MERCREDI 27 MARS 2024

80E ANNÉE – NO 24644

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FONDATEUR : HUBERT BEUVE-MÉRY
DIRECTEUR : JÉRÔME FENOGLIO

SCIENCE & MÉDECINE – SUPPLÉMENT LE DODO DE L’ÎLE MAURICE RESSUSCITÉ À PARIS

Le dérapage du déficit public embarrasse l’exécutif

▶ En 2023, le déficit public
s’est élevé à 5,5 % du PIB,
soit 154 milliards d’euros,
selon l’Insee. La dette
publique s’est, elle, établie
à 110,6 % du PIB
▶ Conséquence d’une ▶ Les mauvaises surprises ▶ Dans un livre aux ▶ Malgré les mauvais
croissance ralentie et de budgétaires alimentent les accents programmatiques, chiffres annoncés, la dette
recettes fiscales en baisse, critiques des oppositions, le ministre de l’économie, française reste prisée sur
le chiffre est très supérieur tandis que l’ampleur Bruno Le Maire, évoque les marchés financiers, où
aux 4,9 % inscrits dans la des économies à réaliser les réformes nécessaires les taux d’intérêt baissent
loi de finances pour 2024 divise le gouvernement pour « terminer le travail » PAG ES 8 -9

GAZA À L’ONU, WASHINGTON SE DÉMARQUE D’ISRAËL Terrorisme La France en alerte

▶ L’abstention américaine a permis
face à la menace islamiste
l’adoption d’une résolution exigeant après l’attentat de Moscou,
un « cessez-le-feu immédiat » revendiqué par le groupe Etat is-
▶ Benyamin Nétanyahou, plus isolé que lamique, le dispositif Vigipirate
a été relevé à son niveau maxi-
jamais, a annulé la visite de plusieurs mal, « urgence attentat ». Selon
de ses conseillers aux Etats-Unis le premier ministre, Gabriel At-
tal, 45 projets d’attentat ont été
PAG E S 2 - 3 déjoués depuis 2017, dont deux
depuis le début de l’année 2024.
Plus que la « menace proje-
tée », comme lors des attentats
du 13 novembre 2015, les ren-
seignements craignent la
« menace inspirée », téléguidée
depuis des zones d’Asie cen-
trale et ciblant de jeunes indi-
vidus présents en France.
PAG E 1 2

Sénégal
Victoire surprise
du souverainiste
Diomaye Faye à
la présidentielle
C’est une victoire histori-
que : inconnu du grand
public il y a un an, le can-
didat du principal parti
Linda Thomas-Greenfield, d’opposition sénégalais,
ambassadrice américaine aux présenté comme « anti-
Nations unies, s’abstient lors du vote,
le 25 mars, à New York, au Conseil
système », l’a emporté dès
de sécurité. CRAIG RUTTLE/AP le premier tour, dimanche
PAG E 4 ET ▷▸▹►▻▼▹▽▾ PAG E 3 2
Ukraine
La stratégie des
« mille entailles »
contre la machine
de guerre russe
Les Ukrainiens ont choisi
de multiplier les actions
à la périphérie du champ
de bataille pour entraver
l’ennemi, après l’échec de
leur contre-offensive de
l’été 2023 et leur passage
en posture défensive
PAG E 5

Excision Entreprises Cinéma Cybercriminalité

PAULIN ISMARD
Le nombre de filles Casino tourne Un conte d’Iran,
mutilées en hausse la page de l’ère une flânerie Dans les coulisses
malgré l’objectif Naouri, « Napoléon argentine, et des arnaques aux
d’éradication des gondoles » toutes les sorties
PAG E 7 PAG E 1 4 PAG ES 2 2 À 2 5
faux placements
Des publicités usurpent
VU PAR DILEM (ALGÉRIE) CARTOONING FOR PEACE l’image du « Monde » pour
promouvoir des investis-
sements miracles, qui se
révèlent des escroqueries
liées au crime organisé
PAG ES 2 0 -2 1

Planète
En Guyane,
les ravages de
la fièvre de l’or Prix
Emmanuel Macron, en vi-
de la Contre-Allée
site dans le département,
veut installer des mines
2024
légales pour tenter d’endi-
guer le fléau des établisse- institut histoire et lumières de la pensée
ments clandestins ihldp.com
PAG E 6
Algérie 220 DA, Allemagne 4,70 €, Andorre 4,20 €, Autriche 4,40 €, Belgique 3,90 €, Espagne 4,10 €, Grèce 4,10 €, Guadeloupe-Martinique 3,90 €,
Italie 4,10 €, Luxembourg 4 €, Maroc 30 DH, Pays-Bas 4,50 €, Portugal cont. 4,10 €, La Réunion 3,90 €, Sénégal 2 500 F CFA, Suisse 4,80 CHF, Tunisie 6,50 DT
2|
INTERNATIONAL
C O N F L I T I S R A É L O - PA L E S T I N I E N
Gaza : Washington se démarque d’Israël
A l’ONU, l’abstention
des Etats-Unis a permis
le vote d’une résolution
demandant un « cessez-
le-feu immédiat »
new york (nations unies),
washington - correspondants
A
u bout de cinq mois et demi
de blocage, le Conseil de sé-
curité des Nations unies
(ONU) a enfin adopté une
résolution appelant à un
« cessez-le-feu immédiat » à
Gaza, lundi 25 mars. Ce texte ne s’applique
qu’au mois de ramadan, qui a déjà débuté
depuis deux semaines, le 11 mars. Sa traduc-
tion sur le terrain demeure très incertaine,
même si Antonio Guterres, le secrétaire
général de l’ONU, a estimé qu’il serait « im-
pardonnable » de l’ignorer. Cette résolution
n’en représente pas moins le premier
geste concret de l’administration Biden
pour prendre un peu de distance critique
par rapport à l’opération militaire israé-
lienne. Plus de 32 000 personnes, pour l’es-
sentiel des civils, ont été tuées à Gaza.
Le vote de cette résolution, présentée par
les dix membres non permanents du Con-
seil de sécurité et soutenue par quatre mem-
bres permanents, a été possible grâce à l’abs-
tention des Etats-Unis. Ce pays ne s’est pas
joint aux autres en raison de l’absence d’une
condamnation explicite du Hamas. Mais le
résultat est similaire : Israël est exposé et
seul. Le texte supprime l’un des principes
auxquels Washington s’accrochait, celui
d’une conditionnalité entre la libération des
130 otages restant aux mains du mouve-
ment palestinien et un cessez-le-feu tempo-
raire, tout en appelant les deux de ses vœux.
Ce pas inédit, dont la Maison Blanche s’est
évertuée à minimiser la portée, a immédia-
tement provoqué une crise ouverte entre
Israël et son seul soutien majeur dans la
guerre. Benyamin Nétanyahou a décidé
d’annuler le déplacement à Washington
de ses proches collaborateurs, le ministre
aux affaires stratégiques, Ron Dermer, et le
conseiller à la sécurité nationale, Tzachi
Hanegbi. Ceux-ci n’avaient qu’une feuille de
route politique, consistant à écouter poli-
ment l’allié américain au sujet d’alternatives
à une opération terrestre d’ampleur à Rafah,
dans le sud de la bande de Gaza.
« Les Etats-Unis ont abandonné leur politi-
que à l’ONU aujourd’hui, a réagi le bureau de
M. Nétanyahou, lundi, dans un communi-
qué. (…) La résolution donne l’espoir au
Hamas que la pression internationale forcera
Israël à accepter un cessez-le-feu sans libéra-
tion de nos otages, portant ainsi atteinte à la
fois à l’effort de guerre et à l’effort pour libérer
les otages. » Sans employer le lexique de la
trahison, le premier ministre a laissé sous-
entendre qu’un abandon de son pays était en
cours. Une façon de se poser en seul rempart
face aux pressions américaines.
De son côté, à Washington, le porte-parole
du Conseil de sécurité nationale, John Kirby,
estimait que le dirigeant israélien cherchait
« à créer l’impression d’une divergence, alors
Nétanyahou dénonce « une rupture claire » dans la position américaine
jamais, durant cette guerre à Gaza,
Benyamin Nétanyahou n’avait été si
seul. Le premier ministre israélien a
franchi un nouveau palier, lundi 25 fé-
vrier, dans sa confrontation avec son
principal allié, en dénonçant, dans un
communiqué amer, l’absence de veto
de Washington à la première résolu-
tion du Conseil de sécurité des Na-
tions unies qui appelle à un cessez-le-
feu immédiat à Gaza.
Il a renoncé, en représailles, à en-
voyer aux Etats-Unis le ministre Ron
Dermer, son principal lien avec l’ad-
ministration de Joe Biden, et le con-
seil à la sécurité nationale Tzachi Ha-
negbi. « Les Etats-Unis ont abandonné
leur politique aux Nations unies
aujourd’hui », a-t-il regretté, en esti-
mant, en dépit des dénégations de
Washington, qu’il s’agissait bel et
bien d’une « rupture claire avec la poli-
0123
MERCREDI 27 MARS 2024
Une manifestation avant l’arrivée du ministre israélien de la défense, Yoav Gallant, à Washington, le 25 mars. ROBERTO SCHMIDT/AFP
que ce n’est pas nécessaire ». Le conseiller a La protection inconditionnelle américaine ne change rien à la détresse de la population à
insisté sur le caractère « non contraignant » LE CHANGEMENT d’Israël à l’ONU a été remise en question en Gaza – brouille encore plus sa stratégie. Foca-
de la résolution, qui n’aura « aucun im-
pact sur Israël et sur [sa] capacité à combattre
DE TON DES ÉTATS-UNIS plusieurs glissements récents. Washington
s’est d’abord rallié à l’idée d’un cessez-le-feu
lisée sur les négociations en vue d’une libéra-
tion des otages, l’administration Biden a sem-
le Hamas ». Tout cela ne serait donc qu’un TÉMOIGNE « immédiat et durable », dans un projet de blé prise de court, lundi, par la réaction publi-
vaste malentendu ; la ligne américaine texte présenté le 22 mars. Le texte appelait que de Benyamin Nétanyahou.
n’aurait pas varié d’un iota. D’ailleurs, a rap- D’UNE EXASPÉRATION aussi à la libération immédiate de tous les Le maintien de la visite à Washington
pelé John Kirby, les livraisons d’armes se
poursuivent au bénéfice de l’Etat hébreu,
VIS-À-VIS DU PREMIER otages. Il était alors inconcevable pour la Rus-
sie et la Chine de laisser voter un appel au ces-
du ministre de la défense israélien, Yoav
Gallant, arrivé lundi, montre que les liens
sans que l’on n’en connaisse le détail. Toute- MINISTRE ISRAÉLIEN sez-le-feu à Gaza à l’initiative des Etats-Unis. demeurent au-delà de la figure du premier
fois, la distinction entre armes défensives Les deux pays y ont mis leur veto. Les pays ministre. Le programme de M. Gallant a
et offensives pourrait vite s’imposer dans le arabes, représentés par l’Algérie, ont aussi si- d’ailleurs été étoffé : entretiens avec le con-
débat aux Etats-Unis. gnalé leur mécontentement : pour eux, le seiller à la sécurité nationale, Jake Sullivan,
texte était trop imprécis et donnait « un lais- avec le chef du Pentagone, Lloyd Austin, avec
sez-passer à Israël pour attaquer Rafah », se- le secrétaire d’Etat, Antony Blinken, et avec le
EXASPÉRATION lon l’ambassadeur algérien, Amar Bendjama. patron de la CIA, William Burns.
Dire que la ligne américaine n’a pas changé Après un week-end d’intenses négocia-
est contredit par les faits. A l’ONU, les Etats- tions, la Maison Blanche a accepté le décou- INGRATITUDE
Unis ont longtemps refusé d’évoquer autre plement de l’appel à un cessez-le-feu et de Le changement de ton des Etats-Unis, qui té-
chose que des « pauses humanitaires ». De- celui à la libération des otages. Sur le papier moigne aussi d’une exaspération vis-à-vis
puis octobre 2023, ils ont mis leur veto à tout du moins. Car l’ambassadrice améri- de Benyamin Nétanyahou, s’était senti lors
trois demandes de « cessez-le-feu ». L’une caine, Linda Thomas-Greenfield, est de- de la visite en Israël d’Antony Blinken, le
d’elles, présentée par le Brésil le 19 octobre, meurée ambiguë, lundi, dans son explica- 22 mars. Le chef de la diplomatie américaine
comprenait une condamnation du Hamas, tion de vote, en déclarant que « le cessez-le- ne parlait plus de plans israéliens à étudier,
faisant de ce rendez-vous manqué l’une des feu ne pourra commencer qu’une fois le pre- avant d’approuver une éventuelle opération
incohérences diplomatiques de Washing- mier otage rendu ». Elle a aussi lâché que terrestre à Rafah. Il en condamnait le prin-
ton dans cette guerre. Si les Etats-Unis n’ont cette résolution était « non contraignante ». cipe même. « Elle risque de tuer plus de civils,
pas bloqué les deux résolutions centrées Si l’Etat hébreu ignore souvent les résolu- elle risque de causer une plus grande dévasta-
sur les appels humanitaires, celles-ci n’ont tions qui le concernent, ces textes du Con- tion avec la livraison de l’aide humanitaire,
rien changé dans les faits à l’obstruction is- seil de sécurité, sans exception, sont autant elle risque d’isoler davantage Israël dans le
raélienne. Les Nations unies dénoncent le d’éléments de droit international, même en monde et de compromettre sa sécurité et son
blocage de centaines de camions aux portes l’absence d’une force internationale pour rang à long terme », résumait-il.
de Rafah et les bombardements qui empê- en surveiller l’application. Depuis le 7 octobre, l’administration Biden
chent toute distribution sécurisée, tandis L’incapacité de la Maison Blanche à assumer a apporté un soutien massif à Israël. Elle
que la famine menace. son audace diplomatique bien timide – elle a immédiatement déployé des forces nava-
les en Méditerranée orientale, prévenant
ainsi une extension régionale du conflit. Elle
a organisé un véritable pont aérien de livrai-
sons d’armes − plus d’une centaine, selon le
Washington Post −, à la fois pour renforcer la
tique constante des Etats-Unis au Con- che plus aux côtés du premier minis- d’envahir Rafah, dans le sud de Gaza. défense antimissiles et pour approvisionner
seil de sécurité depuis le début de la tre depuis des semaines et il fait con- Devant la passerelle de son avion l’armée israélienne dans son opération à
guerre ». Il a accusé au passage cette naître leur désaccord sur la manière avant son départ de Tel-Aviv, M. Blin- Gaza. Elle a servi de bouclier à l’ONU contre
résolution d’offrir au Hamas « l’espoir de poursuivre la guerre. Tout comme ken avait répété publiquement sa les résolutions jugées trop défavorables à
que la pression internationale forcera l’ex-chef d’état-major Benny Gantz, mise en garde. l’Etat hébreu. Elle s’est contentée d’un ser-
Israël à accepter un cessez-le-feu sans membre du cabinet de guerre, qui M. Nétanyahou se pose depuis dé- vice minimum au sujet des civils palesti-
libérer [les] otages ». avait été accueilli dans les mêmes cembre 2023 en rempart contre les niens, sans jamais placer fermement le gou-
conditions en février. M. Gantz a es- pressions de Washington sur la con- vernement israélien devant ses responsabi-
Jouer sur les divisions timé, lundi soir, que « le premier mi- duite de la guerre comme sur l’entrée lités quant aux crimes de guerre commis et à
L’administration Biden fait valoir, nistre ferait bien de se rendre lui-même de l’aide alimentaire dans l’enclave. l’obstruction dans l’acheminement de l’aide.
pour sa part, qu’elle accueillait lundi aux Etats-Unis et de dialoguer directe- Au plus bas dans les sondages, il s’ef- Malgré ces preuves de soutien, la Maison
avec les honneurs le ministre de la dé- ment avec le président Biden ». force de remobiliser ses électeurs en Blanche n’a rencontré en retour que l’ingra-
fense israélien, Yoav Gallant, qui de- Dès vendredi, une visite du secré- affirmant être le seul à même d’empê- titude de Benyamin Nétanyahou, concentré
vait s’entretenir avec le secrétaire à la taire d’Etat américain en Israël s’était cher l’allié américain d’imposer à Is- sur sa propre survie politique, refusant d’en-
défense, Lloyd Austin, le secrétaire achevée amèrement. Antony Blinken raël de confier les ruines de Gaza au visager des pistes politiques pour la phase
d’Etat, Antony Blinken, et le conseiller avait prévenu M. Nétanyahou que la Fatah du président palestinien Mah- d’après. Or, la guerre sans fin ne peut être un
à la sécurité nationale, Jake Sullivan. sécurité de l’Etat hébreu et sa place moud Abbas et de le forcer à accepter projet séduisant pour Joe Biden. Président
Mais ces entretiens apparaissent dans le monde étaient en péril. « Vous des négociations en faveur d’une so- en campagne électorale, le voilà confronté à
aussi comme une manière de jouer vous en rendrez peut-être compte trop lution à deux Etats. Washington ne la mobilisation croissante de la gauche en fa-
sur les divisions du gouvernement is- tard », avait-il précisé, selon le média s’étend plus sur cet objectif lointain. p veur de la cause palestinienne. p
raélien, en cherchant une alternative en ligne Axios. Peu après, M. Nétanya- louis imbert (jérusalem, carrie nooten
à M. Nétanyahou. M. Gallant ne s’affi- hou avait promis encore une fois correspondant) et piotr smolar

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MERCREDI 27 MARS 2024
L’exemption militaire
des ultraorthodoxes
divise le gouvernement
israélien
Les généraux du cabinet de guerre dénoncent
un projet visant à perpétuer la dispense
jérusalem - correspondant
L e gouvernement de Benya-
min Nétanyahou se dé-
chire. Lundi 25 mars au soir,
peu après le vote d’une résolution
du Conseil de sécurité des Na-
tions unies appelant à un cessez-
le-feu immédiat à Gaza, Gideon
Saar, le chef d’un petit parti de
droite israélien, a annoncé qu’il
quittait la coalition au pouvoir. Il
revendiquait sans succès un siège
au cabinet de guerre, le cercle res-
treint de ministres qui dirige les
opérations à Gaza. Son geste
presse le parti centriste du géné-
ral Benny Gantz de suivre son
exemple, alors que celui-ci est
déjà engagé dans un bras de fer
avec M. Nétanyahou. Dimanche
24 mars, M. Gantz a menacé de dé-
missionner, lui aussi.
Ce puissant rival de M. Nétanya-
hou au sein du cabinet se pose en
rempart contre un projet de loi
très impopulaire en Israël, censé
perpétuer l’exemption de service
militaire dont bénéficie la com-
munauté juive ultraorthodoxe.
Cette exception assure à M. Néta-
nyahou le soutien électoral de
ces fondamentalistes, qui vivent
comme sur une île en Israël, sou-
mis à la seule autorité de leurs rab-
bins. La Cour suprême a jugé dès
2017 que cet état de fait contreve-
nait au principe d’égalité des ci-
toyens. Elle impose à la coalition
au pouvoir de redéfinir un cadre
légal avant le 1er avril, ou d’envoyer
ces jeunes gens dans les casernes.
Le passe-droit dont ils bénéficient
paraît au mieux anachronique et
au pire révoltant à une majorité
d’Israéliens, durant cette guerre
qui a mobilisé massivement les
réservistes. Le projet de loi élaboré
par M. Nétanyahou avec les partis
ultraorthodoxes « serait une ligne
rouge en temps normal, et c’est un
drapeau noir en temps de guerre »,
a affirmé l’ex-chef d’état-major.
M. Gantz mène ce combat au
côté du ministre de la défense,
Yoav Gallant, qui défie lui aussi
ouvertement le premier ministre.
Dimanche, ce militaire issu du
parti de M. Nétanyahou, le
Likoud, a dénoncé le projet de loi
comme « un échec moral ». Il offre
au général Gantz un droit de veto
sur ce texte, en promettant une
nouvelle fois que son ministère
ne le soumettra pas au Parlement
sans l’assentiment de tous les
membres du gouvernement.
M. Gallant, qui ne s’affiche plus
au côté du premier ministre de-
puis des semaines, le provoquait
ainsi peu avant de s’envoler pour
Washington, où il devait s’entrete-
nir avec les principaux responsa-
bles de l’administration Biden. Il
n’a pas choisi ce moment sensible
par hasard. En même temps que
les démocrates américains, les gé-
néraux du gouvernement israé-
lien perdent patience face à la ma-
nière dont M. Nétanyahou mène
la guerre à Gaza. Ils craignent que
le premier ministre ne provoque
LE PASSE-DROIT DONT
LES ULTRAORTHODOXES
BÉNÉFICIENT PARAÎT AU
MIEUX ANACHRONIQUE ET
AU PIRE RÉVOLTANT À UNE
MAJORITÉ D’ISRAÉLIENS,
DURANT CETTE GUERRE
inutilement l’allié américain dans
le seul but d’assurer sa survie poli-
tique. Leur entourage rappelle
que l’armée attend depuis trois
mois qu’une instance palesti-
nienne aussi docile que possible
prenne en charge la vie civile dans
l’enclave et y remplace le Hamas.
M. Nétanyahou se refuse à mener
de telles négociations avec l’Auto-
rité palestinienne de Mahmoud
Abbas et promet de poursuivre la
guerre « jusqu’à la victoire totale ».
M. Saar a claqué lundi la porte
du gouvernement en se position-
nant à sa droite : il estime que ce-
lui-ci « ralentit [les] progrès mili-
taires ». « Pour détruire le pouvoir
militaire du Hamas, nous aurions
dû agir plus rapidement », a-t-il
ajouté. Les généraux, pour leur
part, n’osent pas critiquer publi-
quement la stratégie de M. Néta-
nyahou. Ils craignent de passer
pour défaitistes et d’être accusés
de briser l’union nationale. Ils
préfèrent attaquer le chef de gou-
vernement sur son alliance avec
les fondamentalistes religieux.
Dimanche, le ministre centriste
Chilli Tropper a dénoncé ce projet
de loi sur la conscription en affir-
mant qu’il manquait à l’armée
une brigade entière pour faire face
aux besoins de la guerre. « Des
centaines de soldats ont été tués et
des milliers blessés (…), nous avons
besoin de beaucoup plus de soldats
immédiatement », estimait-il.
Difficiles à canaliser
Cet argument peut résonner
parmi les 250 000 réservistes mo-
bilisés en octobre 2023, dont une
partie attend d’être rappelée au
printemps à Gaza, en Cisjordanie
ou à la frontière libanaise. Mais
nul n’imagine que de jeunes étu-
diants en religion, soumis depuis
leur enfance à l’étude exclusive
des textes saints, soient capables
de les épauler rapidement.
L’armée peine déjà à canaliser
un millier d’ultraorthodoxes qui
rejoignent ses rangs chaque an-
née, en dépit de l’interdit de leurs
rabbins. En 2022, elle a déplacé
hors de la Cisjordanie occupée un
bataillon où ils servent de préfé-
rence et où ils se distinguaient par
leurs exactions répétées contre
des civils palestiniens.
C’est le fondateur de l’Etat, Da-
vid Ben Gourion, qui leur avait ac-
cordé cette exemption en 1948. Il
cherchait à tempérer l’hostilité
envers le sionisme de ces rabbins
et de leurs ouailles, qu’il percevait
comme un musée vivant du ju-
daïsme, voué à se fondre dans
le creuset moderne israélien. Au
contraire, la communauté a pros-
péré dans cet Etat-providence.
Leurs enfants représentent
aujourd’hui 18 % des jeunes en
âge de servir dans l’armée.
Le projet de loi étudié par M. Né-
tanyahou vise pour l’essentiel à ga-
gner du temps, jusqu’à la session
d’été du Parlement, qui s’ouvrira
en juin. Il pourrait augmenter de
26 ans à 35 ans l’âge à partir duquel
les étudiants sont définitivement
dispensés de servir. Cela garanti-
rait qu’ils demeurent plus long-
temps encore dans leurs écoles,
afin d’échapper au service. De pré-
cédents projets de loi envisa-
geaient au contraire d’abaisser cet
âge limite, pour les encourager à
chercher un métier. Il s’agissait de
réduire la pauvreté endémique de
cette communauté, où les femmes
travaillent alors que la moitié des
hommes se consacrent à l’étude. p
louis imbert
Aux Etats-Unis, l’avortement de
retour devant la Cour suprême
La juridiction examine le droit de prescrire à distance la pilule abortive
san francisco - correspondante
N
ouvel épisode dans la
guerre pour l’accès
à l’avortement aux
Etats-Unis. Près de
deux ans après avoir renversé le
droit constitutionnel fédéral à
l’interruption volontaire de gros-
sesse (IVG), la Cour suprême se
penche, mardi 26 mars, sur le re-
cours à la pilule abortive. Saisie
à l’origine par l’administration
Biden, la haute juridiction doit
entendre les arguments oraux
sur la plainte déposée en 2022 par
une coalition de conservateurs,
l’Alliance pour la défense de la li-
berté. S’il n’est pas question d’in-
terdire la mifépristone, l’une
des deux substances utilisées
pour l’avortement chimique, le
contentieux porte sur sa com-
mercialisation par télémédecine,
le dispositif qui permet aux fem-
mes de contourner les restric-
tions à l’IVG établies dans une
vingtaine d’Etats conservateurs.
Depuis la pandémie de Covid-19,
l’avortement chimique, à base de
deux médicaments (mifépristone
et misoprostol), est devenu la pro-
cédure d’interruption de gros-
sesse la plus courante aux Etats-
Unis (63 % en 2023 contre 53 %
en 2020). En 2000, la Food and
Drug Administration (FDA) avait
approuvé la mise sur le marché de
la mifépristone (connue sous le
nom de RU 486) pour des grosses-
ses inférieures à sept semaines.
En 2016, elle en a étendu l’autori-
sation jusqu’à dix semaines.
Cinq ans plus tard, en décem-
bre 2021, elle a supprimé l’exi-
gence selon laquelle le médica-
ment devait être délivré lors d’une
visite médicale en personne. Cette
décision a facilité la commerciali-
sation du médicament par télé-
médecine avec expédition par la
poste, suscitant l’indignation du
mouvement conservateur, qui
croyait avoir porté un coup déter-
Donald Trump se dit en mesure de payer
une caution réduite à 175 millions de dollars
Une cour d’appel a donné dix jours au candidat républicain pour s’acquitter de la somme
new york - correspondant
C eux qui espéraient la
mise en faillite de Donald
Trump ou la saisie de ses
biens immobiliers devront at-
tendre. Une cour d’appel de New
York a donné à Donald Trump un
répit substantiel, lundi 25 mars.
Au lieu de devoir verser immé-
diatement 454 millions de dol-
lars (419 millions d’euros) de cau-
tion, après sa condamnation, en
février, pour avoir surévalué les
biens de son empire et obtenu
ainsi des prêts d’un montant su-
périeur et à des conditions avan-
tageuses, l’ancien président, ma-
gnat de l’immobilier, obtient un
délai de dix jours et n’aura à ver-
ser que 175 millions de dollars.
Donald Trump a immédiate-
ment salué cette décision :
« Nous respecterons la décision
d’appel et déposerons soit une
caution, soit des titres équivalents
ou des espèces. Cela montre éga-
lement à quel point la décision
initiale [du juge] Engoron était
ridicule et scandaleuse : 450 mil-
lions de dollars. Je n’ai rien fait de
mal, et New York ne devrait plus
jamais être mise dans une situa-
tion pareille. Les entreprises
fuient, la criminalité violente s’en-
vole », accuse-t-il. Dans un mail
envoyé à ses partisans, le candi-
minant à l’IVG grâce à la décision
de la Cour suprême, le 24 juin
2022, renvoyant la légalisation de
l’avortement aux Etats.
Depuis l’été 2023, les associa-
tions prochoix ont noté une nette
augmentation des avortements
après recours à la télémédecine et
envoi par courrier, notamment
au Texas et dans l’Idaho, deux
Etats où l’avortement est interdit,
sauf quand la vie de la mère est en
danger. Le coût est très inférieur à
celui d’un déplacement dans un
Etat autorisant encore l’avorte-
ment : environ 150 dollars (moins
de 140 euros) par traitement.
« Lois boucliers »
Ce recours à la pilule abortive a
été rendu possible par le fait que
six Etats démocrates (Massachu-
setts, New York, Californie, Ver-
mont, Colorado et Washington),
déterminés à défendre l’avorte-
ment y compris au-delà de leur
territoire, ont adopté des « lois
boucliers » protégeant les méde-
cins qui prescriraient des IVG en
ligne, ainsi que les cliniques qui
se chargent d’expédier le médica-
ment par la poste. Ces lois blo-
quent les procès que pourraient
leur intenter les Etats où l’avorte-
ment est interdit ou limité.
En novembre 2022, la coalition
Alliance Defending Freedom –
elle rassemble l’Alliance pour la
médecine hippocratique, l’Asso-
ciation médicale catholique, et
plusieurs autres groupes chré-
tiens –, avait demandé au juge fé-
déral d’Amarillo (Texas), Matthew
Kacsmaryk, de prononcer l’inter-
diction de la mifépristone. Le ma-
gistrat, connu pour ses opinions
ultraconservatrices, lui avait
donné satisfaction. La cour d’ap-
pel du cinquième circuit, domi-
née par les républicains, lui a rap-
pelé en avril 2023 que le délai de
prescription pour un tel recours
(six ans) était largement dépassé
s’agissant d’un médicament dis-
dat républicain à la présiden-
tielle 2024 jubile : « La Trump
Tower reste à moi. » Un pied de
nez à la procureure Letitia James,
qui avait indiqué son intention
de saisir la tour située sur Wall
Street si Donald Trump ne s’ac-
quittait pas de sa caution. « Oui,
je regarde chaque jour le 40, Wall
Street », avait-elle affirmé.
Ce procès, s’il menace grave-
ment Donald Trump, lui a aussi
permis de se victimiser. D’abord,
parce que la procureure Letitia
James, une démocrate, s’est fait
élire explicitement sur un pro-
gramme anti-Trump en 2018. « Je
n’ai qu’un mot à dire : Donald
Trump. Nous allons le poursuivre
en justice, nous allons vraiment
l’emmerder. Il va connaître mon
nom personnellement », expli-
quait-elle alors dans une vidéo.
« Personne n’est au-dessus de la
loi, y compris ce président illégi-
time », avait déclaré en meeting
Mme James, qui appelait à « suivre
l’argent », estimant
M. Trump faisait du « blanchi-
que
ment » : « Les jours de Donald
Trump sont comptés. »
D’autre part, ce procès, mené
par un juge unique, le démocrate
Arthur Engoron, sans jury, était
un peu joué d’avance : Arthur
Engoron avait décidé avant son
ouverture que Donald Trump
international | 3
La décision de la
Cour suprême
devrait intervenir
fin juin, en pleine
campagne
électorale pour
les élections
du 5 novembre
ponible depuis plus de vingt ans.
Elle a néanmoins invalidé les mo-
difications apportées au proto-
cole initial par la FDA en 2016 et
2021, notamment l’allongement
de la prescription pour les fem-
mes à dix semaines de grossesse,
ainsi que la prescription à dis-
tance sans visite médicale.
Les plaignants estiment que la
FDA a fait ces changements sous la
pression politique. Ils accusent
l’agence fédérale d’avoir « ignoré
les impacts potentiels du régime
de blocage hormonal sur le déve-
loppement des adolescentes » et
d’avoir sous-estimé les « preuves
selon lesquelles les avortements
chimiques entraînent plus de com-
plications que les avortements chi-
rurgicaux ». La FDA fait valoir
qu’elle a procédé, avant sa déci-
sion, à plusieurs essais cliniques
réunissant plus de 30 000 patien-
tes sous mifépristone. Selon elle,
ceux-ci ont montré que le médica-
ment fonctionne aussi efficace-
ment après dix semaines que
sept semaines (l’Organisation
mondiale de la santé valide, elle, le
délai de douze semaines). De
même, la FDA souligne qu’elle s’est
appuyée sur onze études avant de
décider que l’utilisation du mifé-
pristone à domicile est sûre et que
le nombre de visites médicales en
personne peut être réduit.
Saisie par l’administration Bi-
den, la Cour suprême a suspendu
l’interdiction de la mifépristone,
était coupable d’avoir surévalué
ses actifs. Les débats ont montré
que l’ex-président avait fait des
estimations mensongères de
ses biens : ainsi son triplex à
New York a été déclaré sur la base
d’une surface presque trois fois
supérieure à la réalité (soit
2 700 mètres carrés contre
1 000 mètres carrés), ce qui aurait
permis de l’évaluer à 327 millions
de dollars.
« Jugement excessif »
Mais l’accusation avait aussi sa
part de fantaisie : le juge a pré-
senté une évaluation des services
fiscaux valorisant Mar-a-Lago,
le palace de Donald Trump situé à
Palm Beach (Floride), entre 18 mil-
lions et 27,6 millions de dollars. Ce
dernier vaut, selon les agents im-
mobiliers, plusieurs centaines de
millions de dollars. La condamna-
tion s’était faite alors qu’aucune
victime ne se déclare lésée, à com-
mencer par la Deutsche Bank, qui,
selon le clan Trump, faisait ses
propres évaluations.
Enfin, la condamnation, par son
ampleur financière et, surtout,
l’interdiction de gérer dans l’Etat
de New York, semblait inédite.
« Le jugement est excessif », a com-
menté le Wall Street Journal. Pré-
venu exceptionnel, justice excep-
tionnelle, l’affaire ne laisse per-
le 11 avril 2023, puis annoncé en
décembre qu’elle se saisissait du
dossier sur le fond. Les experts
y voient le signe que la Cour à ma-
jorité conservatrice n’est pas dis-
posée à revenir entièrement sur
une décision d’une agence fédé-
rale – une hypothèse dont s’in-
quiète l’industrie pharmaceuti-
que dans un argumentaire sou-
mis à la Cour. Les juristes font
également remarquer que la
question de la « légitimité pour
agir » est posée : pour intenter un
procès fédéral, les plaignants doi-
vent pouvoir démontrer qu’ils
sont atteints personnellement
par la mesure qu’ils contestent.
Les deux camps n’ont jamais
paru aussi éloignés. Le 1er mars,
deux des plus importantes chaî-
nes de pharmacie, Walgreens et
CVS Pharmacy, ont annoncé
qu’elles avaient reçu des autorités
la certification nécessaire pour
vendre la pilule abortive sur pres-
cription, dans les Etats où l’avor-
tement est encore autorisé. Le
14 mars, la Conférence des évê-
ques catholiques des Etats-Unis
appelait de son côté à prier pour
mettre fin à l’avortement chimi-
que. Elle reproche à la FDA d’avoir
« permis l’émergence d’une indus-
trie de l’avortement par correspon-
dance à l’échelle nationale ».
La décision de la Cour suprême
devrait intervenir fin juin, en
pleine campagne électorale pour
les élections du 5 novembre, alors
que, dans une douzaine d’Etats,
l’avortement fera l’objet de con-
sultations, la plupart pour ins-
crire le droit à l’avortement dans
les Constitutions locales. Selon
le Guttmacher Institute, l’orga-
nisme de référence sur la ques-
tion, le nombre d’avortements
aux Etats-Unis, qui baissait de-
puis des années, s’est établi à
1 026 690 en 2023 (15,7 IVG pour
1 000 femmes en âge de procréer),
un record depuis 2011. p
corine lesnes
sonne serein, y compris le New
York Times, qui écrivait, le
10 mars, ce commentaire sur Leti-
tia James : « Son franc-parler à
l’égard de M. Trump a souligné la
tension entre la promesse d’im-
partialité d’un procureur général
et les avantages politiques [tirés
du fait] d’attaquer un républicain
profondément impopulaire dans
un Etat où les démocrates domi-
nent. » Surtout, l’affaire permet
de comprendre pourquoi Donald
Trump marque des points tant
qu’il n’est pas en faillite.
Par ailleurs, la justice a con-
firmé que s’ouvrirait le 15 avril le
procès de Donald Trump pour
avoir acheté en 2016 le silence
d’une actrice porno, Stormy Da-
niels, sur une relation sexuelle
alléguée. Les fonds (130 000 dol-
lars) ont été, selon le procureur
démocrate Alvin Bragg, versés
en violation de la loi sur les cam-
pagnes présidentielles. Ce pro-
cès, qui devait commencer le
25 mars, a été reporté parce que le
FBI a tardé à fournir les dizaines
de milliers de pages de docu-
ments qu’il possédait. M. Trump
avait demandé un délai au-delà
du 15 avril, qu’il n’a pas obtenu.
Ce procès est sans doute le seul
qui se tiendra avant l’élection de
novembre. p
arnaud leparmentier
4 | international
Discours de Bassirou Diomaye Faye, déclaré vainqueur de la présidentielle, à Dakar, le 25 mars. JOHN WESSELS/AFP
Sénégal : Diomaye Faye, candidat
de la « rupture », élu président
Inconnu il y a un an, le souverainiste l’a emporté dès le premier tour
dakar - envoyée spéciale
L
e tour de force est histori-
que. Dix jours avant
l’élection présidentielle,
le 14 mars, Bassirou Dio-
maye Faye était encore détenu au
pénitencier du cap Manuel, situé
au sud de Dakar. Lundi 25 mars, au
lendemain du scrutin et au terme
d’un scénario imprévisible, mar-
qué par une crise politique et ins-
titutionnelle, une campagne élec-
torale éclair et, pour finir, la re-
connaissance de sa victoire par
son principal adversaire, le voici
en homme libre prêt à s’installer
au palais présidentiel sénégalais
pour les cinq prochaines années.
Futur plus jeune chef de l’Etat de
l’histoire du pays, à 44 ans, il l’a
emporté dès le premier tour.
Si les résultats officiels n’ont pas
encore été rendus publics, les
chiffres égrainés bureau de vote
par bureau de vote donnent une
avance que personne n’avait vu
venir à ce candidat antisystème.
« Au regard des tendances des ré-
sultats de l’élection présidentielle
et en attendant la proclamation
officielle, je félicite le président
Bassirou Diomaye Diakhar Faye
pour sa victoire dès le premier
tour », a publié l’ex-premier mi-
nistre Amadou Ba dans un com-
muniqué. Une déclaration suivie
de peu par un message de félicita-
tions du président Macky Sall sur
le réseau social X. Ces mots ont
permis de tourner la page d’une
élection présidentielle agitée où
la tradition démocratique séné-
galaise a été mise à rude épreuve
– mais a finalement résisté. S’il
a présenté son élection comme
« le choix de la rupture », le nou-
veau président n’en a pas moins
placé la « réconciliation natio-
nale » parmi ses « chantiers priori-
taires », lors de sa première prise
de parole, lundi 25 mars au soir.
« Un moral inébranlable »
Pour lui, comme pour les Sénéga-
lais qui viennent d’assister au re-
port inédit d’un mois de l’élection
présidentielle, rien ne s’est passé
comme prévu. Bassirou Diomaye
Faye ? Il y a un an, qui connaissait
le numéro deux du parti des Pa-
triotes africains du Sénégal pour
le travail, l’éthique et la fraternité
(Pastef), principale formation
d’opposition dissoute par les auto-
rités en juillet 2023 ? Cet homme
La pratique
religieuse
du président
suscite
des inquiétudes.
Certains
l’accusent
de salafisme
discret a pour la première fois fait
parler de lui lors de son arresta-
tion, le 14 avril 2023, à la suite d’un
message sur Facebook dans lequel
il dénonçait la « clochardisation »
de la magistrature, ce qui lui a valu
d’être incarcéré pour « atteinte à
la sûreté de l’Etat ».
Huit mois plus tard, seule sa
proximité avec le leader de l’oppo-
sition Ousmane Sonko semblait
expliquer sa désignation comme
candidat de l’ex-Pastef. Un
« plan B » destiné à pallier l’ab-
sence annoncée de son mentor
dans la course à la présidentielle
en raison de ses condamnations
par la justice. Il n’était pas le seul
à jouer ce rôle de candidat bis,
M. Sonko ayant aussi envoyé
Cheikh Tidiane Dièye et Habib Sy
déposer leur dossier de candida-
ture pour être certain que ses
idées soient représentées. « Les
partisans de Sonko ont choisi
Faye pour respecter la consigne de
vote, mais pas pour ce qu’il est.
C’est une candidature de substitu-
tion dont le but était d’augmenter
les chances d’Ousmane Sonko
d’être représenté », estime le poli-
tologue Aliou Ndiaye.
« Diomaye moy Sonko, Sonko
moy Diomaye » (« Diomaye c’est
Sonko, Sonko c’est Diomaye », en
wolof), le slogan scandé par
tous les cadres de l’opposition,
était destiné à populariser le nom
de leur candidat. Cela a fonc-
tionné : lorsque, le 14 mars au soir,
Bassirou Diomaye Faye est sorti de
prison aux côtés de M. Sonko –
élargi lui aussi – au bénéfice d’une
loi d’amnistie de dernière minute,
la foule scande de concert les
deux noms. C’est le début de
dix courts jours de campagne élec-
torale pour un candidat qui n’avait
jusque-là jamais été élu.
Au sein du Pastef, Bassirou Dio-
maye Faye jouait un rôle de l’om-
bre, stratège d’un parti dont il a
élaboré le programme présiden-
tiel de 2019 et continuait de penser
la stratégie. « En prison, ses condi-
tions de vie étaient difficiles car il
subissait beaucoup de restrictions,
témoigne Ousseynou Ly, membre
de la cellule communication du
secrétariat national du Pastef.
Mais il avait un moral inébranlable.
Il ne parlait que du [programme
électoral] et était porté par ça. »
M. Faye et M. Sonko se connais-
sent depuis qu’ils sont entrés aux
impôts et domaines, dans les an-
nées 2010, une administration à
l’époque dirigée par… Amadou Ba.
Quand Ousmane Sonko est arrêté
dans une affaire de viol présumé
en 2021, c’est M. Faye qui est chargé
d’assurer l’intérim à la tête de la
formation politique. A charge dé-
sormais pour le président de tisser
un lien avec les Sénégalais, dont
les attentes sont à la hauteur de la
« rupture » qu’il a promise. Ces
dernières années, l’ex-Pastef n’a
cessé de dénoncer l’élite du pays, la
corruption, la mauvaise gouver-
nance, l’accaparement des riches-
ses et ses liens d’asservissement
envers les puissances occidenta-
les, France en tête.
« Panafricaniste de gauche »
Un discours souverainiste, « pa-
nafricaniste de gauche », brandi
par le président sortant, Macky
Sall, comme un épouvantail et qui
n’a cessé d’alimenter des craintes
parmi les partenaires du Sénégal.
Dès son premier discours de pré-
sident élu, Bassirou Diomaye Faye
a tenté de les rassurer : « Je vou-
drais dire à la communauté inter-
nationale, à nos partenaires bilaté-
raux et multilatéraux que le Séné-
gal tiendra toujours son rang, il
restera le pays ami et l’allié sûr et
fiable de tout partenaire qui s’en-
gagera avec nous dans une coopé-
ration vertueuse, respectueuse et
mutuellement productive. »
Alors que le pays va exploiter du
pétrole et du gaz d’ici peu, investis-
seurs et bailleurs observent avec
prudence le nouveau pouvoir.
« On s’attend à ce que M. Faye mette
d’abord en œuvre les promesses de
lutte contre la corruption et pour la
souveraineté, mais on pourra com-
mencer à le juger à partir de juin,
estime un diplomate occidental
s’exprimant sous couvert d’ano-
nymat. Paris et ses partenaires
vont désormais guetter les pre-
miers gestes du président élu, qui,
dans une interview au Monde, a
souligné la « formidable relation »
construite avec Paris, tout en n’ex-
cluant pas de coopérer avec Mos-
cou. Lundi, Emmanuel Macron a
félicité M. Faye, assurant : « Je me
réjouis de travailler avec lui. »
Issu d’une famille nombreuse et
modeste de Ndiaganiao (dans
l’ouest du pays), musulman décrit
comme très pieux, Bassirou Dio-
maye Faye, qui est allé voter di-
manche 24 mars entouré de ses
deux épouses, va aussi devoir faire
face aux fantasmes et inquiétudes
que suscite sa pratique religieuse.
Certains l’ont accusé de salafisme.
« Je ne vais pas changer le culte ou
transformer les pratiques », a-t-il
dit déclaré au Monde, en réaffir-
mant le caractère laïc du Sénégal.
Se pose désormais la question
de l’exercice du pouvoir pour
ce président sans expérience.
D’autant que sa coalition est cons-
tituée de forces hétéroclites. « Dio-
maye président » a rassemblé les
opposants de longue date, les dé-
çus de Macky Sall, comme l’ex-pre-
mier ministre Aminata Touré, et
les ralliés de la dernière heure, tels
que le Parti démocratique sénéga-
lais de Karim Wade. « Cet attelage
peut paraître incohérent car le Pas-
tef s’est positionné comme antisys-
tème, déterminé à défendre l’ordre
moral. Or Karim Wade a été pour-
suivi pour des faits d’enrichisse-
ment illicite. De plus, inclure cette
forte personnalité dans un gouver-
nement pourrait en faire un rival
sérieux », estime Aliou Ndiaye.
Le futur poids de chacun des al-
liés du jeune chef de l’Etat devrait
se jouer lors de législatives antici-
pées, qui lui permettraient d’avoir
une majorité à même de mettre
en œuvre son programme. Ces
élections pourraient avoir lieu à
partir du mois d’août, les textes
imposant qu’elles se tiennent au
moins deux ans après les derniè-
res. En 2022, la coalition de l’ex-
Pastef avait déjà réalisé une forte
percée, remportant près de la moi-
tié des sièges de l’Assemblée natio-
nale. Cela n’avait pas été suffisant
pour imposer à Macky Sall une co-
habitation, mais annonçait déjà la
popularité fulgurante des idées de
cette opposition antisystème. p
coumba kane
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Washington et Londres
accusent Pékin de
piloter un important
groupe de hackeurs
Les attaques visent des parlementaires,
des infrastructures et des opposants
pékin - correspondant
L es Etats-Unis et le Royau-
me-Uni ont lancé, lundi
25 mars, de nouvelles accu-
sations de cyberattaques contre
la Chine, fournissant des détails
inédits sur l’un des principaux
groupes de hackers chinois,
connu sous la dénomination
« APT 31 », qu’ils estiment être une
émanation directe du ministère
de la sécurité d’Etat, agence de
renseignement du pays.
Les départements américains de
la justice et du trésor dénoncent
une opération d’espionnage lan-
cée il y a quatorze ans et qui, de-
puis, a visé les critiques du régime
à l’étranger, les entreprises intéres-
santes pour la Chine, les infras-
tructures américaines ainsi que
des responsables et partis politi-
ques occidentaux. Ils ont annoncé
la mise en examen de sept person-
nes résidant toutes en Chine, et le
placement sous sanction d’une
entreprise, Wuhan Xiaoruizhi
Science and Technology Company.
Le gouvernement britannique a
accusé le même jour deux de ces
individus et la même entreprise
d’avoir pris part au hacking, en
août 2021, des systèmes informati-
ques de la Commission électorale
du royaume, qui leur a potentielle-
ment donné accès aux données
personnelles d’environ 40 mil-
lions de personnes, et d’avoir tenté
de compromettre les emails de
43 parlementaires, parmi lesquels
l’ex-leader du Parti conservateur,
Iain Duncan Smith. « Il s’agit du
dernier événement d’une liste d’ac-
tes hostiles provenant de Chine, a
déclaré le vice-premier ministre
britannique Oliver Dowden de-
vant le Parlement. Dénoncer ces
agissements fait partie de notre
stratégie de défense. » L’ambassa-
deur chinois à Londres a égale-
ment été convoqué.
Selon la justice américaine, l’ac-
teur connu dans le domaine de la
cybersécurité comme « Advanced
Persistent Threat 31 » est un
groupe de cyberespionnage mené
par la branche de la province du
Hubei de la Sécurité d’Etat, l’or-
gane chargé de la collecte de ren-
seignement extérieur, du contre-
espionnage et d’une partie de la
surveillance politique chinoise.
En 2010, le département de la sé-
curité d’Etat du Hubei, installé
dans la capitale provinciale, Wu-
han, a monté une société écran,
Wuhan Xiaoruizhi ou Wuhan XRZ
qui, avec ses agents de renseigne-
ment cyber et ses hackers sous-
contractants, allait être l’origine
d’opérations de grande ampleur.
Les départements
américains
de la justice
et du Trésor
dénoncent
une opération
d’espionnage
lancée il y a
quatorze ans
ÉTATS-UNI S
Effondrement
d’un pont à Baltimore
Une partie du pont Francis
Scott Key à Baltimore s’est ef-
fondrée après qu’un cargo est
entré en collision avec lui tôt
mardi 26 mars au matin. Le
navire s’est écrasé contre une
0123
MERCREDI 27 MARS 2024
Les cibles d’APT 31 sont multi-
ples. Elles incluent notamment
l’ensemble des membres euro-
péens de l’Alliance interparle-
mentaire sur la Chine (IPAC), un
groupe de députés et sénateurs de
pays occidentaux critiques du ré-
gime chinois. Selon Washington,
entre juin et septembre 2018, les
membres d’APT 31 ont envoyé
plus de 10 000 emails frauduleux,
ciblant des responsables de la
Maison Blanche et des grandes
administrations américaines, les
conjoints de responsables de la
Justice et de nombreux séna-
teurs. Ils ont également visé plu-
sieurs entreprises fournissant
le ministère de la défense.
« Entités françaises » ciblées
En 2018, les « employés » de Wuhan
XRZ ont attaqué une entreprise
du secteur de l’énergie basée au
Texas, parvenant à accéder à ses
réseaux. En janvier, le directeur du
FBI, Christopher Wray, avait pré-
venu que la Chine tentait avec in-
sistance de hacker les réseaux de
distribution d’électricité, les pipe-
lines pétroliers et les systèmes de
distribution d’eau des Etats-Unis.
Il estimait que la Chine cherchait à
se doter ainsi de leviers pour être
en capacité de semer le chaos. Le
pari est que, dans l’hypothèse d’un
conflit dans le détroit de Taïwan,
l’opinion américaine désirerait
tant le rétablissement de ses servi-
ces essentiels qu’elle dissuaderait
Washington d’aider l’île.
La liste d’exemples d’entreprises
auxquelles les pirates informati-
ques de Wuhan ont eu accès est
longue, à en croire l’acte d’accusa-
tion américain : une entreprise de
l’Oklahoma fournissant des si-
mulateurs de vol pour l’armée,
un leader américain de logiciels
et services informatiques basé en
Californie, un acteur mondial ma-
jeur des technologies sans fil ins-
tallé dans l’Illinois, une société
spécialisée dans l’authentifica-
tion à multiples facteurs…
Les services de cybersécurité bel-
ges avaient pointé en mars 2023 la
responsabilité d’APT 31 dans la ten-
tative de phishing sur un parle-
mentaire, Samuel Cogolati, auteur
d’une résolution concernant les
« crimes contre l’humanité » à l’en-
contre de la minorité ouïgoure.
En 2021, l’Agence nationale de la
sécurité des systèmes d’informa-
tion avait dénoncé « une vaste
campagne de compromission tou-
chant de nombreuses entités fran-
çaises », compromettant les rou-
teurs « pour les utiliser comme re-
lais d’anonymisation, préalable-
ment à la conduite d’actions de
reconnaissance et d’attaques ».
La Chine a démenti, mardi, les
nouvelles accusations de Londres
et Washington. Pékin « a protesté
fermement auprès des Etats-Unis et
des parties concernées et prendra
toutes les mesures nécessaires pour
préserver ses droits et intérêts légiti-
mes », a déclaré Lin Jian, un porte-
parole du ministère chinois des af-
faires étrangères. « [Washington] a
joint ses forces avec le Royaume-
Uni pour monter en épingle ces soi-
disantes cyberattaques chinoises »,
a-t-il dénoncé. p
harold thibault
pile de la structure du pont,
long de 3 kilomètres, puis a
pris feu avant de couler. Plu-
sieurs véhicules circulaient à
ce moment-là, dont un de la
taille d’un semi-remorque.
Au moins vingt personnes
seraient tombées dans l’eau,
selon les pompiers. – (AFP.)

0123
MERCREDI 27 MARS 2024
La guerre des «mille entailles» de Kiev contre Moscou
L’Ukraine multiplie les actions à la périphérie du champ de bataille pour entraver l’effort de guerre russe
L
ors de la campagne pour
sa réélection, intervenue
le 17 mars, Vladimir Pou-
tine avait promis qu’il se
vengerait des attaques ukrainien-
nes sur son territoire. Le président
russe a mis ses menaces à exécu-
tion. En une semaine, les forces de
Moscou ont tiré sur le territoire
ukrainien près de 190 missiles ba-
listiques et de croisière, 140 drones
kamikazes d’origine iranienne
Shahed et 700 bombes dites pla-
nantes, capables d’atteindre des ci-
bles éloignées, a déploré le prési-
dent ukrainien Volodymyr Ze-
lensky, dans un message vidéo pu-
blié le dimanche 24 mars. Les plus
importants dégâts ont été causés
aux infrastructures énergétiques
du pays, privant des centaines de
milliers de foyers d’électricité mais
aussi d’eau ou de gaz dans les villes
de Kharkiv, de Dnipro, de Soumy,
d’Odessa ou encore de Kryvy Rih.
Dans un message posté le
22 mars sur Telegram, le ministère
russe de la défense a reconnu con-
duire ces attaques « en réponse » à
celles menées par les Ukrainiens
dans les régions russes situées à
proximité de la frontière, notam-
ment autour de Belgorod et de
Koursk. Depuis le 12 mars, des
combattants russes pro-ukrai-
niens, issus de différentes unités
rattachées à l’armée de Kiev, mè-
nent des raids sur des localités der-
rière la frontière, plantant le dra-
peau ukrainien sur des bâtiments
officiels. Des coups de main intolé-
rables pour Moscou, qui a fait de
l’inviolabilité du territoire natio-
nal l’un des piliers de son pouvoir.
Ces incursions sur le sol russe
n’ont pourtant aucun effet mili-
taire direct. « Ce sont tout au plus
des coups de canif », assure un of-
ficier français. Mais elles partici-
pent de la stratégie dite « des mille
entailles », mise en place depuis le
début de l’année par l’état-major
de Kiev. Alors que leur contre-of-
fensive de l’été 2023 a échoué et
que leurs troupes sont passées en
posture défensive sur la quasi-to-
talité du front, les Ukrainiens ont
choisi de multiplier les actions à
la périphérie du champ de bataille
pour tenter d’entraver l’effort de
guerre russe. « On assiste à une
stratégie indirecte ukrainienne qui
vise à user et à perturber les capa-
cités permettant à la Russie de te-
nir dans la durée », estime une
source militaire française.
Si les attaques et les bombarde-
ments menés sur les zones fron-
talières du nord-est de l’Ukraine
n’augurent évidemment pas
d’une tentative d’invasion de la
Russie, elles perturbent l’approvi-
La Russie intensifie les frappes sur les infrastructures énergétiques
Les coupures de courant se multiplient en Ukraine. Certaines réparations nécessiteront « des années », selon les autorités
kiev - correspondant
L’ alerte aux bombarde-
ments venait à peine de re-
tentir, lundi 25 mars dans
la matinée, lorsque plusieurs ex-
plosions ont fait trembler la capi-
tale ukrainienne. Alors que les ha-
bitants de Kiev se jetaient dans les
abris, deux missiles russes hyper-
soniques 3M22 Zircon étaient in-
terceptés par la défense aérienne.
Leurs débris sont tombés sur plu-
sieurs districts, dont le quartier
central de Petchersky, détruisant
un immeuble et ses alentours.
Après cette troisième attaque
sur la ville en moins d’une se-
maine, les autorités ukrainiennes
ont réitéré leur demande de nou-
velles livraisons de systèmes de
défense : « Cela nous rappelle que
l’Ukraine a besoin de toute urgence
d’une défense aérienne plus impor-
tante, en particulier de systèmes
Patriot et de missiles capables de
sionnement logistique du front
et, surtout, elles pourraient obli-
ger Moscou à déplacer des trou-
pes pour défendre son territoire.
Eloigner des unités russes du
Donbass soulagerait notamment
le système défensif ukrainien,
aujourd’hui proche de la rupture à
différents endroits, comme à
Chasiv Yar. « Ces incursions en ter-
ritoire russe ont aussi pour objectif
de maintenir le moral des troupes
et de la population, comme lors-
que les Français avaient envoyé le
Jules-Verne bombarder Berlin en
juin 1940. C’est l’effet symbolique
plus que l’effet tactique qui est re-
cherché », explique Stéphane
Audrand, consultant en risques
internationaux.
« Blocage tactique »
Autre « coup de canif » revendi-
qué, les Ukrainiens mènent de-
puis le début de l’année une cam-
pagne de frappes sur les raffine-
ries de pétrole russes, à l’aide de
drones explosifs à longue portée
de fabrication locale. Entamée en
janvier, cette campagne a déjà en-
dommagé une quinzaine de sites
implantés dans neuf régions dif-
férentes, certains situés à plus de
800 kilomètres de la frontière
ukrainienne, ce qui montre une
capacité de frappe dans la profon-
deur inédite pour Kiev. Selon les
analystes, environ 11 % des capaci-
tés de raffinage russes auraient
d’ores et déjà été détruites par les
attaques ukrainiennes.
Si l’effet tactique de ces frappes
est lui aussi à peu près nul, ces ins-
tallations n’étant pas militaires,
elles pourraient à terme perturber
l’approvisionnement des troupes
russes en Ukraine, comme les
Alliés avaient réussi à le faire en
bombardant les raffineries alle-
mandes en 1943-1944, notam-
ment lors de l’opération « Tidal
Wave », ce qui avait facilité le futur
Débarquement de Normandie.
« La Russie est une station-service
dotée d’une armée et nous avons
l’intention de la détruire », explique
Francisco Serra-Martins, directeur
général du fabricant ukrainien de
drones Terminal Autonomy, cité le
20 mars par l’agence Bloomberg.
Entraver la capacité d’exportation
de pétrole raffiné de la Russie peut
aussi permettre de diminuer ses
rentrées d’argent, et donc sa capa-
cité à maintenir la société sous
perfusion financière.
A écouter les experts, les Ukrai-
niens n’ont de toute façon d’autre
choix que de mener cette straté-
gie indirecte du faible au fort.
La quinzaine de brigades qu’ils
avaient constituées pour mener
repousser toute attaque russe », a
notamment écrit sur le réseau
social X le ministre des affaires
étrangères, Dmytro Kuleba.
Cet appel est d’autant plus pres-
sant que l’Ukraine fait face depuis
plusieurs jours à des bombarde-
ments répétés sur ses infrastruc-
tures énergétiques. Cette récente
escalade, qui a déjà fait des dizai-
nes de tués et de blessés, a débuté
à l’aube du vendredi 22 mars avec
une campagne de frappes sur
l’ensemble du territoire. Plus de
60 drones kamikazes et près de
90 missiles de différents types
ont été lancés dans ce que le direc-
teur de la compagnie publique
d’électricité Ukrenergo, Volody-
myr Kudrytskyi, a décrit comme
la plus grande attaque russe con-
tre des installations critiques de-
puis le début de l’invasion.
Des dizaines de centrales ther-
miques et de sous-stations électri-
ques ont été touchées, de même
Dans le quartier Petchersky, à Kiev, après la frappe d’un missile russe, le 25 mars. RAFAEL YAGHOBZADEH POUR « LE MONDE »
« Ces incursions
ont aussi
pour objectif
de maintenir
le moral
des troupes et de
la population »
STÉPHANE AUDRAND
consultant en risques
internationaux
leur contre-offensive de l’été 2023
ont été durement éprouvées
par les combats et l’armée de Kiev
ne dispose plus aujourd’hui de
forces de manœuvre suffisantes
pour envisager de nouvelles of-
fensives. « On constate un blocage
tactique sur le terrain. Aucun des
gains obtenus par l’un des deux
adversaires ne peut être exploité,
car ils consomment chacun trop
de moyens pour l’obtenir », ana-
lyse Thibault Fouillet, directeur
scientifique de l’Institut d’études
de stratégie et de défense de l’uni-
versité Jean-Moulin Lyon III.
que la plus grande centrale hydro-
électrique d’Ukraine, DniproHES,
située sur le Dniepr, dans la ré-
gion de Zaporijia. Si certaines in-
frastructures visées ont été
épargnées grâce à des structures
de protection aménagées à
l’automne 2023, huit régions ont
subi des coupures de courant, pri-
vant des centaines de milliers
d’Ukrainiens d’accès à l’électricité
pendant plusieurs heures.
Crainte d’une pénurie
Depuis, les bombardements sur
les villes n’ont pas cessé, tandis
que les autorités du pays com-
mencent à peine à mesurer
l’étendue des dégâts. Dimanche
24 mars, le président ukrainien,
Volodymyr Zelensky, a précisé
que la Russie avait tiré environ
190 missiles, 140 drones kamika-
zes et 700 bombes guidées aé-
riennes sur l’Ukraine en l’espace
d’une semaine.
Pour le moment, les Russes bé-
néficient toujours d’une puis-
sance de feu supérieure à celle
des Ukrainiens, qui souffrent
d’un manque de pièces d’artille-
rie et surtout de munitions. Le
blocage de 61 milliards de dollars
(56 milliards d’euros) d’aide par le
Congrès américain handicape
lourdement les capacités des
troupes de Kiev, qui tentent de
compenser leur manque d’obus
en utilisant massivement des
drones FPV (First Person View), pi-
lotés à distance avec un casque
virtuel et donc plus précis. « Mais
être en défensive sans puissance
de feu vous contraint à prendre
des coups et à encaisser des pertes,
notamment humaines », assure
Stéphane Audrand. Un drone FPV
peut emporter un à deux kilos
d’explosif, contre une dizaine
pour un obus de 155 mm.
« Une course contre la montre »
L’interrogation des militaires et
des analystes occidentaux porte
sur la vitesse à laquelle l’Ukraine
et la Russie réussiront à reconsti-
tuer leurs forces. « L’image de sta-
bilité est (…) trompeuse : la guerre
Le même jour, le directeur de
Yasno, Sergey Kovalenko, une
entreprise du réseau de distribu-
tion du fournisseur d’électricité
ukrainien DTEK, annonçait que le
groupe avait « perdu 50 % de sa ca-
pacité de production ». Dans une
intervention à la télévision ukrai-
nienne, dimanche, M. Kovalenko
a également affirmé que le réta-
blissement de la situation pour-
rait prendre plusieurs mois et a
confié craindre une pénurie
d’électricité durant l’été.
Concernant la centrale hydroé-
lectrique de DniproHES, frappée
à huit reprises selon Kiev, le direc-
teur de l’entreprise publique
d’énergie Ukrhydroenergo, Ihor
Syrota, a déclaré, lundi, que ses
équipes avaient encore besoin
de temps pour faire le point sur
les dégâts, tout en évoquant « des
années » de réparation. Une des
deux stations se trouve dans un
« état critique ». « Une perte im-
international | 5
est en réalité engagée sur un “faux
plat”, masquant une course con-
tre la montre des deux belligé-
rants pour renforcer leurs posi-
tions stratégiques au-delà de
2024 », estiment les chercheurs
Yohann Michel, Olivier Schmitt
et Elie Tenenbaum dans une
note publiée le 8 mars par la re-
vue Politique étrangère.
A cet égard, la stratégie ukrai-
nienne « des mille entailles »,
pour peu spectaculaire qu’elle
soit, pourrait jouer un rôle déter-
minant. « Si l’Ukraine parvient à
tenir en 2024, l’avantage actuel de
la Russie dans la guerre n’augmen-
tera pas nécessairement, ou ne de-
viendra pas décisif, mais pourra
plutôt diminuer avec le temps »,
estime Michael Kofman, cher-
cheur au centre de réflexion amé-
ricain Carnegie, dans un message
publié sur X le 20 mars.
A la condition que les Ukrai-
niens n’aient pas les mains liées.
Selon un article publié le 22 mars
par le quotidien britannique Fi-
nancial Times, Washington aurait
enjoint à Kiev d’arrêter ses atta-
ques sur les infrastructures éner-
gétiques russes, par crainte d’une
portante pour le système énergéti-
que ukrainien », estime Ihor Sy-
rota. Alors que les Ukrainiens gar-
dent en mémoire le souvenir de
l’explosion du barrage de Kakho-
vka, qui avait provoqué des inon-
dations et un désastre écologique
en juin 2023 sur le même fleuve,
le directeur a assuré qu’il n’y avait
pas de danger de rupture du bar-
rage de DniproHES.
Si l’électricité a été progressive-
ment rétablie dans les régions de
Kryvy Rih (sud) et Khmelnytsky
(centre), les autorités locales ont
appelé les habitants à réduire
leur consommation afin de limi-
ter les risques de nouvelles cou-
pures. A Odessa, dans le Sud,
300 000 habitants en restaient
privés lundi soir, selon le chef de
l’administration militaire régio-
nale, Oleh Kiper, sur Telegram. La
situation reste plus difficile à
Kharkiv, dans l’Est, où les princi-
pales installations énergétiques
envolée des prix du pétrole, mais
aussi de représailles de Moscou
sur des installations cruciales
pour l’Occident. L’oléoduc Caspian
Pipeline Consortium, par lequel
transite, via la Russie, le pétrole
exporté par le Kazakhstan, fait no-
tamment l’objet d’inquiétudes.
Si l’information n’a pas été con-
firmée par Washington, elle n’a
pas été démentie non plus. « Nous
n’encourageons ni ne permettons
à l’Ukraine de frapper en Russie », a
seulement indiqué John Kirby, le
porte-parole de la Maison Blan-
che, lors d’un point presse le
22 mars. Une prudence qui cho-
que dans certaines capitales occi-
dentales, notamment du flanc
oriental de l’Europe. « Nous avons
étouffé l’approvisionnement en ar-
mes, nous n’avons pas réussi à
fournir une défense aérienne suffi-
sante et maintenant nous deman-
dons aux Ukrainiens de rester les
bras croisés pendant que les missi-
les de croisière atterrissent sur
leurs familles », s’est insurgé Ga-
brielius Landsbergis, le ministre
des affaires étrangères lituanien,
dans un message publié sur X. p
cédric pietralunga
ont été détruites, selon le maire,
Ihor Terekhov. Sur Telegram,
lundi, l’édile de la deuxième ville
du pays a annoncé la « fin préma-
turée » de la saison de chauffage à
partir du lendemain. La décision
est présentée comme « la seule
mesure possible pour réduire la
charge sur le système énergéti-
que » afin de fournir de l’électri-
cité au plus grand nombre.
Il y a un peu plus d’un an, lors de
l’hiver 2022-2023, la Russie avait
lancé une série de frappes d’am-
pleur contre les infrastructures.
Ces bombardements avaient
provoqué des coupures de cou-
rant pour des millions d’habi-
tants et avaient fortement affecté
le système énergétique ukrai-
nien. Depuis le début de l’hi-
ver 2023, les autorités ukrainien-
nes craignaient que le Kremlin ne
réitère sa campagne de destruc-
tions des installations critiques. p
thomas d’istria
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PLANÈTE
0123
MERCREDI 27 MARS 2024

En Guyane, la soif de l’or ne faiblit pas

Emmanuel Macron veut installer des mines légales pour endiguer le fléau écologique de l’orpaillage clandestin

