MARDI 23 FÉVRIER 2021

77E ANNÉE – NO 23678

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FONDATEUR : HUBERT BEUVE-MÉRY
DIRECTEUR : JÉRÔME FENOGLIO

Europe : les dirigeants face à la lassitude des opinions

▶ Après un an de pandé-
mie, le sentiment de dé-
▶ A Berlin, les 40 000 morts
de la deuxième vague
▶ Le « Baromètre »
du Cevipof souligne
▶ En revanche, le besoin
de respiration démocrati- 1 ÉDITORIAL
fiance envers le pouvoir n’ont pas entamé la forte également le maintien que surpasse largement DÉFIANCE POLITIQUE :
s’avère plus fort en France popularité d’Angela Merkel en France de la confiance la demande d’autorité à
qu’au Royaume-Uni, ni remis en question la foi dans les instances un an de la présidentielle LE CAS FRANÇAIS
en Italie et en Allemagne dans les institutions de proximité PAG E S 1 0 - 1 1 PAG E 2 9

Navalny AU BRÉSIL, UNE CAMPAGNE DE VACCINATION « SABOTÉE » Covid-19

Cible d’une ▶ Au Pérou, en Argentine et au Chili les scandales se multiplient également PAG E 7 MAYOTTE
guerre d’image Le seul hôpital de l’île
est submergé par l’afflux
de patients atteints
l’opposant politique russe a du variant sud-africain
été condamné, le 20 février, pour PAG E 8
« diffamation », après avoir tweeté
contre un vétéran. Ce procès, qui ISRAËL
s’attaquait à sa réputation, a sem- La livraison de vaccins
blé pensé pour les télévisions.
Dans une tribune au Monde, le
russes à la Syrie, en
philosophe Michel Eltchaninoff échange de la libération
revient sur le changement de d’une citoyenne détenue
stratégie de Navalny, passé, dans par Damas, fait polémique
son combat, du nationalisme à la PAG E 6
lutte contre la corruption. Dans
une autre contribution, l’ex-pri-
sonnier politique Mikhaïl Kho-
LYON
dorkovski demande, lui, à la Le menu sans viande mis
France et à l’Europe de prendre en place, pour raison sani-
des sanctions. taire, dans les cantines, cri-
PAGES 4, 26- 27 ET 2 8 tiqué par le gouvernement
PAG E 1 2

« Islamo-
gauchisme » Société
Macron empêtré Forte hausse des
dans le débat violences contre
Comme sur l’identité ou des policiers
la laïcité, le gouvernement
est loin de parler d’une Avec plus de 30 000 actes
seule voix sur le sujet répertoriés, ces agressions
ouvert par la ministre de ont été multipliées
l’enseignement supérieur Manifestation pour réclamer des vaccins, par deux en vingt ans
à Rio de Janeiro, le 18 février. SILVIA IZQUIERDO/AP PHOTO
PAG E 9 PAG E 1 3

Birmanie Europe Maroc Urbanisme

Manifestations La polémique Après la fermeture
La revanche des
monstres dans monte autour de la frontière
villes moyennes !  
les villes, en dépit
de la répression
des règles
budgétaires
avec Ceuta, le nord
du pays souffre   
PAG E 2 PAGE 1 5 PAGE 6 Le Covid-19 a remis au
goût du jour les cités 

LE REGARD DE PLANTU
de moins de 100 000 habi-
tants. Ecartées des décen-
  
nies durant du fait de 

  
l’attrait des métropoles,
elles suscitent de nouveau

 
l’intérêt, avec un coût
de la vie et des prix

  
de l’immobilier moindres
PAG E S 1 6- 1 7

  
Culture  

Menace sur les   

châteaux privés    
      
    




La fermeture au public  

rompt l’équilibre financier
d’une partie des 22 000
monuments historiques   
classés appartenant à
des propriétaires privés




PAG E 2 0
Algérie 220 DA, Allemagne 3,80 €, Andorre 3,80 €, Autriche 3,80 €, Belgique 3,30 €, Canada 5,80 $ Can, Chypre 3,20 €, Danemark 36 KRD, Espagne 3,60 €, Gabon 2 400 F CFA, Grande-Bretagne 3,20 £, Grèce 3,50 €, Guadeloupe-Martinique 3,30 €,
Hongrie 1 460 HUF, Italie 3,50 €, Luxembourg 3,30 €, Malte 3,20 €, Maroc 23 DH, Pays-Bas 4,00 €, Portugal cont. 3,50 €, La Réunion 3,30 €, Sénégal 2 400 F CFA, Suisse 4,50 CHF, TOM Avion 500 XPF, Tunisie 4,50 DT, Afrique CFA autres 2 400 F CFA
2|
INTERNATIONAL
L’inextinguible colère des Birmans
En dépit de la répression qui a fait trois morts, les manifestations se poursuivent contre la junte militaire
bangkok - correspondant
en Asie du Sud-Est
N
i les deux morts de
Mandalay, tués par la
police samedi 20 fé-
vrier, ni la promesse
d’élections « libres et justes » dans
un futur indéterminé, ni les mi-
ses en garde adressées aux jeunes
manifestants risquant de « mou-
rir » en rejoignant les grands ras-
semblements antirégime, rien
n’y fait : trois semaines après le
coup d’état militaire du 1er février,
la colère des Birmans ne faiblit
pas. La Birmanie est debout, dres-
sée comme un cobra furieux
contre les « hommes en vert »,
couleur de l’uniforme des offi-
ciers de la Tatmadaw (les forces
armées birmanes).
Des centaines de milliers de
personnes ont encore défilé en
fin de semaine, bravant policiers
et militaires en position dans les
rues, se gaussant des menaces du
nouveau pouvoir, défiant la
junte, dédaigneuses des risques
encourus.
Lundi, alors que les militants
ont appelé à une nouvelle jour-
née de grève générale, devait
marquer un nouvel épisode de
manifestations monstres : le
22 février est considéré par
beaucoup de Birmans, fascinés
par la numérologie, comme une
date auspicieuse en raison de la
succession rare des quatre chif-
fres du calendrier 22-2-21. Un
symbole qui rappelle l’époque du
grand soulèvement antijunte du
8 août 1988 : 8-8-88.
La Birmanie, décrite jadis par
l’écrivain britannique Rudyard
Kipling (1865-1936) comme un
« pays à nul autre pareil », conti-
nue de mériter sa réputation. En
ayant repris le pouvoir qu’ils
avaient longtemps confisqué
(1962-2011), les généraux ont
provoqué chez les Birmans – qui
détestent l’armée depuis tou-
jours – un mouvement de rejet
sans précédent dans l’histoire
moderne de l’ère postcoloniale.
Un phénomène dont l’ampleur a
peut-être surpris « le nain », mé-
chant surnom de l’officier court
sur pattes auteur du coup d’Etat,
le général Min Aung Hlaing.
« Martyre » de la cause
La soirée de samedi aura été la
plus sanglante depuis le début
des manifestations, il y a une
quinzaine de jours : la police a
ouvert le feu sur des manifes-
tants, près du port de Mandalay, la
deuxième ville du pays, bordée
par le grand fleuve Irrawaddy.
Après avoir utilisé des canons
à eau et des balles de caoutchouc
contre une foule de protestataires
désireux de protéger des em-
ployés du port en grève – que les
forces de l’ordre voulaient obliger
à reprendre le travail –, les poli-
ciers ont tiré à balles réelles. Bilan,
deux morts et au moins six bles-
sés, certains dans un état grave.
Le lendemain, à Naypyidaw, la
nouvelle capitale aux immenses
avenues, un espace vide et
mégalomaniaque inauguré du-
rant le régime militaire précé-
dent, en 2005, les funérailles de la
première « martyre » de la cause
de la démocratie, tuée lors d’une
manifestation anti-coup d’Etat,
ont été suivies en masse par des
milliers de personnes.
Tout en accompagnant le cor-
tège funéraire de Mya Thwe Thwe
Khaing, employée de supermar-
ché de 20 ans, morte vendredi,
dix jours après avoir été blessée
par balle à la tête, les manifestants
ont levé les trois doigts de la main,
marque de défiance héritée du
film Hunger Games – et désor-
mais signe de ralliement de la
fronde antimilitaire.
La révolte pacifique des Birmans
a continué, dimanche 21 février,
de s’étendre dans tout le pays :
à Myitkyina, capitale de l’état
Kachin situé aux portes de la
Chine, la foule a déposé des gerbes
de fleurs en mémoire des morts
de Mandalay ; des milliers de per-
sonnes ont défilé dans le centre
du pays, à Monywa et Pagan, l’an-
tique cité en ruine, qui fut la capi-
tale d’un puissant royaume entre
le IXe et le XIIIe siècle ; les manifes-
tants ont aussi marché dans les
rues des villes de Dawei et Myeik,
aux confins méridionaux ; ils ont
défilé à Myawaddy, cité frontière
de la Thaïlande ; ils ont protesté à
Lashio, ville de l’Etat Shan, à l’Est,
cette grande région perpétuelle-
ment en conflit avec les guérillas
d’ethnies minoritaires ; au lac
Inle, dans ce même Etat, des pro-
testataires ont navigué en petites
flottilles en brandissant des por-
traits de l’ancienne dirigeante
Aung San Suu Kyi, toujours en ré-
sidence surveillée à Naypyidaw.
Tout cela sans compter Ran-
goun, capitale économique du
pays, cœur battant du mouve-
ment de désobéissance civile, que
les Birmans désignent désormais
par les trois syllabes de son acro-
nyme anglais : CDM (Civil Disobe-
dience Movement). Des centaines
de milliers de personnes se sont
rassemblées, samedi et diman-
che, dans la plus grande ville de
Birmanie. « Nous, les jeunes,
avions des rêves, mais le coup
d’Etat militaire les a brisés, s’em-
portait Ko Pay, dans l’une des ma-
nifestations de dimanche, cité par
l’agence Reuters, c’est pourquoi
nous marchons en tête des cortè-
ges de protestation. »
Le pouvoir birman souffle le
tiède et le froid : dans un commu-
« Nous, les
jeunes, avions
des rêves, mais
le coup d’Etat
militaire
les a brisés »,
s’emporte
un manifestant
niqué rendu public en fin de se-
maine, le ministère des affaires
étrangères semblait promettre
que les répressions du passé
(3 000 morts en 1988, près d’une
trentaine en 2007) ne se reprodui-
ront pas malgré les « dérapages »
policiers de samedi, à Mandalay
– dont le communiqué ne parle
pas : « En dépit du fait que sont or-
ganisées des manifestations illé-
gales, que continuent les incita-
tions à la violence et à l’agitation,
les autorités concernées exercent
un maximum de retenue et n’ont
recours à la force qu’au minimum
dans le but de maintenir l’ordre et
d’assurer la sécurité du public. »
Mise en garde aux « rebelles »
Lundi matin, alors que le pays se
préparait pour une nouvelle jour-
née de défiance de la part des par-
ticipants au CDM, la télévision
d’Etat Myanmar Radio and Televi-
sion (MRTV) a cependant adressé
une mise en garde aux « rebelles » :
« Les manifestants sont en train
d’inciter les gens, en particulier des
jeunes et des adolescents influença-
bles, à suivre la voie de la confronta-
tion, un chemin au bout duquel ils
risquent de perdre la vie. »
Plusieurs centaines de person-
nes ont commencé à affluer tôt,
lundi, dans le centre-ville de
Rangoun, alors que les autorités
ont bloqué les accès aux ambassa-
des devant lesquelles se rassem-
blent parfois les protestataires, no-
tamment celles de France, des
Etats-Unis et de Chine. Des photos
de la grande ville de Bassein, capi-
tale de la région d’Irrawaddy, mon-
trent la rue principale noire de
monde. Même chose à Monywa,
dans la région de Sagaing.
A Mandalay, des photos, trans-
mises au Monde, montrent une
avenue où, aussi loin que porte le
regard, une foule compacte défile.
On y voit au premier plan des
centaines de personnes, coiffées
de casques jaunes, distribués gra-
tuitement par des militants, et
destinés à se protéger d’éventuel-
les attaques de la police, notam-
ment contre les balles en caout-
chouc. Des pompiers en uniforme
de campagne, qui participent,
comme des milliers d’autres fonc-
tionnaires, à la grève générale,
sont visibles dans le cortège, eux
aussi casqués, et impeccablement
alignés.
A l’étranger, à la suite des violen-
ces de samedi, les condamnations
du coup d’Etat et de ses consé-
quences se multiplient. Les Etats-
Unis, le Japon, Singapour, le
Royaume-Uni, l’Allemagne et la
France ont réagi aux déborde-
ments policiers. A Paris, le Quai
d’Orsay a publié un communiqué
condamnant « avec la plus grande
fermeté les violences commises par
les forces de sécurité birmanes »,
des actes qualifiés par le ministère
des affaires étrangères français
d’« inacceptables ». A New York, le
secrétaire général des Nations
unies, Antonio Guterres, a utilisé
le même qualificatif pour con-
damner la répression à Mandalay,
avant de demander l’arrêt immé-
diat de la répression.
Dans son communiqué de fin de
semaine, le ministère des affaires
0123
MARDI 23 FÉVRIER 2021
A Rangoun, le 21 février,
un rassemblement pour
protester contre le coup
d’Etat militaire.
STRINGER/REUTERS
LE CONTEXTE
COUP D’ÉTAT
Le 1er février, l’armée birmane
a arrêté la dirigeante Aung San
Suu Kyi et le président Win Myint
et proclamé l’état d’urgence
pour un an. Elle dénonce des
fraudes lors du scrutin législatif
de novembre 2020, remporté
par le parti de Mme Suu Kyi.
Le pouvoir a été confié au
« Conseil d’administration de
l’Etat », dirigé par le chef de l’ar-
mée, le général Min Aung Hlaing.
PROTESTATIONS
Les Birmans ont réagi au coup
d’Etat en tapant sur des cassero-
les tous les soirs à 20 heures.
Puis les manifestations ont pris
de l’ampleur à partir du 6 février,
s’étendant à de nombreuses
villes du pays et impliquant de
nombreux secteurs profession-
nels, dont les fonctionnaires.
étrangères birman a durci le ton
contre les pays critiquant le coup
d’Etat – c’est-à-dire, essentielle-
ment, les Etats-Unis, ceux de
l’Union européenne (UE), l’Austra-
lie et, plus marginalement, le
Japon. Des déclarations émanant
de « certaines ambassades à Yan-
goun [Rangoun] et de la part de cer-
tains pays étrangers sont synony-
mes d’interférence flagrante dans
les affaires intérieures du Myanmar
[Birmanie] ». Les ministres des af-
faires étrangères de l’UE doivent se
rencontrer lundi : la Birmanie de-
vrait être l’un des principaux su-
jets de politique internationale. p
bruno philip
 













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4 | international
La justice russe condamne
Alexeï Navalny pour diffamation
L’opposant a été condamné à une amende dans l’affaire très médiatisée
qui l’oppose au vétéran de la seconde guerre mondiale Ignat Artemenko
moscou - correspondant
L
e deuxième « procès Na-
valny » – si l’on compte
depuis le retour en Russie
de l’opposant, mi-jan-
vier – s’est achevé et, avec lui, c’est
une autre facette de la formidable
machine à broyer déployée par
l’Etat russe qui s’est révélée. Sa-
medi 20 février, Alexeï Navalny a
été condamné à payer une
amende de 850 000 roubles
(9 500 euros) pour avoir « dif-
famé » un vétéran de la seconde
guerre mondiale dans un tweet.
La peine en elle-même est se-
condaire – ces dernières années,
M. Navalny a collectionné les
amendes, pour les motifs les plus
divers. L’essentiel avait déjà été
assuré le 2 février : en le recon-
naissant coupable d’avoir violé
les termes de son contrôle judi-
ciaire durant la période de conva-
lescence qui a suivi son empoi-
sonnement, la justice avait en-
voyé l’opposant en prison pour
deux ans et demi. Les multiples
procédures judiciaires lancées
contre lui, la plus récente pour
« escroquerie », permettront d’al-
longer cette peine autant de fois
que cela sera jugé nécessaire.
Depuis le début, et plus encore
avec le procès qui en a été tiré, l’af-
faire du vétéran Ignat Artemenko
a semblé conçu pour la télévision,
pour l’image, ou plus précisément
pour détruire celle d’Alexeï Na-
valny. Cette affaire part d’une vi-
déo de la chaîne RT, publiée le
2 juin 2020 en soutien à la modifi-
cation constitutionnelle qui de-
vait offrir, un mois plus tard, le
droit à Vladimir Poutine de rester
au pouvoir après 2024. Plusieurs
intervenants s’y succèdent, per-
sonnalités de la société civile ou
simples citoyens. Parmi eux, un
vétéran de la seconde guerre
mondiale. Sur Twitter, Alexeï
Equateur : Andres Arauz et Guillermo Lasso
en ballottage pour la présidentielle
Arrivé troisième, Yaku Perez, le candidat du parti indien Pachakutik, conteste les résultats
bogota - correspondante régionale
T reize jours après le premier
tour de l’élection présiden-
tielle, le Conseil national
électoral (CNE) équatorien a pro-
clamé officiellement les résultats
du scrutin, dimanche 21 février.
L’économiste de gauche Andres
Arauz, qui a recueilli 32,72 % au
premier tour, affrontera l’ancien
banquier Guillermo Lasso, qui en a
obtenu 19,74 %. Le deuxième tour
aura lieu le 11 avril, et l’investiture
du nouveau président qui succé-
dera à Lenin Moreno, le 24 mai.
M. Arauz, 36 ans, est le dauphin
assumé de l’ancien président Ra-
fael Correa (2007-2017) qui, con-
damné à huit ans de prison pour
financement illicite de partis poli-
tiques, vit en exil en Belgique.
Guillermo Lasso, 65 ans, qui a fait
carrière dans les affaires et la ban-
que, incarne « l’anticorréisme de
droite ». Charismatique, énergique
et « dictatorial » selon ses enne-
mis, Rafael Correa continue ainsi
de dominer la scène politique.
Annoncés tard au milieu de la
nuit de samedi à dimanche, les ré-
sultats officiels n’ont pas apaisé
les tensions. Arrivé en troisième
position derrière M. Lasso avec
19,38 % des suffrages, le candidat
du parti indien Pachakutik, Yaku
Certaines saillies de
M. Navalny durant
le procès ont été
largement reprises
par les médias
d’Etat pour le
présenter comme
un homme
colérique et instable
Navalny ironise sur les « vendus »
intervenant dans la vidéo : « Re-
gardez-les, c’est une honte pour le
pays : des gens sans conscience et
des traîtres. » Sur Internet et à la
télévision fédérale, une grande
campagne se met alors en place
pour « soutenir » le vétéran Ignat
Artemenko, présenté comme la
seule cible des mots de Navalny. Le
9 juin, son petit-fils affirme que le
vieillard est tombé malade à cause
de l’opposant. Le 15, le comité
d’enquête ouvre une enquête
pour diffamation.
Le procès, commencé le 5 fé-
vrier, a ressemblé à un intermina-
ble dialogue de sourds. M. Arte-
menko, 95 ans, n’y est apparu
qu’un bref instant, en vidéo, pour
lire une déclaration dans laquelle
il confirme avoir été « blessé » par
les mots de M. Navalny sur
Twitter, puis il a affirmé se sentir
mal et une ambulance est venue
le chercher. L’avocate de l’oppo-
sant a fait remarquer que le vieil
homme avait lu sa déposition, y
compris les derniers mots de-
mandant l’arrêt de l’interroga-
toire. Elle a aussi tenté de
contester la notion de « diffama-
tion » plutôt que celle d’injure, et
demandé ce qui permettait
d’affirmer que celle-ci s’adressait
au seul vétéran.
Perez, le représentant de la gauche
écologiste, anti-autoritaire et anti-
corréiste, a dénoncé une fraude à
son encontre. La différence entre
les deux candidats (0,36 %) est de
33 000 votes.
Le 7 février au soir, M. Perez avait
été en tête du scrutin pendant plu-
sieurs heures. En annonçant di-
manche leur intention de procé-
der à un examen du système in-
formatique du CNE, le parquet et
la Contraloria (sorte d’inspection
des services) ont contribué à la
confusion et alimenté les doutes
qui entourent les résultats.
Marcher sur Quito
La coalition que représente An-
dres Arauz a dénoncé « une tenta-
tive de retarder ou pire de suspen-
dre les élections » et annoncé
qu’elle porterait plainte auprès du
Tribunal contentieux électoral.
Sur Twitter, Rafael Correa a dé-
noncé « un coup d’Etat ».
Au coude-à-coude depuis le dé-
but du dépouillement, MM. Lasso
et Perez étaient arrivés le 12 février
à un accord à l’amiable sous l’égide
du CNE. Les deux candidats accep-
taient le principe d’un recomp-
tage partiel des voix dans 17 des
24 provinces du pays. Mais trois
jours plus tard, M. Lasso faisait
marche arrière. En proclamant
Alexeï Navalny, lui, s’est offus-
qué à plusieurs reprises de son
utilisation comme « marion-
nette » dans un « procès politi-
que », et a fustigé les juges comme
le petit-fils du vétéran, « les
véritables fascistes et prostitués
politiques ici ». L’opposant n’a
cessé de dénier au tribunal une
quelconque légitimité, allant jus-
qu’à traiter la juge d’« Obersturm-
bannführer » (lieutenant-colonel
de la SS). Cette sortie devrait lui
valoir de nouvelles poursuites.
Qualifié de « nazi »
Samedi, dans ses traditionnels
« derniers mots » à la cour, M. Na-
valny s’en est tenu à cette ligne. Il
a accusé le régime de Poutine de
faire semblant de se soucier des
vétérans tout en volant leurs re-
traites et leurs pensions. « Quel est
votre rapport à la seconde guerre
mondiale ? a-t-il demandé, pre-
nant à témoin la juge. Vous l’utili-
sez uniquement parce que vous ne
voulez pas parler du présent. Les
gens vous posent des questions sur
la corruption et la pauvreté, et
vous n’avez rien à leur dire. » Quel-
ques heures plus tôt, lors d’une
audience d’appel pour sa précé-
dente condamnation, il avait tenu
un discours plus politique, louant
la force de la « vérité » face au
mensonge promu par le pouvoir
et ses serviteurs.
Certaines saillies de M. Navalny
durant les audiences du procès, en
tout cas les plus maladroites, ont
été largement reprises par les
médias d’Etat, pour le présenter
comme un homme colérique et
instable. L’affaire en elle-même a
fait l’objet d’une couverture hors
du commun, loin du silence qui a
caractérisé le traitement de l’op-
posant pendant des années à la té-
lévision. Elle a permis de dépein-
dre M. Navalny non seulement en
tortionnaire sans cœur d’un vieil
dimanche les résultats, le CNE en-
terre l’accord et les réclamations
de M. Perez, qui dit détenir 15 000
procès-verbaux de bureaux de
vote litigieux. La présidente du
CNE, Diana Atamaint, a précisé
que les recours seraient examinés.
La Confédération des nationa-
lités indigènes de l’Equateur
(Conaie), qui soutient le parti Pa-
chakutik, a appelé ses membres à
marcher sur Quito pour réclamer
le recomptage des voix. Partis du
sud et du centre du pays, des cen-
taines de manifestants font la
route, ou un bout de route, à pied
ou en camion. Ils devraient arriver
mardi dans la capitale.
Yaku Perez, qui a rejoint ce week-
end la marche, est accueilli par-
tout avec enthousiasme par les
communautés indiennes et les
jeunes des villes. « Son électorat »,
résume la politologue Sofia Cor-
dero. « La résistance continue, sur le
terrain légal, juridique, social et po-
litique, a déclaré dimanche M. Pe-
rez. C’est un fleuve de gens et de
cœurs qui va arriver. » Personne n’a
oublié le soulèvement populaire
d’octobre 2019 qui avait mis en dif-
ficulté le président Moreno. Mais,
la pandémie de Covid-19 joue
aujourd’hui contre le nombre.
Les observateurs n’excluent pas
que les tensions tournent à la crise
homme, mais surtout de préten-
dre qu’il insultait la mémoire de la
« grande guerre patriotique », sa-
crée en Russie. En quelque sorte,
un homme opposé à son propre
peuple, quand la condamnation
qui avait servi à l’envoyer en pri-
son reposait sur une argumenta-
tion spécieuse mais surtout tech-
nique (l’impossibilité de pointer
au commissariat lors de sa conva-
lescence en Allemagne).
On a ainsi pu voir, sur la pre-
mière chaîne, les principaux pro-
pagandistes du pays évoquer le
sujet pendant des heures. « Ce que
fait Navalny vise à la destruction
directe du pays », estimait ainsi le
présentateur Dmitri Kisselev, le
qualifiant d’« agent étranger » et
concluant : « Cet homme n’est pas
des nôtres. » Dans certaines éco-
les, les enfants ont reçu pour
consigne de se prendre en photo
avec les anciens combattants de
leurs familles et de poster les cli-
chés avec le hashtag « Je suis Ignat
Artemenko ». L’action était pré-
sentée comme étant « en soutien à
la mémoire des vétérans », sans ré-
férence au cas Navalny.
Autre vedette de la télévision,
Vladimir Soloviev est allé jusqu’à
comparer l’opposant à Adolf Hitler
– tout en trahissant une préférence
pour le second, qui, au moins, a fait
preuve de « courage » et « s’est battu
vaillamment durant la première
guerre mondiale ». Pour qualifier
l’opposant de « nazi », le présenta-
teur a aussi ressorti un faux dé-
monté de longue date, un toast
prétendument porté par M. Na-
valny « à l’Holocauste ». « En regar-
dant la télévision ces derniers jours,
commentait un blogueur, j’ai l’im-
pression que Navalny, après avoir
déclenché la seconde guerre mon-
diale en 1941, a tout fait jus-
qu’en 1945 pour empêcher Poutine
d’entrer dans Berlin. » p
benoît vitkine
institutionnelle. Candidat pour la
troisième fois, M. Lasso était di-
manche soir le seul satisfait.
« L’éternel candidat » – comme
l’ont surnommé ses compatrio-
tes – a célébré « le triomphe de la
démocratie » et a dit envisager le
deuxième tour avec « bon moral et
optimisme ». Il a annoncé que sa
campagne accueillerait « des pro-
positions et des idées différentes ».
Il tend la main à l’électorat de Yaku
Perez et à celui du centriste Xavier
Hervas, le candidat du vieux parti
social-démocrate qui a surpris en
emportant 15,68 % des voix au
premier tour.
Les spéculations sur le report des
voix vont bon train. La politologue
Sofia Cordero considère que
« M. Arauz a fait le plein des voix
corréistes au premier tour », cepen-
dant que « M. Lasso devrait rece-
voir le vote de toutes les autres for-
ces anticorréistes, électorat de Yaku
compris ». « Une partie du mouve-
ment indien ne votera jamais pour
un banquier pro-FMI [Fonds moné-
taire international] », nuance le
politologue Simon Pachano.
M. Hervas et les douze autres pe-
tits candidats, qui ensemble ont
réuni moins de 10 % des voix, de-
vraient appeler à voter pour
M. Lasso. Sauf surprise. p
marie delcas
L’armée colombienne
accusée d’avoir tué 6 402
civils entre 2002 et 2008
Le premier rapport de la Juridiction spéciale
pour la paix se penche sur les « faux positifs »
bogota - correspondante
V endredi 19 février, le com-
mandant en chef des for-
ces armées colombien-
nes, le général Eduardo Zapateiro
tweete : « Nous ne nous laisserons
pas vaincre par les vipères véné-
neuses et perverses qui veulent
nous attaquer. » La veille, les ma-
gistrats de la Juridiction spéciale
pour la paix (JEP) ont rendu un
premier rapport concernant les
personnes « illégitimement pré-
sentées comme tuées au combat
par des agents de l’Etat ». Le docu-
ment affirme que 6 402 civils ont
été assassinés par les forces ar-
mées du pays entre 2002 et 2008.
La juridiction spéciale évoque un
« phénomène macrocriminel ». Le
chiffre a fait l’effet d’une bombe.
Les « faux positifs » – c’est le nom
donné à ces assassinats de civils
par des militaires soucieux de
faire du chiffre – constituent
« l’abomination la plus absolue, la
honte la plus grande pour un Etat »,
selon le défenseur des droits de
l’homme, Rodrigo Uprimny.
Selon la JEP, 78 % des « faux posi-
tifs » commis pendant le conflit
armé l’ont été entre 2002 et 2008,
lorsque Alvaro Uribe était au pou-
voir (2002-2010). Et le quart des
crimes ont été perpétrés dans le
département d’Antioquia – situé
dans le nord-ouest du pays –, dont
M. Uribe a été gouverneur avant de
devenir président.
M. Uribe, qui est aujourd’hui sé-
nateur et reste le chef de la droite
dure, a dénoncé dans un commu-
niqué un rapport « biaisé » qui
cherche à « discréditer [sa] per-
sonne ». La haut-commissaire
pour les droits de l’homme des
Nations unies (ONU), Michèle Ba-
chelet, a célébré le travail de la juri-
diction spéciale qui « représente
une grande avancée dans la lutte
contre l’impunité en Colombie ».
Des centaines de témoignages
Créé par l’accord de paix de 2016, la
JEP a vocation à faire la lumière sur
les crimes de guerre commis pen-
dant un demi-siècle de conflit
armé et à juger leurs auteurs, qu’ils
soient ex-guérilleros, militaires,
fonctionnaires ou civils. M. Uribe
accuse la juridiction de faire le jeu
de l’ancienne guérilla marxiste. En
janvier, le haut tribunal inculpait
pourtant 8 anciens chefs guérille-
ros pour crimes contre l’huma-
nité, en raison des quelque
21 000 enlèvements commis par
les Forces armées révolutionnai-
res de Colombie (FARC).
Le scandale des « faux positifs »
n’est pas nouveau : il a éclaté
en 2008, lorsqu’un fonctionnaire
de la banlieue de Bogota a daigné
écouter les témoignages de mères
de familles éplorées. Mais le chif-
fre – encore provisoire – de
6 402 cas donné par la juridiction
spéciale dépasse toutes les estima-
tions passées. Le ministère public
a, lui, recensé 2 248 cas entre 1988
et 2014. La JEP a de son côté croisé
les bases de données du parquet,
du Centre national de mémoire
historique, des associations de vic-
times, et écouté des centaines de
témoignages. « A titre de sombre
78 % des « faux
positifs »,
ces assassinats
de civils par des
militaires pour
faire du chiffre,
ont été commis
lorsque Alvaro
Uribe était
président
0123
MARDI 23 FÉVRIER 2021
« Il y a des
soldats qui ont
tué des civils
pour obtenir
un week-end
de permission »
JACQUELINE CASTILLO
présidente d’une association
de mères des victimes
comparaison, le nombre de person-
nes disparues pendant les dix-
sept ans de dictature du général
Pinochet au Chili est de 3 100 », rap-
pelle l’analyste Ariel Avila.
Un « positif » dans le langage mi-
litaire est un objectif atteint. C’est
pour gonfler leurs résultats opéra-
tionnels que les soldats colom-
biens ont eu recours aux « faux
positifs ». La politique militariste
menée par Alvaro Uribe incluait
un système de primes et de ré-
compenses aux unités et à chacun
des soldats, en fonction du nom-
bre de guérilleros tués au combat.
« Il y a des soldats qui ont tué des
civils pour obtenir un week-end de
permission, rappelle Jacqueline
Castillo, présidente d’une associa-
tion de mères des victimes. La
question centrale reste évidem-
ment celle de la responsabilité du
commandement. » Les mères des
victimes voudraient voir sur le
banc des accusés les généraux, les
ministres et M. Uribe « qui, en tant
que chef de l’Etat était le comman-
dant suprême des forces armées ».
Le scénario, précis, s’est répété
partout dans le pays. Des recru-
teurs promettaient à des jeunes
des quartiers misérables un tra-
vail en province. Ces derniers par-
taient pour ne jamais revenir.
Quelques semaines, ou parfois
quelques jours plus tard, leur fa-
mille était informée qu’ils avaient
été « abattus en plein combat ».
Des handicapés mentaux, des
jeunes paysans ont aussi été victi-
mes de ces rafles meurtrières.
« L’information disponible indique
que ces assassinats ont été com-
mis par des membres des forces ar-
mées qui opéraient parfois avec les
milices paramilitaires », précise la
Cour pénale internationale qui a
ouvert une enquête préliminaire.
Convaincue qu’il y a eu « plus de
10 000 “faux positifs” », Jacqueline
Castillo estime que « le chiffre de
6 042 [communiqué par la JEP]
confirme que la pratique n’a pas été
le fait d’initiatives individuelles
mais le résultat d’une politique
d’Etat. » Plus de 1 700 militaires
ont d’ores et déjà été inculpés par
la justice ordinaire, « des simples
soldats comme des colonels », pré-
cise José Miguel Vivanco, directeur
pour les Amériques de l’organisa-
tion Human Rights Watch (HRW).
Quel que soit leur grade, les sol-
dats qui avoueront leurs crimes de-
vant la JEP pourront bénéficier des
réductions de peine prévues par le
système de justice transitionnelle.
« A la différence des chefs de la gué-
rilla, qui ont accepté de collaborer
avec la justice transitionnelle et
avoué – du moins partiellement –
leurs crimes, les généraux gardent
pour le moment le silence », note un
auxiliaire du tribunal.
« Le tribunal pour la paix n’est pas
un instrument de vengeance mais
de justice », a rappelé le président
de la juridiction spéciale,
Me Eduardo Cifuentes, à ses dé-
tracteurs. Et de préciser : « Qui atta-
que les institutions judiciaires de-
vra répondre devant les autorités
compétentes. » Vendredi soir,
après que ses propos ont soulevé
un tollé, le général Eduardo Zapa-
teiro a affirmé qu’ils ne visaient
pas les magistrats du tribunal. p
m. ds


 
   

  


 
 
  

  
     


 


      
 
 


