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AND/BEL/ESP/GR/ITA/LUX/PORT.

CONT : 9,80 € - CH : 16 CHF - CAN : 13,50 $ CAN - DOM : 9,80 € -TOM : 2500 XPF - MAR : 100 MAD - TUN : 11,20 TND juillet/sept. 2021 HS 40

HORS-SÉRIE

C’EST FAUX
TERRE PLATE,
ROSWELL… POURQUOI
LUNE
LES MYTHES
DE LA PLEINE
ET DES COMPLOTISMES
UNE HISTOIRE DES CANULARS
FAKE NEWS
DANS LE CIEL
HORS-SÉRIE

DÈS L’ÉCOLE
REPORTAGE :
CHASSER LES INFOX
L 13492 - 40 H - F: 9,50 € - RD

l’univers de l’association française d’astronomie


C onscients des enjeux de société que représentent les infox et leur prolifération
par les réseaux sociaux, l’Association française d’astronomie s’est mobilisée
pour concevoir une action de formation d’éducatrices et d’éducateurs à la conduite
d’animations “L’info sans (des) faux”, s’appuyant sur l’expérience de son équipe de
journalistes scientifiques professionnels. Le ministère de la Culture soutient ce projet
dans le cadre de l’éducation aux médias et à l’information.
Parallèlement, la rédaction de Ciel & espace a conçu le hors-série que vous avez entre les
mains.
Pour aller plus loin encore, nous avons décidé de diffuser gratuitement ce numéro dans
1 000 classes, notamment durant la Semaine de la presse et des médias dans l’école®, en
mars 2022. Mais il nous semblait qu’ensemble nous pouvions faire plus : c’est pourquoi nous
avons lancé une opération de financement participatif pour étendre la distribution de ce
hors-série à plus de classes encore.

VOTRE MOBILISATION FUT EXCEPTIONNELLE !


AINSI, CE SONT 3 191 CLASSES QUI RECEVRONT CE NUMÉRO.
Nous adressons nos plus chaleureux remerciements à
chacun des 411 contributeurs et contributrices.
Parmi eux, certains ont eu une contribution décisive :
Fondation PESH Piou, Chaussard Haupais Carole, Andrivet Sébastien, Angyan Catherine, Association
astronomique de Belle-Isle-en-Mer, Association Clair d’étoiles & Brin d’jardin, Barbet Michel, Barrou
Antoine, Bassi Frédéric, Bays Sylvain, Beroff Karine, Bogdan Borz, Bonal Christophe, Bournonville Renaud,
Bremont Sébastien, Bretton Marc, Bureau Jean-Claude, Carréga Christine, Clapin Philippe, Cohen André,
Dabrowski Robert, Dauron Francis, De Jonghe Marina, De Oliveira Andrade Alberto, Defays Alain, Demangeat
Sébastien, Dorota Jelen, Du Parquet Claude, Dubois Jérôme, Dumontier Jean-Louis, Fessy Jean-Noël,
Gabrielle Bernard, Garnerin Philippe, Gayet Jean-Brice, Gloria Serge, Gonay Hervé, Gonzalez Jose,
Grenier Jean, Hamel Alexis, Humbert Francis, Icord Christophe, Imbault Danièle, Jean Frédéric, Jedraszak
Nicolas, Jenvrin Gérard, Jongen Yves, Jornod Pascal, Klerlein Michel, Langlais Michel, Lensink Joep,
Leprince Jonathan, Lerner Evelyne, Malville Garance, Marguet Pierre-Olivier, Marty Christophe, Mazelle
Xavier, Millour Victor, Nicolaidis Sébastien, Parlatore Thierry, Pavlin Antoine, Piette Alain, Pillet William,
Prevot Éric, Prezelin Nicolas, Proust Grégory, Quartier Gilles, Rat Jean-Christophe, Rey Emmanuelle,
Rosoli Cédric, Ruiz Joel, Runigo Laurent, Sabot Lionel, Sanz Sébastien, Sudac André, Tehel Jean, Thyot Régis,
Tridard Didier, Valls Gabaud David, Vaonis, Vilain Sylviane, Zirnheld Marc, Zuntini Olivier
En ouvrant le dossier des infox, nous ne pensions pas que cette tra-
duction de fake news, popularisée par Donald Trump comme l’expres-
sion d’une “vérité alternative” à la réalité observée, ouvrirait autant
de portes dans notre univers d’espace et d’étoiles. Mais après plus
d’un an de crise pandémique, qui vit le rôle des médias dans la dif-
fusion de l’information scientifique devenir un véritable enjeu démo-
© Laurence Honnorat

cratique, il nous est apparu plus que jamais indispensable d’expliquer


comment distinguer le rêve de la réalité, le vrai du faux, l’expert du
prophète, le journaliste du communicant, sans rien perdre du regard
critique indispensable à l’exercice de la démocratie.
Tout d’abord, il est un fait que l’histoire ne date pas d’aujourd’hui. Et
vous découvrirez au fil des pages que la planète Mars et la Lune sont peuplées depuis
longtemps de créatures imaginaires issues de canulars ou de l’inspiration débridée d’au-
teurs de fictions populaires. La Lune, vieille compagne des nuits de l’humanité, compte
toujours. Une partie de la planète considère encore, sans preuve, qu’elle influence les
comportements du vivant.
Ensuite, on montre que les fausses théories et les complots — comme celui qui prétend
que les hommes d’Apollo n’ont jamais marché sur la Lune, ou celle qui affirme que la Terre
est plate — s’apparentent beaucoup plus à une foi, qu’à une réelle volonté de contester la
méthode scientifique à laquelle, paradoxalement, “croient” leurs adeptes.
Enfin, nous éclairons sur la fabrique de l’information scientifique, avec ses journalistes,
ses sources, sa mécanique et son économie marchande. Une activité sous la pression
des réseaux sociaux et d’une transformation radicale des modes de communications du
papier au numérique.
L’atout de notre thème — le ciel et l’espace — est son immense puissance onirique. Qui
favorise autant l’intérêt de jeunes générations pour l’acquisition de connaissances, que la
propagande grossière d’États et d’entreprises commerciales. Voler en orbite autour de la
Terre n’annonce pas l’implantation de colonies martiennes pour les années à venir… Plus
que tout autre, l’astronomie est une science dont les parts d’inconnu, de doute et de
vérité provisoire illustrent à merveille l’esprit de la recherche. Qui doit impérativement
être partagé avec l’ensemble de la société pour faire sens. C’est possible et d’autant
plus urgent que les défis à relever en matière de santé, de climat et de biodiversité sont
immenses et reposent sur des choix collectifs que peut éclairer l’approche scientifique.
À condition de lui garder sa juste place.
En offrant à se divertir, à apprendre et à penser, ce numéro hors-série de Ciel & Espace,
comme l’initiative “Lutter contre les infox” de l’Association française d’astronomie soute-
nue par le ministère de la Culture, veulent y contribuer. Bonne lecture !

ALAIN CIROU
Directeur de la rédaction
CIEL & ESPACE | HORS-SÉRIE INFOX

22

10 14

30 42

26

3 Éditorial 22 Avec Thomas Pesquet,


SOMMAIRE

rêver à perdre la raison


6 Dominique Wolton :
“La science n’est pas UNE VIEILLE HISTOIRE
à l’abri des infox”
26 Les hommes chauvesouris
L’ENVIE D’Y CROIRE agitent New York
30 Mars, une planète de rêves
10 Beaucoup de bruit autour 34 Les faux pouvoirs de la Lune
d’Oumuamua
14 Les colonies martiennes FAUSSES THÉORIES

d’Elon Musk
18 La super-Lune est-elle 42 Nibiru et
vraiment super ? l’or des Annunaki

Directeur de la publication : Chefs de rubrique : Sylvestre Huet, Jean-François Haït,


le président de l’AFA, Olivier Las Vergnas Jean-Luc Dauvergne, jl.dauvergne@cieletespace.fr Julie Le Baron et Raphaël Chevrier
Magazine édité par Directeur de la rédaction : et Émilie Martin, e.martin@cieletespace.fr Directeur artistique : Olivier Hodasava
l’Association française d’astronomie Alain Cirou, alain.cirou@cieletespace.fr Rédacteur : Secrétaire de rédaction : Emmanuelle Lancel
17, rue Émile-Deutsch-de-la-Meurthe, 75014 Paris Rédacteur en chef : Philippe Henarejos Guillaume Langin, guillaume.langin@cieletespace.fr
Tél. : 01 45 89 81 44 Responsable de la publicité,
philippe.henarejos@cieletespace.fr Ont collaboré à ce numéro : de la communication et du développement :
 www.cieletespace.fr
Rédacteur en chef adjoint : Jacques-Olivier Baruch, Myriam Détruy, Simon Devos, Cécile Fouqué, cecile.fouque@cieletespace.fr
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David Fossé, d.fosse@cieletespace.fr Pierre Lagrange, Adrien Denèle, Jean-Michel Abrassart, Comptabilité : Sandrine Dorbais
 www.afastronomie.fr
CIEL & ESPACE | HORS-SÉRIE INFOX

46 52 56

62 92

66

46 Les croyants LA FABRIQUE DE L’INFO 84 infographie : Comment


de la Terre plate s’informent les Français ?
50 L’affaire du covid 66 L’information, des labos
venu de l’espace aux lecteurs LUTTER CONTRE LES INFOX
70 Fabriquer de l’information
COMPLOTISME scientifique, la recette 88 La science produit-elle
en dix étapes la vérité ?
52 Soucoupes volantes : 76 Communication 92 À l’école des chasseurs
ça plane pour elles scientifique : d’infox
56 portfolio : La preuve l’ère de l’inflation 96 Le vrai du faux,
par l’image 80 Arnaud Saint-Martin, par Pierre Lagrange
62 Missions Apollo : sociologue : “Faire
Un complot du debunking peut être 98 Pour aller plus loin
qui ne meurt jamais d’utilité publique”

Ventes en kiosque : Abonnements Canada : Express Mag ISSN n° 1255-2828 Papier certifié FEPC
Pagure Presse 3339 rue Griffith – Saint-Laurent, QC H4T 1W5 CPPAP n° 1023 G 83672 Origine : Autriche et Finlande
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DOMINIQUE WOLTON

“LA SCIENCE N’EST PAS


À L’ABRI DES INFOX”
On connaissait les rumeurs, voici venu le temps des infox. Et elles s’attaquent
aux sciences comme les autres domaines de la société. Dominique
Wolton, spécialiste des médias et des rapports entre science et société,
analyse leur origine et donne des pistes pour s’en prémunir.

L
e sociologue Dominique Wolton l’information. Pour eux, elle et sa on ne parle pas d’infox, mais d’hypothèse
est directeur de recherche partie concernant les sciences, la fausse. Beaucoup lancent des infox sans
au CNRS. Il a fondé la revue communication scientifique, sont le savoir. Le contrepouvoir devrait venir
Hermès qui étudie de manière rationnelles comme eux, puisque des journalistes scientifiques, mais ils
interdisciplinaire la communication, la culture scientifique est la culture ne sont pas assez nombreux. Ce qui
dans ses rapports avec les individus, de la vérité. C’était vrai jusqu’au renforce le pouvoir des laboratoires
les techniques, les cultures, XIXe siècle car la culture scientifique et des bureaucrates scientifiques.
les sociétés. Pour cet observateur était minoritaire et se distinguait du Comme le public accorde une grande
des médias, la lutte contre les infox monde politique. Mais la bataille pour confiance à la science, en tout cas
passe par le développement de la la laïcité, pour la démocratie, pour davantage qu’à la politique ou à la
culture scientifique. la science et les techniques, contre religion, les scientifiques ont une
la religion a installé les scientifiques responsabilité morale à garder leurs
Infox, fake news, intoxication, rumeurs, dans des rapports de forces. La science valeurs. Les enseignants, par ailleurs,
quelle est la différence ? est devenue un enjeu politique et une savent qu’internet n’est pas bon pour
Dominique Wolton : Une rumeur n’est guerre économique. Les scientifiques la pédagogie, mais ils n’arrivent pas se
pas une infox. Elle n’est pas forcément sont concurrents entre eux et faire entendre.
construite intentionnellement. La participent à la guerre mondiale
rumeur est l’aspect le plus négatif puisqu’ils appartiennent tous à un La communication dans le domaine du
du monde de l’information. Plus État-nation. Le jeu de la vérité et du ciel et de l’espace est-elle un exemple
il y a d’informations, plus il y a de mensonge est devenu banal pour faire ou une exception ?
rumeurs et de secrets. Ce qui pose perdre du temps à ses concurrents Ce domaine fait partie des deux
un problème aujourd’hui. Une ou des places dans le classement de dernières aires de notre imaginaire
infox, ou son pendant anglophone, Shanghai [classement mondial des avec le monde polaire. C’est
plus marquant que sont les universités, NDLR]. Les scientifiques normal, puisque nous sommes des
fake news, est une information sont à la fois la source et les victimes êtres métaphysiques. Nous nous
fausse, intentionnellement ou pas. des infox. Nous, et je m’y inclus demandons d’où l’on vient et où
Quand elle est intentionnelle, c’est puisque je fais partie des scientifiques, l’on va. Or, l’espace est aujourd’hui
une intoxication. Mon hypothèse aurions du être les premiers à au centre d’enjeux politiques et
anthropologique est que, dans ce poser des questions sur le statut de économiques. C’est un espace de
monde où il y a trop d’informations l’information et de la connaissance concurrence dont les armes sont
et d’interactions, nous n’agissons pas dans le monde numérique d’internet. l’espionnage, mais aussi les infox.
sur les évènements. L’infox devient un Nous ne l’avons pas fait. Quand il y a Il y en a déjà : l’homme n’a jamais
moyen de reconquérir une autonomie, des libertés sans protection, la liberté marché sur la Lune [lire p. 62] ou
de devenir acteur, de dire “j’existe”. n’existe pas. l’astéroïde Oumuamua est un
vaisseau extraterrestre [lire p. 10].
La science est-elle à l’abri des infox ? D’où viennent les infox en science ? C’est invérifiable car nous n’allons pas
Bien sûr que non ! Je suis frappé Les scientifiques en ont leur part, nous-mêmes sur place, ce qui ouvre la
du retard qu’ont les scientifiques puisqu’eux aussi utilisent les réseaux porte à toutes les dérives.
quant à la réflexion sur le statut de sociaux et les légitiment. Très souvent, On présente cela comme un

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La multiplicité
des avis dont on
ne comprend
même pas les
termes engendre
l’angoisse. Nous
avons pu le
constater au sujet
du covid.

grand progrès, mais cela touche pour résister au pouvoir politique, comprend même pas les termes. Les
à la base de notre anthropologie. sont devenues des conseillers du médecins et autres épidémiologues
Avec cette idolâtrie des sciences prince. Avec la crise du covid, nous sont au-delà de toute la déontologie
et des techniques, si on ne régule avons vu une déferlante de médecins élémentaire médicale. Et personne
pas le flux d’informations, nous au micro des chaines de télévision, ne leur dit. Il s’est formé un triangle
aurons de grandes surprises par à la radio ou dans la presse écrite. maudit entre les acteurs qui sont
la multiplication des infox. Nous Jamais on n’aurait pensé qu’ils prêts à vendre leur âme pour être
devrions le règlementer alors que aimaient autant les projecteurs. médiatisés, les réseaux sociaux qui en
nous ne l’avons pas fait pour le C’est scandaleux qu’ils exposent rajoutent car les internautes adorent
numérique. Cela éviterait aussi la leurs hypothèses sans filtre au vu cela, et les chaines d’information qui
propagation des infox par les citoyens. et au su des néophytes. Dans la en font leur miel.
communication, le plus important Les spécialistes des sciences
Qui peut servir d’arbitre ? n’est pas le message ou l’émetteur, fondamentales ont le snobisme de
Les scientifiques eux-mêmes ou mais le récepteur. Quand on nous dit croire qu’ils sont en dehors de ça.
la population ? quelque chose, on est angoissé par Ce n’est pas vrai. Paradoxalement,
Les académies des sciences, créées la multiplicité des avis dont on ne les militaires sont le milieu le plus

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économe en information. Est-ce un bagage de savoirs non nul. Plus recherche tous la communication,
parce qu’ils sont habitués à la il y a d’informations, plus il y a de le partage, la connaissance, mais
désinformation, qu’ils jouent sur le risques d’incompréhension. Après cela ne réussit pas toujours. Alors il
secret ? Sans doute. Je suis atterré s’être battu pendant deux siècles pour faut négocier. C’est ce que j’appelle
que lors des attentats, on se rende l’information et la communication, l’incommunication. En cas de succès,
compte que les terroristes utilisaient on est aujourd’hui trop critique à c’est la cohabitation. Si cela n’aboutit
les médias. Mais ils sont comme tout leur égard, n’y voyant que publicité pas, on arrive à l’acommunication,
le monde ! et manipulation. Alors qu’il s’agit l’absence de communication. C’est
d’un droit et d’une liberté essentiels. l’échec, la mort d’un couple, d’un
Comment améliorer la communication Ne pas confondre les valeurs avec pays… L’Europe est un exemple
scientifique ? les erreurs. La multitude des canaux de parfaite incommunication.
Il faut d’abord davantage de d’informations par le net décrédibilise D’accord sur rien, nous restons
journalistes scientifiques. Ensuite, encore plus l’information. On l’accuse néanmoins ensemble à négocier
admettre que les rapports entre d’infox à tout bout de champ. Or, en permanence. On n’a jamais vu
science et société sont plus si les infox existent, elles ne forment 27 pays qui ne se comprennent pas,
compliqués que ce que l’on pense pas l’essentiel du flux, tant s’en faut. mais parviennent tout de même
et lancer des études sur le système On dénonce trop facilement la presse à s’accorder démocratiquement.
d’évaluation des chercheurs. Il faut de masse ou les politiques, mais L’incommunication est positive.
aussi que les scientifiques participent jamais internet. Pourquoi ? Les infox n’ont pas pour but de
activement à la vulgarisation, ce communiquer, elles se situent
qui n’est assez valorisé. L’Europe Les infox font-elles désormais partie entre l’incommunication et
est le continent qui a le plus réfléchi du paysage de la communication ? l’acommunication. Elles ne cherchent
aux rapports et aux enjeux entre Est-ce fatal ? pas à faire du lien, mais à le casser.
la science et la société. Or, elle est Je distingue trois niveaux. On C’est une démarche perverse,
coincée entre les mastodontes que volontaire ou pas, une démarche de
sont les États-Unis ou la Chine, dont Une meilleure vulgarisation des sciences rupture dans le but de se démarquer.
l’absence d’études et d’actions facilite nous prémunit des intox, affirme Mais il y a des solutions. D’abord, que
Dominique Wolton. L’information est un
les infox. Il y a de telles pressions que les journalistes arrêtent de prendre
droit et une liberté essentiels. © J.-O. Baruch
la communauté scientifique n’a pas le les réseaux comme leur partenaire,
moyen de résister à l’économie. Mais comme si chaque avis était un avis
il est difficile d’être hostile au pouvoir partagé. D’autre part, il faut que les
politique tout en en bénéficiant. journalistes se mettent à décrypter
L’éducation populaire est la solution les infox. Certains journaux le font.
si l’on évite le positivisme du Il faudrait les généraliser. Et comme le
XIXe siècle. Il faut revaloriser la culture public en a assez des infox, il suivra.
scientifique et renforcer l’autonomie Restons positifs.
des communautés universitaires. Il PROPOS RECUEILLIS PAR
JACQUES-OLIVIER BARUCH
faut partager le savoir. L’érudition sert
à tout car elle ne sert à rien.

Pourquoi ces infox sont-elles émises ? À lire de Dominique Wolton :


C’est un rapport de force. Entre États - La communication, les hommes et
la politique, CNRS éditions, 2015,
d’abord avec l’espionnage, entre version poche dans la coll. Biblis.
entreprises aussi, mais aussi entre - Vive l’incommunication,
citoyens, même si en science, il faut éditions Les pérégrines, 2020

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L’ENVIE D’Y CROIRE

BEAUCOUP DE BRUIT
AUTOUR D’OUMUAMUA
C’est l’histoire d’une annonce sensationnelle qui s’est propagée dans les médias
en bien moins de temps qu’il n’en faut à la science pour prouver sa véracité.
Pour un scientifique renommé, l’astre énigmatique détecté en 2017 est la preuve
d’une intelligence extraterrestre. Mais il est bien le seul à le penser…

Q
uand l’équipe d’astronomes a repéré ce minus- du Système solaire, raconte Karen Meech, de l’Institut pour
cule point dans le ciel noir d’Hawaï et réalisé qu’il l’astronomie d’Hawaï, l’une des premières personnes à être
s’agissait d’un astre inhabituel, elle lui a d’abord averties de cette découverte extraordinaire. Ensuite, nous
donné le nom de Rama, en référence au vaisseau énigma- nous sommes remis à nos recherches scientifiques.” Il fallait
tique décrit dans le romain de science-fiction d’Arthur C. faire vite. En quelques semaines, le voyageur interstellaire
Clarke, Rendez-vous avec Rama. “C’était juste une plaisanterie, allait se retrouver hors de portée de nos instruments. Le
parce que nous avions tout de suite compris qu’il ne venait pas Very Large Telescope, au Chili, ainsi que les observatoires

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L’ENVIE D’Y CROIRE

L’image que le public a


eue du corps interstellaire
Oumuamua tient
essentiellement à des
vues d’artistes, comme
celle-ci : un objet allongé
comme une baguette de
pain. Or, il ne s’agit que
d’une des déductions
possibles faites à partir de
mesures scientifiques…
© YU Jingchuan

spatiaux Spitzer et Hubble ont été mobilisés en urgence pour astéroïdes, qui, en raison de leur forme irrégulière, appa-
suivre le fugitif, rebaptisé Oumuamua, qui signifie “messager raissent plus ou moins lumineux au cours de leur rotation,
ou éclaireur venu de loin et se dirigeant vers nous” en hawaïen. le visiteur présente des variations cycliques d’éclat. Dans
“Ce qui nous a d’abord surpris, c’est la forme de son orbite, son cas, elles sont extrêmes, passant d’un facteur 1 à 10,
explique Karen Meech. Dans le Système solaire, tous les objets ce qui laisse penser qu’il a une face très étroite et une autre
ont une trajectoire circulaire ou elliptique. Celle d’Ou- très large. Oumuamua aurait donc une forme
muamua était ouverte.” Arrivé presque à la verti- très allongée. Pour cette raison, la première vue
cale à l’intérieur de l’orbite de Mercure, le bolide d’artiste qui a accompagné les communiqués
a contourné le Soleil, puis est remonté au-dessus de presse lui donne un aspect de gros cigare.
du plan du Système solaire et passé à 24 millions Puis il a été suggéré qu’il ressemblerait plutôt à
de kilomètres de la Terre. Il file actuellement en une crêpe épaisse. Mais rien de vraiment précis
direction de la constellation de Pégase à une ne peut être déduit de son signal lumineux. Ses
vitesse moindre, ralenti par la force gravitation- dimensions sont encore l’objet de débat : certains
nelle du Soleil. Mais il se déplace tout de même estiment qu’il ferait une cinquantaine de mètres
plus rapidement que les prédictions faites par de long tout au plus, d’autres penchent pour une
les lois de la mécanique céleste, et l’origine de cet excès de taille de l’ordre du kilomètre. “Les données reçues ont été analy-
vitesse est la source de nombreuses hypothèses. sées par un grand nombre d’astronomes, indique Karen Meech.
Chacun voulait que son article scientifique sorte au plus vite. Je
LA COURSE À LA PUBLICATION crois que j’ai rarement vu autant de papiers sur un sujet. Il doit y
Une deuxième surprise attendait les scientifiques. En en avoir environ 200 aujourd’hui. Et il en parait toujours !”
mesurant la brillance d’Oumuamua, ils se sont aperçus L’un d’entre eux attire l’attention. Peut-être que sans
que l’astre ne ressemblait à rien de connu. Tout comme les lui, les recherches n’auraient pas autant gagné en intensité.

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L’ENVIE D’Y CROIRE

Les seules véritables images que les astronomes


ont d’Oumuamua ressemblent à celle-ci : l’objet
n’y apparait que comme un point. Il était trop loin
pour que sa forme soit révélée. © ESO/K. Meech et al.

Signé par Abraham Loeb, physicien théoricien à l’université mordante de la recherche d’une autre vie intelligente et
de Harvard, et son étudiant Shmuel Bialy, il s’intitule : “La même de la science en général, qu’il juge trop bridée par
pression de radiation solaire peut-elle expliquer l’accéléra- des égos surdimensionnés et un endoctrinement des jeunes
tion particulière d’Oumuamua ?” Il est publié en novembre générations, comme il l’explique entre autres dans un long
2018 dans la revue scientifique Astrophysical Journal Letters. entretien au Scientific American. La Société française d’as-
“C’est un papier tout à fait raisonnable dans sa démonstration, tronomie et d’astrophysique, ainsi que la Société française
commente Karen Meech. Mais la conclusion… C’est fou !” d’exobiologie regrettent “la médiatisation [qui] contribue à dif-
Car Loeb propose sans sourciller que l’objet soit d’origine fuser dans le grand public des idées spectaculaires et non démon-
artificielle, et plus précisément une sorte de voile solaire, trées, sans y apporter d’éléments contradictoires, pourtant déjà
un débris spatial issu d’un équipement technologiquement discutés et argumentés, de la part de spécialistes de la question”.
avancé. “Ou alors un scénario plus exotique est qu’Oumuamua “Franchement, pour moi, c’est surtout une publicité très
est un vaisseau complètement opérationnel envoyé dans le voisi- agressive pour le Breakthrough Starshot”, souligne Karen
nage de la Terre par une civilisation extraterrestre”, ajoute-t-il.
Avi Loeb a poussé très loin l’hypothèse la plus séduisante pour
ÉGO SURDIMENSIONNÉ ? expliquer Oumuamua : il s’agirait d’un vaisseau extraterrestre. DR

L’étincelle fait immédiatement flamber le monde média-


tique. Un professeur de Harvard qui annonce l’existence
d’extraterrestres, quoi de plus sensationnel ? Abraham
Loeb enchaine les interviews et défend ses hypothèses sans
apporter de preuves pendant que la plupart de ses confrères
s’indignent de ces conclusions à l’emporte-pièce. Trois ans
plus tard, il récidive avec le livre Le premier signe d’une vie
intelligente extraterrestre… dont une bonne partie est consa-
crée à son autobiographie. De nouveau, ses interventions
médiatiques se multiplient. À son affirmation qu’Ou-
muamua est d’origine extraterrestre s’ajoute une critique

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L’ENVIE D’Y CROIRE

L’astrophysicienne Karen Meech


considère que l’hypothèse d’un
vaisseau extraterrestre est surtout
une énorme publicité pour les
travaux sur le voyage interstellaire
Breakthrough Starshot, auxquels Avi
Loeb est étroitement associé. © TED

Meech. Fondé en 2016 par Mark Zuckerberg, le patron jusque-là, Oumuamua ne perd pas de masse et n’a donc ni
de Facebook, le cosmologiste Stephen Hawking et le mil- queue ni chevelure. À moins qu’il soit né justement dans la
liardaire russe Youri Milner, ce projet a pour objectif chevelure d’une comète active et qu’il soit constitué d’un
d’envoyer une flotte de minisondes spatiales équipées de agrégat de poussières capable de résister à un voyage inters-
voiles solaires vers le système stellaire voisin d’Alpha du tellaire. Ce scénario expliquerait la faible masse de l’objet.
Centaure. Même les spécialistes de la recherche de techno- Ou encore, il s’agirait d’un petit astre composé de glace
signatures extraterrestres ne sont pas convaincus par d’hydrogène éjectée de son système stellaire. L’idée a été
les arguments de Loeb. À la suite de son article dans les réfutée par Avi Loeb, qui a calculé que la glace d’hydrogène
Astrophysical Journal Letters, l’institut Seti (Search for Extra- serait incapable de survivre à un aussi long périple. Autre
Terrestrial Intelligence) a utilisé le radiotélescope Allen piste : un objet couvert de glace d’azote qui aurait échappé
Telescope Array pour observer Oumuamua. Aucun signal à la formation d’une exoplanète semblable à Pluton.
n’en est revenu. Pis : au cours d’un séminaire en ligne avec “Ce n’est que le début des recherches sur ce genre de petits
plusieurs confrères, les Golden Webinars, Avi Loeb a mal- corps qui traversent le Système solaire, note Karen Meech. Je
mené Jill Tarter, la figure de proue de Seti depuis plusieurs pense qu’il va se passer pas mal de choses car, d’après les calculs,
décennies, sans répondre à ses commentaires sur le sujet. il pourrait y en avoir un par an en moyenne.” Le second a
déjà été repéré en aout 2019 par un astronome amateur
MORCEAU DE COMÈTE en Ukraine. Baptisé Borisov du nom de son découvreur, il
Certes, il reste de nombreux points à éclaircir sur la a pu être observé pendant plus d’un an. Plus large qu’Ou-
nature d’Oumuamua, que nous ne reverrons plus jamais muamua, il a aussi une trajectoire plus extrême et présente
et dont nous n’avons aucune image détaillée. “Pour moi, les caractéristiques d’une comète. La détection de visiteurs
c’est une comète qui a été éjectée d’un système planétaire en suivants sera donc cruciale pour savoir si celui repéré dans
formation, avance Karen Meech. Même en reconstituant son le ciel d’Hawaï était ou non une exception. “Nous attendons
orbite, nous ne pourrons pas savoir exactement de quelle étoile pour cela la mise en service de l’observatoire Vera Rubin, au
il venait.” La théorie de la comète pourrait expliquer l’accé- Chili, qui pourra surveiller une plus grande partie du ciel et sera
lération observée après son passage vers le Soleil. Le pro- à même d’apporter des preuves”, conclut Karen Meech.
blème est que, contrairement à toutes les comètes observées MYRIAM DÉTRUY

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L’ENVIE D’Y CROIRE

LES COLONIES MARTIENNES


D’ELON MUSK
Le patron de Space X ne cesse de nous promettre la conquête de Mars
grâce à ses vaisseaux. Des déclarations qui peinent à convaincre, tant le
chemin semble long pour poser des hommes et des femmes sur la planète
rouge. Mais les annonces de Musk visent surtout à conquérir le public…

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L’ENVIE D’Y CROIRE

Elon Musk, jamais cacher son objectif ultime : la colonisation humaine


représenté ici en de l’espace. Et il faut bien avouer que son audace a fini par
scaphandre, joue-t-il
aux apprentis payer. Space X participe déjà au programme de ravitaillement
sorciers en voulant et de relève des équipages de la station spatiale internationale
envoyer des (ISS). En février 2021, l’entreprise a même été sélectionnée
centaines de milliers
d’humains coloniser par la Nasa dans le cadre de la future mission Artémis et
Mars ? Ou bien, pourrait alors être chargée de la construction de l’atterris-
visionnaire, seur qui déposera les prochains astronautes américains sur
annonce-t-il un futur
inéluctable ? la Lune. “En quelques années, Space X a accompli deux exploits :
© Red Dress/Bloomberg casser les prix des lancements et démontrer la faisabilité de la réu-
tilisation des lanceurs”, atteste Francis Rocard, responsable des
programmes d’exploration du Système solaire pour le Centre
national d’études spatiales (Cnes). Pas étonnant donc que,
fort de son succès, Musk prenne les devants en imaginant
un programme spatial dont l’objectif est infiniment plus
ambitieux que celui de n’importe quelle agence nationale
ou internationale. D’ailleurs, depuis plus d’un an, l’entre-
prise enchaine les tests des prototypes SN de la future fusée
Starship, dont une version sera aménagée pour transporter
jusqu’à cent personnes dans l’espace et vers Mars. “Pour l’ins-
tant, cela semble complètement fou. Starship est prévue pour ame-
ner une charge utile d’à peine plus de 100 tonnes dans l’espace,
alors qu’en comparaison, la fusée Saturne 5 du programme Apollo
qui possédait une charge utile de 140 tonnes ne transportait que
trois personnes, souligne Francis Rocard. Mais à nouveau, on
peut imaginer qu’à force d’essais et d’investissements, Musk soit
capable de régler cette question bien avant 2050.”

