Vous êtes sur la page 1sur 253

RÉALISME MAGIQUE

et
RÉALISME MERVEILLEUX
Charles W. Scheel

RÉALISME MAGIQUE
et
RÉALISME MERVEILLEUX

DE LA THÉORIE À LA POÉTIQUE

2005
Il n'est que trop évident que le
mystère est autant en nous que
dans les choses, que le pays du
merveilleux est avant tout dans
notre être sensible.

Pierre Mabille
[PREFACE]

7
x

8
x

9
x

[Daniel-Henri Pageaux]

10
AVANT PROPOS

Pour survoler la carte critique du réalisme magique et de son


faux-jumeau le réalisme merveilleux, il faut manifestement prendre
de plus en plus d'altitude. Jusque vers 1985, des épingles de
couleurs diverses délimitaient surtout trois régions dans deux
continents: l'Allemagne, l'Italie et l'Angleterre en Europe;
l'Amérique latine et les Caraïbes dans ce qu'il était convenu
d'appeler le Nouveau Monde. Il était question, ici, des œuvres de
Massimo Bontempelli, d'Ernst Jünger, et de G.K. Chesterton; là, de
Jorge Luis Borges, Julio Cortázar, Miguel Angel Asturias, Alejo
Carpentier et Gabriel García Márquez. Parfois de Cocteau.
Toujours et partout de Kafka. Ce n'était déjà pas simple. Certains
auront même souhaité qu'avec le siècle nouveau, ces vieilles et
encombrantes notions allaient être balayées dans la tourmente de la
digitalisation des communications, de la "derridasion" de la
critique et de l'enterrement de la hache de guerre entre l'Ouest et
l'ex-Far-Est.
Que nenni. Les dernières images satellites sont formelles: les
nappes visqueuses des réalismes magiques et/ou merveilleux ont
atteint non seulement les dernières plages tropicales d'Océanie,
mais aussi les banlieues de Nairobi, les sables du Magreb, les
hinterland des Carpates, de l'Alaska et de l'Arizona, et le coeur des
mégalopoles chinoises ou japonaises. La boucle est bouclée, la
planète ceinturée, la coupe pleine. Si les tabloïds britanniques se
plaignaient depuis belle lurette du recul du roastbeef devant les
assauts du kebab et du chicken-tika, voilà qu'en 2001 les magazines
littéraires londoniens rapportent la fronde d'un groupe de jeunes
écrivains anglais contre la pernicieuse infiltration de leur littérature
nationale par les fictions débridées et linguistiquement hybrides
d'un magic realism d'importation, qui mettrait en péril le bon vieux
récit d'autrefois, rédigé en anglais anglais. Le phénomène ne
manque pas de salsa, puisque Newsweek, magazine d'anticipation
pour être régulièrement antidaté d'une semaine au moins, vient
11
pour sa part d'annoncer la mort du réalisme magique (l'authentique,
le latino-américain, celui "créé", selon eux, vers 1968 par le
prophète Gabriel García Márquez). Il apparaît que la jeune et hard
génération d'écrivains latino-américains, installée comme il se doit
aux terrasses non plus des Deux Magots mais des Net-cafés de
Californie ou de Floride, ne croirait plus aux histoires d'enfants nés
avec des queues de cochon ou de caravelles échouées dans la
jungle, et n'écrirait plus en style baroque. Que vendront donc
dorénavant les libraires gobaux de la world-literature?
Ces développements utra-récents de la production littéraire
mondiale nonobstant, à regarder de plus près la masse informe de
la littérature critique publiée ces dernières années, l'on s'aperçoit
que c'est surtout l'appellation américanisée de magical realism (et
de sa forme latino de realismo mágico) qui domine largement sa
rivale de marvelous realism. Et dans le village désormais
globalement informatisé des bibliothèques et des publications
universitaires, il semble qu'une seule nation fasse de la résistance:
le Québec, péniblement suivi par une lointaine province
francophone, la France. Manifestement, la survivance de la notion
de réalisme merveilleux dans l'océan mondial du magical realism
relève, tout comme le cinéma d'auteur ou la banane Antilles, de
l'exception culturelle et, partant, de l'espèce en voie de disparition.
D'ailleurs même dans les rubriques du catalogue Opale de la bnf.fr,
le premier est inféodé au second.
Peut-être, cependant, l'enjeu ne se réduit-il pas à une simple
bataille (clairement inégale) entre les réseaux universitaires et/ou
informatiques anglophones et ceux de la Francophonie – pour ne
pas parler des langues plus exotiques que nous (et la Toile) tendons
à ignorer dans tous les sens du terme.
Peut-être vaut-il la peine pour tous, Européens, Latino-
américains, Antillais, Africains et autres, de distinguer entre
réalisme magique et réalisme merveilleux, dans le cadre non pas
d'identités culturelles particulières mais d'une approche
comparatiste et d'une théorie générale de la littérature.
12
INTRODUCTION

De toute évidence, l'appellation de réalisme magique et – dans


une moindre mesure – celle de réalisme merveilleux connaissent
un succès grandissant dans la critique littéraire occidentale. Si les
lettres latino-américaines continuent de dominer nettement la
production depuis le boom des années 1960, on peut observer une
expansion du champ d'application de ces termes depuis la fin des
années 1980. Des œuvres africaines, asiatiques ou australiennes
sont abordées dorénavant par le biais du réalisme magique ou
merveilleux. Mais ces notions prennent surtout une importance
croissante dans le discours critique de la littérature anglophone
mondiale et des cultural studies, où elles s'associent fréquemment
aux termes de "post-modernisme," "post-colonialisme" et "multi-
culturalisme." Au sein de ce mouvement, qui constitue une des
manifestations de la globalisation – c’est-à-dire, qu’on le veuille ou
non, de l’occidentalisation1 – de la culture mondiale, certaines voix
vont jusqu’à faire du réalisme magique le "genre" par excellence
de la world literature du début du nouveau millénaire. Littérature
d'expression anglaise, il va de soi.
Ces développements soulèvent toutes sortes de questions. Si on
peut les observer mieux et plus vite qu’auparavant, cela est dû aux
effets indéniables de la globalisation des techniques d'information
et de recherche : sans le recours à l'Internet, les observations faites
plus haut ne pourraient pas se baser sur un corpus aussi large de
références bibliographiques. Quelles que puissent être encore les
limites des recherches par mot-clef dans les bases de données
informatisées, celles-ci permettent – sans devoir se déplacer
physiquement – de profiter des ressources non pas d’une mais de
presque toutes les grandes bibliothèques du monde. A titre
d'exemple, le catalogue informatisé de la BNF ne contient que 18
1
Cf. Edwy Plenel, La Découverte du monde, Stock, 2002.
13
des quelque 300 références réunies dans la bibliographie ci-
dessous, alors que celui de la MLA (Modern Language
Association, États-Unis) en propose 110. Il n'en reste pas moins
qu'une partie importante des références a été glanée de ci et de là
dans les notes de bas de page de publications particulières.
A partir de ce corpus substantiel de références et en guise
d'introduction à mes propres travaux sur diverses œuvres des
littératures européennes et américaines, je me propose de faire le
point sur l'état de la recherche autour des deux appellations en tant
que concepts dans la critique littéraire. Cet effort paraît d'autant
plus nécessaire que le flou ou la confusion entre les deux
appellations persistent, notamment en France où les publications
sur la question sont encore rares. Le flou est évident dans bien des
travaux qui ont recours à l'une des appellations dans leur titre et la
plaquent sur une étude de certaines œuvres (qui peut être une
bonne étude au demeurant), sans vraiment définir l'appellation
utilisée ou expliciter son rapport avec les textes analysés. La
confusion, elle, est frappante quand on constate que telle œuvre ou
tel écrivain sont abordés ici sous le label "réalisme magique," là
sous celui du ou du "réalisme (ou réel) merveilleux," alors que les
références bibliographiques peuvent être les mêmes. Plus que la
nature de l'œuvre étudiée ou la théorie invoquée, c'est souvent la
langue de rédaction de la publication qui joue, notamment au
Canada, où le bilinguisme officiel crée une situation particulière :
derrière l’usage du réalisme merveilleux en français et celui du
magic realism en anglais se cachent souvent (mais pas toujours !)
des connotations culturelles et des références théoriques
différentes.
Sur le plan historique, la critique littéraire produite autour des
deux notions (ou trois, si l’on distingue entre "réel merveilleux " et
"réalisme merveilleux") peut être divisée en quatre grandes
périodes : 1) 1925-1940 : Création des appellations "magischer
Realismus" en Allemagne et "realismo magico" en Italie, suivie
d'une longue période de latence ; 2) 1948-1973 : Lancement de la
notion de real maravilloso americano et premiers articles sur le
"réalisme magique" dans la fiction hispano-américaine ; adoption
14
rapide et enthousiaste du réalisme magique et/ou du "réel
merveilleux" par la critique latino-américaine ; présentation du
"Réalisme merveilleux des Haïtiens" en Sorbonne ; vive
controverse autour de la pertinence des notions de réalisme
magique et réel merveilleux au XVIe Congrès de l'Institut
International Ibéro-américain ; 3) 1974-1987 : Suite des essais de
clarification des termes dans la critique latino-américaine ;
émergence du réalisme magique canadien ; premières approches
comparatistes et retour en force de la critique européenne dans une
publication collective de l’Université de Bruxelles ; 4) depuis
1988 : Couplage du magic realism et du "discours post-colonial" ;
Proposition de distinction théorique entre "réalisme magique" et
"réalisme merveilleux" et illustration de ces modes dans la
littérature française ; nouveaux travaux comparatistes sur le
"réalisme magique" et extension du terme aux littératures de
l'Afrique, l'Asie, l'Océanie et à la world literature, notamment dans
la première publication collective française sur le" réalisme
merveilleux "par l’Université Paris XIII.
Au cours des trois quarts de siècles couverts par ces quatre
étapes, plus de trois cents études dans le cadre de diverses
poétiques littéraires ont été produites. Dans cette masse
substantielle, je propose de relever, dans un survol historique
succinct, la douzaine de publications importantes pour avoir
jalonné le terrain sur le plan théorique.

A. Parcours historique et extension géo-critique de ces


appellations
1. 1925-1940. Si l'expression magischer Realismus a été
relevée sous la plume de Novalis, on s'accorde à reconnaître que sa
fortune au vingtième siècle est dûe à son utilisation dans le titre
d'une étude du critique d'art allemand Franz Roh, publiée en 1925,
sur les courants nouveaux de la peinture post-expressionniste en
Europe.2 Pour simplifier grandement, Roh proposait de nommer
2
Franz Roh, Nach-expressionismus (Magischer Realismus): Probleme
der neuesten europäischen Malerei, Leipzig, Klinkhardt & Biermann,
1925.
15
"réalisme magique" les différentes tendances de retour à une
représentation réaliste (voire statique, mais empreinte d’un
soupçon de mystère) des objets, après l’engouement pour le flou
impressionniste et les stylisations mouvementées de
l’expressionnisme. Alors que la critique d’art allait en grande partie
opter pour la neue Sachlichtkeit (nouvelle objectivité), appellation
concurrente de celle de Roh, la traduction de son ouvrage en
espagnol dans la revue madrilène Revista de Occidente dès 1927,
devait populariser son titre, Realismo mágico, de manière durable
en Amérique latine puis bien au-delà. En raison de sa grande
influence et du fait que la critique française l’a pratiquement
ignoré, l’ouvrage de Franz Roh est présenté dans la partie
théorique de la présente étude.
Également vers 1927, l’expression italienne quasi identique de
realismo magico parut dans divers manifestes et articles de
l'écrivain et journaliste Massimo Bontempelli, notamment dans la
revue franco-italienne ‘900 (Novecento). Entre futurisme,
métaphysique et irréalisme magique, le realismo magico italien fut
l’un des mouvements esthétiques issus de la débâcle du réalisme
dans l’après-guerre – et voués à disparaître rapidement sous le
fascisme triomphant. Pour Bontempelli, il s’agissait, grosso modo,
"d’une façon d’inventer et de narrer dans laquelle la réalité,
quoique très reconnaissable, tend à nous montrer soudainement sa
face cachée, l’autre face de la lune." 3
Les graines du magischer Realismus et du realismo magico
ainsi lancées ne laissèrent aucune trace notable de discussion
pendant une vingtaine d’années – éclipsées peut-être par les
manifestes et manifestations d’un surréalisme autrement voyant et
bruyant – même si elles surgirent çà et là, sous la plume d’un
critique d’art ou de littérature (souvent de manière allusive
seulement, comme ce fut le cas en France chez Brasillach ou
Marcel Aymé). Bizarrement, même par la suite, le réalisme
magique ne connut qu’un développement très limité dans ses deux

3
Bontempelli Massimo, L'Amante fedele (recueil de nouvelles, Milan,
Mondadori, 1953), 4e de couverture, ma traduction.
16
pays d’origine. On peut constater dans la bibliographie que, dans la
vingtaine de références concernant le domaine allemand, seuls
deux écrivains sont nommés (Ernst Jünger 4 et George Saiko) et que
les autres études limitent leur champ d’investigation à la
"littérature des ruines" de l’immédiat après-Seconde Guerre
mondiale. Quant au domaine italien, il est pratiquement réduit aux
œuvres de Bontempelli (qui dès la fin des années vingt d’ailleurs,
parlait plus volontiers de "réalisme mystique" ou "métaphysique").
D’autre part, à de très rares exceptions près, le réalisme magique
littéraire allemand ne semble intéresser que la critique allemande,
et celui d’Italie que la critique italienne.
On peut clore symboliquement la période de latence de ces
concepts avec la parution du Miroir du merveilleux de Pierre
Mabille en 1940 (auquel Carpentier avait participé en tant que
traducteur), afin de rappeler à quel point les Surréalistes sont alors
impliqués dans cette réflexion sur les rapports entre magie,
merveilleux et réalité en littérature.
2. 1948-1973. Après la tourmente (et l’extraordinaire
circulation d’hommes, de biens et d’idées) de la Seconde Guerre
mondiale, l’année 1948 place véritablement les premiers jalons
dans le champ littéraire autour des appellations dont il est question
ici. En Allemagne, plusieurs articles font le point sur l’actualité du
magischer Realismus dans la revue Aufbau (IV), soulignant au
passage les liens troublants entre les visions magiques et
l’idéologie guerrière de Jünger. En Belgique, Johan Daisne signe
un premier article sur le Magisch-Realisme flamand. A Madrid
paraît un ouvrage d’Arturo Uslar Pietri (qui avait rencontré
Bontempelli en Italie) dans lequel il utilise le terme realismo
mágico pour décrire la spécificité du conte vénézuélien. Mais à
côté de ses trois reprises isolées du réalisme magique, la même
année 1948 voit le lancement de l’appellation concurrente de real
maravilloso par Alejo Carpentier dans le quotidien El Nacional
de Caracas. Ce texte, réédité l’année suivante à Mexico comme
4
Notamment dans la thèse de Volker Katzmann, Ernst Jüngers
Magischer Realismus (1975), qui dégage un "modèle" du récit magico-
réaliste dans Les Falaises de Marbre.
17
prologue du roman de Carpentier Le Royaume de ce monde, fut
considéré rapidement comme le manifeste programmatique d’une
nouvelle littérature latino-américaine qui se voulait affranchie de la
tutelle européenne. Parce que ce prologue (et les deux manifestes
ultérieurs de Carpentier promouvant un "réel merveilleux
américain" qui serait bien plus authentique que les productions
culturelles "appauvries" d’une "Europe déclinante") continuent
d’être débattus aujourd’hui et n’ont pas été traduits en français, ces
textes fondateurs incontournables sont aussi analysés dans la partie
théorique du présent ouvrage.5
Sans doute partiellement inspiré du manifeste de Carpentier,
Jacques Stephen Alexis, antillais également mais franco-phone,
vint présenter les prolégomènes d’une esthétique du "Réalisme
merveilleux des Haïtiens" en Sorbonne en 1956. Cette initiative,
toute imprégnée d’un syncrétisme visant à fondre culture populaire
haïtienne, langue française et réalisme socialiste, devait attendre
une vingtaine d’années avant de trouver des échos, que ce soit en
France ou ailleurs.
Dans cette même période, l’article "Magical Realism in Spanish
American Fiction" d’Angel Flores, paru aux Etats-Unis en 1955,
suscita une discussion générale du réalisme magique dans la
critique littéraire latino-américaine – surtout celle installée dans les
universités nord-américaines. Au cours des années 1960, les
études, mémoires et communications abordant les auteurs latino-
américains contemporains sous l’angle du réalisme magique et/ou
du réel merveilleux, en anglais ou en espagnol, se multiplièrent
mais dans un grand flou théorique et méthodique autour de ces
termes, encouragé notamment par les différents, vis-à-vis de la
conception de Flores, introduits dans l’article de Luis Leal de

5
Une autre raison d’inclure une analyse de ces essais de Carpentier en
français dans ce contexte, parallèlement à celle de l’ouvrage de Franz
Roh, est que personne (ni les germanistes, ni les hispanistes, ni les
comparatistes qui ont traduit ces textes en anglais) ne semble avoir
remarqué la lecture très biaisée que Carpentier fait du réalisme magique
de Franz Roh pour promouvoir son concept concurrent de réel
merveilleux.
18
1967, "El realismo mágico en la literatura hispanoamericana." Si
bien que le XVIe Congrès de l'Institut international ibéroaméricain,
tenu à Michigan State University à East Lansing en 1973,
spécifiquement sur le thème de "Fantaisie et Réalisme magique,"
fut marqué par une vive controverse. L’invité d’honneur, Emir
Rodríguez Monegal, accueillit les congressistes en expliquant
longuement pourquoi il fallait bannir le terme realismo mágico de
leur vocabulaire, alors qu’un bon tiers des soixante-cinq
communications s’y référait. Plusieurs d’entre elles essayaient
d’ailleurs de clarifier les liens entre les notions de fantastique, de
surréalisme, de réalisme magique et de réel merveilleux –
malheureusement de manière peu harmonieuse.
3. 1974-1987. La brouille terminologique et théorique qui
avait éclaté à East Lansing aurait pu signifier l’enterrement
solennel de toute la discussion. Ce ne fut pas le cas. Quand les
actes de ce congrès mémorable parurent en 1975 (Donald Yates,
éd.), ce n’était que le cinquième ouvrage publié sur l’appellation de
réalisme magique dans le domaine latino-américain. Depuis, il y en
a eu trente deux autres... Parmi les plus intéressants, figure la
proposition d’Irlemar Chiampi de fondre le réalisme magique et
le réel merveilleux en un "Realismo maravilloso hispano-
americano" (Sao Paolo 1980 ; Caracas 1983) ; cette redistribution
des termes n’aura pas réussi à s’imposer dans la critique, mais elle
demeure l’une des théorisations les plus ambitieuses sous
l’étiquette "réalisme merveilleux" et ses grands traits seront
présentées plus loin, à la suite du manifeste d’Alexis, dans la
présente étude.
A la même époque parut à New York une anthologie intitulée
Magical Realist Fiction (David Young et Keith Hollaman, éd.,
1984) avec une très belle sélection de textes par trente cinq auteurs
prestigieux du monde entier (de Gogol à Kundera en passant par
Mann, James, Kafka, Woolf, Nabokov, Faulkner, Borges, Calvino,
Escarpit et d’autres), présentés comme appartenant à ce "genre" et
à cette "tendance" de la littérature (en l’occurrence, le seul
dénominateur commun que l’on entrevoit clairement dans la
variété des textes proposés, est leur refus du simple réalisme). La
19
critique anglophone canadienne s’était manifestée dès 1974 avec
les travaux de Michael Dash sur le Marvelous Realism de Jacques
Stephen Alexis, suivis d’une anthologie du Magic Realism (Geoff
Hancock, éd.) en 1980 et d’une publication collective sur le
Magical Realism and Canadian Literature (éd. Peter Hinchcliffe et
Ed Jewinski) en 1986. C’est de l’Université de Montréal, en langue
anglaise, que vint un ouvrage décisif, dans lequel, sur la base d’une
approche comparatiste, Amaryll Chanady (1985) propose une
distinction théorique claire entre le fantastique et le réalisme
magique en tant que modes narratifs de la fiction. Sa thèse, selon
moi in-surpassée et qui constitue le point d’ancrage de ma propre
conception du mode réaliste merveilleux, sera résumée et analysée
dans la partie théorique de la présente étude.
En Europe, c’est la Belgique qui se distingue avec l’ouvrage en
langue flamande de Christiane Van de Putte sur la poétique du
roman magico-réaliste allemand et néerlandais (1979) et surtout
avec un ouvrage collectif remarquable de l’Université de
Bruxelles, qui demeure la source d’information la plus complète en
langue française dans le domaine : Le Réalisme magique. Roman.
Peinture et cinéma (éd. Jean Weisgerber, 1987). En plus d’une
introduction très détaillée sur l’histoire du concept et de ses
variantes, c’est un véritable panorama de poétiques européennes et
américaines qui est proposé, y compris une exploration de la
littérature d’expression française. Par contre, comme on le verra
plus loin, la tentative de formulation d’une "poétique" générale et
du réalisme magique ne convainc pas.6
6
Notamment pour trop se baser sur le courant appelé "européen" dans
l’ouvrage, et qui relève plutôt du réalisme mystique ou métaphysique
(façon Bontempelli, Jünger, Gracq, Green ou Lampo, par exemple). Cette
remarque vaut aussi pour la thèse de Michael Scheffel, Magischer
Realismus, die Geschichte eines Begriffes und ein Versuch seiner
Bestimmung (1990), qui consacre un chapitre à la fonction de "pont," de
l'appellation, entre l'Ancien et le Nouveau monde, mais qui propose
surtout une tentative de définition du réalisme magique en tant que "style
du récit," apparent dans la littérature allemande entre les Républiques de
Weimar et de Bonn. Or on est là aux antipodes de la truculence des textes
magico-réalistes latino-américains.
20
4. Depuis 1988. C’est encore du Canada que provient une
publication influente en 1988. L’article de Stephen Slemon,
"Magic Realism as Postcolonial Discourse," inaugure un nouveau
courant de la critique en situant le concept au sein d’un
"engagement spécifique de la culture littéraire anglo-canadienne
dans la post-colonialité." Ce courant est aussi représenté dans une
importante publication collective aux Etats-Unis, Magical
Realism: Theory, History, Community (éd. Lois Zamora et
Wendy Faris, 1995) ; dans une première publication collective en
France (éd. Xavier Garnier, 1998), intitulée Le Réalisme
merveilleux, mais dont les études traitent plutôt de réalisme
magique ; dans l’étude de Jean-Pierre Durix, Mimesis, Genres and
Post-Colonial Discourse: Deconstructing Magic Realism, 1998),
ainsi que dans l’ouvrage collectif d’impulsion italienne
Coterminous Worlds: Magical Realism and Contemporary Post-
Colonial Literature in English (éd. Elsa Linguanti et al, 1999).
Dans tous ces travaux (notamment comparatistes), domine une
approche culturaliste du "réalisme magique," privilégiant une
lecture des aspects thématiques et idéologiques d’œuvres
provenant de pays et de continents divers, qui s’opposeraient à une
production littéraire occidentale (ou occidentalisée)
"hégémonique," rédigée dans des "genres conventionnels."
Face à cette montée très nette du courant angliciste autour d’un
magic(al) realism post-colonial et/ou post-moderne, la critique
latino-américaine continue à se servir des notions de realismo
mágico et de real maravilloso pour explorer sa littérature, sans que
l’on ait noté de percée théorique sur les rapports entre ses
appellations dans la quinzaine d’ouvrages parus depuis 1988. 7 Sauf
pour quelques études universitaires franco-canadiennes explorant
les littératures canadiennes et/ou antillaises, la notion de "réalisme
merveilleux" n’apparaît guère que dans mes propres travaux, dans
lesquels je propose, depuis 1991, une distinction théorique entre

7
Deux tentatives intéressantes seront présentés en guise d’épilogue du
chapitre consacré à Alejo Carpentier.
21
réalisme magique et réalisme merveilleux (et l’illustration de ces
modes narratifs dans la littérature française, notamment).

B. De l’intérêt de distinguer entre "réalisme magique" et


"réalisme merveilleux"
Afin de défendre cette distinction, je voudrais revenir de
manière plus détaillée sur les deux publications récentes dans la
critique littéraire comparatiste, qui me paraissent les plus
importantes autour du réalisme magique et du réalisme
merveilleux, respectivement – si ce n’est confusément. Il s’agit de
deux ouvrages collectifs : celui édité par Lois Zamora et Wendy
Faris, Magical Realism: Theory, History, Community (Duke
University Press, 1995), et celui édité par Xavier Garnier, Le
Réalisme merveilleux (Paris, L’Harmattan, 1998).
Dans Magical Realism, l'appellation de réalisme magique
semble avoir complètement assimilé celle concurrente de réalisme
merveilleux (sur les 23 articles inclus dans l'ouvrage, seul le "réel
merveilleux" apparaît dans le titre des deux essais, déjà anciens, de
Carpentier sur la question, traduits ici en anglais 8). Sous le titre
sobre de Le Réalisme merveilleux, la publication française réunit
elle onze études. Bizarrement, dans sa présentation de l'ouvrage
l’éditeur n'explique pas pourquoi il choisit de coiffer par
l'appellation unique de "réalisme merveilleux" une série d'études
dont deux seulement se réfèrent à celui-ci, alors que cinq autres

8
Il faut saluer cette parution, en anglais, d'essais importants dans la
première partie de cet ouvrage, intitulée "Foundations." On peut regretter
cependant que la traduction par Faris du texte de Franz Roh (sur le
réalisme magique dans la peinture postexpressioniste européenne) soit
basée sur la traduction en espagnol, parue sous forme réduite d'article
dans la Revista de Occidente, et non sur le texte allemand d'origine. Etant
donné la finesse de l'analyse de Roh, cette double traduction peut se
traduire par des glissements de sens dommageables et par une perte
d'information non négligeable. D’autre part, les co-éditrices ne signalent
pas, justement, les erreurs grossières et les interprétations tendancieuses
du texte et des images reproduites dans le livre de Roh, par Carpentier,
telles qu'elles apparaissent dans son essai sur The Baroque and the
Marvelous Real, traduit ici par Zamora.
22
incluent le terme "magie" ou "magique" dans leur titres (et que
trois autres articles ne se réfèrent ni au merveilleux ni au magique).
Dès l'abord, on peut donc constater que l'Atlantique continue de
séparer sinon les mouvances du moins leurs appellations : à nous,
en France, le réalisme merveilleux, à eux, aux États-Unis, le
réalisme magique.
Sur le plan du contenu, l'ouvrage américain bénéficie
manifestement d'une plus grande familiarité du thème abordé, en
vertu des discussions amples et déjà anciennes de la question au
sein de la critique latino-américaine (les co-éditrices sont des
comparatistes dans des universités texanes très axées sur le
domaine latino-américain). Cependant, elles accueillent aussi des
contributions sur des œuvres provenant du domaine nord-
américain, antillais non-hispanophone, britannique, anglo-indien,
allemand, maghrébin et Japonais, ainsi que des références aux
origines européennes de l'appellation et un abondant débat
historique sur les rapports entre réalisme magique et surréalisme,
dans le contexte des littératures américaines post-coloniales et
post-modernistes et de leurs liens avec l'Europe. On se retrouve
donc avec une grande pluralité de points de vue et avec un
panorama presque aussi large que celui proposé en 1987 dans la
publication sur Le Réalisme magique de l'Université de Bruxelles
(à laquelle Zamora et Faris renvoient d'ailleurs pour les aspects
plus particulièrement européens de l'histoire de ce concept).
Comme dans celle-ci, l'appellation est définie dans la
présentation générale en tant que "mouvement international
significatif de la littérature contemporaine," mais elle est surtout
abordée comme un "mode littéraire" de la fiction de certains
auteurs, dans les diverses études, sans que la définition soit
nécessairement précisée davantage en termes de narratologie ou de
poétique. A partir de là, la discussion porte sur la question de
l'interprétation de "ce" mode tel qu'il apparaît dans des textes
spécifiques et/ou au sein du post-modernisme et du post-
colonialisme. La plupart des études mettent l'accent sur l'aspect
identitaire de littératures émergentes et/ou marginales se posant par
rapport à des "centres privilégiés" et à des "paradigmes
23
métropolitains." Elles se situent donc assez clairement dans une
dynamique culturaliste (cultural studies), soucieuse de se
démarquer des "canons occidentaux," i.e. européens et étasuniens.
Je subodore que c'est cette dynamique nouveau-mondiste et/ou
multiculturaliste d'opposition contre l'influence "métropolitaine" (à
la fois du réalisme et du surréalisme, selon certaines des études),
qui permet de réunir sous l'appellation unique de réalisme
magique, la nouvelle littérature post-coloniale "créolisée,"
provenant à la fois du monde antillais et du monde latino-
américain. Sans que les éditrices aient voulu (ou songé à) se
demander si tant d'œuvres, diverses par d'autres aspects que leur
condition post-moderniste émergente, ne cohabitent pas
malaisément dans un seul tiroir. Pourtant, plusieurs études mettent
en lumière des phénomènes d'intertextualité continue, évidents
entre Europe et Amérique notamment (Grass, García Márquez et
Rushdie étant les cas les plus connus). La question du va-et-vient
international des influences (réciproques, d'ailleurs, et non pas
nécessairement de l'Europe sur le "nouveau monde") n'est donc pas
ignorée mais, me semble-t-il traitée avec beaucoup d'ambivalence
et, au bout du compte, soit écartée soit inféodée à une autre
logique.
Comment expliquer, par exemple, que personne ne discute du
modèle théorique du mode narratif magico-réaliste proposé
naguère par Chanady, sinon par le fait qu'il a l'inconvénient de
casser l'unité de l'approche culturaliste, en forçant à diviser les
œuvres du soi-disant "mouvement spécifiquement multiculturel
créolisé" de la littérature du nouveau monde, selon des critères
formels, ce qui oblige donc à qualifier à l'aide d'une autre
appellation que celle de réalisme magique (sur laquelle se fait ce
nouveau et étonnant consensus), les œuvres qui ne répondent ni
aux critères des modes chanadiens ni à d'autres modes reconnus de
la fiction. Or c’est ce j'ai fait moi-même en proposant une
définition nouvelle du réalisme merveilleux, qui me semble
pouvoir concerner une assez grande proportion du corpus en
question, mais qui a l'inconvénient de ne pas se fonder sur la
"mouvance" culturelle anticolonialiste.
24
Cette notion d'une littérature soi-disant imprégnée d'un
"rationalisme binaire" qui serait propre aux "centres littéraires
métropolitains privilégiés" me paraît assez réductrice et illusoire
(au moins depuis les années 1960, et même depuis la "crise du
roman" après la première guerre mondiale). Inversement, et au
moins depuis ma lecture du prologue du Royaume de ce monde, je
m'interroge sur les manières ou sur les techniques d'écriture par
lesquelles des écrivains issus de cultures tiers-mondistes pourraient
exprimer, dans la pratique de la prose fictionnelle, des "mentalités
populaires" qui accepteraient, au même titre que l'expérience
perçue rationnellement, diverses formes de mythes ou de
manifestations du surnaturel. Jusqu'où faudrait-il remonter dans le
temps et dans les arrière-pays des Antilles ou d'Amérique latine,
par exemple, pour trouver des populations échappant aux "réalités"
modernes et vivant dans des sociétés qui ne distingueraient pas
entre les règles du quotidien et un héritage de croyances et de
mythes ? Une telle condition est-elle imaginable pour une
population alphabétisée et/ou lettrée ? Si elle n'est pas lettrée et
qu'elle parle une langue indigène non-écrite, comment un écrivain
local peut-il espérer communiquer avec elle par le biais de la
littérature et comment fera-t-il concurrence aux fictions télévisées,
autrement populaires ?
Par rapport à toutes ces questions, soulevées par la notion de
littérature émergente dans cette publication, la contribution la plus
intéressante est celle d'Amaryll Chanady, à qui ma propre
recherche doit tant. Son étude intitulée "The Territorialization of
the Imaginary in Latin America: Self-Affirmation and Resistance
to Metropolitan Paradigms" est suffisamment érudite et ambitieuse
pour avoir été placée par les co-éditrices dans la première partie,
consacrée aux fondations du réalisme magique latino-américain, à
la suite donc, des travaux de Franz Roh (1925), Carpentier
(1949/1967/1975), Angel Flores (1955) et Luis Leal (1967).
Comme son titre l'indique, Chanady s'élève au niveau d'une
réflexion sur l'imaginaire – notion abstraite de la littérature – du
continent latino-américain, dans une perspective post-colonialiste
"anti-métropolitaine." En l'occurrence, elle se base sur les travaux
25
de théoriciens de la littérature hispanophone et lusophone
s'attachant depuis un demi-siècle (et surtout depuis une vingtaine
d'années au sein des cultural studies) à définir la spécificité de la
fiction latino-américaine par opposition, donc, aux "paradigmes
métropolitains," c'est-à-dire au système de valeurs rationnelles
hégémoniques qui soutiendrait et limiterait l'imaginaire
"occidental." Sa discussion est illustrée par des références à
quelques œuvres littéraires, surtout de Cortázar et d'Asturias.
Les conclusions auxquelles Chanady arrivent dans son dernier
paragraphe ne me posent guère de problèmes, en dehors d'un léger
malaise face aux notions de "fétichisation de l'Autre européen" et
de la "cannibalisation créatrice" des écrivains latino-américains
(expression qui signifie, grosso modo, qu'ils ont bouffé de l'auteur
européen de manière sélective pour leur profit). Mais je voudrais
relever, dans sa démonstration, quelques aspects symptomatiques
d'une orientation du comparatisme nord-américain, qui me paraît
décevante. Après douze pages (sur dix-sept) consistant en une
présentation méthodique de textes ayant décrit le processus de
prise de conscience, par l'intelligentsia latino-américaine, de la
différence de sa culture, Chanady estime que :

C'est sur cet arrière-plan complexe de la rébellion du sujet


colonisé contre les modèles imposés, de la résistance des
pays nouvellement indépendants d'Amérique latine à la
domination néocoloniale et à la délégitimation
philosophique par l'Europe de paradigmes métaphysiques et
épistémologiques, que nous devons situer certaines pratiques
littéraires du vingtième siècle. (p.136 ; ma traduction ; mes
italiques)

Il y aurait sans doute beaucoup à dire sur cette notion de "néo-


colonialisme culturel" dont l'exposé paraît souvent empreint de
généralisations discutables, mais ce qui frappe, c'est cette volonté
de situer des phénomènes littéraires dans un tel contexte, non pas
dans le seul but louable de mettre ceux-ci en perspective, mais pour
inféoder ce qui relève d'abord de la poétique à des courants extra-
26
littéraires. En l'occurrence, il s'agit du surréalisme et du réel
merveilleux de Carpentier. Chanady rappelle que si les surréalistes
ont critiqué "l'hégémonie intellectuelle" et le canon littéraire dans
leur propre société et cherché une inspiration plus authentique dans
l'exotisme primitiviste, Carpentier s'est servi du concept du réel
merveilleux en tant que signe dans le discours identitaire latino-
américain rejetant l'influence européenne, surréalisme compris. A
partir de là, les écrivains magico-réalistes latino-américains se
seraient approprié l'Altérité d'une "mentalité primitive" dont
parlaient les intellectuels européens, pour l'introduire dans leurs
stratégies narratives de construction identitaire, obtenant de la sorte
un succès fracassant en Europe. Ceci établi, Chanady illustre en
quoi ces stratégies sont différentes des européennes (surréalistes ou
fantastiques) à partir de textes de Cortázar, comme "Lettre à une
jeune dame à Paris," dans lesquels les lois naturelles et le
surnaturel coexistent sans problèmes. Elle ajoute alors ceci:

Jaime Alazraki a créé le terme néofantastique pour ce type


de récit [de Kafka]. Mais il importe à nouveau d'éviter les
implications péjoratives d'études d'influence traditionnelles,
qui feraient remonter la fiction fantastique de Cortázar à des
sources comme La Métamorphose de Kafka (lequel, soit dit
en passant, était marginal sous bien des aspects, comme l'ont
souligné Deleuze et Guattari). Plutôt, on pourrait relire cette
filiation évidente dans la perspective du modernismo
brésilien, dont les promoteurs critiquèrent l'imitation naïve et
recommandèrent "l'anthropophagie" ou le cannibalisme
sélectif, dans lequel seuls les éléments considérés désirables
sont incorporés. En d'autres termes, nous devons examiner
pourquoi Cortázar choisit de souligner la création subjective
de la réalité et de subvertir le rejet canonique du surnaturel
par le fantastique, parallèle à "la séduction de l'étrange,"
pour reprendre l'expression de Louis Vax. Le fait que ses
écrits montrent un grand intérêt pour les systèmes
philosophiques et religieux orientaux, indique que Cortázar

27
est engagé dans une relativisation générale des modèles
occidentaux hégémoniques. (p.140 ; ma traduction)

En introduisant l'appellation de "néo-fantastique" (qui en vaut sans


doute une autre, si elle est bien définie) au lieu de recourir à sa
propre définition du réalisme magique, et en refusant l'idée de
filiation entre le texte de Kafka et celui de Cortázar, Chanady renie
ici son ouvrage précédent sur le réalisme magique et le fantastique,
dont le principe même était de définir des modes narratifs
théoriques permettant les rapprochements formels,
indépendamment du contenu thématique ou de la motivation des
auteurs. Même si sa distinction entre ces modes narratifs reste
perceptible dans les analyses des œuvres latino-américaines qu'elle
propose ici, il ne serait donc plus permis de parler du réalisme
magique d'un auteur européen et d'un latino-américain! L'idée est
particulièrement surprenante dans le cas de l'argentin Cortázar,
étant donné que son parcours semble bien plus marqué par le
cosmopolitisme urbain et par son activité de traducteur littéraire
(notamment d'un nombre important de grands romans français),
que par le contact avec des populations indigènes.
Plus frappante encore est l'idée qu'il puisse être "péjoratif" de
voir une source kafkaïenne dans une nouvelle de Cortázar. C'est
pousser "l'anxiété de l'influence" un peu loin, me semble-t-il.
Pourquoi y aurait-il là un crime de lèse-Amérique latine, alors que
Kafka a certainement influencé des écrivains dans le monde entier,
à commencer par les pays de langue allemande ? Si La
Métamorphose est si connue, c'est que personne ne la lit
impunément. Ce fut le cas pour García Márquez, comme il
l’admettait volontiers. Inversement, qui nierait que les grandes
œuvres de García Márquez auront autant marqué les lecteurs
européens que Kafka ? Même si des techniques narratives passent
et repassent l’Océan, ces auteurs ont produit des textes au
demeurant très différents pour s'inscrire dans des langues et dans
des contextes culturels différents. Bref, il y a là de quoi comparer,
c'est-à-dire de rapprocher et de distinguer, des œuvres provenant
d'individus explorant un imaginaire à eux propre.
28
Chanady a donc remis en question son modèle de réalisme
magique en raison de son intérêt croissant pour les pratiques
culturelles, et qu'il lui semblait réducteur de classer des textes
d'Asturias et de Kafka, par exemple, dans la même catégorie, parce
que "le réalisme magique latino-américain (et africain) est lié à une
tentative de représenter des croyances et des systèmes de pensée
non-occidentaux, tandis que la juxtaposition du surnaturel et du
naturel chez Kafka (et dans le "Passe-muraille" d'Aymé) n'a pas
cette fonction et pourrait être plus adéquatement nommée 'néo-
fantastique'."
Je crois que personne n'est très sûr de la "fonction" de la
juxtaposition du naturel et du surnaturel chez Kafka, mais elle ne
relève sans doute pas de l'engagement social, culturel ou politique
(et dieu sait que les promoteurs de littérature héroïque et/ou
révolutionnaire le lui ont reproché). Quant à la généralisation de la
motivation présumée du "réalisme magique latino-américain," il va
sans dire qu'elle ne me convainc pas. Si l'art authentiquement
latino-américain consiste à représenter des "croyances et des
systèmes de pensée non-occidentaux" ne devrait-il pas rejeter la
catégorie du roman même, genre dont le caractère pernicieux est
bien connu et dont j'imagine qu'il débarqua dans le nouveau monde
dans le sillage de Cortès et des Jésuites ? D'autre part, malgré le
fort métissage de la population dans certaines régions, il me semble
que l'homogénéité raciale et sociale ou la créolisation culturelle est
loin d'être acquise partout. Une littérature ressemblant
furieusement à du Kafka, à du Buzzati (pour ne pas dire du
Cortázar), mais sans liens avec des mentalités indiennes, est-elle
inconcevable à Mexico, Buenos Aires, La Havane ou
Montevideo ? Et si elle existait, cela impliquerait-il qu'elle ne
saurait être ni latino-américaine, ni magico-réaliste ?
L'embrigadement du réalisme magique dans un engagement
culturaliste me semble décidément regrettable et curieusement
rétrograde à l'heure du village global.
Quant à l'ouvrage paru à Paris sur Le Réalisme merveilleux, son
premier article propose sous le titre "Le Réalisme magique: genre à
part entière ou 'auberge latino-américaine'?" une analyse
29
synthétique et lucide, dans laquelle Jean-Pierre Durix cerne assez
bien les problèmes posés par l'usage "flou" du terme dans la
critique latino-américaine. Plusieurs des questions qu'il se pose
auraient néanmoins trouvé une réponse au moins partielle dans les
travaux de Chanady, notamment. Dans l'article suivant, "Les
'enfants' de Rushdie: quel réalisme, quelle magie?" Jacqueline
Bardolph présente quelques romans "non-réalistes" parus
récemment en Inde, en se demandant si "l'étiquette commode,
'réalisme magique' est pertinente et éclairante pour de telles
œuvres." Elle conclura par la négative, mais en esquivant
entièrement la discussion de l'appellation incriminée – solution qui
se défend, étant donné que définir le réalisme magique n’est pas
commode.
La contribution de Crystel Pinçonnat sur le "réalisme
merveilleux dans le roman amérindien" (nord-américain) est
particulièrement intéressante en vertu de son titre. Elle est
constituée d'une analyse de quelques textes récents de cette
littérature "mineure." Pour elle, la fonction du réalisme merveilleux
est de "participer au vaste processus de reconstruction identitaire
qui se donne pour objet de réécrire l'histoire par l'intermédiaire de
la fiction, d'explorer et d'expliquer la spécificité d'une
communauté." Une telle vision d'un mouvement littéraire au
service d'une identité culturelle à (re)construire me semble
correspondre à celle développée dans l'ouvrage de Zamora et Faris,
comme on vient de le voir, autour de la notion de "magical
realism" dans le domaine latino-américain. Mais Pinçonnat précise
qu'il ne s'agit pas d'amalgamer les différentes littératures mineures
des États-Unis sous une même appellation. Elle estime que l'art
amérindien (largement inspiré de mythes, de rêves, de visions et de
pratiques magiques) "rejoint une définition du Merveilleux"
proposée par Jacques Stephen Alexis dans l'introduction de son
"Manifeste du Réalisme merveilleux des Haïtiens," dont quelques
lignes sont citées (mais pas spécifiquement la définition du
réalisme merveilleux haïtien). Cette citation est la seule référence
(oblique) à une théorie quelconque du réalisme merveilleux, dans
cette étude, qui fait donc l'économie d'une discussion de cette
30
question. L'analyse des textes n'en est sans doute pas invalidée,
mais un facteur d'indécision pèse sur les quatre ou cinq phrases
(titre compris) où "le réalisme merveilleux" est cité sans qu'on
sache trop bien de quoi il s'agit. Pourquoi, d'ailleurs, réalisme
merveilleux plutôt que réalisme magique? Est-ce pour se distinguer
de l'usage qui a été adopté par la critique latino-américaine, très
présente aux États-Unis, et qui fait de l'ombre aux littératures
"mineures" comme l'amérindienne ou la chicana ?
Parmi les huit autres contributions à l'ouvrage, cinq traitent de
questions trop éloignées du réalisme merveilleux (ou magique) 9
pour que j'en dise plus à leur sujet. Les trois restantes se réfèrent
explicitement à des études préalables autour de ces notions, mais
ne s'engagent ni dans un débat théorique ni même dans une
définition. Dans "Interférence du récit magique et du récit
historique : le cas de Monnè d'Ahmadou Kourouma," Pierre
Soubias rappelle très justement, en introduction, que les concepts
de réalisme magique ou merveilleux n'ont guère été utilisés par la
critique francophone ou africaine et que leur utilisation incertaine
dans le domaine latino-américain a donné lieu à des abus.
Prudemment, il ne se sert donc ni de l'une ni de l'autre appellation
dans son titre. Les extraits de l'œuvre qu'il analyse (qui me
rappellent beaucoup les romans de Baghio'o) et la conclusion à
laquelle il aboutit ("le langage de Kourouma [opère] une fusion de
l'acte narratif et de l'attitude poétique" tout en transmettant "l'amère
leçon de l'histoire") me laissent penser cependant que le mode
narratif de ce roman ivoirien, Monnè, outrages et défis, s'inscrit
bien dans le réalisme merveilleux tel que je l'ai défini moi-même.
Un phénomène similaire a lieu dans "Le réalisme 'tropical' de
Sony Laboui Tansi: un discours doublement contraint ?" où
Nicolas Martin-Granel se distancie brièvement dans l'introduction,
d'un réalisme magique ou merveilleux, "appellation (peu contrôlée,
il est vrai) d'un mouvement littéraire italien de l'avant-guerre dont
l'un des représentants fut Massimo Bontempelli." (Ce qui est

9
Y compris celle de Xavier Garnier, coordinateur du numéro, sur le
thème "Métamorphoses réalistes dans les romans de Marie Ndiaye."
31
original mais un peu court.) Il passe alors à une analyse
substantielle, d'une vingtaine de pages, sous l'étiquette de "réalisme
tropical" (= qui serait proche des phénomènes climatiques et
littéraires de l'Amérique latine), pour conclure que "la poétique de
Sony Labou Tansi fait subir à la notion de réalisme merveilleux
une telle torsion et lui imprime un tel dynamisme qu'on ne sait,
pour finir, dans quel sens elle fonctionne ni même si cette question
a encore un sens." Là aussi, il me semble qu'un rapprochement
avec les définitions du réalisme magique et du réalisme
merveilleux, en tant que modes narratifs universels, et la
distinction entre les deux, auraient pu être fructueux.
L'introduction de l'étude de Michel Naumann, "La forêt urbaine
des années 90 et le réalisme magique de Ben Okri," offre une
discussion très synthétique de la "montée du réalisme magique
africain comme moyen de traduire la crise, de l'affronter et
d'avancer vers des réponses non-dogmatiques" et justifie "la
capacité africaine à s'inscrire dans ce mouvement" en vertu du rôle
fondamental des cultures africaines dans "la formation du réalisme
magique d'un Alejo Carpentier ou de Gabriel Garcia Marquez."
Sans donner d'autres références théoriques ou critiques, Naumann
se pose alors la question : "le réalisme magique d'un Ben Okri
travaille-t-il au surgissement d'une Modernité-Altérité capable de
dire ce temps d'anomie que nous vivons et de s'esquisser en tant
qu'avenir humain, ou sombre-t-il dans le nihilisme des jeux
étincelants mais vains d'une effrayante 'merdonité', pour reprendre
un calembour de Michel Leiris ?" Il conclura, après quelques pages
d'analyse de "la quête d'Azaro" (enfant-héros des romans nigérians
en question), que "le réalisme magique de Ben Okri est donc une
forme d'exploration de l'aliénation et de la crise actuelle du tiers-
monde qui ne prend ses distances vis-à-vis du réel que pour mieux
le saisir et le travailler." Tout cela est intéressant et donne envie de
lire Okri. De par son caractère synthétique, l'analyse des textes met
l'accent sur le contenu thématique et l'engagement de ces romans,
qui rappellent ceux d'Alexis (Compère Géneral Soleil est d'ailleurs
cité). Comme l'indique Naumann, l'étude détaillée reste à faire. Je

32
suggère qu'elle gagnerait à se baser sur une réflexion théorique
plus poussée autour de l'appellation retenue.
Pour conclure sur cette publication, je salue bien évidemment
cette première marque d'intérêt, par une équipe de recherche basée
dans une université française, pour un concept qui me tient tant à
cœur. Si certaines des études réunies ici posent des jalons
prometteurs dans l'étude d'un réalisme magique ou d'un réalisme
merveilleux dans les domaines de la littérature amérindienne et
africaine – notamment par rapport à l'utilisation (problématique,
comme le montre bien le travail de Durix) qu'en fait la critique
latino-américaine – les autres n'ont pas cherché à se raccrocher à
ces notions (ce qui n'est pas dommageable per se, sauf peut-être
dans le cas des "enfants de Rushdie"). Cette constatation incite à
s'étonner du titre et de l'introduction très générale d'une publication
qui se dispense d'une description de l'objet mis en vitrine et d'une
discussion des métamorphoses inexplicables du réalisme
merveilleux en réalisme magique au sein de ses pages. A partir de
là, il faut admettre que ce livre ne contribue guère à dégager le
réalisme merveilleux du "carrefour fort embouteillé de la création
littéraire contemporaine," dont il est question en quatrième de
couverture. En l'occurrence, un titre plus approprié eût été
"collection d'études diverses autour des notions de magie, de
merveilleux, de créolité et de tropicalité dans leur articulation avec
le réel ou le réalisme dans divers médias de divers pays de divers
continents."
La confrontation de ces deux publications comparatistes permet
de constater : 1) que l’utilisation de l’appellation de réalisme
merveilleux par les critiques français est loin d’être fondée sur le
plan théorique et convaincante comme outil de poétique ; 2) que
dans la mouvance culturaliste issue d’Amérique du nord,
l’appellation de réalisme magique est embrigadée dans une
approche basée bien davantage sur une lecture idéologique
réductrice des œuvres que sur l’analyse de leur fonctionnement
narratif. Baser une poétique sur une notion "d’hybridité" culturelle
post-coloniale relève de la mystification plutôt que de la littérature
générale.

