UPLOADED BY "What's News" vk.com/wsnws TELEGRAM: t.

me/whatsnws

JEUDI 20 AOÛT 2020

76E ANNÉE – NO 23518
3,00 € – FRANCE MÉTROPOLITAINE
WWW.LEMONDE.FR –
FONDATEUR : HUBERT BEUVE-MÉRY
DIRECTEUR : JÉRÔME FENOGLIO

Au Mali, un coup d’Etat qui inquiète la France 
▶ Le président malien, ▶ Arrêté dans l’après­midi ▶ Les militaires assurent ▶ Paris craint que cette ▶ Selon leur porte­parole,
Ibrahim Boubacar Keïta par des militaires, il a lui­ vouloir mettre en place crise ne débouche sur une les militaires responsables
(« IBK »), en fonctions même annoncé sa démis­ une « transition politique période de vide politique du putsch respecteront
depuis 2013, a été renversé sion, dans la nuit, sur les civile » après la chute de dans ce pays allié de la les engagements interna­
par un coup d’Etat, ondes de la radio­télévi­ ce président fortement France dans la lutte contre tionaux pris par le Mali
mardi 18 août, à Bamako sion nationale contesté depuis des mois les groupes djihadistes PAG E S 2 - 3

Covid­19 Craintes sur la rentrée 

LA CONDITION 
scolaire, alerte des pédiatres
quinze jours avant le retour en
classe, la promesse d’une rentrée
« normale » semble peu à peu
mieux compte de l’évolution de
l’épidémie et des connaissances
récentes sur le Covid­19. Le minis­

ANIMALE, 
s’éloigner. Les indicateurs épidé­
miques se dégradent et, alors que
la ministre du travail, Elisabeth
Borne, a annoncé, mardi 18 août,
que le port du masque serait
« systématisé » dans les entre­
prises, des voix s’élèvent dans la
communauté scolaire pour de­
tre de l’éducation, Jean­Michel
Blanquer, pourrait être amené à
s’exprimer sur le sujet dès la fin
de cette semaine, en amont de sa
traditionnelle conférence de
presse sur la rentrée scolaire.
La persistance de l’épidémie in­
quiète également les pédiatres,

NOUVEAU SUJET  mander des précisions sur

les conditions sanitaires du re­
tour à l’école.
Syndicats d’enseignants et pa­
dont les sociétés savantes pu­
blient, mercredi 19 août, une let­
tre ouverte. Celle­ci réclame une
série de mesures pour améliorer

MAJEUR
rents souhaitent que le « guide sa­ la protection des enfants.
nitaire » publié début août tienne PAG E S 8 - 9 , 1 2 E T 2 4

Liban Economie
DANS  LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE Le verdict du 
procès Hariri 
Les défaillances 
de sociétés
▶ Selon un sondage dé­ ▶ Le sujet est aussi un ▶ Ce RIP, s’il a lieu, pour­ Quinze ans après l’assassi­
nat du premier ministre
se multiplient
voilé mercredi 19 août enjeu politique depuis rait aboutir à des réfor­
libanais Rafic Hariri lors
par « Le Monde », la ques­ le lancement d’une pro­ mes concernant les éle­ d’un attentat (22 morts, Alors que la crise sanitaire
tion du traitement des cédure de référendum vages, les abattoirs ou 226 blessés) à Beyrouth, se prolonge, le nombre de
animaux mobilise de d’initiative partagée encore la chasse à courre un membre du Hezbollah, grandes entreprises en dif­
plus en plus les Français (RIP) PAGE 11 ET ÉDITORIAL PAGE 24 jugé par contumace, a été ficulté est en nette hausse
condamné, mardi 18 août, à travers le monde, selon
à La Haye (Pays­Bas) les agences spécialisées
PAGE 4 PAG E 1 2

L’été en séries
Biélorussie
Loukachenko
perd le soutien
DU PONT DE des ouvriers
NEMOURS PAGE 6

Du Nylon
au Lycra, un Algérie
féminisme Un plan pour
très élastique relancer
PAGE S 1 8 - 1 9
l’économie
PAGE 13

Afrique du Sud
© Studio Garnier • (1) éco participation incluse 10 €

Supporteurs parisiens sur les Champs­Elysées, le 18 août. AFP

La faim fait
des ravages dans
Football Le PSG en finale,  les townships
la capitale en liesse PAGE 7

le paris­saint­germain s’est qualification, la sixième pour un

qualifié pour la finale de la Ligue club français, a été largement fê­ Etats­Unis Paris 15e • 7j/7 : 66 rue de la Convention
Imaginaire animal des champions de football, en do­ tée dans les rues de la capitale. En Jill Biden, première 01 40 59 02 10 • M° Boucicaut, parking gratuit
La licorne, minant l’équipe allemande de finale, dimanche 23 août, tou­ Paris 12e • 7j/7 : 56-60 cours de Vincennes
Leipzig (3­0), mardi 18 août, à Lis­ jours à Lisbonne, le PSG affron­ conseillère 01 43 41 80 93 • M° Porte de Vincennes ou Nation
symbole sexuel bonne (Portugal). C’est une pre­ tera l’Olympique lyonnais ou le de son mari, Joe Canapés, armoires lits, dressings, gain de place,
mière historique pour le PSG, qui Bayern Munich. mobilier contemporain : toutes nos adresses sur www.topper.fr
PAGE 2 0
fête cette année ses 50 ans. Cette PAGE 14 PAGE 5
Algérie 220 DA, Allemagne 3,70 €, Andorre 3,50 €, Autriche 3,80 €, Belgique 3,20 €, Canada 5,80 $ Can, Chypre 3,20 €, Danemark 36 KRD, Espagne 3,50 €, Gabon 2 400 F CFA, Grande-Bretagne 3,10 £, Grèce 3,50 €, Guadeloupe-Martinique 3,30 €, Guyane 3,50 €,
Hongrie 1 440 HUF, Italie 3,50 €, Luxembourg 3,30 €, Malte 3,20 €, Maroc 22 DH, Pays-Bas 3,80 €, Portugal cont. 3,50 €, La Réunion 3,30 €, Sénégal 2 400 F CFA, Suisse 4,40 CHF, TOM Avion 500 XPF, Tunisie 4,10 DT, Afrique CFA autres 2 400 F CFA
 UPLOADED BY "What's News" vk.com/wsnws TELEGRAM: t.me/whatsnws

INTERNATIONAL
0123
2| JEUDI 20 AOÛT 2020

L A   C H U T E   D U   P R É S I D E N T   «  I B K  »

Coup d’Etat sans violence au Mali
Le président, Ibrahim Boubacar
Keïta, a démissionné après avoir
été renversé par des militaires
qui promettent une « transition
politique civile » et le respect des
accords internationaux du pays

RÉCIT Dans le cadre du Mali, il y a là aussi comme

un étrange retour aux sources. Ibrahim Bou­
bamako ­ correspondance
johannesburg ­ correspondant régional
bacar Keïta a donc été amené, en fin d’après­
midi, mardi, au camp militaire de Kati, à une

E
n matière de coup d’Etat, tout
particulièrement dans un pays
qui a développé certaines tradi­
tions à cet égard, c’est une petite
innovation : au lieu d’être an­
noncé par des militaires en
treillis, le renversement qui a eu lieu au Mali,
mardi 18 août, a été officialisé avec toutes les
apparences de la bonne volonté et, de sur­
croît, des remerciements, par celui qui
venait d’en être la victime.
Ibrahim Boubacar Keïta, président depuis
2013, ancien premier ministre, élu à deux re­
prises, en proie à une érosion de plus en plus
prononcée de son pouvoir, avait été arrêté
par des militaires dans l’après­midi, et
amené, de force, dans le camp de Kati, au
nord de la capitale, où avait débuté le matin
même une mutinerie.
Dans la nuit, sur les ondes de l’ORTM, la
radio­télévision nationale, le chef de l’Etat
a remercié, donc, « le peuple malien de son
accompagnement au long de ces longues
années » avant d’annoncer qu’il démission­
nait de toutes ses fonctions et de déclarer la
dissolution de l’Assemblée nationale et
celle de son gouvernement, dirigé par un
premier ministre, Boubou Cissé, arrêté en
même temps que lui.
Cette fiction du coup d’Etat de bonne vo­
lonté ne trompera personne. Certainement
pas les chefs d’Etat de la région, qui peuvent à
présent redouter un potentiel effet de
contagion, de la Guinée à la Côte d’Ivoire, par­
tout où se profilent des séquences électorales
à risque dans les prochains mois, comme l’in­
dique une source à l’Union africaine.
ÉTRANGE RETOUR AUX SOURCES
Par la voix d’un porte­parole, le colonel­ma­
jor Ismaël Wagué, chef d’état­major adjoint
de l’armée de l’air, trois heures après la dé­
mission forcée du président, les putschistes
se sont déclarés réunis dans un Comité na­
tional pour le salut du peuple (CNSP). Ils ont
justifié leur action en des termes beaucoup
plus classiques pour la circonstance, en
avançant que le Mali « sombre de jour en jour
dans le chaos, l’anarchie et l’insécurité par la
faute des hommes chargés de sa destinée ».
Les militaires promettent, selon leur porte­
parole, de mettre en place une « transition
politique civile afin d’organiser dans des
quinzaine de kilomètres au nord­ouest de
Bamako. C’est là que, huit ans plus tôt, en
pleine déconfiture de l’armée malienne face
à une coalition de rebelles touareg et de
djihadistes, avait démarré une autre mutine­
rie, qui avait fait chuter le président de l’épo­
que, Amadou Toumani Touré.
Ce dernier, surnommé « ATT », était par­
venu à fuir le palais présidentiel de Kou­
louba, situé entre Kati et la capitale, et avait
gagné clandestinement la Guinée avec
l’aide de quelques fidèles. Koulouba avait
été pillé. Cette fois, ce sont les domiciles
d’un luxe extravagant de certains responsa­
bles du pouvoir tout juste tombé qui l’ont
été, alors que des scènes de joie éclataient
dans les rues de Bamako.
Ibrahim Boubacar Keïta, dit « IBK », 75 ans,
était fortement contesté depuis plusieurs
mois, notamment par le M5­RFP (Mouve­
ment du 5 juin­Rassemblement des forces
patriotiques), avec à sa tête l’influent imam
Mahmoud Dicko, ex­président du Haut
Conseil islamique du Mali. Ces derniers
temps, les observateurs jugeaient l’assise
du président « extrêmement fragile ». Le
chef de l’Etat, appuyé par une médiation de
la Cédéao, une organisation régionale
d’Afrique de l’Ouest, avait même tenté de
proposer de former un gouvernement
d’union nationale, refusé catégoriquement
par le M5­RFP, dont la seule revendication
était le départ du pouvoir d’IBK.
Ce dernier, dans son allocution nocturne, a
évoqué les violences récentes (entre 11 et
23 morts, selon les versions, dans les rues de
Bamako au cours de trois jours de troubles en djihadistes, au nord et au centre du pays. Un
juillet). Il a déclaré avoir œuvré depuis son Algérie conflit dans lequel ils subissent de lourdes
élection, en 2013, à redresser le pays et à « don­ pertes et, aussi, commettent des exactions
Kati
ner corps et vie » à l’armée malienne, qui con­ Mauritanie MALI qui leur sont reprochées.
Niger
tinue de marquer le pas face aux groupes dji­ Bamako Cette frustration s’est cristallisée sur la
hadistes, avant d’ajouter : « Si, aujourd’hui, il a Camp militaire personnalité du fils du chef de l’Etat, Karim
Bamako
Burkina
plu à certains éléments de nos forces armées de Guinée Faso Nigeria Keïta, surpris sur des vidéos diffusées début
conclure que cela devait se terminer par leur juillet, au cœur de la pandémie de Covid­19,
intervention, ai­je réellement le choix ? M’y Bénin qui a laissé le Mali exsangue économique­
soumettre, car je souhaite qu’aucun sang ne ment, en train de participer à des fêtes
soit versé pour mon maintien aux affaires. » Complexe présidentiel délurées en Espagne. Ces images ont cho­
Alors que des rumeurs de coup d’Etat de Koulouba qué le pays, terminé de ternir l’image du
avaient repris ces derniers jours, comme en pouvoir et provoqué, mais trop tard, la dé­
Place de l’Indépendance,
février, après un discours très dur qu’avait épicentre de la contestation
mission du fils de la commission de dé­
Institut français du Mali
prononcé IBK contre les officiers supé­ du pouvoir depuis le 5 juin fense de l’Assemblée nationale.
Ambassade
rieurs de sa propre armée accusés d’exac­ Mais les mouvements de mécontente­
de France
tions, de détournement, et de perdre la ment qui traversaient l’armée ces derniers
e
Nig
r

délais raisonnables des élections générales guerre contre les djihadistes – ce que les Bamako temps trouvaient aussi leurs racines dans un
pour permettre au Mali de se doter d’institu­ officiers avaient particulièrement détesté –, contexte où des officiers supérieurs sont sur
tions fortes », et de respecter les accords in­ des mutins sont entrés en action mardi 2 km
la sellette, et se voient menacés de sanctions,
ternationaux, notamment avec les partenai­ dans la matinée. y compris des Nations unies.
res du Mali, comme les Nations unies ou la Dans la journée, quatre noms d’officiers Selon une source proche de la hiérarchie
France, dans le cadre de l’opération de main­ impliqués dans le mouvement circulaient, militaire malienne, des hommes du rang et
tien de paix onusienne, de la force ainsi que ceux de possibles « commanditai­ Avec le colonel Mama Sekou Lelenta, ce des officiers intermédiaires se seraient
« Barkhane » ou du G5 Sahel. res », selon une bonne source. groupe est censé avoir conduit le mouve­ plaints que les plus hauts gradés soient com­
Parmi les noms des meneurs des mutinés, ment qui a commencé à Kati, mardi matin, promis dans des trafics, notamment de
qui continuaient, mardi soir, à dissimuler et refléter « la tendance de l’armée de terre », cocaïne, tandis que la troupe était envoyée se
leur identité, l’un au moins, s’il se confirme, selon une source, avant que d’autres unités, faire tuer par des groupes djihadistes.
LA DIFFUSION  retient l’attention : celui du général Cheikh notamment des forces spéciales envoyées Parallèlement, en début de semaine, un
DES VIDÉOS  Fanta Mady Dembélé. Saint­cyrien, passé par mettre fin au mouvement, ne les rejoignent. rapport du panel d’experts de l’ONU sur le
l’Ecole de guerre, officier brillant lors de di­ Mali a fuité, mettant en cause l’ex­chef d’état­
DES FÊTES DÉLURÉES  verses missions de l’Union africaine, et d’un REVENDICATIONS CATÉGORIELLES major de l’armée de terre, le général Kéba
séjour remarqué au département de paix et Selon des sources concordantes, plusieurs Sangaré, dans des événements graves au
DE KARIM KEÏTA,  de sécurité de l’organisation panafricaine, en dynamiques se sont croisées au sein de ce centre du pays. Le général Moussa Diawara,
Ethiopie, il avait récemment dirigé l’Ecole de qui était au départ une manifestation de co­ patron de la sécurité d’Etat, potentiellement
LE FILS DU CHEF  maintien de la paix au Mali. lère dans un camp militaire et s’est terminé visé par des sanctions, y est aussi men­
DE L’ÉTAT,  A son côté, le colonel Malick Diaw, moins en manifestation de gratitude, à la télévision tionné. Il est le cousin du général Omar Dao,
connu, est réputé entretenir des affinités nationale, et pourrait bien avoir été préparé jusqu’à hier chef d’état­major particulier du
ONT CHOQUÉ  avec les responsables du M5­RFP. Il était avec soin depuis plusieurs jours au moins. chef de l’Etat, qui venait de protester auprès
jusqu’ici chef d’état­major de la 3e région Des revendications catégorielles traversent de la présidence pour faire barrage aux pos­
LE PAYS ET TERMINÉ  militaire et directeur adjoint du camp de l’armée. Des soldats dotés de chaussures sibilités de poursuites de hauts gradés.
DE TERNIR L’IMAGE  Kati, lequel avait été dirigé récemment par le trouées et de gilets pare­éclats déficients ca­ IBK était à couteaux tirés avec une grande
troisième cerveau supposé des mutins, le chent de moins en moins leur colère dans un partie de ses généraux. Le général Kéba San­
DU POUVOIR général Sadio Camara. contexte de guerre contre les groupes garé a été relevé de ses fonctions en mai par
 UPLOADED BY "What's News" vk.com/wsnws TELEGRAM: t.me/whatsnws
0123
JEUDI 20 AOÛT 2020
La France face à la peur du vide
Des soldats maliens salués par la foule Paris craint que le coup d’Etat n’augmente la tourmente sécuritaire dans laquelle est plongé le Mali
à leur arrivée place de l’Indépendance,
à Bamako, le 18 août. MALIK KONATE/AFP
A près des mois de trou­
bles, la catastrophe re­
doutée est survenue.
Pour la France, le coup d’état mili­
taire au Mali suscite la peur du
vide politique et d’une tour­
mente sécuritaire accrue, dans
un pays sans intégrité territo­
riale, au pouvoir central trop
frêle. Dans un communiqué pu­
blié mardi 18 août, le ministère
des affaires étrangères a exprimé
son « inquiétude » devant la « mu­
tinerie » engagée, condamnant
« avec la plus grande fermeté cet
événement grave ».
Emmanuel Macron s’est entre­
tenu de la crise en cours avec
plusieurs dirigeants de la région,
notamment ses homologues ni­
gérien Mahamadou Issoufou,
ivoirien Alassane Ouattara et sé­
négalais Macky Sall. Une fois le
coup d’Etat déclenché, le président
français avait même réussi à join­
dre le président malien, Ibrahim
Boubacar Keïta (« IBK »), peu avant
son arrestation. « Il s’agissait de lui
indiquer que nous étions sur la
même ligne que la Cedeao [Com­
munauté économique des Etats
de l’Afrique de l’Ouest], à savoir le
refus d’un coup d’Etat », explique
une source diplomatique.
A la demande de la France et du
Niger, qui préside actuellement la
Cedeao, le Conseil de sécurité de
l’ONU devait se réunir en ur­
gence, mercredi 19 août, pour
examiner la situation au Mali.
Le Quai d’Orsay précisait mardi
que la France partageait la posi­
tion de la Communauté, « qui ap­
pelle au maintien de l’ordre consti­
tutionnel et exhorte les militaires
à regagner sans délai leurs caser­
nes ». Mais il faudra vite, pour­
tant, prendre contact avec les mi­
litaires, qui disent assurer une
simple transition avant de nou­
velles élections.
Pour la France, le Mali est à la
fois un allié – inconstant et fai­
ble – dans la lutte contre les grou­
pes djihadistes et un point d’an­
crage important dans l’Afrique
le président malien désormais renversé.
Quelques heures avant les premiers coups
de feu à Kati, bastion de l’armée de terre
(les « bérets verts »), IBK avait limogé cette
Des cris de joie dans Bamako
fois Ibrahim Touré, chef de la sécurité prési­
dentielle et aide de camp, réputé proche La nuit a été calme dans la capitale malienne, après l’annonce de la démission du président
des frondeurs.
MANIFESTATIONS ANNONCÉES
Si aucun lien clair n’a encore été établi entre
REPORTAGE
bamako ­ correspondance
le mouvement et les mutins, une semaine de
manifestations avait été annoncée lundi, no­
tamment avec l’organisation d’une caravane
de sensibilisation ambulante à travers
Bamako et l’occupation de la place de l’Indé­
pendance le week­end, pour intensifier la
J our d’après à Bamako. La ville
s’est réveillée au petit matin
sur les annonces du porte­
parole des militaires, le colo­
nel major Ismaël Wagué, chef
pression contre le pouvoir en place. d’état­major adjoint de l’armée
Issa Kaou N’Djim, coordinateur général de de l’air, après la démission forcée
la Coordination des mouvements, asso­ du chef de l’Etat. « Nous, forces pa­
ciations et sympathisants de l’imam Dicko, triotiques regroupées au sein du
principale figure du M5­RFP, bien qu’évitant Comité national pour le salut du
de s’associer aux militaires, affirmait, peuple (CNSP), avons décidé de
mardi en fin de journée, que sa formation prendre nos responsabilités de­
considérait qu’un « départ pacifique du pré­ vant le peuple et devant l’his­
sident de la République permettrait d’éviter toire », a déclaré l’homme à l’aube
le chaos ». Il devrait trouver des interlocu­ sur la télévision publique ORTM.
teurs auprès des militaires du CNSP. La nuit avait été étonnamment
Ces derniers ont invité, aux petites heures calme dans la capitale malienne.
de mercredi, « la société civile et les mou­ Les grins, ces lieux où les hom­
vements sociopolitiques (…) à nous rejoindre mes se retrouvent d’ordinaire
pour, ensemble, créer les meilleures condi­ tard le soir, un verre de thé à la
tions d’une transition politique civile con­ main, sont restés déserts dans
duisant à des élections générales crédibles les rues du quartier de Badala­
pour l’exercice démocratique à travers bougou, pourtant épicentre ha­
une feuille de route qui jettera les bases d’un bituel des manifestations. C’est
Mali nouveau ».  là que le week­end du 10 juillet,
paul lorgerie, entre onze et vingt­trois person­
matteo maillard et nes avaient trouvé la mort selon
jean­philippe rémy les versions et, dans la nuit de
mardi, seuls les crépitements
des armes à feu rappelaient cette
folle journée du 18 août.
A minuit, l’intervention du
Retrouvez en ligne l’ensemble de nos contenus président, Ibrahim Boubacar
francophone. Sécurité et in­
fluence. Mais Paris vit dans une
forme d’impuissance et d’énerve­
ment contenu depuis des années,
constatant le marasme politique
dans ce pays et l’incapacité du pré­
sident malien à œuvrer à la récon­
ciliation et à l’unité territoriale.
« Depuis les élections législatives
d’avril, tout le monde demandait
à IBK de prendre des initiatives po­
litiques, détaille une source
diplomatique française. Il existe
aujourd’hui une frustration par­
tagée, notamment par nous. On
sait ce qu’il faudrait faire, et ce
n’est certainement pas un coup
d’Etat militaire. »
« Un président faible »
A Paris, on estime qu’outre la dé­
mission indispensable de trente
et un députés élus dans des condi­
tions frauduleuses, IBK aurait dû
accepter la mise à l’écart de son
entourage familial. « Il cristallise
la colère populaire, poursuit la
source française. On l’a bien vu
mardi soir à Bamako. il n’y a pas eu
d’émeutes ou de manifestations,
mais des pillages ciblés contre sa
famille. » Cible privilégiée : Karim
Keïta, l’un des fils du président, au
train de vie grandiose.
Les élections législatives ont été
l’accélérateur puissant de la crise
politique. Mais IBK n’a pas eu le
courage ou la lucidité pour le per­
cevoir à temps. « Il y avait depuis
des années, dans la diplomatie
française, un certain consensus
pour reconnaître qu’IBK était un
président faible, sans la vision et
l’énergie pour gouverner un pays
vivant toujours dans les séquelles
de la crise de 2012, souligne Nico­
las Normand, ancien ambassa­
deur français au Mali. Les problè­
mes de fond n’ont pas été réglés,
auxquels s’est ajoutée la dégrada­
tion des services publics, de l’édu­
cation et de l’électricité. Mais, en
même temps, il y a eu une absence
de critique publique par la France
contre IBK, justifiée par la situa­
tion, car elle aurait été perçue
Keïta, annonçant sa démission
sur la chaîne nationale, a clôturé
l’acte I de cette nouvelle page
d’histoire malienne en train de
s’écrire en direct.
Quelques heures plus tôt, déjà,
des cris de joie résonnaient entre
les murs de banco, et la ville en­
tière semblait n’avoir qu’une
phrase sur les lèvres : « “IBK” a été
arrêté. » Ce souhait était celui
d’une partie des manifestants qui
scandaient leur mécontentement
tous les vendredis depuis le 5 juin.
Des rassemblements ont pu être
observés ici et là dans la capitale
avec cris de liesse et tirs en l’air.
Dans l’après­midi, dans une
grande confusion qui a duré plu­
sieurs heures, des mutins du
camp militaire de Kati, commune
adjacente de Bamako, s’étaient en
effet rendus au domicile du prési­
dent de la République, arrêté aux
côtés de son premier ministre,
Boubou Cissé. Dans cette capitale
de 2,5 millions d’habitants, où la
misère côtoie l’opulence et où le
ressentiment contre une classe
dirigeante est très fort, des scènes
de pillage des différents domici­
les des représentants de l’Etat ont
été observées. Une vidéo qui a fait
le tour des réseaux sociaux mon­
trait des groupes d’enfants et
d’adolescents se baignant dans la
international | 3
POUR PARIS, LA PRIORITÉ 
EST LA LUTTE CONTRE
LES GROUPUSCULES  gions, aussi bien à Kidal que dans
DJIHADISTES DANS
LA ZONE STRATÉGIQUE  a augmenté les effectifs de
DES « TROIS FRONTIÈRES »  « Barkhane » de 500 militaires,
(MALI, BURKINA, NIGER)
comme de l’ingérence. » Pour la
France, la priorité régionale abso­
lue est la lutte contre l’islam radi­
cal et les groupuscules djihadis­
tes. Emmanuel Macron a assumé
sur ce plan l’héritage de son pré­
décesseur, François Hollande, qui
avait décidé l’intervention fran­
çaise au Mali. Huit ans plus tard,
celle­ci représente un investisse­
ment militaire, financier et politi­
que considérable. Fin 2019, le bi­
lan semblait bien sombre.
L’heure était grave après la
mort de treize soldats français
de l’opération « Barkhane », le
25 novembre 2019. Emmanuel
Macron décidait alors de placer
publiquement les chefs d’Etat de
la région devant leurs responsa­
bilités. Ils étaient suspectés de
double langage et de manque
d’engagement. Les autorités
françaises voyaient notamment
monter les discours anti­Fran­
çais, comme à Bamako.
Au Mali, il existe un ressenti­
ment prenant racine dans l’inter­
vention militaire de 2013. L’ar­
mée française avait permis au
pays de reprendre possession de
Tombouctou et de Gao, mais pas
de Kidal, laissée aux forces du
Mouvement national pour la li­
bération de l’Azawad (MNLA),
qui avait pris le relais du groupe
salafiste Ansar Dine.
Le sommet du G5 Sahel à Pau,
en janvier, a été un moment de
remobilisation important dans
la lutte contre les groupes isla­
mistes. L’émergence d’une « coa­
piscine de Karim Keïta, fils du
président et député très décrié
ces dernières semaines. Plus tôt,
les bureaux du ministre de la
justice récemment nommé,
Kassoum Tapo, avaient été van­
dalisés et incendiés.
« Pas d’effusion de sang »
En dépit du chaos ambiant, « il n’y
a pas eu d’effusion de sang », se fé­
licite un ingénieur quinquagé­
naire, présent sur place. Mobilisé
depuis le premier jour au sein du
Mouvement du 5 juin – Rassem­
blement des forces patriotiques
(M5­RFP), cette coalition hétéro­
clite composée d’acteurs reli­
gieux, de la société civile et de
l’opposition, il avoue ne pas être
surpris par le « coup de force » en­
gagé par l’armée et estime que
cette initiative des militaires est
venue « parachever [leur] lutte ».
Depuis début juin, des centai­
nes de Maliens prenaient la rue
pour contester l’invalidation par
la Cour constitutionnelle de
l’élection de 31 députés lors des
législatives de mars et d’avril.
Une goutte d’eau dans un océan
de revendications. Depuis 2012,
le Mali traverse une grave crise
dans le nord et le centre du pays,
ponctué de scandales dans les
plus hautes sphères de l’Etat.
lition internationale pour le
Sahel » devait notamment per­
mettre, à terme, d’assurer le re­
tour de l’Etat dans toutes les ré­
le nord du Burkina Faso. Tel était
l’objectif ambitieux affiché. A la
suite de cette rencontre, la France
pour les porter à 5 100.
Nouveau contretemps
Le 30 juin, lors d’un nouveau som­
met du G5 Sahel, cette fois en Mau­
ritanie, l’ambiance était plus em­
preinte de satisfaction. Quelques
semaines plus tôt était intervenue
l’élimination par les forces françai­
ses d’Abdelmalek Droukdel, émir
d’Al­Qaida au Maghreb islamique
(AQMI). Le président Emmanuel
Macron a assuré que les forces
françaises et sahéliennes avaient
réussi à « inverser » le rapport de
forces dans la zone stratégique
dite des « trois frontières » (Mali,
Burkina Faso et Niger). C’est là
qu’ont été concentrées les opéra­
tions contre les groupes affiliés à
l’organisation Etat islamique. « La
victoire est possible » au Sahel, a dit
le chef de l’Etat.
Mais ce travail de longue ha­
leine ne semble pas du tout
conclu. Le 23 juillet, l’Elysée ren­
dait hommage à la mort d’un sol­
dat du 1er régiment de hussards
parachutistes de Tarbes, tué lors
de combats. Un engin explosif
improvisé s’était déclenché au
passage de son véhicule blindé.
L’Elysée sait que le traitement ex­
clusivement militaire de la crise
dans le Sahel serait une entre­
prise sans fin. Or, le coup d’Etat à
Bamako représente un nouveau
contretemps, empêchant de con­
clure les fameuses avancées poli­
tiques nécessaires, en accompa­
gnement. Du point de vue opéra­
tionnel, la lutte contre le djiha­
disme n’est pas impactée par les
événements au Mali. Mais ce
pays poursuit sa dérive. 
piotr smolar
« Alors forcément, les gens ont
commencé à être dégoûtés », as­
sure l’ingénieur, qui attend du
M5­RFP « la formation d’un gou­
vernement d’union nationale
après des élections crédibles et
une refondation du Mali avec
une nouvelle Constitution ».
Mais qui du M5­RFP ou des mi­
litaires putschistes prendra le
pouvoir désormais vacant ? Pour
Issa Kaou N’Djim, coordinateur
général de la Coordination des
mouvements, associations et
sympathisants de l’imam Dicko,
organisation à la tête du M5­RFP,
une transition démocratique est
indispensable : « Nous nous in­
cluons dans la légalité et nous ne
faisons pas de cette situation un
combat personnel. »
En guise de menace, la Com­
munauté économique des Etats
d’Afrique de l’Ouest (Cédéao),
opposée à « tout changement poli­
tique et anti­institutionnel », a an­
noncé dans un communiqué « dé­
nier toute forme de légitimité aux
putschistes » et décider « de la fer­
meture de toutes les frontières
terrestres et aériennes ainsi que
l’arrêt de tous les flux et transac­
tions économiques, commerciales
et financières entre les pays mem­
bres de la Cédéao et le Mali ». 
paul lorgerie

4 | international
Le verdict du procès Hariri laisse des zones d’ombre
A La Haye, le Tribunal condamne un membre du Hezbollah en blanchissant la direction du parti chiite
la haye, beyrouth ­
correspondance
Q
uinze ans après l’at­
tentat perpétré con­
tre l’ancien premier
ministre Rafic Ha­
riri au cœur de Bey­
routh, le Tribunal spécial pour le
Liban (TSL) aura livré un coupa­
ble, trois acquittés et une « vérité
judiciaire » empreinte de zones
d’ombre. Lors du verdict pro­
noncé mardi 18 août, les juges
du TSL ont condamné Salim
Ayyash, qui était le chef de l’opé­
ration. Il a été reconnu coupable
d’acte terroriste et d’homicide
volontaire avec préméditation
contre Rafic Hariri, d’homicide
volontaire contre les vingt et une
autres personnes décédées lors
de l’attaque et de tentative d’ho­
micide pour les 226 blessés.
Ils ont acquitté Hussein
Oneissi, Hassan Merhi et Assad
Sabra, jugés in absentia comme
Salim Ayyash, faute de preuves
suffisantes. Dans l’attentat du
14 février 2005, les trois hommes
n’avaient qu’un rôle subal­
terne, lié à une fausse revendica­
tion diffusée quelques heures
après l’explosion et destinée à
« brouiller les pistes ».
Qui est le kamikaze ? D’où vien­
nent les 2 tonnes d’explosifs ?
Combien de personnes ont par­
ticipé au complot ? Qui sont les
commanditaires ? Le tribunal
n’aura livré que quelques frag­
ments d’une « mosaïque » in­
complète.
Si Salim Ayyash était membre
du Hezbollah, comme Moustafa
Badreddine, cadre militaire du
parti­milice tué en mai 2016 en
Syrie, décrit par les enquêteurs
comme le « cerveau » de l’attentat
et dont les juges ont reconnu
l’implication, « rien dans le dossier
des preuves n’indique que la direc­
tion du Hezbollah ait été impli­
quée de quelque manière que ce
soit dans l’assassinat de M. Ha­
riri », ont affirmé les juges.
Ils estiment même que le mil­
liardaire sunnite entretenait « de
bonnes relations » avec les respon­
sables du Hezbollah. Rafic Hariri,
qui voulait séduire le parti chiite
en vue des législatives à venir,
aurait évité au Hezbollah une
inscription sur la liste européenne
des organisations terroristes,
grâce à ses liens avec l’ancien
président français Jacques Chirac.
A Beyrouth, le sentiment d’une occasion manquée
Pour les juristes, le Tribunal spécial pour le Liban a échoué à faire avancer la lutte contre l’impunité dans le pays
beyrouth ­ correspondance
A u fil des ans écoulés dans
le long feuilleton po­
litico­judiciaire depuis
l’assassinat de l’ancien premier
ministre Rafic Hariri, le 14 fé­
vrier 2005, un meurtre qui provo­
qua un séisme politique à Bey­
routh, l’intérêt s’était émoussé
envers les travaux du Tribunal
spécial pour le Liban (TSL). Mais le
verdict était appelé à prendre un
relief particulier, dans un pays
sous le choc de l’explosion au port
de Beyrouth, le 4 août, et en débat
sur la nature de l’enquête – natio­
nale ou internationale – néces­
saire pour faire la lumière sur la
déflagration meurtrière.
Le jugement n’a pas suscité de
tensions à Beyrouth, mardi
18 août, un scénario qui était
redouté dans un contexte de
forte polarisation politique. Mais
il a semé le trouble sur les répon­
ses à attendre de la justice inter­
nationale, quand les Libanais cla­
ment leur manque de confiance
en leurs magistrats.
Il était entendu d’avance que le
verdict diviserait la société, tout
UPLOADED BY "What's News" vk.com/wsnws TELEGRAM: t.me/whatsnws
Si l’affiliation du coupable est
l’un des rares éléments impli­
quant le Hezbollah, les juges esti­
ment qu’il « n’y a pas de preuve di­
recte de l’implication de la Syrie »,
mais un contexte pointant vers
Damas. Pour la chambre de pre­
mière instance, il était « haute­
ment probable » que la décision de
l’assassinat serait exécutée si Ra­
fic Hariri « continuait (…) à s’écar­
ter politiquement de la Syrie ».
« Hautement probable » aussi, di­
sent les magistrats, que le feu vert
n’ait été donné qu’après le 2 fé­
vrier 2005, date d’une réunion du
« groupe du Bristol », réunissant
les alliés politiques d’Hariri, de­
mandant le retrait immédiat des
forces syriennes présentes au Li­
ban depuis 1976.
« La vraie justice a prévalu »
La veille, Rafic Hariri rencontrait
le vice­ministre syrien des af­
faires étrangères, Walid Al­Moal­
lem. Selon l’enregistrement de la
rencontre, fourni aux enquêteurs
par le ministre syrien, Rafic Hariri
dit alors qu’il ne peut « plus sup­
porter de recevoir des ordres de la
Syrie ». Pour les juges, ces deux
éléments dessinent une motiva­
tion. Damas est désigné à demi­
mot. Mais le nom des commandi­
taires reste inconnu.
Dès la fin de l’audience au siège
du tribunal aux Pays­Bas, Saad
Hariri, le fils de Rafic, a salué le
verdict. « Pour la première fois
dans l’histoire des nombreux as­
sassinats politiques dont le Liban a
été témoin, les Libanais connais­
sent la vérité et, pour la première
fois, la vraie justice a prévalu », a
déclaré celui qui figure en bonne
place pour prendre la tête du
prochain gouvernement. Saad
Hariri aura besoin de l’appui du
camp du Hezbollah au Parlement
pour être nommé, relèvent cer­
Si le régime
syrien est
désigné à demi-
mot par les juges,
le nom des
commanditaires
de l’assassinat
de Rafic Hariri
reste inconnu
comme le tribunal avait concen­
tré les oppositions, des années
durant, selon les affiliations poli­
tiques et à cause des ratés de
l’enquête initiale. Mais sans
doute personne ne s’attendait­il
à un récit aussi fragmentaire que
celui qui a été livré à La Haye.
Le kamikaze responsable de l’at­
tentat n’a pas été identifié. Un
seul coupable – Salim Ayyash,
duquel le tribunal s’est dit con­
vaincu des « liens » avec le Hez­
bollah, force politico­militaire
alliée de Téhéran et de Damas – a
été reconnu pour un crime extrê­
mement sophistiqué.
« Grande confusion »
« L’exercice au coût exorbitant
d’une justice dépaysée n’a guère
joué sa mission d’exemplarité
dans un pays qui a compté des di­
zaines de milliers de victimes civi­
les, durant et après la guerre [1975­
1990], notamment de victimes col­
latérales d’attentats politiques,
note Elizabeth Picard, directrice
de recherche émérite au CNRS et
spécialiste du Liban. L’épisode du
TSL qui se referme aura participé
au désillusionnement des Libanais
La députée
Bahia
Hariri
(avec le
voile blanc),
se recueille
sur la
tombe de
son frère,
l’ancien
premier
ministre
Rafic Hariri,
le 18 août,
à Beyrouth.
JOSEPH EID/AFP
tains observateurs, expliquant
ainsi sa réaction plutôt modérée.
« Les Libanais n’accepteront plus
que leur pays soit un terrain fertile
pour les tueurs ou un refuge pour
ceux qui tentent d’échapper à la
punition », a­t­il ajouté.
Pour lui, « il est devenu clair » que
les exécutants sont sortis des
« rangs » du Hezbollah, appelé à
« coopérer » pour l’arrestation de
Salim Ayyash. La sentence sera
prononcée dans les prochaines
semaines. Il risque la perpétuité,
mais ne connaîtra sans doute pas
la prison. Avant même l’émission
des mandats d’arrêt en 2011, le
Hezbollah avait promis de « cou­
per la main » aux téméraires qui
livreraient un accusé. Le parti
chiite n’a pas réagi au verdict,
mais avait anticipé. Le 14 août, son
chef, Hassan Nasrallah, avait indi­
qué que le parti ne se sentait « pas
concerné par les décisions du TSL ».
« La justice est belle ! Nous avons
obtenu, pour une fois au Liban, une
vérité judiciaire sur un acte terro­
riste », a déclaré l’avocate des par­
ties civiles. Une vérité partielle,
tant à l’égard des instances inter­
nationales et des alliés locaux qu’à
l’égard de leurs dirigeants. »
Dans un étrange renversement
de la donne qui avait prévalu de­
puis 2007, lorsque le TSL a été créé
par le Conseil de sécurité de
l’ONU, le ton semblait au soulage­
ment après le jugement parmi les
partisans du Hezbollah – le parti­
milice s’était employé depuis plus
de dix ans à saper la légitimité du
TSL –, même si les critiques pleu­
vent contre la décision. A l’in­
verse, la déception était vive chez
les partisans de Saad Hariri, fils de
Rafic. « Si la police [du quartier] de
Tarik Jdidé avait été chargée d’en­
quêter sur le crime, le résultat
aurait été meilleur », a ironisé un
homme, sur la chaîne de télévi­
sion al­Jadeed, depuis ce faubourg
populaire, fief du Courant du fu­
tur, le parti dirigé par Saad Hariri.
Au­delà des réactions partis­
anes, le verdict est jugé lacu­
naire parmi ceux qui, au sein de
la société civile, militent contre
l’impunité au Liban. Le jugement
« laisse un sentiment d’inachevé.
Nous n’avons pas eu de réponse
sur les commanditaires de l’at­
que Nada Abdelsater­Abusamra
justifie : « Le jugement dit lui­
même qu’il y a d’autres personnes
qui ont décidé, qui sont impliquées,
mais qu’il n’y a pas la preuve pour
les juger, et c’est aussi ça la justice. »
L’avocate rappelle que, dès l’atten­
tat, la scène de crime avait été pas­
sée au bulldozer, à l’aube d’une
enquête qui se révélera chao­
tique : manipulations, fuites de
noms de témoins dans la presse,
enquêteurs molestés, ordinateurs
perdus. En janvier 2008, le capi­
taine des Forces de sécurité inté­
rieures libanaises, Wissam Eid,
était assassiné. C’est lui qui avait le
premier analysé les réseaux de té­
léphones utilisés par les exécu­
tants, preuves qui ont permis la
condamnation de Salim Ayyash.
Pour l’avocate, le tribunal recon­
naît « la valeur des victimes » et
cela « tranche sérieusement avec
ce qu’il se passe au Liban. Cette
explosion sur le port [le 4 août],
ce massacre, et la façon dont les
autorités réagissent ! »
Au cours du procès ouvert en
janvier 2014 au TSL, les victimes
tentat. C’est une grande limite, es­
time Carmen Hassoun Abou
Jaoudé, politologue et spécialiste
des questions de justice transi­
tionnelle, qui avait nourri, aux
débuts du TSL, l’espoir qu’il
renforce la justice au Liban. On a
le sentiment que les vrais crimi­
nels, les cerveaux, n’ont pas été
inquiétés. Le mystère n’a pas été
levé sur le crime. »
Le tribunal, qui jugeait des per­
sonnes et non des Etats ou des or­
ganisations, a dit ne pas disposer
de preuves suffisantes pour nom­
mer les commanditaires du
meurtre et démontrer l’implica­
tion directe de Damas ou des diri­
geants du Hezbollah.
« Nous sommes dans un mo­
ment de grande confusion : que
faire pour que justice soit rendue
aux victimes de la double explo­
sion au port de Beyrouth ? Les
Libanais n’ont plus confiance en la
justice nationale à cause des inter­
férences politiques. Et par ce ver­
dict, la justice internationale a
montré ses limites », ajoute
Mme Hassoun Abou Jaoudé.
Le président, Michel Aoun, a re­
jeté une enquête internationale
sont venues à la barre raconter
l’horreur, cette seconde terrifiante
où les vies basculent. Certaines
d’entre elles ont reçu des indemni­
tés de l’Etat, quelques­unes de la
famille Hariri, mais pour la majo­
rité, rien. Les juges ont appelé les
autorités libanaises à les indemni­
ser ou, plus réaliste dans un Liban
en banqueroute, à permettre la
création d’un fonds volontaire.
Tribunal décrié
La mort de Rafic Hariri avait
plongé le Liban dans la tourmente.
Une vague de manifestations, con­
nue sous le nom de « révolution
du Cèdre », avait entraîné le retrait
des troupes syriennes du Liban.
Le tribunal est censé poursuivre
les auteurs des attentats commis
contre des responsables politi­
ques et des journalistes anti­
syriens entre octobre 2004 et dé­
cembre 2005. En juin 2019, il a
émis de nouvelles accusations
contre Salim Ayyash pour sa
responsabilité présumée dans
d’autres attentats. Ces nouvelles
accusations prolongent la vie de
« L’exercice au
coût exorbitant
d’une justice
dépaysée n’a
guère joué sa
mission
d’exemplarité »
ELIZABETH PICARD
spécialiste du Liban
– un souhait émis par des fa­
milles de victimes – sur l’explo­
sion au port de Beyrouth. L’inves­
tigation se déroule en deux vo­
lets : l’un, sur le site de l’explosion,
se fait en présence d’experts in­
ternationaux, notamment fran­
çais. L’autre est chargé de déter­
miner les responsabilités.
« L’explosion a tristement rap­
pelé que l’impunité [à laquelle le
TSL était censé mettre un terme,
selon ses promoteurs] n’est pas fi­
nie au Liban : y a­t­il un sens accru
des responsabilités ? Les institu­
tions sont­elles mieux préparées
pour identifier les coupables ? La
0123
JEUDI 20 AOÛT 2020
ce tribunal qui avait été créé
à l’initiative de la France et des
Etats­Unis sous les mandats de
Jacques Chirac et de George
W. Bush et dont la raison d’être a
souvent été décriée dans le climat
d’impunité qui règne au Liban.
Régi par un accord entre le gou­
vernement libanais et l’ONU, mal­
gré l’opposition du Parlement, le
tribunal a toujours suscité la
controverse. Pour l’avocate fran­
co­libanaise Alia Aoun, « l’état des
tribunaux et des prisons au Liban
est catastrophique et, chaque an­
née, le pays paie 49 % de la fac­
ture » du TSL. Le reste du budget
de quelque 55 millions d’euros an­
nuel est réglé par une trentaine
d’Etats, sur une base volontaire,
dont plusieurs pays du Golfe.
Au total, plus de 1 milliard de
dollars (840 millions d’euros) ont
été dépensés depuis 2005. Au
Liban, certains ironisent sur le
fait que « 1 milliard de dollars ont
été dépensés pour apprendre
qu’Ayyash avait téléphoné ». 
stéphanie maupas
et laure stephan
réponse est non. Le procès n’a eu
aucune influence sur ces ques­
tions », déplore Nizar Saghieh,
avocat et cofondateur de Legal
Agenda. Ce dernier a souvent ex­
primé des réserves envers le TSL,
estimant qu’il faisait prévaloir
la justice rendue aux « chefs poli­
tiques », alors que l’absence de
vérité continue de peser pour
d’autres victimes, comme les dis­
parus de la guerre de 1975­1990.
M. Saghieh plaide pour que la loi
sur l’indépendance de la jus­
tice, revendiquée par la contes­
tation, soit adoptée, rappelant
qu’« aucun des camps politiques
n’a cherché à la faire avancer ».
Il dénonce aussi les conditions,
dont les « conflits d’intérêts », dans
lesquelles se déroule l’enquête ac­
tuelle sur l’explosion du 4 août.
Beaucoup de Libanais craignent
que les responsabilités soient en­
terrées. « Une culture d’impunité
s’est installée depuis la guerre.
Le système politique en place
n’a aucune volonté d’y mettre fin,
puisqu’il est issu de cette impu­
nité », abonde Mme Hassoun Abou
Jaoudé. 
l. s., avec s. ms