AILE PLANANTE ET RÉTROFUSÉES


Mais le milliardaire semble toutefois oublier une chose
essentielle : la colonisation de l’espace ou d’autres planètes ne
se résume pas à une simple question de lancement de fusée.
Bien d’autres problématiques surgissent dès lors qu’il s’agit

U
n million d’humains sur Mars en 2050. C’est la pro- d’envoyer des humains pendant une longue période loin de
messe folle engagée par le bouillonnant ingénieur l’environnement terrestre, et pour l’instant, Musk ne semble
d’origine sud-africaine Elon Musk. Dans une série de pas du tout concerné par celles-ci. Concernant la partie pure-
tweets publiés en janvier 2021, celui-ci donnait quelques ment technique, une fois la question du lancement réglée se
détails concernant le plan qu’il compte mettre en place pour pose celle de l’atterrissage sur Mars. En effet, pour freiner une
tenir son pari. Il prévoit dès que possible la construction de capsule avant son atterrissage — comme ce fut le cas lors de
quelque mille fusées Starship qui feront la navette entre la l’arrivée du rover Perseverance en février 2021 —, les ingé-
Terre et Mars, et emmèneront des colons à chaque rappro- nieurs utilisent principalement un parachute. L’atmosphère
chement planétaire, c’est-à-dire tous les 26 mois environ. Si de Mars étant beaucoup moins dense que celle de la Terre, il
ces annonces en fanfare semblent avoir touché une partie faut néanmoins un exemplaire aux dimensions démesurées
des médias et du public, elles peinent à convaincre la commu- pour que le freinage fonctionne. Si cette technique est pos-
nauté scientifique. Certes, depuis la fondation de l’entreprise sible pour acheminer du matériel assez léger (la masse de
Space X en 2002, Musk s’évertue à concevoir de nouvelles Perseverance dépasse à peine une tonne et le parachute fai-
générations de lanceurs, vaisseaux et moteurs-fusées, sans sait déjà 21 m de diamètre), elle serait impraticable dans le

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L’ENVIE D’Y CROIRE

cas d’un vaisseau d’une charge utile des dizaines de fois supé- possède pas de champ magnétique !” Si les combinaisons spa-
rieure. Qui plus est, la décélération brusque serait certaine- tiales peuvent protéger efficacement du manque de pression
ment mortelle pour un équipage à bord. Space X a donc fait et des grandes variations de température, elles sont pour
le choix d’un véhicule équipé d’une aile planante et de rétro- l’instant inefficaces face à ces radiations, qui constituent
fusées pour son atterrissage. “Cependant, cette technique ne peut une barrière majeure à la colonisation d’autres planètes.
pour l’instant pas se dispenser d’une piste d’atterrissage, évidem- De plus, l’absence de gravité durant les quelque 6 mois de
ment absente sur le terrain martien particu- voyage qui séparent la Terre de Mars est
lièrement accidenté”, note Francis Rocard. Il loin d’être sans conséquence sur le corps
faudra donc procéder à de nombreux tests Radiations, humain. Si les effets concernant l’affai-
d’un tel atterrissage martien avant d’en- blissement musculaire sont désormais
voyer des humains — ce que Musk conti- poussière, bien identifiés (on le constate à chaque fois
nue pourtant de prévoir dès… 2024 !
Mais le principal problème avec l’idée
confinement, qu’un résident de l’ISS revient sur Terre
et peine à poser un pied devant l’autre),
de coloniser Mars concerne la survie sur manque de nombre d’études mettent en lumière des
place. “La planète rouge est particulière- conséquences bien plus embarrassantes.
ment inhospitalière, rappelle Sylvain Chaty, ressources : Décalcification des os, affaiblissement du
astrophysicien de l’université de Paris.
L’atmosphère y est quasi inexistante, les
autant cœur, perturbation de l’appareil vestibu-
laire responsable de l’équilibre… “Sans par-
températures varient entre – 100 °C et 0 °C, d’obstacles sur ler de la poussière, présente en grande quantité
on n’y trouve ni eau en surface ni oxygène à
respirer, et évidemment pas de nourriture !” la route d’une sur Mars et dont la toxicité a été montrée par
plusieurs études”, commente Bruce Jakosky,
Certes, le rover Perseverance a récemment colonie martienne de l’université du Colorado (États-Unis).
réussi l’exploit de fabriquer du dioxygène Tous ces problèmes de santé peuvent
à partir de l’atmosphère martienne. Mais mener à des situations dangereuses, et il
cette démonstration nécessite encore une sacrée montée est donc impératif de trouver des solutions avant d’imaginer
en gamme avant d’imaginer alimenter en air des colonies un voyage vers la planète rouge.
humaines. Plus généralement, il est évident que le jour où Enfin, la question des défis psychologiques n’est pas à
des astronautes seront envoyés sur Mars, tout aura été mis négliger non plus. Que ce soit pendant le voyage ou une fois
en place en amont pour assurer leur survie — construc- sur place, les colons devront cohabiter au sein d’espaces
tion d’habitats fermés, de dispositifs d’extraction d’eau et de exigus avec un confort limité et sans possibilité de commu-
fabrication d’oxygène, etc. Si aucun de ces problèmes n’est niquer directement avec la Terre. Des expériences réalisées
véritablement insoluble, il faudra probablement beaucoup au sein de la base antarctique Concordia ont montré qu’un
de temps et des investissements considérables avant de trou- tel environnement a tendance à faire naitre des tensions,
ver des solutions adaptées. Là-dessus, Musk n’a laissé filtrer
aucun indice concernant la marche à suivre.

STRESS ET RADIATIONS COSMIQUES


Autre chapitre crucial du voyage humain vers Mars : la
santé des astronautes. “Que ce soit dans l’espace pendant le
voyage ou sur Mars, le corps humain est par exemple soumis à
des doses colossales de radiations cosmiques, prévient Sylvain
Chaty. Si sur Terre, le champ magnétique de notre planète nous
protège de ces particules énergétiques en provenance du Soleil
et qui peuvent à terme causer des tumeurs cancéreuses poten-
tiellement mortelles, ce n’est pas le cas lorsqu’on quitte l’envi-
ronnement proche de notre planète, ni même sur Mars qui ne

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L’ENVIE D’Y CROIRE

Depuis 2017, Elon Musk, patron de la société privée Space X, a précisé son rêve : celui d’établir des villes sur Mars. Son moyen ?
Une flotte de Starship, de gros vaisseaux réutilisables faisant la navette entre la Terre et Mars. © Space X

voire des conflits au sein du groupe. Sur tous ces sujets, techniques, la notoriété dont il jouit lui permet de gagner peu
Elon Musk reste à nouveau muet comme une tombe. à peu en crédibilité auprès des gouvernements et des agences
spatiales comme la Nasa, et ainsi de décrocher de plus en plus
DOLLARS ET PLAN DE COM de contrats et de financements.
On le comprend aisément : si les défis qui s’opposent pour “Au fond de lui, Musk sait bien qu’il ne pourra pas aller sur
l’instant à la colonisation de Mars sont nombreux, aucun n’est Mars tout seul : il a besoin de mobiliser des fonds et des savoir-
vraiment insurmontable à long terme. Le cœur du problème se faire qui dépassent largement ceux de Space X”, renchérit
situe dans le délai fixé par Elon Musk, jugé beaucoup trop court Francis Rocard. Aussi, ses annonces, qui peuvent passer
par la plupart des spécialistes — sauf si une véritable volonté pour des élucubrations, sont en fait des opérations de com-
politique se dessine, comme ce fut le cas pour la conquête de la munication habilement préparées. Le rêve d’Elon Musk de
Lune dans les années 1960. “Avec ses annonces, Musk espère en conquérir Mars est probablement sincère et il tente sérieu-
réalité faire renaître au sein de la population ce gout de la conquête sement d’y parvenir par tous les moyens. Mais son mépris
spatiale qui existait à cette époque, analyse Sébastien Damart, de pour l’avis de la communauté scientifique sème le doute et
l’université Paris Dauphine-PSL. Adjointe à cette rhétorique du n’aide pas à la compréhension des véritables enjeux de la
rêve, on reconnait une logique dite performative, dans laquelle les conquête spatiale par le grand public. Et dans un contexte
actes de langage ont pour but d’engendrer les actes réels.” Le mil- où la parole scientifique est régulièrement remise en cause,
liardaire a en effet absolument besoin du soutien de l’opinion ce comportement est plus que questionnable.
SIMON DEVOS
publique dans ses projets les plus fous. Conjuguée à ses succès

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L’ENVIE D’Y CROIRE

LA SUPER-LUNE EST-ELLE
VRAIMENT SUPER ?
De plus en plus de communiqués donnent l’alerte pour
une Pleine Lune qui sortirait de l’ordinaire. Ils l’annoncent
tantôt “super”, “rose”, “bleue”, “de sang”… Quand la
communication se noie dans le folklore et l’ésotérisme.

D
epuis peu, la Pleine Lune se voit régulièrement affu- invitaient sur Twitter à observer la “super-Lune des fleurs”.
blée d’une panoplie de qualificatifs insensés sur le On peut imaginer que le tweet a fait grincer des dents les
net. Ainsi, le 31 janvier 2018, des médias annon- astronomes affiliés à l’institution (et pas qu’eux).
çaient une “super-Lune bleue de sang”. Il s’agit d’un débor-
dement de la culture nord-américaine sur la nôtre. Il est ET LA LUNE DES ESTURGEONS, ALORS !
souvent provoqué par des communiqués de la Nasa, discu- La notion de super-Lune est discutable. Mais avant cela,
tables dans leur forme ou mal interprétés. Même les commu- tordons le cou à la Lune des fleurs et autres Lunes bleues.
nicants du CNRS s’y sont pris les pieds. Le 26 mai 2021, ils Dans le cas du 31 janvier 2018, l’ajout du qualificatif “de
sang” n’a d’autre raison que de pousser les internautes
à cliquer. Qu’il ait fait florès est une bonne illustration de
la qualité des informations gratuites sur le web. En fait, il
s’agissait simplement d’une éclipse totale de Lune. Une fois
plongé dans l’ombre de la terre, notre satellite se pare d’une
teinte orangée ou brique… Mais une “Lune de brique” est
bien moins accrocheur ! Passons à la Lune bleue. Les anglo-
phones utilisent l’expression “once“once in a blue Moon”
blue Moon” pour
quelque chose qui n’arrive que lors d’une Lune bleue…
qui n’a rien de bleu. Est ainsi nommée une Pleine Lune qui
survient un mois où il y a déjà eu une Pleine Lune. Dans

Quand la Lune passe dans l’ombre de la Terre lors d’une


éclipse, elle prend une teinte rouge brique plus ou
moins sombre. Mais pour certains sites web, mieux vaut
annoncer une “Lune de sang”. Cela titille bien plus la
curiosité du public. © B. Moore et S. Pouya

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L’ENVIE D’Y CROIRE

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L’ENVIE D’Y CROIRE

La Pleine Lune est-elle réellement plus grosse ce mois-ci ? Difficile de le savoir d’une lunaison sur l’autre
en l’absence de repère dans le ciel pour faire la comparaison. © FMS

la mesure où il y a 29,5 jours entre deux Pleines Lunes, Nolle, une super-Lune est une Pleine Lune ou une Nouvelle
ces occurrences sont rares : une quarantaine par siècle en Lune qui se produit quand notre satellite se trouve entre 90
moyenne. Bref, en français, l’expression n’a aucun sens. La et 100 % de sa distance minimale à la Terre. La Lune a en
traduction de once in a blue Moon donnerait quelque chose effet une orbite sensiblement elliptique et sa distance varie
comme “à la saint-Glinglin”. La Lune des fleurs n’a pas plus entre 356 700 km et 406 300 km. En suivant la définition
de réalité astronomique. Le terme vient d’un almanach des de Richard Nolle, il peut y avoir jusqu’à six “super-Lunes”
années 1930 édité par des fermiers du Maine, aux États- par an. La notion n’est donc pas très sélective, mais bien
Unis. Ceux-ci avaient inventé pour chaque mois un surnom pratique pour rédiger des prophéties astrologiques.
tiré de la culture amérindienne : la Pleine Lune du loup, Les articles publiés à l’occasion des super-Lune laissent
des fraises, des esturgeons, du chasseur, etc. Ces noms sont souvent entendre que sa taille serait bien supérieure à
devenus populaires dans la culture nord-américaine, mais l’habitude. En réalité, la Pleine Lune au périgée (1) est
restent totalement inusités chez nous. 14 % plus large qu’à l’apogée, et seulement 7 % de plus
que quand elle se trouve à sa distance moyenne de la Terre.
ÉSOTÉRIE FACILE Ce n’est pas négligeable, mais c’est assez peu. En l’absence
Venons-en à la super-Lune. L’histoire est plus éton- de repères visuels, il est impossible d’apprécier cet écart à
nante encore car c’est une invention de l’astrologue amé- l’œil nu. Les photographes s’ingénient à saisir la super-
ricain Richard Nolle en 1979. Il est donc absurde de voir Lune à son lever. Un tel sujet donne une composition spec-
un concept ésotérique repris par la Nasa. Selon Richard taculaire, mais ce n’est pas à cet instant que notre satellite

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L’ENVIE D’Y CROIRE

Bien des annonces sur la super-Lune sont là


pour déclencher du clic sur internet

est le plus proche. En raison de la forme sphérique de la


Terre, le moment où nous sommes au plus près de la Lune,
c’est lorsqu’elle culmine dans le ciel. Quand elle émerge de
l’horizon, elle se trouve quelque 6 000 km plus loin ! C’est
près de 2 % de la distance Terre-Lune, et ce n’est pas négli-
geable quand on pinaille justement sur quelques pour cent
gagnés par rapport à la distance moyenne.

C’EST VRAI... POUR L’AMÉRIQUE


Des communiqués mettent parfois en avant le fait que
la Pleine Lune est la plus proche depuis X années, voire
décennies. Mais en fait, ces variations d’une année à l’autre La Pleine Lune est 12 fois plus lumineuse qu’un Premier Quartier.
jouent sur seulement quelques dizaines de kilomètres. C’est Quand le Soleil l’éclaire bien de face, l’absence d’ombres à sa
imperceptible. Tout au mieux peut-on s’en satisfaire intel- surface la transforme en miroir. Son éclat permet de lire en pleine
nuit. Faites le test avec votre journal préféré ! © Nasa
lectuellement lorsque l’on contemple la Lune ce soir-là.
Pour profiter de ce moment, encore faut-il que l’instant
précis de la Pleine Lune ait lieu lorsqu’elle est visible pour d’accoutumance, vous verrez qu’il est possible de le lire à
l’observateur. Car si elle se produit quand l’astre culmine la simple lumière de la Lune ! Et c’est cela qui est vraiment
aux antipodes, elle se sera déjà éloignée d’environ 1 000 km “super” avec la Pleine Lune en général, et avec les Pleines
au moment où nous la verrons à notre tour. D’ailleurs, Lunes proches du périgée en particulier, notamment le
tous ces gros titres issus des communiqués de la Nasa 24 juillet 2021, le 14 juin 2022 et le 13 juillet 2022.
concernent souvent de conditions optimales pour l’Amé-
rique du Nord, et non l’Europe. UN EFFET BIEN RÉEL SUR LES MARÉES
Faut-il alors bouder la super-Lune ? Certainement pas, Autre phénomène spectaculaire lié à la Pleine Lune : elle
même si on peut mettre ce terme de côté et plutôt parler provoque de grandes marées d’autant plus intenses qu’elle
de Pleine Lune de périgée. Le plus étonnant du phénomène est proche du périgée. L’effet est encore accru autour des
n’est pas tant le diamètre apparent de notre satellite, mais équinoxes, quand l’équateur de la Terre fait face au Soleil.
son éclat. La Pleine Lune du 13 juillet 2022, par exemple, Du coup, les coefficients de marée autour de Pleine Lune de
sera près de 30 % plus brillante que celle du 19 décembre juin et de juillet 2022 seront de l’ordre de 100 à Brest. C’est
2021. Par ailleurs, il est toujours intéressant d’être attentif à ces dates-là qu’il est vraiment possible de voir l’eau mon-
à l’éclat de la Lune quand elle est pleine. “La Pleine Lune est ter à la vitesse d’un cheval au galop dans la baie du mont
12 fois plus brillante qu’un Premier Quartier, et non pas 2 fois Saint-Michel ou à la pointe du Hourdel en baie de Somme.
comme on pourrait le croire”, souligne Jean Lecacheux, astro- Les basses mers sont aussi très marquées et donnent l’occa-
nome à l’observatoire de Paris. C’est ce que l’on appelle l’ef- sion d’accéder à des zones habituellement recouvertes par
fet de phase. Quand la Lune est en quartier, le moindre de l’eau. Finalement, le plus extraordinaire avec la super-Lune
ses reliefs a une ombre portée, des plus hautes montagnes est la récolte miraculeuse qu’elle permet pour les adeptes de
aux plus petits cailloux. Au moment de la Pleine Lune, le la pêche à pied. C’est bien là la seule prédiction fiable, n’en
disque lunaire est éclairé par le Soleil presque de face. Vu déplaise aux Nostradamus de tout poil.
de la Terre, il n’y a donc plus d’ombre visible à sa surface. JEAN-LUC DAUVERGNE
Le gain en luminosité est très fort. Faites vous-même l’expé- (1) Le périgée est le point de l’orbite le plus proche
rience. Sortez la nuit avec un livre. Après quelques minutes de la Terre ; l’apogée, le point le plus éloigné.

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L’ENVIE D’Y CROIRE

AVEC THOMAS PESQUET,


RÊVER À PERDRE
LA RAISON
En France, la nouvelle mission de l’astronaute européen à bord de l’ISS
déchaine les passions. Plus que d’espace, ce phénomène parle de nous.

D
e quoi Pesquet est-il le nom ? On peut se poser la juillet 1982, est reparti en tant qu’astronaute américain
question en suivant la seconde mission de l’astro- vers l’ISS en février 1999. Jean-Pierre Haigneré a vécu
naute français à bord de la station spatiale interna- 186 jours à bord de Mir en 1999. Jean-François Clervoy, lui,
tionale (ISS). Pendant deux jours, du décollage à l’amarrage a décollé par trois fois de cap Kennedy à bord de la navette
du vaisseau Crew Dragon à l’ISS, les nouvelles de l’équipage et a contribué à réparer le télescope Hubble. Enfin, le corps
et les directs se sont succédé sur les plateaux des télévi- des astronautes européens, auquel appartient Thomas
sions d’information continue, mais aussi dans les médias Pesquet, comprend six personnes recrutées en 2008 dont
classiques (radio, journaux, magazines) et sur les réseaux deux Italiens, un Anglais, un Allemand, et un Danois. Mais
sociaux. En tout, des centaines d’heures d’émissions spé- en France, qui connait Andreas Mogensen ? Ou Alexander
ciales dédiées à son départ ont été produites. Gerst, qui succèdera à notre héros français ?
L’affaire a d’autant plus de raisons d’étonner qu’il n’est Nul doute, Thomas Pesquet est un homme sympa-
pas le premier à quitter la planète. Plus de 600 hommes et thique, compétent pour réaliser les très nombreuses expé-
femmes l’ont fait avant lui. Dont Youri Gagarine qui, il y a riences scientifiques dont il a la charge, et déterminé à
soixante ans, s’est éloigné du globe de 327 km à l’apogée profiter des opportunités de vols qui s’offrent au corps
contre 408 km pour Pesquet. Sa destination, elle aussi, n’est des astronautes européens au moment où les Américains
pas nouvelle. Depuis 1972 et la fin des missions Apollo sur placent la destination Lune au centre de leur programme
la Lune, les voyageurs de l’espace tournent autour de la spatial habité. Et il est légitime que l’on s’intéresse à sa nou-
Terre sans s’éloigner d’une distance équivalant à un Paris- velle mission. Mais cette surexposition médiatique n’est ni
Londres. Les stations Saliout, Mir, ISS et aujourd’hui Tianhe de son fait, ni le résultat d’un plan de communication de
(premier module chinois) sont depuis plus de quarante ans l’Agence spatiale européenne (ESA). En réalité, elle parle
les destinations d’un voyage dans les étoiles. beaucoup plus de notre société que de l’ambassadeur gau-
Il n’est pas non plus le premier Français, mais le dixième. lois qu’il est devenu malgré lui. “Je serais curieux de voir le
Tous ont encore bon pied bon œil, et Jean-Loup Chrétien, motif noté sur son attestation”, ironise un internaute qui
sélectionné pour un vol historique avec les Soviétiques en tranche avec la naïveté des commentaires habituels.

Le second vol de Thomas Pesquet brise les codes habituels. Dans un scaphandre,
conçu par un designer d’Hollywood pour la société privée Space X, l’astronaute
européen s’affiche connecté aux réseaux sociaux pour tous ses fans. © SpaceX

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L’ENVIE D’Y CROIRE

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L’ENVIE D’Y CROIRE

L’artiste marseillais Simon de Thuillères utilise des outils numériques


pour mimer les enluminures du Moyen Âge transposées dans notre
époque. Pesquet y est un chevalier des temps modernes. DR

Cristoforetti est depuis quelques années la plus célèbre des


Italiennes. Elle est avec son compatriote Luca Parmitano
l’image positive de toute une génération et un modèle
pour la jeunesse. Comme Thomas Pesquet.
Les hommes politiques ne s’y sont pas trompés. Quentin
Bordage, président de Kolsquare, une plateforme dédiée aux
influenceurs sur les réseaux sociaux, qualifie l’astronaute de
“Macron de l’espace” et explique que : “Comme Emmanuel
Macron, il est jeune, son explosion médiatique est fulgurante, il
peut se prévaloir d’un parcours exemplaire, il reste accessible au
grand public, surtout via les réseaux sociaux, tout en apportant
un renouveau dans l’univers spatial très fermé et élitiste.” On
peut s’amuser de la comparaison, mais il n’a sans doute pas
échappé à notre président qu’il tenait là un bel exemple de
“premier de cordée”, dont le message positif pouvait “ruisse-
ler” dans la société. Ne voyage-t-il pas à bord d’un vaisseau
et d’une fusée construite par une startup qui a brisé tous les
codes — Space X — en imposant un nouveau modèle écono-
mique disruptif — le New Space — mélangeant entreprise
privée et commande publique ? L’occasion est trop belle pour
la laisser passer… Faut-il encore rappeler que, pour la France,
l’enjeu du spatial n’est pas le vol habité ? Et que l’Europe n’a
pas d’accès indépendant à l’espace pour ses astronautes ?
En pleine période de troisième confinement, l’espace est Mais Thomas Pesquet est encore plus. Dans le monde
plus que jamais un territoire de rêves. La puissance onirique de la communication, il est maintenant une étoile dont
du vol habité s’apparente à la fascination pour les exploits la valeur ne cesse de grimper. Il est “comme une marque,
des grandes expéditions scientifiques du passé. Aux alpi- explique Guillaume Martin, de l’agence BETC à la revue
nistes, navigateurs, et explorateurs polaires qui découvraient Stratégie. Il a créé son mythe fondateur : il raconte qu’enfant, il
des terra incognita et repoussaient les frontières des mondes construisait des vaisseaux en carton, par exemple. Comme une
connus. Et à l’image de ce glorieux passé, la fibre nationaliste marque, il a une mission : la recherche scientifique. Comme une
y a trouvé toute sa part. Ainsi, avec les plats concoctés par de marque, il a une ambition : commander la première mission sur
grands chefs, on célèbre le Périgord et la Bretagne ; ou encore Mars en 2025-2030.” Les communicants se laissent toujours
avec Thierry Marx, on expose un savoir-faire étoilé français emporter… Mais les professionnels ont bien compris tous les
que le monde nous envie. En son temps, lors d’une mission avantages qu’ils pouvaient en tirer. Le 6 mai 2021, au cours
à bord de la navette spatiale Discovery, l’astronaute Patrick d’une visioconférence avec les membres du groupe de rock
Baudry n’avait pas hésité à s’exhiber avec une baguette de Coldplay, Thomas Pesquet a été le tout premier à diffuser à la
pain sous le bras, et un béret basque sur la tête… fin de celle-ci le nouveau single du groupe britannique inti-
Ce regain de patriotisme n’est pas spécifique à la tulé Higher Power. Un badge ESA/Coldplay, avec des quartiers
France. En Angleterre, le vol de Tim Peake à bord de de Lune bricolés à la va-vite, célèbre “la première chanson sor-
l’ISS l’a rendu célèbre. Dans le Sun et le Mirror, des jour- tie dans l’espace extraterrestre avant de sortir sur Terre”.
naux ultrapopulistes, les lecteurs se passionnent pour Enfin, il est devenu la coqueluche des collèges et des
la mission du premier astronaute britannique dont le lycées. Les élèves l’adorent comme un superhéros et les
visage souriant s’affiche à la une. De même, Samantha enseignants trouvent à travers lui une occasion idéale

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L’ENVIE D’Y CROIRE

d’intéresser leurs classes aux sciences et aux techniques. La nombreuses des voix discordantes se détachent du concert
machine à rêves fonctionne à plein régime. Et aucun bémol de louanges médiatiques. Ainsi, dans un article intitulé
n’est de mise face aux passions. Thomas Pesquet lui-même “Thomas Pesquet, Napoléon de l’espace et héros de l’inu-
semble parfois débordé par le phénomène et l’exprime publi- tile”, publié en mai 2021 dans la revue Slate, Laurent
quement. Ainsi dans une interview à la revue Society en Sagalovitsch écrit : “À force d’envoyer toutes les deux semaines
avril 2021, il énonce toute sa défiance face aux émotions une bande de gais lurons le visiter, l’univers est devenu un objet
qu’il suscite : “Moi, je suis profondément rationnel, il y a plein de de consommation courante qui a perdu de sa magie et de sa poé-
choses que j’aime bien, mais rien que j’aime au point d’en perdre sie. On s’y rend désormais comme on va chez son boucher. Sans
la raison. Dans le fond, pour moi, une passion dévorante, c’est un état d’âme et sans la moindre sensibilité ou début de réflexion.
déséquilibre. […] Parce que cette passion engendre du stress.” Comme un fait acquis qui ne suscite plus que des commérages,
La situation, au bout du compte, est inédite. La popularité des avalanches d’anecdotes sur la bouffe embarquée, la fréquence
hypertrophiée de l’astronaute Pesquet est l’arbre qui cache la des douches, la taille des chiottes, la qualité du sommeil, l’ori-
forêt des vrais enjeux de l’espace : la souveraineté des États, ginalité de la décoration intérieure, la vue qu’on a du balcon, la
leur indépendance d’accès à l’orbite, l’économie numérique superficie du coin cuisine, toute cette banalisation de la conquête
et la compétition internationale, la défense, la surveillance, spatiale qu’on dégueule sur les réseaux sociaux afin de remporter
la science et l’observation de la Terre dans un contexte de de nouvelles parts de marché. De métaphysique, de relation entre
changement climatique majeur. Le tout dans un univers Dieu et l’infini, de toutes ces questions qui confèrent à l’espace
bousculé par Elon Musk et ces sociétés privées qui transfor- son caractère à la fois effrayant et hautement philosophique, il
ment les codes et les couts du secteur. Selon les estimations n’est plus question. On vient faire le pitre comme dans une comé-
de la banque américaine Morgan Stanley, les revenus engen- die des apparences où l’on tâche d’apparaitre comme le plus sou-
drés par l’espace devraient passer de 350 milliards de dol- riant possible, le plus sympa, le plus avenant, soucieux avant tout
lars aujourd’hui à plus de 1 000 milliards en 2040. On est d’assurer à son public resté à terre que la vie en ces altitudes res-
loin des 500 millions d’euros de budget annuel consacré par semble à une fête foraine, à un parc d’attractions en apesanteur.”
l’ESA au vol habité. Moins de 1 € par Européen… Alors, de quoi Pesquet est-il le nom ? Sans aucun doute
Les vrais enjeux du spatial sont dissimulés par les images de notre envie d’échapper à la réalité ; de la nécessité de
d’hommes et de femmes qui ont échappé à la gravité. Mais rêver “quoi qu’il en coute”. Rêver à perdre la raison ?
pour combien de temps ? Même si elles sont encore peu ALAIN CIROU

Chacun dans leur pays, les astronautes


européens sont des stars. En
Angleterre, le vol de Tim Peake fait la
couverture du très nationaliste Mirror.
En Italie, Samantha Cristoforetti
connait le même phénomène que
Pesquet. Mais chaque pays ne parle
que de ses compatriotes.

