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Philippe Breton

Gilles Gauthier

Histoire
des théories
de
l’argumentation
NOUVELLE ÉDITION
DU MÊME AUTEUR
Une histoire de l’informatique, La Découverte, Paris, 1987 (nouv. éd. : Seuil, coll. « Points-Sciences », Paris,
1990).
L’Explosion de la communication. La naissance d’une nouvelle idéologie (en collab. Serge Proulx), La Découverte/
Boréal, Paris/Montréal, 1989 (nouv. éd. : coll. « Poches/Sciences humaines et sociales », 1993 ; coll.
« Grands Repères Manuels », 2006).
La Techno-science en question. Éléments pour une archéologie du XXe siècle (en collab. avec Alain-Marc Rieu et
Franck Tinland), Champ Vallon, Seyssel, 1990.
La Tribu informatique. Enquête sur une passion moderne, Anne-Marie Métailié, Paris, 1990.
Pour comprendre l’informatique (en collab. avec Guislaine Dufourd et Éric Heilmann), Hachette Supérieur,
Paris, 1992.
L’Utopie de la communication. Le mythe du « village planétaire », La Découverte, Paris, 1992 (nouv. éd. : coll.
« Poches/Essais », 1997, 2004).
À l’image de l’homme. Du Golem aux créatures virtuelles, Seuil, coll. « Science ouverte », Paris, 1995.
L’Argumentation dans la communication, La Découverte, coll. « Repères », Paris, 1996, (nouv. éd. : 2001, 2006).
L’Appel de Strasbourg. Le réveil des démocrates (en codirection avec Bernard Reumaux), La Nuée Bleue, Stras-
bourg, 1997.
La Parole manipulée, La Découverte, Paris, 1997 (nouv. éd. : coll. « Poches/Essais », 2000, 2004).
Histoire des théories de l’argumentation (en collab. avec Gilles Gauthier), La Découverte, coll. « Repères », Paris,
2000.
Le Culte de l’Internet. Une menace pour le lien social ?, La Découverte, coll. « Sur le vif », Paris, 2000.
Éloge de la parole, La Découverte, Paris, 2003.
Crime pariétal, Le Passage, Paris, 2003.
Argumenter en situation difficile. Que faire face à un public hostile, aux propos racistes, au harcèlement, à la manipu-
lation, à l’agression physique et à la violence sous toutes ses formes ?, La Découverte, Paris, 2004 (nouv. éd. :
Pocket, Paris, 2006).
L’Incompétence démocratique. La crise de la parole aux sources du malaise (dans la) politique, La Découverte, Paris,
2006.

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© Éditions La Découverte & Syros, Paris, 2000.


Introduction

Le présent ouvrage a pour objectif d’offrir au lecteur une vue


d’ensemble de l’évolution de l’étude de l’argumentation. En
guise d’introduction, nous chercherons à caractériser son déve-
loppement historique et à identifier les points d’achoppement
qui ont marqué et qui continuent de marquer les différentes
théories de l’argumentation.

Le milieu d’émergence des théories de l’argumentation

L’argumentation a une histoire théorique sinueuse. Pleine-


ment reconnue comme objet de recherche dès l’aube de la civili-
sation gréco-romaine, elle traverse ensuite une longue période
de latence relative entrecoupée de quelques soubresauts pour
connaître une renaissance importante à l’époque contempo-
raine. L’intérêt à l’égard de l’argumentation est corrélatif à un
certain nombre de facteurs dont quelques-uns sont proprement
théoriques et d’autres sociologiques : une théorie de l’argumen-
tation est toujours développée sur le fond de certaines considé-
rations intellectuelles et dans un contexte social caractéristique.
L’argumentation devient objet de préoccupation théorique
quand c’est aussi le cas, entre autres choses, de la logique, de la
communication et de la persuasion. Les théories de l’argumen-
tation sont toutes élaborées en relation avec le raisonnement et
la logique. Certaines sont construites en marge ou en opposition
avec la logique, d’autres suivant une volonté d’élargissement de
I / Montée et déclin
de l’argumentation rhétorique

La rhétorique ancienne, jusqu’à, inclus, son renouvellement au


XXe siècle, forme le cadre idéal des théories de l’argumentation.
Elle constitue pour l’essentiel une réflexion globale sur le mouve-
ment qui conduit de l’invention d’un argument à son accepta-
tion, ou son rejet, par un auditoire. La rhétorique étend ainsi
l’empire de sa réflexion, comme le remarque Christian Plantin,
de la délibération politique, judiciaire et épidictique, qui consti-
tuent les trois genres originels, au discours de l’exhortation reli-
gieuse (avec l’émergence du christianisme), au genre épistolaire
(au Moyen Âge), à la publicité et au champ médiatique (pour
l’époque contemporaine). Aujourd’hui, comme dit Roland
Barthes, « le monde est incroyablement plein d’ancienne rhéto-
rique » [Barthes, 1970, p. 172]*. L’argumentation rhétorique,
ainsi définie à travers ces domaines d’application, se distingue
nettement, et ce depuis Aristote, des modes de convaincre
propres au discours scientifique. Elle s’intéresse à des énoncés
ou, plus globalement, à des situations de communication appar-
tenant à la vie sociale, religieuse, politique, dans l’espace public
comme dans la conversation privée. Le statut épistémologique
de ces énoncés est celui du « vraisemblable » et non celui de la
« vérité ».
Si l’on recherche dans le passé les réflexions, à statut théo-
rique, qui ont pris pour objet précis les mécanismes par lesquels
s’échangent et circulent entre les hommes, avec vocation d’être

* Les références entre crochets renvoient à la bibliographie en fin d’ouvrage.


MONTÉE ET DÉCLIN DE L’ARGUMENTATION RHÉTORIQUE 9

partagées, des idées, des opinions, des représentations (tous ces


sens étant contenus dans l’usage du terme latin informatio), on
rencontre rapidement, clairement formalisées, les théories qui
nourrissent la rhétorique depuis son origine. Argumentation et
rhétorique sont donc dans un premier temps synonymes.
La rhétorique est initialement et sans contestation possible un
« art du convaincre », attaché à des situations concrètes qui
mettent en scène presque exclusivement la nécessité de
persuader un auditoire. Cet art est indissociable de l’invention,
elle aussi grecque, de la démocratie et de ses institutions : le
tribunal où des jurys populaires fort nombreux (on compte par
exemple plus de cinq cents jurés au procès de Socrate, ce qui
n’est pas exceptionnel) entendent les parties plaider leur cause,
l’agora où l’assemblée des citoyens écoute les orateurs, délibère
et prend les décisions concernant la cité, les rassemblements où
sont prononcés les éloges, par exemple funéraires, qui permet-
tent d’exalter et d’enrichir les valeurs de la cité. L’argumenta-
tion rhétorique va se séparer progressivement de la partie plus
« littéraire » de la rhétorique qui ne s’intéresse, en fin de compte,
qu’aux figures de style et aux modalités de l’expression. Nous
nous intéressons, dans ce premier chapitre, aux théories de
l’argumentation au sein de la rhétorique, depuis les premiers
manuels de rhétorique judiciaire du Ve siècle avant J.-C. jusqu’au
seuil du renouvellement qu’inaugure Chaïm Perelman à la fin
des années cinquante. Nous distinguerons, dans cette perspec-
tive, quatre grandes périodes.
La période fondatrice est celle des premiers manuels de rhéto-
rique et de l’enseignement des logographes, qui préparaient les
plaidoiries pour les plaignants et les accusés. Cette période est
contemporaine de l’enseignement des sophistes. Elle est aussi
celle de l’affermissement de la démocratie grecque. Elle court sur
un siècle, du milieu du Ve siècle au milieu du IVe siècle avant J.-C.
La période de maturité est celle de l’apogée aristotélicienne. Le
grand philosophe va faire rupture avec l’héritage des « techno-
logues » immoraux de la période précédente. Sa Rhétorique, qui
va marquer durablement, sur un plan théorique, la suite de ce
domaine jusqu’à aujourd’hui, est composée probablement entre
329 et 323 avant J.-C. Elle va inspirer la culture de l’argumen-
tation qui se déploie dans le cadre de la République et des débuts
10 HISTOIRE DES THÉORIES DE L’ARGUMENTATION

de l’Empire, et qui voit les grands orateurs comme Cicéron et


Quintilien systématiser, codifier et vulgariser les normes du
discours persuasif.
La période de déclin de la théorie argumentative au sein de la
rhétorique s’étend de la fin de l’Empire romain jusqu’au milieu
du XXe siècle. La rhétorique devient une théorie des figures de
style et la partie argumentative se réduit progressivement sous
le coup du succès croissant de la démonstration (en sciences
exactes et expérimentales) et d’une certaine philosophie de
l’évidence.
La période de renouveau est celle de l’émergence de la « nouvelle
rhétorique », notamment à partir des travaux du philosophe et
juriste belge Chaïm Perelman, ainsi que des travaux de recherche
anglo-saxons sur l’argumentation, notamment ceux de Toulmin.

La naissance de la rhétorique

L’apparition des premières théories de l’argumentation est


attestée aux alentours de 450-440 avant J.-C., en Sicile grecque.
Deux noms sont attachés à ce moment fondateur, ceux de Corax
et de son élève Tisias. Cicéron, citant un texte perdu d’Aris-
tote, affirme que « personne auparavant n’avait accoutumé de
plaider avec méthode et technique, même si la plupart le faisait
avec adresse et précision » [Cicéron, Brutus, 46] (le texte perdu
d’Aristote est, selon Françoise Desbordes [1996], la Synagôgè
technôn ou « Recueil de techniques »). Ces théories sont
formulées dans un contexte précis, la réflexion des orateurs sur
leurs pratiques de l’éloquence judiciaire, dans une société
marquée par les révolutions démocratiques. Le domaine qui
rassemble ces théories du convaincre prendra rapidement le
nom grec de techné rhétoriké, l’art rhétorique.
La rhétorique va être l’objet de diverses tentatives d’appropria-
tion pendant toute la période préaristotélicienne. Il faut attendre
en effet le traité en trois livres d’Aristote pour que la rhétorique
dispose d’une place spécifique et autonome dans le champ des
savoirs. Jusque-là, elle sera un enjeu entre les sophistes, d’une
part, et les philosophes autour de Socrate puis de Platon, d’autre
part. Les premières théories, formées de méthodes assez
MONTÉE ET DÉCLIN DE L’ARGUMENTATION RHÉTORIQUE 11

empiriques, seront enrichies grâce à la réflexion sur le langage


que conduisent les sophistes, et par les méthodes rigoureuses
défendues par Socrate. Plus ou moins loin de ces débats d’idées,
une « culture du convaincre » se met progressivement en place,
nourrie des savoir-faire des nombreux orateurs qui opèrent au
tribunal, dans les assemblées ou sur l’agora.

Les premières théories de l’argumentation

Comme le rappelle Roland Barthes [1970], la rhétorique est


née des « procès de propriétés » à Syracuse. La cité, longtemps
aux mains de tyrans, avait connu, sous l’influence grecque, une
révolution démocratique. Celle-ci, sur le modèle qu’illustrera
brillamment Athènes, confère à la parole un rôle majeur dans
la cité. Il s’ensuit la création d’un nouvel espace social, d’un
centre par rapport auquel les individus occupent tous des posi-
tions symétriques. C’est l’agora, qui, selon Jean-Pierre Vernant,
« forme le centre d’un espace public et commun. Tous ceux qui
y pénètrent se définissent par là même comme des égaux […]
par leur présence dans cet espace politique, ils entrent, les uns
avec les autres, dans des rapports de parfaite réciprocité » [1962,
p. 126].
Cette révolution des esprits, qui s’opère entre le VIIIe et le
VIIe siècle avant J.-C., se traduit immédiatement par une extraor-
dinaire prééminence de la parole sur tous les autres instruments
de pouvoir. La parole devient « l’outil politique par excellence, la
clé de toute autorité dans l’État, le moyen de commandement
et de domination sur autrui » [Vernant, 1962, p. 44]. De
nouvelles institutions se mettent en place, notamment une
nouvelle forme de justice. « Ces procès étaient d’un type
nouveau ; ils mobilisaient de grands jurys populaires, devant
lesquels, pour convaincre, il fallait être “éloquent”. Cette
éloquence, participant à la fois de la démocratie et de la déma-
gogie, du judiciaire et du politique, se constitua rapidement en
objet d’enseignement » [Barthes, 1970, p. 175].
L’un des premiers « professeurs » de rhétorique, et d’une
certaine façon son inventeur, le Grec Corax, rédige alors un
manuel, qui a été perdu depuis, qui va se transmettre et servir
de base à tous les rhéteurs qui suivront. À qui s’adresse-t-il ?
12 HISTOIRE DES THÉORIES DE L’ARGUMENTATION

Essentiellement aux logographes, qui font profession d’écrire les


discours et les plaidoiries de ceux qui vont être confrontés à la
justice. Le système judiciaire grec a en effet ceci de particulier
que le plaignant et les accusés doivent se présenter en personne
et se défendre eux-mêmes devant les juges et les jurys populaires.
L’appréciation de l’authenticité de leur cause en dépend.

Le manuel de Corax. — Corax propose donc un ensemble de


techniques qui permettent d’argumenter d’une manière plus
efficace devant les tribunaux. La rhétorique naît donc à la fois
dans un contexte judiciaire et au cœur d’une réflexion sur les
méthodes qui permettent de systématiser l’efficacité de la parole.
Le manuel rédigé par Corax — dont nous n’avons que des traces
indirectes, notamment grâce à Aristote qui le cite — est ainsi,
selon C. Benoit, « un recueil d’artifices et d’expédients pour
chacune des parties du discours, de formules de début et de
précautions oratoires pour l’exorde, d’adresses pour arranger les
faits de la narration à la cause, d’arguments spécieux et de mille
moyens de détail pour la confirmation et la réfutation, l’accusa-
tion ou la défense » [Benoit, 1983, p. 13]. Ce traité d’« art
oratoire » est, pour Olivier Reboul, un « recueil de préceptes
pratiques, accompagnés d’exemples, à l’usage des justiciables »
[1991, p. 14].
Quels sont les procédés que Corax a mis au point ? Ceux-ci
sont essentiellement de deux ordres. D’abord tout discours, s’il
veut être convaincant, doit être organisé. Corax invente l’ordre
du discours rhétorique avec, comme objectif, la maîtrise de la
situation oratoire : « Il chercha, nous dit un texte ancien, à
calmer par des paroles insinuantes et flatteuses l’agitation de
l’assemblée ; c’est ce qu’il nomma l’exorde ; après avoir obtenu
l’attention, il exposa le sujet de la délibération ; passa ensuite à
la discussion, l’entremêla de digressions, qui confirmaient ses
preuves ; enfin, dans la récapitulation ou conclusion, il résuma
ses motifs, et réunit toutes ses forces pour entraîner un auditoire
déjà ébranlé » [Benoit, 1983, p. 14]. Ces quatre parties : l’exorde,
la présentation des faits, la discussion et, pour conclure, la péro-
raison, constitueront après Corax une des normes centrales du
discours rhétorique. Elles sont encore aujourd’hui, grosso modo,
MONTÉE ET DÉCLIN DE L’ARGUMENTATION RHÉTORIQUE 13

une norme de la prise de parole ou du texte écrit visant à


défendre une opinion.

Les quatre parties du discours selon Corax

Exorde Présentation Discussion Péroraison


des faits

Capter l’attention Dire de quoi on Donner les Terminer par une


de l’auditoire parle, exposer sa arguments en formule
thèse faveur de la thèse synthétique

Corax ne se contente pas de proposer un plan, il systématise


des modes de raisonnements argumentatifs types. Il invente le
tout premier d’entre eux, le « corax », qui consiste à soutenir
qu’une personne n’a pas pu commettre un acte car elle était trop
visiblement en position de le faire. Cet argument est décrit par
Aristote dans le manuel de rhétorique qu’il écrit un siècle et
demi plus tard, lorsqu’il commente la techné de Corax : « Si un
homme ne donne pas prise à l’accusation dirigée contre lui, si,
par exemple, un homme faible est poursuivi pour sévices, sa
défense sera qu’il n’est pas vraisemblable qu’il soit coupable ;
mais si l’inculpé donne prise à l’accusation, si, par exemple, il
est fort, sa défense sera qu’il n’est pas vraisemblable qu’il soit
coupable, parce qu’il était vraisemblable qu’il soit coupable »
[Aristote, livre II, 24, 1402a]. Socrate en donne une autre formu-
lation dans le Phèdre. On remarquera que l’argument n’est
valable que s’il n’existe aucun moyen de déterminer (par le biais
d’un aveu ou d’un témoignage formel par exemple) si l’accusé
est vraiment coupable.
Pour bien comprendre comment fonctionnait cette première
rhétorique, il faut en effet garder en mémoire le fait, apparem-
ment surprenant pour nous aujourd’hui, qu’apprendre la rhéto-
rique, c’était d’abord avoir son propre cahier de formules toutes
faites, d’exordes préparés, qui n’attendaient que d’être servis
dans telle et telle circonstances. Ainsi, comme le rappelle Reboul,
on invente des « lieux » (terme qui donnera l’expression « lieu
commun »), qui sont des arguments types « qu’il suffisait
d’apprendre par cœur pour les sortir à tel moment de la
14 HISTOIRE DES THÉORIES DE L’ARGUMENTATION

plaidoirie. Ainsi, dans l’exorde, commencer par dire qu’on n’est


pas orateur, vanter le talent de l’adversaire, etc. » [1991, p. 16].
On voit que cette première rhétorique se préoccupe surtout
d’efficacité, d’abord judiciaire, ensuite politique. La question est
alors de savoir ce qui est jugé convaincant par un tel public
(celui des citoyens grecs puis, plus tard, romains). De
nombreuses discussions, mettant aux prises les philosophes de
l’époque, vont tourner autour de cette question, toujours
actuelle. Suffit-il, pour qu’il soit convaincant, qu’un discours soit
bien ordonné, bien scandé, utilise des formules poétiques et bien
tournées, comme ceux de Gorgias, que Platon critiquera pour
cela ? Faut-il, pour convaincre, faire appel principalement aux
sentiments, aux passions, comme le soutient Trasymaque, qui
compose dans ce sens un « manuel de pathétique » ? Faut-il
soutenir, comme Isocrate, que l’apprentissage mécanique des
lieux et la grandiloquence sont à rejeter et que la rhétorique n’est
acceptable qu’au service de causes honnêtes et nobles ? Faut-il
rejeter ces méthodes, comme le souhaite Socrate, si elles n’ont
pas d’abord pour but la recherche de la vérité ?

La rhétorique des sophistes

Les premières théories de l’argumentation sont rapidement


prises dans les enjeux nés des débats intellectuels très vifs qui
marquent notamment la vie d’Athènes aux Ve et IVe siècles. Les
sophistes, les « sages », vont s’approprier la rhétorique et
l’inclure dans un corpus plus large de savoir. Les sophistes sont
les premiers sinon à prendre conscience, du moins à théoriser
la puissance de la parole. Ils le font à travers d’abord un intérêt
pour l’esthétique et la portée persuasive du langage, ensuite un
regard sur l’être comme tout entier contenu dans le dire. C’est
dans ce sens aussi qu’on peut interpréter le seul texte conservé
du premier des sophistes, Protagoras d’Abdère (480-408), qui
soutient que « l’homme est la mesure de toutes choses : de celles
qui sont, qu’elles sont, de celles qui ne sont pas, qu’elles ne sont
pas ».
La sophistique inaugure la conscience durable d’un vertige,
celui d’un monde qui serait entièrement relatif au langage, créé
et contenu dans la seule parole humaine. C’est ce vertige que
MONTÉE ET DÉCLIN DE L’ARGUMENTATION RHÉTORIQUE 15

tenteront de stabiliser Socrate et Platon, inaugurant ainsi la


tradition philosophique, qui tente en permanence depuis de
« réduire la sophistique à l’ombre, nuisible, portée par la philo-
sophie » [Cassin, Encyclopaedia Universalis].
Les sophistes ne se contentent pas d’être des théoriciens ou
des penseurs. Loin des spéculations sur l’être qui avaient cours
jusque-là, « ils choisissent d’être des éducateurs professionnels,
étrangers itinérants qui font commerce de leur sagesse, de leur
culture, de leurs compétences, comme les hétaïres de leurs
charmes. Mais ce sont aussi des hommes de pouvoir, qui savent
comment persuader des juges, retourner une assemblée, mener à
bien une ambassade, donner ses lois à une cité nouvelle, former
à la démocratie, bref, faire œuvre politique » [Cassin, ibid.]. L’un
des plus célèbres d’entre eux, Prodicos de Céos (465-460), allait
de ville en ville donner ses cours. « Il demandait, dit Jean Voil-
quin, cinquante drachmes pour le cours complet sur la propriété
des termes dans le style et une drachme pour les leçons à l’usage
du public populaire… Il n’est ni savant, ni philosophe. Il se
contente d’être habile dans l’art de parler “savamment” sur
beaucoup de sujets. Il s’était fait une spécialité des questions de
vocabulaire et de grammaire, part importante de la rhétorique
qu’il professait » [1964, p. 209].
La critique portée ultérieurement contre les sophistes est en
grande partie injuste. Leur rôle essentiel a été, comme le dit bien
Jean-Jacques Robrieux, d’« organiser les principales structures
éducatives dans les domaines les plus divers, de la grammaire,
de l’éloquence, et même des sciences, sans compter leur
influence dans le développement de l’esprit critique » [1993,
p. 9]. Ils ajoutent des méthodes rigoureuses à la théorie de l’argu-
mentation, comme par exemple l’antilogie : « Leur objet étant
d’armer l’élève pour tous les conflits de pensée ou d’action dont
la vie sociale peut fournir l’occasion, leur méthode sera essentiel-
lement l’antilogie ou la controverse, l’opposition des thèses
possibles relativement à certains thèmes, ou hypothèses, conve-
nablement définies et classées ; il s’agit d’apprendre à critiquer
et à discuter, à organiser une joute de raisons contre raisons »
[Robin, 1923, p. 168].
On reprochera aux sophistes une trop grande souplesse dans
la présentation des opinions et ainsi un certain relativisme. Il est
16 HISTOIRE DES THÉORIES DE L’ARGUMENTATION

vrai que « l’esprit de leur enseignement exige en effet que


personnellement ils n’aient pas de doctrine, mais qu’ils
montrent que toutes peuvent être défendues » [Robin, 1923,
p. 171]. Leur apport à la théorie de l’argumentation (sans parler
de leur réflexion sur le langage) reste essentiel, comme par
exemple la systématisation de l’emploi des figures dites de
cadrage, qui permettent de présenter un point de vue, un angle,
une propriété d’un objet ou d’une opinion donnée, art aussi de
faire paraître le plus faible ce qui est le plus fort. Cette inven-
tion est certes rendue possible par le contexte démocratique qui
invite à discuter de tout là où, traditionnellement, on utilisait
plutôt des arguments d’autorité ou d’appui sur des valeurs, des
lieux ou des présupposés communs, mais il fallait encore le systé-
matiser. Pour cela, il fallait faire accepter le point de vue selon
lequel il y a bien plusieurs manières de voir les choses, ce à quoi
les sophistes se sont employés.
Au total, on partagera ici le point de vue de Robin : « La
sophistique du Ve siècle représente un ensemble d’efforts indé-
pendants pour satisfaire, par des moyens analogues, à des
besoins identiques. Ces besoins sont ceux d’un temps et d’un
pays où tout citoyen peut avoir une part dans l’administration
ou la direction des affaires de la cité, et ne devra qu’à la parole
la prépondérance de son action personnelle. [Il] a donc besoin
de maîtres, qui lui apprennent l’art du succès individuel dans
la vie sociale, en lui épargnant les lenteurs et les déceptions de
l’expérience. C’est de cet art que les sophistes sont, en principe,
professeurs : ils enseignent la science du bon conseil dans les
affaires publiques ou privées, c’est-à-dire la vertu, au sens précis
qui vient d’être défini » [1923, p. 166].

La rhétorique de Socrate

S’il est effectivement pertinent de souligner l’opposition entre


les théories de la connaissance produites et défendues par les
différents penseurs sophistes et celle de Socrate et de Platon, il
est vain de chercher une contradiction majeure, comme certains
essaient de le faire, entre la rhétorique des uns et la rhétorique
des autres. Si, du point de vue de l’épistémologie de la
MONTÉE ET DÉCLIN DE L’ARGUMENTATION RHÉTORIQUE 17

connaissance, il y a bien une rupture majeure, du point de vue


de l’art de convaincre, il y a plutôt une continuité et un progrès.
Socrate propose, en effet, non pas de nier la rhétorique, mais,
d’une part, d’accroître la portée de son emploi et, d’autre part,
de l’articuler sur une méthode de recherche de la vérité. Lorsque
Socrate définit, dans le Phèdre (texte clé de ce point de vue), l’art
de la rhétorique comme celui d’« avoir de l’influence sur les
âmes » [Phèdre, p. 143], il ajoute en effet que cela concerne « les
discours prononcés non seulement dans les tribunaux et dans
toutes les autres assemblées publiques, mais aussi dans des
réunions privées » et qu’il s’agit bien d’un « art qui ne varie pas
en fonction de la petitesse ou de l’ampleur du sujet traité » [ibid.,
p. 144]. Phèdre lui répond que c’est essentiellement dans les
procès que l’on emploie la rhétorique et qu’il n’a pas « entendu
dire que cet art s’étendît plus loin » [ibid.]. Celui qui est chargé
de donner la réplique à Socrate et qui se fait ainsi l’« avocat du
diable » témoigne d’une évolution souhaitée par Socrate : que
la rhétorique s’applique désormais encore plus largement et non
plus uniquement dans le cercle restreint du tribunal ou du
forum.
Socrate fait ensuite une véritable « leçon de méthodologie »
à Phèdre. Il explique à son jeune ami que les rhéteurs jusque-là
n’utilisaient que des techniques imparfaites. Il propose d’abord
« deux procédés dont il ne serait pas sans intérêt que l’art nous
permette d’en acquérir la puissance » [ibid., p. 156]. Il s’agit en
fait de la synthèse, qui permet de rassembler vers une forme
unique des éléments disséminés de tous côtés, et de la « divi-
sion » (l’analyse), qui permet « à l’inverse de découper par
espèces suivant les articulations naturelles, en tâchant de ne
casser aucune partie, comme le ferait un mauvais boucher sacrifi-
cateur » [ibid., p. 157]. Celui qui mettra en œuvre ces procédés
sera appelé « dialecticien ». Socrate propose ensuite de compléter
cette méthode par une connaissance des publics que l’on veut
persuader.

La critique de la rhétorique

Dès son apparition, la rhétorique, et les théories de l’argumen-


tation qu’elle porte en son sein, est l’objet de critiques
18 HISTOIRE DES THÉORIES DE L’ARGUMENTATION

nombreuses. Comme le remarque Françoise Desbordes, « la litté-


rature qui entoure les premiers temps de la rhétorique est donc
pleine d’anathèmes contre les trompeurs qui emberlificotent les
gens simples et contre les démagogues qui renforcent la foule
dans ses opinions fausses. Mais dans le même temps on voit
apparaître l’idée d’une rhétorique moralisée et légitime » [1996,
p. 21]. Ces critiques sont à la mesure de la nouveauté et de la
puissance de la rhétorique, mais aussi des inégalités d’accès à
la maîtrise de la langue et des situations de communication que
son emploi suppose. On distingue immédiatement quatre types
de critiques.
La première critique part de l’opposition entre la nature et
l’artifice, entre le langage que chacun pratique spontanément et
l’artifice de sa mise en forme pour argumenter et convaincre.
Dès 423, Aristophane se moque de ceux qui s’occupent des mots
plutôt que des choses. Derrière cette critique se profile celle de
l’enseignement qui se met en place avec les premières théories
de l’argumentation et aussi celle des « intellectuels ». Comme le
remarque Robert Flacelière dans son ouvrage sur la vie quoti-
dienne en Grèce, « la foule se moque sans doute volontiers de
ces intellectuels somptueusement vêtus, prétentieux et pédan-
tesques et ils fournissent une cible de choix aux railleries des
poètes comiques. Aristophane, dans Les Nuées, représente l’Athé-
nien Socrate comme l’un d’eux, enfermé dans son “pensoir” ou
se faisant suspendre dans une corbeille pour étudier de plus près
les phénomènes atmosphériques et les astres » [1959, p. 144].
La deuxième critique est celle de l’immoralité de telles
pratiques : la rhétorique serait une technique mercenaire, au
service de n’importe quelle cause, surtout les plus mauvaises,
celles qui ne s’imposent pas d’elles-mêmes. Elle est l’outil des
démagogues, qui peuplent l’agora et manipulent les foules avec
leur beau langage. Cette critique confond toutefois l’usage
immoral qui en est fait et la technique elle-même. Tous les
rhéteurs, loin s’en faut, ne sont pas des démagogues.
La troisième critique est celle de Platon, qui s’en prend vive-
ment au relativisme de certains sophistes et veut faire de la
rhétorique un outil intellectuel au service de la recherche de la
vérité et non simplement une technique pour convaincre
d’opinions qui se forment en dehors d’elle. La critique de Platon
MONTÉE ET DÉCLIN DE L’ARGUMENTATION RHÉTORIQUE 19

sera finalement profitable à la rhétorique puisqu’elle enrichira


son art de méthodes et d’arguments nouveaux.
La quatrième critique portée à l’encontre de l’argumentation
n’est ni morale ni philosophique, elle est plus politique : la
rhétorique donne la parole — et quelle parole ! — au peuple.
Elle est l’instrument de la démocratie. C’est à ce titre qu’elle sera
critiquée par les partisans de l’oligarchie. Cette critique de la
rhétorique sera certainement la plus efficace par la suite, puisque
les périodes d’éclipse de la démocratie (à commencer par le
pouvoir des Trente à Athènes, qui interdit son enseignement)
correspondront très précisément à un retrait global de la culture
du convaincre qui la caractérise.