0123
JEUDI 20 AOÛT 2020
Jill Biden, première conseillère de son mari
Joe Biden a officiellement été désigné candidat à la présidentielle américaine lors de la convention démocrate
milwaukee (wisconsin) ­
envoyé spécial
U
n « ticket » peut en
cacher un autre. Jeudi
20 août, au terme de
la convention vir­
tuelle de Milwaukee (Wisconsin),
Joe Biden doit accepter d’être le
candidat démocrate à la prési­
dentielle du 3 novembre avec la
sénatrice de Californie Kamala
Harris comme colistière. Mais
son discours doit consacrer aussi
l’accomplissement d’une autre
paire : celle très politique qu’il
forme avec sa femme, Jill Biden.
La deuxième soirée de la con­
vention démocrate, mardi
18 août, au cours de laquelle le
candidat a été officiellement in­
vesti, s’est d’ailleurs achevée par
une image du couple enlacé dans
une salle de classe de Wilmington
(Delaware), le lieu choisi par Jill
Biden, professeure de lettres,
pour vanter les qualités de son
mari. Un cadre synonyme de
l’authenticité revendiquée par les
La poste suspend sa réforme
Louis DeJoy, le directeur des services postaux américains,
a annoncé, mardi 18 août, la suspension jusqu’à l’élection
présidentielle de novembre des réformes du service du courrier
(retrait de boîtes à lettres, diminution des heures supplémentai-
res…) qui étaient destinées à faire des économies, mais qui
menaçaient de ralentir les livraisons. Plusieurs voix démocrates
se sont élevées ces derniers jours contre Donald Trump, accusé
d’essayer de ralentir le vote par correspondance, qu’il pense
favorable à son rival, Joe Biden. Le président américain
considère qu’une augmentation du nombre de bulletins de vote
transmis par correspondance entraînerait plus de fraudes.
Ces républicains qui changent de camp
Un mouvement anti­Trump s’est développé au sein du Grand Old
Party, dont plusieurs ex­responsables disent soutenir Joe Biden
washington ­ correspondante
D e manière inédite, plu­
sieurs personnalités ré­
publicaines ou ancien­
nement affiliées au Grand Old
Party (GOP) ont pris la parole,
lundi 17 et mardi 18 août, lors de la
convention démocrate pour
l’élection présidentielle améri­
caine, qui se tient jusqu’à jeudi de
manière virtuelle.
Dans une vidéo, dont la diffu­
sion a été annoncée à la dernière
minute, la veuve de l’ancien séna­
teur républicain de l’Arizona John
McCain, rival malheureux de B­
arack Obama à la présidentielle
de 2008, a insisté, mardi, sur
« l’amitié improbable » qui liait
son mari au candidat démocrate
Joe Biden. Sans lui apporter for­
mellement sa voix, Cindy McCain
a ainsi souligné la capacité de
M. Biden à surmonter les clivages
partisans, une qualité régulière­
ment mise en avant par l’équipe
de l’ex­vice­président pour rallier
les déçus du trumpisme.
« Unifier le pays »
Colin Powell, secrétaire d’Etat
dans l’administration de George
W. Bush et critique de l’actuel pré­
sident, s’est pour sa part dit con­
vaincu que le candidat démo­
crate restaurera « des valeurs à la
Maison Blanche ». M. Powell
s’était déjà prononcé pour la can­
didate démocrate, Hillary Clin­
ton, en 2016 et pour Barack
Obama en 2008 et 2012.
Parmi les anciens responsables
décidés à soutenir M. Biden, John
Kasich, l’un des adversaires répu­
blicains de Donald Trump lors de
l’élection de 2016, s’est montré le
plus disert. Lundi, cet ex­gouver­
neur de l’Ohio s’est dit « inquiet
pour le pays » et confiant envers
M. Biden, qu’il connaît « depuis
trente ans » pour « unifier le pays ».
« C’est un homme de foi, un
UPLOADED BY "What's News" vk.com/wsnws TELEGRAM: t.me/whatsnws
Biden puisqu’elle y avait enseigné
au début de sa carrière.
Une illustration aussi de la nor­
malité que le couple espère rame­
ner dans une Maison Blanche dé­
crite quelques minutes plus tôt
par l’ancien président Bill Clinton
comme l’empire du « chaos ». « Si
vous voulez un président qui définit
son travail par passer des heures
tous les jours à regarder la télévi­
sion et à flinguer les gens sur les ré­
seaux sociaux, c’est votre homme.
Nier, faire diversion, humilier, ça
fonctionne très bien si vous voulez
amuser la galerie et attiser les pas­
sions. Mais face à une vraie crise,
tout s’effondre comme un château
de cartes », avait­il grincé.
Comme c’est le cas en pareilles
circonstances, l’épouse du candi­
dat a apporté, mardi, une touche
très personnelle au message
martelé depuis deux jours à pro­
pos de l’empathie et la capacité
d’écoute que le candidat démo­
crate veut mettre à la disposition
d’un pays traversé par un cata­
clysme sanitaire et une profonde
homme sage, un homme respecta­
ble. » Visiblement soucieux de
rassurer les centristes de son
propre camp, il a aussi affirmé
que M. Biden ne prendrait pas
« un virage très à gauche ».
En quelques secondes chacune,
Christine Whitman, ex­gouver­
neure républicaine du New Jer­
sey, et Meg Whitman, ancienne
collectrice de fonds pour le GOP,
ont également exprimé leur sou­
tien à un « homme fort » face à un
président sortant qui « n’a pas de
programme ».
Lundi, quelques heures avant le
début de la convention, Miles
Taylor, ancien chef de cabinet au
département de la sécurité inté­
rieure, a rallié le candidat démo­
crate, devenant le plus important
responsable de l’administration
Trump à franchir le pas. Il a an­
noncé sa décision dans le
Washington Post, jugeant l’actuel
président « dangereux » pour le
pays. D’autres, à l’instar de John
Kelly, l’un des anciens chefs de
cabinet de Donald Trump, ont
simplement fait état de leur rejet
du président américain, sans
préciser leurs intentions le jour
de l’élection.
Face à ce nombre record de per­
sonnalités républicaines invi­
tées, certains démocrates se sont
montrés dubitatifs. Ainsi, selon
un sondage pour CBS News, seuls
38 % d’entre eux souhaitaient
voir M. Kasich prendre la parole,
regrettant qu’un responsable
politique aux convictions aussi
éloignées des leurs sur nombre
de sujets (avortement, fiscalité,
santé…) bénéficie d’une telle tri­
bune, quand une des figures
montantes de la gauche améri­
caine, la jeune New­Yorkaise
Alexandria Ocasio­Cortez, a vu
son temps de parole limité à
quatre­vingt­dix secondes.
Ce mouvement est médiatique­
ment amplifié par des organisa­
crise économique. Cette accessi­
bilité et cette simplicité avaient
déjà été illustrées un peu plus tôt
par le témoignage d’une em­
ployée d’une société de sécurité
affectée au siège du New York Ti­
mes. Jacquelyn Brittany est deve­
nue une fidèle enthousiaste de
l’ancien vice­président après un
échange impromptu dans un as­
censeur, à l’occasion d’une visite
au prestigieux quotidien qui avait
pourtant choisi de ne pas le
soutenir pendant les primaires
démocrates.
« Lourds fardeaux »
Jill Biden, elle, s’est appuyée sur
l’histoire tragique de son mari,
veuf à seulement 30 ans à la suite
d’un accident de la route en 1972
qui avait coûté la vie à sa première
femme et à sa première fille, et qui
a porté en terre, plus de quarante
ans plus tard, l’un de ses fils, Beau,
emporté par une tumeur au cer­
veau. « Comment rassembler une
famille brisée ? De la même ma­
nière que vous le faites pour une na­
tion entière. Avec amour et com­
préhension, avec de petits actes de
gentillesse. Avec bravoure. Avec une
foi inébranlable », a­t­elle assuré
dans une allusion transparente à
un pays miné par des divisions
que la présidence de Donald
Trump a accentuées.
« Quatre jours après les funé­
railles de Beau, j’ai regardé Joe se ra­
ser puis enfiler son costume. Je l’ai
vu s’armer face au miroir, prendre
sa respiration, redresser ses épau­
les, et affronter un monde dans le­
quel notre fils n’était plus. Il est re­
tions actives sur les réseaux so­
ciaux. Ainsi le Lincoln Project, un
groupe hyperréactif animé par
d’anciens républicains, multiplie
les publicités anti­Trump sur les
chaînes de télévision et les vidéos
efficaces sur Twitter et Facebook.
Dès avril, les fondateurs de ce
micromouvement officiellement
destiné à « battre Trump et le
trumpisme dans les urnes » ont
apporté leur soutien à « l’homme
du moment », l’ancien vice­prési­
dent de Barack Obama.
Faire barrage à une réélection
Dans un autre genre, le groupe
des « Républicains votant contre
Trump » publie, lui, les témoigna­
ges de centaines d’électeurs
déçus du trumpisme et détermi­
nés à faire barrage à une réélec­
tion du président.
Comme le résume aussi dans le
Washington Post Jennifer Rubin,
une chroniqueuse politique con­
servatrice critique de M. Trump,
« après les attaques incessantes
du président contre la Constitu­
tion, ses mensonges abjects, sa ré­
ticence à défendre la sécurité na­
tionale des Etats­Unis, les “Never­
Trumpers” ont accueilli avec joie
la nomination de Joe Biden, un
homme politique de centre gau­
che, respectueux des institutions
démocratiques ». Une rupture par
rapport à 2016, lorsque, malgré
des réserves déjà exprimées à
l’encontre de M. Trump, la per­
sonnalité clivante de Hillary
Clinton avait limité l’ampleur,
dans le camp adverse, de ces dé­
fections publiques.
Les responsables démocrates
espèrent que les témoignages de
personnalités républicaines ex­
primant ouvertement leur
soutien à M. Biden incitent cette
fois les déçus, les indécis et les in­
dépendants à glisser un bulletin
démocrate dans l’urne. 
stéphanie le bars
tourné travailler. Il est fait ainsi, a­t­
elle raconté. Les fardeaux que nous
portons sont lourds, a­t­elle assuré
à l’intention d’Américains rendus
anxieux par la pandémie et ses ré­
percussions sociales. Nous avons
besoin de quelqu’un aux épaules
solides. Je sais que si nous confions
cette nation à Joe, il fera pour votre
famille ce qu’il a fait pour la nôtre :
nous rassembler », a­t­elle affirmé,
aussi optimiste pour l’avenir de
son pays que l’ancienne première
dame Michelle Obama s’était
montrée inquiète au premier soir
de la convention.
A 69 ans, Jill Biden s’est pourtant
longtemps gardée d’être aux
avant­postes de la carrière de son
mari, qu’elle a épousé en 1977. Elle
a raconté dans ses Mémoires com­
ment elle avait lutté contre la pers­
pective d’une deuxième candida­
ture à la présidentielle, en 2003,
après une première tentative rapi­
dement avortée en 1987. Elle
n’avait pas hésité à manifester au
domicile familial en maillot de
bain, un « non » péremptoire ins­
crit au marqueur sur l’estomac,
face à des cadres démocrates ve­
nus solliciter le sénateur du
Delaware. Pendant les deux man­
dats de vice­président de ce der­
nier, Jill Biden a de même conti­
nué à enseigner, veillant scrupu­
leusement à se faire remplacer
lorsqu’elle accompagnait Joe Bi­
den au cours des visites à l’étran­
ger après avoir glissé des liasses de
copies à corriger dans ses bagages.
L’ancien vice­président, âgé
aujourd’hui de 77 ans, ne se serait
certainement pas lancé dans une
Bonnes Adresses
Antiquités
CAROLINE PONS
“Vu à la télé”
Record d’enchères
12 700€
avec le respect des mesures sanitaires en vigeur
RUBRIQUE BONNES
marie-cecile.bernard@mpublicite.fr
international | 5
veste kaki au dos de laquelle figu­
Le couple espère rait une formule énigmatique : « Je
ramener m’en fiche, pas vous ? » Lorsqu’elle
avait introduit son mari lors de sa
la normalité déclaration de candidature, en
à la Maison avril 2019, à Philadelphie, Jill Biden
avait choisi une veste noire frap­
Blanche, décrite pée du mot « Love ».
comme l’empire
Equipe féminisée
du « chaos » Joe Biden se repose depuis des dé­
cennies sur le même petit cercle
d’hommes désormais sexagénai­
nouvelle campagne sans le feu res, blancs, composé notamment
vert de son épouse. Après avoir de ceux qui furent ses bras droits
choisi de mettre entre parenthè­ successifs à la vice­présidence,
ses son métier pour la première Ron Klain, Bruce Reed et Steve
fois depuis la naissance de la fille Ricchetti, ainsi que le stratège
qu’elle a eue en 1981 avec Joe Biden, Mike Donilon. Jill Biden, cepen­
elle a été sur tous les fronts, dans dant, est loin de faire figure d’ex­
les Etats­clés des primaires démo­ ception dans ce cénacle. La sœur
crates, puis dans ceux où se jouera cadette de l’ancien vice­président,
l’élection de novembre, confor­ Valerie Biden Owens, est omnipré­
tant son statut de première con­ sente depuis ses premiers pas en
seillère. Selon la presse améri­ politique. Une ancienne de
caine, elle a pesé dans le processus l’équipe de Barack Obama, Anita
de sélection de Kamala Harris tout Dunn, a aussi joué un rôle déter­
comme dans la rédaction de la minant, en février, pour restructu­
partie du programme de Joe Biden rer la maigre équipe de campagne
qui concerne l’éducation. du démocrate après un résultat
Son histoire personnelle et particulièrement décevant lors
aujourd’hui son militantisme en
font le parfait contraire de l’ac­
des caucus de l’Iowa.
C’est par l’entremise de cette der­
tuelle First Lady, Melania Trump, nière que Joe Biden a pu s’attirer
tout comme le couple fusionnel les services de Jen O’Malley Dillon,
qu’elle forme avec Joe Biden se dis­ devenue en mars sa directrice de
tingue de celui produit par le troi­ campagne. Cette dernière a ra­
sième mariage de l’ancien homme jeuni et féminisé son équipe en
d’affaires aujourd’hui président. s’appuyant notamment sur des
Melania Trump avait interloqué quadragénaires issues du vivier de
l’opinion en 2018 quand elle s’était la présidence de Barack Obama et
rendue au Texas en pleine polémi­ qui pourraient toutes être des
que sur les séparations de familles filles de Jill Biden. 
de sans­papiers en portant une gilles paris
Tarifs 01/01/20
1 parution Professionnels Particuliers
Forfait 5 lignes
Forfait 10 lignes
65€ HT
110€ HT
65€ TTC
110€ TTC
Reproduction interdite marie-cecile.bernard@mpublicite.fr
ANTIQUITÉS LIVRES
ACHÈTE LIVRES ANCIENS
du 15e au 20e, bibliothèques d’érudits,
livres illustrés, dessins, éditions
originales, archives, estampes...
hubert.hoppenot@orange.fr
ACHAT AU DESSUS Tél. : 06 80 06 54 24
DE VOS ESTIMATIONS
ET EXPERTISES
« ART D’ASIE » : BIJOUX
CHINE, JAPON
ET MOYEN-ORIENT PERRONO-BIJOUX
06 07 55 42 30 --------------
P. MORCOS Anciens. Occasions argenteries.
EXPERT CNE Brillants. Pierres précieuses.
✶ Porcelaines et Bronzes
Création & transformation
✶ Cristal de Roche
✶ Corail et Ivoires Anc. réparations. Achats ventes.
✶ Jade blanc et couleurs Echanges sélectionné par le guide
✶ Cornes et Laques PARIS PAS CHER
✶ Peintures et Tissus anc.
✶ Manuscrits et Estampes
--------------
DEPLACEMENT OPÉRA : angle bd des Italiens
PARIS – PROVINCE 4, rue de la Chaussée d’Antin
morcospatrick@orange.fr Tél. : 01 47 70 83 61
ADRESSES

6 | international
Pourquoi les
ouvriers biélorusses
ont lâché «Batka»
La participation des travailleurs aux
manifestations a surpris le régime, qui fait
pression pour une reprise du travail
moscou ­ correspondant
A
u téléphone, notre in­
terlocuteur parle à
voix basse : « La direc­
tion nous a réunis,
écoutez ! » Au loin, une voix se fait
entendre, qui s’exprime de ce ton
paternaliste qui caractérise, pour
le meilleur et pour le pire, le
monde ouvrier dans les pays de
l’ex­Union soviétique : « Vous êtes
perdus, vous ne savez pas quoi
faire… Peut­être que les 80 %
[de voix officiellement accordées
à Alexandre Loukachenko lors du
scrutin présidentiel du 9 août]
étaient exagérées, mais le conflit
n’est pas la solution… »
La scène se passe à Soligorsk,
une ville du centre de la Biélo­
russie qui vit autour de l’im­
mense mine de potasse de l’en­
treprise Belaruskali, 25 000 em­
ployés. Alexeï Krotov, 46 ans dont
vingt­sept ans à la mine, reprend
le combiné : « Là ils font les gentils,
mais les menaces ne cessent de
pleuvoir. L’administration a pré­
venu que tous les grévistes se­
raient renvoyés, que ceux qui les
soutiennent auraient leur salaire
coupé. Les forces antiémeute sont
aux entrées des sites. Et ça mar­
che… Les gens ici ont des crédits,
des familles, nous sommes loin de
tout, sans aucune information.
Rappelez plus tard, je vous dirai
ce qu’est la vie d’un mineur, je
vous raconterai ce que “Batka”
[le Père, le surnom de Louka­
chenko] fait à ses enfants. »
L’estimation de M. Krotov,
confirmée par une autre source
indépendante, donne la propor­
tion des grévistes chez Belarus­
kali à 30 %, soumis à une pression
immense. Mais là comme ai­
lleurs, les images diffusées sur
les réseaux sociaux depuis une
semaine montrent que l’on a
massivement voté en faveur de
Svetlana Tsikhanovskaïa, la rivale
de M. Loukachenko aujourd’hui
en exil. Dans les réunions
En Allemagne, Merkel ménage ses successeurs potentiels
La chancelière a rendu une visite chaleureuse à Armin Laschet, à Düsseldorf, un mois après s’être affichée avec le Bavarois Markus Söder
berlin ­ correspondant
S i ce n’est pas un adoube­
ment, cela y ressemble. En
déplacement à Düsseldorf,
mardi 18 août, Angela Merkel a eu
des mots encourageants pour
son hôte, Armin Laschet, minis­
tre­président du Land de Rhéna­
nie­du­Nord­Westphalie, candi­
dat à la présidence de l’Union
chrétienne­démocrate (CDU) et
aspirant au poste de chancelier
fédéral après les élections législa­
tives de l’automne 2021.
« Armin Laschet a beaucoup de
qualifications. (…) Quand on gou­
verne le Land le plus grand d’Alle­
magne à la tête d’une coalition qui
travaille de façon efficace et sans se
déchirer, cela constitue un bagage
qui a du poids », a déclaré Mme Mer­
kel lors d’une conférence de presse
commune avec M. Laschet. « J’ai
également toujours pensé que,
quand on préside la CDU, on doit
être prêt à devenir chancelier », a­t­
elle également affirmé.
C’est peu dire que M. Laschet
attendait de telles paroles. Le
UPLOADED BY "What's News" vk.com/wsnws TELEGRAM: t.me/whatsnws
publiques, pas une main ne se
lève pour « Batka ».
Lundi 17 août, une scène a illus­
tré cruellement, mieux qu’aucun
chiffre, le divorce entre le prési­
dent et les ouvriers. Ce jour­là,
Alexandre Loukachenko se rend à
l’usine de tracteurs de Minsk,
MZKT. Les ouvriers ont été soi­
gneusement préparés, sélection­
nés. La rencontre doit effacer les
images de foules immenses le
conspuant, partout dans le pays.
« Vous les travailleurs, vous m’avez
toujours soutenu ! » En réponse,
une longue huée et des cris à n’en
plus finir : « Pars ! Pars ! »
« On a cru à ses mots doux »
A Soligorsk comme ailleurs, une
guerre souterraine est en cours, à
l’issue encore incertaine. Mais
cela ne change rien au mouve­
ment de fond. Au pays des usines
(un quart de la population active)
et des fermes collectives, les
ouvriers ont fait défection.
M. Loukachenko les avait érigés,
aux côtés des paysans, en symbo­
les de son modèle social et
idéologique dérivé de l’Union
soviétique – ils lui ont tourné le
dos. Dans les cortèges, ils se
placent en première ligne,
présence rassurante, emblèmes
d’une page qui se tourne.
Le mineur Alexeï Krotov a lui
aussi, à une époque, adhéré à ces
discours du président. « Je lui ai
fait confiance, dans les années
1990, se souvient­il. Tous ces
discours sur les ouvriers, toutes
ces promesses, ça nous a séduits.
Mineur, c’est un métier qui
apporte de la fierté, mais qui est
difficile. J’ai eu des dizaines de
collègues blessés ou mutilés. On a
cru à ses mots doux… »
Le « Loukachenkisme » n’est pas
qu’une affaire de mots. « Les
ouvriers des grandes industries na­
tionalisées ont été les premiers bé­
néficiaires du contrat social basé
sur le maintien du tout étatique, le
refus des privatisations, la stabilité
14 juillet, ses partisans n’avaient
pas caché leur agacement de
voir la chancelière rendre visite
au ministre­président de Bavière,
Markus Söder, chef de l’Union
chrétienne­sociale (CSU) et actuel
favori des sondages dans la
course à la chancellerie. Ce jour­là,
Mme Merkel s’était certes contentée
de dire que « la Bavière a un bon mi­
nistre­président ». Mais la mise en
scène de la rencontre − promenade
en bateau, tour de calèche, puis
réunion avec le gouvernement ba­
varois sous les dorures du château
de Herrenchiemsee − avait permis
à M. Söder d’afficher sa complicité
M. Laschet doit
tenter de conquérir
la présidence
de la CDU lors du
prochain congrès,
à Stuttgart, début
décembre
Des ouvriers de la mine de potasse Belaruskali, le 17 août, à Soligorsk (Biélorussie). REUTERS
de l’emploi et du salaire, rappelle
la sociologue Ioulia Shukan. Dans
le même temps, pour se prémunir
de toute contestation dans ce mi­
lieu, le pouvoir a introduit, au
milieu des années 2000, les
contrats à courte durée et a brisé
les syndicats indépendants. »
Ces contrats courts sont aujour­
d’hui le principal instrument uti­
lisé pour briser les grèves. Selon
Alexeï Krotov, face à la stagna­
tion économique et à la corrup­
tion, les ouvriers ont commencé
à se détourner du dirigeant dans
les années 2010 : « Dans chaque
usine, le directeur est un proche
du dictateur, qui place à son
tour ses fidèles et s’appuie sur les
collaborateurs du KGB dans cha­
que équipe. Une verticale du pou­
voir se recrée, avec la corrup­
tion en plus. »
Belaruskali (20 % du marché
mondial de la potasse) est l’une
des rares méga­usines encore
profitables, qui apportent des de­
vises fraîches à l’Etat (5,6 % de son
budget). Ailleurs, le modèle tient
essentiellement par les subven­
tions, autorisées par les finance­
ments russes. Leur diminution
progressive, ces dernières années,
a enrayé la machine et précipité la
disgrâce de M. Loukachenko dans
les milieux ouvriers. Les salaires
versés sont souvent inférieurs
aux salaires théoriques.
avec Mme Merkel afin de faire
oublier leurs désaccords passés.
Au grand dam de M. Laschet qui
espérait plus d’égards de la part de
celle qu’il a toujours fidèle­
ment soutenue.
Les termes élogieux utilisés par
Mme Merkel au sujet de M. Laschet,
mardi, contribueront­ils à donner
à la campagne de ce dernier la
dynamique qui lui a fait défaut
jusqu’à présent ? Rien n’est moins
sûr car ses handicaps sont im­
portants. Pour espérer devenir
chancelier, M. Laschet doit en ef­
fet conquérir la présidence de la
CDU lors du prochain congrès,
prévu à Stuttgart début décem­
bre. Or, à moins de quatre mois
de l’échéance, ce n’est pas lui le
favori. Selon un sondage de l’insti­
tut INSA réalisé du 17 au 20 juillet,
seulement 28 % des électeurs de
la CDU souhaiteraient le voir diri­
ger le gouvernement, contre 72 %
pour l’homme d’affaires Friedrich
Merz, soutenu par la frange
conservatrice du parti.
Pour l’emporter, le ministre­pré­
sident de Rhénanie­du­Nord­
Le scrutin du 9 août et les vio­
lences qui ont suivi ont été la der­
nière goutte d’eau. « Des salaires
qui stagnent, l’impossibilité de se
soigner correctement, l’absence
complète de libertés, un Etat qui
démissionne face au Covid­19,
énumère Alexeï Krotov, et en­
suite, la violence. J’ai vu des dizai­
nes d’adolescents se faire battre,
mes amis ont tous des traces de
coups sur le corps. Trois collègues
n’ont toujours pas réapparu. »
Dans la voix du mineur, les san­
glots se mêlent aux quintes de
toux. Lui dit n’avoir plus peur :
son fils est déjà adulte. « Toutes les
limites ont été dépassées. »
Inquiétude légitime
Le basculement des ouvriers est
aussi une affaire de génération.
Iouri Skvortsov a 23 ans, il n’a
connu que Loukachenko au pou­
voir et n’a jamais éprouvé de res­
pect pour ce président « cor­
rompu ». Electricien chez MAZ, fa­
bricant d’autobus et de camions à
Minsk, il fait partie des grévistes
de la première heure. « Le soir de
l’élection, je suis allé à mon bureau
de vote écouter l’annonce des ré­
sultats. J’ai vu les gens écarquiller
les yeux en entendant les chiffres »,
raconte­t­il au téléphone.
Le lendemain, le jeune homme
était dans la rue, face aux forces
antiémeute. « Tout le quartier
Westphalie compte sur le soutien
du populaire ministre de la santé,
Jens Spahn, lui aussi apprécié par
l’aile droite la CDU, à qui il a pro­
mis le poste de numéro deux en
cas de victoire. Ces dernières se­
maines, certains laissaient enten­
dre que celui­ci, face aux difficul­
tés de M. Laschet, pourrait être lui­
même candidat à la tête du parti.
Mais il a coupé court à ces ru­
meurs, lundi, assurant qu’il n’en­
tendait pas s’émanciper du ticket
que lui a proposé M. Laschet.
Se refaire une image
Dans la longue route qui le sépare
de la chancellerie, l’autre handi­
cap de M. Laschet est M. Söder.
Rien ne dit, en effet, que, si le pre­
mier est élu à la tête de la CDU en
décembre, le second acceptera de
le laisser être le candidat com­
mun des conservateurs à la chan­
cellerie fédérale moins d’un an
plus tard. Certes, la petite CSU ba­
varoise pèse peu, électoralement,
face à la grande CDU. Mais
M.Söder, ces derniers mois, s’est
taillé à la faveur de la crise du
« Dans chaque
usine,
le directeur
est un proche
du dictateur »
ALEXEÏ KROTOV
mineur à l’usine
de potasse Belaruskali
nous soutenait, même les grands­
mères. » Les images et les témoi­
gnages des personnes libérées du
centre de détention d’Okrestina
le « rendent fou ». Le mercredi, à
l’usine, il prend la parole publi­
quement pour appeler à la grève
– environ la moitié des employés
suivent le mouvement. Depuis, il
a dû changer de téléphone, après
avoir reçu des menaces, et ne
rentre plus chez lui qu’accompa­
gné de collègues. « Si le pouvoir
gagne, je suis foutu, résume­t­il.
Je devrai quitter le pays. »
Iouri Skvortsov assure avoir de­
mandé autour de lui si quelqu’un
avait voté Loukachenko et n’avoir
trouvé que deux vieilles dames.
« Même ceux qui le soutenaient
avant en ont marre, dit­il. Depuis
vingt­six ans, rien ne change. C’est
ce qui leur a plu pendant long­
temps, mais dont ils ne veulent
plus. Et les promesses n’ont jamais
Covid­19 une autorité et une sta­
ture qui l’ont fait passer du statut
de simple baron régional à celui
de potentiel dirigeant national.
M. Laschet, en revanche, a perdu
beaucoup de crédit pendant la
même période, d’abord en se
montrant hésitant à imposer des
mesures de restriction strictes
pour endiguer la propagation
du virus, ensuite en se faisant le
chantre d’un déconfinement
accéléré, au risque de donner le
sentiment qu’il minimisait la
gravité de l’épidémie.
Dans l’opinion, les conséquen­
ces ont été ravageuses. D’après
un sondage Kantar Emnid pour le
quotidien Bild, publié dimanche
16 août, seules 13 % des personnes
interrogées voient dans M. Las­
chet un possible chancelier,
contre 38 % pour M. Söder et 29 %
pour Olaf Scholz, l’actuel ministre
des finances de Mme Merkel, que
le Parti social­démocrate (SPD)
vient de désigner comme candi­
dat à la chancellerie.
Désormais, M. Laschet tente de
se refaire une image. Face à la ré­
0123
JEUDI 20 AOÛT 2020
rien donné. En Ukraine, même
avec la guerre, leur niveau de vie
est équivalent au nôtre. »
Iouri touche 440 roubles biélo­
russes (150 euros), soit « deux fois
moins que chez McDo », avec des
contrats d’un an renouvelables.
C’est pour ça, peut­être, que la
perspective d’une transition, si
chaotique soit­elle, ne l’effraie pas.
Le démantèlement de l’indus­
trie après un éventuel départ de
M. Loukachenko peut susciter
une inquiétude légitime. Le pré­
sident joue d’ailleurs sur cette
peur : « En six mois, tout sera
détruit », prévient­il le 17 août.
« Mon usine, elle aurait de toute fa­
çon dû mourir ou être réformée il y
a longtemps, soupire M. Skvort­
sov. Oui, Loukachenko a réussi à
maintenir quelques postes de tra­
vail, mais à crédit, sur fonds russes.
Cela ne pouvait pas tenir… »
« C’est l’argument des derniers
“loukachistes”, renchérit, à Soli­
gorsk, Alexeï Krotov, dont l’usine,
elle, est bénéficiaire. Ils disent que
ce sera comme en Russie, comme
en Ukraine, que les oligarques vont
arriver, que les usines et les mines
seront privatisées, pillées. Ils ont
peut­être raison, mais ce n’est plus
la question… D’abord la liberté !
Nous avons vécu comme des escla­
ves, très bien, mais nos enfants ne
seront pas des esclaves. » 
benoît vitkine
cente remontée des cas de
Covid­19, il a choisi de jouer cette
fois la carte de la fermeté. Il a no­
tamment décidé que le port du
masque serait obligatoire y com­
pris dans les salles de cours des
écoles de sa région, où la rentrée
s’est effectuée le 12 août. Aucun
autre Land n’a pris une mesure
aussi draconienne.
M. Laschet peut également es­
pérer tirer profit des récents ratés
qui ont eu lieu en Bavière, où
44 000 personnes qui se sont fait
dépister − principalement des
voyageurs de retour de l’étran­
ger − ont attendu pendant plu­
sieurs jours les résultats de leurs
tests. « Une grosse panne dont
nous devons nous excuser », a ad­
mis M. Söder. Ce qui n’a pas empê­
ché ses rivaux de lui rappeler la
petite phrase qu’il avait lâchée,
début juillet, et qui avait été inter­
prétée autant comme un éloge de
lui­même que comme une criti­
que de M. Laschet : « Seul celui qui
parvient à surmonter une crise
peut briller par temps calme. » 
thomas wieder

