
Desclée de Brouwer, 1993 ; 2e éd. remaniée, 2008.
Le Peuple adolescent, Paris, Julliard, 1994 ; 2e édit., Mots composés,
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2011.
Génération courage, Les lettres des jeunes Français au Premier ministre,
4206
Paris, Julliard, 1995.
Adolescence en crise ? Vers le droit à la reconnaissance sociale, Paris,
1:16
Hachette-éducation, 1998.
1.11
À mort la famille ! Plaidoyer pour l’enfant, Ramonville-Saint-Agne,
Érès, 2000.
5.13
Le Cabinet, Paris, Arléa, 2001.
Les Adolescents, Paris, Le Cavalier bleu, « Idées reçues », 2002,
5.23
2e éd. 2009. 6:10
Le Deuxième Homme, Réflexions sur la jeunesse et l’inégalité des
rapports entre générations, Paris, Les Presses de la Renaissance,
3631
2002.
Ne m’appelez plus jamais crise. Parler de l’adolescence autrement,
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Ramonville-Saint-Agne, Érès, 2003.

Les Pièges de la mixité scolaire, Paris, Les Presses de la Renaissance,
8603
2003.
Les Interdits fondements de la liberté, Paris, Les Presses de la
1073
Renaissance, 2004.
La Famille, Paris, Le Cavalier bleu, « Idées reçues », 2005.
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L’adolescent est une personne, Paris, Seuil, 2006 ; Paris, Pocket,

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2009.
Mais qu’est-ce qui passe par la tête des méchants ?, Montréal, Les
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Éditions de l’Homme, 2006 ; Marabout, 2009.

© Groupe Eyrolles
Le Livre noir de la jeunesse, Paris, Presses de la Renaissance, « Petite

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Renaissance », 2007.
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Les Menteurs, Montréal, Les Éditions de l’Homme, 2007 ;
Marabout, Paris, 2009.
Père et fils, l’histoire d’un amour mal entendu, Montréal, Les Éditions
de l’Homme, 2008 ; Marabout, 2012.
Faites l’humour pas la gueule, Montréal, Les Éditions de l’Homme,
2009.
Manuel illustré à l’usage des adolescents qui ont des parents difficiles,
3874
Nantes, Éditions du Temps, 2009.
Antimanuel d’adolescence, Toute la vérité, rien que la vérité sur les
4206
adolescents, Montréal, Les Éditions de l’Homme, 2009 ;
Marabout, 2014.
1:16
L’Individualisme démocratique, Les défis de la démocratie participative,
Paris, Éditions de l’Œuvre, 2010.
1.11
L’Adolescence pour les Nuls, Paris, First éditions, 2010.
5.13
Les Nouvelles Adolescentes, Paris, Armand Colin, 2010.
Le Bac inutile, Paris, Éditions de l’Œuvre, Paris, 2012.
5.23
Mon adolescent en 100 questions, Paris, Eyrolles, 2013. 6:10
Une prison dans la ville, histoire de la prison modèle de la Santé
(1867-2014), Paris, Buchet-Chastel, 2015.
3631
Jeunesses à l’abandon, La construction universelle d’une exclusion

sociale, Turin, Mimésis, 2016.
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Merci Will et à bientôt, Lyon, Éditions LGO, 2016.

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Introduction
« Une jeunesse saisie par la radicalisation ? », s’interrogeait
3874
récemment Le Monde1. Une chose est certaine : le mot est
à la mode, il en a détrôné d’autres qui sont par conséquent
4206
« passés de mode », comme « extrémisme » (politique),
« intégrisme » (religieux) ou « fanatisme » que l’on retrouve
1:16
dans cette définition d’Edgar Morin : « Le fanatisme porte
1.11
en lui la certitude de vérité absolue, la conviction d’agir
pour la plus juste cause, et la volonté de détruire ceux
5.13
qui s’opposent à lui, ainsi que ceux qui font partie d’une
communauté jugée perverse ou néfaste, voire les incré-
dules (réputés impies)2. » 5.23
6:10
On ne saurait dire depuis combien de temps au juste l’on
3631
parle de radicalisation et non plus d’extrémisme. Le terme

« radicalité » est apparu il y a une dizaine d’années sous la
:888
plume de certains sociologues. Et l’expression « radicalisme

islamique », au début des années 1990. Le terme « radica-
8603
lisé » est alors lui aussi utilisé.

1073
Partons de l’étymologie. Le terme « radical » apparaît au

xve siècle. Il vient du latin radix (« racine », « fondement »,
e:21
« souche »). Sous le règne de Louis-Philippe, les radicaux se

confondent avec les républicains et se réclament de l’héritage
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révolutionnaire. Il y a dans ce mot une notion de retour aux

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origines. « Radicaliser » apparaît en 1845. Il signifie « rendre

radical », « rendre plus fondamental, plus extrême », note H.
© Groupe Eyrolles
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1. Voir Le Monde du 26/11/2014.

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8 Radicalisation de la jeunesse
Guilbeaux dans une lettre à Romain Rolland1. Voilà pour

la définition. Mais qui se radicalise ? Ce sont des groupes.
Quelques exemples puisés au fil de l’Histoire et chez les
philosophes feront mieux comprendre notre propos :
Le 21 février 1987, le Raid intervient dans une ferme du
Loiret à Vitry-aux-Loges et arrête les principaux membres
3874
d’Action directe : Jean-Marc Rouillan, Nathalie Ménigon,
Joëlle Aubron et Georges Cipriani. Interdit depuis 1982,
4206
l’on savait que ce groupe s’était « radicalisé » : plusieurs
assassinats lui étaient imputés. Rappelons que ce sont
1:16
des théoriciens de l’Internationale situationniste (Guy
Debord) et du groupe « Socialisme ou Barbarie » fondé
1.11
par Claude Lefort et Cornelius Castoriadis, avec quelques
5.13
autres théoriciens de l’extrême gauche qui étaient à l’ori-
gine de ce mouvement en France.
Jean-Paul Sartre, dans Situations, III, évoque le combat des 5.23
6:10
communistes : « Les marxistes purs comptent sur les mili-
tants − c’est-à-dire sur une action consciente et concertée
3631
− pour radicaliser [souligné par nous] les masses et susciter

en elles cette conscience de classe2. » Et Merleau-Ponty,
:888
dans son livre Phénoménologie de la perception, « [se] demande

8603
pourquoi un retour de prospérité entraîne souvent une

radicalisation [souligné par nous] des masses3 ».
1073
Clemenceau, en 1899, posait du reste déjà ce diagnostic :

e:21
« Le collectiviste se radicalisera. »

En mars 1893, Grover Cleveland, réélu président des États-
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Unis, doit faire face à une crise économique majeure qui

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1. Romain Rolland, Journal des années de guerre 1914-1919, p. 1204,

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dans Quem. DDL, t. 7.
2. Jean-Paul Sartre, Situations, III, Paris, Gallimard, 1949.
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3. Maurice Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception, Paris, Galli-

mard, 1945.
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Introduction 9
menace la monnaie américaine. Si sa façon de gérer les

conflits sociaux en faisant appel à l’armée est saluée par
la classe politique unanime, celle-ci estime en revanche
qu’elle « radicalise » les rapports de l’administration avec les
syndicalistes.
Retour en France. Au début de septembre 1792, se
3874
déroulent les événements désignés sous le nom de
« massacres de septembre ». Les révolutionnaires redoutent
4206
un coup d’État des royalistes, soutenus par la coalition
austro-prussienne. S’ensuit une immense tuerie qui fait
1:16
1 300 morts à Paris. On signale bon nombre d’exécutions
sommaires dans les prisons. Ces massacres influent sur les
1.11
élections des députés à la Convention. Ils provoquent en
5.13
effet une « radicalisation » des esprits qui va profiter au parti
des Montagnards.
Quittons à nouveau notre pays. En juin 1785, le mouve- 5.23
6:10
ment des corps francs atteint son apogée dans la République
des Provinces-Unies. La révolte des patriotes se construit
3631
contre le stathouder Guillaume V d’Orange-Nassau et

contre les aristocrates appelés aussi « régents ». Lors de
:888
leur troisième rassemblement national, les patriotes votent

8603
l’Acte d’association préconisant l’émergence d’un gouver-

nement populaire par représentation. Avec la distribution
1073
d’armes et la militarisation de la population, le mouve-

ment, estime-t-on, se « radicalise », mettant à mal la volonté
e:21
des autorités de disperser les foules.

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Revenons au mot « radicalisation

» : ses usages sont
nombreux. On en parle à propos des conflits sociaux – « les
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antagonismes sociaux se sont radicalisés depuis Mai 68 »,

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écrit par exemple La Croix dans son numéro du 13 mai

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1973 – et des conflits universitaires – « la lutte contre la

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structure autoritaire de l’Université est et doit être une

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lutte radicale, observe Le Nouvel Observateur, le 27 mai

1968 : elle peut provoquer une radicalisation du climat
social général ».
Non seulement le mot mais l’idée se répandent.
Selon des sources officielles (préfecture de Police de Paris,
Direction de sécurité de proximité de l’agglomération
3874
parisienne), l’on note un début de radicalisation dans les
rangs de la police nationale1. Dix-sept cas de « compor-
4206
tements de transgression du principe de laïcité » ont ainsi
été relevés dans la police parisienne (forte, rappelons-le, de
1:16
27 000 membres) entre 2012 et 2015, avec une accéléra-
1.11
tion en 2014. La plupart des incidents portent sur l’exer-
cice de la religion musulmane dans les commissariats, lors
5.13
des prières quotidiennes, ou sur les signes extérieurs de
religiosité (vêtements surtout). Les femmes policières sont
impliquées dans environ un tiers des affaires et font preuve 5.23
6:10
souvent d’une détermination plus marquée que leurs
collègues masculins. Ce sont souvent de jeunes femmes
3631
auparavant adjointes de sécurité et qui ont réussi le

concours interne de la police. On observe aussi quelques
:888
(très) rares cas de radicalisation au sein de la gendarmerie

8603
nationale, souvent chez de très jeunes gendarmes adjoints

volontaires.
1073
e:21
Quelques portraits de jeunes policiers ou jeunes policières radicalisés

Voici un premier cas, celui d’un jeune homme, gardien de la paix à Gennevilliers (Hauts-
:Non
de-Seine) qui aime lire les versets du Coran et écouter des textes arabes sur sa tablette
informatique, écouteurs aux oreilles. C’est, semble-t-il, de retour d’un voyage à la
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Réunion que ce jeune policier a commencé à prendre ces nouvelles habitudes. Un jour,
lors d’une patrouille, raconte ainsi une note confidentielle de la Direction de sécurité
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de proximité de l’agglomération parisienne, il a profité d’un arrêt dans une boulangerie

pour aller se procurer des burqas pour sa compagne.
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Introduction 11
Les quatre autres cas concernent des jeunes femmes. En octobre 2014, une agente de
surveillance, en fonction dans le XIIe arrondissement de Paris, qualifie son pantalon de
« saleté de torchon de la République », s’essuyant aussitôt les mains dessus. Elle sort
ensuite des vestiaires, couverte d’un hidjab (voile islamique). Elle est immédiatement
rappelée à l’ordre par sa hiérarchie. Un peu plus tard cependant, après les attentats
de janvier 2015, cette jeune femme se signale encore par des messages postés sur
les réseaux sociaux relayant les thèses complotistes et antisémites, évoquant « cette
fusillade masquée montée par des lopettes de sionistes ». Elle n’a pas réintégré son
3874
service, refusant de retirer son voile devant le médecin-chef.
Une collègue de cette jeune policière est quant à elle interpellée en juillet 2014 dans
4206
une manifestation pro-palestinienne non autorisée. Elle scandait : « Israël assassin,
Hollande complice ! » Refusant de serrer la main de ses collègues masculins, refusant
encore de s’associer à la minute de silence en mémoire de son collègue Ahmed Merabet
1:16
et des journalistes tués dans l’attaque contre la rédaction de Charlie Hebdo, allant
jusqu’à improviser une prière en pleine rue, la jeune femme est finalement révoquée
1.11
de la police.
Le troisième cas concerne une gardienne de la paix d’Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-
5.13
Denis) qui avait posté des messages sur Facebook contenant des sourates du Coran,
des déclarations à la gloire d’Allah, des insultes envers la France et Israël, des incita-
5.23
tions à la haine raciale. Elle a été sanctionnée elle aussi.
Le quatrième cas met en cause une agente en poste dans le XVIIe arrondissement qui,
6:10
en décembre 2015, avait écrit sur sa page privée Facebook cette phrase : « C’est quoi
ce pays où on déploie des forces militaires pour protéger une communauté + qu’une
3631
autre ?? Depuis quand notre cher pays laïc est devenu cashérisé ?? Oui, malgré mes
origines, je suis outrée que le gouvernement français estime la vie des juifs + que
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n’importe quel citoyen lambda… » Puis elle profère des menaces : « J’ai encore + honte
de porter du bleu. Si j’étais à la place des terroristes, cela ferait bien longtemps que
8603
j’aurais fait péter l’Élysée et tous les enc… qui y bossent. » Jugée le 22 janvier 2016,
la jeune femme a été relaxée, compte tenu notamment d’une « histoire personnelle
1073
chaotique ». Le parquet a fait appel de cette décision. La policière reste aujourd’hui

suspendue de la police.
e:21
C’est dire, avec ces exemples policiers qui ont tout de

:Non
même défrayé la chronique, qu’il existe bel et bien une

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infinie variété de radicalités, qu’aucun milieu profes-

sionnel n’est hors d’atteinte, qu’aucune situation n’est « à
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l’abri » d’une radicalisation (on l’a vu récemment avec les

manifestations syndicales contre la loi El-Khomri finale-
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ment adoptée).
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Mais il y a « radicalité » et « radicalité », et force est de

reconnaître que toute radicalisation n’est pas en soi

blâmable, ni moralement ni politiquement. La radicalisa-
tion est aussi moteur de progrès.
La crise française du monde agricole montre justement
des hommes et des femmes en colère « radicale » contre les
3874
conditions de vie qui leur sont faites par le marché écono-
mique et les institutions, européennes principalement.
4206
Est-ce là une radicalité inexcusable ? Non, cette radicalité
vise à l’établissement de plus de justice économique. Elle
1:16
est saine, soucieuse d’un avenir meilleur.
1.11
Tarik Ramadan, dans sa biographie de Mahomet1, raconte
pour sa part qu’une opposition « radicale » s’était d’abord
5.13
formée contre le Prophète et ses premiers fidèles. On
sait qu’il en fut de même à l’égard de Jésus de la part des
Romains. 5.23
6:10
Et que penser du véganisme qui pose aujourd’hui l’interdit
3631
absolu de tuer et de manger les animaux, qu’ils soient ou

non de compagnie ? N’est-ce pas aussi une pensée radi-
:888
cale ? Mais une pensée utile visant à plus d’égalité entre

tous les vivants du monde, hommes et « bêtes » ? Michel
8603
Onfray le pense. Voilà ce qu’il écrit dans la préface au

très beau livre dirigé par Méryl Pinque : « Radical ? Oui,
1073
radical, mais juste, très juste quand on y pense. Car il ne

e:21
saurait y avoir de bonnes et de mauvaises souffrances2. »

La radicalité est vraiment partout – il existe même un
:Non
« Observatoire de la radicalité politique » dans le cadre

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de la Fondation Jean-Jaurès. Des passions deviennent

© Groupe Eyrolles
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1. Tariq Ramadan, Muhammad,Vie du prophète, Paris, Archi Poche, n° 78,

2006.
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2. Méryl Pinque, Bêtes humaines ? Pour une révolution végane, Paris,

Autrement, 2015, p. 11.
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Introduction 13
« radicales », ce sont celles qui absorbent le temps libre, et

parfois tout le temps, de certaines personnes (vedette de
variété ou de cinéma). Qu’est-ce d’autre que le « fan-club »
sinon une passion « radicalisée » ? L’on pourrait citer les très
dynamiques fan-clubs de Claude François, d’Elvis Presley
ou de Michaël Jackson.
3874
Mais, aujourd’hui, « radicalité » et « radicalisation » sont vus
comme de « vilains mots », cachant de « vilaines choses ».
4206
Les « bonnes » radicalités n’ont plus la cote. Il est peu ques-
tion par exemple du « radicalisme » du xixe siècle finissant,
1:16
de ce radicalisme incarné par le Parti radical, fondé en
1901, dont le projet fut, de longues décennies durant, de se
1.11
mettre au service du progrès et du bonheur des hommes.
5.13
Les plus « vilains » qualificatifs sur la radicalité sont de nos
jours employés partout, et donc, fatalement, à tort et à
travers, pour exprimer malgré tout des choses très diffé- 5.23
6:10
rentes. L’on vit dans une époque très molle où les extré-
mismes font peur, et l’on n’ose plus juger. Les personnes
3631
qui se radicalisent essaient de sortir de ce consensus, et y

parviennent… violence d’un côté, mollesse de l’autre…
:888
La radicalité dérange, on ne sait comment en parler, et l’on

8603
en parle souvent avec radicalité.

Nous nous intéresserons dans ce livre à deux formes
1073
de radicalité, à leur manière très extrêmes, l’une dans

e:21
le champ politique, l’autre dans le champ religieux (ou

supposé tel pour le moment), des radicalités qui, pour
:Non
l’une sème la mort, pour l’autre diffuse l’intolérance ou

la haine. Précisons que, si la radicalité islamiste et la radi-
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calité frontiste (FN) sont aujourd’hui les plus en vue, il

© Groupe Eyrolles
en est d’autres, assurément moins médiatiques mais tout

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aussi actives. Côté radicalité religieuse, l’on pourrait citer

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la radicalité juive. Aurait-on oublié par exemple qu’en

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août 2014 le gouvernement, excédé par les exactions de la

Ligue de défense juive (LDJ), avait envisagé la dissolution
de ce mouvement, avant d’y renoncer finalement ? L’on
pourrait tout autant citer la radicalité catholique avec les
mouvements antimariage pour tous.
S’agissant de la LDJ, pour en dire encore quelques mots
3874
avant de n’en plus parler, il faut rappeler qu’il s’agit d’une
formation d’ultra-droite nationaliste née au début des
4206
années 2000 lors de la deuxième intifada. C’est une toute
petite formation de quelques dizaines de membres âgés
1:16
pour la plupart de moins de 25 ans, en guerre contre « le
mythe palestinien » et, en France, contre les « Arabes ». La
1.11
LDJ se perçoit clairement comme l’armée du peuple juif.
5.13
Elle n’est évidemment pas reconnue par le Conseil repré-
sentatif des institutions juives de France (Crif).
Côté radicalité politique, nul n’ignore non plus que la radi- 5.23
6:10
calité d’extrême droite ne se résume pas au Front national.
À signaler ici – précision sémantique – que Marine Le Pen
3631
récuse ce qualificatif d’« extrême droite » qu’elle considère

comme une injure faite à son parti, juste utilisé pour le
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dénigrer. Les Français ne sont pourtant pas de son avis.

8603
À 80 %, selon l’enquête annuelle « Fractures françaises »

d’avril 2015, ils le définissent ainsi ; 61 % voient aussi dans
1073
le FN un parti xénophobe et 60 % un parti « dangereux

pour la démocratie ». Nous n’avons pas, en ce qui nous
e:21
concerne, à nous prononcer sur cette question de déter-

:Non
miner si le FN est un parti d’extrême droite ou de la droite

extrême ou de la droite nationale, seul importe pour nous
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le fait qu’il défend sur nombre de sujets des propositions

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radicales, avec même parfois des méthodes musclées sur le

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terrain, et en usant aussi, à l’occasion, de propos d’une rare

violence.
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Introduction 15
Pour poursuivre sur l’extrémisme de droite (peu importe

comment on l’appelle après tout), il faut savoir qu’il a
longtemps été incarné – au moins jusqu’à la mort en 2013
du militant d’extrême gauche, Clément Méric – dans sa
version vraiment la plus fanatique, par des mouvements
comme Troisième Voie et les Jeunesses nationalistes révo-
lutionnaires. Ces mouvements sont aujourd’hui dissous.
3874
Restent les « identitaires », un groupe résolument fasciste
(et qui se revendique comme tel), composé de militants qui
4206
sont pour la plupart étudiants ou diplômés de l’enseigne-
1:16
ment supérieur et entendent représenter les « Français de
souche ». Les « identitaires » sont très actifs sur Internet, lieu
1.11
privilégié de diffusion de leurs idées, au moyen de vidéos
notamment. Au plan économique, ce mouvement prône
5.13
la décroissance et le maintien d’une agriculture paysanne.
5.23
Au plan culturel, il entend favoriser la création de groupes
de rock et, au plan des mœurs, il se réclame du féminisme. 6:10
Comme le note le sociologue Samuel Bouron, « l’objectif
de ce mouvement est de donner une image jeune et bran-
3631
chée du fascisme, loin de la représentation ringarde et

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vieillissante d’une extrême droite qui ne comprendrait pas

le monde d’aujourd’hui1 ».
8603
Nous aurions pu parler encore de la radicalité d’extrême

1073
gauche, de la radicalité anarchiste, telle qu’elle a pu s’ex-

primer tout récemment dans et à l’occasion du mouve-
e:21
ment « Nuit debout ». Le temps manque ici pour aborder

une question qui mériterait d’amples développements et
:Non
nous ferait sortir, nous semble-t-il, du champ « naturel »

de la « radicalisation » proprement dite, qui est avant tout
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un processus et pas une idéologie figée sur des principes

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immuables.
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Entrons à présent un instant dans la radicalité religieuse isla-

miste. La liste est déjà longue des attentats commis depuis
ceux de Kelkal, à Paris, en 1995. L’on songe évidemment
aux tueries de Mohamed Merah assassinant à Toulouse et à
Montauban, entre le 11 et le 19 mars 2012, trois militaires,
ainsi que trois élèves et un enseignant de l’école juive Ozar
Hatora. Puis à cet autre drame, au musée juif de Bruxelles,
3874
sans oublier une tentative d’agression à bord d’un Thalys.
4206
Le monde, à vrai dire, a toujours connu des radicalités
extrémistes, de droite ou de gauche, catholiques, musul-
1:16
manes ou juives. Souvenons-nous, dans les années 1970, de
la Fraction armée rouge (la bande à Baader) en Allemagne,
1.11
des Brigades rouges et des Brigades noires en Italie, des
5.13
indépendantistes basques en Espagne et aujourd’hui des
jeunes nationalistes corses en France.
Nous allons, répétons-le, dans ce livre, nous concentrer sur 5.23
6:10
les deux radicalités dominantes : la radicalité extrémiste
FN et la radicalité politico-religieuse islamiste.
3631
Dans une première partie, nous montrons les spécificités

:888
propres à chacune de ces radicalités, que nous appelons

« divergences ». Dans une deuxième partie, nous exami-
8603
nons les ressemblances, soit les « convergences ». Dans une

troisième, nous nous attachons à l’analyse des raisons de la
1073
colère de ces jeunes. Qu’est-ce qui les pousse à faire de tels

e:21
choix « radicaux » ? Enfin, nous envisagerons les solutions,

celles déjà mises en œuvre, celles aussi à imaginer pour
:Non
contrer et faire reculer les radicalités actuelles.

.com
Un point de définition préalable. Nous donnons au

« radicalisé » d’abord le sens que Gérald Bronner donne
© Groupe Eyrolles
ovox
à l’« extrémiste », à savoir celui d’un individu qui « adhère

.bibli
www
Introduction 17
radicalement à une idée radicale1 ». Et par « radicalisation

extrême », nous désignons, comme cet auteur, « le processus
par lequel un individu ou un groupe adopte une forme
violente d’action, directement liée à une idéologie extré-
miste à contenu politique, social ou religieux qui conteste
l’ordre établi sur le plan politique, social ou culturel ». Mais
nous ajoutons une chose essentielle, à savoir que la radi-
3874
calisation n’est pas seulement constituée par un passage à
l’acte violent, par une action terroriste, comme le soutient
4206
Gérald Bronner, mais qu’elle est constituée aussi par une
1:16
violence verbale extrême portant atteinte aux valeurs de
la République, comme la laïcité (voir plus haut avec la
1.11
radicalisation policière), ou aux valeurs sociales comme la
tolérance, la fraternité (voir la radicalisation frontiste).
5.13
5.23
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:Non
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1. Gérald Bronner, La Pensée extrême, Comment des hommes ordinaires

deviennent des fanatiques, Paris, PUF, 2016.
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3874
Première partie
Divergences :
3874
deux jeunesses,
4206
1:16
deux radicalités
1.11
5.13
« Le Front n’a jamais autant recruté parmi les moins de 30 ans », 5.23
6:10
« Génération anti-Front », L’Express, 16/07/1998.
3631
La jeunesse du Front national et la jeunesse djihadiste

forment de prime abord deux mondes différents. La
:888
première issue largement du monde « petit blanc », prin-

8603
cipalement par le positionnement socio-économique,

exprime une radicalité que l’on pourrait qualifier de
1073
« contestataire » ; c’est une radicalité essentiellement

contre… contre un système politique jugé « pourri », un
e:21
système économique jugé excluant. La seconde jeunesse,

qui provient pour majeure partie d’une immigration de
:Non
type maghrébine et qui se caractérise par un positionne-

.com
ment familial culturo-religieux, exprime une radicalité

délibérément « offensive » ; c’est une radicalité pour… pour
ovox
un monde assaini, guidé par les justes préceptes religieux

de l’islam, un monde débarrassé des orgies occidentales
.bibli
(loisirs, fêtes, alcool...).

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4206
3874
Chapitre 1
L’irrésistible ascension
du Front national
3874
En réunissant 6,7 millions de voix au premier tour des
4206
élections régionales le 6 décembre 2015, le Front national
a confirmé qu’il poursuivait son ascension, cette « longue
1:16
marche » entreprise il y a maintenant trois décennies, avec
l’objectif à présent avoué de conquérir le pouvoir suprême
1.11
en mai 2017.
5.13
Pour beaucoup de Français, « gauche » et « droite » sont
désormais des notions épuisées. Bien sûr, derrière les mots,
5.23
il y a des valeurs qui ne se confondent pas, mais à l’avenir 6:10
et sur nombre de sujets, des « majorités d’idées », selon le
mot du président Edgar Faure, se dégageront peut-être de
3631
plus en plus souvent, dessinant un partage plus net de la vie

politique entre conservateurs et progressistes.
:888
Le Front national fait l’objet d’un traitement politique et

8603
médiatique particulier. Sont mises en avant les idées de

danger pour la démocratie, de programme inefficace. Mais,
1073
quelle que soit la réalité de ces affirmations, il nous semble

qu’il ne sert à rien désormais de brandir la dramatisation,
e:21
de stigmatiser une formation politique qui, somme toute,

:Non
est dans le jeu démocratique : que ne l’a-t-on interdit, il y a

vingt, trente ans, s’il est réellement dans l’illégalité républi-
.com
caine, s’il constitue une réelle menace pour l’ordre public ?

© Groupe Eyrolles
Le « jugement de valeur » lui non plus ne sert pas à grand-

ovox
chose, il est même, je dirais, « contre-productif ». Plus l’on

critique le FN, en effet, plus on le place en position victi-
.bibli
maire, et donc on parvient juste à le faire monter davantage

www
dans l’opinion publique. Les qualificatifs utilisés par les

médias ou les hommes politiques pour déplorer les hauts
résultats du FN aux élections (« le choc1 », « faire barrage2 »)
sont à la fois, comment dire, maladroits et insultants pour
des Français qui, par protestation ou colère, font le choix
de voter pour un mouvement politique inscrit, comme il a
été dit, dans le jeu démocratique, à défaut d’être sans doute
3874
toujours républicain. Comme le soulignait Marine Le Pen,
en décembre 2015, sur une chaîne d’info TV, reprenant
4206
l’argument de nombre de ses électeurs : « Les Français ont
1:16
essayé la droite, la gauche, ça n’a pas marché, ils veulent
nous “essayer”, c’est leur droit. »
1.11
5.13
Bio express de Marine Le Pen
1997 : Jean-Marie Le Pen impose sa fille au comité central du FN, qui n’en voulait pas,
5.23
lors du Congrès de Strasbourg (Bas-Rhin).
6:10
1998 : Marine Le Pen devient directrice du service juridique du FN.
2000 : elle fait son entrée au Bureau politique.
3631
2003 : elle devient vice-présidente du parti.

2004 : elle est élue conseillère régionale en Ile-de-France et députée européenne.
:888
2007 : elle est seule candidate du FN à se qualifier pour le second tour des élections
législatives dans le Pas-de-Calais.
8603
2008 : elle est candidate aux élections municipales à Hénin-Beaumont (Pas-de-Calais).

2011 : Après une bataille contre l’autre prétendant, Bruno Gollnisch, elle devient prési-
1073
dente du FN.
2012 : elle recueille 17,9 % des voix au premier tour de l’élection présidentielle.
e:21
2015 : elle rompt définitivement avec son père et l’exclut du parti.

:Non
Comment faire reculer le FN, souci majeur de la classe

.com
politique et de nombre de nos concitoyens ? Comment

© Groupe Eyrolles
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.bibli
1. Voir Le Figaro et L’Humanité du 07/12/2015.

2. Voir en particulier les déclarations de Jean-Christophe Cambadélis.
www
L’irrésistible ascension du Front national 23
empêcher ce parti d’accéder à la responsabilité suprême en

2017, tant il est vrai que cette accession serait sans doute
lourde de conséquences – négatives – à la fois au plan inté-
rieur, au plan européen, au plan international ? Fermeture
des frontières, sortie à terme de l’Europe, abandon de
l’euro, préférence accordée aux nationaux pour l’emploi,
etc. seraient à coup sûr des décisions dangereuses pour la
3874
France. « Le suicide français », décrit par Éric Zemmour,
qui n’a jamais eu lieu que dans son esprit, pourrait alors
4206
réellement se produire, venant accabler un peu plus des
1:16
Français qui, entre-temps, auraient perdu nombre de
libertés – pour en rester à des faits déjà observés ici ou là,
1.11
au niveau communal notamment.
5.13
Comment faire ? Faut-il dénoncer un programme écono-
mique, social, culturel, inadapté, inapplicable, dangereux ?
5.23
Sortir la calculette ? Faire des calculs savants ? 6:10
Hélas, quand comprendra-t-on que les électeurs ne
raisonnent pas sur « l’applicabilité » ou non d’un programme,
3631
sur sa « dangerosité » ? Il ne sert à rien de répéter que le

programme frontiste est mauvais, que ce parti ne sait pas
:888
gérer les villes qu’il dirige. Gustave Le Bon, connu pour

8603
avoir écrit La Psychologie des foules (1905), notait, dans

un autre ouvrage, moins connu, Psychologie du socialisme
1073
(1901) : « On ne triomphe pas d’une doctrine en montrant

ses côtés chimériques. Ce n’est pas avec des arguments que
e:21
l’on combat des rêves1. »

:Non
Et puis, à l’heure de « l’individualisme démocratique2 », c’est

moins par la raison que l’on se détermine que par l’émo-
.com
tion. Peu importe que les idées exprimées soient vraies ou

© Groupe Eyrolles
ovox
1. Gustave Le Bon, Psychologie du socialisme, Paris, Les Amis de Gustave

.bibli
Le Bon, 1984.
2. Voir mon livre du même titre.
www
manifestement fausses. Devient vrai ce qui émeut, et ce

qui émeut est souvent simple, voire caricatural. L’homme
de ce temps se satisfait de « mots-slogans ». Bref, comme
le dit encore Le Bon : « La discussion par échange d’ar-
guments le laisse [en l’occurrence l’ouvrier] totalement
indifférent. »
3874
Si l’argument moral, l’argument économique ne fonc-
tionnent donc pas, n’y a-t-il plus rien à faire pour sortir
4206
nos compatriotes du choix frontiste ? A-t-on tout essayé,
pour reprendre la formule célèbre de François Mitterrand
1:16
évoquant le chômage, pour éviter aux Français la « tenta-
tion politique radicale » exprimée par le FN ? Nous verrons
1.11
qu’il n’en est rien dans un chapitre final. Mais revenons au
5.13
rapport de la jeunesse avec le Front national.
« Je kiffe le Front national ! » 5.23

6:10
Le FN est populaire chez les jeunes. Au premier tour

3631
des élections régionales le 6 décembre dernier, 35 %

des 18-24 ans (28 % des 25-34 ans) lui accordaient leurs
:888
suffrages. Ils n’étaient que 30 % aux européennes de 2014,

8603
23 % au premier tour de l’élection présidentielle de 2012

et seulement 13 % à la présidentielle de 2002.
1073
S’il faut relativiser ce score élevé aux élections régionales,

e:21
puisque 65 % des jeunes se sont abstenus de voter, la percée

du FN chez la jeunesse votante est incontestable. Le Front
:Non
national est aujourd’hui le premier parti de France, aussi

chez les jeunes.
.com
Les temps ont bien changé. Il y a encore dix ans, les jeunes
© Groupe Eyrolles
ovox
en révolte ou désespérés rejoignaient plutôt les rangs de

la Ligue communiste révolutionnaire (LCR) animée par
.bibli
Olivier Besancenot, jeune facteur très populaire. Faut-il

www
rappeler encore qu’à la veille de l’élection présidentielle

de 2007, M. Besancenot était arrivé derrière Ségolène
Royal, recueillant 57 % des voix des jeunes, et même 86 %
de ceux issus de l’immigration non européenne, devan-
çant Nicolas Sarkozy, la troisième personnalité politique
préférée des 18-25 ans ? Faut-il rappeler qu’un quart des
adhérents de la LCR avaient alors moins de 25 ans ? Ces
3874
mêmes jeunes, aujourd’hui frontistes, il y a encore dix ans,
aimaient aussi l’altermondialisme, et, il y a moins de cinq
4206
ans, rejoignaient, en petit nombre certes, le mouvement
1:16
des « Indignés ».
Fini donc le temps où les jeunes dénonçaient le F Haine,
1.11
où des associations se baptisaient « Ras l’Front ». Fini le
5.13
temps où, dans les manifs, l’on pouvait lire sur certaines
pancartes des slogans du genre « Le Pen (Jean-Marie) à la
5.23
Seine ». Aujourd’hui, ce serait plutôt « Marine (Le Pen) à
l’Élysée ».
6:10
3631
Quand les jeunes emmerdaient le Front national

:888
Stupeur en France le 21 avril 2002. Jean-Marie Le Pen, brûlant la politesse à Lionel

Jospin, le candidat du PS, est qualifié pour le second tour de l’élection présidentielle.
8603
Il affrontera Jacques Chirac. Les Français s’inquiètent, et plus encore les jeunes.
Spontanément, entre les deux tours, ils sont près d’un million à descendre dans les
rues, taguées pour l’occasion. Les lycées sont désertés. Les très jeunes, de 14, 15 ou
1073
16 ans, qui n’ont pas le droit de vote, s’indignent de ne pouvoir aller aux urnes comme
leurs aînés. Les autres, qui sont majeurs, voteront en masse le 5 mai, soit 78 % des
e:21
jeunes de 18 à 25 ans inscrits sur les listes électorales. Une grande première pour la
jeune génération. Au terme de ce second tour, avec par conséquent le concours des
:Non
jeunes, Jacques Chirac sera réélu président de la République, pour cinq ans, avec 82 %
des voix.
.com
© Groupe Eyrolles
ovox
Aujourd’hui, les jeunes n’emmerdent plus le Front

national. Ils emmerdent tous les partis traditionnels, de
.bibli
droite comme de gauche, qu’ils jugent incapables de

www
satisfaire leurs besoins élémentaires : de formation, d’em-

plois, de logements. Ils en ont assez des petits boulots, de
la précarité, des stages bidon ! C’est le désenchantement
total !
La preuve ? En mai 2014, ils n’étaient qu’entre 4 000 à
8 000 à participer à la « marche citoyenne contre le FN »
3874
organisée par les syndicats lycéens et étudiants, les mouve-
ments politiques de jeunesse et diverses associations.
4206
1:16
Une jeunesse traditionnellement peu politisée, mais plutôt
engagée
1.11
Qu’en est-il exactement du rapport des jeunes à la poli-
5.13
tique ? La jeunesse, dit-on, serait moins politisée que la
5.23
jeunesse d’autrefois (celle de mai 1968). De l’individua-
lisme, rien que de l’individualisme (traduisons : égoïsme), 6:10
tel serait l’état d’esprit de la jeunesse française. Nous
serions passés en quelque sorte de l’« hyper-politisation »
3631
des jeunes révoltés des années 1960 à une espèce d’« hypo-

:888
politisation » de la jeunesse actuelle.