REPORTAGE
taluen (guyane) -
envoyée spéciale

C’
est un décor de Far
West au XXIe siècle,
avec des bicoques de
bois érigées de part
et d’autre d’une ruelle de terre ra-
vinée par un jus d’excréments. On
y marche partout sur les déchets
en plastique, les chiens divaguent
entre des amas de canettes de
bière. Derrière des empilements
de fûts métalliques vidés de leur
gazole, un mécano couvert
d’huile répare un quad.
En pleine forêt amazonienne,
Yaou Passi est un triste et poisseux
hameau de la ruée vers l’or planté
sur la berge du Suriname face à la
Guyane, avec vue imprenable sur
la rivière Lawa, affluent du fleuve
Maroni depuis la terrasse de son
supermarché chinois. Ce soir tom-
bant de mars, deux prostituées en
minishort continuent de jouer
aux cartes, tandis que les clients se
dispersent sans mot dire – torse
nu derrière sa caisse, le gérant ven-
tripotent du magasin a signifié
d’un œil sans expression qu’il va
baisser le rideau.
Ce comptoir d’orpailleurs illé-
gaux brésiliens continue de vivre
plus de dix ans après sa création, à
un vrombissement de pirogue de
Taluen, village amérindien fran-
çais. Non loin de Maripasoula, la
commune enclavée de l’ouest
du département guyanais, Yaou
Passi est une base logistique cam-
pée face à la France pour la piller.
Alimentés depuis la Chine, peu-
plés de Brésiliens pauvres plein Le village d’Antonio do Brinco (Suriname), où sont installés des orpailleurs illégaux, vu depuis Maripasoula, en Guyane française, le 22 mars. WWF GUYANE
d’espoir, une centaine de camps
similaires prospèrent sur cette
frontière. En haut de Yaou Passi, cent soixante-quinze ans d’extrac- rage posé sur le fleuve. Ce partena- périence a déjà été tentée sur Guyane avec des retombées pour
dans un ancien trou creusé tion en Guyane, « plusieurs centai-
Les relations riat est « la clé de tout », selon le onze sites. « Une tentative a eu sa population, elle redevient un ter-
pour extraire l’or, une piscicul- nes de tonnes de mercure » déver- de Paris avec le procureur général de Cayenne, lieu en 2018-2020 sur la crique Nel- ritoire d’échec ». De son côté, juge
ture vient tout juste d’être amé- sées dans les sols, « est déjà bien Joël Sollier. Le magistrat suggère son, ce que nous avions contesté l’ancienne ministre Christiane
nagée : de cette eau polluée au encombrant », note le sociologue
Suriname restent de jumeler les deux parcs protégés en justice, relate Thomas Saunier, Taubira, « on a suffisamment de
mercure émergent trois gigantes- du CNRS François-Michel Le Tour- embryonnaires, limitrophes du Brésil et de la président de la Compagnie des technologie pour considérer qu’on
ques fromagers morts aux troncs neau, un des meilleurs connais- Guyane, ou encore d’engager une guides de Guyane, qui sillonne peut exploiter de façon propre ».
devenus noirs. Des tambaquis, seurs des mineurs clandestins.
alors que 80 % procédure internationale de rè- le fleuve Kourou. Des entorses La vraie question, oppose Lau-
une espèce invasive importée du Mais à 65 euros le gramme sur le de l’orpaillage glement avec le Suriname pour au code minier ont eu lieu. Et rent Kelle, « est d’arrêter de focali-
Brésil, fraient juste sous la sur- marché, la soif de l’or ne saurait pollution d’un fleuve. « Par le biais aujourd’hui, il y a plus d’illégaux ser sur l’or pour regarder tout ce
face. Le travailleur qui vit là es- faiblir. « Ces dernières années, les
provient environnemental, on peut dévelop- que jamais sur ce site. » Dans cette que l’on peut faire d’autre en ma-
père bientôt les vendre aux sites illégaux se sont rapprochés de ce versant per une coopération régionale qui situation, soulignent les sources tière de développement ». Le WWF
commerçants chinois de Maripa- du littoral. Le fleuve Kourou est se décline dans des volets techni- judiciaires, un « légal » au milieu s’appuie sur une étude comman-
soula, « trois tonnes », pense-t-il. très touché par exemple, tout ques, ou sécuritaires », indique-t-il. des « illégaux » présente aussi le dée au cabinet Deloitte en 2018,
comme la Bagot, affluent de la avec les élus locaux, la filière mine Mais du côté du Suriname, que risque de servir de véritable an- qui avait identifié dix secteurs
Une certaine impunité Comté, et cela à moins de 50 kilo- durable guyanaise et les experts ». Paris considère comme un narco- tenne de blanchiment. marchands prioritaires pour por-
Le World Wildlife Fund (WWF, mètres de Cayenne », illustre Lau- « Harpie », créée en 2008, s’est Etat, les relations restent em- Pour Thomas Saunier, « lessiver ter une économie locale durable :
Fonds mondial pour la nature) rent Kelle, le directeur du WWF en adaptée. Mais l’opération intermi- bryonnaires, alors même que les sols en Amazonie sera toujours agriculture, tourisme, audiovi-
soutient un tout autre projet, Guyane. Angel’s Nangwa Kwet- nistérielle n’a réussi qu’à contenir 80 % de l’orpaillage provient de ce polluer, pour des décennies, même suel… « Le secteur aurifère a les ef-
nettement plus vertueux, de chou, chef d’unité au parc amazo- le pillage. La gendarmerie défend versant. Dans ce pays même, la sans intrants chimiques ». Le guide fets d’entraînement les plus faibles,
préservation de la ressource à nien de Guyane (PAG) affirme, lui : « un travail de fond qui produit des quête informelle s’est généralisée. touristique se dit toutefois ouvert concluait-il, il génère une augmen-
Taluen, chez les Wayana. L’ONG « Notre action reste limitée et résultats ». Le général Jean-Chris- « Une bascule s’est donc produite à un développement minier, à la tation de valeur ajoutée et d’em-
internationale bataille depuis nous demandons des moyens. Les tophe Sintive dénombre ainsi de l’est de la Guyane vers l’ouest condition expresse d’exclure les plois quatre fois inférieure à celle
vingt ans contre le désastre éco- orpailleurs s’adaptent. Toutes les 7 000 garimpeiros en 2023 contre quand la coopération a joué au conflits d’usage et de protéger du secteur de la construction. »
logique et humain annoncé ici, berges du Maroni sont désor- 10 000 en 2017, sur quelque 400 si- Brésil, explique Laurent Kelle. Si l’eau potable. Les Amérindiens wayana du Ma-
où l’extraction sauvage de l’or dé- mais prises, et le fleuve se remplit tes. En frappant la logistique des des accords avec le Suriname ont roni constatent les premiers que
truit tout, sols, eau, faune, forêt. de sable. » Il s’agit des sédiments orpailleurs, « nous pouvons les as- bien été signés et un conseiller di- Guyanais divisés leurs rivières, l’affluent Inini ou la
Le long du Maroni, 100 000 per- boueux extraits du sol par les phyxier », assure-t-il. Légionnaires plomatique nommé à la préfec- Le débat sur la place de l’or dans crique Atuka, très rentables pour
sonnes dépendent de la qualité chercheurs de minerai. et gendarmes font régulièrement ture, il n’y a eu aucune action con- l’avenir du département, un des les orpailleurs depuis cinq ans
des eaux fluviales pour leur vie Equipés depuis peu de kits satel- exploser leurs puits (zones d’ex- crète sur le territoire guyanais. » plus pauvres de France, divise les malgré les efforts de l’opération
quotidienne. litaires Starlink, dotés de capacités traction qui s’apparentent à de la La Fédération des opérateurs Guyanais depuis longtemps. La « Harpie », se dégradent. Ce qui les
Selon une recherche du labora- logistiques suffisantes pour ache- mine classique) – les espaces les miniers de Guyane (Fedomg), qui présidence de Nicolas Sarkozy amène aussi à reconsidérer l’ex-
toire Evolution et diversité biologi- miner 400 000 litres de carburant plus productifs, avec 6 kilos d’or réclamait depuis longtemps un avait été marquée par l’affaire de ploitation des ressources autour
que du CNRS publiée en 2022, sur en 2023 en Guyane et alimenter produits par mois en moyenne. plan de sauvetage à l’Etat, espère la Montagne d’or, un projet de d’eux. « La pression est en train de
le Maroni et l’Oyapock, en Guyane, leurs machines, les garimpeiros, sortir de l’ornière avec la politique taille industrielle que les défen- monter partout. Si on laisse faire
« une déforestation légère liée à l’or- les chercheurs d’or, brésiliens bé- Coopération avec le Brésil de légalisation annoncée. Faute seurs de l’environnement sont les Brésiliens, nos enfants vont se
paillage, touchant environ 10 % du néficient aussi d’une certaine im- « On ne découvre plus aujourd’hui de pilotage de la France depuis parvenus à écarter. Emmanuel dire : pourquoi pas nous ?, confie
couvert en amont, entraîne 30 kilo- punité, souligne Francois-Michel de nouvelles zones déforestées », des décennies, le secteur a accu- Macron, ministre de l’économie Patrick Touenke, le nouveau man
mètres plus loin en aval une chute Le Tourneau. « Dans 80 % des cas, affirme encore le général. Dans le mulé les mauvaises pratiques, de François Hollande (2014-2016), (chef) du village de Taluen. Je
de 25 % de la biodiversité chez les les interpellés ne reçoivent qu’une PAG, qui s’étend sur 34 000 kilo- perdu attractivité et rentabilité. était déjà « favorable à une exploi- crains à l’avenir des conflits entre
poissons et de 40 % parmi les mam- obligation à quitter le territoire. mètres carrés, 100 hectares ont En 2023, il n’a produit qu’une tation raisonnable et raisonnée », nos jeunes et les orpailleurs. »
mifères terrestres ». L’héritage de Seuls une centaine ont été jugés et été déboisés en 2023. Cependant, tonne, contre sept à huit pour souligne le sénateur guyanais La légalisation ne sera pas une
écroués en 2023 à Cayenne. » le WWF a constaté, lors de survols ses concurrents clandestins. La de la majorité Georges Patient. solution miracle. Surtout, le
Les annonces de mesures nou- en novembre 2023, une hausse de Fedomg demande aujourd’hui à Mais « quand il s’agit d’exploiter la temps risque de manquer. Co-
velles pour endiguer le fléau, con- plus de 25 % du nombre de sites Emmanuel Macron la fin des mando Vermelho, Familia Terror
Océan tre lequel l’Etat dépense 70 mil- d’orpaillage illégal actifs par rap- autorisations préalables d’exploi- do Amapa ou Amigos para sem-
Atlantique lions d’euros par an (le coût de port au précédent survol de jan- tation délivrées par l’Office natio- pre… « Les cartels brésiliens se sont
l’opération sécuritaire « Harpie »), vier 2023. Le PAG estime, lui, cette nal des forêts (ONF) et leur octroi Le WWF a développés ces cinq dernières an-
SURINAME Montagne Kourou sont au cœur de la visite présiden- augmentation sur son territoire à par la collectivité territoriale. nées en Guyane depuis l’Amapa
tielle en Guyane des lundi 25 et plus de 50 % comparé à août 2022. Le général Sintive, de son côté,
constaté une voisin, ils s’apprêtent à mettre la
d’or Cayenne
Maro ni

Guyane mardi 26 mars. Le chef de l’Etat en- A la frontière avec le Brésil, la assure que « si l’on met les mi- hausse de plus main sur l’or, avertit le procureur
française tend notamment poursuivre la ré- lutte a payé. A Camopi, lundi, le neurs légaux sur les sites les plus
de 25 % du général Joël Sollier. La menace est
Maripasoula pression pour « éradiquer » là où président de la République a cons- productifs et qu’on les protège », le extérieure et doit être traitée
Taluen Camopi cela est possible le problème, et, taté que le terrain est tenu. « L’éra- jeu en vaudra la chandelle : « Les nombre de sites comme telle. Elle est le fait d’étran-
Yaou Passi
k

Parc nouveauté, lancer une politique dication » du problème est donc légaux ne tuent pas les singes ou gers, est conduite par des étrangers,
d’orpaillage
poc

amazonien d’installation de mines d’or légales possible, selon l’Elysée. Mais c’est les jaguars pour les manger, ils et porte sur une longue période. » Il
O ya

en lieu et place des établissements
BRÉSIL illégaux. Sur ce sujet, il a annoncé,
lundi à Camopi, dans l’est du
200 km
département, « une concertation
surtout la coopération transfron-
talière qui a joué là, avec un poste
de commandement conjoint, des
échanges entre armées, un bar-
n’utilisent pas de mercure et ne illégal actifs entre ne sera pas démenti sur ce dernier
font pas n’importe quoi. » point par les habitants du comp-
Mais l’idée laisse nombre d’ac-
janvier et toir surinamais de Yaou Passi. p
teurs du dossier sceptiques. L’ex- novembre 2023 nathalie guibert

0123
MERCREDI 27 MARS 2024
L’excision demeure fortement enracinée
La hausse du nombre de femmes ayant subi des mutilations illustre la difficulté d’éradiquer ces pratiques
L
es mutilations génitales
féminines (FGM, selon
leur sigle anglais) conti-
nuent de peser lourde-
ment sur les filles et les femmes à
travers le monde. En huit ans, le
nombre de femmes de tous âges
ayant enduré une forme ou une
autre de ces pratiques est passé de
200 millions à 230 millions, soit
une hausse de 15 %, selon un rap-
port de l’Unicef publié le 7 mars.
D’après l’agence onusienne, cette
augmentation est due « avant
tout » à la croissance rapide de la
population dans plusieurs pays
où sont pratiquées les FGM. Le
pourcentage de la population
touchée est d’ailleurs en baisse
dans plusieurs pays.
Mais ce déclin « n’est pas assez
rapide », commente Wisal Ahmed,
la coordinatrice du programme
commun du Fonds des Nations
unies pour la population (UNFPA)
et de l’Unicef contre les FGM. Elle
ajoute qu’il faudrait aller « vingt-
sept fois plus vite » pour atteindre
l’éradication en 2030, qui fait par-
tie des objectifs de développe-
ment durable visés par l’ONU.
« Les filles font l’objet de cette prati-
que préjudiciable de plus en plus
jeunes, souvent avant leur cin-
quième anniversaire, ce qui réduit
davantage notre fenêtre d’inter-
vention », a souligné la directrice
générale de l’Unicef, Catherine
Russell, dans un communiqué.
Risques sanitaires élevés
Les FGM sont justifiées la plupart
du temps par le souci de la chas-
teté et d’une supposée pureté.
D’après l’UNFPA, il s’agit notam-
ment de contrôler la sexualité des
femmes et de garantir leur virgi-
nité – dans certaines communau-
tés, les FGM sont une condition
d’accès au mariage. Elles peuvent
s’avérer un facteur décisif d’inclu-
sion sociale et faire partie de ri-
tuels de passage à l’âge adulte, et
sont souvent perçues comme un
commandement religieux – en
particulier dans certaines com-
munautés musulmanes. L’UNFPA
et l’Organisation mondiale de la
santé distinguent trois types
principaux de mutilation. Le pre-
mier consiste en une clitoridecto-
mie – ablation totale ou partielle
du clitoris voire du prépuce clito-
ridien ; le deuxième, communé-
ment appelé excision, y ajoute
Agriculture : les défis d’une transition énergétique très inéquitable
Des ONG évaluent dans une étude le coût de la sortie des énergies carbone, qui ne doit pas, selon elles, reposer seulement sur les agriculteurs
L orsque l’on évoque les
transformations à entre-
prendre des sociétés et éco-
nomies mondiales pour atteindre
la neutralité carbone, le débat
achoppe souvent sur la question
du coût de la transition : qui va
payer, pour quel montant ? Une
étude, publiée mardi 26 mars,
évalue le coût de la baisse des
émissions de gaz à effet de serre
du secteur agricole, qui représen-
tent environ un tiers des émis-
sions mondiales. Pour réduire
celles-ci de moitié d’ici à 2030 afin
de tenir les objectifs de l’accord de
Paris de limiter le réchauffement
planétaire à 2 °C, et si possible
1,5 °C, il en coûterait 205 milliards
de dollars, soit 189 milliards
d’euros, chaque année, entre 2025
et 2030, estime la Food and Land
Use (FOLU) Coalition, un partena-
riat de plusieurs organisations de
recherche et d’expertise (World
Resources Institute, World Far-
mers’Organisation, EAT…).
« Cette somme peut paraître co-
lossale, mais cela correspond en
fait à moins de 2 % des revenus an-
nuels du secteur agroalimentaire
et une partie de ce montant peut
« Les filles
font l’objet
de cette pratique
préjudiciable
de plus en plus
jeunes »
CATHERINE RUSSELL
directrice générale de l’Unicef
l’ablation totale ou partielle des
petites lèvres et éventuellement
des grandes lèvres ; le troisième
type, ou infibulation, consiste à
rétrécir l’ouverture vaginale en
sectionnant et repositionnant les
lèvres, parfois au moyen d’une
suture. Il peut s’ajouter à une
ablation du clitoris.
Les risques sanitaires à court
terme sont élevés (douleurs vio-
lentes, hémorragie, infections)
et peuvent conduire à la mort. A
moyen et long terme surviennent
souvent des complications telles
que des difficultés à uriner, des rè-
gles douloureuses, des douleurs
pendant les rapports sexuels et
un accouchement difficile avec
risque vital pour le nouveau-né.
Dans son rapport, l’Unicef
brosse un tableau complexe et
contrasté. Parmi les filles et les
femmes concernées, quelque
144 millions vivent en Afrique,
80 millions en Asie et 6 millions
au Moyen-Orient. Les trois pays
à la plus forte prévalence sont la
Somalie, où 99 % des filles et des
femmes ont subi des FGM, la Gui-
née (95 %) et Djibouti (90 %). L’in-
fibulation, subie chaque année
par un demi-million de filles et
considérée comme la forme la
plus sévère de mutilation, est pra-
tiquée surtout au Soudan, où elle
représente environ 70 % des cas,
et en Somalie (plus de 40 %).
En trente ans, tous les pays n’ont
pas suivi la même trajectoire. La
Sierra Leone, le Burkina Faso et
l’Ethiopie font partie des pays de
forte prévalence ayant enregistré
des baisses notables, de l’ordre de
30 % à 50 %. Mais d’autres n’ont
enregistré aucune avancée signi-
ficative, à l’instar de la Somalie,
du Mali et de la Gambie. Les dépu-
tés gambiens se sont d’ailleurs
prononcés, le 18 mars, en faveur
d’un réexamen de la loi contre les
générer des retours sur investisse-
ment et des économies », fait re-
marquer Morgan Gillespy, direc-
trice de la coalition FOLU. « Ce
montant est en phase avec de pré-
cédentes estimations de coûts »,
note Mario Herrero, professeur à
l’université Cornell (Etat de New
York). Pour ce spécialiste reconnu
des systèmes alimentaires, qui n’a
pas participé aux travaux de la
coalition FOLU, cette nouvelle
étude vient rappeler que « non
seulement nous n’avons pas eu jus-
qu’ici les engagements à lever ces
fonds, mais qu’il faut aller au-delà
des promesses pour sortir réelle-
ment l’argent, et ce tous les ans ».
Réallouer les subventions
L’intérêt de cette étude est de con-
sidérer la chaîne de production
alimentaire dans toute sa com-
plexité et d’étudier à quels éche-
lons incombent les transforma-
tions. De la mise en œuvre de
principes agroécologiques à la sé-
questration du carbone dans les
sols et à la fertilisation organique,
la plupart des changements à opé-
rer relèvent des pratiques des agri-
culteurs eux-mêmes, constate la
Part des femmes âgées de 15 à 49 ans ayant
ant subi
des mutilations génitales, en %
0 5 30 50
Egypte
87
Mali
Soudan
89
87
Guinée
95
Sierra
Leone
83
Maldives
Source : Unicef, Female Genital Mutilation: A Global Concern, 2024
Infographie Le Monde
mutilations génitales féminines
par une commission parlemen-
taire. Amnesty International a dit
craindre un « dangereux précé-
dent ». L’Unicef précise que 40 %
des filles et des femmes subissant
des FGM vivent dans des pays
soumis à des conflits ou à des fra-
gilités institutionnelles qui com-
pliquent la prévention. « Dans
certains pays africains, il existe des
priorités plus pressantes telles que
la mortalité maternelle ou les pro-
blèmes humanitaires, explique
Mme Ahmed. L’intérêt pour les
FGM est très faible, et les interven-
tions très coûteuses. »
Les difficultés économiques en-
gendrées par la pandémie de Co-
vid-19 et les aléas climatiques af-
fectant les récoltes pourraient ex-
pliquer le maintien des FGM dans
certaines régions, selon Isabelle
Gillette-Faye, sociologue et direc-
trice générale de la fédération
Groupe pour l’abolition des muti-
lations sexuelles et des mariages
coalition FOLU. Or, « les agricul-
teurs sont les moins à même de
payer pour la transition, souligne
Mme Gillespy. Ils travaillent déjà
dans un environnement incertain,
soumis aux aléas climatiques, et
s’ils devaient absorber seuls le coût
des transformations, beaucoup se
déclareraient en faillite ».
Le rapport se penche en effet sur
plusieurs études de cas sectoriels
et montre que pour une petite
coopérative d’élevage bovin, le
coût de la baisse des émissions
atteindrait 17 % de son chiffre d’af-
faires, quand il ne serait que de 1 %
pour les grandes multinationales.
D’autres solutions à mettre en
œuvre relèvent des consomma-
teurs, notamment les change-
ments de régime alimentaire al-
lant vers moins de viande et plus
de protéines végétales, mais cel-
les-ci affecteront aussi les paysans
en les poussant à diversifier leur
production.
Pour parvenir à baisser les émis-
sions du secteur agricole, sans pé-
naliser les agriculteurs, ni les con-
sommateurs fragilisés par l’infla-
tion des prix, il faut donc d’abord
réallouer les subventions publi-
75 100
ée
Erythrée
83
Djibouti
90
Somalie
99
** Pour l’Indonésie, la population de référence concernetoutes les jeunes filles et femmes interrogées.
forcés. En cas de conditions de vie
difficiles dans une communauté
qui pratique les FGM et où un pré-
tendant au mariage doit apporter
une dot à la famille de la fiancée,
« la tentation est très forte de ma-
rier précocement les filles », ce qui
pourrait expliquer le rajeunisse-
ment des victimes de mutilations
selon elle.
« Gagner des alliés »
Le rapport de l’Unicef montre
aussi que, si les opérations restent
du ressort d’exciseuses tradition-
nelles dans la plupart des pays,
80 % sont réalisées par des profes-
sionnels de santé au Soudan, et
60 % par des médecins en Egypte.
Une médicalisation qui peut
aider à légitimer les pratiques
sous le couvert de prétendues ga-
ranties d’hygiène et de sécurité.
Selon Mme Gillette-Faye, « la mé-
dicalisation empêche les complica-
tions à court terme comme les hé-
morragies, mais n’a aucun effet sur
La coalition
d’ONG appelle
à responsabiliser
les entreprises
agroalimentaires
dans la baisse
des émissions
ques agricoles, plaide la coalition
FOLU, pour qu’elles rémunèrent
davantage les pratiques bénéfi-
ques pour le climat et la biodiver-
sité. « Ces subventions ont été mi-
ses en place il y a plusieurs dizaines
d’années, dans un contexte diffé-
rent, où il fallait augmenter la pro-
ductivité, relève Morgan Gillespy.
C’était alors légitime, mais
aujourd’hui, il faut les réaligner
sur les enjeux du moment : l’envi-
ronnement, la durabilité… »
Mais, surtout, la coalition ap-
pelle à responsabiliser les entre-
prises du secteur agroalimentaire
en les impliquant dans la transi-
tion, tout en reconnaissant la dif-
ficulté de mettre les acteurs de la
Part des jeunes filles âgées de 10 à 14 ans ayant subi
des mutilations génitales, en % par type de mutilation
Infibulation (rétrécissement de l’ouverture vaginale)
Incision sans ablation des tissus
Soudan*
Somalie*
Erythrée*
Ghana*
Tchad*
Guinée-Bissau
Sierra Leone
Kenya*
Gambie*
Côte d’Ivoire
République
centrafricaine
Niger*
Tanzanie
Nigeria
Djibouti
Bénin*
Irak*
Indonésie**
Yémen*
les complications à moyen terme
telles que les infections urogénita-
les à répétition et les difficultés
obstétriques, et ne change rien
aux douleurs d’intromission ».
Mme Ahmed souligne que la médi-
calisation peut représenter une
source de revenus pour les per-
sonnels de santé et ainsi freiner
les efforts pour faire baisser la pré-
valence. Elle rappelle que l’ONU
soutient la « tolérance zéro » con-
tre les FGM quel que soit le cadre
dans lequel elles sont pratiquées.
D’après l’UNFPA, 84 pays dispo-
sent de lois permettant de com-
battre les FGM, dont la Somalie et
le Soudan, mais elles sont diverse-
ment appliquées. Surtout, « les
gens doivent les connaître et les
comprendre », selon Mme Ahmed,
à défaut de quoi elles peuvent
s’avérer contre-productives, par
exemple en poussant à accélérer
les pratiques avant qu’elles de-
viennent illégales. Selon la coor-
dinatrice du programme com-
chaîne alimentaire autour de la
table. « Malgré certains engage-
ments volontaires, le secteur privé
a jusqu’ici échoué à mettre en
œuvre la baisse des émissions de
gaz à effet de serre requise pour te-
nir l’objectif de 1,5 °C », poursuit
Morgan Gillespy.
Dans un secteur marqué par de
fortes inégalités entre une poi-
gnée de géants, qui contrôlent la
fourniture de semences aux pay-
sans, les produits phytosanitaires,
les engrais, ainsi que la transfor-
mation des matières premières, et
les quelque 860 millions d’agricul-
teurs et paysans dans le monde,
parvenir à une discussion équita-
ble relève du défi. Pour la coalition
FOLU, cela passe par plus de régu-
lation des pouvoirs publics.
Lever les fonds
Les experts citent ainsi l’exemple
du règlement européen contre la
déforestation importée, qui s’ap-
pliquera progressivement à partir
de fin 2024 et qui vise à bannir les
importations de produits comme
le cacao, le café, l’huile de palme
ou le caoutchouc, ayant entraîné
de la déforestation ou une dégra-
planète | 7
Excision
Autre type Type inconnu
70,8
50,4
49,7
62,9
70,5
80,2
82,6
67,3
73,8
78,2
66,5
84,7
88,3
79,9
90,3
84,7
81,5
39,4
89,7
* Ou de 15 à 19 ans.
mun, pour être efficace, la prohi-
bition doit être le fruit d’une « ap-
propriation » du sujet par les
groupes qui pratiquent les FGM.
« La clé vient des communau-
tés », abonde Michelle Perrot, di-
rectrice du plaidoyer de l’ONG
Plan international, spécialisée
dans la défense des droits des en-
fants et active dans 80 pays, dont
beaucoup sont concernés par les
mutilations. Elle soutient la stra-
tégie de « gagner des alliés sans
se placer sur le plan normatif », en
insistant sur les raisons d’abolir
qui « font consensus en général,
comme la santé des filles, moins de
complications au moment de l’ac-
couchement… » Si la mutilation
est pratiquée dans le cadre d’une
cérémonie de passage à l’âge
adulte, « on peut encourager les ri-
tes alternatifs », propose-t-elle, et
« adapter les traditions pour qu’el-
les gardent leur sens tout en évi-
tant les pratiques néfastes ». p
julien lemaignen
dation de la forêt, et oblige les en-
treprises à revoir leurs sources
d’approvisionnement.
Si le rapport de la coalition FOLU
ne prétend pas trancher la ques-
tion de qui doit payer pour la tran-
sition, ses auteurs espèrent ouvrir
la voie à une accélération des in-
vestissements. « Nous allons avoir
besoin de tous les instruments dis-
ponibles pour pouvoir lever les
fonds nécessaires à la transition de
nos systèmes alimentaires, insiste
Mario Herrero. Cela passera par
des investissements du secteur
privé, des fonds publics, mais aussi
des approches s’appuyant sur le
coût réel de l’alimentation [tenant
compte des externalités]. »
Il y a urgence, car les enjeux
agricoles ont longtemps été relé-
gués au second plan des négocia-
tions climatiques. Quelques si-
gnaux indiquent que cela pour-
rait changer : lors de la dernière
conférence mondiale pour le cli-
mat, la COP28, qui s’est tenue en
décembre 2023 à Dubaï, quelque
160 Etats se sont engagés à inclure
l’agriculture et l’alimentation
dans leurs plans « climat ». p
mathilde gérard
8|
FRANCE
0123
MERCREDI 27 MARS 2024

FINANCES PUBLIQUES

R
arement quelques dixièmes de
point auront-ils été autant at-
tendus, scrutés et commentés.
Le déficit public pour 2023 s’est
finalement élevé à 5,5 % du pro-
duit intérieur brut (PIB), soit
154 milliards d’euros, selon les données pu-
bliées mardi 26 mars par l’Insee. Un chiffre
très supérieur aux 4,9 % inscrits par Bercy
dans la loi de finances pour 2024, adoptée en
fin d’année dernière. La dette publique s’est,
quant à elle, établie à 110,6 % du PIB.
Le gouvernement avait préparé les esprits
à une mauvaise nouvelle depuis plusieurs
semaines. Dans un entretien au Monde
le 6 mars, le ministre de l’économie, Bruno
Le Maire, affirmait qu’« en raison de la perte
de recettes fiscales en 2023 » le chiffre serait
« significativement au-delà des 4,9 % ». Ces
dernières ont, de fait, reculé de 21 milliards
d’euros l’an dernier, a précisé le ministre sur
RTL, mardi, pointant l’effet du ralentissement
de l’inflation, qui dope traditionnellement les
recettes fiscales. « Il n’y a pas eu plus de dépen-
ses publiques que ce que nous avions dit, il y a
eu moins de recettes que prévu », a-t-il insisté.
Le ralentissement de la croissance a égale-
ment poussé Bercy à revoir ses prévisions
macroéconomiques pour 2024 à la mi-février
et à annoncer un nouveau train d’économies
budgétaires de 10 milliards d’euros pour l’Etat
avec effet immédiat. Prévue à 1,4 % dans la loi
de finances pour 2024, la croissance du PIB est
désormais attendue à 1 % cette année – ce que
nombre d’économistes jugent encore trop
optimiste. « La croissance a été au rendez-vous
[en 2023], elle sera d’ailleurs au rendez-vous
en 2024 et je pense qu’en 2025 et 2026 nous
aurons une croissance très dynamique », a af-
firmé Bruno Le Maire sur RTL mardi.
L’impact du ralentissement sur les finances
publiques est presque mécanique : les budgé-
taires estiment qu’un point de croissance en
moins par rapport aux prévisions plombe le
déficit de 0,5 point de PIB, le taux de prélève-
ments obligatoires étant, en France, proche
de 50 % de la richesse produite (le point de PIB
équivaut, quant à lui, à un peu plus de 25 mil-
liards d’euros). Plus le déficit 2023 se creuse,
plus l’objectif que le gouvernement s’est fixé
pour 2024 devient difficile à atteindre : pour
l’heure, Bercy table toujours sur un solde pu-
blic ramené à 4,4 % cette année, comme
prévu par le budget 2024.

DES TRAJECTOIRES JAMAIS RESPECTÉES

Le rythme du redressement des comptes pu-
blics demeure plus lent en France qu’ailleurs
en Europe, alors que le pays demeure sous la

Le dérapage du déficit place le

surveillance des agences de notation, qui se
prononceront fin avril. Paris aura d’ici là ac-
tualisé ses chiffres à l’occasion du pro-
gramme de stabilité, attendu le 17 avril, un
document transmis chaque année à Bruxel-
les, qui détaille comment la France compte

gouvernement dans l’embarras

ramener son déficit sous les 3 % en 2027.
L’exercice a perdu de sa pertinence au fil du
temps, les trajectoires n’étant jamais respec-
tées, et ne sera plus obligatoire à partir de
2025 en vertu de la réforme des règles euro-
péennes. La Cour des comptes n’en évalue
pas moins, dans son dernier rapport annuel,
à 50 milliards les économies que le gouver-
nement doit dégager.
La succession de mauvaises surprises bud-
gétaires alimente depuis plusieurs semaines
les critiques des oppositions. Depuis que
Bruno Le Maire a corrigé ses chiffres, le 18 fé-
vrier, et annoncé 10 milliards d’euros d’éco-
nomies moins de deux mois après l’adop-
tion du budget, la droite comme la gauche lui
reprochent d’avoir tardé à faire toute la lu-
mière sur la situation des comptes publics en
dépit de signaux convergents. Le rapporteur
de la commission des finances du Sénat,
Jean-François Husson, élu Les Républicains
(LR), s’est ainsi invité à Bercy, jeudi 21 mars, en
vertu des pouvoirs dont il dispose pour obte-
nir des chiffres, dénonçant la « rétention d’in-
formations » du gouvernement, qui dispo-
sait, selon lui, déjà d’une note en décembre
évaluant le déficit de 2023 à 5,2 % du PIB, en
plein examen du projet de loi de finances.
« Vous nous présentez un plan de réduction
de 10 milliards d’euros des dépenses publiques,
parce que vous vous êtes complètement plan-
tés dans vos prévisions de croissance », avait
raillé le député La France insoumise David
Guiraud, le 6 mars, face aux deux ministres
de Bercy auditionnés par la commission des
finances de l’Assemblée. « Alors qu’aucun or-
ganisme n’avait estimé crédible votre prévi-
sion de croissance du PIB de 1,4 % en septem-
bre 2023, vous venez de revoir votre prévision
à 1 % », avait pointé, de son côté, le député Li-
bertés, indépendants, outre-mer et territoi-
res (LIOT) Charles de Courson. Le gouverne-
ment s’est toujours défendu d’avoir cherché
à dissimuler la vérité des chiffres et se retran-
che derrière les organisations internationa-
les, comme le FMI, l’OCDE ou encore la Com-
Sous l’effet du ralentissement de la croissance et de la baisse des recettes fiscales,
le déficit public, annoncé mardi par l’Insee, a largement dépassé les prévisions
mission européenne, dont les prévisions
étaient relativement proches des siennes à
l’automne, quoique toutes inférieures.
L’ampleur de la correction à mener a toute-
fois fait l’objet de débats au sein du gouverne-
ment. Bruno Le Maire était favorable à l’op-
tion d’un budget rectificatif dès le début
d’année – un geste qui aurait permis d’aller
plus loin que les 10 milliards d’économies
réalisées par décret, et donc plafonnées par
les textes. Mais la voie d’un budget rectificatif
a été jugée trop lourde et périlleuse politique-
ment, surtout à quelques mois des élections
Evolution du solde des finances publiques de la France, en % du PIB
2000 2005 2010
–2
–4
– 6 Les critères de Maastricht
imposent que le déficit
– 8 public annuel reste
inférieur à 3 % du PIB.
– 10
européennes. Même si les annulations de
BRUNO LE MAIRE crédit ont suscité beaucoup d’émotion dans
A CONFIRMÉ les ministères concernés, dont certains en
ont appelé à l’arbitrage de Matignon, le dé-
QU’IL FAUDRAIT cret avait de fait l’avantage de la rapidité.
La question d’un nouveau texte budgétaire
ALLER AU-DELÀ reste ouverte. Bruno Le Maire a confirmé
DES 10 MILLIARDS mardi 26 mars que le gouvernement devrait
aller au-delà des 10 milliards d’euros d’écono-
D’EUROS mies annoncés cette année, surtout si les re-
cettes fiscales ne se redressent pas. « Y aura-
D’ÉCONOMIES t-il des économies supplémentaires nécessai-
res en 2024 ? oui », a-t-il déclaré auprès de
journalistes. Mais le chef de l’Etat souhaite à
tout prix éviter de passer par le Parlement,
compte tenu de la configuration politique.
2015 2020 2023 FAIRE CONTRIBUER LA SPHÈRE SOCIALE
En attendant, Bruno Le Maire, le ministre dé-
légué aux comptes publics, Thomas Caze-
nave, la ministre du travail, Catherine Vau-
trin, et le ministre délégué à la santé, Frédéric
Valletoux, réunissent, jeudi, les responsables
de la majorité en séminaire pour évoquer les
pistes de baisses de dépenses, l’hypothèse de
– 5,5 hausses d’impôts étant pour l’instant écartée
par l’exécutif, malgré des pressions croissan-
tes dans la majorité. Les énergéticiens, qui
ont bénéficié de l’explosion des prix de l’éner-
– 8,9
gie ces trois dernières années, devraient être
ponctionnés une année de plus, a confirmé
Bruno Le Maire. L’Etat ayant déjà été large-
Source : Insee ment sollicité, Emmanuel Macron entend
mettre à contribution la sphère sociale, qui
représente la moitié des dépenses publiques,
ainsi que les collectivités locales, dont les dé-
penses ont augmenté plus vite que l’inflation.
« Il faut voir la magnitude, la raison de ce dé-
rapage et voir derrière d’où il vient et donc qui
y contribue », a expliqué le chef de l’Etat à l’is-
sue d’un sommet européen à Bruxelles, ven-
dredi 22 mars. « La dépense publique n’est pas
faite que de la dépense d’Etat », a-t-il ajouté, vi-
sant sans les nommer les collectivités locales
et les dépenses sociales. L’exécutif ne fait pas
mystère de son intention de mener une nou-
velle réforme de l’assurance-chômage, de ré-
duire les frais de transport médicaux et de re-
mettre à plat la prise en charge des maladies
chroniques. Des revues de dépenses ont été
lancées et doivent aboutir dans les prochains
jours afin d’identifier des pistes d’économies
pour 2025. La Cour des comptes a été chargée
de plancher sur le sujet des collectivités terri-
toriales, la régulation des dépenses de santé
et la sortie des dispositifs de crise. Bercy tra-
vaille, de son côté, sur les aides aux entrepri-
ses, les dispositifs en faveur de la jeunesse, les
politiques de l’emploi, la formation profes-
sionnelle et l’apprentissage, les dispositifs
médicaux, les affections de longue durée, les
aides au secteur du cinéma, l’absentéisme
dans la fonction publique et les mesures de
maîtrise des dépenses immobilières des mi-
nistères sous loi de programmation. p
elsa conesa

0123
MERCREDI 27 MARS 2024
Le ministre
de l’économie,
Bruno Le Maire, et
la ministre du travail,
Catherine Vautrin,
à Paris, le 12 mars.
AGNES DHERBEYS/MYOP
POUR « LE MONDE »
La dette française reste prisée sur les marchés
Peu inquiets du dérapage des finances publiques, les investisseurs continuent d’acheter
les obligations tricolores, et les taux d’intérêt sont pour le moment en baisse
L
e déficit public français
dérape, et alors ? Alors que
l’Insee a révélé, mardi
26 mars, qu’il avait atteint 5,5 %
du produit intérieur brut (PIB)
en 2023, nettement au-dessus
des prévisions initiales de 4,9 %
du gouvernement, les marchés fi-
nanciers semblent réagir par un
simple haussement d’épaules.
Depuis octobre, le taux d’intérêt
des obligations françaises à dix
ans a même nettement reculé,
passant de 3,5 % à 2,8 %. Mardi,
dans l’heure qui a suivi l’annonce
du chiffre du déficit, le taux fran-
çais a même… très légèrement re-
culé, de 0,02 point.
« La France n’a pas, actuellement,
de difficulté à emprunter de l’ar-
gent », rappelait Sylvain Bersin-
ger, chef économiste chez Aste-
rès, un cabinet de conseil écono-
mique, dans une note diffusée le
jeudi 21 mars. Signe de l’attitude
peu inquiète des investisseurs,
l’écart entre les taux de la France
et ceux de l’Allemagne, considéré
comme le pays aux comptes pu-
blics les plus solides de la zone
euro, se resserre légèrement : il
est passé de 0,55 point fin octo-
bre 2023 à 0,47 point aujourd’hui.
Pourquoi une telle mansué-
tude des marchés financiers ? La
première réponse vient de la
conjoncture. Pendant l’envolée de
l’inflation qui a suivi la pandémie
de Covid-19 et l’invasion russe de
l’Ukraine, les banques centrales
ont fortement augmenté leurs
taux directeurs, dans l’espoir
d’endiguer le phénomène.
Bruno Le Maire cherche sa « voie politique »
L’essai du ministre, paru le 20 mars, a des airs de programme pour la présidentielle de 2027
C’ est Michel Houellebecq
qui l’écrit. « Dans la
vraie vie politique, du
moins dans le cœur du réacteur,
Bruno était plus ou moins un
outsider. » Bruno Juge, person-
nage de son dernier roman,
Anéantir, et double fictif du mi-
nistre de l’économie, Bruno
Le Maire, est « un type bien » qui
a « la confiance du président », et
paraît « le mieux placé » pour lui
succéder. Le problème, c’est que
les gens ne l’aiment pas. Ils le
trouvent « compétent », « tra-
vailleur » et « intègre », mais pas
« chaleureux » ou « empathique ».
D’ailleurs, le président, qui envi-
sage de revenir au pouvoir cinq
ans plus tard, s’en méfie.
Dans la vie, la vraie, Bruno
Le Maire, depuis sept ans à Bercy,
assure ne pas penser à la suite.
Son dernier ouvrage, La Voie fran-
çaise, paru le 20 mars, le sixième
depuis 2017, a pourtant immédia-
tement été lu comme une profes-
sion de foi pour 2027. Plus court
que les précédents, cet essai poli-
tique parle d’économie, de souve-
raineté et de finances publiques,
mais aussi d’écologie, de lutte
contre la drogue, de réformes
institutionnelles, de laïcité, et de
pratique du pouvoir. Des réfor-
mes nécessaires pour « terminer
le travail » et éviter « un échec élec-
toral en 2027 ». Mais aussi des
grands chantiers destinés à con-
jurer ce « déclassement » qui
obsède la France, « jamais satis-
faite de son destin ».
« Quand j’ai fait un livre pro-
gramme, il a fait plus de mille pa-
ges », s’est défendu le ministre
sur France Inter le 18 mars, ju-
rant être ministre et non candi-
Désormais, alors que la hausse
des prix s’atténue, elles commen-
cent à faire marche arrière. « Tout
le monde attend des baisses de
taux d’intérêt », rappelle Gilles
Moëc, économiste en chef du
groupe Axa. La Banque centrale
européenne a indiqué qu’une
première baisse était probable
au mois de juin. Aux Etats-Unis,
la Réserve fédérale suit un calen-
drier similaire.
Par ailleurs, ajoute M. Moëc, « ce
qui compte vraiment, c’est le mes-
sage et la trajectoire ». En clair, le
gouvernement peut rassurer les
marchés s’il explique la façon
dont il compte limiter le déra-
page. Les annonces du ministre
de l’économie, Bruno Le Maire,
sur les mesures d’économies im-
médiates de 10 milliards d’euros,
suivies, en 2025, de 20 milliards
d’euros, vont dans ce sens. « Les
marchés réagissent quand ils
ont l’impression qu’il n’y a pas de
prise de conscience du problème »,
estime M. Moëc.
« IL Y A UN ÉNORME
EXCÈS D’ÉPARGNE
DANS LE MONDE
PAR RAPPORT AUX
INVESTISSEMENTS »
FRANÇOIS GEEROLF
économiste à l’Observatoire
français des conjonctures
économiques
LE MINISTRE VEUT
DÉSORMAIS « REVENIR
AUX ÉQUILIBRES
FONDAMENTAUX
DE LA VE RÉPUBLIQUE »,
AVEC UN RETOUR
AU SEPTENNAT
dat. De fait, les pistes évoquées
ont, pour beaucoup d’entre elles,
déjà été formulées par l’intéressé
ces derniers mois. Elles s’inscri-
vent dans le logiciel macronien
centré sur le travail et les réfor-
mes pour libérer les « forces de
l’économie », même si elles vont
plus loin pour certaines. « Pom-
pidou, après de Gaulle, n’a pas
cherché à écrire l’histoire, elle
avait été faite par son prédéces-
seur », écrit-il d’ailleurs.
« L’Etat protecteur »
Pour atteindre le plein-emploi, il
entend ainsi confier la gestion de
l’assurance-chômage à l’Etat plu-
tôt qu’aux partenaires sociaux.
Revoir l’indexation du smic sur
l’inflation pour recréer une dyna-
mique salariale davantage liée à
la productivité. Réfléchir à la créa-
tion d’une part de capitalisation
pour financer les retraites face au
vieillissement démographique.
Concentrer le système de santé
sur « les plus vulnérables et les per-
sonnes âgées » plutôt que l’« open
bar » actuel. Et repenser le finan-
cement du modèle social fran-
çais, en le transférant davantage
vers la TVA, un impôt payé par
Un phénomène plus structurel
explique aussi la facilité avec la-
quelle la France se finance actuel-
lement. « Il y a un énorme excès
d’épargne dans le monde par rap-
port aux investissements », souli-
gne François Geerolf, économiste
à l’Observatoire français des
conjonctures économiques.
D’un côté, la population vieillit
et met de l’argent de côté. De
l’autre, l’économie européenne
est relativement stagnante, et il
n’est pas si simple de trouver des
projets dans lesquels placer cet ar-
gent. Les investisseurs se retrou-
vent donc à la tête d’énormes
montants : « Ils ne savent pas où
mettre leur argent et ils adorent la
dette publique [qui apporte un ren-
dement garanti et presque aucun
risque] », poursuit M. Geerolf.
« Un esprit animal »
Depuis le début de 2024, tous les
pays de la zone euro profitent de
ces circonstances favorables pour
se financer rapidement. Au ven-
dredi 22 mars, les vingt gouverne-
ments qui partagent la monnaie
unique avaient émis 400 mil-
liards d’euros de dette, soit près
du tiers des émissions attendues
pour l’ensemble de l’année, selon
Generali Investments.
Certains gouvernements ont été
très actifs : le Portugal a déjà effec-
tué 70 % de ses émissions de dette,
et l’Irlande, la moitié. « L’opti-
misme des marchés, un déclin de
la volatilité des obligations, une
légère reprise économique et la
baisse des taux d’intérêt à venir de-
tous, plutôt que sur des prélève-
ments sur le travail.
« Nous devons remplacer l’Etat-
providence par l’Etat protecteur »,
a-t-il reformulé dans Le Journal du
dimanche du 17 mars, l’Etat-provi-
dence étant devenu à ses yeux
« une pompe à fric », avait-il dit
dans un entretien au Monde le
6 mars. Assumant la nécessité
d’un tour de vis alors que la situa-
tion dégradée des comptes
publics apparaît au grand jour,
après quatre ans de « quoi qu’il en
coûte » et plusieurs centaines de
milliards mobilisés pour soutenir
le pays. « Bruno ne veut pas tuer
le modèle social, interprète le
député Renaissance de Saône-et-
Loire Louis Margueritte. Dans la
notion même d’Etat-providence,
il y a une dimension divine. Ce qu’il
dit, c’est qu’il ne faut pas attendre
de miracle. »
Plus question de réformes des
institutions en revanche, contrai-
rement à ses précédents essais. Le
ministre veut désormais « revenir
aux équilibres fondamentaux de
la Ve République », avec un retour
au septennat et un recours au
référendum, y compris sur les
sujets économiques. En somme,
le pays a besoin d’« un président
qui préside, un gouvernement qui
gouverne, un Parlement qui légi-
fère et qui contrôle ». Incidem-
ment, il livre aussi dans un
passage sur le monde du travail
son aversion pour « le manage-
ment vertical » et « la culture du
petit chef aux récriminations
incessantes », n’ayant « de cesse de
fixer des objectifs de performance
hors de portée ».
Comme à chacune de ses paru-
tions, essais politiques ou ro-
vraient continuer à soutenir [la ten-
dance] », juge Florian Späte, straté-
giste à Generali Investments.
Rien de tout cela ne signifie que
le dérapage du déficit public est
sans conséquences. D’abord, le
calme des investisseurs ne durera
pas toujours. « Ils peuvent avoir un
esprit animal, s’inquiéter pour un
rien, et ils représentent un nombre
restreint de personnes », reconnaît
M. Geerolf. Lorsque le vent tourne,
ils se montrent en effet particuliè-
rement moutonniers, délaissant
les dettes dont ils doutent.
Lors de la crise de la zone euro, il
y a une décennie, la Grèce ne par-
venait plus à se financer et le taux
d’intérêt italien avait frôlé 7 %.
Plus récemment, à l’automne
2022, le Royaume-Uni a connu
un début de panique financière
quand le gouvernement a an-
noncé de grandes baisses d’impôt
qui ont surpris par leur ampleur.
Ensuite, si un Etat n’a pas voca-
tion à rembourser sa dette (il se
contente de la renouveler quand
elle arrive à échéance), les intérêts
accumulés peuvent lourdement
handicaper un budget.
A cause d’un endettement mal
contrôlé dans les années 1990,
l’Italie paie aujourd’hui des inté-
rêts qui s’élèvent à 4 % du PIB, en-
viron deux fois plus que la France.
Sa marge de manœuvre budgé-
taire s’en trouve réduite d’autant.
C’est à cette aune que le dérapage
du déficit français doit être consi-
déré, pas à celle de sa capacité à
se financer. p
éric albert
mans sulfureux, l’Elysée a mani-
festé son agacement à coups
d’indiscrétions dans Le Canard
enchaîné. A-t-on vraiment le
temps d’écrire des livres quand
on est numéro deux du gouver-
nement ? Et ces réformes, pour-
quoi ne pas les avoir menées à
Bercy depuis sept ans ? Le prési-
dent préfère ceux qui agissent et
ne font pas seulement des propo-
sitions, a-t-on fait savoir.
« C’est aussi son bilan »
« 2027, c’est très loin… », ironise un
conseiller d’Emmanuel Macron,
admettant observer une percée
ponctuelle du ministre dans les
sondages ces derniers jours, du
fait de son actualité littéraire.
« Bruno est à Bercy depuis sept ans,
abonde un ministre. A un
moment, c’est aussi son bilan. On
ne peut pas à la fois annoncer un
déficit à 5,6 % et dire que l’Etat est
une “pompe à fric”. S’il n’est pas
à l’aise avec les décisions prises,
il faut partir. »
L’intéressé ne se démonte pas.
« Je lis depuis sept ans les commen-
taires du président de la Républi-
que sur moi qui sont rapportés par
des journaux ou d’autres, a-t-il ré-
pondu dans “C à vous”, sur
France 5. Mais je les ignore, parce
que je considère que le travail que
A-T-ON VRAIMENT
LE TEMPS D’ÉCRIRE
DES LIVRES QUAND
ON EST NUMÉRO DEUX
DU GOUVERNEMENT ?
- CESSATIONS DE GARANTIE
LOI DU 2 JANVIER 1970 - DECRET
D’APPLICATION N° 72-678
DU 20 JUILLET 1972 - ARTICLES 44
QBE EUROPE SA/NV, sis, Tour CBX,
1 Passerelle des Reflets, 92913 Paris La
Défense Cedex ( RCS Nanterre 842 689
556), succursale de QBE Europe SA/NV
société de droit belge, son siège social :
Bastion Tower - 10 place du Champ de
Mars 5 - 1050 Bruxelles _ Belgique, les
garanties financières dont bénéficiait la :
AGENCE HABITAT
27 Boulevard Amiral Courbet
44000 NANTES
SIREN : 529 919 243
depuis le 01 janvier 2015 pour son activité
de : Gestion Immobilière et Transactions
sur Immeubles et Fonds de commerce Sans
Perception de Fonds. Ont cessées au 31
Décembre 2023. Les créances éventuelles
se rapportant à ces opérations devront être
produites dans les trois mois de cette inser-
tion à l’adresse de l’Etablissement garant
sis, Tour CBX, 1 Passerelle des Reflets,
92913 Paris La Défense Cedex. Il est pré-
cisé qu’il s’agit de créances éventuelles et
que le présent avis ne préjuge en rien du
paiement ou du non-paiement des sommes
dues et ne peut en aucune façon mettre en
cause la solvabilité ou l’honorabilité de la
Société AGENCE HABITAT, (SIREN :
529919243).
LOI DU 2 JANVIER 1970 - DECRET
D’APPLICATION N° 72-678
DU 20 JUILLET 1972 - ARTICLES 44
QBE EUROPE SA/NV, sis, Tour CBX,
1 Passerelle des Reflets, 92913 Paris La
Défense Cedex ( RCS Nanterre 842 689
556), succursale de QBE Europe SA/NV
société de droit belge, son siège social
: Bastion Tower - 10 place du Champ de
Mars 5 - 1050 Bruxelles _ Belgique, les
garanties financières dont bénéficiait la :
VOTRE INVESTISSEMENT
PATRIMONIAL GESTION
6 Place du Marche aux Fleurs
34000 MONTPELLIER
SIREN : 401947270
depuis le 01 janvier 2021 pour son activité
de : Gestion Immobilière et Transactions
sur Immeubles et Fonds de commerce Sans
Perception de Fonds. Ont cessées au 31
Décembre 2022. Les créances éventuelles
se rapportant à ces opérations devront être
produites dans les trois mois de cette inser-
tion à l’adresse de l’Etablissement garant
sis, Tour CBX, 1 Passerelle des Reflets,
92913 Paris La Défense Cedex. Il est pré-
cisé qu’il s’agit de créances éventuelles et
que le présent avis ne préjuge en rien du
paiement ou du non-paiement des sommes
dues et ne peut en aucune façon mettre en
cause la solvabilité ou l’honorabilité de
la Société VOTRE INVESTISSEMENT
PATRIMONIAL GESTION (SIREN :
401947270).
france | 9
nous avons fait ensemble est un
bon travail. » C’est toute la diffi-
culté du positionnement de
Bruno Le Maire. Loyal mais « li-
bre », comme il dit. Sans attache,
mais sans point de chute, contrai-
rement à Gérald Darmanin ou
Edouard Philippe, il n’a plus de
mandat d’élu. Respecté comme
ministre de l’économie, mais
enserré dans ses habits de grand
argentier.
A chaque remaniement, son
nom est évoqué pour Matignon.
A chaque fois, il étend à défaut ses
pouvoirs à Bercy. « Si tu restreins
ton propos aux seules finances pu-
bliques, tu vas t’enfermer, l’a alerté
le député Renaissance de Paris
Gilles Le Gendre, il y a quelques
mois. Il faut que tu sortes du car-
can économique qui a fait ta répu-
tation, que tu aies un projet politi-
que plus large. »
Le livre est aussi une façon de se
défaire un instant de son costume
de « Père la rigueur », tout en affi-
chant sa loyauté. Bruno Le Maire
le sait mieux que personne : « Les
finances publiques, ça fait chier
tout le monde », admet-il en privé.
Même si l’ancien premier minis-
tre Edouard Philippe en a fait le
cœur de son discours, déclarant
dans L’Opinion qu’« aujourd’hui,
on ne réforme pas grand-chose ».
« Bruno Le Maire a un positionne-
ment différent d’Edouard Philippe,
qui envoie des cartes postales
depuis Le Havre, analyse Frédéric
Dabi, directeur général de l’IFOP. Il
veut apparaître comme l’héritier
de l’intérieur, celui qui peut avoir
l’imprimatur. Mais est-ce que la
nomination de Gabriel Attal à Ma-
tignon ne l’a pas ringardisé ? » p
elsa conesa
LOI DU 2 JANVIER 1970 - DECRET
D’APPLICATION N° 72-678
DU 20 JUILLET 1972 - ARTICLES 44
QBE EUROPE SA/NV, sis, Tour CBX,
1 Passerelle des Reflets, 92913 Paris La
Défense Cedex ( RCS Nanterre 842 689
556), succursale de QBE Europe SA/NV
société de droit belge, son siège social :
Bastion Tower - 10 place du Champ de
Mars 5 - 1050 Bruxelles _ Belgique, les
garanties financières dont bénéficiait la :
TUKAZZA CLUB
45 rue de Chabrol
75010 PARIS
SIREN : 919 079 251
depuis le 01 avril 2023 pour son activité de
: Gestion Immobilière. Ont cessées au 31
Décembre 2023. Les créances éventuelles
se rapportant à ces opérations devront être
produites dans les trois mois de cette inser-
tion à l’adresse de l’Etablissement garant
sis, Tour CBX, 1 Passerelle des Reflets,
92913 Paris La Défense Cedex. Il est pré-
cisé qu’il s’agit de créances éventuelles et
que le présent avis ne préjuge en rien du
paiement ou du non-paiement des sommes
dues et ne peut en aucune façon mettre en
cause la solvabilité ou l’honorabilité de
la Société TUKAZZA CLUB, (SIREN :
919079251).
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D’APPLICATION N° 72-678
DU 20 JUILLET 1972 - ARTICLES 44
QBE EUROPE SA/NV, sis, Tour CBX,
1 Passerelle des Reflets, 92913 Paris La
Défense Cedex ( RCS Nanterre 842 689
556), succursale de QBE Europe SA/NV
société de droit belge, son siège social :
Bastion Tower - 10 place du Champ de
Mars 5 - 1050 Bruxelles _ Belgique, les
garanties financières dont bénéficiait la :
SOF RE SERVICES
1 Rue SAINT JOSEPH
13100 AIX EN PROVENCE
SIREN : 900512120
depuis le 21 juin 2021 pour son activité de
: Gestion Immobilière. Ont cessées au 31
Décembre 2023. Les créances éventuelles
se rapportant à ces opérations devront être
produites dans les trois mois de cette inser-
tion à l’adresse de l’Etablissement garant
sis, Tour CBX, 1 Passerelle des Reflets,
92913 Paris La Défense Cedex. Il est pré-
cisé qu’il s’agit de créances éventuelles et
que le présent avis ne préjuge en rien du
paiement ou du non-paiement des sommes
dues et ne peut en aucune façon mettre en
cause la solvabilité ou l’honorabilité de la
Société SOF RE SERVICES, (SIREN :
900512120).
10 | france
Quand Bardella
veut s’inspirer
du RPR
Le président du RN prétend s’appuyer
sur les « états généraux » lancés
en 1990 par le parti de Jacques Chirac
F
ut un temps où le Front
national – FN, devenu
Rassemblent national
(RN) – se déchirait entre
les murs de la Maison de la chi-
mie, à Paris. En juin 1997, Jean-Ma-
rie Le Pen fustigeait, rue Saint-Do-
minique, ceux qui dans ses rangs
rêvaient d’ententes électorales
avec le Rassemblement pour la
République (RPR) de Jacques Chi-
rac : « On ne s’allie pas avec des for-
ces qui sont en décomposition, on
attend d’en ramasser les débris. »
Vingt-sept ans plus tard, la salle
qui jouxte l’Assemblée nationale
sera témoin de la grossière récu-
pération par le parti d’extrême
droite de l’héritage de la forma-
tion gaulliste. Jordan Bardella,
tête de liste du RN et grand favori
des prochaines élections euro-
péennes, devait y organiser mardi
26 mars ses « états généraux de
l’immigration » en collaboration
avec le « RPR » ; soit une marque
tombée en désuétude et rachetée
en 2022 par le député RN des Bou-
ches-du-Rhône Franck Allisio.
Derrière la coorganisation artifi-
cielle de l’événement – le « RPR »
n’étant à ce jour qu’une coquille
idéologique vide –, le RN se pose
en successeur naturel de l’ancien
parti de droite. Surtout, il prétend
s’inscrire dans les pas d’un événe-
ment organisé les 31 mars et
1er avril 1990 à Villepinte (Seine-
Saint-Denis) par le parti de Jac-
ques Chirac : les « états généraux
de l’opposition ». « Le programme
du RPR dans les années 1990, à
l’époque où le RPR était vraiment
de droite, est aujourd’hui le pro-
gramme du Rassemblement natio-
nal, en tout cas sur la question de la
sécurité et de l’immigration », a af-
firmé Jordan Bardella à l’annonce
de son propre colloque, assurant
que le RN ne faisait que reprendre
les conclusions auxquelles était
parvenu le RPR à l’issue de leurs
états généraux. « Le constat établi
Le patronat divisé sur le compte épargne-temps universel
Les organisations d’employeurs sont en désaccord, alors que devait se tenir, mardi, une nouvelle négociation entre partenaires sociaux
I l y avait déjà des tensions en-
tre organisations de salariés et
d’employeurs. S’y ajoute la
brouille au sein même du patro-
nat. Alors que les partenaires so-
ciaux devaient, à nouveau, se ren-
contrer, mardi 26 mars, dans le ca-
dre de la négociation « pour un
nouveau pacte de la vie au
travail », les représentants des
chefs d’entreprise se chamaillent
sur un thème-clé des discussions :
le compte épargne-temps univer-
sel (CETU). Le Medef et la Confédé-
ration des petites et moyennes en-
treprises (CPME) sont farouche-
ment contre ; l’Union des
entreprises de proximité (U2P),
qui défend les artisans, les
commerçants et les professions li-
bérales, est prête, elle, à conclure
un compromis avec les syndicats
sur ce dispositif, à condition qu’il
n’alourdisse pas la « charge » des
sociétés de petite taille.
Le CETU a pour objet d’accorder
des temps de pause, plus ou
moins longs, dans la carrière des
travailleurs, grâce à des jours de
congé épargnés au fil des années.
Le contenu exact d’une telle
mesure n’est pas arrêté, à ce stade,
en 1990 à Villepinte était musclé,
mais juste, insiste Franck Allisio.
La droite a calé entre-temps, sous
la pression de la technostructure,
de l’Europe et des médias. On va re-
prendre le travail tel qu’il avait été
arrêté, mais pour l’appliquer. »
Sur la forme comme sur le fond,
les états généraux de Jordan Bar-
della risquent pourtant de souf-
frir la comparaison avec leurs
lointains prédécesseurs. Deux pe-
tites tables rondes sont annon-
cées par le RN, consacrées aux
« constats » puis aux « solutions »
face à la « submersion migratoire ».
Le tout introduit par Franck Alli-
sio et conclu par Jordan Bardella,
ayant pour seule ambition
d’égrainer les promesses défen-
dues en la matière depuis des an-
nées par Marine Le Pen. Les orga-
nisateurs eux-mêmes prévoient
qu’aucun ajout programmatique
ne résultera de la réunion.
« Démarche de fond » en 1990
Du côté des intervenants, le parti
devrait se contenter de ses pro-
pres ressources humaines, les
quelques « experts » compris.
Parmi eux : Fabrice Leggeri, an-
cien patron de l’agence euro-
péenne de gardes-côtes et de gar-
des-frontières (Frontex) et nu-
méro 3 sur la liste menée le 9 juin
par Jordan Bardella.
« En 1990, il s’agissait d’une dé-
marche de fond, sur le temps long,
pas d’un one shot [coup unique],
distingue Vincent Le Roux, à l’épo-
que salarié au RPR. Les conclusions
n’étaient pas écrites avant la fin des
débats. » Pendant plus de deux
ans, l’actuel directeur de cabinet
du président du Medef comptait
parmi les permanents du RPR et
de l’Union pour la démocratie
française (l’UDF, alors présidée
par Valéry Giscard d’Estaing) délé-
gués auprès des « états généraux
de l’opposition », une structure ad
hoc créée par l’opposition de
mais il peut, sommairement, être
résumé à une généralisation des
comptes épargne-temps déjà en
place – le plus souvent dans de
grandes entreprises.
« Usine à gaz »
C’est la CFDT qui est la plus allante
pour soutenir le CETU, car il
ressemble à une de ses vieilles
revendications autour de la créa-
tion d’une « banque des temps ». Il
s’agit également d’une promesse
de campagne d’Emmanuel
Macron, que l’exécutif a inscrite
au menu de la négociation « pour
un nouveau pacte de la vie au
travail » – avec d’autres dossiers
(emploi des seniors, prévention de
« l’usure professionnelle », etc.). Le
30 janvier, lors de sa déclaration de
politique générale à l’Assemblée
nationale, le premier ministre,
Gabriel Attal, a exprimé sa volonté
« d’avancer » sur ce chantier, signi-
fiant que l’engagement du prési-
dent de la République sera tenu.
Mais le projet mécontente au
plus haut point le Medef et la
CPME, qui y voient une « usine à
gaz » source de tracas pour les
patrons. Il suscite de l’appréhen-
Jordan Bardella, le président du RN, lors d’un meeting à Marseille, le 3 mars. CYRIL BITTON/DIVERGENCE POUR « LE MONDE »
droite pour établir les bases d’un
programme commun et dirigée
par la centriste Marielle de Sarnez.
Education, justice, sécurité so-
ciale, décentralisation, économie,
ruralité et donc immigration :
deux mois durant, chaque théma-
tique avait fait l’objet de plusieurs
réunions hebdomadaires au siège
de l’association, boulevard Ras-
pail, pour dégager les grandes li-
gnes de convergence à droite.
« Comme si aujourd’hui, des ma-
cronistes aux Républicains, cha-
cun faisait appel à ses connaissan-
ces – politiques, experts, universi-
taires – pour participer à un grand
défrichement intellectuel, par-delà
les sensibilités et les oppositions
parfois très fermes », raconte Phi-
lippe de Ladoucette, proche du li-
béral Alain Madelin, l’un des deux
grands ordonnateurs des états gé-
néraux avec Nicolas Sarkozy.
Le futur président de la Com-
mission de régulation de l’énergie
(de 2006 à 2017) était chargé, avec
quelques autres, de rédiger la syn-
thèse issue des conventions pu-
bliques organisées dans chaque
domaine. « Nous étions d’un côté
dans l’opposition à François Mit-
terrand, de l’autre à tenter de
contenir la montée de Jean-Marie
Le Pen, rappelle-t-il. Alors, forcé-
ment, le ton était parfois exagéré. »
L’U2P considère
qu’une telle
mesure est
de nature
à améliorer
l’« attractivité »
des sociétés
de petite taille
sion dans les grandes entreprises
qui sont dotées de comptes épar-
gne-temps et ont, à ce titre, provi-
sionné de l’argent dans leurs
comptes : « Elles ont peur d’avoir à
reverser cette trésorerie vers l’opé-
rateur qui gérera le CETU », af-
firme Antoine Foucher, président
de la société de conseil Quintet.
L’U2P a une approche différente.
Elle considère, comme l’explique
son président, Michel Picon,
qu’une telle mesure est de nature
à améliorer « l’attractivité » des
sociétés de petite taille : celles-ci
ne sont, à l’heure actuelle, pas en
capacité de proposer des comptes
épargne-temps à leurs personnels
« Fermer les frontières », « renon-
cer à l’automaticité du regroupe-
ment familial », « incompatibilité
entre l’islam et nos lois », « réserver
certaines prestations sociales aux
nationaux » : trente-quatre ans
après, le RN ne manque jamais
une occasion de lister certains
passages de la synthèse consacrée
à l’immigration, et d’intenter le
procès en trahison de la droite à
l’égard de ses précieux électeurs.
« Ce texte et les débats qui l’ont
construit à Villepinte sont ceux qui
ont le plus résisté à l’usure du
temps, en convient Vincent Le
Roux. Mais il est exagéré de le ré-
sumer à la ligne la plus dure qui
s’est exprimée pendant ces deux
jours, portée par Charles Pasqua. »
Programme du RN plus radical
Rares sont désormais les témoins
en mesure de rapporter les échan-
ges de 1990. Parmi la longue liste
d’experts et politiques mention-
nés, Jacques Myard (LR), toujours
maire de Maisons-Laffitte (Yveli-
nes) ne se rappelle plus y avoir
participé ; le journaliste Emile
Malet (toujours rédacteur en chef
de la revue Passages) avoue qu’un
de ses amis politiques s’est
contenté de piocher dans un de
ses ouvrages pour enrichir la syn-
thèse ; Henry de Lesquen (racia-
car « c’est trop complexe à gérer ».
Aux yeux de M. Picon, le CETU
peut être « une bonne solution »,
répondant à des attentes des sala-
riés, si le pilotage du dispositif est
confié à un organisme extérieur
(par exemple à la Caisse des dé-
pôts et consignations).
Scénario inhabituel
La position de l’U2P obéit aussi à
des considérations stratégiques :
depuis environ un an, cette orga-
nisation, dont le poids, au niveau
interprofessionnel, est de 5,24 %
(contre un peu plus de 69 % pour
le Medef et 25,5 % pour la CPME),
« cherche à innover socialement
dans un contexte de réflexion
patronale assez calme », décrypte
M. Foucher. Enfin, M. Picon prend
pour acquis que l’Elysée et le
gouvernement « ne vont pas lâ-
cher », malgré l’hostilité des deux
plus grosses représentations
d’employeurs. Dès lors, il vaut
mieux, selon lui, être force de
proposition plutôt que de laisser
totalement l’initiative à l’exécutif
– avec le risque que celui-ci
élabore une loi contraire aux inté-
rêts des petites entreprises.
Les conclusions
de 1990 sur
l’immigration
sont pourtant
bien plus
nuancées
que celles
revendiquées par
l’extrême droite
liste condamné en 2018 pour
contestation de crime contre l’hu-
manité, et président du Club de
l’Horloge) n’a plus grand souve-
nir de sa contribution et regrette
surtout d’avoir vu ses obsessions
trahies par le quinquennat de la
« crapule Sarkozy ».
La synthèse de trente pages
consacrée à l’immigration révèle
des conclusions bien plus nuan-
cées que celles revendiquées par
l’extrême droite (RN ou Recon-
quête !, d’Eric Zemmour) ou par
une partie de la direction LR (son
président, Eric Ciotti, en tête). Sur
les prestations sociales, le RPR et
l’UDF ont certes ouvert la porte à
une forme de « préférence natio-
nale », comme l’a toujours défen-
Pour toutes ces raisons, l’U2P
plaide aujourd’hui en faveur
d’une autre négociation, entière-
ment consacrée au CETU, si celle
qui est en cours « pour un
nouveau pacte de la vie au travail »
reste muette à ce sujet. Le scéna-
rio envisagé est très inhabituel : il
déboucherait sur des discussions
entre la plus petite organisation
patronale et les syndicats.
Si les protagonistes trouvaient
un compromis, que pourrait-il se
passer ? Première option : deman-
der à l’administration d’« éten-
dre » l’accord, c’est-à-dire de lui
donner une portée générale par le
biais d’un arrêté ministériel. Mais
le Medef, qui est majoritaire (avec
son audience de 69 %), pourrait
faire jouer son droit d’opposition,
si bien que l’accord ne s’applique-
rait qu’aux adhérents de l’U2P.
Deuxième option, qui est celle
dans laquelle se place M. Picon,
avec l’assentiment de plusieurs
syndicats (dont la CFDT) : rédiger
un texte dont le législateur pour-
rait ensuite s’inspirer. « La chose
s’est déjà produite », rappelle
Pierre Burban, secrétaire général
de l’U2P, en faisant allusion
0123
MERCREDI 27 MARS 2024
due le RN, mais le Centre des dé-
mocrates sociaux a maintenu
vouloir « traiter les étrangers à éga-
lité avec les Français dans tous les
domaines de la protection sociale ».
Sur le droit du sol, loin de sa sup-
pression prônée par Jordan Bar-
della et les siens, la droite appelait
à la seule fin de l’automaticité
dans l’acquisition de la nationalité
par les personnes nées sur le terri-
toire français de parents étran-
gers. Même « fin de l’automati-
cité » espérée en 1990 par la droite
en matière de regroupement fa-
milial, quand Marine Le Pen veut
l’encadrer « strictement ».
Jordan Bardella pourra tou-
jours piocher dans la synthèse de
1990 quelques phrases – « La
France ne peut plus être un pays
d’immigration » – pour appuyer
son programme bien plus radical
que celui de la droite de l’époque.
Avec l’espoir d’écrire un chapitre
plus riche pour son parti que lors
de son dernier passage à la
Maison de la chimie : le
21 mars 2023, le président du RN y
avait lancé son Campus Héméra.
Mais son grand œuvre « métapo-
litique », « école théorique, cultu-
relle », est devenu en moins d’un
an une plate-forme numérique
moribonde. p
corentin lesueur
notamment à une « lettre
commune » signée, début 2010,
par quatre organisations de sala-
riés et par l’Union professionnelle
artisanale (ex-U2P), qui avait été
reprise, dix mois après, dans la loi.
Précision importante : la « lettre
commune » en question concer-
nait le dialogue social dans les pe-
tites entreprises. Le CETU, lui, a vo-
cation à toucher l’ensemble des sa-
lariés. Si ce dispositif voyait le jour
dans une version défendue par un
seul mouvement d’employeurs (le
plus petit), cela poserait « des ques-
tions de fond », selon la formule
d’Hubert Mongon, le chef de file
de la délégation du Medef dans la
négociation « pour un nouveau
pacte de la vie au travail ».
Rien n’est encore définitivement
joué. Les pourparlers entre les par-
tenaires sociaux doivent se pour-
suivre jusqu’au 8 avril. M. Picon
espère encore pouvoir convaincre
ses homologues du Medef et de la
CPME. Mais les chances qu’il y par-
vienne paraissent très faibles, ces
deux organisations n’ayant
donné aucun signe d’inflexion de
leur position, pour le moment. p
bertrand bissuel