0123
JEUDI 20 AOÛT 2020
En Afrique du Sud, les ventres creux d’Alexandra
LA VIE SOUS COVID DANS LE TOWNSHIP D’ALEXANDRA 2|4 Un habitant sur cinq dit avoir souffert de la faim dans les sept derniers jours
REPORTAGE
johannesburg ­
correspondant régional
C
e n’est plus un problème,
c’est un malaise d’am­
pleur nationale. Pas seu­
lement de nature con­
ceptuelle, plutôt de ceux qui font
s’évanouir dans les files d’attente.
Dans l’ombre de l’épidémie due au
coronavirus, la faim est en train de
faire des ravages en Afrique du
Sud. Dans les villes, dans les cam­
pagnes, les estomacs sont creux et
de plus en plus creux. Les signes
en sont partout. Ce sont des hom­
mes qui crient, adossés à la clôture
des parkings, devant les super­
marchés, espérant qu’on leur fera
l’obole d’un peu de nourriture ti­
rée des sacs de courses. C’est la
multiplication des mendiants
dans tous les quartiers, y compris
à des intersections de routes où
pourtant personne ne ralentit,
parce que tous les autres carre­
fours sont déjà saturés d’hommes
et de femmes qui tendent des go­
belets au bout d’un bâton, pour
protéger d’une possible contagion
ceux qui veulent bien donner une
pièce ou un peu de nourriture.
A Alexandra, le grand township
à l’est de Johannesburg, depuis le­
quel on aperçoit les tours du quar­
tier des affaires et de tout l’argent
qui s’y étale, il n’y a pas de men­
diants. C’est ainsi, on ne mendie
pas dans le township. Mais, en ces
temps de privations, les gestes de
solidarité existent, comme la cui­
sine que fait Patience, chez elle,
sur la rue Florence­Moposho. Les
jeunes, les vieux, se glissent der­
rière sa grosse grille qui double la
portée d’entrée, quand elle a
réussi à réunir quelques dons et à
préparer des repas. On entre dans
sa toute petite cuisine avec son
contenant en plastique, une as­
siette, un verre, tout fait l’affaire. Il
y a même parfois un peu de
viande, du pain, un morceau de
Russian (grosse saucisse indus­
trielle bon marché qu’on débite en
fines tranches) aux étranges cou­
leurs fluo. Tout est organisé, méti­
culeusement. Tout est compté.
Une dame blanche des ban­
lieues riches l’aide, avec un peu
d’argent, des sacs de poulet bradé.
Elle a un grand coffre, pour
les courses. La dame est affiliée
au parti d’opposition, l’Alliance
Le Japon partagé entre sa fidélité à Washington et la peur de Pékin
Tokyo doute de la fiabilité de l’Amérique de Trump, au moment où la Chine affiche ses ambitions hégémoniques
ANALYSE
S oixante­quinze ans après
la défaite du Japon, le
15 août 1945, l’aggravation
des rivalités géopolitiques en Asie
orientale, sur fond de la triple
crise sanitaire, économique et po­
litique engendrée par la pandé­
mie, nourrit au Japon un senti­
ment d’anxiété. « L’ordre post­
guerre froide s’effrite et la question
de la sécurité du Japon doit désor­
mais être envisagée en tenant
compte de ce contexte et non plus
seulement en termes juridiques de
conformité ou non à la Constitu­
tion », estime le politiste Masayuki
Tadokoro de l’université Keio à
Tokyo. L’article 9 de la Constitu­
tion japonaise postule que le pays
« renonce à jamais à la guerre ».
Un contexte d’autant plus
tendu que, dans cette partie du
monde, la guerre froide ne fut pas
une période d’« équilibre de la ter­
reur » comme en Europe, mais de
« guerres chaudes » (en Corée et
au Vietnam) dont restent des sé­
quelles : dans la péninsule co­
réenne, deux armadas sur le pied
de guerre se font face depuis plus
UPLOADED BY "What's News" vk.com/wsnws TELEGRAM: t.me/whatsnws
Distribution de nourriture dans le township d’Alexandra, en Afrique du Sud, le 28 avril. SIPHIWE SIBEKO/REUTERS
démocratique (DA), et sans doute
fait­elle un peu de prosélytisme.
Parmi ceux qui viennent cher­
cher un peu de nourriture chez
Patience, il y a des vieux qui survi­
vent avec des riens, des enfants
qui ne vont plus à l’école, et leurs
parents. L’emploi à temps plein
est la plus rare des denrées. On
vient à la soup kitchen avec les
épaules rentrées, comme s’il fal­
lait bien s’appliquer avant de
tomber dans la phase suivante,
celle où il faudrait aller tendre la
main aux carrefours dans les gaz
d’échappement et l’indifférence
de la ville qui a de quoi manger.
Une injustice de plus
En contrebas, une distribution of­
ficielle de nourriture commence,
et c’est la ruée. Un ordre implaca­
ble, une injustice de plus, se dissi­
mule sous l’apparence d’empoi­
gnade. Sur la XVIIIe Avenue, non
loin de Lenin Drive, tout se passe ce
matin devant l’église méthodiste
triste aux allures d’usine désaffec­
L’évolution de la
donne géopolitique
en Asie orientale
va conduire Tokyo
à repenser
sa sécurité
d’un demi­siècle avec les risques
d’affrontements et d’une attaque
de missiles balistiques nord­co­
réens sur l’Archipel.
La confrontation entre la Chine
et les Etats­Unis, conjuguée à la ré­
pression à Hongkong et aux ris­
ques d’affrontements en mer de
Chine méridionale et orientale,
où croisent des navires de guerre
américains, chinois et japonais,
rappelle au Japon les ambiguïtés
de sa situation : voisin d’une
Chine perçue comme une me­
nace, il dépend pour sa sécurité de
l’alliance avec les Etats­Unis, dont
la fiabilité est loin d’être certaine.
La défaite de 1945 a fait de l’Archi­
pel l’instrument d’une politique
qui servait les intérêts du vain­
tée. Aujourd’hui, Sara Nophelo,
50 ans, n’a pas été sélectionnée,
pas plus qu’Owen, son fils. Pour­
tant, elle est clouée au lit par une
mauvaise blessure qui l’empê­
chera à jamais de travailler, avec
trois enfants à charge, et les esto­
macs crient famine chez elle. Ce
n’est pas un critère suffisant pour
avoir le droit à une distribution.
Devant le grand portail coulis­
sant de l’église en briques, des
agents de la municipalité condui­
sent les opérations. On fait entrer
certains habitants d’Alexandra,
les autres se voient barrer le che­
min. Les protestations sont vai­
nes. « On a faim », crie une femme
d’une voix éteinte. Nul ne prête
attention. On voit sortir des
chanceux avec deux miches de
pain et un sac de 5 kg de mielie­
meal (farine de maïs qui sert à
faire le pap, plat traditionnel sud­
africain). Ils pressent le pas pour
rentrer chez eux, balançant leur
prise du jour à bout de bras. Des
yeux envieux les suivent.
queur et dont il tira certes profit
pour bâtir sa prospérité et recon­
quérir une place sur la scène inter­
nationale. Mais, aujourd’hui, les
ambitions chinoises entament les
équilibres de cette pax americana
dont le Japon est la pierre de tou­
che. A la suite de l’effondrement
de l’Union soviétique en 1991 s’est
peu à peu dessinée une bipolarité
régionale fondée non sur des
blocs, mais sur des sphères d’in­
fluence dominées par la Chine ou
le duo Etats­Unis ­ Japon, qui riva­
lisent de programmes de finance­
ment au développement. Un
équilibre qu’une Chine conqué­
rante cherche aujourd’hui à faire
basculer à son avantage en com­
mençant par briser ce qu’elle es­
time être un encerclement.
A l’origine, le traité de sécurité
nippo­américain avait deux objec­
tifs : prévenir une attaque du Ja­
pon par l’URSS et contenir la
Chine. Objectif auquel répondait
la stratégie des grands archipels
(d’Hokkaido à Okinawa, en pas­
sant par Taïwan et les Philippines)
qui lui fermait le Pacifique. Avec
un bémol cependant pour le Ja­
pon : « Rouge ou bleu, la Chine est
« Cette fois, les familles n’ont plus
rien », se plaint une jeune femme
avec un bébé sur la hanche, en es­
sayant de jouer des coudes pour se
rapprocher du portail. A l’inté­
rieur, les agents semblent savoir,
d’avance, qui sera autorisé à en­
trer : « Il faut avoir reçu un SMS. » Et
comment le reçoit­on, ce SMS ? « Il
faut être sur les listes. » Quelles lis­
tes ? Il y en a plusieurs. Toutes sont
des compilations de noms d’obli­
gés. La distribution, comme toute
chose liée à l’aide publique, est un
enjeu de pouvoir. Les conseillers
(élus locaux) sont ceux qui exci­
tent le plus la colère. Ils détour­
nent les ressources à leur profit, ou
celui de leurs proches. Tous peu­
vent ainsi monnayer des faveurs, y
compris sexuelles, et préparer les
élections : vive la charité bien or­
donnée à l’ombre du coronavirus
et de l’effort national pour venir en
aide à un peuple appauvri.
« Ils volent les colis alimentaires
et les revendent pour 30 rands »,
dit une femme entre ses dents,
un marché », disait en 1949 le pre­
mier ministre, Shigeru Yoshida, à
la suite de l’arrivée au pouvoir des
communistes. Et longtemps le Ja­
pon sépara l’économique du poli­
tique, cherchant à mettre de côté
les sujets qui fâchent pour privilé­
gier les intérêts communs.
« Options inacceptables »
Aujourd’hui, la Chine est une puis­
sance mondiale aux ambitions hé­
gémoniques. Et Tokyo, qui déjà
avait réagi avec la plus extrême
prudence à la suite du massacre de
Tiananmen (1989), se contente de
déplorer la répression qui s’abat
sur Hongkong, et ne va pas au­delà
d’un éventuel report de la visite du
président Xi Jinping (dont la ve­
nue, attendue en avril, a été ajour­
née par la pandémie), préférant
ignorer le sort des Ouïgours. « Le
Japon n’est pas en position de se
confronter à la Chine en se compor­
tant comme ses alliés américains
ou européens », fait valoir Akihiko
Tanaka, président de l’Institut
d’études politiques à Tokyo.
La position en retrait du Japon
« sera de plus en plus difficile à
tenir si la détérioration des rela­
international | 7
Les élus locaux
sont ceux
qui excitent
le plus la colère,
détournant
les ressources
à leur profit
pour ne pas être entendue. Trente
rands, c’est 1,50 euro, une somme
que personne n’a sous la main, ici,
dans la petite foule. Une fille qui
attend là, chaussée de mules d’in­
térieur roses, se fait bousculer par
un homme en pantalon de jardi­
nier. Il se fait repousser sèche­
ment. Lui non plus n’est pas sur la
« liste ». Elle connaît la clé qui per­
mettrait d’entrer et de ressortir
avec des victuailles : « Si vous êtes
jolie, ils vous laissent entrer, bien
sûr. Mais si vous êtes laide, comme
nous, il n’y a rien à espérer. »
tions entre Pékin et Washington se
poursuit », estime Robert Dujar­
ric, codirecteur de l’institut sur
l’Asie contemporaine de Temple
University, à Tokyo.
A moyen terme, aucun scénario
ne satisfait pleinement le Japon.
Un désengagement américain le
laisserait en tête­à­tête avec la
Chine. Mais une entente entre Pé­
kin et Washington ne serait pas
pour autant bienvenue, car elle se
ferait probablement au détriment
des intérêts japonais. Quant à un
affrontement entre la Chine et les
Etats­Unis, il ferait de l’Archipel (et
de la Corée du Sud) la première ci­
ble, en raison de la présence des
bases militaires américaines.
L’évolution de la donne géopoli­
tique en Asie orientale et les inter­
rogations sur la fiabilité des enga­
gements américains vont con­
duire le Japon à repenser sa sécu­
rité, estime Masayuki Tadokoro.
« Il aura deux options : réviser sa
Constitution pour se doter d’une
puissance militaire dissuasive ou
accepter l’hégémonisme chinois
sur la région. Toutes deux, pour
l’instant, inacceptables pour la ma­
jorité des Japonais. » Pour éviter
La première étude du National
Income Dynamics Study, un orga­
nisme d’Etat qui a fait appel à plus
de trente chercheurs pour mener
des enquêtes, vient de rendre pu­
blics des résultats qui montrent le
phénomène de la faim à l’œuvre :
47 % des ménages interrogés dé­
clarent avoir atteint la fin de leurs
ressources, salaires, économies,
prêts, et ne plus être en mesure
d’acheter de la nourriture. Une
personne sur cinq déclare avoir
souffert de la faim dans les sept
derniers jours. Au total, estiment
les ONG sud­africaines, près d’un
million de colis alimentaires,
dont l’essentiel sous la supervi­
sion des autorités, ont pourtant
été distribués depuis la mise en
place du confinement, en mars.
Ecarts de prix inexplicables
Or, un peu plus d’un mois plus
tard, c’est­à­dire en mai, 3 mil­
lions de personnes avaient perdu
leur emploi dans le pays. Même à
Alexandra, où le taux de chô­
mage s’établissait déjà au­dessus
de 50 %, cela a tout bouleversé.
Sans compter que le plan natio­
nal d’aide aux démunis a donné
lieu à de multiples détourne­
ments. Sans doute leurs « bénéfi­
ciaires » se sentaient­ils au­des­
sus des lois et des sanctions.
Le fils du secrétaire général
de l’ANC (Congrès national afri­
cain), Ace Magashule, a ainsi béné­
ficié d’un contrat d’un montant
de 2,7 millions de rands
(130 000 euros), qui représente
90 000 colis alimentaires vendus
au clair de lune à Alexandra. L’Al­
liance démocratique a relevé des
écarts de prix inexplicables entre
différents lots, montrant que les
prix avaient été gonflés. Parmi les
aliments de base figurant sur la
liste des produits composant ces
colis, du sucre, de l’huile, des légu­
mes secs. Sur la XVIII e Avenue, rien
de tout cela n’est visible. Il n’y a
déjà plus de pains pour les derniers
de la liste. Les autres repartiront le
ventre creux, toujours creux. 
jean­philippe rémy
Prochain article Dans le foyer
des femmes, le secret des morts
Retrouvez en ligne l’ensemble de nos contenus
d’en arriver là, le Japon cherche à
renforcer son influence régionale
et mondiale en multipliant les
partenariats et en se présentant
comme un pilier de la démocratie
libérale et du multilatéralisme.
Une diplomatie qui, en Asie du
Sud­Est, en a fait un partenaire de
confiance (ce qui n’est pas le cas de
la Chine et des Etats­Unis). Une
perception loin d’être partagée en
Asie du Nord­Est. En particulier par
le voisin et allié, la Corée du Sud,
autre démocratie d’Asie orientale
(avec Taïwan), en raison des con­
tentieux hérités de la colonisation
japonaise de la péninsule – que
Séoul instrumentalise souvent à
des fins de politique intérieure.
L’histoire dans sa fonction identi­
taire est un outil de contrôle social
dont aucun gouvernement n’est
prêt à se dessaisir – a fortiori lors­
que sa popularité décline.
Ce passé qui empoisonne les re­
lations entre deux pays jette une
ombre sur l’ambition du Japon de
fédérer les démocraties de la ré­
gion Indo­Pacifique pour faire
contrepoids à la « nouvelle route
de la soie » chinoise. 
philippe pons
 UPLOADED BY "What's News" vk.com/wsnws TELEGRAM: t.me/whatsnws

FRANCE
0123
8| JEUDI 20 AOÛT 2020

É D U C AT I O N

Inquiétudes 
sanitaires avant 
la rentrée scolaire
Les acteurs de l’école jugent le protocole
annoncé fin juillet insuffisant. Le ministre
de l’éducation pourrait s’exprimer rapidement

Q
uinze jours avant le retour
en classe, la promesse
d’une rentrée « normale »
semble peu à peu s’éloi­
gner. Les indicateurs épi­
démiques se dégradent et,
alors que la ministre du
travail, Elisabeth Borne, a annoncé, mardi
18 août, que le port du masque serait « systé­
matisé » dans les entreprises, des voix s’élè­
vent dans la communauté scolaire pour de­
mander des précisions sur les conditions sa­
nitaires du retour à l’école.
L’éducation nationale avait pourtant anti­
cipé en diffusant dans les académies, le
20 juillet, un « guide sanitaire » pour la ren­
trée 2020. Ce texte, en ligne sur le site du
ministère, visait à simplifier les modalités
d’organisation pour les établissements – à
une période où l’épidémie de Covid­19 sem­
blait moins menaçante.
Ce document rappelle que la distanciation
physique n’est plus obligatoire depuis le
22 juin dans les écoles, collèges et lycées,
« lorsqu’elle n’est pas matériellement possible
ou qu’elle ne permet pas d’accueillir la totalité
des élèves ». Il supprime également l’obliga­
tion de porter le masque pour les adultes à
l’école maternelle. Les adultes et enfants de
plus de 11 ans doivent le mettre, mais il n’est
obligatoire en classe que lorsque « la distan­
ciation d’un mètre ne peut être garantie ». En
outre, le texte du 20 juillet met fin à la limita­
tion du brassage entre groupes d’élèves, très
contraignante pour l’organisation scolaire.
Pour certains, ce guide sanitaire paraît
désormais en deçà des enjeux, alors que la
crainte d’une deuxième vague de contami­
nations s’est amplifiée au cours du mois
d’août. « Ce protocole est basé sur la situation
de juillet, et nous semble aujourd’hui un peu
léger, juge Sophie Vénétitay, du SNES­FSU. On
porte le masque au supermarché, dans les res­
taurants… Pourquoi pas dans les salles de
classe ? Ce décalage avec la réalité, que cha­
cun peut constater autour de soi, génère de
l’inquiétude. »
« EN DEHORS DE LA SOCIÉTÉ »
Dans la communauté éducative, cette ques­
tion du masque cristallise les craintes.
« L’école doit pouvoir appliquer les mêmes rè­
gles qu’ailleurs dans le monde du travail, sur­
tout à ce stade de la crise où les gens s’habi­
tuent à porter le masque », plaide ainsi Guis­
laine David, secrétaire générale du SNUipp­
FSU, qui réclame de rétablir le port du masque
pour les adultes en maternelle.
Chez les parents, des interrogations com­
mencent également à poindre – même si
rien n’indique un changement de doctrine
sur la date de reprise ou la volonté, martelée
par l’éducation nationale, d’accueillir tous
les élèves à l’école. Là encore, c’est le décalage
Dans une salle de
classe, sur l’île de
Groix (Morbihan),
le 12 mai. LOÏC VENANCE/AFP
avec le reste de la vie collective qui inquiète.
« L’IDÉE DE PORTER Pour la Fédération des conseils de parents
UN MASQUE TOUTE LA  d’élèves (FCPE), l’école est ainsi traitée
comme étant « en dehors de la société » : « On
JOURNÉE N’ENCHANTE  a l’impression qu’il ne s’est rien passé et que la
vie va reprendre comme avant », regrette son
PERSONNE. MAIS  président, Rodrigo Arenas, chez nos confrè­
res du Huffington Post.
LES ENSEIGNANTS  Avec l’avancée des connaissances sur la
VEULENT ÉVITER DE  transmission du virus dans l’air, les experts
préconisent désormais d’appliquer la dis­
REVIVRE UNE ANNÉE  tance sociale et le port du masque dans les
lieux clos. Dans une tribune publiée par Libé­
COMME CELLE QUI  ration le 14 août, un collectif de profession­
VIENT DE S’ÉCOULER » nels de santé plaidait pour le masque dans les
salles de classe, en rappelant le risque de
STÉPHANE CROCHET transmission par aérosol viral.
secrétaire général du SE-UNSA Le Haut Conseil de la santé publique devrait
rendre un avis dans les prochains jours, qui
insistera sur l’importance combinée du
masque et de la distance sociale. « Le port du
masque ne suffit pas à lui seul, résume ainsi
Didier Lepelletier, médecin hygiéniste et de
santé publique au CHU de Nantes et mem­
bre du Haut Conseil. Parce qu’il ne filtre pas
tout, parce qu’on ne le porte pas toujours
comme il faut, et parce qu’il y a forcément un
moment où les enfants vont l’enlever. »
Le risque de voir les écoles se transformer
en foyers de contamination est par ailleurs
réel, malgré la faible prévalence du virus
chez les jeunes enfants. Dans une lettre
ouverte diffusée mercredi 19 août, des
sociétés savantes de pédiatrie alertent aussi
sur l’importance de vacciner les enfants
contre les virus saisonniers comme la
grippe, pour prévenir l’engorgement des
hôpitaux en cas de deuxième vague.

A La Réunion : « Jusqu’à quand va­t­on devoir porter le masque ? »

Les élèves de l’île effectuaient leur rentrée à partir de lundi. Plusieurs écoles n’ont pas pu ouvrir à cause de l’épidémie

saint­denis (la réunion) ­ certains, cinq mois d’interruption. D’autres pourraient à leur tour barrières, il n’y a pas de raison que Au cours de cette première jour­
envoyé spécial « NOUS AVONS LES  Une rentrée forcément particu­ être concernées. Ainsi, dans ça se passe mal », a­t­il ajouté. née de déplacement essentielle­
MASQUES, LES TESTS,  lière, sous haute surveillance, l’après­midi de lundi, l’école Léon­ Pourtant, les inquiétudes de­ ment consacrée à la rentrée sco­

A l’entrée du collège Jean­

Le­Toullec, dans la com­
mune du Port, à une ving­
taine de kilomètres à l’ouest de
Saint­Denis, le chef­lieu de La Réu­
nion, deux membres du person­
nel aspergent de solution hydroal­
coolique les mains des nouveaux
arrivants. Le port du masque est
obligatoire. Accueilli par la princi­
pale du collège, Karine Darlay, le
ministre des outre­mer, Sébastien
Lecornu, en déplacement depuis
lundi 17 août dans ce département
de l’océan Indien pour quatre
jours, se soumet au protocole.
Pour les vingt­deux élèves d’une
des sept classes de 6e de l’établis­
sement, c’est la première journée
au collège. Ils sont regroupés par
binômes, sans être placés en vis­
à­vis. Sagement assis sur un côté
de la salle, les parents d’élèves qui
le souhaitaient ont été autorisés à
assister à la matinée.
« Est­ce que le port du masque,
c’est supportable pour vous ? »,
lance le ministre à la jeune classe.
LES GESTES BARRIÈRES, 
IL N’Y A PAS DE RAISON 
QUE ÇA SE PASSE MAL »
SÉBASTIEN LECORNU
ministre des outre-mer
Spontanément, plusieurs voix lui
répondent « non »… S’enhardis­
sant, un élève lui demande :
« Pourquoi, il y a deux semaines, on
portait pas de masque et, mainte­
nant, on doit le mettre partout ? »
« C’est le virus qui nous dit com­
ment se comporter », lui répond le
ministre. « Jusqu’à quand va­t­on
devoir le porter ? », l’interroge un
autre. « Je ne sais pas. »
Deux semaines avant la métro­
pole, les élèves réunionnais effec­
tuaient, à partir du lundi 17 août,
leur rentrée : 221 600 écoliers, col­
légiens et lycéens s’apprêtaient à
reprendre le chemin de leur éta­
blissement scolaire après, pour
alors que l’île connaît un rebond
de l’épidémie. Dimanche, la pré­
fecture de La Réunion et l’agence
régionale de santé (ARS) annon­
çaient 39 nouveaux patients testés
positifs au Covid­19 ; lundi, 25 nou­
veaux cas ont été enregistrés, por­
tant le total à 880 depuis l’appari­
tion du premier cas, le 11 mars.
La déclaration, ces derniers
jours, de foyers de contagion
dans le quartier de Sainte­Clo­
tilde, dans l’est de Saint­Denis, a
conduit Ericka Bareigts, la maire
(Parti socialiste) de la plus
grande ville du département
(près de 150 000 habitants), à an­
noncer, à l’issue d’une réunion
avec le préfet, Jacques Billant, et
la nouvelle rectrice, Chantal Ma­
nès­Bonnisseau, le report d’une
semaine de la rentrée dans vingt­
quatre écoles situées à Sainte­
Clotilde. Une autre école, Notre­
Dame­de­la­Salette, est restée
fermée à Saint­André après
qu’un membre du personnel a
été testé positif.
Dierx, à Saint­Denis, a dû fermer
ses portes pour deux semaines :
une enseignante de retour de va­
cances en métropole venait d’ap­
prendre, à la suite de son dépis­
tage, qu’elle avait été testée posi­
tive. Dans la matinée, elle avait as­
suré la rentrée scolaire avec les
enfants de sa classe et été en con­
tact avec le personnel de l’école et
ses collègues enseignants.
« Responsabilité individuelle »
Malgré ces quelques accrocs, le mi­
nistre des outre­mer, M. Lecornu,
s’est voulu résolument positif et a
estimé que la rentrée s’était globa­
lement bien passée dans les
670 établissements de ce départe­
ment insulaire. « Parents et élèves
voulaient reprendre l’école, le taux
d’absentéisme est faible ce lundi »,
a­t­il déclaré en fin de journée lors
d’un entretien sur la chaîne de té­
lévision Réunion La 1re, bien que
les chiffres de l’absentéisme ne
soient pas connus. « Nous avons
les masques, les tests, les gestes
meurent. L’antenne réunionnaise
de l’Union nationale des associa­
tions autonomes de parents d’élè­
ves a réclamé, en vain, que la ren­
trée soit reportée « a minima au
lundi 31 août ». Elle plaide égale­
ment pour une « septaine obliga­
toire » pour tous les voyageurs en­
trant ou de retour sur le territoire.
Un sujet qui continue de faire
débat, y compris parmi les élus.
Plusieurs d’entre eux, lors d’une
réunion du comité de crise qui
s’est tenue au conseil départe­
mental, ont demandé que soit ré­
tablie la septaine levée quand a
été mis fin à l’état d’urgence sani­
taire, et que le test à J + 7 pour les
nouveaux arrivants soit rendu
obligatoire. S’il est obligatoire de
se faire tester au départ avant de
prendre l’avion pour La Réunion,
seuls 30 % des passagers effec­
tuent ce nouveau test sept jours
après leur arrivée. M. Lecornu a
expliqué que leurs demandes se
heurtaient à « des contraintes lé­
gales et constitutionnelles ».
laire dans ce contexte de crise sa­
nitaire, le ministre des outre­mer
s’est appliqué à saluer « l’effort col­
lectif pour préparer cette rentrée et
reprendre le chemin de l’éducation
dans la plus grande protection sa­
nitaire ». Il a également multiplié
les appels « au sens civique et à la
responsabilité individuelle ».
« Tous les clusters identifiés sont
dus à des formes de relâchement,
lors de rassemblements familiaux
ou de soirées festives détournées,
a insisté M. Lecornu. Cela nous
impose de durcir les mesures de
protection. Mais l’Etat ne peut pas
tout en la matière. On peut pren­
dre toutes les mesures de la terre,
soit nos concitoyens ont envie de
participer à cette bataille contre le
virus, soit ils n’y participent pas. A
un moment donné, il y a une
question de responsabilité indivi­
duelle. » C’est le message
qu’il aura martelé tout au long
de cette première journée à
La Réunion. 
patrick roger
 UPLOADED BY "What's News" vk.com/wsnws TELEGRAM: t.me/whatsnws
0123
JEUDI 20 AOÛT 2020
Sans préciser s’il reviendra sur la question
des masques avant la rentrée, le ministère de
l’éducation nationale défend le choix de pri­
vilégier un cadrage souple, qui laisse la place
aux ajustements du terrain et à une gestion
« au cas par cas » par les rectorats, les préfectu­
res et les agences régionales de santé.
Mais alors que la traditionnelle conférence
de rentrée est programmée pour le 26 août,
le ministre Jean­Michel Blanquer pourrait
être amené à prendre la parole dès la fin de la
semaine, pour donner des précisions sur le
volet sanitaire du retour en classe. Une prise
de parole attendue par les organisations syn­
dicales : « Le 26 août, il restera trois jours
avant la rentrée pour tout organiser », souli­
gne Sophie Vénétitay.
LIGNE DE CRÊTE
L’éducation nationale joue ainsi une parti­
tion délicate : sommée par les syndicats de
se prononcer rapidement, elle ne peut figer
trop tôt des règles rigoureuses, qui réclame­
ront des ajustements – non sans avoir viré au
casse­tête dans des territoires où les locaux et
les façons d’organiser la vie scolaire ne se
ressemblent pas.
« Il y a des choses simples dans certains éta­
blissements et très compliquées dans d’autres,
en fonction de la configuration des lieux », rap­
pelle ainsi Florence Delannoy, proviseure du
lycée international Montebello de Lille et se­
crétaire générale adjointe du SNPDEN­UNSA,
qui plaide pour que les chefs d’établissement
aient au maximum « les mains libres » dans
l’organisation de leur rentrée. « On a l’habi­
tude de s’adapter en continu, c’est ce qu’on a
fait pendant le confinement », rappelle­t­elle.
Une chose est sûre, l’ensemble de la com­
munauté éducative partage l’angoisse de re­
vivre la situation du printemps, lorsque la
crise sanitaire a brutalement obligé les ensei­
gnants, les élèves et leurs familles à basculer
dans l’enseignement à distance. « L’idée de
porter un masque toute la journée n’enchante
personne, résume Stéphane Crochet, du SE­
UNSA. Mais les enseignants veulent éviter à
tout prix de revivre une année comme celle qui
vient de s’écouler. »
Le SNUipp­FSU, qui réclame le report de la
rentrée « pour permettre aux équipes de s’or­
ganiser », ne dit pas autre chose : « Les ensei­
gnants ont hâte de retrouver les élèves, selon
Guislaine David. Mais l’enjeu est justement de
pouvoir les accueillir, sans que les écoles ne de­
viennent des accélérateurs de l’épidémie. » En
avançant sur une ligne de crête entre accueil
de tous les enfants et gestion du risque. 
violaine morin
Les pédiatres se mobilisent et font part
de leurs inquiétudes au ministère de la santé
Dans une lettre ouverte, les sociétés savantes de la discipline demandent notamment une
vaccination contre la grippe et la gastro­entérite, pour faciliter les diagnostics
L es pédiatres sont inquiets
en raison de la « persistance
de la circulation du virus ac­
compagnée, ces dernières semai­
nes, d’une augmentation significa­
tive du nombre de cas dans certai­
nes régions », et appellent à des
mesures plus claires, à quelques
jours de la rentrée. « Le risque de
survenue de contamination par le
SARS­CoV­2, aussi bien chez les en­
fants que chez les adultes qui les en­
cadrent, est réel, avertissent, dans
une lettre ouverte diffusée mer­
credi 19 août, sept sociétés savan­
tes de pédiatrie. Nous ne pouvons
que nous montrer inquiets devant
l’organisation de la rentrée telle
qu’elle se profile, tant sur le plan de
la prévention que sur celui de la
prise en charge des enfants. »
Les moins de 18 ans représen­
tent, certes, moins de 5 % de l’en­
semble des cas de Covid­19 rappor­
tés dans le monde et ils ont
majoritairement des formes peu
graves ou asymptomatiques, se­
lon l’agence de sécurité sanitaire
Santé publique France. « Les en­
fants de moins de 10 ans sont
moins souvent contaminés par ce
virus et moins contaminants que
les adultes », constate ainsi le pro­
fesseur Robert Cohen, pédiatre
infectiologue à l’hôpital intercom­
munal de Créteil et vice­président
de la Société française de pédiatrie.
« Mais il faut absolument éviter de
dire qu’ils ne sont pas contamina­
teurs », prévient­il.
Dans ce courrier, les pédiatres
appellent aussi à ne pas tester
« systématiquement » les enfants
avec les tests PCR devant des épiso­
des de fièvre, de toux ou de diar­
rhée. « Ces tests actuels nasopha­
ryngés, outre leur aspect désagréa­
ble, ont un rendement modeste
– car le taux de positivité est faible
chez l’enfant –, un coût certain et
nous exposent à des refus des en­
fants et/ou des parents, et le délai
peut aller jusqu’à plusieurs jours
En Italie, des règles difficiles à appliquer
La rentrée est vue comme une priorité : les établissements sont fermés depuis début mars
rome ­ correspondance
C’ est une mise en garde
qui peine à cacher une
forme d’inquiétude.
Dans un entretien au quotidien
La Repubblica publié lundi
17 août, le ministre de la santé,
Roberto Speranza, a lancé un ap­
pel aux jeunes Italiens : « Aidez­
nous à garder la contagion sous
contrôle. » Un rappel inévitable
selon lui « pour affronter le défi de
la réouverture des écoles, le vrai
centre des relations sociales du
pays ». La veille, le ministre avait
signé un décret fermant toutes les
discothèques dans le pays, alors
que l’âge moyen des contagions a
sensiblement baissé ces dernières
semaines. Et, depuis quelques
jours, les 8,3 millions d’élèves ita­
liens semblent être de nouveau
au centre de toutes les attentions.
Alors que dans plusieurs pays
d’Europe la réouverture des clas­
ses et ses modalités ont fait, avant
l’été, l’objet de débats passionnés,
l’école italienne était, elle, tombée
dans l’oubli. Fermées par décret le
5 mars (fin février en Lombardie et
Vénétie, premiers foyers de l’épidé­
[pour la réalisation du test et pour
l’obtention des résultats] », esti­
ment­ils. « Le poids sanitaire de
cette rentrée va dépendre des me­
sures appliquées face au nombre
élevé de situations de suspicion de
la maladie en raison de symptômes
très peu spécifiques, la plupart du
temps engendrés par d’autres
agents pathogènes viraux ou bac­
tériens », poursuivent les pédia­
tres. Ils demandent donc des tests
moins invasifs, plus rapides,
comme les tests salivaires, « l’ob­
jectif devant être plus d’évaluer le
risque de contagiosité que d’élimi­
ner le diagnostic de Covid­19. »
« Nous sommes très inquiets »
Les demandes de tests sont
d’autant plus pressantes que les
épisodes viraux hivernaux, fièvre,
toux, rhume, diarrhée… sont fré­
quents. Certes, ces virus saison­
niers habituels devraient être frei­
nés par les mesures d’hygiène et
les gestes barrière mais ils ne de­
vraient pas disparaître, a fortiori
au sein des collectivités d’enfants.
Or, il est difficile de distinguer des
symptômes de grippe, de gastro­
entérite de ceux du Covid­19, très
variés. « Pour la majorité des infec­
tions virales, on dit aux parents,
c’est viral », explique Elise Launay,
professeure de pédiatrie au CHU
de Nantes.
Toujours afin d’éviter de tester
les enfants dès qu’ils sont mala­
des, les pédiatres préconisent, à
l’instar de l’Académie de méde­
cine, que le vaccin de la grippe soit
élargi et que celui contre le rotavi­
rus, agent numéro un de la gastro­
entérite de l’enfant, soit recom­
mandé et remboursé, ce qui n’est
pas le cas aujourd’hui.
« Nous sommes très inquiets, car
nous avons chaque année en
pédiatrie les épidémies de grippe,
de gastro­entérite et de bronchio­
lite », insiste le professeur Cohen.
« Une vaccination contre la grippe
mie) au moment où l’Italie amor­
çait son confinement, les classes
ne rouvriront que le 14 septembre,
date choisie par le gouvernement.
Un long sommeil de six mois, du
jamais­vu dans le pays. Mais elles
ne rouvriront que si l’épidémie est
contenue. Car, au fil des semaines,
l’incertitude gagne en Italie, pour
ne pas dire la nervosité.
Tout au long de l’été, Lucia Azzo­
lina, la ministre de l’éducation na­
tionale (Mouvement 5 étoiles), a
semé le trouble chez les parents,
expliquant par exemple envisager
la rentrée en « demi­classes », la
moitié des élèves suivant les cours
à distance. Une situation impossi­
ble à mettre en pratique qui l’a fait
revenir sur ses propos.
Vétusté des écoles
Si la situation sanitaire dans la
Péninsule reste pour l’heure sous
contrôle, beaucoup prédisent
néanmoins une rentrée compli­
quée. La distanciation obligatoire
d’un mètre entre chaque élève a
nécessité l’investissement de
2,5 millions de pupitres indivi­
duels pour aménager les salles de
classe, mais la livraison de ce ma­
DE NOMBREUSES ÉTUDES 
INDIQUENT QUE LES 
ENFANTS TRANSMETTENT  cluster de crèche ou d’école des en­
MOINS LE SARS­COV­2
élargie réduirait une partie des con­
sultations pour syndromes respira­
toires aigus », estime le professeur
Alexandre Belot, rhumato­pédia­
tre à l’Hôpital Femme Mère Enfant
de Lyon. L’Académie de médecine
avait déjà recommandé en mai
l’élargissement de la vaccination
contre la grippe, notamment
« pour sensibiliser la population
aux risques d’une co­épidémie ».
L’académie a appelé en juillet à
« généraliser la vaccination contre
le rotavirus des petits nourris­
sons », proposition reprise par les
pédiatres. Chez les nourrissons,
430 000 épisodes de gastro­enté­
rite aiguë sont recensés chaque
année, dont 14 000 hospitalisa­
tions et une dizaine de décès,
rappellent les académiciens. Or,
« de 15 % à 30 % des enfants hospi­
talisés ou vus en consultation pour
Covid­19 ont des signes digestifs,
dont la diarrhée, ce qui rend très
difficile le diagnostic différentiel
avec les gastro­entérites à rotavi­
rus », alertent les pédiatres. « Il
faut réduire ces maladies pour ré­
duire les opportunités de diagnos­
tic », insiste Robert Cohen.
Pour des règles plus claires
La question de savoir si les enfants
sont moins contaminants est
aussi pressante, à quelques jours
de la réouverture des classes. En
France, 492 enfants de moins de
9 ans ont été testés positifs au
SARS­Cov2, et 1 255 chez les
10­19 ans, pour la semaine du
10 août, des chiffres en hausse de­
puis mi­mai, selon les données de
Santé publique France, avec un
tériel devrait, pour des raisons lo­
gistiques, s’étaler jusqu’au mois
d’octobre. En l’absence de ces
nouveaux bureaux, ou si la dis­
tance ne peut être respectée, le
masque sera obligatoire pour les
enfants au­dessus de 6 ans. « C’est
déjà difficile de le porter pour les
adultes, imaginez les enfants pen­
dant toute une journée ! », s’est
emporté Antonello Giannelli,
président de l’Association des pro­
viseurs d’Italie.
Selon les dernières recomman­
dations du ministère de la santé,
chaque établissement scolaire de
la Péninsule doit par ailleurs dis­
poser d’une salle destinée à l’iso­
lement des cas suspects de conta­
gion. Un casse­tête géant dans un
pays où la vétusté des écoles est
régulièrement pointée du doigt.
Près de 20 000 salles supplémen­
taires sont nécessaires.
Début août, la ministre de l’édu­
cation, Lucia Azzolina, a annoncé
avoir mandaté les communes
pour trouver de nouveaux espa­
ces d’enseignement, qui respec­
tent les normes sanitaires. La ré­
quisition de toutes les structures
possibles a été envisagée, comme
france | 9
taux de positivité respectivement
de 2,1 % et 2,3 %. Pour Alexandre
Belot, « les données en population
sont rassurantes : il n’y a eu aucun
fants de soignants pendant le confi­
nement. De plus, l’étude de l’Institut
Pasteur menée à Crépy­en­Valois
[Oise], l’un des premiers foyers de
l’épidémie, montrait que les plus
jeunes étaient peu contagieux,
mais il faut rester humble face
aux données ». Nombre d’autres
études indiquent que les enfants
transmettent moins le virus.
En revanche, le rapport du Cen­
tre européen de prévention et de
contrôle des maladies sur le rôle
des enfants et du milieu scolaire
dans la transmission du Covid­19,
publié le 6 août, repris par Santé
publique France, indique que « les
enfants qui présentent des symptô­
mes excrètent la même quantité de
virus que les adultes et sont donc
contaminants comme le sont les
adultes. Mais le caractère infectieux
des enfants asymptomatiques est
inconnu ». « Les investigations des
cas en milieu scolaire suggèrent
que la transmission d’enfant à en­
fant [à l’école] est rare », ajoute éga­
lement ce rapport. Le débat n’est
pas tranché.
Enfin, les pédiatres souhaitent
aussi des règles plus claires en cas
de suspicion de cas de Covid­19 en
collectivité. « A ce jour, les remon­
tées que nous avons sont pour le
moins anarchiques : des écoles ou
des crèches ont été fermées parfois
en raison de la présence d’une seule
personne présentant une PCR posi­
tive, voire une sérologie positive
sans PCR et avant toute enquête »,
regrettent les praticiens dans cette
lettre. Rappelons­le, alerte Elise
Launay, « fermer les écoles a des
conséquences fortement délétères
pour les enfants et leurs apprentis­
sages, avec un impact sur leur bien­
être et leur santé ». 
pascale santi
des théâtres, des centres de confé­
rence, voire… des bed and break­
fast. Une perspective qui a provo­
qué les sarcasmes de l’opposition.
La pression est forte sur la mi­
nistre Azzolina. Le 17 août, l’Asso­
ciation nationale des proviseurs a
tapé du poing sur la table, exi­
geant que leur responsabilité pé­
nale ne soit pas engagée si des cas
de Covid­19 devaient être recen­
sés dans leurs établissements.
L’école italienne a particulière­
ment souffert des semaines de
confinement. Dans un rapport
publié fin juillet, l’ONG Save the
Children s’inquiétait de l’impact
de la pandémie sur le système
scolaire des régions méridionales
en particulier, plus défavorisées,
appelant à un plan d’urgence
pour réduire notamment les dis­
parités régionales.
Le gouvernement s’est donné
jusqu’au 31 août pour délivrer ses
ultimes recommandations en
matière de rentrée scolaire. Tout
dépendra en effet des chiffres de
la courbe de contagion. De quoi
sans doute ajouter de la nervosité
dans les familles italiennes. 
olivier bonnel
 UPLOADED BY "What's News" vk.com/wsnws TELEGRAM: t.me/whatsnws

0123
10 | france JEUDI 20 AOÛT 2020

La crainte d’un candidat surprise en 2022

JUSTICE
L’ex-adjoint à la maire de
Paris, M. Girard, visé par
une enquête pour « viol »
Le parquet de Paris a ouvert
Marine Le Pen est celle qui pâtirait le plus de l’émergence d’une personnalité « hors système » une enquête pour « viol par
personne ayant autorité » afin
d’examiner les accusations
portées contre l’ex­adjoint à

E
t si Eric Zemmour ? Et si « On se dit que, “naturellement”, si C’est là que l’hypothèse de candidature plus classique, écolo la maire de Paris, Christophe
Jean­Marie Bigard ? Et si
« [Marine Le Pen] des courants que l’on retrouve sur­ l’émergence d’un « Mercier », le ou de droite traditionnelle par Girard, par un homme qui a
Didier Raoult ? Entre fan­ s’institutionnalise, tout à l’extrême droite devaient se candidat populiste de la série Ba­ exemple, cela rebattrait totalement témoigné dans le New York
tasmes médiatiques ali­ reconnaître dans un parti, ce se­ ron noir, qui parvient à agréger les cartes du second tour. » Times. L’enquête sur ces faits
mentés par la série Baron noir et
et donc se fait rait le RN. Mais ils ne revendiquent les électorats contestataires des Jérôme Fourquet, lui, pose sur­ qui se seraient déroulés dans
coups de fil élyséens – Emmanuel dépasser par pas de profil politique unique, et deux bords de l’échiquier et à at­ tout la question de la structura­ les années 1990 a été confiée
Macron n’ayant pas hésité à dé­ n’appellent pour le moment pas à teindre le second tour de la prési­ tion d’une telle offre politique, ou à la brigade de protection
crocher son téléphone pour appe­
d’autres voter pour Marine Le Pen ou un dentielle, semble plus improba­ plutôt justement de son absence. des mineurs. – (AFP.)
ler certains candidats présumés –, mouvements autre à la présidentielle. » ble à M. Crépon : « Imaginons un Des « gilets jaunes » à la longue
les amateurs de politique­fiction Si le RN de Mme Le Pen ne peut tel candidat, on lui demanderait grève de la SNCF en passant par les Un proche de Wauquiez
s’interrogent déjà : et si une per­
de colère » aller jusqu’à défendre les antimas­ des comptes sur des questions manifestations contre les violen­ dans le viseur du
sonnalité surprise venait cham­ BRICE TEINTURIER ques et les complotistes en tout comme l’immigration et là, les ces policières, tous ces mouve­ parquet financier
bouler la présidentielle 2022 en directeur général délégué d’Ipsos genre, il ne se prive pas d’agiter électorats se repositionneraient. » ments ne se sont traduits pour le Le cas d’un proche collabora­
prospérant sur la défiance gran­ des chiffons en leur direction. Té­ moment que par des « feux de teur de Laurent Wauquiez à
dissante envers les gouvernants, moin de cet entre­deux perma­ L’abstention comme refuge paille » politiques, selon le direc­ la région Auvergne­Rhône­
les politiques, les partis ? matique surgisse pour incarner nent, « Le Livre noir du coronavi­ Pour la chercheuse en sciences teur du département Opinion de Alpes, dont le salaire a éveillé
L’enquête annuelle « Fractures cette colère devrait être Marine Le rus », publié par le RN cet été. politiques au CNRS Magali Della l’IFOP : « Qu’en reste­t­il politique­ les soupçons de la chambre
françaises » réalisée pour Le Pen. « On est sur le même type Sous­titre : « Du fiasco à l’abîme ». Sudda, l’histoire serait tout autre ment sur la durée ? Quels leaders régionale des comptes, a été
Monde par Ipsos Sopra­Steria, en d’électorat : populaire, peu diplômé, « Le parti lepéniste y désigne les res­ en cas de candidature venue de la ont véritablement émergé ? » transféré au Parquet natio­
partenariat avec la Fondation à tendance complotiste, défiant ponsables, selon lui, à savoir droite radicale. « Personne Lui croit davantage, dans les nal financier. La juridiction
Jean Jaurès et l’Institut Montai­ par rapport à l’establishment… », M. Macron et son gouvernement, n’émerge sans un travail important années à venir, à une « apathie ci­ financière a épinglé en octo­
gne affichait ainsi, en septem­ avance le directeur général délégué coupables selon eux de dissimula­ sur l’offre politique », explique­t­ vique avec, parfois, des flambées bre 2019 « la situation atypi­
bre 2019, à peine 10 % de con­ d’Ipsos, Brice Teinturier. tion de la vérité dans la pandémie elle. Et ce travail a largement été de colère », persuadé qu’il y a da­ que » d’Ange Sitbon, ex­stra­
fiance dans les partis politiques. de Covid­19, analyse Valérie Igou­ mené au sein de la droite radicale vantage de sens à donner aux tège électoral de l’UMP et
Dans le baromètre annuel de la Antimasques net. L’objectif du RN est d’ailleurs conservatrice : « La Manif pour près de 60 % d’abstention aux des Républicains recruté
confiance politique publié en fé­ Pour lui, la présidente du Rassem­ clairement affiché : “concourir à la tous a été un moment de décloison­ élections municipales qu’à l’uni­ en 2016 et payé 9 000 euros
vrier 2020 par OpinionWay pour blement national (RN) bute ici sur manifestation, sinon de LA vérité, nement important des droites de ce que « peur du Covid » : « Il y a autre net par mois. – (AFP.)
le Cevipof, ce sont 64 % des Fran­ le revers de la stratégie de dédiabo­ du moins des vérités qui ont été dis­ côté­là. Il y a aujourd’hui un espace chose derrière. Un palier supplé­
çais qui considéraient que la dé­ lisation qu’elle mène depuis simulées tout au long du drame”. créé, consolidé qui travaille à faire mentaire dans une forme de dépo­ VIOLENCES SEXUELLES
mocratie ne fonctionnait pas très qu’elle a succédé à son père, En bref, dénoncer la conspiration émerger une figure et qui a les tri­ litisation a été franchi. » Athlétisme : un entraîneur
bien et 70 % qui affirmaient ne en 2011 : « Elle s’institutionnalise, et du silence des “élites”, des “puis­ bunes pour. » Marion Maréchal L’abstention comme refuge, suspendu à vie
pas avoir confiance dans l’institu­ donc se fait dépasser par d’autres sants”, dévoiler des vérités cachées ex­Le Pen. Eric Zemmour. Robert c’est justement l’hypothèse ma­ L’ex­dirigeant d’un club de
tion présidentielle. mouvements de colère. On a touché sciemment occultées par un gou­ Ménard. Les tentatives four­ jeure de Magali Della Sudda, qui Saint­Germain­en­Laye a été
Symptôme le plus récent du le fond de la piscine de la déliques­ vernement jugé “incompétent”. » millent, vaines jusqu’alors. prend l’exemple du mouvement interdit d’entraîner à vie par
délabrement de la confiance dans cence du politique, au point que le Pour le sociologue Sylvain Cré­ Mais si les freins ne manquent des « gilets jaunes » qu’elle a étu­ la préfecture des Yvelines et
les institutions, scientifiques RN est tellement institutionnalisé pon, la stratégie lepéniste ne pas pour qu’un tel candidat accède dié : « Le RN n’a pas tant capitalisé, suspendu trente ans par la
comme politiques : les antimas­ que quelqu’un d’autre pourrait in­ change pas par rapport à la sé­ au second tour, celui­ci pourrait ni La France insoumise. La majo­ Fédération française d’athlé­
ques, suite logique des anticonfi­ carner l’“antisystème” à sa place. » quence des « gilets jaunes », et celle bien ravir quelques points lors du rité des “gilets jaunes” étaient déjà tisme. Agé de 42 ans, le coach
nement et fourre­tout minori­ Tout en ayant la même analyse de La Manif pour tous : « Marine Le premier, notamment et essentiel­ très éloignés du vote et ils le sont et dirigeant du Club athléti­
taire en France allant de la « sim­ d’un parti d’extrême droite navi­ Pen a un intérêt qu’elle a bien com­ lement à Marine Le Pen. Une hypo­ restés. » Et la chercheuse de s’in­ que de l’Ouest 78 avait été mis
ple » remise en question au com­ guant sur une ligne de crête entre pris : s’avancer le moins possible sur thèse que le RN ne devrait pas être terroger : « Que font les gens qui ne en examen début juillet pour
plotisme le plus radical. sa quête de respectabilité répu­ ces sujets­là en se disant que ces le seul à craindre, selon Brice Tein­ votent plus pour exprimer leur ra­ viols et harcèlement sexuel
De prime abord, la première à blicaine et son électorat, l’histo­ électorats finiront par se rattacher turier : « Si Emmanuel Macron se dicalité politique ? »  sur sept jeunes filles âgées de
craindre qu’un personnage charis­ rienne Valérie Igounet poursuit : au RN en dernier recours. » retrouve au second tour face à une lucie soullier 16 à 18 ans. – (AFP.)