C’est, sur fond de nostalgie, complètement déformer l’His-
8603
toire. Les jeunes, quelle que soit l’époque, n’ont jamais été
massivement politisés. De tous temps, les questions poli-
1073
tiques, surtout celles traitées à la sauce politicienne, ont

e:21
suscité de l’aversion chez les jeunes. D’abord, les très, très,

jeunes ne les comprennent tout simplement pas, les ques-
:Non
tions dites « politiques ». Quant aux autres, ils trouvent les

« politicards » soit fort corrompus, soit impuissants à faire
.com
bouger les choses.

© Groupe Eyrolles
ovox
Enfin, il faut redire ici que la jeunesse est avant tout le

temps de la construction personnelle, de la préparation
.bibli
de l’avenir. Ce qui, logiquement, détourne la plupart de

www
la génération du militantisme partisan ou syndical. Selon

une étude européenne réalisée en 2011, les jeunes Français
sont à cet égard les plus méfiants envers la classe politique,
et seuls 12 % envisagent de s’engager dans un parti (rappe-
lons qu’ils ne sont que 1 % à être adhérents). Il est cepen-
dant quelques rares périodes de l’Histoire où les jeunes se
rapprochent des outils politiques classiques. Il y a dix ans,
3874
par exemple, après la mobilisation contre le CPE (Contrat
première embauche), voulu par le Premier ministre de
4206
l’époque, Dominique de Villepin, l’on avait assisté à une
1:16
certaine remobilisation des jeunes autour des partis poli-
tiques traditionnels, surtout ceux d’extrême gauche. Mais
1.11
ce « retour » n’avait été que passager.
5.13
Confondant donc absence de politisation et absence d’en-
gagement de la jeunesse, l’État se croit tenu d’intervenir
5.23
pour la rendre plus citoyenne. Il imagine alors des systèmes
pour la faire s’engager davantage. De gré ou de force.
6:10
D’où, par exemple, son idée d’un service civique (ou civil),
3631
volontaire ou obligatoire, au choix selon les points de vue.

Mais, qu’en est-il au juste de cette accusation de non-
:888
engagement de la jeunesse ? Eh bien, elle n’est tout simple-

8603
ment pas fondée. La jeunesse est même plus engagée qu’on

le croit (et probablement pourrait-elle l’être davantage si
1073
on lui en donnait et le temps, et les moyens et de bonnes

raisons). Mais, engagée, elle l’est incontestablement d’une
e:21
autre manière que ses devancières. Autre société, autres

:Non
mœurs, autres formes d’engagement ! À l’image des adultes,

la jeunesse n’est pas militante au sens d’engagement à vie.
.com
Elle s’engage pour une durée limitée, en faveur de projets

© Groupe Eyrolles
concrets, dont elle veut voir les réalisations rapidement.

ovox
On trouve ainsi les jeunes majeurs, les 18-25 ans, dans

.bibli
nombre d’associations, en particulier les associations

www
humanitaires ou de défense de l’environnement. On trouve,

plus particulièrement les étudiants, dans le soutien scolaire
de camarades plus défavorisés, ceux que l’on appelle en
France les « jeunes des cités ».
Les mineurs (moins de 18 ans en France) ne sont pas,
non plus, aussi inactifs qu’on l’imagine. On les trouve
3874
dans les activités de service à la personne, comme l’aide
aux personnes âgées, ou le baby-sitting (ici les filles sont
4206
majoritaires). Répétons que ces jeunes feraient davan-
tage si l’école leur en laissait le temps, mais, on le sait, les
1:16
programmes sont trop lourds. Ils feraient aussi davantage
si cette même école valorisait mieux ces investissements
1.11
extrascolaires, les intégrait mieux dans le cursus éducatif.
5.13
Une responsabilité au service des autres devrait être plus
profitable à ceux qui la prennent.
5.23
6:10
L’espoir fait vivre la jeunesse !
3631
Au lendemain des élections régionales de 2015, l’on

a interrogé les jeunes votants FN sur les raisons de leur
:888
choix. Pour près de la moitié (47 %), c’est l’emploi qui

8603
arrive en tête, pour un peu plus du tiers (34 %), la sécurité

et pour un quart environ les attentats du 13 novembre.
1073
Ainsi le FN, pour des jeunes souvent en grandes diffi-

cultés sociales (mais pas toujours), apparaît-il comme un
e:21
recours, la « dernière chance » même, pour dire à la fois

:Non
leur désespérance et leur espoir, mais aussi leur attache-

ment aux valeurs traditionnelles. Pierre qui a 25 ans et qui
.com
est juriste à Marseille, le dit clairement, sans détour : « Le

© Groupe Eyrolles
Front national nous donne un espoir, il nous dit que la

ovox
France est belle et qu’on doit être fier de ce qu’on est. Il

nous dit aussi qu’on peut se relever et faire quelque chose
.bibli
de notre vie. »
www
Qui sont les jeunes « fans » du Front national ?

Ce sont, plus souvent, des jeunes gens que des jeunes filles, et, très majoritairement,
ces jeunes sont « blancs » de peau. Ils sont aussi issus, pour la plupart, des milieux
populaires. Anne Muxel, chercheur au CEVIPOF (Centre de recherches sur la vie politique
française), souligne à cet égard qu’à partir des années 1990, le FN a commencé à
entrer dans les quartiers populaires de banlieue, délaissés par les partis tradition-
nels de gauche, parti communiste en tête, et à rallier à sa cause principalement les
« sans diplômes ». Les jeunes de 2016 qui soutiennent le FN n’ont toujours effective-
3874
ment aucun diplôme ou sont titulaires de petits diplômes : 36 % ont un niveau inférieur
au bac et 14 % ont bac + 3. On retrouve ici le clivage entre une jeunesse diplômée,
4206
étudiante, votant plutôt pour les partis de gauche (ou les autres partis traditionnels),
et une jeunesse non diplômée ou faiblement diplômée, issue largement des classes
populaires.
1:16
1.11
Résumons. Si tous les jeunes frontistes ne sont pas des
5.13
extrémistes, n’adhèrent pas aux idées les plus radicales du
FN, certains le sont bel et bien… comme toujours, pour-
5.23
rait-on dire. En Picardie par exemple où 23 % des moins
de 20 ans vivent sous le seuil de pauvreté, le bouc émissaire
6:10
reste d’abord l’immigré ou le Français issu de l’immigra-
3631
tion, avec une préférence pour l’origine maghrébine. Le

« bougnoule » est seulement devenu l’« Arabe », l’immigré
:888
est seulement devenu le migrant (les deux étant pareille-

ment stigmatisés en vérité).
8603
L’explication tombe aussitôt : « On ne peut pas tous les

1073
accueillir, déclare par exemple Laurie, 16 ans, élève au

lycée des Jacobins, à Beauvais, et il n’est pas normal qu’on
e:21
paie pour eux. » « Logements, aides sociales doivent nous

revenir », précise de son côté Audrey, 18 ans, en termi-
:Non
nale scientifique. Rien d’étonnant de la part de ce que

.com
le sociologue Sylvain Crépon nomme « le sous-prolétariat

des petits Blancs » qui, lorsqu’il travaille, a du mal à joindre
© Groupe Eyrolles
ovox
les deux bouts.

.bibli
www
Pour ces jeunes « radicaux politiques », Marine Le Pen n’est

pas raciste mais nationaliste. On voit combien ce discours
est en réalité transgénérationnel au FN.
Les nouveaux venus au FN, qu’ils soient jeunes ou non
du reste, n’expriment pas cette radicalité-là, anti-immigrés.
Peu intéressés par les questions économiques et interna-
3874
tionales, ils recherchent d’abord dans le mouvement des
« valeurs », des valeurs traditionnelles, celles de l’ordre et de
4206
l’autorité, de la sécurité aussi depuis les derniers attentats
à Paris. Il n’est donc pas étonnant de les voir réclamer
1:16
plus de pouvoirs pour les policiers, et bien sûr de les voir
aussi défendre le principe de déchéance de nationalité des
1.11
terroristes, dont, rappelons-le, le FN est à l’origine. Enfin,
5.13
à l’image des autres adhérents ou sympathisants FN, les
jeunes frontistes éprouvent une grande méfiance, sinon
5.23
aversion, envers les institutions européennes. Comme
beaucoup d’autres jeunes Français en vérité, ils ne croient
6:10
pas que l’Europe actuelle puisse permettre l’émergence

3631
d’une véritable politique sociale et économique de crois-

sance et de plein emploi.
:888
8603
Ce qui séduit les jeunes chez le FN

1073
Les messages du Front national sont clairs. C’est un peu

le discours du « y a qu’à ». Pour que tout aille mieux, « y a
e:21
qu’à » sortir de l’Europe, « y a qu’à » renvoyer les immigrés,

:Non
« y a qu’à » interdire aux immigrants d’entrer chez nous, « y

a qu’à » faire plus de sécurité, défendre d’abord les Français
.com
« de souche », leur accorder une préférence pour l’emploi,

© Groupe Eyrolles
les soins, le logement, etc.

ovox
L’autre argument, c’est la « dédiabolisation » d’un parti

.bibli
perçu de plus en plus comme un parti comme les autres.

www
Devenue présidente du FN, Marine Le Pen a d’ailleurs

fait un effort considérable pour « arrondir » la pensée de
son mouvement (qui s’est traduit notamment d’abord par
la création du Rassemblement bleu marine, d’apparence
moins dogmatique, puis par l’exclusion de son vieux chef,
lui très dogmatique). Le FN « nouveau », en tout cas, ne
s’affiche plus ouvertement raciste, xénophobe, anti-Arabes
3874
comme il le faisait volontiers il y a encore une quinzaine
d’années. Ainsi, les jeunes « Blancs » du mouvement, s’ils
4206
continuent de voir d’un bon œil la « préférence nationale »,
1:16
admettent-ils ne pas rejeter nécessairement leurs cama-
rades différents, d’origine maghrébine en particulier.
1.11
Enfin, précisons que les jeunes séduits par le FN, comme
5.13
les jeunes djihadistes en un certain sens, sont sensibles aux
grandes thématiques autoritaires et identitaires qui les
5.23
rassurent sur leur propre identité, souvent ébranlée par des
situations sociales difficiles à vivre.
6:10
Messages clairs, parler simple aussi. Quand Marine et les

3631
autres dirigeants du FN s’expriment, disent les jeunes, on

les comprend ; ils parlent comme nous ; les autres (ceux
:888
des vieux partis), on ne comprend rien à ce qu’ils disent.

8603
Derniers atouts : le FN « nouveau » présente un visage

jeune et féminin : ça tranche avec les autres formations
1073
politiques, vieillies, vieillissantes. Profondément désillu-

e:21
sionnés de la vie politique, méfiants envers le personnel

partisan, les jeunes (qui « kiffent » le FN) voient dans la
:Non
formation de Marine Le Pen une vraie nouveauté. Alors,

comme dit Fabien, élève de seconde au lycée Baggio à
.com
Lille : « Pourquoi ne pas lui donner une chance ? À droite

© Groupe Eyrolles
comme à gauche, ce sont toujours les mêmes mecs, qui

ovox
n’ont jamais su résoudre les problèmes et n’ont pas d’autres

.bibli
objectifs que d’empêcher le FN d’accéder au pouvoir. »

www
C’est là, on le sait, le discours des électeurs ou des sympa-

thisants du FN, toutes générations confondues. Pour ces
jeunes frontistes, le FN est donc aujourd’hui perçu comme
le seul parti qui s’intéresse à leurs préoccupations, qui vient
les voir là où ils vivent (de ce point de vue, le FN prend
notamment le relais du PCF qui ne fait plus ce travail de
proximité). Peut-être enfin la force du mouvement est-elle
3874
encore de ne pas être considéré comme un parti (au sens
partisan, donc clivant du terme), d’être perçu aussi comme
4206
n’étant « ni à droite ni à gauche », un discours que répète
1:16
inlassablement Marine Le Pen depuis quelque temps.
1.11
Les armes de la séduction : des promesses, mais aussi
5.13
des responsabilités
5.23
« Le FN joue la carte jeunes », pouvait titrer Le Parisien1 6:10
(21/03/15) à la veille des dernières élections départemen-
tales. Le président de l’institut de sondages Odoxa, Gaël
3631
Sliman, confirme cette idée, et le directeur national du

Front national de la jeunesse, Gaëtan Dussausaye, affirme
:888
vouloir créer « une structure jeune dans chaque départe-

ment » avant la présidentielle de 2017. En 2016 il adresse,
8603
très solennellement, ses vœux à la jeunesse de France :

1073
« Une année durant laquelle les gouvernants politiques de

gauche comme de droite ont abandonné encore davantage
e:21
la jeunesse de France, seule face au chômage de masse, à la

précarité généralisée, à la peur du déclassement et du déra-
:Non
cinement. Une année qui n’a que davantage encouragé

cette belle jeunesse à fuir vers l’étranger en quête d’un
.com
avenir plus sûr, plus certain, plus tranquille. »

© Groupe Eyrolles
ovox
.bibli
1. Le Parisien du 21/03/2015.
www
Le message est clair – à la limite du simplisme – sécurisant.

Au FN, on parle simple, on parle « peuple ». Et puis, les
responsabilités y sont confiées tout de suite aux jeunes ;
elles ne sont pas différées au temps lointain où ces jeunes,
jeunes ils ne le seront plus. Cette formation politique est
par conséquent soucieuse de la formation de ses cadres.
Elle a des ateliers où l’on apprend aux plus jeunes (et aux
3874
moins jeunes) adhérents à savoir répondre à un adversaire
politique, à un journaliste. Le FN utilise aussi beaucoup
4206
son mouvement jeune, le Front national de la jeunesse
1:16
évoqué plus haut, qui a cette particularité que ses militants
deviendront plus tard, réellement, des cadres du FN. Ce
1.11
n’est pas le cas dans les autres mouvements de jeunesse
politique où cette transition est plutôt rare – à de rares
5.13
exceptions près : Julien Dray, Pouria Amirshahi, Harlem
5.23
Désir… Les partis traditionnels, qu’il s’agisse du PS ou
des Républicains, savent en effet instrumentaliser leurs 6:10
mouvements de jeunesse, même si ces derniers, sur nombre
de sujets, sont capables de prendre leurs distances avec les
3631
positions officielles ou émettre d’autres propositions (mais

:888
qui ne sont généralement pas prises en compte). Ainsi, en

mars 2016, le Mouvement des jeunes socialistes décidait-il
8603
de défiler dans la rue, aux côtés des autres organisations

de jeunesse protestataires, pour dénoncer la « loi travail »,
1073
bravant l’interdit posé par Manuel Valls.

e:21
Le FN envoie aussi au « combat » électoral des candidats

très jeunes, et souvent dans des positions éligibles sur les
:Non
listes constituées, voire en les mettant « tête de liste ». Ce fut

notamment le cas aux municipales de 2014 ou aux dépar-
.com
tementales la même année. À cette dernière élection, le

© Groupe Eyrolles
ovox
FN, qui ne comptait alors qu’un conseiller général sortant,

investira 287 candidats de moins de 25 ans (soit à lui seul
.bibli
la moitié des 530 jeunes candidats présentés à ces élections

www
par l’ensemble des partis), dont Marie-Amélie Dutheil

de la Rochère, normalienne, et Étienne de Francqueville,
étudiant en commerce dans la Somme. Comme l’explique
le politologue Pascal Perrineau, c’est plus facile pour le
FN de renouveler les générations que pour les partis plus
installés qui ont des sortants. Ils peuvent jouer la carte du
renouvellement générationnel.
3874
4206
Deux ascensions fulgurantes : Étienne de Francqueville, Marie-Amélie
Dutheil de la Rochère
1:16
Un jour, à la veille des municipales de 2014, Étienne de Francqueville appelle le respon-
sable frontiste de son département. Le lendemain, les deux hommes échangent autour
1.11
d’un café. Deux jours plus tard, Étienne est désigné tête de liste à Abbeville dans la
Somme. Il est aujourd’hui, à 24 ans, le patron du FNJ dans son département.
5.13
Marie-Amélie Dutheil de la Rochère, âgée de 33 ans, a adhéré au FN en 2014.
Normalienne, elle est agrégée de lettres classiques et se définit comme « souverai-
5.23
niste » (elle est du reste la fille de Bertrand Dutheil de la Rochère, ancien directeur de
cabinet de Jean-Pierre Chevènement). Elle est aujourd’hui l’assistante parlementaire à
6:10
Bruxelles de Florian Philippot, le numéro 2 du FN. Cette jeune fille était tête de liste dans
le XIIIe arrondissement de Paris aux municipales de 2014.
3631
:888
La conséquence de cette « opération séduction » du FN

est l’arrivée sur la scène politique de jeunes parlemen-
8603
taires ou de jeunes maires, ou de jeunes conseillers régio-

naux. Citons juste Marion Maréchal Le Pen, élue députée
1073
à 22 ans et conseillère régionale à 26, David Rachline,

e:21
maire à 28 ans, à Fréjus dans le Var, aujourd’hui sénateur,

Fabien Engelmann, maire d’Hayange (Moselle) à 36 ans,
:Non
et des figures moins connues, comme Alexandre Caborit,

conseiller municipal à Villejuif (Val-de-Marne), à seule-
.com
ment 20 ans, Aleksandar Nikolic, conseiller municipal à

© Groupe Eyrolles
Plaisir (Yvelines) à 29 ans.

ovox
Au plan des propositions en faveur de la jeunesse, le FNJ se

.bibli
montre très actif, s’opposant par exemple à la suppression

www
des aides aux logements pour les jeunes travailleurs précaires

(pétition lancée en décembre 2015). Rappelons que les
APL sont accordées aux jeunes de moins de 25 ans exer-
çant une activité rémunérée en CDI, et gagnant moins de
1 290 € par mois. Quelque 150 000 jeunes sont concernés
par ce projet. Le FNJ s’oppose de la même manière à la
réduction du budget accordé aux CROUS.
3874
Le FN, finalement, joue pleinement la « carte jeunesse », à
4206
tous les niveaux, et très concrètement.
1:16
1.11
5.13
5.23
6:10
3631
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8603
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4206
3874
Chapitre 2
La montée de l’islamisme radical

Signalons d’abord que le terme « islamisme » est très
3874
ancien. On le trouve dans le Coran bien sûr, et, plus près
de nous, chez certains auteurs, chez Stendhal1, ou chez le
4206
psychologue Gustave Le Bon, dont il sera souvent ques-
tion dans ce livre, tant ses analyses se sont toujours révélées
1:16
fort justes voire anticipatrices pour l’époque, notamment
1.11
dans le domaine politique. Il est ainsi parmi les premiers
à évoquer une progression de l’islamisme dans le monde
5.13
et à s’interroger réellement sur le phénomène : « Pourquoi
l’islamisme s’étend-il partout dans le monde alors que
5.23
d’autres religions comme le christianisme et le boud 6:10
dhisme semblent décliner et côtoyer leur fin2 ? »
La montée strictement contemporaine de l’islamisme
3631
radical dans le monde actuel date de l’ère Khomeiny. Après

:888
la révolution de 1979, de nombreux États musulmans se

sont en effet convertis à cette vision plus radicale de leur
8603
foi.
1073
Mais les racines sont plus anciennes. Du « groupe des assas-

sins » au xie siècle en Iran, société secrète se réclamant
e:21
de l’ismaélisme, à la Fraction armée rouge, ou au groupe

Action directe, dans les années 1970-1980, en passant
:Non
par les mouvements ouvriers du xviiie siècle détrui-

sant les machines, sans oublier les anarchistes s’attaquant
.com
frontalement aux autorités gouvernementales aux xixe

© Groupe Eyrolles
ovox
.bibli
1. Stendhal, De l’amour, Paris, Garnier-Flammarion, 1965.

2. Gustave Le Bon, La Psychologie politique, Paris, Flammarion, 1921, p. 2.
www
et xxe siècles, ce sont ces derniers peut-être, comme le

rappelle Farhad Khosrokhavar qui sont les plus proches
du mouvement Al-Qaïda, par son caractère transnational
comme par la globalité de ses vues. La violence anar-
chiste se voulait alors une réponse à la violence d’un ordre
mondial réduisant à la misère les classes populaires. C’est
bien la même idée que l’on retrouve dans les groupes
3874
djihadistes aujourd’hui.
4206
En France, les débuts de la radicalisation semblent liés à
l’expansion de l’islamophobie après les attentats du World
1:16
Trade Center le 11 septembre 2001. L’on avait bien observé,
au milieu des années 1980, quelques radicalisations mais
1.11
elles ne concernaient que quelques individus. Et puis, en
5.13
1996, il y avait eu, certes, l’équipée meurtrière du « gang
de Roubaix » menée par le converti Lionel Dumont (qui
5.23
sera arrêté en Allemagne en décembre 2003 et extradé en
France en mai 2004), mais le phénomène restait marginal.
6:10
Il prend donc de l’ampleur après les attentats du

3631
11 Septembre. Une fraction de la jeunesse d’immigration

nord-africaine ou de confession musulmane, de plus en
:888
plus montrée du doigt, se laisse peu à peu séduire par les

8603
discours guerriers de Ben Laden. Fin 2003, la direction

centrale des renseignements généraux estimait à plus de
1073
1 100 les convertis à l’islam radical, confirmant une progres-

sion sensible de la radicalisation depuis les attentats, dans
e:21
un grand nombre de pays européens (Allemagne, Grande-

:Non
Bretagne, Espagne...). Les RG indiquent à cet instant, clai-

rement, que cet engagement radical « donne une structure
.com
à un certain nombre de jeunes paumés », qu’il est donc

© Groupe Eyrolles
potentiellement dangereux. Ils pointent déjà la radicalisa-

ovox
tion en milieu carcéral et le poids de l’entourage familial

dans l’islamisation.
.bibli
www
La montée de l’islamisme radical 39
En juin 2004, dans un rapport au ministre de l’Éduca-

tion nationale, Jean-Pierre Obin, après avoir enquêté dans
plus de 60 collèges et lycées français, note à son tour « la
montée en puissance du phénomène religieux dans les
quartiers, notamment chez les jeunes […] le développe-
ment des signes et des manifestations d’appartenance reli-
gieuse dans les écoles1 ».
3874
Où en est-on aujourd’hui ? Selon des sources officielles
4206
(ministère de l’Intérieur, ministère de la Justice notam-
ment), plus de 8 000 personnes seraient radicalisées en
1:16
France. Plus de 800 auraient moins de 18 ans, 40 % seraient
des femmes et 38 % des converties à l’islam.
1.11
5.13
Djihadisme, quelques chiffres
5.23
Djihadistes européens présents en Syrie en 2015 et 2016 :
Selon les chiffres communiqués par Manuel Valls, il y aurait, en mai 2016, quelque 6:10
12 000 combattants étrangers présents en Syrie et en Irak. Plus de la moitié serait
originaire du Moyen-Orient ou du Maghreb et 4 000 seraient russophones, le reste étant
3631
composé d’Européens.
France : 627 (dont 78 mineurs) ; Belgique : plus de 600 ; Allemagne : plus de 500 ;
:888
Royaume-Uni : 500 ; Bosnie-Herzégovine : plus de 300 ; Kosovo : plus de 200 ; Albanie :

plus de 100.
8603
Proportion de djihadistes dans les pays européens (par million d’habitants) :

1073
Belgique : 22 ; Danemark : 18 ; France : 11 ; Norvège : 10 ; Pays-Bas : 7 ; Autriche,
Irlande et Grande-Bretagne : 6 ; Suède : 3 ; Allemagne : 3.
e:21
(Source : International Center for the Study of Radicalisation and Political Violence).
:Non
.com
© Groupe Eyrolles
ovox
1. « Les signes et manifestations d’appartenance religieuse dans les éta-

blissements scolaires », Rapport de Jean-Pierre Obin au ministre
.bibli
de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la

Recherche, juin 2004, n°2004-115.
www
« Allahou akbar ! »
L’islam est pluriel. On ne peut en effet parler d’« un » islam,
tant l’offre religieuse est diverse, variant notamment selon
les interprétations du Coran ou selon la formation ou
l’origine des prédicateurs. Il existe, mais ici en schémati-
sant beaucoup, un islam traditionaliste qui développe une
3874
vision bipolaire du monde, avec d’un côté, le Dar el islam,
la « Maison de l’islam », et de l’autre, le Dar el kufr, « le terri-
4206
toire de l’impiété », appelé aussi Dar el harb, « le territoire
de la guerre ».
1:16
1.11
Islam, islamisme, fondamentalisme, intégrisme
5.13
Ces termes sont utilisés souvent indistinctement. Or ils ont des sens particuliers qu’il
faut ici préciser. Pour faire court, disons que l’islam est à la fois une foi, une pratique
5.23
religieuse et une civilisation. L’islamisme désigne une conception radicale de l’islam.
Les islamistes utilisent cette religion à des fins politiques, d’expansion territoriale.
6:10
Ces individus sont d’abord des militants adeptes de l’action violente et meurtrière.
Les fondamentalistes, s’appuyant sur l’enseignement du Prophète, au contraire des
3631
traditionalistes, prônent un retour à ce qu’ils appellent les « vraies sources de l’islam »,

mais ils ne se considèrent pas comme des intégristes (mot qui au demeurant n’existe
pas dans la langue arabe). Rappelons que ce terme « intégriste », à l’origine, a été
:888
utilisé pour désigner au sein de l’Église catholique ceux qui refusaient les adaptations
de l’Église au monde moderne (Vatican II).
8603
1073
L’islam traditionaliste, qui se définit comme le vrai

commencement de l’humanité, manifeste un grand mépris
e:21
à l’égard des civilisations qui l’ont précédé, jugées honteu-

:Non
sement païennes. La destruction partielle de la cité antique

de Palmyre par Daech illustre cette vision islamique qui ne
.com
reconnaît aucune valeur aux vestiges de l’Antiquité. Il faut à

© Groupe Eyrolles
cet égard rappeler que l’ayatollah Khomeiny, après la révo-

ovox
lution iranienne, avait été un moment tenté d’ordonner la

destruction des monuments de l’époque achéménide, en
.bibli
particulier ceux du célèbre site de Persépolis. De fait, on

www
retrouve un peu partout ce désir d’effacement des « idoles »

et d’édifices divins tout au long de l’Histoire. Au dire de
Gustave Le Bon déjà nommé, psychologue politique (il
est vrai de droite, et plutôt de la droite autoritaire, natio-
nale), certains socialistes auraient été tentés de faire dispa-
raître les églises, « convaincus que leur destruction serait
la destruction des religions spiritualistes1 ». En remontant
3874
plus haut dans le temps, l’empereur chrétien Théodose, en
389 après J.-C., fera briser tous les monuments religieux
4206
que l’Égypte avait édifiés pendant 6 000 ans, « ne laissant
1:16
debout que les murs et les colonnes trop solides pour être
ébranlés2 ».
1.11
L’Occident mis en accusation
5.13
Pour l’islam radical, l’Occident, première cible, c’est
5.23
l’impérialisme, la colonisation. D’une manière générale, 6:10
explique Paul Balta, dans son ouvrage L’Islam publié en
1995, « les relations entre l’islam et l’Occident ont été faus-
3631
sées par l’aventure coloniale. Un modèle culturel a voulu,

sans succès, s’imposer à un autre3 ».
:888
Pour l’islam radical, l’Occident c’est l’affichage de valeurs

8603
jugées supérieures, comme les Droits de l’homme, et le

rejet de toutes les autres valeurs et croyances. Dans son
1073
édition du 9 janvier 1930, le journal égyptien Al Fath écri-

vait déjà : « Le danger réel nous vient de la guerre spirituelle
e:21
que l’Europe conduit méthodiquement contre l’âme des

:Non
Orientaux en général et des musulmans en particulier. »

Pour Daech, la chose est entendue : le coupable c’est
.com
l’Occident, un Occident marchand et sans valeurs, un

© Groupe Eyrolles
ovox
1. Gustave Le Bon, Psychologie du socialisme, op. cit., p. 94.

.bibli
2. Idem.
3. Paul Balta, L’Islam, Paris, Marabout-Le Monde éditions, 1995.
www
Occident dont, par ses actions violentes, il dit ne faire

que se défendre. L’Occident, c’est l’agresseur, c’est lui le
responsable des hostilités partout dans le monde, arabe en
particulier. On sait que le philosophe Michel Onfray, dans
diverses interviews, accrédite cette thèse de l’agression
occidentale. « Ce sont, dit-il, les croisés qui ont commencé
en massacrant les Syriens. » Le groupe État islamique
3874
invoque alors, conforté par la parole de l’intellectuel, la
« légitime défense », ce qui permet de justifier les attaques
4206
terroristes partout dans le monde, attaques contre les
1:16
Occidentaux mais aussi contre tous les musulmans jugés
en raison de leur mollesse et de leur résignation traîtres
1.11
à leur foi. Car, ne l’oublions pas, l’autre cible de l’État
islamique, à égalité d’intérêt, ce sont bien les « mauvais
5.13
musulmans ». Daech remet ainsi en cause, dans les pays
5.23
musulmans actuels, la démocratie et les régimes autori-
taires qu’il perçoit juste comme un déni de la puissance 6:10
d’Allah. On se souvient du combat mené par Seyyed
Qoth, l’un des premiers théoriciens du djihad, qui sera
3631
exécuté en 1966 par le régime de Nasser en Égypte.

:888
Une nouvelle domination musulmane du monde ?

8603
Serions-nous face à un nouveau « choc des civilisations » ?

1073
La thèse est défendue, et ne saurait évidemment être

écartée d’un revers de main. L’intégrisme islamiste visant
e:21
à établir partout la foi du Prophète cherche l’expansion.

Il se moque ainsi des frontières géographiques des États,
:Non
instituées par les « États mécréants ». L’État islamique est

ainsi constitué aujourd’hui à cheval sur la Syrie et l’Irak, et
.com
a des vues expansionnistes sur la Libye. Pour les islamistes

© Groupe Eyrolles
ovox
radicaux, il n’existe en effet qu’une seule patrie : la patrie

islamique. Ce sont les Frères musulmans, sous l’égide d’Al-
.bibli
Banna, le fondateur du mouvement, qui, les premiers, on

www
s’en souvient, ont défendu cette idée de patrie universelle

devant conduire à la création d’un grand État islamique
uni et universel, englobant bel et bien, d’abord, tous les
pays musulmans existant.
Daech, en quelques dates
3874
13 octobre 2006 – Daech, ou État islamique, naît en Irak de la fusion de la branche
d’Al-Qaïda en Mésopotamie et de petits groupes islamistes d’Irak.
4206
Août 2011 – Le groupe djihadiste appelle ses combattants à aller se battre en Syrie
contre le régime de Bachar al-Assad.
1:16
9 avril 2013 – Daech annonce une fusion avec le Front al-Nosra, qui combat le régime
syrien, pour former ce qu’il appelle l’État islamique en Irak et au Levant.
1.11
29 juin 2014 – Daech revendique l’établissement d’un califat sur les territoires qu’il
contrôle en Irak et en Syrie. Abou Bakr al-Baghdadi, son chef, se proclame commandeur
5.13
des musulmans du monde.
Décembre 2014 – Les forces américaines confirment l’implantation de Daech en Libye.
5.23
6:10
Daech s’est signalé au monde par son « impitoyabilité » :
3631
otages décapités par dizaines, effroyables mises en scène

vidéo, hommes brûlés vifs, homosexuels jetés des toits…
:888
Les exactions sont nombreuses, sous couvert de lutte

contre l’Occident et d’expansion de l’islam. Mais Daech,
8603
c’est aussi une formidable entreprise commerciale. Selon

l’ONU, l’organisation gagnerait jusqu’à 1,6 million d’euros
1073
par jour, rien qu’en vente de pétrole. S’ajoute le rançon-

nage des populations locales.
e:21
:Non
Changer de vie, changer la vie

.com
Changer sa propre vie et celle des autres, tel pourrait

© Groupe Eyrolles
ovox
être le credo des jeunes djihadistes français. À noter que,

dès le début des années 1980, certains jeunes des quar-
.bibli
tiers, souvent en échec, nous l’avons dit, ont commencé

www
à se tourner vers l’islam. Aujourd’hui, avec le djihadisme,

ces jeunes en mal de repères et d’avenir dans la société
française trouvent, selon leurs propres termes, une « sécu-
rité ». Ils vantent l’obéissance, apprécient des principes
clairs comme la soumission de la femme, la domination
de l’homme, un cadre rigoureux de pensée et d’action.
La sociologue et écrivaine Chahla Chafiq résume tous ces
3874
apports : « L’offre islamiste propose à ces jeunes un paquet
assez complet qui répond aux besoins […] d’ordre et de
4206
rébellion ; de cadre, de sécurité et d’aventure ; de soumis-
1:16
sion et de domination […] en leur permettant de trouver
du sens et des liens, de se draper dans une appartenance,
1.11
de se faire reconnaître, d’en finir avec les frustrations et
l’humiliation, de s’engager dans une aventure héroïsante,
5.13
de prendre le pouvoir1. »
5.23
Frères musulmans et Groupe islamiste armé algérien
(GIA) hier, Al-Qaïda et Daech aujourd’hui, tous ces
6:10
groupes islamistes radicaux apportent aux jeunes qui les
3631
rejoignent une reconnaissance (dont chacun de nous a

besoin), une identité claire et positive ; ils les inscrivent
:888
dans une « généalogie de prestige », celle du grand islam

qui doit retrouver son rayonnement sur le monde (grâce
8603
à un califat reconstitué). Ces groupes leur promettent un

1073
destin fabuleux, celui de « mourir en martyr », armes à la

main. Occasion donc d’aventures et de gloire. En 2004,
e:21
le chercheur Jean-Luc Marret avait parlé de « romantisme

générationnel2 ». Ils partent donc, ces jeunes, sourire aux
:Non
lèvres, de tous les coins du monde, pour prendre les fusils

et tuer l’Occident impie et les régimes musulmans traîtres
.com
au Prophète.
© Groupe Eyrolles
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.bibli

www
Restauration du califat
Avec le califat, Daech veut retrouver, par les armes et la terreur, la domination sur le
monde que l’islam a exercée entre le viie et le xiie siècle de notre ère. Cette nostalgie
de l’origine est celle du mouvement panislamiste créé dans les dernières années du
xixe siècle et incarné par Afghâni (1838-1897). Avec ce dernier resurgit le vieux rêve de
l’Umma musulmane dirigée par un calif. L’Umma a pour vocation de rassembler tous
les pays dans lesquels la foi musulmane est dominante, mais aussi tous les musul-
mans dispersés un peu partout dans divers pays, islamiques ou non. Pour Afghâni,
3874
le panislamisme impose une unité dans la foi, car il ne croit guère à la possibilité de
réunir tous les États islamiques sous une même bannière. Telle n’est pas, on le sait, la
4206
conception des Frères musulmans (égyptiens) – mouvement fondé en 1928 à Ismailiyya
par Hassan el-Barrena –, ni celles d’Al-Qaïda ou de Daech aujourd’hui. Depuis une
vingtaine d’années, avec ces nouveaux mouvements de radicalisation religieuse, s’im-
1:16
posent à nouveau le principe d’un califat guerrier, l’idée d’un monde divisé en deux
parties distinctes : le monde de l’islam d’un côté, le monde des incrédules de l’autre.
1.11
5.13
En résumé, sans identité sociale positive dans notre pays,
5.23
confrontés à un « vide spirituel » sans précédent, des jeunes
choisissent de se tourner vers les sirènes religieuses qui leur 6:10
en délivrent une de substitution, « clés en mains » en quelque
sorte. Ils vont donc vers le djihadisme d’aujourd’hui, une
3631
espèce d’idéologie politico-religieuse complète, tant il est

:888
vrai que pour l’islam il n’existe pas de coupure entre le reli-

gieux et le politique, ni davantage entre le privé et le public.
8603
En ce sens on peut parler du djihadisme comme d’une

idéologie « totale », au sens que donnait à ce terme le socio-
1073
logue américain Erving Goffman, dans son maître-ouvrage

publié en 1968, Asiles1, c’est-à-dire « totalitaire ».
e:21
:Non
Qui sont les jeunes djihadistes français ?