33
Dans le présent ouvrage, j’espère démontrer que distinguer
entre les deux appellations sur la base de définitions
narratologiques permet de rendre compte de distinctions
essentielles dans le discours fictionnel, qui ne préjugent en rien des
aspects thématiques, idéologiques et stylistiques des œuvres en
question : Kafka n’est pas García Márquez, Giono n’est pas
Baghio’o, Faulkner n’est pas Carpentier. Et si le réalisme magique
d’un García Márquez paraît différent de celui d’un Marcel Aymé,
c’est peut-être parce qu’il se combine avec le réalisme merveilleux,
ce qui n’est pas le cas pour ce dernier. On comprend mieux la
singularité de cette combinaison de modes dans l’œuvre, en
commençant par les distinguer.

34
I. THÉORIES

35
36
La théorie esthétique du Magischer Realismus
de Franz Roh (1925)

Une année environ après la publication à Paris du Manifeste du


Surréalisme, Franz Roh, jeune critique d'art allemand, publia un
livre remarquable sur la peinture post-expressionniste en Europe,
intitulé Nach-expressionismus. Magischer Realismus. Probleme
der neuesten europäischen Malerei.10 Dans cette étude, Roh
formule une théorie sur les nouvelles directions prises par la
peinture européenne occidentale entre 1920 et 1925. Selon lui, à
côté des esthétiques encore dominantes de l'expressionnisme et de
l’impressionnisme, une nouvelle tendance se dégage de manière
assez perceptible pour que l'on puisse parler du commencement
d'une ère nouvelle, "post-expressionniste." Dans un prière
d'insérer, Roh suggère de nommer cette nouvelle esthétique
"réalisme magique," afin de se distinguer d'autres appellations en
usage à cette époque, comme celles de "réalisme idéaliste," de
"vérisme," de "nouveau classicisme" et de "surréalisme." En fait,
Roh sait que l'expression qu'il propose est déjà concurrencée par
celle de Neue Sachlichkeit [Nouvelle Objectivité],11 utilisée dans le
titre de l'exposition organisée par le Dr. Hartlaub à la Kunsthalle de
Manheim en 1925, autour des mêmes œuvres.
Pour illustrer les cent-vingt pages de son analyse, Roh inclut
des photographies (en noir et blanc) de peintures ou de dessins de
cinquante-deux artistes (dont il fournit la liste p.133). Afin de
rendre plus apparents les changements stylistiques qu'il voit entre
l'expressionnisme et le post-expressionnisme, des œuvres
thématiquement proches mais illustrant les deux esthétiques
10
Leipzig, Klinkhardt & Biermann. Le titre peut être traduit littéralement
en "Le Post-expressionnisme. Le Réalisme magique. Problèmes de la
peinture européenne nouvelle."
11
Dans son livre ultérieur, Geschichte der deutschen Kunst von 1900 bis
zur Gegenwart [Histoire de l'art allemand entre 1900 et aujourd'hui]
(Munich, Bruckmann, 1958), Franz Roh avait définitivement abandonné
l'appellation Magischer Realismus au profit de Neue Sachlichkeit.
37
concernées, sont présentées face à face. Une liste supplémentaire
de soixante peintres engagés dans la nouvelle tendance est
également proposée (p.134).12
Après avoir rappelé, en un chapitre introductif, les éléments du
"système de l'expressionnisme" qui domine encore la production
picturale, Roh s'attache à caractériser les sept courants qu'il
discerne à l'intérieur de la nouvelle tendance, "post-
expressionniste." Le premier de ces courants (représenté par Derain
et Huber) se ressent encore de l’impressionnisme; le second
(Unold, Seewald, Hofer, Fritsch) de l'expressionnisme, et le
troisième du constructivisme (Klee, Kandinsky, les "puristes"
français Ozenfant et Jeanneret). Roh considère que les quatre
derniers courants représentent plus clairement le réalisme
magique :
– au cœur de ce renouveau, le groupe italien Valori Plastici
(avec, notamment, Carrá et Chirico) ;
– les "idyllistes" néo-classiques (Schrimpf, Mense, Davring-
hausen et, en France, le courant "arcadien" avec Picasso, Derain,
Coubine, Metzinger) ;
– les "naïfs" ou "l'école Rousseauiste" qui rappellent le goût du
Douanier pour les microcosmes aux détails fouillés (Herbin, Miró,
Linnqvist, Bšrje, Spies) ;
– les "véristes" (en particulier l'école allemande, avec George
Grosz, Otto Dix, Scholz, Smith, Hubbuch, Sebba, Dressler...).
A la suite des analyses de ces divers courants de la peinture des
années 1920-25, Roh passe à certains développements post-
expressionnistes dans les domaines de la musique et de la
littérature, suggérant ainsi, de manière implicite, que des
correspondances peuvent être établies entre les esthétiques de ces
divers domaines.

12
Il faut préciser que, dans l'analyse de Roh, un même peintre illustre
parfois des esthétiques ou des courants différents.
38
La définition de la nouvelle esthétique post-expressionniste (et
par conséquent du réalisme magique), proposée par Roh, est basée
sur le concept fondamental de Gegenständlichkeit, dont
Sachlichkeit est un synonyme partiel. Le premier signifie la
"qualité d'être un objet" alors que le second, bâti autour du mot
"chose" se traduit communément par "objectivité." La nuance
apportée par Roh dans Gegenständlichkeit serait plus proche du
néologisme "objectalité.".13
Ce que Roh décrit dans son chapitre intitulé Gegenständlichkeit
überhaupt [L'objectalité avant tout],14 c'est une nouvelle présence
de l'objet représenté dans le tableau, par opposition, d'une part, aux
surfaces de réflections colorées et fluides de l’impressionnisme et,
de l'autre, aux mouvements de blocs schématiques et forcenés de
l'expressionnisme. Pour Roh, au-delà des couleurs et des formes,
les nouveaux objets de la peinture post-expressionniste ont
retrouvé de la profondeur, de la texture et de la substance. Ils
expriment une sensualité complète et stimulent en particulier le
"toucher" du spectateur.
Roh précise néanmoins que la seule "objectivité" ne saurait
rendre compte de la magie exsudée par les meilleurs tableaux
nouveaux (p.30). Le néologisme "objectalité" semble d'autant plus
approprié pour distinguer entre cette nouvelle "présence de l'objet"
de la simple "objectivité" que le réalisme traditionnel est censé
promouvoir et que la photographie rend dorénavant facile.
Pour cette même raison, Roh s'oppose à l'expression "néo-
réalisme" utilisée parfois pour qualifier le post-expressionnisme.
Selon lui, le retour à "l'objectalité" est peut-être un rejet de
13
Quoi qu'il en soit, l'expression Neue Sachlichkeit allait s'imposer au
détriment de Magischer Realismus et, les traductions vers l'anglais (New
Objectivity) aidant, c'est à la "Nouvelle Objectivité" que se réfèrent les
critiques et histoires de l'art en langue française.
14
"Der Nachexpressionnismus versucht hiergegen, die Wirklichkeit im
Zusammenhange ihrer Sichtbarkeit wieder einzusetzen. Elementare
Freude der Wiedererkennung tritt aufs neue ins Spiel. Die Malerei wird
wieder Spiegel des greifbaren Außen" (p.27).
39
l'idéalisme et de l'idéologie expressionniste, mais il n'est pas un
retour au simple réalisme. Cette distinction est clairement exprimée
dans l'expression "réalisme magique." La combinaison de ces
termes peut sembler oxymorique; pourtant, selon Roh, elle exprime
bien l'impression provoquée par ces nouveaux tableaux qui
traduisent un "émerveillement" (de l'artiste) face à l'existence
même des objets, représentés dans leur réalité la plus profonde et la
plus nette.15
Cette "mise en relief" des objets est obtenue par la combinaison
des moyens suivants :
– un statisme qui s'oppose résolument au vitalisme et à
"l'irrationalisme démoniaque" de l'expressionnisme : au lieu d'un
chaos naturaliste, il y a maintenant un sens nouveau d'équilibre, de
pureté, de discipline, de paix, un ordre rationnel magique 16;
– une tension sous-jacente entre la composition (contrastes
bizarres des proportions ou des qualités des objets, par exemple) et
l'exécution (respectueuse des plus petits détails sur toute la
profondeur de champ), entre l'idée et la réalité, la premiére
l'emportant sur la seconde.17

15
"Dies ruhige Anstaunen der Magie des Seins, des schon
vorgestaltetseins überhaupt ist der wiedergewonnene [...] Boden" (p.30).
16
"Nicht in einem magischen Vitalismus sieht man höchste Bejahung,
sondern in der Einordnung aller Vitalitäten in die nicht minder magischen
'Gesetze,' denen sie letztlich unterworfen sind. Damit will nach Ablauf
eines dämonischen Irrationalismus [...] bei den Jungen ein magischer
Rationalismus in Gang kommen, magisch, da er das 'rationale'
Geordnetsein der Welt als ein Wunder verehrt, um auf ihm aufzubauen
oder anarchische Vorstöße gegen jene Ordnung mit Anstrengung
zurückzutreiben" (p. 67-68).
17
"Man glaubt auch weiterhin an einfache Grundformen des Seins und
diese haben – in den besten neuen Bildern – etwas ruhig Ehernes. Erst
indem man diese aber nun nicht abstrakt darlegen, sondern bis ins
Kleinste in der Natur selber aufzeigen will, kommt man zu dem neuen
Begriffe der 'Realisierung' in seiner ganzen Strenge. Nicht ein Abmalen,
sondern ein strenges Errichten, Aufbauen der Objekte, die letztlich in so
andrer Vorform in der Natur gefunden werden. [...] Es wird also nicht von
40
Selon Roh, le réalisme magique est moins engagé politiquement
que l'expressionnisme, bien qu'on puisse opposer, au sein de celui-
là, une attitude "de droite" dans la réalité lénifiante représentée par
la tendance naïve ou idylliste, au "gauchisme" des véristes qui
optent pour une réalité plus sujette à controverse (conditions et
activités sociales choquantes, chômage, contraste luxe-pauvreté,
ivrognerie, prostitution, etc.). Mais plutôt qu'un engagement
politique, cette dernière attitude reflète peut-être le cynisme et
l'imperturbabilité toute clinique du médecin. Le plus étonnant est
que des développements thématiques aussi opposés au sein du
post-expressionnisme puissent se réclamer des mêmes formes de
représentation.18
Roh ne traite que brièvement des domaines culturels hors-
peinture. Il esquisse néanmoins quelques idées sur l'évolution
contemporaine de l'architecture, la sculpture, la littérature, la
musique et la politique. En matière de littérature (p.109-10), il voit
encore à l’œuvre une expansion des procédés d'inspiration
expressionniste et dadaïste, mais constate aussi un retour à des
pratiques plus simples et plus modérées après les expérimentations
révolutionnaires auxquelles la langue avait été récemment soumise.
A propos de la littérature française, Roh mentionne deux
nouvelles directions (en émettant d'ailleurs quelques réserves
prudentes quant à leur place dans son étude): un "classicisme
moderne" promu par Le mouton blanc (qui le voit, ne serait-ce que
de loin, chez Gide, Romains, C. Vildrac...), et le tout nouveau
"Sur-réalisme" (deux courts extraits du Manifeste sont donnés, sans
commentaire). Il conclut ses remarques en soulignant que, dans la

den Objekten zum Geist gefunden, sondern von diesem zu den Objekten"
(p.36-37).
18
"Diese eiserne Objektivität mit der bis in die Poren des unverdunkelten
Gegenstandes miskroskopiert wird, kann aber auch einen zweiten Sinn
annehmen: den der Objektivität und Unbeteiligkeit etwa des Artztes. [...]
Daß beide Parteien sich derselben, nachexpresnionistischen Bildformen
bedienen können, gehört zu den hinzunehmenden Rätseln künstlerischer
Entwicklung" (p.94-95).
41
littérature (en général), on assiste aussi à un certain rapprochement
des extrêmes, puisqu'une vague revalorise Rimbaud, alors que Zola
est à nouveau apprécié dans de nouvelles tendances véristes.

En conclusion de ce résumé succinct, remarquons que Roh


n'illustre pas vraiment dans la littérature, la théorie du réalisme
magique qu'il vient d'extraire de son analyse de la peinture post-
expressionniste, même s'il distingue des "directions parallèles"
dans les deux domaines. Toute référence ultérieure au réalisme
magique de Roh, dans le cadre de la littérature, relève donc de
l'extrapolation demandant à être explicitée sur le plan théorique,
qu'il soit narratologique ou esthétique.

42
L'impasse théorique des manifestes culturels
d'Alejo Carpentier sur le real maravilloso

De grands romans ont fait de l'écrivain cubain Alejo Carpentier


(1904-1980) l'un des auteurs les plus célèbres de la littérature
latino-américaine moderne. Et s'il devint l'une des grandes figures
du mundonovismo, un mouvement qui s'était attaché à définir
l'Amérique Latine en termes propres, cela fut en grande partie en
raison de sa promotion du real maravilloso, dont la signification à
la fois parallèle et concurrente de celle de realismo mágico, est à
l'origine d'une assez grande confusion dans la critique littéraire
d'expression espagnole.19
Ce qui manque dans la littérature secondaire (et plus
particulièrement dans celle en langue française) autour de cette
question est une analyse de l'ensemble des trois essais dans
lesquels Carpentier développa son concept, afin de répondre à la
question suivante : cette notion est-elle basée sur des aphorismes
n'engageant que l'opinion de l'auteur, ou apporte-t-elle une
contribution utile dans le cadre d'une théorie littéraire ou
esthétique ?20
Les textes en question s'étendent sur une période de plus de
vingt-cinq ans. Il s'agit du Prologue de la première édition du récit
Le Royaume de ce monde (1949), puis d'une version plus élaborée
19
On trouvera des échos substantiels de ce débat dans l'article de Marta
Gallo, "Panorama du réalisme magique en Amérique hispanique" (in Le
réalisme magique: Roman, peinture, cinéma, ed. J. Weisgerber, p.123-
153). Ce critique choisit, par ailleurs, d'inclure le "réel merveilleux" dans
son tableau du "réalisme magique," tout en essayant d'exposer les
diverses acceptions de ces termes, désignant tour à tour une qualité de
"l'imaginaire," une "modalité stylistique," une "conception du monde," et
un "genre littéraire" (p.129-130).
20
Cette entreprise me semble d'autant plus nécessaire que, à ma
connaissance, les essais en question n'ont pas été traduits en français. Je
propose ici ma propre traduction qui n'a d'autre ambition que d'être aussi
littérale que possible.
43
de ce Prologue, parue en tant qu'essai, "Du réel merveilleux
américain merveilleux" (1964) et, finalement, du texte d'une
conférence donnée à Caracas en mai 1975, sous le titre "Le
baroque et le réel merveilleux."

1. "Le Prologue"21
Au début de ce texte, Carpentier se réfère explicitement au
voyage qu'il fit en Haïti en 1943, voyage dont le souvenir
éblouissant fournit aussi le décor et l'action du roman Royaume de
ce monde, avant d'affirmer ceci :

Après avoir connu le sortilège – en rien menteur – des terres


d'Haïti, après être tombé sur des admonitions magiques dans
les chemins rouges du Plateau Central et avoir entendu les
tambours de Petro et du Rada, je me retrouvai à comparer
la réalité merveilleuse dont je venais de faire l'expérience
avec la prétention exténuante de certaines littératures
européennes des trente dernières années, à susciter le
merveilleux. [...] Le merveilleux obtenu grâce à des trucs de
magiciens réunissant des objets qui jamais ne se
rencontraient : [...] la tête de lion dans le pubis d'une veuve,
tels qu'on les trouve dans les expositions surréalistes. Ou
encore, le merveilleux littéraire : le roi du Justine de Sade,
le supermacho de Jarry, le moine de Lewis... (p.13 ; mes
italiques)

Il convient de noter d'emblée l’hétérogénéité des éléments


comparés ci-dessus, puisque Carpentier oppose des réalités
physiques et sociales d'Haïti à certaines productions littéraires ou
21
El reino de este mundo, (Relato), Mexico, Edicion y Distribucion
Iberoamericana, 1949. Edition utilisée ici : Obras Completas de Alejo
Carpentier, Mexico, Siglo Veintiuno Ed., 1983, v. II. Le texte du
Prologue était déjà paru sous le titre "Lo real maravilloso in América"
dans le journal El Nacional de Caracas du 8 avril 1948. Les éditions
françaises du Royaume de ce monde n'incluent pas le prologue.
44
artistiques européennes, comme la peinture surréaliste. Le
mouvement lancé par André Breton est l'objet d'attaques
sarcastiques, voire féroces :

Mais, à force de chercher à susciter le merveilleux à tout


prix, les thaumaturges se font bureaucrates. [...] En face du
manque déconcertant d'imagination d'un Tanguy, par
exemple, qui peint depuis vingt-cinq ans les mêmes larves
de pierre sous le même ciel gris, j'ai envie de répéter une
phrase qui enorgueillissait les Surréalistes de la première
heure : "Vous qui ne voyez pas, pensez à ceux qui voient."
Il y a déjà trop d'adolescents qui "prennent plaisir à violer
les cadavres de belles femmes, mortes récemment"
(Lautréamont), sans se rendre compte que le merveilleux
serait de les violer vivantes. (p.14)

En lisant de telles assertions, il n'est pas besoin d'être femme


ou féministe pour estimer qu'il manque au Prologue "le bénéfice
du calme et de la réflexion," comme on l'a suggéré. 22 Cependant,
après cette saillie polémique, Carpentier fournit une définition
moins draconienne du merveilleux :

Mais beaucoup oublient, en se laissant distraire par des


mages de peu de prix, que le merveilleux devient sans
équivoque quand il surgit d'une altération inattendue de la
réalité (le miracle), d'une révélation privilégiée de la réalité,
d'un éclairage inhabituel ou singulièrement favorisé des
richesses insoupçonnées de la réalité, d'une amplification
des catégories de la réalité, perçues de manière
particulièrement intense en vertu d'une exaltation de l'esprit

22
Cf. Richard Young, Carpentier : El reino de este mundo (Londres,
Grant & Cutler Ltd, 1983, p.42) : "The Prologue lacks the benefit of
calm reflection."
45
qui le conduit à une sorte d'"état-limite." Pour commencer,
la sensation du merveilleux présuppose une foi. (p.15)

Constatons qu'il n'y a rien dans ces lignes qui contredise les
théories surréalistes, lesquelles cherchent également à promouvoir
une perception du merveilleux, proche de la foi non-prévenue des
enfants vis-à-vis du réel comme de l'imaginaire, et à favoriser les
états-limites. En revanche, lorsque, parmi de nombreux exemples
d'effets de la foi, Carpentier en vient à opiner qu'"il suffisait à Van
Gogh de croire à la fleur de tournesol pour fixer cette révélation
sur la toile," deux remarques s'imposent, car cette formulation
occulte singulièrement deux aspects essentiels de l'art : d'une part,
le travail physique de l'artiste représentant (ou créant) l'objet et,
d'autre part, la réception de celui-ci, car la représentation d'un
objet, basée sur sa vision émerveillée par l'artiste, n'est pas
nécessairement perçue comme merveilleuse par le contemplateur.
Carpentier continue par des remarques laudatives sur la foi d'un
Cervantes, d'un Luther, d'un Hugo, ou d'un Marco Polo,
contrastées avec des appréciations assez sévères – portées parfois
jusque sous la ceinture – à propos d'autres écrivains, accusés de
compenser leur manque de foi par des "trucs de prestidigitateurs"
(c'est-à-dire les surréalistes), par les "clichés de la littérature
engagée" ou par la "joie scatologique de certains existentialistes."
Comme l’a souligné Emir Rodríguez Monegal, Carpentier s'est
débarrassé ainsi, d'un seul trait de plume, du réalisme socialiste, de
toute la littérature édifiante et pédagogique, des pestes, nausées et
aliénations qui proliféraient alors.23 Survient alors le noyau du
Prologue, avec la présentation du real maravilloso :

[Cette incapacité des artistes surréalistes et existentialistes


sans foi de "concevoir une mystique valable"] me devint
particulièrement évidente lors de mon séjour en Haïti, où je
23
"Lo real y lo maravilloso en El reino de este mundo," Asedios a
Carpentier, ed. Klaus Müller-Bergh, Santiago de Chile, 1972, p.102.
46
me trouvais en contact quotidien avec quelque chose que
l'on pourrait appeler le réel merveilleux. Je foulais un pays
où des milliers d'hommes désireux de liberté croyaient aux
pouvoirs lycanthropiques de Mackandal, au point que cette
foi collective produisit un miracle le jour de son exécution.
(p.16 ; mes italiques)

Il faut à nouveau noter l'hétérogénéité des éléments présentés


dans ces formulations. Carpentier vient de passer de l'absence de
foi mystique, décrétée chez des artistes européens contemporains,
à son propre émerveillement devant la foi profonde qu'il attribue
au peuple haïtien – foi illustrée par l'extraordinaire légende de la
métamorphose de Mackandall, vieille de plus d'un siècle. Cet
épisode de l'histoire haïtienne est aussi au centre du roman que
Carpentier introduit dans ces pages. Mais la question éludée ici est
la suivante : l'émerveillement de l'auteur Carpentier est-il
comparable à la foi mystique dont il déplore l'absence chez les
écrivains européens et dont il vient d'affirmer qu'elle est la
condition nécessaire et préalable pour la perception du
merveilleux ?
Après d'autre exemples historiques de la foi populaire haïtienne
et de personnages extraordinaires, Carpentier en arrive à ceci :

A chaque pas je trouvais le réel merveilleux. Mais il me vint


aussi que cette présence et vigueur du réel merveilleux
n'était pas un privilège unique de Haïti, mais le patrimoine
de toute l'Amérique où l'on n'a pas fini encore d'établir le
recueil des cosmogonies, par exemple. [...] Etant donné la
virginité du paysage, sa formation, l'ontologie, la présence
faustienne de l'indien et du noir, étant donné la révélation
que constitue sa découverte récente et la féconde
hybridisation qu'elle a favorisée, l'Amérique est loin d'avoir
épuisé la richesse de ses mythologies. (p.16-17 ; mes
italiques)
47
On reconnaît, dans les lignes ci-dessus, les idées développées
par O. Spengler dans Le Déclin de l'Occident.24 Aujourd'hui, on
peut estimer que ces théories sont à l'origine de plusieurs
faiblesses dans l'argumentation de Carpentier :
1) en définissant un réel merveilleux américain par opposition
à une Europe "culturellement épuisée," Carpentier se situe
nécessairement en dehors de l'Amérique, et soumet celle-ci à un
regard instruit et réflexif qui ne saurait participer de la "fraîcheur"
et "spontanéité" d'une foi indigène ;
2) afin de défendre son point de vue nouveau-mondiste,
Carpentier souligne, à gros traits rouges, le manque de foi qui
serait la cause de l'impuissance du surréalisme. Soit. Mais il ignore
complètement une partie de la littérature européenne inspirée dans
laquelle les forces telluriques, mystiques et païennes imprègnent
encore les mentalités et les modes de vie. 25 Ainsi, dans la seule
littérature d'expression française, les textes d'un Jean Giono, d'un
Ramuz, ou d'un Henri Bosco ne semblent guère affectés de
dégénérescence urbaine ou esthétique.
Le programme littéraire annoncé par Carpentier semble donc
basé avant tout sur l'exploitation de la richesse américaine en
matière de mythologies, exploitation dont Le Royaume de ce
monde se veut une première illustration, comme le dernier
24
Selon González Echevarría (Alejo Carpentier: The Pilgrim at Home,
Cornell University Press, 1977, p.56), l'ouvrage de Spengler alimenta le
mundonovismo en général, et fournit aux écrivains latino-américains un
retour vers une espèce de "philosophie néo-romantique, non-réflexive."
25
Comme l’a formulé Hans-Joachim Müller, "ce n'est pas le surréalisme
qui est parallèle aux auteurs latino-américains du réalisme magique, mais
la littérature régionale, enracinée dans la mentalité magique, païenne et
superstitieuse des paysans." "Zu den Beziehungen des magischen
Realismus der neueren latein-amerikanischen Literatur mit dem
französischen Surrealismus" in Sprachkunst, Beiträge zur
Literaturwissenschaft X, Vienne, 1979, p.109-122 (c'est moi qui traduis).
Müller inclut le réel merveilleux de Carpentier dans son étude du
réalisme magique latino-américain.
48
paragraphe du Prologue le revendique, en termes vantant à la fois
un souci de rigueur historique et l'aspect authentiquement
"merveilleux," "fantastique" et "extraordinaire" des événements
rapportés :

[Dans le récit qui suit], le merveilleux coule librement d'une


réalité suivie strictement dans tous ces détails. Car il faut
noter que le récit qu'on va lire a été établi sur une
documentation extrêmement rigoureuse [...] qui respecte la
vérité historique. [...] Et, à cause de la singularité
dramatique des faits, à cause de la prestance fantastique des
personnages qui se rencontrèrent, à un moment donné, au
carrefour magique de la ville du Cap Haïtien, tout devient
merveilleux dans une histoire impossible à situer en Europe
et qui est aussi réelle, certainement, que les événements
consignés dans les manuels scolaires pour l'édification
pédagogique. Mais qu'est-ce que l'histoire de l'Amérique,
sinon une chronique du réel merveilleux? (p.17-18)

On ne remettra pas en question le travail documentaire auquel


Carpentier a pu se livrer lors de son séjour en Haïti, ou le caractère
exceptionnel de l'histoire de ce pays. En revanche, l'assertion que
de tels événements à la fois ”réels," "historiques" et "merveilleux"
n'auraient pu avoir lieu en Europe, est non seulement gratuite mais
singulièrement affaiblie par leur comparaison avec la "réalité" des
événements consignés dans les manuels d'histoire. Si l'intention de
Carpentier est de chercher à minimiser ou ridiculiser les épisodes
glorifiés dans nos livres d'histoire, son argumentation se retourne
contre lui, car les événements de l'histoire haïtienne ou
américaine, relatés par Carpentier, semblent magnifiés
davantage.26 Mais il convient sans doute plutôt de voir, dans ces

26
"A lire les chroniques de Bartolomeo de las Casas ou plus récemment
Les veines ouvertes de l'Amérique latine d'Edouardo Galeano, je n'ai pas
l'impression que les faits historiques qu'ils relatent relèvent du réel
49
dernières lignes, un clin d’œil au lecteur sous la forme d'une
allusion humoristique au prologue de type rabelaisien, encore
imprégné du boniment de l'auteur-camelot, vantant les qualités de
ses "Grandes et inestimables Chronicques," à la foire de Lyon ou
de Francfort.
La revendication polémique d'une singularité américaine d'un
"réel merveilleux" est donc doublement problématique : d'une
part, elle se pose en s'opposant à l'art européen, décrété décadent
en vertu de quelques manifestations marginales ; d'autre part, en
affirmant se fonder sur une perception indigène du monde, sur une
une foi mystique, elle n'apporte aucune réponse à la question
fondamentale de la représentation d'une telle vision par un artiste
étranger à cette culture et fermé à cette foi, comme c'est le cas de
Carpentier lui-même (une lecture attentive montre que Le
Royaume de ce monde, en particulier, affiche des marques de
tension évidentes entre les points de vue du narrateur et celui du
protagoniste, l'esclave Ti-Noël). Quelle qu'ait pu être sa valeur
stimulatrice pour toute une génération d'écrivains latino-
américains, le Prologue occulte le problème de la représentation
du réel soi-disant merveilleux.

2. "Du réel merveilleux américain"


Sous ce titre parut, quinze ans plus tard, dans un volume
d'essais de Carpentier, une version augmentée du Prologue. 27 Je
me limite ici à noter les changements introduits dans cette
nouvelle version, dans la mesure où ils affectent le concept de
"réel merveilleux."

merveilleux, sauf à confondre la cause et les effets," écrit notamment


Yann Orveillon ("Alejo carpentier et la 'réalité merveilleuse' des prisons
cubaines" in Hors Jeu 14, consacré à Cuba, Janv. 1993, p.9).
27
"De lo real maravilloso americano," Tientos y diferencias. Ensayos,
Mexico, Universidad Nacional Autonoma, 1964. Edition utilisée :
Tientos, diferencias y otros ensayos, Barcelone, Plaza & Janés Ed., 1987,
p.66-77.
50
A de légères retouches près, le texte du Prologue demeure
inchangé, mais les trois pages qu'il occupe sont précédées de sept
pages nouvelles et enthousiastes sur les merveilles vues, lues et
entendues, lors de récents voyages entrepris par Carpentier.
L'ensemble du nouveau texte, qui se lit comme un catalogue
culturel extraordinairement érudit, est divisé en cinq parties,
traitant respectivement de la République de Chine Populaire, du
monde islamique, de l'Union Soviétique, de l'Europe centrale, et
de l'Amérique latine et antillaise.
C'est donc à l'issue d'une espèce de tour du monde culturel que
l'auteur re-situe le "réel merveilleux américain" dans un contexte
très élargi par rapport à celui du Prologue. Carpentier a pu
"constater" la réalité des merveilles (surtout historiques) de
Péking, d'Asie Centrale, de Léningrad, Moscou, Prague et
Bucarest, célébrées de tout temps par les auteurs en peine
d'exotisme. Puis, "le latino-américain, rentre au pays et se met à
comprendre beaucoup ce choses." Il découvre que la grande
chronique de Bernal Díaz del Castillo est "le seul livre de
chevalerie véritable et digne de foi, qui fût jamais écrit," qu'un
José Martí a pu écrire "l'un des meilleurs essais sur les peintres
impressionnistes français jamais rédigés" ; il voit mieux,
maintenant, la "solitude prométhéenne de Bolívarà Santa Marta,"
la beauté "absolument abstraite" du temple de Mitla, etc.
Carpentier renoue alors avec le réel merveilleux de la façon
suivante :

...une première notion du réel merveilleux me vint à l'esprit


en 1943, lorsque j'eus la chance de pouvoir visiter le
royaume d'Henri Christophe – les ruines si poétiques de
Sans-Souci, [...] le palais de pierre, habité jadis par Pauline
Bonaparte. Ma rencontre avec Pauline Bonaparte, là, si loin
de la Corse, fut pour moi comme une révélation. (p.73)

51
Il est frappant à quel point cette vision du soi-disant "réel" est
loin d'une quelconque réalité contemporaine de Haïti, puisqu'elle
se nourrit presque exclusivement d'images nostalgiques et de
formules métaphoriques. Du point de vue de l'expression, les
complaisances romantiques sont évidentes: ce n'est pas "le
royaume d'Henri Christophe" que Carpentier a visité, mais la
République d'Haïti ; il n'a nullement "rencontré" Pauline, mais
rêvé d'elle. Carpentier continue ainsi :

Je vis la possibilité de porter certaines vérités européennes à


des latitudes qui sont les nôtres, à rebrousse-poil de ceux
qui, voyageant contre la trajectoire du soleil, voulaient
porter nos vérités à nous, là où, jusqu'il y a trente ans à
peine, il n'y avait pas de capacité de les comprendre ou de
les mesurer dans leur juste dimension. (Pauline Bonaparte
fut pour moi un guide d'aveugle, un premier guide – partant
de la Venus de Canova – dans les essais de documentation
sur les personnages comme Billaud-Varenne, Collot
d'Herbois, et Victor Hugues, qui devaient animer mon
Siècle des Lumières, vu en fonction de lumières
américaines). (p.73)

Ces lignes touffues proposent une genèse troublante de la


notion du réel merveilleux américain : si l'on conçoit volontiers la
légitimité, pour l'Américain, de l'inversion du regard européen sur
l'Amérique, le fait que cette redécouverte se fasse par le
truchement d'une rêverie sur Pauline Bonaparte (suscitée par sa
représentation sculptée par Canova) est pour le moins surprenant.
Il est symptomatique que, dans la quatrième partie de ce nouvel
essai, le regard porté par Carpentier sur l'Europe occulte la réalité
et l'art modernes pour souligner fortement les apports historiques,
en particulier baroques et romantiques. Ainsi, Prague y est
célébrée comme "la ville mi-réelle mi-fantastique où eut lieu la
fameuse Défenestration ;" elle rappelle aussi l'âme de Schiller, la
52
figure de Faust, la légende du Golem, le Don Juan de Mozart,
"œuvre faustienne, auto-sacramentale" et Kafka. De la Prague de
Kafka à la Weimar de "Jean-Sébastien" et à la Leipzig de Goethe,
il n'y a qu'un saut que Carpentier propose de faire "en diligence
imaginaire."
On voit que les images rapportées d'Europe par Carpentier sont
grandement alimentées par l'érudition, d'une part, et une
imagination très vive, d'autre part. Dans ce contexte, il convient
aussi de signaler le contenu de la note de bas de page, ajoutée par
l'auteur à l'endroit où il insère le texte du Prologue dans sa
nouvelle composition :

Je passe ici au texte du prologue de la première édition de


mon roman Le Royaume de ce monde (1949), qui n'apparut
pas dans les éditions suivantes, bien que je le considère, à
quelques détails près, aussi pertinent aujourd'hui qu'alors.
Le surréalisme a cessé de constituer pour nous (en vertu
d'un processus d'imitation encore très actif il y a quinze ans)
une présence d'un maniérisme erroné. Mais il nous reste le
réel merveilleux , dont la tendance bien distincte et de plus
en plus clairement palpable et discernable, se met à
proliférer dans les œuvres de certains jeunes romanciers de
notre continent. (p.74 ; mes italiques)

Cette remise au point s'imposait à Carpentier pour expliquer un


passage – qui reste d'ailleurs brutal – entre les richesses culturelles
inouïes de l'Amérique latine qu'il vient d'évoquer, et la production
artistique d'une petite avant-garde européenne. Mais cette note ne
comble nullement le fossé creusé dès le texte du Prologue entre les
notions de surréalisme (ou de réalisme) et de réel merveilleux
(américain ou non). Alors que dans le Prologue, le réel
merveilleux avait été défini comme une qualité inhérente à la
réalité culturelle américaine, perçue par des êtres encore capables
de foi mystique, les lignes soulignées plus haut le font passer
53
"dans les œuvres de certains jeunes romanciers." Comment ce
passage a-t-il eu lieu? En mettant en concurrence le surréalisme et
le réel merveilleux dans le domaine du roman, Carpentier suggère
au moins que ces deux notions fonctionnent sur le même plan :
celui d'une esthétique. Mais ne faudrait-il pas alors parler de
réalisme merveilleux ?
Loin de définir plus clairement la notion exposée dans le
Prologue ou de proposer une vision interne et autonome du réel
merveilleux américain, les (belles) pages que Carpentier ajoute
dans son nouvel essai traduisent un enchantement personnel (et
manifestement sincère) devant les innombrables beautés du
monde, mais elles insèrent son concept encore davantage "dans
un cadre de référence extérieur."28 La question toujours éludée est
celle-ci : le réel merveilleux est-il une perception spécifiquement
américaine du monde ou une esthétique de sa représentation ?

3. "Le Baroque et le réel merveilleux"


Sans doute conscient de la question demeurée en suspens dans
les deux textes analysés plus haut, Carpentier y répondit dix ans
plus tard en introduisant un nouvel élément théorique dans un
essai intitulé "Lo barroco y lo real maravilloso." Ce texte affiche
des marques rhétoriques évidentes de l'occasion pour laquelle il
fut rédigé : une conférence donnée à l'Ateneo de Caracas, le 22
mai 1975.29 Il propose d'articuler deux concepts théoriques dont
l'ambition est de rendre compte de la spécificité de la littérature
latino-américaine, et brosse, à cet effet, un vaste tableau de la
production artistique universelle.
Dans ce nouvel essai d'une érudition époustouflante,
l'argumentation de Carpentier peut être résumée ainsi :

28
"[Carpentier's notion of the marvelous real] is not autonomous to Latin
America, but the product of an external frame of reference," Richard
Young, op. cit., p.46.
29
Il parut dans Tientos, diferencias y otros ensayos, op. cit., p.103-119.
54
– Première thèse : redéfinition du terme "baroque," en accord
avec la théorie déjà émise par Eugenio d'Ors qui, au lieu de la
conception habituelle du baroque en tant que style historique
(originaire de l'Europe du dix-septième siècle et opposé au
classicisme), argue en faveur d'un esprit cyclique, le
"baroquisme," vu aussi comme une "constante humaine
universelle" (p.104-5). Illustration par un catalogue universel du
baroquisme.
– Seconde thèse : l'art américain a toujours été baroque, c'est
-à-dire exprimant "l'apogée, la richesse expressive maximale,
d'une civilisation déterminée," parce que né d'une civilisation
créole, riche de métissages (p.110-1 et 104-5).
– Troisième thèse : la créolité baroque américaine mène
"directement" au réel merveilleux. Redéfinition du "merveilleux"
qui, contrairement à la perception commune, n'est pas seulement
le beau, mais inclut également ce qui est laid et insolite. Le "réel
merveilleux américain" est distinct des importations européennes
du réalisme magique" (de F. Roh) et du "surréalisme" (d'A.
Breton).
– Synthèse : le monde merveilleux (latino) américain est
baroque. Il génère, "logiquement" et "spontanément," un art
baroque (p.117). Exemples.
– Conclusion : le "nouveau roman latino-américain" est baroque.
Le réel merveilleux est là, à la disposition de qui veut bien s'en
servir. Les écrivains latino-américains ont étudié les classiques,
puis développé un langage propre, adéquat. Ils ont atteint la
maturité et seront "les classiques d'un énorme monde baroque."
L'argumentation de Carpentier est aussi riche que sa thèse est
séduisante : qui songerait à nier qu'il y a, en effet, dans le
continent central et sud-américain, un foisonnement de vestiges
culturels inspirés par un "esprit baroque," une multitude d’œuvres
caractéristiques de "l'horreur du vide," d'un "art en mouvement,"
d'un "art de la pulsion" (p.106-7). Mais le discours de Carpentier
n'est pas toujours rigoureux et sa démonstration repose sur des
55
assertions parfois abusives. Ainsi, l'ambiguïté entre la tendance
universelle "constante" et le "retour cyclique" de la théorie du
"baroquisme" d'Eugénio d'Ors, devient une contradiction formelle
dans sa reprise par Carpentier, lorsqu'il affirme que l'histoire de
l'Amérique a "toujours été baroque," et donc, en vertu de sa propre
définition du baroque, toujours "à l'apogée." Or, il n'est besoin que
de rappeler le destin des grandes civilisations précolombiennes –
maya, aztèque, olmèque, etc. – pour invalider cette proposition.
La distinction que fait Carpentier entre le baroque en tant que
"mouvement épisodique" et en tant que "caractéristique
fondamentale d'une culture" (p.107) ne se réduit-elle pas alors à
une simple question de proportions temporelles ?
D'autre part, le concept de "classicisme" est expédié en
quelques lignes, comme synonyme d'un académisme figé, d'un
copiage servile, dû à l'incapacité innovatrice. En recoupant les
définitions apparemment contradictoires, données par deux
dictionnaires différents, Carpentier conclut que la notion de
classicisme est inutilisable dans la littérature hispanique (p.105).
Pourtant, dans sa phrase de conclusion, Carpentier joue lui-même
sur la double acception du mot "classique," entre le sens précis
d'un style historique d'inspiration gréco-latine et le sens général du
terme, attribué à toute chose faisant partie du patrimoine culturel.
Après avoir étayé la théorie de l'universalité du baroquisme en
donnant une liste impressionnante de "monuments" baroques
(l'oeuvre de Rabelais, de Shakespeare, les sculptures de Bernini,
celles des temples hindous, la basilique de Moscou, La Flûte
Enchantée de Mozart, l'Orlando Furioso de l'Arioste, le Faust de
Goethe, Les Chants de Maldoror de Lautréamont, A la Recherche
du temps perdu de Proust, la poésie de Maiakovski, etc.), l'art
américain – "depuis toujours" – est présenté comme
"entièrement,", "authentiquement" et "nécessairement" baroque en
vertu de la créolité, de l'aspect symbiotique de sa culture :

56
Et pourquoi l'Amérique latine est-elle la terre d'élection du
baroque ? Parce que chaque symbiose, chaque métissage
engendre un baroquisme. Le baroquisme américain se
développe avec la créolité, [...], avec la conscience de
l'homme américain [qu'il soit fils de blanc européen, de noir
africain, ou d'indigène] d'être autre chose [...] d'être créole;
et l'esprit créole est de par lui-même un esprit baroque. [...]
Avec ces éléments [créoles], apportant chacun son
baroquisme, nous rencontrons directement ce que j'ai appelé
le "réel merveilleux." (p.112-3)

Il faut pour le moins relativiser la généralisation par Carpentier


de la "conscience créole de l'homme américain," qui relève en
grande partie du vœu pieux ou de l'idéalisme (tout comme le
melting-pot étatsunien). Dans les deux textes précédents, la réalité
américaine était vue comme merveilleuse ; ici, elle est décrétée
baroque, en bloc, en vertu de sa créolité. On arrive donc au
principe d'identité globale suivant : le réel américain est créole,
baroque et merveilleux.
L'auteur passe ensuite à une autre remise au point, qui
permettrait de distinguer, "très facilement," entre son concept du
réel merveilleux et ceux du réalisme magique et du surréalisme,
avec lesquels ils sont parfois confondus. Selon lui, le terme de
"réalisme magique" désigne une "peinture expressionniste, mais
expurgée d'intention politique concrète."30 Or ces références au
livre de Franz Roh31 sont problématiques. La réduction par

30
"El término de realismo mágico, fue acunado en los alrededores del
año 1924 o 1925 por un critico de arte alemán llamado Franz Roth [sic]
en un libro publicado por la Revista de Occidente, que se titula El
realismo mágico. En realidad, lo que Franz Roth [sic] llama realismo
[sic], es sencillamente una pintura expresionista, pero escogiendo
aquellas manifestaciones de la pintura expresionista ajenas a una
intención politica concreta" (p.114).
31
Nach-expressionismus. Magischer Realismus (Leipzig, Klinkhardt &
Biermann, 1925 ; les citations qui suivent sont ma traduction). Carpentier
57
Carpentier du réalisme magique selon Roh à une version
politiquement édulcorée de l'expressionnisme est erronée, puisque
Roh inclut, parmi les sept courants qu'il distingue dans le post-
expressionnisme, un type de peinture qui décrit les "horreurs non
expurgées de notre temps, plutôt que ceux d'enfers lointains"
(p.24), en se référant notamment à la peinture d'artistes engagés
comme Otto Dix et le communiste Georg Grosz.
Parti sur ce malentendu, Carpentier fait l'éloge de quelques
"représentations authentiques de l'expressionnisme," comme les
pièces de Brecht, de Karel Capek et de Georg Kaiser, dont il
souligne les qualités critiques, polémiques et révolutionnaires,
alors que "ce que [Roh] appelle le réalisme magique était
simplement une peinture dans laquelle les formes réelles étaient
combinées de manière non-conforme à la réalité quotidienne." 32
Mais cette dernière assertion qui pourrait s'appliquer à la peinture
surréaliste, s'oppose directement à la caractéristique principale des
œuvres visées par Roh, dans lesquelles, selon lui, "il semble que
tout le rêve fantastique [expressionniste] ait disparu et que le
monde familier resurgit devant nos yeux avec la clarté nouvelle
d'un matin" (p.24).
L'interprétation tendancieuse de Carpentier pourrait s'expliquer
en partie par le fait qu'il considère l'intriguant tableau La
bohémienne endormie (1887) du Douanier Rousseau, reproduit en
face de la page de titre du livre de Roh, comme représentatif du
réalisme magique, alors que le critique allemand n'y voyait que le
précurseur d'une tendance (parmi sept), celle qu'il appelle
justement l'école "Rousseauiste" ou "naïve" (p.80). A partir de
cette reproduction, Carpentier affirme que "voilà le réalisme

invoque ce livre par le biais de sa traduction (parue à partir du numéro


48, de juin 1927 dans la Revista de Occidente de Madrid), sous le titre
simplifié de El realismo mágico. Ce dernier occulte la notion de "post-
expressionnisme," centrale dans l'original allemand.
32
"Lo que [F. Roh] llamaba realismo mágico era sencillamente una
pintural donde se combinan formas reales de una manera no conforme a
la realidad cotidiana." (p.114).
58
magique, car c'est une image invraisemblable, impossible." Or, la
qualité générale du réalisme magique, selon Roh, est justement de
"tenter de réinstaurer la réalité dans son aspect visible," de se
vouloir à nouveau "le miroir du monde extérieur tangible" (p.27).33
La confusion est encore plus manifeste dans les dernières
remarques de Carpentier à ce sujet, lorsqu'il inclut, dans le corpus
du réalisme magique, "les vaches volant dans le ciel," les "ânes sur
les toits des maisons" et d'autres "éléments de la réalité, projetés
dans une atmosphère de rêve" par Chagall. 34 Roh mentionne en
effet "les animaux marchant dans le ciel" chez Chagall, dans la
section de son livre, intitulée "Les nouveaux objets" (c'est-à-dire
ceux peints dans l'esthétique nouvelle du réalisme magique), mais
il le fait dans un paragraphe (p.23-24) consacré aux exagérations
fantastiques du mouvement précédent, c'est-à-dire de
l'expressionnisme, auquel il rattache les œuvres de Chagall en
question.35

33
"Y en la portada del libro aparecía el cuadro famoso del Aduanero
Rousseau [...]; aquello es realismo mágico porque es una imagen
inverosímil, imposible, pero, en fin, detenida allí" (p.114). Plutôt que
l'image, c'est la situation représentée dans le tableau qui semble – sinon
franchement invraisemblable – du moins d'une grande naïveté. Il est
intéressant de constater que la vision exprimée ici par Carpentier, du
réalisme magique comme une représentation (objectale) de
l'invraisemblable correspond, en fait, au trait le plus frappant du roman
latino-américain magico-réaliste (comme dans Cent Ans de solitude de
García Márquez), que Carpentier choisit d'ignorer dans son essai. Sa
lecture de la théorie de Roh semble être une projection rétrospective (et
erronée) de cette pratique latino-américaine sur l'appellation d'origine.
34
"También Franz Roh consideraba que el realismo mágico era
representado por la figura de Chagall, donde se véian vacas volando en el
cielo..." (p.114).
35
Carpentier attribue aussi à Roh un goût prononcé pour les œuvres de
Balthus dont les représentations de "rues parfaitement réalistes" sont
pourtant "dépourvues de toute poésie et de tout intérêt." Or je n'ai trouvé
trace de Balthus dans l'édition allemande (ni dans le texte, ni parmi les
œuvres reproduites, ni dans la longue liste des artistes illustrant le
réalisme magique, selon Roh, p.133-34).
59
Si de telles erreurs d'interprétation de l'appellation d'origine du
"réalisme magique" sont gênantes, elles le sont moins, en fait, que
le silence assourdissant de Carpentier, dans cette partie de son
discours, sur l'usage spécifiquement latino-américain du réalisme
magique. Or, le realismo mágico alimentait les discussions et les
publications littéraires depuis vingt ans,36 et les œuvres de deux
prix Nobel étaient associées à ce qui constituait au moins un
courant, sinon un mouvement. Si le rappel de l'origine de
l'appellation ne manquait pas d'intérêt historique, il semblait bien
plus important, devant un auditoire latino-américain, de confronter
le réel merveilleux aux œuvres littéraires latino-américaines déjà
associées par la critique au réalisme magique.
Ayant ainsi disposé du réalisme magique, Carpentier s'attache à
distinguer aussi le surréalisme du réel merveilleux. S'il reconnaît
que le mouvement de Breton a le mérite de voir (comme lui) le
merveilleux dans l'insolite, le macabre et le cruel, il lui reproche
cependant de "poursuivre le merveilleux à travers les livres et a
travers les choses préfabriquées," plutôt que dans la réalité. C'est
faire peu de cas de nombreux poèmes et de textes en prose aussi
fondamentaux que Nadja ou Le Paysan de Paris, qui sont de
ferventes déclarations de foi dans une surréalité moderne et
urbaine, que l'on pourrait appeler aussi un réel merveilleux. Mais
Carpentier se réserve la définition ce dernier :

En revanche, le réel merveilleux que j'ai défini, et c'est


notre merveilleux, est celui que nous rencontrons à l'état
brut, latent et omniprésent dans tout ce qui est latino-
américain. Ici, l'insolite est, et a toujours été, quotidien. Les
livres de chevalerie furent écrits en Europe, mais ils furent
vécus en Amérique... (p.115-6 ; mes italiques)

36
L'article d'Angel Flores "Magical Realism in Spanish American
Fiction" (Hispania 38/2, 1955, p.114-129) proposait déjà une tentative de
remise au point.
60
Carpentier fait donc la promotion de son concept, sur la base
d'un patrimoine culturel que l'audience de Caracas pouvait
aisément reconnaître aussi comme sien. Ce faisant, il revient au
même type d'inégalité des termes de la comparaison, qu'il
établissait, dans le premier paragraphe du Prologue du Royaume
de ce monde, entre les merveilles d'Haïti et les toiles grises et sans
vie d'Yves Tanguy.
Se pose à nouveau la question de l'intérêt, en littérature ou en
esthétique, de la notion d'un "réel merveilleux" limité à la
caractérisation d'une partie du monde. 37 Comme dans ses textes
précédents, Carpentier procède par généralisations abusives : "le
quotidien est toujours insolite" en Amérique. Aux yeux
émerveillés d'un Carpentier, sans doute, mais les exemples du réel
américain "merveilleux et baroque" que Carpentier cite sur deux
pages, excluent toute référence à des réalités plus prosaïques : la
capitale de Moctezuma (de superficie immense, par rapport au
Paris, contemporain de François Ier...), la végétation foisonnante,
l'architecture baroque, la citadelle de Laferrière (dont "le ciment
fut renforcé du sang de centaines de taureaux, afin que les murs
résistent aux attaques des Européens"), la révolte de Mackandall,
les "temples brésiliens dédiés au positivisme d'Auguste Comte,"
un dictateur affligé d'un délire de persécution, "bien plus
extraordinaire que Macbeth," etc. Au milieu de cette liste,
Carpentier formule l'assertion suivante :

...nous devons montrer, interpréter les choses qui nous


appartiennent. Et ces choses se présentent à nos yeux
comme des choses nouvelles. La description est inévitable,
et la description d'un monde baroque doit nécessairement
être baroque, i.e. le quoi et le comment se combinent dans
ce cas, en face d'une réalité baroque. Devant un Arbre de

37
Parmi d'autres critiques, Richard Young a souligné l'ambiguïté entre
les aspects phénoménologiques et ontologiques de la notion proposée par
Carpentier (op. cit., p.44).
61
vie de Oaxaca, je ne peux pas faire une description d'un
type, disons, classique ou académique. Je dois atteindre,
avec mes mots, un baroquisme parallèle au baroquisme du
paysage tropical tempéré. Et nous nous rendons compte que
ceci conduit logiquement à un baroquisme qui se produit
spontanément dans notre littérature. (p.117 ; mes italiques)

Il y a dans l'articulation logique de ce passage, deux raccourcis


saisissants qui en limitent singulièrement la valeur démonstrative.
En admettant que les éléments "baroques" sont foison en
Amérique et qu'il y ait un intérêt certain dans leur description
littéraire ou artistique, la reproduction fidèle de l'objet baroque par
un style "nécessairement" baroque, par mimétisme, ne s'inscrirait-
elle pas dans une esthétique tout simplement réaliste ? D’autre
part, l'artiste et l'écrivain sont-ils vraiment condamnés à reproduire
"spontanément" le baroque de leur culture ? Il est clair que
Carpentier généralise ici une vision personnelle du monde latino-
américain et une opinion, tout aussi personnelle, du rôle de
l'artiste.
L'articulation entre les notions de réel merveilleux et de
baroque n'est pas précisée davantage. A la fin de l'essai analysé
précédemment, Carpentier citait la présence d'éléments du réel
merveilleux dans les œuvres littéraires de la nouvelle génération.
Celles-ci sont présentées maintenant comme illustrant le baroque :

Et le baroque que vous connaissez, le roman contemporain


latino-américain, celui que l'on appelle le "nouveau roman,"
[…] est dû à une génération de romanciers, qui produisent
des œuvres traduisant le milieu américain – aussi bien de la
ville, de la forêt et des champs – de façon totalement
baroque. / Quant au réel merveilleux, nous n'avons qu'à
tendre les mains pour l'attraper. Notre histoire
contemporaine nous présente chaque jour des événements
insolites. (p.118)
62
On voit, dans le passage à la ligne de la citation ci-dessus,
comment le réel merveilleux est circonscrit à la qualité
(quotidienne...) de l'histoire latino-américaine : sa traduction dans
l’œuvre littéraire se fait, dorénavant, par le biais du (style)
baroque. L'introduction de cette dernière notion, dans ce troisième
texte de Carpentier, signifie donc la réduction effective des
frontières du réel merveilleux, qui ne peut plus prétendre au statut
de style ou d'esthétique, en concurrence avec le surréalisme ou le
réalisme magique, comme les essais précédents le suggéraient
parfois. Sans l'expliciter, Carpentier aura admis les limites
sémantiques du terme "réel" face à celui de "réalisme."
L'expression de "baroque," est plus apte, certes, que celle de "réel
merveilleux" à décrire un style (ou une esthétique), mais on peut
s'interroger sur la validité de l'extension inverse du terme
"baroque" pour décrire l'aspect de paysages naturels ou
d'événements historiques, comme le fait Carpentier, dans le sillage
du "baroquisme" d'Eugenio d'Ors.
Le paragaphe final de l'allocution de Carpentier tient assez du
manifeste politico-culturel, dans lequel il exprime son optimisme
quant aux événements réels-merveilleux à venir, lesquels ne
poseront plus de problème de description, puisque "nous avons
atteint notre maturité. Nous serons les classiques d'un énorme
monde baroque" (p.118-9). En amalgamant ici les notions de
classique et de baroque (alors qu'il avait ridiculisé leur confusion,
plus haut), Carpentier semble conclure son discours par un clin
d'œil.