Aristote et les bases de la théorie de l’argumentation

La réponse aux critiques morales et philosophiques adressées


aux premières théories de l’argumentation va finalement être
fournie par Aristote (384-322). Ses nouvelles conceptions s’oppo-
sent à la mécanique sophistique, avec ses lieux préfabriqués, ses
procédés et le cynisme au service du pouvoir de certains de ses
disciples, mais aussi à l’élitisme réactionnaire d’un Platon, dont
l’utopie de la Cité idéale servait à exprimer en fait une certaine
hostilité envers la démocratie. Aristote est certes l’élève de Platon
à l’Académie (il y entre en 366), que ce dernier avait créée, mais
il prendra rapidement son autonomie intellectuelle, pour
devenir l’auteur d’une œuvre vaste et d’influence durable (plus
de neuf cents textes, dont beaucoup sont perdus). Aristote créera
en 335 une école dans un gymnase appelé Lycée, où l’on ensei-
gnait, souvent en se promenant (de là l’appellation de péripaté-
ticien, qui enseigne en marchant), la philosophie le matin, la
rhétorique l’après-midi. Il rédige les trois tomes de sa Rhétorique
entre 329 et 323.

Une double séparation

La rhétorique d’Aristote se sépare nettement de toutes celles


qui la précèdent, qu’il s’agisse de la rhétorique de Socrate, de
20 HISTOIRE DES THÉORIES DE L’ARGUMENTATION

celles des autres sophistes (ceux qui sont critiqués par Platon) ou
de celle des « technologues » depuis Tisias.
La première séparation opère sur le lien qui unissait, au moins
pour les platoniciens, la rhétorique avec la morale et, indistinc-
tement, la vérité. Pour Platon, toute méthode dans ce domaine
devait avoir pour objet la recherche de la vérité ou, au moins,
prendre appui sur elle. Refuser ce principe rangeait son auteur
dans le camp des « sophistes », cyniques immoralistes (pour
Platon), qui prétendaient, au nom du pouvoir du langage, que
la vérité n’existait pas, que l’homme était « la mesure de toute
chose », là où la vérité est celle des « essences ». Aristote rompt
avec cette alternative en partant de deux principes nouveaux.
D’une part, il fait de la rhétorique une technique provisoirement
indifférente à la morale, donc amorale plutôt qu’immorale. Elle
renvoie celui qui la met en œuvre à sa conscience et à ses respon-
sabilités devant la cité. La rhétorique, pour lui, est un outil et
peut être mis en tant que tel au service du bien comme du mal,
du juste comme de l’injuste : « Autant le juste usage en peut
être utile, autant l’injuste peut en être dommageable » [Aris-
tote, Rhétorique, livre I, 1355b]. D’autre part, Aristote fait de la
rhétorique la technique d’argumentation du vraisemblable et non
plus de la vérité. La distinction est de taille. Cette double sépa-
ration d’avec la morale et la vérité va libérer la rhétorique et lui
permettre de se développer en tant que technique légitime des
débats dans l’espace public de la cité.
Aristote opère une seconde séparation qui le distingue des
« technologues ». Le philosophe grec présente ainsi lui-même le
fossé qui existe entre eux : « Tisias, après les fondateurs, puis
Trasymaque après Tisias, puis, après, Théodore, et beaucoup
d’autres ont apporté leurs contributions particulières. Et c’est
pourquoi il n’y a rien d’étonnant que l’art ait atteint une
ampleur considérable. Au contraire, en ce qui concerne la
présente étude, on ne peut pas dire qu’une partie en ait été
précédemment élaborée, et qu’une autre ne l’ait point été : en
réalité, rien n’existait du tout. Car l’éducation donnée par les
professeurs qui, moyennant salaire, enseignaient les arguments
éristiques était pareille à la pratique de Gorgias. En effet, ils
transmettaient pour apprendre par cœur, les uns des discours
rhétoriques, les autres des discours sous forme de questions, sous
MONTÉE ET DÉCLIN DE L’ARGUMENTATION RHÉTORIQUE 21

lesquels ils pensaient que retombent le plus souvent les argu-


ments des deux interlocuteurs. Aussi l’enseignement qu’ils
donnaient à leurs élèves était-il rapide mais grossier. Enseignant
non pas l’art mais les résultats de l’art, ils s’imaginaient qu’en
cela consistait l’éducation […] en outre, sur les matières de rhéto-
rique, il existait des travaux nombreux et anciens, tandis que
sur le raisonnement nous n’avions absolument rien d’antérieur
à citer, mais nous avons passé beaucoup de temps à de pénibles
recherches » [Aristote, Réfutations sophistiques, 183b16].
La rhétorique d’Aristote se présente comme une « rhétorique
du raisonnement », plutôt qu’une « rhétorique des passions » :
les technologues « consacrent la majeure partie de leurs traités
aux questions extérieures à ce qui en est le sujet » en utilisant,
pour émouvoir le juge, « la suspicion, la pitié, la colère et autres
passions de l’âme » [Rhétorique, livre I, 1, 1354a], sans recourir
à des « preuves techniques ». Si on généralisait la règle intro-
duite dans quelques cités, à savoir l’interdiction de « plaider en
dehors de la cause », alors les technologues, qui n’utilisent que
des moyens « extratechniques », « n’auraient plus rien à dire ».
Ces deux séparations étant opérées, Aristote peut étendre le
champ de la rhétorique, au-delà du domaine judiciaire, à tous les
lieux où l’on a recours à l’argumentation, là où, traditionnelle-
ment, les technologues la cantonnaient au tribunal et les plato-
niciens à la discussion philosophique. La rhétorique se voit ainsi
dotée pour la première fois d’une véritable portée générale — à
l’exclusion du champ de la vérité — et aussi, pour la première
fois, d’une théorie systématique. La technique rhétorique est
alors définie non pas simplement comme l’art de persuader,
mais comme la « faculté de découvrir spéculativement ce qui,
dans chaque cas, peut être propre à persuader » [Rhétorique,
livre I, 2, 1355b], dans la perspective, bien sûr, de mettre concrè-
tement cette faculté en œuvre dans toutes les situations où elle
est requise pour convaincre.

Les genres oratoires

Aristote propose d’établir une distinction entre les différents


types d’auditeurs, distinction qui renvoie à autant de situations
sociales dans lesquelles l’art de convaincre se déploie. L’auditeur
22 HISTOIRE DES THÉORIES DE L’ARGUMENTATION

est bien, pour lui, la « fin » de tout discours, même si celui-ci


comprend clairement trois parties constitutives : « celui qui
parle, le sujet sur lequel il parle, celui à qui il parle » [Rhétorique,
livre I, 3, 1358b]. Puisqu’il y a différents types d’auditeurs, il y
aura bien des genres oratoires distincts. C’est l’objet de l’essentiel
du livre I de sa Rhétorique.
Quels sont les différents types d’auditeurs ? Aristote en
distingue trois : celui qui est spectateur d’un discours, celui qui
est juge d’une situation passée, celui qui est juge d’une situation
future. Le premier est l’auditeur d’un discours dit « épidic-
tique », dont l’éloge est le prototype. Le deuxième est juge au
sens strict, dans le cadre d’un procès. Le discours appartiendra
alors au genre « judiciaire ». Le troisième est membre de l’assem-
blée, généralement sur l’agora, qui doit choisir une politique
à venir. Les discours échangés relèvent alors du genre
« délibératif ».
Louer (ou blâmer), juger, délibérer pour décider, voilà donc
tout l’espace dans lequel Aristote juge pertinent l’usage de la
technique du convaincre. Il n’est pas mince et c’est tout l’espace
public qui s’en trouve concerné.

Genre Nature Valeurs Tempo- Situa- Pro- Type Forme Thèmes


de dis- du dis- d’appui ralité tion cédés d’ora- du dis- traités
cours cours du dis- oratoire argumen- teur cours
cours tatifs

épidic- louange beau présent éloge amplifi- sophiste panégy- valeurs


tique blâme vertu public cation rique
laid harangue

judiciaire juge- juste passé tribunal enthy- accusés plai- inno-


ment injuste mème et plai- doirie cence,
gnants culpa-
bilité

délibé- délibé- utile futur agora exemple citoyens harangue budget


ratif ration nuisible assem- sécurité
décision bonheur blée économie
loi

À partir de là, Aristote va décliner les trois genres et produire


en quelque sorte une théorie des situations d’argumentation, en
cherchant à comprendre la spécificité de chacune d’entre elles,
MONTÉE ET DÉCLIN DE L’ARGUMENTATION RHÉTORIQUE 23

les valeurs qu’elles mobilisent, les procédés argumentatifs qui


leur sont plus particulièrement associés. Cette théorie peut être
considérée, d’une certaine façon, comme l’ébauche d’une
théorie de la réception, puisque c’est, en aval, le type de situa-
tion d’argumentation qui va déterminer les procédés, les valeurs,
les genres, etc. Barthes voyait dans le livre I de la Rhétorique
d’Aristote « le livre de l’émetteur », dans le livre III « le livre du
message lui-même » et dans le livre II celui « du récepteur du
message » [1970, p. 179].
Aristote ne s’attarde pas à décrire ces situations, connues de
tous ses élèves et lecteurs de l’époque (l’éloge, par exemple, des
soldats morts à la guerre). Par contre, il détaille les sujets sur
lesquels porte concrètement chacun des genres. Ainsi, il
distingue plusieurs sujets de délibération possible : ce qui relève
de la sécurité de la cité, la guerre et la paix, la « protection du
territoire », ce qui relève de l’économie, le budget de la cité, les
nécessités de l’« importation » et de l’« exportation » de nourri-
ture, ou encore, bien sûr, l’établissement des lois, sur lesquelles
« repose le salut de la cité ». Dans tous les cas, il faut distinguer
l’utile du nuisible. Le but ultime de la délibération est la
recherche du « bonheur », qu’il ne faut pas voir ici à travers le
prisme moderne de la recherche individuelle du plaisir, mais
bien comme la mise en œuvre d’un altruisme, vertu essentielle
du monde classique.
Les sujets privilégiés du discours épidictique sont la vertu et le
vice, le beau et le laid, « car tels sont les buts pour qui loue et qui
blâme ». La préoccupation éthique est ici proche de la préoccu-
pation esthétique. La vertu est ainsi déclinée par Aristote comme
ce qui relève du courage, de la tempérance, de la libéralité, de la
douceur, de la sagesse pratique et spéculative, étant entendu que
les qualités les plus importantes sont « nécessairement les plus
utiles à autrui puisque la vertu est la faculté d’être bienfaisant »
[Rhétorique, livre I, 9, 1366b]. Sont beaux par exemple les actes
« dont le prix est l’honneur » plutôt que l’argent, ceux que l’on
ne fait pas « en vue de soi ».
L’éloge est à la fois une situation concrète qui sert à rappeler
dans une occasion précise (cérémonie funèbre, banquet, remise
de prix) les valeurs essentielles de la cité et un exercice d’école
de rhétorique où l’on s’entraîne, par exemple, à la louange
24 HISTOIRE DES THÉORIES DE L’ARGUMENTATION

paradoxale : éloge d’animaux, éloge du sel. Occasion de rappeler


la doxa, c’est-à-dire l’opinion commune en ce qu’elle a de plus
fort, l’éloge permet aussi, selon Barbara Cassin, pour qui ce point
est clairement entrevu par Aristote, de modifier les valeurs
admises et « d’en créer de nouvelles » [1991, p. 282]. Dans ce
sens, il s’agit bien, pour cet auteur, d’un genre politique. La
pratique de l’éloge est ancienne dans le monde grec — et elle lui
survivra jusqu’à aujourd’hui, sous des formes mutantes —, mais
Aristote semble être le premier à en proposer une théorie et à
l’intégrer dans l’ensemble plus connu constitué par l’éloquence
judiciaire ou délibérative.

Le raisonnement argumentatif

Les trois preuves. — Aristote distingue trois types de « preuves »


que le discours argumentatif met en action : celles qui s’appuient
sur le caractère de l’orateur (l’éthos), sur le contenu du discours
lui-même (le logos) et enfin sur les passions de l’auditoire (le
pathos). Le contenu du discours consiste, conformément à
l’approche générale qu’Aristote propose de la technique, à faire
sortir « le vraisemblable de ce que chaque sujet comporte de
persuasif ». L’appel au caractère de l’orateur (la sympathie ou la
confiance par exemple qu’il peut inspirer) ou aux passions d’un
auditoire, que l’on réussit de ce fait à émouvoir et à prédisposer
à sa cause, est bien différent pour le philosophe des procédés
utilisés par les technologues. Cet appel doit découler du discours
lui-même, lui être en quelque sorte subordonné et en aucun cas
ne doit constituer le ressort principal de l’acte persuasif, faute
de quoi ce serait « plaider en dehors de la cause ». Cette condi-
tion étant posée, l’orateur ne peut donc se dispenser d’étudier la
psychologie des auditoires auxquels il s’adresse.
Le cœur du discours argumentatif sera constitué par un raison-
nement, qu’Aristote présente comme une quasi-démonstration.
Deux types de raisonnement sont possibles et seulement deux :
l’exemple et l’enthymème. L’argumentation par l’exemple
consiste à s’appuyer sur un ou plusieurs cas semblables à celui
dont on veut convaincre, pour en inférer la justesse ou la légiti-
mité. Ainsi, pour convaincre du fait que Denys aspire à la
tyrannie, on raisonnera ainsi : « Denys aspire à la tyrannie,
MONTÉE ET DÉCLIN DE L’ARGUMENTATION RHÉTORIQUE 25

puisqu’il demande une garde ; autrefois, Pisistrate, ayant ce


dessein, en demandait une, et, quand il l’eut obtenue, il devint
tyran ; de même Théagène à Mégare » [Rhétorique, livre I, 2,
1357b]. De ces cas particuliers (Pisistrate, Théagène), on infère
une règle générale (ceux qui aspirent à la tyrannie demandent
une garde) qui peut vraisemblablement s’appliquer à Denys, qui
demande une garde. On voit bien ici la nature du raisonne-
ment rhétorique, qui est d’être à la fois rigoureux et simplement
vraisemblable.
L’enthymème est pour Aristote une sorte de syllogisme qui
relève lui aussi du simplement vraisemblable. Il s’agit dans ce
cas de partir d’une prémisse pour en déduire une proposition
nouvelle et différente, mais qui en résulte nécessairement. Aris-
tote pose qu’« il n’y pas d’autres moyens que ceux-là » [Rhéto-
rique, livre I, 2, 1356b] et, en même temps, avoue sa préférence
pour l’enthymème : « Sans doute on ne se laisse pas moins
convaincre aux discours réels qui procèdent par les exemples ;
mais on applaudit davantage les discours à enthymèmes »
[Rhétorique, livre I, 2, 1356b].
On notera cependant que, lorsqu’il décrit le genre épidic-
tique, le philosophe grec évoque ce qui pourrait apparaître
comme une troisième catégorie de raisonnement argumentatif,
l’amplification, « qui consiste à montrer une supériorité » : « En
général, entre les formes communes à tous les genres oratoires,
l’amplification est la mieux appropriée au genre épidictique ; car
il a pour matière des actions sur lesquelles tout le monde est
d’accord ; il ne reste donc plus qu’à leur attribuer importance
et beauté. Les exemples conviennent au genre délibératif ; car
c’est d’après le passé que nous augurons et préjugeons l’avenir.
Les enthymèmes s’approprient au genre judiciaire, c’est l’acte sur
lequel la lumière n’est pas faite, qui admet surtout la recherche
de la cause et la démonstration » [Rhétorique, livre I, 9, 1368a].
Cette forme est connue depuis longtemps si l’on croit les
reproches faits aux sophistes par Platon de rendre ce qui est petit
grand et ce qui est grand petit, procédés d’amplification et de
minoration dans le but de présenter une opinion sous un jour
convaincant.
26 HISTOIRE DES THÉORIES DE L’ARGUMENTATION

La place de la rhétorique dans le système de pensée d’Aristote

Quels sont les sujets qui, pour Aristote, relèvent de la rhéto-


rique ? Certainement pas tous. La rhétorique traite du discutable
et du vraisemblable. La rhétorique « ne prend pour sujets que des
questions qui sont déjà matière habituelle de délibération », ou
des « questions qui sont manifestement susceptibles de rece-
voir deux solutions opposées » [Rhétorique, livre I, 2, 1356a et b].
Ce qui relève de l’évidence ou de la démonstration scientifique
(Aristote parlera dans ce cas d’« analytique ») sort du champ des
sujets rhétoriques.
Un sujet sur la compréhension duquel la science propose
désormais un « principe premier » échappera donc de ce fait à
l’emprise de la rhétorique. Aristote ne dit toutefois pas claire-
ment si certains sujets, par nature en quelque sorte, échappe-
ront toujours à ce que soit établie sur eux une vérité. Il peut donc
laisser penser que le champ de la rhétorique pourrait se rétrécir
sous l’avancée des sciences et ne lui laisser plus qu’un simple rôle
de vulgarisation pour le commun des mortels. Autrement dit,
le vraisemblable, parfois défini comme une vérité simplement
probable, est-il la nature de certains sujets ou une position
d’attente que la vérité les ait, à son tour, investis ? On suivra
sur ce point l’interprétation d’Olivier Reboul qui réfute toute
présentation de la rhétorique d’Aristote comme pis-aller et la
renvoie au contraire aux « situations où la démonstration n’est
pas possible, ce qui lui impose de passer par des “notions
communes”, qui ne sont pas des opinions vulgaires, mais ce que
chacun peut trouver […] dans des domaines où rien ne serait
moins scientifique que d’exiger des réponses scientifiques »
[1991, p. 38].

Dialectique et rhétorique. — Aristote, dans sa classification


d’ensemble du savoir, fait voisiner la rhétorique avec une autre
discipline, la dialectique. Les deux domaines sont, dit-il,
« analogues » en ce qu’ils portent sur des questions communes à
tous les hommes et ne relèvent pas de la « science ». Aux trois
livres de sa Rhétorique correspond de ce point de vue le tome V de
l’Organon, intitulé Topiques, où il décrit ce qu’est la dialectique, à
savoir l’« instrument de la connaissance probable ». Il s’agit en
MONTÉE ET DÉCLIN DE L’ARGUMENTATION RHÉTORIQUE 27

quelque sorte d’une méthodologie de production des connais-


sances générales, en particulier de celles qui peuvent être utiles
dans les trois situations oratoires que nous avons décrites (judi-
ciaire, politique, épidictique). La rhétorique, quant à elle, ne
produit pas de connaissance comme la dialectique le fait. Elle est
une méthodologie pour convaincre.
La rhétorique s’insère donc, pour le philosophe grec, dans un
système plus global qui se divise en trois parties essentielles :
les sciences « théorétiques » (mathématiques, physique, théo-
logie), qui ont pour objet le savoir pour lui-même et qui sont
donc spéculatives, les sciences « pratiques » (éthique, économie,
politique) où l’on s’intéresse à l’activité des agents qui les
mettent en œuvre, les sciences dites « poétiques », dont fait
partie la rhétorique, et qui sont la connaissance des règles d’un
art donné, ici l’art d’argumenter. Avec Aristote, la rhétorique
est enfin passée du statut de technique empirique à celui
d’une technique formalisée, justiciable d’une théorie, tout en
étant toujours guidée par les nécessités de son application
pratique dans une société qui fait une large place à la « culture
du convaincre » parce qu’elle est, fondamentalement,
démocratique.

La rhétorique, culture commune du monde antique

Au sortir de cette période fondatrice, la rhétorique, comme


métalangage qui prend pour objet le discours, se diffracte large-
ment en une série de pratiques que Roland Barthes [1970] iden-
tifie sur plusieurs niveaux (voir tableau page suivante).
Ces cinq niveaux décrivent par contre assez bien les enjeux
multiformes de ce qui n’est pas qu’un simple savoir théorique.
La complexité épistémologique des théories argumentatives
tient aux jeux d’opposition qu’elles recouvrent : entre théorie
et pratique, entre science et technique, entre connaissance et
morale, entre création (au sein de la théorie comme au sein des
pratiques langagières) et reproduction (au sein des institutions
d’enseignement), entre pensée et langage.
C’est dans ce réseau d’oppositions que la rhétorique se déploie
à partir d’Aristote, dans les œuvres majeures de Cicéron, de
28 HISTOIRE DES THÉORIES DE L’ARGUMENTATION

Les définitions de la rhétorique selon Roland Barthes

Selon Barthes la rhétorique est :

Une technique : « ensemble de règles, de recettes dont la


mise en œuvre permet de convaincre l’audi-
teur du discours ».
Une discipline : objet d’un enseignement, dont elle
constitue, dans un premier temps, l’une des
matières centrales, jusqu’à sa disparition des
cursus officiels, au XIXe siècle.
Une « protoscience » : qui identifie, délimite et classe les effets de
langage.
Une morale : à la fois ensemble de règles normatives de
langage et corps de prescriptions morales.
Une pratique sociale : qui permet de s’assurer la « propriété de la
parole ».

l’auteur anonyme de l’Ad Herennium, de Quintilien et du Grec


Hermogène. Pour longtemps, les normes de la pensée et des
pratiques argumentatives se trouveront fixées à travers les quatre
manuels rédigés par ces auteurs entre le premier siècle avant et le
troisième siècle après J.-C. : le De oratore de Cicéron, l’Ad Heren-
nium d’un auteur anonyme (après avoir longtemps été attribué
à Cicéron), l’Institution oratoire de Quintilien et le cours de rhéto-
rique d’Hermogène, en partie disparu, considéré par Françoise
Desbordes comme la « dernière grande contribution à la théorie
rhétorique » [1996, p. 108].
Largement dépendante du déploiement d’une république
romaine qui attache une extraordinaire importance à la parole
et au débat public, la théorie argumentative emplit alors presque
complètement l’espace de la réflexion rhétorique, c’est-à-dire
l’art du langage en général. Elle est théorie vivante, plurielle,
tout entière accolée à la culture générale et à la culture politique
d’une époque qui place le discours pour convaincre au centre
de tout [Achard, 1994] et fait de l’orateur le véritable héros
moderne, dont le modèle restera Cicéron, à la fois avocat, tribun,
homme politique, exemple de vertu.
La théorie fournit un canon de composition du discours
persuasif dont la validité reste entière jusqu’à aujourd’hui. On
MONTÉE ET DÉCLIN DE L’ARGUMENTATION RHÉTORIQUE 29

Les normes antiques de la construction du discours rhétorique

Étapes de la mise Questions spécifiques Théories mises


en œuvre en œuvre
du discours
argumentatif

Invention Quelle est la thèse à Topiques (connaissance


défendre ? Sur quels lieux des lieux et des opinions
s’appuyer ? Quels argu- établies)
ments utiliser pour la Théorie du raisonne-
défendre au mieux ? ment :
• l’enthymème
• l’exemple

Disposition Comment disposer ses argu- Théorie du plan :


ments le long du plan ? • exorde
Quel est le meilleur ordre • exposé des faits
pour les arguments ? • discussion
• péroraison

Élocution Quelles sont les figures de Style


style les plus adaptées ? Éthos
Comment l’orateur se Pathos
présente-t-il ? Comment
tient-il compte du public ?

Mémorisation Comment l’orateur mobi- Méthode des lieux


lise-t-il sa mémoire ?
Comment entre-t-il en
rapport avec la mémoire de
l’auditoire ? Comment joue-
t-il de la mémoire
collective ?

Action Quels genres de discours ? Rôle du contexte dans la


Quels publics ? Quelles réception de l’argument
situations oratoires ? Les trois genres de dis-
cours :
• judiciaire (le juste et
l’injuste)
• délibératif (l’utile et le
nuisible)
• épidictique (le noble et
le vil)
30 HISTOIRE DES THÉORIES DE L’ARGUMENTATION

distinguait en effet classiquement cinq parties qui sont autant de


catégories prescriptives (comment construire concrètement un
discours et comment l’exposer) et de catégories d’analyse
(comment fonctionne un tel discours). Celles-ci sont figurées
dans le tableau suivant, qui reprend synthétiquement les diffé-
rentes théories qu’impliquent la construction de l’acte
argumentatif.
On remarquera que, dans une telle perspective, la théorie de
l’argumentation au sein de la rhétorique, comme l’a voulu Aris-
tote, se distingue nettement d’une théorie qui rendrait compte
des conditions de production des thèses à défendre. La rhéto-
rique n’est pas une méthode pour produire des idées ou des
opinions, mais pour les défendre et les argumenter. Dans ce sens,
la rhétorique est une théorie de la mise en forme de l’opinion à
destination d’un auditoire. Elle se distingue ainsi radicalement
de la dialectique platonicienne, qui a pour but la recherche de la
vérité et de la sagesse. Cette séparation de la pensée et de son
expression est certes jugée préjudiciable par les auteurs clas-
siques (par exemple, Cicéron), mais en même temps elle pose les
conditions d’un dialogue qui reste malgré tout fructueux entre la
philosophie et la rhétorique. Le rhéteur doit être en même temps
philosophe, pour éviter de devenir un pur technicien, guetté en
permanence par l’immoralité.

Le déclin de l’argumentation

L’importance de la théorie argumentative va décroître au sein


de la rhétorique au fur et à mesure, paradoxalement, que celle-ci
va voir son rôle s’accroître et devenir finalement le contenu de
tout enseignement. Lorsque la rhétorique, au XIXe siècle, verra
son influence décroître à son tour pour finir par être exclue des
programmes scolaires, sa disparition entraînera avec elle, pour
un temps, la disparition de toute théorie de l’argumentation.
Le mouvement de ce déclin de l’argumentatif est double. Il est
d’abord interne : au sein de la rhétorique, les deux phases que
sont la disposition et l’élocution vont progressivement prendre
une place croissante au sein d’un domaine nouveau — l’expres-
sion littéraire. Il est ensuite externe : l’argumentation va se voir
MONTÉE ET DÉCLIN DE L’ARGUMENTATION RHÉTORIQUE 31

substituer la démonstration rationnelle, notamment à partir de


Descartes, privant ainsi la rhétorique de toute cette partie essen-
tielle qu’est la théorie de l’invention.
En fait, dès l’avènement de l’Empire romain, la recherche des
figures de style et l’ornement du discours feront passer au second
plan la dimension argumentative, jusque-là essentielle. La rhéto-
rique devient théorie littéraire en même temps que lieu d’émer-
gence de la littérature. Le phénomène a été observé, en quelque
sorte en direct, par Tacite en 81 après J.-C., lorsqu’il constate
qu’« une longue tranquillité dans les événements, les loisirs
continuels du peuple, la constante tranquillité du Sénat, surtout
le gouvernement d’un Prince avaient pacifié l’éloquence aussi,
comme tout le reste » [1985, p. 69]. On assiste alors, comme le
remarque Barthes, à une « fusion », au début de notre ère, de la
rhétorique et de la poétique (qu’Aristote avait bien séparées).
Cette fusion, dit-il, « est capitale, car elle est à l’origine de l’idée
même de littérature » [1970, p. 179]. Certes, mais, en même
temps, elle se fait au détriment de la partie argumentative de la
rhétorique.
Cette fusion est en partie liée au fait que la rhétorique, tout
en restant en élément essentiel de la formation, se réduit à n’être
plus qu’exercice d’école. On ne cherche plus, pratiquement
depuis Cicéron et la fin de la République, à y convaincre des
auditoires qui exercent leur droit de décision. La souveraineté
des auditoires a été transférée à l’empereur. Comme le remarque
Françoise Desbordes, en pointant là une évolution essentielle de
la théorie argumentative au sein de la rhétorique, « à quoi pense
Quintilien par exemple, si plein de son orateur idéal subjuguant
les foules, alors qu’il écrit sous Domitien qui, entre autres, a fait
exécuter un rhéteur pour un discours d’école contre les tyrans ? »
[1996, p. 44.] Aussi s’intéresse-t-on désormais à l’esthétique du
discours davantage qu’à son caractère concrètement convain-
cant. Il faudra attendre le XIIe siècle, par exemple, pour que l’on
redécouvre, dans les prolégomènes de la Renaissance, la rhéto-
rique d’Aristote [Dahan et Rosier-Catach, 1998].
Au Moyen Âge, l’organisation des connaissances se fait le long
de deux branches bien distinctes : le trivium (grammaire, rhéto-
rique, logique), en opposition aux « sciences exactes » du quadri-
vium (musique, arithmétique, géométrie, astronomie). Le
32 HISTOIRE DES THÉORIES DE L’ARGUMENTATION

trivium, dominé par la rhétorique, passe rapidement sous le


règne de la logique. Des cinq parties constitutives de la rhéto-
rique, la mémoire et l’action déclinent avec, d’une part, les
progrès de l’écrit et, d’autre part, la continuation du déclin de
l’oratoire. L’invention décline sous les coups d’une logique de
plus en plus formelle. Certes, comme le met en évidence Fuma-
roli, la dimension argumentative émergera à nouveau au sein
d’un retour plus vaste de la rhétorique à la Renaissance, puisque
les humanistes, après avoir redécouvert la rhétorique d’Aris-
tote, restaurent Quintilien et établissent la rhétorique cicéro-
nienne comme discipline littéraire de formation de l’honnête
homme européen, pédagogie que les jésuites ont répandue en
Europe et en Amérique latine. C’est l’« âge de l’éloquence », qui
« rassemble donc les énergies de la rhétorique antique retrouvée
par la Renaissance italienne, les énergies de la rhétorique des
Pères retrouvées par la Réforme catholique, et le fonds médiéval
de spiritualité monastique maintenant “démocratisé” auprès des
laïcs » [1994, p. XVI].
Mais l’embellie n’est que de courte durée et la rhétorique se
recentre rapidement sur l’elocutio, conçue comme ornementa-
tion, « mise en tropes » du discours littéraire. Les manuels de
rhétorique de la période classique s’éloignent considérablement
de l’univers argumentatif, comme la Rhétorique du père Bernard
Lamy (1675) et les ouvrages de Dumarsais (1730) et de Fonta-
nier (1821, 1827), pour se consacrer aux tropes et aux figures
de style. L’art de dire l’emporte sur l’art de convaincre. Au
XIXe siècle, l’histoire littéraire et l’enseignement des sciences se
partagent les dépouilles d’une rhétorique plusieurs fois vidée de
son sens premier.
Il n’y aura plus, dès lors, ni au lycée ni à l’université, d’ensei-
gnement ayant pour objet la théorie, encore moins la pratique
de l’argumentation. La classe de rhétorique disparaît de l’organi-
sation scolaire en France en 1902, en même temps que les
programmes sont purgés de toute référence à la rhétorique. Au
Québec, la classe de rhétorique est abolie en même temps que
le cours classique en 1968. Cependant, des cours de speech
communication et aujourd’hui de critical thinking n’ont jamais
cessé d’être donnés aux États-Unis.
MONTÉE ET DÉCLIN DE L’ARGUMENTATION RHÉTORIQUE 33

Le domaine, clairement déconsidéré, reste en friche tout au


long du XX e siècle. Le renouveau viendra, dans les années
cinquante, de ce que Chaïm Perelman appellera la « nouvelle
rhétorique », parallèlement aux courants de recherche anglo-
saxons, et notamment de Toulmin.
II / La renaissance : Perelman et Toulmin

Coïncidence sûrement fortuite mais néanmoins assez remar-


quable : les deux ouvrages fondateurs du renouveau contempo-
rain d’intérêt théorique à l’égard de l’argumentation, le Traité
de l’argumentation : la nouvelle rhétorique, de Chaïm Perelman et
Lucie Olbrechts-Tyteca, et The Uses of Argument, de Stephen
Toulmin, sont publiés la même année, en 1958.
Les théories de l’argumentation de Perelman et Toulmin ont
certes d’autres traits communs importants, dont celui de se déve-
lopper en référence au droit, mais leurs différences et même leurs
divergences sont plus frappantes. Pour une part importante,
Perelman et Toulmin sont aux antipodes quant à leur concep-
tion fondamentale de l’argumentation. Alors que Perelman
développe sa théorie rhétorique contre le rationalisme
(Descartes) en cherchant à valoriser le vraisemblable par rapport
au nécessaire et à dégager l’importance des opinions par compa-
raison aux faits, la théorie de l’argumentation de Toulmin
s’inscrit dans une opposition à un certain logicisme (d’Aristote à
Carnap) et dans une volonté de réforme de la logique dans le
but de la rendre plus applicable aux situations quotidiennes de
discussion rationnelle. Un argument, pour Perelman, relève
d’une rationalité distincte de la démonstration mathématique ;
pour Toulmin, c’est plutôt une forme de raisonnement plus
générale et complexe que le syllogisme.
LA RENAISSANCE : PERELMAN ET TOULMIN 35

La nouvelle rhétorique de Perelman

Le renouveau de l’intérêt actuel pour la rhétorique doit beau-


coup aux travaux du philosophe et juriste belge, professeur à
l’université de Bruxelles, Chaïm Perelman (1912-1984), qui
publie, en 1958 puis en 1970, en collaboration avec Lucie
Olbrechts-Tyteca, un Traité de l’argumentation qui connaîtra
plusieurs éditions et de nombreuses traductions. La « nouvelle
rhétorique » (sous-titre de son ouvrage) renoue, en l’actualisant,
avec la tradition rhétorique aristotélicienne. La nouvelle rhéto-
rique s’inscrit dans une rupture avec la logique démonstrative et
l’évidence cartésiennes, pour ouvrir l’espace d’une logique argu-
mentative non formelle. Perelman définit ainsi l’argumenta-
tion comme l’étude des « techniques discursives permettant de
provoquer ou d’accroître l’adhésion des esprits aux thèses qu’on
présente à leur assentiment ». Ses travaux ont influencé de
nombreuses recherches actuelles dans le champ de l’argumenta-
tion, dont il incarne une tendance majeure. Certains [Lempe-
reur, 1990] parlent à cette occasion de l’« école de Bruxelles ».

