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Algérie 

: la chute du
général Wassini
Bouazza, tout-puissant
patron de la sécurité
intérieure
RÉSERVÉ AUX ABONNÉS | 01 juillet 2020 à 16h14 | Par Farid Alilat
Mis à jour le 01 juillet 2020 à 16h34

Arrêté en avril dernier, le général


Wassini Bouazza a été condamné en
appel le 23 juin à huit ans de prison
ferme. Une chute aussi rapide que
l’avait été son ascension.

Sa chute aura été aussi rapide que l’a été son


ascension. Arrêté en avril dernier, aussitôt après avoir
été démis de ses fonctions de patron de la DGSI
(Direction générale de la sécurité intérieure), le
général Wassini Bouazza a été condamné en appel
mardi 23 juin par le tribunal militaire de Blida à une
peine de huit ans de prison ferme assortie d’une
amende de 500 000 DA (environ 3 400 euros). Il était
notamment poursuivi pour « faux et usage de faux,
atteinte à corps constitué, détention d’arme à feu et
de munitions de type IV ».

À LIRE Algérie : Tebboune remanie l’armée à sa


guise… et sans faire de vagues

Ces chefs d’inculpation sont sans doute liées à son


arrestation plutôt musclée par les agents de la DCSA
(Direction centrale de la sécurité de l’armée) dans les
locaux de la DGSI, sur les hauteurs d’Alger. Menotté,
l’ancien tout puissant Bouazza aurait proféré menaces
et insultes à leur endroit.

Et ses ennuis judiciaires sont loin d’être finis : le


parquet militaire indique que d’autres affaires dans
lesquelles il est impliqué sont en cours d’instruction,
sans pour autant fournir de plus amples indications
sur les griefs pour lesquels il est poursuivi. Selon des
sources à Alger, le général pourrait être inculpé pour
atteinte à la sureté de l’État.

Ascension fulgurante
Wassini Bouazza n’est pas le premier général de la
période post-Bouteflika à croupir à la prison militaire
de Blida. Deux autres généraux majors, Mohamed
Mediene dit Toufik et Athmane Tartag alias
Bachir, tous deux issus des services de
renseignements, occupent des cellules dans le même
établissement pénitencier pour une « atteinte à
l’autorité de l’armée » et « complot contre l’autorité
de l’État ».

Mais si Toufik et Tartag sont tombés sur instigation de


Ahmed Gaïd Salah, décédé d’une crise cardiaque en
décembre 2019, il en est autrement de Wassini
Bouazza. On ne saura jamais quel aurait été son
avenir si le chef d’état-major de l’armée et vice-
ministre de la Défense était encore de ce monde. En
revanche, on sait qu’il lui doit son ascension
fulgurante à la direction de la sécurité intérieure, ainsi
qu’à un certain Said Bouteflika, frère de l’ex-chef de
l’État, qui purge aujourd’hui une peine de 15 ans de
réclusion dans la même prison que son ancien
protégé.

APRÈS LE DÉPART DE
BOUTEFLIKA, WASSINI
DEVIENT L’UN DES HOMMES-
CLÉS DE LA POLITIQUE
AUTORITAIRE DE GAÏD
SALAH
Ingénieur originaire de Tlemcen, dans le nord-ouest
de l’Algérie, Bouazza a d’abord effectué une bonne
partie de sa carrière militaire au sein du
commandement des forces de défense aériennes du
territoire, où il s’occupe de l’infrastructure. Il gravit
ensuite un premier échelon en devenant directeur des
infrastructures militaires. Le poste est stratégique et
sensible, dans la mesure où il est notamment lié aux
programmes d’investissements et d’équipements
relevant du ministère de la Défense. Il se crée alors
un vaste réseau de relations aussi bien dans la sphère
militaire que dans le monde des affaires.

Wassini reçoit souvent la visite de son ancien


camarade de lycée Said Bouteflika. On ne sait s’il
s’agit d’une réelle amitié ou d’une relation d’intérêts,
mais les deux hommes se fréquentent avec assiduité.
Wassini serait-il lié aux projets obtenus auprès du
ministère de la Défense par les frères Kouninef, amis
intimes de Said Bouteflika, actuellement placés en
détention préventive à la prison d’El Harrach ?
L’hypothèse est loin d’être dénuée de sens.
À LIRE Algérie : le blues des anciens caciques du
régime Bouteflika à la prison d’El-Harrach

Comment Wassini s’est-il ensuite rapproché de Gaïd


Salah ? En lui livrant des informations sur Said
Bouteflika, alors que les relations entre les deux
hommes étaient devenues franchement exécrables
depuis l’automne 2018 ? Toujours est-il que Gaïd
Salah finit par nommer Wassini à la tête de la sécurité
intérieure, peu de temps après la démission forcée de
Bouteflika en avril 2019. Gaïd est l’homme fort du
pays et Wassini devient l’un des hommes-clés de la
politique autoritaire que le vice-ministre de la Défense
va mener pendant des mois pour gérer la transition
politique.

