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Présentation de l’ouvrage................................................................................................. 6
Index 237
Destiné à l’étudiant aussi bien issu des études secondaires que préparant les concours de
l’enseignement, le présent ouvrage entend rassembler sous la forme d’un lexique pratique les
procédés littéraires les plus usités. Organisé sous la forme de 69 fiches rangées par ordre
alphabétique, ce manuel se propose de définir et d’expliquer de manière développée l’ensemble
des procédés littéraires, à savoir ces moyens stylistiques utilisés par les écrivains dans leurs
textes afin de produire autant d’effets sur le lecteur.
Si, de fait, les procédés en littérature se concentrent à l’évidence sur la rhétorique et ses diffé-
rentes figures de style, il s’agit néanmoins de souligner combien les procédés désignent aussi
bien des outils issus d’autres catégories de l’analyse littéraire. Ainsi les procédés renvoient-ils
également à la poétique du récit, à la stylistique des registres et à l’art oratoire lui-même. À ce
titre, aux côtés de la métaphore ou de l’hypotypose, figurent notamment ici les définitions des
registres didactique, épique et élégiaque mais aussi bien celles de l’incipit, de l’explicit ou encore
des arguments éristiques ou pseudo-logiques. Autant de catégories qui se signalent pour
chaque procédé par un onglet renseignant sans attendre l’étudiant à chaque fiche.
S’agissant, à présent, de l’organisation des fiches elles-mêmes, un double souci, notionnel et
fonctionnel, a présidé à leur élaboration tant il s’agit de proposer des outils pour reconnaître et
manier les procédés littéraires, indispensables à la réussite du commentaire et de la dissertation
en Lettres. C’est pourquoi, pour plus de clarté et dans l’esprit d’une synthèse affirmée, chacune
des fiches répond à une même organisation qui se divise en 7 étapes majeures :
1) Chaque fiche commence par proposer une définition claire et logique du procédé.
S’appuyant toujours sur l’étymologie, il s’agit de catégoriser l’outil afin que l’étudiant puisse
disposer sans attendre d’une approche de la notion qui sera développée dans le reste de
la fiche.
2) La deuxième étape consiste à proposer la visée du procédé littéraire convoqué. Pour quelles
raisons l’écrivain choisit-il d’user de telle ou telle figure de style plutôt que d’une autre ?
Quels sont les effets recherchés sur le texte et sur le lecteur ? Autant de pistes qui orientent
l’étudiant vers l’interprétation qu’il pourra en fournir dans le cadre notamment d’un com-
mentaire de texte.
3) La troisième étape se concentre ensuite sur l’histoire même du procédé. Née dans l’Antiquité
grecque et latine, la rhétorique est longue d’une histoire théorique et d’une histoire des pra-
tiques qui modifient le sens même du procédé selon l’époque. Cette explication culturelle
permet à l’étudiant de comprendre les enjeux interprétatifs liés à tout outil d’analyse littéraire.
4) La quatrième étape consiste cette fois à distinguer pour chaque procédé les différentes
catégories et sous-catégories qui les structurent. Il existe ainsi plusieurs catégories de
zeugmes qui permettent à l’étudiant d’affiner son analyse et d’entrer plus avant dans la saisie
de la figure de rhétorique en question.
5) La cinquième étape se propose alors d’offrir les outils grammaticaux et lexicaux par lesquels,
à la lecture d’un texte, se signale l’usage d’un procédé. Présentée sous forme de liste, cette
étape offre une immédiate saisie des critères de reconnaissance des figures en question.
Pour certaines fiches, à ces éléments lexicaux et grammaticaux, vient s’adjoindre une aide
culturelle qui se propose de lier l’usage d’un procédé à l’émergence d’un mouvement litté-
raire et culturel.
6) La sixième étape s’attache, quant à elle, à circonscrire le procédé dans sa définition en
montrant avec quel autre procédé il ne doit pas être confondu. Sont présentés, sous forme
de liste, différents autres outils susceptibles de s’approcher du procédé étudié.
7) La septième et dernière étape offre à l’étudiant deux exemples présentés et commentés,
tirés de textes. Les procédés y sont longuement analysés de manière à ce que l’étudiant
puisse mettre en pratique les définitions précédemment vues.
Enfin, à la suite des 69 fiches qui vont de l’allégorie au zeugme en passant par le lyrique et la
focalisation, l’ouvrage se clôt sur une série d’exercices pratiques : il s’agit, à partir de textes
d’auteurs, d’opérer un repérage des procédés. Un corrigé vient compléter l’ensemble afin de
parfaire ce parcours dans la maîtrise d’outils indispensables à l’analyse critique des textes.
Si l’on ne prétend pas ici épuiser l’ensemble des questions soulevées par les procédés littéraires,
tout du moins aura-t-on essayé, on l’espère, d’offrir une sensible réduction des difficultés, jugées
à tort nombreuses, pour repérer et se saisir de ces outils qui, assurément, confèrent à la litté-
rature sa puissance suggestive et son indéniable richesse visuelle.
1 Allégorie
(n. f.)
Définition
Issue des termes grecs állon et agoreúein qui signifient respecti-
vement « autre chose » et « parler en public », l’allégorie est une
figure de style qui consiste à représenter de manière concrète une
notion abstraite sous une forme imagée et indirecte. L’allégorie est
une figure d’expression par fiction qui permet d’exprimer une
idée ou une valeur morale au moyen d’une histoire ou d’une image
figurative. C’est littéralement et étymologiquement une autre
manière de dire les choses.
L’allégorie répond à une double visée pour chaque auteur qui l’emploie :
1) représenter et incarner concrètement une notion difficile à se figurer ;
2) suggérer une interprétation morale ou politique d’une notion ou d’une
valeur.
1 Histoire du procédé
Outil argumentatif, l’allégorie est utilisée très tôt de manière décisive par
Platon dans La République au livre VII à l’occasion de l’allégorie de la
caverne. Par la représentation d’hommes enchaînés dans une caverne,
elle met en scène de manière imagée la difficulté de l’humanité à accéder
à la connaissance de la réalité. Il revient cependant au philosophe épicu-
rien Philodème de Gadara (110-40 av. J.-C.) de définir avec force l’allé-
gorie comme une variante de métaphore qui synthétise à la fois le
proverbe, l’énigme et l’ironie.
C’est en s’inspirant de ses travaux qu’en 1730 Dumarsais dans son Traité
des tropes livrera la définition désormais canonique de l’allégorie : « L’allé-
gorie est un discours, qui est d’abord présenté sous un sens propre, qui
paraît toute autre chose que ce qu’on a dessein de faire entendre, et qui
cependant ne sert que de comparaison, pour donner l’intelligence d’un
autre sens qu’on n’exprime point. »
Exemples
Victor Hugo, « Mors », Les Contemplations, 1856
Dans ce poème, Victor Hugo (1802-1885), en deuil de sa fille Léopoldine
tragiquement disparue, propose une allégorie sur la mort. Représentée
sous les traits de la faucheuse, la mort devient ici l’objet d’une allégorie
où elle triomphe de l’humanité dans un paysage de destruction sans issue.
2 Allitération
(n. f.)
Définition
Issus des termes latins ad et littera qui signifient littéralement « à
la lettre », l’allitération est une figure de style qui consiste en la
répétition homophonique des consonnes de plusieurs termes.
L’allitération est une figure de mots reposant sur les jeux de
répétition sonores : il s’agit de faire écho entre plusieurs termes
selon leur ressemblance consonantique de manière à créer une
harmonie sonore. L’allitération est une variété de l’harmonisme et
s’oppose à l’assonance qui, quant à elle, s’occupe des répétitions
de voyelles.
L’allitération répond à une double visée pour chaque auteur qui l’emploie :
1) mettre en exergue une sonorité pour attirer l’attention du lecteur ;
2) suggérer une atmosphère ou un sentiment par un jeu d’harmonie imi-
tative.
1 Histoire du procédé
C’est à partir du Moyen Âge que l’allitération, à l’instar de l’assonance,
commence à voir son usage diffusé dans la poésie. En effet, ne connais-
sant pas à proprement parler la rime, la poésie médiévale lui préfère l’alli-
tération qui donne rythme, son et sens au vers. Elle est notamment
valorisée par les troubadours en raison de sa puissance suggestive. Si
les rimes finissent par s’imposer à partir du xvie siècle, l’allitération
demeure largement répandue dans la poésie française.
Il revient ainsi à Pierre Fontanier de définir en 1821 avec précision l’alli-
tération qu’il nomme également parachrèse : « L’allitération, autrement
appelée parachrèse, est une sorte d’onomatopée en plusieurs mots, pro-
duite par le jeu de certaines lettres ou certaines syllabes. » L’allitération
est circonscrite à des jeux monosyllabiques répétant des consonnes à la
façon d’onomatopées.
▶ L’allitération métrique
Le premier type d’allitération est l’allitération métrique. Cette désignation
est réservée à l’allitération qui intervient dans le cadre de la poésie et, en
particulier, de la poésie versifiée. L’allitération métrique prend elle-même
deux formes : la première forme est celle de la rime finale d’un vers qui
se fait consonantique ; la seconde forme est celle dite de la rime intérieure
qui, au cœur même d’un vers, se structure autour de retours de sonorités
consonantiques identiques.
Exemples
Jean Racine, Andromaque, acte V, scène 5, 1667
Dans l’ultime scène de cette tragédie, Jean Racine (1639-1699) met en
scène le personnage d’Oreste qui sombre dans la folie après que Her-
mione l’a maudit. Racine use ici d’allitérations en s et c afin de suggérer
combien le serpent qui siffle dans ce vers est le signe de la perte de toute
raison d’Oreste, perclus de douleur.
« Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur vos têtes ? »
3 Anacoluthe
(n. f.)
Définition
Du grec anakoluthos (« sans suite, inconséquent »), l’anacoluthe
est une figure de construction qui indique une bifurcation soudaine
de la pensée. Elle désigne une rupture de construction syntaxique
voulue. L’anacoluthe diffère en cela de la simple faute de syntaxe,
jugée involontaire. Elle dit un écart par rapport aux règles de la
syntaxe ; c’est pourquoi on la rencontre très fréquemment dans le
langage parlé. Elle n’est pas spécifique à un genre particulier.
1 Histoire du procédé
Le terme, présent au sens de « sans suite dans le raisonnement » dans
les traités de rhétorique et grammaires de l’Antiquité, notamment chez
Denys d’Halicarnasse (ier siècle avant notre ère) ou Hermogène de Tarse
(fin iie-début iiie siècle de notre ère), ne désigne pas une figure de rhéto-
rique, mais davantage une faute syntaxique ou un défaut de raisonnement.
En rhétorique, les termes hyperbate et anacoluthe désignent originelle-
Comment repérer ce procédé ?
ment la même figure. Ainsi, l’anacoluthe caractérisait aussi bien une rup-
ture de la construction syntaxique que le déplacement d’un syntagme au L’anacoluthe n’a pas de
sein d’une proposition. De fait, l’hyperbate est mentionnée par Quintilien marqueurs textuels spé-
cifiques. Elle peut cepen-
dans son ouvrage De l’institution oratoire (95 de notre ère). Pendant long- dant être identifiée par
temps, l’anacoluthe – quand elle n’est pas assimilée à une simple faute l’effet de surprise créé
de syntaxe – est considérée comme une sorte d’hyperbate. chez le lecteur et par la
présence d’une discor-
Fontanier, dans ses Figures du discours (1821), en fait une « espèce dance notamment entre :
d’ellipse toute particulière » : conformément à l’usage, « elle consiste […] – sujet et verbe ;
à laisser seul un mot qui en réclame un autre pour compagnon ». Il est – sujet d’une participiale
et sujet d’une principale.
suivi en cela par Dumarsais notamment.
Au xxe siècle, Molinié parle, quant à lui, d’une distorsion dans la structure Mouvement littéraire
syntaxique et fait de l’anacoluthe « un des moyens les plus efficaces et Au xviie siècle, l’anaco-
les plus féconds qui permettent à l’art langagier de ne pas se momifier luthe apparaît comme un
dans l’académisme » (Éléments de stylistique française). marquage stylistique fort,
perceptible dans le cou-
rant du classicisme,
notamment au théâtre ou
2 Les types d’anacoluthe dans les fables de La
Fontaine. Créant un effet
de surprise, elle traduit
Il existe deux types plus spécifiques d’anacoluthe : des émotions ou des
✓ L’anantapodoton : il désigne le fait d’énoncer seulement, au sein idées avec force.
d’une phrase alternative (les uns… les autres ; tantôt… tantôt, par
exemple), le premier des deux éléments corrélatifs.
✓ L’anapodoton : c’est le fait de remanier une phrase laissée en sus-
pens.
Exemples
Charles Baudelaire, « La servante au grand cœur… »,
Les Fleurs du Mal, 1857
Dans ce poème, la servante à laquelle le poète rend hommage est mise
en exergue dès le vers 1. Cette mise en valeur entraîne une distorsion
syntaxique. Pour que la phrase soit correcte syntaxiquement, il faudrait
que « la servante » soit le sujet grammatical de la proposition principale.
L’anacoluthe, qui déséquilibre la phrase, est signe d’un rappel aux vivants
de leurs devoirs envers les morts.
« La servante au grand cœur dont vous étiez jalouse,
Et qui dort son sommeil sous une humble pelouse,
Nous devrions pourtant lui porter quelques fleurs. »
l’accompagne. Ainsi, l’écriture trouve son origine dans ces histoires mar-
quées paradoxalement par la perte. L’anacoluthe souligne ici le croise-
ment des histoires qui fait la structure même d’Émily L. et qui rapproche
singulièrement les deux couples au cœur de la phrase.
« Leur âge, on ne peut pas le connaître. Ce qu’on voit, c’est qu’elle est
sensiblement plus âgée que lui. Mais que lui il a rattrapé sa lenteur à
elle. Qu’il refuse d’aller plus avant qu’elle ne le peut, ça depuis des
années. Que c’est fini pour elle et que pourtant elle est encore là, dans
les parages de cet homme, que son corps est encore à la portée du sien,
de ses mains, partout, la nuit, le jour.
Ça se voyait que c’était fini et en même temps qu’elle était là encore.
Ça se voyait de la même façon. Que, s’il était parti d’elle, elle serait
morte là même où il l’aurait quittée, ça se voyait aussi.
Ça avait commencé comme ça, pour nous, ces gens du bar, par cette
immobilité dans laquelle ils se tenaient. Lui qui regardait vers elle, ou
parfois vers le miroir derrière l’étagère du bar lorsque le bac rouge
arrivait et que les passagers passaient devant l’hôtel. Et elle qui ne
regardait que le sol. »
4 Analepse
(n. f.)
Définition
Du grec análêpsis qui signifie « revenir en arrière », l’analepse est
un procédé littéraire qui désigne dans un récit tout épisode narratif
racontant après-coup un événement qui s’est déroulé dans le
passé. L’analepse est une catégorie de la poétique du récit et
permet de rendre compte de l’ordre narratif. On emploie parfois les
termes d’anamnèse ou encore de flash-back. L’analepse
s’oppose à la prolepse qui est un procédé qui anticipe dans le récit
un événement de l’histoire.
L’analepse répond à une double visée pour chaque auteur qui l’emploie :
1) éclairer le passé des personnages à la manière d’un coup de théâtre ;
2) comprendre le caractère des personnages.
1 Histoire du procédé
C’est Gérard Genette qui forge en 1972 la notion même d’analepse. Elle
apparaît comme un élément clef de la poétique du récit qu’il élabore dans
Figures III, en particulier dans son « Discours du récit ». Il en donne la
définition désormais canonique puisque, selon lui, une analepse désigne
« toute évocation après coup d’un événement antérieur au point de l’his-
toire où l’on se trouve. »
▶ L’analepse externe
Il s’agit d’une analepse qui se fait toujours par rapport au récit premier
mais à la différence qu’ici, l’analepse ne s’articule pas au récit premier.
L’analepse externe constitue une digression narrative dans le passé. Son
but n’est pas de rejoindre l’exact point de l’histoire où le récit l’avait laissée.
C’est, par exemple, dans César Birotteau de Balzac le chapitre sur les
antécédents du personnage qui ne rejoint pas le point exact où le récit a
débuté, à savoir le récit premier.
Exemples
Jean de La Fontaine, « Les Obsèques de la Lionne »,
Fables, 1678
Dans cette fable, Jean de La Fontaine (1621-1695) met en scène la dou-
leur du roi Lion qui vient de perdre son épouse. Aux funérailles, tous les
courtisans pleurent à l’exception du Cerf qui paraît n’avoir aucune peine.
Craignant pour sa vie, le Cerf ment et imagine, sous la forme d’une ana-
lepse, avoir rencontré en songe la défunte Lionne.
« Le Cerf reprit alors : “Sire, le temps de pleurs
Est passé ; la douleur est ici superflue.
Votre digne moitié, couchée entre des fleurs,
Tout près d'ici m'est apparue ;
Et je l'ai d'abord reconnue.
« Ami, m'a-t-elle dit, garde que ce convoi,
« Quand je vais chez les Dieux, ne t'oblige à des larmes.
« Aux Champs-Élysiens j'ai goûté mille charmes,
« Conversant avec ceux qui sont saints comme moi.
« Laisse agir quelque temps le désespoir du Roi :
5 Anastrophe
(n. f.)
Définition
Du grec anastrophē qui signifie « renversement, retournement »,
l’anastrophe est une figure de style qui consiste à inverser l’ordre
habituel et attendu des mots dans une phrase. L’anastrophe est
une figure de construction qui prend soin de renverser le plus sou-
vent les termes d’une expression connue et figée de manière à
produire un effet de surprise. Par exemple, l’anastrophe inverse
dans un syntagme l’ordre même des mots. En ce sens, l’ana-
strophe joue de la langue usuelle pour la rendre hardie et inhabi-
tuelle. Dans Star Wars, le personnage de Yoda ne s’exprime, par
exemple, que par anastrophes.
1 Histoire du procédé
Procédé poétique par excellence, l’anastrophe est présente très tôt parmi
les poètes grecs et latins. Le plus célèbre exemple d’anastrophe de l’Anti-
quité se trouve au premier vers de L’Énéide de Virgile : Arma uirumque
cano, Troiae qui primus ab oris, à savoir « Je chante du héros prédestiné
les combats », alors que la langue usuelle aurait plutôt dit : « Je chante
les combats du héros prédestiné. »
L’anastrophe se voit ainsi définie avec force par Quintilien dans son Ins-
titution oratoire. Il en fait le synonyme de renversement syntaxique et
rythmique : « Lorsque la transposition n'affecte que deux mots, on
l'appelle anastrophe, ou renversement. » On notera cependant que ni
Dumarsais ni Fontanier ne prennent soin de définir l’anastrophe, lui pré-
férant le terme d’inversion.
▶ L’anastrophe prosodique
L’anastrophe prosodique est un procédé proprement poétique qui permet
à l’auteur de distribuer selon de nouvelles règles le rythme de son vers
ou de sa phrase. Le but est à la fois de surprendre le lecteur et d’interroger
les règles du langage en redistribuant les mots d’une manière inattendue.
Stéphane Mallarmé use très souvent de l’anastrophe prosodique afin
d’opposer le poème à ce qu’il nomme « l’universel reportage », à savoir
le langage courant. Dans son fameux « Sonnet en X », le premier vers se
fonde sur une double anastrophe prosodique : « Ses purs ongles très haut
dédiant leur onyx ». On aurait dû lire : « Ses ongles purs dédiant très haut
leur onyx ».
Exemples
Stéphane Mallarmé, « Rien », 1888
Stéphane Mallarmé (1842-1898) s’impose sans doute comme l’un des
poètes ayant le plus recours à l’anastrophe. Il s’agit pour lui d’une décons-
truction méthodique et presque mystique du langage ordinaire pour
atteindre à une essence pure de la parole par l’anastrophe. Seule l’ana-
strophe, par la violence qu’elle fait subir à la mollesse de la parole ordi-
naire, peut faire surgir de la poésie à l’état pur. Ici tous les termes sont en
anastrophe ce qu’affirme le quatrième vers qui se clôt significativement
sur « à l’envers », procédé anastrophique même.
« Rien, cette écume, vierge vers
À ne désigner que la coupe ;
Telle loin se noie une troupe
De sirènes mainte à l'envers. »
6 Antiphrase
(n. f.)
Définition
Issu du grec antiphrasis, signifiant « désignation par le contraire »,
l’antiphrase est une figure de pensée fondée sur l’opposition, qui
consiste à employer un élément de langage dans un sens opposé
au sens exprimé normalement. L’antiphrase est étroitement liée à
l’énonciation et permet un double langage. Elle suppose donc une
certaine connivence avec le destinataire.
1 Histoire du procédé
L’antiphrase est pendant longtemps confondue avec l’ironie. Au sens éty-
mologique (du grec éirônéia), l’ironie amène le lecteur à s’interroger sur
le sens de l’énoncé. En utilisant l’ironie, le locuteur se désolidarise de
l’énoncé qu’il produit afin de le tourner en dérision ou de le contester.
Ainsi, Quintilien, dans De l’institution oratoire, définit l’ironie comme
l’expression d’une chose pour en faire entendre une autre. Il évoque
l’antiphrase là où on parlerait plutôt de prétérition : « une succession
d’ironies qui, prises isolément, formeraient autant de tropes, constitue la
figure de l’ironie. Cette figure a cependant certains genres qui n’ont rien
de commun avec ce trope : l’antiphrase par exemple qui est une figure de
pensée, lorsqu’en prétendant que nous ne dirons pas une chose, nous ne
laissons pas de la dire. »
Dans ses Figures du discours (1821), Fontanier classe l’antiphrase dans Comment repérer le procédé ?
les « prétendus tropes ». N’étant ni un trope, ni une figure particulière, L’antiphrase n’a pas de
l’antiphrase désigne l’emploi d’« un mot ou [d’]une façon de parler dans marqueurs textuels spé-
un sens contraire à celui qui lui est ou lui semble naturel ». Fontanier cifiques. Elle est cepen-
dant repérable par :
rattache l’antiphrase à l’ironie quand cet emploi se fait « librement et par
– le ton employé ;
choix » et à la catachrèse lorsqu’il est « forgé par l’usage ». – le contexte.
D’autres théoriciens distinguent ironie et antiphrase : Lausberg définit
l’ironie par le ton, tandis que l’antiphrase est pour lui évidente, soit par le
contexte, soit par la situation. Se plaçant d’un point de vue énonciatif,
Molinié, quant à lui, évoque l’ironie comme figure macrostructurale qui
engloberait l’antiphrase (figure microstructurale).
Mouvement littéraire
Le mouvement littéraire et philosophique des Lumières, au
xviiie siècle, promulgue la raison et la science. Il pourfend toute
forme d’obscurantisme, assimilant notamment la religion à une
superstition. Les procédés liés à l’ironie, et notamment l’anti-
phrase, participent activement à cette dénonciation.
Exemples
Blaise Cendrars, « J’ai saigné », chap. II, La Vie
dangereuse, 1938
Lors de la Première Guerre mondiale, Blaise Cendrars (1887-1961) est
amputé de la main droite. Pendant son hospitalisation, il partage sa
chambre avec un jeune berger des Landes, dont le corps supplicié a reçu
72 éclats d’obus. La visite d’un général, célèbre médecin parisien, scelle
son destin. Le berger est doublement en mauvaise posture – à la fois
littéralement, puisqu’il est sanglé de toutes parts et parce que cette ren-
contre avec le général lui est fatale. Quant aux adjectifs qualifiant le
médecin, ils montrent combien sa réputation est en parfaite contradiction
avec sa pratique. Ils soulignent également la fascination exercée sur le
« cercle de curieux » par ce praticien et le manque de discernement de
ces derniers.
7 Antonomase
(n. f.)
Définition
Du grec antonomazein qui signifie « appeler d’un nom différent »,
l’antonomase est une figure de style qui consiste à transformer un
nom propre en nom commun et usuel. Inversement, l’antonomase
renvoie à toute transformation d’un nom commun en nom propre
désormais usuel. L’antonomase est une figure de sens par synec-
doque : elle vient par création lexicale enrichir le vocabulaire et la
langue usuelle. Elle est parfois uniquement considérée comme une
variété possible de synecdoque (voir définition, p. 156).
1 Histoire du procédé
L’antonomase est apparue très tôt dans les traités de rhétorique. Il faut
notamment remonter à Cornificius dans sa Rhétorique à Herennius pour
trouver avant même Quintilien une définition du procédé comme suit :
« L’antonomase désigne une espèce de surnom emprunté, ce qui ne peut
être désigné par son propre nom. »
Peu à peu, au fil du temps, le sens d’antonomase s’est élargi pour finir
chez Pierre Fontanier jusqu’à revêtir son sens actuel. Dans Les Figures
du discours, Fontanier définit ainsi l’antonomase comme une « synec-
doque d’individu » : « Elle consiste, tantôt à désigner un individu, ou par
le nom commun de l’espèce, ou par le nom d’un autre individu de la même
espèce par le nom d’un individu, ou par le nom d’une autre espèce, par
rapport à laquelle elle est à peu près ce qu’est un individu par rapport à
un autre individu. » De là, « cette sorte de synecdoque » peut prendre
« un nom commun pour un nom propre », « un nom propre pour un nom
commun », « un nom propre pour un autre nom propre » et enfin « un nom
commun, tant pour le nom de l’individu, que pour le nom commun de
l’espèce à laquelle il appartient véritablement ».
Exemples
Gustave Flaubert, Bouvard et Pécuchet, 1880
Dans cet ultime roman paru de manière posthume, Gustave Flaubert
(1821-1880) brosse le portrait de Bouvard et Pécuchet, deux hommes qui,
enfin à la retraite, découvrent différentes disciplines auxquelles ils
s’exercent sans pourtant jamais s’en satisfaire. Ici l’antonomase « amphi-
tryons » renvoie à leurs métamorphoses successives qui ne sont pas sans
rappeler celle du personnage de la mythologie.
« Le curé, avant de partir, confia timidement à Pécuchet qu’il ne trouvait
pas convenable ce simulacre de tombeau au milieu des légumes. Hurel,
8 Aposiopèse
(n. f.)
Définition
Du grec aposiôpêsis qui signifie « cesser de parler », l’aposiopèse
est une figure de style qui consiste en une interruption brusque et
inattendue dans un discours. Elle a pour but de marquer l’hésita-
tion, la menace ou encore l’émotion trop vive. L’aposiopèse est une
figure de pensée qui choisit intentionnellement de suspendre la
parole dans son cours même pour marquer un silence significatif
et riche de sens. Elle porte parfois aussi le nom de réticence.
1 Histoire du procédé
Dès l’Antiquité latine, Quintilien livre dans son Institution oratoire une défi-
nition de l’aposiopèse en l’articulant d’emblée à la question de la réticence
qu’il distingue en ces termes : « C'est ce que quelques-uns nomment
aposiopèse, ou réticence ; mais, selon moi, ils se trompent ; car, dans la
réticence, on ne voit pas tout d'un coup ce qui manque, et on ne le peut
même suppléer qu'à l'aide de plusieurs mots ; au lieu qu'ici il n'y a qu'un
mot de supprimé, qui s'aperçoit incontinent. Si on peut appeler cela une
aposiopèse, on donnera donc ce nom à toute phrase où il y aura quelque
chose de retranché. »
Si Quintilien a pu nuancer la synonymie entre aposiopèse et réticence,
Pierre Fontanier dans ses Figures du discours en 1821 fera pourtant de
la réticence l’exact équivalent de l’aposiopèse. Il nuancera enfin en pré-
férant le terme de réticence à celui d’aposiopèse comme suit : « La réti-
cence consiste à s’interrompre et à s’arrêter tout à coup dans le cours
d’une phrase, pour faire entendre par le peu qu’on a dit, et avec le secours
des circonstances, ce qu’on affecte de supprimer, et même souvent beau-
coup au-delà. »
▶ L’aposiopèse suspensive
Il s’agit ici d’une aposiopèse qui interrompt le cours de sa parole pour se
taire en prenant un tour pensif. Le locuteur ou le personnage entrent alors
dans une rêverie suspensive par laquelle la parole s’interrompt car elle
s’échappe à elle-même. Le registre peut alors être tragique, pathétique
ou bien élégiaque.
Exemples
Molière, L’École des femmes, acte II, scène 6, 1662
Dans cette comédie, Arnolphe qui élève Agnès pour en faire sa future
femme soumet la jeune fille à un interrogatoire. Les stichomythies se
mêlent aux aposiopèses pour rythmer la scène et en révéler la puis-
sance comique.
« Arnolphe, bas, à part.
Ô fâcheux examen d'un mystère fatal,
Où l'examinateur souffre seul tout le mal !