Les fondements de la nouvelle rhétorique

Parti à la recherche d’une « logique » des valeurs, Perelman


rencontre sur son chemin l’ancienne rhétorique, celle d’Aris-
tote et des rhéteurs de l’Antiquité, qu’il oppose à la rhétorique
classique, celle qui se développe au XVIIe siècle et qui se réduit,
selon lui, à une rhétorique des figures de style, du plaire et de
l’émouvoir. Perelman situera le projet des chercheurs réunis
autour de Roland Barthes et de Gérard Genette, celui d’une
rhétorique générale, dans la continuité de cette rhétorique clas-
sique plutôt que dans celle de la rhétorique ancienne. L’une
s’intéresse au style et à l’esthétique du discours, l’autre à sa fonc-
tion persuasive.
La nouvelle rhétorique se construit donc dans une différence
avec toute rhétorique non argumentative, mais également avec
la tradition cartésienne, qui n’admet comme rationalité que celle
de la démonstration logique. Perelman reprend ainsi à sa
manière la tentative inaugurée par Aristote, qui cherchait à
définir les règles de construction du savoir commun. Il prendra
36 HISTOIRE DES THÉORIES DE L’ARGUMENTATION

appui pour cela sur la rhétorique dont il renouvellera la typo-


logie des arguments.

L’inscription dans la théorie aristotélicienne. — Perelman


s’inscrit d’emblée et pleinement dans l’héritage aristotélicien. Le
point de départ de la nouvelle rhétorique, comme de l’ancienne,
est bien la distinction qu’opère Aristote entre raisonnement
analytique et raisonnement dialectique. Le premier est en
rapport avec la « vérité » et la logique, le second part de
prémisses constituées par des « opinions généralement
acceptées » et simplement vraisemblables, dans le but d’en
déduire ou de faire admettre d’autres thèses. C’est bien cette
dialectique-là que Perelman entend prolonger et renouveler, en
cherchant, comme Aristote l’avait fait, des règles équivalentes,
dans ce domaine, aux règles qui valent pour le raisonnement
analytique. À la différence d’Aristote, peut-être, Perelman
souhaitera donner à la rationalité argumentative un statut épis-
témologique plein et entier, loin d’être simplement, et de façon
erronée, une rationalité transitoire en attente de science.
La nouvelle rhétorique, pour Perelman, s’adresse à toute
espèce d’auditoire et concerne même le cas particulier où l’on
délibère avec soi-même. L’argumentation n’est jamais aussi
rigoureuse, selon lui, que quand elle s’adresse à un « auditoire
universel ». Son objet est l’« étude du discours non démons-
tratif » et couvre ainsi tout le champ du « discours visant à
convaincre ou à persuader ». Cette rhétorique peut être
complétée par des « méthodologies spécialisées selon le type
d’auditoire et le type de discipline ». Perelman pense ainsi à
l’argumentation juridique ou à l’argumentation philosophique
« qui ne seraient que des applications particulières de la nouvelle
rhétorique au droit et à la philosophie » [1988, p. 19].
Rien d’étonnant, dans cette perspective, qu’il ne s’intéresse
qu’à la partie de la rhétorique ancienne qui concerne la théorie
de l’inventio et qu’il rejette d’un trait de plume (il ne s’en débar-
rassera pas si facilement dans le corps même de sa recherche)
tout ce qui concerne l’elocutio, et encore plus l’actio et la
memoria. Et, lorsqu’il s’intéresse à la dispositio, c’est unique-
ment à la valeur argumentative de l’ordre de présentation des
arguments eux-mêmes. Dans ce sens, il rattache la disposition, la
LA RENAISSANCE : PERELMAN ET TOULMIN 37

question du plan, à la théorie de l’invention. Sa préoccupa-


tion, nous rappelle-t-il, est bien plus « celle d’un logicien dési-
reux de comprendre le mécanisme de la pensée que d’un maître
d’éloquence soucieux de former des praticiens ».
Malgré cette vision à la fois restrictive sur le plan de la rhéto-
rique et ambitieuse sur le plan de la dialectique, sa théorie de
l’argumentation inscrit clairement cette problématique dans une
perspective communicationnelle, celle-là même qui était la
préoccupation centrale des anciens rhéteurs, qui ne déta-
chaient jamais la question de la formation des idées de celle de
leur circulation. Car, comme nous le rappelle Perelman, « le but
d’une argumentation n’est pas de déduire les conséquences de
certaines prémisses, mais de provoquer et d’accroître l’adhésion
d’un auditoire aux thèses qu’on présente à son assentiment »
[1988, p. 23].

La rupture avec Descartes. — Les premières lignes du Traité de


l’argumentation mettent en scène la rupture que Perelman entend
consommer avec « une conception de la raison et du raisonne-
ment issue de Descartes », qui, « faisant de l’évidence la marque
de la raison, n’a voulu considérer comme rationnelles que les
démonstrations qui, à partir d’idées claires et distinctes, propa-
geaient […] l’évidence des axiomes à tous les théorèmes » [1970,
p. 2].
Perelman refuse dès lors la fausse alternative qui renvoie le
calculable à la raison démonstrative et le non-calculable, c’est-
à-dire tout ce qui relève du champ des valeurs et du vraisem-
blable, « aux forces irrationnelles, à nos instincts, à la suggestion
ou à la violence ». Pour cela, il ouvre, ou rouvre, un paradigme,
à partir du principe simple et radical selon lequel « c’est à l’idée
d’évidence, comme caractérisant la raison, qu’il faut s’attaquer
si l’on veut faire une place à une théorie de l’argumentation qui
admette l’usage de la raison pour diriger notre action et pour
influer sur celle des autres » [1970, p. 4]. L’ambition de
Perelman, comme de tous ceux qui le suivront dans cette voie,
et notamment, à Bruxelles, Michel Meyer, sera de dégager et de
construire les principes d’une rationalité des affaires humaines
qui se tient à distance aussi bien de l’évidence démonstrative,
38 HISTOIRE DES THÉORIES DE L’ARGUMENTATION

qui leur est peu appropriée, que de l’irrationalité du recours aux


passions.

La question de l’accord préalable

Perelman est donc confronté en permanence, sans donner


toujours l’impression de le souhaiter, à la question de l’auditoire,
à la fois comme source de l’opinion et comme son destinataire,
au sein de ce cercle vertueux qu’ouvre la rhétorique en ne cher-
chant plus dans un au-delà de la réalité sensible (qui sera le plus
souvent une intériorité comme, par exemple, celle de l’âme chez
Platon) le fondement des Idées, mais en réhabilitant le rôle de
la communication dans la production des connaissances et de
l’opinion.

La question de la réception de l’argument. — Perelman va poser


la question de l’auditoire à deux niveaux. Le premier est celui
d’une possibilité même de l’acte argumentatif : « Pour qu’il y ait
argumentation, nous dit-il avec force, il faut que, à un moment
donné, une communauté effective des esprits se réalise. Il faut
que l’on soit d’accord, tout d’abord et en principe, sur la forma-
tion de cette communauté intellectuelle et, ensuite, sur le fait
de débattre ensemble une question déterminée : or, cela ne va
nullement de soi » [1970, p. 18]. Puis il situe la question de
l’auditoire à un autre niveau, celui de sa « construction par
l’orateur ». Il rejoint là une des questions centrales de la rhéto-
rique ancienne qui pourrait faire, de la sorte, jonction avec
certaines problématiques des théories actuelles de la réception
qui font florès dans les milieux des sciences de la
communication.
Son souci est simple et fondamental : « La connaissance de
ceux que l’on se propose de gagner est une condition préalable
de toute argumentation efficace » [1970, p. 26]. En d’autres
termes, l’émetteur doit anticiper la réception de son message
persuasif et l’intégrer à sa conception même. Position déjà
découverte par Aristote, qui soutenait que l’on n’argumente qu’à
partir d’opinions préétablies.
Perelman se situe donc au sein du cadre théorique de l’inven-
tion, mais en y intégrant de façon radicale la question de la
LA RENAISSANCE : PERELMAN ET TOULMIN 39

réception de l’opinion. Il va déduire de cette présence de la


réception en amont de l’acte argumentatif que « la culture
propre de chaque auditoire transparaît à travers les discours qui
lui sont destinés, de manière telle que c’est dans une large
mesure de ces discours eux-mêmes que nous nous croyons auto-
risé à tirer quelque information au sujet des civilisations
révolues » [1970, p. 26] et, pourrait-on dire, également des
nôtres.
Perelman ira cependant un peu plus loin dans sa réflexion sur
la réception de l’argument puisqu’il soutiendra qu’« on ne
saurait décider, d’avance, si une structure déterminée doit être
considérée ou non comme figure, ni si elle jouera le rôle de
figure argumentative ou de figure de style ; tout au plus peut-on
déceler un nombre de structures aptes à devenir figure […] c’est
le mouvement du discours, l’adhésion de l’auditeur à la forme
d’argumentation qu’elle favorise qui détermineront le genre de
discours auquel on a affaire » [1970, p. 229]. Cette position est
plus radicale qu’il y paraît car elle s’oppose à ce que l’on accorde
trop d’importance à une typologie a priori des arguments, ce que
Perelman pourtant fera, mais, du coup, en leur conférant une
dynamique, une vie qu’aucune autre typologie jusque-là ne leur
avait conférées.

La théorie de l’argument chez Perelman. — Après avoir défini


l’argumentation comme l’ensemble des « techniques discursives
permettant de provoquer ou d’accroître l’adhésion des esprits
aux thèses que l’on présente à leur assentiment » [1970, p. 5],
Perelman va proposer une série de définitions de ce qu’est un
argument, point essentiel de toute théorie dans ce domaine.
L’argument est pour lui une figure du discours, « dont la forme
est discernable par une structure particulière […] une figure est
argumentative si son emploi, entraînant un changement de pers-
pective, paraît normal par rapport à la nouvelle situation ainsi
suggérée. Par contre, si la figure n’entraîne pas l’adhésion de
l’auditeur, la figure sera perçue comme ornement, comme figure
de style » [1988, p. 53]. On voit que, pour Perelman, il y a une
distinction essentielle entre la mise en forme particulière qui sert
à convaincre et celle qui sert à orner le discours : « Si elles ne
sont pas intégrées dans une rhétorique conçue comme l’Art de
40 HISTOIRE DES THÉORIES DE L’ARGUMENTATION

persuader et de convaincre, elles cessent d’être des figures de


rhétorique et deviennent des ornements concernant seulement
la forme du discours » [1988, p. 53].
Argumenter, c’est bien mettre en forme, présenter une thèse
ou une opinion d’une certaine façon. Perelman nous propose
donc une distinction entre la forme et le fond. Mais, nous dit-il
curieusement, dans un passage du Traité de l’argumentation,
« c’est quand cette distinction, perçue au premier abord, s’abolit
grâce à l’effet même du discours que les figures prennent toute
leur signification argumentative » [1970, p. 228]. Il suppose, sans
développer ce point pourtant peut-être crucial, que la récep-
tion d’un argument se fait en deux temps, d’abord une percep-
tion claire que l’énoncé reçu est bien un argument, figure qui
est un écart particulier de la langue, ensuite une disparition de
cette perception initiale de la distinction fond/forme. Perelman
décrit ici un phénomène systématique et ordinaire qui nous fait
toujours confondre, dans un même énoncé, la thèse qu’il
présente et la preuve qu’il déploie. L’usage courant du terme
« argument » désigne presque toujours un contenu donné, en
même temps que la mise en forme dont il est l’objet. Cette
confusion, l’analyse rhétorique doit la dénouer pour tenter de
retrouver, derrière le contenu circonstanciel d’un énoncé destiné
à convaincre, la structure qui se rend invisible dans son mouve-
ment même.
La nouvelle rhétorique est essentiellement articulée autour
d’une analyse des « techniques argumentatives ». Celles-ci se
déploient sur deux axes majeurs : d’une part, celui du discours
lui-même et notamment des structures argumentatives qui y
sont mises en œuvre ; d’autre part, celui de l’effet de ce discours
sur l’auditoire, en rapport avec l’intention de son auteur. Dans
le premier cas, on étudie les arguments et leur typologie ; dans
l’autre, la situation de communication qui constitue l’acte
d’argumenter. Perelman met clairement en garde contre le
« danger » qu’il y a pour l’analyse à isoler un « chaînon de l’argu-
mentation, en dehors du contexte et indépendamment de la
situation dans laquelle il s’insère » [1970, p. 251].
À partir de là, l’auteur va distinguer quatre grandes tech-
niques argumentatives. La première, conformément à la tradi-
tion de l’enthymème chez Aristote, est celle des arguments dits
LA RENAISSANCE : PERELMAN ET TOULMIN 41

« quasi logiques » qui sont, comme leur nom l’indique,


construits sur le modèle du raisonnement logique ou mathéma-
tique. Les deux suivantes sont des « techniques de liaison » qui
rapprochent des éléments distincts, soit que la liaison existe déjà
dans le réel, soit qu’elle soit créée de toutes pièces pour l’occa-
sion, comme dans l’analogie. La quatrième relève des « tech-
niques de dissociation » qui séparent et désolidarisent des
éléments considérés initialement comme faisant partie d’un
tout. On examinera ici successivement ces quatre techniques
argumentatives.

Liaison Dissociation

Arguments Arguments basés Liaisons Dissociation


quasi logiques sur la structure qui fondent la des notions
du réel structure du réel

Incompatibilité Liaisons de Exemple Dissociation


Identité succession Modèle
Définition Liaisons de Analogie
Règle de justice coexistence Illustration
Transitivité Métaphore
Comparaison

Les arguments quasi logiques

L’exemple le plus pur que Perelman donne de l’argument


quasi logique est le fameux « Les amis de mes amis sont mes
amis ». Cet argument est solidement apparenté avec la transiti-
vité, qui veut que si A implique B et que B implique C, alors A
implique C. Des quatre familles d’arguments, celui-ci est le plus
proche de la démonstration et du raisonnement formel, mais il
s’en distingue pourtant radicalement par le fait qu’il n’est pas
« contraignant » là où le raisonnement logique l’est absolu-
ment « car il résulte d’un processus de simplification qui n’est
possible que dans des conditions particulières, à l’intérieur de
systèmes isolés et circonscrits » [1970, p. 260]. Il est toujours
possible de transformer une argumentation en démonstration,
mais dans ce cas, ajoute l’auteur, « il faudra préciser les termes
utilisés, éliminer toute ambiguïté, enlever au raisonnement
toute possibilité d’interprétations multiples » [1988, p. 69]. Cet
42 HISTOIRE DES THÉORIES DE L’ARGUMENTATION

apparentement de l’argumentation et de la démonstration, cette


dernière étant un raisonnement incontesté, est ce qui donne à
l’argument quasi logique sa puissance persuasive. C’est aussi son
point de faiblesse puisqu’on peut contester, justement, être dans
l’ordre d’une démonstration. Ainsi, tous les amis de mes amis ne
sont pas forcément et inéluctablement les miens.
Perelman note également que « dans l’Antiquité, quand la
pensée scientifique d’allure mathématique était moins déve-
loppée, le recours à des arguments quasi logiques était plus
fréquent » [1988, p. 69]. De fait, Aristote leur accorde, sous la
forme de l’enthymème, une place privilégiée. Il n’en reste pas
moins qu’ils sont toujours utilisés et que l’on rencontre certains
d’entre eux assez fréquemment. Pour les reconnaître et les
analyser, l’auteur de la « nouvelle rhétorique » conseille de
rechercher la correspondance qu’ils entretiennent avec leur équi-
valent logique.

Contradiction et incompatibilité. — Le principe de non-contra-


diction, indispensable à toute construction logique, trouve sa
traduction, dans la langue naturelle, dont nous nous servons
pour argumenter, dans le principe d’« incompatibilité ». Ainsi le
Traité de l’argumentation cite-t-il l’exemple de Locke qui s’en
prend aux inquisiteurs : « Il sera très difficile de faire admettre à
des hommes de bon sens que celui qui, l’œil sec et l’esprit satis-
fait, livre son frère aux exécuteurs pour être brûlé vif est sincè-
rement et de tout cœur préoccupé de sauver ce frère des flammes
de l’enfer dans le monde de l’au-delà » (cité par Perelman [1970,
p. 273]). L’incompatibilité est ici manifeste et elle reste, au sens
fort, discutable.

Identité et définition. — La définition constitue, pour Perelman,


un argument car, « dans la mesure où elle oriente le raisonne-
ment, elle doit être justifiée ». Au sein d’un système formel,
celle-ci relève du principe d’identité, entre le défini et le définis-
sant. En argumentation, la définition peut être soit « norma-
tive », soit « descriptive » (soit un mélange des deux). L’usage
argumentatif des définitions suppose la possibilité de définitions
multiples entre lesquelles il est possible de faire un choix.
LA RENAISSANCE : PERELMAN ET TOULMIN 43

La règle de justice et de réciprocité. — La logique formelle fait


une large place au principe de symétrie. Sa traduction dans le
champ argumentatif renvoie à la règle selon laquelle « les êtres
d’une même catégorie essentielle doivent être traités de la même
façon » [1988, p. 81]. Ainsi, selon un exemple tiré d’Olbrechts-
Tyteca, cette remarque d’un clochard qui n’arrive pas à
comprendre « comment la mendicité peut être un délit dans une
société où la charité est une vertu » [1988, p. 83], ou encore la
formule de Quintilien : « Ce qu’il est honorable d’apprendre, il
est honorable aussi de l’enseigner » [1980, vol. V, chap. X, § 78].
La règle de justice et de réciprocité n’a évidemment pas le même
caractère contraignant que le principe formel de symétrie, mais
on voit bien, à cette occasion, qu’elle tire sa force de conviction
de ce principe même.

La transitivité, l’inclusion. — Les propriétés formelles de la transi-


tivité et de l’inclusion sont transférables dans le champ de l’argu-
mentation. « Les amis de mes amis sont mes amis » peut ainsi se
combiner selon un principe quasi formel : « les ennemis de mes
amis sont mes ennemis », « les ennemis de mes ennemis sont
mes amis », etc., jusqu’à ce que les exceptions issues du contexte
se chargent de rappeler le caractère non contraignant de la
formule.

La comparaison. — La comparaison, nous dit Perelman,


« constitue un argument quasi logique quand elle ne donne pas
lieu à une pesée ou à une mesure effective » mais lorsque son
effet persuasif est constitué « par l’idée sous-jacente que l’on
pourrait à la rigueur étayer son jugement par une opération de
contrôle ». Il s’agit donc bien d’une stricte comparaison, terme
à terme, et non d’un début d’analogie ou d’un simple exemple.
Ainsi, Cicéron affirme : « Le crime est le même ou de voler l’État
ou de faire des largesses contraires à l’ordre public » [1922,
livre II, § 172]. La comparaison, dans ce cas, se rapproche d’une
recherche d’identité, bien caractéristique de l’argument quasi
logique.
44 HISTOIRE DES THÉORIES DE L’ARGUMENTATION

Les arguments basés sur la structure du réel

Là où l’argument quasi logique suppose une certaine rationa-


lité (une « quasi-rationalité »), l’argument que Perelman appelle
« basé sur la structure du réel » implique une solidarité entre des
éléments du réel, sur laquelle on va s’appuyer pour argu-
menter. Son emploi consiste donc à mettre en évidence une
liaison entre la cause que l’on veut défendre et un élément déjà
admis par l’auditoire. Cette liaison doit être déjà donnée et ne
pas être créée pour l’occasion, comme ce sera le cas dans
l’analogie (dans ce cas, Perelman parlera des arguments « qui
fondent la structure du réel »).
L’auteur donne l’exemple de Bossuet voulant convaincre son
auditoire de l’importance de la parole des prédicateurs. Il va
donc mettre en évidence le lien qui existe entre cette parole,
tenue en chaire, et la communion, donnée à l’autel. L’argu-
ment consiste ici à transférer, tout au long du lien ainsi dégagé,
l’accord sur l’importance de l’autel et à le transformer en accord
sur l’importance de la chaire : « Le temple de Dieu, chrétiens, a
deux places augustes et vénérables, je veux dire l’autel et la
chaire […] il y a une très étroite alliance entre ces deux places
sacrées […] c’est à cause de ce rapport admirable entre l’autel
et la chaire que quelques docteurs anciens n’ont pas craint de
prêcher aux fidèles qu’ils doivent approcher de l’un et de l’autre
avec une vénération semblable » (cité par Perelman [1970,
p. 351]).
Perelman distingue deux grandes catégories d’arguments basés
sur la structure du réel, selon qu’ils s’appuient sur une liaison de
succession, comme le rapport de cause à effet, ou sur une liaison
de coexistence, comme l’argument d’autorité.

Les liaisons de succession. — L’usage du lien causal permet de


construire un argument qui s’appuie typiquement sur une soli-
darité dans la structure du réel. On peut soutenir que « ce service
de renseignement est bon » du fait que « l’armée dont il fait
partie gagne toutes les batailles ». Il y a bien, dans ce cas, un
rapport de cause à effet, très largement vraisemblable, mais
évidemment toujours discutable : l’armée peut gagner ses
LA RENAISSANCE : PERELMAN ET TOULMIN 45

batailles pour beaucoup d’autres raisons (et même parfois en


dépit de son service de renseignement).
D’autres successions sont mobilisables pour l’argumentation,
par exemple le rapport entre les moyens et les finalités (dans
ce cas, la valeur d’un élément dépend de la fin dont il est le
moyen). L’argument dit « du gaspillage » s’appuie sur une liaison
reconnue : « Il faut poursuivre la guerre pour que tous les morts
ne soient pas tombés en vain » ; l’argument dit « de direction »
(plus communément « de la pente savonneuse ») veut que l’on
s’oppose à l’augmentation des greffiers qui pourrait conduire à la
demande d’augmentation de tous les autres fonctionnaires.
Un argument de succession retient particulièrement l’atten-
tion de Perelman, l’argument pragmatique, qui lie la valeur
d’une cause à celle de ses conséquences : « Cette politique est
bonne car ses conséquences attendues sont bonnes. » Il s’agit
alors, comme le dit l’auteur du Traité de l’argumentation, de
« passer d’une valeur inhérente aux fruits à une valeur inhérente
à l’arbre » [1970, p. 360]. Un tel argument reste toujours dans
le domaine du discutable puisqu’il ne fonctionne qu’en « dimi-
nuant l’importance des causes complémentaires » [1970, p. 362],
qui pourraient, elles, jouer un rôle sur le caractère positif des
conséquences. Ainsi, que le franc soit fort dépend peut-être
d’autres facteurs que la politique monétaire du gouvernement,
qui ne pourrait donc tirer sa valeur entièrement de cette
« conséquence ».
L’argument pragmatique, tout à fait légitime en argumenta-
tion, a tendance à devenir central dans un système de pensée
utilitariste, aussi Perelman note qu’il est « critiqué par les tenants
d’une conception absolutiste ou formaliste des valeurs, et spécia-
lement de la morale » [1970, p. 362]. La valeur d’une politique
tient aussi à sa conformité, au sein d’une autre liaison de succes-
sion, avec certaines valeurs essentielles.

Les liaisons de coexistence. — Là où les liaisons de succession


concernent des réalités de même nature, se situant en quelque
sorte au même niveau, les liaisons de succession impliquent un
lien entre « des réalités d’un niveau inégal […] tel le rapport
entre une personne et ses actions, ses jugements ou ses œuvres »
[1988, p. 103].
46 HISTOIRE DES THÉORIES DE L’ARGUMENTATION

L’argument d’autorité constitue le prototype de la liaison de


coexistence, puisqu’une opinion va se voir attribuer de la valeur
parce qu’une autorité, admise comme telle par l’auditoire, la
soutient. L’argument d’autorité, largement utilisé, a longtemps
été dans le passé la cible de critiques, notamment par des scien-
tifiques. Perelman règle la question en affirmant, dans la droite
ligne de sa conception de la rhétorique, qu’« il va de soi
qu’aucune autorité ne peut prévaloir contre une vérité démon-
trable […] mais il n’en est pas de même quand il s’agit
d’opinions ou de jugements de valeur » [1988, p. 108], qui sont
la matière même de l’argumentation. Les fondements de l’auto-
rité sont divers. Ils peuvent relever de la compétence, mais aussi
de la tradition ou de l’universalité. L’important reste que l’auto-
rité en soit effectivement une pour l’auditoire.
D’autres arguments peuvent relever de la liaison de coexis-
tence, comme par exemple l’argument a fortiori : « Dieu, ayant
pris soin des passereaux, dit Leibniz, ne négligera pas les créa-
tures raisonnables qui lui sont infiniment plus chères » (cité par
Perelman [1988, p. 115]).
Dans les deux cas, liaison de succession comme liaison de
coexistence, l’important reste, « pour pouvoir passer de ce qui est
admis à ce que l’on veut faire admettre », de s’assurer que l’audi-
toire, effectivement, admet ce qui va servir de point d’appui à
l’argumentation.

