Vous êtes sur la page 1sur 18

Naissance et évolution de l’idée

de ‘mythe littéraire’

Séminaire d’Histoire des Idées:


Mythes Littéraires
Sheila Mancini
Université de Bologne

1
Sommaire

Introduction

1- Première phase : le rapport entre Mythe et Littérature

2- Deuxième phase : qu’est-ce qu’un mythe littéraire ?

3- Troisième phase : consolidation de l’idée de mythe littéraire

Conclusion

Bibliographie

2
Introduction

Si l’expression mythe littéraire est désormais entrée dans l’usage courant, son histoire, par
contre, n’est pas trop connue. Connaître comment cette idée s’est venue se formé est
important pour tous ceux qui s’occupent de littérature : il faut savoir à quoi on se réfère
quand on parle de mythe en Littérature. S’il est vrai, en fait, que le mythe est bien présent
dans les textes littéraires, cela ne signifie pas forcément que le mythe littéraire coïncide avec
le mythe tout court.
L’histoire de l’idée de mythe littéraire réfléchit tant la recherche d’une définition capable de
séparer le mythe littéraire du terrain indéfini du mythe, tant paradoxalement, la prétention
d’affirmer qu’il n’y a pas de mythe sans Littérature.
Cette histoire, beaucoup plus récente de celle du mot mythe, commence dans les années ’30
sous l’influence des études philosophiques (Schelling, Nietzsche), psychanalitiques (Freud,
Jung, Rank) et de mythologie comparée, et continue aujourd’hui.
Dans son parcours évolutif nous pouvons distinguer trois phases :
1. La phase précédente l’élaboration d’une véritable définition de mythe littéraire ;
2. La phase de la définition de mythe littéraire ;
3. La phase de consolidation de cette idée.

1- Première phase : le rapport entre Mythe et Littérature.

Dans cette première période la question concernant le rapport Mythe- Littérature, Oralité-
Écriture commence à se poser. Si auparavant, on considérait principalement la Littérature une
source d’informations pour comprendre le Mythe, maintenant on s’interroge sur leur relation
profonde.
Un des premiers pionniers dans ce type d’études est André Jolles (1874-1946), qui en
Einfache Formen1 définit le mythe une forme simple, antérieure au langage écrit, mais
capable de s’actualiser par lui et par le texte littéraire. Les formes simples sont pour Jolles une
sorte de puissance agissante à l’origine de chaque œuvre littéraire, « qui se produisent dans le
langage et qui procèdent d’un travail du langage lui-même ». « La ‘ forme simple’ du mythe
est constituée par le jeu de la question et de la réponse. La question, à peine posée, trouve sa
réponse, ''et cette réponse est telle qu’on ne peut plus poser d’autre question, que la question
s’annule à l’instant où elle se pose ; cette réponse est décisive" »2. Dans cette perspective, il y

1
Halle, Niemeyer Verlag, 1930.
2
P. BRUNEL, Dictionnaire des Mythes Littéraires, Éditions du Rocher, 1988.

3
a donc une continuité entre Mythe et Littérature : la Littérature est la plénitude définitive de la
forme simple Mythe. En cette phase du cheminement qui mènera à l’élaboration de l’idée de
mythe littéraire, il y a encore un équilibre dans la considération du rapport Mythe- Littérature,
mais cet équilibre n’était pas destiné à durer. En vérité, déjà Propp dans Morfologija e
skazki . Transformacii volshebnykh skazok3 avait mis en évidence une certaine différence
entre le Mythe et la Littérature. En distinguant mythes des peuples primitives et mythes de
l’antiquité gréco- romaine, il affirme : « Nous n’avons pas appris les mythes de ces peuples
[c’est-à-dire des peuples grecs et romains, mais aussi des babyloniens, des égyptiens, des
chinois et des indiens] directement de la part de leur créateurs, qui appartenaient aux classes
inférieures de la société, mais nous les connaissons dans l’interprétation donnée par la
littérature. Nous les connaissons à travers Homère, les tragédies de Sophocle, les œuvres de
Virgile, d’Ovide etc.…Nous reconnaîtrons à ces mythes un authentique caractère populaire,
mais nous devons savoir que nous ne les avons pas dans une forme pure et que il n’est pas
possible de les comparer aux registrations des matériaux folklorique appris par la voix même
du peuple. La situation est presque qu’identique pour les mythes égyptiens. Ces mythes aussi
nous sont parvenus en rédactions de seconde main. […] Nous devons distinguer donc entre
les mythes des formations précédentes aux luttes des classes, que on peut considérer source
directe, et mythes transmis de la part de les classes dominantes des anciens Etats civilisés qui
peuvent faire fonction de preuve indirecte de l’existence de certaines idées chez les peuples
auxquels ces mythes se rapportent ».
Vers la fin des années ’30, Denis de Rougemont introduit une contraposition entre
Mythe et Littérature, qui on retrouvera après chez plusieurs théoriciens. Si le mythe est par
soi-même « une histoire, une fable symbolique, […] résumant un nombre infini de situations
plus ou moins analogues » et permet de « saisir d’un coup d’œil certains types de relations
constantes, et de les dégager du fouillis des apparences quotidiennes 4 », la littérature qui le
reprend n’est qu’une image confuse, une première dégradation : «  Lorsque les mythes
perdent leur caractère ésotérique et leur fonction sacrée, ils se résolvent en littérature 5 ».
Seulement une année plus tard, R. M. Guastalla dans Le Mythe et le livre : essai sur l’origine
de la littérature6 affirme l’impossibilité de créer des mythes nouveaux dès le moment que le
livre a succédé au mythe et la cité cosmopolitique à la société homogène de la polis. Guastalla
pense en fait que ce passage a appauvri les hommes en détruisant les anciennes formes de
vie (les rituels avec leurs mythes).