Conclusions. L'analyse ci-dessus aura montré que


l'argumentation de Carpentier en faveur du concept de "réel
merveilleux" présente plusieurs points faibles :
– Le premier est celui d'un parti-pris idéologique influencé par
les théories d'Oswald Spengler sur le déclin de l'Occident. Fort de
cette adhérence, Carpentier oppose la vitalité du "réel merveilleux

63
américain" de manière souvent caricaturale et polémique à des
productions artistiques européennes marginales ;
– Le second est de maintenir l'hésitation quant à son domaine
d'application : s'agit-il de la réalité culturelle même du continent,
ou d'une esthétique de sa représentation ? L'introduction tardive
d'un parallélisme avec le concept de baroque ne fait que
confirmer, implicitement, la non-pertinence du réel merveilleux en
tant que concept stylistique ou esthétique ;
– enfin, en choisissant d'ignorer le concept voisin et concurrent
de "realismo mágico," pourtant largement répandu dans la critique
latino-américaine, Carpentier a contribué au développement d'une
confusion, souvent décourageante, entre les deux notions.
Quoi que l'on puisse penser de sa validité dans le cadre d'une
poétique littéraire ou d'une esthétique, la notion carpentérienne du
real maravilloso americano eut un grand retentissement dans la
littérature latino-américaine : elle contribua certainement à lui
donner ses lettres de noblesse, en l'affranchissant de sa longue
tutelle des milieux culturels européens. D'autre part, comme le
suggère François Lopez, il importe de se souvenir que Carpentier,
"esprit curieux de tout, mais surtout de beaux arts, n'était ni
historien ni philosophe. Sa pensée était esthétique avant tout,
même dans ses œuvres les plus engagées politiquement."38
En affirmant que le merveilleux n'est visible que pour les
"croyants," Carpentier prive son concept de tout fondement
théorique rationnel. Le réel merveilleux américain n'est alors autre
chose que le credo d'une religion "nouveau-mondiste," d'une
nouvelle théologie de la fiction dans laquelle l'acte de foi est
confondu avec l'acte de création, la vision du monde avec le mode
(ou style) de sa représentation littéraire.
38
François Lopez, "L'affirmation polémique de l'américanité dans
l'œuvre de Carpentier : un noyau générateur et un système de pensée
esthétique" in Hommage à Alejo Carpentier, Actes du Colloque de
Talence, Presses U. de Bordeaux, 1985, (p.45-60). l'analyse de F. Lopez
montre comment l'œuvre romanesque de Carpentier repose sur le même
système de pensée antithétique que celui développé dans les essais.
64
En dépit de ses aspects exaltants et de son effet stimulant dans
l'histoire de la littérature latino-américaine, il faut donc conclure
que le concept carpentérien du réel merveilleux américain s'insère
mieux dans l'histoire des idées que dans une théorie narrative ou
dans une esthétique. D'autre part, ses liens avec le réalisme
magique restent à élucider.39

39
La confusion entre les deux notions a été encouragée notamment par
l'assertion (surprenante sous une plume aussi érudite) d’un Carlos
Fuentes qui fait de Carpentier "el inventor del realismo mágico," sans
autre forme d'explication, dans Valiente Mundo Nuevo (Madrid,
Mondadori, 1990, p.127). Or non seulement Carpentier n'a pas "inventé"
la locution "realismo mágico", mais on a vu qu’il s'est défendu
expressément (et aussi tard qu'en 1975), du moindre rapport entre le
réalisme magique et son réel merveilleux. Il est tout aussi troublant de
constater par ailleurs, que Fuentes ne mentionne pas le réalisme magique
dans son chapitre sur García Márquez.
65
Epilogue : L'enlisement de la critique hispano-américaine
entre real maravilloso et realismo mágico

L’histoire de la réception du real maravilloso et de son


articulation avec le realismo mágico est assez extraordinaire, si
l’on songe qu’au plus tard en 1973, lors du Congrès de littérature
ibéro-américaine de l’Université du Michigan à East Lansing, des
voix d’une grande autorité avaient souligné les aspects fallacieux
du concept de Carpentier et son impact négatif sur la discussion –
déjà suffisamment confuse – autour du réalisme magique. 40
Emir Rodríguez Monegal avait ouvert le Congrès par un
réquisitoire implacable contre "l’incommunication" caractérisant
les diverses littératures hispano-américaines et le manque de
rigueur de la plupart des critiques (notamment d’Angel Flores et
de Luis Leal), ces deux aspects aboutissant selon lui à un véritable
"dialogue de sourds" sur les rapports entre réalisme magique et
littérature fantastique.
Enrique Anderson Imbert s’était attaqué aux trois notions
principalement en cause : la littérature fantastique, le réalisme
magique et le réel merveilleux.41 En ce qui concerne ce dernier, il
estimait que "pour être étrangère à l’Esthétique, la notion de réel
merveilleux ne peut être confondue avec celle de réalisme
magique, qui elle est esthétique" (p.41) et que, "contrairement à
l’opinion de Carpentier, "la réalité objective américaine ne jouit
pas de privilèges artistiques" (p.42) Il concluait par cette
affirmation forte : "dans [la littérature de Borges comme dans celle
de García Márquez], la magie, le merveilleux n’est pas dans la
réalité mais dans l’art de feindre."
Le troisième grand critique à s’intéresser à Carpentier était
Roberto González Echevarría, qui se penchait précisément sur les
rapports de celui-ci avec le réalisme magique. 42 González
Echevarría montre clairement les origines européennes du
40
"Realismo mágico versus literatura fantástica: un diálogo de sordos" in
Otro mundos, Otros fuegos, D. Yates, éd., 1975, p.25-37.
41
"'Literatura fantástica', 'realismo mágico' y 'lo real maravilloso'" in
Otros mundos, otros fuegos, D. Yates, éd., 1975, p.39-44.
66
réalisme magique, l’influence de Spengler sur la notion du réel
merveilleux de Carpentier, et les incohérences suscitées par la
confusion des deux appellations.
Les réserves exprimées par ces trois critiques auraient dû
suffire à inciter leurs successeurs à la prudence et à noter qu’il
n’est plus admissible de confondre réel merveilleux et réalisme
magique, ni même de les situer sur le même plan : le réel
merveilleux n’est pas une forme littéraire, et si le réalisme
magique en est une, elle reste à définir plus précisément.
Pourtant, malgré la publication (et le retentissement) des actes
du Congrès d’East Lansing, bien des critiques ont persisté à
s’engouffrer dans le cul de sac méthodologique du réel
merveilleux. Les nombreuses études publiées depuis 1975 ont
parfois de grands mérites sur le plan de la poétique (en éclairant
les qualités de telle ou telle œuvre), mais rares sont celles qui font
l’effort d’expliciter leur démarche en définissant ou discutant la
notion théorique sur laquelle elles s’appuient. Parmi les dizaines
de titres réunis dans la bibliographie du présent ouvrage, je
souhaite néanmoins citer deux études dont la rigueur et l’ambition
théorique m’ont paru remarquables.
La première est celle de Victor Bravo, qui s’est attaché à
délimiter le réalisme magique et le réel merveilleux. 43 Il propose
d’abord une analyse de la "pratique littéraire du réalisme magique
par Miguel Angel Asturias" (Hommes de maïs, Une certaine
mulâtresse, Trois des quatre soleils), puis une analyse de la
"pratique littéraire du réel merveilleux par Alejo Carpentier" (Le
Royaume de ce monde, Le Partage des eaux, Chasse à l’homme,
Le Recours de la méthode, La Danse sacrale, Ocho cuentos, Le
Siècle des lumières, Concert baroque, La Harpe et l’ombre). Sur

42
"Carpentier y el realismo mágico" in Otros mundos, otros fuegos,
D. Yates, éd., 1975, p.221-31.
43
Magías y maravillas en el continente literario :para un deslinde del
realismo mágico y lo real maravilloso, Caracas, La Casa de Bello, 1988.
Bizarrement, cette étude substantielle et intéressante n’est citée dans
aucune des bibliographies afférentes au realismo mágico.
67
cette base, il conclut en proposant la distinction théorique
suivante :

Dans un sens général, il est possible de parler de 'réalisme


magique' quand nous sommes en présence d'un traitement
esthétique du mythe de la 'pensée sauvage' par le biais de
sa poétisation, du déroulement de son principe
métaphorique-métamorphique dans le récit littéraire, et/ou
de la recherche littéraire des procédés de subjectivation/
objectivation. Il nous paraît possible d'affirmer qu'une
longue liste d'œuvres littéraires latino-américaines répond à
cette catégorisation, à ce principe de classification. Dans un
sens plus spécifique, le réalisme magique se réfère au
traitement esthétique de la mythologie méso-américaine et
caractérise une partie de la production littéraire de Miguel
Angel Asturias. […] Dans un sens général il sera possible
de parler du 'réel merveilleux américain' quand nous
sommes en présence d'un récit qui part de 'l'américain' en
tant qu'expression esthétique d'un référent insolite, produit
par une hyperbolisation littéraire de l'homme, l'histoire ou
la nature, par les anachronismes temporaires dans le récit
et/ou par un processus transculturel de l'ici américain et du
là-bas européen. Dans cette acception générale, on peut
inclure des œuvres comme Terra nostra (1975) de Carlos
Fuentes, La Guerre au roi (1978) d'Abel Posse ou Aguirre,
prince de la liberté (1979) de Miguel Otero Silva. Dans un
sens plus spécifique, le réel merveilleux américain, en tant
que réalisation esthétique, désignera l'œuvre narrative
d'Alejo Carpentier, concrètement les œuvres déjà
mentionnées [comme La Harpe et l'ombre (1979)] qui
dépassent la thèse essentialiste pour assumer le réel
merveilleux américain comme trouvaille esthétique. /
'Réalisme magique' et 'réel merveilleux', ainsi reformulés,
pourront, peut-être, contribuer à rendre évidents les
délimitations nécessaires ainsi que les correspondances qui
font 'une' la littérature latino-américaine, au sein même de
68
sa puissante multiplicité (p.241-43 ; italiques de l’auteur ;
c’est moi qui traduis).

Ces définitions frappent par leur subtilité. Mais elles me paraissent


souffrir de plusieurs défauts. Le plus grand est de ne pas être
caractérisées formellement : ce "traitement esthétique" ou "cette
expression esthétique" sont-ils des styles, des genres ou des modes
narratifs, par exemple ? D’autre part, en réduisant le réalisme
magique au traitement du "mythe de la pensée sauvage," la
littérature européenne semble exclue. Il s’agirait donc (comme le
réel merveilleux) d’une esthétique américaine (ou nouveau-
mondiste au sens large) et non universelle. Quant au "réel
merveilleux américain," s’il me paraît important en effet, d’aller
au-delà de la "thèse essentialiste" de Carpentier, pourquoi
conserver une appellation sémantiquement incorrecte pour la
redéfinir en tant que "trouvaille esthétique" et l’utiliser contre la
conception première de son propre auteur ? Ne vaudrait-il pas
mieux parler alors d’un "réalisme merveilleux" (redéfini) dans
l’œuvre de Carpentier ?
Une autre étude substantielle récente a été consacrée à un
projet parallèle à celui de Victor Bravo. Alicia Llarena propose
elle aussi de "revalider" l’usage des appellations réalisme magique
et réel merveilleux en les distinguant de manière plus
satisfaisante.44 En l’occurrence, sur la base du critère de
vraisemblance qu’elle évalue à partir de l’analyse de deux
clefs :"la fonction de l’espace" et "l’attitude face à l’étrange" dans
quatre romans latino-américains (Hommes de maïs d’Asturias,
Pedro Páramo de Juan Rulfo et Cent Ans de solitude de García
Márquez pour le réalisme magique ; Le Royaume de ce monde
pour le réel merveilleux).
L’approche est originale, les analyses textuelles sont
éclairantes et les conclusions sur le degré de vraisemblance de ces
œuvres sur la base des différences de leurs traitements narratifs
44
Realismo mágico y lo Real Maravilloso: una cuestion de verosimilitud
(Espacio y actitud en cuatro novelas latinoamericanas), Hispamérica,
Universidad de Las Palmas de Gran Canaria, 1997.
69
sont convaincantes. Ce qui l’est moins, c’est la prémisse
méthodologique consistant à faire du Royaume de ce monde une
illustration (et la seule) de la théorie du réel merveilleux, alors que
bien des études montrent que ce roman de Carpentier (pour
merveilleux qu’il soit) tend plutôt à invalider son fameux
prologue.45 Llarena elle-même arrive à cette conclusion, car
lorsqu’elle dit que "[contrairement au réalisme magique], le réel
merveilleux américain plante précisément le discours dans la
réflexivité" (p.310), sa formulation est faussée : ce n’est pas du
réel merveilleux qu’elle parle mais du narrateur du Royaume de ce
monde. D’autre part, alors que la bibliographie réunie par Llarena
est l’une des plus complètes du domaine magico-réaliste latino-
américain, il est regrettable que précisément l’étude de Victor
Bravo n’y figure pas.
Bref, la notion du real maravilloso continue de fasciner,
malgré ses faiblesses en tant que théorie littéraire. En dépit de
leurs grands mérites, les deux études brièvement présentées ici ne
proposent pas une distinction théorique convaincante entre
l’appellation créée par Carpentier et sa concurrente du realismo
mágico. Toutes deux mentionnent pourtant un ouvrage qui avait su
marier les deux notions de manière remarquable dans la formule
du realismo maravilloso, dont il sera question plus loin.

45
Voir notamment Mario Vargas Llosa, "Lo real maravilloso o artimanas
literarias?" in Letras Libres 2-13, Mexico, janv. 2000, p.32-36; rééd. in
Mario Vargas Llosa, La verda d de las mentiras, Madrid, Alfaguara,
2002, p.235-248.
70
Le "réalisme merveilleux" selon Jacques S. Alexis
et Irlemar Chiampi

1. Le Réalisme Merveilleux des Haïtiens (1956)


Jacques Stephen Alexis (1922-1961) est considéré aujourd'hui
comme l'un des grands auteurs des Antilles, mort précocement aux
mains des Tontons Macoutes en raison de son engagement
politique contre le Duvaliérisme. On se souvient surtout de ses
romans,46 mais aussi de la communication qu’il fit au Premier
Congrès International des Écrivains et Artistes Noirs, tenu en
Sorbonne du 19 au 22 septembre 1956, sur le thème "Du Réalisme
Merveilleux des Haïtiens."47
Dans ce manifeste, Alexis développe son argumentation de
manière dialectique entre deux pôles : une production culturelle
spécifique (celle des artistes haïtiens contemporains) et une
conviction idéologique marxiste (même si ce terme ou celui de
"communisme" ne sont jamais mentionnés). Les cinq premières
parties du texte traitent en assez grand détail de l'histoire culturelle
haïtienne. Les parties 6, 7 et 8 analysent la notion générale de
culture et défendent l'idée d'une culture humaine universelle
"réaliste" contre le "formalisme." Le concept du réalisme
merveilleux des Haïtiens n'est traité que dans les sections 9
("L'optique haïtienne des organons traditionnel") et 10 ("Vers une
intégration dynamique du Merveilleux : le Réalisme
Merveilleux"). Avant d'analyser ces deux divisions en détail,
plusieurs points soulevés antérieurement par Alexis méritent d'être
mentionnés ici.

46
Trois sont parus chez Gallimard : Compère Général Soleil (1955), Les
Arbres musiciens (1957) et L'Espace d'un cillement (1959), ainsi qu'une
collection de contes et de nouvelles, Romancero aux étoiles (1960).
47
Le sous-titre précise qu’il sagit de "Prolégomènes à un manifeste du
Réalisme Merveilleux des Haïtiens." Les actes de ce congrès sont parus
dans un numéro spécial de Présence Africaine, Automne 1956.
71
La culture haïtienne. Un thème important – et
problématique – dans le discours d'Alexis, est celui de l'opposition
entre l'aspect national et l'aspect universel de l'art et de la culture.
Alors même qu'il défend l'existence d'un art national haïtien – dont
le réalisme particulier serait le résultat de formes expressives
spécifiques et d'un contenu esthétique évident dans "l’École du
Réalisme Nouveau" qu'on commence à appeler "l’École du
Réalisme Merveilleux" (p.246-48) – Alexis affirme aussi que les
caractéristiques du vingtième siècle (comme la vitesse des
communications, le progrès vers la justice et l'égalité) créent une
"rencontre inévitable de l'art de tous les peuples sur le plan du
contenu esthétique," en un mot, un "humanisme nouveau." D'où la
nécessité pour l'artiste de s'engager et de lutter pour "changer le
monde" et la nécessité aussi d'établir "un programme général de
travail" basé sur la définition des "besoins de tout l'art national"
(p.247). Une conception aussi volontariste des arts et du rôle des
artistes est évidemment inspirée du réalisme socialiste.
Dans sa définition de la culture haïtienne, Alexis souligne ses
qualités nationales et syncrétiques. La culture haïtienne est le
résultat de siècles de brassages entre trois groupes raciaux : les
indiens Chemès-Taïno d'origine, les esclaves africains et les
colonisateurs européens (surtout français et espagnols). La
manifestation la plus évidente de ce syncrétisme culturel est le
créole haïtien parlé par la vaste majorité de la population et qui,
selon Alexis, n'est pas un patois mais une langue de filiation
africaine par sa sémantique et dont le vocabulaire est d'origine
avant tout française (p.252-54).
Plutôt que d'opposer, selon une ligne de séparation coloniale,
une culture française à une culture africaine sur l'île, Alexis voit
une opposition entre la culture "bourgeoise cosmopolite" et la
culture "populaire prolétaire. " Les deux étant néanmoins
haïtiennes, même si l'élite bourgeoise est plus attirée par la France
et les États-Unis que par la culture populaire haïtienne. Tout
comme Alexis évite prudemment d'opposer les éléments français
72
et africains, il refuse de cautionner le concept de négritude (alors
que cette notion, popularisée par Césaire, était inscrite dans le titre
même du congrès). S'il concède des effets positifs au mouvement
indigéniste, Alexis ne craint pas d'ajouter ceci :

Décanté d'un certain "négrisme," d'un certain populisme, ce


courant indigéniste dans l'art et la littérature est profitable à
la culture haïtienne. Cependant nous devons dire aussi que
toutes les gloses et les gorges chaudes en faveur d'une
prétendue "négritude" sont dangereuses dans ce sens
qu'elles cachent l'autonomie culturelle du peuple haïtien et
la nécessité d'une solidarité avec tous les hommes, avec les
peuples nègres également, cela va de soi. (p.256)

En d'autres termes – et bien que ses classes dirigeantes puissent


être solidaires d'un "certain impérialisme raciste" – l'Haïti
indépendante n'est plus en situation coloniale : la lutte véritable
pour Alexis, c'est la lutte des classes.
L'art haïtien. Passant aux arts, Alexis souligne à nouveau
l'aspect synthétique caractérisant aussi la production artistique
haïtienne. Le roman, la poésie, le théâtre, la musique et les arts
plastiques ont – au moins – un double héritage permanent :
africain et européen (p.256). Alexis affirme également que l'art
haïtien était réaliste, avant même que la Revue Indigène ne promût
le réalisme, et en dépit de quelques partisans de "l'art pur." Pour
lui, la "glorieuse mission" de l'artiste est de puiser dans le "trésor
d'une esthétique populaire continuellement enrichie par le peuple"
afin de produire des œuvres d'art faites pour le peuple: Tout ceci
reflète encore la rhétorique du réalisme socialiste.
Le merveilleux et Haïti. Ayant plaidé en faveur d'un
réalisme social universel, fondé sur une esthétique populaire,
Alexis caractérise les arts haïtiens. Il argue que les canons
dominants de l'art occidental ne devraient pas être considérés de
manière si définie, étant donné la brièveté de leur élaboration, eu
73
égard à l'histoire de l'humanité : les choses changent encore, et
vouloir maintenir des canons "classiques" de beauté dans les arts
relève de l'impérialisme culturel. Par conséquent, et sans vouloir
renier la richesse de l'héritage du passé, les conditions modernes
doivent aussi être prises en compte. En Haïti, l'héritage européen
est important, mais combiné avec l'héritage africain, il a produit un
art qui veut aller au-delà de l'ordre, de la beauté et d'une sensibilité
contrôlée :

L'art haïtien présente en effet le réel avec son cortège


d'étrange, de fantastique, de demi-jour, de mystère et de
merveilleux : la beauté des formes n'y est pas, en quelque
domaine que ce soit, une donnée convenue, une fin
première, mais l'art haïtien y atteint par tous les biais, même
celui de la dite laideur. L'Occident de filiation gréco-latine
tend trop souvent à l'intellection, à l'idéalisation, à la
création de canons parfaits, à l'unité des éléments de
sensibilité, à une harmonie préétablie ; notre art à nous tend
à la plus exacte représentation sensuelle de la réalité, à
l'intuition créatrice, à la puissance expressive. (p. 263)

Notons ci-dessus la première apparition, discrète, du


merveilleux, comme dernier élément d'une liste de qualités
inhérentes au réel et exprimées dans l'art haïtien (alors que dans
l'art conventionnel occidental, les canons esthétiques censureraient
de telles bizarreries).
Alexis fait ensuite un parallèle entre l'art haïtien et son "cousin"
africain, pour lesquels il revendique à la fois un "profond
réalisme" et un lien indissoluble au "mythe, au symbole, au stylisé,
au héraldique, au hiératique même." On pourrait objecter ici, que
si "chaque élément [de la représentation] est dépouillé jusqu'à
l'essence," alors un tel réalisme ne se distingue plus guère d'un
idéalisme. Mais ce qu'Alexis veut faire ici, en unissant art haïtien

74
et africain, c'est les défendre tous deux contre le préjugé si
répandu d'un soi-disant "art primitif":

Cet art [haïtien et africain, dont les éléments peuvent former


une formidable accumulation] démontre la fausseté des
thèses de ceux qui rejettent le merveilleux sous prétexte de
volonté réaliste, en prétendant que le merveilleux serait
seulement l'expression des sociétés primitives. (p.263)

Pour Alexis, le réalisme peut donc être merveilleux sans être


pour autant "primitif" ipso facto, comme certains veulent le croire.
L’auteur passe alors à des assertions plus polémiques :

La vérité est que ces œuvres sèchement et prétendument


réalistes manquent leur objet et ne touchent pas certains
peuples. Foin de ce réalisme analyste et raisonneur qui ne
touche pas les masses! Vivement un réalisme vivant, lié à la
magie de l'univers, un réalisme qui ébranle non seulement
l'esprit, mais aussi le cœur et tout l'arbre des nerfs! (p.263)

L'attaque d'un certain réalisme faite ici par Alexis, pourrait


s'adresser en fait à deux types différents de réalisme "sec": le
naturalisme conventionnel de la fin du dix-neuvième ou celui
encore plus conventionnel et sentencieux, du réalisme social
stalinien (qui venait justement d'être quelque peu "assoupli").
Alexis pensait-il aux deux ? C'est affaire de conjecture. Il est plus
intéressant de noter que dans la phrase soulignée plus haut, Alexis
parle d'un réalisme lié à la "magie de l'univers." Le "réalisme
vivant" invoqué par Alexis pour refléter cette magie de l'univers,
n'est donc pas restreint à Haïti. Mais en Haïti, certains artistes
produisent des œuvres dans cet esprit, c'est-à-dire capables de
toucher plus que seulement "l'esprit raisonneur" des gens. En
affirmant que dans l'art haïtien, "l'imagination règne en maîtresse
et refait le monde à sa guise," Alexis semble défendre une vision
75
très ouverte d'un art soucieux de traduire le merveilleux du réel
par le biais de l'imagination.
Mais dans cette belle foulée, Alexis formule aussi des
restrictions : "cependant [dans cet art haïtien] on ne trouverait pas
un seul élément gratuit, un seul détail qui n'ait sa réalité sous-
jacente, immédiatement intelligible pour la masse des hommes
pour lesquels il existe" (p.264). Avec ce type d'assertion, Alexis
revient au réalisme socialiste militant, dans le cadre duquel il situe
l'art haïtien nouveau. Un seul critère est acceptable pour juger de
la validité de cet "art de foisonnement qui défie toutes les règles et
les recèle toutes : éclaire-t-il l'homme et son destin, ses problèmes
de chaque instant, ses combats optimistes et ses
affranchissements ?" A partir d'une telle conception, il n'y a qu'un
pas vers la condamnation de productions moins engagées, comme
les "constructions intellectualistes d'un certain Occident
décadent," ou les "recherches surréalistes à froid" (p.264).
Cette critique par Alexis d'une certaine "décadence" des formes
artistiques occidentales reflète manifestement les théories
exposées par Oswald Spengler dans Le Déclin de l'occident. Quant
à la brève mention des "froides" recherches surréalistes, elle
constitue une condamnation bien péremptoire d'un mouvement qui
eut le mérite de réhabiliter justement le "merveilleux" dans la
culture moderne, vie quotidienne et arts confondus. Et s'il y eut en
effet des productions surréalistes d'un intellectualisme éclectique
et élitiste, hermétiques aux "masses," il y eut aussi un surréalisme
plus populaire – avec ou sans l'approbation d'André Breton – du
côté d'un Éluard, d'un Prévert et d'un Aragon (avec lequel Alexis
eut d'ailleurs des relations privilégiées). La formulation d'Alexis
paraît donc abusivement réductrice. Nul doute qu’il manifeste, ici,
sa solidarité avec les (ex-)surréalistes partisans d'un art engagé
politiquement.
Le Réalisme Merveilleux. Ces jalons posés, Alexis
précise sa pensée dans une section intitulée "Vers une intégration
dynamique du Merveilleux : le Réalisme Merveilleux." Les deux
76
premières pages constatent une distinction entre la sensibilité
"émoussée" des masses d'hommes dans les nations industrialisées
soumises à la mécanisation intense, et celle, plus "vive," dans les
nations sous-développées où la réalité est encore appréhendée de
façon plus naturelle. D'où aussi une perception plus intense du
merveilleux, manifeste, par exemple, dans les exploits –
apparemment surnaturels mais vérifiables "scientifiquement" – des
haïtiens possédés de vaudou. Pour Alexis, ces phénomènes font
partie de l'héritage africain qui ne saurait être nié.
De cette perception populaire de la réalité par le biais du
merveilleux, Alexis en arrive à son usage formel par les artistes et
les écrivains. Il soutient que, puisque le folklore, les danses et les
chants religieux populaires sont – après tout – l'expression de
l'aspiration du peuple haïtien à de meilleures conditions de vie, les
artistes seraient "inconscients de refuser d'utiliser tout cela au
service d'une prise de conscience et de luttes précises et
actualisées" (p.266). Ce passage de la vision merveilleuse du
peuple à l'engagement des artistes est reformulé ainsi:

Qu'est-ce donc le Merveilleux sinon l'imagerie dans laquelle


un peuple enveloppe son expérience, reflète sa conception
du monde et de la vie, sa foi, son espérance, sa confiance en
l'homme, en une grande justice, et l'explication qu'il trouve
aux forces antagonistes du progrès ? Le Merveilleux
implique certes la naïveté, l'empirisme sinon le mysticisme,
mais la preuve a été faite qu'on peut y envelopper autre
chose [...], l'incitation à la lutte pour le bonheur. Les
combattants d'avant-garde de la culture haïtienne se rendent
compte de la nécessité de transcender résolument ce qu'il y
a d'irrationnel, de mystique et d'animiste dans leur
patrimoine national, mais ils ne croient pas qu'il y ait là un
problème insoluble. (p.267)

77
Il est difficile d'occulter le problème soulevé dans les lignes ci-
dessus : si le merveilleux implique un mysticisme que l'artiste doit
transcender, où reste le merveilleux ? Il est intéressant de noter
qu'Alexis semble se distinguer ici de la formulation d'Alejo
Carpentier, dans le Prologue du Royaume de ce monde, selon
laquelle "la perception du merveilleux présuppose une foi." Car
est-il vraiment possible de "rejeter le manteau animiste qui cache
le noyau réaliste, dynamique, de leur culture" sans renier l'aspect
religieux ou mystique de leur tradition ? Alexis semble le croire
puisqu’il affirme que "les hommes de culture haïtienne sauront
dans une voie dynamique, positive et scientifique, une voie de
réalisme social, comprendre toute la protestation humaine contre
les dures réalités de la vie, toute l'émotion, le long cri de lutte, de
détresse et d'espoir que contiennent les œuvres et les formes du
passé" (p.267).
Aux yeux d'Alexis, la "forme" appropriée du "contenu humain"
d'un tel réalisme social ne peut qu'être nationale. Si elle ne l'était
pas, elle n'aurait aucune "prise sur la sensibilité du peuple" et ne
serait que "pseudo-mondialiste" comme l'art cosmopolite. Or, l'art
et la littérature étant conçus pour délecter mais aussi éclairer un
peuple non-éclairé ne saurait participer au "mouvement de
l'humanité marchant vers sa libération." Ce genre d'argumentation
pourrait sortir tout droit d'un tract marxiste. Le même type de
dialectique est utilisé dans la synthèse suivante :

Les artistes haïtiens ont utilisé le Merveilleux dans un sens


dynamique avant de se rendre compte qu'ils faisaient du
Réalisme Merveilleux. Peu à peu nous sommes devenus
conscients du fait. Faire du réalisme correspond pour les
artistes ha•tiens à se mettre à parler la même langue que leur
peuple. Le Réalisme Merveilleux des Haïtiens est donc
partie intégrante du Réalisme Social ; sous sa forme
haïtienne il obéit aux mêmes préoccupations. (p.268)

78
L'adverbe "donc" semble clore une démonstration
syllogistique. En fait, il s'agit plutôt d'une série d'aphorismes et de
prises de position idéologiques. C'est sur la base de cette espèce de
"plate-forme politique" où Alexis s’exprime au nom des artistes
haïtiens –voire du peuple haïtien, puisqu'ils parlent dorénavant la
même langue – qu'un manifeste-programme national est lancé
dans les termes suivants :

Pour se résumer le Réalisme Merveilleux se propose :


1- de chanter les beautés de la patrie haïtienne, ses
grandeurs comme ses misères, avec le sens des perspectives
grandioses que lui donnent les luttes de son peuple et la
solidarité avec tous les hommes ; atteindre ainsi à l'humain,
à l'universel et la vérité profonde de la vie ;
2- de rejeter l'art sans contenu réel et social ;
3- de rechercher les vocables expressifs propres à son
peuple, ceux qui correspondent à son psychisme, tout en
utilisant sous une forme renouvelée, élargie les moules
universels, en accord bien entendu avec la personnalité de
chaque créateur ;
4- d'avoir une claire conscience des problèmes précis,
concrets actuels et des drames réels que confrontent les
masses, dans le but de toucher, de cultiver plus
profondément et d'entraîner le peuple dans ses luttes.
(p.268)

Un tel programme peut constituer une synthèse


enthousiasmante pour des militants idéalistes. Éclairée
rétrospectivement par la fin tragique de son auteur, la sincérité
généreuse soutenant cet engagement ne saurait d'ailleurs être mise
en doute. On ne saurait pourtant ignorer dans ces formules la
rhétorique ronflante et les dogmes étroits du réalisme socialiste.
Faire du réalisme merveilleux – chose pourtant abstraite puisque
théorie esthétique – le sujet actif dans sa propre mise en œuvre ("le
79
Réalisme Merveilleux se propose de... ") dérange. Cette
personnalisation abusive masque mal une volonté dogmatique
(entérinée par quelque congrès) qui ne concède à l'artiste qu'une
liberté très relative : la proposition "en accord bien entendu avec la
personnalité de chaque créateur" semble collée après coup et ne
convainc guère, encadrée comme elle l'est dans les restrictions
imposées par chacun des quatre articles. Tout ce programme tient
plus du serment d'allégeance au réalisme socialiste que de la
présentation d'une esthétique.

Conclusions : un hiatus entre théorie et pratique. On a


peu écrit sur le concept du réalisme merveilleux des Haïtiens tel
que l'a présenté Alexis, même si l’expression fait surface dans
plusieurs thèses consacrées à la littérature antillaise ou québécoise.
De larges extraits du manifeste d’Alexis ont été inclus dans la
biographie, composée de manière très poétique, par Michel
Séonnet.48 Avant cela, il avait été aussi au cœur d’une
monographie de Michael Dash.49 Un article antérieur de ce critique
avait présenté le concept de réalisme merveilleux comme "voie de
sortie de la négritude":

[Contrairement à la notion de négritude] le réalisme


merveilleux souligne les schémas d'émergence hors du
continuum de l'histoire.... [Alexis et Wilson Harris croient]
en une vision plus spéculative de l'histoire, dans laquelle la
conscience des cultures dominées prévaudrait. Puisant dans
cette conscience, ils se sont tournés tous deux vers les
mythes, les légendes et les superstitions populaires afin de
recueillir les traces d'une culture de survie complexe,
développée par les oppressés en guise de réponse à leurs
oppresseurs. [...] L'imagination des oppressés était devenue

48
Jacques Stephen Alexis ou le voyage vers la lune de la belle amour
humaine, Toulouse, Ed. Pierres Hérétiques, 1983.
49
Jacques Stephen Alexis, Toronto, Black Images, 1975.
80
la source de leur lutte contre la cruauté de leur condition.
[...] Contrairement aux auteurs de la "négritude," il n'y a
plus maintenant de rejet du passé ; la "décolonisation" est
inutile. Le passé composite est accepté comme héritage
légitime, comme mémoire cosmopolite cohésive. (p.88-91,
ma traduction)50

Dans ces assertions, Dash se fonde plus sur sa connaissance


des œuvres de fiction de ces auteurs, que sur leurs textes
théoriques. Cela est vrai aussi de sa monographie sur Alexis, où le
dernier chapitre intitulé "Le Réalisme Merveilleux" cite parfois la
communication d'Alexis en Sorbonne, mais n'en offre pas
d'analyse détaillée. Cette approche permet à Dash de mettre
l'accent sur ce qui demeure, sans doute, la partie plus intéressante
de l’œuvre d'Alexis : la fiction. Or, il y a entre celle-ci et sa théorie
du réalisme merveilleux des hiatus importants. Si l'engagement
marxiste n'est pas absent des romans, il y est largement dominé
par une synthèse très riche de divers mouvements culturels. On
peut noter, en plus d’une thématique héritée du roman paysan
et/ou du roman ouvrier, la présence d’aspects surréalistes, des
éléments provenant de la négritude et de l'africanisme "griot,"
ainsi que, parfois, une structure analytique, révélatrice de la
formation scientifique d'un Alexis médecin et neurologue (proche
en cela de Breton). Ce sont tous ces aspects qui forment le
réalisme merveilleux concret des œuvres d'Alexis et qui débordent
autant les canons du stricte réalisme social que le fait sa définition
formelle de l’esthétique du réalisme merveilleux des Haïtiens.

50
"Marvellous Realism – The Way out of Négritude" in Between
Négritude and Marvellous Realism, Toronto, Black Images, 1974, p.80-
95. Plutôt que de se limiter à Alexis, Dash présentait ici des tendances
générales dans la littérature antillaise, illustrées également par le
romancier guyanais Wilson Harris.
81
2. Le realismo maravilloso (1983)
Si donc Alexis ne mentionne pas le real maravilloso de
Carpentier, malgré une filiation qui semble évidente, il aura
néanmoins transposé judicieusement le concept d’origine sur le
terrain de l’esthétique. Une démarche analogue caractérise
l’entreprise de la critique brésilienne Irlemar Chiampi autour du
realismo maravilloso,51 qui, après une discussion de l’aspect
poétique et de la vraisemblance dans cette forme de littérature,
conclut son ouvrage ainsi : "le lecteur – à qui la narration destine
son objet forgé – s’intéresse moins à l’idéologie fallacieuse du réel
merveilleux qu’à sa conversion en vérité poétique du réalisme
merveilleux" (p.222). Chiampi corrigeait ainsi les tirs de
Carpentier, à la suite d’un long parcours théorique initié,
d’ailleurs, par une thèse sur le Partage des eaux. Mais il ne
s’agissait pas seulement de corriger la forme de l’appellation
lancée par Carpentier. Chiampi a voulu proposer un modèle
théorique qui tienne compte à la fois du caractère spécifiquement
hispano-américain des œuvres communément associées au
realismo mágico et des revendications culturelles du real
maravilloso americano. (D’où le sous-titre de son ouvrage :
Forme et idéologie dans le roman hispano-américain.) Ce sont les
constantes d’une "modalité discursive" qu’elle a relevées par
analyse déductive de la "totalité du langage poétique" dans les
œuvres retenues (p.56).52
Pour sa partie théorique, l’analyse de Chiampi est fondée sur
les publications les plus connues de la sémantique structurale, de
la sémiologie et de la narratologie. Au terme de l’étude, le
réalisme merveilleux est synthétisé ainsi :

51
Irlemar Chiampi, El realismo maravilloso: Forma e ideología en la
novela hispanoamericana (trad. Agustin Martínez et Márgara Russotto),
Caracas, Monte Avila, 1983.
52
En l’occurrence, pour illustrer sa définition, Chiampi se réfère
principalement à Carpentier (Le Partage des eaux, Le Siècle des
lumières), Asturias (Hommes de maïs), García Márquez (Cent Ans de
solitude) et Rulfo (Pedro Paramo).
82
"Considéré au sein du schéma de la communication
narrative – en tant qu’ensemble dynamique mettant en
relation l’émetteur, le signe, le récepteur et le référent extra-
linguistique – ce type de discours de la fiction hispano-
américaine se caractérise, au niveau des relations
pragmatiques (émetteur > signe > récepteur) : 1) par la
production d’un effet d’enchantement qui tend à établir une
relation métonymique entre les logiques empiriques et
méta-empiriques du système référentiel du lecteur ; 2) par
l’énonciation problématisée, à travers la fonction
métadiégétique de la voix, engendrant le dialogue entre
narrateur et narrataire. / Au niveau des relations
sémantiques (signe référent extra-linguistique), le réalisme
merveilleux se caractérise par : 3) le renvoi à un référent-
discours – le ‘réel merveilleux’ – unité culturelle intégrée
dans un système d’idéologèmes de l’américanisme, dont le
signifié de base est la non-disjonction ; 4) la remodélisation
de ce signifié dans sa forme discursive à travers
l’articulation sémique, non contradictoire, des isotopies
naturelle et surnaturelle ; et 5) par la manifestation de la
combinatoire sémique en deux modalités : la déaturalisation
du réel et la naturalisation du merveilleux. (p.205) / […]
Tout ceci montre que dans le réalisme merveilleux, les
relations entre les pôles de la communication narrative sont
puissamment marquées par la non-contradiction des
opposés. Le dédoublement de ce signifié indique que le
modèle théorique du réalisme merveilleux est un tout
structuré par l’homologie des plans textuels et que, par
conséquent, son but de produire l’Autre Sens par la langue
seule devient effectif à partir de l’absorption, dans son statut
diégétique, de la même contradiction qui modélise l’histoire
et la société dans laquelle il s’inscrit comme forme
littéraire." (p.207, ma traduction)

L’abstraction savante de cette synthèse indique assez que le


réalisme merveilleux proposé par Chiampi repose sur des
83
présupposés théoriques complexes et que sa force et sa subtilité ne
peuvent se dégager que d’une lecture suivie de l’argumentation de
son ouvrage, qu’il n’est pas possible d’entreprendre ici.
Avec une vingtaine d’années de recul, je me borne à constater
que la proposition de Chiampi n’a pas eu l’écho qu’elle mérite.
Pourtant, Emir Rodríguez Monegal – celui-là même qui avait
suggéré en 1973 d’enterrer au plus vite les notions de réel
merveilleux ou de réalisme magique, qu’il considérait comme
pernicieuses pour la critique latino-américaine – avait été
suffisamment convaincu par l’audace et la rigueur de cette étude
qui mariait de façon remarquablement fructueuse les deux
formules ennemies, pour accepter de préfacer la traduction
espagnole de l’ouvrage. Selon lui, "le résultat de cette analyse
rigoureuse est une nouvelle proposition [et une définition viable]
qui permet de distinguer avec précision, et à tous les niveaux du
discours narratif, le merveilleux, le fantastique et le réalisme
merveilleux" (p.13-14). Je partage cette opinion, mais de toute
évidence, la critique latino-américaine n’a pas adopté cette
séduisante proposition, qui aurait pourtant eu l’immense et double
avantage de mettre fin aux tentatives si peu convaincantes de
distinction entre real maravilloso et realismo mágico dont il a été
question plus haut, et d’introduire une appellation distincte du
réalisme magique européen.
Le modèle de Chiampi a sans doute été victime de sa grande
sophistication d’une part, et surtout de la quasi impossibilité de
changer les habitudes : il était bien trop tard pour supplanter le
terme devenu si populaire de realismo mágico, dont l’attrait
irrésistible est dû, justement peut-être, à son flou théorique.
Si l’appellation nouvelle (en espagnol, en tout cas) proposée
par Chiampi n’a pas eu de succès, je crois, paradoxalement, que la
définition qu’elle en donne décrit assez fidèlement ce que les
meilleures études récentes (depuis 1990 environ) entendent par
realismo mágico dans le domaine hispano-américain. Rodríguez
Monegal avait bien vu que "ce qui intéresse le Prof. Chiampi n’est
pas de définir le réalisme merveilleux comme un simple
mouvement ou une école à un moment donné des lettres hispano-
84
américaines, mais comme un type de discours qui permet de
déterminer les coordonnées d’une culture, d’une société et d’une
langue hispano-américaines."53 Or c’est ainsi que la littérature la
plus connue (et considérée comme la plus typique) d’Amérique
latine depuis 1940, est abordée maintenant sous l’étiquette de
réalisme magique. Si bien, d’ailleurs, qu’il m’est difficile de
suivre Rodríguez Monegal lorsqu’il ajoute que "l’analyse [de
Chiampi] configure une typologie du discours narratif de notre
univers culturel qui peut être appliquée à d’autres discours
d’autres époques au sein de notre histoire littéraire." Il me semble
que l’ouvrage de Chiampi situe clairement le réalisme merveilleux
dans la nueva narrativa hispano-américaine, en excluant les
productions précédentes (même s’il est montré que certaines
œuvres du début du 20e siècle ont préfiguré l’un ou l’autre aspect
du mode nouveau).
Cette dernière constatation m’amène à noter deux
inconvénients du modèle proposé par Chiampi. En y incorporant
une référence thématique et idéologique explicite au real
maravilloso, elle limite ipso facto son realismo maravilloso au
domaine américain – si ce n’est latino-américain, vu le corpus
d’œuvres de référence. Cette limitation soulève la question de la
littérature antillaise, qui est tout aussi américaine et issue du
métissage racial et culturel, mais pas nécessairement d’expression
hispanique. D’autre part, comme on a pu regretter qu’Alexis n’ait
pas explicité les liens du real maravilloso de Carpentier avec le
réalisme merveilleux des Haïtiens, il est dommage que Chiampi ne
donne aucun signe de connaissance de ce dernier dans son étude,
alors qu’elle se réfère au merveilleux des surréalistes et à Mabille
notamment.
Bref, à moins de vouloir se cantonner dans la poétique hispano-
américaine ou dans l’esthétique des arts haïtiens, le sort de
l’appellation réalisme merveilleux n’a pas été scellé en 1983. Pas
plus d’ailleurs que celui du réalisme magique à la même époque. Il
doit être possible de distinguer plus subtilement entre un réalisme

53
Op. cit., p.15, ma traduction.
85
magique et un réalisme merveilleux – dans la littérature latino-
américaine ou ailleurs.