Les liaisons qui fondent la structure du réel

Perelman analyse ensuite une catégorie d’arguments où sont


inventées et mises en langage les liaisons « qui fondent la struc-
ture du réel », comme l’exemple ou l’analogie. Nous sommes là
dans un cas de figure où l’argumentation va proposer un lien
entre des éléments du réel qui ne se donnent pas immédiate-
ment comme ayant un rapport entre eux, ce qui signifie que
ce lien n’est pas donné d’avance et que c’est à l’orateur de
prendre le risque d’inventer et de proposer une liaison perti-
nente. C’est aussi lui qui assume l’échec d’une telle liaison
lorsque sa pertinence n’est pas avérée, c’est-à-dire qu’elle n’est
pas convaincante, ou que l’auditoire empêche qu’elle s’établisse.
Conformément à l’insistance de Perelman sur la notion
LA RENAISSANCE : PERELMAN ET TOULMIN 47

d’« accord préalable », la liaison établit un pont entre des


éléments admis par l’auditoire et l’opinion proposée. Pour ce
faire, elle rebâtit des pans entiers du réel, faisant apparaître des
relations là où l’on n’en voyait pas forcément. C’est dans ce sens
qu’elles sont désignées comme « fondant la structure du réel »,
quand les précédentes catégories d’arguments s’appuient sur un
réel d’emblée reconnu comme tel. Là aussi, on pourra inter-
préter la vision que Perelman propose de l’argumentation aussi
bien comme un acte visant à convaincre que comme un acte
visant à produire des connaissances sur le réel, connaissances
qui, dans le cas de l’analogie ou de la métaphore, peuvent être
très inattendues.
Perelman va distinguer deux types de liaisons qui fondent la
structure du réel : d’une part, l’appel au « cas particulier »
(l’exemple, l’illustration, le modèle) et, d’autre part, le « raison-
nement par analogie » (analogie et métaphore). Il va décrire de
façon nette, en les distinguant les unes par rapport aux autres,
ces cinq figures argumentatives.

L’exemple. — L’argumentation par l’exemple est bien connue.


Perelman insiste toutefois sur le fait que l’exemple invoqué à
l’appui d’une thèse devra impérativement « jouir [pour l’audi-
toire] du statut de fait, au moins provisoirement » [1970, p. 475],
ce qui signifie que si l’exemple invoqué n’entre pas dans le jeu
de l’accord préalable, la technique argumentative risque ici
d’être sans effet. L’argument par l’exemple ne peut en outre
prétendre à un effet quelconque que s’il s’appuie sur un refus,
préalable lui aussi, « de considérer ce qui est évoqué comme
étant unique » [1988, p. 119]. Il implique que l’auditoire renonce
à une vision du monde où chaque élément serait unique et où
aucun d’entre eux ne pourrait être mis en relation avec un autre.
Pour Perelman, comme pour Aristote d’ailleurs, l’argument
par l’exemple est bien un raisonnement et, plus précisément, un
raisonnement par induction (Aristote disait : « L’exemple est
pareil à une induction et l’induction est un principe de raison-
nement » [Rhétorique, livre II, 1393a]). On part d’un cas particu-
lier admis par l’auditoire et soit on passe par généralisation à
une règle générale qui englobe l’opinion défendue, soit on passe
directement de ce cas particulier à l’opinion défendue
48 HISTOIRE DES THÉORIES DE L’ARGUMENTATION

(argumentation « du particulier au particulier »). Perelman cite


l’exemple suivant, tiré d’Aristote. Pour convaincre de la néces-
sité pour la Grèce de faire des préparatifs militaires contre le roi
Artaxerxès III Ochos, qui s’apprête à envahir l’Égypte, Aristote
rappelle que « Darius ne passa point en Europe avant d’avoir pris
l’Égypte, et quand il l’eut prise il y passa ; et plus tard Xerxès
n’entreprit rien avant de l’avoir conquise, et, quand il s’en fut
emparé, il passa en Europe, de sorte que si le Prince dont il s’agit
la prend, il passera en Europe ; aussi ne faut-il pas le laisser faire »
[Rhétorique, II, 1393b]. La distinction entre ces deux types d’argu-
ment par l’exemple tient pour Perelman au caractère explicite ou
implicite de la règle générale que l’on atteint grâce à l’induction.
L’efficacité de l’induction tient pour Perelman à l’« inertie »
dans laquelle on se trouve pris dès lors que l’on fait appel à une
régularité dans le réel. C’est cette inertie que l’auditoire soucieux
de contre-argumenter pourra contester. Il pourra également
trouver des « contre-exemples » invalidant la règle générale, qui
obligeront « à rejeter ou du moins à modifier la règle » [1988,
p. 120].
Notons que Perelman ne reprend pas à son compte la distinc-
tion qu’Aristote proposait entre les exemples qui s’appuient sur
des « faits antérieurs » et les exemples que l’on « invente soi-
même », comme les paraboles et les fables.

L’illustration. — Comment distingue-t-on, quand il y a appel à


un cas particulier dans l’argumentation, l’exemple de l’illustra-
tion ? Il faut pour cela, dit Perelman, se demander si l’argu-
ment sert à établir une règle grâce à l’induction, ou s’il « sert à lui
donner une présence » dans la conscience [1988, p. 121]. L’illus-
tration n’intervient en effet pour lui qu’une fois la règle admise,
en aval donc, pour « étayer une régularité déjà établie » [1970,
p. 471]. Ici, par contre, on distinguera entre la description de
l’existant et le cas fictif, inventé pour l’occasion.

Le modèle. — La dernière figure de l’appel au cas particulier


décrite par Perelman est le modèle dont on propose l’imita-
tion. C’est, à strictement parler, un exemple que l’on se propose
ou que l’on propose de suivre. Le modèle se présente ainsi, bien
qu’il soit un cas particulier, comme une norme. Ainsi le père
LA RENAISSANCE : PERELMAN ET TOULMIN 49

disant à son fils : « À ton âge, Napoléon était premier en classe »


[1970, p. 495]. L’être proposé comme modèle est souvent un être
jugé supérieur, en tout ou au moins en certains de ses compor-
tements, réels ou supposés, comme dans ce passage de Montes-
quieu cité par Perelman [1970, p. 492] : « Ainsi, quand il n’y
aurait pas de Dieu, nous devrions toujours aimer la justice ; c’est-
à-dire faire nos efforts pour ressembler à cet être dont nous avons
une si belle idée, et qui, s’il existait, serait nécessairement juste. »
Perelman évoque dans la foulée l’antimodèle, exemple à ne pas
suivre.
Pour celui qui argumente, citer quelqu’un en modèle implique
une acceptation de la valeur qu’il représente. Ainsi, le fils devant
qui son père évoque Napoléon comme modèle ne manque pas
de lui répondre : « Au tien, il était déjà empereur. »
Perelman évoque enfin longuement l’« être parfait comme
modèle ». Ainsi Jésus, présenté par Bossuet comme « modèle de
roi absolu […] qui a voulu lui-même s’assujettir aux règlements
qu’il a faits et aux lois qu’il a établies » [1970, p. 497].

L’analogie. — Après le fondement par le cas particulier,


Perelman évoque le raisonnement par analogie qui se diffracte
en analogie proprement dite et en métaphore, laquelle est ici
regardée moins comme figure de style que comme « analogie
condensée » à visée argumentative. Il écarte, comme nous
l’avons vu, la comparaison, qui pourrait pourtant, à plus d’un
titre, comme le remarque Reboul (c’est un des rares points sur
lesquels il s’écarte de la classification de Perelman), faire partie
des liaisons qui « fondent la structure du réel ».
L’analogie, nous dit Perelman, est parfois regardée avec suspi-
cion comme moyen de preuve, c’est-à-dire comme raisonne-
ment, notamment par ceux qui manifestent un
« antiassociationnisme exaspéré » [1970, p. 534]. Elle ne serait,
dans cette perspective, qu’une forme dégradée de méthodes de
raisonnement qui privilégieraient d’abord la recherche de l’iden-
tité, puis de la ressemblance et enfin, faute de mieux ou en atten-
dant mieux, de l’analogie. Il entend donc réhabiliter l’analogie :
« Toute étude d’ensemble de l’argumentation doit donc lui faire
place en tant qu’élément de preuve » [1970, p. 500]. L’analogie
« constitue une des caractéristiques de la communication et du
50 HISTOIRE DES THÉORIES DE L’ARGUMENTATION

raisonnement non formels » et elle « se trouve au centre d’une


vision originale de l’univers » [1988, p. 127].
Qu’est-ce qu’une analogie ? C’est d’abord la mise en relation
de ce que l’on veut argumenter (qu’il appelle le « thème ») et
d’un élément que l’on va chercher dans une autre zone du réel
(le « phore ») et qui est déjà admis par l’auditoire (on est toujours
ici dans la recherche de l’accord préalable). On cherche donc à
« éclairer un thème par un phore » [1988, p. 129] et à « trans-
férer la valeur du phore sur le thème » [1970, p. 512]. Cela
implique, comme souvent en argumentation, de mettre en
évidence certains rapports et d’en laisser d’autres de côté.
Présenter la guerre comme l’analogue d’un « jeu d’échecs »
dispense d’en mettre en avant les horreurs. Dans l’analogie, à
la différence de l’exemple, le thème et le phore doivent impéra-
tivement appartenir à deux domaines distincts, sinon nous
avons affaire simplement à deux cas d’une même règle. Une
autre différence qui spécifie l’analogie est que, pour Perelman, il
s’agit moins d’une relation de similitude que d’une « similitude
de relation », au sens où l’analogie met en rapport une relation
à l’intérieur du phore et une relation à l’intérieur du thème.
Ainsi, dans le texte d’Épictète [1970, p. 512] : « Qu’un enfant
plonge le bras dans un vase d’une embouchure étroite pour en
tirer des figues et des noix, et qu’il en remplisse sa main, que lui
arrivera-t-il ? Il ne pourra la retirer et pleurera. “Lâches-en quel-
ques-unes [lui dit-on], et tu retireras ta main.” Toi, fais de même
pour tes désirs. Ne souhaite qu’un petit nombre de choses, tu
les obtiendras », on distingue bien le phore où l’enfant, pour
pouvoir prendre un peu dans le vase, est obligé de renoncer à
beaucoup, et le thème où la satisfaction de certains désirs
implique également un renoncement à la satisfaction de tous
ceux qui sont pourtant apparemment à portée.
L’analogie est en général une mise en liaison du rapport entre
A et B du thème et du rapport entre C et D du phore. Parfois,
cette liaison à quatre termes se condense en une liaison à trois
termes, comme dans ce texte attribué à Héraclite où « l’homme,
au regard de la divinité, est aussi puéril que l’enfant l’est au
regard de l’homme » [1970, p. 503]. Le rapport entre
l’homme (A) et la divinité (B) qui constitue le thème est ainsi mis
en liaison, pour qu’il y ait « transfert de valeur », avec le rapport
LA RENAISSANCE : PERELMAN ET TOULMIN 51

entre l’enfant (C) et l’homme (D). Il y a quatre termes si l’on


considère que l’homme (D) est plutôt pris au sens d’adulte, mais
formellement elle ne comporte que trois termes.
Certaines analogies, notamment en sciences, sont « élimi-
nables » bien que nécessaires comme point de départ d’une
intuition, avant le retour au raisonnement expérimental ou
mathématique. Comme l’écrit joliment Perelman, dans ce cas,
le savant, « après que l’analogie lui aura permis d’orienter ses
investigations […] structurera le thème de façon indépendante
du phore […] et pourra abandonner l’analogie, comme l’entre-
preneur qui démonte un échafaudage après avoir achevé la
construction de l’immeuble. Mais dans bien d’autres domaines,
l’analogie est “inéliminable” » [1988, p. 128]. Cette remarque de
Perelman éclaire très bien le rôle qu’il entend faire jouer à l’argu-
mentation, troisième voie entre la démonstration scientifique,
qui utilise d’autres modes de raisonnement (même si certains
points de départ peuvent être les mêmes, comme ici l’analogie),
et les modes de convaincre qui n’utilisent pas le raisonnement.
L’« inéliminabilité de l’analogie » dessine ainsi l’espace d’une
nécessité de son emploi, non seulement dans les sciences autres
qu’exactes ou expérimentales, ou en philosophie, mais égale-
ment dans le domaine de la connaissance ordinaire.

La métaphore. — Contrairement à ce qu’enseigne la tradition


littéraire, Perelman ne regarde évidemment pas la métaphore
comme une figure de style, mais bien comme un argument. Elle
est construite, selon lui, sur le modèle de l’analogie, dont elle est
une condensation qui s’opère « grâce à la fusion du thème et du
phore » [1988, p. 133]. Ainsi, emprunté à Aristote, Perelman cite
le « soir de la vie » qui désigne la vieillesse et sert à persuader
qu’elle est une fin. L’analogie ici condensée est la suivante : la
vieillesse (A) est à la vie (B) ce que le soir (C) est au jour (D). Il y
a donc disparition des termes (A) et (D) et fusion en une même
formule des termes (B) et (C).
« Toute analogie, nous dit-il, devient spontanément méta-
phore » et ce serait une « erreur théorique » de considérer cette
dernière « comme une image » [1970, p. 540]. Il n’y a donc de
l’analogie à la métaphore qu’une différence de construction au
sein d’une même structure de raisonnement.
52 HISTOIRE DES THÉORIES DE L’ARGUMENTATION

La dissociation des notions

Les trois techniques argumentatives qui viennent d’être


présentées s’appuient toutes, chacune à leur façon, sur la
construction, l’invention ou la mise en évidence d’une
liaison existant dans le réel. La quatrième technique proposée
par Perelman part d’un autre point de vue, celui de la
dissociation d’une liaison primitivement présente dans un terme
ou un énoncé, qui se présente donc initialement sous l’aspect
d’une unité. Il s’agit donc, pour argumenter, de « casser » cette
unité et de faire apparaître les notions distinctes qu’elle
recouvre.
Ainsi, dans un texte de Berkeley sur la matière, cet auteur
propose-t-il une dissociation de la notion : « Il n’y a pas de
matière si, par ce terme, on entend une substance non pensante
qui existe hors de l’intelligence : mais si, par matière, on entend
une chose sensible dont l’existence consiste à être perçue, alors
il y a matière » [1988, p. 150].
La dissociation des notions doit clairement se distinguer des
stratégies contre-argumentatives qui consistent à tenter de délier
ce que l’orateur propose comme lié : « La dissociation des
notions détermine un remaniement plus ou moins profond des
données conceptuelles qui servent de fondement à l’argumen-
tation : il ne s’agit plus, dans ce cas, de rompre les fils qui ratta-
chent des éléments isolés, mais de modifier la structure même de
ceux-ci » [1970, p. 551].
Pourquoi procède-t-on de la sorte ? Pour Perelman, la dissocia-
tion des notions permet la plupart du temps de résoudre un
« problème d’incompatibilité ». Il va donc s’attacher, au point
d’y consacrer l’essentiel de ses développements sur le sujet, à
présenter un type de dissociation qui est pour lui le « prototype
de toute dissociation notionnelle » [1970, p. 556], la dissociation
entre « apparence » et « réalité ».
De nombreuses dissociations proposeraient ainsi une diffrac-
tion entre un « terme I », dévalorisé parce que en rapport avec
une simple apparence, et un terme II, valorisé comme étant, lui,
en rapport avec la « vraie réalité ». Le couple prototypique appa-
rence/réalité se décline ainsi, par exemple, en couple moyen/fin,
accident/essence, contingence/nécessité, etc.
LA RENAISSANCE : PERELMAN ET TOULMIN 53

On identifie parfois de tels arguments aux modalités de leur


expression ; ainsi le terme II de la dissociation (l’élément valo-
risé) est-il souvent appelé « proprement dit », alors que le terme I
se voit parfois accolé un préfixe comme « pseudo », « quasi ».
Ainsi, dans un texte de J. Maritain, « le pseudo-athée, en niant
l’existence de Dieu, nie l’existence d’un être de raison qu’il
appelle Dieu mais qui n’est pas Dieu — il nie l’existence de Dieu
parce qu’il confond Dieu avec cet être de raison […] le vrai athée,
en niant l’existence de Dieu, nie réellement, par un acte de son
intellect qui demande de soi à transformer toute sa table des
valeurs et à descendre dans les profondeurs de son être, l’exis-
tence de ce Dieu qui est l’objet authentique de la raison et de la
foi et qu’il appréhende dans sa notion véritable » [1970, p. 582].
Perelman note que la dissociation comme procédé argumen-
tatif sera rejetée par les philosophies « dites antimétaphysiques,
positivistes, pragmatiques, phénoménologiques ou existentia-
listes, [qui] affirment que la seule réalité est celle des appa-
rences » [1970, p. 560] et qu’autrement on se trouve dans ce que
Nietzsche appelait l’« illusion des arrière-mondes ». Mais il
ajoute aussi que ces philosophies, tel l’existentialisme, ne
peuvent guère se passer de telles dissociations.

Toulmin : l’argumentation, un usage quotidien

La théorie de l’argumentation de Toulmin est aujourd’hui


connue et reconnue surtout pour son célèbre modèle de l’argu-
ment. Cette réduction est caricaturale dans la mesure où elle
occulte sa préoccupation épistémologique fondamentale.
Toulmin est d’abord et avant tout un philosophe de la connais-
sance, comme en font foi ses ouvrages sur la science, la matière
et le temps (The Philosophy of Science : an Introduction, Foresight
and Understanding : an Enquiry Into the Aims of Science, The Archi-
tecture of Matter, The Discovery of Time). Son environnement
théorique et conceptuel est constitué, comme pour l’ensemble
de la philosophie anglo-saxonne, du positivisme logique, domi-
nant jusque vers la moitié du siècle, et de l’opposition qu’il a
depuis suscitée. À ce propos, il faut souligner la très grande origi-
nalité de Toulmin : il est le seul, ou du moins le premier, à
54 HISTOIRE DES THÉORIES DE L’ARGUMENTATION

s’opposer explicitement au positivisme et à son avatar logiciste


en développant une théorie de l’argumentation. Ni la pragma-
tique (Charles Peirce : Writings of Charles S. Peirce : a Chronolo-
gical Edition, et Charles Morris : Foundations of the Theory of
Signs), ni la philosophie du langage ordinaire (Gilbert Ryle : The
Concept of Mind, John Austin : How To Do Things With Words,
John Searle : Speech Acts, et beaucoup d’autres), qui auraient
pourtant pu être des lieux naturels de conceptualisation et de
théorisation de l’argumentation, ne traitent explicitement des
arguments. Il arrive, bien sûr, que les concepts d’argumenta-
tion et d’argument y soient utilisés, mais seulement relative-
ment à certaines caractérisations et catégorisations logiques
traditionnelles et sans que soit du tout développée une véri-
table théorie de l’argumentation. Ce constat surprenant peut
d’ailleurs être étendu à l’ensemble de la philosophie analy-
tique, celle en tout cas des premières générations, qui se désin-
téresse presque totalement de l’argumentation. À preuve, dans
la classique Encyclopedia of Philosophy de Paul Edwards, il n’y a
pas d’entrée propre pour « argumentation » ni pour « argu-
ment », pas plus, incidemment, que pour Toulmin.
L’entreprise de Toulmin est largement heuristique. Comme il
l’écrit au tout début de l’introduction de The Uses of Argument,
son intention déclarée est d’attirer l’attention sur le champ de
recherche de l’argumentation plutôt que d’en fournir un traite-
ment systématique. Il poursuit ce dessein dans un esprit bien
précis ; ainsi qu’il le souligne en conclusion, sa tentative de bali-
sage de l’argumentation repose, pour une part essentielle, sur
une mise en cause de la formalisation logique.
Il n’est pas toujours facile de cerner correctement cette oppo-
sition et sans doute est-elle source d’incompréhensions et même
de malentendus dans l’interprétation de la pensée de Toulmin.
En fait, contrairement à ce qu’une lecture superficielle peut
amener à conclure, argumentation et logique ne sont pas, pour
lui, antinomiques. Chez Toulmin, l’argumentation n’est pas
rejetée hors de la logique ; plutôt, la logique est désenclavée de la
formalisation mathématique et poussée du côté de l’argumenta-
tion. Il s’attaque non pas à la logique, mais à la logique formelle,
à la logique mathématique, à la formalisation de la logique. C’est
en cela que sa théorie de l’argumentation vise à une réforme, à
LA RENAISSANCE : PERELMAN ET TOULMIN 55

un renouvellement de la logique. De ce point de vue, il n’est


pas exagéré de prétendre que la théorie de l’argumentation de
Toulmin se veut en fait une théorie élargie de la logique. Plus
précisément, Toulmin préconise une transformation de la
logique qui la ferait passer d’une science formelle à une science
pratique, d’une idealised logic à une working logic. Il se désole du
fait que la logique se soit jusqu’à maintenant développée dans
un éloignement assez radical de la discussion ordinaire. Il
déplore la distance et la séparation qui se sont établies entre la
logique formelle et nos tentatives quotidiennes de prouver, de
fournir des raisons ou motivations à nos opinions et positions
diverses. Selon lui, la formalisation de la logique a deux grandes
conséquences négatives : elle l’ampute d’une bonne partie de
sa capacité d’application et elle conduit à un cul-de-sac
épistémologique.

L’argument : une justification en contexte

Tel que Toulmin l’appréhende d’abord intuitivement, l’argu-


ment se caractérise essentiellement par sa fonction justificatrice.
Un argument, c’est toutes espèces de propositions (claims) que
nous formulons dans des assertions et qui sont appuyées sur une
forme ou l’autre de raisons (grounds). Dans la traduction fran-
çaise de The Uses of Argument, claim et ground sont traduits par les
termes « revendication » et « motif ». Nous croyons de beau-
coup préférable de les traduire par « proposition » et « raison ».
« Proposition » dénote plus précisément que « revendication »,
dont le sens est trop large, la partie de l’argument où une idée,
une thèse ou un point de vue est avancé. De même, mais pour la
raison contraire, « raison » est plus approprié que « motif », trop
restrictif, pour désigner l’ensemble de choses pouvant être invo-
quées à l’appui d’une proposition. « Proposition » et « raison »
doivent être ici considérés comme des termes génériques stricte-
ment techniques. Ils désignent les types ou familles des variables
possibles des deux constituants de l’argumentation. Un premier
trait important de l’argumentation, telle que l’approche
Toulmin, est en effet son caractère multiforme. On le constate
tout de suite avec la série d’exemples d’arguments qu’il donne :
une prévision météorologique, une allégation de négligence
56 HISTOIRE DES THÉORIES DE L’ARGUMENTATION

portée à l’égard d’un employeur, la défense d’un personnage


historique, un diagnostic médical, la mise en cause de l’honnê-
teté de quelqu’un, un commentaire de l’œuvre d’un peintre.
Dans chacun de ces cas, une proposition est avancée qui prend
diverses formes plus précises : une prédiction, une imputation,
une apologie, un pronostic, une accusation, une critique. Cette
proposition est liée à des raisons qui la soutiennent. Ces raisons
peuvent être explicitement exprimées ou non. Que ce soit ou
non le cas, la proposition peut toujours faire l’objet, par prin-
cipe, d’une demande ou d’une exigence de précision des raisons
qui la fondent ou la légitiment. Ces raisons peuvent être, suivant
la propre énumération de Toulmin, des supports, des données,
des évidences, des considérations, des caractéristiques (backing,
data, facts, evidence, considerations, features). Formellement
parlant, un argument, pour Toulmin, c’est donc une combi-
naison d’une ou de raison(s) et d’une proposition que la ou les
raison(s) prouve(nt). C’est en cela que, à ses yeux, l’argument
exerce une fonction justificatrice fondamentale et que ses autres
fonctions possibles restent secondaires et même parasitaires par
rapport à cette fonction justificatrice.
Le caractère multiforme de l’argumentation amène Toulmin
à introduire la notion fondamentale de « champ » (field). La
diversité des types possibles d’arguments donne à voir la très
grande variété des assertions pouvant constituer une argumen-
tation, des propositions faisant l’objet de ces assertions et des
raisons invoquées pour justifier ces propositions. L’argumenta-
tion se déploie suivant des considérations extrêmement diversi-
fiées. Par exemple, la proposition et les raisons la justifiant sont
de nature tout à fait différente dans un diagnostic médical et
dans une appréciation artistique : ce qui peut compter comme
argument dans un cas peut ne pas valoir dans l’autre et inverse-
ment. Selon leur configuration ontologique propre, les argu-
ments sont donc relatifs à différents types logiques, pour
reprendre l’expression philosophique aujourd’hui consacrée.
C’est pour rendre compte de l’appartenance des arguments à un
type logique particulier que Toulmin introduit la notion de
« champ ». Il en fournit une définition indirecte : deux argu-
ments appartiennent au même champ si leur proposition et leurs
raisons respectives relèvent du même type logique ; au contraire,
LA RENAISSANCE : PERELMAN ET TOULMIN 57

ils sont de champs différents si le type logique de leurs proposi-


tion et raisons est distinct. Par exemple, deux diagnostics médi-
caux portant sur deux pathologies tout à fait différentes
partagent néanmoins le même champ d’argumentation alors
qu’une appréciation artistique relève d’un champ complètement
différent.
À la lumière des premiers exemples considérés par Toulmin,
on pourrait penser que l’argumentation s’oppose à la logique,
qu’il n’y a pas d’arguments logiques (ou scientifiques), ou encore
que n’existe pas un champ logique d’argumentation. D’autres
exemples donnés par Toulmin dans son explicitation de la
notion de champ donnent toutefois à voir qu’il n’en est rien.
Parmi ces exemples figurent une prévision astronomique,
l’évaluation d’une théorie scientifique et celle d’axiomes géomé-
triques. Par ailleurs, comme nous le verrons sous peu, lorsque
Toulmin analyse les termes modaux afférents à l’argumentation,
il traite, entre autres choses, de l’impossibilité mathématique. Il
devient alors assez clair que, pour lui, existent des arguments
logiques et donc aussi un champ logique d’argumentation en
plus des champs légal, moral, esthétique, éthique et autres.
La notion de champ ouvre à toute une série de questions :
les arguments sont-ils dépendants de leur champ (field-depen-
dent) sous certains aspects et indépendants du champ (field-inva-
riant) sous d’autres aspects ? Est-il possible, malgré la variété
évidente des champs d’argumentation, de dégager une procé-
dure commune à l’ensemble des arguments ? Y a-t-il un champ
fondamental, celui de la logique formelle, susceptible de générer
des standards universels d’évaluation de l’argumentation ? Y
a-t-il certains champs, nommément les champs de la logique
mathématique et des sciences physiques, plus rationnels et plus
cognitifs que d’autres comme les champs légal, moral, esthé-
tique et éthique ? C’est au traitement de ces questions qu’est
consacré, pour l’essentiel, The Uses of Arguments. Toulmin
adopte, à leur égard, la position d’ensemble suivante : bien qu’il
propose un modèle schématisant la procédure qu’il reconnaît
commune aux arguments, il s’insurge contre l’impérialisme de la
logique formelle, en particulier sur le plan épistémologique.
Toulmin aborde la question initiale de la dépendance et indé-
pendance des arguments à l’égard de leur champ en développant
58 HISTOIRE DES THÉORIES DE L’ARGUMENTATION

une analogie entre l’argumentation et le droit, entre le processus


judiciaire et le processus argumentatif. Il s’agit, plus précisé-
ment encore, d’une analogie jurisprudentielle. De la même
manière, prétend-il, qu’existent des similarités importantes dans
les procédés suivis pour traiter de différents types de cas juri-
diques même si les éléments admis en preuves varient d’un type
de cas à l’autre, il est possible de repérer des phases analogues
de développement des arguments malgré leur appartenance à
des champs distincts et la grande variété des combinaisons
raison(s)/proposition possibles.
Avant de structurer ces stades dans son modèle de l’argu-
ment, Toulmin met en avant cinq distinctions entre différents
types d’arguments : celle entre arguments analytiques et argu-
ments substantiels, celle entre arguments formellement valides
et arguments non formellement valides, celle entre arguments
utilisant une garantie (warrant-using) et arguments établissant
une garantie (warrant-establishing), celle entre arguments
comprenant des termes logiques et arguments ne comprenant
pas de termes logiques et celle entre arguments nécessaires et
arguments probables.
La plus fondamentale de ces distinctions est celle entre argu-
ments analytiques et arguments substantiels. À première vue,
elle peut sembler correspondre tout à fait à la distinction
kantienne classique entre jugements analytiques et jugements
synthétiques. Pour Toulmin, un argument analytique est un
argument dont la proposition est en quelque sorte déjà comprise
dans les raisons ou dont la proposition ne comprend pas d’infor-
mation qui ne soit déjà présente, implicitement ou explicite-
ment, dans les raisons. Toulmin donne comme exemple
d’argument analytique le syllogisme suivant :
Anne est l’une des sœurs de Jacques.
Toutes les sœurs de Jacques ont les cheveux roux.
Donc Anne a les cheveux roux.
Dans les arguments analytiques, l’acceptation des raisons
implique l’acceptation implicite de la proposition puisque que
celle-ci est déjà comprise dans celles-là. Voilà pourquoi un argu-
ment analytique est toujours ou peut toujours être exprimé sous
la forme d’une tautologie. Quant à lui, l’argument substantiel
LA RENAISSANCE : PERELMAN ET TOULMIN 59

est, au contraire, un argument dont les raisons ne compren-


nent pas l’information présentée dans la proposition ou, pour
exprimer les choses à l’inverse, dont la proposition comporte de
l’information qui n’est pas déjà présente dans les raisons.
Toulmin donne comme exemple d’argument substantiel, entre
autres, l’argument quasi syllogistique suivant :
Anne est l’une des sœurs de Jacques.
Toutes les sœurs de Jacques qu’on a pu jusqu’ici observer avaient les
cheveux roux.
Donc Anne a probablement les cheveux roux.
Cet exemple met particulièrement bien en lumière le fait que
la différence cruciale entre arguments analytiques et arguments
substantiels réside dans le degré de connaissance que nous avons
de la situation sur laquelle porte notre argumentation. Cette
précision permet de comprendre pourquoi les arguments mathé-
matiques sont les arguments les plus analytiques qui soient, un
système mathématique livrant par définition la totalité des
« connaissances » relatives aux opérations qu’il permet
d’effectuer.
La distinction entre arguments formellement valides et argu-
ments non formellement valides a trait à l’explicitation du statut
de l’argument. Pour Toulmin, un argument est formellement
valide si ses raisons sont explicitement formulées comme étant
des raisons et si est spécifiée la sorte d’inférence qu’il met en jeu.
Dans le cas contraire, l’argument est non formellement valide.
La distinction entre arguments utilisant une garantie et argu-
ments établissant une garantie est la suivante : un argument
utilise une garantie quand la validité des raisons est déjà établie
alors qu’un argument établit une garantie quand ses raisons
restent hypothétiques ou conjecturales. Toulmin donne comme
exemple d’argument utilisant une garantie :
Petersen est suédois.
Les Suédois sont très rarement catholiques.
Donc Petersen n’est pas catholique.
Et comme exemple d’argument établissant une garantie une
prédiction astronomique stipulant le moment d’une future
éclipse à partir des positions présentes et passées et de la
60 HISTOIRE DES THÉORIES DE L’ARGUMENTATION

trajectoire des planètes impliquées. Toulmin admet que la


distinction entre arguments utilisant et arguments établissant
une garantie correspond en gros à la distinction entre déduction
et induction telle qu’établie par les logiciens, mais pas à l’usage
ordinaire de ces deux termes.
La quatrième distinction entre arguments oppose les argu-
ments qui comportent des termes logiques, comme par exemple
des connecteurs et des quantificateurs, et ceux dont la formula-
tion ne recourt pas à de tels termes logiques.
La dernière distinction est celle entre arguments nécessaires
et arguments probables. La proposition de certains arguments
peut être inférée de manière nécessaire ou certaine, comme dans
le cas d’un calcul géométrique ; celle d’autres arguments, de
manière seulement possible ou probable, comme dans le cas
d’une appréciation esthétique.
Selon Toulmin, les cinq distinctions entre types d’arguments
marquent des oppositions différentes et indépendantes les unes
des autres ; elles donnent donc lieu à des classifications croisées.
Pour sa part, Toulmin cherche surtout à montrer que la distinc-
tion entre arguments analytiques et arguments substantiels ne
correspond pas point par point aux quatre autres distinctions :
un argument analytique n’est pas aussi forcément un argu-
ment formellement valide, un argument utilisant une garantie,
un argument comprenant des termes logiques et un argument
nécessaire, pas plus qu’un argument substantiel n’est par le fait
même un argument non formellement valide, un argument
établissant une garantie, un argument ne comprenant pas de
termes logiques et un argument probable. Toulmin veut particu-
lièrement briser la supposée identité entre argument analytique
et argument nécessaire (ou conclusive), d’une part, et argument
substantiel et argument probable (ou tentative), d’autre part.
Selon lui, il existe des arguments à la fois substantiels et néces-
saires, par exemple des calculs de mathématiques appliquées ou
encore des déductions à la Sherlock Holmes, et des arguments
à la fois analytiques et probables, par exemple des quasi-syllo-
gismes, comme celui concluant que Petersen n’est vraisembla-
blement pas catholique à partir des prémisses affirmant que
Petersen est suédois et que les Suédois sont très rarement catho-
liques. Cette double possibilité fait clairement voir que la
LA RENAISSANCE : PERELMAN ET TOULMIN 61

distinction de Toulmin entre arguments analytiques et argu-


ments substantiels, loin de correspondre, comme il peut appa-
raître au premier coup d’œil, à la distinction kantienne entre
jugements analytiques et jugements synthétiques, lui est, au
contraire, plutôt opposée.

