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Bulletins de la Société

d'anthropologie de Paris

Aperçu sur les races humaines de la vallée du Nil


Docteur Ernest-Théodore Hamy

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Hamy Ernest-Théodore. Aperçu sur les races humaines de la vallée du Nil. In: Bulletins de la Société d'anthropologie de
Paris, III° Série. Tome 9, 1886. pp. 718-743;

doi : 10.3406/bmsap.1886.4926

http://www.persee.fr/doc/bmsap_0301-8644_1886_num_9_1_4926

Document généré le 29/06/2016


718 ,; - - SÉANCE DU 9 DÉCEMBRE 1886.
semble de M. Deniker. Ce travail, le. premier en ce genre
que possède la littérature anatomique, ouvre des voies
nouvelles ,r il ne fait pas moins d'honneur à son auteur qu'à la
science française, qui revendique celui-ci comme un des
siens. -, ,■ . ■ . ' • ; : \v
La Commission, prenant en considération le très sérieux
apport anthropologique dû à M. le docteur Mugnier, espère*
que ses patientes études, revisées et complétées, prendront
place avec distinction dans un prochain concours *.
v A l'unanimité, elle a l'honneur de vou3 proposer de
décerner le prix Broca à M; J. Deniker: > ■ ' ...

,
• M, le Président. Conformément aux décisions du rapport*
que vient de nous lire M. Chudzinski et qui a été approuvé
par. le Comité central de la Société d'anthropologie, le prix
Godard est décerné, cette année, à M. Deniker,
» Je donne maintenant la parole à M. le docteur Hamy.

Aperça sur les races humaines de la basse vallçe du Nil ;

,''■'-'/ ' ' PAR LE DOCTEUR E.-T, HAMY. ': - :

Messieurs,
Des diverses questions extérieures, à l'étude desquelles
peut concourir la science que nous cultivons ici, il en est peu
qui égalent en importance, aux yeux d'un public français,
cette grande question d'Egypte, si souvent débattue, tant de
fois considérée comme tranchée, et dont la solution est
néanmoins toujours pendante et sollicitera longtemps encore les
efforts les plus sérieux.
'
Liée, comme elle l'est, d'une façon tout intime à l'étude
de la race et des milieux spéciaux dans lesquels cette race
a vécu et continue à vivre, la question égyptienne doit être
abordée utilement par les ethnologues, et j'hésite d'autant
moins à m'y arrêter avec vous, qu'elle a longtemps préoc-'
cupé le regretté maître dont nous commémorons aujourd'hui

- * Depuis que ces lignes ont été écrites, la Société d'anthropologie a eu


le regret d'apprendre la mort prématurée de M. Mugnier.. j .
E.-T. HAMY. — RACES HUMAINES DE LA VALLÉE DU NIL. 719

le souvenir et qu'un exemple tout récent a d'ailleurs montré,


ici même, d'une manière éclatante, l'intérêt que vous savez
apporter à tout ce qui se rattache à la vieille terre des
Pharaons. • • • ■ i
Me renfermant étroitement sur le terrain scientifique, dont
je ne veux pas un seul instant sortir, je vais m'efforcer, dans
cette conférence, de faire voir que les Egyptiens de nos


jaurs, non seulement sont les mêmes que ceux que
courbaient sous leur puissante épée unSaladin ou un Amrou, mais
aussi qu'ils sont, pour la plupart, identiques aux sujets des
anciens empires du Nil, dont ils reproduisent les
caractéristiques physiques, intellectuelles et morales. Une seule chose
a introduit,' dans la vallée qu'ils habitent, des modifications
importantes. La conquête musulmane a supprimé presque
partout la vieille langue nationale et ruiné les cuites
indigènes ; mais, pour parler arabe, pour suivre à peu près
les préceptes du Coran, le fellah n'en est pas moins resté
en somme ce qu'il était aux temps les plus reculés. Nègres
et Sémites, Persans, Grecs et Romains, tous les envahisseurs
ont été, les uns après les autres, complètement anéantis.
Seul, dans cet immuable pays, le fellah est demeuré toujours
le même, et nous le retrouvons si semblable à ses ancêtres,
qu'il va nous paraître descendre des vieux pylônes à l'ombre
desquels nous le rencontrerons prenant son frugal repas,
tandis'qu'il se repose de ses rudes labeurs. - • •
C'est dans les campagnes qu'il nous faut aller chercher
les sujets de nos observations. Dans les villes, en effet, des
éléments exotiques, incessamment renouvelés, du reste, se
mêlent à. l'indigène et en déguisent plus ou moins le type.
C'est, de' plus, dans les villages de la moyenne et de la'
haute Egypte que la race s'accentue le mieux; le Delta
nourrissant, un peu partout, des Levantins, qui s'y sont
établis, sans y prospérer guère»
Étudions donc une agglomération de paysans du Sud, telle
que celle dont je mets sous vos yeux la représentation. Vous
y distinguerez peut-être un ou deux individus chez lesquels
720 SÉANCE DU 9 nÉCEMBRE 1886. .
le mélange arabe ou nègre aura laissé des traces. Mais
l'ensemble donnera l'impression d'un type bien spécial et
relativement homogène, c'est le type égyptien vrai, dont je dois
tout d'abord vous rappeler brièvement les caractères.
L'Egyptien actuel est d'une taille qui s'élève au-dessus de
la moyenne ; les chiffres publiés par les voyageurs oscillent
entre lm,732 et ,lm,770; la couleur de la peau peut se.
représenter par le numéro 30 de l'échelle de Broca pour les sujets
les plus clairs, par le 28 ou le 29 pour les individus les plus
foncés. '
,
L'examen des proportions fait ressortir un certain degré
d'allongement du tronc, par rapport aux membres, d'
elongation relative des deuxièmes segments des membres (avant-
bras, jambe) comparés aux premiers (bras, cuisse).
La poitrine, largement développée en travers, est
généralement superbe. Les épaules sont larges, les bras musculeux :
les hanches, au contraire, sont étroites; les jambes, . plutôt
sèches, n'offrent que fort peu de mollet. 11 . résulte de cette
disproportion entre le tronc et les membres supérieurs, d'une
part, les membres inférieurs, de l'autre, un contraste
parfois choquant. Le pied est, comme la main,
proportionnellement un peu long ; sa cambrure est faible, mais son
talon est rarement saillant. m
Le crâne de l'Egyptien moderne ne nous est connu
jusqu'ici que par un petit nombre d'observations qui ont
malheureusement porté sur des sujets, exhumés au voisinage de
Suez, et, par suite, assez mélangés. On ne sera pas loin de
compte, semble-t-il, en attribuant l'indice 7G aux Egyptiens
modernes, classés ainsi parmi les sous-dolichocéphales de
Broca1. Leur crâne est, en outre, moins haut que large,
souvent un peu surbaissé du bregma.
La face peut être décrite de la manière suivante : le visage
est ovale, plus ou moins allongé ; le front, lorsqu'il est
découvert (et c'est le cas chez le peuple actuel, qui, pour