(Haut.)
Outre tous ces discours, toutes ces gentillesses,
Ne vous faisait-il point aussi quelques caresses ?
Agnès
Oh ! tant ! il me prenait et les mains et les bras,
Et de me les baiser il n'était jamais las.
Arnolphe
Ne vous a-t-il point pris, Agnès, quelque autre chose ?
Je n'ose,
Et vous vous fâcherez peut-être contre moi.
Arnolphe
Non.
Agnès
Si fait.
Arnolphe
Mon Dieu ! non.
Agnès
Jurez donc votre foi.
Arnolphe
Ma foi, soit.
Agnès
Il m'a pris… Vous serez en colère.
Arnolphe
Non.
Agnès
Si. »
9 Anaphore
(n. f.)
Définition
Issue du grec ana (« en haut, en avant ») et phérein (« porter »),
l’anaphore est une figure de construction, consistant à répéter
un même mot ou un même groupe de mots au début de plusieurs
vers, phrases ou membres de phrase, avec un effet d’insistance.
Présente aussi bien en prose qu’en poésie, elle est plus particuliè-
rement privilégiée dans les textes visant d’une part à emporter
l’adhésion immédiate du lecteur et d’autre part à exprimer passion-
nément une idée ou un sentiment : c’est le cas dans le discours
oratoire et politique ou le pamphlet, tout autant que dans la poé-
sie lyrique.
Mouvement littéraire
Le romantisme, au xixe siècle, accorde une place privilégiée à la
poésie lyrique où l’expression des sentiments est mise en exergue
par l’emploi de l’anaphore.
Exemples
Guillaume Apollinaire, « Il y a »,
in « Obus couleur de lune », Calligrammes, 1918
L’anaphore du présentatif « il y a » contribue à la description et à la
dénonciation d’une réalité violente à laquelle se heurte le poète pendant
la Première Guerre mondiale. D’une part, l’anaphore accentue la pré-
sence souvent transfigurée d’éléments réels ; d’autre part, elle donne au
poème une tonalité élégiaque. Le poète oppose à ces évocations de
choses vues, l’absence de l’être aimé et celle des disparus, des invisibles.
Le poème se conclut d’ailleurs par ce vers : « Car on a poussé très loin
durant cette guerre l’art de l’invisibilité ».
10 Apostrophe
(n. f.)
Définition
Du grec apostrophê qui signifie « action de se détourner », l’apos-
trophe est une figure de style qui consiste à interrompre le cours
d’une phrase afin de s’adresser à un destinataire en l’interpellant.
L’apostrophe est une figure de pensée par dialectique qui implique
directement l’auditoire depuis le discours ou le récit produit par
l’orateur. Il s’agit de l’interpeller immédiatement en se rappelant à
son attention.
1 Histoire du procédé
L’apostrophe est attestée très tôt en rhétorique puisqu’au iie siècle après
J.-C. Hermogène de Tarse en fait état dans son traité de rhétorique. Le
rhéteur romain la désigne comme un outil majeur des discours notamment
judiciaires puisque l’apostrophe permet d’interpeller son auditoire et de
favoriser son attention.
C’est Dumarsais qui, en 1730, en livre la définition la plus simple, encore
en vigueur aujourd’hui : « Il n’y a rien de plus commun que d’adresser la
parole à ceux à qui l’on parle, et de leur faire des reproches quand on
n’est pas content de leur conduite. ô nation incrédule et méchante ! s’écrie
Jésus-Christ, jusques à quand serai-je avec vous ! Jusques à quand
aurai-je à vous souffrir ! c’est une figure très simple qu’on appelle apos-
trophe. »
En 1821, Pierre Fontanier en reprendra les grandes lignes en ces termes :
« L’apostrophe, qu’accompagne assez ordinairement l’Exclamation, est
cette diversion soudaine du discours par laquelle on se détourne d’un
objet, pour s’adresser à un autre objet, naturel ou surnaturel, absent ou
présent, vivant ou mort, animé ou inanimé, réel ou abstrait, ou pour
s’adresser à soi-même. »
Exemples
Alphonse de Lamartine, « Le Lac », 1820
Dans ce poème, Alphonse de Lamartine (1790-1869) évoque le lac du
Bourget auprès duquel il avait l’habitude de se rendre avec sa muse, Julie
Charlie, morte quelques années plus tôt. Le poète romantique apostrophe
ici le temps afin de marquer son impuissance mélancolique et tragique à
pouvoir en arrêter le cours irréversible et destructeur.
« Ô temps ! suspends ton vol, et vous, heures propices !
Suspendez votre cours :
Laissez-nous savourer les rapides délices
Des plus beaux de nos jours ! »
11 Arguments
empiriques (n. m.)
Définition
Issue du latin argumentum qui signifie « démontrer, apporter une
preuve », l’argumentation peut prendre plusieurs formes
démonstratives, dont les arguments empiriques. Il s’agit d’argu-
ments qui mettent en lumière un jeu de causalité qui n’appartient
pas à la stricte logique. Chaque argument, même s’il répond d’un
raisonnement au clair enchaînement, provient d’observations prag-
matiques de faits que l’on appelle « empirie ». Les arguments
empiriques procèdent tous d’expériences vécues car il s’agit de
décrire la réalité selon des enchaînements observés.
1 Histoire du procédé
Si l’argumentation empirique a pu s’imposer avec la naissance antique de
la rhétorique, elle n’a pourtant été formalisée avec force que dans les
années 1990. Il a ainsi fallu attendre les Éléments de rhétorique et d’argu-
mentation de Jean-Jacques Robrieux en 1993 pour que les arguments
empiriques fassent l’objet d’une définition canonique. Robrieux les ana-
lyse comme suit : « Ils reposent tous sur des faits, sur des expériences
observées ou vécues. Ces arguments peuvent être appelés « empi-
riques », c’est-à-dire fondés sur l’expérience, et se distinguent des argu-
ments quasi logiques qui reposent sur des relations formelles ou
mathématiques dans la mesure où, contrairement à ces derniers, ils ne
peuvent exister sans une observation de la réalité. »
⧫ L’argument apodioxal
Il s’agit de refuser absolument toute discussion en raison du manque
évident de sérieux de la discussion et des arguments avancés.
⧫ L’argument d’autorité
Il s’agit de faire admettre une thèse en la rapportant à son auteur, jugé
alors autorité en la matière discutée.
⧫ L’argument a fortiori
Il s’agit de l’argument qui confronte deux ordres de grandeur comparable
pour dire que si l’on admet le plus petit, on admet le plus grand à plus forte
raison : c’est l’argument dit a minori ad majus. Inversement, l’argument
qui consiste à dire, que si l’on admet le plus grand, on admet alors le plus
petit sera dit l’argument a majori ad minus.
Exemples
Voltaire, « Lettre à Charles Palissot », le 4 juin 1760
L’argument empirique employé ici par Voltaire (1694-1778) est celui du
sacrifice. Il s’agit pour lui de montrer combien les souffrances endurées
par un condamné peuvent dispenser chacun de toute ironie possible. Le
sacrifice a déjà eu lieu.
« Je ne connais point du tout M. Diderot, je ne l’ai jamais vu, je sais
seulement qu’il a été malheureux et persécuté ; cette seule raison
devait vous faire tomber la plume des mains. »
12 Arguments
éristiques (n. m.)
Définition
Issue du latin argumentum qui signifie « démontrer, apporter une
preuve », l’argumentation peut prendre plusieurs formes
démonstratives, dont les arguments éristiques. Il s’agit d’argu-
ments qui consistent à manipuler l’interlocuteur ou à le tenir en
respect en le déstabilisant ou en l’agressant. Le but de l’argu-
ment éristique (qui, en grec, signifie « dispute, querelle ») est de
souligner combien les interlocuteurs d’un échange ne sont pas en
situation d’égalité. Les arguments déployés sont alors souvent
contraignants et font preuve d’une mauvaise foi difficile à discuter.
1 Histoire du procédé
L’argumentation éristique est née avec la rhétorique antique mais n’a pas
tout de suite été identifiée par Aristote ou encore Quintilien. En effet, si
elle emprunte nombre d’arguments quasi-logiques ou encore empi-
riques, elle n’a jamais fait l’objet d’une catégorie particulière. Il faut
attendre Jean-Jacques Robrieux en 1993 dans ses Éléments de rhéto-
rique et d’argumentation pour qu’elle accède à la reconnaissance d’une
forme particulière d’argument. Ces arguments se situent à la limite de l’art
oratoire car ils n’offrent qu’une apparence de raisonnement : souvent, ils
n’appellent aucune réponse. Si Robrieux choisit de les nommer « argu-
ments contraignants et de mauvaise foi », l’argumentation éristique paraît
mieux définir ici cependant ces arguments qui provoquent et agressent
en permanence. Ils sont un coup de force dans tout échange et visent à
le clore à l’avantage de celui qui agresse.
l’adversaire d’être ému devant le tableau peint. Il est alors invité à se taire
par respect.
Exemples
Madame de Lafayette, La Princesse de Clèves, 1678
L’argument éristique employé ici est un argument topique. Il reprend un
lieu commun du discours galant d’alors sur les femmes.
« Les femmes sont incompréhensibles et, quand je les vois toutes, je
me trouve si heureux de vous avoir que je ne saurais assez admirer
mon bonheur. »
13 Arguments
quasi logiques (n. m.)
Définition
Issue du latin argumentum qui signifie « démontrer, apporter une
preuve », l’argumentation peut prendre plusieurs formes
démonstratives, dont les arguments quasi logiques. Il s’agit
d’arguments qui s’inspirent de la logique formelle mais, étant réfu-
tables comme tout argument, on parlera d’arguments quasi
logiques plutôt que strictement logiques. Les arguments quasi
logiques entendent donner au raisonnement une allure rationnelle
et scientifique incontestable.
Les arguments quasi logiques répondent à une double visée pour chaque
auteur qui les emploie :
1) définir avec précision et rigueur la thèse à défendre ;
2) proposer des arguments inspirés par la logique formelle et mathéma-
tique.
1 Histoire du procédé
L’argumentation quasi-logique est relativement récente dans l’histoire de
la rhétorique. En effet, absolument absente des considérations oratoires
d’Aristote ou Pierre Fontanier, il faut attendre 1958 avec le Traité de
l’argumentation de Chaïm Perelman et Lucie Olbrecths-Tyteca pour que
la notion soit définie. Les arguments répondant d’une logique jusque-là
formelle y sont décrits comme quasi-formels car, comme il est dit, « celui
qui les soumet à l’analyse perçoit aussitôt les différences entre ces argu-
mentations et les démonstrations formelles, car seul un effort de réduction
ou de précision, de nature non formelle, permet de donner à ces argu-
ments une apparence démonstrative. » En 1993, dans ses Éléments de
rhétorique et d’argumentation, Jean-Jacques Robrieux reprendra cette
distinction plus que jamais en vigueur aujourd’hui.
Exemples
Jean de La Fontaine, « Les Obsèques de la Lionne »,
Fables, 1678
L’argument quasi logique employé ici par Jean de La Fontaine
(1621-1695) est la définition. Il s’agit pour lui, en moraliste, de poser une
loi qui use de la définition explicative stricte.
« Je définis la cour un pays où les gens
Tristes, gais, prêts à tout, à tout indifférents,
Sont ce qu’il plaît au Prince, ou s’ils ne peuvent l’être,
Tâchent au moins de le parêtre,
Peuple caméléon, peuple singe du maître ;
On dirait qu’un esprit anime mille corps ;
C’est bien là que les gens sont de simples ressorts. »
14 Assonance
(n. f.)
Définition
De l’espagnol asonancia qui signifie « accord des sons », terme lui-
même dérivé du verbe latin assonare qui signifie « répondre en
écho », l’assonance est une figure de style qui consiste en la
répétition homophonique de la dernière voyelle accentuée de plu-
sieurs termes. L’assonance est une figure de mots reposant sur
les jeux de répétition sonores : il s’agit de faire écho entre plu-
sieurs termes selon leur ressemblance vocalique de manière à
créer une harmonie phonique. L’assonance est une variété de
l’harmonisme et s’oppose à l’allitération qui, quant à elle, s’occupe
des répétitions de consonnes.
L’assonance répond à une double visée pour chaque auteur qui l’emploie :
1) mettre en exergue une sonorité pour attirer l’attention du lecteur ;
2) suggérer une atmosphère ou un sentiment par un jeu d’harmonie imi-
tative.
1 Histoire du procédé
Durant l’Antiquité, l’assonance ne fait l’objet d’aucune définition dans la
mesure où le terme d’homéotéleute est largement préféré en rhétorique
pour désigner tout phénomène de réduplication phonique. C’est unique-
ment à partir du Moyen Âge que l’assonance commence à voir son usage
diffusé tant la poésie médiévale, qui ne connaît pas la rime, lui préfère
ladite assonance. La figure n’est pourtant alors pas encore définie. Il faut
ainsi attendre le xviie siècle classique pour que le terme « assonance »,
dérivé de l’espagnol, apparaisse et vienne qualifier les jeux de sonorités
syllabiques de la poésie.
En 1821, dans son traité des Figures du discours, Pierre Fontanier en livre
une définition qui fit date : « Ce qui fait l’assonance, c’est la même termi-
naison ou la même chute de différents membres d’une phrase ou d’une
période. » Il l’oppose cependant encore alors à l’homéotéleute.
▶ L’assonance métrique
Le premier type d’assonance est l’assonance métrique. Cette désignation
est réservée à l’assonance qui intervient dans le cadre de la poésie et, en
particulier, de la poésie versifiée. L’assonance métrique prend elle-même
deux formes : la première forme est celle de la rime finale vocalique d’un
vers, à l’exception du e muet ; la seconde forme est celle dite de la « rime
intérieure » qui, au cœur même d’un vers, se structure autour de retours
de sonorités vocaliques identiques.
Exemples
Jean Racine, Phèdre, acte I, scène 3, 1677
Dans cette tragédie, Jean Racine (1639-1699) met en scène Phèdre,
épouse en secondes noces de Thésée, qui se révèle être amoureuse
d’Hippolyte, fils de son mari. C’est cet amour incestueux qu’elle va tenter
de confier ici à Oenone, sa nourrice en un alexandrin jouant d’assonance
en i.
« Tout m'afflige et me nuit et conspire à me nuire »
15 Astéisme
(n. m.)
Définition
Du grec astu qui signifie « vivre en ville, être urbain », l’astéisme
est une figure de style qui consiste à louer une personne, un objet
ou un discours en se donnant les apparences du blâme. L’astéisme
est une figure d’expression par opposition qui repose sur l’exer-
cice du paradoxe : en effet, elle permet de faire un compliment en
feignant de faire un reproche. L’astéisme est assimilé à une figure
d’ironie.
L’astéisme répond à une double visée pour chaque auteur qui l’emploie :
1) proposer un compliment déguisé à son interlocuteur ;
2) faire preuve d’esprit devant un auditoire car l’astéisme s’exerce dans
un cadre mondain comme l’indique son étymologie.
1 Histoire du procédé
Fondée sur l’art de plaire en société, l’astéisme est une figure de style qui
Comment repérer ce procédé ?
connaît un grand succès notamment parmi les courtisans tant elle sup-
pose une connivence qui l’oblige à s’exercer entre initiés ou amis. Le pre- Les marqueurs textuels
mier à en définir le caractère mondain sous le terme de « badinage » est de l’astéisme sont au
nombre de deux :
Pierre Fontanier en 1821 dans Les Figures du discours : « L’astéisme est – marques de co-
un badinage délicat et ingénieux par lequel on loue ou l’on flatte avec textualisation entre les
l’apparence même du blâme ou du reproche. » différents intervenants ;
– usage du registre iro-
Fontanier précise deux caractéristiques fondatrices de la figure en fonc- nique souvent proche de
tion de ce caractère mondain : elle suppose, tout d’abord, une entente l’antiphrase.
préalable entre les interlocuteurs qui peuvent comprendre le sous-
entendu et l’ironie sans se formaliser ; elle suppose, enfin, un jeu et un
sens ludique certain entre ces mêmes interlocuteurs. Destiné à plaire,
l’astéisme ne peut convenir ainsi au style grave et sérieux du registre
épique.
Exemples
Nicolas Boileau, « Remerciement au roi », Épîtres, VIII,
1695
Dans sa huitième épître, le poète Nicolas Boileau (1636-1711) adresse
au roi une série de remerciements. Il s’agit d’un éloge qui prend ici la
forme d’un blâme ironique afin de louer plus encore le roi : Boileau pra-
tique là un jeu à la fois ironique et mondain.
« Grand roi, cesse de vaincre, ou je cesse d’écrire…
Encor si ta valeur, à tout vaincre obstinée,
Nous laissoit, pour le moins, respirer une année…
Mais à peine Dinan et Limbourg sont forcés,
Qu’il faut chanter Bouchain et Condé terrassés…
Que si quelquefois, las de forcer des murailles,
Le soin de tes sujets te rappelle à Versailles,
Tu viens m’embarrasser de mille autres vertus… »
16 Asyndète
(n.f.)
Définition
Du grec asundein qui signifie littéralement « absence de liaison »,
l’asyndète est une figure de style qui consiste à supprimer les liens
logiques et les conjonctions de liaison dans une phrase. L’asyndète
est une figure de construction par omission de termes : elle per-
met de rapprocher des mots de manière à en souligner avec force
le contraste. Elle est parfois rapprochée de l’homéotéleute pour
ses jeux sonores (voir p. 126).
L’asyndète répond à une double visée pour chaque auteur qui l’emploie :
1) donner un rythme à la phrase ;
2) marquer une vive opposition entre différents termes.
1 Histoire du procédé
Très en vogue dès l’Antiquité grecque, l’asyndète est définie par Démé-
trios de Phalère dans son traité Du style. Le rhéteur grec y souligne
d’emblée son caractère à la fois oratoire et théâtral, rangeant ainsi la
figure dans les procédés d’emphase du discours. Dans la Rhétorique,
Aristote prolonge cette première définition en rangeant l’asyndète dans
les procédés d’amplification et en fait l’un des outils les plus importants
de tout discours, notamment de la conclusion. Il en donne un exemple tiré
de Lysias : « À la fin du discours convient la phrase en asyndète, pour que
ce soit une conclusion, non un développement : “J’ai dit ; vous avez
entendu ; vous possédez la question ; jugez.” »
En 1821, dans Les Figures du discours, Pierre Fontanier choisit de ne pas
la désigner sous le terme d’« asyndète » mais de la nommer « disjonc-
tion » afin d’insister sur son caractère grammatical et syntaxique : « La
disjonction (en grec asyndéton) consiste à retrancher les conjonctions
copulatives, et à ne lier que par leur rapprochement immédiat les parties
semblables du discours. » Fontanier en fait ainsi le contraire de ce qu’il
nomme la conjonction ou polysyndète, à savoir cette figure qui unit par
multiplication cette fois de liaisons.
Exemples
Charles de Montesquieu, « Lettre 161 », Lettres
persanes, 1754
Dans ce roman construit sur des échanges épistolaires, Roxane écrit à
Usbek dans un style précipité, emphatique et dramatisé pour témoigner
du suicide qui est le sien. L’asyndète s’impose alors pour marquer une
rupture rythmique et tragique.
« Ce langage, sans doute, te paraît nouveau. Serait-il possible
qu’après t’avoir accablé de douleurs, je te forçasse encore d’admirer
17 Catachrèse
(n.f.)
Définition
Du grec katákhrêsis qui signifie notamment « faire mauvais
usage », la catachrèse est une figure de style qui consiste à
détourner un mot ou une expression de son usage premier afin de
l’étendre et désigner une chose qui n’a pas encore de nom. La
catachrèse est une figure de sens ou trope qui détourne l’usage
d’une métaphore non par effet de style mais pour venir combler un
manque de vocabulaire dans la langue. Ainsi « faire un créneau »
ne renvoie pas à l’architecture des fortifications mais à l’action de
garer sa voiture. Aussi bien « un bras de fauteuil » permet de dési-
gner ce qui ne peut être dit autrement. C’est pourquoi la catachrèse
est souvent considérée comme une variété de métaphore (voir
p. 153) : une métaphore passée dans le langage courant.
1 Histoire du procédé
C’est Quintilien qui, le premier, fait état de la nécessité de la langue à
produire, par métaphore, des désignations qui, sans elles, empêcheraient
parfois de s’exprimer de manière adéquate. Il écrit ainsi dans son traité
De l’institution oratoire : « En grec ou en latin, beaucoup de choses n'ont
d'abord pas reçu de nom. » Pour Quintilien, la catachrèse procède d’un
paradoxe : il s’agit du bon usage d’un mauvais usage de la langue mais
pour faire en sorte que le langage fonctionne.
Au-delà de l’emploi abusif d’une expression, Cicéron recommande un
autre usage de la catachrèse. Elle ne sert plus uniquement à combler un
manque de vocabulaire mais peut servir à orner les discours car, indique-
t-il dans De l’orateur, créer une expression de toutes pièces peut consti-
tuer « un plaisir raffiné ».
En 1730, dans son Traité des tropes, Dumarsais en restreint le sens pour
en faire le synonyme d’« abus de langage », sens que développera à son
tour Fontanier. En 1821, il définit ainsi la catachrèse : « La catachrèse, en
général, consiste en ce qu’un signe déjà affecté à une première idée, le
soit aussi à une idée nouvelle qui elle-même n’en avait point ou n’en a
plus d’autre propre dans la langue. »
Exemples
Marivaux, L’Amour et la Vérité, 1720
L’exemple le plus célèbre de catachrèse apparaît chez Marivaux
(1688-1763) dans l’une de ses pièces intitulée L’Amour et la Vérité. Co-
écrite avec Saint-Jorry, elle est l’une des premières œuvres à employer
l’expression « tomber amoureux » qui n’existait auparavant que dans un
sens figuré et que Marivaux va ainsi contribuer à populariser. Ici le sens
médian de la catachrèse, entre sens propre primitif et sens figuré,
s’impose dans cette réplique où l’Amour indique à la Vérité qu’il va rentrer
dans un arbre :
« Les fruits en sont beaux et bons, et me serviront à une petite malice
qui sera tout à fait plaisante. Celui qui en mangera tombera subitement
amoureux du premier objet qu’il apercevra. »
18 Chiasme
(n. m.)
Définition
Du grec khiazein signifiant « disposer en forme de croix », le
chiasme est une figure de construction fondée sur la symétrie.
Le chiasme consiste en une disposition inversée d’éléments lin-
guistiques. Il désigne d’abord l’inversion au sein de mots syntaxi-
quement identiques, mais renvoie, par extension, à une répétition
en miroir de divers ordres : phonétique, lexical, sémantique, ryth-
mique.
1 Histoire du procédé
Le chiasme n’apparaît pas dans les traités de rhétorique antiques ni clas-
siques. Comme l’indique Lausberg dans ses Éléments de rhétorique lit-
téraire (1960), c’est une figure récente dans son acception actuelle, même
si le terme qui la désigne est issu du grec.
Mouvement littéraire
Le chiasme, parce qu’il joue de l’opposition et de l’effet de surprise
sur le lecteur, est utilisé notamment dans la poésie baroque (fin
xvie-début xviie siècles) pour témoigner des contradictions de
l’âme humaine.
Exemples
Charles Baudelaire, « À une passante »,
Les Fleurs du Mal, 1857
Le poète évoque sa rencontre fugace, dans les rues de Paris, avec une
passante, incarnation de la Beauté. Le chiasme syntaxique (reprise inver-
sée des pronoms autour de verbes aux sèmes comparables : ignore/ ne
sais ; fuis/ vais) accentue la fugacité de la rencontre et le caractère inexo-
rable de leur séparation, inscrivant la perte comme creuset du Spleen et
de l’Idéal.
« Un éclair… puis la nuit ! – Fugitive beauté
Dont le regard m'a fait soudainement renaître,
Ne te verrai-je plus que dans l'éternité ?
Ailleurs, bien loin d'ici ! trop tard ! jamais peut-être !
Car j'ignore où tu fuis, tu ne sais où je vais,
Ô toi que j'eusse aimée, ô toi qui le savais ! »
19 Comique
(n. m.)
Registre comique
Définition
Du grec kōmōdía qui signifie « comédie, poésie satirique », le
comique désigne un ensemble d’éléments formels et stylistiques
propres à distraire, amuser et faire rire un public. Le comique est
un registre littéraire qui traverse tous les genres de la littérature
même s’il s’exprime, depuis l’Antiquité grecque, avec privilège au
théâtre sous la forme de la comédie. Le registre comique propose
une peinture des mœurs qu’il accompagne toujours d’une réflexion
critique.
Le registre comique répond à une double visée pour chaque auteur qui
l’emploie :
1) faire rire le lecteur et le public de théâtre ;
2) proposer une lecture critique des travers de la société.
1 Histoire du procédé
Né durant l’Antiquité grecque, le comique émane de la comédie qui
consistait avant le viie siècle avant Jésus-Christ en des fêtes données en
l’honneur du culte rendu au dieu Dionysos. Célébration aussi bien reli-
gieuse que citoyenne, la comédie se développe sous la Grèce de Périclès
avec notamment les pièces d’Aristophane. Elles fixent un certain nombre
d’invariants au genre et incidemment au registre : peinture de mœurs,
aventures ordinaires de la vie, interrogation critique de la société contem-
poraine et puissance de dérision. La comédie est le genre bas, représen-
tant les classes populaires et bourgeoises au contraire de la tragédie,
genre haut, mettant en scène des personnages de haut rang, nobles ou
héros qui sont frappés par le malheur du destin.
Cependant, contrairement à la tragédie qui fit avec Aristote l’objet d’une
analyse approfondie, la comédie et le comique ne bénéficièrent jamais
d’une telle reconnaissance critique. Si bien que le comique, moins formel,
a longtemps relevé d’un savoir plus empirique dont la définition a varié
avec l’expression du comique tout au long des siècles. Ainsi, avec la
comédie romaine, la farce du Moyen Âge et aussi bien les comédies de
▶ Le comique de situation
Le rire est ici suscité par la position actancielle qui est celle du personnage
dans l’histoire. Il s’agit de provoquer le rire en plaçant le personnage dans
des situations aussi inattendues que désopilantes. Le comique de situa-
tion s’exprime donc à travers des quiproquos (où les personnages se
méprennent mutuellement sur leur identité), des retournements drama-
tiques ou encore des coïncidences impossibles.
▶ Le comique de langage
Le rire est ici déclenché par les paroles proférées par les personnages.
Le comique de langage prend deux formes. La première est sémantique :
inspiré des lazzis (mots d’esprit) de la commedia dell’arte, il peut procéder
soit de jeux de mots, de calembours ou de répliques disjonctives par rap-
port à la situation ou au registre de langue.
La seconde forme de comique de langage est rythmique : elle concerne
les stichomythies qui désignent les brèves répliques à l’enchaînement
rapide.
▶ Le comique de caractère
Le rire est ici provoqué par la peinture de types moraux propres à une
certaine classe d’êtres, types que le xviie siècle moraliste français a pu
désigner sous le terme de « caractère ». Le théâtre de Molière propose
ainsi un comique de caractère dont l’exemple le plus remarquable est
L’Avare (1668) où l’homme pingre devient un type social.
▶ Le comique de mœurs
Le rire est enfin ici suscité par la représentation des us et coutumes d’une
classe sociale ou d’une époque données. Bien souvent, le comique de
mœurs opère une critique par le rire des travers d’une société.
Exemples
Molière, Les Femmes savantes, acte II, scène 6, 1672
Il s’agit sans doute de l’un des exemples le plus célèbres de comique de
langage. Procédant à la manière d’un lazzi de la commedia dell’arte, le
comique repose sur un mot à la prononciation mal comprise : le comique
naît ici d’une disjonction totale entre le mot prononcé et le mot compris.
« Bélise (à la bonne). – Veux-tu toute ta vie offenser la grammaire ?
Martine. – Qui parle d’offenser grand-mère ni grand-père ? »
20
Comparaison (n. f.)
Définition
Du latin comparatio, tiré de comparare signifiant « apparier », d’où
« assimiler », « confronter », la comparaison est spécialisée dès
1268 comme terme de rhétorique. Elle fait partie des figures par
analogie et consiste à rapprocher deux termes – le comparé et le
comparant – à l’aide d’un outil de comparaison. Elle permet de
dégager des ressemblances ou des différences entre deux objets.
À la différence de la métaphore qui détourne le sens habituel d’un
mot et lui en assigne un autre, la comparaison conserve le signifié
littéral – c’est pourquoi on considère qu’elle ne fait pas partie des
tropes.
Souvent utilisée en poésie ou en prose poétique, la comparaison
apparaît également dans d’autres types de texte, tels la description
romanesque ou le discours argumentatif.