Les insuffisances et errements de la logique formelle

Même s’il reconnaît des arguments logiques et un champ


logique d’argumentation, Toulmin objecte à l’idée que les autres
types d’arguments et les autres champs d’argumentation
devraient être mesurés à l’aune des arguments et du champ
logiques. Il s’attaque ainsi au point de vue selon lequel les
critères du champ logique constituent des critères universaux en
fonction desquels peuvent être évalués les critères des autres
champs, à la position rendant réductibles ces autres champs au
champ logique. Bref, Toulmin s’en prend à la prétention de la
logique formelle à régenter la raison.
Cette mise en cause de la logique formelle ou mathéma-
tique, Toulmin la mène sous la forme, affichée comme telle,
d’une hypothèse : celle d’une divergence (divergence) fondamen-
tale entre les catégories de l’argumentation pratique ordinaire
(the practical business of argumentation) et les catégories de la
logique formelle. Cette divergence fondamentale, Toulmin la
localise plus précisément dans la définition restrictive que
fournit la logique formelle des critères et standards d’évaluation
de la validité des arguments : alors que les modalités (comme,
encore une fois, la possibilité, le nécessité et d’autres) sont en fait
dépendantes de leur champ d’utilisation, la logique formelle leur
donne une signification invariable.
Toulmin adresse un certain nombre de reproches à la logique
formelle. Le grief central qu’il formule à son endroit est de porter
exclusivement sur le seul syllogisme, et plus précisément encore
sur le seul syllogisme analytique du genre
Anne est l’une des sœurs de Jacques.
Toutes les sœurs de Jacques ont les cheveux roux.
Donc Anne a les cheveux roux.
62 HISTOIRE DES THÉORIES DE L’ARGUMENTATION

Ce faisant, la logique formelle se limite à l’un des dix aspects


différents mis en jeu dans les cinq distinctions entre types
d’arguments : leur possible caractère analytique. Elle se trouve
de la sorte à privilégier une seule de ces distinctions, celle entre
arguments analytiques et substantiels, et donc aussi à escamoter
les quatre autres distinctions — entre arguments formellement
valides et non formellement valides, entre arguments utilisant
et établissant une garantie, entre arguments comprenant et ne
comprenant pas de termes logiques et entre arguments néces-
saires et probables.
En fait, la logique formelle ne fait pas qu’ignorer ces quatre
autres distinctions ; non seulement ne les considère-t-elle pas
pour elles-mêmes, mais elle les subsume sous la distinction entre
arguments analytiques et arguments substantiels. L’un des
blâmes précis que Toulmin exprime à l’encontre de la logique
formelle est de télescoper l’un des deux termes de ces autres
distinctions à la dimension analytique. Ce télescopage, les logi-
ciens le feraient particulièrement entre arguments analytiques,
d’une part, et arguments nécessaires et arguments utilisant une
garantie, d’autre part. Selon Toulmin, ils considèrent par erreur
qu’un argument dont la proposition ne comprend pas d’infor-
mation qui ne soit déjà contenue dans ses raisons est, de ce fait,
aussi un argument dont la proposition est inférée de manière
nécessaire et certaine et un argument dont la validité des raisons
est déjà établie. Or, pour Toulmin, les arguments substantiels
tout autant que les arguments analytiques peuvent être néces-
saires ou probables et peuvent utiliser ou établir une garantie.
Toulmin va encore plus loin quand il affirme que les logi-
ciens, prenant prétexte du caractère analytique du syllogisme
analytique, le caractérisent comme étant également un argu-
ment formellement valide, un argument utilisant une garantie,
un argument exprimé en termes logiques et un argument néces-
saire. S’il se trouve que le syllogisme a effectivement ces quatre
dernières caractéristiques, ce n’est cependant pas dû au fait qu’il
soit analytique. Encore une fois, Toulmin, à l’opposé des logi-
ciens, prétend que les cinq distinctions entre types d’arguments
sont indépendantes les unes des autres.
Mais cet amalgame des quatre dernières distinctions à la
première a un effet encore plus dommageable. Considérant que
LA RENAISSANCE : PERELMAN ET TOULMIN 63

la validité formelle, l’utilisation d’une garantie, l’expression en


des termes logiques et la nécessité sont des traits corrélatifs à
l’analycité, les logiciens se trouvent à en faire autant de condi-
tions pour un argument bien formé. Or, selon Toulmin, toujours
parce que les cinq distinctions entre types d’arguments sont
distinctes et indépendantes les unes des autres, l’assemblage de
ces cinq traits propre au syllogisme analytique n’est qu’une
combinaison parmi d’autres possibles. Par conséquent, le syllo-
gisme analytique n’est qu’un type d’argument parmi d’autres
types possibles. Un type d’argument qui est même assez particu-
lier du fait qu’il cumule les traits les plus formels et qui est égale-
ment, pour cela même, assez peu représentatif de l’ensemble des
arguments. L’erreur de départ de la logique formelle serait d’en
faire non seulement un argument paradigmatique, mais aussi,
finalement, le seul véritable argument bien formé. C’est ainsi
que le syllogisme analytique est promu au rang de norme de
l’argumentation, norme au vu de laquelle tous les autres types
possibles d’arguments apparaissent à tort déficients.
Cette restriction a, selon Toulmin, des conséquences néfastes
pour la logique elle-même, pour la rationalité et, bien sûr, pour
l’argumentation. Elle suppose d’abord une limitation importante
de la logique en excluant de ses modes possibles de raisonne-
ment les syllogismes autres qu’analytiques. Ces syllogismes diffé-
rents sont discrédités par le privilège indu accordé au syllogisme
analytique. C’est le cas, notamment, des syllogismes substan-
tiels des sciences physiques et naturelles : à l’aune du syllo-
gisme analytique, plus précisément quand on retient l’analycité
comme condition pour un argument bien formé, ils se voient
suspectés de procéder par pétition de principe. En exigeant d’un
syllogisme que sa proposition ne comprenne que de l’informa-
tion déjà comprise dans ses raisons, on est fatalement amené à
considérer qu’un syllogisme substantiel ne consiste en fait qu’en
un raisonnement circulaire. En ne déterminant l’argumenta-
tion bien formée qu’en fonction du seul syllogisme analytique,
la logique formelle se coupe elle-même les mains : elle restreint
son coffre d’outils et s’empêche par là d’agir adéquatement hors
du domaine strictement mathématique.
Par ailleurs, le primat du syllogisme analytique décrété par la
logique formelle induit également un rétrécissement, pour ne
64 HISTOIRE DES THÉORIES DE L’ARGUMENTATION

pas dire un étranglement, du champ de la rationalité. Le


« tribunal de la raison » (Court of Reason) devient une véritable
peau de chagrin : l’éthique et l’esthétique, le droit, la critique
d’art et le jugement de caractère ainsi que les sciences ayant un
objet « matériel » plutôt que rigoureusement formel sont frappés
d’un anathème de difformité parce que constitués non pas de
syllogismes ou d’arguments analytiques, mais plutôt d’argu-
ments substantiels.
Mais c’est sur l’argumentation que le réductionnisme de la
logique formelle a les conséquences les plus désastreuses. Le logi-
cisme, qui ne reconnaît comme pleinement bien formés que les
seuls syllogismes analytiques, implique par la négative que
toutes sortes d’arguments comme les arguments d’ordre éthique
et esthétique, les prédictions et les relations causales, les énoncés
sur les autres esprits, sur les objets matériels et sur nos souvenirs,
ainsi que toutes les autres formes d’argumentation pratique et
quotidienne, sont de quelque façon non probants ou insatisfai-
sants. Ils seraient ainsi défectueux parce que soit substantiels et
non pas analytiques, soit non formellement valides, soit établis-
sant plutôt qu’utilisant une garantie, soit exprimés en termes
non logiques, soit probables et non pas nécessaires. Toulmin
prétend également que l’application substantielle de termes (ou
quantificateurs) modaux, réifiés par la prépondérance donnée en
logique au syllogisme analytique, aux autres types d’arguments
fait en sorte qu’ils ne sont ni nécessaires, ni probables, ni non
plus impossibles. En raison de cette nature tout à fait paradoxale,
il faudrait les reléguer à la métaphysique.
Ce n’est pas parce que Toulmin s’insurge contre la préten-
tion de la logique formelle à évaluer la validité des arguments
autres que le syllogisme analytique qu’il rejette ces autres argu-
ments hors de la logique. Il admet même que la logique est perti-
nente à certains arguments substantiels ; simplement, il situe
cette pertinence à un niveau différent de celui des logiciens. Les
arguments, qu’ils soient analytiques ou non, sont assujettis,
selon lui, à une exigence minimale d’intelligibilité : ils doivent
faire sens, avoir une certaine cohérence ou consistance. Un argu-
ment doit être compréhensible et, en particulier, ne pas avancer
une proposition qui contredit ses raisons. Mais ce réquisit relève,
pour Toulmin, d’une considération préliminaire : il a trait à une
LA RENAISSANCE : PERELMAN ET TOULMIN 65

condition de possibilité de l’argument, quelle qu’en soit par


ailleurs la nature, et non pas à la reconnaissance de l’argument
bien formé. Il ne sert, ce même réquisit, qu’à lever les objec-
tions initiales qui pourraient être faites à l’encontre de l’argu-
ment préalablement à l’analyse de sa teneur.
Pour Toulmin, la question de la validité formelle de l’argu-
ment ne peut porter que sur la structure « formelle », précisé-
ment, de l’argumentation. L’erreur du logicisme serait d’étendre
cette pertinence de la logique au-delà du plan strictement
« formel », de l’appliquer au plan du contenu de l’argumenta-
tion, c’est-à-dire de faire de l’exigence de cohérence ou de consis-
tance un gage, une assurance de la validité des arguments. Cela
est sans doute vrai (encore que peut-être pas totalement) des
arguments analytiques ; ce n’est cependant absolument pas le
cas pour les autres types d’arguments.

Un modèle de l’argument

Pour Toulmin, un argument, c’est quelque chose de dyna-


mique : cela relève d’un processus suivant un certain mode de
fonctionnement et de déploiement, un certain agencement qu’il
est possible de représenter par un modèle ou schéma d’analyse
(layout ou pattern of analysis). Le modèle qu’il propose est d’allure
jurisprudentielle plutôt que (quasi) géométrique ; il représente
un développement progressif et non pas une forme statique.
Voici, dans sa configuration complexe la plus achevée, le modèle
de l’argument de Toulmin :

D Donc, Q, C
Vu que Sauf si
G R
En vertu de
F

Un argument, pour Toulmin, c’est l’agencement organisé de


données (D) invoquées pour soutenir une conclusion (C). Cette
conclusion peut éventuellement faire l’objet d’une qualification
modale (Q). Le passage des données à la conclusion est autorisé
66 HISTOIRE DES THÉORIES DE L’ARGUMENTATION

par des garanties (G) à l’égard desquelles peuvent s’appliquer des


restrictions (R). Ces garanties reposent sur un fondement (F).
Dans sa version originale anglaise, le modèle de Toulmin met en
jeu des data (D), un modal qualifier (Q), une claim ou conclusion
(C), des warrants (W), des conditions of exception or rebuttal (R) et
un backing (B).
Voici la traduction française de l’exemple dont Toulmin lui-
même se sert pour illustrer son modèle de l’argument :

d Donc, Q, C
Harry est né aux Bermudes probablement Harry est
sujet britannique
Vu que Sauf si
G R
Celui qui naît aux Bermudes ses deux parents étaient étrangers
est généralement un sujet ou il s’est fait naturaliser américain
britannique
En vertu de
F
Les lois et autres dispositions stipulant que quelqu’un qui naît
aux Bermudes est un sujet britannique

Comme nous l’avons déjà vu, Toulmin appréhende intuitive-


ment l’argument comme la combinaison à fonction justifica-
trice d’une proposition et de ses raisons. Quand il met au jour
l’agencement plus précis de l’argument, Toulmin complexifie
cette vue des choses. La conclusion reste ce que l’argument
prétend poser ou établir : la proposition exprimée (que Harry
est un sujet britannique). Cette conclusion est appuyée sur des
données qui constituent les raisons la justifiant (le fait que Harry
soit né aux Bermudes). La relation de justification entre les
données et la conclusion est assurée par quelque principe ou
convention qui en garantit le passage ou l’inférence (la règle ou
la stipulation suivant laquelle quelqu’un qui naît aux Bermudes
est généralement par le fait même un sujet britannique).
Toulmin caractérise la distinction entre données et garanties en
précisant qu’elle est similaire à la distinction juridique entre
questions de fait et questions de droit. Les garanties n’autori-
sent pas toujours de façon nécessaire le passage des données à la
LA RENAISSANCE : PERELMAN ET TOULMIN 67

conclusion. Il arrive fréquemment que l’inférence ne soit pas


inconditionnelle et que, donc, se présentent des cas d’excep-
tion. La conclusion peut ainsi être relativisée par un qualificateur
modal (le caractère probable de la conclusion que Harry est un
sujet britannique) en lien avec les restrictions et réserves s’appli-
quant aux garanties qui en stipulent les conditions de réfutation
(à moins que les deux parents de Harry aient été étrangers ou
qu’il se soit fait naturaliser américain). Finalement, les garanties
qui permettent le passage des données à la conclusion reposent
elles-mêmes sur quelque assurance ; elles exigent un fonde-
ment (les lois et autres dispositions posant que quelqu’un nais-
sant aux Bermudes est un sujet britannique). Le fondement d’un
argument reste le plus souvent tacite ; il n’a pas à être explicité
jusqu’à ce que la garantie soit mise en question.
III / Les recherches contemporaines
en argumentation et rhétorique

Loin de constituer un objet d’étude unique, l’argumentation


donne aujourd’hui lieu à une pléthore d’études variées qui se
déploient dans de nombreuses directions. Elles forment une
nébuleuse extrêmement éclatée où s’entremêlent différents
intérêts théoriques et pratiques et des approches disciplinaires
distinctes (linguistique, sémiologique, communicationnelle,
philosophique et autres). Dans l’état actuel des choses, l’argu-
mentation est moins un champ unifié de recherches qu’une série
de travaux, pour certains, apparentés ou limitrophes ; pour
d’autres, hétérogènes et même divergents.
Il n’est pas facile d’en proposer une vue systématique sans
établir des complémentarités et des oppositions artificielles. Il est
néanmoins possible, à fin d’exposition purement didactique, de
dégager quelques grandes voies, interreliées ou parallèles, de la
recherche contemporaine en argumentation. Le clivage essen-
tiel qui, à cet égard, continue de prévaloir, bien que de façon
beaucoup moins marquée que dans un passé encore récent, est
celui de la langue ou, plus précisément encore, de la culture
intellectuelle : les travaux francophones, d’une part, et anglo-
phones, d’autre part, abordent et analysent l’argumentation
suivant une conception d’ensemble, un intérêt heuristique et un
esprit spéculatif ou scientifique largement dissemblables.
LES RECHERCHES CONTEMPORAINES EN ARGUMENTATION ET RHÉTORIQUE 69

La recherche anglophone

Toulmin continue d’exercer sur l’étude anglo-saxonne de


l’argumentation, à laquelle il participe d’ailleurs lui-même
[Toulmin, Rieke et Janik, 1984], une influence d’autant plus
profonde qu’elle reste, en bonne partie, diffuse et souterraine.
Les réactions à The Uses of Argument ne furent pas aussi abon-
dantes qu’on pourrait aujourd’hui rétrospectivement le penser.
Elles furent, pour une part importante, le fait de logiciens dési-
reux de contrer l’attaque de Toulmin contre le logicisme. Son
modèle de l’argument donna bien lieu à quelques applications
ponctuelles, mais le projet qu’il appelait de ses vœux d’une
logique appliquée ou d’une working logic ne fit pas l’objet, en
tant que tel, d’un chantier de recherches ordonné. En dépit de
cette absence de filiation explicite, les travaux anglophones
contemporains sur l’argumentation restent fondamentalement
tributaires de la percée opérée par Toulmin.
Ces travaux, qui font l’objet, en plus de nombreux ouvrages,
d’articles dans des revues scientifiques dont certaines sont spéci-
fiquement consacrées à l’argumentation comme Argumentation
et Argumentation and Advocacy, sont de deux grandes sortes : des
analyses ponctuelles d’arguments particuliers ou de procédés
argumentatifs typiques et des essais plus ambitieux de théorisa-
tions d’ensemble. Les premières s’articulent autour de deux
grands pôles frontaliers, l’étude de ce que nous appellerons des
« fallaces » et la logique informelle, qui se prolongent dans
autant d’extensions plus appliquées et utilitaires, la pensée
critique et ce qu’on peut génériquement nommer l’« argumen-
tation communicationnelle ».

L’étude des fallaces

Quand, en 1970, Charles Hamblin fait paraître Fallacies, il


relance un objet d’étude aussi ancien que la logique elle-
même. Pour bien le délimiter, il importe de résoudre le problème
initial que pose la traduction en français du terme fallacy. Nous
proposons de le traduire non pas par les termes habituels de
« sophisme » ou « paralogisme », mais par le néologisme
« fallace » — inspiré par Christian Plantin [1990], qui, lui,
70 HISTOIRE DES THÉORIES DE L’ARGUMENTATION

suggère « fallacie ». Un certain nombre de raisons militent en


faveur de ce choix. D’une part, « sophisme » et « paralogisme »
sont techniquement inappropriés. Ils sont frappés d’une très
forte connotation logiciste : à strictement parler, ils servent à
désigner un raisonnement, et non pas un argument, qui est faux
et donc défectueux en vertu de règle(s) logique(s). Les retenir
comporterait le très sérieux désavantage de donner à penser que
les fallacies sont seulement de nature logique. Or, comme nous
le verrons plus loin, telles qu’Hamblin les caractérise, certaines
d’entre elles sont non pas formelles, mais informelles. Pour lui,
donc, et beaucoup d’autres à sa suite, le caractère (apparem-
ment) défectueux des fallacies peut être dû à une carence autre
que logique. « Sophisme » et « paralogisme » sont donc réduc-
teurs : ils ne permettent de dénoter qu’un seul type possible de
fallacies. D’ailleurs, Hamblin lui-même a délibérément choisi le
terme de fallacy plutôt que celui de sophism, qui a sensiblement
le même sens général que « sophisme ». D’autre part, fallacy a
pour origine étymologique l’adjectif obsolète français « fallace ».
Comme la langue française ne comprend pas de terme corres-
pondant parfaitement à fallacy, ce serait un juste retour des
choses qu’il soit traduit par le substantif « fallace ».
Selon Hamblin, le traitement des fallaces est, depuis Aristote,
resté atrophié : on n’en aurait jamais fourni de véritables théori-
sation et systématisation en raison d’une perspective logique
trop restrictive. En vertu d’un privilège indu accordé aux modes
valides de raisonnement, ses modes invalides auraient été consi-
dérés comme quantité négligeable. L’étude des fallaces serait
restée un parent pauvre de la logique parce que, pour elle, trop
excentrique et d’un intérêt exclusivement négatif. À cet égard, le
renouvellement par Hamblin de l’étude des fallaces et aussi sa
reconnaissance de fallaces informelles peuvent être vus comme
une tentative, semblable à celle de Toulmin, d’extension de la
logique formelle et d’ouverture du champ de l’argumentation.
Pour Hamblin, une fallace est un argument qui n’est pas valide
mais qui a l’apparence de la validité. Pour lui, donc, une fallace
est un argument par définition défectueux. Hamblin reprend
d’emblée les mêmes types de fallaces répertoriés depuis Aristote
(dans les Réfutations sophistiques), comme l’équivoque, l’amphi-
bologie, la composition et la division, l’accident, la pétition de
LES RECHERCHES CONTEMPORAINES EN ARGUMENTATION ET RHÉTORIQUE 71

principe, l’affirmation du conséquent, la fausse cause, la ques-


tion multiple et les différents arguments ad comme l’argument
ad hominem, l’argument ad verecumdiam, l’argument ad misericor-
diam et l’argument ad ignorantiam. Même s’il s’en prend à la
distinction, pour lui inadéquate, entre fallaces formelles et
fallaces informelles, le souci premier d’Hamblin n’est pas taxino-
mique. Sa préoccupation majeure est moins de catégoriser les
différentes fallaces que de comprendre le mécanisme ou plutôt
les mécanismes par lesquels un argument peut apparaître valide
sans l’être.
À cet égard, l’aspect crucial de la théorie des fallaces
d’Hamblin est précisément qu’elles y soient caractérisées comme
des arguments. Hamblin est probablement le premier à tenter
de tirer toutes les conséquences de ce trait de définition, à
prendre véritablement au sérieux la nature argumentative des
fallaces. Pour saisir la distorsion en jeu dans la fallace, pour
comprendre comment un argument invalide peut avoir une
apparence de validité, il faut d’abord comprendre ce qu’est un
argument et, plus précisément encore, ce qui donne validité à
l’argumentation.
Hamblin définit intuitivement l’argument de manière tout à
fait conventionnelle : pour lui, il est constitué de prémisses
posées comme support à une conclusion. Ce qu’Hamblin
souligne avec force au sujet de l’argument, c’est que la relation
entre les prémisses et la conclusion n’y est pas de l’ordre de
l’implication logique, qu’un argument peut être formulé sans
que les prémisses engagent nécessairement à la conclusion. En
d’autres termes, les arguments peuvent être valides ou inva-
lides. L’essentiel de la thèse d’Hamblin sur la validité de l’argu-
mentation est qu’elle ne dépend pas de critères logiques relatifs
à la vérité des prémisses ou de critères épistémiques relatifs à la
reconnaissance de la vérité des prémisses mais à des critères
dialectiques relatifs à leur acceptabilité. À ses yeux, l’argumen-
tation est affaire non pas de vérité ni même d’adhésion à la
vérité mais, en dernière instance, de croyance. C’est le cas en
raison de l’objectif de persuasion poursuivi par l’argumenta-
tion. Cette finalité persuasive est déterminante pour la validité
des arguments. En quelque sorte, ce qu’on pourrait appeler la
« valeur persuasive » d’un argument est plus pertinente à sa
72 HISTOIRE DES THÉORIES DE L’ARGUMENTATION

validité que la vérité ou la portée cognitive effective de ses


prémisses (de sa conclusion et du procédé d’inférence liant les
premières à la seconde). C’est ce qui explique qu’un locuteur
cherchant à persuader un auditeur utilisera ou, à tout le moins,
sera porté à utiliser des prémisses qu’il sait être acceptées par
son auditeur ou son auditoire même si ces prémisses ne sont
pas vraies ou connues comme telles. (Hamblin rejoint ici
Perelman sur l’importance de l’adaptation à l’auditoire dans
l’argumentation.)
Hamblin qualifie de « dialectiques » les critères relatifs à
l’acceptabilité de l’argument parce qu’ils relèvent du contexte
d’échange entre locuteur et auditeur, qui constitue le cadre
obligé de toute argumentation. La dialectique, telle que l’entend
Hamblin, a trait à des systèmes de règles ou de conventions qui
bordent et gouvernent les différents types de dialogues. Ces
règles et conventions, qui ont pour fonction de prescrire, de
prohiber ou de permettre des comportements discursifs, portent,
en plus de l’argumentation, entre autres choses, sur les éléments
contextuels du dialogue et l’alternance des tours de parole. Parce
que l’ensemble de ces critères sont entièrement relatifs aux inter-
locuteurs et au contexte de leur échange, l’acceptabilité, nœud
focal de l’argumentation, est de nature variable.
Pour Hamblin, la dialectique n’abolit pas la logique, mais
l’englobe. De ce point de vue, les règles logiques peuvent être
considérées comme des conventions acceptées par les interlocu-
teurs. Sans doute la logique joue-t-elle un certain rôle dans un
certain nombre d’arguments, mais même ces arguments ne sont
pas en tant que tels évaluables en fonction de leur rigueur
formelle mais de leur acceptabilité. La logique ne peut s’instituer
en juge absolu, « impersonnel » de l’argumentation parce que la
validité de celle-ci est relative, plus largement, à l’acceptation des
interlocuteurs. Stipuler qu’un argument est valide, c’est simple-
ment marquer que ses prémisses, conclusion et procédé d’infé-
rence sont acceptés.
Parce qu’il récuse ainsi tout impérialisme de la logique dans
l’évaluation de la validité des arguments, Hamblin soutient qu’il
n’est pas possible de développer une théorie formelle (c’est-à-dire
une logique symbolique) des fallaces, ni même de fournir une
analyse formelle pour l’ensemble d’entre elles. Il reconnaît par
LES RECHERCHES CONTEMPORAINES EN ARGUMENTATION ET RHÉTORIQUE 73

ailleurs que la logique peut fournir un traitement adéquat de


certaines fallaces. C’est que, pour Hamblin, il existe trois diffé-
rentes sortes de fallaces : les fallaces formelles, les fallaces infor-
melles et les fallaces linguistiques.
Les fallaces formelles sont celles qui contreviennent aux règles
du raisonnement déductif. Une première série est celle des syllo-
gismes mal formés parce que irrespectueux des règles de distri-
bution. Par exemple,
Tous les avocats sont des diplômés
Quelques diplômés sont malhonnêtes
Donc quelques avocats sont malhonnêtes
est un raisonnement fallacieux ou une fallace parce que, bien
sûr, il pourrait arriver qu’aucun avocat ne figure parmi les
diplômés malhonnêtes. Une autre fallace formelle est l’affirma-
tion du conséquent, une forme pervertie du modus tolens. Le
modus tolens est un raisonnement constitué d’une première
prémisse qui est une implication (P Q), d’une seconde prémisse
déniant le conséquent de la première prémisse (~ Q) et d’une
conclusion déniant l’antécédent de la première prémisse (~ P).
Ce raisonnement est parfaitement valide. Par exemple,
Quand j’ai la grippe, j’ai mal à la tête
Je n’ai pas mal à la tête
Donc je n’ai pas la grippe
est un raisonnement qui ne comporte aucun vice de forme. Le
modus tolens perverti ou affirmation du conséquent est constitué
d’une première prémisse qui est une implication (P Q), d’une
seconde prémisse affirmant le conséquent de la première
prémisse (Q) et d’une conclusion affirmant l’antécédent de la
première prémisse (P). Contrairement au modus tolens, il s’agit là
d’un raisonnement invalide. Par exemple, de
Quand j’ai la grippe, j’ai mal à la tête
J’ai mal à la tête
je ne peux légitimement inférer que
Donc j’ai la grippe
car, bien sûr, je peux avoir mal à la tête pour des raisons autres
que la grippe, si, par exemple, j’ai trop fumé ou trop bu. Les
fallaces comme celles qui précèdent sont invalides parce qu’elles
74 HISTOIRE DES THÉORIES DE L’ARGUMENTATION

contreviennent à des règles formelles. La logique formelle est


donc en mesure d’en fournir un traitement explicatif.
Ce n’est pas le cas pour les deux autres groupes de fallaces.
Le premier est constitué des fallaces informelles ; leur invalidité
ne résulte pas d’une déficience logique. C’est le cas, selon
Hamblin, de celles qui sont classées externes au langage par Aris-
tote, comme la pétition de principe (begging the question), ce
raisonnement circulaire dont la conclusion ne fait que reprendre
dans des termes différents le contenu des prémisses (par
exemple : « Il est innocent puisqu’il n’est pas coupable »). Le
troisième et dernier type de fallaces est celui des fallaces linguis-
tiques : celle qu’Aristote qualifie de dépendantes du langage,
comme l’amphibologie (ou équivoque, par exemple une expres-
sion à double sens comme la « peur de l’autre », qui peut dénoter
soit notre peur de l’autre, soit la peur que l’autre peut avoir). Les
fallaces informelles et les fallaces linguistiques ne contrevien-
nent pas à une règle logique. Hamblin soutient conséquem-
ment que leur analyse relève non pas de la logique mais de la
dialectique.

