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IEJ-CRFPA

Cas pratique - Corrigé


2019
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A titre préalable, il convient de s’interroger sur l’applicabilité au cas proposé des


dispositions de procédure pénale de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 « de programmation
2018-2022 et de réforme pour la justice », dans la mesure où la date des faits est indiquée
dans l’énoncé. La plupart des dispositions de la loi nouvelle sont entrées en vigueur
immédiatement, c’est-à-dire le 25 juin 2019, le lendemain du jour de la publication de la loi
au Journal Officiel.
La loi nouvelle modifie de nombreux articles du code de procédure pénale relative aux
enquêtes, à l’instruction et au jugement des affaires pénales. Par sa décision n° 2019-778 du
21 mars 2019, le Conseil constitutionnel a déclaré la loi conforme pour l’essentiel. Il a
néanmoins déclaré quelques dispositions contraires à la Constitution et en a assorti d’autres de
réserves d’interprétation. Deux circulaires de présentation des dispositions de procédure
pénale ont été prise par le ministre de la Justice le 8 avril 2019 (voir sur Moodle).
En ce qui concerne l’applicabilité au cas pratique de la loi nouvelle, il importe de
rappeler que les conflits dans le temps en matière pénale ne sont pas résolus identiquement
selon que les règles en concours sont des lois de fond ou des lois de procédure (art. 112-1 et
112-2 C.pén.). En cas de conflit entre lois de fond, il faut rechercher si la loi nouvelle est plus
sévère ou plus douce que la loi ancienne. Dans le premier cas, elle est d’application
immédiate et, dans le second, d’application rétroactive. En cas de conflit entre lois de
procédure, il n’y a pas lieu de distinguer selon que la loi nouvelle est plus sévère ou plus
douce que la loi ancienne. Toutes les lois de procédure sont en général d’application
immédiate, mais non rétroactive.
Dès lors, la loi nouvelle régit toutes les procédures en cours au jour de son entrée en
vigueur, à moins que le législateur n’en ait écarté l’application immédiate. Elle s’applique aux
infractions antérieures à l’entrée en vigueur de la loi nouvelle : il n’y a pas de droit acquis à
l’application de la loi de procédure en vigueur au jour de l’infraction. Au demeurant, il est
exclu de remettre en cause la validité d’opérations de police ou d’actes de procédure
régulièrement accomplis sous l’empire de la loi ancienne : l’application de la loi nouvelle ne
serait pas immédiate, mais rétroactive. Par exception, la survie de la loi de procédure
ancienne est admise dans les cas où la sécurité juridique l’impose. Il en est ainsi, par exemple,

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quand la loi nouvelle supprime une voie de recours dont l’ouverture était acquise au jour du
prononcé de la décision attaquée.
En l’occurrence, les actes de procédure sont accomplis en janvier et février 2019. Ils
sont donc antérieurs à l’entrée en vigueur de la loi nouvelle (le 25 juin 2019). Celle-ci n’est
donc pas applicable.
Avant d’examiner la régularité de chacune des opérations de police, il convient de
préciser la nature des investigations policières.