1 Cf. Rev. d'anthrop., 1. 1, p. 423, 1872. ■


E.-T. 11AMY. — ïtACES HUMAINES DE LA VALLÉE DU NIL. 721
obéir aux prescriptions religieuses, se rase fréquemment la
tête); le front, dis-je, est assez haut, mais un peu fuyant;
le nez est généralement fort, droit ou un peuaquilin,
relativement long pour sa largeur (leptorkinie). Le sourcil est
long et droit, l'œil grand, habituellement brun, fendu en
amande, un peu enfoncé sous un orbite bien dessiné. Les
pommettes sont modérément accentuées. L'oreille est petite,
bien ourlée, la bouche, relativement large, est meublée de
dents qui s'usent à plat avec rapidité. Des lèvres fortes et
charnues, légèrement retroussées, un menton habituellement
carré complètent ce portrait, qui résulte de plusieurs
centaines d'observations prises avec soin sur le vif.
Ajoutons que les cheveux, plus ou moins frisés, ne sont
jamais laineux, et que la barbe, clairsemée, ne pousse un peu
fort qu'au menton, où elle forme une barbiche, à laquelle les
hommes d'un certain âge attachent d'autant plus de prix
qu'ils la considèrent comme un signe de puissance à la fois
physique et morale. '■■ ' .
L'ensemble des traits, que je viens d'analyser d'une
manière rapide, se combine en une physionomie généralement
très douce, un peu triste, mais qui peut prendre dans
certains cas une expression remarquablement sensuelle.
Au moral, le fellah est avant tout laborieux et sobre. La
plus grande partie des journées est employée aux
paisibles travaux de la terre. Vous le voyez, en remontant le
fleuve, abaissant et relevant sans trêve le levier du chadouf
qui projette dans le champ l'eau fertilisante du Nil. Et si
vous fouillez le petit sac ou la corbeille qui contient les
aliments de cet éternel travailleur, vous n'y trouverez que
quelque mauvaise galette molle, des oignons, des aulx ou
des fàves. ' '
La femme aussi est laborieuse; le voyageur qui pénètre
dans une maisonnette égyptienne trouve souvent la
ménagère broyant la graine du dourah, à l'aide d'une grossière
meule de pierre, barattant le beurre dans une peau de
mouton suspendue au centre d'un faisceau de piquets, fabri-
T. ix (3e série). 46
722 . SÉANCE DU 9 DÉCEMBRE 1886.
quant des nattes de jonc ou des gargoulettes de terre, etc., etc.
Les photographies, que je vous présente, vous en
apprendront plus que de longs discours sur la vie quotidienne de la
campagnarde égyptienne *. ' •'•-•..; '
., Le 'fellah est doux et patient, respectueux au plus haut
degré de l'autorité qui le mène. J'ai vu, à Denderah, des
villages entiers conduits à la corvée par quelques Arnautes ;
hommes, femmes, enfants, tous grattaient la- terre de leurs
doigts, pour en remplir de. petites couffes: il fallait, en
quelques heures, nettoyer les accès du temple d'Hathorpour les
invités du khédive que j'avais devancés. Le chemin fut fini
dans les délais prévus, et les pauvres fellahs regagnèrent
leurs- maisons de boue sans trop de bastonnade, fatigués, mais
résignés. ••;•;,•• ,i '■,'-.'• 1M ' • ■ • . • - • <
L'habitation du fellah est un tronc de pyramide à quatre
faces, de quelques pieds seulement de hauteur, construit en
briques .crues, façonnées avec le. limon du Nil. Une porte
fermée par une serrure de bois conduit à l'intérieur, où l'on
trouve pour tout mobilier quelques nattes de jonc et de
grossières poteries. Le vêtement est en rapport avec la demeure,'
une chemise de coton bleu fendue au col, un petit bonnet dé
feutre roussâtre en font à peu près tous les frais ; les femmes
se drapent, en outre, dans une pièce de cotonnade noire. Un
pain de dourah sans levain, des oignons : crus, des dattes,
quelques . autres fruits et légumes forment la nourriture
quotidienne. \, ■ : •-',.' t - '<-'. '• ..■'<'
>. La misère est parfois grande, dans les villages de la vallée
du Nil; le voyageur qui passe est souvent le témoin affligé
de bien douloureux spectacles. Mais souvent aussi il s'étonne
de rencontrer tant , d'apparente gaieté intimement associée
à des pauvretés sans nom. .■ . ' >
Les fêtes rustiques que j'ai pu voir (l'Egypte était alors en
fête) m'ont paru animées d'un entrain presque inexplicable,1

1 Remarquons seulement en passant que les meules d'Egypte sont


identiques à celles des indigènes de Tunisie, d'Algérie et même des Canaries.'
E.-T. HAMY. — RACES HUMAINES DE LA VALLÉE DU NIL. 723
et la joie populaire s'y donnait carrière en des scènes
beaucoup plus libres que nos mœurs ne les tolèrent.
Je ne veux pas abuser de votre bienveillante attention en
m'étendant plus longuement sur les caractères généraux des
fellahs. J'en ai dit assez pour fixer dans votre esprit les traits
principaux de la race, et j'aborde les comparaisons qui font
le principal objet de cette conférence.
Presque tout ce que je viens de dire de l'habitant
.moderne des campagnes de la haute et de la moyenne Egypte
pourrait s'appliquer, sans variation sensible, au plus grand
nombre des Egyptiens anciens dont les monuments nous ont
conservé le fidèle souvenir. L'Egyptien moderne ne diffère
de l'ancien que par la langue qu'il parle, V arabe t et par
les pratiques islamiques qui ont remplacé le vieux culte
national.
La langue antique s'est conservée, il est vrai, dans une
certaine mesure chez quelques cophtes, demeurés chrétiens
malgré l'invasion musulmane. Divers auteurs, s'appuyant
sur cette persistance de la langue maternelle, au moins à
titre liturgique > chez les cophtes du Fayoum et du Saïd
(Haute-Egypte), ont voulu y voir la preuve que ces cophtes
seraient "seuls les véritables héritiers des anciens habitants
de la basse vallée du Nil. Volney avait adopté cette manière
de voir.', qu'ont combattue Jomard, Champollion, Pugnet,
Clot-Bey, Laorty, Perier et bien d'autres savants écrivains.
L'examen des caractères physiques des cophtes est
particulièrement défavorable à la théorie de Volney. « Type sans
caractère, parce qu'il les a tous, dit quelque part du cophte
le voyageur Laorty ; peuple sans passé comme sans avenir,
produit bâtard et dégénéré dans lequel Volney a vu à tort
les indigènes de la vieille Egypte. » Et il ajoute en copiant
Volney qu'il combat : « Ils ont la peau bouffie, l'œil gonflé,
le nez quelquefois écrasé, la lèvre assez forte... Us sont chré-