.com
Ils ou elles (car les filles se laissent séduire aussi, et de plus en plus) sont majoritai-
rement issus des populations défavorisées et, malgré une tendance au recrutement
© Groupe Eyrolles
d’autres jeunes, ils sont à plus de 80 % d’origine maghrébine et/ou de confession
ovox
.bibli
1. Erving Goffman, Asiles, Les Éditions de Minuit, « Le Sens commun »,

1968.
www
musulmane (par suite de conversion notamment). Ces jeunes vivent dans des familles
où le père est fréquemment absent. Le fils aîné remplace alors l’image paternelle ; il
représente désormais l’autorité.
Ce sont des jeunes a priori ordinaires, parfois mineurs, qui sont loin d’être tous connus
des services de police ou de la justice. Ils sont souvent en échec scolaire, peu ou pas
diplômés. Ils sont au bas de l’échelle sociale et professionnelle.
3874
Les jeunes djihadistes français restent donc majoritaire-
ment, quoi que l’on dise, des jeunes rejetés ou ghettoïsés,
4206
principalement d’origine maghrébine ou de confes-
sion musulmane. Un aumônier pénitentiaire du culte
1:16
musulman qui a tenu à garder l’anonymat, et qui est en
1.11
fonction depuis sept ans à l’Administration pénitentiaire,
confirme que la majorité des jeunes radicalisés qu’il voit
5.13
en prison sont issus des quartiers pauvres pour lesquels
toutes les politiques publiques – de la famille, de l’école
5.23
et de l’emploi – semblent avoir échoué. Rappelons qu’il 6:10
y a plus de dix ans, en 2004, un responsable policier de la
Seine-Saint-Denis reconnaissait déjà que la radicalisation
3631
était « une forme d’échec pour la société, l’échec de l’inté-

gration sociale et de l’école républicaine1 ».
:888
8603
Portrait des frères Kouachi

1073
C’est par une carte d’identité, découverte dans la Citroën C3, rue de Meaux, peu de
temps après l’attentat du 7 janvier 2015, que l’on a découvert les premiers renseigne-
ments sur les frères Kouachi. Il s’agit de deux frères d’origine maghrébine, Chérif et
e:21
Saïd, âgés respectivement de 32 et 34 ans, très jeunes orphelins de leurs parents, qui
ont grandi dans le XIXe arrondissement de Paris, ont fréquenté la « bande des Buttes
:Non
Chaumont » et fini par rejoindre la filière fondamentaliste du quartier et la mosquée de

Barbès. Le plus jeune, Chérif, est titulaire d’un brevet d’éducateur sportif, et se définit
.com
comme un « musulman » occasionnel. Il a exercé divers petits boulots, notamment

livreur de pizzas. Il est condamné en mai 2008 à trois ans de prison dont dix-huit mois
© Groupe Eyrolles
ovox
avec sursis – l’occasion pour lui de se radicaliser, par la fréquentation notamment de

Djamel Beghal, condamné à dix ans de prison pour avoir projeté un attentat contre
.bibli
1. Idem.
www
l’ambassade des États-Unis à Paris en 2001. À la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis, il

se lie aussi d’amitié avec Amedy Coulibaly.
On sait moins de choses de Saïd, sinon qu’il se serait rendu au Yémen en 2011 pour
s’entraîner avec des militants islamistes liés à Aqpa.
Pour une bonne partie d’entre eux, les djihadistes fran-

çais (sans en exagérer l’importance, quoiqu’elle grossisse),
3874
« ce sont aussi des désespérés sans croyance dans le nihi-
lisme ambiant et qui trouvent enfin dans la Conversion
4206
leur Vérité, ce sont aussi des dogmatiques doctrinaires qui
1:16
donnent les justifications et les condamnations, ce sont
aussi des chercheurs de ferveur et de communauté qui ont
1.11
remplacé la foi révolutionnaire dans une foi restauratrice1 »
(Edgar Morin). C’est le cas par exemple de Tac, 22 ans qui
5.13
habite Lunel, petite bourgade de l’Hérault, qui a toujours
5.23
été bon élève et préférait écouter le « gentil » Balavoine
plutôt que le « méchant » rappeur Booba. Et les auteurs 6:10
des attentats de janvier et novembre 2015, à Paris et dans
3631
la banlieue parisienne ? Ils appartiennent à cette catégorie

socio-religieuse islamiste radicale, à la fois rejetée, à la fois
:888
vengeresse.
8603
L’on peut dire que la radicalisation ne connaît pas de

barrières sociales, que les jeunes radicalisés peuvent provenir
1073
des milieux les plus divers, et même parfois de « quartiers

chic ». Néanmoins, qu’ils soient issus des cités ou des beaux
e:21
quartiers, ils ont en commun d’avoir connu et subi des

perturbations dans leur vie, comme une rupture familiale,
:Non
de manquer de cadres de références et de réussites dans

leur vie. Précisons que, parfois même, des familles entières,
.com
avec parfois de jeunes enfants, partent ou tentent de partir

© Groupe Eyrolles
ovox
en Syrie. En 2016, le parquet de Marseille a ainsi bloqué

.bibli

www
une mère de famille qui entendait s’en aller faire le djihad

avec ses enfants.
De plus en plus de filles

Au grand étonnement de tous les observateurs, les filles
se radicalisent aujourd’hui comme les garçons, et même
3874
davantage depuis quelques années. Sur 84 mineurs français
présents en Syrie, en mars 2016, les services de rensei-
4206
gnement dénombrent 51 filles. Les plus jeunes sont âgées
de 14 ans et proviennent de toutes les régions de France.
1:16
Elles se sont connues sur Facebook mais ne se sont jamais
rencontrées réellement. Dans un dossier spécial, Le Monde
1.11
nous en présente cinq dans son édition du 04/03/2016.
5.13
Il s’agit de jeunes filles issues de la classe moyenne, de
familles souvent musulmanes, peu ou pas pratiquantes.
5.23
Pendant des mois, « scotchées » devant leur « ordi », elles 6:10
ont discuté avec des « chasseurs » de l’État islamique. Deux
sont finalement parties en Syrie, les trois autres projettent
3631
de commettre des attentats sur le sol français (voir ci-après

en encadré).
:888
Mais, de manière générale, les jeunes filles participent peu

8603
aux attentats, ceux de Daech en l’occurrence (à l’inverse

d’une organisation comme Boko Haram ou des rebelles
1073
tchéchènes, qui les utilisent volontiers pour des opérations

« kamikazes », comme jadis le faisaient le djihad palestinien
e:21
et l’ETA). Daech ne place pas les filles en première ligne.

:Non
Agissant en soutien des hommes, elles assurent plutôt l’in-

tendance ; elles passent des messages.
.com
En tout cas, cette implication des filles peut être comprise

© Groupe Eyrolles
comme une revendication d’égalité avec les garçons, égalité

ovox
qui, on le sait, est pourtant en contradiction directe avec

.bibli
la promesse djihadiste d’un patriarcat reconnaissant tout

www
pouvoir à l’homme. Quoi qu’il en soit, dans leur engage-

ment, ces jeunes filles se montrent volontaires, déterminées.
Léa, Camille et les autres (portrait des quatre jeunes filles suivies par les
reporters du Monde en mars 2016)
Léa, 14 ans. Habite la région parisienne. Bonne élève. Parents algériens, peu prati-
3874
quants. Depuis deux ans, elle revendique le droit de porter le djilbeb (long voile laissant
apparaître le visage). Le climat se tend en famille. En juin 2014, elle quitte soudai-
nement le domicile pour se rendre en Thalys à Amsterdam. De là, elle s’envole pour
4206
Istanbul après avoir envoyé un dernier SMS à son père. Ensuite, après un voyage de
dix heures en bus, elle est prise en charge à la frontière turco-syrienne. Direction :
1:16
Rakka, dans le nord de la Syrie. Elle est accueillie par son « mari », de huit ans son aîné.
Camille, 15 ans. Habite dans une petite ville du sud de la France et suit des études
1.11
dans un lycée professionnel. Ni son père, d’origine algérienne, ni sa mère de confession
catholique ne sont pratiquants. Comme Léa, Camille, qui s’est radicalisée sur Internet,
5.13
veut porter le voile intégral et a le projet de partir en Syrie. Elle se dit salafiste et dit
qu’elle n’hésiterait pas à commettre un attentat en France.
5.23
Juliette, 14 ans. Issue d’une famille recomposée catholique. Elle s’est radicalisée dans
une mosquée de sa région, et porte à présent niqab et gants.
6:10
Vanessa, un peu plus âgée, 19 ans. Réside en Syrie depuis mai 2014. Elle est issue
d’une famille laïque de culture chrétienne. Elle n’a jamais connu son père, un ancien
3631
casque bleu qui a combattu en Bosnie.

:888
Elles sont de plus en plus nombreuses, tant en France qu’en

8603
Belgique, à vouloir suivre le chemin du djihad. Elles sont

mineures quelquefois, comme Fatima, pas tout à fait 17 ans,
1073
arrêtée alors qu’elle s’apprêtait à partir pour la Turquie.

e:21
Elle est aujourd’hui incarcérée. Comme les garçons, ces

jeunes filles rêvent de mourir en martyres. Elles seraient
:Non
aujourd’hui 220 dans la zone irako-syrienne, soit 35 % du

contingent français, et 51 en Syrie, soit plus de la moitié
.com
du contingent des mineurs français. Mais, avant de partir,

© Groupe Eyrolles
les filles célibataires doivent se marier religieusement

ovox
avec un combattant de Daech. Ces noces sont des « noces

.bibli
numériques ». Selon les derniers chiffres du ministère de

www
l’Intérieur, 867 adolescentes seraient signalées en France

comme radicalisées : 31 % seraient des converties (contre
seulement 23 % chez les garçons).
Dernière minute : disparition d’Israé, 15 ans, et de Louisa, 16 ans,

puis retour à la maison
3874
À l’heure où nous écrivons ces lignes (5 mars 2016), nous apprenons la disparition
de deux jeunes filles, dans la banlieue d’Annecy (Haute-Savoie), soupçonnées par la
4206
gendarmerie de vouloir partir en Syrie. Israé et Louisa, issues toutes les deux de familles
maghrébines, sont qualifiées de « radicalisées ». La mère d’Israé, Nadia, a raconté aux
gendarmes que sa fille avait déjà tenté un départ deux ans auparavant et qu’elle l’avait
1:16
rattrapée in extremis à la gare. Elle avait ensuite été placée en foyer dans le cadre
d’une procédure de dé-radicalisation. Elle faisait l’objet d’une interdiction de sortie
1.11
du territoire. « À un moment, raconte Nadia, elle s’est fait embobiner. Elle avait des
propos pas corrects, par rapport à la religion, par rapport à la mécréance. On n’est pas
5.13
une famille dans la religion. On est des gens d’origine musulmane mais laïcs. Ils lui
avaient mis dans la tête qu’elle devait partir aider les enfants en Syrie pour servir une
5.23
bonne cause. » Louisa, dont on sait moins de choses, a fait l’objet hier, elle aussi, d’une
mesure d’interdiction de sortie de France. 6:10
Rebondissement : les deux jeunes filles viennent, apparemment librement, de rentrer
chez elles. La gendarmerie les interroge actuellement sur les raisons de leur départ.
3631
L’enquête suit son cours.

:888
8603
Comment Daech séduit les jeunes : des promesses, encore et

toujours
1073
Toute doctrine, politique ou religieuse, s’appuie sur les

mêmes ressorts pour se faire entendre. Le psychologue
e:21
Gustave Le Bon, qui a étudié au début du xxe siècle l’essor

:Non
des doctrines socialistes dans le monde, explique pourquoi

les croyances sont acceptées en bloc sans discussion, enva-
.com
hissent progressivement l’entendement, et finissent par

© Groupe Eyrolles
dominer entièrement les pensées. Dès lors, poursuit-il, « les

ovox
.bibli
www
intérêts personnels s’évanouissent. L’homme est prêt à se

sacrifier au triomphe de sa croyance1 ».
La manipulation opère par la communication. Celle-ci,
simplifiée au maximum, se veut en effet accessible au
plus grand nombre. Comme toute croyance, la croyance
djihadiste se forme sous l’influence des quatre éléments
3874
psychologiques fondamentaux que rappelle Gustave Le
Bon : l’affirmation, la répétition, le prestige et la conta-
4206
gion. Nous avons là le mécanisme de la persuasion, où la
raison ne figure pas. Le Bon précise : « L’affirmation crée
1:16
l’opinion, la répétition fixe cette opinion et en fait une
croyance, c’est-à-dire une opinion assez stabilisée pour
1.11
rester inébranlable2. »
5.13
Les mécanismes de persuasion sont donc partout les
mêmes, qu’il s’agisse aujourd’hui d’Al-Qaïda ou de Daech.
On mélange, dans ces derniers cas, quelques références 5.23
6:10
historiques avec cette idée d’une déchéance injuste du
peuple musulman agressé de tous côtés, et qu’il faut donc
3631
défendre de cette agression. Affirmations répétées sans

cesse, la contagion est acquise. « Certain de posséder une
:888
vérité pure, le croyant éprouve le besoin de la propager,

8603
et ressent une haine intense à l’égard de ses détracteurs3. »

Le registre émotionnel est également utilisé. Les recruteurs
1073
entourent les futures recrues de la plus grande attention. Il

e:21
s’agit de créer chez elles un maximum d’émotions. Gérald

Bronner, auteur de La Pensée extrême, rapporte le cas de
:Non
Hussein, alias François, le converti, qui, un jour, par l’entre-

mise d’un ami, assiste dans une mosquée à une conversion,
.com
© Groupe Eyrolles
ovox
1. Gustave Le Bon, Le Déséquilibre du monde, Paris, Flammarion, 1924,

p. 85.
.bibli
2. Idem, p. 87.
3. Idem, p. 85.
www
« lors d’une cérémonie d’une grande intensité émotion-

nelle où plusieurs centaines de musulmans viennent l’em-
brasser les larmes aux yeux. Comme s’il venait de renaître,
[Hussein] décide pour lui-même et, croit-il, devant Dieu,
de se consacrer avec beaucoup de zèle à sa foi nouvelle…
Ces effusions émotionnelles semblent en mesure de
panser les blessures narcissiques et identitaires qui parfois
3874
conduisent à l’extrémisme, une radicalisation que l’on
peut qualifier d’adhésion par frustration1 ».
4206
Il y a manipulation et simplification. Pour le nouveau
1:16
djihadiste, les « bons » (les djihadistes) se distinguent des
« méchants » (les mécréants). Pour conforter ces idées, des
1.11
slogans simples sont utilisés : « Tuons les impies, partout ! »
5.13
Et le tour est joué !
L’engagement – c’est la force de la croyance djihadiste – est
aussi vécu comme un acte de solidarité envers d’autres frères 5.23
6:10
musulmans maltraités. Les filles, en particulier, sont souvent
motivées par des considérations humanitaires : elles veulent
3631
apporter leur aide à toutes ces victimes : hommes, femmes,

enfants. Pour le psychiatre américain Marc Sageman, « ce
:888
que l’on appelle radicalisation est simplement une identifi-

8603
cation aux victimes de sa propre communauté. Ces jeunes

voient des gens se faire tuer en Syrie, se portent volontaires
1073
pour les protéger et deviennent des soldats ».

e:21
L’expert antiterroriste belge Rik Coolsaet insiste sur le

fait que les jeunes djihadistes partagent souvent le même
:Non
sentiment de ne pas avoir d’avenir dans leur pays, ce qui

rend très attractive la propagande de l’État islamique, qui
.com
promet à chacun une famille, une place, un job, une maison.

© Groupe Eyrolles
C’est d’abord tout ça qui est promis au futur martyr, qui

ovox
.bibli
1. Gérald Bronner, op. cit., p. 239.

www
a l’impression d’avoir devant lui une vie merveilleuse en

terre syrienne. Puis il est question d’au-delà. Ahmed, qui
est aujourd’hui âgé de 26 ans, et qui a déjà fait un voyage
dans ce pays ne doute pas un instant du bien-fondé de
cette promesse. Léa, cette adolescente de 14 ans, dont nous
avons parlé plus haut, clame elle aussi son exaltation : « Je
suis partie vers un pays saint où on sera ressuscité le jour
3874
de la résurrection. Je suis partie car moi mon bonheur
c’est de faire de ma vie la religion et de ne pas avoir de
4206
contraintes. » Camille, qui a 15 ans, porte ce même espoir :
1:16
« La vie d’ici-bas est une prison pour le croyant autant
qu’il s’agit du paradis pour celui qui ne croit pas. En fait
1.11
ces personnes [les musulmans non djihadistes] s’attachent
à tout ce qui est matériel. Je sais que la vie dans l’au-delà
5.13
sera meilleure parce que c’est écrit dans le Coran… Je ne
5.23
veux pas aller en enfer comme les mécréants. »
Avant l’au-delà, il y a, répétons-le, la belle vie, ici-bas, en
6:10
Syrie. Camille le dit avec sa mauvaise orthographe : « Je suis
3631
marier, maintenant bientôt en Turquie avec mon mari et

bientôt maman, Inshallah, puis on va élever notre enfant
:888
qui sera né au Sham, rien de plus beau, et sa sera un enfant

pieu, et puis un jour vous recevrer un coup de téléphone en
8603
vous disant que je suis morte au combat et voila c simple. »

1073
Ce qui importe en somme à cette jeunesse djihadiste, c’est

une place au paradis, avec toute l’imagerie pour séduire :
e:21
les 72 vierges déambulant dans des « rivières de miel »…

:Non
Quelle merveilleuse perspective ! Abdelkader Merah,

le frère aîné de Mohamed, le tueur de Toulouse et de
.com
Mautauban, en mars 2012, qui va être jugé prochainement

© Groupe Eyrolles
en assises pour complicité d’assassinat, est ainsi persuadé

ovox
d’avoir acheté « sa place au paradis ». Depuis septembre

2013, le jeune homme paraphe chaque page de ses audi-
.bibli
tions devant le juge d’une sourate du Coran : « Il n’y a

www
pas d’autres divinités à part Lui, comment oseriez-vous

vous moquer ? » ; « Il n’y a pas d’autres divinités à part
Allah, Muhamad est le messager d’Allah. » Emprisonné
depuis mars 2012, Abdelkader Merah est armé d’une foi à
toute épreuve : « Ce que je suis en train de vivre, c’est pour
acheter mon paradis, donc je ne changerai pas. »
3874
Au bout de l’endoctrinement, il est clair que le jeune radi-
calisé n’a plus peur de rien, ni de la prison, ni, bien sûr,
4206
de la mort. Il se sent comme un « surhomme ». La force
de Daech réside dans cette « seconde chance » qu’elle fait
1:16
miroiter à une jeunesse démoralisée, humiliée. Ces jeunes
gens sans avenir se radicalisent pour devenir des femmes
1.11
et des hommes importants. Se sacrifier pour le service de
5.13
Dieu, qu’y a-t-il de plus important ?
Les lieux et les outils de la radicalisation : mosquées, prisons, 5.23

6:10
vidéos, fratries
3631
Les lieux les plus anciens de radicalisation sont les mosquées.

:888
Dans les années 1990, elles approvisionnaient directement

en combattants les groupes islamistes. Aujourd’hui, si elles
8603
servent quelquefois de lieu de rendez-vous et de recrute-

ment, elles ne sont plus beaucoup des lieux d’organisation
1073
de départs vers les champs de bataille (la Syrie actuellement).

La meilleure preuve en est qu’un mois après le déclenche-
e:21
ment de l’état d’urgence, trois mosquées seulement avaient

:Non
été fermées : celles de Gennevilliers (Hauts-de-Seine), de

l’Arbresle (Rhône) et de Lagny (Seine-et-Marne).
.com
Le deuxième lieu de radicalisation (par ordre d’ancien-

© Groupe Eyrolles
neté) est la prison. Ce n’est pas nouveau. Déjà dans les

ovox
années 1970-1980, en Italie, le recrutement des Brigadistes

.bibli
(rouges) s’effectuait au sein des établissements pénitentiaires

www
du pays. Dans les années 1990, en France, de nombreux

membres du Groupe islamique armé (algérien) (GIA),
sous la direction de salafistes prônant un islam radical, se
sont endoctrinés en prison, ainsi de petits délinquants de
droit commun comme Khaled Kelkal, le principal respon-
sable des attentats de 1995 sur le sol français.
3874
Il y a encore une dizaine d’années, la prison était un
lieu important de radicalisation ; elle semble l’être moins
4206
aujourd’hui. Selon une statistique de l’administration péni-
tentiaire, seuls 16 % des détenus incarcérés pour terrorisme
1:16
sont passés par la prison et ont été endoctrinés en son
sein. Signalons cependant que Mohamed Merah, Medhi
1.11
Nemmouche, Amedy Coulibaly, Chérif Kouachi avaient
5.13
eux été précédemment incarcérés avant de commettre
leurs attentats. Pour Géraldine Blin, directrice du projet
5.23
« Lutte contre la radicalisation » à l’administration péniten-
tiaire, plus de 80 % des personnes placées sous mandat de
6:10
dépôt pour acte de terrorisme se sont radicalisées à l’exté-
3631
rieur, via la famille, l’école ou les réseaux sociaux.

En prison, l’endoctrinement est réalisé par des salafistes,
:888
qui stigmatisent et traitent de « mécréants » tous les musul-

8603
mans qui ne font pas la prière ou qui rendent visite aux

aumôniers musulmans jugés complices de l’État français.
1073
Selon le sociologue Ouisa Kies, chef de projet à la direc-

tion de l’administration pénitentiaire « pour la détection
e:21
et la prise en charge des détenus radicalisés », le phéno-

:Non
mène touche les détenus les plus fragiles, notamment ceux

souffrant de maladies mentales, dont la proportion semble
.com
augmenter.
© Groupe Eyrolles
Aujourd’hui, sur un total de 68 000 détenus, 230 le seraient

ovox
pour terrorisme et entre 700 et 2 000 seraient susceptibles

.bibli
d’être soumis à un programme de dé-radicalisation.

www
David Vallat, ex-djihadiste dans les années 1990, condamné

à dix ans de prison en 1997, raconte comment, en déten-
tion, on le percevait comme une « vedette », une sorte de
Robin des bois des temps modernes s’en allant combattre
les méchants et les injustes. La conversion des plus fragiles
par ces « héros » est alors des plus aisées. C’est ainsi que
de petits délinquants, un peu voleurs, un peu dealers, sont
3874
devenus de vrais fanatiques. Le cas d’Amedy Coulibaly
symbolise la radicalisation en détention.
4206
1:16
La radicalisation d’Amedy Coulibaly à la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis
1.11
Comme avant lui Khaled Kelkal, l’un des auteurs des attentats de 1995, Mohamed
Merah, le tueur de Toulouse, ou Medhi Nemmouche, celui de Bruxelles, l’assassin de
5.13
l’Hyper-Cacher de la porte de Vincennes était au départ un petit braqueur de cité.
L’endoctrinement d’Amedy Coulibaly s’est effectué à la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis
5.23
(Essonne), en 2006, au contact de Djamel Beghal, condamné à dix ans d’emprisonne-
ment pour un projet d’attentat, en 2001, contre l’ambassade des États-Unis, à Paris. 6:10
S’ensuivra rapidement un projet d’évasion des deux hommes, en compagnie d’un troi-
sième, Smaïn Ait Ali Belkacem.
3631
:888
Mais il faut le répéter : tous les djihadistes ne sont pas des

jeunes qui ont basculé dans le radicalisme en prison.
8603
L’image est un outil de radicalisation assez important. Ce

n’est pas entièrement nouveau. Il y a vingt ans, l’embriga-
1073
dement des jeunes se faisait au moyen des bonnes vieilles

e:21
cassettes VHS, et sur un mode déjà très binaire : les « bons »

et les « méchants ». Dans le premier camp, les innocentes
:Non
victimes, souvent civiles, tuées par le Satan américain. Dans

l’autre, des ennemis à abattre, soldats, civils, jugés respon-
.com
sables des tueries de ces innocentes victimes. À l’époque,

© Groupe Eyrolles
on se souvient que le GIA (Groupe islamiste armé) était

ovox
le principal groupe terroriste, qu’il avait pour objectif

.bibli
d’exporter la guerre civile algérienne sur le sol européen.

www
C’est lui qui est à l’origine des attentats commis en France,

entre juillet et octobre 1995, qui causeront la mort de huit
personnes et feront 200 blessés.
Aujourd’hui, les cassettes VHS se sont fait remplacer par
des vidéos diffusées sur Internet, qui montrent des images
terribles de victimes des frappes aériennes occidentales.
3874
Depuis deux ans environ, ces vidéos de propagande se
multiplient sur Internet. Dans toutes les langues, elles
4206
appellent au meurtre partout dans le monde ; elles montrent
des scènes de décapitation d’otages et demandent aux
1:16
spectateurs de rejoindre le camp du djihad pour défendre
une juste cause. Elles montrent le bonheur des gens des
1.11
villes libérées. Jean Birnbaum rappelle justement ce propos
5.13
d’Ayman al-Zawahiri, figure titulaire d’Al-Qaïda et du
djihadisme contemporain : « Le djihad médiatique, c’est la
5.23
moitié du combat1. » Anwar al-Awlaki, une autre figure du
mouvement, exhorte de son côté « les “vrais” musulmans
6:10
à diffuser les informations des moudjahidin, notamment
3631
les vidéos de martyrs et d’exécutions car cela garde votre

attachement au djihad vivant2 ».
:888
N’oublions pas non plus, avant de conclure sur cette ques-

8603
tion des outils de la radicalisation, le rôle des fratries et

des « amis ». Il faut rappeler que près de trois recrues sur
1073
quatre d’Al-Qaïda ou de Daech ont été attirées par des

amis ou des membres de la famille. Une étude plus précise
e:21
publiée par le laboratoire d’idées New America, fin 2015,

:Non
indique que sur 474 profils de djihadistes examinés, un

tiers avait des liens familiaux avec d’autres combattants
.com
islamistes. Parmi eux, beaucoup de frères. Dix ans plus tôt,

© Groupe Eyrolles
le psychiatre américain Marc Sageman, ancien membre

ovox
.bibli

www
de la CIA et spécialiste du terrorisme islamiste, avait déjà

relevé ce fait.
En 2012, les frères Mohammed (20 ans) et Abdelkader
Merah (29 ans) se sont ainsi fait connaître du grand public.
Puis c’est au tour en 2015 des frères Saïd (34 ans) et Chérif
(32 ans) Kouachi d’ouvrir le feu à Paris, des frères Salah
3874
(26 ans) et Brahim (31 ans) Abdeslam en Belgique. Sans
oublier en 2013, à Boston (USA), les frères Tamerlan
4206
(26 ans) et Djokhar (20 ans) Tsarnaev, tuant lors du mara-
thon de la ville trois personnes et en blessant 264 autres.
1:16
Sans oublier encore, en remontant quinze ans en arrière,
les auteurs des attentats de 2001 contre les tours jumelles
1.11
du World Trade Center, à savoir les frères Waleed (22 ans)
5.13
et Mohand (21 ans) al-Shehri, puis contre le Pentagone, les
frères Salem (20 ans) et Nawaf (25 ans) al-Hazmi.
La radicalisation dans ce cas opère souvent sous l’influence 5.23
6:10
d’un frère ou d’un copain qui a lu le Coran. Parfois le
plus grand peut forcer le plus petit. On se souvient d’Ab-
3631
delhamid Abbaoud, l’organisateur présumé des attentats

du 13 novembre, abattu par les policiers du Raid à Saint-
:888
Denis, qui, un an plus tôt, avait enlevé son propre petit

8603
frère Younès, âgé de 13 ans, pour l’emmener combattre en

Syrie.
1073
e:21
Décorticage d’une radicalisation : le cas de Fatima, 15 ans

C’est en novembre 2014 que cette adolescente de 15 ans, d’origine italo-tunisienne,
:Non
fait la connaissance de femmes plus âgées dans une mosquée de la région parisienne.
Elle s’engage alors dans une lecture plus rigoriste de l’islam et commence à dialoguer
.com
sur les réseaux sociaux avec ses « sœurs » de Syrie comme elle les nomme. En août
2015, Fatima quitte le domicile familial. Elle a reçu de Syrie toutes les instructions et
© Groupe Eyrolles
ovox
consignes utiles pour le voyage ; elle fait d’abord du covoiturage jusqu’à Amsterdam,
puis elle gagne Istanbul. Elle confirme son arrivée à Daech par téléphone. Mais elle ne
va pas plus loin, étant interceptée par les autorités turques. Son père, alerté, vient la
.bibli
rechercher.
www
Si l’on suit l’analyse du sociologue franco-iranien Farhad

Khosrokhavar, auteur de Radicalisation, plusieurs facteurs
expliquent le nombre important de fratries parmi les
auteurs d’attentats et leur « efficacité » dans ces attentats.
Voici ce que l’auteur écrit : « Dans un tel projet la confiance
absolue qui existe entre deux frères est une garantie face
aux services de renseignement. Les liens de sang protègent
3874
d’une “balance” [dénonciation] éventuelle. Même si un
membre de la fratrie décide de ne pas participer, il ne va
4206
pas dénoncer son frère à la police1. »
1:16
Le poids du contexte familial joue enfin aussi un rôle
important. Orphelins de père dès leur petite enfance, les
1.11
frères Kouachi, par exemple, ont passé leur adolescence
5.13
en foyer, leur mère malade ne pouvant s’occuper d’eux.
Pour Farhad Khosrokhavar, « la relation avec le frère recrée
5.23
une espèce d’harmonie mythique. Les frères s’unissent
dans un pacte, recréent des liens familiaux sur une base de
6:10
cohésion2 ».
3631
Ensuite, une hiérarchie va s’installer entre les frères, avec un

dominant et un dominé, qui ne correspond pas nécessaire-
:888
ment à l’âge, ni à l’ordre d’entrée dans l’extrémisme. C’est

8603
très net chez les frères Kouachi où le frère cadet, Chérif,

aura joué un rôle moteur, tandis que l’aîné se sera borné
1073
à suivre. Adolescent, d’après le témoignage de l’une de

ses anciennes professeurs, Chérif Kouachi « n’avait pas de
e:21
ferveur religieuse et ne faisait même pas le ramadan ». Au

:Non
même moment, Saïd, lui, était au contraire très impliqué

religieusement. En 2005, tout est soudainement changé :
.com
Chérif est interpellé alors qu’il s’apprête à partir combattre

© Groupe Eyrolles
ovox
1. Farhad Khosrokhavar, Radicalisation, Paris, Maison des sciences de

.bibli
l’homme, 2014.
2. Idem.
www
en Irak, et, dix ans plus tard, il coordonne les attentats

contre Charlie Hebdo. Et Farhad Khosrokhavar d’insister
sur le fait que « cette inégalité entre frères rend plus effi-
cace la chaîne de commandement, avec un dominant qui
décide et l’autre qui obéit1 ».
Enfin, la fraternité apparaît jusqu’au-boutiste, inébranlable.
3874
Souvenons-nous de ces mêmes frères Kouachi sortant,
presque main dans la main, armés de leur kalachnikov, au
4206
devant des forces du Raid qui allaient les abattre aussitôt.
Abdelghani Merah, 38 ans, dans son livre Mon frère, ce terro-
1:16
riste2, explique la dérive meurtrière de ses « petits » frères
1.11
Mohammed (le tueur de Toulouse) et Abdelkader Merah
(son complice présumé) : « C’est dans la logique des choses.
5.13
Quand un jeune se radicalise, il essaie en premier lieu
d’imposer sa vision à sa famille. Quand mon frère Kader
(Abdelkader) est revenu de son séjour en Égypte, il a bourré 5.23
6:10
le crâne à tout le monde. Mohammed avait commencé à
se radicaliser en prison en 2008, mais Kader l’a travaillé au
3631
corps et a fini le travail. Il ne lui parlait que de religion et

de la haine de la France. Kader est très manipulateur, et
:888
je pense que son rôle dans la dérive de Mohammed est

8603
souvent sous-estimé. Avec ma sœur Souad [visée par une

enquête préliminaire pour association de malfaiteurs en
1073
lien avec une entreprise terroriste, elle a quitté la France

en 2014 pour rejoindre la frontière syrienne, NDLR], ils
e:21
étaient unis face à l’extérieur. Ils étaient très solidaires, très

:Non
discrets. Moi-même, j’étais exclu. À un moment, j’en ai eu

marre de combattre leurs idées, j’ai fait l’autruche. Pour
.com
moi, ce n’était que des mots, je ne pouvais pas imaginer

© Groupe Eyrolles
ce qu’allait faire Mohammed. Au-delà de la religion, lui et

ovox
.bibli
1. Idem.
2. Abdelghani Merah, Mon frère, ce terroriste, Paris, Calmann-Lévy, 2012.
www
Kader avaient une relation très conflictuelle. Mohammed

voulait se construire à l’opposé de Kader, qui l’avait battu
et martyrisé quand il était petit. Mais ils se sont rappro-
chés dans la radicalisation. À la fin, je pense qu’ils faisaient
semblant de ne pas s’entendre alors qu’ils étaient d’accord
sur une idéologie intégriste d’islamisation de la France et
de combat contre ceux qu’ils considéraient comme des
3874
mécréants1. »
4206
Une radicalisation en cachette... ou au grand jour
1:16
Les parents, confrontés soudainement à la réalité de la
1.11
radicalisation de leur enfant, disent souvent, comme pour
5.13
se défendre de tout reproche que l’on pourrait alors leur
adresser, qu’ils « n’avaient rien vu venir ».Voici par exemple
5.23
la mère du djihadiste français résident belge, mort au stade 6:10
de France, Bilal Hadfi, qui, voyant son fils changer ses
comportements, déclare aux journalistes : « Il a arrêté de
3631
fumer […] Il s’est mis à jeûner le lundi et le jeudi pour

demander pardon à Dieu. Moi je trouvais cela positif qu’il
:888
se repentisse et qu’il ne soit plus dans l’alcool et les joints2. »

8603
Est-ce une attitude si surprenante ? En aucun cas, si l’on

se rappelle l’état, ou plutôt le mauvais état, des relations
1073
parents-enfants aujourd’hui. Il y a longtemps qu’en famille

(quel que soit le type de famille à cet égard), adolescents
e:21
et parents ne vivent plus vraiment ensemble, mais « côte à

:Non
côte ». D’abord, et plus encore dans les cités qu’ailleurs, les

jeunes vivent une grande partie de leur temps hors de la
.com
maison, avec leurs copains. Comment pourrait-on, dans

© Groupe Eyrolles
ces conditions, imaginer qu’une maman musulmane ou

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.bibli
1. Voir Le Parisien Magazine du 27/11/2015.

www
africaine, qui vit souvent seule de surcroît avec ses enfants,

qui est surendettée ou en grandes difficultés financières,
puisse se rendre compte de la radicalisation de tel ou tel
de ses enfants dont elle ignore tout ou à peu près de la vie
extérieure ?
Pourtant, rappelons-le aux familles, il y a toujours des
3874
signes annonciateurs de radicalisation : le changement dans
la façon de s’habiller, de manger, dans la manière de penser.
4206
Ce qui est certain, c’est que, lorsqu’une famille – quelle
qu’elle soit et où qu’elle vive – découvre la radicalisation
1:16
de son enfant, c’est la consternation, l’effroi et la honte.
1.11
Côté enseignants aussi, cette radicalisation passe souvent
inaperçue : il y a pourtant ces absences répétées en cours,
5.13
qui auraient dû les alerter. En décembre 2015, 857 élèves
étaient ainsi signalés comme « radicalisés ».
Et puis il y a le silence des services sociaux qui voient mais 5.23
6:10
qui, par déontologie, disent-ils, décident de se taire.
3631
Trois exemples rapportés par Le Parisien1 éclairent ces

douloureuses situations auxquelles sont confrontés les
:888
adultes. Voici l’histoire de Sandrine, de Sabrina et de

8603
Cédric (noms d’emprunt).

1073
Sandrine, Sabrina, Cédric

e:21
Sandrine – Rose, la maman de Sandrine, est agent d’État, séparée de son mari. Elle
élève seule ses enfants. Cette femme n’est pas musulmane. L’été précédent, sa fille
:Non
Sandrine, dont le petit copain est, lui, musulman, s’est convertie à l’islam ; puis elle
a commencé à lire le Coran, s’est documentée énormément sur sa nouvelle religion, a
regardé des vidéos. Rose ne comprend pas ; elle parle d’une rupture sentimentale de sa
.com
fille qui l’aurait beaucoup éprouvée (elle a d’ailleurs à cette occasion fait un séjour à
© Groupe Eyrolles
l’hôpital). Elle redoute un départ de Sandrine en Syrie, elle a alors caché son passeport.
ovox
.bibli
1. Voir Le Parisien du 10/11/2014.

www
Sabrina – Un jour, c’était il y a deux ans, raconte Janis, sa maman, Sabrina a annoncé,
lors d’une fête de famille, qu’elle ne buvait plus d’alcool. Fille d’un imam africain, Janis
reconnaît être de culture musulmane mais estime que sa religion doit rester dans la
sphère privée. Elle ne comprend donc pas que sa fille se voile quand elle sort. Sabrina
est et a toujours été une bonne élève ; elle a suivi une formation en alternance dans le
supérieur, qu’elle a abandonnée. « Sabrina, dit sa mère, fait des déplacements mais
refuse de dire où et avec qui ; elle parle d’amis qu’elle ne présente jamais et depuis
d’un homme avec lequel elle voudrait se marier… Elle est aussi associée à une récolte
3874
de fonds. J’ai peur, conclut-elle. »
Cédric – Michèle, qui a la soixantaine, s’inquiète pour son fils, âgé d’un peu plus de
4206
20 ans. Cédric est catholique et a été baptisé. « Il dit, explique-t-elle, qu’il veut partir
en Syrie, qu’il est l’élu, il pense qu’on l’attend là-bas, et que s’il n’y va pas, ils vont
perdre la guerre. » Cédric se serait radicalisé en prison, en partageant sa cellule avec
1:16
un intégriste. « Du jour au lendemain, raconte Michèle, il a laissé tomber l’école, le
sport… Au début, c’était pas méchant, il allait faire un tour à la mosquée avec les
1.11
copains. La prison a été dévastatrice pour lui. »
5.13
Quand la radicalisation est là, les familles, à l’image des
5.23
parents et des sœurs du djihadiste français, Samy Amimour, 6:10
mort au Bataclan le 13 novembre, essaient en vain souvent
de ramener leur enfant dans l’ancien chemin, en recourant
3631
parfois, comme nous le verrons, à des moyens très radicaux.