Plan de relance : 2 milliards d’euros

seront alloués à La Réunion
L’île devrait bénéficier de 1,7 milliard d’euros au titre des fonds
européens et 300 millions dans le cadre du plan de relance européen
Je suis tombé par terre
C’est la faute à Voltaire
Le nez dans le ruisseau
C’est la faute à Rousseau saint­denis (la réunion) ­
envoyé spécial
La chanson de Gavroche,
Les Misérables.
L ors de la deuxième journée
de son déplacement à La
Réunion, mardi 18 août, le
ministre des outre­mer, Sébastien
Lecornu, a dévoilé la manière dont
le plan de relance économique qui
sera présenté le 25 août en conseil
des ministres pourrait se décliner
de manière spécifique dans les ter­
ritoires d’outre­mer. « De l’argent,
il y en a », a assuré le locataire de la
Rue Oudinot lors d’un déjeuner de
travail avec les acteurs économi­
ques et sociaux de ce département
de l’océan Indien.
L’œuvre immortelle et « Le plan de relance doit avoir des
engagée du plus grand effets immédiats », a insisté le mi­
nistre, soulignant que le dispositif,
de nos écrivains pour un montant total de l’ordre
de 100 milliards d’euros, agrégera
Une luxueuse collection des œuvres complètes « des moyens financiers impor­
de l’édition Hetzel avec les gravures originales et tants, de différentes natures et dif­
les ornementations au fer à dorer, accompagnée férentes origines, y compris des cré­
de livrets inédits sur Victor Hugo. dits en fonds propres de l’Etat ».
Ainsi, il a indiqué que La Réunion
devrait bénéficier de 1,7 milliard
d’euros au titre des fonds euro­
péens, auxquels s’ajoutent
300 millions d’euros dans le cadre
du plan de relance européen « né­
gocié par le président de la Républi­
que à Bruxelles » sur lequel les
27 Etats membres se sont accordés
le 21 juillet. Soit 2 milliards d’euros,
au total, qui pourront être mobili­
Visuel non contractuel RCS aB 533 671 095
firmé M. Lecornu, rappelant que
La Réunion avait perçu 1,5 milliard
d’euros depuis le début de la crise.
Ainsi, le fonds de soutien aux en­
treprises va­t­il être prolongé jus­
qu’à la fin de l’année dans certains
secteurs comme la culture, le tou­
risme ou le sport, et il va être « re­
caréné », tant au niveau du nom­
bre de salariés de l’entreprise – jus­
qu’à 20 au maximum –, du chiffre
d’affaires réalisé que du montant
de l’aide défiscalisée, qui pourra al­
ler jusqu’à 10 000 euros. Les prêts
garantis par l’Etat vont aussi être
prolongés jusqu’à la fin de l’année.
Outre un mécanisme de déclen­
chement du chômage partiel de
longue durée dans certains sec­
teurs, le premier ministre devrait
annoncer un renforcement des
dispositifs d’emplois aidés : de
l’ordre de 100 000 emplois de­
vraient être débloqués pour l’en­
semble du pays, avec une clé de
répartition entre les territoires.
Chantier de la route du littoral
Le ministre des outre­mer a rap­
pelé que les collectivités territoria­
les avaient bénéficié d’un effort si­
gnificatif de l’Etat pour compen­
ser les pertes de fiscalité dues à la
crise : entre 60 millions et
100 millions d’euros pour les
communes et intercommunalités
réunionnaises, 15 millions d’euros
d’avance sur les droits de muta­
tion à titre onéreux (les frais de no­
taire) pour le département, aux­
quels s’ajoute une aide 27 millions
d’euros destinée à la région. Cette
même logique de compensation
par l’Etat sera mise en œuvre dans
le cadre du plan de relance écono­
mique, qui inclura une baisse des
impôts de production à hauteur
de 10 milliards d’euros.
Enfin, et l’annonce était atten­
due, M. Lecornu a précisé que la
nouvelle route du littoral serait in­
tégrée au plan de relance pour La
Réunion. « Evidemment, cette nou­
velle route du littoral, on doit la
terminer. Personne ne compren­
drait qu’elle ne soit pas terminée,
aujourd’hui, et donc elle doit trou­
ver sa place dans le plan de re­
lance », a­t­il déclaré. Chantier pha­
raonique lancé en 2014, cette ar­
tère de 12 kilomètres reliant Saint­
Denis à La Possession, dont une
partie en viaduc à 20 mètres au­
dessus de la mer, ne cesse de pren­
dre du retard, le chantier étant à
l’arrêt depuis septembre 2019, et
de voir son coût augmenter et pas­
ser de 1,6 milliard dans le budget
initial à un montant désormais es­
timé à 2 milliards d’euros.
Depuis son arrivée à La Réu­
nion, le ministre des outre­mer
n’a pas ménagé ses efforts pour
permettre le déblocage de la si­
tuation. Le protocole de reprise
du chantier, dont le détail n’a pas

15/06/2020 11:01

sés pour la seule Réunion, « en es­ été dévoilé, devrait être signé
LE VOLUME 4
le.indd 1
N04_Hugo_fascicu

Une collection LE LIVRET sayant de concentrer ces crédits sur « dans les quarante­huit heures », a

9 99 € 2021, 2022, 2023 ». indiqué, mardi, le président de la

Le plan de relance ne se substi­
, tuera pas abruptement aux mesu­
relance doit avoir
présentée par Érik Orsenna de l’Académie française
SEULEMENT res de soutien d’urgence qui ont
ACTUELLEMENT EN VENTE CHEZ VOTRE MARCHAND DE JOURNAUX
été mises en œuvre par l’Etat pour
faire face à la crise liée au Covid­19.
Et dès maintenant sur www.collection-victorhugo.fr « Il doit y avoir un tuilage entre les
mesures d’urgence et le redémar­
rage de l’économie réelle », a af­
« Le plan de région, Didier Robert (divers
droite), se disant satisfait des en­
gagements du ministre. Le chan­
des effets tier de la route du littoral, aux
multiples enjeux sociaux et éco­
immédiats »
nomiques, devrait ainsi pouvoir
SÉBASTIEN LECORNU redémarrer le 15 septembre. 
ministre des outre-mer patrick roger

0123
JEUDI 20 AOÛT 2020
Deux tiers
des Français
en faveur du
bien­être animal
Selon un sondage IFOP pour la
Fondation Bardot, une majorité
adhère à des mesures drastiques
sur l’élevage, la chasse ou le cirque
I
l existe une vraie attente so­
ciétale sur la question ani­
male, s’enthousiasme Chris­
tophe Marie, porte­parole de
la Fondation Brigitte Bardot, à
l’initiative du sondage, confié à
l’IFOP, sur les Français et la condi­
tion animale. Il est temps que le po­
litique s’empare de cette demande
citoyenne. » Dévoilé par Le Monde
mercredi 19 août, le question­
naire, réalisé entre le 5 et le 7 août
auprès d’un échantillon de
1 009 personnes représentatif de
la population française, révèle que
plus de deux tiers des sondés se
montrent favorables à une amé­
lioration du bien­être des bêtes.
Quelques semaines après le lan­
cement d’un projet de référendum
d’initiative partagé (RIP) sur la
condition animale, ces résultats
confirment l’intérêt porté par les
citoyens aux questions relatives à
l’élevage, la chasse, l’expérimenta­
tion animale et aux spectacles
d’animaux sauvages.
Le 2 juillet, trois patrons de la
tech (dont Xavier Niel, actionnaire
à titre individuel du Monde) et le
journaliste Hugo Clément s’asso­
ciaient à une vingtaine d’associa­
tions de défense des animaux
(dont la Fondation Brigitte Bardot)
et de protection de l’environne­
ment pour réfléchir à une proposi­
tion de loi afin d’« améliorer le sort
de 1 milliard d’animaux en France ».
Le questionnaire reprend les dif­
férents volets du projet de référen­
dum. En matière d’élevage, 91 %
des sondés sont favorables à l’obli­
gation d’offrir un accès extérieur
aux animaux ; 86 % adhèrent au
principe d’étourdir les bêtes desti­
nées à l’abattage ; 73 % des person­
nes interrogées partagent l’idée
d’aider les cirques à organiser des
spectacles sans animaux sauva­
ges. La même proportion est prête
à soutenir l’interdiction de l’expé­
rimentation animale dans un dé­
lai de dix ans. La chasse à courre
est plébiscitée par seulement 18 %
Le référendum d’initiative partagée tente de rallier les politiques
129 parlementaires ont déjà rejoint le projet de RIP contre la maltraitance animale lancé en juillet par des entrepreneurs et des ONG
L e compteur grimpe pour les
soutiens à un référendum
d’initiative partagée (RIP)
contre la maltraitance animale.
Lundi 17 août, plus de 500 000 si­
gnataires avaient rejoint la péti­
tion lancée, le 2 juillet, par une
vingtaine d’associations, le jour­
naliste Hugo Clément et trois en­
trepreneurs français : Xavier Niel
(groupe Iliad, également action­
naire à titre individuel du Monde),
Marc Simoncini (fondateur du site
Meetic), Jacques­Antoine Granjon
(Veepee, ex­Vente privée). Une
étape symbolique dans la campa­
gne que mènent les défenseurs de
cette cause pour faire valoir six
propositions : l’interdiction de
l’expérimentation animale (en cas
d’alternatives), de l’élevage en cage
et pour la fourrure, des spectacles
d’animaux sauvages, de la chasse à
courre et traditionnelle, et la sortie
de l’élevage intensif d’ici à 2040.
Comme le prévoit la réforme
constitutionnelle de 2008, toutes
UPLOADED BY "What's News" vk.com/wsnws TELEGRAM: t.me/whatsnws
des sondés. Un taux qui reste sta­
ble depuis quinze ans (22 % d’opi­
nions favorables, en 2005, et 16 %,
en 2017, selon des sondages
similaires) ; 77 % des répondants
s’associent à l’idée d’interdire
l’élevage des animaux pour leur
fourrure, 72 % sont favorables à
l’arrêt de la vente des animaux de
compagnie.
« Lorsque vous tenez un refuge
pour chiens ou chats abandonnés
[c’est le cas de la Fondation Bar­
dot], vous gérez quotidiennement
les conséquences des animaleries
qui commercialisent des animaux
domestiques trop aisément… »,
contextualise Christophe Traïni,
professeur en sciences politiques
et auteur de La Cause animale
(PUF, 2011). Selon le chercheur, le
sondage en dit autant sur les re­
vendications portées par le com­
manditaire que sur l’opinion pu­
blique : « Il nous informe sur la ma­
nière dont la Fondation Bardot for­
malise ses revendications et
s’applique à les rendre visibles au
sein de l’espace public. »
« Contre-mobilisation »
« En 2019, une proposition de loi vi­
sant à interdire la corrida aux mi­
neurs de moins de 16 ans a été pré­
sentée devant l’Assemblée natio­
nale, raconte Christophe Marie. Au
même moment, nous avons com­
mandé une étude pour connaître
l’avis des Français sur le sujet », avec
l’espoir de peser sur la décision.
Les débats sont toujours en cours.
Brigitte Gothière, cofondatrice
de l’association L214, se souvient
avoir communiqué les résultats
d’un sondage YouGov sur les pou­
les en cage en 2018, alors que le
projet de loi issu des Etats géné­
raux de l’alimentation allait être
voté. « 90 % des Français se mon­
traient favorables à l’interdiction
de l’élevage en cage des poules pon­
deuses », assure­t­elle.
Mais la recherche d’un relais
dans l’opinion publique ne suffit
ces mesures ne pourront être sou­
mises à un RIP qu’après avoir fran­
chi plusieurs étapes. D’abord, un
cinquième des membres du Parle­
ment (185 parlementaires) doivent
donner leur accord. A ce mo­
ment­là seulement, les organisa­
teurs auront neuf mois pour re­
cueillir les signatures des citoyens.
Le RIP ne pourrait éventuellement
être déclenché que si 10 % du corps
électoral (4,7 millions de citoyens)
soutiennent l’initiative. Une tâche
ardue. En 2019, 248 députés
avaient lancé un RIP contre la pri­
vatisation d’Aéroports de Paris. En
mars, environ 1,12 million de si­
gnatures de Français avaient été
récoltées, loin du seuil.
Quelque 129 parlementaires de
tout bord ont déjà rallié cette idée.
« La diversité politique des parle­
mentaires est assez révélatrice de la
force de cette initiative. C’est très
important car la question de la
condition animale est transparti­
sane », affirme Hugo Clément
Seriez-vous favorable ou opposé à ...
en % de réponses
... une interdiction du recours à l’expérimentation animale
dans un délai de dix ans afin de laisser le temps aux laboratoires
de développer des méthodes substitutives ?
Favorable 73 %
36 37
... l’interdiction en France de l’élevage
en cage dans un délai de cinq ans ?
7 Opposé
11
18 %
29
Favorable
82 %
53
Etes-vous pour ou contre la chasse
à courre ?
Contre
82 %
Pour
18 %
Infographie : Le Monde Source : IFOP
pas toujours. « L’amendement qui
a finalement été voté interdit uni­
quement les nouvelles installa­
tions de ce type d’exploitations »,
déplore Brigitte Gothière, alors
que l’association militait pour
une interdiction dans les installa­
tions déjà en service.
Les fédérations de profession­
nels, de la filière viande ou de la
chasse, exercent « une contre­mo­
bilisation » face aux actions des
organisations animalistes, avance
le chercheur Christophe Traïni.
« La Fédération des chasseurs, la
FNSEA et même la Société centrale
canine mènent des actions de lob­
bying sur les élus pour que rien ne
change au sujet de la cause ani­
male », confirme le représentant
de la Fondation Bardot.
La France est « lanterne rouge »
sur la question du bien­être ani­
mal, d’après Christophe Marie,
également coauteur du livre L’Eu­
rope des animaux (2019, Alma).
« La France a tenté, par exemple, de
bloquer l’interdiction sur la fin de
l’expérimentation animale pour les
cosmétiques », se souvient­il. Les
tests sur les animaux ont finale­
ment été bannis dans l’Union
européenne (UE) en 2013, mais
alors que de nombreux élus de la
majorité mais aussi des parlemen­
taires de droite ont donné leur ac­
cord. Pourtant, le défi reste de
taille. « Nous savions déjà qu’une
centaine de parlementaires étaient
plus ou moins sensibles à la cause
animale. Le plus compliqué sera
d’obtenir la deuxième partie des si­
gnatures », explique Christophe
Marie, le porte­parole de la Fonda­
tion Brigitte Bardot.
18 sénateurs signataires
Députés comme sénateurs sont
ainsi sommés de prendre position
dans ce débat alors que la plupart
des Français expriment leur sou­
tien à la cause. « Il y a une majorité
de parlementaires pour qui la ques­
tion n’est toujours pas dans leur
agenda politique. Ils en entendent
parler mais n’ont pas vraiment ré­
fléchi au sujet et n’ont pas vraiment
compris les enjeux. Ce sont eux qu’il
faut convaincre », souligne Loïc
Dombreval, député La République
Tout à fait favorable
... l’interdiction de la vente des
animaux de compagnie via les
petites annonces, réseaux sociaux
et animaleries ?
Opposé 27 %
Opposé
28 %
17 10
... ce qu’en France on rende obligatoire,
en toute circonstance, l’étourdissement
des animaux de boucherie avant leur
abattage ?
Favorable
86 %
20
66
Opposé
14 %
6
8
Enquête réalisée par questionnaire autoadministré en ligne du 5 au 7 août 2020 par l’IFOP pour la Fondation Brigitte Bardot, auprès d'un
échantillon de 1 009 personnes représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus, constitué selon la méthode des quotas.
Le relais des
citoyens ne suffit
pas toujours.
La question
se joue souvent
à l’échelle
européenne
« sans l’échelon européen, il est évi­
dent que les Etats membres n’impo­
seraient pas des législations aussi
protectrices », tranche le militant.
Christophe Marie évoque aussi
la directive européenne de 2002
imposant le marquage des œufs
(de 0 à 3) : « La part de marché des
œufs de poules élevés en cage a
baissé drastiquement après la mise
en place de cette codification. » La
question des droits des animaux
se joue souvent à l’échelle euro­
péenne. « C’est notamment le cas
du transport des animaux vivants
entre les pays de l’UE », illustre
Christophe Marie.
Une commission d’enquête par­
lementaire a d’ailleurs été ouverte
au sujet des violations de la régle­
en marche (LRM) des Alpes­Mariti­
mes et animaliste.
En coulisses, les sollicitations se
sont multipliées ces dernières se­
maines pour inciter ou dissuader
les parlementaires de signer cette
proposition de RIP. Certains évo­
quent des SMS, des mails et des
courriers réguliers en provenance
de différents lobbies pro­chasse
ou élevage. Le 28 juillet, Gérard
Larcher, président Les Républi­
cains (LR) du Sénat et lui­même
chasseur, a voulu tranquilliser le
président de la Fédération des as­
sociations de chasseurs aux
chiens courants dans un courrier
où il lui assure « de l’attention qui
sera la [sienne] quant à l’avenir
que pourrait connaître cette initia­
tive ». A ce jour, seulement 18 sé­
nateurs ont signé la proposition.
Mireille Clapot, députée LRM de
la Drôme, reconnaît avoir
« d’abord regardé avec circonspec­
tion » cette initiative avant de re­
cevoir, durant l’été, une vingtaine
planète | 11
Assez favorable Assez opposé
... ce que les pouvoirs publics
accompagnent dès à présent les
professionnels du cirque vers des
spectacles sans animaux sauvages ?
9
Favorable
72 %
Opposé
27 %
19
44
28
... rendre obligatoire un accès extérieur,
pour tous les animaux d’élevage, dans
un délai de dix ans ?
60
mentation européenne des Etats
membre en la matière. Les scanda­
les sanitaires et les images tour­
nées dans certains abattoirs, diffu­
sées via les réseaux sociaux, parti­
cipent à cette politisation de la
question animale. « Cette nouvelle
légitimation repose notamment
sur la préoccupation grandissante
des citoyens au sujet de l’alimenta­
tion », soutient l’universitaire.
Jeune génération
Christophe Traïni attribue aussi à
la sphère militante un rôle dans la
prise en considération du bien­
être animal. « Les réseaux militants
ont participé à la diffusion des
idées antispécistes, forgées dans les
milieux universitaires anglo­
saxons », explique le spécialiste.
Les philosophes antispécistes ju­
gent que le critère d’espèce n’est
pas pertinent pour statuer sur la
manière de traiter un être vivant.
L’association L214 éthique et
animaux a contribué à importer
ce courant philosophique en
France. « Nous avons fondé Stop
Gavage au début des années 2000
et organisions des tables rondes,
se remémore Brigitte Gothière.
Mais d’un point de vue pragmati­
de messages de « particuliers » dé­
sireux de la voir soutenir le projet.
Mais ce sont finalement les pro­
pos du patron de la Fédération na­
tionale des chasseurs, Willy
Schraen, appelant les parlemen­
taires signataires du RIP à « rendre
leur mandat » qui l’ont décidée à
franchir le pas. « On ne peut pas
laisser la parole à ceux qui rédui­
sent la ruralité à la chasse et à l’agri­
culture. Ce discours, je ne le sup­
porte plus », confie Mme Clapot.
Elle s’est aussi étonnée de la pré­
face signée par le garde des
sceaux, Eric Dupond­Moretti
(écrite avant sa nomination),
dans le livre de M. Schraen, Un
chasseur en campagne, publié
mardi (Editions du Gerfaut,
240 p., 19,90 euros). Pour le dé­
puté LR des Bouches­du­Rhône,
Eric Diard, lui aussi défenseur de
longue date de la cause animale,
les propos de M. Dupond­Moretti
évoquant « les ayatollahs de l’éco­
logie » sont « scandaleux » et inci­
Tout à fait opposé
7
Favorable
73 %
20
32
41
Favorable
31 91 %
Opposé
9%
5
4
que, nous n’avancions pas. » Alors,
en 2008, elle lance L214, avec son
conjoint Sébastien Arsac. « Nos
actions se concentrent autour des
abattoirs, car c’est un terrain sur
lequel il peut y avoir des avancées
concrètes et significatives », justi­
fie la cofondatrice. Pour elle, le
secteur des abattoirs résume
l’étendue du problème : « Les hu­
mains disposent d’un droit de vie
et de mort sur les animaux. »
Christophe Traïni observe enfin
un rapprochement des questions
de défense animale et de protec­
tion de l’environnement. « L’ours
polaire symbolise, en une seule
image, une inquiétude qui touche
aussi bien les animaux que les hu­
mains », dit­il. Sur le terrain de la
protection animale comme sur ce­
lui de la lutte contre le réchauffe­
ment climatique, la jeune généra­
tion apporte un nouveau souffle
aux combats portés par les asso­
ciations. « Les gouvernements peu­
vent difficilement ignorer ce qui ap­
paraît de plus en plus comme une
préoccupation de leurs citoyens »,
analyse le spécialiste. La cause ani­
male n’est pas, par nature, politi­
que ; elle le devient. 
aline nippert
tent à « radicaliser les positions ».
« Ce sont des sujets pour lesquels il
n’y a pas eu de véritable volonté
politique jusqu’ici », affirme de
son côté Matthieu Orphelin, pré­
sident du groupe Ecologie démo­
cratie solidarité et ancien mem­
bre de la majorité.
Les défenseurs de la cause ani­
male restent sceptiques sur les in­
tentions de l’exécutif. En 2018,
M. Macron avait autorisé la baisse
du prix du permis de chasse. Le
7 août, le premier ministre, Jean
Castex, a reçu les défenseurs de la
chasse aux oiseaux à la glu. Et au
sein de la majorité, les députés
sont divisés. « Je suis contre ce réfé­
rendum car on est face à une frange
animaliste et antispéciste très dan­
gereuse. Ils n’ont aucune idée des
conséquences que leurs mesures
pourraient avoir sur nos territoi­
res », défend Alain Péréa, député de
l’Aude. La bataille de l’opinion ne
fait que commencer. 
mariama darame

ÉCONOMIE & ENTREPRISE
12 |
Les défaillances 
d’entreprises 
se multiplient
Le nombre de firmes en difficulté dans
le monde est au plus haut depuis dix ans
londres ­ correspondance
C
omme pour un raz­de­
marée en préparation,
la vague n’a pas encore
déferlé mais on peut la
voir arriver de loin. Les défaillan­
ces d’entreprises, qui ont été évi­
tées pendant le confinement
grâce aux mesures de soutien des
gouvernements et au gel des tri­
bunaux de commerce, commen­
cent à se multiplier à travers le
monde. Leur nombre atteint son
plus haut niveau depuis dix ans,
selon l’agence de notation Moo­
dy’s. Sur les douze derniers mois,
le taux de défaillances d’entrepri­
ses classées « spéculatives » (les
plus risquées) est de 6,1 %, deux
fois et demi de plus qu’en
juillet 2019. Aux Etats­Unis, il at­
teint 8,4 %.
Ces sociétés ne mettent pas né­
cessairement la clé sous la porte,
une défaillance pouvant être une
restructuration de dette ou une
échéance de remboursement
non honorée, mais leurs difficul­
Surexploitée, privatisée, polluée,
l’eau est en danger.
Tour du monde des enjeux
en plus de 30 cartes
et infographies dans notre hors-série.
EN VENTE CHEZ VOTRE MARCHAND DE JOURNAUX
UPLOADED BY "What's News" vk.com/wsnws TELEGRAM: t.me/whatsnws
tés sont sérieuses. L’agence de
notation S & P compte plus de
défaillances en Europe depuis le
début de l’année qu’il n’y en avait
eu en 2009, pendant la crise fi­
nancière sur la même période.
La pandémie a mis en marche
une implacable mécanique qui
écrase d’abord les entreprises déjà
affaiblies avant la crise. L’exemple
de Travelex l’illustre bien. Cette
vieille société britannique de bu­
reaux de change, présente dans
les aéroports et les lieux touristi­
ques d’une cinquantaine de pays,
a subi de plein fouet le confine­
La société
Euler Hermès
prévoit une
hausse de 35 %
du nombre
de faillites
d’ici à fin 2021
Evolution du taux de défaillances d’entreprises dans le monde, en %
19
15
12
9
6
3
0 0
2001 2003 2005 2007 2009 2011
ment. Faute de touristes, ses bu­
reaux de change sont restés vides.
La plupart d’entre eux a de toute
façon dû fermer pour respecter
les mesures de confinement. Pas
de chance, l’entreprise avait subi
une sévère cyberattaque au début
de l’année, ses agents en étant
réduits à noter les transactions à
la main. Sa maison mère était
aussi en difficulté, ayant décou­
vert une fraude dans une autre
partie du groupe.
Dès mars, Travelex a indiqué
que ses comptes allaient passer
dans le rouge au premier trimes­
tre. Deux mois plus tard, la
société était incapable d’honorer
les intérêts d’une partie de sa
Prévisions pessimistes : 15,5 %
Prévisions réalistes : 7,5 %
Prévisions optimistes : 2,9 %
2013 2015 2017
dette. Placée sous administra­
tion, elle a fini par trouver une
solution jeudi 6 août : les créan­
ciers ont apporté de l’argent frais
en échange de l’acquisition
d’une partie de l’entreprise, et de
la suppression de 1 300 emplois ;
5 500 autres sont sauvés.
La santé réelle des entreprises
A l’instar de cette société, les sec­
teurs les plus touchés par les dé­
faillances sont ceux qui ont dû
fermer pendant la pandémie
(commerces, hôtellerie, restaura­
tion…) ainsi que les compagnies
pétrolières frappées par la chute
du cours de l’or noir. Les
Etats­Unis et l’Europe occiden­
tale, où le confinement a été le
plus sévère, sont les régions les
plus touchées. Au Royaume­Uni,
les grands magasins Deben­
hams, au modèle un peu pous­
siéreux, ont été placés sous ad­
ministration pour la deuxième
fois en un an. Ils ont annoncé la
fermeture de vingt sites. Mata­
lan, une enseigne d’habillement
bon marché, a restructuré sa
dette, évitant de justesse les fer­
metures de magasins. En Italie,
les liaisons ferroviaires vers la
Le masque en entreprise, une
mesure accueillie avec fatalisme
Le gouvernement le rend obligatoire dans tous les espaces clos
A compter du 1er septem­
bre, il faudra porter le
masque partout dans
tous les « espaces clos et partagés »
des entreprises, à savoir open spa­
ces, couloirs, bureaux, vestiaires,
salles de réunion… Seuls les sala­
riés qui disposent d’un bureau in­
dividuel pourront tomber l’acces­
soire pendant leur temps de tra­
vail. La présence de parois de
Plexiglas ne dispensera pas, en re­
vanche, du port du masque pour
les collaborateurs.
Cette mesure, annoncée mardi
18 août par la ministre du travail,
Elisabeth Borne, à l’issue d’une
rencontre avec les partenaires so­
ciaux, a été prise à la suite de
l’augmentation des cas de conta­
mination sur les lieux profession­
nels, qui représente désormais un
cluster sur quatre.
Soucieux autant de ne pas obé­
rer la reprise économique que de
préserver la santé de leurs sala­
riés, les organisations patronales
et syndicales ont accueilli cette
annonce avec fatalisme. « Le port
du masque obligatoire en entre­
prise est une mesure claire qui per­
met de concilier la santé au travail
pour tous – collaborateurs, clients,
fournisseurs – et la continuité de
l’activité économique : masquons­
Evolution du taux de défaillances d’entreprises
sur trois ans par région, en %
9
8
Etats-Unis
7
6
Monde
5
4
6,1 3
2
Europe
1
Juillet
2019 2021
2017
Infographie : Le Monde
Sardaigne ont été brièvement
mises en danger quand la com­
pagnie Moby, qui assure 60 % du
transport de marchandises vers
l’île, a manqué une échéance de
remboursement de ses dettes au
printemps. En Espagne, la société
agricole Deoleo, spécialisée dans
l’huile d’olive, a aussi été en dé­
faillance. Aux Etats­Unis, les
célèbres salles de cinéma AMC
ont restructuré leur dette. Par­
fois, la restructuration s’avère
impossible. La société d’assuran­
ce­crédit Euler Hermès a compté
la faillite de 147 grandes entre­
prises (chiffre d’affaires supé­
rieur à 50 millions d’euros) au
deuxième trimestre à travers le
monde, le double de la même
période en 2019.
Jusqu’à présent, les entreprises
ont été protégées par les mesures
de soutien mises en place par les
gouvernements. Le chômage
partiel, dont bénéficient des di­
zaines de millions de personnes
en Europe, permet aux sociétés
de se mettre en hibernation sans
trop perdre de trésorerie. Les
Etats ont aussi multiplié les ga­
ranties de prêts, permettant aux
entreprises un accès facile aux li­
nous pour que la reprise économi­
que l’emporte sur la reprise épidé­
mique ! », a ainsi déclaré Bernard
Cohen­Hadad, président de la
CPME Paris Ile­de­France.
Si le Medef a « pris acte » de la
mesure, il souligne qu’il ne faut
pas alimenter un climat anxio­
gène autour des entreprises et
« entraver la relance ». « Ne lais­
sons pas croire que c’est dans les
entreprises que l’on observe les
foyers de contamination les plus
importants », a fait observer l’or­
ganisation patronale.
« Coût supplémentaire »
Favorable à cette généralisation
du port du masque, la CFDT, par la
voix de son secrétaire général,
Laurent Berger, note que « ce sera
la première fois depuis le début de
la crise que les entreprises auront à
s’organiser avec 100 % des sala­
riés » et qu’il ne faut donc « pas
perdre de temps alors que la re­
prise de tous les salariés arrive
dans les deux prochaines semai­
nes ». Quant à la CGT, elle estime
que cette mesure ne suffit pas
pour « répondre aux enjeux glo­
baux que pose la pandémie ». L’or­
ganisation juge « nécessaire que
des négociations soient organi­
sées pour décliner les mesures de
0123
JEUDI 20 AOÛT 2020
Juillet Juillet Juillet
2018 2019 2020
Source : Moody’s
quidités. Enfin, la fermeture des
tribunaux de commerce offre
des statistiques faussement po­
sitives, qui ne reflètent pas la
santé réelle des entreprises. En
France, en mai, les défaillances
d’entreprises étaient… en recul
de 23,5 % sur douze mois.
Cette tendance ne va pas durer.
Au fur et à mesure que le soutien
des Etats sera retiré, les entrepri­
ses vont manquer de liquidités.
Euler Hermès prévoit une hausse
de 35 % du nombre de faillites
d’ici à fin 2021. Moody’s envisage
de son côté un pic de défaillances
au premier trimestre 2021 autour
de 9,3 %. Cela resterait néan­
moins inférieur à la vague de
faillites qui a fait suite à la grande
crise financière de 2008­2009,
quand le taux de défaillances
avait atteint 13,3 %. « Tradition­
nellement, lors d’une récession,
on sait que les faillites sont plus
nombreuses vers la fin du cycle,
au tout début de la reprise »,
rappelle David Owen, écono­
miste à Jefferies, une banque
américaine. Si la même logique
s’applique, la fin de l’année 2020
risque d’être sanglante. 
éric albert
prévention et de protection des sa­
lariés dans toutes les branches et
toutes les entreprises, même celles
qui ne disposent pas d’instances
représentatives du personnel. »
Cette mesure pose également
la question du coût des masques,
qui seront à la charge des entre­
prises. « L’Etat doit prendre ses
responsabilités et financer l’achat
de masques pour les entreprises
qui sont aujourd’hui dans l’inca­
pacité d’ajouter ce coût supplé­
mentaire à leurs dettes. Si la
facture doit peser sur les TPE, le
plan de relance qui sera annoncé
à la fin du mois d’août doit inté­
grer cette nouvelle contrainte et
soutenir d’autant plus les trésore­
ries », fait valoir Marc Sanchez,
secrétaire général du Syndicat
des indépendants.
« L’obligation du port du masque,
tant dans les lieux de travail que les
espaces publics, doit rimer avec
gratuité », ajoute la CGT. « Rendre
obligatoire le port du masque sur
le lieu de travail doit nous interro­
ger sur quel outil productif en
France pour assurer la fourniture
aux entreprises de masques de
qualité optimale aux meilleures
conditions », note encore l’organi­
sation syndicale. 
béatrice madeline