A. Le cadre des investigations. – Il faut distinguer selon que les investigations ont
pour cadre une commission rogatoire (à l’initiative du juge d’instruction) ou une enquête
(dirigée par le procureur de la République). En l’occurrence, comme aucune instruction n’a
été ouverte, il s’agit d’une enquête. Parmi les enquêtes, l’enquête de flagrance, urgente et
coercitive, s’oppose à l’enquête préliminaire, qui est l’enquête par défaut. L’infraction n’est
flagrante que si elle est grave, manifeste et actuelle (art.53 CPP). Elle est grave lorsqu’elle est
réprimée par une peine privative de liberté (crime ou délit puni d’emprisonnement) ; elle est
manifeste s’il existe « les indices apparents d’un comportement délictueux » (Crim., 4
janv.1982) ; elle est actuelle si elle se commet ou vient de se commettre au moment de
l’ouverture de l’enquête.
Le régime des actes d’enquête varie selon la nature des investigations, parce que,
notamment, l’enquête de flagrance est plus coercitive que l’enquête préliminaire. Néanmoins,
les mêmes faits peuvent faire l’objet successivement d’une enquête de flagrance et d’une
enquête préliminaire (ou inversement). Par exemple, à l’expiration de la durée maximale de
l’enquête de flagrance, si les investigations se poursuivent, elles auront pour cadre une
enquête préliminaire. En outre, plusieurs enquêtes concomitantes peuvent porter sur des faits
distincts mais connexes. C’est le cas lorsqu’une seconde infraction est découverte au cours
d’une première enquête. L’enquête initiale et l’enquête incidente sont, selon le cas, de même
nature ou de nature différente. Si, par exemple, une infraction en cours est révélée aux
enquêteurs pendant une enquête préliminaire, la procédure incidente sera une enquête de
flagrance.
En l’occurrence, la première enquête, déclenchée par un appel téléphonique anonyme,
est une enquête préliminaire. Certes, l’infraction est grave (c’est sans doute une tentative de
vol punie de 3 ans d’emprisonnement) et actuelle ; mais elle n’est pas manifeste, en raison de
l’anonymat de l’appel (Crim., 11 juill. 2007).
La seconde enquête est ouverte pour un vol à l’arraché. Non seulement l’infraction est
grave (pour la même raison que précédemment, c’est à nouveau un vol -d’ailleurs aggravé par

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la circonstance de réunion ou même de bande organisée), mais elle est aussi manifeste et
actuelle (car le vol est commis sous les yeux des policiers). Il s’agit donc d’un flagrant délit.
Or, la continuation de l’enquête de flagrance suppose que les opérations se poursuivent sans
discontinuer pendant une durée de huit jours à compter de la constatation des faits (art.53, al.2
CPP). La garde à vue et la perquisition, qui ont lieu le même jour, relèvent donc de cette
enquête.
La troisième enquête, pour détention de stupéfiants, est incidente : l’infraction a été
découverte au cours de la perquisition menée dans le cadre de l’enquête de flagrance pour vol.
Cette enquête incidente est aussi une enquête de flagrance : la détention est une infraction
grave (délit puni de 10 ans d’emprisonnement), manifeste (constatée par les policiers) et
actuelle (car c’est une infraction continue qui ne prend fin que par la saisie des stupéfiants).
Sa durée maximale est à nouveau de 8 jours, sauf prolongation décidée par le procureur de la
République. L’ouverture de cette enquête est suivie d’une mesure de géolocalisation. Il n’est
pas certain que cette seule mesure suffise à rendre les opérations continues (au sens de l’art.53
CPP) et que l’enquête de flagrance se poursuive effectivement pendant 8 jours.
La quatrième et dernière enquête est de nouveau une procédure incidente. En effet,
l’enquête pour détention de stupéfiant a fourni, grâce à la géolocalisation, l’occasion de
découvrir une autre infraction de cession de stupéfiants, qui présente les trois caractères d’une
infraction flagrante : d’une part, elle est punie de 5 ans d’emprisonnement (art.222-39, al.1er
CP) ; d’autre part, elle a été commise sous les yeux du policier acheteur auquel la drogue est
livrée. Il est donc indifférent que le délai de 8 jours de l’enquête de flagrance pour détention
de stupéfiants ait pu avoir déjà expiré au moment de l’arrestation du fournisseur de drogue,
aussitôt après la cession des stupéfiants.

B. La régularité des opérations. – Elles sont au nombre de quatre : garde à vue,


perquisition, géolocalisation et provocation à la cession de stupéfiants.

1°. La garde à vue. – Elle suppose d’abord que le gardé à vue (présumé majeur) est
un suspect et non un simple témoin. Il y a effectivement des raisons plausibles de soupçonner
que Paul PAROT est l’auteur du vol, parce que son apparence correspond au signalement
d’un des voleurs et il a tenté de prendre la fuite à la vue des policiers. Ensuite, l’infraction est
assez grave pour justifier une mesure coercitive telle que la garde à vue, puisqu’elle est
réprimée par une peine privative de liberté. La mesure apparaît en outre nécessaire, pour
éviter une nouvelle tentative de fuite et, s’agissant d’un vol en réunion, pour éviter une
concertation avec les comparses. Au demeurant, l’audition libre du suspect est exclue, dans la