Pouvoirs immenses
Avec la direction du renseignement extérieur et la
direction du renseignement technique, la direction de
la sécurité intérieure constitue la troisième branche
des services d’intelligence algériens. Les pouvoirs de
Wassini sont donc immenses et son influence
tellement importante qu’on le dit derrière la
nomination de certains ambassadeurs, ministres ou
walis (préfets).

Sur instigation de Gaïd Salah et en coordination avec


le ministère de la Justice et de la Gendarmerie
nationale, le département de Wassina Bouazza
participe pleinement aux enquêtes sur les affaires de
corruption pour lesquels plus d’une vingtaine
d’anciens ministres, deux ex-Premiers ministres et
une dizaine d’oligarques croupissent désormais en
prison.

Wassini ne manque pas d’ambition et ne compte pas


se contenter de marcher dans les pas du général
Toufik, à la tête du renseignement jusqu’en 2015. Il
entend peser de son influence sur le cours de
l’élection présidentielle programmée pour le 12
décembre 2019.

À LIRE Algérie : bête noire de Gaïd Salah, le général


Hocine Benhadid est de retour

Sa cible ? Le candidat Abdelmadjid Tebboune. Sa


campagne électorale sera torpillée par deux épisodes,
derrière lesquels se tient Bouazza. Premier coup dur :
l’arrestation de deux hommes d’affaires très proche
de Tebboune.

Le second est un coup tordu classique des services


d’intelligence : la chaîne privée Ennahar, dont le
patron, Anis Rahmani, est aujourd’hui en
prison, publie des clichés privés de l’ex-Premier
ministre (entre mai et août 2017). Ces photos, prises
lors de ses vacances estivales ou à bord d’un jet
privé, ne pouvaient que sortir des tiroirs des hommes
de Wassini Bouazza. Objectif : discréditer et enterrer
la carte Tebboune.

Le patron de la DGSI pèse aussi de tout son poids


pour favoriser la candidature de Azzedine Mihoubi. À
quelques jours de la tenue du scrutin, cet ancien
ministre de la Culture, secrétaire général par intérim
du Rassemblement national démocratique (RND),
passe du statut d’outsider à celui de candidat de
l’armée. Le Premier ministre Noureddine Bedoui et
certains walis roulent ouvertement pour lui et
Bouazza actionne ses relais et ses réseaux pour en
faire le vainqueur des urnes.

Série de rumeurs
Mais la veille du scrutin, la carte Mihoubi s’écroule.
Informé de l’opération visant à faire élire l’ex-
ministre, Gaïd Salah entre dans tous ses états et met
son véto. C’est le début de la fin pour Wassini
Bouazza. Celle-ci commence par une série de rumeurs
évoquant sa disgrâce imminente. Peu de temps
avant la cérémonie d’investiture du nouveau chef de
l’État, jeudi 19 décembre, les bruits faisant état de
l’arrestation de Bouazza et de certaines autres hauts
gradés circulent à la vitesse de la lumière. Fausse
information. Sourire aux lèvres, le général figure
parmi les invités.

Au moment du décès de Ahmed Gaïd Salah, on dit


une nouvelle fois Bouazza aux arrêts à la prison de
Blida. Mais il fera une apparition remarquée aux
obsèques. Là encore, avec le sourire, comme un pied
de nez à ses détracteurs. Maintenu à son poste,
présent aux réunions du Haut conseil de sécurité sous
la présidence de Tebboune, Bouazza bénéficie encore
de la confiance de celui-ci.

Mais ces rumeurs étaient annonciatrices de la chute.


La disparition de Gaïd fait sauter le bouclier qui
protégeait Bouazza.

SA CONDAMNATION À HUIT
ANS DE PRISON EST LE
PRÉLUDE À D’AUTRES
TOURMENTS JUDICIAIRES
ENCORE PLUS GRAVES
La disgrâce de ce dernier va s’opérer en deux temps.
Mercredi 8 avril, le président Tebboune nomme le
général Abdelghani Rachedi directeur général adjoint
de la sécurité intérieure. Ancien attaché militaire de
l’ambassade d’Algérie à Abu Dhabi, il est investi de «
larges prérogatives » pour accomplir ses nouvelles
missions. Autant dire que Bouazza est poussé
délicatement vers la porte de sortie.

Les enquêtes menées par Rachedi et ses hommes sur


la gestion de la DGSI par Bouazza et ses lieutenants
ne tarderont pas à sceller le sort du tout puissant
général. Lundi 13 avril, il est mis aux arrêts avant
d’être officiellement remplacé par le général Rachedi.

Sa condamnation à huit ans de prison est le prélude à


d’autres tourments judiciaires encore plus graves. «
Je ferai des services encore plus puissants que ceux
de Toufik », avait promis en privé le général au
moment de sa nomination. Toufik est resté en poste
25 ans. Bouazza n’aura tenu qu’un an.

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