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6 | international
Au nord du Maroc, la fin du « commerce atypique »
La fermeture sanitaire de la frontière avec les enclaves espagnoles a mis à mal l’économie de la contrebande
REPORTAGE
fnideq (maroc) - envoyée spéciale
A
u milieu de la foule
compacte rassemblée
devant la grande mos-
quée de Fnideq, une
petite ville commerçante du
nord du Maroc, Amina se tient si-
lencieuse, comme frappée de pa-
ralysie. Vêtue d’une djellaba et
d’un foulard blancs, elle serre en-
tre ses mains une photo de son
voisin. L’homme, âgé d’une qua-
rantaine d’années, pose avec ses
quatre enfants devant la mer.
Il s’appelait Ahmed Bouhbou.
Des gardes-côtes espagnols ont
repêché son corps il y a quelques
semaines. Il avait tenté, avec
deux jeunes de son quartier, de
rejoindre Ceuta à la nage en traî-
nant une bouée artisanale rete-
nue par un filet de pêche. « Ah-
med voulait simplement trouver
du travail pour donner à manger
à ses enfants, murmure Amina.
Ici, il n’y a plus d’espoir. »
La fermeture de la frontière
avec les enclaves espagnoles
pour cause de Covid-19, en
mars 2020, a porté un coup sé-
vère à l’économie de Fnideq et de
ses environs. Toute la région dé-
pend des échanges avec Ceuta et
Melilla, plus à l’est, et notam-
ment de la contrebande.
Un « commerce atypique » qui
privait chaque année le royaume
de 4 milliards à 5 milliards de di-
rhams (entre 370 millions et
460 millions d’euros) de recettes
fiscales, et que le gouvernement
avait essayé de limiter en fer-
mant le poste-frontière de Tara-
jal, dévolu aux porteurs de mar-
chandises détaxées, fin 2019.
« Cela fait près d’un an que nous
n’avons plus aucun revenu », se la-
Séville
Malaga
Détroit Ceuta (Espagne)
de Gibraltar
Tanger Fnideq
Chefch
Chefchaouen
Tétouan
ouan
Bab-Berred
MAROC
Rabat
Fès
Meknès
50 km
Israël aurait financé des vaccins Spoutnik V pour Damas
L’arrangement a été négocié par les Russes en échange de la libération d’une Israélienne arrêtée en février en Syrie
jérusalem- correspondant
I sraël aurait financé la livrai-
son de doses de vaccin russe
Spoutnik V au régime syrien,
en échange de la libération d’une
citoyenne détenue par Damas.
Cet arrangement embarrassant
était demeuré frappé du sceau du
secret par le bureau de la censure
militaire israélien depuis la se-
maine dernière. Samedi 20 fé-
vrier, le premier ministre Benya-
min Nétanyahou y a fait allusion,
insistant sur le fait que le pays
n’avait pas puisé dans ses propres
stocks de vaccins pour rapatrier la
jeune femme : « Pas une seule dose
de vaccin israélien n’a été utilisée
pour cela. Nous avons ramené la
jeune femme, je suis reconnaissant
au président [russe Vladimir] Pou-
tine. Je ne dirai rien de plus à ce su-
jet à la demande de la Russie. »
Les estimations de la presse is-
raélienne variaient, lundi, sur le
montant payé – d’un à plusieurs
millions d’euros, l’équivalent de
plus de 100 000 doses selon les ta-
rifs avancés par Moscou en no-
vembre 2020. Pour l’analyste is-
« C’est tout un
écosystème qui
s’est écroulé, les
gens n’ont plus
de quoi payer
leur loyer »
CHAIMAE AMAACHOU
jeune diplômée en droit
mente Halima, 39 ans, venue elle
aussi manifester devant la mos-
quée, vendredi 12 février. Comme
tous les habitants de la zone
frontalière, cette mère céliba-
taire de trois enfants avait une
carte de résident lui permettant
d’entrer à Ceuta sans visa. « J’étais
femme de ménage là-bas, avec
un contrat et une mutuelle. J’ai
tout perdu du jour au lende-
main », témoigne-t-elle.
« Nous avons faim », renchérit
Bouchra, une couturière de
27 ans qui a perdu ses clients
à cause de la baisse du pou-
voir d’achat : « Mais personne ne
nous écoute, même pas au Par-
lement. La rue, c’était notre der-
nier recours. »
« Sans eau, sans électricité »
Depuis quelques jours, des pa-
niers alimentaires ont été distri-
bués aux familles les plus tou-
chées par la crise. « Nous ne fai-
sons pas la manche ! Nous deman-
dons de vraies actions pour la
création d’emplois », tranche
Chaimae Amaachou, jeune mi-
litante diplômée en droit et sans
travail : « C’est tout un écosystème
qui s’est écroulé. Les gens se sont
retrouvés sans eau, sans électri-
cité, et n’ont pas de quoi payer
leur loyer. » Certains ont vendu
ESPAGNE leur réfrigérateur, leur matelas
ou leurs vêtements pour pouvoir
nourrir leur famille.
Mer Méd. Dans le souk Massira Khadra,
d’ordinaire grouillant, 40 % des
commerces ont baissé le rideau,
selon l’association des commer-
Al-Hoceïma
çants du marché. Les vendeurs
Nador
tentent d’écouler les dernières
Ketama
Melilla pièces d’importation qui leur
(Espagne)
Taour
aour
restent. Avant la fermeture du
point de passage de Tarajal, la
marchandise étrangère était dis-
ponible ici à prix cassés.
« Notre modèle reposait sur l’ab-
sence de douane. Les clients ve-
raélienne Elizabeth Tsurkov, il
s’agissait de savoir si ces doses
mettraient à l’abri le cœur alaouite
du pouvoir, ou si elles pourraient
être distribuées plus largement à
la population. En dernière place
dans la course à la vaccination au
Proche-Orient, la Syrie espère re-
cevoir en avril des vaccins du pro-
gramme Covax de l’Organisation
mondiale de la santé (OMS), dans
les zones gouvernementales. Par
ailleurs, si la Chine a promis quel-
que 150 000 doses, l’allié russe ne
s’était jusqu’ici engagé à rien, sus-
citant une forte rancœur dans les
milieux pro-Assad.
Le geste d’Israël surprend
d’autant plus que le leader mon-
dial de la vaccination n’a transféré
que quelques milliers de doses à
l’Autorité palestinienne, quand
bien même les deux territoires
sont trop intimement mêlés pour
que l’épidémie ne circule entre
eux. Vendredi, l’Autorité palesti-
nienne a affirmé que le ministère
de la santé israélien avait donné
son accord pour vacciner quelque
100 000 Palestiniens de Cisjorda-
nie qui sont employés en Israël.
Manifestation dans les rues de Fnideq, le 12 février, après la fermeture de l’accès à l’enclave espagnole de Ceuta. MYMA POUR « LE MONDE »
naient de tout le pays pour ache-
ter des produits de marque étran-
gère à tarif réduit », explique
Larbi, un vendeur de pyjamas de
58 ans : « Là, on ne reçoit plus que
de la marchandise locale, qu’on
vend plus cher qu’à Casablanca. »
Après une première manifes-
tation le 5 février, quatre jeunes
hommes âgés de 18 à 25 ans ont
été arrêtés puis condamnés à six
mois de prison avec sursis pour
« violation de l’état d’urgence sa-
nitaire », « rassemblement non
autorisé » et « violence contre les
forces de l’ordre ». « Les autorités
étaient particulièrement agressi-
ves. Ces jeunes n’ont rien fait de
mal. Ils ont servi d’exemple pour
calmer les gens », assure un mili-
tant de l’Association marocaine
des droits humains (AMDH), qui
a souhaité garder l’anonymat.
Pour calmer la contestation, les
autorités ont annoncé, mardi 9 fé-
La jeune femme au cœur de
l’échange, rapatriée tôt vendredi,
était entrée en Syrie le 2 février,
dans une région accidentée, non
grillagée et dépourvue de camé-
ras, proche du mont Hermon. Du
village de Majdal Shams, elle avait
gagné la localité syrienne de Ha-
der, près de Kuneitra, où elle avait
été rapidement dénoncée. Passée
par Moscou, elle a atterri à l’aéro-
port Ben-Gourion dans un jet
privé, escortée par le coordinateur
israélien pour les prisonniers et le
directeur de cabinet de M. Néta-
nyahou.
En rupture avec son milieu
Agée d’une vingtaine d’années,
elle est originaire de Modiin Illit,
une colonie juive ultraorthodoxe
de Cisjordanie. En rupture avec
son milieu, présentée comme ins-
table, la jeune femme avait déjà
tenté ces derniers mois d’entrer
dans la bande de Gaza, sous blocus
israélien, selon le quotidien Maa-
riv. A plusieurs reprises, elle avait
été arrêtée au point de passage de
Karni, et une fois à bord d’un petit
bateau, à peu de distance de la côte.
vrier, que 400 millions de dirhams
avaient été débloqués en 2020
pour permettre le développement
de zones franches à Tétouan et Fni-
deq. D’après Mounir Bouyousfi,
directeur général de l’Agence pour
la promotion et le développement
du Nord, « la construction de ces
zones industrielles a débuté il y a
huit mois, mais c’est un terrain acci-
denté et le Covid-19 a ralenti les tra-
vaux : on n’édifie pas un tel projet
du jour au lendemain ».
« Femmes mulets »
En attendant, les possibilités de
reconversion sont rares, même
si des initiatives ont été lancées
au compte-gouttes. Sur la corni-
che de Fnideq, un centre de for-
mation flambant neuf, faisant of-
fice d’incubateur, vient ainsi
d’ouvrir ses portes. « Depuis 2019,
nous avons financé 90 projets et
120 sont en cours de prépa-
A un officier qui l’interrogeait,
et qui notait qu’elle parlait cou-
ramment l’arabe, elle aurait af-
firmé n’avoir plus d’attaches en
Israël, et qu’elle continuerait d’es-
sayer de franchir la frontière.
Elle disait également avoir tenté
de passer en Jordanie. L’armée ne
l’avait pas adressée aux services
sociaux ou de santé. Son arres-
tation en Syrie a donné lieu à
des négociations entre les forces
israéliennes et des responsables
russes, puis à des échanges en-
tre le premier ministre et Vla-
dimir Poutine.
La patronne du parti travailliste,
Merav Michaeli, s’est interrogée
depuis sur le secret imposé sur
ces négociations, au terme d’un
conseil des ministres exception-
nel, le 16 février. Elle estimait qu’il
n’était pas légitimé par un enjeu
de sécurité nationale. Le premier
à y faire allusion a été le député
arabe israélien Ahmad Tibi, qui
demandait vendredi au pays d’ac-
célérer ses transferts de vaccins
en Palestine : « Avons-nous vrai-
ment besoin d’attendre qu’une
personne juive traverse la frontière
ration », se félicite le responsable
du centre, Mohamed El Bar-
kouki : « Notre objectif est de
montrer qu’il est possible de réus-
sir sans la contrebande. Malheu-
reusement, ces gens-là ont tra-
vaillé toute leur vie dans le com-
merce frontalier. Il est difficile
pour eux d’imaginer qu’une
autre économie est possible. Il
faudra du temps pour rétablir la
confiance. »
La préfecture a, quant à elle,
promis de multiplier les pro-
grammes de formation destinés
aux « femmes mulets », appelées
ainsi car elles portaient sur leur
dos d’énormes ballots de mar-
chandises entre l’enclave espa-
gnole et le territoire marocain.
Des femmes comme Rachida,
37 ans, qui a charrié vingt années
durant 100 kg chaque jour, trois
ou quatre fois par semaine.
Même pendant ses cinq grosses-
vers Gaza pour qu’ils reçoivent des
vaccins ? », s’interrogeait-il.
L’accord négocié par Moscou
prévoyait la libération de deux
Druzes syriens, résidents de la
partie du plateau du Golan con-
quise en Israël en 1967 et annexée
en 1981. Nihal Al-Maqt, habitante
du village de Majdal Shams, a sim-
plement vu levée la peine de trois
mois de travaux d’intérêt général
qu’il lui restait à effectuer, pour
avoir suivi les mouvements de
l’armée israélienne dans la région.
Elle a refusé de partir pour Damas,
préférant demeurer chez elle.
Quant au second, Diab Kaha-
muz, 34 ans, il n’a pas souhaité
non plus être transféré en Syrie, et
demeurait dans la prison israé-
lienne de Ketziot. Originaire du
village de Ghajar, il avait été con-
damné en 2018 à une peine de qua-
torze ans de prison, pour avoir no-
tamment passé des explosifs à la
frontière libanaise pour le compte
du Hezbollah. Israël a enfin libéré
deux bergers syriens égarés sur
son territoire il y a quelques se-
maines, selon la radio militaire. p
louis imbert
0123
MARDI 23 FÉVRIER 2021
ses. « A Ceuta, nous étions maltrai-
tées et humiliées, mais au moins
nous avions un revenu, raconte-t-
elle. Lorsque mon mari a appris
que je faisais la manche, il n’a pas
supporté, il m’a cassé les dents. »
Pour les habitants de Fnideq,
vivre sans la contrebande paraît
encore inenvisageable. Même si
la crise n’a pas épargné l’écono-
mie de Ceuta, l’enclave espagnole
reste, aux yeux de beaucoup, la
seule issue. Tous les jours, Azed-
dine se rend sur une colline face
à la Méditerranée pour contem-
pler les côtes. L’adolescent de
15 ans, petit et frêle, s’entraîne
pour préparer la traversée. Dans
son quartier, personne ne tente
de l’en dissuader. p
ghalia kadiri
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I RAN
Accord temporaire entre
l’AIEA et Téhéran sur
la surveillance nucléaire
L’Iran et l’Agence internatio-
nale de l’énergie atomique
(AIEA) ont annoncé,
dimanche 21 février, un
accord « temporaire » de trois
mois pour maintenir une
surveillance des activités
nucléaires de Téhéran,
le temps que des pourparlers
diplomatiques s’engagent
entre les signataires
de l’accord nucléaire de 2015.
« L’accès sera réduit, ne nous
voilons pas la face, mais nous
serons en mesure de mainte-
nir le degré nécessaire de sur-
veillance et de vérification »,
a déclaré le directeur général
de l’AIEA, Rafael Grossi, après
une visite officielle à Téhéran.
Selon les termes de cet
« accord bilatéral technique »,
le nombre d’inspecteurs
sur place reste inchangé
et des contrôles inopinés
resteront possibles. La loi
iranienne, qui prévoit
de limiter certaines inspec-
tions, y compris sur des sites
militaires suspects,
si les sanctions américaines
ne sont pas levées, « existe
et va être appliquée » à partir
du 23 février, a regretté
M. Rossi. − (AFP.)
 PLANÈTE | 7
0123
MARDI 23 FÉVRIER 2021
Au Brésil, la campagne vaccinale « sabotée »
Antivaccin notoire, Jair Bolsonaro a appelé à ne pas servir de « cobaye » aux firmes pharmaceutiques
rio de janeiro - correspondant
P
osé à un croisement, un
panneau bleu tout neuf
indique la direction à sui-
vre. « Drive-in vaccina-
tion », peut-on lire en portugais,
une flèche pointée vers la droite.
Mais en cette fin février, à l’entrée
de l’université fédérale de Rio de
Janeiro, symboliquement située
sur l’avenue Pasteur du quartier de
Botafogo, point de seringue ni
d’infirmier à l’horizon. Et encore
moins de vaccin.
C’est pourtant bien ici, sur ce
campus arboré, qu’aurait dû avoir
lieu, chaque fin de semaine, une
vaste campagne d’immunisation
contre le Covid-19, à destination
des Cariocas les plus âgés, venus
faire la queue dans leur voiture.
Mais la pénurie de vaccins en aura
décidé autrement : « Ça fait plu-
sieurs jours déjà qu’on ne vaccine
plus. Revenez dans une semaine ! »,
intime l’un des gardiens des lieux.
Une semaine ? Dans le meilleur
des cas. Un mois après son début
en fanfare, la campagne de vacci-
nation nationale est au point
mort. Dans le deuxième foyer
mondial de l’épidémie, seuls
7 millions de Brésiliens avaient
reçu leur première dose au 21 fé-
vrier, soit à peine 3,3 % de la popu-
lation. Pas de quoi arrêter, ni
même freiner la course folle du
coronavirus, qui a déjà tué près de
246 000 personnes dans le pays.
Faute de doses à administrer,
plusieurs villes, y compris les cinq
capitales régionales – dont Rio et
Salvador –, ont dû brutalement
interrompre le processus à la mi-
février. L’administration des pre-
mières doses ne s’est d’ailleurs pas
faite sans scandales, avec une
mauvaise répartition des stocks,
des fraudes dans les files d’attente
ou encore de « fausses injections »,
administrées à l’aide de seringues
vides, remplies d’air.
Transformés « en crocodile »
Ce grand désordre interpelle
d’autant plus qu’il intervient dans
un pays qui fut des années durant
une référence mondiale dans la
lutte contre les épidémies. En 1973,
le Brésil met en place un pro-
gramme national de vaccination,
centralisé et volontariste, et par-
vient à éradiquer en quelques
années la polio, le tétanos, la
rougeole ou la rubéole.
Mieux : le géant latino-améri-
cain produit aujourd’hui 75 % des
vaccins qu’il consomme. Un motif
de fierté pour les Brésiliens, dont
huit sur dix disent souhaiter être
vacciné contre le Covid-19. L’un
En Amérique du Sud, les scandales liés aux vaccins se multiplient
Les révélations de passe-droits ont coûté leur poste à des ministres péruviens et argentin. Le Chili connaît ses premiers couacs
buenos aires - correspondante
C’ est le cœur lourd que je
lui ai demandé sa dé-
mission, mais ce qu’il a
fait est impardonnable » : c’est en
ces termes que le président argen-
tin Alberto Fernandez a justifié,
auprès du quotidien de gauche
Pagina 12, sa décision de limoger
son ministre de la santé. Ginés
Gonzalez García a quitté son
poste vendredi 19 février, consé-
quence inéluctable du scandale
dit des « vaccinations VIP », qui
révolte l’opinion publique.
Tout est parti, le même jour,
d’une interview, sur la radio El
Destape, du journaliste Horacio
Verbitsky (79 ans) : « J’ai décidé de
me faire vacciner. J’ai cherché où je
pouvais le faire, et j’ai appelé mon
vieil ami Ginés Gonzalez García qui
m’a dit que je devais aller à l’hôpital
Manifestation,
le 21 février
à Brasilia, pour
la destitution
du président
brésilien,
Jair Bolsonaro,
et un meilleur
accès
aux vaccins.
U. MARCELINO/REUTERS
des taux les plus élevés au monde.
« Pour la grippe H1N1, en 2009, on a
ainsi été capables d’administrer
30 millions de doses de vaccin en un
mois. Rien à voir avec le chaos ac-
tuel… », se souvient Gulnar Aze-
vedo e Silva, présidente de l’Asso-
ciation brésilienne de santé collec-
tive (Abrasco). Pour elle, la respon-
sabilité de la situation est claire :
« Bien sûr, il y a la pénurie mon-
diale. Mais la cause essentielle est
à chercher du côté de l’action du
gouvernement de Jair Bolsonaro. »
Depuis le début de la pandémie,
un travail de sabotage en règle a
été réalisé au plus haut sommet
de l’Etat pour empêcher toute
campagne de vaccination au Bré-
sil. Antivaccin notoire, le prési-
dent a lui-même indiqué à plu-
sieurs reprises son refus obstiné
d’être immunisé et appelé la po-
pulation à ne pas servir de « co-
baye » aux firmes pharmaceuti-
ques. « Si [après avoir reçu votre
injection] vous vous transformez
en crocodile, c’est votre pro-
blème ! », a-t-il été jusqu’à déclarer
en décembre 2020, mi-bouffon
Posadas [en banlieue de Buenos
Aires] (…). Alors que j’étais sur le
point de m’y rendre, j’ai reçu un
message du secrétaire de Ginés
disant qu’une équipe du Posadas
allait venir au ministère et que je
pouvais me faire vacciner là-bas. »
La confession a fait l’effet d’un
coup de tonnerre. « Ma voisine de
75 ans n’arrive même pas à prendre
un rendez-vous, et Ginés répartit
des vaccins sur demande », s’indi-
gne un jeune Argentin sur Twitter.
Dans les heures qui suivent, les
journaux révèlent que d’autres
proches du gouvernement péro-
niste se seraient fait inoculer une
dose de Spoutnik V − le vaccin
russe choisi en priorité par l’Argen-
tine − sans attendre leur tour : le
syndicaliste Hugo Moyano, son
épouse et l’un de ses fils, ou encore
le maire de 38 ans d’une ville du
sud du pays et son chauffeur…
mi-menaçant. « Bolsonaro fait
tout pour flatter sa base la plus
obscurantiste, complotiste, oppo-
sée à la science », accuse Alexan-
dre Padilha, député du Parti des
travailleurs (PT, gauche) et ancien
ministre de la santé (2011-2014).
Joignant l’acte à la parole, le gou-
vernement de Brasilia s’est refusé
des mois durant, en 2020, à négo-
cier des accords commerciaux
avec la plupart des firmes phar-
maceutiques de la planète. Entre
août et septembre, Pfizer-BioN-
Tech propose au pays une offre
généreuse portant sur l’acquisi-
tion de 70 millions de doses de
vaccin. Jair Bolsonaro ne daigne
même pas répondre.
Hors de question aussi d’acheter
le vaccin « communiste » Corona-
Vac du chinois Sinovac, accusé par
Bolsonaro de provoquer « mort,
invalidité et anomalie ». D’autant
que celui-ci est produit au Brésil
par l’Institut Butantan (équivalent
local du Pasteur), placé sous la res-
ponsabilité du gouverneur de
Sao Paulo, Joao Doria, principal
adversaire à droite du président
Nommée en remplacement de
M. Gonzalez García, la nouvelle
ministre Carla Vizzotti, infectiolo-
gue de formation, a affirmé qu’il
s’agissait d’une situation « excep-
tionnelle et déplorable » et a réfuté
l’existence d’un « centre de vacci-
nation VIP » au sein du ministère.
Mais alors que la campagne de vac-
cination avance à un rythme très
modéré dans le pays (au 21 février,
moins de 460 000 personnes, sur
45 millions d’habitants, avaient
reçu une première dose), l’affaire
porte un sérieux coup à la crédibi-
lité du gouvernement.
Sur le sous-continent, le Pérou
est secoué par un scandale plus
grave encore : le « vacunagate »
(« vacuna » signifie « vaccin » en es-
pagnol) a coûté leur poste à la mi-
nistre de la santé et à celle des affai-
res étrangères. Toutes deux font
partie de quelque 500 personnali-
pour le scrutin suprême de 2022.
Sur Internet, ses partisans diffu-
sent massivement un nouveau
hashtag : #NONauvaccinchinois.
Jair Bolsonaro met une pression
alors maximale sur l’agence sani-
taire nationale (Anvisa), dont il a
nommé la plupart des dirigeants,
et obtient, le 10 novembre 2020, la
suspension inattendue des essais
de phase 3 du CoronaVac au Brésil,
à la suite du décès d’un volontaire
– un suicide, sans rapport avec la
dose injectée. Le processus re-
prend finalement son cours
au bout d’à peine quarante-
huit heures. Mais c’est assez pour
semer le doute dans l’opinion.
Coup de massue
Du côté du ministère de la santé,
dirigé par le général de division
Eduardo Pazuello, on se refuse à
définir un quelconque calendrier
de vaccination. La campagne dé-
butera « au jour J à l’heure H », a
éludé le ministre, le 11 janvier, face
à une presse médusée. A l’unisson
du président, le militaire a dé-
fendu des mois durant de pseu-
tés qui ont eu accès de manière
non officielle au vaccin contre le
Covid-19 dès octobre 2020. Après
de nombreux déboires, Lima avait
réussi à signer un contrat avec un
laboratoire et à se faire envoyer
300 000 doses de vaccin du labo-
ratoire chinois Sinopharm début
février. Mais un lot de 3 200 doses
était arrivé cinq mois plus tôt,
dans le cadre d’un essai clinique
sur 12 000 volontaires péruviens.
Avant homologation
C’est dans ce contexte que les deux
ministres, et le président de l’épo-
que, Martin Vizcarra (destitué en
novembre par le Parlement), son
épouse, son frère, une centaine de
fonctionnaires, des entrepreneurs
ou encore le nonce apostolique au
Pérou, se sont fait administrer le
vaccin, en dehors de toute procé-
dure officielle et avant son homo-
« Bolsonaro fait
tout pour flatter
sa base la plus
obscurantiste »
ALEXANDRE PADILHA
député du Parti
des travailleurs
do-« traitements précoces » con-
troversés, voire fumeux : ivermec-
tine, azithromycine, nitazoxanide,
vitamines diverses… Et bien sûr
l’hydroxychloroquine.
Sous pression, notamment des
milieux économiques, l’Anvisa
« libère » finalement mais très en
retard, le 17 janvier, l’usage du vac-
cin d’AstraZeneca et du Corona-
Vac. Un coup de massue pour Jair
Bolsonaro et Eduardo Pazuello.
Ce dernier fait désormais l’apo-
logie tous azimuts des vaccins,
promettant l’immunisation de
l’ensemble de la population d’ici à
la fin de l’année, grâce à près de
455 millions de doses à injecter. Un
logation. La révélation de l’affaire
par la presse a ému le pays, lourde-
ment endeuillé par la pandémie
− près de 45 000 personnes en
sont décédées. La justice, le Parle-
ment et le gouvernement ont dili-
genté des enquêtes.
Au Chili voisin, la campagne de
vaccination, auréolée de succès
jusqu’ici, connaît ses premiers
couacs. Près de 40 000 personnes
ont reçu une dose de vaccin alors
qu’elles ne faisaient pas partie de
groupes prioritaires. « Il s’agit sur-
tout d’une mauvaise organisation ;
ce sont les communes qui sont
chargées de mettre en place la vac-
cination, et toutes n’ont pas les mê-
mes critères concernant les person-
nes reconnues comme travailleurs
essentiels par exemple », explique
Claudia Cortes, infectiologue de
l’université du Chili, qui n’exclut
pas de possibles faveurs, « car des
rétropédalage en cinquième vi-
tesse. « Nous avons une prévision
fantastique de livraison de vac-
cins ! », assure M. Pazuello. Mais le
planning envisagé par le général
laisse sceptique. Dans son calcul, il
prend en effet en compte des mil-
lions de doses des vaccins russe
Spoutnik V et indien Covaxin,
pour lesquels aucun accord d’ac-
quisition n’a pour le moment été
signé. La production de CoronaVac
à Sao Paulo est par ailleurs très for-
tement ralentie, faute de principes
actifs importés de Chine.
« Pour que ce plan tienne la route,
il faudrait un engagement total du
gouvernement. Ce qui est loin d’être
le cas », regrette Gulnar Azevedo e
Silva, de l’Abrasco. Grâce à la livrai-
son de nouvelles doses de Corona-
Vac et d’AstraZeneca, la campagne
pourrait certes reprendre dans les
prochains jours. Mais une autre
menace pèse : celle du variant
amazonien, qui se diffuse à grande
vitesse. Nul ne sait encore si les
vaccins actuels seront efficaces
contre lui. p
bruno meyerfeld
élections municipales sont prévues
bientôt [le 11 avril]. »
Alors que certains pays d’Améri-
que du Sud, comme l’Uruguay et le
Paraguay, n’ont pas commencé à
vacciner leur population, le Chili
opère avec une rapidité exception-
nelle. Plus de 2,8 millions de per-
sonnes ont déjà reçu une première
dose de vaccin (du chinois Sinovac
et du germano-américain Pfizer-
BioNTech) sur 19 millions d’habi-
tants. Claudia Cortes met en avant
« la stratégie du recours à plusieurs
laboratoires, une culture de la vac-
cination bien ancrée au Chili, et la
présence de centres de santé publics
bien implantés dans tout le pays »
pour expliquer ce rythme sou-
tenu, qui pourrait permettre au
Chili d’immuniser 80 % de sa po-
pulation d’ici juillet. p
aude villiers-moriamé
(avec angeline montoya)
8 | planète 0123
MARDI 23 FÉVRIER 2021

Mayotte : le service
de réanimation
« au bord
de la rupture »
Le seul hôpital de l’île est submergé
par l’afflux de patients atteints
du variant sud-africain. Pour faire
face, des malades sont évacués
vers La Réunion

chez 90 % des malades de l’île.

REPORTAGE Alors, face à cette explosion de
mayotte - correspondance
cas, le seul hôpital du territoire,

S
ix patients en “réa” dans
une même salle, je pense
que ça montre bien la gra-
vité de la situation. » Au
centre hospitalier de Mayotte, on
n’opère plus, sauf urgence vitale,
on ne dispose plus de salle de ré-
veil. Et les patients atteints du Co-
vid-19 sont partout. « Ce qui nous
a surpris, c’est la violence de la va-
gue. Il y a un mois, je n’avais aucun
patient atteint du Covid dans mon
service, un mois plus tard, on est
sans cesse au bord de la rupture et
l’on ne sait pas combien de temps
ça va durer », s’inquiète le docteur
Renaud Blondé, le chef du service
de réanimation, soulignant la res-
ponsabilité du variant sud-afri-
cain, plus contagieux, et présent
doté de seulement 16 lits de réani-
mation pour 400 000 habitants,
s’organise tant bien que mal.
On pousse les murs, on dépro-
gramme toutes les autres inter-
ventions et grâce au soutien du
service de santé des armées
comme de la réserve sanitaire
– près d’une centaine de person-
nels et leur matériel –, 16 lits de
réanimation supplémentaires
ont pu être mis en service. « Sans
eux, je ne sais pas comment on fe-
rait, ce serait vraiment la merde »,
lâche le médecin. Eux, ce sont les
militaires et les soignants volon-
taires, mais ce sont aussi « les col-
lègues de La Réunion ». L’île, qui
reçoit chaque jour quatre patients
en provenance de Mayotte avec
Des militaires livrent du matériel médical à l’hôpital de Mayotte, le 8 février. ÉTAT-MAJOR DES ARMÉES/AP
un avion destiné aux évacuations
sanitaires.
Une organisation de crise qui
permet au service du docteur
Blondé de figurer « en milieu de
chaîne ». « Si on était au bout, ce se-
rait impossible à gérer. Ce serait
l’hécatombe », prévient-il. En dé-
but de chaîne, c’est donc le service
de médecine et ses dizaines de lits
ouverts en urgence qui subit en
premier lieu l’afflux de patients.
Et les garde jusqu’à la dernière mi-
nute. « Au début, on avait fixé le
seuil d’entrée en “réa” à 6 litres par
minute d’oxygène fournis au pa-
tient. Mais il y avait tellement de
patients qu’on a dû augmenter les
critères à 12 litres. On les prend
malheureusement au dernier mo-
ment, en médecine on a plein de
patients qui devraient être en
“réa”… C’est parfois limite pour les
transferts mais on n’a pas le choix,
on n’a pas assez de place. »
Dans les maillons intermédiai-
res, la réanimation du docteur
Blondé. Normalement polyva-
lente, « ce qui ne se fait nulle part
ailleurs en France où les “réas”
sont spécialisées », la voici « em-
bolisée » par les patients atteints
du Covid-19. Et pour tenter de gar-
der quelques lits disponibles pour
d’autres patients, le service de
santé des armées, ses 53 militaires
dont sept médecins, gère en auto-
nomie 10 lits de réanimation uni-
quement consacrés au coronavi-
rus. Malgré tout, ces 32 lits se rem-
plissent « en flux tendu », et la
seule évacuation possible se situe
1 800 kilomètres au loin dans
l’océan Indien. « Ça fait huit heu-
res porte à porte, c’est très risqué
« Les moyens
sont ici beaucoup
plus limités, et
l’on est forcément
plus isolés »
DOCTEUR RENAUD BLONDÉ
chef du service de réanimation
de l’hôpital de Mayotte
Face à ce qui ne pourrait être que
chaos, au sein des équipes, on as-
sure « tenir bon », « mais pour
combien de temps encore » ? C’est
la grande inconnue, que les mé-
decins militaires Alain et Philippe
(qui n’ont pas souhaité donner
leur nom) rejoints par le docteur
Blondé illustrent dans leur salle
de staff avec une modélisation de
l’épidémie sur l’île.
« Vous voyez, c’est un véritable
mur », indique le premier, poin-
tant les bâtonnets représentant
le nombre de cas, les hospitalisa-
tions et les syndromes de dé-
tresse respiratoire aiguë. Les bar-
Mulhouse lors de la première va-
gue. « Sauf que les moyens sont ici
beaucoup plus limités et que l’on
est forcément plus isolés, rappelle
le docteur Blondé, déjà que nous
sommes extrêmement sous-dotés
en temps normal, alors en crise Co-
vid, c’est ingérable en interne. »
En interne, justement, on est à
court de solutions. Seuls quatre
maigres lits de réanimation « en
mode très dégradé puisque isolés
des équipes et du matériel, trois
étages plus bas aux urgences »,
pourraient être ouverts. Et il ne
faudrait pas compter sur un nou-
veau renfort de l’armée.
« La mission a déjà été réévaluée
pour pouvoir armer 10 lits et mobi-
liser un grand nombre de person-
nels, je ne pense pas qu’on puisse
aller au-delà car il y a déjà nos hô-
pitaux à faire tourner et beaucoup
de personnes déployées en opéra-
tions extérieures », estime le mé-
decin chef des services.
Quid de l’idée d’évacuer des pa-
tients vers la métropole ? C’est en
tout cas une option du gouverne-
ment, tablant sur l’affrètement

Le journal papier livré chez pour les patients mais nous

n’avons pas le choix », explique le
docteur Blondé.
res rouges du graphique sem-
blent vouloir crever le plafond
blanc de la petite salle avec vue
d’un Boeing 777 pour procéder à
un transfert massif. Silence chez
les trois médecins. « Ce serait du

vous et le numérique Les alternatives s’amenuisent

« Pas le choix », « sur le fil », « au
bord de la rupture », les mots re-
viennent sans cesse chez l’anes-
thésiste-réanimateur, devant la
porte d’une patiente. Mais alors
que l’on pourrait s’attendre à un
service en ébullition, c’est un si-
lence pesant qui règne dans le
corridor. Il y a bien le bruit des
machines et le couinement des
chaussures en plastique de soi-
gnants au pas pressé. Mais der-
rière les masques, les bouches
sont closes, et au-dessus, le regard
est grave. Tout le monde le sait, le
milieu de chaîne est aussi le point
de bascule et chaque erreur se
paie au prix fort. « A devoir abso-
lument libérer de la place, on a par-
fois fait sortir des patients trop tôt,
résultat ils sont revenus quasi-
ment en arrêt respiratoire », se dé-
sole le chef de service en refer-
mant la salle de réveil de l’hôpital,
transformée en chambre de
Abonnez-vous en ligne sur : « réa » partagée pour des patients
promo.lemonde.fr/quotidien-numerique-3-mois « parfois très jeunes et en pleine
forme jusqu’alors ».
sur le lagon. Et où le temps pour-
rait sembler en suspens s’il n’était
bouleversé par les vols incessants
jamais-vu, techniquement je ne
sais pas si c’est réalisable, et pour
les patients c’est extrêmement ris-
de l’hélicoptère acheminant des qué. Nous avons déjà beaucoup de
patients. chance d’avoir pu évacuer sans
Combien de temps encore ces casse vers La Réunion en huit heu-
bruits de rotor, ces vols vers La res… En vingt heures, nous
Réunion ? Là encore, c’est l’incon- n’aurons pas les mêmes résul-
nue. Et l’angoisse. « S’ils se pren- tats », juge le médecin civil. « Mais
nent un mur épidémique comme nous n’aurons peut-être pas le
nous, on est foutus », souffle le trio choix », reprend son collègue de
civilo-militaire, comparant la si- circonstance. p
tuation avec celle qu’a connue grégoire mérot
Vers des mesures plus restrictives
dans les Alpes-Maritimes
Après consultation avec les élus, la préfecture des Alpes-Mariti-
mes a annoncé, dimanche 21 février, avoir transmis des proposi-
tions de mesures au gouvernement pour « endiguer l’épidémie »
de Covid-19, particulièrement virulente dans ce département.
Selon les déclarations de plusieurs élus locaux, un confinement
localisé le week-end pourrait être annoncé lundi.
Le taux d’incidence est particulièrement élevé dans la métropole
niçoise, avec plus de 700 cas positifs pour 100 000 habitants,
plus de trois fois la moyenne nationale (190), tandis qu’environ
10 % des tests de dépistage se révèlent positifs (contre 6 % pour
l’ensemble de la France), dans un contexte de diffusion du
variant britannique, plus contagieux. – (AFP.)