Après Hamblin, l’étude des fallaces prend un essor tel qu’elle


est devenue, en particulier depuis une vingtaine d’années, un
objet de recherche dominant en étude de l’argumentation. Par
comparaison à Hamblin, qui se préoccupe surtout de théoriser la
« fallacité », les chercheurs qui le suivent s’intéressent aux diffé-
rentes fallaces pour elles-mêmes. Deux problématiques retien-
nent principalement leur attention, celle de la classification de
l’ensemble des fallaces ainsi que celle de la définition, de la caté-
gorisation et de l’évaluation de fallaces particulières.
Hamblin, nous l’avons vu, même s’il prend pour point de
départ les différentes classifications antérieures des fallaces et
même s’il aboutit à une distinction entre trois types de fallaces,
ne se donne pas pour objectif primordial de les catégoriser. C’est
le cas d’un grand nombre d’autres chercheurs qui proposent des
classifications rivales des fallaces reposant sur différents prin-
cipes de distinction.
La distinction entre fallaces formelles et fallaces informelles
reste pertinente aux yeux de beaucoup. Elle est souvent abordée,
au moins partiellement, en fonction d’une autre distinction
LES RECHERCHES CONTEMPORAINES EN ARGUMENTATION ET RHÉTORIQUE 75

entre arguments déductifs et arguments inductifs. William


Halverson [1984], par exemple, oppose les fallaces formelles, que
sont pour lui les arguments déductifs invalides en vertu d’une
déficience de forme, aux fallaces informelles, qu’il identifie aux
arguments déductifs ou inductifs dont l’invalidité est attribuable
à toute raison autre que de forme. Différemment, d’autres classi-
fications, celle par exemple de Richard Purtill [1972], opposent
directement les fallaces de déduction et celles d’induction en les
distinguant d’autres types de fallaces.
Certaines typologies sont en fait des sous-catégorisations.
Ainsi, Morris Engel [1980], sans les définir par opposition à de
présumées fallaces formelles, différencie trois types distincts de
fallaces informelles : les fallaces d’ambiguïté, relatives à la clarté
de l’argument ; les fallaces de présomption (presumption) rela-
tives à ce qui est invoqué dans l’argument ; et les fallaces de
pertinence (relevance), relatives à la validité du raisonnement
suivi dans l’argument.
D’autres classifications reposent sur des critères de distinc-
tion autres que l’opposition formel/informel. Ralph Johnson et
Anthony Blair [1983], par exemple, proposent une catégorisa-
tion de cinq types de fallaces : des fallaces de fondement (basic),
des fallaces de diversion, des fallaces de personnalisation, des
fallaces linguistiques et des fallaces d’intimidation.
Les classifications des fallaces deviennent de plus en plus volu-
mineuses et complexes. Par exemple, celle de Stephen Downes
[1996] répertorie et traite de treize différents types de fallaces
comportant un total de cinquante-deux fallaces (que, curieuse-
ment, Downes considère toutes logiques).
Comme on peut le constater, les classifications des fallaces
sont en conflit sur un certain nombre de points. Cette concur-
rence se répercute jusque sur la définition, la catégorisation et
l’évaluation qu’il convient de fournir de chacune des fallaces.
Nous ne considérerons ici que le seul exemple de l’argument ad
hominem.
John Locke, le premier (dans son Essay Concerning Human
Understanding) à traiter de l’argument ad hominem, le définit
restrictivement comme la mise en cause d’un opposant du fait
qu’il se refuse à endosser la conclusion qui s’impose de prémisses
auxquelles il prétend adhérer. Pour Locke, l’argument ad
76 HISTOIRE DES THÉORIES DE L’ARGUMENTATION

hominem porte donc sur une contradiction logique et, bien qu’il
ne se prononce pas explicitement sur la question, on peut aisé-
ment considérer qu’il est à ses yeux parfaitement valide. De nos
jours, l’argument ad hominem a pris une extension beaucoup
plus large : il désigne, suivant en cela son étymologie, toute
forme d’argumentation portant sur la personne d’un adversaire.
Dans son sens le plus usité, cependant, un argument ad hominem
est un argument contre l’homme : une attaque de la personne
de l’adversaire plutôt que de ses idées, opinions ou arguments
(si bien que certains, afin de préserver une forme non négative
d’argumentation sur l’homme, proposent comme pendant de
l’argument ad hominem un argument ad laudatory).
Les principaux débats concernant l’argument ad hominem ont
trait aux questions de sa nature logique, de son caractère falla-
cieux et de sa typologie. Certains, à la suite de Locke, considèrent
que, parce qu’il pointe une contradiction logique, l’argument ad
hominem est lui-même logique. À l’opposé, dans quelques-unes
des classifications des fallaces dont nous avons précédemment
rendu compte, il relève, explicitement ou implicitement, de caté-
gories informelles. Pour Engel [1980], l’argument ad hominem est
une fallace de pertinence (relevance), une sous-catégorie des
fallaces informelles. Même chose pour Halverson [1984]. Dans
les typologies de Purtill [1972] et de Downes [1996], il est dit
appartenir à des catégories de fallaces apparemment informelles
dans la mesure où apparaît également dans l’une et l’autre classi-
fication une catégorie de fallaces formelles.
Quand on se contente de le définir globalement comme une
attaque de la personne plutôt que des positions d’un adver-
saire, l’argument ad hominem est généralement considéré comme
une fallace. Parmi beaucoup d’autres, Warner Morse [1973],
Michael Scriven [1987], Bruce Waller [1988], Francis Watanabe
Dauer [1989], Howard Kahane [1988] et David Cornay et Ronald
Munson [1990] le considèrent comme tel. Mais, pour certains
chercheurs, l’attaque de la personne de l’adversaire ne constitue
pas nécessairement un argument invalide. C’est le cas, quand
elle n’est pas une tactique de diversion, de R. J. Fogelin [1978],
Peter Minkus [1980], Trudy Govier [1988] et John Woods et
Douglas Walton [1989 et 1992]. Gilles Gauthier [1998a et b]
propose un jeu de trois critères, de véridicité, de justification et
LES RECHERCHES CONTEMPORAINES EN ARGUMENTATION ET RHÉTORIQUE 77

de pertinence, en fonction desquels peuvent être discriminés les


usages légitimes et les usages spécieux des arguments ad
hominem.
La question de savoir si l’argument ad hominem constitue
toujours ou non une fallace est souvent traitée en relation avec
celle de sa nature formelle. Selon quelques chercheurs, c’est
précisément parce qu’ils ne sont pas formellement valides que
certains arguments ad hominem sont des fallaces. Trudy Govier
[1988] et Irving Copi [1978] considèrent ainsi que l’argument
dit « des chasseurs » (hunters’ argument) est une fallace du fait
qu’il manque de consistance logique. D’après eux, la réplique
qu’adressent les chasseurs à ceux qui les accusent d’être cruels
et barbares à l’égard des animaux d’être eux-mêmes des consom-
mateurs de viande animale pose un lien qui n’est pas probant
entre la chasse et la consommation de viande. Par contre, aux
yeux d’autres chercheurs comme Cragan et Curbirth [1984],
certains arguments ad hominem sont parfaitement valides s’ils
respectent (entre autres) le même critère de consistance logique.
Invoquer l’incompétence ou la malhonnêteté d’un politicien
pour s’opposer à sa candidature à un poste électif serait ainsi
parfaitement convenable du fait que la compétence et l’honnê-
teté des candidats sont des attributs pertinents dans la décision
de leur confier ou non des mandats publics.
Une part importante de la recherche menée au sujet de l’argu-
ment ad hominem consiste à tenter d’en établir une typologie.
La catégorisation la plus classique et encore aujourd’hui la plus
répandue, celle admise entre autres par Robert Baum [1975],
Parley Hurley [1982], Stephen Barker [1985], Robert Churchill
[1986], Vincent Barry et Douglas Soccio [1988], Douglas Walton
[1984, 1987, 1989a, 1989b et 1992] et Stephen Downes [1996],
distingue trois différents types d’arguments ad hominem : des
arguments injurieux ou offensants (abusive), qui s’en prennent
de manière directe et injustifiée à la personne d’un adversaire ;
des arguments circonstanciels (circumstantial), qui évoquent
quelque trait de la personnalité d’un adversaire ou de sa relation
avec quelque aspect du contexte afin de le discréditer ; des argu-
ments tu quoque (you also), qui mettent en évidence la contradic-
tion entre les propos et la conduite d’un adversaire.
78 HISTOIRE DES THÉORIES DE L’ARGUMENTATION

Insatisfaits de cette typologie, des chercheurs proposent des


classifications différentes. John Woods et Douglas Walton [1989
et 1992] identifient ainsi quatre différentes sortes d’arguments
ad hominem portant soit sur une inconsistance logique (par
exemple, soutenir deux positions contradictoires), soit sur une
inconsistance assertive (par exemple, affirmer qu’on ne fait pas
précisément ce qu’on est en train de faire : « Je ne dis rien main-
tenant »), soit sur une inconsistance praxiologique (une contra-
diction entre ce qui est dit et ce qui fait), soit sur une
inconsistance déontico-praxiologique (une contradiction entre
ce qui est dit devoir être fait et ce qui est effectivement fait).
Pour sa part, Gilles Gauthier [1995] propose de distinguer trois
types d’arguments ad hominem : des arguments logiques, qui
consistent à attaquer la personne d’un adversaire en vertu d’une
contradiction entre deux positions ou propositions auxquelles
il adhère, souhaiterait adhérer ou serait contraint d’adhérer ; des
arguments circonstanciels, qui consistent en la mise en cause
d’un opposant en vertu d’une inconsistance supposée entre une
position qu’il affiche et quelque trait de sa personnalité ou de
son environnement ; et des arguments personnels, qui consis-
tent en une attaque frontale de l’adversaire sans que soit explici-
tement évoquée une inconsistance formelle ou pragmatique.

La logique informelle

Dans la foulée de l’étude des fallaces s’est constitué un champ


de recherche plus large et englobant, celui de la logique infor-
melle (à laquelle est expressément consacrée la revue scientifique
Informal Logic). Prenant acte, à la suite d’Hamblim, de l’incapa-
cité de la logique formelle à traiter des fallaces, des chercheurs
se sont mis en quête d’un système de raisonnement ou d’articu-
lation de la pensée moins contraignant et mieux à même de
rendre compte de l’argumentation « naturelle », celle de la vie
quotidienne. Comme Ralph Johnson et Anthony Blair [1978] en
décrivent la genèse, la logique informelle s’est petit à petit
constituée quand on a voulu étendre à l’ensemble des argu-
ments, et pas seulement à ceux dont la validité apparaît faire
problème, l’analyse initiée au sujet des fallaces. Elle résulte donc
LES RECHERCHES CONTEMPORAINES EN ARGUMENTATION ET RHÉTORIQUE 79

d’un mouvement d’expansion de l’étude des fallaces à celle de


l’argumentation dans son ensemble.
Selon Wayne Grennan [1997], la logique formelle comporte
trois déficiences cruciales pour l’analyse de l’argumentation.
Trop concentrée sur l’inférence (ce que Grennan appelle le
« déductivisme », deductivism), elle ne pose pas la question de la
validité des prémisses et traite comme quantité négligeable les
arguments inductifs et les arguments matériels. Pour tenter de
pallier ses lacunes, la logique informelle se développe sur quatre
principaux fronts de recherche : ceux du langage, du dialogue,
de la schématisation et de l’évaluation.
Selon Ronald Munson [1976] et, plus explicitement encore,
R. J. Fogelin [1978], l’argumentation est une activité essentiel-
lement linguistique : elle est l’une des actions qu’il nous est
possible d’effectuer au moyen du langage et également une
action dont l’accomplissement exige le recours au langage. De ce
point de vue éminemment pragmatique, la logique formelle, qui
ne peut traiter que des modèles (patterns) de l’argumentation, ne
suffit pas pour l’analyse des arguments et doit être complétée
par une logique informelle vouée à l’étude de l’usage argumen-
tatif du langage. Fogelin examine ainsi un certain nombre de
constituants linguistiques employés dans l’argumentation,
comme les performatifs argumentatifs (argumentative performa-
tives), ces verbes qui, lorsqu’ils sont utilisés à la première
personne de l’indicatif présent, marquent explicitement un
comportement argumentatif (par exemple, « je pose que… », « je
prétends que… », « je concède que… » et « je conclus que… »),
et des connecteurs de garantie (warranting connectives), par
lesquels sont opérées des inférences argumentatives (par
exemple, « donc », « alors », « parce que » et « puisque »).
Adoptant lui aussi une perspective résolument pragmatique,
Douglas Walton [1989b] propose de considérer l’argument dans
un contexte d’échange d’un dialogue interactif. Après avoir
distingué différents types de dialogue (la querelle, le débat, la
persuasion, la recherche, la négociation, la diffusion d’informa-
tion, l’incitation à l’action et l’éducation), Walton identifie
quatre phases successives de ces dialogues : un stade d’ouver-
ture, un stade de confrontation, un stade d’argumentation
proprement dite et un stade de clôture. À la lumière de ce
80 HISTOIRE DES THÉORIES DE L’ARGUMENTATION

modèle, Walton réexamine différents types d’arguments, comme


la déduction, et quelques fallaces, comme l’appel aux émotions,
l’argument ad hominem et l’argument ad verecumdiam.
Deux préoccupations importantes (souvent liées) de la logique
informelle sont la schématisation et l’évaluation. Dans un souci
utilitaire qui annonce déjà la pensée critique, des chercheurs,
John Nolt [1984] par exemple, en introduisant l’appareillage
conceptuel des mondes possibles, proposent des modes de repré-
sentation schématique de l’argumentation. Deux raisons sont
invoquées pour justifier l’assemblage de tels diagrammes d’argu-
ments. La première est que les arguments ne sont pas tous, il
s’en faut de beaucoup, simples ou élémentaires mais très souvent
complexes et entremêlés. Ensuite, et surtout, s’il est vrai que la
formulation d’arguments nécessite l’expression d’énoncés, la
relation n’est pas toujours univoque entre les uns et les autres :
fréquemment, il n’est pas facile de déceler et d’isoler l’argument
exprimé dans une série d’énoncés. Il devient alors avantageux
de disposer de grilles d’interprétation permettant d’extirper les
arguments du magma de l’expression.
C’est un esprit d’opérationnalisation semblable qui conduit
des chercheurs à élaborer des systèmes d’évaluation des argu-
ments. Celui de Wayne Grennan [1997] est constitué d’une
combinatoire de cinq éléments : une méthode de description de
la structure des arguments, des stratégies d’évaluation des infé-
rences qui les régissent, des stratégies d’évaluation des prémisses,
des stratégies d’évaluation de la qualité globale des arguments
et une procédure formelle incorporant ces différents types de
stratégies.
La logique informelle se déploie aujourd’hui dans des champs
de recherche qui dépassent le strict cadre de l’argumentation. Par
exemple, Fred Feldman [1986] esquisse une logique informelle
déontique dans laquelle il développe une théorie éthique utili-
tariste autour des différentes notions d’obligation.

La pensée critique

L’analyse des fallaces et la logique informelle se sont, pour une


part, instrumentalisées dans ce qu’on appelle la « pensée
critique » (critical thinking), quelquefois également nommée le
LES RECHERCHES CONTEMPORAINES EN ARGUMENTATION ET RHÉTORIQUE 81

« raisonnement critique » (critical reasoning) ou la « pensée


rationnelle » (rational thinking), qui fait aujourd’hui l’objet d’une
littérature abondante et s’étend dans une multiplicité de direc-
tions tout aussi impressionnante (voir, pour une vue d’ensemble,
Jeris Cassel et Robert Congleton [1993]).
Si certains travaux en pensée critique adoptent un point de
vue assez logiciste, par exemple John Bennett [1980] et
J. B. Cederblom et D. W. Paulsen [1982], la plupart s’articulent
plutôt autour de l’argumentation. La pensée critique a une
origine essentiellement pédagogique. Comme Richard Paul
[1990] en fait le rappel historique, elle sert d’abord une fin
éducative : inculquer aux étudiants le sens critique et développer
chez eux des habiletés de penser. Elle se veut ainsi à la fois résis-
tance contre le conformisme des idées reçues et créativité dans
le développement d’une pensée originale. La pensée critique, à
tout le moins dans certaines recherches, prend une allure assez
normative du fait qu’elle repose sur ce qu’on pourrait appeler un
« axiome de méfiance » suivant lequel le langage est trompeur et
l’organisation sociale favorise la manipulation face à laquelle les
individus sont démunis.
Les travaux les plus systématiques en pensée critique, Linda
Little et Ingrid Greenberg [1991], Francis Watanabe Dauer
[1989], Frederick Little, Leo Groarke et Christopher Tindale
[1989] et David Hitchcock [1983], pour n’en mentionner que
quelques-uns parmi un grand nombre, reprennent des éléments
de logique et d’argumentation, comme les raisonnements
déductif et inductif et les fallaces, les appliquent à des situations
concrètes de discours et proposent à leur sujet des exercices. Ils
cherchent de la sorte à développer chez les étudiants une plus
grande capacité de formulation, de repérage et d’évaluation des
arguments.
D’autres recherches portent sur des aspects plus ponctuels.
Patricia King et Karen Kitchener [1994] s’intéressent plus particu-
lièrement au jugement réflexif (dont on doit faire preuve quand
on ne dispose pas de toutes les données ou informations rela-
tives à une question). Vincent Ruggiero [1990] propose un guide
incitant à privilégier la raison contre l’irrationalité — les « senti-
ments » (feelings) — porteuse de résistance au changement, de
conformisme, de simplification et de stéréotypes. Diane Halpern
82 HISTOIRE DES THÉORIES DE L’ARGUMENTATION

[1984] aborde la pensée critique par rapport à la connaissance


et en fait ainsi voir la portée épistémologique. Frederick Little
[1980] met en relation pensée critique et prise de décision (deci-
sion making).
Comme la pensée critique a une visée principalement éduca-
tive, il n’est pas étonnant qu’un grand nombre d’ouvrages
portent sur son enseignement même, entre autres John McPeck
[1990], Stephen Norris et Robert Ennis [1989], Harvey Siegel
[1988] et James Stice [1987].

L’argumentation communicationnelle

Quelques travaux contemporains sur l’argumentation cher-


chent à l’appréhender directement en fonction de la communi-
cation : soit, alors, l’argumentation ou plutôt la diffusion ou la
transmission de l’argumentation est caractérisée par son
contexte communicationnel, soit elle est analysée dans les
modes particuliers d’application qu’elle adopte dans les diffé-
rentes pratiques de communication publique.
Barbara Warnick et Edward Inch [1994] et Vernon Jensen
[1981] sont deux bons exemples de la première manière de lier
argumentation et communication. Warnick et Inch définissent
l’argument en fonction, essentiellement, d’une situation de
désaccord : pour eux, il apparaît et est utilisé quand existe une
divergence entre deux positions possibles. Ils identifient quatre
éléments contextuels relatifs à cette situation de désaccord : la
culture, les champs argumentatifs (ceux-là mêmes de Toulmin),
l’« occasion » (argument occasion) et l’incidence éthique. De façon
assez similaire, Jensen s’intéresse au domaine particulier d’appli-
cation de l’argumentation qu’est le débat. Ce qui l’amène à inté-
grer à l’analyse des arguments quelques facteurs originaux
comme la crédibilité et la réfutation.
Quant à l’analyse de l’argumentation spécifique aux pratiques
de communication publique, elle peut être menée indirecte-
ment, comme chez Richard Rieke et Malcolm Sillars [1984], ou
plus explicitement, comme chez Howard Kahane [1988] et
Michael Sproule [1980]. Rieke et Sillars caractérisent l’argument
comme un outil de prise de décision (decision making) dans diffé-
rents domaines d’activités : en droit, en éducation, en politique,
LES RECHERCHES CONTEMPORAINES EN ARGUMENTATION ET RHÉTORIQUE 83

en religion et en affaires. Une dimension primordiale de tous


ces domaines est la communication. Par exemple, il est mani-
feste que l’argumentation politique relève essentiellement de la
communication politique. Kahane cherche à analyser l’usage
contemporain de la raison dans la vie de tous les jours. Il est
ainsi conduit à examiner comment les inférences formelles
valides et aussi les fallaces sont utilisées en publicité et dans
l’information journalistique. Sproule, qui distingue trois grands
types d’arguments, les descriptions, les interprétations et les
évaluations, étudie lui aussi l’argumentation des différentes
pratiques de communication publique ou sociale : en science, en
littérature, dans la chanson, en communication politique tout
autant qu’en publicité et en journalisme.

L’étude des fallaces, la logique informelle, la pensée critique


et l’argumentation communicationnelle ont donné lieu, jusqu’à
maintenant, essentiellement à l’examen d’arguments ou de
procédés argumentatifs particuliers. Sans doute certaines de ces
analyses ponctuelles font-elles écho à une conception plus ou
moins précise de l’argumentation ou sont-elles articulées autour
d’un cadre conceptuel plus ou moins net, mais elles ne se présen-
tent pas comme un savoir d’ensemble organisé et systéma-
tique. Dans le monde anglophone, ce n’est qu’assez récemment
qu’ont vu le jour les premières tentatives d’élaboration de véri-
tables théories de l’argumentation. La trace la plus explicite d’un
tel projet peut être trouvée chez E. M. Barth et J. L. Martens
[1982] dans les actes d’une conférence tenue à Groningue en
1978 où les participants, tous intéressés à l’argumentation mais
à partir d’horizons de recherche différents, étaient invités à
échanger dans un objectif de synthèse. Pour Barth et Martens, il
s’agissait clairement d’examiner si et comment l’argumentation
peut émerger comme discipline spécifique et donc à donner lieu
à un essai de théorisation.
Depuis, quelques théories différentes de l’argumentation ont
été développées. Les plus achevées sont celles de Trudy Govier
[1988 et 1987], de Douglas Walton [1996 et 1989], de Charles
Willard [1989 et 1983] et de Frans Eemeren et Rob Grooten-
dorst [1992 et 1983] (et avec Tjark Kruiter [1987]). Ces théories
de l’argumentation comportent un certain nombre de
84 HISTOIRE DES THÉORIES DE L’ARGUMENTATION

différences et même de points de divergence mais toutes quatre


ont en partage deux grandes caractéristiques : elles abordent
l’argumentation et l’argument dans une perspective pragma-
tique et, plus précisément encore, en fonction d’un contexte
communicationnel, et elles sont, peu ou prou, normatives.
Dans les quatre théories, l’argumentation est considérée relati-
vement au contexte énonciatif et l’argument est caractérisé en
fonction de son usage. Ce point de vue peut être dit « pragma-
tique » par opposition à un point de vue « sémantique » suivant
lequel l’analyse de l’argumentation et l’argument seraient réduc-
tibles à l’examen de propositions (au sens logique du terme) et
de leurs valeurs de vérité. Les quatre théories prennent pour
objet non pas des arguments abstraits, mais des arguments
« naturels » (natural arguments) ou « pratiques » (practical argu-
ments), c’est-à-dire des arguments tels qu’effectivement formulés
dans la vie quotidienne. En cela, elles se situent très clairement
dans le sillon de la logique informelle et de la pensée critique de
même qu’elles prolongent et systématisent les travaux d’argu-
mentation communicationnelle.
Par ailleurs, toutes les quatre comportent également une part
normative assez marquée. Non seulement visent-elles à dépar-
tager les arguments valides et invalides, mais elles sont aussi
développées en fonction d’un idéal sociétal, politique, épistémo-
logique ou, plus largement, communicationnel.

Govier : une théorie pratique

Trudy Govier est celui qui prend le plus de soin à préciser et


à justifier le statut théorique de sa théorie « pratique » de l’argu-
mentation (le sous-titre d’un des deux ouvrages où elle est
exposée est A Practical Study of Argument). Il l’oppose à trois
théories ou approches concurrentes : l’approche formelle,
suivant laquelle la logique formelle suffit à rendre compte des
arguments ; l’approche déductiviste (deductivist theory), pour
laquelle les seuls arguments valides sont ceux dont les prémisses
sont vraies et desquelles la conclusion est inférée déductive-
ment ; l’approche spectrale (spectrum theory), qui pose que la
force de l’inférence entre prémisses et conclusion est variable et
LES RECHERCHES CONTEMPORAINES EN ARGUMENTATION ET RHÉTORIQUE 85

qui donc reconnaît l’existence de types d’arguments autres que


les arguments déductifs.
Govier, de manière tout à fait orthodoxe, définit l’argument
comme un ensemble de propositions (claims) articulées en
prémisses et conclusion, à fonction justificatrice et à finalité
persuasive. Il met en évidence deux autres propriétés concomi-
tantes de l’argument : son caractère rationnel et sa nature non
violente. Pour lui, l’argument se particularise par un recours à la
raison et par un primat accordé à la discussion dans la gestion
de controverses. À ses yeux, l’argumentation constitue ainsi une
forme particulière d’activité communicationnelle (qu’il
distingue d’autres usages langagiers comme la question, la
description et surtout l’explication).
Govier s’attarde tout spécialement sur la question de la vali-
dité de l’argument. Selon lui, un argument, pour être valide, doit
rencontrer trois différentes conditions : une condition d’accepta-
bilité, une condition de pertinence et une condition de justifi-
cation (qu’il appelle des « ARG conditions »). La condition
d’acceptabilité stipule que les prémisses d’un argument doivent
être acceptables ; la condition de pertinence, qu’elles doivent
être relatives à la conclusion ; la condition de justification,
qu’elles fournissent un ou des fondement(s) suffisant(s) pour
une adhésion rationnelle à la conclusion.
Pour chacune de ces trois conditions, Govier met en avant
un certain nombre de caractéristiques ou modalités. Ainsi, il
établit une liste des critères assurant l’acceptabilité d’une
prémisse. Selon lui, outre le cas où elle n’a pas à être acceptée
mais seulement présupposée, comme dans un argument condi-
tionnel ou une réduction par l’absurde, une prémisse d’un argu-
ment est acceptable, suivant les différents contextes possibles,
si sa vérité est établie par un argument antérieur (alors consi-
déré comme un sous-argument de l’argument), si elle constitue
une vérité nécessaire (analytique), si elle relève de la connais-
sance commune, si elle est attestée par la crédibilité de celui qui
la présente ou si elle s’appuie sur une autorité appropriée. A
contrario, ces critères permettent à Govier d’établir les conditions
qui peuvent rendre les prémisses inacceptables : une prémisse
est inacceptable si elle est fausse ; un ensemble de prémisses est
inacceptable si elles sont inconsistantes (c’est-à-dire si elles
86 HISTOIRE DES THÉORIES DE L’ARGUMENTATION

produisent une contradiction) ; une prémisse est inacceptable si


elle repose sur une présupposition fausse ou controversée ; une
prémisse est inacceptable si sa vérité ne peut être reconnue par
quelqu’un qui n’adhère pas immédiatement à la conclusion
qu’elle justifie ; et, finalement, une prémisse est inacceptable si
elle est moins plausible que la conclusion.
Govier, par ailleurs, distingue quatre types de pertinence : la
pertinence positive, quand la vérité d’une conclusion est relative
à celle de sa ou ses prémisse(s) ; la pertinence négative, quand
la fausseté d’une conclusion est relative à la vérité de sa ou ses
prémisse(s) ; une pertinence normative, quand la vérité ou la
fausseté d’une conclusion évaluative est relative à la vérité de sa
ou ses prémisse(s) factuelle(s) ; et une pertinence nulle, quand
ni la vérité ni la fausseté d’une conclusion n’est relative à la
vérité de sa ou ses prémisse(s). En fonction de ces différents types
de pertinence, Govier caractérise un certain nombre de fallaces
comme l’argument ad hominem, l’argument de culpabilité par
association et l’appel à l’ignorance.
Quant à la condition de justification, Govier passe en revue
les principes et règles traditionnellement établis au sujet des
raisonnements déductif, analogique et inductif. Il en infère une
caractérisation de certaines autres fallaces, dont celles de la non-
distribution du moyen terme, du faux dilemme, de l’affirmation
du conséquent, de la dénégation de l’antécédent, de la fausse
analogie et de la question complexe.