» C.-F.' Volney, Voyage en Syrie et en Egij'pla fendant les années 1783,


1784 et 1785. Paris, 1792, ifl-80, t. II, p. 50, SI.
h f

f'ig> f. — Zihrah, almôe de Gizeh, dix-huit ans, lm,60 (d'après une étude peintu
de M. Lefèbure (Mus. tChht. nat,).
E.-T. DAMY. — RACES HUMAINES DE LA VALLÉE DU NIL. 725

tiens, écrit-il encore, mais chrétiens schismatiques...on en


retrouve dans toutes les villes de la vallée, exerçant presque
tous des fonctions administratives pour lesquelles ils ont une
grande aptitude... Sous le nom d'écrivains, ils sont les
intendants, les secrétaires et les agents fiscaux des autorités
égyptiennes. Rusés et intelligents, ils s'acquittent de leurs
fonctions avec assez de succès et de zèle, pour mériter toutes les
haines des pauvres fellahs dépouillés par eux *. »
Voici le portrait d'un de ces écrivains cophtes,
photographié à Alexandrie en 1869; il est aisé de s'assurer qu'il
n'a rien du type national 2.
Plaçons maintenant, à côté de l'image du cophte
alexandrin, divers portraits de fellahs, que j'emprunte à la belle
collection exécutée par le peintre Lefebure pour le Muséum
de Paris, Zahrah, aimée de Giseh, âgée de dix-huit ans, que
je vous présente de face, est un vrai sphinx. des anciennes
dynasties (fig. 1). Le fellah de la Haute-Egypte (fig. 2) que
vous voyez maintenant ressemble exactement à la momie de
Qournah, publiée dans la Description de l'Egypte. Jomard
décrit celte pièce de la manière suivante : « C'est d'abord
un front large, un peu arqué et incliné en arrière ; des
cheveux fins, et non durs ou crépus; un nez légèrement aquilin,
incliné comme le front, et fin' et arrondi à l'extrémité;
des tempes larges ; des pommettes saillantes ; des yeux
grands et bien dessinés, avec de larges paupières et des
sourcils horizontaux; ensuite une bouche plus grande que
petite, mais régulière et bien formée ; des lèvres légèrement
bordées et un peu épaisses ; enfin des dents étroites, égales
et bien plantées. » Jomard ajoute que tel est le « caractère de
tête commun aux hommes de -la Haute-Egypte et aux
momies de Thèbes. » L'étude peinte de M. Lefebure apporte à
la thèse de Jomard une éclatante confirmation.

* R.-P. Laorty-Hadji, L'Egypte. Paris, 1856, in-12, p. 133.


8 II est vrai de dire que lés cophtes de la secte jacobite qui habitent le
Saïd sont moins mêlés que ceux du Delta, ces derniers s'alliant fort
souvent à des Grecs ou à des Syriens.
Fig. 2. — Fellali delà TIaule-Fgypte(d"aprôs une étmla de M. Leféburp) {Mus. (Thist. nut,).
727"
E.-T. HAMY. — RACES. HUMAINES1 DE LA VALLÉE DU NIL.

Fig. 3. — Momie de Qournah (d'après une aquarelle de la Commission d'Egypte.


(Mus. d'hist. nat.).

En achevant le portrait 'qu'il a tracé des cophtes, Volney


écrivait que ces hommes qu'il considérait comme « les re-,
présentants, des Egyptiens » avaient « une vraie figure de
mulâtre », puis ajoutait» qu'ayant été-visiter le Sphinx »
728 . ■ SÉANCE DU 9 DÉCEMBRE 1886.

eon aspect lui avait donné le mot de ce problème. Cette tête


lui était apparue « caractérisée nègre dans tous ses traits »,
et, commentant à sa façon un texte d'Hérodote, il avait
conclu « que les anciens Egyptiens étaient de vrais nègres de
l'espèce de tous les naturels d'Afrique ». Il ajoutait, dans un
style bizarre, que « leur sang, allié depuis plusieurs siècles
à celui des Romains et des Grecs », avait du « perdre
l'intensité de sa première couleur, en conservant cependant
V empreinte de son moule originel ».
C'était introduire dans la solution du problème des
éléments bien imparfaits et conclure ensuite d'une façon bien
expéditive. Le sphinx de Gizeh *, caractérisé nègre par Vol-
ney, doit en effet (la chose est établie depuis l'expédition
d'Egypte) l'aspect particulier de sa physionomie à la fracture
du nez « qui n'existe presque plus ».
J'ajouterai que la face, peinte de rouge brun et non point
de noir, comme on l'a dit et répété, ne diffère, au nez près,
(vous le voyez fort bien sur cette photographie) d'aucune des
faces caractéristiques des époques primitives de l'art
égyptien. • •
Si le sphinx de Gizeh avait eu les traits nigritiques .que
Volney lui attribuait, l'origine nègre des, premiers habitants
de la vallée du Nil aurait pu devenir un thème scientifique.
Le sphinx est, en effet, la plus ancienne statue de l'antiquité
égyptienne, puisqu'une inscription célèbre du musée de
Boulaq constate que Chéops, le constructeur de la première
pyramide, en ordonna la restauration.
Mais non seulement la doctrine de Volney ne repose sur
rien d'exact, mais encore elle est démontrée fausse par
l'histoire d'Egypte tout entière. Les faits que nous connaissons,
depuis la sixième dynastie, prouvent que les millions de noirs

i Tout le inonde sait que cette énorme statue, dont la hauteur totale
atteint 19m,80, est ménagée dans un rocher auquel on s'est efforcé de
donner l'apparence de ranimai. La tête seule est sculptée avec quelque
soin, le corps est la roche même, complétée, dans les points où cela s'est
trouvé nécessaire, à l'aide d'une maçonnerie.
E.-T. HAMY. — RACES HUMAINES DE LA VALLÉE DU NIL. 729