:888
Sont-ils fous ?
8603
La thèse de la folie des jeunes djihadistes français est une

1073
thèse à la mode. C’est celle défendue par exemple par le

pédopsychiatre marseillais Marcel Rufo, qui estime que les
e:21
aspirants terroristes sont des cas psychiatriques lourds, qui

:Non
devraient être enfermés dans des centres spécialisés. Cette

façon de voir a, pour les pouvoirs, politiques ou médi-
.com
caux, il est vrai, un côté très rassurant. Et chacun de penser

© Groupe Eyrolles
en effet qu’il faut être totalement fou pour se comporter

ovox
comme le font ces jeunes pour tuer des innocents sans

défense. Ne parle-t-on pas du reste de « fous de Dieu » pour
.bibli
qualifier ces intégristes de la gâchette ? Ainsi ces jeunes-là,

www
qui partent faire le djihad, n’auraient pas toute leur raison,

la chose est presque entendue. Déjà, au début du siècle
précédent, des observateurs avisés comme Gustave Le Bon
considéraient que les extrémistes se recrutaient « parmi
des dégénérés, des faibles d’esprit, des impulsifs. Leurs
violences sont grandes, notait-il, mais leur personnalité
si vacillante qu’ils éprouvent un impérieux besoin d’être
3874
guidés par un maître1 ».
4206
Bien sûr, les fous existent chez les jeunes radicalisés. On
se souvient du Norvégien Anders Breivik abattant des
1:16
dizaines de jeunes. Voilà l’exemple même d’un jeune
homme qui ne cherchait pas à se fondre dans l’anonymat
1.11
pour mieux frapper ensuite, ce qui le rendait donc diffici-
5.13
lement repérable. Introverti, esseulé, atteint de graves défi-
ciences psychiques, il se donnait en spectacle.
Mais, retenons que, selon des sources proches des services 5.23
6:10
de renseignements (chiffres de septembre 2015), seuls 10 %
des individus radicalisés auraient des antécédents psychia-
3631
triques (ce qui ne représente donc qu’une cinquantaine de

cas). Une étude conduite en Angleterre par le psychiatre
:888
Kamaldeep Bhui, et publiée fin 2014, parvenait aux mêmes

8603
conclusions. Chez les terroristes, expliquait-il, la maladie

mentale est extrêmement rare2.
1073
Alors, d’autres observateurs, qui sont plutôt psys, ne voulant

e:21
pas abandonner la thèse de la perturbation, de la patho-

logie, d’expliquer la facilité de recrutement des djihadistes
:Non
par « la fragilité de l’adolescence ». En tant que spécialiste

de cet âge de la vie, je puis vous dire qu’il ne s’agit là
.com
que de pure conjecture. Dans mes travaux sur l’adoles-

© Groupe Eyrolles
cence, notamment les dernières publications : Antimanuel

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.bibli
1. Gustave Le Bon, Le Déséquilibre du monde, op. cit., p. 86.

www
d’adolescence et Mon adolescent en 100 questions, je rappelle

combien l’idée de « crise naturelle » associée à cet âge
manque de fondement scientifique1.
Néanmoins, il nous faut préciser que la pathologie de
l’adolescence n’est pas un mythe. Tout âge porte en réalité
ses pathologies. Ainsi, Camille, 15 ans, évoquée plus haut,
3874
a-t-elle des tendances suicidaires, liées, semble-t-il, à une
enfance difficile, au départ de son père, à son éducation par
4206
ses grands-parents, à des « embrouilles » avec d’autres filles
au collège.
1:16
On peut aussi, à titre explicatif, avancer, en lien avec des
1.11
conditions de vie perturbantes et des carences morales
majeures, des troubles psychologiques aujourd’hui encore
5.13
mal définis, qui s’expriment par un manque d’estime
de soi, une incapacité à gérer les frustrations (ce que les
jeunes nomment eux-mêmes des « pétages de plomb »). 5.23
6:10
Ces troubles n’entrent, selon les experts psychiatres,
dans aucune catégorie médicale définie. Les spécialistes
3631
avouent même être désarmés par ces nouvelles patholo-

gies inconnues.
:888
La conséquence en tout cas des mauvaises situations et

8603
conditions de vie est une perte de moral chez ces jeunes

en déshérence, une banalisation du recours à la violence.
1073
Et Daech, c’est sûr, aime les jeunes démoralisés qui sont

e:21
pour lui des proies faciles.

Bref, les jeunes qui choisissent le djihad ne sont pas fous,
:Non
juste déçus et malheureux. Ajoutons peut-être aussi leur

.com
incapacité à se faire des amis, à échanger des idées, à gérer

une agression dont ils ont pu être victime.
© Groupe Eyrolles
ovox
.bibli
1. Michel Fize, Antimanuel d’adolescence, Paris, Marabout, 2014 et Mon

adolescent en 100 questions, Paris, Eyrolles, 2013.
www
Pour le reste, l’on constate qu’ils ont un discours très

rationnel, et même cohérent, qui s’appuie sans nul doute
sur une représentation schématisée de l’islam, une inter-
prétation partielle et partiale du Coran, avec un Occident
dévoyé qui ne croit plus en rien et qu’il faut éliminer.
François, rebaptisé Hussein, âgé de 25 ans, qui a été incar-
céré pour terrorisme, déclare : « On y doute de tout [en
3874
Occident], de la vie, de la mort, de l’au-delà, du sens même
de l’existence. On vit dans un monde où il n’y a plus de
4206
sacré et où chacun bricole dans son petit coin un sens fait
1:16
de bric et de broc, dans l’ignorance de la vérité ultime. »
Le philosophe Edgar Morin livre son analyse d’un
1.11
Occident qui n’est pas sans tache : « Nous ne voulons voir
5.13
que la cruauté et la monstruosité de l’organisation État
islamique, mais eux voient la cruauté et l’inhumanité de
5.23
la guerre des drones et des missiles, ils voient la continua-
tion, par nos interventions militaires au Moyen-Orient, de
6:10
notre colonialisme, ils voient le pouvoir de l’argent et le
3631
vide moral d’une civilisation qu’ils veulent fuir et détruire

pour un monde nouveau ordonné par Dieu1. »
:888
Le risque est là, qu’aveuglés par notre horreur de l’horreur

8603
nous tombions nous-mêmes dans le manichéisme, et que

nous ne soyons capables de voir dans l’autre, le djihadiste
1073
(ou le frontiste), que le « Mal absolu », nous déchargeant

ainsi de nos responsabilités dans l’émergence de ce vide
e:21
moral dont parle Edgar Morin, de cet appât du gain, moteur

:Non
de nos vies individuelles d’Occidentaux. Mais attention,

une fois encore, ne confondons pas l’explication (néces-
.com
saire) avec l’excuse (impensable) : nul ne saurait tuer pour

© Groupe Eyrolles
des idées réprouvées, des desseins contestés ! Nos sociétés

ovox
doivent seulement – c’est même un impératif catégorique,

.bibli

www
pour parler comme Kant –, avoir le courage de s’autocriti-

quer, et de comprendre qu’il y a chez les jeunes un besoin
d’espoir, d’exaltation, d’aventure, qu’il faut satisfaire. Edgar
Morin souligne encore ce point, ces carences incontes-
tables de notre monde : « Notre société n’apporte rien de
cela… Un idéal de consommation, de supermarché, de
gain, de productivité, de PIB ne peut satisfaire les aspi-
3874
rations les plus profondes de l’être humain, qui sont de
se réaliser comme personne au sein d’une communauté
4206
solidaire1. »
1:16
1.11
5.13
5.23
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3631
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:Non
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Deuxième partie
3874
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Convergences :
5.13
une génération sacrifiée 3631
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« La situation de la jeunesse, dans ce maudit pays, est vraiment

8603
effroyable ! Depuis les années 1860, notre jeunesse se rue, tête baissée,
à l’assaut de l’autocratie », Gorki, Vie nouvelle, 8 novembre 1917.
1073
Divergentes comme il vient d’être dit en première partie,

e:21
la jeunesse du Front national et la jeunesse djihadiste se

rejoignent néanmoins par la précarité de leur statut. L’une
:Non
et l’autre incarnent cette « génération sacrifiée », privée

.com
d’à peu près tout : réussite scolaire, emploi, autonomie

financière. Ces deux jeunesses vivent donc cette galère au
ovox
quotidien, qui les rend perméables à toutes les aventures

« radicales », politique ou pseudo-religieuse. Ce sont ces
.bibli
convergences que nous allons à présent examiner.

www
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.com
:Non
e:21
1073
8603
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3631
6:10
5.23
5.13
1.11
1:16
4206
3874
Chapitre 1
Un sentiment général d’exclusion…

et d’inutilité
3874
De prime abord, rien ne semble rapprocher jeunes sympa-
4206
thisants, militants ou adhérents du Front national, que nous
avons appelés « jeunes frontistes », et jeunes djihadistes ou
1:16
candidats djihadistes. Et, comme les « sociologues officiels
de la jeunesse » continuent de nous dire que la jeunesse ne
1.11
constitue pas un bloc homogène dans ses attitudes comme
dans ses comportements, il semble que tout paraisse bel
5.13
et bien devoir définitivement opposer les deux jeunesses
5.23
radicalisées, comme sont traditionnellement opposées
jeunesse bourgeoise et jeunesse populaire, jeunesse scola-
6:10
risée et jeunesse non scolarisée.
3631
Ce qui les rapproche pourtant, c’est d’abord des simili-

tudes de situation. Jeunes frontistes et jeunes djihadistes
:888
appartiennent, pour la majeure partie d’entre eux, aux

8603
milieux populaires. Ils sont les uns et les autres peu ou

pas diplômés. Ils sont dans une même quête d’autorité et
1073
de sécurité, ont le même besoin d’appartenir à un groupe

soudé qui porte des valeurs simples (jusqu’à la caricature,
e:21
on le sait). Ils portent les mêmes valeurs d’intolérance.

:Non
Ce qui rapproche encore ces deux jeunesses radicalisées,

c’est un sentiment commun d’exclusion, un sentiment
.com
dont nous savons qu’il est fondé1. On connaît les exclu-

© Groupe Eyrolles
sions de toutes sortes qui frappent les jeunes Français, et

ovox
plus encore ceux issus de l’immigration (nous y revien-

.bibli
1. Michel Fize, Jeunesses à l’abandon, Turin, Mimésis, 2016.

www
drons en détail dans la dernière partie). On sait qu’à défaut

de toujours créer ou de rendre inévitables les actes de
violences, ces exclusions les rendent possibles. Nombre de
mouvements radicaux sont issus de ces exclusions.
Frustrés, les jeunes expriment leur mécontentement, de
différentes façons : le découragement, le dégoût, la colère.
3874
L’humiliation surtout est vivement ressentie, l’injustice
d’une société où la redistribution des richesses est si mal
4206
faite, où les uns finalement s’enrichissent à pousser un
ballon tandis que les autres pourrissent au « ballon » (la
1:16
taule). Le sentiment d’humiliation bloque tout processus
de valorisation de soi et de ses proches et conduit aux
1.11
affirmations les plus violentes.
5.13
Le mécanisme est simple au final : les jeunes se sentent
humiliés par tant d’accablements dans leur vie, alors ils
se mettent en colère. Le djihadisme, en ce sens, exprime 5.23
6:10
d’abord cette colère. C’est une manière de se venger d’une
société qui ne veut pas les accueillir.
3631
:888
« J’suis rien, j’sers à rien, j’ai rien »

8603
La conséquence est que tous ces jeunes, et plus encore

ceux des quartiers « sensibles », souffrent d’un grave déficit
1073
de reconnaissance sociale. Ils se sentent inutiles, esseulés…

e:21
Et ils le sont très souvent. Et de clamer bientôt : « C’est

pas une vie ! » Ce besoin de reconnaissance dépasse le seul
:Non
besoin, très élémentaire, de « se faire remarquer », ce que

l’on peut faire de toutes sortes de façons : en riant bruyam-
.com
ment dans une réunion d’amis, en invectivant violemment

© Groupe Eyrolles
un adversaire dans une assemblée politique, besoin dont

ovox
la satisfaction ne suffit pas à vous faire exister pleinement.

.bibli
www
Un sentiment général d’exclusion…et d’inutilité 73
À cet égard, Jacqueline Costa-Lascoux1 rapporte l’anec-

dote intéressante de cet adolescent en pleine crise de
violence contre les autorités qui expliquait aux journa-
listes le sens de son comportement : « Je veux juste exister,
vous entendez e-x-i-s-t-e-r ! » Or, pour exister et donc être
socialement re-connu, il faut être vu, dans quelque chose
qui attire l’attention des médias, et va faire que vous allez
3874
devenir « quelqu’un », quelqu’un d’important, donc d’en-
viable. Ce sont en effet toujours les autres qui nous font
4206
exister. Une action terroriste est de nature à capter l’atten-
1:16
tion, à grande échelle – celle du monde – de surcroît. Mais,
être reconnu, ce peut être plus simplement devenir acteur
1.11
politique. Se voyant confier des responsabilités publiques,
le jeune frontiste accède enfin à une reconnaissance, à une
5.13
identité positive.
5.23
Le sentiment d’abandon, que l’on trouve dans ces deux
jeunesses, mais souvent aussi dans toutes les autres, nourrit
6:10
les sentiments les plus négatifs, notamment de haine. Ainsi

3631
les jeunes djihadistes développent-ils leur haine envers tout

ce qui n’est pas eux, rejettent-ils tout ce qui caractérise
:888
l’Occident : la mixité, les Droits de l’homme, les distrac-

tions. De la même manière, les jeunes frontistes expriment
8603
(au moins une partie d’entre eux) la haine de l’autre, l’im-

1073
migré d’hier, le migrant d’aujourd’hui. Les uns et les autres

assument – c’est particulièrement évident chez les jeunes
e:21
djihadistes – une haine des juifs, jusqu’à vouloir leur mort

quelquefois.
:Non
L’Histoire nous enseigne qu’une jeunesse désespérée se

.com
laisse aisément séduire par celui qui lui propose espoir,

© Groupe Eyrolles
meilleure vie. Le fascisme dans l’entre-deux-guerres, pour

ovox
.bibli
1. Jacqueline Costa-Lascoux, L’Humiliation, Les jeunes dans la crise poli-

tique, Paris, Éditions de l’Atelier, 2008, p. 167.
www
prendre cet exemple extrême, a toujours procédé de cette

manière rassurante. Georges Dimitrov dirigeant commu-
niste bulgare, en 1935, l’exprime clairement : « Faute de
perspectives d’avenir, des couches considérables de jeunes
se sont avérées particulièrement sensibles à la démagogie
fasciste, qui leur dessinait un avenir tentant lors de la
victoire du fascisme1. »
3874
Sans comparer jeunes frontistes d’aujourd’hui et jeunes
4206
fascistes d’hier (les premiers sont, pour la grande majorité,
loin de l’idéologie mussolinienne ou nazie), force est de
1:16
reconnaître que le parti de Marine Le Pen use des mêmes
arguments pour séduire une jeunesse en grande difficulté.
1.11
S’agissant du djihadisme, il faut bien aussi comprendre que,
5.13
comme naguère l’engouement de certaines jeunes filles
à porter le voile, l’engouement actuel pour aller faire le
djihad, peut être, au moins en partie, un phénomène de 5.23
6:10
mimétisme. Mimétisme et convictions sont souvent liés
en fait.
3631
Considérons l’affaire de ces deux adolescentes de 15 et

:888
17 ans interpellées le 11 mars 2016 par la police et

aujourd’hui poursuivies pour association de malfaiteurs
8603
en lien avec une entreprise terroriste. Ces deux jeunes

filles s’étaient répandues en menaces sur un réseau social,
1073
promettant de commettre un attentat contre une salle de

e:21
concert, en l’espèce le Casino de Paris. Info ou intox ?

Si aucun armement, aucun explosif n’a été retrouvé chez
:Non
elles, les experts criant alors à la velléité, au simple désir

de se faire connaître, de « faire les malines », selon l’expres-
.com
sion des enfants, l’enquête a montré que l’une d’entre elles

© Groupe Eyrolles
cherchait à se procurer des armes en Belgique.

ovox
.bibli
1. Rapport du VIIe Congrès mondial de l’Internationale communiste, 2 août

1935.
www
Un sentiment général d’exclusion…et d’inutilité 75
Une chose est sûre, la répétition par les médias, sous forme
de reportages, de jeunes filles fascinées par le djihad, peut
donner des idées à nombre d’adolescentes aujourd’hui,
peut les conduire à une conversion. Simple mimétisme au
départ, l’engagement deviendra conviction radicale.
3874
La « grande désillusion »
4206
Les jeunes filles qui s’engagent pour Daech voient en lui
un État idéal au sein duquel elles feront le bien de l’hu-
1:16
manité. Les recruteurs islamistes parviennent en effet, nous
l’avons dit plus haut, à leur faire croire qu’elles seront dans
1.11
une mission humanitaire, sauveront des enfants meurtris
5.13
par la guerre, soigneront des blessés. Ils leur promettent
aussi un avenir familial épanouissant, aux côtés de maris
5.23
qui sont de vrais guerriers et dont la foi est inébranlable. 6:10
D’un autre côté, on a vu comment le parti de Marine
Le Pen promettait aux jeunes un meilleur présent et un
3631
véritable avenir, du travail et de la sécurité.

Mais on sait que la véritable mission de Daech à l’égard
:888
des jeunes Françaises est d’en faire des « mères porteuses »

8603
pour assurer une pure descendance aux soldats djihadistes.

Comme le note Roland Jacquard, président de l’Obser-
1073
vatoire international du terrorisme, « l’État islamique agit

comme une sorte d’agence matrimoniale, avec la volonté
e:21
de créer une “génération Daech” ».

:Non
Désillusion aussi des jeunes gens qui venaient en Syrie pour

combattre et qui se retrouvent fréquemment confinés dans
.com
des tâches d’intendance, soumis à de simples et répétitives

© Groupe Eyrolles
séances d’entraînement (rudes de surcroît). À leur arrivée

ovox
dans leur nouveau pays, ces jeunes Français découvrent

.bibli
très vite qu’entre promesses d’une vie meilleure et réalité

www
quotidienne, il y a un écart considérable. La soif d’aven-

tures guerrières se transforme en une assignation à des
tâches « modestes » de gardiennage et à des entraînements
musclés. Et puis, ils découvrent les écoles d’endoctrine-
ment des enfants avec des programmes islamisés, « purifiés »
de tout ce qui n’est pas vision religieuse et où l’exercice
physique, souvent brutal, est de mise. Nombre de repor-
3874
tages nous montrent la dure condition des « enfants de
Daech » dans des centres d’entraînement proprement inhu-
4206
mains. La conséquence de cette vie difficile est incontes-
1:16
tablement la radicalisation de ces enfants. On sait combien
les « enfants soldats » adhèrent facilement aux discours
1.11
de haine et peuvent ensuite se révéler de redoutables
tueurs. Souvenons-nous de ces garçons de 10 ans d’écoles
5.13
primaires, au moment de l’opération « Plomb durci » en
5.23
Palestine, en 2011, scandant dans les rues : « Nous sommes
tous des Palestiniens ! » 6:10
S’agissant des jeunes frontistes, la désillusion est peut-être
3631
seulement à l’horizon, différée. Elle pourrait advenir, para-

doxalement, par la consécration politique de Mme Le Pen
:888
qui parviendrait enfin à l’Élysée. Peut-on en effet raisonna-

blement penser que la situation épouvantable des jeunes1
8603
serait résolue avec la prise de quelques décisions en leur

1073
faveur ? Mais, du reste, ces jeunes, aujourd’hui séduits par

le Front national, croient-ils vraiment que ce parti ferait
e:21
mieux au pouvoir que tous les autres ? Cette adhésion par

dépit se nourrit malgré tout d’un partage de nombre de
:Non
valeurs du Front national, comme l’autorité ou la « priorité

nationale ».
.com
© Groupe Eyrolles
ovox
.bibli
1. Voir mon livre Jeunesses à l’abandon, op.cit.

www
Chapitre 2
Une absence de repères…

parfois de libertés
3874
Ce dont les Français, toutes générations confondues,
4206
souffrent, les jeunes gens un peu plus, cette absence de
valeurs communes et d’esprit collectif, les jeunes frontistes
1:16
et les jeunes djihadistes en souffrent davantage encore.
Existe-t-il encore en France des valeurs communes
1.11
au-delà des grands principes abstraits de liberté, d’égalité,
de fraternité, de laïcité, fort peu concrétisés dans la vie
5.13
quotidienne ? Ne vient-on pas, à l’occasion du dernier
5.23
remaniement ministériel de février 2016, d’inventer un
secrétariat d’État à « l’égalité réelle » ? Qu’est-ce qui fait
6:10
aujourd’hui sens collectif pour les Français ? Qu’est-ce qui
3631
les réunit vraiment ? Charles Péguy s’en attristait déjà :

« Nous entrons dans le monde de ceux qui ne croient à
:888
rien […] le monde de ceux qui n’ont pas de mystique. Et

qui s’en vantent1. »
8603
Notre société, en panne de croyances, peine donc à fabri-

1073
quer de l’unité. Dépasse-t-elle le stade d’un simple slogan,

celui d’« unité nationale » décrété à l’occasion de quelque
e:21
grande circonstance, comme les attentats de janvier et

novembre 2015 ? Non, de toute évidence.
:Non
Convergence encore quant aux modes de séduction des

.com
jeunes, frontistes ou djihadistes. Le principe est simple :

© Groupe Eyrolles
« Plus c’est gros, plus ça marche ». Edgar Morin rappelle

ovox
.bibli
1. Charles Péguy, La République, notre royaume de France, Paris, Gallimard,

1946.
www
fort justement que tout fanatisme, ce qu’est le « radica-

lisme » actuel, procède en opérant par réductionnisme,
manichéisme et réification. La réduction, c’est la schéma-
tisation d’une foi, ou d’un programme politique. L’islam
est alors réduit au djihad, au califat ; le Front national
au renvoi des immigrés dans leur pays d’origine, à la
sortie de l’Europe, à toute une série de « y a qu’à ». Le
3874
manichéisme, c’est la division du monde en blocs anta-
gonistes. Pour l’islam radical, le schéma est donc simple :
4206
d’un côté les « justes », de l’autre, les « impies ». Pour le
1:16
Front national, c’est la même simplicité : d’un côté le
« vertueux » (lui), et le « corrompu » (tous les autres), d’un
1.11
côté les principes sains (la souveraineté nationale), de
l’autre, les principes malsains, illégitimes (les directives
5.13
européennes). La réification enfin, c’est la « déshumani-
5.23
sation » d’autrui. Pour l’islamiste radical, la personne qui
assiste à un concert au Bataclan ou boit un verre à une 6:10
terrasse de café, et que l’on va mitrailler, n’est pas une
« innocente victime », mais l’incarnation du mal, de la
3631
luxure, de l’agresseur du peuple syrien. Pour l’adepte du

:888
Front national, l’adversaire, c’est aussi les autres, prompte-

ment dépouillés de leur identité personnelle, c’est : « Ils »
8603
(l’État), la « classe politique » (les partis), « la commission

européenne », transformés en simples objets à abattre
1073
parce qu’ils font « mal » au peuple.

e:21
On voit combien réductionnisme, manichéisme, réification

se tiennent la main, sont intimement soudés. D’un côté, en
:Non
somme, le « Bien absolu », de l’autre le « Mal absolu ».

.com
Sous-jacente, la perte de « moralité ». Puisque les valeurs

© Groupe Eyrolles
morales s’en sont allées, les comportements sont dégénérés

ovox
eux aussi. La triste chose se précise : hommes, femmes,

jeunes, adultes, enfants, adolescents, et pas seulement ceux
.bibli
des banlieues, décrochent, grossièrement, du « sens moral »,

www
Une absence de repères… parfois de libertés 79
estime ainsi Albert Bandura, l’inventeur de la théorie de

l’apprentissage social et de la théorie sociale cognitive1.
Chacun perd sa capacité de jugement sur les actes qu’il
réalise. La spontanéité chasse la réflexion. L’immoralisme,
voire l’a-moralisme semble la nouvelle idéologie, dérou-
lant son slogan simpliste : « Je fais ce que je veux, quand
je veux, où je veux ». Immoralisme qui semble produire
3874
chez les hommes, notamment chez les plus jeunes, cet
état de dé-moralisation, qui va donner naissance au sujet
4206
immoral voire a-moral, sans foi ni loi. Partout, s’observe
1:16
ainsi un affaiblissement du processus de moralisation des
enfants, processus dont on sait qu’il est pourtant nécessaire
1.11
pour accéder à une pleine socialité, à une pleine humanité.
Notons qu’au sein même de l’islam la fracture génération-
5.13
nelle se creuse.
5.23
6:10
La fracture générationnelle au sein de l’islam
L’islam organisé au sein des mosquées et prêché par les imams est un islam, pour-
3631
rait-on dire, de « vieux ». Le Conseil français du culte musulman, mis en place en 2003,
à l’initiative de Nicolas Sarkozy, incarne lui-même cet islam de « la première généra-
:888
tion ». Les jeunes ne se reconnaissent pas dans cet islam-là. Sans compter le problème
de formation de ces imams, assurément, des imams différents, qui ne parlent pas tous
8603
le français, ne connaissent pas toujours bien les valeurs de la République, ainsi que
les us et coutumes des jeunes. Cela n’aide pas à réduire la fracture générationnelle.
1073
Alors les repères moraux se brouillent, les frontières entre

e:21
le bien et le mal s’effacent. Or, comme chacun a besoin

:Non
de morale, de cette frontière entre les bonnes choses et les

mauvaises, les individus les plus en manque reconstituent
.com
© Groupe Eyrolles
1. Albert Bandura, né le 4 décembre 1925, est l’un des chefs de file du

ovox
courant de la psychologie sociale en Amérique du Nord. Il place

l’individu au cœur d’une triade d’interactions entre facteurs cognitifs,
.bibli
comportementaux et contextuels. Le sujet social, selon lui, est à la fois

le producteur et le produit de son environnement.
www
cet arsenal de valeurs perdues, mais en opérant des distinc-

tions « radicales ». Émergent, pour les Occidentaux, le
« Bien occidental » d’un côté, le « Mal musulman », et pour
les radicaux islamistes au contraire le « Mal occidental » et
le « Bien djihadiste ». Camille pleure ainsi sur la mort de
Mohamed Merah mais ne ressent rien pour les victimes,
les enfants juifs et les militaires morts dans la fusillade, à
3874
Toulouse et à Montauban. Elle reste insensible aux vidéos
de décapitation, expliquant même aux policiers que les
4206
gens décapités ont « dû mériter ça ».
1:16
Brouillage identique, mais ici très ponctuel, entre le
« virtuel » et le « réel » : « J’ai vu la vidéo du journaliste
1.11
américain qui s’est fait égorger mais je trouve que ça
5.13
ressemblait à un dessin animé », ajoute la même Camille.
Ce brouillage opère, il est vrai, mais, soyons-en sûrs, prin-
5.23
cipalement sur les très jeunes esprits : c’est bien parce
que Camille est encore une adolescente qu’elle n’est pas
6:10
arrivée à une claire distinction de la nature des choses,
3631
qu’elle est sans doute dans la fascination, comme de très

jeunes garçons peuvent l’être pour des jeux vidéo. De là à
:888
parler de folie ou d’attitude hypnotique, il y a un pas que

le sociologue n’est pas à même de franchir au risque de
8603
sortir de son champ de compétence. Mais prenons tout de

1073
même garde à ne pas qualifier de « folie » des actes au seul

motif qu’ils « sortent de l’ordinaire » ou heurtent grave-
e:21
ment nos consciences ! Attention à ne pas distinguer une

violence « virtuelle » (qui serait courante) à une violence
:Non
« réelle » (qui serait exceptionnelle). La violence ordinaire

aujourd’hui, soyons-en sûrs, n’est pas celle des écrans mais
.com
celle de la rue.
© Groupe Eyrolles
ovox
La large diffusion des théories complotistes ajoute au

brouillage mental chez les plus jeunes qui, redisons-le,
.bibli
sont des adolescents ou des adolescentes. Les Illuminati,

www
on le sait, développent une théorie du complot concer-

nant les gouvernants de ce monde, avec ce symbole
désormais bien connu d’une pyramide avec un œil. Cette
théorie a le vent en poupe. Selon un sondage Ipsos de
mars 2016, près d’un jeune sur quatre croit aux Illuminati.
Redisons-le, « plus c’est gros, plus ça marche ». Il y a bien
sûr d’autres sectes comme celle des Reptiliens, ces extra-
3874
terrestres qui gouverneraient secrètement la planète, et à
laquelle appartiendraient le président Barack Obama et le
4206
chanteur Justin Bieber. Il y a aussi les vidéos de Sylvain
1:16
Durif qui raconte ses propres expériences paranormales
sur YouTube ou bien ces images qui visent à prouver le
1.11
satanisme de Coca-Cola en pliant l’étiquette pour faire
apparaître la figure d’un démon. Sans oublier la théorie
5.13
selon laquelle le 11 septembre 2001 ne serait pas l’œuvre
5.23
d’« avions kamikazes », mais de juifs, ni la thèse née après
les attentats contre Charlie Hebdo émettant notamment des 6:10
doutes sur le policier abattu sur le trottoir. Enfin, les atten-
tats du 13 novembre sont eux-mêmes présentés comme
3631
l’œuvre, à nouveau, des juifs et de l’État.

:888
Mais, d’une façon générale, soulignons-le, la radicalisation,

qui touche essentiellement de jeunes majeurs, ce n’est pas
8603
le brouillage du « réel » et du « virtuel ». Les jeunes qui s’en-

1073
gagent derrière la bannière de la guerre sainte savent ce

qu’ils font.
e:21
La radicalisation djihadiste trouve une autre explication

:Non
dans le mode de vie familial. Dès lors que cette radica-

lisation concerne des adolescentes, surtout des mineures,
.com
de surcroît quand elles sont issues des milieux musulmans,

© Groupe Eyrolles
elles témoignent volontiers du sentiment de manquer

ovox
de liberté. On sait combien les jeunes filles, d’origine

maghrébine surtout, sont « tenues » par leur famille, leur
.bibli
père ou, quand il est absent, par les grands frères. Il existe
www
traditionnellement une réponse à cette emprise : les succès

scolaires. Une réussite en classe permet en effet aux adoles-
centes en question de voir la bride parentale relâchée. Mais
cela ne suffit pas toujours. Nous avons vu que Léa, fille de
parents algériens, était une bonne élève. Malgré tout, elle
jugeait la contrainte familiale trop lourde à porter. C’est ici
qu’interviennent les divergences d’appréciation de telle ou
3874
telle conduite féminine. Pour les féministes « archaïques »,
comme Chantal Jouanno, porter le voile est toujours une
4206
contrainte (ce qui est vrai mais pas toujours). Pour une
1:16
jeune musulmane, c’est au contraire, très souvent, une
liberté. Léa reproche ainsi à sa mère de ne pas l’autoriser
1.11
à porter le djilbeb, de ne pas pouvoir pratiquer sa religion
comme elle l’entend. Elle souffre du carcan familial. Mais
5.13
reconnaissons-le, beaucoup d’adolescents et d’adolescentes
5.23
pensent ainsi aujourd’hui.
Une question se pose ici. L’islam serait-il réellement
6:10
martyrisé par l’Occident ? Ou bien est-ce le contraire ? Et

3631
voilà le « complotisme » et le FN entrer à nouveau en jeu.