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UNE VIEILLE HISTOIRE

LES HOMMES CHAUVESOURIS


AGITENT NEW YORK
C’est peut-être le plus vieux canular astronomique. En aout 1835, les New-Yorkais
apprennent dans le journal que des hommes ailés ont été observés sur la Lune.
La nouvelle se propage à Londres, Paris ou Berlin. Et tout le monde y croit…

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UNE VIEILLE HISTOIRE

L
e 28 aout 1835, les lecteurs du New York Sun observatoire de l’hémisphère Sud, a déjà fait les plus extraordi-
apprennent avec stupéfaction qu’il y a des hommes naires découvertes sur chacune des planètes du Système solaire”,
sur la Lune. Ou plus précisément, des hommes chauve- prend soin de préciser le journal new-yorkais dans son pre-
souris. “Couverts, sauf sur le visage, de cheveux mier article. Après avoir rappelé les (vrais)
courts et brillants de couleur cuivrée”, possé- faits d’armes de l’astronome, le texte décrit
dant des “ailes constituées d’une fine membrane l’instrument “de conception entièrement nou-
reposant confortablement sur le dos, du haut des velle” avec lequel Herschel aurait fait ses
épaules aux mollets”, ces “vespertilio-homo” à découvertes récentes. “La connaissance de
la “chair jaunâtre” sont manifestement des celui-ci est essentielle à la crédibilité de celles-là”,
“créatures innocentes et heureuses”. Qui plus souligne d’ailleurs le Sun avec quelque
est, ouvertes à l’esthétique, puisqu’on les a malice. Financé par la Royal Society à hau-
notamment observées près d’un “temple de teur de 10 000 livres, puis par le roi d’Angle-
saphir au toit d’or”… Voilà trois jours déjà que les lecteurs terre Guillaume IV qui donne carte blanche à Herschel, cet
du Sun suivent avec fascination le récit des extraordinaires instrument à la fois télescope et microscope fait rien moins
découvertes de l’astronome John Herschel au cap de Bonne que “24 pieds de diamètre” (7 m).
Espérance. Ces descriptions fantastiques de la Lune, avec
ses troupeaux de bisons et de licornes, ses iles et ses volcans, DES BIBLES POUR LES SÉLÉNITES
auraient été publiées sous la plume d’un certain Dr Andrew Les lecteurs sont captivés et bien peu mettent en doute
Grant dans l’Edimbourg Journal of Science, que le Sun pré- le récit du Sun. Ici, un prêtre exhorte ses paroissiens à
tend s’être procuré en avant-première. Peu importe que cet rassembler des bibles pour les envoyer aux créatures de
obscur journal scientifique ne paraisse plus depuis trois ans Dieu découvertes sur la Lune. Là, c’est une délégation de
déjà. Dès le premier article du Sun le 25 aout, publié sur savants de l’université de Yale qui se précipite à New York
quatre colonnes en page 2, tout le monde en parle. pour étudier les articles originaux. “Un grave professeur
Il faut dire que “Herschel le jeune” est déjà fort connu à de mathématiques de Virginie m’a expliqué sérieusement qu’il
cette époque. Et il est de notoriété publique qu’il a embar- n’avait aucun doute sur la réalité de tout cela”, témoignera plus
qué deux ans plus tôt avec femme et enfants pour la pointe tard un certain Edgar Allan Poe. De fait, le tout jeune New
de l’Afrique, où il compte poursuivre pour l’hémisphère York Sun, fondé deux ans plus tôt, voit ses ventes quintu-
austral l’œuvre de son père, le grand cartographe du ciel et plées ! Son directeur de 25 ans, Benjamin Day, revendique
découvreur d’Uranus William Herschel. “Herschel, dans son la première place aux États-Unis pour son journal, vendu

Le grand canular lunaire nait aux États-Unis de la rencontre


d’un éditeur ambitieux et d’un journaliste facétieux, Benjamin Day
(à gauche) et Richard Adam Locke. DR

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UNE VIEILLE HISTOIRE

à plus de 19 000 exemplaires, et cet ancêtre des tabloïdes


devient l’étendard de ce que l’on appelle alors la “presse à
un penny”. Sauf qu’après quelques jours d’un récit en cres-
cendo, le feuilleton cesse brutalement.
Le télescope de Herschel, annonce le New York Sun, a été
accidentellement dirigé vers le Soleil. Il est devenu inutilisable !
Quelques semaines plus tard, on apprend que ces hommes
chauvesouris, ces palais somptueux et ces iles lunaires sont
nés de l’imagination du journaliste Richard Adam Locke (pour
l’anecdote, descendant du philosophe John Locke). Tout juste
recruté par le Sun, le trentenaire expliquera plus tard qu’il
avait écrit une satire. Il voulait se moquer de la certitude affi-
chée par beaucoup de l’existence d’une vie extraterrestre. Mais
le nombre de lecteurs trompés ne fait-il pas de ce feuilleton un
canular ? Voire une mystification, à visée pécuniaire ? Dans
l’affaire, le New York Sun acquiert en tout cas un lectorat et des
tirages qui ne redescendront plus…

ÉCLATS DE RIRE À L’ACADÉMIE


Herschel, lui, est d’abord furieux que son nom ait été
utilisé dans une telle farce. Ce n’est pas que sa réputation
en souffre, mais il est assailli de lettres de personnes dési-
reuses d’en savoir plus, soit sur ses supposées découvertes,
soit sur sa réaction au canular. Il écrit à sa tante Caroline
Herschel : “J’ai été pressé de tous côtés avec ce canular ridi-
cule à propos de la Lune — en anglais, français, italien et alle-
mand !” Dans une lettre ouverte, il remercie François Arago
d’avoir tenté de ramener à la raison “ces gens assez stupides
pour croire n’importe quelle histoire extravagante qu’on leur
présente”. Le directeur de l’observatoire de Paris a notam-
ment lu des extraits du New York Sun à l’Académie des
sciences, ou il a bien fait rire son auditoire. Il en écrit une S’il fait de belles découvertes depuis le cap de Bonne
Esperance, John Herschel n’a pas vu d’hommes ailés sur la
autre à L’Athenaeum, la grande revue politique et littéraire
Lune. Mais dès la parution des articles du New York Sun,
de Londres, mais qui ne sera jamais publiée (probablement l’astronome anglais est assailli de lettres de curieux ! DR
jamais envoyée) et retrouvée dans ses archives en 2002.
“Il n’y a rien, aussi absurde et impossible soit-il, à quoi un
homme ne puisse finir par croire si on le lui répète sérieusement faute d’air, que des êtres vivants, analogues par leur organi-
tous les matins au petit-déjeuner pendant 365 jours. Napoléon sation à ceux qui peuplent notre globe, se trouvent à la sur-
avait comme maxime que la formule la plus efficace de la rhéto- face de la Lune.” Mais dans le même ouvrage, il s’était
rique est la répétition”, écrit-il. Il s’y désole une fois de plus prononcé clairement en faveur de la vie extraterrestre
d’être assailli de questions sur la vie de ces hommes de la autour d’autres étoiles… “À quel dessein pensons-nous que
Lune, et regrette de passer pour “une personne morose et peu ces corps magnifiques aient été dispersés dans les abimes de
communicative”, n’ayant évidemment rien à répondre. l’espace ? Ce n’est sans doute pas pour éclairer nos nuits […],
Aurait-il tendu le bâton pour se faire battre ? Était-il ni pour briller comme un vain spectacle, vide de sens et de
même visé par le canular de Locke ? En 1834, dans son réalité, ou pour nous embarrasser d’inutiles conjectures. […]
traité d’astronomie, il avait été clair  : “Il semble impossible, Il faudrait avoir étudié l’astronomie avec un esprit bien étroit

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UNE VIEILLE HISTOIRE

pour s’imaginer que l’homme soit l’unique objet des soins du industrielle, il est l’un des premiers à surfer sur la fasci-
Créateur, et pour ne pas voir, dans ce vaste et admirable appa- nation nouvelle du public pour la science et la technique.
reil qui nous entoure, un plan qui se rapporte à d’autres races Neuf ans plus tard, Edgar Allan Poe saura s’en souvenir.
d’êtres animés.” Il utilisera la même arme pour dénoncer l’emprise gran-
Le canular de Locke est en tout cas resté dans l’histoire dissante de la technoscience sur les Américains crédules.
comme le Great Moon Hoax. L’un des touts premiers, “Incroyable nouvelle : l’Atlantique traversée en trois jours ! Le
sinon le premier canular médiatique et scientifique. Porté triomphe de la machine volante de M. Monck Mason !” pour-
à la fois par la révolution de l’imprimerie mécanisée (à ra-t-on lire sous sa plume le 13 avril 1844. Un canular
vapeur !), qui réduit les couts et augmente la diffusion des publié à nouveau… dans le New York Sun !
DAVID FOSSÉ
journaux, et par le contexte plus large de la révolution

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UNE VIEILLE HISTOIRE

MARS, UNE PLANÈTE


DE RÊVES
Dès que les télescopes ont été en mesure de la détailler, Mars a pris
une place particulière dans notre imaginaire : une planète sœur de
la Terre peuplée d’habitants menaçants ou nouvel eldorado.

C
omment expliquer que, pour beaucoup d’entre tant les “Martiens” font encore partie de notre imaginaire.
nous, Mars demeure un sujet de discussion à part, En dépit des conditions particulièrement inhospitalières qui
une destination privilégiée ? Qu’elle possède un sta- règnent à sa surface, nous continuons même de considérer
tut si particulier auprès du public comme des scientifiques ? notre voisine comme une planète où nous pourrions nous
Malgré l’agacement des astronomes face aux interpréta- installer dans un avenir pour l’instant sans cesse repoussé.
tions “archéologiques” du visage de Cydonia (voir p. 61), Dès les premières observations réalisées au XVIIe siècle,
opinion populaire et chercheurs partagent d’ailleurs un mais surtout à partir des années 1850, Mars nous est appa-
même optimisme à propos de l’existence d’une possible vie rue disposer d’une géographie proche de celle de la Terre,
martienne, fut-elle passée. Impossible de parler de la pla- composée de mers, de continents, de calottes polaires et d’une
nète rouge sans évoquer la question de la vie extraterrestre, atmosphère. L’époque voit le développement de télescopes

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UNE VIEILLE HISTOIRE

À la fin du XIXe aujourd’hui de dire que l’énigme des canaux a cessé d’en
siècle, Mars au être une entre 1894, quand Edward Maunder réalise une
télescope semble
similaire à la expérience de perception montrant à quel point il est facile
Terre. Il n’en faut d’interpréter comme canaux des détails aléatoires, et 1909,
pas plus pour quand le Français Eugène Antoniadi produit, grâce à la
imaginer qu’elle
est habitée. grande lunette de Meudon, une nouvelle carte de Mars où
C’est le cas les réseaux repérés au cours de la génération précédente
de l’Américain ont disparu. Nous sommes à une époque où l’astronomie se
Percival Lowell (à
gauche), certain transforme et où de nouvelles techniques d’observation se
d’y voir un réseau mettent en place, à commencer par la photographie. C’est
de canaux. En d’ailleurs la photo qui permet à Lowell d’affirmer dans un
France, Camille
Flammarion premier temps que les canaux sont réels, avant de recon-
(ci-contre) naitre que leur fixation sur la pellicule est trop perturbée par
croit à une vie les atmosphères de la Terre et de Mars.
martienne. DR
Plus les astronomes savaient dessiner, plus les canaux
avaient tendance à se fondre dans les détails du sol martien.
Pourtant, ils vont continuer d’être représentés sur certaines
cartes officielles jusqu’au lancement des premières sondes
Mariner, au début des années 1960. Personne alors n’avait
réussi à démontrer qu’ils n’existaient pas. Simplement, deux
camps s’étaient constitués. Tandis que le premier, composé
d’astronomes comme Earl Slipher, restait fidèle à l’héritage
de Lowell, l’autre camp se désintéressait des canaux pour
passer à d’autres questions. Quand Gérard de Vaucouleurs
capables de distinguer sa surface. Elle est aussi marquée par publie son grand livre sur Mars en 1951, il refuse de perdre
l’avènement des grands réseaux de presse et de la “science son temps à discuter des canaux. À l’opposé, le collabora-
populaire” qui font partager au public les découvertes des teur et disciple de Lowell, Earl Slipher, conduira, en 1954
astronomes. Dès le départ, Mars est une invention collec- et 1956, deux campagnes d’étude à l’observatoire de
tive, autant “populaire” que “savante”. Elle devient un Bloemfontein (Afrique du Sud), au cours desquelles il persis-
sujet de débat dans les journaux. Elle fait l’objet de nom- tera à photographier les supposés canaux et à les présenter
breux livres de la part d’astronomes dont la popularité est aux lecteurs du National Geographic, alors que bon nombre
demeurée sans égal, comme l’Italien Giovanni Schiaparelli, de ses collègues ont abandonné le sujet.
l’Américain Percival Lowell ou encore le Français Camille
Flammarion. Ce dernier, aussi universellement célèbre à la LE RÈGNE DES PETITS HOMMES VERTS
fin du XIXe siècle qu’il est oublié aujourd’hui, diffuse large- Pendant qu’à la fin du XIXe siècle les astronomes comp-
ment ses idées sur l’existence d’une civilisation martienne tabilisent patiemment les canaux de Mars, un genre litté-
à travers de nombreux articles, ouvrages de vulgarisation raire nouveau va contribuer à modifier le rapport du public
(diffusés tout d’abord en feuilletons) et même romans. à la culture scientifique, encore une fois grâce à la presse
de grande diffusion : le “merveilleux scientifique” (scientific
CONTROVERSE AUTOUR DES CANAUX romance en Angleterre), qui deviendra la science-fiction à
Ses ouvrages et ceux de ses collègues “aréographes” partir de 1926. On a oublié le canular à propos d’un Martien
(de ares, Mars en grec) sont consacrés en grande partie à découvert dans une météorite martienne (déjà !), diffusé par
une découverte qui va passionner autant qu’elle va diviser la presse française en 1878 et la vision “présoucoupique” de
les astronomes et l’opinion : l’hypothèse des canaux mar- Guy de Maupassant d’un vaisseau martien s’abimant dans
tiens, ces réseaux de lignes repérées à la surface de Mars par la Manche en 1884. Mais quand, pour la première fois dans
Schiaparelli à la fin des années 1870, et qu’une erreur de l’histoire de la littérature, le Britannique H. G. Wells imagine
traduction va contribuer à rendre artificiels (canali signi- en 1897 que les Martiens nous envahissent, il le fait dans
fie chenaux en italien, et non canaux). Il est de bon ton le cadre de feuilletons publiés dans le magazine Pearson’s qui

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UNE VIEILLE HISTOIRE

La fiction
prolonge les
rêves d’une
vie martienne.
D’abord dans
le roman
La guerre des
mondes, de
H. G. Wells.
Puis au cinéma,
comme dans
le parodique
Mars Attacks,
de Tim Burton,
en 1996. DR

vont captiver un large public, et être aussitôt repris aux États- Même si les canaux retiennent de moins en moins
Unis par Cosmopolitan. Des publications “non autorisées” l’attention des astronomes, la question de la vie sur Mars
de La guerre des mondes voient le jour, agrémentées de suite continue de les passionner. À la fin des années 1940, c’est
où les Martiens envahissent des villes américaines comme l’étude de l’atmosphère de Mars qui est supposée appor-
Boston, avant que l’ingénieur Thomas Edison (si populaire ter la réponse, ou celle de son sol dans le but d’y détecter
qu’il en devient personnage de fiction) ne monte une expédi- une végétation, comme dans les travaux du Russe Tikhov,
tion pour aller leur mettre la raclée chez eux, dans un roman inventeur de l’astrobotanique. La culture populaire prend à
du vulgarisateur d’astronomie Garrett P. Serviss. nouveau le relai en permettant aux Martiens d’envahir une
La création en 1926 des premiers pulps de SF va être deuxième fois la Terre lorsqu’Orson Welles adapte La guerre
l’occasion de republier le roman de Wells, avant d’entrai- des mondes sous forme de bulletins d’information radio-
ner la multiplication de “Men from Mars” imaginés par les phoniques le soir du 30 octobre 1938 ; puis avec l’arrivée
illustrateurs et auteurs de scientifiction. Certains Martiens des soucoupes volantes en 1947 et le tsunami de films de
comme les Tharks verts, mais aussi la princesse de Mars science-fiction des années 1950.
tombée amoureuse du Terrien John Carter, inventés en
1912 par Edgar Rice Burroughs, le créateur de Tarzan, PANIQUE IMAGINAIRE
vont devenir extraordinairement populaires. Les Martiens La crédulité populaire a-t-elle alors succédé au discours
sont alors partout, jusque dans les tables tournantes des scientifique ? En fait, ces évènements sont plus marqués par
séances de spiritisme qui permettent de communiquer avec un discours incessant sur la crédulité attribuée aux foules
leurs esprits. Le cas bien connu d’Hélène Smith, étudié par que par leur crédulité réelle. L’émission de Welles n’a déclen-
le psychologue Théodore Flournoy, qui passait “des Indes ché aucune panique, sinon celle des critiques dans la presse
à la planète Mars”, est loin d’être le seul. On voyage beau- le lendemain. Idem pour les soucoupes auxquelles quasi-
coup en esprit vers Mars. De nombreux médiums commu- ment personne n’a cru pendant l’été 1947, mais dont l’in-
niquent les messages reçus des Martiens et publient parfois térêt a largement été maintenu à l’aide des innombrables
des livres sur leurs explorations psychiques. commentaires sur la prétendue naïveté du public. Le cinéma

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UNE VIEILLE HISTOIRE

de série B illustre précisément cette capacité de réflexivité des de questions qu’elles n’apporteront de réponses. Pour ne rien
auteurs de SF, qui n’ont cessé de se caricaturer eux-mêmes. dire des formes d’intelligence extraterrestre. Car quand on
Sans parler des petits hommes verts (little green men), som- parle de vie sur Mars, on pense encore souvent aux Martiens.
met de l’autodérision de ces écrivains (1).
L’intérêt pour Mars redouble. Les pionniers de l’astro- UN DÉSERT À COLONISER
nautique comme Wernher von Braun élaborent un pro- Mars est le laboratoire où ont été testées les grandes
jet pour lancer des fusées à l’assaut de la planète rouge questions à propos de l’existence de formes de vie extrater-
et multiplient, avec le concours de Walt Disney et des restre au-delà du Système solaire. Les autres lieux possibles
grands journaux américains, les opérations pour vulgari- étant lointains (Europe ou Titan) et plus difficiles d’accès
ser l’astronautique, avec Mars en point de mire. Mais les encore (Vénus), l’opinion a fini par s’habituer à ces images
premières tentatives se soldent par des échecs. Après une des déserts martiens qui l’avaient surprise au départ. En les
brève période de scepticisme lors de la découverte en 1965 rapprochant des déserts terrestres (et en oubliant à quel
d’un hémisphère Sud martien jonché de cratères par les point ces derniers sont un paradis à côté de ceux de Mars),
premières sondes Mariner, l’optimisme (2) on peut à nouveau imaginer que la vie pour-
revient avec les missions suivantes qui
révèlent des lits de rivière. Mars, rait s’y cacher, bien enfouie dans son sous-
sol. Le débat lancé autour des météorites
Lorsque la mission Viking se pose sur
Mars en 1976, la question de la vie sus-
un monde martiennes illustre la capacité de cette ques-
tion à rebondir encore et encore.
cite des débats passionnés depuis plusieurs sur lequel Quand le débat sur la vie martienne
décennies. La réaction d’un journal comme semble s’épuiser, celui d’y apporter la vie, au
Paris Match permet de comprendre la situa- l’humanité besoin en s’y installant, s’anime alors, relayé
tion dans laquelle se trouve alors l’ima- par des films comme Total Recall (1986) qui
ginaire collectif. Après avoir, la semaine projette son mêlent le thème de la colonisation de Mars et
précédant l’arrivée des deux sondes de la
Nasa, construit d’audacieuses spéculations
optimisme ? celui de l’existence d’une antique civilisation
technique sur cette planète, un thème qui
sur l’existence de formes de vie martiennes, rencontre un beau succès dans les rumeurs
les premières images montrant un désert à perte de vue sous entretenues par internet. Comme si, au moment où nous
un ciel orangé font titrer à l’hebdomadaire : “Mars, c’est ça !”, risquons de transformer la Terre en une planète à l’atmos-
où pointe une certaine déception. Après un enthousiasme phère aussi saturée que celle de Vénus, Mars constituait une
initial, les résultats de Viking auraient été négatifs. La réalité porte de sortie honorable. Les débats écologiques auront-
est un peu plus complexe : les mesures des expériences biolo- ils le dernier mot ? Dès le milieu des années 1960, James
giques n’ont jamais fait l’objet d’un consensus clair au sein Lovelock, l’auteur de l’hypothèse Gaïa, l’avait noté : l’at-
même de l’équipe qui les a obtenues. Souvenons-nous : trois mosphère de Mars est trop stable, rien à voir avec les désé-
expériences étaient à bord de Viking. Or, le chef de l’équipe quilibres magnifiques de l’atmosphère terrestre. Qu’importe,
responsable de celle nommée Gulliver n’a jamais réussi à la beauté exceptionnelle des innombrables photos envoyées
s’accorder avec les équipes des deux autres expériences par la myriade de sondes qui ne cessent de tourner autour
sur la nature de ce qu’ils avaient découvert. Cet épisode, de l’astre rouge va sans doute continuer de lui assurer une
peu connu, illustre le caractère très particulier de ce qu’on belle popularité. Mars est un monde à part qui témoigne du
recherche sur Mars : la vie ? formidable optimisme qui nous anime.
En effet, s’il est facile de reconnaitre le vivant sur la Terre, PIERRE LAGRANGE
c’est avant tout parce que la question de savoir s’il y a de la
vie ne se pose pas ! En revanche, dans des environnements (1) Voir Pierre Lagrange, “Qui croit aux petits hommes verts ? De
où l’on ne sait pas si la vie existe, comment se mettre d’ac- l’iconoclasme sociologique aux cultures visuelles”, in Gil Bartholeyns
(dir.), Politiques visuelles, Éd. Presses du Réel, p. 229-271.
cord pour dire si tel phénomène témoigne de l’existence
(2) Entretenu notamment par le jeune Carl Sagan dans les
d’une forme de vie ou pas ? Nous vivons avec cette idée que pages du National Geographic ou par le titre d’une chanson
le jour où nous détecterons la vie extraterrestre, cela relèvera de David Bowie, Life on Mars, qui préfigure son album The
du constat, simple et évident. Ce n’est pas si sûr, car nous ris- Rise of Ziggy Stardust and the Spiders from Mars.
quons de rencontrer bien des situations qui soulèveront plus Article publié en mars 2017.

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UNE VIEILLE HISTOIRE

LES FAUX POUVOIRS


DE LA LUNE

Tour à tour dieu ou déesse, souvent associée à la fertilité et à


l’écoulement du temps, la Lune a fait l’objet de nombreuses
croyances. Certaines d’entre elles perdurent encore et conservent
la poésie qui s’attache à cet étrange luminaire nocturne.

34 | CIEL & ESPACE HS40


UNE VIEILLE HISTOIRE

LA LUNE NOUS INFLUENCE PUISQUE NOUS SOMMES COMPOSÉS D’EAU

V u l’influence que la Lune a sur les


océans, un être humain ne peut pas
y rester insensible : logique, nous sommes
absolument pas dépendante de la compo-
sition d’un corps, mais de la masse et de
la distance. Or, la masse d’un être humain
sans effet sur les êtres vivants. Son action
est inférieure au poids d’un moustique
qui se pose sur notre bras. Elle attire
constitués à 60 % d’eau ! Et pourtant, n’est pas du même ordre que celle de l’At- autant qu’un petit pois placé à 50 cm
c’est faux. La force gravitationnelle n’est lantique ! La gravité de la Lune est donc au-dessus de notre tête.

ON DORT MOINS BIEN


À LA PLEINE LUNE

O n le sait, consulter longuement des écrans avant


de se coucher nuit à la qualité du sommeil. Et les
citadins, sous l’influence de nombreuses sources lumi-
neuses, se couchent plus tard et dorment moins que
ceux qui vivent dans une zone privée d’électricité. Pour
la Lune, l’effet est plus subtil, mais il a été mesuré assez
récemment par des neurophysiologistes de l’université
de Washington. Ceux-ci rapportent que dans les trois à
cinq jours qui précèdent la Pleine Lune les gens s’endor-
ment en moyenne 30 minutes plus tard et dorment 46 à
58 minutes de moins. À la ville comme à la campagne.
Selon eux, notre horloge circadienne aurait conservé en autre étude s’est intéressée aux enfants. Elle montre que,
mémoire une “adaptation qui a permis à nos ancêtres de pro- contrairement au mythe, il n’y a pas d’hyperactivité des
soirée” . Une
fiter d’une source naturelle de lumière dans la soirée”. 9-11 ans (sujets de l’étude) au moment de la Pleine Lune.

PEUT-ON BRONZER AVEC LA LUNE ?

P our résoudre cette énigme, il faut se


rappeler que la Lune est comme un
miroir. Elle ne produit pas de lumière (c’est
blesse lunaire a un cout : en plus de ne
restituer que peu de photons émis par
notre étoile, elle les renvoie dans toutes
l’affaire du Soleil), mais se contente de la les directions. Au final, il n’y a donc qu’un
réfléchir. Elle n’est d’ailleurs pas très effi- très faible pourcentage de la lumière
cace puisqu’elle ne renvoie que 7 % de la solaire captée par la Lune qui revient sur
lumière solaire reçue. Son nom qui vient Terre. Quantitativement, comparé aux
du latin luna, “la brillante”, qui dérive 100 000 lux du soleil, l’éclairement de la
de leuk, “lumière”, magnifie l’éclat de ce Lune est de 0,2 lux. Et comme la lumière
luminaire. Mais nombre d’astronomes du clair de Lune n’est au fond que de la
rappellent qu’elle brillerait beaucoup lumière solaire, la proportion d’ultra-
plus si on la peignait en noir. L’albédo de violets y est la même. C’est-à-dire qu’un
la Terre, lui, qui est de 35 % est cinq fois “coup de lune” est 500 000 fois moins fort
plus efficace que celui de Séléné, sœur qu’un coup de soleil, ou encore, que pour 500 000 fois plus longtemps ! Les grandes
d’Hélios et reine de la nuit. Et cette fai- bronzer avec la Lune, il faut s’exposer vacances sont toujours trop courtes…

35 | CIEL & ESPACE HS40


UNE VIEILLE HISTOIRE

La mode de la biodynamie
ne doit rien à la science.
C’est une croyance moderne
qui rencontre de nombreux
adeptes. DR

DOIT-ON JARDINER AVEC LA LUNE ?

