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l’alimentation, les mœurs et les usages épulaires de l’ancienne province d’Alsace (1877)
La civilisation, bien loin de détrôner ce mets de nos ancêtres, lui a ouvert les cuisines de Paris, et
le feu duc d’Orléans prétendait que la guerre de l’indépendance grecque n’avait été faite que
pour procurer à l’Europe le plaisir de voir manger de la choucroute au pied du Parthénon. […]
Je n’ai dit qu’un mot, en passant, de la pomme de terre. Je crois avoir lu qu’on l’appela d’abord
pomme péruvienne ou pomme indique. L’expression n’était ni trop belle, ni trop poétique pour
ce tubercule sauveur qui a eu la gloire de détrôner la famine, ce minotaure des peuples du
moyen âge. Pourquoi n’a-t-on pas conservé ce nom qui rappelait que nous devions ce pain
végétal à l’empire du Soleil, que le génie européen l’avait conquis au delà des mers pour nourrir
les populations pressées du vieux monde ? C’est que la reconnaissance publique a un autre
vocabulaire que l’Académie, et le cœur du peuple une poésie plus profonde que celle des
poëtes de profession. La langue populaire fit de la pomme indique la pomme de terre, désignant
par cette expression claire et générale le fruit nourricier par excellence des pauvres, la ressource
principale tirée du sein de la terre, la mère commune des hommes, alma mater, comme disaient
les anciens. L’homme et la terre, après les tortures séculaires de la faim, s’associaient de
nouveau, dans ce nom, d’une tendre et charitable sympathie. La modeste pomme trouvée
parmi les sauvages d’Amérique rachetait les malheurs de la tentation qu’avait exercée la
pomme dorée du paradis terrestre.
Réponse de Fustel de Coulanges à Théodore Mommsen (27 octobre 1870)
Vous croyez avoir prouvé que l’Alsace est de nationalité allemande parce que sa population est
de race germanique et parce que son langage est l’allemand. Mais je m’étonne qu’un historien
comme vous affecte d’ignorer que ce n’est ni la race ni la langue qui fait la nationalité.
Ce n’est pas la race : jetez en effet les yeux sur l’Europe et vous verrez bien que les peuples ne
sont presque jamais constitués d’après leur origine primitive. Les convenances géographiques,
les intérêts politiques ou commerciaux sont ce qui a groupé les populations et fondé les États.
Chaque nation s’est ainsi peu à peu formée, chaque patrie s’est dessinée sans qu’on se soit
préoccupé de ces raisons ethnographiques que vous voudriez mettre à la mode. Si les nations
correspondaient aux races, la Belgique serait à la France, le Portugal à l’Espagne, la Hollande à la
Prusse ; en revanche, l’Ecosse se détacherait de l’Angleterre, à laquelle elle est si étroitement
liée depuis un siècle et demi […]. Votre théorie des races est contraire à tout l’état actuel de
l’Europe. Si elle venait à prévaloir, le monde entier serait à refaire.
La langue n’est pas non plus le signe caractéristique de la nationalité. On parle cinq langues en
France, et pourtant personne ne s’avise de douter de notre unité nationale. On parle trois
langues en Suisse ; la Suisse en est-elle moins une seule nation, et direz-vous qu’elle manque de
patriotisme ? D’autre part, on parle anglais aux États-Unis ; voyez-vous que les États-Unis
songent à rétablir le lien national qui les unissait autrefois à l’Angleterre ? Vous vous targuez de
ce qu’on parle allemand à Strasbourg ; en est-il moins vrai que c’est à Strasbourg que l’on a
chanté pour la première fois notre Marseillaise ? Ce qui distingue les nations, ce n’est ni la race,
ni la langue. Les hommes sentent dans leur cœur qu’ils sont un même peuple lorsqu’ils ont une
communauté d’idées, d’intérêts, d’affections, de souvenirs et d’espérances.
[…]
Il se peut que l’Alsace soit allemande par la race et par le langage ; mais par la nationalité et le
sentiment de la patrie elle est française. Et savez-vous ce qui l’a rendue française ? Ce n’est pas
Louis XIV, c’est notre Révolution de 1789. Depuis ce moment, I’Alsace a suivi toutes nos
destinées ; elle a vécu de notre vie. Tout ce que nous pensions, elle le pensait ; tout ce que nous
sentions, elle le sentait. […] La patrie, pour elle, c’est la France. L’étranger, pour elle, c’est
l’Allemagne. […]
Strasbourg vu par Hippolyte Taine – Carnets de voyage (1897)
Quelque chose de terne dans l’aspect ; manque complet d’élégance ; c’est une ville de gens qui
n’ont pas besoin de finesse et de luxe. — La grande place Kléber, où j’habite, a pour tout
ornement la statue de Kléber entre quatre becs de gaz. À l’entour, un carré de maisons très
plates, souvent en bois et torchis, parfaitement bourgeoises. Notre hôtel ressemble, du dehors,
à une auberge. — Les toits sont partout très longs, très hauts à cause de l’humidité et de la
neige. Ils sont percés de plusieurs rangées de fenêtres et lucarnes, quelquefois jusqu’à quatre.
Non qu’on les habite, mais chaque ménagère veut avoir son grenier pour sa lessive, en sorte
que chaque maison a plusieurs étages de greniers.
