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Niger, Bazoum, Tiani et les milliards de la

discorde
Le général Abdourahamane Tiani a renversé le 26 juillet le
président Mohamed Bazoum. Le premier s’est
autoproclamé chef de l’État, tandis que le second refusait
toujours, au 22 août, de démissionner. Si l’épilogue de leur
histoire n’est pas connu, celle-ci n’en est pas à son premier
rebondissement.
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22 août 2023 à 16:39
Par Mathieu Olivier
Mis à jour le 22 août 2023 à 16:52

Le général Abdourahamane Tiani. © Montage JA ; AFP

LES SECRETS D’UN COUP D’ÉTAT (2/3) – Mohamed Bazoum a-


t-il voulu limoger Abdourahamane Tiani ? Contacté par Jeune Afrique,
le chef de l’État renversé le 26 juillet assure qu’il n’en est rien et qu’il
ne prévoyait aucunement de se séparer du chef de la garde
présidentielle, nommé en 2011 par Mahamadou Issoufou. Mais les
relations entre les deux hommes s’étaient dégradées depuis de longs
mois. Si Mohamed Bazoum ne l’avait pas formalisé, le général se savait
sur un siège éjectable. Avant lui, le chef d’état-major des armées,
Salifou Mody, avait été remplacé. La Direction générale de la
documentation et de la sécurité extérieure avait elle aussi changé de
patron, avec l’arrivée à sa tête d’un proche du président, Rabiou Daddy
Gaoh.

À Lire[Série] Entre Bazoum, Issoufou et Tiani, les secrets d’un coup


d’État

« Bazoum reprenait la main. Tiani était le dernier de la liste », confie


un conseiller du chef de l’État. En 2021, alors qu’il venait d’être élu,
Mohamed Bazoum avait d’ailleurs une première fois songé à remplacer
le numéro un de sa garde présidentielle. Mais son prédécesseur,
Mahamadou Issoufou, l’en avait dissuadé, au nom de la stabilité au sein
de l’armée. La relation entre Bazoum et Tiani s’était alors normalisée,
en particulier à la faveur d’une tentative de coup d’État déjouée, fin
mars 2021, en partie grâce à l’intervention du patron de la Garde.
Mohamed Bazoum, qui prêtera serment le 2 avril, s’était alors
accommodé de ce haut gradé taiseux.

Prochain sur la liste ?

En 2022, un épisode traduit cet état de fait. Après onze ans de service à
la tête de la garde présidentielle, Tiani est appelé à effectuer une
formation à l’étranger. La Chine est évoquée, puis le choix se porte sur
le Nigeria et sur l’académie de Kaduna, capitale de l’État du même nom.
Mais le général ne se résout pas à quitter le Niger. Fort du soutien de
Mahamadou Issoufou, il fait part à Mohamed Bazoum de sa volonté de
rester à Niamey, en particulier dans le contexte sécuritaire difficile du
pays. Le chef de l’État, qui ne veut pas créer de remous, accepte. Le
remplacement attendra.

À LireCoup d’État au Niger : « Le général Tiani n’est pas Che Guevara


Conscient qu’Abdourahamane Tiani est avant tout fidèle à Mahamadou


Issoufou, le chef de l’État choisit alors de faire confiance à ce dernier,
omniprésent à Niamey mais qu’il considère « comme [son] frère ». Les
deux hommes ne se voyaient-ils pas chaque dimanche et ne disait-on
pas dans leurs entourages qu’il n’y avait « pas l’épaisseur d’une feuille
à cigarette » entre eux ? Quoi qu’il en soit, l’accord entre Mohamed
Bazoum et Abdourahamane Tiani ne dure pas. Et, comme souvent, le
conflit, qui semble aujourd’hui avoir été inévitable, va finir par éclater
en coulisses pour des raisons financières.

« Quand Bazoum est arrivé, les choses ont changé »

Selon plusieurs sources proches de la présidence, le général Tiani avait


en effet pris l’habitude de présenter d’importantes demandes de
décaissement de fonds pour financer ou rembourser des déplacements
ou la sécurisation de convois. Les montants se chiffraient alors
régulièrement à plusieurs milliards de francs CFA. « Issoufou ne
bronchait pas. Il décaissait et payait ce que Tiani lui demandait, affirme
un proche de la présidence. Quand Bazoum est arrivé, les choses ont
changé. » En particulier au cours de l’année 2023. Le président décide
alors de demander des comptes.

Mohamed Bazoum a fermé les vannes »

« Un jour, Tiani est venu pour demander au président de décaisser de


l’argent. Il disait que c’était pour payer des armes de poing négociées
en Europe de l’Est par Rafi Dermardirossian [courtier très actif en
Afrique de l’Ouest]. On parlait de plusieurs milliards de francs CFA.
Bazoum a demandé des justificatifs. Il a fini par décaisser une somme
quatre fois inférieure à la demande », confie une source dans
l’entourage du président. Cet épisode a-t-il entraîné une rupture
définitive entre les deux hommes ? « Le président a considéré qu’il ne
pouvait plus accéder aux demandes de Tiani sans broncher. Il a fermé
les vannes », confirme un conseiller de Mohamed Bazoum. Signe du
divorce consommé, Abdourahamane Tiani avait disparu de l’entourage
du président ces derniers mois.

À LirePourquoi les faux démocrates d’aujourd’hui sont les alliés des


putschistes de demain, par Mathieu Olivier

De la bouche du chef de l’État, ce dernier ne voyait plus le militaire, qui


ne lui parlait qu’au téléphone. Leurs résidences au sein du palais ne sont
pourtant séparées que d’une centaine de mètres. Le général se faisait en
outre le plus souvent représenté par son numéro deux, le colonel Ibroh
Amadou Bacharou, aujourd’hui lui aussi membre du Conseil national
pour la sauvegarde de la patrie (CNSP). Bazoum et Tiani se regardaient
donc en chiens de faïence, sans que le premier imagine une telle
trahison du second. A-t-il été trop naïf en s’appuyant trop sur la
confiance en son « frère » et prédécesseur ? Contacté par Jeune Afrique
le 17 août, celui-ci a affirmé ne pas entretenir de lien particulier avec
celui qu’il a nommé patron de la garde présidentielle en 2011 et n’être
jamais intervenu en faveur de ce dernier.

Retrouvez les deux autres épisodes de notre série :

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