1 Histoire du procédé
Rattachée à l’art de l’image, la comparaison est associée à l’ornementa-
tion du discours, dans les traités de rhétorique antiques, sous le nom de
similitudo. Outre la similitude servant à prouver, tel un argument, Quinti-
lien évoque dans De l’institution oratoire (95 de notre ère) celle qui vise à
« donner une image des choses » en tant qu’ornement du style, en confé-
rant à celui-ci « un certain air de noblesse, d’enjouement, de grâce, et
même de merveilleux. En effet, plus [la similitude] est tirée de loin, plus
elle paraît neuve et cause de surprise » (VIII, 3).
ires
Mouvements littéra
Pour nourrir leurs riches descriptions, les romanciers réalistes et
naturalistes ont eu recours à la comparaison pour tout à la fois
donner à voir le réel avec précision et surprendre, voire choquer le
lecteur.
Exemples
Émile Zola, Nana, 1880
Actrice de théâtre, l’héroïne éponyme a suscité le désir par sa beauté et
son impudence. Elle devient dans l’excipit de ce roman naturaliste un
corps en décomposition, suscitant horreur et dégoût, et nous rappelle
qu’Éros (pulsion de vie) se double de Thanatos (pulsion de mort). Le des-
tin de Nana illustre la finitude humaine au sein du vaste théâtre du monde.
« Nana restait seule, la face en l’air, dans la clarté de la bougie. C’était
un charnier, un tas d’humeur et de sang, une pelletée de chair cor-
rompue, jetée là, sur un coussin. Les pustules avaient envahi la figure
entière, un bouton touchant l’autre ; et, flétries, affaissées, d’un aspect
grisâtre de boue, elles semblaient déjà une moisissure de la terre, sur
une bouillie informe, où l’on ne retrouvait plus les traits. »
21
Conglobation (n.f.)
Définition
Du latin conglobatio qui signifie à la fois « agglomérer » mais aussi
« rassembler les soldats d’une armée », la conglobation est une
figure de style qui consiste à énumérer un grand nombre de termes
semblables afin de suggérer une idée exposée uniquement au
terme du développement. La conglobation est une figure de
construction par accumulation qui permet de rassembler à la suite
plusieurs arguments pour démontrer une même proposition afin
de convaincre avec d’autant plus de force.
1 Histoire du procédé
Si le terme même de « conglobation » apparaît en rhétorique en 1694, il
faut cependant attendre le xixe siècle avec Pierre Fontanier pour que la
figure trouve le sens qu’elle possède encore actuellement. Fontanier la
définit ainsi : « La conglobation, que l’on appelle encore énumération,
accumulation, est une figure par laquelle, au lieu d’un trait simple et unique
sur le même sujet, on en réunit, sous un seul point de vue, un plus ou
moins grand nombre, d’où résulte un tableau plus ou moins riche, plus ou
moins étendu. »
Au cours du xxe siècle, la figure fit l’objet d’une définition linguistique : la
conglobation est une transformation morpho-syntaxique d’éléments répé-
tés à l’infini. Catherine Fromilhague propose, quant à elle, une définition
linguistique de la figure qui, selon elle, appartient à l’arsenal des figures
de la chute oratoire. Parce qu’elle provoque un retard dans la révélation
de l’idée qui sert à la révélation de la vérité, la conglobation appartient à
ce que Pierre Fontanier nommait déjà l’effet de sustentation ou suspen-
sion.
▶ La conglobation de preuves
La conglobation de preuves s’intéresse, quant à elle, à l’accumulation
d’exemples. Précédant l’énonciation de l’idée, cette seconde catégorie de
conglobation énumère un très grand nombre d’exemples avant de révéler
l’idée directrice qu’ils illustrent. Cette conglobation possède le même
caractère emphatique et dramatique que la conglobation argumentative.
Exemples
Jean Racine, Phèdre, acte I, scène 2, 1677
Dans cette tirade de Phèdre, tragédie de Jean Racine (1639-1699), Hip-
polyte s’adresse ici à son précepteur, Théramène. Il lui dresse le portrait
de Thésée, son père, dont il énumère les qualités. Le portrait répond
d’une conglobation tant il s’agit d’une accumulation presque à l’infini de
ses traits de caractère. C’est une conglobation par preuves.
« Tu me contais alors l’histoire de mon père.
Tu sais combien mon âme, attentive à ta voix,
S’échauffait aux récits de ses nobles exploits,
Quand tu me dépeignais ce héros intrépide
Consolant les mortels de l’absence d’Alcide,
Les monstres étouffés, et les brigands punis,
Procruste, Cercyon, et Sciron, et Sinis,
Et les os dispersés du géant d’Épidaure,
Et la Crète fumant du sang du Minotaure.
Mais quand tu récitais des faits moins glorieux,
Sa foi partout offerte, et reçue en cent lieux ;
Hélène à ses parents dans Sparte dérobée ;
Salamine témoin des pleurs de Péribée ;
Tant d’autres, dont les noms lui sont même échappés,
Trop crédules esprits que sa flamme a trompés !
Ariane aux rochers contant ses injustices ;
Phèdre enlevée enfin sous de meilleurs auspices ;
Tu sais comme, à regret écoutant ce discours,
Je te pressais souvent d’en abréger le cours.
Heureux si j’avais pu ravir à la mémoire
Cette indigne moitié d’une si belle histoire ! »
1 Histoire du procédé
L’histoire du dialogisme est double. Elle est tout d’abord rhétorique
comme en atteste la définition qu’en donne Pierre Fontanier en 1821 dans
Les Figures du discours : « Le dialogisme consiste à rapporter directe-
ment, et tels qu’ils sont censés sortir de la bouche, des discours que l’on
prête à ses personnages, ou que l’on se prête à soi-même dans telle ou
telle circonstance. » Ici le terme de « dialogisme » est l’exact synonyme
de « dialogue ». Par extension, le dialogisme a été réservé à l’usage
des questions-réponses dans le cadre d’un monologue qu’un personnage
s’adresse à lui-même.
Mais, au cours du xxe siècle, le dialogisme est ensuite devenu un outil
stylistique à la faveur du théoricien russe Mikhaïl Bakhtine (1895-1975)
dans Problème de la poétique de Dostoïevski (1929) : le dialogisme se
définit comme l’interaction entre le discours du narrateur et le discours
des personnages qu’il fait intervenir dans son récit de manière indirecte
libre. Le dialogisme est une polyphonie entre différents discours rassem-
blés sous la voix unique du narrateur.
▶ Le dialogisme monologal
Il s’agit ici du dialogisme qui intervient au théâtre dans le cadre d’un
monologue. Le personnage pèse le pour et le contre d’une situation dans
un système de questions-réponses au cœur duquel il s’agit pour lui à
terme de prendre une décision. Le théâtre de Corneille développe le dia-
logisme monologal dans le cadre désormais bien connu du dilemme
impossible à résoudre.
Exemples
Denis Diderot, Jacques le fataliste et son maître, 1780
Dans ce roman à la frontière de tous les genres, Denis Diderot
(1713-1784) raconte les tribulations héroïques et narratives de Jacques
et de son maître. D’emblée, le roman emprunte à un dialogisme théâtral
pour transmettre directement les propos des personnages.
« Le maître.
C’est un grand mot que cela.
Jacques.
Mon capitaine ajoutait que chaque balle qui partait d’un fusil avait son
billet.
Le maître.
Et il avait raison…
Après une courte pause, Jacques s’écria : Que le diable emporte le
cabaretier et son cabaret !
Le maître.
Pourquoi donner au diable son prochain ? Cela n’est pas chrétien.
Jacques.
C’est que, tandis que je m’enivre de son mauvais vin, j’oublie de mener
nos chevaux à l’abreuvoir. Mon père s’en aperçoit ; il se fâche. Je hoche
de la tête ; il prend un bâton et m’en frotte un peu durement les épaules.
Un régiment passait pour aller au camp devant Fontenoy ; de dépit je
m’enrôle. Nous arrivons ; la bataille se donne.
Le maître.
Et tu reçois la balle à ton adresse. »
23 Didactique (n.
m.) ou Registre
didactique
Définition
Du grec didaktikós qui signifie « doué pour l’enseignement », le
didactique désigne un ensemble d’éléments formels et stylistiques
propres à l’expression d’un savoir transmis de manière objective et
rigoureuse. Le didactique est un registre littéraire qui traverse
tous les genres de la littérature mais qui, dès son origine, est atta-
ché à l’argumentation et en particulier à l’apologue, à savoir le récit
qui cherche à convaincre. Le registre didactique cherche ainsi à
instruire son lecteur et à énoncer une loi éducative ou leçon morale.
Le registre didactique répond à une double visée pour chaque auteur qui
l’emploie :
1) exprimer une leçon morale ou un savoir ;
2) enseigner et instruire le lecteur.
1 Histoire du procédé
Le didactique naît en Grèce antique avec une forme poétique précise,
celle de la poésie didactique dont l’apologue est une variété. Il s’agissait
alors de transmettre dans un texte littéraire des connaissances qui rele-
vaient de domaines variés tels que l’agriculture, l’astronomie, la chasse,
l’équitation, le maniement des armes, les sciences naturelles ou encore
les règles poétiques. Très vite, l’apologue, notamment sous la forme de
la fable, devint la forme privilégiée d’expression de la poésie didactique
car l’apologue allie au divertissement procuré par une histoire la rigueur
d’un enseignement moral qui doit en être déduit. C’est ainsi que, plus près
de nous, le didactique s’exprime avec privilège à travers les morales des
fables de La Fontaine ou encore des maximes de La Rochefoucauld.
Mais s’il est l’expression de la morale, le didactique est progressivement
lié à ce qui relève de l’instruction et de l’enseignement d’un savoir : ainsi
l’essai participe-t-il depuis Montaigne à l’élaboration didactique du savoir.
Lire, ce n’est plus uniquement se divertir mais aussi bien s’instruire.
Enfin, c’est avec la stylistique, à la fin du xxe siècle, que le didactique a
pu être qualifié, notamment par Alain Viala, de registre, à savoir comme
l’une des « catégories de représentation et de perception du monde que
▶ Le didactique de sapience
Il s’agit ici du didactique qui n’est pas strictement réservé à l’expression
de la morale mais renvoie à un degré d’instruction plus large. Le didac-
tique devient là l’outil d’une sagesse générale procurée par le savoir. On
parlera ainsi d’un didactique de sapience à propos des conseils agricoles
dispensés notamment par Hésiode dans Les Travaux et les jours.
Exemples
Jean de La Fontaine, « La Cour du Lion », Fables, 1678
Le registre didactique domine cette strophe finale dans laquelle La Fon-
taine (1621-1695) dispense une leçon. Le registre didactique se fait ici
explicite par la mention du terme « enseignement » qui ne laisse aucune
ambiguïté possible.
« Ceci vous sert d'enseignement :
Ne soyez à la Cour, si vous voulez y plaire,
Ni fade adulateur, ni parleur trop sincère ;
Et tâchez quelquefois de répondre en Normand. »
24 Discours
(n. m.) ou Étapes et
parties d’un discours
Définition
Du latin discurrure qui signifie « courir en tous sens, se
répandre », un discours désigne en rhétorique un développement
oral argumentatif proféré devant un auditoire. Le discours relève
de l’art oratoire qui rassemble les différentes techniques afin d’éla-
borer un discours. Dans le cadre de la rhétorique ancienne, il fallait
donc élaborer son discours selon cinq étapes distinctes qui
devaient être absolument respectées : l’invention, la disposition,
l’élocution, l’action et la mémoire.
Les cinq étapes du discours répondent à une double visée pour chaque
auteur qui l’emploie :
1) savoir construire une argumentation ;
2) être le plus efficace possible pour convaincre et persuader.
1 Histoire du procédé
C’est Aristote dans sa Rhétorique qui formalise l’ensemble des règles
rhétoriques du discours qui sont encore en vigueur aujourd’hui. À sa suite,
chaque rhéteur de l’Antiquité grecque et latine s’est fondé sur ces règles
afin de proposer à son tour une explicitation de leur application et de leur
formulation. De Quintilien jusqu’à Roland Barthes, la rhétorique se définit
tout d’abord comme l’art de composer des discours selon ces cinq parties.
▶ L’élocution
C’est l’ensemble des techniques d’écriture du discours. Cicéron distin-
guait trois styles possibles d’élocution :
✓ Le style simple : il s’agit d’écrire pour informer. Il s’applique à la nar-
ration.
✓ Le style moyen : il s’agit d’écrire de manière plus ornée. Il s’applique
à la digression mais aussi à l’exorde.
✓ Le style élevé : il s’agit d’écrire pour émouvoir et marquer les esprits.
Ce style s’applique à la péroraison.
▶ L’action
Cette étape concerne l’ensemble des techniques qui permettent de pro-
noncer à l’oral un discours. L’action insiste notamment sur le travail de la
voix de l’orateur de manière à ce qu’elle soit la plus remarquable possible
pour l’auditoire.
▶ La mémoire
Cette ultime étape intervient dans le cadre entre autres de débats. Il s’agit
de la mémorisation des arguments : l’orateur doit être en effet capable
d’improviser et de s’exprimer sans notes.
Exemple de péroraison
Jean Racine, Andromaque, Acte II, scène 1, 1667
Dans cet extrait, Oreste, ambassadeur des Grecs, cherche à emmener
avec lui le jeune Astyanax. Il s’entretient ici longuement avec Pyrrhus à
qui il expose les raisons pour lesquels Astyanax doit être livré. Au terme
de son discours, Oreste se livre à une péroraison qui dramatise passion-
nellement son discours afin de le rendre impressionnant.
25 Dramatique
(n. m.) ou Registre
dramatique
Définition
Du grec drama qui signifie « action », le dramatique désigne un
ensemble d’éléments formels et stylistiques qui permettent à une
intrigue de se construire sur une série de bouleversements inat-
tendus. Le dramatique est un registre littéraire qui traverse tous
les genres de la littérature mais tire son origine du théâtre dont il
reprend l’art du coup de théâtre et du retournement de l’intrigue. Le
registre dramatique, qui ne se limite donc pas au théâtre, permet
de construire autant de récits où le suspense peut être décuplé par
les péripéties. Un tel registre domine alors notamment le roman
d’aventures.
Le registre dramatique répond à une double visée pour chaque auteur qui
l’emploie :
1) intensifier le suspense et maintenir le lecteur en haleine ;
2) varier l’architecture des intrigues.
1 Histoire du procédé
Le registre dramatique est de toute évidence né avec le théâtre. Parce
qu’il désigne avant tout la construction d’une action, le registre dramatique
s’est attaché tout d’abord avec privilège aux intrigues scéniques : le dra-
matique renvoie ainsi d’emblée à la chaîne de péripéties qui précipitent
le héros vers son inéluctable destin ou le commun des mortels vers un
heureux dénouement. De fait, le mot va s’imposer lui-même en France
dès le xviiie siècle avec Denis Diderot qui l’utilise afin de désigner ce
mélange de comédie et de tragédie que le drame romantique viendra
consacrer au xixe siècle.
Le terme « drame » prend alors tout son sens puisqu’il renvoie à une
construction actancielle fondée sur la surprise, l’enchaînement de péri-
péties et le sens du suspense. Le développement durant ce même
xixe siècle du roman gothique, du roman d’aventures et du roman policier
n’est pas étranger au glissement du drame vers le registre dramatique qui
viendra qualifier la tonalité de ces romans.
Exemples
Alexandre Dumas, Le Comte de Monte-Cristo, chap. 7,
1844-1846
Le registre dramatique prend tout son sens avec les romans à rebondis-
sements d’Alexandre Dumas (1802-1870). Célèbre feuilletoniste du
xixe siècle, il ne construit ses intrigues que sur des déguisements, des
trahisons qui dynamisent comme ici le récit.
« Et Villefort tira la lettre de sa poche et la présenta à Dantès. Dantès
regarda et lut. Un nuage passa sur son front, et il dit :
— Non, Monsieur, je ne connais pas cette écriture ; elle est déguisée,
et cependant elle est d’une forme assez franche. En tout cas, c’est une
main habile qui l’a tracée. Je suis bien heureux, ajouta-t-il en regardant
avec reconnaissance Villefort, d’avoir affaire à un homme tel que vous,
car en effet mon envieux est un véritable ennemi.
Et à l’éclair qui passa dans les yeux du jeune homme en prononçant
ces paroles, Villefort put distinguer tout ce qu’il y avait de violente
énergie cachée sous cette première douceur.
26 Ecphrase
(n. f.)
Définition
Du grec ekphraseis qui signifie « expliquer jusqu’au bout »,
l’ecphrase (ou ekphrasis) est une figure de style qui consiste à
décrire de manière précise et détaillée une œuvre d’art, réelle ou
fictive. L’ecphrase est une figure de pensée par développe-
ment : elle se donne comme la représentation verbale d’un objet
artistique, qu’il s’agisse aussi bien d’une peinture, d’une sculpture,
d’une pièce d’orfèvrerie, d’une tapisserie, d’une vidéo, d’un film ou
plus largement d’une pièce architecturale. Elle s’impose comme
une variété de description.
L’ecphrase répond à une double visée pour chaque auteur qui l’emploie :
1) mettre en abyme le geste créateur de l’écrivain ;
2) introduire dans le récit une image en miniature du récit.
1 Histoire du procédé
Présente dès l’Iliade d’Homère sous la forme de la fameuse description
du bouclier d’Achille, l’ecphrase a fait immédiatement l’objet de nombreux
développements théoriques. Elle est notamment définie par Aélius Théon
qui la présente ainsi : « L’ekphrasis est un discours descriptif qui met sous
les yeux de manière vivace le sujet qu'il évoque. Il y a des ekphreseis de
personne, de lieux et de moments. » L’ecphrase est encore ici le syno-
nyme d’hypotypose et de description.
C’est Ruth Webb en 2009 qui, dans un important essai sur l’ecphrase,
démontre comment à la fin du xixe siècle un contresens a été commis par
certains universitaires dans l’interprétation du terme d’ekphrasis compris
dans un groupement de textes trop restreint et uniquement centré sur le
bouclier d’Achille. Loin de couvrir tout type de description comme cela
était le cas, l’ecphrase s’est alors restreinte à la description d’une œuvre
d’art. Cette définition, attestée notamment par Gérard Genette dans les
années 1960, est encore celle qui prévaut aujourd’hui.
▶ L’ecphrase adjuvante
L’ecphrase narrative se présente sous la forme de la description d’un objet
d’art qui assume une fonction narrative dans le récit. Loin de se limiter à
un simple élément décoratif, l’ecphrase narrative propose d’aider à la
construction du récit en devenant une pièce maîtresse de l’intrigue. Par
exemple, dans Dans le labyrinthe d’Alain Robbe-Grillet, l’ecphrase de la
gravure de la défaite de Reichenfells est adjuvante en ce qu’elle permet
de comprendre la défaite qui préside au destin du soldat narrateur.
Exemples
Homère, Iliade, chant XVIII, trad. de Leconte de Lisle
Il s’agit de l’exemple le plus célèbre d’ecphrase car il est le premier de
l’histoire connue de la littérature. Dans ce 18e chant épique de la colère
d’Achille, Homère décrit le bouclier du héros.
« Et il fit d’abord un bouclier grand et solide, aux ornements variés,
avec un contour triple et resplendissant et une attache d’argent. Et il
mit cinq bandes au bouclier, et il y traça, dans son intelligence, une
multitude d’images. Il y représenta la terre et l’Ouranos, et la mer, et
l’infatigable Hélios, et l’orbe enflé de Sélènè, et tous les astres dont
l’Ouranos est couronné : les Plèiades, les Hyades, la force d’Oriôn, et
l’Ourse, qu’on nomme aussi le Chariot qui se tourne sans cesse vers
Oriôn, et qui, seule, ne tombe point dans les eaux de l’Okéanos.
Et il fit deux belles cités des hommes. Dans l’une on voyait des noces
et des festins solennels. Et les épouses, hors des chambres nuptiales,
27 Élégiaque
(n. m.) ou Registre
élégiaque
Définition
Du grec elegeiakos qui signifie « chant de mort », l’élégiaque
désigne un ensemble un ensemble d’éléments formels et stylis-
tiques propres à l’expression de la plainte et du regret du passé
révolu. L’élégiaque est un registre littéraire qui traverse tous les
genres de la littérature mais qui, dès son origine, est attaché à la
poésie et en particulier à une forme poétique fixe : l’élégie. Le
registre élégiaque est celui de l’expression de la mélancolie, du
deuil et de la plainte d’un temps qui s’enfuit pour ne jamais revenir.
Le registre élégiaque répond à une double visée pour chaque auteur qui
l’emploie :
1) exprimer la mélancolie du temps qui passe irréversiblement ;
2) exprimer les souffrances liées à un deuil.
1 Histoire du procédé
L’élégiaque est né avec l’élégie grecque, forme poétique fixe qui consistait
en un poème le plus souvent lyrique. Il s’agissait pour le poète de laisser
libre cours à un chant funèbre plaintif. Associée d’emblée au regret, l’élé-
gie est un chant de deuil, de mort et de sacrifice. C’est avec les lettrés
romains que l’élégie associe la plainte du temps qui passe au regret des
amours passées et révolues. L’élégie se fait alors plus intime et fragile
pour souligner l’isolement du poète, esseulé dans sa rupture amoureuse,
face à une société qu’il perçoit comme vaine et sans avenir. L’élégie
devient alors la peinture désabusée du temps qui passe, de la vanité de
l’homme devant la mort. Le poème du regret devient celui de l’expression
privilégiée du memento mori.
Enfin, c’est avec la stylistique, à la fin du xxe siècle, que l’élégiaque a pu
être qualifié, notamment par Alain Viala, de registre, à savoir comme l’une
des « catégories de représentation et de perception du monde que la lit-
térature exprime, et qui correspondent à des attitudes en face de l'exis-
tence, à des émotions fondamentales ».
Exemples
Guillaume Apollinaire, « Le Pont Mirabeau », Alcools,
1913
Le registre élégiaque domine ce poème d’Apollinaire (1880-1918) qui
prend la forme d’un regret des amours passées. Cette langoureuse
plainte s’accompagne d’une mélancolie déployée par la métaphore du
fleuve dont le flot et le temps s’écoulent.
« Sous le pont Mirabeau coule la Seine
Et nos amours
Faut-il qu'il m'en souvienne
La joie venait toujours après la peine
Vienne la nuit sonne l'heure
Les jours s'en vont je demeure »
28 Éloquence
(n. f.) ou Genres de
l’éloquence/genres
oratoires
Définition
Du latin eloquentia qui signifie « savoir bien parler », l’éloquence
désigne le fait de savoir s’exprimer avec efficacité en produisant un
discours argumentatif élaboré en fonction d’un public donné. L’élo-
quence participe plus largement de l’art oratoire qui consiste à
savoir prendre la parole en public et élaborer son discours selon
certaines règles. La principale d’entre elles consiste à savoir à qui
l’on s’adresse car, paradoxalement, c’est l’auditoire qui détermine
l’argumentation qui va être employée et non l’inverse. Il existe ainsi
trois genres de l’éloquence ou genres oratoires : le judiciaire,
le délibératif et l’épidictique.
1 Histoire du procédé
Les genres de l’éloquence ou genres oratoires ont été identifiés par Aris-
tote dans sa Rhétorique. Pour lui, la rhétorique qui consiste en la science
de bien parler doit tout d’abord, avant même d’argumenter, savoir à qui
elle a à faire. Aristote indique donc d’emblée : « Les genres oratoires sont
au nombre de trois ; car il n’existe que trois sortes d’auditeurs. » À partir
de là, Aristote distingue selon les auditeurs en question le genre judi-
ciaire, le genre délibératif et le genre épidictique.
L’essentiel des traités de rhétorique ont, depuis lors, repris les distinctions
aristotéliciennes pour venir les préciser. C’est le cas de Quintilien qui,
dans son Institution oratoire, associe les genres oratoires à quelques
figures de rhétorique qu’il juge indispensables.
▶ Le genre judiciaire
Il concerne les discours tenus dans les tribunaux. L’avocat, le magistrat
ou le procureur produisent une argumentation qui s’articule autour de
deux valeurs : le juste et l’injuste. Deux types de textes argumentatifs sont
alors possibles : la plaidoirie qui consiste à défendre l’accusé et le réqui-
sitoire qui consiste à l’accabler. Le temps verbal principal du discours
judiciaire est le passé puisqu’il s’agit de reconstituer des faits.
▶ Le genre délibératif
Il concerne les discours tenus dans les assemblées politiques. Le député,
le sénateur ou l’élu produisent une argumentation qui s’articule autour de
deux valeurs : l’utile et le nuisible. Deux types de textes argumentatifs sont
alors possibles : la loi qui promulgue le droit ainsi que le décret qui en
exige l’application immédiate. Le temps verbal principal est le futur
puisqu’il s’agit de prévenir d’une éventuelle infraction au droit.
▶ Le genre épidictique
Il concerne tous les autres discours mais à cette nuance près qu’il s’agit
de discours non tenus dans les tribunaux ou les assemblées politiques. Il
s’agit de produire une argumentation qui s’articule autour de deux
valeurs : la beauté et la laideur. Deux types de textes argumentatifs qui
entendent faire le portrait d’un individu sont alors possibles : l’éloge qui
en énumère les qualités et le blâme qui en condamne les défauts. Le
temps verbal principal est le présent puisqu’il s’agit de faire directement
le portrait souvent en présence de la personne.
Exemples
Émile Zola, Son Excellence Eugène Rougon, 1876
Le genre délibératif s’exprime ici sans détours dans cet incipit. Mettant en
scène le député Eugène Rougon sous le Second Empire, Zola
(1840-1902) décrit le déroulement d’une séance de l’Assemblée nationale.
Il use alors du délibératif pour rapporter les débats législatifs qui sont au
cœur des échanges entre les personnages.
« Le président était encore debout, au milieu du léger tumulte que son
entrée venait de produire. Il s’assit, en disant à demi-voix, négligem-
ment :
— La séance est ouverte.
Et il classa les projets de loi, placés devant lui, sur le bureau. À sa
gauche, un secrétaire, myope, le nez sur le papier, lisait le procès-
verbal de la dernière séance, d’un balbutiement rapide que pas un
député n’écoutait. Dans le brouhaha de la salle, cette lecture n’arrivait
qu’aux oreilles des huissiers, très-dignes, très-corrects, en face des
poses abandonnées des membres de la Chambre.
Il n’y avait pas cent députés présents. Les uns se renversaient à demi
sur les banquettes de velours rouge, les yeux vagues, sommeillant
déjà. D’autres, pliés au bord de leurs pupitres comme sous l’ennui de
cette corvée d’une séance publique, battaient doucement l’acajou du
bout de leurs doigts. Par la baie vitrée qui taillait dans le ciel une demi-
lune grise, toute la pluvieuse après-midi de mai entrait, tombant
d’aplomb, éclairant régulièrement la sévérité pompeuse de la salle. La
lumière descendait les gradins en une large nappe rougie, d’un éclat
sombre, allumée çà et là d’un reflet rose, aux encoignures des bancs
vides ; tandis que, derrière le président, la nudité des statues et des
sculptures arrêtait des pans de clarté blanche.
Un député, au troisième banc, à droite, était resté debout, dans l’étroit
passage. Il frottait de la main son rude collier de barbe grisonnante,
l’air préoccupé. Et, comme un huissier montait, il l’arrêta et lui adressa
une question à demi-voix.
— Non, Monsieur Kahn, répondit l’huissier, Monsieur le président du
Conseil d’État n’est pas encore arrivé. »
1 Histoire du procédé
Notion ambiguë, l’ellipse apparaît dans les grammaires et les traités de
rhétorique dès l’Antiquité – notamment chez Apollonius Dyscole dans sa
Syntaxe (iie siècle de notre ère). Dans De l’institution oratoire (95 apr. J.-
C.), des quatre sortes de solécisme recensées et considérées comme un
« vice » par Quintilien, l’une a lieu par « retranchement » et est appelée
« ellipse » par d’autres rhéteurs.
À partir de la Renaissance, elle ne cesse de faire l’enjeu de débats entre
grammairiens et stylisticiens. Pour Fontanier (Les Figures du discours,
1821), l’ellipse est « l’une des figures qui disent le plus et font le plus
penser. Elle est due à l’activité impétueuse de notre esprit, qui voudrait
se faire comprendre à l’instant même, et communiquer la pensée presque
aussi rapidement qu’il l’a conçue. »
Mouvement littéraire
Au xxe siècle, l’ellipse est présente notamment dans la poésie de
la Négritude afin de rendre plus efficace l’anticolonialisme et plus
éclatantes les images revendiquant une identité et une culture
noires.