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mesure où celui-ci a été arrêté et conduit sous escorte au commissariat : l’officier de police
judiciaire est tenu de faire bénéficier des garanties de la garde à vue le suspect soumis à la
contrainte.
En ce qui concerne la forme du placement, aucune indication ne permet de conclure à
l’existence d’une irrégularité. En effet, il y a eu notification de l’infraction et des droits. Il est
vrai que le lieu de commission de l’infraction semble avoir été omis, mais l’annulation est
exclue à moins que la preuve d’un grief ne soit pas rapportée (Crim., 27 mai 2015) ; or, en
l’occurrence, l’omission du lieu n’empêche pas d’identifier l’infraction et aucun problème de
compétence territoriale ne semble se poser. Il est encore vrai que la notification a été retardée
jusqu’à l’arrivée au poste de police ; mais elle n’est pas jugée tardive par la jurisprudence
lorsque la garde à vue succède, comme en l’espèce, à une arrestation dans un lieu public
(Crim., 23 mars 1999). En définitive, l’annulation du placement ne serait possible que si la
garde à vue n’avait pas été décidée par un officier de police judiciaire ou si le procureur de la
République n’en avait pas été aussitôt avisé. Le gardé à vue est ensuite entendu sans
l’assistance d’un avocat, mais il n’est pas indiqué qu’il ait réclamé celle-ci. L’irrégularité ne
saurait donc se présumer. La mesure ne doit pas excéder 24 h. ou 48 h. en cas de prolongation
par le procureur de la République (art.63-II CPP), sauf si la circonstance de bande organisée
est retenue (706-88 CPP).
Remarque. Avant la réforme du 23 mars 2019, la prolongation de la garde à vue ne
pouvait être autorisée qu’après présentation du gardé à vue au procureur de la République ou
à l’un de ses substituts, si nécessaire grâce à un moyen de télécommunication audiovisuelle.
C’était une garantie efficace qui, pour éviter des prolongations superflues, permettait au gardé
à vue de communiquer directement avec le procureur de la République. Mais la garantie
restait souvent lettre morte du fait de la surcharge des magistrats du parquet. Au lieu
d’augmenter les moyens du ministère public, la loi nouvelle a supprimé cette garantie, ce que
le Conseil constitutionnel n’a pas estimé contraire à la Constitution (décision précit., n° 179 et
s.). Désormais, la présentation du gardé à vue au procureur de la République à l’issue de la
période initiale de garde à vue n’est plus obligatoire, mais facultative ; en fait, elle sera très
exceptionnelle.
2°. – La perquisition. - La caravane servant de logement constitue un lieu clos et
privatif. C’est un domicile au sens du droit pénal : ce n’est pas le lieu du principal établissement
d’une personne, mais tout lieu dans lequel une personne peut se dire chez elle (Crim. 31 janv.
1914). Du moment que la perquisition est nécessaire à l’enquête, elle peut avoir pour objet
aussi le domicile d’un suspect que celui d’un tiers. En l’occurrence, comme la perquisition a
lieu le jour même de la constatation de l’infraction, le régime des perquisitions domiciliaires en