Ou par carte (paiement sécurisé) :

En appelant le 03 28 25 71 71
COV I D -1 9
(tarif d’un appel local) « Semaine de vérité »
en Ile-de-France
« La situation est tendue depuis
SOCIÉTÉ ÉDITRICE DU MONDE SA - 67/69, AVENUE PIERRE-MENDÈS-FRANCE - 75707 PARIS CEDEX 13 - 433 891 850 RCS Paris plusieurs semaines, on n’est pas
- Capital de 124 610 348,70 €. Offre valable jusqu’au 31/12/2021. Vos données sont utilisées par la Société Editrice du Monde, dans un plateau mais on a une
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augmentation régulière, même
ment à la loi Informatique et Libertés du 06/01/1978 modifiée et au RGPD du 27/04/2016, vous disposez d’un droit d’accès, de si elle est lente, du nombre d’en-
rectification, d’effacement, d’opposition, à la portabilité des données et à la limitation des traitements, que vous pouvez exercer à trées » de patients en réanima-
l’adresse suivante, en joignant une photocopie de votre pièce d'identité : LE MONDE – DPO – 67/69, avenue Pierre-Mendès-France - tion à l’hôpital, a déclaré lundi
75707 Paris Cedex 13. Pour plus d'informations, consultez notre Politique de confidentialité sur le site www.lemonde.fr ou sur le site
de la CNIL www.cnil.fr
22 février sur France Inter
Martin Hirsch, le directeur gé-
néral de l’Assistance publique-
Hôpitaux de Paris (AP-HP).
Cinquante nouveaux patients
sont admis en réanimation
tous les jours dans les hôpi-
taux du groupe. Le variant bri-
tannique concernerait « envi-
ron 45 % » des patients positifs
hospitalisés en Ile-de-France.
Qualifiant la tendance actuelle
d’« assez préoccupante »,
M. Hirsch a estimé que la
semaine allait « être cruciale,
c’est la semaine de vérité ».
Le vaccin Pfizer efficace
à 95,8 % selon Israël
Le ministère israélien de la
santé a affirmé samedi 20 fé-
vrier que l’inoculation des
deux doses du vaccin Pfizer-
BioNTech était efficace à 95,8 %
contre la contamination par le
coronavirus, deux semaines
après l’inoculation de la secon-
de dose, à 99,2 % pour prévenir
des formes graves et à 98,9 %
pour prévenir la mort. – (AFP.)
 FRANCE
0123
MARDI 23 FÉVRIER 2021
« Islamo-gauchisme » : la Macronie divisée
Depuis les déclarations de la ministre Frédérique Vidal, les proches du président affichent leurs désaccords
M
arginal » ou « indu-
bitable » ? Le gou-
vernement semble
avoir perdu sa
boussole pour qualifier l’« islamo-
gauchisme », phénomène dont la
ministre de l’enseignement supé-
rieur, Frédérique Vidal, estime
qu’il « gangrène » l’université.
Durant tout le week-end, les
troupes d’Emmanuel Macron se
sont succédé dans les médias pour
étaler leurs désaccords, un classi-
que au sein de l’exécutif quand ar-
rivent les questions de laïcité ou
d’identité. « Si phénomène il y a, il
est extrêmement marginal, a ainsi
évacué, dimanche 21 février, sur
RTL, le porte-parole du gouverne-
ment, Gabriel Attal. La priorité
aujourd’hui pour le gouvernement
c’est d’aider les étudiants à traver-
ser cette crise [due au Covid-19]. »
La veille, pourtant, sur BFM-TV,
son collègue ministre de l’éduca-
tion nationale, Jean-Michel Blan-
quer, qualifiait l’« islamo-gau-
chisme » de « fait social indubita-
ble ». « Ce serait vraiment ne pas
regarder la vérité en face que de ne
pas voir que l’université, les servi-
ces publics, des associations sont
touchés par l’islamisme aidé par-
fois par les gauchistes », a appuyé
pour sa part le ministre de l’inté-
rieur, Gérald Darmanin, diman-
che sur Radio J.
Comme souvent, ce type de dé-
bat échappe à celui qui l’a lancé. Il
en va ainsi de Frédérique Vidal,
qui avait allumé la mèche, le 14 fé-
vrier, en dévoilant son intention
de demander une enquête au
CNRS sur l’imprégnation de l’« is-
lamo-gauchisme » au sein de
l’université, afin de distinguer « ce
qui relève de la recherche académi-
que et ce qui relève du militan-
tisme et de l’opinion ». Une ma-
nière de viser, en particulier, le
champ des études postcoloniales,
importé des Etats-Unis.
« Elle doit partir »
Le tollé a été immédiat et massif
dans une partie du monde uni-
versitaire et politique. « Nous ne
pouvons que déplorer l’indigence
de Frédérique Vidal, ânonnant le
répertoire de l’extrême droite sur
un islamo-gauchisme imaginai-
re », ont dénoncé, dans une tri-
bune au Monde, samedi, plus de
800 membres du personnel de
l’enseignement supérieur et de la
recherche.
Assurant déceler dans ses pro-
pos « la menace d’une répression
intellectuelle », ils réclament sa
démission. « Elle doit partir. La mi-
nistre qui porte la disqualification
de la recherche et de l’enseigne-
ment supérieur dans notre pays ne
peut rester en poste », a approuvé,
dimanche, sur France 3, le député
Des députés LRM veulent inscrire l’état d’urgence dans la Constitution
Une quarantaine de parlementaires menacent de ne pas voter une éventuelle prolongation de l’état d’urgence sanitaire en juin
O n ne joue ni avec la démo-
cratie, ni avec les règles, ni
avec les libertés des Fran-
çais. » L’entourage du premier mi-
nistre se veut rassurant. Aux dé-
putés de la majorité qui s’inquiè-
tent, dans un courrier adressé
jeudi 18 février à Jean Castex, de ce
que le pays ait dépassé les « trois
cents jours d’état d’exception », son
cabinet rappelle qu’« il n’y a pas de
brèche dans l’état de droit. On n’a
pas suspendu le contrôle juridic-
tionnel. Si nos mesures devaient ne
plus être proportionnées à la situa-
tion, elles seraient sans doute reto-
quées. Par ailleurs, les prérogatives
du Parlement ont été respectées : il
s’est exprimé à cinq reprises sur
l’état d’urgence ».
Frédérique
Vidal,
la ministre de
l’enseignement
supérieur,
à l’Elyséee,
le 27 janvier.
JULIEN MATTIA/ANADOLU
AGENCY VIA AFP
européen (Europe Ecologie-Les
Verts) Yannick Jadot. « Nous ne
sommes pas dans un exercice de
confrontation d’idées mais dans
une dérive inacceptable où le pou-
voir s’autorise à dire ce que les
chercheurs peuvent chercher », cri-
tique le premier secrétaire du
Parti socialiste (PS), Olivier Faure,
qui souligne « une forme de mac-
carthysme, une censure qui ne dit
pas son nom ».
Frédérique Vidal s’est défendue
dans les colonnes du Journal
du dimanche le 21 février, arguant
du « ressenti de nos concitoyens »
et d’« un certain nombre de faits ».
Ainsi de « l’empêchement, dans
certains établissements, d’une re-
présentation des Suppliantes
d’Eschyle, ou de la lecture d’un
texte de Charb ».
L’enquête réclamée au CNRS
sera bien menée, a-t-elle confir-
mé, même si certains au gouver-
nement auraient préféré qu’elle
soit confiée à l’inspection géné-
rale de l’éducation, du sport et de
la recherche. « Il s’agit d’une en-
quête, mais au sens sociologique
du terme, donc d’un travail de re-
cherche ou d’une étude scientifi-
que », afin de « quantifier les cho-
Il n’est pas sûr que cela suffise à
rassurer les députés. Dans ce cour-
rier adressé au nom d’En com-
mun, le mouvement créé par une
quarantaine de parlementaires au
sein de La République en marche
pour défendre une sensibilité de
gauche, les auteurs considèrent
que l’état d’urgence sanitaire,
parce qu’il n’en finit plus, consti-
tue « un danger réel pour notre dé-
mocratie ». Le risque, considère
Hugues Renson, député LRM de
Paris, vice-président de En com-
mun, c’est qu’au bout d’un mo-
ment, « on ne sache plus quel est le
cadre normal de notre vie démo-
cratique et qu’on s’accommode de
procédures simplifiées, rapides,
sans l’intervention du Parlement,
ses, sortir du ressenti et du présup-
posé », a défendu Mme Vidal.
Bénéficie-t-elle du soutien d’Em-
manuel Macron dans cette entre-
prise ? Rien n’est moins sûr. L’Ely-
sée renvoie aux déclarations de
Gabriel Attal à l’issue du conseil
des ministres, le 17 février. Le por-
te-parole du gouvernement avait
alors rappelé l’« attachement ab-
solu » du chef de l’Etat « à l’indé-
pendance des enseignants-cher-
cheurs ». Un recadrage clair et
ferme. « Vidal est plus près de la
porte que de l’augmentation »,
commente un conseiller de l’exé-
cutif. « Je n’ai pas bien compris l’uti-
lité de cette sortie. Elle est critiquée
partout dans la majorité », lâche
pour sa part un proche du prési-
dent de la République.
Même ceux qui partagent la
conviction de Frédérique Vidal
doutent du bien-fondé de cette
prise de position, à l’heure où les
étudiants souffrent de ne pas
pouvoir suivre leurs cours nor-
malement du fait des restrictions
liées à la crise sanitaire. « Sur le
fond, elle a raison. Sur le plan tacti-
que, je n’en sais rien. Est-ce que
c’était le bon moment pour ame-
ner ça ? », fait mine de s’interroger
que l’on s’accoutume à des restric-
tions de liberté qui, en temps nor-
mal, seraient insupportables pour
les Français ». Aujourd’hui, nous
ne sommes plus dans l’urgence et
l’exception a trop duré, alertent
ces parlementaires.
Trouver un terrain d’entente
Un proche du premier ministre re-
connaît qu’« il est légitime de se po-
ser des questions » sur les risques
liés à la restriction des libertés.
Mais, soupire-t-il, « le maître du
tempo, c’est le virus. La réalité est
sanitaire. Il n’est pas possible de
faire un référé contre le virus… »
Le constitutionnaliste Didier
Maus abonde : « La situation est
imprévisible », note-t-il, et tant
un ministre. Cette sortie paraît
d’autant plus étrange que la
même Mme Vidal avait critiqué à
mots couverts Jean-Michel Blan-
quer, en octobre 2020, pour avoir
dénoncé les « ravages » de « l’isla-
mo-gauchisme » dans l’enseigne-
ment supérieur. « L’université
n’est pas un lieu d’encouragement
ou d’expression du fanatisme »,
avait-elle alors estimé dans une
tribune pour L’Opinion, érigeant
« la liberté des universités » en
principe fondamental.
« Dérives intellectuelles »
« La tradition universitaire fran-
çaise, c’est aussi la confrontation
d’idées venant de tous les conti-
nents, analysées au prisme de la
controverse scientifique », ajoutait
la ministre. Une vision à rebours
de celle développée par Emma-
nuel Macron dans son discours
des Mureaux (Yvelines) contre le
« séparatisme islamiste », pro-
noncé le 2 octobre 2020. Le chef
de l’Etat y déplorait à l’époque le
fait d’avoir « laissé le débat intel-
lectuel à d’autres, à ceux qui sont
hors de la République » ou bien « à
d’autres traditions universitaires »,
avec « certaines théories en scien-
qu’il en sera ainsi, difficile de « sta-
biliser la situation juridique ».
« Quel médecin peut dire : dans
deux mois, on rouvre les bistrots et
les théâtres ?, interroge M. Maus.
Que fera-t-on si, en avril, nous assis-
tons à une très forte résurgence de
l’épidémie ? L’état d’urgence, c’est
comme les bouchons d’autoroute :
on y entre vite, on en sort lente-
ment… » Ce réalisme n’empêche
pas le professeur de souligner
qu’en effet « il est dangereux de per-
dre l’habitude d’être dans un ré-
gime de liberté ». Il déplore que le
Conseil constitutionnel ne soit
pas systématiquement saisi à cha-
que étape de l’état d’urgence.
Quoi qu’il en soit, les parlemen-
taires d’En commun ont pris date.
Même ceux
qui partagent
la conviction
de la ministre
doutent du bien-
fondé de cette
prise de position
ces sociales totalement importées
des Etats-Unis d’Amérique ».
Cela n’avait pas empêché le pré-
sident (La République en marche)
de l’Assemblée nationale, Richard
Ferrand, de fermer la porte, quel-
ques semaines plus tard, à une de-
mande des députés Les Républi-
cains (LR) Julien Aubert (Vaucluse)
et Damien Abad (Ain), qui récla-
maient l’ouverture d’une mission
d’information sur « les dérives in-
tellectuelles idéologiques dans les
milieux universitaires ».
« Une expertise parlementaire
pour mesurer ce qui se passe dans
la Cocotte-Minute universitaire »
paraît pourtant « nécessaire », es-
time Guillaume Peltier, député
(LR) du Loir-et-Cher. « Chacun sait
Ils ont voté la reconduction de
l’état d’urgence sanitaire le 9 fé-
vrier. Mais la prochaine fois (en
juin), il ne faudra pas compter sur
eux. La balle est dans le camp du
gouvernement, et les élus, qui veu-
lent faire preuve d’« esprit de
contribution », suggèrent d’ici là
d’inscrire l’état d’urgence dans la
Constitution. Cela permettrait, se-
lon eux, de l’encadrer et « de l’as-
sortir de solides garde-fous en ma-
tière de protection des libertés fon-
damentales ». Ils proposent d’en
profiter pour conduire un « toilet-
tage institutionnel » plus vaste en
incluant dans la loi fondamentale
des instances comme le conseil de
défense. Sans préjuger de la ré-
ponse que Jean Castex fera au
|9
et voit combien une certaine gau-
che, repentante de notre histoire et
de notre identité, trahissant Jaurès
et Clemenceau, est la complice
quotidienne, volontaire et cons-
ciente du communautarisme isla-
mique, tentant de masquer la re-
cherche désespérée de nouveaux
électeurs par une pseudo-défense
des minorités », attaque le nu-
méro deux du parti de droite.
« L’islamo-gauchisme, ça n’existe
pas. Ni à La France insoumise ni
nulle part », a répliqué, pour sa
part, Jean-Luc Mélenchon. Selon le
chef de file de LFI, ce débat s’inscrit
dans un récit global conduit de-
puis plusieurs mois par l’exécutif :
celui d’une hostilité vis-à-vis de
l’islam et des musulmans, dont la
loi « confortant les principes répu-
blicains » (dite séparatisme) serait
une autre manifestation. « On a
déjà connu ça avec le judéo-bolché-
visme, et là ils refont pareil, a es-
timé le député des Bouches-du-
Rhône dans une vidéo. C’est une
vieille méthode criminelle, d’étape
en étape, on franchit des seuils. » p
sarah belouezzane,
olivier faye,
abel mestre
et sylvia zappi
courrier de En commun, l’entou-
rage du premier ministre accueille
ces propositions avec perplexité.
De son côté, Didier Maus consi-
dère que « cela ne servirait à rien
d’inscrire l’état d’urgence dans la
Constitution. Il est déjà dans la loi ».
Reste donc au gouvernement à
trouver un terrain d’entente avec
ces parlementaires. Sauf à risquer
un tir de barrage en juin. S’il se pro-
duit. Car, note Didier Maus, fata-
liste : « Castex leur dira : “Si vous
voulez être investi dans un an [pour
les législatives qui suivront la pré-
sidentielle de 2022], vous votez”. Et
voilà… La psychologie parlemen-
taire veut que, lorsqu’on est élu, on
souhaite le rester. » p
benoît floc'h
10 | france 0123
MARDI 23 FÉVRIER 2021

C O V I D -1 9 E N E U R O P E

Les exécutifs Gestion de crise Vaccination

Evolution du niveau de satisfaction Avez-vous l’intention de vous faire vacciner contre le Covid-19 ?
à l’égard de la gestion de la crise, en % Réponses en %
74 Oui, Oui, Je me suis
Allemagne
69 certainement probablement fait vacciner

face à la lassitude 39
Royaume-Uni
56
48
Non,
probablement pas
Je n’ai pas encore
pris de décision
Non,
certainement pas
Je ne sais pas

des opinions
37
France
France
29 % 19 1 11 19 19 2

Avril Févr. Allemagne

2020 2021 42 % 23 1 9 12 12 1

Royaume-Uni
Après un an de pandémie, le sentiment de Adhésion à la stratégie vaccinale
Les plus de 75 ans et les patients très vulnérables, ainsi 57 % 15 8 6 6 7 1
défiance est plus fort en France qu’en Allemagne, que les professionnels de santé de plus de 50 ans, sont
prioritaires pour être vaccinés contre le Covid-19.
Italie

au Royaume-Uni ou en Italie, selon le « Baromètre Approuvez-vous ce choix ? 51 % 24 1 8 5 11

de la confiance politique » du Cevipof 36 % 9%

Non, plutôt pas
Pour vous qui en avez l’intention ou qui l’avez déja fait,
quelle est votre première motivation ? Réponses en %
Oui, plutôt
« Parce que c’est le seul moyen

D
éjà plus d’un an à gérer l’ur-
gence permanente. Plus de
douze mois à jongler entre
les rebonds des taux d’inci-
dence et l’état psychologi-
que du pays, à arbitrer entre
les impératifs sanitaires et les inquiétudes
économiques, à tenter de rassurer les opi-
nions sur le quotidien des réanimations tout
en essayant de dessiner une future sortie de
crise… Depuis le début de l’année 2020 et
l’apparition des premiers clusters, les diri-
geants européens vivent sur un fil, alternant
allocutions solennelles et conférences de
presse pour annoncer – souvent – le renfor-
cement des restrictions et – parfois – relâ-
cher la pression. Exercice périlleux.
Dix mois après la dernière vaste enquête
transfrontalière réalisée en février puis réac-
tualisée en avril 2020, le Cevipof de Sciences
Po a demandé à l’institut OpinionWay de
sonder les habitants de la France, de l’Allema-
gne, du Royaume-Uni et de l’Italie sur leur
état d’esprit, notamment à l’égard de la
gestion de la situation épidémique. A travers
les résultats de ce « Baromètre de la
confiance politique », que Le Monde a pu
consulter, transparaissent la fatigue des
Européens mais aussi leur capacité de rési-
lience. De plus en plus critiques à l’égard de
leurs dirigeants et très inquiets quant aux
conséquences économiques, ils sont prêts à
saisir l’espoir des vaccins. Et, sur chacun de
ces sujets, le sentiment de défiance est un
peu plus fort en France que chez nos voisins.
Confrontés au même virus et à ses va-
riants, ces quatre pays ne vivent pas la même
pression épidémiologique. Premier pays
touché en Europe, l’Italie commence douce-
ment à rouvrir ses restaurants. La France se
raccroche à son couvre-feu pour ne pas avoir
à confiner une troisième fois. Durement
frappés par la vague hivernale, l’Allemagne a
dû imposer des restrictions drastiques et le
Royaume-Uni un confinement strict.
Malgré ces situations disparates, les
gouvernements doivent composer avec une
même réalité : l’épuisement des citoyens.
Interrogés sur leur état d’esprit, 41 % des son-
dés français disent en premier lieu éprouver
de la lassitude, 34 % de la morosité. Des senti-
ments en forte augmentation par rapport au
mois d’avril 2020 (respectivement + 13 points
et + 6 points) tandis que la peur recule (14 %, –
13 points par rapport à avril 2020). Comme si
la société française apprenait bon gré mal gré
à « vivre avec le virus ». Une donnée qui a sans
doute joué dans le pari d’Emmanuel Macron
de ne pas reconfiner.
« UNE CRISE SANS FIN »
L’évolution est la même en Italie (40 % des
sondés disent exprimer de la lassitude). En
augmentation, ce sentiment reste pour le
moment moins prégnant au Royaume-Uni
(31 %) et en Allemagne (15 %). Ces deux pays
ont pourtant annoncé le prolongement de
leurs mesures strictes, au moins jusqu’en
mars pour l’Allemagne et, peut-être, jusqu’en
avril ou en mai au Royaume-Uni, selon des
indiscrétions de la presse anglaise rappor-
tant des propos du premier ministre, Boris
Johnson. « L’une de mes hypothèses est que les
Français ont l’impression d’être plongés dans
une crise qui s’éternise, estime Bruno Cautrès,
politiste au Cevipof et spécialiste de l’analyse
des comportements et des attitudes politi-
ques. Depuis l’automne 2018, il y a eu les “gi-
lets jaunes”, puis la contestation contre la ré-
forme des retraites et maintenant cette longue
épidémie… Il y a le sentiment diffus d’une crise
sans fin dont on ne verrait jamais la sortie. »
En ces temps incertains, les opinions euro-
péennes semblent avoir besoin de se raccro-
cher à des structures connues, ce qui provo-
que un phénomène de réhabilitation des
institutions. Dans les différents pays, de
nombreuses instances voient leur courbe de
confiance remonter par rapport au mois de
février 2020, soit juste avant les premiers
confinements (en France, le conseil munici-
pal culmine à 64 % de bonnes opinions, +
4 points). Un phénomène qui profite à des
lieux de pouvoir pourtant très souvent
décriés, comme l’Assemblée nationale et à la
présidence de la République (38 % et 37 %, en
augmentation de 7 points). Le même phéno-
mène est à l’œuvre en Allemagne, où la
popularité de l’institution gouvernementale
est en hausse de 12 points (57 %).
Les sentiments sont plus mitigés quand on
évoque les dirigeants eux-mêmes. Comme au
d’en finir avec la contagion 48
41 % 5% et de retrouver une vie normale »
Oui, tout à fait Non, pas du tout
« Parce que c’est le seul moyen
efficace de me protéger 22
9%
contre le virus »
Ne sait pas
« Parce qu’il faut protéger les autres,
Êtes-vous en accord ou en désaccord et notamment les plus fragiles » 16
vis-à-vis de la gestion de la crise par le gouvernement
Tout à fait Plutôt Plutôt pas Pas du Ne sait Pour vous qui n’en avez pas l’intention ou qui hésitez,
d’accord d’accord d’accord tout d’accord pas quelle est la première raison que vous invoquez ?
Réponses en %
France
7 30 27 31 % 5 « Parce qu’on n’a pas assez
de recul sur la maladie et le vaccin » 43
Allemagne
14 42 % 27 15 2
« Parce que je redoute les effets
Royaume-Uni secondaires du vaccin » 21
12 36 % 25 24 3
Italie « Parce que j’estime ne pas faire
9 43 % 27 20 1 partie des populations à risque » 11
début de la crise en 2020, Emmanuel Macron nement d’Angela Merkel depuis avril, –
et son gouvernement sont plus durement 21 points pour celui de Boris Johnson).
jugés que leurs homologues. Seulement 37 % Difficile de comparer tant ces pays sont
des sondés estiment qu’ils ont bien géré la encalminés dans des situations épidémiolo-
crise sanitaire. Loin des scores de nos voisins. gique et politique très disparates. Chance-
Ainsi, 56 % des Allemands approuvent l’ac- lière depuis 2005, Mme Merkel s’apprête à
77 % DES FRANÇAIS tion de leur exécutif, 48 % des Britanniques et passer la main lors des élections législatives
INTERROGÉS 52 % des Italiens. « Il ne faut pas négliger la
défiance structurelle qui existe depuis long-
de septembre. Critiqué au premier semestre
2020 pour son laxisme dans la lutte contre la
APPROUVENT L’IDÉE temps en France, poursuit M. Cautrès. Mais la pandémie, M. Johnson doit en parallèle gérer
crise sanitaire prolonge la crise politique en les conséquences du Brexit tandis qu’en Ita-
QUE LA PRIORITÉ AIT accentuant les attentes et les doutes à l’égard lie, Giuseppe Conte a démissionné le 26 jan-
ÉTÉ ACCORDÉE, POUR de nos responsables. Et en renforçant les inter-
rogations sur le macronisme : que reste-il de
vier. Son successeur, Mario Draghi, vient à
peine de prendre les rênes en Italie.
LES VACCINS, AUX 2017 ? Où veut-il nous emmener ? » Mais pour eux, comme pour Emmanuel
Macron, la capacité à consolider la confiance
PLUS DE 75 ANS « MOMENT CHARNIÈRE » pourrait maintenant se jouer sur la gestion
L’exécutif français a, en revanche, vu sa cote de la crise économique. Les appréhensions
de confiance rester presque stable (39 % en liées aux conséquences sociales et financiè-
avril 2020, – 2 points). En Allemagne et au res semblent en effet prendre le pas sur l’an-
Royaume-Uni, l’image des gouvernants a été goisse sanitaire : 84 % des Français, 72 % des
bousculée par une troisième vague beau- Allemands, 80 % des Britanniques et même
coup plus brutale (– 18 points pour le gouver- 89 % des Italiens se disent ainsi inquiets de la

Le fossé du déficit démocratique français n’a pas été comblé

Selon les chercheurs Bruno Cautrès, Gilles Ivaldi et Luc Rouban, seules les institutions non politiques bénéficient d’un regain de confiance

et des violences commises lors rent : 32 % des Français considè- la réussite sociale reste truquée : enquêtés estiment que la démo- action sous ce seul angle. Cette
ANALYSE des manifestations de « gilets rent que les hommes et femmes seuls 25 % des enquêtés français cratie fonctionnerait mieux si les crise révèle que le style très verti-

L a vague 12 du « Baromètre
de la confiance politique »
du Cevipof donne à voir le
paysage politique dans lequel les
candidats à l’élection présiden-
tielle de 2022 vont devoir évoluer.
La confiance dans les services
publics comme l’hôpital n’a pas
diminué depuis février 2020, bien
au contraire. On enregistre par-
tout une hausse significative de la
confiance dans les institutions
dès lors qu’elles ne sont pas politi-
ques et qu’elles incarnent la pro-
tection et la proximité. L’Etat-pro-
vidence à la française tient le
coup. Même la police, durement
mise en cause par les débats
autour de l’affaire Adama Traoré
jaunes », a la confiance de 69 %
des enquêtés (bien moins chez les
jeunes, néanmoins).
En revanche, la gestion de la
politique sanitaire montre des
Français bien plus méfiants que
leurs homologues étrangers. Les
erreurs d’organisation et de com-
munication n’ont pas créé cette
méfiance, qui préexistait et se
prolonge. Si les institutions publi-
ques attestent de leur résilience
face à la crise, l’univers de la politi-
que et tout ce qui l’incarne conti-
nuent d’être perçu négativement.
Le fossé du déficit démocratique
français n’a pas été comblé depuis
l’élection d’Emmanuel Macron
même si certains points s’amélio-
politiques font de leur mieux
pour tenir leurs promesses, c’était
24 % en 2018.
Les enquêtés français se situent
un peu au-dessus de leurs homo-
logues italiens lorsqu’on leur
demande si la démocratie fonc-
tionne bien dans leur pays (42 %
contre 32 %) mais très en retrait de
ce que l’on observe en Allemagne
(67 %) ou au Royaume-Uni (61 %).
Ce défaut démocratique trouve sa
source dans une critique sociale
récurrente sur les défaillances de
la méritocratie, dont la promotion
était au cœur du programme
d’Emmanuel Macron. La défiance
est fortement corrélée avec l’idée
que les inégalités perdurent et que
estiment que les règles du jeu sont
les mêmes pour tous dans la so-
ciété, comme 26 % des enquêtés
italiens mais 42 % en Allemagne et
41 % au Royaume-Uni.
Implication des citoyens
L’enquête montre que les attentes
de respiration démocratique
dépassent les attentes d’autorité.
Seuls 34 % des enquêtés pensent
qu’une bonne façon de gouverner
est d’avoir un homme fort qui n’a
pas à se préoccuper du Parlement
ou des élections alors que 84 %
(soit 9 points de plus qu’en 2020)
pensent qu’il faut surtout avoir
un système politique démocrati-
que. Bien plus, les deux tiers des
citoyens étaient davantage asso-
ciés à toutes les grandes décisions
politiques. Une plus forte impli-
cation des citoyens dans les
processus démocratiques (con-
ventions citoyennes) semble clai-
rement intéresser les Français. Et,
en France bien plus que dans les
trois autres pays, le gouverne-
ment est perçu par 49 % des son-
dés comme ne faisant pas assez
confiance aux citoyens pour
combattre la crise sanitaire.
Près de quatre ans après l’élec-
tion d’Emmanuel Macron, sa
volonté de dépasser le clivage gau-
che-droite pour s’arrimer à l’effi-
cacité managériale n’a pas
conduit les Français à évaluer son
cal du macronisme est venu con-
tredire des attentes de décentrali-
sation et de proximité. Emmanuel
Macron et le gouvernement conti-
nuent ainsi de souffrir de cette dé-
fiance démocratique qui ronge le
quinquennat. Le débat de 2022 de-
vrait conduire à s’interroger sur ce
qu’est l’efficacité en politique. L’at-
tente d’un ressourcement démo-
cratique en France apparaît claire-
ment dans nos données. Comme
ailleurs en Europe, ce ressource-
ment représente une des répon-
ses à l’essor de partis populistes et
aux tensions sur la démocratie. p
bruno cautrès, gilles ivaldi
et luc rouban
(chercheurs au cevipof)
 france | 11
0123
MARDI 23 FÉVRIER 2021

19 ?
Economie
En pensant à l’épidémie actuelle de Covid-19,
êtes-vous inquiet vis-à-vis de la situation économique
Moral
Evolution du sentiment de lassitude ressenti
lors de la période actuelle, en %
La police, une institution
de la France ?

