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FONDEMENTS CONCEPTUELS
ET GENESE LINGUISTIQUE
Tables de matières
Table de matières i
PREFACE
CHAPITRE I
13
L’ANALYSE DES RELATIONS TRANSPHRASTIQUES:
UN CHOIX METHODOLOGIQUE
CHAPITRE II
55
DE LA LOCUTION AUX PREDICATS NOMINAUX
CHAPITRE III
1. CAUSE ET MOTIFS 78
2. LA CAUSE 82
2.1. Le raisonnement hypothétique, ou la cause comme
condition 84
2.2. La concession ou la problématisation de la règle 90
iii
CHAPITRE IV
CHAPITRE V
137
TYPOLOGIE SEMANTIQUE DES PREDICATS DE BUT
CHAPITRE VI
155
LES LOCATIFS DE BUT
CHAPITRE VII
179
LES PREDICATS DE PERCEPTION VISUELLE
CHAPITRE VIII
191
LES PREDICATS D’INTENTION
CHAPITRE IX
LES PREDICATS DE SENTIMENTS 207
CHAPITRE X
229
LA PREPOSITION POUR
CHAPITRE XI
241
FINALITE ET ARTEFACTS
CHAPITRE XII
BIBLIOGRAPHIE 273
DICTIONNAIRES 286
Index des noms d’auteurs 287
Index des termes 291
Index des relateurs 293
1
PREFACE :
1. Jean a acheté un vélo nouveau parce que le vieux lui a été volé
2. Jean a acheté un vélo pour faire de l’exercice
3. Les maisons des pays chauds sont peintes en blanc pour repousser les rayons du
soleil
4. Cette variété d’arbres a développé une écorce épaisse pour éviter les assauts des
grands herbivores
5. Les girafes ont de longs cous pour brouter le feuillage des arbres
constitutive de la textualité – elle n’est pas une qualitas d’un texte mais sa quidditas
même (Conte 1988: 29): une séquence incohérente d’énoncés n’est pas un texte.
6
marteau a un manche pour qu’on puisse l’empoigner, c’est parce qu’un être
humain l’a conçu et fabriqué pourvu d’un manche exactement dans ce but.
Une véritable rupture ontologique se produit par contre lorsque le
modèle téléologique est utilisé dans la description de la structure des êtres
vivants. Dans ce cas, la description téléologique se dissocie non seulement
de l’action humaine directe, mais aussi du domaine des objets issus de
projets humains. Ce qui reste de la finalité, c’est un principe
d’intelligibilité prospectif. Comme la structure de l’action humaine se
justifie en vue d’un but que l’agent se propose d’atteindre, la structure d’un
être vivant se justifie en vue d’une destination fonctionnelle évidente de ses
constituants. Un être vivant s’offre à la perception et à la description
comme si sa structure répondait parfaitement à un projet.
La conception téléologique du vivant fait partie d’une couche
primordiale de concepts qui constitue le fondement de notre pensée
cohérente. Les philosophes qui ont exploré cette couche, comme Aristote et
Kant, n’ont pas donné une contribution à la construction d’un édifice
métaphysique ou cognitif, fait de doutes, d’hypothèses, de preuves ou
d’argumentations. Plutôt, ils ont marqué des étapes significatives le long du
chemin qui nous mène à une explicitation progressive de la structure et du
contenu de notre attitude spontanée envers le monde et les êtres, fait de
certitudes immédiatement partagées telles qu’elles sont, en deça du doute,
de la discussion et de l’argumentation. S’ils ont fait de la métaphysique,
elle appartient à cette forme que Strawson appelle « métaphysique de
description ». Une métaphysique de description se propose non pas
d’élargir notre patrimoine d’hypothèses concernant le monde, l’homme et
Dieu, mais simplement de creuser et porter à la surface « la structure
effective de notre pensée au sujet du monde » (Strawson 1959(1973 : 9)),
autrement dit, notre ontologie naturelle partagée.
Une grande partie de l’oeuvre d’Aristote est consacrée à une telle tâche
de description et d’éclaircissement de notre pensée naturelle, et cela vaut
certainement pour les pages qu’il consacre à la finalité : « la finalité se
rencontre dans les changements et les être naturels ». Si nous sommes prêts
à affirmer sans aucune incohérence et sans le sentiment de faire des
métaphores que Les arbres ont des racines pour se nourrir, ou que Les
oiseaux ont des ailes pour voler, c’est parce que la destination
fonctionnelle évidente d’un constituant de l’arbre et de l’oiseau est
catégorisée comme si elle cachait un projet, et donc une forme de but. « Si
donc, c’est par une impulsion naturelle et en vue de quelque fin que
l’hirondelle fait son nid, et l’araignée sa toile, et si les plantes produisent
leurs feuilles en vue des fruits, et dirigent leurs racines non vers le haut,
7
mais vers le bas, en vue de la nourriture, il est clair que cette sorte de
causalité existe dans les générations et les être naturels2 ».
Face à des expressions comme Les arbres ont des racines pour se
nourrir, ou Les oiseaux ont des ailes pour voler, il n’est bien sûr pas exclu
de voir dans le contenu de la proposition principale l’oeuvre d’un agent
surnaturel - d’un Créateur – et cela était certainement le sentiment
d’Aristote. Mais il faut souligner que l’assimilation de la raison
fonctionnelle à une sorte de finalité immanente dans le monde naturel n’est
alimentée ni par des connaissances positives ni par des convictions
métaphysiques ou religieuses. L’image du monde des vivants comme régi
et ordonné par une téléologie immanente appartient à une couche tellement
profonde de notre ontologie naturelle spontanée qu’elle se soustrait à la
discussion et au doute qui caractérisent à la fois l’acquisition des
connaissances positives et le débat métaphysique. L’ontologie naturelle
partagée est un système de présupposés soustraits en même temps au doute,
à l’épreuve et même à l’expression explicite, auxquels la communauté des
humains fait confiance comme le promeneur qui marche fait confiance à la
solidité du terrain. Sa solidité est par ailleurs la preuve certaine que
l’ontologie naturelle n’est pas un système de propositions au contenu
empirique ou théorique, mais un système de présupposés d’ordre pratique
qui fondent la cohérence de notre comportement spontané avant même de
fonder la cohérence de nos concepts et de nos discours. L’ontologie
naturelle partagée fait place à la métaphysique et aux sciences positives au
moment où l’attitude pratique de confiance fait place à l’attitude théorique
nourrie de doute, et donc à l’argumentation ou à la recherche de la preuve.
Aristote est bien conscient de cela. La conception téléologique des êtres
vivants qu’il décrit appartient à une couche de concepts qui n’est pas
atteinte par le débat métaphysique, car elle est compatible aussi bien avec
l’idée d’une création comme action finalisée d’un Dieu, qu’avec l’idée
alternative, qu’il repousse, d’une sélection impitoyable. Une sélection régie
par un critère fonctionnel rigide et une création inspirée par un projet, en
effet, aboutiraient au même résultat, car la sélection ne laisserait survivre
que les êtres bien équipés par le hasard ou par la nécessité physique en vue
de leurs fonctions, et donc « comme s’il y avait détermination
téléologique » :
Mais une difficulté se présente : qu’est-ce qui empêche la nature d’agir non en vue
d’une fin ni parce que c’est le meilleur, mais comme Zeus fait pleuvoir, non pour
2. Aristote, Physique (I – IV), Texte établi et traduit par Henri Carteron, septième
édition, Les Belles Lettres, Paris, 1990 : 199a, 77-78.
8
augmenter la récolte, mais par nécessité ; car l’exhalaison s’étant élevée, doit se
refroidir et, s’étant refroidie et étant devenue eau par génération, descendre ; quant à
l’accroissement de la récolte qui suit le phénomène, c’est un accident. Tout aussi bien,
si la récolte se perd, pour cela, sur l’aire, ce n’est pas en vue de cette fin (pour qu’elle se
perde) qu’il a plu, mais c’est un accident. Par suite, qu’est-ce qui empêche qu’il en soit
de même pour les parties des vivants ? Par exemple, c’est par nécessité que les dents
pousseront, les unes, les incisives, tranchantes et propres à déchirer, les autres, les
molaires, larges et aptes à broyer ; car, dit-on, elles n’ont pas été engendrées pour cela,
mais par accident ils se rencontre qu’elles sont telles. De même pour les autres parties
où il semble y avoir détermination téléologique. Et, bien entendu, ce sont les êtres où
tout s’est produit comme s’il y avait détermination téléologique qui ont été conservés,
s’étant trouvés convenablement constitués ; les autres ont péri et périssent comme, pour
Empédocle, les bovins à face d’homme3.
Mais c’est surtout le témoignage de Kant qui est tranchant sur ce point.
Le philosophe qui a coupé à jamais les ailes de la pensée métaphysique fait
place dans son système au jugement téléologique comme critère
d’intelligibilité des êtres vivants :
Ce principe, qui est aussi la définition des êtres organisés, s’énonce ainsi : Un produit
organisé de la nature est celui en lequel tout est fin et réciproquement aussi moyen. Il
n’est rien en ce produit, qui soit inutile, sans fin, ou susceptible d’être attribué à un
mécanisme naturel aveugle […] On sait que ceux qui dissèquent les végétaux et les
animaux, pour étudier leur structure et pour pouvoir saisir pour quelles raisons et en vue
de quelle fin de telles parties leur ont été données, et pourquoi aussi une telle
disposition et une telle liaison de ces parties et précisément cette forme interne,
admettent comme absolument nécessaire cette maxime : dans une telle créature rien
n’est inutile, et ils donnent à cette maxime - au principe téléologique - la même valeur
qu’au principe physique universel, car de même qu’il n’y aurait plus d’expérience en
général si l’on abandonnait ce dernier principe, de même si l’on abandonnait le premier
principe il n’y aurait plus de fil conducteur pour l’observation d’une espèce de choses
naturelles que nous avons déjà conçues téléologiquement sous le concept des fins
naturelles4.
projet, et donc du but, toutes les structures qui contiennent en elles mêmes
un critère d’intelligibilité prospectif, de l’objet fabriqué, à l’oeuvre d’art, à
l’organisme vivant :
Le concept d’une chose, comme fin naturelle en elle-même, n’est pas ainsi un concept
constitutif de l’entendement ou de la raison ; mais il peut être cependant un concept
régulateur pour la faculté de juger réfléchissante, pour guider la recherche sur les objets
de ce genre et réfléchir sur leur principe suprême d’après une analogie éloignée avec
notre causalité suivant des fins en général, cette réflexion servant moins la connaissance
de la nature ou de son fondement originaire (‘Urgrund’) que celle de la faculté pratique
rationnelle en nous, en analogie avec laquelle nous considérons la cause de cette
finalité5.
Seeing this gradation and diversity of structure in one small, intimately related group of
birds, one might really fancy that from an original paucity of birds in this arcipelago
[des Galapagos], one species had been taken and modified for different ends (Ch.
Darwin, The Voyage of the ‘Beagle’, Dent Dutton, Londres – New York, 1980, Ch.
XVII, ‘Galapagos Archipelago’).
5. Ibidem : 300.
10
Les arbres qui, dans leur histoire évolutionnelle, on fait l’objet de lourds assauts de la
part de prédateurs herbivores, ont réussi dans plusieurs cas à synthétiser des substances
toxiques comme forme de représailles envers ces animaux. Les herbivores répondent
parfois en développant dans leur appareil digestif une tolérance spécifique pour ce
poison, de façon à pouvoir continuer à se nourrir jusqu’au jour où les arbres, suite à la
faillite de leur première tentative, auront développé de nouvelles ruses – par exemple
des épines – ou d’autres formes de toxicité, déchaînant une véritable course aux
armements où chaque mesure provoque une contre-mesure. Mais il se peut aussi que les
herbivores « décident », à un moment donné, de renoncer aux représailles pour
s’adresser, opérant des discriminations, à d’autres sources de nourriture.
CHAPITRE I
1. Les dépenses de chauffage ont baissé parce que les hivers se sont adoucis
14
2. Les hivers se sont adoucis, et (de ce fait) les dépenses de chauffage ont
baissé
3. Les hivers se sont adoucis. A cause de cela les dépenses de chauffage ont
baissé
1. RELATIONS TRANSPHRASTIQUES
ET CONJONCTIONS DE SUBORDINATION
word because », qui représente la traduction directe de parce que. Mais les
exemples ci-dessus démentent ces affirmations, car ils ne se voient pas
attribuer le même contenu malgré la présence de la même conjonction. (1)
exprime une relation de cause qui se produit dans le monde des
phénomènes entre deux événements qui se succèdent dans le temps selon
un ordre rigide et irréversible. (2) exprime le rapport entre l’action d’un
sujet et un motif qui le pousse à agir mais qui n’a aucune efficacité causale
en dehors d’une décision de sa part.
Deux contenus visiblement différents sont confiés à une même
conjonction, qui de ce fait n’est pas en mesure de les coder : la cause
phénoménique et le motif de l’action. Si la relation transphrastique n’était
autre chose que le contenu d’une conjonction, on n’arriverait même pas à
distinguer une cause d’un motif, et, par conséquent, une personne qui prend
des décisions et fait des actions d’une pierre qui tombe. Cela suffit pour
briser l’idée d’une relation biunivoque entre relations transphrastiques et
conjonctions de subordination.
Si elles échappent complètement au pouvoir de codage de la conjonction
parce que, ces différences conceptuelles essentielles n’échappent pas à
l’intuition de l’usager de la langue, au moment où les différentes
expressions sont utilisées. Grâce à sa capacité de raisonnement cohérent, le
destinataire du message peut inférer les différences pertinentes et non
codées sur la base d’une évaluation des contenus conceptuels mis en place
à chaque fois. Si une conjonction comme parce que relie deux événements
du monde des phénomènes, le raisonnement inférentiel pousse vers la
relation de cause. Si elle relie un événement à l’action d’un sujet tenu pour
capable de décision, par contre, la cohérence conceptuelle impose la
relation de motif.
Or, si une structure conceptuelle peut être saisie par un raisonnement
cohérent capable d’aller au-delà des limites du codage linguistique, c’est
précisément parce que l’identité de cette structure ne se réduit pas au
contenu d’une expression, et à plus forte raison d’une conjonction. A partir
de ces prémisses, l’idèe qu’une conjonction comme parce que code de
façon univoque et adéquate une relation conceptuelle comme la cause naît
d’une confusion, et notamment du fait qu’on charge la conjonction à la fois
de son pouvoir de codage effectif et des inférences autorisées par le
contenu des phrases complexes dans lesquelles elle est de facto utilisée.
Les structures (4), (5) et (6) présentent, par rapport à (1), (2) et (3), deux
différences pertinentes.
D’une part, les deux procès impliqués dans la relation ne sont pas unifiés
grammaticalement dans la structure d’une phrase complexe. Sur le plan
strictement syntaxique, indépendamment de la présence d’expressions
anaphoriques sur lesquelles nous reviendrons plus bas (§ 3.3), ils sont
simplement juxtaposés. Cela n’empêche pas la relation de se nouer, bien
sûr, mais déplace sa construction du niveau de la connexion grammaticale
au niveau de la cohérence et de la cohésion textuelle.
Ensuite, chaque expression inclut dans sa structure un terme prédicatif -
respectivement cause, motif, intention - qui catégorise de façon univoque la
relation entre les procès simples engagés comme cause phénoménique,
motif rétrospectif et motif prospectif. Le codage que la conjonction parce
que n’était pas en mesure de garantir est ici confié aux noms prédicatifs
cause, motif et intention. La phrase complexe disparaît en même temps que
le sous-codage, ce qui montre au moins deux choses : d’une part, la phrase
complexe et le codage ne s’impliquent pas réciproquement ; d’autre part, le
contenu lexical de certains termes prédicatifs peut être investi dans le
codage de certaines relations transphrastiques. Comme nous le verrons,
c’est surtout dans le domaine de la finalité que la richesse en termes
prédicatifs est particulièrement remarquable.
Dans une phrase comme Jean a acheté les clous pour réparer l’étagère,
par exemple, l’expression du but est confié à une proposition subordonnée
finale qui, tout en étant marginale sur le plan structural, contient le foyer, et
donc l’information qui présente le degré le plus haut de poids informatif.
exemple, code exactement une relation concessive, alors que (7) code une
relation temporelle, et le contenu de cause n’est atteint que par inférence.
Si un terme prédicatif est présent, en outre, il est fort probable que son
contenu ne se limite pas à coder une relation conceptuelle donnée,
accessible indépendamment, mais impose à la relation une nuance
sémantique spécifique. L’expression (8), par exemple, ne se limite pas à
coder une relation finale ; bien plus, le but de l’action est envisagé comme
le contenu d’un espoir :
8. Cette attitude ne caractérise pas seulement les approches formalistes, mais est
partagée par certaines écoles fonctionnalistes. Dans le cadre de sa théorie des niveaux –
« layers » - Dik (1989(1997a: Ch 6) distingue deux types de « embedded
constructions », à savoir celles qui fonctionnent comme « complements », et celles qui
fonctionnent comme « satellites ». Le présupposé est que la notion primitive est dans
les deux cas la structure de phrase simple, avec ses positions stratifiées prêtes à
accueillir tant des syntagmes que des propositions.
29
10. Le fleuve a inondé les champs parce qu’il a plu pendant deux jours
Cette image, nous l’avons vu, est correcte tant qu’on se limite à la
subordination complétive, qui enchâsse une proposition-argument dans une
place prédéterminé par la valence du prédicat principal. En ce qui concerne
la subordination non complétive, l’idée peut être retenue tant que notre
attention se limite au squelette structural. Comme le montrent les
expressions (9) et (10), il est banalement vrai, par exemple, qu’une
proposition causale entretient avec le procès principal la même relation
qu’un circonstanciel de cause. Mais si nous envisageons la destination
fonctionnelle des structures syntaxiques, la phrase complexe destinée à
l’expression d’une relation transphrastique est un instrument radicalement
différent de la phrase simple.
La fonction d’une phrase simple consiste à mettre en forme un procès, et
vis-à-vis de cette fonction la structure de phrase n’a pas d’alternative. On
ne peut pas parler par mots juxtaposés ; les mots doivent être connectés
dans des syntagmes destinés à occuper des positions préétablies dans des
structures de phrase. Des considérations semblables valent en présence
d’une structure subordinative complétive, qui place des structures de
phrase dans les positions de sujet ou d’objet d’une seule phrase simple.
Dans le domaine des relations transphrastiques véritables, par contre, la
fonction d’une phrase complexe consiste à relier dans une structure
prédicative de rang supérieur deux ou plusieurs procès présentant chacun
une structure indépendante. Mais cette fonction, nous l’avons déjà
remarqué, n’est pas le privilège exclusif de la phrase complexe. Toutes les
structures suivantes, par exemple, expriment une relation de cause entre
deux procès simples, mais chacune le fait d’une façon qui lui est propre :
11. La neige a fondu parce que le föhn a soufflé pendant toute la nuit
12. Le föhn a soufflé pendant toute la nuit et la neige a fondu
13. Le föhn a soufflé pendant toute la nuit. La neige a fondu
14. Le föhn a soufflé pendant toute la nuit. A cause de cela, la neige a fondu
11. Dans le domaine des concepts cohérents, en d’autres mots, le codage est
parfaitement interchangeable avec l’inférence. Mais le codage est essentiel pour la
construction de connections incohérentes ou plus généralement conflictuelles, comme
par exemple (7) : Bien qu’il se soit levé tard, Luc a raté le train.
12. Pour un inventaire exhaustif du réseau d’implications entre les relations
transphrastiques basé sur les langues d’Europe, voir Kortmann (1997).
34
13. C’est sur ces présupposés et dans ces limites que l’on assiste à une réévaluation
raisonnable de certains aspects qualifiants de l’hypothèse Sapir-Worf : cf. par exemple
Gumperz, Levinson (1996).
36
17. J’ai loué une maison en Provence parce que je veux y passer les vacances
18. J’ai loué une maison en Provence pour y passer les vacances
19. J’ai loué une maison en Provence dans le but d’y passer les vacances
20. J’ai loué une maison en Provence dans l’intention d’y passer les vacances
21. J’ai loué une maison en Provence dans l’espoir d’y passer les vacances
22. J’ai loué une maison en Provence dans le désir d’y passer les vacances
23. Jean n’a pas pu terminer ses études. Ses parents sont trop pauvres
Dans de tels cas, l’inférence franchit une barrière formelle grâce à un pont
conceptuel, en l’absence d’un cadre grammatical. La connexion
transphrastique quitte le domaine des structures grammaticales pour
envahir le domaine de la cohérence textuelle.