Exemples
Jean-Philippe Toussaint, La Salle de bain,
Éditions de Minuit, 1985, p. 23
Dans ce récit ludique et distancé, le narrateur décide de passer ses après-
midi dans sa salle de bain, quand il est dérangé par deux Polonais venus
repeindre la cuisine, à la demande de sa compagne, Edmondsson. Il faut
entendre dans la réplique de Kabrowinski une double ellipse : « Voici des
poulpes, c’est un cadeau ».
« Kabrowinski était confus d’avoir autant sonné. Il était sur le pas de la
porte, la canadienne fermée jusqu’au col, une écharpe autour du cou.
Entre ses pieds se trouvait un petit sac transparent rempli de chairs
visqueuses. Il le ramassa du bout des doigts, baisa la main d’Edmond-
sson et entra. Kovalskazinski Jean-Marie n’est pas là ? demanda-t-il
30 Épanorthose
(n. f.)
Définition
Du grec epanorthosis qui signifie « corriger pour faire tenir droit,
redresser », l’épanorthose est une figure de style qui consiste à
revenir sur ce qu’on vient de dire de manière à en affiner le sens
ou à trouver un mot plus juste. L’épanorthose est une figure de
pensée qui revient sur une affirmation jugée trop faible ou inadé-
quate afin d’ajouter une expression plus énergique et plus frap-
pante. L’épanorthose peut également servir à rétracter ce qui vient
d’être affirmé au profit d’un propos plus nuancé.
1 Histoire du procédé
Figure du discours, l’épanorthose est définie de manière canonique en
1821 par Pierre Fontanier, qui la désigne aussi sous le terme de rétro-
action, dans son traité des Figures du discours : « Figure de style qui
consiste à revenir sur ce qu’on a dit, ou pour l’adoucir, ou même pour le
rétracter tout à fait, suivant qu’on affecte de la trouver, ou qu’on le trouve
en effet trop faible ou trop fort, trop peu sensé, ou trop peu convenable. »
Parce qu’il s’agit d’une figure de pensée qui met à nu le dispositif énon-
ciatif de chaque texte, l’épanorthose connaît à partir des années 1960 une
définition linguistique et stylistique. Georges Molinié la définit ainsi en
1992 : « L’effet de sens essentiel ne réside ni dans la négation ni dans
l’affirmation renforçante, mais dans la confrontation des deux et où,
d’autre part, diverses formes lexicales et grammaticales peuvent suppor-
ter l’épanorthose. »
▶ L’épanorthose de pensée
Cette première catégorie d’épanorthose consiste à corriger et préciser les
Comment repérer ce procédé ?
notions évoquées dans le discours. Il s’agit de trouver l’idée la plus adé-
quate pour articuler son raisonnement et asseoir son argumentation en Les marqueurs textuels
tentant de trouver la notion la plus exacte. de l’épanorthose sont au
nombre de trois :
– emploi de locutions
▶ L’épanorthose discursive adverbiales tels que « ou
plutôt », « ou bien » ou
Il s’agit ici d’opérer une épanorthose non dans le cadre de la pensée mais encore « pour tout dire » ;
– intervention directe de
du discours. L’orateur ou l’écrivain cherchent à trouver le terme le plus
l’orateur dans son dis-
adéquat dans leur récit. Le but est de parvenir à trouver le mot juste cours qui se signale par
capable de rendre le plus exactement compte d’un état de fait. Le discours l’usage de l’apostrophe ;
se déploie alors en une suite de variations et de précisions lexicales – usage de questions rhé-
toriques afin d’interpeller
jusqu’à ce que le terme soit énoncé.
directement le lecteur.
Exemples
Edmond Rostand, Cyrano de Bergerac, 1897
Dans cette pièce dont l’action se situe dans la France baroque du
xviie siècle, Cyrano de Bergerac, homme aux traits disgracieux mais au
verbe haut, trace son autoportrait et évoque notamment son nez, remar-
quable entre tous. Il use d’une épanorthose pour définir au mieux son
organe. On remarquera que doublée ici d’une gradation corrective, l’épa-
northose se mue en auxèse, à savoir une gradation d’hyperboles.
« C’est un roc !… C’est un pic !… C’est un cap !… Que dis-je, c’est un
cap ?… C’est une péninsule ! »
31 Épique
(n. m.)
ou Registre épique
Définition
Du grec epikós qui signifie littéralement « parole remarquable,
digne d’attention », l’épique désigne un ensemble d’éléments for-
mels et stylistiques propres à l’expression d’exploits ou d’actions
hors du commun accomplis par des héros. L’épique est un registre
littéraire qui traverse tous les genres de la littérature mais qui, dès
son origine, est attaché à l’épopée. Mettant l’accent sur la fonction
référentielle du langage, le registre épique exprime toujours à la
troisième personne du singulier ou du pluriel des événements mar-
quants loués parce que susceptibles de susciter l’admiration et
l’enthousiasme des lecteurs. C’est pourquoi le registre épique est
souvent associé à l’expression de l’héroïsme, notamment guerrier.
Le registre épique répond à une double visée pour chaque auteur qui
l’emploie :
1) raconter de hauts faits, des événements ayant marqué l’histoire ou le
destin d’un héros ;
2) susciter l’admiration et l’admiration dans un but d’édification héroïque.
1 Histoire du procédé
L’épique est né avec l’épopée grecque qui, à l’instar de L’Odyssée et de
L’Iliade d’Homère, consiste en un long poème narratif racontant les
actions célèbres d’un héros. Associé d’emblée à l’amplitude narrative,
l’épique a très tôt obéi à une double identification formelle : la première
consistait à mettre en scène un récit d’exploits ; la seconde consistait à
associer ce récit à l’usage de la troisième personne du singulier ou du
pluriel. Pour Gérard Genette, dans Introduction à l’architexte, l’épique est
alors le synonyme exact de ce qui deviendra le genre romanesque car,
comme le critique l’affirme, dans la forme épique, « l’auteur présente
son image en rapport intermédiaire entre lui-même et les autres. »
C’est avec la stylistique, à la fin du xxe siècle, que l’épique a pu être qua-
lifié, notamment par Alain Viala, de registre, à savoir comme l’une des
▶ L’épique démocratique
Il s’agit ici de l’épique qui n’est pas strictement réservé à la narration
d’exploits héroïques mais d’événements remarquables intervenant dans
le genre romanesque à proprement parler. Si Hegel a pu, à l’aube du
xixe siècle, qualifier le roman de « moderne épopée », l’épique démocra-
tique en consacre l’usage en l’appliquant, dès le mouvement réaliste, au
quotidien de personnages ordinaires. L’épique concerne alors chacun
dans des actions dont la grandeur est relative mais s’étend à tous.
Exemples
Anonyme, Chanson de Roland, xie siècle
Le registre épique se retrouve, en premier lieu, comme tonalité majeure
des épopées. La grandeur affectée aux événements, les exploits mer-
veilleux mais aussi bien l’édification se trouvent au cœur d’une épopée
comme la Chanson de Roland. Elle raconte les exploits héroïques du
chevalier Roland, neveu de Charlemagne qui se fait attaquer par surprise
par les Sarrasins.
« Redoutable est la bataille, elle se fait générale.
Le comte Roland ne se met pas à l'abri du danger,
frappe de l'épieu tant que la hampe reste entière,
au quinzième coup, il l'a brisé et rompu ;
il met à nu Durendal, sa bonne épée,
il pique des deux, va frapper Chernuble :
lui brise le heaume où brillent des escarboucles,
lui fend le crâne et la chevelure,
lui fend les yeux et le visage,
et le haubert qui brille, aux fines mailles,
et tout le corps jusqu'à l'enfourchure.
Et son épée traverse la selle incrustée d'or,
et elle s'arrête dans le corps du cheval,
lui tranche l'échine sans avoir à chercher la jointure,
les abat morts tous deux dans le pré sur l'herbe drue.
Puis il lui dit : « Vil truand, vous avez eu tort de venir ici.
De Mahomet vous n'aurez jamais d'aide.
Un lâche comme vous ne gagnera pas la bataille aujourd'hui. »
en cellule, puis Blum se fit porter malade et rentra lui aussi au camp,
et ils y restèrent tous les deux, travaillant pendant les mois d'hiver à
décharger des wagons de charbon, maniant les larges fourches, se
relevant lorsque la sentinelle s'éloignait, minables et grotesques sil-
houettes, avec leurs calots rabattus sur leurs oreilles, le col de leurs
capotes relevé, tournant le dos au vent de pluie ou de neige.
32 Épitrope
(n. f.)
Définition
Du grec épitropê qui signifie « concession », l’épitrope est une
figure de style qui consiste à hypocritement encourager quelqu’un
à faire quelque chose qu’en vérité l’on désapprouve ou qui semble
sans intérêt. L’épitrope est une figure d’expression par opposi-
tion qui repose sur un paradoxe : elle invite quelqu’un à révéler le
fond de sa pensée pour qu’ensuite elle puisse être discutée. L’épi-
trope est parfois assimilée à une figure d’ironie (voir ironie, p. 138).
L’épitrope répond à une triple visée pour chaque auteur qui l’emploie :
1) dissuader ou encourager un locuteur de s’engager ou de faire quelque
chose ;
2) exposer ironiquement mais avec plus d’autorité toutes les consé-
quences logiques d’un acte ;
3) s’indigner devant une action ou une pensée d’un individu.
1 Histoire du procédé
Outil argumentatif, l’épitrope est tout d’abord définie de manière courante
dans l’Antiquité latine comme un procédé de concession. Désignée par
le terme de concessio, l’épitrope est une figure par laquelle l'orateur
accorde quelque chose qu'il pourrait nier, afin que par cette marque
d'impartialité, il puisse obtenir à son tour qu'on lui donne ce qu'il exige.
C’est Pierre Fontanier qui, en 1821, livre dans son traité des Figures du
discours la définition la plus claire de l’épitrope : « L’épitrope ou permis-
sion, dans la vue même de nous détourner d’un excès, ou de nous en
inspirer soit l’horreur, soit le repentir, semble nous inviter à nous y livrer
sans réserve, ou à y mettre le comble, et à ne plus garder de mesure. »
▶ L’épitrope éristique
Ici, l’épitrope dépasse l’ironie pour aller jusqu’à l’affrontement avec l’inter-
locuteur. Il ne s’agit plus seulement de faire voir combien son action ou
son raisonnement sont sans fondement mais de s’y opposer avec fer-
meté. Usant de la question rhétorique n’appelant pas de réponse, l’épi-
trope éristique clôt toute possibilité de débat entre les interlocuteurs.
Exemples
Nicolas Boileau, Atrée et Thyeste, acte V, scène 7, 1707
Il s’agit de l’exemple le plus célèbre d’épitrope. Dans le dernier acte de
cette tragédie, Thyeste reconnaît, dans la coupe que lui tend Atrée, son
frère, le sang de Phisthène, son propre fils qui vient d’être assassiné par
ce frère barbare même. L’apostrophe finale au frère est une épitrope : le
père demande en fait à être tué à son tour.
« Monstre, que les enfers ont vomi sur la terre,
Assouvis la fureur dont ton cœur est épris :
Joins un malheureux père à son malheureux fils ;
À ses mânes sanglants donne cette victime,
Et ne t’arrête point au milieu de ton crime.
Barbare, peux-tu bien m’épargner en des lieux
D’où tu viens de chasser et le jour et les dieux ! »
33 Éthopée
(n. f.)
Définition
Du grec ethos qui signifie « mœurs, caractère », l’éthopée est une
figure de style qui consiste à brosser le portrait moral d’un person-
nage. L’éthopée est une figure de pensée par développement
qui se divise elle-même en deux catégories selon le portrait effec-
tué : l’éthopée peut tout d’abord être une description des qualités
morales d’un être ; l’éthopée peut enfin être une description des
défauts moraux d’un être. Partie morale de tout portrait, l’éthopée
est souvent complétée par la prosopographie qui, quant à elle,
brosse le portrait physique.
L’éthopée répond à une double visée pour chaque auteur qui l’emploie :
1) faire un portrait moral nécessaire à la présentation du personnage ;
2) proposer des éléments d’interprétation du personnage et des pistes
narratives pour le reste de l’histoire. L’éthopée fournit une clef inter-
prétative aux comportements du personnage.
1 Histoire du procédé
Longtemps, l’éthopée a été une figure réservée uniquement à la peinture
morale des êtres. De fait, parce qu’elle consistait pour l’essentiel dans
l’énumération des qualités et défauts des individus, l’éthopée a connu un
très vif succès chez les moralistes de la France classique du xviie siècle.
À ce titre, cette figure a longtemps été tenue pour le synonyme de portrait
et, en particulier, de caractère.
Il faut significativement attendre Pierre Fontanier en 1821 pour que l’étho-
pée ne soit plus le synonyme de portrait et s’articule formellement à la
prosopographie. Avec Fontanier, qui est le témoin du bouleversement
démocratique de la Révolution française, le portrait ne s’attache plus
exclusivement aux hommes illustres : il faut à présent déployer conjoin-
tement prosopographie et éthopée pour saisir un personnage. Ce que
la définition suivante de Fontanier indique sans peine : « L’éthopée est
une description qui a pour objet les mœurs, le caractère, les vices, les
vertus, les talents, les défauts, enfin les bonnes ou les mauvaises qualités
morales d’un personnage réel ou fictif. »
▶ L’éthopée oratoire
La première catégorie d’éthopée renvoie à la qualité oratoire de la figure.
Elle est ici un outil rhétorique qui permet à un orateur de brosser le portrait
moral d’une personne lors de son discours. Outil argumentatif, l’éthopée
oratoire permet d’établir soit un portrait à charge soit un portrait favorable
notamment dans le cadre de plaidoirie ou de réquisitoire judiciaires.
Exemples
Jean de La Bruyère, Les Caractères, 1688
Il s’agit de l’une des éthopées les plus célèbres de la littérature. À l’imita-
tion de Théophraste, La Bruyère (1645-1696) prend soin ici de décrire
moralement Gnathon pour élever son caractère à une puissance didac-
tique morale. L’éthopée ici s’articule comme souvent à une prosopogra-
phie corporelle qui permet de mieux saisir par le physique ce qui se donne
à voir du moral.
« Gnathon ne vit que pour soi, et tous les hommes ensemble sont à
son égard comme s’ils n’étaient point. Non content de remplir à une
table la première place, il occupe lui seul celle de deux autres ; il oublie
que le repas est pour lui et pour toute la compagnie ; il se rend maître
du plat, et fait son propre de chaque service : il ne s’attache à aucun
des mets, qu’il n’ait achevé d’essayer de tous ; il voudrait pouvoir les
34 Euphémisme
(n. m.)
Définition
Issu du grec euphèmismos, signifiant « emploi d’un mot favorable »
(à la place d’un mot de mauvais augure), l’euphémisme désigne
une figure de pensée qui consiste en l’atténuation de l’expres-
sion. Il évite ainsi l’expression directe ou littérale d’une idée ou d’un
fait, qui pourrait être ressentie comme brutale, désagréable ou vul-
gaire. Se conformant à la bienséance ou encore au « politiquement
correct » contemporain, il consiste en la désignation adoucie ou
détournée d’une idée ou d’une réalité jugées déplaisantes. C’est
dire si l’euphémisme est associé à une société donnée dont il
manifeste les tabous. Protéiforme et très fréquent, le procédé est
utilisé dans tous les registres et à tous les niveaux de langue.
Mouvement littéraire
1 Histoire du procédé Au xviie siècle, le classi-
cisme, notamment le
Si Aristote évoque l’euphémisme lorsqu’il traite de la métaphore dans sa théâtre, utilise l’euphé-
Rhétorique, le procédé est absent de nombreux traités. Lorsqu’il est misme afin de ne pas
heurter le lecteur ou le
abordé, c’est souvent de façon imprécise, comme c’est le cas dans De spectateur, conformé-
elocutione de Démétrius. Il faut attendre Aelius Aristide et son ouvrage ment à la bienséance éri-
Des moyens oratoires, au IIe siècle de notre ère, pour que l’euphémisme gée en règle.
soit classé parmi les figures de rhétorique. Toutefois, ce n’est pas toujours
le cas dans les traités qui suivront et surtout, il faut attendre plusieurs
siècles pour que l’euphémisme apparaisse de nouveau – au Moyen Âge
en effet, il disparaît des traités, comme l’analyse Paul Zumthor.
Par la suite, on utilise ainsi souvent l’euphémisme pour définir une autre
figure – Bernard Lamy, au xviie siècle, s’en sert pour évoquer la péri-
phrase. Pour ce qui concerne les traités rhétoriques français, Dumarsais,
qui classe l’euphémisme parmi les tropes, est le premier à en donner une
véritable définition : il s’agit d’une figure par laquelle « on déguise des
idées désagréables, odieuses ou tristes sous des noms qui ne sont point
les noms propres de ces idées ; ils leur servent comme de voile » (Des
Exemples
Marguerite Duras, L’Amant, Éditions de Minuit, 1984
Dans ce récit à coloration autobiographique, la narratrice entrelace la
rencontre avec un Chinois, « l’amant de Cholen » avec l’évocation de sa
famille et celle de son rapport à l’écriture. La mort du « petit frère », expé-
rience fondamentale de la douleur et questionnement du sens, est dite
avec brutalité et s’oppose à la formule d’atténuation du télégramme offi-
ciel, et, au-delà, à sa portée religieuse.
« Je ne sais plus quels étaient les mots du télégramme de Saigon. Si
on disait que mon petit frère était décédé ou si on disait : rappelé à
Dieu. Il me semble me souvenir que c’était rappelé à Dieu. L’évidence
m’a traversée : ce n’était pas elle qui avait pu envoyer le télégramme.
Le petit frère. Mort. D’abord c’est inintelligible et puis, brusquement, de
partout, du fond du monde, la douleur arrive, elle m’a recouverte, elle
35 Explicit
(n. m.)
Définition
Dérivé de l’expression latine explicit liber qui signifie « le livre est
déployé, achevé », l’explicit désigne les dernières pages d’un récit
permettant de parvenir à la résolution ou non de l’intrigue. L’expli-
cit est une catégorie d’analyse de la poétique du récit : il permet
de résoudre les enjeux dramatiques déployés par l’histoire. L’expli-
cit correspond ainsi à la situation finale du récit qui conduit le
roman et l’histoire à leur conclusion.
L’explicit répond à une double visée pour chaque auteur qui l’emploie :
1) clore son récit et résoudre son intrigue ;
2) relancer son histoire et ouvrir à la possibilité narrative d’une suite.
1 Histoire du procédé
Depuis le Moyen Âge, le terme d’explicit désigne l’inscription que les
moines copistes inscrivaient sur les manuscrits afin d’en signaler l’achè-
vement. Explicit liber renvoyait ainsi au livre déployé, c’est-à-dire littéra-
lement et intégralement déplié, parcouru et copié.
Pourtant, le terme n’a jamais fait l’objet d’une théorie large et exhaustive
au contraire d’incipit, dont l’histoire poétique est riche. Devant ce vide cri-
tique, certains parlent notamment d’excipit, mot forgé comme un double
négatif à partir d’incipit. On lui préférera toujours explicit qui, loin de relever
du latin de cuisine comme excipit, renvoie à une histoire textuelle établie
depuis le Moyen Âge.
▶ L’explicit ouvert
Il s’agit ici d’un explicit qui, au contraire du précédent, propose une ouver-
ture finale. Loin de clore les perspectives, l’explicit ouvert dépasse la mort
ou le départ des protagonistes pour s’élever à un nouveau départ et une
incidente relance de l’histoire. C’est la possibilité notamment pour le
romancier de laisser entendre qu’une suite est possible.
Exemples
Honoré de Balzac, Le Père Goriot, 1834
Il s’agit d’un exemple d’explicit ouvert tiré de Balzac (1799-1850). Avant
que l’histoire ne s’achève et puisse être considérée comme un explicit
fermé par la mort du père Goriot, Balzac relance son histoire en suivant
un autre personnage : Rastignac. La suite du récit est donc incidemment
appelée et lancée.
« Rastignac, resté seul, fit quelques pas vers le haut du cimetière et vit
Paris tortueusement couché le long des deux rives de la Seine où
commençaient à briller les lumières. Ses yeux s’attachèrent presque
avidement entre la colonne de la place Vendôme et le dôme des Inva-
lides, là où vivait ce beau monde dans lequel il avait voulu pénétrer. Il
lança sur cette ruche bourdonnante un regard qui semblait par avance
en pomper le miel, et dit ces mots grandioses :
— À nous deux maintenant !
Et pour premier acte du défi qu’il portait à la Société, Rastignac alla
dîner chez madame de Nucingen. »
36 Fantastique
(n. m.)
Registre fantastique
Définition
Du bas latin phantasticus qui signifie « imaginaire, irréel », le fan-
tastique désigne un ensemble d’éléments formels et stylistiques
propres à l’expression du surnaturel dans le cadre d’un récit réaliste.
Le fantastique est un registre littéraire qui traverse tous les
genres de la littérature mais qui s’attache cependant plus particu-
lièrement à la nouvelle. Le registre fantastique procède d’une hési-
tation entre le naturel et le surnaturel qui se révèle aussi indécidable
qu’angoissante pour le héros. Le fantastique installe donc un
monde instable, aussi bien illogique qu’impossible à apaiser. Il sus-
cite terreur et refus chez les personnages.
Le registre fantastique répond à une double visée pour chaque auteur qui
l’emploie :
1) exprimer la peur, l’angoisse et l’horreur ;
2) interroger les frontières entre le naturel et le surnaturel.
Exemples
Guy de Maupassant, Le Horla, 1887
Le registre fantastique se déploie ici avec privilège puisque ce journal
intime, rédigé donc à la première personne, raconte la progressive
angoisse d’un narrateur guetté par un double maléfique : le Horla. Cepen-
dant, même si des phénomènes surnaturels se succèdent comme ici cette
carafe vidée toute seule, rien ne permet d’affirmer que le surnaturel règne
tant le narrateur paraît peu fiable, au bord de la folie et de l’épuisement
nerveux.
« 5 juillet. – Ai-je perdu la raison ? Ce qui s’est passé la nuit dernière
est tellement étrange, que ma tête s’égare quand j’y songe ! Comme
je le fais maintenant chaque soir, j’avais fermé ma porte à clef ; puis,
ayant soif, je bus un demi-verre d’eau, et je remarquai par hasard que
ma carafe était pleine jusqu’au bouchon de cristal. Je me couchai
ensuite et je tombai dans un de mes sommeils épouvantables, dont je
fus tiré au bout de deux heures environ par une secousse plus affreuse
encore. Figurez-vous un homme qui dort, qu’on assassine, et qui se
réveille, avec un couteau dans le poumon, et qui râle couvert de sang,
et qui ne peut plus respirer, et qui va mourir, et qui ne comprend pas –
voilà.
Ayant enfin reconquis ma raison, j’eus soif de nouveau ; j’allumai une
bougie et j’allai vers la table où était posée ma carafe. Je la soulevai
en la penchant sur mon verre ; rien ne coula. – Elle était vide ! Elle était
37 Focalisation
(n. f.)
Définition
Du latin focalis qui signifie « au foyer, dans l’âtre », la focalisation
est un procédé littéraire qui désigne dans un récit le point de vue
à partir duquel l’univers est raconté et décrit. La focalisation est une
catégorie de la poétique du récit et permet de rendre compte du
mode narratif, à savoir la perspective dont sont rapportés les faits.
1 Histoire du procédé
La focalisation ou point de vue est identifiée comme procédé littéraire pour
la première fois par Jean Pouillon en 1946 dans son essai Temps et
roman. Le critique y distingue trois manières pour un romancier de
construire le point de vue par lequel son récit sera raconté : c’est ce qu’il
nomme la « vision ». La première vision est la « vision par-derrière » par
laquelle le narrateur en sait plus que le personnage ; la deuxième vision
est la « vision avec » par laquelle le narrateur ne dit que ce que sait le
personnage qu’il suit ; la troisième vision est la « vision du dehors » par
laquelle le narrateur en dit moins que n’en sait le personnage.
Repartant de ces distinctions, Gérard Genette offre en 1972 dans Figures
III au chapitre du « Discours du récit » la définition canonique de la foca-
lisation qu’il précisera en 1983 : « Par focalisation, j’entends donc bien
une restriction de “champ”, c’est-à-dire en fait une sélection de l’informa-
tion narrative par rapport à ce que la tradition nommait l’omniscience. »
▶ La focalisation zéro
Il s’agit de la focalisation dans laquelle le narrateur en sait plus que les
personnages. Le narrateur se déplace d’un personnage à l’autre et peut
ainsi connaître les faits et les gestes ainsi que les pensées de chacun.
En voici l’équation : Narrateur > Personnage.
Exemples
Émile Zola, Thérèse Raquin, 1868
Ce roman de Zola s’ouvre sur la présentation de la jeune Thérèse Raquin.
Il s’agit ici d’une focalisation interne car le narrateur va faire suivre le destin
tragique de son héroïne à travers ses yeux mêmes. Ainsi de son portrait :
« Thérèse grandit, couchée dans le même lit que Camille, sous les
tièdes tendresses de sa tante. Elle était d’une santé de fer, et elle fut
soignée comme une enfant chétive, partageant les médicaments que
prenait son cousin, tenue dans l’air chaud de la chambre occupée par
le petit malade. Pendant des heures, elle restait accroupie devant le feu,
pensive, regardant les flammes en face, sans baisser les paupières.
Cette vie forcée de convalescente la replia sur elle-même ; elle prit
l’habitude de parler à voix basse, de marcher sans faire de bruit, de
rester muette et immobile sur une chaise, les yeux ouverts et vides de
regards. Et, lorsqu’elle levait un bras, lorsqu’elle avançait un pied, on
sentait en elle des souplesses félines, des muscles courts et puissants,
toute une énergie, toute une passion qui dormaient dans sa chair
assoupie. Un jour, son cousin était tombé, pris de faiblesse ; elle l’avait
soulevé et transporté, d’un geste brusque, et ce déploiement de force
avait mis de larges plaques ardentes sur son visage. La vie cloîtrée
qu’elle menait, le régime débilitant auquel elle était soumise ne purent
affaiblir son corps maigre et robuste ; sa face prit seulement des teintes
pâles, légèrement jaunâtres, et elle devint presque laide à l’ombre.
Parfois, elle allait à la fenêtre, elle contemplait les maisons d’en face
sur lesquelles le soleil jetait des nappes dorées. »
38
Homéotéleute (n.f.)
Définition
Du grec homoiotéleutos qui signifie « à la terminaison sem-
blable », l’homéotéleute est une figure de style qui consiste à rap-
procher deux ou plusieurs mots d’un même énoncé par des
sonorités finales syllabiques identiques. L’homéotéleute est une
figure de mots qui repose sur un jeu de sonorité et de ressem-
blance formelle par lequel il s’agit de rapprocher des syllabes
finales homophones. Si le procédé peut faire songer à la rime poé-
tique, il convient de remarquer d’emblée que l’homéotéleute est
une répétition de finales sonores dans le cadre uniquement de la
prose. L’homéotéleute est un procédé appartenant à l’harmo-
nisme.
1 Histoire du procédé
Fondée sur le retour de sonorités finales identiques, l’homéotéleute est,
dès l’Antiquité grecque, une figure identifiée non en poésie mais dans l’art
de la prose. Il revient au rhéteur grec Gorgias (480-375 av. J.-C.) de pro-
poser d’introduire les procédés poétiques dans l’art du discours afin
notamment de marquer, par le jeu sonore, l’auditoire par des formules
comme autant de maximes ou slogans. Considérée comme un gorgia-
nisme, l’homéotéleute est classée comme une variété en prose de l’asso-
nance et s’impose grâce à Gorgias comme l’une des trois figures
majeures de la rhétorique avec l’antithèse et le parallélisme.
À la suite de Gorgias, tout art de l’orateur réserve un soin particulier à la
définition de l’homéotéleute tant elle possède, par son jeu sonore, une
force impressive sur l’auditoire. Cicéron en souligne également la capa-
cité à rendre élégant tout discours puisque, selon lui, « quand il y a, soit
▶ L’homéotéleute typographique
Rare, l’homéotéleute typographique est une figure qui relève davantage
de la faute d’inattention lors de la copie d’un manuscrit que d’une intention
stylistique. Elle concerne essentiellement, pour la philologie, les fautes
commises par les moines copistes lors de leur transcription. L’homéoté-
leute typographique disparaît avec l’arrivée de l’imprimerie qui, quant à
elle, invente… la coquille, à savoir une semblable faute d’inattention.