0123
MERCREDI 27 MARS 2024
Drogue : tensions autour
des opérations « Place nette »
Le doute gagne une partie des policiers, des magistrats et des sénateurs
L
e plan de bataille a été
scotché sur le capot d’une
voiture de police garée
dans une rue de Roubaix
(Nord) aux façades de brique
rouge. Devant un auditoire de gra-
dés et de caméras de télévision, le
ministre de l’intérieur, Gérald Dar-
manin, joue au général de campa-
gne, posté devant cette carte de
l’agglomération lilloise surmon-
tée du titre : « Opération “Place
nette XXL” dans le Nord ». L’ancien
maire de Tourcoing (Nord) est fa-
milier du territoire. L’opération du
jour a commencé quelques heures
plus tôt, lundi 25 mars, dès l’aube,
sur plusieurs points de deal de
Lille, de Roubaix et de Tourcoing.
Le commissaire Thierry Cour-
tecuisse est au rapport. Le direc-
teur interdépartemental de la po-
lice dans le Nord souligne qu’en
cette fin de matinée déjà « 75 % des
objectifs ont été atteints », avec
74 interpellations, une saisie de
500 grammes d’héroïne, de quatre
armes et de 70 000 euros d’avoirs.
L’opération, qui mobilise plus de
900 agents, « a été préparée dans
le plus grand secret pendant plu-
sieurs mois », précise le ministre.
Selon nos informations, les lieux,
les objectifs comme le volume des
interpellations ont été décidés au
sein même du cabinet de M. Dar-
manin, une pratique qui fait tous-
ser dans les parquets locaux, théo-
riquement chargés de conduire
l’action pénale.
Sur la carte posée sur le capot,
des pictogrammes figurent les ob-
jectifs prioritaires. Des silhouettes
de bagnards symbolisent les indi-
vidus à interpeller – ils sont 850
attendus par le ministère, à tra-
vers la France. Des feuilles de can-
nabis vertes localisent les points
de deal à éradiquer ; des maison-
nettes stylisées, les commerces à
contrôler – au total, 59, comme le
numéro du département.
Tests salivaires
Le volet lillois de ces opérations
antistupéfiants, largement mé-
diatisées, ratisse plus large que les
substances illicites. Selon la pré-
fecture et les responsables de la
gendarmerie, elles ont aussi per-
mis de mettre au jour des affaires
de vols de véhicules, de cambrio-
lages, d’incivilités diverses (graffi-
Des actes antisémites en hausse à l’université
Depuis le 7 octobre 2023, 67 actes ont été recensés dans des établissements du supérieur
S ur 82 établissements d’en-
seignement supérieur et de
recherche, 67 actes antisé-
mites ont été relevés depuis l’atta-
que du Hamas en Israël, le 7 octo-
bre 2023. Ils étaient au nombre de
33 au cours de l’année 2022-2023 :
tel est le bilan dressé par
Guillaume Gellé, président de
France Universités, association
rassemblant les présidents d’éta-
blissements, lors d’une table
ronde sur les faits d’antisémitisme
dans l’enseignement supérieur or-
ganisée par la commission des af-
faires culturelles et de l’éducation
de l’Assemblée nationale, lundi.
Au cours de l’année 2022-2023,
« il y a eu 11 saisines de commission
disciplinaire pour des faits d’antisé-
mitisme », et « 6 depuis le 7 octo-
bre », a ajouté Guillaume Gellé.
Quant aux signalements par les
établissements faits aux procu-
reurs de la République au titre de
l’article 40 du code de procédure
pénale pour des faits d’antisémi-
tisme, ils sont au nombre de
4 pour l’année 2022-2023 et de
14 depuis le 7 octobre. « Enfin, cinq
plaintes ont été déposées par des
tis…), ainsi qu’un « trafic d’ani-
maux exotiques » – la découverte
de plusieurs servals. « Une bonne
manière de gonfler artificielle-
ment le bilan de ces opérations »,
ironise un commissaire de police,
« pas hostile à la méthode, à la
condition d’occuper le terrain plus
longtemps, en coordination avec
les élus et les acteurs sociaux ».
Lundi matin, Gérald Darmanin
n’a pas eu à partager l’affiche avec
le ministre de la justice, Eric
Dupond-Moretti, ou Emmanuel
Macron, invité de dernière
minute à Marseille, le 19 mars.
Une façon de reprendre à son
compte ce moment politique des
« places nettes », qui scande aussi
les dernières semaines avant les
élections européennes du 9 juin.
Le ministre de l’intérieur en a pro-
fité pour dévider son argumen-
taire, notamment son intention
de se montrer, grâce à des évolu-
tions législatives, « plus dur avec
les consommateurs », qu’il consi-
dère « souvent issus de la classe
bourgeoise ». En visite à Lyon,
vendredi 22 mars, il avait évoqué
la possibilité d’autoriser les forces
de l’ordre à pratiquer des tests
salivaires sur la voie publique afin
de verbaliser les consommateurs.
Il reste que la multiplication de
ces opérations fait débat au sein
même de la police, entre adeptes
d’une lutte contre le trafic de
drogue concentrée sur les points
de deal, au plus près du terrain, et
partisans du traitement priori-
taire du « haut du spectre », c’est-à-
dire la décapitation des réseaux
grâce à des enquêtes au long cours
visant les narcobarons, qui gèrent
leurs affaires depuis l’étranger.
Ces deux approches sont com-
plémentaires, mais les modestes
résultats engrangés après l’opéra-
A Roubaix,
sur la carte posée
sur le capot, des
pictogrammes
figurent
les objectifs
prioritaires
des policiers
établissements pour des faits d’an-
tisémitisme en 2022-2023, et huit
plaintes l’ont été depuis [l’attaque
du Hamas] », a-t-il précisé.
L’université de Strasbourg est
« la seule à avoir obtenu la
médaille de la Résistance » en 1947,
mais c’est aussi « la seule univer-
sité qui a connu de la violence
physique contre des étudiants juifs
il y a deux mois », a déploré son
président, Michel Deneken.
« Tous les matins, ce [lundi] matin
encore, nous avons à enlever des
tags antisionistes. Il y a aussi des
menaces de mort, poursuit-il.
Mais cette augmentation en
nombre ne met pas à feu et à sang
les amphithéâtres. Il y a à l’univer-
sité la même radicalisation que
dans tous les débats de société. »
« Hors-sol »
Plusieurs députés, de la majorité
et surtout issus des rangs Les
Républicains (LR) et Rassemble-
ment national (RN), ont souligné
leur étonnement devant des chif-
fres à leurs yeux sous-estimés par
des présidents d’établissement,
qui seraient « hors-sol ». « Je suis
tion marseillaise des 18 et 19 mars
– 900 policiers engagés et 22 kilos
de produits stupéfiants saisis – ont
singulièrement contrasté avec les
volumes enregistrés lors d’opéra-
tions bien moins médiatisées, me-
nées la même semaine par des ser-
vices spécialisés. La frappe chirur-
gicale plutôt que le « pilonnage »
des points de deal : le 18 mars, les
douaniers ont appréhendé 2,7 ton-
nes de cocaïne dans le port du Ha-
vre (Seine-Maritime), à l’intérieur
d’un conteneur provenant de
Guadeloupe ; les 21 et 23 mars,
887 kilos de drogue (372 kilogram-
mes de cocaïne et 517 kilogram-
mes de résine de cannabis) ont été
saisis à La Ville-du-Bois (Essonne)
et Vierzon (Cher) dans le cadre de
deux affaires distinctes traitées
par plusieurs brigades de recher-
che et d’intervention et par l’Office
antistupéfiants, comme l’a révélé
le média en ligne Actu17.
« Enquêtes de fond »
« Les opérations “Place nette” qui
mobilisent, de façon ponctuelle,
des moyens considérables de poli-
ciers sur la voie publique ne peu-
vent être suffisantes pour endiguer
le narcotrafic », a réagi, samedi,
l’Association française des magis-
trats instructeurs, selon laquelle
« ces actions doivent nécessaire-
ment s’accompagner d’enquêtes
de fond, de longue haleine, à l’abri
des campagnes médiatiques ».
L’organisation d’opérations
« Place nette » s’est doublée d’une
sourde grogne au sein de la
magistrature, où l’on a peu goûté
le recadrage, d’abord public puis à
huis clos, subi par Isabelle Cou-
derc. Le 5 mars, cette juge d’ins-
truction marseillaise, considérée
comme une spécialiste du narco-
trafic, avait crûment exprimé,
devant la commission d’enquête
sénatoriale sur le narcotrafic, ses
craintes que l’Etat ne soit « en
train de perdre la guerre » engagée
contre le trafic de stupéfiants. En
déplacement à Marseille dans les
pas de Gérald Darmanin, le
19 mars, Eric Dupond-Moretti
avait dénoncé publiquement ces
propos et tancé les juges mar-
seillais, pourtant en première li-
gne, au cours d’une réunion à huis
clos – une « boucherie » ou une
« soufflante », selon des témoins.
interloquée par le constat qui sem-
ble être très éloigné de la réalité
que nous percevons », a indiqué
Constance Le Grip (Renaissance,
Hauts-de-Seine).
« Je suis surprise par la modestie
des chiffres que vous avancez,
quand 91 % des étudiants de
confession juive disent avoir été
victimes d’un acte antisé-
mite [pendant leurs études, selon
un sondage commandé par
l’Union des étudiants juifs de
France publié dans Le Parisien le
28 septembre 2023] », a ajouté An-
nie Genevard (LR, Doubs).
Julien Odoul (RN), député de
l’Yonne, s’est adressé frontale-
ment aux présidents d’univer-
sité. « Les responsables que vous
êtes minimisent les faits, détour-
nent le regard », alors que « l’isla-
mogauchisme gangrène les uni-
versités », a-t-il estimé, en réfé-
rence à l’expression prisée par
l’ancienne ministre de l’ensei-
gnement supérieur, Frédérique
Vidal. « [Quand on est une
université], on n’organise pas de
controverse avec des islamistes, ne
vous en déplaise », a-t-il taclé.
Une version que nie la chancel-
lerie : « C’était un échange prévu
notamment pour remercier et sou-
tenir les magistrats et les acteurs de
terrain, discuter avec eux des pro-
chaines réformes en matière de cri-
minalité organisée », rappelle-t-on
au ministère. Et d’affirmer que « le
ministre a en revanche réprouvé les
allégations de corruption expri-
mées par certains magistrats, car
elles jettent le discrédit sur les cabi-
nets d’instruction, les greffiers, les
policiers, les surveillants pénitenti-
aires et les avocats. La parole des
magistrats est libre, mais celle du
ministre l’est aussi. » La Place Ven-
dôme insiste sur les moyens
alloués à la justice à Marseille
depuis 2017 : 54 magistrats nom-
més, 80 greffiers et 64 contrac-
tuels pérennisés. La juridiction
interrégionale spécialisée dans la
lutte contre le crime organisé voit
aussi ses effectifs augmenter.
Face à l’émotion du corps, le
Conseil supérieur de la magistra-
ture recevra prochainement les
chefs du tribunal de Marseille et
de la cour d’appel d’Aix-en-Pro-
vence (Bouches-du-Rhône). Cet
accroc remet-il en question l’apai-
sement des relations avec le
ministre ? « Cela ne changera pas
la normalisation des relations
avec le ministre », assure Aurélien
Martini, secrétaire général
adjoint de l’Union syndicale des
magistrats (majoritaire). La prési-
dente du Syndicat de la magistra-
ture (gauche), Kim Reuflet, évo-
que en revanche une crainte : que
M. Dupond-Moretti veuille « maî-
triser la parole des magistrats ».
Le rendement des opérations
« Place nette » a été pointé dans
une déclaration de la commis-
sion d’enquête sénatoriale. Alors
que les parlementaires se
rendront, jeudi, à Valence, épicen-
tre d’une série de règlements de
comptes au mois de mai 2023, ils
ont accompagné l’annonce de ce
déplacement d’un communiqué
dénonçant « l’attente de la présen-
tation du nouveau “plan stups”, qui
n’est toujours pas rendu public ». Et
des « doutes sur l’efficacité des
opérations “Place nette” ». p
antoine albertini,
abel mestre
et thomas saintourens
(roubaix, envoyé spécial)
« Il faut arrêter de stigmatiser les
universités, a tranché Guillaume
Gellé. Nous organisons
15 000 conférences chaque année,
et dix tout au plus sont pour la
plupart reportées et non pas annu-
lées. A ces dérapages, nous es-
sayons d’apporter des réponses. »
Surpris également par la tour-
nure prise par l’échange avec les
députés, Michel Deneken s’est
ému de constater que les prési-
dents d’université soient placés
« au banc des accusés ». « C’est un
faux procès, et je n’accepte pas que
vous laissiez entendre que nous
soyons complaisants. Dire cela
nous fragilise. »
Sur le campus strasbourgeois,
lorsqu’un blocage a lieu, « sur
50 personnes, il y en a 35 qui ne
sont pas étudiants, mais qui sont
parfois galvanisés par des gens de
l’extérieur, y compris des dépu-
tés ! », a souligné Michel Deneken,
avant de conclure : « Cessons de
nous cacher derrière notre petit
doigt. Vous nous demandez ce que
nous faisons. Et vous ? Comment
nous aidez-vous ? » p
soazig le nevé
Formation des
enseignants : les pistes
du gouvernement
Le ministère prévoit d’avancer le concours
à la fin de la troisième année de licence
L es écoles normales du
XXIe siècle. Stratégie de for-
mation et de recrutement
des futurs professeurs. » C’est le
titre d’un document de travail du
gouvernement dont le contenu a
fuité, jeudi 21 mars, dans les
cercles éducatifs, en amont
d’arbitrages qui devraient être
annoncés par le président de la
République, Emmanuel Macron,
lui-même. Le document, consulté
par Le Monde, détaille une trans-
formation d’ampleur de la forma-
tion initiale des enseignants, qui
entrerait en vigueur dès 2025.
« C’est un document de travail
qui n’est pas définitif, les arbitrages
ne sont pas rendus », temporise le
ministère de l’éducation natio-
nale, alors que le projet n’a pas été
officiellement présenté aux syn-
dicats, qui dénoncent l’arrêt com-
plet des discussions sur le sujet
depuis le départ de Gabriel Attal
du ministère de l’éducation natio-
nale, début janvier.
Le diaporama ministériel
confirme l’intention énoncée
depuis près d’un an d’avancer les
concours à la fin de la troisième
année de licence pour les futurs
professeurs des écoles (premier
degré) et ceux des collèges et ly-
cées (second degré). Ce projet dé-
juge ainsi la réforme de 2022, dé-
cidée sous le premier quinquen-
nat d’Emmanuel Macron, qui
avait déplacé les épreuves de la fin
de la première année de master à
la fin de la deuxième année.
607 millions d’euros
Le ministère de l’éducation natio-
nale prévoit ensuite une forma-
tion en master sous le statut de la
fonction publique pour les
lauréats, qui seraient rémunérés
1 400 euros net par mois dès la
première année et 1 800 euros net
la seconde. La validation du
diplôme à bac + 5 resterait néces-
saire pour devenir titulaire.
Ce repositionnement du con-
cours s’inscrit dans une refonte
bien plus large de l’architecture
de la formation, symbolisée par la
création d’« écoles normales su-
périeures du professorat » (ENSP)
pour remplacer les instituts na-
tionaux supérieurs du professo-
rat et de l’éducation (Inspé), qui
avaient été instaurés en 2019 – et
dont les représentants n’ont pas
été consultés pour cette nouvelle
réforme. L’enjeu est double pour
le gouvernement, qui cherche à
accroître les viviers de candidats
au concours, dont le nombre s’est
effondré depuis 2022, et à amélio-
rer la formation initiale.
La réforme réviserait largement
la préparation au métier des pro-
fesseurs des écoles, objet de criti-
ques quant à son affaiblissement
depuis la suppression, en 1990,
des écoles normales. Pour les en-
seignants du premier degré, le
ministère souhaite structurer un
parcours qui commencerait après
le bac avec une « licence mention
préparation au professorat des
écoles (LPPE) » alliant l’apprentis-
sage des « savoirs fondamentaux »,
une dimension « didactique et
pédagogique », ainsi que des « sta-
ges de terrain ». Les étudiants de
cette licence, qui constitueraient à
terme 80 % des effectifs du con-
cours, seraient soumis en pre-
ENSEI GNEMENT
SUPÉR I EUR
Jean Bassères
nommé administrateur
provisoire de
Sciences Po Paris
L’ancien directeur général
de Pôle emploi Jean Bassères
est nommé administrateur
provisoire de Sciences Po
france | 11
En master, les
lauréats seraient
rémunérés
1 400 euros net
par mois dès la
première année
et 1 800 euros
net la seconde
mière et deuxième années à des
« tests standardisés » élaborés par
l’éducation nationale, dont la
réussite les dispenserait d’épreu-
ves écrites au concours, sous
réserve d’obtention du diplôme
de licence 3. La LPPE ne serait pas
obligatoire et le ministère prévoit
que 20 % des candidats continue-
ront à passer les concours à l’issue
d’autres licences. Il n’est en revan-
che pas question de concevoir une
formation spécifique avant le
master pour les enseignants de
collège et de lycée. Seuls des « mo-
dules de préparation au concours »
seraient proposés aux étudiants.
Tous les étudiants reçus aux
concours à bac + 3 intégreraient les
masters de l’ENSP pour deux ans.
Une journée et demie serait consa-
crée à un « stage d’observation » la
première année, en parallèle d’en-
seignements disciplinaires et pro-
fessionnels. La deuxième année,
les futurs enseignants auraient la
responsabilité d’une classe la moi-
tié de la semaine. Le coût total de la
réforme est estimé à 607 millions
d’euros entre 2025 et 2027.
La diffusion de ce projet a fait
réagir dans l’enseignement supé-
rieur et parmi les enseignants for-
mateurs, alors que ces nouveaux
changements interviennent deux
ans à peine après la dernière ré-
forme. De nombreuses critiques
s’expriment sur le positionne-
ment du concours à bac + 3 pour le
second degré, auquel s’opposent
des responsables universitaires,
ainsi que le SNES-FSU, premier
syndicat du secondaire. « Recruter
des étudiants après trois années de
licence dont une consacrée à la pré-
paration du concours, ce serait un
recul inquiétant dans la garantie de
la maîtrise disciplinaire des futurs
enseignants », dénonce sa secré-
taire générale, Sophie Vénétitay.
Le principe du déplacement du
concours en fin de licence est
approuvé par la plupart des repré-
sentants syndicaux. Mais plu-
sieurs points de ce projet ministé-
riel suscitent des réserves, car les
incertitudes persistent, de la
nature des épreuves du concours
au contenu de la formation, que le
ministère souhaite copiloter.
Tous les acteurs s’alarment de la
temporalité envisagée par la Rue
de Grenelle, qui prévoit la créa-
tion des « modules de prépara-
tion » dès septembre 2024, un
premier concours « rénové » en
fin de licence en juin 2025, ainsi
que des premières cohortes en
LPPE et ENSP en septembre de la
même année. Un calendrier déjà
jugé « intenable », selon la majo-
rité des représentants syndicaux,
d’autant qu’aucune échéance n’a
été fixée pour la divulgation des
arbitrages définitifs. p
éléa pommiers
Paris à compter du 27 mars
et jusqu’à la nomination
d’un directeur, a annoncé le
ministère de l’enseignement
supérieur, mardi. Cette
nomination fait suite
à la démission de Mathias
Vicherat, renvoyé devant
la justice dans un dossier
de violences conjugales.
12 | france 0123
MERCREDI 27 MARS 2024

ANTITERRORISME

Des soldats
patrouillent dans
le cadre du plan
Vigipirate, à Paris,
lundi 25 mars.
CHRISTOPHE PETIT TESSON
/ EPA/MAXPPP

Une menace terroriste multiforme

Après l’attentat de Moscou, le dispositif Vigipirate a été relevé à son niveau maximal « urgence attentat »

L’
onde de choc de semble-t-il, dans cet attentat, avait établissements scolaires et des d’Idlib, qui échappe encore à ce
l’attentat du ven- conduit ces derniers mois plu- CÉLINE BERTHON, lieux de culte ainsi que dans les jour au contrôle du gouverne- LES CHIFFRES
dredi 22 mars à
Moscou, revendi-
sieurs tentatives sur notre propre
sol », a expliqué le chef de l’Etat,
DIRECTRICE GÉNÉRALE transports et à proximité des ins-
titutions. Des patrouilles supplé-
ment syrien, s’appelle en réalité
Farrukh Fayzimatov.
qué par l’organisa- sans dévoiler lesquelles. « Compte DE LA SÉCURITÉ mentaires de la force « Sentinelle » Russophone comme Anzorov,
74
tion Etat islamique tenu de ses ramifications et de ses sont programmées, ainsi que des il avait diffusé avant l’attentat
(EI), a été vivement ressentie dans intentions, par mesure de précau- INTÉRIEURE, DÉCRIT fouilles de sacs ou des filtrages. une vidéo appelant à frapper la C’est le nombre de projets d’at-
l’Hexagone. Dimanche s’est ainsi tion, mais avec des éléments crédi- Le risque terroriste qui vise la France, qu’il jugeait coupable tentat déjoués en France depuis
tenu à l’Elysée un conseil de dé- bles et solides », il a été « décidé de NOTAMMENT France est multiforme. Début d’avoir caricaturé le prophète 2015, dont deux depuis le début
fense spécialement consacré à la hausser la posture de Vigipirate ». « DES PROFILS ASSEZ mars, Céline Berthon, directrice Mahomet, et a été le destinataire de l’année 2024
menace terroriste, dans un con- générale de la sécurité intérieure du premier message envoyé par
texte tendu par la tenue des Jeux 4 000 militaires en plus JEUNES, SOUVENT (DGSI), décrivait, devant la com- le terroriste tchétchène après la
olympiques dans quatre mois et A Paris, Gabriel Attal a voulu mission des lois du Sénat, une décapitation de Samuel Paty. 12
la multiplication des menaces illustrer la mobilisation des for- TRÈS ACTIFS EN LIGNE » menace terroriste « à la hausse Anzorov lui avait adressé le mes- Ils sont 12 mineurs à avoir été
contre des établissements scolai- ces de sécurité en effectuant une depuis maintenant un peu plus sage audio suivant : « J’ai déca- mis en examen dans des
res. Dans la foulée de cette réu- visite à la gare Saint-Lazare. « La d’un an », par « des profils malheu- pité le prof, là je vais faire le dji- procédures de terrorisme
nion, le premier ministre, Gabriel menace terroriste islamiste est face à l’islamisme », a assuré Ga- reusement expérimentés » avec had en France », ainsi qu’une djihadiste en 2023
Attal, a annoncé : « Compte tenu réelle, elle est forte » et « elle n’a briel Attal, affirmant que 45 pro- une « logique de redynamisation photo. Le Tadjik lui avait ré-
de la revendication de l’attentat jamais faibli », y a déclaré le pre- jets d’attentats avaient été dé- de la mouvance endogène, carac- pondu par des félicitations et
par l’Etat islamique et des mena- mier ministre. « Notre mobilisa- joués depuis 2017 – et 74 depuis térisée par des profils assez jeunes, une formule religieuse. 390
ces qui pèsent sur notre pays, nous tion est évidemment totale pour y 2015 –, dont deux depuis le début souvent très actifs en ligne ». La menace de l’EI-K est d’autant La France compte 390 détenus
avons décidé de rehausser la pos- faire face », « nous agissons par- de l’année 2024. plus inquiétante qu’en raison de condamnés pour faits de
ture Vigipirate à son niveau le plus tout pour l’asphyxier », avec le dé- Selon le Parquet national anti- Compenser leur frustration liens historiques et linguisti- terrorisme
élevé : urgence attentat. » ploiement de « moyens excep- terroriste (PNAT), le premier at- La menace concerne aussi bien de ques, ses membres peuvent faci-
L’exécutif est resté sur une to- tionnels partout sur le territoire », tentat déjoué remonte au 10 jan- très jeunes adolescents en quête lement gagner la Turquie, qui
nalité alarmante tout au long de a-t-il ajouté. vier, avec l’interpellation d’un d’ultraviolence et autoradicalisés forme un sas vers l’Europe. Mais, 80
la journée de lundi. Depuis la A la suite du relèvement du dis- homme de 22 ans. Celui-ci a été sur Internet que des individus de plus que la « menace projetée », Environ 80 condamnés pour
Guyane, où il est arrivé lundi positif Vigipirate à son niveau mis en examen pour « associa- la mouvance djihadiste regret- comme c’était le cas du com- terrorisme djihadiste sortent
matin, Emmanuel Macron, a maximal, « 4 000 militaires sup- tion de malfaiteurs terroriste en tant de ne pas avoir pu partir en mando des attentats du 13 no- chaque année de prison
confirmé que, selon les « infor- plémentaires » sont placés « en vue de préparer des crimes d’at- Syrie ou en Irak au temps du vembre 2015, les services de ren-
mations » dont « disposent » alerte » en plus des 3 000 déjà dé- teinte aux personnes », et placé pseudo- « califat » de l’EI (2014- seignement craignent la « me-
les services de renseignement, ployés dans le cadre de l’opéra- en détention provisoire. Il proje- 2018) et qui cherchent une ma- nace inspirée », téléguidée depuis 30 %
« c’est une entité de l’Etat islami- tion « Sentinelle », a annoncé le tait de commettre une action vio- nière de compenser leur frustra- des zones de combat. C’est la part des sortants
que qui a fomenté cet attentat et chef du gouvernement. « Notre lente contre une boîte de nuit ou tion par la violence. Elle peut Récemment, le préfet de police de prison qui font l’objet
l’a mis à exécution ». lutte contre le terrorisme ne se à l’encontre de la communauté émaner de condamnés pour ter- de Paris, Laurent Nunez, a expli- d’une surveillance judiciaire
L’EI au Khorassan (EI-K) – actif paye pas de mots. Elle est très con- LGBT ou de la communauté juive. rorisme sortant de prison, qui se citement évoqué l’EI-K comme prononcée par la juridiction
en Afghanistan, au Pakistan et en crète et notre main ne tremblera Le second attentat déjoué, le chiffrent par dizaines chaque an- l’un des groupes susceptibles de l’application des peines
Asie centrale –, « qui est impliqué, jamais face au terrorisme, jamais 5 mars, concernait un projet née. Elle peut, enfin, venir de per- de nourrir des « intentions » hos-
d’« action violente contre un édi- sonnes repérées depuis des ré- tiles à l’endroit de la France. Non
fice religieux catholique » par un gions du monde où l’EI est encore seulement pendant les JO, mais 5 300
Les pays du nord de l’Europe homme « manifestement acquis à actif, voire en pleine expansion, aussi avant, ce qui en maximise- Quelque 5 300 personnes sont
l’idéologie djihadiste », a-t-on in- comme c’est le cas dans la zone rait les effets avec des annula- suivies dans le fichier de traite-
sont aussi en état d’alerte diqué de même source. Le djiha- afghane et d’Asie centrale, d’une tions de visiteurs à la clé et une ment des signalements pour
Alors que la Suède avait déjà relevé son niveau d’alerte diste présumé, âgé de 62 ans, a, part, ou au Sahel, d’autre part. remise en cause de la cérémonie la prévention de la radicalisation
terroriste l’été dernier, Stockholm est particulièrement inquiète lui aussi, été mis en examen et Ces individus, ciblés par des re- d’ouverture du 26 juillet, qui doit à caractère terroriste
sur la tenue du concours de l’Eurovision, qui doit avoir lieu du placé en détention provisoire le cruteurs en ligne, sont fortement mobiliser 45 000 membres des
7 au 11 mai à Malmö, en présence d’une délégation israélienne. 8 mars pour « association de mal- incités à passer à l’acte. C’était forces de sécurité intérieure et
Deux suspects, accusés de préparer un attentat contre le faiteurs en vue de préparer des déjà le cas d’Abdoullakh Anzorov, dont la jauge a été quasiment
Parlement suédois, ont été arrêtés la semaine dernière en crimes d’atteinte aux person- l’assassin du professeur Samuel divisée par deux, à 326 000 per-
Allemagne. Le Danemark a décidé de maintenir son alerte au nes », selon le PNAT. Paty en octobre 2020, qui avait sonnes. Le ministre de l’inté-
niveau 4 − sur une échelle de 5 −, alors que les services de ren- L’« urgence attentat » est le troi- conversé en ligne avec un acti- rieur, Gérald Darmanin, a prévu
seignement ont constaté, la semaine dernière, que la menace sième échelon du plan Vigipirate. viste tadjik se faisant passer une réunion jeudi 28 mars avec
avait encore augmenté. Enfin, la Norvège a annoncé que ses Il permet la mise en œuvre de pour un journaliste sympathi- la DGSI et les services concernés
policiers, habituellement désarmés, seraient armés durant le 300 « mesures exceptionnelles sant de la cause djihadiste sous le pour dresser un état de la me-
week-end de Pâques en raison des risques d’attaques contre contraignantes », dont le renfor- pseudonyme de Faruq Shami : ce nace en cours. p
des lieux de culte chrétiens. cement de la sécurité autour des dernier, installé dans l’enclave christophe ayad

0123
MERCREDI 27 MARS 2024
Procès de l’attentat de Strasbourg :
le déni du principal accusé
Audrey Mondjehi s’est enferré dans ses contradictions devant la cour
A
u terme de deux jours
d’un interrogatoire
éprouvant, Audrey
Mondjehi s’est rassis
dans son box passablement
groggy, lundi 25 mars. Les magis-
trats qui composent la cour
d’assises spéciale de Paris étaient
presque aussi sonnés que lui.
Assommé de questions, ce co-
losse ivoirien de 42 ans au physi-
que de boxeur n’avait qu’un coup
dans sa palette technique : l’es-
quive. Une stratégie de défense
éreintante qui ne lui a pas permis
de marquer beaucoup de points.
Principal accusé du procès de
l’attentat du marché de Noël de
Strasbourg, Audrey Mondjehi est
jugé pour avoir aidé un ami de
quartier, Chérif Chekatt, à se
procurer l’arme avec laquelle ce
dernier a assassiné cinq pas-
sants, le 11 décembre 2018, dans
la capitale alsacienne. Des quatre
accusés, il est le seul à avoir fré-
quenté le tueur, ce qui lui vaut
d’être jugé pour « association de
malfaiteurs terroriste » et « com-
plicité d’assassinats terroristes ».
La ligne de défense de ce
rappeur amateur et délinquant
confirmé, élevé dans la religion
protestante, était donc claire : se
tenir le plus à distance possible
de Chérif Chekatt, qu’il préfère
appeler « ce monstre » ou « cette
merde », pour éloigner les soup-
çons. Une tâche dont il s’est
acquitté fort maladroitement, se
tenant un peu trop à distance de
la vraisemblance. Trop occupé à
s’enferrer dans ses dénégations, il
a parfois semblé ne pas compren-
dre les questions de la cour et a
méticuleusement raté les perches
que lui tendaient ses avocats.
Il est établi qu’Audrey Mondjehi
a rencontré Chérif Chekatt en
prison, en 2007. C’est d’ailleurs
l’un des rares points qu’il ne
conteste pas. La deuxième fois,
dit-il, c’était à Strasbourg, le
18 septembre 2018 : « Il est venu
me chercher dans mon quartier
pour me dire qu’il cherchait des
armes. » Dans ses premières dé-
clarations en garde à vue, Audrey
Mondjehi avait pourtant déclaré
avoir recroisé le terroriste bien
avant cette date, en 2015 ou 2016.
L’éducation nationale mise sous pression
En quelques jours, 130 collèges et lycées ont été touchés par des piratages
D epuis jeudi 21 mars, les
établissements scolaires
font face à une vague de
piratages des environnements
numériques de travail (ENT), ces
services destinés à faire le lien
entre les élèves, les enseignants et
les familles. Ces derniers jours,
130 collèges et lycées en Ile-de-
France, dans les Hauts-de-France
et dans le Grand-Est ont reçu par
ce biais des menaces d’attentats,
selon le ministère de l’éducation
nationale. Huit cents alertes à la
bombe ont par ailleurs été recen-
sées à l’automne 2023, d’autres
ayant été reçues depuis.
Les mots d’ordre ne sont pas
univoques. En Ile-de-France, les
menaces reçues par les établisse-
ments franciliens ont suivi, jeudi,
le mode opératoire des attentats
islamistes, avec l’envoi d’une
vidéo de décapitation. Dans des
établissements alsaciens, lundi
25 mars, un message signé « La-
FranceDavant » exprime la vo-
lonté « d’exterminer toutes les per-
sonnes arabes et musulmans pré-
L’accusé ne voit qu’une explica-
tion à cette contradiction : les
policiers ont menti. « Ils ont dû
rajouter, c’est pas vrai. Je sais quand
même ce que je dis ! », s’indigne-t-il.
« Il n’y a pas 36 000 vérités, mon-
sieur Mondjehi. On sait ce que
vous avez dit en garde à vue, donc
réfléchissez bien à vos réponses… »,
l’encourage la présidente, Corinne
Goetzmann.
« Je m’ennuyais »
La question suivante, ou plutôt les
réponses alambiquées de Mond-
jehi, offre un condensé de l’impos-
sible dialogue qu’a été cet interro-
gatoire : « Est-ce que vous connais-
sez des membres de la famille
Chekatt ?, s’enquiert la présidente.
– Non, aucun. Y avait son frère
Malek qui était dans le même foyer
que moi…
– Vous n’en connaissez aucun ou
vous connaissez Malek ?
– Je ne connaissais aucun mem-
bre de sa famille, mais je connais-
sais Malek…
– Peut-être que c’est votre façon
de vous exprimer, de dire une
chose et son contraire, s’exaspère
la magistrate, qui commence à
comprendre qu’il va lui falloir
s’armer de patience. Et vous l’avez
revu après le foyer ?
– Je ne l’ai jamais revu. La seule
fois où je l’ai revu c’était quand il a
repris mon appartement…
– Donc vous l’avez revu… »
Dès les premières questions,
l’accusé boit la tasse. La noyade
va se poursuivre au moment
d’aborder le cœur du dossier, les
éléments constitutifs des infrac-
tions qui lui sont reprochées : la
ENTRE LE
18 SEPTEMBRE 2018
ET L’ATTENTAT,
LES ENQUÊTEURS
ONT RELEVÉ
347 OCCURRENCES
TÉLÉPHONIQUES ENTRE
LE TERRORISTE ET LUI
sents » dans les lycées. Ailleurs,
des alertes à la bombe sont lan-
cées sans revendication précise.
Un protocole rodé est déployé
pour répondre à ces incidents.
Ainsi, dans l’académie de Stras-
bourg, ce lundi, les 29 établisse-
ments concernés ont été évacués
et inspectés par les forces de
l’ordre pour lever le doute avant
de rouvrir quelques heures plus
tard, déclare le rectorat. Dans celle
de Lille, les forces de l’ordre ont sé-
curisé les abords des établisse-
ments concernés, lundi matin, et
les équipes mobiles de sécurité
du rectorat ont été mobilisées.
Les ENT sont par ailleurs suspen-
dus, parfois plusieurs jours, le
temps de traiter les situations et
de lancer une réinitialisation des
comptes d’accès. Une plainte est
systématiquement déposée.
Même si les équipes éducatives
prennent ces menaces avec beau-
coup de circonspection, les actes
malveillants participent à la
propagation d’« un climat anxio-
gène » dans les établissements
nature de sa relation avec Chérif
Chekatt et les raisons pour les-
quelles il lui a fourni un pistolet.
Entre le 18 septembre 2018,
quand Chérif Chekatt a demandé à
Audrey Mondjehi de lui trouver
une arme, et l’attentat du 11 dé-
cembre 2018, trois mois plus tard,
les enquêteurs ont relevé 347 oc-
currences téléphoniques entre
les deux hommes. « On s’appelait
tous les jours, reconnaît l’accusé. Je
m’ennuyais, on parlait de tout et de
rien, les choses de la vie. C’était pour
pas rester dans ma routine quoti-
dienne à tourner dans le vide…
– Mais vous parliez de quoi ?
– De rien de spécial…
– D’accord, vous ne parlez de
rien… Et pourquoi vous acceptez
de fournir une arme à cet homme
avec qui vous ne parlez de rien et
qui a fait de la prison ?
– J’étais con, j’ai voulu rendre
service, je croyais que c’était pour
un braquage. Si j’aurais su…
– Vous attendiez un bénéfice
financier ?
– Pas du tout ! Je me sentais seul.
C’était pour me rendre utile…
– Vous pensez que fournir une
arme, c’est se rendre utile ?, s’étran-
gle la présidente. Bon, et pourquoi
commettez-vous cette infraction
alors que vous n’en attendez
aucun bénéfice ? J’avoue que ça
dépasse mon entendement…
– Je me sentais seul, je voulais
traîner avec lui, répète-t-il.
– Vous commettez des infrac-
tions par ennui, si je comprends
bien… Donc pour vous, procurer
une arme à quelqu’un, c’est quel-
que chose de normal, vous ne le
faites même pas parce que vous
avez besoin d’argent ?, s’étonne la
magistrate, les yeux ronds
comme des billes.
– Oui c’est ça. Il m’a juste dit
qu’il cherchait une arme…
– Et vous ne posez pas de
question ?
– Non. »
Audrey Mondjehi a-t-il parlé de
religion ou de djihad avec Chérif
Chekatt ? On ne le saura pas. A-t-il
pu, à tout le moins, se rendre
compte que son compagnon de
vide était radicalisé ? Il jure que
non. « Donc, le 11 décembre [2018],
quand vous apprenez qu’un atten-
scolaires, juge Sophie Vénétitay,
secrétaire générale du SNES-FSU.
« On sait bien que ces actes sont le
plus souvent le fruit de jeunes
geeks un peu désœuvrés, mais les
personnels ne peuvent pas s’empê-
cher de penser que l’école, devenue
une cible, fait l’objet de tentatives
de déstabilisation », remarque la
syndicaliste. Chaque enseignant a
en mémoire les assassinats terro-
ristes des enseignants Samuel
Paty, en octobre 2020, et Domini-
que Bernard, en octobre 2023.
Logiciels malveillants
« Mon établissement n’a pas été
touché mais j’ai tout de même
envoyé un message ce lundi matin
pour rappeler les procédures et
rassurer l’ensemble des élèves et
de leurs familles après avoir reçu
quelques messages de parents
inquiets », rapporte ainsi un
proviseur lillois qui souhaite
rester anonyme.
Un audit sur la sécurité des envi-
ronnements numériques de
travail doit être lancé, a annoncé,
tat est en cours, à aucun moment
vous ne pensez à Chérif Chekatt ? »,
s’enquiert la magistrate. Le piège
est évident, l’accusé saute à pieds
joints dedans : « A aucun moment,
madame !
– Le problème, c’est que ce n’est
pas exactement ce que vous avez
dit quand vous êtes arrivé au com-
missariat, le 13 décembre…
– Qu’est-ce que j’ai dit ?
– Vous avez déclaré qu’en appre-
nant que quelqu’un était en train
de tirer dans les rues de Strasbourg,
vous vous étiez dit : “J’espère que ce
n’est pas ce fou de Chérif…”
– Les policiers ont pu décaler mes
propos ! »
« Il m’a pris pour un con »
Un autre épisode laisse entendre
que l’accusé aurait pu, avec un
minimum de réflexion, se douter
des intentions du terroriste. Peu
de temps avant l’attentat, Audrey
Mondjehi s’était pris le bec avec
Chérif Chekatt à propos d’une
histoire d’argent. Le terroriste
l’avait alors menacé en ces
termes : « J’ai pas peur de toi, tu
seras le prochain sur ma liste, tu
me verras sur BFM-TV. »
« Le fait qu’il cherche une arme et
vous dise qu’il va passer sur BFM,
ça ne vous inquiète pas plus que
ça ?, lui demande la présidente.
– Mais, madame, je suis pas
rentré dans ces détails !
– Ce n’est pas un détail, se déses-
père la magistrate.
L’accusé est dans les cordes, il
fatigue, s’emporte : « Je sais plus
quoi dire, je suis fatigué avec cette
merde, ça fait cinq ans qu’on me
fait tourner en pantin, faites ce que
vous voulez, faites-moi condam-
ner… J’ai rien à voir avec lui, à part
que je me suis berné pour lui four-
nir une arme… »
Un de ses avocats, Harold Ba-
taille, conscient du naufrage,
tente alors de retourner cette si-
tuation en avantage : « Ne pensez-
vous pas que dans cette histoire,
excusez-moi du terme, mais vous
avez servi d’idiot utile à Chérif
Chekatt ?
– Idiot, je ne sais pas, c’est un peu
blessant… En tout cas, il m’a pris
pour un con. » p
soren seelow
vendredi 22 mars, la ministre de
l’éducation, Nicole Belloubet. A ce
stade, il n’a néanmoins pas été
relevé d’intrusions par « exploita-
tion de failles » ou de « vulnérabi-
lité de la sécurité des systèmes
d’information », fait savoir, lundi,
le ministère de l’éducation. Selon
les premières enquêtes, les usur-
pations de comptes sont liées à
des logiciels malveillants déro-
beurs de mots de passe. « L’hypo-
thèse la plus probable est consti-
tuée par la publication sur Internet
de nouvelles bases de données
d’identifiants volés, qui contien-
nent, entre autres, des identifiants
d’accès à des ENT, affirme la Rue
de Grenelle. Dans une moindre
mesure, une partie des identifiants
volés peut aussi être issue de
campagnes d’hameçonnage. »
Ces piratages alimentent
malgré tout les craintes : « C’est à
l’Etat, et non aux collectivités, de
prendre la main sur ces ENT pour
assurer la même protection par-
tout », estime Sophie Vénétitay. p
sylvie lecherbonnier
Devant sa hiérarchie,
Achilli admet son rôle
dans le livre de Bardella
Le journaliste de Franceinfo a reconnu
avoir donné des « avis » sur le manuscrit
U n journaliste peut-il
collaborer secrètement à
un livre politique pour
le chef d’un parti en campagne,
sans le signaler à ses auditeurs, en
particulier lorsqu’il travaille pour
une émission du service public ?
Le directeur de Franceinfo, Jean-
Philippe Baille, a reçu, lundi
25 mars, le journaliste Jean-Fran-
çois Achilli, suspendu depuis dix
jours de l’antenne à titre conser-
vatoire, en attendant un entretien
préalable à une éventuelle procé-
dure disciplinaire, prévu le 2 avril.
Il s’agissait de rappeler les règles
de Radio France, envoyées aux sa-
lariés jeudi 21 mars, selon lesquel-
les, entre autres, « toute collabora-
tion extérieure, dès qu’elle est envi-
sagée, doit faire l’objet d’une infor-
mation à la hiérarchie et de son
autorisation expresse et préala-
ble ». Le non-respect de ces règles
« peut constituer une faute profes-
sionnelle », a averti la direction de
Radio France. Lundi, Jean-François
Achilli a réfuté l’idée d’un conflit
d’intérêts ou d’une connivence
avec Jordan Bardella et son parti,
le Rassemblement national (RN).
Quelques jours plus tôt, le cas
du journaliste s’invite à l’Assem-
blée nationale. « Un intervieweur
éditorialiste reconnu a été écarté
de l’antenne de Franceinfo pour
des liens, mais des liens supposés,
avec Jordan Bardella », tonne, le
20 mars, Philippe Ballard, député
(RN) de l’Oise, lors des questions
d’actualité au gouvernement, en
interpellant la ministre de la
culture, Rachida Dati. Journaliste
« reconnu », car Jean-François
Achilli interviewe, tous les jours à
18 h 20 sur Franceinfo, un respon-
sable politique. Le député RN dé-
nonce un « deux poids, deux me-
sures » en mentionnant la situa-
tion de la journaliste Léa Salamé,
qui n’a pourtant jamais caché son
lien privé avec Raphaël Glucks-
mann, tête de liste du Parti socia-
liste aux élections européennes
du 9 juin, et se retirera de l’an-
tenne de France Inter début avril.
Dans l’Hémicycle, le député cite
des livres de journalistes ayant
« collaboré avec des personnalités
politiques : Alain Duhamel, Edwy
Plenel, Claude Askolovitch », sans
préciser que ces noms figurent,
justement, sur les couvertures,
accompagnés de contrats en
bonne et due forme. Or, rappelle
la ministre au député, les règles à
Radio France sont « très strictes »
depuis juin 2023. « En amont de
toute collaboration, même, à la
limite de toute discussion, pour
éviter tout conflit d’intérêts,
rappelle Rachida Dati à propos du
cas Achilli, il suffisait qu’il informe
sa direction pour dire s’il y avait
une collaboration envisagée. Ça
n’a pas été le cas, puisque Radio
France l’a appris par la presse. »
Le 13 mars, Le Monde écrit que
Jean-François Achilli a collaboré de
très près, et jusqu’à fin février au
moins, au manuscrit de Jordan
Bardella. Un projet qui fait depuis
de longs mois l’objet de toutes les
curiosités, d’abord parce que le lea-
der d’extrême droite souhaite pu-
blier dans une « grande maison »,
traitement refusé à ses prédéces-
seurs du Front national ; ensuite
Le leader
d’extrême
droite souhaite
publier dans
une « grande
maison »,
un traitement
refusé à ses
prédécesseurs
france | 13
Plus d’une
quinzaine
de chapitres
du livre sont
déjà rédigés
parce que le candidat Bardella, à la
veille des européennes, fait la
course en tête dans les sondages ;
enfin parce que l’auteur distille
depuis plus d’un an à la presse des
confidences sur cet ouvrage en
partie autobiographique.
Le manuscrit, dont seule une
grosse moitié est achevée, s’inti-
tule Jordan, avec pour sous-titre
« venu d’ailleurs, devenu d’ici »,
formule que le jeune homme, né
à Drancy (Seine-Saint-Denis), a
d’ailleurs glissée, le 22 mars, dans
un entretien à Franceinfo, et dans
la foulée sur TikTok. Jordan est
écrit à la première personne. Plus
d’une quinzaine de chapitres,
comme le récit des ascendances
italiennes de sa mère ou sa jeu-
nesse en Seine-Saint-Denis, sont
déjà rédigés. Manquent encore les
sept derniers, plus politiques,
pour boucler le livre, indique Lise
Boëll lorsqu’elle présente, début
mars, le projet secret au « top
management » de Hachette.
Editrice historique d’Eric Zem-
mour, Lise Boëll vient d’arriver
à la tête de Mazarine, petite mai-
son du groupe tout juste racheté
par Vincent Bolloré. Aucun con-
trat n’a encore été signé, comme
l’a d’emblée écrit Le Monde – une
pratique au demeurant connue
dans ce milieu, où un projet peut
être lancé voire achevé sans
signature. L’ouvrage a pris du
retard et l’hypothèse qu’il soit
abouti avant les élections euro-
péennes, le 9 juin, n’est pas nulle,
mais faible, prévient encore Lise
Boëll à la direction d’Hachette,
même si tout le monde travaille
d’arrache-pied, notamment, dans
l’ombre, Jean-François Achilli.
Elément de langage
Convoqué par les directeur et
directeur de la rédaction de
Franceinfo, Jean-Philippe Baille et
Philippe Rey, le 14 mars, Jean-Fran-
çois Achilli leur a livré une version
qui va plus loin que ce qu’il a dit au
Monde. Et qui diffère, aussi. Selon
Achilli, le président du RN l’a
contacté avant l’été 2023 pour
l’aider à écrire un livre à la pre-
mière personne, quand lui envisa-
geait un livre d’entretien où, dit-il à
ses supérieurs, il aurait pu prendre
davantage de distance. Bardella a
persisté et Achilli convient devant
sa hiérarchie que, relancé par le
candidat, il a continué à échanger
avec lui, rapporte un cadre de Ra-
dio France. Le journaliste a rencon-
tré l’éditrice Lise Boëll. Il nie tou-
jours avoir travaillé le texte, mais
reconnaît, ce 14 mars, l’avoir lu, fait
des « retours » et émis des « avis ».
Publiquement, en revanche,
Jean-François Achilli a continué à
démentir toute collaboration.
« Pas de livre, pas de contrat, pas de
rémunération », tel est l’élément
de langage décliné sur les télépho-
nes de « dircom », spin doctors,
journalistes, producteurs, grands
patrons, élus. Plusieurs politiques
ont volé à son secours tandis que,
sur Europe 1, CNews, LCI, des édi-
torialistes ont repris cette version,
expliquant qu’il n’y a « pas de
livre », ou que « la faute profession-
nelle du journaliste serait d’avoir
parlé avec Bardella ». L’article du
Monde ne s’est pas engagé sur ce
terrain : il s’intéressait à la « capa-
cité » du leader du RN à « séduire le
milieu politico-médiatique fran-
çais » et à « faire sauter les digues »,
sujet à l’évidence ultra-brûlant. p
ariane chemin
 ÉCONOMIE & ENTREPRISE
14 |
Casino tourne la page de l’ère Naouri
Mercredi, l’homme d’affaires ne sera plus ni actionnaire majoritaire ni PDG du groupe de distribution
PORTRAIT
C’
est une figure histo-
rique du capitalisme
français qui se retire
par la petite porte.
Mercredi 27 mars, Jean-Charles
Naouri, 75 ans, ne sera plus ni le
propriétaire du Groupe Casino, ni
son PDG. D’aucuns refusent en-
core d’y croire, persuadés qu’un
ultime rebondissement reste
possible, que l’illusionniste va ex-
traire un lapin de son chariot,
comme tant de fois par le passé…
Les autres retiennent leur souffle,
mais pas leurs reproches.
« La fin était inéluctable pour un
édifice qui était devenu, au fil des
ans, de la dentelle de Calais.
Même si c’est l’accumulation des
crises – “gilets jaunes”, pandémie,
hausse des taux d’intérêt, infla-
tion – qui a provoqué la chute.
L’écran de fumée qui masquait les
difficultés était bien épais, mais, de
l’intérieur, cela se voyait mieux »,
souligne un ex-membre de l’état-
major de Casino qui a requis
l’anonymat, comme la douzaine
d’anciens dirigeants interrogés
par Le Monde : car, même vaincu,
M. Naouri fait encore peur…
Mercredi, au terme d’une vaste
restructuration financière, le con-
sortium mené par l’homme d’af-
faires tchèque Daniel Kretinsky,
associé à Marc Ladreit de Lachar-
rière, le fondateur de Fimalac, et
au fonds de dette britannique At-
testor, récupérera 52 % du capital
de Casino, en échange d’un apport
de 925 millions d’euros. Par un ef-
fet de dilution massive, Rallye – la
maison mère de Casino contrôlée
par M. Naouri – verra sa part ra-
menée à 0,1 %. « Le Mozart de la fi-
nance est devenu le moineau de la
finance », ironise avec amertume,
dans une vidéo publiée sur X, un
représentant de la CGT de Mono-
prix. « Et c’est nous ses salariés
qui devons payer ses dettes », alors
qu’un plan social est attendu.
Le groupe, désormais quasi ré-
duit à ses enseignes françaises
comme Monoprix, Franprix, Pe-
tit Casino, Vival ou encore Cdis-
count, employait quelque
44 000 salariés à la fin de 2023,
avant la cession de ses hypermar-
chés et supermarchés en France,
qui a encore rétréci l’effectif hexa-
gonal à 28 200 personnes. A la fin
de l’année 2015, au faîte de sa puis-
sance, l’empire bâti par le « Napo-
léon des gondoles » s’étendait du
Vietnam au Brésil, recensant plus
de 325 000 collaborateurs.
Holdings en cascade
Parti de peu, l’inspecteur des fi-
nances, ancien directeur du cabi-
net de Pierre Bérégovoy au minis-
tère de l’économie et des finances
(1984-1986), avait pu compter sur
son cerveau et son réseau pour
croître à coups d’acquisitions.
Afin de financer ces opérations
sans perdre le contrôle majori-
taire de son groupe, il s’était ins-
piré du modèle des holdings en
cascade – baptisé « poulies breton-
nes » par Vincent Bolloré – per-
mettant d’empiler investisseurs
minoritaires et dettes. Cet endet-
tement a fini par causer la perte
de M. Naouri, mais non sans un
douloureux combat.
Quand, en décembre 2015, le spé-
culateur américain Carson Block,
fondateur du fonds activiste
Muddy Waters, a, de New York,
souligné les faiblesses financières
de Casino, M. Naouri y a vu la main
de ses ennemis. A tort ou à raison,
mais qu’importe, le mal était fait.
Les marchés financiers sont deve-
nus suspicieux, et, au lieu d’en ti-
rer les conséquences, en élaguant
au maximum sa dette, il s’est en-
têté dans cette obsession d’un
complot. Aujourd’hui, tout le
monde s’interroge. Pourquoi le
tacticien génial n’a-t-il pas cédé
plus vite ses activités en Amérique
latine ? Pourquoi n’a-t-il pas ac-
0123
MERCREDI 27 MARS 2024
L’ancien
inspecteur
des finances a pu
compter sur
son cerveau et
son réseau pour
croître à coups
d’acquisitions
cepté une fusion comme celle étu- Jean-Charles
diée en 2018 avec Carrefour ? Naouri,
Selon les dires des compagnons alors PDG
de la première heure, M. Naouri du Groupe
(« une intelligence brute, excep- Casino,
tionnelle, parfois butée, qui subju- lors des
gue ») a toujours été un homme résultats
torturé, à vif, doutant de tous, sur- annuels de
tout de lui-même. Mais l’épisode l’entreprise
Muddy Waters l’a isolé davantage, pour 2011,
rendu encore plus méfiant. Ce à Paris, en
qui, dans une organisation mana- février 2012.
gériale « très descendante », s’est PASCAL SITTLER/REA
révélé tragique. « M. Naouri ne
faisait pas confiance. Lui seul sa-
vait. S’il avait décidé blanc, c’était
blanc », explique un ancien diri-
geant. « Il s’était formé une cour où
des conseillers murmuraient à
l’oreille du roi. Vous pouviez briller
au firmament un jour et vous re-
trouver le lendemain à la cave.
C’était un système efficace, mais
terriblement dangereux. »
Rue de l’Université, dans le 7e ar-
rondissement de Paris, où a long-
temps officié l’état-major de Ca-
sino, le cérémonial était bien
rodé. Le cinquième étage était ré-
servé au PDG, qui disposait d’un
ascenseur personnel. Il y faisait
venir ses collaborateurs, rares
étant ceux qui avaient accès au
saint des saints. « Il recevait dans
une petite salle de réunion, annexe
à son bureau. Il y avait un système
de double porte afin que vous ne
croisiez jamais la personne que
Jean-Charles avait reçue avant »,
relate un de ces visiteurs.
Comment cet homme mutique,
quasi enfermé volontaire, a pu
anticiper avec brio les change-
ments d’habitudes des consom-
mateurs reste un mystère. Avant
les autres, il a prédit la fin des hy-
permarchés pour miser sur la
proximité, insistant sur le rôle es-
sentiel du commerce dans le
maintien du lien social au cœur
des villes. Très tôt, le « prophète
des supérettes » a annoncé que la
consommation alimentaire allait
se polariser entre d’un côté les en-
seignes dites « premium » et de ciens ont rejoint Carrefour, à son tour la « fragilité » financière
l’autre les discounters. Le pre- comme Stéphane Maquaire, Em-
Comme tous de Casino. Rapports d’enquête sur LES DATES
mier, encore, il a eu l’idée d’instal- manuel Grenier, Tina Schuler. Cé- les grands fauves la famille Baud, fondatrice de
ler des panneaux solaires sur la cile Guillou dirige Picard. Régis Franprix et de Leader Price, rédi-
toiture des entrepôts ou des data Schultz pilote JD Sports, une sorte
du capitalisme, gés par la société d’intelligence
centers à côté de ses magasins, de Decathlon britannique. Diane M. Naouri a pu économique de l’ancien policier 1949
permettant aussi de les chauffer. Coliche a rejoint le comex d’Eden- Hervé Séveno – un proche du sul- Naissance à Bône (aujourd’hui
Sauf que le poids écrasant de la red. Certains, néanmoins, sont
broyer ceux fureux intermédiaire Alexandre Annaba), une ville portuaire du
dette a transformé le projet vi- partis brisés mentalement. « Vous qui ne savaient Djouhri – trouvés dans les ordina- nord-est de l’Algérie.
sionnaire en cauchemar. Avec la me stressez tellement que je ne teurs de Casino, à l’occasion de la
flambée de l’inflation en 2021, les bande plus », a même lâché un
pas lui résister bataille judiciaire ayant opposé
Monoprix, Franprix ou Géant se grognard, en remettant sa démis- M. Naouri aux Baud. A noter que, 1982
sont retrouvés pris à revers et sans sion au « boss ». en mars 2020, le Parquet national Directeur de cabinet de Pierre
marge de manœuvre avec leurs route pour certaines conversa- financier avait ouvert une en- Bérégovoy au ministère des af-
politiques tarifaires élevées, face Micros, cambriolages… tions », témoigne un troisième, quête préliminaire concernant faires sociales et de la solidarité
aux Leclerc ou Intermarché qui Comme tous les grands fauves du encore traumatisé, qui ajoute : les liens d’affaires entre M. Naouri nationale, puis de l’économie,
ont réduit leurs prix pour gagner capitalisme, M. Naouri a broyé « Cela vous pollue la vie. On ne sait et Nicolas Miguet, condamné des finances et du budget.
des parts de marché. « A partir du ceux qui ne savaient pas lui résis- pas jusqu’où ça va, si on est écouté à plusieurs reprises pour « mani-
début de l’année 2022, c’est devenu ter. « Le pire, c’était ce poison toxi- dans sa chambre à coucher. J’étais pulation de cours ».
intenable. Pour atteindre les objec- que, distillé tous les jours, un arse- même allé jusqu’à prendre un troi- Pas de quoi décourager l’esta- 1987
tifs de cash-flow qu’on nous fixait nal de peur fantasmée ou réelle, sième téléphone en plus de celui du blishment, qui en a vu d’autres. Associé gérant de la banque
tous les mois, on devait payer les une mise en compétition malsaine travail et du perso. » Pour neutraliser les oppositions, Rothschild & Co et création de la
fournisseurs en retard, réduire les qui transformait les bons soldats Poubelles fouillées, micros po- Casino avait pour habitude d’en- société d’investissement Euris.
effectifs », raconte un ancien ca- en collabos », dénonce un ex-Ca- sés, tentatives de cambriolage, les tretenir grassement une armada
dre. « Il fallait faire des économies sino. « C’est un groupe où les gens traces d’officines peu scrupuleu- d’agences de communication –
partout, geler les investissements. avaient peur. Peur d’être suivi, d’être ses abondent dès que Casino est dont chacune émarge autour de 1991
C’est ce qui m’a décidé à démission- surveillé, d’être écouté, abonde un impliqué dans un dossier, même 20 000 euros par mois –, de ban- Rachat, via Euris, du distributeur
ner », explique un autre. autre, cela m’a changé, je suis de- si le distributeur a toujours dé- ques d’affaires, Rothschild en tête, breton Rallye, qu’il apporte au
En trente ans, M. Naouri a usé venu extrêmement méfiant. » menti recourir à des pratiques illi- de cabinets d’avocats prêts à dé- Groupe Casino, dont il devient
quantité d’officiers généraux, « Je n’ai pas la preuve, mais j’étais cites. Lettre de menaces envoyée à gainer des contentieux. M. Naouri le premier actionnaire en 1992.
partis de leur plein gré ou virés persuadé d’être sur écoute, car cer- une analyste financière, connue a fait gagner beaucoup d’argent à
manu militari. Pas toujours des tains sujets dont je discutais au té- pour sa vision critique du distri- son entourage. Lui-même voulait
victimes. Ceux qui acceptaient de léphone revenaient comme par buteur. Expert en intelligence devenir riche, « plus riche que Vin- 2005
travailler chez Casino connais- hasard dans les réunions suivan- économique se faisant passer cent Bolloré », selon un ancien Président directeur général
saient la réputation d’ogre du pa- tes. J’avais fait un test en parlant pour un journaliste du Wall Street compagnon de route, considérant du groupe Casino.
tron, contrebalancée par des ré- d’un dossier “pipeau”, et, comme Journal afin d’interroger Carson que les millions seraient le mètre
munérations généreuses. Et puis, par hasard, il a été évoqué à la réu- Block. Détective privé en planque étalon de son génie. p
la carte de visite était bien valori- nion suivante. Alors j’avais acheté devant les bureaux de l’avocate isabelle chaperon
sée à la sortie. Beaucoup d’an- des brouilleurs que je mettais en Sophie Vermeille, qui avait pointé et cécile prudhomme