45 %
Assez inquiet
10 %
Pas vraiment
France 41
appréciée, malgré des critiques
28 31
inquiet
28 Les forces de l’ordre sont considérées avec bienveillance par
27 la plupart des Français, même si leurs pratiques sont parfois décriées
Royaume-Uni
39 % 19
Très inquiet 3% 13 15

U
Pas du tout
inquiet 7 Allemagne
ne police majoritaire-
ment appréciée, dont les
UNE PERSONNE est la seule à accuser un déficit de
confiance assez marqué. La
3% pratiques, dans le détail, SUR CINQ A ÉTÉ France apparaît comme le seul
suscitent pourtant suspicion et pays dont la plus grande partie de
Ne sait pas Février
2020
Avril
2020
Février
2021 défiance : le baromètre Opinion EN CONTACT AVEC l’opinion (54 %) estime que les
Sentiment d’inquiétude chez les voisins européens Way pour le Cevipof conforte ce fonctionnaires de police peuvent
à propos de la situation dans leur pays paradoxe typiquement français, LA POLICE faire un mauvais usage de la force,
Evolution du sentiment de morosité ressenti
lors de la période actuelle, en %
constaté de longue date dans les AU COURS DES TROIS contre 44 % en moyenne pour les
Italie 89 % études d’opinion. Des quatre pays autres Etats. Pis : 55 % des Français
Royaume-Uni 80 %
34
étudiés (France, Allemagne, DERNIÈRES ANNÉES estiment qu’elle ne sanctionne
28 Royaume-Uni, Italie), la France pas ses fonctionnaires « lorsqu’ils
Allemagne 72 % constitue d’abord le pays où les agissent de manière fautive ».
France sondés apparaissent le plus fré- correctement ses fonctionnaires,
quemment en contact avec la quand 37 % des Allemands, 42 % Réputation d’indépendance
22 police. C’est le cas d’une personne des Britanniques et 38 % des Ita- Cette part de la population
Sentiment de défiance Royaume-Uni
interrogée sur cinq au cours des liens seulement partagent ce mécontente du contrôle des ser-
15 16
« Le ministère de la santé est de mèche avec l’industrie 15 trois dernières années (2018, 2019 point de vue. Elle révèle, en creux, vices de police se trouve à l’équili-
14
pharmaceutique pour cacher au grand public la réalité et 2020), soit la plus forte propor- l’hétérogénéité des pratiques poli- bre en Italie (50 %) comme au
sur la nocivité des vaccins » tion enregistrée au sein du panel. cières d’un Etat à l’autre. L’exem- Royaume-Uni (50 %), où l’orga-
10 C’est encore en France qu’appa- ple des contrôles (d’identité ou nisme chargé des enquêtes inter-
Part de réponses positives, en % 7
Allemagne raissent les marqueurs d’empa- routiers) illustre ce décalage de nes, l’IOPC (Independent Office
France 36 %
thie les plus élevés. Jugée « hon- manière flagrante : 59 % des Fran- for Police Conduct), extérieur à la
Février Avril Février nête », « compétente et efficace » çais ont eu ainsi un ou plusieurs police, jouit d’une excellente ré-
Italie 2020 2020 2021
32 % pour 71 % des sondés en dépit de contacts avec la police nationale à putation d’indépendance.
Le Baromètre de la confiance politique du Cevipof a été réalisé en moyens insuffisants (83 %), faisant l’occasion de ce type de vérifica- Seul pays où la population es-
Allemagne 32 % « l’objet d’agressions et d’insultes » tions au cours des trois dernières time majoritairement que les
partenariat avec le Conseil économique, social et environnemental,
l’Institut Montaigne, la Fondation pour l’innovation politique, la (84 %), la police n’est pas assez « re- années. C’est quinze points de plus policiers sont sanctionnés en cas
Royaume-Uni 31 % Fondation Jean Jaurès, la mutuelle Intériale et l’Université LUISS à Rome. connue pour son dévouement » que les Allemands (44 %) et plus du de manquements, l’Allemagne
Sondage Opinionway pour Le Monde et le Cevipof, effectué (76 %). En revanche, si 64 % des double de la proportion des Bri- (51 %) ne dispose d’aucune auto-
du 20 janvier au 11 février 2021 par Internet auprès d’un échantillon
« La crise sanitaire fournit l’occasion au gouvernement représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus. personnes interrogées estiment tanniques contrôlés (28 %), signe rité compétente au niveau natio-
de surveiller et de contrôler les citoyens » Echantillons constitués selon la méthode des quotas (sexe, âge, qu’elle « traite les gens avec res- d’une praxis spécifiquement fran- nal : les enquêtes incombent aux
catégorie socioprofessionnelle, région de résidence et taille pect », cette part reste largement çaise – le cas de l’Italie (71 %) reste Länder et sont confiées à des
Part de réponses positives en % d’agglomération). Les sondés ont été interrogés en ligne. inférieure à la tendance constatée singulier, notamment en raison policiers appartenant à un autre
Panels représentatifs de la population des différents pays, âgée de 18
ans et plus. en Allemagne (73 %), au Royaume- de l’activité traditionnellement service ou, comme c’est le cas en
France 42 % France : panel de 2 105 personnes inscrites sur les listes électorales issu Uni (71 %) ou en Italie (73 %). très soutenue de la polizia stra- Bavière, à une unité spécialisée.
d’un échantillon de 2 294 personnes. L’analyse comparative des résul- dale, la « police de la route », dont Un exemple difficile à suivre en
Royaume-Uni 41 % Royaume-Uni : panel de 1 842 personnes inscrites sur les listes tats obtenus dans chaque pays ne le rôle majeur dans la gestion du France, où la police nationale
électorales issu d’un échantillon de 1 880 personnes.
Italie 40 % Allemagne : panel de 1 800 personnes. témoigne pas uniquement de per- trafic automobile l’amène à multi- demeure l’une des administra-
Italie : panel de 1 811 personnes inscrites sur les listes électorales issu ceptions fort différentes de la po- plier contrôles et verbalisations. tions les plus centralisées
Allemagne 39 % d’un échantillon de 1 838 personnes. lice – pour plus de six Français sur C’est bien au regard de ses du pays. p
Infographie Le Monde dix par exemple, elle ne forme pas pratiques que la police française antoine albertini

situation économique de leur pays. « Les

Français et les opinions européennes se
rendent compte que 2021 est peut-être l’année
Les Allemands gardent davantage le moral
où le flux de l’épidémie va refluer et laisser
apparaître les dégâts économiques, les consé- La violence de la deuxième vague du Covid, qui a fait 40 000 morts outre-Rhin, n’a pas remis en
quences sur les jeunes, sur l’emploi, sur les
seniors, sur les entrepreneurs, estime
question la confiance de la population envers les dirigeants et la popularité d’Angela Merkel
M. Cautrès. C’est un moment charnière. »
D’où l’importance stratégique des différen-
tes campagnes vaccinales. Alors que le retard berlin - correspondant des Allemands déclarent aujour- téresser à la politique (+ 2 points par
à l’allumage français a été très durement LES ALLEMANDS SONT d’hui avoir confiance, soit 11 points rapport à février 2020), ce qui n’est le
jugé par les oppositions à la fin de l’année
2020 et dans les premières semaines de 2021,
les sondés délivrent un satisfecit sur la stra-
tégie gouvernementale : 77 % des Français in-
O nze mois après le début de
l’épidémie de Covid-19, les
Allemands affichent un
bien meilleur moral que les Français,
BIEN PLUS NOMBREUX
QUE LES FRANÇAIS
de plus qu’à la veille de l’épidémie,
alors que 38 % des Français affir-
ment faire confiance à l’Assemblée
nationale, soit une hausse de
cas que de 49 % des Français (– 3).
A sept mois des élections législati-
ves du 26 septembre et du départ an-
noncé d’Angela Merkel, après seize
terrogés approuvent l’idée que la priorité ait et la confiance qu’ils ont dans leurs À TROUVER HONNÊTES 7 points en un an. années à la tête du pays, ces données
été accordée aux plus de 75 ans, aux patients institutions et leurs dirigeants reste L’accentuation de ces écarts est donnent de l’Allemagne l’image
les plus vulnérables et aux professionnels de largement supérieure à celle de ces LEURS RESPONSABLES d’autant plus frappante que le d’une démocratie dont les piliers de-
santé de plus de 50 ans. derniers. Tels sont les deux ensei-
Malgré cela, la défiance française reste su- gnements majeurs qui se dégagent à
POLITIQUES climat politique s’est assez forte-
ment dégradé cet hiver en Allema-
meurent solides, ou du moins où ils
apparaissent nettement moins fra-
périeure. Seulement 49 % des sondés disent la lecture de la dernière vague de l’en- gne, où la violence de la deuxième gilisés qu’en France. Si la forte popu-
avoir l’intention de se faire vacciner ou l’ont quête du « Baromètre de la confiance vague de l’épidémie – 40 000 morts larité de la chancelière en est l’un des
déjà fait. Beaucoup moins qu’en Allemagne politique », réalisé par le Centre de re- « bien-être » : il y a un an, 31 % des depuis décembre, soit plus du dou- témoins (62 % de taux de confiance,
(66 %), qu’en Italie (76 %) et surtout qu’au cherches politiques de Sciences Po Allemands et 20 % des Français ble de la période de mars à novem- + 13 points en un an), ce n’est pas le
Royaume-Uni (80 %). Outre-Manche, la cam- (Cevipof) et l’institut OpinionWay, déclaraient que ce terme correspon- bre 2020 – a non seulement exposé seul. Ainsi, les Allemands sont bien
pagne vaccinale est massive et environ entre fin janvier et début février dait à leur état d’esprit. Aujourd’hui, les dirigeants du pays à de vives plus nombreux que les Français à
17,5 millions de Britanniques ont déjà été auprès d’échantillons représentatifs c’est encore le cas de 26 % des pre- critiques, mais également conduit trouver honnêtes leurs responsa-
vaccinés grâce à une stratégie moins pru- d’environ deux mille personnes miers (– 5 points), mais seulement certains observateurs à poser une bles politiques (55 % contre 31 %), à
dente : l’administration de la deuxième dose dans chacun des deux pays. de 11 % des seconds (9 points). question plus fondamentale : en avoir confiance dans leurs médias
est espacée jusqu’à douze semaines et les Le moral, d’abord. Certes, celui-ci obligeant le gouvernement à négo- (46 % contre 28 %) et leurs partis po-
autorités ont mis à contribution l’armée s’est dégradé avec la crise sanitaire Vives critiques cier en permanence avec les Länder, litiques (39 % contre 16 %). Sur cha-
pour gérer la logistique. Les principales rai- des deux côtés du Rhin. Mais le S’agissant du rapport aux institu- au risque de ralentir le processus de cun de ces points, la progression a
sons citées par les sondés qui refusent de se contraste demeure saisissant entre tions, le constat est similaire. Sur ce décision, n’est-ce pas le système été plus forte en Allemagne qu’en
faire vacciner sont le manque de recul vis-à- l’Allemagne et la France. Alors que plan aussi, la crise sanitaire a eu fédéral en lui-même, tel qu’il a été France au cours de l’année écoulée.
vis de ces nouveaux produits (43 %) et la peur 40 % des Allemands estiment que le tendance à accentuer encore davan- conçu au lendemain de la seconde Certes, ces chiffres ne doivent pas
des effets secondaires (21 %). Des préventions mot « sérénité » caractérise le mieux tage des écarts qui étaient déjà très guerre mondiale, qui aurait révélé faire oublier que, ces dernières an-
beaucoup plus significatives que la défiance leur état d’esprit actuel, seuls 15 % prononcés entre les deux sociétés ses limites ? nées ont été marquées en Allema-
de principe vis-à-vis des vaccins (raison des Français sont de cet avis. Et les avant l’irruption du Covid-19. A gne par l’émergence d’un parti d’ex-
avancée par 7 % des sondés en France). premiers ne sont que 15 % à éprou- l’exception du conseil municipal, Piliers solides trême droite, Alternative für Deuts-
Un terreau qui n’empêche pas la diffusion ver de la lassitude, sentiment qui continue d’inspirer plus de Le baromètre du Cevipof suggère chland (AfD), devenu, quatre ans
d’idées agitées par les conspirationnistes. partagé par 41 % des seconds. confiance en France (64 %, que ces crispations et ces interroga- après sa fondation, la première force
Ainsi, 36 % des Français interrogés pensent Dans ce domaine, l’épidémie + 4 points) qu’en Allemagne (61 %, tions ne doivent pas être suresti- d’opposition aux législatives de
que « le ministère de la santé est de mèche avec semble avoir creusé des différences + 3), l’image des principales institu- mées, en tout cas qu’elles n’ont pas 2017, avec 12,6 % des voix. Crédité de
l’industrie pharmaceutique pour cacher la no- qui étaient déjà significatives avant tions de la vie démocratique reste pris à ce stade une ampleur telle que 9 % à 10 % des intentions de vote
civité des vaccins », et 42 % estiment « proba- son irruption, comme le montre la incomparablement plus positive la confiance des Allemands dans dans les derniers sondages, ce parti
ble » que « la crise sanitaire fournisse l’occasion comparaison avec les derniers chif- outre-Rhin que dans l’Hexagone. leur système politique se trouverait antieuropéen et xénophobe reste
au gouvernement de surveiller et de contrôler fres du baromètre publiés un an C’est le cas du gouvernement. En sérieusement remise en question. présent dans le paysage politique,
les citoyens ». Cette peur d’une hypothétique plus tôt. A l’époque, 22 % des Fran- février 2020, il inspirait de la Outre-Rhin, 67 % des personnes in- notamment dans l’est du pays. Mais,
surveillance généralisée est également haute çais se disaient déjà moroses, mais confiance à 45 % des Allemands, terrogées pensent ainsi que la démo- au moment où l’Allemagne s’ap-
chez nos voisins (39 % en Allemagne, 41 % au seulement 7 % des Allemands. mais à seulement 27 % des Français. cratie fonctionne bien dans leur prête à se mettre en ordre de marche
Royaume-Uni, 40 % en Italie). Reste à savoir si Depuis, ce sentiment s’est répandu Un an plus tard, la confiance dans le pays, ce qui représente une augmen- pour les prochaines élections, les
l’éventuelle sortie de crise permettra de com- dans les deux pays, mais de façon pouvoir exécutif a progressé dans tation de 12 points en un an, alors facteurs de défiance susceptibles de
bler le fossé entre les dirigeants et cette frange plus accentuée en France, où il a les deux pays, mais davantage en qu’en France, ce diagnostic n’est par- nourrir le vote en faveur de l’AfD ont
des opinions européennes, de plus en plus progressé de 12 points, alors qu’il Allemagne (57 %, + 12 points) qu’en tagé que par 42 % des personnes in- eu plutôt tendance à reculer depuis
défiante et imprégnée de complotisme. p n’en a gagné que 7 en Allemagne. La France (35 %, + 8). Le même constat terrogées (+ 7). De même, 79 % des Al- le début de la crise sanitaire. p
matthieu goar même remarque vaut pour le vaut pour le Bundestag, en qui 58 % lemands déclarent aujourd’hui s’in- thomas wieder
12 | france 0123
MARDI 23 FÉVRIER 2021

Tensions à la Mairie de Paris Polémique à Lyon

à propos des menus sans
autour des 150ans de la Commune viande dans les écoles
La droite est hostile aux commémorations prévues par la maire socialiste Pour la mairie écologiste, cette décision est
liée au protocole sanitaire dans les cantines

C
e mercredi 3 février, le
couvre-feu est déjà pas-
sé, le Conseil de Paris
s’étire depuis des heu-
res. L’ordre du jour, quelques sub-
ventions et hommages, semble
consensuel. Mais soudain, Ru-
dolph Granier prend le micro et
réveille l’hémicycle. Parmi les
vingt-sept associations à subven-
tionner, il en est une à laquelle
son parti, Les Républicains (LR),
ne veut pas accorder un centime :
les Amies et amis de la Commune
de Paris 1871.
Cette association coprésidée par
un ancien dirigeant communiste
« glorifie les événements les plus
violents de la Commune », peste-
t-il. M. Granier évoque « les incen-
dies de la Commune qui ont
ravagé des pans entiers de la capi-
tale », et accuse la maire socialiste,
Anne Hidalgo, d’« ânonner » à ce
sujet « une série de contre-vérités
historiques » dans le seul but de
ressouder les socialistes, les
communistes et les écologistes,
en vue de son « projet présiden-
tiel ». Celui-ci « rassemblera certai-
nement moins de personnes que
les dix millions de Français qui ont
participé à la souscription natio-
nale pour l’édification du Sa-
cré-Cœur », ajoute l’élu LR.
Patrick Bloche, l’adjoint socia-
liste d’Anne Hidalgo qui préside la
séance, ponctue cette diatribe
d’une phrase : « Ce qui me rassure,
c’est que je crois au clivage entre la
gauche et la droite, et vous l’avez il-
lustré parfaitement, cent cin-
quante ans après la Commune. »
Entre les deux camps, la joute ver-
bale se poursuit près d’une heure.
Puissance symbolique
Le 18 mars 1871, Paris se révoltait.
« Exténuée par un siège de quatre
mois, écrasée d’humiliation par la
défaite devant les Prussiens »,
selon les mots de l’historien Jac-
ques Rougerie, la capitale se
soulevait contre une Assemblée
nationale monarchiste. Le début
d’une aventure de soixante-
douze jours, une tentative unique
de République indépendante,
écrasée au cours d’une « semaine
sanglante ». Un siècle et demi plus
tard, ces neuf semaines conser-
Pas question
de valoriser « ce
triste moment
de guerre civile »,
plaide Antoine
Beauquier, élu
du 16e proche de
Christine Boutin
vent une puissance symbolique,
et la préparation de leur anniver-
saire électrise les élus de Paris.
« Durant ce Conseil, on se serait cru
de nouveau en 1871, avec les
communards bataillant contre les
versaillais, s’étonne encore l’his-
torienne Mathilde Larrère. Preuve
que la mémoire de la Commune
reste profondément conflictuelle. »
A gauche, l’alliance rouge-rose-
vert au pouvoir à Paris se prépare
à glorifier l’insurrection, « la révo-
lution la plus moderne, la plus
large et la plus féconde de toutes
celles qui ont illuminé l’histoire »,
selon Raphaëlle Primet. Et l’élue
communiste de citer les « avan-
cées » de ces semaines-clés : la
citoyenneté accordée aux étran-
gers, l’égalité des salaires entre les
femmes et les hommes, la réquisi-
tion des logements vacants pour
les sans-domicile, la justice gra-
tuite, la reconnaissance de l’union
libre, la séparation de l’Eglise et de
l’Etat… « La Commune porte toutes
les valeurs qui sont les nôtres
aujourd’hui », appuie sa camarade
de parti Laurence Patrice, l’ad-
jointe d’Anne Hidalgo chargée de
la mémoire et du monde combat-
tant, qui a préparé le programme
des manifestations.
A la traditionnelle montée au
mur des Fédérés, les élus de
gauche ont prévu d’ajouter une
multitude d’opérations spéciale-
ment conçues pour les 150 ans.
Des expositions, des conférences,
des promenades sur les traces de
la Commune, des spectacles de
rue… Anne Hidalgo entend aussi
planter sur place un araucaria,
une essence de Nouvelle-Calédo-
nie, en référence au bagne où fut
déportée Louise Michel. Le 2 avril,
une évocation de son procès est
prévue dans l’hémicycle du
Conseil de Paris. Des plaques
rendant hommage aux élus de la
Commune doivent également
être apposées dans les mairies
d’arrondissement.
« Légende noire »
A l’approche du Conseil de Paris
où le sujet devait être évoqué, « je
m’attendais plutôt à des attaques
sur la gauche », raconte Karen
Taïeb, l’adjointe socialiste chargée
du patrimoine et de l’histoire de
Paris. L’association des Amies et
amis de la Commune avait
réclamé sans succès qu’une sta-
tion de métro porte le nom de
« Commune de Paris 1871 ». Elle
aurait pu revenir à la charge. Le
risque paraissait élevé, surtout
qu’une partie de la gauche pro-
teste contre le projet validé par la
Mairie de classer aux monu-
ments historiques le Sacré-Cœur,
une basilique dont la construc-
tion a longtemps été perçue
comme un acte d’expiation après
les « excès » de la Commune.
Karen Taïeb avait d’ailleurs dé-
cidé, à l’automne 2020, de repous-
ser à 2022 le débat sur ce sujet sen-
sible, « pour donner toute sa place
à l’anniversaire de la Commune ».
En réalité, c’est de droite qu’est
venue l’offensive. La doctrine des
LR et apparentés est simple.
Commémorer la Commune, oui.
La célébrer, non. Pas question de
valoriser « ce triste moment de
guerre civile », plaide, lors du
Conseil de Paris, l’avocat Antoine
Beauquier, un fidèle de Christine
Boutin, élu du 16e arrondisse-
ment. A ses yeux, nul besoin de
transformer en héros « ceux qui
prirent en otage et assassinèrent
les dominicains d’Arcueil venus ra-
masser les blessés sous l’emblème
de la Croix-Rouge », ni les fédérés
qui, le 26 mai 1871, exécutèrent
cinquante et un prisonniers,
« dont dix prêtres, bien sûr, et tren-
te-neuf gendarmes ».
L’avocat poursuit en interro-
geant la municipalité de gauche :
« Pourrez-vous encore dénoncer
les casseurs après avoir honoré en
grande pompe ceux qui ont choisi
de brûler les Tuileries, le Palais-
Royal, le palais d’Orsay, les synago-
gues et notre Hôtel de Ville ? » Tout
en reconnaissant les « idées géné-
reuses » de la Commune, son
collègue David Alphand (LR)
mentionne un autre aspect qui le
hérisse : « La confiscation des
moyens de production. » Patrick
Bloche bout. « C’est parfois une
épreuve de présider la séance »,
lâche le socialiste.
Après avoir divisé la popula-
tion parisienne, « la Commune a
fait dès le départ l’objet d’un af-
frontement mémoriel très fort,
commente l’historien Michel
Cordillot, coordinateur de l’ou-
vrage La Commune de Paris 1871.
Les acteurs, l’événement, les lieux
(Les Editions de l’Atelier, 1 438 pa-
ges, 34,50 euros). Une légende
noire s’est vite développée autour
des “barbares et bandits” de la
Commune, et une légende rouge y
a répliqué. »
Au fil des années, l’insurrection
a fait l’objet de récupérations mul-
tiples. « A la suite de Marx et d’En-
gels, les communistes y ont vu la
première révolution moderne, an-
nonciatrice de celle d’octobre 1917,
alors qu’elle constitue plutôt la der-
nière des révolutions du XIXe siè-
cle », note Mme Larrère. Les socialis-
tes ont aussi revendiqué l’héritage
de la Commune, notamment
au service du Front populaire. Les
anarchistes, les défenseurs de
l’autogestion, la gauche radicale
l’ont tour à tour prise comme réfé-
rence, notamment pour son
« questionnement libertaire de la
démocratie », selon la formule de
Jacques Rougerie. Même la droite
et l’extrême droite l’ont parfois
instrumentalisée, en s’appuyant
sur sa dimension patriotique.
Depuis cinquante ans, de nom-
breuses recherches ont été effec-
tuées et les historiens commen-
cent à avoir une vision apaisée de
cette année terrible. Le Britanni-
que Robert Tombs, en particulier,
a revu à la baisse le nombre de
morts durant la « semaine san-
glante », plus proche des 6 000 ou
7 000 que des 30 000 longtemps
évoqués. « Les politiques, eux,
semblent en être restés aux vieux
schémas », juge M. Cordillot. p
denis cosnard
lyon - correspondant
L a décision de la mairie
écologiste de Lyon de pro-
poser des menus sans
viande aux enfants d’école pri-
maire au retour des vacances d’hi-
ver, lundi 22 février, a immédiate-
ment provoqué la polémique, ali-
mentée par plusieurs membres du
gouvernement. « Idéologie scan-
daleuse », a tweeté Gérald Darma-
nin, samedi 20 février. « Insulte
inacceptable aux agriculteurs et
aux bouchers français », a ajouté le
ministre de l’intérieur, affirmant
que les écologistes veulent exclure
les classes populaires des cantines
scolaires car, dit-il, « de nombreux
enfants n’ont souvent que la can-
tine pour manger de la viande », au
nom d’une « politique moraliste et
élitiste ». L’ancien maire de Lyon,
Gérard Collomb, avait pourtant
pris exactement la même mesure,
lors de la sortie du premier confi-
nement. A l’époque, cela n’avait
pas provoqué de polémique.
Salve de critiques
Avant la crise, les élèves lyonnais
avaient le choix entre trois entrées
et deux plats principaux, dont un
à base de viande ou de poisson. Or,
la moitié des élèves de primaire ne
choisissait pas la viande, par goût,
par habitude ou par précepte reli-
gieux. « Le seul moyen de faire
manger un plat chaud à tous les
enfants de l’école, c’est de proposer
un plat sans viande, mais avec des
protéines animales comme le pois-
son ou les œufs, conforme aux exi-
gences nutritionnelles. Nous n’ex-
cluons personne, c’est même le con-
traire ! », explique Stéphanie Lé-
ger, adjointe à l’éducation.
Dans son dernier protocole sa-
nitaire, le ministère de l’éducation
a imposé une distance de deux
mètres entre les élèves à la can-
tine, contre un mètre auparavant.
Ce qui ne permet pas de proposer
plusieurs plats. « Nous faisons
manger chaud tous les enfants, en
appliquant les précautions sani-
taires demandées, et des membres
du gouvernement nous font le pro-
cès de l’élitisme, c’est tout de même
le monde à l’envers », estime
L’ancien maire
de Lyon, Gérard
Collomb, avait
pris exactement
la même mesure
Mme Léger. « Je suis nouvelle en po-
litique, je trouve que faire porter le
jeu politique sur le dos des enfants,
c’est très malhonnête », ajoute l’ad-
jointe de Grégory Doucet.
Cible favorite de la droite régio-
nale, la municipalité lyonnaise
n’a pas su anticiper la salve de cri-
tiques sur ce sujet sensible. Jeudi,
un courriel aux parents d’élèves
les a informés de la nouvelle dis-
position dans les cantines. « Nous
avons utilisé exactement le même
procédé d’information que celui de
Gérard Collomb à l’époque », justi-
fie le cabinet du maire de Lyon.
« Cette manière d’asséner un
choix, sans aucune alternative pos-
sible, est proprement inadmissi-
ble », a réagi Etienne Blanc, séna-
teur (LR) du Rhône et chef de file de
la droite lyonnaise. Des élus d’op-
position ont aussi laissé entendre
que la mairie préparait des menus
exclusivement végétariens à l’oc-
casion du renouvellement du con-
trat de restauration scolaire, prévu
en 2022. Selon nos informations,
les négociations en cours pré-
voient deux types de menus, dont
une alternative végétarienne.
Plusieurs membres du gouver-
nement ont récupéré la polémi-
que locale pour en faire un sujet
national. Après Gérald Darmanin,
Gabriel Attal, porte-parole du gou-
vernement, et Olivier Dussopt,
ministre des comptes publics, ont
relayé la thèse doctrinaire impu-
tée à la mairie de Lyon, alors que
Julien Denormandie, leur collègue
à l’agriculture, a annoncé sur les
réseaux sociaux qu’il saisissait le
préfet du Rhône pour évaluer la
décision municipale. Une mani-
festation d’agriculteurs devait
avoir lieu lundi matin devant la
mairie de Lyon. Gérard Collomb
n’a fait aucun commentaire. p
richard schittly

Meurtre au centre d’asile à Pau : l’agresseur DROIT DE RÉPONSE

A la suite de la chronique « Diabolisée ou pas, Marine Le Pen
mène le jeu » (Le Monde du 17 février), la présidente du

soudanais mis en examen et écroué Rassemblement national nous a adressé le courrier suivant :

« Dans un éditorial du 16 février consacré au virage social du

parti Les Républicains, Françoise Fressoz a cru pouvoir évo-
L’homme de 38 ans, déjà condamné deux fois, craignait de devoir retourner dans son pays quer, en guise de conclusion, “le national-socialisme de Ma-
rine Le Pen”. Personne ne fera l’injure à une journaliste du
Monde d’ignorer ce qu’est politiquement et historiquement le

P lacé en garde à vue pour

assassinat, vendredi 19 fé-
vrier, l’homme suspecté
d’avoir mortellement poignardé
un responsable d’un centre d’ac-
cueil de demandeurs d’asile
(CADA) de Pau a « reconnu les faits
et accepte de s’expliquer sur ce qu’il
s’est passé », avait annoncé sa-
medi la procureure de la Républi-
que de Pau, Cécile Gensac, lors
d’une conférence de presse. Di-
manche, ce Soudanais de 38 ans,
arrivé en France en 2015, a été pré-
senté à un juge d’instruction. Il a
été, mis en examen pour assassi-
nat et placé en détention provi-
soire à la maison d’arrêt de Pau.
Il s’agit d’un ancien demandeur
d’asile pris en charge par ce CADA
– géré par la Fondation COS
Alexandre Glasberg –, entre 2015,
année de son arrivée en France, et
2017. La procureure de la Républi-
que a détaillé son casier judi-
ciaire. En janvier 2017, le suspect
avait été condamné une pre-
mière fois – à deux ans de prison
– pour des violences contre un
colocataire du CADA. Il avait été
condamné à six mois de prison
supplémentaires en août 2017,
cette fois pour avoir agressé un
détenu avec une arme. Il était
sorti de détention en juillet 2018.
Aucun problème psychiatrique
n’a pour l’heure été reconnu chez
lui. Toute intention terroriste est
écartée. Il n’était ni signalé ni fi-
ché pour radicalisation.
« Déshérence »
Le prévenu avait, dans un premier
temps, obtenu le bénéfice de la
protection subsidiaire à la suite
d’une décision favorable de la
Cour nationale du droit d’asile :
« L’autorisation provisoire de sé-
jour dont il bénéficiait légalement
en sortie de prison, au regard de
son statut de protection interna-
tionale, lui valait un titre jusqu’au
9 novembre 2020. Sur demande de
la préfecture, il [av]ait [été] convo-
qué à deux reprises par l’Ofpra [Of-
fice français de protection des ré-
fugiés et apatrides], en vue de la
suppression de son statut de pro-
tection [à la] suite [des] condam-
nations pénales prononcées », a
indiqué la procureure.
Le ministre de l’intérieur, Gérald
Darmanin, qui s’est rendu à Pau
hier en fin d’après-midi, indiquait
que l’homme ne s’était pas pré-
senté à ces rendez-vous, à l’issue
desquels il aurait dû recevoir une
obligation de quitter le territoire.
C’est dans ce contexte que le sus-
pect s’est présenté, pour la troi-
sième fois de la semaine, au CADA
de Pau, vendredi, dans la matinée.
Lors de sa garde à vue, il a indiqué
avoir voulu rencontrer le chef du
pôle asile, un père de famille de
46 ans, afin « d’obtenir un papier à
l’attention de l’Ofpra, de permettre
son maintien sur le territoire na-
tional et de sortir de sa situation
matérielle précaire ». « Il évoque la
crainte d’avoir dû retourner au
Soudan, en raison des guerres lo-
cales qui ont valu son déplace-
ment vers l’Europe. Il nourrit des
reproches à l’encontre de la struc-
ture [à la] suite [de] la déshérence
qu’il connaît depuis sa sortie de
prison, considérant que sa situa-
tion n’a pas été correctement trai-
tée », a précisé Mme Gensac.
A 11 heures, après avoir entendu
des cris dans le bureau où les
deux hommes discutaient, « les
employés sont intervenus pour le
maîtriser au niveau des bras et
l’ont conduit dans un bureau an-
nexe sans qu’il oppose de résis-
tance à ce moment-là », a indiqué
la procureure. Une fois sur place,
les forces de l’ordre ont trouvé la
victime gisant au sol. Le chef de
pôle, touché au thorax par plu-
sieurs coups de couteau, est dé-
cédé environ une heure plus tard
des suites de ses blessures.
A ce stade, le mis en cause est en-
tendu par les enquêteurs pour as-
sassinat, ce qui suppose que son
action était préméditée. « En l’état,
cette circonstance se déduit du fait
qu’il semble être arrivé armé d’un
couteau qu’il n’a pas trouvé sur les
lieux. Ceci sera à vérifier dans la
suite des investigations », a rap-
porté la procureure. p
juliette bénézit
“national-socialisme”, cette épouvantable idéologie totalitaire
et criminelle, responsable de la plus grande tragédie humaine
de toute l’histoire.
Pas davantage, en professionnelle avertie, Mme Fressoz
ne peut ignorer que Marine Le Pen a toujours exprimé son
aversion la plus totale pour le nazisme et même plus large-
ment pour ceux qui ont pu collaborer avec ce régime
monstrueux. Chacun aura donc la liberté de juger de la mal-
honnêteté intellectuelle du propos qui méconnaît l’exigence
professionnelle d’un journal comme Le Monde et vraisembla-
blement l’éthique de la profession. Cette navrante indélica-
tesse sémantique vient nous rappeler la vocation de la presse
dans une démocratie.
Si le rôle des politiques est de faire vivre des idées et des propo-
sitions avec sérieux et sens des responsabilités, celui de la
presse est d’en rendre compte avec certes la plus grande li-
berté, mais aussi avec la plus grande honnêteté.
Au moment où le pays vit des heures difficiles de doutes et de
fracturations, chacun – politiques comme professionnels des
médias – doit avoir à cœur de ne pas rajouter des tensions aux
crispations, des provocations aux divisions. Les mauvais mots
comme les polémiques inutiles qui sont la triste marque des
démocraties immatures n’y participent pas.
Lors de ses vœux à la presse, Marine Le Pen a souhaité que
s’instaure en France, à la veille du grand arbitrage présiden-
tiel, un pacte démocratique qui offre au pays un débat natu-
rellement libre et ouvert mais aussi honnête et loyal. Marine
Le Pen, comme les mouvements qui la soutiennent, se confor-
meront pour leur part à cet impératif démocratique. »
 france | 13
0123
MARDI 23 FÉVRIER 2021

Police: les agressions se sont multipliées en vingt ans

En plein Beauvau de la sécurité, la question de la réponse pénale à apporter à ces faits est une priorité

D
eux policiers à moto Les départements français les plus touchés Des violences contre les policiers
attaqués par un indi-
« Les pompiers
par les violences commises qui ont doublé en vingt ans
vidu à Carcassonne ; contre les policiers Nombre de faits recensés en France,
ne contrôlent
un chauffard qui per-
cute une voiture de la brigade
Nombre de faits recensés, par an, entre 2000 et 2020 personne,
par département, en 2020
anticriminalité (BAC) de Marseille 31 257 n’interrompent
lors d’une course-poursuite ; une en 2019
cinquantaine d’individus tirant
Soit 10,8 % des faits nationaux, aucun trafic et
l’équivalent de 8 faits par jour
des mortiers d’artifice sur une pa- 2 916 26 380 pourtant, ils sont

2 288
trouille à Ermont (Val-d’Oise) ; un 27 659
policier touché par un pavé au 2 292
21 760 pris pour cible »
cours d’une interpellation dans la 17 217 MATTHIEU VALET
cité du Trébon, à Arles (Bouches- secrétaire national adjoint
du-Rhône), et qui se voit délivrer 1 298 du syndicat SICP
vingt et un jours d’incapacité 13 392 c’est le nombre
temporaire de travail… de violences
La liste de ces agressions contre contre les policiers tout avec une lassitude assez com-
les forces de l’ordre, commises de- en janvier 2021 préhensible face à des affaires qui
puis dix jours, pourrait encore Paris Seine-Saint- Nord 2000 02 04 06 08 10 12 14 16 18 2020 se multiplient et des policiers très
s’allonger : plus de 85 faits de Denis tendus sur cette question, qui
Infographie : Le Monde Source : data.gouv.fr
« violences à personnes dépositai- poussent pour obtenir des sanc-
res de l’autorité publique » sont tions à tout prix. »
enregistrés quotidiennement à Les derniers chiffres disponi-
travers le pays pour la seule police une policière a été blessée à la tête contrôlent personne, n’interrom- nale » constitue le cheval de ba- bles recensés par l’ex-Observa-
nationale. Au mois de janvier, les par un engin pyrotechnique. La
Quatre-vingt-cinq pent aucun trafic de drogue et taille des organisations profes- toire national de la délinquance et
services statistiques du ministère différence entre les deux atta- faits pourtant, eux aussi sont pris pour sionnelles de policiers. Avant des réponses pénales, un orga-
de l’intérieur en ont recensé 2 888 ques ? Une séquence vidéo de dix- cibles ». Pour Laurent Mucchielli, même d’avoir inscrit les relations nisme absorbé par le service de
sur la base d’une remontée d’in- sept secondes tournée à Poissy et
de violences spécialiste des questions de sécu- entre police et justice à l’agenda statistique ministérielle de la sé-
formations provenant de procès- diffusée sur le compte Twitter du contre la police rité et directeur de recherche du grand débat sur la sécurité curité intérieure, remontent à
verbaux. En vingt ans, ils ont été Syndicat indépendant des com- au CNRS, le discours sur les vio- sous la pression syndicale, le 2017 et donnent une idée du pro-
multipliés par 2,3. missaires de police (SICP), qui a
nationale sont lences subies par la police tient ministre de l’intérieur, Gérald fil des mis en cause dans les affai-
« On ne peut pas banaliser ces contraint le ministre à réagir. Sur enregistrés avant tout de « la fausse alerte, de Darmanin, avait déjà annoncé res de « violences à personnes dé-
faits » déclarait, lundi 15 février, le les images confuses, heurtées, considérations morales qu’aucune la création d’un Observatoire na- positaires de l’autorité publique »
ministre de l’intérieur, Gérald noyées dans la fumée, on devine à
quotidiennement observation scientifique ne vient tional de la réponse pénale pour ou « chargées de missions de ser-
Darmanin, devant le commissa- peine quelques paires de jambes à travers le pays corroborer ». le 1er juillet. vice public » : des hommes à 90 %,
riat de Poissy (Yvelines), où des po- courant dans tous les sens. La Entre-temps, un autre gage de dont 60 % sont âgés de 25 ans et
liciers avaient été pris pour cible, bande-son, elle, est autrement ex- Gage de bonne volonté bonne volonté, plus discret, avait moins, de nationalité française à
deux jours auparavant, par des plicite. On y entend le cri « Tuez- avec des clips qui font sa promo- Il est pourtant plausible que les également été donné aux poli- 86 %. Sans surprise, près de la
tirs de mortier d’artifice. Cette fois les ! », à plusieurs reprises. tion et des mises en scène d’affron- chiffres soient encore sous-éva- ciers avec l’inscription, à l’arti- moitié des actes se concentrent
pourtant, aucun blessé n’était à tements avec les policiers ». Son lués. D’abord parce que, comme à cle 23 de la loi « sécurité globale », dans les unités urbaines de plus
déplorer parmi les forces de l’or- « Tendance de fond » département, le plus peuplé du Poissy, les fonctionnaires visés d’une disposition visant à priver de 50 000 habitants. « Dans cer-
dre. Les fonctionnaires n’avaient « Ce n’est plus de l’hostilité mais un pays avec ses 2,6 millions d’habi- ne prennent plus la peine de re- les personnes condamnées pour tains quartiers, estime M. Valet,
même pas pris la peine de déclarer appel au meurtre », estime Jean- tants, dont la moitié dans la mé- porter systématiquement des in- des agressions de fonctionnaires n’importe quelle intervention, que
l’incident à leur hiérarchie : trop François Papineau, actuel patron tropole lilloise, figure dans le trio cidents désormais considérés de police, de gendarmes ou de ce soit pour démanteler un point
de paperasse, pour des faits jugés de la sécurité publique dans le de tête des plus touchés, après Pa- comme mineurs, en particulier pompiers des mécanismes auto- de deal ou mettre un terme à un
banalement quotidiens. Nord. Trente-sept années passées ris et la Seine-Saint-Denis. lorsqu’ils n’entraînent aucune matiques de remises de peine. rodéo sauvage à la demande des
Le même jour, du reste, une dans la police l’ont familiarisé Le 10 février, à Villeneuve-d’Ascq blessure. Reste que les exemples de sus- habitants, donne lieu à une prise à
autre patrouille avait connu un avec « la banalisation de la vio- (Nord), sur sa circonscription, un Ensuite, y compris en cas de pects laissés libres ou d’agresseurs partie des policiers ».
épisode identique, à Lormont lence contre les forces de l’ordre, policier a été roué de coups par dommage corporel, les règles en condamnés à des peines minimes Dimanche 14 février, au len-
(Gironde), près de Bordeaux, où devenue une valeur marchande des mineurs. Bilan : douze points vigueur au sein de l’administra- viennent régulièrement nourrir demain de l’incident de Poissy,
de suture au visage. « Il s’agit tion suffisent à dissuader cer- les critiques des syndicats à l’en- deux agents de la brigade spéciali-
d’une tendance de fond, affirme tains policiers de les signaler. « Un contre d’une justice laxiste à leurs sée de terrain de Villiers-le-Bel
Fêtes clandestines et interpellations M. Papineau, qui consiste pour fonctionnaire qui veut rester actif yeux. Si les sanctions encourues (Val-d’Oise) ont ainsi été visés
une minorité agissante à attaquer ne prendra pas le risque de se voir s’échelonnent théoriquement de dans le quartier des Carreaux.
La police a mis fin, samedi 20 février au soir, à deux fêtes clan- le symbole de l’autorité à travers délivrer un taux d’invalidité lui trois ans de prison et 45 000 euros Au même moment, à Deuil-la-
destines, l’une à Paris et l’autre sur un stade à Orly (Val-de- les fonctionnaires de police, qui in- barrant l’accès à certains services, d’amende à cinq ans de prison et Barre, dans le même départe-
Marne), qui ont rassemblé chacune une centaine de personnes, carnent le lien permanent entre comme les BAC, explique Virgile 75 000 euros d’amende en cas ment, un autre équipage connais-
en procédant à la saisie du matériel sono et à des interpella- l’Etat et la population. Nous ne Reynaud, avocat au barreau de d’embuscade, elles sont beaucoup sait le même sort. Deux jours plus
tions, a annoncé dimanche la Préfecture de police de Paris. sommes plus seulement dans une Marseille spécialisé dans la dé- moins sévères dans la pratique. tard, mardi 16 février, deux nou-
A leur arrivée sur le stade à Orly, les policiers ont essuyé des jets contestation territoriale pour la fense de policiers. Ces agents veaux policiers étaient blessés
de projectiles, selon la Préfecture de police, qui a fait état maîtrise du trafic de drogue mais considèrent que leur mission « Lassitude » des magistrats par des jets de pierre et de cock-
d’un policier blessé. Les forces de l’ordre ont procédé à cinq dans la remise en question du rôle consiste à agir sur la voie publique, « En réalité, les magistrats ne se tails Molotov ; cette dernière atta-
interpellations, dont trois d’organisateurs, et verbalisé 59 per- même des institutions. » au contact des délinquants, et montrent pas particulièrement to- que s’est déroulée à Poissy, à quel-
sonnes. A Paris, la fête s’est déroulée aux abords du périphéri- « L’exemple des pompiers est fla- ils veulent y rester. En revanche, ils lérants dans ces dossiers, avance ques centaines de mètres du
que, près de la porte d’Auteuil. Selon le parquet de Paris, cinq grant, renchérit Matthieu Valet, souhaitent aussi que la justice un avocat. Ils font simplement de commissariat où M. Darmanin
personnes ont été placées en garde à vue pour « mise en danger secrétaire général adjoint du SICP punisse leurs agresseurs. » la gestion de flux en fonction de avait promis la fermeté aux agres-
de la vie d’autrui, organisation de manifestation sur la voie pu- et chef d’état-major de la direc- En plein Beauvau de la sécurité, paramètres comme le nombre de seurs de policiers. p
blique non déclarée et de dégradations ». tion zonale sud des CRS. Ils ne cette question de la « réponse pé- places disponibles en prison. Le antoine albertini