Exemples
Victor Hugo, Notre-Dame de Paris, 1831
Dans ce roman historique, Victor Hugo (1802-1885) use de l’homéoté-
leute dans sa description de Paris. Pour lui, il s’agit de brouiller les fron-
tières entre le roman et la poésie en usant de retour de sonorités et donc
d’homéotéleutes dans le cadre d’un texte en prose.
« Cette tour était la flèche la plus hardie, la plus ouvrée, la plus menui-
sée, la plus déchiquetée, qui ait jamais laissé voir le ciel à travers son
cône de dentelle. »
39 Hypallage
(n. f.)
Définition
Du grec hypallagế qui signifie « échange, permutation », l’hypal-
lage est une figure de style qui consiste à attribuer à certains
termes d’un énoncé ce qui devrait être logiquement attribué à
d’autres, sans pour autant introduire de confusion. L’hypallage est
une figure de construction qui redistribue par renversement
l’ordre des mots en s’attachant le plus souvent à lier deux termes
syntaxiquement alors qu’on s’attendrait à les voir affectés à un troi-
sième.
L’hypallage répond à une double visée pour chaque auteur qui l’emploie :
1) souligner emphatiquement un élément ainsi mis en valeur ;
2) produire une image aussi inattendue qu’inédite.
1 Histoire du procédé
Procédé utilisé très tôt dans la poésie grecque et latine, l’hypallage fait
l’objet d’une définition décisive par Quintilien dans son Institution ora-
toire : « Ce trope, qui n'est que la substitution d'un nom à un autre, est
aussi, comme le remarque Cicéron, appelé hypallage par les rhéteurs.
Elle consiste à désigner l'effet par la cause, l'invention par l'inventeur, la
chose possédée pour le possesseur. Ainsi Virgile a dit : Cérès corrompue
par les eaux ; et Horace : Neptune sur la terre protège les flottes contre
les aquilons. Si, dans le dernier exemple, on employait le mot propre au
lieu de Neptune, l'exactitude toucherait de près à l'obscurité. » On remar-
quera que Quintilien choisit d’en faire une variante de la métonymie.
C’est également le cas de Dumarsais dans son Traité des tropes en 1730
qui insiste avant de la définir sur son caractère de construction gramma-
ticale. Il la donne à voir ainsi : « Ainsi dans les anciens la transposition
dont nous parlons est une figure respectable qu’on appelle hypallage,
c’est-à-dire, changement, transposition, ou renversement de construction.
Le besoin d’une certaine mesure dans les vers a souvent obligé les
anciens poètes d’avoir recours à ces façons de parler, et il faut convenir
qu’elles ont quelquefois de la grâce. »
▶ L’hypallage simple
L’hypallage simple porte, comme son nom l’indique, sur un seul et unique
segment de phrase. Il s’agit là d’un échange ou transfert de qualités d’un
groupe syntaxique attendu à un autre. Cette phrase de Marguerite Duras
(1914-1996) dans Moderato Cantabile procède d’une hypallage simple :
« le désordre blond de sa chevelure ». Ce n’est pas le désordre qui est
blond mais la chevelure : c’est donc une hypallage.
Exemples
Marcel Proust, Du côté de chez Swann, 1913
Il s’agit de l’exemple le plus célèbre d’hypallage. Marcel, le Narrateur,
redoute chaque soir à Combray le drame du coucher, le jeune garçon ne
parvenant à s’endormir qu’à grand-peine. Dans une phrase poétique où
dominent les associations du rêve, Proust (1871-1922) décrit le tintement
sonore de la clochette par la matière même dont la clochette est faite. Le
tintement qui devrait être qualifié sémantiquement par une sonorité l’est
alors par l’attribut visuel de la clochette, à savoir sa teinte dorée.
« Les soirs où, assis devant la maison sous le grand marronnier, autour
de la table de fer, nous entendions au bout du jardin, non pas le grelot
profus et criard qui arrosait, qui étourdissait au passage de son bruit
ferrugineux, intarissable et glacé, toute personne de la maison qui le
déclenchait en entrant “sans sonner”, mais le double tintement timide,
ovale et doré de la clochette pour les étrangers, tout le monde aussitôt
se demandait : “Une visite, qui cela peut-il être ?” »
40 Hyperbole
(n. f.) / Adynaton (n. m.)
Définition
Le terme hyperbole vient du grec huperballein, signifiant « jeter
au-dessus », « dépasser la mesure » : c’est une figure d’amplifi-
cation qui consiste en l’exagération des termes employés. L’ady-
naton, quant à lui, est une « hyperbole impossible à force
d’exagération » (Dupriez), telle qu’on peut en trouver dans les
fatrasies médiévales. L’hyperbole apparaît dans tous les genres et
dans toutes les tonalités, mais de façon privilégiée dans l’épopée
et dans les textes ironiques et satiriques comme le pamphlet.
Mouvement littéraire
Au xxe siècle, le surréalisme emploie l’hyperbole – et en particulier
l’adynaton – pour ouvrir la représentation de la réalité à des rela-
tions inédites et incongrues, particulièrement frappantes pour
l’esprit.
1 Histoire du procédé
Dès l’Antiquité, l’hyperbole est répertoriée dans les traités de rhétorique.
Quintilien en fait une figure « qui exagère ou diminue la vérité », permet-
tant d’embellir le style, d’orner le discours (De l’institution oratoire, 95 apr.
J.-C.).
Selon Fontanier, l’hyperbole est un « trope en plusieurs mots » et fait partie
des « figures d’expression par réflexion » (Les Figures du discours, 1821) :
elle permet de « se jet[er] au-delà de la vérité, soit qu’on présente les
choses bien au-dessus ou bien au-dessous de ce qu’elles sont réelle-
ment, ou de ce qu’il faut les croire. » Il ajoute que l’hyperbole nécessite la
bonne foi du locuteur et la réflexion du destinataire afin que celui-ci puisse
« réduire les mots à leur juste valeur ». L’hyperbole ne doit pas heurter la
vraisemblance ni la vérité – ce en quoi elle s’oppose à l’adynaton.
Exemples
Jean de La Bruyère, « Arrias », Les Caractères, 1688
En moraliste de son siècle, La Bruyère (1645-1696) peint les travers de
ses contemporains. Ainsi en est-il d’Arrias : prétendant tout connaître, il
n’a de cesse de mentir pour asseoir son savoir factice. Les hyperboles
soulignent ainsi la fatuité du personnage.
« Arrias a tout lu, a tout vu, il veut le persuader ainsi ; c’est un homme
universel, et il se donne pour tel : il aime mieux mentir que de se taire
ou de paraître ignorer quelque chose. On parle à la table d’un grand
d’une cour du Nord : il prend la parole, et l’ôte à ceux qui allaient dire
ce qu’ils en savent ; il s’oriente dans cette région lointaine comme s’il
en était originaire ; il discourt des mœurs de cette cour, des femmes
du pays, de ses lois et de ses coutumes ; il récite des historiettes qui
y sont arrivées ; il les trouve plaisantes, et il en rit le premier jusqu’à
éclater. »
les activités qu’il peut mener, semble poursuivre des choses vaines. C’est
ce que souligne la célèbre formule « vanité des vanités », qui relève d’une
construction particulière, appelée hyperbole biblique. Elle est encore
accentuée par le pronom « tout ».
« Paroles de l’Ecclésiaste, fils de David, roi de Jérusalem.
Vanité des vanités, dit l’Ecclésiaste, vanité des vanités, tout est vanité.
Quel avantage revient-il à l’homme de toute la peine qu’il se donne
sous le soleil ?
Une génération s’en va, une autre vient, et la terre subsiste toujours.
Le soleil se lève, le soleil se couche ; il soupire après le lieu d’où il se
lève de nouveau. […]
J’ai vu tout ce qui se fait sous le soleil ; et voici, tout est vanité et pour-
suite du vent. »
L’incipit répond à une triple visée pour chaque auteur qui l’emploie :
1) attirer d’emblée l’attention du lecteur ;
2) instaurer un pacte de lecture romanesque avec le lecteur ;
3) livrer au lecteur les éléments indispensables à une mise en intrigue
du récit.
1 Histoire du procédé
Si le terme d’incipit désigne depuis l’Antiquité latine le début d’un texte à
la manière d’un signal, la notion d’incipit se révèle paradoxalement assez
récente dans l’histoire de l’analyse littéraire. Elle est ainsi née en France
avec les études de narratologie et de poétique du récit dans les années
1970. Il revient en 2003 à Andrea Del Lungo dans son essai L’Incipit
romanesque d’en proposer la définition la plus efficace : « frontière déci-
sive de l’œuvre, seuil à double sens entre le monde et le texte, instant
fatidique de rencontre des désirs de l’écrivain et des attentes du lecteur ».
Del Lungo souligne combien la notion de commencement d’un récit
devient un enjeu dramatique premier notamment avec Balzac et le réa-
lisme.
Exemples
Honoré de Balzac, Le Père Goriot, 1834
Il s’agit d’un exemple d’incipit dramaturgique tiré de Balzac (1799-1850)
qui en invente le procédé. Avant que l’histoire ne commence, l’incipit
expose par une topographie le lieu de l’intrigue dont pourront se déduire
notamment des éléments permettant de mieux saisir les personnages.
« Madame Vauquer, née de Conflans, est une vieille femme qui, depuis
quarante ans, tient à Paris une pension bourgeoise établie rue Neuve-
Sainte-Geneviève, entre le quartier latin et le faubourg Saint-Marcel.
Cette pension, connue sous le nom de la maison Vauquer, admet éga-
lement des hommes et des femmes, des jeunes gens et des vieillards,
sans que jamais la médisance ait attaqué les mœurs de ce respectable
établissement. Mais aussi, depuis trente ans, ne s’y était-il jamais vu
de jeune personne, et, pour qu’un jeune homme y demeure, sa famille
doit-elle lui faire une bien maigre pension. Néanmoins, en 1819,
époque à laquelle ce drame commence, il s’y trouvait une pauvre jeune
fille. En quelque discrédit que soit tombé le mot drame par la manière
L’ironie répond à une double visée pour chaque auteur qui l’emploie :
1) nuancer son propos en jouant d’une entente implicite avec l’interlo-
cuteur ;
2) user d’un effet de comique et de raillerie.
1 Histoire du procédé
Très tôt dans l’Antiquité grecque, l’ironie a retenu l’attention des rhéteurs
dans la mesure où Socrate en usait pour construire ses raisonnements.
On appelle ainsi ironie socratique l’ironie par laquelle on feint l’ignorance
afin de mettre en évidence les manques et lacunes de son interlocuteur.
Outil oratoire majeur, l’ironie est définie par Quintilien dans son Institution
oratoire comme une figure de pensée qu’il énonce en ces termes : « l'iro-
nie, qui exprime une chose pour en faire entendre une autre, est cette
figure qui pénètre si sûrement dans les esprits, et qui produit un effet si
agréable lorsqu'on y joint, non la véhémence, mais un ton de familiarité. »
En 1821, dans Les Figures du discours, Pierre Fontanier reprendra les
caractéristiques majeures de cette définition afin d’en donner la sienne,
désormais canonique : « L’ironie consiste à dire par une raillerie, ou plai-
sante, ou sérieuse, le contraire de ce qu’on pense, ou de ce qu’on veut
faire penser. Elle semblerait appartenir plus particulièrement à la gaieté ;
mais la colère et le mépris l’emploient aussi quelquefois, même avec
avantage. »
Exemples
Gustave Flaubert, Madame Bovary, 1857
Dans ce roman, Gustave Flaubert (1821-1880) présente le destin impos-
sible et bientôt pathétique d’Emma Bovary, jeune femme dont les désirs
romantiques ne correspondent en rien à la tristesse et à la platitude de la
morne vie normande qu’elle endure au quotidien. Ici Flaubert use d’ironie
pour dépeindre la vie d’Emma, risible et éperdue.
« Elle portait une robe de chambre tout ouverte, qui laissait voir, entre
les revers à châle du corsage, une chemisette plissée avec trois
boutons d'or. Sa ceinture était une cordelière à gros glands, et ses
petites pantoufles de couleur grenat avaient une touffe de rubans
larges, qui s'étalait sur le cou-de-pied. Elle s'était acheté un buvard,
une papeterie, un porte-plume et des enveloppes, quoiqu'elle n'eût
personne à qui écrire ; elle époussetait son étagère, se regardait dans
la glace, prenait un livre, puis, rêvant entre les lignes, le laissait tomber
sur ses genoux. Elle avait envie de faire des voyages, ou de retourner
vivre à son couvent. Elle souhaitait à la fois mourir et habiter Paris. »
La litote répond à une double visée pour chaque auteur qui l’emploie :
1) renforcer paradoxalement le sens de ce que le locuteur dit ;
2) s’exprimer indirectement dans un style sobre, rigoureux et dépouillé.
1 Histoire du procédé
L’histoire de la litote est liée à celle de son plus célèbre exemple, à savoir
la fameuse réplique que, dans Le Cid (1637) de Corneille, Chimène
adresse à Rodrigue : « Va, je ne te hais point. » La litote consiste ici à
avouer indirectement à Rodrigue que Chimène l’aime. C’est à partir de ce
vers que nombre de rhéteurs vont réfléchir à la figure de la litote comme
par exemple Dumarsais en 1730 dans son Traité des tropes.
Il définit la litote en ces termes : « La litote ou diminution est un trope par
lequel on se sert de mots, qui, à la lettre, paraissent affaiblir une pensée
dont on sait bien que les idées accessoires feront sentir toute la force : on
dit le moins par modestie ou par égard ; mais on sait bien que ce moins
réveillera l’idée du plus. Quand Chimène dit à Rodrigue, va, je ne te hais
point, elle lui fait entendre bien plus que ces mots-là ne signifient dans
leur sens propre. »
Cependant, la litote est aujourd’hui l’objet d’une vive polémique puisque
des stylisticiens comme Georges Molinié affirment qu’elle ne relève que
d’une question de réception et de récepteur. Rodrigue perçoit le contraire
de ce que Chimène lui dit parce qu’elle lui fait comprendre qu’il peut
entendre le contraire. On notera cependant qu’à ce souci interprétatif
contreviennent les marques énonciatives propres à toute litote (tournure
négative et formule d’exténuation).
Exemples
Jean de La Fontaine, « Le Faucon et le chapon »,
Fables, livre VIII, 1678
Dans cette fable, Jean de La Fontaine (1621-1695) présente le dialogue
féroce et sans pitié qui oppose d’une part un faucon chasseur et un cha-
pon apeuré qui doit faire l’objet d’un grand souper. La Fontaine use
d’emblée d’une litote qui témoigne ici de la finesse d’esprit et de la joute
oratoire dont chacun des animaux fera par la suite preuve. La litote
44 Lyrisme
(n. m.) ou Registre
lyrique
Définition
Du grec lyrikós qui signifie littéralement « lyre, joué avec la lyre »,
le lyrisme désigne un ensemble d’éléments formels et stylistiques
propres à exprimer des émotions et des sentiments personnels. Le
lyrisme est un registre littéraire qui traverse tous les genres de la
littérature mais qui, dès son origine, est attaché à la poésie et à
l’ode en particulier : mettant l’accent sur la fonction émotive du
langage, le lyrisme exprime toujours les sentiments à la première
personne. C’est pourquoi il est souvent associé à la déclaration
d’amour.
Le registre lyrique répond à une double visée pour chaque auteur qui
l’emploie :
1) exprimer les sentiments et émotions ressenties à la première per-
sonne ;
2) célébrer ou condamner en son nom propre.
1 Histoire du procédé
Le lyrisme est né avec la poésie et en particulier la pratique de l’ode dans
la Grèce antique. Associé à l’usage musical de la lyre qui, harmonique-
ment, servait à accompagner en musique le poème, le lyrisme a très tôt
obéi à une double identification formelle : la première consistait thémati-
quement à exprimer des sentiments, particulièrement amoureux ; la
seconde consistait à associer cette expression à la première personne du
singulier. Pour Gérard Genette, dans Introduction à l’architexte, le lyrisme
est alors le synonyme exact du genre poétique car, comme le critique
l’affirme, dans la forme lyrique, « l’auteur présente son image en rapport
avec lui-même. »
C’est avec la stylistique, à la fin du xxe siècle, que le lyrisme a pu être
qualifié, notamment par Alain Viala, de registre, à savoir comme l’une des
« catégories de représentation et de perception du monde que la littéra-
ture exprime, et qui correspondent à des attitudes en face de l'existence,
à des émotions fondamentales ».
Exemples
Alfred de Vigny, « Le Cor », Poèmes antiques et
modernes, 1826
Le mouvement romantique est connu pour avoir généralisé en France
l’usage du registre lyrique au point même qu’Alfred de Vigny (1797-1863)
est réputé pour en avoir introduit le terme dans la langue française. Ici
dans « Le Cor », poème sur la solitude, le poète exprime par le registre
lyrique l’abandon vécu après une rupture amoureuse.
« J'aime le son du Cor, le soir, au fond des bois,
Soit qu'il chante les pleurs de la biche aux abois,
Ou l'adieu du chasseur que l'écho faible accueille,
45 Merveilleux
(n. m.)
ou Registre merveilleux
Définition
Du bas latin mirabilia qui signifie « chose étonnante, admirable »,
le merveilleux désigne un ensemble d’éléments formels et stylis-
tiques propres à l’expression d’un monde surnaturel qui n’inquiète
en rien. Le merveilleux est un registre littéraire qui traverse tous
les genres de la littérature mais qui s’attache cependant plus par-
ticulièrement au conte. Le registre merveilleux procède d’un monde
où le surnaturel est admis comme tel par les personnages et répond
de la féerie et de la magie. Le surnaturel y est toujours une source
d’émerveillement.
Le registre merveilleux répond à une double visée pour chaque auteur qui
l’emploie :
1) dépayser et étonner le lecteur par le monde représenté ;
2) offrir une leçon morale.
1 Histoire du procédé
Le merveilleux qui, notamment à partir du xviie siècle en France, a affirmé
ses lettres de noblesse avec les Contes de Perrault s’est vu défini très
précisément par Tzvetan Todorov. En 1970, dans son Introduction à la
littérature fantastique, il propose tout d’abord de l’opposer au fantastique.
Pour Todorov, le merveilleux offre un surnaturel apaisant quand le fan-
tastique installe un fantastique angoissant sinon terrifiant.
En voici sa définition : « Le fantastique occupe le temps de cette incerti-
tude ; dès qu’on choisit l’une ou l’autre réponse, on quitte le fantastique
pour entrer dans un genre voisin, l’étrange ou le merveilleux. Le fantas-
tique, c’est l’hésitation éprouvée par un être qui ne connaît que les lois
naturelles, face à un événement en apparence surnaturel. »
▶ Le merveilleux hyperbolique
Le merveilleux hyperbolique procède d’une exagération extraordinaire de
l’univers représenté. Rien ne répond aux normes du monde quotidien et
ordinaire : les référents pourtant connus prennent des dimensions exa-
gérées qui seront dites hyperboliques. C’est par exemple la taille épous-
touflante des poissons dans Sinbad le marin.
Exemples
Charles Perrault, Contes du temps passé, 1697
Le registre merveilleux se déploie avec privilège dans un récit qui prend
la forme d’un conte. Ici « Il était une fois » engage une temporalité mer-
veilleuse imprécise qui recule l’histoire dans un temps invérifiable, auto-
risant à toutes les invraisemblances, surtout les plus heureuses.
« Il était une fois un roi et une reine qui étaient si fâchés de n’avoir point
d’enfants, si fâchés qu’on ne saurait dire. Enfin, pourtant il leur naquit
une fille. On fit un beau baptême ; on donna pour marraine à la petite
princesse toutes les fées qu’on put trouver dans le pays (il s’en trouva
sept), afin que, chacune d’elles lui faisant un don, comme c’était la
coutume des fées en ce temps-là, la princesse eût, par ce moyen,
toutes les perfections imaginables. »
46 Métalepse
(n. f.)
Définition
Du grec ancien metalêpsis qui signifie « échange, changement »,
la métalepse est une figure de style qui propose de substituer la
cause pour la conséquence. La métalepse est une figure
d’expression par réflexion qui cherche ainsi à remplacer un mot
par un autre en fonction du rapport qui lie les deux choses, le plus
souvent dans un rapport de cause à conséquence. La métalepse
est considérée comme une variante de la métonymie (p. 156)
1 Histoire du procédé
Identifiée dès l’Antiquité par Quintilien, la métalepse est canoniquement
définie au xviiie siècle par Dumarsais comme « une espèce de métony-
mie, par laquelle nous pouvons exprimer ce qui suit pour faire entendre
ce qui précède ; ou ce qui précède pour faire entendre ce qui suit ; elle
ouvre, pour ainsi dire, la porte, dit Quintilien, afin que vous passiez d'une
idée à une autre, ex alio in viam præstat, c'est l'antécédent pour le consé-
quent, ou le conséquent pour l'antécédent, et c'est toujours le jeu des
idées accessoire dont l'une réveille l'autre. »
En 1821, Fontanier précise encore l’usage de la métalepse qui consiste
« à faire entendre une chose par une autre, qui la précède, la suit ou
l’accompagne, en est un adjoint, une circonstance quelconque, ou enfin
s’y rattache ou s’y rapport de manière à la rappeler aussitôt à l’esprit. »
▶ La métalepse narrative
Étudiée par Gérard Genette, la métalepse narrative s’attache à substituer
un seuil énonciatif par un autre. La métalepse narrative concerne alors
toutes les interventions directes des narrateurs dans leurs propres récits.
Exemples
Jean Racine, Phèdre, acte II, scène 5, 1677
Il s’agit de l’exemple le plus célèbre de métalepse. Phèdre, mariée à Thé-
sée, n’ose avouer à son beau-fils Hippolyte qu’elle est en vérité amou-
reuse de lui. En présence d’Oenone sa confidente à qui elle a déjà laissé
entendre cet amour incestueux, elle substitue par métalepse l’expression
indirecte à l’expression directe par un jeu implicite avec Oenone.
« Oui, prince, je languis, je brûle pour Thésée :
Je l’aime, non point tel que l’ont vu les enfers,
Volage adorateur de mille objets divers,
Qui va du dieu des morts déshonorer la couche ;
Mais fidèle, mais fier, et même un peu farouche,
Charmant, jeune, traînant tous les cœurs après soi,
Tel qu’on dépeint nos dieux, ou tel que je vous voi. »
47 Métaphore
(n. f.)
Définition
Du grec metaphorein signifiant « transporter », la métaphore crée
une mutation de sens. La métaphore appartient en effet aux
« tropes », ces figures de sens qui délogent un mot de sa signifi-
cation habituelle et détournent son sens. Une métaphore répétée,
usée, ouvre d’ailleurs à un nouveau sens par un procédé de lexi-
calisation.
La métaphore est plus précisément une figure par analogie : elle
se fonde sur une relation de ressemblance entre deux termes, sans
que cette relation soit explicitée et sans que l’outil de l’analogie
apparaisse. Par sa forme condensée, la métaphore est ainsi créa-
trice d’images. Elle apparaît, de façon privilégiée mais non exclu-
sive, en poésie et dans la prose poétique.
Mouvement littéraire
1 Histoire du procédé À la fin du xvie siècle et au
début du xviie siècle, les
Liée à l’art de l’image, la métaphore est une figure incontournable de l’art écrivains baroques ont
rhétorique, et ce depuis l’Antiquité. Ainsi, dans sa Poétique, Aristote utilisé les métaphores
pour représenter un
insiste sur l’idée d’un transport de sens : « La métaphore est l’application monde en constant chan-
à une chose d’un nom qui lui est étranger ». Pour Quintilien, la métaphore gement, rendant compte
est « une beauté ajoutée », utilisée « soit pour être plus expressif soit par par là même du caractère
pur ornement » (De l’institution oratoire, VIII, 6). précaire de la condition
humaine.
Dans Les Figures du discours (1821), Fontanier reprend l’idée d’un tel
transport en y associant une relation de ressemblance : « On transporte,
pour ainsi dire, un mot d’une idée à laquelle il est affecté, à une autre idée
dont il est propre à faire ressortir la ressemblance avec la première. »
Pour certains théoriciens du xxe siècle, la métaphore est la figure de style
par excellence, absorbant pour ainsi dire toutes les autres – Gérard
Genette parle au sujet de la métaphore et de la métonymie d’une « rhé-
torique restreinte ».
Exemples
Marcel Proust, À l’ombre des jeunes filles en fleurs, 1919
Épris de Gilberte et triste de ne pouvoir la voir, le jeune narrateur rencontre
la mère de celle-ci, Odette Swann, dans son salon d’hiver. Participant d’un
rituel initiatique, la description de ce salon coïncide avec l’évocation d’un
monde somptueux et éphémère, à l’image du chrysanthème. Dans une
prose poétique, l’art du romancier rivalise avec celui du peintre. Il y a là
une métaphore in praesentia entre les fleurs du salon d’hiver et la palette
d’un peintre.
« Odette avait maintenant, dans son salon, au commencement de
l’hiver, des chrysanthèmes énormes et d’une variété de couleurs
comme Swann jadis n’eût pu en voir chez elle. Mon admiration pour
eux – quand j’allais faire à Mme Swann une de ces tristes visites où,
lui ayant de par mon chagrin, retrouvé toute sa mystérieuse poésie de
mère de cette Gilberte à qui elle dirait le lendemain : « Ton ami m’a fait
une visite » – venait sans doute de ce que, rose pâle comme la soie
Louis XV de ses fauteuils, blanc de neige comme sa robe de chambre
en crêpe de Chine, ou d’un rouge métallique comme son samovar, ils
superposaient à celle du salon une décoration supplémentaire, d’un
coloris aussi riche, aussi raffiné, mais vivante et qui ne durerait que
48
Métonymie /
Synecdoque (N. F.)
Définition
Du grec metonumia (« changement de nom »), la métonymie est
une figure de sens ou trope qui remplace un mot par un autre, selon
une relation de correspondance. La métonymie est ainsi une
figure de contiguïté ou de substitution, rapprochant – souvent
grâce à une ellipse – deux réalités complètement autonomes. Il
existe des métonymies du contenant pour contenu (et vice versa),
de l’effet pour la cause (et inversement), du lieu pour un objet ou
une personne, du concret pour l’abstrait (et inversement), de la
partie du corps pour le sentiment, de l’instrument pour la fonction.
Du grec sunekdokhè signifiant « inclusion, compréhension », la sy
necdoque est considérée comme un type particulier de métony-
mie. C’est donc une figure de contiguïté, reliant deux réalités qui
ont entre elles un rapport d’inclusion, notamment entre partie et
tout ; genre et espèce ; matière et objet ; qualité et objet ; singulier
et pluriel.
1 Histoire du procédé
La synecdoque et la métonymie apparaissent dans les traités de rhéto-
rique depuis l’Antiquité. Dans De l’institution oratoire (95), Quintilien
évoque ainsi la métonymie comme « la substitution d’un nom à un autre ».
Quant à la synecdoque, dont le propre serait de « varier le style », elle
donne à entendre le pluriel par le singulier, le tout par la partie, le genre
par l’espèce, ce qui suit par ce qui précède, et vice versa.
Mouvement littéraire
L’esthétique classique a promu la sobriété et la clarté dans le dis-
cours : de nombreuses métonymies et synecdoques sont alors
employées pour rendre concis et efficaces, voire incisifs les
échanges, notamment au théâtre.
Exemples
Pierre Corneille, Le Cid, 1637, acte I, scène 5, v. 261-267
Dans ce célèbre dialogue, Don Diègue demande à son fils Rodrigue de
le venger d’un soufflet infligé par Don Gomès, le père de Chimène, celle
49 Mise en
abyme (n. f.)
Définition
De l’ancien français « mise en abysme » qui signifie « incruster une
pièce dans un blason », la mise en abyme (ou « mise en abîme »)
est un procédé littéraire qui consiste à placer à l’intérieur de l’œuvre
principale une œuvre qui reprend les actions ou les thèmes de
l’œuvre cadre. La « mise en abyme » est une catégorie d’analyse
de poétique : elle permet de rendre compte de l’inclusion dans un
texte d’une œuvre qui représente l’œuvre elle-même mais en
miniature ou qui représente dans l’œuvre les outils génériques ou
stylistiques dont ladite œuvre procède. La mise en abyme peut
être considérée comme une métalepse sans auteur tant elle joue
sur les cadres du récit mais sans faire intervenir l’auteur lui-même.
La mise en abyme répond à une double visée pour chaque auteur qui
l’emploie :
1) inclure une œuvre en miniature qui reprend l’œuvre elle-même ;
2) réfléchir aux conditions d’énonciation de l’œuvre en jouant de la
réflexivité.
