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LA FINALITE

FONDEMENTS CONCEPTUELS

ET GENESE LINGUISTIQUE

Gaston Gross, Université Paris 13

Michele Prandi, Université de Bologne


ii
i

Tables de matières

Table de matières i

PREFACE

LA FINALITE DANS L’EXPRESSION ET DANS LA PENSEE 1


SPONTANEE

1. LE TERRITOIRE CONCEPTUEL DE LA FINALITE 1


2. L’EXPRESSION MULTIPLE DE LA FINALITE 3
3. LA FINALITE DANS L’ATTITUDE NATURELLE : DE L’ACTION 5
HUMAINE AU MONDE VEGETAL

CHAPITRE I
13
L’ANALYSE DES RELATIONS TRANSPHRASTIQUES:
UN CHOIX METHODOLOGIQUE

1. RELATIONS TRANSPHRASTIQUES ET CONJONCTIONS DE


SUBORDINATION 14
1.1. Relations transphrastiques et contenu des conjonctions 15
1.2. L’expression des relations transphrastiques n’est pas le
monopole de la phrase complexe 16
1.3. La modulation sémantique 17
2. LA PHRASE COMPLEXE : EXPRESSION DE PROCES COMPLEXES ET
MOYEN DE CONNEXION TRANSPHRASTIQUE 19
2.1. Procès complexes et connexion de procès simples 20
2.2. Le codage des relations transphrastiques dans la phrase
complexe 25
2.3. Le rôle des connecteurs : codage adéquat, sous-codage et
surcodage 26
2.4. L’expression des relations transphrastiques : un éventail
d’options 28
3. L’EXPRESSION DES CONNEXIONS TRANSPHRASTIQUES 30
3.1. La phrase complexe 30
3.1.1. Codage complet 30
3.1.2. Sous-codage et enrichissement inférentiel 32
3.1.3. Surcodage : structures conceptuelles et structures 33
sémantiques
ii

3.2. La juxtaposition : un pont inférentiel entre procès 36


3.3. L’inférence entre sémantique et pragmatique 38
3.3. Relations anaphoriques 42
3.3.1. Emploi anaphorique des termes prédicatifs 44
3.4. Coordination 46
3.4.1. Le contenu de la conjonction 46
3.4.2. La synergie de la conjonction et de l’anaphore 48
4. GRAMMAIRE DE REGLES ET GRAMMAIRE D’OPTIONS 48

CHAPITRE II
55
DE LA LOCUTION AUX PREDICATS NOMINAUX

1. CONJONCTIONS ET LOCUTIONS CONJONCTIVES 55


2. DEGRES DE LIBERTE DES LOCUTIONS CONJONCTIVES 56
2.1. La préposition 57
3. LE SUBSTANTIF 58
4. LA DETERMINATION DE CE SUBSTANTIF 59
4.1. Détermination cataphorique 60
4.2. Insertion d’un adjectif 61
4.3. Détermination anaphorique 61
4.4. Autres types de déterminants 64
5. FORMES DE LA SUBORDONNEE 65
6. UN SUBSTANTIF PREDICATIF 67
6.1. Structure de la phrase complexe 67
6.2. Statut théorique des verbes supports 70
7. AUTRES FORMES DE CE PREDICAT 72
8. LA SUBORDONNEE FINALE EST UNE COMPLETIVE 73
9. PARAPHRASES DES LOCUTIONS 73
10. VARIATIONS DE PERSPECTIVES COMMUNICATIVES 74

CHAPITRE III

STRUCTURE CONCEPTUELLE DE LA FINALITE : CAUSE, MOTIFS, 77


BUT

1. CAUSE ET MOTIFS 78
2. LA CAUSE 82
2.1. Le raisonnement hypothétique, ou la cause comme
condition 84
2.2. La concession ou la problématisation de la règle 90
iii

3. LES MOTIFS : ACTION ET DECISION 92


3.1. Motif et action 93
3.1.1. Cause et motif dans la phrase complexe : marges
externes et marges internes du procès principal 95
3.1.2. Les conditions conceptuelles du motif : l’action,
le sujet, la décision 98
3.2. Digression : le motif du dire et de la pensée 99
3.3. La structure temporelle de la cause et des motifs 101
4. DU MOTIF DE L’ACTION AU BUT : PREVISION ET INTENTION 103
4.1. But et action : restrictions conceptuelles générales 105
4.1.1. Restrictions sur le procès principal 105
4.1.2. Restrictions sur le but 108

CHAPITRE IV

L’EXPRESSION DE LA FINALITE DANS LA PHRASE COMPLEXE 113

1. LA FINALITE COMME STRUCTURE SEMANTIQUE : LA PERSPECTIVE


FINALE DANS LA PHRASE COMPLEXE 113
1.1. La perspective temporelle des motifs dans la phrase
complexe 114
1.2. L’expression du motif prospectif dans la phrase
complexe : la forme causale et la forme finale 117
1.2.1. La position du but dans la structure de l’action 118
1.2.2. La perspective causale et la perspective finale 118
1.2.3. Noyau conceptuel et perspective sémantique 119
1.3. La modulation de la finalité grâce aux termes prédicatifs :
de la phrase complexe à la juxtaposition 121
2. AUX LIMITES DU BUT 122
2.1. Codage et inférence : la déconstruction inférentielle de la
relation finale 123
2.2. Le but du dit et le but du dire 127
2.3. Le but comme argument 129

CHAPITRE V
137
TYPOLOGIE SEMANTIQUE DES PREDICATS DE BUT

1. UN OUTIL D’ANALYSE : LES CLASSES D’OBJETS 138


2. LES CLASSES DE PREDICATS 140
3. LES NOTIONS DE PREDICATS ET DE SUPPORTS APPROPRIES 142
iv

4. APPLICATION AUX PREDICATS NOMINAUX DES LOCUTIONS


CONJONCTIVES 143
4.1. Substantifs locatifs 143
4.2. Prédicats de perception 144
4.3. Prédicats « d’intention » 144
4.4. Prédicats de sentiments 145
4.5. Problèmes d’hyperonymie 146
5. CARACTERES COMMUNS DE TOUS LES PREDICATS NOMINAUX DE
BUT 147
5.1. Ce sont des noms prédicatifs 147
5.2. Ils ont des restructurations communes 147
5.3. Ils ont des supports généraux communs 148
5.4. Ils ont des verbes appropriés communs 149
5.5. Ils ont des adjectifs appropriés communs 149
5.6. La négation et l’interrogation portent sur la
circonstancielle 150
5.7. Ils peuvent être suivis d’un « correctif » 151
6. LE RELATEUR NE PEUT PAS ETRE EFFACE 151
7. SOURCE DE LA PREPOSITION AVEC 152

CHAPITRE VI
155
LES LOCATIFS DE BUT

1. LEUR SUJET 155


1.1. Sur une règle de grammaire 156
1.2. Un cas particulier : les locatifs 156
2. VERBES SUPPORTS 158
3. PREDICATS VERBAUX APPROPRIES 159
4. ADJECTIFS APPROPRIES 162
5. LE SUBSTANTIF BUT 163
5.1. Nature de la préposition 163
5.2. Détermination du substantif but dans la locution 164
5.3. Pluriel 164
5.4. Formes de la subordonnée 165
5.4.1. Subordonnée en que P 165
5.4.2. Infinitif 165
5.4.3. Substantif prédicatif 165
5.4.4. Forme adjectivale 166
5.4.5. Expressions figées 167
6. LE SUBSTANTIF OBJECTIF 167
v

6.1. Syntaxe 167


6.2. Formes de la subordonnée 168
6.3. Pluriel 169
7. LE SUBSTANTIF CIBLE 169
8. LE SUBSTANTIF FIN 170
8.1. Déterminants et formes de la subordonnée 170
8.2. Autres déterminants 172
8.3 Verbes supports 172
8.4. Verbes appropriés 173
8.5. Adjectifs appropriés 173
9. RELATEURS NON STRICTEMENT LOCATIFS 173
9.1. Destination 174
9.2. Finalité 175
10. CONSTRUCTIONS CAUSATIVES 176

CHAPITRE VII
179
LES PREDICATS DE PERCEPTION VISUELLE

1. LES SUBSTANTIFS CONCERNES 179


2. LE SUBSTANTIF VUE 179
2.1. Polysémie du substantif 180
2.2. Etre en vue 180
2.3. Syntaxe de la locution 182
2.4. Forme de la subordonnée 183
2.5. Types de prédicats dans la subordonnée 184
2.6. Prédicats appropriés de la principale 185
3. PERSPECTIVE 185
3.1. Syntaxe de la locution 186
3.1.1. La préposition en 186
3.1.2. La préposition dans 187
3.1.3. La préposition avec 188
3.2. Emploi à interprétation causale 188
4. LA RACINE VIS- 189
5. POINT DE MIRE 189

CHAPITRE VIII
191
LES PREDICATS D’INTENTION

1. UNE FINALITE « INTERIEURE » 191


vi

2. PREDICATS D’INTENTIONNALITE 193


3. INTENTION 193
3.1. Forme non actualisée 193
3.2. Détermination et formes de la subordonnée 194
3.3. Transformations sur la subordonnée 195
3.4. Actualisation 196
3.5. Prédicats appropriés 196
3.6. Restructurations 197
4. DESSEIN 198
4.1. Formes de la locution 198
4.2. Formes de la subordonnée 198
4.3. Actualisation : verbes supports 198
4.4. Prédicats appropriés 199
5. IDEE, PENSEE, ARRIERE-PENSEE 199
5.1. Formes non conjuguées 200
5.2. Verbes supports 200
6. PROJET 201
7. LES PREDICATS DE VOLITION 202
7.1. Volonté 202
7.2. Détermination, déterminé 204
7.3. Résolu, décidé 204
7.4. Recherche, quête 205

CHAPITRE IX
LES PREDICATS DE SENTIMENTS 207

1. CONDITIONS D’UNE LECTURE FINALE 207


2. UNE FINALITE D’UN TYPE PARTICULIER 208
3. PREDICATS DE SENTIMENTS CONCERNES ET DEFINITION
SYNTAXIQUE 209
4. FINALITE ET MOTIF RETROSPECTIF 210
5. PROPRIETES COMMUNES DES PREDICATS DE SENTIMENTS
CONNECTEURS DE FINALITE 212
5.1. Par rapport aux substantifs d’intention 212
5.2. Restrictions syntaxiques des noms de sentiments dans la
construction finale 212
6. DESIR 213
6.1. Formes de la locution 213
6.2. Réalisations morphologiques de la racine 214
6.3. Actualisation du prédicat nominal 214
vii

6.4. Prédicats appropriés 216


6.4.1. Verbes appropriés 216
6.4.2. Adjectifs 216
6.5. Thématisation 216
7. ENVIE 217
8. SOUHAIT 218
9. REVE, REVER ET ILLUSION 219
10. AMBITION, AMBITIONNER ET PRETENTION 220
11. ESPOIR, ESPERANCE, ESPERER 222
11.1.Constructions non actualisées 223
11.2.Verbes supports 223
11.3.Prédicats appropriés 223
11.4.Forme verbale 223
12. PEUR, CRAINTE 224
12.1.Formes non actualisées 225
12.2.Formes conjuguées 225
13. SOUCI, SE SOUCIER, SOUCIEUX 226

CHAPITRE X
229
LA PREPOSITION POUR

1. POLYSEMIE SYNTAXIQUE DE LA PREPOSITION POUR INTRODUISANT


DES COMPLEMENTS NON ARGUMENTAUX 229
2. POLYSEMIE DE POUR QUE 232
3. PARTICULARITES SYNTAXIQUES DE POUR PAR RAPPORT AUX
AUTRES RELATEURS DE BUT 233
4. SYNTAXE DE LA CONSTRUCTION 234
4.1. Formes de la subordonnée 235
4.2. Transformations portant sur la subordonnée 236
4.3. Place de la subordonnée 237
5. VARIATIONS SEMANTIQUES A PROPOS DE POUR QUE 237

CHAPITRE XI
241
FINALITE ET ARTEFACTS

1. OBJETS NATURELS ET OBJETS FINALISES 241


2. SYNTAXE DES ARTEFACTS 243
3. SYNTAXE DES LIEUX 244
4. TEMPS 245
viii

5. ARTEFACTS ABSTRAITS 247


6. LES HUMAINS 247

CHAPITRE XII

CONCLUSIONS : LA PLACE DU BUT DANS LA CATEGORISATION


DE L’ACTION 249

1. ACTION, INTENTION, BUT 252


2. ACTION, FINALITE, INTERPRETATION 253
2.1. Le caractère téléologique de l’action 253
2.1.1. L’explication téléologique 254
2.1.2. La description téléologique 255
2.2. Actions complexes et actions de base 257
2.3. Relation finale analytique et relation finale synthétique 259
2.4. Conditions de cohérence de l’agent 261
2.4.1. La conscience : niveau moral et niveau 262
catégoriel
3. LE DEFI DU DESIR ET DES SENTIMENTS 265

BIBLIOGRAPHIE 273
DICTIONNAIRES 286
Index des noms d’auteurs 287
Index des termes 291
Index des relateurs 293
1

PREFACE :

LA FINALITE DANS L’EXPRESSION


ET DANS LA PENSEE SPONTANEE

Parmi les relations entre procès traditionnellement étudiées dans le cadre


de la phrase complexe, la finalité se distingue à la fois par la richesse
incomparable de ses moyens d’expression et par sa place centrale dans
notre équipement conceptuel de base. Etroitement liée à l’action humaine
libre et responsable, elle touche aux thématiques de la conscience, de
l’intention et des émotions, s’intégrant donc dans une constellation de
concepts qui forme le socle portant de notre attitude naturelle envers le
monde (Husserl 1913). De ce fait, l’analyse de la finalité n’est pas
seulement un chapitre de la grammaire des expressions, mais aussi une
province de cette « métaphysique de description » à laquelle Strawson
(1959(1973)) confie l’analyse des concepts naturels et spontanément
partagés. Dans cet ouvrage, nous voudrions rendre justice à la richesse de
l’expression, qui se trouve mortifiée dans les approches traditionnelles,
ainsi qu’à la complexité conceptuelle de la finalité, qui à son tour est
exaltée par un examen exhaustif des formes d’expressions.

1. LE TERRITOIRE CONCEPTUEL DE LA FINALITE

Sur le plan du contenu, la finalité n’est pas un concept univoque, mais


une véritable confédération de concepts hétérogènes, s’appliquant à des
domaines d’objets différents quoique interconnectés, à savoir l’action
humaine, la structure des artefacts, la structure des organismes vivants. S’il
y a un fil qui lie ensemble ces concepts différents, il se réduit au fait que
dans tous ces domaines on remarque une tendance commune à justifier un
état de choses donné plutôt en termes prospectifs qu’en termes
rétrospectifs. Les caractères qualifiants d’une structure ou d’un
comportement, en d’autres mots, se comprennent comme donnés en vue
d’une destination plutôt qu’à partir d’un ensemble de conditions. De ce
fait, comme nous le verrons, la finalité s’oppose à la cause, qui est la forme
typique de justification rétrospective.
2

Le noyau conceptuel essentiel de la finalité est inséparable de l’action


humaine, et cela pour deux raisons, l’une externe, l’autre interne.
Tout d’abord, un grand nombre d’actions humaines ne sont pas motivées
à partir du passé, et donc de quelque chose qui s’est produit, mais se
justifient à partir d’un projet, dont le contenu investit le futur. Si la phrase
complexe (1) est un exemple de motivation rétrospective, (2) contient une
motivation prospective. L’action principale n’est pas accomplie comme
réaction à un événement qui s’est passé, mais en vue d’un état de choses
que le sujet envisage dans le futur :

1. Jean a acheté un vélo nouveau parce que le vieux lui a été volé
2. Jean a acheté un vélo pour faire de l’exercice

L’orientation vers le futur n’est pas exclusive de la sphère intellectuelle,


dominée par l’intention et la volonté, mais investit en même temps le
domaine des émotions, qui à côté d’attitudes rétrospectives, comme le
regret ou la nostalgie, contient des attitudes prospectives, dont le contenu
se situe dans le futur, comme le désir, l’illusion ou le rêve.
Ensuite, indépendamment de ses motivations externes, rétrospectives ou
prospectives, l’action humaine elle-même ne peut être décrite que sur la
base d’un but interne qui lui donne son sens. Acheter un vélo, par exemple,
c’est accomplir un certain nombre de démarches qui ne forment une action
qu’à condition d’être unifiées par un but qui les subsume et en résume le
sens – le but d’acheter un vélo. De ce fait, la finalité ne se limite pas à
accompagner l’action humaine – elle en définit en premier lieu l’essence
profonde.
A partir du domaine d’élection coïncidant avec l’action humaine, le
modèle de la finalité s’étend à la structure des artefacts et des êtres vivants.
La première extension de la finalité présente une allure métonymique : à
partir de la caractérisation dynamique de l’action humaine, la finalité
investit la description statique des objets qui en résultent – des artefacts.
Chaque fois que nous pouvons dire que quelqu’un a fabriqué un objet dans
un certain but, nous pouvons dire de façon tout aussi cohérente que cet
objet a été fait ainsi dans un certain but, ou plus simplement qu’il est
comme il est dans un certain but. L’artefact a une forme qui se justifie en
tant que matérialisation d’un projet :

3. Les maisons des pays chauds sont peintes en blanc pour repousser les rayons du
soleil

Une seconde extension de la finalité répond plutôt à un critère


analogique. La structure des êtres vivants est normalement décrite et
3

justifiée en vue d’une destination fonctionnelle dont le modèle est la


finalité, et cela dans l’emploi linguistique naturel aussi bien que dans le
langage des savants.

4. Cette variété d’arbres a développé une écorce épaisse pour éviter les assauts des
grands herbivores
5. Les girafes ont de longs cous pour brouter le feuillage des arbres

La raison de cette extension du langage de la finalité est claire : le


modèle de la finalité donne une expression simple, directe, cohérente et
rationnelle à la congruence entre structure et fonction qui représente le
critère d’intelligibilité prospectif de tout ce qui est vivant. La structure d’un
organisme vivant - la connexion des parties dans un tout – ne se laisse pas
justifier en termes de conditions préalables – de causes – mais devient
intelligible à partir d’une destination fonctionnelle, comme si elle répondait
à un véritable projet. Comme l’action humaine, l’organisme ne se justifie
pas à partir de, mais en vue de. La différence entre les deux domaines,
comme nous le verrons, est toute dans la conscience.

2. L’EXPRESSION MULTIPLE DE LA FINALITE

Sur le plan de l’expression, parler de finalité signifie en premier lieu


remettre en question la mise en place linguistique des relations entre
procès, ou relations transphrastiques.
Traditionnellement, la description des relations transphrastiques se réduit
à l’analyse d’une poignée de propositions subordonnées dites
circonstancielles, et donc d’une poignée de conjonctions et de prépositions.
L’étude de la finalité ne fait pas exception. Elle est généralement identifiée
avec le contenu d’une proposition subordonnée au subjonctif, introduite par
une conjonction comme pour que, ou à l’infinitif, introduite par la
préposition pour ou par des locutions comme afin de, dans le but de. Or, si
nous admettons que la finalité n’est pas en premier lieu le contenu d’un
type de proposition subordonnée mais une relation entre procès, et donc le
contenu d’un prédicat du deuxième ordre qui prend des procès simples
comme arguments, chaque nom prédicatif en mesure de nommer cette
relation – de but à désir, d’objectif à intention, de vue à rêve – peut jouer
un rôle actif dans la mise en place d’une relation finale. L’éventail des
moyens d’expression s’ouvre donc sur une constellation riche et
hétérogène de noms prédicatifs appartenant à plusieurs aires sémantiques,
qui enrichissent chacun d’une nuance spécifique un noyau conceptuel
commun.
4

Nous avons en premier lieu les métaphores du mouvement orienté – le


but, la cible, l’objectif –, de la vue et de la perspective. Ensuite, nous
rencontrons les prédicats de l’aire de la volonté consciente, de l’intention et
du projet. Finalement, nous trouvons le territoire le moins exploré de tous,
à savoir les sentiments, du désir, à l’illusion, au rêve. Chacun des termes
prédicatifs appartenant aux trois aires, en outre, peut aussi bien entrer dans
la construction de la phrase complexe, incorporé dans l’une de ces
structures que la tradition appelle locutions prépositionnelles (5),
qu’orienter l’interprétation d’une juxtaposition en tant qu’expression
anaphorique (6) :

5. Max a acheté un vélo dans l’intention (l’objectif, le désir) de faire de l’exercice


6. Max avait envie de faire de l’exercice. Dans cette intention (cet objectif, ce désir)
il a acheté un vélo.

Etudier la finalité, c’est donc à la fois pénétrer dans la structure riche et


différenciée d’une aire conceptuelle centrale dans notre pensée spontanée
et étudier le contenu sémantique et la distribution de dizaines de termes
prédicatifs, qui envisagent les objectifs et les mobiles de l’action humaine
dans toutes ses nuances. Cet ouvrage est en premier lieu un travail de
linguistique, qui thématise tout d’abord la structure et le comportement des
expressions linguistiques. Mais nous sommes également conscients du fait
qu’on ne peut pas étudier l’un des piliers de notre équipement conceptuel
de base sans enrichir l’étude syntaxique formelle d’une analyse
conceptuelle, et cela pour deux raisons au moins.
En premier lieu, la distribution des termes prédicatifs engagés dans
l’expression de la finalité ne répond pas seulement à des restrictions
formelles, mais aussi à des restrictions conceptuelles. La distribution des
termes prédicatifs, en d’autres mots, n’est pas contrainte seulement par un
critère de bonne formation syntaxique des expressions, mais aussi par un
impératif de cohérence1 des structures conceptuelles mises en oeuvre.

1. Le terme français cohérence confond deux concepts différents, qui sont


distingués en anglais grâce à l’opposition entre coherence, ou cohérence textuelle, et
consistency, ou cohérence conceptuelle. La cohérence conceptuelle caractérise
négativement le contenu d’une phrase comme libre de conflits entre concepts – de
contradictions ou d’incohérences: La lune brille, par exemple, est une phrase cohérente,
alors que La lune brille et ne brille pas est contradictoire et La lune rêve (Baudelaire)
est incohérente. La cohérence textuelle caractérise positivement le contenu d’un texte
comme capable d’intégrer les contenus des énoncés qui le composent dans un message
unitaire. Alors que la cohérence conceptuelle n’est qu’une qualitas non constitutive de
la phrase – une phrase incohérente est toujours une phrase – la cohérence textuelle est
5

Ensuite, comme l’expression linguistique reste la voie d’accès la plus


riche et la plus directe aux catégories de la pensée spontanée, notre
recherche finit aussi par jeter un rayon de lumière sur une province de la
catégorisation conceptuelle partagée de l’expérience, à savoir le domaine
de l’action humaine.
Avec cet ouvrage, nous voudrions montrer qu’une recherche linguistique
rigoureuse portant sur la syntaxe des expressions est en mesure de dévoiler
en même temps la syntaxe profonde de nos concepts partagés. Quand elle
étudie la charpente des expressions complexes, et notamment des relations
entre procès, la grammaire ne saurait se contenter d’être formelle. Elle
devient nécessairement, pour emprunter une étiquette explicite à une
tradition glorieuse, une grammaire philosophique.
Dans un ouvrage comme le nôtre, l’analyse des concepts et la
description des formes sont étroitement entrelacées. Toutefois, il nous a
paru raisonnable d’encadrer notre ouvrage d’une introduction et d’une
conclusion consacrées plus particulièrement aux implications de notre
analyse pour la description des concepts. Si la conclusion évalue l’impact
de l’emploi des termes prédicatifs sur la catégorisation partagée de l’action
humaine, l’introduction se propose en premier lieu de tracer un plan
essentiel du domaine d’action du modèle téléologique, s’étalant de l’action
humaine à la structure des êtres vivants.

3. LA FINALITE DANS L’ATTITUDE NATURELLE :


DE L’ACTION HUMAINE AU MONDE VEGETAL

L’action humaine se distingue d’un événement du monde des


phénomènes parce qu’elle met en scène des mouvements du corps qui
trouvent leur raison d’être, leur unité et leur sens dans un but. Planter un
clou, cela veut dire accomplir certains mouvements du corps en vue d’un
but reconnu.
L’extension du modèle de la finalité aux artefacts, nous l’avons vu,
n’introduit aucune rupture au plan ontologique. Il est vrai que dans la
description d’un artefact la finalité n’est pas directement associée à l’action
humaine mais à la description d’une structure. Cependant, il est tout aussi
vrai que cette structure n’est autre chose que la matérialisation d’un projet,
et donc d’une action humaine engagée dans la poursuite d’un but. Si le

constitutive de la textualité – elle n’est pas une qualitas d’un texte mais sa quidditas
même (Conte 1988: 29): une séquence incohérente d’énoncés n’est pas un texte.
6

marteau a un manche pour qu’on puisse l’empoigner, c’est parce qu’un être
humain l’a conçu et fabriqué pourvu d’un manche exactement dans ce but.
Une véritable rupture ontologique se produit par contre lorsque le
modèle téléologique est utilisé dans la description de la structure des êtres
vivants. Dans ce cas, la description téléologique se dissocie non seulement
de l’action humaine directe, mais aussi du domaine des objets issus de
projets humains. Ce qui reste de la finalité, c’est un principe
d’intelligibilité prospectif. Comme la structure de l’action humaine se
justifie en vue d’un but que l’agent se propose d’atteindre, la structure d’un
être vivant se justifie en vue d’une destination fonctionnelle évidente de ses
constituants. Un être vivant s’offre à la perception et à la description
comme si sa structure répondait parfaitement à un projet.
La conception téléologique du vivant fait partie d’une couche
primordiale de concepts qui constitue le fondement de notre pensée
cohérente. Les philosophes qui ont exploré cette couche, comme Aristote et
Kant, n’ont pas donné une contribution à la construction d’un édifice
métaphysique ou cognitif, fait de doutes, d’hypothèses, de preuves ou
d’argumentations. Plutôt, ils ont marqué des étapes significatives le long du
chemin qui nous mène à une explicitation progressive de la structure et du
contenu de notre attitude spontanée envers le monde et les êtres, fait de
certitudes immédiatement partagées telles qu’elles sont, en deça du doute,
de la discussion et de l’argumentation. S’ils ont fait de la métaphysique,
elle appartient à cette forme que Strawson appelle « métaphysique de
description ». Une métaphysique de description se propose non pas
d’élargir notre patrimoine d’hypothèses concernant le monde, l’homme et
Dieu, mais simplement de creuser et porter à la surface « la structure
effective de notre pensée au sujet du monde » (Strawson 1959(1973 : 9)),
autrement dit, notre ontologie naturelle partagée.
Une grande partie de l’oeuvre d’Aristote est consacrée à une telle tâche
de description et d’éclaircissement de notre pensée naturelle, et cela vaut
certainement pour les pages qu’il consacre à la finalité : « la finalité se
rencontre dans les changements et les être naturels ». Si nous sommes prêts
à affirmer sans aucune incohérence et sans le sentiment de faire des
métaphores que Les arbres ont des racines pour se nourrir, ou que Les
oiseaux ont des ailes pour voler, c’est parce que la destination
fonctionnelle évidente d’un constituant de l’arbre et de l’oiseau est
catégorisée comme si elle cachait un projet, et donc une forme de but. « Si
donc, c’est par une impulsion naturelle et en vue de quelque fin que
l’hirondelle fait son nid, et l’araignée sa toile, et si les plantes produisent
leurs feuilles en vue des fruits, et dirigent leurs racines non vers le haut,
7

mais vers le bas, en vue de la nourriture, il est clair que cette sorte de
causalité existe dans les générations et les être naturels2 ».
Face à des expressions comme Les arbres ont des racines pour se
nourrir, ou Les oiseaux ont des ailes pour voler, il n’est bien sûr pas exclu
de voir dans le contenu de la proposition principale l’oeuvre d’un agent
surnaturel - d’un Créateur – et cela était certainement le sentiment
d’Aristote. Mais il faut souligner que l’assimilation de la raison
fonctionnelle à une sorte de finalité immanente dans le monde naturel n’est
alimentée ni par des connaissances positives ni par des convictions
métaphysiques ou religieuses. L’image du monde des vivants comme régi
et ordonné par une téléologie immanente appartient à une couche tellement
profonde de notre ontologie naturelle spontanée qu’elle se soustrait à la
discussion et au doute qui caractérisent à la fois l’acquisition des
connaissances positives et le débat métaphysique. L’ontologie naturelle
partagée est un système de présupposés soustraits en même temps au doute,
à l’épreuve et même à l’expression explicite, auxquels la communauté des
humains fait confiance comme le promeneur qui marche fait confiance à la
solidité du terrain. Sa solidité est par ailleurs la preuve certaine que
l’ontologie naturelle n’est pas un système de propositions au contenu
empirique ou théorique, mais un système de présupposés d’ordre pratique
qui fondent la cohérence de notre comportement spontané avant même de
fonder la cohérence de nos concepts et de nos discours. L’ontologie
naturelle partagée fait place à la métaphysique et aux sciences positives au
moment où l’attitude pratique de confiance fait place à l’attitude théorique
nourrie de doute, et donc à l’argumentation ou à la recherche de la preuve.
Aristote est bien conscient de cela. La conception téléologique des êtres
vivants qu’il décrit appartient à une couche de concepts qui n’est pas
atteinte par le débat métaphysique, car elle est compatible aussi bien avec
l’idée d’une création comme action finalisée d’un Dieu, qu’avec l’idée
alternative, qu’il repousse, d’une sélection impitoyable. Une sélection régie
par un critère fonctionnel rigide et une création inspirée par un projet, en
effet, aboutiraient au même résultat, car la sélection ne laisserait survivre
que les êtres bien équipés par le hasard ou par la nécessité physique en vue
de leurs fonctions, et donc « comme s’il y avait détermination
téléologique » :

Mais une difficulté se présente : qu’est-ce qui empêche la nature d’agir non en vue
d’une fin ni parce que c’est le meilleur, mais comme Zeus fait pleuvoir, non pour

2. Aristote, Physique (I – IV), Texte établi et traduit par Henri Carteron, septième
édition, Les Belles Lettres, Paris, 1990 : 199a, 77-78.
8

augmenter la récolte, mais par nécessité ; car l’exhalaison s’étant élevée, doit se
refroidir et, s’étant refroidie et étant devenue eau par génération, descendre ; quant à
l’accroissement de la récolte qui suit le phénomène, c’est un accident. Tout aussi bien,
si la récolte se perd, pour cela, sur l’aire, ce n’est pas en vue de cette fin (pour qu’elle se
perde) qu’il a plu, mais c’est un accident. Par suite, qu’est-ce qui empêche qu’il en soit
de même pour les parties des vivants ? Par exemple, c’est par nécessité que les dents
pousseront, les unes, les incisives, tranchantes et propres à déchirer, les autres, les
molaires, larges et aptes à broyer ; car, dit-on, elles n’ont pas été engendrées pour cela,
mais par accident ils se rencontre qu’elles sont telles. De même pour les autres parties
où il semble y avoir détermination téléologique. Et, bien entendu, ce sont les êtres où
tout s’est produit comme s’il y avait détermination téléologique qui ont été conservés,
s’étant trouvés convenablement constitués ; les autres ont péri et périssent comme, pour
Empédocle, les bovins à face d’homme3.

Mais c’est surtout le témoignage de Kant qui est tranchant sur ce point.
Le philosophe qui a coupé à jamais les ailes de la pensée métaphysique fait
place dans son système au jugement téléologique comme critère
d’intelligibilité des êtres vivants :

Ce principe, qui est aussi la définition des êtres organisés, s’énonce ainsi : Un produit
organisé de la nature est celui en lequel tout est fin et réciproquement aussi moyen. Il
n’est rien en ce produit, qui soit inutile, sans fin, ou susceptible d’être attribué à un
mécanisme naturel aveugle […] On sait que ceux qui dissèquent les végétaux et les
animaux, pour étudier leur structure et pour pouvoir saisir pour quelles raisons et en vue
de quelle fin de telles parties leur ont été données, et pourquoi aussi une telle
disposition et une telle liaison de ces parties et précisément cette forme interne,
admettent comme absolument nécessaire cette maxime : dans une telle créature rien
n’est inutile, et ils donnent à cette maxime - au principe téléologique - la même valeur
qu’au principe physique universel, car de même qu’il n’y aurait plus d’expérience en
général si l’on abandonnait ce dernier principe, de même si l’on abandonnait le premier
principe il n’y aurait plus de fil conducteur pour l’observation d’une espèce de choses
naturelles que nous avons déjà conçues téléologiquement sous le concept des fins
naturelles4.

Cela veut dire que le jugement téléologique n’appartient ni au domaine


des connaissances positives, qui appliquent les catégories de l’entendement
à l’expérience sensible, ni au domaine de l’abus métaphysique, qui idéalise
les catégories de l’entendement les vidant de leur contenu empirique. A la
différence de la cause, l’idée d’une finalité interne à la nature ne fait pas
progresser la connaissance des phénomènes. Elle se limite à reconnaître la
valeur heuristique de la tendance de l’être humain à assimiler au modèle du

3. Ibidem : 198a, 76.


4. Emmanuel Kant, Critique de la façon de juger, traduction et introduction par
Alexis Philonenko, Librairie Philosophique J. Vrin, Paris, 1993 : 301-302.
9

projet, et donc du but, toutes les structures qui contiennent en elles mêmes
un critère d’intelligibilité prospectif, de l’objet fabriqué, à l’oeuvre d’art, à
l’organisme vivant :

Le concept d’une chose, comme fin naturelle en elle-même, n’est pas ainsi un concept
constitutif de l’entendement ou de la raison ; mais il peut être cependant un concept
régulateur pour la faculté de juger réfléchissante, pour guider la recherche sur les objets
de ce genre et réfléchir sur leur principe suprême d’après une analogie éloignée avec
notre causalité suivant des fins en général, cette réflexion servant moins la connaissance
de la nature ou de son fondement originaire (‘Urgrund’) que celle de la faculté pratique
rationnelle en nous, en analogie avec laquelle nous considérons la cause de cette
finalité5.

Une preuve décisive de la neutralité du modèle téléologique face à


l’alternative métaphysique entre création et sélection naturelle est fournie
par le développement spectaculaire des théories évolutionnistes depuis
Darwin.
S’il a réévalué l’idée de Démocrite, condamnée par Aristote et Dante,
d’un monde « fait au hasard », le tournant darwinien n’a pas vidé le
langage téléologique d’Aristote et Kant, qui à son tour ne fait qu’expliciter
l’image des êtres vivants dont témoigne notre ontologie naturelle partagée.
Darwin lui-même ne peut s’empêcher de se servir du lexique de la finalité
pour décrire l’adaptation des organes des animaux à leurs fonctions :

Seeing this gradation and diversity of structure in one small, intimately related group of
birds, one might really fancy that from an original paucity of birds in this arcipelago
[des Galapagos], one species had been taken and modified for different ends (Ch.
Darwin, The Voyage of the ‘Beagle’, Dent Dutton, Londres – New York, 1980, Ch.
XVII, ‘Galapagos Archipelago’).

Grâce à sa capacité d’expulser l’agent de la scène, la forme passive


permet de décrire ce qui s’est passé comme si c’était une action finalisée
tout en contournant la question de l’agent. L’emploi de la forme passive se
change ainsi dans l’allégorie d’un mouvement plus général de la pensée
spontanée aussi bien que savante, qui, dissociant la finalité de l’action et de
l’intention consciente, ouvre le territoire des structures fonctionnelles à la
grammaire de la finalité.
Ce serait sortir de notre attitude naturelle partagée et bondir dans le
territoire de la métaphysique que d’affirmer que la structure d’un être
vivant comme un oiseau ou un arbre est le résultat de la mise en place d’un

5. Ibidem : 300.
10

projet conscient – par exemple d’une création divine. Et pourtant, comme


Dennett (1996 : Ch. 3) le remarque, l’évolution de la structure des vivants
se laisse décrire comme si c’était l’issue d’un projet. La structure des
arbres a été forgée dans le cours de l’évolution par une compétition sans
pitié avec des antagonistes. Vue a posteriori, et donc dans une perspective
temporelle renversée, cette compétition apparaît comme une séquence de
démarches rationnelles orientées vers un but, et donc comme une séquence
de comportements finalisés : « c’est comme si les arbres et leurs
antagonistes étaient des agents comme nous ! » :

Les arbres qui, dans leur histoire évolutionnelle, on fait l’objet de lourds assauts de la
part de prédateurs herbivores, ont réussi dans plusieurs cas à synthétiser des substances
toxiques comme forme de représailles envers ces animaux. Les herbivores répondent
parfois en développant dans leur appareil digestif une tolérance spécifique pour ce
poison, de façon à pouvoir continuer à se nourrir jusqu’au jour où les arbres, suite à la
faillite de leur première tentative, auront développé de nouvelles ruses – par exemple
des épines – ou d’autres formes de toxicité, déchaînant une véritable course aux
armements où chaque mesure provoque une contre-mesure. Mais il se peut aussi que les
herbivores « décident », à un moment donné, de renoncer aux représailles pour
s’adresser, opérant des discriminations, à d’autres sources de nourriture.

Une fois qu’elle a été dissociée de la conscience qui caractérise


l’intention chez les humains, l’attitude intentionnelle peut être définie en
termes très généraux comme un mécanisme d’adaptation des structures et
des comportements aux fonctions. Comme nous voyons la présence d’un
projet dans l’adaptation d’une clé à une serrure, nous pouvons déchiffrer un
projet dans la réaction d’un arbre qui oppose des épines aux assauts d’un
prédateur.
La présence évidente dans les êtres vivants dépourvus de conscience
d’une orientation intentionnelle primordiale pousse Monod à parler
explicitement d’un projet : « Toutes les adaptations fonctionnelles des êtres
[…] accomplissent des projets particuliers qu’il est possible de considérer
comme des aspects ou des fragments d’un projet primitif unique » (1970 :
27). La présence d’un projet est la propriété « qu’à la fois ils [les êtres
vivants] représentent dans leur structure et accomplissent par leurs
performances » (1970 : 23). Le philosophe des sciences E. Bellone (2000 :
130), pour sa part, va jusqu’à écrire que « tous les organismes vivants sont
en mesure de se servir des données sensorielles parce qu’ils sont déjà doués
d’une sorte de connaissance a priori, grâce à laquelle les irritations des
terminaisons sensorielles acquièrent une signification ».
En dépit de ces échantillons de langage téléologique, si nous ne
considérons que les deux pointes extrêmes de l’univers de la finalité –
l’action humaine consciente de ses buts, et les visées inconscientes et
11

aveugles d’un végétal ou même d’une cellule – nous avons peut-être le


sentiment d’avoir trop tendu le fil qui les unit, et d’être confrontés à de
simples façons de parler, à des métaphores pittoresques mais vides. Mais si
nous envisageons l’action humaine dans toutes ses composantes,
émotionnelles aussi bien que rationnelles, nous voyons se produire à un
moment donné une éclipse de la conscience, qui fait place à
l’intentionnalité aveugle de l’animal et même du végétal dans la sphère de
l’action humaine elle même. A la différence de l’approche traditionnelle,
une étude systématique du lexique de la finalité nous oblige à aborder
d’une façon explicite précisément cette question.
L’action humaine se pose des objectifs et poursuit des projets, poussée
non seulement par l’intention consciente mais aussi par des sentiments non
entièrement conscients et par des instincts inconscients. Tant que nous
parlons d’intention ou de volonté, les mobiles internes de l’action humaine
sont censés être transparents à la conscience du sujet, qui se représente
comme capable de contrôler ses propres projets. Mais comme les
sentiments entrent en jeu, les racines de l’action s’enfoncent peu à peu dans
un terrain caché à la conscience : un désir peut être par définition
inconscient, ou porter sur un objet qui échappe à la volonté et à la
conscience du sujet.
La syntaxe des sentiments montre que l’intentionnalité – l’organisation
d’une structure ou d’un comportement en fonction d’un objectif – se
dissocie de la conscience déjà dans l’action humaine. A côté d’un contenu
manifeste, qui affleure à la conscience, et en concurrence avec celui-ci, le
désir répond à des appels qui nous échappent, exactement comme nous
échappent les pulsions du corps. Les sentiments sont partagés entre la
conscience et la corporéité, et le corps a ses projets que l’intention
consciente ignore.
L’idée d’une intentionnalité corporelle soustraite à la juridiction de la
conscience est développée avec cohérence par Maurice Merleau-Ponty.
Dans des pages célèbres, il nous rappelle que la corporéité, tout en se
situant au dessous du seuil de la conscience, n’est intelligible que comme
une structure intentionnelle. Comme l’intention consciente, et souvent en
conflit avec elle, le corps forme ses projets et les poursuit avec
acharnement. En présence des pulsions sexuelles, par exemple, force est
d’admettre que « nous avons affaire, non pas à un automatisme
périphérique, mais à une intentionnalité qui suit le mouvement général de
l’existence » (1945 : 183). Le modèle d’une l’intentionnalité localisée au-
dessous du seuil de la conscience nous encourage « à retrouver dans la
sexualité les relations et les attitudes qui passaient auparavant pour des
relations et des attitudes de conscience » (184).
12

Si cela est vrai, l’intention consciente, tout en identifiant la forme la plus


pleine d’intentionnalité, n’est en fait que le sommet d’une échelle de
complexité qui voit le comportement d’un végétal ou d’une cellule dans le
point le plus bas. Ce qui fait la singularité, la grandeur et la misère de l’être
humain, c’est précisément le fait de sommer en lui le corps et l’âme,
l’intention illuminée par la conscience et l’acharnement têtu et aveugle
d’un végétal qui poursuit ses buts étrangers et inaccessibles. Mais cet
entrelacement de conscience et de pulsion aveugle dans l’être humain est
aussi ce qui fonde l’unité profonde de la pensée téléologique – ce qui
autorise à prêter à la description d’un arbre ou d’une cellule le langage de
la finalité humaine.
D’une part, l’action humaine finalisée nous apparaît dans toute sa
complexité inextricable, faite d’intentions conscientes et de pulsions
obscures, de lumière et de ténèbres. C’est précisément ce tableau qu’une
étude systématique du lexique et de la syntaxe de la finalité nous permet
d’explorer dans toutes ses nuances.
De l’autre, si la finalité consciente qui caractérise l’être humain n’est que
l’exemple le plus complexe d’une orientation fonctionnelle générale des
êtres vivants vers la réalisation d’un projet, rien n’empêche de projeter la
première sur la seconde comme un modèle qui la rend compréhensible. Si
la finalité se dissocie de la conscience, la logique du vivant peut être
décrite de façon cohérente et adéquate comme si elle était régie par une
finalité immanente.
13

CHAPITRE I

L’ANALYSE DES RELATIONS TRANSPHRASTIQUES:


UN CHOIX METHODOLOGIQUE

L’étude linguistique de la finalité est un chapitre de l’étude des relations


transphrastiques, traditionnellement associée à la phrase complexe et à
l’emploi des conjonctions de subordination. Avant d’aborder notre sujet
principal, il est nécessaire de discuter ces outils théoriques et descriptifs de
base.
La phrase complexe est pour nous une structure de phrase qui contient
au moins deux prédicats de rang différent, caractérisés chacun par un
schéma d’arguments. Notre définition inclut les relations de subordination
entre une proposition principale et une proposition subordonnée mais
exclut la coordination, qui relie dans une structure grammaticale deux
propositions de même rang.
Nous utilisons le terme de relation transphrastique pour référer à des
relations entre procès comme la cause, la concession, le but ou la
conséquence. Traditionnellement, les relations que nous appelons
transphrastiques sont étudiées dans le cadre de la phrase complexe et
définies comme circonstancielles, ou, dans une forme négative, comme
non-complétives. Ces étiquettes présentent cependant un inconvénient
majeur, et c’est ce qui nous pousse à utiliser un terme différent, qui par
ailleurs est bien connu dans la littérature internationale (voir, par exemple,
Kortmann 1997). Les notions de non-complétive ou de circonstancielle ne
peuvent être utilisées que dans les limites de la phrase complexe. Or, les
mêmes relations transphrastiques qui sont exprimées par des phrases
complexes peuvent être prises en charge par des moyens d’expression
alternatifs, comme la coordination et la juxtaposition, le cas échéant
enrichies par des expressions anaphoriques et des termes prédicatifs
appropriées. La relation de cause exprimée par la phrase complexe (1), par
exemple, est reproposée pour l’essentiel par la coordination (2) et la
juxtaposition (3) :

1. Les dépenses de chauffage ont baissé parce que les hivers se sont adoucis
14

2. Les hivers se sont adoucis, et (de ce fait) les dépenses de chauffage ont
baissé
3. Les hivers se sont adoucis. A cause de cela les dépenses de chauffage ont
baissé

La notion de relation transphrastique permet donc d’étudier des relations


comme la cause, la concession, le but ou la conséquence sans s’engager a
priori sur la nature de leurs moyens d’expression.

1. RELATIONS TRANSPHRASTIQUES
ET CONJONCTIONS DE SUBORDINATION

Le traitement des relations transphrastiques fait traditionnellement


l’objet de deux assomptions : d’une part, chaque relation transphrastique
identifiée est censée coïncider avec le signifié d’un type de phrase
complexe ; en même temps, le contenu de chaque relation transphrastique
est censé être codé par un mot de liaison ou, plus souvent, par un
paradigme de mots de liaison. A la base de ces deux assomptions, en outre,
il y a un présupposé tacite : l’expression des relations transphrastiques est
l’apanage de la phrase complexe. Or, ces assomptions et leur présupposé
commun sont également faux, et sous-évaluent en même temps la
complexité des concepts relationnels intervenant dans la connexion
transphrastique, la variété des différents moyens d’expression engagés, et
la riche modulation sémantique des relations que cela entraîne. Aux
assomptions que nous avons signalés, nous allons opposer les trois
hypothèses ci-dessous, qui seront développées dans les paragraphes
suivants :

1. L’identité des relations transphrastiques ne coïncide pas avec le contenu


des formes linguistiques engagées dans leur expression, et notamment des
conjonctions. Les relations transphrastiques peuvent être définies comme
autant de relations conceptuelles complexes, dont la structure interne
essentielle peut être décrite avec une grande précision, indépendamment de
leur expression par telle ou telle forme linguistique spécifique.

2. La phrase complexe n’est ni le seul moyen d’expression des relations


transphrastiques ni le plus révélateur. D’une part, nous verrons plus bas (§
2) que la phrase complexe, si elle est l’instrument d’expression adéquat
pour des procès intrinsèquement complexes, ne jouit d’aucun privilège
particulier pour l’expression des véritables relations transphrastiques.
15

D’autre part, l’expression des relations transphrastiques connaît un éventail


de moyens grammaticaux, lexicaux et textuels impressionnant.

3. La possibilité d’une définition indépendante des relations


transphrastiques sur le plan conceptuel, combinée avec la richesse des
moyens d’expression disponibles, produit tout naturellement une
conséquence remarquable : les différents moyens linguistiques peuvent
coder les relations transphrastiques à différents degrés. Le pouvoir de
codage d’une expression peut varier sur une échelle qui va de zéro –
l’expression ne code aucune relation, qui doit être entièrement inférée – à
la présence d’un surplus de codage : l’expression ne se limite pas à coder
une relation transphrastique donnée, mais greffe sur le tronc conceptuel
commun un contenu sémantique spécifique, qui permet de nuancer, parfois
avec une grande finesse, les structures conceptuelles de base. Comme nous
le verrons, c’est notamment à ce niveau que les moyens linguistiques
engagés dans l’expression de la finalité doivent être étudiés. Dans le
domaine de la finalité, où les moyens d’expression se comptent par
centaines, les nuances sémantiques sont tout aussi nombreuses.

1.1. Relations transphrastiques et contenu des conjonctions

Pour illustrer ce premier point, il suffit d’un simple survol de la


constellation de concepts formée par la cause et les motifs de l’action, et de
la façon dont ces relations transphrastiques sont portées à l’expression dans
le type le plus simple de phrase complexe : la proposition dite causale
introduite par la conjonction parce que.
Si nous observons les faits sans aucun préjugé, nous constatons en
premier lieu qu’une distinction aussi primordiale que la distinction entre
causes et motifs, tout à fait claire sur le plan conceptuel, est tout
simplement ignorée par la conjonction de subordination. La conjonction,
en effet, est la même dans tous les cas :

1. La route est inondée parce qu’il y a eu un orage violent


2. Je suis resté à la maison parce qu’il y a eu un orage violent

Selon la tradition lexicographique et grammaticale, la conjonction parce


que est unanimement censée coder une relation de cause. Selon le Petit
Robert, la conjonction parce que « exprime la cause ». Wierzbicka (1996 :
186), pour sa part, va jusqu’à écrire que « In English, the idea of causality
is expressed in an absolutely unambiguous way in the simple everyday
16

word because », qui représente la traduction directe de parce que. Mais les
exemples ci-dessus démentent ces affirmations, car ils ne se voient pas
attribuer le même contenu malgré la présence de la même conjonction. (1)
exprime une relation de cause qui se produit dans le monde des
phénomènes entre deux événements qui se succèdent dans le temps selon
un ordre rigide et irréversible. (2) exprime le rapport entre l’action d’un
sujet et un motif qui le pousse à agir mais qui n’a aucune efficacité causale
en dehors d’une décision de sa part.
Deux contenus visiblement différents sont confiés à une même
conjonction, qui de ce fait n’est pas en mesure de les coder : la cause
phénoménique et le motif de l’action. Si la relation transphrastique n’était
autre chose que le contenu d’une conjonction, on n’arriverait même pas à
distinguer une cause d’un motif, et, par conséquent, une personne qui prend
des décisions et fait des actions d’une pierre qui tombe. Cela suffit pour
briser l’idée d’une relation biunivoque entre relations transphrastiques et
conjonctions de subordination.
Si elles échappent complètement au pouvoir de codage de la conjonction
parce que, ces différences conceptuelles essentielles n’échappent pas à
l’intuition de l’usager de la langue, au moment où les différentes
expressions sont utilisées. Grâce à sa capacité de raisonnement cohérent, le
destinataire du message peut inférer les différences pertinentes et non
codées sur la base d’une évaluation des contenus conceptuels mis en place
à chaque fois. Si une conjonction comme parce que relie deux événements
du monde des phénomènes, le raisonnement inférentiel pousse vers la
relation de cause. Si elle relie un événement à l’action d’un sujet tenu pour
capable de décision, par contre, la cohérence conceptuelle impose la
relation de motif.
Or, si une structure conceptuelle peut être saisie par un raisonnement
cohérent capable d’aller au-delà des limites du codage linguistique, c’est
précisément parce que l’identité de cette structure ne se réduit pas au
contenu d’une expression, et à plus forte raison d’une conjonction. A partir
de ces prémisses, l’idèe qu’une conjonction comme parce que code de
façon univoque et adéquate une relation conceptuelle comme la cause naît
d’une confusion, et notamment du fait qu’on charge la conjonction à la fois
de son pouvoir de codage effectif et des inférences autorisées par le
contenu des phrases complexes dans lesquelles elle est de facto utilisée.

1.2. L’expression des relations transphrastiques n’est pas le monopole de


la phrase complexe
17

Une fois qu’on a compris que la connexion transphrastique est un


phénomène plus complexe que la simple connexion de deux procès par une
conjonction de subordination au contenu à la fois univoque et adéquat,
nous sommes prêts à faire un pas de plus : le travail accompli par la
conjonction dans le cadre d’une phrase complexe peut être confié à des
moyens complètement différents quant à leur propriétés formelles et à leur
potentiel sémantique.
Les phrases complexes (1), (2), (3) et les juxtapositions (4), (5), (6), par
exemple, finissent par exprimer les mêmes relations transphrastiques :

1. La route est inondée parce qu’il y a eu un orage violent


2. Je suis resté à la maison parce qu’il y a eu un orage violent
3. J’ai acheté ce roman parce que j’avais l’intention de le lire pendant le voyage
4. Il y a eu un orage violent. A cause de cela, la route est inondée.
5. Il y a eu un orage violent. C’est le motif qui m’a poussé à rester à la maison
6. J’ai acheté ce roman. J’avais l’intention de le lire pendant le voyage

Les structures (4), (5) et (6) présentent, par rapport à (1), (2) et (3), deux
différences pertinentes.
D’une part, les deux procès impliqués dans la relation ne sont pas unifiés
grammaticalement dans la structure d’une phrase complexe. Sur le plan
strictement syntaxique, indépendamment de la présence d’expressions
anaphoriques sur lesquelles nous reviendrons plus bas (§ 3.3), ils sont
simplement juxtaposés. Cela n’empêche pas la relation de se nouer, bien
sûr, mais déplace sa construction du niveau de la connexion grammaticale
au niveau de la cohérence et de la cohésion textuelle.
Ensuite, chaque expression inclut dans sa structure un terme prédicatif -
respectivement cause, motif, intention - qui catégorise de façon univoque la
relation entre les procès simples engagés comme cause phénoménique,
motif rétrospectif et motif prospectif. Le codage que la conjonction parce
que n’était pas en mesure de garantir est ici confié aux noms prédicatifs
cause, motif et intention. La phrase complexe disparaît en même temps que
le sous-codage, ce qui montre au moins deux choses : d’une part, la phrase
complexe et le codage ne s’impliquent pas réciproquement ; d’autre part, le
contenu lexical de certains termes prédicatifs peut être investi dans le
codage de certaines relations transphrastiques. Comme nous le verrons,
c’est surtout dans le domaine de la finalité que la richesse en termes
prédicatifs est particulièrement remarquable.

1.3. La modulation sémantique


18

Le privilège qu’on accorde à la phrase complexe, et, dans ces limites


mêmes, à une poignée de mots de liaison, finit par banaliser la relation
multiforme qui se crée entre structures conceptuelles et expressions
linguistiques, et cela dans les deux sens : parce qu’une relation
conceptuelle ne se réduit ni nécessairement ni exclusivement au signifié
codé d’un mot de liaison, mais aussi parce que les différents moyens
d’expression, loin de se limiter à coder une relation conceptuelle accessible
indépendamment, nuancent chacun d’une façon spécifique son noyau
conceptuel. L’observation des faits nous oblige ainsi à remettre en question
l’idée traditionnelle de codage.
En premier lieu, comme nous l’avons souligné plus haut, les relations
transphrastiques sont accessibles indépendamment du codage. La
distinction entre causes et motifs, par exemple, s’impose par-delà un
codage insuffisant. La notion de cause, pour sa part, est l’exemple le plus
clair d’une structure accessible par tout un paradigme d’expressions
différentes, et donc indépendamment de telle ou telle expression. Aucune
des expressions suivantes, par exemple, ne code une relation de cause :

4. Les hivers se sont adoucis. Les dépenses de chauffage ont baissé


5. Les hivers se sont adoucis et les dépenses de chauffage ont baissé
6. Depuis que les hivers se sont adoucis les dépenses de chauffage ont baissé

En (4), deux énoncés sont simplement juxtaposés : aucune relation entre


eux n’est ouvertement codée. En (5), la conjonction de coordination et
code une relation mais pas son contenu, qui peut être recouvré à partir des
contenus conceptuels des procès engagés par inférence. Grâce à la
conjonction de subordination depuis que, (6) code une relation de
succession temporelle. Malgré ces différences importantes, les trois
expressions sont normalement reçues comme des variantes tant qu’il s’agit
d’exprimer une relation de cause. Cela montre que des relations comme la
cause présentent une identité conceptuelle accessible en tant que telle,
indépendamment des propriétés formelles de l’expression qui les véhicule
dans chaque cas6.
Le fait que des concepts relationnels comme la cause soient accessibles
indépendamment de l’expression qui les véhicule, n’implique cependant

6. Cela n’implique pas qu’il y ait des concepts absolument indépendants et


préalables à l’expression – une assomption trop forte, et qui d’ailleurs ne serait pas
vérifiable. Notre propos implique simplement que l’accès à certains concepts
relationnels – ici, par exemple, à la cause – est indépendant de la présence de telle ou
telle expression linguistique et, de ce fait, ne passe pas nécessairement et toujours par la
présence d’un codage à la fois ouvert et exhaustif.
19

pas que la forme linguistique engagée se limite à l’expression passive


d’une relation conceptuelle toute faite. Tout au contraire, l’expression est
en mesure d’intervenir en profondeur sur le contenu de la connexion, le
modulant indéfiniment. Observons quelques exemples relatifs au but :

7. J’ai loué une maison en Provence pour y passer les vacances


8. J’ai loué une maison en Provence dans le but d’y passer les vacances
8a. J’avais envie de passer les vacances en Provence. Dans ce but j’ai loué une
maison
9. J’ai loué une maison en Provence dans l’intention d’y passer les vacances
9a. J’avais l’intention de passer les vacances en Provence et j’ai loué une
maison
10. J’ai loué une maison en Provence dans l’espoir d’y passer les vacances
10a. Marie m’a promis de passer les vacances avec moi. J’ai loué une maison en
Provence dans cet espoir
11. J’ai loué une maison en Provence dans le désir d’y passer les vacances

La charpente conceptuelle du but reste essentiellement la même dans tous


les cas : un sujet humain accomplit l’action principale de louer un
appartement en Provence, motivé par la perspective d’y passer les
vacances. Mais évidemment ce n’est pas la même chose que de confier
l’expression du but à une simple préposition – pour – ou de faire intervenir
des noms prédicatifs comme but, intention, espoir ou désir, qui
catégorisent différemment le projet du sujet et mettent en relief chacun un
aspect pertinent du mécanisme complexe de la motivation et de la décision,
entre sphère rationnelle et sphère émotive, projets conscients et impulsions
cachées.

Avant d’aborder notre sujet spécifique, à savoir la structure conceptuelle


de base et l’expression multiple et nuancée de la finalité, nous allons
éclairer quelques présupposés méthodologiques relatifs au statut des
connexions transphrastiques, de leurs moyens d’expression et de leurs
interactions multiples. Dans ce cadre, nous allons tout d’abord reconsidérer
la relation entre connexion transphrastique et phrase complexe (§ 2), ce qui
nous amènera à un examen de la relation entre structures conceptuelles et
expressions (§ 3).

2. LA PHRASE COMPLEXE : EXPRESSION DE PROCES COMPLEXES ET MOYEN


DE CONNEXION TRANSPHRASTIQUE

Si nous définissons une phrase complexe comme un schéma de phrase


qui contient au moins deux termes prédicatifs appartenant à des couches
20

hiérarchiques différentes, il y a au moins deux types de phrases


complexes :
1. J’espère qu’il pleuvra
2. La route est inondée parce qu’il y a eu un orage

La phrase complexe du type (1) est un exemple de subordination


complétive, alors que la phrase complexe du type (2) exemplifie la
subordination non complétive, traditionnellement appelée circonstancielle,
qui, à son tour, est une instance de connexion transphrastique. Si la
distinction entre subordination complétive et subordination non complétive
est bien connue, ses implications, tant sémantiques que syntaxiques, ne
sont pas toujours clairement explicitées.
Sur le plan du contenu, les deux phrases complexes portent à
l’expression deux types différents de structures conceptuelles : (1) exprime
un seul procès, dont la complexité tient au fait qu’il incorpore un procès
parmi ses arguments, alors que (2) met en place une connexion entre deux
procès simples et virtuellement indépendants (§ 2.1).
Les procès intrinsèquement complexes comme (1) et les connexions
entre procès simples comme (2) ne sont pas codés dans les mêmes
conditions. Les premiers le sont au moyen du réseau de relations
grammaticales de sujet et objet de la proposition principale. Les secondes
peuvent être ou codées, grâce au contenu de mots de liaison et de termes
prédicatifs spécialisés, ou inférées à partir des contenus des procès simples
connectés (§ 2.3).
L’ensemble de ces remarques nous amènera finalement à réinsérer
l’étude de la phrase complexe dans l’ensemble de la famille des moyens
grammaticaux, lexicaux et textuels destinés à la connexion transphrastique
(§ 3).

2.1. Procès complexes et connexion de procès simples

La connexion transphrastique peut être définie comme une relation qui


se produit lorsqu’au moins deux procès simples et virtuellement
indépendants sont unifiés pour former un procès complexe. Une phrase
complexe comme La route est inondée parce qu’il y a eu un orage, par
exemple, forme un procès complexe reliant deux procès simples –
l’inondation et l’orage – dans une relation de cause. Si nous acceptons cette
définition, il est clair qu’une phrase complexe comme J’espère qu’il
pleuvra, bien qu’elle contienne deux termes prédicatifs, ne peut pas être
considérée comme un cas de connexion transphrastique.
21

La complexité d’une connexion transphrastique est une complexité


dérivée de la mise en relation de deux procès simples : dans notre exemple,
l’orage et l’inondation. Pour qu’il y ait une véritable connexion
transphrastique, il faut que les deux procès engagés soient indépendants
l’un de l’autre et chacun d’eux de la relation qui leur est imposée. Or, cette
condition n’est par remplie par tous les constituants d’un procès complexe
comme J’espère qu’il pleuvra. Dans cet exemple, seul le procès enchâssé
remplit la condition d’indépendance : le procès de la pluie peut être conçu
indépendamment de l’espoir d’une personne. Le procès principal, par
contre, n’est pas un procès indépendant de la relation qui le lie au procès
enchâssé : si la pluie peut être conçue indépendamment de l’attitude
psychologique d’une personne à son égard, le concept d’espoir ne peut être
conçu indépendamment de sa relation avec un objet, spécifié ou latent,
déterminé ou indéterminé. Il ne s’agit donc pas d’un procès simple prêt à
entrer en relation avec un autre procès simple pour produire une structure
complexe, mais d’un procès qui présente une complexité inhérente – qui
contient dans sa structure même une relation prête à engager un autre
procès. Le plan de fabrication du procès complexe est déjà présent à l’état
virtuel dans la valence du prédicat principal.
Entre le concept superordonné – par exemple, l’espoir - et le concept
subordonné – par exemple la pluie - il y a une relation intentionnelle : un
prédicat non saturé – le terme intentionnel - vise un contenu qui le
complète – le terme intentionné7. La relation intentionnelle est une relation
dyadique et asymétrique dans un sens double. D’une part, le concept
intentionnel domine le concept intentionné subordonné du fait qu’il lui
donne une position préétablie dans un réseau de relations grammaticales.
Dans notre exemple, la pluie est à la fois le contenu de l’espoir et l’objet
direct du prédicat principal. D’autre part, comme nous l’avons signalé, le
concept superordonné n’est envisageable comme concept cohérent qu’en
présence d’un contenu intentionné. On ne peut pas simplement se douter,
espérer, croire ou regretter – il faut nécessairement se douter de, espérer,
croire ou regretter quelque chose.

7. Les prédicats psychologiques ont une valeur de modèle indiscutable, au point


que le concept husserlien de relation intentionnelle illustré dans la V Recherche
Logique (Husserl 1900(1968 : Vol. II, it. p. 158)) est inspiré par l’analyse des prédicats
psychologiques de Franz Brentano. Tout en se référant à un état psychologique du sujet,
le prédicat intentionnel ne prend pas à son tour comme objet une réalité psychologique,
mais une donnée indépendante. Le désir, par exemple, est un état psychologique, mais
ce qui en fait l’objet n’est pas un état psychologique.
22

Quand l’objet intentionné est un contenu propositionnel, la structure


conceptuelle est intrinsèquement complexe : un procès ne peut se
construire qu’en englobant un autre. Cette structure trouve son expression
la plus directe dans la phrase complexe, dans laquelle le prédicat
intentionnel fonctionne comme pivot prédicatif, alors que le contenu
intentionné est confié à une phrase complétive. Dans un exemple comme
Jean espère que la lettre de Sophie arrivera bientôt, l’arrivée de la lettre
est à la fois contenu de l’espoir et objet direct du verbe espérer. Elle
occupe donc la même place dans la structure conceptuelle complexe de
l’espoir et dans la structure grammaticale de la phrase complexe.
Si nous revenons maintenant à la structure conceptuelle d’une véritable
relation transphrastique - La route est inondée parce qu’il y a eu un orage -
nous constatons que sa complexité résulte de l’imposition d’une relation
indépendante à deux procès simples, potentiellement autonomes l’un de
l’autre et de la relation qui les investit.
Les structures conceptuelles complexes de ce type se caractérisent
immédiatement du fait qu’elles ne sont pas intrinsèquement dyadiques et
asymétriques – on n’a pas un procès superordonné qui domine un procès
subordonné - mais triadique et symétrique : deux procès virtuellement
indépendants et situés au même niveau hiérarchique – l’inondation et
l’orage - sont connectés par une relation conceptuelle qui les domine : la
cause.
En dehors de cette relation de cause, deux procès simples comme l’orage
et l’inondation sont totalement indépendants : l’orage n’implique pas
l’inondation, ni l’inondation l’orage. Un orage n’est pas nécessairement
conçu comme une cause d’inondation, ni une inondation comme l’effet
d’un orage. Une fois que la cause intervient, les deux procès simples sont
reliés par une relation superordonnée qui fonctionne comme un prédicat
dont ils sont les arguments : le fait qu’un orage a eu lieu a causé le fait que
la route est inondé.
Si la forme d’une relation transphrastique comme la cause est celle d’un
prédicat à deux arguments, il est clair que le codage linguistique par la
phrase complexe introduit dans la structure une asymétrie qui ne lui
appartient pas. Dans une phrase complexe comme La route est inondée
parce qu’il y a eu un orage, l’expression de l’effet - La route est inondée –
figure comme une proposition principale et indépendante, alors que
l’expression de la cause - parce qu’il y a eu un orage – lui est subordonnée.
Mais il s’agit visiblement d’une asymétrie induite par l’expression. Il suffit
de changer l’expression pour que le sens de l’asymétrie se renverse – Il y a
eu un orage tellement violent que la route est inondée - ou disparaisse
totalement : Il y a eu un orage et la route est inondée.
23

Pour conclure, l’étiquette générique de subordination couvre donc deux


types hétérogènes de structures complexes qui ne sont absolument pas à
confondre.
D’une part, nous avons une relation entre une proposition principale et
une proposition complétive, qui est enchâssée comme un argument dans sa
structure interne de façon que la proposition principale n’en est pas
indépendante. Dans ce cas, comme Mattiessen & Thompson (1988 : 279)
le remarquent, « we do not have a clause combination [...] but simply a
case of one clause functioning as a constituent, a complement, within
another clause ».
De l’autre, nous avons la relation entre une proposition syntaxiquement
principale et une proposition non complétive qui, tout en étant
syntaxiquement subordonnée, n’entre pas comme argument dans le procès
principal. Pour les propositions non complétives nous proposons de
remplacer le terme traditionnel de « propositions circonstancielles » par
l’étiquette intuitivement transparente de marges (Thompson & Longacre
1985 : 206). Les raisons de notre choix terminologique sont les suivantes.
La notion traditionnelle de proposition circonstancielle suggère avec
force l’idée d’une catégorie homogène d’expressions qui, comme autant de
satellites, encadrent de l’extérieur un procès clos – qui, comme l’écrit
Tesnière (1959 : Ch. 48) « expriment les circonstances de temps, lieu,
manière, etc… dans lesquelles se déroule le procès ». Or, comme nous le
verrons plus bas (Ch. III, § 2.1), les propositions non complétives ne se
laissent pas réduire en bloc à des satellites externes du procès, car
quelques-unes parmi elles, quoique non essentielles, font partie de la
structure du procès, et plus particulièrement du prédicat.
Pour la phrase complexe comme pour la phrase simple (voir Prandi
1987 : Sect. II, § 3.2.1), nous disposons d’un critère qui permet de
distinguer rigoureusement les arguments du verbe – compléments ou
propositions complétives - des expressions et des propositions
subordonnées qui ne le sont pas. Les expressions non complétives peuvent
être détachées du noyau de la phrase et réintégrées dans le procès grâce à
des formes suppléantes qui utilisent les verbes support se produire et faire.
Or, ce même critère nous permet de hiérarchiser les expressions non
complétives, et notamment de distinguer celles qui encadrent un procès de
l’extérieur de celles qui se situent à l’intérieur du procès, étant intégrées
dans le prédicat. Observons les exemples suivants :

3. Le professeur de philosophie m’a conseillé de lire la Physique d’Aristote


4. Les dépenses de chauffage ont baissé parce que les hivers se sont adoucis
5. Jean a lu la Physique d’Aristote pour préparer son examen
24

La proposition subordonnée de (3) ne se laisse détacher par aucune


forme suppléante : Le professeur de philosophie m’a conseillé. *Il l’a fait
de lire la Physique d’Aristote ; Le professeur de philosophie m’a conseillé.
*Cela s’est produit de lire la Physique d’Aristote. Ce comportement se
justifie du fait que la proposition est complétive : aucun argument du verbe
ne peut être spécifié en dehors de la structure de phrase qui construit son
noyau.
La phrase complexe (4) contient une proposition non complétive. Elle se
laisse détacher et réintroduire dans le procès avec une forme du verbe
support se produire qui prend comme sujet un substitut anaphorique du
procès principal : Les dépenses de chauffage ont baissé. Cela s’est produit
parce que les hivers se sont adoucis Comme nous le verrons plus loin (Ch.
III, § 2), ce comportement signale que la proposition subordonnée encadre
de l’extérieur un événement générique.
La proposition subordonnée de (5) peut être détachée, ce qui nous
montre qu’elle n’est pas une complétive. En même temps, elle n’admet pas
d’être réintégrée de façon cohérente avec la tournure en se produire, et
n’est compatible qu’avec la forme le faire, qui est un pro-prédicat
d’action : Jean a lu la Physique d’Aristote. Il l’a fait pour préparer son
examen ; Jean a lu la Physique d’Aristote. *Cela s’est produit pour
préparer son examen. Ce comportement montre que la proposition
subordonnée ne se situe pas à l’extérieur d’un événement quelconque, mais
s’intègre dans un prédicat d’action. Elle ne peut donc pas être considérée
comme une circonstancielle, ni être placée sur le même plan que la
subordonnée de l’exemple (4).
Etant donné cet état de choses, la notion de proposition circonstancielle
n’est pas adéquate pour la totalité des relations non complétives, mais
seulement pour les satellites externes du procès. La notion de marge
présente par contre l’avantage de n’avancer aucune hypothèse en ce qui
concerne la position des différents types de non complétives à l’égard du
noyau du procès. Si elle est utilisée toute seule, l’étiquette de marge
qualifie en bloc toutes les expressions non complétives. Si une plus grande
précision est requise, un simple complément permet de tracer une
distinction ultérieure entre les marges du procès – les circonstanciels de la
tradition – et les marges du prédicat.
Notre choix terminologique demande une dernière précision. Lorsque
nous parlons de marges, nous voulons simplement dire que les structures
subordonnées non complétives ne sont pas, à la différence des complétives,
des constituants essentiels de la charpente formelle de la proposition
principale. Il va de soi que la marginalité structurale n’autorise pas à penser
que ces déterminations sont accessoires en termes de contenu informatif.
25

Dans une phrase comme Jean a acheté les clous pour réparer l’étagère,
par exemple, l’expression du but est confié à une proposition subordonnée
finale qui, tout en étant marginale sur le plan structural, contient le foyer, et
donc l’information qui présente le degré le plus haut de poids informatif.

2.2. Le codage des relations transphrastiques dans la phrase complexe

En cas de subordination complétive, la charpente structurale de la phrase


complexe est prédéterminée par le prédicat principal. Cela implique que la
structure du tout – le plan de construction de la phrase - ne résulte pas de la
connexion des parties, mais est logiquement préalable, et détermine la
valeur des parties. Dans la mesure où elle réalise un argument du procès
principal, la proposition subordonnée entre dans la structure de la phrase
complexe comme sujet ou objet. En cas de relation complétive, le codage
de la relation se fait donc par l’intermédiaire d’une relation grammaticale
nouée par le prédicat principal, ce qui entraîne un certain nombre de
conséquences.
Tout d’abord, la relation grammaticale est évidemment vide de contenu
– il n’y a pas de contenu subjectif ni de contenu objectif comme il y a un
contenu causal ou concessif. Ce qui est codé dans la structure de la phrase
complexe, ce n’est donc pas directement le contenu d’une relation donnée,
mais une relation grammaticale de sujet ou d’objet qui est neutre à l’égard
du contenu. L’objet de l’espoir et l’objet de la peur, par exemple, sont
codés de la même façon. Ce n’est qu’au moment où la subordonnée est
reconnue comme sujet ou objet d’un certain prédicat que la relation reçoit
un contenu substantiel, qui découle automatiquement du contenu du
prédicat en fonction de la relation grammaticale. Le contenu de la
proposition objective du verbe espérer, par exemple, peut seulement être
défini, de façon tautologique, comme le contenu de l’espoir nourri par le
sujet. Cela revient à dire que le contenu d’une relation complétive n’a pas
besoin d’être codé : une fois la relation grammaticale codée, son contenu se
donne automatiquement.
Dans le cas d’une relation non complétive, il en va autrement. En
premier lieu, comme la proposition subordonnée se situe en dehors de la
structure argumentale de la principale, ni la relation ni son contenu ne
découlent du procès principal. Tout au contraire, tant la relation que son
contenu sont imposés de l’extérieur à un couple de procès qui sont tous les
deux simples et logiquement indépendants l’un de l’autre et de la relation.
En conséquence, à la fois la relation et son contenu doivent être signalés
de quelque façon. Dans le cadre de la phrase complexe, la tâche du codage
26

de la relation et de son contenu se déplace de la structure du procès


principal à la structure complexe, qui contient en tout cas un prédicat de
deuxième ordre.
Dans les cas les plus simples, le codage de la relation transphrastique est
pris en charge par une conjonction ou une préposition pourvue d’un
contenu conceptuel donné. Dans une phrase complexe comme L’herbe n’a
pas poussé, même s’il a plu pendant dix jours, la conjonction même si crée
une liaison grammaticale entre deux procès simples en même temps qu’elle
impose à cette relation un contenu concessif. Dans d’autres cas, comme
nous le verrons plus précisément par la suite, la présence d’un terme
prédicatif donne une contribution active à la caractérisation du contenu de
la relation : Jean a loué un appartement en Normandie dans l’espoir d’y
passer les vacances ; Jean a loué un appartement en Normandie parce
qu’il désirait y passer les vacances.
Dans un cas comme dans l’autre, il n’y a pas de relation grammaticale
vide, donnée indépendamment d’un contenu, entre la proposition principale
et la subordonnée. En présence d’un connecteur, la subordonnée est un
complément de ce connecteur : dans notre exemple, de la conjonction
parce que. En présence d’un terme prédicatif, la subordonnée est un
complément de celui-ci – dans notre exemple, de désirer - qui à son tour
est un complément du connecteur : de parce que. Le fait que la mise en
place de la relation soit absolument indépendante de la structure
argumentale de la proposition principale justifie la possibilité de détacher
la subordonnée à l’aide de formes suppléantes comme se produire ou le
faire, qui à son tour caractérise les marges du procès et, respectivement, du
prédicat.