Nous parlons de juxtaposition dans les cas où la relation conceptuelle
pertinente entre deux procès se réalise en l’absence d’un cadre grammatical
unifiant. Dans ce cas, aussi bien l’unification des procès que la mise en
place d’une relation sur le plan conceptuel sont issues d’un acte
d’interprétation de la part du destinataire.
La distinction entre codage et inférence renvoie en effet à une division
du travail entre locuteur et destinataire. La responsabilité revient au
locuteur en cas de codage, alors qu’elle est transférée sur le destinataire en
cas d’inférence. Dans les deux cas, à la fois le locuteur et le destinataire
font confiance à des structures partagées : au code, c’est-à-dire aux
ressources grammaticales et lexicales de la langue, mais aussi à un système
de structures conceptuelles et cognitives partagées a priori, et à des
données occasionnelles partagées dans les limites d’un acte de
communication donné.
Le travail d’interprétation accompli par le destinataire d’une
juxtaposition est bien illustré par la métaphore du bricolage (Lévi-Strauss
1962). Comme un bricoleur, le destinataire d’une juxtaposition nue ne peut
pas compter sur des moyens spécialisés, mais s’engage à atteindre son but
en ne comptant que sur les moyens de bord. Tout ce qu’il peut faire, c’est
valoriser au mieux ce qui lui est offert, sur le présupposé que le locuteur
veut bien lui communiquer un message cohérent14.
14. La juxtaposition est un bon exemple du fait que la cohérence d’un message est
indépendante de la mise en place de moyens cohésifs, et en premier lieu de relations
anaphoriques (sur la cohésion, cf. Halliday, Hasan (1976) et de Beaugrande, Dressler
(1981 : Ch. IV et V)). Comme le signale Conte (1977 : 15-17), la cohésion n’est une
condition ni nécessaire ni suffisante de la cohérence d’un texte, et en fait un destinataire
est en général prêt à recevoir comme cohérent un message du simple fait qu’il est
énoncé. Cf. Coates (1994 : 42-43) : « The evidence of real language data forces us to
make the distinction between coherence and cohesion, since much real language data
display coherence without cohesion [...] With or without the presence of formal textual
markers, we will attempt to interpret what we hear : we assume text is coherent ». Cf.
aussi Brown &Yule (1983 : § 2.4).
38
L’ordre des énoncés, finalement, n’est pas non plus reçu par l’interprète
comme une donnée accidentelle, mais interprété comme une donnée
signifiante. Il suffit que les procès admettent d’entrer dans une relation de
succession temporelle pour que l’ordre des énoncés se donne comme un
indice rigide de l’ordre des événements. Si César écrit veni, vidi, vici, c’est
parce que l’ordre des énoncés correspond à l’ordre des événements, comme
le souligne Jakobson (1966 : 27) : « Si la chaîne de verbes veni, vidi, vici
nous informe de l’ordre des actions de César, c’est d’abord et avant tout
que la séquence des parfaits coordonnés est utilisée pour reproduire la
succession des événements relatés ». S’il avait écrit vici, vidi, veni, l’ordre
des événement serait bouleversé.
15. Une fois que ce point a été éclairci, nous pouvons certainement continuer à
utiliser la notion de contexte pour identifier cette constellation de facteurs contingent
qui entrent dans la structure d’un champ d’interprétation et forment en même temps la
couche contingente, liée à la situation de discours, de facteurs motivant l’inférence
interne.
43
26. Il a beaucoup plu. Malgré cela, le blé n’a pas encore poussé.
27. Il a beaucoup neigé. A cause de cela, le toit de la maison s’est effondré
28. Jean aimerait passer ses vacances en Normandie. Dans ce but, il a acheté
le Guide Michelin
29. Il a beaucoup plu. Toutefois (cependant, pourtant) le blé n’a pas encore
poussé
30. J’ai acheté les clous. Ainsi, tu pourras réparer l’étagère.
16. Nous reviendrons plus bas (§ 3.4.2) sur la synergie entre conjonctions de
coordination et anaphore. Comme le remarque Dik (1968 : 34) la co-occurrence peut
être utilisée comme un test pour séparer les conjonctions, qui établissent une véritable
relation grammaticale, des adverbes, qui créent un lien de cohésion : « Given a particle
which might tentatively be regarded as a coordinator (in a structure like M1 co? M2)
consider the possibility of adding a further particle, the coordinator-status of which has
already been established. If this is possible (i. e., if there is a structure like M1 co co?
M2), then co? is not itself a coordinator. If this is impossible (and there are no further
counter-arguments), then co? is itself a coordinator. This test is based, of course, on the
premiss that two members can never be coordinated by more than one coordinator ».
45
36. Il a beaucoup plu. Malgré cette bénédiction, le blé n’a pas encore poussé.
3.4. Coordination
Chaque fois que, dans une structure coordinative, nous voyons une relation
plus complexe, cela veut dire que le contenu de la connexion est enrichi par
inférence. C’est le cas notamment de la succession temporelle (38), de la
cause (39) et de la concession (40) :
La conjonction mais18, pour sa part, code une relation adversative entre les
procès conjoints :
41. Jean a travaillé tout le temps mais Pierre n’a rien fait
18. Cela vaut pour l’un des emplois principaux de mais, à l’exclusion de l’emploi de
rectification (commun à l’allemand sondern et à l’espagnol sino) qui suit la négation
explicite d’une opinion rejetée par le locuteur : Jean n’est pas un cycliste mais un
gymnaste.
19. L’implicature conventionnelle (Grice 1975) d’opposition se caractérise du fait
qu’elle est à la fois systématique - son activation est requise systématiquement par la
sémantique de mais - et en elle-même vide de contenu : son contenu ne peut qu’être
déterminé à chaque emploi, à partir du contenu des expressions reliées, comme en (40),
ou même sur la base de connaissances partagées, comme en (41) : cf. Anscombre,
Ducrot (1977).
48
20. Un critère rigoureux pour isoler la charpente nucléaire des procès des rôles
accessoires relevant d’une grammaire des option est la spécification en dehors des
frontières de la phrase. Tous les rôles accessoires peuvent être détachés et réintroduits
dans le procès à l’aide de stratégies anaphoriques appropriés. Jean a coupé le bois avec
cette hâche, par exemple, peut devenir Jean a coupé le bois. Il l’a fait avec cette hache.
Pour les rôles nucléaires, cette option est exclue. Nous reviendrons sur l’emploi de ces
critères au Ch. III, § 2.
51
48. Jean est tombé malade seulement parce qu’il est sorti sous la pluie
49. Jean est (seulement) tombé malade. Il est (seulement) sorti sous la pluie
50. Jean est tombé malade. La seule raison en est qu’il est sorti sous la pluie
51. Jean est tombé malade, probablement parce qu’il est sorti dans la pluie
52. (Probablement) Jean est tombé malade. Il est (probablement) sorti sous la
pluie
53. Jean est tombé malade. La raison en est probablement qu’il est sorti sous la
pluie
54. Jean est tombé malade. La raison probable, c’est qu’il est sorti dans la pluie
21. La notion de dynamisme communicatif est définie par Firbas (1964 ; 1992).
22. La dissimétrie entre premier plan et fond (foreground et background) occupe
une place de relief dans la littérature fonctionnaliste sur la connexion transphrastique:
voir notamment Hopper (1979), Hopper, Thompson (1980), Reinhart (1984), Tomlin
(1985) et Thompson (1987). Les notions proches de figure et de fond, inspirées par la
psychologie de la Gestalt, ont été développées par Talmy (1978); (2000) et Croft (2001:
Ch. 9).
53
CHAPITRE II
2.2. La préposition
Nous verrons plus loin que le choix de la préposition peut être expliqué
comme l’effet de certaines restructurations.
3. LE SUBSTANTIF
La liste que nous venons de donner pourrait sans difficulté être étoffée.
Les quelques exemples cités suffisent à démontrer que les locutions sont
des suites impliquant une combinatoire. L’existence de paradigmes
constitue un argument de poids pour l’analyse des locutions que nous
proposons dans le présent chapitre.
4. LA DETERMINATION DE CE SUBSTANTIF
Pour la clarté de l’exposé qui va suivre, il nous faut faire une remarque
préalable sur la notion de détermination au sens où nous l’entendons ici.
Le fait de réduire l’analyse linguistique à une stricte combinatoire de
catégories grammaticales dans leur acception traditionnelle a bloqué la
recherche dans un grand nombre de domaines. Cette attitude a eu pour
conséquence qu’on a réduit la détermination à ceux des éléments que l’on
nomme habituellement déterminants : articles définis ou indéfinis, adjectifs
possessifs ou démonstratifs, etc. Or, des phrases comme :
Dans beaucoup de cas, il peut y avoir des suites d’un autre type. Soit les
deux phrases incomplètes Paul a eu une idée ; Paul a eu l’idée. La
première peut être complétée par un adjectif fonctionnant comme
modifieur, comme nous venons de le voir Paul a eu une idée intéressante.
60
Le
Paul a dit cela dans le but de convaincre
Paul a fait cela avec l’espoir qu’on le comprendra
Paul est revenu dans l’espoir de retrouver son chapeau
Un
Paul a dit cela dans un souci d’apaisement
Paul a pris ces mesures dans un but commercial
Paul a pris ces mesures à des fins commerciales
Zéro
Paul a dit cela sous prétexte d’informer son voisin
Paul a dit cela afin de plaire à son professeur
Nous reviendrons plus loin sur la corrélation qui existe entre la nature du
déterminant et la forme de la subordonnée. Quand ce déterminant est
l’article un, la subordonnée doit être la plupart du temps à la forme
61
3) le pronom là
D’ici à ce que Paul aille au cinéma, de l’eau coulera sous les ponts
D’ici là, de l’eau coulera sous les ponts
63
b. Pronominalisation de l’ensemble
1) le démonstratif :
2) certains adjectifs :
Si nous considérons dans le but de ou afin que comme des locutions qui
ont un statut de catégorie composée, que ferons-nous alors de ces suites où
la proposition subordonnée circonstancielle est remplacée par un adjectif
démonstratif ? En fait afin que et à cette fin sont rigoureusement identiques
du point de vue de leur structure, à cette différence près que dans un cas on
est en présence d’une détermination zéro qui annonce une information
nouvelle et, dans l’autre, d’une détermination qui réfère à une information
déjà connue de l’interlocuteur.
1) déterminants négatifs :
2) déterminants interrogatifs :
3) déterminants exclamatifs :
4) déterminants indéfinis
5) déterminants quantifieurs
5. FORMES DE LA SUBORDONNEE
Nous allons examiner ici les différentes formes que peut prendre cette
circonstancielle. Les grammaires usuelles signalent la forme conjuguée de
la phrase et la réduction infinitive. Cette dernière apparaît quand il y a
coréférence du sujet de la principale et de celui de la subordonnée :
Paul a pris ces mesures afin que l’espoir revienne dans le pays
Paul a pris ces mesures afin de rassurer le pays
6. UN SUBSTANTIF PREDICATIF
Paul(i) a agi ainsi. Paul(i) avait le désir que Paul(i) plaise à son père
Nous donnons ici quelques explications sur l’analyse que nous venons
de faire. Traditionnellement, les prédicats étaient identifiés aux verbes.
Cette position a deux inconvénients majeurs. D’une part, il existe un
certain nombre de verbes qui ne sont pas prédicatifs, comme par exemple,
les verbes auxiliaires, les verbes figurant dans les expressions verbales
figées (prendre le large, casser sa pipe) et les verbes supports dont nous
allons parler. D’autre part, il existe des prédicats relevant d’autres
catégories. C’est un fait connu que si l’on définit le prédicat comme le mot
de la phrase qui génère des arguments, on trouve des noms et des adjectifs
qui ont cette possibilité. Le verbe lire a comme argument sujet un humain
et comme objets un substantif de la classe des « textes » (article, roman,
poème) ou de la classe des « supports de texte » (journal, livre, magazine).
Dans ces conditions, on voit que dans la phrase Paul a fait la lecture de ce
roman, ce n’est pas le verbe faire qui sélectionne les arguments mais le
substantif lecture, qui a la même valeur prédicative que le verbe lire. Dans
ce cas, faire ne peut plus être considéré comme prédicatif : son rôle est
d’actualiser, de « conjuguer » le prédicat nominal. Nous appelons ces
verbes des verbes supports. Notre analyse diffère donc de celle que
développent entre autres J. Grimshaw (1990) et F. Kiefer (communication
70
personnelle). Ces auteurs postulent dans une phrase comme celle que nous
venons de donner deux notions de prédicats et d’arguments : faire serait le
prédicat syntaxique sélectionnant un certain type de sujet ou d’objet très
général, tandis que lecture serait le prédicat sémantique sélectionnant un
sujet humain et un objet « lisible ». A quoi on peut répondre que le verbe
faire peut être effacé sans qu’on touche au schéma d’arguments la lecture
de ce roman par Paul a été un événement et que les arguments postulés
pour ce verbe faire sont très labiles. Nous donnons ici les principales
propriétés des verbes supports.
Dans cette dernière séquence, le prédicat voyage n’est pas inscrit dans le
temps. On notera que cet effacement de l’actualisation s’observe aussi avec
les prédicats verbaux : on a alors une réduction infinitive : J’ai entendu
Paul qui descendait ; j’ai entendu descendre Paul. En revanche,
l’effacement d’un verbe prédicatif supprime de facto la phrase, puisqu’il ne
reste alors qu’une succession de deux substantifs, dans le cas d’un prédicat
verbal à deux arguments : *Paul Luc après effacement du prédicat dans
Paul a loué Luc.
c) Les transformations morphologiques (nominalisation, adjectivation,
"verbalisation") sont le fait des prédicats. Les verbes supports ne peuvent
faire l’objet d’un changement de catégorie. Les supports être, faire, avoir
n’ont jamais de forme nominale en tant qu’actualisateurs. De plus, quand
un verbe est associé à une forme nominale, cette dernière caractérise
71
Paul a voyagé
Paul a fait un voyage
2) verbe et nom
3) verbe et adjectif
4) nom et adjectif
Paul a de la gentillesse
Les analyses que nous avons faites montrent que les phrases complexes
comprennent non deux mais trois phrases. On en conclut que la
« locution », i.e. le prédicat nominal ne fait pas partie de la subordonnée.
Cette observation a pour conséquence que la phrase habituellement appelée
proposition subordonnée est l’argument-objet de ce prédicat nominal. Dans
les phrases Paul a acheté des actions, (il a, avec le désir, souhait) ; (il a,
dans l’intention) de s’enrichir, on voit clairement que le prédicat à
l’infinitif s’enrichir est l’objet (la complétive) des prédicats désir, souhait,
intention. Il n’y a donc aucune différence de statut entre une subordonnée
circonstancielle et une complétive. Celles qu’on y a vues viennent d’une
fausse analyse de la locution conjonctive. Cette hypothèse est confortée par
les propriétés que nous avons signalées plus haut : les circonstancielles
peuvent être pronominalisées tout comme les complétives : Je tiens à l’idée
qu’il est plus fort/Je tiens à cette idée là. Il est parti dans l’idée de se
venger/Il est parti dans cette idée là. L’analyse syntaxique que nous
faisons des phrases complexes est donc très différente de celle qui prévaut
dans la tradition grammaticale.
On conçoit qu’une phrase isolée comme Paul voulait nuire à Luc n’indique
pas, par elle-même, une finalité. Elle n’a cette interprétation que lorsqu’elle
constitue un lien entre une "phrase principale" désignant une action
humaine volontaire et consciente et un résultat attendu de la part de l’agent
par cette action même.
cela avec le désir de convaincre, l’accent est mis sur le verbe dire, du fait
qu’il est le seul qui soit actualisé. Mais ce n’est pas la seule combinaison
possible des trois prédicats. Le prédicat de la subordonnée peut être mis en
première position et de ce fait thématisé. On obtient alors :
Nous voudrions signaler que dans ces dernières phrases, il y a les mêmes
éléments lexicaux que dans la phrase complexe standard : un verbe
d’action volontaire de la part du sujet de la principale (dire), un prédicat
qui désigne l’objectif recherché (convaincre) et un prédicat (le prédicat
nominal désir), qui pourrait tout aussi bien être remplacé par le verbe
désirer ou l’adjectif désireux. Ce dernier relie les deux précédents et
indique que la relation entre les deux prédicats est recherchée par le sujet
de l’action.
On voit que la séquence appelée traditionnellement "locution
conjonctive" n’est qu’une des dizaines de paraphrases possibles mettant en
jeu un substantif prédicatif comme désir. Si l’on maintient, dans la théorie,
qu’une locution est une catégorie grammaticale de forme composée, alors
on passe sous silence les relations que nous venons d’établir : existence
d’un prédicat nominal dans la locution, possibilité d’actualiser ce prédicat
nominal à l’aide d’un verbe support, possibilité de substituer à la forme
nominale les formes verbales ou adjectivales (s’il y en a) qui lui sont
associées. Ces analyses sont confirmées par la pratique de la traduction :
une relation transphrastique y est confrontée à un large éventail d’options,
parmi lesquelles il convient de choisir la plus adéquate à la structure
textuelle préférée dans la langue d’arrivée.
76
77
CHAPITRE III :
4. Jean a acheté les clous parce qu’il avait l’intention de réparer l’étagère
1. CAUSE ET MOTIFS
La distinction entre la cause et les motifs se fonde sur l’un des piliers de
notre image partagée du monde, à savoir la distinction entre l’ordre
empirique des enchaînements d’événements dans le monde des
phénomènes et l’ordre moral et projectuel de l’action des sujets - entre le
domaine de la nécessité factuelle et le royaume de la liberté et de la
responsabilité des sujets23. Mais si nous envisageons cette même
distinction conceptuelle du point de vue de son expression linguistique
dans la phrase complexe, nous l’avons déjà remarqué, il se produit un
phénomène apparemment paradoxal. L’éventail des moyens d’expression
des motifs inclut la totalité des moyens d’expression de la cause, de façon
que l’expression des uns se confond très facilement avec l’expression de
l’autre.
Toutes les conjonctions de subordination engagées dans l’expression de
la cause s’utilisent aussi bien pour l’expression des motifs, de façon que,
dans les cas standards de phrases complexes, la forme de l’expression
neutralise la différence conceptuelle elle-même, et qu’aucun obstacle
linguistique n’interdit de voir dans le motif une espèce de cause.
S’il ne s’agissait que de structure de la phrase complexe, on pourrait
ignorer jusqu’à la différence entre les hommes et les pierres (Danto 1965
(1968 : 43)). C’est d’ailleurs avec un sentiment partagé entre
l’émerveillement et l’ironie qu’Aristote signale la polyvalence du pourquoi
interrogatif : « En dernier lieu, c’est la fin ; c’est-à-dire, la cause finale :
par exemple, la santé est la cause de la promenade ; en effet, pourquoi se
23. Dans la Critique de la raison pure, II partie, Livre II, sect. IX, § III, Kant
distingue la causalité « selon la nature », qui impose des connexions nécessaires à la
succession temporelle des phénomènes de l’expérience externe, et la causalité
« émanant de la liberté », qui impose une forme au réel grâce à la capacité du sujet de
projeter des actions inspirées d’idées.
79
promène-t-il ? c’est, dirions-nous, pour sa santé, et, par cette réponse, nous
pensons avoir donné la cause24 ». Ce qu’Aristote signale à propos de
pourquoi vaut aussi pour parce que, pour comme, et en général pour toutes
les conjonctions de subordination dites causales, et c’est peut-être la raison
pour laquelle la distinction entre causes et motifs est inconnue des
grammairiens : la description grammaticale tend à ignorer les distinctions
conceptuelles qui ne vont pas de pair avec des distinctions grammaticales.
Or, la distinction entre causes et motifs n’est pas expressément tracée par
les distinctions grammaticales, mais tacitement présupposée.