enlevés du Soudan ont disparu,- sans laisser de trace, de la


terre des Pharaons.
' Les premiers nègres, dont les inscriptions nous aient gardé
le souvenir, sont les Oua-Oua, les Am-am, les Tomam, les
Kaaou, que Méri-Râ-Papi réduisit à l'obéissance. Cette
victoire du monarque égyptien fut suivie de siècles en siècles .
d'un fort grand nombre d'autres combats,- plus ou moins im*.
portants. Le principal résultat de ces luttes, sans cesse
renouvelées, entre les nègres et les Egyptiens fut d'introduire sur
le territoire situé en aval des cataractes des quantités consi-
dérable.s de captifs. La chasse aux esclaves, dont les
Pharaons ont parfois donné l'exemple, accroissait encore ces
importations, dont Arrien estimait à 3 000 le chiffre moyen
annuel1.
Acceptons, avec Morton, • cette évaluation, qui concorde,
d'ailleurs avec celle de l'historien anglais Madden ; et nous
constaterons que 10 à 12 millions d'hommes ont pu être
amenés des régions nigritiques en Egypte depuis les guerres de
la sixième dynastie. Il n'en eût pas fallu la centième partie
pour altérer profondément le type des vainqueurs, si la.
terra de Misraïra, inclémente aux emigrants, quels qu'ils
soient, "n'avait {anéanti ces générations de nègres, comme
elle a fait disparaître presque tous ses autres
envahisseurs. . • •
Caillaud évaluait en 1826 le nombre total des esclaves
d'Egypte à 80000, tant hommes que femmes. Il fallait
déduire de ce nombre les esclaves d'Abyssinie, d'une part ; de
l'autre, ceux de Circassie, de Géorgie, etc. Suivant Clot-Bey,
dont V Aperçu général sur V Egypte a paru en 1840,1e nombre
des nègres en Egypte ne dépasse pas 20000. Ajoutons-y
quelques métis, semblables plus ou moins aux deux rets dont
je vous montre les portraits, nous ne dépasserons pas 22 000,

' Si élevé qu'il soit, ce chiffre a été fréquemment dépassé sous la


domination des Turcs. M. llamont estimait,' par exemple, le nombre des
esclaves (presque tous nègres) importés, il y a une quarantaine d'années,
en Egypte à 10000 environ.
730 ■ ' ' ' SÉANCE DU 9 DÉCEMBRE 1886. .

infinie résidu des 12 millions de têtes enlevées de Nigritie


dans l'espace de cinquante-cinq siècles. • - • i ■ ' ■■ •
Les plus anciens monuments figurés, après le Sphinx, sont
lesstatues.de Sépa et do Nôsa (IIe ou IIIe dynastie), qu'on
peut voir au musée du Louvre à l'entrée des galeries
égyptiennes, au haut du vestibule. Je vous en montre les
reproductions, en vous renvoyant, pour plus • de détails, au texte
descriptif que leur a récemment consacré M. Georges Perrot1. •
- II me suffît d'insister sur l'absence complète de caractères
nigritiques chez les personnages qu'elles reproduisenU : ! .


■ Les célèbres statues de Meydoun, Ra-Hotep et ?Ne-fer-t,
dont je vous montre maintenant de bonnes reproductions, •.
biçn supérieures aux précédentes au point de yue de l'art,'
sont tout aussi peu négroïdes. Je n'appuie sur leurs carac-,
tères que pour, exposer brièvement une théorie ethnogé-
nique, dont l'auteur a cru trouver dans l'examen de la>
coiffure de Ne-fer-t une preuve en faveur de ses opinions'
personnelles. . :- , ',•,-• <',-.■ ' - • '-.

Cette théorie, c'est celle du sémitisme des premiers habi-,'


tants de l'Egypte. L'apôtre le plus fervent de cette croyance •
a considéré comme « une particularité des plus importantes » ;
l'ornementation du bandeau de Ne-fer-t, composé « d'étoiles
et autres détails, dont l'origine et le caractère asiatiques ,
sont, dit-il, connus ». « C'est la première fois, ajoute-t-il,,
que nous voyons un bandeau avec ces ornements; pour les
retrouver, il faut descendre aux époques où les Egyptiens'
étaient en rapport avec les Asiatiques. » Et il conclut bien .
vite à l'existence de semblables relations dans la quatrième i
dynastie, qui a ,vu sculpter les images de Ra-Hotep et de
Ne-fer-t. ••.-.•. .. ','•••, "i .-. ■ - :
■ Or ce bandeau est usité chez bon nombre d'Ethiopiennes,
et M. Régamey en a dessiné à Aden des spécimens sembla- '
blés à celui de Ne-fer-t et que portaient des Çomalis de la côte
'
africaine du golfe.

1 Histoire de Pari, t. 1. L'Egypte, p. 636, 637,'Paris, 18S2, in-8°.


E.-T. HAMY. — RACES HUMAINES DE LA VALLÉE DU NIL. 731

. . La note sur Ne-fer-t n'était qu'un incident dans une


discussion, soulevée ici même, à propos de la découverte des
panneaux dits de Ra-Hési* Ces panneaux en bois sculpté,
dont voici de.s reproductions photographiques, représentent
deux personnages que l'on a donnés comme d'un aspect tout
spécial et complètement distinct de celui des Egyptiens^ de
l'ancien empire... Sans doute, dirai-je avec M, Perrot, « le
type égyptien s'offre ici sous des traits assez différents de ceux
qu'il présente dans les figures de pierre '» ; mais la matière
entre pour une bonne part dans ces variations, et la recherche
de la ressemblance a bien pu s'attaquer à des types
exceptionnels. L'art égyptien de l'ancien empire n'a point de.
formules arrêtées, point de type ethnique spécial, et les œuvres
qu'il a laissées ont les allures les plus indépendantes.
On aurait sûrement copié des Sémites, si l'on avait eu des
Sémites pour modèles. Mais, à mes yeux du moins, Ra-Hési
et Pekh-Hési n'étaient pas des Sémites; le nez aquilin, les
lèvres charnues, la chevelure finement tressée, tous ces
caractères, sur lesquels on a plus ou moins insisté, me
rappellent bien plutôt Kousch que Sem. J'ai vu chez les Bischaris, à
l'est d'Edfou, des guerriers tout semblables à notre Ra-Hési,
et je me sens fort disposé à croire, en attendant la preuve du
contraire, que ce personnage a pu appartenir à ce groupe
des Kerou-Schè, ancêtres des Bedjas de nos jours, établis dès
l'ancien empire entre la mer Rouge et le Nil.
La question du sémitisme des anciens Egyptiens était
demeurée exclusivement linguistique, avant la découverte dont
'
je viens de vous dire quelques mots. , (
L'étude de la langue est ' interprétée de deux manières
bien diverses par les savants spéciaux. Les uns estiment que
l'égyptien et les langues sémitiques, après avoir
primitivement appartenu à un même groupe, se sont séparés de
bonne heure, à une époque où leur système grammatical
était encore en voie de formation. « Désunies et soumises à