2.3. Le rôle des connecteurs : codage adéquat, sous-codage et surcodage

Dans les limites de la phrase complexe, la mise en place d’une relation


transphrastique quelconque comporte en tout cas la présence d’un mot de
liaison doué d’un contenu positif et admet, le cas échéant, un terme
prédicatif. Cela suggère quelques remarques sur le codage des relations
transphrastiques.
En ce qui concerne le mot de liaison, comme son contenu peut être plus
ou moins adéquat à la fonction qui lui est confiée, sa capacité de coder une
relation transphrastique donnée est par définition une valeur graduée, d’un
minimum à un maximum. Dans un certain nombre de cas, il arrive qu’une
expression atteigne un codage adéquat d’une relation transphrastique, mais
il se peut aussi que le codage s’arrête à mi-chemin. L’expression (6), par
27

exemple, code exactement une relation concessive, alors que (7) code une
relation temporelle, et le contenu de cause n’est atteint que par inférence.
Si un terme prédicatif est présent, en outre, il est fort probable que son
contenu ne se limite pas à coder une relation conceptuelle donnée,
accessible indépendamment, mais impose à la relation une nuance
sémantique spécifique. L’expression (8), par exemple, ne se limite pas à
coder une relation finale ; bien plus, le but de l’action est envisagé comme
le contenu d’un espoir :

6. Bien qu’il n’ait pas plu, le blé a poussé


7. Le blé a poussé après qu’il a plu pendant trois jours
8. J’ai loué un appartement en Normandie dans l’espoir d’y passer les vacances

Dans le premier cas, nous pouvons parler de codage adéquat ; dans le


second, de sous-codage ; dans le troisième, de surcodage.
En présence d’un codage adéquat, le signifié de l’expression correspond
fidèlement à une structure conceptuelle donnée, par exemple à la relation
concessive : la forme d’expression n’ajoute ni n’enlève rien à sa structure
(§ 3.1.1).
En présence de sous-codage, le signifié codé par l’expression - par
exemple, une relation de succession temporelle – est dépassé par les
contenus des procès connectés. (7), par exemple, code une relation de
succession temporelle, mais les contenus sont plutôt cohérents avec une
relation de cause. Le décalage entre le signifié codé et le modèle
conceptuel cohérent est rempli par inférence (§ 3.1.2).
En présence de surcodage, l’expression ne se limite pas à identifier une
relation conceptuelle concevable indépendamment, mais enrichit cette
relation de valeurs supplémentaires indissociables de la présence d’une
expression donnée. Ce qui est codé, en d’autres mots, ne se réduit pas à un
contenu conceptuel indépendant qui pourrait tout aussi bien être saisi par
inférence, mais se présente comme le contenu spécifique d’une expression.
Comme nous le verrons par la suite, des locutions comme dans le désir de
ou dans le dessein de ne se limitent pas à coder une relation de but : la
présence d’un nom prédicatif comme désir ou dessein, notamment, greffe
sur le noyau conceptuel commun de la relation finale un surplus de
contenu : le but apparaît comme le contenu d’un désir ou d’un dessein (§
3.1.3).
Une conséquence des remarques que l’on vient de faire est la suivante :
dans le domaine des relations transphrastiques, l’expression ne coïncide
pas avec le codage linguistique opéré par un mot de liaison, mais résulte
d’une interaction complexe entre la capacité de codage d’un mot de liaison,
le contenu de termes prédicatifs spécialisés, et l’inférence. Elle résulte donc
28

d’une interaction entre le pouvoir de mise en forme du moule linguistique


et la manipulation de structures conceptuelles partagées indépendamment
de l’expression, comme la cause, la concession ou les relations
temporelles. C’est donc dans ce sens que nous utiliserons désormais le
terme d’expression, quitte à isoler ses facteurs constitutifs à la fois
linguistiques et conceptuels et à creuser leurs multiples interactions. Nous
reviendrons sur ces questions, qui revêtent une importance évidente pour
notre projet, dans les §§ 3. et 4. A présent, il nous reste encore à discuter la
relation entre la phrase complexe et l’inventaire des multiples moyens
disponibles pour la connexion transphrastique.

2.4. L’expression des relations transphrastiques : un éventail d’options

Quand il s’agit d’associer un argument à un prédicat, une phrase


complétive enchâssée dans la structure même de la principale apparaît
comme un instrument d’expression privilégié, sinon exclusif.
Quand il s’agit de réunir deux procès donnés dans une relation
conceptuelle externe à la structure argumentale de chacun, comme la cause,
la concession ou le but, on se rend compte que la phrase complexe n’est ni
la forme d’expression exclusive, ni peut-être la plus typique. Une relation
transphrastique peut se réaliser à deux conditions : au moins deux procès
peuvent être conçus indépendamment, et un lien entre eux peut être établi.
Si cela est vrai, tout moyen d’expression qui réunit ces conditions est en
principe admis. Et si nous considérons la réalité linguistique telle qu’elle
est, il est facile de constater que la connexion transphrastique exploite
effectivement un riche éventail de moyens non seulement grammaticaux
mais aussi lexicaux et textuels.
Dans l’image traditionnelle, la phrase complexe n’est qu’une réalisation
spécifique du potentiel structural de la phrase simple, qui incorpore des
phrases dans des positions qui sont occupées par des expressions nominales
ou prépositionnelles dans la phrase simple8 :

9. Le fleuve a inondé les champs à cause de la pluie

8. Cette attitude ne caractérise pas seulement les approches formalistes, mais est
partagée par certaines écoles fonctionnalistes. Dans le cadre de sa théorie des niveaux –
« layers » - Dik (1989(1997a: Ch 6) distingue deux types de « embedded
constructions », à savoir celles qui fonctionnent comme « complements », et celles qui
fonctionnent comme « satellites ». Le présupposé est que la notion primitive est dans
les deux cas la structure de phrase simple, avec ses positions stratifiées prêtes à
accueillir tant des syntagmes que des propositions.
29

10. Le fleuve a inondé les champs parce qu’il a plu pendant deux jours

Cette image, nous l’avons vu, est correcte tant qu’on se limite à la
subordination complétive, qui enchâsse une proposition-argument dans une
place prédéterminé par la valence du prédicat principal. En ce qui concerne
la subordination non complétive, l’idée peut être retenue tant que notre
attention se limite au squelette structural. Comme le montrent les
expressions (9) et (10), il est banalement vrai, par exemple, qu’une
proposition causale entretient avec le procès principal la même relation
qu’un circonstanciel de cause. Mais si nous envisageons la destination
fonctionnelle des structures syntaxiques, la phrase complexe destinée à
l’expression d’une relation transphrastique est un instrument radicalement
différent de la phrase simple.
La fonction d’une phrase simple consiste à mettre en forme un procès, et
vis-à-vis de cette fonction la structure de phrase n’a pas d’alternative. On
ne peut pas parler par mots juxtaposés ; les mots doivent être connectés
dans des syntagmes destinés à occuper des positions préétablies dans des
structures de phrase. Des considérations semblables valent en présence
d’une structure subordinative complétive, qui place des structures de
phrase dans les positions de sujet ou d’objet d’une seule phrase simple.
Dans le domaine des relations transphrastiques véritables, par contre, la
fonction d’une phrase complexe consiste à relier dans une structure
prédicative de rang supérieur deux ou plusieurs procès présentant chacun
une structure indépendante. Mais cette fonction, nous l’avons déjà
remarqué, n’est pas le privilège exclusif de la phrase complexe. Toutes les
structures suivantes, par exemple, expriment une relation de cause entre
deux procès simples, mais chacune le fait d’une façon qui lui est propre :

11. La neige a fondu parce que le föhn a soufflé pendant toute la nuit
12. Le föhn a soufflé pendant toute la nuit et la neige a fondu
13. Le föhn a soufflé pendant toute la nuit. La neige a fondu
14. Le föhn a soufflé pendant toute la nuit. A cause de cela, la neige a fondu

La phrase complexe (11) et la coordination (12) imposent aux procès


atomiques une charpente grammaticale unitaire. (13) et (14), au contraire,
sont des juxtapositions d’énoncés autonomes. Si elles forment une structure
unitaire, c’est parce qu’elles sont interprétée comme des textes cohérents.
L’exemple (13) montre que, si l’on ne peut pas parler par mots juxtaposés,
nous parlons couramment par énoncés juxtaposés, ce qui implique que la
juxtaposition toute nue fait partie de plein droit des moyens d’expression
des relations transphrastiques. L’exemple (14), pour sa part, présente deux
propriétés intéressantes. D’une part, il montre qu’une séquence juxtaposée
30

peut être enrichie par des moyens cohésifs spécialisés et plus


particulièrement par des relations anaphoriques qui fonctionnent comme
autant de panneaux très efficaces sur le chemin de la cohérence textuelle.
D’autre part, l’exemple (14) contient le nom prédicatif cause, qui
catégorise explicitement la relation transphrastique pertinente.

3. L’EXPRESSION DES CONNEXIONS TRANSPHRASTIQUES

Dans ce paragraphe, nous allons explorer dans toute son étendue


l’éventail d’options dont dispose la connexion transphrastique, et
notamment la phrase complexe (§ 3.1), la juxtaposition (3.2), les moyens
de la cohésion textuelle (3.3) et la coordination (3.4). Ce sera la tâche de
notre travail dans son ensemble de vérifier lesquels parmi ces moyens sont
exploités de facto dans le domaine de l’expression des motifs de l’action et
plus particulièrement du but.
La connexion transphrastique dispose de trois formes d’expressions aux
propriétés différentes ; la phrase complexe (1), la juxtaposition d’énoncés
indépendants (2), et la coordination (3) :

1. Le blé a poussé parce qu’il a plu


2. Il a plu. Le blé a poussé.
3. Il a plu et le blé a poussé.

La phrase complexe et la coordination unifient deux procès simples dans


un cadre formel unitaire, alors que la juxtaposition soumet au destinataire
du message deux procès isolés, lui confiant la tâche de les recevoir comme
les constituants d’un message unitaire. Ces formes, indépendamment de
leur structure, sont prêtes à accueillir la contribution de termes prédicatifs
spécialisés et celle de l’inférence motivée par les contenus reliés, qui
remplace le codage en présence de la juxtaposition toute nue et l’enrichit
dans tous les autres cas. Toutes ces formes sont en outre accessibles à la
contribution active de toutes sortes de relations anaphoriques.

3.1. La phrase complexe


3.1.1. Codage complet

Le codage complet d’une relation transphrastique se réalise dans le cadre


de la phrase complexe grâce à la présence d’une proposition subordonnée
qui présente à la fois un connecteur spécialisé - conjonction ou préposition
31

- et une configuration syntaxique spécifique, caractérisée par une


distribution spécifique de modes et de temps verbaux9 :

4. Bien qu’il se soit levé tôt, Luc a raté le train

En cas de codage complet, le mot de liaison s’acquitte de sa tâche


comme il est attendu de la part d’un instrument fiable, ni plus ni moins.
Autrement dit, il porte à l’expression une relation transphrastique qui, pour
sa part, possède une structure conceptuelle définissable indépendamment
de telle ou telle expression linguistique spécifique. Une phrase complexe
comme (4), en d’autres termes, code ni plus ni moins qu’une relation de
concession10, la même qu’on est prêt à inférer en l’absence d’instruments
de codage spécifique, par exemple à partir d’une coordination comme (5)
ou d’une subordination comme (6) :

5. Luc s’est levé tôt et a raté le train


6. Après m’avoir promis son aide, Jean a disparu

La propriété la plus directe d’un codage intégral au moyen d’une


conjonction est son indépendance des contenus reliés. Le contenu d’une
relation codée repose exclusivement sur la forme des expressions et sur le
contenu du connecteur, et ne doit rien au contenu conceptuel des procès
reliés. De ce fait, la présence d’un conflit dans les contenus n’est pas en
mesure de révoquer la connexion imposée par la structure linguistique.
L’absurdité du contenu complexe qui en résulte, par exemple, n’empêche
pas (7) d’exprimer une relation concessive :

7. Bien qu’il se soit levé tard, Luc a raté le train.

Le codage ponctuel complet dans le cadre d’une phrase complexe est


traditionnellement considéré dans l’étude grammaticale comme la

9. Un cas intéressant de synergie entre conjonction, modes et temps verbaux est


fourni par la conjonction italienne perché. Avec l’indicatif, elle exprime la cause
phénoménique et les motifs : Il fiume è straripato perché è piovuto a lungo (La rivière
a débordé parce qu’il a plu pendant longtemps) ; Vado a letto perché mi devo alzare
presto (Je vais me coucher parce que je dois me lever tôt). Avec le subjonctif, elle
exprime le but : Ho comprato un tubo perché Giovanni annaffi i fiori in mia assenza
(J’ai acheté un tuyau d’arrosage pour que Jean arrose les fleurs en mon absence).
10. En cas de codage complet, l’implicite de cause niée fait partie du signifié de
l’expression comme implicature conventionnelle, qui peut être définie comme un
implicite codé : voir Ch. III, § 2.1.
32

démarche par excellence, sinon exclusive, pour la mise en place des


relations transphrastiques. Cette attitude, qui a amené les linguistes à
surévaluer la fonction d’une poignée de conjonctions de subordination,
isolant en même temps l’étude de la phrase complexe de ses contreparties
fonctionnelles relevant de la cohérence et de la cohésion textuelle,
présuppose manifestement une confusion entre expression et codage. Mais
comme notre discussion l’a montré, et comme nous le verrons avec plus de
détails dans la suite de ce chapitre, l’expression ne se réduit pas au codage,
et à plus forte raison au codage au moyen d’un connecteur spécialisé dans
le cadre d’une phrase complexe.

3.1.2. Sous-codage et enrichissement inférentiel

En cas de sous-codage, le contenu d’une expression est codé jusqu’à un


certain point et inféré à partir de ce point. Une phrase complexe comme
(8), par exemple, code une relation de succession temporelle, mais elle est
reçue comme un équivalent fonctionnel de (9), car son contenu conceptuel
encourage un développement inférentiel vers la relation de cause :

8. Depuis que le dégel a commencé, la rivière s’est gonflée


9. La rivière s’est gonflée parce que le dégel a commencé

Une expression comme (10), pour sa part, se prête à un développement


adversatif ou concessif, codés par (11) et (12) respectivement :

10. Après m’avoir promis son aide, Jean a disparu


11. Jean m’avait promis son aide mais il a disparu
12. Bien qu’il m’ait promis son aide, Jean a disparu

Il s’agit du phénomène connu sous le nom d’enrichissement inférentiel


(König, Traugott 1988 ; Hopper, Traugott 1993 : 74 ; Kortmann 1997).
L’enrichissement inférentiel développe de façon créatrice un contenu codé
dans un contenu plus riche : par exemple, la relation de succession
temporelle codée en (8) est développée en relation de cause. Au lieu de
remplacer la connexion grammaticale, l’inférence accomplit son oeuvre
inachevée, prenant comme point de départ le point d’arrivée du codage.
L’inférence, pour ainsi dire, relaie le codage.
Le critère de l’enrichissement inférentiel est manifestement la cohérence
des structures conceptuelles et cognitives partagées. Etant donné les
propriétés conceptuelles des procès associés dans les phrases complexes
(8) et (10), une relation de cause et, respectivement, de concession,
33

apparaissent comme plus cohérentes et pertinentes qu’une simple


succession temporelle.
Une étude systématique de l’enrichissement inférentiel met au jour deux
aspects essentiels de la relation entre structures conceptuelles et codage
linguistique.
En premier lieu, elle permet de dessiner une carte des relations
transphrastiques sur la base de leur contenu conceptuel indépendant. Dans
tous les cas où une relation transphrastique peut être atteinte par voie
d’inférence, cette relation doit pouvoir, en effet, être conçue en termes
conceptuels indépendamment du codage. Cela prouve que le codage
linguistique ne peut pas prétendre au monopole de l’expression, mais se
présente comme une option, privilégiée certes, mais non exclusive. Une
étude systématique de l’enrichissement inférentiel permet ainsi de tracer
les limites du territoire des concepts cohérents, à l’intérieur duquel les
formes linguistiques de codage fonctionnent comme de purs et simples
instruments d’expression, qui n’ajoutent rien d’essentiel à la mise en place
des relations conceptuelles11.
De plus, elle met en relief le réseau complexe de rapports d’implication
qui se nouent entre les différentes relations transphrastiques.
L’enrichissement inférentiel est un procès unidirectionnel, qui se
développe dans le sens de la complexité des structures conceptuelles. Les
structures les plus complexes impliquent les plus simples, qui à leur tour
peuvent être développées par inférence dans les plus complexes. A la fois
la cause et les formes de concession qui renversent une relation de cause,
par exemple, incorporent une relation de succession temporelle. De ce fait,
le contenu d’expressions qui codent une succession temporelle est ouvert
sur deux lignes alternatives d’enrichissement, dont l’une aboutit à la cause
et l’autre à la concession12.

3.1.3. Surcodage : structures conceptuelles et structures sémantiques

En cas de surcodage, le mot de liaison ne se limite pas à porter à


l’expression une connexion transphrastique concevable, et donc inférable,

11. Dans le domaine des concepts cohérents, en d’autres mots, le codage est
parfaitement interchangeable avec l’inférence. Mais le codage est essentiel pour la
construction de connections incohérentes ou plus généralement conflictuelles, comme
par exemple (7) : Bien qu’il se soit levé tard, Luc a raté le train.
12. Pour un inventaire exhaustif du réseau d’implications entre les relations
transphrastiques basé sur les langues d’Europe, voir Kortmann (1997).
34

indépendamment de l’expression, mais lui impose un profil sémantique


plus fin. Ce surplus de contenu, pour sa part, est indissociable de l’emploi
d’expressions linguistiques aux propriétés spécifiques, et n’est donc pas
inférable indépendamment.
Un coup d’oeil même superficiel sur l’inventaire des relations
transphrastiques mises en oeuvre en français suffit pour nous convaincre
que des structures conceptuelles indépendantes, simplement portées à
l’expression par un éventail plus ou moins large de formes, coexistent avec
des structures sémantiques qui doivent leur concevabilité même à la
présence d’expressions linguistiques spécialisées, et donc au codage. Ce
point peut être illustré par une comparaison entre l’expression de la cause
et celle de la conséquence.
La relation de cause est un bon exemple de structure conceptuelle
indépendante, qui peut être inférée sans difficulté à partir de l’expression la
plus rudimentaire si les conditions requises sur le plan conceptuel sont
réunies. D’une part, pour mettre en place une relation de cause il suffit
d’une simple juxtaposition de deux procès dont le contenu entre de façon
cohérente dans le moule conceptuel de la cause, comme en (13). De l’autre,
la présence d’un codage linguistique, comme en (13a), n’ajoute rien
d’essentiel au contenu de la cause :

13. Il a beaucoup plu. La rivière a débordé.


13a. La rivière a débordé parce qu’il a beaucoup plu

La relation de consécution partage certainement un noyau conceptuel


essentiel avec la cause. Toutefois, elle ne se limite pas à nous dire qu’une
certaine cause a provoqué un certain effet. En plus de cela, la relation
consécutive contient deux composantes implicites essentielles : l’idée que
le déclenchement de l’effet se produit au moment où l’intensité de la cause
atteint un seuil critique, et l’idée que, une fois ce seuil critique atteint, le
déclenchement de l’effet est plutôt une question de droit que de fait - de
nécessité que de contingence. La forme causale (13a), par exemple,
enregistre une relation qui a eu lieu entre deux événements, alors que (14)
défend l’idée qu’un certain événement a atteint un tel degré d’intensité
qu’un autre événement ne pouvait pas ne pas avoir lieu :

13a. La rivière a débordé pace qu’il a beaucoup plu


14. Il a tellement plu que la rivière a débordé

Or, ces composantes implicites du contenu de (14) sont indissociables de la


présence d’un adverbe d’intensification qui agit sur la cause - dans notre
cas, tellement.
35

Dans la mesure où sa mise en place dépend de la disponibilité de


moyens de codage spécifiquement linguistiques, une structure comme la
consécution ne peut pas être considérée comme une structure conceptuelle
indépendante, et, de ce fait, ouverte à un éventail de moyens d’expression
hétérogènes et interchangeables allant du codage linguistique à l’inférence,
mais doit être vue comme une structure sémantique greffée sur le tronc
conceptuel commun de la cause grâce à l’emploi d’une expression
linguistique aux propriétés spécifiques.
L’intérêt du surcodage réside dans sa capacité de montrer qu’une marge
significative de créativité sémantique déployée par les structures lexicales
et grammaticales spécifiques d’une langue est parfaitement compatible
avec la présence d’une couche de structures conceptuelles partagées
indépendamment de la structure de telle ou telle expression linguistique
spécifique13.
Si la relation entre structures conceptuelles et expressions est remise en
question, nous voyons se dessiner un écart entre un espace conceptuel
formé par des relations transphrastiques autonomes de telle ou telle
expression, et un espace sémantique dont la forme dépend de la
disponibilité et des propriétés structurales de moyens de codage
spécifiques. Le premier domaine contient un système de structures
purement conceptuelles, qui peuvent être définies en termes de conditions
de cohérence et contenu cognitif indépendamment de telle ou telle forme
de codage linguistique. Le second contient un système de structures
sémantiques, qui ne peuvent être conçues que comme autant de signifiés
d’expressions aux propriétés spécifiques.
Le critère de discrimination, comme nous venons de le remarquer, est
l’accessibilité par inférence. Les structures conceptuelles peuvent être aussi
bien codées qu’inférées, dans le cas où leur codage est faible ou totalement
absent. Les structures sémantiques, pour leur part, sont indissociables du
codage linguistique. Si nous revenons aux exemples ci-dessus, nous
constatons aisément que le contenu de (13a) peut être également obtenu par
inférence à partir de la juxtaposition (16), ce qui ne vaut par pour le
contenu de (14) :

13a. La rivière a débordé parce qu’il a beaucoup plu


14. Il a tellement plu que la rivière a débordé
16. Il a beaucoup plu. La rivière a débordé

13. C’est sur ces présupposés et dans ces limites que l’on assiste à une réévaluation
raisonnable de certains aspects qualifiants de l’hypothèse Sapir-Worf : cf. par exemple
Gumperz, Levinson (1996).
36

Le surplus non inférable du contenu de (14) est indissociable d’un codage


linguistique spécifique.
Comme nous le verrons dans la suite de notre travail, la distinction entre
structures conceptuelles et structures sémantiques est particulièrement
pertinente dans le cas de la finalité. La finalité apparaît plutôt comme une
famille d’élaborations sémantiques spécifiques d’une structure
conceptuelle donnée – du motif de l’action coïncidant avec une intention –
que comme une structure conceptuelle autonome. En même temps, la
finalité est certainement la relation transphrastique qui dispose de l’éventail
le plus riche de termes prédicatifs prêts à différencier, à moduler et à
nuancer un noyau conceptuel commun. La finalité apparaît comme un
système très articulé de variantes sémantiques de complexité croissante
greffées sur un tronc conceptuel commun - le motif de l’action coïncidant
avec une intention. Toutes les structures finales expriment donc une même
idée de fond : un être humain libre et responsable agit consciemment d’une
certaine façon parce qu’il veut obtenir dans le futur un résultat donné. En
même temps, une définition de la finalité qui s’arrêterait à ce point serait
doublement inadéquate.
D’une part, elle ne distinguerait pas entre l’expression de forme finale
exemplifiée en (18) et l’expression de forme causale exemplifiée en (17).
De l’autre, elle ne ferait aucune place à des expressions comme les
structures (19) à (22). Tout en partageant le noyau conceptuel et
l’orientation décidément prospective de (18), ces structures ne s’y laissent
pas réduire, car chacune introduit, grâce à la présence d’un terme prédicatif
spécifique, une nuance spécifique et irréductible :

17. J’ai loué une maison en Provence parce que je veux y passer les vacances
18. J’ai loué une maison en Provence pour y passer les vacances
19. J’ai loué une maison en Provence dans le but d’y passer les vacances
20. J’ai loué une maison en Provence dans l’intention d’y passer les vacances
21. J’ai loué une maison en Provence dans l’espoir d’y passer les vacances
22. J’ai loué une maison en Provence dans le désir d’y passer les vacances

3.2. La juxtaposition : un pont inférentiel entre procès

Si l’expression des relations transphrastiques est réduite au codage, le


système des structures conceptuelles engagées se réduit à son tour au
contenu d’une poignée de propositions subordonnées, sinon de connecteurs
de subordination. Mais notre expérience d’usagers de la langue nous
enseigne que certaines relations conceptuelles naturelles entre deux procès
37

– par exemple la cause - peuvent être confiées à une simple juxtaposition


d’énoncés comme (23) :

23. Jean n’a pas pu terminer ses études. Ses parents sont trop pauvres

Dans de tels cas, l’inférence franchit une barrière formelle grâce à un pont
conceptuel, en l’absence d’un cadre grammatical. La connexion
transphrastique quitte le domaine des structures grammaticales pour
envahir le domaine de la cohérence textuelle.
Nous parlons de juxtaposition dans les cas où la relation conceptuelle
pertinente entre deux procès se réalise en l’absence d’un cadre grammatical
unifiant. Dans ce cas, aussi bien l’unification des procès que la mise en
place d’une relation sur le plan conceptuel sont issues d’un acte
d’interprétation de la part du destinataire.
La distinction entre codage et inférence renvoie en effet à une division
du travail entre locuteur et destinataire. La responsabilité revient au
locuteur en cas de codage, alors qu’elle est transférée sur le destinataire en
cas d’inférence. Dans les deux cas, à la fois le locuteur et le destinataire
font confiance à des structures partagées : au code, c’est-à-dire aux
ressources grammaticales et lexicales de la langue, mais aussi à un système
de structures conceptuelles et cognitives partagées a priori, et à des
données occasionnelles partagées dans les limites d’un acte de
communication donné.
Le travail d’interprétation accompli par le destinataire d’une
juxtaposition est bien illustré par la métaphore du bricolage (Lévi-Strauss
1962). Comme un bricoleur, le destinataire d’une juxtaposition nue ne peut
pas compter sur des moyens spécialisés, mais s’engage à atteindre son but
en ne comptant que sur les moyens de bord. Tout ce qu’il peut faire, c’est
valoriser au mieux ce qui lui est offert, sur le présupposé que le locuteur
veut bien lui communiquer un message cohérent14.

14. La juxtaposition est un bon exemple du fait que la cohérence d’un message est
indépendante de la mise en place de moyens cohésifs, et en premier lieu de relations
anaphoriques (sur la cohésion, cf. Halliday, Hasan (1976) et de Beaugrande, Dressler
(1981 : Ch. IV et V)). Comme le signale Conte (1977 : 15-17), la cohésion n’est une
condition ni nécessaire ni suffisante de la cohérence d’un texte, et en fait un destinataire
est en général prêt à recevoir comme cohérent un message du simple fait qu’il est
énoncé. Cf. Coates (1994 : 42-43) : « The evidence of real language data forces us to
make the distinction between coherence and cohesion, since much real language data
display coherence without cohesion [...] With or without the presence of formal textual
markers, we will attempt to interpret what we hear : we assume text is coherent ». Cf.
aussi Brown &Yule (1983 : § 2.4).
38

Même la plus pauvre des juxtapositions ne peut pas ne pas présenter au


moins deux énoncés co-occurrents, exhibant un certain contenu et se
suivant dans un certain ordre. Cette poignée de données, qui du point de
vue d’une logique du codage est entièrement dépourvue de structure, se
trouve investie sur le champ, pour ainsi dire, d’un regard dispensateur de
sens, exactement comme les pauvres choses qui alimentent le projet d’un
bricoleur.
Le premier pas du bricolage interprétatif consiste à recevoir la co-
occurrence comme si elle était intentionnelle : si les deux énoncés
apparaissent l’un à côté de l’autre, c’est qu’ils sont destinés à être les
constituants d’un acte de communication unitaire.
Le pas suivant consiste à évaluer le contenu des énoncés juxtaposés sur
le fond d’un système de structures conceptuelles, modèles cognitifs et
informations contingentes que le destinataire est censé partager avec le
locuteur. Sur cette prémisse, il est normal qu’une juxtaposition telle que
(24) autorise l’inférence d’une relation de cause, alors que (25) active une
relation concessive :

24. J’ai arrosé le pré. L’herbe a poussé.


25. J’ai écrit trois lettres à Pierre. Il n’a jamais répondu.

L’ordre des énoncés, finalement, n’est pas non plus reçu par l’interprète
comme une donnée accidentelle, mais interprété comme une donnée
signifiante. Il suffit que les procès admettent d’entrer dans une relation de
succession temporelle pour que l’ordre des énoncés se donne comme un
indice rigide de l’ordre des événements. Si César écrit veni, vidi, vici, c’est
parce que l’ordre des énoncés correspond à l’ordre des événements, comme
le souligne Jakobson (1966 : 27) : « Si la chaîne de verbes veni, vidi, vici
nous informe de l’ordre des actions de César, c’est d’abord et avant tout
que la séquence des parfaits coordonnés est utilisée pour reproduire la
succession des événements relatés ». S’il avait écrit vici, vidi, veni, l’ordre
des événement serait bouleversé.

3.3. L’inférence entre sémantique et pragmatique

Lorsqu’elle est engagée dans la connexion transphrastique, l’inférence


n’apparaît pas comme une démarche résiduelle et parasitaire du codage,
mais comme un facteur constitutif de l’expression, qui interagit avec le
codage, prêt à le relayer et, le cas échéant, à le remplacer. Ce constat nous
amène à remettre en question l’idée, partagée par plusieurs linguistes, selon
39

laquelle l’inférence d’enrichissement, et plus généralement l’inférence


engagée dans la connexion transphrastique, est une démarche pragmatique
motivée par des informations contextuelles.
Une telle caractérisation se justifie du fait que l’inférence à l’œuvre dans
la connexion transphrastique est généralement identifiée avec ce type
d’inférence que Grice appelle implicature conversationnelle, et que Sperber
et Wilson (1986) ont décrit dans le cadre de la théorie de la pertinence. Or,
celle-ci est en effet une stratégie pragmatique, qui remonte du signifié d’un
énoncé à une intention communicative sur le fond d’une configuration
contingente de facteurs rassemblés sur la base d’un critère de pertinence à
son tour contingent. Transférant ce modèle dans l’aire de la connexion
transphrastique, Kortmann (1997 : 203) parle de « pragmatic processes of
intepretative enrichment », alors que pour Hopper et Traugott (1993)
l’activation d’inférences d’enrichissement donne lieu à une forme de
« pragmatic polysemy ».
L’inférence est une forme de raisonnement naturel qui remonte d’une
constellation de prémisses tenues pour vraies à une conséquence à son tour
tenue pour vraie ou, plus typiquement, pour probable. L’inférence n’est pas
une stratégie linguistique ou liée de façon particulière à l’expression
linguistique, mais une stratégie cognitive plus générale qui est prête à
utiliser, parmi ses prémisses, des contenus d’expressions tenus pour vrais.
Si je vois que la fenêtre donnant sur les toits est ouverte et que le chat a
disparu, par exemple, je peux en inférer, sur le fond d’un certain nombre de
données contingentes, que le chat s’est sauvé par la fenêtre. A la seule
condition que les données pertinentes soient partagées, la réponse « La
fenêtre est ouverte » à ma question sur le chat m’autorise à inférer le
message « Le chat s’est sauvé par la fenêtre ». Si après une semaine de
pluie je constate que la rivière d’à côté a débordé, également, je peux en
inférer, sur la base d’une structure conceptuelle partagée, que la pluie est la
cause du débordement. La même inférence, je suis prêt à la tirer si mon
interlocuteur me dit à la fois qu’il pleut depuis une semaine et que la rivière
d’à côté a débordé, à la seule condition que je tiens ses énoncés pour vrais,
et que je partage avec lui la structure conceptuelle de la cause.
Comme les exemples le montrent, l’inférence interagit avec la
communication verbale à deux niveaux distincts. Elle peut établir une
relation entre le signifié d’une expression et le message qui lui est confié
dans des circonstances données, mais elle peut aussi tracer des relations
dans le contenu d’une expression ou entre contenus d’expressions. En
raison de la fonction qu’elles remplissent et de la nature des prémisses qui
les motivent, nous pouvons distinguer au moins deux formes différentes
d’inférence, que nous proposons d’appeler inférence externe et interne.
40

L’inférence externe porte sur la relation extrinsèque, de nature


indexicale (voir Prandi 1992 ; 1995b ; 2000), entre le signifié d’une
expression linguistique et la valeur de message contingent dont elle se
charge dans des circonstances données. Elle répond à la question :
« Qu’est-ce que le locuteur veut dire en utilisant cette expression ayant ce
signifié ? », ou « Quelle est la valeur de cette expression dans ce texte
particulier ? ». Dans ce cas, l’expression signifiante est interprétée en bloc
comme un indice attirant l’attention du destinataire sur un message
contingent. C’est ce genre d’inférence qui est étudié dans le cadre de la
théorie de la pertinence.
L’inférence interne contribue à la mise au point d’un signifié complexe.
Elle répond à la question : « Quel est le signifié de cette expression ? ». La
mise au point du contenu d’une expression est une démarche qui ne relève
pas de la dimension indexicale de l’acte de communication, mais de la
dimension symbolique de l’expression. C’est ce genre d’inférence qui est
pertinent pour l’enrichissement inférenciel, et plus généralement pour la
connexion transphrastique.
S’ils obéissent à des fonctions différentes, les deux genres d’inférences
ne se distinguent pas moins selon la nature de leurs prémisses.
A première vue, on dirait que les deux formes de raisonnement se basent
sur les mêmes types de motivations, à savoir, sur un ensemble de données
extragrammaticales rassemblées dans ce qu’on appelle traditionnellement
le contexte. Mais qu’est-ce que le contexte ?
Depuis qu’elle a été formulée par Malinowski (1923(1952)) et ensuite
élaborée par Firth (1950(1957: 182)), la notion de « contexte de situation »
n’a pas cessé de s’élargir par accumulations successives. Un pas décisif,
qui a changé irréversiblement l’idée même de contexte, a été notamment
l’inclusion, à côté des données strictement situationnelles, de toute sorte de
structures conceptuelles qui, tout en étant extralinguistiques, ne sont pas
contingentes. De l’avis de Lyons (1963: 83), par exemple, « The context of
utterance must be held to include, not only the external objects and the
actions taking place at the time, but the knowledge shared by the speaker
and hearer of all that has gone before. More ‘abstractly’, it must be held to
comprehend all the conventions and presuppositions accepted in the
society in which the participants live, insofar as these are relevant to the
understanding of the utterance ». On finit ainsi par attribuer au contexte, et
donc par assimiler aux données contingentes liées à une situation de
discours éphémère, les structures conceptuelles et les modèles cognitifs
stables et de longue durée qui sont partagés indépendamment de telle ou
telle situation de discours et qu’on appelle tantôt « general types of
situation » (Halliday 1978: 29), tantôt « schèmes » (Fillmore 1977;
41

Rumelhart 1980), et tantôt « scripts » (Shank & Abelson 1977). Au bout de


ce chemin, on peut facilement imaginer que le contexte pourrait coïncider
avec « the whole world in relation to an utterance act » (Pinkal 1985: 36,
cité par Quasthoff 1994: 733). A moins de penser que la structure et les
contenus de notre image partagée du monde est redessinée à chaque acte de
parole, une telle idée de contexte est tout à fait déroutante.
En fait, il est clair que les deux couches associées dans l’idée
traditionnelle de contexte ne sont pas utilisées pour les mêmes tâches. Il y a
notamment une corrélation tendancielle, d’une part entre la couche
contingente des données contextuelles et l’inférence externe, et de l’autre
entre les structures conceptuelles de longue durée et l’inférence interne.
Pour remonter du signifié de l’expression La fenêtre est ouverte au
message « Le chat est sorti », le destinataire du message se fonde sur une
constellation contingente d’informations sur le chat et sur la position de la
fenêtre qu’il partage avec le locuteur et qu’il tient pour pertinentes dans les
limites de cette situation de discours. Pour établir une relation de cause
entre la pluie et les inondations, tout au contraire, le sujet de l’acte
d’inférence s’appuie sur un système de modèles cognitifs cohérents de
longue durée qu’il partage avec une communauté culturelle tout entière
indépendamment de la situation contingente de discours. A ce point, aussi
bien un critère de pertinence fonctionnel, portant sur le type d’inférence
motivée, qu’un critère de cohérence structurale, relatif à la composition,
poussent vers une déconstruction du concept syncrétique de contexte et à
son remplacement par deux concepts spécialisés.
La configuration contingente de données contextuelles au sens strict qui
motive l’inférence d’un message occasionnel peut être décrite de façon
adéquate à l’aide de la notion de champ d’interprétation (Prandi 1992 ;
1995). Le champ d’interprétation, modelé sur la notion de champ indexical
(Bühler 1934), hérite de l’idée traditionnelle de contexte la nature
contingente. Elle s’en distingue du fait qu’un champ est défini comme une
structure aux propriétés spécifiques plutôt que comme une simple
constellation de données accumulées au hasard. Tout en étant contingent
dans sa disposition, un champ est une structure dans la mesure où il est
capable de conférer une valeur à ses parties, et notamment une valeur de
message à une expression signifiante. Le message est une valeur qu’une
expression signifiante acquiert une fois qu’elle est intégrée dans une
structure d’ordre supérieur. Le champ d’interprétation est cette structure.
Le signifié d’une expression est une structure qui entraîne dans un
réseau de relations des parties de niveau plus bas. Les données qui jouent
un rôle actif dans la connexion d’un signifié complexe doivent être
analysées et décrites pour ce qu’elles sont réellement. En premier lieu, les
42

structures conceptuelles de longue durée doivent être séparées des


informations contextuelles au sens traditionnel, liées à la situation
communicative contingente. En tant que structures de longue durée,
indépendantes de telle ou telle situation contingente, les structures
conceptuelles de base peuvent ensuite être décrites une fois pour toutes
comme on décrit les structures formelles de la grammaire15. Au niveau des
relations transphrastiques, par exemple, des notions comme la cause ou le
motif peuvent être décrites comme concepts relationnels cohérents avec
une grande précision utilisant des critères adéquats : c’est ce que nous nous
proposons de faire au Chapitre III.
Une fois que nous disposons, à côté d’une grammaire des formes, d’une
grammaire toute aussi rigoureuse des concepts cohérents, la description des
signifiés complexes pourra sortir des frontières étroites des structures
linguistiques spécifiques sans s’engager pour autant dans une dérive
pragmatique. Même si elle se base sur des structures conceptuelles
indépendantes d’une langue donnée, une description inspirée par l’idée
d’une grammaire philosophique est en mesure de distinguer les inférences
externes, chargées d’identifier un message contingent à partir d’une
configuration contingente de données, des inférences internes, chargées de
tracer dans le contenu des expressions complexes des relations motivées
par une grammaire des concepts. Si les inférences externes relèvent d’une
dimension pragmatique, les inférences internes recouvrent de bon droit leur
nature de structures sémantiques.

3.3. Relations anaphoriques

La simple juxtaposition peut être considérée comme le royaume de


l’inférence. Mais comme l’inférence est prête à porter secours au codage,
celui-ci est prêt à soutenir le travail d’inférence dans son propre terrain. La
présence d’expressions anaphoriques, notamment, peut introduire un degré
plus ou moins élevé de codage jusque dans la juxtaposition. Dans une
juxtaposition comme Il pleut. Je pars quand même, l’expression quand
même code une relation concessive grâce à deux facteurs : à son contenu, et

15. Une fois que ce point a été éclairci, nous pouvons certainement continuer à
utiliser la notion de contexte pour identifier cette constellation de facteurs contingent
qui entrent dans la structure d’un champ d’interprétation et forment en même temps la
couche contingente, liée à la situation de discours, de facteurs motivant l’inférence
interne.
43

à sa capacité de nouer, à l’intérieur du deuxième énoncé, un lien cohésif


avec le premier.
Parmi les moyens cohésifs engagés dans le codage des relations
transphrastiques, nous trouvons des relations anaphoriques au sens fort et
des relations anaphoriques au sens faible.
Les premières mettent en place une reprise ponctuelle d’un procès
antécédent grâce à la présence d’un pronom comme cela ou d’une
expression nominale comme ce fait, l’accident. A la reprise du procès
s’applique ensuite une préposition au contenu plus ou moins défini, qui,
moyennant la relation anaphorique, entraîne l’antécédent dans une relation
donnée :

26. Il a beaucoup plu. Malgré cela, le blé n’a pas encore poussé.
27. Il a beaucoup neigé. A cause de cela, le toit de la maison s’est effondré
28. Jean aimerait passer ses vacances en Normandie. Dans ce but, il a acheté
le Guide Michelin

Les relations anaphoriques au sens faible s’établissent lorsqu’un renvoi


générique à la pré-information n’est pas accompagné de la reprise
ponctuelle d’un antécédent. Des mots et expressions traditionnellement
classifiés comme adverbes et locutions adverbiales tels que pourtant,
quand même, toutefois, donc, ou ainsi, par exemple, n’incorporent pas la
reprise d’un procès antécédent. Malgré cela, leur emploi cohérent est
indissociable du renvoi à un procès dont l’expression précède l’énoncé qui
les contient :

29. Il a beaucoup plu. Toutefois (cependant, pourtant) le blé n’a pas encore
poussé
30. J’ai acheté les clous. Ainsi, tu pourras réparer l’étagère.

Les adverbes et les expressions adverbiales anaphoriques, tant au sens


fort qu’au sens faible, doivent leur pouvoir de cohésion à une sorte de non
saturation qui rappelle en quelque façon les conjonctions. Malgré cela, les
expressions anaphoriques ne peuvent pas être assimilées aux conjonctions
de coordination.
En présence d’une conjonction, le premier terme de la relation est requis
pour la bonne formation syntaxique d’une phrase complexe. En présence
d’une expression anaphorique, le premier terme de la relation est requis
pour la cohérence du message. Etant donné que leurs fonctions sont
différentes, les expressions anaphoriques peuvent coexister avec les
conjonctions de coordination :
44

31. Il pleut, mais malgré cela je sortirai sans parapluie


32. Il pleut, et donc je reste à la maison
33. Le soleil se coucha et de ce fait la lune devint visible
34. Je lui ai écrit trois lettres et malgré cela il ne m’a pas répondu
35. Je veux passer mes vacances en Normandie et dans ce but j’ai loué un
appartement

Du fait qu’elles coexistent avec de véritables conjonctions16, des formes


anaphoriques comme malgré cela, à cause de cela, dans ce but, pourtant,
quand même, toutefois, cependant, donc, ou ainsi ne sont pas à considérer
comme des conjonctions. En termes syntaxiques, les expressions
anaphoriques considérées appartiennent entièrement au deuxième terme de
la juxtaposition, et ne créent donc aucun lien grammatical avec le premier
énoncé. C’est seulement sur le plan du contenu qu’elles entrent en relation
avec le premier énoncé, qui fonctionne comme antécédent.
Au cas où le contenu de la relation est défini par la combinaison d’une
juxtaposition et d’une reprise anaphorique, le résultat est en quelque sorte
paradoxal. Alors que le contenu de la relation est pleinement codé, la
relation elle même ne l’est pas, car elle dépend du succès d’un renvoi
anaphorique au niveau textuel.

3.3.1. Emploi anaphorique des termes prédicatifs

Les exemples (27) et (28) présentent une propriété remarquable : la


locution - à cause de cela, dans ce but - contient un terme prédicatif -
cause, but - qui catégorise explicitement la relation transphrastique :

27. Il a beaucoup neigé. A cause de cela, le toit de la maison s’est effondré


28. Jean aimerait passer ses vacances en Normandie. Dans ce but, il a acheté
le Guide Michelin

16. Nous reviendrons plus bas (§ 3.4.2) sur la synergie entre conjonctions de
coordination et anaphore. Comme le remarque Dik (1968 : 34) la co-occurrence peut
être utilisée comme un test pour séparer les conjonctions, qui établissent une véritable
relation grammaticale, des adverbes, qui créent un lien de cohésion : « Given a particle
which might tentatively be regarded as a coordinator (in a structure like M1 co? M2)
consider the possibility of adding a further particle, the coordinator-status of which has
already been established. If this is possible (i. e., if there is a structure like M1 co co?
M2), then co? is not itself a coordinator. If this is impossible (and there are no further
counter-arguments), then co? is itself a coordinator. This test is based, of course, on the
premiss that two members can never be coordinated by more than one coordinator ».
45

Or, si nous observons la structure d’une juxtaposition comme p. à cause de


cela, q ou p. dans ce but, q, nous constatons qu’à la relation anaphorique
entre le procès antécédent et sa reprise ponctuelle – par exemple entre p et
cela - une seconde relation anaphorique se superpose : p est qualifié
anaphoriquement comme cause ou but de q. Autrement dit, des prédicats
comme but et cause, une fois qu’ils sont incorporés dans une locution,
fonctionnent comme des encapsulateurs anaphoriques de relation17.
Un encapsulateur anaphorique est un terme qui, tout en opérant comme
une expression anaphorique, est en même temps un terme prédicatif
capable de catégoriser l’antécédent. La catégorisation de l’antécédent, à
son tour, peut répondre à deux critères différents. Dans certains cas,
l’antécédent fait l’objet d’une catégorisation inhérente, qui l’envisage
comme membre d’une classe de procès : par exemple, comme un accident,
ou un exploit, ou, métonymiquement, comme une instance de bonheur ou
de malheur :

36. Il a beaucoup plu. Malgré cette bénédiction, le blé n’a pas encore poussé.

Dans d’autres cas, l’antécédent fait l’objet d’une catégorisation


relationnelle, qui l’envisage comme terme d’une relation : par exemple
cause ou but, ou condition, ou contenu d’un désir ou d’une illusion, et, par
métonymie, désir ou illusion.
Une fois intégré dans une locution - dans le but de, avec le désir de,
dans l’espoir de ; avec ce désir, à cause de cela, pour cette raison, dans ce
but - le terme prédicatif encapsulateur est un moyen puissant de codage de
relations transphrastiques. Etant donné que l’encapsulateur est un véritable
terme relationnel, il est en mesure de fonctionner comme pivot d’une
prédication d’ordre supérieur, qui entraîne deux procès dans une relation
donnée : par exemple p est cause de q. Si cela est vrai, il en découle que les
locutions qui contiennent un encapsulateur - dans ce but, à cause de cela, à
cause de, dans le but de - sont à analyser non pas comme des locutions
figées mais comme autant de structures prédicatives.
L’analyse des encapsulateurs ouvre ainsi à la description des relations
transphrastiques un territoire aussi vaste qu’inexploré. De plus, il faut
considérer que les mêmes termes prédicatifs qui fonctionnent comme
encapsulateurs dans leur forme nominale acceptent en plusieurs cas de se
réaliser aussi comme verbes ou comme adjectifs. Si but n’a aucune
contrepartie verbale ou adjectivale, à côté de cause on a causer, et à côté de

17. Sur la notion d’encapsulateur anaphorique (ou cataphorique), cf. D’Addio


Colosimo (1988) et Conte (1996).
46

désir on a désirer et désireux. L’étude des termes prédicatifs comme


encapsulateurs anaphoriques incorporés dans des locutions n’est qu’un
chapitre de l’étude des termes prédicatifs comme moyens de codage des
relations transphrastiques. Nous allons traiter ce sujet en détail au Ch. 2.

3.4. Coordination

A la différence des locutions anaphoriques, les conjonctions de


coordination connectent les procès simples dans une structure
grammaticale unitaire. Le contenu d’une coordination, en revanche, n’est
pas forcément codé jusqu’au bout, et le degré de codage atteint dépend de
deux variables. En premier lieu, il faut considérer le contenu de la
conjonction. Ensuite, comme nous venons de le remarquer, la structure
coordinative admet la présence d’adverbes et locutions anaphoriques, qui
peuvent renforcer ou préciser à différents degrés le contenu de la
connexion.

3.4.1. Le contenu de la conjonction

Si nous nous penchons sur le contenu, il est intéressant d’observer le


comportement d’une conjonction presque vide comme et et d’une
conjonction au profil bien caractérisé comme mais.
Une conjonction comme et ne code que la simple co-occurrence de deux
procès. Dans certains cas, ce contenu suffit pour que les contenus
conceptuels des procès coordonnés s’intègrent dans un tout cohérent. Une
séquence comme (37), par exemple, nous dit simplement que deux procès
se produisent dans un cadre spatial et temporel unitaire :

37. Le soleil brillait et un air doux caressait les feuillages

Chaque fois que, dans une structure coordinative, nous voyons une relation
plus complexe, cela veut dire que le contenu de la connexion est enrichi par
inférence. C’est le cas notamment de la succession temporelle (38), de la
cause (39) et de la concession (40) :

38. Le soleil s’est couché et la lune a surgi


39. Le soleil s’est couché et la lune est devenue visible
40. Je lui ai écrit trois lettres et il ne m’a pas répondu
47

La conjonction mais18, pour sa part, code une relation adversative entre les
procès conjoints :

41. Jean a travaillé tout le temps mais Pierre n’a rien fait

Le message véhiculé est que le comportement de Jean s’oppose à celui de


Pierre. Qu’il s’agisse d’un véritable codage, on le voit du fait que la
relation adversative ne disparaît pas dans le cas où les contenus coordonnés
ne sont pas immédiatement en opposition :

42. Il est lundi mais Anne n’a pas appelé

Dans un exemple comme (42), la simple présence de mais nous force a


insérer activement dans le message une composante implicite qui soit en
mesure de justifier une relation adversative : par exemple, Anne appelle
régulièrement le lundi, ou un appel de Anne était attendu pour ce lundi.
La différence entre (41) et (42) est claire. Les énoncés coordonnés en
(41) s’opposent indépendamment de la présence du mais, car leur simple
co-occurrence active une présupposition largement partagée qui voit le
travail et l’oisiveté comme des comportements opposés dans une
dimension axiologique. Les énoncés coordonnés en (42), par contre, ne
s’opposent que si la présence de mais nous force à trouver sur le champ un
fondement de l’opposition19. Si nous observons les énoncés suivants, nous
constatons que la relation adversative subsiste en (40a) mais disparaît en
(41a), sauf dans le cas où l’on sait indépendamment de l’expression que
Anne appelle normalement le lundi :

41a. Jean a travaillé tout le temps et Pierre n’a rien fait


42a. Il est lundi et Anne n’a pas appelé

18. Cela vaut pour l’un des emplois principaux de mais, à l’exclusion de l’emploi de
rectification (commun à l’allemand sondern et à l’espagnol sino) qui suit la négation
explicite d’une opinion rejetée par le locuteur : Jean n’est pas un cycliste mais un
gymnaste.
19. L’implicature conventionnelle (Grice 1975) d’opposition se caractérise du fait
qu’elle est à la fois systématique - son activation est requise systématiquement par la
sémantique de mais - et en elle-même vide de contenu : son contenu ne peut qu’être
déterminé à chaque emploi, à partir du contenu des expressions reliées, comme en (40),
ou même sur la base de connaissances partagées, comme en (41) : cf. Anscombre,
Ducrot (1977).
48

3.4.2. La synergie de la conjonction et de l’anaphore

Le rôle joué par les locutions anaphoriques dans une structure


coordinative est manifestement inégal. En présence d’une conjonction
comme mais, un adverbe ne peut que souligner le contenu codé de la
relation, comme en (43), ou le spécialiser dans le sens de la concession,
comme en (31) :

43. Il pleut mais je sortirai quand même


31. Il pleut, mais malgré cela je sortirai sans parapluie

La conjonction et, pour sa part, admet tout un éventail de


spécialisations :

44. Il pleut, et donc je reste à la maison


45. Le soleil s’est couché et de ce fait la rivière est devenue visible
46. Je lui ai écrit trois lettres et malgré cela il ne m’a pas répondu
47. Je veux passer mes vacances en Normandie et dans ce but j’ai loué un
appartement

4. GRAMMAIRE DE REGLES ET GRAMMAIRE D’OPTIONS

Si nous envisageons la mise en place des relations transphrastiques en


termes fonctionnels, elle se présente comme une tâche pour laquelle la
langue offre à l’usager un éventail riche et hétérogène de moyens, s’étalant
de la connexion grammaticale à la cohérence textuelle et à la cohésion, du
codage à l’inférence. Ce qui transforme cet inventaire hétérogène de
ressources en un système cohérent d’options, c’est le fait qu’elles sont
virtuellement interchangeables au plan fonctionnel. Cela suggère à
nouveau une question concernant la nature de la grammaire, et notamment
l’alternative entre une idée de grammaire comme système de règles qui
s’imposent à l’usager, et une idée de grammaire comme système d’options
offertes à l’usager au moment où celui-ci se sert de la langue comme d’un
instrument au service de ses buts.
Selon Halliday (1978 : 4), la grammaire de règles et la grammaire des
options sont deux modèles alternatifs de description grammaticale, qui
caractérisent en gros le paradigme formel et le paradigme fonctionnel dans
l’analyse linguistique. En fait, les deux modèles ne s’excluent pas, mais ils
sont complémentaires, car la pertinence de chaque modèle se justifie en
raison des conditions dans lesquelles la structure des expressions est
construite et son contenu complexe est conçu. Chaque modèle, pour ainsi
49

dire, focalise un aspect spécifique de cette réalité complexe qu’est le


rapport entre l’usager individuel et la langue partagée, entre la structure des
expressions et leurs destinations fonctionnelles.
Un modèle de grammaire comme système de règles est approprié pour la
description du noyau des phrases nucléaires simples et complexes, dominé
par un ordre de légalité strictement formel. La construction des noyaux de
phrase répond en effet à des standards structurels très rigides, qui ne sont
que marginalement négociables et soumis à options. La forme d’un sujet,
d’un objet direct ou d’un objet prépositionnel, par exemple, ne sont pas
négociables : il n’y a pas d’alternatives aux prépositions de et sur dans une
construction comme se souvenir de ou compter sur.
En dehors de ce noyau, là où la fonction prime sur la structure, ce qu’on
attend d’une grammaire, c’est qu’elle mette à la disposition de l’usager des
paradigmes d’options adéquats pour les différentes fonctions. Un locuteur
qui veut modifier un verbe, par exemple, dispose d’un éventail d’options :
par exemple, il peut choisir un adverbe – soigneusement – ou une
expression prépositionnelle – avec beaucoup de soin. L’idée de fond de ce
livre naît du constat qu’une relation comme le but admet des centaines de
formes d’expression différentes, qui sont parfaitement interchangeables du
point de vue de la légalité grammaticale, et que le locuteur choisit en
fonction de ses projets expressifs et communicatifs.
Quand la grammaire circonscrit un paradigme d’options, cela veut dire
qu’aucune structure grammaticale n’est absolument indispensable en vue
de la fonction ; toutes les options sont en principe remplaçables, et chacune
s’acquitte de sa fonction d’une façon qui lui est propre. C’est dans ces
conditions que le locuteur opère un choix, et la question pertinente porte à
ce point sur les raisons du choix : quelles sont les raisons qui poussent un
locuteur à choisir une option plutôt qu’une autre, ou, dans une forme plus
impersonnelle, quelles sont les conséquences qui découlent de chaque
option ? En ce qui concerne plus particulièrement notre sujet, c’est-à-dire
la connexion transphrastique, une question pertinente est la suivante :
quelles sont les raisons qui peuvent pousser un locuteur à choisir la phrase
complexe comme moyen de connexion transphrastique ?
Pour répondre à ces questions, il nous paraît pertinent de se référer aux
fonctions qui, d’après Halliday (1970), permettent de hiérarchiser les
options offertes par la grammaire. Dans la perspective d’une grammaire
d’options, chaque expression linguistique se présente comme une réalité
stratifiée, dans laquelle différentes couches de structures sont vouées à des
fonctions différentes : la fonction idéationnelle, la fonction textuelle et la
fonction interpersonnelle. La fonction idéationnelle s’intéresse à la mise au
point de la structure des procès simples et complexes, et notamment au
50

codage des rôles essentiels et accessoires dans les procès simples, et à


l’expression des relations entre procès. La fonction textuelle adapte la
perspective communicative du message au milieu textuel ou discursif
destiné à l’accueillir. La fonction interpersonnelle motive les choix destinés
à influer sur la qualité de la relation entre les partenaires de l’acte de
communication.
Dans la structure grammaticale d’un énoncé aussi simple que Cette
planche, Luc devrait la fixer avec deux vis, par exemple, nous pouvons
aisément distinguer, à côté d’un noyau dont la structure se justifie par des
raisons internes à une grammaire de règles, trois couches de structures
optionnelles, et donc instrumentales, renvoyant chacune à l’une des
fonctions décrites par Halliday.
La relation entre sujet, verbe et objet met en place la charpente du
procès, dont la forme est imposée par des règles grammaticales non
négociables. Nous sommes en deça d’une grammaire d’options. Aucune
fonction instrumentale n’affecte la structure à ce niveau, car les
constituants nucléaires de la phrases forment une charpente formelle
largement indépendante des contenus conceptuels qui la remplissent et, à
plus forte raison, des fonctions externes qui justifient la mise en place et
l’énonciation du procès. Tout ce qui se situe autour de cette charpente,
cependant, fait l’objet d’un choix, qui à son tour se justifie à partir d’une
fonction.
L’expression de l’instrument – avec des vis – n’est pas requise pour
l’intégrité du procès, mais choisie par le locuteur, auquel la grammaire
offre un éventail d’options20. La fonction qui justifie ce choix est la
fonction idéationnelle, ayant trait à la mise en œuvre du procès. La
dislocation de l’objet direct - Cette planche – n’a aucune conséquence sur
la structure du procès, mais affecte en profondeur sa perspective
communicative : le patient occupe la position de thème, qui aurait été
occupée par le sujet agent dans la phrase nucléaire correspondante : Luc
devrait fixer cette planche avec des vis. La forme conditionnelle du verbe
devoir – devrait – n’affecte ni la mise en place du procès ni sa perspective,

20. Un critère rigoureux pour isoler la charpente nucléaire des procès des rôles
accessoires relevant d’une grammaire des option est la spécification en dehors des
frontières de la phrase. Tous les rôles accessoires peuvent être détachés et réintroduits
dans le procès à l’aide de stratégies anaphoriques appropriés. Jean a coupé le bois avec
cette hâche, par exemple, peut devenir Jean a coupé le bois. Il l’a fait avec cette hache.
Pour les rôles nucléaires, cette option est exclue. Nous reviendrons sur l’emploi de ces
critères au Ch. III, § 2.
51

mais atténue l’impact de la volonté de l’énonciation sur ses interlocuteurs,


qui aurait été rude si l’on avait utilisé la forme à l’indicatif.
Si nous revenons maintenant à la connexion transphrastique, nous
pouvons nous demander à quels niveaux nous sommes en mesure de
justifier fonctionnellement le choix de la phrase complexe.
Au niveau idéationnel, la phrase complexe n’est pas le seul moyen
disponible pour la mise en place de relations conceptuelles entre procès, et
ne semble pas jouir d’un privilège particulier vis-à-vis des options
alternatives. Les fonctions qui sont véritablement affectées par ce choix, ce
sont donc les fonctions interpersonnelle et textuelle.
Au niveau textuel, la phrase complexe permet d’imposer au procès
complexe une perspective communicative à son tour complexe, distribuée
sur deux plans, qui est valorisée en particulier dans les textes narratifs.
Observons les exemples suivants :

44. Pierre passa saluer sa mère


45. Pierre passa par sa ville natale pour saluer sa mère
46. Pierre passa saluer sa mère, puis partit pour son lieu de travail
47. Avant de partir pour son lieu de travail, Pierre passa saluer sa mère

La perspective d’une phrase simple comme (44) réalise une progression


linéaire et graduelle du poids communicatif du thème au foyer. Tout en
étant complexe, la phrase (45) réalise le même type de progression linéaire
que l’on trouve en (44). La complexité structurale de la phrase complexe
ne se traduit pas dans la mise en place d’une perspective tout aussi
complexe. Une juxtaposition comme (46) se limite à aligner deux
structures de phrases ayant chacune sa perspective propre sans imposer au
procès complexe une perspective unitaire. Comme dans une bande
dessinée, chaque scène est isolée dans une perspective en bas-relief. Une
phrase complexe comme (47), tout au contraire, impose au procès
complexe une perspective unitaire en haut-relief. Comme dans un tableau
de la Renaissance, plusieurs scènes coexistent dans un même cadre, et se
hiérarchisent dans une perspective en haut-relief, qui est la ressource
exclusive de ce type de structure. Observons donc le dernier exemple de
plus près.
La proposition principale de (47) - Pierre passa saluer sa mère -
présente une perspective communicative à elle : une progression régulière
du thème au foyer. La perspective de la subordonnée - Avant de partir pour
son lieu de travail – n’est pas autonome, mais se justifie en fonction de la
principale : elle crée un fond qui accueille le procès principal. Cela tient au
52

fait que la subordonnée occupe la première position, caractérisée par le


degré le plus faible de dynamisme communicatif21, et qu’elle est coupée du
procès principal par une pause, formant ainsi une unité communicative à
part. La combinaison entre la subordination syntaxique, la position initiale
et l’écartement communicatif donne ainsi naissance à une dimension
supplémentaire du dynamisme communicatif : l’opposition entre premier
plan et fond22.
Pour rester dans le domaine de la fonction textuelle, dans une phrase
complexe comme (48) une particule focalisante comme seulement
s’applique directement à la relation de cause, une option qui est exclue en
cas de juxtaposition. Dans une structure comme (49), en effet, nous
pouvons focaliser des aspects de chaque procès mais pas la relation de
cause, qui est inférée :

48. Jean est tombé malade seulement parce qu’il est sorti sous la pluie
49. Jean est (seulement) tombé malade. Il est (seulement) sorti sous la pluie

Or, il est intéressant de remarquer, pour la suite de notre travail, que la


présence d’un terme prédicatif ouvre cette ressource à la juxtaposition :

50. Jean est tombé malade. La seule raison en est qu’il est sorti sous la pluie

Au niveau de la fonction interpersonnelle, les choses vont de même :

51. Jean est tombé malade, probablement parce qu’il est sorti dans la pluie
52. (Probablement) Jean est tombé malade. Il est (probablement) sorti sous la
pluie
53. Jean est tombé malade. La raison en est probablement qu’il est sorti sous la
pluie
54. Jean est tombé malade. La raison probable, c’est qu’il est sorti dans la pluie

Comme le montrent ces exemples, la phrase complexe et la juxtaposition


renforcée par un terme prédicatif permettent de modaliser la relation elle-
même, alors que la simple juxtaposition ne permet de graduer

21. La notion de dynamisme communicatif est définie par Firbas (1964 ; 1992).
22. La dissimétrie entre premier plan et fond (foreground et background) occupe
une place de relief dans la littérature fonctionnaliste sur la connexion transphrastique:
voir notamment Hopper (1979), Hopper, Thompson (1980), Reinhart (1984), Tomlin
(1985) et Thompson (1987). Les notions proches de figure et de fond, inspirées par la
psychologie de la Gestalt, ont été développées par Talmy (1978); (2000) et Croft (2001:
Ch. 9).
53

l’engagement du locuteur que sur la vérité de chaque procès, à l’exclusion


de la relation.
54
55

CHAPITRE II

DE LA LOCUTION AUX PREDICATS NOMINAUX

1. CONJONCTIONS ET LOCUTIONS CONJONCTIVES

Le terme même de proposition subordonnée circonstancielle (et ceci


s’applique aux compléments circonstanciels) est révélateur du rôle qu’on
attribue habituellement à ce type de phrase. D’une part, elle est
« subordonnée » à une autre considérée comme plus importante, comme
principale, à laquelle elle apporte des informations de nature périphérique
sur les circonstances qui caractérisent l’événement qu’elle constitue et on
prétend souvent, de ce fait, qu’elle est effaçable. D’autre part, le relateur
qui lie les deux propositions est appelé conjonction ou préposition quand il
s’agit d’un mot simple et locution conjonctive ou prépositive s’il représente
un groupe de mots, ce qui est le cas le plus fréquent. Nous verrons, dans ce
qui suit, que cette présentation du statut des subordonnées est
fondamentalement inadéquate. Nous n’utilisons donc le terme de
subordonnée circonstancielle que comme étiquette, pour des besoins de
commodité et sans attribuer de valeur descriptive ou explicative à cette
dénomination (cf. D. Gaatone 1976, 1986, 1996).
De plus, il n’est pas fait généralement de distinction significative entre
conjonctions et locutions conjonctives, excepté le fait que les unes sont des
catégories simples et les autres des composées. Une autre difficulté, quasi
terminologique, apparaît quand on tente de percevoir ce qui justifie
l’opposition entre locutions conjonctives et locutions prépositives, si ce
n’est celle qui caractérise les catégories simples correspondantes. Cette vue
des choses, bien ancrée dans le système scolaire français, est adoptée
comme allant de soi. Il est vrai que le rôle attribué à la préposition est loin
d’être clair, sans doute parce que l’analyse qu’on en propose est
essentiellement morphologique : la préposition est une des neuf catégories
grammaticales. Cette vue réductrice est la cause d’une définition scolaire
incroyablement vague : une préposition introduit un mot dans la phrase.
Si, en revanche, on prend en compte leur fonctionnement syntaxique, on
observe qu’elles ont deux rôles majeurs : elles peuvent être indicateurs
d’arguments (elles introduisent des objets indirects) ou prédicats. Dans Cet
56

enfant s’intéresse à la peinture la préposition à introduit le complément


peinture. Elle est induite par le verbe et ne peut faire l’objet d’une
substitution. C’est le cas de tous les verbes transitifs indirects. Par contre,
dans la phrase Le recteur est contre ce projet, la préposition contre est le
prédicat et on est en présence du schéma d’arguments suivant : contre
(recteur, projet). Le verbe être a pour fonction d’actualiser ce prédicat
prépositionnel, c’est-à-dire de l’inscrire dans le temps. Cette actualisation
peut être effacée : Je sais le recteur contre ce projet. Nous verrons plus
loin que dans Paul a renversé la chaise par méchanceté, la préposition par
doit être considérée comme un prédicat de second ordre traduisant une
relation de cause entre une phrase (Paul a renversé la chaise) et un
prédicat nominal non actualisé (méchanceté).
L’analyse que nous venons de faire apporte un éclairage nouveau au
problème de définition que nous avons posé. Par exemple, la différence qui
existe entre afin que et afin de ne tient pas à ces suites elles-mêmes mais à
la nature de leur environnement de droite : le premier est suivi d’un verbe à
un mode conjugué et le second d’un infinitif. La raison en est bien connue :
s’il y a coréférence entre le sujet de la principale et celui de la
subordonnée, le verbe de cette dernière est réduit à l’infinitif. Ce
changement n’a d’autre signification que celle-ci : ce verbe a perdu son
actualisation, laquelle est prise en charge par le verbe principal, qui est
toujours actualisé. On voit que la disparité ne tient pas à la nature même du
relateur mais à l’identité des deux sujets. Il n’y a donc aucune raison de
penser que afin que et afin de relèvent de deux catégories différentes,
respectivement celle des prépositions et des conjonctions. Nous
considérons donc que nous avons affaire à des suites de même nature.
Il n’y a pas eu, à notre connaissance, de réflexion approfondie sur les
raisons de l’existence de locutions à côté des catégories simples
correspondantes, prépositions ou conjonctions. La pratique lexicographique
n’opère pas de différences syntaxiques. Cette assimilation rapide a eu de
lourdes conséquences sur le traitement grammatical des éléments de
relation. Le fait de mettre dans le même paradigme pour et afin de pour
introduire une finale a empêché que l’on décrive dans le détail le
fonctionnement des locutions conjonctives. Ces dernières constituent un
des chapitres les moins bien étudiés dans les grammaires. Nous allons
proposer, dans ce qui suit, une analyse précise de ces constructions. On
verra apparaître, chemin faisant, une nouvelle configuration des éléments
de relation entre les phrases.

2. DEGRES DE LIBERTE DES LOCUTIONS CONJONCTIVES


57

Observons d’abord que les locutions conjonctives correspondent, la


plupart du temps, à des structures du type suivant : Prép Dét N X, où Prép
désigne une préposition introductrice, Dét un déterminant, N un substantif
et X une variable représentée essentiellement par la préposition de suivie de
l’infinitif ou par la conjonction que introduisant une phrase conjuguée.
Correspondent à ce schéma des suites comme afin que, avec l’intention de,
dans le but de, pour la raison que, sous le prétexte que, etc. Nous allons
étudier, dans la première partie de ce chapitre, la structure interne de ces
suites et montrer qu’elles ne sont pas aussi figées que le terme de locution
le laisse entendre.
Il existe, il est vrai, des locutions correspondant à la description que nous
venons de donner et dont la syntaxe est figée. C’est le cas, par exemple, de
à défaut de, à la faveur de, à telle enseigne que, en dépit de, sous peine de,
etc. On est en droit alors de parler de suites figées, comme on le fait pour
les noms composés. Dans à telle enseigne que aucun élément n’est
susceptible d’une liberté paradigmatique, en particulier, la détermination
est bloquée. Le sens aussi est opaque, car le substantif enseigne ne
correspond à aucun des emplois libres que ce substantif peut avoir par
ailleurs. Ces raisons expliquent qu’on n’y observe aucune restructuration.
Les différents éléments lexicaux sont comme fondus dans un moule
unique.
Mais le figement n’affecte qu’un petit nombre de locutions. La plupart
d’entre elles ont une syntaxe riche et diversifiée. En mettant en évidence
cette liberté combinatoire, nous allons montrer que les locutions
conjonctives (ou prépositives) ne constituent pas des catégories
grammaticales, même figées, mais un certain type de restructuration de
constructions régulières. Ces constructions répondent à des règles
combinatoires et ne peuvent pas être assimilées à des parties de discours.
Nous examinons maintenant une à une les parties constitutives des
locutions, telles que nous les avons évoquées plus haut.

2.2. La préposition

La quasi-totalité des locutions conjonctives sont introduites par une


préposition. Celles qui ne correspondent pas à ce modèle sont dérivées de
constructions verbales (vu que, compte tenu de/que, étant donné que). La
plupart du temps, cette préposition est unique : à dessein de, *pour dessein
de, *en dessein de, *par dessein de. Cependant, on observe des débuts de
paradigmes : de sorte que, en sorte que où de alterne avec en. Mais, en
bonne méthode, on ne peut parler de substitution que dans le cadre d’une
construction syntaxique identique, ce qui n’est pas le cas des deux
58

locutions. De sorte que introduit une subordonnée consécutive reliant deux


événements : Il a plu, de sorte que les routes sont impraticables. En sorte
que n’est possible, en revanche, que dans la suite faire en sorte que/de :

Fais en sorte que tout soit prêt quand j’arriverai


Fais en sorte d’être informé

Le fait que le relateur consécutif de sorte que unisse deux phrases


événementielles différentes explique qu’il n’ait pas de forme réduite en de,
puisqu’il ne peut pas mettre en jeu une coréférence obligatoire des sujets.
On ne peut donc pas dire qu’il existe un choix possible entre les deux
prépositions. En revanche, un choix s’observe avec la « locution » finale
construite autour du substantif intention : avec l’intention de/dans
l’intention de. On ne voit guère de différence d’emploi entre : Paul est
parti avec l’intention de trouver du travail et Paul est parti dans l’intention
de trouver du travail.
L’alternance entre avec et dans se rencontre dans une bonne vingtaine de
locutions finales, ce qui est un premier indice de non-figement Des
observations similaires peuvent être faites à propos de locutions causales.
Avec le substantif crainte, deux prépositions sont possibles : par et de.
Elles peuvent même être effacées :

Paul est parti par crainte de se faire gronder


Paul est parti de crainte de se faire gronder
Paul est parti, crainte de se faire gronder

Nous verrons plus loin que le choix de la préposition peut être expliqué
comme l’effet de certaines restructurations.

3. LE SUBSTANTIF

Nous étudierons dans le détail au chapitre V les substantifs figurant dans


les locutions conjonctives et leurs propriétés sémantiques. Nous observons
simplement ici que pour une structure de locution et un sens donnés, cette
position est loin d’être figée. Nous avons vu plus haut des cas où le
substantif ne se prête, il est vrai, à aucune substitution mais c’est loin d’être
la règle, pour les finales comme pour les autres circonstancielles. Voici des
exemples mettant en jeu successivement le but, le temps, la cause et la
conséquence :

avec le (souci, volonté, désir, espoir) de plaire


à le (moment, instant, seconde, minute, heure) de partir
59

pour le (motif, raison) que P


de (sorte, façon, manière) que P

La liste que nous venons de donner pourrait sans difficulté être étoffée.
Les quelques exemples cités suffisent à démontrer que les locutions sont
des suites impliquant une combinatoire. L’existence de paradigmes
constitue un argument de poids pour l’analyse des locutions que nous
proposons dans le présent chapitre.

4. LA DETERMINATION DE CE SUBSTANTIF

Pour la clarté de l’exposé qui va suivre, il nous faut faire une remarque
préalable sur la notion de détermination au sens où nous l’entendons ici.
Le fait de réduire l’analyse linguistique à une stricte combinatoire de
catégories grammaticales dans leur acception traditionnelle a bloqué la
recherche dans un grand nombre de domaines. Cette attitude a eu pour
conséquence qu’on a réduit la détermination à ceux des éléments que l’on
nomme habituellement déterminants : articles définis ou indéfinis, adjectifs
possessifs ou démonstratifs, etc. Or, des phrases comme :

Paul a une peur


Paul travaille d’une manière
Paul a un regard

auraient une structure canonique selon cette présentation de la


détermination : les substantifs sont tous précédés d’un déterminant. Et
pourtant ces phrases sont inacceptables. Elles sont toutes senties comme
incomplètes. Pour les rendre acceptables, il faut ajouter divers éléments,
adjectifs, relatives, compléments de noms, ou encore une intonation
exclamative (Paul a une (de ces) peur !), que nous appelons modifieurs et
qui font partie intégrante de la détermination du substantif, puisque leur
absence constitue, on l’a vu, un cas d’agrammaticalité. Ces modifieurs sont
donc obligatoires :

Paul a une peur (terrible, qui me surprend)


Paul travaille d’une manière (stupide, qui lui est particulière)
Paul a un regard (d’aigle, sournois)

Dans beaucoup de cas, il peut y avoir des suites d’un autre type. Soit les
deux phrases incomplètes Paul a eu une idée ; Paul a eu l’idée. La
première peut être complétée par un adjectif fonctionnant comme
modifieur, comme nous venons de le voir Paul a eu une idée intéressante.
60

La seconde ne peut pas recevoir de modifieur adjectival *Paul a eu l’idée


intéressante. La phrase devient acceptable si nous ajoutons une phrase
comme Paul a eu l’idée d’aller au stade. Nous n’appellerons pas cette
phrase un modifieur. Il s’agit en fait d’une phrase complétive, argument du
prédicat nominal idée. Nous examinerons plus loin la nature de cette
complétive dans le cas des phrases finales. Nous analysons les deux autres
éléments de la structure des locutions conjonctives que nous avons signalés
comme constituant la détermination du substantif et la complétive,
habituellement appelée circonstancielle. Nous examinerons d’abord les
déterminants du substantif, nous envisageons ensuite la forme que prend la
finale en fonction de la nature de ce déterminant. Pour mettre mieux en
évidence les différentes constructions, nous séparerons la détermination
cataphorique de la détermination anaphorique.

4.1. Détermination cataphorique

Observons d’abord que la forme habituelle des locutions conjonctives


correspond, pour l’interprétation du déterminant, à un emploi cataphorique.
L’article le, dans la suite Paul est parti, avec l’intention de ne plus revenir
ne renvoie pas à un événement déjà connu mais annonce (emploi
cataphorique) la phrase de ne plus revenir. Dans cette position de
détermination, on observe, outre l’article défini le, les articles un
(quelquefois au pluriel des) et zéro :

Le
Paul a dit cela dans le but de convaincre
Paul a fait cela avec l’espoir qu’on le comprendra
Paul est revenu dans l’espoir de retrouver son chapeau

Un
Paul a dit cela dans un souci d’apaisement
Paul a pris ces mesures dans un but commercial
Paul a pris ces mesures à des fins commerciales

Zéro
Paul a dit cela sous prétexte d’informer son voisin
Paul a dit cela afin de plaire à son professeur

Nous reviendrons plus loin sur la corrélation qui existe entre la nature du
déterminant et la forme de la subordonnée. Quand ce déterminant est
l’article un, la subordonnée doit être la plupart du temps à la forme
61

nominale ou adjectivale. La cataphore peut revêtir d’autres possibilités


morphologiques qui disloquent la locution conjonctive :

dans le but de rendre justice à Paul


dans le but que voici : rendre justice à Paul

avec l’intention de refuser la proposition


avec l’intention suivante : refuser la proposition

On voit donc que ces suites ont des possibilités de restructurations


importantes.