1 Histoire du procédé
Inconnue des traités de poétique antiques, la mise en abyme est une
notion héritée du vocabulaire héraldique. Il s’agit d’une expression dési-
gnant le procédé d’inclusion, sur le blason ornant un bouclier de chevalier,
de la reproduction de ce blason même apposé sur le bouclier : c’est ainsi
que se définissent une représentation de la représentation et un jeu de
réflexivité où une œuvre première inclut une œuvre seconde qui reflète
l’œuvre première.
La notion héraldique devient une catégorie poétique en 1893 quand, pré-
parant son récit Paludes qui est le récit d’un romancier qui cherche à écrire
un récit s’intitulant… Paludes, André Gide (1869-1951) écrit dans son
Journal l’observation suivante : « J'aime assez qu'en une œuvre d'art on
retrouve ainsi transposé, à l'échelle des personnages, le sujet même de
cette œuvre par comparaison avec ce procédé du blason qui consiste,
dans le premier, à mettre le second en abyme. »
Plus largement, la mise en abyme devient, notamment dans les années
1970 avec Lucien Dällenbach, une catégorie poétique pour rendre
compte des récits spéculaires.
Exemples
André Gide, Les Faux-Monnayeurs, 3e partie, chap. 6,
Gallimard, 1925
Il s’agit de l’exemple le plus célèbre de mise en abyme. Édouard X…,
romancier, écrit dans son journal intime qu’il tente d’écrire un roman pré-
cisément intitulé Les Faux-Monnayeurs. Dans ce journal, la mise en
abyme explore aussi, sous la forme de réflexions théoriques, la réflexivité
du procédé.
Géronte, mettant la tête hors du sac. – Ah, Scapin, je n’en puis plus.
Scapin. – Ah, Monsieur, je suis tout moulu, et les épaules me font un
mal épouvantable. »
50 Oxymore
(n. m) / Antithèse (n. f)
Définition
Issue du grec antithesis, signifiant « opposition », l’antithèse est
une figure de pensée qui repose sur l’opposition ou le contraste
de termes (appartenant à la même catégorie grammaticale), sous
une forme symétrique (chiasme ou parallélisme de construction).
Du grec oxumôros signifiant « fin, spirituel, sous une apparence de
niaiserie ou d’obscurité », l’oxymore (ou oxymoron) est une figure
de construction fondée sur l’opposition qui consiste à associer
des termes sémantiquement incompatibles au sein d’un même
syntagme. L’oxymore (figure microstructurale) est généralement
considéré comme une forme d’antithèse (figure macrostructurale).
L’antithèse et l’oxymore ne sont pas spécifiques à un genre, même
si elles sont très présentes dans les textes à visée argumentative
ou en poésie.
1 Histoire du procédé
L’antithèse est une figure majeure de l’art rhétorique et est répertoriée
dans les traités depuis l’Antiquité grecque. Ainsi, dans sa Rhétorique,
Aristote souligne le rôle fondamental de l’antithèse dans l’argumentation.
Il parle d’antithèse quand « un contraire est placé auprès ou en face de
son contraire, ou bien le même est relié à ses contraires ». Quant à l’oxy-
more, s’il est utilisé dès l’Antiquité, il est défini comme figure de style tar-
divement. Il faut en effet attendre De Jaucourt, dans L’Encyclopédie, pour
que le terme soit attesté pour la première fois en français en 1765.
Mouvement littéraire
Sous l’influence de Pétrarque, les poètes de la Pléiade, au
xvie siècle, recourent à l’antithèse pour exprimer des sentiments
souvent contradictoires et l’intensité de l’émotion.
Exemples
Gérard de Nerval, « El desdichado », Les Chimères, 1854
Dans ce célèbre poème, le poète s’interroge sur son identité, proche du
rêve et de l’imaginaire, et trouve paradoxalement l’origine de son écriture
dans la mélancolie. L’oxymore « soleil noir » insiste sur ce sentiment d’une
perte (suggéré par la couleur noire) qui occupe le centre de l’univers et
de la création du poète, tel le soleil au cœur de son système. Par ailleurs,
selon la théorie des humeurs, la mélancolie est associée à la bile noire,
ce qui explique l’adjectif attribué ici au soleil. L’oxymore dit ainsi la com-
plexité de l’être.
« Je suis le Ténébreux, – le Veuf, – l'Inconsolé,
Le Prince d'Aquitaine à la Tour abolie :
51 Paradoxisme
(n. m.)
Définition
Du latin paradoxos qui signifie « contraire à l’opinion commune »,
le paradoxisme est une figure de style qui consiste à présenter un
raisonnement paradoxal en rapprochant des termes opposés afin
de frapper les esprits. Le paradoxisme est une figure de pensée
par paradoxe qui repose sur l’énonciation d’un jugement qui réunit
sur un même sujet des éléments en apparence antithétiques. Il faut
prendre soin d’emblée de distinguer « paradoxe » de « para-
doxisme » : le « paradoxisme » désigne le procédé rhétorique aux
effets oratoires tandis que le « paradoxe » n’est qu’un tour de pen-
sée.
1 Histoire du procédé
Apparu dans la langue française en 1784, le terme de « paradoxisme »
est défini pour la première fois avec fermeté et ampleur par Pierre Fon-
tanier, considéré parfois comme l’auteur de ce néologisme. Le but de
Fontanier est ainsi d’isoler par la promotion de ce terme le paradoxe qui
relève d’un tour de pensée du paradoxisme qui est une figure du discours
relevant d’un certain nombre de contraintes stylistiques.
C’est ce qu’il affirme sans détours dans sa définition dudit paradoxisme :
« Le paradoxisme, qui revient à ce qu’on appelle communément Alliance
de mots, est un artifice de langage par lequel des idées et des mots, ordi-
nairement opposés et contradictoires entre eux, se trouvent rapprochés
et combinés de manière que, tout en semblant se combattre et s’exclure
réciproquement, ils frappent l’intelligence par le plus étonnant accord, et
produisent le sens le plus vrai, comme le plus profond et le plus éner-
gique. »
▶ Le paradoxisme de truisme
La seconde catégorie de paradoxisme consiste à jouer d’un retournement
complet d’un truisme, à savoir de l’énonciation d’une vérité évidente. Le
but est de frapper ainsi d’autant plus vivement l’auditoire que le truisme
se trouvera éclairé d’un sens aussi neuf que surprenant. Le truisme cor-
respond ici à l’expression la plus nue de la doxa. Qu’on cite ici la célèbre
sentence de Paul Valéry qui retourne le truisme selon lequel la peau et
l’épiderme sont la surface du corps humain : « Ce qu’il y a de plus profond
dans l’homme, c’est la peau. »
Exemples
Jean de La Bruyère, Les Caractères, 1688
Procédé éminemment rhétorique et oratoire, le paradoxisme connaît un
grand succès au siècle classique sous la plume des moralistes. C’est le
cas notamment de Jean de La Bruyère (1645-1696) qui en use fréquem-
ment afin de frapper avec énergie l’esprit de son lecteur. Le moraliste joue
des idées reçues pour les retourner et souligner combien il faut ici se
débarrasser des préjugés, notamment à propos de leur servitude volon-
taire. Liberté et contrainte s’affrontent ici dans le paradoxisme mis à nu
par l’auteur.
« Les hommes souvent veulent aimer, et ne sauraient y réussir ; ils
cherchent leur défaite sans pouvoir la rencontrer ; et si j’ose ainsi parler,
ils sont contraints de demeurer libres. »
La parodie répond à une double visée pour chaque auteur qui l’emploie :
1) se jouer des caractéristiques d’une histoire en les réduisant à des tics ;
2) proposer un exercice d’admiration d’un auteur en transformant l’une
de ses intrigues caractéristiques.
1 Histoire du procédé
Si la parodie se pratique depuis de nombreux siècles en littérature, sa
théorisation ferme et convaincante a pourtant tardé. Elle ne date que de
1982. C’est en effet à cette date que Gérard Genette fait paraître Palimp-
sestes, essai de poétique textuelle dans lequel il fournit une définition de
la parodie en la fondant sur deux critères relevant chacun de régimes
textuels. Le premier consiste à affirmer que la parodie répond du régime
de transformation d’un hypotexte ou texte de départ. La parodie est
alors un hypertexte, texte second. Il répond ensuite d’un second régime
textuel qui vient croiser le premier : le régime ludique. Parodier, c’est
jouer avec l’histoire d’un auteur que l’on transforme.
dans un texte qui dévoile alors l’amour du parodiste pour l’auteur parodié.
C’est un texte « à la matière de » qui a pour fonction de rendre hommage.
▶ La parodie ludique
La seconde catégorie de parodie sera dite pleinement ludique. Si la pre-
mière parodie relève aussi d’un goût du jeu dans la transformation, cette
pulsion ludique prend toute son ampleur. Le jeu implique ici que l’histoire
parodiée soit reconnaissable et que le lecteur s’amuse à reconnaître
quels sont les actèmes repris. L’admiration cède le pas au goût du jeu.
53 Paronomase
(n. f.)
Définition
Du grec paronomasía qui signifie « transformer un mot », la paro-
nomase est une figure de style qui consiste à employer dans une
même phrase des mots dont les sonorités sont presque semblables
mais la signification radicalement différente. La paronomase est
une figure de mots par jeux de sonorités qui repose sur l’asso-
ciation de deux paronymes, à savoir deux mots qui se res-
semblent phonétiquement mais qui sont pourtant presque
antonymes. Le but de ce rapprochement est de souligner para-
doxalement la différence de sens dans la ressemblance de sons.
La paronomase est souvent utilisée pour son caractère énergique
dans les slogans publicitaires (« Le métro : t’as le ticket chic, t’as
le ticket choc »).
1 Histoire du procédé
Outil emphatique des discours parce qu’elle sait frapper l’esprit de l’audi-
toire, la paranomase fait très tôt l’objet de définitions de la part de nombre
de rhéteurs. Le premier qui en fournit une définition est là encore Quintilien
dans son Institution oratoire. Il la définit ainsi : « Enfin, il y a une troisième
espèce de figures, qui, par la ressemblance, la parité ou l'opposition des
mots, frappe l'oreille de l'auditeur et attire son attention. Telle est la paro-
nomase, en latin annominatio, laquelle a lieu de plusieurs manières. »
Introduite en France au xvie siècle par François Rabelais sous le terme
de « paronomasie », la paronomase est à son tour définie en 1821 par
Pierre Fontanier. Il l’évoque en ces termes : « La Paronomase, qu’on
appelle aussi paronomasie ou prosonomasie, réunit dans la même phrase
des mots dont le son est à peu près le même, mais le sens tout à fait
différent. »
Exemples
Michel de Montaigne, Essais, 1580
La paronomase est depuis ses origines une figure privilégiée de l’art ora-
toire. Elle permet par son caractère énergique de cristalliser le sens d’une
idée en une formule aux allures marquantes et emphatiques. Elle est ainsi
un outil privilégié de la pensée discursive de Montaigne (1533-1592).
« Je m’instruis mieux par suite que par fuite. »/« Je prêterais aussi
volontiers mon sang que mon soin. » / « Tel fait des essais qui ne sau-
raient faire des effets. »
54 Pastiche
(n. m.)
Définition
De l’italien pasticcio qui signifie « pâté, affaire embrouillée », un
pastiche consiste en l’imitation du style d’un écrivain sans pour
autant chercher à le plagier. Le pastiche est une catégorie tex-
tuelle par imitation : il permet de reproduire les caractéristiques
les plus remarquables et reconnaissables du style d’un auteur pour
le railler ou marquer une admiration certaine. Le pastiche
s’oppose à la parodie qui est l’imitation d’une histoire, de son
cadre et de ses personnages afin de s’en moquer (voir p. 169).
1 Histoire du procédé
Si le pastiche se pratique depuis de nombreux siècles en littérature, sa
théorisation ferme et convaincante a pourtant tardé. Elle ne date que de
1982. C’est en effet à cette date que Gérard Genette fait paraître Palimp-
sestes, essai de poétique textuelle dans lequel il fournit une définition du
pastiche en la fondant sur deux régimes textuels. Le premier consiste à
affirmer que le pastiche répond du régime d’imitation d’un hypotexte
ou texte de départ. Le pastiche est alors un hypertexte, texte second.
Il répond ensuite d’un second régime textuel qui vient croiser le premier :
le régime ludique. Pasticher, c’est jouer avec le style d’un auteur que l’on
imite.
▶ Le pastiche ludique
La seconde catégorie de pastiche sera dite pleinement ludique. Si le pre-
mier pastiche relève aussi d’un goût du jeu dans l’imitation, cette pulsion
ludique prend toute son ampleur. Le jeu implique ici que le style soit
reconnaissable et que le lecteur s’amuse à reconnaître quels sont les
traits repris. L’admiration cède le pas au goût du jeu.
Exemple
Marcel Proust, « Dans un roman de Balzac », Pastiches
et mélanges, 1919
Pour démontrer qu’il y a pastiche, il faut toujours user d’un hypotexte dont
sont prélevés les traits caractéristiques de l’auteur ou stylèmes de l’auteur.
Ici Marcel Proust (1871-1922) propose un pastiche de Balzac en s’inspi-
rant des incipits de l’auteur.
Voici le texte de Proust :
« Dans un des derniers mois de l’année 1907, à un de ces “routs” de
la marquise d’Espard où se pressait alors l’élite de l’aristocratie pari-
sienne (la plus élégante de l’Europe, au dire de M. de Talleyrand, ce
Roger Bacon de la nature sociale, qui fut évêque et prince de
Bénévent), de Marsay et Rastignac, le comte Félix de Vandenesse, les
ducs de Rhétoré et de Grandlieu, le comte Adam Laginski, Me Octave
de Camps, Lord Dudley, faisaient cercle autour de Mme la princesse
de Cadignan, sans exciter pourtant la jalousie de la marquise. N’est-
ce pas en effet une des grandeurs de la maîtresse de maison — cette
carmélite de la réussite mondaine — qu’elle doit immoler sa coquette-
rie, son orgueil, son amour même, à la nécessité de se faire un salon
dont ses rivales seront parfois le plus piquant ornement ? N’est-elle
pas en cela l’égale de la sainte ? Ne mérite-t-elle pas sa part, si chè-
rement acquise, du paradis social ? La marquise — une demoiselle de
Blamont-Chauvry, alliée des Navarreins, des Lenoncourt, des Chau-
lieu — tendait à chaque nouvel arrivant cette main que Desplein, le
plus grand savant de notre époque, sans en excepter Claude Bernard,
et qui avait été élève de Lavater, déclarait la plus profondément cal-
culée qu’il lui eût été donné d’examiner. Tout à coup la porte s’ouvrit
devant l’illustre romancier Daniel d’Arthez. Un physicien du monde
moral qui aurait à la fois le génie de Lavoisier et de Bichat — le créateur
de la chimie organique — serait seul capable d’isoler les éléments qui
composent la sonorité spéciale du pas des hommes supérieurs. En
entendant résonner celui de d’Arthez vous eussiez frémi. Seul pouvait
ainsi marcher un sublime génie ou un grand criminel. Le génie n’est-il
pas d’ailleurs une sorte de crime contre la routine du passé que notre
temps punit plus sévèrement que le crime même, puisque les savants
meurent à l’hôpital qui est plus triste que le bagne. »
55 Pathétique
(n. m.)
ou Registre pathétique
Définition
Du grec pathêtikos qui signifie littéralement « passion, souf-
france », le pathétique désigne un ensemble d’éléments formels
et stylistiques propres à émouvoir, susciter la pitié, la compassion
et la tristesse. Le pathétique est un registre littéraire qui traverse
tous les genres de la littérature : il provoque chez le lecteur des
émotions puissantes, violentes et tristes face à un spectacle déchi-
rant parce que souvent inhumain et inacceptable. Le pathétique est
le registre qui, plus qu’aucun autre, en appelle directement à l’émo-
tion du lecteur, à sa sensibilité et ses larmes.
Le registre pathétique répond à une double visée pour chaque auteur qui
l’emploie :
1) exprimer la souffrance et le malheur devant une situation déchirante ;
2) en appeler aux sentiments et à la compassion du lecteur.
1 Histoire du procédé
Le registre pathétique est né avec l’art oratoire par l’élaboration de dis-
cours cherchant à émouvoir l’auditoire. C’est Quintilien dans son Institu-
tion oratoire qui revient longuement sur la manière dont le pathétique peut
fournir un outil d’appui rhétorique capable de susciter une émotion chez
les juges. L’art de faire naître les passions s’impose chez lui comme la
partie la plus délicate de toute construction argumentative car il ne s’agit
plus ici de convaincre rationnellement mais de persuader en appuyant sur
les émotions. Le pathétique intervient quand les preuves avancées dans
le discours ne sont pas suffisantes mais doivent cependant frapper l’ima-
gination de l’auditoire : le pathétique doit faire violence à la raison des
juges pour anesthésier leur capacité même de jugement.
C’est avec la stylistique, à la fin du xxe siècle, que le pathétique a pu être
qualifié, notamment par Alain Viala, de registre, à savoir comme l’une des
« catégories de représentation et de perception du monde que la littéra-
ture exprime, et qui correspondent à des attitudes en face de l'existence,
à des émotions fondamentales ».
▶ Le pathétique dramatique
Il s’agit ici du pathétique qui, hors discours et argumentation, se donne à
voir et à lire dans tout autre genre de texte. Le pathétique devient une
puissance dramatique capable de créer une scène et un tableau pouvant
émouvoir sans retenue. L’emphase et une certaine théâtralisation
s’emparent du texte, ce qui, en toute logique, est le cas dans les mélo-
drames.
Exemples
Émile Zola, Nana, chap. 14, 1881
Ici l’héroïne, Nana, meurt. Si le tragique vient déterminer la fin de ce per-
sonnage d’actrice et de demi-mondaine, le pathétique l’emporte devant
les souffrances et l’émotion que Zola (1840-1902) cherche à provoquer
chez son lecteur. Une hypotypose vient insister sur le pathétique de cette
mort sans issue.
« — Ah ! elle est changée, elle est changée, murmurait Rose Mignon,
demeurée la dernière. Elle partit, elle ferma la porte. Nana restait seule,
la face en l’air, dans la clarté de la bougie. C’était un charnier, un tas
d’humeur et de sang, une pelletée de chair corrompue, jetée là, sur un
56 Périphrase
(n. f.)
Définition
Le terme « périphrase » vient du grec periphrazein qui signifie
« exprimer par circonlocution » : la périphrase est une figure de
substitution qui, littéralement, « tourne autour » de la chose à
évoquer, sans toutefois empêcher la clarté du propos. Il s’agit
d’exprimer en plusieurs mots, dans une désignation descriptive, ce
qui pourrait être dit avec un seul. Très utilisée, la périphrase n’est
pas réservée à un genre en particulier. En outre, elle tend parfois
à l’expression lexicalisée.
1 Histoire du procédé
La périphrase est présente dans les traités de rhétorique dès l’Antiquité.
Ainsi, dans De l’institution oratoire (95 apr. J.-C.), Quintilien en fait une
qualité du discours, à la différence de la prolixité qu’il condamne. La notion
est exposée dans le cadre d’un questionnement sur la propriété des
termes, qui ne réside pas tant, selon Quintilien, dans le mot lui-même que
dans la signification. Ce trope est « un circuit d’élocution » (en latin cir-
cumlocutio), rendue nécessaire parfois par la bienséance. L’emploi de la
périphrase s’explique par le fait que « pour une infinité de choses nous
manquons de noms propres ». Elle « embellit le style » à la différence de
la « périssologie » qui n’y parvient pas.
Mouvement littéraire
La préciosité, courant littéraire du xviie siècle qui naît de la fré-
quentation de salons mondains, notamment celui de Madeleine de
Scudéry, se caractérise par l’emploi de la périphrase pour donner
un tour plus délicat à la réalité la plus quotidienne. L’adjectif « pré-
cieux » est d’abord utilisé en mauvaise part et souligne l’aspect
Exemples
Jean Racine, Phèdre, acte II, scène 5, v. 688-703.
Dans cette célèbre scène, Phèdre avoue son amour à Hippolyte, le fils de
son époux Thésée qu’elle croit mort. Le discours de Phèdre prend un tour
labyrinthique pour exprimer l’impensable, son amour relevant d’un tabou :
l’inceste. Les personnages sont ici désignés de manière imagée et détour-
née – par le biais notamment de périphrases qui évoquent les liens res-
pectifs d’Hippolyte et de Phèdre à Thésée, en renforçant ainsi l’interdit
d’un tel amour.
57
Personnification (n. f.)
Définition
Issue du verbe « personnifier », la personnification est une figure
de style qui consiste à attribuer des qualités humaines à des ani-
maux ou à des objets inanimés. La personnification est une figure
d’expression par fiction qui fait d’un élément non-humain une
personne vivante douée d’actions proprement humaines dont
notamment la parole et la réflexion. La personnification est une
figure majeure de la poésie didactique.
1 Histoire du procédé
Élément clef de la narration de nombreuses fables de Jean de La Fon-
taine, la personnification a fait l’objet dès le xviie siècle d’une première
définition par Nicolas Boileau dans ses Réflexions sur Longin : « Il n'y a
point de figure plus ordinaire dans la poésie, que de personnifier les
choses inanimées, et de leur donner du sentiment, de la vie et des pas-
sions. »
Il revient enfin en 1821 à Pierre Fontanier dans son traité des Figures du
Comment repérer ce procédé ?
discours d’en donner la définition désormais canonique : « La personni-
fication consiste à faire d’un être inanimé, insensible, ou d’un être abstrait Les marqueurs textuels
et purement idéal, une espèce d’être réel et physique, doué de sentiment de la personnification
sont au nombre de trois :
et de vie, enfin ce qu’on appelle une personne ; et cela, par simple façon – l’usage de la majuscule
de parler, ou par une fiction toute verbale. » dite « majuscule person-
nifiante » ;
– fonction de sujet d’un
verbe animé ;
2 Les types de personnification – multiplication d’adjectifs
renvoyant à des actions
Il existe deux types de personnification. humaines.
Exemples
Jean de La Fontaine, « La Cour du Lion », Fables, 1678
La Fontaine (1621-1695) a popularisé l’usage de la personnification dans
ses fables. Dans « La Cour du Lion », il fait du lion, roi des animaux, le roi
de France. L’animal se voit personnifié puisque doté d’actions humaines,
doué de parole et régnant depuis le Louvre.
« Sa Majesté Lionne un jour voulut connaître
De quelles nations le Ciel l'avait fait maître.
Il manda donc par députés
Ses vassaux de toute nature,
Envoyant de tous les côtés
Une circulaire écriture,
Avec son sceau. L'écrit portait
Qu'un mois durant le Roi tiendrait
Cour plénière, dont l'ouverture
Devait être un fort grand festin,
Suivi des tours de Fagotin.
Par ce trait de magnificence
Le Prince à ses sujets étalait sa puissance.
En son Louvre il les invita. »
58 Pléonasme
(n. m.)
Définition
Du grec pleonasmós qui signifie « surcharge », le pléonasme est
une figure de style qui se donne comme la répétition inutile d’une
idée déjà énoncée dans une même phrase ou dans une même
proposition. Le pléonasme est une figure de construction par
accumulation qui repose sur une redondance perçue comme fau-
tive mais qui contribue à renforcer l’expression d’une idée. Le pléo-
nasme est parfois considéré comme un procédé d’emphase.
1 Histoire du procédé
Identifié dès l’Antiquité grecque et latine, le pléonasme est doublement
défini par Quintilien : il s’agit, en premier lieu, d’un défaut du discours qui
relève d’une faute d’expression. Mais, en second lieu, le pléonasme est
considéré comme un outil rhétorique dans la mesure où il permet d’orner
le discours et de venir incidemment le renforcer.
Dans Les Figures du discours en 1821, Pierre Fontanier débarrasse le
pléonasme de son sens négatif et péjoratif de faute d’expression pour en
faire une figure à part entière qui vient appuyer avec énergie un discours.
C’est ce qu’il affirme dans cette définition : « C’est une figure par laquelle
on ajoute à l’expression de la pensée, pour en augmenter la clarté ou
l’énergie, des mots d’ailleurs inutiles pour l’intégrité grammaticale. »
▶ Le pléonasme discret
Il s’agit du pléonasme le plus courant : le pléonasme discret consiste ici
à venir accompagner l’expression plus que la renforcer afin d’obtenir le
Exemples
Pierre Corneille, Horace, 1640
Dans cette tragédie, Pierre Corneille (1606-1684) met dans la bouche de
Camille une série de pléonasmes dont le but explicite est de précisément
insister sur le caractère terrible de la vision. L’énergie du discours et
son emphase se cristallisent dans l’emploi d’un pléonasme qui permet de
renforcer l’expression.
59 Polémique
(n. m.)
ou Registre polémique
Définition
Du grec polêmikôs qui signifie « disposé à la guerre », le polémique
désigne un ensemble d’éléments formels et stylistiques qui com-
battent avec des arguments virulents une thèse ou une personne.
Le polémique est un registre littéraire qui traverse tous les genres
de la littérature mais qui prend place avec privilège dans le cadre
d’un débat ou d’une controverse. Le registre polémique se déve-
loppe dans une discussion souvent vive où les propos défendus
par les uns et les autres sont perçus comme autant d’attaques.
Le registre polémique répond à une double visée pour chaque auteur qui
l’emploie :
1) provoquer un débat ou une controverse en disqualifiant une idée ou
un adversaire ;
2) susciter l’indignation et la colère.
1 Histoire du procédé
Le registre polémique est né avec la joute oratoire et l’exercice de l’art
rhétorique. Qu’il s’agisse d’un débat dans l’Antiquité ou dans la société
contemporaine, tout débat implique l’usage du registre polémique en ce
qu’il s’agit de réfuter sinon de combattre une thèse adverse. Le registre
polémique est donc réservé à un usage discursif et argumentatif qui le
conduit à être, tout au long de l’histoire, au cœur de différents types de
textes : pamphlet, satire, invective, libelle ou encore diatribe.
Enfin, c’est avec la stylistique, à la fin du xxe siècle, que le polémique a
pu être qualifié, notamment par Alain Viala, de registre, à savoir comme
l’une des « catégories de représentation et de perception du monde que
la littérature exprime, et qui correspondent à des attitudes en face de
l'existence, à des émotions fondamentales ».
Exemples
Émile Zola, « J’accuse », 1898
Le registre polémique se déploie ici avec privilège car Émile Zola
(1840-1902) tente à la fois de démontrer l’innocence du capitaine Dreyfus
mais aussi d’attaquer les thèses antisémites qui l’ont conduit à être
condamné. La ponctuation très expressive signale l’usage du registre
polémique.
« Je l'ai démontré d'autre part : l'affaire Dreyfus était l'affaire des bureaux
de la guerre, un officier de l'état-major, dénoncé par ses camarades de
l'état-major, condamné sous la pression des chefs de l'état-major. Encore
une fois, il ne peut revenir innocent sans que tout l'état-major soit cou-
pable. Aussi les bureaux, par tous les moyens imaginables, par des cam-
pagnes de presse, par des communications, par des influences, n'ont-ils
couvert Esterhazy que pour perdre une seconde fois Dreyfus. Quel coup
de balai le gouvernement républicain devrait donner dans cette jésuitière,
ainsi que les appelle le général Billot lui-même ! Où est-il, le ministère vrai-
ment fort et d'un patriotisme sage, qui osera tout y refondre et tout y
renouveler ? Que de gens je connais qui, devant une guerre possible,
tremblent d'angoisse, en sachant dans quelles mains est la défense natio-
nale ! Et quel nid de basses intrigues, de commérages et de dilapidations,
est devenu cet asile sacré, où se décide le sort de la patrie ! On s'épou-
vante devant le jour terrible que vient d'y jeter l'affaire Dreyfus, ce sacrifice
humain d'un malheureux. »
60 Prétérition
(n. f.)
Définition
Du latin praeteritum qui signifie « passer sous silence », la prété-
rition est une figure de style qui consiste à parler d’un sujet après
avoir pourtant dit que l’on n’allait pas en parler. La prétérition est
une figure d’expression par opposition qui repose sur un para-
doxe : elle permet de ne pas tout à fait assumer la responsabilité
d’un propos tout en désirant l’évoquer. Elle est assimilée parfois à
une figure d’ironie (voir définition ironie, p. 138).