Si nous analysons avec soin la relation entre causes et motifs dans toutes
ses composantes tant matériellement codées par la langue que
présupposées, nous pouvons peut-être avancer une justification profonde
de cette ambivalence de l’expression à l’égard d’une distinction
conceptuelle-clé : la langue peut très bien se passer de coder les
distinctions catégorielles fondamentales que non seulement la
communication interhumaine, mais le jeu même de l’existence sur la
surface de la terre présuppose comme indiscutablement partagées. Pour
réaliser qu’un homme n’est pas une pierre, et pour se comporter
différemment à l’égard de l’un et de l’autre, personne n’attend le feu vert
d’une catégorisation linguistique spécifique et explicite. Réciproquement,
la catégorisation linguistique assume à son tour ce système de présupposés
comme allant de soi, et bâtit sur lui ses édifices conceptuels plus
spécifiques comme sur un fondement inébranlable. Chaque fois qu’une
conjonction comme parce que est employée dans le discours réel, par
exemple, elle apparaît nécessairement dans un milieu conceptuel cohérent -
le monde des phénomènes ou l’action intentionnelle de l’être humain – qui
nous aiguille chaque fois dans le bon sens :
Cela vaut, en gros, pour la phrase complexe formée par une proposition
principale et une proposition dite causale. Mais l’expression de la cause et
des motifs ne se limite pas, nous l’avons vu, à la phrase complexe. A partir
de cette prémisse, il est raisonnable de se demander si d’autres moyens
24. Aristote, Physique (I – IV), Texte établi et traduit par Henri Carteron, septième
édition, Les Belles Lettres, Paris, 1990 : 194b.
80
25. Austin (1956(1968 : 27)) a raison de nous rappeller que l’analyse des concepts
ne peut pas se passer de l’analyse soignée des expressions : « Ordinary language is not
the last word : in principle, it can everywhere be supplemented and improved upon and
superseded. Only remember, it is the first word » ; « When we examine what we should
say when, what words we should use in what situation, we are looking again not merely
at words (or ‘meanings’, whatever they may be) but also at the realities we use the
words to talk about : we are using a sharpened awareness of words to sharpen our
perception of, though not as final arbiter of, the phenomena » (Austin 1956(1968 : 25).
Il ne faut pas oublier, notamment, que l’emploi des mots n’est pertinent pour l’analyse
des concepts que s’il est préalablement tenu pour cohérent. Il est évident que les mots
peuvent être utilisés indifféremment pour construire des procès cohérents et
incohérents. Il est aussi évident que l’étude des concepts incohérents est essentiel pour
expliciter ex negativo les conditions de la cohérence des concepts. Mais il est tout aussi
clair que seuls les emplois cohérents donnent des aperçus sur la structure réelle de nos
concepts partagés. C’est la raison pour laquelle des propos comme le suivant ne peuvent
pas être partagés : « Nor does the ascription of responsibility serve to distinguish human
action from the action of a physical object, for we can as properly say, without any trace
of animism, that the wind is responsible for the damage to the window as that a person
is responsible for it » (White 1968 : 5). Le fait de prédiquer le concept de responsabilité
du vent n’implique pas l’attribution d’une responsabilité au vent. L’attribution de
responsabilité n’est pas une démarche linguistique mais une question de cohérence.
L’analyse des concepts n’est pas un simple enregistrement d’expressions linguistiques
mais une évaluation de ce qu’on peut dire à la lumière des conditions de cohérence.
82
2. LA CAUSE
a) il y a eu effectivement un court-circuit
b) la maison a effectivement brûlé
c) le court circuit a fait que la maison brûle
28. L’implicitation n’est pas une relation empirique, portant sur la vérité factuelle de
certaines propositions, mais une relation éidétique, visant la cohérence de la connexion.
En effet, une relation cohérente de cause ne peut être envisagée que si les deux
événements qui la forment se sont effectivement produits.
29. Voir par exemple Scriven (1964 : 408), « Causes are not necessary, even
contingently so, they are not sufficient - but they are, to talk that language, contingently
sufficient [...] They are part of a set of conditions that does not guarantee the outcome,
and they are non-redundant in that the rest of this set [...] is not alone sufficient for the
outcome. It is not even true that they are relatively necessary, i. e., necessary with
regard to that set of conditions rather than the total circumstances of their occurrence,
for there may be several possible replacements for them which happen not to be present
[...] a cause is a factor from a set of possible factors the presence of one of which (any
one) is necessary in order that a set of conditions actually present may be sufficient for
the effect ».
84
30. Une condition nécessaire mais non suffisante ne semble pas entrer en ligne de
compte dans le discours naturel, car elle n’a de conséquence qu’en conjonction avec
une cause (quasi) suffisante.
86
31. Sur ces prémisses, il n’est pas étonnant que toute tentative de définir le concept
naturel de cause en termes de conditions soit vouée à la contradiction. Le concept de
cause, qui est parfaitement cohérent si ses conditions d’emploi appropriées sont
évaluées dans chaque cas par un usager intelligent, devient incohérent si l’on prétend lui
imposer une définition rigide, à la portée d’une machine. Cfr. Sosa (1975 : 19).
87
Anscombe (1975) considère que la notion de cause est un primitif conceptuel qui ne
peut pas être analysé – une idée partagée dans le domaine de la sémantique linguistique
par Wierzbiecka (1996 : 186-188). Le fait que la notion de cause ne puisse pas être
définie explicitement et de façon cohérente en termes de conditions, cependant,
n’implique pas que le concept naturel de cause ne puisse pas être décrit dans son
fonctionnement réel dans le discours. Le concept naturel de cause échappe à la
contradiction non pas parce qu’il la résout, mais parce qu’il dissout les conditions
conceptuelles qui la produisent.
88
même temps que ce n’est qu’une cause parmi d’autres, et que d’autres
causes pourraient aussi bien provoquer l’effet envisagé ?
L’aspect le plus remarquable du raisonnement hypothétique naturel est
le fait que sa cohérence n’est à chercher ni au niveau des valeurs de vérité,
comme dans l’implication matérielle de la logique, ni seulement dans la
pertinence d’une relation de cause entre les procès reliés, mais dans l’acte
même d’énonciation. Par-delà la cohérence de la relation sur le plan
conceptuel, un acte d’énonciation n’est cohérent que s’il communique un
contenu reçu comme informatif, et donc non tautologique. Or, affirmer que
p est une condition de q - que la grêle est une condition de la perte de la
vendange - en impliquant en même temps que q peut suivre non-p aussi
bien que p – que la perte de la vendange peut se produire en l’absence de la
grêle aussi bien qu’en sa présence - revient pragmatiquement à une
tautologie32. C’est pour ce genre de raisons, liées essentiellement à la
cohérence de l’acte d’énonciation, que le conditionnel simple utilisé dans
le discours naturel véhicule un implicite de biconditionnalité - S’il ne grêle
pas, la vendange n’est pas compromise – qui sauvegarde la cohérence de
son énonciation à condition de s’éloigner de la logique de l’implication
matérielle pour s’approcher de l’implication double.
2. Luc a puni son fils parce qu’il n’a pas fait ses devoirs
2a. Luc a puni son fils. *Cela s’est produit parce qu’il n’a pas fait ses devoirs
3. J’ai pris un parapluie parce qu’il va pleuvoir
3a. J’ai pris un parapluie. *Cela s’est produit parce qu’il va pleuvoir
4. J’ai pris un parapluie parce que je veux sortir
4a. J’ai pris un parapluie. *Cela s’est produit parce que je veux sortir
6. J’ai creusé une rigole parce que je veux que l’eau s’écoule du jardin
6a. J’ai creusé une rigole. *Cela s’est produit parce que je veux que l’eau
s’écoule du jardin
2. Luc a puni son fils parce qu’il n’a pas fait ses devoirs
2b. Luc a puni son fils. Il l’a fait parce que celui-ci n’a pas fait ses devoirs
3. J’ai pris un parapluie parce qu’il va pleuvoir
3b. J’ai pris un parapluie. Je l’ai fait parce qu’il va pleuvoir
35. L’astérisque (*) n’est donc pas à interpréter comme signe d’agrammaticalité,
mais comme signe d’incohérence conceptuelle.
95
procès antécédent, parce qu’il refuse une reprise effaçant ses propriétés
conceptuelles qualifiantes, mais aussi qu’il est interne à sa structure, et
donc incompatible avec une reprise qui traite l’antécédent comme un
procès déjà clos. Ces intuitions sont confirmées par les propriétés du pro-
prédicat le faire.
Dans la tournure en faire, un prédicat générique - le faire, faire cela -
reprend un prédicat plus spécifique : par exemple, creuser une rigole. La
reprise neutralise la structure interne du prédicat antécédent, liée à la
valence du verbe spécifique remplacé, mais préserve à la fois les aspects
pertinents du contenu conceptuel du procès – il s’agit d’une action - et son
articulation interne en sujet et prédicat. La première propriété de la reprise
est cohérente avec le fait qu’un motif s’associe à toute action,
indépendamment de la structure interne de celle-ci. La seconde est
cohérente avec le fait qu’un motif ne peut pas être assimilé, comme la
cause, à une circonstance encadrant un procès de l’extérieur, mais trouve sa
place à l’intérieur du procès, aux marges du prédicat.
Le fait que le pro-prédicat le faire neutralise la structure interne du
prédicat antécédent l’empêche en même temps d’accueillir les
compléments et les propositions complétives, dont la spécification
demande la présence du terme prédicatif même qui les contrôle. Un bon
exemple de ce comportement est fourni par un groupe de propositions
complétives qui sont régies par des verbes qui dénotent des actions
finalisées et reçoivent, de ce fait, un contenu final au sens large :
relations complétives des relations non complétives, que pour tracer des
distinctions pertinentes à l’intérieur des formes non complétives.
D’une part, les propositions complétives ne se laissent pas spécifier en
dehors du noyau du procès, comme le montrent les exemples (6) à (9).
De l’autre, les propositions non complétives peuvent être différenciées
sur la base de la forme de reprise qu’elles acceptent : le substitut
d’événement sujet de se produire, ou le proprédicat le faire respectivement.
Du fait qu’ils se laissent couper du procès principal, le motif et la cause
se qualifient en bloc comme des expressions non complétives :
7. Bien que je lui aie écrit trois lettres, Jean ne m’a pas répondu
8. Même s’il a perdu son travail, Julien n’a pas limité ses dépenses
Cela dit, il est clair que l’antécédent d’une action n’est pas l’action ou
l’événement qui la provoque matériellement, mais la décision du sujet de
reconnaître dans cet événement ou dans cette action un motif pour agir.
Au moment de décider, le sujet évalue des faits passés - Je te punis
parce que tu n’a pas fait tes devoirs - ou prévoit des événements futurs - Je
reste à la maison parce qu’il va pleuvoir - ou encore il projette une action
ou un événement dans le futur : Je me suis habillé parce que je veux sortir ;
99
J’ai creusé une rigole parce que je veux que l’eau s’écoule du jardin.
Aucun des procès évalués, prévus ou projetés n’est un motif en dehors de
la décision de l’agent. Il n’y a pas de motifs en soi et pour soi - il n’existe
de motif que s’il y a des décisions des sujets. Si une action doit être
comprise et expliquée par ses motifs, le foyer doit par conséquent se
déplacer de l’antécédent en soi - de l’événement externe qui, comme une
cause, provoquerait l’action - au mécanisme décisionnel interne au sujet
qui change l’événement externe en motif.
Dans ce cadre, tout l’arsenal conceptuel créé pour l’analyse du concept
de cause perd son sens. L’enchaînement des motifs et des actions se
soustrait à tout caractère nomothétique : la décision d’un sujet peut
répondre à des tendances statistiques mais n’est jamais, par définition,
l’instance d’une règle. En présence d’une évaluation et d’une décision, il
est contradictoire de parler de conditions suffisantes ou nécessaires et
suffisantes de l’action. Pour parler des motifs sans tomber dans
l’incohérence, il faut donc sortir du domaine des conditions pour s’installer
dans une constellation de concepts étrangers à l’idée de cause, tels que
décision, liberté, responsabilité, conscience. Cette constellation de
concepts, que nous utilisons pour la description cohérentes de la
motivation, coïncide essentiellement avec les termes prédicatifs dont notre
recherche se propose d’étudier la distribution.
le fait que le garage soit vide n’est pas le motif pour lequel Jean est sorti,
mais le motif pour lequel le sujet de l’énonciation pense et dit que Jean est
sorti.
La présence de structures linguistiques vouées à l’expression du motif de
l’action de dire avait été signalée par le Groupe l-l (1975) et par Danes
(1985). La catégorie du motif du dire a été ensuite analysée d’une façon
plus fine par Sweetster (1990 : Ch. 4) et plus récemment par Verstraete
(1998 ; 1999), qui approfondit les implications linguistiques de la
distinction. A côté d’exemples comme (7), qui décrivent un acte
d’inférence accompli par le locuteur, nous trouvons des exemples comme
100
7b. Jean est sorti. *Il l’a fait parce que le garage est vide
7c. *C’est parce que le garage est vide que Jean est sorti
8b. C’est parce que le garage est vide que je pense que Jean est sorti
8c. Je pense que Jean est sorti. Je fais cela parce que le garage est vide
9b. Les taxis sont volontairement jaunes pour qu’on les reconnaisse mieux
10b. Ce texte est volontairement hermétique pour que les non-initiés ne le
comprennent pas
9c. Les taxis ont été peints en jaune. Cela a été fait pour qu’on les reconnaisse
mieux
10c. Ce texte a été écrit de façon hermétique. Cela a été fait pour que les non-
initiés ne le comprennent pas
Dans les exemples analysés ci-dessus, la présence d’un agent est en tout
cas accessible par inférence, et le but finit ainsi par coïncider avec le
contenu d’une intention, comme le demande la structure cohérente de la
finalité. Si la propriété ou l’état attribué au sujet du procès principal ne sont
pas envisageables comme le résultat d’une action intentionnelle, par contre,
le contenu final de l’expression finale ne peut pas être sauvegardé de façon
cohérente. Une alternative se présente à ce point : ou bien le contenu final
107
Comme le procès principal n’est pas une action, et que son sujet est un
végétal incapable de décision, la finalité canonique n’est pas activée. En
même temps, la relation finale n’est ni interprétée métaphoriquement ni
démantelée, mais plus simplement redéfinie. La finalité est dissociée de
l’intention, de la délibération et de l’action humaine, et transférée dans
l’ordre des phénomènes, et donc dans le domaine d’élection de la causalité.
Il s’agit d’un concept de finalité indépendant, qui coexiste sans interférence
avec le concept prototypique de finalité liée à l’action humaine. La
cohérence de la finalité objective n’est pas soumise à la recouvrabilité
d’une intention, mais à la pertinence de la relation entre structures et
fonctions. L’idée d’un ordre téléologique dans la nature, et notamment
dans le monde des organismes vivants, est en effet notre façon partagée et
spontanée de catégoriser l’adéquation entre la structure des êtres et leurs
fonctions. La nourriture des arbres, par exemple, fait certainement partie
des fonctions des racines. De ce fait, la façon la plus naturelle de
catégoriser la fonction des racines consiste à la voir comme si c’était le but
en vue duquel leur présence dans la structure de l’arbre se justifie. Au fur
et à mesure que le lien entre structure et fonction devient opaque, la
relation finale se fait paradoxale, comme dans la phrase de Bernardin de
108
16. Jean est tombé malade au mois de mars pour mourir au début de l’été
17. La voiture a dérapé pour terminer sa course dans un pré
Tout ce qu’on retient de ces constructions, cependant, c’est l’idée que les
événements se succèdent dans un certain ordre. De la forme finale, il ne
reste donc qu’une coquille vide, incapable d’imposer une forme aux
concepts par-delà leur cohérence.
Les structures de forme finale qui refusent toute interprétation finale,
cohérente ou métaphorique, ont une valeur stratégique dans la description,
car elles témoignent du rôle actif joué par la structure conceptuelle
cohérente de la finalité dans la construction des relations finales. En
l’absence des conditions conceptuelles requises, la forme finale pour +
infinitif ne suffit pas à mettre en place une relation finale. La relation finale
suggérée est alors démantelée grâce à un parcours inférentiel qui reparcourt
à rebours le chemin de l’enrichissement. De son contenu ne survit que
l’orientation prospective (cf. Ch. III, § 2.1).
18. Je me suis levé tôt parce que je voulais prendre le premier train
18a. Je me suis levé tôt pour prendre le premier train
19. J’ai acheté des clous parce que je veux que Pierre répare la palissade du
jardin
19a. J’ai acheté des clous pour que Pierre répare la palissade du jardin
20. J’ai arrosé le jardin parce que je veux que l’herbe pousse
20a. J’ai arrosé le jardin pour que l’herbe pousse
Ce n’est que dans un cas tout à fait spécial, quand le but est enchâssé
comme un argument dans un procès intrinsèquement complexe, que le
contenu du but est restreint à une action. Cela se passe en présence de
prédicats dénotant des actions intrinsèquement finalisées, qui visent à
influencer le comportement du sujet même ou d’un tiers (cfr. Ch. III, §
2.3) :
26. J’ai frotté l’allumette pour allumer le feu, mais je n’ai pas réussi
27. Il nous a dit cela pour nous convaincre, mais il n’a pas réussi
motifs prospectifs n’est pas requise pour la cohérence d’une relation finale.
Une cause est par définition un événement qui s’est produit. Un événement
qui ne s’est pas produit ne peut pas être une cause, mais seulement, le cas
échéant, une condition. Dans le cas du but, la structure temporelle de
l’attitude intentionnelle dissocie la réalité de l’intention – le fait qu’un sujet
veut réellement quelque chose à un moment donné – de la réalisation
pratique de son contenu visé – du fait que ce qui est voulu se réalise
effectivement dans l’ordre empirique. Or, ce n’est pas la réalisation du
contenu de l’intention qui motive l’action, mais la présence de l’intention,
ce qui fait qu’il n’est pas incohérent qu’une action soit motivée par un
contenu intentionnel voué à l’échec. Au moment où l’action principale est
accomplie, le but n’est que le contenu d’une intention, qui est par définition
non factuel. S’il était réalisé au moment de la décision, il ne serait ni le
contenu d’une intention ni le but de l’action principale qui vise son
accomplissement. Ce qui est requis pour la mise en place d’une relation
finale cohérente, ce n’est donc pas la réalisation du contenu, mais
simplement la présence réelle d’une intention, qui est soulignée par la
forme d’expression causale :
28. J’ai acheté le Guide Vert parce que je veux organiser mon voyage
30b. Etant donné que vous voulez empêcher les fuites de gaz, je vous conseille
de tourner la vis à droite
31. Pour organiser son voyage, Jean a acheté le Guide Vert
31a. Comme il veut organiser un voyage, Jean a acheté le Guide Vert
31b. *S’il veut organiser son voyage, Jean a acheté le Guide Vert
32. Pierre s’est couché tôt pour rester éveillé toute la nuit
33. Pierre s’est couché tôt pour se reposer mais il est resté éveillé toute la nuit
CHAPITRE IV
L’EXPRESSION DE LA FINALITE
DANS LA PHRASE COMPLEXE
39. Le concept de perspective ne doit pas être entendu ici dans le sens pragois de
perspective communicative du message (cf. par exemple Mathesius 1928, Danes 1974,
Firbas 1974 ; 1992) mais comme prospective du procès dans le sens de Fillmore et de la
linguistique fonctionnelle et cognitive (cf. Fillmore 1977 ; Dik 1989 : je renvoie pour
une discussion à Prandi 2001). Pourvu qu’une expression linguistique porte à
l’expression une structure conceptuelle donnée, on appelle mise en perspective le fait
que certaines sections de la structure conceptuelle exprimée sont investies par
l’expression plus directement que d’autres. L’idée est que plusieurs expressions peuvent
de ce fait restructurer de façon différente l’équilibre interne d’une structure
conceptuelle sans pour autant en compromettre l’identité de fond : « The verb hit - for
instance - fits scenes in which something comes into abrupt contact with something
else, including those in which some agent manipulates the first of these objects. In the
114
1. Luc a puni son fils parce qu’il n’a pas fait ses devoirs
1a. Luc a décidé de punir son fils parce qu’il n’a pas fait ses devoirs
1b. Luc a puni son fils parce qu’il a vu qu’il n’a pas fait ses devoirs
1c. Luc a décidé de punir son fils parce qu’il a vu qu’il n’a pas fait ses devoirs
Dans le cas de codage maximal (1c), toutes les composantes d’un motif
rétrospectif sont codées. Dans le cas de codage minimal (1), l’expression
ne se différencie en rien de celle de la cause, et tout ce qui qualifie le motif
– la perception et la décision de la part du sujet agent - n’est accessible que
par inférence, à partir du contenu des propositions reliées et sur le fond du
modèle conceptuel de l’action cohérente. Il va sans dire que l’usager
moyen préfère la forme simplifiée, qui ne se double d’aucun codage
ouvert, perçu comme redondant, des composantes conceptuelles facilement
accessibles par inférence.
three-elements hitting scene, the agent or causer of this event appears as the subject, but
apparently either of the other two entities can be realized in the direct object position.