> G. Per rot, lac. c t., p. 642. ' ' " *


732 SÉANCE DU 9 DÉCEMBRE 1886.
des influences diverses, les deux familles traitèrent d'une
façon différente les éléments qu'çlles possédaient en
l'Egyptien,'
commun. Tandis que cultivé plus tôt, s'arrêtait
dans son développement, les langues sémitiques
continuaient le leur pendant de longs siècles encore, avant
d'arriver à la forme que nous leur connaissons aujourd'hui, en
sorte que, suivant les expressions d'Emmanuel de Rougé, s'il
y a un rapport de souche évident entre la langue de l'Egypte
et celles de l'Asie sémitique, ce rapport est cependant assez
éloigné pour laisser au peuple qui nous occupe une
physionomie distincte. » "
Ce système, dont nous employons la formule à l'excellent
ouvrage de M. JVÏaspéro, est celui de Lepsius, de Benfey, de
Bunsen, de M. Reinisch, etc.; il est repoussé avec plus ou
moins d'énergie par d'autres savants, ' également autorisés.
M. Renan, par exemple, range le cophte avec le touareg et
le berber dans une famille spéciale qu'il appelle chamitiquey
et à laquelle il rattache la plupart des idiomes de l'Afrique
septentrionale1. M. Halévy estime que le lien linguistique
entre les racines de ces langues chamitiques et les racines
sémitiques est introuvable, et que « ces racines semblent
séparées par des traits caractéristiques les plus opposés : bilit-
téralité d'une part, trilittéralité de l'autre ». Du reste, ajoute-
t-il, « plus on étudie les langues chamitiques, plus on
s'aperçoit qu'elles reposent sur une base différente de celle
du génie sémitique2 ».
L'argument historico-archêohgique n'est pas beaucoup plus
décisif que l'argument linguistique pour l'élucidation des
origines égyptiennes. Après avoir admis avec Ghampollion que
les premières tribus qui ont civilisé l'Egypte étaient venues
du sud, les historiens et les archéologues se sont ralliés à
une opinion diamétralement opposée. L'antiquité des
monuments de Gizeh, de Saqqarah, de Meydoun, etc., leur dé-

•1 Revue
E. Renan,
critique,
Histoire
30 mars
des langues
1885, p.sémitiques,
247. liv. 1, chap, n, § 4.
E.-T. HAMY. — RACES HUMAINES DE LA. VALLÉE DU NIL. 733

montrait nettement que Memphis était plus vieux que


Thèbes, Thèbes était d'ailleurs bien antérieur à Méroé ; la
civilisation, venue d'Asie, avait donc toujours remonté le Nil.
Les mythologues sont alors venus plaider en faveur de
l'existence d'un premier foyer de civilisation, dont la Haute-Egypte
aurait été le centre. Abydos (Harabat el Madfouneh), disent-
ils, était le siège principal de la religion d'Osiris, le lieu de
la sépulture de ce dieu, dont le culte est le seul commun à
toute l'Egypte. Tape (Thèbes) est le lieu de sa naissance ;
Tantareh (Denderah), le séjour favori de la grande déesse
Hâthor. Déb (Edfou) a vu Harmachis rassembler les troupes
avec lesquelles il combattit Typhon. Toutes ces localités, où
se sont passées les principales scènes de Y empire des dieux, oh.
ont été fondés les grands cultes préhistoriques de l'Egypte,
se trouvent dans le Saïd, qui a dû voir par conséquent
l'aurore de la civilisation égyptienne. Descendant le fleuve avec
le fondateur de la première dynastie, elle le remonte sous le
moyen et le nouvel empire, pour le redescendre de nouveau
avec les Saïtes et se fixer enfin à son embouchure, lors de la
fondation d'Alexandrie.
J'aborde l'argument ethnographique, qui est tout en faveur
de la théorie chamitique. Si l'on étudie par le menu, sur les
monuments ou dans les musées spéciaux, les manifestations
matérielles de la vie des anciens Egyptiens, on est frappé de
voir que presque toutes celles qui ont survécu jusqu'à nous
sont exactement circonscrites dans les limites de l'habitat
des populations chamitiques.
J'ai déjà signalé certaines affinités entre diverses
représentations très anciennes et des choses actuelles, répandues
chez les Ethiopiens. J'en mentionnerai quelques autres, qui
sont plus frappantes encore.
Par exemple, l'appuie-tête, à courbe concave, si
caractéristique, des sépultures de la Haute-Egypte, se rencontre
également répandu dans toute la Nubie, l'Abyssinie, le Çomal,
et descend dans le sud jusqu'à la vallée du Zambèze, en
suivant les routes de migration des tribus d'origine éthio-
734"
• ' '
SÉANCE DU 9 DÉCEMBRE 1886." • ■

pieniie1. La houe dé bois des anciens bas-reliefs est identique


à celle, armée de fer, des Batokas modernes, et Livingstone,
auquel j'emprunte ce renseignement; nous apprend dans ses
etc.,'
Missionary Travels que les pilons, les mortiers, les tamis,
des Makololos et des Makalakas du Zambèze, sont tout sem-:
blables à ceux que* Wilkinson" a copiés dans de vieux
tombeaux ide Thèbes. La vannerie multicolore des mêmes
monuments funéraires se retrouve dans le Kordofan et l'Ethiopie.-
égyptiennes'
L'ancien matériel à filer et à tisser des femmes
est resté en usage en Angola et plus loin encore dans le sud:
Certains instruments de musique, lamandore, par
exemple, que l'on voit entre les mains des artistes des hypogées
égyptiens, sont encore en usage en Sénégambie.
, M. Révoil a constaté que l'arc et le carquois des Çomalis
du> Nord ressemblent, exactement à ceux de l'infanterie
d'Egypte sous la dix-huitième dynastie. . • :••'■
■ Quelques-uns de ces faits (auxquels j'en ajouterais aisément
un fort grand nombre d'autres) pourraient être expliqués,1
j'en conviens, par des influences directement exercées jadis
par les Egyptiens sur leurs voisins beaucoup moins avancés
en civilisation.1, i , ■..,,<,'.•. *• ■ '. ■ ' -
Le long du cours supérieur du Nil, ce seraient les deux cent
mille guerriers émigrés sous le règne de Psammétik, qui
auraient importé bien des : mœurs et des coutumes de la
basse vallée du fleuve. Les ressemblances ethnographiques
entre Egyptiens et Çomalis s'expliqueraient par les
expéditions armées qui, dès le règne d'Hashepsou, allaient chercher
les aromates du pays de Poun. . ■ • '<'>,-.'
.