C ette question, qui fait chaque année les choux gras de la


revue Rustica avec son spécial “Jardiner avec la Lune”,
est la meilleure occasion de se fâcher entre amis. Certains
parties du zodiaque sont considérées comme favorables aux
plantes “fleur”, “racine” ou “feuille”…
Pour les scientifiques, la force d’attraction de la Lune suit
affirment qu’il faut planter les tomates en Lune montante et la loi de Newton et dépend de la masse des corps. On ne voit
les pommes de terre en Lune descendante. D’autres, en par- jamais de piscine fermée pour cause de marée basse. Elle est
ticulier dans la viticulture, assurent qu’il faut tenir compte infinitésimale dans le cas d’une plante. Alors, imaginons
des rythmes du ciel et du ballet des astres. Le mouvement un pied de tomate de 1 kg, la Lune exerce sur lui une force
promu notamment par l’essayiste Pierre Rabhi est celui de la de 3.10–4 N. C’est-à-dire une force équivalant au poids d’un
biodynamie, dont le langage symbolique se réfère à la mytho- objet de 3 centigrammes ! Il va de soi que la moindre inter-
logie. Créée il y a un siècle par l’Autrichien Rudolf Steiner, vention du cultivateur ou le moindre changement dans l’en-
la biodynamie n’a rien d’une science puisqu’elle s’appuie vironnement compte beaucoup plus. Jardiner avec la Lune
avant tout sur des… intuitions (1). “Nous prenons en compte les n’a aucun fondement scientifique et relève uniquement de la
mouvements de la Lune. Son orbite est une ellipse, il y a donc des croyance. Mais ceux qui y croient sont sans doute plus atten-
variations de distance. Lorsqu’elle est proche, les marées sont très tifs aux rythmes naturels et soignent les plantes comme on le
fortes”, note le vigneron alsacien Olivier Humbrecht, grande fait des êtres vivants. L’utilisation de pratiques agronomiques
figure de cette approche. “Les inventeurs de la biodynamie ont adaptées et respectueuses de l’environnement favorise le bon-
déterminé quatre types de constellations, de feu, de terre, d’air et heur et la croissance des plantes. Et ça, c’est prouvé !
de mer. Lorsque la Lune est devant une constellation de feu, on a (1) Lire notre enquête : https://www.cieletespace.fr/
plutôt un jour favorable aux plantes fruits”, poursuit-il. D’autres actualites/doit-on-vraiment-jardiner-avec-la-lune

36 | CIEL & ESPACE HS40


UNE VIEILLE HISTOIRE

LES ACCOUCHEMENTS DE LA PLEINE LUNE

S i le débat autour des lunes du jardin


en périodes croissante ou décrois-
sante ne vous a pas privé de tous vos
le cycle lunaire. Avec une autre étude
conduite en France par l’Inserm entre
1968 et 1982, vous constaterez que
amis, n’hésitez pas à entamer la discus- l’idée fait encore “pchitt” ! Sur plus de
sion sur le sujet des accouchements où 12 millions de naissances, elle note un
nombre de personnes — dont certaines écart de 1 % entre le jour qui compte le
du personnel soignant — affirment plus de naissances dans le mois et celui
que “les maternités sont débordées à la qui en enregistre le moins. Autant dire
Lune” ! Mais ce n’est pas vrai.
Pleine Lune” ! que tous les jours se valent ! Ce qui
Une grande étude scientifique a été n’est pas le cas des mois — il y a un
menée entre 1980 et 1999 à l’uni- maximum en mai et un minimum en
versité des Appalaches (États-Unis). novembre — et des jours de semaine,
Elle a suivi jour après jour 70 millions où les naissances sont plus nombreuses
de naissances et les a corrélées avec que le samedi et le dimanche. Les
les phases de la Lune. Bilan : il n’y a sagefemmes également prennent leur
aucun lien entre les accouchements et week-end.

LES FOUS DE LA PLEINE LUNE

C ette fois, c’est sûr ! À la Pleine


Lune, dans les hôpitaux psychia-
triques les fous sont très agités quand
sécurité — les plus nombreux à accor-
der un crédit aveugle aux supposées
influences de la Pleine Lune — pour
logie de l’université Laval à Québec,
Geneviève Belleville, a publié il y a
quelques années une étude sur la
la Lune est pleine. Mais que vaut la participer à ce débat de la croyance ? corrélation entre les cycles lunaires et
voix des personnels médicaux et de Une professeure à l’école de psycho- les admissions aux urgences psychia-
triques. Résultat : l’ami Pierrot n’y
est pour rien. La Pleine Lune ne s’ac-
compagne d’aucune recrudescence
de troubles ni dans les trois jours sui-
vants ou les trois jours précédents.
Les statistiques donnent des résultats
analogues concernant les suicides,
les crises d’épilepsie, d’angoisse et de
dépression. L’étude, et c’est en fait son
enseignement principal, révèle que
pas moins de 80 % du personnel infir-
mier et 64 % des médecins y croient
pourtant !

“JE N’AIMERAIS GUÈRE VIVRE SUR LA LUNE. ÇA M’EMBÊTERAIT


DE CHANGER DE QUARTIER TOUS LES NEUF JOURS”
FRANCIS BLANCHE

37 | CIEL & ESPACE HS40


UNE VIEILLE HISTOIRE

DES VISAGES DANS LA LUNE DONT


UNE TÊTE DE FEMME

D epuis des siècles, la tradition populaire s’en-


tend pour y voir assez facilement une “bouille de
Pierrot”, une grenouille, un renard, un serpent, un rat,
ou encore un lapin avec un menton et deux grandes
oreilles. Le plus connu est “l’homme de la Lune” : en
fait, un voleur expédié au ciel pour punition et qui porte
sur son dos l’objet de son larcin, soit un fagot, un panier
de choux ou une brouette… C’est dans le jeu des taches
claires et sombres des mers et des cratères que se jouent
les thèmes des images et la puissance des contrastes. Et
selon les saisons, les conditions atmosphériques et la
longueur des ombres portées, on ne voit pas les mêmes
figures d’un jour à l’autre.
Dans les civilisations qui nous ont précédé, la Lune
est une divinité. Qu’elle soit dieu ou déesse, peu importe,
son culte est répandu dans la presque totalité des reli-
gions primitives. Et rapidement, les hommes ont pensé
qu’elle avait le pouvoir d’influencer leur destin. La Lune,
c’est l’amour, la fécondité, c’est le temps qui passe, mais
c’est aussi depuis l’invention de la lunette un rendez-vous
d’initiés capables de “voir” dans ce théâtre d’ombres des
scènes originales. C’est le fameux “baiser sur la Lune”
découvert en 1880, où apparait le contour de deux têtes
— un homme et une femme — dont les lèvres se joignent
à la Pleine Lune.
Et puis beaucoup plus secret, la “tête de femme”
du golfe des Iris qui est apparue pour la première fois
sur une carte de la Lune présentée à l’Académie des
sciences en 1679 par l’illustre astronome de Louis XIV,
Jean-Dominique Cassini. On y voit, au sein de la mer
des Pluies, un promontoire qui se présente comme une
figure de proue de bateau. Et là, sans aucune ambigüité,
se dessine le profil d’une belle jeune femme dont la tête
sort des rochers et scrute l’océan. Les historiens des
sciences qui se sont penchés sur l’origine de la carte qui
signale ce “petit mirage” affirment que le dessin réa-
lisé pour le roi par Cassini cache en fait le portrait de
sa femme, Geneviève de Laistre. Elle lui donnera trois
enfants et lui, un merveilleux témoignage d’amour, sub-
til, mouvant, mais permanent… comme la Lune !

La tête de femme du golfe des Iris est, sur


la Lune, un hommage de l’astronome royal
Jean-Dominique Cassini, à son épouse,
Geneviève de Laistre. DR

38 | CIEL & ESPACE HS40


UNE VIEILLE HISTOIRE

FAUT-IL AVOIR PEUR DE L’ANNÉE DES 13 LUNES ?

V oilà un autre fantasme qui conjugue une prévision de


météo pourrie avec un nombre censé attirer le malheur.
Pourtant c’est une affaire très simple… Rappelons quelques
un quart. Donc la question est la suivante : combien case-
t-on de lunaisons dans une année ? Cette simple division
a seulement deux résultats possibles : 12 ou 13. En 2021,
fondamentaux. Un, la Lune tourne autour de la Terre en c’est 12, mais ce sera 13 en 2022 puisque la première Pleine
29 jours, 12 heures, 44 minutes et 2 secondes. Ça s’appelle Lune tombe le 2 janvier. Il n’y a aucun mystère derrière tout
une lunaison et ça démarre par une Nouvelle Lune, suivie ça ! C’est de la pure mécanique céleste et l’on sait que les
d’un Premier Quartier, d’une Pleine Lune, et d’un Dernier années où il y a 13 Pleines Lunes reviennent grosso modo
Quartier qui cèdera sa place à une nouvelle “Nouvelle tous les trois ans. Alors, la météo est-elle différente tous les
Lune”. Deux, la Terre tourne autour du Soleil en 365 jours trois ans ? Nous vous laissons deviner…

LA LUNE DÉCOLORE-T-ELLE LES RIDEAUX ?

P endant longtemps, on a cru que la


lumière de la Pleine Lune décolo-
rait rideaux et vêtements qu’on lais-
clarté sélène. C’est le même phénomène
qu’avec les plantes, mais cette fois-ci avec
des molécules chimiques. Des pigments
de température. En résumé, l’équation
est simple : si l’on voit la Lune, c’est que
le ciel est dégagé. Il fait plus froid, mais ce
sait sécher dehors. Ce qui était vrai ! Et colorés, qui à l’époque étaient souvent n’est pas de sa faute. Après tout, on ne
là encore, l’explication ne doit rien à la instables et très sensibles aux variations peut pas en vouloir à un miroir…

“LE VAGABOND A DEUX MONTRES QUE L’ON NE PEUT ACHETER


CHEZ TIFFANY ; À UN POIGNET LE SOLEIL, À L’AUTRE POIGNET LA
LUNE, LES DEUX MAINS SONT FAITES DE CIEL. ”
JACK KEROUAC

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UNE VIEILLE HISTOIRE

LE SECRET DE LA LUNE ROUSSE

L a Lune rousse n’a rien d’astrono-


mique. C’est une expression populaire
très ancienne, qui attribue à la lunaison
de zéro. Et la preuve, ajoutait-on, c’est
que par temps couvert, cette gelée ne
se produisait pas. Évidemment, la Lune
leur se dissipe d’autant plus vite dans
l’atmosphère qu’il n’y a pas d’obstacle,
de couverture nuageuse. C’est alors que
de Pâques la réputation de faire geler n’est pas la cause du gel. Mais quand on des plantes exposées à la déperdition
les bourgeons et les jeunes pousses. On la voit, c’est que les nuits sont claires, calorifique nocturne peuvent prendre
disait que les feuilles roussissaient sous sans nuages. Et aux premiers jours de une température inférieure de quelques
la clarté lunaire, alors même que le ther- printemps quand il fait beau, chaud, et degrés à celle de l’air ambiant. Et geler.
momètre ne descendait pas en dessous que le soir la Terre se refroidit, sa cha- Voilà le secret de la Lune rousse !

Avec l’invention
de la lunette,
puis du
télescope, les
astronomes
cartographient la
face visible de la
Lune. Et donnent
des noms aux
principales
formations. Des
mers, des océans
et des chaines
de montagnes
prennent place
dans le ciel.
© Nasa

LES NOMS DE LA LUNE RÉVÈLENT SES INFLUENCES

A vec Léonard de Vinci et l’art de la perspective surgit l’idée


que la Lune est un monde à part entière, semblable à la
Terre. Et que les taches sombres visibles sur son disque sont des
pour ne vexer personne, préfèrera attribuer aux montagnes et
aux mers des noms existant sur la Terre. Comme la vallée des
Alpes ou la chaine des Apennins. Mais c’est surtout Riccioli
continents, alors que les zones claires sont des océans. Quand et Grimaldi, deux jésuites italiens, qui seront à l’origine de la
Galilée va braquer sa lunette dans cette direction en 1609, il nomenclature actuelle. Pour les cratères, ils transforment la
va confirmer cette idée d’un astre fait de terres et de mers. Et Lune en panthéon d’astronomes : Galilée, Kepler, Tycho…
la première carte lunaire réalisée en 1645 par Langrenus, un Quant aux mers, ils vont se référer aux croyances populaires
mathématicien belge qui était astronome à la cour du roi d’Es- qui attribuent à la Lune une influence positive pour la météo
pagne, réserve les noms de la famille royale à ce qu’il considère au Premier Quartier, et négative en Lune décroissante.
être des terres, et baptise les supposées étendues d’eau “mer de Ainsi, on trouve les mers de la Sérénité, de la Tranquillité, du
Vénitie”, “mer des Astrologues” ou encore “mer d’Autriche”. Nectar et de la Fécondité sur la moitié orientale. Et l’océan
Puis de nombreux astronomes vont s’acharner à dresser des des Tempêtes, la mer des Pluies, celles des Nuées ou des
cartes de la Lune de plus en plus précises. Il y aura Hevelius qui, Humeurs sur la partie occidentale.

40 | CIEL & ESPACE HS40


UNE VIEILLE HISTOIRE

Des études ont montré que certaines espèces de moustiques éclosent en priorité à la Pleine Lune. Et que le zooplancton arctique —
de minuscules animaux qui se nourrissent d’algues — dispose d’une horloge interne réglée sur la Lune. Ce qui lui permet d’échapper
à ses prédateurs dès que sa lumière est trop forte. DR

LA LUNE PEUT INFLUENCER LES ANIMAUX

“C e qui fait que l’on croit à tant de


faux effets de la Lune, c’est qu’il
y en a de vrais”, notait Blaise Pascal.
des ovules dans la mer des coraux,
ou du ver Palolo, sorte de spaghetti
de 30 cm de long, qui vit dans les ré-
certaines espèces méditerranéennes
éclosent en priorité à la Pleine Lune.
Enfin, de nouvelles recherches en
Certains animaux adaptent leur mode cifs coralliens tropicaux. Une étude chronobiologie rapportent que des
de vie en fonction de l’astre de la nuit. allemande montre également qu’en plantes et d’animaux marins sont
Ainsi, la luminosité de la Pleine Lune plaçant des larves de moustiques sous sensibles aux variations de l’éclai-
sert de déclencheur pour la libération un éclairage artificiel mimant le jour, rage lunaire pour la reproduction et
synchronisée des spermatozoïdes et la nuit et les cycles de la Lune, que la croissance.

LE CYCLE
COUPER LES CHEVEUX MENSTRUEL EST
À LA PLEINE LUNE LIÉ À LA LUNE
LES FORTIFIE

R ien de plus faux  ! Selon cette


croyance très commune, les
A ucun rapport. La moyenne de
28 jours varie en réalité énormé-
ment d’une femme à une autre et au
cheveux repousseraient ainsi plus cours de la vie. Il ne s’agit que d’une
rapidement et plus fort, de la même coïncidence, assez mauvaise d’ailleurs :
manière que les plantes subiraient le cycle de la Lune est de 29,53 jours.
des “montées de sève” en Lune crois- De plus, l’être humain n’est pas le seul
sante. Or, les cheveux poussent par mammifère qui vit en présence de la
la racine et ne contiennent aucun Lune. Pourtant, les cycles des autres
fluide nutritif ! Autre argument par- espèces sont de durée diverse : 5 jours
fois avancé : le cuir chevelu est mieux pour le rat, 16 semaines pour l’élé-
irrigué. C’est tout aussi faux, puisque phant et… 28 jours pour l’opossum.
la Lune n’a aucune influence sur la ALAIN CIROU, JEAN-LUC DAUVERGNE
circulation sanguine. ET BENOÎT REY

41 | CIEL & ESPACE HS40


FAUSSES THÉORIES

Depuis des décennies les astronomes traquent une hypothétique neuvième


planète du Système solaire qu’ils ont baptisée la “planète X”. Elle serait géante,
invisible car située dix à vingt fois plus loin que Neptune, mais elle n’a toujours
pas été détectée et son existence même est toujours un sujet de débats. Sauf
par ceux qui croient dur comme fer qu’elle a déjà été observée par nos ancêtres,
qu’elle a bouleversé notre histoire, et qu’elle menace, un jour ou l’autre, d’entrer
en collision avec la Terre. Voici l’histoire de Nibiru, la planète de l’apocalypse.

NIBIRU ET L’OR DES


ANNUNAKI
U
ne nouvelle fois, le 12/12/2012, la fin du notre Système solaire ne sont pas nouvelles sous le Soleil.
monde a été remise à une date ultérieure. Alors Elles sont sues depuis la Haute Antiquité […]. En rappro-
que cette date réputée pour marquer la fin du chant les textes des tablettes d’argile de la magnifique civi-
calendrier maya devait signer le début de l’apoca- lisation sumérienne avec les livres et les récits bibliques
lypse à la surface de notre bonne vieille Terre, il ne — la Genèse, les Psaumes, le livre de Job, les paroles des
s’est rien passé du tout ! Et parmi les maux qui nous Prophètes —, j’ai été frappé par la découverte d’un savoir
menaçaient aux dires des croyants de cette prédiction scientifique inouï sous-jacent à l’Ancien Testament.”
se distinguait celui de Nibiru. Pour Zecharia Sitchin, notre sort était déjà scellé chez
Nibiru, planète inconnue de nos savants, qui devait les Sumériens, “représentants de la première civilisation
surgir du fin fond obscur de l’espace et, en ce jour mau- part”.
connue, apparue soudain il y a 6 000 ans, surgie de nulle part”.
dit des dieux, percuter (ou frôler, c’est selon les sites Inventeur de l’écriture, ce peuple a légué aux archéologues
apocalyptiques) notre planète. Inutile de chercher des milliers de tablettes en argile recouvertes de caractères
dans les tablettes astronomiques la trace de la pla- cunéiformes qui ont permis de se faire une idée extraor-
nète Nibiru. Elle n’existe que dans celles, d’argile, des dinairement précise du fonctionnement de leur société et
Sumériens. L’inventeur de cette fabuleuse histoire, le de leurs connaissances. De ce stock immense d’écrits, une
“journaliste scientifique” Zecharia Sitchin, s’est fendu seule tablette, exposée à Berlin, eut l’heur d’attirer son
de deux ouvrages (La(La 12e planète et La planète cachée à attention. On y voit, explique-t-il, “un Système solaire com-
l’humanité) pour nous expliquer que “nos
l’origine de l’humanité) centre”, Uranus, Neptune, Pluton et son
plet, avec le Soleil au centre”,
découvertes actuelles sur nous-mêmes, notre planète et orbite excentrée, ainsi qu’une planète supplémentaire, “un

Nibiru est une planète hypothétique, prétendument découverte par les


Sumériens, et qui orbiterait autour du Soleil en 3 600 ans. Cet astre, inconnu des
astronomes, pourrait frôler ou percuter notre Terre et précipiter la fin du monde.
Prévue pour 2012, cette dernière a été reportée à une date ultérieure. DR

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FAUSSES THÉORIES

43 | CIEL & ESPACE HS40


FAUSSES THÉORIES

Les habitants
de Nibiru, les
Anunnaki, auraient
débarqué sur Terre
il y a 4 000 siècles.
Ils auraient exploité
des mines d’or et,
par manipulation
génétique, créé
un esclave,
l’Homo sapiens. DR

douzième membre” en comptant le Soleil et la Lune, et dont la science. “Le chef scientifique et le médecin-chef du secteur
nous n’avons pas encore connaissance… Cette dixième pla- médical des Anunnaki recoururent à des manipulations géné-
nète (car les Sumériens, n’en doutons pas, soutiennent la tiques et à des techniques de fertilisation in vitro pour créer des
découverte de Pluton par Clyde Tombaugh depuis l’au-delà) “travailleurs primitifs”. Ce fut le premier Homo sapiens, un
baptisée Nibiru — ce qui signifie “la planète du passage” — esclave, un travailleur primitif… “Cette créature existait déjà”,
est positionnée sur une orbite très excentrique et revient nous précise l’auteur qui tient à rester “scientifique”. “Il est même
visiter tous les 3 600 ans. Mais le meilleur reste à venir… le fruit de l’évolution. Pour sa mise à jour au niveau d’aptitude
Nibiru est habitée ! Par une civilisation très sophisti-
quée, celle des Anunnaki — “ceux qui sont descendus du ciel
sur la Terre” — dont les Sumériens tirent tout leur savoir.
Ces habitants de la dixième planète ont débarqué sur Terre
il y a plus de 400 000 ans et y sont revenus régulièrement
depuis. Qu’est-ce qui leur a donc tant plu chez nous ? Mais
la même chose que ce qui nous plait à nous : l’or ! À la dif-
férence que, pour ces êtres “purs”, il n’est pas question de
commerce et d’étalage de richesses, seulement la résolu-
tion d’un gros problème écologique. En effet, toujours selon
Sitchin, l’atmosphère de leur planète se raréfie et l’unique
solution pour compenser la fuite de cette couche protectrice
est de pulvériser des particules d’or en altitude, lesquelles
font office de parebrise doré en suspension. Nibiru étant
cruellement dépourvue du précieux métal, c’est sur Terre
que les Anunnaki sont venus chercher la solution de cette
géo-ingénierie nibirienne…
La preuve ? Les mines d’or africaines dont l’exploitation
a démarré il y a fort, fort longtemps. Les mêmes causes pro-
duisant les mêmes effets, les mineurs Anunnaki, toujours
au fond du trou, ne supportèrent bientôt plus leur condition
et, il y a 300 000 ans, se révoltèrent. C’était compter sans

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FAUSSES THÉORIES

et d’intelligence requis, il suffisait d’imprimer en lui l’image de transneptuniens. Cette ceinture de “cailloux” ne serait
des dieux.” Ainsi, Adam aurait été le premier “bébé éprou- que la conséquence du processus de formation planétaire,
vette” créé sur une planète des singes asservie par des pil- hypothèse confirmée par d’importantes observations. Et
leurs d’or. Pierre Boule, l’auteur de La planète des singes, et soixante-deux ans après la découverte de Pluton, un deu-
Jules Vernes auraient beaucoup aimé. En voyageant dans le xième objet est repéré au-delà de l’orbite de Neptune. Baptisé
Système solaire à bord d’une terre-vaisseau spatial dorée, la 1992 QB1, il a été débusqué avec la même technique de
belle démocratie humaniste des Anunnaki a accumulé des comparaison de plaques photo. Comme les cèpes dans les
connaissances considérables. Une mine d’informations qui bois dont il est surtout compliqué de trouver le premier spé-
vaut de l’or et qui a, en partie, été livrée aux Sumériens. Par cimen, la récolte va rapidement exploser. Fin 2010, plus
amour ou par culpabilité ? Bref, Nibiru devait revenir ! Après de 1 400 objets ont été détectés. L’astronome David Jewitt
3 600 ans d’absence, l’astre-vaisseau de ceux qui sont à l’ori- estime qu’il pourrait en exister 25 000 de plus de 100 km
gine de l’humanité devait débouler sans crier gare. Hélas, la de diamètre. Une population de petits corps aux orbites très
planète customisée à la poussière d’or, qui était incontrôlable diverses dont l’objet phare est Sedna. Cette “petite planète”
et nous fonçait dessus, n’est jamais arrivée… est un peu moins grande que Pluton (1 600 km de diamètre
La légende de Nibiru pourrait n’être qu’un conte fan- contre 2 300), mais surtout, sa trajectoire très allongée
tastique de plus si, à la suite de la découverte de Neptune dépasse toutes les dimensions connues du Système solaire.
en 1846, sur la base de perturbations observées dans la Cet astre glacé tourne en 10 500 ans autour du Soleil !
trajectoire d’Uranus, M. Le Verrier n’avait “aperçu le nou- La course au “big one” atteint son paroxysme en 2005
vel astre sans avoir besoin de jeter un seul regard vers le ciel”, avec la découverte de plusieurs objets exceptionnels,
écrit François Arago. “Il l’a vu au bout de sa plume.” Dès dont Varuna (900 km de diamètre), Ixion (1 065 km),
lors, toute anomalie de mouvement d’astres lointains ne Quaoar (1 260 km) et surtout Éris, présenté par la revue
pouvait que dénoncer une influence plus grande encore. Nature comme “plus grand que Pluton” avec un diamètre de
D’autant que dès 1951, le planétologue Gerard Kuiper a 2 600 km contre 2 300 km. La preuve est alors définitive-
postulé l’existence d’une ceinture lointaine de petits corps, ment faite que le Système solaire ne s’arrête pas à la pla-
située bien au-delà de l’orbite de Neptune, d’où leur nom nète de Clyde Tombaugh. Mais peut-il exister une planète
massive qui n’ait pas encore été détectée ? Certains astro-
nomes le pensent en raison de la trajectoire des objets les
C’est sur ce plus lointains du Système solaire. Ils sont une petite dizaine
bas-relief
sumérien que et partagent des caractéristiques orbitales communes : une
Zecharia Sitchin inclinaison de 30° et un passage au plus près du Soleil dans
pense avoir la même zone. Pour eux, cette configuration a une chance
trouvé la preuve
de l’existence infime d’être due au hasard. Et seule la présence d’une pla-
de Nibiru. En nète 5 fois plus massive que la Terre en serait la cause. Elle
haut, à gauche, serait 300 à 650 fois plus éloignée du Soleil que nous et
entre les deux
personnages elle bouclerait une révolution autour du Soleil en quelque
debout, on 10 000 ans. Cette “superterre” aurait pu être créée puis
voit un Soleil éjectée par les mouvements du disque de matière qui entou-
entouré d’un
cortège de rait notre jeune Système solaire. Pour d’autres, au contraire,
planètes. On en il n’y a pas besoin d’imaginer une nouvelle planète mas-
compte neuf ! sive pour expliquer ce que l’on observe. Dans les années à
DR
venir, de nouveaux télescopes, comme le LSST de l’observa-
toire Vera Rubin au Chili, devraient apporter des réponses.
En détectant des objets 15 000 fois moins lumineux que
Pluton, il pourra sans doute lever le mystère de la planète X.
Quant à Nibiru, les amateurs de fantastique le savent, les
fantômes ne disparaissent jamais tout à fait.
ALAIN CIROU

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FAUSSES THÉORIES

LES CROYANTS
DE LA TERRE PLATE
Pour eux, notre planète n’est pas ronde, mais plate comme
un disque. Qui sont ces “platistes” convaincus d’avoir raison, et
sur qui les preuves scientifiques n’ont aucun effet ?

46 | CIEL & ESPACE HS40


FAUSSES THÉORIES

L
a démonstration a tourné court : Mike Hughes, 64 ans, planète. Du point de vue d’un “platiste”, l’intégralité des
s’est écrasé à bord de sa fusée artisanale le 22 février surfaces émergées connues existe donc bel et bien. Mais si
2020 dans l’Arizona. Ce cascadeur passionné la Terre est plate, comment expliquer le cycle jour-
d’astronomie et de mécanique voulait prouver nuit ? “Tout simplement” en rapprochant la
au monde que la Terre était plate. Pour cela, Lune et le Soleil : les deux astres se voient relé-
il avait même réussi à lever plus de 18 000 $ gués au simple rang d’ampoules cosmiques,
auprès d’autres convaincus pour accomplir avec en toile de fond des étoiles parsemées
son rêve, finalement transformé en cauchemar sur un hémisphère céleste. Évidemment, un
pour ses proches. Était-il à ce point persuadé par tel modèle est très vite confronté à ses incohé-
sa croyance pour risquer sa vie ou bien, comme rences par des expériences basiques (1). Pourtant,
l’avance sa famille, cela n’est qu’un prétexte pour obte- cela n’atteint pas la conviction des platistes. Car au
nir gloire et argent ? Dans les deux cas, il illustre l’émergence fond, celle-ci a peu à voir avec la science.
de cette théorie qui flirte volontiers avec le complotisme. L’auteur de ces lignes s’est retrouvé un jour assis en
avion à côté d’un adepte de la Terre plate. Cet homme d’une
LE MUR DE L’ANTARCTIQUE quarantaine d’années, fort sympathique (et ancien lecteur
Tout d’abord, rappelons ladite théorie. Contrairement de Ciel & espace !), a eu l’occasion d’argumenter et d’expli-
à ce que l’on imagine, les croyants de la Terre plate ne quer sa théorie dans le détail. Il a ainsi raconté comment sa
conçoivent pas la Terre comme un disque au bord duquel conviction s’était construite en cherchant à prouver que la
se trouverait un vide infini. Leur modèle est un poil plus Terre était ronde et sans y parvenir. Mais à demi-mot, on
élégant : le centre de la Terre plate se situe au pôle Nord, sent que la véritable raison était ailleurs : l’excitation à l’idée
tandis qu’un large mur de glace, l’Antarctique, entoure la d’avoir percé un secret. Car si la Terre est plate, alors qu’on

La Terre n’est pas une sphère mais un


disque délimité par les glaces du pôle
Sud. Mark Sargent arbore une maquette
de ce modèle, dont il est l’un des
porte-paroles. En 2017, les “platistes”
se sont réunis pour la première fois
en convention à Raleigh, en Caroline du
Nord (États-Unis). DR

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FAUSSES THÉORIES

Russes, Américains et Chinois seraient unis dans le même


complot : cacher au monde que l’espace n’existe pas !
nous enseigne l’inverse, c’est que d’aucuns y auraient un sens. Ainsi, ils n’auront que faire des découvertes réalisées
intérêt dans l’affaire, justifie-t-il. Et ils seraient prêts à tout dès l’Antiquité, comme l’observation des éclipses de Lune
pour empêcher la lumière de se faire. Ainsi, l’Antarctique qui permet à Aristote, au IVe siècle av. J.-C., de vérifier que
est inaccessible non pour préserver le seul continent vierge, la Terre est ronde. Ou encore au siècle suivant, la déter-
mais parce que l’on veut nous cacher le “mur de glace” qu’il mination de la circonférence terrestre par Ératosthène
constitue. La station internationale, le voyage vers la Lune grâce à un peu de géométrie et la mesure des ombres à
ou les agences spatiales participent à ce gigantesque com- Alexandrie et à Assouan, en Égypte.
plot qui réunit Américains, Russes et Chinois dans une coo- Un platiste préfère “le bon sens”, avec de nébuleux argu-
pération hors norme. Son objectif : nous cacher que l’espace ments tels que le trajet de vols d’avion entre les océans.
n’existe pas ! Pourquoi ? La réponse semble peu intéresser Oliver Las Vergnas, président de l’Association française
notre platiste, qui s’enthousiasme surtout du “Et si ?” et du d’astronomie (l’éditrice de Ciel & espace), se régale des
fait de ne pas être “un mouton”. Si la thèse du complot mon- faits d’armes de certains d’entre eux : “Il y en a un qui a
dial séduit certains, d’autres prennent leurs arguments du pris l’avion avec un niveau à bulle sur son plateau-repas, qu’il
côté de la religion. Dans ce cas, non seulement notre planète filme avec son iPhone !” Ou encore le rapeur B.o.B : “Lui, c’est
perd sa rondeur, mais elle se retrouve de plus au centre d’un encore plus fort que Mike Hughes ! s’enthousiasme Olivier
univers créé par Dieu. Las Vergnas. Il a lancé une campagne de financement partici-
Face aux plus convaincus des platistes, l’argumentation patif pour envoyer un satellite dans l’espace et constater que
scientifique ne mène souvent nulle part. Pourtant, ils se la Terre est plate.” Avec un objectif modeste : 250 000 $.
passionnent pour les expériences… si elles vont dans leur Finalement, il a dû abandonner, poursuit l’astronome

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FAUSSES THÉORIES

amusé. La communauté scientifique sourit moins quand l’épreuve. Les platistes font l’inverse : ils cherchent à tout prix
c’est un de ses pairs qui dérapent. Comme lorsque le géo- à démontrer qu’ils ont raison et écartent les expériences qui ne
logue Jamel Touir, de l’université de Sfax en Tunisie, a pré- vont pas dans leur sens.”
sidé une thèse dont la conclusion “prouve que la Terre est Or, une fois que l’on tombe dans ce gouffre qu’est la
plate”. Le tout enrobé de citations religieuses… théorie de la Terre plate, difficile d’en ressortir. Ses partisans
tendent à s’isoler de leurs proches s’ils se croient porteurs
RAISONNEMENT À L’ENVERS d’une vérité inaltérable qu’ils peinent à transmettre. Ils se
Dans le passionnant documentaire La Terre à plat (dis- réfugient alors au sein de cette nouvelle communauté née
ponible sur Netflix), le réalisateur Daniel Clark suit les d’échanges virtuels ou réels. Mais cela les place dans une
principaux défenseurs de la théorie aux États-Unis, notam- posture difficile : si par malheur ils doutent, ils risquent de
ment lors de conférences comme celle organisée en 2017 à perdre ces nouvelles amitiés, sans garantie de retrouver les
Raleigh (Caroline du Nord) qui réunit près de 500 platistes. anciennes qu’ils ont délaissées. Ce qui entraine vers tou-
Son enquête est complétée de commentaires de psychiatres, jours plus de complots, et moins de science. Dès lors, quelle
de scientifiques, et même de l’astronaute Scott Kelly. Une attitude adopter face à ces croyants de la Terre plate ? Tout
phrase à retenir : pour le physicien Lamar Glover, les pla- d’abord, éviter les moqueries, qui ne feront que les repousser
tistes sont des “scientifiques potentiels qui se sont égarés”. vers plus extrême qu’eux. Et à la place, comme le préconise
En effet, la plupart d’entre eux se passionnent pour leurs le psychologue Per Espek Stoknes, “leur proposer d’explorer
expériences, jusqu’à dépenser des fortunes de l’ordre de la vérité ensemble, ce qui nous place dans une attitude autre que
20 000 $ dans un gyroscope ! Mais quand ils utilisent ces l’argument frontal qui oppose”. Enfin, chercher à comprendre
instruments correctement et que le résultat prouve que ce qu’ils tentent de prouver. Surtout à eux-mêmes.
la Terre est ronde, ils le rejettent et passent à l’expérience ADRIEN DENÈLE
suivante. Comme l’explique le physicien Spiros Michalakis,
c’est qu’ils raisonnent à l’envers : “Un bon scientifique part (1) Lire : https://www.cieletespace.fr/actualites/10-facons-
de sa théorie et tente de prouver qu’il a tort afin de la mettre à de-verifier-par-soi-meme-que-la-terre-n-est-pas-plate

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FAUSSES THÉORIES

L’AFFAIRE
DU COVID
VENU DE
L’ESPACE
En matière de fausse théorie,
l’hypothèse d’une origine cosmique
au coronavirus constitue un exemple
récent particulièrement intéressant :
de vrais chercheurs ont développé des
arguments hors de leur domaine de
compétence sans respecter la méthode
scientifique. Ou quand l’intime
conviction l’emporte sur les faits.