3
Leningrad : Gosudarstvennij Institut Istorii Iskusstva, 1928.
4
D. DE ROUGEMONT, L’amour et l’Occident, 1939.
5
Ibid. p.203
6
Paris, 1940.

4
Wellek et Warren en Theory of Literature7 remarquent aussi une distance entre le Mythe,
partie orale du rituel, social, anonyme et communautaire, et Littérature qui s’intéresse
seulement à quelques aspects du mythe (la narration, la représentation symbolique, etc.)
Pendant les années ’60, Gilbert Durand, père de la tendance critique connue
comme ‘mythocritique’, estime encore que «  la littérature, et spécialement [le] récit
romanesque » est « un département du mythe »8. Toutefois, il n’exclue pas que le texte d’une
œuvre littéraire puisse devenir langage sacré restaurateur et instaurateur de la réalité
primordiale qui constitue un mythe spécifique9.
G. Dumézil aussi, en Mythe et Épopée I, pose une distinction significative entre le mythe et
celle qu’il définit sa carrière littéraire : « Certes, dans ces sociétés archaïques, la mythologie
était fort importante et c’est surtout de textes mythologiques que l’on dispose. Mais le mythe
ne se laisse pas comprendre si on le coupe de la vie des hommes qui les racontent. Bien
qu’appelés tôt ou tard – très tôt, parfois, comme en Grèce- à une carrière littéraire propre, ils
ne sont pas des inventions dramatiques ou lyriques gratuites, sans rapport avec l’organisation
sociale ou politique, avec le rituel, avec la loi ou la costume 10 ». En outre, comme Dumézil
dira plus tard en Du mythe au roman11, reconstituer un mythe en partant de sa carrière
littéraire est difficile parce que ici « la narration est devenue une fin en soi ». C. Lévi-Strauss
est encore plus radical : il juge la littérature vraiment une dégradation du mythe, « dernier
murmure de la structure expirante »12 où on peut cerner seulement des épaves isolés et à ce
propos, dans L’origine des matières de table13, il affirme par rapport au roman : « non
seulement il est né de l’exténuation du mythe, mais il se réduit à une poursuite exténuante de
la structure en deçà d’un devenir qu’il épie au plus près sans pouvoir retrouver dedans ou
dehors le secret d’une fraîcheur ancienne, sauf peut-être en quelques refuges où la création
mythique reste encore vigoureuse, mais alors et contrairement au roman, à son insu ».   En
Mythe et Société en Grèce ancienne 14 J. P. Vernant associe, d’une part, Mythe et Oralité, de
l’autre, Logos et Écriture. La littérature est lié à l’écriture, au logos et, même quand celle–ci
reprend le mythe, elle, n’est qu’un département ou une distorsion de celui–ci, parce qu’elle
résulte « une relecture faite à partir de normes externes à la pensée mythique »15, de normes
qui affèrent au logos. Selon Vernant, en se transformant en littérature, le mythe perd, en

7
New York: Harcourt, Brace & World, 1942.
8
G. DURAND. Le Décor mythique de “La Chartreuse de Parme”, José Corti, 1961, p.12
9
G. DURAND. « Le voyage et la chambre dans l’œuvre de Xavier de Maistre », Romantisme 4, Flammarion,
1972, p.84
10
G. DUMÉZIL. Mythe et Épopée I, Paris : Gallimard, 1968, p.10.
11
G. DUMÉZIL. Du mythe au roman, Paris : PUF, coll. « Quadrige », 1983, p.7
12
C. LÉVI-STRAUSS. L’Origine des manières de table, Paris : Plon, 1968, p.105-106.
13
Ibid. p.106
14
P. VERNANT. Paris : Maspero, 1974, p. 203-210.
15
Ibid. p. 204

5
outre, « son mystère et sa suggestion » car dans l’œuvre écrite se révèlent les traits
spécifiquement littéraires du texte, qui se diversifient selon les genres, le public, les règles
formelles et les intentions esthétiques 16 . Ensuite, on ne doit pas oublier la maîtrise exercée sur
le mythe par une personnalité singulière qui le transforme, comme Sophocle a fait avec le
mythe d’ Œdipe, en un texte élaboré possédant son sens et sa finalité propre 17. Par
conséquent, il y a une fracture irrémédiable entre Mythe et Logos et entre Mythe et
Littérature.
Jusqu’ environ à la fin des années ’60, la relation qui subsiste entre Mythe et Littérature est
donc lue au désavantage de la Littérature : cette dernière est, en fait, considéré un
éloignement, une dégradation du mythe. Cela est peut-être du au fait qu’on soit encore trop
concentré sur le sens de Mythe comme « tradition sacrée, révélation primordiale, modèle
exemplaire  »18  familier surtout aux ethnologues, aux sociologues et aux historiens des
religions. Toutefois, cette première phase de notre parcours est très important pour
l’élaboration de l’idée de mythe littéraire, parce que s’ ouvre la recherche sur la fonction du
mythe en Littérature, et la Littérature est prise en considération pour soi- même, pas
seulement comme une source d’informations pour comprendre le Mythe.

2- Deuxième phase : qu’est-ce qu’un mythe littéraire ?