Rappelons que le « complotisme » est l’attitude qui consiste
:888
à remettre en cause la réalité d’un fait, d’un phénomène

8603
ou d’un événement historique en attribuant son origine

à un complot et à l’action concertée d’un petit groupe
1073
d’individus réunis en organisation. Aujourd’hui, la théorie

dominante, surtout chez les jeunes, depuis l’attentat contre
e:21
Charlie Hebdo, c’est celle qui affirme que tous les attentats
:Non
terroristes d’inspiration djihadiste qui ont lieu en France

sont des mises en scène par nos propres services secrets ou
.com
par des services de puissances alliées, en l’occurrence le

© Groupe Eyrolles
Mossad ou la CIA. Elle soutient que l’on aurait même, au

ovox
plus haut niveau de l’État, des personnes qui donneraient

leur assentiment pour assassiner des citoyens français.
.bibli
www
Ces thèses sont le fait d’une mouvance assez hétéroclite, où

l’on retrouve des gens comme Alain Soral ou Dieudonné,
mais aussi des nostalgiques du IIIe Reich, et, plus surpre-
nant sans doute, des membres de l’extrême gauche, d’an-
ciens Indignés, des admirateurs d’Hugo Chavez et même
de Vladimir Poutine.
3874
Le « complot juif » est la première et la plus connue des
théories complotistes. Le fait de prêter aux juifs des projets
4206
machiavéliques, comme des meurtres rituels d’enfants,
la profanation d’hosties ou l’empoisonnement des puits,
1:16
remonte aux temps les plus anciens. On pourrait citer
le projet juif de domination du monde, exposé dans les
1.11
fameux « Protocoles des Sages de Sion » (un faux grossier
5.13
en réalité rédigé au début du xxe siècle). Un projet que
reprend Adolf Hitler dans son fameux Mein Kampf.
Quelle est la position du FN vis-à-vis des actuelles théo- 5.23
6:10
ries complotistes ? Seul Jean-Marie Le Pen a clairement
pris position en faveur de ces théories. Dans une inter-
3631
view accordée au quotidien russe Komsomolskaya Pravda,

« La vérité de la jeunesse communiste », le 16 janvier
:888
2015, le président d’honneur du Front national a déclaré

8603
que le massacre de Charlie Hebdo était signé des services

secrets. « La carte d’identité oubliée par les frères Kouachi,
1073
explique-t-il, me rappelle le passeport qui était tombé de

l’avion en feu le 11 Septembre. Tout New York brûlait et
e:21
ce passeport était resté intact. On nous dit que les terro-

:Non
ristes étaient des idiots et que c’est pour ça qu’ils auraient

laissé le document dans la voiture. L’exécution de Charlie
.com
Hebdo porte la signature d’une opération des services

© Groupe Eyrolles
secrets. Mais nous n’avons pas de preuves. Je ne pense pas

ovox
que les organisateurs de ce crime soient les autorités fran-

çaises mais elles ont permis que ce crime ait lieu. Pour
.bibli
www
l’instant, ce ne sont que des soupçons. » Jean-Marie Le Pen

démentira ensuite avoir tenu pareils propos.
Marine Le Pen désavoue son père. « Moi, explique-t-elle
au micro de France Inter, le 19 janvier 2015, je vais vous
dire ce que je pense de ces théories conspirationnistes
fumeuses. Je les trouve dangereuses parce que tout ce qui
3874
éloigne les Français de la lucidité nécessaire sur les causes
de ce qu’il s’est passé les éloigne du constat.Tout ce qui les
4206
éloigne du constat les éloigne des solutions. » La plupart
des militants du FN suivent leur leader, considérant que ces
1:16
actes ont une origine et qu’ils expriment magistralement
l’incompatibilité entre l’islam et la civilisation française.
1.11
5.13
5.23
6:10
3631
:888
8603
1073
e:21
:Non
.com
© Groupe Eyrolles
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Troisième partie
3874
4206
1:16
1.11
Raisons et solutions
5.13
à la colère radicale 3631
:888
5.23
6:10
« Les causes profondes de la criminalité s’appellent : chômage,

désespérance des jeunes, villes-dortoirs, obsession de la
8603
consommation. » Robert Badinter, Réflexions du comité pour une

Charte des libertés, 1976.
1073
« Une génération sacrifiée » devient fatalement une géné-

e:21
ration en colère ou désespérée. Chômage de masse, école

qui « casse » les plus démunis, habitat dégradé et bientôt jugé
:Non
dégradant, manque de ressources pour vivre décemment,

.com
voilà le tableau du « sacrifice ». Les raisons ne manquent pas

à ces jeunes démunis pour se lancer dans toutes les expédi-
ovox
tions radicales. C’est à l’État et aux familles qu’incombe la

tâche de lutter contre le processus de radicalisation.
.bibli
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www
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.com
:Non
e:21
1073
8603
:888
3631
6:10
5.23
5.13
1.11
1:16
4206
3874
Chapitre 1
Un terreau social dégradé

Le terrorisme et l’extrémisme politique se nourrissent,
3874
quoi que l’on puisse dire, du désordre économique, de
l’appauvrissement des gens, des jeunes en particulier.
4206
Une série de défaillances frappent à la fois un lieu (les
1:16
« cités ») et un milieu (les classes populaires, qui ne sont
pas toutes dans les cités) : défaillance familiale, défaillance
1.11
scolaire, défaillance économique, défaillance urbanistique,
défaillance morale, défaillance culturelle (musicale). À ces
5.13
défaillances qui forment autant de possibles ou probables
5.23
carences individuelles, s’ajoute le lot des discrimina-
tions touchant, cette fois, essentiellement les jeunes issus 6:10
de la « mauvaise » immigration (maghrébine, africaine
sub-saharienne).
3631
Ces défaillances et ces discriminations alimentent les

:888
inégalités sociales et nourrissent chez leurs victimes les

sentiments négatifs de frustration, d’humiliation, de ressen-
8603
timent, de haine évoqués plus haut. La sensation d’être

1073
abandonnées de la République se renforce chez elles, ainsi

qu’un sentiment d’inutilité sociale, très fort.
e:21
Ce constat du lien entre d’une part la dégradation du

:Non
milieu et de l’état social et d’autre part la radicalisation

des conduites personnelles est partagé par nombre d’ac-
.com
teurs politiques dans le monde. Ainsi, lors du Sommet

© Groupe Eyrolles
international qui s’est tenu, à Washington, à l’initiative du

ovox
président Barack Obama, les 17-19 février 2015, plusieurs

participants ont indiqué que la prévention de la radicali-
.bibli
sation passait par une lutte contre les causes profondes de

www
l’extrémisme, à savoir des conditions d’exclusion sociale,

économique et politique qui nourrissent le ressentiment
et le sentiment d’injustice, lesquels sont ensuite habilement
exploités par les islamistes. Le président Obama, en parti-
culier, a souligné combien il était important de s’attaquer à
ces exclusions qui privent les jeunes de toute opportunité
de développement et d’avancement. Dont acte !
3874
4206
L’État coupable mais pas totalement responsable
1:16
Des êtres soudainement réduits à l’« état sauvage », qui
massacrent des civils sans défense, dans une salle de rédac-
1.11
tion, un supermarché, une salle de spectacle ou à des
5.13
terrasses de café, qui tuent des policiers dans l’exercice de
leurs fonctions, sont inexcusables. Il faut pourtant essayer
5.23
de comprendre ce qui peut les conduire à commettre 6:10
pareils méfaits. Et si ces criminels qui ont soulevé légitime-
ment l’indignation nationale étaient d’abord des « enfants
3631
perdus de la République », s’il s’agissait de jeunes Français

désespérés, en colère contre une société qui les a tout
:888
bonnement « laissés tomber », et qui, au fil des années, sont

partis dans une incroyable dérive ?
8603
Robert Badinter, en 1976, dans son livre Liberté, libertés, le

1073
disait déjà à ses amis politiques : « Les socialistes savent que

la lutte contre la délinquance, c’est d’abord la lutte contre
e:21
ses causes1. »
:Non
Tout récemment, le jeune ministre de l’Économie,

Émmanuel Macron, rappelait à son tour, à la barbe de ses
.com
amis socialistes moins convaincus, comme Manuel Valls,

© Groupe Eyrolles
ovox
.bibli
1. Robert Badinter, Liberté, libertés. Réflexions du comité pour une charte des
libertés, Paris, Gallimard, 1976.
www
Un terreau social dégradé 89
qu’il y avait bien un terreau, et que ce terreau était de

notre responsabilité1.
Une chose est claire : qu’ils suivent aujourd’hui le Front
national ou partent faire le djihad en Syrie, les jeunes
« radicalisés » sont, dans leur grande majorité, des « laissés-
pour-compte » du système éducatif, des abandonnés de
3874
l’emploi, au mieux des installés dans la précarité.
En vérité, la « question sociale », puisque c’est d’elle qu’il
4206
s’agit ici, ennuie les gouvernements, tous les gouverne-
ments. Dans l’esprit des gouvernants, elle ne tient pas la
1:16
comparaison avec la « question républicaine », question
1.11
soi-disant plus noble, plus consensuelle aussi. On l’a vu
après les attentats de Paris de janvier et novembre 2015,
5.13
ou, plus récemment de Nice, en juillet 2016. Parler de
République, de valeurs, de nation, pour un chef d’État
c’est valorisant, c’est autrement plus flatteur que de parler 5.23
6:10
de ghettos, de contrôle policier au faciès ou de dégressi-
vité de versement des allocations chômage, c’est-à-dire
3631
de « noirceurs » sociales et humaines. Et puis la question

sociale est une question rebelle qui ne se contente pas
:888
de mots, il lui faut absolument des actes, qui viennent,

8603
eux, plus difficilement. Alors, la « question sociale », qui

recouvre pour partie celle de la jeunesse, est une question
1073
que l’État oublie volontiers, quand quelque révolte ne la

rappelle pas à son souvenir. On se rappelle les promesses
e:21
sans lendemain du président Chirac, en 1995, sur sa

:Non
volonté de réduire la « fracture sociale ». On se souvient des

promesses sans plus de lendemain du président Hollande,
.com
en 2012, d’inverser la courbe du chômage et de faire que

© Groupe Eyrolles
la jeunesse en 2017 vive mieux qu’en 2012.

ovox
.bibli
1. Voir Le Parisien du 05/02/2016.

www
En résumé, l’on assiste à ce double paradoxe, celui d’une

banlieue ou de jeunes des classes populaires souffrant
d’un déficit d’attention à la fois des pouvoirs publics,
des intellectuels et des chercheurs eux-mêmes, et, dans
le même temps, celui d’une jeunesse des banlieues, cette
fois celle – surtout issue de l’immigration – victime
d’un excès d’attention de l’État – des services de police
3874
notamment.
4206
Expliquer n’est pas justifier, encore moins excuser !
1:16
Il est parfois fait reproche au sociologue d’excuser les auteurs de déviance ou de
violence. Lionel Jospin, Premier ministre, inventa, en 1997, l’expression d’« excuses
1.11
sociologiques », pour qualifier cette soi-disant attitude des chercheurs. Manuel Valls,
son successeur à Matignon, a repris récemment l’idée dans une intervention à l’Assem-
5.13
blée nationale, le 25 novembre 2015, rappelant qu’« aucune excuse sociale, sociolo-
gique et culturelle » ne pouvait justifier le terrorisme.
5.23
C’est fort mal connaître le métier du sociologue qui n’est ni dans l’excuse ni dans je ne
6:10
sais quel « grand pardon » des violences commises par tel ou tel de nos concitoyens.
Faisant preuve de « compréhension », cum-prendere, qui signifie « prendre avec »,
c’est-à-dire s’efforçant d’entrer dans le psychisme des individus observés, il se forge,
3631
par interprétation, des explications. Il tente d’éclairer une réalité toujours obscure.
Le sociologue n’est pas un « donneur de leçons ». Il traque le sens des phénomènes
:888
sociaux, avec la meilleure objectivité méthodologique possible.

8603
On dit que l’État a beaucoup fait depuis vingt ou trente

1073
ans pour les banlieues, qu’il a donné de l’argent pour

rénover le bâti, recruté des animateurs et des médiateurs.
e:21
C’est vrai. Mais pour quels résultats en termes d’insertion

:Non
économique ? Gérard Courtois, dans un papier du Monde

(28/01/2015) note ainsi : « Trente ans de politique de
.com
rénovation urbaine et de soutien aux banlieues “sensibles”,

© Groupe Eyrolles
trente ans également de ségrégation positive à l’école

ovox
grâce aux zones d’éducation prioritaire n’y ont pas changé

grand-chose et, en tout cas, pas l’essentiel : ce cocktail
.bibli
redoutable de chômage, de pauvreté, d’échec scolaire et

www
d’immigration qui a fait de ces dizaines de quartiers “des

territoires perdus de la République1”. »
Alors, réfléchissons, n’est-il pas temps de se demander si
l’on a vraiment, vraiment tout essayé pour sortir les cités
de la pauvreté, pour éviter le chômage massif aux jeunes
de ces quartiers, les échecs scolaires très nombreux qui les
3874
frappent et les accablent ?
Si l’État est coupable, il n’est pas totalement responsable.
4206
Les assassinats perpétrés en janvier puis en novembre 2015
sont moins d’abord le résultat de la propagation des idées
1:16
djihadistes que la conséquence de plusieurs facteurs :
1.11
dégradation des conditions économiques et sociales des
banlieues, graves carences morales évoquées plus haut,
5.13
perte des valeurs qui frappent nombre de jeunes, qu’ils
5.23
soient au demeurant, nous le savons, des cités ou non, et
faillite à la fois de l’intégration politique et de l’insertion 6:10
économique. N’oublions pas que, pour qu’il y ait intégra-
tion, il faut deux conditions, une condition objective – la
3631
participation à la vie sociale, par la possession d’un statut,

d’un emploi, d’un logement (les trois critères de l’inser-
:888
tion) –, et une condition subjective : un sentiment d’ap-

8603
partenance à des normes et valeurs communes, par des

pratiques partagées : une langue en particulier.
1073
Il est temps alors de revenir aux mots, notamment à

e:21
certains qui ont fait polémique.

:Non
« Relégation », « ghetto », « apartheid »

.com
Les mots forts font toujours peur car ils disent la vérité.
© Groupe Eyrolles
ovox
Quand, il y a une trentaine d’années, les sociologues ont

.bibli

www
commencé à utiliser le terme de « ghetto » pour qualifier

les banlieues françaises, ce fut un tollé presque général.
Comment osait-on comparer nos quartiers à des espaces
d’assignation de populations sur des critères d’origines, de
« races » ? Comment osait-on comparer Montfermeil (93)
ou Vénissieux (69) avec l’épouvantable ghetto de Varsovie
organisé durant la guerre par les nazis ?
3874
Et puis, journalistes et politiques se sont habitués à ce
4206
vocable, n’hésitant plus à parler eux-mêmes de « ghettos
urbains ». Le choc sémantique était passé.
1:16
Ce choc a fait son retour avec le mot « apartheid » utilisé
1.11
par le Premier ministre, Manuel Valls, le 20 janvier 2015,
pour qualifier ces mêmes quartiers populaires. Comment,
5.13
s’est-on indigné, le chef du gouvernement osait-il parler
non seulement de « relégation périurbaine », de « ghettos »,
mais aussi d’« apartheid territorial, social, ethnique » ! Tous 5.23
6:10
ces termes, en réalité, Manuel Valls les avait déjà utilisés en
2005 dans un livre d’entretien, La Laïcité en face1.
3631
La vérité oblige à dire qu’il n’est pas le premier homme

:888
politique à s’aventurer sur ce terrain sémantique. En 1998,

déjà, puis 1999, le ministre de l’Intérieur de l’époque, Jean-
8603
Pierre Chevènement, avait évoqué un « apartheid spatial et

social ». Jack Lang lui-même, interrogé par L’Express en
1073
2003 sur la question du voile islamique, déclarait : « On

e:21
ne peut pas ne pas constater que l’islamisme a progressé,

notamment dans les ghettos, cet apartheid territorial et
:Non
social que nous avons laissé se constituer, qui enferme

des millions de gens dans la misère culturelle [et que
.com
l’on appelle improprement « communautarisme »] ». Sans

© Groupe Eyrolles
oublier le président Nicolas Sarkozy qui, présentant,

ovox
.bibli
1. Manuel Valls, La Laïcité en face, Paris, Desclée de Brouwer, 2005.

www
le 8 février 2008, son nouveau « plan-banlieues », appelait,

sans employer lui-même le terme « apartheid », à la mobi-
lisation de toutes les politiques publiques pour « briser la
logique du ghetto et empêcher que le communautarisme,
les tribus et les bandes finissent par miner définitivement
la République. » Deux ans plus tard, Yazid Sabeg, son
commissaire à la Diversité et à l’Égalité des chances, décla-
3874
rait, sur les ondes de France Info, le 21 janvier 2010, que
la France était sur la voie de « l’apartheid ». Enfin, rappe-
4206
lons qu’en 2004, dans un rapport de l’Inspection générale
1:16
de l’Éducation nationale, Jean-Pierre Obin, coordonna-
teur du document, décrivait des quartiers où « se sont déjà
1.11
édifiées des contre-sociétés closes ».
5.13
Les sociologues sont eux aussi familiers du vocable, à l’image
de Georges Felouzis, de Françoise Liotet et de Joëlle Perroton
5.23
dénonçant, en 2005, dans un livre portant ce titre, « l’apar-
theid scolaire1 ». Plus récemment, en 2010, un géographe
6:10
cette fois, Christophe Guilluy, employait à son tour, dans
3631
son livre Fractures françaises2, les termes d’« apartheid urbain

et ethnique », mais sans souscrire à cette appellation. Citons
:888
encore, plus loin dans le temps, Éric Conan parlant en 1992

d’« apartheid ethnique3 ».
8603
Georges Felouzis repose donc aujourd’hui la question :

1073
« Ce qui se passe dans les banlieues constitue-t-il un apar-

theid ou pas ? Insulte-t-on la République en employant
e:21
ce terme4 ? » Notons qu’il ne répond pas clairement à ces

:Non
questions.
.com
1. Georges Felouzis, Françoise Liotet et Joëlle Perroton, L’Apartheid sco-

© Groupe Eyrolles
laire, Paris, Seuil, « Points », 2005.

ovox
2. Christophe Guilluy, Fractures françaises, Flammarion, « Champs Essais »,

2013.
.bibli
3. Voir L’Express du 12/11/1992.

4. Voir Le Monde des 25 et 26/01/2015.
www
De toute façon, le problème est fort mal posé. Posons-le

donc autrement, comme il faut.
Le double sens des mots

Soulignons d’abord ce qu’il en est de ces mots forts négatifs : « relégation », « ghetto »
ou « apartheid », ce qu’il en est des mots soi-disant positifs comme « intégration », qui
reste le plus utilisé dans le débat politique et chez les scientifiques. Ils ont un double
3874
sens : un sens politique (ou juridico-politique) et un sens savant (sociologique). À ne
pas distinguer ces sens, l’on est conduit souvent à dire des bêtises.
4206
Prenons « relégation ». Si ce terme désigne, à l’origine, une peine applicable aux crimi-
nels récidivistes, à savoir un bannissement hors du territoire, avec privation de droits
1:16
civiques, il désigne pour le sociologue une mise au ban d’une population donnée (c’est
d’ailleurs l’étymologie même du mot ban-lieue).
1.11
Revenons au mot « apartheid » qui a tant choqué dans la bouche de notre Premier
ministre. Sans doute Manuel Valls a-t-il joué habilement de la confusion des sens poli-
5.13
tique et scientifique du vocable. L’apartheid, on le sait, est un système qui a sévi en
Afrique du Sud pendant près d’un demi-siècle. Il s’est caractérisé par une sépara-
5.23
tion stricte des communautés blanche et noire, accompagnée pour celle-ci de diverses
interdictions ou restrictions. Ce n’est évidemment pas dans ce sens que les sociologues
6:10
utilisent le terme, même si leur définition rejoint ici ou là certaines des caractéris-
tiques touchant les populations noires sud-africaines. En France aussi, il existe, qu’on
3631
le veuille ou non, une ségrégation ethnique, des situations d’exclusion de fait des immi-
grés de certaines professions (combien de médecins, d’avocats issus des quartiers ?),
:888
et même d’exclusion tout court du marché du travail, voire de non-accès aux trans-
ports, à certains logements et certains soins, etc. En outre, il y a bien, avec les cités,
8603
un enfermement géographique de fait : combien de banlieusards qui le souhaitent

peuvent-ils quitter leur banlieue pour aller vivre ailleurs ? Incontestablement, la situa-
tion des habitants de ces quartiers paupérisés dessine bel et bien une exclusion sociale
1073
patiemment construite au fil des ans. Malgré soi par les politiques ? Peut-être, mais
quelle différence pour les intéressés, devenus véritables « assignés à résidence » et
e:21
dont les enfants eux-mêmes sont assignés à résidence scolaire, dans des établisse-
ments « difficiles » ?
:Non
.com
© Groupe Eyrolles
« Intégration », « insertion », « assimilation »

ovox
Les politiques, de toutes tendances, se sont approprié

.bibli
le terme « intégration
», analysé méthodiquement par
www
Dominique Schnapper dans Qu’est-ce que l’intégration1 ?. Il

désigne à leurs yeux une politique spécifique à destination
de populations particulières, les populations immigrées. De
fait, il relève d’abord du champ politique, celui des valeurs,
comme cet autre mot « assimilation », tandis qu’« insertion »
relève du champ économique et socio-professionnel.
3874
Ce n’est pas la définition des sociologues. Pour ces derniers,
dans la tradition d’Émile Durkheim, un groupe social est
4206
jugé intégré lorsque ses membres possèdent une conscience
commune, partagent les mêmes sentiments, croyances et
1:16
pratiques, sont en interaction les uns avec les autres, se
sentent destinés à des buts communs. L’intégration, en ce
1.11
sens, est donc moins une politique tournée vers une popu-
5.13
lation spécifique en difficulté sociale qu’un projet collectif
global touchant une société tout entière.
« Intégration », « insertion », les mots doivent être distingués. 5.23
6:10
Les sociologues en général (mais surtout ceux du travail
ou de la jeunesse) n’aiment guère le premier mot, qui n’est
3631
pas très loin d’un autre, plus dur encore : « intégrisme ».

:888
Jean-Marie Petitclerc, le célèbre prêtre-éducateur, dans

une conférence sur l’éducation donnée il y a une ving-
8603
taine d’années, donnait la différence entre les deux

termes : « Lorsque l’on insère une pièce métallique dans
1073
un morceau de bois, expliquait-il, l’opération d’inser-

e:21
tion modifie les rapports entre l’ensemble des éléments :

le bois doit s’écarter pour laisser entrer la pièce. Tel n’est
:Non
pas le cas dans une procédure d’intégration où l’élément

différent est englobé pour devenir similaire à chacun
.com
des autres éléments2. » Devenir similaire, c’est perdre ses

© Groupe Eyrolles
ovox
1. Dominique Schnapper, Qu’est-ce que l’intégration ?, Paris, Gallimard, 2007.

.bibli
2. Conférence reproduite dans son ouvrage Respecter l’enfant : réflexion

sur les droits de l’enfant, Paris, Éditions Salvator, 1989.
www
caractéristiques, autrement dit s’assimiler. Si l’insertion

permet de garder sa différence, l’intégration et à plus fortes
raisons l’assimilation ne le permettent pas. L’assimilation
est en somme une hyper-intégration.
Entre intégration et communautarisme : un juste milieu
3874
Si « intégration » et « insertion » font penser à une incorporation, on ne sait plus au
juste de quelle incorporation il est question avec l’« intégration moderne ». En y réflé-
4206
chissant bien, s’intégrer, dans l’esprit français, n’est-ce pas renoncer à ses liens anté-
rieurs, à sa culture d’origine ? « Cette République est jalouse, dit quelque part mon
collègue Alain Berto. Elle ne partage pas. »… Alors, elle assimile, c’est tout ce qu’elle
1:16
sait faire.
1.11
Entre l’intégration et le communautarisme, peut-être faudrait-il inventer, non pas le
communautarisme (qui existe déjà, nous l’avons vu), mais le « communautalisme »,
5.13
que l’on pourrait définir comme la conciliation de la loi républicaine et du respect
des communautés, tant il est vrai que nul ne doit être contraint à renier ses origines
ni à renoncer à sa culture personnelle, ce que résume fort bien Abdelkrim, jeune du
5.23
« 9-3 » : « Je suis français, mais j’ai deux cultures. J’ai l’impression qu’on me montre
un clone en me disant : “Tu dois ressembler à ce clone”. Mais moi je veux garder mes
6:10
deux cultures ». Assurément, « s’intégrer, ce n’est pas se cloner. Pour participer à la
République, il faut être convaincu qu’on peut la faire évoluer, qu’elle n’est pas figée ».
3631
:888
Une « intégration-insérante », si l’on peut dire, ne saurait

faire fi des spécificités culturelles des populations issues de
8603
l’immigration, au risque de devenir une redoutable volonté

1073
d’assimilation. Mais, en retour, les spécificités culturelles ne

sauraient faire fi des règles et valeurs du vivre ensemble
e:21
collectif, au risque alors de déboucher sur le communau-

tarisme exacerbé, c’est-à-dire l’isolement total.
:Non
.com
Le désastre scolaire
© Groupe Eyrolles
ovox
Environ 1,9 million de jeunes de 15 à 29 ans ne sont ni

à l’école, ni en emploi, ni en formation. Parmi ces jeunes,
.bibli
900 000 ont quitté le système scolaire sans diplôme ni

www
qualification (chiffres de 2013). On estime encore à au

moins 100 000 le nombre d’élèves français qui, chaque
année, décrochent d’un système scolaire à bout de souffle
et de sens. Des milliers d’autres sont en échec perma-
nent ou en grandes difficultés scolaires. Plus d’un tiers des
jeunes issus de l’immigration n’ont aucun diplôme, pas
même le brevet d’études. Tout ceci explique évidemment
3874
largement la forte démotivation et la colère des recalés de
l’Éducation nationale.
4206
L’exclusion sociale commence souvent par l’échec
1:16
scolaire, soit 17 % de la classe d’âge scolarisée. Ajoutons
130 000 élèves qui décrochent totalement et sans doute
1.11
encore 300 000 autres qui sont absentéistes dont certains
5.13
peuvent même être qualifiés de « chroniques ». L’on estime
par ailleurs à 20 % le pourcentage d’étudiants qui quittent
5.23
eux-mêmes l’université sans aucun bagage. Mentionnons
enfin les 5 % des 17-19 ans repérés comme illettrés lors des
6:10
Journées d’appel de préparation à la Défense.
3631
L’école de la République française demeure une école

élitiste. Constat fait déjà, il y a quarante ans, par d’avisés
:888
observateurs. « L’enseignement français plus qu’aucun

8603
autre, écrivait ainsi Pierre Drouin, journaliste du Monde,

est orienté vers la sélection des “élites”. La récupération
1073
des “exclus”, ajoutait-il, – en attendant mieux – dans des

circuits très variés où ils pourraient avoir de nouvelles
e:21
chances est le premier devoir. Les dispositifs d’aujourd’hui

:Non
sont tout à fait insuffisants1. »

Quarante ans plus tard, non seulement l’élitisme (qui
.com
signifie dans ce pays exclusion massive de ceux qui n’ap-

© Groupe Eyrolles
partiennent pas à l’élite scolaire) n’a pas régressé, mais il

ovox
.bibli
1. Le Monde (dossiers et documents) : L’Année économique et sociale – 1975 :

la crise, p. 117.
www
s’est aggravé, contrariant définitivement cette démocrati-

sation scolaire tant vantée dans les années 1960. Ainsi y
a-t-il aujourd’hui moins de fils d’ouvriers entrant à l’uni-
versité que dans les années 1980. Ce sont les sacrifiés du
front scolaire en quelque sorte.
La « faute aux profs » ? À nouveau formés dans des
3874
écoles spéciales, les enseignants manquent sans doute de
connaissances, non disciplinaires, mais générationnelles.
4206
Connaissent-ils bien en effet ces élèves, collégiens et
lycéens, notamment ceux vivant dans les cités de sinistre
1:16
réputation, qui leur sont confiés : leur langage, leur culture ?
Ont-ils un rapport au numérique suffisamment étroit pour
1.11
communiquer avec tous ces jeunes qui ont baigné dedans
5.13
depuis leur plus tendre enfance ? On peut en douter.
La « faute aux diplômes » pour ceux qui réussissent malgré
tout leur parcours scolaire ? Les diplômés n’accrochent 5.23
6:10
plus à l’emploi comme autrefois.Aujourd’hui, 30 % d’entre
eux doivent attendre en moyenne un an pour décrocher
3631
un travail. Sinon, pour les autres, la durée moyenne de

recherche d’un premier emploi est, dans 30 % des cas, de
:888
deux ans et demi. Le tout accompagné d’un déclassement,

8603
ce qui traduit la différence entre le niveau d’études et le

niveau d’emploi.
1073
Un seul exemple : en Ile-de-France, selon une étude

e:21
récente de l’Insee (2012), 48 % des emplois non qualifiés

sont occupés par des diplômés. Et, lorsque les plus chan-
:Non
ceux sont enfin parvenus à obtenir un travail, outre le

fait d’être déclassés, ils se voient confrontés à un nouveau
.com
problème, celui de devoir accepter un emploi précaire (le

© Groupe Eyrolles
fait est impitoyable : il faut plusieurs années, avoir atteint

ovox
souvent l’âge de 30 ans, pour obtenir un CDI et, de toute

.bibli
façon, seuls 15 % y parviennent alors).

www
Faut-il donc supprimer le bac, comme je le préconise

depuis des années1 ?
Parler de « monument historique national » à propos de ce
diplôme est une aberration, sauf à faire dire aux mots ce
que l’on veut. Qu’en ces temps de crise sociale et d’inquié-
tude collective l’on se rattache à ce qui est ancien et fut
3874
glorieux est compréhensible, mais la nostalgie ne saurait
tenir lieu de politique. Quelle est en effet la valeur d’un
4206
diplôme que 90 % de nos élèves-candidats obtiennent
aujourd’hui, et qui seront 100 % en 2030-2035 (si le taux
1:16
moyen de progression depuis vingt ans reste inchangé) ? Le
bac n’est-il pas condamné par ces chiffres même, comme
1.11
le fut jadis le certificat d’études primaires, lui aussi victime
5.13
de son « apparent » succès quantitatif ? Sans nul doute.
Le défi pour la future Éducation nationale est en tout
cas on ne peut plus clair : renouer avec la réussite pour 5.23
6:10
tous, inscrire chaque élève, en fonction de ses compé-
tences et de ses goûts, dans un authentique parcours de
3631
réussite,« sécuriser » ce parcours, qui pourrait être sanc-

tionné, l’année de terminale, par un contrôle continu des
:888
connaissances, selon naturellement une procédure qui doit

8603
en assurer toute l’objectivité (par une double notation par

exemple). La réussite pour tous, n’est-ce pas en effet une
1073
évaluation personnalisée pour chacun ?

e:21
L’effondrement de la morale… et de l’esprit critique

:Non
Dans une société individualiste/égoïste comme la nôtre,

.com
partout l’emporte le principe : « J’fais ce qu’je veux, quand

© Groupe Eyrolles
j’veux. » Comme le dit un jeune, lui-même élu politique,

ovox
.bibli
1.Michel Fize, Le Bac inutile, Paris, L’Œuvre, 2012.

www
Maxime Verner : « L’environnement moral n’a jamais été

aussi dégradé. »
Vieux discours en vérité tenu déjà à la fin du xixe siècle
et au début du xxe, soit en plein essor du capitalisme,
notamment par Gustave Le Bon, souvent cité : « Les autels
des vieilles divinités sont déserts, la famille se dissocie, les
3874
institutions s’effondrent, les hiérarchies disparaissent1 » ;
« Rien n’est respecté, ajoutait-il, aujourd’hui en dehors
4206
de la force. Le fonctionnaire est insolent devant ses chefs,
le matelot devant son capitaine, l’ouvrier devant son
1:16
patron2. »
1.11
Le même Le Bon s’en prend alors principalement à la
« jeunesse aisée […] qui secoue de plus en plus toutes les
5.13
traditions morales […] pour qui les idées de devoir, de
patriotisme et d’honneur lui semblent trop souvent de
vains préjugés, de ridicules entraves […] une jeunesse qui 5.23
6:10
ne songe qu’à s’enrichir et se divertir3 ».
3631
Et puis, il y a cette disparition de l’esprit critique, de cette

capacité de jugement personnel, de la distinction de la
:888
valeur et de l’importance des faits. Abreuvés de violences,

certains jeunes ne font plus la différence entre des attentats
8603
faisant des centaines de victimes et un « banal » règlement

de comptes dans une cité, laissant « sur le carreau » une
1073
victime, descendue dans l’indifférence générale.

e:21
L’adhésion aux théories « complotistes » n’est plus très

loin.Voici ce jeune de Lunel (Hérault), Mohamed, qui, au
:Non
lendemain des attentats du 13 novembre, lâchait, le plus

.com
naturellement du monde : « Qui prouve que c’est Daech

© Groupe Eyrolles
ovox
1. Gustave Le Bon, Psychologie du socialisme, op. cit., p. 89.

.bibli
2. Gustave Le Bon, La Psychologique politique, op. cit., p. 367.

3. Psychologie du socialisme, op. cit., p. 29.
www
qui a fait ça ? » « Les politiques nous lavent tellement le

cerveau ! »
Les discriminations quotidiennes

Elles sont répandues depuis fort longtemps. Elles touchent
3874
surtout les jeunes Maghrébins ou Africains sub-sahariens,
victimes fréquemment du « délit de faciès ». Prenons
4206
quelques exemples anciens, qui datent des années 1980.
À Dreux ou à Lunel (aujourd’hui foyer avéré de djiha-
1:16
distes), les slogans racistes étaient déjà légion. Dans cette
dernière ville de l’Hérault, l’on pouvait voir écrit sur les
1.11
murs « Mort aux Arabes ! ».
5.13
Les discriminations sont nombreuses dans le monde du
5.23
travail. Un rapport diffusé en mars 2015 par l’organisme
France Stratégie montre les difficultés que rencontrent 6:10
aujourd’hui les jeunes issus de l’immigration pour entrer
dans le monde professionnel. Une enquête de l’Ifop
3631
réalisée en novembre-décembre 2013 pour le défenseur

des Droits et l’Organisation internationale du travail,
:888
révèle les principaux critères de discrimination dont les

8603
jeunes sont victimes : le genre, l’origine ethnique et l’ap-

parence physique. Ainsi, un aspect physique jugé « non
1073
conventionnel » est considéré par les sondés comme le

principal inconvénient pour l’embauche d’un jeune
e:21
(à 71 % dans le public et à 73 % dans le privé). Pour

:Non
Dominique Baudis, défenseur des Droits, « certaines entre-

prises obéissent encore trop souvent aux stéréotypes. Des
.com
vêtements, une coupe de cheveux ou une façon de parler

© Groupe Eyrolles
peuvent surprendre le recruteur1 ». Les tatouages, piercings

ovox
ou « looks » différents accentuent le rejet.

.bibli
1. Voir 20 Minutes, numéro du 03/02/2014.

www
Conséquence : si le taux de chômage des actifs de moins

de 25 ans sans ascendance migratoire est de 22 %, il atteint
29 % pour les enfants d’immigrés, et même 42 % pour
les enfants d’immigrés africains. Une enquête cette fois
de l’Ined et de l’Insee de 2015 montre elle aussi claire-
ment que, du fait des discriminations subies, les jeunes
de l’immigration qui sont embauchés doivent accepter,
3874
plus souvent que les autres jeunes, des postes déqualifiés.
L’enquête montre enfin que leur progression de carrière
4206
est beaucoup plus lente que pour les autres jeunes.
1:16
Il en est de même pour l’accès au logement, et même aux
loisirs.
1.11
Selon la dernière enquête annuelle (la septième) de l’Ob-
5.13
servatoire de la jeunesse solidaire de l’Afev, de mars 2015,
portant sur 503 jeunes âgés de 18 à 30 ans, le constat est
accablant : 7 jeunes Français sur 10 (68 % exactement) 5.23
6:10
sont aujourd’hui confrontés à des problèmes d’accès au
logement. Il s’agit principalement de jeunes sans acti-
3631
vité professionnelle, sans diplôme ou encore vivant chez

leurs parents. Ces jeunes subissent alors « un effet de
:888
double peine » selon les auteurs du rapport. Cette situa-

8603
tion concerne aussi bien les jeunes déjà sortis du système

scolaire que les étudiants en cours de cursus.
1073
Les principales raisons pour trouver un logement

e:21
proviennent de la difficulté à trouver un emploi stable,

« indispensable pour obtenir un logement dans le parc
:Non
privé », souligne l’Afev, ce qui concerne un jeune sur cinq

de l’étude. Ce non-emploi stable s’accompagne de manque
.com
de moyens pour accéder à un logement et 25 % des jeunes

© Groupe Eyrolles
interrogés ont dû renoncer à des dépenses de première

ovox
nécessité pour payer leur loyer. Cette situation les oblige à

.bibli
rester chez leurs parents : 29 % des jeunes interrogés vivent

www
ou ont vécu cette contrainte et ont donc dû repousser leur

accès à l’autonomie en matière de logement.
Outre cette dépendance subie, les jeunes restent les plus
soumis aux exigences des propriétaires et notamment
les étudiants. Il existe un net manque de confiance entre
propriétaires et jeunes locataires qui conduit d’ailleurs
3874
certains étudiants, par exemple, à mentir sur leur forma-
tion en cours, afin de gagner en statut social et donc de
4206
se donner plus de chance. Certains jeunes étudiants (on
évoque habituellement un sur deux) se voient obligés de
1:16
travailler pour payer leur logement, ce qui a des consé-
quences sur la bonne marche de leurs études. Autre
1.11
difficulté, parmi les répondants, 12 % estiment avoir été
5.13
victimes de discrimination de la part d’un propriétaire
dans l’accès au logement.
Rappelons que le logement est la clé principale de l’au- 5.23
6:10
tonomie des jeunes et des étudiants, de leur capacité à
gérer la vie courante : factures, papiers, leurs relations avec
3631
un propriétaire ou avec une institution, à organiser leur

emploi du temps. Selon les travaux de l’Observatoire des
:888
inégalités, 77 % des diplômés du supérieur ont quitté le

8603
domicile parental en 2010, contre un quart seulement de

jeunes non diplômés trois ans après la fin de leurs études.
1073
Voici bien ce que l’on peut nommer les discriminations

e:21
d’accès au logement.
Évoquons à présent les discriminations d’accès aux loisirs.
:Non
Une étude de l’Observatoire des inégalités de février 2009

.com
indique que le cinéma et le sport restent les activités préfé-

rées des jeunes. Ainsi, 80 % sont allés voir un film au moins
© Groupe Eyrolles
ovox
une fois dans l’année (en 2006), contre 51 % de l’ensemble

de la population. La pratique sportive, en club ou non,
.bibli
concerne près de 90 % des jeunes adultes. Écouter de la

www
musique sur un smartphone ou en allant au concert est

également une pratique commune aux jeunes.
Les jeunes générations adoptent plus facilement que les
adultes les changements technologiques et les nouveaux
outils numériques, pour se divertir, communiquer avec
les amis ou s’informer. Internet oblige, les jeunes adultes
3874
passent donc moins de temps qu’autrefois devant la télévi-
sion, en tout cas moins que leurs aînés. Les 15-34 ans y ont
4206
passé 2 h 38 par jour en 2008, contre 3 h 37 en moyenne
pour l’ensemble des plus de 15 ans.
1:16
Une partie de ces loisirs concerne l’ensemble des jeunes
1.11
sans que le sexe ou l’origine sociale ait ici une grande
influence. Les pratiques culturelles (livres, cinéma, musées,
5.13
théâtre, etc.) se sont en effet diffusées au cours des trente
5.23
dernières années, notamment parce que l’élévation du
niveau de diplôme se conjugue désormais avec la crois- 6:10
sance de l’offre (bibliothèques, expositions, etc.).
3631
Cependant, si l’on entre dans les détails, les inégalités d’accès

aux loisirs demeurent bel et bien présentes. S’inscrire à un
:888
club d’équitation ou s’offrir des vacances au bord de la

mer n’est pas accessible à tous. Les inégalités entre jeunes
8603
varient donc selon la catégorie sociale, le lieu de résidence,

le développement des transports, sans oublier la maîtrise
1073
ou non de la langue française et de l’écrit dans le milieu

e:21
familial. Enfin, face aux loisirs, les loisirs pour filles et ceux
pour garçons demeurent assez distincts. Pour occuper leur
:Non
temps libre, les jeunes filles se tournent davantage que les

garçons vers la communication entre ami(e)s (discussions,
.com
SMS, messageries instantanées…), le shopping en centre-

© Groupe Eyrolles
ville ou dans les centres commerciaux, les jeunes garçons

ovox
vers les jeux vidéo (le jeu Pokémon Go est, en cet été
.bibli
2016, une véritable folie chez les jeunes).

www
Dernières discriminations : les discriminations policières.