86
Le "réalisme magique" redéfini en tant que
mode narratif par Amaryll Chanady

Les chapitres précédents auront donné un aperçu de la


complexité de l'itinéraire, tant sémantique que géographique, suivi
par la locution "réalisme magique." C'est surtout par le biais de
son utilisation dans la critique littéraire sud-américaine que
l'appellation s'est imposée, à partir des années soixante, sur la
scène littéraire internationale.54
Si l'on considère, d'autre part, que ce qui est entendu sous
l'appellation de "réalisme magique" dans certaines littératures
européennes – allemandes et italiennes, notamment – est encore
autre chose et relève plutôt d'un "réalisme métaphysique," il
devient de plus en plus évident qu'on ne peut parler du "réalisme
magique" comme si le signifié de cette locution était clairement
établi et unique. Or dans le domaine de la fiction littéraire qui
nous intéresse ici, la confrontation des notions de réalisme
magique et/ou merveilleux avec les acquis de la narratologie
s'avère non seulement désirable, mais incontournable.
Parmi les nombreuses études critiques sur le réalisme magique
en littérature, celle d'Amaryll Chanady, intitulée Magical Realism
and The Fantastic : Resolved Versus Unresolved Antinomy,55 me
paraît la utile pour l'analyse textuelle. Ce travail propose en effet
des définitions théoriques, composées chacune d'un ensemble de
trois traits pertinents, de deux modes narratifs très proches et

54
Pour Jean Weisgerber, le courant européen constitue l'apport principal
("De ce noyau découlent deux tendances divergentes : l'une, européenne
surtout et majoritaire [...], l'autre - le "real maravilloso," op. cit., p.27).
La critique belge connaît le réalisme magique (et sa filiation allemande et
italienne) depuis plusieurs décennies. Mais les critiques américains et
français, par exemple, semblent ignorer totalement les "incarnations"
européennes du réalisme magique. Comme l'atteste la bibliographie
incluse dans le présent ouvrage.
55
New York et Londres, Garland Publ., 1985. C'est moi qui traduis les
citations.
87
néanmoins distincts dans le domaine de la prose fictionnelle : le
fantastique et le réalisme magique.
Je propose ici un résumé succinct de la démarche de Chanady
(développée sur 175 pages), concentré sur le volet du réalisme
magique. Les aspects ayant trait plus spécifiquement au mode
fantastique, que Chanady définit de manière tout aussi séduisante,
ne seront évoqués que dans la mesure où ils éclairent, par
contraste, la compréhension du mode qui lui est opposé.
Une des prémisses de la démarche théorique de Chanady se
trouve dans le concept de compétence littéraire, développée
graduellement par tout lecteur au fil de ses lectures et lui
permettant, par la reconnaissance des codes sous-jacents, de mieux
comprendre le texte et d'être à même de situer celui-ci dans un
cadre connu ou par rapport à lui. Alors que certains genres
littéraires sont désormais bien définis et donc facilement reconnus,
il n'en va pas de même avec la notion de mode narratif. Or,
plusieurs modes peuvent se superposer ou se succéder dans une
même œuvre. D'autre part, des modes voisins, comme le
fantastique et le réalisme magique en particulier, sont souvent
confondus, même dans l'étude de Todorov, Introduction à la
littérature fantastique, à laquelle Chanady reproche de ne pas
opter clairement entre une définition du fantastique en tant que
genre ou en tant que mode.
Chanady propose de définir le fantastique en tant que mode
narratif, selon les trois traits distinctifs suivants :
1) la présence dans le texte de deux niveaux différents de
réalité – le naturel et le surnaturel ;
2) l'antinomie irrésolue entre ces deux niveaux dans la
narration ;
3) la réticence auctoriale, c’est-à-dire "la rétention délibérée
d'informations et d'explications sur le monde déconcertant de la
fiction narrée" (p.16).

88
Le concept d'antinomie est suggéré afin d'aller au-delà de ceux
d'ambiguïté et d'hésitation – avancés respectivement par R.
Caillois et T. Todorov :

Un terme bien plus satisfaisant qu'hésitation (qui est une


réaction de la part du lecteur aux indications textuelles), est
celui d'antinomie, i.e. la présence simultanée de deux codes
conflictuels dans le texte. […] Contrairement au merveilleux
[…], dans lequel les faits inhabituels peuvent être compris
dans le cadre réaliste, le fantastique crée un monde qui ne
peut être expliqué par aucun code cohérent... (p.11)

L'aspect important souligné par Chanady est que les codes,


dans un récit, ne sont pas tant définis par les caractéristiques
inhérentes aux événements ou aux personnages, mais par le
traitement de ces éléments dans le texte : c'est l'antinomie entre le
naturel et le surnaturel dans le texte qui produit l'ambiguïté du
monde fictionnel et, par conséquent, la désorientation du lecteur
(p.14).
L'aspect le plus intéressant de cette définition du mode
fantastique en trois traits distinctifs, est le fait que ces traits sont
utilisables également pour définir le mode du réalisme magique,
avec cette différence essentielle – exprimée dans le sous-titre de
l'étude – que, dans le deuxième critère, l'antinomie entre les codes
du naturel et du surnaturel du texte, irrésolue dans le fantastique,
est résolue dans le réalisme magique.
Tout comme pour le fantastique, Chanady estime que le
réalisme magique n'est ni à proprement parler un genre, ni un
mouvement caractérisé par des limites spécifiques de nature
historique ou géographique (p.17). Dans sa conception du mode
narratif,

l'auteur d'un récit magico-réaliste [...] présente


implicitement la vision irrationnelle du monde [contenue
89
dans le récit] comme différente de la sienne, en situant
l'histoire dans la réalité actuelle, en utilisant des tournures et
un vocabulaire savants, et en montrant qu'il est au fait du
raisonnement logique et de la connaissance empirique. Le
terme "magique" indique le fait que la perspective
[surnaturelle] présentée explicitement par le texte, n'est pas
acceptée dans la vision "éduquée" du monde, propre à
l'auteur implicite. (p.22)

La co-présence de deux visions antinomiques du monde (l'une


naturelle et l'autre surnaturelle) étant commune au fantastique et
au réalisme magique, les auteurs implicites de ces deux modes
sont dans une position similaire vis-à-vis des événements
irrationnels qu'ils relatent mais auxquels ils ne croient pas. La
distinction est dans la manière dont ces événements sont perçus
par le narrateur : dans le réalisme magique, le surnaturel n'est pas
présenté comme problématique (p.23). Ce point est développé par
la suite sous le concept de "résolution d'antinomie." Tout comme
il existe un pseudo-fantastique dans lequel l'étrange ou le
surnaturel est soudain expliqué (et par conséquent invalidé), il
existe un pseudo-réalisme magique dans lequel les événements
étranges ou surnaturels ne sont pas traités comme des "réalités
objectives, " mais comme des croyances, rêves ou hallucinations
affectant des personnages. Dans ce cas, il n'y a plus la
"juxtaposition de deux codes logiques mutuellement exclusifs,
essentielle au réalisme magique" mais une "hiérarchie de codes"
(p.28-30).
Chanady résume l'introduction de sa thèse de de la façon
suivante :

Le réalisme magique et le fantastique sont caractérisés par


des codes cohérents du naturel et du surnaturel (le degré de
développement respectif de ces codes distingue le réalisme
magique du surréalisme, et le fantastique de l'absurde, où un
90
événement peut survenir de façon inattendue et contredire le
reste du récit). Alors que dans le fantastique, le surnaturel
est perçu comme problématique, puisqu'il est manifestement
antinomique par rapport au cadre rationnel du texte, le
surnaturel dans le réalisme magique est accepté comme
faisant partie de la réalité. Ce qui est antinomique au niveau
sémantique est résolu au niveau de la fiction. La réticence
auctoriale joue un rôle essentiel dans chacun de ces deux
modes, mais elle assume une fonction différente dans les
deux cas. Alors qu'elle crée une atmosphère d'incertitude et
de désorientation dans le fantastique, elle facilite
l'acceptation de l'incongru dans le réalisme magique. Dans
le premier cas, elle rend le mystérieux encore plus
inacceptable, dans l'autre, elle intègre le surnaturel dans le
code du naturel, qui doit redéfinir ses frontières. (p.30)

Ce qui est naturel ou surnaturel varie évidemment d'un lecteur


à l'autre. C'est la voix narrative – plutôt que les informations
fournies dans l'histoire – qui indique au lecteur implicite si un
événement doit être perçu ou non comme surnaturel. La voix
narrative agit par les focalisateurs, dont le narrateur choisit ou non
de se distinguer. Quand le focalisateur place un événement
surnaturel sur le même plan qu'un événement ordinaire, les
niveaux du naturel et du surnaturel sont fondus. Ils ne sont donc
pas perçus comme antinomiques par le lecteur implicite. Cette
résolution de l'antinomie sémantique au niveau de la focalisation
caractérise le réalisme magique (p.36).
Une telle résolution n'est effective que si le narrateur évite de la
miner par une attitude critique, auquel cas le code du surnaturel ne
serait plus cohérent. C'est ce qui se passe par exemple, dans Le
Royaume de ce monde de Carpentier où, de toute évidence, la foi
de Ti Noël dans la magie et la lycanthropie n'est pas partagée par
le narrateur. Dans le réalisme magique, l'attitude de l'auteur
implicite est ambiguë : bien qu'il manifeste une éducation
91
moderne dans l'acte même de l'écriture fictionnelle, la voix
narrative n'est pas fiable, puisqu'elle cautionne le point de vue de
focalisateurs faisant acte de croyances archaïques, primitives ou
superstitieuses : "l'auteur ne fait jamais intrusion pour avancer des
explications rationnelles d'une croyance irrationnelle," bien que
"son style révèle inévitablement son bagage culturel" (p.41). Le
réalisme magique n'existe que là où les événements surnaturels
sont systématiquement traités comme s'ils étaient naturels. Le
manque de fiabilité du narrateur est alors accepté par le lecteur,
dont le rôle consiste à "réconcilier le naturel et le surnaturel en un
code cohérent, qu'il [le surnaturel] soit un fait culturel, ou le fait
d'un individu psychotique ˆ l'imagination maladive" (p.45). Ce
dernier cas peut être illustré par La Métamorphose de Kafka, qui
est, pour Chanady, un exemple patent de réalisme magique,
puisque ce texte fond le naturel et le surnaturel de manière
systématique. L'exemple de Kafka soulève également la question
des proportions entre les aspects naturels et surnaturels dans le
récit magico-réaliste :

C'est cette présence d'un cadre réaliste qui constitue la


différence principale entre le réalisme magique et la pure
fantaisie, telle qu'on la trouve dans les contes de fées.
L'histoire est non seulement située dans le monde normal
contemporain, mais elle contient aussi beaucoup de
descriptions réalistes de l'homme et de la société [...]. Ces
détails réalistes sont essentiels pour le réalisme magique,
mais il est impossible de déterminer la frontière entre
suffisamment et insuffisamment de réalisme. Pour que la
définition d'un mode ou d'un genre littéraire soit utile
comme guide de lecture, elle ne doit être ni trop vague ni
inflexible au point de ne correspondre qu'à un nombre très
limité de récits. Il y aura de nombreux cas où une oeuvre
particulière relèvera soit de plusieurs catégories, soit

92
d'aucune. Dans le cas du réalisme magique, il y a beaucoup
de tels cas limites. (p.46-47)

A partir de plusieurs exemples de textes latino-américains,


Chanady explore divers types de réalisme magique, non pas sur la
base d'une taxinomie thématique, mais selon des critères
narratologiques :

Puisque la perception du code du surnaturel est déterminée


par le focalisateur et communiquée par le narrateur, il est
important d'analyser l'identité du focalisateur et de la voix
narrative. Ce ne sont pas les motifs surnaturels en eux-
mêmes qui distinguent les œuvres magico-réalistes entre
elles, mais la vision cohérente du monde présentée par le
narrateur [...]. L'écriture très poétique, expressionniste et
surréaliste de Hommes de maïs [d'Asturias] est très
différente du type de narration plus précis et plus objectif de
La Métamorphose. Dans ces deux récits, le naturel et le
surnaturel sont présentés de manière différente par le
narrateur, et ils appartiennent aussi à des codes différents de
perception chez le focalisateur, mais ces récits sont tous
deux de bons exemples de réalisme magique. (p.56-57)

Dans sa troisième section, Chanady analyse plus en détail les


deux types différents d'antinomie qui apparaissent respectivement
dans le fantastique et le réalisme magique. Pour ce dernier, elle
souligne plusieurs procédés narratifs qui contribuent à la fusion
nécessaire du surnaturel dans le réel :
– pour présenter le point de vue d'un personnage principal
(dont la subjectivité ne disqualifie pas la fiabilité), "la méthode la
plus effective est de raconter l'histoire en discours indirect libre,
dans lequel le narrateur semble se retirer derrière la parole du
focalisateur" (p.102-103).

93
– "la plupart des narrateurs magico-réalistes situent les deux
codes antinomiques au même niveau de réalité en les décrivant
tout bonnement de la même manière, comme s'il n'y avait aucune
différence dans leur perception [...] Puisque le naturel et le
surnaturel sont inextricablement liés dans le monde fictif, il n'y a
pas de hiérarchie de la réalité" (p.104). Dans ce contexte, Chanady
souligne le fait que, si les récits magico-réalistes peuvent se prêter
à diverses interprétations critiques (thématique, psychanalytique,
symbolique, etc.), c'est le niveau littéral des mots qui détermine la
catégorie du récit.
– un procédé d'authentification du point de vue du protagoniste
(effectif aussi dans le fantastique) consiste à introduire un
narrateur à la troisième personne, mais celui-ci ne peut pas
représenter exclusivement l'objectivité et la raison, qui
invalideraient le surnaturel (p.108).
– "la représentation d'une vision cohérente du monde, dans
laquelle le rationnel et l'irrationnel ne sont pas perçus comme
contradictoire, est quelque peu facilitée si l'auteur crée un code
spécifique identifiable à la weltanschauung caractérisant une
société radicalement différente de la nôtre. Le focalisateur n'est
plus alors un individu particulier, vivant dans un monde gouverné
par la raison, mais toute une culture" (p.111). Dans de tels cas, "le
lecteur n'a pas besoin de se poser la question si le narrateur est
fiable ou non, parce que nos critères de logique et de perception ne
s'appliquent pas dans la société représentée dans le texte. Le rôle
du lecteur est alors de comprendre le fonctionnement d'une
mentalité différente de la nôtre" (p.114), dans laquelle l'antinomie
entre naturel et surnaturel est résolue d'emblée.
Chanady souligne combien le monde de la fiction est similaire
au monde de la magie : l'impossible est possible dans les deux,
mais tous deux sont astreints à des codes de cohérence interne. Le
réalisme magique se trouve être l'un des modes les plus flexibles
de la fiction, où le naturel et le surnaturel peuvent co-exister de
bien des façons, mais où le lecteur doit être prêt à "participer
94
activement dans la création ludique d'une perspective absurde
mais aussi ordonnée" (p.118-20).
La réticence auctoriale,56 troisième critère proposé par
Chanady dans sa définition des modes narratifs fantastique et
magico-réaliste, est commune au deux modes, mais fonctionne de
manière distincte dans chacun d'eux. Ici, on soulignera surtout le
fonctionnement de la réticence auctoriale dans le réalisme
magique :

Dans le mode fantastique, le but principal de la réticence


auctoriale est de singulariser un objet ou un événement afin
d'exciter la curiosité du lecteur et de créer une atmosphère
d'incertitude et de mystère. Dans le réalisme magique, la
réticence auctoriale produit exactement l'effet opposé, en
naturalisant la vision du monde, surnaturelle et étrange,
présentée dans le texte [...]. Dans la plupart des exemples de
réalisme magique, il est impossible d'expliquer le surnaturel,
et aucune tentative en ce sens n'est faite. (p.149-50)

Quand le surnaturel est présenté par le biais de la perspective


du protagoniste, aucune explication n'est offerte par le narrateur,
dont l'acceptation sans critique de l'étrange doit donc être endossée
par le lecteur également. Si le narrateur questionnait la véracité
des vues inhabituelles du protagoniste, l'effet magico-réaliste
serait détruit et le récit tomberait dans la catégorie de l'onirique ou
de l'hallucinatoire :

Ce n'est donc pas seulement le type de focalisation, mais


aussi la réticence auctoriale au regard de la perspective
adoptée, qui caractérise le réalisme magique. Fréquemment,

56
Je traduis littéralement le terme de "réticence" qui se distingue de la
rétention d'information telle qu'elle est pratiquée dans le roman policier,
à des fins de suspense, par exemple.
95
la distinction entre une histoire onirique et magico-réaliste
peut se faire sur la base d'une intrusion de l'auteur. (p.155)

Ce principe est magistralement illustré dans La Métamorphose,


dont l'effet mesmérisant repose entièrement sur la réticence
auctoriale : l'auteur ne vient jamais soulager le lecteur d'une
perspective narrative inacceptable, puisqu'elle se veut à la fois
extérieure (à la troisième personne) et focalisée par Gregor en tant
que cafard, et qu'elle ne se distancie jamais de cette entorse
scandaleuse aux lois naturelles. L'auteur y restreint le point de vue
du narrateur à celui du focalisateur principal. Mais cette technique
n’est pas toujours possible :

Parfois, la vision du monde présentée dans un récit magico-


réaliste est si étrangère au lecteur, que l'auteur doit faire une
brève intrusion afin de lui permettre de la comprendre. Cela
arrive souvent quand la perspective est celle d'une race ou
d'une ethnie différente et peu connue. Dans ces cas, le
narrateur explique seulement ce que les focalisateurs
croient, de sorte que le lecteur puisse intégrer les
événements narrés, dans un code particulier. (p.156-57)

L'intrusion de l'auteur consiste donc en un commentaire


explicatif par le narrateur, qui déborde ainsi de son rôle primordial
de conteur de l'histoire. De telles intrusions sont souvent évitées
par le "truc" consistant à mettre l'explication dans la bouche d'un
personnage de l'histoire. Elles ne doivent pas être confondues avec
un type d'intrusion plus brutal qui invalide le surnaturel en le
restreignant à la vision des personnages, procédé qui s'oppose à
tout effet magico-réaliste.
Deux points, soulevés dans la conclusion générale de Chanady
doivent être mentionnés ici, pour m'avoir incité à proposer la
définition d'un autre mode narratif différent et du fantastique et du

96
réalisme magique. Le premier est celui du manque de fiabilité du
narrateur magico-réaliste :

Manifestement, un narrateur qui adopte le point de vue de


personnages superstitieux ou hallucinés ne peut être
considéré aussi fiable que le narrateur d'une histoire
fantastique traditionnelle, comme "La Vénus d'Isle," qui
croit en la validité exclusive des causes naturelles. Le
narrateur magico-réaliste, lui, n'est pas considéré aussi fiable
dans la présentation de notre vision du monde
conventionnelle, mais il semble donner un portrait exact
d'une mentalité différente. (p.162)

Cet écart dans la perception de la fiabilité du narrateur est sans


doute la différence la plus évidente ressentie à la lecture des
modes fantastique et magico-réaliste. Il est clair que des textes
s'ouvrant sur des affirmations aussi absurdes et péremptoires que
La Métamorphose ou LesVersets sataniques, la résolution de
l'antinomie, gaillardement assurée par le narrateur, pose d'autant
plus lourd sur le lecteur. Cet aspect m'amène au second point que
je désire soulever, celui des "croyances occidentales," que
Chanady aborde ainsi :

[Le narrateur magico-réaliste] révèle son érudition et ses


croyances occidentales, alors même qu'il représente et
accepte un point de vue entièrement différent. Une analyse
des contradictions entre le mode de représentation et le
monde représenté dans le réalisme magique devrait donc
être entreprise. (p.164)

Étant donné que le corpus d’œuvres magico-réalistes auquel se


réfère Chanady est avant tout latino-américain, on comprend ce
souci du conflit culturel entre l'éducation occidentale et un monde
imprégné de valeurs indigènes. Mais si nous prenions cette
97
assertion littéralement, le réalisme magique (du moins tel que
Chanady l'a défini) serait exclu du monde occidental, ce qui n'est
pas le cas. Car si nous n'avons plus guère de traces de hiatus
culturels, comparables à ceux produits par les colonisations en
Amérique latine, il ne manque certes pas de croyances ou de
visions contradictoires du monde, en Europe ou en Amérique du
nord. Et que les réalités empiriques puissent être perçues et
exprimées de toutes sortes de manières et par divers modes
narratifs dans la fiction, semble aussi vrai dans le Vieux Monde
que dans le Nouveau : le réalisme magique ne fait que s'inscrire
dans l'éventail des possibilités comprises entre le réalisme tout
court et l'absurde.

Conclusions : l'apport du réalisme magique chanadien


C'est dans l'imbroglio terminologique, épistémologique et
idéologique, caractérisant la critique latino-américaine autour de la
notion de realismo mágico, que la contribution de l'étude
d'Amaryll Chanady est particulièrement salutaire. La définition du
réalisme magique en tant que mode narratif de la fiction élaborée
par la comparatiste canadienne, présente deux attraits indéniables.
Le premier est celui de la clarté d'un modèle théorique, formulé de
façon simple et positive. Le second découle du premier :
contrairement aux notions attachées précédemment à la même
appellation, cette nouvelle définition, parce que strictement
narratologique, ne préjuge nullement d'un contexte culturel
spécifique, d'une orientation politique du récit, ou de
l'appartenance à un quelconque courant littéraire historique.
Une telle définition théorique du mode ne fournit évidemment
qu'un axe d'analyse textuelle, restreint à l'aspect narratif. Elle ne
prétend pas rendre caduques d'autres approches de l'oeuvre
(thématique, stylistique, sociologique, psycho-critique, etc.). Elle
suffit néanmoins pour distinguer clairement le fonctionnement de
textes comme Le Horla de Maupassant d'une part, et La
Métamorphose de Kafka de l'autre, pour ne prendre que deux
98
exemples d’œuvres volontiers qualifiées de "fantastiques" et
pourtant bien différentes dans leur mécanique énonciative. Ce
n'est qu'une fois le mode narratif reconnu que d'autres lectures
peuvent être entreprises avec fruit.

Dans le cadre de la littérature française, l'apport des deux


concepts modaux chanadiens pourrait sembler modeste, voire
négligeable. Voilà belle lurette que le "genre fantastique" a été
reconnu et analysé sous toutes les coutures par la critique et
d'éminents théoriciens comme Roger Caillois et Tzvetan Todorov.
Quant au "réalisme magique," sa re-définition pourrait sembler
dénuée de pertinence, dans la mesure où l'appellation n'a
pratiquement pas été utilisée à propos de la littérature française.
Pourtant, je me suis attaché à montrer que les textes les plus
caractéristiques et les plus connus de Marcel Aymé – dont la
singularité n'avait jamais été expliquée de manière satisfaisante –
illustrent parfaitement le mode narratif élaboré par Chanady. Cette
constatation invite à réviser le rôle de la littérature française non-
surréaliste dans la discussion autour du réalisme magique.

99
100
Redéfinition d'un réalisme merveilleux distinct
du réalisme magique chanadien

Introduction
A la fin des années 1980, les études d’Irlemar Chiampi et
d’Amaryll Chanady constituaient les tentatives les plus abouties
de théorisation autour des notions de "réalisme merveilleux" et de
"réalisme magique," respectivement. Elles me semblent encore in-
surpassées. Malheureusement, ces deux propositions ne sont guère
conciliables.
Chanady a reconnu le revers de la médaille que constitue un
instrument aussi précis que celui qu'elle a élaboré : son modèle ne
convient pas à bon nombre de textes latino-américains associés
communément à l'appellation de "réalisme magique," selon des
critères plus vagues. Ainsi exclut-il clairement les romans d'Alejo
Carpentier, y compris celui par lequel il avait voulu illustrer sa
théorie du "réel merveilleux": Le Royaume de ce monde. Car si les
thèmes surnaturels (comme celui de la lycanthropie) abondent
dans ce récit (qui, par ailleurs, se veut non seulement réaliste mais
aussi historique), une lecture attentive montre que l'antinomie
entre les codes réaliste et surnaturel n'y est pas résolue par le
narrateur (celui-ci affichant un recul critique évident vis-à-vis des
manifestations de la superstition populaire des haïtiens). Peut-être
faut-il se féliciter que les romans de Carpentier n'entrent pas en
règle générale dans la conception chanadienne du réalisme
magique, puisque l'auteur cubain tenait de toute manière à se
distinguer de ce label.57

57
Certains persistent à ignorer ce fait, comme Carlos Fuentes qui qualifie
Alejo Carpentier "d'inventeur du réalisme magique" dans Le sourire
d'Erasme : épopée, utopie et mythe dans le roman hispano-américain
(trad. par Eve-Marie et Claude Fell, Gallimard, Paris, 1992, p.149). Il ne
s'agit pas d'une imprécision de la traduction. Le texte original dit bien:
"Alejo Carpentier – el inventor del "realismo mágico" (Carlos Fuentes,
Valiente mundo nuevo, Mondadori, Madrid, 1990, p.127).
101
Il aurait peut-être accepté celui du réal-isme merveilleux tel
que Chiampi l’a défini pour rendre compte à la fois de l’œuvre du
Cubain, justement, et des autres grands romans du boom latino-
américain. Car en se basant sur un tel corpus, Chiampi définit un
mode narratif caractérisé surtout par une exhubérance américaniste
pouvant aller jusqu'à l’inclusion non-problématique du surnaturel
dans un discours prétendant également au réalisme. Le modèle de
Chiampi peut donc admettre le type de discours mi-sérieux mi-
fantaisiste qui est au cœur du mode de Chanady – mais seulement
s’il est hispano-américain : Kafka en est exclu, puisqu’il ne
célèbre pas le réel (latino) américain. Or on peut constater que la
tendance générale de la critique latino-américaine depuis la fin des
années 1980 est d’utiliser (de manière non-explicite) le label de
Chanady pour se référer à ce que Chiampi a défini sous le sien. 58
Bref, la confusion persiste.
Le manifeste du réalisme merveilleux des haïtiens, proposé par
Alexis, n'est pas compatible non plus avec le modèle chanadien, à
cause surtout des restrictions imposées à l'imaginaire, par le
second et le quatrième points59 d’une définition affiliée au
réalisme socialiste : ils excluent toute confusion, dans la narration,
entre le surnaturel (qu'il soit rêve absurde, superstition, croyance
religieuse, ou mysticisme) et une représentation réaliste du
contexte social de l'action. Or une telle fusion est essentielle au
mode chanadien dont le second critère ("résolution de
l'antinomie") consiste justement à ignorer toute différence de
statut entre événements naturels et surnaturels (que ces derniers
fassent partie d'une tradition mystique ou qu'ils soient une

58
Cette constatation est sans doute l’une des raisons qui a conduit
Chanady, par la suite, à renier son modèle purement théorique, estimant
que le même mode narratif magico-réaliste ne saurait caractériser une
œuvre européenne et une œuvre latino-américaine.
59
On a vu qu’elle veut "chanter les beautés de la patrie haïtienne pour
atteindre à la vérité profonde de la vie"; "rejeter l'art sans contenu réel et
social"; "rechercher les vocables expressifs de son peuple" et "toucher,
de cultiver plus profondément et d'entraîner le peuple dans ses luttes."
102
invention ludique de l'auteur). Cette comparaison, même
sommaire, devrait suffire à convaincre de l'impossibilité
d'amalgamer ces deux théories.
Le modèle magico-réaliste chanadien a pour premier avantage
de se situer dans une perspective générale et comparatiste : il
s’agit d’un mode narratif caractérisé par des traits formels, non
liés à des thèmes ou des référents culturels spécifiques. Tout
comme l’on trouve des fictions relevant du réalisme, du
fantastique ou du féerique en Amérique (latine ou autre) et en
Europe (et ailleurs), l’on y trouve des textes correspondant au
réalisme magique redéfini par Chanady. Le second avantage de ce
modèle – à l’inverse justement du réalisme merveilleux de
Chiampi – est de ne pas mettre la plupart des grandes œuvres du
boom latino-américain dans le même panier : quoique ces deux
romans puissent avoir en commun sur le plan d’une thématique ou
d’une idéologie américanistes, le mode narratif de Cent ans de
solitude est assez différent de celui du Siècle des lumières. Bref,
comme on le verra plus concrètement, par exemple, dans la partie
consacrée à la poétique de certains romans antillais, il est possible
de recueillir les aspects essentiels communs des réalismes
merveilleux proposés par Alexis et Chiampi, pour formuler une
définition nouvelle d’un mode narratif qui donnerait à cette
appellation un potentiel élargi, en l’affranchissant justement de
traits distinctifs qui l’enferment dans une esthétique américaniste
(ou haïtienne).
Car l’exaltation d’un pays, n’est pas limité à la littérature
américaniste – qu’elle soit hispano-américaine et/ou antillaise,
qu’il s’agisse de Carpentier, d’Asturias, de García Márquez ou
d’Alexis. Plutôt qu'un style, qu'une idéologie ou qu'une esthétique,
les œuvres en question partagent, d'une part, une motivation
narrative fortement ancrée dans l'attachement à un lieu et ou dans
l’engagement pour une cause ; de l'autre, une écriture vibrante
d'émotion, plus proche du registre poétique que de l'objectivité
d'une narration romanesque réaliste moderne. La réunion de ces
103
deux aspects constitue, à mes yeux, la base d'un mode narratif
typique d'une bonne partie de la fiction antillaise (et hispano-
américaine également).60 Partant de ces constatations, il me semble
opportun de formuler une définition à la fois rigoureuse et souple
de ce mode pour lequel l'appellation de "réalisme merveilleux"
s'impose par une justesse oxymorique déjà reconnue dans les
travaux de Jacques Stephen Alexis et d’Irlemar Chiampi.
Cette redéfinition du réalisme merveilleux s'inscrit dans une
démarche parallèle à celle ayant abouti au mode narratif magico-
réaliste de Chanady, c'est-à-dire dans un contexte théorique
narratologique. La notion d'un mode réaliste-merveilleux sera
donc elle aussi extraite de tout contexte thématique ou culturel
spécifique. Il s’agit d’une poétisation de la fiction portée par une
dynamique sentimentale et/ou idéologique. Défini en tant que
mode narratif, un tel "réalisme merveilleux" n'est pas plus limité
aux littératures "exotiques" (vues d’Europe occidentale,
notamment) que le "réalisme magique" défini par Chanady.
Catégorie située entre le style (qui reste, en règle générale, la
signature d'un auteur) et la thématique (dont la liste des
composantes est infinie), la notion de mode permet d'approcher un
récit sous son angle spécifiquement narratif, c'est-à-dire le plus
immédiatement pertinent, puisque la narration définit le récit de
fiction en tant que tel, par opposition aux autres modes littéraires
que sont les modes poétique et dramatique. Il convient de préciser
que la catégorie modale dont il est question ici, se situe dans la
mouvance du courant de narratologie modale ou formelle (cf.
Nouveau Discours du récit de Gérard Genette), par opposition à
d'autres acceptions du "mode," courantes dans la narratologie
contemporaine.61

60
Elle me semble caractériser également les œuvres du grand auteur
brésilien Jorge Amado que j'ai pu lire. D'autre part, on devrait entrevoir
qu'une telle conception du mode narratif réaliste-merveilleux peut
accueillir assez facilement des aspects du "réel merveilleux" et du
"baroquisme" chers à Carpentier.
104
Définition du mode narratif réaliste-merveilleux62
Le mode narratif réaliste-merveilleux que je propose est
constitué des trois critères textuels, ou traits pertinents, suivants :
1) la co-présence dans le récit d'un code réaliste et d'un code du
mystère ;
2) la fusion de ces codes antinomiques dans le discours
narratif ;
3) l'infiltration du discours narratif par l'exaltation d'une voix
auctoriale.

61
Dans son Nouveau Discours du récit (Seuil, 1983), Genette
reconnaissait les inconvénients du double usage du terme "mode" qu'il
faisait dans Figures III et dans Introduction à l'architexte (Seuil, 1972 et
1979). En fait, il y avait déjà deux acceptions du terme dans Fig. III. La
première y opposait le mode narratif au mode dramatique dans la
littérature. A un niveau moins général, dans le chapitre intitulé "Mode,"
le terme référait aux "divers procédés de régulation de l'information
narrative" adoptés par le texte et baptisés "codes de focalisations." Ces
questions de focalisation jouent un rôle certain dans les définitions des
modes narratifs présentés ici : des critères comme la "résolution
d'antinomie par la narration" et la "réticence (ou l'exaltation) auctoriale"
s'articulent largement autour de jeux de focalisation. Mais ces critères
font intervenir aussi la question de la "voix" que Genette traitait dans un
chapitre de Fig. III distinct du mode qui introduisait les notions de
narration "homo-, hétéro- ou autodiégétique." En fait, c'est l'association
du mode et de la voix (appelée "situations narratives" dans NDR) qui
fonde en grande partie le mode narratif tel qu'il est conçu dans la présente
étude.
62
Cette formulation a connu deux variations antérieures. Dans ma thèse
de PhD (University of Texas, 1991), j'avais proposé la formulation
suivante du premier critère : "the first criterion is the presence of a single
code of nature's mystery, as opposed to the distinctly double code of
magical realism." Cette formulation a été transformée dans ma thèse de
doctorat (Paris III, 1994) afin de conserver, au stade du premier critère, le
code du "mystère de la nature" parallèlement à celui du réalisme, plutôt
que de les fondre d'emblée. Dans mon étude "Le réalisme merveilleux
dans Que ma joie demeure de Jean Giono et dans Le Hameau de William
Faulkner" (mémoire d’HDR, Paris III, 2001), j'ai éliminé la restriction du
code du "mystère" à celui de la nature.
105
Chanady avait proposé une définition du réalisme magique en
s'appuyant sur une redéfinition du fantastique en tant que mode
narratif plutôt que "genre littéraire." Je propose ici de préciser ma
définition du réalisme merveilleux par rapport au réalisme
magique chanadien, en comparant terme-à-terme les trois critères
constitutifs de chacun de ces modes.

1. Deux codes antinomiques


Le "code" est la manière dont le discours narratif structure les
données de l’histoire, leur octroyant un un type de cohérence (en
l'occurrence, réaliste et surnaturelle). Le(s) code(s) d'un texte
détermine(nt) le mode du récit. Si des modes narratifs
(improprement appelés "genres") comme le policier, le
fantastique, le féerique et la science-fiction sont devenus
conventionnels, c'est parce que les textes qui les illustrent
affichent leur(s) code(s), reconnaissable(s) par le lecteur. On sait
que pour les éditeurs, la constitution de collections spécialisées
selon le "genre" repose sur la définition de codes textuels parfois
très précis (et contraignants pour les auteurs sous contrat). La
notion de code – qui s'inscrit dans le cadre élargi d'une sémiotique
littéraire – n'est donc pas une pure élucubration théoricienne.
Il va sans dire que la production littéraire abonde en tentatives
(conscientes ou non) de brouillage de code et que bien des œuvres
résistent obstinément à tout classement en modes (et/ou en genres)
reconnus. D'aucuns estiment que seules de telles œuvres
innovatrices font vraiment preuve de littérarité. 63 L'intérêt
particulier des modes narratifs présentés ici, est de décrire le
fonctionnement de textes "frontières" dans lesquels un code
réaliste s'articule, paradoxalement, avec un code de l'imaginaire.

63
C'est le fondement même de la notion de "texte scriptible" du Roland
Barthes de S/Z.
106
a. Le code réaliste
Dans la littérature moderne occidentale, la logique du texte est
fondée, généralement, sur le rationalisme caractérisant notre
culture. Posons, par simplification commode, que le mode
conventionnel dit "réaliste" constitue un "degré zéro" de la prose
fictionnelle, constitué d’un seul code : celui régi par la notion de
vraisemblance – puisque "l'énoncé de fiction n'est ni vrai ni faux,
mais seulement, aurait dit Aristote, 'possible'."64
On a beaucoup souligné, dans l'analyse de la fiction réaliste,
l'importance des descriptions et des "effets de réel" ponctuels qui
interrompent le récit de l'action et lui confèrent des points
d'ancrage mimétiques, dont la valeur référentielle serait gage de
vraisemblance et donc de "vérité" fictionnelle. Mais on trouve
dans un ouvrage narratologique récent, une thèse qui conforte
mieux la notion de "code narratif réaliste" discutée ici. Selon
Michael Riffaterre, "la vraisemblance se trouve dans la
consécution plutôt que dans la mimésis imposée sur celle-ci," et
serait donc "un cas spécial de la motivation." 65 La "dérivation
grammaticale des réalisations possibles du modèle narratif" dont
parle Riffaterre me paraît assez proche de ce que j'appelle, avec
Chanady, un "code sous-tendant un mode narratif."
Indépendamment de la construction, dans le récit réaliste, d'un
cadre diégétique vraisemblable (par mimétisme, donc, du monde
réel), c'est évidemment l'action évoquée dans un tel cadre qui doit
répondre à des critères de causalité acceptables, c'est-à-dire se
développer selon une "grammaire motivationnelle" cohérente. Que
64
Genette, Fiction et diction, p.19.
65
Fictional Truth, (FT), Baltimore, The John Hopkins University Press,
1990, p.2 (c'est moi qui traduis). Riffaterre souligne que la vraisemblance
étant un "artefact" ("une représentation verbale de la réalité"), elle relève
donc elle-même de la fiction (p.XV). Le but fondamental de son ouvrage
est de montrer comment "la fiction souligne le caractère fictif d'une
histoire en même temps qu'elle en affirme la vérité" (p.XV). Plus
particulièrement, Riffaterre soutient que "la vérité narrative naît de la
tautologie. [...] Car tout ce qu'il importe [au lecteur] de vérifier, c'est que
le texte est dérivé grammaticalement, c'est-à-dire dans les limites des
réalisations possibles du modèle narratif" (p.7).
107
la correction (ou la lisibilité) d'une telle grammaire narrative soit
plus soumise à une cohésion interne formelle qu'à son adhésion
référentielle au monde extra-textuel, paraît indiscutable : en
linguistique, la lisibilité grammaticale et syntaxique d'une phrase
n'implique pas non plus sa cohérence sémantique. C'est
évidemment ce hiatus entre syntaxe et signification, que les
surréalistes ont exploité avec brio et alacrité dans leur activité
langagière, au niveau de la phrase comme à celui du texte (avec,
pour conséquence, l'hésitation qu'on éprouve parfois à qualifier
ces textes de "récit" ou de "roman").

b. Code du surnaturel contre code du mystère


Dans les modes magico-réaliste et réaliste-merveilleux, le code
réaliste s'oppose à un code non-réaliste (respectivement, surnaturel
et mystérieux). Il ne s'agit nullement ici de définir ce dernier en
proposant un catalogue thématique. Car selon les textes ou les
auteurs concernés par ces modes, le surnaturel ou le mystérieux se
traduit en phénomènes diégétiques pouvant aussi apparaître dans
d'autres modes : personnages fabuleux ou mythiques, doués de
capacités surnaturelles ou absurdes, faits inexpliqués, proches de
croyances et superstitions désuètes (pour nous autres, modernes
occidentaux), tapis volants, plantes et animaux parlants, etc.
L'important est de constater que ces éléments s'inscrivent, pour
chaque œuvre concernée, dans une logique narrative tout aussi
rigoureuse que le code réaliste parallèle, décrit précédemment. En
d'autres termes, ni le surnaturel ni le mystérieux, dans ces modes,
ne relève de l'intrusion sporadique ou du discours d'un
personnage, dont le narrateur se distancierait. Comme dans le
mode fantastique, les codes réaliste et surnaturel / mystérieux des
modes considérés ici forment un amalgame déconcertant.
Dans un tel cadre, la notion de code surnaturel gagne, plus
encore que celle de code réaliste, à être considérée dans l'optique
de la thèse riffaterrienne, déjà présentée et selon laquelle "quoi
que la mimésis reflète, cela sera transformé par l'effet de
sémiotique cumulative" (p.13). Car lorsque la référence mimétique
réaliste fait défaut (comme c'est le cas évidemment, pour ce qui
108
relève du surnaturel), l'importance de la "grammaire" narrative est
renforcée : seule la formalité du code non-référentiel (surnaturel)
peut assurer l'élaboration par le texte d'une (éventuelle) vérité
symbolique. Pour revenir à l'exemple de La Métamorphose de
Kafka, pris individuellement, certains épisodes – comme le constat
initial par le narrateur de la métamorphose de Grégor en cancrelat
– sont tout bonnement absurdes. C'est de leur consécution et accu-
mulation que se dégage un sens (peu évident en l'occurrence, à en
juger par la masse de tentatives d'interprétation dédiées à cette
œuvre).
Si le code réaliste est commun aux deux modes présentés ici, il
n'en va pas de même pour le code non-réaliste, puisque, dans ma
définition du mode réaliste-merveilleux, je lui oppose le code "du
mystère" plutôt que celui du "surnaturel," comme c'est le cas dans
le mode magico-réaliste chanadien. Cette précision implique une
différence qui devrait être immédiatement apparente dans les
textes étudiés ultérieurement pour illustrer, respectivement, le
réalisme magique chez Marcel Aymé et le réalisme merveilleux
chez Jean Giono : il y a tout un monde entre le surnaturel, par
exemple, du Passe Muraille et le mystère de Regain. Ici, un
absurde humoristique dans un contexte urbain parisien ; là, le
lyrisme un peu inquiétant d'une campagne à moitié sauvage. Il
importe de signaler que cette différence de qualité, entre le
surnaturel et le mystérieux, ne suffit pas à distinguer les deux
modes en question. Une poétique du réalisme magique (ou
merveilleux) basée sur la seule thématique du mystère, illustrée
dans les œuvres, s'enlise très rapidement dans l'abstraction
généralisée. Dans l'approche choisie ici, le type de surnaturel ou
de mystérieux présent dans le texte permet éventuellement de
préciser ou de caractériser son mode narratif, mais il ne le
détermine pas.
C'est le troisième critère qui permet avant tout de distinguer les
modes magico-réaliste et réaliste-merveilleux : l'exaltation face à
la réticence auctoriale. Mais le second critère définissant ces
modes fait aussi apparaître une différence notable : de la simple

109
résolution de l'antinomie entre les codes du réalisme magique, on
passe à sa fusion dans la narration réaliste-merveilleuse.

2. Résolution contre fusion narrative


des codes antinomiques
La distinction essentielle faite par Chanady entre les modes
fantastique et magico-réaliste tient au deuxième critère : résolution
contre non-résolution de l'antinomie entre les codes du réalisme et
du surnaturel. Dans les modes magico-réaliste et réaliste-
merveilleux, ces deux codes s'opposent également. En revanche,
les traitements de cette antinomie par la narration s'y apparentent
bien plus que ce n'est le cas pour le réalisme magique et le
fantastique. Dans ce dernier, la tâche principale du narrateur
consiste à maintenir entière l'antinomie entre les codes, puisque
c'est de cette tension que naît l'effet d'hésitation désiré chez le
lecteur. Le narrateur de récits fantastiques ne propose aucune
explication susceptible de tempérer l'irruption surnaturelle dans un
cadre diégétique globalement réaliste. Et c'est parce qu'il se
cantonne dans une position apparemment objective, que ce
narrateur est ressenti comme fiable par le lecteur (ou du moins
qu'il devrait être ressenti comme tel).

a. L'antinomie résolue par la narration


Contrairement au narrateur fantastique, le narrateur magico-
réaliste est perçu d'emblée comme hautement fantaisiste car il
affecte d'ignorer qu'il y a antinomie radicale entre les codes
réaliste et surnaturel du texte. Un récit qui commencerait de la
manière suivante :

Au petit matin du 21 juin 1992, les balayeurs du Champ de


Mars constatèrent – avec quelque surprise mais, Allah est
grand, sans l'émoi volontiers excessif d'un patriotisme
viscéral – que la Tour Eiffel s'était rapprochée d'une bonne
vingtaine de mètres de la Seine...

110
confronte le lecteur sagace à une incongruité difficilement
acceptable sur le plan phénoménologique, malgré les divers effets
de réel (sous formes d'éléments culturels attestés) contenus dans le
passage. Ainsi alerté, ce lecteur se méfiera de la suite du récit.
Face à la candeur d'un narrateur qui lui fait porter le poids d'une
proposition aussi absurde, la résistance du lecteur sera sans doute
inversement proportionnelle à son degré d'éducation et à son sens
de l'humour.
Car l'absurdité n'est pas tant dans le fait invraisemblable
rapporté, que dans le mode de ce rapport qui, manifestement, ne
fait pas la part des choses (c'est-à-dire qu'il ne choisit pas
clairement entre un code réaliste et un code fantaisiste). Le texte
magico-réaliste pose un narrateur fantasque. En résolvant une
antinomie criante par l'esquive, il la fait endosser au lecteur. Celui-
ci fait alors face à une autre énigme : que penser d'un narrateur qui
le met face à une résolution d'antinomie aussi incongrue ? Ainsi, la
question de l'antinomie dans le réalisme magique est déplacée sur
l'axe de communication : résolue par le narrateur, elle l'est d'autant
moins pour le lecteur.
Chanady souligne que le principe essentiel consiste, pour la
narration magico-réaliste, à éviter toute hiérarchisation des deux
codes. Le surnaturel est donc présenté de manière aussi factuelle
que le réalisme, que ce soit dans le discours direct des personnages
ou dans celui du narrateur. Le recours fréquent au discours
indirect libre permet d'ailleurs à ce dernier de se retrancher
commodément derrière une focalisation par les personnages. Un
tel usage est illustré dans l'incipit proposé plus haut, où la
constatation du déplacement de la Tour Eiffel est faite par les
balayeurs mais rapportée par le narrateur, l'exclamation "Allah est
grand" s'élevant, elle, dans l'indétermination de sa source, c'est-à-
dire dans une espèce de no-man's land narratif, de neutralité
douteuse.
La double ambiguïté potentielle du discours indirect libre,
"instrument favori du roman moderne,"66 est bien connue :

66
G. Genette, NDR, p.35-37.
111
discours et pensées du personnage et du narrateur peuvent s'y
mêler allègrement. Genette souligne aussi, avec raison, qu'une
telle fusion narrative n'exprime pas nécessairement l'empathie
entre narrateur et personnage. En fait, cet aspect est au cœur de la
distinction entre les modes étudiés ici. Si le réalisme magique peut
fort bien se passer d'empathie (il s'accommode d'ailleurs volontiers
de l'ironie, comme on aura l'occasion de s'en rendre compte chez
Marcel Aymé), il n'en va pas de même avec le réalisme
merveilleux, dont l'exaltation auctoriale implique précisément une
empathie généralisée entre narrateur et héros (laquelle n'exclut pas
nécessairement l'ironie vis-à-vis des opposants de ce héros).
L'importance du discours indirect libre dans la composition des
modes narratifs décrits ici m'induit à suivre l'opinion de Genette
qui compte le discours indirect libre parmi les traits narratifs plutôt
que parmi les faits de style. 67 Mais on verra à l'occasion de
l'analyse du réalisme merveilleux dans les textes, que le style est
inséparable de ce mode, caractérisé par la fusion narrative des
codes antinomiques.

b. L'antinomie fondue dans la narration


Si le cadre et les événements décrits dans le réalisme
merveilleux sont naturels, ils sont présentés dans une langue qui
les rend mystérieux. Le code surnaturel du réalisme merveilleux se
trouve avant tout dans les particularités de l'expression
linguistique – donc dans le style. Mais ce style créateur de mystère
n'est pas un simple fait esthétique plaqué sur le récit. Il fait partie
intégrante, ici, d'un mode narratif où il n'est pas possible de faire
la part du discours des personnages et de celui du narrateur, tant la
narration passe sans effort (et sans changement de ton) d'un type
de focalisation à un autre. C'est en grande partie le jeu sur les
focalisations et le discours indirect qui fond la réalité perçue (c'est-
à-dire imaginée, évidemment) et le mystère de l'expression, dans
un discours extraordinairement poétique à tous les niveaux de la
narration. Une telle fusion – à la fois des codes et des hiérarchies

67
Fiction et diction, p.89.
112
narratives – peut se trouver aux antipodes de la simple résolution
de l'antinomie propre au mode magico-réaliste, notamment quand
ce dernier s'accommode d'une distanciation ironique entre discours
du narrateur et discours du personnage.
Il y a entre la résolution de l'antinomie dans le réalisme
magique et la fusion de celle-ci dans le réalisme merveilleux, une
différence notable de degré d'imbrication des codes réaliste et
surnaturel. Dans le premier cas, les éléments surnaturels forment
une trame cohérente et intégrée de la narration, mais cette trame
est clairement isolable de son environnement réaliste dans le
discours du récit, en dépit des efforts d'un narrateur imperturbable,
voire pince-sans-rire, vers un traitement discursif égal des deux
codes. Dans le second, réalisme et mystère forment un tissu in-
défaisable : le discours narratif articule un récit dont le fil même
est double, composé du code réaliste renforcé (ou phagocyté : cela
reste à voir pour chaque cas) par le code, générateur de mystère,
d'une langue poétique. A la construction clairement bipartite de
l'un, s'oppose la texture intégrée de l'autre.