A
u début de 2020, la pandémie de coronavirus n’est milliards de virus ou de bactéries et d’autres cellules sources
pas apparue seule. Dès le mois de juillet, une éton- primaires a pu se disperser dans la haute atmosphère, et un
nante publication rédigée par six chercheurs sous la fragment a même pu tomber non loin de Wuhan. Il n’en faut
houlette du Sri-Lankais Chandra Wickramasinghe a éclos pas davantage pour faire le lien avec l’idée que ces chercheurs
dans les médias offrant une hypothèse pour le moins intri- défendent depuis les années 1970 : “Notre théorie postule donc
gante : et si le coronavirus avait une origine cosmique ? un apport sporadique de bactéries cosmiques, de virus et d’autres
Malgré le point d’interrogation prudemment laissé dans microorganismes qui ont le potentiel d’interagir avec des formes de
l’intitulé de l’article, les auteurs énumèrent des arguments vie terrestres en évolution, provoquant des maladies terrestres et
pour démontrer que la chute d’une météorite observée en une évolution adaptative supplémentaire sur Terre.” Autrement
Chine le 11 octobre 2019 semble corrélée avec la diffusion dit, la pandémie mondiale de coronavirus étaye la théorie de
de la pandémie dans les mois qui ont suivi. Le bolide très bril- la panspermie, selon laquelle des organismes vivants peuvent
lant (il a été filmé) est tombé à 2 000 km de Wuhan, ville de voyager naturellement d’une planète à une autre, voire d’un
départ de l’épidémie. Mais les auteurs ne sont pas découragés système à un autre, par le biais des fragments rocheux que
pour si peu. Selon eux, du matériau météoritique chargé de sont les météorites ou les comètes. Après tout, pourquoi pas ?

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FAUSSES THÉORIES

La respectabilité des auteurs, qui sont des chercheurs


reconnus dans leurs domaines, pourrait donner du crédit
à cette hypothèse en apparence iconoclaste. Pourtant, la
panspermie a été évoquée pour la première fois dans l’Anti-
quité. Longtemps oubliée, elle renait à la fin du XIXe siècle et
trouve un avocat de premier plan en 1974 en la personne de
Fred Hoyle, astrophysicien d’abord reconnu pour ses travaux
en physique stellaire, puis célèbre cosmologiste défenseur
d’un Univers stationnaire (par opposition à un Univers en
expansion, étayé par des observations dès les années 1960).
Chandra Wickramasinghe est l’un des élèves de Fred Hoyle.
Le jeune natif du Sri Lanka est brillant. Docteur en mathé-
matiques, il devient professeur en astronomie et se spécialise La vie peut-elle migrer d’une planète à une autre, voire d’une
dans l’étude du milieu interstellaire. Il est l’un des premiers à étoile à une autre (vue d’artiste), via de petits corps célestes ?
C’est la théorie de la panspermie. DR
faire l’hypothèse que des molécules organiques se trouvent en
masse dans les nébuleuses, ce qui sera confirmé.
ne sont pas astrobiologistes et ils sont têtus. Et les personnes qui
LES TENANTS DE L’UNIVERS ÉTERNEL donnent suite à leurs hypothèses sont celles qui n’ont ni expertise
Dans les années 1980, il publie avec son mentor des ni connaissances dans le domaine. Ce groupe a même créé sa propre
articles défendant l’hypothèse de la panspermie. Tous les deux ‘revue scientifique’ [NDLR : intitulée The Journal of Cosmology] dans
suggèrent que l’épidémie de grippe espagnole de 1918 a pu laquelle il peut publier ses travaux, refusés par les revues crédibles.”
venir de l’espace. Si l’idée alimente des romans de science-fic-
tion dès les années  1960 (notamment avec La variété CROYANCE N’EST PAS SCIENCE
Andromède, de Michael Crichton), les deux hommes et la com- Hervé Cottin, astrochimiste au Lisa (Laboratoire interuni-
munauté de chercheurs-disciples qui s’agrège autour d’eux versitaire des systèmes atmosphériques), rappelle que, pour
ne parviennent pas à convaincre. Mais à chaque occasion, des Fred Hoyle, il y a une logique entre l’Univers stationnaire et la
membres de ce groupe publient des articles pour soutenir la panspermie : “Il refuse l’apparition de l’Univers et il refuse l’ap-
panspermie. Par exemple, en 2006, Godfrey Louis, spécialiste parition de la vie.” Selon lui, la vie a toujours été présente dans
de la physique des solides, attribue les pluies rouges survenues le cosmos ; il est naturel qu’elle l’ensemence en permanence.
cinq ans auparavant dans l’État indien du Kerala à l’explo- Wickramasinghe, qui s’est illustré dans les années 1970 pour
sion d’un météore dans l’atmosphère. Il voit dans les prélève- ses travaux sur la matière organique, adhère visiblement à
ments réalisés des cellules extraterrestres au motif qu’elles ne cette croyance. “Avec Hoyle, ils se sont mis à voir des bactéries
possèdent pas d’ADN. Son étude est démontée par ses pairs. partout dans le milieu interstellaire après avoir repéré la signature
Notamment, les spores présentes dans cette pluie inhabituelle spectrale de la molécule CH, effectivement présente dans les bacté-
n’ont pas été analysées avec le bon procédé pour mettre en ries, poursuit Hervé Cottin. Mais ils ont ignoré d’autres signa-
évidence leur ADN (lire à ce sujet C&E n° 431 d’avril 2006, tures spectrales. C’est un grand classique : un résultat biaisé.” Le
p. 56). Mais qu’importe, après la mort de Fred Hoyle en 2001, chercheur rappelle un autre fait : “Quand nous avons obtenu
le petit groupe continue à taper sur le même clou. Avec pour des photos de particules de la comète Churyumov-Gerasimenko
dernier avatar la thèse que le coronavirus, dont rien pourtant sur les collecteurs de la sonde Rosetta [NDLR : à partir de 2014],
ne suggère une origine extraterrestre, vient de l’espace. Wickramasinghe les a comparées à des bactéries. Je pense qu’ils y
Alors pourquoi ces chercheurs, dont certains ont publié des croient. Pour eux, la vie est partout.” Frances Westall tente de
travaux sérieux, défendent-ils au mépris de la méthode scien- comprendre la démarche : “J’ai l’impression que leur idée est
tifique une théorie qui, il faut bien le dire, a tous les attributs devenue une croisade personnelle, ce qui est toujours une approche
d’une erreur ? Pour Frances Westall, directrice de recherche dangereuse, car on perd la lucidité et l’objectivité.”
CNRS au Centre de biophysique moléculaire, impliquée dans PHILIPPE HENAREJOS
les expériences d’exobiologie sur le rover Rosalind Franklin (1) :
“C’est vraiment dommage. Ce sont de bons astronomes, mais ils (1) Rover européen qui doit s’envoler vers Mars en 2022.

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COMPLOTISME

Les extraterrestres viennent nous rendre visite sur Terre. Ce mythe qui a pris
vigueur au début de la guerre froide permet de bien illustrer la différence
entre science et croyance. Un fait scientifique exige des preuves et doit être
potentiellement réfutable. L’ufologie peine à remplir ses deux conditions.

SOUCOUPES VOLANTES :
ÇA PLANE POUR ELLES

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COMPLOTISME

E
n 1947, une soucoupe volante se serait crashée à probablement de la vie quelque part ailleurs dans la Galaxie,
proximité de Roswell, au Nouveau-Mexique. Au le consensus actuel est que les observations d’ovnis ne s’ex-
moyen de la rétro-ingénierie, l’étude de la technolo- pliquent pas par des vaisseaux spatiaux d’un autre monde.
gie alien aurait mené à “l’invention” du transistor quelques Les sciences humaines parlent alors du “modèle sociopsy-
mois plus tard. Le gouvernement américain aurait aussi chologique”, à distinguer de l’hypothèse extraterrestre…
découvert des cadavres d’extraterrestres qui auraient Le phénomène ovni serait principalement engendré par la
été autopsiés en secret. Les États-Unis possèderaient par culture et la psychologie humaine. En effet, les études ont
conséquent la preuve de la vie extraterrestre depuis plus montré que la vaste majorité des observations sont en réalité
d’un demi-siècle, mais dissimuleraient depuis au monde des méprises avec des objets prosaïques. Parmi les suspects
entier la Vérité (avec un grand V) ! Les Hommes en Noir habituels, on trouve en vrac les avions, les hélicoptères, la
agiraient dans l’ombre pour cacher les traces des visites Lune, la planète Vénus, les satellites artificiels, les lanternes
extraterrestres en menaçant les témoins et les ufologues. chinoises, les ballons gonflés à l’hélium, les rentrées atmos-
Selon David Icke, un ancien journaliste sportif britannique, phériques, etc. Du côté des phénomènes célestes ou atmos-
des reptiliens change-formes contrôleraient la planète. phériques plus rares, mentionnons les nuages lenticulaires,
Plusieurs hommes politiques célèbres, comme Vladimir la foudre ou encore les lumières provoquées par des séismes.
Poutine et Barack Obama, seraient en fait des extraterrestres
qui auraient pris formes humaines. La Vérité est Ailleurs ! NESSIE MANQUE TOUJOURS À L’APPEL…
Le soucoupisme (la croyance dans l’hypothèse extrater- Pour le Geipan  (1), le service ovni du Cnes, seulement
restre pour expliquer le phénomène ovni) est un terreau fer- 3,4 % (à la date du 5 mars 2021) des cas sont véritable-
tile pour les théories de la conspiration. Mais tout d’abord, il ment des PAN-D (pour Phénomènes aérospatiaux non
est crucial de distinguer la question de savoir s’il y a de la vie identifiés, catégorie D), c’est-à-dire des observations qui
dans l’espace de celle d’éventuels visiteurs de notre planète. restent non identifiées après enquête. C’est extrêmement
En effet, même si nombre des scientifiques pensent qu’il y a peu ! Et bien entendu, ce n’est pas parce qu’on ne sait

Les années 1950 marquent le début d’un véritable engouement pour les ovnis alimenté par le cinéma et la littérature. Au point que, pour
certains, c’est sûr : “ils” sont là, sur Terre, et on nous le cache. Même si les preuves manquent toujours à l’appel…

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COMPLOTISME

Nous sommes tous fans


des extraterrestres.
Mais le droit au rêve
n’empêche pas le
devoir de vigilance. DR

pas encore expliquer un cas qu’on peut en déduire que les ufologues n’ont toujours rien trouvé de concret. Ils
le témoin a vu un vaisseau extraterrestre. Ce serait com- se contentent d’arguer qu’il y a de très, très nombreux
mettre le raisonnement fallacieux connu en logique sous le témoignages, comme si la quantité d’observations pou-
nom de non sequitur : il s’agit d’une conclusion qui ne suit vait contrebalancer l’absence de preuves. Mais ce n’est pas
pas les prémisses. Autrement dit, ce n’est pas parce qu’on comme ça que la méthode scientifique fonctionne.
ne sait pas expliquer une observation d’ovni que l’on peut
en conclure qu’il s’agissait d’un engin d’un autre monde. UN SUJET CHÉRI PAR LES MÉDIAS
Pour prouver l’hypothèse extraterrestre, il faudrait avoir Si la science-fiction joue bien entendu un rôle impor-
des preuves tangibles, par exemple un échantillon biolo- tant dans la propagation des croyances soucoupistes, la
gique ou un morceau de technologie extraterrestre. Les part qu’occupent les médias dans cette diffusion est loin
témoignages, aussi nombreux soient-ils, ne peuvent pas d’être anodine. En effet, on voit chaque année surgir dans
prouver l’hypothèse extraterrestre. Pour bien comprendre, les magazines ou sur le net des marronniers journalistiques
comparons avec le monstre du loch Ness. On voit aisément sur une observation d’ovni, sur le fait qu’un cercle de culture
que, pour confirmer l’existence de Nessie, il faudrait plus (de crop circle en anglais) soit apparu dans un champ, etc.
que des témoignages, des photos ou même des détections Le traitement fait toujours la part belle à l’extraordinaire
au sonar. En zoologie, on attend que soit présenté un spé- et, comme si cela n’était pas suffisant, l’auteur se contente
cimen de l’animal, mort ou vif. En clair, la communauté généralement de donner un léger vernis de scepticisme à son
scientifique exige des preuves solides. Il en est de même article en sous-entendant que le témoin avait probablement
pour le phénomène ovni. Or, depuis plus de soixante-dix bu trop d’alcool ou pris de la drogue. Or il n’est pas nécessaire
ans et le premier récit par l’Américain Kenneth Arnold, de prendre des substances pour voir un objet qui vole et que

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COMPLOTISME

l’on ne sait pas identifier. Lors de débats radiophoniques ou espionner l’URSS pour savoir si on y effectuait des essais
télévisés sur le sujet, l’animateur invitera majoritairement nucléaires. À l’époque, en 1947, il y a donc bien eu dissi-
des avocats de l’hypothèse extraterrestre, parmi lesquels un mulation de la vérité par les militaires, mais cela n’était
zététicien (2) perdu dans la masse sera le “sceptique de ser- pas synonyme d’extraterrestres.
vice”. Les journalistes considèreront (à tort !) que la présence Une autre difficulté est qu’il faudrait que tous les gou-
d’une seule personne pour repré- vernements de la planète colla-
senter le consensus scientifique borent pour cacher la réalité de
dans le débat est suffisante pour visiteurs extraterrestres, car il
assurer le sérieux de leur émission. y a des observations à peu près
Mais pourquoi le soucoupisme partout. Or, on a un peu du mal
est-il un terreau si fertile pour les à imaginer, par exemple, la Chine
théories de la conspiration ? La et les États-Unis se mettant d’ac-
première raison est l’absence de cord sur le sujet. Il ne faut donc
preuve tangible. Depuis l’origine, pas sombrer dans le conspira-
les ufologues sont incapables de tionnisme  : entre considérer
démontrer l’existence de vais- que certaines observations s’ex-
seaux qui visiteraient notre pla- pliquent peut-être par des avions
nète, et ce malgré des observations secrets et fantasmer une conspi-
L’objet tombé à Roswell est un énorme ballon-sonde
quotidiennes un peu partout dans testé par l’armée américaine pour espionner l’URSS. ration mondiale pour dissimuler
le monde. Face à cette réfutation Le “secret defense” a favorisé la rumeur. DR la vérité sur des aliens qui visite-
apparente de l’hypothèse extra- raient la Terre, il y a un fameux
terrestre, différentes stratégies ont été mises en place pour écart ! Il faut aussi exiger des preuves tangibles que les
protéger l’idée que le phénomène ovni ne pouvait pas être militaires ont véritablement dissimulé quelque chose et
uniquement de l’ordre du sociopsychologique. La première ne pas se contenter de spéculations. Quand on y songe,
option est l’hypothèse paranormale, dont un des pères est toutes ces théories de la conspiration sont en définitive
le psychiatre Carl Gustav Jung avec son ouvrage Un mythe fort peu crédibles mais, en l’absence de preuves de l’hypo-
moderne. Des signes du ciel. Elle consiste à dire par exemple thèse extraterrestre, elles sont nécessaires si une personne
que “si les observations ne s’expliquent pas par des visiteurs veut conserver ses convictions ufologiques. Et certaines
extraterrestres, c’est parce qu’il s’agit d’un phénomène qui s’appa- personnes sont très, très motivées pour garder de telles
rente finalement plus aux poltergeists”. En effet, selon certains croyances ! Il faut cependant se rappeler qu’il est essentiel
parapsychologues, le propre du paranormal est d’être élusif, de ne pas confondre la science-fiction avec la réalité. Et
c’est-à-dire qui esquive les réponses précises ; or le phéno- comme le dit fort bien une devise zététique : “Le droit au
mène ovni est élusif, par conséquent… rêve a pour pendant le devoir de vigilance.”
JEAN-MICHEL ABRASSART
LE BALLON-SONDE DE ROSWELL
Pour ceux qui ne sont pas convaincus par l’hypothèse (1) Groupe d’études et d’informations sur les
paranormale (elle est après tout totalement irréfutable), phénomènes aérospatiaux non identifiés.
une autre manière de justifier l’absence de preuves est de (2) La zététique est un mouvement encourageant l’étude scientifique
faire appel à des théories de la conspiration. Bien sûr, les du paranormal, l’enseignement de la pensée critique et la promotion
de la vulgarisation scientifique et philosophique. On l’appelle aussi
ufologues n’ont pas non plus de preuves de l’existence de scepticisme scientifique, particulièrement dans le monde anglophone.
ces conspirations. C’est pour le moins problématique…
Il ne faut évidemment pas être naïf : certaines observa-
tions s’expliquent certainement par des projets militaires
secrets. On sait par exemple aujourd’hui que l’objet qui Jean-Michel Abrassart est docteur en psychologie.
s’est écrasé près de Roswell était en réalité un ballon Fondateur du podcast “Scepticisme scientifique: le
balado de la science et de la raison”, il est également
Mogul, un énorme ballon-sonde qui faisait partie d’un l’auteur de la série de livres pour enfants “Zack & Zoé,
programme de la guerre froide. Le projet Mogul visait à zététiciens en herbe”.

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COMPLOTISME

PORTFOLIO

LA PREUVE
PAR L’IMAGE
Quoi de plus fort qu’une image pour apporter du crédit à une croyance ?
L’image, c’est le fait. Et le fait est indiscutable. Voici un florilège de toutes
ces “preuves” qui attestent de complots d’origine spatiale. Vraiment ?
Comme si toute photo n’était pas sujette à interprétation…

PHILIPPE HENAREJOS

MAIS QUE FAIT L’ACCESSOIRISTE ?


Il y a une lettre marquée sur l’un des rochers ! C’est l’un des éléments mis en avant pour contester la réalité
des missions lunaires. Ici, sur ce cliché d’Apollo 16 en 1972, c’était un “C”. Hélas, le C n’était pas présent sur
les originaux (image de droite). À cette époque analogique où les reproductions se faisaient à l’agrandisseur,
un poil arrivé sur une plaque de verre a suffi pour simuler une lettre. Les faussaires auraient décidément été
bien méticuleux en répertoriant chaque pierre du décor… © Nasa

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COMPLOTISME

DRAPEAU SUR LA LUNE


Le “stars and stripes” érigé par Neil Armstrong et Buzz Aldrin bouge ! C’est bien
la preuve qu’il y a du vent. Donc, que la scène a eu lieu sur Terre… Les tenants
de cet argument pour réfuter la réalité des missions Apollo (lire page 62) se fient
à certaines images télévisées retransmises pendant que les deux astronautes
étaient sur la Lune. En effet, le drapeau, muni d’un montant horizontal métallique
pour le déployer, est animé d’une petite oscillation. C’est qu’en l’absence
d’atmosphère et en gravité réduite, tout mouvement imprimé met un temps très
long (mais pas infini) à s’estomper. © Nasa

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COMPLOTISME

OVNI PENDANT GEMINI


Quoi de mieux que de démontrer l’existence des extraterrestres dans
leur milieu naturel, l’espace ? Avec les premières excursions d’astro-
nautes au-delà de l’atmosphère dans les années  1960, les partisans
d’une présence alien permanente allaient, c’était certain, accumuler
de nouvelles preuves. Avec opiniâtreté, ils ont épluché les clichés de
la Nasa. Cela n’a pas manqué : certains détails sur des photos réalisées
lors des missions Gemini trahissent des intrusions extraterrestres…
Celle-ci, prise par John Young et Michael Collins en juillet 1966 lors
de la mission Gemini  10, fait partie des pièces à conviction. En l’ab-
sence de témoignage des astronautes, un défaut de la pellicule ou une
réflexion parasite (les images étaient prises à travers les hublots) ne
semblent pas avoir été envisagés comme simple explication. © Nasa

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COMPLOTISME

ATTERRISSAGES CATASTROPHES
Les extraterrestres sont parmi nous depuis longtemps. Si les preuves sont
rares sur la Terre, elles existent sur la Lune ! Dans les années 1970, l’idée
est apparue si séduisante que quelques ouvrages ont publié des photos de
traces rectilignes obtenues par les sondes Lunar Orbiter. Interprétation ?
Des vaisseaux spatiaux aliens se sont écrasés. Las, on sait depuis qu’il
s’agit de rochers qui ont roulé le long de pentes à la faveur de séismes ou
d’impacts météoritiques. La sonde LRO en voit partout. Les astronautes
d’Apollo  17 en ont même visité une. Il n’y a pas eu d’armée de mauvais
pilotes extraterrestres venus multiplier les crashs sur la Lune… © Nasa

L’EXTRATERRESTRE DE ROSWELL
Faut-il encore présenter cette image, tirée d’une vidéo de piètre qualité,
révélée au public en 1995 par le producteur londonien Ray Santilli  ?
Elle aurait été prise en 1947 après la chute d’un engin volant près de
Roswell, au Nouveau-Mexique (États-Unis). Enfin une preuve que les
extraterrestres sont parmi nous (et que, décidément, ils sont de bien
mauvais pilotes)  ! Dix ans plus tard, avec quelques millions en poche
grâce à la vente de la vidéo, Santilli reconnait que le film était un faux. Le
corps de l’extraterrestre ? Un mannequin. Qui du reste n’avait trompé
aucun spécialiste des autopsies dès la publication des vidéos. DR

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COMPLOTISME

DES SIGNAUX POUR LES EXTRATERRESTRES


Au Pérou, de gigantesques dessins ont été tracés sur le sol voici 2 000 ans grâce
à des empilements et des déplacements de pierres. Les célèbres géoglyphes de
Nazca, à 300 km de Lima, intriguent les archéologues comme le public. Dans les
années 1960, plusieurs ouvrages les attribuent à un peuple qui aurait vu arriver
des extraterrestres et qui leur aurait adressé des messages. Car les motifs sont
visibles depuis le ciel… DR

LES AVIONS NOUS EMPOISONNENT


L’évidence est sous les yeux de tous ! Il suffit de regarder le ciel pour voir ces trai-
nées que laissent derrière eux les avions à réaction lorsqu’ils volent à haute altitude.
Les gouvernements, spécialement celui des États-Unis, en seraient responsables :
les avions disperseraient ainsi des composés chimiques destinés à… des fins mul-
tiples et variées ! Pêlemêle : des produits pour limiter l’explosion démographique,
des poisons pour éliminer des opposants, des substances pour lutter contre le
réchauffement climatique… Celles que l’on appelait les contrails (contraction en
anglais de condensation trails, ou trainées de condensation) sont devenues dans les
années 1990 les chemtrails (chemical trails). Sur quelles preuves ? DR

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COMPLOTISME

LE SPHINX DE MARS
Le 25 juillet 1976, l’orbiteur de
la mission Viking  1 prend une
vue étonnante de la surface de
Mars : là, au milieu des plaines
Cydonia, apparait un visage
(en haut). Par un jeu d’ombres
parfait, ce relief imposant de
2,7 km de long pour 1,9 km de
large offre une image saisis-
sante. La Nasa est d’emblée
convaincue que c’est un pur
hasard. Mais d’aucuns sont
certains qu’il s’agit d’un édifice
extraterrestre. En 2001, les
photos bien plus résolues de
la sonde Mars Global Surveyor
permettent de trancher  : ce
n’est qu’une colline, sans la
moindre ressemblance avec
une face humaine (ci-contre).
© Nasa
COMPLOTISME

MISSIONS APOLLO :
UN COMPLOT QUI NE
MEURT JAMAIS
Depuis plus d’un demi-siècle, des théories affirment que la Nasa et ses
astronautes ne sont jamais allés sur la Lune. Il semble impossible d’éteindre
les rumeurs, y compris lorsqu’on prend le complot à son propre jeu.

62 | CIEL & ESPACE HS40


COMPLOTISME

J
ames Oberg connait ou a connu personnellement un partir d’éléments détournés des images officielles afin d’affir-
bon nombre des douze hommes qui ont marché sur mer que toute cette aventure n’était qu’une vaste fumisterie.
la Lune. “Comme j’ai commencé à travailler à la Nasa en “Quand nous en avons parlé avec les astronautes d’Apollo, ils ont
1975, j’ai rencontré tous ceux qui ont participé au programme d’abord été très étonnés et aussi un peu ennuyés, indique James
Apollo, raconte celui qui a été responsable du suivi des vols Oberg. Puis ça leur a été égal. Ils se sont dit qu’une personne qui se
spatiaux pendant 22 ans avant de devenir consultant et laissait prendre à ce piège intellectuel était hors d’atteinte.”
journaliste spécialisé dans le domaine. Je dinais souvent avec Dans une interview donnée au magazine américain
John Young (commandant d’Apollo 16) pour Thanksgiving, et j’ai Air & Space en 2016, Michael Collins, pilote d’Apollo 11
récemment passé un coup de fil à Buzz Aldrin.” Entouré de ces récemment disparu, rappelait que 6 % de ses compatriotes
astronautes auréolés de gloire, il est surpris par l’écho trouvé pensaient qu’ils n’étaient jamais allés sur la Lune — en
par un ouvrage de 87 pages publié en 1976 à compte d’au- France, la proportion monte à 16 % d’après un sondage
teur par Bill Kaysing, un écrivain passé par une entreprise de Ifop mené en 2018. “Ça devrait me rendre fou de rage, mais
construction aérospatiale, et qui s’intitule Nous ne sommes ce n’est pas le cas. Ça me fait rire, commente l’astronaute.
jamais allés sur la Lune : une escroquerie à 30 milliards de dollars. J’aimerais me retrouver avec beaucoup d’entre eux dans une
Ce sera la première remise en question du succès d’Apollo à pièce, avec toutes leurs différentes théories, les écouter et me

C’est une rumeur


tenace : les
astronautes
d’Apollo ne sont
jamais allés sur
la Lune. Et aucune
des 400 000
personnes
travaillant pour
la Nasa, ni même
le KGB n’a mangé
le morceau !
C’est fort, non ?
© NY Daily News

Au milieu des années 1970, un


auteur américain met en doute
la réalité de l’épopée lunaire.
Bill Kaysing appuie son propos
sur une analyse erronée des
photos de la Nasa. C’est l’époque
du Watergate. En pleine défiance
vis-à-vis des institutions, le germe
du doute est semé.