1 Histoire du procédé
Fondée sur l’art d’argumenter, la prétérition est une figure qui, sans être
Comment repérer ce procédé ?
tout d’abord nommée dans la Rhétorique d’Aristote, sert d’outil démons-
tratif à nombre de discours aussi bien grecs que latins. Il faut cependant Les marqueurs textuels
attendre Pierre Fontanier en 1821 dans son traité des Figures du discours de la prétérition sont au
nombre de trois :
pour qu’il en livre la définition canonique : « feindre de ne pas vouloir dire – rupture de ton marquée
ce que néanmoins on dit très clairement, et souvent même avec force ». par une digression ou
Elle est alors également désignée sous le terme de prétermission qui, une ellipse ;
par la suite, sera réservé à l’omission juridique d’un héritier dans un tes- – intervention directe de
l’orateur dans son dis-
tament. cours qui se signale par
l’usage de déictiques de
première personne ;
– tournure interrogative et
2 Les types de prétérition négative afin d’interpeller
directement le lecteur.
Il existe deux types de prétérition.
▶ La prétérition de langage
L’orateur met en évidence le jeu de son énonciation dans son énoncé
puisqu’il intervient en son nom pour prendre soin de dire qu’il ne dira pas
ce qu’il dit. Alors qu’il feint de passer sous silence une idée, l’orateur la
souligne et la met en lumière. La prétérition est alors à la croisée d’une
▶ La prétérition de fait
Il s’agit ici, dans le cadre non plus du discours mais de l’action, de feindre
de ne pas vouloir faire ce que, cependant, l’on fait. La prétérition de fait
repose sur un paradoxe là encore : celui qui parle se refuse à accomplir
une tâche qu’il accomplit néanmoins au moment où il fait semblant de s’en
dédire.
Exemples
Nicolas Boileau, « Satire X », « Les Femmes », Satires,
1693
Il s’agit de l’exemple le plus célèbre de prétérition. Dans sa dixième satire,
le poète Nicolas Boileau (1636-1711) décrit une femme particulièrement
avare et soucieuse jusqu’à la maladie d’économie. Pour souligner son
avarice, Boileau feint de ne pas décrire les habits usés de cette femme
tout en les décrivant pourtant en détail. C’est une prétérition.
« Décrirai-je ses bas en trente endroits percés,
Ses souliers grimaçants, vingt fois rapetassés,
Ses coiffes d’où pendait au bout d’une ficelle
Un vieux masque pelé presque aussi hideux qu’elle ?
Peindrai-je son jupon bigarré de latin,
Qu’ensemble composaient trois thèses de satin ;
Présent qu’en un procès sur certain privilège
Firent à son mari les régents d’un collège,
Et qui, sur cette jupe, à maint rieur encor
Derrière elle faisait lire Argumentabor ? »
61 Prolepse
(n. f.)
Définition
Du grec prolambanô qui signifie « porter en avant, prendre les
devants », la prolepse est un procédé littéraire qui consiste dans
un récit à raconter par avance un événement ultérieur. La prolepse
est une catégorie de la poétique du récit et permet de rendre
compte de l’ordre narratif. Elle s’oppose à l’analepse qui est un
procédé qui revient dans le récit sur un événement passé de l’his-
toire.
La prolepse répond à une double visée pour chaque auteur qui l’emploie :
1) éclairer par une anticipation les personnages, à la manière d’un coup
de théâtre ;
2) comprendre le caractère des personnages.
1 Histoire du procédé
C’est Gérard Genette qui forge en 1972 la notion même de prolepse. Elle
Comment repérer ce procédé ?
apparaît comme un élément clef de la poétique du récit qu’il élabore dans
Figures III, en particulier dans son « Discours du récit ». Genette indique Les marqueurs textuels
sans détours que le terme même de « prolepse » s’inspire d’une figure de la prolepse sont au
nombre de trois :
de rhétorique, la prolepse qui consiste à anticiper sur les objections en se – une rupture entre l’ordre
les faisant à soi-même et en les détruisant par avance. En s’appuyant sur du récit et le cours de
ce sens rhétorique premier, Genette va alors en donner la définition l’histoire ;
désormais canonique puisque, selon lui, une prolepse désigne « toute – l’usage de locutions
adverbiales ou de com-
manœuvre narrative consistant à raconter ou à évoquer d’avance un évé- pléments circonstanciels
nement ultérieur ». de temps indiquant une
anticipation ;
– la métalepse du narra-
teur dans son récit pour
2 Les types de prolepse indiquer la rupture de
l’ordre.
Il existe deux types de prolepse.
▶ La prolepse interne
Les deux catégories de prolepse se définissent par rapport à un récit pre-
mier qui est la trame narrative générale suivie depuis le début et que la
prolepse interrompt. La prolepse interne s’effectue dans le cadre du récit
premier qu’elle permet d’approfondir, de compléter et d’expliquer. Il s’agit
▶ La prolepse externe
Il s’agit d’une prolepse qui se fait toujours par rapport au récit premier mais
à cette différence près qu’ici, la prolepse ne s’articule pas au récit premier.
La prolepse externe constitue une digression narrative dans le futur car
son but n’est pas de rejoindre l’exact point de l’histoire où le récit l’avait
laissée.
Exemples
Conan Doyle, Le Monde perdu, 1912
Dans ce roman d’anticipation, Conan Doyle (1859-1930) raconte com-
ment un professeur a réussi à recréer, au début du xxe siècle, des créa-
tures préhistoriques qui, à présent, vivent dans un parc protégé. Conan
Doyle offre d’emblée au récit une prolepse qui indique combien cette
aventure qui paraît pourtant bien commencer va s’achever par une catas-
trophe.
« Ainsi nous étions tous quatre sur le pays de nos rêves, le monde
perdu, le plateau découvert par Maple White. Nous eûmes l’impression
de vivre l’heure de notre triomphe personnel. Qui aurait pu deviner que
nous étions au bord de notre désastre ? Laissez-moi vous dire en peu
de mots comment la catastrophe survint. »
62
Pronomination (n. f.)
Définition
Du latin « pronomen » qui signifie « à la place d’un nom », la pro-
nomination est une figure de style qui consiste à substituer à un
mot unique un développement de ce dernier. La pronomination est
une figure de sens par substitution et allongement : elle
consiste à proposer une périphrase de l’objet d’un discours afin
d’éviter de prononcer le nom d’une personne ou d’un objet. La pro-
nomination est un outil essentiel pour qui cherche à user de l’allu-
sion.
1 Histoire du procédé
Outil oratoire majeur qui permet de passer sous silence ou de dénigrer
notamment une idée ou un personnage, la pronomination a commencé à
faire l’objet de définitions précises dès le xvie siècle. On en trouve une
formulation aussi efficace que claire en 1539 sous la plume de Pierre Fabri
dans son Grand et vrai art de pleine Rhétorique : « Cette autre manière
se fait par pronomination quand pour vitupérer au propre nom de la chose
on met un adjectif semblable ou opposé. »
C’est à Pierre Fontanier qu’il revient en 1821 dans Les Figures du discours
d’en donner la définition encore en vigueur actuellement : « La pronomi-
nation consiste à désigner un objet par l’énonciation de quelque attribut,
de quelque qualité, ou de quelque action, propre à en réveiller l’idée, plutôt
que par le nom qui lui est affecté dans la langue. »
▶ La pronomination d’hermétisme
La pronomination d’hermétisme consiste à proposer la substitution d’un
Comment repérer ce procédé ?
nom ou d’une idée par une périphrase compliquée à l’extrême. Il s’agit ici
de ne pas être uniquement implicite mais d’œuvrer volontairement à une Les marqueurs textuels
certaine obscurité de manière à rendre son propos difficilement recon- de la pronomination sont
au nombre de deux :
naissable. Le but suivi est de pouvoir dissimuler une opinion ou de la – un groupe nominal
moquer par excès d’hermétisme. venant substituer un nom
propre par une série
d’épithètes ;
▶ La pronomination d’euphémisme – appellations attributives
ou caractérisantes.
Ce second cas de pronomination procède d’un euphémisme qui entend
atténuer l’expression de faits ou d’idées. Il s’agit ici d’adoucir son propos
dans le but de ne pas choquer et de ne pas froisser son interlocuteur. La
pronomination par euphémisme peut revêtir un caractère mondain.
Exemples
Jean de La Fontaine, « Le Chêne et le roseau », Fables,
1678
Dans cette fable, Jean de La Fontaine (1621-1695) propose de venir
amplifier par une pronomination la désignation du chêne. Afin de varier
l’expression mais aussi de renforcer sa puissance qui deviendra pathé-
tique, La Fontaine use de la pronomination. Il s’agit là de dévaloriser inci-
demment la grandeur du chêne.
« Le vent redouble ses efforts
Et fait si bien qu’il déracine
Celui de qui la tête au ciel était voisine
Et dont les pieds touchaient à l’empire des morts. »
63
Prosopographie (n. f.)
Définition
Du grec prosôpon qui signifie « personnage de théâtre », la pro-
sopographie est une figure de style qui consiste à brosser le por-
trait physique d’un personnage. La prosopographie est une figure
de pensée par développement qui se divise elle-même en deux
catégories selon le portrait effectué : la prosopographie peut tout
d’abord être une description corporelle et renvoyer aux diffé-
rentes parties du corps décrites ; la prosopographie peut enfin être
une description vestimentaire et renvoyer à l’habillement du per-
sonnage évoqué. Partie physique de tout portrait, la prosopogra-
phie est souvent complétée par l’éthopée qui, quant à elle, brosse
le portrait moral.
1 Histoire du procédé
Longtemps, la prosopographie a été une figure réservée uniquement à
l’historiographie. De fait, parce qu’elle consistait pour l’essentiel dans
l’énumération des victoires et des titres de gloire, la prosopographie inter-
venait le plus souvent dans la peinture des hommes illustres et faisait alors
partie d’une technique oratoire rattachée à la dispositio et en particulier à
la narration. La prosopographie était alors synonyme de généalogie.
Il faut significativement attendre Pierre Fontanier en 1821 pour que la
prosographie s’attache exclusivement à la peinture physique d’un être.
Avec Fontanier, qui est le témoin du bouleversement démocratique de la
Révolution française, la prosopographie ne s’attache plus uniquement
aux hommes illustres. Le réalisme d’un Balzac peut alors prendre nais-
sance à la lumière de la définition suivante de Fontanier : « La prosopo-
graphie est une description qui a pour objet la figure, le corps, les traits,
les qualités physiques, ou seulement l’extérieur, le maintien, le mouve-
ment d’un être animé, réel ou fictif, c’est-à-dire, de pure imagination. »
▶ La prosopographie narrative
La prosopographie narrative permet à l’auteur de dresser, dans son récit,
le portrait physique d’un personnage. Une telle technique s’est répandue
à partir du xixe siècle et notamment du réalisme dont l’ambition scienti-
fique tenait en quelque sorte de la zoologie des hommes en société selon
Balzac. Détaillée, la prosopographie narrative permet d’étudier physique-
ment et d’ainsi expliquer un personnage.
Exemples
Honoré de Balzac, Le Père Goriot, 1834
Il s’agit de l’une des prosopographies les plus célèbres de la littérature.
Balzac (1799-1850) prend soin ici de décrire physiquement dans le détail
la propriétaire de la pension Vauquer où réside notamment le Père Goriot.
La prosopographie se fait double : corporelle et vestimentaire. Elle devient
aussi une explication scientifique : le milieu explique le personnage
comme le personnage explique le milieu.
« Cette pièce est dans tout son lustre au moment où, vers sept heures
du matin, le chat de Mme Vauquer précède sa maîtresse, saute sur les
buffets, y flaire le lait que contiennent plusieurs jattes couvertes
d’assiettes, et fait entendre son ronron matinal. Bientôt la veuve se
montre, attifée de son bonnet de tulle sous lequel pend un tour de faux
64 Prosopopée
(n. f.)
Définition
Issue des termes grecs prosôpon et poiéô qui signifient respecti-
vement « action de faire parler un personnage » et « masque de
théâtre », la prosopopée est une figure de style qui consiste à faire
parler un élément inanimé, un animal, une personne absente ou
morte. La prosopopée est une figure de pensée par énonciation
qui repose sur la prise de parole d’un inanimé alors doté d’un dis-
cours et propre à s’exprimer. La chose, l’animal, l’absent ou le mort
deviennent alors, par la prosopopée, un personnage qui prend la
parole. Elle est souvent assimilée à la personnification même si
le seul trait humain conféré ici est la parole : la prosopopée est une
personnification restreinte.
1 Histoire du procédé
Dotant de parole ce qui n’en a pas ou n’en possède plus, la prosopopée
a connu dès l’Antiquité grecque et latine une grande fortune poétique,
politique mais aussi philosophique. Il n’est alors guère étonnant de voir
Quintilien s’attacher longuement dans son Institution oratoire à la défini-
tion de cette figure oratoire très usitée : « Une figure plus hardie, et qui,
selon Cicéron, demande beaucoup plus de force, c'est cette fiction qui fait
intervenir les personnes, et qu'on nomme prosopopée. Elle est singuliè-
rement propre à varier et animer le discours ; car, à l'aide de cette figure,
tantôt nous exposons au grand jour les pensées de notre adversaire,
comme s'il s'entretenait avec lui-même. »
C’est en 1730 Dumarsais qui, dans son Traité des tropes, donnera le détail
encore en vigueur aujourd’hui du déploiement rhétorique de la figure en
ces termes choisis : « Il y a, à la vérité, quelques figures qui ne sont usitées
que dans le style sublime : telle est la prosopopée, qui consiste à faire
parler un mort, une personne absente, ou même les choses inanimées.
« Ce tombeau s’ouvriroit, etc. » La prosopopée est ainsi liée à l’expression
du sublime, c’est-à-dire la grandeur d’âme qui, en rhétorique, doit impres-
sionner l’auditeur.
▶ La prosopopée de personnification
La prosopopée est souvent considérée comme le couronnement de la
personnification en ce qu’elle met en avant la qualité humaine essentielle :
la parole.
Exemples
Charles Baudelaire, « L’Âme du vin », Les Fleurs du Mal,
1857
Dans ce poème tiré de la section « Le Vin » des Fleurs du Mal, Charles
Baudelaire (1821-1867) donne la parole à la bouteille de vin qui accueille
chaque soir le poète. Par une prosopopée se livre enfin l’âme de celle qui
guide le poète vers l’ivresse et l’inspiration.
« Un soir, l'âme du vin chantait dans les bouteilles :
“Homme, vers toi je pousse, ô cher déshérité,
Sous ma prison de verre et mes cires vermeilles,
Un chant plein de lumière et de fraternité !” »
à épurer les mœurs. Dans son exposé, Rousseau fait parler Fabricius,
héros romain mort, au moyen d’une prosopopée qui dynamise son dis-
cours et le rend d’autant plus persuasif.
« Ô Fabricius ! qu'eût pensé votre grande âme si, pour votre malheur,
rappelé à la vie, vous eussiez vu la face pompeuse de cette Rome
sauvée par votre bras, et que votre nom respectable avait plus illustrée
que toutes ses conquêtes ? Dieux ! eussiez-vous dit, que sont devenus
ces toits de chaume et ces foyers rustiques qu'habitaient jadis la modé-
ration et la vertu ? Quelle splendeur funeste a succédé à la simplicité
romaine ? quel est ce langage étranger ? quelles sont ces mœurs
efféminées ? que signifient ces statues, ces tableaux, ces édifices ?
Insensés, qu'avez-vous fait ? Vous, les maîtres des nations, vous vous
êtes rendus les esclaves des hommes frivoles que vous avez vaincus !
Ce sont des rhéteurs qui vous gouvernent ! »
65 Satirique
(n. m.) ou Registre
satirique
Définition
Du latin satura qui signifie « pot-pourri » mais aussi « une danse
parodique qui se moque des danses guerrières », le satirique
désigne un ensemble d’éléments formels et stylistiques qui
tournent en dérision les défauts et les vices d’une personne, d’une
pratique ou d’une société. Le satirique est un registre littéraire
qui traverse tous les genres de la littérature mais qui provient d’un
genre attesté notamment depuis l’Antiquité : la satire. Le registre
satirique s’attache donc à une critique moqueuse des travers d’une
époque ou d’une institution dans le but de prévenir un changement
ou d’inviter à une réflexion.
Le registre satirique répond à une double visée pour chaque auteur qui
l’emploie :
1) tourner en dérision une personne ou un sujet de société ;
2) offrir une réflexion critique sur un sujet
1 Histoire du procédé
Le registre satirique tire son origine de la satire qui, dès l’Antiquité, est un
genre littéraire populaire. Si elle est vraisemblablement née avec le poète
grec Archiloque de Paros, la satire ne se déploie pleinement qu’avec la
littérature latine où elle devient un texte aux caractéristiques récurrentes :
un texte le plus souvent mêlant prose et vers ; une critique sociale et
politique qui tourne des défauts en dérision ; la parodie d’un texte premier
ainsi transformé pour inviter là encore à la réflexion. Chez les Latins, la
satire se développe notamment avec Horace et Juvénal.
Cependant, si la satire connaît encore de beaux succès au Moyen Âge et
plus récemment encore au xviie siècle avec Nicolas Boileau et Jean de
La Bruyère, elle devient progressivement plus une tonalité, à savoir un
registre littéraire. C’est la définition que, à la fin du xxe siècle, Alain
Viala lui donne en la rangeant parmi l’une des « catégories de représen-
tation et de perception du monde que la littérature exprime, et qui corres-
pondent à des attitudes en face de l'existence, à des émotions
fondamentales ».
Exemples
Jean de La Fontaine, « La Cour du Lion », Fables, 1678
Le registre satirique se déploie ici avec privilège dans cette fable qui se
propose comme une critique de l’autoritarisme de Louis XIV. Au lieu de
proposer sa critique sous un registre polémique, La Fontaine (1621-1695)
choisit le ton plus léger de la satire qui lui permet de nuancer son propos
et d’offrir le rire comme divertissement.
« L'écrit portait
Qu'un mois durant le Roi tiendrait
Cour plénière, dont l'ouverture
Devait être un fort grand festin,
Suivi des tours de Fagotin.
Par ce trait de magnificence
Le Prince à ses sujets étalait sa puissance.
En son Louvre il les invita.
Quel Louvre ! un vrai charnier, dont l'odeur se porta
D'abord au nez des gens. »
66 Subjection
(n. f.)
Définition
Du latin subjectio qui signifie « action de mettre sous », la subjec-
tion est une figure de style qui consiste à interroger son adversaire
et à supposer sa réponse. La subjection est une figure de pensée
par manipulation qui cherche à présenter une idée sous la forme
d’une question-réponse. La subjection est assimilée parfois à une
figure d’ironie ou à un questionnement éristique (voir p. 43). C’est
un procédé de domination oratoire.
1 Histoire du procédé
Outil oratoire et argumentatif par excellence, la subjection figure très tôt
dans l’arsenal des figures du discours capable de venir à bout des réti-
cences et des arguments d’un adversaire. Il est déjà mentionné par Quin-
tilien dans son Institution oratoire : « Une manière différente encore, c’est
après avoir interrogé une personne, de répondre pour elle incontinent,
sans attendre qu’elle s’explique… C’est ce que quelques-uns appellent
une subjection. »
À nouveau, Pierre Fontanier en 1821 dans ses Figures du discours livre
la définition canonique de la subjection en ces termes : « La subjection
subordonne et soumet en quelque sorte une proposition, le plus souvent
interrogative, une autre proposition le plus souvent positive, qui lui sert de
réponse, d’explication, ou de conséquence. »
▶ La subjection d’explication
L’orateur avance une question et immédiatement sa réponse dans un
mouvement de subjection qui a une visée explicite : expliquer. La subjec-
tion, si elle cherche toujours à intimider son adversaire, entend parfois
l’assujettir énonciativement en anticipant son discours par une explication
détaillée et souvent prolixe.
Exemples
Nicolas Boileau, L’Art poétique, 1674
Il s’agit de l’exemple le plus célèbre de subjection. Ici, le poète Nicolas
Boileau (1636-1711) construit la didactique de ses conseils poétiques
autour de plusieurs subjections qui lui permettent d’anticiper sur les éven-
tuelles objections de ses adversaires. La question donne par avance sa
réponse pour marquer le lecteur et l’assurer de son efficacité.
67 Syllepse
(n. f.)
Définition
Du grec súllēpsis qui signifie « prendre ensemble, rassembler », la
syllepse est une figure de style qui consiste à prendre un mot ou
une expression à la fois dans son sens propre et dans son sens
figuré. La syllepse est une figure de mot par jeu lexical de dis-
tinction qui repose sur le rassemblement de différents sens en un
même syntagme. Il faut prendre cependant soin de distinguer la
syllepse de sens dite aussi syllepse oratoire qui nous occupe
ici et qui relève d’un jeu de mots de la syllepse grammaticale qui,
quant à elle, rapproche dans une même construction syntaxique
des termes de forme grammaticale différente sans faire l’accord.
La syllepse oratoire est délibérée alors que la syllepse grammati-
cale apparaît comme une faute d’accord.
La syllepse répond à une double visée pour chaque auteur qui l’emploie :
1) établir des rapports inattendus entre différentes idées apparemment
éloignées ;
2) frapper avec énergie l’esprit du lecteur.
1 Histoire du procédé
Si la syllepse est née dans son usage avec l’art oratoire, sa définition
rhétorique connaît deux grands moments. Le premier date de 1730, au
moment où Dumarsais en livre une définition très complète dans son
Traité des tropes. L’opposant à la syllepse de nature grammaticale, il
affirme ainsi : « La syllepse oratoire est une espèce de métaphore ou de
comparaison, par laquelle un même mot est pris en deux sens dans la
même phrase, l’un au propre, l’autre au figuré. Sur l’art d’argumenter, la
prétérition est une figure qui, sans être tout d’abord nommée dans la
Rhétorique d’Aristote, sert d’outil démonstratif à nombre de discours aussi
bien grecs que latins. »
Le second moment date de 1821. Dans son traité des Figures du discours,
Pierre Fontanier en donne une définition décisive que voici : « Les tropes
mixtes, qu’on appelle syllepses, consistent à prendre un même mot tout-
à-la-fois dans deux sens différents, l’un primitif ou censé tel, mais toujours
du moins propre ; et l’autre figuré ou censé tel, s’il ne l’est pas toujours en
effet ; ce qui a lieu par métonymie, par synecdoque, ou par métaphore. »
Cette triple distinction est encore en vigueur aujourd’hui.
▶ La syllepse de synecdoque
La deuxième syllepse repose ici sur une synecdoque. Il s’agit de jouer sur
les sens propre et figuré d’un terme mais ici le sens figuré provient d’une
synecdoque de la partie pour le tout. C’est le cas dans cette phrase citée
par Fontanier : « Le singe est toujours singe, et le loup toujours loup. »
Au sens propre, le singe demeure lui-même mais au sens figuré, le loup
comme le singe sont une partie pour le tout du règne animal qu’ils figurent.
▶ La syllepse de métaphore
La troisième syllepse repose sur une métaphore. Le sens figuré dont elle
joue provient ainsi d’un jeu sur une image métaphorique. Qu’on considère
ici ces quelques vers de Racine tirés d’Andromaque : « Je souffre tous
les maux que j’ai faits devant Troie./Vaincu, chargé de fers, de regrets
consumé,/brûlé de plus de feux que je n’en allumai. » Ici « maux » est à
prendre au sens propre pour les malheurs physiques engendrés mais
aussi, par métaphore, au sens figuré de douleurs morales.
Exemples
Jean Racine, Andromaque, acte III, scène 4, 1667
Dans cette tragédie, Jean Racine (1639-1699) offre l’histoire d’Oreste qui
aime Hermione, qui, elle, aime Pyrrhus, qui, lui, aime Andromaque.
Depuis ce désespoir et ces amours impossibles à faire coïncider, Her-
mione use d’une syllepse pour tenter de provoquer cet élan amoureux.
« Je percerai le cœur que je n’ai pu toucher. »
68 Tragique
(n. m.) ou Registre
tragique
Définition
Du grec tragôidía qui signifie littéralement « chant du bouc », le
tragique désigne un ensemble d’éléments formels et stylistiques
propres à susciter la terreur et la pitié devant un destin irréversible
se concluant le plus souvent par la mort des protagonistes. Le tra-
gique est un registre littéraire qui traverse tous les genres de la
littérature même s’il s’exprime, depuis l’Antiquité grecque, avec pri-
vilège au théâtre sous la forme de la tragédie. Le registre tragique
propose une peinture des passions qu’il accompagne toujours
d’une réflexion critique sur l’impuissance des hommes à lutter
contre des forces qu’il ne maîtrise en rien.
Le registre tragique répond à une double visée pour chaque auteur qui
l’emploie :
1) proposer une réflexion sur la fragilité de l’homme devant le destin et
les passions ;
2) inspirer l’effroi et la compassion devant un terrible destin.
1 Histoire du procédé
Né durant l’Antiquité grecque, le tragique émane de la tragédie qui consis-
tait en la représentation de héros mythologiques s’affrontant à la fureur
du destin qui les met à mort. Célébration aussi bien religieuse que
citoyenne, la tragédie se développe sous la Grèce de Périclès avec
notamment les pièces de Sophocle, Euripide et Eschyle. Ces tragédies
fixent un certain nombre d’invariants au genre et incidemment au registre :
mort finale du héros, lutte impossible contre les dieux suite à une hybris
(faute, démesure) commise par l’homme et destin implacable, impossible
à surmonter. La tragédie incarne le genre haut, représentant les person-
nages illustres (héros, aristocrates) au contraire de la comédie, genre bas
mettant en scène des personnages des classes populaires aux prises
avec des intrigues vulgaires où les considérations d’argent se mêlent à
l’amour.
Contrairement à la comédie, la tragédie a fait l’objet avec la Poétique
d’Aristote d’une analyse approfondie. Pour le philosophe, elle se distingue
notamment par la catharsis qui est la purgation des passions devant ins-
pirer deux sentiments contradictoires au public : crainte et pitié. Fonda-
trice, cette analyse d’Aristote est notamment à l’origine d’un renouveau
au xviie siècle de la tragédie en France avec des auteurs comme Pierre
Corneille et Jean Racine. La tragédie classique se développe alors en
s’articulant autour de deux règles principales : la première, la plus connue,
est la règle des trois unités (unité de lieu, de temps et d’action) ; la
seconde est celle de l’exitus horribilis (ou règles de bienséance) qui
consiste à proscrire de la scène le sang, les larmes et tout acte contre-
venant aux règles de bienséance.
▶ Le tragique démocratique
Si le premier tragique est réservé à une expression théâtrale, le tragique
sera dit « démocratique » quand la mort viendra saisir tout protagoniste,
qu’il soit de haut rang ou non. Ici le tragique prend deux formes : il peut
frapper un personnage issu de classe populaire mais s’accompagne tou-
jours d’une dramatisation à laquelle participe le registre pathétique qui
devient le corollaire stylistique du tragique. La mort n’est plus réservée
dans son tragique aux puissants : après la Révolution française, elle se
démocratise. Chaque personnage peut y trouver sa grandeur ultime.
Exemples
Pierre Corneille, Médée, acte V, scène 7, 1635
Ici le héros Jason n’a pas été à la hauteur de son rang. Volage et fourbe,
il est désormais digne d’être un personnage de comédie. Il a été châtié
par Médée, son épouse répudiée, qui plus attachée à l’honneur que lui, a
tué leurs deux enfants pour ne pas perdre la face devant sa tromperie.
Dans ce dernier monologue, Jason retrouve sa grandeur tragique en se
sanctionnant lui-même par la mort.
« Vains transports, où sans fruit mon désespoir s’amuse,
Cessez de m’empêcher de rejoindre Créuse.
Ma reine, ta belle âme, en partant de ces lieux,
M’a laissé la vengeance, et je la laisse aux dieux ;
Eux seuls, dont le pouvoir égale la justice,
Peuvent de la sorcière achever le supplice.
Trouve-le bon, chère ombre, et pardonne à mes feux
Si je vais te revoir plus tôt que tu ne veux.
(Il se tue.) »
69 Zeugme
(n. m.)
Définition
Du grec zeûgma qui signifie « joug, lien », le zeugme (ou
zeugma) est une figure de style consistant à rattacher plusieurs
membres de phrase qui possèdent un élément en commun et qui
n’est pas répété. Le zeugme est une figure de construction aty-
pique qui procède notamment par ellipse : pour lier les deux mots,
on en sous-entend un troisième, verbe ou adjectif, déjà exprimé
auparavant dans la phrase. Le zeugme accomplit deux opérations
contradictoires : l’adjonction de deux termes et leur apparente
disjonction puisqu’ils ne semblent tout d’abord pas liés.
Le zeugme répond à une double visée pour chaque auteur qui l’emploie :
1) lier et mettre à égalité deux éléments apparemment dissemblables ;
2) un effet comique voire ironique par l’association inattendue.
1 Histoire du procédé
Le zeugme a fait très tôt l’objet de nombreux commentaires et définitions.