3. Réticence contre exaltation auctoriale


Pour chacun des deux modes étudiés ici, le deuxième critère est
lié directement à une attitude particulière de l'auteur se profilant
derrière le narrateur. C'est ce rôle, caractérisé dans un cas par son
absence remarquée et dans l'autre par sa présence envahissante
dans le texte, qui est entendu par les concepts respectifs de
"réticence" et "d'exaltation" auctoriales, définissant le troisième
critère. Les textes qui illustrent les deux modes ne se contentent
pas du rôle généralement discret, dévolu au narrateur "objectif"
d'une fiction réaliste moderne. Ainsi, la résolution narrative de
l'antinomie du réalisme magique ne peut se faire que grâce à une
complaisance troublante de l'auteur, qui attire immanquablement
l'attention du lecteur. Quant à la fusion narrative des codes du
réalisme merveilleux, elle s'opère par le truchement d'une voix
auctoriale dont la puissance et l'idiosyncrasie manifestes vont bien
au-delà de ce que requiert la stricte narration d'un récit. Ce sont
ces deux formes – radicalement différentes mais qui constituent en
113
fait, dans les deux cas, une intrusion de l'auteur – qui distinguent
le plus nettement le réalisme magique du réalisme merveilleux.

a. La réticence auctoriale magico-réaliste


Dans la définition du mode magico-réaliste proposée par
Chanady, la réticence auctoriale consiste à ignorer l'éventuel
désarroi d'un lecteur aux prises avec une narration problématique,
puisque le narrateur traite de manière résolument égale deux codes
traditionnellement distincts. Alors que le lecteur s'attend à un
signe lui permettant de hiérarchiser les événements décrits (c'est-à-
dire d'inféoder le code réaliste au code surnaturel ou vice-versa),
afin de pouvoir se retrouver enfin dans un mode plus familier
(celui du réalisme ou du féerique), aucune autorité supra-narrative
ne se manifeste dans le texte pour corriger un narrateur dont la
fiabilité est nulle. Bref, l'auteur ne s'émeut pas du statut déplorable
de ce narrateur et laisse le lecteur mariner dans l'ambiguïté. C'est
ce refus d'une distanciation critique d'un narrateur non-crédible,
qui constitue la réticence auctoriale caractéristique du mode
magico-réaliste. Ainsi, dans l'incipit du conte esquissé plus haut,
aucune voix auctoriale n'intervient pour relativiser l'absurde
affirmation du narrateur selon laquelle la Tour Eiffel se serait
rapprochée de la Seine d'une bonne vingtaine de mètres au cours
d'une nuit. Pour que le récit entier s'inscrive dans le mode magico-
réaliste, une telle réticence doit être maintenue jusqu'au bout.
Cette réticence auctoriale choque. Certes, la fiction littéraire
repose sur le fameux pacte de suspension d'incrédulité : tout est
permis, théoriquement, dans l'affabulation. Mais cet accord de
base a été limité par les conventions particulières des différents
genres et/ou modes. Dans ce contexte, le développement du roman
dit réaliste, articulé principalement autour de la question de la
vraisemblance, est dans le fond paradoxal. La part du narrateur
omniscient, qui affiche le plus manifestement la fonction
auctoriale dans sa créativité imaginaire, a été grandement réduite,
mais le choix d'une narration par focalisation interne demeure
admis. Un tel choix constitue encore un signe "rhématique"
(affectant la forme) évident de la fictionalité d'un texte.
114
La difficulté de déchiffrement du réalisme magique tient au fait
que ce mode est doublement fictionnel. Comme son nom le
suggère, il tombe entre deux modes conventionnels qui semblent
s'exclure. Son code réaliste le rattache évidemment au mode de ce
nom, alors que son code surnaturel le situe ailleurs, dans
l'imaginaire (au sens fort du terme, de non-réaliste). Le mode
magico-réaliste est donc fictionnel par le critère thématique
(l'invention) de toute fiction – même réaliste – mais aussi par les
aspects invraisemblables, articulés dans son code du surnaturel.
Dans le réalisme magique, ce qui peut angoisser le lecteur (ou
du moins le déconcerter : l'étrange étant parfois désamorcé par
l'humour), c'est que le traitement du surnaturel par un narrateur
non-fiable remet en cause aussi la fiabilité de l'auteur, dont la
réticence est troublante. Un tel recours à la dernière instance de la
hiérarchie sémiotique dans le phénomène littéraire est assez
logique. Il donne aux auteurs de textes magico-réalistes un statut
comparable à celui de leurs homologues surréalistes : pour
beaucoup de lecteurs, mais pas tous, ce sont de grands enfants ou
de doux rêveurs.68

b. L'exaltation auctoriale réaliste-merveilleuse

Dans le texte réaliste-merveilleux, le discours du narrateur, loin


d'être objectif et impartial, colore constamment l'histoire. Celle-ci
est l'objet d'une vision exaltée, traduite en un langage d'une poésie
tendant au lyrisme. Une espèce de grille expressive est appliquée
au récit qui fait l'objet d'une récupération permanente au profit
d'une force qui peut, dans certains textes, largement primer sur
l’histoire. Cette force ne peut être qu'auctoriale : narration de
l'action et description du cadre diégétique se font au profit d'une

68
Ainsi, Les Versets Sataniques de Salman Rusdie ont été pris très au
sérieux par certains. Dans cet extraordinaire roman magico-réaliste, la
"réticence auctoriale" est pourtant explicitée à maintes reprises, tout
comme, d'ailleurs le caractère onirique et délirant d'une grande partie de
l'affabulation. Mais il y a de par le monde des formes de réticence
lectorale autrement fatales.
115
exaltation subjective de l'auteur (implicite ou non). On est aux
antipodes d'un "degré zéro" de l'écriture ; le texte est assimilable,
en fait, à une sorte d'intrusion permanente de l'auteur. Voilà ce que
j'entends en définissant le troisième critère du mode réaliste-
merveilleux comme l'infiltration du discours narratif par
l'exaltation d'une voix auctoriale.
L'intrusion auctoriale, même constante dans un texte, ne
produit pas nécessairement le mode réaliste-merveilleux. Ainsi,
dans Figures III, Genette conclut que A la Recherche du temps
perdu, monument s'il en est d'intrusion d'auteur, se caractérise par
la "prolifération du discours auctorial, […] terme qui indique à la
fois la présence de l'auteur (réel ou fictif) et l'autorité souveraine
de cette présence dans son œuvre."
Dans le réalisme merveilleux, la prolifération auctoriale
s'exprime de manière très différente, dans la mesure où son effet le
plus manifeste est la fusion narrative présentée comme le
deuxième critère du mode. Voix des personnages et voix du
narrateur sont comme emportées dans l'exaltation d'un même
souffle auctorial. Chez Proust, l'activité du narrateur est
éminemment auctoriale, mais loin de se fondre avec le discours
des personnages, elle consiste surtout à les dénigrer : "un Swann,
un Saint-Loup, un Charlus, malgré leur intelligence, sont des
objets d'observation, non des organes de vérité" (Fig. III, p.264).
Dans l'infiltration auctoriale réaliste-merveilleuse, l'aspect
essentiel est celui que je qualifie d'exaltation. Ce terme seul
devrait exclure toute confusion avec un discours auctorial de type
proustien (si tant est qu'on puisse en faire un type), dont le rapport
critique avec le récit est bien plus proche, en fait, d'une réticence.
Cette exaltation (que je préfère ne pas préciser davantage sur le
plan théorique, afin de ne pas encombrer ou limiter inutilement
mon modèle) traverse donc tous les niveaux du texte, depuis le
discours des personnages jusqu'à l'aspect auctorial de celui du
narrateur. Dans les niveaux discursifs de la narration ainsi
télescopés, l'exaltation auctoriale du mode réaliste-merveilleux est
l'aspect dynamique sous-tendant une écriture caractérisée par une

116
forte motivation (Weltanschauung ou idéologie) et par une fusion
narrative poétique du code réaliste et du code mystérieux.
Ce troisième critère distingue le mode réaliste-merveilleux à la
fois du fantastique et du réalisme magique, caractérisés eux,
comme on l'a vu, par une "réticence auctoriale" qui se traduit
avant tout en distanciation de la narration, l'auteur ayant soin de ne
pas se commettre avec le narrateur, qu'il soit fiable, comme dans
le fantastique, ou non, comme dans le réalisme magique.

Conclusions

Au terme de cette présentation conjointe des trois critères


définissant respectivement le réalisme magique et le réalisme
merveilleux, j'espère avoir montré en quoi ces deux modes
narratifs se ressemblent et en quoi ils se distinguent. Tous deux
comportent un code non-réaliste (d'un surnaturel volontiers
absurde dans le réalisme magique, et proche d'une vision
mystérieuse dans le réalisme merveilleux) et se situent par
conséquent dans le champ de la fiction de l'imaginaire, tout en
conservant un code dans le réalisme. En cela, ils s'apparentent au
fantastique mais se distinguent du féerique, de la science-fiction et
du surréalisme, caractérisés tous trois par des codes uniques (et
qui restent à définir peut-être en tant que modes narratifs).
Au-delà de ce premier critère de composition duale, les deux
modes se distinguent entre eux, comme aussi du fantastique, par la
façon dont le discours narratif traite les codes antinomiques du
réalisme et du surnaturel. Pour ce deuxième critère, la narration
magico-réaliste se contente de résoudre l'antinomie en prétendant
qu'elle n'existe pas : les éléments du code surnaturel sont traités
avec le même sérieux (ou, le cas échéant, avec la même
nonchalance ou ironie) que les aspects réalistes du récit. En
esquivant ainsi le problème, la résolution de l'antinomie demeure à
la charge du lecteur, d'autant plus que le narrateur non-fiable n'est
pas désavoué par l'auteur : aucun jugement auctorial ne transpire
dans le texte (du moins au sujet de cette troublante résolution
d'antinomie). Le troisième critère du réalisme magique est donc
117
intimement lié au second : la réticence auctoriale souligne la
résolution d'antinomie par le narrateur.
Face à cette résolution d'antinomie, le deuxième critère du
réalisme merveilleux est constitué, lui, d'une véritable fusion des
codes antinomiques : les éléments réalistes (de la nature, en
particulier) sont décrits d'une manière poétique qui souligne leur
aspect intrinsèquement mystérieux. Cette fusion entre le réel et le
mystère ne s'accomplit pas seulement dans un style tendant au
lyrisme, mais aussi dans une évidente collusion d'opinion et/ou de
sensibilité entre personnages et narrateur. Ce dernier ne se
contente nullement de raconter une histoire, mais crée un univers
fictif dont la forte cohésion est due à la ferveur d'une vision
émerveillée plutôt qu'à un souci d'objectivité réaliste. La fusion
narrative est le produit du troisième critère que forme l'exaltation
d'un discours nettement auctorial, dans le style comme dans la
motivation narrative. Et cet élan du discours auctorial dans le récit,
allant dans le sens opposé à la réticence auctoriale magico-réaliste,
est le critère qui distingue le plus nettement les deux modes – sauf
dans les cas, particulièrement intéressants, où ils se conjuguent.
Du point de vue de la littérarité (dans l'optique du Genette de
Fiction et diction), chacun de ces deux modes est doublement
littéraire, mais de façons différentes. Le réalisme magique est,
pour ainsi dire, de la fiction à la puissance deux, puisqu'au
caractère fictionnel global des textes de ce mode s'ajoute
l'imaginaire fantaisiste du code non-réaliste. Il y aurait donc là
comme un double critère thématique de littérarité. Dans le cas du
réalisme merveilleux, le critère thématique inhérent à toute fiction
se voit doublé d'un critère rhématique, puisque le code du mystère
de la nature, dans ce mode, s'articule surtout dans une expression
fortement poétique : les textes illustrant ce mode relèvent donc à
la fois du roman et de la poésie. Si la poésie domine trop
nettement, elle remet en cause la valeur du code réaliste et,
partant, l'équilibre du mode narratif.
En proposant une définition du réalisme merveilleux parallèle à
celle du réalisme magique élaborée par Amaryll Chanady, je tente
de répondre à une double préoccupation. La première est de
118
plaider pour une distinction plus rigoureuse entre modes narratifs
et genres littéraires de la fiction, ces notions se chevauchant mais
ne se recouvrant pas. La seconde est de promouvoir deux belles
locutions malheureusement, sinon injustement, négligées dans la
critique littéraire française. L'avantage des définitions modales
théoriques proposées ici est, précisément, de transcender les
limites culturelles, historiques ou géographiques dans lesquelles
les locutions concernées ont parfois été enfermées. J'espère
démontrer, dans les chapitres suivants, leur pertinence dans
diverses littératures, notamment la française.
S'il est vrai que les textes illustrant la définition chanadienne
du réalisme magique n'abondent pas dans cette dernière, certaines
affinités narratives entre Marcel Aymé et des écrivains tels que
Kafka, Grass et García Márquez sont frappantes. Quant au
réalisme merveilleux, plusieurs œuvres de Jean Giono (en
particulier) rappellent beaucoup le type d'évocation fervente de
réalités naturelles que l'on trouve dans les romans d'auteurs
antillais (comme Jacques Stephen Alexis, Jean-Louis Baghio'o,
Simone Schwarz-Bart et, dans une moindre mesure, Alejo
Carpentier) ou américains, comme William Faulkner.
Je propose donc, non pas de relire ces auteurs à la lumière des
modes narratifs présentés ici, mais de confronter ces notions
théoriques aux œuvres. Littérature d'abord.

119
120
II. POÉTIQUES

121
122
Monsieur Sylvestre Bonnard, vous
n’êtes qu’un cuistre. Savoir n’est
rien, imaginer est tout. Rien
n’existe que ce qu’on imagine. Je
suis imaginaire. C’est exister cela,
je pense !

Anatole France

Le réalisme magique
de Marcel Aymé à Gabriel García Márquez

Dans l’épigraphe ci-dessus, le personnage éminemment fictif de


la petite fée exprime – de façon spirituelle et sans égard pour la
dignité de son interlocuteur, l’académicien Bonnard (qui est
également le narrateur du roman où elle surgit) – une conviction
chère à Anatole France : non seulement la fantaisie a ses droits
mais elle est synonyme d’existence. Ceci dans le contexte d’une fin
de 19e siècle qui a pour réputation d’avoir été soumise aux théories
positivistes et naturalistes. J’ai montré ailleurs que la manière dont
Anatole France introduit la fée dans l’univers de son premier
roman, Le Crime de Sylvestre Bonnard, membre de l’Institut
(1881), correspond en tout point au mode narratif magico-réaliste,
tel qu’il a été défini par Amaryll Chanady. 69 Des variations de ce
réalisme magique apparaissent ensuite dans deux autres romans
célèbres d’Anatole France : L’Ile des Pingouins (1908) et La
Révolte des anges (1913).
Ce n’est sans doute pas un hasard si, dans l’œuvre de Marcel
Aymé, la première apparition du mode magico-réaliste se fait
également par le truchement d’une fée. En l’occurrence, il s’agit de
la belle Udine qui se voit infliger une contravention pour circuler
sans lanterne, de nuit, sur une route nationale dans son carrosse de
jade et de cristal, tiré par trois lapins. Cette irruption du féerique
69
Magical Realism and the Fantastic: Resolved Versus Unresolved
Antinomy, New York et Londres, Garland Publishing, 1985.
123
dans un univers diégétique au demeurant réaliste et moderne a lieu
dans le conte "Au clair de la lune" (Le Puits aux images, 1932) et
marque le début de l’exploitation intensive de la veine magico-
réaliste par Aymé, illustrée notamment par la plupart des nouvelles
du Passe-muraille.70
Après avoir montré la filiation France-Aymé pour ce qui relève
du réalisme magique, 71 je souhaite confronter une autre œuvre de
Marcel Aymé, le roman La Jument verte (1933) avec une nouvelle
de Gabriel García Márquez, "Un monsieur très vieux avec des ailes
immenses" (1968), afin de mettre en évidence les similarités de
leur mode narratif magico-réaliste ainsi que de certains aspects
relevant du thème et du ton. La parenté d’esprit et d’écriture dans
ces deux textes est telle qu’elle devrait suffire à remettre en
question deux croyances assez répandues dans la mouvance
culturaliste de la critique littéraire, à savoir que :
1) le réalisme magique latino-américain – défini en tant que
mode narratif – serait plus "authentique" que ses manifestations
européennes au titre de la référence à des croyances populaires
indigènes non-asservies au rationalisme occidental ;
2) Gabriel García Márquez serait l’"inventeur" de ce mode.
L’étude comparative des deux auteurs, amorcée ici, suggère que
l’on a beaucoup négligé, d’une part, la pertinence de ce mode
narratif dans la littérature française et, de l’autre, l’influence
d’auteurs français autres que les Surréalistes – sur la nouvelle
littérature hispano-américaine.

70
Voir Charles Scheel, "Marcel Aymé, conteur magico-réaliste malgré
lui" in Cahier Marcel Aymé 12, 1996, p.82-109.
71
"D’Anatole France à Marcel Aymé : le réalisme magique" in numéro
special Marcel Aymé de la revue Littératures contemporaines, éd. Alain
Cresciucci, Paris, Klincksieck, 1998, p.75-90.
124
1. La Jument verte

La narration de ce roman 72 qui rendit Marcel Aymé célèbre, est


tout à fait conforme aux critères proposés par A. Chanady pour
définir le mode magico-réaliste.73 Aymé part cependant d'un code
du surnaturel différent du féerique qu’il avait utilisé dans "Au clair
de la lune." Le roman débute sur une proposition absurde : la
naissance d'une jument verte. En dehors de la question du type de
codes réaliste et surnaturel adoptés, se pose le problème de
l’adaptation du mode au genre littéraire du roman. Si le conte
paraît éminemment compatible avec un mode narratif ludique tel
que le réalisme magique, comment celui-ci peut-il être maintenu
sur plusieurs centaines de pages ? L'analyse du texte mettra en
évidence l'adaptation originale par Aymé d'une technique qu’il
avait déjà éprouvé dans la nouvelle : l'événement surnaturel initial
est progressivement et adroitement transformé en procédé narratif
absurde mais récurrent, dans le cadre d'une intrigue des plus
réalistes par ailleurs.

Deux codes antinomiques. La technique de la proposition


initiale – ou de l'incipit "absurde" du réalisme magique est connue
surtout grâce à son illustration frappante dans La Métamorphose de
Kafka. Le roman d'Aymé en offre une variation également
frappante, mais dans une tonalité plus clairement humoristique :

72
Gallimard, 1933. Les citations renvoient au volume I des Oeuvres
romanesques complètes de Marcel Aymé (ORC) dans la Bibliothèque de
la Pléiade (édition et introduction d’Y.-A. Favre), 1989.
73
Dans mes thèses de PhD et de doctorat je me suis attaché, entre autre, à
démontrer que le mode narratif chanadien permet de rendre bien mieux
compte de la spécificité de la partie la plus caractéristique de l’œuvre
fictionnelle de Marcel Aymé, que les tentatives précédentes par la critique
ayméenne (dont Claude Dufresnoy, Jean-Louis Dumont, Pierre Gripari,
P.-R. Leclercq, Graham Lord, René Garguilo, M. Lecureur et Y.-A. Favre
qui ont chacun proposé des combinaisons variées des termes réalisme,
merveilleux, fantastique, fantaisie physique et féerique).
125
Au village de Claquebue naquit un jour une jument verte,
non pas de ce vert pisseux qui accompagne la décrépitude
chez les carnes de poil blanc, mais d'un joli vert de jade. En
voyant apparaître la bête, Jules Haudouin n'en croyait ni ses
yeux ni les yeux de sa femme.
– Ce n'est pas possible, disait-il, j'aurais trop de chance.
[...]
C'était une grande nouveauté qu'une jument verte et qui
n'avait pas de précédent connu. La chose parut remarquable
car, à Claquebue, il n'arrivait jamais rien. On se racontait que
Maloret dépucelait ses filles, mais l'histoire n'intéressait plus,
depuis cent ans qu'elle courait ; les Maloret en avaient
toujours usé ainsi avec leurs filles ; on y était habitué. De
temps à autre, les républicains, une demi-douzaine en tout,
profitaient d'une nuit sans lune pour aller chanter la
Carmagnole sous les fenêtres du curé et beugler "A bas
l'Empire!" A part cela, il ne se passait rien. Alors, on
s'ennuyait.... (ORC I, p.829; mes italiques)

Ci-dessus, la toute première proposition – aussi courte qu'elle


soit – introduit à la fois les codes surnaturel et réaliste : une
location géographique identifiée par un nom (qu'il soit mythique
n'importe pas) fournit un univers spatial plausible, alors qu'un
événement manifestement improbable est affirmé par le narrateur.
Le scepticisme – bien compréhensible et donc raisonnable –
exprimé initialement par les personnages concernés (qui sont
nommés d’une manière rustique réaliste : "Haudouin et sa femme")
semble rejoindre le code réaliste, mais ce n'est qu'un leurre de
courte durée : le narrateur confirme bien l'absurde, et improbable
naissance d'une pouliche verte. Tout ce qui suit, en fait de
commentaires ironiques sur la vie sociale de Claquebue, ne fait que
noyer le poisson – en l'occurrence, l'improbable jument. L'absurde
nouvelle est d'abord trivialisée par la mention de pratiques
autrement scandaleuses dans le village, puisqu'on parle d'un siècle
de rapports incestueux chez les Maloret : le contre-nature vient
donc désamorcer le surnaturel. D’autre part, une série de mentions
126
à valeur historique ("les Républicains," "la Carmagole,"
"l'Empire") situe le cadre diégétique dans l'histoire sociale
française et consolide d'autant le code réaliste. Même l'humour, le
vocabulaire rustique (le vert "pisseux"...) et les piques satiriques du
narrateur (qui connaît bien son monde, puisqu'il s'y associe: "alors
on s'ennuyait... ") font effet de réel, tant ces observations
confirment la sagesse populaire. Bref, le choc de l'incipit absurde
sur le lecteur est étouffé par les réalités ambiantes accumulées dans
la narration.
Cette première page tournée, la qualité des événements et du
ton de la narration change :

La nouvelle s'échappa de l'écurie, zigzagua entre les bois et


la rivière, fit trois fois le tour de Claquebue, et se mit à
tourner en rond sur la place de la mairie. Aussitôt, tout le
monde se porta vers la maison de Jules Haudouin, les uns
courant ou galopant, les autres clopinant ou béquillant. On se
mordait aux jarrets pour arriver les premiers, et les vieillards,
à peine plus raisonnables que les femmes, mêlaient leurs
chevrotements à l'immense clameur qui emplissait la
campagne.
– Il arrive quelque chose ! Il arrive quelque chose !
(p.830)

Dans ce passage, les événements sont plausibles mais leur


narration est clairement satirique. La progression de l'incroyable
nouvelle est visualisée par un bel artifice métaphorique, et les
comportements humains sont impitoyablement dégradés
(également par la métaphore) à un niveau animal (chevaux, chiens
et chêvres sont suggérés par les "galopades," "morsures au jarret"
et autres "chevrotements"). Mais la narration ne s'arrête pas à ce
comique :

Enfin, Jules Haudouin parut sur le seuil de l'écurie.


Hilare, les mains sanglantes, il confirma : "Elle est verte
comme une pomme !"
127
Un grand rire parcourut la foule, puis on vit un vieillard
battre l'air de ses bras et tomber raide mort dans sa cent
huitième année. Alors, le rire de la foule devint énorme,
chacun se tenait le ventre à deux mains pour rigoler tout son
soûl. Les centenaires s'étaient mis à tomber comme des
mouches, et on les aidait un peu, à bons grands coups de
pied dans l'estomac.
"Encore un ! – C'est le vieux Rousselier ! – A un autre !"
En moins d'une demi-heure, il trépassa sept centenaires,
trois nonagénaires, un octogénaire. Et il y en avait qui ne se
sentaient pas bien. [...] Le curé avait fort à faire d'assister
les moribonds. Exténué, il finit par grimper sur un baquet
pour se faire entendre par-dessus le vacarme des rires, et
déclara que c'était assez pour une première fois, qu'il fallait
songer à rentrer chez soi. (p.830-1; mes italiques)

L'exagération comique prend ici des proportions


rabelaisiennes : on a quelque peine à imaginer des villageois du
Second Empire achever leurs anciens à coups de pieds dans le
ventre, sous prétexte d'enthousiasme inhabituel, sans parler de
l'énorme litote mise dans la bouche du curé qui ne demande qu'une
trêve dans ce jeu de massacre. Le code réaliste en prend un coup,
car ces événements, quoique moins surnaturels que la naissance de
la jument verte, s'inscrivent avec cette dernière dans un code héroï-
comique qui se joue de la vraisemblance. Il faut remarquer,
cependant, que si la veine humoristique demeure constante dans le
roman, les débordements décrits ici n'iront pas au-delà du premier
chapitre, alors que l'extraordinaire animal, lui, demeurera. En fait,
la farce rabelaisienne ne réapparaît que trois fois, notamment lors
de la visite de l'Empereur lui-même à Claquebue :

De son côté, l'Empereur s'entretenait avec la femme du


maquignon. A une proposition galante qu'il lui fit, elle
répondit avec la modestie des simples : "Sire, je suis dans le
sang." / Malgré sa déconvenue, l'Empereur voulut la
récompenser d'avoir su lui plaire et maintint la promesse que
128
le préfet venait de faire au maquignon. Lorsqu'il remonta en
calèche, la population de Claquebue lui fit une magnifique
ovation, puis elle alluma un grand feu de joie dans lequel
elle jeta tout le restant de ses vieillards. Le lieu de cet
important bûcher fut appelé, depuis, Champ-Brûlé, et le blé y
poussa bien. (p.832-33; mes italiques)74

L'humour féroce et la fantaisie débridée des assertions


soulignées ci-dessus sont en contraste marqué avec la réponse d'un
réalisme terre-à-terre, voire cru, que fait Mme Haudouin à la
proposition galante de l'Empereur, à peine quelques phrases plus
haut. Aucun autre passage du récit ne montre une juxtaposition
aussi frappante du fabuleux (la crémation spontanée des vieux dans
un "feu de joie") et du prosaïque (la mention des règles de Mme
Haudouin).
A partir de ce point de l'intrigue, la fantaisie grotesque et la
farce disparaissent du roman, à l'exception d'un procédé qui affecte
à la fois la structure du récit et son mode narratif. La jument verte,
ayant largement contribué par sa réputation à la fortune financière
et politique de Jules Haudouin, meurt de quelque maladie, mais
non sans avoir été immortalisée dans un beau tableau par un artiste
errant. Le narrateur affirme avec malice que ce portrait d'équidé a
mieux survécu aux vissicitudes de l'histoire que ceux d'empereurs
et de présidents de France, qui n'ont ornés que brièvement les murs
de la salle à manger des Haudoin. C'est alors que surgit
brusquement un changement de voix narrative dans le récit : le
portrait se met à raconter l'histoire de son point de vue. Ce
changement incongru est souligné dans la typographie du texte :

74
Deux épisodes ultérieurs affichent à nouveau ce type de comique
rabelaisien : la scène du chapitre XII décrivant la joute (à coup de porte-
voix et de cris au miracle) entre cléricaux et républicains autour du lit de
mort de Philibert Messelon, et la scène du chapitre XVI, où le narrateur
rapporte, sans sourciller, les discours et chamailleries des morts au
cimetière.
129
... mais l'effigie de la jument verte demeurait en place. Le
dimanche, lorsque toute la famille mangeait du bouilli ou de
la grillade de cochon dans la salle à manger, Jules Haudouin
levait les yeux vers la jument verte et, la tête penchée sur
l'épaule, soupirait en joignant les mains :
– Il y a des fois, on dirait qu'elle va parler.
Alors, tout le monde dissimulait son émotion en buvant
un coup d'aramon.

LES PROPOS DE LA JUMENT

L'artiste qui me peignit n'était rien de moins que le


célèbre Murdoire. Avec tous les avantages d'un grand génie,
il possédait un redoutable secret que je ne livre pas sans
scrupule à la méditation des peintres d'aujourd'hui... (p.836-
7; mes italiques)

Ce qui a lieu au milieu du passage cité ici pourrait être appelé


un "miracle narratif." Tout se passe comme si le voeu pieu de Jules
Haudoin, de voir la jument parler, se trouvait immédiatement
exaucé, comme si le texte prenait la métaphore, exprimée par l'un
des personnages, à la lettre. Toujours est-il que la voix (du portrait)
de la jument est ainsi imprimée, et ce dans neuf chapitres sur les
dix-sept du roman, à raison de cinq à dix pages par intervention,
toutes isolées sous le titre : LES PROPOS DE LA JUMENT. Un
tel truc narratif est évidemment aussi absurde que la naissance
d'une jument verte l'était au départ, mais il est maintenu contre
vents et conventions jusqu'à la fin de l’œuvre.
Où restent les codes du réalisme et du surnaturel dans tout
cela ? Contre toute attente, si le statut narratif de la jument est
absurde et surnaturel, ses propos ne le sont pas. Jouissant d'un
point de vue imprenable au milieu des demeures successives où
elle est suspendue, elle offre des commentaires particulièrement
instruits et critiques des mœurs intimes de la tribu Haudouin. Si
bien que ces propos sont d'un réalisme souvent confondant et ne le
cèdent en rien, quant au vraisemblable, à ceux que pourrait tenir un
130
narrateur réaliste conventionnel, sa qualité de témoin discret lui
octroyant une sorte d'omniscience locale :

J'ai connu quatre générations de Haudouin, la première à


son âge mûr, la dernière à son matin. Pendant soixante-dix
ans, j'ai vu les Haudouin à l’œuvre d'amour, chacun y
apportant les ressources d'un tempérament original, mais la
plupart (je pourrais bien dire tous, à quelque degré)
demeurant fidèles, dans la recherche du plaisir et jusque dans
l'accomplissement, à une sorte de catéchisme qui semblait
leur imposer, en même temps qu'un certain rituel, des
inquiétudes, des scrupules, des préférences... (p.838)

On voit que le discours de la jument n'hésite pas à adopter un


ton et des tournures assez doctes ; ses descriptions, analyses et
commentaires des comportements sexuels de cette famille
provinciale combinent le sérieux et la malice. Mais si le réalisme
domine largement dans le contenu de cette contribution narrative,
le statut (nominalement) absurde du narrateur est souligné
périodiquement et délibérément, comme dans le passage ci-
dessous :

Des cinq [Haudouin], [Ferdinand] était probablement le


plus malheureux, mais aucune souffrance n'égalait la
mienne lorsque son regard se levait sur moi [dans mon
cadre]. Je sentais mourir cette vie tumultueuse et immobile
que le pinceau de Murdoire avait fait éclore sous ma robe
verte. Aujourd'hui, quarante ans passés, la plume m'en va d'y
penser. (p.904; mes italiques)

Alors que dans les premières phrases de ce passage, la jument


se contente – si j'ose dire – de décrire les états d'âme que lui
inspirent les souffrances de Ferdinand Haudouin, elle n'hésite pas à
se mettre en scène comme l'auteur de ses propos : c'est elle aussi
qui tient la plume. Une telle assertion (même tempérée par la forme
allusive de la métaphore) ne sert qu'à souligner, avec humour,
131
l'artifice et l'absurdité de la création du statut (du portrait) de la
jument en tant que narrateur-écrivain ; paradoxalement, cela
revient aussi à renforcer le code particulier du surnaturel dans ce
roman.

Une antinomie résolue par la narration.


Contrairement, donc, à la plupart des nouvelles magico-réalistes
d’Aymé, dans La Jument verte, le surnaturel se limite à des
intrusions occasionnelles. Il y apparaît dès le début sous la forme
d'une proposition absurde, mais ne domine pas l'intrigue dont il ne
fournit que les rebondissement les plus spectaculaires, rapportés
par un narrateur au statut particulier : le portrait de la jument. Cette
division des voix narratives n’affecte pas le principe de la
résolution narrative des codes dans le roman, car dans les parties
narrées par la jument, le code du surnaturel est doué d'une grande
cohésion interne grâce au respect constant de sa propre causalité et
de son traitement formel récurrent. Les fils surnaturel et réaliste de
l'intrigue se croisent du début jusqu’à la fin de l'histoire. Le lecteur
constate que le narrateur extra-diégétique et omniscient affecte une
indifférence totale aux intrusions du surnaturel sous la forme des
"propos de la jument."
Comme dans les autres textes magico-réalistes d’Aymé, on peut
relever, dans La Jument verte, les tactiques de résolution de
l'antinomie entre les codes suivantes :
a) l'absence totale de commentaires là où le lecteur attend une
explication ou une distanciation des aspects (absurdes) de l'action ;
b) la compensation du fait absurde par son insertion dans une
accumulation de détails réalistes et de références culturelles
réelles ;
c) la neutralisation de l'absurde par la relativisation dûe à des
faits parallèles réalistes mais extraordinaires ou scandaleux ;
d) la neutralisation de l'antinomie entre les codes réaliste et
surnaturel par la présence constante, dans la narration, du
commentaire (comique, ironique ou satirique).

132
La réticence auctoriale.

Dans les premières pages du roman, la résolution de l'antinomie


entre les codes réaliste et surnaturel a lieu de manière ayméenne
classique, pourrait-on dire : comme dans "Le passe-muraille" et
"Les Sabines," l'intrusion de l'élément absurde (ici la jument verte)
dans un cadre réaliste (Claquebue, un petit village français sous le
Second Empire) est traitée de la façon la plus naturelle au monde
par un narrateur dont la fiabilité est d'ailleurs également minée par
l'exagération grotesque et satirique de son reportage des scènes de
"les joie" éclatant dans le village à l'occasion de l'incroyable
nouvelle. On retrouve donc ici la combinaison typique du réalisme
magique ayméen, à savoir : une narration unissant
l’invraisemblable et l'ancrage dans la réalité sans la moindre trace
de vergogne rationnelle, si je puis dire (ni de la part du narrateur ni
d'une instance auctoriale), et l'intrusion parallèle d'un commentaire
ironique et satirique des mœurs villageoises, dans cette même
narration (intrusion surtout narrative, mais à coloration auctoriale à
cause du pastiche littéraire : il y a du Voltaire et du Rabelais dans
tout ceci). Bref, la réticence auctoriale joue son rôle consistant à ne
pas menacer la résolution de l'antinomie des codes par le narrateur,
sans qu'elle inhibe en quoi que ce soit sa verve de conteur : le
mode magico-réaliste est sauf – et ironique.
Qu'en est-il une fois la jument morte et enterrée, mais que son
portrait prend la plume ? Ce statut inédit de co-auteur du roman
s'inscrit-il encore dans la définition du mode magico-réaliste?
L'autorité narrative de la jument est grande, même si son ton
sentencieux est souvent coupé de malice. Dans ses dernières lignes,
elle va jusqu'à commenter le roman lui-même, dans une intrusion
auctoriale manifeste et cocasse (elle a d'ailleurs le privilège de la
narration à la première personne, alors que le narrateur principal
n'est qu'une instance anonyme extradiégétique) :

Je crois avoir tout expliqué des amours de la famille


Haudouin, du moins l'essentiel. Sans doute n'ai-je pas tout
dit, mais le souci de la décence et de l'honnêteté m'en a, seul,
133
empêchée. Car je n'ai pas formé d'autres vœux, en écrivant
ce modeste témoignage, que de servir la cause du bien. Les
romanciers sont des gens à la tête légère, ils racontent des
histoires, et la morale y va comme elle peut. Je le dis sans
orgueil : il est bien heureux qu'une jument verte se soit
trouvée là pour tirer de ce roman un robuste et honnête
enseignement, à savoir qu'il n'y a point d'amour durable,
partant point de bonheur, en dehors de la famille. (p.1013;
mes italiques)

Du point de vue du mode narratif, on a souligné la répétition,


dans cet avant-dernier chapitre du roman, de la proposition absurde
sur le statut d'écrivain de la jument. Quant à l'aspect de pastiche de
préface/postface bien-pensante que prennent les remarques de la
jument sur le contenu du roman, il rappelle assez les exercices du
genre depuis Rabelais. Les commentaires de la jument, se flattant
d'avoir su tirer un enseignement moral du roman, sont
particulièrement ironiques lorsqu'on songe que le narrateur
principal conclura l'histoire par la scène où Honoré Haudouin
possède la femme de son voisin, alors que sa propre famille écoute
et approuve à la porte. La jument a donc eu bien raison d'affirmer
que "les romanciers sont des gens à la tête légère, ils racontent des
histoires, et la morale y va comme elle peut…"
Il me semble donc que le passage de la jument – de son statut
original d’animal surnaturel dans l'univers diégétique réaliste du
roman à celui de narrateur (voire écrivain) surnaturel décrivant le
même univers de son point de vue très particulier – ne s'oppose en
rien aux trois critères définissant le réalisme magique.
A ma connaissance, La Jument verte n'a pas été étudiée sous
l'angle de ce mode narratif. La forme inhabituelle du roman a
cependant suscité de nombreux commentaires. Le rôle singulier de
la jument a souvent laissé perplexe et donné lieu à des
appréciations variées, voire contradictoires chez un même critique.
Il est vrai que la division des tâches et des situations narratives
entre la jument et le narrateur principal n'est pas toujours très nette
et qu'Aymé n'est pas systématique dans la distribution respective
134
de l'omniscience et du point de vue, théoriquement limité, de la
jument. Mais il convient de faire la part de l'humour et de
l'invention dans tout cela. Car, paradoxalement, la matière de ce
roman est surtout réaliste, et les seules grivoiseries ne sauraient
expliquer le grand succès de l’œuvre.
Graham Lord a situé le caractère expérimental du roman sur le
plan de la forme et de l'esthétique. 75 Certes, le truc des PROPOS
DE LA JUMENT dont le titre vient s'étaler au beau milieu des
chapitres est surprenant. Mais pas plus que le contenu des pages
qui suivent ou des scènes hilarantes du début, quand la jument se
contente d'être verte plutôt que de "parler vert." Ce truc très visible
cache la véritable expérimentation de ce roman, qui est d'être une
variation originale sur un mode narratif déjà original : le réalisme
magique. Or ce mode ne s'arrête pas aux artifices typo-graphiques
évidents dans ce roman, ni à l'alternance des point de vue. La
jument n'est pas là pour compenser la vision limitée d'Aymé. S'il
s'agissait uniquement de voir ce qui se passe sur le canapé des
Haudouin de Claquebue ou d'ailleurs, Aymé aurait pu se servir du
TRUC LE PLUS ENORME de la fiction : le narrateur omniscient,
à qui personne ne demande de justifier son point de vue privilégié.
Les narrateurs du roman ne sont pas "Aymé et la jument,"
comme on a pu l'écrire. Ce sont le narrateur principal (qui fait
assez consciencieusement son travail de réaliste) et Aymé, qui s'est
faufilé sous le cuir de la jument et s'amuse, par ce tour de
magicien, à commenter sa propre narration de l'intérieur. La jument
verte, c'est le cheval narratif magique dont l'auteur se sert pour
pénétrer dans la Troie réaliste.

75
Marcel Aymé, Berne, Ed. Peter Lang, 1987, p.93. Il s’agit du deuxième
ouvrage (rédigé en anglais), consacré par Graham Lord à cet auteur.
135
2. "Un monsieur très vieux avec des ailes immenses"

Cette fiction courte, rédigée en 1968, est la première du recueil


L’incroyable et triste histoire de la candide Erendira et de sa
diabolique grand-mère.76 Selon le sous-titre de l’édition française,
cet ouvrage réunit des nouvelles. Il s’agit plutôt de contes. 77
Comme les quatre autres textes, "Un monsieur très vieux avec des
ailes immenses" (MTV) est largement dominé par le merveilleux,
souvent en combinaison avec l’humour. Les deux premiers
paragraphes de l’histoire donnent néanmoins une impression de
réalisme assez neutre, à quelques détails près :

Au bout de trois jours de pluie on avait tué tant de crabes


dans la maison que Pelayo dut traverser sa cour inondée
pour les jeter à la mer, car le nouveau-né avait passé la nuit à
grelotter de fièvre et l’on pensait que c’était à cause de
l’horrible odeur. […] La lumière était si paisible à midi que
lorsque Pelayo rentra chez lui après avoir jeté les crabes, il
eut du mal à voir cette chose qui bougeait et gémissait au
fond de la cour. Il dut vraiment s’approcher pour découvrir
qu’il s’agissait d’un vieillard, qui s’était étalé dans cette
mare de fange; l’homme faisait des efforts désespérés pour se
relever et n’y parvenait pas, entravé par ses ailes immenses.
Effrayé par ce cauchemar, Pelayo courut chercher sa
femme, Elisenda, qui mettait des compresses au petit
malade, et il l’entraîna jusqu’au fond de la cour. Tous deux
observèrent le corps tombé avec une stupeur muette. II était

76
Paris, Grasset et Fasquelle, 1977, trad. Claude Couffon (édition
originale : La incréible y triste historia de la cándida Eréndira y de su
abuela desalmada, Buenos Aires, Sudamerica, 1972).
77
C’est aussi l’avis de Jacqueline Tauzin, dans l’une des rares études
françaises mentionnant le réalisme magique ("Un exemple de réalisme
magique : ‘Blacaman le Bon, marchand de miracles’" in Frontières du
conte, éd. François Marotin, Paris, Editions du C.N.R.S., 1982, p.137-
144). D’ailleurs le sous-titre d’origine est "Siete cuentos."
136
vêtu comme un chiffonnier. Il lui restait à peine quelques
effilochures déteintes sur son crâne pelé et quelques rares
dents dans la bouche, et sa lamentable condition de vieux
pépé trempé jusqu’aux os l’avait dépourvu de toute dignité.
Ses ailes de grand charognard, sales et à demi déplumées,
étaient enlisées à jamais dans la boue. Ils l’observèrent
tellement, et si attentivement, que Pelayo et Elisenda se
remirent très vite de leur surprise et finirent par trouver
l’inconnu familier. Alors ils s’enhardirent à lui parler et il
leur répondit dans un dialecte incompréhensible mais avec
une belle voix de navigateur. Ils oublièrent donc
l’inconvénient des ailes et conclurent avec bon sens qu’ils
étaient en présence d’un naufragé solitaire étranger dont le
bateau avait chaviré dans la tempête. Pourtant, ils firent
signe à une voisine avertie des choses de la vie et de la mort,
laquelle, dès le premier coup d’oeil, les détrompa :
– C’est un ange, leur dit-elle. Il venait sûrement pour le
petit, mais le pauvre est si âgé que la pluie l’a flanqué par
terre. (p.10-11 ; mes italiques)

Cet incipit pose plusieurs problèmes de lecture. Le premier est


de plonger, in media res dans un univers diégétique étrange
pour toute personne n’ayant pas eu l’expérience de certaines côtes
caraïbes où les maisons sont, en effet, envahies périodiquement par
des crabes. Voilà qui relativise d’emblée le code réaliste. Le
second est évidemment la nonchalance avec laquelle le narrateur (a
priori extradiégétique) rapporte comme un fait que la "chose"
entrevue par le personnage Pelayo au fond de la cour serait un vieil
homme entravé par "ses" ailes, comme si de tels appendices
("immenses" de surcroît) étaient naturels. On est donc face à une
proposition initiale absurde qui écorne sérieusement la fiabilité du
narrateur. D’autant plus d’ailleurs, que dans le second paragraphe,
les personnages réagissent, eux, par la "stupeur" à ce qui ne saurait
être qu’un "cauchemar." Mais comme, très rapidement, ils
"familiarisent l’inconnu" également, l’affirmation par le narrateur,
qu’ils concluent avec "bon sens" que la créature est un naufragé
137
solitaire étranger, fait basculer la narration dans le registre
humoristique et/ou ironique : l’instruction du couple Pelayo-
Elisenda doit être limitée. Quant à celle de la voisine, savante dans
les "choses de la mort et de la vie," elle repose manifestement sur
la foi dans un merveilleux chrétien rustique qui lui permet, en
l’occurrence, de proposer une explication – d’une logique
imparable dans son genre – à l’arrivée de l’ange.
C’est dire que les trois traits distinctifs du mode magico-réaliste
sont posés dès ces paragraphes introductifs : un événement
surnaturel surgit dans un cadre prosaïque, quelque village côtier
des Caraïbes. Le narrateur traite cette incursion absurde sans
distance aucune. L’antinomie entre les codes réaliste et surnaturel
est donc résolue, notamment par le recours à des techniques de
naturalisation par personnages interposés : la réticence du narrateur
extradiégétique (auctorial) à commenter l’absurde est compensée
par une distanciation humoristique et/ou ironique vis-à-vis des
personnages, gens simples et superstitieux.
La suite du texte maintient l’affirmation absurde tout en
développant des observations de nature psychologique ou
sociologique, teintées de sarcasme :

Le lendemain tout le monde savait que les Pelayo


retenaient prisonnier un ange en chair et en os. En dépit de
l’opinion de la docte voisine, pour qui les anges
d’aujourd’hui étaient les survivants fugitifs d’une
conspiration céleste, on n’avait pas eu le coeur de le tuer à
coups de bâton. Pelayo resta toute la soirée à le surveiller de
la cuisine, armé de sa canne de garde champêtre, et avant
d’aller se coucher il le traîna hors du bourbier et l’enferma
avec les poules dans le poulailler grillagé. A minuit, quand la
pluie cessa, Pelayo et Elisenda tuaient encore des crabes. Peu
après l’enfant se réveilla, sa fièvre était tombée et il avait
faim. Alors ils se sentirent l’âme généreuse et décidèrent
d’installer l’ange sur un radeau avec une provision d’eau
douce et des vivres pour trois jours, puis de l’abandonner à
son sort en pleine mer. Mais quand, au petit matin, ils
138
sortirent dans la cour, ils trouvèrent devant le poulailler tout
le voisinage qui batifolait avec l’ange sans le moindre
respect et qui lui jetait à manger à travers le grillage, comme
s’il se fût agi d’un animal de cirque et non d’une créature
surnaturelle. (p.10-11 ; mes italiques)

Alors que le narrateur persiste à parler "d’ange" et de "créature


surnaturelle" (et donc à faire preuve d’une crédulité peu compatible
avec le code réaliste), la foi chrétienne des personnages est
épinglée de façon ironique. L’accès de générosité de Pelayo et
d’Elisenda, bien qu’inspiré par un exemple de l’Ancien Testament,
semble relever plutôt de considérations pratiques et cyniques pour
se débarrasser de l’intrus. Le catholicisme de la docte voisine
semble avoir souffert d’influences peu orthodoxes (comme la
lecture de La Révolte des Anges d’Anatole France, peut-être), et
celui de la foule des voisins est manifestement d’une variété très
superficielle, peu respectueuse du dogme. La narration continue
d’explorer la veine religieuse, avec l’arrivée du curé local :

Le père Gonzaga arriva avant sept heures, alarmé par


l’énormité de la nouvelle. […] Penché sur le grillage, il
repassa à toute vitesse son catéchisme et demanda aussi
qu’on lui ouvrît la porte pour examiner de près ce pauvre
bougre qui ressemblait plutôt à une vieille poule énorme
parmi les autres poules ébahies. Il était couché dans un coin,
séchant au soleil ses ailes déployées […]. Insensible aux
impertinences du monde, c’est à peine s’il leva ses yeux
d’antiquaire et murmura quelques mots dans son dialecte
lorsque le père Gonzaga, entrant dans le poulailler, lui donna
le bonjour en latin. Le curé commença à soupçonner son
imposture dès qu’il se rendit compte que l’autre ne
comprenait pas le langage de Dieu et ne savait pas saluer ses
ministres. Puis il constata que, vu de près, il avait un air trop
humain : […] sa nature misérable n’avait rien de commun
avec l’illustre dignité des anges. Alors il abandonna le
poulailler, et dans un court sermon mit en garde les curieux
139
contre les risques de la crédulité. […] / Sa circonspection
tomba sur des âmes sourdes. La nouvelle de l’ange captif se
répandit avec une telle rapidité qu’au bout de quelques
heures il y avait dans la cour un vacarme de jour de marché,
et il fallut faire appel à la troupe baïonnette au canon pour
chasser ce tohu-bohu qui menaçait d’abattre la maison.
Elisenda, l’échine tordue à force de balayer toutes ces
ordures de fête foraine, eut alors la bonne idée de murer la
cour et de percevoir cinq centavos d’entrée par personne
pour voir l’ange. (p.11-12)

On voit que l’humour et le sarcasme dominent aussi ces extraits


du récit. Le narrateur se moque du scepticisme du curé (soucieux
avant tout d’une image digne de l’église et de ses représentants), de
l’excitation de la populace (nullement prête à se laisser décourager
par les réserves du curé), et de l’esprit pratique d’une Elisenda
monnayant la vue de l’ange (comme une église le fait de quelque
relique de saint). L’exagération manifeste du recours à la troupe
pour maintenir l’ordre dans une cour transformée en place du
marché par l’apparition miraculeuse n’est pas sans rappeler le
comique rabelaisien du narrateur de La Jument verte décrivant la
liesse carnavalesque provoquée par la naissance de l’étrange
animal à Claquebue. Toutes ses réactions (caricaturées mais
vraisemblables) ne remettent nullement en cause la proposition
absurde d’origine, qui continue d’être maintenu imperturbablement
par le narrateur, tout comme l’humour avec lequel il décrit les
phases changeantes des effets (relativement réalistes) de l’ange :

Les curieux vinrent de loin, et même de la Martinique.