That is, we can say either ‘I hit the cane against the fence’ or ‘I hit the fence with the
cane’ » (Fillmore 1977 : 96). Si nous passons de la phrase simple à la phrase complexe,
quelque chose de semblable se passe dans le cas de la forme causale et de la forme
finale : deux formes d’expression différentes envisagent différemment une structure
conceptuelle qui reste dans l’essentiel la même, à savoir un motif coïncidant avec une
intention.
115
La forme causale admet que l’on mette l’accent à la fois sur l’intention
et sur la décision. Mais il est intéressant de remarquer qu’en présence
40. Il faut remarquer ici un fait intéressant au sujet du décalage entre relations
temporelles et temps verbaux : il est possible que l’expression de la prévision reçoive
un temps verbal postérieur à celui de l’action principale, qui dans l’ordre empirique suit
sa formulation : J’ai pris le parapluie parce que je prévois qu’il va pleuvoir. Cela
signale le fait que la prévision, une fois formulée dans le passé, continue à ête tenue
pour valable au moment de l’acte de parole, qui suit l’action principale motivée par la
prévision. La même distribution des temps verbaux se trouve dans le domaine de la
causalité si le procès-cause est duratif. Un énoncé comme L’eau a gelé parce qu’il fait
froid, par exemple, exprime un lien causal cohérent du fait que le froid est un état
duratif, qui s’est mis en place dans le passé mais subsiste dans le présent de l’acte de
parole, comme le signale le temps verbal. Ces phénomènes exemplifient les
implications aspectuelles des temps verbaux et l’interaction entre temps verbaux et
Aktionsart des lexèmes verbaux. Le présent déictique, par exemple, se limite à affirmer
que le procès décrit subsiste au moment de l’acte de parole, sans rien affirmer ni exclure
au sujet du passé et du futur. Ce vide de codage sera comblé, le cas échéant, par des
inférences tirées de l’Aktionsart inhérente des différents procès. Dans les énoncés (1) Il
fait froid et (2) La nuit tombe, par exemple, la coupe transversale du procès opérée par
la forme verbale nous montre un simple point. Dans le cas de (2), nous savons que ce
point n’est qu’un point, ou au maximum la coupe transversale d’un court segment ;
dans le cas de (1), par contre, nous savons que ce point est la coupe transversale d’une
ligne dont le début et la fin restent indéterminés.
116
Une fois qu’elle fait place à l’intention du sujet, la forme causale ouvre
un paradigme très riche d’expressions différentes, en fonction du terme
prédicatif choisi et de sa réalisation linguistique comme verbe, nom ou
adjectif. Le terme prédicatif, pour sa part, peut aussi bien moduler
l’intention dans toutes ses variantes que mettre en relief ses racines
intellectuelles ou émotives :
………………………………
3n. J’ai pris le parapluie parce que j’ai l’espoir de sortir
En même temps, il est évident que le but ne se réduit pas à une simple
forme d’expression parmi d’autres, mais impose au motif prospectif une
perspective spécifique. En particulier, la forme finale se différencie de la
forme causale sur deux points.
En premier lieu, les deux formes présentent une orientation temporelle
opposée : dans la forme finale, le motif n’est pas catégorisé comme une
espèce de cause qui du passé pousse le sujet à l’action mais comme un
objectif qui du futur attire le sujet vers l’action.
Ensuite, la forme finale comporte un dosage différent de contenu
explicité et de contenu implicite. Une expression comme (4), par exemple,
ne fait aucune référence explicite aux intentions du sujet et à ses décisions,
qui sont pourtant nécessairement inférées, sous peine d’écroulement de la
relation finale elle-même. Une relation finale, quelle que soit son
expression, ne peut pas ne pas inclure dans son contenu l’intention et la
décision d’un sujet. Mais cela n’implique pas que ces composantes soient
nécessairement codées dans l’expression.
L’identité du noyau conceptuel justifie le fait que la forme d’expression
causale et la forme d’expression finale occupent la même position aux
marges du procès (§ 1.2.1).
Les caractères spécifiques des expressions, pour leur part, justifient
l’imposition de perspectives différentes au noyau conceptuel partagé (§§
1.2.2).
118
3a. J’ai pris le parapluie. *Cela s’est passé parce que je veux sortir
4a. J’ai pris le parapluie. *Cela s’est passé pour sortir
3b. J’ai pris le parapluie. Je l’ai fait parce que je veux sortir
4b. J’ai pris le parapluie. Je l’ai fait pour sortir
Quand le motif est exprimé par une forme causale, tous ses moments
essentiels sont en pleine lumière, comme dans un monde surréel sans
ombres. Quand elle est exprimée par une forme finale, au contraire, la
structure conceptuelle est en partie illuminée et en partie dans l’obscurité,
comme dans un tableau du Caravage. Bien sûr, l’admirateur d’un tableau
de Caravage reconstitue idéalement les parties cachées des personnages et
des scènes grâce à sa maîtrise d’un modèle partagé des êtres et des
situations. De la même façon, une phrase complexe de forme finale ne peut
être interprétée comme l’expression d’une action finalisée que si les
composantes conceptuelles cachées dans l’ombre – l’intention et la
décision du sujet – sont accessibles de quelque façon que ce soit (voir §
2.1). Mais il n’en reste pas moins vrai que ces composantes, dans la forme
finale, sont repoussées hors de la scène.
approprié : dans notre exemple, le verbe vouloir. Par rapport à une forme
comme (4), nous sommes donc aux antipodes. Si (4) code une perspective
finale très spécifique et laisse dans l’ombre l’intention du sujet, (5) code
l’intention d’un sujet, grâce à la présence du verbe vouloir, mais n’impose
pas à l’action finalisée une perspective unitaire, et à plus forte raison une
perspective finale spécifique.
Entre la juxtaposition - ouverte à l’expression de l’intention du sujet
mais dépourvue de toute perspective finale - et la forme finale canonique -
qui sacrifie à la perspective l’expression ouverte de l’intention du sujet -
s’ouvre un espace intermédiaire où l’intervention de différents termes
prédicatifs, chacun avec son contenu spécifique, permet à chaque forme
d’expression de choisir l’emplacement de son propre édifice sémantique41.
D’une part, l’orientation décidément prospective de la phrase complexe
de forme finale peut être atténuée, et se doubler d’un détour par le passé de
l’intention et de la délibération si seulement un nom prédicatif approprié
est incorporé dans la locution prépositionnelle :
41. Toute mince qu’elle puisse apparaître à la suite d’une certaine paresse
terminologique, la distinction entre structures conceptuelles et structures sémantiques
est essentielle, et entraîne toute une philosophie des formes symboliques. Une structure
conceptuelle peut être conçue indépendamment des formes linguistiques, qui se limitent
à la porter à l’expression. Par conséquent, elle n’a pas besoin d’un codage linguistique
ouvert, mais admet d’être inférée. Une structure sémantique, par contre, est le contenu
spécifique d’une forme linguistique, indissociable de celle-ci.
123
Quand le procès principal n’est pas une action accomplie en vue d’un
but, en revanche, tout lien entre la forme finale et le contenu final se
dissout. Des exemples comme (7) et (8) sont normalement interprétés
comme s’ils n’exprimaient rien de plus qu’une relation de succession
temporelle, en gros comme les paraphrases (7a) et (8a) :
p, qui n’exprime donc pas le procès principal - et qui en plus, dans ce cas,
n’exprime même pas une action - mais coïncide avec le locuteur – avec
l’agent de l’action de dire, qui est donc l’action principale.
Comme l’expression du motif du dire, l’expression du but du dire
n’accepte ni d’être détachée par le faire ni d’être clivée :
11a. Je te dis que ton projet m’inquiète. Je le fais pour parler franc
11b. C’est pour parler franc que je te dis que ton projet m’inquiète
d’une part, les verbes exprimant un effort du sujet et les verbes directifs42
de l’autre :
43. Les verbes comme aller se distinguent de verbes comme se promener du fait
que les seconds, tout en comportant un déplacement dans l’espace et l’aptitude à
recevoir une destination ou un but, ne catégorisent pas ce mouvement comme étant
intrinsèquement dirigé vers une destination ou vers un but. Le mouvement qu’ils
dépeignent est pour ainsi dire intransitif. De ce fait, ils peuvent recevoir un but externe
– Marie se promène pour rester en forme – mais ne sont pas intrinsèquement orientés
vers un but : *Marie se promène acheter le pain.
132
27. J’ai pris l’argent pour acheter ce manuel pour préparer l’examen
28. *Je te conseille d’acheter ce manuel de préparer l’examen
44. Il est à remarquer que les verbes de communication, et en premier lieu dire,
admettent, à côté d’emplois liés à l’information et à la question, un emploi directif.
L’emploi informatif confie le contenu à une complétive en que + indicatif, alors que le
contenu de la directive est confié à une proposition complétive à l’infinitif : J’ai dit à
Jean que son père est parti ; J’ai dit à Jean de m’envoyer l’article avant samedi. J’ai
demandé à Jean de m’envoyer son article avant samedi. J’ai demandé à Jean s’il m’a
envoyé son article.
135
chapitres, nous allons élargir notre domaine d’étude au-delà des limites de
la phrase complexe, et aborder l’étude des termes prédicatifs engagés dans
l’expression de la finalité.
136
137
CHAPITRE V
5) coups : donner
142
Pour rendre compte des prédicats, nous avons montré plus haut qu’il est
nécessaire de subdiviser les substantifs-arguments à deux niveaux
différents, celui des hyperclasses et celui de classes d’objets. Le sujet d’un
verbe comme réfléchir peut être n’importe quel humain. On dira donc que
ce verbe est un prédicat général de la classe des humains tout comme
ordonner, prier, raconter, sangloter, etc. De même, des prédicats comme
avoir (une surface de), avoir (une étendue de) peuvent s’appliquer à tous
les locatifs et seront donc considérés comme des prédicats (ou des
opérateurs) généraux de ce groupe. Un prédicat général est celui qui, dans
une position argumentale donnée, accepte tout substantif défini par une
hyperclasse (humain, animal, locatif, etc.).
On appellera prédicat approprié un prédicat qui, dans une de ses
positions argumentales, nécessite un substantif relevant, non de
l’hyperclasse en général, mais d’un de ses sous-ensembles, appelé classe
143
Nous allons appliquer aux substantifs qui figurent dans les locutions
conjonctives l’outil théorique que nous venons de présenter. Nous ferons
ainsi un pas de plus dans la compréhension des mécanismes qui sous-
tendent les subordonnées circonstancielles et, en particulier, les finales.
Prenons, dans la liste des substantifs relateurs de finalité que nous
fournissent les grammaires, les quatre substantifs suivants : but, vue,
intention et désir, que l’on peut illustrer par les phrases suivantes :
Le caractère locatif du substantif but est bien établi sur la base d’un
exemple comme Tu es encore loin du but. Mais il s’agit d’un type
particulier de locatif. Ce n’est pas un « scénique » désignant un endroit où
se passe une action ou un événement, comme dans Il s’est produit un grave
accident à Paris. Il s’agit d’un « lieu orienté », que l’on cherche à
rejoindre, la destination d’un itinéraire, comme le montrent les prédicats
appropriés, verbes ou adjectifs :
144
On peut ranger dans cette même classe de locatifs des substantifs comme
cible, lieu d’arrivée, objectif, fin, terme, etc. Nous montrerons au chapitre
suivant que l’emploi final de ces termes est dérivé métaphoriquement de
cet emploi locatif. Nous verrons aussi que tous ces substantifs n’ont pas été
utilisés par la langue pour traduire la finalité.
avoir l’intention de
caresser l’intention de
nourrir l’intention de
3) des adjectifs :
Mais une étude plus poussée montre que les deux ensembles sont disjoints :
verbes supports :
146
prédicats appropriés :
adjectifs appropriés
On voit donc que les substantifs qui figurent dans les locutions
conjonctives de but ne sont interchangeables que si on oublie les
différences syntaxiques que nous venons rapidement de mettre en
évidence. On ne peut croire, même implicitement, à l’unité sémantique de
la finalité que si on reste à un niveau très général et très superficiel qui ne
prend les locutions que comme des suites compactes dépourvues de
restructuration et de paraphrases.
Si on laisse de côté pour le moment la préposition pour et la conjonction
pour que, on observe que l’expression de la finalité en français tire ses
moyens lexicaux de quatre classes sémantiques différentes du point de vue
du sens et des constructions syntaxiques. Cela pose un problème de
dénomination de ce type de subordonnées. Le terme de but relève, comme
nous venons de le montrer, de la classe des locatifs, dont il a le
comportement syntaxique. Il ne peut donc pas être considéré comme un
hyperonyme de l’ensemble des substantifs que nous allons étudier dans ce
livre. Il en est de même du terme de finalité qui a des propriétés voisines de
but mais très différentes de celles de intention, projet ou désir. On est donc
devant un trou lexical. Pour des raisons de commodité, nous continuerons à
parler de but et de finalité sans donner cependant à ces termes le sens
précis qui se dégagera de nos analyses.
Dans les chapitres qui suivent, nous étudierons dans le détail les
différents types sémantiques de finalité et les particularités de chacun
147
d’eux. Nous observerons que les classes que nous venons de dégager
génèrent des constructions très différentes. Nous allons auparavant montrer
ce que toutes ces classes ont de commun, pour éviter des redites
ultérieures.
Nous avons vu plus haut que les substantifs qui figurent dans les
locutions conjonctives sont des prédicats nominaux qui expriment le motif
qu’a le sujet de la principale de faire une action en vue du résultat
escompté que traduit la subordonnée finale. Les observations que nous
allons faire s’appliquent aux constructions libres, dont nous avons parlé
dans le chapitre précédent et non aux locutions dont le substantif a perdu
toute relation syntaxique avec les éléments qui l’entourent.
Les substantifs qui figurent dans les locutions conjonctives sont des
noms prédicatifs, car ils ont des arguments : respectivement un sujet
humain coréférent à celui du verbe principal et un objet phrastique, à savoir
la subordonnée circonstancielle, qui n’est en fait qu’une complétive :
C’est dans le but de faire plaisir à son père que Paul a dit cela
C’est dans l’intention de faire plaisir que Paul a dit cela
C’est avec le désir de faire plaisir que Paul a dit cela
C’est en vue de faire plaisir que Paul a dit cela
Thématisation du relateur :
Tous les prédicats nominaux peuvent être actualisés par le verbe support
avoir, à l’exception des substantifs locatifs, où ce verbe correspond à une
autre construction :
149
Paul voulait se venger mais il a renoncé à (ce but, cette intention, ce désir)
Paul poursuit son (but, intention, désir) de se venger
Les verbes que nous avons signalés ont le même sujet que celui de la
principale. D’autres verbes mettent en jeu un acteur différent. Là aussi, il y
a des séries sémantiques :
peut se produire que ces deux personnes soient les mêmes. En général, le
locuteur prend de la distance et juge les motivations de celui qui a agi.
Parmi les plus fréquents dans les textes (Frantext) on trouve : absurde,
extravagant, ambitieux, généreux, légitime, criminel, cupide, coupable,
perfide, louable. La liste est évidemment beaucoup plus longue. Comme
nous le verrons plus bas, il y a des noms qui incorporent cette composante
axiologique (par ex. illusion, prétention).
b) des adjectifs d’ostension. Une des caractéristiques sémantiques du but
est qu’il peut être avoué ou caché. Dans un grand nombre de circonstances
humaines, le domaine politique, par exemple, une des règles de l’efficacité
est de cacher les motifs de l’action ou d’en afficher de faux en vue de
dérouter ou de tromper l’adversaire. Beaucoup d’adjectifs traduisent cette
possibilité : secret, caché, avoué.
c) des adjectifs « d’observation ». Ces adjectifs diffèrent des précédents par
le fait qu’ils ne décrivent pas la motivation du sujet mais représentent le
point de vue du locuteur portant un jugement sur les motivations du sujet.
Le locuteur essaie ainsi d’étayer son analyse quant aux motivations qu’il
prête à l’auteur de l’action. On a alors des adjectifs comme : clair, évident,
manifeste, apparent, visible
d) des adjectifs restrictifs. Ces adjectifs ont une fonction voisine de ceux
qui précèdent. Il s’agit, pour le locuteur, d’attribuer une intention exclusive
à l’auteur de l’action, accentuant ainsi sa responsabilité en cas de délit, par
exemple. Les adjectifs sont les suivants : seul, unique, seul et unique,
exclusif, précis. La restriction peut aussi être traduite par ne…que : Paul
n’est parti que dans le but d’embêter son voisin.
e) des adjectifs de probabilité. Le locuteur peut porter un jugement sur les
chances qu’a l’auteur de parvenir au résultat souhaité en agissant comme il
le fait. Le jugement porte alors sur la lucidité du sujet. C’est ce que
traduisent des adjectifs comme : vain, fallacieux, etc.
Paul n’est pas venu dans le but de s’en aller tout de suite
Si Paul est venu, ce n’est pas dans le but de s’en aller tout de suite
Cette phrase ne nie pas la venue de Paul, elle nie simplement la véracité de
l’intention qu’il dit avoir eue ou qu’on lui a prêtée. C’est une occasion
151
Est-ce pour s’en aller tout de suite que Paul est venu ?
La finalité peut être définie comme la recherche d’un résultat grâce à une
action délibérée destinée à l’obtenir. Il va de soi que, comme toute chose
humaine, ce résultat peut ne pas être au rendez-vous. Aussi n’est-il pas
étonnant de constater qu’une phrase finale peut être continuée par une
phrase en mais qui révèle que l’objectif visé n’a pas été atteint et traduit
ainsi l’espoir déçu :
Paul a fait un pas pour arranger les choses, mais (il a échoué, n’a pas réussi,
ça n’a pas marché, etc.)
On voit donc que les propositions finales ne doivent pas être identifiées
aux causales, malgré ce qu’en dit Aristote. Une construction causale
implique nécessairement une conséquence, sous peine qu’il n’y ait pas
cause, alors que ce lien n’est pas nécessaire dans le cas des finales.
Il est bien connu qu’une relation causale peut s’établir entre deux
phrases, indépendamment de tout mot de liaison, par le seul fait d’une
inférence qu’on peut établir entre deux événements, en fonction de
certaines connaissances que l’on a du monde. Cette relation est bien
entendu rendue explicite par la présence d’un connecteur :
semblable n’est pas possible pour le but. La séquence *Paul a travaillé très
fort. Il réussit qui comprend deux phrases ne peut pas être interprétée
comme synonymes des phrases :
Nous avons montré plus haut que les substantifs figurant dans les
locutions conjonctives sont des prédicats nominaux dont le sujet est
coréférent à celui du prédicat de la principale, comme on le voit dans
l’exemple suivant :
CHAPITRE VI
Paul a répliqué violemment à ces attaques, (avec comme, dans le) but d’arrêter
immédiatement la polémique
1. LEUR SUJET
156
De ce fait, il n’est pas étonnant de voir que la préposition avec, qui en est la
forme non actualisée, ne soit pas possible non plus :
Luc avait (comme, pour) but de plaire. Ensuite, il ne semble pas que ce
sujet humain soit un « vrai » humain. En effet, c’est la réduction d’une
phrase à son sujet, comme dans les exemples bien connus comme agacer,
qui peut avoir une lecture non agentive : Paul agace Jean. Cette lecture
implique un complément : Paul agace Jean par son comportement
représentant une restructuration de : Le comportement de Paul agace Jean.
Nous avons déjà signalé que l’analyse que N. La Fauci fait du substantif
but s’applique à la totalité de nos substantifs locatifs :
Le fait que but ait un sujet phrastique explique une tournure particulière
correspondant à une dislocation :
On conclura de cette analyse que le sujet du substantif but est une phrase à
sujet humain, qui par des restructurations différentes peut voir thématiser
soit le prédicat soit le sujet humain.