4.2. Insertion d’un adjectif

Ce qui confirme encore l’observation que ces locutions ne sont pas


figées, c’est qu’on peut y insérer un adjectif qualifiant le substantif. Nous
développerons cette propriété plus loin, en montrant que ces qualificatifs
constituent des classes sémantiques déterminées. Nous ne donnons ici que
quelques exemples, à titre d’illustration :

afin que : à seule fin que, à l’unique fin de


dans le but de : dans le but louable de, dans le but évident de
avec l’objectif de : avec l’objectif ambitieux de, avec l’objectif secret de

4.3. Détermination anaphorique

Nous sommes ici en présence d’un exemple intéressant montrant


l’influence exercée par une position théorique déterminée sur les
possibilités d’observation et, par conséquent, de description. Dans la
mesure où les locutions (conjonctives ou prépositives) ont été considérées
de facto, dans la pratique grammaticale réelle, comme des séquences toutes
faites, on n’a pas vu que ces structures ont en réalité un autre type de
détermination. Imaginons que je sois en train de parler de Paul, dont je
viens de dire à mon interlocuteur que le seul souci est de plaire à son
patron. Ce fait est donc connu. Dès lors, une phrase comme Dans le but de
plaire à son patron, Paul fait des heures supplémentaires est une redite.
Pour éviter cette redondance, il suffit de remplacer la détermination
cataphorique par une détermination anaphorique :

Dans ce but, Paul fait des heures supplémentaires


62

L’anaphorique ce renvoie à la phrase Paul aime plaire à son patron,


information déjà connue de mon interlocuteur, qui est donc en mesure de
l’interpréter. Le lien, pourtant si évident entre des suites comme dans le but
de et dans ce but n’est pas fait par les grammaires ou les dictionnaires. Par
exemple, le Trésor de la Langue Française ne mentionne pas, à côté de la
« locution » afin que la variante anaphorique à cette fin, tout comme dans
ce but n’est pas signalé en même temps que la locution dans le but de. (Cf.
sur ce point L. Gringras 1991). Il convient donc d’étudier dans le détail la
détermination anaphorique qui est, on le verra, très diversifiée. Deux cas de
figures se présentent : l’anaphore peut porter sur la seule subordonnée ou
affecter à la fois le déterminant et la subordonnée.

a. Pronominalisation anaphorique du modifieur

Si le contenu informatif de la subordonnée circonstancielle est déjà


connu de l’interlocuteur, alors ce serait redondant que de le répéter. Les
divers moyens anaphoriques sont alors le relatif de liaison, les pronoms
cela, ça ou là ou encore l’effacement pur et simple de la subordonnée.
Comme tous les cas de figure ne se rencontrent pas avec les seules
constructions finales, nous donnerons des exemples mettant en jeu d’autres
types de subordonnées circonstancielles.

1) le relatif de liaison quoi :

Après avoir travaillé, Paul est allé au cinéma


Après quoi, Paul est allé au cinéma

Au lieu de travailler, Paul est allé au cinéma


Au lieu de quoi, Paul est allé au cinéma

Faute d’avoir pu travailler suffisamment, Paul n’a pas pu aller au cinéma


Faute de quoi, Paul n’a pas pu aller au cinéma

2) les pronoms cela et ça

Après avoir travaillé, Paul est allé au cinéma


Après (cela, ça), Paul est allé au cinéma

3) le pronom là

D’ici à ce que Paul aille au cinéma, de l’eau coulera sous les ponts
D’ici là, de l’eau coulera sous les ponts
63

4) l’effacement de la subordonnée, le contexte permet alors d’interpréter la


phrase

A défaut de pouvoir travailler, Paul ira au cinéma


A défaut, Paul ira au cinéma

Les reformulations que nous venons de décrire sont des exemples de


pronominalisation d’une phrase ; elles sont de même nature que les
substitutions classiques :

Je sais que Paul est allé au cinéma


Je le sais

Je me souviens que tu devais venir


Je m’en souviens

b. Pronominalisation de l’ensemble

Nous examinons maintenant la transformation anaphorique de l’ensemble


constitué par le déterminant et la subordonnée. Cette substitution
anaphorique est prise en charge par divers moyens linguistiques : le
démonstratif, certains adjectifs et d’autres éléments qui réfèrent à des
informations phrastiques déjà connues de l’interlocuteur.

1) le démonstratif :

Afin de figurer sur les listes électorales, il faut s’inscrire à la mairie


A cette fin, il faut s’inscrire à la mairie

Dans le but d’établir un contrat, il est allé chez un notaire


Dans ce but, il est allé chez un notaire

Il a colporté ce mensonge, dans l’intention de nuire


Dans cette intention, il a colporté ce mensonge

2) certains adjectifs :

Dans un but commercial, on ne fait pas généralement de cadeaux


Dans un tel but, on ne fait pas généralement de cadeaux

3) autres éléments anaphoriques :

Dans le but susmentionné


64

Dans l’intention qu’on vient de signaler


Pour le motif qui vous est connu

Si nous considérons dans le but de ou afin que comme des locutions qui
ont un statut de catégorie composée, que ferons-nous alors de ces suites où
la proposition subordonnée circonstancielle est remplacée par un adjectif
démonstratif ? En fait afin que et à cette fin sont rigoureusement identiques
du point de vue de leur structure, à cette différence près que dans un cas on
est en présence d’une détermination zéro qui annonce une information
nouvelle et, dans l’autre, d’une détermination qui réfère à une information
déjà connue de l’interlocuteur.

4.4. Autres types de déterminants

Cependant, la situation est encore plus complexe. Nous n’avons pris en


compte jusqu’à présent que la détermination affirmative, annonçant un
événement nouveau ou rappelant un événement déjà connu. Mais le
substantif qui figure dans les locutions conjonctives est susceptible de
recevoir d’autres types de déterminants :

1) déterminants négatifs :

afin que / à nulle autre fin que de


dans le but de / dans aucun but précis
dans l’intention de/ dans nulle autre intention que de

2) déterminants interrogatifs :

afin que/ à quelle fin


dans le but de/ dans quel but
pour la raison que/ pour quelle raison

3) déterminants exclamatifs :

Il a pris ces mesures et dans quel but !


Il est parti et dans quelles conditions !

4) déterminants indéfinis

à toutes fins utiles


avec d’autres objectifs
dans un but indéterminé
avec d’autres desseins
65

avec diverses intentions

5) déterminants quantifieurs

avec deux buts différents


pour deux raisons : la première…la seconde
pour les trois motifs suivants

On voit, à partir des observations que nous venons de faire sur la


structure interne des locutions, qu’on ne peut continuer à traiter celles-ci
comme des séquences compactes, comme des blocs dont aucun des
éléments ne donne lieu à un paradigme. Le résultat des manipulations
auxquelles nous avons procédé montre, au contraire, qu’il s’agit de
constructions assez libres dont il convient de mettre en évidence la syntaxe.

5. FORMES DE LA SUBORDONNEE

Nous allons examiner ici les différentes formes que peut prendre cette
circonstancielle. Les grammaires usuelles signalent la forme conjuguée de
la phrase et la réduction infinitive. Cette dernière apparaît quand il y a
coréférence du sujet de la principale et de celui de la subordonnée :

Paul a pris ces mesures afin que l’espoir revienne dans le pays
Paul a pris ces mesures afin de rassurer le pays

Cette description ne rend pas compte de l’ensemble des structures


existantes. Tout d’abord, la règle de réduction n’opère pas toujours. On
observe des cas où la subordonnée conjuguée n’est pas autorisée. Après le
substantif but la subordonnée en que Psubj n’est pas observée dans les
textes * ?Il a dit cela dans le but que tu soies content. Cette observation
vaut pour la subordonnée finale et non, évidemment, pour les phrases
relatives Je n’approuve pas le but que tu t’es fixé. La consultation de la
base Frantext ne révèle aucun exemple dans toute la littérature française. Il
en est de même de *à dessein que, *avec l’intention que, *en vue que.
Nous proposerons plus loin une explication de ces restrictions. D’autre
part, le subjonctif n’est pas le seul mode observé dans les subordonnées
finales. Certaines locutions admettent le conditionnel Paul a pris ces
mesures avec l’espoir que la situation s’améliorerait ainsi. Ce conditionnel
a valeur de futur et est donc cohérent avec la notion de finalité.
Le prédicat de la finale peut être non pas un verbe mais un substantif ou
même un adjectif, dans leur emploi prédicatif. Nous envisageons ces deux
possibilités. Les formes étudiées traditionnellement mettent toutes en jeu le
66

déterminant le (avec le désir que/de) ou l’article zéro (afin que/de). Dans


ce cas, on a un verbe conjugué ou la forme infinitive. La situation est plus
complexe quand le déterminant est l’article un. Ce dernier n’est possible
qu’avec un nombre réduit de substantifs :

*Paul a fait cela à une fin que tout réussisse


*Paul a agi dans un but de faire plaisir

L’acceptabilité est parfois améliorée quand on insère un adjectif :

*Paul a agi dans un but de faire plaisir


Paul a agi dans un but évident de faire plaisir
Paul s’est proposé avec une envie visible de bien faire

Mais avec l’article un la subordonnée a surtout un prédicat à la forme


nominale :

?Paul a dit cela dans un souci d’apaiser


Paul a dit cela dans un souci d’apaisement

Paul a pris ces mesures avec un souci d’efficacité


Paul a réagi de la sorte dans une intention de paix

Avec certains substantifs le prédicat de la subordonnée est de nature


adjectivale :

Paul a pris ces mesures dans le but de faire du commerce


?Paul a pris ces mesures dans un but de commerce
Paul a pris ces mesures dans un but commercial

Paul a dit cela avec un objectif politique

Cette possibilité dépend parfois du nombre du substantif relateur : le pluriel


est obligatoire comme avec le substantif fin :

*Paul a pris ces mesures à une fin commerciale


Paul a pris ces mesures à des fins commerciales

Les analyses que nous venons de faire montrent clairement qu’on ne


peut pas conserver l’analyse classique des locutions conjonctives comme
des suites plus ou moins figées et qui fonctionnent de façon compacte et
inanalysable comme les catégories simples correspondantes. Les
manipulations auxquelles nous avons procédé ont mis en évidence que,
pour une locution donnée, il y a deux constantes : le substantif et, dans une
67

moindre mesure, la préposition, (puisqu’elle peut parfois faire l’objet d’un


paradigme avec l’intention de / dans l’intention de) et deux variables : le
déterminant de ce substantif et la subordonnée circonstancielle.
Nous concluons donc que le substantif n’a perdu ni son identité ni son
autonomie syntaxique. Cette observation est d’une grande conséquence
théorique. En effet, puisque la structure constituée par la locution
conjonctive n’en est qu’une parmi une foule d’autres possibles, on conclura
qu’une locution n’est pas une construction primaire, une catégorie
grammaticale comme l’est, par exemple, une conjonction ou une
préposition. Notre analyse mène à la constatation suivante : dans une
locution conjonctive ou prépositive, c’est le substantif qui joue le rôle
central, c’est lui dont il convient d’étudier le rôle syntaxique par rapport à
la principale et à la subordonnée.

6. UN SUBSTANTIF PREDICATIF

Nous analysons dans ce qui suit le statut syntaxique du substantif


figurant dans les locutions. Nous poursuivons ainsi notre description qui
met en évidence son autonomie syntaxique et le rôle central qu’il joue dans
la construction.

6.1. Structure de la phrase complexe

Rappelons d’abord l’enseignement traditionnel de l’analyse « logique ».


Une phrase « complexe » est constituée par une proposition principale et
une proposition subordonnée qui ajoute à la première, considérée comme
essentielle, des informations de nature accessoire, circonstancielle : cause,
finalité, temps, condition, etc. Deux types d’observations s’imposent. Tout
d’abord, dans cette optique, la principale et la subordonnée sont traitées de
façon différente, puique cette dernière intègre le relateur. En fait, celui-ci
ne fait pas plus partie de la subordonnée que de la principale, car il n’y joue
aucun rôle. C’est ce qui apparaît clairement quand le prédicat de cette
subordonnée est saturé et ne peut donc pas recevoir d’élément constitutif
supplémentaire : Nous sommes restés chez nous pour la raison que les
autorités nous avaient donné l’ordre impératif de rester à la maison. Le
prédicat nominal ordre est accompagné de la totalité de ses arguments et la
locution conjonctive pour la raison que n’appartient pas à son schéma
d’arguments. L’observation que nous venons de faire est importante du
point de vue théorique, car elle met en évidence le fait que le relateur
(conjonction, locution conjonctive ou prépositive) a un statut autonome et
qu’il n’appartient en propre à aucune des deux phrases. D’autre part, les
68

informations véhiculées par la subordonnée sont souvent considérées


comme facultatives : elles peuvent être effacées sans que la principale
perde son statut de phrase. La subordonnée aurait donc un statut
périphérique.
Nous allons montrer que cette conception ne résiste pas à une analyse
approfondie. Faisons d’abord quelques observations simples. Est-on en
droit de dire que les subordonnées circonstancielles sont facultatives ? Si
l’on efface la subordonnée dans la phrase complexe suivante Si tu es gentil,
je te ferai un cadeau on obtient Je te ferai un cadeau, dont le statut est très
différent. Dans le premier cas, la principale traduit une hypothèse et, dans
le second, une certitude, un réel. L’effacement de la subordonnée n’est pas
sans conséquence sur le statut de la principale devenue entre-
temps indépendante, il s’agit d’un autre message. Voici un autre exemple.
Une phrase comme J’ai dit cela à Paul pour lui faire plaisir n’affirme pas
simplement le fait que j’ai parlé à Paul mais que mes propos avaient pour
objectif de lui être agréable. Nous reviendrons sur cette analyse.
Nous retenons que, dans une phrase complexe de ce type, les
grammaires ne reconnaissent que deux phrases : la principale et la
subordonnée. Ainsi Paul a réagi ainsi avec le désir de plaire à son père est
analysée comme composée d’une principale Paul a réagi ainsi et d’une
subordonnée finale à l’infinitif avec le désir de plaire à son père, introduite
par la locution prépositive finale avec le désir de. Or, une autre analyse est
possible. Il existe un principe très général qui dit qu’il y a autant de phrases
élémentaires qu’il y a de prédicats. Comme il y a trois prédicats ici, on doit
postuler non pas deux phrases mais trois : le verbe de la principale (agir),
celui de la subordonnée (plaire) et le prédicat nominal désir. Les
arguments de ce prédicat nominal sont faciles à établir. Son sujet n’est pas
directement exprimé mais est le même que celui de la principale (Paul) et
son complément est représenté par la proposition subordonnée construite
autour du prédicat plaire, dont le sujet est lui aussi coréférent à celui de la
principale. Si nous rétablissons les effacements dus, comme nous l’avons
déjà dit, à une baisse de la redondance, nous pouvons reconstituer la phrase
de départ suivante :

Paul(i) a agi ainsi. Paul(i) avait le désir que Paul(i) plaise à son père

Sur cette base, opèrent d’abord deux baisses de redondance. La dernière


occurrence de Paul est effacée avec réduction infinitive simultanée du
verbe :

Paul(i) a agi ainsi. Paul(i) avait le désir de plaire à son père


69

Ensuite, la seconde occurrence peut faire l’objet d’une double réduction.


Tout d’abord, on peut pronominaliser ce substantif, à l’aide du pronom
personnel il :

Paul a agi ainsi. Il avait le désir de plaire à son père

On constate que, dans ce cas, le prédicat nominal est actualisé, c’est-à-


dire inscrit dans le temps, à l’aide du verbe support avoir, concept que nous
allons expliquer dans un instant. On a donc affaire à une prédication
autonome par rapport à celle de la principale. Cette actualisation peut, à
son tour, être prise en charge par le verbe de la principale et le prédicat
nominal perd du coup la sienne. Cela peut s’obtenir en mettant le verbe
support au participe présent Paul a agi ainsi, ayant le désir de plaire à son
père. La temporalité du prédicat nominal est alors effacée mais non
l’aspect, comme on le voit dans l’exemple suivant Paul a agi ainsi (ayant,
ayant eu) le désir de plaire à son père. Il est possible d’effacer l’aspect en
remplaçant le participe présent par la préposition avec. On obtient alors la
"locution conjonctive" avec le désir de :

Luc a agi ainsi avec le désir de plaire à son père

Nous donnons ici quelques explications sur l’analyse que nous venons
de faire. Traditionnellement, les prédicats étaient identifiés aux verbes.
Cette position a deux inconvénients majeurs. D’une part, il existe un
certain nombre de verbes qui ne sont pas prédicatifs, comme par exemple,
les verbes auxiliaires, les verbes figurant dans les expressions verbales
figées (prendre le large, casser sa pipe) et les verbes supports dont nous
allons parler. D’autre part, il existe des prédicats relevant d’autres
catégories. C’est un fait connu que si l’on définit le prédicat comme le mot
de la phrase qui génère des arguments, on trouve des noms et des adjectifs
qui ont cette possibilité. Le verbe lire a comme argument sujet un humain
et comme objets un substantif de la classe des « textes » (article, roman,
poème) ou de la classe des « supports de texte » (journal, livre, magazine).
Dans ces conditions, on voit que dans la phrase Paul a fait la lecture de ce
roman, ce n’est pas le verbe faire qui sélectionne les arguments mais le
substantif lecture, qui a la même valeur prédicative que le verbe lire. Dans
ce cas, faire ne peut plus être considéré comme prédicatif : son rôle est
d’actualiser, de « conjuguer » le prédicat nominal. Nous appelons ces
verbes des verbes supports. Notre analyse diffère donc de celle que
développent entre autres J. Grimshaw (1990) et F. Kiefer (communication
70

personnelle). Ces auteurs postulent dans une phrase comme celle que nous
venons de donner deux notions de prédicats et d’arguments : faire serait le
prédicat syntaxique sélectionnant un certain type de sujet ou d’objet très
général, tandis que lecture serait le prédicat sémantique sélectionnant un
sujet humain et un objet « lisible ». A quoi on peut répondre que le verbe
faire peut être effacé sans qu’on touche au schéma d’arguments la lecture
de ce roman par Paul a été un événement et que les arguments postulés
pour ce verbe faire sont très labiles. Nous donnons ici les principales
propriétés des verbes supports.

6.2. Statut théorique des verbes supports

Les verbes supports peuvent être définis théoriquement de la façon


suivante :

a) Leur propriété essentielle est d’actualiser les prédicats nominaux. Dans


une phrase comme Paul a fait un voyage à Rome, ce n’est pas le verbe
faire qui sélectionne les arguments : respectivement un sujet humain et un
complément locatif, mais le substantif voyage, qui, de ce fait, doit être
considéré comme le prédicat de la phrase. Le verbe faire "conjugue" ce
substantif prédicatif, l’inscrit dans le temps. Un verbe support n’a donc pas
lui-même de fonction prédicative, en raison du principe qu’il ne peut pas y
avoir deux prédicats dans une même phrase simple.
b) Il découle de là que le verbe support peut être effacé dans une phrase
sans que celle-ci perde son statut de phrase. L’actualisation seule sera
absente. Cet effacement se fait par l’intermédiaire d’une phrase relative,
qui transforme une phrase autonome en un argument :

Paul a fait un voyage à Rome


le voyage que Paul a fait à Rome
le voyage de Paul à Rome

Dans cette dernière séquence, le prédicat voyage n’est pas inscrit dans le
temps. On notera que cet effacement de l’actualisation s’observe aussi avec
les prédicats verbaux : on a alors une réduction infinitive : J’ai entendu
Paul qui descendait ; j’ai entendu descendre Paul. En revanche,
l’effacement d’un verbe prédicatif supprime de facto la phrase, puisqu’il ne
reste alors qu’une succession de deux substantifs, dans le cas d’un prédicat
verbal à deux arguments : *Paul Luc après effacement du prédicat dans
Paul a loué Luc.
c) Les transformations morphologiques (nominalisation, adjectivation,
"verbalisation") sont le fait des prédicats. Les verbes supports ne peuvent
faire l’objet d’un changement de catégorie. Les supports être, faire, avoir
n’ont jamais de forme nominale en tant qu’actualisateurs. De plus, quand
un verbe est associé à une forme nominale, cette dernière caractérise
71

l’emploi prédicatif mais est impossible en cas de verbe support. C’est le


cas de donner qui est prédicatif avec un complément concret (pierre
précieuse) et support avec un prédicat nominal (conseil). Ce n’est que
dans le premier emploi que donner peut avoir une forme nominale :

Luc a donné une pierre précieuse à Léa


le don d’une pierre précieuse est un geste symbolique

Luc a donné un conseil à Paul


*le don d’un conseil n’est que de l’hypocrisie

Cette propriété a été testée au Laboratoire de Linguistique Informatique


(Université Paris 13) sur plusieurs centaines de verbes supports.
d) On a pensé pendant longtemps que les verbes supports avaient pour
fonction d’être des agents de nominalisation (cf. Giry 1976). Le support
faire permet ainsi au verbe voyager de prendre une forme nominale
voyage:

Paul a voyagé
Paul a fait un voyage

Cette fonction de nominalisation des verbes supports n’est pourtant pas


une propriété définitionnelle, car il existe à peu près deux fois plus de
prédicats nominaux autonomes (c’est-à-dire de prédicats non reliés à un
verbe) qu’il n’y en a de déverbaux. Ces prédicats autonomes prennent un
verbe support tout autant que les déverbaux :

Paul a fait un tour en Italie


Paul a fait une sottise

De ce point de vue, l’existence d’un verbe associé est un problème


morphologique accidentel.
e) Comme les verbes supports actualisent les prédicats nominaux, ils
prennent en charge, en outre, les informations aspectuelles qui peuvent les
caractériser. De ce fait, on ne peut pas isoler l’étude des supports de tous
les autres éléments qui permettent de traduire l’aspect. Par rapport au
support faire, un verbe comme entamer traduit une valeur inchoative et
multiplier une valeur itérative :

Paul fait une tournée de conférences


Paul entame une tournée de conférences

Paul a fait une bêtise


Paul multiplie les bêtises
72

La démonstration que nous venons de faire montre clairement que la


locution n’est pas une structure primaire mais qu’elle est le résultat d’un
certain nombre de modifications apportées à la construction d’un prédicat
nominal. Les phrases finales mettent donc en jeu non pas deux phrases
mais trois : la principale qui désigne une action faite par un humain, la
subordonnée qui traduit la conséquence de cette action et la troisième, qui
est cachée derrière la locution conjonctive et qui traduit le fait que l’action
faite par le sujet humain avait pour finalité souhaitée l’état de fait
représenté par la subordonnée. Nous concluons donc que les locutions
conjonctives sont en fait des constructions particulières de prédicats
nominaux qui expriment la motivation d’un sujet humain actif et dont la
subordonnée traduit le souhait.

7. AUTRES FORMES DE CE PREDICAT

Le fait qu’une racine prédicative puisse revêtir plusieurs formes


morphologiques est un fait connu. Si on laisse de côté les catégories
grammaticales (préposition, conjonction ou adverbe), une racine
prédicative peut prendre trois formes : verbale, nominale ou adjectivale. On
obtient quatre combinaisons et trois formes isolées :

1) verbe, nom et adjectif

Paul respecte les lois


Paul a le respect des lois
Paul est respectueux des lois

2) verbe et nom

Paul a résumé ce texte


Paul a fait le résumé de ce texte

Paul a voyagé dangereusement


Paul a fait un voyage dangereux

3) verbe et adjectif

Dans ce pays la nourriture abonde


Dans ce pays, la nourriture est abondante

4) nom et adjectif

Paul est gentil


73

Paul a de la gentillesse

A côté de ces racines qui ont plusieurs réalisations morphologiques, nous


observons des racines qui n’ont qu’une forme morphologique et que nous
appelons des prédicats «autonomes » :

1) verbe : Paul revient de Paris

2) nom : Paul a de l’embonpoint

3) adjectif : Paul est récalcitrant

8. LA SUBORDONNEE FINALE EST UNE COMPLETIVE

Les analyses que nous avons faites montrent que les phrases complexes
comprennent non deux mais trois phrases. On en conclut que la
« locution », i.e. le prédicat nominal ne fait pas partie de la subordonnée.
Cette observation a pour conséquence que la phrase habituellement appelée
proposition subordonnée est l’argument-objet de ce prédicat nominal. Dans
les phrases Paul a acheté des actions, (il a, avec le désir, souhait) ; (il a,
dans l’intention) de s’enrichir, on voit clairement que le prédicat à
l’infinitif s’enrichir est l’objet (la complétive) des prédicats désir, souhait,
intention. Il n’y a donc aucune différence de statut entre une subordonnée
circonstancielle et une complétive. Celles qu’on y a vues viennent d’une
fausse analyse de la locution conjonctive. Cette hypothèse est confortée par
les propriétés que nous avons signalées plus haut : les circonstancielles
peuvent être pronominalisées tout comme les complétives : Je tiens à l’idée
qu’il est plus fort/Je tiens à cette idée là. Il est parti dans l’idée de se
venger/Il est parti dans cette idée là. L’analyse syntaxique que nous
faisons des phrases complexes est donc très différente de celle qui prévaut
dans la tradition grammaticale.

9. PARAPHRASES DES LOCUTIONS

Les observations que nous venons de faire sont d’une grande


conséquence pour l’étude des "circonstances". Dans les structures appelées
« locutions » conjonctive ou prépositive, le prédicat nominal qui y figure
n’a pas d’actualisation propre mais hérite de celle du verbe de la principale.
Mais, on l’a vu, cette actualisation peut être restituée. L’expression de la
finalité est la même dans les deux phrases suivantes :
74

Luc s’est moqué de Paul avec l’intention de l’humilier


Luc s’est moqué de Paul, il avait l’intention de l’humilier

La seule différence observable réside dans le fait que dans la première


phrase on a affaire à une seule assertion, alors qu’il y en a deux dans la
seconde. La valeur informative est cependant identique.
Or, il se trouve que le substantif intention est un nom prédicatif
autonome, c’est-à-dire sans lien morphologique avec un verbe ou avec un
adjectif. Le prédicat nominal volonté est associé, lui, à une forme verbale,
de sorte que l’on peut considérer les trois phrases suivantes comme des
paraphrases :

Paul a médit de Luc, avec la volonté de lui nuire


Paul a médit de Luc, il avait la volonté de lui nuire
Paul a médit de Luc, il voulait lui nuire

Chacune d’elles comprend les mêmes catégories lexicales : la racine


prédicative voul-/vol- actualisée, pour ce qui est de la forme verbale, par la
conjugaison et par un verbe support pour la forme nominale ou héritant de
l’actualisation du verbe de la principale dans la "locution".
On voit en quoi notre analyse remet en cause l’analyse logique
traditionnelle, pour laquelle les deux énoncés suivants sont considérés
comme représentant (a) une phrase complexe comprenant une principale et
une subordonnée finale et (b) deux phrases indépendantes :

(a) Paul a médit de Luc, il avait la volonté de lui nuire


(b) Paul a médit de Luc. Il voulait lui nuire

On conçoit qu’une phrase isolée comme Paul voulait nuire à Luc n’indique
pas, par elle-même, une finalité. Elle n’a cette interprétation que lorsqu’elle
constitue un lien entre une "phrase principale" désignant une action
humaine volontaire et consciente et un résultat attendu de la part de l’agent
par cette action même.

10. VARIATIONS DE PERSPECTIVES COMMUNICATIVES

S’il fallait une preuve supplémentaire que les locutions conjonctives ne


sont pas des structures primaires, mais le résultat de restructurations
syntaxiques, on la trouverait dans les observations suivantes. Les phrases
complexes mettent en jeu une principale suivie d’une subordonnée. Cette
configuration thématise le prédicat de la principale et présente le prédicat
de la subordonnée en position focale. Dans une séquence comme Paul a dit
75

cela avec le désir de convaincre, l’accent est mis sur le verbe dire, du fait
qu’il est le seul qui soit actualisé. Mais ce n’est pas la seule combinaison
possible des trois prédicats. Le prédicat de la subordonnée peut être mis en
première position et de ce fait thématisé. On obtient alors :

Convaincre était le désir qu’avait Paul en disant cela


Convaincre était le désir de Paul en disant cela
Convaincre était son désir en disant cela

De la même façon, on peut disloquer et donc thématiser le relateur. Le


résultat est alors :

Le désir qu’avait Paul en disant cela était de convaincre


Le désir de Paul était de convaincre
Son désir était de convaincre

Nous voudrions signaler que dans ces dernières phrases, il y a les mêmes
éléments lexicaux que dans la phrase complexe standard : un verbe
d’action volontaire de la part du sujet de la principale (dire), un prédicat
qui désigne l’objectif recherché (convaincre) et un prédicat (le prédicat
nominal désir), qui pourrait tout aussi bien être remplacé par le verbe
désirer ou l’adjectif désireux. Ce dernier relie les deux précédents et
indique que la relation entre les deux prédicats est recherchée par le sujet
de l’action.
On voit que la séquence appelée traditionnellement "locution
conjonctive" n’est qu’une des dizaines de paraphrases possibles mettant en
jeu un substantif prédicatif comme désir. Si l’on maintient, dans la théorie,
qu’une locution est une catégorie grammaticale de forme composée, alors
on passe sous silence les relations que nous venons d’établir : existence
d’un prédicat nominal dans la locution, possibilité d’actualiser ce prédicat
nominal à l’aide d’un verbe support, possibilité de substituer à la forme
nominale les formes verbales ou adjectivales (s’il y en a) qui lui sont
associées. Ces analyses sont confirmées par la pratique de la traduction :
une relation transphrastique y est confrontée à un large éventail d’options,
parmi lesquelles il convient de choisir la plus adéquate à la structure
textuelle préférée dans la langue d’arrivée.
76
77

CHAPITRE III :

STRUCTURE CONCEPTUELLE DE LA FINALITE :


CAUSE, MOTIFS, BUT

L’une des conséquences paradoxales du monopole de la phrase


complexe dans l’étude des relations transphrastiques est le traitement des
relations entre le but et la cause. S’inspirant d’une distinction purement
grammaticale entre propositions causales comme (1) et propositions finales
comme (2), on souligne traditionnellement la distinction entre la relation de
cause et la relation de but, alors qu’on ignore complètement la distinction
entre causes et motifs de l’action (3), qui est interne à la forme dite
causale :

1. La rivière a débordé parce qu’il a beaucoup plu


2. Jean a acheté des clous pour réparer l’étagère
3. Jean a passé la nuit chez un ami parce qu’il n’y avait pas de place à l’hôtel

En fait, la relation pertinente en termes conceptuels est la distinction


entre la cause et les motifs, comme Danes (1985) l’a signalé. Les causes
trouvent leur place dans notre catégorisation spontanée des événements du
monde des phénomènes et de leurs relations impersonnelles, alors que les
motifs renvoient à l’univers des actions accomplies en premier lieu par des
êtres humains libres et responsables, capables d’évaluer et de décider, et
attribuées par analogie aux animaux. A partir de cette distinction, le but se
réduit, en termes strictement conceptuels, à un type de motif – le motif
prospectif coïncidant avec le contenu d’une intention. Ce type de motif, par
ailleurs, admet à la fois une expression de forme finale comme (2) et une
expression de forme causale comme (4), qui le rapproche de l’expression
d’un motif rétrospectif comme (3) et par là d’une cause comme (1) :

4. Jean a acheté les clous parce qu’il avait l’intention de réparer l’étagère

En termes conceptuels, le but fait partie de la famille des motifs qui


poussent un être humain à accomplir une action. Loin de s’opposer
immédiatement à la cause, le but trouve donc d’abord sa place parmi les
78

motifs, et c’est de l’intérieur de la constellation des motifs qu’il s’oppose à


la cause. Si nous voulons saisir le réseau de différences et d’analogies qui
lient les trois relations, il nous faut donc au préalable expliciter la structure
conceptuelle de toute la constellation, de la cause au but en passant par une
typologie des motifs. Comme nous le verrons, cependant, la structure
conceptuelle de la cause ne transparaît pas directement de l’observation des
expressions qui la véhiculent, et ne se laisse saisir qu’indirectement, à
travers l’observation des relations qui mettent en question ses fondements,
à savoir les relations conditionnelle et concessive.

1. CAUSE ET MOTIFS

La distinction entre la cause et les motifs se fonde sur l’un des piliers de
notre image partagée du monde, à savoir la distinction entre l’ordre
empirique des enchaînements d’événements dans le monde des
phénomènes et l’ordre moral et projectuel de l’action des sujets - entre le
domaine de la nécessité factuelle et le royaume de la liberté et de la
responsabilité des sujets23. Mais si nous envisageons cette même
distinction conceptuelle du point de vue de son expression linguistique
dans la phrase complexe, nous l’avons déjà remarqué, il se produit un
phénomène apparemment paradoxal. L’éventail des moyens d’expression
des motifs inclut la totalité des moyens d’expression de la cause, de façon
que l’expression des uns se confond très facilement avec l’expression de
l’autre.
Toutes les conjonctions de subordination engagées dans l’expression de
la cause s’utilisent aussi bien pour l’expression des motifs, de façon que,
dans les cas standards de phrases complexes, la forme de l’expression
neutralise la différence conceptuelle elle-même, et qu’aucun obstacle
linguistique n’interdit de voir dans le motif une espèce de cause.
S’il ne s’agissait que de structure de la phrase complexe, on pourrait
ignorer jusqu’à la différence entre les hommes et les pierres (Danto 1965
(1968 : 43)). C’est d’ailleurs avec un sentiment partagé entre
l’émerveillement et l’ironie qu’Aristote signale la polyvalence du pourquoi
interrogatif : « En dernier lieu, c’est la fin ; c’est-à-dire, la cause finale :
par exemple, la santé est la cause de la promenade ; en effet, pourquoi se

23. Dans la Critique de la raison pure, II partie, Livre II, sect. IX, § III, Kant
distingue la causalité « selon la nature », qui impose des connexions nécessaires à la
succession temporelle des phénomènes de l’expérience externe, et la causalité
« émanant de la liberté », qui impose une forme au réel grâce à la capacité du sujet de
projeter des actions inspirées d’idées.
79

promène-t-il ? c’est, dirions-nous, pour sa santé, et, par cette réponse, nous
pensons avoir donné la cause24 ». Ce qu’Aristote signale à propos de
pourquoi vaut aussi pour parce que, pour comme, et en général pour toutes
les conjonctions de subordination dites causales, et c’est peut-être la raison
pour laquelle la distinction entre causes et motifs est inconnue des
grammairiens : la description grammaticale tend à ignorer les distinctions
conceptuelles qui ne vont pas de pair avec des distinctions grammaticales.
Or, la distinction entre causes et motifs n’est pas expressément tracée par
les distinctions grammaticales, mais tacitement présupposée.
Si nous analysons avec soin la relation entre causes et motifs dans toutes
ses composantes tant matériellement codées par la langue que
présupposées, nous pouvons peut-être avancer une justification profonde
de cette ambivalence de l’expression à l’égard d’une distinction
conceptuelle-clé : la langue peut très bien se passer de coder les
distinctions catégorielles fondamentales que non seulement la
communication interhumaine, mais le jeu même de l’existence sur la
surface de la terre présuppose comme indiscutablement partagées. Pour
réaliser qu’un homme n’est pas une pierre, et pour se comporter
différemment à l’égard de l’un et de l’autre, personne n’attend le feu vert
d’une catégorisation linguistique spécifique et explicite. Réciproquement,
la catégorisation linguistique assume à son tour ce système de présupposés
comme allant de soi, et bâtit sur lui ses édifices conceptuels plus
spécifiques comme sur un fondement inébranlable. Chaque fois qu’une
conjonction comme parce que est employée dans le discours réel, par
exemple, elle apparaît nécessairement dans un milieu conceptuel cohérent -
le monde des phénomènes ou l’action intentionnelle de l’être humain – qui
nous aiguille chaque fois dans le bon sens :

1. La route est inondée parce qu’il y a eu un orage violent


2. Je suis resté à la maison parce qu’il y a eu un orage violent
3. J’ai acheté ce roman parce que j’avais l’intention de le lire pendant le
voyage

Cela vaut, en gros, pour la phrase complexe formée par une proposition
principale et une proposition dite causale. Mais l’expression de la cause et
des motifs ne se limite pas, nous l’avons vu, à la phrase complexe. A partir
de cette prémisse, il est raisonnable de se demander si d’autres moyens

24. Aristote, Physique (I – IV), Texte établi et traduit par Henri Carteron, septième
édition, Les Belles Lettres, Paris, 1990 : 194b.
80

d’expression sont en mesure de coder avec davantage de précision les


distinctions conceptuelles fondamentales.
Les instruments de codage auxquels on pense tout de suite sont
évidemment des noms prédicatifs tels que cause, motif ou but. Mais si l’on
se penche sur l’éventail des noms prédicatifs affectés à la constellation de
la cause, des motifs et du but, le paysage qui s’ouvre confirme pleinement
notre intuition sur le partage des tâches entre codage linguistique et
catégorisations conceptuelles présupposées.
Dans le domaine de l’action motivée, nous disposons d’un réseau serré
de distinctions sémantiques très fines qui à la fois articule le champ des
intentions et des émotions prospectives et fournit un paradigme très riche
de noms prédicatifs engagés dans la connexion transphrastique.
La distinction de base entre cause et motifs, tout au contraire, est
ignorée, ou presque, par le codage linguistique. Tout d’abord, la frontière
critique entre causes et motifs est confiée à une poignée de mots – cause,
raison, motif. Mais, de plus, l’emploi de ces mots n’est absolument pas
cohérent sur le plan conceptuel. Dans l’emploi linguistique commun, on
attribue avec beaucoup de désinvolture indifféremment des causes aux
comportements humains et des motifs ou des raisons aux événements du
monde phénoménique. Loin de fonder la cohérence de cette distinction,
l’emploi des termes prédicatifs la présuppose comme assurée de façon
indépendante. Le locuteur, en d’autres termes, se comporte comme si la
frontière entre causes et motifs était déjà bien protégée par des remparts
conceptuels, et donc comme si la langue était dispensée de la coder
explicitement et ses usagers de la signaler ouvertement dans l’emploi. A la
question d’Aristote, on finit par donner une réponse correcte pour les
mêmes raisons qu’on ne pose pas de questions à une pierre. Si le pourquoi
porte sur une action, on répondra avec un motif ; s’il porte sur un
événement, on répondra avec une cause.
Si tout cela est vrai, il en découle que les concepts primordiaux qui
fondent la cohérence de l’action humaine, de la pensée et de l’expression,
ne sont pas l’œuvre d’une catégorisation linguistique. Tout au contraire,
tant la catégorisation linguistique que le comportement pratique les
présupposent, et bâtissent leurs constructions sur eux avec l’assurance de
quelqu’un qui bâtit sur un terrain solide. La langue n’est par responsable
des frontières conceptuelles de base, mais trace ses distinctions plus ou
moins subtiles à l’intérieur d’aires conceptuelles dont la cohérence est
présupposée. Si l’on parle de buts, de désirs, d’intentions et d’espoirs, de
projets et d’illusions, il n’est pas nécessaire que la forme de l’expression
nous rappelle à chaque fois que nous sommes dans le domaine de l’action
81

motivée plutôt que dans celui de la causalité phénoménique - qu’on parle


d’hommes et non pas de pierres.
Les remarques que nous venons de faire entraînent naturellement des
conséquences pour l’analyse. En termes généraux, l’analyse de ce qui est
codé est indissociable de l’analyse de ce qui est présupposé par le codage.
Plus particulièrement, nous ne pouvons pas nous engager dans la
description de la couche de concepts façonnés par la langue – de concepts
tels que « intention », « désir », « espoir » ou « volonté » – sans creuser en
même temps la couche de distinctions conceptuelles présupposées qui la
soutient, et notamment la distinction entre causes phénoméniques et motifs.
S’il est certainement vrai que l’analyse des concepts passe par l’analyse
des structures linguistiques et des configurations discursives, comme l’a
revendiqué le tournant linguistique en philosophie, il est tout aussi vrai
qu’elle ne s’y arrête pas, car les structures linguistiques comme les
configurations discursives présupposent une cohérence qu’elles ne peuvent
pas assurer, mais qu’elles héritent d’une couche de concepts plus
profonde25.
C’est donc par le bout de la couche présupposée que nous allons
commencer notre cheminement, et plus précisément par la distinction entre
cause et motifs.

25. Austin (1956(1968 : 27)) a raison de nous rappeller que l’analyse des concepts
ne peut pas se passer de l’analyse soignée des expressions : « Ordinary language is not
the last word : in principle, it can everywhere be supplemented and improved upon and
superseded. Only remember, it is the first word » ; « When we examine what we should
say when, what words we should use in what situation, we are looking again not merely
at words (or ‘meanings’, whatever they may be) but also at the realities we use the
words to talk about : we are using a sharpened awareness of words to sharpen our
perception of, though not as final arbiter of, the phenomena » (Austin 1956(1968 : 25).
Il ne faut pas oublier, notamment, que l’emploi des mots n’est pertinent pour l’analyse
des concepts que s’il est préalablement tenu pour cohérent. Il est évident que les mots
peuvent être utilisés indifféremment pour construire des procès cohérents et
incohérents. Il est aussi évident que l’étude des concepts incohérents est essentiel pour
expliciter ex negativo les conditions de la cohérence des concepts. Mais il est tout aussi
clair que seuls les emplois cohérents donnent des aperçus sur la structure réelle de nos
concepts partagés. C’est la raison pour laquelle des propos comme le suivant ne peuvent
pas être partagés : « Nor does the ascription of responsibility serve to distinguish human
action from the action of a physical object, for we can as properly say, without any trace
of animism, that the wind is responsible for the damage to the window as that a person
is responsible for it » (White 1968 : 5). Le fait de prédiquer le concept de responsabilité
du vent n’implique pas l’attribution d’une responsabilité au vent. L’attribution de
responsabilité n’est pas une démarche linguistique mais une question de cohérence.
L’analyse des concepts n’est pas un simple enregistrement d’expressions linguistiques
mais une évaluation de ce qu’on peut dire à la lumière des conditions de cohérence.
82

2. LA CAUSE

Décrire le concept de cause tel qu’il apparaît à partir de l’usage


linguistique naturel demande une étape préliminaire : une mise entre
parenthèses de tout le système de concepts liés au paradigme
nomothétique26.
Dans le paradigme nomothétique, une connexion causale posée entre p
et q est interprétée comme un cas particulier subsumé par une loi, à savoir
comme l’instance d’une relation régulière entre une condition suffisante -
ou, selon le cas, nécessaire et suffisante - et ses conséquences. En fait, tant
la référence à une loi ou à une forme quelconque de régularité, que le statut
de la cause comme condition, si elles entrent tout naturellement dans le
discours épistémologique et dans l’analyse philosophique27, ne sont pas
problématisés dans l’expression naturelle de la cause. La raison est
probablement à chercher dans le fait que le discours épistémologique
privilégie le moment de la prévision fondée sur une loi, alors que le
discours naturel se limite à signaler la présence d’une relation de cause
posée entre deux faits contingents.
Prenons un exemple. Une expression comme :

5. La maison a brûlé à cause d’un court-circuit

est normalement comprise comme si elle contenait les informations


suivantes :

a) il y a eu effectivement un court-circuit
b) la maison a effectivement brûlé
c) le court circuit a fait que la maison brûle

26. La distinction entre un paradigme nomothétique, typique des sciences naturelles,


qui vise à isoler de grandes régularités, et un paradigme idiographique, typique des
sciences historiques, qui vise à comprendre des phénomènes individuels, remonte à
Windelband (1894 : 26) : « die Erfahrungswissenschaften suchen in der Erkenntniss des
Wirklichen entweder das Allgemeine in der Form des Naturgesetzes oder das Einzelne
in der geschichtlich bestimmten Gestalt […]. Die einen sind Gesetzeswissenschaften,
die anderen Ereignisswissenschaften ; jene lehren, was immer ist ; diese, was einmal
war. Das wissenschaftliche Denken ist – wenn man neue Kunstausdrücke bilden darf –
in dem einen Falle nomothetisch, in dem anderem idiographisch ».
27. Cf. par exemple Sosa (ed. 1975).
83

Des trois informations, c) est explicitement assertée, alors que a) et b) sont


implicitées28. Or, l’implicitation relative au caractère factuel de (a) et (b)
joue un rôle stratégique dans la structure du jugement causal, car elle réduit
sa portée à une dimension contingente : la relation de cause est attribuée à
deux faits qui se sont réellement produits. Si cela est vrai, il n’est ni
pragmatiquement pertinent ni nécessaire pour la mise en place d’une
relation causale cohérente de faire appel à une règle comme « chaque fois
que p se produit (il y a un court circuit dans une maison) q se produit aussi
(la maison brûle) ». Cette réticence met le jugement causal naturel à l’abri
d’une difficulté typique des définitions explicites de la causalité en termes
nomothétiques.
Si la causalité est définie sur la base d’une règle, en effet, un événement
comme p - le court circuit - ne peut être retenu comme cause de q - la
maison brûle - en dehors d’un concours de conditions concomitantes : par
exemple, le fait que la maison n’était pas entièrement en matériaux
ignifugés. Or, l’imprévisibilité des conditions concomitantes rend difficile
une définition à la fois générale et cohérente de cause en termes de
conditions, comme les philosophes savent bien29. Si l’on veut accorder au
lien causal la force d’une loi - si l’on prétend prévoir à quelle condition p
un événement du type q se reproduira - les conditions concomitantes
doivent être explicitées. Mais si l’on se limite à assigner une cause
contingente à un effet contingent, ces circonstances sont simplement
assumées telles qu’elles se sont présentées. C’est ainsi que l’usager
commun, à la différence du philosophe, contourne la difficulté. Du moment
que p et q se sont effectivement produits, pour pouvoir considérer p comme
condition suffisante de q, il suffit d’assumer la tautologie selon laquelle p
s’est produit dans les circonstances où il s’est effectivement produit.

28. L’implicitation n’est pas une relation empirique, portant sur la vérité factuelle de
certaines propositions, mais une relation éidétique, visant la cohérence de la connexion.
En effet, une relation cohérente de cause ne peut être envisagée que si les deux
événements qui la forment se sont effectivement produits.
29. Voir par exemple Scriven (1964 : 408), « Causes are not necessary, even
contingently so, they are not sufficient - but they are, to talk that language, contingently
sufficient [...] They are part of a set of conditions that does not guarantee the outcome,
and they are non-redundant in that the rest of this set [...] is not alone sufficient for the
outcome. It is not even true that they are relatively necessary, i. e., necessary with
regard to that set of conditions rather than the total circumstances of their occurrence,
for there may be several possible replacements for them which happen not to be present
[...] a cause is a factor from a set of possible factors the presence of one of which (any
one) is necessary in order that a set of conditions actually present may be sufficient for
the effect ».
84

Le but du raisonnement naturel, ce n’est donc pas de prévoir des


enchaînements de faits contingents possibles sur le fond d’une règle, mais
d’expliquer un enchaînement contingent donné. Le raisonnement naturel
est naturellement idiographique plutôt que nomothétique. Ce que nous
venons d’affirmer n’implique pas, cependant, que le discours naturel ne
mette jamais en question la régularité de la cause, ou sa nature de
condition. Cela implique simplement qu’il ne problématise ces aspects de
la relation causale que lorsque cette problématisation est pertinente du
point de vue discursif - donc non pas lorsque la relation causale a
effectivement lieu, mais lorsqu’elle entre en crise, ce qui arrive dans deux
cas : si la réalité de la cause est suspendue, ou si la relation de cause
échoue. Dans le premier cas, nous avons une relation conditionnelle ; dans
le second, une relation concessive. Le raisonnement conditionnel nous
oblige à creuser la relation entre cause et condition, alors que la structure
concessive trahit la confiance des sujets dans la régularité de certaines
relations causales. C’est pour cette raison qu’une analyse conceptuelle de
la relation de cause telle qu’elle figure dans le discours est inséparable de
l’étude des relations concessives et conditionnelles.

2.1. Le raisonnement hypothétique, ou la cause comme condition

Dans un raisonnement causal naturel, la cause est vue comme une


condition de facto suffisante. La question de savoir si cette condition est en
même temps nécessaire ne se pose même pas : dans la mesure où la cause
pertinente est la cause qui s’est effectivement produite, cela n’a pas
beaucoup de sens, aux yeux de l’usager de la langue, de se demander si une
autre cause aurait pu produire le même effet ou non. La question devient
pertinente, en revanche, dans le cas du raisonnement hypothétique.
Le raisonnement hypothétique naturel de forme si p, q peut être défini
comme la position d’une relation de cause non factuelle - d’une relation de
cause pour laquelle l’implicitation de la vérité de la prémisse est
suspendue. Une forme hypothétique comme S’il grêle, la vendange est
compromise, par exemple, pose une relation de cause entre la grêle et la
perte de la vendange, mais ne nous dit pas s’il va effectivement grêler ou
non.
Une fois que la factualité de la prémisse est suspendue - du moment où
nous ne savons pas si p se produira - il devient pertinent de se demander
non seulement ce qui peut se passer de façon cohérente au cas où p se
produirait, comme en présence d’une relation de cause, mais aussi ce qui
peut se passer au cas où p ne se produirait pas. Notamment, il est
85

raisonnable de se demander si, dans ce dernier cas, q n’est pas admis, ou


s’il est admis comme effet d’une cause différente de p. S’il grêle, par
exemple, la vendange est compromise. Mais supposons qu’il ne grêle pas,
et qu’en même temps il pleuve pendant trois semaines : quelle conséquence
sommes-nous prêts à accepter comme cohérente avec l’affirmation que S’il
grêle, la vendange est compromise ? Plus particulièrement, sommes-nous
prêts à accepter que la pluie puisse elle aussi compromettre la vendange ?
Cela revient à se demander si p – la grêle - se donne comme condition
nécessaire et suffisante ou plus simplement comme une condition
suffisante parmi d’autres de q : la perte de la vendange30. Une structure
conditionnelle ne peut être utilisée de façon cohérente que si cette question
reçoit une réponse dans un sens ou dans l’autre. Et c’est au moment de
donner cette réponse que le chemin du logicien et le chemin de l’usager
commun de la langue se séparent.
Le logicien est obligé de donner a priori une réponse tranchée, qui doit
valoir une fois pour toutes. Du point de vue du logicien, la sémantique
d’une relation conditionnelle de forme si p, q, ou implication matérielle, est
claire : dans le cas où p ne se produit pas, q peut indifféremment avoir lieu
ou ne pas avoir lieu. D’une prémisse fausse on peut tirer n’importe quelle
conclusion. En d’autres termes, la prémisse p se donne comme condition
suffisante mais non nécessaire. Pour que la prémisse p soit promue au rang
de condition nécessaire et suffisante, il faut envisager une structure de
l’expression différente, à savoir l’implication double : q si et seulement si
p. Dans ce cas, on ne peut pas admettre de façon cohérente que q ait lieu en
l’absence de p.
Pour sauvegarder la cohérence de sa définition générale, le logicien doit
non seulement établir une distinction tranchée entre la notion de condition
suffisante, illustrée par l’implication matérielle, et la notion de condition
nécessaire et suffisante, illustrée par l’implication double. Il doit en plus
dissocier la notion de condition de toute référence à la notion de cause telle
qu’elle se présente dans le raisonnement naturel. L’implication se réduit de
cette façon à une relation vide de contenu entre valeurs de vérité, dont la
cohérence formelle n’est tenue de se doubler ni d’une cohérence
conceptuelle ni d’une cohérence textuelle et discursive. C’est à ce prix
seulement qu’une relation d’implication aussi insensée sur le plan
conceptuel et dépourvue de pertinence pragmatique sur le plan discursif
que Si les melons sont des mammifères la terre est une planète peut être

30. Une condition nécessaire mais non suffisante ne semble pas entrer en ligne de
compte dans le discours naturel, car elle n’a de conséquence qu’en conjonction avec
une cause (quasi) suffisante.
86

tenue pour vraie. Du point de vue du logicien, un raisonnement qui d’une


prémisse fausse conclut à une conséquence vraie est vrai dans tous les cas.
Le raisonnement conditionnel naturel s’éloigne du paradigme logique
sur tous ces points. En premier lieu, le raisonnement conditionnel naturel
ne dispose pas d’une notion de condition indépendante du concept de
cause. Pour l’usager de la langue, la relation conditionnelle présente un
contenu conceptuel aussi positif que la cause : la condition est une cause
non factuelle. Sur cette prémisse, un usager commun considère comme
raisonnable une relation conditionnelle comme S’il grêle, la vendange est
compromise, alors qu’il trouve tout à fait dépourvu de sens un énoncé
comme Si les melons sont des mammifères la terre est une planète, tenu
pour vrai par un logicien. La raison en est évidente : l’usager de la langue
voit une relation de cause entre la grêle et la ruine de la vendange mais il
ne voit aucune relation conceptuelle pertinente entre la classification des
melons et la nature de la terre.
Ensuite, le raisonnement conditionnel naturel ne se soucie pas de savoir
a priori si la condition, qui pour lui est une cause suspendue, est nécessaire
et suffisante ou simplement suffisante - si l’absence de la cause entraîne
forcément l’absence de l’effet, ou si l’effet peut se produire grâce à
d’autres causes non envisagées. L’alternative n’est pas résolue a priori
mais au cas par cas, sur le terrain.
Indépendamment de sa cohérence sur le plan conceptuel, finalement,
l’énonciation d’une relation conditionnelle se présente comme
pragmatiquement pertinente sur le plan discursif. Face à un énoncé comme
S’il grêle, la vendange est compromise, par exemple, serait-il
pragmatiquement pertinent, et donc cohérent du point de vue de l’acte
discursif, d’admettre a priori que s’il ne grêle pas cela ne dit strictement
rien de la réussite de la vendange, car d’autres causes pourraient aussi bien
en provoquer la perte, comme le veut la logique de l’implication
matérielle ?
Si nous voulons décrire le raisonnement conditionnel naturel nous ne
pouvons pas ignorer ces différences, et notamment la dernière, car il n’y a
qu’un critère pour définir un concept naturel, à savoir son emploi effectif,
qui n’est pas tenu de se conformer a priori au standard des concepts
artificiels31.

31. Sur ces prémisses, il n’est pas étonnant que toute tentative de définir le concept
naturel de cause en termes de conditions soit vouée à la contradiction. Le concept de
cause, qui est parfaitement cohérent si ses conditions d’emploi appropriées sont
évaluées dans chaque cas par un usager intelligent, devient incohérent si l’on prétend lui
imposer une définition rigide, à la portée d’une machine. Cfr. Sosa (1975 : 19).
87

Au lieu de les affronter, l’usager commun dissout pratiquement les


difficultés logiques qui rendent vaine toute tentative de définition
cohérente de la notion de cause comme condition en se situant en amont de
la bifurcation entre condition nécessaire et suffisante, prêt à juger chaque
cas particulier d’une façon flexible, et à construire dans chaque cas ses
conditions de cohérence. Quelquefois, le raisonnement conditionnel est
cohérent à condition que la cause soit une condition suffisante ; d’autres
fois, à condition qu’elle soit une condition nécessaire et suffisante. De plus,
pour des raisons de pertinence pragmatique, la conception de la cause
comme condition suffisante et comme condition nécessaire et suffisante ne
sont pas placées sur le même plan. Pour un locuteur commun, une cause
pragmatiquement pertinente est, en première instance, une condition
nécessaire et suffisante, et c’est seulement s’il est contraint de le faire qu’il
admet de considérer une condition, dans des circonstances particulières,
comme étant simplement suffisante.
Revenons à notre exemple. Un paysan regarde le ciel noir d’un air
préoccupé et affirme : S’il grêle, la vendange est compromise. L’énoncé
serait normalement interprété comme impliquant que S’il ne grêle pas, la
vendange ne sera pas compromise, et donc comme posant une condition
nécessaire et suffisante. Plus généralement, en l’absence d’obstacles
spécifiques émanant du contexte, une construction hypothétique est
interprétée en première instance comme si la cause non factuelle était une
condition nécessaire et suffisante.
Du fait même qu’elle a été thématisée et énoncée, une condition est
rehaussée de son statut de simple cause parmi d’autres et promue au statut
de cause contextuellement pertinente et saillante. Dans le cas contraire, si
d’autres causes possibles étaient tenues comme efficaces en même temps,
l’énonciation du raisonnement conditionnel perdrait beaucoup de sa
pertinence. Si un locuteur aux intentions sérieuses parle de la grêle comme
condition, la cohérence de l’acte d’énonciation demande d’accorder à cette
cause possible un statut au moins privilégié, sinon exclusif. Pourquoi
accorder à la grêle le privilège et le relief d’être énoncée si l’on pense en

Anscombe (1975) considère que la notion de cause est un primitif conceptuel qui ne
peut pas être analysé – une idée partagée dans le domaine de la sémantique linguistique
par Wierzbiecka (1996 : 186-188). Le fait que la notion de cause ne puisse pas être
définie explicitement et de façon cohérente en termes de conditions, cependant,
n’implique pas que le concept naturel de cause ne puisse pas être décrit dans son
fonctionnement réel dans le discours. Le concept naturel de cause échappe à la
contradiction non pas parce qu’il la résout, mais parce qu’il dissout les conditions
conceptuelles qui la produisent.
88

même temps que ce n’est qu’une cause parmi d’autres, et que d’autres
causes pourraient aussi bien provoquer l’effet envisagé ?
L’aspect le plus remarquable du raisonnement hypothétique naturel est
le fait que sa cohérence n’est à chercher ni au niveau des valeurs de vérité,
comme dans l’implication matérielle de la logique, ni seulement dans la
pertinence d’une relation de cause entre les procès reliés, mais dans l’acte
même d’énonciation. Par-delà la cohérence de la relation sur le plan
conceptuel, un acte d’énonciation n’est cohérent que s’il communique un
contenu reçu comme informatif, et donc non tautologique. Or, affirmer que
p est une condition de q - que la grêle est une condition de la perte de la
vendange - en impliquant en même temps que q peut suivre non-p aussi
bien que p – que la perte de la vendange peut se produire en l’absence de la
grêle aussi bien qu’en sa présence - revient pragmatiquement à une
tautologie32. C’est pour ce genre de raisons, liées essentiellement à la
cohérence de l’acte d’énonciation, que le conditionnel simple utilisé dans
le discours naturel véhicule un implicite de biconditionnalité - S’il ne grêle
pas, la vendange n’est pas compromise – qui sauvegarde la cohérence de
son énonciation à condition de s’éloigner de la logique de l’implication
matérielle pour s’approcher de l’implication double.

32. Dans le discours naturel, la qualité de l’acte de parole – et notamment son


caractère d’acte cohérent ou contradictoire - n’est pas directement lié à la qualité
logique des contenus énoncés. Il y a trois points à souligner à ce propos (Cf. Prandi
1994). En premier lieu, l’énonciation d’une tautologie se donne au premier abord
comme un acte tout aussi contradictoire que l’énonciation d’une contradiction. Si les
logiciens insistent à juste titre sur le caractère autocontradictoire de l’acte d’énoncer une
contradiction – « a man who contradicts himself [...]utters words, but does not say
anything » (Strawson 1952 : Ch. I) – Hegel souligne à juste titre que l’énonciation
d’une tautologie revient au même : si quelqu’un énonce une tautologie comme La
plante est une plante « Il se produit le contraire de ce à quoi on s’attendait : au lieu de
quelque chose, on se trouve en présence du Néant. Ce verbiage qui ne dépasse pas
l’identité est donc en contradiction avec lui-même » (G. W. F. Hegel, Wissenshaft der
Logik, Nuremberg. Réimprimé in Hegel, Gesammelte Werke, XI, Hambourg, 1978. Tr.
fr. Science de la Logique, Paris 1949). Ensuite, même l’énonciation d’un énoncé
synthétique, non contradictoire et vrai – Un carré a quatre côtés – produit un acte
d’énonciation incohérent si son contenu ne trouve pas sa place dans l’enchaînement
thématique d’un discours suivi. Finalement, l’énonciation d’une tautologie aussi bien
que d’une contradiction recouvre la cohérence si les expressions admettent d’être
interprétées de façon à donner une contribution respectivement informative et cohérente
au discours. Cela prouve que la cohérence d’un acte d’énonciation, à la différence de la
cohérence d’un contenu d’énoncé, se mesure sur le champ en fonction des buts de la
communication et ne peut pas être prévue d’après les standards sémantiques des
expressions engagées. Le comportement des conditionnels naturels n’est qu’un cas
particulier de cette règle générale.
89

Cela dit, nos remarques ne concernent qu’un volet, quoique essentiel, du


raisonnement hypothétique naturel. Pour saisir le phénomène dans toute sa
complexité, il y a un autre aspect à examiner.
Imaginons maintenant une affirmation comme la suivante : S’il grêle, la
vendange est compromise, mais il ne faut pas oublier la sécheresse non
plus. Une affirmation de ce genre n’est certainement pas tenue pour
incohérente, car l’utilisation de la forme conditionnelle simple, si elle
encourage l’implicite de biconditionnalité, n’engage le locuteur que sur les
conséquences de la grêle. Le destinataire du message, à son tour, n’a pas le
sentiment qu’on lui a adressé une affirmation contradictoire. Plus
simplement, il est prêt à laisser tomber l’implicite de biconditionnalité,
pour s’aligner sur la sémantique de l’implication matérielle : S’il ne grêle
pas, la vendange peut être compromise pour d’autres raisons. La cause
thématisée – la grêle – envisagée en première instance comme condition
nécessaire et suffisante, se révèle après coup comme une condition
suffisante mais non nécessaire. Cela montre que le raisonnement
conditionnel naturel admet d’être interprété comme posant une condition
simplement suffisante, et comme telle interchangeable avec d’autres
conditions suffisantes que le locuteur n’avait pas thématisées, mais qu’il
n’avait pas explicitement exclues non plus.
Une expression qui serait à coup sûr reçue comme contradictoire dans
les mêmes conditions serait en revanche une expression qui code
explicitement le caractère nécessaire et suffisant de la cause : par exemple,
La vendange sera compromise seulement s’il grêle, mais il ne faut pas
oublier la sécheresse non plus. Comme en présence de l’implication
double de la logique formelle, le locuteur ne se limite pas dans ce cas à
envisager une condition censée être suffisante parmi d’autres, mais
s’engage à exclure que d’autres conditions puissent être suffisantes33. Si
l’expression ouvre en même temps à d’autres causes possibles, la
contradiction est donc inévitable.
L’implicite de biconditionnalité, selon lequel la cause pertinente est à la
fois nécessaire et suffisante, est donc codé comme une composante
irrévocable de son contenu dans la structure même du conditionnel double
- La vendange sera compromise seulement s’il grêle - alors qu’il est

33. L’implicite de biconditionnalité est particulièrement fort lorsque des conditions


sont posées sur des actions du sujet de l’énonciation lui-même, et que, par conséquent,
le sujet s’engage sur sa décision, et non seulement sur une prévision. Imaginons un père
qui dit à son fils : Si tu termines tes devoirs, tu iras au cinéma. Dans un contexte
normal, l’énonciation n’aurait aucun sens si elle ne contenait pas le pendant implicite Si
tu ne termines pas tes devoirs, tu n’iras pas au cinéma.
90

suggéré avec force, mais seulement suggéré, dans le conditionnel simple :


S’il grêle, la vendange sera compromise. Techniquement, il se réalise
comme une implicature conventionnelle dans le conditionnel double, et
comme une inférence sollicitée dans le simple conditionnel.
L’implicature conventionnelle est une composante du message qui est en
même temps implicite, non assertée, et codée par l’expression. Comme
l’écrit Grice (1975 : 44), « In some cases the conventional meaning of the
words used will determine what is implicated, besides helping to determine
what is said ».
L’inférence sollicitée (Geis, Zwicky 1971 : 562) est également une
composante implicite, non assertée du message, mais n’est pas codée par
l’expression. L’inférence sollicitée surgit spontanément de l’emploi d’une
expression, et se présente au premier abord comme si elle faisait partie de
son contenu codé. Mais à la différence d’une implicature conventionnelle,
l’inférence sollicitée est négociable avec les données contextuelles.
En cas de conflit, l’implicature conventionnelle entre en contradiction
avec le contexte. C’est ce qui se passe dans le conditionnel double : si
quelqu’un dit La vendange sera compromise seulement s’il grêle, il n’est
pas cohérent d’admettre que la vendange peut être compromise par la pluie
ou par la sécheresse.
L’inférence sollicitée, au contraire, est prête à se retirer, pour faire place
à une option alternative si des circonstances collatérales la falsifient. C’est
ce qui arrive dans le conditionnel simple : si quelqu’un dit S’il grêle, la
vendange est compromise, il est tout à fait cohérent d’admettre qu’il ne
grêle pas et que la vendange puisse être compromise par la pluie ou par la
sécheresse34.
Des deux formes d’implicite discursif, c’est certainement l’inférence
sollicitée qui est la plus révélatrice en vue d’une définition du concept
naturel de cause. Sur la base du raisonnement conditionnel, en effet, un
concept de cause pragmatiquement pertinent se présente en première
instance comme une condition nécessaire et suffisante. Si cette hypothèse
n’est pas compatible avec les données contextuelles, cependant, on est prêt
à envisager la cause comme une condition seulement suffisante.

2.2. La concession ou la problématisation de la règle

34. Ceteris paribus, la perspective communicative influe sur l’intensité de


l’inférence sollicitée. Si une condition est focalisée, notamment, il devient plus difficile
de désactiver l’inférence sollicitée : Tu iras au cinéma si tu termines tes devoirs.
91

La relation concessive est une structure conceptuelle intrinsèquement


antiphrastique. La forme la plus typique de la relation concessive peut être
définie, en gros, comme le constat qu’un enchaînement donné entre deux
procès ayant effectivement eu lieu transgresse une attente relative à une
connexion régulière d’ordre causal. Un énoncé comme Malgré la pluie, la
campagne est sèche, par exemple, n’est interprétable de façon cohérente
que s’il contient comme composante implicite du message l’idée qu’une
relation régulière et attendue de cause à effet entre la pluie et l’absence de
sécheresse a été frustrée.
L’observation de la relation concessive permet de tirer, au sujet de la
cause, deux conlusions complémentaires.
D’une part, la présence dans la relation concessive d’un implicite de
cause frustrée ne se justifie qu’en présence d’une présomption relative à la
régularité de la relation de cause : l’effet est attendu en présence de la
cause, qui est considérée de ce fait, en première instance, comme une
condition suffisante non seulement contingente, valable dans des
circonstances donnée, mais généralisée. La concession fait ainsi affleurer
un côté nomothétique qui est présent et actif dans notre attitude naturelle
envers la cause, mais qui demeure caché dans son expression directe.
En même temps, nous sommes prêts à laisser tomber la présomption de
régularité si seulement un concours de circonstances inattendu empêche la
relation causale attendue de se produire. Encore une fois, on dirait que
l’usager de la langue se trouve en contradiction, car il tient la règle en
même temps comme valable et falsifiable. En fait, l’usager de la langue
évite la contradiction en se plaçant en amont de la bifurcation.
En présence d’une prémisse p, l’attente du sujet est orientée vers l’effet
q, régulier et donc attendu. Mais si q ne se produit pas, il accepte cette
issue sans que sa confiance en la règle soit compromise. Le régime
d’inférence sollicitée confère au concept de cause une grande flexibilité,
qui permet de lui attribuer une certaine régularité tout en admettant des
falsifications par l’expérience. C’est ainsi que la cause peut être traitée de
condition suffisante même si à la rigueur une cause n’est une condition
suffisante qu’en conjonction avec un ensemble de circonstances
concomitantes que la règle ne peut pas prévoir. En d’autres mots, une
condition qui est suffisante dans des conditions typiques est retenue comme
suffisante en général, sauf à admettre, comme autant de cas marginaux, les
cas où les circonstances ne sont pas typiques.

Si cette conclusion est associée aux suggestions tirées de l’analyse de la


relation conditionnelle, l’idée naturelle de cause peut finalement être
circonscrite : il s’agit d’une condition qui a tendance à être retenue en
92

première instance comme nécessaire et suffisante, le cas échéant comme


seulement suffisante, et qui, dans des circonstances exceptionnelles, peut
même s’avérer être non suffisante.
Cela implique bien sûr que le concept de cause a une structure flexible et
stratifiée, ouverte à une hiérarchie d’options sollicitées ou simplement
admises. La présence d’une telle hiérarchie d’attentes dans le concept est
cohérente avec le fait que le concept de cause, comme les concepts naturels
en général, adapte sa structure à la façon de penser de ses usagers, qui sont
en fait des êtres humains intelligents capables de juger et de choisir dans
chaque cas la proportion idéale entre la capacité de prédiction d’une
catégorie et les circonstances variables de l’emploi. Cela montre, entre
parenthèses, que le sujet d’un raisonnement qui applique des concepts aux
faits est le même qui prend ses décisions lors de son comportement
pratique.

3. LES MOTIFS : ACTION ET DECISION

L’homme est le principe des actions (Aristote)

La première bifurcation que nous rencontrons sur le chemin vers la


finalité est la distinction entre la cause et les motifs. A la source de cette
distinction se trouve l’action d’un sujet libre et responsable.
Une cause est un événement qui se produit dans le monde des
phénomènes et qui produit comme effet un événement, en principe avec
une certaine régularité.
Un motif est soit un événement ou une action, soit le contenu d’une
prévision ou d’une intention, qui pousse un sujet libre et responsable de ses
décisions à accomplir une action.
Etant donné une structure ambivalente q parce que p, donc, si p est un
motif, q est nécessairement une action, alors que si p est une cause, q est un
événement. Le sujet est essentiellement un spectateur vis-à-vis des chaînes
causales, alors qu’il se porte en acteur dans le domaine de la motivation :
inspiré par des événements indépendants, constatés ou prévus, ou
directement par ses propres projets, il prend des décisions.
Nous avons déjà remarqué que la différence conceptuelle entre cause et
motifs n’est pas ouvertement codée dans la phrase complexe par l’emploi
de connecteurs spécialisés :

1. La route est inondée parce qu’il y a eu un orage


2. Luc a puni son fils parce qu’il n’a pas fait ses devoirs
93

3. J’ai pris un parapluie parce qu’il va pleuvoir


4. J’ai pris un parapluie parce que je veux sortir

Tout en exprimant le motif d’une action, la phrase complexe (2) a la même


structure que la phrase complexe (1), qui exprime une relation de cause
entre deux phénomènes. La distinction entre le motif et la cause n’y est pas
immédiatement visible. En (3), une première différence saute aux yeux : le
motif n’est pas un événement du passé mais un événement prévu dans le
futur. En (4), finalement, la présence du verbe vouloir nous signale que le
motif ne se situe pas seulement dans le futur ; il coïncide, en plus, avec une
intention du sujet.
La relation entre l’intention d’un sujet et son action, et la structure des
relations temporelles fournissent les clés conceptuelles pour accéder à une
explicitation de la « barrière logique » (Taylor) qui sépare les motifs des
causes.

3.1. Motif et action

Si la structure d’une phrase complexe typique tend à cacher la différence


entre cause et motifs, il suffit de chercher ailleurs pour la faire affleurer.
Plus particulièrement, il suffit de faire varier l’expression, valorisant le
riche éventail de moyens linguistiques disponibles, dont chacun permet
d’illuminer un aspect pertinent de la causalité et de la motivation. Notre
premier pas à la recherche des bases conceptuelles de la motivation
consistera donc a déplacer l’analyse du cadre grammatical de la phrase
complexe à la dimension textuelle.
L’expression de la cause et celle du motif peuvent être détachées de la
phrase qui construit le procès principal, et réintégrées dans le procès
complexe à l’aide de structures relevant de la cohésion textuelle.
L’avantage des structures d’ordre textuel pour l’étude des relations
transphrastiques réside dans le fait que les premières et les secondes sont
régies par un même critère, celui de la cohérence entre les concepts. Les
restructurations grâce à des formes suppléantes, en particulier, sont
nettement différenciées pour l’expression des causes et des motifs du fait
que les conditions de cohérence des premières sont différentes de celles des
seconds.
L’expression de la cause peut être détachée de l’événement principal -
de l’effet - et réintégrée à l’aide d’une reprise anaphorique du procès
principal – cela, cet événement - et d’un verbe comme se passer ou se
produire :
94

1. La maison a brûlé parce qu’il y a eu un court-circuit


1a. La maison a brûlé. Cela s’est produit parce qu’il y a eu un court-circuit.

Appliquée à la relation entre motif et action, une telle reformulation


apparaît peut-être comme interprétable aux yeux d’un interlocuteur
coopératif, mais n’est pas cohérente sur le plan conceptuel35 :

2. Luc a puni son fils parce qu’il n’a pas fait ses devoirs
2a. Luc a puni son fils. *Cela s’est produit parce qu’il n’a pas fait ses devoirs
3. J’ai pris un parapluie parce qu’il va pleuvoir
3a. J’ai pris un parapluie. *Cela s’est produit parce qu’il va pleuvoir
4. J’ai pris un parapluie parce que je veux sortir
4a. J’ai pris un parapluie. *Cela s’est produit parce que je veux sortir
6. J’ai creusé une rigole parce que je veux que l’eau s’écoule du jardin
6a. J’ai creusé une rigole. *Cela s’est produit parce que je veux que l’eau
s’écoule du jardin

A première vue, on dirait que la reformulation est incohérente parce que


la reprise holistique du procès principal effectuée par cela efface les
propriétés qualifiantes du procès antécédent, qui pour être compatible avec
l’expression d’un motif doit être nécessairement une action accomplie par
un sujet responsable de ses décisions. Cette remarque nous suggère que
pour restructurer l’expression d’un motif il faut utiliser une forme
anaphorique capable de reprendre une action, et donc une reprise capable
de conserver les caractères qualifiants de l’action. Or, la seule reprise
cohérente d’une action est une reprise qui contient le verbe faire. Faire
n’est pas seulement l’hyperonyme des verbes d’action, et donc le plus
générique d’entre eux ; il est aussi le support prototypique des noms
d’action. De ce fait, il permet de construire des prédicats d’action
génériques - le faire, faire cela, faire cette action, par exemple - qui sont en
mesure à la fois de reprendre anaphoriquement un prédicat d’action,
d’hériter son sujet ou de prendre une reprise anaphorique de celui-ci, et de
réintégrer dans le procès antécédent tout rôle marginal cohérent avec une
action, et notamment les motifs :

2. Luc a puni son fils parce qu’il n’a pas fait ses devoirs
2b. Luc a puni son fils. Il l’a fait parce que celui-ci n’a pas fait ses devoirs
3. J’ai pris un parapluie parce qu’il va pleuvoir
3b. J’ai pris un parapluie. Je l’ai fait parce qu’il va pleuvoir

35. L’astérisque (*) n’est donc pas à interpréter comme signe d’agrammaticalité,
mais comme signe d’incohérence conceptuelle.
95

4. J’ai pris un parapluie parce que je veux sortir


4b. J’ai pris un parapluie. Je l’ai fait parce que je veux sortir
6. J’ai creusé une rigole parce que je veux que l’eau s’écoule du jardin
6b. J’ai creusé une rigole. Je l’ai fait parce que je veux que l’eau s’écoule du
jardin

Le comportement différent de la cause et du motif avec les pro-formes


suggère deux ordres de réflexions.
La première réflexion est d’ordre structural, et porte sur la position
différente de la cause et du motif dans la structure du procès complexe et,
par conséquent, sur leur position différente dans la structure de la phrase
complexe (§ 2.1.1).
La seconde est d’ordre conceptuel, et porte à la fois sur la nature du
procès principal et de son sujet (§ 2.1.2).