[…]. Au sein de ce désordre de naufrage, Pelayo et Elisenda
étaient heureux en leur fatigue, car en moins d’une semaine
ils avaient bourré les chambres de gros sous, alors que la file
de pèlerins qui attendaient l’instant d’entrer atteignait l’autre
bout de l’horizon. / L’ange était le seul à ne pas participer à
son phénomène. […] Sa seule vertu surnaturelle paraissait
être la patience. Surtout les premiers temps, quand les poules
140
qui cherchaient les parasites stellaires qui proliféraient sur
ses ailes le becquetaient, quand les impotents lui arrachaient
des plumes pour frotter leur corps défectueux, et quand
même les plus charitables lui jetaient des pierres, essayant
ainsi de l’obliger à se lever pour le voir en grand. […] / Le
père Gonzaga affronta la frivolité de la foule avec des
formules d’inspiration domestique, dans l’attente du
jugement final concernant la nature du prisonnier. Mais le
courrier de Rome avait perdu la notion de l’urgence. Le
temps passait à vérifier si le captif avait un nombril, si son
dialecte présentait quelque rapport avec l’araméen, s’il
pouvait tenir dans le chas d’une aiguille ou si plus
simplement il ne s’agissait pas d’un Norvégien avec des
ailes. Ces lettres modérées auraient circulé jusqu’à la fin des
siècles si un événement providentiel n’avait mis fin aux
tribulations du brave prêtre. (13-15 ; mes italiques)

En dehors de sa charge ironique, la mention de la Martinique


comme provenance particulièrement lointaine de pèlerins a un effet
de réel, neutralisé quelques lignes plus loin par celle des "parasites
stellaires" que les poules cherchent dans les plumes de l’ange.
Quant au paragraphe résumant la teneur du courrier (d’une lenteur
effectivement proverbiale) entre le curé et le Vatican, il court-
circuite toute opposition entre réalisme et surnaturel, puisqu’il
contient à la fois des éléments réalistes (référence à une langue
biblique tel l’araméen, allusion au voyageur norvégien intrépide
Thor Heyerdahl) et des articles du merveilleux chrétien (nature
divine de créatures sans nombril, minuscules ou pourvues
d’ailes…) : il n’y a aucune différence dans le traitement narratif de
ces éléments antinomiques.
La narration de la fin du pouvoir d’attraction de l’ange,
annoncée comme "providentielle" pour le curé dans l’extrait
précédent, est ironique. Elle fonctionne, dès l’introduction, sur le
mode du pastiche d’un récit biblique :

141
Il arriva qu’à cette époque, parmi les nombreuses
attractions des bohémiens aux Caraïbes, on présenta au
village le triste spectacle de la femme changée en araignée
pour avoir désobéi à ses parents. Les billets d’entrée pour la
voir non seulement coûtaient moins cher que ceux qu’on
vendait pour regarder l’ange, mais ils permettaient aussi de
lui poser toutes sortes de questions concernant son aberrante
condition, et de l’examiner sous toutes les coutures afin que
nul ne mît en doute la vérité d’une telle horreur. C’était une
effroyable tarentule de la taille d’un mouton, qui exhibait
une tête de pucelle triste. […] Un tel spectacle, aussi chargé
de vérité humaine et de châtiment épouvantable, devait
ruiner sans le vouloir celui d’un ange méprisant qui daignait
à peine regarder les mortels. Et puis, les rares miracles
qu’on attribuait à l’ange révélaient un certain désordre
mental […]. Ces miracles de consolation qui ressemblaient à
des canulars avaient déjà ébranlé la réputation de l’ange
lorsque la femme métamorphosée en araignée acheva de
l’anéantir. Et c’est ainsi que le père Gonzaga fut à jamais
guéri de l’insomnie, et que la cour de Pelayo retrouva sa
solitude de l’époque où il avait plu sans cesse durant trois
jours et où les crabes marchaient dans les chambres. (p.15-
16 ; mes italiques)

En mettant ainsi en concurrence le phénomène surnaturel


absurde de l’ange avec celui grossièrement fallacieux d’un monstre
de fête foraine, le narrateur de MTV ne fait que continuer
d’exploiter la veine comique et/ou sarcastique. Il souligne la
crédulité d’une population et sa préférence naturelle (et donc
réaliste…) pour un spectacle à la fois moins cher, moins troublant
et plus divertissant que celui d’une créature trop abstraite pour ses
goûts. Bref, la foule fait preuve de veulerie.
Les trois dernières pages du conte relatent le départ de l’ange et
constituent une espèce d’épilogue dans lequel le prosaïsme reprend
le dessus, alors même que la proposition absurde initiale est
renforcée plusieurs fois :
142
Les maîtres de céans n’eurent rien à regretter. Avec
l’argent perçu ils firent construire une belle maison à deux
étages, ornée de balcons et de jardins, avec de hauts perrons
pour empêcher les crabes de s’y infiltrer en hiver, et des
barreaux aux fenêtres pour décourager les anges. […] Le
poulailler fut le seul endroit qui resta à l’abandon. […] On
oublia peu à peu la crainte, on s’accoutuma à la pestilence et
avant que le petit ne perde ses dents de lait, il avait pris
l’habitude de jouer dans le poulailler dont le grillage pourri
tombait en morceaux. L’ange ne se montra pas à son égard
moins déplaisant qu’avec le reste des mortels, mais il
supportait les infamies les plus habiles avec une mansuétude
de chien sans illusions. Tous deux attrapèrent la varicelle en
même temps. Le médecin qui soigna l’enfant ne résista pas à
la tentation d’ausculter l’ange, et il lui découvrit tant de
souffles au coeur et tant de gargouillis dans les reins qu’il lui
parut incroyable qu’il fût encore en vie. Ce qui l’étonna le
plus, pourtant, ce fut la logique de ses ailes. Elles étaient si
naturelles dans cet organisme complètement humain qu’on
ne pouvait comprendre pourquoi les autres hommes n’en
avaient pas. / Lorsque l’enfant alla à l’école, le soleil et la
pluie avaient depuis longtemps démantibulé le poulailler.
L’ange se traînait ici et là comme un moribond sans maître.
[…] Elisenda, exaspérée, criait comme une folle que vivre
dans cet enfer plein d’anges était une calamité. Il pouvait à
peine manger, ses yeux d’antiquaires tellement brouillés
qu’il se cognait d’un montant à l’autre, et il ne lui restait plus
que les canules pelées de ses dernières plumes. […] /
Pourtant, non seulement il survécut à son pire hiver, mais il
parut même reprendre des forces avec les premiers soleils
[…et] de grandes plumes dures lui naquirent sur les ailes.
[…] Un matin, Elisenda était en train de couper des rondelles
d’oignon pour le déjeuner, lorsque le vent, qui paraissait
venir du large, entra dans la cuisine. [Elle] se pencha par la
fenêtre et surprit l’ange dans ses premières tentatives de vol.
143
[…] Finalement, il réussit à prendre de l’altitude. Elisenda
laissa échapper un soupir de soulagement, pour elle et pour
lui, quand elle le vit passer au-dessus des dernières maisons,
se soutenant tant bien que mal par un battement d’ailes
hasardeux de vautour sénile. Elle continua de le voir
jusqu’au moment où elle acheva de couper ses oignons, et
elle le vit encore alors qu’il n’était plus possible de le voir,
car il n’était plus un embarras dans sa vie, mais un point
imaginaire sur l’horizon de la mer. (p.16-18 ; mes italiques)

On notera que le conte se termine avec la même imbrication


nonchalante du surnaturel (l’envol d’un ange) et d’un réalisme des
plus prosaïques (Elisenda coupant des oignons dans sa cuisine) que
l’on a pu observer en introduction. Non seulement le narrateur se
garde bien de se distancer de l’absurdité des événements
surnaturels, mais il se paie davantage la tête du lecteur en lui
offrant un pastiche du mode fantastique, 78 en faisant constater par
un homme de science (le médecin) l’extraordinaire naturel des
ailes de la créature… Comme tout au long du texte, la réticence
auctoriale permettant de résoudre l’antinomie des codes est
accompagnée de commentaires ironiques, ici sur la mesquinerie
des hôtes de la créature divine (qui mettent des barreaux anti-anges
aux fenêtres de leur nouvelle maison), la méchanceté de l’enfant
traitant l’ange comme un chien, et le double paradoxe d’une

78
L’étude de MTV par John Gerlach ("The Logic of Wings : García
Márquez, Todorov, and the Endless Resources of Fantasy" in Bridges to
Fantasy, ed. George E. Slusser, Eric S. Rabkin et Robert Scholes,
Carbondale, Southern Illinois U. Press, 1982, p.121-9, 210-11) prouve, on
ne peut mieux, à quel point la distinction de Chanady entre le mode
fantastique et le mode magico-réaliste (non encore publiée en 1982) est
incontournable, si l’on veut rendre compte de la spécificité des textes les
plus connus de García Márquez – notamment. Gerlach analyse MTV en
cherchant à repondre à la question si ce conte relève du "mythe" ou de la
"fantaisie" (bizarrement, il amalgame "fantaisie" et le "fantastique" tel
que Todorov l’a défini). Or, comme il l’admet à un moment (p.126), le
conte qu’il a choisi n’entre pas très bien dans ce "genre" et son analyse
n’est donc guère convaincante.
144
Elisenda pestant sur la "calamité d’un enfer plein d’anges." Quant
à la dernière phrase du conte, en focalisation interne par Elisenda,
elle met joliment l’accent sur la propension imaginaire (mais très
réelle) de la vision humaine à voir ce qu’elle souhaite voir.

Synthèse

Au terme de cette lecture succincte du mode narratif de La


Jument verte et de celui de MTV, les similarités sautent aux yeux.
Dans les deux cas, un narrateur extradiégétique anonyme introduit
d’emblée une proposition absurde en affirmant l’intrusion d’une
créature surnaturelle dans un univers diégétique au demeurant
réaliste : la famille des Haudouin de Claquebue et celle d’Elisenda
et de Pelayo dans leur village côtier des Caraïbes. Dans le roman
comme dans le conte, l’intrusion du surnaturel sert de catalyseur à
une action vraisemblable globalement mais décrite avec humour et
ironie. Le narrateur profite de la commotion suscitée par l’intrusion
d’une créature surnaturelle pour épingler de manière rabelaisienne
les rapports sociaux d’une communauté humaine rustique,
superstitieuse et surtout avide de divertissement et de satisfactions
personnelles. L’ironie touche particulièrement les questions
cléricales et doctrinales propres au catholicisme romain.
Sur le plan thématique, Aymé a le loisir, dans son roman, de
faire le portrait approfondi d’une galerie de personnages et de
détailler une action complexe et réaliste dans un contexte
historique et géographique précis – aspects que j’ai délibérément
occultés plus haut. Les quelques pages du conte de García-
Márquez ne font qu’esquisser le portrait d’un nombre limité de
personnages et l’action est réduite aux seuls effets du passage de
l’ange dans la maison de Pelayo et d’Elisenda. Malgré cette
disproportion, il est frappant à quel point les grandes lignes
thématiques et surtout leur traitement narratif original se
ressemblent. Non seulement l’analyse des textes a montré qu’ils
répondent parfaitement aux critères du mode narratif magico-
realiste défini par Chanady, mais les deux narrateurs ont la même
distance humoristique et/ou ironique de leurs personnages. Dans
145
les deux cas, le surgissement du merveilleux dans le cadre
diégétique réaliste n’a rien à voir sérieusement avec des croyances
populaires (ou propres à une culture indigène, dans le cas de MTV).
Au contraire, il s’agit clairement d’un merveilleux absurde qui ne
fournit qu’un prétexte au narrateur (auctorial) pour faire rire en
soulignant des comportements de populations peu enclines à se
conformer aux règles morales, civiques ou religieuses.
Bref, si l’on admet que, en littérature, le réalisme magique n’est
pas autre chose qu’un mode narratif particulier (distinct du
fantastique mais aussi du féerique et du réalisme merveilleux tel
que je l’ai défini), le conte MTV en est une illustration aussi
convaincante que La Jument verte. On aura noté aussi que, mis à
part quelques rares références allusives au cadre géographique
caraïbe, le mode narratif de ce conte n’est en rien dépendant
d’éléments culturels explicitement et spécifiquement latino-
américains : il n’est guère difficile d’imaginer la même histoire
avec des réactions (fictives) similaires de la part des autochtones
(curé compris) dans une quelconque région côtière et catholique
d’Europe avant 1950, par exemple. Cette constatation s’accorde
mal avec un courant important de la critique (latino-américaine
et/ou comparatiste) qui considère que le réalisme magique
authentique est latino-américain (et que García-Márquez est son
représentant le plus caractéristique, voire son inventeur). Or en
quoi le réalisme magique de MTV serait-il plus "authentique" que
celui de La Jument verte ?

Conclusion. Dans les innombrables études consacrées à


l’œuvre de García-Márquez, rares sont celles qui distinguent
clairement entre une acception purement narratologique et une
vision culturaliste du réalisme magique.79 D’autre part, il est

79
Cette dernière caractérise notamment le récent ouvrage d’Erik Camayd-
Freixas, Realismo mágico y primitivismo. Relecturas de Carpentier,
Asturias, Rulfo y Garcia Márquez (Lanham, UP of America, 1998), selon
lequel ce mode est inséparable de la "présence du mythe, de la légende et
du syncrétisme indien, noir ou paysan des régions les plus reculées et les
plus isolées d’Amérique" (p.320, ma traduction).
146
difficile de comparer les effets de la technique magico-réaliste dans
un conte bref comme MTV et dans une œuvre substantielle et
foisonnante comme Cent Ans de solitude. L’on comprend aisément
que le roman se soit imposé comme particulièrement représentatif
à la fois de l’écriture de son auteur et d’un mode narratif
spécifiquement latino-américain. Mais ces conclusions sont hâtives
et trompeuses dans les deux cas : 1) il y a plusieurs variantes du
réalisme magique chez García Márquez et on ne peut ignorer que
celle du roman est très déséquilibrée (le mythe l’emportant très
largement sur le réalisme 80 – mettons à 95%, ce qui est d’ailleurs
l’inverse de La Jument verte où le surnaturel ne compte guère que
pour 5%) ; 2) le mode narratif – si personnel et génial – de Cent
ans de solitude n’est ni particulièrement représentatif ni spécifique
du roman latino-américain du boom. Car si l’on veut insérer ce
roman dans la poétique de son contexte latino-américain, il faut
considérer sa riche thématique (à la fois légendaire et historique)
ainsi que les aspects stylistiques qui le rapprochent davantage de la
poétisation de la narration du réalisme merveilleux, toutes choses
qui vont bien au-delà du simple truc magico-réaliste.
Or c’est dans MTV (et un peu moins nettement dans quelques
autres contes du même recueil 81 et du précédent, Les Funérailles
de la grande Mémé), qu’on peut relever comme une forme épurée
du mode magico-réaliste, étoffé par une intrigue minimale et
presque sans coloration thématique latino-américaine.
Si de nombreux critiques ont noté l’influence de Kafka, de
Faulkner ou de Hemingway sur les premières publications en
magazine de García Márquez (celles dont il n’avait pas souhaité la
publication en volume), il me semble que, bien plus que la
référence à Franz Roh, à Carpentier, aux Surréalistes ou à Kafka,
rien n’est plus instructif sur la technique narrative des œuvres du
80
L’affirmation bien connue de l’auteur, que Cent Ans de solitude relève
du "réalisme social," me semble relever de la boutade.
81
Jacqueline Tauzin a notamment mis en lumière la "surcharge de sens,
sous une apparence de truculence gratuite, qui caractérise l’écriture de
García Márquez" dans "Blacaman le Bon, marchand de miracles" (op.
cit., p.141).
147
Colombien, associées au réalisme magique, que la comparaison
avec les dizaines de contes et nouvelles du même mode, publiées
par Marcel Aymé entre 1932 et 1967 en France.

148
La "première manière" de Giono
ou le réalisme merveilleux

L'on a souvent remarqué qu'avec des livres comme Colline,


Regain ou Que ma Joie demeure, Giono avait apporté une
extraordinaire bouffée d'oxygène dans le paysage littéraire français
d'avant-guerre. Que l'on sortait avec un sentiment d'exaltation de la
lecture de ces livres, voire avec le désir de changer le monde, de
changer la vie. Cette écriture enthousiasmante est souvent appelée
la "première manière," celle qui lança Giono. Une telle appellation
est non seulement problématique, mais aussi décevante, parce que
terne. Je propose de la remplacer par l'expression réalisme
merveilleux, bien plus évocatrice, malgré son apparente
contradiction dans les termes – ou peut-être grâce à celle-ci. En lui
associant une définition précise d'un mode narratif de la fiction,
cette appellation permet de rendre compte de la spécificité d'une
grande partie de l’œuvre de l'écrivain d'avant-guerre. 82 Par ailleurs,
le recours à la notion de réalisme merveilleux met en évidence
d'intéressantes sympathies entre l'écriture de ces textes gioniens et
celle d'écrivains d'autres pays – notamment antillais et latino-
américains – habités d'un élan créateur similaire.

La question des "manières" de Giono

A l'évidence, la question des "manières" de Giono est


complexe. La meilleure preuve en est l'emploi presque
systématique, par les critiques, de prudents guillemets autour du
terme. Parmi les plus éminents spécialistes, certains préfèrent
d'ailleurs éviter d'aborder l’œuvre sous cet angle. C'est le cas de
Robert Ricatte, pour qui il est "impossible de régler de façon
simple cette question,"83 mais aussi celui de W. D. Redfern qui,

82
Ce travail est détaillé dans ma thèse de doctorat "Le réalisme magique
de Marcel Aymé et le réalisme merveilleux de Jean Giono: deux modes
narratifs distincts," Université Paris III — Sorbonne Nouvelle, 1994.
83
Robert Ricatte, Préface de l'édition de la Pléiade (I, p. xlvii).
149
dans son approche plutôt psycho-critique de l’œuvre, considère que
la distinction des manières est "superficielle."84
Pourtant, l’œuvre de Giono est souvent divisé en deux
"manières," que ce soit dans le cadre d'une recension de presse ou
dans celui d'une thèse d’État. Certains, comme Marcel Neveux 85 ou
Jean-François Durand,86 voient plutôt trois divisions que deux. De
telles divergences ne sont guère étonnantes car, si la distinction des
manières de Giono est communément admise, leur définition
relève d'un mélange souvent assez flou de considérations
chronologiques, philosophiques, thématiques, stylistiques, et/ou
esthétiques. Pour résumer grossièrement, il y a ceux qui rejettent le
concept des "manières" en invoquant, d'une part, l'unicité de
chaque œuvre (au féminin), et de l'autre, de la cohésion ultime de
l’œuvre entier, généré par l'écrivain. Face à ces défenseurs de
l'unicité, se dressent des lecteurs qui constatent des différences si
évidentes dans l’œuvre gionien, qu'il n'hésitent pas à voir, derrière
ces manières diverses, des "Giono différents," et font ainsi de la
personne de l'auteur une espèce de monstre bicéphale, voire
tricéphale. Alors que les premiers, partisans d'une sage théorie de
l'évolution, voient dans la diversité des thèmes et des techniques
romanesques une simple maturation progressive de l'écriture, les
seconds constatent la révolution d'un auteur qui aurait brusquement
tourné casaque, tant sur le plan des idées que sur celui du style,
vers 1939-45.
Entre des positions aussi tranchées, les tentatives de conciliation
n'ont pas manqué. Mais le malaise demeure, et la notion des
"manières de Giono" ne semble pas réussir à s'affranchir des
guillemets de la prudence ou de la suspicion. Si tel est le cas, cela

84
W. D. Redfern, The Private World of Jean Giono, Oxford, 1967, p.17.
85
Pour Marcel Neveux (Jean Giono ou le bonheur d'écrire, Monaco,
1990), au-delà du "Giono des années trente," la production d'après-guerre
se divise en genre de la "chronique romanesque" et en "veine
stendhalienne" (ou "période beyliste").
86
Dans sa thèse d’État "Giono, entre romantisme et modernité"
(Université de Provence, 1989), J.-F. Durand suit "l’œuvre dans sa
diachronie créatrice, tout en la divisant en trois grandes masses de sens
qui recoupent à peu près, ce qu'il est convenu d'appeler les manières de
l'écrivain" (p.35).
150
me semble dû principalement à un manque de rigueur dans
l'approche critique, qui ne distingue pas toujours nettement les
considérations formelles sur les genres et les styles, des remarques
sur les thèmes et la vision philosophique. Cela est particulièrement
évident dans la question de la "seconde manière," compliquée par
une querelle sur la pertinence de la division entre "romans" et
"chroniques."
Ainsi, l'usage fait jusqu'à présent de la notion de "manière" n'est
satisfaisant ni dans le cadre de la critique gionienne ni dans le
cadre de la théorie littéraire. Or, une approche modale,
d'inspiration narratologique,87 pourrait rendre compte de l'intuition,
communément admise, d'un changement marqué dans l'écriture de
Giono autour de la Seconde Guerre Mondiale. Jusqu'à cette
dernière, le mode narratif de l'écrivain relève avant tout de ce que
j’ai proposé d'appeler le réalisme merveilleux.

Le mode narratif réaliste-merveilleux.

C’est justement le souffle poétique commun à certaines oeuvres


antillaises (qui frappent par leur narration dynamique et fortement
teintée de lyrisme, par la collusion affective entre narrateur et
personnages principaux, par un goût prononcé d'images fortes et
par une exaltation vibrante "du pays") et à ce qu’on appelle la
"première manière" des romans de Giono, qui m’a poussé à
redéfinir le réalisme merveilleux en tant que mode narratif de la
fiction. En faisant abstraction des aspérités idéologiques du
manifeste du "Réalisme Merveilleux des Haïtiens"proposée en
1956 par Jacques Stephen Alexis, j’ai voulu limiter la pertinence
de cette appellation à une catégorie de l'analyse littéraire, située
entre les notions de genre et de style, comme Amaryll Chanady
l’avait fait pour le réalisme magique. 88
En termes simples, le réalisme merveilleux est un mode narratif
caractérisé par la fusion, dans le récit, d'éléments réalistes (lieu,
époque, personnages, actions) et d'une vision du monde soulignant
87
On reconnaîtra plus particulièrement la marque des travaux de Gérard
Genette, auxquels mes analyses doivent beaucoup.
88
Cf. Magical Realism and the Fantastic: Resolved Versus Unresolved
Antinomy, New York & Londres, Garland Publishing, 1985.
151
son mystère. Cette fusion a lieu, en permanence, dans le creuset
d'un style narratif hautement poétisé, exprimant l'exaltation de
l'auteur.
Une telle définition du mode narratif a plusieurs avantages dans
le cadre de la critique gionienne. Le premier tient à sa précision,
que ce soit par rapport à un qualificatif unique et réducteur (comme
"le Giono paysan," "pastoral," "régional") ou par rapport à des
dénominations allusives (la "première manière," la "manière
d'avant-guerre," le "Giono rousseauiste"). Le second est dans son
caractère strictement formel: ce n'est pas le contenu, la thématique,
qui fait le mode (puisque des thèmes quelconques peuvent être
traités selon bien des modes: réaliste, fantastique, surréaliste,
policier, féerique...), mais son traitement narratif. Le troisième
relève du comparatisme : si les styles de Giono lui sont propres, le
mode du réalisme merveilleux permet de le rapprocher d'autres
auteurs.
Le réalisme merveilleux est différent d'autres modes de
l'imaginaire comme le fantastique, le réalisme magique ou le
féerique. Si le lecteur peut ressentir une difficulté, elle ne consiste
pas à élucider une déchirure dans une vision rationnelle du monde,
mais à accepter une vision fondant réalisme et mystère, que le
narrateur lui impose. Loin d'être objectif et impartial, le discours
du narrateur colore constamment le récit par une poétisation
exaltée, voire lyrique : la narration de l'action et la description du
cadre se font par le biais d'une exaltation subjective de l'auteur, qui
entraîne les voix des personnages et la voix du narrateur dans un
même souffle poétique. On est aux antipodes d'un "degré zéro" de
l'écriture.

Le réalisme merveilleux de Giono

Dans le cadre restreint de la présente étude, je me contenterai


d'illustrer par quelques exemples seulement la définition proposée
du mode réaliste-merveilleux. Ils devraient suffire pour donner une
idée du potentiel de ce modèle théorique dans l'analyse de l’œuvre
gionienne.
Dans les récits d'avant-guerre comme la Trilogie de Pan et Que
ma Joie demeure, il y a clairement deux codes: celui du réalisme et
152
celui du mystère de la nature. Ils sont aussi évidents, d'ailleurs,
dans Présentation de Pan, 89 dont voici le début:

Quand on regarde sur la carte routière le pays que


ceinture la Durance, on voit, vers le haut de l'image, une
grande place morte. Une résille d'artères et de veines charrie
le sang dans la partie basse [...]; mais, d'un coup, tout
s'anémie et s'amenuise, la route qu'on suivait du doigt se
perd [...] tout est mort, tout est blanc de la pâleur des terres
inconnues: c'est Lure.
Plus de chemins. Les traces humaines font peureusement
le tour de la montagne. [...] La route [...] s'esquive dans un
val; elle se cache sous les collines; elle fuit enfin vers
Laragne, laissant derrière elle, après son prudent détour, la
terrible échine.

Que de mystère et de subjectivité suggérés sur la base d'une


simple carte routière! Les éléments du code réaliste (les noms de
lieux: la Durance, Lure, Laragne) ne sont pas seulement
vraisemblables (comme l'exige le réalisme) mais authentiques,
puisque nous connaissons ces lieux ou pouvons les trouver sur une
carte du Midi de la France. Mais il y a aussi un code du
mystérieux, exprimé ici par une langue qui anime et animalise les
signes de la carte: les routes deviennent "des veines charriant le
sang," une tache blanche "une grande place morte," les lacets de la
route "une danse," la colline "une terrible échine," etc.
Tous les détails objectifs de la carte sont passés au crible d'une
formulation hautement métaphorique dans le discours du narrateur,
visant ici à suggérer la présence d'un mystère. Par ailleurs, on ne
sent aucune tension entre ces deux codes – pourtant
potentiellement antinomiques – qui sont intimement mêlés dans le
discours narratif. Dans le réalisme merveilleux, au lieu de se
contenter de "narrer" des faits ou de décrire objectivement un
paysage, le narrateur exprime une exaltation constante. Celle-ci est
89
Je choisis ce texte à dessein pour aller dans le sens d'Henri Godard [Cf.
préface de Jean Giono, Romans et essais (1928-1941), Le Livre de Poche,
1992, p.19-20] et situer le mode narratif de certains passages des essais
dans la mouvance de celui des romans.
153
particulièrement évidente dans l'utilisation phatique (voire
baroque) des figures de langage. Ainsi, dans le passage présenté
plus haut, la narration du récit est doublée d'un commentaire
poétique. C'est la voix enthousiaste de l'auteur qui fonctionne
comme un amplificateur de la narration et produit une fusion très
particulière entre le réalisme et une vision mystérieuse du monde.
On objectera que dans l'exemple proposé ci-dessus, l'auteur
s'exprime en son nom propre puisqu'il s'agit d'un essai; mais cette
même voix exaltée de Giono (avec des variations de registre:
lyrique, fantastique, tendrement complice, truculent ou
gouailleur..) apparaît dans les premiers romans, que ce soit dans le
discours du narrateur ou dans celui des personnages. Relisons par
exemple, les toutes premières lignes de Que ma Joie demeure :

C'était une nuit extraordinaire.


Il y avait eu du vent, il avait cessé, et les étoiles avaient
éclaté comme de l'herbe. Elles étaient en touffes avec des
racines d'or, épanouies, enfoncées dans les ténèbres et qui
soulevaient des mottes luisantes de nuit.
Jourdan ne pouvait pas dormir. Il se tournait, il se
retournait. (II, p. 415)

Cette narration/description est-elle focalisée par le personnage


qui apparaît au troisième alinéa ou à mettre au compte du seul
narrateur? A qui imputer l'imagerie poétique dont la narration est
chargée d'emblée? La comparaison audacieuse des étoiles ayant
éclaté "comme de l'herbe" et les métaphores des "racines d'or [des
touffes d'étoiles]" soulevant "des mottes luisantes de nuit" sont
typiques, évidemment, de l'un des styles gioniens – celui qui joue à
bousculer les éléments de la nature et voit la terre dans le ciel et
vice-versa. Mais peut-on distinguer, justement, dans ce cas, le style
du mode narratif et, plus particulièrement, du niveau narratif?
Ainsi, quelques pages plus loin :

Jourdan descendit à l'étable. Le cheval dormait debout.


– Ah! dit-il, toi tu sais, au moins. Voilà que tu n'as pas
osé te coucher.

154
Il ouvrit le grand vantail. Il donnait directement sur le
large du champ. Quand on avait vu la lumière de la nuit,
comme ça, sans vitre entre elle et les yeux, on connaissait
tout d'un coup la pureté, on s'apercevait que la lumière du
fanal avec son pétrole, était sale, et qu'elle vivait avec du
sang charbonné. (II, p. 416)

Remarquons d'abord la présence simultanée d'un code réaliste


(les actions et le décor rustiques) et d'un code mystérieux (la
préparation surprenante d'un labourage nocturne sous un ciel
extraordinaire). Notons aussi que le discours narratif de ce passage,
loin de souligner l'antinomie potentielle de ces aspects, les fond
harmonieusement: le narrateur ne juge nullement fantaisiste ce
labourage nocturne. Comment cette fusion des codes a-t-elle lieu?
Encore une fois, avec la complicité flagrante de l'auteur. Bien
malin, en effet, qui saura dire si dans le dernier paragraphe du
passage cité, les impressions sont celles du narrateur/auteur ou
celles focalisées par Jourdan (et donc seulement "rapportées"). Ce
que le lecteur ressent à coup sûr, c'est un sentiment partagé, une
connivence profonde entre Jourdan et le narrateur au sujet de la
qualité de la lumière du ciel nocturne. Et si cette connivence est
aussi évidente dans l'expression, c'est parce qu'elle est reflète
l'assentiment passionné de l'auteur. La narration des actions de
Jourdan et la description du mystère cosmique dans lequel il
évolue, sont inséparables de la vision poétique de l'auteur. Et c'est
au partage de cette vision exaltée que le narrateur invite le lecteur,
déjà embrigadé dans un "on" très convivial: "Quand on avait vu la
lumière de la nuit, comme ça..." C'est le "on" typique du Giono des
premiers récits où le narrateur est indissociable des personnages; le
"on" de la fusion narrative où la voix exaltée de l'auteur colore en
permanence le discours du récit.
On trouve un autre exemple (parmi tant) d'infiltration de la
narration par la poésie dans la description suivante :

Il avait neigé puis gelé pendant la nuit. Tout le pays était


cristallin comme du beau verre. On entendait marcher la
chaleur légère du soleil. [...]

155
Dès l’œil ouvert, Jourdan sauta du lit. (p. 438, ; c’est moi
qui souligne)

Qui "entendait," sinon l'auteur/poète qui s'immisce à la fois


dans le lit conjugal de Jourdan, source focalisée de l'information, et
dans le discours du narrateur? Mais cette récupération de la
narration par la poésie ne se fait pas toujours par le biais, un peu
sournois, du "on." Il arrive à l'auteur de faire de franches
intrusions. Ainsi, dans le passage ci-dessous, le "je" surgit tout à
coup derrière le "on" pour souligner, justement, l'importance de
l'imagerie expressive :

– Doucement, dit Jourdan en poussant la porte de l'étable.


[...] On voyait le ciel. Voilà ce qu'on voyait: la terre qui montait
vers la forêt. [...] Puis le ciel [...] Et ce ciel, révérence parler, il se
cassait la gueule sur le toit de la ferme; voilà ce que je veux dire:
ce ciel était fait pour s'en aller... (II, p.464; c'est moi qui souligne)

Ces quelques exemples indiquent très succinctement de quelle


manière la définition du mode proposée peut guider l'analyse des
récits gioniens. Ce même outil permet aussi de constater
d'éventuelles variations du mode narratif à l'intérieur d'une œuvre.
C'est le cas, notamment, de Prélude de Pan. De prime abord, ce
texte —de fiction— contient beaucoup d'éléments narratifs,
thématiques et stylistiques, communs aux romans de la Trilogie du
même nom. Cela semble logique, étant donné le rôle de "mise en
condition" du lecteur pour lequel Giono avait conçu ce texte, qui
commence de façon tout-à-fait conforme aux romans :

Ceci arriva le 4 de septembre, l'an de ces gros orages, cet


an où il y eut du malheur pour tous sur notre terre.
Si vous vous souvenez, ça avait commencé par une sorte
d'éboulement du côté de Toussière, avec plus de cinquante
sapins culbutés cul-dessus-tête. La ravine charriait de longs
cadavres d'arbres, et ça faisait un bruit...[...] Puis il y eut cet
évasement de la source de Fontfroid. Vous vous souvenez?
[...] et ce vomissement qui lui prit à la montagne [...]

156
Ces deux choses-là, ça avait fait parler; on était dans les
transes. Plus d'un se levait au milieu de la nuit, allait pieds
nus à la fenêtre pour écouter, au fond de l'ombre, la
montagne qui gémissait comme en mal d'enfant... (I, p.441)

Comme dans Un de Baumugnes, c'est un personnage-témoin-


acteur qui fait mine de s'adresser à un public "local," dans un café
peut-être. Les formulations rustiques ("culbutés cul-dessus-tête,"
"on était dans les transes"), combinées avec la date et l'indication
d'un lieu, la demande rhétorique de confirmation par l'interlocuteur
supposé, et le détail des "pieds nus," tout cela fait effet de réel,
constitue un code réaliste. En même temps sont relatés des faits
effrayants, rendus encore plus inquiétants par l'emploi de
métaphores frappantes: "charriait de longs cadavres," "ce
vomissement qui lui prit à la montagne," "qui gémissait comme en
mal d'enfant." Mais ces aspects surnaturels ou réalistes ne sont pas
présentés comme antinomiques. Au contraire, ils se fondent l'un
dans l'autre, car c'est dans une imagerie rustique (mais brillante —
et occasionnellement verte) que le poète se profile derrière le
narrateur:

...une épaisse barre de nuages violets et lourds [...] qui pesait


sur le village comme une meule [...] les matins étaient
blonds d'herbe mûre... la terre était chaude au pied et
élastique comme un fruit... Au Café du Centre [...] les jeunes
s'étaient excité les mains sur les fesses des servantes; rien
que de sentir l'odeur de leur femme, ça les faisait dresser...
(p.442-44)

Jusqu'ici, la narration correspond donc bien au réalisme


merveilleux tel qu'il est défini ici. Même si l'aspect inquiétant du
mystère introduit une "note" fantastique, on a bien une exaltation,
évidente dans l'emploi des images ("Au café du centre, c'était plein
à déborder. Dans la cuisine c'était un bruit de vaisselle et d'eau à
croire qu'un torrent y coulait..."), parallèle ici à un effet de
crescendo dans le caractère extraordinaire des événements relatés.
En effet, la suite du texte introduit "l'homme" étranger, venu de
la forêt, avec ses yeux de chèvre, ses poils de bouc, sa façon de
157
boire dans le seau comme une bête, son langage animal avec la
colombe blessée, la puissance hypnotique de sa parole. Mais il
importe de noter que toutes ces allusions à une incarnation de Pan
interviennent dans un discours qui maintient encore soigneusement
le code réaliste. On reste donc dans le même mode, dans la fusion
narrative effectuée par un discours véhiculant image sur image.
Mais les choses changent, quand l'homme décide de se défendre, à
sa façon, contre les menaces du gros et cruel Boniface :

Il resta un moment à réfléchir, l’œil sur nous. Puis il se


décida.
"Autant dire qu'il faut vous enseigner encore un coup la
leçon, fit-il. Peut-être que dans le mélange vous retrouverez
la clarté du cœur."
Il pointa lentement son index vers Antoine et il lui dit:
"Va chercher ton accordéon." (p.451)

Ces propos sibyllins ne s'éclairent que par la suite. En fait de


"mélange," cet avertissement annonce la scène hallucinante de
l'orgie que Pan va provoquer par l'intermédiaire de la musique.
Quand Boniface, tout désarmé par la-dite musique, se met à danser
comme un ours, on se retrouve dans la scène de La Flûte
Enchantée, où Pamina et Papageno font danser les sbires de
Monostatos avec le jeu de clochettes magique :

Il dansait là, en face de l'homme qui ne le quittait pas des


yeux. Il dansait comme en luttant, contre son gré, à gestes
encore gluants. C'était comme la naissance du danser. (p.
452)

Mais ce n'est plus du réalisme merveilleux, car l'effet de


réalisme est rompu au profit grandissant d'un code du surnaturel,
qui s'inscrit dans un mode féerique, merveilleux ou mythique :

Ce n'était donc pas la musique qui nous ensorcelait mais


une chose terrible qui était entrée dans notre cœur en même
temps que les regards tristes de l'homme. C'était plus fort
que nous. On avait l'air de se souvenir d'anciens gestes de
158
vieux gestes qu'au bout de la chaîne des hommes, les
premiers hommes avaient faits.
Ça avait ouvert dans notre poitrine comme une trappe de
cave et il en était sorti toutes les forces noires de la création.
[...] C'est raconté à ma manière, mais, je n'en sais pas plus...
(p.453-54)

La protestation du narrateur qui s'excuse des limites de son art,


c'est-à-dire de la rusticité de son langage, ne peut plus donner
l'illusion du réalisme, car ce que Giono laisse son narrateur
développer, c'est une vision mythique de temps primitifs
panthéistes. La description de cette danse des origines de
l'humanité rappelle assez l'esthétique volontairement "primitive"
(se voulant loin de tout classicisme aux harmonies tempérées) du
Sacre du Printemps, que ce soit dans la musique ou la
chorégraphie. L'exaltation du poète visionnaire entraîne le naufrage
du code réaliste dans un délire métaphorique et mythique qui remet
en cause le mode narratif de l'ensemble du texte.
La suite du récit ne fait que s'enfoncer plus loin dans la
mythologie puisqu'elle culmine dans une formidable scène d'orgie
apocalyptique, tous règnes confondus, et de réveil en gueule de
bois, au moral comme au physique. Elle s'écarte donc de plus en
plus du modèle de mode narratif présenté ici. Or, si Giono a
renoncé à mettre ce "Prélude" en tête de sa Trilogie, c'est bien
parce qu'il y avait, en définitive, un hiatus entre les deux parties du
projet :

...considérant sans doute que le caractère fantastique du récit


s'accorderait mal avec le ton des romans, dans lesquels une
explication rationnelle reste toujours possible, Giono a
renoncé assez vite à son projet initial: après avoir publié son
texte séparément, il a écrit, comme porche à son triptyque,
Présentation de Pan.90

Ce que P. Citron appelle le "caractère fantastique du récit"


correspond à ce que j'ai décrit dans mon analyse comme l'aspect
90
Pierre Citron, notice sur Prélude de Pan (I, p.1048; c'est moi qui
souligne).
159
mythique qui saborde le code du réalisme vers la fin du texte. Il me
semble important de souligner que si on peut décrire les
événements surnaturels du Prélude comme étant "fantastiques" (au
sens large du terme), on ne saurait qualifier le texte entier comme
illustrant le "genre" fantastique tel que l'a défini Todorov, car le
texte génère une franche incrédulité plutôt que de l'hésitation chez
le lecteur.
Pour ma part et comme je viens de le suggérer, la fin de
Prélude de Pan bascule dans un mode "néo-mythique" qu'il reste à
définir. Quant aux romans de la Trilogie, le mode narratif réaliste-
merveilleux présenté ici permet de les situer de manière bien plus
précise entre réalisme et merveilleux qu'on ne l'avait fait jusqu'à
présent.

Conclusions

J'ai esquissé ici les possibilités d'utilisation d'une définition


théorique d'un mode narratif réaliste-merveilleux dans l'analyse des
textes de Giono, associés généralement par la critique à la
"première manière" de cet auteur. La plupart de ces textes d'avant-
guerre illustrent un mode d'écriture dans lequel n'apparaît ni la
réflexivité ni l'espèce d'éclatement de la narration qui s'imposeront
dans les textes ultérieurs. De Colline à Que ma Joie demeure, les
récits sont caractérisés essentiellement par un mode de narration
très particulier où le réalisme le plus prosaïque côtoie en
permanence le mystère cosmique, sans que cette cohabitation ne
crée l'inquiétude propre au fantastique ou le merveilleux volontiers
hétéroclite du surréalisme. Au contraire, la geste des personnages
et les décors s'inscrivent, sans couture visible, à l'intérieur d'un
monde à la fois naturel et mystérieux. Ces aspects —
potentiellement antinomiques— se fondent dans le creuset
miraculeux d'une narration emportée par l'exaltation poétique: voix
des personnages et voix des narrateurs vibrent avec celle —
implicite— de l'auteur. Toutes unies au diapason, elles soufflent un
vent panthéiste lyrique d'une force peu commune. Il en surgit
l'évocation puissante d'un monde à la fois chtonien, parfois encore
proche d'un chaos originel, et idyllique.

160
Ainsi, l'univers des premiers romans de Giono est le fruit d'une
narration tendue entre des pôles d'inspiration et des genres
littéraires généralement opposés : mimétisme du roman et
expressivité de la poésie. L'oxymore réalisme merveilleux. me
semble évoquer de façon satisfaisante la singularité d'un tel mode
narratif, entre réalisme et merveilleux.

161
162
Trois réalistes-merveilleux antillais :
Alejo Carpentier, Jacques Stephen Alexis
et Jean-Louis Baghio’o

[...]

163
x

164
x

165
x

166
x

167
x

168
x

169
x

170
x

171
x

172
x

173
x

174
x

175
x

176
x

177
x

178
x

179
x

180
x

181
x

182
x

183
x

184
x

185
x

186
x

187
x

188
x

189
x

190
x

191
x

192
x

193
x

194
x

195
x

196
x

197
x

198
x

199
x

200
x

201
x

202
x

203
x

204
Le réalisme merveilleux
dans Le Hameau de William Faulkner

Contrairement à de nombreux romans de l'entre-deux guerres


qui visent une critique sociale, Le Hameau91 ne met pas en scène
des personnages représentatifs de la société contemporaine de son
auteur. Ce n’est pas non plus une œuvre conçue dans un esprit de
formalisme littéraire. Son action est située dans le Mississippi rural
vers 1900. Sa narration est fortement teintée de préoccupations mi-
idéologiques mi-poétiques. Malgré son thème peu engageant (les
effets de la cupidité dans une petite communauté affligée de
"Snopesisme," dans laquelle la rapacité, l'envie et la jalousie
dominent les relations économiques comme les relations
sexuelles), Le Hameau a été décrit comme "le plus grand livre
d'humour américain depuis Les Aventures d'Huckleberry Finn," un
roman qui "propose au lecteur un véritable festival du langage." 92
Le comté de Yoknapatawpha est imaginaire mais pour bien des
lecteurs il représente la quintessence du Mississippi. On ne
s’étonnera donc pas que la question du réalisme de Faukner ait fait
coulé beaucoup d’encre. Pourtant, plus que les thèmes, c’est la
manière de l’écrivain qui a frappé. Certes, il y a un style Faulkner
immédiatement reconnaissable, mais les variations stylistiques –
même au sein d’un seul roman – peuvent être importantes. Et le
style s’inscrit dans un mode narratif. Celui de la plupart des œuvres
de Faulkner déborde assez largement de ce que l’on entend
d’habitude par réalisme. Ne serait-ce que parce que l’auteur
maintient une grande tension narrative. Celle-ci relève parfois du
simple suspense, mais plus que la structure de l’intrigue, c’est la

91
Premier volet de la Trilogie Snopes, ce roman est paru sous le titre The
Hamlet en 1940 à New York ; Le Hameau, trad. René Hilleret, Gallimard
1959. Mes citations renvoient à la traduction grandement remaniée par les
éditeurs du volume III des Œuvres Romanesques de Faulkner en Pléiade,
2000.
92
Michel Gresset, Nouveau Dictionnaire des Œuvres, Laffont-Bompiani,
1994.
205
densité et/ou la complexité du discours narratif – l’articulation de
la parole des personnages et du discours ou des silences des
narrateurs – qui constitue la particularité de l’œuvre. Ce discours
narratif hautement personnalisé constitue, au-delà de la
manifestation de préoccupations d’ordre stylistique, une
modalisation profonde de la narration. Non seulement le style de
l’auteur est en général plus baroque que classique, mais son
discours n’est pas celui réputé "lisse" ou "à plat" d'une prose
réaliste ordinaire.
La présente étude aborde Le Hameau par le biais du “réalisme
merveilleux” comme je l’ai défini plus haut en tant que mode
narratif de la fiction. Le récit correspond, en grande partie, aux
trois critères qui composent cette définition. L’intérêt de ceux-ci
est de servir de guide dans l’analyse du texte. C'est la singularité
de ce dernier que je souhaite mettre en lumière, même s’il me
paraît intéressant d’établir aussi que l’œuvre étudiée appartient à
un courant romanesque qui mérite d'être distingué du réalisme, du
surréalisme, du fantastique et du réalisme magique. 93

1. Réalisme et mystère
Le Hameau relate principalement l’ascension sociale de
Flem Snopes, fils de métayer pauvre au physique ingrat qui, en
cinq ans, met la main d’abord sur le magasin de fournitures
générales du village de Frenchman’s Bend (dans le comté
mythique du Yoknapatawpha), puis sur Eula Varner, fille du
potentat local, d’une grande beauté, qu’il épouse alors qu’elle est
enceinte des œuvres d’un tiers. Ce mariage de raison et de
convenance apporte à Flem, en guise de dot, le domaine de
l’ancienne plantation, en ruine, certes, mais néanmoins symbole du
Vieux Sud aristocratique d'avant la défaite. Sur cette branche
principale de l’intrigue se greffent toutes sortes d’anecdotes de la
93
Je propose ici une version grandement réduite du volet faulknérien de
l’étude "Le réalisme merveilleux dans Que ma joie demeure de Jean
Giono et dans Le Hameau de William Faulkner," mémoire en vue de
l’habilitation de littérature générale et comparée (direction Daniel-Henri
Pageaux, Université Paris III – Sorbonne Nouvelle, 2001) 380 p.
206
vie rustique du hameau, souvent rapportées par V.K. Ratliff,
vendeur de machines à coudre itinérant, colporteur de nouvelles,
négociant en tout genre et espèce de barde local malicieux. Il se
fait néanmoins rouler par Flem à la fin du livre, lorsqu’il lui
rachète le vieux domaine, convaincu d’y trouver le trésor enfoui du
Vieux Français, alors que Flem part, lui, s’installer à Jefferson,
chef-lieu du comté (où il fera fortune avant de mourir assassiné :
ces prolongements fournissant la matière des volumes suivants de
la trilogie Snopes, La Ville et Le Domaine). Tout ceci est rapporté
par un narrateur extradiégétique anonyme, volontiers poète ou
philosophe, qui laisse néanmoins une large place aux scènes
dialoguées ou aux histoires contées par Ratliff – d’où l’importance
quantitative des tournures dialectales et du parler paysan dans
l’oeuvre.
Pour ce qui est des événements s’inscrivant dans une fiction de
type réaliste, Le Hameau offre une représentation souvent détaillée
des affaires du village. Il y est question de location de fermes, de
mulets, de l’élevage de vaches et de chèvres, de la culture du
coton, du fonctionnement du magasin de fournitures générales, du
prix des choses, etc. De nombreux passages décrivent la pauvreté
des métayers et des petits fermiers, leur mesquinerie, leurs
querelles de voisinage, leur goût du marchandage et des bonnes
affaires, qui n’exclut pas le recours à la ruse, à la duplicité ou à
l’escroquerie. Bref, il s’agit, dans l'ensemble, d’une représentation
crédible de la vie à la campagne dans le Sud autour de 1900.
Du côté du merveilleux, il y a tout d'abord les épisodes
extraordinaires et mystérieux. D’une part, ceux rapportés par
Ratliff, comme la rumeur des Snopes, incendiaires de grange, et
celle de la joute de maquignons entre Ab Snopes et Pat Stampers.
Puis ceux narrés par le narrateur extradiégétique : l’histoire
singulière de Labove, étudiant infatigable et génie du football,
vaincu par l’amour ; le portrait de Eula, espèce de déesse bovine ;
l’idylle à la fois bestiale et romantique entre Ike Snopes et la
vache ; le combat acharné entre Mink Snopes et le chien pour la
possession du cadavre de Jack Houston ; l’épisode épique des
poneys sauvages vendus par le maquignon texan ; la chasse
207
comique au trésor enfoui dans le jardin du vieux Français. Mais
dans le mystère s’inscrit aussi le portrait presque surnaturel d’un
Flem Snopes secret et impassible. Ce portrait tire sa force du fait
qu’il ne s’agit que d’une esquisse assez proche du mode
fantastique : Flem effraie parce qu’il reste dans la pénombre, c'est-
à-dire dans une "inquiétante étrangeté," et ce tout au long de la
trilogie à laquelle il donne son nom.
Le traitement temporel du Hameau est complexe. Le
mouvement d’ensemble du récit y est chronologique, mais de façon
peu claire dans le détail. L'action est fréquemment rapportée dans
le cadre de narrations intradiégétiques relevant de l’oralité et
incluant de nombreuses analepses. D’autre part, le narrateur
extradiégétique introduit de temps à autre des prolepses, allant
jusqu'à quarante ans au-delà de la fin de l’action. Un même épisode
peut être présenté par différents personnages à divers moments du
récit. Ceci entraîne parfois des retours sur un passé déjà exposé, au
moins partiellement, ailleurs.
Une autre source de perception diffuse de la chronologie
comme de la causalité de l’action se trouve dans la complexité
narrative et/ou stylistique de certains passages. L’imbrication des
niveaux narratifs, l’effet (parfois conjugué) de la paralepse et de la
paralipse94 (tant chez les personnages que chez le narrateur
extradiégétique), et les méandres de la phrase (surtout chez ce
dernier), produisent assez régulièrement des zones brumeuses. En
fait, les complexités de l’expression constituent une bonne partie
du code du mystère dans ce roman.
Le réalisme du Hameau n’est donc que relatif. Comparé à un
roman comme Le Bruit et la fureur, les effets de réel ne manquent
pas et les rapports de causalité non plus. Mais Le Hameau abonde
en lieux, personnages, animaux, et événements hors du commun,
exaltants, mystérieux, voire monstrueux et effrayants – ou du
moins présentés comme tels, soit par un personnage, soit par le
narrateur extradiégétique. Ces éléments mystérieux ne sont pas des
94
Au sens que Genette attribue à ces termes, dans le premier cas
d'information excédant l'approche modale adoptée dans la narration et,
dans le second, de rétention d'information (NDR, p.44-47).
208
accidents occasionnels, des phénomènes inexplicables venus
d’ailleurs, des intrusions brutales du magique, que le lecteur
classerait immédiatement dans l’invraisemblable. Il s’agit plutôt de
manifestations d’un aspect mystérieux de la vie en général, présent
dans certains paysages, dans certains lieux, dans certains
personnages et s’inscrivant dans une vision du monde particulière
que le texte établit progressivement : une vision imprégnée de
l’histoire et de la culture sudiste. C’est dans cette "nature humaine"
spécifique de la culture rurale du Sud, plutôt que dans la nature
tout court, que se situe le mystère constitutif du réalisme
merveilleux faulknérien.