0123
MERCREDI 27 MARS 2024
Atos se donne
quatre mois
pour se sauver
Le groupe informatique ouvre une
procédure de conciliation avec ses
prêteurs afin de réduire sa dette
C’
est l’étape logique
pour tenter de régler
le surendettement
qui le menace. Sous
mandat ad hoc, depuis le 5 février,
Atos a annoncé, mardi 26 mars,
l’ouverture d’une procédure amia-
ble de conciliation afin de réduire
les 4,6 milliards d’euros de dette
brute. La procédure est prévue
pour durer quatre mois et pourrait
être prolongée d’un mois. Hélène
Bourbouloux, l’administratrice ju-
diciaire « star », qui a travaillé sur
les dossiers les plus emblémati-
ques de ces dernières années
(Casino, Orpea…), mènera les dis-
cussions, avec la participation du
comité interministériel de restruc-
turation industriel, le service du
ministère chargé des difficultés
des entreprises les plus lourdes.
« Cette procédure a pour objectif
de favoriser l’émergence d’un ac-
cord global sur la restructuration
de la dette financière avec les
créanciers bancaires et obligatai-
res. La conciliation concerne uni-
quement l’endettement financier
et n’aura pas d’impact sur les four-
nisseurs, les employés, la gouver-
nance de la société ou sur les autres
créanciers ou de ses filiales », pré-
cise Atos, dans un communiqué.
« Les paramètres du cadre de refi-
nancement » seront présentés au
cours de la semaine du 8 avril avec
« l’objectif d’obtenir un accord glo-
bal sur la structure de capital d’ici
à juillet 2024 ». Les banques dé-
tiennent un peu plus de 2 mil-
liards d’euros de créances et les
Deux sociétés condamnées pour un
accident sur le chantier du métro de Rennes
En 2015, Bertrand Le Goff, un maçon qualifié de 43 ans, avait perdu sa jambe gauche
rennes - envoyée spéciale
I l y a la loi, les plans de sécurité,
les consignes. Et il y a le quoti-
dien d’un chantier d’enver-
gure, a rappelé l’audience du tribu-
nal correctionnel de Rennes, lundi
25 mars, éclairant un accident sur-
venu il y a huit ans sur le chantier
du métro de la ville. « Huit ans et
trois mois », corrige Bertrand Le
Goff, partie civile, pour souligner
combien chaque jour lui coûte
sans sa jambe gauche.
En cette fin 2015, la station Sain-
te-Anne n’est encore qu’une exca-
vation à ciel ouvert profonde de
22 mètres. Un chantier exception-
nel par le nombre d’entreprises
qui y interviennent en « coacti-
vité ». La situation nécessite un
phasage précis, qui détermine qui
travaille où et quand.
Dans la fosse ou « fond de
fouilles », l’entreprise Guintoli (fi-
liale de NGE) arase la roche avec
une pelleteuse équipée d’une
énorme fraise rotative « avec cro-
chets, comme une mâchoire », pré-
cise le président du tribunal.
Botte Fondations (filiale de
Vinci) intervient ensuite pour
projeter du béton sur des « voi-
les », les parois de la future sta-
tion. Elle emploie Bertrand Le
Goff, un maçon qualifié de 43 ans,
père de trois enfants, en intérim
depuis cinq jours, à la prise de
cote. Ce 30 novembre, il prévient
son chef qu’il manque 20 centi-
obligataires, 2,4 milliards d’euros.
Le défi de la conciliation sera, no-
tamment, d’aligner le point de
vue de ces deux classes de créan-
ciers pour répartir l’effort finan-
cier qui leur sera demandé.
Argent frais
Le groupe d’informatique, dont la
perte nette pour 2023 atteint
3,44 milliards d’euros, assure
avoir suffisamment de liquidités
pour tenir jusqu’à cette échéance
estivale, mais il lui faut aller vite.
Du fait de ces inquiétudes finan-
cières, « certaines décisions sont
retardées par nos clients », a re-
connu Paul Saleh, le directeur gé-
néral d’Atos, lors d’une confé-
rence organisée le 26 mars, même
si le groupe dit n’avoir perdu
qu’un seul de ses plus grands con-
trats ces derniers mois. Quant
aux Jeux olympiques de Paris
2024, pour lesquels Atos est le
partenaire informatique, « aucun
souci », a assuré son directeur gé-
néral. Selon lui, la phase de tests
s’est bien déroulée et les « opéra-
tions sont très bien avancées ».
David Layani, le fondateur de la
société de conseil dans le numéri-
que Onepoint, devenu, fin 2023, le
premier actionnaire d’Atos, avec
11,4 % du capital, n’a pas attendu
l’ouverture de la conciliation
pour se placer. « Onepoint est prêt
à investir et à organiser la recapi-
talisation de l’entreprise », a lancé
M. Layani, le 24 mars, dans un en-
tretien au Figaro, sans préciser le
montant qu’il serait prêt à enga-
mètres de terrassement sur le
voile n° 7. Au mépris du phasage,
la pelleteuse de Guintoli est rap-
pelée sur la zone.
Bertrand Le Goff s’en éloigne en
se déportant le long d’un mur per-
pendiculaire, sur un talus. Le sol se
dérobe sous ses pieds et la fraise
lui happe la jambe. Il faudra deux
heures pour l’extraire, sept heures
de chirurgie pour le sauver, suivies
de mois de douleurs et d’une nou-
velle opération deux ans après.
Une « situation dégradée »
Renvoyées devant la justice pour
blessures involontaires par per-
sonne morale et par manquement
délibéré à une obligation particu-
lière de prudence ou de sécurité
avec incapacité de travail supé-
rieure à trois mois, les deux entre-
prises plaident la relaxe. Revendi-
quant des taux de sinistralité sous
la moyenne du BTP, elles affirment
avoir appréhendé les risques dans
leurs plans particuliers de sécu-
rité et de protection de la santé.
« Je ne comprends pas pourquoi
la fraise est sortie de sa zone d’évo-
lution », s’étonne à la barre le re-
présentant de Botte Fondations,
selon qui une barrière sur le talus
était inutile, car « ça ne sert qu’à si-
gnaler le danger, or M. Le Goff en
avait connaissance ». « Elle serait
tombée avec lui », renchérit le re-
présentant de Guintoli.
Les deux hommes mandatés ne
sont cependant sûrs de rien : ce ne
Dans les bureaux d’Atos, à Madrid, le 24 avril 2023. PIERRE-PHILIPPE MARCOU/AFP
ger à titre personnel, alors que
son groupe est dix fois plus petit
qu’Atos. L’entrepreneur a déjà
commencé à discuter avec des dé-
tenteurs de dette obligataire afin
d’élaborer avec eux un plan mê-
lant une réduction de la dette et
un apport d’argent frais. Des con-
tacts ont été pris avec d’autres in-
vestisseurs potentiels.
Cette prise de parole n’a pas été
du goût de la direction du groupe,
« Aucun souci »
pour les JO,
assure le
directeur général
d’Atos, partenaire
informatique
de Paris 2024
sont pas ceux qui encadraient le
projet. « Après l’accident, on a ra-
jouté un aide-fraiseur pour guider
la pelleteuse. Aurait-on dû le faire
avant ? Il ne me semble pas, car il y
avait des consignes », plaidera la
défense de Guintoli.
Mais un document pèse lourd :
le compte rendu d’une visite de
chantier effectuée douze jours
avant l’accident par le coordon-
nateur de sécurité. Il constate à
Sainte-Anne une « situation dé-
gradée » à cause « d’une co-acti-
vité importante en fond de
fouilles », des « risques de heurts
importants » : douze hommes co-
habitent avec sept engins de ter-
rassement et de forage.
Il demande des mesures « dans
un délai immédiat » et ajoute : « Le
retard des travaux ne doit en aucun
cas justifier cette prise de risque. »
Le président du tribunal inter-
roge : « Le chantier avait repris en
septembre et devait s’achever en dé-
cembre. Est-ce réaliste de combler
six mois de retard en trois mois ? »
« Il n’y avait aucune pression, af-
firme l’avocate de Botte Fonda-
tions. C’est un marché public,
l’ajournement avait été géré con-
tractuellement ». « Cinquante-deux
semaines de retard », a pourtant re-
levé l’inspectrice du travail sur des
comptes rendus de réunion.
Le débat s’enlise quand Bertrand
Le Goff projette tout le monde en
fond de fouilles : « Il fait 2 °C. C’est
bruyant, poussiéreux. Tout est un
économie & entreprise | 15
et surtout de son président, Jean-
Pierre Mustier. Pourtant adminis-
trateur d’Atos depuis février,
David Layani n’avait pas pris le
soin d’avertir le conseil d’adminis-
tration. « Ces propos n’engagent
pas la société et son conseil d’admi-
nistration », a affirmé Atos dans
un communiqué le 25 mars.
Sollicité par Le Monde, le minis-
tère de l’économie n’a pas réagi
aux propos de M. Layani, qui se
présente comme « la seule solu-
tion souveraine ». Le 19 mars,
Bercy avait révélé son intention
de « construire dans les prochaines
semaines une solution nationale
de protection des activités straté-
giques » du groupe d’informati-
que, celles logées essentiellement
dans la division Big Data and Se-
curity. Bruno Le Maire a long-
temps poussé pour qu’Airbus ra-
chète cette activité. Mais, après de
longues négociations, l’avion-
peu chaotique, comme sur la Lune
voyez, c’est ça la fosse. Et à côté de
vous, y’a une pelle de 44 tonnes et
une fraiseuse d’une tonne sept. On
ne rigole pas avec ça. ».
« Quelles ont été les conséquen-
ces de l’accident ? », demande le
président. « Dramatiques… Le
choc post-traumatique, la dépres-
sion, le couple qui éclate… Et pen-
dant tout ce temps, je n’ai reçu
aucun soutien de ces gens-là [il dé-
signe les prévenus]. Ah si, un pa-
nier garni ! Une bouteille de pif et
une boîte de pâté ! », s’indigne-t-il.
« Un accident du travail, c’est
l’écart entre le travail prescrit et le
travail réel, explique la procu-
reure. La plupart des mesures
étaient écrites dans les procédures.
Pourquoi n’ont-elles pas été mises
en place ? » Pas d’arrosage pour ré-
duire la poussière et gagner en vi-
sibilité, pas de balisage, pas de res-
pect du phasage ni de la hiérar-
chie des prises de décision, liste-t-
elle. La sécurité « ne peut pas être à
la seule diligence du salarié. Au
contraire, c’est à l’employeur de
veiller à sa sécurité constante. »
Les deux sociétés ont été recon-
nues coupables : Guintoli a été
condamnée à 90 000 euros
d’amende, Botte Fondations à
150 000 euros et 12 500 euros sup-
plémentaires pour avoir fait tra-
vailler ce matin-là quatre salariés
en insécurité. Elles se réservent le
droit de faire appel. p
aline leclerc
neur a subitement renoncé, la se-
maine dernière, aggravant un peu
plus la situation d’Atos.
« Solution nationale »
Le ministre de l’économie n’a pas
précisé les contours de cette « solu-
tion nationale » envisagée, mais
Bercy assure qu’il « utilisera tous
les moyens à sa disposition pour
garantir la protection des activités
stratégiques ». Le 25 mars, sur BFM
Business, Nicolas Dufourcq, le di-
recteur général de la banque publi-
que d’investissement Bpifrance, a
déclaré que si un acheteur majori-
taire de la partie stratégique de
l’entreprise « souhaitait avoir Bpi-
france en minoritaire, on regarde-
rait. Mais la BPI ne peut être majori-
taire, ça voudrait dire que l’on na-
tionalise. Ce n’est même pas dans
notre statut, dans notre mandat ».
En plus du plan de David Layani,
Paul Saleh a précisé, le 26 mars,
PERTES & PROFITS | RICHESSE
pa r ph il ippe e sca n de
Revers de fortune
entre Chinois et Indiens
Les milliardaires, c’est la passion
de Rupert Hoogewerf. Ancien
consultant chez Arthur Ander-
sen, ce Luxembourgeois de
53 ans a posé ses valises à Shan-
ghaï pour fonder, en 1999, la so-
ciété portant son nom chinois,
Hu Run. En vingt ans, son classe-
ment des milliardaires de la pla-
nète est devenu une référence.
A elle seule, l’aventure de cet
immigré chinois raconte le bas-
culement de ce début de siècle,
qu’il illustre en chiffres, ceux des
ultrariches. Son classement 2023,
fondé sur la valeur de leur patri-
moine arrêtée au 15 janvier 2024,
démontre encore la puissance de
son pays d’adoption, car la Chine
compte le plus grand nombre de
milliardaires (814) dans le
monde, devant les Etats-Unis
(800). Une planète de l’argent
qui grossit, puisque Hurun dé-
nombre 3 279 milliardaires
autour du globe (+ 5 % en un an),
et leur patrimoine, évalué à
15 000 milliards de dollars (envi-
ron 13 855 milliards d’euros), a
crû dans le même temps de 9 %.
Mais Rupert Hoogewerf devra
peut-être déménager pour suivre
ses milliards. Par exemple à
Mumbai, la capitale du business
indien. Car la grande nouveauté
n’est pas l’essor de la Chine, mais
son déclin. Elle a perdu 155 mil-
liardaires et, en deux ans, 40 %
des membres de sa liste en sont
sortis, même si de nouveaux ar-
que « d’autres solutions se présen-
teront ». Thales ? Même s’il cher-
che à grossir dans la cybersécu-
rité, le groupe de défense a répété
qu’il ne voulait pas racheter Atos.
Dassault ? Son principal intérêt
porterait sur les supercalcula-
teurs du groupe, mais cela n’offri-
rait pas une solution globale.
Daniel Kretinsky ? Après six
mois de négociations, l’homme
d’affaires tchèque a renoncé, le
28 février, à acheter Tech Founda-
tions, la division d’infogérance
d’Atos, dont le directeur général,
Nourdine Bihmane, vient de dé-
missionner. Rien n’empêche
M. Kretinsky de revenir dans le
dossier. Le milliardaire, qui a orga-
nisé la restructuration de Casino,
connaît bien Hélène Bourbouloux
et il est vu par les banques françai-
ses, très impliquées chez Atos,
comme une solution crédible. p
olivier pinaud
rivants (120 au cours de l’année
écoulée) ont partiellement com-
pensé cette chute.
Mumbai est devenu la ville
d’Asie hébergeant le plus de mil-
liardaires (92), coiffant Pékin au
poteau. La chute de l’immobilier
chinois, les difficultés de ses pro-
ducteurs de panneaux solaires
ou le marasme de sa Bourse con-
trastent avec la croissance toni-
truante de l’Inde (+ 7,5 % en 2023).
Essor de l’intelligence artificielle
Avec ses 115 milliards de dollars,
l’Indien Mukesh Ambani est
l’homme le plus riche d’Asie,
même s’il n’est que dixième
mondial, loin derrière Elon Musk
(231 milliards de dollars) et Ber-
nard Arnault (175 milliards de dol-
lars). Les Américains ont notam-
ment été propulsés par l’essor de
l’intelligence artificielle et le re-
tour en forme des stars du Web.
La roue de la fortune tourne
donc toujours, mais il y a une
constante : cette concentration
des dollars au sommet n’irrigue
guère ce qui se trouve en des-
sous. En Chine, les foyers aisés
ont vu leur patrimoine ébranlé
par la crise immobilière, et en
Inde, les 1 % les plus fortunés
concentrent dorénavant 40 %
de la richesse totale nationale.
Le plus haut niveau d’inégalité
jamais enregistré dans le pays de-
puis que les relevés existent. Le
miracle indien est très sélectif. p
16 | économie & entreprise
L’Union européenne enquête
sur Apple, Meta et Alphabet
La Commission européenne soupçonne des géants du numérique
d’infractions aux nouvelles règles du Digital Markets Act
bruxelles - bureau européen
M
aintenir la pres-
sion. Alors que les
géants du numéri-
que avaient jus-
qu’au 7 mars pour se mettre en
conformité avec le nouveau règle-
ment européen sur les marchés
du numérique – le Digital Mar-
kets Act (DMA) –, la Commission
veut marquer les esprits. Lundi
25 mars, elle a lancé cinq procédu-
res contre Apple, Alphabet et
Meta, qu’elle soupçonne de ne
pas avoir tiré toutes les consé-
quences des nouvelles règles.
Avant de se doter du DMA, la
Commission n’était pas restée
inactive face à ces groupes hyper-
puissants, aux pratiques peu
concurrentielles, mais sans que
les amendes qu’elle leur a infli-
gées, parfois en milliards d’euros,
aient permis de changer la donne.
« Le DMA est en place depuis dix-
huit jours et nous pouvons déjà ob-
server plus de changements chez
les Big Tech qu’en dix ans », affirme
aujourd’hui Thierry Breton. Mais
« nous ne sommes pas convaincus
qu’Alphabet, Apple et Meta respec-
tent leurs obligations », poursuit
le commissaire au marché inté-
rieur. A moins de trois mois des
élections européennes, prévues
du 6 au 9 juin, il veut aussi mon-
trer aux citoyens une Europe
concrète, qui travaille pour eux.
Le lancement de ces enquêtes
dans des délais aussi rapides « ris-
que de confirmer les craintes de
l’industrie que le processus soit po-
litisé », juge la Computer & Com-
munications Industry Associa-
tion. Le lobby de la tech dénonce
la « précipitation » de l’exécutif
communautaire, qu’il soupçonne
Le PDG de Boeing, Dave Calhoun, quitte
l’entreprise, qui remanie sa direction
L’avionneur est dans la tourmente depuis l’accident du vol 1282 d’Alaska Airlines, le 5 janvier
new york - correspondant
I l aura fallu moins de trois
mois après le très grave
accident du Boeing
737 MAX 9 d’Alaska Airlines, qui
avait perdu une porte en plein vol
le 5 janvier, pour que le patron de
Boeing se retire. Dave Calhoun,
le PDG de l’avionneur américain,
a annoncé, dans la matinée du
lundi 25 mars, son départ de l’en-
treprise à la fin de 2024. Cette an-
nonce s’accompagne d’un rema-
niement profond de l’équipe de
direction. Stan Deal, responsable
de la branche aviation commer-
ciale, quitte immédiatement la
société et se voit remplacé par
Stephanie Pope, qui avait été
nommée en début d’année cheffe
des opérations.
« Comme vous le savez tous, l’ac-
cident du vol 1282 d’Alaska Airlines
a été un moment décisif pour
Boeing », déclare M. Calhoun dans
une lettre adressée lundi aux em-
ployés. « Nous devons continuer à
réagir à cet accident avec humilité
et une transparence totale. Nous
devons également faire preuve
d’un engagement total en faveur
de la sécurité et de la qualité à tous
les niveaux de notre entreprise. »
Le président du conseil d’admi-
nistration, Larry Kellner, ne verra
pas son mandat renouvelé à la
prochaine assemblée générale.
Le conseil a choisi Steve Mollen-
kopf, ancien patron de Qual-
A moins
de trois mois des
européennes, la
Commission veut
aussi montrer
aux citoyens une
Europe concrète
« de se précipiter dans des enquêtes
sans savoir sur quoi [il] enquête ».
« Ce n’est pas de la précipitation,
cela est tout à fait opportun », ré-
torque Margrethe Vestager, la
commissaire à la concurrence.
Ces enquêtes, poursuit la Da-
noise, sont, en revanche, « emblé-
matiques » du DMA, qui a pour
objectif de faciliter l’innovation
en Europe tout en y assurant une
concurrence saine à même de
faire baisser les prix et d’offrir le
choix aux consommateurs.
Alphabet et Apple sont soup-
çonnés de limiter, dans leur ma-
gasin d’applications – Google Play
pour le premier, App Store pour le
second –, « la capacité des déve-
loppeurs à communiquer et pro-
mouvoir librement leurs offres et
à conclure directement des con-
trats » avec les utilisateurs finaux,
« notamment en imposant divers
frais ». Autre grief fait à la firme à
la pomme : elle ne respecterait
pas l’obligation d’offrir le moyen
de désinstaller facilement les ap-
plications – « comme Photos »,
précise Margrethe Vestager – ou
le navigateur (Safari) qui figurent
par défaut sur les écrans de ses
utilisateurs. Alphabet, pour sa
part, est suspecté de privilégier
ses propres services (Google
comm, pour prendre la relève.
C’est à lui qu’il appartiendra de
trouver un successeur à Dave Cal-
houn. Boeing espérait se redres-
ser en 2024, après les deux acci-
dents de 737 MAX 8 survenus
en octobre 2018 (Lion Air en In-
donésie, 189 morts) et mars 2019
(Ethiopian Airlines, 157 morts) en
raison d’un système de stabilisa-
tion en vol défaillant.
Défiance
Dave Calhoun, ancien de General
Electric, avait d’ailleurs été
nommé après ces catastrophes,
début 2020, pour redresser l’en-
treprise et redorer, à Washington,
le blason d’un groupe très dépen-
dant des commandes publiques
militaires. L’accident de jan-
vier 2024 l’a fait replonger au plus
bas. Boeing fait l’objet d’une dou-
ble enquête civile de la Federal
Aviation Administration (FAA) et
du FBI, lequel a écrit aux passa-
gers d’Alaska Airlines qu’ils
avaient peut-être été victimes
d’une infraction pénale. Pis en-
core, l’accord conclu après les ca-
tastrophes de 2018 et 2019, qui
avait mis Boeing à l’épreuve après
une amende de 2,5 milliards de
dollars (2,3 milliards d’euros),
pourrait être dénoncé par la jus-
tice américaine.
Les patrons des principales
compagnies américaines avaient
demandé à rencontrer le conseil
de surveillance du groupe, signe
Shopping, Google Flights ou Goo-
gle Hotels) quand une recherche
est opérée dans son moteur de re-
cherche. Enfin, Meta, en propo-
sant un service payant à ceux qui,
sur Instagram ou Facebook, veu-
lent échapper à la publicité ciblée,
contreviendrait aux règles du
DMA. En clair, s’ils souhaitent
conserver un service gratuit, ils
n’ont d’autre choix que de livrer
leurs données personnelles. « Il
devrait y avoir une alternative gra-
tuite », insiste Thierry Breton.
Ce n’est qu’un début, prévient
la Commission. Elle travaille à
deux autres cas, qui pourraient,
d’ici peu, prévient-elle, justifier
l’ouverture d’une enquête. Le pre-
mier concerne Amazon et son
système de référencement qui fa-
voriserait ses marques. Le second
concerne le nouveau système de
tarification d’Apple, qui limiterait
considérablement le télécharge-
ment d’applications sur d’autres
magasins en ligne que l’App Store.
Test majeur
S’estimant en conformité avec le
DMA, Apple, Alphabet, Meta et
Amazon ont affirmé lundi qu’ils
poursuivraient leur dialogue avec
Bruxelles. La Commission espère
conclure ces cinq procédures dans
un délai de douze mois. « Cela
pourrait arriver plus vite », affirme
Thierry Breton. Le DMA prévoit
des amendes pouvant aller jus-
qu’à 10 % – voire 20 % en cas de ré-
cidive – du chiffre d’affaires mon-
dial et, en dernier extrême, bran-
dit la menace du démantèlement.
Il n’y a pas que sur le DMA que
l’Union européenne veut aller
vite, espérant, avec ces premiers
cas emblématiques, crédibiliser
la nouvelle législation. Elle a fait
de défiance, alors que celles-ci su-
bissent par ricochet une crise de
confiance et doivent réduire leurs
plans de vol, faute d’appareils dis-
ponibles. Ces pressions ont con-
duit le conseil a accéléré le mou-
vement et à décider d’un rema-
niement complet, même si
M. Calhoun, âgé de 66 ans, a as-
suré à la chaîne CNBC que la déci-
sion de démissionner était « à
100 % » la sienne.
Les premiers résultats des inves-
tigations sont accablants pour
l’avionneur américain. Il s’est
avéré que la porte-bouchon de
l’avion, livrée en septembre
2023 par une ancienne filiale, Spi-
rit AeroSystems, avait été enlevée
par des techniciens de Boeing, qui
voulaient réparer des rivets, et
qu’ils avaient oublié de remettre
les boulons servant à la fixer.
Globalement, le processus qua-
lité de Boeing se révèle catastro-
phique. Sur quatre-vingt-neuf
audits menés par la FAA pour tes-
ter ses procédures industrielles,
l’entreprise a failli trente-trois fois.
Globalement,
le processus
qualité
du groupe de
Seattle se révèle
catastrophique
le même raisonnement avec le
Digital Services Act (DSA), qui,
depuis août 2023, encadre les ser-
vices numériques, en imposant
à dix-neuf plates-formes de plus
de 45 millions d’utilisateurs des
obligations de moyens et de
transparence sur leur politique
de lutte contre les contenus pro-
blématiques.
Dès le 18 décembre 2023, la Com-
mission ouvrait une première
« enquête formelle » contre le ré-
seau social X, en raison de man-
quements présumés aux règles
communautaires en matière de
modération de contenus. En ces
temps de guerre en Ukraine et de
campagne pour les européennes,
ce contentieux fait figure de test
majeur pour le règlement. A Paris,
d’ailleurs, l’Elysée suit l’affaire
avec attention et aimerait qu’elle
débouche avant que les Français
ne soient appelés aux urnes pour
choisir leurs eurodéputés.
Le 14 mars, l’exécutif commu-
nautaire annonçait l’ouverture
d’une deuxième enquête for-
melle, dans le cadre du DSA : il
soupçonne le site de vente en li-
gne chinois AliExpress de vendre
de faux médicaments et de faux
compléments alimentaires, met-
tant ainsi en danger la santé de
ses clients. Comme X, AliExpress
risque une amende allant jusqu’à
6 % de son chiffre d’affaires mon-
dial et une interdiction tempo-
raire de son activité. « Nous som-
mes un marché de 450 millions
de consommateurs, l’un des plus
grands au monde, une fois et demi
supérieur au marché américain.
Tout le monde veut y être et nous
sommes ouverts, mais à nos condi-
tions », rappelle Thierry Breton. p
virginie malingre
Spirit AeroSystems est aussi vi-
sée. Etablie dans les plaines du
Kansas, à Wichita, cette entreprise
qui fabrique le fuselage des avions
est un faux nez de Boeing. Elle lui
appartenait jusqu’en 2005, date à
laquelle elle a été introduite en
Bourse. L’objectif était de ne pas
octroyer aux ouvriers du Kansas,
Etat rural au coût de la vie bon
marché, les mêmes augmenta-
tions que dans la région de Seattle,
berceau historique de Boeing, où
le coût de la vie est prohibitif.
Les audits de Spirit AeroSystems
ont mis au jour de multiples dé-
faillances de qualité. Sur
treize conduits par la FAA, sept se
sont soldés par un échec, selon les
révélations du New York Times.
Le quotidien donne l’exemple
d’ouvriers utilisant une carte ma-
gnétique de chambre d’hôtel
pour tester un joint de porte.
Boeing a confirmé être en pour-
parlers en vue de racheter la so-
ciété et de réinternaliser le pro-
cessus de production. Début
mars, la FAA a donné trois mois
à Boeing pour présenter un « plan
d’actions correctives complet vi-
sant à résoudre les problèmes sys-
témiques de contrôle qualité » et
effectuer une mise à niveau de « la
culture de sécurité [du groupe] ».
Lundi, l’action de l’entreprise,
qui avait perdu 27 % de sa valeur
depuis le début de 2024, était en
hausse de 1,4 % à Wall Street. p
arnaud leparmentier
La Chine courtise les
grands patrons étrangers
Les dirigeants de multinationales, dont celui
d’Apple, Tim Cook, ont été reçus à Pékin,
sur fond de tensions sino-américaines
pékin - correspondant
E n pleine période de ten-
sions géopolitiques, la
Chine fait des appels du
pied aux dirigeants des plus gran-
des entreprises occidentales.
Reste à savoir si les discours ac-
cueillants suffiront à les convain-
cre. Les patrons de multinationa-
les, notamment américaines, ont
été reçus, dimanche 24 et lundi
25 mars, pour le China Develop-
ment Forum, à Pékin. Depuis
2000, les autorités chinoises utili-
sent cette plate-forme pour pré-
senter à la communauté d’affai-
res leurs priorités économiques.
En 2024, on y a vu le gratin de
l’économie mondiale : Tim Cook,
d’Apple, Albert Bourla, de Pfizer,
ou Stephen Schwarzman, fonda-
teur de Blackstone.
Ces personnalités influentes
ont entendu un discours du pre-
mier ministre, Li Qiang, leur ex-
pliquant la nouvelle doctrine éco-
nomique chinoise. Les « nouvelles
forces productives », comme leur
nom l’indique, sont focalisées sur
la production plus que sur la con-
sommation, alors que nombre
d’économistes considèrent que
c’est cette dernière qu’il faudrait
soutenir davantage pour relancer
l’économie de l’empire du Milieu.
L’augmentation de la produc-
tion nationale est déjà source de
conflits commerciaux. Avec l’Oc-
cident, et l’Union européenne en
particulier, qui enquête sur les
subventions des différentes stra-
tes de l’Etat chinois aux usines de
voitures électriques, avant d’im-
poser de probables taxes doua-
nières ultérieurement dans l’an-
née. Mais pas seulement : le Brésil
a lancé, début mars, une investi-
gation antidumping sur les livrai-
sons d’acier chinois.
Double message
La directrice générale du Fonds
monétaire international, Krista-
lina Georgieva, a profité de l’occa-
sion pour prévenir : « La Chine se
trouve à la croisée des chemins. »
Elle suggère de renforcer le filet de
la sécurité sociale des familles
chinoises afin de leur permettre
de consommer, et d’accorder da-
vantage de place au secteur privé.
Les patrons n’ont pas eu le tradi-
tionnel échange privé et étendu
avec le premier ministre, comme
les autres années. A la place, selon
le Wall Street Journal, certains
d’entre eux pourraient être reçus
par le président Xi Jinping, mer-
credi 27 mars. Un changement
qui envoie un double message.
Côté pile, il est le signe que les
interrogations des entreprises
internationales sont entendues
au plus haut niveau. Côté face, ce
rendez-vous, s’il se confirmait,
est une nouvelle illustration de la
centralisation absolue du pouvoir
chinois, un an après que Xi a com-
mencé son troisième mandat.
CI NÉMA
Le nombre de films
français produits
en 2023 revient aux
niveaux d’avant-Covid-19
Le nombre de films français
produits a progressé de 3,8 %,
à 298 films agréés en 2023, re-
trouvant ses niveaux d’avant
la pandémie de Covid-19,
selon le bilan, publié lundi
25 mars, par le Centre natio-
nal du cinéma. – (AFP.)
ÉNER GI E
Electricité : EDF s’engage
à renégocier les contrats
de certaines entreprises
EDF s’engage à « renégocier les
contrats » qui ont été signés
avec les petites et moyennes
0123
MERCREDI 27 MARS 2024
La Chine a attiré 215 milliards
de yuans (27,5 milliards d’euros)
d’investissements étrangers sur
les deux premiers mois de 2024,
un chiffre en baisse de 19,9 % par
rapport à la même période il y a
un an, selon les données publiées,
vendredi 22 mars, par le ministère
du commerce.
Dans le but d’envoyer un signal
positif, Pékin a assoupli, vendredi,
les règles sur le contrôle par l’Etat
du transfert des données des
clients d’entreprises de et vers
l’étranger : les données sur leurs
achats, paiements, réservations de
vols ou de nuits d’hôtel ne devront
finalement pas être soumises au
régulateur, comme le craignaient
nombre d’acteurs étrangers.
Ambivalence
Parmi les hommes d’affaires pré-
sents, le plus suivi a été incontes-
tablement Tim Cook, qui a inau-
guré le huitième Apple Store de
Shanghaï, le plus grand d’Asie, au
moment où Apple subit le raidis-
sement des relations sino-améri-
caines. L’agence Bloomberg a ré-
vélé, en décembre 2023, com-
ment un nombre croissant
d’administrations locales et d’en-
treprises étatiques chinoises
avaient ordonné à leurs équipes
de cesser d’acheter des smartpho-
nes de la marque à la pomme.
La faiblesse de la consomma-
tion locale et la montée en puis-
sance de Huawei, capable de pré-
senter des téléphones dernier cri
malgré l’interdiction d’utiliser
Android, le système d’exploita-
tion de Google, et d’accéder aux
puces du taïwanais TSMC, sur or-
dre des Etats-Unis, pèsent sur les
ventes d’Apple en Chine. Les
achats d’iPhone y ont baissé de
24 % sur les six premières semai-
nes de 2024 par rapport à la
même période de 2023, selon le
cabinet de recherche Counter-
point. M. Cook s’est affiché pre-
nant le petit déjeuner à Shanghaï
avec un comédien local, Zheng
Kai, et a affirmé à la presse offi-
cielle : « Il n’y a pas de chaîne d’ap-
provisionnement dans le monde
qui soit plus essentielle pour nous
que la Chine. »
Toutefois, l’inauguration, jeudi
21 mars, du nouveau magasin de
Shanghaï a illustré l’ambivalence
des Chinois. Si certains ont pa-
tienté pendant des heures pour
espérer obtenir un sac en tissu et
un autocollant de l’événement, et
voir Tim Cook, une femme est ap-
parue dans la queue, vêtue d’une
doudoune blanche marquée du
drapeau chinois et coiffée d’une
casquette avec l’étoile rouge afin
de dénoncer l’idolâtrie pour les
produits américains. A un jeune
homme faisant valoir qu’Apple est
la source de nombreux emplois
en Chine, elle a rétorqué : « Nous
avons notre propre marque,
Huawei. Nous devons l’utiliser. » p
harold thibault
entreprises et de taille inter-
médiaire, « au moment où
les prix étaient au plus haut »
pendant la crise énergétique,
a annoncé, lundi 25 mars,
le ministre de l’économie,
Bruno Le Maire. – (AFP.)
FI NA NCE
La Zambie parvient
à un accord
« historique » avec
ses créanciers privés
La Zambie a conclu un accord
« historique » avec ses créan-
ciers privés pour restructurer
3,5 milliards de dollars
(3,2 milliards d’euros)
de dette, a déclaré, lundi
25 mars, son président,
Hakainde Hichilema. – (AFP.)

0123
MERCREDI 27 MARS 2024
REPORTAGE
trélazé, erdre-en-anjou,
soulaines-sur-aubance (maine-
et-loire) - envoyée spéciale
C’
est bien plus
qu’une simple
voiture que
retrouve, ce
jour-là, Rose
Sergent, ju-
chée sur des talons hauts, lorsque
Sébastien Baumont, mécanicien,
lui remet les clés de la Citroën
Xsara d’occasion, sur le parking
du garage Solidarauto de Trélazé
(Maine-et-Loire). « C’est mon indé-
pendance, ma liberté. » Depuis
que sa vieille Clio II l’a lâchée,
voilà trois mois, cette jeune mère
célibataire de 24 ans « galérait ».
Elle habite un village isolé, dé-
pourvu de bus, a deux enfants à
charge et toute sa famille dans le
Pas-de-Calais. « Au début, une col-
lègue m’emmenait à l’usine d’agro,
mais elle en a eu marre. » Elle relâ-
che la pression en roulant une ci-
garette sur le capot. « J’ai hâte de
rappeler l’agence d’intérim pour
reprendre direct. Enfin, je vais pou-
voir bouger, revoir du monde. »
Rien que pour arriver jusqu’au ga-
rage, elle a dû prendre un train, un
bus, et finir à pied.
C’est son assistante sociale qui
lui a parlé de Solidarauto, un ga-
rage associatif, dit « solidaire »,
qui a pour spécificité de s’adres-
ser à des publics modestes ren-
contrant des problèmes de mobi-
lité. Budget carburant élevé, voi-
ture vieillissante, longues distan-
ces… Près de 13,3 millions de
Français sont considérés en situa-
tion de « précarité mobilité », se-
lon le baromètre 2022 des mobili-
tés du quotidien de Wimoov et la
Fondation pour la nature et
l’homme. En particulier dans les
territoires ruraux. Près de 4,3 mil-
lions de citoyens ne disposent en
outre d’aucun équipement indi-
viduel ou abonnement de trans-
port collectif.
Chez Solidarauto, il est possible
soit de louer – pour 7 euros par
jour, plus 0,10 centime du kilomè-
tre, sous condition de ressources
et présentation d’un contrat de
travail –, soit d’acheter (au prix
moyen de 3 000 euros). Les véhi-
cules proviennent des dons de
particuliers, parfois de collectivi-
tés, et ouvrent droit à une réduc-
tion d’impôt, l’association étant
reconnue d’intérêt général.
NOMBREUX « GARDE-FOUS »
Certains en entendent parler
par le bouche-à-oreille ou par
les plates-formes de dons (Soli-
darauto.org, Donnezvotrevoi-
ture.org). « Les voitures passent
d’abord entre les mains de nos mé-
caniciens, qui contrôlent leur état
et avisent de leur réemploi en loca-
tion ou vente, sinon pour des piè-
ces détachées », explique Anita
Devaux-Pelier, la directrice.
Des bénévoles se chargent de ré-
cupérer les véhicules chez les do-
nateurs. Tout un chacun peut
aussi venir y réparer sa voiture,
suivant des tarifs adaptés. Une
centaine de garages associatifs de
ce type ont fleuri ces dernières an-
nées sur l’ensemble du territoire,
qui se répartissent au sein de trois
principaux réseaux : Solidarauto
(Secours catholique et Caritas
France), Agil’ess et Mob’In.
En ce mercredi de mars, l’espace
location du parking est vide. « Nos
quarante voitures sont prises en
permanence. Pareil pour la vente,
ça part tout de suite. On n’arrive
pas à répondre à la demande », té-
moigne la directrice. Une problé-
matique à laquelle font face tous
les garages solidaires, dans un
contexte d’inflation et de préca-
rité croissante.
Leur modèle économique, dé-
pendant essentiellement des
dons, est fragile et s’est vu asséché
par le déploiement de la prime à
la conversion (PAC), qui permet
aux particuliers, sous condition
de revenus, d’obtenir une aide
pour acquérir un véhicule peu
PLEIN CADRE
Les garages solidaires, recours
face à la « précarité mobilité »
Ces établissements louent et vendent des véhicules d’occasion à des publics modestes,
notamment en zone rurale. Mais, faute de moyens, ils peinent à répondre à la demande
polluant en échange de la mise au
rebut d’un ancien. Ces garages pâ-
tissent en outre d’un cadre juridi-
que lacunaire et de moyens sou-
vent limités.
Une proposition de loi écolo-
giste, examinée mercredi 27 mars
à l’Assemblée nationale, après
adoption à l’unanimité au Sénat,
pourrait toutefois leur offrir un
nouveau souffle. Celle-ci prévoit
que les collectivités, à travers les
autorités organisatrices de mobi-
lité, puissent récupérer les véhi-
cules parmi les moins polluants
de ceux destinés à la casse dans le
cadre de la PAC (les véhicules à es-
sence classés Crit’Air 3 ou moins,
ainsi que les véhicules « rétrofi-
tés » : conversion à l’électrique ou
hybrides rechargeables), pour les
louer à des personnes défavori-
sées, notamment par le biais des
garages solidaires.
Car si la PAC a fait ses preuves en
matière de baisse des émissions
de CO2 et de particules fines, « la
destruction systématique de tous
les véhicules remplacés, pour cer-
tains récents et encore en bon état,
ne va pas de soi, souligne le rap-
porteur au Sénat, Jacques Ferni-
que. Une part considérable des vé-
hicules mis au rebut s’avère moins
polluante qu’une partie du parc
Leur modèle
économique,
qui dépend
essentiellement
des dons,
s’est vu asséché
par la prime
à la conversion
roulant [59 % des 92 000 véhicules
mis à la casse en 2022 étaient des
Crit’Air 3 ] ». Les garages solidaires
pourraient ainsi bénéficier d’un
« gisement d’environ 30 000 véhi-
cules par an, moins polluants que
ceux utilisés jusqu’alors ».
Et de rappeler que de nombreux
« garde-fous » ont été intégrés : uti-
lisation limitée à la location, pour
une durée définie, pour des pu-
blics précaires… S’il existe d’autres
dispositifs pour les ménages mo-
destes, comme le leasing social
(épuisé pour 2024) pour encoura-
ger le passage à l’électrique, ou le
prêt à taux zéro pour l’acquisition
d’un véhicule léger dans les agglo-
mérations ayant mis en place des
zones à faibles émissions mobi-
lité, « ils ne permettent pas de ré-
pondre aux besoins urgents des
plus défavorisés, notamment dans
les zones rurales ».
Rapporteuse à l’Assemblée, Ma-
rie Pochon y voit « un texte emblé-
matique de l’écologie de terrain,
qui associe très concrètement jus-
tice sociale et impératif environne-
mental ». Elle souligne que tout
est parti d’une discussion entre
l’ancien sénateur du Morbihan
Joël Labbé et son garagiste.
« Vous aidez des familles à s’en
sortir ! Merci », peut-on lire dans le
livre d’or, au garage de Trélazé. « Il
n’y aurait pas eu ça, j’aurais pu per-
dre mon travail », note Cédric Col-
let, 33 ans, intérimaire dans une
usine située à 20 kilomètres de
son domicile. La courroie de dis-
tribution de sa Renault Laguna a
lâché il y a trois semaines. Selon
les jours, il embauche à 5 heures
ou débauche à 21 heures. Pas de
bus. Sa femme, aide-soignante, a
besoin de sa voiture. Il a eu des
sueurs froides en découvrant les
tarifs des agences de location.
économie & entreprise | 17
« Heureusement », son orga-
nisme d’aide aux intérimaires l’a
orienté vers Solidarauto : Cédric
peut louer, pour 10 euros par jour,
dans la limite de 100 kilomètres
par jour, pendant soixante jours.
De quoi lui laisser le temps de
faire ses réparations, lui qui « tou-
che à la mécano ».
Changer de voiture grâce aux
aides de l’Etat ? Il a déjà fait le cal-
cul : le reste à charge serait trop
important. « Pour avoir une voi-
ture correcte aujourd’hui, il faut
pouvoir sortir entre 8 000 et
10 000 euros. » D’autant que sa La-
guna, 270 000 kilomètres au
compteur, « tient encore la route ».
« Je préfère l’emmener au bout, jus-
qu’à ce qu’elle claque. »
UNE SECONDE VIE
Le réseau Solidarauto accompa-
gne chaque année quelque
6 000 bénéficiaires. Dont beau-
coup de femmes, « parfois très fra-
gilisées », relève Anita Devaux-Pe-
lier. « Combien de fois j’entends
“mon mari est parti avec la voi-
ture”. On fait aussi de l’accompa-
gnement social et on tente de les
former à la gestion de leur voiture. »
En instance de divorce, ses en-
fants à emmener à l’école et à la
crèche dans deux villages avant
de rejoindre son salon de coiffure
à Angers, à 30 kilomètres, Kristina
Béguin, 39 ans, une Géorgienne,
ne voit pas comment elle aurait
fait sans cette solution de loca-
tion d’urgence. « Aucun garage
n’aide comme ça les gens comme
moi », assure-t-elle.
Sa Citroën C4 l’a lâchée il y a un
mois. Elle a essayé Blablacar :
« Trop galère avec les enfants. » Elle
espère parvenir à revendre son vé-
hicule sur Leboncoin. Objectif : se
trouver un logement à Angers
Le réseau
Solidarauto
accompagne
chaque année
quelque 6 000
bénéficiaires,
dont beaucoup
de femmes
pour se rapprocher du travail et ne
plus dépendre de la voiture. « Ha-
biter à la campagne et travailler en
ville, c’est trop compliqué. »
Manuella Lhumeau, 41 ans, en-
visage, elle aussi, de quitter son
petit pavillon d’Erdre-en-Anjou
(Maine-et-Loire) pour davantage
de commodité et surtout de bus.
Mère célibataire de quatre en-
fants, elle passe sa vie à « faire le
taxi » : déposer le grand à l’arrêt de
car à 8 kilomètres, emmener le
petit aux entraînements de tir
sportif, le médecin, les courses,
l’association de pêche…
Autant dire qu’à chaque fois que
l’Opel Zafira – 323 000 kilomètres
au compteur – tombe en rade,
c’est tout le quotidien qui se dé-
traque. En changer avec les aides
de l’Etat ? « J’ai mis tout l’argent
que j’avais dans cette voiture. J’ai
tellement investi, je n’ai pas envie
de m’en séparer. » Un silence. « Et
puis une familiale comme ça, avec
un coffre aussi grand… »
Pas question non plus pour Sé-
bastien Brault, expert-comptable,
d’envoyer le monospace familial à
la casse, après quinze ans de bons
et loyaux services. En le donnant
à Solidarauto, il espère lui offrir
une seconde vie auprès d’une
autre famille. « On a acheté une
Au garage
Solidarauto
de Trélazé
(Maine-
et-Loire), le
18 mars, les
mécaniciens
s’activent
(ci-contre,
en haut).
Sur le livre
d’or (en bas,
à gauche),
des mots
de clients
satisfaits.
En bas à
droite :
Manuella
Lhumeau
quitte son
pavillon
d’Erdre-
en-Anjou
(Maine-
et-Loire)
avec l’un
de ses fils.
ADELINE PRAUD
POUR « LE MONDE »
électrique, j’ai mon [Peugeot]
5008 thermique pour les gros tra-
jets, ça n’a pas de sens d’en garder
une troisième. »
Pourquoi donner ? « Un véhicule
qui roule ne doit pas aller à la
casse, estime le quadragénaire, en
bras de chemise et montre con-
nectée au poignet. Si l’on pense au
cycle de vie, mieux vaut voir rouler
jusqu’au bout des Crit’Air 4 plutôt
que construire des électriques. »
Un don qui tombe à pic, se réjouit
Mme Devaux-Pelier : une famille
vient de lui demander une voi-
ture de sept places.
Quant à la question – pour
l’heure lointaine à Angers – de
l’accès restreint de ces véhicules
anciens dans les ZFE des métropo-
les, les intéressés balaient d’un re-
vers de la main le problème. « De
toute façon, dans le centre-ville, je
n’y vais jamais », lâche Cédric Col-
let. D’aucuns ont déjà l’habitude
de se garer à l’extérieur et de s’y
déplacer en tram ou en bus. Les
ZFE, Manuella Lhumeau trouve ça
bien. « Et pour la santé, et pour la
planète, juge cette ex-arboricul-
trice, qui veille sur l’étang voisin.
Dans les bouchons à Angers, j’ai
mal à la tête. Après, il faudra que
les aides suivent pour les gens mo-
destes qui vont y travailler. »
Toute l’équipe de Trélazé attend
beaucoup de la proposition de loi,
qui lui permettrait d’obtenir da-
vantage de véhicules, et des
moins polluants. « On est pris en-
tre ces questions environnementa-
les et les urgences sociales », re-
marque la directrice. Du tri des
« pots cata » aux lavettes en tissu
récupérant l’huile moteur, cha-
cun, ici, a à cœur de faire sa part,
« à la fois pour les gens et pour l’en-
vironnement ». p
camille bordenet
18 | jeunesses
Chez les jeunes, la santé mentale n’est plus taboue
Alors que les signes de mal-être étudiant inquiètent, la parole se libère et les initiatives prolifèrent
L
e suicide est-il lâche ou
courageux ? Egoïste ou al-
truiste ? Relève-t-il d’un
choix personnel ? Nous ne
sommes pas en licence de philoso-
phie, mais en formation Sentinel-
les étudiantes. Développé par Ni-
ghtline France et le Groupement
d’études et de prévention du sui-
cide, avec le soutien de l’agence ré-
gionale de santé d’Ile-de-France, ce
nouveau dispositif forme des étu-
diants à repérer et orienter leurs
pairs en détresse. « Ces questions
sont là pour vous amener à réflé-
chir aux idées préconçues qui peu-
vent empêcher une personne d’ap-
peler à l’aide, ou vous pousser à être
dans le jugement. Il faut savoir les
mettre de côté pour être dans l’opé-
rationnel », indique Caroline Oli-
vier, chargée d’une séance organi-
sée mi-février dans les locaux de
l’université PSL, au cœur de Paris.
La psychologue clinicienne
s’adresse à six jeunes – la forma-
tion est toujours dispensée en pe-
tits groupes – âgés de 20 à 27 ans,
inscrits aussi bien en école de
mode qu’en licence d’histoire ou
en mathématiques. Jérémie Hu-
bert, 27 ans, est étudiant en école
de commerce. Ce samedi 9 mars,
il raconte avoir été victime de har-
cèlement trois ans auparavant,
puis avoir perdu son père : « Je suis
le seul, au sein de la famille et sur
trois générations, à avoir fait des
études supérieures. Je n’osais donc
pas évoquer mon mal-être avec
mes proches, car ils m’auraient
suggéré d’arrêter les études. Si
j’avais été accompagné par des
pairs, ça aurait été plus facile. »
Pendant les neuf heures de for-
mation, après un module d’intro-
duction à la santé mentale, les jeu-
nes sont confrontés à des mises
en situation. Le groupe apprendra
à identifier et aborder les person-
nes en souffrance pour les orien-
ter vers les ressources appro-
priées. A commencer par le 3114,
numéro national de prévention
du suicide. « Si on s’inquiète pour
quelqu’un, mieux vaut lui deman-
der franchement s’il a déjà pensé
au suicide que de paraphraser en
parlant d’idées noires ou de fuite
de la réalité. Poser la question n’in-
duit pas de passage à l’acte, et
montre qu’on a les épaules pour re-
cevoir la souffrance d’autrui », pré-
conise Caroline Olivier.
« Moins d’idées préconçues »
La psychologue clinicienne con-
firme une libération de la parole
des jeunes sur la santé mentale :
« Ils ont moins d’idées préconçues,
osent parler de suicide. Ils veulent
s’emparer de ce sujet. » Un petit
tour sur les réseaux sociaux con-
firme la tendance. « Bonjour an-
xiété », « Paye ta psychophobie »,
« Dose de psy », « Les folies passa-
gères »… Les comptes consacrés
aux troubles psychiques, cumu-
lant des dizaines de milliers
d’abonnés, se multiplient.
La journaliste et militante fémi-
niste Lauren Bastide vient de lan-
cer « Folie douce », un podcast de
conversations intimes créé juste-
ment pour « libérer la parole » sur
la santé mentale. Coscénariste de
Mental, une série diffusée en ligne
qui traite des troubles mentaux
chez les adolescents, Marine Mau-
grain-Legagneur évoque un sujet
de moins en moins tabou :
« Quand la série est sortie, en 2019,
on voulait montrer qu’on a le droit
de dire qu’on va mal. Aujourd’hui,
les jeunes sont bien plus alertes sur
les sujets de santé mentale. »
Trois cents Sentinelles étudian-
tes ont été formées depuis 2022.
Nightline a noué des partenariats
avec une trentaine d’établisse-
ments, de l’Ecole normale supé-
rieure à l’Ecole du Louvre, en pas-
sant par l’Ecole vétérinaire de
Maisons-Alfort (Val-de-Marne) ou
encore la Sorbonne. Le dispositif
fait partie des nombreux pro-
grammes de prévention du sui-
cide en essor dans l’enseigne-
ment supérieur depuis l’épidémie
0123
MERCREDI 27 MARS 2024
« Avec les
confinements, on
a tous perçu chez
nous une forme
de fragilité »
NATHALIE PAUWELS
chargée du déploiement
du programme Papageno
Le programme Papageno a
aujourd’hui étoffé son offre, en
organisant notamment des ac-
tions de « postvention » – des stra-
tégies d’intervention après un
suicide pour circonscrire les ris-
ques de contagion – au sein d’éta-
blissements de l’enseignement
supérieur. « Un suicide a l’impact
d’un tsunami dans une université,
il bouleverse tout son écosystème,
observe Nathalie Pauwels. On in-
tervient dans plusieurs établisse-
ments pour former les personnes
qui auront un rôle à jouer en cas de
suicide. Au bout de notre interven-
tion, chaque université dresse son
plan d’action, à l’image des plans
blancs des hôpitaux. »
Souvent, les mêmes questions
reviennent. Par exemple, com-
ment commémorer la personne
disparue ? « Le souvenir de la vic-
FRED PÉAULT time ne doit pas s’ancrer dans l’ins-
titution de façon pérenne, pour évi-
ter le risque de contagion. Il vaut
de Covid-19, qui s’est accompa- « L’arrivée à l’université est un tendance à parler de “crise d’ado”, mieux éviter les plaques, ou les
gnée d’une dégradation de la
« Paye ta bouleversement. L’emploi du prétendument normale dans le ca- plantations d’arbre, et privilégier
santé mentale des étudiants. psychophobie », temps est mouvant, les amphi- dre du développement de la per- des actions éphémères comme des
Dans son baromètre publié dé- théâtres accueillent plusieurs cen- sonnalité. Arrêtons de banaliser la lâchers de ballons », préconise
but février, Santé publique France
« Dose de psy », taines de personnes, les examens souffrance », insiste Mme Vidalenc. Mme Pauwels. Après l’université de
indique que les pensées suicidai- « Bonjour peuvent s’enchaîner. Certains étu- « Parler de génération sacrifiée, Lille, première à avoir collaboré
res et tentatives de suicide des diants sont fragilisés par l’éloigne- c’est enfermer les jeunes dans un avec Papageno, d’autres établisse-
jeunes adultes ont été multipliées
anxiété »… ment géographique, qui leur im- discours de désespérance, or il ments viennent frapper à la porte
par deux depuis 2014, atteignant Les comptes pose un loyer à payer, les courses et s’agit d’une population particuliè- de l’association.
7,2 % en 2021. Une évolution les repas à gérer, le tout en étant rement sensible au discours qu’on Iront-ils jusqu’à évoquer la
d’autant plus marquante que les
consacrés isolés », analyse Elodie Charbon- porte sur elle », rappelle Charles- santé mentale dans les enseigne-
données pour les autres classes aux troubles nier, maîtresse de conférences en Edouard Notredame, pédopsy- ments ? « Si tout le monde était
d’âge tendent à stagner, avec une psychologie clinique et psychopa- chiatre au centre hospitalier uni- formé au bien-être des étudiants, il
prévalence de 4,2 % pour l’ensem-
psychiques thologie à l’université de Nîmes. versitaire de Lille. Les signaux de n’y aurait plus de stigmatisation »,
ble des répondants. se multiplient Après les confinements, l’uni- souffrance sont bel et bien là, avance Elodie Charbonnier.
La dernière enquête nationale versité de Nîmes a mis en ligne des mais ils ne concernent pas l’en- Mais les établissements reçoivent
« Conditions de vie des étu- vidéos en libre accès évoquant la semble des jeunes : « Si l’on consi- déjà des directives pour intégrer
diants », menée par l’Observatoire gestion des émotions et de l’ap- dère que tout le monde va mal, on dans les cursus des formations
national de la vie étudiante au prentissage : « Les étudiants se sai- aura tendance à ne pas prendre aux discriminations, aux violen-
printemps 2023, pointe également sissent peu des dispositifs institu- suffisamment au sérieux les idées ces sexuelles et sexistes, au déve-
une fragilisation de la santé men- tionnels donnant accès à des con- suicidaires », souligne celui qui loppement durable… Et la santé
tale des jeunes, 60 % des étudiants sultations en santé mentale, justi- coordonne la ligne d’écoute na- mentale passe après, regrette
déclarant s’être sentis « en perma- fie Mme Charbonnier. Regarder une tionale de prévention du suicide. Mme Charbonnier : « La souffrance
nence ou souvent épuisés ». Plus vidéo est pour eux moins stigmati- des étudiants est plus difficile à
d’un tiers d’entre eux manifestent sant que d’aller discuter avec un psy Les mêmes questions reviennent quantifier. De nombreux profes-
des symptômes de détresse dans installé derrière un bureau. » Parce que la façon dont la com- seurs sont encore mal à l’aise à
les quatre semaines précédant Car l’intérêt pour le sujet est là. munication sur le suicide est réa- l’idée d’aborder ce sujet. »
leur réponse à l’enquête. Depuis son déploiement, en 2019, lisée a un impact, le programme Nightline propose des ateliers
« La pandémie de Covid-19 a mis PSSM (pour « premiers secours en Papageno œuvre, depuis sa créa- de sensibilisation et d’informa-
le sujet de la santé mentale des étu- santé mentale ») France, une asso- tion en 2014, à la sensibilisation tion sur la santé mentale et le
diants sur la table. On déploie, ciation qui lutte contre la stigmati- d’acteurs des médias. Dans le ca- bien-être en classe préparatoire :
pour la rentrée 2024, une Fresque sation des troubles psychiques, a dre de ses interventions en écoles « L’accueil est variable en fonction
de la santé mentale dans les éta- formé 100 000 secouristes en de journalisme, Nathalie Pauwels, des professeurs. Certains veulent y
blissements de l’enseignement su- santé mentale. Elle accueille de chargée du déploiement national assister et posent des questions.
périeur, pour déstigmatiser ce su- plus en plus de jeunes, détaille sa de Papageno, note aussi une D’autres sortent de la classe, en
jet, outiller chacun et donner des présidente, Muriel Vidalenc : « On libération de la parole des jeunes précisant qu’ils ont trop de travail,
ressources », explique Alice Fer- a environ 6 000 étudiants formés sur les sujets de santé mentale : devant des promotions réputées
manian, psychologue chargée du PSSM sur l’ensemble de la France, « Ils n’hésitent pas à parler de leurs pour leur niveau d’exigence et le
dispositif Sentinelles étudiantes. on travaille avec plusieurs universi- propres troubles anxieux, ou de stress que peuvent y ressentir les
Les confinements ont mis en évi- tés. Les étudiants se sentent respon- ceux de leurs proches. Peut-être un étudiants », raconte Caroline Oli-
dence ce que la littérature scienti- sables de la santé mentale de leurs effet du Covid, qui a agi comme un vier. Si la parole sur la santé men-
fique montre depuis des années, à proches. » En 2021, PSSM France a révélateur. Avec les confinements, tale s’est libérée, elle doit désor-
savoir que les étudiants représen- développé un module spéciale- on a tous perçu chez nous une mais être entendue. p
tent une population fragile. ment prévu pour les jeunes : « On a forme de fragilité. » margherita nasi
« On entend beaucoup parler d’isolement social »
pilotée par l’association en avant toute(s), la rer la ligne d’écoute de la CNAE. Nous avons recruté Quel type de soutien apportez-vous ?
Coordination nationale d’accompagnement des étu- des psychologues et des travailleurs sociaux, et lancé la Nos psychologues et travailleurs sociaux assurent
diantes et étudiants (CNAE) est une ligne d’écoute, gra- ligne en octobre 2023. l’écoute et guident les étudiants vers les ressources
tuite et confidentielle. Louise Delavier, 33 ans, coordi- adaptées. Si on est confrontés à des problèmes sur le
natrice des programmes de l’association qui lutte pour Combien d’appels recevez-vous et comment lieu de travail, comme dans le cadre de stages à
l’égalité de genre et pour prévenir les violences, no- se déroulent-ils ? l’hôpital pour les étudiants en médecine, on peut
tamment auprès des jeunes, revient sur le déploie- Nous avons reçu 20 appels en octobre, 50 en novem- saisir l’agence régionale de santé. On fait aussi face à
ment de ce service lancé fin 2023. bre, 171 en janvier, et près de 200 en février, ça monte de la discrimination, des violences sexistes et sexuel-
progressivement. La durée moyenne d’un appel est de les, du harcèlement.
Comment la CNAE est-elle née ? trente minutes, mais ça peut durer plus longtemps si be- On réussit rapidement, à partir d’un récit, à détecter
Pour se saisir du mal-être étudiant, le gouvernement a soin. La ligne d’écoute est gratuite et confidentielle, opé- les violences. En cas de situation répréhensible
voulu sortir des dispositifs strictement institutionnels, rationnelle de 10 heures à 21 heures en semaine, et de pénalement, on peut orienter les jeunes vers le service
pas toujours plébiscités par les jeunes. En avant toute(s) 10 heures à 14 heures le samedi. On entend beaucoup de tchat de la police, c’est souvent rassurant pour ceux
fait déjà partie des associations partenaires du ministère parler d’isolement social, avec des jeunes loin de leur fa- qui hésitent à se déplacer au commissariat. On aide les
de l’enseignement supérieur et de la recherche dans son mille, voire de leur pays d’origine. On a des profils en très personnes en détresse psychologique à accéder à des
plan national d’action contre les violences sexistes et grande précarité, ou en difficulté dans leurs études. L’épi- structures, comme les centres médico-psychologi-
sexuelles. Avec notre tchat qui permet aux jeunes de dis- démie de Covid-19 a eu un effet rouleau compresseur, ques. Sauf que l’attente peut être longue – plusieurs
cuter en confiance avec des personnes formées à la ques- certains jeunes ont l’impression d’avoir perdu les plus mois – car les structures sont saturées. Les jeunes
tion des violences, on a réussi à faire le lien entre notre belles années de leur vie, le tout dans un contexte peu ré- peuvent nous rappeler en attendant leur rendez-vous,
génération et les structures existantes. Cette expertise jouissant. Beaucoup sont angoissés par l’avenir dans un on assure alors un suivi sur la durée. p
nous a permis de remporter le marché public pour opé- monde qui fait face au réchauffement climatique. propos recueillis par m. na.
0123
MERCREDI 27 MARS 2024 carnet | 19
Les éditions NÉVA Xavier Huillard, Xavier Darcos, Mireille Citron-Alleaume, Sylvain
président-directeur général, chancelier de l’Institut de France Alleaume,
ont la tristesse de faire part du décès, Le conseil d’administration, Et les membres de l’Institut, ses neveux
survenu le 18 mars 2024, de Le comité exécutif et leurs conjoints,
en vente Le Carnet de Vinci
Antoine et Rocio Citron, Zoé-Julie
ont la tristesse de faire part de la
actuellement Gilles BOURDOISEAU, Et l’ensemble des salariés du
Groupe, disparition de leur confrère, Citron,
professeur de parasitologie,
ses petits-neveux,
Vous pouvez nous faire parvenir à VetAgro Sup (Lyon)
En kiosque vos textes soit par e-mail : de 1985 à 2020. ont la tristesse de faire part du décès
de Frédéric MITTERRAND,
Michèle Rousseau-Rambaud,
sa belle-sœur
carnet@mpublicite.fr Nous nous souviendrons de ses membre et son conjoint, Louis Buton
(en précisant impérativement contributions brillantes, de son Bernard HUVELIN, de l’Académie des beaux-arts Ainsi que ses nombreux amis en
ofÏcier de la Légion d’honneur,
HORS-SÉRIE

votre numéro de téléphone et approche pédagogique des sciences et de la commission administrative France et de par le monde,
votre éventuel numéro d’abonné vétérinaires, et de son généreux centrale de l’Institut.
survenu dans sa quatre-vingt-
numéro
spécial
700 e
ou de membre de la SDL) investissement à nos côtés. ont la tristesse de faire part du décès
huitième année.
anniversaire
1254—1324

soit sur le site :
le fabuleux voyage de
https://carnet.lemonde.fr
MARCO L’équipe du Carnet reviendra vers
de
Nous nous associons à la douleur de
Diplômé de HEC, Bernard Huvelin, Ils adressent à sa famille leurs plus
sa famille, de ses amis et leur adressons Marcelle VINCENT-RAMBAUD,
nos plus sincères condoléances.
entré à la SGE (aujourd’hui Vinci) en
1962 y a effectué toute sa carrière.
sincères condoléances.

POL
PO LO sur la route de la soie
vous dans les meilleurs délais Christine Dagorne-Labbe, Nommé secrétaire général en 1974,
M. Adrien Goetz,
survenu le 20 mars 2024, dans sa
quatre-vingt-dix-neuvième année.
En partenariat avec

pour vous confirmer la parution. son épouse il a occupé différentes fonctions à la président,
Et Paul-Olivier, direction générale du Groupe, avant M. Laurent Petitgirard,
Hors-série son fils, de devenir directeur général adjoint secrétaire perpétuel
Les obsèques auront lieu au
carnet@mpublicite.fr en 1991, directeur général de 1997 à Et les membres et correspondants
crématorium du cimetière du Père-
HORS-SÉRIE
https://carnet.lemonde.fr 2002, directeur général délégué de Lachaise, Paris 20e, le mardi 2 avril,
ont le regret d’annoncer le décès de de l’Académie des beaux-arts,
UNE VIE, UNE ŒUVRE
2002 à 2005 et vice-président du à 12 heures, en toute simplicité.
ÉDITION

Émile
2024
Yannick DAGORNE-LABBE, conseil d’administration de Vinci de
ont la tristesse de faire part du décès
Zola
AU CARNET DU «MONDE» docteur en droit, 2005 à 2009. Souvenir
Les combats
d’un écrivain
de leur confrère,
survenu à l’âge de soixante et onze Bernard Huvelin a présidé le
Décès ans. syndicat EGF-BTP (Entreprises Jean-Louis CATALAN,
générales françaises de bâtiment Frédéric MITTERRAND, 26 mars 2019.
Annecy. Lyon. La cérémonie laïque aura lieu au et de travaux publics) entre 2001 membre
Vu par Clemenceau, Jaurès, Aragon, Mendès France, Taubira…

crématorium du Mont-Valérien, à et 2009. de la section cinéma et audiovisuel

« Les fils de la vie et de la mémoire
Hors-série Danièle, Nanterre (Hauts-de-Seine), le samedi de l’Académie des beaux-arts,
son épouse, La cérémonie religieuse a lieu en ont savamment tissé ta présence
30 mars 2024, à 10 heures. membre de l’Institut,
Jean-Christophe et Deborah, l’église Saint-Pierre de Neuilly-sur- parmi nous.
Seine, ce mardi 26 mars 2024, à ofÏcier de la Légion d’honneur, Mathias te ressemble.
son fils et sa belle-fille, Ses enfants, ofÏcier
Lauren, Margot, 14 h 15 et sera suivie de l’inhumation Milena observe.
Sa famille, dans l’intimité familiale. de l’ordre national du Mérite, Son regard est intense.
ses petites-filles, Ses amis, commandeur J’étais ainsi t’en souviens-tu ?
Les familles parentes, alliées et
Mathieu Mitterrand de l’ordre des Arts et des Lettres, Leur force et leur beauté sont
amies, ont l’immense douleur de faire part
et son épouse, Aktoty, une longue histoire
du décès de
ont l’immense tristesse de faire part leurs enfants, Alexandre, Thomas que tu leur as en partie transmise.
du décès de et Mathilde, survenu le jeudi 21 mars 2024, Comme tu en serais heureux. »
Mme Colette FRANC, Saïd Kasmi-Mitterrand
née BOURGOIS, à l’âge de soixante-seize ans.
et son épouse, Safa,
Maurice BARLAND, épouse de Nous t’aimons.
Jihed Guasmi-Mitterrand, Cet avis tient lieu de faire-part.
ancien enseignant Robert FRANC, ses fils,
à l’université de Lyon 1,
Magazine survenu le 19 mars 2024, à Arradon, Académie des beaux-arts,
Commémoration
Jean-Gabriel,
survenu le 23 mars 2024, dans sa à l’âge de quatre-vingt-dix ans. ses enfants, ses petits-enfants, 23, quai de Conti, Commémoration de la déportation
quatre-vingt-douzième année. Olivier 75270 Paris Cedex 06. des Juifs de France par l’association
HORS-SÉRIE
« On sait qu’on s’a ». et son épouse, Valentine, « Les Fils et Filles des Déportés Juifs
La cérémonie religieuse sera leurs enfants, petits-enfants, (Le Monde du 23 mars.) de France» et le Mémorial de la Shoah,
célébrée le jeudi 28 mars, à 14 h 30, Nathalie, Adam et Catherine, Maxime,
avec le soutien de la Fondation pour
RÉSISTANTS en l’église Sainte-Bernadette, à Domingo, Jolanta et Charles, ses enfants,
Marseille. La Celle-Dunoise Meyrieu. la Mémoire de la Shoah.
MISSAK MANOUCHIAN
ET SA COMPAGNE MÉLINÉE
ENTRENT AU PANTHÉON
Annecy. ses frères, sœur et belle-sœurs ses frères,
HISTORIENS ET DESCENDANTS
et leurs enfants,
Clémence et Matthieu Cérémonie à la mémoire des
RACONTENT L’ENGAGEMENT

Catherine Chavassieu,
DES COMBATTANTS ÉTRANGERS

L’inhumation aura lieu le vendredi

29 mars, au cimetière du Noyer-en- ont la tristesse de faire part du décès ses enfants, petits-enfants, Et sa famille, déportés du convoi n°70 partis, il y
Champsaur (Hautes-Alpes). de Eve Wack, Josiane, José a 80 ans, du camp de Drancy pour le
ses enfants, petits-enfants, Et ses amis, camp d’extermination d’Auschwitz-
Cet avis tient lieu de faire-part et Jadwiga GLAZEWSKI, ses demi-sœurs, Birkenau.
Hors-série de remerciements. ont la douleur de faire part de la
survenu le 20 mars 2024, Marie-Pierre Landry, Mercredi 27 mars 2024, à 12 heures.
mort de
0123 à Combo-les-Bains, sa cousine
H
É DITION
2024 Hélène, Michel et Christine, Et ses cousins,
à l’âge de soixante-seize ans.
O R S - S É R I E

LE BILAN ▶ GÉOPOLITIQUE
▶ ENVIRONNEMENT
▶ ÉCONOMIE sa fille, son fils et sa belle-fille, Anne-Marie Hubin-Mitterrand, Claire PALDACCI, Lecture des noms des 1000 déportés,
dont 103 enfants, du convoi n°70.
DU MONDE Guillaume, Alexandre et Matthieu, Elle sera inhumée à Dornecy sa belle-sœur,
Seuls 180 déportés sont revenus,
ses petits-fils, le 20 mars 2024,
+ AT LA S D E 1 9 8 PAYS

(Nièvre), auprès de ses parents.