Mais il. me paraît impossible d'attribuer une origine


analogue aux faits qu'est - venu révéler, l'enquête poursuivie
jusqu'aux côtes occidentales du continent africain. Si la
Sénégambie, l'Angola, etc., ont dans leur ethnographie de
nombreuses choses bien caractérisées qui sont communes;

' * E.-T. Hamy, Notes sur les chevets des anciens Égyptiens et sur les
affinités ethnographiques que manifeste leur emploi. [Bull. Soc. d'anthrop. de
Paris, 3° sér., t. VIII, p. 290, 1885.) ■ • .< >
E.-T. HAMY. — RACES HUMAINES DE LA VALLÉE DU NIL. 735
à ces contrées et à la vieille terre d'Egypte, c'est qu'il existe
entre certains éléments ethnographiques de ces divers pays
si • largement séparés les .uns des autres, une parenté
originelle j1, que viennent d'ailleurs mettre également en lumière
les documents anthropologiques qu'il nous reste à passer
rapidement en revue. / . • . ■ ■. • . , - » / >
J'ai réuni, pour vous les présenter ensemble, de nombreux
portraits d'Egyptiens anciens et modernes, de Berbères, de
Nubiens, d'Abyssins, de Çomalis, etc. Cette collection de
têtes, dont je fais passer sur l'écran les épreuves réduites à
une commune échelle, . met admirablement _ en évidence
l'identité de type de ces peuples qui ne sont, au point de vue
ethnique, que des variétés d'une même race. > .-. . ,
. Les quelques dissemblances que vous . relèverez au passage
sont dues principalement à la juxtaposition, dans la série
que je vous montre, de figures empruntées à des éléments
sociaux fort divers, éléments qu'il importe d'isoler, comme le
faisait Pruner-Bey, quand il étudiait à part ce qu'il appelait
le type fin et le type grossier de l'ancienne Egypte. • ;
Cet homme du Tigré par exemple, dont voici le profil
peint d'après nature par Dillon, appartient au type grossier;
cette jeune femme Gomali de la collection Réyoil, ,est .au
contraire du type le plus fin et ressemble, chose .curieuse,
d'une manière très" frappante au Pharaon Nectanébo Ie*, de
la XXXe dynastie. . . , ,; •..,-,
A ces distinctions près, toutes sociales, je le répète, les
figures, qui défilent en ce moment sous vos yeux, ont, en
commun des traits qui rentrent dans la description du fellah
que je détaillais en commençant cet entretien ; 'l'argument
anthropologique dépose, donc aussi en faveur, du, système
chamitique préconisé par M. Renan. > ,,
La collection de portraits que je viens de, vous présenter,

1 Chez tous ces peuples une aristocratie, d'origino éthiopienne, domine


les masses qui appartiennent aux races nègres. Les Uuahoumas du bord
occidental du Mwoutan-Ntzigé sont les plus connus de ces Éthiopiens
' "
émigrés. ■■'.,.!. i
736 SÉANCE DU 9 DÉCEMBRE 1886.
prouve, en outre, la permanence du type physique des
anciens Egyptiens, dans la vallée du Nil, à travers les âges.
J'ai pris soin, en effet, d'y introduire des figures empruntées
à l'Ancien, au Moyen et au Nouvel Empire et qui
reproduisent, à bien peu.de chose près, les mêmes aspects
essentiels. Crâne allongé, légèrement refoulé en arrière et
surbaissé du sommet, visage plutôt long, nez droit et lèvres
épaisses; tronc trop développé, semble-t-il, en hauteur et en
largeur, bassin étroit, jambes' grêles et longs pieds, tels
sont les caractères qui se retrouvent constamment depuis la
quatrième dynastie jusqu'à nos jours.
Dès cette époque reculée également, tous les usages
réputés caractéristiques du peuple nilotique se montrent
solidement établis. Je n'en veux pour preuve que cette autre
collection de clichés, empruntés principalement aux tombes
de Gizeh et de Saqqarâh, et qui nous représentent les
occupations variées des paysans et des ouvriers au temps des
pyramides.
Je n'y insiste point; ce spectacle est exactement celui que
nous offraient, il y a quelques instants, les ouvriers de la'
période actuelle.
Une observation de détail nous retiendra seulement un peu
dans ce rapide voyage à travers les hypogées égyptiens.
Elle a son intérêt, car elle montre avec combien de soin ont
été exécutées les peintures ou les sculptures auxquelles nous
demandons nos renseignements ethnographiques.
Dans un des tombeaux les plus remarquables de Saqqarâh
(IV0 dynastie), celui de Phtah-Hotep, on voit des serviteurs
s'adonner à la pêche et à la préparation du poisson. Leur
tète rasée est verticalement aplatie '; or cet aplatissement se
constate, vous pouvez le voir, sur un certain nombre de
crânes tirés tout justement des sépultures populaires de cette
portion de la nécropole de Saqqarâh que l'on fait remonter à
la IV0 dynastie.

1 Auguste Mariette, Description du parc égyptien (Exp. univ. de 1867),


Paris, 1867, in-12, p. 32.
E.-T. HAMY. — RACES HUMAINES DE LA VALLÉE DU NIL, 737
Autre observation de détail ; dès cette même époque, des
gens d'un même type, mais de deux tons bien distincts, sont
mis en présence par l'artiste, et l'on peut se demander s'il
n'a point voulu rendre la différence de couleur qu'ont
remarquée les voyageurs de tous les temps, entre le peuple
du Delta et celui de la Haute-Egypte
- J'ai intercalé, au milieu de mes photographies des anciens
représentation'
monuments de l'ethnologie égyptienne, la
de sculptures qui nous montrent un type profondément
aberrant, le seul d'ailleurs qui se détache nettement de la série
un peu monotone que nous venons d'examiner ensemble.
C'est le type des Hycsos ou Pasteurs.
Vous savez que l'histoire des Pharaons du nouvel empire
est séparée de celle des dynasties du moyen empire par une
période de quelque durée, pendant laquelle, suivant
l'expression d'un chroniqueur indigène, «la terre d'Egypte était aux

mains
' Ces" des
impurs
impurs
avaient
et il n'y
pouravait
capitale
plus de
Ha+Ouâr
seigneurs
(Avaris),
». qui