Comme nous avons vu, G. Dumézil avait déjà remarqué l’existence d’un rapport privilégié
entre Mythe et Littérature, pour deux raisons principales : 1) on dispose surtout de textes
mythologiques ; 2) tôt ou tard les mythes sont appelés « à une carrière littéraire propre ».
Pendant les années ’70 ce type de considérations amène à réévaluer la Littérature par réaction
contre ceux qui l’avaient jugée un véritable appauvrissement du Mythe. Par conséquent, naît
aussi l’exigence de séparer du concept même de Mythe, qui évoque un domaine sémantique
immense, une idée plus restreinte, pour se référer spécifiquement au mythe en littérature. Le
premier à utiliser l’expression mythe littéraire d’une façon définitoire est, probablement,
Pierre Albouy19. Albouy part de la distinction entre thème et motif proposée par Raymond
Trousson20 et souligne la difficulté rencontrée par ce dernier à utiliser le mot Mythe, bien que,
parfois, il fût adéquat au sens demandé par son discours. Il semble, en fait, à Trousson que ce
mot appartient au domaine religieux plutôt qu’à celui de la Littérature. Dans les œuvres
littéraires classiques, en fait, « le mythe a déjà perdu sa fonction étiologique et religieuse,
16
Ibid. p.201
17
P. VERNANT. Mythe et tragédie en Grèce ancienne, Paris : Maspero, 1973, p.7
18
M. ELIDE, Aspects du mythe, Paris : Gallimard, 1963 p.9
19
P. ALBOUY, Mythes et mythologies dans la littérature française, Armand Colin, 1969.
20
R. TROUSSON, Un problème de littérature comparée: les études de thèmes, Minard, 1965, p. 13

6
même si la structure du mythe continue à se manifester sous la structure narrative 21 ». Albouy
introduit alors une expression nouvelle, celle justement de mythe littéraire, qui circonscrit
sans ambiguïté un récit mythique, hérité par une tradition orale ou littéraire, qu’« un auteur
traite et modifie avec une grande liberté » et au quel ajoute des  « significations nouvelles »22.
Aussitôt après, il précise que « quand une telle signification ne s’ajoute pas aux données de la
tradition, il n’y a pas de mythe littéraire ». Albouy cerne, en outre, différentes typologies de
mythe littéraire : « Nous aurons donc affaire à des mythes de plusieurs espèces, hérités,
inventés, nés de l’histoire et de la vie moderne, cosmique. »23
Dans cette période, se développent aussi Mythanalyse et Mythocritique, deux tendances
critiques qui se rapportent au Mythe. La Mythanalyse a été élaborée par Denis de Rougemont
entre les deux guerres24, mais a trouvé sa forme définitive seulement plus tard grâce aux
études de M. Eigeldinger et G. Durand. Ce dernier a été en outre le père de la Mythocritique.
La mythocritique se configure comme un approche spécialisé dans l’analyse des textes et
l’étude des mythes littéraires, que doit « dévoil[er] un système pertinent de dynamismes
imaginaires », en comparant « en des tableaux les grandes structures figuratives, leur flux et
reflux en une culture à un moment culturel donné »25.
La mythanalyse, en revanche, permet d’élargir les résultas obtenus grâce à la mythocritique :
«Il consiste à appliquer les méthodes que nous avons élaborées pour l’analyse d’un texte à un
champ plus large, celui des pratiques sociales, des institutions, des monuments autant que des
documents »26 . La mythanalyse est donc, d’une part, une investigation de la littérature, de
l’autre, comme le dit Denis de Rougemont, une étude de la société contemporaine.
Dans Figures mythiques et visages de l’oeuvre27, Durand, en critiquant « les vieilles
catégorisations héritées des Lumières … , les frontières entre la « critique » littéraire et
l’analyse socioculturelle et historique », proposera une théorie, la mythodologie, que associe
les deux secteurs d’investigation de la mythocritique et de la mythanalyse .

L’affirmation de ces nouvelles tendances critiques marque le croissant intérêt pour l’étude
des occurrences mythiques dans les textes littéraires. On commence donc à regarder le Mythe
comme un moyen possible pour comprendre la Littérature, en inversant les rôles joués jusqu’à

21
R. TROUSSON, « Mythes, domaines et méthodes » en Mythes, images, représentations, trames [Actes du XIVe
Congrès de la société française de littérature générale et comparée à Limoges en 1977], 1981 p.177.
22
P. ALBOUY, Mythes et mythologies dans la littérature française, Armand Colin, 1969, p. 9.
23
Ibid. p.12
24
D. de Rougemont utilise tardivement la définition mythanalyse, par exemple dans l’ouvrage intitulé Les
Mythes de l’amour (Albin Michel, 1961).
25
P. BRUNEL, Mythocritique, Paris : Puf, 1992, p.39.
26
G. DURAND, Introduction à la mythodologie. Mythes et sociétés, Paris : Albin Michel, 1996, p.205
27
G. DURAND, Paris: Berg International, 1979, p.305