+ 1 5 PAG E S D E D É B AT S : M É L A N I E A L B A R E T, É L I E B A R N A V I , PA S C A L B R I C E ,
LU C I L E M A E R T E N S , X AV I E R R A G O T, LU C R O U B A N , M A RTA S P R A N Z I , PAT R I C K W E I L . . .

Christine et Laurence, Ariel de Ravenel, Éric et Beatrice à Marseille. dont 8 évadés.

ses nièces, jolanta.tijusglazewski@gmail.com de Rothschild, Liria Bégéja, Gustavo
Toute sa famille Urruty, Jean-Marc Galabert, Antoine Mémorial de la Shoah,
Hyères (Var).
Et ses amis, et Lorraine de Meaux, Marie-Ange et 17, rue Geoffroy-l’Asnier,
François-Brice et Fabian Hincker, Thierry (†) Le Besnerais, Julien Roche, 75004 Paris.
ses fils, Dritan et Luena Tola, Jean-Pierre Biron, Christine, William, Pierre Seemuller,
ont la tristesse de faire part du rappel
Sofia Hincker Stoicescu, Clara Xavier Samson, la famille Yang, ses enfants,
à Dieu de Renseignements :
Ilinski, Lucia et Adrian Hincker de Jacques Pieri, Habib Rais, Salem Florence et Chantal,
Dios, Tél. : 01 53 01 17 99.
Hors-série Simone BERMOND, Zahrouni, Rasiah Rajamahendran, ses belles-filles,
ses petits-enfants, Melvin Caunois, Courriel :
née DASTREVIGNE, Louise, Etienne Jouno, Alice et
Andrea Stoicescu et Esther de sa famille de cœur, wendy.schando@ memorialdelashoah.
professeur agrégé Lucas Seemuller,
Dios, org
de Lettres classiques, ses petits-enfants,
HORS-SÉRIE

ses belles-filles, Betty Mialet, Bernard et Valérie-

LES SECRETS DU PHARAON
le 20 mars 2024.
La cérémonie religieuse aura lieu
ce mercredi 27 mars, à 11 heures, en
l’église d’Oze (Hautes-Alpes).
La famille remercie toutes les
personnes qui s’associeront à sa peine.
En partenariat avec
Marie-Thérèse Agalede, Monique
Fritz, Jean-Louis Hincker et Joseph
Hincker,
ses frères et sœurs
Ainsi que l’ensemble de sa famille
et de ses proches,
ont l’immense tristesse de faire part
du décès de leur bien-aimé père,
Anne Fixot, Edith Leblond, Catherine
de Larozière,
ses éditeurs,
Ses très chers et nombreux amis,
ont la douleur de faire part du décès
de
Eléonore, Eliott, Camille, Henrik,
ses arrière-petits-enfants,
ont la tristesse d’annoncer le décès
de
Mme Janine SEEMULLER,
née CHAPELIER,
Société éditrice du « Monde » SA
Président du directoire, directeur de la publication
Louis Dreyfus
Directeur du « Monde », directeur délégué de la
publication, membre du directoire Jérôme Fenoglio
Directrice de la rédaction Caroline Monnot
Direction adjointe de la rédaction
Grégoire Allix, Maryline Baumard, Philippe Broussard,
Nicolas Chapuis, Emmanuelle Chevallereau, Alexis
Delcambre, Marie-Pierre Lannelongue, Franck Nouchi,

édition spéciale
Harold Thibault
grand-père, beau-père et frère, Frédéric MITTERRAND, Directrice éditoriale Sylvie Kauffmann
Hors-série de l’Institut, survenu le 22 mars 2024, à l’âge de Directrice déléguée au développement des services
Claudine Biget, quatre-vingt-dix-sept ans. abonnés Françoise Tovo
M. Laurent HINCKER, ancien ministre de la Culture,
son épouse, Directeur délégué aux relations avec les lecteurs

Collection
cinéaste et écrivain, Gilles van Kote
Élisabeth Biget-Brédif et Hervé ofÏcier de la Légion d’honneur, La crémation aura lieu le 28 mars,
survenu le 21 mars 2024, dans sa Rédaction en chef Laurent Borredon, Emmanuel
Brédif, soixante-dix-huitième année. ofÏcier à 10 h 45, au crématorium de Cuers. Davidenkoff (Evénements), Jérôme Gautheret, Michel
sa fille et son gendre, de l’ordre national du Mérite,
Guerrin, Nicolas Jimenez (photographie), Sabine Ledoux
(cheffe d’édition), Alain Salles (Débats et Idées)
CHEFS -D’OEUVRE Victor Biget Brédif, À jamais réuni avec notre très commandeur Ni fleurs ni couronnes. Direction artistique Emmanuel Laparra
EN M I N I AT U R E son petit-fils, chère mère et grand-mère, de l’ordre des Arts et des Lettres, Infographie Delphine Papin
Michelle Biget-Mainfroy, Directrice des ressources humaines du groupe
3, boulevard d’Orient,
COLLECTION DES ESSENTIELS DE LA LITTÉRATURE EN VERSION INTÉGRALE
Emilie Conte
sa sœur, Martine HINCKER, survenu à Paris, Secrétaire général de la rédaction Sébastien Carganico
le jeudi 21 mars 2024. 83400 Hyères.
née BOLLECKER. Conseil de surveillance Aline Sylla-Walbaum,
ont la douleur d’annoncer le décès guibertchristines@gmail.com présidente, Gilles Paris, vice-président
de La cérémonie religieuse sera S.M.I. Farah Pahlavi,
célébrée le jeudi 28 mars, à 10 h 30, La Princesse Sadruddin Aga Khan,
Jean-Louis BIGET, en l’église catholique Saint-Pierre-le- LL.AA.RR. le Prince et la Princesse,
historien médiéviste, Jeune, 7, rue Saint-Léon, à Strasbourg. Michel de Grèce,
professeur émérite LL.AA.RR. Emmanuel-Philibert et
à l’École normale supérieure Clotilde de Savoie, Prince et Princesse
Marie-Anne Huvelin, de Piémont et de Venise,
de Fontenay-Saint-Cloud. son épouse, Les ministres,
Thierry et Sophie, Christine, Claude Roselyne Bachelot-Narquin,
Louise Hubert-Neveux, et Véronique,
Dès mercredi 27 mars, ses enfants,
Jack Lang
Juliette Hubert, et son épouse, Monique,
le volume n° 8 LE TOUR ses filles, Thibaut et Lauriane, Guillaume, Xavier Darcos
DU MONDE EN 80 JOURS Olympe, Roxane et Aurore, Claire et Antoine, Paul et Constance, et son épouse, Laure,
Jean, Alexandre, Maxime, Christian Estrosi
Nos services
ses petites-filles
Ainsi que toute sa famille, ses petits-enfants, et son épouse, Laura,
Louis, Astrid, Sixtine,
ses arrière-petits-enfants, s’associent au deuil de sa famille.
ont l’immense tristesse de faire part
Lecteurs du décès du
ont la profonde tristesse de faire part Les obsèques sont célébrées par
du décès de
Abonnements docteur Adama BOULANGER, Mgr Jérôme Angot en l’église Saint-
Thomas-d’Aquin, Paris 7e, ce mardi
Sur abo.lemonde.fr Bernard HUVELIN, 26 mars, à 15 heures.
Par tél. au 03 28 25 71 71 survenu le 23 mars 2024, à Paris.
de 9 h à 18 h (prix d'un appel local) survenu le 21 mars 2024, Selon la volonté de Frédéric, ni
La cérémonie religieuse sera à Neuilly-sur-Seine, fleurs ni couronnes.
Le Carnet du Monde célébrée le jeudi 28 mars, à 10 h 30, à l’âge de quatre-vingt-sept ans.
carnet@mpublicite.fr en l’église Saint-Pierre-de-Montrouge, Dons fléchés à Pallidom, soins
82, avenue du Général-Leclerc, La cérémonie religieuse est palliatifs à domicile de l’APHP :
Paris 14e. célébrée ce 26 mars, à 14 h 15, en https://soutenir.fondationaphp.fr/ Pour toute information :
l’église de Saint-Pierre de Neuilly- had/~mon-don carnet@mpublicite.fr
Elle sera suivie de l’inhumation au sur-Seine, suivie de l’inhumation, Prix à la ligne : 33,60 ¤ TTC.
cimetière du Thieulin (Eure-et-Loir). dans l’intimité familiale. « Mes regrets sont mes remords ».
20 | horizons
A
u téléphone, Jérôme Legrand
était toujours charmant.
Ponctuel, gentil, s’exprimant
dans un français parfait, le
représentant d’ICMarket Tra-
ding, à Londres, « inspirait
une grande confiance », se souvient Louise D.
Elle et son mari ont été victimes d’une escro-
querie aux faux placements, une prétendue
nouvelle méthode pour spéculer sur les
cryptomonnaies grâce à une application ré-
volutionnaire. « On a d’abord versé 250 euros,
pour nous initier, et tout allait bien : très vite,
on a vu que la valeur du placement montait.
Jérôme nous a alors demandé si l’on avait des
possibilités financières ; il nous a dit qu’il fau-
drait que l’on place 10 000 euros, puis il nous a
conseillé de verser plutôt 15 000 euros. »
Le couple suit ses conseils et envoie plu-
sieurs virements, pour un total de
15 000 euros. D’après les jolis graphiques fi-
gurant sur l’application d’ICMarket Trading,
ils ont fait une excellente affaire : « On s’est re-
trouvés à la tête de 52 284 euros, et l’on a voulu
récupérer une partie de l’argent. C’est là que les
choses se sont gâtées. » Leur placement est en
cryptomonnaies, leur explique, toujours
gentiment, « Jérôme » : il faut donc les échan-
ger contre des euros, et cela a un coût, une
« flat tax » de 30 %. Et 11 000 euros pour tout
récupérer, c’est trop : le couple décide de sor-
tir 10 000 euros de son placement et envoie
donc un nouveau virement de 3 000 euros,
toujours à la même banque, en Lituanie.
« Là, notre banque s’est manifestée, poursuit
Louise. Ils nous ont appelés en nous disant que
l’on avait fait beaucoup de virements impor-
tants vers l’étranger et qu’ils nous conseillaient
d’être prudents. On a été trop confiants, on a
accepté de signer une décharge », demandée
par la banque pour procéder au virement. Le
couple part une semaine en vacances. Au re-
tour, Jérôme Legrand, un faux nom, a dis-
paru : « C’était le grand silence. Plus aucun
moyen de le joindre, compte bloqué sur l’appli-
cation, plus aucun numéro de téléphone ne ré-
pond… C’était terminé. » Louise et son mari
ont perdu 18 250 euros. « On sait très bien
qu’on ne les reverra jamais », soupire-t-elle.
Le couple est loin d’être le seul à avoir subi
ces escroqueries très efficaces qui fonction-
nent grâce à un vaste écosystème d’intermé-
diaires spécialisés travaillant pour des structu-
res criminelles. L’entreprise de cybersécurité
Group-IB, qui suit, depuis six ans, les activités
d’un groupe criminel opérant ce type d’arna-
que à destination de la France et de la Belgi-
que, estime que l’organisation a pu dérober, à
elle seule, près de 500 millions d’euros.
ÉLISE LUCET, TIMOTHÉE CHALAMET…
Pour Louise, comme pour des milliers
d’autres personnes en France et dans de
nombreux pays, tout commence par une
publicité vue sur Internet, l’un de ces encarts
accrocheurs qui ont envahi, ces derniers
mois, les fils d’actualité de Facebook ou de X,
ou les « liens sponsorisés » de Google. Le
schéma est toujours le même : la photo d’une
célébrité – Jamel Debbouze, Timothée Chala-
met, Elise Lucet, Cyril Lignac… – et un titre an-
nonçant que celle-ci risque de graves ennuis
judiciaires après avoir révélé en direct à la té-
lévision les secrets de sa fortune.
S’il clique, l’internaute est redirigé vers un
faux article imitant ceux du Monde et de Libé-
ration. La célébrité y « révèle » le nom d’une ap-
plication d’investissement censée être révolu-
tionnaire. L’article inclut aussi un « test » de ce
nouvel outil de placement par des journalis-
tes. Dans le cas de Louise, le piège consistait en
un faux entretien du Monde entre la jour-
naliste de BFM-TV Apolline de Malherbe et
Marion Maréchal. Pour de très nombreux in-
ternautes, c’est une photo d’Elise Lucet qui est
apparue dans ces publicités. Excédée, la jour-
naliste d’« Envoyé spécial » a publié, le 6 mars
sur X, un message de mise en garde du public
contre ces escroqueries. Le Groupe Le Monde,
de son côté, a porté plainte, le 22 mars, pour
« usurpation d’identité numérique », « contre-
façon de marque », « pratiques commerciales
trompeuses » et « escroquerie ».
Ces faux articles du Monde et de Libération
sont diffusés grâce à des encarts publicitai-
res, sur les réseaux sociaux ou sur Google,
achetés par des centaines de comptes fictifs.
Sur Facebook, des pages ayant parfois moins
1 2
La victime ayant laissé son numéro
de téléphone, elle est contactée
par le centre d’appels
Des arnaques
à la « une »
Depuis plusieurs mois, des publicités trompeuses
usurpent l’image du « Monde » et d’autres médias
français pour promouvoir de supposés placements
financiers. Des escroqueries liées au crime organisé
par un vaste système de sous-traitance
de dix abonnés, au nom de « Peter Parker », le
nom civil du super-héros Spider-Man, ont pu
acheter des dizaines de publicités. Quant aux
adresses des sites hébergeant ces prétendues
interviews d’Elise Lucet, de Jamel Debbouze
ou de Francis Cabrel, elles imitent souvent
celles de grands médias : Lomonde.fr,
Lemonde.blog, Liberationsnews.com… Ces
noms de domaine sont achetés par dizaines
et habilement masqués. Bref, tout est fait
pour qu’il soit impossible de retrouver la
trace des propriétaires.
En collaboration avec l’ONG de défense des
médias Qurium, Le Monde a cependant pu
établir un lien technique direct entre de
nombreuses publicités ciblant la France
depuis plusieurs semaines et une entreprise
basée en Russie. Cette petite société, baptisée
RPT Company et inconnue du grand public,
n’a pas donné suite à nos sollicitations.
Fondée par deux Russes, Yakov Rutman et
Leonid Belov, elle pratique un genre parti-
culier de marketing.
Dans ce monde d’arnaques à tiroirs, de telles
entreprises sont appelées des « affiliés ». Ce
sont en quelque sorte des VRP anonymes,
dont le rôle est d’amener les victimes, à
l’image de Louise D. et de tant autres, vers les
Celui-ci la dirige verss une fausse
interface de trading une interface de paiement par carte
et l’invite à investir
téléopérateurs chargés ensuite de les convain-
cre d’investir leur argent dans une fausse offre
de placements financiers. Leonid Belov et ses
associés n’entendront jamais le son de la voix
de leurs proies. Leur mission, dans cette
chaîne criminelle, se limite à acheter des pu-
blicités en ligne, à mettre en place de faux arti-
CE MILIEU cles de presse pour appâter les internautes, à
SI PARTICULIER concevoir une fausse page d’accueil vendant
des investissements aguicheurs, puis à inciter
A SES RENDEZ-VOUS, les « cibles » à fournir leurs coordonnées.
Nom, prénom, numéro de téléphone et
SES CONVENTIONS adresse e-mail, ces informations seront
À CHYPRE, À DUBAÏ ensuite revendues aux clients, les beaux
parleurs des centres d’appels, comme l’éphé-
OU EN POLOGNE, mère « Jérôme Legrand ». Le travail de RPT
Company s’arrête là.
SA PRESSE En principe, ces « affiliés » masquent plutôt
bien leurs traces. Rien ne doit permettre, par
SPÉCIALISÉE exemple, de savoir que ces prétendues inter-
ET SES CANAUX views de l’animateur Yann Barthès sont en
réalité montées de toutes pièces par une en-
DE MESSAGERIE treprise russe. Sauf qu’au détour d’une page
Leonid Belov a commis une erreur, en l’occur-
rence un bout de code informatique ren-
voyant vers un nom de domaine réservé avec
son adresse e-mail personnelle. Cette gaffe a
permis au Monde et à Qurium d’établir des
3 4
La victime est renvoyée vers
Le paiement est réceptionné
par des sociétés-écrans basées
bancaire ou virement
en Lituanie, en Ukraine ou en Pologne
0123
MERCREDI 27 MARS 2024
liens techniques entre RPT Company et une
fourchette de 500 à 1 000 noms de domaine
enregistrés au cours des derniers mois,
conçus pour servir un vaste réseau d’escro-
queries. Il faut dire que la petite société russe
connaît bien ce milieu : active depuis 2018 au
moins, elle donne régulièrement des inter-
views à la presse du secteur et était jusqu’ici
spécialisée dans le « nutra », c’est-à-dire la
promotion de produits de santé douteux. Ses
zones géographiques favorites : l’Amérique
latine et, dans une moindre mesure, l’Europe.
Les sites pour initiés regorgent d’articles
sur la success story de Leonid Belov et de ses
comparses. En mars 2023, ils ont même rem-
porté un concours organisé à Abou Dhabi par
un acteur important du marketing d’affiliés.
Sur une vidéo de l’époque, toute l’équipe,
vêtue de costumes chics, est célébrée sur
scène. Alors que retentit la chanson We Are
the Champions, du groupe Queen, Leonid
Belov exulte, les larmes aux yeux, et enlace
ses compagnons. Parmi les prix mis en jeu ce
soir-là, une Aston Martin et plusieurs dizai-
nes de milliers de dollars. « Ce furent cinq lon-
gues années, nous avons travaillé jour et nuit
pour passer de 5 000 roubles [50 euros] de
revenus à cette victoire », explique l’entre-
prise sur les réseaux sociaux.
RPT Company n’est pas la seule société à s’ac-
tiver dans ce secteur ultra-compétitif et très
lucratif. Plusieurs dizaines d’autres, pour la
plupart immatriculées à Chypre, dans les pays
de l’ex-bloc soviétique ou en Israël, sont à la
lutte, cherchant sans cesse à « recruter » de
nouvelles victimes pour des escroqueries,
mais aussi pour des sites de jeux d’argent ou
de pornographie. Ce milieu si particulier a ses
rendez-vous, ses conventions à Chypre, à
Dubaï ou en Pologne, sa presse spécialisée et
ses canaux sur la messagerie Telegram.
LA FRANCE, CIBLE DE CHOIX
Qui conçoit ces faux articles ? Le Monde n’est
pas parvenu à identifier les auteurs de ces
modèles. Une certitude : une fois conçus,
ceux-ci sont souvent aspirés et repris par
d’autres affiliés, les formules à succès étant
souvent pillées sans vergogne. Il existe même
des articles pédagogiques expliquant, pour
chaque pays, les sites populaires et les célébri-
tés nationales susceptibles d’être utilisées. La
France y est décrite comme un marché ris-
qué, mais juteux. « En France, les publicités
sont onéreuses et la compétition très élevée
entre affiliés, explique, sur son site, Swanker,
un important acteur dans la promotion des
cryptomonnaies et des placements finan-
ciers, mais il s’agit d’une des [zones géographi-
ques] avec les profits les plus importants. »
Ces « affiliés » font du marketing « blac-
khat », c’est-à-dire qu’ils agissent en toute
conscience en infraction totale avec les règles
d’utilisation de Facebook, d’Instagram, de X
et de Google. Mieux, les boucles de discussion
et les articles de blogs pour initiés sont rem-
plis de conseils pour échapper à la vigilance
des plates-formes. Ils mettent également à
l’honneur un outil appelé Dolphin, jugé idéal
pour gérer plusieurs comptes Facebook à la
fois. De son côté, le groupe Swanker, spécia-
lisé dans la promotion des placements finan-
ciers, répertorie sur son site les meilleurs
endroits où acheter de faux comptes sur les
réseaux sociaux, voire des profils piratés, puis
revendus sous le manteau.
Cet écosystème semble aujourd’hui débor-
der les géants du Web. Facebook, X ou même
Google sont inondés, ces derniers temps, de
publicités frauduleuses. Sollicité, Meta (Face-
book) a supprimé plusieurs pages sur la foi de
données collectées par Le Monde, tout en pré-
cisant poursuivre son enquête. L’entreprise
rappelle par ailleurs qu’elle a, par le passé, en-
gagé des actions en justice contre des sociétés
ayant diffusé des publicités malveillantes. Ces
publicités sont toujours omniprésentes sur X,
qui a largement démantelé ses équipes de
sécurité et ne répond plus aux sollicitations
des médias depuis son rachat par Elon Musk.
Jusqu’à peu, la France était moins touchée
par ces escroqueries que d’autres pays euro-
péens. Mais, depuis deux ans, la donne a
changé, les cibles ont évolué. Ainsi, le Canada,
plutôt épargné, fait désormais face à une ava-
lanche d’arnaques aux faux placements.
« Nous avons constaté que certains de ces
groupes se sont aussi récemment réorientés
5
L’argent est ensuite reversé sur les
comptes en banque de l’organisation
criminelle
Infographie Le Monde : Victoria Denys
0123
MERCREDI 27 MARS 2024
ENTREPRISE DE MARKETING
Le réseau criminel utilise les services
d’une entreprise de marketing spécialisée
dans les offres illégales. C’est elle qui va
créer les kits d’escroquerie (fausses
publicités, fausses interviews
et faux sites de sociétés
de trading) à l’usage
des affiliés
AFFILIÉS
Ces indépendants, qui disposent déjà d’un réseau de sites trompeurs,
proposent leurs services à l’entreprise de marketing en utilisant le kit
mis à leur disposition. Ils sont rémunérés jusqu’à 1 000 euros
pour chaque victime effectuant un premier versement
vers des pays d’Europe de l’Est, ajoute Anton
Ushakov, de Group-IB. Il y a sans doute plu-
sieurs raisons à ces évolutions, mais, du point
de vue des escrocs, il est intéressant de s’atta-
quer à des pays peu touchés auparavant : le
grand public est moins informé des risques,
cela rend leur tâche plus facile. »
Combien gagnent ces affiliés ? Dans ce mi-
lieu, tout est question de « coût par acqui-
sition » : l’intermédiaire – par exemple, la
société russe RPT Company – est payé en
fonction du nombre de personnes ayant in
fine effectué un versement sur l’une des pla-
tes-formes de trading frauduleuses. Les tarifs
français avancés par les acteurs du secteur
oscillent entre 850 et 1 000 dollars (de 785 à
925 euros environ) par « client » rabattu vers
la plate-forme. Un tarif si élevé qu’il incite,
par ailleurs, les téléopérateurs et escrocs à
l’œuvre en bout de chaîne à mettre la pres-
sion sur leurs victimes pour rentabiliser
l’achat des coordonnées.
Ce marché ne fait pas beaucoup d’efforts
pour se cacher. Ainsi, en se faisant passer pour
une entreprise désireuse de promouvoir des
investissements en cryptomonnaies, Le
Monde a pu approcher une société ukrai-
nienne, dont l’objet est de mettre en relation
des « affiliés » et des acheteurs de coordon-
nées de clients, autrement dit les escrocs,
comme le dénommé Jérôme Legrand. « Il vous
faut des médias locaux, qui instaurent la
confiance du client potentiel. Vous pouvez uti-
liser des célébrités et leurs success stories
d’investissements », conseille « Tanya », un
contact commercial de la société ukrainienne.
Le prix demandé aux clients par cette entre-
prise est, pour le marché français, de 850 dol-
lars par acquisition d’internaute piégé.
DONNEUR D’ORDRE,
LIÉ AU CRIME ORGANISÉ
Son identité est protégée par un
système d’intermédiaires et des
réseaux complexes
de blanchiment d’argent
Publicités sur Fausses interviews
les réseaux sociaux
Ces entretiens avec des
Des posts sponsorisés personnalités grand public (par
mettant en scène exemple Elise Lucet dans Le
des personnalités incitent Monde) vantent les mérites
les internautes à cliquer. d’applications de trading, avec
Ils les redirigent vers un lien vers une page Internet
de fausses interviews
(« landing page ») pour s’inscrire
CENTRE D’APPELS
Ce dernier, lié au crime organisé, récupère le numéro de téléphone
laissé par la victime et la rappelle pour la convaincre d’effectuer des
virements de plus en plus importants sur une application factice
VICTIME
Trompée par une fausse interview de personnalité vantant les mérites
d’une application de trading, elle va donner son numéro et être
rappelée par le centre d’appel.
Une première réunion est organisée avec
les « commerciaux » ukrainiens, sur Tele-
gram. Au moment où l’on finit par se présen-
ter comme journaliste, le ton, jusque-là ami-
cal, devient plus sérieux. Tanya assure que
son entreprise n’a pas la main sur la façon
dont les affiliés partenaires travaillent, et que,
lorsque certains d’entre eux franchissent la li-
gne ou se montrent trop « agressifs », ils sont
évincés de leur carnet d’adresses. Se soucient-
ils aussi de savoir si les entreprises qui les sol-
licitent pour mener des campagnes de publi- DES CENTRES
cité sont honnêtes ? Tanya n’a pas répondu à
cette question, mais ses collègues, un peu D’APPELS GÉRÉS
plus tôt, l’ont fait à sa place en détaillant les
placements financiers déjà promus par leur
PAR LE CRIME
réseau en Allemagne et en Belgique : Imme- ORGANISÉ
diate Bitwave, Immediate Code et Immediate
Matrix. Rien que des noms renvoyant vers UKRAINIEN
des offres et des marques faisant l’objet
d’alertes de l’Autorité des marchés financiers.
ONT OPÉRÉ
UN REVIREMENT
LIENS AVEC LE CRIME ORGANISÉ
« Oui, bonjour monsieur, je vous appelle, car « PATRIOTIQUE » ET
vous avez laissé vos données sur notre site
Immediate Avis 360. Vous avez de l’expérience ORCHESTRENT DES
par rapport aux placements en Bourse ? » Ces ARNAQUES CONTRE
dernières semaines, Le Monde a beaucoup en-
tendu cette présentation, après s’être inscrit LE PUBLIC RUSSE
sur de multiples sites consacrés à de telles
arnaques. En bout de chaîne, les centres d’ap-
pels spécialisés jouent un rôle crucial dans le
processus d’escroquerie. Leurs opérateurs
doivent convaincre les victimes d’effectuer un
premier dépôt de 250 euros, puis d’augmenter
la mise. Le Monde a pu consulter plusieurs
dizaines d’annonces de recrutement pour ces
centres et participer, sous une identité d’em-
prunt, à des préentretiens d’embauche, pour
Landing page
C’est ici que la victime
est incitée à laisser son
numéro de téléphone
Infographie Le Monde : Victoria Denys
des entreprises basées, pour la plupart, en
Ukraine, en Israël ou à Chypre. Des centres
similaires existent aussi ailleurs : en Moldavie,
en Russie, en Géorgie et en Bulgarie.
Tous proposent un intéressement à leurs
employés, avec des bonus en complément de
salaires déjà fort généreux. Ainsi, un centre
d’appels basé à Kiev offre une rémunération
variable en fonction du nombre de first time
deposit (le « premier dépôt » d’une victime)
obtenus par le conseiller : les meilleurs « ven-
deurs », qui parviennent à convaincre 20 per-
sonnes de transférer de l’argent, perçoivent
3 000 euros par mois, une belle somme dans
une ville où le salaire moyen avoisine les
800 euros. Au-delà, les bons employés sont
chouchoutés : iPhone de fonction dernier cri,
ordinateurs MacBook offerts, repas gratuits ;
certains centres mettent en avant la présence
d’une salle de sport ou d’un psychologue
d’entreprise dans les locaux, comme dans
une start-up.
En pratique, les conditions de travail dans
ces centres sont pourtant loin d’être agréables,
comme l’ont révélé plusieurs enquêtes sous
couverture de la presse ukrainienne ou israé-
lienne. Cadences infernales, harcèlement, in-
timidation… La litanie des petites annonces
révèle des exigences draconiennes. Dans cer-
tains centres, les employés travaillent sept
jours sur sept, sans congés, et doivent passer
les appels debout, pour que leur voix soit plus
naturelle. Des offres d’emploi assurent qu’il
n’y a « pas de bizutage », « pas d’amendes si
vous êtes en retard », que « les locaux sont parti-
culièrement bien sécurisés » et que « vous avez
le droit de garder votre téléphone personnel »,
ou encore que les manageurs sont « sympathi-
ques et compréhensifs ».
horizons | 21
Cette dernière promesse est particulière-
ment sujette à caution. Depuis la mi-2023, la
cyberpolice ukrainienne a procédé à plu-
sieurs dizaines de perquisitions dans de tels
centres à travers le pays, et arrêté des respon-
sables faisant partie, selon elle, du crime
organisé national. L’ampleur du problème est
gigantesque : le 30 décembre, la police, avec
l’appui du SBU, le renseignement intérieur, a
annoncé avoir démantelé 100 centres d’ap-
pels en une seule journée. Et encore, cette
opération coup-de-poing est loin d’avoir mis
fin aux activités des groupes criminels.
Pendant longtemps, ce « business » figurait
en bas de la liste des priorités de la police
ukrainienne. Mais la guerre avec la Russie a
tout changé : ces escroqueries sont
aujourd’hui considérées comme présentant
un risque pour la sécurité nationale, surtout
lorsqu’elles s’attaquent aux citoyens ukrai-
niens. Le SBU lui-même participe donc désor-
mais aux enquêtes visant ces organisations
mafieuses. Au passage, il accuse le renseigne-
ment russe d’avoir monté des centres d’ap-
pels pour des arnaques ciblant les Ukrainiens,
par exemple en promettant de faire revenir
du front un proche mobilisé contre le verse-
ment d’une importante somme d’argent.
A l’inverse, des centres gérés par le crime
organisé ukrainien ont opéré un revirement
« patriotique » et orchestrent des arnaques
contre le public russe. Des entreprises du
secteur en viennent même à se présenter
comme des « bienfaiteurs » de l’armée et du
peuple. Ainsi, le 16 février, un grand réseau
d’affiliation, Affhub, a organisé une soirée
de boxe à Kiev. Au programme : networking,
cocktails, matchs avec certaines des
meilleures boxeuses du pays et une vente
aux enchères caritative d’objets patrioti-
ques, dont un canon 2A72 pris sur un blindé
russe « abattu en septembre 2023 par des sol-
dats de la troisième brigade ».
RÉSEAUX DE BLANCHIMENT D’ARGENT
Il reste donc le dernier maillon de la chaîne :
les grands bénéficiaires, ceux qui empochent
l’argent des victimes à la fin, après avoir
rémunéré les téléopérateurs et les « experts »
en marketing. Dans ces affaires, ce sont les
protagonistes les plus difficiles à identifier,
tant ils ont l’art de se cacher derrière des sites
anonymisés et des sociétés-écrans. « Les per-
quisitions de centres d’appels ont un impact,
mais il est limité, car, en général, seules les
petites mains sont arrêtées, note Anton
Ushakov, de Group-IB. La seule manière de
stopper ces organisations est d’interpeller les
têtes de réseau, mais c’est particulièrement
difficile, parce qu’il faut les identifier et col-
lecter énormément de preuves solides. »
En règle générale, les victimes déposent les
fonds sur de fausses plates-formes de tra-
ding, parfaitement maquillées pour paraître
légitimes. L’analyse approfondie de leur fonc-
tionnement aide à mesurer l’aspect tentacu-
laire du dispositif d’arnaque. Les éléments
collectés par Qurium révèlent des centaines
de plates-formes similaires, souvent gérées
par un même acteur. Un exemple : une vic-
time ayant investi la somme minimale de
250 euros avant de s’arrêter a été rabattue sur
un site utilisant la marque Tradezilla, que des
indices techniques relient à… 186 autres faux
portails d’investissement ! Un autre portail,
que Le Monde a identifié directement cette
fois, en s’inscrivant sur une plate-forme
gérée par des escrocs, renvoie à plus d’une
centaine d’adresses différentes. Des traces
retrouvées par Qurium suggèrent que la
structure de ces derniers portails a été déve-
loppée par une entreprise russe, Elmsoft.
Où va l’argent, une fois investi ? Le fonc-
tionnement des plates-formes de paiement
montre qu’il passe par des circuits de
blanchiment complexes. Ainsi, l’analyse des
transactions effectuées par des portefeuilles
de cryptomonnaies liés à un faux site
d’investissement identifié par Le Monde ré-
vèle que l’argent a convergé vers des plates-
formes d’échange pour être converti en
monnaies classiques. En trois mois, ce porte-
monnaie numérique a brassé, à lui seul, plus
de 1,6 million d’euros.
D’autres plates-formes de paiement utili-
sent une infrastructure que l’on retrouve dans
les casinos en ligne illégaux liés au crime orga-
nisé russe. Le Monde a pu consulter des infor-
mations de paiement d’un site d’escroquerie :
en une journée, il a généré près de
12 000 euros de revenus, en provenance d’une
dizaine de pays. Les fonds semblent avoir été
réceptionnés par plusieurs sociétés-écrans
roumaines, lesquelles s’affichent sur Internet
comme des vendeurs de livres électroniques.
Dans le cas de Louise D., les escrocs lui ont
fourni un RIB, derrière lequel se trouve une
société lituanienne enregistrée par un prête-
nom. L’adresse officielle de l’entreprise corres-
pond à la cabane en bois d’un jardin situé dans
une lointaine banlieue de Vilnius. p
damien leloup
et florian reynaud
22 |
CULTURE
Rodrigo Moreno, cinéaste épris de clair-obscur
L’Argentin interroge l’usage du temps et notre rapport au travail dans son nouveau film, « Los delincuentes »
RENCONTRE
I
l ne saurait exactement dater
le moment où s’est manifesté
son désir de faire du cinéma.
Rodrigo Moreno, 51 ans, sait
en revanche ce qui l’y a conduit.
Des parents comédiens qui l’ont
rendu, dès son plus jeune âge, fa-
milier des scènes de théâtre et des
plateaux de télévision. Son goût,
durant toute son enfance, pour le
dessin qu’il pratique sous la forme
de bandes dessinées. Et, plus tard,
pour le théâtre radiophonique.
« La conjonction du visuel et du so-
nore m’a amené au cinéma, dit-il.
Et puis la BD et le théâtre radiopho-
nique touchaient à la notion de jeu
d’enfants que l’on retrouve dans la
relation ludique que j’entretiens
avec le cinéma. »
Après des études à l’Universidad
del Cine de Buenos Aires, en
Argentine, la ville où il est né et où
il vit, Rodrigo Moreno a réalisé un
court-métrage et plusieurs longs-
métrages. Malgré leur présence
dans de nombreux festivals et les
récompenses reçues, seul, nous
était parvenu en France El custo-
dio (2006), film remarquable dont
la figure centrale, un garde du
corps attaché à la sécurité d’un
haut fonctionnaire, sert de révéla-
teur à l’obscénité du pouvoir.
Sélectionné en mai 2023 à Can-
nes, dans la catégorie Un certain
regard, Los delincuentes s’attache
à nouveau à des personnages invi-
sibles. Soit deux petits employés
de banque, Roman et Moran, que
l’envie de liberté va conduire à
franchir la ligne blanche. Et qu’im-
porte si la promesse d’une vie bu-
colique sans contrainte se fait au
prix pour l’un d’entre eux de quel-
ques années en prison.
Vivre dans une oisiveté modeste
Rompre avec l’aliénation du tra-
vail : la question occupe le cinéaste
argentin. Elle traverse son œuvre
comme, dit-il, « une vieille chan-
son, un refrain qui se répète, abordé
chaque fois de façon différente. Au
fond, ce que j’interroge surtout, c’est
notre usage du temps. Qu’est-ce que
l’on en fait ? Quelle place accorder
au loisir, au plaisir, au travail ? Voilà
ce qui est au premier plan de mes
films et que je devrais sans doute
étudier avec un psy. Dans Los delin-
cuentes, ce n’est pas la volonté de
ne plus vouloir travailler qui est
mise en avant, mais celle de ne plus
dépendre d’une autorité. Cette idée
est fondamentale ».
Adaptation d’un film de 1949,
Apenas un delincuente (L’Affaire de
L’épopée serpentine de deux petits criminels argentins
Quand deux modestes employés de banque décident de se servir dans la caisse… Une flânerie poétique signée du cinéaste Rodrigo Moreno
LOS DELINCUENTES
pppv
L’ efflorescence du nouveau
cinéma argentin dans les
années 2000 – feu d’arti-
fice de talents aussi divers que
Lucrecia Martel, Pablo Trapero,
Adrian Caetano, Lisandro Alonso,
Diego Lerman, Daniel Burman… –
s’est un rien épuisée avec le
temps. A l’instar d’Alonso, qu’on
retrouve en très bonne forme
avec Eureka, sorti en France le
28 février, on s’apprête à renouer
avec l’un des éléments les plus
discrets, mais non moins talen-
tueux, de cette vague de désor-
mais quinquagénaires en la per-
sonne de Rodrigo Moreno.
Auteur de quelques films incon-
nus de ce côté-ci de l’Atlantique, à
l’exception d’El custodio qui nous
avait tapé dans l’œil en 2006, il re-
vient aujourd’hui avec une fres-
que de trois heures prolongeant la
trivialité de ce film qui mettait en
Moran (Daniel Elias) et
Norma (Margarita Molfino).
ARIZONA DISTRIBUTION
Buenos Aires), d’Hugo Fregonese
(1908-1987), Los delincuentes s’en
différencie sur l’ambition qui mo-
tive le personnage de Moran. Le-
quel, dans le film initial, volait la
banque pour devenir riche. Dans
celui de Rodrigo Moreno, c’est
pour vivre le restant de ses jours
dans une oisiveté modeste que le
personnage commet son délit. « Je
voulais sortir de cette image du dé-
linquant tel qu’il est presque tou-
jours représenté au cinéma. Et ce,
aussi, pour l’extraire du jugement
moral auquel renvoient les crimi-
nels. Moran vole pour une cause
noble à laquelle chacun allait pou-
voir s’identifier. »
Prendre des chemins de traverse,
s’autoriser des libertés – narrati-
ves, esthétiques, temporelles –,
s’émanciper du vraisemblable
pour privilégier la fable et la poésie
guident le travail du cinéaste,
grand pourfendeur du réalisme
qui, selon lui, appauvrit toute la
création. « Le réalisme domine
scène la vie morose d’un garde du
corps d’un ministre de la planifi-
cation en lequel s’agrègent, sous
les yeux du prolo de la sécurité, les
turpitudes du monde d’en haut.
Plusieurs voyages dans le temps
Il s’agira ici, de nouveau, de deux
modestes serviteurs d’un sys-
tème qui leur en met quotidien-
nement plein la vue sans se priver
de les soustraire à ses charmes. La
nouveauté de Los delicuentes, tou-
tefois, est l’aspiration sourde à
une liberté – refus de la routine
productiviste et de la rente exis-
tentielle, élan poétique vers les
contrées édéniques, amour à vi-
vre tout de suite ou jamais – que la
construction même du récit,
aventureuse et désaffectée,
adopte en premier lieu. Soit deux
employés de banque, Roman et
Moran. Le tandem anagrammati-
que – pierre de touche d’une nar-
ration hantée par la duplication –
est mis au service d’un film de
pppp CHEF-D'ŒUVRE
tout. Le cinéma contemporain est
devenu purement fonctionnel et
productif. On ne laisse plus le temps
au clair-obscur, au doute, aux ater-
moiements, aux ambiguïtés, aussi
bien concernant les personnages
que la narration. Le cinéma
d’aujourd’hui suit une ligne chro-
nologique, n’interroge plus les va-
et-vient entre passé et présent. C’est
un des symptômes des relations
qu’entretiennent les producteurs
avec la télé et les plates-formes.
Quand le monde des séries a ex-
plosé, on disait “c’est fou, les séries,
c’est comme les films”. Maintenant,
c’est plutôt les films qui sont
comme les séries. Et il faut inter-
roger ça. »
Il n’est pas le seul à penser ainsi
en Argentine où le 7e art, depuis le
tout début des années 2000, a
connu un extraordinaire renou-
veau, à travers une génération
prête à en découdre avec les vieux
modèles. Cette vitalité, malgré les
crises économiques successives,
casse qui se casse avant même
que le forfait n’ait lieu.
On y découvre d’abord un cos-
tume anthracite pendu sur une
chaise avec chemise blanche dé-
fraîchie et cravate d’un gris plus
clair. La chose, vaguement ecto-
plasmique, semble tenir toute
seule. Il ne reste plus qu’à mettre
quelqu’un dedans, autre fantôme.
C’est un barbu chauve à l’air las,
sac à dos bordeaux sur le complet,
dont on saura bientôt qu’il est le
Moran du duo, et qui va pour l’ins-
tant se boire un petit noir au
comptoir avec le bandonéon, ins-
trument à l’essence mélancoli-
que, qui l’accompagne sur une
bande-son mixée à un saxophone
ténor aux graves caressants. C’est
déjà bien beau alors même que la
caméra, lassée de filmer en sa rési-
gnation le petit employé du ma-
tin, s’autorise une diversion verti-
cale sur des bâtiments très bour-
geois et très respectables qui sen-
tent leur vieille Europe.
pppv À NE PAS MANQUER
« Je voulais sortir
de cette image
du délinquant
tel qu’il est
presque toujours
représenté
au cinéma »
RODRIGO MORENO
ne s’est pas démentie, s’organi-
sant autour de collectifs comme
El Pampero Cine, qui a permis la
mutualisation des dépenses de
fabrication des films. Foison-
nante, la production argentine
(environ 200 longs-métrages par
an), diffusée de façon encore trop
parcimonieuse, n’en est pas
moins marquante. Citons parmi
les exemples les plus récents : La
Flor, de Mariano Llinas (2019),
Rojo, de Benjamin Naishtat
Bienvenue donc à Buenos Aires,
où l’on retrouve Moran, enfermé
dans une pièce aveugle à rassem-
bler des liasses de billets dans des
sacs en plastique et à manœuvrer
des portes blindées d’une épais-
seur bancaire dont il ne détient,
en compagnie d’un acolyte non
moins guilleret, qu’une partie des
codes d’ouverture. Ceci entraî-
nant cela, au terme d’une journée
morne à fumer sur le trottoir avec
les collègues, l’absence inopinée
d’un employé permet à Moran de
descendre seul remettre la re-
cette dans les coffres. L’occasion,
c’est connu, créant le larron, il res-
sort avec 650 000 dollars sous le
bras et contacte aussitôt l’absent,
ledit Roman, pour lui proposer
un marché dont rien n’aura laissé
supposer qu’il avait eu la latitude
de le mijoter.
Il s’agirait, en lieu et place de tra-
vailler jusqu’à la retraite dans le
gourbi bancaire, et pour le même
salaire, de ceci : Moran se rend à la
ppvv À VOIR pvvv POURQUOI PAS
(2019), Trenque Lauquen, de Laura
Citarella (2023).
Cette énergie doit cependant
faire face à un nouvel ennemi, en
la personne de Javier Milei, le pré-
sident ultralibéral argentin qui,
deux mois après son élection en
décembre 2023, présentait devant
le Congrès sa loi « Omnibus ». A
son programme : la suppression
des fonds destinés à l’Institut na-
tional du cinéma et des arts audio-
visuels (Incaa, l’équivalent ici du
CNC), la privatisation des écoles de
cinéma, la fermeture de salles…
La réponse n’a pas tardé. Les ma-
nifestations, dans la rue, se sont
multipliées. « On ne peut que ma-
nifester notre colère face au dis-
cours agressif du pouvoir exécutif
envers tous les usagers de la politi-
que publique. Cela va du tra-
vailleur qui réclame le respect de
ses droits au cinéaste qui a besoin
du soutien de l’Incaa pour dévelop-
per un projet, en passant par le
scientifique qui a besoin d’une
police et écope pour bonne con-
duite de trois ans et demi de pri-
son, Roman planque le fric pen-
dant ce temps, il le partage à sa
sortie et bonjour la belle vie.
N’ayant dit ni oui ni non, Roman
se retrouve à cacher le sac chez lui
et avec tout ça le film ne fait que
commencer.
Décrire la suite, qui s’épanche en
trois heures, est une autre paire
de manches. On y trouvera plu-
sieurs voyages dans le temps au
jardin d’Eden, harpe et piano di-
vins, robinsonnade, lac en forme
de feuille de vigne, même brune
langoureuse et accueillante. Un
vieux pourri qui fait chanter Mo-
ran en prison. Une fille qui lasse
Roman en ville. Une enquête dis-
ciplinaire hargneuse menée à la
banque. Un retour en arrière qui
surprend nos arrières et une pro-
jection en avant qui nous laisse
Gros-Jean comme devant.
Pour ceux qui l’auraient vu la
saison passée, il sera difficile de
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MERCREDI 27 MARS 2024
vvvv ON PEUT ÉVITER
bourse pour développer ses recher-
ches », souligne Rodrigo Moreno.
Le cinéaste s’inquiète. « Depuis la
dictature, nous n’avions jamais eu
un gouvernement aussi réaction-
naire qui, en trois mois, a réussi à
mettre en danger un pays déjà
sous le joug d’une crise économi-
que. Je me préoccupe de cette situa-
tion en tant que cinéaste mais
avant tout en tant que citoyen. »
Le succès rencontré par Los de-
lincuentes dans les divers festivals
aurait dû lui assurer le développe-
ment de nouveaux projets. Une
perspective remise en question.
« Du côté de l’Argentine, elle est
même stoppée radicalement »,
constate Rodrigo Moreno, pessi-
miste, mais pas abattu. Ce n’est pas
parce qu’il y a un dingue au pou-
voir que je vais m’arrêter. Si Jafar
Panahi en Iran, dans le contexte
dans lequel il vit, peut filmer dans
un appartement, un taxi. Alors on
pourra. » p
véronique cauhapé
ne pas penser au Trenque Lau-
quen de Laura Citarella, autre di-
vagation baroque sur le Jules et
Jim (1962) de François Truffaut.
Après le renversant et monu-
mental La flor (2018), de Mariano
Llinas, comme cette dernière du
collectif El Pampero Cine, c’est vi-
siblement le nouveau ton du ci-
néma de recherche argentin qui
se donne à voir et à entendre
dans ces films à perdre haleine.
Longueur de fleuve, sortilèges du
récit, dilutions retorses, grâces
serpentines. La proposition d’un
autre temps, de fabrication
comme de découverte. A l’heure
du monde en coupes réglées
qu’on nous débite, de quoi flâner,
jouir de la marche et du pay-
sage. p
jacques mandelbaum
Film argentin de Rodrigo
Moreno. Avec Daniel Elias,
Esteban Bigliardi, Margarita
Molfino (3 h 10).
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MERCREDI 27 MARS 2024

Une somptueuse traversée du temps en Iran

Le film que Mohammad Reza Aslani tourna en 2008 dans une forteresse de Kerman sort restauré en salle

LA FLAMME VERTE Le cinéaste

pppp emprunte la voie

L
e choc produit à sa sortie,
en août 2021, par L’Echi-
du conte
quier du vent (1976), film merveilleux,
iranien maudit, frappé
d’interdiction puis exhumé mira-
notamment
culeusement quarante ans plus des « Mille et
tard, avait mis la puce à l’oreille
quant à l’existence d’un artiste de
Une Nuits »
tout premier plan ayant échappé
aux filets de la veille cinéphile,
Mohammad Reza Aslani. Né à nes, guidée par une prophétie du
Racht en 1943, formé aux Arts dé- fond des âges annonçant ses no-
coratifs de Téhéran, ce poète ces avec un mort.
d’avant-garde, contemporain Au fond d’une chambre, sous un
d’Ahmad Reza Ahmadi (1940- dais, elle trouve un homme ina-
2023) et de Forough Farrokhzad nimé, le torse percé de sept épi-
(1935-1967), s’est, comme beau- nes. Un grimoire déposé à son
coup d’autres lettrés de sa géné- chevet lui apprend comment le
ration, mêlé de cinéma, mais à ramener à la vie, à condition de
contre-courant. lire les sept histoires que ses pa-
Outre une production expéri- ges contiennent. Chacune retrace
mentale en formats courts, qui au fil des siècles comment le châ- Nardaneh
lui valut l’étiquette suspicieuse de teau de Kerman fut renversé et (Mahtab
cinéaste « intellectuel », il ne put conquis, passé de main en main. Keramati),
finaliser que deux longs-métra- Chacune est l’occasion de rejouer dans « La Flamme
ges de fiction, distants de trente- dans des ères différentes la ren- verte ».
deux ans. C’est désormais au plus contre entre les amants, projetés GITA ASLANI SHAHRESTANI/
récent d’entre eux, La Flamme dans la peau de personnages lé- CARLOTTA FILMS
verte (2008), de faire l’objet d’une gendaires.
sortie en salle, à la faveur d’une En lieu et place du drame histo-
copie fraîchement restaurée. rique qui aurait sans doute satis-
fait les autorités, Mohammad enchâssés, dans la plus pure tra- Non content de promener ses puits d’ambiguïtés, La Flamme aussi au grand cas qu’il fait de la
Œuvre énigmatique Reza Aslani livre une œuvre dition orientale, notamment des personnages dans des décors hal- verte le convertit en songe, en un lumière : entrées de jour, clairs-
Envisagé d’abord comme une rê- énigmatique, somptueuse tra- Mille et Une Nuits. lucinés, le cinéaste les munit d’ob- territoire d’allégorie. obscurs, crépuscules mordorés
verie autour de la citadelle de versée du temps doublée d’une L’Echiquier du vent était déjà une jets requalifiés en symboles (mi- L’instance flottante de la caméra participent pleinement à une fa-
Bam, détruite lors d’un tremble- profonde méditation sur sorte de conte, qui, situé dans un roir magique, épines mortelles, y est pour beaucoup. Comme por- ble qui vise à soumettre ses per-
ment de terre en 2003, le tour- l’histoire politique et la culture de manoir tapissé d’ombre, en creu- târ aux accords passionnés), de tée par la brise, elle semble glisser sonnages à l’épreuve du miroir, et
nage, repoussé de cinq ans, s’est son pays. sait la veine « gothique ». gestes transformés en liturgie devant les scènes plus qu’elle ne donc à les confondre ou les révé-
replié dans une autre forteresse à Le cinéaste laisse libre cours à La Flamme verte semble d’abord (certaines postures « médiévales » s’y arrête. A l’occasion de certains ler par leurs propres reflets.
proximité de Kerman. C’est en son inspiration poétique, se la prolonger avec sa jeune hé- convoquant la peinture persane), passages purement musicaux, la La riche tradition mythologi-
tout cas devant son enceinte cy- jouant des catégories établies roïne errant parmi les ruines de la et de paroles confinant à l’oraison. mise en scène se fragmente, se que, littéraire, picturale et philo-
clopéenne que, au début du film, comme celles du passé et du citadelle hantée. Mais Aslani vise fait lyrique, bégaie. Dans la cita- sophique qui irrigue La Flamme
s’arrête une famille traversant le présent, du réel et du symboli- une autre propriété du conte, plus Prodigieuse lumière delle ouverte aux quatre vents, verte a de quoi intimider. Le ci-
désert en voiture et espérant que, pour mieux glisser des unes primitive : cette façon qu’il a de Ainsi le film ne ressemble-t-il pas un souffle constant mobilise voi- néaste sait pourtant ne pas nous
trouver là de quoi se désaltérer. aux autres et les rendre perméa- remonter au mystère des choses, à ce qu’on a appris à connaître du lures, robes et tissus, dont Aslani la rendre impénétrable, nous gui-
Nardaneh (Mahtab Keramati), bles. Pour cela, il emprunte la qui apparaissent tout à coup ser- cinéma iranien à travers Kiaros- joue des assemblages de couleurs dant par la sensation à travers un
soustraite à la surveillance de ses voie du conte merveilleux, et ties d’un rayonnement obscur, tami, Panahi ou Makhmalbaf. Le comme des battements envoû- dédale de signes suspendus. Peu à
parents, se faufile parmi les rui- plus encore des recueils de contes d’un sens caché. réel où ceux-ci creusaient un tants. Le prodige du film tient peu, une fable se fait jour qui con-
cerne l’instabilité du pouvoir, la
vaine gloire de commander, la
Mohammad Reza Aslani, « électron libre » du cinéma iranien soif absurde qu’il y a à renverser
l’autre avant de l’être à son tour.
On pourra voir là, peut-être, de
certaines œuvres prennent de cu- par sa fille Gita Aslani Shahrestani, qui le fait d’une censure politique que celle L’on ne sait jamais ce qui appartient aux la part du cinéaste, une façon in-
rieux chemins pour accéder à la recon- retrace son parcours. Né à Rasht en 1943, d’un milieu du cinéma ne l’ayant jamais faits ou à la tradition orale. » directe de renvoyer le régime ac-
naissance. Le nom de Mohammad Reza Mohammad Reza Aslani gagne la capi- accepté dans ses rangs. Après le revers La Flamme verte met en scène une tuel aux millénaires de turpitu-
Aslani s’est ainsi rappelé à la conscience tale à 18 ans. Un oncle musicien l’intro- de L’Echiquier du vent, coupé par son femme, Nardaneh, à laquelle revient de des politiques qui le précèdent, et
des cinéphiles à la suite de la redécou- duit dans les cercles artistiques. producteur, le sérail se serait plutôt délivrer un homme endormi, le torse dont il aimerait se croire pré-
verte d’un premier long-métrage, L’Echi- empressé « de le catégoriser comme un percé de sept épines, qu’on peut voir muni. Dans cette valse historique,
quier du vent (1976). Frappé d’interdic- Méditation sur l’histoire cinéaste intellectuel, trop philosophi- comme « une allégorie du peuple ira- Nardaneh occupe un rôle central,
tion après l’instauration de la Républi- Il étudie le graphisme aux Beaux-Arts, se que ». « Il fallait appartenir au groupe, si- nien ». « L’histoire de l’Iran est mal écrite, le cinéaste confiant à son héroïne
que islamique en 1979, le film a été re- fait connaître au sein d’un groupe de non rien », précise-t-elle, ajoutant : « Mon explique le cinéaste, car elle donne aux la responsabilité d’un geste hau-
trouvé quarante ans plus tard, dans un jeunes poètes modernes, revendiquant père était un électron libre. » seuls hommes le rôle de héros, justifiant tement significatif : tendre un
marché aux puces de Téhéran. une poésie « cubiste », dite « de mainte- Du temps qui a fini par jouer pour son une société patriarcale. Or, à chaque fois jour le miroir à son maître igno-
C’est le fils du cinéaste qui en fit l’ac- nant ». Deux ans d’école de cinéma lui œuvre, Aslani prône une conception re- qu’il y a une forte demande de liberté, elle rant. A la femme revient donc
quisition pour l’équivalent d’une cen- valent d’être embauché comme décora- lative, antichronologique. Comme dans provient des femmes, gardiennes de la cette puissance de révélation à
taine d’euros. La résurrection, en teur par la télévision nationale, dont il La Flamme verte, où le passé et le pré- mémoire collective de ce pays. C’est grâce même de déjouer les obsession-
août 2021, de cette fable vénéneuse a lé- démissionne un an plus tard. Le cinéaste sent se mélangent. Réalisé en 2008, ce à elles que ce peuple millénaire a pu per- nelles logiques du pouvoir. Son
gitimement attiré l’attention sur le se- Fereydoun Rahnema, à la tête d’un dé- second long-métrage a été rendu possi- durer malgré les turpitudes géopoliti- visage oblong, fendu de grands
cond long-métrage d’Aslani, La Flamme partement recherche et documentaire, ble par le climat de réformisme politi- ques, les invasions et les guerres. » yeux clairs, est sans doute l’un des
verte, de trente-deux ans postérieur, qui lui met le pied à l’étrier, lui passant com- que et de dégel culturel survenu au dé- Quinze ans après sa réalisation, diffi- plus persistants mystères qui pla-
sort à son tour et vient bousculer notre mande d’un court-métrage, La Coupe but de la présidence de Mohammad cile de ne pas voir dans ce film un pré- nent sur ce film merveilleux. p
perception du cinéma iranien. Hassanlou, en 1964. La suite semble plus Khatami. Le film présente une médita- sage au mouvement « Femme, vie, li- mathieu macheret
Aujourd’hui octogénaire, vivant à Té- douloureuse pour Mohammad Reza As- tion sur l’histoire iranienne sous le berté » qui a essaimé en 2022. « Sans le
héran, l’artiste aux allures de sage se lani, parle de « blessure » concernant les prisme d’un conte merveilleux. « Ce qui savoir, j’avais senti que quelque chose pla- Film iranien de Mohammad Reza
prête à l’exercice de l’entretien malgré tribulations de son premier long-mé- est très particulier en Iran, indique le ci- nait déjà dans l’air. » Et le temps de se re- Aslani (2008). Avec Mahtab
une visioconférence vacillante. La tra- trage. Selon Gita Aslani, les empêche- néaste, c’est qu’il n’y a pas une ligne très tourner encore une fois sur lui-même. p Keramati, Pegah Ahangarani,
duction est assurée depuis l’Espagne, ments subis par son père seraient moins claire entre l’histoire et la mythologie. ma. mt. Mehdi Ahmadi, (1 h 50).

Chronique de l’avortement clandestin dans l’Espagne franquiste

Jaione Camborda dresse le portrait épuré de Maria, une accoucheuse hors la loi qui s’enfuit grâce à la solidarité des résistants à la dictature

terruption volontaire de grossesse
O CORNO. UNE HISTOIRE (IVG). C’est d’ailleurs pour consoli-
DE FEMMES der ce droit, légalisé en France
ppvv en 1975, que le Parlement français
a inscrit, début mars, dans la Cons-
O corno. Une histoire de femmes,
deuxième long-métrage de la réa-
lisatrice basque espagnole Jaione
Camborda, vient de recevoir la
Coquille d’or au Festival du film de
vient de mourir dans le voisinage.
Maria avait accepté de l’aider à
avorter. Les parents la suspectent,
la police est en route. Suit un
voyage clandestin au Portugal, qui
pour pratiquer des avortements
clandestins. Dans la solitude des
champs de seigle, Maria fait sa
cueillette… Que ce même champi-
gnon soit utilisé dans les deux cas
nages féminins surgissent autour
de Maria, de manière fugace, pour
disparaître ensuite, comme un
passage de relais : une mère qui
accouche, une jeune fille paniquée

L e cinéma n’oublie pas que le

droit à l’avortement fut du-
rement acquis, et qu’il reste
des plus fragiles, comme on l’a vu
aux Etats-Unis, en 2022, lorsque la
titution la « liberté garantie » pour
chaque femme d’avoir recours à
l’IVG. Le combat pour l’IVG nourrit
de plus en plus de scénarios : L’Evé-
nement (2021), d’Audrey Diwan,
Saint-Sébastien (Espagne), soit la
plus haute récompense. Cette
fiction documentée brosse le
portrait épuré de Maria – interpré-
tée par Janet Novas, dont on peut
s’accomplit dans le silence de la
nuit, grâce à la solidarité des résis-
tants à la dictature de Franco.