En effet, le terme apparaît dès l’Antiquité grecque pour désigner une
construction grammaticale propre à l’idiome hellène. Un zeugme désigne
ainsi une construction ou attelage par laquelle on met en relation deux
sujets mais avec un seul attribut. À partir de là, deux zeugmes doivent
être distingués : le zeugme grammatical qui pointe cette disjonction dans
la construction et le zeugme sémantique qui pointe une disjonction dans
la signification.
C’est ce dernier qui fait l’objet, dès le xviiie siècle en France, de l’attention
soutenue des rhéteurs. Il revient encore à Pierre Fontanier en 1821
dans ses Figures du discours de proposer la définition la plus complète :
« Le zeugme consiste à supprimer dans une partie du discours, proposi-
tion ou complément de proposition, des mots exprimés dans une autre
partie, et à rendre par conséquent la première de ces parties dépendante
de la seconde, tant pour la plénitude du sens, que pour la plénitude de
l’expression. »
▶ Le protozeugme
On distingue, à la suite de Pierre Fontanier, trois catégories de zeugme
selon la place dans le discours précédent du terme qui est omis et qui
n’apparaît alors qu’implicitement. On parlera ainsi de protozeugme quand
le zeugme fait référence à un élément présent au début de la phrase
précédente.
Exemples
Victor Hugo, « Booz endormi », La Légende des siècles,
1859
Dans ce poème narratif, Victor Hugo (1802-1885) retrace l’histoire
biblique de Booz qui s’endort à la nuit tombée, après la moisson, et com-
prend qu’il doit s’unir à Ruth, jeune Moabite qui donnera bientôt naissance
à une large dynastie. Pour décrire Booz, Hugo use d’un zeugme où les
deux éléments présents entrent en disjonction mais sont réunis à la faveur
de la conjonction de coordination « et ».
« Cet homme marchait pur loin des sentiers obliques,
Vêtu de probité candide et de lin blanc ;
Et, toujours du côté des pauvres ruisselant,
Ses sacs de grains semblaient des fontaines publiques. »
1 Prétérition
Parmi ces trois extraits, identifiez la prétérition. Nommez également le procédé majeur figurant
dans les deux autres extraits.
1. « Je ne me défends pas, d’ailleurs. Mon œuvre me défendra. C’est une œuvre de vérité. »
Émile Zola, préface à L’Assommoir, 1877
2. « Je ne vous peindrai point le tumulte et les cris,
Le sang de tous côtés ruisselant dans Paris ;
Le fils assassiné sur le corps de son père,
Le frère avec la sœur, la fille avec la mère ;
Les époux expirants sous leurs toits embrasés ;
Les enfants au berceau sur la pierre écrasés. »
Voltaire, La Henriade, 1723
3. « Quand pourrai-je, au travers d’une noble poussière,
Suivre de l’œil un char fuyant dans la carrière ! »
Jean Racine, Phèdre, Acte I, 1677
2 Personnification
Parmi ces trois extraits, identifiez la personnification. Nommez également le procédé majeur
figurant dans les deux autres extraits.
1. « Je suis la pipe d'un auteur ;
On voit, à contempler ma mine,
D’Abyssinienne ou de Cafrine,
Que mon maître est un grand fumeur.
Charles Baudelaire, « La Pipe », Les Fleurs du mal, 1857
2. « L'Angleterre est un vaisseau. Notre île en a la forme : la proue tournée au Nord, elle est
comme à l'ancre au milieu des mers, surveillant le continent ».
Alfred de Vigny, Chatterton, 1835
3. « L'Âne vint à son tour, et dit : J'ai souvenance
3 Métalepse
Parmi ces trois extraits, identifiez la métalepse. Nommez également le procédé majeur figurant
dans les deux autres extraits.
1. « Oui, Prince, je languis, je brûle pour Thésée.
Je l'aime, non point tel que l'ont vu les enfers,
Volage adorateur de mille objets divers,
Qui va du Dieu des morts déshonorer la couche ;
Mais fidèle, mais fier, et même un peu farouche,
Charmant, jeune, traînant tous les cœurs après soi.
Tel qu'on dépeint nos Dieux, ou tel que je vous vois »
Jean Racine, Phèdre, Acte II, scène V, 1677
2. « Il fait tracer leur perte autour de leur muraille. »
Voltaire, La Henriade, 1723
3. « Ô soldats de l’an deux ! Ô guerres ! Épopées ! »
Victor Hugo, Les Châtiments, 1853
4 épitrope
Parmi ces trois extraits, identifiez l’épitrope. Nommez également le procédé majeur figurant
dans les deux autres extraits.
1. « Vous avez envie de me fuir : les chemins vous sont ouverts : partez, fuyez : je ne retiens
personne. Que je ne vous voie plus, ingrats ! Je vous suivrai avec les Perses, pour que vous
ne soyez plus insultés. Quel plaisir auront vos pères et vos enfants de vous voir de retour
sans votre roi ! Avec quelle joie ils iront embrasser des déserteurs, des transfuges ! »
Quinte-Curce, Livre X
2. « L'homme continua : Tu peux espérer que je vais bien la recevoir. Il insista sur le mot
« bien », de manière à montrer qu'il fallait comprendre tout le contraire. En outre, comme
beaucoup de gens de l'île, il employait « espérer » à la place de « présumer » – qui, dans
le cas présent, signifiait plutôt « craindre ». »
Alain Robbe-Grillet, Le Voyeur, 1955
3. « Hélas, je suis tout de même obligé de reconnaître que Rodin était un artiste de génie. »
Paul Claudel, 1931
5 épanorthose
Parmi ces trois extraits, identifiez l’épanorthose. Nommez également le procédé majeur figurant
dans les deux autres extraits.
1. « Il faut que j’aille dans quelque cabaret ; je ne m’aperçois pas que je prends du froid, et
je viderai un flacon – Non ; je ne veux pas boire. Où diable vais-je donc ? Les cabarets sont
fermés. » Alfred de Musset, Lorenzaccio, Acte IV, scène 9, 1834
2. « L’officier consulta $ sa lit $ vérifier$, dit “Ter-rôr-riste”. Le voisin… avança d’un pas, leva
un index philologique, dit respectueusement : “Pas terro-riste : tou-riste”. »
André Malraux, Antimémoires, 1967
3. « … ce que nous avait appris à considérer ce monde qui lui-même nous avait appris à le
considérer comme civilisé, ou du moins parvenu à un certain stade d’évolution, ou, sinon
d’évolution, de savoir-vivre, de pudeur, de décence, et cela parce qu’il se contentait de tuer
seulement quelques millions d’adolescents du sexe masculin… »
Claude Simon, L’Herbe, 1958.
6 Astéisme
Parmi ces trois extraits, identifiez l’astéisme. Nommez également le procédé majeur figurant
dans les deux autres extraits.
1. « Quoi ! toutes deux contre mon cœur, en même temps ! M’attaquer à droite et à gauche !
Ah ! c’est contre le droit des gens ; la partie n’est pas égale ; et je m’en vais crier au meurtre. »
Molière, Les Précieuses ridicules, scène 9, 1659
2. « Bon appétit, messieurs ! Ô ministres intègres !
Conseillers vertueux ! voilà votre façon
De servir, serviteurs qui pillez la maison !
Victor Hugo, Ruy Blas, acte III, scène II, 1838
3. « Eh bien, croyez-moi, je cours encore… Un vrai cauchemar éveillé… Avec, à mes
trousses, la horde de la secte des bonnets rouges… Ou verts… Ou marron… Ou caca
d’oie… Ou violets… Ou gris… Comme vous voudrez… Le Tibet de base… Singes, hyènes,
lamas, perroquets, cobras… Muets à mimique, tordus, érectiles… Hypermagnétiques…
Venimeux… Poulpeux… Un paquet de sorciers et sorcières ; un train d’ondes et de vibra-
tions… Moi, pauvre limaille… »
Philippe Sollers, Portrait du joueur, 1985
7 Asyndète
Parmi ces trois extraits, identifiez l’asyndète. Nommez également le procédé majeur figurant
dans les deux autres extraits.
1. « Baobabs beaucoup baobabs
baobabs
près, loin, alentour
Baobabs, Baobabs »
Henri Michaux, Plume, 1938
2. « Le lait tombe ; adieu, veau, vache, cochon, couvée ! » Jean de La Fontaine, « La Laitière
et le pot au lait », Fables, 1678.
3. « Les bonnes fondent sur moi ; je leur échappe ; je cours me barricader dans la cave de
la maison. »
François-René Chateaubriand, Mémoires d’outre-tombe, Livre I, chapitre 5, 1848.
8 Allégorie
Parmi ces trois extraits, identifiez l’allégorie. Nommez également le procédé majeur figurant
dans les deux autres extraits.
1. « Toi, leur chef, sois leur chef ! C’est là ton châtiment !
Sois l’homme des discordes !
Ces fourbes ont saisi le genre humain dormant
Et l’ont lié de cordes ! »
Victor Hugo, « A un qui veut se détacher », Les Châtiments, 1853
2. « Un Lion décrépit, goutteux, n'en pouvant plus,
Voulait que l'on trouvât remède à la vieillesse :
9 Conglobation
Parmi ces trois extraits, identifiez la conglobation. Nommez également le procédé majeur figu-
rant dans les deux autres extraits.
1. « Si j'épouse, Hermas, une femme avare, elle ne me ruinera point ; si une joueuse, elle
pourra s'enrichir ; si une prude, elle ne me sera point emportée ; si une dévote, répondez,
Hermas, que dois-je attendre de celle qui veut tromper Dieu, et qui se trompe elle-même ? »
Jean de la Bruyère, Les Caractères, 1688.
2. « Vomit sa vieille nuit, crie : à bas ! crie : à mort !
Pleure, tonne, tempête, éclate, hurle, mord. »
Victor Hugo, Les Contemplations, 1856
3. « Il rajusta son col et son gilet de velours noir sur lequel se croisait plusieurs fois une de
ces grosses chaînes d'or fabriquées à Gênes ; puis, après avoir jeté par un seul mouvement
sur son épaule gauche son manteau doublé de velours en le drapant avec élégance, il reprit
sa promenade sans se laisser distraire par les œillades bourgeoises qu'il recevait. » Honoré
de Balzac, Gambara, 1837
10 Anastrophe
Parmi ces trois extraits, identifiez l’anastrophe. Nommez également le procédé majeur figurant
dans les deux autres extraits.
1. « Elle, défunte nue en le miroir, encor
Que, dans l’oubli fermé par le cadre, se fixe
De scintillations sitôt le septuor. »
Stéphane Mallarmé, « Sonnet en X », 1899
2. « Quelle, et si fine, et si mortelle,
Que soit ta pointe, blonde abeille »
Paul Valéry, Charmes, 1922
3. « Close la bouche et lavé le visage,
Purifié le corps, enseveli
ce destin… »
Yves Bonnefoy, « Vrai corps », Du mouvement et de l’immobilité de Douve, 1953
11 Hypallage
Parmi ces 3 extraits, identifiez l’hypallage. Nommez également le procédé majeur figurant dans
les deux autres extraits.
1. « Et grenouilles de se plaindre
Et Jupin de leur dire : « Eh quoi ? Votre désir
À ses lois croit-il nous astreindre ? »
Jean de La Fontaine, « Les Grenouilles qui demandent un roi », Fables, 1678
2. « Le long du vif ruisseau sableux je cueillerai
La menthe, dont l'odeur s'écrase sous les doigts. »
Francis Jammes, La Jeune fille nue, 1899
3. « Ses yeux polis sont faits de minéraux charmants »
Charles Baudelaire, « Avec ses vêtements ondoyants et nacrés », Les Fleurs du Mal, 1857
12 Paronomase
Parmi ces trois extraits, identifiez la paronomase. Nommez également le procédé majeur figu-
rant dans les deux autres extraits.
1. « Touche la mouche, mouche pas la touche ! » Eugène Ionesco, La Cantatrice chauve,
1950
2. « Quand rien ne vient, il vient toujours du temps…
sur moi,
avec moi,
en moi,
par moi »
Henri Michaux, L’Espace du dedans, 1929-1957
3. « Oh ! qui verra deux fois ta grâce et ta tendresse,
Ange doux et plaintif qui parle en soupirant ?
13 Syllepse
Parmi ces trois extraits, identifiez la syllepse. Nommez également le procédé majeur figurant
dans les deux autres extraits.
1. « Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît point. » Blaise Pascal, Pensées, 1669
2. « Ton bras est invaincu, mais non pas invincible » Pierre Corneille, Le Cid, 1637
3. « Homme libre, toujours tu chériras la mer !
La mer est ton miroir ; tu contemples ton âme
Dans le déroulement infini de sa lame… »
Charles Baudelaire, « L’homme et la mer », Les Fleurs du Mal, 1857
14 Litote
Parmi ces trois extraits, identifiez la litote. Nommez également le procédé majeur figurant dans
les deux autres extraits.
1. « Mais il me reste un fils. Vous saurez quelque jour,
Madame, pour un fils jusqu'où va votre amour »
Jean Racine, Andromaque, 1677
2. « Sans mentir […]
Vous êtes le phœnix des hôtes de ces bois »
Jean de La Fontaine, « Le Corbeau et le Renard », Fables, 1678
3. « Rien n’était si beau, si leste, si brillant, si bien ordonné que les deux armées. Les trom-
pettes, les fifres, les hautbois, les tambours, les canons, formaient une harmonie telle qu’il
n’y en eut jamais en enfer. Les canons renversèrent d’abord à peu près six mille hommes
de chaque côté ; ensuite la mousqueterie ôta du meilleur des mondes environ neuf à dix
mille coquins qui en infectaient la surface… »
Voltaire, Candide, Chapitre 3, 1759
15 Subjection
Parmi ces trois extraits, identifiez la subjection. Nommez également le procédé majeur figurant
dans les deux autres extraits.
1. « Quelle est, selon l’Écriture, la voie qui conduit à la mort ? N’est-ce pas celle où marche
le plus grand nombre ? Quel est le parti des réprouvés ? N’est-ce pas celui de la multitude ? »
Jean-Baptiste Massillon, 1715
2. « Quelle démarche légère est la vôtre, Mademoiselle Isabelle ! Que ce soit sur le gravier
ou les brindilles, on vous entend à peine. Comme les cambrioleurs qui savent dans les
maisons ne pas faire craquer l’escalier, en marchant juste sur la tête des pointes qui l’ont
cloué, vous posez vos pas sur la couture même de la province. » Jean Giraudoux, Inter-
mezzo, Acte II, scène III, 1933
3. « Ah ! Fallait-il en croire une amante insensée ? Ne devais-tu pas lire au fond de ma
pensée ? » Jean Racine, Andromaque, Acte V, scène III, 1667
16 Métaphore
Parmi ces trois extraits, identifiez la métaphore. Nommez également le procédé majeur figurant
dans les deux autres extraits.
1. « Comme la voix d’un mort qui chanterait
Du fond de sa fosse,
Maîtresse, entends monter vers ton retrait
Ma voix aigre et fausse. »
Paul Verlaine, « Sérénade », Poèmes saturniens, 1866
2. « Que l’homme soit fou de chagrin. C’est la meilleure preuve d’amour qu’il puisse nous
offrir. Un clebs blotti dans un carton abandonné devant mon immeuble. »
Régis Jauffret, Cannibales, 2016.
3. « Dans ce moment, Don Quichotte aperçut trente ou quarante moulins à vent ; regardant
son écuyer : Ami, dit-il, la fortune vient au-devant de mes souhaits. Vois-tu là-bas ces géants
terribles ? Ils sont plus de trente : n’importe, je vais attaquer ces fiers ennemis de Dieu et
des hommes. Leurs dépouilles commenceront à nous enrichir. Quels géants ? répondit
Sancho. – Ceux que tu vois, avec ces grands bras qui ont peut-être deux lieues de long. –
Mais, Monsieur, prenez-y garde ; ce sont des moulins à vent ; et ce qui vous semble des
bras n’est autre que leurs ailes. »
Miguel Cervantès, L’Ingénieux Hidalgo Don Quichotte de la Mancha, 1re partie, chapitre 8,
1605
17 Métonymie
Parmi ces trois extraits, identifiez la métonymie. Nommez également le procédé majeur figurant
dans les deux autres extraits.
1. « Nous en donnerons sur dos et ventre à tous ces petits Catons comme vous, qui nous
méprisent par envie, dont la modestie est le maintien de l’orgueil, et dont la sobriété est la
loi du besoin. »
Denis Diderot, Le Neveu de Rameau, 1891 (posthume)
2. « Écoutez, reprit Madeleine, il y a encore assez de place sous la voiture pour qu’un homme
s’y glisse et la soulève avec son dos. Rien qu’une demi-minute, et l’on tirera le pauvre
homme. Y a-t-il quelqu’un ici qui ait des reins et du cœur ? Cinq louis d’or à gagner ! »
Victor Hugo, Les Misérables, 1862
3. « Le quadrupède écume, et son œil étincelle »
Jean de La Fontaine, « Le lion et le moucheron », Fables, livre II, 1668
18 Chiasme
Parmi ces trois extraits, identifiez le chiasme. Nommez également le procédé majeur figurant
dans les deux autres extraits.
1. « Qu'on parle mal ou bien du fameux cardinal,
Ma prose ni mes vers n'en diront jamais rien :
Il m’a fait trop de bien pour en dire du mal
Il m’a fait trop de mal pour en dire du bien »
Pierre Corneille, « Vers sur le cardinal de Richelieu », 1642
2. « Laisse-lui ses berceaux : ta raillerie amère
Éteindrait son enfant… Tu vois bien qu'elle est mère.
À la mère du moins laisse les beaux enfants,
Ingrats, si Dieu le veut, mais à jamais vivants ! »
Marceline Desbordes-Valmore, « Laisse-nous pleurer », Poésies inédites, 1860
3. « Mon cœur me fait si mal depuis qu'il n'est plus là
Mon cœur me fit si mal du jour où il s'en alla »
Apollinaire, « La Loreley », Alcools, 1913
19 Antithèse
Parmi ces trois extraits, identifiez l’antithèse. Nommez également le procédé majeur figurant
dans les deux autres extraits.
1. « Même si c’est vrai, c’est faux »
Henri Michaux, « Tranches de savoir », Face aux verrous, 1954
2. « Il n’acheva point. Une seconde balle du même tireur l’arrêta court. Cette fois il s’abattit
la face contre le pavé, et ne remua plus. Cette petite grande âme venait de s’envoler. »
Victor Hugo, Les Misérables, 1862
3. « Plus tu t’éloignes et plus ton ombre s’agrandit »
Robert Desnos, « Jamais d’autre que toi », Corps et biens, 1930
20 Ellipse
Parmi ces trois extraits, identifiez l’ellipse. Nommez également le procédé majeur figurant dans
les deux autres extraits.
1. « L’homme n’était pas si froid qu’on l’a décrit ; il était gauche dans l’expression de ses
émotions ; il ne savait pas faire les gestes caressants dont les enfants sont gloutons ; il n’était
pas capable d’un entretien suivi avec personne, sauf Messieurs Baugin et Lancelot. »
Pascal Quignard, Tous les matins du monde, 1991
2. « […] ils diront que ça devait arriver mais ça ne devait pas arriver et lui, avant d’être mort
(je te le dis à toi parce que tu es son frère et que je voudrais te réconforter comme lui aurait
voulu le faire de temps en temps, te dire que la vie n’a pas été pingre avec lui, crois-moi,
rassure-toi de ça), il n’avait pas encore eu l’idée d’aller dans le supermarché, […] »
Laurent Mauvignier, Ce que j’appelle oubli, 2011
3. « Assez vu. La vision s’est rencontrée à tous les airs.
21 Anacoluthe
Parmi ces trois extraits, identifiez l’anacoluthe. Nommez également le procédé majeur figurant
dans les deux autres extraits.
1. « Et pleurés du Vieillard, il grava sur leur marbre
Ce que je viens de raconter »
Jean de La Fontaine, « Le Vieillard et les trois jeunes hommes », Les Fables, livre XI, 1678.
2. « À vendre les habitations et les migrations, sports, féeries et conforts parfaits, et le bruit,
le mouvement et l'avenir qu'ils font ! »
Arthur Rimbaud, « Solde », Illuminations, 1895 (posthume)
3. « Je l’ai déçue, Claudette, et c’est peu dire ; le dernier sentiment qu’elle eut pour moi, le
dernier regard qu’elle me porta, fut la répulsion peut-être, de peur et de pitié mêlées. »
Pierre Michon, Vies minuscules, 1984
22 Anaphore
Parmi ces trois extraits, identifiez l’anaphore. Nommez également le procédé majeur figurant
dans les deux autres extraits.
1. « Charles : Raison. Ai-je raison ? Ah, tu parles de ma raison, tu veux parler de ma raison.
J’oubliais. C’est vrai. Antoine est fou. Moi j’ai ma raison. J’ai raison. Tu es fine. »
Roger Vitrac, Victor ou les enfants au pouvoir, Acte III, scène IV, 1946
2. « J’habite une blessure sacrée
j’habite des ancêtres imaginaires
j’habite un vouloir obscur
j’habite un long silence
j’habite une soif irrémédiable […] »
Aimé Césaire, « Calendrier lagunaire », Moi laminaire, 1982
3. « Elle est seule. Seule comme un astre éteint. »
Nathalie Sarraute, Le Planétarium, 1959
23 Hyperbole
Parmi ces trois extraits, identifiez l’hyperbole. Nommez également le procédé majeur figurant
dans les deux autres extraits.
1. « Maître Blazius : […] Vous ouvririez des yeux grands comme la porte que voilà, de le
voir dérouler un des parchemins qu'il a coloriés d'encres de toutes couleurs, de ses propres
mains et sans rien en dire à personne. […] »
Musset, On ne badine pas avec l’amour, I, 1, 1834
2. « À côté des fous, il y a les fragiles, les boudeurs de la vie, les très fatigués. »
Marie Depussé, Dieu gît dans les détails, 1993
3. « Le Vidame de Chartres, descendu de cette ancienne maison de Vendôme, dont les
princes du sang n’ont point dédaigné de porter le nom, était également dans la guerre et
dans la galanterie. »
Madame de La Fayette, La Princesse de Clèves, 1678
24 Périphrase
Parmi ces trois extraits, identifiez la périphrase. Nommez également le procédé majeur figurant
dans les deux autres extraits.
1. « Une heure après le coucher du soleil, la lune se montra au-dessus des arbres à l’horizon
opposé. Une brise embaumée que cette reine des nuits amenait de l’Orient avec elle, sem-
blait la précéder dans les forêts comme sa fraîche haleine. L’astre solitaire monta peu à peu
dans le ciel […] »
François-René de Chateaubriand, Le Génie du christianisme, tome I, 1802
2. « Ici des vieillards criblés de coups regardaient mourir leurs femmes égorgées, qui
tenaient leurs enfants à leurs mamelles sanglantes ; là des filles, éventrées après avoir
assouvi les besoins naturels de quelques héros, rendaient les derniers soupirs ; d’autres, à
demi brûlées, criaient qu’on achevât de leur donner la mort. »
Voltaire, Candide ou l’optimisme, chapitre 3, 1759
3. « Cygne. Chante avant de mourir. — Avec son aile, peut casser la cuisse d’un homme.
— Le cygne de Cambrai n’était pas un oiseau, mais un homme (évêque) nommé Fénelon.
— Le cygne de Mantoue, c’est Virgile. — Le cygne de Pesaro, c’est Rossini. »
Gustave Flaubert, Dictionnaire des idées reçues, 1913 (posthume)
25 Antiphrase
Parmi ces trois extraits, identifiez l’antiphrase. Nommez également le procédé majeur figurant
dans les deux autres extraits.
1. « Les parfums ne font pas frissonner sa narine ;
Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine,
Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit. »
Arthur Rimbaud, « Le dormeur du val », 1870
2. « Ce malheur, dites-vous, est le bien d’un autre être.
De mon corps tout sanglant mille insectes vont naître ;
Quand la mort met le comble aux maux que j’ai soufferts,
Le beau soulagement d’être mangé des vers ! »
Voltaire, Poème sur le désastre de Lisbonne, 1756
3. « Éraste : […] Elle m'aime ?
Lisette : Très tendrement, mais voici un domestique de la maison qui vient ; c'est Frontin,
qui ne me hait pas, faites bonne contenance. »
Marivaux, L’École des mères, scène 1, 1732
Corrigés
Analepse, 17–19, 197, 198 Comparaison, 8, 47, 67–69, 154, 158, 159, 216
Antiphrase, 23, 24, 52, 108, 139, 142, 192, 211, 235
D
Antithèse, 126, 163–165, 167, 233
De causalité, 39–41, 48
Antonomase, 26–28, 58, 157
De mauvaise foi, 43, 44
Apagogique, 47
De partition, 47
Apostrophe, 36–38, 101, 108, 151, 152
De sacrifice, 40, 90
Arguments, 9, 30, 39–41, 43–48, 70, 71, 80–82, 191,
213 De succession, 40, 157
Assonance, 11, 12, 49–51, 126 Définition, 8, 11, 14, 17, 20, 23, 26, 29, 33, 36, 39, 43,
46–49, 52, 54, 57, 60, 63, 67, 70, 74, 77, 80, 84,
Astéisme, 52, 53, 228
87, 90, 93, 97, 100, 103, 107, 110, 114, 117, 120,
Asyndète, 54–56, 98, 228 123, 126, 129, 132, 135, 138, 139, 141, 144, 147,
Attelage, 223, 224 150, 153, 156, 159, 163, 166, 169, 172, 175, 179,
Atténuation, 24, 114, 115, 141 182, 183, 185, 188, 191, 194, 197, 200, 203, 207,
Autocorrection, 101 210, 213, 216, 219, 223
Délibératif, 75, 93–95
B Description, 9, 34, 40, 47, 67, 72, 87, 88, 110, 111,
Blâme, 52, 53, 71, 94, 96, 132 114, 122, 128, 153, 154, 156, 165, 184, 196, 203,
Brachylogie, 98 204
Dialectique, 36, 78, 164, 217
Ellipse, 14, 55, 97–99, 156, 194, 223, 224, 233 Ironie, 8, 23, 24, 42, 44, 52, 53, 65, 107, 108, 114,
122, 132, 138, 139, 142, 192, 194, 211, 213
Élocution, 9, 34, 80, 82, 182
Éloge, 51, 53, 94, 96, 132 J
Éloquence, 93, 94
Janotisme, 130
Emphase, 21, 37, 54, 71, 91, 100, 104, 120, 180, 183,
Judiciaire, 44, 93, 94
188, 189, 195
Empiriques, 39–41, 43, 48 L
Énallage, 130
Lieux, 44, 72, 81, 87, 108, 136, 193, 221
Épanadiplose, 34
Litote, 24, 115, 133, 141–143, 231
Épanorthose, 100–102, 228
Logos, 81
Épidictique, 93, 94, 96
Lyrique, 33, 34, 90, 91, 99, 144, 145
Épiphore, 34
Épique, 52, 88, 103–105, 202 M
Épitrochasme, 71 Malproprisme, 58
Éristique, 43–45, 108, 213 Maxime, 47, 48
Éristiques, 43–45 Mémoire, 72, 76, 80, 82
Éthopée, 110–112, 203, 204 Métabole, 71
Éthos, 44, 81 Métalepse, 150, 227
Euphémisme, 24, 114, 115, 142, 183, 201 Métaphore, 8, 9, 27, 57, 58, 67, 68, 92, 114, 115, 117,
Exorde, 81, 82 136, 153–155, 185, 186, 211, 216, 217, 232
Explicit, 117, 118, 136, 198 Métonymie, 27, 58, 115, 129, 150, 151, 153, 156–
158, 186, 187, 216, 217, 232
F
Focalisation, 123–125
N
Narration, 9, 40, 81, 82, 85, 104, 124, 150, 185, 203
G
Gradation, 55, 101, 133, 189
O
Onomatopée, 11
H Oxymore, 139, 163, 164
Harmonie imitative, 11, 49
Homéotéleute, 49, 50, 54, 126–128
P
Hypallage, 129–131, 230 Par l’absurde, 47
Hyperbate, 14, 15, 21 Paradoxe, 52, 57, 107, 139, 166, 167, 194, 195
Paradoxisme, 139, 164, 166–168
Prosopographie, 110, 111, 203–205 Tragique, 29, 30, 32, 37, 55, 85, 124, 174, 180, 219–
221
Prosopopée, 207–209
Trope, 23, 24, 57, 129, 132, 141, 156, 157, 182
Proverbes, 44
Q V
Valeurs, 9, 44, 94, 133, 186, 220
Quasi-logiques, 43, 47, 48
Questions, 19, 44, 45, 74, 75, 81, 101, 113, 135, 136, Z
214
Zeugme, 15, 223–225
R Zoughlamite, 44