7
ce moment-là. Pourtant la Littérature est à son tour considérée un instrument pour s’interroger
sur la société.
Les considérations développées par P. Albouy seront reprises surtout pendant les années ’80.
Déjà en 1979, Hans Blumemberg en Arbeit am Mythos28 redit la continuité entre la phase pré
-littéraire du mythe et celle littéraire : « L’âge de la communication orale était la phase de la
vérification permanente et immédiate du succès des moyens littéraires. […] l’entier
patrimoine transmis de sujets et schémas mythiques est passé par le dispositif de la réception,
il a été optimisé par son mécanisme de sélection. Je crois que pour saisir la qualité originaire
de la prestation du mythe, il doit être décrit de la perspective du terminus a quo ».
Blumemberg introduit ensuite l’idée de mythe d’art, c'est-à-dire le mythe varié et transformé
par ses réceptions artistiques et, donc, littéraires aussi. Selon lui les mythes d’art représentent
éléments constitutifs du mythe même, parce que souvent « tout ce que nous connaissons est le
mythe déjà entré dans le processus de la réception 29 ». Les mythes d’art, et donc pour nous les
mythes littéraires, sont enfin ce que Blumemberg définit « Arbeit am Mythos ». Ils pourraient
arriver jusqu’au concept limite d’ « achever le Mythe, […] essayer la déformation extrême,
celle qui permet ou ne permet plus de reconnaître la configuration originale. Selon la théorie
de la réception, cela serait la fiction d’un mythe terminal, c'est-à-dire un mythe qui épuise le
potentiel de la forme ». Mais pour Blumemberg « achever le mythe » signifie, en réalité,
fortifier « la survivance du mythe dans un nouveau état d’agrégation 30 ». Par conséquent, la
Littérature ne peut pas être considérée le bric-à-brac du Mythe, mais elle coïncide justement
avec ce « nouveau état d’agrégation » qui en permet la survivance.
Quelques années après Arbeit am Mythos, sur la revue Trudy po znakovym sistemam, sort un
essai de Jurij M. Lotman et Zora Minc intitulé Littérature et Mythologie31. Cet essai est aussi à
considérer sous l’optique de réévaluation de la Littérature par rapport au Mythe. Lotman et
Minc soutiennent que Littérature et Mythe sont deux tendances opposées et complémentaires
de la Culture : la première représente le canal par lequel «  sont transmis les textes discrets »,
le deuxième le canal pour « les textes pas discrets »32.
Pour mieux comprendre on peut dire que les textes discrets utilisent en prévalence, comme
les textes littéraires, la narration verbale, et leur réception est donc médiate par le langage
verbal, tandis que les textes pas discrets, comme les textes mythologiques, ne donnent pas à la
narration verbale une position prééminente : «  Dans sa forme originale le Mythe n’était pas
raconté, mais joué dans une action rituelle complexe, pour laquelle la narration verbale était
28
H. BLUMEMBERG, Arbeit am Mythos, Frankfurt am Main: Suhrkamp Verlag, 1979.
29
Ibid. p. 331.
30
Ibid. p. 190.
31
J. M. LOTMAN e Z. MINC «  Literatura i mifologija », in Trudy po znakovym sistemam n. 13, Tartu 1981.
32
Ibid. p.203

8
seulement une composante »33. Selon Lotman  « l’influence réciproque entre pensée
mythologique et pensée logique [de la Littérature] et leur convergence dans la sphère de l’art
est… un phénomène toujours présent dans la culture humaine. Ce processus se développe
différemment par rapport aux étapes diverses de l’histoire, parce que, dans les nombreuses
époques culturelles, le poids des deux types de conscience est différent. On peut
approximativement dire que jusqu’à l’époque de la culture non écrite a dominé la conscience
mythologique […] tandis que, pendant la période de la culture écrite, elle est apparue presque
écrasée par le développement de la pensée logique-verbale discrète »34. Ainsi, Lotman et Minc
établent la complémentarité de Littérature et Mythe, capables d’influences et
d’enrichissements réciproques. Il ne s’agit pas en fait de « deux formations jamais
coexistantes dans la même unité de temps et qui se succèdent l’une l’autre, en existant en
même temps seulement dans la tête du chercheur 35», mais de deux faces de la même
médaille. La Littérature n’est pas donc une dégradation du Mythe, mais plutôt son
achèvement.
En 1984 il y a une nouvelle tentative de définition de mythe littéraire de la part de Philippe
Sellier. Qu’est-ce qu’un mythe littéraire ?36 est le titre de son article publié dans la revue
Littérature, dans lequel, en reprenant les observations de P. Albouy, il relance le débat sur le
mythe littéraire. Sellier part de la conviction que « la langue- comme si souvent- a enregistré
une réelle parenté, en désignant d’un même substantif le mythe religieux et le mythe
littéraire37 ». D’abord il distingue nettement entre « le type spécifique de récits religieux que
l’on a si longtemps appelé ‘mythes ‘ » et « le petit nombre de scénarios littéraires
parfaitement connus (Antigone, Tristan, don Juan)38 » qui ont été mis en rapport avec eux.
D’une part il y a donc le mythe ethno-religieux, de l’autre le mythe littéraire. Sellier soutien
que le mythe ethno- religieux, ainsi qu’il a été décrit par des ethnologues et mythologues
comme Eliade, Dumézil ou Lévi-Strauss, est un récit caractérisé par sis éléments
fondamentaux :
1- être fondateur : « il explique comment s’est fondé le groupe, le sens de tel rite ou de tel
interdit, l’origine de la condition présente des hommes » ;
2- être anonyme et collectif : « élaboré oralement au fil des générations, grâce à ce que Lévi-
Strauss appelle « l’érosion de ses particules les plus friables ». Longtemps retravaillé, le

33
Ibid. p.206
34
Ibid. p.209
35
Ibid. p. 203
36
P. SELLIER, « qu’est-ce qu’un mythe littéraire? », en Littérature n.55, Larousse 1984, pp. 113-126.
37
Ibid. p. 118.
38
Ibid. p. 113

9
mythe atteint une concision et une force qui, aux yeux de certains mythologues, le rend
bien supérieur à ces agencements individuels qu’on appelle littérature » ;
3- être tenu pour vrai : « histoire sacrée…il est nettement distinct…de tous les récits de
fiction (contes, fables, histoires d’animaux)» ;
4- avoir une fonction socio- religieuse : « intégrateur social, il est le ciment du groupe,
auquel il propose des normes de vie et dont il fait baigner le présent dans le sacré. » ;
5- suivre la logique de l’imaginaire : « Les personnages principaux des mythes (dieux,
héros…) agissent en vertu des mobiles largement étrangers au vraisemblable à la
psychologie « raisonnable »…  psychologisation et rationalisation marquent le passage du
mythe au roman [Dumézil] » ;
6- pureté et force des oppositions structurales : « le moindre détail entre dans des systèmes
d’oppositions structurales »39.