Les associations du collectif Stop le contrôle au faciès,
fondé en 2011, ont rendu public, le 1er mars 2016, un
rapport portant sur « cinq ans d’écoute et d’orientation
concernant des contrôles policiers abusifs ». Il s’agit de la
première étude chiffrée sur les abus policiers et les contrôles
au faciès en France. Au total, il ressort que 2 283 personnes
3874
ont sollicité le pôle juridique du collectif au sujet d’inter
actions problématiques avec la police, entre avril 2011 et
4206
décembre 2015.
1:16
On relève dans les saisines une série d’abus variés, dont
les contrôles au faciès (dans 47,7 % des cas), les violences
1.11
physiques (23 %), les fouilles et palpations (dans 18 %
5.13
des cas), les insultes (17 %) ou propos racistes (13 %), les
intimidations – menaces, amendes infondées ou autres –
5.23
(23 %), et les palpations génitales, rapportées dans près de
10 % des témoignages. Face à ces abus policiers, le collectif
6:10
s’inquiète d’un sentiment de résignation des victimes :
3631
92,9 % des personnes s’estimant victimes d’abus policiers

renoncent en effet à porter plainte.
:888
Ce rapport est publié à l’occasion de l’ouverture des débats

8603
parlementaires sur la réforme de la procédure pénale, et au

moment même où la loi antiterroriste prévoit un élar-
1073
gissement des critères de contrôles d’identité. Les associa-

tions du collectif « encouragent le gouvernement à mener
e:21
une campagne contre les contrôles abusifs, à renforcer les

:Non
pouvoirs du défenseur des Droits, à nommer une commis-

sion d’enquête indépendante au sujet des enquêtes impli-
.com
quant les agents des forces de l’ordre, et à lever les mesures

© Groupe Eyrolles
abusives liées à l’état d’urgence ».

ovox
Elles proposent aussi « au ministère de l’Intérieur une

.bibli
série de mesures facilitant le repos, la formation et le suivi

www
psychologique anonyme et gratuit des agents de police,

ainsi que leurs interactions avec le public dans un objectif
d’amélioration des relations avec la population, et de leur
service au quotidien ». Elles invitent enfin « le ministère
de la Justice à renforcer son accueil et ses services auprès
de victimes de violences plus ou moins graves de la part
d’agents publics, et à faciliter les enquêtes indépendantes
3874
au sujet des faits graves les impliquant ».
4206
Face à de telles dérives d’agents de l’État, comment ne pas
se réjouir lorsque de justes condamnations sont pronon-
1:16
cées contre des policiers discriminants ?
1.11
Un premier exemple. Les sanctions de six mois à un an
de prison ferme décidées, au début de l’année 2010, « au
5.13
nom du peuple français », par le tribunal correctionnel
de Bobigny, contre sept policiers reconnus coupables de
mensonges au détriment d’un citoyen qu’ils accusaient, 5.23
6:10
à tort, de tentative d’homicide, semblent justes (seul le
ministre de l’Intérieur de l’époque les a contestées). La
3631
séparation des pouvoirs, faut-il le rappeler ?, s’impose

à tous, et en premier lieu à ceux qui ont en charge les
:888
affaires de l’État. Rappelons qu’une règle veut d’ailleurs

8603
qu’un membre du gouvernement ne commente pas une

décision de justice : c’est l’indépendance de l’autorité
1073
judiciaire.
e:21
Un deuxième exemple. La cour d’appel de Paris, le 24 juin

2015, a condamné l’État pour « faute lourde » dans cinq cas
:Non
de contrôle au faciès. Il devra verser 1 500 € de dommages

et intérêts aux plaignants. Déboutées en première instance,
.com
en juillet 2013, treize personnes avaient interjeté appel,

© Groupe Eyrolles
en février 2015, demandant que justice leur soit rendue

ovox
après « contrôle au faciès ». Les victimes décrivaient toutes

.bibli
des contrôles abusifs, associés parfois à des palpations

www
ou à des manques de respect (tutoiement, familiarités).

Pour cinq d’entre elles, la cour d’appel a estimé que les
contrôles en question n’étaient pas justifiés et étaient bien
discriminatoires.
Âgées de 18 à 35 ans – donc jeunes –, étudiantes ou salariées
sans casier judiciaire, les plaignantes avaient fait l’objet de
3874
contrôles d’identité répétitifs tandis qu’elles s’adonnaient
à des occupations ordinaires ou marchaient tout simple-
4206
ment paisiblement dans la rue. Les victimes évoquaient
des contrôles « raciaux ». Or, faut-il rappeler qu’aux termes
1:16
de l’article 78-2 du code de procédure pénale, un contrôle
d’identité n’est possible qu’au cas de « comportement
1.11
éveillant la suspicion ».
5.13
L’on sait, d’après une étude menée en 2009 par deux cher-
cheurs du CNRS, et portant sur 525 contrôles effectués à
Paris, qu’une personne noire ou arabe a respectivement 5.23
6:10
6,2 et 7,7 fois plus de risque d’être contrôlée qu’une
personne blanche. Le philosophe Alain Badiou rappelle :
3631
« Supposons que vous soyez un jeune Noir ou un jeune à

l’allure arabe, ou encore une jeune femme qui a décidé, par
:888
sens de la libre révolte, puisque c’est interdit, de se couvrir

8603
les cheveux. Eh bien, vous avez alors sept ou huit fois plus
de chances d’être interpellé dans la rue par notre police
1073
démocratique, et très souvent retenu dans un commissa-

riat, que si vous avez la mine d’un “Français”, ce qui veut
e:21
dire, uniquement, le faciès de quelqu’un qui n’est proba-

:Non
blement ni prolétaire ni ex-colonisé. Ni musulman1. »

L’on sait que la « lutte contre le délit de faciès dans les
.com
contrôles d’identité » était l’un des 60 engagements

© Groupe Eyrolles
du candidat François Hollande. Si le Premier ministre,

ovox
.bibli

www
Jean-Marc Ayrault, avait assuré, en juin 2012, que des

récépissés de contrôle seraient délivrés par les policiers,
son ministre de l’Intérieur, Manuel Valls, abandonna l’idée
la même année, pour la remplacer par le principe d’un
rétablissement du numéro matricule sur l’uniforme des
policiers.
3874
Les sanctions prononcées contre les policiers fautifs
peuvent certes, dans quelques cas, apparaître sévères, mais
4206
n’est-il pas normal de punir, plus lourdement, des agents
dont la mission s’accompagne d’importants pouvoirs,
1:16
parfois privatifs des libertés ? La justice a trop longtemps
fait preuve de mansuétude à l’égard de policiers délin-
1.11
quants, soit en les dispensant de peine, soit en allégeant
5.13
les peines prononcées, pour ne pas apprécier, comme il
se doit, cette juste et courageuse décision du tribunal de
5.23
Bobigny. Que les « gardiens de la paix » fassent un métier
difficile, chacun en convient aisément mais cela ne saurait
6:10
suffire à légitimer une « culture de l’excuse » d’actes inad-
3631
missibles, commis au nom de la loi. La police, c’est et doit

être un devoir permanent d’exemplarité.
:888
8603
L’influence des réseaux Internet, de l’univers carcéral,

d’une certaine culture musicale (rap)
1073
Le Monde a enquêté en 2015 sur la propagation du djiha-

e:21
disme via Internet. Il mentionne une vidéo (en français)

:Non
particulièrement populaire intitulée : « Faites exploser la

France ». L’on y voit des hommes devant un camion, fusils
.com
et lance-roquettes à la main, qui appellent à commettre

© Groupe Eyrolles
des attentats sur notre sol. Les mots utilisés sont d’une rare
ovox
brutalité. Un homme cagoulé et armé débite ce message :

« Explosez-leur la tête, que ce soit avec une pierre, ou
.bibli
quoi que ce soit si vous n’arrivez pas à vous procurer

www
un pistolet. » Pire encore, au lendemain des attentats du

13 novembre, Daech fera circuler pendant quelques heures
une photo sanglante prise à l’intérieur du Bataclan.
Une certaine culture musicale, rap en l’occurrence, diffuse
quelquefois abondamment des messages de violence et
de haine. Mais attention, loin de nous l’idée de carica-
3874
turer un genre musical porteur aussi d’amour et d’espoir,
un genre qui peut être très poétique même. Non, nous
4206
songeons à certaines chansons qui peuvent imprégner de
jeunes esprits d’idées de violence et même de meurtres.
1:16
Il suffit de rappeler ce titre de Booba, de décembre 2012,
intitulé Kalash (pour Kalaschnikov), visionné 16 millions
1.11
de fois, distillant des images très dures. Et puis, diffusé en
5.13
février 2016, rappelons-nous ce clip de rap violent mettant
en scène huit collégiens parisiens, âgés de 13 à 15 ans, en
5.23
train de brandir des couteaux et une feuille de boucher
et prononçant, sur les thèmes de la drogue, du sexe et
6:10
de l’argent, des paroles d’une rare violence. Que l’on en

3631
juge : « Que des coups de machette, ouais, chez nous tout

s’achète ». Six de ces mineurs ont fait l’objet d’un rappel
:888
à la loi du délégué du procureur de la République, peine

somme toute légère car ces garçons n’avaient pas d’anté-
8603
cédents judiciaires ; les deux autres en revanche, connus

1073
des services de police, se sont vus signifier des mesures de

réparation pénale. Cette affaire en suit, à dire vrai, quelques
e:21
autres où l’on voit pareillement, toujours dans des clips, de

jeunes rappeurs exhibant couteaux ou liasses de billets, et
:Non
utiliser un vocabulaire cru.

.com
© Groupe Eyrolles
Le prosélytisme islamiste dans les quartiers « sensibles »

ovox
Bien sûr, parmi les facteurs explicatifs de la radicalisation

.bibli
islamiste, et nous ne le négligeons pas, il y a le prosélytisme

www
des courants religieux les plus durs opérant aujourd’hui de

plus en plus par Internet, et moins comme autrefois par le
canal des mosquées.
Au début des années 2000, les Renseignements géné-
raux, après avoir souligné un premier facteur maintenant
souvent passé sous silence, le mariage mixte, un événe-
3874
ment important poussant fréquemment à la conversion
les conjoints non musulmans, indiquaient clairement
4206
le prosélytisme très efficace du mouvement piétiste du
Tabligh1 et des groupes salafistes2 qui, on le sait, reven-
1:16
diquent une lecture pure et originelle des textes sacrés,
groupes proposant comme référents religieux des prédica-
1.11
teurs issus d’universités islamiques du monde musulman,
5.13
notamment d’Arabie Saoudite et de Syrie.
Ces groupes des années 2000 étaient déjà dans une rupture
profonde avec les valeurs occidentales jugées impies et 5.23
6:10
attiraient à eux non seulement les jeunes de l’immigra-
tion magrébine mais aussi les jeunes Antillais, à l’image
3631
de Willy Brigitte, arrêté en Australie (où il projetait un

attentat) et extradé en France, ou de Johan Bonte, origi-
:888
naire de Corbeil-Essonnes et converti à l’islam par son

8603
beau-frère Djamel Beghal. Des conversions plus surpre-

nantes de jeunes Portugais étaient aussi signalées, mais une
1073
e:21
1. De nature apolitique, ce courant originaire de l’Inde, fondé par

Muhammad Ilyas al-Kandhlawi (1885-1944), ne vise que la prédica-
:Non
tion des musulmans. Très dynamique dans les années 1960, il est en
recul depuis plusieurs années, devancé par le salafisme.
.com
2. Né en Arabie Saoudite, appelé aussi « wahhabisme » du nom de son

© Groupe Eyrolles
fondateur Muhammad ibn Abdel-Wahhab (1703-1792), le salafisme

ovox
veut imposer une vision de l’islam rigoriste. Plusieurs sensibilités ont

émergé de ce mouvement, certaines apolitiques, mais d’autres plus
.bibli
engagées dans la lutte armée contre l’Occident et les régimes poli-

tiques jugés impies.
www
dizaine de cas seulement, ainsi que des conversions de

jeunes femmes.
Bien sûr, comme facteur de radicalisation, on ne saurait
oublier le poids des événements internationaux, comme
le conflit sans fin israélo-palestinien, conflit qui alimente
largement l’antisémitisme national.
3874
L’on peut dire en résumé que l’engagement radical des
jeunes, qu’il soit politique (FN) ou guerrier (djihad), est
4206
le résultat de trajectoires personnelles compliquées, d’ex-
périences familiales et scolaires douloureuses, de rapports
1:16
difficiles à la police, le résultat de toutes ces discrimina-
1.11
tions vécues au quotidien commises non seulement par
l’État, ses agents et ses institutions sur les jeunes des cités,
5.13
mais aussi exercées parfois par « les jeunes de l’immi-
gration » eux-mêmes sur les « jeunes de souche » : djiha-
5.23
distes contre frontistes, ou l’inverse, en un grossier résumé 6:10
naturellement !
Il est clair que s’engager, en dépit de tous les facteurs
3631
explicatifs énoncés plus haut, reste un choix personnel :

:888
il n’y a pas de déterminisme social. La preuve en est que

le djihadisme ne s’est pas implanté également dans tous
8603
les quartiers pauvres de France. C’est ainsi qu’à Marseille

les quartiers nord restent à l’abri de ce phénomène. Sans
1073
doute faut-il voir là à la fois le résultat d’un quadrillage

du lieu par le banditisme local et de la densité du tissu
e:21
associatif. Ici, les jeunes préfèrent devenir « quelqu’un »

:Non
par l’argent, non par l’engagement guerrier djihadiste.

En somme, le banditisme et l’économie souterraine de la
.com
drogue (les deux étant souvent liés), le milieu associatif ici

© Groupe Eyrolles
actif, empêchent-ils les vocations djihadistes d’éclore. Ces

ovox
quartiers font barrage à l’entreprise terroriste, comme ils

ont fait barrage, en 2005, aux émeutes urbaines se dérou-
.bibli
lant un peu partout en France.

www
La politique d’intégration des jeunes populations issues

de l’immigration maghrébine et sub-saharienne ayant,
comme nous l’avons vu, largement échoué faute d’em-
plois et de réussites scolaires, la question est aujourd’hui
posée de savoir si toutes ces familles forment encore des
communautés réellement spécifiques, si, en somme, nous
sommes dans ce pays en état de « communautarisme ».
3874
Nous suivons ici Dominique Schnapper1 affirmant qu’il
4206
n’existe pas de réelles communautés en France, du moins
sur le modèle très fermé des communautés américaines.
1:16
Le constat est pertinent.
1.11
Nous pensons en revanche qu’il existe bel et bien un
« esprit communautaire », des « entre soi » qui sont fabri-
5.13
qués par un isolat urbanistique, un sentiment d’abandon
de la communauté nationale. Ainsi, de même qu’il y a,
nous l’avons vu, la réalité des ghettos, une situation d’apar- 5.23
6:10
theid, le communautarisme, jugé simple menace, est déjà
bel et bien une réalité vivace. Parlons donc de « commu-
3631
nautés », avec des guillemets (pour marquer la différence

avec les États-Unis ou la Grande-Bretagne), communautés
:888
qui ne sont globalement ni antinationales ni antirépubli-

8603
caines ; de « communautés » diverses, certaines discrètes

comme la « communauté » asiatique ou la « communauté »
1073
portugaise, les autres plus visibles, voire plus bruyantes,

comme la « communauté » maghrébine ou la « commu-
e:21
nauté » africaine, voire la « communauté » antillaise. Toutes

:Non
ces « communautés » (avec guillemets), quoi que l’on dise,

développent, et depuis longtemps déjà, un esprit commu-
.com
nautariste, que seule la mixité sociale est aujourd’hui à

© Groupe Eyrolles
même de réduire.
ovox
.bibli
1. Dominique Schnapper, op. cit.

www
Chapitre 2
Un système politique déliquescent,

une offre politique décevante
3874
C’est d’abord le système partisan qui est en accusation :
4206
8 % seulement des Français font aujourd’hui confiance
aux formations partisanes. De multiples reproches, on
1:16
le sait, sont adressés, et depuis fort longtemps, aux partis
politiques, comme la préoccupation de la quête ou de
1.11
la conservation du pouvoir, la corruption ou l’enrichis-
sement personnel, les querelles intestines des leaders, la
5.13
coupure avec la réalité sociale, etc. Lucides, les responsables
5.23
politiques eux-mêmes de tous bords, gauche socialiste
en tête (Arnaud Montebourg, Manuel Valls…), partagent
6:10
l’idée de l’impuissance des formations traditionnelles à
3631
rassembler les citoyens autour de projets clairs et cohérents.

D’où l’appel au « dépassement partisan », à la constitution,
:888
comme le préconise Émmanuel Macron, de vastes rassem-

blements atténuant les clivages gauche-droite.
8603
Le nombre d’adhérents est, bien sûr, un premier indicateur

1073
de mal-être partisan. Les partis en général, à l’exception

du FN dont les adhésions montent au rythme des atten-
e:21
tats, connaissent une baisse de leurs effectifs. Certains ne

sont même plus que des groupes d’élus, pas toujours posi-
:Non
tionnés au plus près des problèmes concrets des citoyens.

.com
Un deuxième indicateur de crise, c’est l’inexistence de

projets structurés en phase avec les préoccupations des
© Groupe Eyrolles
ovox
« vrais gens ». Il est plus que vrai que les formations poli-
tiques peinent à élaborer des programmes d’action autour
.bibli
de quelques idées fortes. Mais, paradoxalement, s’il y a

www
moins de « partisans » (adhérents et militants), il n’y a pas

moins de partis (on en compterait quelque deux cents à
ce jour). Cependant, loin d’être un signe de « bonne santé »
qui exprimerait une diversité de courants de pensée, cette
multiplicité partisane ne fait que traduire bien souvent une
démultiplication des ambitions personnelles.
3874
Notre système politique est globalement déliquescent.
Dans un papier paru dans Le Monde, le 9 septembre 2014,
4206
Martial Foucault, directeur du Cevipof, résume parfaite-
ment cette déliquescence. Nous nous référons ici à son
1:16
analyse. Cote de popularité de François Hollande déses-
pérément basse (moins de 20 % de Français satisfaits),
1.11
relative impuissance dans la lutte contre le terrorisme
5.13
(cinq attentats en 18 mois !), chômage toujours très haut,
dette publique toujours élevée, divorce entre socialistes et
5.23
couches populaires, tous les indicateurs du système sont
dans le rouge.
6:10
Ceci révèle une crise de défiance politique, une crise de

3631
représentation et une crise de responsabilité. Les premiers

mots, selon le baromètre de la confiance du Cevipof, qui
:888
sont aujourd’hui associés à la politique sont « méfiance » et

8603
« dégoût », bien avant « intérêt » et « espoir ». Les perceptions

comme les revendications qui sont associées au champ
1073
politique marquent une rupture profonde avec la tradition

politique et constitutionnelle qui caractérise notre pays
e:21
depuis la Révolution française. Toutefois, ce rejet et cette

:Non
distance critique vis-à-vis du personnel et des institutions

politiques n’excluent pas une demande même confuse
.com
d’une autre politique. L’intérêt général pour la chose

© Groupe Eyrolles
publique reste élevé.

ovox
La démocratie représentative est aujourd’hui malmenée

.bibli
dans notre pays. Il est vrai qu’elle n’est guère exemplaire.

www
Un système politique déliquescent, une offre politique décevante 115
Le Parlement français reste le plus mauvais élève européen

en termes de représentation des femmes, des ouvriers
et employés, des minorités visibles. Elle n’est guère effi-
cace non plus dans l’action publique gouvernementale :
impuissance contre le terrorisme, impuissance contre le
chômage...
3874
Comme le note Martial Foucault, « la singularité du système
semi-présidentiel à la française, caractérisée par la dyarchie
4206
du pouvoir exécutif, affaiblit elle aussi l’exercice du pouvoir
et renforce des formes de conflictualité stériles au sommet
1:16
de l’État. Il n’est pas étonnant d’observer la perte de
confiance envers le Premier ministre lorsque celle accordée
1.11
au président de la République est à son plus bas. Il ne s’agit
5.13
pas ici de faire la promotion du modèle d’une démocratie
parlementaire, mais plutôt de combiner la stabilité gouver-
5.23
nementale avec la capacité d’action publique assise sur des
mécanismes de représentation politique plus larges et plus
6:10
légitimes1 ».
3631
Face à pareils constats, la jeunesse s’écarte du jeu politique

classique, s’éloigne des partis politiques traditionnels (1 %
:888
de jeunes seulement dans des partis aujourd’hui).

8603
S’il ne saurait être question de « politiser » toute une géné-

ration autour de quelque idéologie que ce soit, l’on peut
1073
conduire un grand nombre de jeunes vers une citoyenneté

e:21
plus active. Cela suppose d’abord de ne pas les en empêcher.

Célestin Freinet, apôtre de l’école nouvelle, disait que seules
:Non
l’enfance et la jeunesse étaient capables de monter hardiment

vers les sommets. Profitons-en. Cela suppose ensuite de faire
.com
confiance à tous ces jeunes qui doutent de leur utilité sociale.

© Groupe Eyrolles
Leur faire confiance pour leur redonner confiance.

ovox
.bibli

www
La jeunesse, à côté des autres catégories sociales, des autres

classes d’âge, doit pouvoir, selon l’expression constitution-
nelle française, « concourir à l’expression de la volonté
générale », dans le cadre de la démocratie représentative, et
dans les instances de la démocratie participative. Sans doute
cela passe-t-il par le développement des droits civils et poli-
tiques des plus jeunes que l’on appelle traditionnellement
3874
des « mineurs » (les 15-17 ans). En effet, l’évolution des
modes de vie et des connaissances ainsi que des compor-
4206
tements physiologiques fait que la maturité des jeunes et
1:16
leur soif de responsabilités sont plus précoces et plus fortes
qu’hier. Faut-il redire ici, après le procès en incompétence
1.11
– en raison de son âge : 23 ans – fait jadis à Jean Sarkozy,
le fils cadet de l’ex-président de la République, ou à
5.13
Marion Maréchal Le Pen, députée à seulement 22 ans, que
5.23
la compétence a bien d’autres ressorts que l’expérience,
traditionnellement associée à l’âge ? La compétence, c’est 6:10
aussi l’intelligence d’analyse d’une situation, une prise de
risque opportune, l’imagination – ce dont les jeunes ne
3631
sont pas plus dépourvus que beaucoup d’adultes d’âge

:888
mûr. Enfin, une compétence ne se juge-t-elle pas d’abord

sur les résultats d’une action ? Faisons donc confiance aux
8603
jeunes, bannissons toute discrimination d’âge.

1073
Des réformes sont par conséquent possibles qui associe-

raient mieux les jeunes, dès 16 ans, aux responsabilités
e:21
sociales et politiques. S’il n’est sans doute pas opportun

d’abaisser l’âge de la majorité civile à 17 ans, voire à
:Non
16 ans, comme l’a fait l’Autriche en 2007 (non sans succès

comme l’a montré la bonne participation des jeunes
.com
Autrichiens aux avant-dernières élections européennes de

© Groupe Eyrolles
ovox
2010), sans doute pourrions-nous accorder aux jeunes de

16 ans le droit de vote. L’on peut sans doute aller plus
.bibli
loin encore. En 2011, rappelons-le, l’on a abaissé à 18 ans

www
Un système politique déliquescent, une offre politique décevante 117
l’âge d’éligibilité aux fonctions de maire, conseiller dépar-

temental, conseiller régional, député. Enfin, un signal fort
serait de donner à la jeunesse française un ministère de
plein exercice, que l’on pourrait appeler le « ministère
de la Jeunesse et de la Solidarité entre générations », par
exemple. Pierre Mendès-France, président du Conseil, en
octobre 1954, le souhaitait : « J’espère parvenir à cette créa-
3874
tion prochainement, la jeunesse se verrait ainsi accorder
une voix consultative et une participation directe à la
4206
gestion de nos affaires qui sont les siennes1. »
1:16
Mais PMF échoua dans sa tentative. On avance toujours
quelques « bonnes » raisons pour refuser la création d’un
1.11
tel ministère. D’abord, l’on affirme que les compétences-
5.13
jeunesse sont déjà réparties dans de multiples ministères, et
non des moindres comme l’Éducation nationale, le Travail
5.23
ou la Défense, qu’il faudrait déshabiller Paul, Jacques, pour
habiller Martin peut-être. L’on affirme ensuite que les
6:10
problèmes de la jeunesse étant inséparables des problèmes
3631
généraux de la société, il n’est pas justifié de créer des

organes spécifiques à la jeunesse, qui risqueraient, de
:888
surcroît, de couper celle-ci du reste de la nation. Enfin, et

même si les souvenirs du régime de Vichy sont aujourd’hui
8603
largement effacés, subsiste la peur qu’un ministère de la

1073
Jeunesse ne soit en réalité qu’un ministère de la mani-

pulation ou de l’endoctrinement de la jeunesse. Tous ces
e:21
arguments ne sont pas pertinents puisque l’on sait que des

ministères de la Jeunesse (ou des équivalents) existent dans
:Non
nombre de pays européens (et même au-delà).

.com
Enfin, à l’image de ce que fait le Front national, l’on pour-

© Groupe Eyrolles
rait faciliter l’accès des jeunes aux responsabilités dans les

ovox
.bibli
1. Cité dans Michel Fize, Le Livre noir de la jeunesse, Paris, Petite Renais-
sance, 2007, p. 133.
www
partis politiques. Pour l’heure, ils en sont, globalement,

singulièrement dépourvus. Une constante dans l’Histoire.
En 1963, nombre d’observateurs notait déjà que la struc-
ture actuelle des partis ne favorisait guère l’engagement de
la jeunesse et entraînait même une désaffection profonde
vis-à-vis de la politique.
3874
4206
1:16
1.11
5.13
5.23
6:10
3631
:888
8603
1073
e:21
:Non
.com
© Groupe Eyrolles
ovox
.bibli
www
Chapitre 3
Quelles solutions ?
Les solutions ou plutôt les réponses apportées à la radicali-
3874
sation sont multiples. Sont-elles efficaces ? Pas sûr. Il en est
d’autres assurément auxquelles personne ne pense ou ne
4206
croit vraiment. Nous les exposerons.
1:16
« Ils » (l’État ou les familles) ont choisi
1.11
Face au « péril djihadiste », face au danger lepéniste, l’État
5.13
et ses institutions ont « dégainé » un certain nombre d’ar-
5.23
guments de riposte.
6:10
En mai 2016, le Premier ministre Manuel Valls a présenté
une série de quatre-vingts mesures de lutte contre la radi-
3631
calisation visant à mieux détecter les signes de radicalisa-

tion et à mieux répondre à ce phénomène. Nous verrons
:888
ici les mesures essentielles.

8603
Le « nettoyage » des sites Internet

1073
Facebook, Twitter et Google, qui hébergent tous ces

messages au contenu haineux diffusés par Daech, essaient de
e:21
développer leurs propres dispositifs de sécurité. Facebook,

:Non
qui a renforcé ses équipes de surveillance des contenus,

propose Safety check permettant à chacun de signaler qu’il
.com
est en sécurité. Google agit pareillement en retirant rapi-

© Groupe Eyrolles
dement les vidéos pro-attentats, ce qu’il avait fait en janvier

ovox
2015 par exemple en enlevant celle d’Amédy Coulibaly.

.bibli
www
L’État de son côté installe sur la Toile des vidéos de

contre-discours de propagande. Le gouvernement a mis en
place un dispositif de prévention contre les filières djiha-
distes et d’assistance aux familles : 0800 005 696, du lundi
au vendredi de 9 h à 18 h (appel gratuit depuis un poste
fixe), ou www.stop-djihadisme.gouv.fr. En un an, 283 sites
ont été bloqués.
3874
4206
L’incarcération des djihadistes de retour de Syrie
Que faire des djihadistes de retour de Syrie et poursuivis
1:16
par la justice pour « association de malfaiteurs en vue de
préparer des actes de terrorisme » ? Faut-il tous les incar-
1.11
cérer jusqu’à leur procès parce que jugés « dangereux » ? La
5.13
tendance – à de rares exceptions près – est à l’incarcération
et ensuite au refus de la remise en liberté. Seuls de rares
5.23
contrôles judiciaires sont prononcés, et uniquement en 6:10
faveur de ceux qui ont un emploi et une charge de famille.
3631
Quelques chiffres
:888
En mars 2016, 236 suspects étaient revenus des lieux de guerre. Parmi eux, 74 ont
été incarcérés, 143 font l’objet d’un suivi judiciaire et 13 ont été placés sous contrôle
8603
judiciaire.
1073
La dé-radicalisation islamiste
e:21
« Désintoxiquer » les jeunes radicalisés islamistes est

:Non
aujourd’hui l’une des pistes suivies par l’État pour

ramener ces jeunes vers le droit chemin (occidental ?
.com
capitaliste ?). Il existe pour cela, d’abord à titre de préven-

© Groupe Eyrolles
ovox
tion, des « cellules de suivi » pour les familles en difficulté

(voir ci-dessous). Il existe aussi des « cellules de dés-embri-
.bibli
gadement », comme celle de Seine-Saint-Denis, logée par

www
Quelles solutions ? 121
la Maison de la prévention et de la famille. Cette cellule

aide non seulement les familles, mais aussi les djihadistes
rentrés de Syrie.
En septembre 2015, le tribunal de grande instance de
Mulhouse envisageait pour sa part de tester un programme
judiciaire de dé-radicalisation destiné à des jeunes s’étant,
3874
par exemple, rendus coupables d’apologie du terrorisme
ou de provocation publique à la haine.
4206
Cette « dérive » cependant, estime le tribunal, ne sera pas
traitée comme une dérive religieuse mais comme une
1:16
dérive sectaire, les auteurs du programme considérant en
1.11
effet que les radicalisés obéissent moins à des motivations
religieuses qu’à des motivations identitaires : retrouver des
5.13
repères, des valeurs. Cette coupure nous semble cepen-
dant très artificielle. Le religieux n’est pas absent de l’esprit
« radical », il est, nous semble-t-il, le support même de la 5.23
6:10
quête identitaire.
3631
Le programme de dé-radicalisation envisagé dure en

moyenne deux à trois mois. Il comporte quatre phases :
:888
un diagnostic de la situation sociale, familiale, des jeunes ;

une mise en activités (sportives notamment) dans le but
8603
de retisser du lien social ; une déconstruction du discours

radical par confrontation avec des victimes du terrorisme,
1073
avec des jeunes désendoctrinés, par étude des vidéos

e:21
montrant les mécanismes de manipulation en œuvre ;

enfin une aide à l’insertion sociale.
:Non
La prison entend elle-même participer à cette entreprise

.com
de dé-radicalisation. Le Premier ministre, Manuel Valls, a

présenté, en janvier 2015, un premier plan de lutte contre
© Groupe Eyrolles
ovox
la radicalisation, prévoyant notamment le recrutement

de nouveaux surveillants et de 60 aumôniers musulmans
.bibli
supplémentaires (il n’en existe que 180 pour 700 aumôniers

www
catholiques, alors que l’islam est la première religion en

milieu carcéral), le renforcement du service de renseigne-
ment pénitentiaire et la multiplication des quartiers pour
les détenus radicalisés. Soit un budget de 80 M€ pour trois
ans recouvrant 1 100 emplois supplémentaires.
Au sein de l’Administration pénitentiaire existe même
3874
aujourd’hui un responsable chargé de la lutte contre ce
phénomène. Une expérience inédite de dé-radicalisation
4206
est aujourd’hui en cours. En janvier 2015, à la maison d’arrêt
d’Osny (Val-d’Oise), neuf détenus ont en effet accepté de
1:16
faire partie d’un programme-pilote de lutte contre la radi-
calisation islamiste en prison. Il y a là Nourredine, 37 ans,
1.11
condamné à huit ans d’emprisonnement pour adminis-
5.13
tration d’un site djihadiste ; Ahmed, 24 ans, de retour,
meurtri, de Syrie ; Fatih, 20 ans, poursuivi pour déten-
5.23
tion à son domicile d’un arsenal de produits chimiques
pour la fabrication d’explosifs ; les six autres détenus sont
6:10
des détenus de droit commun signalés pour radicalisation

3631
et des « leaders positifs » réputés pour leurs capacités de

dialogue.
:888
Le programme lancé en avril 2015 par l’Association dialo-

8603
gues citoyens et l’Association française des victimes du

terrorisme a été conçu pour servir de « modèle métho-
1073
dologique » au cursus qui sera mis en place dans les cinq

futurs « quartiers dédiés » aux détenus les plus radicaux,
e:21
dans quatre établissements pénitentiaires, entre janvier et

:Non
mars 2016.
Ce programme repose sur le principe du dialogue. Laïcité
.com
oblige, avec son principe de neutralité, il ne s’agit donc pas

© Groupe Eyrolles
de contester les choix religieux des « radicalisés » ni de leur

ovox
conseiller par exemple un islam plus modéré.