Dans les services spécialisés, des faits moins nombreux mais plus lourds
Les fonctionnaires qui travaillent sur des enquêtes judiciaires complexes témoignent parfois d’un passage à l’acte d’une extrême violence

L eurs « belles affaires » font

les gros titres, les périls en-
courus pour les résoudre
sont beaucoup moins médiatisés.
Les services de police spécialisés,
qui travaillent sur des enquêtes
judiciaires souvent complexes,
comptent pourtant leur lot de
blessés, parfois grièvement
compte tenu du pedigree de cer-
tains de leurs « clients ». « Le dan-
ger principal, analyse ce membre
d’un service de pointe en poste en
province, vient moins des gros
voyous, qui connaissent les règles
du jeu, que de la moyenne crimina-
lité, des garçons jeunes, qui don-
nent souvent dans le stup et veulent
se faire une réputation en allumant
des flics sans aucun état d’âme. »
L’affaire survenue à Herblay
(Val-d’Oise) dans la nuit du 7 octo-
bre 2020 est, de ce point de vue,
emblématique. Alors qu’ils arri-
vent à proximité d’un entrepôt
dont le locataire aurait fait l’objet,
le matin même, d’une tentative de
séquestration sur fond de trafic de
drogue, deux fonctionnaires d’un
groupe de répression du bandi-
tisme sont pris à partie par trois
hommes, habitués des lieux. Le
ton monte. Les policiers déclinent
leur qualité. « Les trois individus,
écrit le rédacteur d’un rapport
transmis au parquet de Pontoise,
tentent dès lors d’entrer dans le vé-
hicule de police. Il s’ensuivait une
violente bagarre au cours de la-
quelle les deux policiers étaient
roués de coups, au sol. » Leurs ar-
mes de service leur sont arrachées.
Sonnés et à terre, les policiers sont
criblés de balles à bout portant :
quatre atteignent le premier, un
gardien de la paix ; deux touchent
son collègue, major dans la même
unité. En dépit de la gravité de
leurs blessures, les deux survivent
mais, selon le ministre de l’inté-
rieur, Gérald Darmanin, ils ont
échappé à « la claire intention de
tuer ». Ils sont encore aujourd’hui
tous les deux pris en charge dans
des structures médicales.
L’un des agresseurs s’est pré-
senté de lui-même à la justice
deux jours après les faits, qu’il as-
sure avoir tenté d’éviter en raison-
nant ses amis. Un autre a été inter-
pellé quelques semaines plus tard.
Le dernier, qui serait également
l’auteur de tirs sur des policiers de
la brigade anticriminalité à Co-
lombes (Hauts-de-Seine) en 2016,
est toujours recherché. « Nous tra-
vaillons activement sur le dossier »,
fait savoir la police judiciaire de
Versailles, discrète sur le dossier.
Technique bien rodée
Ce genre de faits ne sont pas indi-
vidualisés dans les bases statisti-
ques, qui recensent sans distin-
guo toutes les atteintes « à person-
nes dépositaires de l’autorité publi-
que ». Il est donc impossible de
connaître leur nombre exact
mais, selon un enquêteur, « ils ne
sont pas plus d’une dizaine par an,
les choses se passent bien dans
98 % des cas ». Les 2 % restants té-
moignent en revanche, souvent,
d’un passage à l’acte banalisé – et
d’une extrême violence.
Le 14 mai 2019, à Arnouville-lès-
Gonesse (Val-d’Oise), des policiers
du premier district de police ju-
diciaire (DPJ) et de la brigade de
recherche et d’intervention
Sonnés et à terre,
les policiers sont
criblés de balles
à bout portant :
quatre atteignent
un gardien
de la paix, deux
son collègue
(BRI)-Préfecture de police s’apprê-
tent à interpeller une équipe de
malfaiteurs à la technique bien
rodée. Ils repèrent leurs victimes,
souvent des personnes âgées fai-
sant leurs courses, puis les sui-
vent à leur domicile pour y effec-
tuer des repérages, reviennent le
lendemain et, se prétendant
agents du service des eaux et poli-
ciers, les détroussent. Ce jour-là, le
scénario se déroule comme prévu
et les quatre truands quittent le
domicile de leurs victimes au vo-
lant d’une Renault Mégane, bien-
tôt prise en filature par six poli-
ciers du 1er DPJ et trois de la BRI, ré-
partis dans quatre véhicules.
Quelques centaines de mètres
plus loin, à la faveur d’une confi-
guration jugée idéale par les poli-
ciers, la Mégane est cernée par les
véhicules de police. Les fonction-
naires s’en approchent, arme à la
main, et ordonnent au conduc-
teur de s’immobiliser. Mais le
jeune homme appuie sur l’accélé-
rateur, percute deux véhicules et
se fraie un passage pour échapper
aux policiers. Sur sa trajectoire, le
brigadier-chef L., l’un des hom-
mes de la BRI. Heurté de plein
fouet, le policier est « projeté à
deux mètres de hauteur avant de
rebondir sur le capot et le pare-
brise » de la Mégane pour termi-
ner sa course à plusieurs mètres.
Groggy, il se relève difficilement,
dos à la voiture qui fonce à nou-
veau sur lui et le renverse une se-
conde fois. Nouveau rebond sur le
capot, sa tête heurte le pare-brise,
puis le sol, est frôlée par les roues
de la Mégane qui prend la fuite.
Autour de la scène, un commis-
saire, une commandante, deux
brigadiers et une gardienne de la
paix croient le brigadier mort.
« Inanimé, la tête baignant dans
une mare de sang, le scalp à l’arrière
du crâne en partie arraché », il est
finalement évacué par les pom-
piers, en urgence, vers l’hôpital de
Gonesse puis celui de la Pitié-Sal-
pêtrière, à Paris.
Diagnostic : ecchymoses mul-
tiples, traumatisme crânien,
œdème cérébral et 15 points de su-
ture pour son cuir chevelu arraché
dans l’accident. Mais les séquelles
les plus lourdes sont résumées par
deux lignes tirées d’un rapport in-
terne dont Le Monde a pu avoir
connaissance : un « retentissement
psychologique dû à la sensation de
mort imminente ressentie lors du
déroulement des faits ». Audi-
tionné à l’antenne de police judi-
ciaire de Cergy-Pontoise plusieurs
jours après les faits, le brigadier
blessé a couché ses sentiments sur
procès-verbal, sans détours. « Je
me suis vu rouler sous la voiture, a-
t-il confié à ses collègues. J’ai pensé
que j’allais mourir. » p
simon piel et a. al.
14 | france
A Marseille, lutte
sans merci contre
l’habitat indigne
En 2020, le parquet a ouvert
76 enquêtes concernant
des immeubles en péril ou insalubres
marseille - correspondant
S
ur la porte du bureau au
rez-de-chaussée de l’Evê-
ché, l’hôtel de police
marseillais, une étiquette
précise le nom du service : « Eco-
nomie souterraine ». Sur son
écran d’ordinateur, Delphine
Lyon, brigadière de police, ouvre
quelques fichiers : des apparte-
ments lépreux aux plafonds
soutenus par des étais, des plan-
chers éventrés d’où coulent des
trombes d’eau, des escaliers qui
menacent de s’effondrer. Elle
clique aussi sur l’image d’une
piscine à débordement : celle-là a
été prise dans la résidence d’un
des propriétaires de ces taudis.
Lorsque, le 5 novembre 2018,
deux immeubles de la rue d’Auba-
gne se sont effondrés, engloutis-
sant huit vies, Delphine Lyon a eu
la boule au ventre, comme des di-
zaines de milliers de Marseillais.
Alors, quand dans les semaines et
les mois suivant le drame, un raz
de marée de plaintes et de signale-
ments pour des logements insalu-
bres ou dangereux a déferlé dans
les commissariats, la fonction-
naire de police s’en est emparée.
Plus de deux ans après le drame,
la lutte contre l’habitat indigne
s’est structurée au sein, notam-
ment, d’un groupe local de traite-
ment de la délinquance. En 2020,
le parquet de Marseille a ouvert
49 enquêtes concernant des
immeubles en péril et 27 autres
sur des immeubles insalubres.
« Je ne peux pas éradiquer ce pro-
blème, confie au Monde Domini-
que Laurens, procureure de la Ré-
publique. Je ne peux pas résoudre
des dizaines d’années d’abandon,
mais nous voulons que les enquê-
tes progressent. Alors on assume
notre rôle avec une vraie volonté. »
En détachant un magistrat à ces
enquêtes, le parquet de Marseille
s’est organisé. Tout comme à l’hô-
tel de police, où David Brugère,
chef de la sûreté départementale,
se félicite d’une nouvelle dynami-
que. « La matière est complexe, très
technique, convient-il, mais notre
objectif est clair : saisir, récupérer
des biens, des sommes auprès de
gens qui vivent très bien en exploi-
Un narcotrafiquant de la région de Marseille arrêté à Dubaï
Hakim Berrebouh avait trouvé refuge aux Emirats arabes unis fin 2020 et devrait être extradé vers la France très prochainement
L a coopération judiciaire
entre la France et les Emi-
rats arabes unis, jusqu’ici
sporadique voire inexistante,
serait-elle en train de changer de
nature ? L’arrestation, jeudi 18 fé-
vrier à Dubaï, sur demande fran-
çaise par des policiers locaux,
du Français Hakim Berrebouh,
40 ans, présenté comme un
important trafiquant de drogue
de la région marseillaise, pourrait
s’inscrire dans une nouvelle
dynamique.
Comme l’a révélé La Provence,
Hakim Berrebouh, surnommé
« le Marcassin », a été interpellé
alors qu’il sortait d’une résidence
où il avait élu domicile à la fin de
l’année 2020 après avoir quitté le
Maroc, où il vivait. Visé par un
mandat d’arrêt international
émis par le juge d’instruction
tant la misère humaine. » Déjà
deux immeubles sont en cours de
saisie ainsi qu’un « appartement »
à Aubagne, où le propriétaire
logeait des locataires dans une
cave aménagée, un lieu impropre
par nature à l’habitation.
La pile des 35 dossiers de Del-
phine Lyon dresse un panorama
des propriétaires dans le collima-
teur de la justice. Au bas de
l’échelle, explique-t-elle, « ces gens
qui ont fait un investissement loca-
tif, n’arrivent plus à suivre et laissent
filer ». L’un d’eux avait ainsi acheté
de la main à la main un apparte-
ment 10 000 euros, mais ne parve-
nait même pas à payer les charges
courantes. Ceux-là sont convo-
qués, entendus en audition libre.
Homme de main
Cible privilégiée, les propriétaires
d’immeubles entiers qui conti-
nuent à loger des locataires dans
des bâtisses frappées d’une in-
terdiction d’habiter. Ceux-là, les
enquêteurs du groupe Economie
souterraine vont « les chercher le
matin » pour les placer en garde à
vue. « On voit aussi les conditions
dans lesquelles ils vivent », raconte
Delphine Lyon. La brigadière ne
résiste jamais, en leur montrant
les photos de leurs taudis, à
demander « s’ils accepteraient de
vivre dans les conditions dans
lesquelles vivent leurs locataires.
Bien sûr, tous répondent que oui ».
Mais au-delà de propriétaires
qui ont délaissé l’entretien de
leurs immeubles, ce sont les « sys-
tèmes » que tentent de débusquer
les enquêteurs. A l’image de ce
marchand de sommeil, proprié-
taire d’une dizaine d’immeubles,
« Je ne peux pas
résoudre des
dizaines d’années
d’abandon, mais
nous voulons
que les enquêtes
progressent »
DOMINIQUE LAURENS
procureure de la République
Valéry Muller dans le cadre d’une
information judiciaire ouverte à
la juridiction interrégionale de
Marseille pour trafic de stupé-
fiants, il devrait être extradé vers
la France très prochainement.
Affrontement sanglant
Selon les informations du Monde,
c’est l’analyse de téléphones, no-
tamment celui de l’un de ses lieu-
tenants, saisis en 2016 lors d’une
autre enquête pour homicide, et
le contournement de leur proto-
cole de cryptage PGP qui a permis
de mettre au jour des faits incri-
minant Hakim Berrebouh.
Originaire de la cité des Fla-
mants, dans le 14e arrondisse-
ment de Marseille, il est soup-
çonné, au moins pour l’année
2016, d’avoir permis l’arrivée
dans la ville de plusieurs tonnes
Manifestation
en hommage
aux victimes
de la rue
d’Aubagne,
à Marseille,
le 9 novembre
2019. CLÉMENT
MAHOUDEAU/AFP
toujours flanqué d’un homme de
main avec, dans la poche, un ter-
minal de paiement électronique.
Il aménage des caves, pratique la
découpe d’appartements pour
louer 350 euros des chambrettes
de 6 m² à des personnes qui, pour
arriver jusqu’à lui, ont versé
300 euros à un intermédiaire. Les
mauvais payeurs sont intimidés
par quelques gros bras envoyés
pour recouvrer le loyer.
Certains n’échappent plus à la
prison. Un gérant de sociétés, âgé
de 38 ans, avait été placé en déten-
tion pendant quelques mois en
novembre 2019, son apparte-
ment frappé par un arrêté de péril
grave et imminent ayant été
maintenu sur les plates-formes
de location touristique. Il a réci-
divé à l’automne 2020, en instal-
lant un étranger en séjour irrégu-
lier dans les mêmes lieux,
toujours maintenus par des étais.
Mais l’enquête des juges d’ins-
truction pourrait bien révéler
une escroquerie plus structurée.
Ce propriétaire de 21 biens im-
mobiliers a perçu plus de
200 000 euros de l’Agence natio-
nale pour l’amélioration de l’ha-
bitat. En lieu et place des locatai-
res sociaux qu’il aurait dû
accueillir et des loyers plafonnés,
il louait ses appartements au prix
fort pour des touristes.
Appartements sur Airbnb
Cette relance de la lutte contre
l’habitat indigne commence à
porter des fruits. Le 7 avril, le tribu-
nal de Marseille va juger un ostéo-
pathe qui louait 620 euros un loge-
ment de 50 m² à un couple de Bul-
gares avec deux enfants. Six jours
avant la rue d’Aubagne, la famille
avait été évacuée, une partie de la
de cannabis chaque mois depuis
le Maroc où il vivait et d’où vient
la quasi-totalité de la résine de
cannabis consommée en France.
Les enquêteurs disposent notam-
ment d’éléments comptables
sans ambiguïté sur la nature et la
dimension du commerce dont il
est question.
Dans La Guerre de l’ombre, le livre
noir du trafic de drogue en France
(Denoël, 2020), la journaliste
Claire Andrieux assure que Berre-
bouh s’était associé à un Franco-
Marocain surnommé « Mouf » et
présenté comme le numéro un du
trafic de drogue en France.
Hakim Berrebouh avait quitté la
France pour le Maroc afin d’échap-
per à l’affrontement sanglant
opposant son clan, associé à la
famille Tir, et les Remadnia pour
la suprématie du trafic de canna-
toiture s’étant effondrée. Pour ten-
ter d’échapper à son obligation de
relogement, le propriétaire avait
donné congé, ce que Me Aurélien
Leroux, avocat de la famille, consi-
dère comme une « intimidation ».
Lorsque l’arrêté de péril grave et
imminent avait été levé, les loca-
taires avaient découvert que leurs
meubles, leurs effets personnels
avaient été jetés dans une benne
devant l’immeuble.
A la même audience, jugé cette
fois pour « soumission de person-
nes vulnérables à des conditions
de logement indignes », va
comparaître le propriétaire d’un
immeuble du Panier, qui louait
une chambre à des chibanis, ces
vieux travailleurs immigrés
retraités. La Caisse d’allocations
familiales avait permis d’identi-
fier l’ensemble des victimes.
Exproprié par une déclaration
d’utilité publique, le propriétaire
avait touché une indemnité de
500 000 euros dont une partie a
été saisie sur ses comptes, repré-
sentant les loyers perçus.
Le 15 juin, ce sera au tour du pro-
priétaire d’un immeuble situé sur
la place de l’Opéra de répondre de
mise en danger et de non-respect
d’une interdiction d’habiter. Il
avait transformé son meublé en
trois appartements destinés à la
location touristique. En avril 2017,
un arrêté de péril grave et immi-
nent a interdit l’habitation, l’esca-
lier de l’immeuble menaçant de
s’effondrer. Jusqu’en novem-
bre 2019, le propriétaire avait
pourtant mis ses trois apparte-
ments sur Airbnb. Et même si
quelques voyageurs effrayés par
l’état des parties communes ou
par les punaises de lit repartaient
aussitôt, ce sont 2 301 clients qui
Hakim Berrebouh
est soupçonné
d’avoir permis
l’arrivée de
plusieurs tonnes
de cannabis
chaque mois
depuis le Maroc
bis dans la cité phocéenne. Une
guerre qui avait fait de nombreux
morts dont le frère d’Hakim Ber-
rebouh, Mehdi, tué en avril 2014 à
l’âge de 27 ans. Pris en chasse sur
l’autoroute A7 en direction de
Marseille par une BMW, il avait été
tué au milieu de la circulation
par un commando armé de kala-
Les mauvais
payeurs sont
intimidés par
quelques gros
bras envoyés
pour recouvrer
le loyer
ont été logés ici entre avril 2017 et
novembre 2019, selon l’enquête
d’un juge d’instruction. Interdit
bancaire, le propriétaire a ainsi
encaissé 138 232 euros sur un
compte de société civile immobi-
lière (SCI) spécialement ouvert.
« C’est exagéré »
Cette enquête avait été ouverte à
la suite d’un article du journal La
Marseillaise. Le quotidien com-
muniste, le site d’information en
ligne Marsactu ou encore le men-
suel Le Ravi débusquent les pro-
priétaires indélicats et œuvrent
comme lanceurs d’alerte. La mu-
nicipalité de Jean-Claude Gaudin
ne faisait quasiment rien remon-
ter au parquet alors que 500 arrê-
tés de péril ont été pris depuis la
catastrophe de la rue d’Aubagne.
Désormais, la nouvelle équipe
transmet chaque mois une
dizaine de signalements. Les ser-
vices jouent le jeu. « Quand j’en-
quête sur un immeuble, je vais
dans les services municipaux avec
ma clé USB et je récupère toutes les
informations. Et même les télé-
phones des victimes, ce qui est pré-
cieux », confirme Delphine Lyon.
La direction des territoires et de la
mer, elle aussi, collabore active-
ment : elle a ainsi dénoncé un
chnikovs. Peu de temps avant,
Hakim Berrebouh avait lui-même
été la cible d’une tentative d’assas-
sinat, à la fin de l’année 2013.
Son arrestation intervient quel-
ques semaines après celle, en
décembre 2020 au Maroc, de Reda
Abakrim, autre acteur important
du trafic de stupéfiants en France
figurant dans la liste des cibles
d’intérêts prioritaires de l’Office
antistupéfiants. Cet épisode avait
toutefois illustré les difficultés
rencontrées par les autorités fran-
çaises dans leurs échanges avec les
Emirats. Si ceux-ci avaient bien
informé leurs homologues de la
présence de Reda Abakrim, dit
« Turbo », sur leur sol, celui-ci avait
pu bénéficier dans le même temps
d’un renseignement l’informant
d’une interpellation imminente. Il
avait alors pris la fuite au Maroc,
0123
MARDI 23 FÉVRIER 2021
marchand de sommeil qui, au
parc Corot, une grande copro-
priété privée dégradée, a divisé un
appartement en trois box.
Les premières condamnations
commencent à tomber. En octo-
bre 2020, un ingénieur retraité a
été condamné à six mois de
prison avec sursis et 40 000 euros
d’amende. Frappé depuis le 18 fé-
vrier 2019 d’un arrêté de péril
grave et imminent, après une
décennie de mises en demeure,
son immeuble du 9, boulevard
d’Athènes menace de s’effondrer.
« Je n’ai jamais mis les pieds dans
cet immeuble, c’était au gestion-
naire de m’informer », avait ré-
pondu ce septuagénaire aux en-
quêteurs. Confronté à l’expertise
judiciaire alarmiste, il lâchait :
« C’est exagéré. J’appelle ça l’exper-
tise de la trouille, c’est le syndrome
de la rue d’Aubagne. » Le tribunal
a déploré ne pas avoir pu confis-
quer l’immeuble, revendu durant
l’enquête.
Le même jour, le tribunal
condamnait par défaut un ancien
notaire varois à un an de prison
avec sursis et 50 000 euros
d’amende et sa SCI propriétaire
d’un immeuble rue de Lyon à
100 000 euros pour mise en
danger et refus d’exécuter des tra-
vaux pour remédier à l’insa-
lubrité, travaux réclamés depuis
2012 et jamais réalisés. L’enquête
avait révélé que cet ancien notaire
gérait 23 SCI dont trois proprié-
taires d’immeubles concernés par
le péril ou l’insalubrité ; alors que
ses revenus étaient évalués, entre
2014 et 2016, à 300 000 euros
annuels. Aujourd’hui, ouvert à
tous vents, l’immeuble accueille
des squatteurs. p
luc leroux
où sa double nationalité franco-
marocaine le protège aujourd’hui
d’une extradition vers la France.
Depuis plusieurs années, la ville
de Dubaï est devenue un refuge
pour de nombreux acteurs de pre-
mier plan de la criminalité organi-
sée en France. L’absence quasi to-
tale de coopération judiciaire avec
la France, la sécurité qui règne sur
place mais aussi les opportunités
de blanchiment offertes par cette
place financière opaque ont
contribué à allonger la liste des fi-
gures du banditisme ayant choisi
la ville pour un exil doré. Les auto-
rités françaises veulent croire que
l’arrestation de Berrebouh et son
extradition probable pourraient
retirer à Dubaï sa réputation bien
réelle d’oasis du crime. p
l. l. (marseille,
correspondant) et simon piel
 ÉCONOMIE & ENTREPRISE | 15
0123
MARDI 23 FÉVRIER 2021
Avec Draghi, l’Italie entre attentes et espoirs
Le nouveau président du conseil a la lourde tâche de remettre l’économie de la Péninsule sur les rails
rome - correspondant
C
omme italien, Mario
Draghi a sauvé l’euro.
Comme européen, il sau-
vera l’Italie. » Le pronos-
tic a été formulé en ces termes
par Matteo Renzi, dans l’entretien
qu’il a accordé au Monde le 4 fé-
vrier, mais l’ancien président
du conseil (2014-2016) est loin
d’avoir été le seul, en Italie, à for-
muler cette idée après la dési-
gnation de l’ancien président de
la Banque centrale européenne
(BCE) à la tête du gouvernement.
Tous les zélateurs de Mario Dra-
ghi ont à un moment dressé ce
parallèle optimiste entre le sauve-
tage de l’euro en 2012, et celui de
l’Italie, particulièrement touchée
par la pandémie de Covid-19.
Les attentes entourant l’action à
venir du nouveau président du
conseil sont immenses. Pourtant,
le temps lui est compté : l’actuelle
législature connaîtra son terme
naturel début 2023, et peu d’ob-
servateurs voient le gouverne-
ment Draghi durer plus d’un an
– ne serait-ce que parce que, en
cas de succès, l’ancien banquier
central deviendrait un candidat
tout trouvé pour le poste de prési-
dent de la République, à pourvoir
début 2022. Autant dire qu’il s’agit
de faire au plus vite pour, au
mieux, mettre les réformes sur
les rails. En espérant que ses suc-
cesseurs les approfondissent. Au
fond, le seul clivage entre eux se-
rait sur la question de savoir la-
quelle de ces deux entreprises ti-
tanesques est la plus difficile.
Devant le Sénat, le 17 février,
pour son premier discours en
tant que président du conseil,
Mario Draghi s’est engagé à res-
tructurer en profondeur l’écono-
mie italienne. Pour cela, il a dans
les mains un atout dont ne dispo-
sait aucun de ses prédécesseurs :
les 209 milliards d’euros du plan
de relance européen, qu’il s’agira
d’investir avec discernement,
après un quart de siècle de choix
budgétaires dictés par le poids de
la dette, les demandes de Bruxel-
les et la défiance des marchés.
Ses priorités sont proches de
celles esquissées par son prédé-
cesseur, Giuseppe Conte – numé-
rique, transition écologique, for-
mation, égalité femmes-hom-
mes. Mais il compte les assortir
d’une stratégie et d’une gouver-
nance plus solides, car la capacité
à dépenser de telles sommes,
point faible du pays, sera scrutée
de près par Bruxelles. Rome n’est
parvenu à utiliser que 43 %
des fonds structurels européens
du budget 2014-2020, contre 60 %
 
  "4 !0
3 $"$3+, 3" &$,0  
+  $3+,  "