À partir de ces caractéristiques, Sellier essaie de voir qu’est-ce qui se passe pendant le
passage du mythe ethno-religieux au mythe littéraire : « Il est clair que du mythe au mythe
littéraire les trois premières caractéristiques du mythe ont disparues : le mythe littéraire…ne
fond ni n’instaure plus rien. Les œuvres qui l’illustrent sont d’abord écrites, signées par une
(ou quelques) personnalité singulière. Évidemment, le mythe littéraire n’est pas tenu pour
vrai. Si donc existe une sagesse du langage, c’est du côté des trois derniers critères qu’une
parenté pourrait se révéler entre mythe et mythe littéraire ». Ce qui permet alors d’associer
mythe et mythe littéraire est :
- la fonction sociale et l’horizon métaphysique ou religieux de l’existence ;
- la logique de l’imaginaire ;
- la fermeté de l’organisation structurale.
Sellier poursuit avec l’individuation de cinq groupes différents de mythes littéraires :
1- « récits d’origine mythique consacres dans le panthéon culturel occidental. On retrouve
ici la fameuse dyade Athènes- Jérusalem […] Ce premier ensemble est unanimement
reçu comme le modèle, l’étalon du mythe littéraire» ;
2- « mythes littéraires nouveau- nés…au XIIe siècle Tristan et Yseult, au XVIe siècle Faust,
au XVIIe don Juan » ;
3- récits développés à partir des « lieux qui frappent l’imagination certes, mais qui
n’incarnent nullement une situation 40. […] Ainsi l’aura de Venise résulte d’un
conglomérat exceptionnel de souvenirs lumineux (le ballet de la lumière et de l’eau),

39
Ibid. p. 113-114.
40
Ibid. p. 115-118.

10
d’œuvres d’art (Carpaccio, les pourpres du Tintoret, le Grand Canal et ses peintres), et de
tout un bric-à-brac (les gondoles et le Pont des Soupirs). Un jeu de cartes postales » ;
4- Mythes politico héroïques : «  Tantôt il s’agit de figures glorieuses : Alexandre, César
[…], Louis XIV […] , Napoléon […] ; tantôt il est question d’événements réels ou semi-
fableux : la guerre de Troie, la Révolution de 1789, la guerre d’Espagne […] Ici
« mythe » renvoie à la magnification de personnalités (Alexandre) ou de groupes (les
révolutionnaires), selon le processus caractéristique d’un genre littéraire bien connu :
l’épopée »  ;
5- Mythes para- bibliques, nés parfois d’un seul verset (Lilith, Golem, les anges) : «Leur
existence souligne vivement que la plupart des mythes littéraires se sont imposés d’un
coup, grâce à la réussite exceptionnelle d’une œuvre où le scénario était agencé d’emblée
avec maîtrise »41.

Sur les trois derniers groupes subsiste quelque doute car ils ne semblent pas composés par des
mythes littéraires purs, néanmoins ils méritent d’être mentionnés.
Dans la dernière partie de son article, Sellier approfondit l’examen des trois caractéristiques
qui lient mythe ethnò-religieux et mythe littéraire :
o Saturation symbolique : « le mythe et le mythe littéraire reposent
sur des organisations symboliques, qui font vibrer des cordes
sensibles chez tous les êtres humains42 » ;
o Tour d’écrou : dans les ouvrages littéraires on voit un
extraordinaire « travail de formalisation qui fait retrouver au mythe
littéraire un agencement structural comparable à celui du mythe
ethno-religieux43 » ;
o Éclairage métaphysique « dans lequel baigne tout le scénario44 ».

Sellier conclue avec une polémique contre tous ceux qui avaient déprécié la littérature. Il est
en fait persuadé que nouvelles études menées à partir de cette idée de mythe littéraire
« risquent fort d’infliger un démenti partiel aux critiques de Claude Lévi- Strauss à l’encontre
de la littérature comme charpie, comme bric-à-brac ou comme brocante par rapport à
l’orfèvrerie mythique45 ».

41
P.Sellier, ibid. pp. 116-118.
42
Ibid. p. 118.
43
Ibid. p. 122.
44
Ibid. p. 124.
45
Ibid. p. 125.

11
3- Troisième phase : consolidation de l’idée de mythe littéraire.