.bibli
www
La sociologue Ouisa Kies explique au Monde la démarche

suivie : « On n’est pas là pour remettre en cause leurs
convictions. Ce n’est pas tant leur vision de la société qui
pose problème que le recours à la violence pour l’imposer.
On a donc choisi ceux qui présentaient un risque de réci-
dive violente, et qui seraient volontaires et réceptifs1. »
3874
D’une durée de sept semaines, le programme fait inter-
venir diverses personnes d’horizons divers : Rokhaya
4206
Diallo, une musulmane et militante féministe, pour parler
d’engagement citoyen et de discriminations ; le rédacteur
1:16
en chef du Bondy Blog, pour parler des médias et des
théories complotistes ; Yazid Kherfi, ex-braqueur devenu
1.11
médiateur, pour évoquer la question de la réinsertion ;
5.13
le sociologue Farhad Khosrokhavar et l’ex-haut fonc-
tionnaire Pierre Conesa, pour mieux présenter le monde
5.23
contemporain ; une aumonière musulmane du fait reli-
gieux et de laïcité.
6:10
À l’issue de ce programme, l’on constate que les discours, au

3631
moins, ont changé. Rachid par exemple est capable d’ana-

lyser son antisémitisme, Ahmed de mieux comprendre
:888
l’horreur de la démarche djihadiste avec son esprit de

8603
« purification ». Les comportements évolueront-ils de la

même manière ? Aucun responsable n’est en mesure de
1073
le dire aujourd’hui. Il n’est pas si simple en effet de faire

renoncer des djihadistes souvent fanatisés à leurs croyances.
e:21
Renoncer aux croyances extrêmes, mais pourquoi ? Pour

:Non
retrouver le « désenchantement du monde », obtenir un

petit boulot, et précaire de surcroît, ou un simple RSA.
.com
Pas de quoi rêver en effet ! Pour Roland Coutanceau,

© Groupe Eyrolles
psychanalyste, président de la Ligue française pour la santé

ovox
mentale, qui a rencontré de nombreux détenus incarcérés

.bibli

www
pour faits de terrorisme, la capacité de ces jeunes à « faire

machine arrière » et donc à se dé-radicaliser est ténue. Une
chose est sûre, les « incantations humanistes », comme dit
Gérald Bronner, ne sauraient suffire.
Une autre et dernière question est de savoir si la réponse
carcérale à la radicalisation est le regroupement dans un
3874
même lieu des détenus les plus radicalisés, ou, au contraire,
leur dispersion. Aujourd’hui existent des ailes de maisons
4206
d’arrêt spécialement réservées aux détenus djihadistes.
Ainsi, en février 2015, trouvait-on 23 de ces détenus dans
1:16
une division spéciale à la prison de Fresnes. S’ils avaient
accès aux mêmes activités que les autres détenus, ils n’y
1.11
participaient que par groupe de trois maximum et sous
5.13
haute surveillance, afin d’éviter tout prosélytisme. Lors des
promenades, le groupe des 23 était réuni dans une partie
5.23
isolée de la cour, et en l’absence des autres détenus. 6:10
Un dernier problème est celui de l’information et de la
formation des différents personnels de l’Administration
3631
pénitentiaire sur cette question : surveillants, conseillers

d’insertion et de probation, officiers de renseignement,
:888
médecins, éducateurs, puis de l’articulation de leur action.

8603
1073
Les trois approches + une de la dé-radicalisation

Après les attentats du 11 septembre 2001, des pays comme l’Arabie Saoudite,
e:21
Singapour, l’Indonésie, auxquels est venue s’adjoindre l’Espagne après les attaques de
Madrid, en mars 2004, ont mis en place une procédure visant à corriger tout ce qui est
:Non
considéré comme « déviant » dans les dogmes ou les pratiques cultuelles des radica-
lisés. C’est la première approche.
.com
La deuxième approche, mise en œuvre par les pays d’Asie du Sud-Est en particulier,
consiste au contraire à n’exercer aucune action contre la foi et les croyances person-
© Groupe Eyrolles
nelles des individus. Elle se borne à poursuivre les comportements contraires à la loi
ovox
pour tenter de les modifier.

La troisième approche est une sorte d’approche mixte. Elle est privilégiée par les pays
.bibli
nordiques. Il s’agit de traiter un peu les croyances, un peu les comportements.

www
Depuis 2014, la France tâtonne quelque peu. Elle a d’abord tenté de corriger la vision de
l’islam des radicalisés, puis, revenant à une attitude beaucoup plus laïque, elle essaie
aujourd’hui de modifier plutôt les comportements des personnes.
Il existe une quatrième et ultime technique de dé-radicalisation, que nous décrit Gérald
Bronner, la technique dite du « contre-feu », ainsi nommée « parce qu’elle s’inspire
métaphoriquement de celle qu’utilisent parfois les pompiers lorsqu’ils allument un feu
en aval d’un incendie dans l’espoir d’interrompre sa progression. Il s’agit d’accompa-
gner l’apprenti fanatique dans sa radicalisation et de la devancer, en quelque sorte,
3874
en se montrant plus radical que lui, jusqu’à la caricature. Ce faisant, on lui offre de
prendre de la distance avec celui qu’il est en train de devenir. En observant un individu
4206
plus fanatique que lui, le croyant peut prendre conscience du caractère extrême de la
croyance à laquelle il adhère comme s’il se mirait dans un miroir déformant rendant
ses traits grotesques1 ». Mais le résultat de cette technique est loin d’être garantie ;
1:16
elle peut au contraire conduire le radicalisé à opérer lui-même une surenchère de sa
radicalisation.
1.11
5.13
Leçons de morale et séquestration des enfants par les familles
La télévision française a récemment diffusé le télé- 5.23
6:10
film de Xavier Durringer intitulé Ne m’abandonne pas2.
Nonobstant la très belle interprétation de la jeune comé-
3631
dienne Lina Elarabi, tout juste âgée de 20 ans, les mots
et les attitudes des adultes, de la mère en particulier, sont
:888
ceux et celles qu’il faut précisément ne pas tenir dans une

8603
relation avec une adolescente, au risque avéré d’envenimer

cette relation. Bon, évidemment comme tout ceci n’est
1073
que du cinéma, la chute du film est heureuse, mais les

probabilités qu’elle ne le soit pas dans la vie réelle sont
e:21
plus grandes.
:Non
Rappelons l’histoire du film. Chama a 17 ans ; elle vient

de passer brillamment son oral de Sciences-Po. Soudain,
.com
la jeune fille décide de revêtir le voile pour épouser – via

© Groupe Eyrolles
Internet – Louis, un jeune homme récemment converti

ovox
.bibli
1. Gérald Bronner, op.cit, p. 345.

2. France 2, le 03/02/2016.
www
à l’islam radical et parti en Syrie. Sa mère, Inès, médecin,

divorcée de Sami, ingénieur, découvre sous le matelas
du lit de sa fille tout un arsenal lui indiquant un proche
départ du domicile : un Coran, un faux passeport. Elle est
effondrée. Plus encore quand, à l’occasion de la réunion
de famille organisée pour fêter la réussite à l’examen de
Chama, celle-ci lance à ses parents : « Je ne supporte plus
3874
de voir vos gueules de mécréants ! » Va s’ensuivre une série
de dialogues et d’attitudes de la mère peu en adéquation
4206
avec les exigences de l’adolescence, avec notamment son
1:16
besoin de reconnaissance1. La mère, dont la bonne volonté
n’est pas en cause mais dont l’inquiétude est compréhen-
1.11
sible, se sent trahie par sa fille (elle parle quelque part de
« confiance » non respectée), dépassée par son engagement
5.13
radical qu’elle ne tente même pas de comprendre. Le
5.23
processus de moralisation est en marche, qui va conduire à
la séquestration de la jeune fille… pour son bien, estime la 6:10
maman (après tout de même avoir « drogué » la jeune fille
pour la rendre inconsciente). Une séquestration conjointe
3631
de la fille et de la mère, une femme musulmane qui n’est

:888
pas exempte de défauts, du moins aux yeux de sa culture

d’origine, puisqu’elle boit, fume et est divorcée.
8603
Certes, face à l’engagement de leur enfant, Gérald Bronner

1073
précise : « Le réflexe de toute famille aimante est de tenter

de l’éloigner aussi vite que possible de cette doctrine […]
e:21
Il s’agit d’un mauvais réflexe. Car alors, les proches d’hier

vont très vite apparaître comme les ennemis d’aujourd’hui
:Non
et de demain. »
.com
Un autre scénario de comportement familial aurait été

© Groupe Eyrolles
possible qui, dans le téléfilm qui nous occupe, aurait sorti

ovox
la mère de Chama de son émotivité excessive, et l’aurait

.bibli
1. Je vous renvoie à mon livre Mon adolescent en 100 questions, op. cit.

www
au contraire conduite sur le chemin de la compréhension.

Plutôt que de moraliser, de fustiger, il est toujours préfé-
rable de questionner, d’amener notamment, progressive-
ment, son interlocuteur à faire usage de son esprit critique
vis-à-vis de sa foi nouvelle. La mère de Chama, dans ce
scénario, aurait demandé à sa fille de lui expliquer son
engagement religieux, ce qui n’allait pas dans sa vie, et si
3874
elle manquait de vraie perspective. Puis elle aurait à son
tour expliqué son inquiétude et demandé à sa fille de faire
4206
preuve de compréhension à son égard.
1:16
Numéro vert et cellules de suivi
1.11
0800 005 696 : numéro vert créé en avril 2014 à destination des familles ou des proches
5.13
inquiets par la radicalisation d’un des leurs. Les appels sont traités par des spécialistes
de l’antiterrorisme et par un psychologue. Les dossiers sont évalués selon l’urgence et le
5.23
niveau de dangerosité estimé. Selon des sources du ministère de l’Intérieur et du comité
interministériel de prévention de la délinquance, en novembre 2014, 648 signalements 6:10
avaient été faits, 24 % concernant des mineurs et 44 % des femmes.
Il existe à ce jour une trentaine de « cellules de suivi ». Ces cellules composées d’une
3631
dizaine de personnes : psychologues, juristes, personnels associatifs, professionnels en

insertion, auxquels s’ajoute souvent un salafiste quiétiste (partisan, on le sait, d’une
:888
lecture rigoriste de l’islam, mais opposé au djihad armé). Ces personnes de concert sont
chargées du soutien des familles en difficulté.
8603
1073
La stigmatisation politique du FN jugé antirépublicain

e:21
Au contraire des jeunes djihadistes français qui font l’objet

de toutes les stigmatisations, les jeunes frontistes (votants,
:Non
sympathisants ou adhérents) ne sont pas pareillement

montrés du doigt – mais il est vrai que ces jeunes-ci n’ont
.com
pas de sang sur les mains. « On » (l’État) estime qu’ils se

© Groupe Eyrolles
ovox
trompent.
.bibli
www
Il faudrait plutôt s’orienter vers

Plus de huit millions de personnes vivent aujourd’hui
en France dans la pauvreté, plus de cinq millions sont au
chômage, des millions d’autres vivent, jour après jour, dans
la précarité. Parmi eux, des milliers et des milliers de jeunes.
3874
Le désarmement des cités, l’éradication de la drogue
4206
L’assainissement des cités passe par leur désarmement
« radical ». On sait combien, depuis quelques années, l’État
1:16
agit plus résolument pour appréhender les importants
stocks d’armes – de toutes natures, armes lourdes quel-
1.11
quefois – dissimulés dans les appartements, garages, caves,
5.13
véhicules en stationnement (paraissant abandonnés). La
tâche est ardue car une solide économie parallèle, et en
5.23
particulier le commerce de la drogue, alimente ces trafics
d’armes.
6:10
Selon les estimations, 10 millions d’armes pourraient

3631
être en circulation, parmi lesquelles seulement 4 millions

seraient légalement détenues (chiffres officiels). D’après le
:888
ministère de l’Intérieur, il existerait un « important trafic

8603
en provenance des États de l’Union européenne (UE) et

de pays tiers ». Il s’agirait « d’arsenaux de guerre tombés aux
1073
mains de civils ou d’organisations mafieuses », notamment

« à la suite de l’effondrement du bloc soviétique » et des
e:21
guerres dans les Balkans. Au total, environ 30 000 revolvers

circuleraient clandestinement.
:Non
Ces armes sont d’accès facile. Pour donner quelques

.com
chiffres, actuellement, un fusil d’assaut de type kalachnikov

© Groupe Eyrolles
se négocierait dans les cités entre 2 000 et 3 000 euros, soit

ovox
quatre fois tout de même son prix d’origine. Un pistolet

.bibli
se marchanderait, lui, autour de 1 500 euros. Il y a vingt

www
ans, l’arsenal de guerre était réservé à une aristocratie de

braqueurs. Désormais, l’offre est plus accessible, elle s’est
« démocratisée ». Conséquence : des « voyous » de cités
n’hésitent plus à faire usage de ces armes et à tirer par
rafales de trente à cinquante cartouches à la minute pour
attaquer une boutique ou régler des comptes sur fond de
trafics de drogue.
3874
En novembre 2015, après une énième fusillade à Marseille,
4206
le ministre de l’Intérieur a donc annoncé un plan de
lutte contre ce trafic d’armes qui pourrit la vie des cités.
1:16
Il s’agit notamment de permettre aux enquêteurs d’infil-
trer les trafiquants et d’inciter tous les citoyens, quels qu’ils
1.11
soient, à déposer leurs armes. Le plan comprend des volets
5.13
« opérationnels », de renseignement et de renforcement de
la coopération européenne.
Selon le ministère de l’Intérieur, chaque année, près de 5.23
6:10
5 000 armes sont ainsi saisies en France, 5 300 pour la seule
année 2014, « dont près de 175 armes de guerre », telles des
3631
kalachnikovs ou d’autres armes que les particuliers n’ont

en principe pas le droit de posséder.
:888
8603
L’affection préventive
On ne soulignera jamais assez le rôle majeur de l’amour,
1073
amour de soi et amour d’autrui, dans les relations humaines.

e:21
Un être aimé est un être apaisé, valorisé. Seul le regard

bienveillant d’autrui nous permet de prendre confiance
:Non
en nous et favorise ainsi la réalisation de notre potentiel

vital. Celui qui n’est pas aimé ou ne se sent pas aimé ne
.com
se sent pas exister. Il a l’impression de « ne pas être là ». Pas

© Groupe Eyrolles
aimé, il ne s’aime pas lui-même. C’est en effet seulement

ovox
lorsque les autres nous aiment, que nous apprenons à nous

.bibli
aimer nous-mêmes. L’amour de soi est indispensable pour

www
vivre. « Se savoir aimé, c’est être justifié d’exister », disait

Jean-Paul Sartre. C’est une souffrance que de ne pas se
sentir aimé. Il ne reste au non-aimé ou au mal-aimé que
la fuite, le voyage.
Le djihadisme est une sorte de fuite de soi. Au bout de la
route, il y a ceux qui vous aimeront ou vous donneront ce
3874
sentiment. C’est la promesse de Daech.
C’est la même chose avec le FN. Les jeunes qui le rejoignent
4206
ont ce même sentiment d’être enfin aimés. C’est aussi une
promesse du parti.
1:16
1.11
L’association aux responsabilités publiques
5.13
C’est déjà dans l’institution scolaire qu’enfants, adoles-
cents et jeunes doivent pouvoir accéder à leurs premières
5.23
responsabilités. Il s’agit de réaliser ce que l’ancien ministre
de l’Éducation Claude Allègre nommait la « démocratie
6:10
scolaire ». À côté, il y a la démocratie politique où les
3631
jeunes, à partir de 15 ou 16 ans, pourraient entrer davan-

tage. J’ai suffisamment développé ces questions, plus haut,
:888
et plus encore dans mes précédents ouvrages : Le Livre noir

de la jeunesse, 2007 et Jeunesses à l’abandon, 2016, pour me
8603
dispenser d’en dire davantage ici – faute de temps aussi.

1073
L’insertion éducative et professionnelle : une réussite scolaire

e:21
pour tous, des emplois pour chacun

La réponse première à la radicalisation s’appelle « l’inser-
:Non
tion », qui passe par l’emploi. Un sondage You Gov réalisé

.com
pour 20 Minutes, en janvier 2015, indique que 85 % des

Français estiment que redonner du pouvoir d’achat serait
© Groupe Eyrolles
ovox
une bonne solution pour lutter contre la radicalisation

islamiste. Et près de 81 % pensent que « permettre aux
.bibli
Français défavorisés d’accéder plus facilement à l’emploi »

www
serait également une réponse efficace. Nous avons vu que

la dernière phase de dé-radicalisation consistait à ramener
le jeune soit vers un travail, soit vers une formation, soit
vers une reprise des études.
Avant l’emploi naturellement, il y a les études. Il faut
inventer d’urgence une nouvelle école, celle de la « réus-
3874
site pour tous ». Égaliser enfin les chances de tous les
élèves. Produire cette « égalité réelle » qui est dotée depuis
4206
le dernier remaniement ministériel de février 2016 d’un
secrétariat d’État propre. L’on a cru, dans les années 1960,
1:16
qu’en ouvrant l’école à une génération entière l’on
remplissait son devoir démocratique, que la massification
1.11
était ipso facto démocratisation. La suite a montré que ce
5.13
n’était pas si simple, que finalement la réussite demeurait
pour quelques-uns et échappait au plus grand nombre.
5.23
C’est donc d’une réussite pour chacun dont l’école fran-
çaise a désormais besoin.
6:10
Il faut ainsi lutter résolument contre le décrochage scolaire

3631
et l’absentéisme chronique. Il faut acter le fait que le

décrochage est toujours une souffrance pour l’enfant ou
:888
l’adolescent. Le jeune qui décroche est celui qui n’arrive

8603
plus à rien et qui va choisir d’autres voies que les cours :

Internet, télévision, jeux vidéo… pour se sentir exister et
1073
se faire valoir. L’échec scolaire est une situation qui l’insup-

porte. Personne, en effet, ne décroche de gaieté de cœur.
e:21
Le fait est que le jeune n’arrive pas à être performant dans

:Non
ce système élitiste qui décroche progressivement ceux qui

ne peuvent s’adapter. Les « décrocheurs » sont donc avant
.com
tout des « décrochés ». Décrochage, notons-le, qui est plus

© Groupe Eyrolles
fréquent chez les garçons que chez les filles, celles-ci, on le

ovox
sait, étant, en raison de leurs qualités de communication,

d’adaptation, plus aptes à la réussite, surtout quand elles
.bibli
www
sont d’une origine sociale peu favorisée et lorsqu’elles

manquent de soutien familial.
Le décrochage, pour en dire encore quelques mots, débute
très jeune. Lorsqu’un jeune ne sait pas lire correctement
en 6e ou ne comprend pas un texte (15 à 20 % des cas),
il s’agit bien de décrochage. Mais dès le CP, il est possible,
3874
hélas, de pronostiquer les futurs décrochés. Les inégalités
de réussite sont bien le résultat d’un cumul de difficultés
4206
qui commencent à la maternelle. Un effort important doit
être fait à ce niveau. Rappelons qu’en France la dépense
1:16
par élève du primaire est inférieure de 15 % à la moyenne
de l’OCDE.
1.11
Le décrochage commence lorsque la motivation s’efface.
5.13
Pourquoi ? Parce que les cours ennuient, que les disciplines
sont indigestes, les méthodes pédagogiques pas adaptées
aux besoins de ces élèves-là. L’école, on l’oublie souvent, 5.23
6:10
ne mobilise qu’une forme d’intelligence, l’intelligence
logique, abstraite, pour laquelle beaucoup de jeunes ne
3631
sont pas prédisposés. C’est plus une défaillance du système

et une inadaptation des pédagogies qui expliquent donc
:888
le décrochage. Les réponses sont connues : il faut placer

8603
des enseignants expérimentés et mieux formés face aux

élèves en difficulté, ne plus mettre à part les élèves qui
1073
présentent des difficultés scolaires (l’on sait aujourd’hui

que le mélange de ces élèves avec de bons élèves ne fait
e:21
pas baisser le niveau des meilleurs et permet au contraire

:Non
aux « mauvais » élèves d’être mieux soutenus dans leurs

apprentissages).
.com
Plutôt que de continuer la politique ancestrale du « bour-

© Groupe Eyrolles
rage de crâne », il faut commencer par apprendre aux

ovox
élèves des choses simples : d’abord à s’exprimer tant à l’oral

.bibli
qu’à l’écrit. Il faut ensuite vérifier que ce qui est dit est
www
compris par chacun en classe. Et puis, il faut adapter le

processus d’enseignement et d’apprentissage à toutes les
formes d’aptitudes des élèves qui sont diverses : l’heure
est aux pédagogies différenciées, individualisées. À côté
de la pédagogie compétitive, qui reste nécessaire dans un
monde compétitif, il faut aussi développer la pédagogie
coopérative (l’un des points forts de l’actuelle réforme des
3874
collèges). Cette pédagogie permet de développer chez les
élèves la solidarité, l’écoute de l’autre, la confiance en soi.
4206
Il faut parallèlement développer la formation initiale et
1:16
continue des enseignants à la connaissance des différents
milieux sociaux, des caractéristiques psychologiques ainsi
1.11
que des mœurs et coutumes des enfants et des adolescents.
5.13
Autres questions. Est-ce que l’école actuelle cherche à
grandir les élèves ? Non, elle les abaisse en permanence, en
5.23
pointant leurs insuffisances – de connaissances livresques.
Est-ce que l’école actuelle donne aux élèves des respon-
6:10
sabilités, qui leur en conféreraient du coup le sens aigu ?

3631
Non, elle les infantilise en soulignant sans cesse leur

manque de maturité.
:888
L’école de demain sera celle de la synthèse entre idées

8603
anciennes et idées neuves. Sans renier l’esprit de compéti-

tion, nécessaire nous l’avons dit, qui provoque l’émulation,
1073
elle fera sa place à celui de coopération, qui permet, nous

l’avons dit aussi, le travail en équipe. Sans multiplier les
e:21
matières, elle développera les faits essentiels et aiguisera le

:Non
sens critique.
.com
Pour des dispositifs innovants et efficaces : l’exemple de

© Groupe Eyrolles
l’Épide
ovox
La formation de la jeunesse, et d’abord de la jeunesse

.bibli
en difficulté, passe par des dispositifs innovants. Nous

www
aimerions en mentionner un, peu connu mais terriblement

performant : les Épide, établissements publics d’insertion,
qui sont une vraie chance pour les jeunes en difficulté.
Pour ces jeunes qui cumulent absence de qualifications et
difficultés sociales, l’insertion passe par un accompagne-
ment continu et intensif. D’où la création de l’Épide, en
2005, à l’initiative de Michèle Alliot-Marie, par Jean-Louis
3874
Borloo, dans le cadre du plan de cohésion sociale. Inspiré
par le service militaire adapté (SMA), pour les jeunes
4206
d’outre-mer, l’Épide développe une pédagogie originale
1:16
au profit des jeunes accueillis.
Dans un cadre structurant d’inspiration militaire, l’Épide,
1.11
institution civile, sécurise et donne ces repères indispen-
5.13
sables à une insertion professionnelle, dans un emploi
durable. Il réapprend par exemple les bons gestes néces-
5.23
saires lors d’un entretien d’embauche. Nombre de jeunes
arrivent en effet à ces entretiens fréquemment en retard,
6:10
sont habillés trop « cité » (jogging, casquette à l’envers ou
3631
pas, conservée sur la tête devant l’employeur), poussent la

porte sans frapper, s’assoient nonchalamment sur la chaise
:888
qu’on leur tend. Et puis, quand il faut enfin parler, certains

peinent à trouver les mots et un ton qui ne soit plus celui
8603
de la « cité ».
1073
Ce cadre Épide participe à une dynamique collective

rendue possible par l’internat de semaine et les activités de
e:21
groupe. Le séjour du jeune est individualisé et différencié.

:Non
Il comprend un parcours citoyen, des séances de remise à

niveau scolaire à visée d’insertion professionnelle, des acti-
.com
vités sportives, de l’accompagnement sanitaire et social et

© Groupe Eyrolles
des stages en entreprises.

ovox
Aujourd’hui (en 2014), l’Épide compte 18 centres qui

.bibli
accueillent et forment près de 3 500 jeunes volontaires

www
par an. Il reçoit les jeunes les plus en difficulté qu’un séjour
en internat rassure et sécurise. Ces jeunes appartiennent aux
milieux sociaux populaires les plus fragilisés, ils connaissent
d’importantes difficultés, familiales, scolaires et d’emploi et
sont souvent en situation de rupture sociale. Près de 40 %
d’entre eux sont issus des zones prioritaires. Comme nous
l’avons montré dans une longue enquête (2006-2010)1,
3874
ces garçons et filles présentent une grande fragilité sociale,
familiale et personnelle, attestée par une surreprésentation
4206
des familles monoparentales et des familles nombreuses,
1:16
un fort chômage familial et l’existence de nombreux
placements en structures d’accueil (15 %). La situation
1.11
financière de tous ces jeunes est très précaire puisque 62 %
ne perçoivent aucun revenu et que 40 % sont endettés.
5.13
En état d’échec scolaire, leur parcours a été chaotique,
5.23
ce qui explique leur niveau scolaire général très faible. Ils
présentent tous des carences graves dans l’acquisition des 6:10
« fondamentaux scolaires » : 30 % d’entre eux sont illettrés,
plus de 75 % ont redoublé au moins une fois et sont sortis
3631
du système scolaire sans aucun diplôme. Les volontaires

:888
Épide ont aussi moins recours aux professionnels de santé

que les individus de leur classe d’âge et renoncent plus
8603
que d’autres aux soins. S’ils sont peu nombreux à avoir

consulté un spécialiste (dentiste, ophtalmologiste) au cours
1073
des douze mois précédant l’entrée à l’Épide, ils sont en

revanche 15 % à avoir eu recours à un service de santé
e:21
mentale, soit deux fois plus que les jeunes de la même

:Non
classe d’âge.
.com
© Groupe Eyrolles
ovox
1. Rapport intermédiaire sur les transformations comportementales des

jeunes volontaires admis au dispositif « Défense 2e  chance » durant
.bibli
l’année 2006, CNRS, février 2007 et « Défense 2e  chance », rapport

final, CNRS, août 2007.
www
L’Épide, qui selon son ancien directeur, Charles de Batz,

est le seul opérateur à pouvoir se prévaloir d’une capacité
de réponse globale à destination des jeunes adultes, ce qui
différencie ce dispositif des autres solutions de lutte contre
le décrochage, a mis en place de nombreux partenariats
de long terme pour travailler au plus près des jeunes
« épidiens » à accompagner. Les missions locales jouent
3874
un rôle important pour l’orientation vers l’un des centres
d’accueil qui peut les prendre en charge. Les entreprises
4206
impliquées et convaincues par la pertinence de la prise en
1:16
charge de l’Épide, comme McDonald’s, la RATP, Areva,
Face, La Poste ou la SNCF, sont attentives à la mission
1.11
de l’établissement. Par ailleurs, des relations étroites
ont été nouées avec plusieurs grandes écoles, comme
5.13
Polytechnique ou l’EESC, dont les étudiants participent,
5.23
pour un temps plus ou moins long, à l’encadrement des
volontaires. 6:10
L’Épide est un dispositif performant : 85 jeunes sur 100

3631
qui effectuent la totalité du parcours trouvent un emploi

ou une formation qui les y conduira nécessairement. Il
:888
conviendrait de le développer davantage et, pourquoi

pas ?, de retrouver l’objectif initial de 80 centres pouvant
8603
accueillir 20 000 jeunes par an. Ne serait-ce pas autant de

1073
candidats djihadistes potentiels en moins ?

e:21
L’extension de la mixité sociale

:Non
Les villes sont aujourd’hui l’occasion d’une désagré-

gation du lien social. Les riches se tiennent à l’écart des
.com
pauvres, jusqu’à s’enfermer dans des ensembles d’habita-

© Groupe Eyrolles
tion privés et sécurisés, les fameuses gated communities. Les

ovox
quartiers populaires, de plus en plus pauvres, sont, eux,

aspirés dans une insécurité croissante et se vident de leurs
.bibli
services publics et de leurs commerces. Les habitants de

www
ces quartiers, et notamment les plus jeunes d’entre eux,

souffrent aussi des inégalités dans l’accès à l’éducation, aux
soins, à la culture. Ainsi l’égalité des chances entre citoyens
français apparaît-elle définitivement rompue.
Or, la ville est pour tous. Chaque citoyen a droit à toutes
les fonctions de la ville : logement, travail, circulation,
3874
transports. Chacun doit pouvoir disposer de tous les bâti-
ments publics : école, hôpital, bureau de poste, commissa-
4206
riat de police, gare. Pour lutter contre la ségrégation, et le
sentiment d’abandon des classes sociales les plus modestes,
1:16
il faut donc impérativement remettre de la « ville », c’est-à-
dire de la vie, là où elle a disparu.
1.11
Il faut donc aussi favoriser la mixité sociale, du moins l’en-
5.13
courager. C’est une réponse à l’extension du communauta-
risme, c’est-à-dire au repli sur soi. En avril 2015, la ministre
du Logement et de l’Égalité des territoires, Sylvia Pinel, 5.23
6:10
on s’en souvient, a présenté 20 mesures pour favoriser la
mixité sociale dans l’habitat. Il s’agit d’assurer d’abord une
3631
meilleure répartition des logements sociaux dans tous les

quartiers et de renforcer l’efficacité de la loi Solidarité et
:888
Renouvellement urbains (SRU) qui, rappelons-le, oblige

8603
les communes de plus de 50 000 habitants à se doter d’au

moins 25 % de logements sociaux d’ici à 2025 : 218 d’entre
1073
elles ne satisfont pas à cette obligation. Bien entendu, il

n’est de mixité que « choisie » : on n’impose pas à des gens
e:21
différents de vivre ensemble. La mixité doit par ailleurs

:Non
être globale : résidentielle, socio-professionnelle, scolaire.

On sait trop les effets négatifs de la ségrégation pour les
.com
élèves d’origine modeste. On sait combien l’obligation

© Groupe Eyrolles
pour les enfants d’être scolarisés dans l’établissement de

ovox
leur quartier n’est guère favorable à la mixité, au contraire.

Le principe de la carte scolaire tend à renforcer la ségré-
.bibli
gation plus qu’il ne la combat, puisque l’obligation de

www
devoir fréquenter un établissement mal réputé dissuade les

familles des couches moyennes d’emménager dans la zone
de recrutement concernée. Ainsi, à la ségrégation scolaire
s’ajoute la ségrégation spatiale. Nombre d’études montrent
qu’à l’entrée au collège, un tiers des familles ne scolarisent
pas leurs enfants dans le collège public du secteur. Celui-ci
est inscrit dans un établissement privé (20 % des cas), ou
3874
bien dans un autre collège public (10 % des cas).
4206
La mixité sociale, finalement, est utile qui contribue au
dynamisme économique et culturel des villes. Elle n’est pas
1:16
la panacée, mais un moyen parmi d’autres pour promou-
voir le lien social et la solidarité.
1.11
5.13
La lutte contre les discriminations
5.23
Après quinze années de progrès en ce domaine, la lutte
contre les discriminations ne semble plus aujourd’hui une 6:10
question prioritaire pour les gouvernements.
3631
« Nul ne peut être lésé, dans son travail ou son emploi, en

raison de ses origines, de ses opinions ou de ses croyances. »
:888
Le principe, énoncé en préambule de la Constitution, se

heurte encore très souvent à la réalité qui reste très discri-
8603
minatoire. Notamment les discriminations à l’embauche

ainsi que dans le déroulé des carrières des personnes issues
1073
de l’immigration demeurent fortes.

e:21
Que faut-il faire ? Depuis 2006, la loi rend obligatoire le

CV anonyme dans les entreprises de plus de 50 salariés
:Non
mais il manque les décrets d’application pour rendre la

.com
mesure effective. De toute façon, cette mesure se heurte à

de nombreux problèmes : coût et démarches de contour-
© Groupe Eyrolles
ovox
nement. Un groupe d’experts et de partenaires sociaux,

constitué à la demande des ministères du Travail, de la
.bibli
Ville et de la Jeunesse, et placé sous la responsabilité de

www
Jean-Christophe Sciberras, ex-président de l’association

nationale des DRH, s’est ainsi largement prononcé contre
le caractère obligatoire de l’anonymisation des CV.
Autres mesures possible : le recours aux actions de groupe
(associations et organisations syndicales) pour faire cesser
les pratiques discriminatoires et obtenir réparation des
3874
préjudices subis par les victimes ; une meilleure mobili-
sation des services de l’inspection du travail. Le groupe
4206
d’experts conseille « d’engager des travaux sur la faisabilité
de la mise en place d’un dispositif permettant d’assurer la
1:16
traçabilité et la transparence des procédures de recrute-
ment » et de « modifier le Code du travail pour compléter
1.11
la liste des indicateurs du bilan social sur l’évolution des
5.13
carrières et des rémunérations ».
Le groupe recommande encore la prise en compte de
cette question, dans l’accès aux marchés publics, la mise en 5.23
6:10
place d’actions de lutte contre les discriminations dans les
entreprises soumissionnaires ; le développement de l’in-
3631
formation sur cette question, des opérations de « testing »

(rappelons qu’il s’agit d’une technique qui consiste
:888
à envoyer plusieurs faux CV dont on ne change, par

8603
exemple, que le nom ou l’adresse, pour mettre en lumière

d’éventuelles différences de traitement entre candidats
1073
aux parcours et compétences pourtant similaires). Qu’en

pensent les Français ? Un sondage commandé par le
e:21
réseau associatif des Maisons des Potes, réalisé par l’institut

:Non
de sondage Harris Interactive, et publié en janvier 2016,

montre que 72 % des personnes interrogées sont favo-
.com
rables au CV anonyme, qu’environ 80 % sont en faveur

© Groupe Eyrolles
d’un renforcement des sanctions juridiques dans les entre-

ovox
prises discriminantes.
.bibli
www
Finalement la seule discrimination qui vaille, et qu’il faille

encourager, est la « discrimination positive ». C’est Aristote
qui disait que la justice est de traiter également les choses
égales, et inégalement les choses inégales. Le Conseil
constitutionnel, de ce point de vue, voit juste quand il
rappelle : « Le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que
le législateur règle de façon différente des situations diffé-
3874
rentes ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’in-
térêt général. »
4206
Vision tout aussi juste de Nicolas Sarkozy (qui n’était pas
1:16
encore président), déclarant : « Il est des territoires et des
populations qui ont plus de handicaps que les autres. On
1.11
doit leur donner davantage que les autres. Et si on ne fait
5.13
pas cela on ne réussira pas l’intégration à la française. »
Bien évidemment, les discriminations ne disparaîtront pas
si ne disparaissent pas les stéréotypes affectant les « jeunes 5.23
6:10
issus de l’immigration ». Les stéréotypes, on le sait, rassurent,
voilà pourquoi ils ont la peau si dure. Avec eux les choses
3631
sont claires : il y a les « bons » et les « méchants », il y a

les amis et les ennemis. Les associations d’idées rassurent
:888
tout autant : les musulmans sont des terroristes, les « fron-

8603
tistes » sont des fascistes. Le risque avec ces stéréotypes et

ces associations d’idées est de développer chez les victimes
1073
un « fanatisme identitaire », ce qui se vérifie largement avec

l’engagement djihadiste.
e:21
:Non
L’éradication du terrorisme djihadiste par tous les moyens

L’éradication du djihadisme est, à l’évidence, une affaire
.com
de longue haleine. Une coalition armée occidentale est

© Groupe Eyrolles
engagée en Syrie et en Irak. Chaque jour, des frappes

ovox
aériennes ciblent les installations, notamment pétrolières,

.bibli
des combattants djihadistes. D’importants dégâts sont

www
causés à ces hommes armés. Mais, comme le souligne le

général Pierre de Villiers, chef d’état-major des armées, « la
force n’est pas suffisante. Une stratégie basée sur les seuls
effets militaires – détruire un camp d’entraînement djiha-
diste ou arrêter une colonne de pick-up d’AQMI – ne
pourra jamais agir sur les racines de la violence lorsque
celles-ci s’ancrent dans le manque d’espoir, d’éducation,
3874
de justice, de développement, de gouvernance, de consi-
dération. Gagner la guerre ne suffit pas à gagner la paix1 ».
4206
L’éradication du djihadisme radical passe aussi par une
1:16
meilleure information des jeunes. On pourrait à cet égard
s’inspirer de l’exemple danois. À Aarhus, dans l’ouest du
1.11
pays, des ateliers sont organisés dans les écoles. On y décrit
5.13
les différentes formes d’extrémisme. Les parents sont réunis
pour se soutenir mutuellement.
5.23
6:10
Le retour de la morale
Le développement pour le moins anarchique de l’indi-
3631
vidualisme, le conflit permanent des rapports sociaux, la

:888
crise des légitimités institutionnelles, la crise de confiance

des citoyens en leur classe politique sont des réalités incon-
8603
testables. Les indices du délitement social et moral ne

manquent donc pas. Cela donne en tout cas, nous l’avons
1073
vu, au plan personnel, l’inobservation continue des règles,

sérieusement ancrée dans les mœurs actuelles. Bref, la loi
e:21
est violée en permanence, et plutôt sans scrupule. L’élève

:Non
triche pour réussir son examen, le contribuable fraude

pour alléger sa note d’impôt, le sportif se dope pour gagner
.com
la course, le patron emploie « au noir » pour ne pas payer

© Groupe Eyrolles
les charges sociales, etc.

ovox
.bibli

www
Donc, a priori, « morale » est un mot que beaucoup jugent

fort laid. Si l’on excepte l’ex-ministre de l’Éducation
nationale,Vincent Peillon, qui a pu vanter, dans son projet
de« refondation de l’école », les mérites de la « morale
laïque » (expression elle-même d’un temps ancien que le
ministre a empruntée à Jaurès), ou bien les regroupements
sociaux-politico-religieux (radicaux) hétéroclites, comme
3874
Al-Qaïda ou Daech ou les adversaires du « Mariage pour
tous », bataillant pour l’ancienne morale, au nom de Dieu
4206
ou de la famille, si l’on excepte enfin les personnes très
1:16
âgées, élevées dans l’enseignement de la vieille morale,
ce vocable « morale » (comme le mot « vertus ») ne suscite
1.11
plus guère la sympathie (sauf à coup sûr dans le « harcèle-
ment moral » où c’est le premier mot qui, cette fois, tient
5.13
le mauvais rôle).
5.23
Il n’y a « plus de limites entre pouvoir, vouloir, avoir,
comme si penser n’existait plus » (Laure Gomel, psycha-
6:10
nalyste1). L’affaire est grave. La pensée est décidément en
3631
berne. Sans doute, sur ce point, Finkielkraut a-t-il raison :

nous sommes face à une « défaite de la pensée », face à
:888
une « vacuité cérébrale » (Fourastié). Le monde, c’est clair,

ne tourne plus autour des idées, du moins des idées de
8603
la pensée, mais, et seulement au mieux, autour des idées

1073
reçues (qui sont parfois les idées les plus conservatrices qui
soient).
e:21
Ne pas penser, c’est d’abord moins fatigant pour l’individu

:Non
actuel ; c’est ensuite beaucoup moins dangereux. Éviter de

se poser des questions, c’est en effet décontractant, rassu-
.com
rant. Il suffit donc à chacun de ces individus individua-

© Groupe Eyrolles
listes de répéter, génération après génération, ce que l’on

ovox
a toujours dit, de faire semblant que l’idée ainsi transmise

.bibli
1. Voir Libération du 03/04/2002.

www
est toujours vraie. Bref, finalement, l’on raisonne de nos

jours moins avec des faits qu’avec des jugements tout faits,
de simples opinions.
Pour revenir aux idées, il faut tout de même savoir que ça
tue énormément ceux qui en sont porteurs, et d’abord ça
tue les certitudes. Alors, dehors les idées, la préférence va
3874
aux opinions désormais. Bien sûr, dans la société d’égaux
d’aujourd’hui, toutes les opinions se valent. « À chacun
4206
sa vérité », proclamait Pirandello. L’égalité s’est muée en
pur égalitarisme. On peut le regretter. C’est injuste pour
1:16
l’égalité, c’est injuste pour l’intelligence. Il n’est rien de
pire en effet, sous prétexte d’une prétendue égalité, que de
1.11
confondre le vrai et le faux, le juste et l’injuste, l’efficace et
5.13
le stérile, de renvoyer toutes ces idées-là, dos à dos.
L’individu, le plus jeune en tête, qui n’est pas mu par la
réflexion, quand il agit mal, n’a aucun remords de ce qu’il 5.23
6:10
a fait, tout simplement parce qu’il ne sent pas la mauvaise
action. Il ne sait plus qu’il y a, à côté, des choses qui se
3631
font, des choses au contraire qui ne se font pas dans une

communauté des hommes bien ordonnée. On voit ici
:888
le parti que des groupements comme Daech et le Front

8603
national tirent de ce vide moral et spirituel.