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COMPLOTISME

moquer d’eux.” En 2002, l’un des conspirationnistes a pour- s’éteindre une fois pour toutes ? Car c’est l’un des nom-
suivi Buzz Aldrin devant un hôtel pour l’obliger à jurer sur breux arguments avancés par les conspirationnistes  :
la Bible qu’il était bien allé sur la Lune et a reçu en réponse depuis 1972, aucune mission habitée n’est retournée sur
un coup de poing au visage. Il a récidivé avec Michael notre satellite, preuve que les explorateurs spatiaux n’ont
Collins dans un supermarché. Sans perdre son sang-froid, pas dû aller plus loin que des studios de cinéma où ont
ce dernier a essayé de faire trébucher l’agitateur dans un été tournées des scènes d’alunissage, comme le montrent
parterre de fleurs et regrette de ne pas y être parvenu. ces sources de lumière inexpliquées, ce ciel sans étoiles,
ou encore ce sacré drapeau qui s’obstine à flotter dans
FOX NEWS PREND LE RELAI un environnement dépourvu d’atmosphère. Chacune
La Nasa a longtemps fait l’autruche, refusant de répondre de ces “preuves” a été systématiquement et méthodique-
aux arguments avancés par les complotistes. Jusqu’à ce que ment réfutée par les scientifiques. “Le fait est que ceux qui
la chaine Fox News se fasse en 2001 le relai de ces théories croient au complot croient aussi en la science, souligne James
à travers un documentaire regardé par des millions de télés- Oberg. Mais les principes qu’ils utilisent sont des perceptions
pectateurs qui bombardèrent de questions l’agence spatiale. fondamentalement incorrectes de la réalité. Et aucun argument
“Celle-ci a alors analysé cette histoire et a souhaité en faire un rationnel ne les fera changer d’avis. Au contraire : ils ont l’im-
outil pédagogique pour les enseignants, se souvient James pression de se sentir intellectuellement supérieurs et pensent que
Oberg. Elle voulait avant tout expliquer quels principes physiques tous ceux qui ne voient pas cette vérité sont idiots.”
étaient mis en œuvre dans l’espace. Pour faire ce livre, on m’a
alloué 15 000 $, mais les sénateurs n’ont pas dû apprécier que, JAMES BOND EN DÉCORS LUNAIRES
par rapport au budget total de la Nasa, un petit dollar sur 15 mil- Il faut ajouter que le contexte dans lequel a commencé
lions soit affecté à ce projet. Ça a fait les gros titres de l’actualité à se déployer cette théorie du complot était propice à la
pendant un moment, mais je n’ai pas terminé l’ouvrage. Pourtant, remise en question de la version officielle. En 1971, dans
il faudrait le faire, car le public sait aujourd’hui beaucoup moins de Les Diamants sont éternels, James Bond-Sean Connery
choses sur les vols spatiaux qu’à l’époque d’Apollo.” s’échappe d’un centre de recherche spatiale dans lequel
Faudra-t-il attendre que les Américains reviennent sur évoluent deux astronautes au milieu de décors lunaires, et
la Lune avec le programme Artemis pour voir les rumeurs file dans le désert du Nevada à bord d’un rover qui montre
une belle adaptabilité aux aspérités du terrain. Si une telle
scène a pu être tournée, pourquoi n’aurait-ce pas été pos-
James Olberg
a vécu de près sible de le faire pour Apollo ? D’autant que la parole offi-
la conquête cielle du gouvernement a été largement discréditée par le
lunaire. Pour scandale du Watergate, qui a révélé des fraudes de grande
le journaliste,
il semble utile ampleur au sein de l’administration présidentielle et
de démonter conduit Richard Nixon à démissionner en 1974.
les théories Peu importe au final qu’aucune des 400 000 per-
fumeuses
concernant sonnes qui ont travaillé pour le programme Apollo n’ait
Apollo. Surtout donné matière à douter de l’authenticité des missions
que “le public lunaires. Peu importe que l’ennemi d’alors, l’URSS,
sait aujourd’hui
beaucoup pourtant championne en matière de propagande, n’ait
moins de choses démenti le succès américain. Peu importe encore que les
sur les vols 382 kg de roches lunaires rapportés sur Terre grâce à
spatiaux qu’à
l’époque”. ces missions aient été soumis à de nombreuses analyses
© Nasa qui montrent leur nature unique. Il suffit à certains de
pointer des anomalies et de les insérer dans un récit bien
construit pour donner la sensation que l’on est en train
de découvrir une vérité alternative dont la confidentialité
peut donner envie de lui accorder une forte crédibilité.

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COMPLOTISME

Dans Les Diamants sont éternels, James Bond croise deux astronautes à l’entrainement dans des décors lunaires. Le film sort en
décembre 1971, l’année des missions Apollo 14 et 15. Certains franchissent le pas : tout cela, c’est du cinéma ! © Eon Productions

L’ERREUR DU DOCUMENTEUR qui quittent furieux la projection presse avant la fin. Pourtant,
William Karel a en fait l’expérience à ses dépens en 2002, les indices semés par William Karel, qui s’est beaucoup amusé
quand son documentaire Opération Lune a été projeté en au montage, sont loin d’être invisibles, et la fin du film prend
avant-première à Arte, qui lui avait commandé le sujet, et à une tournure complètement burlesque. Tout comme le public
la presse. “Nous voulions faire un vrai-faux documentaire, un des avant-premières, une partie des téléspectateurs n’a pas
‘documenteur’. Nous pensions que les gens comprendraient immé- réagi à ces alertes. Opération Lune a été diffusé dans quarante
diatement que c’était une plaisanterie. Mais nous nous sommes pays et est régulièrement programmé. “Je reçois encore des mails
trompés…” se souvient le réalisateur. Pour Opération Lune, lui de gens qui me disent ‘bravo d’avoir révélé la vérité’, soupire le réa-
qui avait déjà fait plusieurs films sur la vie politique améri- lisateur. J’ai arrêté de leur répondre pour les détromper. C’est une
caine, a mis bout à bout des parties d’entretiens de dirigeants trop grande perte de temps. On a joué à un jeu dangereux et on ne
tels qu’Henry Kissinger, Donald Rumsfeld, ou encore un s’en est pas rendu compte. Le film a été pris comme référence par
ancien directeur de la CIA. Il a aussi interviewé la femme de un responsable de l’extrême droite dans une interview, et même par
Stanley Kubrick (une rumeur dit que le cinéaste a participé au Marion Cotillard lorsqu’elle parle de certains complots. La femme
tournage des faux alunissages) et fait appel à des acteurs pour de Kubrick, elle, a trouvé ça très amusant.” Les théories conspira-
plusieurs interventions. “Mais tout le long du film, nous avions tionnistes ont trouvé un nouveau terreau fertile avec la crise
semé des petits cailloux, des mises en garde, qui n’ont pas marché.” sanitaire et les réseaux sociaux. On souhaiterait que le second
Car à l’issue des avant-premières, l’équipe d’Arte ne voit pas la degré ne se retrouve pas, lui, en voie de disparition.
manipulation, pas plus qu’un grand nombre de journalistes MYRIAM DÉTRUY

65 | CIEL & ESPACE HS40


LA FABRIQUE DE L’INFO

L’INFORMATION,
DES LABOS AUX LECTEURS
Le métier de journaliste scientifique est un exercice souvent délicat. La pointe
avancée de la recherche peut se tromper de direction. Honnêtement, ou
non. Les interactions du savoir avec les enjeux de sociétés peuvent devenir
explosives et miner la confiance dans les sources d’information.

Q
u’est-ce qui peut entraver l’information des toutes les citoyennes sortiraient de l’école avec une culture
citoyens sur la science et la technologie par la scientifique de base : les notions essentielles à connaitre,
presse ? Pfou… il n’y a que l’embarras du choix. le fonctionnement de la science comme méthode et orga-
Les entraves sont nombreuses, efficaces, parfois virulentes. nisation sociale. Et les journalistes pourraient s’appuyer
En voici deux. La première ? Ce qu’il y a dans nos têtes… et sur cet acquis pour informer sur la science nouvelle, celle
ce qui y fait défaut. Dans un monde idéal, tous les citoyens et qui se produit dans les laboratoires. Faut-il un dessin pour

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LA FABRIQUE DE L’INFO

L’emballement des réseaux


sociaux peut entrainer la
propagation d’informations
d’origine douteuse.

convenir que ce monde idéal n’existe pas ? Pour mon livre à chaque compte-rendu de match que le football se joue à
Sciences : les Français sont-ils nuls ? paru en 1989, le regretté onze contre onze, avec un ballon rond qu’il faut catapulter
Serge Wolinski avait offert un dessin de couverture où un dans le but adverse pour gagner. L’oublier, c’est passer à
“Français moyen”, attablé au restaurant et verre de vin à côté de la première entrave.
la main, répondait à la question du titre : “On ne peut pas
être bon en tout.” Derrière la blague, un constat profond : L’ERREUR PERMISE
la quantité de savoirs accumulés par les scientifiques est La seconde entrave est paradoxale. Pour progresser, la
impossible à assimiler par qui que ce soit, prix Nobel de science et la recherche doivent pouvoir se tromper. Les véri-
physique compris qui sera, en général, nul en écosystèmes tés scientifiques d’un moment peuvent être certes confirmées
tropicaux et en épidémiologie du cancer. — on ne reviendra pas sur le constat que la Terre tourne
Les trop rares enquêtes sociologiques sur le partage autour du Soleil et non l’inverse —, mais aussi démenties,
des connaissances en sciences de la nature montrent que comme l’existence d’un “éther” dans lequel baigneraient
cette ignorance est générale. Un PDG du Cnes m’a ainsi tous les corps célestes, ou encore limitées dans un domaine
raconté en rigolant qu’un ministre de la Recherche lui de validité, comme la théorie de la gravitation de Newton
avait demandé si les satellites passaient en dessous ou quand un certain Albert Einstein intervint au début du
au-dessus des nuages. La plupart de ces connaissances, XXe siècle. Donc non seulement l’erreur est permise, mais elle
ignorées de la majorité du public, sont souvent remplacées fait inéluctablement partie du progrès scientifique.
par des croyances solidement implantées. La faveur tou- Cette erreur permise met le journaliste scientifique en
jours aussi forte des horoscopes dans nos journaux en est situation délicate. Devant les publications de recherche, il
une démonstration savoureuse pour les amateurs d’astro- ne peut se contenter de répéter “il a été publié que”. D’abord
nomie. L’une des différences entre les journalismes scien- parce qu’il ne prend connaissance que d’une infime fraction
tifique et sportif, c’est que le second n’a pas à réexpliquer du flot permanent de la production scientifique : environ

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LA FABRIQUE DE L’INFO

Une dizaine de grandes revues internationales constitue


la source première sur l’actualité de la recherche
deux millions d’articles par an publiés par des millions de sujet ou une découverte qu’on leur présente comme impor-
chercheuses et de chercheurs dans des dizaines de milliers de tante. La détection du boson de Higgs ou des premières
revues scientifiques. Son attention est attirée par celles que planètes extrasolaires, l’élucidation de l’origine virale du
le système (revues, institutions scientifiques par leurs ser- sida, la découverte de la (petite) part d’ADN néandertalien
vices de presse) met en avant comme les plus importantes. chez la majorité des êtres humains actuels, la publication
Les journalistes se concentrent donc sur les grandes revues des rapports de synthèse du GIEC permettant une vue d’en-
internationales, celles qui rapportent le plus de prestige aux semble et précise des sciences du climat… Même si l’on peut
équipes qui parviennent à y publier. Soit une dizaine de s’inquiéter de ce qui est compris et retenu de ces informa-
titres, dont Science ou les PNAS (revue de l’Académie améri- tions par le public, ces exemples montrent que les systèmes
caine des sciences), les principaux du groupe Nature (britan- scientifique et médiatique peuvent travailler correctement.
nique d’origine) et en médecine The Lancet.
En général, ce système fonctionne correctement. DES RATÉS MÉMORABLES
Chaque article soumis à ces revues est relu par des spécia- Mais ce système comporte des ratés. Plus ou moins
listes pour trier ce qui semble bon, éliminer ce qui semble graves en fonction de leur cause : erreur de bonne foi, ou
devoir être publié dans une revue de moindre rang, voire manquement à l’intégrité scientifique, allant jusqu’à la
pas publié du tout. La plupart des articles publiés font fraude, très rare, mais en progression en raison de la pres-
avancer la science. Mais souvent d’un millimètre. Et n’inté- sion à la publication exercée par des pouvoirs politiques qui
ressent donc que les spécialistes de chaque sujet. Le grand croient y voir le seul moyen de mesurer l’efficacité de leurs
public n’en entendra jamais parler à la télé, ni même dans dépenses publiques de recherche. Alors, le journaliste est
un quotidien de qualité. Dans ce flot, les journalistes vont censé réagir avec sa compétence, sa connaissance du sys-
sélectionner une part minuscule, souvent incités par les tème de publication, de l’état de la recherche sur un sujet
institutions scientifiques ou les revues à s’intéresser à un et des raisons qui font que les études sont publiées, et assez

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LA FABRIQUE DE L’INFO

En 1996, les structures


observées dans la
météorite martienne
ALH84001 font penser
à des bactéries fossiles.
La Nasa fait monter
la sauce médiatique.
A-t-on trouvé de la vie
sur Mars ? Un an après,
on sait que non. Un
démenti dont l’écho
dans les médias sera
bien plus discret que
l’annonce première.
© Nasa

rapidement jauger la pertinence, la fiabilité de ce qui est L’étude ne démontrait rien. Ce qui fut prouvé en un mois. Et
publié. Exemples de ratés spectaculaires. des études sérieusement conduites, pour au moins 15 mil-
Aout 1996. La Nasa a réveillé Potus, le Président of the lions d’euros, démontraient, en 2018 seulement, que des
United States. Pour lui demander de participer au ramdam rats nourris leur vie entière avec de tels maïs ne développent
mondial qu’elle organise autour de la publication d’un pas plus de cancers que ceux nourris autrement. L’écho
article annonçant la découverte de microfossiles dans une médiatique du faux fut énorme. Celui du vrai fut minuscule.
météorite venue de Mars et récupérée en Antarctique. À Dans les deux cas, les journalistes sont devant des publica-
l’époque, je suis au journal Libération. Tout excité par le tions dans des revues scientifiques.
discours de la Nasa, et en l’absence de crise nationale ou S’interroger sur les raisons qui poussent parfois certains
internationale, le quotidien décide d’en faire sa une et d’y médias à mieux traiter des erreurs ou des fraudes que de
consacrer cinq pages avec tout le toutim sur les extrater- la science normale est nécessaire. Elles sont nombreuses :
restres. J’y écris notamment un article qui fait la liste des incompétence, pressions des rédactions en chef, présuppo-
arguments permettant de penser que l’annonce est dou- sés idéologiques, volonté de faire de l’audimat ou de vendre
teuse. Un an après, il ne reste rien des affirmations initiales, du papier (la vente du Nouvel Observateur sur Séralini fut
à part l’origine martienne du caillou. Jamais le journal ne une des meilleures de l’année), appétit du public pour l’ex-
consacrera de une à ce démenti total. traordinaire (celui qui nous fait retweeter plus souvent ce
19 septembre 2012. L’Affaire Séralini commence. En qui est faux que ce qui est vrai)… Nécessaire parce que l’en-
fanfare. Ce biologiste publie une étude dont il affirme qu’elle jeu est tout simplement phénoménal. Nous n’avons aucune
prouve que nourrir des rats avec du maïs génétiquement chance de relever les défis du XXIe siècle — changement
modifié pour tolérer les herbicides au glyphosate les fait mou- climatique, transition énergétique, alimentation, santé
rir de cancers. Le Nouvel Observateur, avec lequel il a convenu publique, développement des pays les plus pauvres notam-
la remise en avance de son étude contre la promesse d’ar- ment en Afrique, paix mondiale… — sans un usage massif
ticles uniquement laudateurs et sans aucune enquête, en fait des savoirs et des technologies. Mais comment le faire cor-
sa une. Cela déclenche un tsunami d’articles et de déclara- rectement avec des décisions prises en démocratie sans une
tions politiques — sur le système de surveillance des plantes bonne information des citoyens ? C’est l’un des rôles de la
transgéniques — qui assomme la population sous les images presse et des journalistes. Un rôle difficile.
SYLVESTRE HUET
de rats affublés de tumeurs géantes. Sauf que c’était faux.

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LA FABRIQUE DE L’INFO

FABRIQUER DE
L’INFORMATION SCIENTIFIQUE
LA RECETTE EN
DIX ÉTAPES

© O. Hodasava/C&E

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LA FABRIQUE DE L’INFO

La fabrication d’un magazine


scientifique comme
Ciel & Espace obéit à des
règles strictes. Elles s’imposent
aux journalistes de sa
rédaction mais aussi à celles

L
a revue que vous lisez en Qui passe par des amis de longue
ce moment est le résultat
et ceux qui s’occupent de son date et s’augmente des rencontres
d’une œuvre collective à la édition. Dans un univers de récentes faites au cours de repor-
mécanique bien huilée. Depuis tages, de colloques ou de congrès
concurrence, les contenus
des décennies, Ciel & espace s’est auxquels il est utile d’assister. S’il
imposée comme la première revue doivent se révéler attrayants, est beaucoup plus facile d’accéder,
européenne de langue française aujourd’hui en France, à de l’in-
en diffusant, en kiosques et sur formation brute, il est beaucoup
abonnement, l’essentiel de l’actualité astronomique et spa- plus difficile de la vérifier, d’évaluer sa qualité et son impor-
tiale du moment, mais aussi des dossiers, des débats et des tance, comme de dénicher ceux qui en sont les critiques
informations spécifiques destinées aux amateurs et aux (équipes proches ou concurrentes). L’exercice est d’autant
curieux d’évènements célestes. Une rédaction composée plus complexe, expliquait le philosophe Michel Serres, que
de journalistes professionnels produit ce magazine scien- l’information a un double sens : la répétition et la rareté.
tifique et ses hors-séries, ainsi que l’actualité de son site

2
internet, et ses déclinaisons podcasts, Twitch et YouTube.
Ce média global, aux productions physiques et numériques,
La conférence de
en interaction avec ses lecteurs et ses auditeurs, est aussi rédaction : la meilleure
une entreprise aux règles déontologiques et économiques
précises. Nous vous proposons de plonger en son cœur et façon de “vendre” son sujet
de découvrir, en dix étapes, un exemple de la fabrique de Qu’allons-nous publier dans le prochain numéro  ?
l’information scientifique en France : la nôtre. Comme le chef d’un restaurant établit sa carte du jour en
fonction des produits frais disponibles sur le marché, le

1
rédacteur en chef fait ses courses de sujets à l’occasion de
La veille permanente : la conférence de rédaction. Elle réunit tous les journalistes
un bon journaliste est permanents, dont les chefs de rubrique chargés de collec-
ter les informations dans leur secteur de responsabilité. Si
un journaliste bien informé l’exercice est apprécié de tous — on y apprend beaucoup de
Un journaliste est quelqu’un qui lit des journaux. Qui choses —, il est aussi le lieu et le moment pour convaincre
dépouille des revues. Qui épluche une masse considérable la hiérarchie de l’intérêt d’un thème. Aussi, savoir en par-
d’informations comme on effeuille un artichaut ler, “bien le vendre”, est déterminant. L’affaire
avant d’en atteindre le cœur. Et le moins que l’on n’est pas anecdotique puisqu’elle montre que, dès
puisse dire, c’est qu’on peut s’y noyer tant les le départ, le choix d’une information à traiter est
sources sont innombrables et… inégales. À Ciel & le résultat d’une compétition. Si elle est originale,
espace, on lit donc les confrères de la presse scienti- amusante, intrigante, si elle donne immédiatement
fique française et étrangère, on regarde les commu- envie d’en savoir plus, elle risque d’être privilégiée
niqués de presse, les alertes des agences de presse, par rapport aux autres sujets. Sa capacité à attirer
mais surtout on échange, on discute avec les collègues et les l’attention du lecteur est un atout indéniable. La détection
sources. Chacun a son réseau, son cercle de connaissances. du premier tremblement de terre sur Mars a plus de chance

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LA FABRIQUE DE L’INFO

Quelle est la meilleure couverture ? Celle qui attirera l’attention du lecteur dans un kiosque, le séduira
et le convaincra d’acheter ce magazine au milieu de centaines d’autres. Un débat sans fin…

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LA FABRIQUE DE L’INFO

Si l’information est transmise à la vitesse de la lumière, l’explication


et l’analyse ont besoin d’espace et de temps.

4
d’être retenue que l’augmentation d’un point du budget de La répartition
l’ESA. Laquelle a pourtant financé la sonde martienne. Dans
les kiosques, les revues sont en compétition pour convaincre
des tâches
de nouveaux lecteurs. Lesquels se décident en quelques La feuille de route est établie, connue de tous ; reste à la
secondes en fonction des titres de couverture. mettre en musique. Sous la houlette du chef d’orchestre —
le rédacteur en chef — les commandes sont lancées. Chaque

3
journaliste permanent est chargé d’un sujet et de la tenue
Le “chemin de fer” : la colonne d’une rubrique. Des journalistes pigistes, des auteurs, et par-
vertébrale de la revue fois des experts et des professionnels du monde scientifique,
sont sollicités pour écrire. Des commandes sont passées. Elles
À l’image d’une maison, une revue se doit d’être organi-
précisent la taille exacte du texte attendu en nombre de signes
sée, rangée, structurée pour permettre au lecteur de trou-
(blancs compris), la date de remise de l’article, et la rémuné-
ver, là où il l’attend, l’information qui l’intéresse. Comme
ration associée. C’est un contrat d’édition presse, encadré par
la cuisine, le séjour et les chambres sont toujours à la
le droit, qui lie l’auteur à la publication et défini la chaine de
même place, les rubriques, le dossier et les articles d’un
responsabilité. Tout cela peut paraitre formel, mais se justifie
numéro s’inscrivent toujours dans le même ordre. Le lec-
par le contrat initial, passé avec le lecteur — abonné ou en
teur régulier a horreur des changements. Et le “chemin de
kiosque — pour la livraison, à une date précise, des exem-
fer”, dont le nom rappelle qu’il est très difficile de s’écar-
plaires de la revue. C’est à partir de ce jour que s’organise, de
ter de la ligne droite sans conséquence grave, inscrit dans
façon rétroactive, l’ensemble du planning de fabrication.
le marbre l’ordre et le format des thèmes qui sont retenus.
C’est le rédacteur en chef, après la conférence de rédac-
tion, qui choisit les contenus du futur magazine. Dossier,
reportage, interview, éclairages sur l’actualité et nou-
velles spécialisées, tout est pesé, sélectionné ou rejeté. Il
5 Le poids
des mots
doit prendre en compte l’actualité à venir, les évènements Les joies du rédacteur en chef sont simples : rece-
annoncés (éclipses, lancements spatiaux, etc.), mais aussi voir les textes des journalistes avant la “dead line” notée
tenir compte de “l’air du temps” et du contexte temporel. dans le planning ! À la fois pour échanger avec l’auteur,
L’été n’est pas l’hiver et la rentrée des classes n’affiche demander, si besoin, une réécriture, des compléments,
pas les mêmes préoccupations que les premiers jours du précisions, un encadré, bref, travailler le texte pour le
printemps. Si l’information est transmise à la vitesse de rendre clair, compréhensible, sans ambigüité et agréable
la lumière sur les sites internet, comme à la radio et à la à lire. Pour y parvenir, et pour répondre aux codes de la
télévision, l’explication, l’analyse en profondeur, presse et de la publication, plusieurs personnes
la critique ont besoin d’espace et de temps. C’est vont intervenir. C’est d’abord l’auteur de la
bien là le rôle d’un magazine, dont l’originalité commande, mais aussi le secrétariat de rédac-
et la liberté sont aussi de s’affranchir de la dicta- tion (SR), dont la fonction est de travailler la
ture de l’immédiat. C’est, enfin, au directeur de lisibilité du texte, traquer les imprécisions, les
la rédaction de s’assurer que la “ligne éditoriale” incohérences, vérifier les données, suggérer
de la publication est respectée dans le chemin de des coupes ou des ajouts, pour rendre l’article
fer prévisionnel ; que les grands équilibres sont complet et attrayant. Sa mission consiste aussi
tenus. La mécanique est ancienne, mais elle est garante de à proposer des notes, des encadrés, un titre et un chapô
la stabilité. Diriger une rédaction, c’est assumer des choix. (le texte qui accompagne le titre avant l’article) pour

73 | CIEL & ESPACE HS40


Ciel & espace
est un casse-tête
d’imprimeur.
En effet, comment
distinguer sur
une photo
une poussière
d’une étoile de
la Voie lactée ?
Sur un papier
soigneusement
sélectionné,
et une charge
d’encre qui assure
un noir profond,
les rotatives
reproduisent
à la perfection
la nuit étoilée.
© Agir Graphic

permettre plusieurs niveaux de lecture. En lien avec la des laboratoires, des astrophotographes) ou commander
maquette et le (la) directeur(trice) artistique, le SR doit un dessin à un artiste, réaliser une infographie si cette
se poser toutes les questions que se poseront les lecteurs. dernière permet une autre lecture. Certains travaux pho-
Enfin, la vérification orthographique de l’ensemble est tographiques justifient à eux seuls une publication. Ce
confiée à un(e) correcteur(trice). Il est à noter que, si l’au- sont les fameux “portfolio” qui permettent de découvrir
teur est responsable du contenu de son article, les titres, un travail original et donnent envie de collectionner la
sous-titre, chapôs et autres ajouts, sont de la responsabi- publication pour la beauté de la reproduction.
lité du rédacteur en chef ou du secrétariat de rédaction.

6 Le choc
des photos 7 La couverture
qui fait vendre
“Une image vaut mille mots”, écrivait Confusius. Et dans La couverture d’un magazine est sa vitrine. En une seule
le domaine des sciences du ciel et de l’espace, les photos ne page, à l’aide d’un titre principal, d’une photo ou d’une
manquent pas. Encore faut-il qu’elles racontent une his- illustration, il s’agit de convaincre un potentiel lecteur de
toire ; qu’elles complètent l’article, qu’elles illustrent nous repérer puis de nous choisir. Le tout en quelques
et apportent une information supplémentaire. Cette secondes, au milieu de toutes les offres concurrentes.
recherche et ce choix sont du ressort de l’icono- Tout le monde le sait avec l’effondrement de la mes-
graphe. À Ciel & espace, c’est le directeur artistique sagerie Presstalis, l’économie de la presse est fragili-
qui en a la responsabilité. Pour illustrer un article sée par le numérique et le changement de mode de
il peut choisir une photo (proposée parfois par l’au- consommation de l’information. En kiosques, les ventes
teur), mais aussi consulter des sites spécialisés (ceux d’une revue peuvent doubler d’un numéro à l’autre en

74 | CIEL & ESPACE HS40


LA FABRIQUE DE L’INFO

fonction du sujet et peut-être de la couverture. Certains


thèmes sont tabous. Publier un lancement de fusée ou une
image d’astronaute en couverture garantit une baisse d’au
9 L’odeur de l’encre, le
bruit des rotatives
moins 30 % des ventes ! Existe-t-il une couverture idéale ? La machine est énorme et ses servants règlent avec
En réalité, personne n’en sait rien, mais cette unique affiche application les niveaux de couleurs des encres sans
fait l’objet de toutes les attentions. Et de toutes prêter attention au bruit assourdissant qui
les surenchères. De nombreuses versions sont règne alentour. Un rouleau de papier blanc
imaginées, discutées, et abandonnées. À la fin, nourrit la rotative, dernière révolution en
c’est le directeur de la rédaction qui décide. Un date du XX e  siècle de l’imprimerie, et finit
final cut dont personne ne sait s’il est gagnant imprimé, découpé, plié par cahiers, dans une
puisqu’en raison de la saturation des linéaires, autre chaine mécanique dédiée au brochage.
très souvent seul un petit bout de couverture Quelques heures suffisent pour reproduire à
est visible en kiosques. Sauf à payer un empla- des dizaines de milliers d’exemplaires la revue
cement privilégié. que vous tenez entre les mains.

8 Le jour
du bouclage
Les jeux sont faits, rien ne va plus. Au jour J et à l’heure H,
10 Elle est belle
ma revue !
La poste a été livrée et des milliers d’exemplaires arriveront
les textes, les photos, la publicité et les dernières nouvelles demain dans les boites aux lettres des abonnés. Les kiosques
ont trouvé leur place dans la maquette. Laquelle est relue, seront approvisionnés vendredi par les MLP ; la veille du week-
corrigée, changée si nécessaire. L’organisation, rigide, se end permet de profiter d’un bon jour de vente : le samedi.
doit aussi d’être souple. Jusqu’au dernier moment, il est pos- Encore faut-il le faire savoir… aux titulaires des revues
sible de réagir à l’actualité. D’insérer de nouvelles images et de presse (radio, télé), mais aussi aux publics des réseaux
de publier un nouveau texte. Les “pages montées” s’accu- sociaux et aux abonnés de newsletters. Communiqués, clips
mulent sur le bureau du rédacteur en chef et du secrétariat de présentation, et mise en ligne de la couverture annoncent
de rédaction. Les corrections se font en temps réel. Les vali- la parution. À la rédaction, le directeur se penche sur les
dations suivent et les pages numériques voyagent à la vitesse résultats des ventes du dernier numéro tandis que les jour-
de la lumière en direction de l’imprimerie. Laquelle fournira nalistes discutent de l’actualité. Le site www.cieletespace.fr ne
bientôt un document unique, l’ozalid, la dernière épreuve s’arrête jamais ; et l’on pense déjà au numéro suivant.
et le dernier élément de contrôle avant le “bon à tirer”. ALAIN CIROU

L’information multimédia
Ciel & espace n’est pas suit l’actualité, mais aussi Des vidéos sur les plateformes
seulement une revue papier. propose à ses abonnés des Twitch et YouTube sur lesquelles
Elle est aussi un “média global”, contenus exclusifs. Sonore, avec la rédaction propose de suivre
c’est-à-dire que sa rédaction ses podcasts qui permettent l’actualité et de la décoder.
produit des contenus sous toutes d’écouter des conseils pour Enfin, sur galleryastro.fr, des
les formes : numérique, sonore, suivre les rendez-vous célestes à astrophotographes amateurs et
vidéo, photo et bien évidemment venir, ou encore des explications professionnels présentent des
écrite. Numérique avec son site et des commentaires sur tirages cosmiques pour embellir
internet www.cieletespace.fr qui l’astronomie et l’espace. nos maisons.