Choix de devenir mère, ou pas

Cour suprême a annulé l’arrêt fé-
déral Roe vs Wade, qui garantissait
depuis 1973 le droit d’avorter sur
tout le territoire. Un certain nom-
bre d’Etats s’engouffraient alors
dans la brèche pour interdire l’in-
Lion d’or à Venise ; Annie Colère
(2022), de Blandine Lenoir ; Never
Rarely Sometimes Always (2020),
d’Eliza Hittman, entre autres.
Plongée dans l’Espagne fran-
quiste et rurale des années 1970,
regretter le jeu un peu figé –, qui
pratique des accouchements tout
en aidant ponctuellement des
femmes à avorter. Un jour, cette
quadragénaire doit tout quitter et
s’enfuir alors qu’une jeune fille
Le mot corno désigne l’ergot du
seigle, un champignon vénéneux
et parasite qui pousse sur le blé : il
a pu être utilisé dans le passé pour
accélérer les contractions au mo-
ment de la naissance, mais aussi
de figure a quelque chose de
troublant, et c’est aussi la matrice
du film : O corno… travaille l’idée
qu’il n’y a pas lieu d’opposer le fait
de donner la vie et celui de mettre
un terme à une grossesse. Maria
accompagne les femmes dans leur
choix de devenir mère, ou pas.
Rien de tout cela n’est asséné, la
mise en scène nous le dit secrète-
ment, plan après plan. Des person-
faisant comprendre à demi-mot la
catastrophe qui l’amène. Dans cet
univers, les hommes sont relé-
gués au second plan. Un peu
binaire, mais efficace. p
clarisse fabre
Film belge, espagnol et
portugais de Jaione Camborda.
Avec Janet Novas, Siobhan
Fernandes, Carla Rivas (1 h 45).
24 | culture 0123
MERCREDI 27 MARS 2024

« Il n’y a pas un
coupable et une
victime, mais
deux victimes »
Teddy Lussi-Modeste évoque
son troisième film, inspiré
de son expérience de professeur
qui me reçoit me dit que je dois
ENTRETIEN me contenter d’une main cou-

P
rofesseur de français en rante. J’apprendrai plus tard que
Seine-Saint-Denis, Teddy ni l’une ni l’autre de ces affirma-
Lussi-Modeste, 46 ans, tions ne sont vraies. Pendant l’été
aussi réalisateur (Jimmy qui a suivi, j’ai commencé à écrire
Rivière, en 2011, et Le Prix du succès, cette histoire avec ma coscéna-
en 2017), s’est inspiré de son expé- riste Audrey Diwan [réalisatrice
rience pour son troisième film. de L’Evénement, en 2021] puis, en
Pas de vagues raconte l’histoire septembre, j’ai retrouvé un poste Dans « Pas de vagues », François Civil incarne Julien, accusé à tort de harcèlement sexuel par l’une de ses élèves. AD VITAM
d’un professeur de français accusé fixe dans un autre collège. Une
à tort de harcèlement sexuel par fois l’enquête terminée, les choses
une collégienne. A l’heure de sont rentrées dans l’ordre. n’y a pas un coupable et une vic- souffrance. Il m’est arrivé de diffusion des images d’une pro-
#metoo, le film interroge le time, mais deux victimes. En devoir gérer des problèmes de ce fesseure tenue en joue par un de
« Nous avons
rapport que notre société entre- De nos jours, comment narrer s’inscrivant dans le mouvement type sans être suffisamment ses élèves. Le revolver était souhaité
tient avec la parole des victimes. l’histoire d’une jeune fille qui de libération de la parole des pro- formé pour cela. Un jour, une factice, mais le symbole était dé-
accuse un homme innocent ? fesseurs, le film accompagne le mère de famille m’appelle à 7 heu- vastateur. Dès lors, de nombreux
apporter
Quelle est la genèse du film ? Nous avons souhaité apporter mouvement de libération de la res du matin pour me dire que sa professeurs se sont emparés du de la complexité
Le film s’inspire d’une épreuve de la complexité à tous les per- parole des victimes. fille est en photo sur les réseaux hashtag pour dire les violences
que j’ai dû traverser, il y a sonnages. Ainsi, le professeur a sociaux avec un commentaire auxquelles ils avaient été
à tous les
quelques années. J’effectuais alors sa part de responsabilité dans Vous enseignez depuis 2006. que je vous laisse imaginer… Que confrontés, violences souvent personnages »
un remplacement de six mois l’épreuve qu’il traverse. En sortant Comment éviter la propaga- faire ? J’en ai parlé au conseiller suivies du silence de la hiérarchie.
dans un collège jusqu’au jour où du cadre, il permet à l’incident de tion de fausses rumeurs principal d’éducation qui a sug-
j’apprends, dans la plus grande survenir. C’est un idéaliste, mais, de harcèlement ? géré à la famille de porter plainte. Comment expliquer sentir soutenus par leur hiérar-
des sidérations, qu’une de mes derrière l’idéalisme, il y a aussi Nous avons besoin de concevoir ce silence ? chie en cas de crise. Dès qu’un
élèves pense que j’essaie de la sé- une forme d’orgueil. De même, il des protocoles plus efficaces pour « Pas de vagues » vient Le principal est soumis à des in- professeur est menacé de mort, il
duire. Par la suite, un de ses frères nous paraissait essentiel – et recueillir la parole des victimes à du hashtag #pasdevague. jonctions contradictoires. Il lui faudrait que l’établissement
me menace de mort, un autre même moral – de ne pas traiter l’école. Il faudrait, selon moi, re- Quand est-il apparu ? faut à la fois protéger l’équipe porte plainte immédiatement en
l’emmène au commissariat. Le Leslie comme une menteuse : la cruter dans chaque établisse- Le hashtag #pasdevague est né éducative mais aussi satisfaire la son nom et que la protection
principal me dit qu’il ne peut pas jeune fille a vraiment cru que son ment un référent harcèlement dans les années 2010. Puis il est famille des élèves. Les chefs d’éta- fonctionnelle – une aide juridique
porter plainte pour moi au nom professeur voulait la séduire. La qui soit apte à prendre en charge un peu tombé dans l’oubli avant blissement ont besoin de proto- qui prend en charge les frais de
de l’établissement et la policière spécificité de l’histoire est qu’il les élèves et les professeurs en de réapparaître en 2018 après la coles clairs et définis pour se justice – soit accordée au collègue.
J’ai écouté le témoignage déchi-
rant d’une professeure dans un
François Civil, dans la peau d’un jeune enseignant accusé à tort, face à la meute podcast. Un parent d’élève n’avait
pas compris un de ses cours et
avait posté sur les réseaux sociaux
PAS DE VAGUES Duquesne) : « Tu es en beauté aujourd’hui
Leslie… Tu ne crois pas que tu exagères
qui pourra sembler chargé. D’autant que
cette mise en lumière de la victime ne
de force, les malveillances, les violences
qui se donnent libre cours à l’extérieur de
un commentaire l’accusant d’être
raciste. Lorsque la justice a
ppvv avec tant de beauté ? » trouve que peu d’équivalents chez le per- l’enceinte et sur les réseaux sociaux, le tranché en faveur de cette profes-
On n’est jamais mieux trahi que par les Première erreur. La seconde consiste à sonnage de son accusatrice, les raisons et lycée parvient de plus en plus difficile- seure, c’était trop tard. Elle avait dû
siens. De cet adage, Teddy Lussi-Modeste inviter à déjeuner au fast-food du coin la personne de la jeune affabulatrice ment à jouer un rôle de sanctuaire. déjà être exfiltrée de son établisse-
– issu de la communauté des gens du quelques bons élèves, dont Leslie, ce qui demeurant un mystère. Du moins le film On n’est guère surpris de voir le cinéma, ment, car elle était en danger. Elle
voyage, diplômé de la Fémis, professeur ne manque pas d’être mal interprété. La révèle-t-il une particulière acuité lorsqu’il toujours prompt à s’emparer de la vit maintenant dans une autre
de français – tisse une œuvre. Après troisième est d’avoir considéré que sa s’agit de montrer comment l’institution question scolaire, témoigner de cette dé- ville et on lui a même conseillé de
Jimmy Rivière (2011) et Le Prix du succès vie privée ne regardait que lui et de ne scolaire, censée fournir au professeur au gradation venant de toute l’Europe. Pas ne pas en révéler le nom.
(2017), il s’inspire de son expérience pas avoir rendu publique son homose- moins les conditions d’une défense équi- de vagues suit ainsi La Salle des profs, de
d’enseignant à Aubervilliers (Seine-Saint- xualité. Cocktail suffisant pour déduire table, manque à le soutenir à mesure que l’Allemand Ilker Çatak, qui dénonce le Comptez-vous enseigner
Denis), qui lui valut à tort d’être accusé de la perversité de sa nature et déclencher la violence se fait plus menaçante pour la mécanisme pervers des réseaux sociaux ; de nouveau ?
harcèlement sexuel par une élève de une vague d’hostilité à son encontre, dès sécurité de l’établissement. accompagne L’Affaire Abel Trem, du Je compte reprendre un poste à
13 ans. Le film a l’efficacité et l’intensité lors que Leslie, jeune fille taiseuse et Pas de vagues renvoie à deux hashtags. Hongrois Gabor Reisz, dans lequel un la rentrée prochaine. J’ai besoin
d’une démonstration accablante sur les opaque, aura fait savoir que l’enseignant D’abord, #metoo avec l’effet collatéral de cancre ultranationaliste jette l’opprobre d’exercer mes deux métiers pour
dysfonctionnements de l’institution sco- a envers elle des gestes déplacés. la révolution en marche qui, visant des sur ses examinateurs du bac ; annonce ma stabilité. Je me sens, de plus,
laire. L’exposition est en trois actes. Au innocents, n’en est pas moins susceptible enfin Amal. Un esprit libre, du Belge Jawad redevable pour tout ce que l’école
cours du premier, Julien (François Civil), Violence et réseaux sociaux de briser des individus. Et #pasdevague, Rhalib (17 avril), qui fait débouler le m’a apporté à moi qui suis issu de
jeune professeur enthousiaste et ambi- Le développement procède d’un cres- sous la bannière duquel s’exprime le salafisme dans la salle de classe. p la communauté des gens du
tieux, enseigne Ronsard à ses élèves et, cendo victimaire – frère psychopathe de malaise d’un corps enseignant qui se sent jacques mandelbaum voyage et qui aurais dû arrêter les
pour donner à comprendre la figure de la jeune fille, effet de meute dans la classe, abandonné par son administration, et études très tôt pour faire les
l’astéisme, qui consiste à louer une émulsion des réseaux sociaux, refus de la que les assassinats de Samuel Paty et Film français de Teddy Lussi-Modeste. marchés avec mon père. p
personne en feignant de la blâmer, police d’enregistrer sa plainte, parents Dominique Bernard ont porté à un point Avec François Civil, Shaïn Boumedine, propos recueillis par
s’adresse ainsi à la jeune Leslie (Toscane d’élèves mobilisés, collègues versatiles – d’incandescence. Touché par les rapports Toscane Duquesne (1 h 31). maroussia dubreuil

Deux joyaux de l’animation russe à destination des plus jeunes

Issus des studios Soyuzmultfilm, « La Renarde et le Lièvre » (1973) et « L’Antilope d’or » (1954) rivalisaient d’inventivité avec Disney

LA RENARDE ET LE avec Disney – au moment où sor-

tait L’Antilope d’or, le studio amé-
LIÈVRE/L’ANTILOPE D’OR ricain délivrait Peter Pan (1953) et
pppv La Belle et le Clochard (1955) .
Youri Norstein, qui rêvait d’être
Renarde se pavane dans un palais
de glace scintillant. Mais, le prin-
temps venu, son palais fond jus-
qu’à la dernière goutte. Aussitôt, la
Renarde prend possession de la
personnages, aux corps articulés,
qui finissent parfois par se fondre
dans les motifs de tapisserie.
Tout autre est L’Antilope d’or, aux
couleurs vives, aux mouvements
quelle permet de retranscrire par
le dessin des images en prises de
vues réelles – Disney y eut re-
cours, par exemple pour Blanche-
Neige (1937). Ce procédé confère
d’une antilope semant des pièces
d’or sur son passage – lesquelles
semblent jaillir de ses sabots.
L’homme tout-puissant va utiliser
le jeune garçon pour parvenir à

Q uarante-trois minutes
de poésie et d’aventures,
c’est à prendre et à ne
pas laisser. Le distribu-
teur Malavida ressort deux
joyaux de l’animation russe à
destination du jeune public, La
Renarde et le Lièvre (1973), de
Youri Norstein, né en 1941, et L’An-
tilope d’or (1954), de Lev Atama-
nov (1905-1981). Ces auteurs sont
issus des studios moscovites
Soyuzmultfilm, créés en 1936,
lesquels, pendant la guerre
froide, rivaliseront d’inventivité
peintre, s’est distingué dans l’ani-
mation en fabriquant des fables
aux écrins enchanteurs : ses mo-
tifs floraux et ses superpositions
de papier découpé créent de la pro-
fondeur et du relief, ainsi qu’une
atmosphère d’une infinie dou-
ceur, laquelle se lit jusque dans le
regard des personnages. Ici le
Lièvre : cet animal aux longues
oreilles, tout gentil, vit d’un bon-
heur simple dans sa cabane en
rondins de bois, jouant de la bala-
laïka pendant que le feu illumine
le poêle. A quelques pas de là, la
cabane du Lièvre et jette celui-ci
dehors. Le Loup, le Grand Ours, le
Taureau, etc., ont beau vanter cha-
cun leur force, aucun n’aura le
courage de déloger l’intruse.
Lion d’or à la Mostra de Venise
L’histoire crée un comique de ré-
pétition et fera triompher un petit
animal, le Coq, qui ainsi rétablira
l’harmonie. On admire le rouge
des plumes, le rideau soyeux qui
sert de paravent au Lièvre, le gra-
phisme de la forêt esquissé par des
lignes, enfin l’esthétique naïve des
fluides et aux papillons mer-
veilleux. Son réalisateur, Lev Ata-
manov, rejoignit les studios
Soyuzmultfilm en 1948, enchaî-
nant les courts et longs-métrages.
La Reine des neiges (1957), son film
d’animation inspiré du conte
d’Andersen, lui valut une recon-
naissance internationale ainsi
que le Lion d’or à la Mostra de
Venise – Hayao Miyasaki le cite ré-
gulièrement comme l’une de ses
influences majeures.
L’Antilope d’or est fabriqué selon
la technique de la rotoscopie, la-
une grande souplesse aux mou-
vements des personnages,
comme en témoignent ici la grâce
de l’antilope et celle du petit gar-
çon, autre héros du film. Ce jeune
orphelin vit au milieu des singes,
toujours prompts à faire pleuvoir
des noix de coco sur les méchants,
comme un clin d’œil à Mowgli
dans Le livre de la jungle (1894), de
Rudyard Kipling (1894) que
Disney adaptera en 1967.
Lev Atamanov nous conte l’his-
toire d’un maharaja, avare et peu
scrupuleux, qui rêve de s’emparer
ses fins, mais celui-ci ne vendra ja-
mais son âme, même pour de l’ar-
gent. Cet enfant, qui n’hésite ja-
mais à aider son prochain, est en-
touré d’amis qui le soutiendront
dans les différentes épreuves. Un
périple drôle et haletant, où la
solidarité est érigée en force. p
clarisse fabre
La Renarde et le Lièvre (1973),
film d’animation russe de Youri
Norstein (12 min). L’Antilope d’or
(1954), film d’animation russe de
Lev Atamanov (31 min).
 culture | 25
0123
MERCREDI 27 MARS 2024

ppvv À VOIR
E

Le Jeu de la reine
N

Film américain et britannique de Karim Aïnouz (2 heures).

En adaptant Le Jeu de la reine (Queen’s Gambit. A Novel of
I

Katherine Parr), premier tome de la trilogie sur les Tudor,

A

publié en 2012 et traduit en français en 2022 aux éditions

Hauteville, de la romancière anglaise Elizabeth Fremantle, le
M

réalisateur brésilien Karim Aïnouz célèbre une femme

brillante jusqu’à présent peu représentée dans l’histoire de la
E

dynastie… L’inédite Catherine Parr, la sixième épouse du roi

S

Henri VIII, qui a répudié ou assassiné la plupart de ses

ex-femmes, risque sa vie pour s’être de nouveau rapprochée
du mouvement réformiste qui plaide presque ouvertement
A

pour l’anarchie. En préférant le récit de la persévérance à celui

L

de l’émancipation, on sait gré au film de faire un pas de côté

sur le chemin de l’intrigue féministe. Le Jeu de la reine pro-
gresse en gros plans, ce qui le démarque des films d’époque ty-
E

piques qui se donnent bien souvent pour mission de montrer

D

tout le cérémonial. Il semble même que nous assistions à

quelque chose qui relève du queen porn ou du king porn, avec
ce goût pour l’esthétique des entrailles qui rappelle sans doute
S

la férocité d’antan. Si l’approche est un peu factice, notons que

Jude Law, dans le rôle du roi purulent, change radicalement de
M

registre. C’est le grand événement du film. p m. dl

L

pvvv POURQUOI PAS

I

Paternel
F

Film français de Ronan Tronchot (1 h 32).

En juin 2023, sortait en salle Magnificat, de Virginie Sauveur,
qui partait du postulat qu’une femme s’était déguisée en curé
S

de campagne durant tout son magistère – matière à plaidoyer Apolonia Sokol, 36 ans, dans le documentaire de Lea Glob. DANISH DOCUMENTARY/SURVIVANCE
E

romanesque pour l’intégration des femmes dans la prêtrise et

contre le célibat des prêtres. Paternel vogue sur les mêmes
R

eaux réformistes, et voit Simon, prêtre dévoué et exemplaire

Le journal filmé de la peintre

T

(Grégory Gadebois), se découvrir tardivement un fils, ramené

par sa mère et conçu durant les années d’études de Simon, et
U

qu’elle a jusqu’à présent éduqué seule. La vocation sacerdotale

et féministe Apolonia Sokol

A

est-elle, comme le soutient Simon contre sa hiérarchie,

compatible avec celle de la paternité ? Ce sont ces voies
particulières qu’explore le film, qui eût considérablement
S

gagné en vraisemblance s’il s’était un peu plus intéressé au

E

personnage, si l’on ose dire sacrifié, du fils. p j. ma.

Lea Glob suit l’éclosion, sur la scène contemporaine, de la jeune artiste
L

À L’AFFICHE ÉGALEMENT
L’Attaque du bloc d’or
Film français d’Olivier Goujon (2 h 16).
Les Fées sorcières Le film capte aussi la relation fu- Comme lorsque cet expert lui dit
Programme de quatre courts-métrages d’animation belges, APOLONIA, APOLONIA sionnelle que noua la peintre avec
Une relation que sa personnalité et son monde
bulgare, français, russe, d’Evgenia Golubeva, de Cedric Igodt pppv l’artiste et activiste ukrainienne fusionnelle s’est intérieur sont peut-être plus inté-

R
et David Van de Weyer, de Marion Jamault, d’An Vrombaut ien n’arrête la peintre fi- Oksana Chatchko, cofondatrice ressants que ses toiles –
(40 min). gurative Apolonia Sokol, des Femen, qui s’est donné la mort
nouée avec la aujourd’hui, Apolonia Sokol est ré-
Kung Fu Panda 4 36 ans, surtout pas la en 2018. Le tournage s’est donc cofondatrice des gulièrement citée dans la presse
Film d’animation américain de Mike Mitchell (1 h 34). peur de déplaire. Et rien achevé, brutalement amputé de sa spécialisée comme faisant partie
La Lettre. Voyage au pays d’avant #metoo 2 ne pouvait interrompre cette ob- douce et tourmentée présence au
Femen Oksana des artistes qui montent.
Film français de Jean-Louis Cros (1 h 25). session de filmer la turbulente monde – la fine silhouette de Chatchko, morte Lea Glob réussit à montrer par
Mon milieu jeune diplômée des Beaux-Arts de Chatchko apparaît sur plusieurs quels chemins cabossés cette
Film français de Milo Chiarini (2 heures). Paris qui devenait une amie, pres- toiles de Sokol, l’une d’elles la
en 2018 jeune peintre à vif avance, cherche
La Promesse verte que une sœur, pour la réalisatrice montrant avec ses deux poignets son identité, consciente du risque
Film français d’Edouard Bergeon (2 heures). danoise Lea Glob. Son documen- cassés et bandés, à la suite d’une de devenir un « produit industriel »
La Théorie du boxeur taire addictif, Apolonia, Apolonia, action qui lui valut une arrestation fut atteinte d’une maladie rare, à lorsque sa cote décolle et que se
Documentaire français de Nathanaël Coste (1 h 37). dont le tournage a duré treize ans, musclée. C’est donc au miroir de l’âge de 8 ans, et que des sœurs pose la question de peindre plus.
est en forte empathie avec son per- ces trois parcours de femmes, ar- veillaient sur elle, lui apportant La dépression guette. Le film im-
sonnage (son talent, l’attraction tistes en devenir, que se joue ce ré- des bibles illustrées de maîtres ita- mortalise ce moment décisif, à Los
qu’elle exerce autour d’elle), tout cit fragmenté, intime et politique. liens. Après la séparation de ses Angeles, lors d’une exposition,
en le regardant au fond des yeux, parents, à l’adolescence, Apolonia lorsque Sokol se dénude devant
LES MEILLEURES ENTRÉES EN FRANCE avec ses côtés insupportables. Une vie comme un grand huit Sokol part vivre avec sa mère, à Tree (2014), de l’Américain Paul
Evolution Apolonia Sokol est aussi un Née à Paris, en 1988, Apolonia Copenhague. La jeune artiste dé- McCarthy, le sapin vert géant, plus
Nombre par rapport Total corps, un visage d’une grande sen- Sokol a grandi au Lavoir moderne couvrira ensuite Düsseldorf (Alle- connu sous le nom de « plug
de semaines Nombre Nombre à la semaine depuis sualité, un regard semblable à un parisien (LMP), scène alternative magne), New York, etc., puis re- anal », qui fit scandale et fut vite
d’exploitation d’entrées (*) d’écrans précédente la sortie éclair, une bouche immense, du quartier de la Goutte-d’Or, trouvera à nouveau son père dans retiré. A cet instant, elle cherche
peinte avec ce rouge à lèvres dont fondée en 1986 par ses parents, un les murs du LMP, où fut accueilli, peut-être le point de rupture, et
Dune. Deuxième partie 4 356 918 1090 ↓ – 26 % 3 302 023
elle dépose l’empreinte sur les en- père polonais, une mère danoise – en 2012, un groupe de Femen. Elle semble prête à « se griller » auprès
Une vie 5 115 489 727 ↓ – 17 % 1 325 317 veloppes qu’elle envoie à ses amis, le lieu a dû fermer ses portes tentera aussi Los Angeles… de marchands d’art pour retrou-
Heureux gagnants 2 102 915 423 ↓ – 12 % 241 305 pour les inviter à ses expositions. en 2014 avant d’être repris par la Dès lors qu’elle se fait une place ver sa liberté. Mais on ne saura
Comme le dit la cinéaste dans ce compagnie Graines de soleil. Inté- sur la scène contemporaine, avec jamais ce qui traversa son esprit à
Immaculée 1 96 066 302 96 066 journal filmé, elle ne sait pas « qui grant des images d’archives, le ses portraits – et autoportraits – ce moment-là, Apolonia, Apolonia
Karaoké 1 81 344 567 81 344 a capturé qui » dans cette histoire film montre comment cette grand format, hyperréalistes, gardant tout entier le mystère de
où elle se met elle-même en scène, enfance passée dans ce lieu multi- d’hommes et de femmes aux cette fascinante artiste. p
Hors-saison 1 80 989 334 80 989
en tant que jeune cinéaste affron- culturel, ancré dans la vie de quar- mines graves de morts-vivants, la clarisse fabre
Il reste encore demain 2 73 976 213 ↓ – 37 % 219 316 tant la maternité dans la douleur, tier, a considérablement nourri la vie d’Apolonia Sokol devient un
Maison de retraite 2 6 57 762 518 ↓ – 21 % 1 455 068 quand, de son côté, Apolonia vocation de la future peintre. Son grand huit, avec ses accélérations Documentaire danois, français
Sokol clame son refus d’être mère. séjour à l’hôpital aussi, lorsqu’elle fortes et ses descentes violentes. et polonais de Lea Glob (1 h 56).
Boléro 3 54 490 665 ↓ – 23 % 322 826
Cocorico 7 52 616 518 ↓ – 8% 1 863 017
AP : Avant-première * Estimation
Source : « Ecran total » Période du 20 au 24 mars inclus

En Hongrie, une école au centre d’un scandale

Dans l’attente des résultats définitifs du Printemps du cinéma, qui
s’est déroulé du 24 au 26 mars, le box-office français fait toujours
Gabor Reisz met en scène un professeur pris dans un engrenage politico-médiatique
grise mine. Deux continuations survolent toutefois les débats.
Le nouvel opus de la saga Dune, distribué sur plus de 1 000 écrans, 18 ans, se présente à l’épreuve ment de l’Etat, rappelle la fracture dance à nous égarer. Il faut patien-
ajoute ainsi 300 000 spectateurs dans son escarcelle et dépasse les L’AFFAIRE ABEL TREM orale du bac et sèche sur deux politique du pays et l’agressivité ter une demi-heure avant d’assis-
3 millions d’entrées. Derrière, plus modestement, pour ne pas dire ppvv questions… La révolution indus- entre les partisans de la gauche et ter au fiasco de l’oral du bac.
plus étonnamment, le drame historique anglais Une vie passe le
million d’entrées. Les nouveautés, en revanche, ne parviennent que
difficilement à émerger. Première, parmi elles, le film d’épouvante
américain Immaculée, qui attire un peu moins de 100 000 specta-
teurs, pour une moyenne de 318 spectateurs par copie. Notons,
L a Salle des profs, d’Ilker
Çatak, Pas de vagues, de
Teddy Lussi-Modeste, Amal
(sortie le 17 avril), de Jawad Rhalib…
A l’instar de ces trois récents films,
trielle à l’ère moderne ? Ça ne lui
dit rien. Jules César ? Non plus.
Pour amorcer le dialogue, Jakab
(Andras Rusznak), son professeur
d’histoire, désigne la cocarde
de la droite. Alors que le film se
garde de trancher, malgré la vio-
lente politique antimigrants et le
mépris des droits des person-
nes LGBT de la part du Fidesz, il dé-
Dans la lumière estivale, belle
comme la promesse d’une accal-
mie, on se laisse séduire par les
scènes qui prennent la mesure de
la vulnérabilité d’Abel. A 18 ans,
juste derrière, la résistible entrée en matière de la comédie française dont l’action se déroule au collège accrochée sur le revers de la veste crit un face-à-face tendu entre le dépassé par l’emballement mé-
Karaoké, qui n’atteint même pas les 200 spectateurs par copie. Où ou au lycée, L’Affaire Abel Trem, du du lycéen – traditionnellement père d’Abel, un entrepreneur du diatique autour de son mensonge,
que l’on dirige le regard, le sentiment d’une morne plaine se dessine. réalisateur hongrois Gabor Reisz, portée à l’occasion de l’anniver- bâtiment agacé de voir des jeunes il découvre l’amour, gère difficile-
met en scène un professeur pris saire de la guerre d’indépendance gens partir pour l’Europe occiden- ment les autres, se tape la tête con-
dans un engrenage après avoir été de 1848, mais symbolisant de plus tale, et le professeur de gauche. tre les murs d’avoir fait pire que
accusé à tort par un élève. en plus le Fidesz, le parti national- son « attardé de cousin » au bac. Il
Cette concomitance de sorties conservateur au pouvoir de Viktor Multiplication des perspectives craint d’être bête. C’est là que le
ÉDI TI ON Hebdo. Son odeur après dit beaucoup de la remise en Orban. Recalé, Abel décide de Construit en dix chapitres, le film film trouve son incarnation sensi-
Cédric Sapin-Defour la pluie, paru en mars 2023 question de la parole enseignante mentir à ses parents sur les rai- procède par touches impression- ble et c’est un peu dommage de la
récompensé aux aux éditions Stock, a été et questionne le rapport que la so- sons de son échec, en affirmant nistes avec un goût pour la comé- laisser filer à la faveur d’autres per-
Trophées de l’édition plébiscité en librairie. Le ciété entretient avec la parole des avoir été pénalisé à cause de die du détail domestique. Dans les sonnages plus schématisés. Il faut
Cédric Sapin-Defour, auteur Trophée de la petite maison victimes lorsqu’elles sont liées à son pin’s, et déclenche, malgré lui, chassés-croisés entre le foyer piocher, ici et là, les petits miracles
d’un best-seller inattendu d’édition de l’année a été re- des sujets brûlants (agressions un scandale politico-médiatique d’Abel et celui de Jakab, auxquels offerts par le film. p
avec un récit émouvant mis aux éditions Aux forges sexuelles, racisme, politique), ce à mené par une jeune journaliste. s’ajoutent les petits nids des per- maroussia dubreuil
de la vie de son chien, a été de Vulcain, tandis qu’Antoine quoi il faut ajouter la caisse de ré- Récompensé du Grand Prix sonnages secondaires, se lit l’in-
élu auteur de l’année lors Caro, directeur des éditions sonance des réseaux sociaux. Orizzonti à la Mostra de Venise, tention de tisser une structure Film hongrois de Gabor Reisz.
des Trophées de l’édition, Seghers, a été élu éditeur Voici donc la trame. A Budapest, en 2023, le troisième film de Gabor narrative complexe. Cette multi- Avec Gaspar Adonyi-Walsh et
remis lundi 25 mars par Livres de l’année. – (AFP.) Abel Trem (Gaspar Adonyi-Walsh), Reisz, réalisé sans aucun finance- plication des perspectives a ten- Andras Rusznak (2 h 07).
26 | télévision
Pompidou, dans l’arène de la politique
Portrait touchant d’un épicurien qui éprouva, une fois au pouvoir, le tragique de l’existence
FRANCE 3
MERCREDI 27 - 21 H 10
DOCUMENTAIRE
A
près l’inoubliable gé-
nérique des « Dossiers
de l’écran », sur la
deuxième chaîne de
l’ORTF, soudain, l’émission s’in-
terrompt. Le journaliste Philippe
Harrouard apprend aux Français
la mort de Georges Pompidou,
le chef de l’Etat, survenue ce
2 avril 1974, à 21 heures, à Paris.
Léon Zitrone, journaliste et com-
mentateur des grands événe-
ments, tente de faire face à la pa-
nique : « Nous allons improviser.
Nul ne s’y attendait. » Et l’on voit
en effet la rédaction de la télévi-
sion officielle prise de court !
On mesure, dès le début de
ce documentaire consacré au
deuxième président de la Ve Répu-
blique, un demi-siècle après sa
disparition, le temps écoulé et
le changement des mœurs. Qui
pourrait, aujourd’hui, être surpris
qu’un président, défiguré par
la cortisone depuis des mois, dont
la parole s’émaillait de silences de
plus en plus longs, ne finisse par
mourir en scène ? Qui croirait les
dénégations répétées des minis-
tres et le prétexte d’une « grippe » ?
Quel journaliste « improviserait »
dans de telles circonstances ?
Faux scandale
On a beau le savoir, cela reste une
surprise, dans ce documentaire
de facture classique par ailleurs.
Le portrait est juste, assez tou-
chant, illustré de photographies
peu connues de la jeunesse, mais
voilà un homme dénué de dé-
fauts ou presque, jeté dans
l’arène de la politique, dont la
cruauté lui coûtera la vie. Le ré-
sumé peut sembler caricatural.
Faute de regards ou de témoigna-
ges moins empathiques, cette
impression demeure.
Placé à juste titre sous le signe de
la relation fondatrice entre de
Gaulle et Pompidou, il n’omet
rien de l’hostilité des gaullistes en-
vers un homme qui avait commis
le double péché d’avoir ignoré la
Résistance et choisi l’argent – il fut
directeur général de la banque
Rothschild. Mais, enfin, il n’était
pas seul contre tous ! Les « diaboli-
ques », Marie-France Garaud et
Pierre Juillet, ne font que passer,
GRILLE N° 24 - 074
PAR PHILIPPE DUPUIS
Retrouvez l’ensemble de nos grilles sur
1 2 3 4 5 6
I
II
III
IV
V 8
VI
VII
VIII
IX
X
SOLUTION DE LA GRILLE N° 24 - 073
HORIZONTALEMENT I. Enthousiasme. II. Maar. Nombril. III. PUF. Piura.
La. IV. Efforts. Néon. V. Crépies. Donc. VI. Ha. US. Ibos. VII. Egale. Gon.
Ar. VIII. Uélé. Uni. Via. IX. Su. Néfertari. X. Erythréennes.
VERTICALEMENT 1. Empêcheuse. 2. Naufrageur. 3. Taffe. Al. 4. Hr.
Opulent. 5. Prise. Eh. 6. Unité. UFR. 7. Soussignée. 8. Imr. Boire.
9. Abandon. Tn. 10. Sr. Eos. Van. 11. Milon. Aire. 12. Elancerais.
Georges Pompidou, dans son bureau, à Paris, en 1970. IGP/AP
fusil à la main, Edouard Balladur
est à peine mentionné. C’est peu.
La relation du couple fusionnel
que forment Georges Pompidou,
fils d’enseignants, et Claude
Cahour (1912-2007), issue d’une
famille de notables, mariés jeu-
nes, est illustrée d’images rares.
Alors que leur promenade les
mène au bord d’une falaise,
Claude argue de son vertige et fi-
nit par entraîner son mari loin
du danger. Ce que, au fond, elle
n’aura pu faire dans la vie.
Celui ou ceux qui ourdirent un
faux scandale, après la mort,
en 1968, de Stevan Markovic, réfu-
gié politique yougoslave, voyou et
maître chanteur, ancien homme
à tout faire d’Alain Delon et amant
de sa femme Nathalie, savaient
cela parfaitement. Mme Pompidou
fut victime d’une rumeur montée
de toutes pièces, selon laquelle elle
aurait participé à des « parties fi-
nes ». Grossière fake news, di-
rait-on en anglais contemporain.
Georges Pompidou ne s’en re-
mit jamais tout à fait, bien qu’il ait
jeux.lemonde.fr
7 8 9 10 11 12
transformé cette douleur en rage
et cette fureur de tigre en ambi-
tion politique. Sans doute le nor-
malien, agrégé de lettres classi-
ques, avait-il des dispositions
pour cela. Son appétence pour le
bonheur, son épicurisme – il dé-
pensait l’argent avec gourman-
dise et facilité –, son goût pour
l’art ne suffirent pas à lui épar-
gner le tragique de l’existence. Et,
de fait, la cruauté de la politique.
Après avoir joué avec sa démis-
sion, il perd. De Gaulle, génie du
verbe, le met « en réserve de la Ré-
publique », comme on congédie
un bon serviteur resté trop long-
temps à Matignon : « Six ans et
demi de fonctions !, lance le prési-
dent en levant l’index, durée qui
n’a aucune espèce de précédent de-
puis quatre générations ! »
La comédie du pouvoir tourne
au drame. La maladie de Walden-
ström, un cancer rare, montre ses
premiers signes cet été-là, à son
insu. Pompidou s’est senti trahi
lors de l’affaire Markovic, il l’a été
et affiche sans détour son désir de
HORIZONTALEMENT
I. Se permettait des privautés pas tou-
jours désagréables. II. Les voisines s’y
retrouvaient les mains dans l’eau. Un
prince à l’opéra. III. En mauvais état.
Eau mélangée. IV. S’enfonce en tour-
nant. Etudes et analyses en réduction.
Mesure en Asie. V. Celui du cœur est
chaleureux. Dieu égyptien. Etat de
l’océan Indien. VI. Pour tracer droit.
Stupéfait. VII. Désagréable en bouche.
Pas faciles à repasser. VIII. La Terre.
Nous soumettrions. IX. Descendre
et sombrer trop rapidement. Point.
X. Peut attraper froid, s’il ne chauffe
pas la salle.
VERTICALEMENT
1. Assemblages sécurisés par des
chevilles. 2. Avec beaucoup de finesse
et d’adresse. 3. Mit au courant. Sur
la route des marcheurs. 4. Oncle
d’Amérique. Essence de bigaradier.
5. Bonnes gardiennes à Rome. Jazz
des années 40. 6. Permet de vider
la vessie. Forme d’avoir. 7. Entrent en
liste. Coule en Suisse. Met le feu aux
organes. 8. Conjonction. Vallée flu-
viale. 9. En liberté. Petits moments
de silence pour le musicien. 10. Pièce
importante de la charrue. Tire tou-
jours quelques larmes. 11. Chanta
comme un Tyrolien. Inconsciem-
ment dans sa la locution. 12. Rester
tranquillement en arrière.
De Gaulle, génie
du verbe, le met
« en réserve de
la République »,
comme
on congédie
un bon serviteur
succéder au Général. En visite pri-
vée au Vatican en janvier 1969,
il assure lors d’un « off » avec des
journalistes que « ce n’est un mys-
tère pour personne ». Réaction vio-
lente de De Gaulle.
Les polémiques qui s’ensuivent
sont tranchées pour l’histoire. La
scène, retrouvée, figure dans le do-
cumentaire. On voit le garde du
corps, en retrait de l’ex-premier
ministre, tendre un micro. L’inten-
tion est claire. Et il sera élu en juin
1969, après le désastre du référen-
dum voulu par de Gaulle, par
58,2 % des Français. Le mandat
SUDOKU
N°24-074
3 4
5 1
6 9
2 6
8 5 9 Chaque chiffre ne doit
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5 4 7 6 2 par
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À la croisée
des mots
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0123
MERCREDI 27 MARS 2024
NOTRE
SÉLECTION
M ER C R EDI 2 7 M A RS
Museum TV
Sculptrices, ni muses ni modèles
20.00 Du XVIe siècle à nos jours,
celles qui n’étaient ni muses ni
modèles ont dû braver les préjugés,
les interdits, pour exercer leur art.
Une série de destins singuliers que
raconte ce documentaire plein de
chefs-d’œuvre trop souvent oubliés.
Arte
Kramer contre Kramer
20.55 Le combat d’un père divorcé
qui veut la garde de son enfant.
Une première au cinéma que ce film,
qui a ému aux larmes des millions de
spectateurs… et le jury des Oscars
en 1980, qui donnera une statuette
à Dustin Hoffman et à Meryl Streep,
et trois au réalisateur, Robert Benton.
Canal+ Docs
Blue Carbon. Le superpouvoir
de la nature
21.00 La préservation et la
restauration des écosystèmes
côtiers, baptisés « carbone bleu »,
car ils peuvent absorber le carbone
trente-cinq fois plus vite que les
forêts tropicales, sont au cœur de ce
documentaire, qui révèle les enjeux
majeurs pour le réchauffement
de ces puits de carbone.
Gulli
Malcolm
écourté de Georges Pompidou, 21.05 Petit génie malgré lui, Malcolm
tout de même un quasi-quinquen- n’hésite pas à se servir de son
nat, reste gravé dans la mémoire intelligence pour faire les quatre
collective comme celui de la mo- cents coups avec ses frères. Pour
dernisation industrielle de la les 20 ans de la série télé de Linwood
France, indissolublement lié aux Boomer avec Frankie Muniz
« trente glorieuses ». Le centre (Malcolm), Gulli rediffuse en vrac
d’art moderne qui porte son nom les épisodes les plus drôles.
à Paris a, depuis longtemps, fait
taire les controverses liées à ses Ushuaïa TV
tuyaux bariolés. L’image du plus Du chocolat pour sauver
célèbre Auvergnat de Paris, regard l’Amazonie
perçant sous les sourcils en brous- 22.20 Bertrand Delapierre raconte
saille, une éternelle cigarette vis- le combat de scientifiques,
sée aux lèvres, s’est imprimée de producteurs et d’agriculteurs pour
dans la rétine des Français. La voix faire du cacao le fer de lance de la
de Denis Podalydès accompagne défense environnementale au Brésil,
admirablement cette épopée, qui en permettant de recréer des activités
devrait plaire au-delà d’un public humaines en accord avec la nature.
de baby-boomeurs. p
béatrice gurrey Canal+
Opération Napoléon
Georges Pompidou, la cruauté 22.50 Une jeune avocate accusée
du pouvoir, documentaire réalisé d’un meurtre doit, pour se disculper,
par Jean-Pierre Cottet, écrit par retrouver un dossier, « Opération
Eric Roussel, Jean-Pierre Cottet, Napoléon », découvert dans un avion
Patrice Duhamel (Fr., 2024, de guerre allemand, après la fonte
100 min). A la demande sur des glaces en Islande, et recherché
France.tv par les services secrets.
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du « Monde » SA. Durée de la société :
99 ans à compter du 15 décembre 2000.
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MERCREDI 27 MARS 2024
Maurizio Pollini
Pianiste italien
L
e pianiste italien Maurizio
Pollini est mort à Milan,
samedi 23 mars, dans la
matinée, à l’âge de 82 ans.
C’est le Théâtre de la Scala qui en a
fait l’annonce sur son site dont la
page d’accueil est entièrement
consacrée au musicien considéré
comme « une référence fondamen-
tale dans la vie artistique du théâ-
tre depuis plus de cinquante ans ».
Depuis 2022, nombreuses
avaient été les annulations de con-
cert pour raisons de santé, sou-
vent à la dernière minute, comme
le 21 août de cette année-là, quand
Maurizio Pollini avait dû renoncer
à un récital, en raison de « problè-
mes cardiaques aigus », selon les
termes employés par Markus Hin-
terhäuser, le directeur artistique
du Festival de Salzbourg, où il était
programmé ; ou, quelques mois
plus tard, 5 novembre, à Turin, où
le soliste avait prévu de se produire
par solidarité avec les victimes des
inondations qui venaient de dé-
vaster une partie de l’Italie.
Le grand artiste a donc pénible-
ment quitté la scène des concerts
sur laquelle il s’était très tôt dis-
tingué. Tant par son jeu fait de
prospections réfléchies et de ful-
gurances instinctives que par ses
programmes dans lesquels la mu-
sique contemporaine, de Pierre
Boulez (dont la 2e Sonate le fasci-
nait) à Karlheinz Stockhausen
(avec une prédilection pour le
Klavierstück X), occupait une
place de choix.
D’un naturel discret, cet homme
d’une grande élégance ne man-
quait pas de sortir de sa réserve, au
clavier – à l’instar de son maître
Arturo Benedetti Michelangeli
(1920-1995), qui se disait timide
sauf quand il s’agissait de musi-
que – comme en société, pour ser-
vir sous différentes formes un
idéal de démocratie. Au début des
années 1970, on l’a vu jouer dans
une usine occupée, profiter d’un
concert pour dénoncer les bom-
bardements du Nord-Vietnam par
les Etats-Unis ou réagir au sort du
président chilien Salvador Al-
lende, victime du coup d’Etat mili-
taire qui porta au pouvoir Augusto
Pinochet, en septembre 1973.
Un pianiste humaniste
Engagé, comme son grand ami le
chef d’orchestre Claudio Abbado
(1933-2014), d’un point de vue plus
humaniste que politique, Mauri-
zio Pollini fit encore entendre sa
voix en 2011 lors d’une manifesta-
tion de grande ampleur ayant
pour but la démission de Silvio
Berlusconi, alors président du
conseil. Le respect d’une ligne de
conduite claire et inaltérable par-
delà les années détermine égale-
ment son parcours d’interprète
privilégiant quelques composi-
teurs phares, parmi lesquels Fré-
déric Chopin et Ludwig van
Beethoven, au détriment d’autres
musiciens pourtant « adorés », tels
que Jean-Sébastien Bach (abordé
sur le tard), Maurice Ravel (de loin
en loin) et Domenico Scarlatti (ja-
mais enregistré). Des renonce-
ments jugés très douloureux mais
justifiés par la volonté de faire de
certains chefs-d’œuvre les compa-
gnons de toute une vie. Par exem-
ple, les trois dernières sonates de
Beethoven, gravées pour Deuts-
che Grammophon en 2020, près
d’un demi-siècle après les avoir en-
registrées pour la première fois.
Maurizio Pollini naît le 5 jan-
vier 1942 à Milan dans une famille
d’artistes. Son père, Gino, est un
architecte affilié au courant ratio-
naliste et son oncle maternel,
Fausto Melotti, un sculpteur porté
vers l’abstraction. Si l’un et l’autre
pratiquent la musique en ama-
teur, l’enfant n’assiste jamais à
leurs aubades pas plus qu’il n’en-
tend sa mère chanter ou jouer du
piano. C’est toutefois elle qui lui
fait prendre des cours avec Carlo
Lonati dès l’âge de 6 ans.
Le jeune Maurizio reçoit ainsi les
bases du piano et, à la mort de son
premier maître, en 1955, poursuit
l’étude de l’instrument avec Carlo
Vidusso au Conservatoire de Mi-
lan. Il y est très vite remarqué, no-
tamment par un ami du composi-
teur Giacomo Manzoni, qui rend
visite à celui qu’on qualifie alors de
« petit génie ». L’adolescent lui fait
forte impression, notamment
pour connaître sur le bout des
doigts Wozzeck, l’opéra d’Alban
Berg, dont il possède le premier
enregistrement discographique
(réalisé en 1951 aux Etats-Unis par
Dimitri Mitropoulos, à la tête du
New York Philharmonic) tout juste
disponible en Italie.
Bien que la modernité soit très
présente à la maison, du côté des
arts plastiques (Picasso, Le Corbu-
sier) et de la musique (Stravinsky,
Debussy), l’école de Vienne n’y pé-
nètre qu’à la suite d’un coup de
cœur du jeune pianiste qui,
en 1956, fait sensation en interpré-
tant quatre pièces contemporai-
nes au Concours Busoni de Bol-
zano (remporté par Jörg Demus)
avant de décrocher, l’année sui-
vante, le 2nd prix du Concours in-
ternational de Genève. Sans com-
mune mesure avec le premier prix
obtenu, en 1959, lors de la pre-
mière édition du concours Pozzoli
A Rome, en 2003. BRIDGEMAN IMAGES
5 JANVIER 1942 de Seregno, le succès, en 1960, au
Naissance à Milan prestigieux Concours Chopin de
1960 Premier Prix Varsovie ouvre grandes les portes
au Concours Chopin de la carrière de concertiste à celui
(Varsovie) dont les qualités techniques ont
1972 Concert dans une rendu jaloux Arthur Rubinstein, le
usine occupée président du jury.
1977 Création de
… sofferte onde serene…, Précieux conseils techniques
de Luigi Nono L’heureux lauréat enregistre dans
1995 Pollini Progetto, la foulée pour EMI le 1er Concerto de
au Festival de Salzbourg Chopin avec l’orchestre Philhar-
2020 Trois dernières monia sous la direction de Paul
sonates de Beethoven Kletzki, puis joue le 2e Concerto du
(Deutsche Grammophon) compositeur polonais à la Scala de
23 MARS 2024 Mort Milan, en 1961, sous la baguette de
à Milan Sergiu Celibidache. On l’imagine
bien lancé dans le métier et pour-
tant, à la surprise générale, il dé-
cide de renoncer à ses activités de
concertiste pendant un an et
demi. Pour approfondir des étu-
des d’écriture (harmonie, contre-
point) entreprises en 1958 auprès
de Bruno Bettinelli ? Non. Pour
lire, entre autres des ouvrages de
physique, et voyager.
Maurizio Pollini a beau avoir été
couronné dans l’épreuve reine de
sa discipline, il ne se considère pas
encore comme un vrai pianiste et,
pour le devenir, n’a qu’un nom en
tête, celui d’Arturo Benedetti Mi-
chelangeli. Il rencontre d’abord le
mythique interprète et pédagogue
chez lui à Bolzano puis, en 1962, va
disparitions | 27
vivre pendant quelques semaines
l’expérience extraordinaire que le
maître offre à seize jeunes élus : sé-
journer au Palazzo Pretorio
d’Arezzo avec à disposition un
piano à queue dans une salle à soi
et bénéficier, gratuitement, d’un
enseignement personnalisé.
Il en retirera de précieux con-
seils techniques, tels que ces doig-
tés pour les trilles que Pollini
adoptera toute sa vie, et des se-
crets de fabrication du son,
comme pour aborder la Sonate
« Waldstein », de Beethoven, en
n’attaquant les notes qu’avec des
touches à demi enfoncées.
En 1963, le jeune Milanais prend
son envol de concertiste pour se
poser à Londres puis à Berlin. Ses
débuts aux Etats-Unis auront lieu
en 1968. En 1971, il enregistre Stra-
vinsky (Trois mouvements de Pe-
trouchka) et Prokofiev (7e Sonate)
pour Deutsche Grammophon, la-
bel auquel il demeurera fidèle jus-
qu’à la fin de sa vie. Publié en 1972,
le disque est plébiscité par la
presse internationale mais, à
30 ans, Maurizio Pollini demeure
l’artiste anticonformiste qui, à
18 ans, avait refusé d’entrer dans le
système des tournées de vedettes.
Le 8 janvier 1972, à Gênes, il joue
le 5e Concerto de Beethoven avec
l’orchestre local dans une usine oc-
cupée (la Fabbrica Paragon, une
imprimerie industrielle) et parti-
cipe ensuite aux débats avec le pu-
blic constitué d’ouvriers venus en
famille, de syndicalistes et d’intel-
lectuels de gauche. Il faut le voir
(dans un reportage instructif quoi-
que monté de bric et de broc) dis-
tiller son flux de musique cristal-
lin devant un auditoire heureux
d’accéder à un tel privilège, mais
également conquis par une œuvre
avant-gardiste de Luigi Nono (La
Fabbrica illuminata, composée
en 1964 pour soprano et bande
magnétique) parfaitement en si-
tuation dans cet espace inattendu,
comme en témoigne un auditeur
déclarant y reconnaître beaucoup
de sons, « ces marteaux, ces tôles »,
qui l’accompagnent quotidienne-
ment dans son travail.
Un artiste engagé
Solidaire de la classe ouvrière, sans
adhérer au Parti communiste
comme Luigi Nono (1924-1990)
dont il soutient le travail créatif,
Maurizio Pollini l’est tout autant
du peuple nord-vietnamien, dont
il fait l’éloge le 19 novembre 1972
par le biais d’une courte déclara-
tion qu’il lit en prélude de son réci-
tal milanais, au lendemain du
bombardement d’Hanoï par les
forces américaines. Surpris par la
violence des réactions du public, il
précisera qu’il a protesté d’un
point de vue humain et que « faire
de la propagande politique dans
une salle de concerts aurait été
inadmissible ». Néanmoins, le
12 novembre 1973, il participe avec
Claudio Abbado à un concert orga-
nisé au Palais des sports de Cini-
sello Balsamo en mémoire de Sal-
vador Allende, avec dévoilement
d’une plaque commémorative.
En dépit de ces prises de position
sur le terrain social, l’engagement
de Maurizio Pollini est surtout
motivé par la défense de la musi-
que nouvelle. Qu’elle tarde un peu
à entrer dans les mœurs, comme
celle d’Arnold Schönberg, dont il
interprète en tournée l’intégrale
des œuvres pour piano, à l’occa-
sion, en 1974, du centenaire de la
naissance du compositeur autri-
chien, ou qu’elle fasse l’objet d’une
création, comme celles de Luigi
Nono (en particulier, … sofferte
onde serene… dont il est, en 1976, le
dédicataire avec son épouse, Mari-
lisa) et de Giacomo Manzoni
(Masse : Omaggio a Edgard Varese,
dont il est également, en 1977, so-
liste et dédicataire).
S’il s’essaye à la direction d’or-
chestre, en 1982, à Pesaro, avec La
donna del lago, de Rossini, Mauri-
zio Pollini cherche surtout à déve-
lopper son goût pour la mise en
perspective des œuvres. D’abord,
en 1995, au Festival de Salzbourg,
avec les Pollini Progetto puis,
en 2008, à l’Académie Sainte-Cé-
cile de Rome avec les Pollini Pros-
pettive. Perfectionniste à l’ex-
trême (notamment pour la prépa-
ration de son piano confié à l’ex-
pert Angelo Fabbrini), Maurizio
Pollini tient à ce que la musique
parvienne à chaque auditeur de la
meilleure manière qui soit. D’un
point de vue aussi bien acoustique
qu’expressif. Cette ambition
transparaît d’une approche dictée
par la vision globale – de l’œuvre
comme de la place que celle-ci oc-
cupe dans l’histoire.
Fait de nuances subtiles autant
que de vifs éclats, son jeu, jamais
lisse, peut être délicat ou telluri-
que. Selon la partition (Nocturne
en mi-bémol majeur, de Chopin, ou
le final de l’Appassionata, de
Beethoven) et selon l’année (2005
pour l’une, 2003 pour l’autre), car,
comme l’interprète jamais rassa-
sié l’avait déclaré au quotidien La
Stampa en 2016, « on ne peut pas
dire qu’on a compris une musique
une fois pour toutes ». Son abon-
dante discographie permettra à
chacun de le vérifier. p
pierre gervasoni
28 | styles
VOYAGE
le grau-du-roi (gard)
E
n cette fin d’hiver, sous
le ciel tourmenté, il faut
s’accrocher à la ram-
barde pour ne pas décol-
ler. Sur le balcon qui ceint le som-
met du phare de l’Espiguette, au
Grau-du-Roi, à l’extrême sud du
département du Gard et aux con-
fins de la Petite Camargue, dans
les bourrasques d’un vent d’est,
on s’attend à contempler les flots
de la Méditerranée déchaînée. A
la place, c’est une mer de sable qui
s’étend à nos pieds.
La pointe de l’Espiguette dési-
gne la plus longue plage de sable
fin du littoral méditerranéen
dans l’Hexagone, 12 kilomètres
ininterrompus, une immensité
blanche dont le relief particulier
constitue une perle paysagère et
écologique. « C’est le seul endroit
où l’on peut voir un système
dunaire complet, sans perturba-
tions humaines, ce qui fait du site
l’un des plus naturels du littoral
français », explique Florine Escot,
responsable du phare, pas du tout
gênée par la bise.
Au loin, entre ce promontoire
et le rivage, le sable s’accumule en
« dunes mobiles », que l’on peut
pratiquement « voir bouger à l’œil
nu », affirme Florine Escot. Le vent
en transporte une partie vers l’ar-
rière, où elles forment des mottes
sur lesquelles poussent les oyats,
plantes insensibles au sel et sorte
de génies des lieux. Vus d’en haut,
les oyats ressemblent à des touf-
fes de cheveux. Mais leurs racines,
qui s’enfoncent profondément,
piègent les grains siliceux, per-
mettant ainsi de former les « du-
nes blanches ».
« En cas de gros coup de mer,
l’eau passe ces deux premières
barrières, mais s’arrête à la troi-
sième », précise la responsable,
désormais encapuchonnée. Voici
donc les « dunes grises », qui peu-
vent atteindre ici jusqu’à 12 mè-
tres de hauteur. Cakiliers mariti-
mes, lis des sables, immortelles et
panicauts de mer les peuplent.
Enfin, derrière elles, les « dunes
fossiles », immobiles, boisées de
pins parasols et de genévriers,
forment un bandeau tout en
nuances de vert. Les creux et les
bosses de cet écrin abritent une
L’Espiguette, phare
au milieu des dunes
A la pointe sud du Gard, cette tour carrée
au sommet noir, toujours en service, ouvre
ses portes au public. De son promontoire,
on peut contempler oyats, immortelles
et genévriers, et la belle Méditerranée
population discrète aux regards
et pourtant bruyante à qui sait
attendre que le vent se taise et
que le crépuscule arrive.
Le pélobate cultripède, un cra-
paud de couleur sable dans lequel
il est d’ailleurs capable de s’en-
fouir, vit dans les petites mares
qui se forment entre les monti-
cules. Cet écosystème constitue
également un site de nidification
du gravelot à collier interrompu,
petit oiseau limicole nerveux,
tout aussi caméléon que son voi-
sin batracien, avec son plumage
gris-brun. « Ici, la bande de sable
est très large, il y a de la place pour
tout le monde, pour eux comme
pour les touristes ! », s’exclame
Florine Escot.
Le jour de l’illumination du
phare qui domine ce paysage
grandiose, en 1869, la mer se si-
tuait à 150 mètres de l’ouvrage.
Aujourd’hui, il faut marcher envi-
ron 700 mètres pour atteindre les
flots. La pointe de l’Espiguette
reçoit les sédiments charriés par
le Petit-Rhône, à l’est, et s’élargit
ainsi depuis plus d’un siècle, à rai-
son de 2 mètres supplémentaires
par an actuellement – une étran-
geté sur cette côte soumise en
« C’est le seul
endroit où
l’on peut voir un
système dunaire
complet, sans
perturbations
humaines »
FLORINE ESCOT
responsable du phare
bien d’autres endroits à l’érosion.
La foule estivale qui fréquente la
station balnéaire populaire du
Grau-du-Roi affectionne ce vaste
espace sauvage, au risque d’alté-
rer cet impressionnant mais fra-
gile cordon. A moins que les va-
canciers ne connaissent mieux
son importance, à la fois pour les
espèces végétales et animales, et
pour la commune gardoise elle-
même. Les dunes de l’Espiguette
forment, en effet, un rempart na-
turel contre le risque de submer-
sion qui, en cas de tempête, me-
nacerait les cultures viticoles et
maraîchères ainsi que le village,
situés au niveau de la mer dans
cette zone lagunaire.
Pour mettre ces enjeux écologi-
ques autant qu’économiques en
lumière, la commune et le Con-
servatoire du littoral, proprié-
taire de cet endroit protégé au
titre de Grand Site de France – un
label qui atteste de la conserva-
tion de paysages remarquables –
ont donc fait le pari de la curio-
sité. Le phare de l’Espiguette,
classé au titre des monuments
historiques et toujours en acti-
vité, est ouvert au public depuis
l’été 2023, devenant ainsi le pre-
mier phare du golfe du Lion à
recevoir des visiteurs. On l’at-
teint par une passerelle en bois
sur pilotis qui zigzague entre les
tertres sablonneux et semble
vous emmener au bout du
monde. Ce platelage aérien dé-
bouche sur la tour carrée, haute
de 27 mètres, flanquée des deux
ailes qui logeaient les gardiens et
leurs familles jusqu’à l’automati-
sation de la lanterne, en 1980.
Au rez-de-chaussée, une astu-
cieuse et pédagogique muséo-
graphie raconte donc à la fois
l’histoire des ingénieurs et des
ouvriers qui construisirent cet
ouvrage dans des conditions dan-
tesques, y tombèrent pour cer-
tains amoureux, pour d’autres en
faillite, et dispense aussi des le-
çons de géomorphologie, de bota-
nique et d’environnement. Là-
haut, la lentille de Fresnel lance,
chaque soir, son signal nocturne
(trois éclats blancs groupés et une
pause noire de quinze secondes)
jusqu’à 24 milles nautiques, soit
45 kilomètres, pour écarter les
marins pénétrant dans le golfe
d’Aigues-Mortes des périlleux
bancs de sable. La couleur noire
qui le recouvre depuis 1932 dans
le dernier tiers de sa hauteur com-
pose sa signature diurne, afin que
les navigateurs ne puissent pas le
confondre avec les couleurs clai-
res de cette côte sableuse.
Cent onze marches
Dans le jargon des gardiens de
phare, ces lieux de travail si parti-
culiers étaient classés en trois
catégories : « l’enfer », quand le
phare se situait en pleine mer ; « le
purgatoire », s’il se dressait sur
une île ; « le paradis », sur la terre
ferme. « Ici, on a ouvert les portes
du paradis !, plaisante Jérôme
Hirigoyen, chargé de mission au
Conservatoire du littoral. Ac-
cueillir le public, en maîtrisant son
cheminement dans ce milieu très
sensible, c’est ce qui nous permet
de préserver celui-ci. »
Ouvert toute l’année, même au
milieu de l’hiver, accessible à
vélo, le phare de l’Espiguette se
veut aussi une première balise
vers d’autres formes de tourisme
sur cette minuscule portion de
côte gardoise, archi-fréquentée
pendant les grandes vacances.
Le phare de l’Espiguette,
inauguré en 1869
et classé au titre des
monuments historiques.
JO PESENDORFER/GARD TOURISME
Montpellier
Le Grau-du-Roi
5 km
D E
« Nous ne cherchons pas à attirer
plus de monde en été, où il fera à
l’avenir peut-être trop chaud et où
il y aura des problèmes d’eau.
Nous voulons accorder une place
à un tourisme plus doux, à
d’autres saisons », explique Maud
Hubidos, directrice de la société
publique locale Le Grau-du-Roi
Développement, qui assure la
gestion et l’exploitation du
phare, de l’office du tourisme et
du camping municipal.
Ce dernier est l’un des plus
grands d’Europe, s’étendant sur
42 hectares à la pointe nord de la
langue sableuse de l’Espiguette.
Les quelque 14 000 estivants qui
fréquentent le camping en juillet
et en août, souvent sur plusieurs
générations, ou les retraités qui
s’y installent dans l’un des quel-
que 600 mobile homes lors des
huit mois d’ouverture, connais-
sent bien la silhouette du phare.
Seront-ils tentés d’en percer les
secrets et de vivre, pour quelques
instants, cette expérience de nau-
fragés du sable ?
Car on vient également au
phare pour ressentir le frisson
d’une vie coupée du monde. Le
vaste accueil du site abritait, du
temps des gardiens, des clapiers à
lapins. Ici, le puits pour stocker
l’eau douce ; là, la porte de la re-
mise qui contenait six mois
d’huile de colza et de baleine pour
tenir la lanterne allumée vaille
que vaille. En haut des cent onze
marches de l’escalier à vis monté
à petits pas, la minuscule salle de
veille et, enfin, l’échelle de meu-
nier qui conduit à la lumière.
Impossible d’accueillir les foules
à ces endroits. On se hisse vers ces
étroites hauteurs dix par dix, gui-
dés par celle ou celui qui décryp-
tera ensuite la beauté et la fragi-
lité du paysage.
« C’est peut-être une goutte
d’eau, mais on espère un effet
boule de neige. Grâce au phare, on
peut réussir à imaginer un tou-
risme très populaire sur un site
d’exception, on peut avoir une
force de frappe pour que les géné-
rations suivantes puissent encore
jouir de ce paysage ! », avance
Florine Escot. Après s’en être mis
plein les mirettes, une fois redes-
cendu à terre, il y a de quoi regar-
der les dunes d’un autre œil. p
cécile cazenave
0123
MERCREDI 27 MARS 2024
H ÉRAU LT GAR D
Aigues-Mortes
Phare
de l’Espiguette
Go
lfe d
u Lion
C A R N E T
R O U T E
Notre journaliste a organisé
son voyage avec l’aide
de Gard Tourisme.
Y A L L ER
De Nîmes, le TER permet
d’atteindre Le Grau-du-Roi
en 55 minutes, à partir de 1 €.
SE LOGER
Au Splendid Camargue,
sur le front de mer du
Grau-du-Roi. Label « Accueil
vélo ». A partir de 109 € la
chambre double avec balcon.
Au camping de l’Espiguette :
bilan carbone complet,
atlas de la biodiversité
en cours. A partir de 126 €
la semaine pour un empla-
cement familial ou 256 €
le lodge pour quatre.
DÉJEUNER , DÎ NER
Oh Frère de la côte !, sur
le port du Grau-du-Roi.
La bisque de galère,
un crustacé entre la
crevette et la langoustine,
est à se lécher les babines.
Formules à 29 € et 34 €.
Papé Frézal, place du
marché, chez le pêcheur
retraité Didier Pelissier
et sa femme, Christelle,
à qui on ne la fait pas sur
la fraîcheur du poisson.
Formules à 29 € et 35 €.
À VOI R , À FA I R E
Le phare de l’Espiguette,
Entrée du musée : 6 € ; avec
la visite du phare : 9,50 €.
La Maison du phare,
à l’entrée du port. Situé
au rez-de-chaussée de
l’ancien phare, un musée
ludique consacré au métier
de pêcheur. Entrée : 3 €
(s’adresser à l’office de
tourisme).
Le centre du Scamandre,
à 24 kilomètres du Grau-du-
Roi. Un espace lacustre qui
abrite des tortues cistudes
d’Europe, et des centaines
d’espèces d’oiseaux perchés
dans les tamaris. Entrée
gratuite. Visite guidée : 8 €.
Route des Iscles-Gallician,
à Vauvert (Gard).

0123
MERCREDI 27 MARS 2024
Lady Hale « Chaque
personne doit détenir
des droits fondamentaux,
même si la majorité
n’est pas d’accord »
La haute magistrate
britannique s’inquiète
des attaques contre
la justice. Selon elle,
critiquer les juges est
légitime, mais dénigrer
systématiquement
ceux qui font leur
travail est destructeur
pour l’Etat de droit
et la démocratie
ENTRETIEN
P
lusieurs épisodes cruciaux de la
vie politique britannique récente
auraient sans doute tourné diffé-
remment sans Brenda Hale, ma-
gistrate à la Cour suprême du
Royaume-Uni entre 2009 et
2020, première femme à avoir présidé cette
haute juridiction (2017-2020). En septem-
bre 2019, la Cour a déclaré illégale la déci-
sion du premier ministre de l’époque, Boris
Johnson, de suspendre le Parlement qui
menaçait sa stratégie pour le Brexit. En no-
vembre 2023, la même Cour a statué que le
Rwanda ne pouvait être qualifié de « pays
sûr », remettant en cause le projet du gou-
vernement Sunak de délocaliser dans ce
pays le traitement des demandes d’asile.
A 79 ans, Lady Hale continue, sous le titre
de baronne Hale of Richmond, de siéger à
la Chambre des lords, où elle défend des
amendements hostiles à l’actuel projet de
loi visant à contourner l’arrêt sur le
Rwanda. Son engagement en faveur de
l’égalité entre les femmes et les hommes et
pour les droits humains lui a valu, vendredi
15 mars, de recevoir le titre de docteur ho-
noris causa de l’université Jean-Monnet, à
Saint-Etienne, où Le Monde l’a rencontrée.
Depuis le Brexit, de hautes juridictions
britanniques, dont la Cour suprême
sous votre présidence, ont sanctionné
des gouvernements pour avoir cherché
à brider les pouvoirs du Parlement. Cela
signifie-t-il que l’« Etat de droit » (« rule
of law ») et la souveraineté de Westmins-
ter, deux principes de base de la démo-
cratie britannique, sont en danger ?
J’espère que non. La Cour suprême ne
peut en aucun cas invalider un acte du Par-
lement, mais elle a le pouvoir de déclarer
illégale, nulle et sans effet une décision de
l’exécutif. C’est ce qui s’est passé dans les
deux cas que vous citez. Nous avons dé-
cidé que le premier ministre ne pouvait
conseiller à la reine de suspendre le Parle-
ment pendant cinq semaines à un mo-
ment aussi crucial dans l’histoire du pays,
alors que nous étions sur le point de tom-
ber de la falaise en quittant l’Union euro-
péenne (UE). Il ne s’agissait pas de dicter
quoi que ce soit au Parlement, mais d’em-
pêcher le gouvernement de prendre une
décision qui interfère avec ses pouvoirs. A
propos du Rwanda, la Cour a signifié au
gouvernement qu’envoyer des deman-
deurs d’asile dans ce pays serait illégal, car
celui-ci pourrait les renvoyer ensuite vers
un endroit non sûr pour eux.
Faites-vous un lien entre le Brexit, le
trouble politique qu’il a créé, et une
certaine détérioration de la démocratie
britannique ?
Nous avons eu deux contentieux à tran-
cher sur le rôle du gouvernement et du
Parlement dans le Brexit, mais la Cour su-
prême n’a eu aucun rôle dans la décision
de quitter l’UE. Nous avons tout fait pour
essayer de ne pas avoir d’opinion sur cette
question, notre préoccupation étant le ca-
ractère constitutionnel de la démarche. Le
Brexit a été décidé par un référendum qui
n’est pas juridiquement contraignant. Il
existe une différence entre ce que la loi dit
et ce que dit la politique.
Que sous-entendez-vous par
« non juridiquement contraignant » ?
Le gouvernement avait le choix. Il aurait
pu admettre le résultat du référendum
tout en constatant que la majorité déga-
gée [51,89 %] était très faible et que la loi
britannique ne l’obligeait pas à le suivre.
Mais il avait annoncé qu’il respecterait le
résultat et il a pris cette décision.
Pensez-vous être pour quelque chose
dans le fait que, selon les sondages,
les Britanniques ont changé d’avis
sur le Brexit ?
J’en doute. Si l’opinion a changé d’avis,
c’est que les gens ont pris conscience de
ses conséquences, comme les entraves au
commerce, la perte de subventions pour
les agriculteurs ou la question nord-irlan-
daise. Ceux qui ont voté pour le Brexit par
inquiétude sur l’immigration ont cons-
taté qu’elle avait augmenté depuis lors.
Le Brexit a-t-il déstabilisé la démocratie ?
Je ne peux pas dire cela.
A cause de votre devoir de réserve ?
Non. Parce que je ne suis pas une res-
ponsable politique, mais aussi parce que
le vrai problème n’est pas tant le Brexit
que les énormes problèmes économiques
nés de la désindustrialisation et des délo-
calisations qui ont multiplié les laissés-
pour-compte et créé du ressentiment.
Il y a tout de même des facteurs spéci-
fiquement britanniques !
Il y a toujours eu cette étrange ambiva-
lence sur l’Europe dont une partie vient de
l’élite. S’y ajoute le fait qu’on a promis aux
laissés-pour-compte que le Brexit leur ap-
porterait d’énormes bénéfices.
En 2016, la manchette du tabloïd « Daily
Mail » a qualifié d’« ennemis du peu-
ple » de hauts magistrats qui venaient
de compliquer la procédure du Brexit.
Que s’est-il passé pour que, dans beau-
coup de pays, une large partie de l’opi-
nion considère la loi non comme une
protection mais comme une menace ?
Je ne suis pas sûre que ce soit nouveau.
Les gens dénoncent les lois sauf quand ils
en cherchent la protection. C’est vrai aussi
de certains politiques et médias. Au
Royaume-Uni, l’essentiel de l’opinion ne
sait rien du système judiciaire, mis à part
la justice criminelle. C’est un échec de
l’éducation. Les gens ne pensent pas que
la loi peut être une réponse à un pro-
blème, notamment parce que recourir à la
loi est cher et qu’ils considèrent les juges
comme des extraterrestres. C’est pour-
quoi je souhaite que, pour être accessible,
le système judiciaire soit plus divers et re-
flète la société. Le message que nous de-
vons faire passer est que la loi n’est pas
faite contre les gens mais pour eux.
Un « populisme judiciaire » se déve-
loppe. Est-il une conséquence d’un
pouvoir excessif des juges, une me-
nace pour la démocratie ?
La plus grande menace pour l’Etat de
droit et la démocratie est la négligence, le
manque de moyens pour le système judi-
ciaire. Au Royaume-Uni, des tribunaux sont
fermés, les personnels et l’aide juridiction-
nelle réduits. Critiquer les juges est légi-
time, mais dénigrer systématiquement
ceux qui font leur travail est destructeur.
Pourquoi, dans une démocratie, la vo-
lonté de la majorité ne prévaut-elle pas
nécessairement, selon vous, en matière
de droits humains ?
Si la démocratie se limite à l’idée selon la-
quelle la volonté de la majorité doit préva-
loir, alors elle permet à la majorité de discri-
miner toutes sortes de gens qu’elle n’aime
pas. Mon opinion est que la démocratie, en
JE SOUHAITE tant que philosophie, accorde la même va-
QUE, POUR ÊTRE leur à chaque personne. Cela signifie qu’il
existe des droits fondamentaux que chaque
ACCESSIBLE, LE personne doit détenir même si la majorité
n’est pas d’accord : les gens ont le droit à la
SYSTÈME JUDICIAIRE vie [interdiction de la peine de mort] même si
la majorité souhaite tuer certaines person-
SOIT PLUS DIVERS ET nes, les gens doivent avoir un procès équita-
REFLÈTE LA SOCIÉTÉ. ble même si la majorité pourrait aimer que
certains n’y aient pas droit… Je peux conti-
LA LOI N’EST PAS nuer. Tout cela est inscrit dans la Conven-
tion européenne des droits de l’homme.
FAITE CONTRE
LES GENS, MAIS Que répondez-vous à ceux qui estiment
que la suprématie des droits indivi-
POUR EUX duels affaiblit le contrat social et peut
menacer l’intérêt national ?
Mais cela dépend des droits ! Certains,
comme le droit à la vie ou l’interdiction de
l’esclavage, sont absolus. Mais les autres,
comme la liberté d’expression ou le droit à
la vie privée, peuvent être restreints pour
des motifs d’intérêt public, de sécurité. La
Convention européenne des droits de
l’homme est un document très subtil, qui
fait la différence entre ce qui ne peut être
admis en aucune circonstance et les droits
qui exigent un examen balancé entre l’in-
térêt public et le droit des individus.
La Cour européenne des droits de
l’homme a empêché, en 2022, le gouver-
nement britannique d’expulser des de-
mandeurs d’asile au Rwanda. Un projet
de loi destiné à contrer cette interdic-
tion est en discussion à Westminster.
Approuvé par la majorité conservatrice
aux Communes, il est contesté à la
Chambre des lords dont vous êtes
membre. Quel est l’enjeu de ce débat ?
Il s’agit de la possibilité d’envoyer quel-
ques centaines de personnes au Rwanda.
Mais cela a des conséquences très inquié-
tantes. L’une consiste à obliger les tribu-
naux à considérer le Rwanda comme un
pays sûr, même s’il existe des preuves que
ce n’est pas le cas. L’autre est de supprimer
toute possibilité de recours en cas de viola-
tion des droits humains. La Chambre des
IDÉES | 29
YANN LEGENDRE
lords a retiré ces dispositions, mais les
Communes vont rétablir le texte initial. Fi-
nalement, cette loi va être certainement
votée avant Pâques.
Considérez-vous l’immigration comme
le principal enjeu de notre époque en
matière de droits humains ?
Ce n’est pas évident. Il est tout à fait possi-
ble que le principal problème, au Royau-
me-Uni, soit l’état lamentable de la justice
criminelle, les graves difficultés à protéger
les femmes, les affaires de viol qui atten-
dent deux ou trois ans.
Quand vous êtes entrée à la Chambre
des lords, en 2004, vous avez choisi un
blason portant la devise « Omnia femi-
nae aequissimae » (« Les femmes sont
les égales de tous »). Vous qualifiez-
vous de « féministe » ?
Je n’ai jamais eu peur de me dire fémi-
niste. C’est-à-dire d’affirmer que les fem-
mes sont les égales des hommes en dignité
et en droits, et que l’expérience de conduire
une vie de femme est aussi importante
pour dire le droit que l’expérience de
conduire une vie d’homme. Mais je ne suis
pas une féministe qui hait les hommes.
La photo de vous portant une broche en
forme d’araignée le jour où vous avez
rendu l’arrêt de la Cour suprême hos-
tile à Boris Johnson a fait le tour du
monde. Voyez-vous le Brexit comme
une araignée dans laquelle le Royaume-
Uni est englué ?
Je n’ai pensé à aucun symbolisme. J’ai
juste porté une robe qui portait une arai-
gnée. Mes broches trouvent le chemin vers
les vêtements qu’elles trouvent conforta-
bles et elles vivent là. Donc il se trouve que
cette robe portait une araignée. Ce jour-là,
j’étais trop occupée à penser aux mots que
j’allais prononcer pour penser à ma bro-
che. Si j’avais su ce que les gens en feraient,
j’en aurais porté une autre.
Vous considérez-vous européenne ?
L’ennui avec les Britanniques, c’est que
nous avons eu des relations très fortes avec
beaucoup de pays du monde. Il me semble
que c’est quelque chose qu’on appelait
l’« Empire britannique » et qui continue
d’être très fortement inscrit dans notre
mémoire culturelle. Bien sûr, tout cela est
tombé morceau par morceau. Certains le
regrettent, alors que la décolonisation était
la bonne chose à faire. Quand vous regar-
dez la petite île où nous habitons, avec son
passé bien connu mais pas toujours admi-
rable, il est évident que nous appartenons
à l’Europe, géographiquement, culturelle-
ment, linguistiquement. Notre langue est
un mélange de français et d’allemand
après tout, et je me sens très européenne. p
propos recueillis par philippe bernard
30 | idées 0123
MERCREDI 27 MARS 2024