2. VERBES SUPPORTS
Nous venons de voir que le support basique des prédicats locatifs est le
verbe être, compte tenu du fait que le sujet cohérent est la phrase finale :
Le verbe avoir doit être considéré comme un opérateur à lien et induit par
une réorganisation de la phrase. Il ne doit pas être confondu avec le verbe
avoir des autres classes que nous étudierons dans les chapitres suivants
(Paul est venu, il a l’intention de reprendre les affaires en main). En fait,
cet opérateur à lien comprend les formes pour et comme :
Cette visite (de Paul) a (pour, comme) but de régler ses affaires
159
et par réduction :
Paul s’est (fixé, donné, assigné, imposé) pour objectif de surmonter cette
difficulté
Une des raisons qui nous pousseraient à les considérer comme des
supports tient au fait qu’ils peuvent être effacés sans perte d’information. A
partir d’une phrase comme Nous connaissons tous le but que Paul s’était
fixé, nous obtenons par effacement Nous connaissons tous le but de Paul.
Cet effacement ne serait pas possible dans Nous connaissons tous le but
que Paul a rappelé qui ne saurait être synonyme de Nous connaissons tous
le but de Paul. Nous considérons ces verbes comme des définisseurs de la
classe des locatifs, car ils ne sont possibles avec aucun autre prédicat de
finalité : *se donner pour vue de, *se donner pour intention de, *se donner
pour désir de.
Une autre particularité des constructions locatives par rapport aux autres
prédicats de but tient au fait qu’avec eux il n’y a pas obligatoirement
coréférence entre les différents sujets (voir la fin de ce chapitre) :
Nous examinons ici les verbes appropriés à ces substantifs qui, grâce à la
métaphore, conservent leur syntaxe dans l’emploi final. Notons que si on
réduit la relation finale aux seules locutions conjonctives, on occulte des
centaines d’expressions d’usage courant que nous allons examiner
maintenant.
160
a) Prédicats d’ « accomplissements » :
b) Prédicats directionnels :
d) Prédicats de "distance" :
Nous avons déjà signalé que le but est différent de la cause en ceci que
la cause implique deux événements réalisés, tandis que le but est un
événement seulement potentiel, ce qui met en évidence la possibilité de
continuer une phrase finale par mais :
Paul a dit cela dans le but de convaincre mais il n’a pas réussi
Cette possibilité interprétative est souvent prise en charge par des verbes
spécifiques :
g) Verbes de « renoncement » :
h) Prédicats de perception :
4. ADJECTIFS APPROPRIES
Nous ne reprenons pas ici les adjectifs généraux qui s’appliquent à tous
les substantifs de but mais seulement ceux qui sont appropriés aux
substantifs locatifs que nous étudions.
a) Parmi les adjectifs les plus fréquents dans Frantext, on relève des
adjectifs d’interprétation locative, ce qui souligne encore l’unité
sémantique de cette classe :
b) Tout comme les lieux, les buts et les objectifs peuvent être d’accès aisé
ou difficile :
Paul veut décrocher ce diplôme. Cet objectif est inaccessible pour lui
Le but que Paul s’était fixé était (facile, difficile) à atteindre
Il s’est exercé dans le but inaccessible de conquérir ce sommet
Paul s’est ressaisi dans le but (immédiat, final, ultime) de se comporter comme
tout le monde
Son but initial était de construire une maison. Il a changé d’avis depuis
longtemps
Paul a agi dans le double but de plaire à son père et d’imposer sa volonté
5. LE SUBSTANTIF BUT
1) Point matériel que l’on prend pour cible, que l’on veut toucher avec un
projectile (mettre sa flèche dans le but).
2) Point que l’on doit atteindre le premier pour avoir gagné (toucher le
but).
3) Endroit où les joueurs doivent venir se placer ou se réfugier pour ne pas
être pris.
4) Cadre dans lequel le ballon doit aller (tirer au but).
5) Endroit où l’on se propose d’arriver (Paris était le but de notre voyage).
5.3. Pluriel
Le substantif but n’est qu’au singulier dans la locution dans le but de. De
même, quand le déterminant est l’indéfini un que suit une circonstancielle,
le pluriel est absent *dans des buts de faire plaisir. En revanche, s’il est
actualisé, il peut être mis au pluriel : Paul poursuit des buts contradictoires
165
conformément aux buts annoncés ; ces deux buts étant atteints ; les deux
autres buts de la réunion étaient restés secrets. Il y a donc une différence
de comportement syntaxique du point de vue de la détermination selon que
le substantif figure dans la locution ou dans une construction régulière.
5.4.2. Infinitif
Paul a dit cela dans le but de (d’expliquer la situation, d’être compris de tout le
monde, de se faire comprendre).
Cette mesure doit être prise dans un but de clarté sinon d’apaisement
Cette démarche a été faite dans un but de diversification des activités de
l’exploitation
Des millions de francs ont été distribués aux régions dans un but de
développement de l’emploi et de l’apprentissage,
Il reste que cette forme de subordonnée est très fréquente dans la presse :
167
Les substantifs que nous étudions entrent dans une série d’expressions
plus ou moins figées qui leur sont propres :
6. LE SUBSTANTIF OBJECTIF
6.1. Syntaxe
Tout comme avec but, nous n’avons pas trouvé d’emploi de ce substantif
avec une subordonnée en que P : ?Tu as dit cela avec pour objectif que
tous soient précisément informés. Ce substantif implique donc une
coréférence obligatoire entre le
6.3. Pluriel
7. LE SUBSTANTIF CIBLE
Comme une cible désigne le lieu sur lequel on tire, il peut désigner
métaphoriquement des personnes qui font l’objet d’attaques verbales : Le
commissaire a été la cible d’attaques convergentes de tous les
intervenants ; autre cible privilégiée de la colère des parlementaires : le
ministre des finances ; les moins de 50 ans, cible privilégiée des
annonceurs. On est ici en présence d’un exemple intéressant de non-
régularité dans le processus de grammaticalisation et qui met en lumière
l’importance du lexique. S’il fallait trouver une explication, on pourrait
suggérer qu’un événement (une phrase finale) peut être pris en charge plus
facilement par un locatif impliquant un lieu (but, objectif) que par un
concret (cible).
8. LE SUBSTANTIF FIN
Ce substantif, que l’on trouve dans la locution afin que/de, a une syntaxe
plus figée que ceux que nous venons d’étudier, du fait qu’il est plus ancien
dans la langue. Son caractère locatif ne fait pourtant pas de doute, comme
le montrent certains verbes appropriés aux substantifs locatifs :
Luc voulait tirer l’affaire au clair : il est (arrivé, parvenu) à ses fins
Cette syntaxe est plus archaïque que celle des substantifs but et objectif.
Nous verrons plus loin les supports compatibles avec fin. Nous signalons
simplement ici une première restriction. Nous avons déjà vu que les
substantifs prédicats de finalité ont un sujet phrastique : Régler
définitivement l’affaire était le but que s’était fixé Paul, en procédant à la
rédaction de ce texte. Une restructuration possible donne Le but de la
rédaction de ce texte était de régler définitivement l’affaire. Cette liberté
syntaxique n’est pas possible avec fin : ?Régler définitivement l’affaire
était la fin que s’était fixée Paul en procédant à la rédaction de ce texte ;
*la fin de la rédaction de ce texte était de régler définitivement l’affaire.
On en conclura que le substantif fin est plus fréquent dans le cadre de la
locution que dans son emploi syntaxique libre.
Notons d’abord que la soudure dans afin que est purement graphique,
comme on le voit quand on insère un adjectif entre la préposition et le
171
Mais le pluriel les est attesté dans la forme contractée aux fins de, où la
réduction infinitive est obligatoire :
*On ouvre la mairie jusqu’à 20 heures aux fins que tous puissent voter
*On les a embarqués aux fins de rapatriement
172
inégalités sociales est une fin constante de cette politique. Le partitif est
aussi une construction fréquente : Réduire les inégalités sociales est une
des fins de cette politique. Parallèlement, comme avec les autres relateurs
locatifs, le substantif fin admet la construction à lien en avoir issu, comme
on le sait, d’une restructuration : Cette politique a pour (fin, fins) de
réduire la fracture sociale. Si le sujet est un humain, cette construction est
moins naturelle ? Luc a pour (fin, fins) de s’imposer.
En revanche, d’autres verbes sont d’usage courant comme pour les
autres substantifs locatifs :
Le fait que la syntaxe du substantif fin soit plus contrainte que celle de
but et de objectif explique que le nombre des adjectifs appropriés est plus
réduit. Si on laisse de côté les adjectifs substituts de la subordonnée : Paul
a pris ces mesures à des fins (médicales, esthétiques, parlementaires), on
trouve dans les textes peu d’adjectifs de nature qualificative qui soient
spécifiques. En voici quelques-uns : à des fins obscures, à des fins
supérieures, à des fins mystérieuses.
Leur sujet est donc exclusivement un prédicat : Cette remarque avait pour
(destination, finalité) de réduire la partie adverse au silence. Nous allons
examiner successivement ces deux substantifs.
9.1. Destination
On notera qu’il s’agit bien d’un adjectif et non d’un participe passé,
puisque la forme verbale active est d’une acceptabilité douteuse :
9.2. Finalité
Les exemples que nous venons de donner montrent que le terme de finalité
désigne l’objectif qu’un sujet assigne à une de ses actions ou encore le but
qu’un observateur décèle ou croit déceler dans une action ou une entreprise
données. Il s’agit donc d’un but médiatisé, en quelque sorte. Dans les
textes que nous avons dépouillés, nous n’avons pas trouvé d’exemple où
finalité s’applique à un objet ni à un humain, à l’exception de certains
collectifs dont l’interprétation est complexe, comme entreprise :
aussi beaucoup moins naturels. Or, avec les substantifs locatifs, l’auteur
n’est pas nécessairement la source de décision, comme le montre
clairement des constructions comme Le directeur de cette agence s’est vu
fixer comme objectif par le président de doubler le chiffre d’affaires.
178
179
CHAPITRE VII
2. LE SUBSTANTIF VUE
Il suffit de jeter sa vue sur ce paysage pour reconnaître qu’on est dans le Jura
Quand on porte sa vue vers l’Ouest, on voit d’abord la chaîne des Alpilles
Ce dernier emploi ne donne pas lieu non plus à une interprétation finale,
bien que l’on soit en présence de prédicats actifs qui désignent une
orientation, comme le prouvent les compléments directionnels des
exemples que nous venons de citer.
connu. Mais une préposition peut aussi avoir une valeur prédicative et, dès
lors, elle génère des arguments, comme dans Ce député est contre le
Président ; le livre est sur la table où les prépositions contre et sur ont
respectivement comme arguments député et président d’une part et livre et
table de l’autre.
Mais une troisième fonction n’est jamais mentionnée dans les études
spécialisées, celle qui permet à un substantif de former un groupe de nature
adjectivale. Ainsi la préposition à permet au substantif mode de former
l’adjectival à la mode. Cette suite a toutes les propriétés d’un adjectif. Elle
peut figurer en position d’épithète et d’attribut (une fille à la mode, cette
fille est à la mode ; elle peut varier en fonction des degrés de comparaison -
comparatif et superlatif- (cette fille est plus à la mode que ses amies ; cette
fille est très à la mode) ; elle peut être pronominalisée en le (Cette fille est
à la mode et sa sœur le sera aussi), alors qu’on attendrait y du fait de la
préposition à ( *et sa sœur y sera aussi). Cette analyse s’applique à de dans
de bonne humeur, de travers, de droite et peut-être aussi dans : depuis ce
matin, il est dans le cirage.
Dans certains cas, la suite adjectivale est clairement de nature passive.
Voici quelques exemples :
par des opérations qui sont bien connues pour la majorité des phrases
complexes. Voici un autre exemple de ces restructurations qui met en jeu
une structure causale. Admettons deux phrases, représentées pour
simplifier par les lettres A et B. On obtient :
A a causé B
A côté de la forme être causé par qui est un passif verbal, on peut avoir un
« passif nominal », c’est-à-dire une forme passive opérant sur un prédicat
nominal, introduit par le support passif être à comme dans l’exemple être à
l’abandon à côté de être abandonné
B a été à cause de A
B, à cause de A
Par rapport aux locutions que nous avons étudiées jusqu’à présent, en
vue de a une syntaxe nettement plus figée. Le français moderne n’emploie
plus la préposition dans comme le faisait le français classique dans les
exemples que nous venons de citer. Seul en est donc possible. La
détermination est contrainte. Seul l’article zéro est observable, à
l’exclusion de tous les autres déterminants (*en la vue de, *en une vue de).
Aucun adjectif ne peut être inséré (*en seule vue de, *en unique vue de).
De même, la détermination anaphorique est exclue (*en cette vue, en une
vue pareille) ainsi que l’interrogation (*en quelle vue a-t-il fait cela ?) et la
négation (*en aucune vue, *en nulle vue). En revanche, la subordonnée
peut faire l’objet d’une anaphore, en particulier par le relatif de liaison : En
vue de quoi a-t-il fait cette dépense ?
Ces restrictions s’expliquent par notre analyse de la suite en vue de que
nous considérons comme un adjectival du même type que ceux que nous
venons de signaler. De même à la mode constitue-t-il une suite très
contrainte : seul le déterminant la est possible, en particulier aucun
déterminant anaphorique ni interrogatif n’est observable *à cette mode, * à
quelle mode, l’ensemble ne correspond pas à la question en où, il n’y a pas
de formation de relative *la mode à laquelle elle est. Nous venons de
mettre en évidence un nouveau type de formation d’une locution
prépositionnelle, dont on peut cependant suivre la formation et rendre
compte du degré de figement.
Infinitif
Forme nominale
a) le défini le :
b) le démonstratif
c) l’indéfini un
Les délégués ont fait des efforts soutenus en vue d’actions communes
Ils ont fait une nouvelle tentative en vue de régler le problème en suspens
Nos amis ont déposé un projet de loi en vue de l’intégration des étrangers
Prenez donc une autre initiative en vue de réconcilier les protagonistes
Ce ne sont que manœuvres en vue de déstabiliser l’adversaire
Il faut prendre des dispositions immédiates en vue du congrès
On a entamé des pourparlers en vue de savoir si une solution est possible
Paris : Conventions exploratoires en vue d’un accord salarial
Fixons une date en vue d’une rencontre au sommet
3. PERSPECTIVE
C’est dans cette direction qu’il faut aller. Sinon, la perspective restera
toujours défensive : celle d’une simple disculpation
Toutefois, la perspective subsiste d’un retour de ce pays dans le camp des
alliés
Comme nous l’avons déjà signalé, pour qu’il y ait une interprétation
finale, il faut que le relateur unisse deux phrases, ce qui n’est pas le cas des
exemples précédents, mais est illustré par la construction Paul a envoyé
son CV, (en, dans la) perspective d’une embauche massive ; Paul s’est mis
à lire ce roman, en perspective d’un apprentissage du français. Nous
allons décrire la syntaxe de ces structures. Deux prépositions sont possibles
en et dans qui n’ont pas exactement le même type de compléments.
3.1.1. La préposition en
Dans ce cas, le verbe être ne peut pas être remplacé par l’opérateur à lien
avoir pour : *Que Paul se soit mis à refaire son CV avait comme
perspective l’amélioration de la situation de l’emploi. En revanche, si le
sujet est strictement humain, cette tournure est possible, qu’elle soit
actualisée ou non : Paul s’est mis à refaire son CV, (il avait, avec) en
perspective l’amélioration de la situation de l’emploi.
Nous avons vu que le prédicat-argument de en perspective est un
événement. Les prédicats d’action ont un degré d’acceptabilité moindre. La
subordonnée ne peut pas avoir un prédicat verbal mais seulement nominal
Paul s’est préparé longuement, en perspective (*de travailler péniblement,
d’un travail pénible.
Nous partons, encore une fois, d’une phrase complexe Que Paul soit
parti est dans la perspective de trouver un nouveau métier qui donne, par
transformation principale Paul est parti, dans la perspective de trouver un
nouveau métier. Comme toujours, la préposition dans impose moins de
restrictions que en, en particulier dans la détermination. Elle autorise à la
fois l’article défini et l’article indéfini.
En cas d’emploi de l’article défini, la subordonnée peut avoir un prédicat
verbal ou nominal.
1) l’anaphore
Il faut réussir la monnaie unique européenne dès 1997. Dans cette
188
2) l’interrogation
Dans quelle perspective est-il parti ?
Il était impossible de savoir dans quelle perspective stratégique le ministère
avait engagé ces réformes
3) la négation
Ils sont lassés de travailler depuis six ans sans une perspective claire
d’amélioration de leur situation
Ils ont refusé d’investir dans ce secteur, par l’absence d’une perspective
d’ouverture du marché des télécommunications
Avec + Anaphore
L’étape de Clermont, avec cette perspective nouvelle du
voyage rédempteur, est historique
4. LA RACINE VIS-
5. POINT DE MIRE
CHAPITRE VIII
Nous étudions dans les deux chapitres qui suivent des classes de
relateurs dont le fonctionnement syntaxique s’oppose sur de nombreux
points aux locatifs et aux noms de perception que nous venons de décrire.
Les substantifs intention ou désir, prototypes des prédicats
d’intentionnalité et de sentiments que nous analysons maintenant, ne
gagnent guère à recevoir une définition exclusivement sémantique, comme
celle du Petit Robert "Intention : le but même qu’on se propose d’atteindre
: objectif, objet, visée", où sont banalisées toutes les distinctions de classes
que nous avons établies au chapitre V.
Le seul moyen que nous ayons d’établir des classes disjointes consiste à
décrire leur comportement syntaxique. Leur propriété caractéristique la
plus importante tient à la nature du sujet : alors que les relateurs précédents
avaient des sujets profonds de nature phrastique : Se venger était son but en
faisant cette remarque ; Contenter tout le monde était l’objectif avoué de
l’Assemblée en réalisant ce vote, ceux que nous étudions maintenant ont un
sujet exclusivement humain :
2. PREDICATS D’INTENTIONNALITE
1) intention, dessein
2) idée, pensée, arrière-pensée
3) projet
4) volonté, résolution
5) recherche, quête
3. INTENTION
Paul est parti en vacances (avec, dans) l’intention de se refaire une santé.
Paul est parti avec l’intention de prendre un peu de vacances
Paul a acheté ce livre dans l’intention de le traduire
3.4. Actualisation
Les prédicats que nous signalons ici pour mettre en évidence la syntaxe
de intention et de la plupart des relateurs de cette classe ne doivent pas être
confondus avec les verbes supports que nous avons examinés, car il s’agit
de prédicats. Nous examinerons successivement les verbes et les adjectifs.
Différentes classes sémantiques peuvent être dégagées. Tout d’abord,
une intention, qui est un fait en puissance, peut devenir réalité. On aura
alors des verbes comme accomplir, exécuter, donner suite à, mettre à
exécution, réaliser : Paul a réalisé l’intention qu’il avait de partir en
vacances. Inversement, on peut en empêcher la réalisation : Jean a
(contrarié, fait avorter, s’est opposé à, est allé contre) l’intention de Paul.
Le sujet peut aussi cacher ou dévoiler son intention ou renoncer à elle. On
peut être en mesure de deviner ou pénétrer les intentions d’autrui.
De même, il existe des classes d’adjectifs bien délimitées du point de
vue sémantique. Nous avons déjà signalé que l’adjectif inconscient est en
contradiction avec le sens d’un substantif comme intention, qui implique
que le sujet de l’action soit conscient de ce qu’il recherche. Les textes
montrent qu’il existe des séries comme celles-ci :
3.6. Restructurations
4. DESSEIN
Le substantif dessein avait jusqu’au 18e siècle les deux sens de « projet »
et de « représentation graphique ». Littré le définit ainsi « Ensemble de
combinaisons pour obtenir un résultat » et l’oppose au substantif projet :
« Dessein et projet désignent une détermination à faire quelque chose. Le
dessein est ce qu’on dessine ou désigne d’avance (car dessiner et désigner
sont deux mots identiques) ; le projet est ce qu’on jette en avant. Dessein
exprime donc quelque chose de plus arrêté que projet ». Il nous semble que
sur ce point la langue a changé, à moins que nous soyons moins sensible à
l’étymologie que Littré : un dessein a un degré d’élaboration moindre
qu’un projet. Nous ajouterons qu’il s’agit d’une construction plutôt
littéraire à l’heure actuelle.