3.1.1. Cause et motif dans la phrase complexe :


marges externes et marges internes du procès principal

Dans la tournure en se produire, le procès principal est repris en bloc par


un pronom anaphorique ou par un nom prédicatif accompagné d’un
déterminant anaphorique - par exemple cela ou cet événement.
Le pronom et l’expression nominale anaphorique fonctionnent tous les
deux comme sujets du verbe se produire, qui, en tant que verbe support
approprié des noms prédicatifs d’événements, catégorise comme un
événement l’antécédent de son sujet. La reprise anaphorique, en outre,
remplace le procès antécédent comme un tout. De ce fait, elle neutralise sa
structure interne, et le traite comme un procès désormais saturé et clos, qui
n’est plus disponible pour accueillir des déterminations internes. Sur ces
prémisses, une expression qui accepte de se greffer sur une reprise comme
Cela (s’est produit) présente deux propriétés : elle est indifférente aux
propriétés conceptuelles qualifiantes du procès principal, et encadre de
l’extérieur un procès désormais clos.
Le comportement de l’expression de la cause répond parfaitement à ces
conditions. D’une part, tout genre de procès peut avoir une cause ; de ce
fait, il n’est pas nécessaire d’en savoir beaucoup sur les propriétés
spécifiques d’un procès pour lui attribuer une cause. De l’autre, la cause ne
fait pas partie de la structure interne de l’effet. Au contraire, l’attribution
d’une cause à un procès présuppose que sa construction est désormais
accomplie - que sa structure interne est close.
Réciproquement, le fait que l’expression du motif refuse la reprise en se
produire suggère non seulement que le motif est sensible à la nature du
96

procès antécédent, parce qu’il refuse une reprise effaçant ses propriétés
conceptuelles qualifiantes, mais aussi qu’il est interne à sa structure, et
donc incompatible avec une reprise qui traite l’antécédent comme un
procès déjà clos. Ces intuitions sont confirmées par les propriétés du pro-
prédicat le faire.
Dans la tournure en faire, un prédicat générique - le faire, faire cela -
reprend un prédicat plus spécifique : par exemple, creuser une rigole. La
reprise neutralise la structure interne du prédicat antécédent, liée à la
valence du verbe spécifique remplacé, mais préserve à la fois les aspects
pertinents du contenu conceptuel du procès – il s’agit d’une action - et son
articulation interne en sujet et prédicat. La première propriété de la reprise
est cohérente avec le fait qu’un motif s’associe à toute action,
indépendamment de la structure interne de celle-ci. La seconde est
cohérente avec le fait qu’un motif ne peut pas être assimilé, comme la
cause, à une circonstance encadrant un procès de l’extérieur, mais trouve sa
place à l’intérieur du procès, aux marges du prédicat.
Le fait que le pro-prédicat le faire neutralise la structure interne du
prédicat antécédent l’empêche en même temps d’accueillir les
compléments et les propositions complétives, dont la spécification
demande la présence du terme prédicatif même qui les contrôle. Un bon
exemple de ce comportement est fourni par un groupe de propositions
complétives qui sont régies par des verbes qui dénotent des actions
finalisées et reçoivent, de ce fait, un contenu final au sens large :

6. Je me suis efforcé de terminer mon article


6a. Je me suis efforcé. *Je l’ai fait de terminer mon article
7. Je te conseille de terminer ton article.
7a. Je te conseille. *Je le fais de terminer ton article.
8. Je te donne le conseil de terminer ton article
8a. Je te donne le conseil. *Je le fais de terminer ton article
9. Luc a poussé Jean à terminer son article
9a. Luc a poussé Jean. *Il l’a fait à terminer son article

Si ces propositions ne se laissent pas couper et reprendre par un pro-


prédicat, c’est parce qu’elles font partie de ce même noyau essentiel du
prédicat, formé par le terme prédicatif principal et ses compléments, que le
substitut anaphorique est censé reprendre.
Nous nous pencherons dans le prochain chapitre (§ 3.3) sur les actions
intrinsèquement finalisées, qui prennent l’expression du but comme
argument. Mais il y a là un point qui touche à notre sujet : la compatibilité
avec les formes suppléantes est un critère sûr tant pour discriminer les
97

relations complétives des relations non complétives, que pour tracer des
distinctions pertinentes à l’intérieur des formes non complétives.
D’une part, les propositions complétives ne se laissent pas spécifier en
dehors du noyau du procès, comme le montrent les exemples (6) à (9).
De l’autre, les propositions non complétives peuvent être différenciées
sur la base de la forme de reprise qu’elles acceptent : le substitut
d’événement sujet de se produire, ou le proprédicat le faire respectivement.
Du fait qu’ils se laissent couper du procès principal, le motif et la cause
se qualifient en bloc comme des expressions non complétives :

1. La maison a brûlé parce qu’il y a eu un court-circuit


1a. La maison a brûlé. Cela s’est produit parce qu’il y a eu un court-circuit.
2. Luc a puni son fils parce qu’il n’a pas fait ses devoirs
2a. Luc a puni son fils. *Cela s’est produit parce qu’il n’a pas fait ses devoirs
2b. Luc a puni son fils. Il l’a fait parce que celui-ci n’a pas fait ses devoirs

Cependant, la propriété de ne pas faire partie du noyau essentiel d’un


procès comme proposition complétive n’est pas une propriété positive,
capable de circonscrire un ensemble homogène de fonctions, mais une
propriété purement négative, qui ne garantit pas l’homogénéité des
fonctions qui la partagent. En particulier, le fait que les motifs et la cause
ne sont pas des relations complétives ne nous autorise pas à conclure
qu’elles appartiennent à une même catégorie de fonctions. C’est à ce point
que les propriétés des formes suppléantes viennent à notre secours.
Les relations non complétives ne se laissent pas détacher aux mêmes
conditions. Il y a en a qui, comme la cause de l’exemple (1), peuvent
s’enchaîner à se produire, alors que d’autres, comme le motif de l’exemple
(2), n’acceptent que le faire. D’après notre analyse, cette différence de
comportement à l’égard des proformes signale une différence de position à
l’égard du procès principal.
Il y a des relations non complétives qui relient un procès à des
circonstances externes sans influencer sa structure interne, et il y en a
d’autres qui, tout en n’étant pas complétives, se situent à l’intérieur du
procès, et relient le noyau d’un prédicat d’action à un élément marginal de
ce même prédicat. En d’autres termes, non complétif n’est pas synonyme
de circonstanciel, comme la terminologie traditionnelle de la description
grammaticale semble impliquer. En fait, une véritable circonstance est une
détermination qui encadre de l’extérieur un procès désormais clos, et donc
fermé à toute détermination interne. Mais on ne peut pas assimiler aux
circonstanciels des déterminations comme les motifs qui, tout en n’étant
pas essentielles à la structure d’un procès, se situent aux marges du
prédicat, et donc à l’intérieur d’une action.
98

3.1.2. Les conditions conceptuelles du motif :


l’action, le sujet, la décision

La reformulation avec se passer catégorise l’antécédent comme un


événement : un événement est quelque chose qui se passe. En même temps
qu’il reprend un événement, le sujet de se passer neutralise la structure
interne de l’antécédent, qui par ailleurs n’est pas pertinente pour la
cohérence de la relation de cause.
La reformulation avec le pro-prédicat le faire, au contraire, catégorise le
procès antécédent comme action: une action est quelque chose qui est fait
par un agent. La reformulation avec le pro-prédicat le faire sauvegarde
donc à la fois le statut d’action du prédicat et l’identité conceptuelle du
sujet comme agent, dont la présence et le profil conceptuel sont essentiels
pour la relation de motif. Entre la cause et l’effet, il y a une loi
impersonnelle ; entre le motif et l’action, il y a un sujet qui prend une
décision. A la différence d’une cause, un motif ne vaut comme motif que
s’il entraîne la décision d’agir d’un sujet - ce moment qu’Aristote, avec une
métaphore suggestive tirée de la vie de la polis, appelle « délibération »
(Nicom. III 3).
La présence d’une délibération du sujet coupe l’enchaînement
mécanique des causes et des effets. Cela ne signifie pas qu’on ne peut pas
raisonnablement prévoir certaines actions des sujets à partir de certaines
prémisses sur la base d’attentes standardisées. La relation concessive, ce
révélateur des attentes partagées, peut être appliquée sans incohérence tant
à la relation entre causes et effets qu’à celle entre motifs et actions, ce qui
montre que le comportement des sujets peut faire l’objet d’attentes de la
part d’autres sujets aussi bien que l’enchaînement des phénomènes
naturels, et que ces attentes peuvent être frustrées dans les deux cas :

7. Bien que je lui aie écrit trois lettres, Jean ne m’a pas répondu
8. Même s’il a perdu son travail, Julien n’a pas limité ses dépenses

Cela dit, il est clair que l’antécédent d’une action n’est pas l’action ou
l’événement qui la provoque matériellement, mais la décision du sujet de
reconnaître dans cet événement ou dans cette action un motif pour agir.
Au moment de décider, le sujet évalue des faits passés - Je te punis
parce que tu n’a pas fait tes devoirs - ou prévoit des événements futurs - Je
reste à la maison parce qu’il va pleuvoir - ou encore il projette une action
ou un événement dans le futur : Je me suis habillé parce que je veux sortir ;
99

J’ai creusé une rigole parce que je veux que l’eau s’écoule du jardin.
Aucun des procès évalués, prévus ou projetés n’est un motif en dehors de
la décision de l’agent. Il n’y a pas de motifs en soi et pour soi - il n’existe
de motif que s’il y a des décisions des sujets. Si une action doit être
comprise et expliquée par ses motifs, le foyer doit par conséquent se
déplacer de l’antécédent en soi - de l’événement externe qui, comme une
cause, provoquerait l’action - au mécanisme décisionnel interne au sujet
qui change l’événement externe en motif.
Dans ce cadre, tout l’arsenal conceptuel créé pour l’analyse du concept
de cause perd son sens. L’enchaînement des motifs et des actions se
soustrait à tout caractère nomothétique : la décision d’un sujet peut
répondre à des tendances statistiques mais n’est jamais, par définition,
l’instance d’une règle. En présence d’une évaluation et d’une décision, il
est contradictoire de parler de conditions suffisantes ou nécessaires et
suffisantes de l’action. Pour parler des motifs sans tomber dans
l’incohérence, il faut donc sortir du domaine des conditions pour s’installer
dans une constellation de concepts étrangers à l’idée de cause, tels que
décision, liberté, responsabilité, conscience. Cette constellation de
concepts, que nous utilisons pour la description cohérentes de la
motivation, coïncide essentiellement avec les termes prédicatifs dont notre
recherche se propose d’étudier la distribution.

3.2. Digression : le motif du dire et de la pensée

Un cas spécial de motivation se connecte à une action toute particulière :


l’action de dire ou de penser. Etant donné une structure comme

7. Jean est sorti, parce que le garage est vide

le fait que le garage soit vide n’est pas le motif pour lequel Jean est sorti,
mais le motif pour lequel le sujet de l’énonciation pense et dit que Jean est
sorti.
La présence de structures linguistiques vouées à l’expression du motif de
l’action de dire avait été signalée par le Groupe l-l (1975) et par Danes
(1985). La catégorie du motif du dire a été ensuite analysée d’une façon
plus fine par Sweetster (1990 : Ch. 4) et plus récemment par Verstraete
(1998 ; 1999), qui approfondit les implications linguistiques de la
distinction. A côté d’exemples comme (7), qui décrivent un acte
d’inférence accompli par le locuteur, nous trouvons des exemples comme
100

(7a), qui énoncent le motif amenant le sujet à accomplir l’acte de parole


lui-même :

7a. Jean est sorti, puisque tu veux le savoir

Selon Verstraete (1999 : 120-123), un énoncé comme (7) est un exemple


de « epistemic conjunction on the argumentative level » : le sujet conclut
que Jean est sorti du fait que le garage est vide. Autrement dit, il interprète
le fait que le garage soit vide comme un indice de l’absence de Jean. (7a),
par contre, est un exemple de « speech act conjunction » se situant au
niveau de « speech act performance » : le sujet affirme que Jean est sorti
poussé par le fait que l’interlocuteur aimerait le savoir. L’exemple (7)
motive un raisonnement ; l’exemple (7a), l’exécution d’un acte de parole.
Ce qui est pertinent pour notre sujet est une propriété que les deux types
de constructions ont en commun, à savoir un clivage entre les deux
propositions associées, qui est signalé par ailleurs par une pause
intonationnelle (Sweetster 1990 : § 4.1.2 ; Verstraete 2002). L’expression
du motif de la parole ou de la pensée – par exemple, la proposition parce
que le garage est vide - a comme contrepartie relationnelle l’acte de
penser, et donc de dire, que Jean est sorti. Cet acte, cependant, n’est pas
décrit par l’expression mais immédiatement exhibé lors de son énonciation,
et donc indiqué par ostension directe. Autrement dit, l’action motivée –
l’acte de parole ou de pensée – n’est pas localisée dans la structure
symbolique de l’expression mais dans la composante indexicale de l’acte
d’énonciation. De ce fait, l’expression du motif de la parole et de la pensée
n’entre en relation avec aucun constituant de la structure linguistique qui le
contient, et plus particulièrement n’entretient aucune relation conceptuelle
avec ce qui se présente au premier abord comme le procès principal - dans
notre exemple, Jean est sorti - mais qui n’exprime en réalité que le contenu
de l’action principale : de l’action de penser ou de dire.
L’absence d’une relation conceptuelle directe entre les procès reliés est
soulignée par le refus, de la part d’expressions come (7) et (7a), de la
restructuration en faire et du clivage36 :

7b. Jean est sorti. *Il l’a fait parce que le garage est vide
7c. *C’est parce que le garage est vide que Jean est sorti

36.. Pour une discussion et une évaluation de l’ensemble des propriétés


grammaticales distinctive de l’expression du motif de dire et de penser nous renvoyons
à Verstraete (1998: 183).
101

La reformulation en faire n’est cohérente que si la subordonnée décrit le


motif de l’action principale ; si elle était acceptée comme cohérente, par
conséquant, elle nous dirait que la sortie de Jean est motivée par la
circonstance que le garage est vide. La phrase clivée, pour sa part, focalise
la relation entre le procès focalisé et le résidu. Si aucune relation n’est en
place, comme dans notre cas, la phrase clivée ne peut pas être appliquée -
ou, si elle l’est, impose la relation, nous obligeant à interpréter la
subordonnée comme l’expression du motif de l’action décrite dans la
principale.
Le comportement singulier de l’expression n’empêche pas de considérer
le motif du dire e de la pensée, sur le plan conceptuel, comme un cas
particulier du motif de l’action, et la parole comme un type d’action. En
effet, c’est l’expression, et non pas le contenu, qui confère au motif du dire
ses caractères spécifiques : les motifs du dire et de la pensée sont les seuls
qui peuvent être connectés à une action non exprimée mais indiquée.
Pour cette même raison, la relation purement indexicale entre le motif et
l’acte de dire peut être réabsorbée dans l’ordre symbolique si le
raisonnement ou l’acte de parole sont ouvertement décrits, par exemple
grâce à la présence d’un verbe de dire ou de penser dans l’expression. En
ce cas, la charpente relationnelle du procès complexe est intégralement
rétablie. Si le contenu du raisonnement est explicitement donné comme
objet du verbe penser, par exemple, l’expression du motif prend sa place
naturelle à la périphérie du prédicat :

8. Jean est sorti. Je le pense parce que le garage est vide


8a. Je pense que Jean est sorti parce que le garage est vide

A ces conditions, le penser et le dire se comportent à tous les effets comme


autant d’actions – comme une province du faire. Pour cette raisons, la
focalisation du motif et la reprise en faire redeviennent possibles. La
première est admise parce qu’il y a une relation à focaliser :

8b. C’est parce que le garage est vide que je pense que Jean est sorti

Quant à la reprise en faire, elle n’atteint certainement pas les sommets de


l’élégance, mais son emploi est tout à fait cohérent avec la structure de
l’action :

8c. Je pense que Jean est sorti. Je fais cela parce que le garage est vide

3.3. La structure temporelle de la cause et des motifs


102

La structure temporelle de la cause est simple et rigide : dans le monde


des phénomènes, une relation de cause n’est cohérente que si l’effet (t0)
suit la cause (t-1).
La structure temporelle des motifs, au contraire est complexe, en premier
lieu parce qu’elle se distribue sur deux couches.
Une première couche de relations temporelles reproduit la charpente
temporelle de la cause. A la différence de celle-ci, cependant, elle ne se
situe pas dans le monde externe des phénomènes mais dans le monde
interne du sujet : il s’agit de la ligne reliant la décision à l’action. Une
action n’est cohérente que si elle suit une décision du sujet. Comme nous le
verrons (Ch. III, § 1.1), c’est ce schéma temporel qui autorise à catégoriser
le motif d’après le modèle de la cause dans l’expression standard de forme
causale : Je prends un parapluie parce que j’ai décidé de sortir.
Une seconde ligne temporelle, dont la structure est spécifique de la
motivation, se situe en revanche dans le monde des événements factuels, et
relie l’action du sujet au mobile qui le sollicite à agir. La structure de cette
ligne n’est pas soumise aux contraintes de la cause phénoménique, car elle
inclut tant le passé que le futur par rapport à l’action principale. Quand il
prend sa décision, qui précède nécessairement l’action, l’agent ne se limite
pas à réagir à des faits du passé - Luc a puni son fils parce qu’il n’a pas fait
ses devoirs - mais il est capable de se pencher vers le futur. Une fois
orienté vers le futur, l’agent tantôt prévoit un événement du monde des
phénomènes - J’ai pris un parapluie parce qu’il va pleuvoir - et tantôt
projette une action ou un événement destinés à se réaliser dans le futur :
J’ai pris un parapluie parce que je veux sortir. Au cas où un agent prend
un événement du passé comme un motif d’action, nous avons un motif
rétrospectif (backward-looking motive, selon Anscombe 1957 : 20 ; 1968 :
149). Dans le cas où un agent prend comme un motif d’action le contenu
d’une prévision ou d’une intention portant sur le futur, nous avons un motif
prospectif (forward-looking motive, selon Anscombe 1957 : 21 ; 1968 :
150).
L’événement du passé précède nécessairement la décision et, a fortiori,
l’action ; le contenu d’une prévision ou d’une intention, au contraire, suit
nécessairement l’action principale et, a fortiori, la décision. A la fois la
prévision et l’intention sont des états duratifs, dont le déclenchement
précède nécessairement la décision. Pour rendre compte de tout ce réseau
de rapports, la description cohérente des motifs demande quatre points de
repère dans le temps, au lieu des deux requis par la cause : le temps de la
perception d’un fait passé, de la prévision ou du projet d’un fait futur (t-2) ;
le temps de la décision, qui correspond au temps de la cause (t-1) ; le temps
103

de l’action, qui correspond au temps de l’effet (t0) ; et finalement le point


du futur où le contenu de la prévision ou de l’intention est censé
s’accomplir (t+1).
En présence de motifs rétrospectifs, trois de ces points sont pertinents, à
savoir celui de la perception du fait passé, de la décision et de l’action.
Donc, il n’y a pas de points pertinents dans le temps qui suivent l’action
principale.
En présence d’un motif prospectif, quatre de ces points sont pertinents, à
savoir le temps de la prévision ou du projet, le temps de la décision, le
temps de l’action et le temps de la réalisation du fait prévu ou projeté. Si
dans le temps interne du sujet tous les passages pertinents précèdent
l’action principale, dans le temps phénoménique il y a un point pertinent
qui la suit.
La variété et la richesse des relations temporelles offrent à l’expression
l’occasion non seulement de différencier les motifs rétrospectifs des motifs
prospectifs, mais aussi de placer au premier plan certaines relations
temporelles et d’en pousser d’autres à l’arrière-plan. Et c’est précisément
dans cet espace d’options multiples légué à l’expression par la richesse des
relations temporelles que se situe, comme nous le verrons dans le chapitre
suivant, l’alternative de fond entre l’expression de forme causale du motif
prospectif, qui place au premier plan le moment subjectif de l’intention et
de la décision (9, 9a), et son expression de forme finale, qui coupe toute
référence à l’intention et à la délibération du sujet pour se projeter
décidément vers le futur (10) :

9. J’ai pris un parapluie parce que je veux sortir


9a. J’ai pris un parapluie parce que j’ai décidé de sortir
10. J’ai pris un parapluie pour sortir

4. DU MOTIF DE L’ACTION AU BUT : PREVISION ET INTENTION

Un motif prospectif peut coïncider avec une prévision (1) ou avec un


projet du sujet - une intention (2) :

1. Je prend mon parapluie parce qu’il va pleuvoir


2. Je me suis levé tôt parce que je voulais prendre le premier train

La frontière entre intention et prévision, qui est essentielle pour définir la


finalité, est une frontière critique, qui donne du fil à retordre aux
104

philosophes37. Cependant, si l’on observe l’usage naturel des concepts à la


lumière des exemples considérés, de simples critères de discrimination
sautent aux yeux.
En premier lieu, un événement prévu dans le futur est indépendant du
sujet et de son attitude intentionnelle – volonté, désir, crainte mais aussi
regret ou joie - exactement comme un événement du passé. L’attitude
intentionnelle du sujet est essentielle, par contre, pour qu’il y ait un projet
orienté vers le futur. Dans ce cas, il est essentiel que le sujet manifeste une
attitude projective – volonté, intention, désir, crainte, mais non regret ou
joie - à l’égard du contenu intentionné. C’est la raison pour laquelle
l’expression causale d’une intention comme (2) comporte normalement la
présence explicite de prédicats de volonté, projet, intention, ou, à défaut,
autorise à inférer les mêmes attitudes.
Deuxièmement, le motif lié à la prévision, comme le motif situé dans le
passé, admet seulement une expression de forme causale, alors que
l’intention admet une expression de forme finale :

3. Je te punis parce que tu n’as pas fait tes devoirs


3a. *Je te punis pour que tu ne fasses pas tes devoirs
4. Je prends mon parapluie parce qu’il va pleuvoir
4a. *Je prends mon parapluie pour qu’il aille pleuvoir
5. Je prends mon parapluie parce que je veux sortir
5a. Je prends mon parapluie pour sortir
6. Je prends mon parapluie parce que je veux que Jean se protège de la pluie
6a. Je prends mon parapluie pour que Jean se protège de la pluie
7. J’ai arrosé le pré parce que je veux que l’herbe pousse
7a. J’ai arrosé le pré pour que l’herbe pousse

En présence d’expressions comme (5a), (6a) et (7a), le motif coïncidant


avec l’intention de l’agent prend le nom de but. Cette appellation
traditionnelle nous met sur le bon chemin, du fait qu’elle permet de saisir
en même temps ce que le but partage avec le motif prospectif et ce qui le
qualifie par rapport à celui-ci.
Par rapport à l’expression de forme causale, l’expression finale n’ajoute
rien au noyau conceptuel partagé : il s’agit, dans les deux cas, du motif
d’une action projetée dans le futur et qui coïncide avec le contenu d’une
intention de l’agent. Ce que nous appelons le but se qualifie plutôt en tant
que contenu sémantique d’une expression spécifique, qui privilégie le
vecteur temporel reliant directement l’action à son objectif localisé dans le
futur, et s’oppose de ce fait au vecteur temporel de sens opposé qui relie

37. Cf. Ricoeur (1977 : 65).


105

l’action à ses avatars subjectifs localisés dans le passé – à l’intention et à la


décision – dans l’expression de forme causale.
Dans les chapitres suivants, nous partirons du noyau conceptuel commun
à la motivation prospective et à la finalité pour isoler les caractères
spécifiques qui qualifient le but au sens strict et les mettre en rapport avec
le vaste répertoire des formes d’expression spécialisées.

4.2. But et action : restrictions conceptuelles générales

Si elle permet d’isoler, à l’intérieur de la famille des motifs prospectifs,


le contenu d’une intention du contenu d’une prévision, l’observation de la
forme d’expression finale présente aussi l’avantage méthodologique de
rendre observables de façon directe certains aspects assez subtils de la
relation entre motif et action, et notamment les restrictions qu’une structure
finale cohérente impose au procès principal comme au but.

4.1.1. Restrictions sur le procès principal

La corrélation que nous avons posée entre finalité et action


intentionnelle semble défiée par certains cas de constructions qui, tout en
admettant une interprétation finale, ne présentent pas une action comme
contenu de la proposition principale :

8. Anne est à la campagne pour reprendre des forces


9. Les taxis sont jaunes pour qu’on les reconnaisse mieux
10. Ce texte est hermétique pour que les non-initiés ne le comprennent pas

En (8) la proposition principale décrit un état du sujet, alors qu’elle décrit


une propriété d’un objet en (9) et (10). Dans un cas comme dans l’autre, les
restrictions conceptuelles sur la finalité ne sont pas démenties, mais
agissent à rebours. Pour pouvoir identifier une relation finale cohérente,
nous sommes poussés à réinterpréter le procès principal comme le résultat
d’une action intentionnelle :

8a. Anne s’est rendue à la campagne pour reprendre des forces


9a. Les taxis ont été peints en jaune pour qu’on les reconnaisse mieux
10a. Ce texte a été écrit de façon hermétique pour que les non-initiés ne le
comprennent pas
106

Les exemples comme (9) sont particulièrement intéressants parce qu’ils


illustrent la forme typique de la description d’artefacts, sur lesquels nous
reviendrons au Ch. XI. Un objet artificiel est en général fabriqué en vue
d’une fonction socialement reconnue, dont l’identification forme le noyau
d’une définition, et qui est catégorisée dans l’expression comme le but de
la fabrication. Une charrue, une voiture ou un marteau, par exemple, ne
sont pas caractérisés en première instance par une forme extérieure
indépendante de l’action humaine, comme une fleur, un poisson ou un
chien, mais par une destination fonctionnelle socialement reconnue qui a
justifié leur fabrication, et c’est en raison de cette fonction qu’ils reçoivent
leur forme. Cela justifie le fait que la description de leur forme – Les taxis
sont peints en jaune – est immédiatement connectée à une destination
fonctionnelle qui partage la forme linguistique la plus typique du but : pour
qu’on les reconnaisse mieux.
Le lien étroit entre la structure des objets artificiels et l’action humaine
finalisée est confirmé par le fait que les procès en question sont prêts à
accueillir sans incohérence un modificateur comme volontairement et une
reprise anaphorique en faire :

9b. Les taxis sont volontairement jaunes pour qu’on les reconnaisse mieux
10b. Ce texte est volontairement hermétique pour que les non-initiés ne le
comprennent pas
9c. Les taxis ont été peints en jaune. Cela a été fait pour qu’on les reconnaisse
mieux
10c. Ce texte a été écrit de façon hermétique. Cela a été fait pour que les non-
initiés ne le comprennent pas

L’observation de la forme passive de la reprise en faire suggère une


précision ultérieure. L’agent de l’action principale peut être un agent
générique, non identifié :

11. La digue a été construite pour irriguer le vignoble


12. On se déplace à vélo pour faire de l’exercice

Dans les exemples analysés ci-dessus, la présence d’un agent est en tout
cas accessible par inférence, et le but finit ainsi par coïncider avec le
contenu d’une intention, comme le demande la structure cohérente de la
finalité. Si la propriété ou l’état attribué au sujet du procès principal ne sont
pas envisageables comme le résultat d’une action intentionnelle, par contre,
le contenu final de l’expression finale ne peut pas être sauvegardé de façon
cohérente. Une alternative se présente à ce point : ou bien le contenu final
107

est sauvegardé au prix de l’incohérence, ou bien il est mis en question et,


selon le cas, restructuré ou démantelé.
Le premier terme de l’alternative est illustré par les exemples suivants,
qui ne sont interprétables que si l’on y voit l’attribution métaphorique
d’une volonté aux entités du monde inanimé :

13. Le ciel est bleu pour que nous sortions


14. La route s’est affaissée pour que nous ne puissions pas passer

Le second terme intéresse un grand nombre de cas, que l’on peut


ordonner d’après la radicalité de la mise en question du contenu final. Ce
contenu peut être ou simplement restructuré ou totalement démantelé.
Le contenu final n’est que restructuré dans les phrases complexes de
forme finale qui mettent en scène un type particulier de relation finale
immanente, indépendante de l’intention d’un sujet, par exemple :

15. Les arbres ont des racines pour se nourrir

Comme le procès principal n’est pas une action, et que son sujet est un
végétal incapable de décision, la finalité canonique n’est pas activée. En
même temps, la relation finale n’est ni interprétée métaphoriquement ni
démantelée, mais plus simplement redéfinie. La finalité est dissociée de
l’intention, de la délibération et de l’action humaine, et transférée dans
l’ordre des phénomènes, et donc dans le domaine d’élection de la causalité.
Il s’agit d’un concept de finalité indépendant, qui coexiste sans interférence
avec le concept prototypique de finalité liée à l’action humaine. La
cohérence de la finalité objective n’est pas soumise à la recouvrabilité
d’une intention, mais à la pertinence de la relation entre structures et
fonctions. L’idée d’un ordre téléologique dans la nature, et notamment
dans le monde des organismes vivants, est en effet notre façon partagée et
spontanée de catégoriser l’adéquation entre la structure des êtres et leurs
fonctions. La nourriture des arbres, par exemple, fait certainement partie
des fonctions des racines. De ce fait, la façon la plus naturelle de
catégoriser la fonction des racines consiste à la voir comme si c’était le but
en vue duquel leur présence dans la structure de l’arbre se justifie. Au fur
et à mesure que le lien entre structure et fonction devient opaque, la
relation finale se fait paradoxale, comme dans la phrase de Bernardin de
108

Saint-Pierre : Les melons sont en tranches pour qu’on les mange en


famille38.
La projection de la finalité dans l’ordre des phénomènes montre que la
finalité est une catégorie très complexe. Sa connexion avec l’action rend
visible un aspect qui, tout en étant le plus typique et familier, n’est pas
exclusif, car certains aspects de la finalité sont compatibles avec l’absence
d’une action consciente : cela vaut notamment pour la structure des êtres
vivants et des végétaux, qui reçoit, dans le sentiment commun comme dans
l’analyse philosophique, une justification prospective, en vue de, plutôt que
rétrospective, à partir de. Dans les exemples que nous allons considérer
maintenant, au contraire, la poursuite de la cohérence finit par démanteler
la relation finale.
Les phrases complexes suivantes partagent la forme d’une finale à
l’infinitif :

16. Jean est tombé malade au mois de mars pour mourir au début de l’été
17. La voiture a dérapé pour terminer sa course dans un pré

Tout ce qu’on retient de ces constructions, cependant, c’est l’idée que les
événements se succèdent dans un certain ordre. De la forme finale, il ne
reste donc qu’une coquille vide, incapable d’imposer une forme aux
concepts par-delà leur cohérence.
Les structures de forme finale qui refusent toute interprétation finale,
cohérente ou métaphorique, ont une valeur stratégique dans la description,
car elles témoignent du rôle actif joué par la structure conceptuelle
cohérente de la finalité dans la construction des relations finales. En
l’absence des conditions conceptuelles requises, la forme finale pour +
infinitif ne suffit pas à mettre en place une relation finale. La relation finale
suggérée est alors démantelée grâce à un parcours inférentiel qui reparcourt
à rebours le chemin de l’enrichissement. De son contenu ne survit que
l’orientation prospective (cf. Ch. III, § 2.1).

4.1.2. Restrictions sur le but

38. L’incohérence vient du fait que la justification fonctionnelle d’une propriété


objective des choses soustraite au contrôle humain est ramenée à l’intérêt du sujet
humain. Deux grandeurs incommensurables sont ici mélangées.
109

Si le procès principal d’une relation finale se situe nécessairement dans


la sphère de l’action humaine responsable, aucune restriction de ce genre
ne frappe le contenu du but.
L’intention du sujet porte indifféremment sur une action du sujet lui-
même (18), sur l’action d’un tiers (19), ou sur un événement du monde
phénoménique (20) :

18. Je me suis levé tôt parce que je voulais prendre le premier train
18a. Je me suis levé tôt pour prendre le premier train
19. J’ai acheté des clous parce que je veux que Pierre répare la palissade du
jardin
19a. J’ai acheté des clous pour que Pierre répare la palissade du jardin
20. J’ai arrosé le jardin parce que je veux que l’herbe pousse
20a. J’ai arrosé le jardin pour que l’herbe pousse

Ce n’est que dans un cas tout à fait spécial, quand le but est enchâssé
comme un argument dans un procès intrinsèquement complexe, que le
contenu du but est restreint à une action. Cela se passe en présence de
prédicats dénotant des actions intrinsèquement finalisées, qui visent à
influencer le comportement du sujet même ou d’un tiers (cfr. Ch. III, §
2.3) :

21. Jean s’efforce d’améliorer son anglais


22. J’ai conseillé à Jean d’améliorer son anglais

En présence d’une construction finale canonique, si le contenu de


l’intention porte sur une action accomplie par le même sujet de l’action
principale, la forme à l’infinitif est obligatoire et son sujet, contrôlé de
l’intérieur de l’action principale, est obligatoirement non exprimé. On
utilise la forme au subjonctif dans les autres cas :

18a. Je me suis levé tôt pour prendre le premier train


11. La digue a été construite pour irriguer le vignoble
19. J’ai acheté des clous pour que Pierre répare la palissade du jardin

La forme à l’infinitif, caractérisée par la coïncidence entre le contenu de


l’intention et une action que le sujet lui-même se propose d’accomplir, met
en place la variété la plus typique d’action finalisée, du fait que le contrôle
exercé par le sujet sur la réalisation du but est maximal, sans rupture
d’agentivité. Le sujet doit bien sûr faire face à plusieurs limites imposées à
son action de l’intérieur aussi bien que de l’extérieur, mais en tout cas il a
dans sa propre volonté un allié précieux. Au contraire, dans le cas d’une
action destinée à être accomplie par un tiers, ainsi qu’en présence d’un
110

événement du monde des phénomènes, les obstacles qui peuvent empêcher


la réalisation effective du contenu des intentions et des désirs du sujet se
multiplient.
Or, tout cela est clair, mais il est tout aussi clair que lorsqu’on parle de
restrictions sur le procès-but on ne parle pas d’échecs factuels qui peuvent
empêcher la réalisation d’un but donné, mais d’obstacles conceptuels qui
empêchent sa conception cohérente. On parle de la cohérence conceptuelle
d’un projet, et non pas de son succès empirique.
La cohérence d’une relation finale demande que le procès visé par
l’intention soit ontologiquement à la portée de l’action principale et de son
agent. Il est donc évident que le monde des phénomènes ne peut entrer
dans une relation finale cohérente que dans la mesure où ses chaînes
causales se laissent modifier par l’action humaine. Cette restriction justifie
l’incohérence des exemples suivants, qui attribuent au sujet le pouvoir
surnaturel de mettre en place des phénomènes incontrôlables :

23. *Il met les voiles pour que le vent souffle


24. *Elle regarde la montre pour que le train arrive
25. *Il allume la lampe pour que la nuit tombe

Par contre, aucun obstacle conceptuel ne s’oppose à ce que les mêmes


procès, une fois qu’ils ont eu lieu indépendamment des intentions d’un
sujet, soient retenus par celui-ci comme autant de motifs d’action. Une
chose est de provoquer un événement, autre chose est de prendre une
décision et agir du fait qu’un événement s’est produit :

23a. Il met les voiles parce que le vent souffle


24a. Elle regarde la montre parce que le train arrive
25a. Il allume la lampe parce que la nuit tombe

Dans la mesure où une intention vise un contenu ontologiquement


compatible avec l’action humaine, et qu’elle motive l’accomplissement
d’une action, une relation finale est mise en place indépendamment de la
réalisation du contenu visé. Dans les deux exemples suivants, l’échec de
l’objectif visé par l’action du sujet ne menace pas la cohérence de la
relation finale :

26. J’ai frotté l’allumette pour allumer le feu, mais je n’ai pas réussi
27. Il nous a dit cela pour nous convaincre, mais il n’a pas réussi

A la différence des causes et des motifs rétrospectifs, qui sont


nécessairement tenus pour vrais, la réalisation empirique du contenu des
111

motifs prospectifs n’est pas requise pour la cohérence d’une relation finale.
Une cause est par définition un événement qui s’est produit. Un événement
qui ne s’est pas produit ne peut pas être une cause, mais seulement, le cas
échéant, une condition. Dans le cas du but, la structure temporelle de
l’attitude intentionnelle dissocie la réalité de l’intention – le fait qu’un sujet
veut réellement quelque chose à un moment donné – de la réalisation
pratique de son contenu visé – du fait que ce qui est voulu se réalise
effectivement dans l’ordre empirique. Or, ce n’est pas la réalisation du
contenu de l’intention qui motive l’action, mais la présence de l’intention,
ce qui fait qu’il n’est pas incohérent qu’une action soit motivée par un
contenu intentionnel voué à l’échec. Au moment où l’action principale est
accomplie, le but n’est que le contenu d’une intention, qui est par définition
non factuel. S’il était réalisé au moment de la décision, il ne serait ni le
contenu d’une intention ni le but de l’action principale qui vise son
accomplissement. Ce qui est requis pour la mise en place d’une relation
finale cohérente, ce n’est donc pas la réalisation du contenu, mais
simplement la présence réelle d’une intention, qui est soulignée par la
forme d’expression causale :

28. J’ai acheté le Guide Vert parce que je veux organiser mon voyage

Si la réalité d’une intention est indépendante de la réalisation de son


contenu, d’autre part, elle admet à son tour d’être suspendue, exactement
comme la réalité d’une cause. Dans un cas comme dans l’autre, nous avons
une structure conditionnelle :

29. Si tu veux organiser ton voyage, achète le Guide Vert


30. Si vous voulez empêcher les fuites de gaz, je vous conseille de serrer la vis

Or, il est intéressant de remarquer que la phrase complexe formée d’une


proposition finale en position thématique et d’une proposition principale au
contenu directif neutralise la différence entre une intention réelle et une
intention présumée. De ce fait, les phrases complexes (29a) et (30a)
admettent aussi bien la paraphrase causale (29b ; 30b) que la paraphrase
conditionnelle (29 ; 30). Par contre, l’exemple (31), qui décrit la relation
entre une intention et une action principale réalisée, n’admet que la
paraphrase causale, ce qui veut dire que la réalité de l’intention est
implicitée :

29a. Pour organiser ton voyage, achète le Guide Vert


29b. Etant donné que tu veux organiser un voyage, achète le Guide Vert
30a. Pour empêcher les fuites de gaz, je vous conseille de tourner la vis à gauche
112

30b. Etant donné que vous voulez empêcher les fuites de gaz, je vous conseille
de tourner la vis à droite
31. Pour organiser son voyage, Jean a acheté le Guide Vert
31a. Comme il veut organiser un voyage, Jean a acheté le Guide Vert
31b. *S’il veut organiser son voyage, Jean a acheté le Guide Vert

Comme le montrent ces exemples, l’attribution conditionnelle d’une


intention est cohérente avec le discours directif, et notamment avec le
contenu des textes d’instruction à distance, dont l’énonciateur peut
seulement présumer les intentions réelles des destinataires.
L’échec du but qui a provoqué une action principale connaît une forme
significative d’expression, dont la forme est celle de la finale à l’infinitif,
mais qui exprime, à la place du but, sa frustration par un cours imprévu des
événements. Un exemple comme (32), où l’issue imprévue prend la place
du but, est interprété comme une variante in absentia de (33) :

32. Pierre s’est couché tôt pour rester éveillé toute la nuit
33. Pierre s’est couché tôt pour se reposer mais il est resté éveillé toute la nuit

Nous décrirons ce genre de construction au Ch. IV, § 2.1.


113

CHAPITRE IV

L’EXPRESSION DE LA FINALITE
DANS LA PHRASE COMPLEXE

1. LA FINALITE COMME STRUCTURE SEMANTIQUE :


LA PERSPECTIVE FINALE DANS LA PHRASE COMPLEXE

Le chapitre précédent visait à isoler un noyau conceptuel de l’action


finalisée et du but indépendamment des propriétés de telle ou telle
expression particulière, et donc valable pour toutes les formes
d’expression. Avec ce chapitre, nous entrons dans le domaine de
l’expression linguistique, et des multiples nuances sémantiques qu’elle
ouvre à la finalité. Car la finalité, pourrions-nous dire en paraphrasant
Aristote, se dit de plusieurs façons.
En termes strictement conceptuels, le chemin qui nous mène vers la
finalité est terminé : la relation finale partage sa structure conceptuelle avec
un type privilégié de motif - un motif dont la réalisation se situe dans le
futur et qui coïncide avec le contenu d’une intention de l’agent. En termes
purement conceptuels, on ne peut pas aller au-delà. En ce qui concerne la
description linguistique, en revanche, cela ne représente que le point de
départ, car chacune des nombreuses structures qui se disputent l’expression
de la finalité ne se limite pas à identifier ce substrat conceptuel partagé,
mais lui impose une perspective spécifique39, plus ou moins riche. Chaque

39. Le concept de perspective ne doit pas être entendu ici dans le sens pragois de
perspective communicative du message (cf. par exemple Mathesius 1928, Danes 1974,
Firbas 1974 ; 1992) mais comme prospective du procès dans le sens de Fillmore et de la
linguistique fonctionnelle et cognitive (cf. Fillmore 1977 ; Dik 1989 : je renvoie pour
une discussion à Prandi 2001). Pourvu qu’une expression linguistique porte à
l’expression une structure conceptuelle donnée, on appelle mise en perspective le fait
que certaines sections de la structure conceptuelle exprimée sont investies par
l’expression plus directement que d’autres. L’idée est que plusieurs expressions peuvent
de ce fait restructurer de façon différente l’équilibre interne d’une structure
conceptuelle sans pour autant en compromettre l’identité de fond : « The verb hit - for
instance - fits scenes in which something comes into abrupt contact with something
else, including those in which some agent manipulates the first of these objects. In the
114

forme, en particulier, porte à l’expression certains traits de la riche


structure conceptuelle aux dépens d’autres qui demeurent inexprimés,
appelle certains d’eux au-devant de la scène repoussant les autres à
l’arrière-plan, module et nuance son contenu sémantique de façon
spécifique.
Dans ce chapitre, nous allons considérer l’expression de la finalité dans
la phrase complexe. Dans la suite de notre travail, nous nous pencherons
sur le rôle des termes prédicatifs dans la modulation du but.

1.1. La perspective temporelle des motifs dans la phrase complexe

L’expression du motif rétrospectif dans la phrase complexe doit


nécessairement mimer l’expression de la cause, parce que toutes ses
composantes, et notamment la perception d’un événement ou d’une action
indépendants de la part de l’agent et la décision, précèdent l’action
principale comme une cause précède l’effet.
Dans l’expression du motif rétrospectif, le locuteur est libre d’inclure ou
non les moments de la perception et de la décision :

1. Luc a puni son fils parce qu’il n’a pas fait ses devoirs
1a. Luc a décidé de punir son fils parce qu’il n’a pas fait ses devoirs
1b. Luc a puni son fils parce qu’il a vu qu’il n’a pas fait ses devoirs
1c. Luc a décidé de punir son fils parce qu’il a vu qu’il n’a pas fait ses devoirs

Dans le cas de codage maximal (1c), toutes les composantes d’un motif
rétrospectif sont codées. Dans le cas de codage minimal (1), l’expression
ne se différencie en rien de celle de la cause, et tout ce qui qualifie le motif
– la perception et la décision de la part du sujet agent - n’est accessible que
par inférence, à partir du contenu des propositions reliées et sur le fond du
modèle conceptuel de l’action cohérente. Il va sans dire que l’usager
moyen préfère la forme simplifiée, qui ne se double d’aucun codage
ouvert, perçu comme redondant, des composantes conceptuelles facilement
accessibles par inférence.

three-elements hitting scene, the agent or causer of this event appears as the subject, but
apparently either of the other two entities can be realized in the direct object position.
That is, we can say either ‘I hit the cane against the fence’ or ‘I hit the fence with the
cane’ » (Fillmore 1977 : 96). Si nous passons de la phrase simple à la phrase complexe,
quelque chose de semblable se passe dans le cas de la forme causale et de la forme
finale : deux formes d’expression différentes envisagent différemment une structure
conceptuelle qui reste dans l’essentiel la même, à savoir un motif coïncidant avec une
intention.
115

L’expression du motif prospectif coïncidant avec une prévision ne


s’écarte pas de ce modèle, sauf que la place de la cause est occupée par
l’acte de prévision, spécifié ou inféré :

2. J’ai pris le parapluie parce qu’il va pleuvoir


2a. J’ai décidé de prendre le parapluie parce qu’il va pleuvoir
2b. J’ai pris le parapluie parce que je prévois40 qu’il va pleuvoir
2c. J’ai décidé de prendre le parapluie parce que je prévois qu’il va pleuvoir

Comme nous l’avons déjà remarqué, l’expression du motif prospectif


coïncidant avec le contenu d’une intention voit s’ouvrir une alternative
supplémentaire. Elle peut reparcourir le étapes d’une relation de cause,
traitant l’intention, dont le contenu est pourtant localisé dans le futur,
comme une espèce de cause agissant du passé, comme en (3). Mais elle
peut aussi relier immédiatement l’action principale à son objectif futur – au
contenu de l’intention - comme en (4) :

3. J’ai pris le parapluie parce que je voulais sortir


4. J’ai pris le parapluie pour sortir

La forme causale admet que l’on mette l’accent à la fois sur l’intention
et sur la décision. Mais il est intéressant de remarquer qu’en présence

40. Il faut remarquer ici un fait intéressant au sujet du décalage entre relations
temporelles et temps verbaux : il est possible que l’expression de la prévision reçoive
un temps verbal postérieur à celui de l’action principale, qui dans l’ordre empirique suit
sa formulation : J’ai pris le parapluie parce que je prévois qu’il va pleuvoir. Cela
signale le fait que la prévision, une fois formulée dans le passé, continue à ête tenue
pour valable au moment de l’acte de parole, qui suit l’action principale motivée par la
prévision. La même distribution des temps verbaux se trouve dans le domaine de la
causalité si le procès-cause est duratif. Un énoncé comme L’eau a gelé parce qu’il fait
froid, par exemple, exprime un lien causal cohérent du fait que le froid est un état
duratif, qui s’est mis en place dans le passé mais subsiste dans le présent de l’acte de
parole, comme le signale le temps verbal. Ces phénomènes exemplifient les
implications aspectuelles des temps verbaux et l’interaction entre temps verbaux et
Aktionsart des lexèmes verbaux. Le présent déictique, par exemple, se limite à affirmer
que le procès décrit subsiste au moment de l’acte de parole, sans rien affirmer ni exclure
au sujet du passé et du futur. Ce vide de codage sera comblé, le cas échéant, par des
inférences tirées de l’Aktionsart inhérente des différents procès. Dans les énoncés (1) Il
fait froid et (2) La nuit tombe, par exemple, la coupe transversale du procès opérée par
la forme verbale nous montre un simple point. Dans le cas de (2), nous savons que ce
point n’est qu’un point, ou au maximum la coupe transversale d’un court segment ;
dans le cas de (1), par contre, nous savons que ce point est la coupe transversale d’une
ligne dont le début et la fin restent indéterminés.
116

d’une intention de l’agent, la décision peut porter tant sur l’action


principale que sur le contenu du motif. La seconde option est naturellement
incohérente en présence d’un motif rétrospectif et d’une prévision, qui
sortent du domaine des objets cohérents d’une décision :

3. J’ai pris le parapluie parce que je veux sortir


3a. J’ai décidé de prendre le parapluie parce que je veux sortir
3b. J’ai pris le parapluie parce que j’ai décidé de sortir
1. Luc a puni son fils parce qu’il n’a pas fait ses devoirs
1a. Luc a décidé de punir son fils parce qu’il n’a pas fait ses devoirs
1b. *Luc a puni son fils parce qu’il a décidé qu’il n’a pas fait ses devoirs
2. J’ai pris le parapluie parce qu’il va pleuvoir
2a. J’ai décidé de prendre le parapluie parce qu’il va pleuvoir
2b. *J’ai pris le parapluie parce qu’ai décidé qu’il va pleuvoir

Une fois qu’elle fait place à l’intention du sujet, la forme causale ouvre
un paradigme très riche d’expressions différentes, en fonction du terme
prédicatif choisi et de sa réalisation linguistique comme verbe, nom ou
adjectif. Le terme prédicatif, pour sa part, peut aussi bien moduler
l’intention dans toutes ses variantes que mettre en relief ses racines
intellectuelles ou émotives :

3c. J’ai pris le parapluie parce que j’ai l’intention de sortir


3d. J’ai pris le parapluie parce que je suis déterminé à sortir
3e. J’ai pris le parapluie parce que je désire sortir
3f. J’ai pris le parapluie parce que j’ai le désir de sortir
3g. J’ai pris le parapluie parce que je rêve de sortir
3h. J’ai pris le parapluie parce que je suis désireux de sortir

………………………………
3n. J’ai pris le parapluie parce que j’ai l’espoir de sortir

La forme finale ouvre elle aussi un paradigme très large de termes


prédicatifs, mais à la condition que ces termes entrent dans le moule
structural de la finalité, et donc, dans le cas de la phrase complexe, qu’ils
soient incorporés dans une locution prépositionnelle. Or, cela n’est possible
que si le terme prédicatif est réalisé comme nom :

4a. J’ai pris le parapluie dans le but de sortir


4b. J’ai pris le parapluie dans le dessein de sortir
4c. J’ai pris le parapluie dans l’espoir de sortir
4d. J’ai pris le parapluie avec le désir de sortir
……………………
4n. J’ai pris le parapluie dans l’illusion de sortir
117

La synergie entre la forme finale et le terme prédicatif combine les


ressources propres de chacun. De la forme finale nous retrouvons la
perspective temporelle résolument projetée vers le futur. En même temps,
le terme prédicatif est en mesure de réintroduire sur la scène la composante
subjective de l’intention et de la décision, permettant en plus de nuancer
ses aspects intellectuels et émotifs.

1.2. L’expression du motif prospectif dans la phrase complexe :


la forme causale et la forme finale

Une expression complexe de forme finale (5) et une expression


complexe de forme causale (4) partagent le même noyau conceptuel :

3. J’ai pris le parapluie parce que je veux sortir


4. J’ai pris le parapluie pour sortir

En même temps, il est évident que le but ne se réduit pas à une simple
forme d’expression parmi d’autres, mais impose au motif prospectif une
perspective spécifique. En particulier, la forme finale se différencie de la
forme causale sur deux points.
En premier lieu, les deux formes présentent une orientation temporelle
opposée : dans la forme finale, le motif n’est pas catégorisé comme une
espèce de cause qui du passé pousse le sujet à l’action mais comme un
objectif qui du futur attire le sujet vers l’action.
Ensuite, la forme finale comporte un dosage différent de contenu
explicité et de contenu implicite. Une expression comme (4), par exemple,
ne fait aucune référence explicite aux intentions du sujet et à ses décisions,
qui sont pourtant nécessairement inférées, sous peine d’écroulement de la
relation finale elle-même. Une relation finale, quelle que soit son
expression, ne peut pas ne pas inclure dans son contenu l’intention et la
décision d’un sujet. Mais cela n’implique pas que ces composantes soient
nécessairement codées dans l’expression.
L’identité du noyau conceptuel justifie le fait que la forme d’expression
causale et la forme d’expression finale occupent la même position aux
marges du procès (§ 1.2.1).
Les caractères spécifiques des expressions, pour leur part, justifient
l’imposition de perspectives différentes au noyau conceptuel partagé (§§
1.2.2).
118

1.2.1. La position du but dans la structure de l’action

Comme la proposition subordonnée de forme causale, la proposition


subordonnée de forme finale refuse la reprise en se produire et accepte le
pro-prédicat le faire :

3a. J’ai pris le parapluie. *Cela s’est passé parce que je veux sortir
4a. J’ai pris le parapluie. *Cela s’est passé pour sortir
3b. J’ai pris le parapluie. Je l’ai fait parce que je veux sortir
4b. J’ai pris le parapluie. Je l’ai fait pour sortir

Cela veut dire que la proposition subordonnée de forme finale occupe


dans la structure du procès la même position que la proposition
subordonnée de forme causale. Toutes deux sont des propositions non
complétives, du fait qu’elles admettent d’être reliées de façon cohérente à
une reprise anaphorique, mais ne sont pas pour autant des propositions
circonstancielles encadrant l’action de l’extérieur, du fait qu’elles refusent
la tournure en se produire, dont le sujet reprend le procès antécédent
comme un tout. Elles sont toutes deux des marges du prédicat, et donc des
constituants internes, quoique distincts des arguments, de la structure d’une
action complexe.

1.2.2. La perspective causale et la perspective finale

La différence entre la forme finale et la forme causale d’un motif


prospectif coïncidant avec le contenu d’une intention est, nous l’avons déjà
remarqué, une différence de perspective. Elle naît de la superposition d’une
orientation temporelle spécifique et d’une hiérarchisation spécifique que la
forme linguistique impose aux différentes composantes conceptuelles de
l’action motivée par l’intention.
La forme d’expression causale catégorise la relation entre un motif et
l’action d’après le modèle de la cause. Ce qui est placé au premier plan,
c’est ou bien la relation entre l’intention et l’action (3), ou la relation entre
l’intention et la décision d’agir (3a), ou encore la relation entre la décision
et l’action (3b) :

3. J’ai pris le parapluie parce que je veux sortir


3a. J’ai décidé de prendre le parapluie parce que je veux sortir
3b. J’ai pris le parapluie parce que j’ai décidé de sortir
119

Dans le cas où l’intention et la décision du sujet sont traitées comme si


elles étaient des causes de l’action, son objectif futur n’est pris en compte
que comme contenu de l’intention ou de la décision. La perspective
imposée au motif prospectif par la forme causale est donc une perspective à
la fois subjective, centrée sur l’intention du sujet et sur son procès
décisionnel, et temporellement orientée, comme la relation de cause, de
l’action principale vers une source localisée dans le passé. Le motif, pour
ainsi dire, pousse le sujet à agir.
Si le vecteur temporel de l’expression causale n’atteint l’objectif futur
qu’indirectement, dans la mesure où il est le contenu d’une intention ou
d’une décision localisées dans le passé, le vecteur temporel de l’expression
finale vise immédiatement l’objectif futur :

4. J’ai pris le parapluie pour sortir

L’objectif n’est pas codé comme le contenu d’une intention ou d’une


décision, mais comme un point dans l’espace-temps, qui est à la fois situé
en face du sujet et dans le futur, et qui attire le sujet vers l’action. Toute
référence aux avatars subjectifs de l’action – à l’intention du sujet et à son
procès décisionnel – est coupée de l’expression linguistique explicite. Il
s’agit donc d’une perspective à la fois objective, centrée sur la réalisation
pratique de l’objectif, et orientée, à l’opposé de la relation de cause, vers le
futur. Le but n’est pas une sorte de cause qui du passé pousse le sujet à
agir, mais le foyer d’une perspective qui l’attire vers le futur.

1.2.3. Noyau conceptuel et perspective sémantique

Les deux perspectives que les deux formes d’expression imposent au


motif prospectif n’entretiennent pas le même rapport avec le noyau
conceptuel du motif prospectif.
L’expression de forme causale place au-devant de la scène le moment de
la décision - de la constitution du motif dans la conscience du sujet. Qu’elle
porte sur un fait du passé ou sur un projet dont le contenu est localisé dans
le futur, la délibération qui constitue le motif précède par définition
l’action. Tout en admettant plusieurs options, la forme causale parcourt
donc dans l’essentiel les étapes de la séquence temporelle qui mène de
l’intention à la décision et à l’action. L’objectif futur de l’action, en
particulier, est à son tour codé comme le contenu d’une intention ou d’une
décision, inséparable d’elles, et donc lui aussi idéalement ancré au passé.
S’il y a une perspective dans l’expression causale, cette perspective ne
120

présente aucun profil spécifique, mais coïncide avec la perspective


inhérente du noyau conceptuel du motif, et notamment avec sa structure
temporelle.
Quand le motif est exprimé par une forme causale, d’autre part, toutes
les composantes de la structure conceptuelle sont codées. Grâce à cette
adhérence du codage linguistique à la structure conceptuelle, la forme
causale nous renvoie un portrait de l’action motivée par une intention qui
se réduit dans l’essentiel au contenu que nous pouvons inférer si l’action
principale et l’intention sont codées séparément dans une juxtaposition
d’énoncés. Tant dans la phrase complexe (3) que dans la juxtaposition (5),
le contenu d’une intention pousse le sujet à accomplir une action. Il est très
difficile de trouver dans la phrase complexe un supplément de contenu
idéationnel qui la qualifie par rapport à la juxtaposition :

3. J’ai pris le parapluie parce que je veux sortir


5. J’ai pris le parapluie. Je veux sortir

Le vecteur temporel de l’expression finale, pour sa part, ne remonte pas


de l’action à la délibération située dans le passé, mais prend une direction
opposée, se projettant décidément vers le futur. La forme finale code
l’objectif futur de l’action mais coupe de l’expression toute référence à
l’intention et à la décision du sujet. Cela est évident si nous rapprochons les
formes (3) et (4) :

3. J’ai pris le parapluie parce que je veux sortir


4. J’ai pris le parapluie pour sortir

La phrase complexe de forme finale investit donc toutes ses ressources


structurales dans le codage d’une perspective spécifique, à la fois objective
et temporellement orientée vers le futur, et laisse en même temps dans
l’ombre l’essentiel du contenu conceptuel, et notamment l’intention et la
décision du sujet, qui précèdent l’action. C’est donc au niveau de la mise
en perspective, et non pas au niveau de la structure conceptuelle, que la
spécificité de la forme finale doit être cherchée. Or, si le contenu
conceptuel est accessible par inférence, la perspective spécifique qui
caractérise la forme finale ne l’est pas.
Si une structure conceptuelle partagée admet en principe d’être aussi
bien inférée que codée, la perspective finale est une structure sémantique
indissolublement liée à la disponibilité dune ou plusieurs formes
d’expression, et donc necessairement codée. Ce qui est inférable de la
juxtaposition (5) correspond au contenu de (3), ou si l’on veut au noyau
121

conceptuel commun à (3) et (4), mais laisse complètement tomber la mise


en perspective spécifique qui caractérise (4) :

5. J’ai pris le parapluie. Je veux sortir


3. J’ai pris le parapluie parce que je veux sortir
4. J’ai pris le parapluie pour sortir

Quand le motif est exprimé par une forme causale, tous ses moments
essentiels sont en pleine lumière, comme dans un monde surréel sans
ombres. Quand elle est exprimée par une forme finale, au contraire, la
structure conceptuelle est en partie illuminée et en partie dans l’obscurité,
comme dans un tableau du Caravage. Bien sûr, l’admirateur d’un tableau
de Caravage reconstitue idéalement les parties cachées des personnages et
des scènes grâce à sa maîtrise d’un modèle partagé des êtres et des
situations. De la même façon, une phrase complexe de forme finale ne peut
être interprétée comme l’expression d’une action finalisée que si les
composantes conceptuelles cachées dans l’ombre – l’intention et la
décision du sujet – sont accessibles de quelque façon que ce soit (voir §
2.1). Mais il n’en reste pas moins vrai que ces composantes, dans la forme
finale, sont repoussées hors de la scène.

1.3. La modulation de la finalité grâce aux termes prédicatifs :


de la phrase complexe à la juxtaposition

L’expression du but dans la phrase complexe de forme finale, avec sa


perspective en raccourci entièrement construite par l’expression
linguistique, atteint sans doute le maximum de spécificité accessible à la
finalité, et identifie de ce fait une finalité au sens strict, paradigmatique :

4. J’ai pris le parapluie pour sortir

A l’autre extrémité de l’éventail des formes d’expression, la simple


juxtaposition d’énoncés indépendants est en même temps la structure la
plus rudimentaire et la moins marquée, car elle soumet au destinataire les
constituants bruts de l’action finalisée - une action et une intention - lui
laissant le soin d’inférer la relation – l’intention motive l’action :

5. J’ai pris le parapluie. Je veux sortir

Même dans cette expression extrêmement rudimentaire, toutefois, on


remarque que l’intention de l’agent exige la présence d’un terme prédicatif
122

approprié : dans notre exemple, le verbe vouloir. Par rapport à une forme
comme (4), nous sommes donc aux antipodes. Si (4) code une perspective
finale très spécifique et laisse dans l’ombre l’intention du sujet, (5) code
l’intention d’un sujet, grâce à la présence du verbe vouloir, mais n’impose
pas à l’action finalisée une perspective unitaire, et à plus forte raison une
perspective finale spécifique.
Entre la juxtaposition - ouverte à l’expression de l’intention du sujet
mais dépourvue de toute perspective finale - et la forme finale canonique -
qui sacrifie à la perspective l’expression ouverte de l’intention du sujet -
s’ouvre un espace intermédiaire où l’intervention de différents termes
prédicatifs, chacun avec son contenu spécifique, permet à chaque forme
d’expression de choisir l’emplacement de son propre édifice sémantique41.
D’une part, l’orientation décidément prospective de la phrase complexe
de forme finale peut être atténuée, et se doubler d’un détour par le passé de
l’intention et de la délibération si seulement un nom prédicatif approprié
est incorporé dans la locution prépositionnelle :

4c. J’ai pris le parapluie dans l’intention de sortir


4d. J’ai pris le parapluie dans le désir de sortir

De l’autre, l’absence totale d’une perspective finale typique de la


juxtaposition toute nue peut être corrigée en incorporant dans une locution
adverbiale anaphorique des termes prédicatifs caractérisés par une
orientation décidément prospective, comme but ou objectif :

5a. J’ai envie de sortir. Dans ce but, j’ai pris le parapluie

Une analyse fine et empiriquement exhaustive de l’espace interne


délimité par les deux options extrêmes et rempli par les différents termes
prédicatifs de l’aire conceptuelle de la finalité forme l’objet des prochains
chapitres de notre recherche.

2. AUX LIMITES DU BUT

41. Toute mince qu’elle puisse apparaître à la suite d’une certaine paresse
terminologique, la distinction entre structures conceptuelles et structures sémantiques
est essentielle, et entraîne toute une philosophie des formes symboliques. Une structure
conceptuelle peut être conçue indépendamment des formes linguistiques, qui se limitent
à la porter à l’expression. Par conséquent, elle n’a pas besoin d’un codage linguistique
ouvert, mais admet d’être inférée. Une structure sémantique, par contre, est le contenu
spécifique d’une forme linguistique, indissociable de celle-ci.
123

Dans la phrase complexe de forme finale, un contenu conceptuel - le but


d’une action - se combine avec une forme donnée – dans le cas le plus
simple, pour + infinitif – et avec une position donnée à l’égard de l’action
principale – l’expression du but est une proposition non complétive
intégrée dans le prédicat. Les structures que nous allons examiner
maintenant ont en commun le fait qu’une au moins des conditions données
ci-dessus n’est pas satisfaite.
Les structures décrites sous 2.1. partagent la forme des propositions
finales à l’infinitif mais pas leur contenu. Une forme d’expression finale
contient une relation finale restructurée, ou même pas de relation finale du
tout.
Les structures décrites sous 2.2. présentent à la fois une forme et un
contenu final, mais n’occupent pas la position canonique des propositions
finales à l’égard de l’action principale, car l’expression certaine d’un but
accompagne un procès avec lequel ce but n’entretient aucune relation, alors
qu’il est en relation avec une action dépourvue d’expression linguistique, à
savoir l’acte de parole lui-même.
Les structures décrites sous 2.3., finalement, présentent un contenu final
mais se distinguent des propositions finales canoniques tant dans la forme
que dans la position vis-à-vis de l’action principale. Leur forme est
contrôlée par le prédicat qui code l’action principale, ce qui trahit leur
nature d’arguments, et donc de propositions complétives enchâssées dans
la charpente grammaticale de la proposition principale. Les propositions
finales complétives se trouvent dans l’environnement de prédicats qui
codent des procès intrinsèquement complexes et intrinsèquement orientés
vers un but – typiquement, l’action de pousser quelqu’un à accomplir une
action.

2.1. Codage et inférence :


la déconstruction inférentielle de la relation finale

Comme nous l’avons signalé, une phrase complexe de forme finale ne


code ouvertement que la relation entre l’action principale et son objectif, et
laisse dans l’ombre toute la section occupée par l’intention et la décision de
l’agent. La phrase complexe, d’autre part, ne peut être interprétée comme
une relation finale cohérente que si l’intention et la décision d’un sujet sont
d’une façon ou d’une autre réintégrées dans le contenu. Or, au sujet de
cette réintégration, une question reste ouverte : comment se fait-il que la
composante non assertée de la relation finale soit finalement réintégrée
124

dans le contenu de l’expression finale ? Est-ce que cela arrive grâce au


codage ou grâce à l’inférence ?
La question reçoit une réponse certaine en présence de termes prédicatifs
comme intention ou désir, qui codent précisément les avatars subjectifs de
la relation finale. Mais en présence de connecteurs tout à fait réticents
comme pour ou pour que, en l’absence de toute référence directe à la
sphère subjective, cela a un sens de se demander si la restauration de
l’intention et de la décision du sujet se fonde sur le pouvoir de codage
autonome du connecteur, ou si elle se fait par inférence, et donc à partir des
propriétés conceptuelles des procès reliés et de leur attitude à entrer de
façon cohérente dans la structure d’une action finalisée.
Le premier point qu’il faut souligner est que cette question essentielle
demeure sans réponse tant qu’on reste dans le domaine des procès
cohérents. Les trois structures suivantes, par exemple, finissent par recevoir
toutes la même interprétation finale, mais il est impossible de faire le
partage des responsabilités entre codage et inférence. Comme les contenus
connectés s’insèrent parfaitement dans le moule conceptuel d’une action
finalisée cohérente, la relation pourrait être inférée aussi bien que codée.
Le codage, s’il y en a un, fait double emploi :
:

1. Jean travaille dur pour que les conditions de sa famille s’améliorent


2. Georges travaille dur dans le but de passer l’examen
3. Georges travaille dur pour passer l’examen

Tout au contraire, les hypothèses alternatives peuvent être facilement


testées si nous observons le comportement des connecteurs en présence de
procès conflictuels, qui n’acceptent pas d’entrer dans une relation finale
cohérente. Dans ces conditions, si l’attribution à l’agent d’une intention et
d’une décision est l’œuvre du codage, la relation finale ne peut pas être
défaite sous la pression des contenus conflictuels, et le résultat est une
structure finale incohérente. Réciproquement, si la relation finale s’écroule
sous la pression de contenus conflictuels, cela implique que l’attribution à
l’agent d’une intention et d’une décision n’est qu’une inférence, et plus
particulièrement, comme nous le verrons, une inférence sollicitée.
A la lumière des remarques précédentes, rapprochons donc les paires
d’exemples suivants :

1. Jean travaille dur pour que les conditions de sa famille s’améliorent


1a. Le fleuve traverse la plaine en traçant d’amples méandres pour que son
arrivée à la mer soit retardée
2. Georges travaille dur dans le but de passer l’examen
125

2a. Le fleuve traverse la plaine en traçant d’amples méandres dans le but de se


jeter dans la mer quelques kilomètres plus loin
3. Georges travaille dur pour passer l’examen
3a. Le fleuve traverse la plaine en traçant d’amples méandres pour se jeter dans
la mer quelques kilomètres plus loin

Les formes (1) et (2) codent réellement l’intention et la décision du sujet


comme implicature conventionnelle. La preuve de cela est le fait que (1a)
et (2a) gardent leur contenu final malgré l’incohérence que cela entraîne
sur le plan conceptuel. En (3a), tout au contraire, en l’absence de contenus
cohérents, le contenu final s’écroule. Cela prouve que la forme finale pour
+ infinitif n’est pas en mesure de coder la présence d’une intention et d’une
décision du sujet. Si elle réussit à l’exprimer, comme en (3), ce n’est que
grâce au secours de l’inférence, et donc en présence de contenus cohérents.
Dans les cas où les contenus des propositions connectées n’arrivent pas à
s’adapter à un schéma cohérent d’action finalisée, l’intention d’un sujet
n’est ni codée ni inférable. Par conséquent, la forme finale se vide de son
contenu, à l’avantage d’une famille d’options conceptuellement moins
contraignantes, dont chacune déconstruit la relation finale dans une
certaine mesure.
Le cas le moins radical de déconstruction inférencielle est illustré par
l’expression de la finalité objective, que nous avons déjà discutée :

4. Les arbres ont des racines pour se nourrir

Des expressions comme (5) et (6) ne sont pas cohérentes si la


subordonnée est censée décrire une intention du sujet, mais recouvrent la
cohérence si elle est censée décrire un événement qui frustre les projets du
sujet :

5. Jean s’est levé à l’aube pour rater son train


6. Jean s’est couché à neuf heures pour rester éveillé toute la nuit

L’échec de l’objectif visé n’a pas empêché l’intention de motiver l’action.


Le projet du sujet n’est donc pas effacé, mais sa réalisation est empêchée
par un antagoniste. Cette composante antiphrastique peut être explicitée
sans perte de contenu idéationnel par une paraphrase adversative ou
concessive :

5a. Jean s’est levé à l’aube mais a raté son train


6a. Même s’il s’est couché à neuf heures, Jean est resté éveillé toute la nuit
126

Quand le procès principal n’est pas une action accomplie en vue d’un
but, en revanche, tout lien entre la forme finale et le contenu final se
dissout. Des exemples comme (7) et (8) sont normalement interprétés
comme s’ils n’exprimaient rien de plus qu’une relation de succession
temporelle, en gros comme les paraphrases (7a) et (8a) :

7. Le fleuve traverse la plaine en traçant d’amples méandres pour se jeter dans


la mer quelques kilomètres plus loin
8. Mon oncle est resté immobilisé tout l’hiver pour mourir au début du
printemps
7a. Le fleuve traverse la plaine en traçant d’amples méandres et se jette dans la
mer quelques kilomètres plus loin
8. Mon oncle est resté immobilisé tout l’hiver et il est mort au début du
printemps

Le comportement de la forme finale avec pour répond parfaitement aux


propriétés qualifiantes de l’inférence sollicitée. Une inférence sollicitée,
comme nous l’avons déjà remarqué, est une inférence qui est encouragée
en première instance lors de l’utilisation d’une expression donnée. Mais si
un obstacle quelconque surgit des contenus connectés ou du contexte, une
inférence sollicitée est prête à faire place à une ou plusieurs options
alternatives supportées par les contenus en présence ou par le contexte.
C’est précisément ce qui se passe lorsqu’une expression finale de forme
pour + infinitif est utilisée.
Si toutes les conditions conceptuelles d’une action finalisée se réalisent,
l’intention et la décision sont attribuées au sujet, et la structure de l’action
finalisée est intégralement activée. Si quelques-unes de ces conditions
échouent, l’inférence sollicitée portant sur l’intention et la décision est
progressivement démantelée jusqu’à ce que la cohérence soit atteinte.
Dans les exemples (7) et (8), un obstacle ontologique bloque l’inférence
sollicitée : un fleuve ne peut pas accomplir une action, et tomber malade
n’en est pas une. La déconstruction de l’inférence sollicitée ne s’arrête qu’à
la hauteur de la succession temporelle, lorsqu’elle atteint, en même temps
qu’une relation cohérente, le socle codé.
Dans les exemples (5) et (6), l’obstacle est plus simplement factuel :
rester éveillé n’est pas le but visé par quelqu’un qui se couche tôt, ni rater
le train l’objectif de quelqu’un qui se lève à l’aube. Comme l’obstacle
factuel n’empêche pas le sujet de se proposer des objectifs et de motiver
par eux ses actions, la déconstruction de l’inférence sollicitée atteint la
cohérence à un niveau plus haut que la succession temporelle, à la hauteur
d’un contenu concessif ou adversatif.
127

Privée de son contenu idéationnel comme une coquille vide, la charpente


formelle de la phrase complexe de forme finale recouvre une justification
en termes de perspective : la forme finale impose à la séquence temporelle
des événements sa perspective unifiée caractéristique, qui dépeint le procès
principal comme une flèche lancée vers sa destination finale. Ce rèsultat
confirme le lien étroit entre codage et perspective dans la forme finale
standard, et s’adapte parfaitement au sémantisme de la préposition pour,
comme nous le verrons plus bas (Ch. X).