Avec l’école, dont il sera question plus bas, la famille, faut-il
1073
le rappeler ?, est au premier rang des « forces productives »

e:21
de morale, et toujours, de lointaine tradition, la première

organisatrice des conduites morales. Mais le vide est
:Non
immense aujourd’hui. On parle quelquefois, pour s’en

plaindre, de « décrochage moral » des enfants. L’expression
.com
est hélas impropre. Pour qu’il y ait « décrochage », encore

© Groupe Eyrolles
faudrait-il qu’il y ait eu, préalablement, « accrochage ». Or

ovox
tel n’est pas le cas chez un grand nombre d’enfants d’au-

.bibli
jourd’hui. La transmission des valeurs ne se fait plus dans

www
nombre de familles, soit par refus d’attenter à la prétendue

liberté des enfants, soit par impuissance à se faire entendre
d’eux sur ce chapitre, ce qui autorise sans doute à parler de
véritable « crise de la socialisation familiale ».
Le passage du système de puissance paternelle au système
que nous avons nommé naguère la « démocratie fami-
3874
liale1 » a été lourd de conséquences. L’institution familiale
hiérarchisée s’est transformée en moins d’un demi-siècle
4206
en un système assoupli de relations égalisées entre indi-
vidus soucieux d’abord d’épanouissement (et de profit)
1:16
personnel. Durkheim disait déjà que, puisque « les fils ne
sont plus astreints aussi étroitement à répéter ce qu’ont fait
1.11
leurs pères » tout est bouleversé.
5.13
Ainsi la loi familiale est-elle devenue floue et les repères
incertains. Giovanni Buisino, dans son livre Critiques du
savoir sociologique, explique la chose : « Contrairement à ce 5.23
6:10
qui se passait dans les sociétés du passé, indifférentes au
développement et au bonheur des jeunes, mais capables
3631
de transmettre les valeurs touchant les comportements,

les traditions, la langue et les connaissances indispensables
:888
à l’exercice de fonctions diverses et à l’établissement des

8603
relations avec autrui, les sociétés modernes, préoccupées

de sécurité affective, d’autonomie, laissent tout le monde
1073
dans la solitude, dans la crainte et dans les illusions créées

par l’idéologie de la communication2. »
e:21
Il faut donc aujourd’hui, et en urgence, réhabiliter, en

:Non
famille, la transmission de valeurs et de normes pour préci-

sément sortir les gens de la solitude et les ramener à une
.com
socialité ordinaire.
© Groupe Eyrolles
ovox
1. Je renvoie à mon livre La Démocratie familiale, Paris, Les Presses de la

.bibli
Rennaissance, 1990.
2. Giovanni Buisino, Critiques du savoir sociologique, Paris, PUF, 1993, p. 70.
www
Comment faire ? L’exemple en ce domaine est le meilleur

argument des parents. De nombreuses études montrent
ainsi que ceux qui consacrent du temps (ou de l’argent)
par exemple à une cause (humanitaire, caritative) ont des
enfants enclins ensuite à faire de même. Ceci confirme
que les comportements s’acquièrent d’abord par l’obser-
vation et le mimétisme.
3874
Venons-en à l’école. L’instruction civique et morale était
4206
très à l’honneur sous la IIIe République. Le déclin de cet
enseignement a commencé à la Libération. Il s’est aggravé
1:16
durant les Trente Glorieuses : l’instruction morale est
réduite alors à une demi-heure par semaine (dans le meil-
1.11
leur des cas). On ne peut manquer de voir là la coïnci-
5.13
dence entre la forte expansion économique d’alors et le
reflux moral concomitant.
Nous le savons, les impératifs de compétitivité, de rentabi- 5.23
6:10
lité et de profit s’accommodent mal en réalité avec le projet
moral. Dans un contexte de crise marqué par une forte
3631
poussée du chômage, Jean-Pierre Chevènement, ministre

de l’Éducation nationale, décidait ainsi, au début des années
:888
1980, le rétablissement d’une instruction civique, en en

8603
faisant désormais une discipline à part entière, la plaçant

même au-dessus des autres disciplines (le ministre indi-
1073
quant que la matière étant transversale, elle pouvait être

enseignée aussi bien en histoire qu’en français, en géogra-
e:21
phie ou en biologie). À noter que cet enseignement était

:Non
rapidement relayé par des « projets d’actions éducatives »

permettant aux élèves de manifester concrètement leur
.com
solidarité, notamment par des actions dans les pays pauvres

© Groupe Eyrolles
de la planète. Les successeurs de M. Chevènement ajoute-

ovox
ront, comme c’est souvent le cas, leur touche personnelle

à cet enseignement. Aussi René Monory introduira-t-il
.bibli
www
l’enseignement des Droits de l’homme et M. Jospin celui

des Droits de l’enfant.
Aujourd’hui que l’enseignement civique est ramené à sa
plus simple et pauvre expression, la question est posée de
savoir si l’école a encore un rôle à jouer dans le processus
de moralisation des enfants et des adolescents. On peut
3874
du moins se demander si elle doit moraliser ceux qu’elle
appelle « les élèves », et leur apporter une « morale civile
4206
élémentaire » (Patrick Pharo) ?
Cette question, qui pourrait paraître « déplacée
» en
1:16
France, ne l’est pas du tout dans d’autres pays. J’en veux
1.11
pour preuve l’Allemagne. Dans ce pays, qui n’est pas un
pays laïc, la moralisation figure bel et bien au programme
5.13
des élèves. Un texte-cadre élaboré par la Conférence des
ministres de l’Éducation des Länder prévoit en effet, parmi
les missions de l’école, celle « d’éduquer à la tolérance, au 5.23
6:10
respect de la dignité de l’autre et […] de rendre compré-
hensibles les normes éthiques et les valeurs culturelles et
3631
religieuses ».
:888
Comme disait Montaigne, l’école ne songe qu’à bourrer

la tête des élèves de connaissances, négligeant beaucoup la
8603
« vertu » (on dirait « morale » aujourd’hui). Et d’expliquer :

« Nous ne travaillons qu’à remplir la mémoire et laissons
1073
l’entendement et la conscience vides1. »

e:21
Une chose n’est pas douteuse, l’école française doit

retrouver le chemin totalement perdu de la morale. La
:Non
tâche est assurément ardue quand on sait l’intérêt, qui

.com
tourne à l’exigence, des parents pour la réussite scolaire

de leurs enfants. N’est-ce pas la seule chose qui paraisse
© Groupe Eyrolles
ovox
compter et avoir du sens pour eux, les bonnes notes en

.bibli
1. Montaigne, Essais, I, 25.

www
classe ? Pourtant, qui mieux que l’école, qui saisit le plus

grand temps de l’enfant, peut moraliser le petit homme ?
L’enjeu est d’importance. Rappelons-nous l’enseignement
d’Aristote. La vertu morale, disait-il, est fille des bonnes
habitudes. Confucius ne disait pas autre chose : il faut s’en-
traîner à l’habitude comme on apprend à jouer du luth.
3874
C’est l’éducation morale.
En démocratie, il est admis que les règles, morales ou
4206
juridiques, ne sont imposées ni du dehors ni d’en-haut,
qu’elles sont élaborées en commun. On admet aussi
1:16
qu’elles se pratiquent. Au quotidien. C’est le second
1.11
temps de la moralisation qui en réalité doit cheminer avec
le premier temps. Nous entrons ici dans le champ de la
5.13
morale pratique.
5.23
Le scénario est le suivant. Il faut, dès l’école élémen-
taire, présenter aux enfants, à partir de quelques notions
6:10
clés, les règles élémentaires du vivre ensemble, les valeurs
3631
sociales nécessaires à la convivialité. C’est même essentiel.

Des études montrent que l’entraînement de l’esprit à l’al-
:888
truisme modifie rapidement les conduites personnelles

dans le sens d’une plus grande générosité. Et puis, comme
8603
dit Sartre, « le monde moral est dans les mots ».

1073
Il faut par conséquent rétablir une civilité de base, ce que

l’on fera précisément à partir de mots simples : « Bonjour »,
e:21
« Au revoir », « Merci », « S’il vous plaît », « Comment allez-

vous ? », « Puis-je vous aider » ? etc. Il faut, autrement dit,
:Non
réhabiliter la politesse, qui est d’abord verbale.

.com
Mais une éducation civique n’est rien sans une pratique

© Groupe Eyrolles
effective de la participation et de la responsabilité de

ovox
chacun aux tâches communes. C’est ce que l’on peut

appeler l’« autoéducation morale », une éducation qui se
.bibli
fait tous les jours au contact des réalités et par un exercice

www
constant de réflexion. Il faut des situations précises pour

qu’il y ait expérience et que le sujet montre de quoi il est
capable. Seule, en définitive, l’expérience morale acquise
dans l’action permet d’acquérir de vraies compétences
morales. Avec l’expérience arrive en effet le moment où
la morale est sentie, ressentie (car elle a été comprise) et
exécutée désormais comme par intuition. On peut dès lors
3874
parler de morale spontanée. La morale en somme, faite
de mots élémentaires, s’apprend beaucoup par la vie. Mais
4206
la conjugaison de la morale théorique et de la morale
1:16
pratique est constante.
Les enseignements doivent enfin donner une image paci-
1.11
fique, créative, de l’homme. Zola voulait par exemple que
5.13
l’on ne parlât plus dans les manuels scolaires de la guerre
comme d’un théâtre de héros au service d’une patrie à
5.23
défendre. Sans doute les programmes pourraient-ils faire
une meilleure place à la science et à ses découvertes, aux
6:10
femmes et à leur créativité.

3631
:888
8603
1073
e:21
:Non
.com
© Groupe Eyrolles
ovox
.bibli
www
Conclusion
« Se radicaliser » est une manière d’agir et d’être, lorsqu’il
3874
ne reste plus que le désespoir et la colère face à une misère
subie devenue insupportable. Jeunes djihadistes et jeunes
4206
frontistes partagent ce désespoir et cette colère. Djihad et
Front national viennent seulement combler l’échec du
1:16
Parti communiste ou d’autres mouvements d’extrême
1.11
gauche à rassembler les désespérés. Face au vide idéolo-
gique, rappelle ainsi Farhad Khosrokhavar, le djihadisme et
5.13
l’extrême droite prennent le relais des mouvements d’ex-
trême gauche des années 1970.
C’est moins la « radicalisation » qui est condamnable (car 5.23
6:10
elle n’est pas toujours violente) que le terrorisme, c’est-
3631
à-dire la mise à mort des autres, sans discernement, sans

compassion aucune. Il peut en effet, c’est indubitable, y
:888
avoir des raisons objectives de se « radicaliser », des raisons

personnelles, comme un manque de reconnaissance de soi,
8603
des raisons sociales comme un manque d’utilité dans la

cité.
1073
Les « abandonnés » deviennent des « humiliés ». En Europe,

e:21
ce sont d’abord les jeunes des quartiers en crise. Ce sont

donc eux qui sont les plus sensibles aux discours de l’islam
:Non
radical fustigeant l’Occident capitaliste. Ce sont en outre

.com
les jeunes sans travail ou occupant les emplois du bas de

l’échelle (des cités ou non) qui sont les plus perméables
© Groupe Eyrolles
ovox
aux discours rassurants du FN.

.bibli
www
Cette réassurance et cet espoir, à l’évidence, les jeunes

djihadistes et les jeunes frontistes ne les retrouvent plus
dans les discours politiques, ceux de la gauche surtout.
Mais, nous devons le répéter, ces deux formes d’enga-
gement radical exposées ici portent chacune leur risque.
Le « djihadisme terrorisant » consacre la violence comme
3874
mode ordinaire d’action. Quant au frontisme, fût-il couleur
bleu marine, et non plus de couleur noire comme au
4206
temps jadis, il ramène nos sociétés vers l’autorité comme
mode de gouvernance « normale ». Georges Bernanos
1:16
nous a mis en garde : « La société moderne n’a certaine-
ment pas grand-chose à espérer de la restauration de l’idée
1.11
de justice, mais elle a tout à craindre de la restauration de
5.13
l’idée d’autorité. Quand l’idée d’autorité sera restaurée, la
société moderne aura vécu1. »
L’individualisme a « libéré » les hommes de tous les histo- 5.23
6:10
ricismes : christianisme, marxisme, socialisme, et leur a
demandé de fabriquer leur propre histoire. Il faut croire
3631
que ça ne fonctionne pas, sinon pourquoi ces hommes

déçus auraient-ils besoin de nouveaux « ismes » : djiha-
:888
disme, frontisme, ces historicismes des temps modernes ?

8603
À l’heure où ces lignes sont écrites vient de se dérouler l’hor-

rible carnage à Nice (14 juillet 2016) faisant 84 victimes,
1073
hommes, femmes et enfants, et plusieurs dizaines et

e:21
dizaines de blessés. Le meurtrier s’appelle Mohamed

Laouhaiej Bouhlel, il est âgé d’une trentaine d’années et
:Non
est originaire de Tunisie. À bord d’un camion de 19 tonnes,

déjouant tous les barrages de sécurité, le jeune homme a
.com
foncé délibérément sur les milliers de personnes massées

© Groupe Eyrolles
sur la Promenade des Anglais après la fin du feu d’artifice.

ovox
.bibli
1. Georges Bernanos, Les Enfants humiliés, Paris, Gallimard, « Folio »,

1973.
www
Conclusion 151
Immédiatement est avancée la thèse du « déséquilibré ». L’on

va chercher le témoignage d’un oncle resté au « pays » qui
évoque des crises graves de comportement de son neveu, dix
ans auparavant, de son incapacité à se maîtriser, et des soins
psychiatriques reçus alors. Au même moment, en France,
des voisins du jeune assassin écartent la thèse de la « radi-
calisation » de Mohamed Laouhaiej Bouhlel. Selon leurs
3874
témoignages, le jeune homme, quoique rude voire violent
dans ses rapports avec ses proches, son épouse notamment,
4206
n’avait pas de liens avec les milieux islamistes. Rien, ni dans
1:16
sa tenue, ni dans son mode de vie, ne permettait, selon eux,
d’évoquer une transformation « radicale » du garçon.
1.11
Contrariant tout aussi immédiatement ces deux thèses du
5.13
« déséquilibré » et de l’individu non radicalisé, le gouver-
nement, par la voix de son chef, Manuel Valls, indiquait
5.23
que le drame de Nice était bien l’ œuvre d’un « radicalisé »
et que cette radicalisation, loin d’être une radicalisation
6:10
récente, remontait déjà à au moins une année. Enfin, le
3631
procureur de la République de Paris indiquait pour sa part

que le jeune homme avait bel et bien prémédité son geste,
:888
repérant les lieux, prenant de multiples photos et bénéfi-

ciant de nombreuses complicités.
8603
Deux ultimes remarques doivent être ici faites, élargissant

1073
« radicalement » notre propos. La première, c’est que les

attentats terroristes sont commis, répétons-le, par des indi-
e:21
vidus éprouvant, pour la plupart, un grand mal-être social,

:Non
des difficultés relationnelles, notamment conjugales, ou,

pour les plus jeunes, parentales. Le soubassement de tous
.com
ces comportements criminels, c’est un réel sentiment de

© Groupe Eyrolles
dérèglement psychique, générant un sentiment plus fort

ovox
encore d’inexistence sociale. Dans un très beau texte, Chien

blanc, publié en 1970, le romancier Romain Gary, analy-
.bibli
sant les années 1960 américaines, évoque admirablement

www
ce double sentiment vécu, attestant, répétons-le aussi, de

grandes souffrances personnelles. « Dans cette immense
machine technologique de distribution de vie, chaque
être se sent de plus en plus comme un jeton inséré dans la
fente, manipulé par des circuits préétablis et éjecté à l’autre
bout sous forme de retraité et de cadavre. Pour sortir de
l’inexistence, conclut Gary, ou bien, comme les hippies ou
3874
les sectes innombrables, on se regroupe en tribus, ou bien
on cherche à s’affirmer avec éclat par le happening meur-
4206
trier, pour se “venger”1. »
1:16
La seconde remarque porte sur ce qu’il faut bien appeler
aujourd’hui la « contagion émotionnelle » de ces événe-
1.11
ments terroristes. Écoutons à nouveau Romain Gary
5.13
qui, dans le même texte, alertait ses contemporains sur ce
mécanisme des plus dangereux qu’il nommait, lui, « conta-
5.23
gion psychique ». Nous sommes, rappelons-le, à la fin des
années 1960, Martin Luther King Jr vient d’être assassiné
6:10
et Robert Kennedy va à son tour bientôt tomber sous les
3631
balles. Gary écrit : « Parce qu’un type tue Martin Luther

King ici, un “contaminé” à Berlin va immédiatement
:888
tenter de tuer un leader des étudiants allemands. Il faudrait,

ajoute-t-il, faire une étude profonde de la traumatisation
8603
des individus par les mass media qui vivent de climats

1073
dramatiques qu’ils intensifient et exploitent, faisant naître

un besoin permanent d’événements spectaculaires2. » Tout
e:21
ceci, concluait Gary, sur fond de « vide spirituel ».

:Non
La « contagion psychique » est, je le crains, devenue une

réalité épouvantable. Que l’on en juge par ces exemples.
.com
Quatre attaques, dans la semaine du 17 au 24 juillet 2016,

© Groupe Eyrolles
ovox
1. Romain Gary, Chien blanc, Paris, Gallimard, « Folio », n° 50, 1970,
.bibli
p. 157-158.
2. Ibid., p. 158.
www
Conclusion 153
ont ensanglanté l’Allemagne, faisant 10 morts et 53 blessés.

C’était d’abord un jeune réfugié afghan de 17 ans qui
attaquait les passagers d’un train régional avec un couteau
et une hache en criant « Allahou Akbar ». Quatre personnes
sont alors grièvement blessées. Dans sa fuite, l’agresseur est
abattu par la police dans une zone industrielle avoisinante.
Le jeune homme était arrivé en Allemagne il y a un an
3874
environ et vivait depuis deux semaines en Bavière dans
une famille d’accueil. L’acte du garçon a été rapidement
4206
revendiqué par l’organisation État islamique (EI) à laquelle
1:16
le jeune réfugié avait prêté allégeance dans une vidéo de
revendication. Dans sa chambre, les enquêteurs ont égale-
1.11
ment retrouvé le drapeau de l’organisation terroriste. C’est
la première fois que Daech revendique une attaque sur le
5.13
sol allemand. Et puis le 22 juillet, un jeune Germano-
5.23
Iranien de 18 ans ouvrait à son tour le feu dans un restau-
rant McDonald’s d’un centre commercial de Munich, 6:10
faisant 9 morts et 35 blessés, dont onze sont aujourd’hui
dans un état grave, avant de se suicider d’une balle dans
3631
la tête. L’enquête, qui semble pour l’heure écarter la piste

:888
d’un acte terroriste islamiste montre que le jeune homme

préparait son méfait depuis un an environ. La police a
8603
retrouvé à son domicile des livres et des coupures de jour-

naux montrant sa fascination pour les auteurs de tuerie
1073
de masse, comme Anders Behring Breivik, coupable du

massacre de 77 personnes cinq ans auparavant en Norvège.
e:21
Le jeune homme avait également fait un séjour en hôpital

:Non
psychiatrique quelques mois avant son passage à l’acte.

Deux jours seulement plus tard, un homme armé d’une
.com
machette agressait plusieurs passants en pleine rue près de

© Groupe Eyrolles
la gare de Reutlingen, à 40 kilomètres de Stuttgart. Une

ovox
femme était tuée et deux autres blessées. Selon la police,

l’assaillant était un demandeur d’asile syrien de 21 ans
.bibli
qui aurait eu une « dispute » avec la victime avant de la

www
massacrer « avec une machette ». L’homme, qui était connu

des services de police, sera arrêté par les policiers présents
sur place. Le « crime passionnel » est actuellement la piste
privilégiée par les enquêteurs qui ont indiqué qu’ils
n’avaient en leur possession aucun indice qui puisse accré-
diter la thèse d’« un attentat terroriste ». Une deuxième
attaque avait lieu la même journée. Un réfugié syrien de
3874
27 ans se faisait exploser près d’un festival de musique où
se trouvaient réunies 2 500 personnes. L’explosion ne fera
4206
pas de victimes, à l’exception de l’assaillant qui décèdera,
1:16
mais 15 personnes seront blessées dont 3 grièvement.
L’homme, qui avait voulu pénétrer sur le lieu du festival,
1.11
s’était fait refouler à l’entrée. Sa demande d’asile, il y a un
an, avait été refusée mais il avait pu rester en Allemagne
5.13
au vu de la situation en Syrie. Selon les enquêteurs, les
5.23
explosifs présents dans son sac étaient suffisants pour
faire un grand nombre de victimes. L’auteur de l’attaque 6:10
suicide était un « soldat » de Daech, selon un communiqué
publié lundi par l’agence Amaq, un organe de propagande
3631
de l’organisation extrémiste État islamique qui a reven-

:888
diqué l’attentat. Les policiers ont retrouvé dans le portable

de l’assaillant une vidéo dans laquelle il « fait allégeance »
8603
à l’EI.
1073
Enfin, à l’instant même, le 26 juillet, nous apprenons que

la France a une nouvelle fois été frappée. Deux assaillants,
e:21
armés de couteaux, dont un garçon de 19 ans, fiché S,

ont pénétré dans l’église de Saint-Étienne-du-Rouvray
:Non
en Seine-Maritime et égorgé le vieux prêtre de 86 ans et

blessé grièvement une autre personne. Les deux agresseurs
.com
ont été abattus.

© Groupe Eyrolles
ovox
Faut-il voir dans ces nouveaux drames : cinq en douze jours,

l’expression de « la traumatisation des individus par les mass
.bibli
media » selon l’expression de Romain Gary ? Un élément

www
Conclusion 155
déclencheur sûrement. Non seulement les médias, surtout

la télévision et Internet, intensifient les événements par leur
dramatisation excessive, mais elles les incrustent dans les
esprits par une répétitivité devenue désormais la première
règle de communication. Après les chaînes TV d’info en
continu, les grandes chaînes généralistes :TF1, France 2, se
sont mises elles aussi à répéter et répéter l’événement, dans
3874
des séquences de surcroît de plus en plus longues. Il n’est
plus rare aujourd’hui qu’un « 20 Heures » s’ouvre sur une
4206
séquence de trente minutes sur un drame (voir les longs
1:16
reportages sur le drame niçois). À cette communication
répétitive, voire permanente (chaînes TV d’info), les poli-
1.11
tiques et les autorités judiciaires elles-mêmes se sont ralliés
sans hésitation. Ministre de l’Intérieur, Premier ministre,
5.13
chef de l’État, procureur de la République se relaient dans
5.23
un ballet de paroles, de précisions, de détails. Il fut un temps,
que j’ai personnellement connu, où la discrétion associée 6:10
à l’action politique, où le secret de l’instruction imposé
à l’autorité judiciaire eussent empêché pareils bavardages
3631
dans les médias.

:888
La conséquence, et nous en terminerons par là, est que

tout assassin terroriste (ou autre) est désormais assuré de
8603
son « grand spectacle », assuré que son acte sera, durant de

1073
longs jours, décortiqué dans les moindres détails, fera la

une des journaux, l’ouverture des infos télévisées. Il aura
e:21
même droit, indirectement, par l’incontournable céré-

monie d’hommage aux victimes, à quelques dernières
:Non
minutes de souvenir de son forfait.

.com
Alors, oui, il n’est pas de solutions aux grands problèmes

© Groupe Eyrolles
sans une retenue d’expression, et cela vaut pour le problème

ovox
de la « radicalisation ».
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8603
1073
e:21
:Non
.com
© Groupe Eyrolles
ovox
.bibli
www
Table des matières
Introduction......................................................................................................................................... 7
3874
Quelques portraits de jeunes policiers ou jeunes policières radicalisés................... 10
4206
Première partie – Divergences : deux jeunesses, deux radicalités...................... 19
Chapitre 1. L’irrésistible ascension du Front national............................................ 21
1:16
Bio express de Marine Le Pen....................................................................................................... 22
« Je kiffe le Front national ! » .............................................................................................. 24
1.11
Quand les jeunes emmerdaient le Front national ............................................................... 25
Une jeunesse traditionnellement peu politisée, mais plutôt engagée..... 26
5.13
L’espoir fait vivre la jeunesse !............................................................................................. 28
5.23
Qui sont les jeunes « fans » du Front national ?................................................................... 29
Ce qui séduit les jeunes chez le FN..................................................................................... 30 6:10
Les armes de la séduction : des promesses, mais aussi
des responsabilités...................................................................................................................... 32
3631
Deux ascensions fulgurantes : Étienne de Francqueville, Marie-Amélie Dutheil

de la Rochère....................................................................................................................................... 34
:888
Chapitre 2. La montée de l’islamisme radical............................................................... 37

8603
Djihadisme, quelques chiffres...................................................................................................... 39

« Allahou akbar ! »........................................................................................................................ 40
1073
Islam, islamisme, fondamentalisme, intégrisme................................................................ 40

L’Occident mis en accusation.................................................................................... 41
42
e:21
Une nouvelle domination musulmane du monde ?.....................................

Daech, en quelques dates .............................................................................................................. 43
:Non
Changer de vie, changer la vie.............................................................................................. 43

Restauration du califat .................................................................................................................. 45
45
.com
Qui sont les jeunes djihadistes français ?...............................................................................

Portrait des frères Kouachi............................................................................................................ 46
© Groupe Eyrolles
De plus en plus de filles............................................................................................... 48

ovox
Léa, Camille et les autres (portrait des quatre jeunes filles suivies par les reporters
du Monde en mars 2016) ............................................................................................................... 49
.bibli
Dernière minute : disparition d’Israé, 15 ans, et de Louisa, 16 ans, puis retour à la

maison.................................................................................................................................................... 50
www
Comment Daech séduit les jeunes : des promesses,

encore et toujours........................................................................................................... 50
Les lieux et les outils de la radicalisation : mosquées, prisons,
vidéos, fratries................................................................................................................................ 54
La radicalisation d’Amedy Coulibaly à la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis............ 56
Décorticage d’une radicalisation : le cas de Fatima, 15 ans............................................ 58
Une radicalisation en cachette... ou au grand jour................................................ 61
3874
Sandrine, Sabrina, Cédric.............................................................................................................. 62
Sont-ils fous ?.................................................................................................................................. 63
4206
Deuxième partie – Convergences : une génération sacrifiée..................................... 69
1:16
Chapitre 1. Un sentiment général d’exclusion… et d’inutilité ....................... 71
1.11
« J’suis rien, j’sers à rien, j’ai rien » ................................................................................. 72
La « grande désillusion ».......................................................................................................... 75
5.13
Chapitre 2. Une absence de repères… parfois de libertés................................... 77
5.23
La fracture générationnelle au sein de l’islam...................................................................... 79
6:10
Troisième partie – Raisons et solutions à la colère radicale................................. 85

3631
Chapitre 1. Un terreau social dégradé................................................................................. 87

L’État coupable mais pas totalement responsable.................................................. 88
:888
Expliquer n’est pas justifier, encore moins excuser !......................................................... 90

8603
« Relégation », « ghetto », « apartheid »....................................................................... 91

Le double sens des mots................................................................................................................. 94
1073
« Intégration », « insertion », « assimilation »......................................................... 94

Entre intégration et communautarisme : un juste milieu............................................... 96
e:21
Le désastre scolaire..................................................................................................................... 96
L’effondrement de la morale… et de l’esprit critique........................................... 99
:Non
Les discriminations quotidiennes..................................................................................... 101

.com
L’influence des réseaux Internet, de l’univers carcéral,

d’une certaine culture musicale (rap)............................................................................. 108
© Groupe Eyrolles
ovox
Le prosélytisme islamiste dans les quartiers « sensibles »............................... 109

.bibli
Chapitre 2. Un système politique déliquescent, une offre politique

décevante................................................................................................................................................ 113
www
Table des matières 161
Chapitre 3. Quelles solutions ?................................................................................................ 119

« Ils » (l’État ou les familles) ont choisi........................................................................ 119
Le « nettoyage » des sites Internet....................................................................... 119
L’incarcération des djihadistes de retour de Syrie...................................... 120
Quelques chiffres............................................................................................................................... 120
La dé-radicalisation islamiste ................................................................................ 120
Les trois approches + une de la dé-radicalisation............................................................... 124
Leçons de morale et séquestration des enfants par les familles....... 125
3874
Numéro vert et cellules de suivi.................................................................................................. 127
La stigmatisation politique du FN jugé antirépublicain.......................... 127
4206
Il faudrait plutôt s’orienter vers......................................................................................... 128
Le désarmement des cités, l’éradication de la drogue............................. 128
1:16
L’affection préventive................................................................................................... 129
L’association aux responsabilités publiques................................................... 130
1.11
L’insertion éducative et professionnelle : une réussite scolaire
pour tous, des emplois pour chacun.................................................................... 130
5.13
Pour des dispositifs innovants et efficaces : l’exemple de l’Épide..... 133
136
5.23
L’extension de la mixité sociale..............................................................................
La lutte contre les discriminations....................................................................... 6:10 138
L’éradication du terrorisme djihadiste par tous les moyens................. 140
Le retour de la morale................................................................................................... 141
3631
Conclusion.............................................................................................................................................. 149
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Michel Fize

La montée des extrêmes

Michel Fize est sociologue (CNRS), écrivain et ancien

des questions d’adolescence, de jeunesse et de famille.

En application de la loi du 11 mars 1957, il est interdit de reproduire intégrale-

autorisation de l’éditeur ou du Centre français d’exploitation du droit de copie,

© Groupe Eyrolles, 2016

La montée des extrêmes

La Démocratie familiale : évolution des relations parents-adolescents,

Ramonville-Saint-Agne, Érès, 2003.

L’adolescent est une personne, Paris, Seuil, 2006 ; Paris, Pocket,

Éditions de l’Homme, 2006 ; Marabout, 2009.

Le Livre noir de la jeunesse, Paris, Presses de la Renaissance, « Petite

Jeunesses à l’abandon, La construction universelle d’une exclusion

Merci Will et à bientôt, Lyon, Éditions LGO, 2016.

« Une jeunesse saisie par la radicalisation ? », s’interrogeait

parle de radicalisation et non plus d’extrémisme. Le terme

plume de certains sociologues. Et l’expression « radicalisme

lisé » est alors lui aussi utilisé.

Partons de l’étymologie. Le terme « radical » apparaît au

« souche »). Sous le règne de Louis-Philippe, les radicaux se

révolutionnaire. Il y a dans ce mot une notion de retour aux

origines. « Radicaliser » apparaît en 1845. Il signifie « rendre

1. Voir Le Monde du 26/11/2014.

Guilbeaux dans une lettre à Romain Rolland1. Voilà pour

− pour radicaliser [souligné par nous] les masses et susciter

dans son livre Phénoménologie de la perception, « [se] demande

pourquoi un retour de prospérité entraîne souvent une

Clemenceau, en 1899, posait du reste déjà ce diagnostic :

« Le collectiviste se radicalisera. »

Unis, doit faire face à une crise économique majeure qui

1. Romain Rolland, Journal des années de guerre 1914-1919, p. 1204,

3. Maurice Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception, Paris, Galli-

menace la monnaie américaine. Si sa façon de gérer les

contre le stathouder Guillaume V d’Orange-Nassau et

leur troisième rassemblement national, les patriotes votent

l’Acte d’association préconisant l’émergence d’un gouver-

d’armes et la militarisation de la population, le mouve-

des autorités de disperser les foules.

Revenons au mot « radicalisation

antagonismes sociaux se sont radicalisés depuis Mai 68 »,

écrit par exemple La Croix dans son numéro du 13 mai

1973 – et des conflits universitaires – « la lutte contre la

structure autoritaire de l’Université est et doit être une

lutte radicale, observe Le Nouvel Observateur, le 27 mai

auparavant adjointes de sécurité et qui ont réussi le

(très) rares cas de radicalisation au sein de la gendarmerie

nationale, souvent chez de très jeunes gendarmes adjoints

Quelques portraits de jeunes policiers ou jeunes policières radicalisés

de proximité de l’agglomération parisienne, il a profité d’un arrêt dans une boulangerie

1. Voir Le Monde du 09/03/2016.

chaotique ». Le parquet a fait appel de cette décision. La policière reste aujourd’hui

C’est dire, avec ces exemples policiers qui ont tout de

même défrayé la chronique, qu’il existe bel et bien une

infinie variété de radicalités, qu’aucun milieu profes-

l’abri » d’une radicalisation (on l’a vu récemment avec les

Mais il y a « radicalité » et « radicalité », et force est de

absolu de tuer et de manger les animaux, qu’ils soient ou

cale ? Mais une pensée utile visant à plus d’égalité entre

Onfray le pense. Voilà ce qu’il écrit dans la préface au

radical, mais juste, très juste quand on y pense. Car il ne

saurait y avoir de bonnes et de mauvaises souffrances2. »

« Observatoire de la radicalité politique » dans le cadre

de la Fondation Jean-Jaurès. Des passions deviennent

En application de la loi du 11 mars 1957, il est interdit de reproduire intégrale-

écrit par exemple La Croix dans son numéro du 13 mai

1. Tariq Ramadan, Muhammad,Vie du prophète, Paris, Archi Poche, n° 78,

À 80 %, selon l’enquête annuelle « Fractures françaises »

le FN un parti xénophobe et 60 % un parti « dangereux