0123
JEUDI 20 AOÛT 2020
Affaiblie par la crise sanitaire,
l’Algérie cherche à se diversifier
Touché par la chute du cours du pétrole et les effets du Covid­19, le pays
organise une conférence nationale pour la relance économique
Z
ouhir ne s’est pas encore
remis de la crise. Ce
chauffeur de taxi d’une
cinquantaine d’années,
qui sillonne l’ouest d’Alger, n’a
pas retrouvé sa clientèle d’avant
la pandémie de Covid­19, malgré
un confinement en partie levé
depuis le début du mois de juin.
L’économie algérienne tourne
toujours au ralenti, et c’est grâce
au salaire de sa femme, fonction­
naire, que le couple parvient à
survivre avec leur fils dans un pe­
tit deux­pièces du quartier popu­
laire d’El Madania. Malgré la pro­
messe du gouvernement de com­
penser les pertes des travailleurs
indépendants par des alloca­
tions, Zouhir assure que « rien n’a
été versé pour le moment ».
La situation est encore pire
pour les vendeurs à la sauvette
du secteur informel, soit la moi­
tié de la population active du
pays : eux n’ont eu droit à aucune
aide. « Heureusement que les sub­
ventions ont compensé l’augmen­
tation des prix du lait et du pain,
on avait peur de ne plus rien
s’acheter » confie Aïcha, l’épouse
de Zouhir. Combien de temps en­
core le gouvernement algérien
aura­t­il les moyens de venir en
aide à la population ? Ses dépen­
ses sociales sont en hausse pour
faire face à la crise.
Le FMI prévoit une forte réces­
sion, de l’ordre de − 5 % à − 6 %
pour 2020, soit l’une des pires de
la région. Les recettes fiscales
sont aussi en chute libre en rai­
son de la baisse des cours du pé­
trole, ce qui réduit les marges de
manœuvre du gouvernement.
En Afrique du Sud, l’interdiction du tabac
a donné un coup de fouet au marché noir
Après quatre mois de bannissement, le gouvernement a réautorisé la vente de cigarettes
johannesburg ­ correspondance
E t soudain, une explosion de
joie envahit les bars de
Johannesburg. Dans un
établissement du quartier de
Parkhurst, les applaudissements
couvrent le son de la télévision.
Après quatre mois et demi d’inter­
diction, le président sud­africain,
Cyril Ramaphosa, vient d’annon­
cer que les cigarettes et l’alcool se­
ront de nouveau autorisés à la
vente le lundi 17 août, alors que
l’Afrique du Sud semble avoir
passé le pic de l’épidémie de
Covid­19. Si les quelque 8 millions
de fumeurs sud­africains estimés
se réjouissent, les fabricants de ta­
bac craignent de voir perdurer l’es­
sor du marché illégal qui s’est en­
volé à la faveur des restrictions.
L’annonce du président sud­
africain met fin à un feuilleton qui
tient le pays en haleine depuis le
26 mars. Trois semaines après la
détection du premier cas de Co­
vid­19, l’Afrique du Sud se calfeutre
pour tenter de contenir la pandé­
mie. Aucune marchandise ne peut
être vendue en dehors des biens
de première nécessité. Ni l’alcool
ni les cigarettes ne figurent sur la
liste des produits essentiels.
Un mois plus tard, Cyril Rama­
phosa annonce la levée de l’inter­
diction de la vente de cigarettes,
mais Nkosazana Dlamini­Zuma,
sa ministre de la gouvernance, le
déjuge pour des raisons sanitai­
res : « Quand [les gens] partagent
le zol [terme d’argot désignant le
joint de cannabis], la salive passe
UPLOADED BY "What's News" vk.com/wsnws TELEGRAM: t.me/whatsnws
Le pays entend
profiter des
relocalisations
des entreprises
européennes
qui s’éloignent
de l’Asie
« Le pays n’a même pas été capa­
ble de mettre en place un système
de transfert d’argent d’urgence
pour venir en aide à la population
la plus touchée », constate le cher­
cheur Saddek Fenardji, du think
tank algérien Nabni.
Les hydrocarbures représentent
95 % des exportations du pays et
assurent 60 % du budget de l’Etat.
Même si le pays est peu endetté,
ses réserves de change fondent à
mesure que les prix du pétrole
baissent. Elles étaient de 44,2 mil­
liards de dollars en août, contre
51 milliards de dollars fin mai, et
200 milliards de dollars en 2014. A
ce rythme, l’Algérie risque une
crise de la balance des paiements,
avec des dépenses dépassant les
recettes, d’ici à deux ans, selon les
prévisions de Nabni. Le pays est
au pied du mur.
Mardi 18 août et mercredi
19 août, le gouvernement a pré­
senté les grandes lignes d’un
plan de relance économique lors
d’une conférence nationale, sans
toutefois donner de chiffres ni
d’échéance pour la réalisation de
ses projets. L’objectif ? « Lever les
barrières à l’investissement sur le
de l’un à l’autre », explique la mi­
nistre, qui justifie le revirement
par la nécessité de limiter les con­
taminations. La Fair Trade Inde­
pendent Tobacco Association
(FITA), qui représente 80 % des fa­
bricants de tabac locaux, conteste
en justice la légalité de l’interdic­
tion. Devant les tribunaux, le
gouvernement estime que « si 1 %
des 8 millions de fumeurs estimés
en Afrique du Sud doivent être
placés en soins intensifs à cause
du Covid­19, le système de santé
sera submergé ».
Déstockage et livraisons
Il assure également agir selon les
directives de l’Organisation mon­
diale de la santé, ce que contes­
tent les fabricants de cigarettes.
Surtout, l’efficacité de l’interdic­
tion de la vente de cigarettes est
mise en doute par les fabricants
alors que le marché noir explose.
D’après une étude de l’université
de Capetown, 93 % des fumeurs
continuent d’acheter des cigaret­
tes malgré l’interdiction. Les prix
ont été multipliés par trois en
moyenne, et les marques des
multinationales du secteur de­
viennent presque introuvables
au fil des semaines.
A la frontière avec le Zimbabwe,
haut lieu de contrebande, le busi­
ness tourne à plein régime, malgré
la construction, à la hâte, d’une
clôture en fil barbelé. A peine
achevée, l’installation est criblée
de trous. Sur place, les petits trafi­
quants se vantent de faire quoti­
diennement l’aller­retour avec le
plan institutionnel et juridique et
développer l’industrie minière. »
« Le pétrole, c’est terminé, a mar­
telé Mohamed Cherif Belmi­
houb, ministre délégué chargé de
la prospective, il faut développer
d’autres secteurs d’activité. »
En juillet, le président algérien
Abdelmadjid Tebboune a annoncé
son intention de démarrer l’ex­
ploitation des mines de fer à Ghar
Djebilet, dans la province de Tin­
douf (dans le sud­ouest du pays),
et des mines de zinc et de plomb à
Amizour, dans la province de Bé­
jaïa (au centre). Des chantiers co­
lossaux qui nécessiteront de
lourds investissements.
« Mettre fin au clientélisme »
L’Algérie entend aussi profiter des
relocalisations des entreprises
européennes qui s’éloignent de
l’Asie, en misant sur sa proximité
avec les côtes européennes. « Pour
attirer ces investissements, il va fal­
loir engager d’énormes réformes et
améliorer le climat des affaires »,
avertit toutefois Saddek Fenardji.
La règle dite du « 49/51 », obligeant
tout investisseur étranger à s’asso­
cier à un partenaire algérien majo­
ritaire, ne sera conservée que pour
les « secteurs stratégiques » (ban­
que, assurance, énergie, mines,
ports, aéroports, transport ferro­
viaire, industrie pharmaceutique
ou encore défense nationale). Mal­
gré un déficit budgétaire qui se
creuse, le pays exclut le recours à
l’endettement extérieur. « Nous
n’irons ni au FMI ni à la Banque
mondiale car l’endettement porte
atteinte à la souveraineté natio­
nale, une expérience que nous
A la frontière
avec
le Zimbabwe,
le business
tourne à plein
régime
Zimbabwe. Achetée 100 rands
(5 euros) de l’autre côté de la fron­
tière, une cartouche (dix paquets)
de marque locale peut être reven­
due six fois plus à Johannesburg.
Les réseaux organisés peuvent
passer plus de 100 000 euros de
marchandise en une nuit, assu­
rent certains contrebandiers.
En 2018, selon une étude de
l’institut Ipsos financé par la FITA,
le lobby du tabac, le commerce il­
légal de cigarettes représentait
30 % du marché sud­africain. Mal­
gré la levée de l’interdiction, les fa­
bricants craignent désormais de
se voir débordés par le commerce
illégal. « Les revendeurs ont pris de
l’importance en termes de distri­
bution, de disponibilité, ils ont
trouvé de nouveaux moyens de
vendre leurs produits illicites », as­
sure Bongani Mshibe, de Japan
Tobacco International.
En quatre mois, le marché illé­
gal s’est organisé. Si les cigarettes
se trouvent sans mal dans la rue,
en particulier dans les townships,
les résidents des banlieues plus
aisées ont pris l’habitude
d’échanger des numéros de télé­
phone pour se faire livrer. Au len­
économie & entreprise | 13
avons vécue au début des années
1990 », a rappelé M. Tebboune, le
1er mai. En souscrivant un em­
prunt de 800 millions de dollars
auprès du FMI, l’Algérie n’avait
alors eu d’autre choix que de se
convertir à l’austérité avec, entre
autres conséquences, une forte
dévaluation du dinar et la fin des
subventions aux produits de
grande consommation. Soit de
nouveaux sacrifices en termes
de pouvoir d’achat, et une res­
tructuration du secteur public
coûteuse en termes d’emploi
dans un pays en pleine crise éco­
nomique et politique.
Pour financer ses investisse­
ments, le gouvernement mise plu­
tôt sur une mobilisation de l’épar­
gne du pays, en augmentant la
couverture bancaire de la popula­
tion grâce aux applications mobi­
les et en faisant la promotion de la
finance islamique.
Le gouvernement est­il prêt, en
engageant ces réformes, à réduire
l’interventionnisme de l’Etat dans
l’économie ? « Cela implique de
mettre fin au clientélisme qui main­
tient le pouvoir en place », selon le
think tank Nabni. Un pari loin
d’être gagné et qui laisse scepti­
ques de nombreux Algériens. « Le
gouvernement doit partir pour que
les choses changent et que l’on évite
le chaos, confie Aïcha. On n’a
même plus le droit au Hirak [mou­
vement de contestation contre le
régime, qui agitait le pays depuis le
22 février 2019 et qui a pris fin pen­
dant le confinement], donc rien ne
risque de changer de sitôt. » 
julien bouissou
et louisa benchabane
demain de l’annonce présiden­
tielle, l’une de ces « plates­formes
téléphoniques » organisait le
déstockage à prix réduits, tout en
proposant aux clients de la mar­
que la plus trafiquée de rembour­
ser une partie des cartouches non
consommées.
A l’annonce de la levée de l’inter­
diction, British American Tobacco
(BAT) a appelé l’Afrique du Sud à
ratifier « d’urgence » le protocole
pour éliminer le commerce illi­
cite des produits du tabac de
l’OMS. Leader du marché sud­afri­
cain avant le confinement, le fa­
bricant se présente comme le
grand perdant de l’interdiction,
au profit des marques locales.
D’après une étude de l’université
du Cap, 77 % des cigarettes ache­
tées avant l’interdiction étaient
produites par des multinationa­
les, contre 18 % en juin…
En incluant producteurs de ta­
bac, fabricants, distributeurs et dé­
taillants, la filière estime compter
près de 300 000 emplois en Afri­
que du Sud. A l’autre bout du spec­
tre, la veille du retour à la normale,
à Soweto, les revendeurs infor­
mels qui ont surfé sur l’interdic­
tion craignent les lendemains qui
déchantent : « Je suis comme quel­
qu’un qui vit son dernier jour de
boulot, c’est comme si j’étais licen­
cié demain », souffle l’un d’eux. 
mathilde boussion
Retrouvez en ligne l’ensemble de nos contenus
Les achats de rentrée
scolaire restent pour
l’instant très limités
A quinze jours de la reprise des cours, les
fabricants de fournitures font grise mine
D éjà, début juillet, les gran­
des surfaces hésitaient à
annuler des commandes
de cartables et autres trousses, vu
la faiblesse des ventes, rappelle
Eric Riguet, le patron France d’On­
line, un spécialiste allemand des
stylos. Depuis, la situation ne s’est
guère arrangée pour les autres
fournitures scolaires. « Les distri­
buteurs n’ont pas demandé de
réassorts, contrairement aux an­
nées passées, signe que les stocks
doivent encore être importants à
quinze jours de la rentrée des clas­
ses », précise­t­il.
Si les achats de rentrée scolaires
sont de plus en plus tardifs année
après année, les industriels s’in­
quiètent. Après une fin d’année
scolaire interrompue par l’épidé­
mie, certaines familles ont cons­
taté que leurs enfants n’avaient
pas utilisé les nombreuses fourni­
tures achetées pour la rentrée
précédente, et que les cartables et
trousses n’étaient quasiment pas
usés. D’autres encore n’envisa­
gent d’acheter leurs fournitures
qu’à la dernière minute, par
crainte d’un reconfinement et
d’une rentrée reportée.
Incertitudes économiques
Les industriels espèrent surtout
que l’allocation de rentrée scolaire
(ARS), versée mardi 18 août, don­
nera un réel coup d’envoi aux
achats d’articles scolaires. « Les
trois quarts des consommateurs
font leurs achats dans le courant de
l’été quand ils ont leur liste et l’ARS »,
constate Stéphanie Verrier, prési­
dente de l’Association des indus­
triels de la papeterie et du bureau
(AIPB). Mais avec les incertitudes
économiques et financières des fa­
milles (chômage, baisse de rému­
nérations…), « la tendance en ter­
mes de pouvoir d’achat sera plutôt
baissière », craint Régis Pouly, res­
ponsable de comptes chez Maped.
Les achats seront sûrement « un
peu plus raisonnables que les an­
nées passées, concède Mme Verrier.
Les utilisateurs feront attention au
prix, mais ils rechercheront aussi
des produits qui puissent durer
longtemps ». D’une manière géné­
rale, « on voit que les familles achè­
tent au plus juste ou reprennent les
fournitures de l’année précédente,
renchérit Thierry Collot, directeur
général du groupe Colart en
France (marque Lefranc Bour­
geois). Notre best­seller, qui était
TECHNOLOGIES
Oracle convoite TikTok
Après Microsoft et Twitter,
Oracle a engagé des discus­
sions préliminaires avec
ByteDance, le propriétaire
chinois de TikTok, afin de ra­
cheter les opérations de l’ap­
plication aux Etats­Unis, au
Canada, en Australie et en
Nouvelle­Zélande, selon le
Financial Times. Le spécialiste
de la gestion logicielle
travaille avec des investis­
seurs américains ayant déjà
des parts dans ByteDance,
dont General Atlantic et
Sequoia Capital. – (Reuters.)
DISTRIBUTION
7 000 emplois
supprimés chez Marks
and Spencer
La chaîne de magasins Marks
and Spencer a annoncé,
mardi 18 août, la suppression
de 7 000 emplois sur plus de
80 000 dans le monde, au
cours des trois prochains
mois, essentiellement au
Royaume­Uni, en raison
d’une baisse de fréquentation
et de l’impact de la pandé­
mie. – (AFP.)
« On voit que
les familles
achètent
au plus juste
ou reprennent
les fournitures
de l’année
précédente »
THIERRY COLLOT
directeur général du groupe
Colart en France
il y a quelques années la boîte de
dix tubes de peinture, est
aujourd’hui la boîte de cinq tubes
de couleurs primaires ».
Seule certitude, en revanche : « Il
y aura un mouvement vers la vente
à distance plus important que les
années passées car les gens l’ont
testée pendant le confinement
pour faire l’école à la maison », as­
sure Mme Verrier, s’appuyant sur
des données de l’institut GFK
montrant une croissance de 12 %
des ventes en ligne du secteur, en­
tre janvier et avril. « Les deux tiers
des achats de rentrée des classes
sont encore captés par les grandes
surfaces alimentaires, et une partie
de la population ne voudra pas se
tasser dans les magasins », pour­
suit­elle.
Pourtant, les fabricants avaient
réussi le tour de force, malgré les
difficultés logistiques dues au con­
finement, à livrer les articles de la
rentrée scolaire dans les entrepôts
de stockage des distributeurs en­
tre les mois de mars et mai. « On
s’est attelé à fabriquer et livrer à
temps, même si cela a été sportif »,
assure M. Collot.
Certaines entreprises veulent à
tout prix éviter que la situation se
reproduise. « La zone asiatique a
paralysé le monde entier et de­
main cela peut à nouveau arriver,
indique Stéphane Frenkel, direc­
teur général d’HEMA en France.
En tant que marque, nous sommes
en pleine réflexion sur nos circuits
d’approvisionnement. » La société
Online a déjà, quant à elle, com­
mencé à rapatrier certaines uni­
tés de production en Allemagne
dans son usine de Nuremberg,
mais aussi en Autriche, en Polo­
gne et en République tchèque. 
cécile prudhomme
Le distributeur
américain Walmart voit
ses ventes augmenter
Le géant américain des su­
permarchés Walmart a an­
noncé, mardi 18 août, que
son bénéfice net entre mai et
juillet s’est envolé de 80 %
pour atteindre 6,5 milliards
de dollars, dépassant les
attentes des analystes
financiers. Son chiffre
d’affaires a progressé de 6 %
à 138 milliards de dollars et
les ventes en ligne ont
presque doublé. – (AFP.)
TRANSPORT
Boeing prépare un
deuxième plan de
départs volontaires
Boeing, touché de plein fouet
par la chute du transport
aérien qui est venu s’ajouter
aux déboires du 737 MAX, va
proposer un deuxième plan
de départs volontaires qui
s’ajouteront à la réduction de
10 % des effectifs (soit
16 000 suppressions de pos­
tes) annoncée au printemps.
Le groupe n’a pas encore
précisé l’ampleur de ce
nouveau plan. – (AFP.)
 UPLOADED BY "What's News" vk.com/wsnws TELEGRAM: t.me/whatsnws

14 | sports 0123
JEUDI 20 AOÛT 2020

Ligue des champions : le PSG file en finale

Les Parisiens ont battu Leipzig 3­0 et seront opposés, dimanche, au vainqueur du match entre le Bayern et Lyon

lisbonne ­ envoyé spécial pas », il a déjà prévu de « laisser

[son] corps sur le terrain » et de

L
es célébrations à même « tout faire pour gagner diman­
le terrain ont duré peu che [23 août] ». Entré en cours de
longtemps. Simplement jeu contre Bergame, titularisé
une ronde entre joueurs, contre Leipzig, le jeune homme
comme l’aurait fait n’importe conserve encore un bandage pour
quelle équipe dans n’importe jouer. Souvenir de sa blessure à la
quel tournoi : « On est en finale ! cheville droite, le 24 juillet, lors du
On est en finale ! » A ceci près qu’il titre en Coupe de la Ligue contre
s’agit de la Ligue des champions, Saint­Etienne.
le trophée de clubs le plus coté L’attaquant français, champion
du continent. du monde 2018, a déjà gagné ce
Mardi 18 août, à Lisbonne, le qui se fait de mieux en sélection
Paris­Saint­Germain (PSG) a, en­ nationale. Cet été, des similitudes
fin, vu la lumière, dans ce stade existent avec la phase finale de la
de Luz fort bien nommé : son fa­ Ligue des champions et ce format
cile succès (3­0) en demi­finales spécial dû au Covid­19. Le Final 8
contre Leipzig lui ouvre la voie de consiste à transformer chaque
la finale, que les Franciliens dis­ quart et chaque demi­finale en un
puteront ici même dimanche match simple, au lieu d’une con­
23 août, contre le Bayern Munich frontation aller­retour. Toujours à
ou Lyon. La toute première de Lisbonne, et toujours à huis clos,
leur histoire, le mois du 50e anni­ comme s’il s’agissait d’un simple
versaire du club. tournoi de préparation estivale.
Joie simple et triomphe mo­ Une compétition, en somme,
deste, tant l’adversaire du soir sans la saveur de l’originale.
aura paru éteint. Comme incapa­ Au bout de presque deux semai­
ble de rivaliser, infichu de main­ nes au Portugal, les salariés du Pa­
tenir le rythme, impropre à la ris­Saint­Germain s’en moquent
moindre réaction. Bref, suspense pas mal. Les supporteurs aussi,
moins intense que contre l’Ata­ massés devant l’hôtel des joueurs
lanta Bergame au tour précédent : pour les célébrer dans la nuit.
le 12 août, le club italien contrai­ Avec un espoir, en attendant la
gnait les Parisiens à inscrire deux seconde demi­finale, mercredi :
buts en moins de trois minutes retrouver l’Olympique lyonnais
pour retourner le sort (2­1) en pour une première finale franco­
toute fin de rencontre, plus d’une Marquinhos ouvre le score contre le RB Leipzig à la 13e minute, mardi 18 août, au stade de Luz, à Lisbonne. DAVID RAMOS/AP française. Et une crainte : devoir
heure après le but adverse. plutôt se colleter avec le Bayern
Autant le PSG a gagné son quart Munich, grand favori de l’épreuve
de finale contre lui­même, contre En cette période de Covid­19, l’ensemble, nous avons joué de tion de publicité dans l’appella­ après avoir donné le sentiment,
ses propres cauchemars, contre footballeurs comme journalistes manière très imprécise, nous tion du club). Quant à l’Atalanta
Autant le club en quarts de finale vendredi
les lazzis auxquels il aurait eu échappent désormais à l’épreuve n’avons pas été bons dans les Bergame, il s’agissait de sa pre­ parisien a gagné 14 août, d’apprendre le football
droit en cas de nouvelle élimina­ de la « zone mixte » d’après­ duels, il nous a manqué de mière expérience. (8­2) au FC Barcelone.
tion prématurée, malgré tant de match, ce moment où, d’ordi­ l’audace et nous n’avons pas été Dans le cas du PSG, s’il faut par­
son quart de Précisons que Paris a déjà rem­
moyens et d’espoirs investis ; naire, les uns s’arrêtent ou non assez agressifs », convient le gar­ ler d’exploit, ce n’est pas tant finale contre lui- porté une compétition continen­
autant ce même PSG a gagné sa pour répondre aux questions des dien hongrois de Leipzig, Peter d’avoir évincé ces deux clubs que… tale, mais de moindre impor­
demi­finale contre… pas grand autres. En revanche, nul moyen Gulacsi, pour la chaîne Sky Alle­ d’avoir attendu aussi longtemps
même, autant il tance, en 1996, avec Canal+ pour
monde, sauf le respect que l’on d’esquiver les interviews avec les magne. Avant ce verdict, non sans pour atteindre les demi­finales de a gagné sa demi- actionnaire : la défunte Coupe
doit aux joueurs de Leipzig, domi­ chaînes de télévision détentrices fair­play : « C’est la qualité de l’ad­ l’épreuve. Pensez : neuf longues des coupes. S’agissant de la pres­
nateurs de l’Atlético Madrid (2­1) des droits de diffusion, et donc les versaire qui a fait la différence. » années après le rachat du club par
finale contre tigieuse Ligue des champions,
en quarts de finale. exercices d’autocritique : « Dans le fonds souverain du Qatar et ses pas grand monde c’est autre chose : en dépit des fi­
Reconstitution de ligue dissoute moyens démesurés. Et un quart nales de Reims (1956 et 1959),
A l’approche du stade, lui et ses de siècle après la seule demi­finale Saint­Etienne (1976) et Monaco
A Paris, les supporteurs au bout coéquipiers roulaient à bord de
deux bus aux taureaux rouges de
jusque­là disputée, une défaite
contre l’AC Milan, en 1995.
mauvaise relance du gardien et
une talonnade de Neymar. Deux
(2004), l’Olympique de Marseille
demeure, à ce jour, le seul club
de la nuit Red Bull, leur principal sponsor. C’est de bonne guerre. Plutôt passes décisives, aussi : l’une sur français vainqueur de la « Coupe
Balayées les mesures sanitaires imposées par le Covid-19. Dès Sans la puissante firme autri­ que sur les faiblesses adverses, coup franc pour une tête du mi­ aux grandes oreilles ». C’était
le coup de sifflet final de la demi-finale de Ligue des champions chienne de boissons énergisan­ l’entraîneur allemand du PSG, lieu Marquinhos, lors du premier en 1993, deux ans après une fi­
entre le Paris-Saint-Germain (PSG) et Leipzig, des milliers de sup- tes, pas de club à ce niveau­là. L’un Thomas Tuchel, insiste sur les for­ but (13e minute), l’autre au latéral nale perdue, et le football fran­
porteurs ont afflué, mardi, aux abords du Parc des Princes, à des deux seuls du championnat ces offensives de son groupe. « Il Juan Bernat, pour le troisième çais s’en souvient comme d’une
Paris, pour célébrer la qualification historique du club de la capi- allemand, par ailleurs, à se situer fallait rester avec nos principes de (56e). En face ? Hormis une ou date sacrée. Ce que d’aucuns
tale (3-0) en finale de la compétition. Les rues autour du stade en ex­Allemagne de l’Est. jeu, utiliser l’accélération d’Angel deux frappes, soirée très apai­ oublient peut­être, par exemple
étaient rouges de fumigènes et de feux d’artifice tirés par des La saison en cours marque seu­ [Di Maria], de Kylian [Mbappé], de sante pour le gardien Sergio Rico. en parlant du PSG aujourd’hui,
fans du PSG qui se sont également rassemblés sur les Champs- lement la deuxième participa­ Neymar. » Belle reconstitution de L’habituel remplaçant a cette fois ce sont les clubs plutôt modestes
Elysées, à grand renfort de coups de klaxon, de chants, de hurle- tion à la Ligue des champions « ligue » dissoute. démarré le match, Keylor Navas que les Marseillais eurent à
ments de joie. Les forces de police, présentes selon le « dispositif pour les nouveaux riches du RB De retour de suspension, Di Ma­ ayant déclaré forfait pour cause vaincre juste avant l’AC Milan :
adapté » annoncé plus tôt par la Préfecture de police, ont sonné Leipzig (les initiales de la marque ria a frappé très fort. Un but à de lésion à une cuisse. Glasgow Rangers, FC Bruges et
plus tard dans la nuit la fin de la fête en dispersant la foule par correspondent ici à « RasenBall­ bout portant, celui du 2­0 juste Kylian Mbappé l’annonce : « Peu CSKA Moscou. 
des tirs de gaz lacrymogène et en procédant à 36 interpellations. sport », en raison de l’interdic­ avant la mi­temps, après une importe qu’il y ait des douleurs ou adrien pécout

Face à Leipzig, le récital d’Angel « Fideo » Di Maria

Artisan de la victoire du Paris­Saint­Germain, l’attaquant argentin a inscrit un but et offert deux passes décisives

A son arrivée à Paris, un

soir d’août 2015, Angel
Di Maria se donnait pour
mission « d’aider le PSG à passer le
cap des quarts de finale en Ligue
des champions. » Suspendu – bê­
tement – en fin du huitième de fi­
nale retour face à Dortmund pour
avoir surréagi depuis les tribunes
à une faute sur Neymar, l’Argentin
n’aura pas lui­même mené cette
quête à bien. Mais après avoir vu
ses partenaires franchir sans lui
l’écueil de l’Atalanta Bergame (2­1),
l’attaquant du Paris­Saint­Ger­
main (PSG) s’est rattrapé, mardi
18 août, en aidant son équipe à se
qualifier pour la première finale
de Ligue des champions de son
histoire. Avec un but et deux pas­
ses décisives, et l’impression de
détenir les clés du jeu parisien,
Di Maria a porté le PSG dans sa
victoire face au RB Leipzig (3­0),
au stade de Luz, à Lisbonne.
Pas assez flamboyant en dehors
du terrain, Angel Di Maria ne sera
sans doute jamais une star que
s’arrachent les magazines. A Pa­
ris, si Neymar et Mbappé éclip­
sent leurs partenaires, « Fideo »
(« vermicelle », rapport à son ga­
barit filiforme) fait partie du
noyau de joueurs indispensa­
bles sur lequel l’entraîneur alle­
mand, Thomas Tuchel, s’appuie
en priorité. « C’est comme ça dans
le foot : tu as les meilleurs, ceux qui
ne sont pas loin, et ceux qui ac­
compagnent, derrière », philoso­
phait le gaucher argentin au dé­
but de l’été. Lui n’est pas loin, et
sa partition tout en maîtrise,
mardi, l’a rappelé.
Rageur, c’est lui qui a pressé le
gardien lipsien, Peter Gulacsi, pro­
voquant une relance interceptée,
deux passes et une talonnade
inspirée de Neymar. C’est encore
Di Maria qui a conclu l’action en
trompant le portier polonais
pour le deuxième but parisien.
Avant ça, il avait caressé un coup
franc sur la tête rageuse de Mar­
quinhos pour l’ouverture de la
marque. « Je préfère faire une
passe décisive que marquer un
but. C’est ça qui me comble », assu­
rait­il début juin dans un entre­
tien à L’Equipe. Jusqu’à faire mar­
quer de la tête le « petit » (1,77 m)
Juan Bernat, à la conclusion d’un
centre brossé pour parfaire la
marque. Les 26e et 27e passes déci­
sives de l’Argentin en Ligue des
champions – seuls Cristiano
Ronaldo (38) et Lionel Messi (33)
le devancent encore. Si Ney­
mar et Mbappé ont manqué de
précision dans le dernier geste
Avec 27 passes
décisives
en Ligue
des champions,
Di Maria n’est
devancé que
par Ronaldo (38)
et Messi (33)
– comme face à l’Atalanta pour le
Brésilien –, la troisième pointe du
trident parisien a brillé. « Di Maria
a fait un superbe match », a salué
le champion du monde français.
En dépit d’un excellent début
de saison – en l’absence de certai­
nes stars du PSG pour blessure –,
la place d’Angel Di Maria dans
l’équipe a été remise en cause en
janvier, en raison d’un désé­
quilibre sur le terrain entre la dé­
fense et l’attaque.
La confiance de Tuchel
Discret, l’Argentin semblait la vic­
time désignée d’une réorganisa­
tion tactique épargnant le trio
Neymar­Mbappé­Icardi. « Il est très
décisif. Il fait des passes décisives,
beaucoup d’avant­dernières pas­
ses, et il crée beaucoup de situa­
tions dangereuses, l’avait défendu
Thomas Tuchel. Angel, c’est un
gars superfiable et supercompéti­
tif. » Une marque de confiance que
le natif de Rosario a rendue au
technicien allemand, mardi, le­
quel n’a pas hésité à laisser sur le
banc son buteur Mauro Icardi
– fantomatique face à Bergame.
L’« Angel » du PSG s’est déployé,
sur l’aile ou au cœur du jeu, lui
qui avait passé le confinement
comme un puma en cage. « Pour
nous qui sommes tout le temps ha­
bitués à nous entraîner, voyager,
faire des matchs, c’est compliqué
de rester sur le canapé à ne rien
faire pendant aussi longtemps », a
confié à L’Equipe ce joueur à la pa­
role rare, qui a passé ces mois re­
clus à Paris, à la différence de
nombre de ses coéquipiers sud­
américains, retournés au pays.
A 32 ans, celui qui se targue
d’avoir évolué aux côtés des « plus
grands joueurs de [son] époque »
– Messi en sélection, Ronaldo au
Real, Neymar au PSG – s’est, une
nouvelle fois, montré décisif dans
un match de premier plan. Pour ne
jamais revivre les désillusions de
finales perdues avec l’Albiceleste
(Coupe du monde 2014 et Copa
America 2015 et 2016), le meilleur
passeur du championnat de
France veut « progresser » encore.
Comme la demi­finale, la finale
de la Ligue des champions se dé­
roulera, dimanche, à Lisbonne,
dans le stade – vide – de Luz. Une
enceinte que « Fideo » connaît
bien. C’est là que l’international a
fait ses premiers pas de footbal­
leur en Europe, sous le maillot
du Benfica Lisbonne, à l’âge de
19 ans. C’est aussi ici qu’il a décro­
ché, avec le Real Madrid en 2014, le
Graal européen. « Je me sens ici
comme à la maison », soufflait­il
alors, drapeau rosarino sur les
épaules. Mardi, Angel Di Maria a
retrouvé son jardin. Et lui qui re­
connaissait, en juin, avoir « vécu
une saison sans le moindre nuage,
sans blessure » – « j’enchaînais les
bons matchs » –, aspire à prolon­
ger la série, pour l’ultime match
de la saison du PSG. Le plus im­
portant, aussi. « On n’est plus qu’à
un pas d’aller encore plus loin dans
l’histoire du club. » 
clément martel

0123
JEUDI 20 AOÛT 2020
Kehinde Wiley, la fabrique à icônes noires
Avec ses portraits, visibles à Cannes, le peintre américain interroge la représentation des Noirs dans l’histoire
ARTS
cannes (alpes­maritimes)
I
l arrive, dans l’histoire,
qu’un artiste semble appa­
raître pour donner sa forme
– littéraire, musicale, vi­
suelle – la plus évidente à son
époque, celle sous laquelle,
peut­on penser, elle s’inscrira
plus tard dans les mémoires et les
livres. Kehinde Wiley est de cette
espèce. Le portrait qu’il a peint de
Barack Obama, en 2018, a consa­
cré son immense notoriété aux
Etats­Unis, où la plupart des mu­
sées possèdent une ou plusieurs
de ses toiles et où il a beaucoup
exposé dans des lieux privés et
publics depuis une quinzaine
d’années.
En France, on l’a moins vu : à la
galerie Daniel Templon et,
en 2016, au Petit­Palais. Quand
l’exposition qui se tient à Cannes
a été décidée, George Floyd
n’avait pas été assassiné et le
mouvement Black Lives Matter
n’avait pas encore sa puissance
actuelle. C’est dire combien cette
présentation tombe juste.
Kehinde Wiley naît en 1977 à Los
Angeles (Californie), il est l’un des
jumeaux nés de la rencontre
d’une Afro­Américaine et d’un
étudiant, qui rentre au Nigeria
avant leur naissance et que l’ar­
tiste n’a connu que bien plus tard.
Ces éléments biographiques ex­
pliquent en partie l’œuvre de
Wiley, ses séjours récents en Afri­
que de l’Ouest, et, surtout, ses
sujets, leur construction icono­
graphique et leur retentissement
politique. Ils n’expliquent pas un
autre point essentiel, la passion
de l’artiste pour un certain style
et les difficultés techniques qui le
caractérisent. Passé dans les an­
nées 1990 par le San Francisco
Art Institute puis le Master of
Fine Arts de l’université Yale, Wi­
ley y a appris ce que l’on n’ap­
prend plus guère dans les écoles
d’art européennes : les méthodes
et procédés du plus minutieux
réalisme pictural.
Appropriation et substitution
Grâce à cette formation, il imite
avec autant d’aisance les tissus
que les plantes, les reflets du bois
verni que ceux d’une chaussure
de jogging argentée ou d’un seau
métallique. Sa virtuosité n’est
pas moindre dans le traitement
des entrelacs floraux, des orne­
ments en spirales ou en volutes.
Les œuvres étant le plus souvent
de grand format, ce savoir­faire,
pour lequel il a recours à des as­
sistants, se voit d’autant mieux. Il
est aussi flagrant dans les travaux
sur papier et sur verre. Il suffit de
la trentaine de pièces réunies à La
Malmaison pour vérifier com­
bien Wiley est obsédé par l’imita­
L’éditeur ESC exorcise « Lisa et le diable »
L’un des longs­métrages les plus personnels de Mario Bava, malmené par son producteur en 1973, ressort dans sa version initiale
DVD
L isa et le diable est l’une des
œuvres les plus personnel­
les de Mario Bava. L’un de
ses films, aussi, qui fut le plus
malmené, voire le plus outragé,
par son producteur. L’histoire de
Lisa et le diable est aussi celle d’un
système de production, celui du
cinéma de genre italien, où les
auteurs furent toujours à la merci
du mercantilisme le plus cynique.
Présenté au Marché du film lors
du Festival de Cannes en 1973, le
film ne trouva pas d’acheteur et
resta sur les étagères de son pro­
ducteur. Jusqu’à ce que celui­ci,
avec l’accord et la complicité de
Bava, espérant spéculer sur le
UPLOADED BY "What's News" vk.com/wsnws TELEGRAM: t.me/whatsnws
Il suffit de voir
l’exposition pour
vérifier combien
Wiley est obsédé
par l’imitation
poussée jusqu’au
trompe-l’œil
tion poussée jusqu’au trom­
pe­l’œil.
Soit, mais à quoi bon ? L’hyper­
réalisme conçu comme exploit
optique ne serait pas longtemps
intéressant. Mais, pas plus que
celui de Malcolm Morley dans les
années 1960, l’hyperréalisme de
Wiley ne se réduit à la technique.
S’il retient l’attention, c’est en rai­
son de ses relations avec la pein­
ture, la photographie, le cinéma
et les médias visuels contempo­
rains. Et parce qu’il les considère
par rapport à une question dont
ce serait peu dire qu’elle importe :
la représentation des femmes et
des hommes noirs depuis trois
ou quatre siècles, de la Renais­
sance à la peinture d’histoire du
XIXe siècle et à l’orientalisme jus­
qu’aux stéréotypes toujours ac­
tifs, diffusés par les industries de
la consommation et du spectacle.
Wiley procède par appropria­
tion, substitution et accentua­
tion satirique. Exemple : une
toile de 2012 intitulée John Chur­
chill, Duke of Marlborough. Il
existe de nombreux portraits de
cet aristocrate britannique, qui
fut le premier du nom et vécut de
1650 à 1722, et de ses descendants
qui portèrent le même titre. La
plupart de ces peintures et gravu­
res montrent un homme d’entre
30 et 40 ans, de trois quarts, cadré
à mi­corps ou en pied. Il est vêtu
à la mode du temps, avec ou
sans cuirasse, avec ou sans cor­
dons d’ordres militaires et drapés
écarlates ; mais avec longue per­
ruque et, dans sa main droite, un
bâton, symbole de commande­
ment. Derrière lui, une architec­
ture, un peu de ciel nuageux ou
de feuillages.
Le tableau de Wiley présente
dans la même attitude un jeune
homme africain ou afro­descen­
dant. Il porte un jean assez éraillé
et un maillot de footballeur. Pas
de perruque, mais des drea­
dlocks. Pas de bâton de chef mais
un balai à long manche, de ceux
qui servent aux nettoyeurs des
rues. Le fond est composé de for­
mes décoratives serpentines à
dominantes rouges et vertes, qui
font immédiatement songer à
celles qui se développent sur les
wax, ces tissus emblématiques
de l’Afrique subsaharienne. Il y a
appropriation stylistique car
succès international de L’Exor­
ciste, de William Friedkin, décide
d’ajouter des scènes au cours des­
quelles le personnage principal,
possédé par le diable, raconte ce
qui lui est arrivé en songe (ces
scènes sont présentes dans le
film d’origine) tout en se tordant
de plaisir et de douleur face à un
prêtre bien décidé à chasser le dé­
mon en elle.
Avant charcutage
De nouvelles séquences, de pos­
sessions, d’échanges avec le prê­
tre, furent donc tournées par
Bava avec la même comédienne,
Elke Sommer, et ce nouveau
montage est sorti en salle sous le
titre La Maison de l’exorcisme.
« The Call » (2019), issu de la série « The World Stage : Tahiti », huile sur toile de lin
(244 cm × 183 cm). COLLECTION PARTICULIÈRE/COURTESY DE L’ARTISTE ET DE LA GALERIE TEMPLON, PARIS-BRUXELLES/KEHINDE WILEY STUDIO
Wiley est aussi parfait dans l’exé­
cution du moindre détail que ses
prédécesseurs du XVIIIe siècle. Il
y a substitution d’un portrait ac­
tuel à un portrait ancien. Il y a iro­
nie : le duc devient balayeur.
Ce changement à vue peut être
compris de plusieurs manières :
comme une allusion patente à
l’absence de modèles noirs dans
la peinture ancienne, à l’excep­
tion des « négrillons » de cours
princières, des esclaves et du roi
mage Balthazar ; comme la
dénonciation d’une société – la
nôtre – qui, dans ses imageries,
admire le footballeur et le basket­
teur africains et n’a pas un regard
pour les balayeurs et les
éboueurs, eux aussi africains ; et,
C’est la version d’origine, avant
charcutage et remontage donc,
que nous propose de retrouver,
voire de découvrir, ESC avec son
édition Blu­ray.
Le film marque la fin d’un fan­
tastique gothique cinématogra­
Le cinéaste
a transformé le
film d’épouvante
en expérience
sensorielle tout
autant qu’en
odyssée de l’esprit
donc, comme d’exalter ces immi­
grés prolétaires autant que la
peinture ancienne exaltait les
puissants.
On peut y voir aussi une inver­
sion de l’appropriation, quand un
artiste afro­américain se saisit
des codes picturaux occidentaux
et joue avec eux, comme les
artistes occidentaux se saisissent
au début du XXe siècle de codes
sculpturaux africains et en
jouent. Comme pour troubler
encore un peu plus le regard,
Wiley laisse souvent les motifs or­
nementaux floraux ou abstraits
se détacher du fond et venir se
poser sur les corps ou les enlacer.
Selon les cas, les allusions histo­
riques sont énoncées par le titre,
phique (genre dont Bava inventa
la variante transalpine) dont il
exhibe plusieurs motifs avant de
les dépasser par ce qui semble
tout à la fois une noire et mala­
dive méditation tout autant
qu’une extravagance baroque.
Sous l’œil goguenard du diable
A Tolède, en un temps où sem­
blent se mélanger différentes
époques, un soir, une jeune
femme, accompagnée d’un cou­
ple de bourgeois de rencontre et
de son chauffeur, est recueillie
par une comtesse aveugle (la vis­
contienne Alida Valli) et son fils
dans une demeure mystérieuse.
Le fils tombe amoureux de la
jeune arrivée, portrait craché
culture | 15
Quand l’artiste
peint la série
« Tahiti », les
références sont
d’abord visuelles,
puis historiques.
Elles s’adressent
à Gauguin
d’une défunte épouse ayant
connu une mort violente. L’at­
mosphère se raréfie, les choses
pourrissent littéralement, ron­
gées par les perversions sexuelles
comme l’inceste ou la nécrophi­
lie, les meurtres se succèdent, la
famille s’autodévore.
Tout cela sous l’œil goguenard
du diable (Telly Savalas), manipu­
lateur de poupées à dimension
humaine, rappelant aux hom­
mes leur destin à tous, leur iné­
luctable devenir­objet. Poème
symboliste aux sons du Concerto
d’Aranjuez, de Joaquin Rodrigo,
Lisa et le diable apparaît comme
la mise à nu quasi théorique des
obsessions d’un des plus singu­
liers artistes du cinéma italien.
ou plus codées. Le jeune homme
au polo bleu électrique nommé
Monsieur Seriziat l’est en réfé­
rence à la toile de David (1748­
1825). Bonaparte à la grande mos­
quée du Caire cite la toile du très
officiel Henri­Léopold Lévy
(1840­1904). Substituer aux trois
Grâces de la mythologie antique
trois dandys tenant chacun une
pomme verte est tout aussi expli­
cite et renvoie par ailleurs à l’ho­
mosexualité déclarée de Wiley.
Non moins saturées de citations
sont les peintures sur verre, qui
s’approvisionnent en postures et
accessoires dans les verrières à
sujets religieux des XVe et
XVIe siècles.
Machine à dissiper les mythes
Dans les portraits, les sous­en­
tendus sont dans la composition.
Idrissa Ndiaye, supporteur de
l’ASFA Dakar, club sénégalais,
pose en survêtement aux cou­
leurs de son équipe, mais vu en
contre­plongée, ce qui magnifie
sa stature, et devant un tapis à
broderies dorées digne d’un sou­
verain ou d’un archevêque. De
même, quand Wiley peint la série
Tahiti, en 2019, les références
sont d’abord visuelles, puis histo­
riques. Elles s’adressent à Gau­
guin (1848­1903) et à ses scènes
de vahinés nues dans la nature.
Celles­ci, loin de tout réalisme,
sont fantasmées et fabriquées
puisque, quand Gauguin s’établit
en Polynésie, les femmes sont de­
puis longtemps forcées de cacher
leur nudité sous des robes dites
« mission », parce que imposées
par les missionnaires catholi­
ques et réformés. Les Tahitiennes
de Wiley portent encore de ces
longues robes ; ou leurs bustes
nus sont cachés par des orne­
ments végétaux. Des tatouages
maoris envahissent la surface.
Or, ces tatouages, si largement
diffusés aujourd’hui, relèvent
eux­mêmes du fantasme et de
la fabrication d’une pseudo­
authenticité qui serait « sau­
vage » ou « primitive » et n’est
que parade sociale. Si séduisante
avec ses harmonies chamarrées
et ses beaux modèles, la peinture
de Wiley est une machine à dissi­
per les mythes d’une froide
efficacité. 
philippe dagen
Kehinde Wiley, peintre
de l’épopée, Centre d’art
La Malmaison, 47, boulevard
de La Croisette, Cannes (Alpes­
Maritimes). Tél. : 04­97­06­45­21.
De 10 heures à 19 heures en août,
de 10 heures à 18 heures
en septembre, puis de mardi
à dimanche de 10 heures
à 13 heures et de 14 heures
à 18 heures. De 3 € à 6 €.
Jusqu’au 1er novembre.
Bava a transformé le film d’épou­
vante en expérience sensorielle
tout autant qu’en odyssée de l’es­
prit. Le cinéma bis a rencontré
l’avant­garde.
ESC, qui a apporté une contri­
bution majeure à la connaissance
du cinéma de Mario Bava en pro­
posant plusieurs de ses films en
Blu­ray, vient aussi d’éditer, du
même auteur, le plus convenu
Baron vampire (1972) et l’ébourif­
fant péplum fantastique Hercule
contre les vampires (1961). 
jean­françois rauger
Film italien de Mario Bava. Avec
Telly Savalas, Elke Sommer, Sylva
Koscina (1 h 31). En coffret Blu­ray
+ DVD + livret Collector ESC.