2.2. Le but du dit et le but du dire

Il y a des propositions qui, tout en présentant la forme typique d’une


finale, ne contribuent pas à construire le contenu de ce qui est énoncé, mais
qualifient l’acte même de dire, comme le ferait, en gros, un adverbe
comme franchement :

9. Pour parler franc, ton projet m’inquiète


10. Franchement, ton projet m’inquiète

Les structures que nous allons envisager rappellent de très près


l’expression du motif du dire et de la pensée (Ch III, § 3.2), à une
différence près. Les formes finales ne motivent que l’acte de parole, à
l’exclusion du raisonnement, une restriction qui se justifie aisément à partir
de leur orientation prospective plutôt que rétrospective. Un raisonnement
tire des conclusions d’un prémisse qui le précède, alors qu’un but est
projeté dans le futur.
Une structure comme (9) comprend une proposition finale – pour parler
franc – et une proposition indépendante – ton projet m’inquiète, indiquée
dorénavant comme p - qui se prèsente comme une proposition principale
mais qui, comme dans le cas de l’expression du motif de l’acte de parole,
n’exprime pas l’action principale dont la finale exprimerait le but. En fait,
entre p et la proposition finale il n’y a aucune relation conceptuelle directe.
Comme dans l’expression standard du motif du dire, l’acte de parole ne
reçoit pas d’expression linguistique, mais se montre immédiatement dans
une dimension indexicale.
Comme en présence du motif de l’acte de parole, le manque de relation
entre la finale et p est confirmé par le comportement de la structure.
En premier lieu, comme la finale se présente à l’infinitif, son sujet non
exprimé est contrôlé de l’intérieur de l’action principale, et coïncide avec
l’agent de celle-ci. Or, le sujet de la finale ne coïncide pas avec le sujet de
128

p, qui n’exprime donc pas le procès principal - et qui en plus, dans ce cas,
n’exprime même pas une action - mais coïncide avec le locuteur – avec
l’agent de l’action de dire, qui est donc l’action principale.
Comme l’expression du motif du dire, l’expression du but du dire
n’accepte ni d’être détachée par le faire ni d’être clivée :

9a. Ton projet m’inquiète. *Il le fait pour parler franc


9b. *C’est pour parler franc que ton projet m’inquiète

La première manipulation échoue du fait que le pro-prédicat le faire et son


sujet sont tous deux dépourvus d’antécédents discursifs, car l’action
principale et son agent - l’acte de dire et le locuteur – ne sont pas exprimés
mais simplement indiqués. La seconde, parce l’application du clivage
suppose une relation entre la finale et p, qui dans ce cas n’existe pas. En
fait, la finale et p ne sont que les deux fragments flottants et visibles d’une
action complexe submergée qui les inclut tous deux. Cette action
submergée est l’acte même de dire, dont p exprime l’objet – ce qui est dit –
et la finale le but. Or, il est clair que le contenu et le but de l’action de dire
n’entretiennent aucune relation entre eux en dehors de l’acte de dire.
Comme dans l’expression du motif du dire, nous pouvons, à partir des
deux fragments visibles, reconstituer un procès complexe structurellement
connecté : il suffit de soustraire l’acte de dire à sa dimension purement
indexicale et de le porter à l’expression :

11. Pour parler franc, je te dis que ton projet m’inquiète

La restauration du terme prédicatif principal – du verbe dire – aboutit à la


construction d’une action finalisée canonique : p recouvre sa place d’objet
direct de dire, alors que le but recouvre son lien avec l’action de dire.
Dans ces conditions, le comportement de la phrase complexe rentre dans
la norme. En premier lieu, le sujet implicite de la finale – le locuteur -
récupère son antécédent dans le sujet de dire. Ensuite, une fois que l’action
principale et son agent sont spécifiés, la reprise en le faire et le clivage sont
admis :

11a. Je te dis que ton projet m’inquiète. Je le fais pour parler franc
11b. C’est pour parler franc que je te dis que ton projet m’inquiète

Tout cela sur le plan de la pure et simple architecture structurale. Si nous


considérons la fonction communicative, par contre, nous sommes
confrontés à une situation à première vue paradoxale. L’explicitation de
l’action principale, si elle restaure la structure de la phrase complexe
129

ramenant des fragments déconnectés dans un cadre structural unitaire,


introduit en même temps une distorsion de perspective qui compromet la
fonction. En (11), le contenu de la finale – la volonté du locuteur de
signaler sa propre franchise – est explicitement donné comme le but de
l’action de dire. Par là, la volonté du sujet de signaler sa franchise usurpe le
rôle de but de l’acte d’énonciation, ce qui ne correspond ni au contenu de
(9) ni à ce qu’on s’attend normalement d’un acte de parole. Observons les
exemples suivants, où la distorsion connaît un crescendo de (11) à (11b) :

9. Pour parler franc, ton projet m’inquiète


11. Pour parler franc, je te dis que ton projet m’inquiète
11a. Je te dis que ton projet m’inquiète pour parler franc
11b. C’est pour parler franc que je te dis que ton projet m’inquiète

En (9), le locuteur parle pour communiquer un certain contenu, et signale


en même temps, à l’arrière-plan, son attitude de locuteur - une attitude
franche. En (11) et surtout en (11a) et en (11b), il affirme que le but de son
acte de parole consiste à signaler sa franchise.
Tout cela montre qu’une structure grammaticalement non intégrée
comme (9) peut s’acquitter de sa fonction mieux qu’une structure
grammaticalement impeccable. Cela peut sembler paradoxal si nous
voyons l’expression linguistique aux travers de nos dogmes – par exemple,
si nous pensons qu’une expression structurellement impeccable assure par
définition sa fonction mieux qu’une expression dépourvue de structure. En
fait, il est raisonnable de penser qu’un statut structural fluctuant convient
parfaitement aux expressions – adverbes ou propositions subordonnées –
chargées de laisser transparaître l’attitude énonciative du locuteur dans les
coulisses de l’acte de parole et sans perturber son équilibre interne.

2.3. Le but comme argument

Il y a des propositions au contenu final dont la fonction ne consiste pas à


exprimer le but d’une action principale saturée, mais qui interviennent dans
la structure d’un procès intrinsiquement complexe pour saturer l’une de ses
valences. Il s’agit donc de propositions complétives qui fonctionnent
comme autant d’arguments d’un prédicat principal.
Les propositions exprimant le but comme argument se trouvent dans le
contexte immédiat de deux classes de verbes qui dénotent des actions
intrinsèquement finalisées : les verbes de mouvement et de déplacement
130

d’une part, les verbes exprimant un effort du sujet et les verbes directifs42
de l’autre :

12. Jean est allé acheter du pain


13. Jean a envoyé Luc acheter du pain
14. Jean s’efforce de terminer son article pour dimanche
15. Jean a poussé Georges à terminer son article pour dimanche

Les verbes intransitifs de mouvement et les verbes transitifs de


déplacement se caractérisent par le fait qu’ils possèdent une double valence
directionnelle, à savoir un argument locatif exprimant la destination (16,
16a, 17 et 17a), confié à une expression prépositionnelle de forme variable
en fonction des caractéristiques spatiales de la destination, et un argument
au contenu final (12 et 13), confié à une proposition complétive dont la
forme – l’infinitif simple - est en revanche rigide :

16. Jean est allé au cinéma


16a. Jean est allé en face du cinéma
12. Jean est allé acheter du pain
17. Jean a envoyé Luc au cinéma
17a. Jean a envoyé Luc en face du cinéma
13. Jean a envoyé Luc acheter du pain

La présence d’une double valence destination-but des verbes de


mouvement est cohérente avec la catégorisation de l’action finalisée
comme mouvement orienté et du but comme destination métaphorique
(voir Ch. VI).
Les verbes intransitifs d’effort et les verbes transitifs directifs dénotent
des actions intrinsèquement finalisées à l’accomplissement d’une action de
la part du sujet lui même (18 ; 14) ou du destinataire (15 ; 19) :

18. Jean cherche à terminer son article pour dimanche


14. Jean s’efforce de terminer son article pour dimanche
15. Jean a poussé Georges à terminer son article pour dimanche
19. Jean a conseillé à Georges de terminer son article pour dimanche

Les procès intrinsèquement finalisés peuvent présenter, en plus de la


forme de prédicats verbaux, la forme de prédicats nominaux avec verbe
support :

20. J’ai donné à Georges le conseil de terminer son article

42. Les verbes directifs sont définis par Searle (1975).


131

21. J’ai fait une tentative d’atteindre Luc

En présence de constructions à verbe support, cependant, il peut arriver que


l’argument-but du nom reçoive l’expression typique du but comme marge,
à savoir pour + infinitif :

22. J’ai fait un effort (plusieurs efforts) pour atteindre Luc

Le contenu des propositions subordonnées considérées ici est


indubitablement final. Cependant, cela ne tient pas au fait qu’un but
indépendant est connecté à une action à son tour indépendante, mais au fait
que le procès principal – le mouvement, l’effort, ou l’attitude directive –
est un procès intentionnel intrinsèquement orienté vers un but. On ne peut
pas simplement aller ; il faut aller quelque part ou aller faire quelque
chose43 ; on ne peut pas simplement conseiller à quelqu’un ; il faut
conseiller à quelqu’un de faire quelque chose. Cette intuition, en elle-même
bien fondée, est en plus confortée par un certain nombre de propriétés des
structures finales complétives que nous allons examiner brièvement.
Les propositions examinées ici ne se laissent pas détacher par le pro-
prédicat le faire et, à plus forte raison, par une reprise olistique comme cela
s’est passé :

12. Jean est allé acheter du pain


12a. Jean est allé. *Il l’a fait acheter du pain
13. Jean a envoyé Luc acheter du pain
13a. Jean a envoyé Luc. *Il l’a fait acheter du pain
18. Jean cherche à terminer son article pour dimanche
18a. Jean cherche. *Il le fait à terminer son article pour dimanche
14. Jean s’efforce de terminer son article pour dimanche
14a. Jean s’efforce. *Il le fait de terminer son article pour dimanche
15. Jean a poussé Georges à terminer son article pour dimanche
15a. Jean a poussé Georges. *Il l’a fait à terminer son article pour dimanche
19. Jean a conseillé à Georges de terminer son article pour dimanche
19a. Jean a conseillé à Georges. *Il l’a fait de terminer son article pour dimanche

43. Les verbes comme aller se distinguent de verbes comme se promener du fait
que les seconds, tout en comportant un déplacement dans l’espace et l’aptitude à
recevoir une destination ou un but, ne catégorisent pas ce mouvement comme étant
intrinsèquement dirigé vers une destination ou vers un but. Le mouvement qu’ils
dépeignent est pour ainsi dire intransitif. De ce fait, ils peuvent recevoir un but externe
– Marie se promène pour rester en forme – mais ne sont pas intrinsèquement orientés
vers un but : *Marie se promène acheter le pain.
132

L’incompatibilité entre la reprise et la proposition subordonnée n’est pas


en ce cas une simple question de cohérence conceptuelle, mais une
question de structure grammaticale. La reprise anaphorique coupe de
véritables relations grammaticales. Cela se justifie aisément en présence de
relations complétives, qui sont incluses dans le schéma d’arguments de la
principale.
En premier lieu, les propositions détachées présentent une forme
caractéristique, contrôlée par le verbe principal, et qui par conséquent ne se
justifie et ne reçoit sa valeur qu’en présence de ce verbe. Pour nous limiter
à nos exemples, aller et envoyer régissent une infinitive simple, chercher et
pousser une infinitive introduite par la préposition à, s’efforcer et
conseiller une infinitive introduite par la préposition de. Coupant les
propositions complétives du verbe qui les contrôle, la reprise élimine à la
fois la raison d’être de leur forme spécifique et leur valeur grammaticale.
Cela ne vaut pas pour l’expression canonique du but comme marge du
prédicat qui, possédant une forme indépendante du verbe principal, est
compatible avec toute action, et donc avec le proprédicat le faire qui les
remplace toutes.
Ensuite, une fois que la proposition subordonnée est coupée du verbe qui
la contrôle, son sujet est déraciné de l’actant coréférentiel qui le contrôle de
l’intérieur de l’action principale.
Dans le cas d’une relation finale canonique, située aux marges du
prédicat, le sujet implicite de la finale à l’infinitif coïncide avec l’agent de
l’action principale, indépendamment du contenu spécifique de celle-ci.
Comme elle épargne le sujet de l’action principale, la reprise en le faire ne
compromet pas la relation.
Dans le cas d’une finale complétive, en revanche, le contrôle du sujet
change en fonction du contenu de l’action principale.
En présence de verbes de mouvement et de déplacement, le sujet de la
complétive coïncide avec l’actant qui se soumet au mouvement, et donc
avec le sujet des verbes intransitifs et l’objet des verbes transitifs :

12. Jeani est allé øi acheter du pain


13. Jean a envoyé Luci øi acheter du pain

En présence de verbes de tendance et de verbes directifs, le sujet de la


complétive coïncide avec l’entité qui s’engage à accomplir l’action qu’elle
décrit. Il s’agira donc du sujet pour les verbes intransitifs de tendance et du
destinataire de la directive – en position tantôt d’objet direct, tantôt d’objet
indirect – pour les verbes directifs transitifs :
133

14. Jeani s’efforce de øi terminer son article pour dimanche


15. Jean a poussé Georgesi à øi terminer son article pour dimanche
19. Jean a conseillé à Georgesi de øi terminer son article pour dimanche

Dans les structures comme (13), (15) et (19), où le sujet implicite de la


finale ne coïncide pas avec celui de la principale, la reprise anaphorique du
prédicat principal prive la complétive à la fois du verbe principal qui la
contrôle et de l’antécédent de son sujet
En plus de ces remarques proprement grammaticales, justifiées par la
forme de codage relationnel de la relation complétive, d’autres critères
confirment nos conclusions.
Dans les cas où il n’est pas spécifié, l’argument ‘but’ des verbes directifs
et de tendance demeure latent, ce qui n’est pas le cas pour un but
canonique non complétif :

22. Je m’efforcerai [de ø]


23. J’ai convaincu Jean [à ø]

Avec les verbes de mouvement et de déplacement, la latence est moins


perceptible, car la simple spécification de la destination fait apparaître le
procès complet. Pour motiver un déplacement, apparemment, il suffit d’une
destination, ou d’un but. Cela dit, les deux arguments peuvent se cumuler :

24. Je suis allé en ville


25. Je suis allé acheter des livres
26. Je suis allé en ville acheter des livres

A la différence de la spécification d’un but canonique comme (27), la


spécification du but comme argument (28) n’est jamais récursive :

27. J’ai pris l’argent pour acheter ce manuel pour préparer l’examen
28. *Je te conseille d’acheter ce manuel de préparer l’examen

L’obstacle, manifestement, n’est pas conceptuel mais grammatical, car il


n’est pas incohérent que le but d’une action coïncide à son tour avec une
action accomplie en vue d’un but. Simplement, une fois l’action principale
saturée par le but argument, le but de rang inférieur sera exprimé comme
but canonique, situé aux marges du but-argument, comme le montre la
reprise en le faire de celui-ci :

29. Je te conseille d’acheter ce manuel pour préparer l’examen


29a. Je te conseille de le faire pour préparer l’examen
134

Finalement, le contrôle exercé par le verbe principal sur la complétive va


jusqu’à déterminer la nature ontologique de son contenu. Comme nous
l’avons déjà remarqué, le contenu d’une finale canonique peut être
n’importe quel type de procès, pourvu qu’il ne soit pas soustrait à
l’influence du sujet. Il peut s’agir indifféremment d’une action du sujet lui-
même (30), de l’action d’un tiers (31), ou d’un événement du monde
phénoménique (32) :

30. Je me suis levé tôt pour prendre le premier train


31. J’ai acheté des clous pour que Pierre répare la palissade du jardin
32. J’ai arrosé le jardin pour que l’herbe pousse

Le contenu de l’expression complétive du but, au contraire, n’est cohérent


que s’il coïncide avec une action, ou avec un état qui résulte d’une action.
En plus, l’identité de l’agent est prédéterminée par le contenu de l’action
principale :

33. Je chercherai à partir avant huit heures


34. Je te conseille de partir avant huit heures
35. Je te conseille de maigrir pour le début de l’été

La structure (35) est interprétée comme si elle voulait dire, en gros, « Je te


conseille d’entreprendre des démarches qui t’amènent à être mince pour le
début de l’été ».
Indépendamment de leur contenu final, les propositions examinées ne
sont que des propositions complétives, et donc des relations grammaticales
en elles-mêmes vides de contenu. Si elles finissent par recevoir un contenu
final, ce n’est donc pas grâce à leur structure interne, mais grâce au
contrôle exercé sur elles, par l’intermédiaire d’une relation grammaticale,
par le verbe principal44.

Après ce détour aux frontières de la finalité, il est temps de retourner au


but canonique et à ses moyens d’expression privilégiés. Dans les prochains

44. Il est à remarquer que les verbes de communication, et en premier lieu dire,
admettent, à côté d’emplois liés à l’information et à la question, un emploi directif.
L’emploi informatif confie le contenu à une complétive en que + indicatif, alors que le
contenu de la directive est confié à une proposition complétive à l’infinitif : J’ai dit à
Jean que son père est parti ; J’ai dit à Jean de m’envoyer l’article avant samedi. J’ai
demandé à Jean de m’envoyer son article avant samedi. J’ai demandé à Jean s’il m’a
envoyé son article.
135

chapitres, nous allons élargir notre domaine d’étude au-delà des limites de
la phrase complexe, et aborder l’étude des termes prédicatifs engagés dans
l’expression de la finalité.
136
137

CHAPITRE V

TYPOLOGIE SEMANTIQUE DES PREDICATS DE BUT

A notre connaissance, il n’existe pas d’études (à l’exception de P. Cadiot


1990) portant sur le point de savoir si les différents moyens lexicaux
destinés à exprimer la finalité en français sont équivalents, si donc le but
traduit une relation linguistique unique et homogène. Dictionnaires et
grammaires énumèrent un nombre très restreint de relateurs, sans les
différencier du point de vue de leur sens. Tout juste signale-t-on des
restrictions concernant les temps et les modes ou des phénomènes
d’archaïsme.
Ainsi le dictionnaire latin-français Gaffiot traduit la conjonction latine ut
par afin que, pour que. Le dictionnaire grec-français Bailly rend de même
la particule grecque ina par afin que, pour que et inversement le
dictionnaire français-grec de Feuillet donne comme équivalent de afin que
les conjonctions ina, os, opos. Les dictionnaires modernes adoptent une
attitude similaire. Le dictionnaire Pons (Klett) traduit um..zu par pour, afin
de. Le mot Absicht y est traduit tantôt par but (jd verfolgt eine Absicht mit
etw : qq poursuit un but avec qc) tantôt par intention (in der Absicht etw zu
tun : dans l’intention de faire qc). Le même dictionnaire propose um…zu
pour afin de et damit pour afin que (afin qu’on puisse vous prévenir : damit
wir Ihnen Bescheid geben können). On voit que toutes les descriptions
admettent implicitement que les différents relateurs expriment une seule et
même idée : un homme agit consciemment d’une certaine façon parce qu’il
veut obtenir un résultat donné.
Cette unanimité est due vraisemblablement au fait que ces ouvrages
adoptent une perspective pratique qui banalise la signification induite par
les éléments lexicaux en jeu ainsi que les conséquences syntaxiques qu’ils
induisent. La question mérite pourtant d’être posée : est-il vraiment
indifférent du point de vue linguistique de traduire une relation finale par
afin que, dans le but de, dans l’intention de ou avec le désir de ? Voilà
l’objet de ce chapitre. Mais avant de répondre à cette question, il nous faut
présenter les outils théoriques que nous allons mettre en oeuvre pour
étudier la signification et la syntaxe propres à chaque relateur.
138

1. UN OUTIL D’ANALYSE : LES CLASSES D’OBJETS

Un des problèmes majeurs que rencontre toute description linguistique


est constitué par la polysémie. Le phénomène est d’autant plus massif qu’il
affecte presque tous les mots. Un dictionnaire d’usage courant comme le
Petit Robert comprend 60.000 entrées correspondant à 300.000
significations. Dans cet ouvrage, un mot a donc en moyenne cinq sens
différents. La façon dont un cerveau humain discrimine ces emplois pour
trouver le sens exact en contexte est loin d’être connue. Il est vraisemblable
qu’interviennent beaucoup de paramètres, parmi lesquels il faut compter la
prise en compte de la situation, la connaissance du monde, des facultés
d’inférence très générales, des intuitions psychologiques, etc.
Ces sources d’informations sont évidemment hors du champ du
traitement automatique, qui ne peut prendre en compte que les indications
relevant de la distribution des mots, c’est-à-dire de critères formels. Le
premier outil de structuration dont on dispose, dans ce cadre, pour
interpréter les mots est constitué par la notion de phrase simple, définie
comme un prédicat accompagné de ses arguments. C’est un fait
d’expérience qu’un prédicat, en cas de polysémie, n’a pas les mêmes
schémas d’arguments pour ses différentes significations. Prenons, à titre
d’exemple, un des sens du verbe prendre illustré par l’exemple Nous avons
pris le train. Si nous remplaçons ce complément par un substantif comme
bus, alors on aura le même emploi, puisque nous sentons intuitivement que
les deux substantifs font partie du même paradigme. Si, en revanche, nous
utilisons un substantif comme steak, nous obtenons alors un emploi
différent, dans le paradigme duquel pourraient figurer omelette, jambon,
fromage. Un autre emploi mettrait en jeu des noms de « voies » (route,
chemin, autoroute), dans ce cas, prendre aurait pour synonyme un verbe
comme emprunter.
Il va de soi que bien d’autres propriétés séparent ces trois emplois. On
admettra donc que la polysémie d’un prédicat peut être mise en évidence
par la description de ses classes d’arguments. Cette procédure mérite une
réflexion de fond, car la description des arguments comme outils de
reconnaissance des emplois de prédicats présente quatre niveaux de
précision successifs.
Il existe des prédicats qui acceptent dans une position argumentale
donnée n’importe quel substantif : ils ne sélectionnent donc aucune classe
déterminée. Il s’agit de verbes comme passionner (quelqu’un) quant au
sujet et parler de quant à l’objet. Nous noterons ces substantifs simplement
par N sans autre spécification :
139

passionner (N, Paul)


parler (Paul, de N)

Ces verbes ne sont pas très nombreux et ne posent pas de problèmes de


codage, comme on le voit. Il suffit de noter l’argument par un N générique.
Un deuxième groupe de prédicats sélectionne de grandes classes
sémantiques (que nous appelons traits ou hyperclasses) et qui
correspondent à ce que l’on a coutume d’appeler des restrictions de
sélection. Leur nombre s’élève à six, compte tenu du fait que pour certains
prédicats les végétaux mais pas pour tous, les animaux et les humains sont
des concrets :

Humain : Paul a réfléchi (à ce problème)

Animal : Tous les animaux ont crevé

Végétal : Cette plante (germe, se fane)

Concret : Nous avons déplacé ce caillou

Locatif : Cette route mène de Paris à Versailles

Temps : Cette cérémonie a duré deux heures

Si l’on veut reconnaître automatiquement les emplois représentés par ces


verbes, il est nécessaire de coder au regard de ces hyperclasses tous les
substantifs d’une langue donnée. Celles-ci permettent déjà un premier tri
dans la description des emplois de prédicats. Parmi tous les sens possibles
du verbe abattre et qui sont de l’ordre de la vingtaine, on peut déjà
reconnaître grâce à elles quatre emplois différents qui reçoivent chacune
une traduction particulière en allemand, par exemple : abattre un homme
(tot schiessen), abattre un arbre (fällen), abattre un animal (schlachten),
abattre une cloison (abreissen). On voit donc que ce niveau d’analyse est
nécessaire dans bien des cas.
Il existe ensuite des verbes dont le spectre distributionnel est plus
restreint et que les traits que nous venons de dégager ne décrivent pas avec
la précision nécessaire à la reconnaissance des emplois. Pour spécifier ces
verbes, il faut forger des classes sémantiques spécifiques à chacune de
leurs positions argumentales, de sorte que si on décrit ces classes en
140

extension, on sera en mesure d’énumérer toutes les phrases possibles avec


un emploi de prédicat déterminé.
Prenons le cas du verbe nommer dans la structure N nomme N N. Les
trois arguments désignent des humains. Cependant, cet emploi ne saurait
être illustré par le schéma d’arguments suivant : (Hum)1 nomme (Hum)2
(Hum)3. Admettons, pour simplifier, que les deux premiers arguments
soient respectivement Jean et Paul. Le troisième argument ne peut être
codé à l’aide du trait général « humain », car tous les substantifs humains
ne sont pas autorisés dans cette position. Ce paradigme accepte seulement
un sous-ensemble des humains qu’on pourrait appeler la classe des
<fonctions> et qui comprendrait des noms comme président, secrétaire,
adjoint, ministre, etc. On a nommé Paul secrétaire de séance. Prenons un
autre exemple. Un des multiples emplois du verbe passer est illustré par la
phrase suivante : Mon frère est passé capitaine. S’il est assez naturel de
penser qu’en position de sujet on peut mettre n’importe quel humain, ce
n’est pas le cas du complément. Une description comme passer (Hum,
Hum) est trop riche, il faut l’appauvrir car elle générerait des phrases
déviantes comme *Mon frère est passé (cousin, menteur, clochard). La
classe sémantique qui prédirait des suites grammaticales serait ici
<grade> : sergent, capitaine, colonel dans le domaine militaire et maître-
assistant, maître de conférences, professeur dans le domaine universitaire.
Nous appelons ces classes plus restreintes des classes d’objets.
Prenons deux autres exemples mettant en jeu respectivement les traits
« locatif » et « concret ». Un prédicat comme surface (avoir une surface
de) peut s’appliquer à n’importe élément de la classe. En revanche, le verbe
emprunter ne fonctionne pas avec tous les locatifs mais seulement avec la
classe d’objets des <voies> : Pour aller à Paris, il vaut mieux emprunter la
nationale 7 ; le car a emprunté une route départementale. D’autre part, si
l’on veut décrire les différents emplois du verbe porter, on est obligé de
créer, à titre d’exemple, la classe des <vêtements>, puisque la traduction en
anglais de ce verbe est spécifique à cette classe (to wear et non to carry).
On admettra que le nombre de classes d’objets dans une langue donnée est
un problème empirique : il faut en créer autant qu’il est nécessaire pour
rendre compte des arguments caractérisant les prédicats de cette langue.
Nous allons nous servir de cette notion de classes d’objets pour décrire les
substantifs prédicatifs qui figurent dans les locutions conjonctives. On voit
donc que pour décrire un prédicat donné, il faut être en mesure d’énumérer
l’ensemble des éléments lexicaux qui, pour un sens défini, peuvent figurer
dans ses différentes positions argumentales.

2. LES CLASSES DE PREDICATS


141

Parallèlement, il est indispensable de mettre au point des classes de


prédicats. Les raisons en sont multiples. En voici une des plus importantes.
On sait qu’il existe, à côté des prédicats verbaux, des prédicats nominaux,
qu’il importe évidemment de pouvoir conjuguer. On sait en outre que pour
les verbes, on a mis au point plus de 130 types de conjugaisons, qui rendent
compte de toutes les formes rencontrées. Les prédicats nominaux sont
conjugués, comme nous l’avons vu, par des verbes supports. Mais, à la
différence des verbes, pour lesquels il n’existe aucune corrélation entre le
sens et la conjugaison, les substantifs prédicatifs prennent des supports en
fonction de leur signification.
Trois grandes divisions sont à envisager, les actions, les états et les
événements, correspondant respectivement aux verbes supports généraux :
faire (faire un travail), avoir (avoir bon caractère), avoir lieu (un séisme
avoir lieu). Notre classification repose sur la nature des supports. Elle
s’écarte donc de celle de Z. Vendler 1967 (états, actions, accomplissements
et achèvements) ou de J. Pustejovsky (états, processus, transitions). Mais il
se trouve que ces trois supports ne s’appliquent pas à tous les prédicats de
leur classe. Pour ne prendre en compte que les actions, on est contraint de
mettre au point les classes suivantes pour trouver le support adéquat :

1) opérations techniques ou administratives : procéder à

Alors on procède au démoulage de la statue


Les gendarmes ont procédé à l’arrestation des coupables

2) crimes et délits : commettre, perpétrer ou consommer :

Ce gang a encore (?fait, commis) un assassinat


Le crime qu’il a perpétré est encore plus abominable
Il a (?fait, consommé) un forfait inhumain

3) bruits vocaux : émettre ou pousser :

Le blessé (?fait, émet) des râles


L’enfant a (?fait, poussé) un cri terrible

4) pression, contrainte, violence, oppression : exercer

Le comité (*fait, exerce) une certaine contrainte sur les électeurs


Luc (?fait, exerce) une grande violence contre ses camarades
Ce poids (?fait, exerce) une pression trop grande sur les essieux

5) coups : donner
142

Luc a (*fait, donné) un(e) (coup, gifle, claque, torgnole) à Paul

6) perception visuelle : avoir, jeter

Luc a une vue splendide sur le Mont-Blanc


Luc a jeté un (regard, coup d’œil) sur ce travail

7) sentiments : avoir, ressentir, éprouver

Luc a le désir de réussir


Luc éprouve le désir de bien faire

D’autres raisons encore poussent à mettre au point des classes de


prédicats. Les aspects sont en relation directe avec les classes sémantiques.
Si on veut prédire les éléments lexicaux qui les traduisent, il faut au
préalable avoir codé chaque prédicat de ce point de vue. De façon générale,
les classes déterminent les compatibilités avec les adverbiaux. Vendler
1967 a montré que les prédicats duratifs sont compatibles avec un
complément de temps de type pendant deux heures (il a couru pendant
deux heures) tandis que les « accomplissements » vont de pair avec des
compléments de temps du type en deux heures (il est arrivé en deux
heures). Les notions de verbe support et de prédicat nominal, qui ont été
mises au point à d’autres fins, nous serviront ici à analyser dans le détail
les relateurs de but.

3. LES NOTIONS DE PREDICATS ET DE SUPPORTS APPROPRIES

Pour rendre compte des prédicats, nous avons montré plus haut qu’il est
nécessaire de subdiviser les substantifs-arguments à deux niveaux
différents, celui des hyperclasses et celui de classes d’objets. Le sujet d’un
verbe comme réfléchir peut être n’importe quel humain. On dira donc que
ce verbe est un prédicat général de la classe des humains tout comme
ordonner, prier, raconter, sangloter, etc. De même, des prédicats comme
avoir (une surface de), avoir (une étendue de) peuvent s’appliquer à tous
les locatifs et seront donc considérés comme des prédicats (ou des
opérateurs) généraux de ce groupe. Un prédicat général est celui qui, dans
une position argumentale donnée, accepte tout substantif défini par une
hyperclasse (humain, animal, locatif, etc.).
On appellera prédicat approprié un prédicat qui, dans une de ses
positions argumentales, nécessite un substantif relevant, non de
l’hyperclasse en général, mais d’un de ses sous-ensembles, appelé classe
143

d’objets. Ainsi, emprunter est un prédicat approprié à la classe des


<moyens de transports en commun> ; roulant est un prédicat adjectival
approprié à la classe des <voies> ; éplucher à la classe des <légumes> ;
rédiger à la classe des <textes> ; manier à la classe des <outils>.
Il en est de même des verbes supports. On dira que le verbe faire est un
verbe support général des prédicats nominaux relevant des actions. Mener,
en revanche, est un support approprié à la classe des <combats> ; donner
est approprié à la classe des <coups> ; éprouver ou ressentir à celle des
<sentiments> ; porter à celle des <aides> ; exercer à celle des <pressions>.

4. APPLICATION AUX PREDICATS NOMINAUX DES LOCUTIONS CONJONCTIVES

Nous allons appliquer aux substantifs qui figurent dans les locutions
conjonctives l’outil théorique que nous venons de présenter. Nous ferons
ainsi un pas de plus dans la compréhension des mécanismes qui sous-
tendent les subordonnées circonstancielles et, en particulier, les finales.
Prenons, dans la liste des substantifs relateurs de finalité que nous
fournissent les grammaires, les quatre substantifs suivants : but, vue,
intention et désir, que l’on peut illustrer par les phrases suivantes :

Paul a fait cela dans le but d’alerter la population


Paul a acheté ce livre en vue de le traduire
Marie est allée à la mairie avec l’intention de se renseigner
Luc est parti au loin avec le désir de voir le monde

Essayons de dégager les classes d’objets correspondant à ces quatre


substantifs à l’aide des verbes supports et des prédicats appropriés à chacun
d’eux. Nous verrons qu’ils ont un statut sémantique très différent. Nous ne
donnons ici que les propriétés essentielles en vue d’établir notre
typologie. Nous poursuivrons la description de chaque classe dans les
chapitres suivants.

4.1. Substantifs locatifs

Le caractère locatif du substantif but est bien établi sur la base d’un
exemple comme Tu es encore loin du but. Mais il s’agit d’un type
particulier de locatif. Ce n’est pas un « scénique » désignant un endroit où
se passe une action ou un événement, comme dans Il s’est produit un grave
accident à Paris. Il s’agit d’un « lieu orienté », que l’on cherche à
rejoindre, la destination d’un itinéraire, comme le montrent les prédicats
appropriés, verbes ou adjectifs :
144

Paul s’approche du but


Paul a atteint son but
Paul se détourne du but de son voyage
Paul est allé droit au but
Le but de ce voyage est encore lointain

On peut ranger dans cette même classe de locatifs des substantifs comme
cible, lieu d’arrivée, objectif, fin, terme, etc. Nous montrerons au chapitre
suivant que l’emploi final de ces termes est dérivé métaphoriquement de
cet emploi locatif. Nous verrons aussi que tous ces substantifs n’ont pas été
utilisés par la langue pour traduire la finalité.

4.2. Prédicats de perception

On n’a pas de peine à classer le substantif vue parmi les noms de


perception. La construction en vue de est cependant spécifique. Il ne s’agit
pas des emplois habituels de ce mot que l’on a dans Paul a une bonne vue,
Paul a vue sur la mer, à la vue de ce spectacle, Paul a pâli mais, en
quelque sorte, d’une construction inverse ou passive. La phrase Les
premières collines sont en vue est à peu près synonyme de On voit les
premières collines. La préposition en joue un rôle syntaxique dans la
formation de passifs nominaux de nature durative. A partir d’une phrase
comme On est en train de procéder à la réfection de ce tableau on obtient
un passif du type Ce tableau fait l’objet d’une réfection ou Ce tableau est
en réfection. On voit que le relateur en vue de, bien qu’il s’agisse d’un
prédicat de perception, a en commun avec le substantif but, la notion
d’orientation : il s’agit de l’expression métonymique pour le point
d’aboutissement du regard. A la même classe sémantique appartient un mot
comme perspective.

4.3. Prédicats « d’intention »

Si l’on compare à ces deux catégories le substantif intention, que l’on


pourrait ranger dans la classe des opérations mentales désignant des
<projets>, on voit apparaître de grandes différences. Aucun emploi
métaphorique d’origine locative n’est possible :

*aller droit à l’intention


*atteindre l’intention
*parvenir à l’intention
*toucher à l’intention

*dans l’intention lointaine de


145

*dans l’intention inaccessible de


*dans une intention à long terme

Les substantifs de cette classe désignent une propriété humaine par


excellence, celle d’être en mesure d’orienter des efforts conscients vers la
réalisation d’une fin désirée. Ici, ce qui provoque l’action n’est pas un lieu
que l’on cherche à atteindre mais une décision intérieure, consciente et
maîtrisée, qui précède l’action et pousse l’agent à l’accomplir. Cette
interprétation est bien illustrée par les adverbes intentionnellement, sans
intention de la donner (i.e. mort) qui, dans le droit pénal, constitue des
critères motivant telle ou telle sanction. Notons que l’adjectif inconscient
n’est pas possible : *avec l’intention inconsciente de. Ce substantif est
caractérisé par une syntaxe spécifique comprenant :

1) des verbes supports standards ou appropriés :

avoir l’intention de
caresser l’intention de
nourrir l’intention de

2) des verbes prédicatifs :

afficher son intention de


marquer son intention de

3) des adjectifs :

une intention (arrêtée, consciente, ferme, ferme et définitive, manifeste,


délibérée) de

4.4. Prédicats de sentiments

Si, enfin, nous examinons le comportement du substantif désir, qui fait


partie de la classe des <sentiments>, nous observons que certains supports
sont identiques à ceux de la classe des <projets> :

Avoir l’(intention, le désir) de


Caresser (l’intention, le désir) de
Nourrir (l’intention, le désir) de

Mais une étude plus poussée montre que les deux ensembles sont disjoints :

verbes supports :
146

éprouver (*l’intention, le désir) de


ressentir (*l’intention, le désir) de

prédicats appropriés :

brûler (*de l’intention, du désir) de

adjectifs appropriés

avoir un (vif, violent, ardent, profond, impérieux) désir de


avoir un désir (brûlant, insatiable, véhément, invincible) de

Tous les substantifs de sentiments ne se prêtent pas à traduire une


relation finale entre deux propositions. Il s’agit essentiellement des
substantifs qui sont synonymes de désir. Nous examinerons au chapitre IX
les restrictions portant sur les éléments de cette classe.

4.5. Problèmes d’hyperonymie

On voit donc que les substantifs qui figurent dans les locutions
conjonctives de but ne sont interchangeables que si on oublie les
différences syntaxiques que nous venons rapidement de mettre en
évidence. On ne peut croire, même implicitement, à l’unité sémantique de
la finalité que si on reste à un niveau très général et très superficiel qui ne
prend les locutions que comme des suites compactes dépourvues de
restructuration et de paraphrases.
Si on laisse de côté pour le moment la préposition pour et la conjonction
pour que, on observe que l’expression de la finalité en français tire ses
moyens lexicaux de quatre classes sémantiques différentes du point de vue
du sens et des constructions syntaxiques. Cela pose un problème de
dénomination de ce type de subordonnées. Le terme de but relève, comme
nous venons de le montrer, de la classe des locatifs, dont il a le
comportement syntaxique. Il ne peut donc pas être considéré comme un
hyperonyme de l’ensemble des substantifs que nous allons étudier dans ce
livre. Il en est de même du terme de finalité qui a des propriétés voisines de
but mais très différentes de celles de intention, projet ou désir. On est donc
devant un trou lexical. Pour des raisons de commodité, nous continuerons à
parler de but et de finalité sans donner cependant à ces termes le sens
précis qui se dégagera de nos analyses.
Dans les chapitres qui suivent, nous étudierons dans le détail les
différents types sémantiques de finalité et les particularités de chacun
147

d’eux. Nous observerons que les classes que nous venons de dégager
génèrent des constructions très différentes. Nous allons auparavant montrer
ce que toutes ces classes ont de commun, pour éviter des redites
ultérieures.

5. CARACTERES COMMUNS DE TOUS LES PREDICATS NOMINAUX DE BUT

Nous avons vu plus haut que les substantifs qui figurent dans les
locutions conjonctives sont des prédicats nominaux qui expriment le motif
qu’a le sujet de la principale de faire une action en vue du résultat
escompté que traduit la subordonnée finale. Les observations que nous
allons faire s’appliquent aux constructions libres, dont nous avons parlé
dans le chapitre précédent et non aux locutions dont le substantif a perdu
toute relation syntaxique avec les éléments qui l’entourent.

5.1. Ce sont des noms prédicatifs

Les substantifs qui figurent dans les locutions conjonctives sont des
noms prédicatifs, car ils ont des arguments : respectivement un sujet
humain coréférent à celui du verbe principal et un objet phrastique, à savoir
la subordonnée circonstancielle, qui n’est en fait qu’une complétive :

Paul(1) est sorti ce soir. Paul(1) avait l’intention d’aller au cinéma


Paul(1) est sorti ce soir. Il(1) avait l’intention d’aller au cinéma

C’est la coréférence entre les sujets de même qu’une cohérence


sémantique générale entre les deux prédicats qui font que « principale » et
« subordonnée » constituent un "texte" et non des phrases indépendantes
isolées :

Paul est sorti ce soir, avec l’intention d’aller au cinéma

Un certain nombre de ces substantifs ont des formes verbale ou


adjectivale associées (désirer, avoir le désir de, être désireux de), ce qui
confirme leur statut de prédicats mais d’un type particulier : ce sont des
connecteurs, c’est-à-dire des prédicats du second ordre.

5.2. Ils ont des restructurations communes

La mise en évidence par c’est…que est possible pour toutes les


subordonnées finales :
148

C’est dans le but de faire plaisir à son père que Paul a dit cela
C’est dans l’intention de faire plaisir que Paul a dit cela
C’est avec le désir de faire plaisir que Paul a dit cela
C’est en vue de faire plaisir que Paul a dit cela

De plus, ces prédicats nominaux ont une syntaxe identique du point de


vue de la restructuration des trois prédicats qui les constituent. Ils peuvent
faire l’objet d’une triple thématisation, affectant le prédicat de la
principale, celui de la subordonnée et celui qui se « cache » derrière le
connecteur :

Thématisation du prédicat de la principale :

Paul a dit cela dans le but de faire plaisir


Paul a dit cela avec l’intention de faire plaisir
Paul a dit cela avec le désir de faire plaisir

Thématisation du prédicat de la subordonnée :

Faire plaisir était de but de Paul en disant cela


Faire plaisir était l’intention de Paul en disant cela
Faire plaisir était le désir de Paul en disant cela

Thématisation du relateur :

Le but de Paul en disant cela était de faire plaisir


L’intention de Paul en disant cela était de faire plaisir
Le désir de Paul en disant cela était de faire plaisir

Ces restructurations ne sont pas possibles avec les quelques locutions


finales dont la syntaxe fait l’objet de restrictions :

Paul a dit cela en vue de faire plaisir


*La vue de Paul en disant cela était de faire plaisir

Paul a dit cela afin de faire plaisir


?La fin de Paul en disant cela était de faire plaisir

5.3. Ils ont des supports généraux communs

Tous les prédicats nominaux peuvent être actualisés par le verbe support
avoir, à l’exception des substantifs locatifs, où ce verbe correspond à une
autre construction :
149

Paul a l’intention de réussir


Paul a le désir de réussir

Paul a (?le, comme) but de réussir

On notera que le nombre de supports spécifiques à chaque classe est


beaucoup plus élevé.

5.4. Ils ont des verbes appropriés communs

Un certain nombre de verbes appropriés peuvent apparaître avec


l’ensemble des substantifs de but. Le verbe réaliser est de ceux-là :

Paul voulait réussir. Il a réalisé son (but, intention, désir)

Un autre groupe de verbes décrit l’attitude du sujet, capable de tenir son


intention secrète ou non :

Paul a (caché, dissimulé) son (but, intention, désir)


Paul a (dévoilé, avoué, affiché) son (but, intention, désir) de partir

Une autre classe de verbes appropriés est constituée par le couple


poursuivre, renoncer à :

Paul voulait se venger mais il a renoncé à (ce but, cette intention, ce désir)
Paul poursuit son (but, intention, désir) de se venger

Les verbes que nous avons signalés ont le même sujet que celui de la
principale. D’autres verbes mettent en jeu un acteur différent. Là aussi, il y
a des séries sémantiques :

Paul a (deviné, discerné) (le but, l’intention, le désir) de Paul de partir


Paul a (approuvé, contrarié) (le but, l’intention, le désir) de Paul de partir
Paul a (révélé, divulgué) (le but, l’intention, le désir) de Paul de partir

5.5. Ils ont des adjectifs appropriés communs

Un grand nombre d’adjectifs peut s’appliquer à l’ensemble des substantifs


relateurs de but. On constate là aussi des séries sémantiques bien
délimitées, qui correspondent souvent aux classes de verbes. On observe :

a) des adjectifs indiquant un jugement de valeur. L’affirmation est dans ce


cas prise en charge par le locuteur et non par le sujet de la principale. Il
150

peut se produire que ces deux personnes soient les mêmes. En général, le
locuteur prend de la distance et juge les motivations de celui qui a agi.
Parmi les plus fréquents dans les textes (Frantext) on trouve : absurde,
extravagant, ambitieux, généreux, légitime, criminel, cupide, coupable,
perfide, louable. La liste est évidemment beaucoup plus longue. Comme
nous le verrons plus bas, il y a des noms qui incorporent cette composante
axiologique (par ex. illusion, prétention).
b) des adjectifs d’ostension. Une des caractéristiques sémantiques du but
est qu’il peut être avoué ou caché. Dans un grand nombre de circonstances
humaines, le domaine politique, par exemple, une des règles de l’efficacité
est de cacher les motifs de l’action ou d’en afficher de faux en vue de
dérouter ou de tromper l’adversaire. Beaucoup d’adjectifs traduisent cette
possibilité : secret, caché, avoué.
c) des adjectifs « d’observation ». Ces adjectifs diffèrent des précédents par
le fait qu’ils ne décrivent pas la motivation du sujet mais représentent le
point de vue du locuteur portant un jugement sur les motivations du sujet.
Le locuteur essaie ainsi d’étayer son analyse quant aux motivations qu’il
prête à l’auteur de l’action. On a alors des adjectifs comme : clair, évident,
manifeste, apparent, visible
d) des adjectifs restrictifs. Ces adjectifs ont une fonction voisine de ceux
qui précèdent. Il s’agit, pour le locuteur, d’attribuer une intention exclusive
à l’auteur de l’action, accentuant ainsi sa responsabilité en cas de délit, par
exemple. Les adjectifs sont les suivants : seul, unique, seul et unique,
exclusif, précis. La restriction peut aussi être traduite par ne…que : Paul
n’est parti que dans le but d’embêter son voisin.
e) des adjectifs de probabilité. Le locuteur peut porter un jugement sur les
chances qu’a l’auteur de parvenir au résultat souhaité en agissant comme il
le fait. Le jugement porte alors sur la lucidité du sujet. C’est ce que
traduisent des adjectifs comme : vain, fallacieux, etc.

5.6. La négation et l’interrogation portent sur la circonstancielle

Il a souvent été remarqué (entre autres P. Cadiot 1990 ; M. Piot 1978)


qu’en cas de négation, celle-ci ne porte pas sur le prédicat de la principale
mais sur celui de la subordonnée :

Paul n’est pas venu dans le but de s’en aller tout de suite
Si Paul est venu, ce n’est pas dans le but de s’en aller tout de suite

Cette phrase ne nie pas la venue de Paul, elle nie simplement la véracité de
l’intention qu’il dit avoir eue ou qu’on lui a prêtée. C’est une occasion
151

supplémentaire de faire remarquer que la subordonnée n’est pas effaçable,


sinon il y aurait contradiction entre les deux phrases. On peut en dire autant
de l’interrogation qui porte, elle aussi, non sur la circonstancielle mais sur
la principale :

Est-ce pour s’en aller tout de suite que Paul est venu ?

5.7. Ils peuvent être suivis d’un « correctif »

La finalité peut être définie comme la recherche d’un résultat grâce à une
action délibérée destinée à l’obtenir. Il va de soi que, comme toute chose
humaine, ce résultat peut ne pas être au rendez-vous. Aussi n’est-il pas
étonnant de constater qu’une phrase finale peut être continuée par une
phrase en mais qui révèle que l’objectif visé n’a pas été atteint et traduit
ainsi l’espoir déçu :

Paul a fait un pas pour arranger les choses, mais (il a échoué, n’a pas réussi,
ça n’a pas marché, etc.)

On voit donc que les propositions finales ne doivent pas être identifiées
aux causales, malgré ce qu’en dit Aristote. Une construction causale
implique nécessairement une conséquence, sous peine qu’il n’y ait pas
cause, alors que ce lien n’est pas nécessaire dans le cas des finales.

6. LE RELATEUR NE PEUT PAS ETRE EFFACE

Il est bien connu qu’une relation causale peut s’établir entre deux
phrases, indépendamment de tout mot de liaison, par le seul fait d’une
inférence qu’on peut établir entre deux événements, en fonction de
certaines connaissances que l’on a du monde. Cette relation est bien
entendu rendue explicite par la présence d’un connecteur :

Paul est tombé. La route était glissante


Paul est tombé parce que la route était glissante

La même observation peut être faite pour les consécutives :

La route était glissante. Paul est tombé


La route était glissante, de sorte que Paul est tombé

A la différence des causales et des consécutives, la finalité ne peut pas


être exprimée par une simple juxtaposition. Une « reconstitution »
152

semblable n’est pas possible pour le but. La séquence *Paul a travaillé très
fort. Il réussit qui comprend deux phrases ne peut pas être interprétée
comme synonymes des phrases :

Paul a travaillé très fort avec l’intention de réussir


Paul a travaillé très fort. Il avait l’intention de réussir

Si la séquence est vraiment interprétable, alors la relation qu’on postule


est de nature consécutive et non finale : Paul a travaillé très fort, de sorte
qu’il a réussi. Le but exige donc toujours la présence d’un prédicat
traduisant explicitement cette relation. Cette remarque vaut évidemment
quand le relateur n’est pas incarné par un connecteur (une locution par
exemple) mais par un prédicat verbal. En effet, dans Paul est parti. Il
voulait changer d’air, il n’y a pas de vraie parataxe, bien que l’on ait
affaire à deux propositions « indépendantes ». Le verbe conjugué de la
seconde joue le rôle d’un connecteur tout autant que la forme nominale ou
la « locution » : Paul est parti, (il avait, avec) la volonté de changer d’air.

7. SOURCE DE LA PREPOSITION AVEC

Nous avons montré plus haut que les substantifs figurant dans les
locutions conjonctives sont des prédicats nominaux dont le sujet est
coréférent à celui du prédicat de la principale, comme on le voit dans
l’exemple suivant :

Jean a répondu longuement ; il avait le désir de tout expliquer

où le prédicat nominal est conjugué à l’aide du verbe support avoir.


Remarquons que la même idée pourrait être exprimée par une forme
verbale ou adjectivale :

Jean a répondu longuement ; il désirait tout expliquer


Jean a répondu longuement ; il était désireux de tout expliquer

Il est possible de supprimer l’actualisation de ces prédicats et cela en deux


temps. Tout d’abord, on peut effacer le temps en réduisant l’actualisation
au participe présent :

Jean a répondu longuement, ayant le désir de tout expliquer


Jean a répondu longuement, désirant tout expliquer
Jean a répondu longuement, étant désireux de tout expliquer
153

On observera que dans ces dernières phrases, il reste la marque


aspectuelle, comme le montre la possibilité d’avoir l’inaccompli et
l’accompli : (ayant, ayant eu) le désir de tout expliquer. Cette information
peut à son tour être effacée dans certains cas. Avec la construction
adjectivale, il suffit d’effacer le participe du verbe être : Jean a répondu
longuement, désireux de tout expliquer. Cette possibilité n’existe pas avec
la construction verbale : *Jean a répondu longuement, désirer tout
expliquer. La construction nominale a une forme particulière de réduction
du support avoir, c’est la préposition avec : Jean a répondu longuement,
avec le désir de tout expliquer. La locution avec le désir de n’est donc rien
d’autre qu’une construction prédicative qui a perdu son actualisation
propre (un premier pas sur le chemin de la grammaticalisation) et qui hérite
de celle du prédicat de la proposition principale. Cette analyse de la
préposition avec comme forme non-actualisée de avoir est fondée sur
d’autres exemples. Dans une phrase comme Paul a répondu avec beaucoup
de franchise, le support normal de prédicat franchise est avoir : Paul a eu
beaucoup de franchise dans sa réponse. On admettra donc que la
préposition avec a une source identifiable.
154
155

CHAPITRE VI

LES LOCATIFS DE BUT

Parmi les substantifs-pivots des locutions conjonctives (ou prépositives)


finales figurent un certain nombre qui, comme nous l’avons dit au chapitre
précédent, sont au sens propre des noms de lieu. Il s’agit de but, cible, fin,
objectif et, d’autre part, des substantifs comme destination, finalité dont le
fonctionnement syntaxique est un peu différent. La typologie des différents
relateurs de but que nous avons établie repose sur une base sémantico-
syntaxique, celle des classes d’objets. Nous étudions maintenant les
propriétés des substantifs locatifs dans leur interprétation finale. Nous
commencerons par le substantif but que nous considérons comme un
élément prototypique de cette classe. A ce titre, nous ferons à son propos
toutes les remarques communes à tous les locatifs. Nous décrirons ensuite
les particularités des autres substantifs. Nous partons donc de la
construction :

Paul a répliqué violemment à ces attaques, (avec comme, dans le) but d’arrêter
immédiatement la polémique

dans laquelle nous analysons le substantif but comme un prédicat, puisqu’il


a des arguments. En cela, la métaphore qui opère sur l’emploi locatif pour
en faire une expression finale entraîne un changement de catégorie pour le
substantif but : d’argument, il prend maintenant une fonction prédicative.
Nous allons d’abord examiner ses arguments, nous verrons ensuite
comment ce prédicat s’actualise (en d’autres termes quels sont ses verbes
supports), nous analyserons enfin les prédicats appropriés qui lui sont
particuliers.

1. LEUR SUJET
156

Avant d’analyser le sujet des prédicats nominaux de but, nous allons


examiner une règle de grammaire restreignant la nature du sujet de la
principale.

1.1. Sur une règle de grammaire

Une règle généralement admise affirme qu’une contrainte impose un


sujet humain à la proposition principale de la phrase à subordonnée finale
(voir en particulier M. Piot 1979:31, 1986). Cette affirmation semble
intuitivement fondée sur l’idée que seul un être humain est doté de la
liberté de poser un acte volontaire et conscient destiné à entraîner un
résultat souhaité. Nous allons examiner en détail ce fait de syntaxe
important, en mettant l’accent sur les incidences que notre analyse a sur la
description de la finalité. Eliminons d’abord des contre-exemples connus
mais qui ne sont que superficiels. Dans une phrase comme Les fruits sont
alors macérés dans le vinaigre pour mieux les conserver le sujet de la
principale n’est pas un humain. Cependant, on voit clairement que le verbe
macérer, ici au passif, n’a pas de sujet exprimé, puisque le complément
d’agent est effacé. La solution la plus simple consiste à postuler
l’effacement de par on, ce qui donne une phrase active correspondant au
schéma prévu On macère alors les fruits dans le vinaigre pour mieux les
conserver. Cette description reste valable si on remplace la préposition
pour par une locution conjonctive On macère les fruits dans le vinaigre
dans (l’intention, le but) de mieux les conserver. Généralement, on peut
donc récupérer le sujet humain grâce à des relations syntaxiques évidentes.

1.2. Un cas particulier : les locatifs

N. La Fauci 1988 : 39 fait remarquer que « si on combine ces substantifs


(i.e. les connecteurs de finalité) avec un verbe support (avoir), les
constructions qui en dérivent manifestent une importante asymétrie : les
constructions avec intention, crainte, idée, espoir, pensée, etc., n’acceptent
qu’un sujet humain, mais cette restriction ne marque pas la construction de
but, qui accepte un sujet humain et un sujet non restreint ».

Le sabotage des câbles électriques avait pour but de provoquer un incendie

Nous ajoutons seulement à l’observation de N. La Fauci que cette propriété


ne s’applique pas seulement au substantif but mais à tous les substantifs de
« lieu » que nous avons cités plus haut :
157

Le sabotage des câbles électriques avait pour (objectif, fin, destination,


finalité) de provoquer un incendie

Observons d’abord un fait important : ce substantif n’est pas actualisé par


le support avoir :

*Paul est intervenu ; il avait le but de plaire


*Les amis sont venus ; ils avaient le but de nous saluer

De ce fait, il n’est pas étonnant de voir que la préposition avec, qui en est la
forme non actualisée, ne soit pas possible non plus :

*Paul est intervenu avec le but de plaire


*Les amis sont venus avec le but de nous saluer

Si l’on veut maintenir un sujet humain en position frontale, il faut ajouter


les éléments comme ou pour :

Luc a fait cette intervention, il avait (comme, pour) but de plaire


Les amis sont venus, ils avaient (pour, comme) but de nous saluer

Ces constructions sont bien connues par ailleurs. Il s’agit de ce qu’on a


appelé des opérateurs à lien, dont on donnera ici un exemple simple. Soit
le prédicat relationnel frère, qui a deux arguments humains Paul est le
frère de Jean, phrase dans laquelle c’est le sujet Paul qui est thématisé. Si
nous mettons l’accent sur le complément Jean, en le plaçant au début de la
phrase, nous obtenons une construction en avoir comme ou avoir pour :
Jean a Paul (comme, pour) frère.
Appliquons maintenant cette restructuration à la construction que nous
étudions, nous obtenons L’intervention (qu’a faite, de) Luc avait pour but
de plaire et en revenant à la construction de base Plaire était le but
qu’avait l’intervention qu’a faite Luc. D’où par l’effacement du verbe
support : Plaire était le but de l’intervention de Luc. D’autres
restructurations sont possibles Plaire était le but qu’avait Luc en faisant
cette intervention. Par réduction du prédicat de la subordonnée, on obtient
Plaire était le but de Luc et par retournement Le but de Luc était de plaire.
La structure source Plaire était le but que Luc s’est fixé en faisant cette
intervention montre que le sujet de but est une phrase et que le support de
ce substantif est le verbe être. Cette phrase-sujet ne constitue pas un
paradigme avec un sujet humain, pour plusieurs raisons. D’abord, les
verbes supports ne sont pas les mêmes : avec un sujet phrastique, on a le
support être et avec un sujet humain le support à lien avoir (comme, pour) :
158

Luc avait (comme, pour) but de plaire. Ensuite, il ne semble pas que ce
sujet humain soit un « vrai » humain. En effet, c’est la réduction d’une
phrase à son sujet, comme dans les exemples bien connus comme agacer,
qui peut avoir une lecture non agentive : Paul agace Jean. Cette lecture
implique un complément : Paul agace Jean par son comportement
représentant une restructuration de : Le comportement de Paul agace Jean.
Nous avons déjà signalé que l’analyse que N. La Fauci fait du substantif
but s’applique à la totalité de nos substantifs locatifs :

*Paul est parti en Amérique, il avait l’objectif de s’enrichir


Paul est parti en Amérique, il avait comme objectif de s’enrichir

Le fait que but ait un sujet phrastique explique une tournure particulière
correspondant à une dislocation :

Cette réplique avait pour but de clouer le bec à l’adversaire


But de la réplique : clouer le bec à l’adversaire

Certaines expressions peuvent être considérées comme figées :

But de l’opération : récupérer les sommes engagées


But de la manœuvre : neutraliser l’ennemi d’hier
Le but recherché : trouver une porte de sortie

On conclura de cette analyse que le sujet du substantif but est une phrase à
sujet humain, qui par des restructurations différentes peut voir thématiser
soit le prédicat soit le sujet humain.

2. VERBES SUPPORTS

Nous venons de voir que le support basique des prédicats locatifs est le
verbe être, compte tenu du fait que le sujet cohérent est la phrase finale :

Régler ses affaires est le but de la visite de Paul


Mettre les choses au point est l’objectif de la remarque de Jean

Le verbe avoir doit être considéré comme un opérateur à lien et induit par
une réorganisation de la phrase. Il ne doit pas être confondu avec le verbe
avoir des autres classes que nous étudierons dans les chapitres suivants
(Paul est venu, il a l’intention de reprendre les affaires en main). En fait,
cet opérateur à lien comprend les formes pour et comme :

Cette visite (de Paul) a (pour, comme) but de régler ses affaires
159

Cette remarque a (pour, comme) objectif de mettre les choses au point

et par réduction :

Paul a (pour, comme) but de régler ses affaires


Paul a (pour, comme) objectif de mettre les choses au point

A côté de ces verbes, qui sont des supports de façon évidente, on en


trouve quelques autres qui sont appropriés à ces substantifs et sur le statut
desquels il est difficile de se prononcer. Il s’agit des verbes se fixer
comme/pour (but, objectif) ; se donner pour/comme ; s’imposer
comme/pour ; s’assigner comme/pour. On retrouve ici les formes pour et
comme qui montrent une relation évidente avec avoir (pour, comme)

Paul s’est (fixé, donné, assigné, imposé) pour objectif de surmonter cette
difficulté

Une des raisons qui nous pousseraient à les considérer comme des
supports tient au fait qu’ils peuvent être effacés sans perte d’information. A
partir d’une phrase comme Nous connaissons tous le but que Paul s’était
fixé, nous obtenons par effacement Nous connaissons tous le but de Paul.
Cet effacement ne serait pas possible dans Nous connaissons tous le but
que Paul a rappelé qui ne saurait être synonyme de Nous connaissons tous
le but de Paul. Nous considérons ces verbes comme des définisseurs de la
classe des locatifs, car ils ne sont possibles avec aucun autre prédicat de
finalité : *se donner pour vue de, *se donner pour intention de, *se donner
pour désir de.
Une autre particularité des constructions locatives par rapport aux autres
prédicats de but tient au fait qu’avec eux il n’y a pas obligatoirement
coréférence entre les différents sujets (voir la fin de ce chapitre) :

Paul s’est assigné pour but de surmonter cette difficulté


Paul a assigné à Luc comme objectif de surmonter cette difficulté
Paul a imposé à Luc comme but de réussir cet examen

3. PREDICATS VERBAUX APPROPRIES

Nous examinons ici les verbes appropriés à ces substantifs qui, grâce à la
métaphore, conservent leur syntaxe dans l’emploi final. Notons que si on
réduit la relation finale aux seules locutions conjonctives, on occulte des
centaines d’expressions d’usage courant que nous allons examiner
maintenant.
160

a) Prédicats d’ « accomplissements » :

Il y a tout d’abord des verbes, souvent de mouvement, que Vendler a


appelés verbes « d’accomplissement » et qui indiquent que l’on est parvenu
au terme d’un processus. Ces verbes sont spécifiques des noms de lieux, à
la fois dans leur emploi normal d’arguments et dans leur fonction de
prédicats comme ici. Nous donnons chaque fois un premier exemple
représentant un locatif « pur » pour mieux mettre en évidence la similitude
de construction de l’emploi final :

Paul (a atteint, est parvenu à, a touché) (la ligne d’arrivée, la ville-étape)


Paul désirait changer l’ambiance, il a atteint le but qu’il s’était fixé
Paul voulait marquer le coup , il est parvenu à son but
Paul s’était proposé de changer la situation, il touche à son but

b) Prédicats directionnels :

Paul est allé droit sur son adversaire


Paul voulait le contredire. Il est allé droit au but
Réussir ce coup était le but vers lequel il tendait

On voit ici à l’œuvre la même métaphore locative que précédemment.

c) Prédicats de « changements de direction » :

Comme la finalité, exprimée à l’aide des substantifs que nous étudions,


peut être considérée comme un « itinéraire » menant à un point que l’on
veut rejoindre, il est logique de rencontrer des verbes désignant des
déviations par rapport à cette trajectoire :

Paul s’est détourné de son lieu de vacances


Paul ne se laisse pas détourner de son but final
Paul tourne le dos au but initial qu’il s’était fixé

d) Prédicats de "distance" :

La métaphore locative est clairement mise en évidence par la syntaxe de


ces relateurs :
Paul veut rejoindre le sommet avant le soir. Il est encore loin du but
Paul veut reprendre les affaires en main. Il est encore loin (du but, de
l’objectif) qu’il s’était fixé
Paul est tout près du but
161

Tout effort qu’il faisait le rapprochait du but qu’il s’était fixé

e) Prédicats de réussite ou d’échec :

Nous avons déjà signalé que le but est différent de la cause en ceci que
la cause implique deux événements réalisés, tandis que le but est un
événement seulement potentiel, ce qui met en évidence la possibilité de
continuer une phrase finale par mais :

Paul a dit cela dans le but de convaincre mais il n’a pas réussi

Cette possibilité interprétative est souvent prise en charge par des verbes
spécifiques :

Paul souhaitait atteindre le sommet mais il a raté sa tentative


Paul voulait se faire connaître. Il a raté son (but, objectif)
Malgré tous ses efforts, Paul a manqué son (but, objectif)

f) Prédicats de « progression » ou d’« effort » :

Des prédicats traduisent le maintien du cap ou l’effort déployé en vue du


résultat désiré :

Paul poursuit le but qu’il s’était fixé de changer la situation


Paul (maintient, tend vers) ce but

g) Verbes de « renoncement » :

Ces verbes sont spécifiques des locatifs puisque aucun d’eux ne


s’emploie avec les autres substantifs (*se détourner de son désir,
*abandonner son désir)

Paul s’est détourné du but qu’il s’était fixé

h) Prédicats de perception :

Une métaphore militaire explique peut-être que des verbes de perception


comme viser ou avoir en vue puissent s’employer avec ces substantifs :
En faisant cela, Paul (visait, avait en vue) un (but, objectif) caché
Paul a perdu de vue le but qu’il avait en venant
Paul a les yeux fixés vers le but à atteindre
162

Cependant, ces constructions n’ont que des emplois anaphoriques. Les


substantifs ne peuvent pas être suivis d’une phrase :

*Paul visait (le, comme) but de chercher des cigarettes

i) Prédicats psychologiques ou de « quête » :

Certains prédicats psychologiques peuvent être considérés comme


appropriés aux prédicats de nature locative que nous examinons :

Trouver la solution était un but auquel il aspirait depuis longtemps


Ce but, il le recherchait depuis longtemps
Il est tout entier tendu vers ce but

4. ADJECTIFS APPROPRIES

Nous ne reprenons pas ici les adjectifs généraux qui s’appliquent à tous
les substantifs de but mais seulement ceux qui sont appropriés aux
substantifs locatifs que nous étudions.

a) Parmi les adjectifs les plus fréquents dans Frantext, on relève des
adjectifs d’interprétation locative, ce qui souligne encore l’unité
sémantique de cette classe :

Luc a fait cela dans le but (lointain, éloigné) de changer la situation


Luc a tenté le coup, avec l’objectif (rapproché, qu’il croyait proche) de
décrocher le gros lot
Son objectif immédiat est de trouver du travail
L’objectif à long terme de l’Europe est d’avoir une politique étrangère
vraiment commune

b) Tout comme les lieux, les buts et les objectifs peuvent être d’accès aisé
ou difficile :

Paul veut décrocher ce diplôme. Cet objectif est inaccessible pour lui
Le but que Paul s’était fixé était (facile, difficile) à atteindre
Il s’est exercé dans le but inaccessible de conquérir ce sommet

c) Les objectifs peuvent être d’importance diverse :

Paul veut clarifier la situation. Ce but est (prioritaire, incontournable)


L’objectif principal de Luc est de satisfaire les clients
163

d) Les raisons d’une action peuvent être étalées dans le temps :

Paul s’est ressaisi dans le but (immédiat, final, ultime) de se comporter comme
tout le monde
Son but initial était de construire une maison. Il a changé d’avis depuis
longtemps

Nous attirons l’attention sur l’importance de ces adjectifs pour la définition


de la classe des prédicats locatifs de finalité. Aucune autre des classes
sémantiques que nous étudions par la suite n’accepte un adjectif comme
final : *dans l’intention finale de, *avec le désir final de, * dans le dessein
final de. Il se pourrait que ces adjectifs s’expliquent du fait de l’origine
militaire de ce vocabulaire, une stratégie n’étant jamais une donnée
immédiate.

e) Les raisons d’agir peuvent être multiples :

Paul a agi dans le double but de plaire à son père et d’imposer sa volonté

5. LE SUBSTANTIF BUT

Nous analysons ici les propriétés du substantif but et les restrictions


syntaxiques qui le caractérisent. Parmi les substantifs locatifs, il est le plus
fréquent et le plus général du point de vue du sens. Il fait partie du
vocabulaire général et n’a pas une connotation essentiellement militaire
comme objectif ou cible. Voici ses principaux sens selon le GDEL :

1) Point matériel que l’on prend pour cible, que l’on veut toucher avec un
projectile (mettre sa flèche dans le but).
2) Point que l’on doit atteindre le premier pour avoir gagné (toucher le
but).
3) Endroit où les joueurs doivent venir se placer ou se réfugier pour ne pas
être pris.
4) Cadre dans lequel le ballon doit aller (tirer au but).
5) Endroit où l’on se propose d’arriver (Paris était le but de notre voyage).

Ce substantif est curieusement assez récent et ne s’est répandu qu’au 16e


siècle à la fois « dans son sens concret de point que l’on vise (1534), au
sens extensif de terme, point que l’on se propose d’atteindre (1538) et au
sens figuré de fin que l’on se propose (1552) »

5.1. Nature de la préposition


164

L’analyse de la structure de base montre que le sujet des prédicats


locatifs de finalité est une phrase et que leur support est être et non pas
avoir. Cela explique que la préposition avec, que nous considérons comme
une variante non-actualisée de ce support, ne se rencontre presque jamais.
Nous n’avons trouvé qu’un exemple dans un corpus journalistique
conséquent (cinq années du journal Le Monde) : avec le but affiché de
mener une nouvelle politique. Nous avons déjà signalé plus haut l’origine
syntaxique de la construction avec (comme, pour) but de. Nous ne la
reprenons pas ici. La préposition qui figure normalement dans la locution
est dans. Nous ne revenons pas non plus sur certaines considérations
puristes rejetant l’usage de cette préposition avec un locatif dynamique
comme but. Les œuvres les plus soucieuses de correction en fourmillent.
En cas de négation, on utilise la préposition sans : Il est parti à Paris, sans
but bien précis.

5.2. Détermination du substantif but dans la locution

La détermination dans la locution est assez régulière et n’a guère de


restrictions. On note

a) le-Modif : dans le but de réussir, dans le but avoué de réussir


b) un-Modif : dans un but de réussite, dans un but avoué de réussite

à l’exclusion de zéro-Modif : *dans but de réussir, *dans but de réussite.


La détermination anaphorique est régulière : dans ce but, dans un tel but,
dans un but pareil, dans un but de ce genre, dans un but similaire, dans le
but qu’on vient de dire, dans un but identique. Mais l’anaphorisation de la
subordonnée seule n’est pas possible *dans le but de quoi, il est allé
prendre des allumettes. On constate aussi la détermination négative dans
aucun but précis, dans nul autre but, interrogative et exclamative dans quel
but ?, dans quel but !, indéfinie dans un certain but. Nous examinerons
plus bas la forme de la subordonnée en fonction de la nature du
déterminant.

5.3. Pluriel

Le substantif but n’est qu’au singulier dans la locution dans le but de. De
même, quand le déterminant est l’indéfini un que suit une circonstancielle,
le pluriel est absent *dans des buts de faire plaisir. En revanche, s’il est
actualisé, il peut être mis au pluriel : Paul poursuit des buts contradictoires
165

conformément aux buts annoncés ; ces deux buts étant atteints ; les deux
autres buts de la réunion étaient restés secrets. Il y a donc une différence
de comportement syntaxique du point de vue de la détermination selon que
le substantif figure dans la locution ou dans une construction régulière.

5.5. Formes de la subordonnée

Comme nous l’avons dit, la forme de la subordonnée est dépendante de


la nature du déterminant. Cette relation n’est pas claire. Nous allons voir
que certains déterminants induisent une forme déterminée de la
subordonnée sans que les raisons en apparaissent clairement.

5.4.1. Subordonnée en que P

Nous avons déjà signalé que la forme en que P(subj) de la finale ne


s’observe jamais dans les textes. Cette restriction n’a pas de justification
immédiate, d’autant que dans une autre distribution la subordonnée
conjuguée est possible Le but qu’il s’était fixé est que tous partent
contents.

5.4.2. Infinitif

L’infinitif est la forme normale des prédicats verbaux dans la


subordonnée. L’infinitif peut être à l’actif, au passif ou à la forme
pronominale :

Paul a dit cela dans le but de (d’expliquer la situation, d’être compris de tout le
monde, de se faire comprendre).

La forme est l’infinitif présent, à l’exclusion évidente du passé pour des


raisons de compatibilité sémantique avec la notion de finalité, qui est de
nature projective.

5.4.3. Substantif prédicatif

La subordonnée peut être constituée par un prédicat nominal. Dans ce


cas, le déterminant est non pas l’article défini le mais l’indéfini un (le
pluriel des ne se rencontre pas) :
On a fait une exposition nationale, dans un but de promotion de nos produits
touristiques
Les circuits doivent être modernisés dans un but de visibilité pour le public
166

Cette mesure doit être prise dans un but de clarté sinon d’apaisement
Cette démarche a été faite dans un but de diversification des activités de
l’exploitation
Des millions de francs ont été distribués aux régions dans un but de
développement de l’emploi et de l’apprentissage,

Il n’est pas cependant totalement exclu de trouver le défini, mais alors le


déterminant du prédicat nominal doit être l’indéfini un et non l’article
zéro :

On a préparé un budget additionnel dans le but d’une réfection complète de la


toiture du monument

5.4.4. Forme adjectivale

Le prédicat nominal des phrases des subordonnées précédentes doit être


considéré comme un argument du substantif but, selon l’analyse que nous
avons faite plus haut. Nous avons vu que la subordonnée finale doit être
considérée comme le sujet du substantif but et non comme son
complément. Or, il existe des adjectifs qui peuvent jouer ce même rôle
d’arguments :

Le président a fait un voyage


Le voyage que le président a fait
Le voyage du président
Le voyage présidentiel

On admettra que l’adjectif présidentiel joue ici le même rôle de sujet du


prédicat voyage que le génitif subjectif du président. Cette même
équivalence se rencontre dans les constructions finales que nous étudions,
avec la même condition que le déterminant soit l’indéfini un :

On devra prendre ces mesures dans un but (d’éducation, éducatif)

Les deux constructions ne sont pas toujours possibles en même temps :

dans un but ( ?de thérapie, thérapeutique)

Il reste que cette forme de subordonnée est très fréquente dans la presse :
167

Dans un but (commercial, décoratif, défensif, descriptif, éducatif)


Dans un but (utilitaire, militaire)
Dans un but (philanthropique, politique)

5.4.5. Expressions figées

Les substantifs que nous étudions entrent dans une série d’expressions
plus ou moins figées qui leur sont propres :

Paul ne veut pas en être la victime, c’est déjà un but en soi


Paul voulait s’expliquer clairement. Il est allé droit au but
Paul s’est déclaré : but de (l’opération, de la manœuvre) : annoncer sa
candidature

6. LE SUBSTANTIF OBJECTIF

Le substantif objectif a des propriétés syntaxiques proches de celles de


but. Il s’agit bien d’un « lieu orienté » comme l’atteste le verbe atteindre
(Paul a atteint son objectif). Le sens premier est d’ordre militaire « Point,
ligne ou zone de terrain à battre par le feu (tir, bombardement) ou à
conquérir par le mouvement et le choc (attaque) » (GDEL) ; « Point contre
lequel est dirigée une opération stratégique ou tactique ; résultat qu’on se
propose d’atteindre par une opération militaire» (GR). Dans ce sens, le
mot est assez récent et semble dater du milieu du siècle dernier. Le sens
final date, d’après le DHLF, de 1874 avec comme signification de « but
que l’on assigne à l’action ». Ce sens final est généré par la métaphore qui
remplace un lieu par un résultat.

6.1. Syntaxe

La syntaxe de ce substantif est proche de celle de but qu’on vient de


voir. Nous ne notons donc ici que les différences. Cette date tardive
explique peut-être que ce substantif n’a pas formé de locution bien
établie : ?dans l’objectif de. La forme directe en avec est assez rare pour
les mêmes raisons que celles que nous avons mentionnées dans le cas de
but : le support est être avec la finale comme « sujet » : Récolter le plus
d’applaudissements possibles était l’objectif que cet orateur s’était fixé en
flattant les députés de la majorité, à quoi s’applique la restructuration par
l’intermédiaire de l’opérateur à lien : Le fait de flatter les députés de la
majorité avait pour objectif de la part de cet orateur de récolter le plus
d’applaudissements possibles ou encore Cet orateur avait pour objectif, en
168

flattant les députés de la majorité, de récolter le plus d’applaudissements


possibles.
Il reste que l’on trouve dans les textes des phrases du type : Ils ont pris
contact avec diverses firmes allemandes, avec l’objectif de réaliser un
réseau ; l’école a pu démarrer avec un objectif pédagogique clair ; il a
investi avec un objectif modeste d’enrichissement.

Les verbes appropriés sont identiques aussi :

Se donner, se fixer, s’imposer (un objectif)


Parvenir, accomplir, renoncer,
Atteindre, réaliser, poursuivre,
Être loin de notre objectif de rentabilité

On observe de même la construction causative :

Assigner, donner, fixer un objectif à quelqu’un

Le relateur objectif est cependant caractérisé par quelques prédicats


spécifiques comme : accomplir, respecter ( ?le but fixé, les objectifs fixés),
compromettre, satisfaire aux ( ?buts, objectifs fixés), échouer dans ses
( ?buts, objectifs), arrêter un ( ?but, objectif).
La même tournure réduite que nous avons notée pour but est possible ici,
surtout avec des adjectifs de « dévoilement » : Objectif (affiché, avoué) :
faire la révolution.

6.2. Formes de la subordonnée

Tout comme avec but, nous n’avons pas trouvé d’emploi de ce substantif
avec une subordonnée en que P : ?Tu as dit cela avec pour objectif que
tous soient précisément informés. Ce substantif implique donc une
coréférence obligatoire entre le

de la principale et celui de la subordonnée. L’absence de cette construction


dans les corpus est d’autant plus étonnante qu’on accepte sans difficultés
des suites qui semblent en être des restructurations : L’objectif que tu avais
en disant cela était que tous soient précisément informés. La forme
infinitive est naturelle du fait de la coréférence Tu as dit cela avec
169

l’objectif de convaincre tout le monde. Les prédicats nominaux ne


semblent pas possibles dans la finale :

*Tu as dit cela avec l’objectif d’une conviction


*Tu as dit cela avec un objectif de conviction

En revanche, les prédicats adjectivaux sont naturels :

Quand il est venu, il avait des objectifs purement commerciaux


Cette intervention n’avait qu’ un objectif électoral

6.3. Pluriel

Dans un grand nombre d’emplois, le pluriel est d’un emploi régulier :

Il avait un double objectif : réussir sans casser la dynamique


Son premier objectif était de survivre. On verrait après
Je lui ai d’abord demandé de préciser ses objectifs
Quels sont leurs objectifs qu’on nous avait assignés ?
Le délégué était resté fidèle aux objectifs affichés
Notre stratégie tournera autour de trois objectifs
Nous poursuivions hélas deux objectifs contradictoires

7. LE SUBSTANTIF CIBLE

Ce substantif, qui vient de la langue des archers, désigne « le but que


l’on vise et contre lequel on tire avec une arme lançant un projectile (arme
de jet , arme à feu) »(DHLF).Dans cet emploi, les verbes appropriés sont :
(viser, atteindre, manquer, toucher) une cible. Par extension, le mot
désigne tout objet que l’on veut toucher : prendre une bouteille pour cible.
Il est curieux de voir que la métaphore n’a guère été activée avec ce
substantif, comme avec but, dont le comportement sémantique est pourtant
très proche. Cible est resté exclusivement locatif. Ce qui interdit de parler
ici de finalité au sens habituel du terme, c’est que cible n’a pas
d’arguments phrastiques :

Réussir était (son but, son objectif, *sa cible)


?Quand il a pris la parole, il s’était donné pour cible de rectifier les erreurs
qui venaient d’être proférées.