Le Pacte vert n’est pas la cause de tous nos maux

mais la solution à la crise que nous traversons
Il est urgent de renforcer le plan européen pour sile, du charbon et du pétrole sont l’un
des moteurs de l’inflation, le déploie-
la transition écologique qui « a vocation à protéger ment des énergies renouvelables – désor-
la santé, les emplois, le pouvoir d’achat, mais moins chères que les énergies fossi-
les – permet de nous protéger de la volati-
la souveraineté énergétique et alimentaire », assure lité du prix des hydrocarbures, donc de
un collectif d’une dizaine d’ONG environnementales préserver le pouvoir d’achat.
Le Pacte vert est un levier fondamental
pour notre souveraineté alimentaire. Un
premier cadre important a été posé pour
comme le chalutage de fond, sont égale-
ment cruciales pour l’autonomie alimen-
taire de notre continent et la résilience
des agriculteurs et pêcheurs européens.
Premiers signataires :
Accélérer et mieux accompagner Véronique Andrieux, direc-
Le Pacte vert augmente aussi les capaci- trice générale de WWF ; Stépha-
tés de financement de la transition des nie Clément-Grandcourt,
Etats membres. Par exemple, 937 millions directrice générale
d’euros ont été attribués par l’Union euro- de la Fondation pour la nature

P
arce qu’on ne met pas le change-
ment climatique sur pause, nous,
organisations environnementales
et de justice sociale, appelons à un
Pacte vert renforcé. Depuis plusieurs se-
maines, les attaques contre l’Europe et
les normes environnementales font flo-
rès. Le Pacte vert européen, ensemble
d’objectifs et de lois visant à atteindre la
neutralité climatique en Europe d’ici à
2050, est particulièrement visé. Pour cer-
tains, il est devenu la cible à abattre : res-
ponsable, entre autres et rien que ça, de la
crise agricole, de la désindustrialisation
européenne, et menace pour notre sou-
veraineté alimentaire. Des attaques qui
produisent déjà des effets tangibles à
Bruxelles : la Commission européenne
vient de retirer sa proposition visant à ré-
duire progressivement l’utilisation des
pesticides d’ici à 2030.
Bien que perfectible, le Pacte vert est à
ce jour le plan le plus ambitieux jamais
adopté pour le climat. Il n’a pas été « sim-
plement » conçu comme un ensemble de
textes visant à lutter contre le change-
ment climatique, mais il a également vo-
cation à protéger la santé, les emplois, le
pouvoir d’achat, la souveraineté énergé-
tique et alimentaire.
Le Pacte vert permet de protéger notre
santé. Les impacts du changement clima-
tique sur la santé, y compris au travail,
sont considérables. En France, l’été 2023 a
été marqué par 5 000 morts imputables à
la chaleur, touchant particulièrement les
personnes âgées, mais aussi les tra-
vailleurs les plus exposés.
Quant à la pollution de l’air liée aux
particules fines, elle était responsable
en 2021 de 250 000 décès au sein de
l’Union européenne (UE). La fin des mo-
teurs thermiques à horizon 2035, la ré-
duction des émissions liées aux loge-
ments et au secteur agricole, les mesures
pour accélérer notre sortie des énergies
fossiles, auront un impact direct et posi-
tif sur notre santé.
Garantie pour le pouvoir d’achat
Le Pacte vert vise également à renforcer
notre indépendance énergétique en ré-
duisant considérablement nos importa-
tions de gaz fossile et de pétrole. Grâce au
déploiement des renouvelables, nous ré-
duisons nos vulnérabilités vis-à-vis de
pays producteurs comme la Russie ou
l’Azerbaïdjan. Il est aussi une opportunité
de réindustrialisation : selon une étude
d[u groupe de réflexion] Strategic Pers-
pectives, 475 000 emplois net pourraient
ainsi être créés d’ici à 2030 en Europe
grâce au Pacte vert, notamment dans le
secteur des énergies renouvelables.
C’est aussi une garantie pour notre pou-
voir d’achat. Alors que les prix du gaz fos-
orienter l’Europe vers une alimentation
saine et durable, aussi protectrice des
agriculteurs que des consommateurs. Il
vise à ce que 25 % des terres agricoles
soient consacrées à l’agriculture biologi-
que d’ici à 2030, avec un fort potentiel
d’emplois, à réduire l’usage des antibioti-
ques dans l’élevage, des pesticides et en-
grais chimiques dans les cultures, à lutter
contre le gaspillage alimentaire… La res-
tauration des écosystèmes terrestres et
marins, mesure phare de la stratégie bio-
diversité du Pacte vert, et leur protec-
tion contre des pratiques destructrices
IL EST URGENT DE
RENDRE ACCESSIBLES
À TOUS LES SOLUTIONS
DE TRANSITION
ÉCOLOGIQUE
ET D’APPLIQUER
LE PRINCIPE
DU POLLUEUR-PAYEUR
péenne à dix départements français, afin
de décarboner leurs usines et d’accompa-
gner la reconversion des emplois concer-
nés. Face à l’urgence climatique et sociale,
il ne faut pas ralentir mais accélérer et
mieux accompagner. Le Pacte vert a
ouvert une voie ambitieuse. Il est aujour-
d’hui urgent de l’améliorer en rendant les
solutions de transition écologique réelle-
ment accessibles à tous et en appliquant
le principe de pollueur-payeur. Pour cela,
il faudra entre autres renforcer l’accompa-
gnement des ménages les plus vulnéra-
bles pour rénover leurs logements et accé-
der à une mobilité durable, accompagner
les entreprises dans la transformation de
leurs pratiques, déployer une alimenta-
tion durable accessible à tous.
Les textes du Pacte vert ont été débattus
et adoptés par nos gouvernements à
l’échelon européen. Appeler à revenir en
arrière, c’est se tromper d’ennemi et dé-
tourner les regards des vrais enjeux. Le
Pacte vert et les normes environnementa-
les ne sont pas la cause de tous nos maux,
mais un apport de solutions aux crises
que nous traversons. Alors que des centai-
nes de millions d’Européens sont appelés
aux urnes pour les élections au Parlement
européen le 9 juin, nous tenons à rappeler
que seule une action européenne environ-
nementale renforcée permettra de trou-
ver une issue durable aux crises. p
et l’homme ; Morgane Créach,
directrice générale du Réseau
Action Climat ; Antoine Gatet,
président de France Nature
Environnement ; Jean-François
Julliard, directeur général
de Greenpeace France ; Alexis
Monteil-Gutel, codirecteur
du Réseau pour la transition
énergétique ; Claire Nouvian,
fondatrice et directrice
de Bloom ; Lucie Pinson,
fondatrice et directrice
de Reclaim Finance ; Christo-
phe Robert, délégué général
de la Fondation Abbé Pierre ;
Jérémie Suissa, délégué géné-
ral de Notre Affaire à tous.
Retrouvez la liste complète
des signataires sur Lemonde.fr

Jules Donzelot Pour un meilleur accès aux études supérieures,

lançons une stratégie nationale avec des moyens financiers
Le chercheur en éducation estime qu’en matière d’égalité des chances la France devrait suivre l’exemple britannique

D
epuis sept ans qu’Emma-
nuel Macron est président
de la République, plu-
sieurs réformes ont con-
cerné l’éducation nationale et
l’enseignement supérieur, mais
aucune n’a porté sur l’inégalité
des chances d’accès aux études
supérieures. A titre de comparai-
son, au Royaume-Uni, dès son ar-
rivée au pouvoir en 1997, le pre-
mier ministre travailliste Tony
Blair avait lancé une grande poli-
tique publique sur ce sujet nom-
mée « Aimhigher ». Entre 1997 et
2011, le gouvernement britanni-
que a distribué l’équivalent de
plus de 3 milliards d’euros aux
établissements d’enseignement
supérieur et à des écoles secon-
daires, dans l’objectif d’inciter
toute une classe d’âge de jeunes
défavorisés à entreprendre des
études porteuses de débouchés
professionnels.
A l’heure où le gouvernement
s’apprête à amputer le ministère
de l’enseignement supérieur et
de la recherche de quelque
900 millions d’euros, on peut
s’étonner de l’absence d’un in-
vestissement similaire en
France. Deux motifs justifient la
mise en place d’une politique
publique d’égalité des chances
pour l’accès aux études supé-
rieures : la justice sociale et l’op-
portunité économique.
D’abord, le constat d’un fossé
persistant entre les jeunes favo-
risés et défavorisés dans l’accès
aux diplômes postbac. L’Obser-
vatoire des inégalités relève, sur
la base de données issues de
l’éducation nationale, que si les
enfants d’ouvriers représentent
au collège la même proportion
que les enfants de cadres (23 %),
ils ne représentent plus que 10 %
des étudiants à l’université (33 %
pour les enfants de cadres) et
seulement 7 % des élèves des
classes préparatoires aux gran-
des écoles (53 % pour les enfants
de cadres).
Une part importante de ces iné-
galités s’ancre dans les différen-
tes aspirations développées par
les jeunes selon leur environne-
ment social et territorial. Un son-
dage effectué en novembre 2023
par l’Institut ViaVoice pour six
associations d’égalité des chan-
ces révèle que, à 15-16 ans, seule-
ment 18 % des enfants modestes
ruraux et 37 % des enfants mo-
destes urbains pensent pouvoir
intégrer une grande école contre
48 % des favorisés ruraux et 56 %
des favorisés urbains.
« Economie de la connaissance »
Une seconde raison de mener
une politique ambitieuse de ré-
duction de l’inégalité des chances
vient de la poursuite d’une éco-
nomie de l’innovation avec le
plan France 2030 porté par le se-
crétariat général pour l’investis-
sement. Déjà, Tony Blair puis son
successeur Gordon Brown défen-
daient une « économie de la con-
naissance » exigeant de faire
monter en compétences acadé-
miques et professionnelles toute
une classe d’âge. En France aussi,
le dynamisme économique ne
peut plus reposer aujourd’hui sur
une logique d’accès au diplôme
excluant massivement les jeunes
de familles modestes. Comme le
souligne l’économiste Xavier Ja-
ravel dans son dernier ouvrage,
« démocratiser l’accès aux carriè-
res de l’innovation est une réforme
LE DYNAMISME
ÉCONOMIQUE NE
PEUT PLUS REPOSER
SUR UNE LOGIQUE
D’ACCÈS AU
DIPLÔME EXCLUANT
LES JEUNES DE
FAMILLES MODESTES
décisive » (Marie Curie habite dans
le Morbihan, Seuil, 2023).
Certes, des programmes publics
et associatifs existent déjà dont
les contenus s’apparentent à
ceux qui sont mis en œuvre au
Royaume-Uni avec Aimhigher.
Depuis 2010, de nombreuses ac-
tions se sont développées en fa-
veur de la démocratisation des
études supérieures : des associa-
tions organisent des ateliers et
des forums dans des collèges et
des lycées de territoires défavori-
sés avec des étudiants et des pro-
fessionnels de divers horizons,
ou des immersions dans des uni-
versités et des écoles postbac.
Le plan mentorat, lancé
en mars 2021, vise, pour sa part, à
atteindre 100 000 bénéficiaires
par an avec un budget d’environ
30 millions d’euros annuels. Tou-
tefois, seule une petite partie de
ce plan concerne l’accès aux étu-
des supérieures. De plus, qua-
torze établissements postbac ont
été lauréats d’un Programme
d’investissements d’avenir
en 2019 et en 2020 et disposent
d’un budget moyen de
500 000 euros par an pour me-
ner des actions d’égalité des
chances. Enfin, les Cordées de la
réussite sont dotées, depuis
2008, d’un budget annuel os-
cillant entre 4 et 6 millions
d’euros pour accompagner des
élèves souhaitant faire des études
supérieures, y accéder et réussir.
Mais ces actions bénéficient à
très peu de jeunes et de façon
trop ponctuelle pour avoir un ef-
fet structurel national sur l’iné-
galité des chances. Les program-
mes ne sont pas coordonnés et
ne s’inscrivent dans aucune vi-
sion d’ensemble. Surtout, ils se
concentrent sur la lutte contre
l’autocensure de jeunes déjà in-
téressés par les études postbac,
au lieu de prendre le problème à
la racine et de chercher à élever
les aspirations d’une classe d’âge
de jeunes défavorisés.
« Développer les aspirations »
Représentant du programme
Aimhigher de passage en France
en 2013, Robert Gresham avait
expliqué : « C’est bien de lutter
contre l’autocensure, mais seule-
ment pour ceux qui aspirent déjà
aux études supérieures. Les jeu-
nes qui n’ont rien à censurer, il
faut d’abord développer leurs as-
pirations ! »
Comment rendre ces initiati-
ves plus efficaces ? En les uni-
fiant dans une stratégie natio-
nale avec des moyens financiers
importants et des outils adaptés.
Pour cibler efficacement les jeu-
nes, les Britanniques s’appuient
sur une « géographie prioritaire
de l’inégalité des chances », re-
censant les taux de participation
aux études supérieures des jeu-
nes de 18-19 ans, quartier par
quartier, dans tout le pays. Cette
cartographie permet de neutrali-
ser l’opposition entre les territoi-
res ruraux et les banlieues des
métropoles, se distinguant ainsi
fortement de celle de la « politi-
que de la ville », qui cible unique-
ment les concentrations urbai-
nes de faibles revenus.
Durant Aimhigher, la participa-
tion aux études supérieures a pro-
gressé deux fois plus vite
qu’ailleurs dans les territoires vi-
sés par le programme. L’exemple
britannique montre qu’on peut
réduire l’inégalité des chances de
manière efficace. A condition,
toutefois, que les moyens et l’or-
ganisation soient à la hauteur du
défi. Visons plus haut pour les jeu-
nes défavorisés de nos villes et de
nos campagnes. p
Jules Donzelot est
chercheur en éducation,
rattaché au Centre Emile
Durkheim (EHESS). Il est
le directeur scientifique
de l’association d’égalité
des chances et d’aide à l’orien-
tation des jeunes JobIRL
 idées | 31
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MERCREDI 27 MARS 2024

Les faux-semblants de la baisse de la population parisienne

P
aris comptait 2 206 000 habitants
en 2015 ; seulement 2 133 111 en 2021.
Pour une ville (et sa région) habi-
tuée aux records de natalité, cette
perte de 73 000 Parisiens en six ans est histo-
rique. Le mouvement a débuté en 2010, mais
le rythme a doublé au cours de la dernière
décennie. Le phénomène a beau être natio-
nal, les commentaires ont fusé. « Les Pari-
siens fuient Paris », « Paris n’attire plus », ti-
traient des articles de presse. Quant aux
LA VILLE A BEAU élus de droite opposés à la maire de Paris,
PRODUIRE Rachida Dati en tête, ils ont trouvé là un nou-
vel argument anti-Anne Hidalgo, même si le
DES LOGEMENTS, 7e arrondissement, dont la ministre de la cul-
ture est maire depuis 2008, est celui qui, en
LES PLATES-FORMES proportion, se dépeuple le plus.
EN DÉTOURNENT La chute spectaculaire de la natalité est une
première explication de ce retournement de
DES MILLIERS tendance. En 2022, 32 000 enfants naissaient
dans la capitale. Ils n’étaient plus que 22 000
DE LEUR USAGE en 2023. Le phénomène s’est accéléré depuis
l’épidémie de Covid-19 (− 18 % entre 2020 et
TRADITIONNEL 2023). « On ne sait pas encore si c’est un report,
si ces enfants naîtront plus tard, ou si c’est un
choix », détaille Noémie De Andrade, démo-
graphe à l’Institut Paris Région.
Mais ceux qui voient là le résultat d’un
exode post-Covid-19 se trompent. Les dé-
parts ont certes augmenté après le confine-
ment, mais, depuis, leur nombre est rede-
venu stable, précisent Sandra Roger et Emi-
lie Moreau, respectivement statisticienne et
directrice d’études à l’Atelier parisien d’ur-
banisme. Les arrivées, en revanche, ne se
font plus, ce qui fournit une autre partie de
l’explication. « Les éléments démographi-
ques d’une ville sont très liés au marché im-
mobilier, pour le meilleur et pour le pire », ex-
plique Emmanuel Grégoire, premier adjoint
d’Anne Hidalgo, chargé de l’urbanisme. La
structure du parc locatif privé y est pour
beaucoup. Dans les années 1920 et les an-
nées 1950, 3 millions de Parisiens s’entas-
saient dans des appartements insalubres et
précaires. Depuis, les logements ont été ré-
novés, transformés.
Mais c’est le parc privé qui accueille la moi-
tié des personnes qui déménagent, comme
les trois quarts des arrivées de l’étranger
(40 % étant des expatriés). Or, avec la flam-
bée des locations saisonnières et des rési-
dences secondaires, il joue de moins en
moins son rôle d’accueil. La ville a beau pro-
duire des logements (32 000 en six ans), les
plates-formes en détournent des milliers de
leur usage traditionnel (16 000 sur la même
période). La surface des logements explique
aussi le départ des familles, phénomène qui
« n’a rien de nouveau », précise Martin
Omhovère, urbaniste à l’Institut Paris Ré-
gion. La moitié du parc étant constituée de
studios et de deux-pièces, « Paris a fonda-
mentalement vocation à accueillir des jeunes
ou des ménages qui se mettent en couple
puis partent quand les enfants arrivent ». Le
phénomène est vrai dans les autres métro-
poles comme Lyon.
Enfin, la hausse du nombre des sépara-
tions entraîne mécaniquement une baisse
de la population, le nombre de personnes
par appartement diminuant. « Sur vingt ans,
c’est spectaculaire : la moitié des familles
sont des familles monoparentales », constate
Emmanuel Grégoire. Quant aux seniors, ils
sont de plus en plus nombreux car l’espé-
rance de vie s’allonge : soit autant d’appar-
tements occupés plus longtemps par des
personnes seules.
Tous ces paramètres contrarient l’idée se-
lon laquelle la baisse de la population serait
le signe d’un désamour de Paris. Malgré les
prix, les logements trouvent acquéreurs. Le
spécialiste des mobilités Jean Coldefy et le
géographe Jacques Lévy mesurent la force
d’attraction d’une ville en distinguant les ré-
sidents des habitants. Si 2,1 millions de per-
sonnes dorment à Paris, 3,7 millions en équi-
valent temps plein viennent y travailler, con-
sommer, flâner chaque jour.
La part de l’école privée augmente
« Il n’empêche, les changements qui affectent
Paris sur sa capacité à loger la population
ont des répercussions stratégiques », relève
Martin Omhovère. On vient à Paris faire ses
études, son début de carrière. « Ce rôle d’inté-
gration qu’elle a toujours joué est essentiel
pour son dynamisme. Cette incapacité de lo-
ger les jeunes peut jouer en sa défaveur. »
La baisse de la natalité a d’autres effets, qui
interrogent sur la société qui se dessine. Au
printemps, les écoles publiques vivent au
rythme des mobilisations contre les ferme-
tures de classes. Le rectorat justifie ses déci-
sions par le fait qu’en dix ans, Paris a perdu
27 500 élèves dans le premier degré. Le mou-
vement gagne les collèges et les lycées.
Mais l’école publique est seule à absorber
cette baisse. Les effectifs du privé sont sta-
bles, mais la part de ce dernier augmente. A
ce rythme, si rien n’est fait, 51,5 % des collé-
giens de 6e y seront scolarisés en 2034, selon
une étude des chercheurs à l’Ecole d’écono-
mie de Paris Julien Grenet et Pauline Cha-
rousset. La plupart (88 %) seront des enfants
de cadres, alors que les plus défavorisés reste-
ront dans le public. D’autre part, quand l’ur-
gence est de réduire les émissions de dioxyde
de carbone, est-il judicieux de vider des lo-
caux quand des collectivités doivent en cons-
truire d’autres, un kilomètre plus loin, de
l’autre côté du périphérique ? Paris est bien
dotée en équipements publics. A qui profite-
ront-ils, si la dépopulation se poursuit ?
La Métropole du Grand Paris, compétente
en matière d’aménagement, pourrait inter-
venir pour une plus grande cohérence entre
les grands projets d’habitat, mais ne le fait
pas. De son côté, la Ville de Paris cherche à
obtenir une régulation fiscale contre le sur-
tourisme et incite à la production de loge-
ments publics – l’objectif est de 40 % –, en
particulier de logements sociaux dont la part
doit passer de 25 % à 30 % d’ici à 2035. De ma-
nière que le centre-ville ne soit pas le refuge
des touristes, des riches, et des plus âgés,
quand le reste de la population se retrouve
relégué en périphérie. p
emeline cazi

CHRONIQUE | PAR ARNAUD LEPARMENTIER

GAY, ASIATIQUE ET DEUX FOIS DISCRIMINÉ
Donald Trump, LIVRE ethniques. Dans la communauté lieu gay : « Je trouvais des explica-

l’homme qui valait 3 milliards gay, explique-t-il, chacun se dé- tions, des excuses, abaissais tou-

D ésolé, on ne cherche
pas d’Asiatique. » Cette
phrase, Jean-Baptiste
Phou, artiste français d’origine
fend de tout racisme. Certains
hommes homosexuels affichent
même ouvertement leur préfé-
rence pour des Asiatiques. Mais,
jours un peu plus le seuil d’accep-
tabilité », raconte-t-il en évo-
quant notamment « un parte-
naire retirant le préservatif » à

C ombien valent les diatribes de

Donald Trump sur les réseaux
sociaux ? Plus de 5 milliards de
dollars (4,6 milliards d’euros), si l’on en
croit les prémices de la cotation en
Bourse du réseau qui lui est complète-
ment inféodé, Truth Social. Résultat :
son principal actionnaire, Donald
Trump lui-même, pourrait se trouver
à la tête d’un pactole de 3 milliards de
dollars et ferait ainsi plus que doubler
sa fortune, estimée à 2,6 milliards de
dollars par le magazine Forbes.
En ces temps troublés, Wall Street a
perdu la notion de l’argent et nage
dans le n’importe quoi. L’entreprise
de médias a certes pour tête d’affiche
Donald Trump, ancienne vedette de
télé-réalité et président potentiel des
Etats-Unis, mais son nombre de visi-
teurs a été divisé par deux en un an
(environ 500 000 par mois). Au cours
des neuf premiers mois de 2023,
Truth Social a réalisé 3,3 millions de
dollars de revenus publicitaires, versé
37,7 millions d’intérêts sur ses dettes
et réalisé une perte nette de 49 mil-
lions de dollars. Une micro-PME sans
croissance liée à une gloire de 78 ans !
Le réseau Reddit, qui vient de s’intro-
duire en Bourse, avait, lui, vendredi
22 mars, une capitalisation boursière
de 8 milliards de dollars. Quant à Twit-
ter, devenu X, bien qu’acheté deux fois
trop cher par Elon Musk au prix de
44 milliards de dollars, il n’en reste pas
moins le forum mondial de dialogue.
Tactique ingénieuse
L’affaire remonte à 2021. Chassé des
réseaux sociaux à l’issue de l’assaut
du Capitole, Donald Trump lance le
sien, sans un sou de capital. Il décide
de fusionner son entreprise avec Di-
gital World Acquisition Corporation
(DWAC), une coquille, créée par un
obscur banquier de Miami, pas si
vide que cela puisqu’elle réussit à le-
ver 293 millions de dollars de cash.
L’ensemble est valorisé à 875 mil-
lions de dollars.
Entre-temps, quelque 400 000 parti-
sans du candidat républicain à la prési-
dentielle 2024, lui prêtant des pou-
AVEC L’INTRODUCTION
EN BOURSE DE SON RÉSEAU
TRUTH SOCIAL, LE CANDIDAT
RÉPUBLICAIN POURRAIT
DOUBLER SA FORTUNE
voirs d’alchimiste, ont acheté l’action,
dont la valeur a quadruplé en Bourse.
A court terme, ils ont adopté une tacti-
que ingénieuse : au lieu de donner des
fonds à la campagne de Trump, ils
chinoise et cambodgienne, l’a
entendue plus d’une fois en
s’inscrivant à des castings de
comédien. Bien plus souvent en-
core, on lui a opposé son équiva-
dans les couples mixtes, relève-
t-il, les stéréotypes ont la vie
dure : l’Asiatique est ainsi pré-
sumé sexuellement « passif » et
dépendant matériellement.
son insu. « Pour moi, la brutalité,
la contrainte et le risque étaient
inhérents à la condition gay »,
écrit Jean-Baptiste Phou.
Au-delà de ce sombre tableau,
achètent des actions, espérant gagner lent en écriture abrégée, sur l’auteur évoque, plus succincte-
de l’argent et sauver de la banqueroute des sites de rencontre gay : « Dsl, « Brutalité, contrainte et risque » ment, les vexations subies en
leur champion qui doit verser 454 mil- pas branché Asiat. » Une discri- La communauté gay aurait-elle tant que comédien, où les cas-
lions de dollars à la justice new-yor- LA PEAU HORS mination injustifiable d’un côté, ainsi reproduit et amplifié jus- tings pour des rôles généralistes
kaise. Parions que l’action ne tiendra DU PLACARD la simple expression légitime qu’à l’absurde les codes de la lui semblaient systématique-
pas longtemps, même si la force des de Jean-Baptiste d’une préférence physique de domination patriarcale ? Sans ment fermés. « Je n’essayais
actionnaires individuels permet dé- Phou l’autre ? Ou s’agirait-il plutôt, doute, juge l’auteur, qui note que même plus avec ceux qui ne cher-
sormais de lutter face aux grandes ins- Seuil, 176 pages, comme le suggère l’auteur, d’un les relations entre hommes asia- chaient pas spécifiquement un
titutions, comme l’a montré, en 2021, 17,50 euros seul et même rejet raciste plus ou tiques y sont perçues comme Asiatique. Perte de temps. Perte
en dépit de toute logique économique, moins assumé ? « incestueuses », ou même… « les- d’énergie », se rappelle-t-il. Les ac-
l’envolée d’actions populaires telles C’est bien l’idée qui émerge de biennes » – ce terme étant en- teurs sont-ils donc condamnés à
que celles des jeux vidéo GameStop et La Peau hors du placard (Seuil, tendu péjorativement. n’être choisis que sur un critère
des cinémas AMC. 176 pages, 17,50 euros), un récit Sans prétention sociologique, ethnique ? Sans doute pas, note
fondé sur les mésaventures de ce témoignage résonne particu- l’auteur : dans la comédie musi-
« Don Poorleone » l’auteur depuis son adolescence lièrement à l’heure du #metoo- cale The King and I, montée
La précédente incursion de Donald et ses premières expériences de garçons, vague de dénonciation en 2014 au Théâtre du Châtelet, et
Trump sur le marché boursier ne s’est drague en ligne, dans les années des violences sexuelles subies à laquelle il a participé, Lambert
pas bien terminée. Trump Hotels and 1990 – à l’époque du Minitel –, par les hommes. L’auteur dit Wilson semble n’avoir eu aucune
Casino Resorts est devenu public jusqu’aux applications de ren- ainsi avoir intégré malgré lui difficulté à décrocher le rôle du
en 1995 sous le symbole DJT, acro- contre utilisant la géolocalisa- cette « culture du viol » associée à roi de Siam. p
nyme de Donald John Trump. C’est tion et proposant des « filtres » la « culture du sexe » dans le mi- adrien le gal
l’époque où Atlantic City, située au sud
de New York, prétendait rivaliser avec
les casinos de Las Vegas. Fin 2004, la
société s’est mise en faillite et a été ra-
diée de la Bourse de New York. Le théâtre de l’horreur | par sergueï
Mais le temps d’un feu de paille
n’empêche pas de faire un bon coup.
C’est le pari de Donald Trump, acculé
financièrement après sa condamna-
tion civile par un tribunal de New
York. Normalement, il n’a pas le droit
de céder ses titres pendant six mois,
mais il peut sans doute les gager ou
les vendre à terme.
Ce cirque politico-judiciaro-finan-
cier a des airs de match de catch, où le
citoyen se trouve incapable de distin-
guer le vrai du faux. « Grâce à mon tra-
vail acharné, à mon talent et à ma
chance, je dispose actuellement de près
de 500 millions de dollars en liquide », a
déclaré Donald Trump sur Fox News.
« Ils ne peuvent pas vous confisquer
vos biens avant que vous ayez eu la
possibilité de faire appel », assure-t-il,
alors que la loi new-yorkaise dit le con-
traire. Objectif de nouveau atteint, le
voilà martyr et résistant aux yeux de
ses partisans, pathétique pour ses op-
posants. Le week-end des 23-24 mars,
ces derniers ricanaient sur X en mo-
quant « Don Poorleone », jeu de mots
sur Don Corleone, comparant Donald
Trump au parrain de la mafia incarné
par Marlon Brando (1972), mais ruiné.
Il faudra encore patienter pour assis-
ter à sa chute, la justice ayant réduit
lundi la caution à verser sous dix jours
à 175 millions de dollars. p
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MERCREDI 27 MARS 2024

FRANCE | CHRONIQUE SÉNÉGAL :

par fr ançoise fr e sso z
UNE VICTOIRE,
UN COUP DE cette instabilité résultant des manœuvres tion. Si Bassirou Diomaye Faye dit vouloir

Le combat inégal TONNERRE ET UN

du chef de l’Etat lui-même, Macky Sall, le
système judiciaire a su résister de façon ad-
mirable : annulation par le Conseil consti-
lutter contre la corruption, défendre la
« souveraineté » du pays en renégociant les
contrats pétroliers, s’il prône des « relations
de deux outsiders AVERTISSEMENT tutionnel du report de l’élection décidée
par le président, puis, vu son « inertie »,
fixation d’une date pour le scrutin. La force
équilibrées et respectueuses » avec la France,
notamment en sortant du franc CFA, il est
décrit par ses adversaires comme un mu-
des institutions est soulignée par l’enjeu sulman salafiste – ce dont il se défend – et
historique du vote – le maintien ou non de n’excluant pas une coopération sécuritaire

L FACE AU RN,
a scène politique se prête
parfois à d’intéressantes
comparaisons. A un jour
d’intervalle, deux person-
nalités qui ont pour points com-
muns une solide formation philo-
sophique, une expérience euro-
péenne qu’ils valorisent et la tâche
peu commode de défendre les
couleurs de familles politiques en
grande difficulté ont occupé le de-
vant de l’estrade. Samedi 23 mars,
aux Docks de Paris, à Aubervilliers
(Seine-Saint-Denis), François-Xa-
vier Bellamy a inauguré le premier
meeting de campagne du parti Les
Républicains (LR) en vue des élec-
tions européennes du 9 juin. Di-
manche, à Tournefeuille (Haute-
Garonne), Raphaël Glucksmann,
le leader de Place publique, a tenu
son premier rassemblement pu-
blic en compagnie des socialistes,
dont il est chargé de défendre les
couleurs pour la deuxième fois.
A la marée de drapeaux bleu-
blanc-rouge brandis samedi a ré-
pondu le lendemain une forêt
d’étendards rose et jaune. Le cli-
vage gauche-droite que les deux
camps s’échinent à réactiver s’est
visuellement imposé sans parve-
nir à gommer la différence de ton
entre les deux acteurs. Défensif
d’un côté, conquérant de l’autre.
« Ne pas subir » a été le leitmotiv de
François-Xavier Bellamy qui, pour
tenter de desserrer l’étau dans le-
quel l’enserrent Renaissance et le
Rassemblement national (RN), se
veut le promoteur d’une « droite
paisible qui s’assume ». Mettre
dans l’urne le « bulletin de l’espoir »
a été le credo de Raphaël Glucks-
mann, qui a assigné à chaque mili-
LE CAMP MACRON
APPARAÎT PLUS
VULNÉRABLE QU’IL
Y A CINQ ANS
aussi : la réforme des retraites et la
loi sur l’immigration ont fabriqué
des déçus du macronisme qu’il est
possible de récupérer. Parallèle-
ment, le rapport de force à l’inté-
rieur de la gauche est devenu
moins défavorable. Le camp so-
cial-démocrate n’est plus voué aux
gémonies comme il l’était en 2017
au terme du quinquennat de Fran-
çois Hollande. La concurrence des
écologistes est moins menaçante
qu’en 2019, lorsque Yannick Jadot
avait réalisé une spectaculaire
mais éphémère percée.
Surtout, les fautes et les excès de
Jean-Luc Mélenchon, qui s’était
mis en position de rassembleur
lors de la campagne des élections
législatives de 2022, pour apparaî-
tre deux ans plus tard comme le
fossoyeur de la Nouvelle Union
populaire écologique et sociale
(Nupes), ont ouvert une brèche
dans laquelle le chef de file de
Place publique peut aujourd’hui
s’engouffrer sans avoir besoin de
forcer sa nature ni de dévier de sa
ligne. En invoquant le double héri-
tage de Jacques Delors et de Robert
Badinter, Raphaël Glucksmann est
devenu le porte-drapeau d’une
gauche universaliste et pro-euro-
péenne, à rebours des choix de
Jean-Luc Mélenchon.
L e candidat de la majorité sortante,
battu, félicitant son opposant le plus
farouche au lendemain d’un scrutin
présidentiel serein ; des résultats électo-
raux sans bavure, des militaires invisibles.
Dans le paysage politique chaotique d’Afri-
que de l’Ouest, l’élection incontestée, au Sé-
négal, dès le premier tour, dimanche
24 mars, de Bassirou Diomaye Faye, consti-
tue une belle surprise démocratique. Au-
delà du contraste saisissant avec la série de
putschs qui ont transformé en dictatures
militaires plusieurs pays de la région, l’évé-
nement représente à la fois une victoire, un
coup de tonnerre et un avertissement.
La victoire est celle des institutions séné-
galaises et de la démocratie. Jamais depuis
l’indépendance de 1960, le pays n’avait
connu une présidentielle aussi troublée. A
la ligne politique libérale et pro-occiden-
tale, suivie grosso modo depuis plus de six
décennies par le Sénégal – et par le change-
ment radical finalement décidé par les Sé-
négalais : le candidat élu, loin d’être celui
des élites au pouvoir, ne cache pas son in-
tention de les « dégager ». La solidité de la
démocratie sénégalaise représente aussi
un message fort adressé aux juntes et aux
peuples africains : le vote peut, lui aussi,
permettre de « renverser la table ».
Car l’élection de M. Diomaye Faye, un ins-
pecteur des impôts de 44 ans libéré de pri-
son dix jours avant le vote et qui reconnaît
être « un candidat de substitution », ressem-
ble à un coup de tonnerre, tant sont gran-
des les incertitudes qui entourent sa per-
sonnalité et ses positions. Sa candidature
résulte de l’interdiction de se présenter
faite à Ousmane Sonko, leader populaire
du parti des Patriotes africains du Sénégal
pour le travail, l’éthique et la fraternité (Pas-
tef), à la suite d’une condamnation pour
diffamation ayant entraîné son incarcéra-
nouvelle avec la Russie.
Cette nette victoire sonne enfin un dou-
ble avertissement. Aux chefs d’Etat afri-
cains tentés, comme Macky Sall, de s’accro-
cher indûment à leur siège. En insinuant
qu’il pourrait, contre la Constitution, bri-
guer un troisième mandat, puis en multi-
pliant les manœuvres destinées à museler
les opposants et à entraver le processus
électoral, le président sortant apparaît
comme un artisan de la défaite de son
camp. Ses efforts pour présenter le Sénégal
comme un « pays émergent », grâce à quel-
ques grands travaux et à la promesse de
l’exploitation de gisements de pétrole,
n’ont pas convaincu la masse des laissés-
pour-compte, attirés par la promesse d’une
« rupture ». Avertissement enfin aux pays
occidentaux comme la France, qui, désor-
mais en concurrence avec bien d’autres
puissances, doivent tirer les conséquences
d’un contexte africain qui ressemble de
plus en plus à une phase nouvelle de la lon-
gue histoire de la décolonisation. p

COURS DU SOIR HISTOIRE DE L’ART

tant la mission de créer les condi- Le positionnement de LR est
tions d’« être la surprise du 9 juin ». plus inconfortable. Depuis 2017, le
parti, en proie à d’intenses divi-
Espoir à gauche sions, a changé de logiciel en s’éloi-

Un tel décalage peut surprendre,
car, sur le papier, la droite républi-
caine et la gauche sociale-démo-
crate partent avec le même handi-
cap. Depuis 2017, elles sont les
COMMENT REGARDER
gnant de l’idéologie libérale et pro-
européenne qui l’avait caractérisé.
Son refus de soutenir la réforme
des retraites, qui correspondait
pourtant à celle que sa candidate

deux grandes victimes du coup de
torchon administré aux vieux
partis de gouvernement par Em-
manuel Macron. LR et le Parti so-
cialiste (PS) ont eu beau résister au
« en même temps », ils n’ont jus-
qu’à présent pas réussi à sortir du
piège. Non seulement leur préten-
tion à remonter la pente lors de la
présidentielle de 2022 s’est soldée
UN TABLEAU
avait défendue pendant la campa-
gne présidentielle, sa décision de
voter avec la gauche contre le
traité de libre-échange conclu avec
le Canada, sont symptomatiques
d’une rupture qui se manifeste
aussi par un net raidissement sur
l’immigration et par la volonté
d’affirmer par référendum la su-
périorité de la norme constitu-

avec Françoise Barbe-Gall

par un échec cinglant (4,78 % des
suffrages exprimés pour la candi-
date LR, Valérie Pécresse ; 1,75 %
pour celle du PS, Anne Hidalgo),
mais les extrêmes n’ont cessé de
les grignoter, si bien que la confi-
tionnelle sur le droit européen.
Ces initiatives, proches des pré-
conisations de Marine Le Pen, vi-
sent à contenir l’attractivité du RN
sur l’électorat de droite. Elles ont
eu cependant tendance à produire

guration de la campagne euro-
péenne ressemble à celle de 2019 :
un match dominé par l’affronte-
ment entre le RN et le camp prési-
dentiel, organisé comme tel par
les deux protagonistes pour ne
laisser qu’un espace dérisoire aux
autres formations politiques.
La liste LR n’avait obtenu que
8,48 % des suffrages exprimés il y
a cinq ans, envoyant huit députés
au Parlement européen, avec pour
conséquence de ne plus guère
compter au sein du PPE, le groupe
conservateur. Celle de Place publi-
que-PS n’avait engrangé que
6,19 % des suffrages, pesant margi-
nalement (six sièges) parmi les so-
ciaux-démocrates européens.
A gauche, deux facteurs contri-
buent cependant à rallumer l’es-
poir. D’abord, le macronisme n’est
plus à son zénith. Face au RN de
plus en plus offensif, le camp pré-
sidentiel apparaît plus vulnérable
qu’il y a cinq ans, plus décentré
NOUVEAU
l’effet inverse, si bien que mal
identifié et peu soudé, LR apparaît
aujourd’hui vulnérable aux deux
bouts : les centristes de l’Union
des démocrates et indépendants
(UDI) viennent de rejoindre la liste
Renaissance, et Marion Maréchal,
à la tête de la liste Reconquête !, se À partir du 23 avril, participez à un cycle de 5 séances de 2 heures.
Une approche thématique de la peinture autour des symboles.
fixe pour objectif de dépasser le
score de celle conduite par Fran-
çois-Xavier Bellamy.
Marquée par la tragédie de la Françoise Barbe-Gall est historienne d’art française et conférencière
dans les musées nationaux. Elle a également enseigné l’histoire de
guerre en Ukraine, la campagne
des européennes est bien plus que
les autres dominée par la question l’art moderne et contemporain à l’Ecole du Louvre entre 1982 et 2011.
de la souveraineté. Autant Ra- Depuis 2020, elle assure un programme régulier de conférences en
ligne. Elle est l’auteur de nombreux livres sur la peinture, notamment
phaël Glucksmann n’a guère de
peine à se projeter dans l’idée
d’une Europe puissance, autant LR Comment regarder un tableau et Comment parler d’art avec les enfants.
freine des quatre fers. « Le concept
de souveraineté européenne dé-
fendu par Emmanuel Macron y est
rejeté parce qu’il contrarie la pro-
messe de souveraineté nationale
constitutive de l’identité du parti »,
souligne Dominique Reynié. Le di-

ateliers.lemonde.fr
recteur général de la Fondapol rap-
pelle, cependant, que Georges
Pompidou, dont on célèbre cette
LR APPARAÎT année le 50e anniversaire de la
mort, avait « su trouver le point
AUJOURD’HUI d’équilibre entre libéralisme, souve-
VULNÉRABLE raineté et projet européen, en res-
tant fidèle au gaullisme ». L’héri-
AUX DEUX BOUTS tage apparaît aujourd’hui bradé. p
 Le réveil
du dodo
Le couple de dodos, dans la salle des espèces menacées de la Grande Galerie de l’évolution du Muséum national d’histoire naturelle de Paris. JEAN-CHRISTOPHE DOMENECH/MNHN
A l’occasion des 30 ans de la Grande Galerie permettant de colorer les plumes en profondeur sans qu’elles
se collent qui maltraitent les oreilles du visiteur. D’un geste, le
de l’évolution du Muséum national d’histoire taxidermiste invite à patienter. Juste deux minutes. Enfin, il
naturelle de Paris, deux de ces oiseaux pose l’instrument en s’excusant. Une douce musique, jus-
qu’ici inaudible, occupe la pièce. « C’est la dernière ligne droite.
mythiques ont été reconstitués, au terme Hier j’ai fini à minuit. J’y suis depuis 6 heures ce matin. On est en
retard et on n’a vraiment pas le droit à l’erreur. »
d’une longue étude, entre art et science. Le couple de drontes de Maurice était l’« invité d’honneur »
Ils sont présentés au public depuis le 23 mars du week-end de célébration des 30 ans de la Grande Galerie
de l’évolution, samedi 23 et dimanche 24 mars. Spectacles,
ateliers, parcours spéciaux et visites nocturnes ont été mis
nathaniel herzberg au menu de cette institution, qui a accueilli plus d’un mil-
lion de visiteurs en 2023. Autant de réjouissances tempo-
C
e jeudi 14 mars, un bruit de marteau-piqueur tra- raires, dans ce haut lieu de popularisation de la science et
verse l’atelier de taxidermie du Muséum national de découverte de la richesse du vivant.
d’histoire naturelle de Paris. Pas de travaux en
vue, pourtant, au rez-de-chaussée de la Grande « Le dodo, c’était Lewis Carroll »
Galerie. Ni de l’autre côté des soupiraux, qui don- Les dodos, en revanche, resteront à demeure à l’entrée de la
nent sur l’extérieur. Dans la pièce, ils sont deux à s’affairer. Le galerie des espèces disparues, là où a longtemps trôné un de
sculpteur Camille Renversade, poinçon en main, se concen- leurs cousins, sculpté dans le plâtre en 1901. « Ils accueil-
tre sur le bec d’un dodo déjà tout en plumes. Le taxidermiste leront les visiteurs, avec ce regard curieux qui, d’après les
Vincent Cuisset peint à l’aérographe le plastron du second, témoignages, était le leur lorsque les marins portugais et hol-
qui attend, encore dénudé, sur la table voisine. Et ce sont ce landais ont débarqué à l’île Maurice, poursuit Camille
pistolet à peinture, son compresseur et la soufflerie associée Renversade. Les dodos n’avaient jamais connu de prédateurs,
Quand les pères Incontinence
souffrent urinaire : traitement
de dépression sur commande
post-partum Un sphincter artificiel
a été implanté chez
Des médecins spécialistes un homme. Une nouvelle piste
commencent à se soucier pour traiter les 400 millions
d’hommes en détresse après de personnes atteintes
la naissance d’un enfant de ce trouble de la miction
PAG E 2 PAG E 7
Cahier du « Monde » No 24644 daté Mercredi 27 mars 2024 - Ne peut être vendu séparément
jamais vu d’humains. Comment pouvaient-ils imaginer que
nous allions les exterminer ? »
Au fil des siècles, Raphus cucullatus, son nom scientifique,
est même devenu le symbole absolu de ces espèces éteintes
par notre seule faute. Pourquoi lui alors que, à ce triste jeu,
Sapiens en a liquidé bien d’autres ? D’abord parce qu’en ce
qui le concerne aucun doute ne persiste quant à notre res-
ponsabilité. Certes, sa chair était réputée médiocre. « Plus on
le cuit, moins il est tendre et plus il est insipide », témoignait
l’amiral Wybrand van Warwijck, en 1598, dans son journal de
voyage. Les Hollandais avaient même surnommé l’animal
Walghvogel, l’« oiseau répugnant ». Mais, pour des marins af-
famés, réduits parfois pendant des semaines au régime sec
des biscuits avariés, il n’était pas question de faire la fine bou-
che. Surtout, les navires apportaient, dans leurs cales, d’autres
visiteurs, chats, rats, porcs, puis bientôt des macaques. Autant
de prédateurs qui s’attaquèrent aux œufs pondus à même le
sol et aux juvéniles. Si bien que l’oiseau a rapidement disparu,
vraisemblablement pendant la décennie 1660.
Il en fallait pourtant davantage pour construire une icône.
Un physique particulier, bien sûr. Massif, un peu pataud, muni
d’un bec imposant et de petites ailes ridicules, l’oiseau provo-
que immédiatement le sourire et déclenche la sympathie.
→ L IR E L A SU IT E PAG ES 4- 5
Rencontre
Michel Talagrand,
as des aléas
A 72 ans, ce mathématicien,
spécialiste des probabilités,
est le cinquième Français
à recevoir le prestigieux
prix Abel. Il revient
sur sa trajectoire chaotique
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 ACTUALITÉ
2| ·
LE MONDE SCIENCE & MÉDECINE
MERCREDI 27 MARS 2024

Les pères aussi souffrent

de dépression post-partum
SANTÉ MENTALE - Selon une étude française, ils seraient 5 % à connaître
des difficultés psychiques après la naissance de leur enfant

A
l’annonce de la grossesse de sa
femme, Vincent a été très heureux.
Dans les mois qui suivent, il achète
un lit pour bébé, passe à la pharma-
cie autant que de besoin et se donne
l’impression de bien se préparer. Mais quand la
naissance a lieu, en octobre 2021, il ne ressent pas
« l’amour automatique » qu’il aurait cru éprouver.
La sage-femme lui glisse l’enfant dans les bras en
disant : « C’est votre fille et c’est pour toute la vie. »
La formule anodine et colossale tétanise le jeune
père ; c’est à ce moment-là, confie-t-il, qu’il tombe
dans « le toboggan ».
Ce Lyonnais de 38 ans (qui ne souhaite pas que
son nom de famille soit mentionné) est né très
prématurément. Il en a gardé une infirmité
motrice cérébrale, de sévères dysfonctionne-
ments digestifs et une fréquentation continue
du monde médical. En ayant un enfant, ses
problèmes de santé ont pris dans son esprit
une tout autre dimension. « J’ai surfé avec la mort
depuis ma naissance, mais, pour la première fois,
j’étais mortel pour quelqu’un. J’avais une énorme
responsabilité et peur que mon corps ne me lâche
définitivement. Je me suis dit : “Je vais mourir et
l’abandonner, je ne peux pas m’attacher à elle.” »
De retour de la maternité, Vincent relate la nais-
sance à sa mère. « J’ai raconté que les infirmières
étaient super, que l’hôpital était top. » Rien sur
l’enfant, rien sur lui : « J’étais coupé de mes émo-
tions. » Quand sa femme rentre à la maison, il ne
conçoit pas que le nourrisson va rester au domi-
cile. Le trentenaire, « dynamique et joyeux » en
temps normal, reste prostré dans un fauteuil. Un
mois et demi plus tard, sa femme est à bout. Elle a
l’idée de consulter une psychiatre que le couple
avait rencontrée peu avant l’accouchement. La
médecin conclut à une dépression post-partum.
« Je ne serai jamais un bon père… »
Sur le coup, son patient n’y croit pas – il aurait
juré que ce trouble ne pouvait toucher que les
mères. Rien d’étonnant au regard du faible inté-
rêt que cette pathologie chez les hommes a sus-
cité jusqu’à présent dans le débat public et dans
la littérature scientifique, qui compte « beau-
coup plus d’articles sur la dépression des mères
que sur celle des pères », selon Romain Dugravier,
psychiatre au groupe hospitalo-universitaire
Paris psychiatrie et neurosciences (GHU Paris) et
chef de service au centre de psychopathologie
périnatale de l’Institut Paris Brune (CPPB).
La situation de Vincent n’est pourtant pas isolée.
La cohorte Elfe, qui suit 18 000 enfants nés en
France en 2011, a permis d’en estimer la préva-
lence. La dépression postpartum concernerait 5 %
des pères contre de 15 % à 16 % des mères, selon
une étude publiée dans The Lancet Public Health
en janvier 2023, consacrée aux effets du congé
paternité sur la santé mentale des parents. Le
questionnaire EPDS – pour « Edinburgh Postnatal
Depression Scale » – a été soumis à 13 000 mères
et à 11 000 pères deux mois après la naissance.
« La politique des “mille premiers jours” [elle
renforce, depuis 2021, l’accompagnement des
nouveau-nés et de leurs parents] implique en
principe un dépistage assez large de la dépression
post-partum maternelle ; que les pères aussi puis-
sent aller moins bien, c’est moins repéré », souli-
gne Maria Melchior, directrice de recherches à
l’Inserm et coautrice de cette étude.
« Les symptômes de la dépression paternelle
sont moins évidents », explique Cécile Corfdir,
psychiatre au GHU Paris. D’après elle, les signes
évocateurs d’une dépression chez la mère sont
surtout l’anxiété, les doutes quant aux capacités
maternelles ainsi qu’une forte anticipation de
l’avenir ; pour les pères, il s’agit souvent d’irritabi-
lité, d’anhédonie – la perte du plaisir dans les acti-
vités qui en procurent habituellement – et une
augmentation de consommation de toxiques.
Le « stéréotype de l’homme fort » persiste
Parmi les facteurs de risque, Lucie Joly, psychia-
tre spécialiste de la périnatalité à l’hôpital Saint-
Antoine (AP-HP), cite les antécédents psychia-
triques, une situation sociale précaire, les trau-
mas infantiles et les difficultés professionnel-
les. Ces facteurs de risque sont proches de ceux
de la dépression post-partum des mères. Lucie
Joly ajoute que le soin consiste essentiellement
à déconstruire « les croyances paternelles dys-
fonctionnelles comme “je ne serai jamais un bon
père, jamais capable d’élever un enfant” ».
A Lyon, une fois le mal identifié, Vincent voit sa
psychiatre pendant huit mois à raison d’une
séance de quarante-cinq minutes toutes les deux
semaines. Au début, il demeure « complètement
absent » et évoque sa paternité du bout des lèvres.
Sa médecin le pousse à verbaliser davantage. Plus
tard, elle filme ses interactions avec sa fille. « Elle ALINE BUREAU
me disait : “Vous voyez, là, elle a souri ; là, quand
vous lui donnez un jouet, elle est contente.” C’était
une façon de montrer que ma fille ne m’était pas familles naissantes. « Les pères ont longtemps été l’hôpital Bichat-Claude-Bernard (AP-HP). Depuis
étrangère. » Avec cette thérapie, « le docteur m’a pensés comme des tiers séparateurs de la relation deux ans, les pères peuvent y être reçus. A ce
accompagné dans l’invention de mon rôle ». mère-bébé, rappelle-t-il. Aujourd’hui, ils expri- stade, « il est rare que l’on nous envoie une famille
C’était d’autant moins facile qu’aucun méde- ment la demande forte d’être présents, ce que le parce que le père ne va pas bien », constate
cin ne l’avait jamais aidé à penser qu’il pouvait congé paternité [il est passé de quatorze à vingt- Mme Corfdir ; le plus souvent, ce sont les difficultés
accéder à la sexualité et à la parentalité. Son cas huit jours en 2021] a encouragé. » Pour Karine de la mère ou des deux parents simultanément
est particulier, compliqué par le handicap, mais, Ronen, la responsable de l’hôpital de jour pa- qui déclenchent une hospitalisation.
en général, « trop peu d’hommes sont préparés à rents-bébés du CPPB, « les revendications des L’histoire de Vincent montre que les soins por-
l’accouchement », déplore Mme Joly. La psychia- pères envers leurs enfants ont une contrepartie : tent leurs fruits : aujourd’hui, assure-t-il, tout le
tre se désole aussi de la persistance du « stéréo- ils ont le droit d’aller mal et d’être soutenus ». monde dans son foyer va « hyper bien ». Il lui
type de l’homme fort » à cause duquel les diffi- Cette mutation s’illustre timidement dans les reste à combattre le reproche qu’il s’adresse par-
cultés psychiques des pères « restent un tabou, services hospitaliers qui aident des femmes fois d’avoir manqué quelque chose lors des pre-
alors que l’on sait traiter la dépression et que plus éprouvant des difficultés relationnelles avec leur mières semaines de sa fille. Il s’y emploie, tou-
on la prend en charge tôt, plus c’est facile et nourrisson. Plusieurs, comme celui de Mme Ro- jours avec une psychologue, afin de laisser l’épi-
moins elle a d’impact sur le bébé ». nen, commencent à accueillir des hommes. Cécile sode qu’il a vécu à sa place : celle d’une « étape »
Aux yeux de son confrère Romain Dugravier, Corfdir, elle, est responsable de La Pomme, une sur son chemin vers la paternité. p
les évolutions sociétales ont pu bousculer les unité d’hospitalisation à temps plein de cinq lits à julien lemaignen

La goutte, une maladie fréquente largement sous-traitée

MÉDECINE - Ce rhumatisme inflammatoire touche 1 % de la population française, et jusqu’à 14,5 % des habitants de la Polynésie française

L a goutte, cette maladie fré-

quente et pourtant négli-
gée. « Elle touche 1 % de la
population française, mais reste
sous-traitée en médecine de ville.
Et, dans les cursus de santé, elle
n’est pas suffisamment enseignée,
déplore le professeur Pascal Ri-
chette, chef du service de rhuma-
tologie de l’hôpital Lariboisière
(AP-HP). Le regard sur cette affec-
tion doit changer. »
Les 21 et 22 mars, près de
750 rhumatologues français se
rassemblaient à la Maison de la
chimie, à Paris, pour faire le point
sur les avancées du domaine.
Parmi les affections examinées :
la goutte, le plus fréquent des
rhumatismes inflammatoires.
La maladie résulte d’un excès
d’acide urique dans le sang : lors-
que son taux excède 420 micro-
moles/litre, il forme des cristaux
dans les articulations, souvent à
la base du gros orteil. D’où une
réaction inflammatoire et des
crises intermittentes « épouvan-
tablement douloureuses », souli-
gne Pascal Richette.
Les études épidémiologiques
restent rares. En 2020, une équipe
britannique estimait la prévalence
comprise entre 1 % et 6,8 % selon
les régions du monde. La maladie
touche environ huit hommes
pour deux femmes et se déclare
souvent à la quarantaine.
En France, le nombre d’individus
atteints était estimé à 600 000
en 2014. Depuis, « on peut s’atten-
dre à une augmentation, estime
Pascal Richette, car l’indice de
masse corporelle n’a cessé d’aug-
menter, tout comme la fréquence
des comorbidités ». Certaines ma-
ladies chroniques, en effet, favori-
sent la goutte : insuffisance rénale,
diabète, obésité, hypertension ar-
térielle, hyperlipidémie, insuffi-
sance cardiaque… Autre facteur de
risque : la prise de médicaments
comme certains diurétiques.
Historiquement, la goutte a été
associée aux excès alimentaires
et à l’abus d’alcool. Hippocrate le
premier, au Ve siècle avant notre
ère, a relevé le lien entre les crises
d’« arthrite des riches » et une ali-
mentation excessive. De fait, un
régime riche en purines, molécu-
les très abondantes dans la viande
rouge, le gibier, la charcuterie, cer-
tains poissons, mais aussi dans
des alcools, dont la bière, favorise
l’élévation du taux d’acide urique
dans le sang (hyperuricémie). Non
sans logique : l’acide urique est le
produit final de la dégradation
des purines.
Mutations de certains gènes
Pour autant, plusieurs études
récentes conduisent à relativiser
l’importance de l’alimentation.
Selon une méta-analyse de 2018,
le poids des variants génétiques
serait 80 fois plus important
que celui du régime alimentaire
chez les Américains d’origine
européenne.
Une autre étude, publiée en
mars, va dans ce sens. Elle a été
conduite en Polynésie française
par Tristan Pascart, chef du ser-
vice de rhumatologie au groupe-
ment des hôpitaux de l’Institut
catholique de Lille, et des équipes
polynésiennes. « Quand j’ai fait
mon internat de médecine en Po-
lynésie, il y a douze ans, j’ai été
frappé par la fréquence des crises
de goutte, raconte le professeur
lillois. J’ai voulu en comprendre
les raisons. » En 2021, sept infir-
miers ont rencontré 874 adultes
tirés au sort parmi la population
polynésienne. Une personne sur
sept (14,5 %) est apparue touchée
par la goutte, soit une des plus
hautes fréquences mondiales.
Pour autant, à peine un patient
sur trois était traité, « alors que le
médicament qui supprime la
maladie coûte moins de 2 euros
par mois et par patient », relève
Tristan Pascart. Ce traitement de
fond, c’est essentiellement l’allo-
purinol : conçu en 1967, il bloque
la formation d’acide urique en
inhibant l’enzyme qui assure sa
fabrication.
Par ailleurs, l’enquête lilloise – pu-
rement déclarative, il est vrai – n’a
pas montré de lien entre la surve-
nue de la maladie et la consom-
mation d’alcool ou les habitudes
alimentaires. Reste que les mesu-
res diététiques demeurent re-
commandées « pour leur effet bé-
néfique indirect sur les comorbidi-
tés », précise le professeur lillois.
Mais il ne faut pas en attendre
une chute spectaculaire de l’excès
d’acide urique.
En revanche, les chercheurs ont
observé chez les patients des mu-
tations de certains gènes. L’un
d’eux était connu : quand il est
muté, l’acide urique est retenu
dans le rein, passe dans le sang et
cristallise dans les tissus. Ils ont
aussi découvert un nouveau gène
muté, qui intervient dans la réac-
tion inflammatoire. « Il faut arrê-
ter de culpabiliser les patients à
propos de leur mode de vie, souli-
gne Pascal Richette. L’hérédité
seule ne fera pas grand-chose, pas
plus que le mode de vie seul ou les
comorbidités. C’est la conjonction
des deux qui crée la maladie. »
Mais ce qui inquiète les méde-
cins, c’est le constat des carences
de la prise en charge. Selon une
étude publiée en 2022, seuls
34,7 % des patients diagnostiqués
en 2020 au Royaume-Uni avaient
débuté un traitement hypo-uri-
cémiant. Parmi eux, 17,1 % seule-
ment avaient atteint, au bout
d’un an, l’objectif recommandé :
un taux d’acide urique inférieur à
300 micromoles/litre.
C’est pour améliorer la prise en
charge qu’une clinique de la
goutte a été créée à l’hôpital Lari-
boisière, en décembre 2023. « No-
tre objectif est de guérir plus de
90 % des patients. Ils bénéficient
d’une éducation thérapeutique,
d’un bilan échographique des dé-
pôts dans leurs articulations, d’un
traitement de fond, d’un dépistage
des comorbidités et d’un suivi tous
les six mois », liste Pascal Richette,
à l’initiative de cette structure. p
florence rosier