16 | télévision
Un jeu de piste dans les rues de Philadelphie
Jason Segel signe une série à la mélancolie attachante, qui reprend les règles du Jejune Institute inventé par Jeff Hull
PRIME VIDEO
À LA DEMANDE
SÉRIE
A
l’origine, on trouve le
Jejune Institute, éta­
blissement fantaisiste
qui, de 2011 à 2014, a en­
traîné des milliers de joueurs de la
région de San Francisco dans un
labyrinthe de fausses institutions
et de factions rivales imaginaires,
avant de faire l’objet d’un docu­
mentaire, en 2013. A l’arrivée, une
série en dix épisodes, qui reprend
en partie les règles du jeu inventé
par Jeff Hull, le créateur du Jejune
Institute, pour en tirer une rêverie
urbaine – on s’est transporté à
Philadelphie – qui tient du cinéma
indépendant américain (on pense
à Spike Jonze et à Miranda July) et
de la sitcom chaleureuse.
Ces références contradictoires
ont un nom et un corps : Jason
Segel, échalas mélancolique rendu
célèbre, entre autres, par sa contri­
bution à l’une des séries les plus
populaires du début du siècle,
How I Met Your Mother, célébra­
tion de l’amitié qui demeure et des
amours qui changent. Segel a aussi
tenu le rôle du romancier David
Foster Wallace, l’auteur de L’Infinie
Comédie (Infinite Jest) dans The
End of the Tour (2015), de James
Ponsoldt. On trouvera dans
Dispatches from Elsewhere (« dépê­
ches d’ailleurs ») beaucoup d’ami­
Un vertigineux chassé­croisé amoureux sous domination
Avec « Mademoiselle », le Coréen Park Chan­wook met en scène un jeu de dupes aux renversements spectaculaires
OCS CITY
JEUDI 20 - 20 H 50
FILM
O n connaissait Park Chan­
wook comme l’enfant
terrible du cinéma de
genre sud­coréen. Pourtant, si
son style s’est montré aussi éton­
nant qu’épuisant, c’est que repo­
sait sous son fatras un talent pal­
pable, qui ne demandait qu’à être
canalisé. Mademoiselle accomplit
ce prodige. Il le doit à son ancrage
dans la fiction historique, qui
semble avoir calmé ses ardeurs,
GRILLE N° 20 - 193
PAR PHILIPPE DUPUIS
1 2 3 4 5 6
I les ans passent. V. Fin de vie. Poème
II
III
IV
V
VI
VII
VIII
IX
X Grand dans les dommages. Précède
SOLUTION DE LA GRILLE N° 20 - 192
HORIZONTALEMENT I. Avant-dernier. II. Varie. Nourri. III. Etna. Est. IGN.
IV. Néo. Omo. Ysoc (cosy). V. Tl. Etire. Eta. VI. Ipés. Td. As. VII. Runes.
Fris. VIII. Inde. Trinité. IX. Eau. Diapason. X. Russifièrent.
VERTICALEMENT 1. Aventurier. 2. Vatel. Unau. 3. Arno. Indus. 4. Nia.
Epée. 5. Té. Otés. DI. 6. Emis. Tif. 7. Ensor. Frai. 8. Rot. Etripé. 9. Nu.
Dinar. 10. Irisé. Sise. 11. Ergota. Ton. 12. Rinçassent.
20 - 193 daté jeudi 20 août.indd 1
UPLOADED BY "What's News" vk.com/wsnws TELEGRAM: t.me/whatsnws
Jason Segel (Peter) et Eve Lindley (Simone). PRIME VIDEO
tié, un peu d’amour, et une réalité E. Grant) dessine l’existence mé­
aussi fluctuante que celle qui bai­ diocre, faite de sushis industriels
gne les personnages de Wallace. et de temps d’écran excessif. Peter
s’ennuie si fort qu’il surmonte un
Préciosité et pathos moment l’anomie sociale pour
Segel est le créateur, le coscéna­ prendre contact avec le Jejune
riste de la plupart des épisodes et Institute. Là, il croise le chemin de
parfois le réalisateur de Dispatches Fredwynn (André Benjamin, plus
from Elsewhere. Il communique à connu sous le nom d’André 3000,
la série la mélancolie attachante du duo OutKast), un surdoué ob­
de son personnage, Peter, dont sessif, de Simone (Eve Lindley),
un mystérieux narrateur (Richard une jeune femme trans, et de
et à son inscription dans une cer­ de la Corée. Sookee (Kim Tae­ri),
taine tradition du cinéma coréen, d’extraction modeste, est choisie
à savoir le film de domesticité. pour devenir la femme de cham­
Les rapports de domination bre d’une Japonaise de noble fa­
entre maîtres et serviteurs y sont
soumis à une étrange fermen­
tation, troublés par le jeu d’une
ritualité perverse, bientôt ren­
versés par une exténuation des­
mille, Hideko (Kim Min­hee), sous
la coupe d’un oncle autoritaire et
bibliophile, en fait un parvenu qui
vise à accaparer son héritage. Mais
la nouvelle venue fait elle­même
tructrice. Mademoiselle, bien partie d’une bande de trafiquants
qu’inspiré d’un roman britan­ qui convoitent la même fortune.
nique (Du bout des doigts, de
Sarah Waters, 2002), ne déroge Intérêts déguisés
en rien à la règle. Sookee doit pousser sa maîtresse
Le film s’ouvre dans les années dans les bras d’un faux comte (Ha
1930, sous l’occupation japonaise Jung­woo), son complice, venu dis­
HORIZONTALEMENT
I. L’art d’aligner des corps différents.
II. Pour une cuisine goûteuse. Noble
descendance. III. Evacue les gaz. Faci-
lite les déplacements. Le meilleur
après extraction. IV. Encouragement
7 8 9 10 11 12
au stade. Baisse de régime quand
narratif. Royale décoration. VI. Le bon
compte pour aller au trou. Blonde
Anglaise. Accord d’en bas. VII. Ad-
monesté et bien repris. Planté en
façade. VIII. Déesse marine. Lieu de
grève. Bonne, elle peut sauver les
apparences. IX. Font monter la tem-
pérature. A régler pour s’enrichir.
X. Ont retrouvé un semblant de vie.
VERTICALEMENT
1. Pas bien catholique quand il est
drôle. 2. Résineux en montagne. Tra-
vailla sur l’œil. 3. Défait les mariages
à Rome. Affluent du Danube, pour les
plus coincés. 4. Sensible et invisible.
le su. 5. Négation. Prendre du plaisir
dans la descente. 6. Fait pour préve-
nir. Entraîne l’Amérique vers les
étoiles. 7. Dans l’océan Indien.
Passent et pèsent. 8. Parle comme
Donald. Romains. 9. Conjonction.
Mauvais fond. Possessif. 10. Solide-
ment installé. Son droit accordait des
privilèges. 11. Ce n’est même pas la
peine d’en discuter. Passée à l’huile.
12. Auront beaucoup de mal à prati-
quer l’ouverture.
07/08/20 15:01
Janice (Sally Field), qui se prépare à
affronter un veuvage inéluctable.
Chacun des membres du qua­
tuor se lance à corps perdu dans le
jeu pour des raisons aussi différen­
tes que contradictoires : Fredwynn
y voit la manifestation d’un mys­
térieux complot, Janice une dis­
traction à son malheur quotidien,
Eve un moyen de s’intégrer dans
un groupe et Peter, tout simple­
ment, l’occasion de ressentir enfin
penser à la jeune femme des cours
de peinture. Or se noue entre la
servante et la captive une attirance
imprévue, qui s’interpose entre le
comte et sa proie, et risque de dé­
jouer son stratagème.
De ce postulat déjà complexe,
où chacun déguise ses intérêts
sous une fausse identité, le récit
ne cessera d’organiser des renver­
sements spectaculaires. C’est plus
précisément le triangle amou­
reux des deux jeunes femmes et
du comte qui culbute à plusieurs
reprises, chaque protagoniste ap­
paraissant à tour de rôle comme
SUDOKU
N°20­193
6 4
9 1
2 5
7 8
6 8
8 4 7 2 3
1 3 5 2 4 par
Réalisé par Yan Georget (https://about.me/yangeorget)
HORS
-S É R I E
LI S AT I O
NS
& CIVI
s €
e m iè r e 14,50
le s pr o n s
at i
c i v i li s
MOND
L’H ISTOI
RE DU
Tirage du Monde daté mercredi 19 août : 135 174 exemplaires
quelque chose. Un schéma très li­
sible que viennent brouiller des re­
bondissements arbitraires, parfois
drôles, parfois agaçants. La précio­
sité guette, et quand elle recule,
c’est le pathos qui avance.
Au bout du compte, ce n’est pas
très grave. Car Jason Segel a pris
une assurance tous risques en pro­
cédant à la distribution des rôles. Il
est un acteur sensible. En Eve
Lindley, son personnage trouve
une partenaire différente, tou­
chante et fragile. André Benjamin
étonnera par sa rigidité, son intro­
version (il a aussi incarné Jimi
Hendrix, qui n’était pas renfermé).
Enfin, surtout, Dispatches from
Elsewhere offre à Sally Field un rôle
merveilleux, nuancé. Janice vit
dans un dialogue perpétuel avec la
jeune fille qu’elle a été (qui prend
corps à l’écran), entre regrets et se­
crètes espérances. Depuis qu’elle a
incarné Mary Todd Lincoln dans le
film de Steven Spielberg, en 2012,
l’interprète de Norma Rae (1979)
n’avait pas eu grand­chose à se
mettre sous la dent. Ne serait­ce
que parce qu’il lui a offert ce per­
sonnage, Jason Segel a eu raison de
mettre en chantier cet édifice, im­
parfait, étrange, charmant. 
thomas sotinel
Dispatches from Elsewhere,
de et avec Jason Segel. Avec
André Benjamin, Sally Field, Eve
Lindley (EU, 2020, 10 × 50 min).
la victime des deux autres, dans
un vertige de faux­semblants qui
se déroule comme une équation à
plusieurs inconnues.
Ce chassé­croisé de mensonges
et de voracité était le terrain rêvé
pour que le cinéaste déchaîne son
ironie. Le désir masculin est battu
en brèche par l’hypothèse fémi­
niste jouisseuse et l’érotisme
spontané qu’invente le film. 
mathieu macheret
Mademoiselle, de Park Chan­wook.
Avec Kim Min­hee, Kim Tae­ri, Ha
Jung­woo (Cor. du Sud, 2016, 2 h 25).
2 3 9 5 6 1
1 6 8 3 7 4
7 4 5 2 9 8
9 2 9 5 2 7 1 6
6 1 4 8 5 3
3 8 7 3 4 2 9 6
4 8 7 1 3 2
5 9 1 6 4 7
3 2 6 9 8 5
Moyen
Complétez toute la
1
grille avec des chiffres
allant de 1 à 9.
7 Chaque chiffre ne doit
être utilisé qu’une
seule fois par ligne,
colonne et par
carré de neuf cases.
HORS-SÉRIE
LES PREMIÈRES CIVILISATIONS
— HISTOIRE DU MONDE —
UN HORS-SÉRIE DE 274 PAGES
CHEZ VOTRE MARC
MARCHAND DE JOURNAUX
E Ce journal est imprimé sur un papier UPM issu de forêts gérées
0123
JEUDI 20 AOÛT 2020
VOTRE
SOIRÉE
TÉLÉ
J EU D I   20  AOÛ T
TF1
21.05 Profilage
Série. Avec Philippe Bas,
Tamara Marthe (Fr., 2020 et 2019).
23.10 Profilage
Série. Avec Philippe Bas,
Juliette Roudet (Fr., 2019).
France 2
21.05 Tout le monde a son mot
à dire
Jeu présenté par Sidonie Bonnec
et Olivier Minne.
23.30 La troupe à Palmade
s’amuse avec…
Spectacle. Avec la collaboration
de François Berléand et Muriel Robin.
France 3
21.05 Noces rouges
Série. Avec Alexia Barlier,
Cristiana Reali, Lannick Gautry
(Fr., 2018, 145 min).
23.40 Le spectacle continue
Magazine musical.
Canal+
21.00 Penny Dreadful :
City of Angels
Série. Avec Natalie Dormer,
Daniel Zovatto, Kerry Bishé
(EU, 2020).
22.50 Mayans M.C.
Série. Avec JD Pardo,
Clayton Cardenas, Sarah Bolger
(EU-Mex., 2019).
France 5
20.50 Des trains pas comme
les autres
Danemark et Taïwan.
Documentaires d’Alex Badin
(Fr., 2020, 50 min) et de
Nicolas Boero (Fr., 2018, 50 min).
23.45 Quand la nostalgie
fait recette
Documentaire de Martin Blanchard
(Fr., 2017, 50 min).
Arte
20.55 The Killing
Série. Avec Sofie Grabol,
Nicolas Bro, Charlotte Guldberg
(Dan., 2009).
22.55 The Killing
Série. Avec Sofie Grabol
(Dan., 2012).
M6
21.05 Cauchemar en cuisine
Télé-réalité.
22.55 Cauchemar en cuisine
Télé-réalité.
0123 est édité par la Société éditrice
du « Monde » SA. Durée de la société :
99 ans à compter du 15 décembre 2000.
Capital social : 124.610.348,70 ¤.
Actionnaire principal : Le Monde Libre (SCS).
8 4 7 Rédaction 67-69, avenue Pierre-Mendès-France,
5 9 2 75013 Paris. Tél. : 01-57-28-20-00
3 1 6
Abonnements par téléphone au 03 28 25 71 71
4 3 8
(prix d’un appel local) de 9 heures à 18 heures.
7 2 9
Depuis l’étranger au : 00 33 3 28 25 71 71.
5 1 Par courrier électronique :
9 6 5 abojournalpapier@lemonde.fr.
2 8 3 Tarif 1 an : France métropolitaine : 399 ¤
1 7 4
Courrier des lecteurs
Par courrier électronique :
courrier-des-lecteurs@lemonde.fr
Médiateur : mediateur@lemonde.fr
Internet : site d’information : www.lemonde.fr ;
Emploi : www.talents.fr/
Collection : Le Monde sur CD-ROM :
CEDROM-SNI 01-44-82-66-40
Le Monde sur microfilms : 03-88-04-28-60
La reproduction de tout article est interdite
sans l’accord de l’administration. Commission
paritaire des publications et agences de presse
n° 0722 C 81975 ISSN 0395-2037
Présidente :
Laurence Bonicalzi Bridier PRINTED IN FRANCE
67-69, avenue
Pierre-Mendès-France
75013 PARIS
Tél : 01-57-28-39-00
Fax : 01-57-28-39-26
L’Imprimerie, 79, rue de Roissy,
93290 Tremblay-en-France
Montpellier (« Midi Libre »)
Origine du papier : France. Taux de fibres recyclées : 100 %.
durablement, porteur de l’Ecolabel européen sous le N°FI/37/001.
Eutrophisation : PTot = 0.009 kg/tonne de papier
 UPLOADED BY "What's News" vk.com/wsnws TELEGRAM: t.me/whatsnws

0123
JEUDI 20 AOÛT 2020 carnet | 17
Danièle Daher, son époux, Sami Poitiers (Vienne). Jacques et Marie Saffroy, Christiane Thiollier,
Touma et leurs enfants, Nadine et Clichy-la-Garenne (Hauts-de-Seine). Monique Saffroy, son épouse,
Bruno, Ermont (Val-d’Oise). Ses enfants et petits-enfants,
Geneviève Saffroy,
Bruno Daher, son épouse, Ghada Sa famille
en vente Le Carnet Soussa et leurs enfants, Grace, Tara Mme Josette Métais, ses enfants,
Et ses amis,
son épouse, Sophie et Pierre-Emmanuel,
actuellement et Léa,
Isabelle et Stéphane Kharat, Perrine et Alexis,
Joseph et Georges, les enfants de ont la grande tristesse de faire part
Philippe Métais et Anés Nefissi, Arthur,
Merci de nous adresser feu Nicolas Daher, du décès de
K En kiosque ses enfants,
Alice, Joséphine, Nael, Lila, ses petits-enfants,
vos demandes ont la douleur de faire part du décès, ses petits-enfants, Guillaume et Helena, Guy-Alain THIOLLIER,
survenu à Paris, le 12 août 2020, Son frère, sa sœur, ses beaux- ses arrière-petits-enfants,
de leur frère, beau-frère et oncle, frères et belles-sœurs
UNE VIE, UNE ŒUVRE
par mail en précisant Ainsi que toute la famille
survenu le 13 août 2020,
ont la tristesse de faire part du retour à l’âge de quatre-vingt-six ans.
René DAHER. Et ses amis,
impérativement à Dieu de
Émile ont l’immense tristesse de faire part Ils expriment leur gratitude
Zola C’est avec un immense courage
L’indigné votre numéro de qu’il a lutté pendant dix-huit mois, du décès de Mme Eliane SAFFROY, aux équipes médicales, et
contre l’inéluctable. particulièrement au professeur
téléphone personnel, M. Jacques MÉTAIS, Pierre Mongiat-Artus et au
directeur d’hôpital, le 13 août 2020, à Paris,
C’est avec infiniment de chagrin professeur Guilhem Bousquet, qui
directeur d’agences régionales à l’âge de cent deux ans.
votre nom et prénom, l’ont accompagné pendant ses
Vu par Clemenceau, Jaurès, Aragon, Mendès-France, Taubira...

que nous affrontons ce deuil, d’hospitalisation,

Hors-série d’autant que cette période de inspecteur général dernières années.
La cérémonie religieuse sera
adresse postale troubles extrêmes, nous oblige à des affaires sociales,
organiser une cérémonie de deuil président de santé service, célébrée le samedi 22 août, à 9 h 30, Stéphane,
et votre éventuelle différée de la mise en terre. chevalier en l’église Saint-Roch, à Parent (Puy-
de l’ordre national du Mérite, qui nous a quittés en 1992, est dans
HORS-SÉRIE JEUX
FIA

l’ARGOT
LULU D’ARD IS •
MARC ELLE RATA
de-Dôme), suivie de l’inhumation
référence d’abonnement. Une messe à son intention sera dans le caveau de famille, à Parent, nos cœurs à tous.
JEU X ET QUIZ Z
POU R TOU S
donnée à une date restant à fixer, survenu à l’âge de soixante-douze
ans. aux côtés de son époux,
afin de lui rendre un dernier Nous nous réunirons au
L’équipe du Carnet
Quizz,

hommage avec la participation de crématorium du cimetière du Père-

mots croisés,
mots cachés,

La cérémonie d’adieu sera célébrée M. Gaston SAFFROY

mots fléchés,
jeux de l’oie,

tous ceux qui l’ont connu et aimé.

coloriages et

Lachaise, Paris 20e, le jeudi 20 août,

points reliés,

le samedi 22 août 2020, à 10 heures,

rebus,

(† 6 août 1985).
anagrammes,

reviendra vers vous

version, etc.

à la salle du Temps Libre de à 14 h 30 et l’inhumation aura lieu

Irène Kaganski et Marc Adrien, Chalandray (Vienne), suivie de au cimetière Montmartre, Paris 18e,
dans les meilleurs délais. Serge et Michèle Kaganski, l’inhumation dans l’intimité au Une célébration en leur mémoire le vendredi 21 août, à 11 h 45.
ses enfants, cimetière de la commune. aura lieu ultérieurement, en l’église
son gendre et sa belle-fille, Saint-Sulpice, à Paris 6e. christiane.thiollier@asiatheque.com
Hors-série jeux Judith, Vladimir et Jessica, Joachim, Port du masque obligatoire.
carnet@mpublicite.fr Elsa, Natacha,
9, place de la Nation,
M. Jacques Métais repose à la Christine Clerici, 75011 Paris.
ses petits-enfants,
Léonor et Natalie, chambre funéraire Leylavergne, présidente d’Université de Paris,
HORS-SÉRIE
AU CARNET DU «MONDE» ses arrière-petites-filles, 9, rue du Stade, à Loudun. Alain Zider, Xavier Darcos,
Les familles Silbermann, doyen de la faculté des sciences, chancelier de l’Institut de France
Liebermann, Satler, Adrien, Shulz, Ni fleurs ni plaques ni couronnes.
L’ATLAS Décès
ont le chagrin de faire part du décès
Dons au fonds Aliénor du CHU de
Poitiers ou à la Fondation Santé
Rémi Losno,
directeur de l’UFR chimie,
Et les membres de l’Institut,

ont la tristesse de faire part de la

6000 ANS
D’HISTOIRE DES 200
CARTES Montpellier (Hérault). de Service. Elodie Anxolabéhère-Mallart,
disparition de leur confrère,
AFRIQUES directrice du laboratoire
Mme Geneviève Balmès, Henriette La famille exprime sa d’électrochimie moléculaire,
née Léger, KAGANSKI-SILBERMANN, reconnaissance à tous les soignants
qui l’ont accompagné. Ses collègues et amis, Pierre-Yves TRÉMOIS,
son épouse,
Dominique et Evelyne, survenu dans la quatre-vingt-dix- membre
Laure et Jean-Pierre, septième année d’une vie vaillante Pompes Funèbres Leylavergne, ont eu la grande tristesse d’apprendre de l’Académie des beaux-arts.
Hors-série Vincent et Isabelle, et combattive. 86200 Loudun. la disparition survenue le 16 août
Tél. : 05 49 98 03 19. dernier, du
ses enfants et leurs conjoints,
La famille remercie Annie Ils adressent à sa famille leurs plus
Françoise et Joseph, Hélène,
Collections ses sœurs et beau-frère,
Ses petits-enfants et leurs conjoints,
Tournayre, Maria Bandeira, le
docteur Franck Perruche et le
personnel de la résidence Tiers
Bernard Momméja (†),
son époux,
professeur
sincères condoléances.

Ses arrière-petits-enfants, Temps. Laurent et Marie-Paule Momméja,

Jean-Michel SAVÉANT, Denis Larghero,
Ses neveux et nièces, Olivier Momméja (†),
professeur émérite maire de Meudon,
Ses obsèques auront lieu le Renaud et Cécile Momméja,
Parents, alliés et amis, d’Université de Paris, vice-président du conseil
vendredi 21 août, à 15 h 30, au ses fils et ses belles-filles,
Clémence, Louis, Alice, Thibaut départemental des Hauts-de-Seine,
cimetière parisien de Bagneux. membre de l’académie des sciences,
ont la douleur de faire part du décès et Zoé,
du membre de la National Academy
Ni fleurs ni couronnes. ses petits-enfants, Hervé Marseille,
of Sciences des Etats-Unis, maire honoraire de Meudon,
Odile Puech (†),
docteur Bertrand et Martine Puech, Fondateur du laboratoire sénateur des Hauts-de-Seine,
irenekaganski@free.fr
Pierre BALMÈS, skaganski@hotmail.com Marie-France et Gérard Bauer, d’électrochimie moléculaire,
professeur honoraire Nicolas Puech, Et le conseil municipal de Meudon,
à la Faculté de médecine Agnès et Thierry Harth, Géant de l’électrochimie, il laisse
La Ligue nationale contre le cancer Eric de Luze,
de Montpellier, une œuvre scientifique majeure ont la tristesse d’annoncer la
ancien chef de service de médecine Roger Cargill, disparition, de
a l’immense tristesse de faire part et inspirante pour les générations
interne au CHU de Nîmes, ses frères, sœurs, beaux-frères et
du décès du belles-sœurs, futures de chimistes.
Henry WOLF,
En vente actuellement, Les familles Puech, Momméja,
survenu à l’âge de quatre-vingt-cinq maire de Meudon
Dumas, Guerrand,
le volume n° 2 ODIN ans. docteur de 1983 à 1999,
Ils s’associent à la peine de sa
ET LES NEUF MONDES Françoise MAY-LEVIN, ont la tristesse d’annoncer le décès ancien vice-président
Un hommage civil lui sera rendu famille et de ses proches. du conseil départemental
ardente bénévole militante de
le 21 août 2020, à 15 heures, au à la Ligue depuis plus de vingt ans. des Hauts-de-Seine,
complexe funéraire de Grammont, à Isaline MOMMÉJA, Ses enfants, commandeur
LE MONDE DE
Montpellier, dans l’intimité familiale née PUECH, Son beau-fils, de la Légion d’honneur,
MAIGRET en raison des contraintes sanitaires.
Un hommage sera rendu à sa carrière
Le président de la
professeur Axel Kahn,
Ligue, le
l’ensemble survenu le 13 août 2020,
dans sa quatre-vingt-huitième année.
Ses huit petits-enfants
et leurs conjoints, survenue à l’âge de quatre-vingt-
professionnelle ultérieurement. des Ligueurs bénévoles et salariés treize ans.
Ses douze arrière-petits-enfants,
LE MONDE DE

MAIGRET adressent à sa famille, leurs plus

Georges Simenon

L’inhumation aura lieu le jour-
La Tête
d’un homme
même, à 16 h 30, au cimetière Saint-
Lazare, à Montpellier.
La famille tient à remercier les
infirmiers et auxiliaires de vie qui
l’ont entouré ces derniers mois, ainsi
que le personnel du centre Antonin
Balmès pour la gentillesse et le
Dès jeudi 20 août, dévouement dont ils ont fait preuve
le volume n° 5 jusque dans ses derniers instants.
LA TÊTE D'UN HOMME
Anne, Michel et Denis de Rudder,
ses enfants,
Yuko Kikuchi,
sa belle-fille,
Emanuelle et Gilles Batz,
ses nièce et neveu,
Les familles Batz et de Rudder,
ont le profond chagrin de faire part
du décès de
Mme Danièle BATZ,
professeure de géographie,
veuve de
M. Pierre DE RUDDER,
Dès mercredi 19 août, survenu le 14 août 2020,
le volume n° 4 dans sa quatre-vingt-quinzième année.
LES MISÉRABLES II
La cérémonie d’adieu aura lieu au
Nos services crématorium de Bruxelles, le jeudi
20 août, à 14 h 30, dans la plus stricte
intimité, en raison des mesures en
Lecteurs
vigueur.
K Abonnements Avenue Brillat-Savarin 101/14,
Sur abo.lemonde.fr 1050 Bruxelles (Belgique).
Par tél. au 03 28 25 71 71
de 9 h à 18 h (prix d'un appel local) La famille
Et les amis, de
K Le Carnet du Monde
sincères condoléances.
Jamais la Ligue ne pourra oublier
l’engagement, la détermination,
l’altruisme et la gentillesse de
Françoise May-Levin.
Ligue contre le cancer,
14, rue Corvisart,
75013 Paris.
Élisabeth Ménager,
son épouse,
Anne Le Goff,
Sylvie Ménager et Marc Chanty,
Jean-Luc et Jocelyne Ménager,
Christine Ménager et Anne Maitre,
ses enfants,
Pierre-Yves et Sophie,
Olivier, Arnaud,
Raphaël, Audrey, Esther,
Emmanuel, Josué, Jérémie,
Claire,
ses petits-enfants,
Bernard et Françoise Ménager,
Jacques Ménager et Francine
Ouvrier Bonaz,
ses frères et belles-sœurs,
ont la tristesse de faire part du décès
de
Daniel MÉNAGER,
ancien élève
de l’Ecole normale supérieure,
professeur émérite
de l’université Paris X Nanterre.
survenu à son domicile,
le 15 août 2020,
à l’âge de quatre-vingt-trois ans
Le culte d’action de grâce aura lieu
le jeudi 20 août, à 14 h 30, au temple
protestant, 1, route du Grand-Pont,
Les obsèques ont eu lieu dans
l’intimité ce mercredi 19 août, au
cimetière du Père-Lachaise, Paris 20e.
Un service religieux en sa
mémoire aura lieu au début du mois
de septembre.
Une annonce à cet effet sera
publiée ultérieurement.
Alice, Louise et Quentin Wallon,
ses enfants,
Ousmane Touré,
son mari,
Ses petits-enfants,
Mme Huguette Paquet,
sa mère,
ont la tristesse de faire part de la
disparition de
Marianne PAQUET.
Cet avis tient lieu de faire-part.
souvenirsmarianne@gmail.com
Paris.
Mme Geneviève Potier de Courcy,
née Lys,
son épouse,
Odile, Hélène et Anne,
ses filles,
Mathilde, Héloïse, Eurydice, Paul,
Adrien, Marie et Jean,
ses petits-enfants,
Sa famille
Et ses amis,
ont la tristesse d’annoncer le décès
de
M. François POTIER DE COURCY
La cérémonie aura lieu le vendredi
21 août 2020, à 15 heures, en l’église
de la Côte-Saint-André (Isère).
Ses six neveux et nièces Ses obsèques ont eu lieu le mardi
et leurs conjoints, 18 août 2020, dans la stricte intimité
Ses petits et arrière-petits-neveux familiale, au cimetière de Trivaux,
et nièces, à Meudon.
ont la grande tristesse de faire part Commémoration
du décès de
L’association « Les Fils et Filles des
Déportés Juifs de France »,
Ruth SCHATZMAN, Beate et Serge Klarsfeld,
Odessa 12 septembre1920 -
Briançon 10 août 2020, rappellent la rafle dite du XIe
professeur de russe, arrondissement qui fut opérée du
20 au 25 août 1941 par la police
française sous contrôle de militaires
veuve de
allemands. Cette rafle a entraîné
Evry SCHATZMAN l’arrestation puis la déportation
(† 2010), de plus de 4 000 Juifs, tous des
a publié le Journal et hommes, après leur internement
les lettres de B. Schatzman, dans des conditions inhumaines
pris dans la rafle des Notables, dans le camp de Drancy qui fut
désormais réservé aux Juifs. Parmi
mort en déportation.
les personnes arrêtées il y eut pour
la première fois un millier de Juifs
La crémation a eu lieu dans de nationalité française dont le
l’intimité. gouvernement de l’Etat Français à
Vichy ne demanda pas la libération
Un hommage lui sera rendu le ainsi que 45 avocats à la Cour d’appel
de Paris arrêtés spécialement sur
mardi 25 août, à 14 h 30, au cimetière
ordre de la Gestapo.
parisien de Pantin.
FFDJF,
davidetclaire-schatzman@wanadoo.fr 32, rue la Boétie,
anne.schatzman@gmail.com 75008 Paris.
Société éditrice du « Monde » SA
Président du directoire, directeur de la publication Louis Dreyfus
Directeur du « Monde », directeur délégué de la publication, membre du directoire Jérôme Fenoglio
Directeur de la rédaction Luc Bronner
Directrice déléguée à l’organisation des rédactions Françoise Tovo
Direction adjointe de la rédaction Grégoire Allix, Philippe Broussard, Emmanuelle Chevallereau, Alexis Delcambre,
Benoît Hopquin, Marie-Pierre Lannelongue, Caroline Monnot, Cécile Prieur, Emmanuel Davidenkoff (Evénements)
Directrice éditoriale Sylvie Kauffmann
Rédaction en chef numérique Hélène Bekmezian
Rédaction en chef quotidien Michel Guerrin, Christian Massol, Camille Seeuws, Franck Nouchi (Débats et Idées)
Directeur délégué aux relations avec les lecteurs Gilles van Kote
Directeur du numérique Julien Laroche-Joubert

carnet@mpublicite.fr au Vésinet (Yvelines). Chef d’édition Sabine Ledoux

Maria CUGAT,
ont la douleur de faire part de son
décès, survenu à Paris, dans la nuit
du 14 au 15 juillet 2020.
Élisabeth Ménager,
17, avenue Gabriel-Péri,
92500 Rueil-Malmaison.
elisabeth.menager92@gmail.com
Un office sera célébré à Paris
ultérieurement.
Cet avis tient lieu de faire-part et
de remerciements.
Directrice du design Mélina Zerbib
Direction artistique du quotidien Sylvain Peirani
Photographie Nicolas Jimenez
Infographie Delphine Papin
Directrice des ressources humaines du groupe Emilie Conte
Secrétaire générale de la rédaction Christine Laget
Conseil de surveillance Jean-Louis Beffa, président, Sébastien Carganico, vice-président

L’été en séries
18 |
Un féminisme
très élastique
DU PONT DE NEMOURS, UNE SAGA 
FRANCO­AMÉRICAINE 3 | 6
Si le patriarche de la dynastie industrielle
éprouvait de la méfiance à l’égard des
femmes, l’entreprise de ses descendants
a participé à leur émancipation
en révolutionnant leur garde-robe
J
e vais chanter les Guerriers et les
Belles/Et les Amours, et les armes
cruelles… » Ainsi débute une traduc­
tion méconnue du Roland furieux
(1516), l’épopée chevaleresque de
Ludovico Ariosto, dit « L’Arioste ».
L’homme qui fait passer ces vers de
l’italien au français n’est pas poète, encore
moins traducteur : il s’agit de Pierre Samuel
du Pont de Nemours (1739­1817), l’écono­
miste le plus lyrique du siècle des Lumières.
Lorsqu’il publie, en 1812, cet « essai de tra­
duction », son fils cadet, Eleuthère Irénée,
est déjà à la tête d’une fabrique de poudre à
canon. Fondée dix ans plus tôt, dans l’Etat
du Delaware, dans le nord­est des Etats­
Unis, l’entreprise – orthographiée DuPont,
sans espace – sera bientôt le principal four­
nisseur des troupes américaines.
Mais, dans le texte de Ludovico Ariosto, ce
ne sont pas les « armes cruelles » qui ont
happé l’économiste français, plutôt la dé­
tresse du héros, ce Roland furieux d’avoir
été trompé par sa belle. Comme lui, du Pont
estime avoir été dupé sentimentalement.
Depuis 1781, il est épris de Marie­Anne
Paulze, qui tient l’un des salons les plus cou­
rus de Paris. Qu’elle soit l’épouse et la colla­
boratrice de l’un de ses meilleurs amis, le
chimiste Antoine Laurent Lavoisier, ne fait
qu’attiser sa passion pour celle qu’il sur­
nomme « ma cousine du boulevard » ou
« ma bien chère fille ». « Je n’ai pas cessé une
minute de vous aimer plus que ma vie,
s’épanche­t­il de lettre en lettre. Un seul mot
de vous rouvre et pénètre mon âme. »
En 1794, Lavoisier meurt sur la guillotine,
tandis que du Pont en réchappe in extremis :
dès sa libération de la prison de La Force, Ma­
rie­Anne met un terme brutal à leur liaison.
Jusqu’à son décès, en 1817, dans le Delaware,
Pierre Samuel en concevra un immense dé­
pit. « Il me semble que j’étais une richesse,
écrit­il à Marie­Anne en 1799, avant d’embar­
quer pour le Nouveau Monde. Si j’étais un
autre, et surtout si j’étais femme, et s’il était
possible que je trouvasse un du Pont tout pareil
à celui­là, je ne pourrais m’empêcher de l’aimer
à la folie. Vous en avez jugé autrement… »
L’amoureux éconduit ne s’avoue pas pour
autant vaincu : « J’aurai soin de vous
surprendre encore, de vous montrer qu’il n’y
a aucune des touches du clavecin de la vie sur
laquelle je ne puisse appuyer un doigt rapide
et savant. » Pour rembourser les dettes qu’il
a contractées auprès des Lavoisier, Pierre
Samuel hypothèque ce qu’il a de plus
précieux, son domaine du Bois­des­Fossés,
dans la campagne du Gâtinais, au sud de
Paris. A ce geste, comme au reste, Marie­
Anne est indifférente. « C’est l’archétype de
la femme savante et puissante, comme on en
UPLOADED BY "What's News" vk.com/wsnws TELEGRAM: t.me/whatsnws
trouve un certain nombre à l’époque, dans la
noblesse ; vis­à­vis de Pierre Samuel, elle
mène le rapport de force », affirme Ber­
nadette Bensaude­Vincent, historienne des
sciences. « Mme de Warens a trompé Jean­Jac­
ques Rousseau, Mme du Châtelet a trompé
Voltaire…, énumère du Pont. Est­ce donc
une fatalité, commencée par Eve dans le
paradis terrestre, que d’être trompé par les
femmes qu’on aime ? »
Au cours de ses pérégrinations entre la
France et les Etats­Unis, l’économiste se
lance dans la rédaction de ses Mémoires.
Il les écrit à destination des deux enfants
qu’il a eus de son premier mariage, avec Ni­
cole Charlotte Le Dée de Rencourt, morte
en 1784. Dans des termes très directs, il y
confesse l’attachement qu’il éprouve pour
sa propre mère : « J’aimais tant cette excel­
lente femme que toutes les fois que je me suis
senti bien amoureux, j’ai cherché quelques
rapports de ressemblance entre elle et la
beauté qui m’était devenue chère. (…) Hélas !
je suis obligé d’avouer à ma honte que la plu­
part de celles qui m’ont fait cette illusion se
sont appliquées ensuite à la détruire et à me
démontrer (…) que les femmes semblables à
ma mère sont bien rares. »
UNE « FAMILLE TRÈS ENDOGAME »
Comment se protéger d’une telle duplicité ?
Pour la colonie agricole qu’il entreprend de
fonder sur la Côte est des Etats­Unis, en 1800,
et baptisée Pontiana, du Pont formule une
solution radicale : « Je recommanderais tout
spécialement, dans notre colonie, les maria­
ges entre cousins. Nous assurerions ainsi pu­
reté d’âme et de sang. » Outre­Atlantique, ses
descendants écouteront à la lettre le conseil
du patriarche. A commencer par deux de ses
petits­enfants, Sophie Madeleine et Samuel
Francis, dont les noces sont prononcées
en 1833, en toute discrétion. « La famille du
Pont est la plus endogame des Etats­Unis, as­
sure le journaliste américain Gerard Colby,
auteur en 1974 d’un livre sur la dynastie,
Behind the Nylon Curtain (Forbidden
Bookshelf, 2014, non traduit). Jusqu’à la pre­
mière guerre mondiale au moins, près d’un
mariage sur trois se nouera entre cousins. »
Au fil des guerres et des générations, la
croissance de l’entreprise familiale ne se dé­
ment pas. Pas question de faire entrer le pre­
mier venu dans son précieux giron ! Cette
tension entre le clan et le reste du monde,
exacerbée par les liens du mariage, est à
l’origine de drames en cascade. Dans les châ­
teaux que la dynastie érige aux quatre coins
du Delaware, rien n’est plus sensible que le
lignage de la princesse appelée à y élire do­
micile. Ne faut­il pas attendre des années
avant que Mary Belin, d’origine juive, soit
acceptée par la très chrétienne famille de
son mari, Lammot du Pont (1831­1884) ?
Le scandale est plus éclatant encore lors
du divorce d’Alfred Irénée du Pont (1864­
1935). Depuis 1901, l’industriel, marié à une
cousine, entretient une liaison avec une
autre de ses parentes, Mary Heyward Brad­
ford. Pour la voir plus fréquemment, il l’ins­
talle à proximité du domicile conjugal, et lui
fait épouser un employé de la firme, George
Amory Maddox. En 1906, devenu borgne et
malentendant, Alfred divorce de son
épouse, qu’il accuse de « cruauté mentale » ;
dix mois plus tard, il passe la bague au doigt
« DANS UNE DYNASTIE  de Mary, au grand dam du pauvre Maddox,
condamné à disparaître dans la nature.
AUSSI PATRIARCALE,  Sommé de prendre position entre la pre­
mière et la deuxième épouse d’Alfred,
C’EST D’ABORD  jamais le clan ne se déchirera avec autant
d’animosité. A qui la presse américaine fera­
AUX FEMMES QU’ON  t­elle porter le chapeau ? « Guerre des
IMPUTE LES FAUTES.  femmes chez les du Pont ! », titrent les
manchettes racoleuses.
CELA EXPLIQUE  « Dans une dynastie aussi patriarcale, c’est
d’abord aux femmes qu’on impute les fautes,
POURQUOI TANT  analyse Gerard Colby. Cela explique pour­
D’ÉPOUSES  quoi tant d’épouses du Pont se rangent der­
rière leurs maris. » Comme sous l’Ancien Ré­
DU PONT SE RANGENT  gime, il arrive que les noces soient lestées
d’une écrasante charge politique. C’est le cas
DERRIÈRE  des « épousailles du siècle » célébrées,
LEURS MARIS » en 1937, devant une horde de journalistes :
Ethel du Pont convole avec l’un des fils du
GERARD COLBY président des Etats­Unis Franklin Delano
journaliste américain Roosevelt. Pour beaucoup d’observateurs, ce
mariage met un terme au conflit qui oppo­
sait les du Pont, farouchement républicains,
au chef d’Etat démocrate. Las, le couple di­
vorcera en 1949, avant qu’Ethel ne mette fin
à ses jours en 1965… Quant au mariage de
Madeleine du Pont avec un sympathisant
nazi, l’Allemand Friedrich Hermann Ruoff, il
sera interprété comme une preuve des com­
promissions fascistes du clan dans l’entre­
deux­guerres. « Dans cette dynastie­là, cer­
tains destins tiennent de la tragédie antique…
0123
JEUDI 20 AOÛT 2020
la saga du Pont, ce sont les Atrides ! », s’ex­
clame l’historien Pap Ndiaye, auteur d’un
ouvrage sur la firme familiale, Du Nylon et
des bombes (Belin, 2001). Comme chez les
dramaturges grecs, nombre de ces héros
tragiques sont, de fait, des héroïnes. Tenues
de se conformer aux attentes du clan, plu­
sieurs femmes s’élancent, par réaction, à la
pointe du changement social.
SUFFRAGETTES
Ainsi des suffragettes Zara du Pont (1869­
1946) et Jean Kane Foulke du Pont (1891­
1985), pionnières de la lutte pour la parité
dans les élections. Ainsi de la journaliste et
militante Ethel Bidermann du Pont (1896­
1980), qui n’hésitait pas à planter le piquet
de grève au nez et à la barbe de ses aïeux,
notoirement défiants envers les syndicats.
Ainsi de la travailleuse sociale Martha Verge
du Pont (1928­2017), qui consacra sa vie à la
défense des orphelins et des déshérités…
Autant de combats trop extrêmes, sans
doute, pour valoir à ces femmes d’être men­
tionnées dans « Cavalcade of America »,
l’émission de radio produite par DuPont en­
tre 1935 et 1953, et transposée à la télévision
de 1952 à 1957. Ce programme très populaire
dresse chaque semaine le portrait d’une
figure de l’histoire américaine. Les femmes
ne sont pas absentes de ce récit national,
loin s’en faut : « La série fait l’éloge de chefs
d’entreprise, de savantes, et même de mili­
tantes, à condition qu’elles ne soient pas en­
gagées dans des activités économiques trop
radicales », écrit l’historien Erik Chris­
tiansen dans Channeling the Past (Univer­
sity of Wisconsin Press, 2013, non traduit).
Alors aux prémices de sa carrière de dra­
maturge, Arthur Miller écrira douze émis­
sions pour DuPont. Si les femmes tiennent
un rôle plutôt secondaire dans son œuvre,
elles apparaissent, ici, au premier plan :
« Avec des accents assez féministes, certaines
de ces pièces mettent en lumière le rôle des
femmes en temps de guerre : infirmières,