Après que une véritable définition de mythe littéraire a été élaborée, on assiste à une lente et
progressive inversion du rapport Mythe- Littérature : si auparavant la Littérature avait été
considérée un département du Mythe, maintenant on arrivera à dire qu’il n’y a pas de mythe
sans Littérature. Déjà Northrop Frye dans un essai critique de 1985 46, en distinguant entre
phase pre-littéraire et phase littéraire du Mythe, semble convaincu de la prééminence de cette
dernière. Frye pense, en fait, que le mythe pre-littéraire n’a pas à affaire à la vérité : la
question primaire pour un mythe pré-littéraire n’est pas « est-ce que c’est vrai ? »[…] La
question primaire ressemble plutôt à « Il faut savoir cela ? » et une réponse affirmative est ce
qui caractérise le mythe pré- littéraire authentique. Selon Frye c’est seulement avec la phase
littéraire du mythe que naît la nécessité de s’interroger profondément sur la vérité du mythe
entendu comme forme verbale : « dès que telle catégorie [celle de Littérature] est clairement
reconnue, se pose la question pour laquelle Platon a attaqué non seulement Homère, mais tous
les poètes : quel type de structure transmet la vérité ?47 ». Dans la Littérature le langage
mythique trouve toute sa valeur de forme verbale qui, n’ayant pas une référence immédiate
aux objets extérieurs, peut exprimer une vérité.
Bref, Frye utilise la définition de mythe littéraire pour se rapporter à une phase de l’histoire du
mythe et il pense en outre que cette phase est la plus significative.
La propension à estimer la littérature fondamentale par rapport au Mythe se retrouve aussi
chez Pierre Brunel. Sa contribution au développement de l’idée de mythe littéraire est
vraiment considérable. Il commence à s’intéresser à ce sujet pendent les années ’70 avec la
conviction que « en étudiant certains textes […] un autre regard pouvait être porté sur eux si
on considérait avec une attention plus soutenue les éléments mythiques qu’ils contiennent 48».
Il sera l’auteur de plusieurs ouvrages sur les mythes littéraires 49 et le maître d’œuvre du
Dictionnaire des mythes littéraires50.
C’est surtout dans la préface de ce dernier qu’on remarque sa vision du rapport Mythe-
Littérature. Brunel part de la distinction entre mythe proprement dit et mythe littéraire,
comme Albouy et Sellier, dont il partage la définition de mythe littéraire, avaient déjà fait.
Toutefois, Brunel se montre tout de suite persuadé, beaucoup plus qu’eux, que « la littérature
est le véritable conservatoire des mythes ». Il écrit, en fait : « Que saurait-on d’Ulysse sans

46
N. FRYE, The Mythical approch to Creation,1985 en Mythe, métaphore et symbole…p. 15-31.
47
Ibid., p. 15.
48
P. BRUNEL, Mythocritique théorie et parcours, Paris, Puf, 1992, p. 11.
49
Mythe d’Électre, A. Colin, 1971; Le Mythe de la métamorphose, A. Colin 1974 ; Dictionnaire des mythes
d’aujourd’hui, Éd. Du Rocher, 1999 ; Dictionnaire de Don Juan, R. Laffont (coll. « Bouquins »), 1999.
50
Éditions du Rocher, 1988; réédité (augmenté) en 1994.

12
Homère, d’Antigone sans Sophocle, d’Arjuna sans le Mahabharata ? Il en est de la recherche
pré- littéraire comme de la recherche préhistorique : elle erre. Et comme il faut déjà faire de
l’histoire pour appréhender la préhistoire, de même c’est à partir de textes ou de traditions
littéraires qu’on avance des hypothèses sur ce qui les a précédés »51. C'est-à-dire que « le
mythe nous parvient tout enrobé de littérature »et donc « il est déjà, qu’on le veuille ou non,
littéraire »52, «  L’existence de littératures orales, progressivement révélées par les
mythologues, vient le confirmer. Ces littératures sont tout imprégnées de mythe, à tel point
que le mythique et le littéraire y sont indissociables »53 Selon Brunel, Mythe et Littérature
sont liés par un noeud inextricable : « le mythe, langage préexistant au texte, mais diffus dans
le texte, est l’un de ces textes qui fonctionnent en lui 54 ». Dans le volume intitulé
Mythocritique. Théorie et parcours55 Brunel essaie aussi de  rassembler à ce propos quelques
éléments théoriques en recherchant la présence du mythe chez quelques auteurs et dans un
certain nombre de textes, à partir de la conviction que la mythocritique « s’intéressera surtout
à l’analogie qui peut exister entre la structure du mythe et la structure du texte »56 .
Les considérations de Brunel sont partagées par Daniel Mortier que estime que « la mort du
mythe est assimilée à la fin de l’appropriation, à l’impossible fusion des deux horizons [ celui
du mythe et celui de la Littérature]. Mais celle-ci ne saurait être jugée définitive, car l’histoire
du mythe n’est pas nécessairement continue : elle s’accommode de périodes de sommeil plus
ou moins longues. Le mythe, c’est la Belle au bois dormant de la littérature »57 .
Yves Chevrel aussi s’oriente dans la même direction : « Le mythe pour nous, aujourd’hui, est
essentiellement littéraire ou, plus généralement, artistique. Sa parole, devenue presque
silencieuse dans ce monde déserté par les dieux qu’évoque Michel Butor, continue cependant
à se faire chair en s’inscrivant dans le corps du texte littéraire […] Mais c’est, en tout premier
lieu, le mot « mythe » lui-même qui a connu, à l’époque moderne, une nouvelle inscription.
La promotion de « la littérature », comme absolu et genre englobant tous les genres, par les
romantiques de l’Athenaeum, s’est accompagnée d’une véritable « invention » littéraire du
mythe […] La réapparition récente du mot justifie qu’on pose la question du mythe
aujourd’hui, et qu’on la pose dans son rapport avec la littérature. Ne pourrait-on parler, en
effet, au sujet de cette dernière, d’une vocation ‘mythique’ ? »58

51
P. BRUNEL, Dictionnaire des mythes littéraires, Éditions du Rocher, 1988, p.11
52
Ibid. p.11.
53
Mythes et littérature, Textes réunis par Pierre Brunel, Presses de l’Université de Paris-Sorbonne, 1994.
54
P. BRUNEL, Mythocritique. Théorie et parcours, Paris, PUF, 1992 (coll. “Écriture”), p. 61
5554
Paris : PUF, 1992 (coll. “Écriture”)
56
Ibid., p.67
57
Daniel MORTIER, Mythes et littérature, Textes réunis par Pierre Brunel, Presses de l’Université de Paris-
Sorbonne, 1994, p. 148.
58
Le mythe en littérature, essais offerts à Pierre Brunel à l’occasion de son soixantième anniversaire, Textes
réunis par Yves CHEVREL et Camille DUMOULIÉ, Presses Universitaires de France p.5-6