Cette restriction est illustrée par l’impossibilité de certains verbes


caractéristiques des emplois finaux locatifs :
170

Se fixer pour (but, objectif, *cible) de réussir

Comme une cible désigne le lieu sur lequel on tire, il peut désigner
métaphoriquement des personnes qui font l’objet d’attaques verbales : Le
commissaire a été la cible d’attaques convergentes de tous les
intervenants ; autre cible privilégiée de la colère des parlementaires : le
ministre des finances ; les moins de 50 ans, cible privilégiée des
annonceurs. On est ici en présence d’un exemple intéressant de non-
régularité dans le processus de grammaticalisation et qui met en lumière
l’importance du lexique. S’il fallait trouver une explication, on pourrait
suggérer qu’un événement (une phrase finale) peut être pris en charge plus
facilement par un locatif impliquant un lieu (but, objectif) que par un
concret (cible).

8. LE SUBSTANTIF FIN

Ce substantif, que l’on trouve dans la locution afin que/de, a une syntaxe
plus figée que ceux que nous venons d’étudier, du fait qu’il est plus ancien
dans la langue. Son caractère locatif ne fait pourtant pas de doute, comme
le montrent certains verbes appropriés aux substantifs locatifs :

Luc voulait tirer l’affaire au clair : il est (arrivé, parvenu) à ses fins

Cette syntaxe est plus archaïque que celle des substantifs but et objectif.
Nous verrons plus loin les supports compatibles avec fin. Nous signalons
simplement ici une première restriction. Nous avons déjà vu que les
substantifs prédicats de finalité ont un sujet phrastique : Régler
définitivement l’affaire était le but que s’était fixé Paul, en procédant à la
rédaction de ce texte. Une restructuration possible donne Le but de la
rédaction de ce texte était de régler définitivement l’affaire. Cette liberté
syntaxique n’est pas possible avec fin : ?Régler définitivement l’affaire
était la fin que s’était fixée Paul en procédant à la rédaction de ce texte ;
*la fin de la rédaction de ce texte était de régler définitivement l’affaire.
On en conclura que le substantif fin est plus fréquent dans le cadre de la
locution que dans son emploi syntaxique libre.

8.1. Déterminants et formes de la subordonnée

Notons d’abord que la soudure dans afin que est purement graphique,
comme on le voit quand on insère un adjectif entre la préposition et le
171

substantif : la forme canonique avec l’accent grave reparaît : afin que/à


seule fin que.
On observera qu’ici seule la préposition à est possible dans la locution, à
l’exclusion de avec et dans, ce qui différencie fin des autres substantifs
locatifs. Nous avons déjà signalé qu’il existe une corrélation entre le
déterminant du relateur et la forme de la complétive (i.e. de la subordonnée
finale). Nous examinons successivement les différentes configurations.

a) La détermination la plus fréquente est l’article zéro (absence de


déterminant) et une subordonnée finale complète (en que P : Je l’ai dit afin
que tu le saches) ou réduite à l’infinitif (Je l’ai dit afin de t’en informer), ce
qui différencie le relateur fin de but et objectif .
Avec le déterminant zéro, le prédicat de la finale ne peut être
qu’actualisé. Aucun prédicat nominal ni adjectival n’est admis :

*On a archivé ces dossiers à fin de documentation


*On a archivé ces dossiers à fin documentaire

En cas d’absence d’article, le substantif ne peut pas non plus être au


pluriel :

*On a classé ces dossiers à fins de les conserver

L’absence d’article correspond donc à la construction spécifique qu’on


appelle « locution conjonctive ». Dans cette configuration, seul un nombre
limité d’adjectifs peut apparaître, comme les restrictifs : à seule fin (que,
de) ou éventuellement certains anaphoriques : à pareille fin.
b) Le déterminant le au singulier n’est jamais possible :

*Paul a dit cela à la fin que tous soient contents


*Paul se prépare à la fin de partir

Mais le pluriel les est attesté dans la forme contractée aux fins de, où la
réduction infinitive est obligatoire :

On a apporté le document au commissariat aux fins de les soumettre à une


expertise
*On a annoncé la date de départ, aux fins que tous puissent se préparer.

Sont exclus les prédicats nominaux et adjectivaux :

*On ouvre la mairie jusqu’à 20 heures aux fins que tous puissent voter
*On les a embarqués aux fins de rapatriement
172

*Il a émigré aux fins politiques

c) L’article indéfini ne s’observe guère au singulier mais il est normal au


pluriel. La subordonnée est alors nominale (sans actualisation) ou
adjectivale, à l’exclusion de la forme verbale :

? On a apporté ces produits à une fin de distribution


*Luc est venu à des fins que tous soient contents
*Luc est venu à des fins de faire plaisir à son père

On a fait venir la police à des fins d’enquête


Paul s’est fait connaître à des fins politiques
Luc a fait de la publicité à des fins commerciales

8.2. Autres déterminants

La plupart des autres déterminants que nous avons évoqués au chapitre


II sont compatibles dans le cadre de la locution introduite par à, à
l’exception de l’anaphorisation de la seule circonstancielle. Cela est vrai
non seulement en cas d’article zéro (*afin de quoi, *afin de cela, *afin de
là), mais aussi avec l’article indéfini pluriel (*à des fins de quoi, *à des fins
de cela, *à des fins de là). En revanche, les autres anaphores sont
régulières, qu’il s’agisse d’anaphore définie (à cette fin, à ces fins) ou
générique (à pareille fin, à telle fin, à semblable fin). De même, on peut
avoir des déterminants négatifs (à nulle autre fin, à aucune fin précise),
interrogatifs (à quelle fin ?) ou exclamatifs (et à quelle fin !).

8.3 Verbes supports

Nous venons de décrire le substantif fin dans le cadre de la locution


conjonctive, c’est-à-dire la construction non-actualisée, ce qui est son
emploi le plus courant en français moderne. Nous examinons maintenant le
cas où ce substantif est conjugué (i.e. accompagné d’un verbe support),
comme nous l’avons fait pour les autres relateurs locatifs de finalité. La
position attributive de fin n’est guère naturelle :

?Réduire les inégalités sociales est la fin de cette politique

La présence de certains modifieurs améliore l’acceptabilité : Réduire les


inégalités sociales est la fin (recherchée, secrète, unique) de cette
politique. L’article indéfini est d’un emploi plus fréquent Réduire les
173

inégalités sociales est une fin constante de cette politique. Le partitif est
aussi une construction fréquente : Réduire les inégalités sociales est une
des fins de cette politique. Parallèlement, comme avec les autres relateurs
locatifs, le substantif fin admet la construction à lien en avoir issu, comme
on le sait, d’une restructuration : Cette politique a pour (fin, fins) de
réduire la fracture sociale. Si le sujet est un humain, cette construction est
moins naturelle ? Luc a pour (fin, fins) de s’imposer.
En revanche, d’autres verbes sont d’usage courant comme pour les
autres substantifs locatifs :

Paul s’est proposé pour fin de réduire ces tensions


Luc s’est (donné, assigné, fixé) (pour, comme) fin de régler ce problème

On voit que ces constructions rapprochent fin de but et de objectif, avec


cependant un caractère un peu plus archaïque.

8.4. Verbes appropriés

Un certain nombre de verbes contribuent à justifier notre classement du


substantif fin dans la classe des locatifs. Tout d’abord, les verbes datifs que
nous avons déjà observés avec les deux autres relateurs Paul s’est (fixé,
assigné, donné, imposé, proposé) pour fin de bien faire. Ensuite, des verbes
de mouvement : Paul continue à se battre : il poursuit une fin louable.
Enfin, des verbes d’achèvement : Luc voulait ne plus être impliqué dans
cette histoire ; il est (arrivé, parvenu) à ses fins ; Dans cette affaire, Paul
est venu à ses fins ; Me voici parvenu à mes fins.

8.5. Adjectifs appropriés

Le fait que la syntaxe du substantif fin soit plus contrainte que celle de
but et de objectif explique que le nombre des adjectifs appropriés est plus
réduit. Si on laisse de côté les adjectifs substituts de la subordonnée : Paul
a pris ces mesures à des fins (médicales, esthétiques, parlementaires), on
trouve dans les textes peu d’adjectifs de nature qualificative qui soient
spécifiques. En voici quelques-uns : à des fins obscures, à des fins
supérieures, à des fins mystérieuses.

9. RELATEURS NON STRICTEMENT LOCATIFS


174

Nous examinons maintenant des relateurs qui n’ont pas formé de


locution conjonctive et qui, de ce fait, ne sont guère cités dans les
grammaires au chapitre de la finalité. Nous allons mettre en évidence leurs
différences avec les relateurs que nous venons d’étudier. Ce sont les
substantifs destination et finalité. Tout d’abord, il ne s’agit pas de
substantifs à proprement parler locatifs mais ils le sont de façon indirecte,
surtout le second. De plus, même dans les cas de restructuration, ils ne
peuvent jamais avoir de sujet humain :

Paul a (comme, pour) (objectif, *finalité) de réussir


*Sa finalité est de réussir

Paul a (comme, pour) (but, *destination) de réussir


*Sa destination est de réussir

Leur sujet est donc exclusivement un prédicat : Cette remarque avait pour
(destination, finalité) de réduire la partie adverse au silence. Nous allons
examiner successivement ces deux substantifs.

9.1. Destination

Le sens locatif du substantif destination est interprété comme le


complément d’un verbe de mouvement : Ce train est à destination de
Liverpool ; Nous sommes maintenant arrivés à destination ; Ils se sont
ensuite écartés de leur destination finale. Le caractère dynamique de ce
substantif est illustré par le fait que les prédicats « scéniques » statifs sont
exclus Paul (habite, se trouve, réside) à destination. Ce sens dynamique
permet son interprétation finale. Métaphoriquement, ces locatifs peuvent
être remplacés par des prédicats :

Mettre les choses au point était la destination de cette remarque

A quoi on peut appliquer différentes restructurations que nous avons déjà


étudiées dans le détail pour d’autres substantifs :

Cette remarque a pour destination de mettre les choses au point


La destination de cette remarque était de mettre les choses au point

Cependant, le substantif destination a un degré d’acceptabilité moindre


que l’adjectif morphologiquement associé destiné :
175

Cette remarque était destinée à mettre les choses au point

On notera qu’il s’agit bien d’un adjectif et non d’un participe passé,
puisque la forme verbale active est d’une acceptabilité douteuse :

?Paul a destiné cette remarque à mettre les choses au point

9.2. Finalité

Un sujet phrastique, donc un prédicat, est le sujet naturel du prédicat


finalité. Ce sujet peut être une action, une construction intellectuelle, une
disposition ou, de façon générale, un projet.

Affirmer nos droits est la finalité que cet acte avait


Mettre à l’épreuve la théorie n’est-ce pas la finalité d’un travail
expérimental comme celui-ci ?
La transparence est la finalité de cette opération fiscale

Deux restructurations sont possibles : la thématisation du substantif finalité


et l’utilisation de l’opérateur à lien avoir, ce qui donne respectivement :

La finalité de cet acte est d’affirmer nos droits à la liberté


La finalité d’un travail expérimental comme celui-ci est de mettre la théorie
à l’épreuve
La finalité de cette opération fiscale est la transparence
La finalité de l’Union monétaire est politique

Cet acte a pour finalité d’affirmer nos droits


Un travail expérimental comme celui-ci a pour finalité de mettre la théorie à
l’épreuve
Cette opération fiscale a pour finalité la transparence

La possibilité de modifier l’une des phrases permet des restructurations


assez riches :

Faire de la prévention est la finalité de cette politique

La thématisation du substantif politique permet de générer :

Cette politique a pour finalité de faire de la prévention

Une variante adjectivale de cette construction met en jeu la préposition à,


dont on connaît le rôle de « translation », mais cette structure implique à
176

son tour un changement de statut morphologique du sujet profond du


substantif finalité :

Cette politique est à finalité préventive

Ces phrases sont fréquentes dans la presse :

La finalité de l’Union monétaire est politique


Cet examen est à finalité professionnelle
Cet exemple avait une finalité pédagogique

Les exemples que nous venons de donner montrent que le terme de finalité
désigne l’objectif qu’un sujet assigne à une de ses actions ou encore le but
qu’un observateur décèle ou croit déceler dans une action ou une entreprise
données. Il s’agit donc d’un but médiatisé, en quelque sorte. Dans les
textes que nous avons dépouillés, nous n’avons pas trouvé d’exemple où
finalité s’applique à un objet ni à un humain, à l’exception de certains
collectifs dont l’interprétation est complexe, comme entreprise :

La principale finalité d’une entreprise est de gagner de l’argent

10. CONSTRUCTIONS CAUSATIVES

Les substantifs locatifs, fonctionnant comme connecteurs de but, sont les


seuls qui acceptent des constructions causatives, c’est-à-dire l’intervention
d’un autre agentif humain, exprimée dans le cadre d’une phrase
supérieure : Le président a (fixé, donné) comme objectif au directeur de
cette agence de doubler le chiffre d’affaires. Ces phrases ont une
construction passive (G. Gross 1993a): Le directeur de cette agence a reçu
comme objectif de la part du président de doubler le chiffre d’affaires.
Cette construction causative est exclue avec les autres classes sémantiques
que nous étudions : *Le président a donné comme (intention, dessein,
volonté) au directeur de cette agence de doubler le chiffre d’affaires. Ces
substantifs sont donc plus « intérieurs » que les locatifs. Un but ou un
objectif doivent être considérés plutôt comme des tâches à réaliser, qu’on
se les assigne à soi-même ou qu’on les reçoive d’une autorité supérieure.
Il y a là une particularité des substantifs de lieu qui mérite d’être
signalée. Cette spécificité tire son origine de la langue militaire. En effet,
dans les constructions locatives pures, les constructions causales sont
régulières : L’état-major a fixé la cote 311 comme objectif de l’attaque de
demain. En cela, les locatifs sont plus éloignés d’une finalité prototypique
que les substantifs d’intention. Les adjectifs intentionnel ou délibéré y sont
177

aussi beaucoup moins naturels. Or, avec les substantifs locatifs, l’auteur
n’est pas nécessairement la source de décision, comme le montre
clairement des constructions comme Le directeur de cette agence s’est vu
fixer comme objectif par le président de doubler le chiffre d’affaires.
178
179

CHAPITRE VII

LES PREDICATS DE PERCEPTION VISUELLE

1. LES SUBSTANTIFS CONCERNES

Parmi les prédicats de perception, seuls quelques-uns ont formé des


relateurs de finalité, dans le cadre de locutions ou dans des constructions
libres. Une première constatation s’impose : les prédicats qui relèvent du
toucher, de l’ouïe, de l’odorat et du goût ne sont pas aptes à traduire la
finalité, ce qui vaut d’être signalé. Seuls des prédicats du domaine de la
vue ont été mis à contribution. On sait, d’autre part, que dans cette grande
classe sémantique, une distinction s’opère entre des prédicats exprimant un
acte intentionnel et ceux qui traduisent une action involontaire. On
opposera ainsi regarder et voir. On pourrait imaginer que, pour exprimer la
finalité, la langue ait choisi des éléments lexicaux de la première classe,
puisque la finalité exige de la part du sujet une action volontaire. Mais ce
n’est pas le cas : les dérivés de la racine regard- ne font pas l’objet d’une
interprétation finale ni d’ailleurs observer, examiner, contempler,
considérer, inspecter, scruter, qui tous sont considérés comme des
prédicats à interprétation active. On observe ici, une fois de plus, comment
la langue choisit dans le matériau lexical pour fabriquer, grâce à des
procédés connus, de nouveaux moyens d’expression. On ne voit pas très
clairement pourquoi tel prédicat plutôt que tel autre se prête à la formation
d’une locution, alors que tous deux relèvent d’une même classe
sémantique. Tout ce qu’on constate, c’est que la langue n’utilise pas toute
la combinatoire dans le cas de grammaticalisations. Trois substantifs
figurent parmi les relateurs de but : vue, perspective et visée. Nous verrons
que ces trois mots ont une certaine communauté sémantique et syntaxique
avec les substantifs locatifs que nous avons étudiés.

2. LE SUBSTANTIF VUE

Le substantif vue a des interprétations multiples, aussi convient-il de


décrire de façon contrastive le sens final qui nous intéresse ici parmi les
autres possibles.
180

2.1. Polysémie du substantif

Laissons de côté « la faculté générale de percevoir par les yeux » que


nous trouvons dans des exemples comme A la suite de son accident, il a été
privé de la vue. Dans ce premier emploi, le substantif vue ne peut pas
recevoir de qualificatifs : à (avoir, jouir de) la vue s’oppose être aveugle.
Ce substantif correspond donc à la construction absolue du verbe voir.
Dans un deuxième emploi, le substantif est suivi obligatoirement d’un
adjectif avoir une bonne vue dont l’aspect est interprété comme duratif et
qui correspond à la construction verbale bien voir. Le nombre des adjectifs
est cependant plus élevé que celui des adverbes : avoir une vue (perçante,
basse, aiguë). Cet emploi désigne une propriété personnelle que l’on
qualifie comme on le ferait pour les autres sens avoir une ouïe fine, avoir
un odorat sensible, etc.
Un troisième sens du substantif vue a pour synonyme le mot point de vue
: De cette éminence, on a une vue magnifique sur la vallée. C’est l’emploi
qui figure sur les cartes postales « Vue sur le Canigou ». Enfin, un
quatrième emploi est un peu plus figé, puisqu’il implique un possessif
coréférent au sujet et peut être paraphrasé par regard ou coup d’œil. Dans
ce cas, on observe plusieurs verbes supports différents : jeter, porter :

Il suffit de jeter sa vue sur ce paysage pour reconnaître qu’on est dans le Jura
Quand on porte sa vue vers l’Ouest, on voit d’abord la chaîne des Alpilles

Ce dernier emploi ne donne pas lieu non plus à une interprétation finale,
bien que l’on soit en présence de prédicats actifs qui désignent une
orientation, comme le prouvent les compléments directionnels des
exemples que nous venons de citer.

2.2. Etre en vue

La construction qui nous intéresse et dont nous partons met en jeu un


emploi prépositionnel à sujet locatif être en vue : Dès le matin du 3 janvier
1788, la côte des Moluques était en vue. Comme cette séquence peut être
paraphrasée par une structure passive (pouvait être vue), nous allons
examiner un peu dans le détail une tournure qui n’est guère étudiée.
On attribue en général deux emplois différents à la préposition. Elle peut
jouer un rôle d’indicateur d’arguments, ce qui est le cas avec les verbes
transitifs indirects (penser à, parler de) et avec tous les prédicats nominaux
(avoir l’intention de partir, procéder à la lecture de). Cet emploi est le plus
181

connu. Mais une préposition peut aussi avoir une valeur prédicative et, dès
lors, elle génère des arguments, comme dans Ce député est contre le
Président ; le livre est sur la table où les prépositions contre et sur ont
respectivement comme arguments député et président d’une part et livre et
table de l’autre.
Mais une troisième fonction n’est jamais mentionnée dans les études
spécialisées, celle qui permet à un substantif de former un groupe de nature
adjectivale. Ainsi la préposition à permet au substantif mode de former
l’adjectival à la mode. Cette suite a toutes les propriétés d’un adjectif. Elle
peut figurer en position d’épithète et d’attribut (une fille à la mode, cette
fille est à la mode ; elle peut varier en fonction des degrés de comparaison -
comparatif et superlatif- (cette fille est plus à la mode que ses amies ; cette
fille est très à la mode) ; elle peut être pronominalisée en le (Cette fille est
à la mode et sa sœur le sera aussi), alors qu’on attendrait y du fait de la
préposition à ( *et sa sœur y sera aussi). Cette analyse s’applique à de dans
de bonne humeur, de travers, de droite et peut-être aussi dans : depuis ce
matin, il est dans le cirage.
Dans certains cas, la suite adjectivale est clairement de nature passive.
Voici quelques exemples :

a) préposition à : être abrité/être à l’abri ; être à l’essai, à l’étude, à la


disposition de
b) préposition dans : être dans l’embarras, être dans l’inquiétude, être
dans l’oubli
c) préposition de : être d’accès facile, d’utilité publique
d) préposition en : être en accusation, en adjudication, en charge, en garde
auprès de, en vente

C’est dans ce dernier groupe qu’il faut classer l’adjectival en vue :


Patience, la côte sera bientôt en vue. De cet emploi où le sujet est locatif
(la côte est en vue), on passe, par métaphore, à un emploi abstrait où le
sujet est un prédicat (une solution est en vue). Voici d’autres exemples de
ce type Aucune amélioration n’est en vue ; Un accord pétrolier est en vue ;
Il n’y a que de mauvaises solutions en vue ; Premier marché en vue : le
contournement ouest de Paris ; Aucune trêve ne saurait être en vue.
La construction de départ implique donc cette forme passive. On posera
la structure de base suivante pour notre interprétation finale Que Paul ait
tenu ces propos est en vue de faire plaisir au président où l’adjectival en
vue de a un sujet phrastique. La phrase principale peut être reprise par un
classifieur accompagné d’un anaphorique ou par un pronom (cela,
ce) :Cette attitude était en vue de faire plaisir au président ; C’était en vue
182

de faire plaisir au président. Une transformation principale permet


d’obtenir :

Paul a tenu ces propos en vue de faire plaisir au président

par des opérations qui sont bien connues pour la majorité des phrases
complexes. Voici un autre exemple de ces restructurations qui met en jeu
une structure causale. Admettons deux phrases, représentées pour
simplifier par les lettres A et B. On obtient :

A a causé B

Cette phrase peut se mettre au passif :

B a été causé par A

A côté de la forme être causé par qui est un passif verbal, on peut avoir un
« passif nominal », c’est-à-dire une forme passive opérant sur un prédicat
nominal, introduit par le support passif être à comme dans l’exemple être à
l’abandon à côté de être abandonné

B a été à cause de A

Si on efface le verbe support être, on obtient par une restructuration que


nous appelons transformation principale :

B, à cause de A

Le même résultat peut être obtenu de façon différente, en utilisant le


support avoir : Paul a tenu ces propos, il avait en vue de faire plaisir au
président. Si on topicalise le relateur, on obtient : En tenant ces propos,
Paul avait en vue de faire plaisir au président et par restructuration Paul a
tenu ces propos, en vue de plaire au président.
Cette construction n’est pas récente, puisque dans un état antérieur du
français on trouve attestés dans (la, la seule, une) vue de :
« L’usufruitier…doit en user conformément à l’utilité générale, dans une
vue de conservation et de développement de la chose » (Proudhon). « Elle
connaissait le prix des sacrifices que je consommais chaque jour dans le
seule vue de m’assurer son attachement et sa fidélité », in TLF sous vue.

2.3. Syntaxe de la locution


183

Par rapport aux locutions que nous avons étudiées jusqu’à présent, en
vue de a une syntaxe nettement plus figée. Le français moderne n’emploie
plus la préposition dans comme le faisait le français classique dans les
exemples que nous venons de citer. Seul en est donc possible. La
détermination est contrainte. Seul l’article zéro est observable, à
l’exclusion de tous les autres déterminants (*en la vue de, *en une vue de).
Aucun adjectif ne peut être inséré (*en seule vue de, *en unique vue de).
De même, la détermination anaphorique est exclue (*en cette vue, en une
vue pareille) ainsi que l’interrogation (*en quelle vue a-t-il fait cela ?) et la
négation (*en aucune vue, *en nulle vue). En revanche, la subordonnée
peut faire l’objet d’une anaphore, en particulier par le relatif de liaison : En
vue de quoi a-t-il fait cette dépense ?
Ces restrictions s’expliquent par notre analyse de la suite en vue de que
nous considérons comme un adjectival du même type que ceux que nous
venons de signaler. De même à la mode constitue-t-il une suite très
contrainte : seul le déterminant la est possible, en particulier aucun
déterminant anaphorique ni interrogatif n’est observable *à cette mode, * à
quelle mode, l’ensemble ne correspond pas à la question en où, il n’y a pas
de formation de relative *la mode à laquelle elle est. Nous venons de
mettre en évidence un nouveau type de formation d’une locution
prépositionnelle, dont on peut cependant suivre la formation et rendre
compte du degré de figement.

2.4. Forme de la subordonnée

Le prédicat de la subordonnée finale n’a que deux réalisations : il peut


s’agir d’un verbe ou d’un substantif, à l’exclusion de la forme conjuguée
(*Il s’est déclaré candidat en vue que tous soient contents) et de l’adjectif
complétif (*Il s’est déclaré candidat en vue politique).

Infinitif

Ils tenaient à appliquer leur accord en vue de rétablir la paix et la concorde


On en a interdit la publication, en vue d’ assainir les relations entre les deux
Etats
La commission devra faire des propositions en vue d’améliorer le dispositif de
lutte contre la pollution

Cette infinitive peut être au passif ou à la forme pronominale :

Les déchets sont alors mis au four en vue d’être incinérés


Paul est parti à la clinique en vue de se faire examiner
184

Forme nominale

La subordonnée finale peut aussi avoir un prédicat de forme nominale.


Ce prédicat peut recevoir les déterminants suivants

a) le défini le :

On a débloqué les crédits en vue de l’achat d’une voiture neuve


On lui donna délégation de pouvoir en vue du déclenchement éventuel de raids
Cela allait conduire à un diagnostic moléculaire en vue du dépistage prénatal
Il fallait soumettre ce document aux militants du PS en vue du congrès de
novembre prochain

b) le démonstratif

On a mis les 60 millions de francs nécessaires, en vue de cette recapitalisation


Les navires conçus en vue de cette technique sont déjà sur les chaînes de
montage

c) l’indéfini un

L’Europe et le Japon agissent de concert en vue d’une ouverture économique


On a envoyé des troupes à Kigali, en vue d’une éventuelle évacuation des
ressortissants européens
Des discussions allaient être engagées en vue d’un accord de crédit stand-by
Ils avaient fait une demande officielle auprès de notre pays en vue d’un appui
logistique
Toute mesure unilatérale de la France en vue d’un assouplissement des sanctions
serait mal interprétée à Bonn

d) l’indéfini de (réduction de la suite *de des)

Il s’agissait de coordonner leurs efforts militaires en vue d’actions communes


pour le maintien de l’ordre dans la région
On allait retarder la mise en service du tunnel en vue d’ultimes tests

2.5. Types de prédicats dans la subordonnée

Les prédicats figurant dans la subordonnée peuvent être des prédicats


d’action (Ces mesures ont été prises en vue de chasser les nouveau-venus),
ou d’événements (Les maisons sont ornées en vue de la fête de dimanche
prochain).
185

2.6. Prédicats appropriés de la principale

Tout verbe d’action susceptible de recevoir une interprétation


intentionnelle de la part du sujet peut figurer dans la phrase principale :

Paul a corrigé ce texte en vue d’en améliorer le style


Paul est resté chez lui en vue d’attendre l’employé du gaz

Cependant certaines classes de prédicats sont plus fréquemment


employées avec ce relateur : ils sont en quelque sorte en corrélation plus
étroite avec la locution en vue de qu’avec afin que par exemple. On
pourrait les appeler des prédicats à « orientation future ». Ce sont souvent
des verbes au passif comme concevoir : Ce dispositif a été conçu en vue
d’améliorer le réglage du moteur. Mais ce sont plus souvent des prédicats
nominaux :

Les délégués ont fait des efforts soutenus en vue d’actions communes
Ils ont fait une nouvelle tentative en vue de régler le problème en suspens
Nos amis ont déposé un projet de loi en vue de l’intégration des étrangers
Prenez donc une autre initiative en vue de réconcilier les protagonistes
Ce ne sont que manœuvres en vue de déstabiliser l’adversaire
Il faut prendre des dispositions immédiates en vue du congrès
On a entamé des pourparlers en vue de savoir si une solution est possible
Paris : Conventions exploratoires en vue d’un accord salarial
Fixons une date en vue d’une rencontre au sommet

3. PERSPECTIVE

Le substantif perspective, tout comme le substantif vue, allie une idée de


perception et d’espace mais il a une syntaxe et une sémantique nettement
plus libre. L’emploi pictural (perspective linéaire, perspective cavalière)
ne nous concerne pas ici. En revanche, nous considérons le sens perceptif
comme le point de départ de notre analyse. Celui-ci peut être précisé par le
synonyme point de vue : D’ici on a (une perspective, un point de vue)
merveilleux sur la vallée de Chamonix. On voit clairement aussi la
similitude sémantique avec une des significations du mot vue. L’adjectif en
perspective, comme en vue, s’emploie avec un nom de lieu la côte est en
(vue, perspective).
De là, par métaphore, le complément locatif peut être remplacé par un
complément événementiel. Ce sens est ainsi précisé par le NGR
« Evénement ou succession d’événements qui se présentent comme
probables ou possibles : attente, crainte ou espérance d’un tel événement »
ou encore « Domaine qui s’ouvre à la pensée, à l’activité de quelqu’un. V.
186

champ, horizon ». Le définisseur (domaine) ainsi que les synonymes


(champ, horizon) qui viennent d’être donnés soulignent le caractère locatif
de ce substantif. Ce sens est illustré par les exemples suivants, où
perspective figure en position argumentale.

C’est dans cette direction qu’il faut aller. Sinon, la perspective restera
toujours défensive : celle d’une simple disculpation
Toutefois, la perspective subsiste d’un retour de ce pays dans le camp des
alliés

La perspective de la tenue à Paris de cette conférence inquiète Washington.


Il convient de ne pas abandonner la perspective d’un échec sanglant.
Les durs devront bien un jour accepter la perspective d’une paix en
Tchétchénie.

Ces exemples ne mettent pas encore en jeu la notion de finalité : il s’agit


de spéculations sur la probabilité d’occurrence de certains types
d’événements, généralement négatifs, mais pas nécessairement Voilà une
bonne affaire en perspective. Ces emplois sont non-agentifs, dans la
mesure où les événements évoqués ne dépendent pas de la volonté humaine
mais sont le résultat plausible de certaines situations ou conditions.

3.1. Syntaxe de la locution

Comme nous l’avons déjà signalé, pour qu’il y ait une interprétation
finale, il faut que le relateur unisse deux phrases, ce qui n’est pas le cas des
exemples précédents, mais est illustré par la construction Paul a envoyé
son CV, (en, dans la) perspective d’une embauche massive ; Paul s’est mis
à lire ce roman, en perspective d’un apprentissage du français. Nous
allons décrire la syntaxe de ces structures. Deux prépositions sont possibles
en et dans qui n’ont pas exactement le même type de compléments.

3.1.1. La préposition en

Nous venons de voir que le sujet de en perspective est un événement :


une amélioration de la situation de l’emploi est en perspective. Cette
interprétation reste dans la construction finale Paul s’est mis à refaire son
CV, en perspective d’une amélioration de la situation de l’emploi que nous
faisons dériver de la construction Que Paul se soit mis à refaire son CV est
en perspective d’une amélioration de la situation de l’em ploi, par des
transformations que nous avons déjà décrites.
187

Dans ce cas, le verbe être ne peut pas être remplacé par l’opérateur à lien
avoir pour : *Que Paul se soit mis à refaire son CV avait comme
perspective l’amélioration de la situation de l’emploi. En revanche, si le
sujet est strictement humain, cette tournure est possible, qu’elle soit
actualisée ou non : Paul s’est mis à refaire son CV, (il avait, avec) en
perspective l’amélioration de la situation de l’emploi.
Nous avons vu que le prédicat-argument de en perspective est un
événement. Les prédicats d’action ont un degré d’acceptabilité moindre. La
subordonnée ne peut pas avoir un prédicat verbal mais seulement nominal
Paul s’est préparé longuement, en perspective (*de travailler péniblement,
d’un travail pénible.

3.1.2. La préposition dans

Nous partons, encore une fois, d’une phrase complexe Que Paul soit
parti est dans la perspective de trouver un nouveau métier qui donne, par
transformation principale Paul est parti, dans la perspective de trouver un
nouveau métier. Comme toujours, la préposition dans impose moins de
restrictions que en, en particulier dans la détermination. Elle autorise à la
fois l’article défini et l’article indéfini.
En cas d’emploi de l’article défini, la subordonnée peut avoir un prédicat
verbal ou nominal.

On avait élaboré un programme de recherche dans la perspective de


construire, d’ici deux ans, une usine d’engrais
Les politiques se méfient traditionnellement de la perspective de devoir
confier en direct la gestion de telles situations

On s’était préparé dès l’automne 1994 dans la perspective d’une


candidature de M. Delors
On avait aménagé la base américaine de Guantanamo, à Cuba, dans la
perspective du transfert vers cette base de milliers de marines
Les partenaires sociaux s’étaient entendus sur les conditions de travail à Air
Inter dans la perspective de la fusion avec Air France

L’adjonction d’un adjectif est naturelle On avait supprimé la première


étape, dans l’unique perspective de sauver la course, compromise par le
recours général à des substances interdites.
Cet emploi accepte d’autres déterminations comme :

1) l’anaphore
Il faut réussir la monnaie unique européenne dès 1997. Dans cette
188

perspective, on se prépare activement au ministère des finances


Mais comment, dans cette perspective , tracer une ligne de partage entre le
« bon » et le « moins bon » ?

2) l’interrogation
Dans quelle perspective est-il parti ?
Il était impossible de savoir dans quelle perspective stratégique le ministère
avait engagé ces réformes

3) la négation

Ils sont lassés de travailler depuis six ans sans une perspective claire
d’amélioration de leur situation
Ils ont refusé d’investir dans ce secteur, par l’absence d’une perspective
d’ouverture du marché des télécommunications

3.1.3. La préposition avec

L’emploi de la préposition avec, bien que moins fréquent, permet de


former des phrases naturelles Paul est parti à l’étranger, avec la
perspective de trouver un nouveau métier. On sait que cette préposition est
une variante non-actualisée du verbe avoir : Paul est parti à l’étranger, il
avait la perspective de trouver un nouveau métier.

Avoir une perspective


Permettre à chacun d’avoir sa place, d’avoir une perspective pour se
développer, d’avoir une espérance pour se réaliser
C’est que les négociateurs palestiniens avaient une perspective stratégique,
qu’ils soient conscients de l’importance de la solution

Avec + Anaphore
L’étape de Clermont, avec cette perspective nouvelle du
voyage rédempteur, est historique

D’une solution au problème chypriote : avec cette perspective


d’adhésion et les promesses d’assistance

Avec pour perspective + anaphore


Dans l’intérêt patrimonial de l’Etat avec pour perspective une privatisation
qu’il espère en 1996
Prendre en compte ces champs d’action, avec pour perspective "un
objectif à long terme : l’intégration des immigrés

3.2. Emploi à interprétation causale


189

Contrairement au substantif vue, dont la syntaxe est assez contrainte, le


relateur perspective permet de former une construction dont la paraphrase
la plus habituelle aurait une forme causale Paul s’est inscrit sur la liste des
candidats, avec la perspective de nouvelles embauches ; La perspective de
nouvelles embauches a conduit Paul à s’inscrire sur la liste des candidats.

4. LA RACINE VIS-

La racine de perception vis- donne respectivement le verbe viser et le


substantif visée. La métaphore est là aussi militaire : « Regarder
attentivement une cible afin d’atteindre par un projectile » ou dans son
emploi intransitif « diriger attentivement son regard vers la cible à
atteindre » (GR). Métaphoriquement, ce verbe signifie « chercher à
atteindre, guigner, rechercher»
Paul s’est montré poli avec tout le monde, il visait la députation. Voici des
synonymes possibles ambitionner, chercher, désirer, guigner, poursuivre,
rechercher. Cet emploi est assez ancien, puisque dès le 14e siècle ce verbe
signifiait avoir en vue (une fin, un résultat), tendre à : C’est le but auquel
la Nature vise» (Bossuet)
Le substantif visée est d’emploi plus restreint. Il est surtout employé au
pluriel : Paul s’est montré poli avec tout le monde, il a des visées sur la
députation.

5. POINT DE MIRE

La même métaphore militaire est à l’œuvre avec le substantif point de


mire. Ce mot signifie « endroit où l’on veut que le coup de feu porte ». Le
support est avoir : Paul a pour point de mire de réussir cet examen.
190
191

CHAPITRE VIII

LES PREDICATS D’INTENTION

1. UNE FINALITE « INTERIEURE »

Nous étudions dans les deux chapitres qui suivent des classes de
relateurs dont le fonctionnement syntaxique s’oppose sur de nombreux
points aux locatifs et aux noms de perception que nous venons de décrire.
Les substantifs intention ou désir, prototypes des prédicats
d’intentionnalité et de sentiments que nous analysons maintenant, ne
gagnent guère à recevoir une définition exclusivement sémantique, comme
celle du Petit Robert "Intention : le but même qu’on se propose d’atteindre
: objectif, objet, visée", où sont banalisées toutes les distinctions de classes
que nous avons établies au chapitre V.
Le seul moyen que nous ayons d’établir des classes disjointes consiste à
décrire leur comportement syntaxique. Leur propriété caractéristique la
plus importante tient à la nature du sujet : alors que les relateurs précédents
avaient des sujets profonds de nature phrastique : Se venger était son but en
faisant cette remarque ; Contenter tout le monde était l’objectif avoué de
l’Assemblée en réalisant ce vote, ceux que nous étudions maintenant ont un
sujet exclusivement humain :

Paul a répliqué sèchement avec l’intention de se venger


(Paul, *cette réplique) avait l’intention de se venger

Paul a fait cette démarche avec le désir de rétablir la vérité


(Paul, *cette démarche) avait le désir de rétablir la vérité

De plus, certains prédicats appropriés contribuent à délimiter des classes


nettement disjointes :

Paul a atteint son (but, objectif, *intention, *désir)


Paul poursuit un (but, objectif, *intention, *désir)
Paul a raté son (but, objectif, *intention, *désir)

Ces disparités sont encore confirmées par certains adjectifs :


192

(Ce but, cet objectif) est encore très éloigné


*(Cette intention, ce dési) est encore très éloigné

Ces différences distributionnelles sont corrélées à des interprétations


sémantiques spécifiques. Les raisons d’agir étaient pour ainsi dire
extérieures au sujet dans le cas des relateurs locatifs ou de perception. Elles
désignaient, comme on l’a vu, un lieu métaphorique à atteindre ou
simplement à fixer du regard, destiné à indiquer la voie à suivre en vue
d’obtenir le résultat souhaité. Ici, au contraire, les motifs sont intérieurs au
sujet. Ils sont le fait d’une décision personnelle ou d’un sentiment qui naît
en lui.
« Intentionnels » et sentiments ont une syntaxe en partie commune. Leur
verbe support le plus habituel est avoir :

Paul est revenu ; il a l’intention de reprendre la conversation


Paul s’est expliqué, il a le désir de se justifier

Ces deux classes ont d’autres supports appropriés en commun :

Paul manifeste (l’intention, le désir) de s’expliquer


Paul nourrit (l’intention, le désir) de bien faire
Paul caresse (l’intention, le désir) de se montrer à la hauteur
Paul a conçu (l’intention, le désir) de revenir au pays

Elles constituent cependant des sous-ensembles disjoints, comme le


montrent d’autres prédicats et supports, qui soulignent le caractère passif
inhérent aux sentiments :

Paul ressent le (désir, *intention) de repartir


Paul éprouve le (désir, *intention) de revenir

(Le désir, *l’intention) prend Paul de revenir


(Le désir, *l’intention) a envahi Paul de repartir

ou certaines classes sémantiques d’adjectifs :

Paul éprouve un désir (passionné, intense, brûlant, profond, éperdu,


frénétique) de se venger
*Paul a une intention (passionnée, intense, brûlante, profonde, éperdue,
frénétique) de se venger

Enfin, la relation sujet-prédicat est différente dans ces deux classes.


L’adjectif inconscient s’applique naturellement à un sentiment avec le
193

désir inconscient de tout rater, par peur inconsciente de perdre la partie


mais non aux substantifs de la classe de intention : ?Il est parti à
l’étranger, avec l’intention inconsciente de changer de métier. Nous
sommes donc en présence de deux classes sémantiques différentes, celle
des sentiments et celle des prédicats d’intentionnalité. Nous commencerons
par cette dernière.

2. PREDICATS D’INTENTIONNALITE

Comme pour l’ensemble de l’expression de la finalité, il n’existe pas de


véritable hyperonyme pour désigner les substantifs que nous rangeons dans
cette catégorie. Nous nous servirons du terme d’intentionnalité, bien qu’il
privilégie, en fait, un des éléments de l’ensemble. Nous préférons encore
cet inconvénient à la création d’un nouveau terme. Nous établissons, dans
la liste des substantifs concernés, une classification qui tient compte du
degré de motivation et d’énergie mis par un sujet dans la réalisation d’un
projet. Cela va du seul fait d’envisager une action à un début d’exécution.
Cette gradation justifie notre classification :

1) intention, dessein
2) idée, pensée, arrière-pensée
3) projet
4) volonté, résolution
5) recherche, quête

3. INTENTION

De par son étymologie, le substantif intention désigne une tension, un


effort vers un but. Dès le 11e siècle, il est repris au sens de « fait de se
proposer un but » (DHFL). Nous prenons ce substantif comme le prototype
de la finalité consciente, du fait que sa racine a donné lieu à certaines
formations adjectivales ou adverbiales, spécialement dans la langue du
droit : intentionnellement, sans intention de nuire, sans intention de la
(mort) donner. Ces constructions mettent en évidence la maîtrise
consciente d’un comportement ou d’une action et, de ce fait, la
responsabilité pénale.

3.1. Forme non actualisée

Le substantif intention est ici exclusivement au singulier :*Paul est parti


en vacances dans les intentions de se refaire une santé. Il en est de même
194

quand le substantif est actualisé par un verbe support *Paul est en


vacances, il a (les, des) intentions de se refaire une santé. Cette restriction
pose le statut du pluriel des noms abstraits. Notons d’abord que la racine
est exclusivement nominale dans l’emploi que nous étudions et que les
verbes associés (intentionnaliser) relèvent du domaine de la philosophie.
Au singulier, le substantif est de façon évidente un prédicat, du fait de la
présence d’arguments. Mais on peut s’interroger sur la nature prédicative
du pluriel. Il arrive fréquemment que le pluriel d’un nom prédicatif ait une
interprétation résultative. L’exemple le plus connu est celui des prédicats
de création. Le substantif construction est prédicatif dans On a procédé à
la construction d’une nouvelle gare mais il est interprété comme concret
dans Cette construction est assez fragile. Dans d’autres cas, l’analyse est
moins évidente. Face au verbe prédicatif penser, comment classer le
substantif pensée ? Ce mot ne semble pas avoir de compléments *Je (fais,
ai fait) une pensée à (Paul, cette situation). La suite avoir une pensée pour
semble assez figée. On interprétera pensée comme un résultat, de même
que parole est le résultat de l’acte de parler. Nous analysons de même
intentions comme un résultatif non prédicatif, ce qui est confirmé par
l’absence de complétive. Notons cependant le pluriel dans la construction
impersonnelle : Paul est parti, il est dans ses intentions de se reposer.
La forme non actualisée, nommée locution, est introduite par les
prépositions avec et dans :

Paul est parti en vacances (avec, dans) l’intention de se refaire une santé.
Paul est parti avec l’intention de prendre un peu de vacances
Paul a acheté ce livre dans l’intention de le traduire

La négation de la construction en avec (et peut-être aussi en dans) met en


jeu la préposition sans. Dans ce cas, on note la possibilité d’effacer le
déterminant défini : Paul a dit ces mots (sans l’intention, sans intention) de
blesser son interlocuteur.

3.2. Détermination et formes de la subordonnée

Nous étudions ici la forme de la subordonnée dite circonstancielle mais


que nous analysons comme une complétive introduite par le prédicat
intention, comme nous l’avons montré au chapitre II. Comme pour
beaucoup de locutions que nous avons déjà examinées, nous observons que
l’utilisation de la préposition avec induit une forte contrainte sur la
détermination du relateur. Les déterminants anaphoriques ne sont pas très
naturels ( ?avec cette intention, il a fait son voyage), les interrogatifs non
plus ( ?Avec quelle intention a-t-il fait ce voyage ?). L’article défini est
195

possible seul ou accompagné d’un modifieur : Paul est parti avec


l’intention (délibérée) de se venger. Cette subordonnée est toujours réduite
à l’infinitif, du fait de la coréférence obligatoire du sujet dans les trois
phrases :

Paul est parti, avec l’intention de prendre des vacances


Paul (i) est parti , Paul (i) a l’intention de [Paul (i) prend des vacances]
?Je l’ai applaudi avec l’intention qu’il soit content

La forme conjuguée que P est interdite. Cette subordonnée peut avoir un


prédicat nominal Paul est parti dans l’intention de faire un voyage mais ce
dernier doit toujours être actualisé *Paul est parti dans l’intention d’un
voyage.
La locution en dans autorise aussi l’indéfini un, à condition qu’il soit
accompagné d’un modifieur ? Paul a tenu ces propos, dans une intention
de nuire ; Paul a tenu ces propos, dans une intention évidente de nuire. La
finale peut aussi avoir un prédicat nominal mais il semble y avoir de fortes
restrictions sur la nature de ce substantif : ?Paul est parti dans une
intention de voyage mais on trouve dans les textes : Il a tenu ces propos
dans une intention (évidente) de dénigrement.
En revanche, la subordonnée a très souvent la forme d’un prédicat
adjectival. La plupart de ces adjectifs traduisent un comportement : Paul a
réagi de la sorte avec une intention (pacifique, belliqueuse, hostile,
paternelle, malveillante), etc. Ces phrases pourraient provenir de
constructions comme Paul a réagi ainsi avec l’intention d’être (pacifique,
belliqueux, hostile).
Rappelons qu’il ne faut pas confondre cet adjectif, de nature phrastique
et représentant une complétive, avec les adjectifs appréciatifs qui
définissent le substantif intention et que nous verrons plus bas. La forme la
plus fréquente de la locution met en jeu la préposition dans. Nous avons
déjà signalé qu’alors la détermination est plus libre :

Paul est parti dans cette intention


Dans quelle intention Paul est-il parti ?

La nature sémantique du substantif intention semble exclure dans la


subordonnée un prédicat passif : Paul s’est comporté courageusement avec
l’intention d’être (respecté, élu). La forme pronominale, impliquant de la
part du sujet, une attitude active, est plus naturelle : Paul s’est comporté
courageusement avec l’intention de se faire (respecter, élire).

3.3. Transformations sur la subordonnée


196

La subordonnée elle-même peut être à la forme négative : Paul est venu


au colloque avec la ferme intention de ne pas participer à la discussion.
Elle ne peut pas être pronominalisée isolément *Paul est parti (avec +
dans) l’intention de (cela, quoi) mais l’anaphore à l’aide du démonstratif ce
est normale :

Paul est parti dans cette intention

L’interrogation de la subordonnée n’est pas naturelle non plus ou alors


relève de la langue non-standard :

*Paul est parti avec l’intention de quoi


?Paul est parti avec l’intention de faire quoi

Dans ce cas, on change de thématisation et l’on obtient :

Dans quelle intention Paul est-il parti ?


Quelle était l’intention de Paul en partant ?

3.4. Actualisation

Si l’on actualise le prédicat intention, le support le plus fréquent est


avoir : Paul est parti ; il a l’intention de prendre un peu de vacances.
Comme nous l’avons déjà signalé, il existe des verbes appropriés caresser,
nourrir : Paul rédige activement une histoire de France ; il (nourrit,
caresse) l’intention de se faire élire à l’Académie. Ces verbes sont
considérés comme plus littéraires que le support avoir. Ils ont peut-être
aussi une interprétation aspectuelle différente. On considérera que avoir est
neutre par rapport à la durée : il peut en particulier représenter un aspect
ponctuel. Cette interprétation ponctuelle est encore plus claire avec arrêter
(Ils ont arrêté l’intention de vendre leur commerce). Nourrir, caresser ou
mûrir sont plutôt perçus comme duratifs, comme traduisant une volonté
présente depuis un certain temps. D’autres supports véhiculent une notion
d’inchoativité : Paul se montre un peu partout, il a formé l’intention de se
présenter aux élections ou sont des paraphrases de encore ou de ne…plus :
Paul garde l’intention de se présenter aux élections. Paul a abandonné
l’intention de se présenter aux élections.

3.5. Prédicats appropriés


197

Les prédicats que nous signalons ici pour mettre en évidence la syntaxe
de intention et de la plupart des relateurs de cette classe ne doivent pas être
confondus avec les verbes supports que nous avons examinés, car il s’agit
de prédicats. Nous examinerons successivement les verbes et les adjectifs.
Différentes classes sémantiques peuvent être dégagées. Tout d’abord,
une intention, qui est un fait en puissance, peut devenir réalité. On aura
alors des verbes comme accomplir, exécuter, donner suite à, mettre à
exécution, réaliser : Paul a réalisé l’intention qu’il avait de partir en
vacances. Inversement, on peut en empêcher la réalisation : Jean a
(contrarié, fait avorter, s’est opposé à, est allé contre) l’intention de Paul.
Le sujet peut aussi cacher ou dévoiler son intention ou renoncer à elle. On
peut être en mesure de deviner ou pénétrer les intentions d’autrui.
De même, il existe des classes d’adjectifs bien délimitées du point de
vue sémantique. Nous avons déjà signalé que l’adjectif inconscient est en
contradiction avec le sens d’un substantif comme intention, qui implique
que le sujet de l’action soit conscient de ce qu’il recherche. Les textes
montrent qu’il existe des séries comme celles-ci :

- formelle, évidente, visible


- arrêtée, marquée, ferme
- cachée, secrète, tacite ; avouée
- maligne, honnête, mauvaise, bonne, perverse
- naïve ; louable

Les adjectifs restrictifs semblent moins naturels avec intention qu’avec


but : dans le seul but de/ ?dans la seule intention de ; rien que dans le but
de/ ?rien que dans l’intention de ; dans le seul et unique but de/ ?dans la
seule et unique intention de.

3.6. Restructurations

Les constructions régulières que nous venons de décrire sont


susceptibles de certaines modifications. Dans la locution, le substantif n’est
pas actualisé, comme on le sait. Cette actualisation peut se faire à l’aide du
verbe support avoir. Celui-ci peut à son tour être effacé. Mais le génitif
subjectif n’est pas possible pour des raisons de redondance : Paul est parti,
l’intention de Paul était de se reposer ; Paul est parti ; il avait l’intention
de se reposer. Dans ce cas, le possessif anaphorique convient : Paul est
parti, son intention était de se reposer.
D’autres restructurations sont possibles, comme les diverses
thématisations que nous avons déjà signalées :
198

Paul est parti avec l’intention de se reposer


Se reposer était l’intention de Paul en partant
L’intention qu’avait Paul en partant était de se reposer

4. DESSEIN

Le substantif dessein avait jusqu’au 18e siècle les deux sens de « projet »
et de « représentation graphique ». Littré le définit ainsi « Ensemble de
combinaisons pour obtenir un résultat » et l’oppose au substantif projet :
« Dessein et projet désignent une détermination à faire quelque chose. Le
dessein est ce qu’on dessine ou désigne d’avance (car dessiner et désigner
sont deux mots identiques) ; le projet est ce qu’on jette en avant. Dessein
exprime donc quelque chose de plus arrêté que projet ». Il nous semble que
sur ce point la langue a changé, à moins que nous soyons moins sensible à
l’étymologie que Littré : un dessein a un degré d’élaboration moindre
qu’un projet. Nous ajouterons qu’il s’agit d’une construction plutôt
littéraire à l’heure actuelle.

4.1. Formes de la locution

Le substantif dessein a donné lieu à trois locutions différentes selon que


la préposition est à, avec ou dans. La détermination n’y est pas la même.
Avec la préposition à, on observe l’article zéro (à dessein de) sans
attestation des articles défini (*au dessein de) ou indéfini (*à un dessein
de). L’interrogation est attestée, mais la tournure est assez archaïque à quel
dessein : ?A quel dessein est-il intervenu dans cette assemblée ?
Les prépositions avec et dans sélectionnent ici la même détermination
qu’avec intention. La détermination anaphorique s’observe normalement
avec dans (dans ce dessein, il est parti), mais assez mal dans le cas de avec
( ?avec ce dessein, il est parti). Les mêmes remarques concernant
l’acceptabilité valent pour la forme interrogative : ?avec quel dessein, dans
quel dessein.

4.2. Formes de la subordonnée

Elles sont identiques à celles qui caractérisent intention. En particulier,


la coréférence obligatoire des sujets rend les constructions en que P
marginales et classiques : Ce qu’il en dit, c’est à dessein que vous en
fassiez votre profit (in TLF, sv. dessein).

4.3. Actualisation : verbes supports


199

Les supports sont les mêmes que ceux qui caractérisent le mot intention
(avoir, nourrir). A quoi il faut ajouter le support prendre (prendre le
dessein de), qui n’est pas possible avec intention (*prendre l’intention de).
L’existence de ce support pourrait laisser penser que dessein implique une
part plus active de la part du sujet, ce qui expliquerait le rapprochement
avec projet.

4.4. Prédicats appropriés

Le substantif dessein est par certains aspects plus proche de projet que
d’intention. Cela est mis en évidence par des verbes appropriés comme
mener à bien, exécuter, accomplir, qui vont mal avec intention : *(mener à
bien, exécuter, accomplir) son intention. Ces verbes sont naturels avec
projet. Il est toujours difficile de porter des jugements d’acceptabilité
contrastive sur la base de si peu de propriétés combinatoires. On peut
cependant conclure que le substantif intention est encore assez proche de
souhait et ne traduit pas comme dessein ou projet une détermination dans
la réalisation qu’on envisage. Dessein semble être un stade plus avancé,
une mise en forme mentale plus directe, un plan plus nettement dessiné (cf.
l’étymologie du mot), de sorte que la notion d’exécution est envisagée
comme plus probable. La différence entre les deux notions est encore
soulignée par le verbe élaborer, très naturel avec dessein et impossible
avec intention. Les adjectifs en revanche sont les mêmes dans les deux cas.
Les emplois adverbiaux à dessein, comme à dessein, sans dessein ne
semblent pas avoir la différence sémantique que nous venons de signaler.
Ils sont quasiment synonymes d’intentionnellement. La vieille expression il
y a du dessein est donnée par les dictionnaires comme l’équivalent de il y a
une intention délibérée.

5. IDEE, PENSEE, ARRIERE-PENSEE

Ces prédicats sont de nature plus spéculative que les précédents, ce sont
des prédicats d’intellection. Alors que le substantif intention traduit une
motivation dont l’origine n’est pas clairement indiquée et qui peut être de
nature psychologique, les prédicats que nous examinons maintenant
expriment une activité spéculative de la part du sujet, un pari intellectuel
sur les conséquences souhaitées d’une action qu’il envisage de faire. Ces
substantifs sont donc en quelque sorte intermédiaires entre les prédicats de
sentiments (désir) et les prédicats de volition (vouloir). Il existe ici une part
de réflexion statistique : le résultat, c’est-à-dire la fin souhaitée, ne dépend
200

pas de la volonté, de l’énergie que l’on met à réaliser l’objectif souhaité,


mais de l’intervention pour ainsi dire du hasard ou de contingences
extérieures que l’on peut deviner par supputation.

5.1. Formes non conjuguées

Du point de vue sémantique, les deux premiers substantifs sont


quasiment synonymes, tandis que le dernier implique une idée de
dissimulation ou de fourberie, en vue de tromper l’interlocuteur ou
l’adversaire. Cependant ces trois substantifs ont une syntaxe largement
commune. Ils prennent les prépositions avec et dans, cette dernière est
cependant plus fréquente, surtout avec le substantif idée. Les locutions qui
sont formées sur ces substantifs prennent l’article défini mais non
l’indéfini, ce qui est à remarquer Le gouvernement a pris ces mesures dans
(l’idée, *une idée) qu’elles apaiseraient l’inquiétude de la population. La
subordonnée introduite par les substantifs idée et pensée peut avoir des
formes assez diversifiées :

a) une complétive en que P et, dans ce cas, le mode de la subordonnée est


au conditionnel ou au futur et non au présent du subjonctif : Nous avons
rendu cet objet, dans (l’idée, la pensée) qu’il (serait, sera, *soit) beaucoup
plus utile là-bas. Il s’est adressé à la Justice, dans (l’idée, la pensée) naïve
qu’elle le (sauverait, *sauve) de l’arbitraire. On voit ici une exception à la
règle qui veut que le mode des finales soit le subjonctif.
b) une infinitive : Ils ont fait appel aux gens du 3e âge, dans (l’idée, la
pensée) de les faire participer aux manifestations ; L’adjoint s’était mis à
fréquenter assidûment le maire, dans (l’idée, la pensée) de lui succéder un
jour.
c) un prédicat nominal : Il a pris ces précautions, dans (l’idée, la pensée)
d’une confusion possible entre les différents projets.

Les autres types de détermination que nous avons recensés habituellement


sont très généralement possibles : a) anaphore : dans cette idée, dans cette
pensée ; b) interrogation : dans quelle idée, dans quelle pensée.

5.2. Verbes supports

Le substantif idée peut être actualisé par le support avoir. Le plus


souvent il est sans déterminant Paul a idée de partir demain. Cette
construction ne peut pas cependant être considérée comme la source directe
de la locution, qui exige un déterminant Paul se prépare, avec (*idée,
201

l’idée) de partir demain. Mais l’article défini est possible aussi Paul a
l’idée de partir demain. Cette phrase est améliorée par l’adjonction d’un
modifieur Paul a l’idée arrêtée de partir demain. Cette séquence se
retrouve dans la locution Paul se prépare avec l’idée arrêtée de partir
demain.
On observe une variante impersonnelle de ce support : Il est dans l’idée
de (Paul) de partir demain et avec une restructuration Paul a dans l’idée
de partir demain. On peut trouver là l’origine de la locution dans l’idée de.
Cette forme peut, à son tour, avoir des variantes aspectuelles ou des
emplois causatifs : Paul s’est mis dans l’idée de partir demain. Il existe
aussi une forme supplétive, plus contrainte : Paul s’est mis dans la tête de
partir demain ; Paul s’est mis en tête de partir demain.
Le relateur pensée a une syntaxe plus réduite. Il n’accepte pas le support
avoir : *Paul a (pensée, la pensée) de partir demain. Les autres
constructions que nous avons notées pour idée semblent exclues aussi :
*avoir dans la pensée que, *il est dans sa pensée de, *se mettre dans la
pensée que.
Le relateur arrière-pensée a lui aussi une syntaxe réduite. Les deux
prépositions sont possibles Paul s’est allié à son pire ennemi, (avec, dans)
l’arrière-pensée de se venger. Le seul support acceptable est avoir ou
plutôt la forme avoir pour : Il a pour arrière-pensée de se venger. Les
inchoatifs ou causatifs sont exclus *se mettre dans l’arrière-pensée de se
venger.

6. PROJET

Le substantif projet désigne plus nettement que dessein une étape


ultérieure dans le passage au réel d’une intention. Cette interprétation est
mise en évidence par l’existence, à côté de avoir du support faire : (avoir,
faire) le projet de construire une maison, ce qui n’est pas le cas de l’autre
(avoir, *faire) le dessein de construire une maison.
La proximité sémantique ne traduit pas une similitude de syntaxe. La
locution n’a que la préposition avec : Il est parti en Amérique avec le projet
de s’y installer, et non pas à ou dans (* à projet de, *dans le projet de). On
sait que la préposition avec est une variante non-actualisée du support
avoir : Il est parti en Amérique, il a le projet de s’y installer. Une autre
différence avec dessein est de nature morphologique. Projet est associé à
une forme verbale projeter alors que dessein est un prédicat autonome : il
est parti en Amérique, il projette de s’y installer.
L’analyse que nous venons de proposer pour ce substantif est confirmée
par le fait que projet n’est pas seulement proche sémantiquement de
202

dessein puisqu’il partage avec lui des verbes comme concevoir, former,
verbes qui sont impossibles avec intention :

Paul a formé (le dessein, le projet, *l’intention) de partir


Paul a conçu (le dessein, le projet, *l’intention) de cesser de fumer

mais aussi par le fait qu’il implique déjà par rapport à la pure notion
d’intention un travail préparatoire. Comme tout prédicat de création, il peut
désigner une action ou son résultat. Cette différence sémantique avec
dessein permet d’expliquer que l’on puisse élaborer ou ébaucher un projet
mais non un dessein. Cette interprétation, qui n’a pas de lien direct avec la
notion de finalité, doit être considérée comme un emploi concret. Il s’agit
de divers supports (papier, fichiers, etc.) représentant tout type de
réalisation envisagée (projet de loi, plan de construction, etc.) qui
matérialisent ce qu’on a envisagé de faire. Dans ce dernier cas, il y bien
entendu des opérateurs appropriés (voter, rejeter un projet de loi ; corriger,
annoter ce projet de lettre), mais ceci ne relève pas de la finalité. Tant que
ce substantif a une interprétation prédicative, les adjectifs qui peuvent le
qualifier sont chimérique, insensé, irréalisable.

7. LES PREDICATS DE VOLITION

Les prédicats que nous venons d’étudier relèvent plutôt d’une sphère
intellectuelle. Ils traduisent des opérations de l’esprit, une réflexion, une
spéculation qui envisage les chances qu’on a d’aboutir au résultat souhaité.
Ceux que nous allons examiner maintenant sont souvent classés sous le
terme générique de prédicats de volition : vouloir, (avoir) la volonté de,
(être) résolu à, (être) déterminé à. Ils ne sont pas seulement l’expression
d’une réflexion traduisant un calcul de probabilité concernant les chances
de réalisation d’un but recherché mais un investissement psychologique,
une détermination à traduire dans la réalité un désir, comme en rend
compte la définition du TLF (s.v. volonté) « Décision ou détermination
ferme de l’individu d’accomplir ou de faire accomplir quelque chose ».

7.1. Volonté

Le substantif volonté permet de former la « locution » avec la volonté


de : Paul est parti en Amérique avec la volonté d’améliorer sa condition. Il
ne semble pas y avoir d’autres prépositions dans cette position : ?Paul est
parti dans la volonté d’améliorer sa situation. Le déterminant normal est le
défini et la forme de la subordonnée est :
203

- la complétive conjuguée : avec la volonté que tout marche bien


- la complétive à l’infinitif : avec la volonté de réussir

L’article indéfini donne des phrases qui sont à la limite de l’acceptabilité


avec une volonté délibérée que tout marche bien ; avec une volonté
délibérée de réussir ; avec une volonté de réussite évidente. Quelquefois, la
subordonnée a un prédicat adjectival Paul s’est présenté devant ses
électeurs, avec une volonté pacifiste. Dans cette position, d’autres adjectifs
apparaissent : meurtrier, protecteur, homicide. Les autres déterminants ne
sont guère admis :
?avec cette volonté
?avec une telle volonté
?avec une volonté pareille
?avec une volonté de ce genre
*?avec quelle volonté ?
*?avec quelle volonté !
?avec une certaine volonté

Le verbe support standard est avoir : Paul est parti. Il a la volonté


d’améliorer sa situation. Les extensions du support sont différentes de
celles des substantifs que nous avons étudiés jusqu’à présent. Les verbes
caresser et nourrir ne s’observent pas :*Il (caresse, nourrit) la volonté
d’améliorer sa situation, qui sont caractéristiques du substantif intention.
De plus, ni concevoir ou former, qui sont appropriés à dessein et projet, ne
sont admis ici.
Pour ce qui est des prédicats appropriés, on peut noter différentes
classes. Les verbes les plus fréquents expriment :

- le dévoilement : manifester
- l’accomplissement : accomplir, réaliser, respecter, exécuter
- l’opposition : contrarier, enfreindre

Les adjectifs appropriés traduisent aussi :

- le dévoilement affiché, affirmé


- la conviction sincère, réel
- la vigueur ferme, fort
- la détermination arrêté, délibéré, déterminée
- l’intensité ardent, violent
- la résolution implacable, impitoyable, inflexible, indomptable
204

Ce prédicat a une forme verbale vouloir, qui est tout aussi naturelle :
Paul est parti en Amérique, il veut améliorer sa situation. La forme
adjectivale volontaire constitue un autre emploi, dans la mesure où le sens
est différent : il s’agit d’un adjectif décrivant un trait de caractère,
synonyme de avoir de la volonté et non une disposition d’esprit
momentanée avoir la volonté de.

7.2. Détermination, déterminé

Ces deux relateurs sont proches sémantiquement du substantif volonté.


Ils traduisent, peut-être avec encore plus de clarté, l’investissement
psychique et l’effort qu’on est prêt à fournir en vue de la réalisation d’un
souhait ou d’un projet.
La forme nominale est moins fréquente et moins naturelle que l’adjectif
correspondant : Paul est parti en Amérique, il est déterminé à améliorer sa
situation. Cela s’explique par des raisons aspectuelles. Le substantif traduit
plutôt un état d’esprit ou un trait de caractère il a de la détermination
qu’une volonté ponctuelle. Cela est mis en évidence par le fait que le
substantif accepte difficilement une complétive ? Il a la détermination
d’améliorer sa situation. Le support le plus naturel est non avoir mais faire
preuve de : dans cette circonstance, il a fait preuve de détermination. Mais
là encore, une subordonnée ne semble guère possible. L’interprétation est
plutôt celle d’un comportement vu de l’extérieur (ce que souligne le
support faire preuve de) que d’une disposition intérieure.
Cette différence de sens ne s’observe pas avec l’adjectif déterminé, dont
la lecture est ponctuelle : Paul est revenu à la charge, il est déterminé à
contrecarrer les ambitions de Luc. On peut considérer ce prédicat comme
un intensif de volonté. Comme avec tous les adjectifs, cette construction
donne lieu à des restructurations Pierre est revenu à la charge, déterminé
qu’il était à contrecarrer les ambitions de Luc ; Pierre est revenu à la
charge, déterminé à contrecarrer les ambitions de Luc.

7.3. Résolu, décidé

Les adjectifs que nous examinons ici ne constituent pas le même emploi
que les substantifs correspondants résolution, décision. Ils ne sont pas
strictement équivalents aux verbes morphologiquement associés. Ils en
diffèrent par l’aspect. Etre résolu ou décidé ne signifient pas résoudre de
ou décider de mais les accomplis avoir résolu, décidé de. De même que
déterminé, ils impliquent donc un acte de volonté préalable : être résolu
205

c’est avoir pris la résolution de et être prêt à s’y tenir. Ces prédicats ne
sont pas nature intellectuelle mais dépendent plus du caractère.

7.4. Recherche, quête

Ces prédicats traduisent plus précisément un état d’esprit qu’une


décision. Le sens n’est pas loin de certains types de sentiments comme
souhait ou désir. Le substantif quête n’a pas de lien sémantique direct avec
le verbe quêter, alors que (poursuivre la) recherche est le pendant nominal
de rechercher. Les constructions les plus évidentes sont de nature
adjectivale : (être) en quête de, (être) à la quête de ; être à la recherche de.
206
207

CHAPITRE IX

LES PREDICATS DE SENTIMENTS

Certains prédicats de sentiments sont susceptibles de traduire la finalité,


comme nous l’avons signalé au début du chapitre précédent. Cette
possibilité a certes été perçue par la tradition pédagogique, dans la pratique
de la version, par exemple. Ainsi, les grammaires latines préconisaient de
traduire la forme ne (négation du ut final) non par afin que ne…pas,
considéré comme lourd et maladroit, mais par de peur que/de ou de crainte
que/de, expressions qui mettent en jeu deux substantifs de sentiments. Mais
en réalité, le phénomène est moins anecdotique et concerne un nombre
élevé de substantifs. Les textes fourmillent d’exemples illustrant ce type de
finalité, dont la spécificité a échappé à tout le monde pour la raison qu’il
n’y apparaît aucune des conjonctions qui sont les marques habituellement
admises de la subordination circonstancielle. En voici un exemple : « Ce
dictionnaire (i.e. GR) rendra les plus grands services à ceux qui usent de
la langue française avec le désir de la servir et le souci qu’elle les
inspire » (De Gaulle). Nous allons examiner dans ce qui suit, les
substantifs de sentiments susceptibles de traduire le but et de mettre en
évidence les mécanismes sémantiques qui permettent à cette classe
d’exprimer une finalité d’un type particulier.

1. CONDITIONS D’UNE LECTURE FINALE

Remarquons d’abord qu’une phrase isolée comprenant un prédicat de


sentiment, ou tout autre substantif que nous avons analysé jusqu’à présent,
n’implique pas une interprétation finale intrinsèque. Dans Il désire servir le
français ou Il a le souci que le français l’inspire, on ne peut déceler aucune
finalité, mais seulement l’expression d’un souhait. Pour qu’il y ait lecture
finale, plusieurs conditions doivent être réunies : un humain effectue une
action corrélée par l’intermédiaire d’un connecteur spécifique à un résultat
souhaité. Ce résultat ne peut être exprimé que par une phrase, c’est-à-dire
un prédicat. Une première condition s’impose donc : que le connecteur
puisse avoir un argument de nature complétive, représentant en fait la
subordonnée finale. Cette condition est remplie pour désir, comme elle
208

l’était pour but et intention : Il use du français (avec le désir, avec


l’intention, dans le but) de le servir, mais exclut des substantifs comme
admiration ou colère, qui sont pourtant des sentiments tout autant que
désir: *Il use du français avec (l’admiration, la colère) de le servir.
Il faut ensuite que les substantifs en question soient à même d’exprimer
l’objectif poursuivi par le sujet. Par exemple, les substantifs joie ou honte
ont bien des arguments phrastiques : Nous avons fait le voyage de Paris.
Nous avons eu la joie de revoir nos amis ; Il n’a rien appris. Il a eu honte
de ne pas pouvoir répondre, mais ils ont une interprétation causale ou
consécutive et non finale. Pour qu’il y ait finalité, il faut une relation
sémantique projective traduisant l’idée qu’un sentiment, au lieu de
paralyser un individu, par exemple, le pousse au contraire à agir pour
réaliser un de ses souhaits.

2. UNE FINALITE D’UN TYPE PARTICULIER

La finalité exprimée par les noms de sentiments est de nature particulière


et différente à plus d’un titre de celle que nous avons observée jusqu’ici.
Les locatifs et les noms de perception désignent des lieux métaphoriques
que l’on veut atteindre, ne fût-ce que du regard, et qui nous aspirent en
quelque sorte vers l’avant ; les prédicats «intentionnels » mettent l’accent
sur notre détermination consciente dans la recherche d’un résultat. Tous
impliquent que le sujet est maître de la situation, qu’il fait un acte délibéré,
dont il conscient du contenu et donc responsable de son acte, comme le
mettent clairement en évidence les adjectifs et les adverbiaux formés sur
les radicaux concernés : intentionnellement, délibérément, de propos
délibéré.
Les noms de sentiments, eux, traduisent une relation à l’acte différente.
Le sujet n’est ici que partiellement libre. En face de l’adjectif délibéré qui
s’applique à but et intention, les noms de sentiments peuvent recevoir des
qualificatifs comme irraisonné, instinctif, machinal, spontané,
inconscient : Paul hésitait, temporisait, avec (le désir, l’espoir, la crainte)
inconscient(e) que son entreprise y gagnerait. Ce qui est illustré ici, c’est
l’idée qu’un humain peut être l’auteur d’une action dont il n’est pas
toujours en mesure de percevoir clairement les motivations. Cette
observation, vieille certainement comme l’humanité, a été le point de
départ de tout le mouvement psychanalytique et, en particulier, de la notion
d’acte manqué.
Les observations que nous venons de faire reposent sur des
considérations exclusivement linguistiques : prise en compte des prédicats
adjectivaux appropriés aux substantifs connecteurs que nous étudions.
209

Cette analyse peut être étayée par d’autres remarques linguistiques. Si un


homme poursuit un but dont il n’a pas lui-même une claire conscience,
c’est qu’une force en lui l’y incite ; cette force est constituée par les
sentiments. En atteste une métaphore qui met en jeu des verbes de
compulsion, comme pousser ou mouvoir : Jean a pris un billet d’avion,
(mû, poussé) par le désir de voir l’Orient.
Cette force, il n’est pas toujours en son pouvoir de la maîtriser. Témoins
de cela une foule d’adjectifs : mû par un désir (irrésistible, impétueux,
invincible) de voir l’Orient ou de verbes comme saisir, prendre : Pierre
est parti en Amérique, le désir l’a pris subitement de voir autre chose. Les
exemples illustrant cette métaphore sont légion Pierre a couru voir ce
spectacle, il était le jouet du désir irrépressible de connaître la pièce de cet
auteur inconnu. Une autre métaphore est encore plus explicite et présente
l’homme comme la proie d’un sentiment : Paul est en proie à un violent
désir.
En résumé, alors qu’un sujet s’identifie entièrement à l’intention qu’il
forme et arrête, au but qu’il poursuit, qu’il y est maître du jeu puisqu’il fait
un choix en toute connaissance de cause, les substantifs de sentiments sont
présentés linguistiquement comme désignant des forces qui l’entraînent à
la façon d’une voile qui pousserait un bateau. Les locatifs nous sollicitent
vers l’avant, les sentiments nous poussent au-dedans de nous.
Les noms de sentiments, en position de connecteurs de finalité,
présentent en quelque sorte le sujet comme double : il accomplit un acte
qu’un mouvement intérieur le pousse à effectuer et ce mouvement n’est
autre que lui-même. Voilà pourquoi peut-être les actions commises sous
l’effet de sentiments peuvent ne pas être vraiment intentionnelles et faire
l’objet de circonstances atténuantes devant un tribunal, comme dans le cas
d’un crime passionnel.
Ces considérations nous conduisent à penser que la finalité n’est pas
l’apanage exclusif des humains : celle que nous envisageons ici pourrait
aussi s’appliquer aux animaux, mieux en tout cas que les autres que nous
avons étudiées, puisque c’est un fait généralement admis qu’ils sont doués
de sentiments : Les oiseaux se sont perchés sur les plus hautes branches,
de peur d’être attrapés par le chat.