correspond à Tanis ou San, dont Jes ruines,' fouillées par


Mariette, ont mis au jour de curieux sphinx portant gravé le
nom du roi Apapi (Apophis), l'un des chefs des impurs.
Voici l'un des sphinx de San ; il est'clair que tout en offrant
un travail qui n'a presque rien dé barbare, ce monument
représente le portrait d'un personnage franchement étranger
à l'Egypte. ' • .
Le front est bas, d'un relief tourmenté ; les yeux sont
petits, les pommettes saillantes en dehors et haut placées
dans l'ossature de la face ; le nez est droit et court, au lobule
carré,1 aux narines basses et "larges; enfin, la bouche est
grande et les commissures labiales sont particulièrement
empâtées. -. .
- La physionomie que composent ces traits, assez peu
harmonieux d'ailleurs, a quelque chose de mongoloïde, et
Mariette, après avoir tenté de rattacher le sphinx d'Apapi à
quelque tribu sémitique, avait fini par . croire plutôt à une
parenté mongolique que semblaient mettre en évidence
T. ix (3e série). ' 47
738 SÉANCE DU 9 DÉCEMBRE. 1886.
divers rapprochements qu'il avait pu faire dans les collections
du Muséum de Paris.
• L'origine mongoloïde des rois pasteurs n'est encore qu'une
hypothèse. Toutefois, lorsque l'on constate que le cheval,
qui n'apparaît en Egypte qu'après la délivrance du sol
national parAhmès, vainqueur des Hycsos, est considéré, par
des hippologues aussi autorisés que MM. Piètrement et Du-
housset, comme un cheval mongolique tout semblable à celui
des Turcomans Tekkés *, on se sent porté à admettre, sinon que
les Hycsos, importateurs de cette race chevaline, étaient eux-
mêmes de vrais Mongols, du moins qu'un élément
mongolique, d'ailleurs assez apparent chez les personnages d'Ava-
ris, jouait un rôle d'une certaine importance dans les hordes
envahissantes.
Cette manière de voir offre un sérieux avantage sur celle
qui avait tout d'abord prévalu ; elle permet en effet
d'assimiler l'invasion qui vient ruiner le second empire d'Egypte à
celles qui se, sont produites à plusieurs reprises depuis lors
en Orient, et dont la brusque arrivée des Tartares de Gengis,
au milieu du treizième siècle, est restée le plus remarquablg
épisode. ■ ■ ,
Les Hycsos n'ont pas tous quitté le sol d'Egypte après le
triomphe d'Ahmès. Une partie de leurs tribus est restée dans
l'est du Delta avec l'agrément des vainqueurs et l'on peut
quelquefois encore aujourd'hui rencontrer le type des ancien»
Hycsos chez les pêcheurs du lac Menzâleh, que traverse le
canal de Suez.' .
Je vous présente le portrait d'une poissonnière, qui
appartient à l'une des familles quî sont aux gages de
l'adjudicataire des pêcheries du Menzâleh. Vous serez certainement
frappés de la ressemblance qu'offre son visage losàngique,
avec celui du sphinx d'Apapi que vous venez de voir projeté
sur l'écran.
Peu de types se détachent aussi nettement que celui des

1 Piètrement, Sur l'introduction du cheval en Egypte [Rev.


t. III, p. 369, 1884}.
E.-T. HAMY. -7* RACES HUMAINES DE LA VALLÉE DU NIL. 739
pasteurs, de la masse de plus en plus monotone et
conventionnelle des figures sculptées, gravées ou peintes sur les
monuments d'Egypte. Lorsqu'on a mentionné les
mercenaires étrangers attachés à diverses reprises à la garde des
souverains ; lorsque l'on a cité la tête de la reine noire No -
fri-t-ari, celle de Tïï. « blonde, à ce qu'il paraît, aux yeux
bleus, aux chairs roses » , ou encore celle d'Amonhotpou V,
l'adorateur d'Atin, sorte d'eunuque étrange aux allures
exotiques ; lorsqu'on a rappelé en outre les portraits de ce Ram-
sès II, dont M. Maspéro nou3 décrivait naguère ici même la
momie retrouvée à Deir-él-Bahari, on a épuisé ou peu s'en
.faut la liste des types exceptionnels introduits avant l'invasion
perse, dans la basse vallée du Nih , ,
Aucun de ces types n'a laissé de traces dans le peuple
égyptien, et l'on peut en dire tout autant et des Perses de
Cambyse, et des Grecs, venus pourtant en si grand nombre
avec les Ptolémées. . .
. La conquête arabe a bien autrement modifié l'ethnologie
du pays* , ■ ■ *
II est vrai que les tribus dont Makrisi a conservé Ie9 noms,
et qui s'étaient fixés sur les deux rives du fleuve en 640, ont
été peu à peu absorbées par les aborigènes *.
Mais depuis lors, d'autres flots d'immigrants se sont
poussés les uns les autres jusque bien loin dans la direction de
l'ouest, et la plupart de ces nouveaux venus ont gardé leurs
mœurs pastorales, dans les déserts qui encadrent la vallée du
Nil habitée par les sédentaires2. Ce sont les Bédouins [bedâouï,
nomade), relativement nombreux surtout à l'est du Nil, où
ils comptent de puissants groupes, comme les Maâzèh, qui
parcourent, avec leurs troupeaux, le territoire compris entre
Kosséir et Suez; les Haouaïtât,\qm vivent à l'est du Caire ; les
.Aaïdeh de Matarieh, etc., etc. La plus forte tribu du désert
Libyque est celle des Ouîad-Ali, qui s'étend d'Alexandrie à

1 Sauf une ou deux, elles ont disparu de la carte*


9 Le» cinquante et quelques tribus d'Arabea d'Egypte dont on a dressé
la liste comptent ensemble 300000 âmes, suivant M. Mao Coan.
740 SÉANCE DU 9 DÉCEMBRE 1886.
Siouah, et qui peut mettre en ligne 2 000 cavaliers. J'ai eu
l'occasion de voir plusieurs centaines de représentants de ces
diverses agglomérations de nomades. Maâzèb, Haouaïtât,
Oulad-Ali, etc., etc., étaient campés à Ismaïlia,et ont donné
tous ensemble une admirable fantasia aux délégués des
nations européennes invités à l'inauguration du canal de
Suez. Ces Arabes, que j'ai pu examiner de très près et bien à
mon aise, ne m'ont paru différer, à aucun point de vue, d'une
manière sensible de ceux des tribus si connues du Sahara
algérien.
Il en est de même des Inghemi qui exploitent les voyageurs
aux abords des grandes pyramides de Gizeh et qui sont
généralement remarquabtes par la pureté de leurs traits
sémitiques.
D'autres Arabes sont aujourd'hui complètement
sédentaires, mais vivent séparés des fellahs. J'ai vu quelques-uns
de ces villageois à Siout ; ils avaient quelque chose encore,
semblait-il du type national ; leur aspect était toutefois
beaucoup moins accusé" que Jomard n'avait voulu jadis le
"
reconnaître. .
• D'autres Arabes encore, les Mores, habitent les villes ;
l'action combinée du milieu et des croisements leur a ôté
presque toute originalité ethnique.
Il existe enfin des Berbères dans les oasis à l'est du Nil, et
notamment à Siouâh, où Rohlfs a constaté leur présence *.
Il me resterait, pour en avoir entièrement fini avec les
habitants de la basse vallée du Nil, à dire quelque chose des
Turcs et des colonies européennes.
Je préfère rester incomplet, en me bornant à grouper
quelques chiffres sous vos yeux. Il me serait, en effet,
difficile, au milieu des développements qu'entraînerait cette
partie de mon étude, d'éviter complètement de parler delà