75 | CIEL & ESPACE HS40


LA FABRIQUE DE L’INFO

COMMUNICATION
SCIENTIFIQUE : L’ÈRE DE
L’INFLATION
Toutes les institutions scientifiques ont aujourd’hui leur compte Twitter,
leur chaine YouTube, leurs évènements sur Twitch… Une volonté louable
de communiquer la science vers le plus grand nombre, mais une inflation
qui peut poser des problèmes en cas de controverse mal maitrisée.

“I
ndices de vie sur Vénus”… Le titre stupéfiant du commu- détection, puis tentent de déterminer par quels moyens la
niqué de la Royal Astronomical Society a fait le tour phosphine pourrait se former par un processus purement
des réseaux sociaux à la vitesse de la lumière le 14 sep- chimique. N’y parvenant pas, ils postulent une origine
tembre 2020. Et pour cause : la recherche de formes de vie biologique… Et s’attirent les critiques de nombreux scienti-
sur d’autres planètes que la Terre est le Graal des astrophy- fiques interrogés sur l’évènement : réflexion peu poussée sur
siciens et des exobiologistes. Et pourtant, il suffisait de lire les mécanismes, détection de la molécule insuffisamment
l’intégralité du communiqué, et surtout la publication scien- étayée, voire douteuse pour certains qui ne l’ont pas retrou-
tifique qui l’a suscité, pour réaliser qu’on est loin du compte. vée dans des observations plus anciennes. Trop tard, le mal
La Royal Astronomical Society, qui organise pour l’occasion est fait. “Avec un peu de cynisme, mais aussi de réalisme, on peut
une conférence de presse, est pourtant une société savante
britannique réputée. Les travaux scientifiques émanent
d’une équipe de l’université de Cardiff (Pays de Galles), qui
annonce avoir découvert une molécule, la phosphine, dans
l’épaisse atmosphère de Vénus, grâce aux radiotélescopes
James Clerck Maxwell à Hawaï et Alma au Chili. Or, celle-ci
n’est à priori synthétisée que par des organismes vivants.
Il faut attendre la fin du communiqué au ton exagé-
rément aguicheur pour lire : “L’équipe […] considère que
confirmer la présence de vie demandera beaucoup de travail sup-
plémentaire.” Il y a donc un vrai décalage entre le titre posté
sur les réseaux et les conclusions des chercheurs. Réflexe de
journaliste : se tourner l’article scientifique, publié dans la
revue Nature Astronomy, filiale de la revue Nature, considé- De la vie sur Vénus ? Non, de la phosphine. Ce n’est pas vraiment
rée comme “prestigieuse”. Les chercheurs y expliquent leur pareil… sauf si c’est une affaire de com !

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LA FABRIQUE DE L’INFO

ion
cat
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se dire que cette annonce pourra être un moteur pour justifier d’étude et de recherche travail, organisation, pouvoir) à l’uni-
l’envoi de sondes spatiales vers Vénus”, écrit Hervé Cottin, cher- versité Toulouse Jean Jaurès. Mais les institutions sont aussi
cheur au Lisa (Laboratoite interuniversitaire des systèmes en concurrence. “Depuis une vingtaine d’années, des politiques
atmosphériques), dans une tribune au vitriol publiée sur le d’évaluation de la recherche ont été mises en place. Il y a des clas-
site de la Société française d’exobiologie… avant de conclure : sements internationaux, comme celui de l’université de Shanghai
“Saurons-nous préserver notre éthique et la crédibilité chance- par exemple. Des appels d’offres avec des financements à la clé. La
lante de la méthode scientifique auprès du public alors qu’un buzz communication joue dans cette évaluation. C’est pourquoi les ins-
plus ou moins maitrisé pourrait mettre notre laboratoire ou notre titutions ont un réel besoin de visibilité”, souligne Jérôme Lamy.
université sous les feux de rampe, nous aider à obtenir des finan- CNRS, CEA, Inserm, INRAE, Cnes… Toutes ces grandes
cements pour avancer plus rapidement que les autres […] ?” institutions scientifiques et technologiques françaises, dont
Ce qui précède est de toute évidence le dérapage pas vrai- la parole était autrefois rare et un peu compassée, rivalisent
ment contrôlé de la communication d’une institution scien- aujourd’hui de créativité sur toutes les plateformes. Il en
tifique. Ce n’est heureusement pas le cas tous les jours. Mais est de même des universités. Leurs comptes Twitter sont
d’une manière générale, les chercheurs et les institutions alimentés par les annonces de résultats scientifiques, mais
qui les emploient ont un besoin de plus en plus important relayent aussi quantité d’informations, sur des évènements
de mettre en valeur leurs résultats. Les motifs sont louables : pour le public par exemple, que ce soit au niveau national
“Participer à nourrir la démocratie, former des citoyens éclairés, ou régional — le CNRS notamment est organisé en délé-
aider au débat public, informer aussi les décideurs”, résume Jérôme gations. Les chaines YouTube tournent à plein. Mais les
Lamy, historien et sociologue des sciences au Certop (Centre institutions s’associent aussi à des youtubeurs scientifiques

Toutes les grandes institutions scientifiques rivalisent aujourd’hui


de créativité sur les réseaux sociaux
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LA FABRIQUE DE L’INFO

et essaient d’attirer les plus populaires. Le Cnes les a ainsi découvre de la vie sur Mars avant le vote du budget par le Congrès
invités à tourner dans ses locaux en 2016 à l’occasion de américain”, s’amuse Xavier Pasco, directeur de la Fondation
la mission Proxima de Thomas Pesquet. Et pour toucher pour la recherche stratégique. En effet, il arrive souvent que
un public plus jeune et désireux d’interagir, les évène- ses communiqués relayant des observations par le rover
ments en direct sur Twitch sont le format idéal. Le Cnes a Curiosity de formations martiennes créées par l’eau insistent
ainsi lancé sa propre chaine en 2020. La communication lourdement sur le fait que la vie a pu apparaitre dans ces
s’effectue aussi via de nouveaux instruments de média- milieux. Ce n’est pas faux en soi. Mais il est toujours utile
tion scientifique. Ainsi, le blob, une créature unicellulaire de regarder à quel moment sont diffusés ces communiqués.
aux couleurs vives qui se développe dans les sous-bois, est “Les demandes de crédit passent par la Maison-Blanche et l’Of-
devenu une véritable star des réseaux sociaux, bien au-delà fice des budgets à l’automne, avant d’arriver devant le Congrès
de l’intérêt scientifique de son étude. À l’autre bout du au printemps suivant. Une bonne dose de communication sur les
spectre, on trouve des publications parfois très fouillées et programmes scientifiques ou d’exploration est donc nécessaire,
d’une qualité remarquable qui s’adressent à un public plus notamment à la fin de l’été”, explique Xavier Pasco. Sa dépen-
instruit. Ainsi, le Journal du CNRS, destiné à l’origine à ses dance aux fonds publics, sans cesse remise en cause, et le fait
chercheuses et ses chercheurs, est en réalité en accès libre que les retombées des programmes spatiaux de science et de
et publie des articles de fond. vol habité doivent bénéficier à tous les États américains ont
De fait, la communication dépend beaucoup de la fait de la Nasa une gigantesque machine à communiquer
manière dont la recherche est financée, et les journalistes et une marque qui se décline sur les mugs et sweatshirts. À
doivent rester vigilants sur ce point. “Chaque année, la Nasa l’intérieur même de l’agence américaine, le télescope spatial

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LA FABRIQUE DE L’INFO

Maison de la science et des médias :


un projet controversé
Lutter contre les “fake news” et science media centres, dont le scientifiques que chez les
proposer aux journalistes non premier est né à Londres en chercheurs qui redoutent une
spécialisés un traitement des 2002. Problème : dans le information sous tutelle. Cette
sujets scientifiques ainsi que des financement de celui-ci, on trouve mobilisation a-t-elle payé ?
interlocuteurs chercheurs prêts aussi bien des organismes publics Aujourd’hui, le Science Media
à répondre aux questions… Sur le que des industriels, et certains de Centre à la française ne figure
papier, la proposition de créer ses “experts” se sont révélés être plus dans la LPPR adoptée le
une Maison de la science et des des lobbyistes, selon une étude 24 décembre 2020. Un rapport
médias, faite en juillet 2020 dans de sociologues britanniques citée qui lui est annexé préconise un
le projet de Loi de programmation par Le Monde. Le projet a suscité assez vague “réseau sciences
pour la recherche (LPPR), est une levée de boucliers en France, et médias territorialisé” organisé
alléchante. Elle est inspirée des tant chez les journalistes autour des universités locales.

Hubble est une réussite spectaculaire : un service de com- les rédactions qui n’en possèdent pas pourraient être tentées de
municants dédié, une production en continu de magnifiques se tourner vers une information ‘prémâchée’, immédiatement
images — artistiquement colorisées — qui font rêver, des disponible et sans recul critique, comme celle délivrée par le
communiqués de presse envoyés tous azimuts pour s’assurer Science Media Centre [lire ci-dessus].”
une couverture planétaire. Et qu’importe si les images qui Quand on ne connait pas les modalités de la “fabrique
intéressent le plus la recherche sont en réalité en de la science”, on peut facilement confondre les vraies
noir et blanc, et si la science contenue dans ces controverses avec les fausses, simples pugi-
communiqués de presse est parfois “survendue”. lats idéologiques sur les plateaux télé et
La communication scientifique les réseaux sociaux, amplifiés par de
bien réalisée est une source pré- Ne pas multiples trolls. On se souviendra des
cieuse pour les journalistes. positions sceptiques très médiatiques,
Mais elle ne saurait suf fire. confondre vraies mais scientifiquement intenables de
“L’exercice a ses limites. La commu- l’ancien ministre Claude Allègre
nication des institutions n’évoque que très controverses sur le changement climatique,
rarement les controverses scientifiques. Or,
une véritable controverse scientifique est
scientifiques et ou plus récemment des alléga-
tions de Didier Raoult concernant
très saine. Mais il n’est pas facile de
l’expliquer et de la traiter à chaud”,
pugilats sur les les prétendus effets de l’hydroxy-
chloroquine sur le covid, ou encore
souligne Jérôme Lamy. Une plateaux télé de l’astéroïde Oumuamua qui a fait
controverse scientifique le buzz lorsqu’un seul astrophy-
obéit à des règles précises : sicien de Harvard a déclaré qu’il
confrontation des travaux pourrait s’agir d’un vaisseau extra-
de plusieurs équipes, éva- terrestre, hypothèse de loin la moins
luation des articles par les pairs de la discipline, probable (lire p. 10). Aujourd’hui, nombre de
débats dans les colloques. C’est le travail des journalistes chercheurs critiquent publiquement ces excès.
scientifiques de raconter ces controverses, mais aussi Mais ce sont les journalistes scientifiques qui
les choix scientifiques, la concurrence entre équipes, le sont les mieux placés pour rendre compte de cette arène de
financement de la recherche… “En France, les journalistes la science, qui est somme toute à l’image du monde.
scientifiques sont peu nombreux et c’est un vrai problème. Car JEAN-FRANÇOIS HAÏT

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ARNAUD SAINT-MARTIN, SOCIOLOGUE

“FAIRE DU DEBUNKING PEUT


ÊTRE D’UTILITÉ PUBLIQUE”
L’irruption des fake news dans le vocabulaire est-elle consécutive à une
époque particulière de défiance vis-à-vis des autorités scientifiques ?
Pour Arnaud Saint-Martin, c’est probable. D’où la nécessité d’éclairer le
public, mais pas n’importe comment, car les écueils sont nombreux.

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LA FABRIQUE DE L’INFO

S
ociologue et chargé de recherche Ces initiatives pour contrer ce pouvoir, mais non seulement elle est
au CNRS, Arnaud Saint-Martin phénomène vous semblent-elles désastreuse sur le plan politique (elle
est spécialisé dans les politiques mal engagées ? renforce la hantise des “experts” et la
spatiales. Dans son livre Science paru Elles reposent souvent sur une vision défiance) et scientifiquement elle repose
en 2020 aux éditions Anamosa, il misérabiliste du “bon peuple”, esclave sur des assertions contestables.
cherche notamment à renouer avec de croyances irrationnelles, alors que Cela n’est pas sans rappeler les projets
un idéal éthique de la science. Il revient cela fait des décennies que ce schème a de luttes institutionnelles contre la
avec nous sur le phénomène des “fake été déconstruit. Ça ne veut pas dire que “radicalisation” : il ne s’agirait que
news”, les réactions de la communauté rien de stupide ou d’aberrant n’est dit, de biais cognitifs à détricoter par
scientifique et les théories du complot mais il y a une forme de disqualification l’apprentissage de l’esprit critique. Il
tenaces dans le domaine spatial. des gens au nom de la raison, qui suffirait alors de faire lire du Bachelard
exonère les diseurs de bonne vérité deux heures par semaine dans un
Comment les “fake news” sont-elles d’interroger leur propre intervention. centre de rééducation pour que tout
devenues un tel sujet de société ? Derrière cette vision, on peut déceler aille mieux. L’échec a été cuisant.
Arnaud Saint-Martin : Il y a des une position décliniste et élitiste du
conditions qui expliquent la prolifération savant qui spécule sur un savoir qui Les milieux scientifiques avec la
de ce type de phénomènes, sachant que serait en proie à la déchéance. Cette tribune #NoFakeScience ou certains
cela n’apparait pas n’importe quand position confortable est aussi source de courants dits rationalistes comme les
— on constate des pics par moments.
Une des clés d’explication, ce sont les
Arnaud Saint-Martin,
relations de défiance par rapport aux sociologue au
autorités constituées et consacrées. Un Centre européen
concept éprouvé de science politique que de sociologie et de
science politique,
je trouve utile pour mettre à distance a consacré une
l’impression d’omniprésence de ces bonne part de ses
phénomènes, c’est la “panique morale” travaux à l’histoire
de l’astronomie et
définie par Stanley Cohen. Il permet de aux évolutions de
montrer comment à un moment donné, l’astronautique.
Courtesy A. Saint-Martin
un problème public s’impose à l’agenda,
comment il est construit et façonné,
mis en controverse, comment il met en
crise un certain régime de vérité. Il y a
encore quelques années, on n’employait
pas le terme fake news ; on parlait de
propagande et de mensonge d’État. Il a
été mis à l’agenda par des entrepreneurs
de causes morales qui portent une
vision de ce que devrait être la vérité,
ce qui crée un effet de braquet : tout le
monde doit se positionner, et la lutte
contre les “fake news” devient même
force de conviction dans les stratégies
publiques et politiques. Des dispositifs
gouvernementaux ont été mis en place,
assistés d’experts, qui pourront vivre de
la “fake news”.

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L’espace est-il encore source de trop parler de soucoupe volante.


“fake news” ? On se souvient qu’à un Il en sera peut-être de même des
moment, le sujet était assez sérieux “fake news” dans quelques années.
pour que le père de l’astrophysique Lorsqu’on inspecte de plus près,
française Evry Schatzman devienne on se rend compte que les gens sont
directeur de l’Union rationaliste. dans des registres d’interrogation,
Il y a quelques enjeux dans le spatial, de curiosité, de décalage critique et
notamment le prétendu canular d’humour par rapport à ces théories
d’Apollo. Il y a aussi des complotistes aberrantes et perçues comme telles.
en ligne comme Silvano Trotta qui Dans la grande diversité humaine,
ne laissent pas d’intriguer, avec il doit bien exister quelques adeptes
sa “théorie” sur la Lune creuse de la terre plate, mais cela reste une
qui abriterait des bases ovnis. Ces croyance de niche montée en épingle.
légendes reposent sur des points
directement liés à l’histoire spatiale, Certaines agences comme la Nasa
par exemple l’histoire des V7 semblent jouer un jeu dangereux
Les “fake news” n’ont pas attendu l’ère des qui auraient été inventés par des avec ses annonces tonitruantes et peu
réseaux sociaux pour exister. Ci-dessus,
une illustration de la théorie de la Lune ingénieurs militaires nazis qui se étayées concernant la vie
creuse, soutenue bien avant les premiers seraient ensuite réfugiés avec Hitler extraterrestre. Pourquoi ?
vols spatiaux. DR en Antarctique à la chute du Reich. En 2015, j’ai assisté à une audience
Elles ont des origines qui paraissent publique au Congrès, où la Nasa
factuelles, parce qu’elles s’appuient annonçait des traces potentielles
zététiciens ne réagissent pas vraiment sur l’histoire de Peenemünde, des V2, d’eau sur Mars. Quelques jours avant
mieux si l’on se fie au livre Militer pour etc. En gros, c’est un développement les dernières phases de négociation
la science, qui montre bien les angles parallèle et excentrique du récit admis du budget. Il y avait le Seti, des
morts de ce genre de démarches de l’histoire spatiale, qui se déroule exobiologistes, des représentants
prétendument objectives. généralement dans le secret. démocrates et républicains
C’est important de faire du debunking Dans les années 1970, Evry qui posaient des questions
[démystification des fausses informations, Schatzman faisait effectivement hallucinantes, devant le président
NDLR], et cela peut être d’utilité du debunking sur les soucoupes de la commission, Lamar Smith,
publique. Le problème est que volantes. À l’époque, ce n’était climatosceptique convaincu. Peu
beaucoup des adeptes de ces positions pas contre les “fake news” qu’il importe si c’était survendu, la Nasa
ne se rendent pas compte que parler fallait lutter, c’était plutôt contre a obtenu gain de cause et tout le
de science dans l’espace public (en les ovnis, avec des personnalités monde est reparti fier de contribuer
particulier sur des sujets comme le comme Jean-Claude Bourret à la à la grandeur de l’Amérique par
nucléaire, le glyphosate ou encore le télé. Il m’est arrivé de sonder les l’exploration de l’espace.
changement climatique) vous place de archives de la presse régionale À travers ces exemples, on constate
fait dans une position normative, voire des années 1970, et j’ai alors été une forme de marketing qui est
idéologique. On peut le faire de façon frappé par le nombre d’articles de plus en plus présente dans les
réflexive, en essayant de comprendre les concernant des observations d’ovnis, sciences, y compris chez mon
influences dont on devient finalement des débats de l’Union rationaliste employeur, le CNRS. Par exemple,
le jeu pour tenter de cerner les limites ou de l’Association française pour l’injonction informelle à intervenir
de son propre positionnement. Il faut l’information scientifique organisés sur les réseaux sociaux. Cette
interroger la pureté de la position dans telle ou telle région pour course à l’audience est de plus en
rationaliste qui se risque dans cet prévenir la prolifération de ces plus intégrée au travail scientifique.
espace de rapport de force, sinon elle croyances. C’était perçu comme viral, Prenez les altmetrics [mesures d’impact
risque d’être instrumentalisée. mais aujourd’hui, on n’entend plus alternatives, NDLR] qui ont vocation

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LA FABRIQUE DE L’INFO

Rien qu’en commentant une information, les utilisateurs des


réseaux sociaux la dégradent

à objectiver l’impact d’un article en sociaux vivent du commentaire et “Réagissez, commentez.” La réaction,
mesurant les likes, les retweets, etc. les monétisent ; ils supposent un c’est un certain registre d’action :
Certains des papiers sur lesquels certain rapport à l’information. Il faut on est finalement passif et sujet
j’ai passé parfois des mois n’étaient y communiquer son opinion et la d’un dictat.
destinés qu’à dix personnes, et c’est mettre en débat en permanence. Les
aussi ça la recherche. Mais sur les utilisateurs se positionnent par rapport Que pensez-vous d’Elon Musk, à la fois
plateformes de revues, la présence à une information qu’ils propagent entrepreneur du secteur spatial et
de classements des articles les plus de fait rien qu’en la commentant, personnage de Twitter connu pour ses
consultés crée les conditions d’une et qui se dégrade à mesure que les déclarations délirantes ?
recherche de la réputation en commentaires affluent. La source Par ses annonces, ses promesses
rupture avec le système la valeur initiale, qu’elle soit fausse, tronquée ou abstraites et ses interactions
d’humilité pourtant instituée dans la objective, se perd au fur et à mesure. d’évangile, il suscite ce fameux
communauté scientifique. D’autant plus que ce n’est pas qu’une commentariat. On glose sur les
injonction à commenter — c’est intentions de Musk, mais on ne
Quel est l’impact des réseaux sociaux aussi une injonction à s’indigner qui regarde pas vraiment les logiques
sur la qualité de l’information ? permet une meilleure visibilité sur les politiques et idéologiques dont
L’analyse classique des réseaux plateformes. Le 14 avril 2021, c’était elles procèdent. J’étais sidéré
sociaux numériques comme la journée spéciale contre les fake news par l’absence de commentaires
amplificateurs me semble presque et France Info, qui se veut à l’avant- sérieux sur les conditions générales
relever du sens commun. Les réseaux garde de cette lutte, annonçait : d’utilisation du service Starlink
dans lesquelles Space X dicte les
modalités d’installation sur Mars
Une conférence de presse de la Nasa, en 2015, pour annoncer et médiatiser la
découverte d’eau salée sur Mars. © Nasa hors de toute souveraineté étatique
terrestre comme s’il ne s’agissait
que d’une blague pour space geeks.
Or, c’est complètement illégal du
point de vue du Traité de l’espace de
1967. Les agences spatiales restent
attentistes devant la provocation.
Les énormités politiques que Musk
raconte semblent de l’ordre de la
subversion du statu quo, mais se
retrouvent instillées dans les contrats
d’un service de télécom spatiale qui se
trouve être également un partenaire
désormais privilégié de la Défense.
Je n’ai presque rien lu sur le sujet dans
les médias ou dans les communiqués
de responsables d’agences, et c’est
en soi un problème.
PROPOS RECUEILLIS PAR JULIE LE BARON

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LA FABRIQUE DE L’INFO

COMMENT
S’INFORMENT LES
3 % Les Français
s’informent
sur internet en
moyenne moins

FRANÇAIS ? C’est le faible temps passé


sur internet pour consulter
de 5 minutes par
jour. Plus le temps
des sources d’information en passé à s’informer
En quelques années, les ligne. Les plus lues : la presse est important,
sources d’information se sont quotidienne et régionale, plus le nombre de

multipliées. La part numérique est


grandissante, en particulier dans
l’actualité sportive, la presse
quotidienne nationale. 5 min sources consultées
est élevé.

les jeunes générations pour qui


les réseaux sociaux ont remplacé LES CONSULTATIONS SUR INTERNET*
la télévision de papa. Mais si
les supports ont changé et la
Information 3 % Messageries et conversations en ligne 3 %
dématérialisation s’est imposée,
la presse résiste et s’adapte. Divertissement,
Ses atouts : des rédactions Pornographie audio, vidéo,
4% streaming 28 %
professionnelles et un gout certain
des Français pour la lecture. Autres
* Source principale : étude publiée par la Fondation Descartes en mars 2021

réseaux
sociaux 5 %

Jeux en
ligne 7 %

Facebook,
Twitter et
YouTube Achats
(hors sources en ligne
d’information) 11 % 13 %

Autres
(immobilier, voyage, nourriture,
rencontres en ligne…) Portails et moteurs
13 % de recherche 13 %

Sans surprise, l’usage des outils numériques concerne majoritairement


les secteurs du divertissement, du commerce et des services. La place de
l’information y est réduite, loin derrière les médias sociaux.

39 % 40 %
Au cours des 30 jours Les médias traditionnels
de l’étude, 39 % des représentent 40 %
participants ont du temps d’information
consulté des sources en ligne. Cette part
d’information jugées s’est renforcée au cours
non fiables. Mais du temps, ces derniers
le temps passé sur étant jugés plus fiables
ces sites par ces en raison du travail
personnes représente d’équipes de rédaction
5 % seulement du dédiées au numérique.
temps total consacré Papier et numérique
à la recherche sont les supports d’un
d’informations en ligne. nouveau “média global”.

84 | CIEL & ESPACE HS40


LA FABRIQUE DE L’INFO

LES SOURCES D’INFORMATION LES SOURCES D’INFORMATION


DES EUROPÉENS* DES FRANÇAIS
Ensemble de la population
Presse Ne se prononce pas
1 écrite
16-34 ans

62 % Télévision 17 %
Radio
45 %
1 17 % Télévision

* Source principale : étude Kantar publiée en Europe de l’Ouest en mars 2021


36 % 7 %
Réseaux 7 % 47 %
51 % sociaux 37 %
Chez les
35% moins de
Presse 35 ans
26 % écrite
46 %
30 % Internet
Radio 28 %
18 % Ensemble
de la
26% population
Moteurs de
27% recherche

Si la télévision arrive toujours en tête pour les plus de 34 ans, à À l’image des Européens, les Français de plus de 34 ans
contrario elle s’effondre dans la population jeune qui s’informe s’informent majoritairement grâce à la télévision, devant internet,
majoritairement sur les réseaux sociaux. Le papier résiste et la la radio et la presse écrite. Les plus jeunes privilégient, de façon
lecture conserve une place importante. écrasante, les sources numériques. Et boudent les supports

LA PRESSE LUE SUR LE NUMÉRIQUE


PLUS QUE SUR LE PAPIER
L’effondrement des ventes de journaux et magazines en kiosques
81 %
En France, 81 % des plus de 15 ans
42  %
42 % des lectures sont
s’explique en grande partie par l’adhésion massive à la lecture de
lisent chaque mois au moins un titre issus des abonnements.
la presse sur les supports numériques.
de presse en version numérique,
soit 43 millions de personnes.
Numérique 72 % Les kiosques dématérialisés sont
proposés par les opérateurs
Ordinateur téléphoniques ou des plateformes
14 % dédiées à la consultation d’une
presse magazine pléthorique. Un
modèle économique en devenir.

Tablette

87  %
Mobile 9%
49 %

Dans la presse, les


23 min
publicités restent efficaces ! Combien de temps les
87 % des lecteurs affirment Français passent-ils de
qu’elles attirent leur temps à s’informer ?
attention ou encore, pour En moyenne 23 minutes,
Papier 68 %, qu’elles participent au répondent les enquêtes,
28 % plaisir de lecture. Pour 30 % mais avec des écarts de
d’entre eux, elles aident plus en plus importants
même à préparer les achats. entre les extrêmes.

85 | CIEL & ESPACE HS40


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LUTTER CONTRE LES INFOX

LA SCIENCE PRODUIT-ELLE
LA VÉRITÉ ?
La connaissance scientifique avance grâce à un pingpong continuel
entre théorie et expérience. Elle est donc forcément amenée à évoluer
au fil du temps. Une démarche mal connue du grand public.