+0, 4,3 , . +"00$"
$+(,0+ 
+0)3, +0,0)3,
$"0!&$+",
Mario Draghi, au Parlement, à Rome, le 18 février. ANDREW MEDICHINI/AFP
en France et en Allemagne, et plus
de 80 % en Finlande.
Le second levier dont il dispose
sera celui des mesures structurel-
les à engager pour accompagner
la relance. « Ces dernières années,
nos tentatives de réforme du pays
n’ont pas été totalement absentes,
mais leurs effets concrets ont été li-
mités », a expliqué Mario Draghi
au Sénat. Il a annoncé trois grands
chantiers : la révision de la fisca-
lité, notamment de l’impôt sur le
revenu, la réforme de l’adminis-
tration publique, trop peu effi-
cace, et celle de la justice.
Pour y parvenir, l’ancien prési-
dent de la BCE a esquissé un pro-
gramme courant jusqu’en 2026,
fin théorique du plan de relance
européen, et jusqu’en 2050, date
fixée par la Commission pour at-
teindre la neutralité carbone.
Tout l’enjeu du mandat de Mario
Draghi est là : « Créer l’impulsion
et les conditions pour une Italie
nouvelle, raccrochée au train de la
croissance européenne », résume
Car, voilà : issues des critères de Maastricht
pectivement 3 % et 60 % du produit inté-
Sofia Tozy, spécialiste du pays au ticulier dans le fossé entre le Nord « Toute la difficulté est que le rat-
Crédit agricole. Les optimistes industriel, intégré dans les chaînes
La ligne trapage économique dans le Sud ne
veulent croire qu’il saura forger de production européennes, et le de fracture pourra pas se faire en tentant d’y
un consensus suffisamment fort Sud et les îles, où le taux de pau- reproduire le modèle industriel du
autour de l’application du plan de vreté est deux fois supérieur à la
historique entre Nord », dit M. Krizan. Par ailleurs, il
relance pour que l’effort ne se relâ- moyenne nationale, de 20 %. le Nord et le Sud serait illusoire d’espérer résoudre
che pas après son départ. Cette ligne de fracture historique en quelques mois un problème
semble être une des priorités de
semble être une aussi complexe et enraciné dans
« En panne de croissance » l’action de Mario Draghi, même si des priorités de l’histoire italienne. « Cela passera
Les pessimistes soulignent que celui-ci a constitué un des gouver- par des investissements sur la lon-
cela risque de ne pas suffire, tant la nements les plus « nordistes » de
l’ancien président gue durée, en particulier dans les in-
tâche s’annonce immense. « La Pé- l’histoire contemporaine (dix-huit de la BCE frastructures », estime M. Krizan.
ninsule est en panne de croissance ministres originaires du Nord, En la matière, le chantier est colos-
depuis vingt ans : alors que son pro- dont huit Lombards, sur vingt- sal, depuis les secteurs routiers et
duit intérieur brut [PIB] par habi- trois, alors que son prédécesseur ple du niveau d’éducation : ferroviaires jusqu’aux infrastruc-
tant était proche de ceux de la comptait une majorité de natifs du en 2019, 37,8 % de la population tures numériques.
France et de l’Allemagne en 2000, Sud et de la Sicile). « Mario Draghi italienne de 25 à 64 ans avait un Là encore, l’affectation des
il est désormais de 15 % inférieur à sait qu’il faut chercher à diminuer niveau de diplôme inférieur au 209 milliards d’euros sera déci-
celui de la France et de 25 % in- cet écart, et il le sait pour des rai- bac, selon Eurostat, contre 24,4 % sive. En août 2020, Mario Draghi
férieur à celui de l’Allemagne », sou- sons qui sont morales avant d’être en moyenne dans la zone euro. avait délivré un discours très
ligne Patrick Krizan, économiste politiques », affirme l’économiste Mais cette proportion s’élevait à commenté, où il effectuait un dis-
spécialiste de l’Europe chez Euler Stefano Zamagni, spécialiste du 29,9 % dans le Frioul-Vénétie-Ju- tingo très clair entre la « bonne »
Hermes. Les multiples maux dont secteur de l’économie solidaire et lienne et à 30,2 % à Trente, au dette, qui prépare l’avenir, et la
souffre le pays – faiblesse de la pro- actuel président de l’Académie nord, contre 48,3 % en Sicile et « mauvaise », à proscrire. Il aura
ductivité et de l’investissement, pontificale des sciences sociales, 48,7 % dans les Pouilles, au sud. l’occasion, très vite, de passer aux
lourdeurs administratives, dette dont Mario Draghi est membre. Un fossé aggravé par la fuite des travaux pratiques. p
publique élevée ou déclin démo- Le détail des statistiques régio- cerveaux, laminant un peu plus marie charrel (à paris)
graphique – se concentrent en par- nales donne le vertige. A l’exem- encore le tissu économique local. et jérôme gautheret
Le débat monte autour des règles budgétaires européennes
c’est l’un des grands débats à l’agenda
européen des prochains mois : faudra-t-il
tank de Washington, trois économistes in-
fluents formulent une proposition radi-
roulez pas à une vitesse excessive” est un
standard pur. Quelle vitesse est considérée
réviser les règles budgétaires communes,
pour le moment suspendues en raison de
cale : remplacer ces règles par des standards
budgétaires, plus souples. « Si la conception
comme excessive dépendra de la situation,
basée sur l’évaluation, les normes sociales,
la pandémie ? Si une partie des pays nordi- des règles budgétaires peut être améliorée, les précédents juridiques », détaillent les
ques estiment qu’il convient de les réintro- le problème est le concept même de règles auteurs, pour illustrer leurs propos.
duire dès que possible, un large panel d’éco-
nomistes, notamment en France ou à
budgétaires invariables selon les pays et les
époques. Aucune ne peut vraiment être
En pratique, la Commission européenne
et les instituts budgétaires indépendants
Bruxelles, jugent indispensable de les modi-
fier et multiplient les propositions.
adaptée à la diversité des situations, dont
beaucoup sont impossibles à prévoir », écri-
tels que le Haut Conseil des finances pu-
bliques en France seraient chargés de sur-
de 1992 limitant déficit et dette publics à res-
vent Olivier Blanchard, ancien économiste
en chef du Fonds monétaire international
veiller la soutenabilité de la dette et de pro-
poser des mesures si celle-ci est menacée.
rieur brut (PIB), ces règles ont été complexi-
(FMI), Alvaro Leandro, membre de la recher-
che de CaixaBank, et Jeromin Zettelmeyer,
En cas de désaccord entre un Etat membre
et l’entité chargée de la surveillance, une
fiées au fil des ans par une série de traités,
au point que beaucoup de citoyens – et
ancien économiste en chef du ministère al-
lemand de l’économie, aujourd’hui au FMI.
institution judiciaire, comme une cham-
bre spécifique au sein de la Cour de justice
même de dirigeants – ne comprennent plus de l’UE, pourrait trancher.
vraiment comment elles fonctionnent. Des « prescriptions qualitatives » Dans une lettre ouverte publiée le 17 fé-
36 *040  7-7' En outre, elles ne correspondent plus à la
"0+ " $"0$"  7%(7#(272% réalité économique d’aujourd’hui : faible
   "03+  2(71(272% croissance, inflation atone et endettement
élevé des Etats. Réintroduire ces critères
trop vite pourrait surtout se traduire par
+$ 0 
des politiques d’austérité brisant la reprise,
3 &$,0 ,&$"   une erreur désastreuse déjà commise par
555("4( la zone euro en 2011.
Dans un document publié, lundi 22 fé-
vrier, par le Peterson Institute, un think
Surtout, elles ne permettent pas d’évaluer
la soutenabilité des dettes publiques, une
notion complexe et très variable d’un pays
à l’autre, car dépendant de la croissance fu-
ture, de l’évolution des taux d’intérêt ou de
la qualité des institutions. D’où l’idée de les
remplacer par des standards, c’est-à-dire
des « prescriptions qualitatives » laissant
une marge d’appréciation. « “Ne roulez pas
à plus de 90 km/h” est une règle pure, “ne
vrier, 150 organisations et personnalités,
dont l’ex-ministre de l’environnement Ni-
colas Hulot ou le milliardaire philanthrope
George Soros, appellent également à revoir
le cadre budgétaire européen. Notamment
en le rendant compatible avec les objectifs
de plein-emploi et de transition écologique,
mais aussi en instaurant un budget com-
mun ambitieux et permanent. p
m. c.
16 | économie & entreprise
Villes moyennes, la revanche
DOSSIER
U
n cadre de vie exception-
nel, dans le nord-est de l’Il-
le-et-Vilaine, entre verdure
et patrimoine médiéval,
avec toutes les commodités
à portée de main. « Fougè-
res offre tous les avantages de la ville sans les
inconvénients », résume Mélanie, 39 ans.
Cette blogueuse et consultante en commu-
nication numérique y a posé ses valises dé-
but octobre, après douze ans de vie pari-
sienne. « Ici, j’ai un logement deux fois plus
grand, un jardin, et je paie deux fois moins de
loyer que dans la capitale », se réjouit-elle.
Bien sûr, l’offre de loisirs n’est pas compara-
ble. Mais il y a quand même une médiathè-
que, un théâtre, un cinéma, un espace cultu-
rel… « Et si, une fois l’épidémie terminée, j’ai
vraiment envie de voir un spectacle précis,
j’aurai toujours la possibilité d’aller faire un
saut à Rennes ou à Paris, souligne-t-elle. Avec
le bus et le TGV, c’est très facile de bouger. »
Responsable de mission dans un cabinet
d’expertise comptable à Paris, Matthieu,
45 ans, vient, lui, d’emménager avec femme
et enfant à Vichy, au cœur de l’Allier. « Une
ville sûre, accueillante, avec de la vie toute
l’année, s’enthousiasme-t-il. Nous avions
l’habitude d’y passer nos vacances et nous
nous y sommes toujours sentis bien. Dès que
j’ai eu le feu vert de mon employeur pour télé-
travailler deux jours par semaine, nous avons
sauté le pas. »
L’impact du confinement
Avec la crise due au Covid-19 et l’essor du
télétravail, 21 % des Français et 31 % des ha-
bitants des grandes villes songent, eux
aussi, à déménager. C’est ce qui ressort
d’une étude publiée le 25 novembre 2020
par le think tank La Fabrique de la cité. Leur
nouvel eldorado ? Non pas Lyon, Bordeaux,
ou Marseille, mais plutôt Valence, Quim-
per, Orléans, Albi, Chalon-sur-Saône, ou
encore Angoulême. Des agglomérations à
taille humaine, de 20 000 à 100 000 habi-
tants, que l’on regroupe sous l’étiquette de
« villes moyennes ».
« Le modèle d’hyperconcentration des
hommes, des emplois et des richesses, qui en-
traîne une compétition permanente, une
standardisation des modes de vie et une ex-
clusion, est arrivé à bout de souffle », assure
le maire de Neuilly-sur-Seine (Hauts-de-
Calme, coût de la vie, proximité avec la nature,
espace… certaines agglomérations de moins
de 100 000 habitants semblent revenir en grâce
auprès des Français, après des années
de concentration autour des métropoles
Seine), Jean-Christophe Fromantin, qui
plaide depuis plusieurs années pour un réé-
quilibrage démographique : « Aujourd’hui,
les gens veulent vivre dans des villes plus
apaisées. » Et cette aspiration ne concerne
pas seulement les cadres supérieurs et les
familles. Selon le Baromètre des territoires
2020 de Villes de France, 63 % des moins de
35 ans s’établiraient dans une ville moyenne
s’ils avaient le choix.
Les villes moyennes, longtemps restées
dans l’ombre des métropoles, tiendraient-
elles leur revanche ? Plusieurs signaux
semblent en tout cas au vert. Ce mardi
matin de janvier, Nicolas Daragon, à la tête
de la mairie de Valence (Drôme) depuis
2014, déboule dans son bureau, au premier
étage, sourire jusqu’aux oreilles. D’après les
résultats de la dernière enquête de recense-
ment de la population de l’Insee, qu’il tient
en main comme un trophée, sa ville vient
Les commerces de centre-ville, un symptôme révélateur
vitrines vides, rideaux métalliques
baissés… Un syndrome que connais-
sent beaucoup de villes moyennes en
France. D’après les données re-
cueillies par Procos, la Fédération
pour la promotion du commerce spé-
cialisé, qui regroupe 300 enseignes, le
taux de vacance, c’est-à-dire la pro-
portion de boutiques vides dans les
centres-villes de ces agglomérations,
y atteignait 13,4 % en 2019, contre
11,9 % pour l’ensemble de la France. La
faute, entre autres, au développe-
ment de l’e-commerce, à l’implanta-
tion de grandes surfaces et de centres
commerciaux en périphérie, et aux
difficultés d’accès aux centres-villes.
« Le commerce est un bon indicateur
de l’état de santé d’un territoire », rap-
de dépasser la barre des 64 726 habitants,
soit une augmentation de 4,8 % en cinq ans.
« Du jamais-vu depuis 1975 !, s’exclame-il,
satisfait. On dirait bien que notre belle endor-
mie s’est réveillée. »
Véronique Blanc n’en revient d’ailleurs tou-
jours pas. En l’espace de quinze jours, cette
agente immobilière indépendante, qui inter-
vient sur le secteur Drôme-Ardèche, a finalisé
deux jolis coups : une maison familiale avec
piscine et terrain arboré à Beaumont-lès-Va-
lence (Drôme) pour 580 000 euros, et une
autre de 160 m2 à Guilherand-Granges (Ardè-
che) pour 420 000 euros. L’épilogue d’une an-
née 2020 ultradynamique dans le bassin va-
lentinois. « Le confinement a décidé beaucoup
de gens à changer de vie ou à acheter plus
grand, dit-elle. Les biens d’exception, qui d’or-
dinaire sont assez longs à vendre, sont partis
pour certains en moins d’un mois. »
Surprenant ? Pas tant que ça. Les agglomé-
pelle Arnaud Gasnier, maître de con-
férences en géographie et aménage-
ment au Mans Université et auteur de
l’ouvrage Le Commerce dans la ville,
entre crise et résilience (Presses uni-
versitaires de Rennes, 2019). « Une
ville qui perd des commerces est sou-
vent une ville qui n’arrive pas à fixer
des industries. »
Rénovation du parc de logements
Pour tenter de stopper l’hémorragie
et revitaliser le centre de ces villes
moyennes, le gouvernement a dé-
gainé une arme inédite, fin 2017 : le
programme Action cœur de ville.
« Un plan d’investissement public de
5 milliards d’euros sur cinq ans dont
bénéficient 222 collectivités jouant un
0123
MARDI 23 FÉVRIER 2021
Albi, dans le Tarn,
en septembre 2020.
PHILIPPE ROY/AURIMAGES
rations de taille intermédiaire ont de nom-
breux atouts dans leur jeu pour séduire :
calme, coût de la vie accessible, proximité
avec la nature, logements plus spacieux, of-
fre de services publics fournie… « Aujour-
d’hui, elles ne sont plus perçues comme des
villes du “ni”, c’est-à-dire n’ayant ni le charme
du rural ni le dynamisme des grandes métro-
poles, mais comme des villes du “et”, offrant à
la fois une qualité de vie et un minimum de
services », souligne Chloë Voisin-Bormuth,
directrice des études et de la recherche à la
Fabrique de la cité.
ÉVIDEMMENT, TOUS
LES TERRITOIRES NE L’emploi, le nerf de la guerre
Mais entre le fantasme et le passage à l’acte,
CONNAISSENT PAS LE il y a souvent un pas. « Les mouvements de
population restent avant tout dictés par l’acti-
MÊME DYNAMISME. vité économique et la présence d’emplois »,
LE MOUVEMENT DES rappelle l’économiste Nadine Levratto, di-
rectrice de recherches au CNRS. Les villes im-
« GILETS JAUNES » plantées sur un territoire dynamique se re-
trouvent donc avec un sacré avantage sur la
N’A PAS MANQUÉ ligne de départ. C’est le cas de Vitré (Ille-et-
Vilaine), située à 35 km de Rennes. Alors que,
DE LE RAPPELER avec la crise, le taux de chômage à l’échelle
nationale a bondi à 8,8 % au troisième tri-
mestre 2020, il n’a pas dépassé les 5,3 % dans
le bassin vitréen. Le chiffre le plus faible de
Bretagne, et le troisième plus bas des zones
d’emploi de France métropolitaine.
L’agglomération de Valence affiche, elle
aussi, une forme insolente. L’emploi indus-
rôle de centralité sur leur territoire », « Il suffit qu’une municipalité adopte
explique son directeur, le préfet Rol- une politique de stationnement trop
lon Mouchel-Blaisot. L’objectif est stricte pour pousser les gens vers la pé-
clair : « Il s’agit de ramener des habi- riphérie, souvent plus facile d’accès »,
tants, des emplois et des commerces souligne Emmanuel Le Roch, délégué
dans le cœur des villes. » général de Procos. Au bout de trois
Comment ? La priorité est d’engager ans, Montbrison (Loire) commence
la rénovation du parc de logements. déjà à sentir les premiers effets des
« Plus on proposera une offre de qua- actions menées. « Le taux de vacance
lité, plus on arrivera à résorber le taux a chuté de 14 % à 10 % pour le loge-
de vacance dans les logements, qui ment et de 15 % à 9 % pour le com-
s’élève chez nous à 24 % », détaille Ni- merce », indique le maire, Christophe
colas Gibbe, chef de projet Action Bazile (DVD). Ce dispositif ne suffira
cœur de ville à Saint-Quentin, dans sans doute pas pour changer la phy-
l’Aisne. Viennent ensuite l’entretien sionomie de tous nos centres-villes ;
du patrimoine architectural, le déve- il a au moins le mérite de mettre en
loppement des services publics et lumière leur potentiel, longtemps
d’activités tertiaires ou l’améliora- oublié. p
tion de l’accessibilité. élodie chermann

0123
MARDI 23 FÉVRIER 2021
L'attractivité inégale des villes moyennes
Des lieux d'installation plus ou moins privilégiés
Taux d’évolution moyen de la population, sur dix ans
(entre 2008 et 2018)
– 1,6 – 1 – 0,5 + 0,5 +1
0 43 %
Population,
en 2018
Brest
91 729
Rennes
Quimper
50 000 Nantes
Challans
20 000
Ville moyenne dont la définition Angoulême
retenue est issue d’un croisement
statistique fondé sur les critères
suivants : Bordeaux
- ville comprise entre 20 000
et 100 000 habitants en 2018;
- ville non incluse dans une
des 22 métropoles françaises ( );
Bayonne
- ville non incluse
dans la région Ile-de-France.
Saint-Laurent-
du-Maroni
Petit-
Bourg
GUADELOUPE MARTINIQUE
Classement des trois agglomérations moyennes les plus attractives (sur les onze premières) selon...
... leur économie... ... l’accueil des entreprises... ...leur innovation...
1 11
1 Valence 3 2
2 Niort 1 5
3 Angoulême 4 1
Infographie : Le Monde ; Mathilde Costil, Floriane Picard
triel y a progressé de 6 % depuis 2013 − contre
0,1 % pour l’ensemble de la région Auvergne-
Rhône-Alpes, pourtant première région in-
dustrielle de France. Parmi les plus gros em-
ployeurs du coin, Saint-Jean, le leader français
de la pâte fraîche, installé dans la Drôme de-
puis 1962. Sur son site de Romans-sur-Isère,
un opérateur, charlotte sur la tête, pousse une
balancelle chargée de meules de comté dans
le hachoir automatique : 950 tonnes de pâtes
et de quenelles sortent ainsi de l’usine cha-
que année. Et ce n’est qu’un début. Grâce à un
projet d’agrandissement à 70 millions
d’euros, l’entreprise prévoit de multiplier sa
capacité de production par 2,6 d’ici à 2023. A
la clé : 150 recrutements.
L’écosystème est porteur pour des jeunes
pousses pleines d’avenir, comme Smart
Power. Dans son petit local niché au
rez-de-chaussée du Technosite de Valence,
au cœur du pôle universitaire et technolo-
gique de Briffaut, une collection de maillots
de football, de « unes » du journal L’Equipe
et des photos de grands champions font of-
fice de décoration.
C’est entre ces quatre murs que Stéphane
Raymond, 47 ans, a mis au point son fa-
meux Profiler. Le premier crampon sportif
orientable au monde, qui a déjà été testé et
validé par l’ex-international de rugby Ma-
thieu Bastareaud ou la star du ballon rond
Cristiano Ronaldo. « L’Ardèche est une terre
d’inventeurs, la Drôme une terre d’entrepre-
neurs, c’est pour cela que j’ai choisi de m’ins-
taller ici », rappelle cet ancien salarié de Mi-
chelin qui nourrit de grandes ambitions.
« Malgré l’arrêt quasi total des compétitions
sportives, on a réussi à faire progresser notre
chiffre d’affaires de 20 % en 2020, se félicite-
t-il. L’objectif est d’atteindre les 7 millions
d’euros d’ici quatre ans. »
Pas de fatalité
Evidemment, tous les territoires ne connais-
sent pas un tel dynamisme. Le mouvement
des « gilets jaunes » n’a pas manqué de le
rappeler. « Après le choc pétrolier de 1973 et
l’abandon de l’objectif d’égalisation des terri-
toires par les pouvoirs publics, nombre de pré-
fectures et sous-préfectures ont subi une dévi-
talisation accélérée », rappelle Achille War-
nant, doctorant en géographie à l’Ecole des
hautes études en sciences sociales et auteur
de l’essai Les villes moyennes sont de retour
(Fondation Jean-Jaurès, 2020). « Ajoutez à
cela la désindustrialisation et le départ d’une
foultitude de grandes entreprises dans le
Lille
+ 3,6
Charleville-
Mézières
Rouen
Metz
Fougères
Paris Nancy
Orléans
Montaigu-
Vendée
Dijon
Tours
Niort
Chalon-sur-Saône
Vichy
Clermont-
Annemasse
Lyon
Ferrand Aix-les-Bains
Saint-Etienne Grenoble
Valence Bourgoin-Jallieu
Montélimar
Gujan-
Mestras
Toulouse
Albi
Montpellier
Nice
Toulon
Agde Marseille
La Possession
Matoury
Remire- Saint-
Montjoly Leu
MAYOTTE Saint-Pierre
GUYANE (données LA RÉUNION
non fournies)
1 11 1 11
1 4
4 3
6 1
Sources : Insee ; Arthur Loyd ; IFOP ; Notaires de France, Action cœur de ville ; Procos ; Le Monde
vaste monde, et vous comprendrez alors les
difficultés économiques rencontrées par un
certain nombre de villes, principalement dans
le Grand-Est, les Hauts-de-France et la Bour-
gogne-Franche-Comté… », complète le géo-
graphe Philippe Estèbe, directeur d’études à
la coopérative Acadie. Pas question pour
autant de céder à la fatalité. Une trajectoire
peut toujours bifurquer. Prenez le cas de
Charleville-Mézières, la préfecture des Ar-
dennes. Entre 1975 et 2015, cet ancien bas-
tion du textile et de la métallurgie, qui a vu
les belles heures de la fonderie des Ardennes
d’Arthur Martin et de la clouterie Lejay, a
perdu plus de 12 000 emplois, sous l’effet de
la désindustrialisation. Mais, dans le sillon
de la politique volontariste menée par l’in-
tercommunalité, elle commence douce-
ment à relever la tête.
« Pour essayer de retenir nos jeunes, nous
avons créé un campus d’enseignement
supérieur au cœur de la cité », détaille le
maire divers droite, Boris Ravignon. « Nous
« Ces communes doivent devenir la strate urbaine prioritaire »
guillaume faburel, géographe, est
professeur à l’université Lumière-
Lyon-II et enseignant à Sciences Po
Lyon. Il est l’auteur de l’ouvrage Pour
en finir avec les grandes villes (Le Pas-
sager clandestin, 2020). Il remet en
question la prédominance des
métropoles dans l’organisation du
territoire et plaide pour des villes à
« taille humaine ».
Depuis le 1er janvier 2018,
la France compte vingt-deux
métropoles, dont quatre de
plus de 1 million d’habitants.
Comment analysez-vous ce
phénomène de concentration ?
Depuis la Mésopotamie antique, il y
a six mille ans, on s’est toujours atta-
ché à regrouper les populations, dans
un but à la fois économique et politi-
que. Concentrer la main-d’œuvre
autour des moyens de production a
permis d’abord d’accroître la produc-
tivité dans l’agriculture, puis, à l’ère
de la révolution industrielle, dans les
usines. Mais, depuis une trentaine
d’années, le processus d’urbanisation
planétaire s’est accéléré.
économie & entreprise | 17
Les jeunes veulent s’y installer
Si vous aviez la possibilité de choisir, dans quel type de ville souhaiteriez-vous habiter ?
moins de 35 ans 35 ans et plus
63 %
34 %
22 %
Une grande ville Une ville moyenne
Strasbourg
Mobilité, services, espaces verts...
des atouts plébiscités
Selon vous, quels sont les principaux
atouts de la ville dans laquelle vous habitez ?*
selon les habitants des villes moyennes
selon l’ensemble des français
Une mobilité
41 %
facilitée 33 %
L’accès 38 %
à la santé 42 %
Des commerces
de proximité
37 %
38 %
Une proximité 36 %
Bastia
des services 33 %
Les espaces 35 %
verts 31 %
Un commerce de centre-ville en souffrance
Moyenne des taux de vacance commerciale
des centres-villes, par taille de la zone d’influence
de la ville, en 2018
13,4 %
12,3 % 10 %
... la qualité de vie
1 11
Petite ville Grande ville Métropole
moyenne moyenne
* Selon le total des citations. Total supérieur à 100, les interrogés pouvant donner plusieurs réponses.
** Dans les villes du programme Action cœur de ville. Instauré en 2017, Action cœur de ville est un plan
national d’investissement dans les villes moyennes. Deux cent vingt-deux collectivités en sont bénéficiaires.
nous appuyons aussi sur notre patrimoine et
SI UN EXODE URBAIN notre situation géographique, au carrefour
S’OPÈRE, CE SERA de la France, de la Belgique et du Luxem-
bourg, pour développer l’emploi dans le tou-
SANS DOUTE EN risme et les services. » De quoi s’offrir une
nouvelle image… Comme pour souligner
FAVEUR DES VILLES cette renaissance, le groupe de luxe Hermès,
MOYENNES SITUÉES déjà présent dans la vallée de la Meuse, a
prévu d’ouvrir un deuxième atelier de maro-
PRÈS DES GRANDS quinerie au nord de Charleville-Mézières,
d’ici à fin 2022. Faut-il pour autant s’attendre
CENTRES URBAINS à une profonde révolution territoriale ?
L’économiste Nadine Levratto en doute.
« Oui, avec le développement du télétravail,
certaines villes moyennes pourront sans
doute ramasser une poignée d’actifs. » Sur-
tout si elles s’emploient à développer des
tiers lieux et des espaces de coworking. De là
à bousculer les équilibres entre Paris et Li-
moges et à transformer la France en pays
multilocalisé comme l’Allemagne, il s’en
faut de beaucoup. « Nombre de métiers, dans
les services à la personne ou l’industrie, ne
Pour faire tourner les mégamachi- louse. Alors que les ouvriers et em-
nes métropolitaines et augmenter ployés représentaient encore autour
leur rendement financier, on a de 60 % des actifs dans les quatre vil-
besoin de maintenir un maximum les en 1968, ils ont chuté aujourd’hui
de cols blancs à portée de main. à 39,4 % – d’après les derniers chiffres
Résultat : aujourd’hui, plus de six de l’Insee – à Lille, et même à 31,5 % à
cents villes dans le monde ont une Lyon. A l’inverse, la part des cadres est
population qui dépasse le million passée, sur la même période, de 10 % à
d’habitants, et il devrait y avoir qua- plus du quart des actifs dans chacune
rante-cinq métropoles de plus de de ces villes, et même 30,3 % à Lyon.
10 millions d’habitants d’ici à 2030 ! Pour attirer un maximum de popu-
Une telle concentration urbaine lations qualifiées, d’entreprises et de
impose nécessairement la présence touristes, toutes ces grandes métro-
d’une autorité politique forte pour poles se sont lancées dans une course
assurer une régulation sociale. Avec effrénée aux mouvements et aux di-
le risque que l’individu se retrouve vertissements. Sauf que, à trop vou-
in fine dépossédé de tout pouvoir loir créer de l’événement permanent,
direct d’action… elles ont fini par provoquer un senti-
ment de saturation, voire d’asphyxie,
Les métropoles ont-elles chez beaucoup d’urbains. On estime
atteint leurs limites ? que, entre 2015 et 2018, 600 000 à
Au cours des quarante dernières an- 800 000 personnes ont quitté les es-
nées, les grandes villes n’ont cessé de paces métropolitains en France. La
grossir, de se densifier et de s’em- crise sanitaire n’a fait que renforcer ce
bourgeoiser. C’est ce que montrait désir d’ailleurs.
notamment une étude, publiée en
décembre 2019 par Médiacités, sur L’avenir est-il dans les villes
l’évolution des structures de la popu- moyennes qui maillent
lation à Lille, Lyon, Nantes et Tou- tout le territoire ?
11 % 15 %
4% 8%
Une petite ville Un territoire rural
Un marché immobilier
dynamique
A vendre + 11 880 ventes**
entre 2018 (114 665 ventes)
et 2019 (126 545)
soit 10 % de plus en un an
+ 2,35 %
d’augmentation des prix
en un an pour
les maisons**
L’accès au travail pas toujours aisé
Nombre d’emplois par rapport à 2009
(base 100)
113
Grandes métropoles
Métropoles intermédiaires
et agglomérations
de taille moyenne
105
100
2009 2014 2019
sont en effet pas “télétravaillables”. Et, même
parmi ceux qui le sont, toutes les tâches ne
peuvent pas se faire à distance. »
Si un exode urbain s’opère, ce sera donc
sans doute d’abord en faveur des villes
moyennes situées à proximité des grands
centres urbains, qui sont pour la plupart
déjà attrayantes. Pour organiser un vrai
rééquilibrage, le plan Action cœur de ville,
lancé fin 2017 pour redynamiser les centres
des villes moyennes en mal d’attractivité,
n’y suffira pas. Il faudra forcément en passer
par plus de coopération. « Si l’Etat n’opère
pas une péréquation des ressources, les villes
moyennes en difficulté pourront se démener
tant qu’elles veulent, elles n’auront jamais les
moyens d’assurer leur renouveau, tranche
Boris Ravignon. Pour alimenter la croissance
économique globale, on a voulu construire le
Grand Paris et des métropoles d’équilibre, je
ne suis pas contre. A condition que tous les
territoires puissent en profiter. » p
élodie chermann
Oui, à condition qu’elles ne cher-
chent pas à reproduire le même mo-
dèle de développement que les gran-
des, basé sur la surabondance, le no-
madisme généralisé et la connecti-
vité continue. Les villes moyennes, et
l’ensemble des petites villes à taille
humaine, ont en effet l’avantage
d’être plus écologiques et de répondre
de plus en plus aux nouveaux désirs
d’habiter. Elles offrent un nombre de
mètres carrés d’espaces verts par ha-
bitant très largement supérieur à
celui des métropoles, ce qui facilite
l’accès à la nature.
Elles donnent aussi la possibilité
aux habitants de faire communauté
et de profiter d’une démocratie plus
directe. Sur le plan économique, el-
les sont également mieux à même
de réduire les écarts de développe-
ment entre régions. Voilà pourquoi
les villes moyennes doivent devenir,
avec les petites villes de proximité et
les bourgs-centres, la strate ur-
baine prioritaire et la clé de voûte de
toutes les politiques d’aménage-
ment du territoire. p
propos recueillis par él. c.
18 | économie & entreprise
La fermeture de centres
commerciaux irrite le secteur
Alors que les complexes non alimentaires de plus de 20 000 m2 sont tenus
de garder le rideau baissé, la filière dénonce une « injustice économique »
L
a photo montre un pay-
sage paisible au milieu
duquel une poignée de
passants déambulent en-
tre des maisonnettes sur fond de
ciel bleu, avec écrit en gros : « Nous
sommes ouverts. » Début février,
sur Facebook, le réseau social pré-
féré des centres commerciaux, la
direction de « La Vallée Village », à
Serris, en Seine-et-Marne, a in-
formé ses abonnés que la mesure
annoncée quelques jours plus tôt
par le gouvernement ne concer-
nait pas ce centre commercial de
marques à ciel ouvert.
Depuis le 31 janvier, « les centres
commerciaux non alimentaires
d’une surface de plus de 20 000 mè-
tres carrés, ceux qui favorisent le
plus le brassage », sont fermés,
conformément aux annonces fai-
tes par le premier ministre, Jean
Castex, le 29 janvier. Le ministre de
l’économie, Bruno Le Maire, avait
précisé aux acteurs du secteur que
ce seuil se calculait « en addition-
nant l’ensemble des surfaces des
commerces, alimentaires ou non »,
et qu’étaient exemptés les ensem-
bles à ciel ouvert que sont les « zo-
nes commerciales, parcs d’activité
et villages de marques où la circula-
tion du public entre les commerces
intervient en extérieur ».
En pleine période de soldes qui
s’achèveront le 2 mars, les clients
des grands centres commerciaux,
sont gagnés par la confusion. La
situation est fluctuante, elle évo-
lue au gré des décisions adminis-
tratives. Un centre ouvert peut
être fermé du jour au lendemain.
Ou bien ouvert. D’où le message
émanant de « La Vallée Village ».
Près de 400 centres commer-
ciaux sur 858 étaient concernés
par cette disposition, considérée
par les professionnels visés
comme « une injustice économi-
que », une mesure « gadget » ci-
blant un « bouc émissaire ». Afin
d’éviter tout malentendu dans les
calculs, un décret du 30 janvier
précisait que la « surface commer-
Une PME française candidate à la reprise
de l’usine de céramique Jacob Delafon
Le groupe Kramer a déposé une marque d’intérêt pour le site de Damparis, dans le Jura
L e savoir-faire des ouvriers
de l’usine de sanitaires en
céramique Jacob Delafon
de Damparis (Jura) va-t-il finale-
ment pouvoir rester en France ?
Le groupe américain Kohler, pro-
priétaire du site depuis 1986, a
annoncé, dès septembre 2020, sa
volonté de s’en séparer et lancé, le
2 décembre, un plan de sauve-
garde de l’emploi (PSE) prévoyant
le licenciement de ses 150 salariés.
Mais, comme l’espéraient ces
derniers quand Le Monde les
avaient rencontrés, à l’automne,
un repreneur s’est finalement fait
connaître : le groupe Kramer,
PME française de 112 salariés
(30 millions d’euros de chiffre
d’affaires en 2019), spécialiste de
la robinetterie, a exprimé une
marque d’intérêt début février, à
un mois de la clôture du PSE.
« J’ai été interpellé par la ferme-
ture de ce site historique, celui
d’une marque emblématique pour
notre métier du sanitaire, expli-
que Manuel Rodriguez, président
du groupe Kramer. C’est le dernier
site capable de produire de la céra-
mique sanitaire en grès et en por-
celaine en France, et sa fermeture
signerait la disparition définitive
En pleine période
de soldes, qui
s’achèveront le
2 mars, les clients
sont gagnés par
la confusion
ciale utile » prise en compte in-
cluait « les surfaces de vente, les
bureaux et les réserves, sans dé-
duction de trémie ou poteau ».
A cela s’est ajoutée une circu-
laire, envoyée aux préfets par le
ministre de l’intérieur le 3 février,
pour préciser que « les espaces de
circulation » entre les magasins
« ne sont pas comptabilisés », et
qu’une certaine tolérance est ad-
mise pour déduire du total les
boutiques « qui ne sont pas louées
et exploitées ». Chacun a donc
sorti sa calculette. « On a calculé,
recalculé, échangé avec les pré-
fets », souffle, agacé, un gestion-
naire de centre. Ikea a annoncé la
fermeture de tous ses magasins
dès le 31 janvier, à l’exception de
celui de Vélizy (Yvelines) et de
l’atelier de conception de Nice.
La direction d‘« Art de vivre »,
45 000 m2 de surface à Eragny-
sur-Oise (Val-d’Oise), a fait savoir,
le 1er février sur Facebook, que
les commerces du centre « ne
[pourraient] plus accueillir de pu-
blic jusqu’à nouvel ordre », sauf
les pharmacies et l’alimenta-
tion… avant d’annoncer, deux
jours plus tard, qu’il rouvrait ses
portes dès le lendemain.
Face à des consommateurs un
peu perdus et des employés in-
quiets, les responsables ont été
contraints de se justifier. « Nous
suivons toutes vos interrogations.
Nous avons reçu aujourd’hui une
autorisation d’ouverture, ont-ils
écrit. Le calcul a été fait en prenant
en compte les surfaces vacantes
comme le Castorama. Etant fer-
mées, elles ne peuvent accueillir du
de ce savoir-faire dans notre pays.
Au départ, j’étais à mille lieues
d’imaginer faire une offre, mais j’ai
eu un réflexe d’entrepreneur et
d’industriel. A l’heure où l’on parle
de “made in France” et de réindus-
trialiser la France, les planètes
m’ont semblé bien alignées. »
« Un côté gaulois, patriote »
Des discussions avec ses parte-
naires habituels – le groupe fabri-
que notamment des robinets
pour les marques distributrices
de grands magasins de bricolage –
lui ont confirmé, dit-il, qu’il exis-
tait une attente pour des sanitai-
res en céramique de moyenne
gamme produits en France, qui
pourraient être commercialisés
sous ces mêmes marques. A
terme, il s’agirait de produire à
Damparis un nombre réduit de
modèles de pièces, mais en plus
grande série, afin de rationaliser
les temps de préparation et de ré-
glage, et, partant, les coûts.
Le dirigeant a décidé de jouer
« la transparence » et largement
communiqué dans la presse, met-
tant en avant son attachement au
métier (son père et son grand-
père étaient installateurs de sani-
public. Nous sommes sous la jauge
des 20 000 m2. » Un casse-tête éga-
lement pour les enseignes de
l’établissement, qui ont dû gérer
en quelques heures toute la logis-
tique de réouverture et rappeler
les collaborateurs qui avaient été
mis au chômage technique.
Entre le 16 janvier et le 11 février,
20 885 établissements recevant
du public (magasins, centres
commerciaux…) ont été contrôlés
et 1 544 verbalisés, souligne le mi-
nistère de l’intérieur. La direction
de Leroy Merlin, dont les 141 ma-
gasins étaient ouverts, a dû, le
11 février au soir, baisser au dé-
botté le rideau de celui de Rueil-
Malmaison (Hauts-de-Seine) à la
suite d’une décision de la préfec-
ture de fermer la galerie mar-
chande « Les Hauts de Rueil ».
Demande de réexamen
Les enjeux économiques sont tels
que les acteurs du secteur étu-
dient des solutions alternatives
pour pouvoir rouvrir. Comme le
Groupe Elancia (ex-Socri Immo),
entreprise familiale qui conçoit,
crée et gère des projets d’immobi-
lier commercial et d’hôtellerie.
Son centre « Polygone Montpel-
lier » (45 000 m² et 110 commer-
çants) a dû fermer ses portes,
« alors qu’Odysseum, à deux pas,
est ouvert, avec des files d’attente
interminables le samedi, fulmine
Michel Badie-Cassagnet, direc-
teur du développement du
groupe. Il y a une évasion de la
clientèle et une injustice économi-
que. On a confiné les gens sur cer-
tains sites commerciaux. Tout le
monde aurait dû fermer. »
La lettre aux parlementaires lo-
caux n’a pas suffi. Alors le « Poly-
gone » a eu une autre idée : grâce
aux ouvertures latérales et à des
nouvelles centrales de traitement
de l’air plus puissantes, « on pour-
rait apporter 100 % d’air neuf dans
le centre, contre 25 % jusqu’à pré-
sent [75 % de l’air est actuellement
recyclé], explique M. Badie-Cassa-
taires) et son ADN « made in
France ». « Nous sommes une PME
familiale, préoccupée par la dé-
pendance économique de la
France, explique M. Rodriguez. Il y
a chez nous un côté gaulois, pa-
triote. Nous ne sommes pas du
tout dans le même paradigme
qu’une multinationale américaine
qui investit dans le club de Man-
chester United et accueille la Ryder
Cup dans son golf du Wisconsin, et
pour qui Damparis est une unité
de production parmi d’autres. »
A cette heure, rien n’est gagné.
La PME n’a pas encore déposé
d’offre ferme et chiffrée. « Des dis-
cussions confidentielles, construc-
tives, sont en cours », confirme
cependant au Monde Olivier Le-
febvre, président de Kohler Eu-
rope, qui précise que « cela
n’augure en rien du résultat ».
Il faudra aussi convaincre les sa-
lariés. Sur les 140 encore sur le
site (une dizaine ont quitté l’en-
treprise depuis l’automne), 91 se-
raient repris par le groupe Kra-
mer. La présence de certains, au
savoir-faire unique et long à ac-
quérir, serait essentielle à la
poursuite de l’activité. « Il faut
que les salariés nous suivent, si-
gnet. C’est-à-dire 48 m3 d’air toutes
les dix minutes, ce qui serait même
une qualité de l’air supérieure à un
centre ouvert. » L’entreprise a véri-
fié toutes les préconisations de
l’agence régionale de santé, et a
estimé avoir « un dossier assez
solide ». « Nous l’avons fait valider
par un bureau d’études. »
Une demande de réexamen a été
faite auprès de la préfecture le 5 fé-
vrier, mais le groupe a reçu, quel-
ques jours plus tard, une fin de
non-recevoir. Mais il ne s’avoue
pas vaincu. Une fois son dossier
complété avec les résultats
d’« une nouvelle expertise techni-
que en cours pour montrer que l’air
renouvelé à grand débit est de
même qualité que l’air extérieur
d’un centre ouvert », il entend dé-
poser un référé-liberté auprès du
tribunal administratif de Mont-
pellier. Une autre solution avait
été un temps envisagée, mais elle
semblait plus alambiquée : dans
les statuts du site, que les diri-
geants ont exhumés, le centre est
qualifié de « ZAC de centre ur-
bain ». « Il ne tombe pas sous la loi
des centres commerciaux, mais on
préfère compter sur l’aspect sani-
taire », note M. Badie-Cassagnet.
Cela rappelle la fin du premier
confinement, en mai 2020, lors-
que les centres de plus de
40 000 m2 avaient d’abord été
sommés de rester fermés jus-
qu’au 10 juillet. Dans le 15e arron-
dissement de Paris, « Beaugre-
nelle » avait alors contesté cette
décision devant le tribunal admi-
nistratif de la capitale, au motif
que le centre devait être compta-
bilisé comme plusieurs ensem-
bles différents de moins de
40 000 m2. Ce tribunal avait auto-
risé, le 19 mai, la réouverture du
centre dès le lendemain, à l’excep-
tion des activités de restaura-
tion et de cinéma. La différence,
aujourd’hui, est que la mesure dé-
crétée par le gouvernement est
nationale, et non préfectorale. p
cécile prudhomme
non le projet est mort-né », estime
Manuel Rodriguez.
Or la reprise ne fait pas l’unani-
mité. « Les opinions sont très par-
tagées. Moi, je vois ça d’un bon œil,
mais je sais que d’autres se proje-
taient déjà avec l’argent du
PSE [plan de sauvegarde de l’em-
ploi]», témoigne un ouvrier.
« C’est difficile, explique un autre.
Depuis septembre, il a fallu digérer
la fermeture, puis se projeter dans
un autre emploi. Moi, j’ai postulé
ailleurs. J’attends des réponses. Il
faut qu’on sache à quoi on s’en-
gage, ce qu’on aura aussi si le pro-
jet ne prend pas. Et qu’on ait le
choix de rester avec le repreneur
ou de partir avec le PSE. »
Un dilemme classique lors des
plans sociaux. Les syndicats affir-
ment avoir obtenu, lors d’une réu-
nion, jeudi 18 février, l’engage-
ment qu’en cas de reprise, tout se
ferait sur la base du volontariat.
« On a franchi tellement d’étapes
depuis septembre, dit Rodolphe
Gomis, délégué CFE-CGC. On es-
père réussir à surmonter les derniè-
res difficultés. » Il escompte que les
salariés seront fixés sur leur sort
dans le courant de mars. p
aline leclerc
PERTES & PROFITS | CLIMAT
p ar p h i l i p p e e s can d e
2020, année
de répétition générale
La pandémie de Covid-19 est
une étonnante machine à voya-
ger dans le temps. En matière de
développement du commerce
électronique ou du télétravail,
elle nous a violemment transpor-
tés du côté de 2025. Dans le do-
maine climatique, ce serait plutôt
l’inverse. Elle nous a ramenés
en 2016. L’Assemblée des Nations
unies pour l’environnement, la
plus haute instance décisionnaire
dans le domaine, se réunissait, à
partir du lundi 22 février, pour la
première fois depuis 2020, année
hors norme. Avec au moins deux
bonnes nouvelles à analyser.
D’une part, le retour des Etats-
Unis dans le giron de l’accord de
Paris, entériné officiellement
vendredi 19 février, et, d’autre
part, la très forte réduction des
émissions de gaz à effet de serre
observée l’an dernier.
Observée est un grand mot, car
le dioxyde de carbone (CO2) ayant
une durée de vie moyenne dans
l’atmosphère de cent ans, les va-
riations annuelles sont extrême-
ment difficiles à observer. Cer-
tains indicateurs permettent
néanmoins d’apprécier leur évo-
lution. Dans un article de la toute
nouvelle revue en ligne de l’Insti-
tut polytechnique de Paris (Poly-
technique Insights) daté du 11 fé-
vrier, Cyril Crevoisier, directeur
de recherche au CNRS en météo-
rologie dynamique, assure que
sur l’ensemble de 2020, les émis-
sions de CO2 auraient baissé de
7 % à 8 %. Un chiffre qui corro-
bore d’autres données, comme
celles du Global Carbon Project,
publiées en décembre 2020.
Pour obtenir cette estimation,
et éliminer les effets de l’action
de la végétation sur cette même
année, les scientifiques ont étu-
Dans les Hauts-de-France,
un dispositif pour aider les
«décrocheurs» du Covid
Sept fondations ont mis en place une
plate-forme commune baptisée « Call & Care »
D énicher des ordinateurs
pour permettre à des ly-
céens ou à des étudiants
de suivre leurs cours en ligne, une
tondeuse pour entretenir l’espace
vert d’un centre social, trouver du
temps, afin d’accompagner les
personnes en rupture d’emploi…
Dans les Hauts-de-France, où le
taux de pauvreté atteint 18 %, sept
fondations ont mis en place une
solution expérimentale pour ve-
nir en aide de manière simple et
rapide à tous les « décrocheurs »
du Covid-19, ces personnes que la
crise a poussées encore un peu
davantage sur le bord du chemin,
qu’elles soient à l’école, à l’univer-
sité ou dans le monde du travail.
La Fondation AnBer, la Fonda-
tion territoriale des lumières, la
Fondation du Nord, la Fondation
de France, la Fondation des possi-
bles, la Fondation de l’université
de Lille, et Entreprises et Cités ont
lancé, le 8 février, une plate-
forme, accessible par un numéro
d’appel unique, qui permet de
faire correspondre, en dehors de
tout circuit administratif ou insti-
tutionnel, les besoins de ces « dé-
crocheurs » et les propositions
d’aide, qu’il s’agisse de donner
son temps, des biens (matériel,
véhicules…) ou de l’argent.
« Plutôt que de travailler en
tuyaux d’orgue, chacun dans son
coin, on a décidé de regrouper
tous les moyens au sein de la
plate-forme », explique Domini-
0123
MARDI 23 FÉVRIER 2021
dié les variations de la consom-
mation énergétique. Le résultat
est exceptionnel. Jamais une telle
diminution n’avait été constatée.
Et pourtant, cette fourchette cor-
respond tout juste à l’effort que
le monde devrait fournir chaque
année pour rester dans les
objectifs fixés par l’accord de
Paris, à savoir un réchauffement
inférieur à 2 °C.
Parenthèse vertueuse
Nous ne sommes donc pas sortis
de l’auberge si la plus grave crise
économique de l’après-guerre et
le gel, durant plusieurs mois,
d’une bonne partie de l’activité
industrielle n’aboutissent qu’à
nous remettre dans les clous
d’un accord largement bafoué.
A titre indicatif, selon l’ONG
Oxfam, la trajectoire actuelle
d’émission de CO2 des entrepri-
ses du CAC 40 les porte plutôt
vers un réchauffement de 3,5 °C.
2020 n’aura-t-elle été qu’une pa-
renthèse vertueuse sur une tra-
jectoire mortifère, cette « guerre
suicidaire contre la nature » évo-
quée, jeudi 18 février, par le secré-
taire général des Nations unies,
Antonio Guterres ? Déjà, les pays
de l’OPEP échafaudent leurs plans
d’accroissement de la consom-
mation de pétrole à la faveur de la
reprise économique à venir. Pour
Cyril Crevoisier, l’urgence impose
de focaliser l’effort sur deux do-
maines : le secteur de l’énergie, au
sens large, qui représente 44 %
des émissions (et a vu les siennes
baisser de 6 % pendant les confi-
nements), ainsi que le trafic
routier, dont la baisse est respon-
sable, à elle seule, de 50 % de
la chute des émissions sur la
période. La course contre le
temps est engagée. p
que Soyer, directeur général de
Maisons & Cités, un bailleur so-
cial partie prenante du dispositif
au travers de la Fondation des lu-
mières. « C’est une manière de son-
ner la mobilisation générale con-
tre toutes les formes de précarité. »
Premier bilan à la fin juin
La force du dispositif, baptisé
« Call & Care », est non seulement
de rassembler tous les « deman-
deurs » – collectivités, associa-
tions, fondations… – et tous les
« offreurs » de services autour
d’une même plate-forme, mais
elle réside aussi dans sa rapidité.
« Nous avons la capacité de mettre
les uns et les autres en relation di-
recte, de manière quasi instanta-
née, souligne Thierry Cardinael,
de l’association Croisons le faire,
en court-circuitant toute la pape-
rasse et tous les intermédiaires. »
Expérimentale, la démarche
donnera lieu à un premier bilan à
la fin du mois de juin, avant un dé-
ploiement à plus grande échelle
en fonction des résultats. « Les pé-
riodes de crise sont toujours une
bonne fenêtre de tir pour apporter
des changements de comporte-
ments », espère Jean-Pierre Letar-
tre, président d’Entreprises et Ci-
tés et président du Comité Grand
Lille, qui a réuni tous ces acteurs
autour de la table. « Quoi qu’il en
soit, dans la période actuelle, il ne
faut pas avoir peur d’essayer. » p
béatrice madeline
 économie & entreprise | 19
0123
MARDI 23 FÉVRIER 2021