Les supports sont les mêmes que ceux qui caractérisent le mot intention
(avoir, nourrir). A quoi il faut ajouter le support prendre (prendre le
dessein de), qui n’est pas possible avec intention (*prendre l’intention de).
L’existence de ce support pourrait laisser penser que dessein implique une
part plus active de la part du sujet, ce qui expliquerait le rapprochement
avec projet.
Le substantif dessein est par certains aspects plus proche de projet que
d’intention. Cela est mis en évidence par des verbes appropriés comme
mener à bien, exécuter, accomplir, qui vont mal avec intention : *(mener à
bien, exécuter, accomplir) son intention. Ces verbes sont naturels avec
projet. Il est toujours difficile de porter des jugements d’acceptabilité
contrastive sur la base de si peu de propriétés combinatoires. On peut
cependant conclure que le substantif intention est encore assez proche de
souhait et ne traduit pas comme dessein ou projet une détermination dans
la réalisation qu’on envisage. Dessein semble être un stade plus avancé,
une mise en forme mentale plus directe, un plan plus nettement dessiné (cf.
l’étymologie du mot), de sorte que la notion d’exécution est envisagée
comme plus probable. La différence entre les deux notions est encore
soulignée par le verbe élaborer, très naturel avec dessein et impossible
avec intention. Les adjectifs en revanche sont les mêmes dans les deux cas.
Les emplois adverbiaux à dessein, comme à dessein, sans dessein ne
semblent pas avoir la différence sémantique que nous venons de signaler.
Ils sont quasiment synonymes d’intentionnellement. La vieille expression il
y a du dessein est donnée par les dictionnaires comme l’équivalent de il y a
une intention délibérée.
Ces prédicats sont de nature plus spéculative que les précédents, ce sont
des prédicats d’intellection. Alors que le substantif intention traduit une
motivation dont l’origine n’est pas clairement indiquée et qui peut être de
nature psychologique, les prédicats que nous examinons maintenant
expriment une activité spéculative de la part du sujet, un pari intellectuel
sur les conséquences souhaitées d’une action qu’il envisage de faire. Ces
substantifs sont donc en quelque sorte intermédiaires entre les prédicats de
sentiments (désir) et les prédicats de volition (vouloir). Il existe ici une part
de réflexion statistique : le résultat, c’est-à-dire la fin souhaitée, ne dépend
200
l’idée) de partir demain. Mais l’article défini est possible aussi Paul a
l’idée de partir demain. Cette phrase est améliorée par l’adjonction d’un
modifieur Paul a l’idée arrêtée de partir demain. Cette séquence se
retrouve dans la locution Paul se prépare avec l’idée arrêtée de partir
demain.
On observe une variante impersonnelle de ce support : Il est dans l’idée
de (Paul) de partir demain et avec une restructuration Paul a dans l’idée
de partir demain. On peut trouver là l’origine de la locution dans l’idée de.
Cette forme peut, à son tour, avoir des variantes aspectuelles ou des
emplois causatifs : Paul s’est mis dans l’idée de partir demain. Il existe
aussi une forme supplétive, plus contrainte : Paul s’est mis dans la tête de
partir demain ; Paul s’est mis en tête de partir demain.
Le relateur pensée a une syntaxe plus réduite. Il n’accepte pas le support
avoir : *Paul a (pensée, la pensée) de partir demain. Les autres
constructions que nous avons notées pour idée semblent exclues aussi :
*avoir dans la pensée que, *il est dans sa pensée de, *se mettre dans la
pensée que.
Le relateur arrière-pensée a lui aussi une syntaxe réduite. Les deux
prépositions sont possibles Paul s’est allié à son pire ennemi, (avec, dans)
l’arrière-pensée de se venger. Le seul support acceptable est avoir ou
plutôt la forme avoir pour : Il a pour arrière-pensée de se venger. Les
inchoatifs ou causatifs sont exclus *se mettre dans l’arrière-pensée de se
venger.
6. PROJET
dessein puisqu’il partage avec lui des verbes comme concevoir, former,
verbes qui sont impossibles avec intention :
mais aussi par le fait qu’il implique déjà par rapport à la pure notion
d’intention un travail préparatoire. Comme tout prédicat de création, il peut
désigner une action ou son résultat. Cette différence sémantique avec
dessein permet d’expliquer que l’on puisse élaborer ou ébaucher un projet
mais non un dessein. Cette interprétation, qui n’a pas de lien direct avec la
notion de finalité, doit être considérée comme un emploi concret. Il s’agit
de divers supports (papier, fichiers, etc.) représentant tout type de
réalisation envisagée (projet de loi, plan de construction, etc.) qui
matérialisent ce qu’on a envisagé de faire. Dans ce dernier cas, il y bien
entendu des opérateurs appropriés (voter, rejeter un projet de loi ; corriger,
annoter ce projet de lettre), mais ceci ne relève pas de la finalité. Tant que
ce substantif a une interprétation prédicative, les adjectifs qui peuvent le
qualifier sont chimérique, insensé, irréalisable.
Les prédicats que nous venons d’étudier relèvent plutôt d’une sphère
intellectuelle. Ils traduisent des opérations de l’esprit, une réflexion, une
spéculation qui envisage les chances qu’on a d’aboutir au résultat souhaité.
Ceux que nous allons examiner maintenant sont souvent classés sous le
terme générique de prédicats de volition : vouloir, (avoir) la volonté de,
(être) résolu à, (être) déterminé à. Ils ne sont pas seulement l’expression
d’une réflexion traduisant un calcul de probabilité concernant les chances
de réalisation d’un but recherché mais un investissement psychologique,
une détermination à traduire dans la réalité un désir, comme en rend
compte la définition du TLF (s.v. volonté) « Décision ou détermination
ferme de l’individu d’accomplir ou de faire accomplir quelque chose ».
7.1. Volonté
- le dévoilement : manifester
- l’accomplissement : accomplir, réaliser, respecter, exécuter
- l’opposition : contrarier, enfreindre
Ce prédicat a une forme verbale vouloir, qui est tout aussi naturelle :
Paul est parti en Amérique, il veut améliorer sa situation. La forme
adjectivale volontaire constitue un autre emploi, dans la mesure où le sens
est différent : il s’agit d’un adjectif décrivant un trait de caractère,
synonyme de avoir de la volonté et non une disposition d’esprit
momentanée avoir la volonté de.
Les adjectifs que nous examinons ici ne constituent pas le même emploi
que les substantifs correspondants résolution, décision. Ils ne sont pas
strictement équivalents aux verbes morphologiquement associés. Ils en
diffèrent par l’aspect. Etre résolu ou décidé ne signifient pas résoudre de
ou décider de mais les accomplis avoir résolu, décidé de. De même que
déterminé, ils impliquent donc un acte de volonté préalable : être résolu
205
c’est avoir pris la résolution de et être prêt à s’y tenir. Ces prédicats ne
sont pas nature intellectuelle mais dépendent plus du caractère.
CHAPITRE IX
Comme nous l’avons vu, pour qu’un substantif de sentiment puisse jouer
le rôle de connecteur de finalité, il faut d’abord qu’il ait un complément de
type phrastique. Nous posons comme seconde condition, que le prédicat de
sentiment soit orienté vers l’avenir. Cela est étayé linguistiquement par le
210
Nous venons de voir que la finalité ne met pas en jeu tous les substantifs
de sentiments. Il existe d’autres propriétés pertinentes : les noms de
sentiments dans leur emploi de connecteurs de finalité ont une syntaxe
spécifique. Dans la distribution particulière qu’on appelle locutions
prépositionnelles, les prépositions jouent un rôle important dans
l’interprétation. Selon que la préposition est avec ou dans d’une part ou par
de l’autre, on a affaire à une finalité ou à une motivation rétrospective.
Nous verrons plus bas la première interprétation. Nous examinons ici la
seconde. Dans Paul est parti par jalousie, le complément par N est
interprété comme causal, correspondant à une question en pourquoi. Ce
complément n’opère pas de sélection particulière parmi les noms de
sentiments. Tous sont possibles : par haine, par désespoir, par jalousie,
par dépit, par crainte, par souci, etc. La préposition par est la même que
celle qui figure dans parce que : Il a agi de la sorte par désespoir = Il a
agi de la sorte parce qu’il est au désespoir.
Quelle différence y a-t-il entre une visée rétrospective et une visée
prospective pour les mêmes prédicats ? La réponse n’est pas aisée. Il se
pourrait que les substantifs en question aient une interprétation différente
dans les deux cas. Partons d’un cas évident d’emploi rétrospectif : L’enfant
a fait un bond en arrière, par peur. On admettra qu’il s’agit ici de l’emploi
« normal » du substantif de sentiment. Il pourrait avoir un complément par
peur du vide, dont une paraphrase pourrait être : en raison du fait qu’il a eu
peur du vide.
Examinons maintenant un autre emploi du substantif peur, que la
tradition grammaticale interprète comme une finalité : Il n’a pas répondu,
de peur qu’on lui pose une seconde question. En première approximation,
la différence de sens entre ces deux emplois peut être mise évidence en leur
substituant la locution afin de. Celle-ci est possible dans la seconde phrase
Il n’a pas répondu afin qu’on ne lui pose une deuxième question mais non
dans la première *L’enfant a fait un bond en arrière, afin de pas avoir peur
du vide. Les deux substantifs peur n’ont pas les mêmes arguments. Le
premier emploi peut être défini comme une peur physique face à
quelqu’un, à un animal ou des situations spécifiques (le noir, la solitude, le
vertige, etc.). L’intensif de cet emploi serait un mot comme panique et le
diminutif inquiétude.
L’autre emploi a pour complément une phrase correspondant à un
événement qu’on veut éviter. C’est ce qui explique que parfois tout lien
avec la notion de peur physique ait totalement disparu : Note ces faits, de
peur de les oublier. Dans le cas de l’interprétation finale, les noms de
212
En revanche, et ceci établit les sentiments comme une classe autonome, ils
sont accompagnés de verbes spécifiques, en particulier éprouver,
ressentir :
Nous avons vu plus haut que tous les substantifs de sentiments n’ont pas
la possibilité de devenir des relateurs de finalité. Nous avons observé, en
particulier, que seuls sont possibles ceux qui sont orientés vers le futur.
Nous notons maintenant que ces substantifs n’ont pas dans l’emploi final
toutes les propriétés syntaxiques qu’ils ont généralement comme noms de
sentiments.
Ce qui est exclu ce sont les verbes qui génèrent une interprétation
exclusivement causale comme faire preuve de ou négative renoncer à,
réprimer, résister, être paralysé de. D’autres verbes, appropriés aux
sentiments dans leur emploi ordinaire, ne traduisent pas non plus l’attitude
active qu’implique la finalité feindre, rougir de. Enfin, tous les qualificatifs
intensifs qui s’appliquent aux sentiments sont exclus *Paul n’a rien dit de
peur bleue qu’on ne le critique. Nous examinons maintenant les différents
substantifs qui entrent dans la classe que nous décrivons.
6. DESIR
1) le défini le : avec le désir que tout marche bien, avec le désir de réussir,
avec le désir évident que tout marche bien, avec le désir évident de
réussir
2) l’indéfini un suivi d’un modifieur : avec un désir évident que tout
marche bien, avec un désir évident de réussir, avec un désir évident de
réussite
3) l’article zéro est exclu.
214
Paul n’a rien dit, (il désire, désirant) ne pas envenimer la situation
Paul n’a rien dit, (il a, ayant) le désir de ne pas envenimer la situation
Paul n’a rien dit, (il est désireux, désireux qu’il est, désireux) de ne pas
envenimer la situation
le désir qu’a N0 de VW
le désir de N0 de VW
son désir de VW
N0 est désireux de VW
Nous ne signalons ici que les prédicats appropriés au substantif désir qui
sont compatibles avec l’interprétation finale du substantif.
Comme tous les sentiments, le substantif désir peut être construit avec
des prédicats :
6.4.2. Adjectifs
6.5. Thématisation
217
7. ENVIE
8. SOUHAIT
Le président à fait ces annonces (avec le souhait (évident) que tout marche
bien ; avec le souhait (louable) de réussir ; avec le souhait (manifeste)
d’une réussite immédiate
Les supports sont les mêmes que ceux des deux autres relateurs :
Les adjectifs appropriés les plus fréquemment observés dans les textes
sont : ardent, passionné, sincère. La racine a aussi une forme verbale :
Paul a fait ces remarques virulentes, il souhaitait qu’elles réveillent la
torpeur de l’assemblée.
Les deux formes constituent des emplois sur bien des points différents.
Excluons tout d’abord certaines constructions verbales qui n’ont pas de
correspondant nominal et qui d’ailleurs ne se prêtent pas à une lecture
finale, puisqu’elles mettent en jeu des arguments exclusivement
nominaux :
Si nous ne retenons que les compléments phrastiques, les formes sont les
suivantes :
Paul est parti en Amérique avec l’intention de faire fortune, mais il a échoué
?Paul est parti en Amérique avec l’illusion de faire fortune, mais il a échoué
Ici plus encore que dans le cas de illusion, le locuteur ne prend pas à son
compte l’objectif que se fixe le sujet mais juge que cet objectif n’est pas à
222
Quand les deux termes ne sont pas actualisés, à la différence de ceux que
nous venons de voir, ils prennent à la fois les prépositions avec et dans :
Paul s’est adressé calmement à son adversaire (avec, dans) (l’espoir,
l’espérance) qu’il se laisserait convaincre. On notera que le mode de la
subordonnée est le conditionnel et non le subjonctif. Quand les deux sujets
sont coréférents, la réduction infinitive est naturelle : Paul s’est adressé
calmement à son adversaire (avec, dans) (l’espoir, l’espérance) de pouvoir
le convaincre. Nous relevons aussi qu’avec la préposition avec la
subordonnée peut avoir un prédicat nominal : Paul s’est lancé dans
l’aventure avec un certain espoir de réussite. A la place du déterminant un-
modif, on peut avoir certains quantifieurs : avec (quelque, pas mal d’)
espoir de réussite, ce qui ne semble pas être le cas s’il y a dans : ?dans
quelque espoir de réussite ; ?dans un espoir de réussite.
En revanche, comme nous avons déjà eu l’occasion de le remarquer à
plusieurs occasions, la détermination cataphorique ou interrogative est plus
223
naturelle avec la préposition dans : dans cet espoir, dans quel espoir ?
C’est la préposition sans qui exprime normalement la négation : Paul a
entrepris cette tentative, sans espoir de réussite.
11.2.Verbes supports
11.3.Prédicats appropriés
11.4.Forme verbale
Nous avons signalé plus haut que les substantifs peur et crainte ne sont
pas syntaxiquement homogènes et constituent des emplois différents, dont
un seul nous concerne ici. Il existe un grand nombre de substantifs
désignant une réaction plus ou moins violente devant un danger réel ou
imaginaire : affolement, alerte, effroi, épouvante, frayeur, terreur,
angoisse, appréhension, crainte, inquiétude, frousse, pétoche, trouille.
Seuls de tous ces substantifs, peur et crainte ont donné lieu à des locutions
conjonctive et prépositive de peur de/que, de crainte de/que : *d’épouvante
que, *d’angoisse que, *de frousse que. Mais ceci ne veut pas dire que les
autres ne puissent pas exprimer une finalité. Face à Paul a fermé la fenêtre
de peur que le vent ne disperse ses photos, on peut avoir tout naturellement
la forme actualisée du prédicat peur : Paul a fermé la fenêtre, il a peur que
le vent ne disperse ses photos. Nous interprétons ces deux dernières
phrases comme des finales, contrairement à la construction en par que nous
analysons comme une causale : Paul a fermé la fenêtre, par peur que le
vent ne disperse ses photos. Nous allons donc étudier d’abord peur et
crainte. Nous examinerons ensuite les autres substantifs.
Les locutions qui sont recensées par les grammaires sont construites
avec la préposition de. Nous avons vu que par entraîne plutôt une
interprétation causale. Nous étudions les deux substantifs ensemble,
puisqu’ils ont la même syntaxe. Crainte est d’emploi plus rare, peut-être
parce qu’il est perçu comme plus littéraire.
La détermination de ces substantifs dans le cadre de la locution est
toujours l’article zéro de (peur, crainte) de/que ; *de la (peur, crainte)
de/que ; *d’une (peur, crainte) de/que. La forme de la subordonnée est
assez variée. Ce peut être :
certains cas être effacée : Paul n’a pas osé répondre à cette attaque, (peur,
crainte) de se trouver tout seul à répliquer. Cette tournure est littéraire et
classique. Le substantif crainte donne lieu à une locution introduite par
dans : Les Français se sont désistés, dans la crainte de dépenses excédant
leurs faibles moyens.
Comme les locutions de peur que, de crainte que sont interprétées
comme des négations de afin que et de pour que, on peut se demander si la
forme négative sans crainte de traduit une relation finale. Comme la
double négation n’est pas possible dans l’expression de la finalité, nous
l’interprétons comme un complément de cause.
12.2.Formes conjuguées
Une des règles de bonne formation des finales exige que le prédicat-
relateur ait le même temps que le verbe principal. Cette règle est illustrée
par la possibilité de formation de locutions, c’est-à-dire de perte de
l’actualisation pour le relateur, qui hérite de celle du verbe principal, d’où
l’identité temporelle. Cette règle explique qu’on ne puisse trouver des
supports aspectuels différents du temps du verbe principal : ?Paul est
rentré précipitamment chez lui, il a pris peur qu’il ne se mette à pleuvoir.
Le support avoir n’est pas très naturel avec le mot crainte : *Paul a
crainte qu’il ne pleuve ; *Paul a (très, beaucoup) crainte qu’il ne pleuve.
Ce qui vaut d’être signalé, c’est que la forme négative est très naturelle
Paul n’a aucune crainte d’arriver en retard. Le seul déterminant qui
permette une phrase à peu près acceptable est l’indéfini avec un modifieur :
Paul une certaine crainte qu’il se mette à pleuvoir. Ce substantif est plus
souvent accompagné d’un verbe approprié : trembler de crainte qu’il se
mette à pleuvoir.
Une autre différence entre peur et crainte tient à ce que ce dernier a une
forme verbale associée. On mettra donc en parallèle la forme nominale
crainte avec le verbe craindre : Paul est parti tôt, (de crainte, il craignait)
226
de rater son train. S’il est vrai que ces deux phrases sont synonymes et
que, de ce fait, la forme verbale traduit bien une finalité, alors on ne voit
pas pourquoi certains des verbes d’appréhension que nous avons signalés
plus haut ne seraient pas eux aussi susceptibles d’avoir dans ces
constructions une interprétation finale. Nous pensons évidemment à ceux
qui ont un argument phrastique : Paul est rentré tôt, il (appréhendait,
redoutait) de rater son train. Paul est rentré tôt, il avait la (frousse,
pétoche, trouille) de rater son train. Dans les exemples que nous évoquons
ici, on voit clairement que l’on est à la limite entre finalité et causalité,
comme nous l’avons montré au début de ce chapitre.
Le TLF donne deux sens différents pour les mots de cette racine : 1.
« Etat de l’esprit absorbé par un objet et que cette préoccupation inquiète ;
se faire du souci » ; 2. « Attitude subjective d’une personne qui recherche
un résultat, état d’esprit d’une personne qui forme un projet.
(préoccupation, soin) ; souci de recherche d’une personne qui se soucie de,
se préoccupe de ». C’est évidemment le deuxième sens qui nous intéresse
ici. Les deux sens de cette racine sont corrélés à des constructions
syntaxiques différentes.
Dans le premier sens, le substantif souci a pour support le verbe faire et
le complément est introduit par la préposition pour. Il ne semble pas qu’il y
ait des restrictions sémantiques sur la nature de ce complément : Je me fais
du souci pour (mon frère, cette histoire, l’état du pays). Cet emploi est
caractérisé par des déterminants quantifieurs : Je me fais (un tas de,
beaucoup de, énormément de) soucis pour la santé de mon frère. Un autre
emploi met en jeu le support avoir et le complément est introduit à l’aide
de la préposition avec : Paul a des soucis avec (son fils, cette affaire de
succession). Dans ces différents sens, le mot souci est synonyme de
inquiétude ou encore de misère(s), qui est plus populaire. On remarquera
que dans ces phrases, l’article défini est exclu.