J’ai parcouru quantité de petites rues. C’est toujours le même aspect ; les demeures de
bourgeois insoucieux des choses du dehors, aux sens rouillés et rudes. — Les brasseries sont
leur rendez-vous ; presque tous y vont passer la soirée, même les gens bien élevés. — Ils
consomment beaucoup. Rien de moins élégant que ces entassements d’hommes en blouse et
en habit, de toutes conditions, sous la lumière crue du gaz, dans un nuage de fumée épaisse, au
ronronnement d’une conversation assourdissante, crachant, pipant, s’accoudant, se serrant,
buvant, et par la vapeur des corps pressés se tenant chaud les uns aux autres. Les plus raffinés
traversent cette cohue et vont dans une salle au-dessus.
[…]
Il m’est resté dans l’esprit plusieurs intérieurs et types isolés. Pourquoi ceux-ci, je ne sais :
d’abord dans un restaurant où j’ai dîné, la servante, bonne boulotte fraîche et honnête qui vous
regarde en face avec une interrogation franche et lourde dans ses yeux bleus ; dans un autre, la
maîtresse d’hôtel enceinte de huit mois, grande, tranquille, fortement bâtie et circulant sans
honte entre les tables ; vous voyez d’ici les commentaires dans un petit restaurant parisien.
[…]
Nous nous apercevons bien aux examens que nous sommes revenus dans le Nord. Beaucoup de
candidats semblaient figés. On fait une question, ils restent une minute pleine avant de faire la
réponse. On voit l’horloge intérieure se mettre lentement en mouvement, une roue pousser la
voisine, tant qu’enfin et avec des accrocs, l’heure sonne. De plus, aux mots piquants, ils
semblent comme des ours doublés de graisse, insensibles à cause de ce matelas naturel.
Lettre au cousin (vers 1918)
Je veux de nouveau laisser entendre Ich will wieder ebs von mir here lon
quelque chose de moi, pour que tu sois damit dü wieder im Bild bisch, denn
ich hab Dir viel Neies zü schicke. y voir clair, être au courant
dans l’image, car j’ai beaucoup de
nouveau à t’envoyer.
Je suis debout sur le tuyau mais j’ai Ich stehe uf de Leitung. Ich hab e suis tout étonnée…ai séduit…
enroulé un homme au doigt. Enfin, j’ai Mann um de Finger gewickelt. Ich me suis mariée… la noce… il y
obtenu un homme. Le Haut Temps a eu hab endlich e Mann bekomme. a 14
D’Hochzit isch vor 14 Da gsin. De
lieu avant 14 jours. Monsieur le curé
Herr Pfarrer hät uns zsammegehn nous a recommandé… élever
nous a donné ensemble et et nous a und hät uns ans Hertz geleijt unsri
couché au cœur de bien tirer nos enfants Kinder güt zü ziehe, wenn wir kreje; éducation
quand nous en aurons, car plus tard on denn später kan man sofort die
verra tout de suite ceux qui ont eu un erkenne die e güedi Erziehung
bon élevage. bekomme han.
Le manger du Haut Temps était Es Hochzitesse war saumassig güt. repas de noces…potage de
cochonnement bon. Après la soupe de Es hät Grumbeersupp, Hasepfeffer pommes de terre, civet de lièvre
pomme de terre, on nous a servi du und Dampfnüdle, Ochsenmülsalad et des petits pains soufflés à la
poivre de lièvre et des nouilles à vapeur, gehn. Als dessert hät es Münsterkäs, vapeur… salade de museau de
Hertzkirsche und Bohnekaffee gehn. bœuf
puis de la salade de gueule de bœuf.
Comme dessert, du fromage de du munster, des cerises
Cathédrale et des cerises de cœur, et du bigarreau, du café en grain
café de haricots.
Puis toute la nuit nous avons dansé de la Dann han mir die gantze Nacht
musique de fer blanc. Nous nous gedanzt mit Blechmüsik. Wir han musique de fanfare
sommes rigolés à moitié bossus. uns halb schief gelacht.
Mais comme je l’ai vécu, mon vieux n’est Min mann isch nit immer e
pas toujours un ange de maison. Que Hüsengel, wie ich es gelabt hab. pas l’ange du foyer
veux-tu, le monde est plein de vertiges. Was wit ! D’Wellt isch voller
J’espère qu’en le mariant, je n’ai pas tiré Schwindel Ich froej mich ob ich nit trompeur
un bouc. a Bock geschosse hab mit de Hirot.
commis une erreur
La semaine dernière, j’ai eu un accident. D’ letschde Woch hab ich e kleiner
Alors qu’il y avait de l’orage dans le Unfall geht. Do e Gewitter im Anzug comme un orage menaçait
costume, j’ai voulu descendre du war, bim erschde Schla hab ich
premier bâton à la cuisine, quand la nunder d’Kische gewillt, do isch es plombs ont sauté
licht üsgange, d’Sicherung isch
lumière est sortie : l’assurance a sauté …
gesprunge. Ich bin of d’Hindre
et je suis tombée sur le derrière. Alors le gfalle. Dann hät mir de Dokter e
docteur m’a mis un pavé dessus. Il m’a Plaschder ufgelejt. Er hät gesajt ich plâtre
dit que j’avais eu du cochon et que hab Schwin gehät denn ich hät mir
j’aurais pu me casser le pauvre ou la kenne Arm oder ’s Kritz breche. chance… le bras ou le dos
croix.
Je te quitte, cher cousin, en t’envoyant Ich los dich, liewer Vetter, in dem laisse… en t’envoyant de
beaucoup de semoule. ich dir viel Griess schik. grosses bises/toutes mes
amitiés
Mélanie
L’ami Fritz – Erckmann-Chatrian (1864)