2. Une antinomie fondue dans la narration


La position du narrateur de Faulkner vis a vis des personnages
du roman est complexe. On ne saurait confondre sa voix ni avec
celle de la communauté du hameau (car celle-ci ne s’exprime
jamais d’une voix commune, justement), ni avec celle d’un
personnage particulier, que ce soit Snopes, Varner ou même
Ratliff, dont il se démarque occasionnellement. Des cas de fusion
narrative des voix des personnages et de la voix du narrateur
extradiégétique95 existent dans Le Hameau. Mais elle n'est ni
homogène ni systématique. En fait, c’est par rapport à ce deuxième
critère de ma définition que cette œuvre de Faulkner se distingue
de la forme canonique du réalisme merveilleux que représente pour
moi le Colline de Giono.
Des voix éclatées. La fusion restreinte de voix dans la narration
du Hameau affecte également la fusion générale des codes
antinomiques du réalisme et du mystère. Frenchman's Bend est
déchiré par les rivalités et les jalousies. Une grande partie, à la fois
des conditions pratiques de la vie des habitants du hameau et du
mystère du lieu, est le résultat de secrètes connivences, de relations
empoisonnées ou d'âpres tractations. Il y a toujours des perdants,
des victimes ou des exclus : les femmes, les noirs, les plus pauvres,
95
Dans le sens d’une collusion idéologique ou sentimentale palpable, apte
à se manifester par un recours aisé au discours indirect libre, par exemple,
sans nulle trace de distance critique ou ironique.
209
le voisin haï, les Snopes... Aucune manifestation sociale de joie,
aucun bal, aucune fête (même pas un Noël ou un Thanksgiving, par
exemple) ne réunit les habitants, ne serait-ce qu'en partie. Quant au
mystère, il provient bien plus souvent d'un secret (gardé par tel
personnage et/ou par le narrateur) qui dérange et qui inquiète, que
d'un émerveillement devant la beauté de la nature, à laquelle seul le
narrateur semble être sensible occasionnellement.
La fusion narrative du Hameau reflète à la fois le manque
d'harmonie dans la vie des personnages du lieu et leur traitement
hétérogène par le narrateur. En fait, c'est ce dernier qui crée et met
en relief par diverses stratégies discriminatoires, le manque de
solidarité manifeste du village.
Des focalisateurs privilégiés de la narration : un noyau
d'hommes blancs – Snopes exclus. L'oscillation de la narration
entre réalisme et mystère est due largement à l'aspect varié et
hétérogène de la focalisation. Ainsi, le livre I, pourtant intitulé
"Flem", ne montre ce dernier que de l'extérieur et/ou par le
truchement de la vision ou des opinions d'autres personnages,
notamment Ratliff. Les personnages s'exprimant directement dans
les scènes dialoguées sont Ratliff, Will et Jody Varner, quelques
paysans du hameau et des environs, et quelques Snopes. Ratliff
fournit pratiquement le seul centre de focalisation interne de la
narration, si bien que les débuts de Flem au hameau et l'installation
progressive de ses "cousins" sont présentés au lecteur sous un jour
en grande partie subjectif. Il en va d'ailleurs de même par la suite.
Ainsi, lorsque (dans la première section du chapitre III), Ratliff
revient au hameau après une absence de cinq mois pour maladie, le
lecteur est mis au courant avec lui des activités de Flem par
quelques hommes du coin.
Seule une petite partie de ces informations est rapportée par le
narrateur extradiégétique, mais celui-ci adopte souvent le point de
vue restreint des observateurs intradiégétiques, qu'il combine à
l'occasion avec des intrusions nettement auctoriales, tant par leur
caractère omniscient que par leur complexité stylistique. Ainsi, loin
de l’acrimonie gouvernant les échanges sociaux et verbaux entre
les personnages, de nombreux passages descriptifs évoquent des
210
images du passé d'une manière nostalgique et poétisée qui va bien
au-delà du style courant du texte. Mystère et poésie viennent
étoffer le réalisme dialectal des dialogues, le tout étant alors fondu
dans le discours et la vision du narrateur. Voici pour exemple un
extrait de la scène de vente des poneys sauvages, où le narrateur
souligne la beauté du cadre crépusculaire dans lequel se déroule
une conversation désabusée entre Ratliff et les hommes du
hameau :

"Alors Flem est rentré chez lui, dit Ratliff. Je vois. [...]
Peut-être que vous pourriez attendre que la vente soit finie,
et alors vous feriez deux groupes, un qui suit Flem, un autre
qui suit le type du Texas pour voir lequel des deux dépense
l'argent. Mais après tout, c'est vrai que, quand on s'est fait
rouler, on veut pas savoir à qui est allé l'argent.
— Peut-être que si Ratliff partait ce soir, ils réussiraient
pas à lui faire acheter un des poneys demain, dit un
troisième.
— C'est vrai, dit Ratliff. On peut échapper à un Snopes,
mais il faut prendre le départ de bonne heure. D'ailleurs, à
mon avis, il suffit qu'il rencontre deux personnes sur son
chemin pour qu'une des deux se retrouve victime – une de
plus. Vous, les gars, vous allez quand même pas acheter ces
machins-là." Personne ne répondit. Ils étaient assis sur les
marches, le dos appuyé contre un des montants de la galerie
ou contre la balustrade. Seuls Ratliff et Quick étaient assis
dans des fauteuils, de sorte que les autres apparaissaient
comme des silhouettes noires se découpant sur la lueur
laiteuse et rêveuse de la lune, au-delà de la galerie. En face,
de l'autre côté de la route, le poirier était en pleine
floraison, comme couvert de givre ; ramilles et rameaux ne
s'élançaient pas des branches mais, immobiles, se
dressaient, perpendiculaires aux rameaux horizontaux,
pareils à la chevelure déployée à la verticale d'une femme
noyée dormant à même le sol au fond d'une mer sans vent
ni marée. (p.517-8; mes italiques)
211
Fusion des codes et fusion des voix. Les aspects mystérieux
et le déroulement d'une action en grande partie réaliste sont
inséparables dans le texte. Dans Le Hameau, la narration se
caractérise par un discours typé et intense qui ne se contente
nullement de s'effacer pour rapporter de manière neutre et
objective ce qui se passe dans un univers diégétique qui serait
simplement réaliste. Il est clair que le discours narratif – qui est
pourtant, a priori, celui d'une simple "instance extradiégétique
anonyme" – reflète une implication profonde, de nature auctoriale.
La matière même du roman consiste en une combinaison constante
de réalisme et de mystère, obtenue par une poétisation (au sens
large du terme) de la narration. Cette poétisation peut être de nature
diverse : lyrique, fantastique, comique, grotesque, épique, tragique
– ou une forme hybride de ces aspects. Elle existe surtout dans le
discours du narrateur extradiégétique, mais aussi dans celui de
certains personnages. Or c'est dans l'articulation du discours de ces
derniers avec celui du narrateur que l'on constate des différences
importantes. Celles-ci sont liées aux thèmes exposés et aux
rapports entretenus par les personnages principaux avec ces
thèmes. Sous cet angle, la narration du Hameau apparaît rarement
fusionnelle ou homogène, comme elle l’est dans les premiers
romans de Giono, par exemple.

212
Les rôles antagonistes de Flem et de Ratliff. Le roman
narre les effets du séjour de cinq ans que Flem Snopes fait dans le
hameau de Frenchman's Bend. Arrivé comme un gueux dans le
sillage de son père, il repart à la tête d'une famille et d'une petite
fortune pour se faire une place en ville, après avoir installé
plusieurs parents à des postes-clefs de l'économie du village. Ce
thème est proche du mythe américain du self-made man, dont Le
Hameau aurait pu être une énième illustration. Or l'action des
Snopes – et de Flem Snopes en particulier – est valorisée très
négativement dans le roman, non pas seulement par la plupart des
personnages, mais aussi par le narrateur, dont le statut
extradiégétique n'est nullement synonyme de neutralité objective.
Le thème du roman est clairement l'anti-Snopesisme, c'est-à-dire
sinon la résistance à l'emprise croissante des Snopes dans la société
du Yoknapatawpha (il est trop tard pour cela), du moins son décri.
La narration s'inscrit surtout dans l'opposition et la réaction. Flem
étant clairement ostracisé par le narrateur du roman dont il est
l'anti-héros, il n'est donc pas question de fusion de leurs discours
respectifs.
Si fusion il y a, c'est plutôt entre le discours du narrateur et celui
de Ratliff, le marchand ambulant qui prend à cœur les intérêts et
les mœurs du village, et tâche d'organiser la résistance pour le
mieux-être d'une communauté dont il ne fait pas vraiment partie.
D’ailleurs Ratliff ne bénéficie que d'un soutien partiel à
Frenchman's Bend et s'attaque à un clan qui lui donne d'autant plus
de fil à retordre, que Flem parvient à allier étroitement ses intérêts
avec ceux du potentat local, Will Varner. Les sympathies du
narrateur ne sont pas toujours évidentes et la fusion de son discours
avec une focalisation particulière peut surprendre (comme dans le
chapitre consacré à Mink, qui oblige le lecteur à nuancer entre
Snopes et Snopes). Il n'y a donc pas de fusion systématique des
discours, même pas en ce qui concerne Ratliff. L'aspect éclaté de la
narration est dû aussi à de grandes variétés stylistiques et/ou à des
variations de perspective, liées notamment à l'intégration de
diverses nouvelles dans le roman.

213
En dépit de ces allégeances complexes et de l'éclatement des
voix qui en résulte, la fusion des codes réaliste et mystérieux n'en
opère pas moins. L'aspect mystérieux des événements ou de
certains personnages se conjugue assez systématiquement avec des
effets réalistes, évidents surtout dans les scènes dialoguées,
auxquelles Faulkner sait donner une vie intense. C'est dans les
sommaires que le discours du narrateur verse volontiers dans un
style ampoulé et/ou symboliste. Cette impression de vie est due en
grande partie à la nature extraordinaire des événements décrits
et/ou à l'emphase stylistique (par l'ironie, le comique,
l'agrandissement épique ou tragique). Le narrateur a beau être
extradiégétique et éviter de prendre explicitement parti pour tel ou
tel personnage, il n'est pas neutre dans sa façon d'utiliser
l'omniscience et la focalisation : il rend Ratliff et Eck Snopes
sympathiques, Will Warner divertissant, son fils Jody antipathique,
Mink Snopes presque admirable, Flem et Lump franchement
détestables, Eula mystérieuse et incompréhensible. On sent aussi
que le traitement de l'action révèle un attachement d'autant plus
fort au pays décrit (le Mississippi, en filigrane derrière le
Yoknapatawpha), que son héritage culturel se perd – s'il n'est pas
déjà entièrement perdu à Frenchman's Bend.

3. Une narration marquée d’exaltation auctoriale


Qui dit poétisation de la narration implique manifestement une
activité du narrateur allant au-delà de sa tâche première, qui est de
raconter une histoire. Le texte étudié ici le fait d'une façon
particulièrement marquante. Le thème de l'anti-snopesisme dans Le
Hameau est traité par un auteur qui tient compte à la fois du
réalisme (au sens d'un mode littéraire basé sur la notion de
vraisemblance et de la transparence du discours) et d'une
motivation intérieure d'ordre à la fois esthétique et idéologique
(mettant l'accent sur le mystère de la société humaine dans une
région particulière). Aucun des personnages n'est à même
d'articuler complètement ce second aspect de l'œuvre et c'est par le
truchement du narrateur que cette dimension mystérieuse
s'exprime. En d'autres termes, la fusion du réalisme et du mystère
214
s'opère grâce à tous les aspects de l'activité narrative allant au-delà
du simple récit de l'action, et par lesquels l'auteur infuse sa marque.
En l'occurrence, ce travail auctorial de la narration traduit
manifestement une exaltation, seule capable de produire
l'incandescence nécessaire à la fusion des codes dans le discours de
la narration. Mais cette exaltation varie grandement sur le plan
stylistique dans l’œuvre en question.
Scène de galerie "ordinaire." L'un des lieux privilégiés de
l'action du Hameau est la galerie devant le magasin Varner, un
espace mi-privé mi-public où les hommes se retrouvent pour
bavarder, fumer, chiquer, cracher et tailler des bâtons quand ils ont
du temps à tuer. Il ne se passe jamais rien sur cette galerie, dans le
roman, excepté les deux courtes altercations entre Mink Snopes et
Jack Houston au sujet du veau divagueur. Pourtant, c'est sur cette
galerie (ou sur celle de Mrs Littlejohn, un quart de mille plus loin)
que se font bien des affaires et se nouent bien des intrigues. En
dehors des grands épisodes comiques ou tragiques, l'action du
Hameau consiste surtout en petites joutes verbales dans lesquelles
les hommes tâchent de s'affirmer ou de se défendre s'ils sont pris à
parti, tout cela devant témoins. C'est surtout là que les rapports de
force sous-tendant les événements, les positions et les réputations,
se créent et s'expriment. Faulkner excelle à peindre ces réunions où
les hommes s'affrontent oralement. Manifestement, l'auteur se
délecte autant de la précision de la langue qu'il met dans la bouche
des personnages que de son contrôle de la mise en scène et du
décor. Et il entretient dans ces épisodes, a priori prosaïques et
banals, une tension remarquable, qui est l'expression de du rapport
exalté de l'écrivain à son œuvre.
Ratliff, conteur de "craques" (tall tales). Même s'il n'a
aucun impact sur les événements importants de l'action du roman,
on ne saurait sous-estimer le rôle de V.K. Ratliff dans Le Hameau.
Il y est en tout cas le plus présent et le plus bavard parmi quelque
trente personnages. Lorsque Ratliff s'arrête à Frenchman's Bend, il
y trouve un public appréciant les nouvelles, les anecdotes et les
légendes locales qu'il sait raconter mieux que personne. C'est à ce
titre de conteur intradiégétique que le narrateur "global" du
215
Hameau lui cède presque entièrement la place, à plusieurs reprises.
Si bien que ce héros décevant n'en reste pas moins un personnage
exceptionnel qui contribue pour une bonne part à l'intérêt du
roman, grâce à l'extraordinaire vivacité que Faulkner confère à ses
récits.
Le passage le plus long et le plus marquant, confié à Ratliff, est
situé dans la deuxième section du chapitre II du Livre I "Flem" (sur
les 20 pages de la section, 19 sont consacrées au discours direct de
Ratliff). Le commis en machines à coudre y raconte un craque –
une affaire incroyable de troc de mulets et de chevaux, dans
laquelle Ab Snopes se fait plumer par un maquignon célèbre, Pat
Stamper. L'exaltation auctoriale est aussi perceptible dans le
discours de Ratliff que dans celui du narrateur. Elle se manifeste de
façon générale par la qualité littéraire de son style oral, si l'on me
permet ce paradoxe. Tout comme le parler paysan de Giono est un
dialecte inventé, plus poétique que réaliste, l'expression de Ratliff
est, dans ces longues pages, d'une maîtrise et d'une richesse
linguistique remarquables. Par rapport à la version de l'épisode
publiée antérieurement en périodique, celle du Hameau est
d'ailleurs bien plus travaillée et les marques d'oralité dialectale ont
été réduites de beaucoup : ce n'est plus V.K. Suratt s'adressant (au-
delà de ces auditeurs sur la galerie Littlejohn) à des lecteurs de
magazine, mais V.K. Ratliff s'adressant aux lecteurs d'un roman du
"meilleur écrivain d'Amérique."
La contagion auctoriale du discours de Ratliff est aussi évidente
dans la complexité stylistique et rhétorique, similaire à celle du
narrateur extradiégétique. Ainsi, Ratliff développe sur plus d'une
longue page tortueuse les raisons qui lui permettent de prétendre
que Ab avait fait une bonne affaire en donnant à un nommé
Beasley "un soc de charrue droit et un vieux moulin à sorgho tout
usé qui avait appartenu au vieil Anse en échange du cheval." Il y a
là des développements qui révèlent un esprit subtil d'avocat ou de
casuiste, et il est douteux que de vrais péquenots auraient compris
ou subi ce type de discours pendant plusieurs heures de suite,
même allégé par des notes d'humour et des images cocasses. Tout
comme le discours typique du narrateur extradiégétique, celui de
216
Ratliff combine souvent l'ellipse et le commentaire, forçant le
lecteur à remplir les blancs de l'action et à décoder ce qui s'est
passé sous le commentaire, en quelque sorte.
Bref, si l'insertion de la nouvelle dans l'intrigue du roman est
faite avec habileté, elle n'est pas sans affaiblir à la fois l'aspect de
la psychologie des personnages et celui de la cohérence thématique
et narrative du roman. Ab Snopes, en tout cas, perd beaucoup de
vraisemblance – ce qui explique peut-être qu'il disparaisse, sans la
moindre allusion à son sort, dans la suite du Hameau. C'est la
forme humoristique de l’exaltation auctoriale qui domine ici,
notamment dans les nombreuses occasions où Ratliff ponctue son
discours (ou celui des personnages qu'il évoque) de formules
rhétoriques et de jurons.
Tour de force du narrateur : l'idylle d'Ike et de la vache.
Dans un registre radicalement différent, la longue section
consacrée aux amours d'Ike et de la vache (Livre III, chapitre I) fait
apparaître une fusion du réalisme et du mystère particulièrement
frappante, dans une narration navigant entre ironie, objectivité et
compassion vis-à-vis de l'idiot. Mais surtout, et dès les premières
pages, la cour obsessive de la bête par Ike est décrite avec un
recours intense à la poésie, allant crescendo et culminant dans les
huit dernières pages (sur vingt-deux), consacrées à la description
de l'idylle de trois jours et trois nuits, que le couple fugueur connaît
avant d'être arrêté et séparé. Nulle part dans le roman, l'exaltation
auctoriale du narrateur ne s'illustre davantage que dans cette
description de ce qu'il faut bien appeler une lune de miel :

À six heures, cet après-midi là, ils étaient à cinq milles de


là. Il ne savait pas qu'ils étaient à cette distance. Cela n'avait
pas d'importance; il n'y a pas de distance dans l'espace ou
dans la géographie, pas de prolongement du temps où la
distance puisse exister, pas de fatigue musculaire pour dire
que la distance a été parcourue. Ils vont non pas vers une
destination dans l'espace, mais vers une destination dans le
temps, vers le pinacle, le donjon du soir où le matin et
l'après-midi ne font plus qu'un. La main adroite de Mai leur
217
donne forme à tous deux, non dans l'immédiat, le bientôt,
mais dans le maintenant tandis que, lui faisant face, arc-
bouté et tirant sur le licol rétif, il lui parle, implacable et
impérieux, et qu'elle tire en arrière, refusant le licol et
mugissant. Elle faisait ça depuis une demi-heure, attirée vers
l'étable par la gêne de son pis gonflé. [...] Ils étaient dans les
collines maintenant, parmi les pins. [...] L'ombre striée,
inconstante, du jour déclinant les recouvrait peu à peu alors
qu'ils franchissaient la crête et descendaient dans l'ombre,
dans la vasque azurée du soir, dans le puits de la nuit que ne
troublait aucun vent; la herse du couchant tomba derrière
eux. D'abord, elle ne le laissa pas toucher son pis. Elle lui
lança même une ruade, mais seulement parce que les mains
étaient inconnues et maladroites. Puis le lait se mit à couler,
chaud, sur ses doigts, ses mains, ses poignets, tombant sur le
sol avec un petit sifflement aigu. (p.422; mes italiques)

L'élévation du style dans ces lignes est indéniable, que ce soit


dans les commentaires sur la marche des protagonistes ou dans les
descriptions du paysage (le plus cher à l'auteur : les collines de pin
du Mississippi). Les phrases narrant les actions d'Ike et de la vache
sont, elles, réalistes et formulées simplement. Mais elles viennent
s'insérer dans un contexte grandement valorisé par la poétisation
(qui inclut une formule allégorique, "la main de Mai," évocatrice
des sonnets de Shakespeare – ou de Ronsard, en traduction). Sauf
pour un bref recours à la focalisation interne (par chacun d'eux,
dans les parties mises en italiques dans la citation), les fugueurs
sont vus de l'extérieur par un narrateur soucieux avant tout de
magnifier la solitude du couple par la description d'un décor
idyllique et d'une prise de conscience exacerbée de la valeur de
l'instant. Tout ceci est en conformité manifeste avec l'esthétique du
romantisme, qui domine tout l'épisode, seules quelques touches de
réalisme rustique rappelant au lecteur que les protagonistes ne sont
pas les amoureux communément associés à la notion de couple
romantique. L'exaltation auctoriale est telle, ici, qu'elle fait
basculer la narration dans le poème en prose (et d'une infinie
218
richesse) tant sur le plan des idées et des images évoquées que sur
celui de la diction. Ce passage est suivi par plusieurs pages dans la
même veine. Je me contenterai ici de souligner certains aspects
illustrant l'exaltation auctoriale.
Le narrateur a beau introduire la description de ce matin de Mai
en tant que re-découverte du monde par un Ike nouveau (puisque
dorénavant amant comblé, aux sens aiguisés), le point de vue qu'il
adopte dans ce discours n'est manifestement pas celui de l'idiot qui
cherche son chemin dans l'obscurité afin de retrouver sa belle, mais
celui d'un auteur soucieux de poétiser une situation qui l'inspire
beaucoup et suscite en lui un grand nombre de résonances et
d'associations. A partir de la situation d'Ike, quittant la grange à
l'aurore, le narrateur propose ainsi ce beau et étonnant
développement sur la lumière qui proviendrait de la terre plutôt que
du ciel, cheminement qu'il détaille depuis les profondeurs du limon
jusqu'à la girouette du clocher, par l'exposition d'un double tableau,
hiérarchisé verticalement, de la création végétale et animale, avant
que le jour et le soleil inversent le mouvement et se mettent à
projeter les ombres qui rendent Ike perplexe. Le thème de la terre
est d'une richesse incomparable dans toute l'œuvre de Faulkner et
ne se limite évidemment pas à une évocation géologique ou
biologique de la nature. Il est aussi exploité sur le plan culturel.
Ainsi, le narrateur laisse son personnage tâtonner dans l'obscurité,
pour éclairer sa prose avec des images récurrentes dans l'œuvre de
Faulkner comme celles, tirant vers le bas, du mélange d'ossements
se décomposant dans le sol et celles – visant un ciel illuminé par la
littérature, depuis les origines du verbe – "d'Hélène de Troie et des
nymphes, des évêques, des sauveurs, des victimes et des rois."
On trouve, dans ce passage, l'expression d'un auteur désireux de
surmonter le déchirement entre narration prosaïque et poésie, dans
sa tentative de recréation du monde par le verbe – sans la moindre
trace de distanciation ironique. Cela vaut également pour les
dernières phrases de l’épisode (lequel est d'ailleurs presque
entièrement narré dans un présent intemporel, échappant donc à la
chronologie événementielle du récit), avec le retour d'Ike,

219
désaltéré, auprès de sa compagne, au cœur d'un univers mi-terrien
mi-cosmique :

Il se lève. Le marais est plein de lucioles hasardeuses,


erratiques. Il ne reste que la flamboyante étoile du soir, mais
presque aussitôt les constellations en marche s'engrènent et
commencent à tourner vigoureusement. Blonde elle aussi
parmi les dernières lueurs du jour, elle n'a plus aucune
dimension propre sur le fond de l'herbe luminescente et sans
dimension. Mais elle est là, réelle sur la terre abstraite. Il
foule le sol d'un pas léger, retournant vers elle, foulant d'un
pas léger cette voûte fragile, inextricable, du sommeil
souterrain – Hélène, les évêques, les rois, les séraphins
déchus. Quand il arrive à sa hauteur, elle a déjà commencé à
s'étendre, l'avant-train d'abord, puis l'arrière-train, se
couchant par deux mouvements distincts dans le reflux du
soir, retournant se nicher dans le nid du sommeil, dans la
senteur mammaire. Ils se couchent côte à côte. (p.429)

L'effet de clôture est manifeste, à la fois sur le plan de la


temporalité du récit, avec le retour de la nuit, mais aussi sur celui
de la construction du texte, avec le retour des associations entre
ciel et terre et, plus particulièrement avec les images récurrentes
"d'Hélène, des évêques, des rois, et des séraphins déchus" – sur les
ossements pourrissant et sommeillant desquels Ike marche donc de
son pas allégé par le transport amoureux. Un transport très
manifestement partagé par le narrateur auctorial : aucun autre
épisode du Hameau n'est narré avec une conjonction euphorique
aussi frappante entre l'état d'esprit du protagoniste et la tonalité du
discours du narrateur.

Conclusions. Comme la mise en évidence de la fusion des


codes antinomiques du réalisme et du mystère dans le discours de
la narration l'avait suggéré, cette fusion n'est concevable que par un
effort particulièrement concentré et motivé de l'écriture, qui va
bien au-delà de la simple narration d'une histoire. La consistance
220
poétique et/ou la coloration idéologique de la narration est un
phénomène presque constant dans Le Hameau, mais sujet à de
grandes variations d'intensité : les relations entre les personnages
ainsi que l'attitude du narrateur envers ceux-ci sont extrêmement
variables, les tonalités du discours narratif sont changeantes, mais
rarement neutres ou plates. Que le discours soit délégué à Ratliff
ou focalisé par lui ou d'autres personnages, il est presque toujours
vibrant d'intensité. Faulkner s'ingénie manifestement à choisir des
perspectives d'approche passionnelles du récit. Elles expriment
alternativement l'ironie (sur la perplexité inquiète d'un Jody vis-à-
vis d'Ab Snopes ou de Eula, par exemple, ou sur celle des paysans
vis-à-vis des Snopes), le sarcasme (de V.K. vis-à-vis des acheteurs
de poneys sauvages), l'indignation (face au manque de scrupules de
Flem ou de Lump Snopes, ou de Lump vis-à-vis de l'indifférence
de son cousin Mink à l'argent), la fureur et la haine (entre Mink et
Houston), l'empathie surprenante ou choquante (du narrateur avec
l'assassin Mink ou l'idiot bestial Ike Snopes), la volonté
d'agrandissement épique (dans les parcours de Labove, de Mink ou
de Houston) ou tragi-comique (dans les craques de V.K.), la
poétisation à outrance (dans la narration des amours d'Ike et de la
vache), ou le lyrisme dans certaines descriptions du cadre
mississippien et de son histoire.
L'exaltation auctoriale se manifeste donc de façon variée et
contrastée dans Le Hameau. La palette expressive est étendue dans
le discours délégué par Faulkner aux personnages, notamment dans
celui de V.K. Ratliff. A la variété des sentiments et des dispositions
s'ajoute celle des styles, même au sein du discours du seul
narrateur extradiégétique, dont la verve se traduit très
différemment selon les contextes : le contraste entre la précision
sociologique et l'intensité contenue de l'incipit décrivant
Frenchman's Bend et le lyrisme effréné des pages consacrées à
l'idylle d'Ike et de la vache est frappant. Entre ces extrêmes, il y a
tout un kaléidoscope narratif. L'omniscience est restreinte et
sélective. En dehors de la description historique de l'incipit, le
village n'est montré qu'à une seule occasion avec du recul, dans un
passage focalisé par Ratliff, alors qu'il s'approche du Bend dans sa
221
carriole. La configuration du lieu reste vague, pleine d'un mystère
savamment entretenu.
Quelles que soient les variations de thèmes, de tonalité et de
style manifestes dans Le Hameau, l'analyse du texte montre que
son mode narratif global correspond aux traits distinctifs du
réalisme merveilleux tel que je le définis. Comment d’ailleurs
mieux qualifier l’œuvre dans le contexte du roman du 20 e siècle ?
Contrairement à la description d’une société selon un mode
presque journalistique des œuvres réalistes d’un Sinclair Lewis ou
d’un Louis Aragon, il s'agit chez cet auteur d'un engagement dans
l'écriture (plutôt que par elle) qui touche une autre dimension –
celle de la conscience d'une nostalgie (sans doute utopique et
sentimentale, issue de la tradition du conte), d'une volonté de
maîtrise et de sublimation de l'oralité d'un terroir, et d'une
solidarité avec la terre mississipienne elle-même. La réflexion
sociale est loin d'être absente, mais c'est le besoin irrépressible de
forger une langue poétique en même temps que de développer le
récit, qui confère au réalisme de celui-ci un caractère merveilleux.
Cette alliance d'une voix auctoriale alliant littérarité et oralité va
au-delà d'un style. Elle est inséparable de la thématique du
Yoknapatawpha. Dans une grande partie de son œuvre, il s'agit
pour Faulkner de représenter de petites communautés humaines
encore soumises au rythme des saisons et de culture orale. Rien qui
se laisse couler dans une prose fluide ou superficielle. Celle de
Faulkner dans Le Hameau charrie aussi le sang – celui des morts
ensevelis depuis des lustres dans les jardins de l'Ancien domaine
du Français, celui qui fait flamber le désir, la convoitise, la peur et
la haine dans les cœurs des paysans, celui qui coule des blessures
des victimes.
A la mort de l'écrivain, plus de vingt ans après la publication du
Hameau à New York, le roman n'était pas vraiment reconnu ou
compris, sans doute à cause de sa structure complexe, de son
exceptionnelle richesse thématique et linguistique. Même la
critique récente a du mal à coller une étiquette sur Le Hameau. Ni
roman généalogique, ni roman panoramique, ni roman paysan
idyllique, ni roman paysan réaliste – en effet. On a parlé de style
222
baroque : le foisonnement de la prose de Faulkner y invite. Mais
Edouard Glissant96 a souligné, justement, que le monde empreint
de fatalité et de puritanisme décrit par Faulkner n'est pas celui,
créole, sensuel et voluptueux communément décrit dans la
littérature latino-américaine, et que c'est bien le rejet violent de la
créolité, au sens du mélange racial, qui sous-tend une grande partie
de l'œuvre du Mississipien (même si cette question est mise entre
parenthèses dans Le Hameau dont l'univers diégétique exclut
pratiquement les noirs, comme par magie).
On a également associé l’œuvre de Faulkner – y compris Le
Hameau – au "réel merveilleux" des auteurs latino-américains,
pour lesquels "le merveilleux et le mythique deviennent des modes
littéraires possibles."97 Mais raccrocher Faulkner à la nueva
narrativa latino-americana, c'est mettre la charrue devant les
bœufs. Car c’est la narration poétisée, inspirée par un
américanisme profond (mais en l’occurrence mississipien) de
Faulkner qui a marqué Carpentier, Fuentes et García Márquez. Elle
me paraît d'ailleurs évidente aussi dans la prose française de
Glissant et dans la poésie anglaise d'un Derek Walcott. Tous ces
écrivains rejettent le simple réalisme, certes. Mais les mettre dans
le même sac comme représentants d’un vague "réalisme magique"
latino-américain global ne fait qu’ajouter à la confusion.
S’il me paraît fondé de parler de réalisme magique (le mode
narratif ludique défini par Chanady) dans le cas de Cent Ans de
solitude de García Márquez, par exemple, j’espère avoir montré
que la narration dans Le Hameau de Faulkner relève plutôt d'un
mode poétique distinct, redéfini ici comme un réalisme
merveilleux.

96
Faulkner, Mississippi, Paris, Stock, 1996.
97
Mark Frish, “Nature, Postmodernity, and Real Marvelous : Faulkner,
Quiroga, Mallea, Rulfo, Carpentier,” in A Latin American Faulkner,
special issue of The Faulkner Journal, XI (1-2), Fall 1995/Spring 1996,
Beatriz Vegh (ed.), The University of Akron, Ohio, p. 67-82. Il vaudrait
mieux parler de "réalisme merveilleux," mais l’esthétique proposée par
Alexis sous cette appellation est trop créole et engagée, et celle de
Chiampi colle trop au corpus hispano-américain.
223
224
BIBLIOGRAPHIE CHRONOLOGIQUE
PAR DOMAINE

La bibliographie réunie ci-dessous a profité plus particulièrement


de celles, remarquables, déjà publiées dans les ouvrages de Jean
Weisgerber, de Lois P. Zamora et Wendy B. Faris, et d'Alicia
Llarena. On voudra bien excuser d'éventuelles erreurs
d'appréciation dans le classement des études parmi les domaines
linguistico-culturels retenus :

Allemand ........................................................……………….. 226


Italien ........................................................…………………... 227
Flamand/Néerlandais .......................................................….... 228
Espagnol ........................................................……………….. 229
Britannique ..............................…………………………….… 229
Français .............................…………………………………... 230
Polonais ..............................…………………….……….…… 230
Hongrois ..............................…………………………….…… 230
Latino-Américain ..............................………………………... 231
Antillais ..............................………………………………...... 242
Nord-Américain ..............................…………………………. 244
Inter-Américain ..............................………………………...... 246
Africain ..............................…………………………………... 247
Asiatique ..............................………………………………..... 249
Australien/Néo-Zélandais ..............................………………... 249
World-literature anglophone ..........................……………….. 249
Théorique et/ou comparé ............................………………….. 250

225
Domaine allemand
Roh, Franz, Nach-expressionismus (Magischer Realismus):
Probleme der neuesten europäischen Malerei, Leipzig,
Klinkhardt & Biermann, 1925.
Herrmann, K., "Hat Magischer Realismus Gegenwartswert?" in
Aufbau IV, 1948, p.924-26.
Pohl, G., "Magischer Realismus?" in Aufbau IV, 1948, p.650-53.
Sieper, B., "Hat Magischer Realismus Gegenwartswert?" in
Aufbau IV, 1948, p.923-24.
Bonarius, Gerhard, Zum Magischen Realismus bei Keats und
Novalis, Giessen Schmitz-Verlag, 1950, 104p.
Forster, Leonard, "Ueber den 'Magischen Realismus' in der
heutigen deutschen Dichtung" in Neophilologus 43, 1950, p.86-
99.
Roh, Franz, "Rückblick auf den magischen Realismus" in Das
Kunstwerk VI, 1952, 1, p.7-9.
Saiko, George, Saiko, George, "Die Wirklichkeit hat doppelten
Boden : Gedanken zum magischen Realismus in der literatur" in
Aktion, Sept. 1952 (rééd. in Wiener Bücherbriefe 1959-1, p.1s).
Saiko, George, "Der Roman heute und morgen," Wort in der Zeit,
févr. 1963, p.37s.
Franck, Manfred, "Die Philosophie des sogenannten 'magischen
Idealismus'" in Euphorion LXIII, 1969, 1-2, p.88-116.
Schmied, Wieland, Neue Sachlichkeit und Magischer Realismus in
Deutschland 1913-1933, Hannover, Fackelträger-Verlag
Schmidt-Küster, 1969.
Rieder, Heinz, Der magische Realismus : Eine Analyse von Auf
dem Floss von George Saiko, Marburg, Elwert-Verlag, 1970.
Wehdeking, Volker Christian, "Der 'magische' Realismus einer
'jungen' Nachkriegsliteratur" in Geschichte der deutschen
Literatur aus Methoden I (Westdeutsche Literatur von 1945-
71), éd. Heinz Ludwig Arnold, Frankfort, Athenäum-Verlag,
1973, p.1-11.
Katzmann, Volker, Ernst Jüngers Magischer Realismus, Georg
Olms Verlag, Hildesheim et New York, 1975.

226
Plard, Henri, "Les pays de langue allemande" in Le Réalisme
magique – Roman. Peinture. Cinéma, Jean Weisgerber, éd.,
1987, p.45-72.
Scheffel Michael, Magischer Realismus, die Geschichte eines
Begriffes und ein Versuch seiner Bestimmung, Göttingen,
Staufenburg Verlag, 1990.
Strelka, Joseph, George Saikos magischer Realismus (zum Werk
eines unbekannten grossen Autors), Berne /Francfort, Peter
Lang, 1990, 165p.
Kirchner, Doris, Doppelbodige Wirklichkeit: Magischer Realismus
und nicht-faschistische Literatur, Tübingen, Stauffenburg,
1993.
Ehrhardt Lisel, "George Saikos 'magischer Realismus': Eine
weitere Seite des 'anderen Zustands'?" in Literatur im Kontext
Robert Musil/Littérature dans le contexte de Robert Musil, éd.
Marie-Louise Roth et Pierre Béhar, 1995.
Scheffel, Michael, "Die poetische Ordnung einer heillosen Welt :
Magischer Realismus und das 'gespaltene Bewusstsein' der
dreissiger und vierziger Jahre" in Formaler Mythos. Beiträge zu
einer Theorie ästhetischer Formen, éd. Matias Martinez,
Paderborn, 1996.
Schäfer, Burkhard, Unberühmter Ort (die ‘Ruderalfläche im
magischen Realismus und in der Trümmerliteratur’), Francfort,
Peter Lang, 2001, 392p.

Domaine Italien
Bontempelli, Massimo, "Analogies" in '900 (Novecento) 4, Cahier
d'été 1927, p.7-13 (réédité in L'Avventura Novecentista,
Florence, Vallecchi, 1938; et in Opere Schelte, éd. Luigi
Baldaci, Milan, Mondadori, 1978).
Bontempelli, Masimo, "Ché cosa è il realismo magico?", Tempo,
Milan, 24 juin 1943, p.4.
Amoroso, Giuseppe, Il Realismo Magico di Bontempelli, Messina,
La Editrice Universitaria, ?.
Castelli, Eugenio, "El realismo mágico" in El Realismo en la
novela italiana actual, Santa Fe (Arg.), 1964.
227
Van Bever, Pierre, "'Metafisica', réalisme magique et fantastique
italiens" in Le Réalisme magique – Roman. Peinture. Cinéma,
Jean Weisgerber, éd., 1987, p.73-89.
Lemaire, Gérard-Georges, préface à Massimo Bontempelli, La Vie
laborieuse, Aventures de 1919 à Milan (trad. par François
Bouchard), Chr. Bourgeois, 1990.
Borso, Vittoria, "'Strapaese o Stracitta'? Massimo Bontempelli's
'realismo magico/ und '900' als kritisches Werkzeug nationaler
Identität" in Konstruktive Provinz: Italienische Literatur
zwischen Regionalismus und europäischer Orientierung, éd.
Helene Harth et al, 1993.
Fogli, Giovanna, "Ironia, autobiografia e frammento nella prosa
poetica di Ugo Foscolo: l'armonia dissonante e le origini
ottocentesche del realismo magico italiano (Massimo
Bontempelli, disharmonic harmony, Italian text)", thèse de
PhD, Yale University, 1997.

Domaine flamand et néerlandais


Daisne, Johan, "'Losse Beschouwingen voor het Dossier van het
Magisch-Realisme" in Nieuw Vlaams Tijdschrift III, 1948-49,
août 1948, p.221-42.
Niemeyer, A.C., "Bordewijk als auteur van het magisch-realisme"
in De gids 116-12, 1953, p.374-393.
Daisne, Johan, Wat is magisch-realisme?, Bruxelles-La Haye,
Manteau, 1967.
Lampo, Hubert, "Het magisch-realisme ontdekt" (p.136-148) in De
zwanen van Stonehenge, Amsterdam, Meulenhoff, 1972.
Van de Putte, Christiane, De Magisch-Realistische Romanpoëtica
in de Nederlandse en Duitse Literatuur, Louvain, Nauwelaerts,
1979.
Dupuis, Michel, "Flandre et Pays-Bas" in Le Réalisme magique –
Roman. Peinture. Cinéma, Jean Weisgerber, éd., 1987, p.90-
112.
Bakker, Martin, "Magic Realism and the Archetype in Hubert
Lampo's Work" in Canadian Journal of Netherlandic

228
Studies/Revue Canadienne d'Etudes Néerlandaises 12-2, 1991,
p.17-21.
Lampo, Hubert, De wortels der verbeelding : de Wroclaw-colleges
over het magisch-realisme, Amsterdam, Meulenhoff, 1993.

Domaine espagnol
Carrasquer, Francisco, Imán y la novela histórica de Ramón J.
Sender: primera incursión en el realismo mágico senderiano, ?,
J. Heijnis, 1968.
Vervondel, Françoise, "Fantastique irréel et fantastique réel en
Espagne" in Le Réalisme magique – Roman. Peinture. Cinéma,
Jean Weisgerber, éd., 1987, p.113-122.
Romeu, Raquel, "La Mancha: Tierra propicia al realismo mágico"
in Cuadernos de Aldeeu 1, 2-3, 1983, p.435-41.

Domaine britannique
Stempel, Daniel, "Coleridge's Magical Realism: A Reading of the
Rime ot the Ancient Mariner" in Mosaic 12-1, 1978, p.143-56.
Todd, Richard, "Convention and Innovation in British Literature
1981-84: The Contemporaneity of Magic Realism" in
Convention and Innovation in Literature, éd. Theo D'haen et
al,Utrecht Publications in General and Comparative Literature
24, Amsterdam/Philadelphia, John Benjamins, 1989, p.361-88.
D'haen, Theo L., "Irish Regionalism, Magic Realism and
Postmodernism", communication à la réunion de The
International Association for the Study of Anglo-Irish Literature
à Kyoto, 1990, British Postmodern Fiction, éd. Theo D'haen et
Hans Bertens, Postmodern Studies 7, Amsterdam, Rodopi.
Foster, John Burt Jr., "Magical Realism, Compensatory Vision, and
Felt History: Classical Realism Transformed in The White
Hotel" in Magical Realism – Theory, History, Community, éd.
Zamora et Faris, Duke University Press, 1995, p.267-283.

229
Domaine français
Mingelgrün, Albert, "Le Domaine français', in Le Réalisme
magique – Roman. Peinture. Cinéma Jean Weisgerber, éd.,
Bruxelles, 1987, p.180-200.
Scheel, Charles W., "Magical Versus Marvelous Realism as
Narrative Modes in French Fiction" Thèse de PhD, University
of Texas at Austin, 1991, 286 p.
Scheel, Charles W., "Le réalisme magique de Marcel Aymé et le
réalisme merveilleux de Jean Giono: deux modes narratifs
distincts", Thèse de doctorat ès Lettres, Université Paris III –
Sorbonne Nouvelle, 1994, 434 p.
Scheel, Charles W., “Marcel Aymé, conteur magico-réaliste
malgré lui,” in Cahier Marcel Aymé 12, Dole, Editions
S.A.M.A., 1996, p. 82-109.
Scheel, Charles W., “D’Anatole France à Marcel Aymé: le
réalisme magique,” in numéro spécial Marcel Aymé de la revue
Littératures contemporaines (éd. Alain Cresciucci), Paris,
Klincksieck, 1998.
Chandes, Gérard, éd., Le Merveilleux et la magie dans la
littérature (actes du colloque du CERMEIL, Caen 1989),
Amsterdam, Rodopi, 1992.
Calin, William, "Du réalisme magique dans le roman occitan:
lecture subversive de La Santa Estela del centenari de J.
Boudou" in Toulouse à la croisée des cultures, (?), 1998.

Domaine polonais
Klapwijk, Edith, "La Pologne: Grabinski, Schulz et Gombrowicz"
in Le Réalisme magique – Roman. Peinture. Cinéma, Jean
Weisgerber, éd., 1987, p.201-208.

Domaine hongrois
Ferencszi, László, "L'apport hongrois" in Le Réalisme magique –
Roman. Peinture. Cinéma, Jean Weisgerber, éd., 1987, p.209-
213.

230
Domaine Latino-Américain
[Roh, Franz, "Realismo mágico: Problemas de la pintura europea
mas reciente", extrait de Nach-expressionismus (Magischer
Realismus): Probleme der neuesten europäischen Malerei,
(Leipzig, Klinkhardt & Biermann, 1925), trad. Fernando Vela,
in Revista de Occidente 16-47 (avril-juin 1927), p.274-301.
– –, Realismo mágico, post expresionismo: Problemas de la
pintura europea mas reciente (trad. Fernando Vela), Madrid,
Biblioteca de la Revista de Occidente, 1928.]
Usigli, Rodolpho, "Realismo moderno y realismo mágico" in
Itinerario del autor dramático, Mexico, F.C.E., 1940, p.115-21.
Uslar Pietri, Arturo, "El cuento venezolano" in Letras y hombres
de Venezuela (1948), Madrid, Mediterraneo, 1978, p.280-88.
Carpentier, Alejo, "Prólogo" in El Reino de este mundo, México,
EDHASA, 1949 (publié auparavant dans El Nacional, Caracas,
8 avril 1948).
Flores, Angel, "Magical Realism in Spanish American Fiction," In
Hispania 38/2, mai 1955, p.187-92.
Portuondo, José Antonio, El Heroísmo intelectual, Mexico,
Tezontle, 1955.
Alegría, Fernando, "Alejo Carpentier: realismo mágico" in
Humanitas 1, Universidad de Nuevo León, Mexico, 1960;
reproduit in Literatura y Revolución, Mexico, F.C.E., 1971,
p.92-125.
Campos, Julieta, "Realismo mágico o realismo critico" in Revista
de la Universidad de México 15-5, 1961, p.4-8.
Couffon, Claude, "Miguel Angel Asturias et le réalisme magique"
in Les Lettres françaises, Paris, 1962.
Carpentier, Alejo, "De lo real maravilloso americano" in Tientos y
diferencias.Ensayos, Mexico, Universidad Nacional Auto-
noma, 1964; réédité in Tientos, diferencias y otros ensayos,
Barcelone, Plaza & Janés, 1987, p.66-77.
Santander T., Carlos, "Lo maravilloso en la obra de Alejo
Carpentier" in Atenea CLIV-409, 1965, p.99-126.
Verzasconi, Ray, Magical Realism and the Literary World of
Miguel Angel Asturias, Seattle, U. of Washington Press, 1965.
231
Carter, E. Dale, "Magical Realism in Contemporary Argentine
Fiction", thèse, University of Southern California, 1966.
Leal, Luis, "El realismo mágico en la literatura hispano-americana"
In Cuadernos americanos 43/4, 1967, p.230-35.
Rojas Guardia, Pablo, La realidad mágica. Ensayos de
interpretación literaria, Caracas, Monte Avila, 1969.
Salomon, Noël, "Le monde magique de Miguel Angel Asturias" in
Acta Litteraria Academiae Scientiarum Hungaricae, t. II (3-4),
Budapest, 1969.
Valbuena Briones, "Una cala en el realismo mágico" in Cuadernos
Americanos 166-5, 1969, p.233-41.
Carter, Dale, Antología del realismo mágico, New York, Odyssey
Press, 1970.
Dacanal, José Hildebrando, Realismo Mágico, Porto Alegre, 1970.
González, Aimée, "Alejo Carpentiery lo real-maravilloso
americano" in Islas 36, 1970, p.92-99.
Levine, Suzanne Jill, "Lo real maravilloso: de Carpentier a García
Márquez" in Eco XX-6. 1970, p.562-76.
Macias de Cartaya, Graciela, "Lo real-maravilloso en la novela El
Siglo de las luces" in Horizontes 25, 1971, p.5-15.
Rodríguez Monegal, Emir, "Alejo Carpentier : lo real y lo
maravilloso en El reino de este mundo" in Revista
Iberoamericana 37, 1971, p.619-49.
Asturias, Miguel Angel, "Paisaje y lenguaje en la novela
hispanoamericana" (discours de réception d'un Doctorat
Honoris Causa, Universitá di Venezia, 16 mai 1972) in
Giuseppe Bellini, Mundo mágico y mundo real: la narrativa de
Miguel Angel Asturias, Rome, Bulzoni Editore, 1999, p.235-42.
Leal, Luis, "El realismo mágico y la nueva narrativa
hispanoamericana" in Variaciones interpretativas en torno a la
nueva narrativa hispanoamericana, Santiago de Chile,
Universitaria, 1972, p.49-62.
Kunzman, Ulrich, "Acerca de la concepción del realismo mágico
en la novela Hombres de maíz" in Beiträge zur Romanischen
Philologie 12-1, 1973, p.97-126.