Walton : une théorie dialogique

En plus de mener des travaux sur les fallaces avec John Woods,
Douglas Walton propose une théorie totalisante de l’argumen-
tation. Cette théorie peut être qualifiée de « dialogique » dans
la mesure où Walton, abordant l’argumentation dans la perspec-
tive de la logique informelle et de la pensée critique, la caracté-
rise essentiellement en fonction du contexte d’échange dans
lequel elle prend place.
D’ailleurs, Walton propose une définition de l’argument direc-
tement relative au dialogue : pour lui, il consiste en une propo-
sition (claim) pertinente à l’établissement d’une conclusion
suivant une procédure propre à un dialogue raisonné (appropriate
LES RECHERCHES CONTEMPORAINES EN ARGUMENTATION ET RHÉTORIQUE 87

procedures of reasonable dialogue). Lui-même oppose cette défini-


tion, qu’il dénomme « pragmatique » (le sous-titre de [1996] est
A Pragmatic Theory), à la définition sémantique convention-
nelle de l’argument dans laquelle il est conçu comme l’articu-
lation formelle de prémisses présentées à l’appui d’une
conclusion. Walton soutient que cette conception sémantique
est réductrice : qu’elle laisse dans l’ombre, entre autres choses, le
fait que les arguments peuvent servir autant à réfuter et mettre
en cause une opinion qu’à la fonder, qu’il existe des argu-
ments conditionnels et indirects et que les arguments peuvent
s’emboîter les uns dans les autres dans des arrangements
discursifs larges. Pour lui, l’aspect constitutif fondamental d’un
argument n’est pas son caractère justificatif — en cela il prend le
contre-pied direct de Hamblin et de Govier — mais son usage
dans un contexte dialogique.
Walton, tout à fait dans le même esprit que Toulmin, n’établit
pas sa théorie de l’argumentation contre la logique, bien au
contraire. À ses yeux, bien comprise, l’argumentation relève
d’une pragmatique logique (logical pragmatics) ; un argument,
c’est, en quelque sorte, bel et bien un ensemble de propositions,
mais tel qu’utilisé dans une situation d’échange discursif. D’une
certaine manière, l’entreprise de Walton consiste à indexer la
logique en contexte.
En fait, selon Walton, il existe différents types de dialogue :
la querelle personnelle, le débat public, la recherche en
commun, la négociation, la quête d’information, la recherche-
action et quelques autres qui se distinguent par leur contexte de
réalisation, la méthode ou cadre d’échange qu’ils imposent et
le but qui est poursuivi. Par exemple, le débat public résulte d’un
désaccord entre des positions possibles sur une question, donne
lieu à un affrontement et a pour finalité de susciter l’adhésion
d’un auditoire, alors que la négociation part d’une divergence
d’intérêts, ouvre à un marchandage et se conclut par un
compromis. Toujours d’après Walton, un dialogue, quel qu’en
soit le type, se déroule suivant un développement en quatre
stades successifs : une ouverture, une phase de confrontation,
une phase d’argumentation et une phase de fermeture. À chacun
de ces stades se posent des règles particulières ; par exemple, au
stade d’ouverture, des règles spécifiant les types de locutions
88 HISTOIRE DES THÉORIES DE L’ARGUMENTATION

admissibles (questions, assertions et autres) et régissant


l’échange dialogique (les tours de parole, les réactions permises
et autres choses de même type). De plus, s’imposent à l’ensemble
des quatre stades des règles générales d’argumentation. Ces
règles sont de trois types : des règles de pertinence (relevance),
relatives à ce qui peut compter comme arguments ; des règles
de coopération (cooperativeness), par exemple l’obligation de
répondre à une question posée ; et des règles d’information
(informativeness), par exemple l’obligation de donner toute
l’information nécessaire à l’échange sans en ajouter qui soit
superflue.
Bien que ces règles soient de nature procédurière, elles impli-
quent un modèle canonique de l’argumentation en ce qu’elles
spécifient les conditions argumentatives d’un dialogue idéal.
C’est en cela que la théorie de Walton est normative : elle amène
à départager les arguments acceptables et les arguments inaccep-
tables en regard d’un dialogue type. Un argument invalide est
un argument qui transgresse une règle de pertinence, de coopé-
ration ou d’information. Selon Walton, à ces règles positives
correspondent des règles négatives qui permettent de caracté-
riser les erreurs, fautes et manquements argumentatifs. Lui-
même s’emploie à définir les fallaces relativement à ces règles
négatives. Par exemple, il explique le caractère fallacieux de
certains arguments ad hominem et ad verecumdiam par un
manque de pertinence.

Willard : une théorie oppositionnelle

La théorie de l’argumentation de Charles Willard est sans


contredit celle qui procède de la plus haute ambition heuris-
tique. L’argument, pour Willard, est une notion fondamentale-
ment multidisciplinaire : elle serait depuis toujours,
explicitement ou implicitement, au cœur de champs d’étude
aussi différents et variés que la philosophie, la sociologie des
sciences, la sociologie de la connaissance, la logique infor-
melle, l’épistémologie, l’éthique, la science politique et la pensée
critique. La théorie de Willard (ou plutôt, pourrait-on sans doute
mieux dire, sa « métathéorie ») se donne pour double objectif
de faire voir, dans une perspective sociologique, comment
LES RECHERCHES CONTEMPORAINES EN ARGUMENTATION ET RHÉTORIQUE 89

l’argumentation structure les rapports entre les individus et les


groupes et, dans une perspective épistémologique, de quelle
façon elle régularise les savoirs. En raison de l’ampleur de son
entreprise, le propos de Willard est davantage spéculatif
qu’empirique et technique. Son intérêt analytique, portant sur
la structuration sociale de l’argumentation, se double d’un
intérêt critique qui, lui, porte sur les conditions et possibilités
du discours public réussi. Willard dresse ainsi un cadre théorique
très large autour de l’interactionnisme et du constructivisme, qui
l’amène à s’intéresser moins à l’argumentation et aux argu-
ments en tant que tels qu’à leurs conséquences épistémiques, par
exemple sur la rationalité, et politiques, par exemple sur l’exer-
cice de la liberté.
Willard propose tout de même une certaine définition de
l’argument et une certaine caractérisation des fallaces. Il définit
l’argument comme une forme d’interaction dans laquelle les
acteurs adoptent des positions incompatibles. Pour lui, l’argu-
ment prend place dans un contexte de dissension (dissensus), de
désaccord (disagreement), donc de débat et de confrontation ; en
cela le terme « oppositionnelle » est idoine pour caractériser sa
théorie. En fait, la notion d’argument telle que Willard l’entend
combinent les deux sens possibles que lui donne la langue
anglaise : celui (le seul qui a cours en français) d’un raisonne-
ment utilisé dans une finalité persuasive et celui d’une dispute,
d’un désaccord. L’argumentation, pour Willard, c’est à la fois la
confrontation de deux points de vue opposés et les justifications
ou démonstrations développées à l’appui de ces points de vue. À
cet égard, il y a, chez Willard, un certain glissement de la rhéto-
rique vers la dialectique ou plutôt une certaine intégration de la
dialectique dans la rhétorique.
Le caractère pragmatique de la théorie de Willard apparaît clai-
rement à la lumière des précisions qu’il apporte à sa définition de
l’argument. À ses yeux, l’interaction argumentative est de nature
conversationnelle et communicationnelle. Ainsi, il pose comme
conditions à l’échange argumentatif une compétence communi-
cationnelle des protagonistes, leur recours à des énoncés
compréhensifs et leur respect de règles conversationnelles et
même métacommunicationnelles (relatives au cadre conflictuel
de l’argumentation).
90 HISTOIRE DES THÉORIES DE L’ARGUMENTATION

La théorie de l’argumentation de Willard est aussi normative :


telles qu’il les caractérise, les conditions et règles de l’argumen-
tation constituent ou, du moins, participent à autant de normes
d’une communication idéale. En cela, son point de vue rejoint
assez, en se centrant essentiellement sur l’argumentation, celui
de la philosophie d’Habermas.
Sa conception sociologique de l’argumentation amène Willard
à adopter sur la question des fallaces une position originale, du
moins par rapport aux travaux poursuivis en logique informelle.
Selon lui, les fallaces, comme procédés argumentatifs, doivent
être considérées comme des défectuosités non pas logiques, mais
morales, procédurales ou relationnelles. En cela, à ses yeux, la
logique informelle se révèle incapable d’en fournir un traite-
ment adéquat, et le terme même de fallacies est inapproprié pour
les désigner correctement dans la mesure où il comporte une
connotation logique originelle. Selon Willard, ce qu’on appelle
« fallacies » et « fallaces » sont des procédés argumentatifs utilisés
en cours de débat, dont la légitimité fait d’emblée problème :
on les soupçonne immédiatement d’être, sous des dehors
formellement admissibles, potentiellement trompeurs. En plus
de les définir hors de la logique, Willard soutient que les fallaces
n’ont pas nécessairement un caractère fallacieux : selon lui, leur
utilisation peut, dans certains contextes, être parfaitement
acceptable. Willard fournit de la sorte une caractérisation de
l’argument ad hominem suivant laquelle il constitue un procédé
potentiellement défectueux sur le plan non pas logique, mais
relationnel. Il existe, soutient-il, des cas où l’évaluation d’une
personne ne peut être distinguée de l’évaluation de ses idées, et
s’en prendre à la personne d’un opposant est alors opportun si
cette mise en cause est pertinente à l’attaque de ses idées.

Eemeren et Grootendorst : une théorie pragma-dialectique

De toutes les théories contemporaines anglophones de l’argu-


mentation, celle de Frans van Eemeren et Rob Grootendorst (et
aussi, partiellement, Tjark Kruiter) est celle qui allie le plus inti-
mement les aspects pragmatique et normatif. Ils cherchent
intentionnellement à combiner une description technique de
l’argumentation à son évaluation : il leur semble que la
LES RECHERCHES CONTEMPORAINES EN ARGUMENTATION ET RHÉTORIQUE 91

caractérisation d’un argument implique nécessairement quelque


considération sur son acceptabilité et, à l’inverse, que la détermi-
nation de la validité de l’argument repose sur sa description
adéquate.
Aux yeux d’Eemeren et Grootendorst, l’argumentation est un
processus de résolution de divergence d’opinions dans le cadre
d’une discussion critique. On comprend pourquoi ils qualifient
leur approche de « pragma-dialectique » (pragma-dialectical) :
pour eux, l’argumentation comporte une dimension pragma-
tique du fait qu’elle se déploie dans un contexte de communi-
cation où les acteurs tentent de résoudre leurs désaccords, et une
dimension dialectique, au sens aristotélicien du terme, dans la
mesure où son procès de persuasion repose sur l’échange
rationnel. C’est, par ailleurs, en raison de ce dernier trait que la
théorie d’Eemeren et Grootendorst est normative : le caractère
rationnel de la discussion dans laquelle l’argumentation prend
place détermine les conditions de sa validité.
Les éléments les plus intéressants de la théorie d’Eemeren et
Grootendorst sont leurs propositions de définition de l’argumen-
tation, leur typologie des arguments, leur description des étapes
de la discussion critique, leur identification de règles de discus-
sion et leur traitement des fallaces. Eemeren et Grootendorst
sont sans doute les chercheurs qui s’efforcent de fournir une
définition la plus précise et la plus complète de l’argumentation.
En fait, ils en proposent deux définitions complémentaires. La
première, très générale, procède de l’ensemble des sept considé-
rations ou constats qu’ils posent au sujet de l’argumentation :
elle prend place dans une interrelation discursive, elle est une
activité de la raison, elle requiert l’usage du langage, elle a pour
objet la promotion d’une opinion dans un contexte de diver-
gence d’opinions, sa fonction plus précise est de défendre ou
d’attaquer une opinion, elle s’incarne dans des énoncés et elle
vise à convaincre l’auditoire du bien-fondé d’une opinion. En
regard de ce septuplet, Eemeren et Grootendorst définissent
l’argumentation comme une activité sociale, intellectuelle et
verbale servant à justifier ou à réfuter une opinion, qui consiste
en une constellation d’énoncés et qui a pour objectif l’adhésion
de l’auditoire (« Argumentation is a social, intellectual, verbal
activity serving to justify or refute an opinion, consisting of a
92 HISTOIRE DES THÉORIES DE L’ARGUMENTATION

constellation of statements and directed towards obtaining the


approbation of an audience » [1987, 7]).
Leur seconde définition est plus technique. L’argumentation
y est caractérisée comme un acte de discours, tel que défini par
John Austin (How To Do Things With Words) et John Searle
(Speech Acts). Essentiellement, un acte de discours est l’action
que permet d’effectuer le recours à un énoncé : une assertion,
une question, une promesse, un ordre, ou tout autre acte. Pour
Eemeren et Grootendorst, argumenter est aussi un acte de
discours mais plus complexe que ces actes élémentaires du fait
que sa fonction communicative s’exerce non pas au niveau de
l’énoncé mais au niveau plus élevé de l’agencement d’énoncés.
Les énoncés utilisés dans une argumentation permettent tous,
singulièrement, d’accomplir un acte de discours élémentaire,
c’est-à-dire, par exemple, une assertion, une question, une
promesse ou un ordre. Regroupés, ils servent au surplus à effec-
tuer un acte en quelque sorte collectif : argumenter. L’argumen-
tation n’est pas le seul acte de discours complexe : expliquer,
amplifier et élucider seraient aussi des actes d’ordre supérieur.
Eemeren et Grootendorst distinguent trois types d’argumen-
tation qui dépendent d’autant de schémas argumentatifs
distincts, c’est-à-dire de manières différentes de transférer
l’acceptabilité des prémisses à la conclusion. Le premier schéma
est relatif à une relation de concomitance entre les prémisses et
la conclusion : les prémisses sont alors vues comme étant de
quelque façon symptomatiques de la conclusion. Bien
qu’Eemeren et Grootendorst ne prennent pas la peine de le
préciser, l’argumentation déductive et l’argumentation induc-
tive appartiennent très clairement à ce premier type. L’ensemble
des arguments analogiques, comme la comparaison, l’exemple,
la référence à un modèle, relèvent quant à eux du deuxième
schéma argumentatif qui opère par similarité : l’inférence des
prémisses à la conclusion est ici établie en raison de quelque
ressemblance ou correspondance. Finalement, le troisième
schéma argumentatif joue sur une relation instrumentale entre
les prémisses et la conclusion : les premières sont présentées
comme entraînant la seconde. Les arguments de causalité, bien
sûr, mais aussi les arguments de conséquence, ainsi que tous les
LES RECHERCHES CONTEMPORAINES EN ARGUMENTATION ET RHÉTORIQUE 93

arguments qui portent sur quelque aspect de la relation générale


de moyens à fin sont de ce troisième schéma.
En plus de distinguer des types d’arguments, Eemeren et Groo-
tendorst fournissent une description du déroulement de la
discussion critique, cadre de l’argumentation. Selon eux, elle se
développe suivant quatre étapes successives : de confrontation,
d’ouverture, d’argumentation et de conclusion. À la première
étape, de confrontation, la divergence d’opinions est établie ou
reconnue : une position est, d’une part, affichée et, d’autre part,
contestée. Dans un deuxième temps, celui de l’ouverture, le
débat s’engage, c’est-à-dire qu’est prise la décision de tenter de
résoudre la divergence d’opinions par la discussion critique,
autrement dit par l’argumentation. C’est à cette étape que les
protagonistes se constituent en proposant et opposant, et
conviennent des règles plus précises de discussion. Au troi-
sième stade, de l’argumentation proprement dite, les protago-
nistes échangent leurs arguments et contre-arguments : ils
fournissent les raisons et justifications à l’appui de la position
affichée ou à l’encontre de la position contestée. Finalement,
dans la dernière étape de conclusion, la controverse est (idéale-
ment) résolue soit par le retrait de la position affichée, soit par
l’abandon de sa contestation.
La contribution théorique sans aucun doute la plus originale
d’Eemeren et Grootendorst est leur identification de règles de
discussion critique. Ils formulent dix prescriptions — établies
techniquement en regard des conditions d’accomplissement de
l’acte de discours complexe que constitue pour eux l’argumen-
tation — que les participants à un débat argumentatif doivent,
selon eux, respecter (voir tableau page suivante).

La recherche francophone

Par comparaison aux travaux anglophones, les études franco-


phones contemporaines de l’argumentation sont de nature plus
philosophique qu’empirique, même si certaines d’entre elles ont
une certaine portée pédagogique. Sur le plan théorique, on
peut distinguer quatre différentes approches : une approche
rhétorique directement dans la foulée de Perelman, dont les
94 HISTOIRE DES THÉORIES DE L’ARGUMENTATION

Les dix règles d’Eemeren et Grootendorst

Règle 1 Les protagonistes ne doivent pas s’empêcher l’un l’autre d’afficher


et de contester des positions.
Règle 2 Un protagoniste qui affiche une position est tenu de la défendre à
la demande de son opposant.
Règle 3 La contestation d’une position doit porter effectivement sur cette
position (telle qu’elle est affirmée).
Règle 4 Un protagoniste doit défendre une position seulement en fournis-
sant une argumentation reliée à cette position.
Règle 5 Un protagoniste ne peut pas attribuer à l’opposant une prémisse
implicite, ni nier une prémisse que lui-même laisse implicite.
Règle 6 Un protagoniste ne peut pas faussement présenter une prémisse
comme point de départ, ni nier une prémisse constituant un point
de départ accepté.
Règle 7 Un protagoniste ne peut pas considérer qu’une position est établie
si elle n’a pas été défendue par un schéma argumentatif approprié
et adéquatement appliqué.
Règle 8 Dans son argumentation, un protagoniste ne peut recourir qu’à
des arguments logiquement valides ou susceptibles d’être validés
par l’explicitation de prémisses implicites.
Règle 9 L’échec de la défense d’une position doit entraîner son retrait et sa
défense réussie, l’abandon de sa contestation.
Règle 10 Un protagoniste ne doit pas avoir recours à une formulation
confuse ou ambiguë et il doit interpréter les propos de l’opposant
de la manière la plus soigneuse et la plus pertinente possible.

principaux représentants sont Michel Meyer et Olivier Reboul ;


une approche épistémologique ou, plus largement, intellective,
explorée surtout par Jean-Blaize Grize et Georges Vignaux ; une
approche socio-énonciative, principalement animée par Chris-
tian Plantin et Uli Windisch ; et une approche, celle de Philippe
Breton, qui, tout en étant inspirée de celle de Perelman, insiste
sur la dimension éthique de l’argumentation.

Grize : une théorie de logique naturelle

Jean-Blaise Grize [1982, 1990, 1996] (et avec Borel et Miéville


[1983], ainsi qu’avec Apothéloz, Borel, Miéville et Péquegnat
LES RECHERCHES CONTEMPORAINES EN ARGUMENTATION ET RHÉTORIQUE 95

[1984]) ne développe pas, à proprement parler, une théorie de


l’argumentation ; il propose plutôt, dans une perspective explo-
ratoire et heuristique, un certain nombre de prolégomènes selon
lui nécessaires à sa juste compréhension.
Le point de départ de Grize est, sous de nombreux aspects,
similaire à celui de Toulmin : en vertu d’une préoccupation de
nature essentiellement épistémologique, il conteste la préten-
tion de la logique mathématique à régenter le savoir. Consta-
tant les limites de l’approche logico-mathématique dans le
développement de la connaissance scientifique, en particulier
dans les sciences sociales et humaines, et aussi dans l’exercice
ordinaire de la pensée, il plaide pour le développement d’une
logique « naturelle », d’une logique « du quotidien », d’une
logique « laïque ». En s’opposant ainsi à l’impérialisme du forma-
lisme, c’est-à-dire à la restriction de la logique à la seule logique
mathématique, en appelant à un élargissement ou, comme il
préfère l’écrire, à un « assouplissement » de la logique formelle,
Grize non seulement adopte le même point de vue d’ensemble
que Toulmin, mais se démarque par le fait même aussi sensible-
ment de Perelman : il s’agit, pour lui, non pas de rejeter la
logique, mais de la réformer, de la compléter, de l’améliorer.
L’expression même de « logique naturelle » exprime fort bien
cette visée réformatrice. Cette logique naturelle, à ses yeux, se
distingue de la logique formelle par trois traits fondamentaux.
D’abord, elle n’est pas que formelle, précisément, mais a aussi
un contenu ; elle n’opère pas à vide, n’est pas que symbolique,
mais porte sur des « faits ». La logique naturelle est, en second
lieu, créatrice : elle donne lieu à des opérations originales et
non pas seulement mécaniques. Finalement, la logique
naturelle se déploie dans un cadre discursif, dialogique et
communicationnel.
Pour Grize, l’argumentation est en quelque sorte une manifes-
tation particulière de la logique naturelle. Elle n’en constitue
qu’un des quatre domaines d’étude, les autres étant les langues
naturelles, les modalités et le temps. Dans son approche essen-
tiellement programmatique, Grize met en lumière quelques
traits explicites de l’argumentation. Il fait aussi un certain
nombre d’observations au sujet de la logique naturelle et
96 HISTOIRE DES THÉORIES DE L’ARGUMENTATION

de l’activité essentielle à laquelle elle donne lieu, la


« schématisation ».
Techniquement, Grize caractérise la logique naturelle par le
fait qu’elle est à la fois logique de sujets et logique d’objets.
Comme sa mise en œuvre s’effectue dans l’usage du langage
(plus précisément, d’une langue naturelle) et que donc elle se
développe dans un contexte d’interlocution et de communica-
tion, la logique naturelle requiert la prise en compte d’aspects
relatifs aux sujets énonciateurs, par exemple leur statut, leurs
intentions, leur usage des non-dits. La logique naturelle est, par
ailleurs, aussi une logique des objets dans la mesure où elle opère
sur des référents communs aux interlocuteurs, des objets de
pensée qui, selon Grize, sont construits par les interlocuteurs.
Alors que la logique formelle a pour objectif de décrire les règles
afférentes aux démonstrations, la logique naturelle se donne
pour tâche de caractériser les opérations sur énoncés et leurs
procédures d’enchaînement.
Grize appelle « schématisation » l’activité ayant cours dans
l’exercice de la logique naturelle (en fait, plus précisément, la
logique naturelle est, pour lui, l’étude des opérations de schéma-
tisation). La schématisation désigne tout à la fois la production
et le résultat de l’univers de discours de l’activité langagière de
communication : la représentation globale de la situation discur-
sive. Cette représentation est celle du locuteur lui-même, de son
auditeur ou auditoire (de leurs attitudes et comportements), de
leurs interrelations, du sujet du dialogue et de son contexte de
formation. Grize insiste fortement sur le fait que la schématisa-
tion est une création de sens sur le fond de « préconstruits
culturels » (ou « représentations sociales »), soumise par ailleurs
à des conditions de cohésion et de cohérence.
L’ébauche de théorie de l’argumentation de Grize comporte
deux traits marquants : elle est pragmatique et constructiviste.
Pour lui, d’abord, l’argumentation est essentiellement une « acti-
vité logico-discursive ». Elle relève bien de la logique, de la
logique naturelle s’entend. C’est ainsi que, telle que Grize l’envi-
sage, une théorie de l’argumentation devrait élucider les
processus de nature logique et les « types d’enchaînements
d’“idées” autres que démonstratifs » utilisés dans la communi-
cation interdiscursive. Ensuite, l’argumentation, parce qu’elle est
LES RECHERCHES CONTEMPORAINES EN ARGUMENTATION ET RHÉTORIQUE 97

ainsi un domaine de recherche de la logique naturelle, procède


d’une activité de schématisation. C’est d’autant plus le cas que la
schématisation porte non pas sur le vrai, mais sur le vraisem-
blable. L’argumentation se déploie de la sorte sur le fond d’une
représentation construite.
Grize, rejoignant finalement par là Perelman, reconnaît deux
grandes caractéristiques à l’argumentation : sa finalité persua-
sive et la coexistence en son sein de deux « niveaux », celui des
« faits » et celui des « valeurs ». L’une des contributions origi-
nales de Grize est de définir un « plan de l’argumentation » sur
deux axes : le premier allant de l’auditoire à la finalité de
l’orateur ; le second, des présomptions (des « jugements préa-
lables au discours ») aux faits.

Vignaux : une théorie de logique discursive

Dans le sillage de Grize, en en prolongeant certaines idées et


en en contestant d’autres, Georges Vignaux [1988 et 1976]
propose moins une théorie achevée qu’un programme de
recherche d’une « grammaire de l’argumentation ». Réagissant à
la fois à Aristote et à Perelman, Vignaux développe une concep-
tion très large de l’argumentation.
Son point de départ est assez apparenté à celui de Grize.
Vignaux récuse la distinction radicale entre argumentation et
démonstration. L’opposition, qu’il exprime par l’aphorisme
« Prémisses certaines : démonstration, prémisses probables :
argumentation », lui apparaît trompeuse et dangereuse. Elle
donne faussement à penser, d’une part, que l’argumentation est
marquée d’imperfection par comparaison à la démonstration
posée en modèle idéal et, d’autre part, qu’est exclu de la démons-
tration tout élément de nature argumentative. Contre cette
dichotomie trop prononcée, Vignaux plaide pour la reconnais-
sance de l’argumentation comme moteur commun à toute acti-
vité de l’intelligence. Ce faisant, il cherche explicitement à casser
l’antagonisme aujourd’hui instauré entre la rhétorique et la
dialectique, d’un côté, et la logique, de l’autre. Certes, l’argu-
mentation et la démonstration ne portent pas sur le même objet,
l’argumentation se déployant à partir et au sujet d’un problème
et la démonstration à partir et au sujet d’un théorème. Selon
98 HISTOIRE DES THÉORIES DE L’ARGUMENTATION

Vignaux, elles restent néanmoins apparentées : elles consistent


en deux formes de raisonnement ou s’interpénètrent dans tout
raisonnement. Vignaux va même jusqu’à prétendre qu’il n’est
pas établi que l’argumentation soit irréductible ou réfractaire à
tout formalisme.
Les aspects clés de l’argumentation sont, aux yeux de Vignaux,
son incarnation dans le discours et son ancrage dans la relation
à l’auditoire. Aussi distingue-t-il deux axes de recherche : l’étude
des stratégies discursives et celle de leurs conditions d’utilisa-
tion. Lui-même, se situant dans le premier de ces axes, échafaude
ce qu’il nomme une « logique de l’argumentation discursive » en
revisitant le champ théorique et conceptuel de l’argumentation
et de la rhétorique. Pour Vignaux, l’argumentation est moins,
comme chez Perelman, un raisonnement portant sur le vraisem-
blable, qui s’oppose au raisonnement sur le nécessaire de la
logique, qu’une représentation construite par un locuteur à
l’intention d’un auditoire. Cette représentation est faite de
propositions, assertions et jugements agencés dans un « schéma
logique » plutôt qu’un système, la représentation étant à la fois
motivée par et orientée vers une finalité en termes de positions
et d’actions.
Admettant, bien sûr, que l’argumentation s’effectue toujours
en contexte et qu’y interviennent des « valeurs », c’est-à-dire des
règles, des principes, des croyances, des présupposés et même des
préjugés, qu’ont en partage l’orateur et son auditoire, Vignaux
tente néanmoins de repérer et d’analyser les opérations logiques
et les opérations rhétoriques qui président à l’argumentation. Les
premières ont trait aux modalités de la cohérence des arguments
et concernent donc, entre autres choses, les modes d’inférence
et les fonctions de l’argumentation : le fait, par exemple, qu’un
argument consiste toujours en un mode ou l’autre de preuve.
À l’occasion de l’examen des opérations logiques, Vignaux fait
valoir, tout à fait dans l’esprit de sa contestation de la distinction
trop radicale entre argumentation et démonstration, la compati-
bilité et la continuité entre des notions apparemment opposées
comme celles de « faits » et de « valeurs ». Quant aux opéra-
tions rhétoriques, elles portent sur la mise en forme des argu-
ments. Pour Vignaux, la représentation argumentative procède,
LES RECHERCHES CONTEMPORAINES EN ARGUMENTATION ET RHÉTORIQUE 99

à cet égard, d’une opération fondamentale d’« ordre », ainsi qu’il


la dénomme.
Cette précision lui permet d’étayer son idée sans aucun doute
la plus originale : celle de l’argumentation (et, plus largement,
du langage et du discours) comme théâtralité. Par ce concept,
Vignaux cherche à mettre deux points en évidence. Il veut
d’abord rendre manifeste que le discours argumentatif est un
produit de conditions sociales et fruit, donc, d’une sélection et
d’une emphase particulières. Ensuite, il veut mettre en lumière
que son fonctionnement comporte une conformation disons
« stylistique », c’est-à-dire, comme il le précise lui-même, que le
discours a des visées d’« élégance », de « redondance » et même
de « musique ». Parce que la relation entre le contenu même de
l’argumentation et l’extériorité vers laquelle elle est tournée en
est une de représentation, l’argumentation est « mise en scène ».
Cette idée fait de la conception de Vignaux la conception proba-
blement la plus constructiviste de l’argumentation. Il lui assigne
par ailleurs une portée extrêmement large. Pour lui, les stratégies
discursives dans lesquelles se déploie l’argumentation sont égale-
ment des stratégies cognitives ou y concourent ; l’argumenta-
tion est en quelque sorte le cadre dans lequel se développe toute
forme de connaissance.