3. PREDICATS DE SENTIMENTS CONCERNES ET DEFINITION SYNTAXIQUE

Comme nous l’avons vu, pour qu’un substantif de sentiment puisse jouer
le rôle de connecteur de finalité, il faut d’abord qu’il ait un complément de
type phrastique. Nous posons comme seconde condition, que le prédicat de
sentiment soit orienté vers l’avenir. Cela est étayé linguistiquement par le
210

fait que le prédicat de la subordonnée est au futur, même si en français il


n’existe pas de forme spécifique de l’infinitif pour l’expression de ce
temps. Dans les phrases finales conjuguées, on note la présence du
subjonctif, présent ou imparfait, qui couvre le segment temporel qui va de
l’action principale vers le futur.
Voilà pourquoi les sentiments « orientés vers le passé », comme c’est le
cas de fier, ne peuvent traduire la finalité. Ce prédicat, en revanche, a
comme argument un motif rétrospectif : Paul est fier d’avoir réussi son
examen. Or, par définition, toute cause est antérieure à sa conséquence. De
même, le substantif colère implique une complétive d’interprétation
causale, nécessairement antérieure au sentiment lui-même : Paul est en
colère qu’on lui ait répondu de la sorte. On pourrait en dire autant de
dégoût, dépit, gratitude, honte, jalousie, surprise.
Les analyses auxquelles nous venons de procéder sont renforcées par la
constatation que les adverbiaux de temps un jour, à l’avenir, dorénavant
sont compatibles avec les substantifs de sentiments-connecteurs de finalité,
mais non avec les autres substantifs de sentiments : Pierre travaille
d’arrache-pied, avec le désir qu’un jour ses efforts soient
récompensés ; ?*Pierre est reparti, de dépit qu’un jour on ne fasse plus
appel à lui. Si cette dernière phrase est vraiment interprétable, elle
constitue un motif rétrospectif et non une finale. Nous distinguons donc
deux types de noms de sentiments :

a) des substantifs proprement orientés vers le futur comme désir, envie,


espérance, espoir, souhait, aspiration, ambition,
b) et d’autres comme peur, crainte, souci dont le sens final est différent de
celui qu’ils ont habituellement.

Il reste que la finalité traduite à l’aide de sentiments est plus proche de la


cause ou plus précisément du motif que celle qu’expriment les deux autres
classes. Comme nous l’avons dit, ici nous sommes poussés, là nous
sommes attirés vers l’avant. Mais cette finalité particulière ne peut pas non
plus être réduite à la simple cause, car cette force est intérieure et interagit
avec les motivations conscientes au moment de la décision. De toutes
façons, elle est la source d’une action non dictée par autrui. Même dans le
cas d’un sentiment suscité par un événement extérieur comme dans Cet
enfant a dénoncé son condisciple poussé par le désir d’assainir l’ambiance
de l’école, l’environnement scolaire est la cause externe qui crée le désir,
mais c’est ce dernier qui crée la finalité.

4. FINALITE ET MOTIF RETROSPECTIF


211

Nous venons de voir que la finalité ne met pas en jeu tous les substantifs
de sentiments. Il existe d’autres propriétés pertinentes : les noms de
sentiments dans leur emploi de connecteurs de finalité ont une syntaxe
spécifique. Dans la distribution particulière qu’on appelle locutions
prépositionnelles, les prépositions jouent un rôle important dans
l’interprétation. Selon que la préposition est avec ou dans d’une part ou par
de l’autre, on a affaire à une finalité ou à une motivation rétrospective.
Nous verrons plus bas la première interprétation. Nous examinons ici la
seconde. Dans Paul est parti par jalousie, le complément par N est
interprété comme causal, correspondant à une question en pourquoi. Ce
complément n’opère pas de sélection particulière parmi les noms de
sentiments. Tous sont possibles : par haine, par désespoir, par jalousie,
par dépit, par crainte, par souci, etc. La préposition par est la même que
celle qui figure dans parce que : Il a agi de la sorte par désespoir = Il a
agi de la sorte parce qu’il est au désespoir.
Quelle différence y a-t-il entre une visée rétrospective et une visée
prospective pour les mêmes prédicats ? La réponse n’est pas aisée. Il se
pourrait que les substantifs en question aient une interprétation différente
dans les deux cas. Partons d’un cas évident d’emploi rétrospectif : L’enfant
a fait un bond en arrière, par peur. On admettra qu’il s’agit ici de l’emploi
« normal » du substantif de sentiment. Il pourrait avoir un complément par
peur du vide, dont une paraphrase pourrait être : en raison du fait qu’il a eu
peur du vide.
Examinons maintenant un autre emploi du substantif peur, que la
tradition grammaticale interprète comme une finalité : Il n’a pas répondu,
de peur qu’on lui pose une seconde question. En première approximation,
la différence de sens entre ces deux emplois peut être mise évidence en leur
substituant la locution afin de. Celle-ci est possible dans la seconde phrase
Il n’a pas répondu afin qu’on ne lui pose une deuxième question mais non
dans la première *L’enfant a fait un bond en arrière, afin de pas avoir peur
du vide. Les deux substantifs peur n’ont pas les mêmes arguments. Le
premier emploi peut être défini comme une peur physique face à
quelqu’un, à un animal ou des situations spécifiques (le noir, la solitude, le
vertige, etc.). L’intensif de cet emploi serait un mot comme panique et le
diminutif inquiétude.
L’autre emploi a pour complément une phrase correspondant à un
événement qu’on veut éviter. C’est ce qui explique que parfois tout lien
avec la notion de peur physique ait totalement disparu : Note ces faits, de
peur de les oublier. Dans le cas de l’interprétation finale, les noms de
212

sentiments traduisent le fait qu’on cherche à atteindre un résultat souhaité


ou à éviter un événement indésirable.

5. PROPRIETES COMMUNES DES PREDICATS DE SENTIMENTS CONNECTEURS DE


FINALITE

Nous examinons maintenant les propriétés communes aux différents


substantifs de sentiments concernés. On observera que peur et crainte ont
une syntaxe en partie différente.

5.1. Par rapport aux substantifs d’intention

Les sentiments, dont nous venons rapidement d’esquisser les


particularités sémantiques, ont une syntaxe en partie commune avec les
substantifs d’intention que nous avons étudiés au chapitre précédent. En
cela, ils s’opposent ensemble aux locatifs et aux noms de perception. Tout
d’abord, leur sujet est strictement humain, à la différence des locatifs où il
est constitué par une phrase, c’est-à-dire un prédicat : * (L’intention, le
désir) de ce projet est de réussir ; (L’intention, le désir) de Paul est de
réussir (cf. N. La Fauci 1988). Ensuite, un grand nombre de verbes
supports leur est commun. C’est le cas du support avoir mais aussi des
extensions caresser, nourrir :

Il avait (l’intention, le désir) de fuir au plus vite


Il caresse (l’intention, le désir) de devenir le premier
Il nourrit (le dessein, le désir) d’être élu à l’Académie

En revanche, et ceci établit les sentiments comme une classe autonome, ils
sont accompagnés de verbes spécifiques, en particulier éprouver,
ressentir :

*L’homme (éprouve, ressent) l’intention de bien faire


L’homme éprouve (un grand désir, une certaine crainte) de bien faire

Enfin, comme nous venons de le dire, les sentiments peuvent être


métaphoriquement assimilés à des forces qui nous poussent à agir. Cette
interprétation est encore confirmée par d’autres prédicats : un sentiment
peut animer, assaillir, dévorer, saisir quelqu’un mais non une intention.

5.2. Restrictions syntaxiques des noms de sentiments dans la


construction finale
213

Nous avons vu plus haut que tous les substantifs de sentiments n’ont pas
la possibilité de devenir des relateurs de finalité. Nous avons observé, en
particulier, que seuls sont possibles ceux qui sont orientés vers le futur.
Nous notons maintenant que ces substantifs n’ont pas dans l’emploi final
toutes les propriétés syntaxiques qu’ils ont généralement comme noms de
sentiments.
Ce qui est exclu ce sont les verbes qui génèrent une interprétation
exclusivement causale comme faire preuve de ou négative renoncer à,
réprimer, résister, être paralysé de. D’autres verbes, appropriés aux
sentiments dans leur emploi ordinaire, ne traduisent pas non plus l’attitude
active qu’implique la finalité feindre, rougir de. Enfin, tous les qualificatifs
intensifs qui s’appliquent aux sentiments sont exclus *Paul n’a rien dit de
peur bleue qu’on ne le critique. Nous examinons maintenant les différents
substantifs qui entrent dans la classe que nous décrivons.

6. DESIR

Nous adoptons ici la même démarche qu’au chapitre précédent. Nous


considérons le mot désir comme prototypique de la classe des sentiments et
nous le décrivons en détail en lui rattachant toutes les propriétés communes
à cette classe. Nous nous contenterons de ne relever pour les autres
substantifs de sentiments que les traits qui leur sont spécifiques.

6.1. Formes de la locution

La locution n’est introduite que par la préposition avec : avec le désir


de : L’auteur a repris ce texte, avec le désir de l’améliorer pour le fond et
la forme. La suite dans le désir de ne se rencontre guère. Pour éviter toute
confusion, rappelons que le complément dans Poss N : Dans son désir de
trop bien faire, il a fini par agacer tout le monde traduit un motif
rétrospectif et non un but. La détermination du substantif désir est la
suivante :

1) le défini le : avec le désir que tout marche bien, avec le désir de réussir,
avec le désir évident que tout marche bien, avec le désir évident de
réussir
2) l’indéfini un suivi d’un modifieur : avec un désir évident que tout
marche bien, avec un désir évident de réussir, avec un désir évident de
réussite
3) l’article zéro est exclu.
214

Dans ces locutions, qui mettent en jeu la préposition avec, les


déterminants anaphoriques sont très peu naturels. Dans Il est parti avec le
désir de se refaire une santé, sont interdits le relatif de liaison *Avec le
désir de quoi, a-t-il fait cela ?, les différents anaphoriques : ?Il est parti
(avec ce désir, avec un tel désir, avec un désir pareil, avec un désir de ce
genre). L’interrogation non plus n’est pas naturelle : *Avec quel désir est-il
parti ? On voit donc que la locution est assez contrainte.

6.2. Réalisations morphologiques de la racine

La « locution conjonctive » avec le désir de figure dans la plupart des


grammaires, mais le lien avec le substantif dans une autre position
syntaxique n’est pas établi. Or la racine désir- a une triple réalisation
morphologique : nominale, verbale et adjectivale. Aussi cette racine peut-
elle recevoir parallèlement une triple actualisation, en fonction de la
catégorie grammaticale de surface : un verbe support, la conjugaison
verbale et le verbe être, ce qui donne respectivement :

Ils avaient le désir de ne pas envenimer la situation


Ils désiraient ne pas envenimer la situation
Ils étaient désireux de ne pas envenimer la situation

Nous ne prétendons pas que ces trois tournures soient équivalentes du


point de vue de l’expression. On a le sentiment que l’emploi verbal est le
plus « naturel », le plus courant, que l’emploi nominal est d’un niveau un
peu plus élevé et que l’emploi adjectival est nettement littéraire. Cette
propriété de la racine permet de multiplier les possibilités d’expression.
Celles-ci sont encore accrues si on applique aux structures que nous venons
de mettre en évidence les divers degrés d’actualisation comme le montrent
les exemples suivants :

Paul n’a rien dit, (il désire, désirant) ne pas envenimer la situation
Paul n’a rien dit, (il a, ayant) le désir de ne pas envenimer la situation
Paul n’a rien dit, (il est désireux, désireux qu’il est, désireux) de ne pas
envenimer la situation

6.3. Actualisation du prédicat nominal

Nous examinons maintenant les différentes actualisations de la racine


désir-. Pour ce qui est de la forme verbale, la solution est simple, on
recourt à la conjugaison du verbe désirer, à condition de respecter la
contrainte temporelle que nous avons mentionnée plus haut : l’accompli est
215

exclu comme contradictoire avec la notion de finalité, de même que le


futur par rapport au verbe principal : Paul prend un billet pour la Turquie,
il (désire, *désirera) retrouver les traces de la Grèce ancienne. Désir
oriente vers le futur mais précède l’action principale.
Nous avons vu plus haut quelques-uns des verbes supports qui
actualisent le substantif désir. Le support standard est avoir : Paul a dit
cela ; il avait le désir de convaincre. Les supports appropriés à la classe
des sentiments sont entre autres éprouver, ressentir, nourrir :

Il (éprouvait, ressentait, nourrissait) le désir de retrouver les traces de la


Grèce ancienne

Un support plus spécifique, que le substantif désir partage avec intention


mais non avec certains autres noms de sentiments comme aspiration,
crainte, souci est le verbe caresser : Il caressait le désir de retrouver les
traces de la Grèce ancienne. Ces relations peuvent être illustrées par le
schéma suivant, où VW désigne la subordonnée circonstancielle à
l’infinitif (V) avec son complément (W) de retrouver les traces de la Grèce
ancienne :

désirant VW avec le désir de VW

Qui désire VW ayant le désir de VW

N0 désire VW Vsup = avoir N0 a le désir de VW

le désir qu’a N0 de VW

le désir de N0 de VW

son désir de VW

N0 est désireux de VW

désireux (que, comme) est N0 de VW

Ce schéma ne rend pas compte de la totalité des constructions mettant en


jeu le mot désir dans une construction finale. D’autres modifications
peuvent se greffer sur ces cadres : a) l’insertion d’adjectifs appropriés, b)
d’autres verbes supports, c) des prédicats appropriés compatibles avec la
finalité, d) une thématisation différente des trois prédicats, e) une
détermination anaphorique. Ces propriétés combinatoires mettent en
évidence plusieurs centaines de structures différentes construites avec désir
et non pas seulement la « locution » avec le désir de.
216

6.4. Prédicats appropriés

Nous ne signalons ici que les prédicats appropriés au substantif désir qui
sont compatibles avec l’interprétation finale du substantif.

6.4.1. Verbes appropriés

Comme tous les sentiments, le substantif désir peut être construit avec
des prédicats :

a) de manifestation: avouer, extérioriser. En revanche, les prédicats


d’occultation cacher, dissimuler sont incompatibles avec la lecture qui
nous intéresse. D’autres prédicats mettent en jeu des métaphores relevant
du domaine :
b) du « feu » : brûler (du désir de), être embrasé (du désir de). Les noms de
sentiments donnent lieu à une série de métaphores qui mettent en jeu le feu
et la chaleur attiser, allumer, éteindre (le désir). Mais ces verbes ne sont
pas possibles dans la construction finale, c’est-à-dire quand le substantif est
un prédicat qui relie une action à un événement qu’on espère ainsi
provoquer.
c) de la « voration » : être dévoré (du désir de)
d) de la « pression » : être (tenaillé, taraudé, travaillé) du désir de

6.4.2. Adjectifs

Les adjectifs appropriés correspondent aux mêmes métaphores


profondes qualifiant le désir comme :

a) un feu : avec le désir (ardent, brûlant, cuisant) de se faire élire


b) un mouvement conscient ou non formulé : avec le désir (aveugle,
confus, fugitif, refoulé, trouble, vague, conscient, réfléchi) de bien faire
c) une force irrésistible : avec le désir (ferme, immodéré, impérieux,
irrésistible, violent) de résister à toute attaque
d) une attitude de sincérité : avec un désir (sincère, vrai, réel) de changer
d’attitude

Ces adjectifs se rencontrent aussi dans le cadre de la locution : avec le


désir ardent de bien faire ; il avait un désir ardent de bien faire.

6.5. Thématisation
217

Nous voudrions rappeler aussi que des thématisations différentes


peuvent se greffer sur ces schémas, on trouvera alors :

a) thématisation du verbe principal : Les voyageurs éconduits se sont tus


avec le désir de ne pas envenimer la situation
b) thématisation du verbe de la subordonnée : Ne pas envenimer la
situation était le désir qu’avaient les voyageurs éconduits en se taisant
c) thématisation du relateur : Le désir qu’avaient les voyageurs éconduits
en se taisant était de ne pas envenimer la situation

Ces changements de structure qui affectent les trois phrases constitutives


d’une construction finale sont, à nos yeux, un des arguments les plus forts
en faveur de notre analyse des locutions conjonctives et prépositives. On
observera que ces reformulations comprennent exactement les mêmes
éléments lexicaux, que le contenu conceptuel est le même, modulo la
thématisation et qu’elles constituent toutes, non pas des exemples artificiels
de grammairien mais des façons de parler naturelles et usuelles.

7. ENVIE

Si la racine désir- a trois réalisations morphologiques, celle d’envi- n’est


représentée que par la forme nominale envie, car le verbe envier et
l’adjectif envieux représentent d’autres emplois et traduisent non pas une
aspiration mais un « sentiment d’irritation contre qui possède un bien
qu’on n’a pas » (GR). L’interprétation finale qui nous intéresse ici n’a donc
rien à voir avec la notion de jalousie caractérisant le sens du verbe et de
l’adjectif, qui ont comme argument un substantif humain. La construction
finale exige un complément phrastique où envie peut être paraphrasé par
désir ou souhait.
La locution a les mêmes caractéristiques que celle qui est formée sur
désir. Le substantif prend l’article défini (avec l’envie que vous réussissiez,
avec la secrète envie que vous réussissiez, avec l’envie de réussir, avec
l’envie secrète d’une victoire éclatante) et l’article indéfini (avec une envie
secrète que vous veniez, avec une secrète envie de réussir, avec une secrète
envie de réussite sociale). Les autres déterminants ne sont guère admis :
*?avec cette envie, ?avec nulle envie de réussir, ?avec quelle envie ?,
?avec quelle envie !?avec quelque envie.
Les verbes supports sont les mêmes aussi (avoir, éprouver, ressentir)
ainsi que les extensions de supports :
218

Il a fait cela. Il caressait l’envie de réussir


Il a fait cela. Il nourrit une envie irrésistible de réussir

Il faut noter une disparité dans la détermination du substantif envie selon


qu’il figure dans la locution ou qu’il est actualisé. En effet, avec le support
avoir, le déterminant peut être l’article zéro : Paul est parti, (il avait,
*avec) envie de changer d’air. On y observe de plus certains adverbes
quantificateurs qui ne figurent pas non plus dans la locution : Paul est
parti, (il a, *avec) (très, follement, énormément, terriblement) envie de
changer d’air.
Les verbes appropriés sont spécifiques aussi des sentiments : Paul se
prépare en hâte, il (brûle, crève, meurt, est dévoré, se meurt) d’envie de
partir dans les mers du Sud). On signalera encore des verbes qui sont
fréquemment employés avec envie comme prendre, presser, pousser : Paul
est parti, l’envie l’a (pris de, poussé à) changer d’air. Les adjectifs
suscitent les mêmes remarques que nous avons faites à propos du substantif
désir : Paul a une envie (brûlante, féroce, furieuse, impérieuse, irrésistible)
de voir les mers du Sud.

8. SOUHAIT

Ce substantif est assez proche du point de vue sémantique des deux


précédents, comme le soulignent les définitions lexicographiques :
« Souhait : désir d’obtenir qch, de voir un événement se produire » (TLF).
Les différentes formes de la « locution » sont identiques aussi. Seule la
préposition avec est admise : Paul a fait ces remarques virulentes, (avec,
*dans) le souhait qu’elles réveillent la torpeur de l’assemblée. La
subordonnée a des prédicats verbaux (conjugués ou non) et des prédicats
nominaux :

Le président à fait ces annonces (avec le souhait (évident) que tout marche
bien ; avec le souhait (louable) de réussir ; avec le souhait (manifeste)
d’une réussite immédiate

Les supports sont les mêmes que ceux des deux autres relateurs :

Il a dit cela avec le souhait de convaincre


? Il a dit cela. Il avait le souhait le convaincre
Il forme le souhait de convaincre
Il caressait le souhait de convaincre
Il éprouvait le souhait de convaincre
Il nourrissait le souhait de convaincre
219

Les verbes appropriés aussi. Deux verbes semblent cependant plus


spécifiques : manifester et formuler :

Il manifestait le souhait de convaincre


Il formulait le souhait de convaincre

Les adjectifs appropriés les plus fréquemment observés dans les textes
sont : ardent, passionné, sincère. La racine a aussi une forme verbale :
Paul a fait ces remarques virulentes, il souhaitait qu’elles réveillent la
torpeur de l’assemblée.

9. REVE, REVER ET ILLUSION

Les deux formes constituent des emplois sur bien des points différents.
Excluons tout d’abord certaines constructions verbales qui n’ont pas de
correspondant nominal et qui d’ailleurs ne se prêtent pas à une lecture
finale, puisqu’elles mettent en jeu des arguments exclusivement
nominaux :

à N : Paul rêve à ses vacances au Maroc


de N : Paul rêve de confitures aux mirabelles

Si nous ne retenons que les compléments phrastiques, les formes sont les
suivantes :

rêver que P : Ils rêvaient que la situation s’améliore


rêver de VW : Ils rêvaient de gagner le gros lot
Rêver de Npréd : Ils rêvaient d’un voyage en Asie

Les dictionnaires définissent alors le sens de rêver de la façon suivante :


« S’absorber dans ses désirs, ses souhaits ; souhaiter ardemment, songer en
souhaitant » (GR), ce qui constitue une paraphrase des mots que nous
venons d’étudier. Le substantif rêve a des emplois prédicatifs beaucoup
plus réduits, en particulier, dans son emploi transitif. Son verbe support est
faire mais aussi avoir et la complétive prend la forme verbale (mais la
forme conjuguée semble moins acceptable) et nominale. L’absence
d’actualisation est à l’origine de la locution :

?(Il fait, avec) le rêve que les affaires s’arrangent


avec le rêve (secret) de réussir
avec le rêve secret que les affaires s’arrangent
avec le rêve évident de réussir
avec le rêve d’une réussite éclatante
220

*avec un rêve que tout marche bien


?avec un rêve (secret) de réussir
avec un rêve secret de réussite
avec des rêves cachés de réussite sociale

On notera les extensions de supports qui nous permettent de ranger ces


mots dans la classe des sentiments :

Il caressait le rêve de convaincre


Il poursuivait le rêve de convaincre
Il nourrissait le rêve de convaincre

La nature sémantique de ces prédicats explique que, dans la


subordonnée, on trouve souvent des modaux, en particulier pouvoir : Paul
s’est inscrit dans ce club, il rêve de pouvoir se débrouiller tout seul lors de
la prochaine course. A quoi peuvent évidemment s’appliquer, comme
d’habitude un certain nombre de restructurations : Paul s’est inscrit dans
ce club ; son rêve est de pouvoir se débrouiller seul lors de la prochaine
course.
Le substantif rêve peut être interprété en outre comme un jugement de
la part du locuteur qui estime que le but que s’est fixé l’auteur d’une action
est chimérique et n’a aucune chance de se réaliser. Cette interprétation est
accentuée avec un substantif comme illusion, que les dictionnaires
définissent comme « une croyance erronée, une idée vaine dont le caractère
séduisant abuse l’esprit et le cœur » (TLF) :

Paul est parti en Amérique avec l’illusion de faire fortune

Observons d’abord que ce substantif a des prédicats appropriés


similaires à ceux de rêve : entretenir, nourrir. Les adjectifs accentuent le
caractère irréel de l’espoir : avec l’illusion (fâcheuse, funeste, trompeuse,
naïve) de faire fortune. La nature sémantique de ce substantif explique
qu’il s’agisse presque toujours du jugement d’un locuteur et non de celui
d’un agent jugeant sa propre entreprise. Cette interprétation explique aussi
qu’avec ce terme, une phrase rectificative en mais est beaucoup moins
naturelle :

Paul est parti en Amérique avec l’intention de faire fortune, mais il a échoué
?Paul est parti en Amérique avec l’illusion de faire fortune, mais il a échoué

10. AMBITION, AMBITIONNER ET PRETENTION


221

La fréquence des deux formes n’est pas la même, le verbe est


relativement rare, surtout avec un argument complétif : Pierre se hâte de
finir ce roman ; il ambitionne de se présenter à l’Académie. Le substantif
est donc la forme la plus fréquemment observée. Les définitions des
dictionnaires utilisent comme synonymes les mots désir et souhait, à quoi
il faudrait ajouter cependant une certaine confiance en soi, une assurance
d’être à la hauteur de ses objectifs. Mais ces exemples n’illustrent guère
l’emploi complétif qui nous intéresse ici et qui est actualisé par le support
avoir : L’orateur a pris soin de multiplier les exemples incontestables, (il a,
avec) l’ambition qu’il pourrait convaincre. Les supports appropriés sont
les mêmes que pour les autres relateurs de cette classe : Il (caresse,
nourrit) l’ambition de convaincre
La locution met en jeu les articles défini et indéfini :

avec l’ambition qu’il pourrait convaincre


avec l’ambition de convaincre

avec une ambition affichée qu’il pourrait convaincre


avec une ambition affichée de convaincre

Comme tous les noms de sentiments, le substantif ambition donne lieu à


un grand nombre de constructions métaphoriques, qui présentent ce mot
comme une force qui pousse à l’action :

Paul s’est mis à l’informatique, (poussé, animé, dévoré, torturé) par


l’ambition de changer de métier

Les qualificatifs sont souvent des intensifs : ardent, démesuré, dévorant,


effréné, illimité, insatiable, sans bornes, sans freins, sans limites, titanique.
De même que illusion peut être considéré comme une lecture chimérique
de rêve, de même prétention est interprété comme une ambition que ne
vient étayer aucun principe de réalité. Bien que les dictionnaires séparent le
sens final de « se flatter d’obtenir un résultat » du sens psychologique de
« trop grande estime de soi-même qui pousse à des ambitions, à des visées
excessives », on a le sentiment qu’il est difficile de séparer les deux
interprétations dans

Paul s’est attaqué au record du monde de l’heure avec la prétention de battre


Anquetil

Ici plus encore que dans le cas de illusion, le locuteur ne prend pas à son
compte l’objectif que se fixe le sujet mais juge que cet objectif n’est pas à
222

sa portée, qu’il s’agit en fait d’une intention abusive qui relève de


l’outrecuidance.

11. ESPOIR, ESPERANCE, ESPERER

Ces substantifs, comme les autres noms de sentiments, représentent de la


part du sujet de l’action une attitude moins déterminée que intention et
beaucoup moins active que volonté. Une action est faite ici en vue d’un
résultat dont on attend la réalisation en quelque sorte d’autrui ou du hasard.
En tous cas, le lien entre l’action et le but n’est pas considéré comme une
relation de cause à effet. Les dictionnaires définissent espoir ou espérance
comme « un sentiment qui fait entrevoir comme probable la réalisation de
ce qu’on désire ». Le degré de probabilité d’arriver à son but est ici
considéré comme bien moindre qu’avec les relateurs du chapitre précédent.
Certains proverbes soulignent cette interprétation hésitante Il n’est pas
nécessaire de réussir pour entreprendre ni d’espérer pour persévérer. Il
est remarquable de voir qu’un verbe support spécifique des substantifs que
nous sommes en train d’étudier est le verbe former : Paul s’est inscrit sur
la liste d’aptitude ; il forme le (désir, souhait, espoir) d’être pris un jour
sur la liste des admis.
Nous ne séparons pas dans notre analyse les substantifs espoir et
espérance : leur syntaxe est la même, le dernier est cependant nettement
moins fréquent que le premier.

11.1.Constructions non actualisées

Quand les deux termes ne sont pas actualisés, à la différence de ceux que
nous venons de voir, ils prennent à la fois les prépositions avec et dans :
Paul s’est adressé calmement à son adversaire (avec, dans) (l’espoir,
l’espérance) qu’il se laisserait convaincre. On notera que le mode de la
subordonnée est le conditionnel et non le subjonctif. Quand les deux sujets
sont coréférents, la réduction infinitive est naturelle : Paul s’est adressé
calmement à son adversaire (avec, dans) (l’espoir, l’espérance) de pouvoir
le convaincre. Nous relevons aussi qu’avec la préposition avec la
subordonnée peut avoir un prédicat nominal : Paul s’est lancé dans
l’aventure avec un certain espoir de réussite. A la place du déterminant un-
modif, on peut avoir certains quantifieurs : avec (quelque, pas mal d’)
espoir de réussite, ce qui ne semble pas être le cas s’il y a dans : ?dans
quelque espoir de réussite ; ?dans un espoir de réussite.
En revanche, comme nous avons déjà eu l’occasion de le remarquer à
plusieurs occasions, la détermination cataphorique ou interrogative est plus
223

naturelle avec la préposition dans : dans cet espoir, dans quel espoir ?
C’est la préposition sans qui exprime normalement la négation : Paul a
entrepris cette tentative, sans espoir de réussite.

11.2.Verbes supports

Le support avoir est l’auxiliaire le plus fréquent et le plus naturel avec


les substantifs espoir et espérance. Avec ce support espoir prend comme
déterminants :

1) le défini : Paul a essayé, il a l’espoir de réussir


2) l’indéfini avec un modifieur : Paul avait un grand espoir de (réussir,
réussite,
3) l’article zéro (ce qui est un peu archaïque) J’ai espoir de réussir
4) l’article zéro avec modifieur : J’ai grand espoir de réussir. Ce modifieur
peut être un peu figé : Paul a bon espoir de réussir
5) certains quantifieurs : Paul a (peu, beaucoup) d’espoir de réussir

On s’attend aux autres actualisateurs : Paul (caresse, éprouve, nourrit)


l’espoir de convaincre. Les variantes aspectuelles ne sont pas pertinentes
dans l’interprétation finale : entretenir, conserver, abandonner, perdre.

11.3.Prédicats appropriés

Espoir et espérance n’ont pas de verbes appropriés spécifiques. Ceux


qui figurent le plus souvent dans les textes sont : émettre, exprimer,
manifester. Retenons aussi une autre tournure caractéristique : Paul a tout
fait pour s’inscrire, il était (animé, soulevé, soutenu) par l’espoir de
figurer sur la liste d’aptitude. Quant aux adjectifs, ceux qui méritent d’être
particulièrement signalés sont : a) éperdu, fol, grand, immense ; b)
fallacieux, faux, infondé, trompeur, vain ; c) ferme.

11.4.Forme verbale

Ces substantifs ont une forme verbale associée : espérer

Paul s’est inscrit (avec, dans) l’espoir de figurer sur la liste


Paul s’est inscrit. Il espérait figurer sur la liste

12. PEUR, CRAINTE


224

Nous avons signalé plus haut que les substantifs peur et crainte ne sont
pas syntaxiquement homogènes et constituent des emplois différents, dont
un seul nous concerne ici. Il existe un grand nombre de substantifs
désignant une réaction plus ou moins violente devant un danger réel ou
imaginaire : affolement, alerte, effroi, épouvante, frayeur, terreur,
angoisse, appréhension, crainte, inquiétude, frousse, pétoche, trouille.
Seuls de tous ces substantifs, peur et crainte ont donné lieu à des locutions
conjonctive et prépositive de peur de/que, de crainte de/que : *d’épouvante
que, *d’angoisse que, *de frousse que. Mais ceci ne veut pas dire que les
autres ne puissent pas exprimer une finalité. Face à Paul a fermé la fenêtre
de peur que le vent ne disperse ses photos, on peut avoir tout naturellement
la forme actualisée du prédicat peur : Paul a fermé la fenêtre, il a peur que
le vent ne disperse ses photos. Nous interprétons ces deux dernières
phrases comme des finales, contrairement à la construction en par que nous
analysons comme une causale : Paul a fermé la fenêtre, par peur que le
vent ne disperse ses photos. Nous allons donc étudier d’abord peur et
crainte. Nous examinerons ensuite les autres substantifs.

12.1.Formes non actualisées

Les locutions qui sont recensées par les grammaires sont construites
avec la préposition de. Nous avons vu que par entraîne plutôt une
interprétation causale. Nous étudions les deux substantifs ensemble,
puisqu’ils ont la même syntaxe. Crainte est d’emploi plus rare, peut-être
parce qu’il est perçu comme plus littéraire.
La détermination de ces substantifs dans le cadre de la locution est
toujours l’article zéro de (peur, crainte) de/que ; *de la (peur, crainte)
de/que ; *d’une (peur, crainte) de/que. La forme de la subordonnée est
assez variée. Ce peut être :

a) une forme conjuguée : Paul a rectifié cette information, de (peur,


crainte) que les spectateurs ne viennent en vain au spectacle
b) une réduction infinitive : Paul s’est présenté de bon matin, de (peur,
crainte) de ne plus trouver de place au spectacle
c) un prédicat nominal : Les Athéniens ont rendu les armes, de (peur,
crainte) de représailles. On a mis des produits dans le jardin, de (peur,
crainte) d’une arrivée massive de fourmis

On notera que la subordonnée ne peut pas être de forme adjectivale,


comme c’est le cas avec d’autres substantifs. La préposition peut dans
225

certains cas être effacée : Paul n’a pas osé répondre à cette attaque, (peur,
crainte) de se trouver tout seul à répliquer. Cette tournure est littéraire et
classique. Le substantif crainte donne lieu à une locution introduite par
dans : Les Français se sont désistés, dans la crainte de dépenses excédant
leurs faibles moyens.
Comme les locutions de peur que, de crainte que sont interprétées
comme des négations de afin que et de pour que, on peut se demander si la
forme négative sans crainte de traduit une relation finale. Comme la
double négation n’est pas possible dans l’expression de la finalité, nous
l’interprétons comme un complément de cause.

12.2.Formes conjuguées

Les deux substantifs doivent être étudiés séparément puisque leur


syntaxe est différente. Le substantif peur a comme support normal le verbe
avoir. L’article défini n’est pas possible *J’ai la peur qu’il se mette à
pleuvoir. Les déterminants autorisés sont :

a) l’article zéro : J’ai peur qu’il ne se mette à pleuvoir


b) certains intensifs : J’ai (très, énormément) peur qu’il se mette à pleuvoir
c) l’indéfini suivi d’un modifieur : J’ai une peur terrible qu’il ne se mette à
pleuvoir

Une des règles de bonne formation des finales exige que le prédicat-
relateur ait le même temps que le verbe principal. Cette règle est illustrée
par la possibilité de formation de locutions, c’est-à-dire de perte de
l’actualisation pour le relateur, qui hérite de celle du verbe principal, d’où
l’identité temporelle. Cette règle explique qu’on ne puisse trouver des
supports aspectuels différents du temps du verbe principal : ?Paul est
rentré précipitamment chez lui, il a pris peur qu’il ne se mette à pleuvoir.
Le support avoir n’est pas très naturel avec le mot crainte : *Paul a
crainte qu’il ne pleuve ; *Paul a (très, beaucoup) crainte qu’il ne pleuve.
Ce qui vaut d’être signalé, c’est que la forme négative est très naturelle
Paul n’a aucune crainte d’arriver en retard. Le seul déterminant qui
permette une phrase à peu près acceptable est l’indéfini avec un modifieur :
Paul une certaine crainte qu’il se mette à pleuvoir. Ce substantif est plus
souvent accompagné d’un verbe approprié : trembler de crainte qu’il se
mette à pleuvoir.
Une autre différence entre peur et crainte tient à ce que ce dernier a une
forme verbale associée. On mettra donc en parallèle la forme nominale
crainte avec le verbe craindre : Paul est parti tôt, (de crainte, il craignait)
226

de rater son train. S’il est vrai que ces deux phrases sont synonymes et
que, de ce fait, la forme verbale traduit bien une finalité, alors on ne voit
pas pourquoi certains des verbes d’appréhension que nous avons signalés
plus haut ne seraient pas eux aussi susceptibles d’avoir dans ces
constructions une interprétation finale. Nous pensons évidemment à ceux
qui ont un argument phrastique : Paul est rentré tôt, il (appréhendait,
redoutait) de rater son train. Paul est rentré tôt, il avait la (frousse,
pétoche, trouille) de rater son train. Dans les exemples que nous évoquons
ici, on voit clairement que l’on est à la limite entre finalité et causalité,
comme nous l’avons montré au début de ce chapitre.

13. SOUCI, SE SOUCIER, SOUCIEUX

Le TLF donne deux sens différents pour les mots de cette racine : 1.
« Etat de l’esprit absorbé par un objet et que cette préoccupation inquiète ;
se faire du souci » ; 2. « Attitude subjective d’une personne qui recherche
un résultat, état d’esprit d’une personne qui forme un projet.
(préoccupation, soin) ; souci de recherche d’une personne qui se soucie de,
se préoccupe de ». C’est évidemment le deuxième sens qui nous intéresse
ici. Les deux sens de cette racine sont corrélés à des constructions
syntaxiques différentes.
Dans le premier sens, le substantif souci a pour support le verbe faire et
le complément est introduit par la préposition pour. Il ne semble pas qu’il y
ait des restrictions sémantiques sur la nature de ce complément : Je me fais
du souci pour (mon frère, cette histoire, l’état du pays). Cet emploi est
caractérisé par des déterminants quantifieurs : Je me fais (un tas de,
beaucoup de, énormément de) soucis pour la santé de mon frère. Un autre
emploi met en jeu le support avoir et le complément est introduit à l’aide
de la préposition avec : Paul a des soucis avec (son fils, cette affaire de
succession). Dans ces différents sens, le mot souci est synonyme de
inquiétude ou encore de misère(s), qui est plus populaire. On remarquera
que dans ces phrases, l’article défini est exclu.
Le sens final, qui nous intéresse ici, exclut le support faire mais prend
avoir et est déterminé par le défini le. Le substantif est nécessairement au
singulier : Paul s’est occupé de ces enfants ; il avait le souci qu’ils aient
une scolarité normale. Nous ne retenons que pour mémoire des tournures
archaïques comme avoir à souci de, tenir à souci de : Paul s’est adressé à
tous les actionnaires, il a à souci de les associer plus étroitement à la
marche de l’entreprise.
Les formes non actualisées sont introduites par les prépositions avec et
dans. Le déterminant est le défini avec un modifieur facultatif :
227

Il a fait tout cela, (avec, dans) le souci (évident) que les choses avancent
Il a fait une réunion plénière, (avec, dans) le souci (louable) de ménager ses
associés

Les deux constructions ne sont néanmoins pas parallèles. La préposition


dans autorise une complétive à prédicat nominal Ces mesures ont été
prises dans un souci de justice sociale ou adjectival La notation a été
supprimée dans un souci pédagogique. La préposition dans autorise aussi
l’anaphore : Il convient d’améliorer ce texte. Dans ce souci, Paul s’est
d’abord mis à corriger l’orthographe. Le substantif souci est relié à un
emploi verbal et adjectival :

Le conseil a pris des mesures nouvelles ; il se soucie de modifier l’image de


marque de l’entreprise
Le conseil a pris des mesures nouvelles ; il est soucieux de modifier l’image
de marque de l’entreprise
228
229

CHAPITRE X

LA PREPOSITION POUR

En dépit du fait que cette préposition constitue le moyen d’expression du


but le plus fréquent, nous avons tenu à la traiter en dernier lieu pour
différentes raisons. Nous voulions, tout d’abord, proposer une analyse
nouvelle des subordonnées circonstancielles et en particulier des finales.
Nous considérons ces circonstancielles comme des complétives dont le
prédicat est le relateur lui-même. Cette démonstration est plus aisée à
établir avec des prédicats nominaux qu’avec une préposition, dont le rôle
prédicatif n’est pas encore un fait familier pour tous. De plus, la syntaxe
d’un prédicat prépositionnel est beaucoup plus rudimentaire que celle des
noms. Cela implique parallèlement que l’analyse en est plus difficile, du
fait de l’absence des propriétés combinatoires auxquelles nous avons eu
recours pour analyser les substantifs et les verbes. Il nous faut donc, dans
un premier temps faire une petite typologie des emplois de cette
préposition, quand elle ne régit pas un objet indirect.

1. POLYSEMIESYNTAXIQUE DE LA PREPOSITION POUR INTRODUISANT DES


COMPLEMENTS NON ARGUMENTAUX

Nous allons examiner, dans ce qui suit, les différents emplois de pour
introduisant un complément non argumental. Nous excluons les arguments
comme dans passer pour un idiot, prendre quelqu’un pour un idiot, tenir
quelqu’un pour le candidat de gauche. Un critère syntaxique permet de
séparer assez clairement les deux fonctions. Quand une préposition a une
fonction prédicative, c’est-à-dire quand elle introduit autre chose que des
arguments, la « principale » peut être reprise par certains anaphoriques
comme faire cela, et cela, cela s’est fait, cela a eu lieu :

Paul a corrigé toutes les métaphores scabreuses, pour améliorer son texte
Paul a corrigé toutes les métaphores scabreuses et (il a fait cela, cela) pour
améliorer son texte.
230

Cette construction est impossible quand la préposition introduit un


argument :

*Paul tient et cela pour le candidat de gauche


*Paul prend Luc et cela pour un idiot
*Il a de l’amour et cela pour son père.

Il est intéressant d’examiner, au regard de cette propriété, les


compléments de lieu et de temps en pour. Partons d’abord de la phrase
suivante qui met en jeu un verbe statique dont le complément est de nature
argumentale : Le livre est posé sur la table. La règle prédit que la phrase ne
se prête pas à la reprise : *Le livre est posé, et cela sur la table. La
construction active a les mêmes propriétés *J’ai posé le livre, et cela sur la
table. Quand on a affaire à un circonstant, la reprise anaphorique est
autorisée : On a joué aux cartes sur une table crasseuse ; On a joué aux
cartes et cela sur une table crasseuse. On voit bien la raison de cette
disparité. L’anaphorique cela a pour référent l’événement représenté par
une phrase entière, en particulier une principale. Or, dans le cadre d’une
phrase simple, le sujet et le verbe ne constituent pas une unité autonome
susceptible d’être reprise par un pronom : *Je lis et cela un livre (Cf. Ch.
III, § 2).
Examinons maintenant un complément directionnel impliquant un verbe
de mouvement. On admettra que la préposition pour introduit l’argument-
objet de partir : Les enfants sont partis pour les Vosges. On n’est donc pas
surpris de ne pas avoir la reprise *Les enfants sont partis ; (ils ont fait cela,
et cela, cela s’est fait, cela a eu lieu) pour les Vosges. Quand le
complément de lieu est un scénique, il ne constitue pas un argument du
verbe et la reprise est possible : Une bombe a explosé et cela en plein
Sénat. Il en est de même pour les compléments de temps. Ceux qui sont
introduits par pour ne sont pas non plus des arguments du prédicat : Nous
sommes partis à Athènes pour une semaine. La reprise est admise : Nous
sommes partis pour Athènes, et cela pour une semaine.
Mais ce qui est intéressant pour la description du sens de pour, c’est que
les deux compléments locatifs et temporels, bien qu’ils aient des statuts
syntaxiques différents, ont des propriétés communes. Examinons d’abord
l’emploi locatif. La préposition pour y traduit la destination, l’endroit
qu’on projette de rejoindre, c’est ce qui explique qu’elle soit impossible
avec le verbe arriver, qui met l’accent sur la fin du processus. En cela,
pour a un fonctionnement différent de à : Je pars à Marseille ; je suis
arrivé à Marseille. La notion de « destination » explique que le projet peut
ne pas aboutir : Je suis parti pour Marseille, mais en cours de route j’ai
changé d’avis. Cet emploi de la préposition pour a en commun avec la
231

finalité le fait que le projet puisse être interrompu : Je suis allé au guichet
pour acheter des billets, mais il n’y en avait plus quand c’était mon tour.
Continuons notre examen des compléments de temps en pour : Nous
sommes partis à Athènes pour une semaine. La durée est envisagée à son
début et le projet peut être interrompu par un événement indépendant, qui
en interrompt le cours Nous étions partis pour une semaine mais cette
mauvaise nouvelle nous a rappelés chez nous au bout de deux jours.
L’interprétation projective du complément de temps en pour explique qu’il
ne soit pas compatible avec un verbe comme séjourner *Nous avons
séjourné à Athènes pour une semaine. Cette différence de perspective rend
compte de l’acceptabilité douteuse que signale P. Cadiot 1991: 249 Il est
resté ici pour trois jours. En cela, pour a un fonctionnement très différent
de pendant, qui implique non le début d’une durée mais les deux termes et
désigne un laps de temps objectif Nous avons séjourné à Athènes pendant
une semaine. Même si le verbe est au passé, le complément en pour
indique une durée ouverte et orientée vers l’avenir : Il était venu nous voir
pour deux semaines.
Il en est de même pour les dates, en cas de prédicat événementiel. La
préposition pour implique que celles-ci fassent l’objet d’une hypothèse,
interprétation qui est encore soulignée par des verbes spéculatifs : La
cérémonie est prévue pour le début de l’année prochaine. On observe ici le
même correctif qu’avec les compléments de lieu. Dès lors qu’on fait des
projets, il faut envisager la possibilité qu’ils ne se réalisent pas : La
cérémonie était prévue pour dimanche, mais elle a dû être remise au
vendredi suivant. En revanche, quand il s’agit de verbes supports
d’occurrence statiques qui excluent le doute, alors pour est exclu au profit
de à : La cérémonie aura lieu au début de l’année prochaine.
On voit donc que les compléments en pour que nous avons examinés,
qu’ils soient objets ou circonstants, ont d’importantes propriétés
communes. Ils impliquent tous une destination, une perspective, un projet.
Ils accompagnent des prédicats bornés à gauche et orientés vers l’avenir.
Ils expriment une intention, une volonté. Leur réalisation peut donc être
compromise, tout comme le but qu’on se fixe.
En cela, les emplois que nous venons de décrire sont très différents des
compléments de cause introduits par pour, qui correspondent au contraire à
une antériorité, comme le met clairement en lumière l’emploi de l’infinitif
passé. Nous n’analysons ici qu’un des emplois causatifs en pour illustré par
un exemple comme Jean Valjean s’est fait condamner au bagne pour avoir
volé du pain. Cet emploi pourrait être appelé « cause sanctionnante » et
serait le même dans une interprétation positive Cet écrivain a reçu le prix
Goncourt pour son roman sur les Incas. La thématisation du complément
232

de cause se fait ici par l’intermédiaire du verbe causatif valoir : D’avoir


volé du pain a valu à Jean Valjean d’être condamné au bagne ; Ce roman
sur les Incas a valu le prix Goncourt à cet écrivain. Observons qu’outre
l’opposition temporelle, une autre différence sépare le but de la cause. La
cause n’implique aucune action consciente ni orientée : le sujet peut
parfaitement ne rien savoir de l’événement : Cet écrivain a reçu le prix
Goncourt pour ce roman (à son insu, contre sa volonté). La finalité, au
contraire, implique une action volontaire que l’on aurait dans Il a écrit ce
roman pour avoir le prix Goncourt.

2. POLYSEMIE DE POUR QUE

De même que pour suivi d’un infinitif est polysémique, final avec un
infinitif présent et causal avec un infinitif passé, de même la suite pour que
ne peut pas être décrite sans mettre d’abord en évidence les sens multiples
qu’elle peut avoir en fonction de sa distribution. Nous soulignons la lecture
finale en comparant le comportement de pour que avec afin que considéré
comme monosémique. On ne confondra donc pas les constructions finales
en pour que avec :

a) les constructions consécutives après des adverbes comme trop : Cet


enfant est trop lourd (pour que, *afin que) on le porte. Cette histoire est
trop compliquée (pour que, *afin que) je puisse te la résumer en deux
minutes.
b) certains prédicats d’obligation, qui traduisent une condition : Il faudra
toute l’habileté de la France (pour que, *afin que) l’Algérie retrouve une
certaine crédibilité. La loi doit encore être soumise au Parlement (pour
qu’on, *afin qu’on) puisse dire qu’elle est effective.
c) certaines constructions temporelles : Il a fallu attendre mars 1994 pour
que la France ratifie ce traité. Il aura fallu dix ans (pour que, *afin que)
ces dispositions soient vraiment adoptées par la population française.
d) certains prédicats de nécessité : Il n’est pas nécessaire de hurler (pour
que, *afin que) le silence se fasse, (pour, *afin de) se faire entendre.
e) des compléments de « dépit » exclamatifs : J’ai fait tous ces efforts pour
que finalement tu abandonnes ! Je n’ai pas lu tous ces livres pour que tu
me dises à la fin que ce n’était pas la peine.

Ces remarques étaient nécessaires, en particulier si l’on envisage un


traitement automatique, pour éviter qu’on n’analyse systématiquement
comme finale une subordonnée en pour que au subjonctif. Nous rappelons
donc les conditions d’une subordonnée de but. Tout d’abord une
233

construction finale nécessite trois phrases, c’est-à-dire trois prédicats. En


termes de grammaire traditionnelle, il faut une principale comprenant un
verbe d’action impliquant en structure profonde un sujet humain, une
subordonnée désignant une conséquence naturelle de cette action et un
troisième prédicat qui relie les deux autres et qui traduit l’intention, la
« finalité » de celui qui est l’auteur de l’action. Doivent être réunies de plus
un certain nombre de conditions qui assurent la cohérence et les
compatibilités sémantiques de ces trois prédicats.

3. PARTICULARITES SYNTAXIQUES DE POUR PAR RAPPORT AUX AUTRES


RELATEURS DE BUT

Ces différences sont nombreuses et dépendent avant tout du fait qu’il n’y
a pas ici de substantif. Cette observation d’évidence mérite cependant
d’être examinée de près. Elle contredit d’abord une règle générale qui veut
qu’une phrase ne peut pas figurer dans l’environnement immédiat d’une
préposition sans l’intermédiaire de la forme pronominale ce, comme on le
voit dans les exemples suivants : *par que/parce que, *en que/en ce que.
Cette règle vaut aussi dans le cas des constructions verbales indirectes
*s’intéresser à que/s’intéresser à ce que , *s’occuper de que/s’occuper de
ce que, *compter sur que/compte sur ce que. Les contre-exemples sont
rares : outre pour que on observe dès que et la suite sans préposition alors
que. Il convient de s’interroger sur les raisons de cette particularité.
Il faut noter d’abord qu’en ancien français la structure comprenait bien
la présence du démonstratif ce et l’on avait naturellement por ce que, de
même qu’on avait jusqu’au moyen français pour exprimer la cause la
locution à ce que. Face à ces faits, deux attitudes sont possibles. Ou bien
on admet l’absence de la forme ce comme une donnée primaire et l’on est
en face d’une irrégularité, ce qu’on ne peut jamais exclure dans le cas des
langues naturelles, ou bien on tente d’en élucider la formation, en faisant
confiance à l’analyse syntaxique. C’est cette seconde solution qui a notre
préférence. La forme ce est un déterminant dont les fonctions sont diverses
(anaphorique, cataphorique ou déictique) mais qui implique la présence
d’un substantif, du fait de sa fonction de déterminant. En effet, très souvent
on observe des constructions parallèles mettant en jeu les deux
constructions : Cela tient à ce qu’il n’a pas réussi son opération ; cela tient
au fait qu’il n’a pas réussi son opération ; Cela vient de ce qu’il n’est pas
arrivé à temps ; cela vient du fait qu’il n’est pas arrivé à temps.
Cette analyse impliquant un substantif classifieur effacé n’est pas ad
hoc. Déjà en ancien français, pour l’expression de la cause, on avait
parallèlement les locutions por ce que et por celle raison que. M. Piot
234

(1976 : 228) cite la présence dans l’ancienne langue d’un substantif por
icelle fin de (ce que Psubj + VW). J. Chaurand nous signale que le type
pour ce que est attesté depuis la Chanson de Roland et que les exemples en
sont innombrables. A la fin que et a cele fin que sont de la fin du 13e siècle
mais sont loin d’être aussi usuels. On peut penser aussi à la forme
propterea du latin : propterea quod traduit la cause et propterea ut le but.
Le français pour ce que a les deux sens, que distingue le mode du verbe,
respectivement l’indicatif et le subjonctif.
En cas d’effacement d’un classifieur, la tradition grammaticale a
toujours eu le réflexe de dire que le déterminant devient un pronom, faisant
intervenir la notion de neutre, qui n’est pas évidente en français. C’est ainsi
qu’on analyse comme pronom la forme ce dans sur ce et d’autres
prépositions Ils marchaient (devant, derrière). Le cas des locutions
temporelles en est un autre exemple. Face à dès que on a dès le moment
que, dès l’instant que où le substantif classifieur est un nom de temps
ponctuel fonctionnant comme repère. Un cas intermédiaire est alors que
dont l’étymologie semble être à l’heure que (où) où le substantif autonome
heure n’a pas été effacé mais est devenu le « pronom » temporel lors, que
l’on trouve dans d’autres locutions : dès lors, depuis lors. Reste à montrer,
ce que nous ne sommes pas en mesure de faire ici, pourquoi por ce que est
devenu por que puis pour que, perdant la forme démonstrative.
Quoi qu’il en soit de cette discussion étymologique, la syntaxe actuelle
de la locution pour que a entraîné des différences majeures avec les autres
locutions finales. Toutes les propriétés liées à la présence d’un substantif
sont absentes :

a) Tout déterminant est évidemment exclu : les anaphoriques, les


cataphoriques, les interrogatifs de même que les indéfinis, ce qui détermine
une syntaxe beaucoup plus réduite
b) Aucune insertion d’adjectif n’est possible non plus, ni même d’adverbe
c) Du fait de l’absence de substantif, la finale ne peut pas avoir une forme
ad jectivale comme dans à des fins électorales
d) La thématisation en début de phrase que nous avons observée avec les
prédicats nominaux Le but qu’avait Pierre en disant cela était de
convaincre est exclue aussi avec la préposition pour.

4. SYNTAXE DE LA CONSTRUCTION

Nous examinons maintenant la forme que prend la subordonnée


introduite par la préposition pour que/pour. Une première observation
s’impose. Nous avons analysé les finales comme des arguments (c’est-à-
235

dire comme des complétives) des prédicats nominaux, que ceux-ci figurent
dans les locutions ou qu’ils constituent un emploi libre quand ils sont
accompagnés de leur verbe support. Nous adoptons la même position
théorique ici. Cela implique que nous considérions pour comme un
prédicat. Or, par définition, un prédicat doit pouvoir être actualisé. Nous
pensons donc que la construction de base implique un sujet et un
complément phrastique, que nous reconstituons de la façon suivante Que
Paul ait dit cela est pour que tout le monde soit au courant, à quoi nous
appliquons la transformation principale que nous avons déjà décrite ailleurs
et qui donne Paul a dit cela pour que tout le monde soit au courant.

4.1. Formes de la subordonnée

a) Prédicats verbaux

On sait que ce qui explique la réduction d’une subordonnée en que P


(donc à prédicat conjugué) à une forme infinitive, donc non actualisée,
c’est la coréférence entre les deux sujets (et même entre les trois sujets
dans le cas de certains prédicats nominaux comme les intentionnels ou les
sentiments) : J’ai dit cela pour que tout le monde le sache ; J’ai dit cela
pour en informer tout le monde. On remarquera au passage que la
conjonction que n’a pas d’autre fonction que de faire de la phrase
impliquée tout le monde le sait un argument de pour. En cela, cette
conjonction est identique à celle que l’on trouve dans les complétives Je
pense qu’il est déjà parti, où que permet à la phrase il est déjà parti de
faire fonction d’argument, ce qu’elle ne pourrait pas faire toute seule *Je
pense il est parti. La subordonnée n’est l’objet d’aucune restriction portant
sur la forme de son prédicat verbal, qui peut être à l’actif, au passif ou à la
forme pronominale. Cependant, en cas de coréférence des sujets, la forme
passive peut être d’une acceptabilité douteuse et être remplacée par la
forme pronominale : ?Paul est parti chez le coiffeur pour être coiffé ; Paul
est parti chez le coiffeur pour se faire coiffer.

b) Prédicats nominaux

Nous analysons ici les subordonnées finales introduites par la


préposition pour et dont le prédicat est un substantif. Ce substantif peut
être un nom d’action actualisé par un verbe support :

Nous vous avons fait ces remarques pour que vous ayez désormais une
connaissance claire de la situation
236

En cas de coréférence des deux sujets, il y a réduction infinitive et le


support perd sa conjugaison :

Les représentants sont venus pour procéder à une inspection méticuleuse


des lieux
Paul est venu pour assurer la correction des épreuves

Dans certains cas, le verbe support lui-même peut être effacé :

Les représentants sont venus pour une inspection méticuleuse des lieux
Paul est venu pour la correction des épreuves

Ces constructions ne doivent pas être confondues avec celles qui mettent
en jeu des prédicats événementiels à interprétation temporelle ou des
humains interprétés comme des bénéficiaires :

Les enfants sont venus pour la fête de leur cousin (= à l’occasion de)
S’il est venu à la fête, c’est pour Marie

4.2. Transformations portant sur la subordonnée

La subordonnée finale, que nous analysons comme complétive de la


préposition pour, est susceptible de subir un certain nombre de
modifications.

a) Interrogation
La subordonnée peut faire l’objet d’une interrogation et prendre alors la
forme quoi soudée avec la préposition : Pourquoi es-tu venu ici ? Pour
acheter des fleurs. En cas de coréférence, il est possible que cette forme
soit la réduction d’une phrase comprenant le verbe faire, représentant des
prédicats d’action : Pour quoi faire es-tu venu ici ? Nous rappelons que
l’interrogatif pourquoi a une interprétation ambiguë. Comme l’avait
remarqué Aristote, il peut s’appliquer à une phrase finale ou causale
Pourquoi fait-il si froid ? Parce que le vent vient du Nord.
b) Pronominalisation
La subordonnée peut aussi être pronominalisée à l’aide des pronoms cela
et ça : Paul veut refaire la toiture. Pour (cela, ça), il est allé chez le
charpentier que tu lui as conseillé. Il n’est pas interdit de penser qu’ici
aussi le verbe faire peut être la source - Pour (faire cela, ce faire), il est
allé chez le charpentier que tu lui as conseillé – d’autant que le pro-
prédicat faire cela, le faire, fonctionne comme un prédicat d’action
237

générique. Cela ne vaut cependant que pour la forme non conjuguée, qui
contient forcément une action.
c) Négation
La négation affectant la subordonnée prend la forme pour que ne…pas
(une variante populaire est pour pas que) : Tu as fermé les volets (pour que
la pluie ne vienne pas mouiller le parquet, pour ne pas que la pluie vienne
mouiller le parquet). Il existe une variante de cette forme négative qui met
en jeu les verbes empêcher et éviter : Tu as fermé les volets pour
(empêcher, éviter) que la pluie ne vienne mouiller le parquet. La forme
pour rien dans Paul est venu pour rien ne doit pas être considérée comme
de nature finale. Son synonyme est inutilement.
d) Focalisation
La subordonnée peut être extraite dans c’est…que : C’est pour nettoyer
sa chambre que Paul a acheté ce produit d’entretien.

4.3. Place de la subordonnée

On dit souvent que les subordonnées n’ont pas de place fixe dans la
phrase. Cette présentation est évidemment réductrice. Les finales peuvent
être placées : a) normalement après la principale On a ouvert la grille, pour
que les enfants puissent entrer dès huit heures ; b) en position frontale :
Pour que les enfants puissent entrer dès huit heures, on a ouvert la grille.
Cependant cette phrase ne semble pas tout à fait naturelle. On peut
l’améliorer en ajoutant un complément Pour que les enfants puissent entrer
dès huit heures, on a ouvert la grille plus tôt que d’habitude.
Un autre facteur peut intervenir. La position frontale est d’autant plus
naturelle que les deux événements sont considérés comme autonomes. Si
donc la subordonnée est induite par un certain type de prédicats, comme les
verbes de mouvements, l’antéposition est plus difficile :

Il est venu pour se renseigner


?Pour se renseigner, il est venu

L’acceptabilité est améliorée si on ajoute un complément :

Il est venu à la mairie pour se renseigner


Pour se renseigner, il est venu à la mairie

5. VARIATIONS SEMANTIQUES A PROPOS DE POUR QUE

P. Cadiot 1990 a attiré l’attention sur la difficulté qu’il y a à délimiter


une lecture finale. Pour illustrer son analyse, il compare les emplois
238

possibles de pour et de afin de. Alors que la locution construite autour du


substantif fin est clairement finale, il observe le caractère fortement
polysémique de la préposition pour et fait remarquer que la lecture finale y
est souvent amalgamée avec d’autres interprétations. Nous voudrions
insister ici sur un autre aspect des constructions finales en pour. Celles-ci
sont plus tributaires que les autres relateurs de but de la nature sémantique
du verbe principal.
Observons d’abord que les deux relateurs peuvent réunir des événements
indépendants et qui ne sont pas interprétés automatiquement comme des
conséquences naturelles l’un de l’autre :

L’homme a déplacé le tabouret (afin que, pour que) tous soient contents
Il s’en est allé dans les Vosges (afin de, pour) rédiger ce chapitre

On ne voit aucune relation nécessaire entre les deux prédicats reliés par
les connecteurs de but afin que et pour. On admettra que le lien de finalité,
purement contingent, est le fait de l’affirmation du locuteur. Les deux
relateurs ont ici clairement des environnements communs. Le statut de afin
que/de est sans équivoque, il ne peut introduire qu’une subordonnée non
argumentale sur le statut de laquelle il n’y a pas à hésiter. En particulier, la
suite afin que/de ne peut jamais être considérée comme un argument du
verbe de la principale.
Les constructions en pour (que) sont plus complexes. Soit la phrase Paul
s’est arrangé pour que tout soit prêt à temps. Du point de vue conceptuel,
cette construction correspond aux conditions d’une lecture finale : un
prédicat d’action à sujet agentif (s’arranger), une conséquence souhaitée
(tout être prêt) et un connecteur (pour que). A première vue, on est donc en
présence d’une construction finale.
Mais certaines propriétés syntaxiques des finales manquent ici. Nous
avons vu que ces phrases peuvent faire l’objet d’une interrogation en quoi
ou d’une pronominalisation en cela, ça : Paul s’est inscrit dans ce club
pour faire du tennis : Pourquoi Paul s’est-il inscrit dans ce club ? C’est
pour (cela, ça) que Paul s’est inscrit dans ce club. Ces modifications ne
sont pas possibles dans la phrase que nous avons citée *Pourquoi s’est-il
arrangé ? *Paul s’est arrangé pour cela. D’autre part, les finales peuvent
assez naturellement figurer en position frontale : Pour faire du tennis, Paul
s’est inscrit dans ce club. Cette possibilité semble exclue pour notre cas :
*Pour que tout soit prêt à temps, Paul s’est arrangé. Notons enfin que la
phrase en pour que P ne peut pas être effacée, car le verbe s’arranger ne
peut pas figurer seul Paul s’est arrangé. On doit donc s’interroger sur le
statut de la subordonnée pour que tout soit prêt à temps. Si on compare la
239

phrase avec une construction voisine comme Paul a fait que tout soit prêt à
temps, on peut suggérer l’hypothèse que la subordonnée en pour que n’est
pas une finale typique mais une sorte de complétive.
Il existe donc certaines classes de verbes « orientés vers le futur » et
donc semblables aux verbes analysés au Ch. IV, mais qui régissent la
préposition pour, dont le complément peut être interprété comme un
objectif à atteindre. Nous donnons ici certaines de ces classes mettant en
jeu des prédicats de :

a) parole :

Il était intervenu auprès de Staline pour que Boukharine soit nommé


rédacteur en chef
Nous allons tous faire campagne pour que la loi 112 soit abolie
Des voix se sont élevées pour réclamer des élections anticipées
L’orateur a insisté fortement pour que ce problème soit réglé au cours de la
séance
Il était le seul à plaider pour que joue la règle de la majorité
Je me suis prononcé pour que tous aient le droit de vote

b) souhait :

Vous avez formé des (vœux, souhaits) pour que tout soit mis en œuvre pour
châtier les coupables

c) consensus

Ils sont tombés d’accord pour que chaque pays formule ses propres
revendications
Un accord a été conclu pour que la ventilation des crédits se fasse dans des
conditions plus acceptables

d) effort

Il faudrait se battre pour que les CDD aient un statut un peu moins précaire
Le peuple s’est dépensé sans compter pour que le pays retrouve sa
puissance d’antan
Le gouvernement a tout fait pour que règne la confiance
Ils ont mené un combat sans faille pour que le Québec soit reconnu dans le
concert des Nations
Il avait mis tout son poids dans la balance pour que le programme soit
respecté dans son intégralité

e) décision
240

La direction a pris les mesures pour que les travaux soient réalisés à temps
Tu dois prendre des dispositions pour que les promesses faites soient tenues

f) prévision

C’était (prévu, conçu) pour que ça résiste à une pression de 3 tonnes

g) ordre

On a donné de strictes consignes pour que les délais soient respectés


Il a été édicté des règles draconiennes pour que le cœur de la ville soit
préservé
Tu donneras le feu vert pour que le départ soit donné

Le phénomène d’amalgame dont parle P. Cadiot rend l’interprétation de


ces phrases particulièrement difficile. Revenons à la définition de la
finalité : un humain effectue une action pour réaliser ainsi un de ses
souhaits. Nous avons vu aussi que le relateur ne fait partie d’aucune des
deux phrases mais qu’il a comme argument la subordonnée finale et que
son sujet est celui de la principale. Si maintenant nous reprenons les
phrases que nous venons de donner, nous constatons que celle qui est
introduite par pour que joue un certain rôle dans la phrase principale. Dans
la phrase Il est intervenu auprès de Staline pour que Boukharine soit
nommé rédacteur en chef, la subordonnée pour que P n’indique pas le but
de l’intervention, son pourquoi mais l’objet de l’intervention, la nature de
la demande, son propos, le thème de l’intervention. De même, dans la
phrase Vous avez formé des souhaits pour que tout soit mis en œuvre pour
châtier les coupables, la phrase en pour que est proche d’une complétive et
pourrait être paraphrasée par Vous avez souhaité que tout soit mis en œuvre
pour châtier les coupables. La même analyse s’applique à la dernière
phrase : dans donner le feu vert pour que le départ soit donné la
subordonnée ne traduit pas une finalité, c’est-à-dire le motif de l’action
mais son objet : si l’on paraphrase donner le feu vert par autoriser, on
admettra que la subordonnée est une complétive.
Toutes ces interprétations dépendent du sens du verbe principal. Nous
avons affaire à des prédicats qui impliquent des conséquences privilégiées.
Les phrases qui expriment ces conséquences ont un statut intermédiaire
entre les finales typiques et les complétives.
241

CHAPITRE XI

FINALITE ET ARTEFACTS

1. OBJETS NATURELS ET OBJETS FINALISES

La finalité, telle que nous l’avons définie jusqu’à présent, met en jeu
d’une part deux prédicats, celui de la principale dont le sujet est un humain
et celui de la subordonnée qui ne fait l’objet que de peu de restrictions et,
d’autre part, un prédicat du second ordre reliant les deux autres et pouvant
être un verbe, un adjectif ou un substantif actualisé ou non. Dans ce dernier
cas, il est inséré dans une structure appelée « locution ». On voit donc que
la finalité stricto sensu est une relation entre prédicats.
Cependant, il existe d’autres relateurs de finalité qui prennent en compte
des éléments de nature argumentale, comme les concrets, par exemple.
Cela implique que ces objets puissent jouer un rôle dans l’élaboration d’un
projet ou la détermination d’un but. Les objets bruts : caillou, poussière,
humus n’appartiennent pas aux ensembles que nous essayons d’évoquer.
Ce sont des réalités qui précèdent l’homme, qui s’imposent à lui et qui
échappent à tout projet de sa part. Nous n’entrerons pas ici dans une
réflexion philosophique sur l’idée de finalité interne de la nature (voir la
préface). Nous dirons simplement que, du point de vue de l’homme, si une
telle finalité peut être perçue et décrite linguistiquement, elle existe par
elle-même et ne révèle aucun projet préétabli.
Cela ne veut pas dire que l’homme soit incapable de tirer parti de ces
objets, comme en rend compte la suite se servir de N comme d’un N : Paul
se sert de ce caillou comme d’un marteau ; Paul s’est servi de cette
allumette comme d’un cure-dent. Ces substantifs, comme on le voit,
fonctionnent comme des moyens et non des compléments de but. Il faut
assurément une pensée religieuse ou eschatologique pour affirmer que « les
melons sont en tranches pour être mangés en famille ». La finalité
intervient dès lors que l’homme est le maître du jeu, qu’il pose un acte ou
modifie son environnement en vue de la réalisation d’un objectif qu’il s’est
fixé.
Si un caillou est un objet naturel dont l’existence est tributaire des
phénomènes sismiques ou météorologiques et ne procède d’aucun plan
242

préétabli, d’autres objets, appelés artefacts, sont créés dans un but


déterminé. Une scie sert à découper, un marteau à frapper, un foret à percer
des trous, etc. Ces objets ne sont pas seulement utilisés pour atteindre des
objectifs : ils sont fabriqués selon un projet conscient et sont donc eux-
mêmes en quelque sorte les buts d’une action. Les objets créés par
l’homme en vue de besoins particuliers peuvent avoir des degrés variés de
complexité. Un outil, un instrument, un ustensile sont des artefacts assez
simples et ne sont que le prolongement de la main. L’opérateur syntaxique
le plus approprié est le verbe manier : Pour faire cela, il faut savoir manier
une scie. Les définitions des dictionnaires sont fonction de la nature des ces
objets. Voici celle du mot outil :

« Objet fabriqué, utilisé manuellement, doté d’une forme et de


propriétés physiques adaptées à un procès de production déterminé
permettant de transformer l’objet de travail selon un but fixé » (TLF
(s.v. outil)

« L’outil n’est pas seulement le matériau adéquat ramassé ici ou là,


dans la forme que lui ont donnée la nature et les circonstances, c’est
une matière préparée pour l’usage qu’on veut en faire, une forme
raisonnée » Gille in Histoire des techniques, 1978, p. 143, (Encyclop.
de la Pléiade) (in TLF).

et celle d’instrument :

« Objet fabriqué en vue d’une utilisation particulière pour faire ou


créer quelque chose, pour exécuter ou favoriser une opération »

Des objets un peu plus complexes peuvent être, par exemple, des
dispositifs, qui ont, à la différence des outils, une certaine autonomie par
rapport à l’homme, comme les cadrans des instruments de mesure. Plus
complexes encore sont les machines, dont le fonctionnement est autonome
et pour lesquelles l’intervention de l’homme se réduit souvent à la mise en
marche ou à l’arrêt. On admettra que l’ordinateur est la machine la plus
complexe : elle peut se substituer à l’homme pour un grand nombre de
tâches abstraites comme de calculer, combiner, additionner, etc. Le degré
de complexité n’est cependant pas pertinent ici. L’important réside en
ceci : la finalité est constitutive de la définition des artefacts. Ceux-ci sont
évidemment beaucoup plus nombreux et diversifiés que nous ne le laissons
entendre ici. Il est clair que les vêtements, les moyens de transports, les
aliments, l’argent, les médicaments, etc. ont des finalités propres. Il
243

convient d’ajouter que ces objets peuvent, comme les objets naturels, servir
à des fins occasionnelles secondaires. Un couteau sert essentiellement à
couper, même si on peut dire très naturellement Paul a utilisé son couteau
pour serrer cette vis.

2. SYNTAXE DES ARTEFACTS

Nous étudions ici la syntaxe des artefacts, en mettant l’accent


essentiellement sur les outils et les instruments. Celle-ci confirme les
réflexions que nous venons de faire à leur sujet. Tout d’abord un outil peut
être désigné par un domaine d’activité ou par le professionnel qui l’utilise
de façon prototypique. On aura alors des mots comme outil de bijoutier, de
charpentier, de menuisier. Quelquefois, la fonction de l’objet est mise en
évidence par un adjectif : instrument aratoire, agricole. Il s’agit ici d’une
dénomination générique ou classificatrice, car ces termes peuvent désigner
une série d’outils différents. Une dénomination plus précise prend en
compte la finalité de l’outil. Elle met en jeu les préposition à et de :

outil à/pour travailler le bois


outil de coupe, de découpe, d’alésage, de rabotage

Ces dénominations sont donc d’origine syntaxique, en particulier celles qui


utilisent la préposition à : outil à affûter, couper, découper, estamper,
forer, frapper. Cette préposition a sans doute pour origine le verbe servir
à : cet outil sert à affûter, couper, découper, estamper, forer, frapper. Le
verbe servir est utilisé pour définir les artefacts de façon naïve : On se sert
d’un couteau pour couper quelque chose ; on se sert d’un foret pour percer
un trou. On peut noter d’autres verbes qui, dans certains de leurs emplois,
sont appropriés aux substantifs que nous étudions. Ainsi manier est plus
approprié à la notion d’outil que le verbe utiliser, dont les arguments sont
moins restreints : Paul a utilisé (ce marteau, cette pierre) pour casser la
vitre ; Paul a manié (ce marteau, *cette pierre). On comprendra que plus
l’artefact a une fonction précise et stéréotypée, plus la notion de finalité est
apparente. La définition d’une clé peut se passer à la rigueur du matériau
dont elle est constituée (fer, acier) mais elle doit nécessairement
comprendre l’idée qu’elle a été conçue pour ouvrir une serrure et, par
métonymie, une porte ou tout autre moyen de fermeture. Les badges en
plastique permettant d’ouvrir les portes des chambres d’hôtel sont
communément appelés des clés, même si matériellement ils n’ont rien à
voir avec les objets habituellement connus sous ce nom.
244

Il existe aussi des artefacts dont l’utilisation est moins exclusive et qui
ont besoin, dans certains cas d’être définis du point de vue de leur
utilisation. Au chapitre VI, nous avons signalé que le prédicat finalité a des
sujets prédicatifs : Cette démarche avait pour finalité de mettre les choses
au point entre les deux belligérants. Ce substantif n’est pas naturel avec les
artefacts ?La finalité de ce bouton est de fermer un col de chemise. Nous
avons vu que, dans ce cas, on se sert du substantif destination surtout s’il
s’agit de termes génériques comme outil, instrument, dispositif que d’outils
spécifiques comme marteau ou scie :

Ces cordes n’avaient d’autre destination que d’attacher les branches


Telle était la destination de l’huile céphalique
Il ne connaissait pas la destination des tissus qu’il achetait
Ce dispositif a pour destination de maintenir la porte fermée

Ces phrases sont des reformulations de structures plus simples :

Maintenir la porte fermée est la destination de ce dispositif

Le substantif destination est associé au verbe destiner, surtout au passif :

On destine ce type d’appareil à humidifier l’air


Cet appareil est destiné à humidifier l’air

Ces constructions sont susceptibles de recevoir des opérateurs causatifs, au


moment de la création d’un artefact ou en cas d’emploi dérivé. Elles
mettent en jeu des verbes comme donner, attribuer :

On (donne, attribue) à cet objet une destination spécifique

La forme passive est en recevoir :

Cet objet a reçu une destination spécifique

La description la plus typique d’un artefact contient une finale, qui est la
façon la plus naturelle et la plus immédiate pour caractériser la destination
fonctionnelle de la structure. On a souvent observé que les enfants
définissent les objets en fonction de leur utilité : une voiture, ça sert à se
déplacer ; un lit, c’est pour dormir dedans. La structure encapsule l’action
finalisée qui l’a conçue et sa fonction est assimilée à un but.

3. SYNTAXE DES LIEUX


245

La distinction que nous venons de faire entre objet naturel et artefact


peut être étendue à la notion d’espace. La différence entre d’une part une
plaine et d’autres lieux naturels comme montagne, espace, univers et une
salle de classe de l’autre vient de ce que cette dernière est une création
humaine destinée à un certain usage. On lui assigne dès la conception une
finalité spécifique. De tels lieux sont en quelque sorte doubles. Ils héritent
de toutes les propriétés générales des lieux : on peut traverser une salle de
classe, la parcourir, la mesurer, en calculer la surface, etc. Mais on peut,
d’autre part, l’aménager, l’affecter au cours moyen, la prévoir pour vingt
ou trente élèves. Une salle de classe est donc un lieu qui a une destination
spécifique. Aussi est-il normal de poser une question comme : Pouvez-vous
me préciser la destination de cette salle ? Cette interrogation n’est pas
appropriée quand il s’agit d’un lieu non finalisé *Pouvez-vous me préciser
la destination de cette plaine ? La différence que nous venons de signaler
peut être traduite lexicalement par les deux mots lieu et local. Un lieu est
un espace donné tandis qu’un local est un espace finalisé.
Le verbe destiner s’applique très naturellement aussi à des lieux : Ce
local est destiné aux jeux des enfants. Mais un autre verbe est plus
proprement approprié aux locatifs, c’est le verbe affecter : On a affecté
cette pièce aux réunions syndicales. En cela, le verbe affecter s’oppose à
une expression comme être le théâtre de : Ce lieu a été le théâtre d’un
terrible accident. Dans un cas, on peut déduire les événements de la
destination du lieu et dans l’autre non. Dans un cas, il s’agit de lieux
« fonctionnels » et dans l’autre de lieux « vides ». Le fait que des lieux
puissent se voir affecter une autre destination ne fait que confirmer notre
analyse.