232
Rabassa, Gregory, "Beyond Magic Realism: Thoughts on the Art
of Gabriel García Márquez" in Books Abroad, 47, 1973, p.444-
50.
Fuentes, Carlos, La nueva novela hispanoamericana, Mexico,
Joaquín Mortiz, 1974.
Volek, Emil, "Realismo mágico: notas sobre su génesis y
naturaleza en Alejo Carpentier" in Nueva narrativa hispano-
americana, 3-2, sept. 1973, p.257-74.
Minguet, Charles, "Del realismo social al realismo mágico" in
Historiografia y Bibliografia Americanistas, 2-3, 1974, p.235-
48.
Anderson Imbert, Enrique, "'Literatura fantástica', 'realismo
mágico' y 'lo real maravilloso'" in Otros mundos, otros fuegos,
éd. D. Yates, 1975, p.39-44.
Carpentier, Alejo, "Lo barroco y lo real maravilloso" (1975), in
Tientos, diferencias y otros ensayos, Barcelone, Plaza & Janés,
1987, p.103-119.
Díaz Rozzotto, Jaime, "El Popol Vuh: fuente estética del Realismo
mágico de Miguel Angel Asturias" in Cuadernos Americanos
201, 1975, p.85-92.
Earle, Peter G., "Muerte y transfiguracíon del realismo mágico" in
Otros mundos, otros fuegos, éd. D. Yates, 1975, p.69-72.
Fox, Arturo A., "Realismo mágico: algunas consideraciones
formales sobre su concepto" in Otros mundos, otros fuegos, éd.
D. Yates, 1975, p.53-56.
Gallo, Marta, "Realismo mágico en Pedro Páramo" in Otros
mundos, Yates, éd., 1975, p in Otros mundos, otros fuegos, éd.
D. Yates, 1975, p.103-111.
González Echevarría, Roberto, "Carpentier y el realismo mágico" "
in Otros mundos, otros fuegos, éd. D. Yates, 1975, p.221-31.
Langowski, Gerald, "Los Pasos perdidos : surrealist concept of Le
merveilleux" in Otros mundos, otros fuegos, éd. D. Yates, 1975,
p.211-15.
Mena, Lucila-Inés, "Fantasia y realismo mágico" in Otros mundos,
otros fuegos, éd. D. Yates, 1975, p.63-68.

233
Mena, Lucila-Inès, "Hacia una formulación teórica del realismo
mágico" in Bulletin hispanique (U. de Bordeaux) 77, 3-4, juil.-
déc. 1975, p.395-407.
Menton, Seymour, "Antonio Benitez y el realismo mágico en la
narrativa de la revolución cubana" in Otros mundos, otros
fuegos, éd. D. Yates, 1975, p.233-37.
Merrell, Floyd, "The Ideal World In Search of Its Reference: An
Inquiry into the Underlying Nature of Magical Realism" in
Chasqui, 4-2, fév. 1975, p.5-17.
Nelly Martínez, "Realismo magico y lo fantastico en la ficción
hispanoamericana contemporánea" in Otros mundos, otros
fuegos, éd. D. Yates, 1975, p.211-15.
Rodríguez Monegal, Emir, "Realismo mágico versus literatura
fantástica: un diálogo de sordos" in Otro mundos, otros fuegos,
éd. D. Yates, 1975, p.25-37.
Valdes-Cruz, Rosa, "El realismo mágico en los cuentos negros de
Lydia Cabrera" in Otros mundos, otros fuegos, éd. D. Yates,
1975, p.206-9.
Yates, Donald, éd., Otros mundos, otros fuegos: fantasia y
realismo mágico en Iberoamerica, (Actes du XVIe Congrès de
l'Institut international de littérature ibéroaméricaine, Pittsburgh,
1973), East Lansing, Michigan State University Press, 1975.
Zapata, Celia, "Realismo mágico o cuento fantastico?" in Otros
mundos, otros fuegos, éd. D. Yates, 1975, p.57-61.
Anderson Imbert, Enrique, El Realismo mágico y otros ensayos,
Caracas, Monte Avila, 1976.
Alazraki, Jaime, "Para una revalidacíon del concepto realismo
mágico en la literatura hispanoamericana", in Separata del
Homenaje a Andrés Iduarte, San Diego, University of
California, 1976, p.9-21.
Ben-Ur, Lorraine Elena, "El realismo mágico en la crítica
hispanoamericana", in Journal of Spanish Studies: Twentieth
Century, 4-3, winter 1976, p.149-63.
Heise, Hans-Jürgen, "Magischer Realismus und phantastische
Literatur: Zur Epik Lateinamerikas" in Neue Rundschau, 87,
1976, p.644-53.
234
Janik, Dieter, Magische Wirklichkeitsauffassung im hispano-
amerikanischen Roman des 20. Jahrhunderts: Geschichtliches
Erbe und kulturelle Tendenz, Tübingen, Niemeyer Verlag,
1976.
Pereira, Teresinka, El realismo mágico y otras herencias de Julio
Cortázar, Coimbra, Nova Era, et Bloomington, Backstage
Books, 1976.
Rodríguez Monegal, Emir, "Lo Real y lo Maravilloso en El Reino
de este mundo" in Revista Iberoamericana, Juil.-déc. 1976,
p.619-49.
Barroso, Juan, 'Realismo mágico' y 'lo real maravilloso' en El
Reino de este mundo y El Siglo de las luces, Miami, Ediciones
Universal, 1977.
Dessau, Adalbert, "Geschichsbild und Geschichtsverständnis im
modernen lateinamerikanischen Roman. Bemerkungen zu
Begriff und Wirklichkeit des 'magischen Realismus'" in
Beiträge zur Romanischen Philologie XVI-1, 1977, p.165-170.
Fama, Antonio, Realismo mágico en la narrativa de Aguilera-
Malta, Madrid, Playor (Colección Nova scholar), 1977.
Rincón, Carlos, "La poetica de lo real-maravilloso americano" in
Recopilacíon de textos sobre Alejo Carpentier, éd. S. Arias, La
Havane, Casa de las Américas, 1977, p.123-77.
Bravo, José Antonio, Lo real maravilloso en la narrativa
latinoamericana actual (Cien años de soledad, El reino de este
mundo, Pedro Páramo) Lima, Editoriales Unidas, 1978.
Dessau, Adalbert, " Realismo mágico y nueva novela latino-
americana. Consideraciones metodológicas e históricas" in
Actas del Simposio Internacional de Estudios Hispánicos,
Budapest, Academia de Ciencias de Hungría, 1978, p.351-58.
Ocampo, Aurora, "Un intento de aproximación al Realismo
Mágico" in XVII Congreso del Instituto Internacional de
Literatura Iberoamericana, Madrid, Cultura Hispánica, 1978,
T.I., p.399-407.
Rincón, Carlos, "Nociones surrealistas, concepción del lenguaje y
funcíon ideológico-literaria del realismo mágico en Miguel
Angel Asturias" in Escritura 5-6, 1978, p.25-60.
235
Rogmann, Horst, Narrative Strukturen und 'magischer Realismus'
in den ersten Romanen von Miguel Angel Asturias, Frankfort,
Lang, 1978.
Maturo, Graciela, La polémica actual sobre el realismo mágico en
las letras latinoamericanas, Buenos Aires, Tekne, 1979.
Chiampi, Irlemar, "Realismo maravilloso y literatura fantástica" in
Revista Eco 229, Bogotá, nov. 1980.
Chiampi, Irlemar, O realismo maravilhoso : forma e ideologia no
romance hispano-americano, Sao Paolo, Editora Perspectiva,
1980 (El realismo maravilloso: Forma e ideología en la novela
hispanoamericana, trad., Caracas, Monte Avila, 1983).
Rogmann, Horst, "'Realismo magico' y 'negritude' como
construcciones ideologicas' in Actas del Sexto Congreso
Internacional de Hispanistas, éd. A. Gordon et E. Rugg,
University of Toronto Press, 1980, p.632-35.
Mansour, Monica, 'Rulfo y el realismo mágico", Casa de las
Americas, La Havane, mai-juin 1981, p.40-47.
Márquez Rodríguez, Alexis, "Teoría Carpenteriana de lo Real
Maravilloso" in Casas de las Americas 125, La Havane, 1981.
Zeitz, Eileen et Richard A. Seybolt, "Hacia una bibliografía sobre
el realismo mágico" in Hispanic Journal, 1981, p.159-67.
Armbruster, Claudius, Das Werk Alejo Carpentiers – Chronik der
wunderbaren 'Wirklichkeit', Francfort, Vervuert-Verlag (coll.
Iberoamericana), 1982.
Márquez Rodriguez, Alexis, Lo barroco y lo real maravilloso en
Alejo Carpentier, Mexico, Siglo XXI, 1982.
Menton, Seymour, "Jorge Luis Borges, Magic Realist" in Hispanic
Review 50-1, 1982, p.111-26.
Suárez-Murias, Marguerite C., "El realismo mágico: Una
definicíon étnica" in Essays on Hispanic Literature / Ensayos
de literatura hispana: A Bilingual Anthology, Washington DC,
U. Press of America, 1982.
Tauzin, Jacqueline, "Un exemple de réalisme magique: 'Blacaman
le Bon, marchand de miracles" in Frontières du conte, éd.
François Marotin, Paris, C.N.R.S., 1982, p.137-144.

236
Zambrana de Sánchez, Heida, Acercamientio crítico al realismo
mágico: un intento de codificación, Universidad de Puerto
Rico, 1982.
Carrillo, German D., "Del surrealismo al realismo mágico en
'Hombres de maíz' de M.A. Asturias" in Sin Nombre XIV-1
(Puerto Rico), oct.-déc. 1983, p.53-60.
Duncan, Cynthia K., "The Fantastic and Magical Realism in the
Contemporary Mexican Short Story as a Reflection of 'Lo
Mexicano", thèse de PhD, University of Illinois at Urbana-
Champaigne, 1983.
Benevento, Joseph J., "An Introduction to the Realities of Fiction:
Teaching Magic Realism in Three Stories by Borges, Fuentes
and Márquez" in Kansas Quaterly 16-3, 1984, p.125-131.
Márquez Rodríguez, Alexis, "Notas sobre el realismo mágico a
propósito de la narrativa de Gabriel García Márquez" in Revista
Lamigal 2, Caracas, 1984.
Samuel, Roman, "Juan Rulfo y el Realismo mágico" (Entrevue) in
Plural 157, Mexico, Oct. 1984.
Salazar, Carol Lacy, "La cosmovisión primitiva del narrador
mágicorrealista", thèse de PhD, University of Arizona, 1984.
Thire, Claudine, "Le réalisme magique dans la création
romanesque", thèse de 3e cycle, dir. Henri Imbert, Université
Nanterre-Paris X, 1984.
Verdevoye, Paul, "Alejo Carpentier et la réalité merveilleuse" in
Europe 666, 1984, p.5-14.
Flores, Angel, éd., El realismo mágico en el cuento
hispanoamericano, Tlahuapan (Mexique), Premia, 1985.
Ricci Della Grisa, Graciela, Realismo mágico y conciencia mitica
en America latina: textos y contextos, Buenos Aires, Garcia
Cambero, 1985.
Chanady, Amaryll, "The Origins and Development of Magic
Realism in Latin American Fiction" in Magic Realism and
Canadian Literature, Peter Hinchcliffe et Ed Jewinski, éd.,
1986, p.49-60.

237
Kanev, Venko-Asenov, "Lo real maravilloso: un metódo definidor
en las letras hispanoamericanas" in Imán, 1986, p.24-38; rééd.
in Alba de América: Revista Literaria 9, 16-17, 1991, p.181-96.
Laguardia, Gari, "Marvelous Realism/Marvelous Criticism" in
Reinventing the Americas, Cambridge U. Press, 1986, p.298-
318.
Levit, Morton P., "From realism to magic realism : the meticulous
modernist fictions of García Márquez" in Critical Perspectives
on Gabriel García Márquez, ed. Bradley A. Shaw et Nora
Vera-Godwin, Society of Spanish and Spanish-American
Studies, 1986, p.73-89.
Uslar Pietri, Arturo, "Realismo mágico" in Godos, insurgentes y
visionarios, Barcelone, Seix Barral, 1986.
Uziel, Rachel, "Le 'réalisme merveilleux' des romans de Moacyr
Scliair", thèse de 3e cycle, dir. Claude Fell, Université Paris III-
Sorbonne Nouvelle, 1986.
Díaz Arenas, Angel, El realismo mágico en El otoño del patriarca
de Gabriel García Márquez : claves para una lectura
codificada, Bonn, Romanistischer Verlag, 1987.
Gallo, Marta, "Panorama du réalisme magique en Amérique
hispanique" (trad. A.-M. Frédéric) in Le Réalisme magique –
Roman. Peinture. Cinéma Jean Weisgerber, éd., 1987, p.123-
53.
Martin, Gerald, "On 'Magical' and Social Realism in García
Márquez" in Gabriel García Márquez: New Readings, éd. B.
McGuirk wet R. Cardwell, Cambridge University Press, 1987,
p.95-116.
Planells, Antonio, "La Polémica sobre el realismo mágico en
Hispanoamérica" in Revista Interamericana de
Bibliografía/Inter-American Review of Bibliography 37, 1987,
p.517-29.
Abate, Sandro, El modernismo, Rubén Darío y su influencia en el
realismo mágico, ?, EDI UNS, 1988.
Planells, Antonio, "El realismo mágico ante la crítica" in Chasqui
17-1, 1988, p.9-23.

238
Bravo, Victor, Magias y maravillas en el continente literario: para
un deslinde del realismo mágico y lo real maravilloso, Caracas,
La Casa de Bello, 1988.
Romero, H. R., "El realismo mágico y lo fantastico: un
acercamiento a Lino Novas Calvo" in Iris 2, 1988, p.101-8.
Castro-Amorim, Beatriz de, "Del mágico realismo de Mario de
Andrade hasta el realismo mágico de Moacyr Scliar" in
Romance-Languages-Annual 1, 1989, p.366-71.
Hart, Patricia, Narrative magic in the fiction of Isabel Allende,
Rutherford, Fairleigh Dickinson Univ. Press, 1989.
Padura Fuentes, Leonardo, Lo real maravilloso: creacion y
realidad, La Havane, Letras Cubanas, 1989.
Valdivieso, Jorge H., "Realismo mágico en la Relación del nuevo
descubrimiento del famoso Río Grande de la Amazonas de Fray
Gaspar de Carvajal" in Letras de Deusto 19.44, 1989, p.327-34.
Vejar, Carlos, "Entre Luis Barragán y Juan Rulfo: El realismo
mágico en la arquitectura y las letras mexicanas" in Plural:
Revista Cultural de Excelsior 209, 1989, p.32-44.
Walter, R., "Social and magic realism in Miguel Mendez El Sueño
de Maria de las piedras" in Canadian Journal of Latin
American and Caribbean Studies 14-28, 1989, p.145-155.
Barella, Julia, "El realismo mágico: un fantasma de la imaginación
barroca" in Cuadernos Hispano-americanos: Revista Mensual
de Cultura Hispánica 481, 1990, p.69-78.
Coniff, Brian, "The Dark Side of Magical Realism: Science,
Oppression and Apocalypse in One Hundred Years of Solitude"
in Modern Fiction Studies 36.2, Summer 1990.
Fuentes, Carlos, Valiente Mundo Nuevo, Madrid, Mondadero, 1990
[Le Sourire d'Erasme: Epopée, utopie et mythe dans le roman
hispano-américain (trad. Eve-Marie et Claude Fell), Gallimard,
1992].
Llarena, Alicia, "Lo real maravilloso o el ensueño tropical de
Paulina Bonaparte" in Boletin Millares Carlo 11, 1990. p.177-
84.
Sánchez Ferrer, José Luis, El Realismo mágico en la novela
hispano-americana en el siglo XX, Madrid, Anaya, 1990.
239
Gutierrez Mouat, Ricardo, "Cien años de soledad y el mito
farmacopeyico del realismo mágico" in Revista de Estudios
Hispanicos (Rios Piedras, Puerto Rico) 17-18, 1990-1991,
p.267-79.
Bautista Gutierrez, Gloria, Realismo mágico, cosmos
latinoamericano: teoria y pratica, Americ. Latina Santafe de
Bogotá, 1991.
Lukavska, Eva, "Lo real mágico o el realismo maravilloso?" in
Etudes romanes de Brno (publiées par Sbornik Praci Filzoficke
Fakulty Brnenske Univerzity, Prague) 21-12, 1991, p.67-77.
Villanueva, Darío, Trayectoria de la novela hispanoamericana
actual: del realismo mágico a los años ochenta, ?, Espasa
Calpe, 1991.
Vittori, José Luis, Del Barco Centenera y 'La Argentina': orígenes
del realismo mágico en America, Santa Fe (Argentine), Ed.
Colmegna., 1991.
Volek, Emil, "Hacia un concepto cultural postmoderno del
realismo mágico en la narrativa hispanoamericana actual" in
Critical Essays on the Literatures of Spain and Spanish
America, éd. Luis T. Gonzalez del Valle et Julio Baena, 1991.
Carrión de Fierro, Fanny, José de la Cuadra : un precursor del
realismo mágico hispanoamericano, Quito, Pontificia
Universidad Católica del Ecuador, 1993.
Volek, Emil, "El Hablador de Vargas Llosa: Del Realismo mágico
a la modernidad" in Cuadernos Hispanoamericanos (Revista
Mensual de Cultura Hispanica) 509, Madrid, nov. 1993, p.95-
102.
Ayuso, César Augusto, El realismo mágico : un estilo poético en
los años 50 : estudio y antología, Carboneras de Cuenca, El
Toro de Barro, 1995.
Chanady, Amaryll, "The Territorialization of the Imaginary in
Latin America: Self-Affirmation and Resistance to
Metropolitan Paradigms", in Magical Realism – Theory,
History, Community, éd. Lois Parkinson Zamora et Wendy B.
Faris, 1995, p.125-144.

240
Rincón, Carlos, "Posmodernismo, poscolonialismo y los nexos
cartograficos del realismo mágico" in Neue Romania 16, 1995,
p.193-210.
Simpkins, Scott, "Sources of Magic Realism/Supplements to
Realism in Contemporary Latin American Literature" in
Magical Realism – Theory, History, Community, éd. Zamora et
Faris, Duke University Press, 1995, p.145-159.
Camayd-Freixas, Erik, "Reflections on Magical Realism: A Return
to Legitimacy, the Legitimacy of Return" in Canadian Review
of Comparative Literature 23-2, juin 1996, p.580-89.
Spindler, William, "Magical insurrections: cultural resistance and
the magic realist novel in Latin America (Asturias, Carpentier,
García Márquez, Posse, Arguedas)", thèse de doctorat,
University of Essex (UK), 1996.
Erdal Jordan, Mery, "Una Interrogante conceptual: El realismo
magico o/y? lo real maravilloso" in Reflejos 6 (Revista del
Departamento de Estudios Espanoles y Latinoamericanos), U.
de Jerusalem, 1997, p.9-15.
Hurtado Heras, Saúl, Por las tierras de Ilóm: el realismo mágico
en Hombre de maíz, Universidad autónoma de Mexico, 1997.
Llarena, Alicia, Realismo mágico y lo Real Maravilloso: una
cuestion de verosimilitud (Espacio y actitud en cuatro novelas
latinoamericanas), Hispamérica, Universidad de Las Palmas de
Gran Canaria, 1997.
Moreiras, Alberto, "The End of Magical Realism: José Maria
Arguedas's Passionate Signifier (El zorro de arriba y el zorro de
abajo)" in Journal of Narrative Technique (Ypsilanti,
Michigan) 27-1, 1997, p.84-112.
Camayd-Freixas, Erik, Realismo mágico y primitivismo.
Relecturas de Carpentier, Asturias, Rulfo y Garcia Márquez,
Lanham, UP of America, 1998.
Menton, Seymour, Historia verdadera del realismo mágico,
Mexico, Fondo de Cultura Económica, 1998.
Bellini, Giuseppe, Mundo mágico y mundo real: la narrativa de
Miguel Angel Asturias, Rome, Bulzoni Editore, 1999.

241
Guerrero, Isabella Mora, Magischer Realismus und literarische
Tradition des Siglo de Oro im Erzählwerk von de Gabriel
García Márquez, ?, 1999.
Scarano, Tommaso, "Notes on Spanish-American Magical
Realism" in Coterminous Worlds, éd. E. Linguanti, Amsterdam,
Rodopi, 1999, p.9-28.
Vargas Llosa, Mario, "Lo real maravilloso o artimanas literarias?"
in Letras Libres 2-13, Mexico, janv. 2000, p.32-36; rééd. in
Mario Vargas Llosa, La verdad de las mentiras, Madrid,
Alfaguara, 2002, p.235-248.
Cymerman, Claude, et Claude Fell, éd., "Réalisme magique et réel
merveilleux" in La Littérature hispano-américaine de 1940 à
nos jours, Paris, Nathan/HER, 2001, p.378-380.

Domaine antillais (excepté A. Carpentier)


Alexis, Jacques Stephen, "Prolégomènes à un manifeste du
Réalisme merveilleux des Haïtiens", N o spécial 1er Congrès
International des Ecrivains et Artistes Noirs, Paris, Présence
Africaine 8-10, 1956, p.245-271.
Harris, Wilson, "Magical Realism: A Talk on the Subjective
Imagination" in New Letters 40, Autumn 1973, p.37-48.
Dash, Michael, "Marvelous Realism: the Way out of Negritude" in
Between Negritude and Marvellous Realism, Toronto, Black
Images, 1974, p.80-95, et Jacques Stephen Alexis (même
éditeur, 1975).
Forbes, Joyce Thomasine, "Magical Realism: A Study of Seven
Wilson Harris Novels", thèse, The University of the West
Indies, 1976.
Pereira, Gustavo, Réalisme merveilleux et lutte sociales dans la
narrative [sic] hispanoaméricaine des Caraïbes, thèse de 3e
cycle, dir. Saul Yurkievich, Université Paris VIII, 1982.
Séonnet Michel, Jacques Stephen Alexis ou "Le voyage vers la
lune de la belle amour humaine," Toulouse, Pierres Hérétiques,
1983.

242
Vera, A., "Jacques Stephen Alexis y el realismo maravilloso
haitiano", in Acta Universitatis Carolinae Philologica
Romanistica Pragensia 15, 1983, p.123-135.
Boadas, Aura Marina, "Le réalisme merveilleux dans l'œuvre
romanesque de Jacques Stephen Alexis", Thèse de 3 e cycle,
Université de Bordeaux, 1987.
Laroche, Maximilien, Contribution à l'étude du réalisme
merveilleux, Sainte-Foy (Canada), Université Laval, 1987.
Ponte Cecilia, Le Réalisme merveilleux dans Les Arbres musiciens
de Jacques Stephen Alexis, Québec, 1987.
Scheel, Charles W., “Les romans de Jean-Louis Baghio’o et le
réalisme merveilleux redéfini,” p. 43-62 in Présence Africaine
147, 3e trim., 1988, Paris.
Ndiaye, C., "Le réalisme merveilleux au féminin", in Canadian
Journal of Latin American and Caribbean Studies 17-34, 1992,
p.115-127.
Orveillon, Yann, "Alejo Carpentier et la 'réalité merveilleuse' des
prisons cubaines, Epinal, Hors Jeu 14, janvier 1993, p.9-10.
Wainwright, Danielle, "Le Réalisme merveilleux chez René
Depestre" in Revue francophone 9-2, automne 1994, p.45-52.
Ormerod, Beverly, "Magical Realism in Contemporary French
Caribbean Literature: Ideology or Literary Diversion?" in
Australian Journal of French Studies, 34-2, mai-août 1997,
p.216-26.
Heady, Margaret Loren, "From marvelous to magic realism:
modernist and postmodernist discourses of identity in the
Caribbean novel (Alexis, Carpentier, S. Schwarz-Bart)", thèse
de PhD, University of Massachusetts, 1997.
Antoine, Régis, "Le Réalisme merveilleux dans la flaque", in
Notre Librairie. Revue du livre: Afrique, Caraïbes, Océan
Indien (Paris) 133, janv.-avr. 1998, p.64-72.
Linguanti, Elsa, "Wilson Harris: A Case Apart" (p.245-244) in
Coterminous Worlds, éd. E. Linguanti, Amsterdam, Rodopi,
1999.

243
Munro, Martin, "René Depestre: Haiti's Realist Magical Realist" in
Australian Journal of French Studies, 37-3, sept.-déc. 2000,
p.385-396.
Salien, Jean-Marie, "Croyances populaires haïtiennes dans
Hadriana dans tous mes rêves de René Depestre, in The French
Review 74-1, 3, 2000, p.82-93.

Domaine Nord-Américain
Hancock, Goeff, "Magic Realism, or, The Future of Fiction" in
Canadian Fiction Magazine 24-25, 1977, p.4-6.
Hancock, Geoff, éd., Magic Realism, Toronto, Aya Press, 1980.
Maillard, Keith, "Middlewatch as Magic Realism" in Canadian
Literature 92, Spring 1982.
Pinsker, Sanford, "Magical Realism, Historical Truth, and the
Quest for a Liberating Identity: Reflections on Alex Haley's
Roots and Toni Morrison's Song of Solomon" in Studies in
Black American Literature I: Black American Prose Theory, éd.
J. Weixlmann et C. Fontenot, Greenwood (Floride), Penkevill,
1984, p.183-97.
Coulas Fink, Cecelia, "'If Words Won't Do, and Symbols Fail':
Hodgins' Magic Realism" in Journal of Canadian Studies 20-2,
été 1985, p.118-31.
Hancock, Geoff, "Magic or Realism: The Marvellous in Canadian
Fiction" in Magic Realism and Canadian Literature: Essays
and Stories, Peter Hinchcliffe et Ed Jewinski, éd., 1986, p.30-
48.
Hinchcliffe, Peter, et Ed Jewinski, éd., Magic Realism and
Canadian Literature: Essays and Stories, University of
Waterloo Press (Ontario, Canada), 1986.
Kalogeras, Yiorgos, "Magic realism in American Literature: The
Case of Ethnic and Minority Literatures" in Porphyras 41-42,
1987, p.305-9.
Ross, Mary Ellen, "Aspects du réalisme merveilleux de Jacques
Ferron", thèse de PhD, University of Toronto, 1988.
Ude, Wayne, "Forging an American Style: The Romance Novel
and Magical Realism as Response to the Frontier and
244
Wilderness Experiences" in The Frontier Experience and the
American Dream, Essays on Am. Lit., ed. David Mogen, Mark
Busby and Paul Bryant, Texas A&M Press, 1989, p.50-64.
D'haen, Theo L., "Thimothy Findley, Magic Realism and the
Canadian Postmodern" in Multiple Voices: Recent Canadian
Fiction, Proceedings of the Fourth International Symposium of
the Brussels Centre for Canadian Studies (1989), Dangaroo
Press, 1990, p.217-33.
Ross, Mary Ellen, "Littéralisation du cliché et réalisme merveilleux
dans La Chaise du maréchal ferrant et 'Papa Boss' de Jacques
Ferron]", in Etudes Francaises (Montréal) 27-2, 1991, p.61-73.
Walter, Roland, Magical realism in contemporary Chicano
fiction : Ron Arias, The Road to Tamazunchale (1975),
Orlando Romero, Nambé - year one (1976), Miguel Méndez M.,
The Dream of Santa María de las Piedras (1989), Francfort,
Vervuert, 1993.
Ross, Mary Ellen, "Que le diable l'emporte: réalisme merveilleux
et religion dans 'La Chaise du maréchal ferrant' [Jacques
Ferron]", in Canadian Literature 142-143, 1994, p.142-156.
Stewart, Melissa, "Roads of 'Exquisite Mysterious Muck': The
Magical Journey through the City in William Kennedy's
Ironweed, John Cheever's 'The Enormous Radio', and Donald
Barthelme's 'City Life'" in Magical Realism – Theory, History,
Community, éd. Zamora et Faris, Duke University Press, 1995,
p.477-495.
Bosteels, Bruno, Loris Mirella et Peter A. Schilling, "The Politics
of Totality in Magic Realism", in Challenging Boundaries,
Global Flows, Territorial Identities, éd. Michael J. Shapiro et
Hayward R. Alker, Borderlines 2, University of Minnesota
Press, 1996, p.11-133.
Armand-Gouzi, Nathalene, "Le réalisme merveilleux dans les
Contes de Jacques Ferron, suivi de Contes à Rebours", mémoire
de maîtrise, McGill University, Canada, 1997.
Velie, Alan, "Magical Realism and Ethnicity: The Fantastic in the
Fiction of Louise Erdrich" in Native American Women in

245
Literature and Culture, éd. Susan Castillo et Victor Da Rosa, ?,
1997.
Cigiltepe, Yasemin, "Magic realism and Canadian west coast
fiction / Magischer Realismus und die Literatur an der
kanadischen Westküste," thèse de Magister, Univ. Erlangen-
Nürnberg, 1998.
Pinçonnat (Crystel), "Le réalisme merveilleux dans le roman
amérindien" in Le Réalisme merveilleux, Xavier Garnier éd.,
L'Harmattan, 1998, p.35-52.
Biagiotti, Luca, "Bees, Bodies, and Magical Miscegenation: Robert
Kroetsch's What the Crow Said" in Coterminous Worlds, éd. E.
Linguanti, Amsterdam, Rodopi, 1999, p.103-114.
Boldrini, Lucia, "The Ragged Edge of Miracles or: A word or two
on those Jack Hodgins novels" in Coterminous Worlds, éd. E.
Linguanti, Amsterdam, Rodopi, 1999, p.83-102.
Rizzardi, Alfredo, "Bewildered With Nature: The Magical-Realist
in Joe Rosenblatt" in Coterminous Worlds, éd. E. Linguanti,
Amsterdam, Rodopi, 1999, p.125-138.
Gomez-Vega, Ibis, "Subverting the 'Mainstream' Paradigm through
Magical Realism in Thomas King's Green Grass, Running
Water" in Journal of the Midwest MLA 33-1, hiver 2000, p.1-
19.
Schroeder, Shannin, "Who'll buy These Magic Beans? The North
American Magical Realist Experience" in Publications of the
Arkansas Philological Association 26-2, automne 2000, p.45-
60.
Moses, Michael Valdez, "Magical Realism at World's End" in
Literary Imagination: The Review of the Association of Literary
Scholars and Critics, (Athens, Georgia) 3-1, hiver 2001, p.105-
33.

Domaine inter-américain
Irish, James, "Magical Realism: A Search for Caribbean and Latin
American Roots" in The Literary Half-Yearly XI-2, juillet 1970,
p.127-139.

246
Wilson, Robert, "On the Boundary of the Magic and the Real:
Notes on Inter-American Fiction" in The Compass 6, 1979, p.
37-53.
Bartlett, Catherine, "Magical Realism: the Latin American
Influence on Modern Chicano Writers", in Confluencia 1-2,
1986, p.27-37.
Preble-Niemi, Oralia, "Magical Realism and the Great Goddess in
Two Novels by Alejo Carpentier and Alice Walker" in
Comparatist 16, 1992, p.101-14.
Boccia, Michael, "Magical Realism: The Multicultural Literature"
in Popular Culture Review (Las Vegas) 2, août 1994, p.21-31.
Foreman, P. Gabrielle, "Past-on Stories: History and the Magically
Real, Morrison and Allende on Call" in Magical Realism –
Theory, History, Community, éd. Zamora et Faris, Duke
University Press, 1995, p.285-303.
Mikics, David, "Derek Walcott and Alejo Carpentier: Nature,
History, and the Caribbean Writer" in Magical Realism –
Theory, History, Community, éd. Zamora et Faris, Duke
University Press, 1995, p.371-404.
Zamora, Lois Parkinson, "Magical Romance/Magical Realism:
Ghosts in U.S. and Latin American Fiction" in Magical Realism
– Theory, History, Community, éd. Zamora et Faris, Duke
University Press, 1995, p.497-550.
Frisch, Mark, '"Nature, Postmodernity, and Real Marvelous:
Faulkner, Quiroga, Mallea, Rulfo, Carpentier" in The Faulkner
Journal, Fall 1995/Spring 1996, p.67-82.
Christian, Karen, "Performing Magical Realism: The 'Boom' in
U.S. Latina/o Fiction" in Americas Review: A Review of
Hispanic Literature and Art of the USA (Seattle) 24, 3-4, 1996,
p.166-78.
Kendig, L. Tamara, "Dreaming of home: magic realism in William
Faulkner, Gabriel García Márquez, Toni Morrison and John
Nichols (Columbia)", thèse de PhD, Lehig University
(Pennsylvania), 1998.

247
Domaine africain
Omotoso, Kole, The Form of the African Novel, Fagbamigbe
(Nigeria), Akure & Ibadan, 1979.
Aizenberg, Edna, "The Famished Road : Magical Realism and the
Search for Social equity" in Yearbook of Comparative and
General Literature (Bloomington, Indiana) 43, 1995, p.25-30.
Erickson, John, "Metoikoi and Magical Realism in the Maghrebian
Narratives of Tahar ben Jelloun and Abdelkebir Khatibi" in
Magical Realism – Theory, History, Community, éd. Zamora et
Faris, Duke University Press, 1995, p.427-450.
Martin-Granel, Nicolas, "Le réalisme 'tropical' de Sony Laboui
Tansi: un discours doublement contraint?" in Le Réalisme
merveilleux, Xavier Garnier éd., L'Harmattan, 1998, p.105-127.
Naumann, Michel, "La forêt urbaine des années 90 et le réalisme
magique de Ben Okri," in Le Réalisme merveilleux, Xavier
Garnier éd., L'Harmattan, 1998, p.131-142.
Wood, Felicity, "The 'Soccer War' and the 'City That Sailed Away':
Magical Realism and New Journalism in the Work of Ryszard
Kapuscinski" in Journal of Literary Criticism, Comparative
Linguistics and Literary Studies (South Africa) 19-1, Avril
1998, p.79-91.
Oliva, Renato, "Re-Dreaming the World: Ben Okri's Shamanic
Realism" in Coterminous Worlds, éd. E. Linguanti, Amsterdam,
Rodopi, 1999, p.171-196.
Bertinetti, Paolo, "Reality and Magic in Syl Cheney-Coker's The
Last Harmattan of Alusine Dunbar"' in Coterminous Worlds,
éd. E. Linguanti, Amsterdam, Rodopi, 1999, p.197-208.
Deandrea, Pietro, "'History never walks here, it runs in any
direction': Carnival and magic in the novels of Kojo Laing and
Mia Couto" in Coterminous Worlds, éd. E. Linguanti,
Amsterdam, Rodopi, 1999, p.209-226.
Guidotti, Valeria, "Magical Realism Beyond the Wall of
Apartheid?" Missing Persons by Ivan Vladislavic" in
Coterminous Worlds, éd. E. Linguanti, Amsterdam, Rodopi,
1999, p.227-244.

248
Cooper, Brenda, Magical realism in West African fiction: seing
with a third eye, New York, Routledge, 2000.
Roberts, Sheila, "Inheritance in Question: The Magical Realist
Mode in Afrikaans Fiction" in Postcolonizing the
Commonwealth: Studies in Literature and Culture, Rowland
Smith, éd., ?, 2000.

Domaine asiatique
Meng Fanhua et Somsy Chantihirath, "El realismo mágico en
China" in Estudios de Asias y Africa (Mexico, D.F.) 28-2, mai-
août 1993, p.281-88.
Napier, Susan J., "The Magic of Identity: Magic Realism in
Modern Japanese Fiction" in Magical Realism – Theory,
History, Community, éd. Zamora et Faris, Duke University
Press, 1995, p.451-475.
Stretcher, Matthew C., "Magical realism and the search for identity
in the fiction of Murakami Haruki", in The Journal of Japanese
Studies 25-2, Seattle, Eté 1999, p.263-299.

Domaine australien et néo-zélandais


Concilio, Carmen, "The Magic of Language in the Novels of
Patrick White and David Malouf" in Coterminous Worlds, éd.
E. Linguanti, Amsterdam, Rodopi, 1999, p.29-46.
Zoppi, Isabella, "The Magic Reality of Memory: Janet Frame's The
Carpathians" in Coterminous Worlds, éd. E. Linguanti,
Amsterdam, Rodopi, 1999, p.151-170.

Domaine world literature anglophone


Durix, Jean-Pierre, "Magic Realism in Midnight's Children" in
Commonwealth (Dijon) 8-1, automne 1985, p.57-63.
Delbaere-Garant, Jeanne, "Le domaine anglais" in Le Réalisme
magique – Roman. Peinture. Cinéma, Jean Weisgerber, éd.,
1987, p.154-180.
Baker, Suzanne, "Magic Realism as a Postcolonial Strategy: The
Kadaitcha Sung" in SPAN: Journal of the South Pacific

249
Association for Commonwealth Literature and Language
Studies, 1991. p.55-63.
Delbaere-Garant, Jeanne, "Psychic Realism, Mythic Realism,
Grotesque Realism': Variations on Magic Realism in
contemporary Literature in English" in Magical Realism –
Theory, History, Community, éd. Zamora et Faris, Duke
University Press, 1995, p.249-263.
Todd, Richard, "Narrative Trickery and Performative
Historiography: Fictional Representation of National Identity in
Graham Swift, Peter Carey, and Mordecai Richler" in Magical
Realism – Theory, History, Community, éd. Zamora et Faris,
Duke University Press, 1995, p.305-328.
Bardolph, Jacqueline, "Les 'enfants' de Rushdie: quel réalisme,
quelle magie?" in Le Réalisme merveilleux, Xavier Garnier éd.,
L'Harmattan, 1998
Linguanti, Elsa, et al, éd., Coterminous Worlds: Magical Realism
and Contemporary Post-Colonial Literature in English,
Amsterdam, Rodopi, 1999.
Bassi, Shaul, "Salman Rushdie's Special Effects" in Coterminous
Worlds, éd. E. Linguanti, Amsterdam, Rodopi, 1999, p.47-60.
Pordzik, Ralph, "Magical Realism and the Transformation of
Dystopian Space: A Comparative Approach to Postcolonial
Speculative Fiction" in Anglistentag 1999, éd. Bernhard Reitz,
Mayence (Allemagne), 2000.

Approches théoriques et/ou comparatistes


Mabille, Pierre, Le Miroir du Merveilleux, Paris, Le Sagitaire,
1940; Editions de Minuit, 1962 (préface d'André Breton).
Borges, Jorge Luis, "El arte narrativo y la magia" in Discusión,
Buenos Aires, Emecé, 1961.
Serrano Plaja, Arturo, Realismo "mágico" en Cervantes: Don
Quijote, visto desde Tom Sawyer y El Idiota, Madrid, Ed.
Gredos, 1967 (trad. Magic Realism in Cervantes: Don Quixote
as Seen through Tom Sawyer and the Idiot, Berkeley, U. of
California Press, 1970).

250
Rathke, Ewald, "Magical Realism and the Metaphysical" in
Metaphysical Art, éd. Massimo Carra, New York, Praeger,
1971, p.181-202.
Sanchez, Napoleon N., "Lo real maravilloso americano o la
americanización del surrealismo" in Cuadernos Americanos
119-4, juil.-août 1976, p.69-95.
Chiampi, Irlemar, "Lo Maravilloso y la historia en Alejo
Carpentier y Pierre Mabille" in Historia y Ficción en la
narrativa hispanoamericana, Caracas, Monte Avila, 1978.
Ciplijauskaite, Birute, "Socialist and Magic Realism: Veiling or
Unveiling?" in Journal of Baltic Studies 10, 1979, p.218-27.
Müller, Hans-Joachim, "Zu den Beziehungen des magischen
Realismus der neueren lateinamerikanischen Literatur mit dem
französischen Surrealismus", in Sprachkunst, Beiträge zur
Literaturwissenschaft X, Vienne, 1979, p.109-122.
Alazraki, Jaime, "Neofantastic Literature – A Structuralist
Answer", in The Analysis of Literary Texts: Current Trends in
Methodoly, ed. Randolph Pope, Ypsilanti, Eastern Michigan
University Bilingual Press, 1980, p.286-90.
Rincón, Carlos, "Antes de lo real maravilloso americano, Le
Merveilleux" in Revista ECO 220, Bogotá, Buchholz, Fév.
1980.
Dehennin, E., "Réalisme magique vs. Fantastique moderne.
D'abord une question de terminologie" in Les Langues néo-
latines, (Boulogne) 236, 1981, p.67-82.
Young, David, et Keith Hollaman, éd., Magical Realist Fiction. An
Anthology, New York, Longman, 1984.
Chanady, Amaryll, Magical Realism and the Fantastic: Resolved
Versus Unresolved Antinomy, New York et Londres, Garland
Publishing, 1985.
Rocha-Logan, Maria Teresa, "Realismo mágico: un estudio de la
teoría de Franz Roh y la polemica literaria, con un analysis
textual", thèse de PhD, University of Texas at Austin, 1985.
Jameson, Fredric, "On Magic Realism in Film" in Critical Inquiry
12-2, 1986, p.301-25.

251
Márquez Rodríguez, Alexis, "El surrealismo y su vinculación con
el realismo mágico y lo real maravilloso" in Prosa hispanica de
vanguardia, éd. Fernando Burgos, Madrid, Orígenes, 1986,
p.77-86
Weisgerber, Jean, éd., Le Réalisme magique – Roman. Peinture.
Cinéma, 1er cahier du Centre d'étude des Avant-Gardes
littéraires de l'Université de Bruxelles, Ed. L'Age d'homme,
1987.
Weisgerber, Jean, "Préface" (p.7-9), "La locution et le concept"
(p.11-32) et "Bilan provisoire" (p.214-218) in Le Réalisme
magique – Roman. Peinture. Cinéma, Jean Weisgerber, éd.,
1987.
Dupuis, Michel et Albert Mingelgrün, "Pour une poétique du
réalisme magique, in Le Réalisme magique – Roman. Peinture.
Cinéma, Jean Weisgerber, éd., 1987, p.219-32
Slemon, Stephen, "Magic Realism as Postcolonial Discourse" in
Canadian Literature 116, Printemps 1988, p.9-24 [réédité in
Magical Realism – Theory, History, Community, éd. Zamora et
Faris, Duke University Press, 1995, p.407-426].
Kalenic-Ramsak, Branka, "El realismo mágico, lo real-maravilloso
y el surrealismo: una estética parecida" in Verba Hispánica 1,
1991, p.27-34.
Angulo, María-Elena, Magic Realism : Social Context and
Discourse, New York, Garland, 1995.
Zamora, Lois Parkinson, et Wendy B. Faris, éd., Magical Realism
– Theory, History, Community, Durham et Londres, Duke
University Press, 1995.
D'haen, Theo L., "Magical Realism and Postmodernism:
Decentering Privileged Centers" in Magical Realism – Theory,
History, Community, éd. Zamora et Faris, Duke University
Press, 1995, p.191-208.
Faris, Wendy B., "Sheherazade's Children: Magical Realism and
Postmodern Fiction" Magical Realism – Theory, History,
Community, éd. Zamora et Faris, Duke University Press, 1995,
p.163-190.

252
Merivale, Patricia, "Saleem Fathered by Oskar: Midnight's
Children, Magic Realism and The Tin Drum" in Magical
Realism – Theory, History, Community, éd. Zamora et Faris,
Duke University Press, 1995, p.329-345.
Thiem, Jon, "The Textualisation of the Reader in Magical Realist
Fiction" in Magical Realism – Theory, History, Community, éd.
Zamora et Faris, Duke University Press, 1995, p.235-248.
Wilson, Rawdon, "The Metamorphoses of Fictional Space:
Magical Realism" in Magical Realism – Theory, History,
Community, éd. Zamora et Faris, Duke University Press, 1995,
p.209-233.
Dehennin, E., éd., Del realismo español al fantástico
hispanoamericano (estudios de narratología), Genève, Droz,
1996.
Diop, El Hadji Abd, "Aspects du réalisme chez Gabriel García
Márquez et chez Sony Labou Tansi: réalisme merveilleux et
réalisme surnaturel", thèse de doctorat, dir. Robert Jouanny,
Université Paris IV, 1996.
Teißl, Verena, Utopia, Merlin und das Fremde (eine literatur-
geschichtliche Betrachtung des magischen Realismus aus
Mexiko und der deutschsprachigen phantastischen Literatur auf
Basis der europäischen Utopia-Idee), Innsbruck, Institut für
Sprachwissenschaft, 1997, 208p.
Garnier, Xavier, éd., Le Réalisme merveilleux, (Centre d'Etudes
Littéraires Francophones et Comparées de l'Université Paris
XIII), Paris, L'Harmattan, 1998.
Durix, Jean-Pierre, "Le Réalisme magique: genre à part entière ou
'auberge latino-américaine'?" in Le Réalisme merveilleux,
Xavier Garnier éd., L'Harmattan, 1998.
Durix, Jean-Pierre, Mimesis, Genres and Post-Colonial Discourse:
Deconstructing Magic Realism, Londres, McMillan, 1998.
De La Campa, Román, "Magical Realism and World Literature: A
Genre for the Times?" (critique de Magical Realism – Theory,
History, Community, éd. Lois Parkinson Zamora et Wendy B.
Faris, éd., Durham et Londres, Duke University Press, 1995) in

253
Revista Canadiense de Estudios Hispanicos XXIII, 2, hiver
1999, p.205-219.
Gotz, Hanna Betina, "Luso-African Real Maravilloso? A Study on
the convergence of Latin American and Luso-African
Literatures", Dissertation Abstracts International, Ann Arbor,
Michigan, 1999.
Dapprich-Barrett, Ute, "Magical Realism: Sources and Affinities in
Contemporary German and English Writing" in The Novel in
Anglo-German Context: Cross-Currents and Affinities, ed.
Suzanne Stark, [lieu et éditeur?], 2000.
Mellen, Joan, Magic Realism, Detroit, Gale, 2000.
Münch, Marc-Mathieu, "Une définition planétaire de l'art littéraire
est possible!" in Fin d'un Millénaire – Rayonnement de la
Littérature Comparée, éd. Pascal Dethurens et O.-H. Bonnerot,
Presses U. de Strasbourg, 2000, p.27-32.
Scheel, Charles W., "Le réalisme merveilleux dans Que ma joie
demeure de Jean Giono et dans Le Hameau de William
Faulkner", mémoire en vue de l’habilitation de littérature
générale et comparée, direction Daniel-Henri Pageaux,
Université Paris III – Sorbonne Nouvelle, 2001 (380p.).

254
TABLE

[Préface de Daniel-Henri Pageaux …....................................... 7]

Avant-propos ……………...............................……................. 11

Introduction ..............................………............………......…. 12
Parcours historique et extension géo-critique
de ces appellations ..............................………........….......... 15
De l’intérêt de distinguer entre réalisme magique
et réalisme merveilleux ............................……………........ 22

I. THÉORIES..............................………............……............ 35

La théorie esthétique du Magischer Realismus


de Franz Roh (1925) ....................................................... 37
L'impasse théorique des manifestes culturels
d'Alejo Carpentier sur le real maravilloso (1948-75) ......43
Le "réalisme merveilleux" selon Jacques S. Alexis
et Irlemar Chiampi...........................…………………......... 71
1. Le Réalisme Merveilleux des Haïtiens (1956) ................. 71
2. Le realismo maravilloso (1983) .......…………………... 82
Le "réalisme magique" redéfini en tant que
mode narratif par Amaryll Chanady ..................................... 87
Redéfinition d'un "réalisme merveilleux" distinct
du réalisme magique chanadien .....................…………...... 101
II. POÉTIQUES

Le réalisme magique de Marcel Aymé


à Gabriel García Márquez ....................................................123
La "première manière" de Giono
ou le réalisme merveilleux ...........................................…... 149
[Trois réalistes-merveilleux antillais : Alejo Carpentier,
Jacques S. Alexis et Jean-Louis Baghio’o ............…......... 163]
Le réalisme merveilleux dans Le Hameau
de William Faulkner ........................................................... 205

Bibliographie chronologique par domaine littéraire ............... 225

Table ………………………………….....................…............ 255

256

Vous aimerez peut-être aussi