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enquête de flagrance est applicable (56 et s. CPP). L’assentiment de l’occupant est donc
superflu. Sa présence ou celle de son représentant est requise, mais, à défaut, l’officier de police
judiciaire peut procéder en présence de deux témoins choisis par lui en dehors des personnes
relevant de son autorité : les deux voisins de l’occupant des lieux remplissent cette dernière
condition. Si les opérations ne doivent pas commencer après 21 h., elles peuvent débuter,
comme en l’espèce, à 20 h. pour se poursuivre même après 21 h. . En conclusion, les opérations
de perquisition paraissent régulières, à la condition cependant qu’elles aient été menées sous la
direction d’un officier de police judiciaire, ce que l’énoncé ne précise pas.
3°. – La géolocalisation. – Les conditions légales semblent réunies (230-32 et 230-33
CPP, dans leur rédaction antérieure à la loi du 23 mars 2019) : d’une part, le trafic de stupéfiant
est une infraction du livre II du code pénal punie de plus de 3 ans d’emprisonnement ; d’autre
part, la mesure peut être décidée en cas d’enquête par le procureur de la République pour 15
jours. La mesure de géolocalisation est régulière pour 15 jours, à la condition d’avoir été « mise
en place » par un officier de police judiciaire avec l’autorisation du procureur de la République
(ce que l’énoncé ne précise pas). A défaut d’autorisation du procureur, la mesure décidée par
le seul officier de police judiciaire ne serait régulière qu’en cas d’urgence et pour une durée de
24 heures. Il convient d’ajouter deux remarques incidentes.
1ère remarque. – Il existe deux types de géolocalisation. D’une part, la géolocalisation
dite en temps réel (c’est-à-dire en direct) qui permet de connaître, à chaque instant, la position
géographique d’un objet (tel que véhicule ou téléphone) utilisé par la personne surveillée. Ce
premier type de géolocalisation est régi par les dispositions spéciales des art. 230-32 et s. CPP.
D’autre part, la géolocalisation en différé, qui permet de connaître les positions géographiques
occupées dans le passé, pendant une période de temps, par un objet utilisé par la personne
surveillée. Ce second type de géolocalisation n’est pas soumis aux dispositions spéciales, mais
au droit commun des réquisitions aux fins de remise d’informations. Cette différence de régime
n’est pas vraiment justifiée, parce qu’il y a atteinte à la vie privée, que la géolocalisation soit
en direct ou en différé et que le régime des réquisitions n’offre à cet égard aucune garantie. On
suppose que, dans le cas proposé, il s’agissait d’une géolocalisation « en temps réel » ou en
direct.
2nde remarque. –Avant la loi du 23 mars 2019, le code de procédure pénale permettait
de recourir à la géolocalisation pour deux catégories de délits, comprenant à titre principal : 1°
Les délits prévus au livre II du code pénal (regroupant les crimes et délits contre les personnes)
punis d’au moins 3 ans d’emprisonnement ; 2° Les autres délits punis d’au moins 5 ans
d’emprisonnement. Depuis la loi du 23 mars 2019, le nouvel art. 230-32 ne retient plus qu’une
seule catégorie de délits : ceux qui sont punis d’au moins 3 ans d’emprisonnement. La loi

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nouvelle apporte une réelle simplification, mais entraîne un élargissement du champ
d’application de la géolocalisation. Le Conseil constitutionnel a estimé que cet élargissement
du domaine de la géolocalisation ne méconnaissait pas le principe de proportionnalité (décision
précit., motif 150). Sous l’empire de la loi nouvelle, la géolocalisation serait donc également
régulière.
4°. La provocation policière. – Le recours à un stratagème policier (prise de la fausse
qualité de consommateur) pose le problème de la loyauté de la preuve, qui tempère le principe
de liberté de la preuve pénale (consacré par l’art. 427 CPP). En l’occurrence, le régime spécial
de la livraison contrôlée de stupéfiants restera sans incidence sur la régularité de l’opération :
en effet, la jurisprudence estime que, si l’autorisation du procureur prévue par l’art. 706-32 CP
est nécessaire pour garantir l’impunité des agents qui font une livraison contrôlée, elle
n’engendre aucune présomption de loyauté de la preuve recueillie (Crim., 30 avr.1998 ; 5 mai
1999).
Au demeurant, il semble qu’il n’y ait pas en l’occurrence provocation à la commission
de l’infraction, mais simple provocation à la preuve, compatible avec la loyauté. Il n’y a pas
déloyauté, en effet, quand un policier conduit le délinquant à révéler un comportement
délictueux préexistant. Il n’y a provocation à l’infraction que si les agents exercent sur
l’intéressé une influence qui le détermine à commettre une infraction qui, autrement, n’aurait
pas été perpétrée (CEDH, 5 févr.2008, Ramanauskas c. Lituanie, § 55). Or, dans le cas proposé,
si le policier ne s’était pas présenté pour acheter la drogue offerte par le fournisseur, ce sont
d’autres acheteurs qui l’auraient acquise, de sorte que l’infraction aurait quand même été
commise (solution admise not. par Crim., 2 mars 1971). Si la provocation n’est pas tenue pour
déloyale, l’arrestation sera justifiée par la flagrance du délit de cession de stupéfiants au policier
lui-même (73 al.1er, CPP).

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