ThyssenKrupp veut redresser seul son activité acier

Le groupe allemand a mis fin aux discussions avec Liberty Steel, unique candidat à la reprise de cette production

berlin - correspondance une telle reprise, au vu du man- des un complément idéal aux ac- d’un plan négocié avec les repré-
que de transparence de sa société.
L’entreprise tivités de son groupe. sentants des salariés. Cette pers- LES CHIFFRES

P
atrick Weber est un vété-
ran de l’acier. Un de ces
ouvriers qui incarnent
corps et âme la culture
de l’industrie lourde de l’ouest de
l’Allemagne : celle du charbon et
du métal en fusion, où le danger
est omniprésent, et le syndica-
lisme, une question de vie ou de
mort. En sept ans de crise chez
ThyssenKrupp, le conglomérat
industriel et métallurgique où il
travaille, il a appris à serrer les
dents, comme les autres métallos
de Duisbourg (Rhénanie-du-
Nord-Westphalie). Cependant, il
sait qu’avec l’épreuve à venir, ce
sera quitte ou double.
Depuis que ThyssenKrupp a an-
noncé, mercredi 17 février au soir,
son intention de repousser l’uni-
que offre de reprise émanant de
l’entreprise britannique Liberty
Steel, pour redresser lui-même
ses aciéries déficitaires, les sala-
riés se préparent à de nouveaux
défis. « Avec ou sans Liberty, ce
sera dur, » expliquait M. Weber au
Monde, dimanche soir.
Bien sûr, son syndicat, IG Metall,
est soulagé que le cœur historique
de ThyssenKrupp, berceau de l’in-
dustrie allemande et de sa culture
syndicale, ne soit pas vendu au
groupe Liberty. Ces dernières se-
maines, le syndicat exprimait ses
doutes sur la capacité de son pa-
tron, le milliardaire indo-britan-
nique Sanjeev Gupta, à endosser
Il continue de plaider en faveur
d’une intervention de l’Etat fédé-
ral ou de la région dans l’entre-
prise. Les salariés, eux, restent in-
quiets. La direction de Thyssen-
Krupp n’a pas fait mystère de la
difficulté de l’affaire : redresser le
groupe nécessitera de réduire de
nouveau massivement les coûts.
La décision du groupe allemand
n’était attendue que pour la mi-
mars. Selon la presse, Sanjeev
Gupta a lui-même été surpris de
la résolution de ThyssenKrupp.
L’homme d’affaires, qui, depuis
plusieurs mois, était en pourpar-
lers pour une reprise, avait dé-
posé une nouvelle offre, plus pré-
cise, lundi 15 février, et s’était dit
prêt à de nouvelles discussions.
Restructurations à venir
Mais ThyssenKrupp a tranché.
« Nous avons ouvert la porte aux
négociations, mais les visions
respectives de la valeur de l’entre-
prise et de la structure de la tran-
saction étaient finalement trop
éloignées. Nous avons donc décidé
de mettre fin aux discussions », a
fait savoir le directeur financier,
Klaus Keysberg, dans un commu-
niqué paru le 17 février.
Depuis un an, la patronne de
ThyssenKrupp, Martina Merz,
avait laissé toutes les options
ouvertes sur l’avenir des aciéries
de la Ruhr : vendre l’activité, la
mettre en Bourse ou la redresser
pourrait être
amenée à
supprimer
2 000 emplois,
en plus des 3 000
déjà annoncés
en 2020
elle-même. Forte du succès de la
vente de la division ascenseurs en
février 2020, pour 17,2 milliards
d’euros, elle a un moment espéré
que Liberty pourrait être le repre-
neur idéal des hauts-fourneaux et
laminoirs. Le patron de Liberty
promettait partout dans la presse
son intention d’investir afin de
décarboner la production, très
émettrice de dioxyde de carbone,
tout en préservant l’emploi. Il
voyait dans les aciéries alleman-
Toutefois, l’offre, alléchante au
premier abord pour Duisbourg, a
achoppé sur les détails. A com-
bien évaluer les aciéries, alors que
la pandémie de Covid-19 a fait
plonger la production début 2020
et fait basculer les comptes dans
le rouge ? Qui doit prendre en
charge les retraites des salariés ?
Et surtout, comment répartir les
coûts des investissements ur-
gents pour financer la transition
vers une production d’acier
« vert » où le charbon doit dispa-
raître et faire place à l’hydrogène ?
Toutes ces questions demeu-
rent donc entre les mains de
ThyssenKrupp, qui a déjà été
contraint d’enterrer un plan de
fusion avec un autre aciériste in-
dien, Tata, en mai 2019. Le groupe
pourrait, à en croire les observa-
teurs, être amené à supprimer
2 000 emplois, en plus des 3 000
déjà annoncés en 2020, à la faveur
pective promet des débats hou-
leux avec les syndicats, qui
avaient justement négocié la der-
nière couple claire dans les effec-
tifs contre une garantie d’emploi
jusqu’en 2026 et un investisse-
ment de modernisation des sites
métallurgiques de Duisbourg et
Bochum de 700 millions d’euros.
Néanmoins, les restructura-
tions à venir seront un signal
fort : elles devront apporter la
preuve qu’une industrie alle-
mande bicentenaire, dotée de
solides structures syndicales,
peut réussir son aggiornamento
vers une industrie décarbonée et
compétitive. Ces six derniers
mois, cette perspective a bénéfi-
cié de vents favorables : Thyssen-
Krupp, porté par la hausse mon-
diale des prix de l’acier et le retour
de la conjoncture industrielle, a
vu son cours doubler en Bourse. p
cécile boutelet
7,2 MILLIARDS
C’est, en euros, le chiffre d’affai-
res de Steel Europe. Les activités
acier de ThyssenKrupp sur son
exercice 2019-2020 sont en recul
de 20 % par rapport à 2019.
2,7 MILLIARDS
C’est, en euros, la perte opéra-
tionnelle historique essuyée par
l’acier ThyssenKrupp en 2019-
2020. Le chiffre d’affaires du
conglomérat, qui comprend
d’autres activités industrielles,
s’élève à 35,4 milliards d’euros.
27 000
C’est le nombre de salariés
de l’activité acier sur les
104 000 que compte le groupe.

La situation délicate d’Européens

rattachés au fisc américain
bruxelles - correspondant

P ris dans le filet fiscal des Etats-Unis, les quelque

300 000« Américains accidentels » vivent une situation
ubuesque, qui est à l’Union européenne (UE) ce qu’est le
sparadrap au capitaine Haddock : un problème dont personne
ne sait comment se débarrasser. « C’est une affaire de longue
date », a reconnu, mardi 16 février, Valdis Dombrovskis, le vice-
président de la Commission européenne.
« J’ai quitté les Etats-Unis quand j’avais 18 mois. Je ne parle
même pas l’anglais », confie Fabien Lehagre, fondateur de l’As-
sociation des Américains accidentels (AAA). Ce trentenaire
parisien n’a aucun lien avec les Etats-Unis, dont il détient la na-
tionalité du simple fait qu’il y est né. Pourtant, il est considéré
comme un contribuable par les Etats-Unis, seul pays au monde
(à part l’Erythrée) à définir ce terme sur la base de la nationalité,
et non de la résidence. M. Lehagre est donc censé déclarer son
salaire et ses comptes bancaires au fisc américain. Au risque de
devoir payer des impôts supplémentaires aux Etats-Unis. Le
premier ministre britannique, Boris Johnson, né à New York,
avait abandonné sa nationa-
lité américaine, après avoir dû
CES RÉSIDENTS DE L’UNION s’acquitter, en 2015, d’un im-
pôt américain sur la vente de
SONT CONDAMNÉS À VIVRE sa résidence principale. Cela
L’ENFER BUREAUCRATIQUE n’était pas contraire aux con-
ventions préventives de dou-
OU À DÉBOURSER ble imposition, puisque cette
vente n’était pas taxée au
AU MOINS 2 000 EUROS Royaume-Uni.
POUR SE DÉFAIRE DE LEUR bureaucratique Condamnés à vivre un enfer
ou à débour-
NATIONALITÉ AMÉRICAINE ser au moins 2 000 euros pour
se défaire de leur nationalité
américaine, des milliers de
citoyens européens tombent ainsi sous le coup du Foreign
Account Tax Compliance Act (Fatca), une loi américaine datant
de 2010 et destinée à lutter contre la fraude fiscale.
Les banques européennes pourraient être amenées à fermer
en masse les comptes des individus concernés, s’ils ne peuvent
pas présenter un numéro américain d’identification fiscale ou
une preuve de non-nationalité, comme l’exige Washington. Le
cas échéant, elles risquent théoriquement de lourdes sanctions
américaines. Les Pays-Bas ont abordé le sujet lors de la réunion
des ministres européens des finances, le 16 février. Après l’arri-
vée à la Maison Blanche de Joe Biden, attaché au partenariat
transatlantique, le moment semble opportun pour relancer les
discussions. Reste que l’UE ne semble pas savoir par quel bout
prendre ce sujet, qui s’ajoute aux différends, essentiellement
commerciaux, à régler avec les Etats-Unis.
L’échange de données exigé par la loi Fatca est permis par des
accords bilatéraux avec Washington (la France a conclu le sien
en 2014). L’enjeu n’est pas moins européen, sachant que les
Etats-Unis ne font pas preuve de réciprocité avec les pays de
l’UE en matière d’échange automatique d’informations bancai-
res. Surtout, les effets extraterritoriaux de cette loi touchent à la
protection des données personnelles, domaine dans lequel
l’Union se pose en champion. – (Intérim.) p
20 |
CULTURE
0123
MARDI 23 FÉVRIER 2021

REPORTAGE
ussé (indre-et-loire)
et maincy (seine-et-marne) -
envoyé spécial

N
otre domaine est
ouvert au public de-
puis 1974. Mais, si la si-
tuation ne s’améliore
pas, on envisage de le refermer et
d’en refaire une demeure privée. »
Attablé dans la bibliothèque du
château d’Ussé (Indre-et-Loire),
marquetée du sol au plafond, Sta-
nislas de Blacas semble comme
résigné. Depuis des semaines, le
marquis fait et refait ses comptes,
le dos chauffé par l’âtre de la che-
minée. En 2020, la crise liée au Co-
vid-19 a fait perdre 400 000 euros
de chiffre d’affaires au domaine,
qu’il détient avec son père, le duc
Casimir de Blacas. « On a accueilli
seulement 70 000 visiteurs, contre
110 000 les dernières années. C’est
plus du tiers de notre activité qui
s’est envolée ! », s’étrangle le jeune
gérant de fonds d’investissement,
obligé de se confiner à Ussé en
mars 2020 pour suppléer le gar-
dien, mis au chômage partiel.
Le château familial des Blacas
n’est pourtant pas le plus mal loti.
Idéalement situé le long de l’In-
dre, à quelques enjambées de
Tours, il est connu pour avoir ins- Le château de Vaux-le-Vicomte (Seine-et-Marne), édifié au XVIIe siècle par Nicolas Fouquet, le 17 février. NICOLAS KRIEF POUR « LE MONDE »
piré à Charles Perrault le conte de
la Belle au bois dormant. Un pedi-

Des châteaux hantés par le vide

gree qui lui permet d’attirer les
familles, qui aiment se promener
sur les terrasses dessinées par
Vauban et admirer les cèdres
rapportés du Liban par Cha-
teaubriand. Mais sans rentrées
d’argent, c’est toute l’économie
du lieu qui est remise en cause.
« Un domaine comme le nôtre,
c’est au minimum 250 000 euros
de coûts fixes par an, auxquels
vous ajoutez la masse salariale de
nos onze employés et de notre di-
zaine de saisonniers. Ce sont les vi-
siteurs qui paient l’entretien. Sans
eux, impossible de tenir », assure
Stanislas de Blacas.
S’ils n’ont pas la même noto-
riété que Versailles ou Chambord,
les monuments historiques pri-
vés ouverts au public n’en vivent
pas moins les mêmes difficultés
depuis le début de l’épidémie. En
2020, ils ont dû fermer leurs por-
tes plus d’une centaine de jours.
Comme le reste du secteur cultu-
rel, ils n’ont plus accueilli de visi-
teurs depuis le 30 octobre 2020,
date du deuxième confinement
décidé par Emmanuel Macron.
« Tous les monuments sont tou-
chés par la crise sanitaire, assure
Olivier de Lorgeril, président de
La Demeure historique, associa-
tion qui regroupe 3 000 proprié-
taires de châteaux, jardins ou
prieurés classés. En moyenne, la
perte d’activité est de 30 % à 40 %,
mais certains affichent des baisses
bien plus importantes. Même ceux
qui ont connu un fort rebond lors
de la saison d’été ont fini l’année
avec un chiffre d’affaires en recul. »
Sur les 44 000 monuments his-
toriques classés, 50 % sont dans
les mains de propriétaires privés.
Ils revendiquent 9 millions de vi-
siteurs par an, soit plus de 10 % du
total des visites effectuées dans
les lieux de patrimoine en France.
Chômage partiel
Si les petits châteaux ont beau-
coup souffert, faute le plus sou-
vent de trésorerie, les plus gros
n’ont pas été épargnés non plus.
A Vaux-le-Vicomte (Seine-et-
Marne), Alexandre de Vogüé a lui
aussi fait ses comptes. Le château
qu’il détient avec ses deux frères,
édifié au XVIIe siècle par Nicolas
Fouquet, a beau être l’un des plus
connus de France, avec sa coupole
haute de 18 mètres conçue par
Le Vau et ses peintures signées
Le Brun, il a été déserté l’an der-
nier. « On a accueilli 115 670 visi-
teurs exactement. C’est 67 % de
moins qu’en 2019 ! », se désole le
châtelain, qui emploie 75 person-
nes à l’année (plus 40 saison-
niers), notamment pour entrete-
UN AN DE CULTURE CONFINÉE 1|12 Pour la plupart des domaines privés,
comme à Vaux-le-Vicomte ou à Ussé, la fin des visites en raison
des restrictions sanitaires met en péril ces lieux patrimoniaux
nir les 33 hectares de jardins à la
française dessinés par Le Nôtre.
« Quand vous avez un château
dont l’entretien coûte au mini-
mum 2 millions d’euros par an et
que la billetterie représente la moi-
tié de vos ressources, cela devient
compliqué », reconnaît-il.
Face à cette Berezina, l’Etat n’est
pas resté les bras ballants.
Comme n’importe quels entre-
preneurs, les propriétaires des
établissements recevant du pu-
blic (ERP) ont pu mettre tout ou
partie de leur personnel au chô-
mage partiel et bénéficier des
prêts garantis par l’Etat (PGE) mis
en place par le gouvernement.
Mais cela n’a pas été sans mal.
« Pour récupérer 10 000 euros au
titre du fonds de solidarité, aux-
quels mon père avait droit en
novembre 2020, on a dû batailler
pendant deux mois et payer
600 euros à un avocat. Sans parler
des 1 500 euros de sa retraite qui lui
ont été déduits… On ne sent pas de
volonté du gouvernement d’aider
les gens comme nous », regrette le
marquis de Blacas.
Au-delà des mesures transver-
sales à tous les secteurs, l’Etat a
bien prévu 614 millions d’euros
pour le patrimoine, dans le cadre
du plan de relance. Mais les mo-
numents privés sont réduits à la
portion congrue. Seuls quatorze
d’entre eux ont été retenus et se
partageront 8 millions d’euros :
le château de Ravel (Puy-de-
Dôme), celui de Meauce (Nièvre),
la Maison d’Adam d’Angers (Mai-
« Un domaine
comme le nôtre,
c’est au minimum
250 000 euros
de coûts fixes
par an »
STANISLAS DE BLACAS
copropriétaire
du château d’Ussé
ne-et-Loire), le château de Beau-
mesnil (Eure)… A titre de compa-
raison, le plan de relance consa-
cre 100 millions d’euros au seul
château de Villers-Cotterêts
(Aisne), qui appartient à l’Etat
et qu’Emmanuel Macron veut
transformer en Cité internatio-
nale de la francophonie.
« Il faut rouvrir »
« Mais nous augmentons les cré-
dits ordinaires, assure le cabinet
de la ministre de la culture, Ro-
selyne Bachelot. La consigne a été
passée de prendre davantage en
charge les travaux de restauration
des monuments classés ou ins-
crits. Les propriétaires sont moins
solvables, cela justifie que l’Etat
participe plus. » Le ministère a
aussi plaidé pour que les sociétés
civiles immobilières puissent bé-
néficier des PGE, ce qui n’était pas
prévu au départ. Et, rappelle-t-on
Rue de Valois, les parcs et jardins
adossés aux monuments histori-
ques ne sont pas visés par les fer-
metures. « Cela concerne beau-
coup de châteaux, et il n’y a pas de
jauge imposée, il faut seulement
respecter les barrières sanitaires »,
assure un conseiller.
Des arguments qui ne suffisent
pas à amadouer les intéressés.
« L’Etat ne nous considère pas, on
pâtit encore de l’image du châte-
lain riche qui vit entouré de serfs
alors que nous sommes un acteur
important de l’économie locale.
Personne ne roule sur l’or, dans
nos métiers, on ne s’en met pas
plein les poches », s’agace Alexan-
dre de Vogüé. Lui préférerait
un allégement de la TVA sur
les billets d’entrée, aujourd’hui
fixée à 20 %. « Cela nous permet-
trait de baisser notre prix d’entrée,
pour attirer les gens lorsqu’on
rouvrira. »
Surtout, nombre de propriétai-
res s’inquiètent de ne pouvoir
rembourser les PGE qu’ils ont
contractés, même si l’échéance
a été reportée d’un an, au prin-
temps 2022. « La plupart des mo-
numents sont en léger déficit ou
tout juste à l’équilibre. Sans une
croissance d’au moins 4 % à 5 %
par an, ils ne pourront pas rem-
bourser. A moins de mettre un
coup d’arrêt à leurs investisse-
ments, qui sont la plupart du
temps indispensables », estime
Olivier de Lorgeril. « On aurait pu
bénéficier de 400 000 euros de
PGE, mais on a préféré s’en tenir à
50 000 euros, pour payer les salai-
res lors du premier confinement.
Aller plus loin, c’est mettre le doigt
dans un engrenage trop risqué »,
confirme Stanislas de Blacas, qui
s’est endetté à titre personnel
pour racheter un tiers du château
d’Ussé à son père.
Livrés à eux-mêmes, les proprié-
taires tentent comme ils le peu-
vent de faire rentrer un peu d’ar-
gent. A Vaux-le-Vicomte, Alexan-
dre de Vogüe a organisé une visite
virtuelle sur Zoom pour ses mé-
cènes américains, afin de leur
montrer les conséquences de la
fermeture et les travaux qui ne
peuvent attendre. « Beaucoup ont
apprécié qu’on prenne le temps de
les associer à ce qu’on vit, on a reçu
60 000 dollars [49 500 euros] de
dons dans la journée ! », se réjouit
le châtelain. Une somme bienve-
nue mais qui est loin de combler
le manque à gagner. En 2020, la
demeure de Fouquet n’a récolté
que 490 000 euros de mécénat,
moitié moins qu’en 2019. Au châ-
teau d’Ussé, l’agence départe-
mentale du tourisme de Touraine
a acheté 8 000 billets d’entrée, de
quoi donner un peu d’air.
Seule certitude, ces difficultés
économiques ne seront pas sans
conséquences sur la qualité du
patrimoine français. Nombre de
propriétaires disent avoir re-
noncé à mener les travaux qu’ils
avaient prévus, faute d’argent.
« Mon père a l’habitude de dire
qu’un visiteur paie une ardoise, dit
en souriant Stanislas de Blacas.
Mais c’est la vérité. A moins de dis-
poser d’un patrimoine personnel,
ce qui est loin d’être le cas des pro-
priétaires de châteaux, il est im-
possible de les entretenir si vous ne
« L’Etat ne nous
considère pas,
on pâtit encore
de l’image
du châtelain riche
qui vit entouré
de serfs »
ALEXANDRE DE VOGÜÉ
copropriétaire du château
de Vaux-le-Vicomte
vendez pas de billets. » Lui-même
dit avoir repoussé des rénova-
tions prévues cette année : « On
devait refaire l’une des arches du
pont-levis et restaurer une lu-
carne, on va attendre car on n’a
aucune visibilité. »
Des reports qui affectent aussi
l’économie locale. Chaque année,
le château d’Ussé investit
300 000 euros dans sa rénova-
tion. A Vaux-le-Vicomte, c’est
1,5 million. Autant d’argent qui ne
bénéficiera pas aux entreprises
de la région si les travaux sont re-
poussés. Le chantier de restaura-
tion du dôme du château de Nico-
las Fouquet, qui mobilise 63 ton-
nes d’échafaudages, a pu être
maintenu cette année unique-
ment parce que son financement
avait été bouclé avant la crise.
« Pour sortir de cette impasse, il
n’y a qu’une solution : il faut rou-
vrir », estime Alexandre de Vogüé.
Tous espèrent pouvoir reprendre
leurs activités en mars, ou au plus
tard en avril, avec l’arrivée des
beaux jours. « On a planté pour
10 000 euros de fleurs sur les ter-
rasses, j’espère qu’elles pourront
être admirées à Pâques », soupire
Stanislas de Blacas.
Mais pas question de revivre le
« stop and go » auquel le gouver-
nement a soumis l’économie l’an
dernier. Un château qui reçoit du
public ne peut être rouvert du
jour au lendemain, il doit rappeler
du personnel, prévoir des anima-
tions, refaire la décoration… La
non-réouverture décidée en dé-
cembre 2020 en a échaudé plus
d’un. « La fermeture de Noël a fait
très mal, car cette période repré-
sente jusqu’à 25 % de la billetterie
de certains châteaux », assure
Christian Clarke de Dromantin,
fondateur de Patrivia, une
start-up qui gère en ligne la billet-
terie des monuments historiques.
« 1 500 châteaux en vente »
Mais tous les propriétaires privés
l’assurent : si le gouvernement ne
les autorise pas à rouvrir rapide-
ment, les pertes ne pourront plus
être rattrapées. « D’habitude, on
fait 100 000 euros de chiffre d’af-
faires en février. Ils sont déjà per-
dus. Avec les week-ends de prin-
temps, on monte à 170 000 euros
par mois. Il faut absolument qu’on
puisse accueillir du public », plaide
Stanislas de Blacas. « Gérer des
flux de visiteurs, c’est notre métier,
on sait faire. Il y a moins de risques
à se promener dans nos jardins
et nos demeures qu’à faire ses
courses au supermarché », assure
Alexandre de Vogüe.
Dans le cas contraire, certains
s’attendent à une vague d’aban-
dons de propriétés. « S’il y a une
nouvelle année blanche, cela va
être compliqué, voire impossible
pour certains propriétaires, met
en garde Christian Clarke de Dro-
mantin. Il y a déjà 1 500 châteaux
en vente en France, ce chiffre ris-
que d’exploser. »
« On sait qu’il va y avoir de la
casse à l’issue de la crise, reconnaît
l’entourage de Roselyne Bachelot.
Certains propriétaires nous appel-
lent déjà à l’aide à titre individuel.
Les pouvoirs publics vont devoir se
pencher sur un certain nombre de
propriétés, et parfois reprendre
leur exploitation. C’est dérogatoire
à nos usages, mais on n’aura pas le
choix. » p
cédric pietralunga
Prochain article Julie Deliquet
au Théâtre Gérard-Philipe
de Saint-Denis, un baptême
du feu sous Covid.