13
La tendance à présenter la Littérature comme indispensable au Mythe atteint son apogée avec
l’essai de Régis Boyer publié dans les actes du second congrès international organisé par le
Centre de recherches en littérature comparée de Paris IV en 1994, Mythes et Littérature59 ,
dont le titre est Existe-t-il un mythe qui ne soit pas littéraire ? Ici, Boyer décrit le Mythe
comme composé par deux élément fondamentaux : une image « magnétique …puissamment
symbolique ou synthétique » et une histoire « exemplaire…de nature toujours symbolique »
qui « recouvre toujours un message universel ». « Toutes les deux, ensemble, expriment,
« justifient », une vision du monde, de la vie et de l’homme, incarnent un esprit qui nous
permet de comprendre notre fureur de vivre et notre acceptation de la mort ». On ne peut pas
établir un primat entre image et histoire parce que la création d’un mythe n’exige pas
seulement une image, mais aussi « une élaboration, une (re)construction, une volonté de
(re)organisation, de mise en ordre, bref, d’intellectuation », termes qui s’appliquent « à toute
activité littéraire60 ». Pour tout dire, Boyer est persuadé que « il y a une forme convenue,
stéréotypée, « littéraire » de la transmission, même orale, d’un mythe ». Par conséquent il
n’existe pas un mythe qui ne soit pas littéraire. Naturellement Boyer doit élargir la notion de
Littérature afin d’y insérer la fameuse « tradition orale » : « Littérature dérive de litera, la
lettre, le signe écrit. Je ne retiens pas, dans « signe écrit », l’adjectif « écrit »dans son sens
matériel, mais dans son acception abstraite de passage par un relais conventionnel, élaboré,
reconnaissable après identification. Et donc d’organisation du mental, de choix opéré dans les
données du réel ». Boyer termine son essai par une question en réponse à celle que posait le
titre : « Il se peut […] que tout ce qui est « littéraire » ne relève pas nécessairement du mythe.
Il semble bien que tout ce qui est mythique doive, comme par définition, s’exprimer en
littérature. Car en fait : à quoi sert-elle, cette littérature, sinon à exprimer, voire à fabriquer
des mythes ? ».

59
Presses de l’Université de Paris-Sorbonne, 1994, p. 153-164.
60
Ibid. pp. 154-155.

14
Conclusion

On a vu donc comment la considération de Mythe et Littérature se soit renversée pendent


notre parcours : de l’idée de Littérature comme charpie du Mythe à celle de l’inexistence du
Mythe sans Littérature. On peut remarquer que cette dernière affirmation apparaît comme
une défense exagérée du rôle de la Littérature : Boyer doit en fait élargir le sens propre du
mot pour justifier sa conviction, en coupant le lien privilégié qui existe entre Littérature et
écriture . Il y a-t-il vraiment Littérature sans Écriture ? À ce propos, André Dabezies écrit :
« tout d’abord, en passant de l’oral à l’écrit, de ce qui jadis était écouté collectivement (et plus
ou moins sacré) à ce qui est lu aujourd’hui individuellement (et plus ou moins critiqué), nous
avons changé de monde. […] la forme et la perfection de l’expression prennent une
importance grandissante, le texte est entré dans le domaine esthétique. Les mythes primitifs
étaient liés à un rituel ou à un comportement collectif […] Du côté de la littérature, en dehors
du théâtre (et autres spectacles), que reste-t-il de la participation rituelle ? La « fascination »
exercée par telle figure mythique atteint en littérature un « public » restreint- dans quelle
mesure ce public représente-t-il une collectivité humaine ? 61» On ne doit pas oublier, en
outre, que « C’est parfois dans la conscience commune que se produit la « mythisation », et la
littérature l’enregistre62 ». Ainsi, surévaluer le rôle de la Littérature signifie parfois ne pas
comprendre certains « mythes d’aujourd’hui » qu’on peut bien indiquer comme mythes, bien
que non littéraires, selon la définition proposée par Dabezies : « images- forces capables
d’exercer une fascination collective assez comparable à celle des mythes primitifs 63 ».
Naturellement, on ne doit pas arriver à l’extrême opposé : Florence Dupont, par exemple,
dans L’invention de la littérature 64 soutien que seulement l’oralité est le garant de la création
tandis que la littérature, en tant que langage écrit, peut jouer uniquement le rôle de
« conserve ». Frédéric Monneyron montra bien le risque de cette perspective applique au
mythe : « Dans ces conditions, et si l’on suit Florence Dupont dans cette perspective extrême,
les mythes, s’ils existent, ne peuvent se réfugier que dans une tradition orale- malgré sa
fugacité et sa fragilité : dès qu’on les nomme dans un récit littéraire, on les tue.[…] En
poussant plus loin notre analyse, on peut même dire que, dans ce contexte, la littérature naît
lorsque le mythe meurt. Dès lors que le mythe a cessé d’être le centre unique de l’expérience

61
A. DABEZIES,  « Des mythes primitifs aux mythes littéraires », en le Dictionnaire des mythes littéraires,
p.1133.
62
P. BRUNEL, Dictionnaire des mythes littéraires, Éditions du Rocher, 1988, p. 14.
63
Ibid. p. 1130.
64
F. DUPONT, Paris : La Découverte, 1994