R
IT
É

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LUTTER CONTRE LES INFOX

A
u début du mois de mars 2020, la “science” s’est
imposée brusquement dans notre quotidien.
Chacun a appris à son niveau à analyser des
courbes, lire des données, parcourir les dernières études
sur les modes de transmission du virus, sa dangerosité,
les populations à risque, etc. Notre connaissance géné-
rale sur les microorganismes est montée en flèche. Ce sou-
dain retour en force du langage “savant” dans le débat
public semblait de bon augure pour une société cédant
parfois aux sirènes de l’irrationalité, des discours faciles
et autres idées reçues. Très vite, pourtant, quelque chose
a déraillé… Jetée dans l’arène médiatique et des réseaux
sociaux, sommée d’apporter des réponses immédiates
à une société réclamant toujours plus de vitesse, la
“science” a rapidement donné le sentiment de balbutier,
de douter d’elle-même et, finalement, a ouvert un boule-
vard à tous les excès. La “science” devenait un “discours”
comme un autre, sujette à débat, chacun pouvant se per- “Observer sans interpréter n’a aucun intérêt, croire en une théorie
mettre, experts comme profanes, de lui opposer sa propre sans l’avoir testée conduit à des errements. […] La science avance
vérité. C’était très mal comprendre la spécificité de la grâce à des allers et retours permanents entre ces deux démarches”,
expliquait l’astronome André Brahic. © E. Eferberg
méthode scientifique, laquelle s’applique à tout ce qui est
vérifiable et reproductible, par soi-même ou par les autres.
la simple observation de vaches marron ou blanches, de
UNE CROYANCE N’EST PAS RÉFUTABLE réfuter cette affirmation. Le monde des sciences repose
“Une proposition scientifique n’est pas une affirmation sur deux piliers : celui de l’expérimentation ou de l’obser-
vérifiée avec certitude, mais elle est réfutable, c’est-à-dire vation et celui de l’interprétation ou de l’approche théo-
qu’on ne peut pas affirmer qu’elle ne sera jamais réfutée”, rique. “Observer sans interpréter n’a aucun intérêt, croire
écrit l’astrophysicien André Brahic dans son court essai en une théorie sans l’avoir testée conduit à des errements.
Science et croyance : l’illusion du vrai et la certitude du faux. […] De la même manière que les hommes ont besoin de deux
En science, toute affirmation peut être invalidée à la suite jambes pour marcher, la science avance par ces deux approches
d’une nouvelle observation ou d’un contre-exemple. C’est et grâce à des allers et retours permanents entre ces deux
ce qui en fait sa spécificité, à la différence de la croyance démarches.” Intransigeante, la science exige d’abandon-
qui repose sur l’affirmation de vérités dont on ne peut ner toute théorie contredite par une ou plusieurs obser-
démontrer ni l’exactitude ni la fausseté. Ainsi, rappelle vations empiriques.
André Brahic, dire que “les vaches pensent que les trains ont Les recherches menées autour de la place et du destin
été créés dans l’Univers pour les divertir” n’est pas scienti- de notre planète dans l’Univers sont un parfait exemple
fique dans la mesure où, personne n’ayant la prétention de cette science remettant constamment sa mise en jeu.
de savoir ce qui se passe dans l’esprit des vaches, il est Réfutant la vision catholique d’une Terre immobile autour
impossible de valider ni de réfuter cette affirmation. En de laquelle tournent l’ensemble des astres, le chanoine
revanche, dire que “toutes les vaches sont noires” s’inscrit Nicolas Copernic place dès 1543 le Soleil au centre de l’Uni-
dans une démarche scientifique puisqu’il est facile, par vers. Un demi-siècle plus tard, l’hypothèse copernicienne

Le fait scientifique se vérifie ou s’infirme ; pas la croyance. Et chose surprenante pour les néophytes,
les vérités en science évoluent avec les connaissances et les outils dont nous disposons pour analyser le
monde. C’est l’expérience qui conforte la théorie, que l’observation a permis de bâtir. © C&E

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LUTTER CONTRE LES INFOX

La connaissance constitue la partie visible de la science présentée


sous sa forme achevée, celle qui nous est familière

trouve un soutien du nom de Johannes Kepler, qui va plus lui-même ne peut admettre dans un premier temps. Campé
loin en étudiant en 1609 le mouvement exact des planètes sur sa vision d’un Univers statique et homogène, forcé par
autour du Soleil. L’homme de sciences italien Galilée lui l’introduction d’une constante cosmologique, le physicien
emboite le pas et accumule, grâce à sa lunette astrono- capitule quelques années plus tard devant les nouvelles
mique, des preuves supplémentaires d’une Terre en rota- observations par Edwin Hubble du mouvement d’objets
tion autour du Soleil. Son obstination à défendre cette astronomiques lointains. À la fin des années 1990, d’autres
théorie révolutionnaire lui vaudra les vives condamnations mesures montrent que l’expansion de l’Univers n’est pas
de l’Église que l’on connait. constante, mais s’accélère avec le temps.
Cette évolution permanente de la “vérité” scientifique
UNE VÉRITÉ EN ÉVOLUTION PERMANENTE est souvent utilisée par quiconque souhaite légitimer une
Ces exemples laissent peu de doute quant à l’efficacité remise en question systématique de la parole savante.
de la méthode scientifique à engranger du savoir, en com- Cela revient à entretenir une confusion, malheureuse-
paraison d’une idéologie religieuse piégée dans l’immobi- ment répandue pendant la crise du coronavirus, entre
lisme de son récit, invérifiable par nature. En 1927, c’est au les certitudes de la connaissance et les incertitudes de la
tour de l’ecclésiastique Georges Lemaître de proposer une recherche. La connaissance constitue la partie visible de
nouvelle révolution cosmologique : l’Univers ne serait pas la science, présentée sous sa forme achevée, celle aussi
statique, mais en expansion ! Une idée qu’Albert Einstein qui nous est la plus familière. Elle regroupe toutes les

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LUTTER CONTRE LES INFOX

affirmations scientifiques qui, sur le fondement de faits et a réussi l’exploit, dans un contexte de crise sanitaire ayant
de démonstrations transparentes, ont abouti à un consen- pris de court toute la société, de faire de la science une opi-
sus difficilement ébranlable. Par exemple, il n’est plus pos- nion, voire une foi personnelle.
sible de soutenir la théorie de la Terre plate puisqu’une
simple photographie de notre planète prise de l’espace suf- LE PUBLIC PRIS À TÉMOIN
fit à confirmer sa rotondité. Le professeur de Marseille n’est pas le seul à s’être lancé
Nous sommes beaucoup moins habitués à voir la science dans une croisade anticonformiste. Sans doute davantage
au travail. Beaucoup de chercheuses et de chercheurs conti- attiré par la lumière que par la vérité, Avis Loeb, célèbre
nuent ainsi d’avancer pour comprendre l’origine du corona- astrophysicien de l’université de Harvard, affirme ainsi
virus, sa structure, ses modes de transmission, dans l’espoir dans un nouveau livre que l’astéroïde Oumuamua est une
qu’un jour leurs travaux fassent consensus et basculent sonde envoyée par une civilisation extraterrestre (lire p. 10).
dans le domaine du savoir. En l’occurrence, les modèles de Une hypothèse très peu partagée par la communauté
prévision de l’évolution du virus ou les traitements utili- scientifique (le comportement d’Oumuamua pouvant être
sés pour soigner les malades ont longtemps été fondés sur expliqué sans l’intervention de petits hommes verts), mais
des connaissances partielles et des données évolutives. Or, qui suffit à présenter le savant comme victime de la cen-
certains scientifiques n’ont pas accepté de reconnaitre les sure d’une pensée scientifique prétendument dominante,
incertitudes inhérentes à leurs hypothèses. L’exemple le arbitraire et dogmatique. Loeb et Raoult n’hésitent pas
plus flagrant fut sans doute l’arrivée sous les projecteurs du à prendre le public à témoin comme s’ils n’avaient pas
Pr Raoult. Inutile de revenir sur les péripéties intervenues la possibilité de s’exprimer par les canaux standards de
autour de l’hydroxychloroquine, ce médicament antipalu- l’échange scientifique, quand bien même tous deux battent
déen que Didier Raoult a présenté, dès février 2020, comme des records de publication dans la presse spécialisée, en
le remède le plus efficace pour traiter le covid-19. Avec une partie grâce à leur notoriété.
méthode scientifique et de communication bien à lui, Raoult Organisées autour du principe de validation des travaux
scientifiques par les pairs — le meilleur moyen que nous
ayons trouvé à ce jour pour structurer le savoir —, ces revues
Une théorie
scientifique est le scientifiques ne font pas moins l’objet de critiques. Alimentée
meilleur moyen gratuitement par les chercheuses et les chercheurs, leur
à un moment
revente constitue un marché très lucratif, quelques-unes de
donné d’expliquer
notre observation ces revues étant d’ailleurs en situation de quasi-monopole.
du monde. La Plus embêtant encore, certains membres de leur comité édi-
compréhension
torial, chargé de contrôler le processus indépendant d’éva-
du cosmos a ainsi
changé sans cesse luation et de révision des articles, sont accusés de conflits
au fil des époques d’intérêts. Ainsi, le nom de Didier Raoult est apparu dans
(ci-contre l’amas
un tiers des publications de la revue New Microbe and New
de galaxies Abell
2744 vu par le Infections, dont le rédacteur en chef et certains membres du
télescope Hubble). comité éditorial sont des collaborateurs directs du professeur.
© Nasa/ESA
Tout cela nous rappelle que la science ne peut être réduite
aux grands principes qui définissent sa méthode. Faite de
femmes et d’hommes, elle dépend également de sources de
financement toujours plus diversifiés, publics et privés, ren-
forçant le doute sur l’impartialité et l’indépendance des cher-
cheurs, pourtant indispensables à l’émergence et à l’adoption
collective de vérités scientifiques. En ce sens, la science reste
un projet de société dont il convient d’entretenir sans cesse
l’idéal. C’est aussi cela qui la rend exaltante.
RAPHAËL CHEVRIER

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LUTTER CONTRE LES INFOX

À L’ÉCOLE DES
CHASSEURS D’INFOX
À Taninges en Haute-Savoie, une institutrice enseigne comment
s’armer contre les rumeurs du net. Grâce des exemples ludiques, ses
élèves apprennent avec méthode comment ne pas se laisser duper.

“L
a photo révèle une surprenante pyramide sur la surface suffisamment visible pour faire du cliché l’une des “10 pho-
lunaire. Alors, y aurait-il eu des pharaons sur la Lune, tos mystérieuses inexpliquées à ce jour”, à l’honneur dans
ou serait-ce l’œuvre des extraterrestres ?” Sur la chaine cette vidéo mise en ligne en mars 2016. Avec 9 millions de
YouTube Lama fâché, la voix off ne suggère que deux pistes : vues, la séquence compte parmi les vidéos les plus regar-
les pharaons ou les aliens. Voilà pour expliquer à 8 millions dées de la chaine Lama fâché, très prisée par les adolescents,
d’abonnés une forme triangulaire, vaguement discernable juste devant “10 femmes géantes qui existent vraiment”
dans le flou d’une photo ratée de la mission Apollo 17 en ou “10 preuves que Michael Jackson serait vivant”. Reprise
1972. Mais quelqu’un a estimé que l’étrange triangle était par d’autres sites comme agoravox.fr, lesmoutonsenrages.

Illuminatis, aliens et autres


rumeurs. Chaque élève crée une
affiche pour alerter sur les infox
qui circulent sur internet. DR

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LUTTER CONTRE LES INFOX

fr, ou même un tabloïd anglais, le Daily Express en 2019, la Ancienne journaliste devenue institutrice, Rose-Marie
Farinella a pressenti l’exposition des jeunes aux fausses
pyramide sur la Lune est l’un des nombreux exemples que
informations. Depuis sept ans, elle anime ses ateliers pour
Rose-Marie Farinella a sélectionnés pour ses ateliers d’édu- les CM2 de Taninges, en Haute Savoie. DR
cation aux médias et à l’information. Une fois par semaine à
l’école élémentaire de Taninges, en Haute-Savoie, l’institu-
trice intervient dans la classe des CM2 de sa consœur Isabelle
Sarrazin. Objectif de son atelier hebdomadaire ? Apprendre
aux élèves à démasquer les infox rencontrées sur internet.
Et le moins que l’on puisse dire, c’est que les enfants de
Taninges bouclent leur parcours en primaire avec un esprit
critique particulièrement aiguisé.

DE L’ESPACE AUX COMPLOTS


“Je commence l’année en expliquant comment fonctionnent
internet et les réseaux sociaux. Ces derniers tentent de vous
maintenir connecté le plus longtemps possible, parfois à coup de
ciblées,
contenu sensationnel, pour vous montrer des publicités ciblées,
ouvre Rose-Marie Farinella. Les moteurs de recherche ne
mettent pas forcément en avant l’info la plus vraie. C’est essen-
tiel que les enfants sachent tout ça.” Pour apprendre à bien
distinguer info et intox, fiction et réalité, cette ancienne
journaliste a choisi plusieurs affaires à “débunker” (de

Une pyramide
photographiée
sur la Lune
par la mission
Apollo 17 ? L’un
des exemples
choisis pour
illustrer
comment
peuvent naitre
les fausses
rumeurs.
© G. Langin et Nasa

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LUTTER CONTRE LES INFOX

Je jure sur la tête de la souris de mon ordinateur qu’avant d’utiliser


ou de partager une information, toujours je la vérifierai

l’anglais to debunk,
debunk, “démystifier”). Parmi ces cas d’étude, la souris de mon ordinateur qu’avant d’utiliser ou de partager
certains sont puisés dans les thématiques spatiales  : vérifierai”, se donnent pour
une information, toujours je la vérifierai”,
l’énigme du chevalier noir, un soi-disant satellite extra- première règle les élèves. Ce petit monde apprend d’abord
terrestre en orbite autour de la Terre depuis 13 000 ans ; la à vérifier et à croiser les sources d’une information trou-
zone 51, que les élèves ont fait découvrir à leur maitresse, vée sur internet. Savoir retrouver l’origine d’une image
ou même des thèses de voyages cosmiques au travers de est au menu. Grâce à des moteurs de recherche inversée,
“champs de torsion” et grâce à “l’énergie scalaire”, trouvés comme Google Images ou TinEye, Rose-Marie Farinella
sur des sites connus pour verser dans l’ésotérisme et le com- prouve qu’il ne faut pas être âgé de plus de 9 ans pour y
plotisme. “L’espace est une thématique que les enfants aiment, parvenir. Vient ensuite le temps de la contextualisation
car ça les fait rêver. Toutes les histoires d’ovnis comportent une d’une information, avec pour premier réflexe d’en consul-
mystère”, justifie l’enseignante. Une brèche pour
part de mystère”, ter la date de parution et la réputation du média qui s’en
que s’engouffrent les histoires les plus farfelues. Si croire à fait écho. Enfin, apprendre à se méfier de soi-même et des
ces histoires-là n’est en soi pas dramatique, les sites qui les biais cognitifs qui influencent notre jugement à notre insu.
hébergent relaient d’autres infox sur des sujets plus graves. Par exemple : le biais de confirmation, selon lequel nous
Pour s’armer contre ce millefeuille de rumeurs, Rose- croyons plus volontiers les informations que l’on désire
Marie propose une méthode. Celle-ci commence de façon être vraies. Sans oublier les tours que notre cerveau peut
amusante par le Serment de la souris. “Je jure sur la tête de nous jouer. Les paréidolies, formes concrètes que l’on croit

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LUTTER CONTRE LES INFOX

voir au sein d’une image abstraite, et autres illusions d’op- crédulité chez les autres. Sans moquerie, l’ambiance est toujours
tique. “Nous en créons nous-mêmes,
nous-mêmes, s’amuse Rose-Marie restée très bonne.” L’année suivante, Les infaux n’ont pas
Farinella. Pour traiter l’histoire de la pyramide lunaire, j’ai une aussi bien convaincu. Tout le monde était sur ses gardes.
petite figurine tétraédrique de 1 cm de haut qui, si elle est prise À créer eux-mêmes des fausses informations, les CM2 de
de très près et sous un bon angle, pourrait donner l’impression Taninges en élucident la recette pour mieux les débusquer.
qu’il y a des pyramides à Taninges.” Équipé de masques confectionnés dans des coupures de
presse, chacun se voit en fin de cycle honoré d’un diplôme
COMMENT SE FABRIQUENT LES INFOX de hoaxbuster. Une référence aux chasseurs de fantômes du
Pendant les vacances de Pâques, les enfants avaient film Ghostbuster
Ghostbuster,, hoax signifiant canular
canular..
pour devoir de prendre deux photos de leur commune. Inauguré il y a sept ans, le projet éducatif de Rose-Marie
La première pouvant servir d’illustration à un article de Farinella a été primé à cinq reprises par des organismes
presse intitulé “Taninges : le plus beau village de France” comme l’Unesco, la Commission européenne et les Assises
et la seconde “Le plus laid des villages”. Une autre façon, du journalisme. Si l’éducation aux médias et à l’informa-
en plus des jeux de rôles organisés par l’enseignante, de tion existe depuis des années dans l’Éducation nationale,
comprendre le métier de journaliste. En 2015, cette com- c’est surtout à partir du collège qu’on la découvre. “Des
mune de la vallée du Giffre a vu un nouveau média circu- professeurs documentalistes font des travaux super. Mais au
ler dans la cour de son école. Créé par les élèves, Les infaux l’initiative”, estime
primaire, cela reste beaucoup de l’ordre de l’initiative”,
du Haut Giffre annonçait le remplacement de l’école par la professeure des écoles. Peu à peu, les contenus ensei-
un immense hôtel 5 étoiles, illustré par le Grand Budapest gnés ont incorporé la notion de fake news qui s’est impo-
Hôtel du film de Wes Anderson, ou l’évasion d’un lion sau- sée en 2017 avec la campagne présidentielle américaine.
vage déambulant dans les rues voisines. “Les enfants reve- “L’éducation aux médias m’a toujours intéressée. Mais ce
naient de récréation en me rapportant : ‘Tout le monde y a cru !’ dont je me souviens au début des années 2010, c’est de com-
se souvient l’institutrice. Ça leur a permis de constater la mencer à recevoir ces chaines de courriels contenant des délires
sur Dieudonné, ou sur ce que l’on appelait la théorie du genre.
tombaient” ,
Des pièges dans lesquels certains de mes amis tombaient”,
note Rose-Marie Farinella. Puis ont eu lieu les attaques
terroristes de Charlie Hebdo.
Hebdo. Un terreau pour les théories
du complot. “C’est là que le Clemi [Centre de liaison de l’en-
s’alerter”, estime
seignement et des médias] a commencé à s’alerter”,
Rose-Marie Farinella. D’après l’une de ces thèses adossées
aux attentats de janvier 2015, le policier Ahmed Merabet,
tué par les frères Kouachi, était vivant. Un article publié
le 10 février par un certain Fr33m4n R0ckw00d relatait
les “aveux d’une Rotschild” présentant l’individu comme un
“crypto-juif” et “agent du Mossad”.
Mossad”. Source de l’information ?
connais”… Une tournure dont s’est
“Quelques femmes que je connais”…
amusée la classe de Rose-Marie Farinella, la réemployant
pour inventer ensemble d’autres rumeurs comme “quelques
chinois”. Jadis
femmes m’ont dit que les chats savent parler chinois”.
hébergé sur stopmensonges.com, l’article complotiste a
depuis été supprimé, comme le site entier. Mais l’un de ses
Au départ, les élèves prêtent serment sur leur animateurs, Laurent Freeman, poursuit aujourd’hui ses
souris de vérifier l’information (ci-contre). Et en activités sur lumieresurgaia.com. Des complots judéo-chré-
fin d’année, ils reçoivent un diplôme d’apprenti
tiens aux mythes sur notre planète et ses voisines, il n’y a
“hoaxbuster”. Page de gauche : Les infaux du Haut
Giffre, le journal parodique créé lors de l’atelier. qu’un pas. Et vice versa.
© G. Langin et DR GUILLAUME LANGIN

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LUTTER CONTRE LES INFOX

LE VRAI DU FAUX
PIERRE LAGRANGE

“L
es crédules sont-ils des imbéciles ?” L’anthropologie aux télévisions par un producteur anglais. Au moment
invite à se montrer prudent avant d’employer des des débats suscités par la prophétie maya de 2012, cer-
termes comme crédules. L’histoire de cette discipline tains n’ont pas manqué de stigmatiser ces foules qui atten-
se résume trop souvent à la trop longue liste des “crédules” daient la fin du monde comme cela était déjà survenu un
dont nous nous sommes crus autorisés à dénoncer l’imbécilité peu avant l’an mil, alors que les médiévistes ont montré
avant de découvrir qu’ils n’étaient ni imbéciles ni crédules. que personne n’attendait la fin du monde en l’an mil
Souvenons-nous des peuples dits sauvages accusés d’être inca- (faute d’ailleurs de savoir qu’on était en l’an mil). Où est
pables de raisonnement logique et dont nous avons exterminé le manque de sens critique, pour ne pas dire l’imbécilité,
une grande partie au nom du progrès. En passant des peuples dans ces débats où de prétendus esprits critiques inventent
“primitifs” aux foules “irrationnelles” et au public “amateur de toutes pièces des croyances inexistantes ?
de fake news”, le discours n’a guère changé. Mieux ! On n’a Certains répondront que, même si la croyance à Roswell
jamais autant dénoncé la crédulité de nos contemporains en n’existe pas avant 1980, il n’en reste pas moins qu’une par-
la comparant jusqu’à une époque très récente à la “pensée tie des gens croit bien aux soucoupes volantes depuis 1947,
magique” des “sauvages”. Cette dénonciation année de la première vague de témoignages
est aujourd’hui quotidienne et même notre Pierre Lagrange est de ces phénomènes. Sauf que si on consulte
chef d’État ne peut plus prendre la parole sociologue des sciences, le premier sondage réalisé fin juillet 1947, on
sans s’exprimer sur les fake news, sur le com- chercheur associé à l’EHESS découvre un public massivement sceptique
(École des hautes études en
plotisme ou sur ces Français qui n’aimeraient sciences sociales). Au sujet qui se livre surtout à des commentaires sur la
plus la vérité (Emmanuel Macron interrogé par de l’émission d’Orson Welles, crédulité qu’il attribue aux autres. La crédulité
Médiapart entre les deux tours). il a publié La guerre des est moins une caractéristique du public qu’un
mondes a-t-elle eu lieu ? chez
Mais ce discours est-il défendable  ? Robert Laffont en 2005. discours qui permet de se distinguer des autres.
Évoquons rapidement quelques exemples Il coanime la chaine vidéo On rejoint ici le constat fait par des historiens et
emblématiques. Des milliers d’articles ont Projet Crank des anthropologues sur l’absence de pertinence
(https://bit.ly/3fLqzG2).
rappelé la manière dont les auditeurs d’Or- de la catégorie de crédulité. De nombreux tra-
son Welles auraient paniqué en écoutant la vaux en anthropologie l’ont montré : parler
pièce radiophonique annonçant l’arrivée des Martiens en de croyance, c’est parler précisément de ce à quoi on ne croit
1938. En fait, cette panique n’a jamais eu lieu. On ne cesse plus. Celui qui dit “je crois” ne témoigne pas de sa crédulité,
de lire des articles à propos des adeptes de la Terre plate (lire mais de sa volonté de mettre sa croyance à distance.
p. 46) dont la crédulité nous renverrait au Moyen Âge… En À ce niveau de la discussion, ceux qui se déclarent scep-
oubliant qu’au Moyen Âge, les gens savaient parfaitement tiques, zététiciens ou rationalistes sont volontiers agacés
que notre planète était ronde (on trouve cette erreur jusque par ce qu’ils dénoncent comme du relativisme, comme un
sur le site de France Culture). On ne compte plus les études refus d’articuler la notion de crédulité à l’état du savoir (1).
en sciences sociales qui expliquent comment une partie du Je propose donc de jouer le jeu et de reprendre ce thème des
public est fascinée par l’affaire de Roswell (lire p. 52) depuis fake news en définissant comme la plupart des auteurs de
1947… alors que celle-ci n’émerge qu’en 1980, lors de la ce numéro de Ciel & espace la crédulité et le scepticisme à
publication du livre qui a inventé cette histoire, inconnue partir de l’état du savoir scientifique, en s’appuyant sur des
en France avant la polémique suscitée en 1995 par un faits indiscutables. Commençons par établir une petite liste
film d’une prétendue autopsie d’un prétendu E.T. vendu de faits scientifiques indiscutables, établis sur la base du

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LUTTER CONTRE LES INFOX

consensus scientifique actuel, consensus dont on ne trouve Qui est complotiste ? Le public qui croit à des fables
pas l’équivalent depuis le début de l’histoire des sciences. comme celles des reptiliens, ou le gouvernement qui voit
- Nous vivons la sixième extinction de masse des des islamo-gauchistes et des citoyens si dangereux qu’il
espèces vivantes. faudrait instaurer un système de surveillance de masse ?
- L’homme occidental est responsable de cette sixième Qu’est-ce qui est le plus grave, que des gens croient
extinction et de la crise écologique qui la provoque par aux chemtrails (rumeur selon laquelle les avions répandraient
son mode de développement industriel. des produits chimiques inconnus, NDLR) ou que les compa-
- On ne peut pas continuer à consommer plus de res- gnies aériennes ont déversé 918 millions de tonnes de
sources que la Terre ne peut en produire (2). gaz carbonique dans l’atmosphère en 2018 ?
- Les animaux sont des êtres dotés d’intelligence, ce Il ne s’agit pas de nier l’existence de fake news, il s’agit
sont des êtres sociaux, de culture, des êtres sensibles de se demander si le problème est bien posé lorsqu’on
dont l’éthologie, la biologie et la théorie de l’évolution le limite à dénoncer des infox diffusées par le public et/
montrent que très peu de choses les distinguent de nous. ou les internautes en ignorant le fait qu’une bonne par-
- La multiplication de pandémies est liée à la destruc- tie de nos élites politiques, économiques, industrielles,
tion de la biodiversité (3). financières refusent de prendre en compte les données
Et effectivement, pas mal de gens nient ces faits, ou établies par les scientifiques, et notamment par le GIEC,
se comportent comme s’ils n’avaient aucun fondement. le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution
Qui sont donc ces indécrottables crédules qui refusent du climat ? Entre les fake news diffusées par les internautes
d’admettre les faits établis par les sciences ? Évoquons et celles diffusées par les élites mentionnées à l’instant, il
quelques cas de fake news pour nous demander qui s’agit de se demander lesquelles ont les conséquences les
mérite d’être tenu pour crédule… plus préoccupantes lorsqu’on constate que ces élites ont
Qui mérite vraiment le qualificatif d’antivaccin : une les moyens d’imposer leurs choix sous forme de lois. Par
partie du public, ou l’industrie pharmaceutique qui pri- ailleurs, notre époque est aussi une époque où une partie
vilégie la rémunération de ses actionnaires par rapport grandissante du public, des collectifs citoyens, des associa-
au financement de la recherche et qui refuse la levée des tions défendent la nécessité de tester d’autres modèles de
brevets pour les pays les plus pauvres en nous mettant société face à l’urgence de la crise écologique, modèles qui
ainsi en danger de voir la pandémie rebondir ? suscitent non seulement l’indifférence de nos dirigeants,
Qui peut être accusé de diffuser l’ignorance ? Le public, mais même une opposition implacable comme on a pu le
ou les firmes industrielles qui ont financé des campagnes voir lors de l’évacuation par l’armée et les forces de police
pour désinformer sur le rôle de l’industrie pétrolière dans la des ZAD et autres lieux occupés par des citoyens, gilets
crise climatique, sur le danger du tabac ou des pesticides ? (4) jaunes ou militants écologistes qui réclament des mesures
Qui nie la réalité de la crise écologique ? Les Gilets sociales et écologiques en accord avec ce que la science
jaunes qui scandent “Fin du monde, fin du mois, même com- nous apprend de l’état de la planète.
bat !” ou Emmanuel Macron qui rejette les propositions de Face à une crise comme celle que nous vivons, n’est-il
la Convention citoyenne pour le climat en expliquant que pas temps, surtout de la part de ceux qui ne cessent d’en
l’alternative se résume à “la 5G ou la lampe à huile” ? appeler à la science, de reposer le problème des fake news
Qui peut être taxé d’irrationalisme? Les adeptes du en prenant en compte de l’état réel du savoir ?
New Age qui veulent accoucher dans l’eau en compagnie
de dauphins, ou les PDG de parcs aquatiques qui enfer- (1) Oubliant ainsi qu’un historien rationaliste comme Jean-Pierre
ment des dauphins ou des orques après avoir détruit leurs Vernant a insisté sur la complexité de notions comme celles
de pensée mythique ou de raison, notamment dans un article
familles ? (sans parler des rationalistes qui se scandalisent trop peu lu paru dans les Cahiers rationalistes en 1966.
des premiers, mais pas des seconds, reconduisant ainsi (2) Voir la vidéo de la chaine NEXT avec Arthur Keller.
ceux qui au début du XXe siècle se scandalisaient des idées (3) Lire La fabrique des pandémies de Marie-Monique Robin.
irrationnelles des “sauvages”, mais surtout pas des zoos (4) Lire Les marchands de doutes de
humains dans lesquels on les exhibait). Naomie Oreskes et Éric Conway.

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POU R ALLER PLUS LOIN

QU’EN DIT LA SCIENCE ? AGNOTOLOGIE : LA MÉCANIQUE


Raphaël Chevrier / DE L’IGNORANCE
éditions Buchet-Chastel / 270 p. / 19,50 € Série documentaire de France Culture
Comment se construire notre opinion La “science de l’ignorance” est la discipline qui étudie
sur la 5G ou les vaccins sans en être les modes de production culturelle de l’ignorance. Quels
un spécialiste ? L’auteur nous informe freins peuvent retarder le savoir dans la communauté
de l’avancée des recherches sur de scientifique? Comment étudier ce que l’on ne sait pas ?
grands sujets scientifiques, de manière https://bit.ly/34Ojvnc
factuelle. Apaisant, nécessaire !

LA FABRIQUE DE L’IGNORANCE
Franck Cuveillier et Pascal Vasselin /
100 FAKE NEWS FACE documentaire Arte
À LA SCIENCE S’appuyant aussi sur l’agnotologie, ce documentaire
Curieux ! / éditions First / 240 p. / 16,95 € met en lumière les stratégies d’utilisation de la méthode
Un ensemble de sujets est passé au scientifique pour maintenir le doute, voire l’ignorance.
crible pour aider à déconstruire les idées https://bit.ly/2TI1vZl
reçues, infox et autres idées farfelues.

ESPRIT CRITIQUE, DÉTROMPEZ-VOUS


SCIENCE Exposition itinérante coproduite par le Quai
Arnaud Saint-Martin / des savoirs, Universcience et Cap sciences
éditions Appaloosa LHS / 90 p. / 9 € Parcours de 1 h 30 permettant de vérifier une
Cet essai renoue avec un idéal éthique information, mettre en lumière et déjouer les préjugés
de la science, ses idées fondatrices et les biais. À Bordeaux jusqu’au 14 novembre 2021,
et son patrimoine commun à entretenir puis Toulouse et Paris.
et à défendre. https://bit.ly/3gf5cgO

PÉDAGOGUES ET ENSEIGNANTS

CROYANCES ET ESPRIT SCIENTIFIQUE, CORTECS


IDÉES FAUSSES EN ESPRIT CRITIQUE Collectif de recherche
ASTRONOMIE M. Farina, E. Pasquinelli, transdisciplinaire esprit critique et
Hors série n°13 des G. Zimmerman / Le Pommier. sciences : https://cortecs.org
fiches pédagogiques Consultation libre sur Ce réseau de chercheurs,
du Comité de liaison www.fondation-lamap.org/fr/ enseignants et professionnels
enseignants et astronomes (CLEA). esprit-scientifique intéressés propose des ressources
Vous y retrouverez réflexion et Ce projet pédagogique propose, du et un accompagnement possible
activités pour armer pédagogues CP à la seconde, d’affuter les outils pour des projets d’esprit critique.
et jeunes face aux discours permettant de se forger un avis
“alternatifs”. sur le monde, en s’appuyant sur des
ateliers de science.

Soutenu LA BASE DE DONNÉES DU MINISTÈRE DE LA CULTURE : https://www.culture.gouv.fr/Espace-


par
documentation/Bases-de-donnees. Celle-ci référence un ensemble de répertoires de ressources
documentaires pouvant servir d’exemples à vos projets d’éducation aux médias.

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