4. TEMPS

On ne voit pas très bien a priori de lien entre le temps et la finalité,


surtout quand les deux termes de la durée sont impliqués comme dans le
cas de pendant : Nous sommes partis en vacances pendant deux semaines.
Nous avons déjà observé que d’autres compléments de temps impliquent
un projet et sont donc orientés vers le futur Nous comptons partir pour
deux semaines. La notion de projet n’est pas très éloignée de celle de but
dans ce cas.
Mais nous voulons examiner ici d’autres constructions temporelles qui
ont un lien avec la notion de projet. Elles mettent en jeu une mise en
évidence de la notion de temps. Habituellement, le temps se traduit à l’aide
de compléments circonstanciels : adverbes (demain, nuitamment) ou
246

compléments prépositionnels (pendant la matinée, durant la nuit). La


focalisation de ces adverbiaux les place dans une autre position syntaxique,
souvent frontale.
Certains verbes, comme connaître, permettent à un complément de
temps de devenir sujets :

Il y a eu des révoltes sanglantes au moyen-âge


Le moyen-âge connut des révoltes sanglantes

En position d’objet, il en est de deux sortes : ceux qui sont bornés à


droite, c’est-à-dire qui désignent des accomplis et ceux où le terme de
l’action n’est pas nettement indiqué. Les compléments sont respectivement
en en N et pendant N :

Paul a eu fini ce travail en trois mois


En trois mois Paul a eu fini ce travail

Le verbe mettre permet de faire du complément de temps un objet de ce


verbe :

Paul a mis trois mois pour finir ce travail

Dans l’autre exemple, c’est le verbe passer qui a la même fonction :

J’ai réparé le filet pendant toute la nuit


Pendant toute la nuit, j’ai réparé le filet

J’ai passé toute la nuit à réparer le filet

Un certain nombre d’autres verbes ont le même rôle syntaxique avec,


dans certains cas, des modalités spécifiques :

suffire :

J’ai réussi à boucler ce travail en deux heures


Deux heures m’ont suffi pour boucler ce travail

consacrer :

J’ai corrigé ce texte pendant la matinée


J’ai consacré la matinée à corriger ce texte

Certains verbes de ce type traduisent une intention, un projet et


permettent de prendre en charge une interprétation finale . C’est le cas du
247

verbe réserver : Nous réserverons l’après-midi de samedi à la visite du


Forum. Le verbe réserver induit une lecture finale, à la différence du verbe
consacrer qui est plus temporel : Nous consacrerons l’après-midi du
samedi à la visite du Forum.

5. ARTEFACTS ABSTRAITS

Un certain nombre de termes abstraits fonctionnent comme des artefacts.


Il n’est pas étonnant qu’ils puissent être le lieu d’une interprétation finale.
Ils peuvent se construire avec les verbes appropriés aux outils : Le
théorème de Pythagore sert à calculer la valeur de l’hypoténuse ; la
formule ax + bx = c sert à résoudre les équations du premier degré.

6. LES HUMAINS

Enfin, la finalité peut entrer en ligne de compte dans le cas des humains.
C’est en particulier avec un emploi particulier du verbe destiner : Mes
parents me destinaient à la vie militaire. D’autres constructions peuvent
paraphraser la même idée Mes parents avaient pour moi de hautes
ambitions. Ce qui rapproche ces phrases de la finalité, c’est le fait que le
sujet est un humain et donc en mesure de formuler un projet. Mais il n’est
pas exclu de penser que, métaphoriquement, la finalité ne soit pas
totalement absente de phrases comme : Le succès de ses premiers romans
le destinait à recevoir un jour un prix littéraire. Il reste que l’on est ici plus
proche de la conséquence que du but.
248
249

CHAPITRE XII

CONCLUSIONS :
LA PLACE DU BUT DANS LA CATEGORISATION DE L’ACTION

Tout au long de notre recherche, nous avons constaté que l’ensemble des
expressions finales couvre une constellation de concepts hétérogènes,
quoique interconnectés. A côté de la finalité proprement dite, liée à l’action
humaine et à ses motivations, nous avons rencontré des expressions finales
utilisées pour la description de structures statiques, et notamment des
artefacts et des êtres vivants. Dans le cas des artefacts, le choix de la forme
finale se justifie par une référence implicite à l’intention humaine qui les a
conçus et à l’action qui les a produits. Dans le cas des êtres vivants, la
forme finale fournit un moyen d’expression simple, direct et adéquat à
l’idée partagée que leur structure se justifie en vue d’une destination
fonctionnelle évidente. Dans ce domaine, la finalité se dissocie
définitivement de l’action humaine et se change en téléologie, et donc en
critère d’intelligibilité de structures relevant du monde des phénomènes.
Si nous considérons dans son ensemble la relation entre l’éventail des
moyens d’expression de la finalité et le répertoire des structures
conceptuelles exprimées, cependant, nous voyons se profiler un
déséquilibre aussi clair que révélateur. La finalité liée à l’action humaine
est la seule structure conceptuelle qui admet comme expression cohérente
tout l’éventail des moyens répertoriées. La description des artefacts et,
surtout, des êtres vivants, au contraire, n’est compatible qu’avec une
poignée de moyens, qui sont aussi les moins contraignants sur le plan
conceptuel.
La forme la plus utilisée est la tournure pour + infinitif, qui, comme
nous l’avons remarqué plus haut (Ch. VI, § 2.1), ne code pas l’intention
d’un sujet, et autorise de ce fait l’interprétation de son contenu en termes
de destination fonctionnelle de structures statiques relevant du monde des
phénomènes.
Dans la description téléologique des êtres vivants, on observe le transfert
de la finalité du royaume de la liberté au royaume de la nécessité, pour
emprunter le langage suggestif de Kant. En effet, la forme finale admet
250

dans ce cas une paraphrase causale qui comporte, à la place d’un verbe lié
à la volonté, le verbe devoir :

Les arbres ont des racines pour se nourrir


*Les arbres ont des racines parce qu’ils veulent se nourrir
Les arbres ont des racines parce qu’ils doivent se nourrir

Or, il est évident que le verbe devoir n’est pas employé ici dans l’acception
morale, déontique, qu’il admet en présence de sujets humains : Jean a loué
un appartement parce qu’il doit déménager à Paris. Au contraire, il
désigne la nécessité dans le monde des phénomènes, selon un emploi que
les logiciens appellent anankastique (Conte 1995 ; 1998), le même que l’on
trouve dans l’expression Tous les hommes doivent mourir.
Les prédicats de volonté sont exclus de l’expression cohérente de la
destination téléologique des structures pour des raisons évidentes, et cela
vaut, à plus forte raison, pour les prédicats de sentiments. Le peu de formes
d’expressions cohérentes réellement utilisées dans le domaine de la
téléologie se concentrent dans l’aire des métaphores locatives et de la
vision.
Parmi les prédicats locatifs, but est le seul qui se prête naturellement à
l’expression d’une nécessité téléologique, et cela pour deux raisons. En tant
que métaphore locative, le prédicat but admet de recevoir comme sujet des
procès, et donc des descriptions d’états, ce qui enlève un premier veto
ontologique à son emploi en présence de descriptions de structures. Parmi
les métaphores locatives, en outre, but est certainement le prédicat le plus
neutre. Les prédicats locatifs liées plus étroitement à l’idée d’un
mouvement orienté, comme objectif ou cible, seraient moins naturels en
présence de structures statiques qui ne peuvent pas être interprétées comme
résultats d’une action humaine.
Dans le domaine des métaphores de la vision, l’expression en vue de est
appropriée aux artefacts en raison des visées de leurs constructeurs. En ce
qui concerne la description des êtres vivants, l’extension métaphorique est
usuelle depuis Aristote pour distinguer un critère d’intelligibilité prospectif
et fonctionnel d’un critère rétrospectif et causal :

Si donc les choses artificielles sont produites en vue de quelque fin, les choses de la
nature le sont également, c’est évident ; car dans les choses artificielles comme dans les
naturelles les conséquents et les antécédents sont entre eux dans le même rapport45.

45. Aristote, Physique (I – IV), Texte établi et traduit par Henri Carteron, septième
édition, Les Belles Lettres, Paris, 1990 : 199a, 77.
251

Nos remarques n’impliquent pas que les prédicats de la sphère de


l’intention et des sentiments ne sont jamais utilisés dans la description des
êtres vivants. Cela signifie simplement que ces termes, quand ils sont
utilisés, sont interprétés comme de véritables métaphores. Dans le passage
suivant tiré de Dennett (1996), par exemple, on distingue aisément les
tournures en pour ou dans ce but, dont l’emploi est absolument non
marqué, des termes comme décision, intérêt ou responsabilité, qui donnent
lieu à des métaphores authentiques :

Les arbres sont des êtres vivants [qui] doivent préserver l’intégrité de leur corps et le
garder dans une position qui leur permette de tirer des bénéfices du milieu naturel. Dans
ce but, les arbres ont évolué des systèmes d’autorégulation et de contrôle, qui tiennent
compte des variables fondamentales et réagissent de façon appropriée. Leurs intérêts –
et donc leur intentionnalité rudimentaire – sont dirigés ou vers l’intérieur ou vers les
conditions externes - vers l’interface entre l’organisme et un milieu impitoyable. La
responsabilité du monitorage et des corrections éventuelles n’est pas centralisée mais
diffuse […] Malgré tout, les stratégies minimalistes des arbres peuvent être satisfaites
par une ‘activité décisionnelle’ hautement diffuse et peu coordonnée par un échange
d’information qui, se produisant par diffusion de fluides dans le corps de l’arbre, ne
peut qu’être lent et rudimentaire.

Les remarques que nous venons de faire suggèrent tout naturellement


une conclusion double.
D’une part, la finalité liée à l’action humaine représente certainement la
structure conceptuelle non seulement la plus répandue, mais aussi la plus
typique, qui fonctionne comme un modèle pour les emplois plus restreints.
En particulier, le modèle s’étend par métonymie – la structure du produit
pour l’action de le produire – au domaine des artefacts, et par analogie aux
êtres vivants : la destination fonctionnelle est vue comme si elle était un
but présidant à la conception de la structure. Comme il est normal dans le
cas des extensions analogiques et métonymiques, le transfert a été
accompagné d’une réduction sévère du clavier expressif.
En conséquence de cela, une étude systématique de l’ensemble des
termes prédicatifs engagés dans l’expression de la finalité et de leurs
emplois cohérents fournit à l’analyse philosophique les ingrédients de base
pour reconstituer la structure conceptuelle de l’action finalisée, et de
l’action humaine en général. A la seule condition d’être accompagnée par
un jugement systématique de cohérence, l’analyse grammaticale des
formes d’expression d’une relation transphrastique se change ainsi dans un
fragment d’analyse philosophique des concepts, ou, pour s’inspirer de
Strawson (1959), dans une province de la « métaphysique de description ».
L’analyse de l’emploi cohérent des termes prédicatifs nous fournira donc,
252

dans les pages suivantes, l’occasion de tirer quelques conclusions sur la


structure conceptuelle de l’action finalisée.

1. ACTION, INTENTION, BUT

Nous ne savons pas si un événement du monde des phénomènes peut


être simplement observé de l’extérieur. Mais il est certain qu’une action ne
le peut pas. Considérons un exemple très simple, à savoir l’action de saluer
quelqu’un d’un geste de la main. L’action de saluer comporte des
mouvements du corps - un bras se lève - mais il est clair qu’elle ne se laisse
pas réduire à l’ensemble de ces mouvements. L’enchaînement des
mouvements n’a aucun sens unitaire en dehors de la référence à un sujet et
à une intention. Le mouvement d’un bras qui se soulève d’une certaine
façon devient l’action de saluer un ami si et seulement si un agent
accomplit ce geste avec précisément cette intention, et que cette intention
est reconnue. Saluer un ami, ce n’est pas simplement un mouvement de la
main - c’est un mouvement de la main intentionné par un sujet comme
geste de salut et destiné à être publiquement interprété comme tel.
Tout rudimentaire qu’il soit, notre exemple souligne un premier
caractère distinctif de l’action : quelque chose qui a lieu – par exemple, un
mouvement du corps - ne peut être catégorisé comme action que s’il est
interprété comme la réalisation d’une intention de l’agent. Le geste de
salutation est un certain mouvement du corps interprété d’une certaine
façon, c’est-à-dire comme un geste accompli par un sujet avec une certaine
intention, et donc avec un certain but. Reconnaître une salutation, c’est
reconnaître ce lien essentiel et constitutif entre un certain geste, une
certaine intention et un certain but.
La description et l’explication de l’action humaine, nous l’avons vu,
miment souvent le langage de la causalité, comme le montre l’emploi
massif de la proposition subordonnée de forme causale. Cependant,
expliquer une action ce n’est pas attribuer une cause à un comportement
observable, mais interpréter ce comportement comme la réalisation d’une
certaine intention, et donc comme un geste accompli en vue d’un certain
but. Comme le souligne Anscombe (1956(1968 : 148)), « Motives may
explain actions to us ; but that is not to say that they ‘determine’ in the
sense of causing actions. We do say : ‘his love of truth caused him to...’
and similar things [...] But this means rather ‘He did it in that he loves the
truth ; it interprets his actions ». Les liens entre but et action sont donc bien
plus profonds qu’on ne l’imagine quand dans le but on ne voit que l’une
des relations transphrastiques qui peuvent être connectées à une action. Le
253

but – la présence d’une finalité interne dans un comportement humain – est


au contraire ce qui fait d’une action une action.

2. ACTION, FINALITE, INTERPRETATION

Avant d’être accomplie en vue d’un but qui lui est externe - je salue une
personne pour lui témoigner mon amitié - une action n’est une action que
dans la mesure où un but interne unifie des constituants épars dans une
structure unitaire. Comme le souligne Taylor (1964 : 27), « our ordinary
action concepts generally pick out the behaviour they are used to describe
not just by its form or overt characteristics or by what it actually brings
about, but also by the form or goal-result which it was the agent’s purpose
or intention to bring about ». Décrire une action, c’est donc interpréter un
comportement à la lumière d’un but qui lui est interne, expliciter le lien
constitutif entre sa catégorisation comme action et l’identification de
l’intention qui lui donne son unité et son sens.

2.1. Le caractère téléologique de l’action

La structure interne de l’action semble défier les distinctions


traditionnelles entre décrire et interpréter, comprendre et expliquer. Décrire
une action, notamment, ressemble à l’interpréter sinon à l’expliquer, car
c’est avant tout saisir une intention et donc ramener des phénomènes
observables à une visée interne qui leur donne un sens.
L’opposition entre expliquer et comprendre est traditionnellement
censée coïncider avec l’opposition entre sciences naturelles et sciences
humaines. En fait, comme le souligne Von Wright, les sciences naturelles
tout comme les sciences de l’homme ont besoin aussi bien de comprendre
les phénomènes - de saisir la structure de leurs objets - que de les expliquer
- de trouver leurs fondements rétrospectifs ou prospectifs, et donc leurs
causes, leurs destinations fonctionnelles ou leurs buts : « it seems to me
clearer to distinguish here between interpretation or understanding on the
one hand and explanation on the other. The results of interpretation are
answers to a question ‘What is this ?’ Only when we ask why [...] are we
in a narrower and stricter sense trying to explain what there is, the facts »
(Von Wright 1971 : 134). Compréhension et explication sont tout aussi
distinctes logiquement que complémentaires et indissociables dans la
recherche. Ce qui différencie les sciences naturelles des sciences de
l’homme, ce n’est pas un partage rigide entre explication et
compréhension, mais plutôt un équilibre différent entre les deux.
254

2.1.1. L’explication téléologique46

Un modèle explicatif causal peut être décrit, en gros, comme un modèle


rétrospectif, qui justifie un phénomène à partir d’un ensemble donné de
conditions préalables. Un modèle explicatif téléologique, au contraire, est
un modèle prospectif, qui justifie un phénomène sur la base de ses visées,
ou des issues qu’il rend possibles.
L’explication causale porte typiquement sur des phénomènes dont la
structure peut être décrite indépendamment de la cause. Un événement qui
se passe répond à cette description : notamment, il est catégorisé
indépendamment de ses causes. Une chute de neige, par exemple, est
catégorisée comme telle indépendamment de ses causes multiples.
L’explication téléologique, au contraire, justifie la structure de son objet
sur la base d’une destination fonctionnelle ou d’un but. Or, une action est
précisément un type d’événement qui contient un but. Une salutation, par
exemple, est un certain mouvement du corps mis en oeuvre en vue d’un
certain résultat - dans le but de saluer quelqu’un.
L’explication des phénomènes naturels est généralement causale, et donc
rétrospective. Un certain phénomène naturel qui se donne comme tel
indépendamment de l’explication - par exemple une chute de neige - est
renvoyé à des causes qui lui sont externes. Elle devient prospective, et
quasi-téléologique, dans les cas où une structure est expliquée par ses
fonctions, qui rendent intelligible la connexion de ses parties47.
L’explication quasi-téléologique est typique de la biologie, qui justifie la
forme des organismes vivants et de leurs parties par les fonctions qu’ils

46. L’explication téléologique est discréditée en physique, et pour cause. Mais


pourquoi repousser a priori une explication par les conséquences projetées pour des
événements - les actions - qui se justifient précisément en vue de ces conséquences ?
Cfr. Taylor (1964 : 25) : « to assume from the superiority of Galileian principles in the
sciences of inanimate nature that they must provide the model for the sciences of
animate behaviour is to make a speculative leap, not to enunciate a necessary
conclusion ». Cf. Danto (1968 : 57) : « I am asking that [...] we use the causal model
only when it is natural to use it ». Ricoeur (1977 : 111) : « l’explication causale et
l’explication téléologique (doublée de l’interprétation intentionnelle) n’ont pas le même
explanandum ; ce qu’on explique d’un côté ce sont des événements naturels : des
parties du corps se meuvent ; ce qu’on explique téléologiquement ce sont des actions
déjà interprétées comme intentionnelles ».
47. Von Wright (1971 : 57-60).
255

sont appelés à assurer, et a servi de modèle aux sciences humaines, à


commencer par la linguistique48.
L’explication des actions humaines, par contre, est essentiellement
téléologique : l’action se qualifie sur la base de l’intention qu’elle est
destinée à réaliser. Lorsque le motif se situe dans le passé, d’autre part,
l’explication des actions humaines prend une allure quasi-causale, au point
de reproduire le modèle causal jusque dans la distribution des relations
temporelles : Jean part pour l’Amérique parce qu’il a gagné une bourse
d’étude. Le motif rétrospectif est présenté comme une sorte de cause, mais
se distingue d’une cause véritable parce que la simple existence d’un fait
antécédent n’est jamais une condition suffisante de l’action. Pour se
changer en motif, l’antécédent doit se soumettre à la délibération du sujet.

2.1.2. La description téléologique

L’explication d’une action est essentiellement téléologique, et


l’explication d’un événement est essentiellement causale, mais une certaine
aire de superposition se produit. Toute superposition disparaît, en revanche,
si l’on se tourne du côté de la description : la description d’un événement
n’est jamais téléologique, la description d’une action l’est toujours. C’est
donc au niveau de la description, plutôt que de l’explication, que le modèle
téléologique qualifie l’action.
Si l’on prend au sérieux certaines façons de parler, on est facilement
amené à penser que l’intention est à l’action ce que la cause est à
l’événement - que l’intention, dans un certain sens, cause l’action. Mais
l’analogie est trompeuse, et en tout cas partielle.
Une cause explique un événement de l’extérieur, du fait qu’elle le
connecte à un événement indépendant. De ce fait, elle n’entre pas dans la
description - dans la catégorisation - de l’effet : si le linge est mouillé à
cause de la pluie, la pluie n’entre pas dans la définition de l’état de choses
« le linge est mouillé ».
Si nous considérons une action, nous pouvons également imaginer des
motifs, tant rétrospectifs que prospectifs, qui l’expliquent de l’extérieur
sans entrer dans sa description. Si je punis mon fils parce qu’il n’a pas fait
ses devoirs, ou que je m’habille pour sortir, je donne des motifs externes
qui ne sont pas pertinents pour une description de la structure interne de
l’action en tant que telle. L’action « punir son propre fils » n’a aucun lien
essentiel avec le motif contingent qu’il n’a pas fait ses devoirs, comme

48. Nous signalons à ce sujet l’essai de Cassirer (1946).


256

l’action « s’habiller » est indépendante de la volonté de sortir. Ce sont les


cas typiques de motif, ou de but, en tant que relation transphrastique
connectant deux procès indépendants.
Dans la mesure où elle se définit sur la base d’une intention, cependant,
chaque action contient, indépendamment de la présence éventuelle d’un
motif externe, une motivation interne, et plus particulièrement une
motivation prospective contrôlée par l’agent, et donc un but. A la
différence d’un motif externe, ce but interne est essentiel pour la
description de l’action. L’action de saluer, par exemple, ne se définit
comme telle ni d’après la phénoménologie des gestes dans lesquels elle
s’incarne, ni d’après le but externe qu’elle peut occasionnellement viser -
par exemple, se faire reconnaître par une personne connue -, mais du fait
qu’un certain geste est accompli dans l’intention de saluer. Dans le cas
contraire, si le même mouvement de la main avait été accompli avec une
autre intention - par exemple, avec l’intention d’envoyer quelqu’un au
diable - on n’aurait pas la même action motivée par un but différent, mais
une action différente.
Si l’on est l’esclave du modèle causal, il est assez facile de voir dans
l’intention du sujet un type de cause - une « cause mentale ». Mais à la
différence d’une cause véritable et même d’un motif externe, ce but interne
qu’est l’intention « is not anything ‘behind’ or ‘outside’ the behaviour. It is
not a mental act [...] accompanying it49 » (Von Wright 1971 : 115).
Trouver la cause d’un événement est essentiel pour l’expliquer mais pas
pour le décrire. La présence d’un lien non constitutif entre cause et effet est
une donnée essentielle de la causalité phénoménique. La pluralité des
causes potentielles n’affecte pas l’identité d’un effet. Individuer le but
interne d’une action est essentiel non seulement pour l’expliquer mais aussi
pour la décrire. Une action peut être expliquée par un motif externe, qui
peut coïncider, le cas échéant, avec un but ; mais elle ne peut être décrite
que sur la base d’un but interne.
En tant qu’événement du monde des phénomènes, un mouvement de la
main reste identique à lui-même quelle que soit sa cause - un réflexe
involontaire, une pression externe, une décision du sujet. Mais si plusieurs
causes externes peuvent provoquer un mouvement du corps - par exemple,
que le bras de quelqu’un se soulève - aucune ne peut provoquer une action
- par exemple, faire que quelqu’un salue un ami. Un mouvement de la main
cesse d’être une salutation s’il n’est pas motivé par l’intention de saluer
quelqu’un. Comme le souligne Taylor (1964 : 55), « a movement which

49. Cfr. aussi Danto (1968 : 56): « Moving an arm is not the result of an act of will:
it is an act of will ».
257

brought about a given result is not the same thing as an action which was
directed towards this result50 ».
C’est à cause de l’immanence du but que définir une action c’est en
premier lieu l’interpréter, c’est-à-dire redécrire (Taylor 1964 : 36) une
certaine constellation de faits observables à la lumière d’une intention qui
lui donne son unité et son sens. L’intention est à l’action ce que la
signifiance - le fait d’avoir un signifié - est au signe : « Intentional
behaviour, one could say, resembles the use of language. It is a gesture
whereby I mean something » (Von Wright 1971 : 115). Dans les cas
paradigmatiques, l’interpretation de l’action identifie l’intention de l’agent,
qui est censée contenir le sens de l’action. Si nous interrogeons quelqu’un
sur ce qu’il fait, « we want to be provided with an interpretation51 »
(Davidson 1968 : 85). Evidemment, comme nous le verrons plus loin (§ 3),
ces remarques seraient falsifiées par notre expérience la plus banale si elles
impliquaient que l’agent contrôle jusqu’au bout ses intentions et la
congruence de ce qu’il fait avec elles. Mais nos remarques n’impliquent
pas cela. Elles impliquent simplement qu’il est sensé - qu’il est essentiel
pour une description cohérente de l’action – d’interpréter un comportement
comme action à condition d’y voir la réalisation de l’intention d’un agent.

2.2. Actions complexes et actions de base

Une action s’insère dans un contexte d’actions et d’événements et


produit sur ces actions et ces événements des conséquences. Par exemple,
j’ouvre la fenêtre et la pièce se rafraîchit. Le contenu de l’action -
l’ouverture de la fenêtre - agit à son tour comme une cause qui produit
comme effet le rafraîchissement de la pièce.
Imaginons maintenant que l’agent accomplisse l’action avec précisément
l’intention de produire une conséquence donnée : par exemple, il ouvre la
fenêtre parce qu’il veut que la pièce se rafraîchisse. L’investissement de la
part du sujet des conséquences d’une action aboutit à un véritable
bouleversement structural. Les faits qualifiés comme effets de l’action dans
le monde des phénomènes, une fois visés par le sujet, se changent en

50. Cfr. aussi Davidson (1968 : 90-91).


51. Cf. aussi Dennett (1969 : 78): « the relation between intentional descriptions of
events, states or structures […] and extentional descriptions of them is one of further
interpretation […] This latter story can only be told in intentional terms, but is not a
story about features of the world in addition to the features of the extensional story : it
just describes what happens in a different way ».
258

motifs poussant le sujet à agir, et ces motifs, en tant que motifs prospectifs,
peuvent être catégorisés comme buts : J’ai ouvert la fenêtre pour que la
pièce se rafraîchisse. Les vecteurs des causes et des motifs, ainsi, se
croisent : si l’action – l’ouverture de la fenêtre - est une cause qui produit
un effet - le rafraîchissement de la pièce – l’effet, une fois qu’il est
poursuivi intentionnellement par le sujet, devient un motif pour accomplir
l’action destinée à le provoquer.
Ce que nous venons de décrire, c’est le type paradigmatique de but
indépendant : d’un résultat visé par l’action intentionnelle du sujet mais
indépendant de la structure et de la description de celle-ci. Mais il y a des
cas où ce que nous pouvons catégoriser comme un but dans une certaine
description n’est pas une action ou un événement indépendant visé par
l’action du sujet, mais simplement une redescription de l’action de départ -
une réinterprétation de celle-ci à la lumière d’un but inhérent différent.
Imaginons que Jean soit chargé d’inaugurer une compétition (c). Pour ce
faire, Jean fait un signe (b), et pour faire ce signe, il soulève un bras (a)52.
Dans un tel cas, nous ne pouvons pas simplement considérer (c) comme un
but externe de (b), et (b) comme un but externe de (a) ; en fait, (b) et (c)
peuvent être considérés comme autant de redescriptions ou
d’interprétations de (a) comme étant une action. Plus généralement, une
seule et même constellation de phénomènes observables peut être
interprétée comme une instance de plusieurs actions différentes de plus en
plus complexes : par exemple, comme l’action de soulever un bras, de faire
un signe, d’inaugurer la compétition. Dans chacun des cas, le mouvement
du bras reçoit une interprétation – et une description - différente.
Nous avons envisagé trois types de chaînes engageant des actions :

1. Une chaîne action-conséquence : j’ouvre la fenêtre et à cause de cette


action la pièce se rafraîchit
2. Une chaîne action-but : j’ouvre la fenêtre pour rafraîchir la pièce
3. Une chaîne action-redescription : mon action de soulever le bras pour
faire un signe en vue d’inaugurer une compétition est redécrite comme
l’action d’inaugurer une compétition

Si nous réfléchissons à cela, nous constatons qu’il y a des actions qui,


tout en admettant d’avoir des conséquences, d’être accomplies en vue d’un

52. Un exemple de but qui coïncide avec une redescription est donné par Davidson
(1968 : 86) : « A man driving an automobile raises his arm in order to signal. His
intention to signal, explains his action, raising his arm, by redescribing it as
signalling ».
259

but, ou même d’être redécrites d’une certaine façon, ne peuvent être


considérées ni comme la conséquence ni à plus forte raison comme le but
ou la redescription d’autres actions plus simples. Une action qui jouit de
ces propriétés - par exemple l’action (a) de notre dernier exemple :
soulever le bras - est une action de base (Danto (1965(1968)). A la
différence d’une action complexe, une action de base est un
commencement absolu dans son ordre53. Comme l’écrit Feinberg (1968 :
107), par exemple, « In order to open a door, we must first do something
else which will cause the door open ; but to move one’s finger one simply
moves it - no prior causal activity is required ». L’action de base exhibe
immédiatement son but, et donc son principe d’intelligibilité.

2.3. Relation finale analytique et relation finale synthétique

La notion d’action de base représente le point de départ idéal pour


l’étude de la finalité, car c’est au niveau de l’action de base que nous
pouvons observer dans les meilleures conditions comment la question de la
finalité se greffe sur la problématique de l’action. A partir de l’action de
base, le chemin vers la finalité bifurque.
D’une part, nous avons des buts qui coïncident avec des redescriptions
de l’action de base. Si je soulève un bras pour faire signe, par exemple, je
peux dire simplement que je fais signe. Il arrive ainsi souvent que la
catégorisation d’une action résume et annule en elle-même toute une
chaîne d’actions-buts de plus en plus complexes qui jaillissent d’une action
de base. Soulever le bras, par exemple, ce n’est pas seulement une action
qui a comme but de faire signe - c’est faire signe.
Un cas exemplaire de but coïncidant avec une redescription est fourni
par les actes de langage. Emettre une certaine chaîne de sons peut être
considéré comme une action de base, qui a comme but l’exécution d’un
acte d’énonciation, qui à son tour se propose comme but, par exemple, de
faire une promesse. Or, émettre une certaine chaîne de sons avec
l’intention reconnue de promettre, c’est ipso facto promettre.
Corrélativement, un acte de langage comme la promesse n’est rien d’autre
que l’émission de certains sons dans lesquels le destinataire reconnaît
l’intention de promettre. Des chaînes d’actions et de buts de ce type, qui se

53. Cf. Danto (1968 : 55) : « In case of basic action, there is no action, distinct from
the action itself, to be put into the explanans. This is due to what I am terming the
givennes of basic actions ».
260

laissent subsumer et résumer par une redescription compréhensive, peuvent


être qualifiées d’analytiques.
D’autre part, il y a des buts qui ne coïncident pas avec une redescription
de l’action de base. Si j’ouvre la fenêtre pour rafraîchir la pièce, par
exemple, je ne peux pas dire sans plus que je rafraîchis la pièce. Ouvrir la
fenêtre, ce n’est pas encore rafraîchir la pièce - c’est simplement mettre en
place une condition qui, dans des circonstances appropriées - par exemple
s’il fait frais dehors - pourrait s’avérer suffisante - avoir la force d’une
cause. Des chaînes d’actions finalisées de ce type, qui ne se laissent pas
subsumer par une redescription compréhensive, peuvent être qualifiées de
synthétiques.
La finalité synthétique trouve sa pertinence au niveau de l’explication
téléologique : une action est expliquée par un but externe. La finalité
analytique, au contraire, trouve sa pertinence au niveau de la description
téléologique d’actions de base ou complexes : une action est catégorisée
sur la base d’un intention - d’un but interne.
A la différence d’une action de base, une action complexe contient
généralement une hiérarchie de buts internes, dont chacun donne un sens
différent à l’action. Une action de faire signe, par exemple, interprète
l’action de base de soulever le bras à la lumière de l’intention de faire
signe. Cette hiérarchie de buts peut être à la fois encapsulée dans une
expression simple - J’ai fait un signe – et explicitée par une structure finale
déployée : J’ai soulevé le bras pour faire un signe. Dans ce dernier cas, la
structure finale n’exprime pas véritablement une relation finale entre deux
procès indépendants, mais se limite à faire affleurer la hiérarchie de buts
qui qualifient différemment un même phénomène observable - un bras qui
bouge - à un niveau de base comme « action de soulever le bras » et à un
niveau plus élevé comme « action de faire signe ». La forme finale
déployée - J’ai soulevé le bras pour faire signe - rentre dans ce cas parmi
les démarches analytiques vouées à la description d’une action complexe.
En l’absence d’un décalage entre l’action principale et le but, la forme
finale tombe dans la tautologie : Jean soulève le bras pour saluer ; Jean
soulève le bras pour soulever le bras54.
Il est évident d’après ces réflexions, que c’est à l’étage le plus élevé
d’une hiérarchie de buts analytiques que se situe la catégorisation
pertinente d’une action. Un concept comme « promesse », par exemple,

54. Nos remarques n’impliquent pas que de telles tautologies soient dépourvues de
sens (cf. Prandi 1994). Une énonciation de ce genre, par exemple, pourrait avoir pour
valeur d’exclure toute référence de l’action à tout but d’ordre supérieur – par exemple
saluer une personne – aussi bien qu’externe : par exemple, faire plaisir à une personne.
261

encapsule l’idée complexe que j’ai émis certains sons articulés dans le but
de faire une promesse. Cependant, l’action complexe tend à être
catégorisée, en l’absence d’obstacles contextuels spécifiques, non pas au
niveau le plus bas - comme un acte d’émission sonore - mais au niveau le
plus élevé : comme un acte de promesse.
La finalité synthétique, pour sa part, ne se limite pas à expliciter en
forme de relation finale la structure interne d’une action complexe
stratifiée, mais relie dans une relation finale deux procès virtuellement
indépendants : d’une part, une action du sujet, et de l’autre un but qui peut
coïncider avec une action distincte accomplie par le même sujet ou par un
sujet différent, ou avec un événement du monde des phénomènes. Une
relation finale synthétique est la relation finale par excellence.
Encore une fois, la différence entre la finalité analytique et la finalité
synthétique peut être illustrée par l’observation des actes de langage, et
notamment par la distinction entre actes locutoires, illocutoires et
perlocutoires proposée par Austin (1962). Un acte illocutoire est un acte
locutoire interprété à la lumière d’une certaine intention d’ordre supérieur –
par exemple de l’intention de promettre. L’acte perlocutoire, au contraire,
est un but externe, qui ne coïncide pas avec une redescription de l’action de
base. Si j’ai fait une promesse à un ami pour le soulager, par exemple, cela
ne m’autorise pas à redécrire l’acte de promesse comme un acte de
soulagement. L’acte perlocutoire décrit le contenu d’une intention qui
amène à accomplir l’acte illocutoire plutôt que le contenu de l’intention qui
lui donne son sens d’acte illocutoire.
Pour conclure, l’espace de la finalité est plus étroit que l’espace des
conséquences des actions - il coïncide avec l’espace des conséquences des
actions qui sont visées par le sujet - et plus large que l’espace de la
redescription, car il inclut en premier lieu les buts synthétiques qui ne se
laissent pas réduire à des redescriptions de l’action principale. La frontière
entre la simple conséquence d’une action et le but qui la déclenche
démarque de l’extérieur le domaine de la finalité en général ; la frontière
entre la redescription et la finalité synthétique trace une distinction interne
au domaine du but entre la simple explicitation analytique de forme finale
de l’action stratifiée et la position d’une véritable relation finale entre
procès indépendants.

2.4. Conditions de cohérence de l’agent

Se donnant pour ce qu’elle est, simple et nue dans sa solitude, dépourvue


de toute justification externe causale ou téléologique, l’action de base
262

renvoie sans médiation au fondement ultime de l’agir : à la décision libre et


responsable du sujet de réaliser le contenu d’une intention. La structure de
l’action de base met au jour dans des conditions particulièrement claires le
lien essentiel entre l’action et l’agent - entre la description des conditions
de cohérence de l’action et l’éclaircissement de la structure conceptuelle de
l’agent, véritable « center of responsibility » (Taylor 1964 : 57) de l’action,
et par là son centre d’intelligibilité. Or, pour que la responsabilité du sujet
soit un critère d’intelligibilité de l’action - pour que l’action du sujet soit
concevable de façon cohérente comme dégagée des chaînes de la causalité
phénoménique - il faut reconnaître à l’agent une constellation d’attributs
assez lourds à porter, qui sont en même temps essentiels pour caractériser
la description et problématiques dans leur définition : « When we speak of
action, we are accounting for the behaviour in terms of the man’s desires,
intentions and purposes. And this is why we hold him responsible »
(Taylor 1964 : 35). Jusqu’à présent, nous avons détecté ces attributs dans
l’expression linguistique cohérente de l’action motivée et de la finalité, et
de ce fait nous les avons simplement présupposés. Maintenant, il faut les
mettre en question.

2.4.1. La conscience : niveau moral et niveau catégoriel

L’analyse des attributs qualifiants de l’agent n’est autre chose qu’un


éclaircissement des propriétés qu’on reconnaît pratiquement à l’être
humain sur la base de notre ontologie naturelle partagée.
A la différence d’un être inanimé - d’une pierre, par exemple - tout être
vivant au sens plein, humain ou non, est censé être capable d’action, et
même d’action finalisée. Un lion, par exemple, ne se limite pas à chasser la
biche ; il la chasse pour se nourrir. Dans notre sentiment commun, la
différence entre l’homme et l’animal ne coïncide donc pas, comme
Descartes le pensait, avec la différence entre l’action finalisée et le
déterminisme passif de la machine, mais est interne à l’action finalisée -
elle coïncide avec la présence ou l’absence d’une conscience de l’action, de
ses conséquences et de ses buts. Nous ne savons pas dans quelle mesure un
animal est conscient du but de ses actions. Nous lui prêtons simplement
une partie de notre langage de la finalité, sans nous engager au-delà d’une
certaine analogie. Nous sommes prêts à dire qu’un lion chasse la biche
pour se nourrir. Nous serions moins enclins à dire qu’il chasse la biche
dans l’intention de se nourrir. L’intention, comme nous le verrons,
présuppose la conscience qui, à son tour, rend possible la liberté et la
responsabilité. Or, sommes-nous prêts à attribuer à un animal la
conscience, et avec elle la liberté et la responsabilité ?
263

L’idée de conscience - et plus particulièrement d’action consciente, ou


de conscience d’agir - présente une dimension double : une dimension
morale et une dimension cognitive et catégorielle.
Envisagée d’un point de vue cognitif, la conscience coïncide avec la
capacité de catégoriser correctement les actions - de les décrire pour ce
qu’elles sont à la lumière d’un trésor partagé de concepts adéquats
accessible par la langue. Elle coïncide donc avec la capacité d’interpréter et
d’évaluer ses propres actions et celles d’autrui à la lumière de catégories et
de critères partagés, et donc accessibles par un langage partagé55.
Au niveau moral, l’être humain est censé être capable d’évaluer ses
actions et celles d’autrui en termes de bien et de mal. Sur la base de cette
capacité de jugement, l’être humain est tenu pour responsable des
conséquences de ses actions conscientes, mais pas des actes dont il n’est
pas conscient ni, à plus forte raison, des conséquences de ce qui lui arrive
ou de ce qu’on lui fait56. La sanction morale, tant positive que négative, ne
s’applique qu’aux actions conscientes57 ; « We are praised or blamed for
our actions - écrit White (1968 : 7) - [...] Both actions and happenings may
be good or bad, but only actions can be right or wrong ». Comme le
souligne Aristote dans l’Ethique à Nicomaque, « l’éloge et le blâme
conviennent aux actions volontaires, alors que pour les actes involontaires
il y a le pardon, et quelquefois la compassion ».
Notre portrait de la personne humaine qui agit et de l’animal, et plus
généralement notre catégorisation ontologique des êtres, se constituent sur
la base de notre comportement spontané. C’est donc l’observation du
comportement spontané qui seule peut appuyer nos intuitions.
Si nous voulons pousser un être humain à accomplir une certaine action
ou l’en empêcher, il nous apparaît sensé d’essayer de le convaincre par des
arguments rationnels, et donc en utilisant des expressions linguistiques. Or,
la pratique de l’argumentation et de la persuasion présuppose, au-delà
d’une langue partagée, la capacité, de la part du destinataire, d’évaluer les
raisons favorables et contraires d’un certain choix, et donc la capacité de se

55. Sur la relation entre conscience et langage, cf. Dennett (1996 : Ch. 5).
56. Cela se produit, par exemple, dans le roman Pinocchio de Carlo Collodi : à un
moment donné, le protagoniste est arrêté du fait qu’il a subi un vol.
57. Cf. aussi Danto (1968 : 49) : « It is only insofar as something is an action
already that blaming it, or blaming someone for doing it, is appropriate ». L’évaluation
morale du comportement, cohérente avec l’idée d’une responsabilité de l’agent, est
encapsulée dans toute une constellation de mots. Cf. Feinberg (1968 : 96) : « While
‘condemnatory verbs’ such as ‘cheat’ and ‘murder’ are of course used to impute faulty
actions, they are not the only verbs to do so. Such words as ‘miscalculate’ and
‘stammer’ also have faultiness built into their meanings ».
264

représenter plusieurs alternatives et de prendre une décision. Comme l’écrit


Dennett (1969 : 177), « To argue with an entity is to treat that entity as a
person, a rational agent ».
Si nous voulons pousser un animal vers un certain comportement ou l’en
empêcher, nous pouvons avoir recours à la caresse ou à la menace, ou à un
mélange de flatterie et de peur, mais nous n’essayons même pas de le
convaincre avec des arguments rationnels. En l’absence d’une langue
partagée, il nous manque un accès à son monde interne, à ses intentions,
motivations et pulsions.
Sur le plan catégoriel, l’absence d’une langue et d’un système de
concepts partagés ferme la voie à toute tentative d’argumentation et de
persuasion. Notre vision du monde partagée voit l’animal comme un être
incapable de dépasser un niveau contingent de catégorisation des objets
d’expérience et d’atteindre le niveau de catégorisation stable et à long
terme rendue possible par l’emploi de signes linguistiques. Comme l’écrit
Taylor, « the dog who is fleeing the red object cannot be said to be
conscious of this as a red object. This means that the only type of
consciousness of the objects around them that we can attribute to animals is
a consciousness of their relevance for their immediate behaviour. The red
object is something to fly from, the meat something to be eaten » (Taylor
1964 : 68).
L’absence d’une dimension cognitive de la conscience chez l’animal est
cohérente avec l’idée que l’animal est soumis à une régularité de
comportement qu’il n’est pas en mesure de soustraire à la routine de façon
irréversible : « the behaviour of animals can be accounted for simply by a
set of special laws, a number of natural tendencies towards certains types
of activity - seeking food and drink, mating, etc. - which operate
monotonously and in the same way in all members and from generation to
generation ». Tout au contraire, « men and only men can be said to be
conscious of the reasons for their action, in the sense that they can describe
them to themselves and to each other ».
Sur le plan moral, notre comportement pratique est cohérent avec l’idée
qu’un animal n’est pas en mesure de discriminer consciemment ce qui est
bien de ce qui est mal en général. Un chien qui blesse un enfant n’est pas
tenu pour responsable au sens strict du terme. On peut se venger sur lui,
mais cela aurait peu de sens de le punir, et encore moins de le blâmer. Un
chien qui sauve un enfant, également, sera admiré pour son habilité ou son
courage ; on lui décernera peut-être une médaille, mais cela n’aurait aucun
sens de sanctionner moralement son action. La sanction morale -
l’appréciation ou le blâme - tant de la part du sujet lui-même que de la part
d’autrui - est réservée aux êtres humains. Elle n’est cohérente qu’en
265

présence d’une idée de responsabilité, qui à son tour présuppose l’idée de


liberté, de décision et de conscience de ce qui est bien et de ce qui est mal.
Ce qui nous émeut dans la légende franciscaine du méchant loup de
Gubbio, c’est précisément l’idée, poétique mais inactuelle, d’un langage
commun à toute créature vivante, qui permettrait à un homme de prêcher
aux oiseaux et de changer une bête fauve en un bon citoyen respectueux de
la morale et des lois de la cité en utilisant des arguments rationnels58.
A la différence des êtres inanimés, animaux et humains sont tenus pour
capables d’agir. A la différence des animaux, les êtres humains sont tenus
pour capables d’agir consciemment. Le type paradigmatique d’agent d’une
action finalisée est l’agent libre, soustrait au déterminisme nomologique,
moralement responsable et catégoriellement conscient - un agent qui sait
interpréter et sanctionner ses actions et celles d’autrui. C’est l’image
partagée à partir de laquelle les êtres humains se comportent dans leur vie
sociale, par exemple lorsqu’ils tiennent pour responsables leurs semblables,
les louent ou les condamnent.

3. LE DEFI DU DESIR ET DES SENTIMENTS

Les attributs que l’on doit accorder à l’être humain pour pouvoir le
concevoir de façon cohérente comme être conscient et responsable de ses
actions posent un problème philosophique délicat. Il s’agit d’un côté du
problème traditionnel de la liberté et du déterminisme, de l’autre de la
tension entre conscience et inconscient. Si l’être humain est en fait déchiré
entre liberté et détermination, entre action et passion, entre conscience et
inconscient, comment peut-on dire qu’il est conscient et maître de ses
décisions, en un mot, libre et responsable ?
L’écho de ce problème philosophique se répercute aussi dans la
description linguistique, car les prédicats qui se partagent l’expression de la
finalité oscillent à leur tour entre les deux pôles du champ : entre la liberté
et la détermination, la conscience et l’inconscient, l’action et la passion. Si
les prédicats de l’aire de l’intention soulignent le côté rationnel, conscient
et actif de la motivation et de l’action des sujets, les prédicats émotionnels
renvoient la décision du sujet aux racines irrationnelles et inconscientes des
passions. Le concept de désir, le plus typique de toute la famille, illustre

58. Comme le remarque Segre (1979 : 14), l’histoire du loup de Gubbio peut être
lue comme une parabole adressée aux citoyens litigieux des Communes italiennes en
faveur d’une morale publique bourgeoise, capable de remplacer par l’argumentation et
la transaction pacifique le recours systématique à la violence.
266

assez bien la tension entre l’action et l’affection qui caractérise le champ


des émotions.
En ce qui concerne l’orientation temporelle de l’attitude intentionnelle59,
tant le désir que l’intention s’opposent à toute la famille des émotions
rétrospectives. Exactement comme l’intention, et à l’opposé des émotions
rétrospectives, un désir cohérent porte sur un objet projeté dans le futur.
C’est grâce à son orientation prospective, notamment, que le désir est prêt à
mettre ses énergies au service de l’action finalisée et à s’engager
directement dans son expression linguistique. Une émotion rétrospective
peut certainement motiver une action, mais pas en tant que but :

1. Jean est rentré chez lui parce qu’il ressentait un profond regret d’avoir quitté
ses parents
2. *Jean est rentré chez lui dans le regret de revoir ses parents
3. Jean est rentré chez lui parce qu’il ressentait le désir de revoir ses parents
4. Jean est rentré chez lui dans le désir de revoir ses parents

Au niveau du contrôle rationnel, par contre, le désir et l’aire des


émotions s’opposent conjointement à l’aire des intentions. A la différence
de l’intention, le désir est une affection, une forme d’ « énergie subie »
(Ricoeur 1977 : 90) qui réduit le sujet à un rôle passif : « Entre désirer et
faire il y a la différence de la passivité à l’activité » (Ricoeur 1977 : 88).
Alors qu’une intention cohérente appartient au côté conscient et contrôlé de
l’action humaine – on ne peut pas avoir une intention inconsciente – le
désir apparaît plutôt comme une force aveugle jaillissant d’un sous-sol
incontrôlé, qui peut pousser le sujet à prendre des décisions et à agir
indépendamment de sa conscience, sinon contre elle. C’est cet aspect qui
remet en question la relation entre désir et action d’une part, entre désir et
but de l’autre.
La relation entre désir, décision et action est moins essentielle que la
relation entre intention, décision et action. L’intention implique, sinon
l’action, du moins la décision d’agir, et l’action, pour sa part, implique une
intention. Une intention n’est pas cohérente si elle ne vise pas une action,
et donc si elle n’est pas accompagnée d’un acte de décision ;
réciproquement, un comportement ne peut être qualifié d’action que si une
intention lui est attribuée. Un désir, pour sa part, n’implique pas l’action
finalisée ni est impliqué par elle. D’une part, un désir passif, inactif, est un

59 . L’intention n’est pas le seul exemple d’attitude intentionnelle. A la suite de


Brentano et Husserl, toute attitude psychologique qui porte sur un objet qui lui est
externe et indépendant est considérée une attitude intentionnelle. Les sentiments ne font
pas exception, dans la mesure où ils investissent des contenus.
267

concept cohérent. Ce n’est pas incohérent de désirer quelque chose sans


rien décider, et a fortiori sans rien faire pour atteindre l’objet du désir.
Réciproquement, un but cohérent d’une action intentionnelle n’est pas
forcément l’objet d’un désir. Si la sonnette retentit et que j’aille ouvrir, par
exemple, mon action implique l’intention et la décision de faire cette
action, mais pas le désir. Malgré cela, le désir n’est pas seulement
compatible avec l’action, il est aussi indiscutablement l’un des ressorts les
plus puissants de l’action humaine. Ce qui pose des questions au sujet du
désir, ce n’est donc pas l’action en tant que telle, mais la conscience de
l’intention, et donc la finalité.
Si un but est défini comme le contenu d’une intention, cela implique que
ce contenu soit présent, en principe, à la conscience du sujet. Or, dans
quelle mesure peut-on affirmer que le contenu d’un désir est présent à la
conscience ? Si l’emploi du mot intention est cohérent avec l’idée que son
contenu manifeste coïncide, jusqu’à preuve du contraire, avec son contenu
réel, on dirait que l’emploi du mot désir suppose précisément que le
contenu manifeste, présent à la conscience du sujet, ne coïncide pas
nécessairement avec le contenu réel et actif.
La présence d’un contenu submergé, qui est incompatible avec
l’intention, est pertinente pour la définition du concept de désir. S’il est
contradictoire de parler d’une intention inconsciente, il est tout à fait
cohérent de parler de désirs inconscients :

5. *Jean est parti avec l’intention inconsciente de revoir Marie


6. *Jean est parti avec l’intention inavouée de revoir Marie
5. Jean est parti avec le désir inconscient de revoir Marie
6. Jean est parti avec le désir inavoué de revoir Marie

Admettre un désir aveugle, inconscient de ses racines et de ses contenus,


cependant, revient à admettre que le but manifeste des actions humaines ne
coïncide pas nécessairement avec leur ressort réel, et que l’être humain
agissant sous la pression d’un désir n’est pas nécessairement et totalement
maître de ses décisions. Autrement dit, si l’on admet le désir comme ressort
de l’action finalisée, on admet que la décision et l’action ne sont pas libres.
D’un certain point de vue, c’est une banalité que d’affirmer que l’être
humain engagé dans l’action n’est pas absolument libre et maître de ses
décisions. Son comportement est contraint tant de l’extérieur que de
l’intérieur, et de surcroît il n’est pas nécessairement conscient des mobiles
de son action. Dans un autre sens, un être humain engagé dans l’action est
nécessairement libre, car s’il ne l’était pas, il serait insensé de parler de
décision, de responsabilité et d’action. Quand nous disons qu’un être
humain est libre dans son action et quand nous disons qu’il ne l’est pas,
268

nous ne sommes pas en contradiction, car nous utilisons le concept de


liberté dans deux acceptions différentes, à savoir dans un sens empirique et
dans un sens essentiel (Husserl), idéal (Kant) ou ontologique.
Quand le concept de liberté est utilisé dans un sens empirique, il
identifie le pôle positif d’un continuum dont le pôle négatif est la nécessité.
En même temps, une liberté absolue dans le sens empirique est hors de la
portée de l’être humain, qui a un corps et qui vit dans un groupe social, ce
qui implique que le comportement de tout être humain se situe de facto
quelque part entre la liberté et sa privation. La donnée irréductible de la
condition humaine, c’est de vivre dans le conflit entre la liberté et les
forces internes et externes qui la menacent, de poursuivre la liberté tout en
sachant qu’elle ne sera jamais atteinte jusqu’au bout, ni définitivement.
Cela veut dire qu’une affirmation comme L’individu x est libre ne peut pas
être interprétée de façon cohérente comme impliquant « Le comportement
de l’individu x ne contient aucun élément de contrainte et de nécessité »
mais comme signifiant « Dans le comportement de l’individu x, le solde du
conflit entre la liberté et les contraintes externes et internes est positif ». Ce
que, justement, nous hésitons à appeler tout simplement liberté dans un
sens absolu, c’est en fait un point d’équilibre précaire et constamment
menacé entre la liberté et ses forces antagonistes. La lutte pour la liberté
contre ses antagonistes externes et internes forme la tâche morale de tout
être humain.
Mais il est en même temps tout à fait clair que la lutte même pour la
liberté n’a de sens que si les êtres humains sont libres dans l’acception
essentielle du mot - que s’il est cohérent de se poser la question de la
liberté au sujet du comportement humain. Quand il est utilisé dans un sens
essentiel, le mot liberté n’identifie plus le pôle positif d’une opposition
graduée, mais circonscrit l’espace conceptuel de la liberté – ou, si l’on
veut, de la lutte pour la liberté - qui s’étale de la liberté empirique à sa
privation par des forces antagonistes. Dire que les êtres humains sont libres
et responsables dans un sens essentiel n’implique donc pas que le
comportement humain ne soit soumis à aucune contrainte. Cela revient
simplement à dire que le comportement humain ne peut être décrit et
compris que dans l’horizon de la liberté, et donc que la liberté et ses forces
anatagonistes se disputent la définition du comportement humain. Comme
White (1968 : 8) le souligne « None of this shows, of course, that human
actions must be voluntary, intentional, purposive, conscious, ecc. [...] but
only that they must be the sort of occurrences of which it makes sense to
ask whether they are any or all of these ».
L’équilibre précaire entre liberté et déterminisme qui caractérise l’être
humain empirique est une question empirique. La prédicabilité de la liberté
269

pour l’être humain est une question essentielle, ontologique60. La liberté


dans un sens essentiel est compatible même avec l’absence totale de liberté
au plan empirique. Le comportement qui ne répond qu’à une nécessité
aveugle est en tout cas mesuré à l’étalon de la liberté et dans l’horizon de la
liberté.
Poser la question de la liberté, de la responsabilité, de la conscience pour
l’être humain, cela signifie donc circonscrire de l’extérieur un espace de
questionnement cohérent. Cela signifie que ce n’est que pour un être qui a
accès à l’espace conceptuel de la liberté, de la responsabilité et de la
conscience qu’il est sensé de se demander dans quelle mesure il est libre,
responsable, conscient. A l’abri de la cohérence, la question sur la liberté
admet tout l’éventail de réponses qui s’étale du pôle positif - la liberté
absolue - au pôle négatif - la privation totale de liberté. Pour un être
inanimé assujetti à la causalité phénoménique la question n’a aucun sens, et
n’a qu’un sens analogique pour un animal qui agit en dehors de la
conscience61.

60. Ce qui distingue le discours ontologique du discours empirique est le fait que le
second ne porte pas, à la différence du premier, sur les propriétés effectives des êtres,
mais sur les propriétés qui peuvent être prédiquées pour eux de façon cohérente.
Comme Sommers (1963(1967 : 160)) le souligne, « The ontologist is interested in
categories ; he is, qua ontologist, not interested in whether a thing is red or whether it is
green but in whether it is coloured. Even this is not altogether accurate : he is interested
in its character of being coloured or colourless», et donc à son aptutide à recevoir une
couleur : «whenever a predicate P is significantly applicable to a thing, then is its
complement non-P […] Thus, any predicate P can be constructed as |P| or ‘the absolute
value of P’, by which we mean that P spans the things which are either P or non-P but
does not span things which are neither P nor non-P. For example, if P = philosopher,
then |P| defines the class of things that are either philosophers or non-philosophers»,
that is, adult human beings. «In the class of things that are |P| are Bertrand Russell and
Cleopatra, but not the Empire State Building » (159).
61 La distinction entre propriétés essentielles et propriétés empiriques explique
pourquoi la « déconstruction du sujet » traditionnellement attribuée aux pensées de la
crise - à Marx, à Nietsche, à Freud, notamment -, si elle a démonté beaucoup d’illusions
sur la nature humaine, n’a pas mis hors jeu la responsabilité des sujets, et donc leur
accès à la liberté. La déconstruction du sujet a montré combien il est difficile d’être
libre, responsable, conscient, mais n’a pas détruit le sens de la liberté, de la
responsabilité et de la conscience dans l’agir humain. On ne peut pas détruire par des
arguments empiriques une réalité qui ne l’est pas, et qui fonde la cohérence du monde
empirique. Quel que soit le pouvoir des mobiles externes - provenant de la société - ou
internes - provenant de l’inconscient - le sujet demeure, en dernière instance, un sujet de
décision, un centre de responsabilité d’une action qui n’est compréhensible qu’à
condition d’être l’issue d’une décision libre. Ou, du moins, il est tenu pour tel dans
l’ontologie naturelle partagée qui forme le sous-sol de notre comportement cohérent.
270

Lorsque nous parlons de liberté dans un sens essentiel, nous ne sommes


donc pas en train de décrire l’état contingent d’un être humain donné et le
degré de liberté dont son comportement fait preuve, mais nous sommes en
train de délimiter de l’extérieur l’espace conceptuel cohérent du
comportement humain, ce qui distingue le comportement d’un homme du
comportement d’une pierre.
La thématique du désir trouve sa place naturelle dans ce cadre. D’une
part, le désir menace la liberté empirique du sujet du fait qu’il menace son
contrôle rationnel sur ses motivations, et donc sa conscience en tant
qu’agent. En même temps, toute la problématique du désir perd son sens si
elle est coupée de l’espace de la liberté et de la conscience. Comme l’écrit
Taylor, « ’desire’, like action, is a concept involving intentionality, and can
only be attributed to beings to whom consciousness or intentionality can be
attributed » (Taylor 1964 : 61). Et Ricoeur de lui faire écho : « parler de
désirs inconscients, c’est encore placer le désir dans la classe des intentions
et non des mouvements. On ne peut attribuer de désirs inconscients qu’à
des êtres à qui on peut attribuer conscience et intentionnalité » (Ricoeur
1977 : 102). Dans l’Ehtique de Nicomaque, Aristote nous rappelle que la
nature rationnelle de l’homme n’exclut pas l’irrationalité mais lui fait
place, car c’est seulement pour l’être rationnel qu’il est sensé d’identifier
des forces internes ou externes antagonistes de la raison : « il paraît que
même ce qui est irrationnel ne soit pas pour autant moins le propre de
l’homme, de façon que même les actions provenant de la convoitise et du
désir sont propres à l’homme ».
Envisagé sur le fond de ses conditions de cohérence, qui sont les mêmes
que pour l’intention consciente, le désir ne met pas en discussion la
barrière logique entre cause et motif. En tant que force inconsciente, le
désir semble s’approcher d’une cause. A la différence d’une cause,
cependant, le désir trouve sa place non pas dans l’enchaînement aveugle
des événements du monde des phénomènes, mais parmi les acteurs qui,
participant à la délibération, se disputent la décision et l’action, et donc aux
côtés de l’intention consciente, de la liberté et de la responsabilité. La
métaphore aristotélicienne de la délibération ouvre une perspective
suggestive sur le caractère polyphonique, voire conflictuel, de cette sorte
de boulè qui se déroule dans l’individu. Mais il ne faut pas oublier que
l’enjeu du conflit est toujours une décision.
Si nous abordons la question de la liberté, de la conscience et de leurs
forces antagonistes en termes de cohérence ontologique plutôt que de
réalité empirique, les conséquences quittent le domaine restreint d’une
ontologie de la condition humaine pour investir le territoire de la morale.
Pour qu’il y ait une morale, il n’est pas nécessaire que l’être humain soit
271

libre au sens empirique ; donc, il n’est pas nécessaire de nier ni d’occulter


la dure réalité des antagonistes externes et internes. Il suffit simplement
qu’on reconnaisse à l’être humain dans toutes ses conditions empiriques,
même au fond de la dégradation, l’accès à l’espace logique de la liberté, et
donc la possibilité de l’affirmer contre ses antagonistes.
272
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287

Index des noms d’auteurs


Anscombe G., 87, 102, 252
Anscombre J.-C., 47
Aristote, 6, 9, 78, 79, 80, 98, 113, 250, 263
Austin J.L., 81, 261
Baudelaire, 4
Beaugrande R.-A., 37
Bellone E., 10
Brentano, 21, 266
Brown G., 37
Bühler, 41
Cadiot P., 137, 150, 231, 237, 240
Cassirer E., 255
Chaurand, 234
Coates J., 37
Conte M.-E., 5, 37,45, 250
Croft W., 52
D’Addio Colosimo W., 45
Danes F., 77, 99, 113
Dante, 9
Danto A., 78, 254, 256, 263
Darwin, 9
Davidson D., 257, 258
De Saint-Pierre, 108
Démocrite, 9
Dennett D., 10, 251, 264
Dik S. C., 28, 44, 113
Dressler, 37
Ducrot O., 47
Empédocle, 8
Feinberg J., 259, 263
Fillmore C. J., 40, 113, 114
Firbas J., 52, 113
Firth J. R., 40
Gaatone D., 55
Geis M. L., 90
Giry-Schneider J., 71
Grice H. P., 39, 48, 90
Grimshaw J., 69
Gringras, 62
Gross G., 176
Gumperz J. L., 35
Halliday M., 37, 40, 49, 50
Hasan, 37
Hegel G., 88
Hopper P., 32, 39, 52
Husserl E., 1, 268
288

Jakobson R., 38
Kant, 6, 8, 9, 78, 249, 268
Kiefer F., 69
König E., 32
Kortmann B., 13, 32, 33, 39
La Fauci N., 156, 158, 212
Levinson, 35
Lévi-Strauss C., 37
Longacre, 23
Lyons J., 40
Malinowski B., 40
MathesiusV., 113
Mattiessen Ch., 23
Merleau-Ponty M., 11
Monod J., 10
Pinkal M., 41
Piot M., 150, 156, 233
Prandi M., 23, 40, 41, 88, 113, 260
Pustejovsky J., 141
Quasthoff U., 41
Reinhart T., 52
Ricoeur P., 104, 254, 266, 270
Rumelhart D. E., 41
Sapir-Worf, 35
Scriven M., 83
Searle J., 130
Segre C., 265
Shank R. C. & R. P. Abelson, 41
Sommers F., 269
Sosa E., 82, 86
Sperber D., 39
Strawson P., 1, 6, 88, 251
Sweetster E., 99, 100
Talmy L., 52
Taylor Ch., 93, 253, 256, 257, 262, 264, 270
Tesnière L., 23
Thompson S. A., 23, 52
Tomlin R., 52
Traugott E. C., 32, 39
Vendler Z., 141, 142, 160
Verstraete J.-C., 99, 100
Von Wright G. H., 253, 254, 256, 257
White A. R., 81, 263, 268
Wierzbiecka A., 87
Wilson, 39
Windelband W., 82
Yule , 37
Zwicky, 90
289

Index des termes


actualisation, 56, 69-70, 73-74, 152-153, 172, 196, 198, 214, 219, 225
actualiser, 56, 69-70, 75-76, 156, 196, 215
adjectif approprié, 147, 149, 162, 173, 203, 208, 215-216, 219
adjectivation, 70
anaphore, 44, 48, 62, 172, 183, 187-188, 196, 200, 227
approprié, 14, 96, 123, 160, 163, 192, 202
argument, 3, 20, 22-24, 28, 55, 60, 67-70, 96, 109, 118, 123, 129-130, 133, 138-140,
147, 155, 157, 160, 166, 180-181, 194, 207, 210-211, 217, 219
artefact, 1, 5, 106, 241, 242-245, 247, 249-251
article défini, 60, 165, 187, 194, 200, 217, 225-226
article indéfini, 172, 187, 203, 217
article zéro, 66, 166, 171-172, 183, 198, 213, 218, 223-224
aspect, 69, 71, 142, 180, 196, 204
aspectuel, 71, 117, 153, 196, 201, 204, 223, 225
but comme argument, 96, 129, 133
cataphore, 61
cataphorique, 45, 60-61, 222, 233-234
catégorie grammaticale, 67, 75, 214
cause, 1, 8, 13-18, 22, 27-31, 32-33, 37-39, 41-46, 52-56, 58, 67, 74, 77-93, 101-102,
110-111, 114-115, 117-119, 151, 161, 182, 209-210, 222, 225, 231-234, 252-260,
270
classe d’objets, 138, 140, 142-143, 155
classe sémantique, 140, 144, 179
classifieur, 181, 234
codage, 15-18, 25-27, 30-38, 42, 45-48, 50, 80-81, 114, 120, 123-124, 127, 133, 139
codage adéquat, 26-27
cohérence conceptuelle, 4-5, 16, 85, 110, 132
cohérence textuelle, 4, 30, 37, 48, 85
cohésion, 17, 30-31, 37, 43-44, 48, 93
combinatoire, 59, 179
complément circonstanciel, 55, 245
concession, 13-14, 28, 31-33, 46, 48, 90-91
conjonction, 3, 13-18, 26, 30-32, 43-44, 46, 48, 55-57, 67, 72, 78-79, 137, 146, 207,
235
connecteur, 26, 30-32, 36, 92, 124, 147, 151-152, 158, 176, 207-212, 238
conséquence, 13-14, 34, 58, 72, 151, 210, 238, 240, 247, 257-258
coordination, 13, 18, 29-30, 43-44, 46
coréférence, 56, 58, 65, 147, 159, 168, 195, 198, 235-236
coréférent, 68, 147, 152, 180, 222
démonstratif, 59, 63-64, 184, 196, 233
description téléologique, 6, 249, 255, 260
déterminant, 57, 59-60, 62-67, 95, 164-166, 170-172, 183-184, 194, 200, 202-203, 214,
217-218, 222-223, 225-226, 233-234
déterminant exclamatif, 64
déterminant indéfini, 64
290

déterminant interrogatif, 64
déterminant négatif, 64
déterminant quantifieur, 65, 226
détermination, 24, 57, 59-60, 64, 95, 97, 164-165, 171, 183, 187, 194-195, 200, 213,
218, 224
détermination anaphorique, 60-62, 164, 183, 198, 215
détermination cataphorique, 60, 222
dislocation, 50, 158
effacement, 62-63, 68, 70, 156-157, 159, 234
emploi, 44, 57, 60, 65, 71, 86, 101, 138-140, 162, 169, 180, 186, 188, 194, 199, 202,
204, 211, 213-214, 217, 219, 224, 226-227, 229, 231, 247
emploi libre, 57, 235
enrichissement inférentiel, 32-33, 40
explication téléologique, 254, 260
expression figée, 167
expression verbale figée, 69
figé, 57-58, 61, 66, 158, 167, 170, 180, 183, 194, 223
figement, 57, 183
final, 96, 106-107, 123, 125-126, 129-130, 144, 160, 167, 179, 213, 221, 232
finalité, 1-4, 6-13, 15, 17, 19, 36, 65, 73-74, 92, 103, 105-108, 113-114, 116, 121-122,
125, 134-135, 137, 143-144, 146, 151, 156, 159-160, 165, 169-170, 172, 175-176,
179, 186, 191, 193, 202, 207-213, 215, 224, 225-226, 231-233, 238, 240-243, 245,
247, 249, 251, 253, 259-262, 265, 267
forme non-actualisée, 153
grammaire d’options, 48-50
grammaire de règles, 48, 50
hyperclasse, 139, 142
hyperonymie, 146
implicature conventionnelle, 31, 39, 47, 90, 125
implicitation, 83-84
inchoatif, 201
inchoativité, 196
indicateur d’arguments, 180
inférence, 16, 18, 27, 30, 32-33, 35, 37-42, 46, 48, 90-91, 99, 106, 114-115, 120, 123-
125, 138, 151
inférence sollicitée, 90-91, 124, 126
instrument, 14, 28-29, 31, 33, 80
intensif, 204, 211, 213, 221, 225
juxtaposition, 4, 13, 17, 29-30, 34-38, 42, 44-45, 51-52, 120-122, 151
locatif, 70, 130, 140, 142-144, 146, 148, 155-156, 158-164, 169-174, 176-177, 179-180,
185-186, 191-192, 208-209, 212, 230, 245, 250
locution conjonctive, 55, 61, 67, 69, 72-73, 75, 156, 171-172, 174, 214
locution figée, 45
locution prépositionnelle, 4, 116, 122, 183, 211
locution prépositive, 55, 68
marges, 23-24, 26, 95-97, 117
métaphore, 4, 6, 11, 37, 98, 155, 159-161, 167-169, 181, 185, 189, 209, 216, 250-251,
270
291

modèle conceptuel, 27, 114


modifieur, 59-60, 62, 172, 195, 201, 213, 225-226
motif, 15-18, 36, 42, 77-81, 92-105, 110, 113-114, 116-121, 127-128, 147, 192, 210,
213, 240, 255-256, 258, 270
motif prospectif, 17, 77, 102-104, 115, 117-119
motif rétrospectif, 17, 77, 102, 114, 116, 210, 213, 255
nom composé, 57
nominalisation, 70-71
objet, 2, 6, 9, 11, 21-22, 25, 69-70, 106, 128, 240-245, 253, 264, 266-267
occurrence, 68-69, 186, 231
opérateur à lien, 158, 167, 175, 187
outil, 143, 242-244, 247
paradigme, 14, 18, 49, 56-57, 59, 65, 67, 80, 82, 86, 116, 138, 140, 157
paraphrase, 73-75, 111, 125-126, 146, 189, 196, 211, 219, 250
parataxe, 152
participe présent, 69, 152
perspective finale, 113, 120, 122
phrase complétive, 22, 28, 60
phrase complexe, 1-2, 4, 13-20, 22-26, 28-32, 43, 49, 51-52, 67-68, 74-75, 77-79, 92-
93, 95, 111, 113-114, 116-117, 120-123, 127-128, 135, 187
polysémie, 138, 180, 229, 232
position argumentale, 138, 142, 186
possessif, 59, 180, 197
prédicat adjectival, 143, 195, 203
prédicat approprié, 142-143, 146, 155, 185, 191, 196, 199, 203, 215-216, 220, 223
prédicat de perception, 144, 161, 179
prédicat de sentiment, 145, 199, 207, 209, 212, 250
prédicat événementiel, 231, 236
prédicat nominal, 56, 60, 67-75, 130, 141-143, 147-148, 152, 156, 165-166, 169, 171,
180, 182, 185, 195, 200, 214, 218, 222, 224, 227, 229, 234-235
prédicat prépositionnel, 56, 229
prédicat verbal, 70, 130, 141, 152, 159, 165, 187, 218, 235
prédication, 45, 69
préposition, 3, 19, 26, 28, 30, 43, 49, 55-58, 67, 69, 72, 127, 132, 144, 146, 152-153,
156-157, 163-164, 170-171, 175, 180-181, 183, 186-188, 194-195, 198, 200-202,
211, 213-214, 218, 222-224, 226-227, 229-231, 233-236, 238-239, 243
procès intrinsèquement complexe, 14, 20, 109, 123
pronominalisation, 62, 236, 238
proposition complétive, 23, 97, 130, 134
proposition principale, 7, 13, 20, 22-24, 26, 51, 67, 79, 105, 111, 123, 127, 153, 156
proposition subordonnée, 3, 13, 23-25, 30, 36, 67-68, 73, 118, 129-130, 132, 252
proposition subordonnée circonstancielle, 55, 64
propriété sémantique, 58
réalisation morphologique, 73, 214, 217
réduction infinitive, 65, 68, 70, 171, 222, 224, 236
relateur, 55-56, 58, 66-67, 75, 137, 142-144, 148, 151-152, 160, 168, 171-174, 182,
185-186, 189, 191, 194, 197, 201, 204, 213, 217-218, 221-222, 225, 229, 233, 238,
240-241
292

relatif de liaison, 62, 183, 214


relations transphrastiques, 13-18, 25, 29, 32-36, 42-43, 45-46, 48, 77, 93, 252
restructuration, 57-58, 61, 74, 93, 100, 146-148, 157-158, 167-168, 170, 173-175, 182,
197, 201, 204, 220
schéma d’arguments, 13, 56, 67, 70, 132, 138, 140
sous-codage, 17, 26-27, 32
structure conceptuelle, 4, 15, 18-20, 22, 28, 32-38, 40-42, 249
structures sémantiques, 35, 113, 120
structure temporelle, 102, 111, 120
structure temporelle de la cause, 101-102
structure temporelle des motifs, 102
subordonnée, 3, 13, 23, 24-26, 30, 36, 51-52, 55-56, 58-59, 62-68, 72-75, 101, 118,
125, 131-132, 143, 146-148, 151, 157, 164-166, 168, 170-173, 183-184, 187, 194-196,
198, 200, 202-204, 207, 210, 215, 217-218, 220, 222, 224, 229, 232-241, 252
subordonnée finale, 25, 65, 68, 73-74, 147, 156, 166, 171, 183-184, 207, 236, 240
substantif classifieur, 233-234
substitution, 56-58, 63
sujet, 2, 11, 16, 19-20, 24-25, 29, 41, 49-50, 56, 58, 65, 68, 70, 72, 75, 91-100, 102-111,
114, 116-130, 132-134, 138, 140, 142, 147, 149-150, 152, 155-159, 164, 166, 167,
170, 173-176, 179-181, 185-187, 191-193, 195, 197-199, 208-209, 212, 221-222,
230, 232-233, 235-236, 238, 240-241, 244, 246-247, 249-250, 252, 255-258, 261-
262, 264-267, 270
surcodage, 26-27, 33, 35
thématisation, 148, 175, 196-197, 215-217, 231, 234
verbalisation, 70
verbe approprié, 149, 159, 168, 170, 173, 196, 199, 216, 218-219, 223, 225, 247
verbe auxiliaire, 69
verbe prédicatif, 70, 145, 194
verbe support, 24, 69-71, 74-75, 95, 130-131, 142-143, 148, 152, 156-157, 172, 182,
192, 194, 197, 203, 214, 219, 222, 235-236
293

Index des relateurs

à défaut de, 57, 63


à telle enseigne que, 57
ambition, 220-221
arrière-pensée, 199-201
but, 3, 45, 57, 60-62, 64, 66, 116, 124-125, 137, 148, 150, 157, 161, 163-167, 197
cause, 28, 44-45, 82, 182, 257, 258
cible, 169-170
compte tenu de, 57
crainte, 58, 217, 224-225
de sorte que, 57-58, 151-152
désir, 19, 27, 36, 45, 68-69, 75, 116, 122, 137, 148, 153, 191, 207, 213-217
dessein, 27, 116, 198-199
en dépit de, 57
en sorte que, 57-58
en vue de, 3, 108, 143-144, 148, 179-185, 250
envie, 217-218
espérance, 217-218, 222-223
espoir, 45, 60, 116, 222-223
étant donné que, 57-58
faveur, 57
fin, 3, 56-57, 60-66, 137, 148, 170-173, 185, 207, 211, 225, 232, 238
finalité, 175
idée, 73, 199-201
illusion, 116, 219-220
intention, 4, 19, 36, 57-58, 60-61, 63-64, 66-67, 74, 116, 137, 143-145, 148-149, 152,
163, 191, 193-198, 220, 267
objectif, 4, 61, 64, 162, 167-169
pensée, 199-201
peur, 193, 207, 209, 211, 213, 224-225
pour, 229-237
prétention, 220-221
prétexte, 57, 60
projet, 201-202
résolution, 204-205
rêve, 219-220
souci, 60, 66, 226-227
sous peine de, 57
souhait, 218
volonté, 152, 202-204
vu que, 57

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