15
vécue, il n’est plus actif65 ». Dans ce cas-la, on retournerait donc aux positions lévi-
straussiennes déjà dépassées de la part de Philippe Sellier.
De toute façon, en analysant l’histoire de l’idée de ‘mythe littéraire’, ce qui reste vraiment
évident est qu’il existe une difficulté réelle à définir clairement qu’est qu’un ‘mythe
littéraire’. Cela peut-être pour deux raisons :
parce que cette idée est née surtout comme tentative d’opposition à une tendance des études
sur le mythe qui dévalorisaient la littérature, dont le but ne semble pas être parfois la
considération du rôle du mythe dans la littérature, mais la réévaluation de cette dernière ;
parce que le concept même de ‘mythe’, qui doit être à la base de cette définition, ne semble
pas être toujours clair aux savants.
À propos de cette dernière observation, on peut s’aider en se referant à une distinction faite
par Fritz Graf entre le mythe d’une partie et ses représentations linguistiques, et orales et
écrites, de l’autre66. Il écrit : « Le mythe n’est pas le texte poétique, mais il le dépasse : il est
le sujet, un intrigue fixé dans ses grandes lignes, avec des personnages assez fixés, que les
poètes modifient seulement dans certains limites. Chacune variation, chacune œuvre poétique
ont un auteur, le mythe non […] Naturellement, cela est vrai aussi pour la poésie orale pre-
littéraire : chacune variation a un auteur précis […] en manque seulement la registration. […]
Une conséquence naturelle de cette définition est que le mythe peut se traduire d’une langue à
une autre sans aucune perte, tandis que cela n’est pas possible pour l’œuvre poétique »67.
C’est seulement à partir de ce genre de considérations, à notre avis, qu’on peut essayer de
définir vraiment le mythe littéraire comme une des possibles expression linguistiques,
esthétiquement connotée, du mythe.

65
F. MONNEYRON, Mythes et littérature, Vendôme, Imprimerie des Presses Universitaires de France, 2002, p.
43-44
66
F. GRAF, Griechische Mythologie. Munchen-Zürich : Artemis Verlag, 1985
67
Ibid. p.2

16
Bibliographie

ALBOUY P., Mythes et mythologies dans la littérature française, Armand Colin, 1969.

BLUMEMBERG H., Arbeit am Mythos, Frankfurt am Main: Suhrkamp Verlag, 1979

BOYER R., « Existe-t-il un mythe qui ne soit pas littéraire ? » en Mythes et littérature. Textes

réunis par Pierre Brunel, Presses de l’Université de Paris-Sorbonne, 1994 p. 153-164

BRUNEL P., Dictionnaire des Mythes Littéraires, Éditions du Rocher, 1988.

Mythocritique théorie et parcours, Paris : Puf, 1992

Mythes et littérature, Textes réunis par Pierre Brunel, Presses de l’Université de

Paris-Sorbonne, 1994

CHEVREL Y. et DUMOULIÉ C., Le mythe en littérature, essais offerts à Pierre Brunel à

l’occasion de son soixantième anniversaire Presses Universitaires de France

DABEZIES A.,  « Des mythes primitifs aux mythes littéraires », en le Dictionnaire des mythes

littéraires, p.1133

DUMÉZIL G., Mythe et Épopée I, Paris : Gallimard, 1968

Du mythe au roman, Paris : PUF, coll. « Quadrige », 1983

DURAND G., Le Décor mythique de “La Chartreuse de Parme”, José Corti, 1961

« Le voyage et la chambre dans l’œuvre de Xavier de Maistre », Romantisme 4,

Flammarion, 1972

Figures mythiques et visages de l’oeuvre Paris: Berg International, 1979

Introduction à la mythodologie. Mythes et sociétés, Paris : Albin Michel, 1996

DUPONT F., L’invention de la littérature Paris : La Découverte, 1994

ELIDE M., Aspects du mythe, Paris : Gallimard, 1963

FRYE N., The Mythical approch to Creation, 1985 en Mythe, métaphore et symbole

GRAF F., Griechische Mythologie. Munchen-Zürich : Artemis Verlag, 1985

GUASTALLA R. M., Le Mythe et le livre : essai sur l’origine de la littérature Paris, 1940

JOLLES A., Einfache Formen Halle, Niemeyer Verlag

17
LÉVI-STRAUSS C., L’Origine des manières de table, Paris : Plon, 1968

LOTMAN J. M., MINC Z., «  Literatura i mifologija », en Trudy po znakovym sistemam n. 13,

Tartu 1981

MONNEYRON F., Mythes et littérature, Vendôme, Imprimerie des Presses Universitaires de

France, 2002

MORTIER D., « Mythes et littérature », Mythes et littérature. Textes réunis par Pierre Brunel,

Presses de l’Université de Paris-Sorbonne, 1994, p. 148

PROPP V. J., Morfologija e skazki. Transformacii volshebnykh skazok Leningrad :

Gosudarstvennij Institut Istorii Iskusstva, 1928

DE ROUGEMONT D., L’amour et l’Occident, 1939

SELLIER P., « qu’est-ce qu’un mythe littéraire? », en Littérature n.55, Larousse 1984

TROUSSON R., Un problème de littérature comparée: les études de thèmes, Minard, 1965

« Mythes, domaines et méthodes » en Mythes, images, représentations, trames

[Actes du XIVe Congrès de la société française de littérature générale et comparée à Limoges

en 1977], 1981

VERNANT P., Mythe et tragédie en Grèce ancienne, Paris : Maspero, 1973

Mythe et Société en Grèce ancienne Paris : Maspero, 1974

WELLEK et WARREN, Theory of Literature New York: Harcourt, Brace & World, 1942

18

Vous aimerez peut-être aussi