1 Siouâh est le point extrême de l'extension actuelle de la race berbère


vers l'Orient. M. Rohlfs a reconnu en même temps que la présence des
Berbères l'absence complète des Tibbous de toutes les oasia des déserts
libyques.
E.-T. HAMY. — RACES HUMAINES DE LA VALLÉE DU NIL. 741
situation d'un pays où nous avons de si gros intérêts engagés
actuellement, et je.veux m'interdira strictement toute
digression irritante.
Les tableaux auxquels nous allons demander des
renseignements numériques, sont au nombre de trois. Le premier
est emprunté à Clot-Bey (1840); il constate à cette date
l'existence sur le territoire égyptien de :

• * • Turcs 12 000
Juifs 7 000
Circassiens, Mingréliens, Géorgiens.. .. 5 000
Abyssins 5000
Barbarins (Barabrâs) 5 000
Grecs (divers) . . , 5 000
Arméniens 2000

On n'y trouve aucun nombre, même approximatif, pour,


les colonies française, italienne, etc.
Ma deuxième série de chiffres est empruntée à M. Mac-
Coan. Elle nous apprend qu'en 1877 les Turcs (10 000 au
lieu de 12 000) et les Abyssins (3000 au lieu de 5 000)
avaient sensiblement diminué; que les Juifs au contraire
avaient presque triplé (20000) et les Arméniens
quintuplé (10000). Les Syriens ont augmenté de près d'un quart
(7 000 au lieu de 5 OOOj, les Grecs de trois quarts (20' 000 au
lieu de 5 000). Les Caucasiens ne sont plus comptés à part, les
Barbarins sont absorbés dans un ensemble où Nubiens et
Soudaniens se trouvent confondus (40 000). M. Mac Coan
groupe enfin, sous un commun vocable, les différentes
colonies (étrangers divers, 90 000).
En additionnant tous ces chiffres, on trouve qu'ils donnent
comme total 200000. Joignons-y les 4 500 000 fellahs, les-
500 0O0 Cophtes, les 300 000 Bédouins, dont nous avons plus
haut signalé l'existence d'après le même statisticien, nous
obtiendrons pour total 5 500 000, chiffre auquel s'élevait en
1877 la population du pays \ .

1 Les recensements approximatifs de 1821 et de 1840 évaluaient le


nombre des habitants à 2 514 400 et 4 436168. Celui de 1882, beaucoup plus/
742 ... . SÉANCE DU 9 DÉCEMBRE 1886. -
• Gomme on le voit, les éléments étrangers, tous ensemble,
comptent à peine pour un dixième, en y comprenant les
Arabes. Déduction faite de ces derniers, les colonies étran**
gères ne représentent plus que 0,036 de la population. •
Les 9Q 000 étrangers ainsi recensés (plus exactement 90 886)
appartiennent à un certain nombre de nationalités. Voici, sur
mon troisième tableau, les chiffres des six principales
colonies, empruntés à la statistique de 1882.

Grecs „ 37 500
Italiens 18 665
Français 15 716
Austro-Hongrois. . ; 8 022
Anglais , .• 6118
Allemands 948

Permettez-moi, messieurs, en terminant ce trop long


entretien, de résumer en quelques propositions aussi nettes
que possible, les faits qui paraissent le plus solidement établis
en ce qui concerne l'ethnologie de l'Egypte. On peut
admettre, semble-t-il:
1Q que les Egyptiens actuels descendent en très grande
majorité dé la plus ancienne population dont l'archéologie
"
et l'anthropologie nous aient révélé la présence dans la
vallée du Nil, et qu'ils reproduisent aujourd'hui toutes les
caractéristiques physiques, intellectuelles, morales de leurs
premiers ancêtres ;
2° Que ce peuple appartient à une race bien définie,
n'ayant point d'affinités avec les races nègres, mais
apparentée de très près aux autres races chamitiques, bedja,
çomali, etc.;
3° Que les invasions de toute espèce, dont la vallée du
Nil a été le théâtre, depuis l'origine de son histoire jusqu'à

sérieusement établi, nous apprend que la population sédentaire,


agglomérée dans 13115 centres, villes, villages, bourgades ou hameaux,
comprenait à cette date 5 708185 habitants, auxquels il faut ajouter 98 H6
nomades, ce qu\ dorme, pour toi} te l'Egypte 5 800301 habitants*
A PR0P03 PU PROCÈS'VERBAL. 743

nos jours, n'ont qu'accidentellement modifié quelque peu le


type ethnique de ses habitants ; ■.
4° Que quelques îlots seulement de populations non
égyptiennes existent deci delà sur les confins de la vallée du Nil
(pêcheurs du.Menzàleh, Arabes des deux déserts); les
milieux exerçant une action défavorable sur tous les étrangers,
dont les colonies ne peuvent s'entretenir que par une
immigration incessamment renouvelée.
La séance est levée à six heures.

• 445» SÉANCE. — 16 décembre 1886.

Présidence de m. LETOUKlEtil^ président.


"
Le procès-verbal de la dernière séance est lu et adopté.

A propos du procès-verbal.

Sur les Arabes et Berbers. — M, Topinard. Je n'ai pas


entendu à la dernière séance certaines observations que je
remarque à la lecture du procès-verbal et auxquelles je
demande à répondre.
En premier lieu, il y est parlé des Kabyles comme terme
s'opposant à celui d'Arabes. G'est une erreur ; c'est le mot
Berber qui s'oppose à ce dernier. Les Berbers sont une
famille au point de vue linguistique, lequel ne préjuge
nullement le point de vue anthropologique. Les Arabes sont une
autre famille linguistique-. Quant aux Kabyles, ce sont les
habitants de certaines parties de l'Algérie telles que la Grande et
la Petite Kabylie ; co sont des peuplades dont la composition
anthropologique est à déterminer. Jamais on n'a parlé des
Kabyles de Biskra, par exemple.
En second lieu, il a été question des torts qu'a l'adminis-'
tration de confondre les Arabes et les Berbers et de les traiter
de même.Jenepuis pasabsolumentm'élevercontrecetteidée,
car lorsque le général Faidherbe et moi nous avons rédigé

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