Plantin : une théorie linguistique

Christian Plantin [1996, 1993 et 1990] approche l’argumen-


tation d’un point de vue essentiellement langagier : il la définit
comme une opération linguistique au moyen de laquelle un
locuteur tente de faire adhérer ses interlocuteurs à une conclu-
sion en produisant une raison d’admettre cette conclusion. Pour
comprendre comment l’argument se développe dans l’énoncia-
tion et l’élocution, Plantin se livre d’abord à une revue de diffé-
rents travaux consacrés à l’argumentation. Il faut souligner
l’excellence de ce remarquable travail de synthèse : Plantin rend
compte de façon exhaustive d’un grand nombre de recherches
francophones et anglophones à partir desquelles il offre
une problématisation de différents concepts et de différentes
questions.
100 H I S T O I R E DES THÉORIES DE L’ARGUMENTATION

Plantin adopte ensuite une perspective que lui-même appelle


« critique » mais qui pourrait tout aussi bien être qualifiée, au
moins partiellement, de « méta-argumentative ». Il mène
une enquête lexicologique minutieuse sur les usages ordinaires
de termes clés comme « argumentation », « argument »,
« convaincre » et « persuader ». Au terme de cette étude, Plantin,
entre autres choses, propose une vue générale de l’argumenta-
tion en en dégageant les six principaux sens.
En un premier sens, général et chapeautant tous les autres,
l’argumentation peut être assez lâchement entendue comme une
opération énonciative par laquelle un locuteur tente de trans-
former le système de croyances et de représentations de son
interlocuteur ou de son auditoire. Ce sens général peut être
précisé en cinq acceptions subsidiaires.
La première est le fruit ou l’effet d’une opposition entre les
deux lieux possibles de l’activité linguistique d’argumentation :
la langue ou le discours. Dans la première façon de voir les
choses, tout énoncé n’a de contenu sémantique que relative-
ment à ses enchaînements à d’autres énoncés. C’est alors la
langue elle-même, et tout entière, qui est considérée de nature
argumentative. Suivant la conception distincte de l’argumenta-
tion comme fait de discours, un argument consiste en une rela-
tion d’inférence entre deux énoncés et exige donc une forme
discursive minimale — ce qui implique que ce ne sont pas tous
les énoncés ni même toutes les combinaisons d’énoncés qui
constituent des arguments. Se pose alors la question de la norme
argumentative qui fait émerger une nouvelle opposition entre
raison scientifique et action pratique. À celle-ci est afférente une
évaluation pragmatique de l’argument en fonction de son effi-
cacité, qui fait apparaître un deuxième sens de l’argumentation
suivant lequel elle consiste en une opération linguistique ayant
pour objectif d’influencer un auditoire. Quant à elle, la raison
scientifique est concomitante à une évaluation logique de l’argu-
ment. Cette évaluation peut être lâche et donne alors lieu à un
troisième sens dérivé de l’argumentation, celui de la logique
informelle, que Plantin définit simplement comme une opéra-
tion discursive visant à fournir de bonnes raisons. L’évaluation
peut aussi être formelle et donner lieu aux deux derniers types
subsidiaires d’argumentation : l’argumentation sur l’expérience
LES RECHERCHES CONTEMPORAINES EN ARGUMENTATION ET RHÉTORIQUE 101

et l’argumentation logique. La première consiste en une opéra-


tion discursive tendant à tester une hypothèse ; la seconde en
un raisonnement, au sens strict du terme, et plus précisément
encore en une déduction : l’établissement d’une conclusion à
partir de prémisses considérées comme vraies.

Windisch : une théorie sociologique

Uli Windisch [1990, 1985 et 1982] aborde l’argumentation


dans une perspective fondamentalement sociologique mais,
comme Plantin, à travers son incarnation énonciative. Ce qui
l’intéresse, c’est d’examiner comment prend forme et comment
fonctionne ce qu’on pourrait globalement appeler la « raison
sociale » : les modes d’appréhension et d’explication que les
acteurs sociaux produisent au sujet des situations et phéno-
mènes sociaux. À partir de cette préoccupation initiale, c’est au
terme d’un certain parcours que Windisch en arrive à s’intéresser
à l’argumentation : ce parcours, comme l’indique les termes
mêmes figurant dans les titres et sous-titres de ses ouvrages, va de
la « pensée » au « raisonnement » et aboutit finalement à
l’« argumentation ».
Animé par un double souci taxinomique et empirique,
Windisch propose un certain nombre de classifications. Celles
ayant trait à l’argumentation portent sur les formes logico-
discursives d’explication causale, les paradigmes de l’attribution
causale et les styles d’argumentation.
Selon Windisch, d’abord, les acteurs sociaux, dans leur vie
quotidienne, fournissent des explications causales suivant cinq
formes logico-discursives ou modèles idéaux d’explication : la
causalité segmentée, la causalité circulaire, la causalité contin-
gente, la sursaturation causale et la causalité multiple. Dans la
causalité segmentée, un acteur, par association d’idées, crée
spontanément une série de couples cause/conséquence reliés les
uns aux autres. Dans la causalité circulaire, l’acteur cherche à
fonder la relation entre une cause et une conséquence en établis-
sant, a contrario, la relation entre la cause opposée et la consé-
quence opposée. La causalité contingente établit un lien causal
entre des phénomènes simultanés ou en proximité temporelle.
La sursaturation causale impute à un nombre limité de causes, à
102 H I S T O I R E DES THÉORIES DE L’ARGUMENTATION

la limite à une seule cause, une grande quantité de consé-


quences. Au contraire, la causalité multiple explique un phéno-
mène par une série de plusieurs causes.
Les paradigmes de l’attribution causale sont les modes d’appli-
cation des formes logico-discursives d’explication causale à des
contenus. Windisch en identifie trois différents : le paradigme
de la déviance, le paradigme matérialiste et le paradigme de
l’indétermination. En gros, le paradigme de la déviance explique
les phénomènes sociaux par l’action originale ou inhabituelle
d’individus ou de groupes, le paradigme matérialiste par des
conditions pratiques et le paradigme de l’indétermination par
des facteurs impersonnels globaux.
Finalement, Windisch repère trois styles argumentatifs « ordi-
naires », c’est-à-dire trois modalités générales suivant lesquelles
un acteur social s’efforce de fournir quelque justification à sa
perception de phénomènes sociaux : le style pseudo-argumen-
tatif, le style d’argumentation psychologisante et le style
d’argumentation dialogique. L’argumentation de style pseudo-
argumentatif se réduit à une juxtaposition discontinue ou même
incohérente entre propositions, où ce qui est présenté comme
fondement à une position est en fait sans rapport de justifica-
tion avec cette dernière. Dans l’argumentation psychologisante,
l’acteur projette sa subjectivité (ses points de vue et attitudes)
dans son explication de phénomènes sociaux. Dans l’argumen-
tation de style dialogique, les phénomènes sociaux sont appré-
hendés en tenant compte d’une pluralité de points de vue
confrontés les uns aux autres.

Michel Meyer, argumentation et philosophie de la problématicité

Professeur à l’université de Bruxelles, tenant, pour Alain


Lempereur, de l’« école de Bruxelles » au côté de Chaïm
Perelman et d’Émile Dupréel, Michel Meyer aborde l’argumen-
tation à partir d’une réflexion philosophique qu’il situe en
rupture avec l’ontologie et la métaphysique. Son approche de
la rhétorique, dont le caractère argumentatif est pour lui déter-
minant, est donc elle aussi en rupture avec la « raison proposi-
tionnelle » [Meyer, in Lempereur, 1990] et, d’une façon générale,
avec toute philosophie de la nécessité et de l’évidence.
LES RECHERCHES CONTEMPORAINES EN ARGUMENTATION ET RHÉTORIQUE 103

Meyer situe sa pensée dans le cadre d’un renouveau actuel de


la rhétorique, lié selon lui à la fin des grands systèmes de pensée :
« La rhétorique renaît lorsque les systèmes idéologiques s’effon-
drent » [Meyer, 1986, p. 7]. On assiste dans ce contexte à une
« désubstantialisation du communautaire qui fait de celui-ci sa
propre fin » [1986, p. 8] et qui place donc le langage et la rhéto-
rique au cœur de la modernité. Particulièrement optimiste sur
ce point, le philosophe belge ne croit pas que « la nécessité
mathématique comme modèle de discours et de pensée » puisse
s’imposer à nouveau.
La rhétorique est toujours pour lui le choix du « discours
contre la force » et, dans la définition qu’il va en donner, « elle
ne se distingue en rien de l’argumentation […] il s’agit d’une
procédure rationnelle de décision en situation d’incertitude, de
vraisemblance, de probabilité » [1986, p. 13].
Plutôt qu’à Aristote, dont il estime la rhétorique trop soumise
à la logique propositionnelle et à l’ontologie, Meyer empruntera
le point de départ de sa définition à Quintilien, qui en fait « la
science du bien dire […] qui embrasse à la fois toutes les perfec-
tions du discours et la moralité même de l’orateur puisqu’on ne
peut véritablement parler sans être homme de bien » [Institution
oratoire, II, XV]. Mais ce « bien dire », ou « bien parler », recouvre
une multitude de buts, que Michel Meyer décrit ainsi :
— persuader et convaincre, créer l’assentiment ;
— plaire, séduire ou manipuler, justifier (parfois à tout prix) ses
idées pour les faire passer comme si elles étaient vraies, ou
parce qu’elles le sont ou que l’on y croit ;
— faire passer le vraisemblable, l’opinion et le probable avec de
bonnes raisons et des arguments, en suggérant des inférences
ou en les tirant pour autrui ;
— suggérer de l’implicite par de l’explicite ;
— instituer un sens figuré, inférer du littéral et utiliser pour cela
des figures de style, des histoires ;
— faire usage d’un langage figuré et stylisé, le littéraire ;
— découvrir les intentions de celui qui parle ou écrit, pouvoir
attribuer des raisons à leur dire, entre autre au travers de leur
dire.
104 H I S T O I R E DES THÉORIES DE L’ARGUMENTATION

L’histoire de la rhétorique est tout entière prise dans le déve-


loppement de l’un et l’autre de ces aspects. Il y a pourtant, selon
l’auteur, une « unicité définitionnelle de la rhétorique », déjà
repérée dans la partition classique entre éthos, logos et pathos.
Mais il va plus loin, à partir du constat que la rhétorique est
toujours « rencontre des hommes et du langage dans l’exposé
de leurs différences et de leurs identités », et propose donc de
la définir comme « négociation de la distance entre les sujets »
[Meyer, 1986, p. 22].
Une telle définition, qui fait de la distance l’enjeu de la rhéto-
rique, ne suffirait toutefois pas si l’on ne qualifiait pas plus avant
l’objet du débat, qui est toujours, pour Meyer, une « ques-
tion ». Dans ce sens, il rejoint Aristote, dans la fameuse défini-
tion qu’il donne de la rhétorique comme la « faculté de
considérer, pour chaque question, ce qui peut être propre à
persuader ». À partir de là, Meyer propose une définition géné-
rale de la rhétorique comme « négociation de la distance entre
les hommes à propos d’une question, d’un problème » [1986,
p. 22].
Le philosophe ouvre ainsi un large espace à la pensée en intro-
duisant et en systématisant ce qu’il appelle la « problémati-
cité ». Au lieu du classique découpage des problèmes, hérités de
la période ancienne, en judiciaire, délibératif et épidictique, il
propose un classement en fonction de la plus ou moins grande
problématicité des questions soulevées. La rhétorique se trouve
du coup insérée dans un ensemble plus vaste, à moins qu’elle ne
soit elle-même, du coup, cet ensemble plus vaste et synthétique,
construisant ainsi, selon Lempereur, une pensée dont « l’ambi-
tion fondatrice et globalisante est ainsi privilégiée » [Lempe-
reur, 1990]. L’ambition de cette « problématologie » [Meyer,
1986] est de sortir enfin de cette fausse alternative héritée de
Platon et avec laquelle même Aristote n’avait pas su tout à fait
rompre, qui fait de la rhétorique et de son logos une simple
attente de proposition démontrable, un parent pauvre de la
recherche de la vérité. Michel Meyer s’inscrit ainsi, de façon forte
et originale, dans la réflexion fondatrice de la modernité qui
entend reconnaître et construire une rationalité qui soit enfin
indifférente à l’idée de vérité. Le renouveau de la rhétorique en
constitue la méthode indispensable.
LES RECHERCHES CONTEMPORAINES EN ARGUMENTATION ET RHÉTORIQUE 105

Olivier Reboul

S’inscrivant sans conteste, mais en lui donnant une tonalité


propre, dans la tradition ouverte par l’« école de Bruxelles »,
Olivier Reboul, professeur à l’université des sciences humaines
de Strasbourg jusqu’à son décès, signe une Introduction à la rhéto-
rique aux Presses universitaires de France [1991].
Reboul se range dans l’espace théorique aristotélicien en défi-
nissant la rhétorique comme l’« art de persuader par le
discours », mais il refusera de trancher entre les deux courants
ouverts dans les années soixante (la « nouvelle rhétorique » de
Perelman, d’une part, le groupe MU, ainsi que Roland Barthes
et Gérard Genette, d’autre part). Le premier a, on le sait, une
large tonalité argumentative, le second est héritier de la poétique
antique. Pour Reboul, la rhétorique doit faire une synthèse et
articuler l’argumentation et le style dans une même fonction.
L’auteur nous présente ainsi un schéma tout à fait intéressant
qui à la fois sépare les trois fonctions du discours, le démons-
tratif, l’argumentatif et l’oratoire (le style), et les regroupe en
deux grands champs, le rationnel (démonstratif et argumentatif)
et le rhétorique (argumentatif et oratoire).
Conformément à la définition qu’il donne de la rhétorique,
l’auteur consacre de larges chapitres aux figures de style et à la
typologie des arguments. Sur ce dernier point, il ne s’écarte guère
des travaux de Perelman, dont il donne à cette occasion une
synthèse très claire. Le seul écart consiste à classer la compa-
raison non parmi les arguments quasi logiques, comme le fait
Perelman, mais parmi les arguments qui fondent la structure du
réel, au nom du fait qu’il s’agit d’une « structure que la réalité
n’impose pas et qu’il faut parfois inventer » [Reboul, 1991,
p. 183].
Reboul indique une piste de recherche qu’il n’a pas pour-
suivie ici, sur le thème de la « non-substituabilité de l’argu-
ment » pour rendre compte de son caractère approprié dans une
situation donnée. Le manuel d’Olivier Reboul est nourri
d’exemples très actuels et reprend in extenso de nombreux
extraits de textes rhétoriques. Son style très clair n’est pas la
moindre de ses qualités. Reboul est également l’auteur d’un
106 H I S T O I R E DES THÉORIES DE L’ARGUMENTATION

« Que sais-je ? » un peu plus synthétique [Reboul, 1983] sur le


même thème.

Philippe Breton

Dans son ouvrage L’Argumentation dans la communication


[1996], Philippe Breton, suivant la ligne de pensée ouverte par
Aristote et Perelman, inscrit l’analyse de l’argumentation dans
une perspective communicationnelle. Il s’agit pour l’auteur,
d’une part, d’insister, indissociablement, sur l’argumentation
comme « raisonnement de communication » et, d’autre part, de
souligner le rôle de l’« accord préalable » dans ce raisonnement.
L’argumentation se démarque nettement de la « manipulation »,
variété du convaincre qui « ne respecte pas la liberté de réception
de l’auditoire » (cette question est largement développée dans un
autre ouvrage [Breton, 2000]). L’ouvrage s’appuie sur une typo-
logie d’arguments où l’on retrouve l’argument d’autorité, l’argu-
ment analogique (association, analogie, métaphore), l’appui sur
les présupposés communs (valeurs, croyances et lieux), les argu-
ments de cadrage (la définition, la qualification, l’amplification,
la dissociation).
Pour Philippe Breton, argumenter revient, in fine, à « modi-
fier le contexte de réception de l’auditoire ». L’argumentation se
limite toutefois aux débats de l’espace public (le judiciaire, le
politique, les débats de société) et la rationalité argumentative ne
concerne pas le monde des sciences, celui de l’information, de
la religion ou des sentiments, qui relèvent d’autres rationalités.
L’ouvrage, écrit avec clarté, comprend de nombreux exemples
empruntés aux débats politiques et aux débats de société actuels.

Gilles Declercq et Jean-Jacques Robrieux

Dans une perspective proche de celle de Reboul, visant donc à


intégrer dans un même ensemble solidaire la partie argumenta-
tive et la partie liée au style oratoire et littéraire de la rhétorique,
Gilles Declercq propose un manuel intitulé L’Art d’argumenter.
Structures rhétoriques et littéraires [1993]. L’auteur part du constat
que « si donc la pratique de l’argumentation est une réalité
sociale d’aujourd’hui, il convient de redonner à la théorie et à la
LES RECHERCHES CONTEMPORAINES EN ARGUMENTATION ET RHÉTORIQUE 107

méthode sa dignité culturelle » [ibid.]. Il propose donc un


« ouvrage d’initiation méthodologique aux structures de l’argu-
mentation telles que la formalise la théorie rhétorique, et d’en
observer la mise en œuvre et les effets en littérature ». De fait,
le manuel se compose de deux grandes parties, la première sur
la rhétorique d’Aristote et sur la nouvelle rhétorique de
Perelman, la seconde consacrée à l’« argumentologie » comme
méthode d’analyse des textes littéraires.
Dans une veine proche, on notera le manuel de Jean-Jacques
Robrieux, Éléments de rhétorique et d’argumentation, chez Dunod,
construit comme un lexique bien détaillé des figures de style et
des arguments, introduit par un développement historique sur la
rhétorique depuis Aristote.

Pierre Oléron

Dans la collection des « Que sais-je ? », aux Presses universi-


taires de France, outre l’ouvrage déjà cité d’Olivier Reboul, on
trouve le livre de Pierre Oléron, L’Argumentation. L’auteur,
spécialiste universitaire de l’activité intellectuelle, de l’intelli-
gence et du raisonnement, offre une approche originale quoique
ne se démarquant pas fondamentalement de la ligne tracée par
Aristote et Perelman. Son point de départ n’est pas tant la rhéto-
rique que la démarche intellectuelle et sociale de l’argumenta-
tion, qu’il définit comme la « démarche par laquelle une
personne — ou un groupe — entreprend d’amener un audi-
toire à adopter une position par le recours à des présentations ou
assertions — arguments — qui visent à en montrer la validité ou
le bien-fondé » [Oléron, 1993, p. 4]. Il donne donc la priorité,
dans son ouvrage, aux « réalités de l’usage » de l’argumentation,
comme « composante de la vie sociale » [1993, p. 14].
Comme Perelman, Oléron dénie la prétention d’universalité
de la rationalité cartésienne et pose l’argumentation comme rele-
vant à la fois « du raisonnement et de l’influence », « de la
rigueur et du flou ». Sa typologie des arguments distingue six
catégories :
1. L’éveil et l’orientation des motivations, dans le cadre par
exemple du recours aux émotions
108 H I S T O I R E DES THÉORIES DE L’ARGUMENTATION

2. L’appel aux faits, dont l’importance est liée au type de


culture qui domine dans une société
3. L’appel aux présupposés, par exemple les normes et les
valeurs
4. L’implication de l’émetteur, dont l’autorité peut se trans-
mettre à la chose dite
5. La sélection, qualification, interprétation, notamment des
faits ou des situations
6. L’assimilation et la dissociation, l’amalgame.
L’ouvrage de Pierre Oléron, clair et précis, comporte en outre
des éléments d’analyse de la dimension argumentative de
l’image.

Les manuels d’argumentation

On trouve également, pour parler d’argumentation, un certain


nombre de « manuels », ouvrages pédagogiques comportant
exemples et exercices. Par exemple, dans la collection « Forma-
tion permanente en sciences humaines » aux éditions ESF, on
notera l’ouvrage de Lionel Bellenger, L’Argumentation, principes
et méthodes [1992], qui reprend, avec une intention pédagogique
très marquée, l’idée d’une formation pratique à l’argumenta-
tion. L’avantage de cet ouvrage est d’être très soucieux de prag-
matisme, même si parfois l’auteur semble compliquer
inutilement une matière que d’autres arrivent pourtant à
présenter avec clarté et simplicité. On signalera également les
ouvrages d’Alain Canu, Rhétorique et communication en 12 ques-
tions et 19 exercices [1992], de Bernard Meyer, Maîtriser l’argumen-
tation [1996], et aussi les ouvrages québécois de Pierre Blackburn,
Logique de l’argumentation [1994 et 1989], et de Nicole Tous-
saint, Gaston Ducasse et Georges A. Legault, Apprendre à argu-
menter, initiation à l’argumentation rationnelle écrite : théorie et
exercices [1996].

La lecture de ces différents ouvrages et de ces manuels, tous


rédigés dans la dernière décennie, ne saurait toutefois dispenser
d’un intérêt légitime pour les quatre « manuels » qui ont
ponctué l’évolution rhétorique ancienne, la Rhétorique
LES RECHERCHES CONTEMPORAINES EN ARGUMENTATION ET RHÉTORIQUE 109

d’Aristote, le De oratore de Cicéron, la Rhétorique à Herennius


(anomyme) et l’Institution oratoire de Quintilien. Si l’on en juge
par l’influence qu’ils ont eue sur le renouveau contemporain de
l’argumentation, leur universalité a parcouru les siècles sans
faiblir.
Conclusion

Au terme de cet ouvrage écrit à deux mains, et qui reflète, on


l’a vu, deux sensibilités différentes dans le champ de l’argumen-
tation, un constat commun peut malgré tout s’établir. Par
quelque entrée théorique que l’on choisisse d’aborder cette ques-
tion, les deux auteurs s’accordent pour trouver qu’elle est
aujourd’hui largement laissée en friche, notamment dans les
systèmes d’éducation. Les sociétés occidentales modernes, qui se
définissent comme démocratiques, témoignent formellement
d’une grande exigence vis-à-vis de leurs citoyens, qui sont
sommés non seulement de comprendre la plupart des problèmes
qui leur sont soumis, notamment dans le cadre des votes
politiques, mais également de participer aux débats correspon-
dants. Or ceux-ci font massivement appel aux techniques de
l’argumentation.
Dans ce sens, la situation aujourd’hui n’est guère différente,
dans son fondement, de celle des Grecs anciens qui ont inventé
en même temps la démocratie et la rhétorique argumentative.
Mais, pour ces derniers, les deux allaient de pair. L’absence quasi
générale, sauf quelques précieuses exceptions, d’un enseigne-
ment solide et structuré de l’argumentation, appuyé sur une
large culture générale et soucieux d’utilisation pratique, fait de
nos jeunes des citoyens que l’on jette à l’eau sans apprentis-
sage préalable et auxquels on reproche ensuite de ne pas savoir
nager. Enseigner systématiquement l’argumentation serait plus
qu’ajouter une discipline à des programmes déjà bien chargés :
C O N C L U S I O N 111

cela permettrait à la fois de faire reculer l’inégalité flagrante dans


ce domaine et de mettre un peu plus de rationalité dans un
monde qui en manque peut-être.
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Table des matières

Introduction 3
Le milieu d’émergence
des théories de l’argumentation 3
Les questions litigieuses en théorie
de l’argumentation 5

I Montée et déclin de l’argumentation


rhétorique
La naissance de la rhétorique 10
Les premières théories de l’argumentation, 11
La rhétorique des sophistes, 14
La rhétorique de Socrate, 16
La critique de la rhétorique, 17
Aristote et les bases de la théorie
de l’argumentation 19
Une double séparation, 19
Les genres oratoires, 21
Le raisonnement argumentatif, 24
La place de la rhétorique dans le système
de pensée d’Aristote, 26
La rhétorique, culture commune
du monde antique 27
Le déclin de l’argumentation 30

II La renaissance : Perelman et Toulmin


La nouvelle rhétorique de Perelman 35
Les fondements de la nouvelle rhétorique, 35
120 H I S T O I R E DES THÉORIES DE L’ARGUMENTATION

La question de l’accord préalable, 38


Les arguments quasi logiques, 41
Les arguments basés sur la structure du réel, 44
Les liaisons qui fondent la structure du réel, 46
La dissociation des notions, 52
Toulmin : l’argumentation, un usage quotidien 53
L’argument : une justification en contexte, 55
Les insuffisances et errements de la logique formelle, 61
Un modèle de l’argument, 65

III Les recherches contemporaines


en argumentation et rhétorique
La recherche anglophone 69
L’étude des fallaces, 69
La logique informelle, 78
La pensée critique, 80
L’argumentation communicationnelle, 82
Govier : une théorie pratique, 84
Walton : une théorie dialogique, 86
Willard : une théorie oppositionnelle, 88
Eemeren et Grootendorst :
une théorie pragma-dialectique, 90
La recherche francophone 93
Grize : une théorie de logique naturelle, 94
Vignaux : une théorie de logique discursive, 97
Plantin : une théorie linguistique, 99
Windisch : une théorie sociologique, 101
Michel Meyer, argumentation et philosophie
de la problématicité, 102
Olivier Reboul, 105
Philippe Breton, 106
Gilles Declercq et Jean-Jacques Robrieux, 106
Pierre Oléron, 107
Les manuels d’argumentation, 108

Conclusion 110

Repères bibliographiques 112


Collection
R E P È R E S
dirigée par
JEAN-PAUL PIRIOU (de 1987 à 2004), puis par PASCAL COMBEMALE,
avec STÉPHANE BEAUD, ANDRÉ CARTAPANIS, BERNARD COLASSE, FRANÇOISE DREYFUS, YANNICK
L’HORTY, PHILIPPE LORINO, DOMINIQUE MERLLIÉ, CHRISTOPHE PROCHASSON, MICHEL RAINELLI
et YVES WINKIN.

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nº 359, Marc Raffinot et Économie bancaire, nº 268, et Monique Fouet.
Baptiste Venet. Laurence Scialom. Économie des fusions et
Bourse (La), nº 317, Économie britannique depuis acquisitions, nº 362,
Daniel Goyeau 1945 (L’), nº 111, Nathalie Coutinet
et Amine Tarazi. Véronique Riches. et Dominique
Économie de l’Afrique (L’), Sagot-Duvauroux.
Budget de l’État (Le), nº 33,
nº 117, Philippe Hugon. Économie des inégalités (L’),
Maurice Baslé. nº 216, Thomas Piketty.
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Calcul économique (Le), nº 89, Économie des logiciels, nº 381,
nº 409, Marc Gurgand.
Bernard Walliser. François Horn.
Économie de l’environnement,
Capitalisme financier (Le), nº 252, Pierre Bontems Économie des organisations
nº 356, Laurent Batsch. et Gilles Rotillon. (L’), nº 86, Claude Menard.
Capitalisme historique (Le), Économie de l’euro, nº 336, Économie des relations
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Jacques Freyssinet. nº 463, OFCE. Nicolas Curien.
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Capital-risque (Le), nº 445, ressources humaines (La), Chrystelle Richard.
Emmanuelle Dubocage et nº 446, Patrick Gilbert.
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Comptabilité en perspective Introduction à la comptabilité José Allouche
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Contrôle budgétaire (Le), Michel Capron Sociologie du conseil en
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Contrôle de gestion (Le), Management de la qualité
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Claude J. Simon. humaines (Les), nº 137,
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Éthique dans les entreprises Management international
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Patrick Lefloch Armand Mattelart Révolution numérique et
et Nathalie Sonnac. et Érik Neveu. industries culturelles, nº 408,
Histoire sociale du cinéma Marché de l’art contemporain Alain Le Diberder
français, nº 305, Yann Darré. (Le), nº 450, et Philippe Chantepie.
Histoire de la société de Nathalie Moureau
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Armand Mattelart. Médias en France (Les), nº 313, Erik Neveu.
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Philippe Breton (La), nº 260, Régine Chaniac
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Histoire des théories de la Musée et muséologie, nº 433,
communication, nº 174, Dominique Poulot. Tests d’intelligence (Les),
Armand Presse des jeunes (La), nº 334, nº 229, Michel Huteau
et Michèle Mattelart. Jean-Marie Charon. et Jacques Lautrey.

Classiques ou tout autre travail Voir, comprendre, analyser les


universitaire à l’ère du Net, images, Laurent Gervereau.
R E P È R E S Michel Beaud.
La formation du couple. Textes Comment se fait l’histoire. Manuels
essentiels pour la sociologie de Pratiques et enjeux,
la famille, Michel Bozon et François Cadiou, R E P È R E S
François Héran. Clarisse Coulomb,
Anne Lemonde et Comprendre le monde.
Invitation à la sociologie, Une introduction à l’analyse
Peter L. Berger. Yves Santamaria.
des systèmes-monde,
Un sociologue à l’usine. Textes La comparaison dans les
Immanuel Wallerstein.
essentiels pour la sociologie du sciences sociales. Pratiques et Analyse macroéconomique 1.
travail, Donald Roy. méthodes, Cécile Vigour.
Analyse macroéconomique 2.
Les ficelles du métier. Comment 17 auteurs sous la direction de
Dictionnaires conduire sa recherche en Jean-Olivier Hairault.
sciences sociales,
R E P È R E S Howard S. Becker. L’explosion de la
communication. Introduction
Dictionnaire de gestion, Guide de l’enquête de terrain, aux théories et aux pratiques de
Élie Cohen. Stéphane Beaud et la communication,
Florence Weber. Philippe Breton et
Dictionnaire d’analyse
économique, microéconomie, Guide des méthodes de Serge Proulx.
macroéconomie, théorie des l’archéologie, Une histoire de la comptabilité
jeux, etc., Bernard Guerrien. Jean-Paul Demoule, nationale, André Vanoli.
François Giligny,
Anne Lehoërff et Histoire de la psychologie en
Guides France. XIXe-XXe siècles,
Alain Schnapp.
J. Carroy, A. Ohayon et
R E P È R E S Guide du stage en entreprise, R. Plas.
Michel Villette.
L’art de la thèse. Comment La mondialisation de
préparer et rédiger un mémoire Manuel de journalisme. Écrire l’économie. Genèse et
de master, une thèse de doctorat pour le journal, Yves Agnès. problèmes, Jacques Adda.
Composition Facompo, Lisieux (Calvados)
Dépôt légal du 1er tirage : avril 2000
Suite du 1er tirage (2) : novembre 2006

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