0123
JEUDI 20 AOÛT 2020
aviatrices… », précise l’Anglaise Susan
Abbotson, qui est l’une des biographes de
Miller. Et, chose rare pour l’époque, ce n’est
pas à un acteur mais à une actrice, June
Allyson, que revient l’honneur de présenter
« The DuPont Show », l’émission de télé­
vision qui prend la relève, jusqu’en 1961, de
« Cavalcade of America ».
LE NYLON, FIBRE MIRACLE
Pourquoi, en cette moitié de XXe siècle, la
firme familiale réserve­t­elle aux femmes
une place aussi prééminente dans ses
programmes ? Parce qu’elles sont devenues
son principal levier de croissance, tout sim­
plement. Il est loin, le temps où DuPont
ne vivait que de poudre à canon – matériau
viril s’il en est. Les profits accumulés
pendant la première guerre mondiale ont
été réinvestis dans la recherche en général,
et dans la chimie en particulier. Les inven­
tions fusent : colorants, laques, emballa­
ges… Si bien qu’en 1935 le scientifique
Wallace Carothers découvre la toute
première fibre synthétique de l’histoire, le
Nylon. Au vu de la finesse et de la résistance
exceptionnelles du matériau, DuPont met
230 chercheurs à sa disposition, afin d’en
développer les applications commerciales.
En 1938, le Nylon s’immisce dans les crins de
brosses à dents ; puis, en 1940, dans les bas
féminins. C’est un triomphe : 64 millions de
paires s’arrachent jusqu’à l’entrée en guerre
des Etats­Unis, en 1941.
Durant les hostilités, la production de
Nylon ne faiblit pas, au contraire : à la
confection de bas se substitue celle de para­
chutes, cordes et autre matériel militaire.
Rendue indispensable par la pénurie de
soie, la fibre miracle participe largement à
l’effort de guerre américain. Elle servira
même à l’élaboration de l’arme atomique,
selon Pap Ndiaye : « Si DuPont a su si vite
mettre sur pied des usines de plutonium,
dans le cadre du projet Manhattan, c’est en
partie grâce au Nylon : en produisant des bas
UPLOADED BY "What's News" vk.com/wsnws TELEGRAM: t.me/whatsnws
à très grande échelle, juste avant la guerre, la
firme a développé un savoir­faire industriel
et logistique précieux. »
En 1945, un journaliste demande à
soixante Américaines ce qui leur a le plus
manqué pendant le conflit : « Vingt répon­
dent “des hommes”, et quarante “des bas” »,
dit en souriant Pap Ndiaye. C’est que le Nylon
devient le matériau symbole de l’après­
guerre : la libération du joug fasciste coïn­
cide avec celle du corps féminin. « Pour les
femmes, cela a représenté un indéniable pro­
grès, avance Michelle Perrot, historienne du
féminisme. Les bas Nylon duraient plus long­
temps que les bas de soie, et coûtaient moins
cher. Plus la peine de les repasser, ni de porter
de jarretières… Et bientôt sont arrivés les col­
lants en Nylon, encore plus commodes. »
Dans les centres­villes américains, DuPont
fait défiler des jambes géantes de femmes,
vêtues de la prodigieuse étoffe. Rompue aux
techniques de marketing, la firme sait
comme nulle autre aiguiser le désir des
consommatrices. Elle laisse ainsi circuler
plusieurs théories sur l’origine du terme
« Nylon » : selon l’une d’elles, il s’agirait d’un
acronyme, mêlant le prénom des épouses
de cinq chercheurs maison (Nancy, Yvonne,
Louella, Olivia et Nina). Habile subterfuge,
visant à faire oublier le suicide, en 1937, de
l’inventeur de la fibre, Wallace Carothers,
ravagé par la mort de sa sœur…
« DuPont a créé des marques, des “griffes”
comme on dit dans la mode : le Nylon, bien
sûr, puis le Lycra, le Kevlar…, relève le styliste
français Marc Audibet. En Occident, jus­
qu’aux Lumières, la mode était l’apanage de
la noblesse, à cause du coût du matériau do­
minant, la soie. Appuyé sur la révolution in­
dustrielle et sur l’esclavage, l’essor du coton a
démocratisé le textile. Mais ce n’est qu’avec
les matériaux synthétiques, au XXe siècle,
que la mode est devenue un phénomène de
masse. DuPont, grâce à son savoir­faire
scientifique et mercantile, est au principe
de cette révolution. » Dans le cadre de son
L’été en séries
A gauche : publicité DuPont pour
les bas Nylon à Los Angeles, au début
des années 1960. HAGLEY MUSEUM
Ci­contre : modèles en Lycra au défilé
Thierry Mugler, automne­hiver
1979­1980, Paris. En bas : aérobic avec
l’actrice Jane Fonda, dans les années
1980. PETER KNAPP, UNITED ARCHIVES/LEEMAGE
documentaire Prêt à jeter (2010), consacré
aux dérives de la société de consommation,
l’Allemande Cosima Dannoritzer a rencon­
tré l’artiste et militante Nicols Fox, qui vit
dans une campagne isolée du nord­est des
Etats­Unis. Pour se plaindre de produits
défectueux, frappés trop tôt d’obsolescence,
l’Américaine envoie à leurs concepteurs des
« poèmes de réclamation ». Pareil lyrisme
puise sa source, non chez L’Arioste, mais
chez DuPont : « Nicols est la fille d’un ingé­
nieur de la division Nylon, explique la
cinéaste. Son père testait sur sa famille diffé­
rentes sortes de bas. DuPont lui demandait
continuellement de les affiner et de les
adoucir, en utilisant différents additifs. Au fil
du temps, elle a compris que c’était aussi un
moyen, en les rendant plus fragiles, d’en
vendre davantage. »
Dans la frénésie consumériste de l’après­
guerre, il n’y a pas que des bas que DuPont
écoule par millions. A partir de 1949, un
autre de ses matériaux emblématiques, le
Teflon, envahit de plus en plus les cuisines :
avec ses propriétés antiadhésives, c’est un
revêtement idéal pour les poêles, casseroles
et autres ustensiles. A quoi s’ajoutent les
fameuses boîtes en plastique Tupperware,
commercialisées en 1948 par un ancien
ingénieur de DuPont, Earl Tupper : pour en
propager la diffusion, l’entrepreneur mul­
tiplie les réunions d’utilisatrices conquises,
en petit comité… La panoplie de la parfaite
ménagère semble alors sortir tout entière
des labos du Delaware.
LE LYCRA REVIGORÉ
« Ces inventions ont contribué à la construc­
tion d’un modèle bicéphale de femme : elle
travaille, tout en prenant soin du foyer », ré­
sume Michelle Perrot. Autrement dit, les
gains de temps et d’argent servent de pré­
textes à de nouvelles formes d’aliénation.
Cela, les jeunes Américaines sont de moins
en moins prêtes à l’accepter, tandis que, au
« AU DÉPART,  tournant des années 1970, le féminisme
jette ses premiers feux. Aux yeux de la gé­
DUPONT ÉTAIT  nération hippie, l’étoile de DuPont pâlit :
« La contre­culture détourne le slogan histo­
PÉTRIFIÉ.  rique de l’entreprise, pour en faire une ode à la
drogue : “Better Living Through Chemistry”
PENSEZ, AVOIR  – “une meilleure qualité de vie grâce à la chi­
POUR EMBLÈME  mie”, s’amuse l’Américaine Anna McCarthy,
historienne de la télévision. Dès 1961,
JANE FONDA, UNE  DuPont arrête ses émissions, car elles ne sont
plus en phase avec la société. »
ACTRICE ISSUE DES  Mais la firme est semblable à ses maté­
FRANGES LES PLUS  riaux – ductile, souple, élastique. Voilà
qu’au crépuscule des années 1970, l’un
CONTESTATAIRES  d’eux, le Lycra, s’offre une nouvelle jeu­
nesse. Cet élastomère, que DuPont com­
D’HOLLYWOOD ! » mercialisait sans grand succès depuis 1959,
KAORI O’CONNOR se glisse dans la salle de gym que vient
anthropologue américaine d’ouvrir l’actrice Jane Fonda, à Beverly Hills,
en Californie. Le succès est aussi vif que
pour le Nylon. « Au départ, le Lycra avait été
conçu pour rendre plus extensibles les gaines
de lingerie, en remplaçant le caoutchouc, re­
trace l’anthropologue américaine Kaori
O’Connor, autrice de Lycra : How a Fiber Sha­
ped America (Routledge, 2011, non traduit).
Mais, en pleine révolution sexuelle, les fem­
mes se sont débarrassées de beaucoup de
leurs sous­vêtements, jugés caducs : gaines,
corsets, bas… La fibre patinait, jusqu’au jour
| 19
où l’aérobic et la musique disco sont arrivés.
Leggings, shorts, bodys… En un éclair, les te­
nues de sport en Lycra ont épousé l’époque. »
En ces libérales années 1980, le matériau
moule les corps en même temps que les
mœurs : il devient la seconde peau de fem­
mes fortes et autonomes, assurant seules
l’entretien de leur physique, assumant leur
appétit de puissance et de plaisir. Avec ses
odes disco aux reines de la nuit (Dancing
Queen) et à l’argent roi (Money Money Mo­
ney), le groupe suédois Abba est le porte­
voix de cette transformation ; et Jane Fonda,
avec ses cours de musculation, s’en impose
comme l’égérie colorée. « Au départ, DuPont
était pétrifié, poursuit Kaori O’Connor. Pen­
sez, avoir pour emblème Jane Fonda, une ac­
trice issue des franges les plus contestataires
d’Hollywood ! Mais au vu des chiffres de ven­
tes, ils se sont résignés à prendre le train en
marche. Grâce à la flexibilité et à la légèreté
du Lycra, les femmes n’ont plus eu besoin de
surveiller leur poids, ni de s’engoncer dans des
vêtements rigides. Elles ont pu s’adonner sans
contrainte au sport, à la danse, à la marche. »
Pour le magazine Elle, dont il fut le direc­
teur artistique de 1959 à 1966, puis de 1974 à
1978, Peter Knapp a photographié les deux
matériaux matriciels de DuPont, le Nylon et
le Lycra. « J’étais marqué par la tactilité de ces
matières, aussi agréables que la soie », se
souvient le Suisse. Le Nylon lui inspire des
gros plans de jambes galbées, vêtues de col­
lants, dans des mises en scène très graphi­
ques, en noir et blanc. Quant au Lycra, il ha­
bille sous son objectif des femmes­poissons
étincelantes, conviées à défiler sous la
supervision du styliste Thierry Mugler. « Ces
matières accompagnaient à merveille la
mobilité des femmes ; elles flottaient et
brillaient, au moindre mouvement », souli­
gne le photographe, qui a effectué plusieurs
commandes pour le compte de DuPont.
ANTICIPER LES TENDANCES
Car, si la firme a aidé les femmes à se déplacer
plus facilement, dans l’espace public comme
dans le jeu social, elle n’en fut pas la seule
responsable : plusieurs de ses intuitions lui
ont été soufflées par les consultants qu’elle a
enrôlés, à partir des années 1970. Parmi eux,
des communicants, comme la célèbre
agence hexagonale Mafia ; et beaucoup de
stylistes, comme les Italiens Giorgio Armani
et Maurizio Baldassari, ou les Français Mari­
thé + François Girbaud et Marc Audibet. Au
début des années 1980, ce dernier inaugura
le mariage du Lycra et des matières naturel­
les. « Pendant longtemps, DuPont ne s’est
guère préoccupé de mode : elle se contentait
de fournir les industriels du textile, qui appro­
visionnaient les stylistes, indique ce créateur
passé par Cerruti ou Prada, qui fut consul­
tant pour DuPont entre 1984 et 1987. Mais, à
mesure que la haute couture s’est intéressée à
ses produits, elle a débauché des personnes du
milieu, pour anticiper les tendances. »
Avec des créateurs tels qu’Azzedine Alaïa
ou Jean Paul Gaultier pour maîtres de
cérémonie, les noces de DuPont et de la
mode seront aussi spectaculaires qu’éphé­
mères. En 2004, jugeant que ses matériaux
historiques sont arrivés à leur point de
« maturité économique », la firme cède sa
branche textile à la société américaine In­
vista. Elle recentre ses activités autour de
produits à l’imaginaire très masculin : ma­
tériel militaire, vêtements de chantier… Ce
qui n’empêche pas DuPont, fidèle à son élas­
ticité caractéristique, d’accompagner les
progrès féminins. Pour la première fois, de
2008 à 2015, l’entreprise est dirigée par
une femme, Ellen J. Kullman. Originaire du
Delaware, la PDG réservera ses paroles les
plus mémorables à sa collègue Stephanie
Kwolek, lorsque celle­ci meurt en 2014 :
« Ce fut une chimiste créative et déterminée,
et une vraie pionnière pour les femmes de
science », dira Mme Kullman à propos de cette
chercheuse qui effectua, comme elle, l’es­
sentiel de sa carrière chez DuPont.
Parmi les découvertes les plus notables de
Stephanie Kwolek, le Kevlar figure en bonne
place ; cette fibre ultrarésistante sert notam­
ment à la confection de gilets pare­balles.
Qui sait si l’invention aurait été du goût de
Pierre Samuel ? Le patriarche ne craignait
guère les « armes cruelles » ; n’en déplaise
à ses héritières de science et de sang, c’est
bien contre les assauts des « belles » qu’il
cherchait à se prémunir. 
aureliano tonet
Prochain article Les gardiens
du paradis fiscal

20 |
L’été en séries
A de l’autre côté
u pays merveilleux des
fées et des princesses, la
licorne devrait se méfier
du lama. En février, le
quadrupède sud­améri­
cain lui a ravi la vedette
au salon international du jouet, à New
York. Les enfants adorent son côté facé­
tieux. Ils sont ainsi des milliers à multi­
plier les « like » sur YouTube à chaque
prestation de Boppi, un petit lama blanc
et rose, en peluche, créé par la marque
Zuru et qui dodeline de l’arrière­train en
dansant sur des rythmes tropicaux.
« C’est vrai, la concurrence est rude, con­
vient Frédérique Tutt, analyste au sein du
groupe américain NPD, leader mondial
des études de marché pour l’industrie du
jouet. Mais la licorne reste une valeur sûre,
surtout auprès des petites filles âgées de
3 à 6 ans. » La nuit, doudou ou figurine
phosphorescente, l’animal mystérieux
les aide à s’endormir. La licorne n’appelle­
t­elle pas à la rêverie innocente ? Elle est si
blanche, elle est si pure. Il y aurait même
du Christ en elle, comme le pensaient les
Anciens jusqu’à la fin du Moyen Age.
Rappelons la légende. Originaire
d’Orient, voire des confins du paradis, la
licorne est une créature hybride souvent
représentée avec un corps de cheval et
une tête de bouc ou de chèvre, parée
d’une barbiche sous le menton. De tous
les habitants des forêts lointaines, elle est
la seule à porter sur le front une corne
rectiligne, longue et brillante, aux vertus
purificatrices. Si un serpent maléfique
crache son venin dans un point d’eau où
les animaux ont l’habitude de se désalté­
rer, il suffit que la licorne y trempe son
appendice frontal pour que le poison dis­
paraisse. Cet incroyable pouvoir magique
attise la convoitise des nobles et des puis­
sants qui traquent la bête sans relâche,
mais celle­ci, farouche, indomptable et
aussi rapide que l’éclair, leur échappe
souvent. Pour la capturer, il faut em­
ployer la ruse. Or, il est dit que seule une
jeune fille peut l’apprivoiser. Les chas­
seurs cachés dans les bois font donc as­
seoir une pucelle au milieu d’une clai­
rière. Attiré par l’odeur de la virginité,
l’animal s’approche d’elle et, après s’être
agenouillé, pose la tête sur sa poitrine et
s’endort. Vulnérable, la proie est alors
transpercée d’un coup de lance.
Voilà, en substance, ce que le court traité
d’histoire naturelle écrit en Egypte au
IIIe siècle de notre ère et connu sous
le nom de Physiologos rapporte sur le mo­
nokeros – licorne en grec. L’ouvrage chré­
tien est considéré comme l’ancêtre des
bestiaires médiévaux. Dans Les Secrets de
la licorne (Editions de la Réunion des mu­
sées nationaux, 2018), l’historienne de
l’art Elisabeth Taburet­Delahaye et le
médiéviste Michel Pastoureau notent
que le Physiologos multiplie les référen­
ces à l’Ancien Testament comme au Nou­
veau et accorde une forte dimension
UPLOADED BY "What's News" vk.com/wsnws TELEGRAM: t.me/whatsnws
La licorne,
du miroir
L’IMAGINAIRE ANIMAL 3 | 6  Les petits filles qui s’e ndorment auprès
de la créature merveilleuse ignorent que la légende, élaborée
au fil des siècles, pare sa longue corne de vertus purificatrices,
mais qu’e lle en fait aussi un symbole sexuel
spirituelle aux animaux. Que dit le texte
antique sur la bête fabuleuse ? Les deux
auteurs en citent un passage que l’on
pourrait facilement imaginer emprunter
à la Bible : « L’animal n’a qu’une seule corne
car le Seigneur a dit : “Mon père et moi,
nous ne sommes qu’un.” (…) La jeune fille
nous apprend que le monokeros est
l’image de Notre Seigneur qui, en descen­
dant du ciel, est venu s’incarner dans le
sein de la Vierge Marie. »
La licorne, ennemie du mal, a charmé
les esprits jusqu’au XIIe siècle avant que
les troubadours se mettent à chanter
l’amour courtois de château fort en châ­
teau fort. « La chasse à l’animal devient
alors une métaphore de la conquête
amoureuse, relate Michel Pastoureau.
La licorne représente tantôt le chevalier,
tantôt la dame. Sa corne peut aussi bien
revêtir une signification phallique qu’une
dimension féminine et protectrice. »
Le doudou enfantin offrirait­il un autre
visage ? Il est temps de passer de l’autre
côté du miroir.
VERGE FRONTALE
L’éclairage est plutôt délicat dans la salle
de La Dame à la licorne, au Musée de
Cluny, à Paris. Une lumière trop crue dé­
graderait les pigments naturels des six ta­
pisseries datées de 1500. « Cette tenture,
c’est notre Joconde à nous, il faut lui offrir le
plus beau des écrins », dit en souriant Béa­
trice de Chancel­Bardelot, conservatrice
générale de l’établissement médiéval.
La signification du chef­d’œuvre est
longtemps restée un mystère. Qui est la
dame à la licorne ? Qui se cache derrière
cette jeune femme élégante aux parures
somptueuses, que l’on pourrait supposer
au jardin d’Eden tant la faune et la flore
qui l’entourent sont sublimes ? Certains
pensèrent reconnaître Marie Tudor,
d’autres la Vierge Marie. « Même si beau­
coup d’interprétations jusqu’aux plus fan­
taisistes perdurent, le secret des tapisseries
a été percé en 1921, par un historien de l’art,
Albert Frank Kendrick, qui y a discerné
la représentation des cinq sens : le tou­
cher, le goût, l’odorat, l’ouïe et la vue »,
nous assure la spécialiste du Moyen Age,
ancienne élève de l’Ecole nationale
des chartes.
Le sixième élément continue en revan­
che d’interroger. La dame semble s’y dé­
faire de ses bijoux, notamment du splen­
dide collier qui ornait son cou dans les
cinq autres compositions et qu’elle re­
place, ici, dans un coffret tendu par sa ser­
vante. Sur ce même ouvrage se lit l’uni­
que inscription de la tenture : « Mon seul
désir. » L’allégorie représenterait un
sixième sens – cinq dehors et un dedans,
le cœur en l’occurrence. Pour ceux qui
s’inscrivent dans la lignée moralisatrice
du Physiologos, le cœur est le siège de
l’âme et de la volonté. La jeune femme
de la tapisserie prouverait son libre arbi­
tre en renonçant d’elle­même aux
mirages de l’apparence. Pour d’autres, le
cœur est le refuge de la passion physique.
Et, insistent les partisans de cette hypo­
thèse, le mot « désir », cité dans la tapisse­
rie, désigne le désir charnel, c’est ainsi
qu’il faut l’entendre.
Dans Les Secrets de la licorne, Mme Ta­
buret­Delahaye revient sur ces deux
conceptions antagonistes. Le balance­
ment « témoigne de la recherche de conci­
liation entre quête spirituelle et plaisirs
terrestres, caractéristique des années
1500, tout comme le goût affiché pour les
« S’IL Y AVAIT UN MAL  lin, les mots italien et espagnol pour dire
AU TROU MÉPHITIQUE
[LE CON], SON COURTAUT  Debout devant la tapisserie, Mme de
NETTOYAIT TOUT AVEC
SA CORNE NERVEUSE »
RABELAIS
dans « Le Cinquième Livre »
jeux de mots et les rébus, en particulier
pour évoquer la sexualité », écrit­elle.
Les allusions sexuelles sont légion dans
la tenture exposée, à commencer par la
verge frontale de la licorne. Précisons
juste que, depuis les premières descrip­
tions de l’animal dans les récits anciens,
sa taille allonge au fil du temps. Au dé­
part, la corne mesure une coudée,
soit 50 centimètres, mais, à la fin du
Moyen Age, elle atteint jusqu’à 5 à 6 cou­
dées. Miracle de la nature.
Intéressons­nous, par exemple, au la­
pin, le seul animal présent dans les six ta­
bleaux, acquis, en 1882, par le Musée de
Cluny. Sauvage et chassée au Moyen Age,
la bête aux longues oreilles est répu­
tée pour sa frénésie reproductrice. Son
nom médiéval, « conin » ou « conil », dé­
voile Elisabeth Taburet­Delahaye dans le
livre coécrit avec Michel Pastoureau,
autorise le même jeu de mots que le latin
cuniculus avec le terme « con », qui dési­
gne le sexe féminin.
Les références sexuées ne s’arrêtent pas
là. Les hautes lances dressées vers le ciel
et utilisées comme des hampes pour pré­
senter les armoiries de la famille Le Viste,
originaire de Lyon et commanditaire pré­
sumée de l’œuvre, sont des métaphores
érotiques dont les poètes médiévaux
étaient friands. Dans la composition
sur le toucher, la jeune femme tient fer­
mement une lance de la main droite, tan­
dis que de la main gauche elle serre avec
délicatesse la corne de sa compagne de
tapisserie. Compagne ou compagnon
d’ailleurs ? Le latin unicornis est mascu­
« licorne » le sont aussi, mais étonnam­
ment le français a choisi le féminin.
Chancel­Bardelot, notre guide au musée,
reconnaît toute cette polysémie, carac­
tère intrinsèque de la culture médiévale.
« Bien sûr que la licorne est un animal à
forte connotation érotique, agrée­t­elle. A
ce sujet, vous devriez relire Rabelais qui
0123
JEUDI 20 AOÛT 2020
DIANE OBOMSAWIN
doutait de son existence réelle et se
moquait des savants qui en parlaient
d’une manière docte. Je me souviens
qu’il a fait fort dans l’une de ses œuvres,
Le Cinquième Livre. »
On retrouve le passage. Panurge, l’ami
grivois du géant Pantagruel, est au Pays
de Satin, où il rencontre une licorne. Le
personnage fantasque compare son pro­
pre « courtaut » (sexe) à la corne de l’ani­
mal : « Elle purifiait l’eau des mares et des
fontaines de l’ordure ou du poison qui y
était, et des animaux divers venaient alors
boire après elle en sûreté ; de la même
façon on pouvait farfouiller après lui sans
danger de chancre, vérole, chaude­pisse,
bubons, et tels autres menus cadeaux,
car s’il y avait un mal au trou méphitique
[le con], son courtaut nettoyait tout avec
sa corne nerveuse. » Rabelais fait alors
entrer en scène Frère Jean, amateur lui
aussi de plaisanteries salaces, qui dit à
Panurge : « Quand vous serez marié,
nous ferons l’essai sur votre femme. »
Béatrice de Chancel­Bardelot avait rai­
son, Rabelais, le libre­penseur, a poussé
loin l’analogie sexuelle.
SYMBOLE LGBT
Le débat savant entre la licorne christique
et la licorne symbole de luxure périclite
quand l’animal disparaît des livres d’his­
toire naturelle, à la fin du XVIIe siècle. Per­
sonne ne croit plus alors à la bête mythi­
que depuis la découverte troublante d’un
scientifique jésuite, Athanase Kircher.
Les cornes préservées dans les trésors
d’églises seraient en réalité des dents de
narval, un cétacé présent dans les eaux
froides de l’Atlantique Nord. Devançant
les soupçons du zoologiste catholique,
certains auteurs médiévaux avaient déjà
remarqué que les cornes étaient surtout
offertes par les rois du Danemark et de
Norvège aux souverains du Sud.
Pour autant, le mythe continue de fasci­
ner. Nombreux sont les artistes, de
Flaubert à Rainer Maria Rilke en passant
par Gustave Moreau, à s’en être inspirés.
Et, depuis 2010 environ, l’animal est de­
venu, aux côtés du drapeau arc­en­ciel,
l’emblème de la communauté LGBT.
« Tout simplement parce que nous som­
mes des licornes, estime Clémence Zamo­
ra­Cruz, porte­parole de l’Inter­LGBT.
Comme vous le savez, l’animal rompt avec
la binarité du genre et puis, pour beau­
coup de personnes, il n’existe pas, il est in­
visible. Exactement comme nous, que
beaucoup de gens refusent de voir. »
Et la licorne régressive dans tout cela,
celle qui rassure les enfants ? En 2019,
il s’en est vendu 2,5 millions dans l’Hexa­
gone, selon les chiffres de la Fédéra­
tion française des industries du jouet et
de la puériculture. Le rêve est loin de
s’être évanoui. 
marie­béatrice baudet
Prochain article Le satyre
 UPLOADED BY "What's News" vk.com/wsnws TELEGRAM: t.me/whatsnws

0123
JEUDI 20 AOÛT 2020

L’été en séries | 21

LES FRANKENSTEIN ET AUTRES SAVANTS FOUS

LE MÉDECIN AU CINÉMA 3 | 6  Dans des films d’horreur ou fantastiques, le noble personnage du soignant peut parfois se transformer en monstre

L’
innommable pourrait­il entrer
dans une aussi noble vocation
que la médecine ? La réalité
nous a montré que oui. Le
cinéma aussi. Quelques noms :
Frankenstein (Frankenstein, de James
Whale, 1931) ; Jekyll (Dr. Jekyll and Mr. Hyde,
de Rouben Mamoulian, 1931) ; Moreau
(L’Ile du docteur Moreau – Island of Lost
Souls –, d’Erle C. Kenton, 1932) ; Génessier
(Les Yeux sans visage, de Georges Franju,
1960). Autant de profils qui ne disposent
pas à l’ovation de 20 heures.
Tirant le médecin vers le type du « sa­
vant fou », ces films exposent le rêve pro­
méthéen, tourné cauchemar, de forcer
par l’expérience scientifique l’ordre de la
nature. Souvent adaptés de classiques de
la science­fiction (Mary Shelley, Robert
Louis Stevenson, H. G. Wells…), remode­
lant ces récits dans l’imaginaire collectif,
ils résonnent aujourd’hui avec une
vigueur nouvelle, à l’heure où les progrès
de la science rendent envisageable ce qui
fut longtemps tenu pour élucubrations.
Consécutive à la crise de 1929, contempo­
raine de la montée du nazisme, une efflo­
rescence post­expressionniste, sadique,
paranoïaque, s’empare du cinéma de
genre américain, qui se met à produire
des monstres à tire­larigot.
Ce n’est un mystère pour personne, au
moins depuis Baudelaire et Lautréa­
mont, que de la plus vive cruauté peut
naître la plus suave poésie. Que de l’enca­
gement du fantasme puisse s’extraire la
plus enivrante des addictions. C’est à ce
registre qu’appartiennent les meilleurs
d’entre ces films. Il s’y agit toujours d’un
transvasement immaîtrisable de la
science dans la pulsion, de l’ordre dans le
chaos, de la raison positive dans la folie.
Extralucidité du cinéma : n’était­ce pas ce
déchaînement qui menaçait le monde
dans les années 1930 ? A cet égard,
comme la caractérisation des personna­
ges y invite dans le film de James Whale,
le déplacement du chirurgien à sa créa­
ture dans l’usage courant qu’on fait du
nom de Frankenstein en dit long. Le doc­
teur, illuminé falot, s’efface devant le
monstre, sensible, qui n’est que la projec­
tion d’un autre lui­même.
Leur métamorphose en bête
Ainsi en va­t­il du docteur Jekyll – autre
mythe, adapté plus de vingt fois au
cinéma depuis 1908 – qui dispose, dans
un seul et même personnage considéré
comme salvateur (le médecin), le retour
organique de l’abjection et de la mort.
Placé sous le signe éminemment ciné­
matographique de la dualité et de la
transformation, le récit a séduit John
Barrymore, Fredric March, Spencer Tracy,
Terence Fisher, Jean­Louis Barrault,
Anthony Perkins, Isabelle Huppert,
autant de vedettes – et non d’acteurs
spécialisés dans le genre comme Boris
Karloff – qui se sont prêtées avec délice au
LE MYTHE DU DOCTEUR 
JEKYLL DISPOSE, DANS
UN SEUL ET MÊME 
PERSONNAGE CONSIDÉRÉ 
COMME SALVATEUR,
LE RETOUR ORGANIQUE DE 
L’ABJECTION ET DE LA MORT
point d’orgue de leur propre métamor­
phose en bête. Renouant avec les forces
primitives dans lesquelles s’originent
tant l’art du jeu que celui de la médecine,
il s’agit ici, pour l’acteur comme pour le
spectateur, de ne plus s’appartenir.
Dans L’Ile du docteur Moreau – qui
traduit de manière attristante Island of
Lost Souls, l’« île des âmes perdues » –,
l’immense Charles Laughton est un chi­
rurgien qui se prend pour Dieu. Bouc noir,
costume blanc, regard torve, suintant la
folie mégalomaniaque, il dirige dans une
nature luxuriante un monde post­huma­
niste soumis à sa loi et à son bistouri, où
les animaux s’hybrident en humains et
forment une société d’esclaves réunis par
le mantra : « Are we not men ? »
La piété filiale sauverait­elle le profes­
seur Génessier (Pierre Brasseur), qui
kidnappe des jeunes filles pour greffer
leur visage sur celui de sa fille, griève­
ment accidentée ? C’est peu probable.
Demeure bourgeoise de banlieue, fille
masquée, blanche comme la mort, pro­
menant sa souffrance, chiens qui
hurlent à la lune, musique biscornue,
médecin écorcheur assisté d’une rabat­
teuse italienne, tout cela, qui est du JESSY DESHAIS
grand Franju, est envoûtant et donne,
avec Les Yeux sans visage, le plus beau
film fantastique français. farcesque du même canevas, dans le du débat sur les forces du mal médical, d’un Mengele fabriquant des clones
C’est qu’à l’instar de ce film, la méde­ cadre de la célèbre firme Hammer. seul un point Godwin ou, selon l’expres­ d’Adolf Hitler.
cine, qui rêve de résurrection, est fille de Le thriller médical pointe ici son nez. Il sion de Leo Strauss, une « reductio ad La réalisatrice Lucia Puenzo profite,
la mort et s’avance masquée. Un sinistre donnera sa mesure dans les décennies à Hitlerum » permettra de finir en beauté. quant à elle, du tranquille séjour de
fait divers écossais des années 1820 ins­ venir. Dans Traitement de choc (1973), « Reductio ad Mengelum » pour être Mengele en Argentine pour jeter une lu­
pirera à cet égard deux films. William d’Alain Jessua, Alain Delon, alias le précis, en référence à Josef Mengele, mière accusatrice sur les années sombres
Burke et William Hare, agissant pour le docteur Devilers, pompe le sang de médecin et officier SS qui sévit à de son pays dans Le Médecin de famille
compte du médecin légiste Robert jeunes immigrés portugais dans son ins­ Auschwitz. (2013). La France ne dispose pas d’équiva­
Knox, ne se contentent plus de lui titut de thalassothérapie breton pour lent de Mengele en matière de médecine
trouver des cadavres, ils les fabriquent cadres supérieurs vieillissants. Des clones d’Adolf Hitler homicide. Elle a, en revanche, Marcel
en série. Robert Wise en tire un récit au Dans Sept Morts sur ordonnance (1975), Dans Marathon Man (1976), de John Petiot, généraliste de quartier liquidant
romantisme frénétique, Le Récupérateur de Jacques Rouffio, Charles Vanel, chef de Schlesinger, thriller de bonne facture, les juifs dans sa cave parisienne et pillant
de cadavres (Robert Louis Stevenson’s clan pervers et directeur d’une clinique Laurence Olivier incarne un « Dr. Szell » leurs biens au prétexte de les aider à fuir
The Body Snatcher, 1945), avec l’acteur prospère de Clermont­Ferrand, pousse terrifiant, qui dans une scène de torture les nazis. Christian de Chalonge aura eu
anglais Henry Daniell en praticien et ses concurrents au suicide. Dans Morts dentaire d’anthologie s’en prend à un l’intrépidité de lui consacrer un film
Boris Karloff en exécuteur des basses suspectes (Coma, 1978), du médecin et étudiant en histoire juif (Dustin baroque (Docteur Petiot, 1990), avec
œuvres, âme damnée du médecin réalisateur Michael Crichton, des méde­ Hoffman) pour retrouver un trésor de l’équivoque Michel Serrault dans le rôle­
tournant à sa hantise. cins hospitaliers font passer l’arme à guerre planqué à New York. Dans le titre. Equivoque qui résume la sombre
Comme dans Frankenstein, auquel ce gauche à de jeunes et robustes patients nanar Ces garçons qui venaient du Brésil épopée de ce chapitre, alors qu’adminis­
film rend explicitement hommage, la pour alimenter un trafic d’organes. (The Boys from Brazil, 1978), Franklin trent la mort ceux­là mêmes qui sont
mort se révèle la compagne secrète de la C’est ici la corporation et l’institution Schaffner reprend Laurence Olivier censés nous en détourner. 
médecine. L’Impasse aux violences (The médicales elles­mêmes, réduites à la pour incarner cette fois le chasseur de jacques mandelbaum
Flesh and the Fiends, 1959), de l’Anglais défense des plus sordides intérêts, qui nazis Simon Wiesenthal, qui s’oppose à
John Gilling, donnera une version plus sont stigmatisées. Arrivé à ce moment un Gregory Peck déclinant dans le rôle Prochain article Les comiques

L’ALBUM QUI M’A FAIT AIMER… LES REQUIEM

Créé le 7 janvier 1842 à Paris, le
Stabat Mater, de Rossini, rem­
porte un vif succès. Les criti­
ques germaniques le jugent
« trop sensuel, trop
divertissant » pour un tel
sujet : l’affliction de la Mère
pendant la crucifixion du Fils.
Vieux débat. Rossini compose
son Stabat Mater depuis 1831.
Soit la date de ce que l’on
appelle sa « retraite ». Epicu­
« STABAT MATER » rienne ou pas, elle a plutôt le
style d’un retrait. Le retrait ?
(1982) « Un espace de temps, un laps,
ROSSINI, SOUS autant dire un écoulement
entre les tracas de la vie et la
LA DIRECTION mort… Pure possibilité
DE CARLO MARIA ouverte. » (Benoît Goetz,
Cahiers du portique, no 16).
GIULINI Le dernier opéra de Rossini,
Guillaume Tell (1829), clôt une
longue série de triomphes
éclatants (Le Barbier) et
d’échecs cuisants. En 1830,
révolution oblige, il perd la
compromettante protection
de Charles X et se retire.
Apôtre du bonheur et de la
joie de vivre, à voir l’éton­
nante célébration de Stendhal
(Vie de Rossini, 1824), on le
tient volontiers pour un
champion de la paresse, des
arts de la table et du lit, un
amant de l’amour, en un mot,
un « bon vivant ». Etrange,
cette langue qui réussit
à affubler l’expression d’une
connotation négative.
C’est dans son long retrait
que Rossini compose un
Stabat Mater aussi flam­
boyant que douloureux. Il est
des Stabat Mater, poèmes­
chants, plus connus que le
sien. Lequel, si éloigné, à
première vue, de ses opéras,
n’est pas moins surprenant
que ses duos pour violoncelle
et contrebasse. C’est dans
l’écart, la différence que se
tient le secret. Dans ses
contradictions et ses ambiguï­
tés. Dire que son Stabat Mater
m’aurait fait « aimer »
les requiem ne va pas de soi.
Ni le soleil ni la mort, on le
sait, ne peuvent se regarder
fixement. Dans l’expression
« aimer les requiem », c’est
« aimer » qui gêne.
Marge du sacré
Je conçois que l’on aime la vie,
l’amour, le vin pur, la politi­
que, les musiques, la poésie
d’Henri Michaux, et pourquoi
pas, ce n’est plus très bien vu,
le tournedos Rossini… Mais
« aimer les requiem » sonne
faux. Les musiques de deuil,
de veillée, musiques du
chagrin ou de la pratique de la
joie devant la mort, ne conso­
lent en rien. Bien au­delà
des mots, elles traversent le
miroir du deuil qu’elles éclai­
rent d’une impossible
lumière. Longues veillées
antillaises avec tambours,
drôleries et rhum… Poignan­
tes veillées flamenca…
Comme le Kaddish des
endeuillés et les « Requiem » –
Mozart, Gossec, Verdi, Fauré,
Ligeti… – qui en sont une des
formes les plus hautes.
De là à les aimer, comme on
aime la nuit ou le rire…
C’est peut­être d’avoir
écouté le Stabat Mater, de
Rossini, tensions et ambiguï­
tés comprises, une nuit de
veillée pour un ami disparu,
qui m’a simplement permis
d’aller plus loin, plus profon­
dément dans l’écoute des re­
quiem . De ne plus les prendre
pour de la musique.
Nous étions sept, certains
avaient fumé, d’autres avaient
bu, le restant, fumé et bu.
De là à filmer, comme Wim
Wenders la mort de Nicholas
Ray (Nick’s Movie, 1980), il y a
une sacrée marge. La marge
du sacré. Qui n’a pas sangloté
au Trouble of the World
chanté par Mahalia Jackson,
pendant la scène finale du
Mirage de la vie (Douglas Sirk,
1959), ne saura rien de cette
marge. On aura connu très tôt
le New Orleans Function, de
Louis Armstrong (Enterre­
ment à La Nouvelle­Orléans) :
lamentations à l’aller, allé­
gresse au retour… Rossini
donne toutes les clefs. 
francis marmande
Edition originale
Deutsche Grammophon,
régulièrement réédité.