Le sens final, qui nous intéresse ici, exclut le support faire mais prend
avoir et est déterminé par le défini le. Le substantif est nécessairement au
singulier : Paul s’est occupé de ces enfants ; il avait le souci qu’ils aient
une scolarité normale. Nous ne retenons que pour mémoire des tournures
archaïques comme avoir à souci de, tenir à souci de : Paul s’est adressé à
tous les actionnaires, il a à souci de les associer plus étroitement à la
marche de l’entreprise.
Les formes non actualisées sont introduites par les prépositions avec et
dans. Le déterminant est le défini avec un modifieur facultatif :
227
Il a fait tout cela, (avec, dans) le souci (évident) que les choses avancent
Il a fait une réunion plénière, (avec, dans) le souci (louable) de ménager ses
associés
CHAPITRE X
LA PREPOSITION POUR
Nous allons examiner, dans ce qui suit, les différents emplois de pour
introduisant un complément non argumental. Nous excluons les arguments
comme dans passer pour un idiot, prendre quelqu’un pour un idiot, tenir
quelqu’un pour le candidat de gauche. Un critère syntaxique permet de
séparer assez clairement les deux fonctions. Quand une préposition a une
fonction prédicative, c’est-à-dire quand elle introduit autre chose que des
arguments, la « principale » peut être reprise par certains anaphoriques
comme faire cela, et cela, cela s’est fait, cela a eu lieu :
Paul a corrigé toutes les métaphores scabreuses, pour améliorer son texte
Paul a corrigé toutes les métaphores scabreuses et (il a fait cela, cela) pour
améliorer son texte.
230
finalité le fait que le projet puisse être interrompu : Je suis allé au guichet
pour acheter des billets, mais il n’y en avait plus quand c’était mon tour.
Continuons notre examen des compléments de temps en pour : Nous
sommes partis à Athènes pour une semaine. La durée est envisagée à son
début et le projet peut être interrompu par un événement indépendant, qui
en interrompt le cours Nous étions partis pour une semaine mais cette
mauvaise nouvelle nous a rappelés chez nous au bout de deux jours.
L’interprétation projective du complément de temps en pour explique qu’il
ne soit pas compatible avec un verbe comme séjourner *Nous avons
séjourné à Athènes pour une semaine. Cette différence de perspective rend
compte de l’acceptabilité douteuse que signale P. Cadiot 1991: 249 Il est
resté ici pour trois jours. En cela, pour a un fonctionnement très différent
de pendant, qui implique non le début d’une durée mais les deux termes et
désigne un laps de temps objectif Nous avons séjourné à Athènes pendant
une semaine. Même si le verbe est au passé, le complément en pour
indique une durée ouverte et orientée vers l’avenir : Il était venu nous voir
pour deux semaines.
Il en est de même pour les dates, en cas de prédicat événementiel. La
préposition pour implique que celles-ci fassent l’objet d’une hypothèse,
interprétation qui est encore soulignée par des verbes spéculatifs : La
cérémonie est prévue pour le début de l’année prochaine. On observe ici le
même correctif qu’avec les compléments de lieu. Dès lors qu’on fait des
projets, il faut envisager la possibilité qu’ils ne se réalisent pas : La
cérémonie était prévue pour dimanche, mais elle a dû être remise au
vendredi suivant. En revanche, quand il s’agit de verbes supports
d’occurrence statiques qui excluent le doute, alors pour est exclu au profit
de à : La cérémonie aura lieu au début de l’année prochaine.
On voit donc que les compléments en pour que nous avons examinés,
qu’ils soient objets ou circonstants, ont d’importantes propriétés
communes. Ils impliquent tous une destination, une perspective, un projet.
Ils accompagnent des prédicats bornés à gauche et orientés vers l’avenir.
Ils expriment une intention, une volonté. Leur réalisation peut donc être
compromise, tout comme le but qu’on se fixe.
En cela, les emplois que nous venons de décrire sont très différents des
compléments de cause introduits par pour, qui correspondent au contraire à
une antériorité, comme le met clairement en lumière l’emploi de l’infinitif
passé. Nous n’analysons ici qu’un des emplois causatifs en pour illustré par
un exemple comme Jean Valjean s’est fait condamner au bagne pour avoir
volé du pain. Cet emploi pourrait être appelé « cause sanctionnante » et
serait le même dans une interprétation positive Cet écrivain a reçu le prix
Goncourt pour son roman sur les Incas. La thématisation du complément
232
De même que pour suivi d’un infinitif est polysémique, final avec un
infinitif présent et causal avec un infinitif passé, de même la suite pour que
ne peut pas être décrite sans mettre d’abord en évidence les sens multiples
qu’elle peut avoir en fonction de sa distribution. Nous soulignons la lecture
finale en comparant le comportement de pour que avec afin que considéré
comme monosémique. On ne confondra donc pas les constructions finales
en pour que avec :
Ces différences sont nombreuses et dépendent avant tout du fait qu’il n’y
a pas ici de substantif. Cette observation d’évidence mérite cependant
d’être examinée de près. Elle contredit d’abord une règle générale qui veut
qu’une phrase ne peut pas figurer dans l’environnement immédiat d’une
préposition sans l’intermédiaire de la forme pronominale ce, comme on le
voit dans les exemples suivants : *par que/parce que, *en que/en ce que.
Cette règle vaut aussi dans le cas des constructions verbales indirectes
*s’intéresser à que/s’intéresser à ce que , *s’occuper de que/s’occuper de
ce que, *compter sur que/compte sur ce que. Les contre-exemples sont
rares : outre pour que on observe dès que et la suite sans préposition alors
que. Il convient de s’interroger sur les raisons de cette particularité.
Il faut noter d’abord qu’en ancien français la structure comprenait bien
la présence du démonstratif ce et l’on avait naturellement por ce que, de
même qu’on avait jusqu’au moyen français pour exprimer la cause la
locution à ce que. Face à ces faits, deux attitudes sont possibles. Ou bien
on admet l’absence de la forme ce comme une donnée primaire et l’on est
en face d’une irrégularité, ce qu’on ne peut jamais exclure dans le cas des
langues naturelles, ou bien on tente d’en élucider la formation, en faisant
confiance à l’analyse syntaxique. C’est cette seconde solution qui a notre
préférence. La forme ce est un déterminant dont les fonctions sont diverses
(anaphorique, cataphorique ou déictique) mais qui implique la présence
d’un substantif, du fait de sa fonction de déterminant. En effet, très souvent
on observe des constructions parallèles mettant en jeu les deux
constructions : Cela tient à ce qu’il n’a pas réussi son opération ; cela tient
au fait qu’il n’a pas réussi son opération ; Cela vient de ce qu’il n’est pas
arrivé à temps ; cela vient du fait qu’il n’est pas arrivé à temps.
Cette analyse impliquant un substantif classifieur effacé n’est pas ad
hoc. Déjà en ancien français, pour l’expression de la cause, on avait
parallèlement les locutions por ce que et por celle raison que. M. Piot
234
(1976 : 228) cite la présence dans l’ancienne langue d’un substantif por
icelle fin de (ce que Psubj + VW). J. Chaurand nous signale que le type
pour ce que est attesté depuis la Chanson de Roland et que les exemples en
sont innombrables. A la fin que et a cele fin que sont de la fin du 13e siècle
mais sont loin d’être aussi usuels. On peut penser aussi à la forme
propterea du latin : propterea quod traduit la cause et propterea ut le but.
Le français pour ce que a les deux sens, que distingue le mode du verbe,
respectivement l’indicatif et le subjonctif.
En cas d’effacement d’un classifieur, la tradition grammaticale a
toujours eu le réflexe de dire que le déterminant devient un pronom, faisant
intervenir la notion de neutre, qui n’est pas évidente en français. C’est ainsi
qu’on analyse comme pronom la forme ce dans sur ce et d’autres
prépositions Ils marchaient (devant, derrière). Le cas des locutions
temporelles en est un autre exemple. Face à dès que on a dès le moment
que, dès l’instant que où le substantif classifieur est un nom de temps
ponctuel fonctionnant comme repère. Un cas intermédiaire est alors que
dont l’étymologie semble être à l’heure que (où) où le substantif autonome
heure n’a pas été effacé mais est devenu le « pronom » temporel lors, que
l’on trouve dans d’autres locutions : dès lors, depuis lors. Reste à montrer,
ce que nous ne sommes pas en mesure de faire ici, pourquoi por ce que est
devenu por que puis pour que, perdant la forme démonstrative.
Quoi qu’il en soit de cette discussion étymologique, la syntaxe actuelle
de la locution pour que a entraîné des différences majeures avec les autres
locutions finales. Toutes les propriétés liées à la présence d’un substantif
sont absentes :
4. SYNTAXE DE LA CONSTRUCTION
dire comme des complétives) des prédicats nominaux, que ceux-ci figurent
dans les locutions ou qu’ils constituent un emploi libre quand ils sont
accompagnés de leur verbe support. Nous adoptons la même position
théorique ici. Cela implique que nous considérions pour comme un
prédicat. Or, par définition, un prédicat doit pouvoir être actualisé. Nous
pensons donc que la construction de base implique un sujet et un
complément phrastique, que nous reconstituons de la façon suivante Que
Paul ait dit cela est pour que tout le monde soit au courant, à quoi nous
appliquons la transformation principale que nous avons déjà décrite ailleurs
et qui donne Paul a dit cela pour que tout le monde soit au courant.
a) Prédicats verbaux
b) Prédicats nominaux
Nous vous avons fait ces remarques pour que vous ayez désormais une
connaissance claire de la situation
236
Les représentants sont venus pour une inspection méticuleuse des lieux
Paul est venu pour la correction des épreuves
Ces constructions ne doivent pas être confondues avec celles qui mettent
en jeu des prédicats événementiels à interprétation temporelle ou des
humains interprétés comme des bénéficiaires :
Les enfants sont venus pour la fête de leur cousin (= à l’occasion de)
S’il est venu à la fête, c’est pour Marie
a) Interrogation
La subordonnée peut faire l’objet d’une interrogation et prendre alors la
forme quoi soudée avec la préposition : Pourquoi es-tu venu ici ? Pour
acheter des fleurs. En cas de coréférence, il est possible que cette forme
soit la réduction d’une phrase comprenant le verbe faire, représentant des
prédicats d’action : Pour quoi faire es-tu venu ici ? Nous rappelons que
l’interrogatif pourquoi a une interprétation ambiguë. Comme l’avait
remarqué Aristote, il peut s’appliquer à une phrase finale ou causale
Pourquoi fait-il si froid ? Parce que le vent vient du Nord.
b) Pronominalisation
La subordonnée peut aussi être pronominalisée à l’aide des pronoms cela
et ça : Paul veut refaire la toiture. Pour (cela, ça), il est allé chez le
charpentier que tu lui as conseillé. Il n’est pas interdit de penser qu’ici
aussi le verbe faire peut être la source - Pour (faire cela, ce faire), il est
allé chez le charpentier que tu lui as conseillé – d’autant que le pro-
prédicat faire cela, le faire, fonctionne comme un prédicat d’action
237
générique. Cela ne vaut cependant que pour la forme non conjuguée, qui
contient forcément une action.
c) Négation
La négation affectant la subordonnée prend la forme pour que ne…pas
(une variante populaire est pour pas que) : Tu as fermé les volets (pour que
la pluie ne vienne pas mouiller le parquet, pour ne pas que la pluie vienne
mouiller le parquet). Il existe une variante de cette forme négative qui met
en jeu les verbes empêcher et éviter : Tu as fermé les volets pour
(empêcher, éviter) que la pluie ne vienne mouiller le parquet. La forme
pour rien dans Paul est venu pour rien ne doit pas être considérée comme
de nature finale. Son synonyme est inutilement.
d) Focalisation
La subordonnée peut être extraite dans c’est…que : C’est pour nettoyer
sa chambre que Paul a acheté ce produit d’entretien.
On dit souvent que les subordonnées n’ont pas de place fixe dans la
phrase. Cette présentation est évidemment réductrice. Les finales peuvent
être placées : a) normalement après la principale On a ouvert la grille, pour
que les enfants puissent entrer dès huit heures ; b) en position frontale :
Pour que les enfants puissent entrer dès huit heures, on a ouvert la grille.
Cependant cette phrase ne semble pas tout à fait naturelle. On peut
l’améliorer en ajoutant un complément Pour que les enfants puissent entrer
dès huit heures, on a ouvert la grille plus tôt que d’habitude.
Un autre facteur peut intervenir. La position frontale est d’autant plus
naturelle que les deux événements sont considérés comme autonomes. Si
donc la subordonnée est induite par un certain type de prédicats, comme les
verbes de mouvements, l’antéposition est plus difficile :
L’homme a déplacé le tabouret (afin que, pour que) tous soient contents
Il s’en est allé dans les Vosges (afin de, pour) rédiger ce chapitre
On ne voit aucune relation nécessaire entre les deux prédicats reliés par
les connecteurs de but afin que et pour. On admettra que le lien de finalité,
purement contingent, est le fait de l’affirmation du locuteur. Les deux
relateurs ont ici clairement des environnements communs. Le statut de afin
que/de est sans équivoque, il ne peut introduire qu’une subordonnée non
argumentale sur le statut de laquelle il n’y a pas à hésiter. En particulier, la
suite afin que/de ne peut jamais être considérée comme un argument du
verbe de la principale.
Les constructions en pour (que) sont plus complexes. Soit la phrase Paul
s’est arrangé pour que tout soit prêt à temps. Du point de vue conceptuel,
cette construction correspond aux conditions d’une lecture finale : un
prédicat d’action à sujet agentif (s’arranger), une conséquence souhaitée
(tout être prêt) et un connecteur (pour que). A première vue, on est donc en
présence d’une construction finale.
Mais certaines propriétés syntaxiques des finales manquent ici. Nous
avons vu que ces phrases peuvent faire l’objet d’une interrogation en quoi
ou d’une pronominalisation en cela, ça : Paul s’est inscrit dans ce club
pour faire du tennis : Pourquoi Paul s’est-il inscrit dans ce club ? C’est
pour (cela, ça) que Paul s’est inscrit dans ce club. Ces modifications ne
sont pas possibles dans la phrase que nous avons citée *Pourquoi s’est-il
arrangé ? *Paul s’est arrangé pour cela. D’autre part, les finales peuvent
assez naturellement figurer en position frontale : Pour faire du tennis, Paul
s’est inscrit dans ce club. Cette possibilité semble exclue pour notre cas :
*Pour que tout soit prêt à temps, Paul s’est arrangé. Notons enfin que la
phrase en pour que P ne peut pas être effacée, car le verbe s’arranger ne
peut pas figurer seul Paul s’est arrangé. On doit donc s’interroger sur le
statut de la subordonnée pour que tout soit prêt à temps. Si on compare la
239
phrase avec une construction voisine comme Paul a fait que tout soit prêt à
temps, on peut suggérer l’hypothèse que la subordonnée en pour que n’est
pas une finale typique mais une sorte de complétive.
Il existe donc certaines classes de verbes « orientés vers le futur » et
donc semblables aux verbes analysés au Ch. IV, mais qui régissent la
préposition pour, dont le complément peut être interprété comme un
objectif à atteindre. Nous donnons ici certaines de ces classes mettant en
jeu des prédicats de :
a) parole :
b) souhait :
Vous avez formé des (vœux, souhaits) pour que tout soit mis en œuvre pour
châtier les coupables
c) consensus
Ils sont tombés d’accord pour que chaque pays formule ses propres
revendications
Un accord a été conclu pour que la ventilation des crédits se fasse dans des
conditions plus acceptables
d) effort
Il faudrait se battre pour que les CDD aient un statut un peu moins précaire
Le peuple s’est dépensé sans compter pour que le pays retrouve sa
puissance d’antan
Le gouvernement a tout fait pour que règne la confiance
Ils ont mené un combat sans faille pour que le Québec soit reconnu dans le
concert des Nations
Il avait mis tout son poids dans la balance pour que le programme soit
respecté dans son intégralité
e) décision
240
La direction a pris les mesures pour que les travaux soient réalisés à temps
Tu dois prendre des dispositions pour que les promesses faites soient tenues
f) prévision
g) ordre
CHAPITRE XI
FINALITE ET ARTEFACTS
La finalité, telle que nous l’avons définie jusqu’à présent, met en jeu
d’une part deux prédicats, celui de la principale dont le sujet est un humain
et celui de la subordonnée qui ne fait l’objet que de peu de restrictions et,
d’autre part, un prédicat du second ordre reliant les deux autres et pouvant
être un verbe, un adjectif ou un substantif actualisé ou non. Dans ce dernier
cas, il est inséré dans une structure appelée « locution ». On voit donc que
la finalité stricto sensu est une relation entre prédicats.
Cependant, il existe d’autres relateurs de finalité qui prennent en compte
des éléments de nature argumentale, comme les concrets, par exemple.
Cela implique que ces objets puissent jouer un rôle dans l’élaboration d’un
projet ou la détermination d’un but. Les objets bruts : caillou, poussière,
humus n’appartiennent pas aux ensembles que nous essayons d’évoquer.
Ce sont des réalités qui précèdent l’homme, qui s’imposent à lui et qui
échappent à tout projet de sa part. Nous n’entrerons pas ici dans une
réflexion philosophique sur l’idée de finalité interne de la nature (voir la
préface). Nous dirons simplement que, du point de vue de l’homme, si une
telle finalité peut être perçue et décrite linguistiquement, elle existe par
elle-même et ne révèle aucun projet préétabli.
Cela ne veut pas dire que l’homme soit incapable de tirer parti de ces
objets, comme en rend compte la suite se servir de N comme d’un N : Paul
se sert de ce caillou comme d’un marteau ; Paul s’est servi de cette
allumette comme d’un cure-dent. Ces substantifs, comme on le voit,
fonctionnent comme des moyens et non des compléments de but. Il faut
assurément une pensée religieuse ou eschatologique pour affirmer que « les
melons sont en tranches pour être mangés en famille ». La finalité
intervient dès lors que l’homme est le maître du jeu, qu’il pose un acte ou
modifie son environnement en vue de la réalisation d’un objectif qu’il s’est
fixé.
Si un caillou est un objet naturel dont l’existence est tributaire des
phénomènes sismiques ou météorologiques et ne procède d’aucun plan
242
et celle d’instrument :
Des objets un peu plus complexes peuvent être, par exemple, des
dispositifs, qui ont, à la différence des outils, une certaine autonomie par
rapport à l’homme, comme les cadrans des instruments de mesure. Plus
complexes encore sont les machines, dont le fonctionnement est autonome
et pour lesquelles l’intervention de l’homme se réduit souvent à la mise en
marche ou à l’arrêt. On admettra que l’ordinateur est la machine la plus
complexe : elle peut se substituer à l’homme pour un grand nombre de
tâches abstraites comme de calculer, combiner, additionner, etc. Le degré
de complexité n’est cependant pas pertinent ici. L’important réside en
ceci : la finalité est constitutive de la définition des artefacts. Ceux-ci sont
évidemment beaucoup plus nombreux et diversifiés que nous ne le laissons
entendre ici. Il est clair que les vêtements, les moyens de transports, les
aliments, l’argent, les médicaments, etc. ont des finalités propres. Il
243
convient d’ajouter que ces objets peuvent, comme les objets naturels, servir
à des fins occasionnelles secondaires. Un couteau sert essentiellement à
couper, même si on peut dire très naturellement Paul a utilisé son couteau
pour serrer cette vis.
Il existe aussi des artefacts dont l’utilisation est moins exclusive et qui
ont besoin, dans certains cas d’être définis du point de vue de leur
utilisation. Au chapitre VI, nous avons signalé que le prédicat finalité a des
sujets prédicatifs : Cette démarche avait pour finalité de mettre les choses
au point entre les deux belligérants. Ce substantif n’est pas naturel avec les
artefacts ?La finalité de ce bouton est de fermer un col de chemise. Nous
avons vu que, dans ce cas, on se sert du substantif destination surtout s’il
s’agit de termes génériques comme outil, instrument, dispositif que d’outils
spécifiques comme marteau ou scie :
La description la plus typique d’un artefact contient une finale, qui est la
façon la plus naturelle et la plus immédiate pour caractériser la destination
fonctionnelle de la structure. On a souvent observé que les enfants
définissent les objets en fonction de leur utilité : une voiture, ça sert à se
déplacer ; un lit, c’est pour dormir dedans. La structure encapsule l’action
finalisée qui l’a conçue et sa fonction est assimilée à un but.