La quête d’un atlas européen du plancton
BIOLOGIE - L’expédition européenne TREC entame une campagne de prélèvements en
Méditerranée afin de déterminer comment l’activité humaine affecte l’écosystème marin
barcelone - correspondance
D eux fois par jour, le Zodiac
de l’Institut des sciences de
la mer (ICM) quitte le port
olympique de Barcelone et prend la
mer, avec à son bord trois scientifi-
ques. L’embarcation s’immobilise à
1 kilomètre du rivage. Elle vient préle-
ver à une vingtaine de mètres de pro-
fondeur du plancton, sujet d’étude
du Traversing European Coastlines
(TREC), une expédition de recherche
fondamentale placée sous l’égide
du Laboratoire européen de biolo-
gie moléculaire (EMBL), qui s’est
fixé pour objectif d’établir un atlas
du vivant en flottaison au large des
littoraux européens.
C’est la première fois qu’une telle
démarche est engagée à cette échelle.
Lors d’une première campagne,
en 2023, TREC est parti de Roscoff,
dans le Finistère, a parcouru la Man-
che, la Baltique, la mer du Nord et
l’Atlantique, le long des côtes fran-
çaises, espagnoles et portugaises,
jusqu’à Gibraltar, rapportant au to-
tal plus de 32 000 échantillons. La
campagne de 2024, consacrée à la
Méditerranée, a démarré début
mars en Andalousie et fait actuelle-
ment escale en Catalogne, avant de
mettre le cap sur le golfe du Lion, de
longer l’Italie puis la Croatie et la
Grèce. En deux ans, 120 sites marins
auront été explorés.
Alerter le grand public
Depuis le Zodiac, des filets à mailles
extrêmement fines, de l’ordre de
10 micromètres, sont jetés à l’eau. Ils
se présentent sous la forme d’un
cône de 2 mètres de long terminé
par une cartouche, une boîte cylin-
drique où s’accumule le plancton.
En dérivant, ils attrapent une multi-
tude d’organismes, microalgues et
minuscules animaux invisibles à
l’œil nu. Au bout de cinq minutes,
les scientifiques remontent leurs fi-
lets et passent leur butin aux tamis,
afin de ne conserver que les plus pe-
tits êtres vivants, mis en bouteille.
L’échantillon est aussitôt placé dans
une glacière. Il s’agit de faire vite et
de ne perturber aucunement le
plancton jusqu’au retour à terre.
« Nous nous intéressons à tous les
organismes, mais surtout au phyto-
plancton, qui produit la moitié de
l’oxygène que nous respirons, expli-
que Yannick Schwab, chef du service
Une première transplantation d’un rein de porc
MÉDECINE - Une équipe américaine a greffé l’organe d’un animal génétiquement modifié à un humain
C’ est une première. Le rein
d’un porc génétiquement
modifié a été greffé à un
patient vivant. C’est ce qu’a annoncé
le Massachusetts General Hospital
(MGH), à Boston, dans un communi-
qué, jeudi 21 mars. « Cela représente
un nouveau pas vers une potentielle
solution au manque chronique de
dons d’organes », a expliqué l’hôpital
américain. C’est dans ce même hôpi-
tal qu’a été effectuée la première
greffe de rein au monde en… 1954.
Transplanté le 16 mars, Richard
Slayman, âgé de 62 ans, qui souffrait
d’insuffisance rénale chronique, dans
un contexte de diabète de type 2,
d’hypertension artérielle, « se remet
bien » de l’opération. Un premier pas
vers le succès, qui reste cependant à
confirmer dans le temps.
En 2018, il avait reçu un premier
rein d’un donneur humain décédé,
mais celui-ci s’est dégradé cinq ans
après la transplantation, contrai-
gnant le patient à reprendre la dia-
lyse en mai 2023, précise l’hôpital. Il a
ensuite eu de graves complications.
Des cellules de microplanctons vues au microscope. TINA WIEGAND/ADVANCED MOBILE LABORATORY/EMBL/HEIDELBERG
de microscopie électronique à
l’EMBL. Cet inventaire vise à connaître
la biodiversité littorale de toute l’Eu-
rope, et à mesurer comment elle est
impactée par les humains. » En faisant
étape à des endroits-clés pour étudier
les interactions entre le plancton et
les activités anthropiques, en fonc-
tion de différents gradients écologi-
ques comme la géographie, la tem-
pérature ou la salinité, mais égale-
ment des polluants présents dans la
mer – pesticides, fongicides, antibio-
tiques notamment –, l’expédition
TREC espère arriver à alerter le grand
public sur les risques encourus par
les écosystèmes marins.
« Le temps de la science est très long,
il faudra des années pour connaître les
résultats de ces recherches. Cela ne
doit pas nous empêcher de sensibiliser
la population sur l’urgence qu’il y a à
faire attention à ce que l’on déverse
dans les océans, et à ralentir la surex-
ploitation des milieux naturels », sou-
ligne M. Schwab. Le plancton possède
en effet cette particularité de s’adap-
ter avant l’humain aux changements
qui lui sont imposés dans l’écosys-
tème, jusqu’à l’échelle subcellulaire.
« En cela, le plancton flottant fournit
l’image d’une bombe à retardement »,
estime le scientifique.
« [Les médecins] m’ont minutieuse-
ment expliqué les pour et les contre de
la procédure [la greffe de rein de porc],
a déclaré Richard Slayman, cité dans
le communiqué. J’ai vu cela comme
un moyen non seulement de m’aider
moi, mais aussi de donner de l’espoir à
des milliers de personnes qui ont
besoin d’une greffe pour survivre. »
De nombreux défis à relever
Des reins de porc génétiquement
modifiés ont déjà été transplantés
sur cinq humains en état de mort cé-
rébrale – la première fois en septem-
bre 2021 par des chirurgiens de l’hô-
pital NYU Langone de New York.
Deux patients vivants ont quant à
eux reçu une greffe de cœur d’un
porc génétiquement modifié, mais
sont morts après quelques semaines.
Le rein, fourni par la société améri-
caine eGenesis de Cambridge (Mas-
sachusetts), provient d’un porc qui a
subi 69 modifications génomiques,
à l’aide de la technologie Crispr-
Cas9. Celles-ci visent à éliminer les
gènes porcins « nocifs » et à ajouter
Or, atteindre des résultats perti-
nents suppose de disposer de planc-
ton « pur ». Tel est l’objet même de
TREC : acheminer les instruments de
« fixation » des prélèvements au
plus près du milieu naturel, dans le
but d’offrir à des centaines de pro-
grammes de recherche des échan-
tillons réalisés dans des délais très
courts, pour empêcher les micro-
organismes de se déformer, de se
nécroser ou de pourrir avant d’arri-
ver sous la lentille d’un microscope.
« En faisant voyager non pas le planc-
ton vers le laboratoire, mais le labo-
ratoire jusqu’au rivage, nous don-
nons à des chercheurs du monde en-
tier la possibilité de travailler sur des
cellules fraîches, insiste M. Schwab.
Nous sommes en train de créer de
cette façon un nouveau domaine de
recherche : la biologie structurelle
environnementale. »
Un camion laboratoire
Lorsque le Zodiac rentre au port, les
bouteilles d’eau de mer sont immé-
diatement acheminées dans un ca-
mion aménagé pour la circonstance,
véritable plate-forme de services. La
remorque du véhicule est constituée
de deux ailes coulissantes permet-
tant de déployer un laboratoire de
certains gènes humains pour amélio-
rer la compatibilité avec les humains.
Les scientifiques ont également inac-
tivé les rétrovirus endogènes porcins
(PERV), présents chez tous les porcs,
afin d’éliminer un risque d’infection
chez le receveur.
Au cours des cinq dernières années,
le Massachusetts General Hospital et
eGenesis ont mené des recherches
collaboratives approfondies, dont les
résultats ont été publiés dans Nature
en 2023. « C’est une étape majeure
qui a été franchie, il n’y a pas eu de tel
élan ces quarante dernières années,
mais il faut être prudent », commente
Alexandre Loupy, qui dirige l’Institut
de transplantation et de régénéra-
tion d’organes de Paris (Pitor, univer-
sité Paris Cité, Inserm, AP-HP), qui
collabore étroitement avec les équi-
pes américaines de greffes. Même
écho pour le néphrologue Valentin
Goutaudier, chercheur au Pitor.
Face à la pénurie croissante d’or-
ganes humains, les xénogreffes ap-
paraissent comme une alternative
prometteuse, même s’il reste de
40 mètres carrés. A l’intérieur, des
scientifiques de toutes nationalités
défilent à chacune des escales. Cer-
tains étudient l’effet du changement
climatique sur la génétique des com-
munautés microbiennes littorales.
D’autres, l’impact de l’humain sur les
bactéries présentes à la surface de la
mer, dans le premier millimètre de
profondeur, lesquelles bactéries par-
ticipent à la formation des nuages.
Les instruments rendus mobiles
par le camion offrent des technolo-
gies de pointe pour voyager jusqu’au
cœur des cellules du plancton, au
millionième de millimètre. Il siège là
autant d’organelles qu’il y a d’organes
dans un corps humain, sauf que leurs
fonctions demeurent à ce stade obs-
cures. Un micro-ondes permet de
fixer chimiquement certains échan-
tillons et de conserver ainsi leur mor-
phologie cellulaire. D’autres passent
dans un congélateur qui les vitrifie en
l’espace de quelques millisecondes,
en ne laissant pas à l’eau le temps de
produire des cristaux. D’autres en-
core sont soumis à une pression de
2 000 bars et plongés dans l’azote li-
quide. La condition sine qua non
pour scruter cet infiniment petit, qui
recèle encore bien des secrets. p
guillaume delacroix
nombreux défis. « Le risque immuno-
logique est certes plus limité avec les
modifications génétiques et les traite-
ments immunosuppresseurs, mais on
ne maîtrise pas complètement les rai-
sons pour lesquelles un organe porcin
peut être rejeté par le système immu-
nitaire humain », souligne Valentin
Goutaudier. L’autre risque est infec-
tieux, avec la transmission de virus
porcins. Enfin, le défi est éthique.
« Cette avancée importante va
permettre de mieux comprendre les
mécanismes qui conduisent au rejet
ou à la tolérance de l’organe. Mais
c’est un peu comme avant de mar-
cher sur la Lune, nous ne sommes pas
en terrain absolument connu. Il est
difficile de faire des prédictions quant
au succès de cette greffe », tempère
Alexandre Loupy.
Plus de 100 000 personnes sont en
attente de greffe d’organe aux Etats-
Unis, près de 22 000 en France au
1er janvier 2024, selon l’Agence de la
biomédecine. Le rein est l’organe le
plus communément attendu. p
pascale santi
ACTUALITÉ
·
LE MONDE SCIENCE & MÉDECINE
MERCREDI 27 MARS 2024 |3
TÉLESCOPE
b
MÉDECI NE
Les humains transmettent
plus de virus aux animaux
qu’ils n’en reçoivent
Les animaux contaminent les humains
mais l’inverse est encore plus vrai. Une
étude réalisée sur 12 millions de génomes
viraux déposés dans diverses bases
de données vient de le montrer. Si les zoo-
noses, ces pathologies que nous héritons
d’autres espèces, telles Ebola ou le Covid,
sont nombreuses, les « anthroponoses »
le sont deux fois plus. Ainsi les humains
infectent-ils des animaux de compagnie
ou sauvages. Pour l’établir, les chercheurs
ont suivi l’histoire évolutive de ces patho-
gènes, plus particulièrement les mutations
intervenues lors du franchissement
de barrières d’espèces. Selon les auteurs
de l’étude, ces résultats doivent permettre
de mieux lutter contre l’extinction actuel-
lement en cours dans le monde animal,
mais aussi de mieux prévoir l’émergence
de nouvelles maladies humaines.
> Tan et al., « Nature Ecology & Evolution »,
25 mars.
A R CHÉOLOGI E
Des pointes de flèches
de 74 000 ans découvertes
en Ethiopie
Il est difficile de dater précisément
l’invention de flèches propulsées par
un arc. L’équipe de Ludovic Slimak (CNRS)
a publié en 2023 une étude suggérant que
les occupants de la grotte Mandrin (Drôme)
utilisaient cette technologie il y a cinquan-
te-quatre mille ans. Mais voilà que John
Kappelman (université du Texas, Austin)
et ses collègues présentent des pointes de
flèches triangulaires similaires découvertes
sur le site de Shinfa-Metema 1, en Ethiopie,
vieilles de 74 000 ans. Ce site a aussi gardé
la trace d’une éruption volcanique surve-
nue à la même époque en Indonésie, qui
avait raccourci la saison des pluies, faisant
disparaître le gros gibier. Les chasseurs ont
alors dû trouver leur pitance dans les trous
d’eau subsistant dans le lit des rivières
asséchées, en y puisant les poissons pris
au piège. Les chercheurs font l’hypothèse
que de telles périodes sèches auraient
paradoxalement pu favoriser les migrations
humaines le long de corridors traversant
les régions arides. (PHOTO : BLUE NILE SURVEY PROJECT)
> Kappelman et al., « Nature », 20 mars.
NEUR OSCI ENCES
Le premier patient avec une puce
Neuralink joue aux échecs
Noland Arbaugh, 29 ans, tétraplégique
et première personne à avoir reçu une puce
cérébrale de Neuralink, la start-up d’Elon
Musk développant une interface cerveau-
machine, joue aux échecs « par la pensée ».
L’information a été divulguée dans
une vidéo postée le 20 mars sur le réseau
social du milliardaire américain, X, dans
laquelle témoigne ce jeune patient, victime
d’un accident de plongée il y a huit ans et
implanté en janvier. Des résultats compa-
rables ont déjà été obtenus par d’autres
équipes travaillant sur des interfaces
cerveau-machine. Aucune information
détaillée sur la puce implantable de
Neuralink et ses résultats prélimaires ne
sont disponibles, la firme communiquant
directement sans passer jusqu’ici par des
publications scientifiques.
L’essai clinique en cours aux Etats-Unis
s’adresse à des personnes avec une
tétraplégie d’origine traumatique, ou liée
à une sclérose latérale amyotrophique.
Par ailleurs, Neuralink est visée par des
accusations de maltraitance animale :
en décembre 2002, l’agence Reuters avait
notamment révélé que 1500 animaux
étaient morts lors d’expérimentations de
Neuralink depuis 2018.
 ÉVÉNEMENT
4| ·
LE MONDE SCIENCE & MÉDECINE
MERCREDI 27 MARS 2024
▶ SUITE DE LA PREMIÈRE PAGE
Mais sans doute cela n’aurait pas suffi. La gloire
du dodo, c’est bien à l’écrivain Lewis Carroll qu’il
faut l’attribuer. Quand paraît Alice au pays des
merveilles, en 1865, l’oiseau tient non seulement
une place importante dans les chapitres II et III,
mais il s’y trouve également représenté sur une
planche illustrée, signée John Tenniel. Quelle
mouche a piqué l’écrivain ? « On sait que Lewis
Carroll, de son vrai nom Charles Dodgson, était
bègue, raconte Camille Renversade. La légende
dit que, quand il se présentait auprès de ses élèves,
il butait souvent sur la première syllabe et que ses
élèves l’avaient donc surnommé Dodo. Donc
quand il a écrit Alice, il a non seulement accordé
une place à l’animal mais dans le bestiaire des
chapitres II et III, où chaque animal représentait
un personnage réel, le Dodo, c’était lui. »
Mise en peau
Cette même année 1865, à l’île Maurice, devenue
colonie britannique, un instituteur féru de pa-
léontologie, George Clark, découvre dans un
marais baptisé « la Mare-aux-Songes », des cen-
taines d’os de dodos. Jusque-là, les chercheurs
avaient dû se contenter de quelques restes des
premières expéditions. Cinq spécimens vivants
avaient bien été envoyés à Amsterdam, Londres,
Prague, Nagasaki, au Japon, et Surat, en Inde.
Mais seul l’oiseau londonien avait été natura-
lisé. Et encore : rapidement dégradé, il n’en avait
été conservé qu’une patte et la tête. Les institu-
tions s’arrachent les ossements, exposent bien-
tôt des squelettes partiels ou composites de
l’oiseau disparu, tandis que triomphe l’œuvre de
Lewis Carroll. De cette popularité nouvelle, les
Anglais feront une expression : to go the way of
the dodo, « connaître le sort du dodo », autrement
dit disparaître ou devenir obsolète.
Immensément populaire, donc. Mais tout aussi
immensément mal connu. Certains le disent cou-
sin des vautours, en raison de son bec ; d’autres
des pigeons, par la forme de ses os – l’avenir
Au Muséum,
les secrets
de fabrication
d’un couple
de dodos
donnera raison à ces derniers. Les peintures les
plus célèbres, dont celle réalisée en 1626 par le
Néerlandais Roelandt Savery (1576-1639), pré-
sentent un oiseau obèse, aux couleurs vives. Les
dessins des marins croquent un animal plus fin
avec, quand il y en a, des couleurs moins mar-
quées. Des copies des unes et des autres occu-
pent l’atelier de taxidermie, aimantées aux ar-
moires métalliques ou étalées sur les tables. « Il
a fallu faire une véritable enquête, une expérience
unique », insiste Vincent Cuisset.
L’enquête, c’est Camille Renversade qui l’a
commencée. A 40 ans, cet artiste illustrateur et
sculpteur, qui aime à se définir comme un « chi-
mérologue », voue au dodo un « amour d’enfant,
depuis [sa] première lecture d’Alice ». En 2013, il
passe à l’acte. Un premier projet de livre avorte.
« J’ai voulu continuer mais en ajoutant une valeur
scientifique. J’ai donc rencontré les paléontolo-
gues Eric Buffetaut et Delphine Angst, lu tous les
témoignages de marins disponibles, comparé les
représentations, examiné les os dans les musées. »
Il obtient même le prêt d’un squelette par un
spécialiste du moulage paléontologique.
Il se met donc au travail : une armature métalli-
que, puis un moule en silicone, qu’il remplit de
mousse expansive. Le moule retiré, il conçoit la
coque en résine, les pattes en mastic époxy. En-
fin, il opère la mise en peau. « J’ai utilisé des peaux
de dindons, que j’ai repeintes. » Ce prototype est
aujourd’hui exposé à la Fabrique des savoirs, à
Elbeuf (Seine-Maritime). Un deuxième exem-
plaire est acheté, en 2018, par le musée des
Confluences à Lyon, qui s’enorgueillit de dispo-
ser, dans sa collection, de plusieurs ossements
de l’animal. Un troisième rejoint, en 2023, les col-
lections de l’espace Mendès-France, à Poitiers.
« Chaque fois, j’essayais de m’améliorer », dit-il.
Mais la commande que lui passe, cette même
année 2023, le Museum national d’histoire natu-
relle, est d’une autre ambition. L’établissement
parisien possède lui aussi des ossements authen-
tiques. Surtout, le plâtre de Jules Terrier a accueilli,
pendant des décennies, les visiteurs de la salle des
animaux disparus et menacés. Sa réalisation a été
immortalisée par un tableau d’Henri Coeylas
(1903), lui aussi exposé au Muséum. Un emblème.
A l’accueil, des visiteurs demandent régulière-
ment où voir le dodo. Pas question donc d’en faire
juste un de plus. « On a proposé de reconstituer un
couple, ce qui n’avait jamais été réalisé avant », dit
en souriant Vincent Cuisset.
Formé à l’âge de 15 ans chez un artisan de
campagne, le taxidermiste a rejoint l’équipe du
Muséum il y a huit ans, après une longue pa-
renthèse professionnelle. Une deuxième vie
pleine de défis. Avant tout, entretenir, avec ses
deux collègues, les 7 000 spécimens de la col-
lection. Mais aussi mettre en peau ceux des
chercheurs. Et, cerise sur le gâteau, naturaliser.
C’est lui qui a réalisé le jaguar, le pécari, l’ocelot,
le caracal et les trois pintades de l’exposition
« Félins », en 2023. Lui qui a restauré Wheke,
en 2021, le seul spécimen au monde de calmar
géant naturalisé par plastination.
Un couple de dodos, donc. Mais comment ?
Deux individus identiques ? « Un de mes anciens
moules avait rétréci, raconte Camille Renversade.
On s’est dit qu’on allait faire un mâle et une fe-
melle. Mais quand on a reconsulté Delphine
Angst, elle nous a dit que rien ne montrait que les
femelles étaient plus petites. Ça sera juste un cou-
ple, sans précision de sexe, avec la variabilité de
taille qu’il y a dans toute espèce. »
Ensemble, ils conçoivent la scène, qu’ils déve-
lopperont dans l’atelier de Camille Renversade,

EN 1865, UN INSTITUTEUR FÉRU
DE PALÉONTOLOGIE,
GEORGE CLARK, DÉCOUVRE,
DANS UN MARAIS BAPTISÉ
LA « MARE-AUX-SONGES », DES
CENTAINES D’OS DE DODOS
à Lyon. « On a voulu remettre le spectateur à la
place d’un de ces marins qui ont découvert l’ani-
mal », poursuit l’artiste. Le premier oiseau fixe
le visiteur, bouche ouverte, comme le men-
tionne un des témoignages retrouvé par Ca-
mille Renversade. Le second contourne son
compère, mais porte lui aussi un regard curieux
sur ces drôles d’humains qui entrent dans la
pièce. Il faut donc refaire la bouche de l’un, re-
voir les postures de l’autre, modifier notam-
ment celle du cou pour ajouter de la dynamique.
« Le mouvement, c’est la signature de Vincent »,
confie, admiratif, Camille Renversade.
Mise en plumes
Emerveiller le visiteur. Le toucher, l’émouvoir.
L’artiste et le taxidermiste partagent ce même
objectif. L’un et l’autre assument la part de sub-
jectivité, de fiction même, de leur travail. « Une
reconstitution, c’est toujours une interprétation,
insiste le sculpteur. On ne cesse de faire des
choix sans toujours avoir des éléments concrets
pour les justifier. » « C’est plus vrai encore avec le
dodo, poursuit son complice. Aucun de nous ne
l’a jamais vu, ni en vrai, ni en photo, ni en vidéo.
Internet ne sert à rien. »
Sauf que l’on est ici au Muséum. Si l’on y célèbre
la beauté indépassable de la nature, la quête de la
vérité scientifique y règne. Le duo entreprend
donc de faire « valider » ses structures par la pa-
léontologue Anick Abourachid. « C’était presque
irréprochable, raconte la chercheuse du Mu-
séum. Ils sont d’une extrême rigueur. Il y avait
juste une erreur au niveau des pattes : les griffes ne
Dans l’atelier de taxidermie
de la Grande Galerie de l’évolution
du Muséum national d’histoire
naturelle de Paris : à gauche, un
squelette et une sculpture en plâtre
d’un dodo et de la documentation
pour le travail de reconstitution ;
au centre, le sculpteur et
illustrateur Camille Renversade
peaufine les pattes d’un des deux
dodos reconstitués. Des ailes d’oies
ont été coupées pour retrouver
l’apparence des ailes atrophiées
d’un dodo. Camille Renversade finit
la sculpture de la tête du dodo ;
à droite, le taxidermiste Vincent
Cuisset fait la mise en plumes de la
sculpture. JEAN-CHRISTOPHE DOMENECH/MNHN
« ON NE SAIT PRATIQUEMENT
RIEN DE CET OISEAU »
D elphine Angst est doc-
teure en paléontologie.
Spécialiste du dodo, au-
quel elle a consacré deux pos-
tdocs, en Afrique du Sud et en
Angleterre, et plusieurs articles,
elle dresse le bilan des recherches
anciennes et récentes sur cet
oiseau iconique de l’île Maurice,
disparu depuis près de quatre siè-
cles mais qui continue de fasciner.
Pourquoi cet oiseau embléma-
tique est-il si mal connu ?
Ce qui est compliqué, avec le
dodo, c’est qu’il a été contempo-
rain des hommes, mais à une
époque où l’histoire naturelle
n’existait pas, puisqu’il a disparu
au XVIIe siècle, sans doute dans
les années 1660. On était bien
avant Charles Darwin (1809-1882).
On n’avait aucune idée de la façon
dont on renseignait les sciences
naturelles. Et les gens qui ont vu
les dodos en vie étaient des ma-
rins qui n’avaient aucune forma-
tion naturaliste. Ils les ont décrits
dans leurs journaux de bord de
façon très succincte. Par ailleurs,
on a très peu de restes de dodos :
pas de spécimen naturalisé, très
peu d’ossements, sauf ceux que
l’on a sortis de marais, donc d’un
environnement très destructeur.
Cela rend de nombreuses analy-
ses chimiques impossibles ou
très compliquées.
reposaient pas au sol, c’est impensable pour un
oiseau. » L’objection, immédiatement retenue, Pas d’animaux naturalisés,
vaudra au sculpteur plusieurs jours de travail pas de squelettes complets,
supplémentaires. comment est-ce possible ?
Une étape essentielle se présente alors : la mise A l’époque, quelques animaux
en plumes. Vincent Cuisset n’est pas convaincu ont été envoyés en Europe et en
par les peaux de dindons utilisées jusqu’ici. « Les Asie pour être montrés. Un seul a
plumes sont triangulaires, avec une coupure été naturalisé à sa mort, celui de
droite à l’extrémité, explique-t-il. Celles du dodo Londres. Mais il a été rapidement
ont toujours été représentées arrondies, comme le endommagé et a été détruit. Ils
sont celles des pigeons, d’ailleurs. » Et puis le din- ont conservé une patte et la tête.
don présente un cou nu. « Utiliser des plumes du Pour les ossements, l’essentiel
corps sur le cou ne me plaisait pas. » Vers qui se provient d’un site nommé la
tourner ? Le cygne est une espèce protégée, la Ber- Mare-aux-Songes, au sud-est de
nache du Canada présente un cou noir. Le taxi- l’île, fouillé à partir de 1865, donc
dermiste opte pour des oies de Toulouse et con- deux siècles après l’extinction. Et
tacte plusieurs producteurs. L’un d’eux accepte de façon assez brutale, comme
de lui céder six individus, morts accidentelle- on le fait dans un marais. On n’y
ment : « deux pour chaque dodo car une oie ne fait travaille pas au cure-dents ou
pas 15 kilos, et deux de plus en cas de problème », avec de petits couteaux, mais en
précise Vincent Cuisset. piétinant le terrain. Le résultat est
Commence un long travail de préparation. que les squelettes que l’on voit
D’abord les dépouiller, ne conserver que la peau. dans les musées sont tous com-
Puis dégraisser celle-ci, en évitant de faire des posites ou parcellaires, à l’excep-
trous. Enfin la tanner, en la plongeant dans un tion de celui de Port-Louis, à
bain dont il ne détaille pas toute la composition. Maurice. Tout ça rend difficiles
« On a nos petits secrets. Il y a de l’acide nitrique, de même les études anatomiques
l’acide lactique, de l’alun, du chrome… et quelques sur la dimension des spécimens.
autres trucs. » Reste à sécher le tout à l’air froid,
réparer les inévitables accrocs, prépositionner La multiplicité des clichés qui
les peaux, avant d’aller les peindre. l’entourent vient-elle de là ?
Là encore, il a fallu comparer les représenta- Plutôt des documents de l’épo-
tions, vérifier la fiabilité des différents peintres que qui ont représenté les dodos
en observant leurs travaux sur d’autres espèces, de façon de plus en plus exagérée,
revenir une fois encore aux descriptions des ma- avec des oiseaux extrêmement
rins. Et finalement faire un choix. « Gris bleuté gros, extrêmement gras. Et sou-
sur le dos, marron couleur chevreuil sur le poitrail, vent outrageusement colorés,
l’extrémité des ailes et la queue jaune sale, dé- comme des perroquets. On a des
taille Vincent Cuisset. Le plus délicat ce sont tou- représentations d’un oiseau un
jours les raccords. Mais franchement, je suis assez peu ridicule et des textes qui ra-
content du résultat. » Pour en juger, il suffira de content qu’il ne s’enfuyait même
se rendre à la Grande Galerie. Le couple de dodos pas en voyant les hommes,
a prévu d’y séjourner au moins quelques décen- preuve de sa bêtise. Du reste le
nies. A moins qu’une fois encore, les humains terme même de « dodo » vient du
n’en décident autrement. p hollandais dodaarsen, qui veut
nathaniel herzberg dire « stupide ». Un abruti, en
ÉVÉNEMENT
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LE MONDE SCIENCE & MÉDECINE
MERCREDI 27 MARS 2024
somme. Mais quand on décons-
truit tout ça, on voit que tout est
faux. Il n’avait aucune raison de
s’enfuir puisqu’il n’avait jamais
eu de prédateur. Et les humains
l’ont exterminé si vite qu’il n’a pas
eu le temps de s’adapter. Même
chose pour son obésité. Il y a sûre-
ment eu des individus obèses :
ceux que l’on a rapportés, nourris
d’abord par les marins, puis dans
les zoos. Ce sont eux que l’on a es-
sentiellement représentés, bien
loin de la réalité sur l’île Maurice.
Donc non, le dodo n’était ni stu-
pide, ni obèse, ni inadapté. Sauf
au nouvel environnement qu’a
imposé l’homme. Mais les clichés
ont parfois la vie dure.
Quel a été l’apport
de la science moderne à leur
meilleure connaissance ?
Cela a commencé par une étude
anatomique, en 2005, qui a per-
mis d’établir une phylogénie pré-
cise du dodo. Le dodo était bien
un pigeon, et son plus proche
cousin vivant est le pigeon de
Nicobar, qui vit en Inde. Selon
toute vraisemblance, il est arrivé
en volant, a trouvé à l’île Maurice
un environnement favorable. Pas
de prédateur, de la nourriture au
sol : il s’est arrêté de voler et a évo-
lué. Beaucoup évolué, car on est
quand même assez loin du pi-
geon de Nicobar, qui ressemble
aux nôtres en plus coloré.
Aucune étude de l’ADN
n’a-t-elle été entreprise ?
Si, une équipe néerlandaise a
essayé. Une première fois sur des
ossements trouvés sur le site de la
Mare-aux-Songes. Puis sur de nou-
veaux spécimens, retrouvés lors
d’une fouille à laquelle j’avais par-
ticipé, toujours dans un marais.
Mais le matériel était trop dégradé,
ça n’a pas marché. Il existe quel-
ques os, découverts dans des grot-
tes. Un séquençage a été réalisé
en 2022. Mais il est incomplet. Le
climat des tropiques, chaud et sou-
vent humide, est très mauvais
pour la conservation de l’ADN.
Vous-même avez étudié ces
ossements : de quelle manière
et avec quels résultats ?
J’ai d’abord étudié la locomo-
tion, à partir des pattes. Ses ailes
atrophiées avaient déjà établi qu’il
ne pouvait pas voler. Nous avons
montré qu’il ne pouvait pas non
plus grimper aux arbres, ni courir,
et qu’il ne nageait sans doute
pas, ou très mal. Surtout, nous
avons conduit la première étude
d’histologie osseuse d’ampleur
chez le dodo.
C’est-à-dire ?
On prend les os des pattes, on
coupe des tronçons, on observe
des lames minces au micros-
cope. Et là, on peut voir si l’os a
été cassé, comment il a évolué,
les passages du stade juvénile au
stade adulte… On peut différen-
cier mâles et femelles car, pour
fabriquer la coquille de leurs
œufs, les femelles doivent puiser
|5
du calcium dans leurs ossements,
et ça fait des trous bien spéci-
fiques. Ça nous a notamment
permis de constater qu’on n’ob-
servait pas de différence de taille
entre mâles et femelles.
Nous avons aussi identifié des
traces de mue. Les oiseaux renou-
vellent en effet régulièrement leur
plumage, souvent une fois par an,
afin d’en conserver les capacités
protectrices. Cela nécessite là en-
core beaucoup de calcium, et ça se
voit. Les trous ne sont pas au
même endroit que pour la fabrica-
tion des coquilles d’œuf, mais c’est
tout aussi identifiable. En mettant
ensuite en regard les différents
journaux de marins, nous avons
pu tout repositionner dans l’ordre
chronologique.
Comment ?
La croissance osseuse se fait de
l’intérieur vers l’extérieur. Lors-
que l’environnement devient dé-
favorable, la croissance cesse. C’est
le cas pendant les cyclones esti-
vaux à Maurice. Puis, lorsque les
conditions s’améliorent, ça re-
prend. Ce que nous avons observé,
c’est qu’il y a très peu de temps
écoulé entre la ligne d’arrêt de
croissance et les traces de mue.
Conclusion : les dodos refont leur
plumage après le passage des cy-
clones. Ce que l’on retrouve dans
les témoignages : aucun ne date de
l’été, car il était trop dangereux de
naviguer. Mais ceux établis juste
après évoquent des oiseaux au
plumage abîmé, duveteux. A l’in-
verse, les témoignages recueillis
l’hiver font état de beaux pluma-
ges. L’histologie le confirme. En
fait, le dodo est un cas exception-
nel où les découvertes paléontolo-
giques sont confirmées par des
textes d’époque.
A-t-on pu déterminer
son régime alimentaire ?
Pas vraiment. Tout le monde
s’accorde à dire qu’il mangeait es-
sentiellement des fruits. Mais les-
quels ? Mangeait-il autre chose ?
Sans doute, quand les fruits ve-
naient à manquer. Mais on n’a
pas de confirmation.
Que pourrait nous apprendre
encore la science ?
Beaucoup de choses, car on ne
sait pratiquement rien du dodo.
On ignore comment étaient cons-
truites les populations. On ne sait
pas s’il y avait plus de mâles que
de femelles. On suppose qu’il y
avait peu de juvéniles, mais on
n’en est pas sûr. On ne sait pas s’il
y avait des différences de taille
dans la population, car on n’a ja-
mais fait d’études avec suffisam-
ment de spécimens pour le dire.
On ne sait pas exactement quel
était leur régime alimentaire, ni
la nature exacte de leur environ-
nement de vie, et l’évolution de
cet environnement. Vivaient-ils
dans des endroits spécifiques de
l’île ? Pour le savoir, il faudrait
multiplier les fouilles. p
propos recueillis par
n. h.
 RENDEZ-VOUS
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LE MONDE SCIENCE & MÉDECINE
MERCREDI 27 MARS 2024

LE LIVRE
DES PIROGUES DATÉES
DE PLUS DE 7 000 ANS
Vadrouille dans la Le lac de La Marmotta, près de
« nouvelle physique » Rome, a livré les plus anciens té-
moignages directs de moyens de
navigation en Méditerranée : cinq
pirogues de plus de 7 000 ans ont
Yann Mambrini, physicien été tirées de la vase, ainsi que des
outils de pierre dont certains en
vulgarisateur, initie obsidienne provenant des îles Li-
avec enthousiasme à des pari et Palmarola. Elles sont décri-
tes par Niccolo Mazzucco (univer-
problèmes non résolus sité de Pise) et ses collègues dans
PLOS One du 20 mars. La présence
humaine dans diverses îles

L e physicien Yann Mambrini avait déjà méditerranéennes – dont Chypre

montré ses talents de vulgarisateur
dans deux livres récents, Newton à la
plage (Dunod, 2021) et Histoire de temps (El-
lipses, 2020). Il récidive en livrant encore un
ouvrage très clair sur un sujet beaucoup plus
mouvant que les précédents, car abordant
des questions non résolues. Il s’agit d’initier
le lecteur au Graal que recherche toute une
communauté, qui l’a sobrement baptisé la
« nouvelle physique ». Ce terme désigne ce qui
devra succéder aux théories actuelles décri-
vant l’infiniment petit et l’infiniment grand,
soit les deux modèles dits « standards », celui
de la physique des particules, où règne la mé-
canique quantique, et celui de la cosmologie,
domaine de la relativité générale.
Ces deux piliers ont résisté à tous les as-
sauts expérimentaux. Leurs prédictions
n’ont jamais été mises en défaut. Mais des
phénomènes leur échappent. Une particule,
le neutrino, ne devrait pas avoir de masse,
alors qu’il affole l’aiguille de la balance. Une
matière dite « noire » agit sur la dynamique
des galaxies, sans qu’on connaisse sa nature
exacte. Une substance baptisée « énergie
noire » accélère l’expansion de l’Univers sans
qu’on sache la décrire. Le comportement des
trous noirs n’est pas complètement expli-
il y a 12 500 ans – attestait déjà
de capacités de navigation bien
plus anciennes, mais La Marmotta
offre un aperçu des embarcations
qui pouvaient être utilisées
au néolithique. En l’occurrence,
il s’agit de pirogues monoxyles
– taillées dans un tronc d’arbre.
Quatre essences ont été utilisées,
le chêne, le hêtre, l’aulne et le pin
sylvestre. La plus grande pirogue
mesurait plus de 9,5 mètres de
long. Des renforts y étaient prati-
qués, et des trous qui auraient pu
servir à les relier pour en faire des
catamarans. Les plus anciennes
pirogues jamais décrites restent
celles de Nandy (Seine-et-Marne),
vieilles d’environ 9 000 ans.
(PHOTO : J.F. GIBAJA ET AL./ « PLOS ONE » 2024)
DIX MILLE PAS ET PLUS

MARCHER PLUS ET UN PEU PLUS VITE,

qué. Et, surtout, les deux théories phares
sont incompatibles entre elles. Il faut marier
du continu avec du discontinu, ou des infinis
avec du fini, et personne n’y arrive.

Des bonnes idées à vérifier

Pour autant, le message du livre n’est pas
pessimiste, car pour une grande part il est
surtout l’occasion de monter les marches
franchies depuis un siècle vers cet objectif
d’unification des deux théories. Si ces ter-
rains ont déjà été maintes fois labourés par
la vulgarisation, Yann Mambrini et son style
enlevé les rafraîchissent. L’enthousiasme
devant la beauté des équations, les intui-
tions de ses prédécesseurs, ou encore les
objets bizarres qui en sortent, fait plaisir.
Le physicien touche-à-tout n’hésite pas non
plus à glisser ses propres contributions, qui
parfois font long feu ou s’ajoutent sur les éta-
gères des bonnes idées à vérifier. Il avoue
qu’il ne croyait pas que ses collègues arrive-
raient à détecter les ondes gravitationnelles
en 2015. Il semble douter d’une des proposi-
tions majeures de la nouvelle physique, la
théorie des cordes. Les passages sur l’infla-
tion cosmique, les symétries ou l’explication
de la technique des jauges sont remarquables
par l’imagination pédagogique déployée.
Le lecteur vadrouille dans le temps, des
origines à la fin de l’Univers, dans l’espace,
autour de trous noirs, sur des ondes gravi-
tationnelles, au cœur des accélérateurs… Il
découvre le graviton, le gravitino, l’axion, le
wimpflaton, le wimpzilla… Et il trouve
même des réponses à des questions naïves,
comme : « Croyez-vous en Dieu ? », « Une par-
ticule a-t-elle une taille nulle ? » ou « Quelle
est la plus belle théorie ? »… posées par ses
étudiants ou des spectateurs de ses confé-
rences et que l’auteur a rassemblées à la fin
de ses cinq parties. On est comblé. p
david larousserie
« La Nouvelle Physique », de Yann Mambrini,
Albin Michel, 365 pages, 22,90 euros.
UNE FAÇON SIMPLE DE SE FAIRE DU BIEN
Par PASCALE SANTI partir de ce seuil que la marche est efficace pour amé- elle stimule les capacités cognitives, la mémoire, la
liorer son endurance, en dessous ça reste du lèche-vi- créativité, aide à combattre l’anxiété et la dépression.
I ls sont dix, cinq femmes et cinq hommes, à par-
ticiper à un exercice pour évaluer leur vitesse
de marche, ce mardi de mars, au stade Charléty,
à Paris. Ces salariés de la Fédération française d’ath-
létisme (FFA) n’ont pas hésité à affronter la pluie
trine, même si c’est mieux que rien, poursuit l’entraî-
neur. L’idée est de déterminer l’allure de chacun, afin
d’amener chaque personne à aller un peu plus vite. »
A l’issue du test, les participants sont trempés…
mais contents. « C’est facile, visuel. On sent bien les
Une étude publiée en mars 2023 dans JAMA Network
Open a montré que marcher 8 000 pas par jour une à
deux fois ou plus par semaine réduit de 14,9 % le ris-
que de mortalité par rapport à ceux qui n’atteignent
pas ce palier. Et les effets semblaient plus marqués
pour participer à ce test, mené à l’initiative de l’or- phases entre la marche tranquille et le fait de pousser chez les plus de 65 ans. La marche, qui connaît un en-
ganisation sportive. « On sait à quelle vitesse on un peu, en percevant les marges de progression », dé- gouement depuis la crise sanitaire, agit tant en pré-
roule, à quelle allure on fait du vélo, on court, mais crit Philippe Boidé, directeur du pôle développement vention primaire que pour réduire les risques de re-
rarement à quelle vitesse on marche », constate à la FFA. « J’ai senti qu’à un moment il a fallu que j’uti- chute et les complications d’une maladie chronique.
Thibault Deschamps, référent national sport santé lise les bras pour atteindre le bip », souligne Céline. Une équipe australienne avait même mené une
entreprises de la FFA. Peu sportive, Claudine appréhendait, mais se dit étude médico-humoristique publiée par le British
Les participants doivent d’abord marcher jusqu’à « très contente d’avoir participé ». Medical Journal, titrée « A quelle vitesse la faucheuse
un plot à faible allure (3 km/h), en trente-six secon- marche-t-elle ? », en 2011, auprès de 1 600 hommes
des, et revenir au point de départ, puis jusqu’à un Le « parent pauvre » de l’activité physique âgés de plus de 70 ans. Au bout de cinq ans, 266 per-
autre plot à 3,5 km/h, et ainsi de suite jusqu’à 8 km/h, Certes, le plan vélo et mobilités actives, lancé fin 2018 sonnes étaient décédées. Leur vitesse de marche
rythme de marche rapide, l’allure moyenne étant par le gouvernement, est devenu un plan vélo et mar- moyenne était inférieure à 2,950 km/h alors que les
d’environ 5 km/h. Un bip leur indique s’ils sont à la che pour 2023-2027, permettant de donner un coup survivants marchaient à plus de 4,9 km/h.
bonne allure. Des ateliers de souplesse et d’équilibre de pouce à ces deux activités favorables à la santé et à La Fédération française d’athlétisme a pour am-
sont ensuite proposés afin de repérer d’éventuelles la planète. Mais « la marche est encore un peu le “pa- bition de diffuser son programme de douze séances à
carences et surtout de prévenir toute blessure. rent pauvre”, alors que c’est la pratique physique la plus travers ses 2 500 clubs, et de le proposer aux villes, en-
Mais à quoi sert de savoir à quelle vitesse on mar- accessible, regrette Thibault Deschamps. Cela permet treprises, etc. « La marche active peut aussi être une
che ? « L’objectif est d’augmenter la capacité aérobie, de de reconnecter les citoyens avec leur corps ». Et elle ne porte d’entrée pour pratiquer des sports complémentai-
faire diminuer la fréquence cardiaque au repos, et de comporte aucune contre-indication médicale. res comme la marche nordique, athlétique ou la course
voir à quel moment on commence à rentrer en suda- Cardiaques, respiratoires… ses effets sur la santé à pied », explique Ali Saddedine. En gros, le slogan
tion », explique Ali Saddedine, coach de la FFA. « C’est à physique et mentale sont nombreux. Entre autres, pourrait être « marcher plus, et un peu plus vite ». p
L’ÉNIGME MATHS – N° 7
Chaque semaine, le mathématicien Mickaël Launay vous soumet un problème. A vous de jouer !
LA RANDONNÉE à la vitesse de 4 kilomètres SOLUTION DE L’ÉNIGME N° 6
Le mathématicien hongrois par heure sur le plat, 3 km/h en La réponse à la première énigme ne peut pas
George Polya accordait la plus montée et… km/h en descente. s’écrire avec plus de deux chiffres, car le
grande importance à la question Trouvez la distance parcourue. double de leur somme lui serait alors bien
de la transmission. Il est l’auteur inférieur. La somme de ses chiffres est donc

LIVRAISON de plusieurs ouvrages méthodolo-

CHR ONI QUES
« Scientifiction. La physique
de l’impossible »
Astrophysicien au CEA, Roland Lehoucq
a aussi une corde vulgarisatrice à son arc.
Son dernier ouvrage rassemble plusieurs des
chroniques de « scientifiction » qu’il signe
depuis un quart de siècle dans la revue
Bifrost, où il jauge les œuvres de science-
fiction à l’aune de la physique : peut-on
construire un rayon de la mort, mettre une
étoile sous cloche, déplacer la Terre, devenir
invisible ? A ces questions, l’auteur apporte
des réponses à la fois légères et rigoureuses.
> De Roland Lehoucq (Le Bélial’, 320 p., 20,90 €).
giques à destination des étudiants
et des enseignants en maths. On y
trouve tout un tas de problèmes
très instructifs, accompagnés
de commentaires sur la démarche
mathématique et les différentes
approches permettant d’appréhen-
der ces questions. J’ai découvert
le problème suivant dans un exem-
plaire de son livre Mathematical
Discovery, publié en deux volumes
au début des années 1960.
f Un homme a marché cinq
heures. D’abord sur une route
plate, puis en montant une colline.
Une fois en haut, il a fait demi-tour
et est revenu à son point de départ
par le même itinéraire. Il marche
Malheureusement pour moi,
une tache dans ce vieux livre a
effacé une donnée du problème :
je ne sais pas à quelle vitesse
l’homme a descendu la colline.
Ce que je sais, en revanche,
c’est que les problèmes posés par
Polya sont toujours très intéres-
sants et que celui-ci ne déroge
certainement pas à la règle.
f Pouvez-vous deviner à quelle
vitesse l’homme descend la colline
et résoudre, malgré la donnée
manquante, l’énigme de Polya ?
INDICE
.eulosér ertê riovuop ed tse’c
,emginé enu à ednamed no’l euq
muminim eL
inférieure à 9 + 9 = 18. Le nombre est donc
inférieur à 36. La somme des chiffres est donc
inférieure à 2 + 9, et donc le nombre est infé-
rieur à 22. On peut alors examiner les nom-
bres pairs entre 10 et 22 et trouver que seul
18 répond à l’énigme : 18 = 2 × (1 + 8).
Les habitués de ce type d’énigme pourront
également avoir pensé au fait qu’un nombre
et la somme de ses chiffres ont toujours le
même reste dans la division par 9. Pour qu’ils valoir « 0 et 4 », « 1 et 3 », « 2 et 2 » ou « 3 et 1 ».
soient double l’un de l’autre, il faut que ce Seul le cas « 0 et 4 » mène à une solution
reste soit égal à son propre double et donc (« 1 et 3 » ne permet pas d’avoir 3 nombres
égal à 0. Le nombre ne pouvait donc qu’être pairs ; « 2 et 2 » ne permet pas d’avoir 2 nom-
un multiple de 9, ce qui ne laisse bien que 18. bres pairs ; « 3 et 1 » ne laisse aucune valeur
Pour le carré narcissique, le nombre en haut compatible pour la dernière case). Le nombre
à droite vaut 4, c’est-à-dire le nombre total en bas à gauche est donc nécessairement
de cases, car tout nombre est soit pair, soit pair et seule la valeur 2 lui permet de vérifier
impair. Les deux cases noires peuvent alors sa propre propriété.

CARTE
BLANCHE
Quel type de tweeto
politique êtes-vous ?
Par ANNE BORY
E n France, 90 % de la population a dé-
sormais accès à Internet. Plusieurs
travaux de sciences sociales mon-
trent que, après une première « fracture nu-
mérique » entre les individus ayant un ac-
cès aisé à Internet et les autres, une « frac-
ture de deuxième génération » s’est consti-
tuée autour des usages, liée au niveau de
compétences nécessaire pour naviguer sur
Internet. Ces deux fractures, si elles ne se
sont pas résorbées, se sont assez largement
réduites en l’espace de quelques années.
Mais il en va tout autrement pour l’expres-
sion sur les espaces numériques, où les va-
riations sont prononcées, en fonction de la
classe sociale, du genre et de l’âge, selon des
principes assez proches de ceux en vigueur
dans le « monde réel ».
C’est particulièrement le cas lorsqu’on s’in-
téresse à ceux qui commentent l’actualité po-
litique sur les réseaux sociaux. L’enseignant-
chercheur en science politique Julien Boyad-
jian s’est ainsi penché en 2016 dans la revue
Politiques de communication sur les « tweetos
politiques », ces utilisateurs du réseau social
désormais baptisé « X », qui consacrent tout
ou partie de leur activité numérique au com-
mentaire politique.
Dans cet article, le chercheur s’appuie sur
une enquête combinant une approche quan-
titative fondée sur un questionnaire admi-
nistré à un panel d’un peu plus de 600 ré-
pondants (et analysé en regard d’un panel
de contrôle, composé de non-répondants,
d’un volume équivalent) et une approche
qualitative consistant en une analyse de
contenu de comptes Twitter et d’entretiens
semi-directifs avec des usagers.
L’enquête par questionnaire montre que
les individus qui publient des messages poli-
tiques sur Twitter forment une population
assez homogène, au sein de laquelle sont
nettement surreprésentés les hommes, di-
plômés du supérieur, parisiens, cadres, vo-
tants assidus voire militants : autant de ca-
ractéristiques sociales qui facilitent un sen-
timent de légitimité à parler de politique pu-
bliquement, en ligne comme dans le monde
réel. La majorité est composée d’électeurs de
gauche – c’est peut-être cette dimension qui
a le plus évolué depuis 2016, plusieurs analy-
ses soulignant une droitisation de ce réseau
social au cours des dernières années.
Quatre idéaux types
Le volant qualitatif de l’enquête fait apparaî-
tre des pratiques plus diverses. Julien Boyad-
jian établit, pour rendre compte de cette
hétérogénéité, quatre idéaux types. Cette dé-
marche de typologie est courante en scien-
ces sociales : il ne s’agit pas de strictement
« ranger » les individus dans un type ou un
autre. Les comptes analysés et les tweetos
interrogés ne correspondent ainsi jamais
exactement aux types établis, mais ceux-ci
permettent d’éclairer l’organisation, et par-
fois la polarisation, du monde social.
Les militants « colleurs d’affiches » sont
membres de partis politiques et se consa-
crent à publiciser les activités locales et natio-
nales de leur parti. Leurs opinions et goûts in-
dividuels sont pour l’essentiel tus, contraire-
ment aux « supporteurs », qui débattent acti-
vement et utilisent Twitter comme un espace
de discussion, souvent vive. Les « consom-
mateurs » ostentatoires d’informations poli-
tiques choisissent scrupuleusement les in-
formations relayées et commentées, souvent
présentées comme distinctes des actualités
les plus diffusées. Le commentaire politique,
conçu comme un « partage », est alors signe
de connaissance et de distinction. Enfin, le
profil « Post-it » a un usage du commentaire
politique plus ponctuel et conjoncturel, mi-
noritaire au sein de son activité numérique.
A l’issue de la lecture de cette carte blan-
che, comme à l’issue des précédentes, cer-
tains lecteurs commenteront, critiqueront,
donneront leur avis sur la sociologie en
général, et ce texte en particulier : ressem-
blent-ils aux « tweetos politiques » du point
de vue de leurs caractéristiques sociales
et/ou de leurs usages des commentaires ? A
eux de nous le dire. p
Anne Bory
Sociologue à l’université de Lille, membre
junior de l’Institut universitaire de France
anne.bory@univ-lille.fr
Arrêt cardiaque : les « citoyens sauveteurs »
manquent de financements publics
TRIBUNE - Les volontaires de l’association Le Bon Samaritain pratiquent les premiers gestes
aux victimes en attendant l’arrivée des secours. Son président alerte sur la défaillance de l’Etat
L’ arrêt cardiaque est responsa-
ble de 50 000 décès par an en
France. Le taux de survie reste
inférieur à 10 %. Le professeur de car-
diologie Eloi Marijon rappelait en
août 2023, dans les colonnes du
Monde, que le nombre de morts subi-
tes restait « désespérément stable » de-
puis dix ans. Comment accepter que
les gouvernements successifs n’aient
toujours pas pris la mesure de ce pro-
blème de santé publique ? Pourquoi ne
pas avoir déployé des campagnes de
sensibilisation avec une vraie politi-
que de formation dès le collège ? Pour-
quoi ne pas donner une place plus im-
portante aux « citoyens sauveteurs »,
ces volontaires qui peuvent, plus vite
que les secours médicalisés, faire les
premiers gestes et se servir de défi-
brillateurs ? Comment les élus des
départements peuvent-ils balayer
d’un revers de main les demandes de
subventions ? Avec 300 000 volontai-
res mobilisés, 20 000 interventions
en 2023 et des milliers de victimes sau-
vées grâce à son application Staying
Alive, l’association Le Bon Samaritain
souhaite aujourd’hui alerter le gouver-
nement sur cette forme d’indigence.
Si des progrès majeurs ont été réali-
sés dans la prise en charge médicale
des causes d’arrêt cardiaque, ce sont
les premières minutes reposant sur le
ou les premiers témoins qui sont
déterminantes. Elles expliquent l’ab-
sence d’amélioration du devenir de
l’arrêt cardiaque. Dans son rapport
de 2018, l’Académie nationale de mé-
decine rappelle que « les premières
Le supplément « Science & médecine » publie chaque semaine une tribune libre. Si vous souhaitez soumettre un texte, prière de l’adresser à sciences@lemonde.fr
UN SPHINCTER TÉLÉCOMMANDÉ CONTRE L’INCONTINENCE URINAIRE
de personnes dans le monde
souffrent d’incontinence
urinaire, dont 80 %
sont des femmes
Dispositif Artus
A l’aide d’une télécommande,
le patient actionne un manchon
ou brassard qui contracte 1
ou relâche 2 la pression
sur son urètre
Boîtier interne
Télécommande
transmission vers
le boîtier
en radio-fréquence
équence
Une solution pérenne vient-elle d’être
trouvée pour les 400 millions de per-
sonnes, très majoritairement des
femmes, qui souffrent d’incontinence
urinaire dans le monde ? Le 28 février,
Roman Zachoval, chef du service d’uro-
minutes de prise en charge sont crucia-
les. Une réanimation adaptée initiale
plus systématique par le témoin […] de-
vrait permettre d’atteindre des taux de
survie plus élevés ». Depuis 2007, un
décret autorise l’utilisation du défi-
brillateur par toute personne quel
que soit son âge. Pourtant, aucune
campagne de sensibilisation n’a été
organisée pour expliquer aux Fran-
çais l’utilité et l’innocuité de ces appa-
reils, alors même qu’ils sont omni-
présents dans l’espace public. En 2018,
un comité interministériel de la santé
prévoyait des mesures pour former
80 % de la population aux gestes de
premiers secours durant le quin-
quennat. Même si des progrès ont été
faits, l’objectif est loin d’être atteint
six ans plus tard.
Une action citoyenne
Face à ce constat, l’association Le Bon
Samaritain mobilise depuis 2016 des
volontaires pour pratiquer les pre-
miers gestes sur les victimes en atten-
dant l’arrivée des secours. Le principe
est simple : une plate-forme est mise à
disposition des sapeurs-pompiers et
des SAMU leur permettant de localiser
et de mobiliser des volontaires. Ces
derniers, reconnus comme « citoyens
sauveteurs » depuis 2020, sont recen-
sés grâce à Staying Alive, application
gratuite téléchargée par plus de 2 mil-
lions d’utilisateurs. Une étude réalisée
avec la brigade de sapeurs-pompiers
de Paris a démontré que l’intervention
d’un citoyen sauveteur permettait de
doubler le taux de survie des victimes
Uretères
Vessie
Urètre
Brassard
ajustable autour
Méat urétral du col de la vessie
permet l’écoulement
de l’urine du col de la
vessie vers l’extérieur
Sources : Affluent Medical, Artus Infographie : Le Monde, Laure Belot, Audrey Lagadec
logie de l’hôpital universitaire Tho-
mayer, à Prague, a implanté un disposi-
tif médical « mini-invasif » à un homme
de 68 ans : un sphincter urinaire artifi-
ciel, dénommé « Artus » et porté par
l’entreprise française Affluent Medical.
RENDEZ-VOUS
· LE MONDE SCIENCE & MÉDECINE
LE SERVICE DÉPLOYÉ
PAR LE BON
SAMARITAIN
DANS PLUS DE
80 DÉPARTEMENTS
NE FONCTIONNE
QUE GRÂCE AUX
DONS DE MÉCÈNES
d’arrêt cardiaque. C’est le délai d’arri-
vée sur place qui fait toute la diffé-
rence entre le premier témoin et le
premier médecin. En décembre der-
nier encore, le sauvetage d’un bébé de
3 mois par un volontaire de Staying
Alive a fait la « une » de l’actualité.
Le service déployé par Le Bon Sama-
ritain dans plus de 80 départements
ne fonctionne que grâce aux dons de
mécènes, comme La Poste, Accenture,
la MAIF ou la MCDef qu’il convient de
remercier vivement ici. En revanche,
les financements publics sont quasi-
ment inexistants malgré des deman-
des répétées. La part des subventions
publiques dans le fonctionnement du
Bon Samaritain est inférieure à 10 %.
La quasi-totalité des départements
dans lesquels le service est déployé
refuse d’attribuer une subvention à
l’association sous le prétexte que cela
n’entre pas dans leur champ de com-
pétences. Pourtant, la solidarité, l’ac-
tion sociale et la santé, ainsi que le fi-
1
Brassard
Reins
Sphincter
urinaire
2 *
Le dispositif va être testé cliniquement
sur 70 personnes. Il est prévu
pour rester implanté dix ans.
Ce manchon contracte ou relâche la
pression sur l’urètre du patient, à sa de-
mande et sur simple pression d’une té-
lécommande sans fil. « Les sphincters
urinaires hydrauliques, développés dans
les années 1980, présentent des compli-
MERCREDI 27 MARS 2024 |7
nancement des services de secours,
font partie des compétences des dé-
partements. De son côté, la direction
générale de la santé reste sourde aux
demandes de subventions de l’asso-
ciation. Seule la direction générale de
la sécurité civile apporte un modeste
soutien depuis 2021.
Comment expliquer cette inaction
des décideurs politiques ? Comment
expliquer que l’Etat ne soutienne pas
davantage une action citoyenne qui a
démontré son efficacité face à un fléau
de santé publique ? Comment expli-
quer que les collectivités territoriales
ne comprennent pas tout l’enjeu de la
création d’un maillage local de ci-
toyens sauveteurs à l’heure de la déser-
tification médicale ? Rien ne justifie
cette défaillance de notre système.
C’est à la fois une non-prise en compte
d’une problématique de santé publi-
que responsable de 50 000 décès par
an, mais également une forme de
mépris pour les volontaires engagés
comme citoyens sauveteurs.
Le combat contre l’arrêt cardiaque
est l’affaire de tous, citoyens, entrepri-
ses et pouvoirs publics. Il est possible
de sauver 5 000 vies par an, encore
faut-il le vouloir, agir et soutenir les
acteurs engagés dans ce combat au
quotidien. p
Docteur Paul Dardel,
président bénévole de l’association Le
Bon Samaritain
*
Urine
* Indicateur visuel de l’état de l’activité
du sphincter artificiel
cations cliniques et ne sont pas adaptés
aux femmes », explique le directeur gé-
néral, Sébastien Ladet, qui prévoit dé-
sormais d’étendre cet essai clinique
auprès de 70 patientes et patients. p
laure belot
 RENDEZ-VOUS
8| ·
LE MONDE SCIENCE & MÉDECINE
MERCREDI 27 MARS 2024
Michel Talagrand, l’improbable
mathématicien qui se joue des aléas
PORTRAIT - A 72 ans, le retraité du CNRS est le cinquième Français à recevoir le prix Abel,
remis le 20 mars. Ce spécialiste des probabilités revient sur sa trajectoire chaotique
L’
attribution du prix Abel, presti-
gieuse récompense en mathémati-
ques, au Français Michel Talagrand
a créé la surprise, mercredi 20 mars.
Non parce que le nom de cette ve-
dette des probabilités n’aurait pas mérité sa
place au milieu de ses prédécesseurs célèbres,
mais parce que son look a étonné, y compris
ses collègues : un bandana sur le front lui don-
nant, selon les commentateurs, des airs de
hippie, de biker ou d’Indien. « Je n’attache pas
d’importance à ma tenue. C’est en fait involon-
taire », s’excuse le retraité du CNRS, 72 ans. Sa
femme a trouvé ce bandeau pour qu’il ne
perde plus son appareil auditif ! Et sa barbe
blanche inhabituellement longue s’explique
par un rasoir dont la batterie a rendu l’âme.
L’anecdote colle bien à ce chercheur, qui pré-
sente sa carrière « comme un mouvement
brownien. Une succession de chocs détermi-
nants ». La métaphore est même parfaite, car
l’académicien est un spécialiste des probabili-
tés, c’est-à-dire de l’étude des phénomènes
aléatoires. Les mouvements dits « browniens »
sont des exemples de trajectoires aléatoires, à
l’image des hauts et bas erratiques d’un cours
de Bourse, de la diffusion de particules dans
l’eau, ou encore des oscillations d’un ivrogne
entre plusieurs lampadaires.
Dès 5 ans, Michel Talagrand reçoit son pre-
mier choc. Il perd son œil droit à cause d’un dé-
collement de la rétine dû à une maladie généti-
que. A 15 ans, c’est le gauche qui est gravement
atteint. Sa scolarité au lycée est interrompue.
Son père, professeur de mathématiques en
prépa, lui donne des cours alors qu’il a les yeux
bandés à cause de l’opération. « J’ai mentalisé
les maths », se souvient le futur chercheur, qui,
s’il aimait cette matière et la physique, n’était
pas le meilleur de sa classe. A son retour en
cours, quelques mois plus tard, il le sera.
Autre « aléa », en 1974, alors qu’il est à l’univer-
sité de Lyon et n’a pas encore commencé de
thèse, il entre au CNRS, lors d’une année excep-
tionnelle où dix-sept mathématiciens sont ac-
ceptés. Il rejoint le célèbre laboratoire d’analyse
de Gustave Choquet (1915-2006), à l’université
de Jussieu, à Paris, avant de subir une nouvelle
perturbation positive : sa rencontre avec Gilles
Pisier, son contemporain. Ce professeur d’un
laboratoire voisin pressent que l’agilité techni-
que et les connaissances de son collègue, qui lui
ont déjà valu une médaille de bronze du CNRS,
en 1978, pourraient l’aider à éclairer des problè-
mes de probabilités. Ce sera le cas, le 6 juin 1985
précisément, lorsque Michel Talagrand résout
l’un d’eux (publié en 1987) : « Ce ne sont pas les
obstacles techniques qui bloquent. C’est lors-
que l’on regarde le problème avec le mauvais
point de vue », constate-t-il. Et lui a vu juste-
ment dans le processus aléatoire qui l’intéres-
sait une structure géométrique que personne
n’avait repérée.
« Aventure à la Don Quichotte »
Cela lui a ouvert un champ nouveau qu’il a en-
richi de conjectures. Pour en démontrer certai-
nes, il a lancé des défis à ses pairs, finançant les
récompenses de sa poche. L’un d’eux, doté de
5 000 dollars (4 600 euros), a été relevé par
deux confrères en 2012. « Michel est un perfec-
tionniste. Il aime aller au fond des choses », note
Gilles Pisier. Ainsi, vingt ans après son exploit,
Michel Talagrand a repris sa démonstration de
1985 pour en trouver une formulation plus
simple, « compréhensible en cinq minutes »,
dit-il. Il a aussi repris l’un de ses livres devenus
références, « illisible ! », pour le clarifier – Upper
and Lower Bounds for Stochastic Processes
(Springer, 2014, non traduit), réédité en 2021.
Auparavant, il s’était avancé sur un autre volet
des probabilités, suggéré par un mathémati-
cien israélien de l’université de Tel Aviv, Vitali
Milman, qu’il écoutait avec bonheur. « Je me
suis mis à jouer dans ce domaine et j’y ai proposé
de nouveaux résultats », déclare le lauréat du
prix Abel. L’un d’eux, sous forme d’une inéga-
lité, bornant le champ des possibles d’une fonc-
tion à plusieurs variables aléatoires, porte son
nom. « “Ecœurant !”, a dit de ma démonstration
un collègue, tant elle était simple. Elle m’était ve-
nue en repérant quelque chose que personne
n’avait vu », se souvient le chercheur, dont la
formule sera le « sommet de [s]a carrière »,
comme il le dit avec ironie. Un jour, en voyant
son nom, un chauffeur de taxi qui l’amène à
l’aéroport, s’exclame : « Le mathématicien ? » Il
connaissait ce patronyme, car la fameuse iné-
galité est enseignée dans les écoles de com-
merce dans des cours de statistiques avancées.
Chez lui, à Puteaux (Hauts-de-Seine), le 21 mars. FRÉDÉRIQUE PLAS/CNRS IMAGES
Un autre « aléa » est plus lent à venir. « Après
ces succès, au milieu des années 1990, j’étais un
peu bloqué. Ma carrière était faite, et je voulais
prendre des risques, en abordant des questions
aux faibles chances de succès », résume-t-il. Il
s’attaque à un matériau appelé « verre de
spin », qui a à voir avec les probabilités, puisque
les cristaux le composant sont faits de petits
aimants aux interactions aléatoires. Ces objets
sont très étudiés par les physiciens qui ont
quand même trouvé des formules – à la rigueur
très discutable du point de vue mathématique.
« Les physiciens faisaient des trucs insensés ! Les
matheux étaient impuissants devant ces formu-
les, décrit Michel Talagrand qui s’attaque avec
humilité au sujet. Ce fut une aventure à la Don
Quichotte. J’ai travaillé pendant sept ans, com-
me un esclave, avec l’énergie du désespoir pour
venir à bout du problème. » Et, encore un mira-
cle, un aléa, ou un coup du sort, en faisant une
observation qu’il qualifie de « petite », il change
de point de vue. En 2006, il démontre la for-
mule proposée par le physicien italien Giorgio
Parisi. Le mathématicien en tirera une nou-
velle notoriété, le physicien, un Nobel en 2021.
Pour optimiser son temps de travail, le Don
Quichotte des maths n’a quasiment jamais en-
seigné et n’a eu qu’un étudiant en thèse. « Il
faut s’investir. Je travaillais jusqu’à l’épuise-
ment… mais pas plus », reconnaît-il. Ses jour-
nées n’étaient ponctuées que d’une pause pour
un footing de 10 kilomètres. « J’étais à mon bu-
reau trois cents jours par an. Ce qui laissait du
temps pour des vacances. Quand on revenait,
j’avais souvent un regard neuf pour aborder des
problèmes. En quelques jours, j’avançais autant
qu’en plusieurs mois », raconte l’ascète voya-
geur, dont l’appartement francilien déborde de
souvenirs du monde entier. « Ma grand-mère
aussi, quand elle faisait du tricot et qu’elle n’arri-
vait pas à faire ce qu’elle voulait, laissait tomber
et, le lendemain, c’était réglé », glisse-t-il.
Dans son logement de Puteaux (Hauts-de-
Seine), décoré de vitraux à la Tiffany, qu’il réa-
lise depuis sa retraite, le lauréat tient à citer
deux autres « miracles » de son existence. Sa
carrière a failli subir un coup d’arrêt lorsque, à
25 ans, énervé de devoir constamment aller
faire surveiller son œil encore valide, il décide
de tout laisser et de partir deux mois, seul, en
Inde. Un voleur dans un bus le « sauvera ». En
s’attaquant à son sac, l’homme lui dérobe ses
objectifs photographiques et surtout ses indis-
pensables lunettes de soleil. Pour leur renou-
vellement, sa mutuelle exige à son retour une
visite chez un ophtalmologue. Ce dernier dé-
couvre qu’un décollement de rétine menace,
imposant une opération salvatrice d’urgence.
Création d’un prix
Il y a aussi le hasard romantique qui lui a fait
rencontrer son épouse dans une petite ville
de l’Ohio, aux Etats-Unis. Un concours de cir-
constances : à la suite d’un séjour profession-
nel au Canada, il rend visite à un collègue dans
le pays voisin, dont la porte de bureau s’ouvre
sur une étudiante coréenne, qui deviendra sa
femme. Et dont le nom, Wansoo Rhee, sera as-
socié à un futur prix de mathématiques (en
probabilité, analyse fonctionnelle, informati-
que théorique ou combinatoire), décerné par
une fondation qu’il a créée et qui est dotée des
montants des prix qu’il a reçus. Il sera attribué
tous les deux ans, à partir de 2032 – « soit lors-
que j’aurais 80 ans, ou un an après mon décès
si je meurs plus tôt », précise-t-il.
Il fait tout pour que ce soit la première op-
tion. Ce coureur de trois marathons, avec un
record en trois heures et vingt-huit minutes,
entretient sa forme en montant au moins une
fois par semaine près de cent étages, en short,
dans sa tour de Puteaux, près de la Défense.
« Je prends l’ascenseur pour descendre, car c’est
le plus dangereux. » Depuis sa retraite, en 2017,
il n’a pas chômé non plus. « J’estime ne plus
avoir assez d’idées en maths, alors je me suis
tourné vers la physique pour rédiger un livre
sur l’une des grandes théories qui n’a rien à voir
avec les probabilités, la théorie quantique
des champs, savoure-t-il devant ses sept cent
cinquante pages – What Is A Quantum Field
Theory (Cambridge University Press, 2022,
non traduit). Je me suis follement amusé ! »
Son dernier message est moins joyeux : « Je
suis un peu inquiet quand je constate qu’en
France la science n’est pas vraiment à l’agenda
des politiques, alors que les technologies
quantiques et l’intelligence artificielle vont
bouleverser nos sociétés. » p
david larousserie
ZOOLOGIE
La politesse de la
mésange de Chine
S aluons le retour des beaux jours avec ce
minimiracle mille fois rejoué : la nidifi-
cation et son fascinant cortège de bal-
lets aériens. Prenons un couple de mésanges,
le plus familier des piafs de nos jardins. Où
l’on voit ces oiseaux s’élancer à tour de rôle,
virevolter, se poser au sol, picorer, s’envoler
encore, virer de l’aile, foncer et s’affairer… qui
le bec chargé de brindilles, pour bâtir le nid,
qui le bec lesté de chenilles, pour nourrir les
petits. Dans ce tournoiement, les partenaires
se relaient sans relâche… au risque de la colli-
sion. Il arrive qu’entre M. et Mme Mésange, de
fait, l’accident soit esquivé de justesse.
Un défaut de communication au sein du
couple ? C’est ce que suggère la découverte
d’un langage corporel inédit chez la mésange
de Chine (Parus minor), une cousine de notre
charbonnière (Parus major), plus petite et le
ventre plus pâle. Comme son nom ne l’indi-
que pas, ce passereau vit aussi au Japon, où
des chercheurs de l’université de Tokyo ont
suivi le comportement de huit couples se re-
produisant dans des nichoirs. Cette équipe a
scruté 321 visites de nids. Quand les oiseaux
arrivaient devant leur gîte, pour nourrir leur
couvée, ils se posaient d’abord souvent sur un
perchoir proche, où ils attendaient. Et ils pé-
nétraient toujours un par un dans leur abri.
Les chercheurs ont noté une étrange atti-
tude : quand un des deux parents attendait
ainsi, il battait souvent des ailes en direction
de l’autre. Mieux encore, « il battait des ailes
exclusivement en présence de son partenaire,
qui entrait alors presque toujours en premier
dans le nichoir », résume Toshitaka Suzuki,
qui cosigne ce travail, publié le 25 mars dans la
revue Current Biology. Une conduite qui ces-
sait après l’entrée du partenaire dans le logis.
Fait notable, les femelles battaient des ailes
bien plus fréquemment que les mâles : six
des huit étudiées ont présenté ce comporte-
ment, contre seulement un des huit mâles (et
aucun des partenaires du huitième couple).
Une différence liée au sexe dont la « significa-
tion écologique reste intrigante », commen-
tent prudemment les auteurs. Une fois cette
gestuelle exécutée par une femelle, le mâle
entrait généralement dans le nichoir – et ce,
quel que soit le partenaire arrivé en premier.
Si la femelle ne battait pas des ailes, elle y pé-
nétrait généralement avant le mâle.
Selon les auteurs, ce subtil battement
d’ailes n’est pas un simple geste « déictique »,
c’est-à-dire destiné à désigner un objet d’inté-
rêt. « C’est un geste symbolique, qui transmet
Une mésange de Chine, au Japon, en 2020. ALAMY
un message spécifique », écrivent-ils. Une élé-
gante façon d’inviter le partenaire à pénétrer
dans le nichoir, sans aucun contact physique.
Un « après vous, très cher », en somme.
« Que les animaux utilisent un mouvement
corporel pour échanger n’est pas si surprenant.
Ils communiquent de mille façons… et nous
avons tendance à les sous-estimer », relève
Claire Doutrelant, du Centre d’écologie fonc-
tionnelle et évolutive (CNRS), à Montpellier.
Les oiseaux, en particulier, utilisent de nom-
breux « gestes symboliques » pour échanger :
ils dansent, hérissent leur crête, haussent et
écartent leurs épaulettes, battent de la
queue… « Le comportement de vibration des
ailes décrit ici a été observé chez de nom-
breux autres oiseaux : mésanges d’Europe et
d’Amérique, républicains sociaux d’Afrique du
Sud… Il se voit aussi chez les poussins quand
ils réclament à manger à leurs parents, et
chez les femelles avant la copulation ou près
du nid, comme ici », précise l’éthologue.
Mais ce travail a permis de quantifier ce
comportement, d’identifier les individus qui
le pratiquent et de caractériser les réactions
des receveurs, dans un contexte d’élevage
des jeunes… confirmant, finalement, qu’il
existe « une coordination et une communica-
tion fines au sein des couples d’oiseaux », note
Claire Doutrelant. Ces battements d’ailes…
une politesse, vraiment ? Gare à l’anthropo-
morphisme. Ils devraient, quoi qu’il en soit,
limiter le risque de télescopage en vol. p
florence rosier