22 |
L’été en séries
CELIA CALLOIS
UNE ESPIONNE
DE CHARME
MANIPULÉE
SEXE ET POUVOIR
« En Mata Hari, tout est factice. Elle a
vécu et a péri cachée derrière son double :
une Hollandaise que l’on prend pour une
hindoue, une créature plutôt laide adorée
comme une beauté, une danseuse sacrée
qui ne sait pas danser (…), une espionne
maladroite tenue absurdement pour le
meilleur agent de l’Allemagne en guerre. »
Dans Le Monde du 8 février 1982, l’histo­
rien Fred Kupferman exécute, si l’on ose
dire, un portrait sans concession de la
fusillée des fossés du fort de Vincennes.
Manipulatrice, Mata Hari le fut. Mais
elle fut surtout manipulée.
Margaretha Geertruida Zelle, née
en 1876, s’ennuie aux Pays­Bas. Sa famille
veut en faire une institutrice, mais, à
18 ans, cette brune à la peau mate
épouse, grâce à une petite annonce, un
officier nommé sur l’île de Java, dans les
Indes néerlandaises. Allergique à la vie
d’épouse rangée, elle finit par divorcer et
s’installe en 1903 à Paris, où triomphent
alors les fameuses cocottes, la Belle Otero
et Liane de Pougy. Margaretha s’invente
le personnage d’une princesse indo­java­
naise, Mata Hari (« œil de l’aurore »).
« Elle ne dansait guère mais elle savait
se dévêtir progressivement et mouvoir un
long corps bistre, mince et fier », raconte
Colette. Consciente que la mode est aux
poitrines généreuses, Mata Hari dissi­
mule ses seins, qu’elle a petits, sous
d’exotiques coques en bronze, préten­
dant que son mari, dans un accès de ja­
lousie, lui aurait mordu et arraché un
mamelon. On réclame à cor et à cri ses
spectacles, y compris à l’étranger, mais
sa célébrité ne dure qu’un temps.
Un seul fait d’armes
Mata Hari, ressortissante des Pays­Bas
restés neutres durant la première guerre
mondiale, peut parcourir l’Europe facile­
ment et elle connaît du beau monde à
Paris. En 1915, le consul d’Allemagne à
La Haye lui propose un marché : épon­
ger ses dettes en échange de renseigne­
ments. De retour en France, elle devient
l’agent H21. Son seul fait d’armes : une
liaison avec un ancien ministre de la
guerre. Dans ses rapports, elle se pré­
sente comme une intime de Joffre, mais
n’a rien de très stratégique à raconter.
Amoureuse d’un jeune aviateur russe
de l’armée française, Margaretha
n’hésite pas à se rapprocher de Georges
Ladoux, chef du contre­espionnage fran­
çais, auquel elle propose ses services
dans le but d’obtenir un laissez­passer
pour rejoindre son jeune amant. Le
Kronprinz, qui a jadis applaudi ses ef­
feuillages, est à ses pieds, prétend­elle.
Les militaires français ne sont pas
dupes. Ils l’envoient en mission en
Belgique et en Espagne, mais la font
arrêter à son retour. « H21, l’espionne de
Guillaume » est jetée en pâture à une
opinion qui s’impatiente devant l’enlise­
ment du conflit et voit des agents étran­
gers partout pendant que se multiplient
les mutineries sur le front.
Arrêtée en février 1917, la perfide baya­
dère au corps de liane et au regard en­
sorceleur est traduite à huis clos devant
le conseil militaire. Maladroitement dé­
fendue par un avocat qui est aussi son
ex­amant, Mata Hari, condamnée pour
intelligence avec l’ennemi, est passée
par les armes le 15 octobre 1917, à 41 ans.
Bravache, elle enverra un baiser au
peloton d’exécution et refusera qu’on
lui bande les yeux. 
jean­michel normand
UPLOADED BY "What's News" vk.com/wsnws TELEGRAM: t.me/whatsnws
LES NOCES GOURMANDES
DU BON ROI HENRI IV
UN JOUR, UN FESTIN 3 | 6
Le 17 décembre 1600, à Lyon, un banquet royal va enfin sceller l’union du roi de France et de Marie de Médicis.
Une journée faste destinée à démontrer la prospérité du royaume et la fécondité d’une ère nouvelle
I
l n’a pas assisté à son propre ma­ Raison retrouvée, le roi de France fi­
riage, célébré par procuration nit par rejoindre Marie de Médicis à
dans la cathédrale de Florence, le Lyon. Le légat Aldobrandini, envoyé
5 octobre 1600. Va­t­il au moins par le pape, donne sa bénédiction au
être du festin, qui, à Lyon, le 17 décem­ nouveau couple dans la primatiale
bre de la même année, doit sceller son Saint­Jean. Tapisseries et tentures dé­
union avec Marie de Médicis ? La jeune ployées dans les rues de la ville ac­
mariée a le temps de se poser des ques­ cueillent avec faste le cortège royal.
tions pendant le mois de périple qui la Avant un banquet destiné à démon­
mène dans la capitale des Gaules ren­ trer la prospérité du royaume et la fé­
contrer pour la première fois son condité d’une ère nouvelle. Si, jusqu’à
époux, le roi Henri IV. La Florentine es­ Louis XV (et les menus magnifique­
pérait voir le Béarnais à Marseille, où ment calligraphiés du château de
elle a débarqué le 3 novembre, escortée Choisy), il est rarissime de disposer
par dix­huit galères affrétées par son d’un relevé écrit des agapes royales,
oncle, le grand­duc de Toscane, Ferdi­ l’on possède celui de ce repas de noces.
nand Ier. Mais, comme lors des différen­ Conservé aux archives du ministère
tes étapes de ce voyage, point d’Henri des affaires étrangères, le document
de Navarre pour l’accueillir sur le quai. donne une bonne idée de l’abondance
Henri IV fait savoir qu’il a été retenu de la fête. « Il s’agit en fait d’un texte du
par la guerre menée contre le duc de XVIIIe siècle, précise l’historien de l’ali­
Savoie. Et on le sait perturbé par les mentation, Florent Quellier, profes­
exigences de sa nouvelle maîtresse, seur des universités à Angers. Il recons­
Henriette d’Entragues, peu pressée de titue ce menu de 1600, probablement à
le voir se remettre la corde au cou. Le partir de sources comptables. On con­
« Vert Galant » – à propos duquel l’his­ naît donc les quantités des denrées pré­
toire a recensé 73 maîtresses officiel­ sentées, plus que la façon dont ces mets
les lui donnant 22 enfants légitimes étaient préparés. »
ou non reconnus – semble pourtant Des plats d’autant plus difficiles à
avoir choisi de sacrifier un temps ses imaginer qu’aucun livre de cuisine ne
plaisirs à la raison d’Etat. Au lende­ témoigne véritablement des mœurs
main de l’édit de Nantes promettant, culinaires de l’époque. Avant la paru­
en 1598, la fin des guerres de religions tion, en 1651, de l’ouvrage de François­
qui avaient ravagé la France, l’avenir Pierre de La Varenne, Le Cuisinier fran­
du trône exige une régularisation de çois, qui annoncera la domination
sa situation matrimoniale. européenne de la cuisine française à
Le successeur d’Henri III vit alors sé­ partir du Grand Siècle, l’ouvrage de ré­
paré de sa première épouse, Margue­ férence demeure Le Viandier, republié
rite de Valois, dont il n’a pu avoir d’en­ régulièrement depuis sa première édi­
fant. En 1599, l’annulation papale de tion, imprimée en 1486 (près d’un siè­
son union avec la reine Margot enfin cle après la mort de son auteur pré­
prononcée, Henri IV jette finalement sumé, Guillaume Tirel, dit Taillevent).
son dévolu sur la nièce de Ferdinand Ier « L’époque d’Henri IV est une période
et sa dot de 600 000 écus. de transition, rappelle Florent Quellier.
On commence à moins utiliser des épi­
ces comme le gingembre, le safran, la
cannelle, la cardamome, dominantes
« DANS CETTE SOCIÉTÉ DE  dans la cuisine des élites depuis le
Moyen Age jusqu’à la Renaissance. En­
PÉNURIE, LE ROI, POUR  core très présent, le sucre est de plus en
MONTRER SA PUISSANCE,  plus destiné à la fin du repas et on
abuse moins du sucré­salé. » Si les sau­
NE DOIT PAS CONNAÎTRE  ces, encore liées au pain, n’ont pas l’as­
pect soyeux qu’elles posséderont au
LA CONTRAINTE  début du XVIIIe siècle, le beurre, long­
temps considéré comme « la graisse du
ÉCONOMIQUE » pauvre », s’impose progressivement
FLORENT QUELLIER comme corps gras de cuisson, au détri­
historien ment du saindoux.
Le menu de ce 17 décembre 1600 pro­
pose quelques rares poissons, tous
d’eau douce (brochet, carpe). Il croule
surtout sous d’innombrables volailles
– poulets, chapons, poules d’Inde, pi­
geonneaux (aux câpres ou mariés à un
jus de mouton) –, gibiers (avec une pré­
férence pour ceux à plume, comme les
perdrix), veau (en poitrine farcie), gigot
de mouton (aux marrons). Dansent
également des farandoles d’abats (en
vogue depuis la Renaissance) et de
charcuteries (cervelas, jambons, an­
douillettes). Le porc n’est utilisé qu’en
salaison, en farce ou pour fournir le
lard qui barde systématiquement les
pièces à rôtir.
Surabondance carnée
A une époque où la majorité de la popu­
lation doit se contenter de bouillie de
céréales et de bouillons de légumes,
cette surabondance carnée démontre
la primauté de la viande comme mar­
queur social de l’aristocratie euro­
péenne. « Dans cette société de pénurie,
toujours sous la menace d’une disette, le
roi, pour montrer sa puissance, ne doit
pas connaître la contrainte économi­
que, ni celle de l’approvisionnement »,
insiste Florent Quellier.
A cette noce, où la table du roi se dis­
tingue par un ordonnancement d’orfè­
vrerie et d’emblèmes royaux, la proces­
sion des plats obéit à un service « à la
française ». Au rythme des séquences,
la table se couvre de mets dont chacun
se sert selon ses envies, avec une four­
chette plutôt qu’avec la pointe du cou­
teau, même si beaucoup mangent en­
core avec les doigts.
Assez rapidement, les plats repartent,
même intouchés. Un gaspillage sym­
bolique, là encore signe de prospérité,
mais allant de pair avec un sens aigu du
recyclage. Après être repassées à des ta­
bles « secondaires », ces nourritures
pourront resservir à d’autres prépara­
tions, comme celles de tourtes, ou être
distribuées aux domestiques autorisés
à les revendre, ces redistributions fai­
sant partie de leurs gages.
Les époux se sont­ils régalés ? On dit
de Marie de Médicis, qui avait une ten­
dance à l’embonpoint, qu’elle appré­
ciait beaucoup les œufs mais préférait
manger léger. Henri IV, lui, a été décrit
comme un bon vivant aux goûts rusti­
ques. A sa naissance, son grand­père,
0123
JEUDI 20 AOÛT 2020
STÉPHANE OIRY
Henri d’Albret, ne lui aurait­il pas frotté
les lèvres avec une gousse d’ail avant de
les mouiller de vin de Jurançon ? La tra­
dition veut que ce Gascon sentant fort
« de l’aile et du gousset » ait conservé ce
goût pour l’ail et l’oignon cru, tout en se
délectant des produits de la chasse,
mais aussi de fromages forts, d’huîtres,
de sardines et de vin de la Champagne
(alors rouge clair et tranquille). La cons­
truction historique a ensuite fait son
œuvre. « Pour la dynastie des Bourbons,
il était important de montrer que ce roi
aux manières moins policées se diffé­
renciait des Valois et des “raffinements
d’Henri III” », analyse Florent Quellier.
Par la suite, la mythologie du bon roi
Henri fera la part belle à la poule au pot.
La référence à cet oiseau de basse­cour
apparaît pour la première fois dans un
livre, Histoire du Roy Henry le Grand,
écrit en 1661 par Hardouin de Péréfixe
pour Louis XIV, dont il avait été le pré­
cepteur. Contant une dispute avec le
duc de Savoie, le biographe fait dire à
Henri IV : « Je ferai qu’il n’y aura point de
laboureur en mon royaume qui n’ait
moyen d’avoir une poule dans son pot. »
Répétée, déformée, exploitée, la phrase
de ce roi présenté proche du peuple est
devenue un plat national. Qui n’appa­
raît pas au menu du 17 décembre 1600.
Il aurait presque pu pourtant, avec sa
cuisson simple, sans épices superflues,
et ces légumes qui commençaient à
prendre place à la table des puissants,
sous l’influence de la cuisine italienne.
Le roi, par le biais de son ministre
Sully (« pâturage et labourage sont les
deux mamelles de la France ») et d’Oli­
vier de Serres, pionnier de l’agronomie
française, sera l’un des promoteurs des
produits des potagers et des vergers.
Fruits (confits et frais) et légumes lui
sont servis à Lyon. Laitue, chicorée,
mais aussi des cardes et des artichauts
réputés alors comme aphrodisiaques.
Le « Vert Galant » en avait­il vraiment
besoin ? Un peu plus de neuf mois
après leur nuit de noces, Marie de Mé­
dicis accouchait du futur Louis XIII.
Quand, un mois plus tard, la favorite
Henriette d’Entragues donnait nais­
sance à leur fils naturel, Henri de Bour­
bon, duc de Verneuil. 
stéphane davet
Prochain article 2015 : Huit chefs pour
la planète
 UPLOADED BY "What's News" vk.com/wsnws TELEGRAM: t.me/whatsnws

0123
JEUDI 20 AOÛT 2020

L’été des idées | 23

D
ès qu’on est plus d’une dizaine,
c’est comme une petite cité à gé­
rer », confie une jeune habituée
des oasis, qui a séjourné dans
de nombreux lieux collectifs
alternatifs avant de s’installer
au village de Trémargat, dans les Cô­
tes­d’Armor, municipalité où s’exerce le
« génie créatif des communes », assure le
consultant Mathieu Rivat (Ces maires qui
changent tout, Actes Sud, 2017). En tâton­
nant avec entêtement, les oasis se sont
dotées d’outils utiles pour s’autogouver­
ner. Car derrière l’idéal de l’habitat par­
tagé, il y a la réalité du budget et des tours
de vaisselle, la gestion des communs et
les tensions du quotidien. Sous la maison
passive (à faible consommation énergéti­
que), il y a la politique active. Il faut réali­
ser en pratique ce à quoi on aspire parfois
de manière très théorique. Et trouver les
bons processus de prise de décision. Ce
qui frappe, dans la plupart des oasis visi­
tées, qu’elles soient d’inspiration zadiste,
communaliste ou spiritualiste, c’est la ré­
currence de modèles ou de pratiques lar­
gement inconnus du grand public,
comme la « sociocratie » ou l’« holacra­
tie » (qu’on appelle aussi « holocratie »),
termes qui empruntent autant à l’uni­
vers de la science politique qu’à celui du
management économique.
Qu’est­ce que la sociocratie ? Le mot
aurait été inventé au XIXe siècle par ÉMILIE SETO
Auguste Comte (1798­1857), mais c’est
Gerard Endenburg, un ingénieur néer­
landais en électronique, né en 1933, de

S’AUTOGOUVERNER POUR
culture quaker et scolarisé dans une longue ou applaudissements silencieux
école alternative, qui lui a donné son ac­ pour exprimer son accord.
ception la plus courante. Celle­ci repose La portée politique des oasis n’est pas
principalement sur la décision par qu’interne, mais se mesure également

consentement : les orientations stratégi­
ques d’un groupe peuvent être adoptées
si elles ne rencontrent aucune objection
argumentée d’aucun de ses membres.
Faut­il agrandir l’écolieu et acheter de
nouvelles parcelles de terrain ? Comment
organiser le travail ? Dans la sociocratie,
la décision n’est pas prise à l’unanimité
(difficile à obtenir) ni à la majorité (qui
mécontente forcément les minoritaires),
mais au consentement. En résumé, dans
la décision par consensus, tout le monde
dit oui, dans la gouvernance par consen­
tement, personne ne dit non.
PROBLÈMES RELATIONNELS
La sociocratie fonctionne aussi par cer­
cles et élections sans candidat. « On est
toujours confronté à quinze manières de
penser avec lesquelles il faut composer »,
observe Laurence, initiatrice d’un éco­
lieu cévenol. « Au début, nous pensions
un peu naïvement que nous n’avions pas
besoin de règles. Aujourd’hui, nous repre­
nons les principes de la sociocratie en les
complétant par la dimension émotion­
nelle », explique Patrick Buret, l’un des
fondateurs de l’Aerium de Peyraube, oa­
sis campée à Arrigas (Gard).
Il faut dire que le collectif fondé en 2012
a failli exploser lorsque, sur les quatre
couples qui avaient lancé l’aventure, deux
ont quitté le lieu. Car le turnover des oasis
est important. « C’est souvent à cause des
relations interpersonnelles que certaines
oasis échouent », témoigne l’agroécolo­
giste fondateur du mouvement Colibris,
Pierre Rabhi. C’est pourquoi la sociocratie
et son dérivé plus organique, l’holacratie
– méthode développée par l’entrepreneur
américain Brian Robertson afin de briser
le fonctionnement pyramidal au profit
d’un management horizontal – sont de­
venus des outils prisés par la galaxie des
écolieux. Bien plus que des bouées de
sauvetage, ils en sont devenus les indis­
pensables rouages.
CHANGER LE MONDE
LA FRANCE DES OASIS 3|6   « Sociocratie », « holacratie »…
Les collectifs alternatifs, qui cherchent à inventer un autre
modèle de société, utilisent des outils empruntés à la science politique
ou au management pour faciliter la démocratie interne
Ce qui surprend, c’est l’usage récurrent
de méthodes venues du management
dans des collectifs souvent réfractaires à
la culture d’entreprise. « Il y a un trait
commun entre la tendance libertaire –
plutôt anarchiste – et la tendance liberta­
rienne – d’inspiration libérale : c’est l’anti­
hiérarchie », explique le politiste Yves Sin­
tomer. « Les mots de l’autonomie politi­
que n’existent pas encore, d’où le recours à
ce vocabulaire alternatif pour expliciter
ces modes de décision », observe le poli­
tiste Samuel Hayat. « Oui, c’est une langue
hybride qui vient en partie du manage­
ment, mais il n’y a jamais d’agencement
social pur », prévient le sociologue Lau­
rent Jeanpierre. D’autant qu’en activant
les réseaux sociaux et le crowdfunding
« certains entrepreneurs de communautés
rapprochent les écolieux du modèle de la
start­up, l’actionnariat en moins », pour­
suit ce professeur de science politique à
l’université Paris­VIII, qui dirige un sémi­
naire sur les communautés utopiques.
Une posture critique consisterait à dis­
qualifier ces pratiques parce qu’elles se­
raient récupérées par le système capita­
liste. C’est oublier que les résidents des
oasis ne sont pas des théoriciens qui
mettent en œuvre une idéologie, un pe­
tit livre vert en main. Ce sont des « ma­
kers », qui activent la « démocratie du
faire ». Peut­être s’agit­il même du
contraire : en faisant feu de tout bois, en
éprouvant les méthodes qui marchent et
celles qui ne marchent pas, les oasis récu­
CERTAINS pèrent et détournent des outils venus du
monde de la communication au profit
ENTREPRENEURS de leur projet d’émancipation, à l’image
DE COMMUNAUTÉS de ces objets industriels qui connaissent
une seconde vie dans les ressourceries.
RAPPROCHENT LES On peut toutefois s’interroger sur ce
« procéduralisme politique » qui occupe
ÉCOLIEUX DU MODÈLE l’espace et prend beaucoup de temps
DE LA START-UP, dans ces endroits, tempère Laurent
Jeanpierre. Car, ici comme ailleurs, le ris­
L’ACTIONNARIAT que de tomber dans la « réunionite »
existe. « C’est magnifique, mais parfois
EN MOINS épuisant, la démocratie participative, et
LAURENT JEANPIERRE j’ai l’impression d’avoir un agenda de mi­
politiste nistre ! », témoigne une élue de Trémar­
gat. Pour éviter ces travers, les oasis ajus­
tent leurs pratiques et mettent en place
des « maîtres du temps » ou des « facilita­
teurs » de réunion. D’autres recourent à
la « gestuelle d’assemblées », expérimen­
tée par le mouvement des « indignés »
(né en Espagne en 2011) ou Nuit debout
(la contestation citoyenne, à Paris, au
printemps 2016) : bras en croix pour
s’opposer, moulinets des mains lors­
qu’une prise de parole est jugée trop
aux liens que celles­ci tissent avec les
autres collectifs, les mairies et les régions
avoisinantes. Pour Yves Sintomer, la
question est la suivante : « Vont­ils se con­
tenter de vivre heureux dans leurs niches
écologiques et politiques ou bien être un
point d’appui pour inventer un autre
monde ? » La plupart estiment qu’il est
possible de relier les deux dimensions,
d’être à la fois un lieu d’expérimentation,
de mobilisation et de diffusion : « Nous
voulons essaimer », déclarent la plupart
des résidents de ces lieux qui s’érigent
contre le consumérisme, la déshumani­
sation des relations sociales et le produc­
tivisme. « Une communauté n’a de sens
que si elle est au service du monde, et la
transformation personnelle doit servir la
transformation sociale », atteste Marga­
lida Reus, responsable de l’Arche de
Saint­Antoine, une communauté instal­
lée dans l’Isère. D’ailleurs, les mairies, les
régions et même l’Europe soutiennent
parfois ces initiatives inventives.
« CITOYENNISME »
Comment nommer la politique des oa­
sis ? « Le communalisme peut s’appliquer
à certaines situations locales », comme
l’expérience de démocratie participative
à Saillans, dans la Drôme, explique Sa­
muel Hayat, qui préfère cependant parler
plus globalement de « citoyennisme », à
savoir une demande de participation
plus forte des citoyens aux prises de dé­
cisions politiques. A la suite du sociolo­
gue américain Erik Olin Wright (1947­
2019), Laurent Jeanpierre utiliserait plu­
tôt l’expression « transformations
interstitielles » à propos de ces expéri­
mentations politiques à visée transfor­
matrice, qui s’élaborent dans les intersti­
ces de la globalisation.
Certains, comme Frédéric Bosqué à
l’écovillage Tera (Lot­et­Garonne), veu­
lent « greffer le meilleur de la social­dé­
mocratie » à cette « révolution des com­
muns ». D’autres, comme au quartier li­
bre des Lentillères à Dijon, sont inspirés

Désamorcer les conflits par la communication non violente

Lorsque le différend s’installe
entre deux personnes ou que
les oppositions dans le groupe
sont patentes, les résidents des
écolieux ont une réponse, une
méthode, presque une clé : la
communication non violente
(CNV). A tel point qu’elle est de­
venue presque un réflexe. « A
chaque fois que je sens une em­
brouille monter, je me mets en
mode CNV », explique Gus, tren­
tenaire installé dans une oasis
des Cévennes et investi dans
une brasserie artisanale. « Au
lieu de m’énerver contre celui qui
émet une parole que je juge
blessante, j’essaie de compren­
dre d’abord pourquoi je réagis
de la sorte », témoigne Pierre,
bénévole au centre Amma (Sei­
ne­et­Marne). Il faut dire que
les oasis expérimentent toutes
les facettes du vivre­ensemble,
avec ses bonheurs – « je n’ai ja­
mais vécu des vaisselles aussi
joyeuses », s’enthousiasme une
membre du Moulinage de
Chirols –, mais aussi ses heurts.
Car autant le collectif porte et
soutient, autant il contraint de
vivre sous le regard des autres.
D’où le recours à la communi­
cation non violente, dévelop­
pée par le psychologue améri­
cain Marshall Rosenberg (1934­
2015) dans les années 1970,
pour aider tout un chacun à
éviter la spirale de la violence.
Observer, clarifier, formuler
La CNV, explique la formatrice
Isabelle Desplats, dans un
MOOC, une formation en ligne
de l’université des Colibris,
consiste notamment à « être
capable d’écouter quelqu’un qui
s’exprime de manière agressive
sans le prendre personnelle­
ment », en comprenant que
cette personne exprime, certes
de façon véhémente, son besoin
d’être prise en considération. La
reconnaissance de ce « besoin »
est une première étape vers
l’apaisement. Observer (les faits
sans jugement), accueillir les
sentiments (qu’ils font naître en
nous), clarifier les besoins (non
reconnus) et formuler une de­
mande réalisable (et non une
exigence) : tels sont les piliers de
la CNV. Une façon à la fois
simple et élaborée de désamor­
cer les conflits par l’écoute de
soi et des autres. Beaucoup
d’oasis l’utilisent ou consultent
les fiches synthétiques de
l’Université du nous (UdN) de
Chambéry, centre de ressources
prisé des écolieux. Certaines oa­
sis se spécialisent même dans
cette gestion des relations. Ainsi
l’Arche de Saint­Antoine a­t­elle
créé, en 2010, la Formation et
expérimentation au vivre­en­
semble (Feve), dont les ensei­
gnements sont très suivis. « Cer­
tains bénéficient du logo “haute
qualité environnementale”, ici ce
serait plutôt celui de “haute qua­
lité relationnelle” », affirme
Guillaume Gardette, membre de
cette communauté. 
n. t.
par le mouvement zapatiste au Mexique.
« Il y a de l’espoir là­bas, les luttes payent.
Cela donne envie de tenter de nouvelles
formes basistes et communautaires qui
dessinent les contours de la société post­
capitaliste », confie Benjamin.
Les outils de gestion de groupe comp­
tent pour faire vivre ces collectifs alter­
natifs. Mais si les écolieux se défont sou­
vent à cause du facteur humain, ils per­
durent aussi grâce à lui. Comme le
résume Gaëlle Berge, du Moulinage de
Chirols, en Ardèche, « ici, on tient par
l’amitié ». Communalistes ou citoyennis­
tes, les oasis dessinent peut­être cette
« promesse de démocratie encore impen­
sée » que le philosophe Jacques Derrida
appelait « politique de l’amitié ». 
nicolas truong
Prochain article La nouvelle économie
du partage

24 | 0123
Pierre Cahuc
et Marie-Anne Valfort
La pandémie de Covid va
renforcer les disparités
raciales et ethniques
Alors qu’en France les travailleurs originaires
d’Afrique et d’Asie connaissent un taux
de mortalité plus élevé, les deux économistes
appellent à une « désinvisibilisation »
des minorités dans la statistique publique
L
a pandémie de Covid­19 ac­
croît les inégalités face à la
mort de façon abyssale.
L’Insee montre que, en
France, entre mars­avril 2019 et
mars­avril 2020, les décès des per­
sonnes nées en Afrique du Nord
ont crû de 54 %, et de 91 % pour cel­
les nées en Asie. Pour lNones per­
sonnes nées en Afrique subsaha­
rienne, l’augmentation atteint
114 % ! Dans le même temps, les dé­
cès ont augmenté de 22 % pour les
personnes nées en France, ce qui
est proche de la surmortalité ob­
servée pour celles originaires du
continent américain, des autres
pays européens ou d’Océanie.
On pourrait penser que la popu­
lation issue d’Afrique et d’Asie est
plus touchée parce que plus âgée.
Ce n’est clairement pas le cas : elle
est plus jeune que la moyenne na­
tionale. En réalité, les décès ont
augmenté de 96 % pour les per­
sonnes de moins de 65 ans nées
en Afrique subsaharienne, alors
qu’ils ont augmenté de seulement
3 % pour celles nées en France ap­
partenant à la même classe d’âge.
Parmi les facteurs qui ont accru
la mortalité des personnes origi­
naires d’Afrique ou d’Asie, l’Insee
souligne leur concentration dans
des zones densément peuplées
comme l’Ile­de­France, l’occupa­
tion de logements exigus, l’utilisa­
tion plus fréquente des transports
en commun et l’exercice de pro­
fessions incompatibles avec le té­
létravail, comme les métiers
d’aide­soignant, de livreur ou
d’agent de nettoyage.
Difficultés d’intégration
En tout état de cause, la précarité
économique des personnes nées
en Afrique et en Asie est la princi­
pale raison de cette surmortalité.
Elles payent le plus lourd tribut
alors qu’elles jouent un rôle­clé
dans le maintien à flot de l’éco­
nomie française en cette période
de crise. Il est probable qu’un
même phénomène affecte aussi
les immigrés de deuxième et troi­
sième générations, issus des mê­
mes zones géographiques, et plus
largement l’ensemble des mino­
rités visibles.
Ces populations sont en effet
confrontées à des difficultés d’in­
tégration récurrentes en France,
en particulier parce qu’elles sont
victimes d’une discrimination de
grande ampleur. Les résultats des
testings sur CV sont sans appel.
Une étude de 2019 portant sur
une centaine de tests de discrimi­
nation, réalisés dans neuf pays, ré­
vèle qu’à candidature équivalente
la probabilité pour les Français
blancs d’être invités à un entretien
d’embauche est de 50 % à 100 %
supérieure à celle de Français is­
sus de minorités non blanches
(asiatique, maghrébine ou d’Afri­
que subsaharienne). C’est bien
plus que dans les huit autres pays
Pierre Cahuc est professeur
d’économie à Sciences Po Paris
Marie-Anne Valfort est
professeure associée à l’Ecole
d’économie de Paris
UPLOADED BY "What's News" vk.com/wsnws TELEGRAM: t.me/whatsnws
LA CONDITION
ANIMALE, SUJET
LÉGITIME DE  à dix ans. Une large majorité souhaite une
DÉBAT PUBLIC
CES MINORITÉS
PAYENT LE PLUS
LOURD TRIBUT,
ALORS QU’ELLES
JOUENT UN RÔLE-
CLÉ DANS LE
MAINTIEN À FLOT
DE L’ÉCONOMIE
FRANÇAISE
d’Europe et d’Amérique du Nord
où ce type de test a été mené.
La pandémie de Covid­19, qui
plonge notre économie dans une
récession sans précédent, va sans
doute renforcer les disparités ra­
ciales et ethniques. La recherche
en psychologie sociale montre de
fait qu’un contexte de pénurie ac­
croît l’entre­soi. Mais d’autres
facteurs aggravants sont en jeu.
Notamment, la montée du chô­
mage offre plus de latitude aux
employeurs pour se livrer, sou­
vent à leur insu, à des comporte­
ments discriminatoires.
Faute de « statistiques ethni­
ques » suffisamment fournies, il
est malheureusement impossible
de connaître l’ampleur des diffi­
cultés auxquelles les personnes is­
sues des minorités visibles sont
confrontées. Certes, la statistique
publique collecte déjà des don­
nées sur la nationalité à la nais­
sance et le pays de naissance des
personnes et de leurs parents.
Mais cette information n’inclut
pas toutes les minorités visibles.
Les Français d’ascendance extra­
européenne ne se limitent pas à la
première et la deuxième généra­
tion d’immigrés.
Les minorités visibles incluent
des générations issues de vagues
précédentes et des descendants
de personnes qui n’étaient pas im­
migrées, c’est­à­dire qui ne sont
pas nées étrangères à l’étranger.
Par exemple, les personnes nées
en Algérie disposaient de la natio­
nalité française avant l’indépen­
dance. Il est donc important d’al­
ler plus loin.
La collecte sur la nationalité à la
naissance et sur le pays de nais­
sance des grands­parents, dans le
cadre de la deuxième enquête
« Trajectoires et origines » actuel­
lement en cours, est un premier
pas. Mais il faudrait que l’identifi­
cation des petits­enfants d’immi­
grés s’élargisse aux autres grandes
enquêtes de l’Insee, comme l’en­
quête sur l’emploi.
Il faudrait par ailleurs introduire
dans ces enquêtes des questions
autorisées par le Conseil constitu­
tionnel, comme la manière dont
les personnes pensent être per­
çues dans l’espace public (par
exemple comme blanc, noir, mé­
tis, maghrébin, asiatique, etc.).
Cette désinvisibilisation des mi­
norités visibles dans la statistique
publique est une étape essentielle
pour lutter efficacement contre
les inégalités les plus criantes. 
D es « illuminés » et des « intégristes ».
C’est ainsi qu’Eric Dupond­Moretti
qualifie les défenseurs de la cause
animale dans la préface d’Un chasseur en
campagne, le livre du patron des chasseurs,
Willy Schraen. Par ces mots, écrits avant sa
nomination à la tête du ministère de la jus­
tice, le célèbre avocat, lui­même chasseur
passionné, vise en réalité une partie
grandissante de la population. Selon un
sondage de la Fondation Brigitte Bardot,
publié par Le Monde mercredi 19 août,
plus des deux tiers des personnes inter­
rogées sont favorables à une amélioration
du bien­être des bêtes.
Face à la multiplication des scandales de
maltraitance animale, 91 % des sondés se
prononcent pour un accès extérieur obliga­
Plan de relance agricole :
un changement de cap est primordial
Seule la transition vers une alimentation plus végétale permettra d’atteindre les objectifs
fixés par les accords de Paris sur le climat, relève un collectif de quatorze chercheurs
L
e plan de relance économique an­
noncé le 20 juillet par Bruno Le
Maire [le ministre de l’économie, des
finances et de la relance], qui sera
présenté le 25 août en conseil des minis­
tres, prévoit de répartir 100 milliards
d’euros d’aides aux secteurs touchés par la
crise sanitaire, dont 30 milliards à la tran­
sition écologique. Ainsi, le secteur agricole
est triplement stratégique : il conditionne
notre autonomie alimentaire et a une in­
fluence majeure sur l’environnement
ainsi que sur la santé publique.
En ce qui concerne l’environnement, un
consensus se dessine sur l’importance
d’opérer une transition vers une alimen­
tation plus végétale pour atteindre les ob­
jectifs fixés par les accords de Paris sur le
climat et pour maintenir notre consom­
mation dans les limites des ressources de
la planète.
Ce changement de cap est primordial :
dans un article scientifique paru en mai, le
chercheur Brent Kim et son équipe pré­
voyaient que, si les 140 pays dont l’alimen­
tation a été modélisée adoptaient conjoin­
tement celle des pays les plus riches, l’em­
preinte climatique et d’eau de leur
production alimentaire se détériorerait
respectivement de 135 % et 47 %. Au con­
traire, la végétalisation de l’alimentation
permet de diviser par plus de trois l’im­
pact climatique de la production alimen­
taire, si bien que le régime végétalien est
celui qui émet le moins de gaz à effet de
serre dans 97 % des pays étudiés.
Une seconde étude parue elle aussi en
mai, publiée par Marco Springmann et son
équipe dans The British Medical Journal, a
étudié, dans 85 pays, les implications sani­
C’EST UNE
OCCASION UNIQUE
DE REPENSER
NOTRE
ORIENTATION
POLITIQUE
EN MATIÈRE
D’ALIMENTATION
toire pour tous les animaux d’élevage d’ici
transition vers des cirques sans animaux
sauvages, l’interdiction de la chasse à
courre ou encore de la vente des animaux
de compagnie. Ces thèmes recoupent ceux
du projet de référendum d’initiative parta­
gée sur la condition animale. Depuis son
lancement début juillet, l’initiative a re­
cueilli le soutien de 129 parlementaires et a
dépassé lundi le cap des 500 000 signatu­
res. La cause animale s’est définitivement
installée dans l’agenda politique.
Les politiques l’ont bien senti, l’attente
des électeurs est réelle. Avec un demi­mil­
lion de voix et un score de 2,2 % aux élec­
tions européennes de 2019, le Parti anima­
liste avait déjà imposé la thématique dans
le débat public. Désormais, les députés
n’hésitent plus à signer en nombre des pro­
positions de loi sur le sujet ; ils sont plus de
150 à défendre l’amélioration du bien­être
des animaux de compagnie et une soixan­
taine pour l’amélioration de la condition
animale et la lutte contre la maltraitance.
Si la prise de conscience – et l’affichage –
est là, les actes, pour l’heure, ne suivent pas.
Depuis le début de la législature, aucune des
propositions de loi n’a été débattue à l’As­
semblée, faute d’avoir été inscrite à l’ordre
du jour. Les parlementaires restent frileux,
sensibles à l’influence des lobbys, tout parti­
culièrement celui de l’industrie agroalimen­
taires et environnementales de l’adop­
tion de directives alimentaires nationales.
Le recueil de données sur l’alimenta­
tion et la santé de centaines de milliers de
personnes au travers d’études menées
sur des décennies a permis d’estimer
l’impact de l’alimentation sur un ensem­
ble de maladies non transmissibles (ma­
ladies coronariennes, AVC, diabète de
type 2, cancers du côlon et du rectum, et
maladies respiratoires liées au surpoids).
Régimes flexitarien et végétalien
En France, l’adoption des recommanda­
tions alimentaires nationales permet­
trait d’éviter 9,2 % des morts prématu­
rées (de 30 ans à 69 ans) et de réduire de
35 % l’impact climatique de la production
de l’alimentation française. L’adoption
d’un régime flexitarien, correspondant à
la consommation moyenne de 300 g de
viande par semaine, permet, quant à lui,
d’éviter 18,9 % des morts prématurées et
de réduire l’impact climatique de 74 %.
Enfin, un régime végétalien bien équili­
bré aurait un impact positif sur les mala­
dies liées à l’alimentation, évitant 22 %
des morts prématurées et réduisant de
91 % l’impact climatique.
Ces résultats sont en conformité avec
ceux de nombreuses études précédentes
ayant déjà incité des chercheurs à proposer
des solutions pour encourager la végétali­
sation de l’alimentation : campagnes de
communication de type « lundi vert », affi­
chage sur les produits de leur impact envi­
ronnemental, prise en compte de l’envi­
ronnement dans les recommandations
alimentaires nationales ou encore redistri­
bution de la taxation. Des recommanda­
tions plus claires, une réglementation plus
stricte de la publicité ainsi qu’une
meilleure répartition des aides publiques
pourraient aussi accélérer cette évolution.
La saison a été dure pour les exploitants
agricoles avec une chute de la production
céréalière de 20 % due à des aléas climati­
ques qui ne feront que s’amplifier dans
l’avenir. Alors que le président Emmanuel
Macron et le syndicat agricole majoritaire
FNSEA font de l’indépendance alimen­
taire un objectif stratégique, la totalité
des cultures fourragères et les trois quarts
des céréales alimentaires cultivées et
consommées en France sont destinés au
bétail. De plus, notre dépendance aux
protéines végétales importées et desti­
nées aux élevages est telle qu’elle ne sau­
rait être résolue par la seule augmenta­
tion de la production.
0123
JEUDI 20 AOÛT 2020
taire, des agriculteurs de la FNSEA et des
chasseurs. Même si ces derniers perdent du
terrain, leur emprise reste forte, y compris
auprès d’un chef de l’Etat qui les cajole.
Il y a bien l’expérimentation d’un repas
végétarien ou végétalien par semaine dans
les cantines scolaires depuis novem­
bre 2019. Et l’annonce de la fin du broyage
des poussins et de la castration à vif
des porcelets fin 2021. Mais, à ces excep­
tions près, le gouvernement n’a été à l’ini­
tiative d’aucune véritable avancée sur le
terrain de la cause animale. Malgré la loi
EGalim, le modèle agro­industriel n’est pas
remis en question.
L’Hexagone est à ce titre en retard sur
d’autres pays européens. La question du
bien­être animal est, par exemple, intégrée
dans les Constitutions allemande et autri­
chienne, et le Parti des animaux néerlan­
dais est représenté au Parlement européen.
La France, elle, freine, et n’applique pas sys­
tématiquement les directives européennes
de protection animale, par exemple pour la
chasse à la glu ou lors de la mise à mort des
animaux dans les abattoirs.
La condition des animaux, dont l’intelli­
gence a été démontrée par l’éthologie et la
sensibilité reconnue par la loi, doit être
améliorée et mieux respectée. L’évolution
de l’opinion en ce sens montre qu’il s’agit
bien d’un sujet légitime de débat politique
et d’action publique. 
Malgré un secteur de l’élevage en crise
chronique, cette situation a jusqu’ici été
entretenue au fil des gouvernements par
une politique agricole à contretemps des
recommandations sanitaires et des
engagements environnementaux. Selon
Greenpeace, la PAC reverse annuellement
un cinquième du budget total de l’Union
européenne (entre 28,5 milliards et
32,6 milliards d’euros) aux élevages ainsi
qu’aux exploitations produisant l’ali­
mentation du bétail.
Bien que les Français soient 89 % à pen­
ser qu’il faut manger moins de viande
(sondage Ipsos de 2017 pour Interbev), le
régime flexitarien paraît encore bien
loin de nos habitudes. En revanche, l’ap­
plication volontaire des recommanda­
tions alimentaires de notre pays, faisant
une plus grande place aux protéines vé­
gétales et plafonnant la consommation
de viande, est une étape à la fois accessi­
ble à chacun et significative pour la santé
publique et l’environnement. En mars,
3 600 scientifiques ont souligné l’ur­
gence environnementale de modifier les
conditions d’attribution des subven­
tions de la PAC. Espérons que, dans ce
contexte critique, leur bon sens sera en­
fin entendu. 
Aurélien Barrau, astrophysicien ;
Jérôme Bernard-Pellet, docteur
en médecine, nutritionniste ; Aris
Christodoulou, président cofonda-
teur du SIGA ; Catherine Devillers,
docteure en médecine, nutritionniste ;
Anthony Fardet, chercheur en ali-
mentation préventive ; Esmeralda
Fraille Lopez, docteure en médecine,
nutritionniste ; Charline Giroud, doc-
teure en biochimie ; Serge Morand,
chercheur en écologie de la santé ;
Jean Loup Mouysset, cancérologue,
spécialiste des liens entre environne-
ment et santé ; Benoît Noël, ingé-
nieur agronome ; Matthieu Ricard,
docteur en génétique cellulaire, écri-
vain et moine bouddhiste ; Lamprini
Risos, docteure en médecine spéciali-
sée en cardiologie préventive ; Elodie
Vieille Blanchard, docteure en
sciences sociales et présidente de l’As-
sociation végétarienne de France ;
William Zylberman, docteur en
géosciences de l’environnement