4. TEMPS
suffire :
consacrer :
5. ARTEFACTS ABSTRAITS
6. LES HUMAINS
Enfin, la finalité peut entrer en ligne de compte dans le cas des humains.
C’est en particulier avec un emploi particulier du verbe destiner : Mes
parents me destinaient à la vie militaire. D’autres constructions peuvent
paraphraser la même idée Mes parents avaient pour moi de hautes
ambitions. Ce qui rapproche ces phrases de la finalité, c’est le fait que le
sujet est un humain et donc en mesure de formuler un projet. Mais il n’est
pas exclu de penser que, métaphoriquement, la finalité ne soit pas
totalement absente de phrases comme : Le succès de ses premiers romans
le destinait à recevoir un jour un prix littéraire. Il reste que l’on est ici plus
proche de la conséquence que du but.
248
249
CHAPITRE XII
CONCLUSIONS :
LA PLACE DU BUT DANS LA CATEGORISATION DE L’ACTION
Tout au long de notre recherche, nous avons constaté que l’ensemble des
expressions finales couvre une constellation de concepts hétérogènes,
quoique interconnectés. A côté de la finalité proprement dite, liée à l’action
humaine et à ses motivations, nous avons rencontré des expressions finales
utilisées pour la description de structures statiques, et notamment des
artefacts et des êtres vivants. Dans le cas des artefacts, le choix de la forme
finale se justifie par une référence implicite à l’intention humaine qui les a
conçus et à l’action qui les a produits. Dans le cas des êtres vivants, la
forme finale fournit un moyen d’expression simple, direct et adéquat à
l’idée partagée que leur structure se justifie en vue d’une destination
fonctionnelle évidente. Dans ce domaine, la finalité se dissocie
définitivement de l’action humaine et se change en téléologie, et donc en
critère d’intelligibilité de structures relevant du monde des phénomènes.
Si nous considérons dans son ensemble la relation entre l’éventail des
moyens d’expression de la finalité et le répertoire des structures
conceptuelles exprimées, cependant, nous voyons se profiler un
déséquilibre aussi clair que révélateur. La finalité liée à l’action humaine
est la seule structure conceptuelle qui admet comme expression cohérente
tout l’éventail des moyens répertoriées. La description des artefacts et,
surtout, des êtres vivants, au contraire, n’est compatible qu’avec une
poignée de moyens, qui sont aussi les moins contraignants sur le plan
conceptuel.
La forme la plus utilisée est la tournure pour + infinitif, qui, comme
nous l’avons remarqué plus haut (Ch. VI, § 2.1), ne code pas l’intention
d’un sujet, et autorise de ce fait l’interprétation de son contenu en termes
de destination fonctionnelle de structures statiques relevant du monde des
phénomènes.
Dans la description téléologique des êtres vivants, on observe le transfert
de la finalité du royaume de la liberté au royaume de la nécessité, pour
emprunter le langage suggestif de Kant. En effet, la forme finale admet
250
dans ce cas une paraphrase causale qui comporte, à la place d’un verbe lié
à la volonté, le verbe devoir :
Or, il est évident que le verbe devoir n’est pas employé ici dans l’acception
morale, déontique, qu’il admet en présence de sujets humains : Jean a loué
un appartement parce qu’il doit déménager à Paris. Au contraire, il
désigne la nécessité dans le monde des phénomènes, selon un emploi que
les logiciens appellent anankastique (Conte 1995 ; 1998), le même que l’on
trouve dans l’expression Tous les hommes doivent mourir.
Les prédicats de volonté sont exclus de l’expression cohérente de la
destination téléologique des structures pour des raisons évidentes, et cela
vaut, à plus forte raison, pour les prédicats de sentiments. Le peu de formes
d’expressions cohérentes réellement utilisées dans le domaine de la
téléologie se concentrent dans l’aire des métaphores locatives et de la
vision.
Parmi les prédicats locatifs, but est le seul qui se prête naturellement à
l’expression d’une nécessité téléologique, et cela pour deux raisons. En tant
que métaphore locative, le prédicat but admet de recevoir comme sujet des
procès, et donc des descriptions d’états, ce qui enlève un premier veto
ontologique à son emploi en présence de descriptions de structures. Parmi
les métaphores locatives, en outre, but est certainement le prédicat le plus
neutre. Les prédicats locatifs liées plus étroitement à l’idée d’un
mouvement orienté, comme objectif ou cible, seraient moins naturels en
présence de structures statiques qui ne peuvent pas être interprétées comme
résultats d’une action humaine.
Dans le domaine des métaphores de la vision, l’expression en vue de est
appropriée aux artefacts en raison des visées de leurs constructeurs. En ce
qui concerne la description des êtres vivants, l’extension métaphorique est
usuelle depuis Aristote pour distinguer un critère d’intelligibilité prospectif
et fonctionnel d’un critère rétrospectif et causal :
Si donc les choses artificielles sont produites en vue de quelque fin, les choses de la
nature le sont également, c’est évident ; car dans les choses artificielles comme dans les
naturelles les conséquents et les antécédents sont entre eux dans le même rapport45.
45. Aristote, Physique (I – IV), Texte établi et traduit par Henri Carteron, septième
édition, Les Belles Lettres, Paris, 1990 : 199a, 77.
251
Les arbres sont des êtres vivants [qui] doivent préserver l’intégrité de leur corps et le
garder dans une position qui leur permette de tirer des bénéfices du milieu naturel. Dans
ce but, les arbres ont évolué des systèmes d’autorégulation et de contrôle, qui tiennent
compte des variables fondamentales et réagissent de façon appropriée. Leurs intérêts –
et donc leur intentionnalité rudimentaire – sont dirigés ou vers l’intérieur ou vers les
conditions externes - vers l’interface entre l’organisme et un milieu impitoyable. La
responsabilité du monitorage et des corrections éventuelles n’est pas centralisée mais
diffuse […] Malgré tout, les stratégies minimalistes des arbres peuvent être satisfaites
par une ‘activité décisionnelle’ hautement diffuse et peu coordonnée par un échange
d’information qui, se produisant par diffusion de fluides dans le corps de l’arbre, ne
peut qu’être lent et rudimentaire.
Avant d’être accomplie en vue d’un but qui lui est externe - je salue une
personne pour lui témoigner mon amitié - une action n’est une action que
dans la mesure où un but interne unifie des constituants épars dans une
structure unitaire. Comme le souligne Taylor (1964 : 27), « our ordinary
action concepts generally pick out the behaviour they are used to describe
not just by its form or overt characteristics or by what it actually brings
about, but also by the form or goal-result which it was the agent’s purpose
or intention to bring about ». Décrire une action, c’est donc interpréter un
comportement à la lumière d’un but qui lui est interne, expliciter le lien
constitutif entre sa catégorisation comme action et l’identification de
l’intention qui lui donne son unité et son sens.
49. Cfr. aussi Danto (1968 : 56): « Moving an arm is not the result of an act of will:
it is an act of will ».
257
brought about a given result is not the same thing as an action which was
directed towards this result50 ».
C’est à cause de l’immanence du but que définir une action c’est en
premier lieu l’interpréter, c’est-à-dire redécrire (Taylor 1964 : 36) une
certaine constellation de faits observables à la lumière d’une intention qui
lui donne son unité et son sens. L’intention est à l’action ce que la
signifiance - le fait d’avoir un signifié - est au signe : « Intentional
behaviour, one could say, resembles the use of language. It is a gesture
whereby I mean something » (Von Wright 1971 : 115). Dans les cas
paradigmatiques, l’interpretation de l’action identifie l’intention de l’agent,
qui est censée contenir le sens de l’action. Si nous interrogeons quelqu’un
sur ce qu’il fait, « we want to be provided with an interpretation51 »
(Davidson 1968 : 85). Evidemment, comme nous le verrons plus loin (§ 3),
ces remarques seraient falsifiées par notre expérience la plus banale si elles
impliquaient que l’agent contrôle jusqu’au bout ses intentions et la
congruence de ce qu’il fait avec elles. Mais nos remarques n’impliquent
pas cela. Elles impliquent simplement qu’il est sensé - qu’il est essentiel
pour une description cohérente de l’action – d’interpréter un comportement
comme action à condition d’y voir la réalisation de l’intention d’un agent.
motifs poussant le sujet à agir, et ces motifs, en tant que motifs prospectifs,
peuvent être catégorisés comme buts : J’ai ouvert la fenêtre pour que la
pièce se rafraîchisse. Les vecteurs des causes et des motifs, ainsi, se
croisent : si l’action – l’ouverture de la fenêtre - est une cause qui produit
un effet - le rafraîchissement de la pièce – l’effet, une fois qu’il est
poursuivi intentionnellement par le sujet, devient un motif pour accomplir
l’action destinée à le provoquer.
Ce que nous venons de décrire, c’est le type paradigmatique de but
indépendant : d’un résultat visé par l’action intentionnelle du sujet mais
indépendant de la structure et de la description de celle-ci. Mais il y a des
cas où ce que nous pouvons catégoriser comme un but dans une certaine
description n’est pas une action ou un événement indépendant visé par
l’action du sujet, mais simplement une redescription de l’action de départ -
une réinterprétation de celle-ci à la lumière d’un but inhérent différent.
Imaginons que Jean soit chargé d’inaugurer une compétition (c). Pour ce
faire, Jean fait un signe (b), et pour faire ce signe, il soulève un bras (a)52.
Dans un tel cas, nous ne pouvons pas simplement considérer (c) comme un
but externe de (b), et (b) comme un but externe de (a) ; en fait, (b) et (c)
peuvent être considérés comme autant de redescriptions ou
d’interprétations de (a) comme étant une action. Plus généralement, une
seule et même constellation de phénomènes observables peut être
interprétée comme une instance de plusieurs actions différentes de plus en
plus complexes : par exemple, comme l’action de soulever un bras, de faire
un signe, d’inaugurer la compétition. Dans chacun des cas, le mouvement
du bras reçoit une interprétation – et une description - différente.
Nous avons envisagé trois types de chaînes engageant des actions :
52. Un exemple de but qui coïncide avec une redescription est donné par Davidson
(1968 : 86) : « A man driving an automobile raises his arm in order to signal. His
intention to signal, explains his action, raising his arm, by redescribing it as
signalling ».
259
53. Cf. Danto (1968 : 55) : « In case of basic action, there is no action, distinct from
the action itself, to be put into the explanans. This is due to what I am terming the
givennes of basic actions ».
260
54. Nos remarques n’impliquent pas que de telles tautologies soient dépourvues de
sens (cf. Prandi 1994). Une énonciation de ce genre, par exemple, pourrait avoir pour
valeur d’exclure toute référence de l’action à tout but d’ordre supérieur – par exemple
saluer une personne – aussi bien qu’externe : par exemple, faire plaisir à une personne.
261
encapsule l’idée complexe que j’ai émis certains sons articulés dans le but
de faire une promesse. Cependant, l’action complexe tend à être
catégorisée, en l’absence d’obstacles contextuels spécifiques, non pas au
niveau le plus bas - comme un acte d’émission sonore - mais au niveau le
plus élevé : comme un acte de promesse.
La finalité synthétique, pour sa part, ne se limite pas à expliciter en
forme de relation finale la structure interne d’une action complexe
stratifiée, mais relie dans une relation finale deux procès virtuellement
indépendants : d’une part, une action du sujet, et de l’autre un but qui peut
coïncider avec une action distincte accomplie par le même sujet ou par un
sujet différent, ou avec un événement du monde des phénomènes. Une
relation finale synthétique est la relation finale par excellence.
Encore une fois, la différence entre la finalité analytique et la finalité
synthétique peut être illustrée par l’observation des actes de langage, et
notamment par la distinction entre actes locutoires, illocutoires et
perlocutoires proposée par Austin (1962). Un acte illocutoire est un acte
locutoire interprété à la lumière d’une certaine intention d’ordre supérieur –
par exemple de l’intention de promettre. L’acte perlocutoire, au contraire,
est un but externe, qui ne coïncide pas avec une redescription de l’action de
base. Si j’ai fait une promesse à un ami pour le soulager, par exemple, cela
ne m’autorise pas à redécrire l’acte de promesse comme un acte de
soulagement. L’acte perlocutoire décrit le contenu d’une intention qui
amène à accomplir l’acte illocutoire plutôt que le contenu de l’intention qui
lui donne son sens d’acte illocutoire.
Pour conclure, l’espace de la finalité est plus étroit que l’espace des
conséquences des actions - il coïncide avec l’espace des conséquences des
actions qui sont visées par le sujet - et plus large que l’espace de la
redescription, car il inclut en premier lieu les buts synthétiques qui ne se
laissent pas réduire à des redescriptions de l’action principale. La frontière
entre la simple conséquence d’une action et le but qui la déclenche
démarque de l’extérieur le domaine de la finalité en général ; la frontière
entre la redescription et la finalité synthétique trace une distinction interne
au domaine du but entre la simple explicitation analytique de forme finale
de l’action stratifiée et la position d’une véritable relation finale entre
procès indépendants.
55. Sur la relation entre conscience et langage, cf. Dennett (1996 : Ch. 5).
56. Cela se produit, par exemple, dans le roman Pinocchio de Carlo Collodi : à un
moment donné, le protagoniste est arrêté du fait qu’il a subi un vol.
57. Cf. aussi Danto (1968 : 49) : « It is only insofar as something is an action
already that blaming it, or blaming someone for doing it, is appropriate ». L’évaluation
morale du comportement, cohérente avec l’idée d’une responsabilité de l’agent, est
encapsulée dans toute une constellation de mots. Cf. Feinberg (1968 : 96) : « While
‘condemnatory verbs’ such as ‘cheat’ and ‘murder’ are of course used to impute faulty
actions, they are not the only verbs to do so. Such words as ‘miscalculate’ and
‘stammer’ also have faultiness built into their meanings ».
264
Les attributs que l’on doit accorder à l’être humain pour pouvoir le
concevoir de façon cohérente comme être conscient et responsable de ses
actions posent un problème philosophique délicat. Il s’agit d’un côté du
problème traditionnel de la liberté et du déterminisme, de l’autre de la
tension entre conscience et inconscient. Si l’être humain est en fait déchiré
entre liberté et détermination, entre action et passion, entre conscience et
inconscient, comment peut-on dire qu’il est conscient et maître de ses
décisions, en un mot, libre et responsable ?
L’écho de ce problème philosophique se répercute aussi dans la
description linguistique, car les prédicats qui se partagent l’expression de la
finalité oscillent à leur tour entre les deux pôles du champ : entre la liberté
et la détermination, la conscience et l’inconscient, l’action et la passion. Si
les prédicats de l’aire de l’intention soulignent le côté rationnel, conscient
et actif de la motivation et de l’action des sujets, les prédicats émotionnels
renvoient la décision du sujet aux racines irrationnelles et inconscientes des
passions. Le concept de désir, le plus typique de toute la famille, illustre
58. Comme le remarque Segre (1979 : 14), l’histoire du loup de Gubbio peut être
lue comme une parabole adressée aux citoyens litigieux des Communes italiennes en
faveur d’une morale publique bourgeoise, capable de remplacer par l’argumentation et
la transaction pacifique le recours systématique à la violence.
266
1. Jean est rentré chez lui parce qu’il ressentait un profond regret d’avoir quitté
ses parents
2. *Jean est rentré chez lui dans le regret de revoir ses parents
3. Jean est rentré chez lui parce qu’il ressentait le désir de revoir ses parents
4. Jean est rentré chez lui dans le désir de revoir ses parents
60. Ce qui distingue le discours ontologique du discours empirique est le fait que le
second ne porte pas, à la différence du premier, sur les propriétés effectives des êtres,
mais sur les propriétés qui peuvent être prédiquées pour eux de façon cohérente.
Comme Sommers (1963(1967 : 160)) le souligne, « The ontologist is interested in
categories ; he is, qua ontologist, not interested in whether a thing is red or whether it is
green but in whether it is coloured. Even this is not altogether accurate : he is interested
in its character of being coloured or colourless», et donc à son aptutide à recevoir une
couleur : «whenever a predicate P is significantly applicable to a thing, then is its
complement non-P […] Thus, any predicate P can be constructed as |P| or ‘the absolute
value of P’, by which we mean that P spans the things which are either P or non-P but
does not span things which are neither P nor non-P. For example, if P = philosopher,
then |P| defines the class of things that are either philosophers or non-philosophers»,
that is, adult human beings. «In the class of things that are |P| are Bertrand Russell and
Cleopatra, but not the Empire State Building » (159).
61 La distinction entre propriétés essentielles et propriétés empiriques explique
pourquoi la « déconstruction du sujet » traditionnellement attribuée aux pensées de la
crise - à Marx, à Nietsche, à Freud, notamment -, si elle a démonté beaucoup d’illusions
sur la nature humaine, n’a pas mis hors jeu la responsabilité des sujets, et donc leur
accès à la liberté. La déconstruction du sujet a montré combien il est difficile d’être
libre, responsable, conscient, mais n’a pas détruit le sens de la liberté, de la
responsabilité et de la conscience dans l’agir humain. On ne peut pas détruire par des
arguments empiriques une réalité qui ne l’est pas, et qui fonde la cohérence du monde
empirique. Quel que soit le pouvoir des mobiles externes - provenant de la société - ou
internes - provenant de l’inconscient - le sujet demeure, en dernière instance, un sujet de
décision, un centre de responsabilité d’une action qui n’est compréhensible qu’à
condition d’être l’issue d’une décision libre. Ou, du moins, il est tenu pour tel dans
l’ontologie naturelle partagée qui forme le sous-sol de notre comportement cohérent.
270
BIBLIOGRAPHIE
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Wilson, 39
Windelband W., 82
Yule , 37
Zwicky, 90
289
déterminant interrogatif, 64
déterminant négatif, 64
déterminant quantifieur, 65, 226
détermination, 24, 57, 59-60, 64, 95, 97, 164-165, 171, 183, 187, 194-195, 200, 213,
218, 224
détermination anaphorique, 60-62, 164, 183, 198, 215
détermination cataphorique, 60, 222
dislocation, 50, 158
effacement, 62-63, 68, 70, 156-157, 159, 234
emploi, 44, 57, 60, 65, 71, 86, 101, 138-140, 162, 169, 180, 186, 188, 194, 199, 202,
204, 211, 213-214, 217, 219, 224, 226-227, 229, 231, 247
emploi libre, 57, 235
enrichissement inférentiel, 32-33, 40
explication téléologique, 254, 260
expression figée, 167
expression verbale figée, 69
figé, 57-58, 61, 66, 158, 167, 170, 180, 183, 194, 223
figement, 57, 183
final, 96, 106-107, 123, 125-126, 129-130, 144, 160, 167, 179, 213, 221, 232
finalité, 1-4, 6-13, 15, 17, 19, 36, 65, 73-74, 92, 103, 105-108, 113-114, 116, 121-122,
125, 134-135, 137, 143-144, 146, 151, 156, 159-160, 165, 169-170, 172, 175-176,
179, 186, 191, 193, 202, 207-213, 215, 224, 225-226, 231-233, 238, 240-243, 245,
247, 249, 251, 253, 259-262, 265, 267
forme non-actualisée, 153
grammaire d’options, 48-50
grammaire de règles, 48, 50
hyperclasse, 139, 142
hyperonymie, 146
implicature conventionnelle, 31, 39, 47, 90, 125
implicitation, 83-84
inchoatif, 201
inchoativité, 196
indicateur d’arguments, 180
inférence, 16, 18, 27, 30, 32-33, 35, 37-42, 46, 48, 90-91, 99, 106, 114-115, 120, 123-
125, 138, 151
inférence sollicitée, 90-91, 124, 126
instrument, 14, 28-29, 31, 33, 80
intensif, 204, 211, 213, 221, 225
juxtaposition, 4, 13, 17, 29-30, 34-38, 42, 44-45, 51-52, 120-122, 151
locatif, 70, 130, 140, 142-144, 146, 148, 155-156, 158-164, 169-174, 176-177, 179-180,
185-186, 191-192, 208-209, 212, 230, 245, 250
locution conjonctive, 55, 61, 67, 69, 72-73, 75, 156, 171-172, 174, 214
locution figée, 45
locution prépositionnelle, 4, 116, 122, 183, 211
locution prépositive, 55, 68
marges, 23-24, 26, 95-97, 117
métaphore, 4, 6, 11, 37, 98, 155, 159-161, 167-169, 181, 185, 189, 209, 216, 250-251,
270
291