0123
MARDI 23 FÉVRIER 2021
L’Ecole de danse de l’Opéra de Paris garde le rythme
A Nanterre, les apprentis danseurs ont pu continuer leur entraînement, malgré l’épidémie de Covid-19
REPORTAGE
A
quelques dizaines de
mètres de la station de
RER A Nanterre-Pré-
fecture, l’abord de l’im-
meuble blanc est froid. Une fois
dans le bâtiment, les couleurs
chauffent. En tenue de sport
rouge carmin, des grappes d’en-
fants et d’adolescents se délestent
vite fait de leurs sacs à dos multi-
colores posés en tas autour de
deux baby-foot.
Il est midi, mardi 9 février. C’est
l’heure du déjeuner, à la cantine
de l’Ecole de danse de l’Opéra na-
tional de Paris, et tout le monde a
faim. « Il y a trois services, pour les
161 élèves et le personnel, com-
mente Elisabeth Platel, étoile de
l’Opéra national de Paris et direc-
trice de la maison depuis 2004.
Compte tenu du contexte sanitaire,
nous avons espacé les tables, où ne
peuvent manger que trois jeunes,
toujours les mêmes ensemble. S’il
y en a un qui a le Covid – heureuse-
ment nous n’en avons quasiment
pas eu ! –, nous identifions immé-
diatement les cas contacts. »
L’atmosphère est effervescente.
L’estomac rempli, les filles et les
garçons, âgés de 9 ans à 18 ans,
attaquent l’escalier monumental,
qui dessert dix très beaux studios
de répétitions. Devant chaque
entrée, des paires de baskets
s’alignent, bien rangées. Caroline,
assistante d’éducation, veille au
grain entre les étages. « Je gère la
vie quotidienne des enfants, les
plannings, mais aussi les petits dé-
tails comme les gourdes oubliées »,
glisse-t-elle. Important, quand on
sait que danser avec un masque
déshydrate à toute allure.
Avant son premier cours de
classique, à 13 h 30, Paul, 14 ans,
prend le temps de bavarder. Il
avait 7 ans lorsqu’il a commencé
la danse, à La Rochelle. « C’est mon
rêve, d’être ici, depuis que j’ai
11 ans !, s’exclame-t-il. J’ai choisi
d’être dans cette école, et je fais ce
que j’aime dans un environne-
ment formidable. C’est dur, oui,
mais il y a de la joie. On a un but, et
on est entourés. Même si la pé-
riode est compliquée, je me sens
comme un poisson dans l’eau. »
« L’aquarium » est composé de
trois bâtiments conçus par l’archi-
tecte Christian de Portzamparc.
Reliés par des cours vitrées, ils dé-
clinent trois moments du quoti-
La rumba panafricaine de Sam Mangwana
Le chanteur congolais présente sur scène en livestream son album « Lubamba » (2016)
MUSIQUE
I l a fait ses classes avec des
« patrons » de la rumba con-
golaise : Tabu Ley Rochereau
(1940-2013) et Franco Luambo
(1938-1989), qui a enregistré avec
lui son dernier album For Ever
avant sa mort. A 75 ans, voix et
mémoire vives, le chanteur Sam
Mangwana est un vétéran de l’âge
d’or de cette musique dansante,
imprégnée de cubanité, qui a
surgi dans les années 1950 sur les
deux rives du fleuve Congo, à
Brazzaville, et à Léopoldville
(aujourd’hui Kinshasa) où lui-
même est né et où il a grandi.
Invité par le festival Au fil
des voix, il présentait, samedi
20 février, veille de ses 76 ans, sur
la scène parisienne du 360 Paris
Music Factory, son dernier album,
Lubamba, paru en 2016, en An-
gola. Il en a composé la majorité
des titres, y rapproche la rumba
d’autres styles. En témoignent
Juventude Actual, le titre d’ouver-
ture aux couleurs rythmiques et
mélodiques lusophones, chanté
en portugais, sur lequel feu Manu
dien des élèves. L’internat abrite
95 pensionnaires. A raison de
deux à trois par chambre, chacun
dispose d’un coin bureau, d’un lit
et d’une salle de bains. Les mati-
nées sont consacrées aux matières
scolaires, du CM1 à la terminale.
Sur une affiche écrite à la main, on
peut lire en grosses lettres : « Re-
cette pour être heureux à l’Ecole de
danse : une banane, 200 g de joie,
un bon fromage… » Et un peu plus
bas : « Dites ce que vous ressentez,
ne le gardez pas sur le cœur… » « Ce
sont tous des enfants passionnés
et passionnants, qui posent beau-
coup de questions », affirme Sylvie
Jacq-Mioche, docteure en esthéti-
que, professeure de français, et de-
puis 2005 d’histoire de la danse.
Cursus de six ans
L’après-midi est dévolu à la danse,
dans le dernier des trois espaces.
Avec 9 000 m2 à leur disposition,
les douze divisions (six de filles et
autant de garçons), composées
chacune d’une dizaine d’élèves,
ainsi que différents groupes de
Dibango (1933-2020) intervient
au saxophone, précédant Félicité,
une reprise de Parafifi, un classi-
que de Joseph Kabasele, Grand
Kalé (1930-1983), autre figure no-
toire de la rumba congolaise,
auteur du premier tube panafri-
cain Indépendance Cha Cha (1960).
« Ouverture sur le monde »
Sam Mangwana a toujours dé-
fendu cette idée d’ouverture,
même si la rumba reste la colonne
vertébrale de son répertoire.
« J’aime bien me balader à travers
les cultures, les langues, brasser
les styles. On m’avait surnommé
d’ailleurs à une époque “le pigeon
voyageur” », se souvient le chan-
teur quand nous le rencontrons,
fin janvier, à La Dynamo, du festi-
val Banlieues bleues, à Pantin (Sei-
ne-Saint-Denis), où il répète alors
avec les musiciens qui l’accompa-
gneront pour ce concert sans
public. « Je me sens rajeunir avec
cette jeune équipe menée par le bat-
teur Emile Biayenda, le leader du
groupe Les Tambours de Brazza. »
Voilà un homme heureux et de
bonne humeur. Jouer devant une
stagiaires y enchaînent les cours
de classique, contemporain, baro-
que… Le cursus dure générale-
ment six ans. En ligne de mire à la
fin des études : le concours pour
intégrer le corps de ballet de
l’Opéra national de Paris. La sélec-
tion, rude, dépend aussi des
places libérées par les départs à la
retraite. Entre trois et dix jeunes
interprètes décrochent chaque
année un contrat. « C’est très com-
pétitif mais plein d’émulation, dé-
clare Kirill, 18 ans, né en Russie et
ayant grandi en Espagne, qui pas-
sera cette année le concours ainsi
que le bac. Mais, si on n’est pas pris
dans le corps de ballet, il ne faut
pas le penser comme un échec. »
Covid-19 oblige, 2020 et d’ores
et déjà 2021 sont des années iné-
dites. La crise sanitaire a obligé à
s’adapter en permanence. En
mars 2020, pendant le premier
confinement, il a fallu d’abord ra-
patrier les élèves – beaucoup
viennent de province, d’autres du
Japon ou d’Australie… Douze na-
tionalités ainsi que six doubles
salle vide ne le gêne pas le moins
du monde, cela lui rappellerait
même plutôt quelques souve-
nirs… « J’ai commencé presque
sans public, en 1963, avec Tabu Ley.
Il y avait seulement deux tables,
je crois. Devant ma mine dubita-
tive, il m’a dit : “Mais oui, petit, on
va jouer. Même s’il n’y a que deux
tables, nous allons convaincre
ces deux tables. L’artiste est là
pour convaincre, Sam”. » Ils ont
convaincu. Deux mois plus tard,
l’endroit ne désemplissait plus.
Des souvenirs, Sam Mangwana
l’assure, il pourrait en remplir un
livre. « Peut-être cela se fera », con-
fie-t-il. Tout est si présent, des
premières années à Kinshasa au
retour en Angola, à la fin de la
guerre civile (1975-2002), après
avoir sillonné l’Afrique, vécu à
Abidjan, en Côte d’Ivoire, rampe
de lancement de sa carrière solo, et
à Paris, où il vient de se réinstaller
pour « relancer [sa] carrière », il
semble n’y avoir aucun angle
mort dans sa mémoire.
« Mes parents étaient angolais et
vivaient en exil à Kinshasa. Mon
père n’avait pas le droit d’aller en
« Il y a eu des
démissions chez
les 13-14 ans, car
le confinement
en a fait réfléchir
certains »
ÉLISABETH PLATEL
directrice de l’Ecole
nationalités sont présentes. Si
l’audition d’entrée à l’Ecole pour
2020 a été maintenue, elle s’est
toutefois déroulée différemment.
Les sélections ont eu lieu par le
biais de la vidéo. Sur 200 jeunes,
trente sont venus en octobre pour
auditionner ; sept ont été pris.
Quant aux passages d’une divi-
sion à l’autre, qui se font en temps
normal sur examen devant un
jury, ils ont été amendés. Pas de
renvoi en 2020, mais quelques re-
doublements décidés lors d’une
commission spéciale en juin. « Il y
Angola, pour des raisons politi-
ques, mais nous, les enfants, nous
y partions régulièrement voir nos
grands-parents, nos oncles, nos
tantes, pendant les vacances. Il rê-
vait de faire de moi un économiste,
en prévision de l’indépendance
du pays. C’est ainsi que j’ai grandi, à
la fois nourri de sa tradition à lui
et de la vie moderne de Kinshasa,
où j’écoutais les programmes de la
radio qui passaient de la rumba,
mais également Harry Belafonte,
Louis Armstrong, de la variété euro-
péenne, des tas de choses. Tout cela
a contribué au fait que j’ai eu
très tôt une certaine ouverture sur
le monde. » Et nourri plus tard son
inclination au panafricanisme
musical, élargissant son réper-
toire à d’autres possibles que la
rumba congolaise, fil conducteur
de sa sinueuse épopée. p
patrick labesse
Lubamba, de Sam Mangwana,
1 CD MDC/Pias.
Sam Mangwana en concert
(sans public) au 360 Paris Music
Factory, diffusé en livestream
samedi 20 février, à 19 heures.
Pendant une
répétition du défilé
du Ballet de l’Opéra
national de Paris,
en janvier, pour
la captation du gala
de danse 2020-2021.
CHRISTOPHE PELE/ONP
a eu aussi des démissions chez les
13-14 ans car le confinement en a
fait réfléchir certains, ajoute Elisa-
beth Platel. C’est l’âge charnière.
Ils viennent ici avec un rêve et, au
bout de deux ans, réalisent qu’ils
n’ont pas forcément envie d’en
faire un métier. »
Difficultés liées au masque
L’apprentissage, un entraîne-
ment de sportif de haut niveau,
a repris à fond depuis septem-
bre 2020. Toujours intensément
soutenu par des pianistes, dont
les partitions se font écho d’un
studio à l’autre. C’est le fameux
style français, hérité de Louis XIV,
qui est transmis ici. En 2013, on fê-
tait le tricentenaire de la création
de l’Ecole, intimement liée à la
troupe de l’Opéra national de
Paris : les deux sont les garants de
ce classique limpide et élégant.
« Nous transmettons ce que nous
avons appris et dansé à l’Opéra
de Paris, mais il y a une évolution
dans la technique, commente
Géraldine Wiart, professeure de-
FE ST I VAL
La 25e édition
de Garorock annulée
Après les annonces de la mi-
nistre de la culture, Roselyne
Bachelot, jeudi 18 février, in-
formant les organisateurs de
festivals qu’ils ne pourraient
avoir lieu cet été qu’en
configuration assise et avec
un maximum de 5 000 spec-
tateurs, les responsables de
Garorock ont décidé d’annu-
ler leur édition 2021. La mani-
festation, qui devait se tenir
du 23 au 27 juin à Marmande
(Lot-et-Garonne), envisageait
d’accueillir 50 000 festivaliers
par jour, dont 40 000 cam-
peurs. « Nous ne pouvons pas
dénaturer Garorock », ont
indiqué ses organisateurs,
dans un communiqué diffusé
vendredi 19 février, précisant
que les billets achetés seront
remboursés. L’édition 2020
du festival avait déjà dû être
annulée en raison de l’épidé-
mie de Covid-19. Le Hellfest,
festival de musique metal qui
se tient à Clisson (Loire-Atlan-
tique) avait fait savoir, dès
l’annonce des restrictions par
Roselyne Bachelot, que l’édi-
tion 2021 ne pourrait pas
avoir lieu. En revanche, le fes-
tival des Vieilles Charrues
(Finistère) se tiendra dans la
configuration demandée.
culture | 21
puis dix ans, après avoir été élève
puis interprète dans la troupe de
l’Opéra. On va depuis quelques
années vers de plus en plus de per-
fection et de propreté du geste, au
risque de laisser de côté la vivacité
et la fougue de chaque danseur. »
En dépit des cours en visio et
d’un suivi régulier pendant le con-
finement, il a fallu pousser plus
fort l’endurance et le cardio. « On a
beaucoup de chance de continuer
à s’entraîner, affirme Léa, 18 ans.
Le confinement m’a appris à gérer
les choses seule et de façon auto-
nome, avec le programme donné
par l’Ecole. » Même conviction
chez Rose, 15 ans. « Le confinement
nous a interrompus en plein milieu
de l’année, au moment où on allait
monter sur scène pour Coppélia, se
souvient-elle. J’ai continué à tra-
vailler à la maison. J’ai acheté une
barre, mais il y a, néanmoins, un
peu la sensation qu’il faut rattraper
le temps perdu. Sans compter qu’il
a fallu s’habituer au masque. »
Les exercices ont été un peu
raccourcis, et la récupération
entre eux légèrement allongée.
En répétition dans l’auditorium
du ballet d’Auguste Bournonville
intitulé Napoli – lequel est prévu,
si la situation sanitaire le permet,
du 24 au 28 avril au Palais Garnier
à Paris –, Carole Arbo, étoile de
l’Opéra de Paris, professeure de-
puis 2001, pointe les nombreuses
difficultés liées au masque. « Il
faut éviter les malaises, car les élè-
ves aspirent le masque en dansant.
Par ailleurs, il bloque la mâchoire.
Quant au rapport à l’équilibre, il est
perturbé, car [ils] ne voi[en]t pas
[leur]s jambes. »
« C’est aussi frustrant, au niveau
du contact, mais je vois quand
même les sourires des élèves »,
ajoute Karl Paquette. Arrivé en
septembre 2020 dans l’équipe des
treize professeurs de classique
(tous passés, enfants, par l’Ecole,
puis devenus interprètes dans le
Ballet de l’Opéra – ce qui assure
une continuité à l’enseignement),
l’étoile, à la retraite depuis 2018,
s’occupe des enfants âgés de
10 ans à 12 ans. « Il faut être à leur
écoute, car ils débutent et sont loin
de leur famille, dit-il. Je veille à
avoir une classe homogène et à
ne laisser personne sur le carreau.
Il s’agit par ailleurs de rester dans
le plaisir et la créativité, même si
cette discipline est difficile. » p
rosita boisseau
ARC HIT E CT U RE
Le plan de réhabilitation
de la Butte-Rouge validé
Le plan de réhabilitation de la
cité-jardin de la Butte-Rouge,
contesté par des associations
du patrimoine et porté par
la mairie LR de Châtenay-
Malabry (Hauts-de-Seine),
a reçu un avis favorable du
commissaire enquêteur,
a annoncé la municipalité,
vendredi 19 février. Ce quar-
tier architectural et paysager
a été construit à partir des
années 1930 dans un style
minimaliste Bauhaus pour
loger les ouvriers. L’ancien
maire LR de Châtenay-Mala-
bry, Georges Siffredi, devenu
président du conseil départe-
mental des Hauts-de-Seine,
avait lancé le plan, critiqué
par des urbanistes, afin d’édi-
fier « une cité-jardin du
XXIe siècle ». Les promoteurs
du projet souhaitent densifier
l’habitat, en démolissant,
en surélevant ou en agrandis-
sant certaines maisons. « Seu-
lement 15 % de la Butte-Rouge
sera préservé » si le projet
est entériné, avaient dénoncé
les associations qui lui sont
hostiles. Roselyne Bachelot,
la ministre de la culture, avait
plaidé pour le classement du
quartier aux sites patrimo-
niaux remarquables. – (AFP.)
22 | télévision
Paysans, de génération en génération
Fabien Béziat et Agnès Poirier retracent un siècle de métamorphoses en milieu rural, raconté par ceux qui l’ont vécu
FRANCE 2
MARDI 23 - 21 H 05
DOCUMENTAIRE
A
dieu veaux, vaches,
cochons et Salon de
l’agriculture. Pour pal-
lier l’annulation de
cette manifestation tant appré-
ciée des professionnels et des visi-
teurs, France Télévisions propose
jusqu’au dimanche 7 mars une
programmation spéciale, laquelle
débute par un état des lieux histo-
rique : Nous paysans.
Classique sur le fond (dans la
mesure où il relate les métamor-
phoses des campagnes françaises
depuis 1900, portées par la voix
de l’acteur Guillaume Canet),
il séduit par sa forme en donnant
la parole aux agriculteurs eux-
mêmes sur plusieurs générations
(et parfois dans la même famille),
pour mieux évoquer leur vision
lucide et drôle de ces change-
ments radicaux, subis ou désirés,
du manque de reconnaissance,
des batailles et des envies, loin
des clichés sur les « ruraux ».
Vieux et jeunes alternent à
l’écran. André Pochon, octogé-
naire malicieux et souriant vi-
vant dans les Côtes-d’Armor, se re-
mémore son enfance – « On était
pauvres mais pas miséreux (…).
C’était préhistorique ! » –, puis, des
années plus tard, la manière dont
il a choqué son entourage en se
Heureux, qui comme un prince, a fait un beau voyage
Le pionnier de l’animation Jean-François Laguionie et Xavier Picard signent un film philosophique, drôle et poétique
CINÉ+ FAMIZ
MARDI 23 - 20 H 50
FILM
S ous le film d’aventure se ca-
che une œuvre au souffle
révolutionnaire. Un vieux
singe, prince en son pays, échoue
sur un rivage et découvre un
autre peuple de primates, les
Nioukos, qui s’expriment et sont
vêtus comme des humains. L’un
d’eux, le jeune Tom, se lie d’ami-
tié avec ce nouveau venu, grave et
facétieux. Tom présente son nou-
vel ami à ses parents, un couple
GRILLE N° 21 - 045
PAR PHILIPPE DUPUIS
1 2 3 4 5 6
I 9
II
III
IV
V 6
VI
VII
VIII
IX
X

Marion Debats, agricultrice en Lot-et-Garonne. PROGRAM 33/FRANCE TÉLÉVISIONS
faisant construire une maison
afin de profiter, avec sa famille,
du confort moderne. Il y habite
toujours. Il faudrait pouvoir tous
les citer : les jeunes Benjamin
Chamoy (Eure) et Grégory Bordes
(Lot-et-Garonne), qui racontent
les anecdotes de leurs grands-pè-
res ; Marion Debats (Lot-et-Ga-
ronne), la petite trentaine ; Marie-
Thérèse Lacombe, dans l’Aveyron
de scientifiques banni de l’Acadé-
mie pour avoir prétendu que
d’autres civilisations existaient.
Reclus dans un muséum d’his-
toire naturelle, le couple voit dans
l’arrivée du vieux singe la pers-
pective de réhabiliter sa thèse…
Mais le prince érudit n’entend pas
se laisser étudier comme une
bête sauvage. Le burlesque s’ins-
talle dans le film, et les parents
ne tardent pas à se retrouver dans
la situation de l’arroseur arrosé.
Ainsi commence Le Voyage du
prince, de Jean-François Laguio-
nie et Xavier Picard, dans l’atmos-
7 8 9 10 11 12
(« Chef-lieu : Rodez ; 1 mouton à
l’hectare ») ; Geneviève Callerot,
une Périgourdine âgée de 104 ans.
Rôle de l’Eglise
Outre les habituelles images d’ar-
chives, le film réserve de belles
trouvailles. Comme l’album photo
d’une famille du Vexin sur huit gé-
nérations, la lecture d’extraits de
La Vie d’un simple, d’Emile Guillau-
phère d’une société repliée sur el-
le-même. Vingt ans avant ce film,
Laguionie avait signé Le Château
des singes (1999), que l’on peut
voir comme un préambule : il y
est question d’une tribu de pri-
mates vivant à la cime des arbres
et redoutant de tomber dans le
monde d’en bas, peuplé, dit-on,
d’êtres à la réputation maléfique.
Derrière l’histoire d’amitié en-
tre Tom et le vieux singe,
Le Voyage du prince est un conte
philosophique aux multiples ra-
mifications, une réflexion sur la
rencontre avec l’autre, sur les rap-
HORIZONTALEMENT
I. Convient mieux aux serviettes
qu’aux torchons. II. Porteur d’avenir.
Beau parleur emplumé. III. Calcé-
doine rouge-orangée. D’un auxiliaire.
IV. Support de quille en construction.
Galère grecque. V. A l’encoignure d’un
comble. Supprimai. VI. Personnel.
Criquets et autres bons sauteurs.
VII. Cria comme un cervidé. Source
d’informations moscovite. VIII. Chef
de gang. Enfant de Sara et d’Abraham.
Long cours italien. IX. Arrondisse-
ment du Pas-de-Calais. Bonne
mesure pour alimenter la monture.
X. Peuvent facilement disparaître.
VERTICALEMENT
1. Ferme l’œil au grand jour. 2. Tou-
jours collectionnées même si leur
production est en déclin. 3. Tranche
de colin. Deux gouttes de cognac.
4. Ancienne échelle de sensibilité.
Filtra les rayons. 5. Pour les amateurs
de noirs parfumés. 6. Equipé pour
min (1904), qui pour la première
fois met en lumière le rôle crucial
du monde agricole, alors méprisé.
L’écoute des cylindres enregis-
trés par Ferdinand Brunot afin de
conserver une trace sonore des
patois parlés au début du XXe siè-
cle se révèle très drôle. On décou-
vre également les autochromes
d’Albert Kahn, pris par le banquier
à partir de 1908, ou encore des
ports de la ville avec la nature, etc.
Laguionie et Picard situent l’his-
toire à la fin du XIXe siècle, symbo-
lique de l’ère industrielle, de la
croyance dans le progrès et dans
l’existence de races supérieures.
C’était aussi l’époque des exposi-
tions coloniales. Incarnation de la
« pensée unique », les académi-
ciens rappellent les caricatures
politiques du peintre Honoré
Daumier (1808-1879) : la plupart
pérorent dans une atmosphère
de cour d’école qui n’est pas si
éloignée de l’actuelle Assemblée
nationale.
SUDOKU
N°21-045
2 5
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2 5 3 1
3 5 7 9 seule fois par ligne,
8 1 6 4
Réalisé par Yan Georget (https://about.me/yangeorget)
S
& CIVILISATION
NS
scènes de Farrebique ou les Quatre
Saisons, film de Georges Rouquier
(1946) « acclamé, lors du premier
Festival de Cannes », par ceux qui le
virent, rappelle Guillaume Canet.
Le film s’arrête ensuite sur la
place de l’Eglise catholique dans le
milieu rural, sur la JAC (la Jeunesse
agricole catholique) et le rôle social
et émancipateur méconnu qu’elle
a pu avoir, aussi bien pour les filles
que pour les garçons – comme le
raconte ici Michel Debatisse, an-
cien président de la Fédération na-
tionale des syndicats d’exploitants
agricoles. Il sera de toutes les ba-
tailles, à compter des lois d’orien-
tation de 1960-1962 (remembre-
ment, PAC, Larzac, Languedoc…).
Alors qu’un exode pousse les
jeunes vers les villes, certains de
leurs enfants font le chemin in-
verse, en direction des campa-
gnes, motivés par le retour à la na-
ture et poussés par les désillu-
sions de l’ère industrielle. Cette
nouvelle génération, riche
d’idéaux et résolument new-look,
est prête à relever les défis, à
l’exemple de Géraud Teyssedou
(Cantal) ou de Maina Chassevent
(Pyrénées-Atlantiques). Dom-
mage que le ton et la musique,
dramatiques à l’excès, ne reflètent
pas cette joie de vivre. p
catherine pacary
Nous paysans, de Fabien Béziat
et Agnès Poirier (Fr., 2021, 90 min).
C’est toute la force de cette
œuvre malicieuse qui, au détour
de dialogues évocateurs, inter-
roge ce début de XXIe siècle.
Lors d’une balade nocturne dans
la ville, au décor inspiré des ta-
bleaux de Gustave Doré (1832-
1883), le vieux singe, tel Candide,
découvre des gens au travail,
fabriquant tous les mêmes pro-
duits, des habitants pressés de
rentrer chez eux derrière les
grilles d’immeubles…
Le film bifurque dans le fantasti-
que lorsque la nature et les arbres,
se vengeant d’avoir été repoussés
2 6 8 1 4 9
7 1 9 5 6 3
3 4 5 7 8 2
8 4 5 2 8 9 1 6
9 3 1 4 7 6
4 8 7 6 2 3 5 1
6 9 7 3 2 4
5 2 3 6 1 8
3 1 8 4 9 5 7 3
Très facile
Complétez toute la
8 9
grille avec des chiffres
5 2
allant de 1 à 9.
Chaque chiffre ne doit
être utilisé qu’une
par colonne et par
carré de neuf cases.
 


0123
MARDI 23 FÉVRIER 2021
NOTRE
SÉLECTION
M A R D I 2 3 F ÉV RI E R
LCP
Embargo sur l’Iran
20.30 Cette solide enquête
de Magali Serre explique pourquoi
l’histoire de l’Iran reste, depuis près
d’un demi-siècle, étroitement liée
à celle des Etats-Unis. Documentaire
suivi, à 21 h 30, d’un débat intitulé
« Iran : vers la fin de l’embargo ? ».
Arte
La Fabrique de l’ignorance
20.50 Documentaire inédit
avec Stéphane Foucart (journaliste
au Monde) et le philosophe Mathias
Girel. Des dégâts causés par
les lobbys aux angles morts
de la science, une analyse
méthodique et fouillée
de la mécanique de l’ignorance.
RMC Sports
Ligue des champions
21.00 Lazio-Bayern et Atletico-
Chelsea, deux belles affiches
visibles en direct sur RMC Sports,
diffuseur exclusif de la prestigieuse
compétition européenne, avant
de laisser place à Canal+, la saison
prochaine.
C8
Imitation Game
21.15 Film de Morten Tyldum
retraçant la vie du mathématicien
britannique Alan Turing, entré
en 1939 au service de son pays
pour décrypter le code secret des
transmissions allemandes. Avec un
formidable Benedict Cumberbatch.
en dehors de la cité, se mettent à
envahir la ville. Dans la solitude
du muséum d’histoire naturelle,
laissé à l’abandon, la mère de Tom
teste alors une invention visant à
ratatiner les plantes. C’est diaboli-
que, drôle et jamais trop appuyé.
Il est temps pour Tom et le prince
de s’élever dans les hauteurs où
les attend une autre société. Au-
dessus des pavés, la canopée. p
clarisse fabre
Le Voyage du prince, de Jean-
François Laguionie et Xavier
Picard (Fr.-Lux., 2019, 76 min).
0123 est édité par la Société éditrice
du « Monde » SA. Durée de la société :
99 ans à compter du 15 décembre 2000.
Capital social : 124.610.348,70 ¤.
Actionnaire principal : Le Monde Libre (SCS).
Rédaction 67-69, avenue Pierre-Mendès-France,
75013 Paris. Tél. : 01-57-28-20-00
7 3 5
2 8 4 Abonnements par téléphone au 03 28 25 71 71
9 6 1 (prix d’un appel local) de 9 heures à 18 heures.
7 3 Depuis l’étranger au : 00 33 3 28 25 71 71.
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5 1 8
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2 6 Par courrier électronique :
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Internet : site d’information : www.lemonde.fr ;
Emploi : www.talents.fr/
Collection : Le Monde sur CD-ROM :
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n° 0722 C 81975 ISSN 0395-2037
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Laurence Bonicalzi Bridier PRINTED IN FRANCE
la défonce. Fume et culmine aux & CIVILISATIO
  
 67-69, avenue
SOLUTION DE LA GRILLE N° 21 - 044 Philippines. 7. Poussait à la colère. 

  
 Pierre-Mendès-France
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0123
MARDI 23 FÉVRIER 2021 carnet | 23

Philippe Chatel
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uteur et compositeur 23 FÉVRIER 1948 $ I$"$JC? D$=OI$ "$ I$4$I4$
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d’Emilie Jolie, qui, de- Naissance à Paris
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puis sa création en 1977 Premier succès avec la =%$   <F=6JJ$=1<6;F?<
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classique du disque et du conte 1979 Première version $J ?;;(1R$J "69?==6J! J$J C$O6OJ5$=+=OJ!  ;H1$ "$ GROI$5T6=1O5"?RX$ =J $ CI%J6"$=O
musical, le chanteur Philippe Cha- phonographique du conte $J %;(T$J! "$ ;H?;$ IO6GR$ "$J RO$J OR"$J!
tel est mort, à l’âge de 72 ans, à son musical « Emilie Jolie » $O J$ J?RT6$==$=O "$  "?W$==$
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crise cardiaque. La nouvelle a été sion d’« Emilie Jolie » 9?RI=;6JO$ R  O ;$J <7OI$J "$ ?=+%I$=$J!
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annoncée, vendredi 19 février, 19 FÉVRIER 2021 Mort
*5    *5  

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dans l’après-midi, par sa fille Emi-
lie, pour laquelle Philippe Chatel
avait créé son célèbre spectacle.
Né le 23 février 1948, à Paris, Phi-
lippe Chatel est le fils du réalisa-
1',52  
teur de télévision François Chatel,
connu notamment pour des
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adaptations d’œuvres littéraires,
dans les années 1960 et 1970. Ses
parents divorcent lorsqu’il est en-
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fant et sa chanson Marie et Fran-
çois, en 1976, évoquera cette pé-
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riode (« Elle s’appelait Marie/Il
à Paris
Pour interpréter les différents
personnages, Chatel fait appel à
Brassens, Salvador, Françoise
Hardy, Sylvie Vartan, Isabelle
Mayereau, Julien Clerc, Eddy
Mitchell, Robert Charlebois, des
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chanteurs qui sont un peu de sa
famille musicale, Louis Chedid,
Yves Simon, Laurent Voulzy, Alain
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Vincent, qui interprète Emilie,
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il découvre l’œuvre de Georges L’histoire est savoureuse,
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Brassens, ami de la famille, et ap- l’interprétation parfaite, les en- O ;H$=J$<;$ "$ J +<6;;$!
prend la guitare, vers l’âge de fants et les parents adorent. Jean- I6J6;;$ "$ 61=$I?;;$J! *5&,1' 
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10 ans, en l’écoutant. Ce dernier, à Christophe Averty en réalise $J +<6;;$J I?JJ $O 61=$I?;;$J! ?RJ $RV GR6 ;H?=O 6<%$! CIO "R "%(J "$
qui il présente ses premiers tex- en 1980 une adaptation pour la ?RJ $RV GR6 ;H?=O CCI?4%$! JRIT$=R RV ;<$;;$J!
tes, l’encourage.
Après le service militaire, Phi-
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lippe Chatel obtient un petit bou-
05*', 
lot de coursier pour Henri
télévision avec peu ou prou les
mêmes interprètes (Virgine Ver-
rière y est Emilie), des trucages
vidéo qui rendent bien le monde
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Salvador. Doté d’une voix douce, imaginaire du conte.  J;=!
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chaleureuse, il enregistre une En 1984, alors que Philippe
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poignée de 45-tours pour CBS Chatel continue de mener sa CI R=$ ;$R%<6$ II$ ?=OI$ ;GR$;;$
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(Doux mois d’août, Maria) ou carrière de chanteur, avec un $;;$ ;ROO6O "$CR6J "$RV =JF $J ;<$;;$J!
Pathé-Marconi (Je serai là, Dors, succès moindre que celui de ses "?=O 6;J ?=O CR "<6I$I ; 1%=%I?J6O%! 0))YY 6;;$+?IOF 41') /
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l’enfant, dors). premiers tubes et d’Emilie Jolie 6=O$5?W5;5I="$!
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« Emilie Jolie », immense succès
Le succès viendra avec J’t’aime
(un autre conte, Les Aventures de
Tom-Tom-Tommy, en 1983, les
chansons Quand j’étais petit, All
I$ROXU;"! CR6J  ?I"$RV! R  O%<?61=%J "=J J ;ROO$ ?=OI$ R= O4;6$ ?=J?;;$! =%$ ;6$5$+$TI$!
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J$;;$ $O $=5T$J %1?R6! ;$RIJ $=+=OJ!
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ouvre son premier album, Ana- conte est adapté en spectacle 6I?="$ 2 $RV I(I$J 3 O$R "R
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dans mon lundi. Suivront Ma ly-
céenne en 1978 et Mister Hyde –
$IOI=" $=R"! ?=O %O% ;?IJ OI(J O?R4%J CI O?RJ
musical au Cirque d’hiver et au COI6<?6=$ .RT6?5<I6O6<$ ;JJ% ?C46$ $O I;
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En 1990, Philippe Chatel enre- $J =$T$RV $O =6($J!
$O <%;?<=$ $=O4?RJ6JO$F W;6JO$ ?;;?IO$RIJ! GR$ $ J?6O CI ;$RI
en 1979 sur son deuxième album, gistre l’album Anyway, avec no- RI6=$ "$CR6J O?R9?RIJ! JC?IO6T$ $=?7O $O
=6O II?GR$!
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T6J6O$RJ$F R4(I$ OI(J "I?6O$ * $J C$O6OJ5$=+=OJ
tout emporter en 1981, qui ouvre
l’album Maquillages, et Yin Yang,
en 1982, allègre fantaisie pop, et
l’album du même nom. Autant de
Memory, dans laquelle il cite des
titres du groupe dont il aura sou-
vent dit qu’il avait été celui qui a
accompagné toute sa vie. En 1997,
JCI6O ;6I$! ?I616=; $O 6$=T$6;;=OF O J$J II6(I$5C$O6OJ $=+=OJ! ++,5* 
 $RI "%OI$JJ$! CR6J ; I6J$

<6$ -"(;$! CI J +I=46J$! J?= J=6O6I$! ;$J ?=O $<C&4%! 4%;J! ;$J
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que de ses chansons, de la finesse enregistrée, cette fois avec Zazie, QQ +%TI6$I!  BL 4$RI$J! R I%<O?I6R< 1,-'2 
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de ses textes. Maurane, Lara Fabian, Jacques "$
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Entre J’t’aime bien Lili et Yin Dutronc, Alain Bashung, Johnny C;%$J ;$ ;$="$<6=!  BB 4$RI$J! "=J
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Yang, il y a eu l’immense succès Hallyday… 6<$O6(I$ CI?O$JO=O! B>P! IR$ R"8GR$! ;$ B) +%TI6$I QYQB! "=J J GROI$5T6=1O5
d’Emilie Jolie. Après que sa fille lui En août 2006, Philippe Chatel  ?I"$RVF GRO?IX6(<$ ==%$F
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avait demandé une chanson avec est victime d’un accident alors 
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ton laveur rêveur… sylvain siclier
24 | 0123
MARDI 23 FÉVRIER 2021

En Afrique, soigner malgré le Covid-19

Même si le continent est moins touché que les pays du Nord, l’accès à la santé est freiné par la pandémie

C’
est un avertisse-
ment qui est passé
presque inaperçu.
En septembre 2020,
les Nations unies prévenaient
que trente ans de « progrès re-
marquables » en termes de santé
maternelle et infantile ris-
quaient d’être « réduits à néant »
par la crise sanitaire due au Co-
vid-19. La crainte d’être conta-
miné sur le lieu de consultation,
la baisse des revenus des familles,
les limites aux déplacements
mais aussi les problèmes d’appro-
visionnement en médicaments
et matériels ont fortement per-
turbé l’accès aux soins.
Les enquêtes menées par le
Fonds des Nations unies pour
l’enfance (Unicef) et l’Organisa-
tion mondiale de la santé (OMS)
ont révélé d’importantes pertur-
bations des services de santé
essentiels dans plus des deux
tiers des pays du monde en 2020 :
jusqu’à 63 % de baisse du suivi
pré et postnatal, une prise en
charge des enfants malades et
malnutris réduite de moitié, une
explosion des violences faites
aux femmes et aux filles, que la
Sud-Africaine Phumzile Mlam-
bo-Ngcuka, directrice d’ONU
Femmes, n’a pas hésité à quali-
fier de « pandémie de l’ombre ».

Toute une chaîne bouleversée

En trente ans, la santé maternelle
et infantile a pourtant connu des
avancées considérables dans le
monde : le nombre de décès de
mères et d’enfants de moins de
5 ans est ainsi passé de 12,5 mil-
lions en 1990 à 5,2 millions Dans un centre de santé de Bundji, à quelques kilomètres de la ville de Béni, en République démocratique du Congo, en octobre 2020. PAMELA TULIZO / ALIMA
en 2019, son niveau le plus bas.
L’Afrique, qui totalise encore à
elle seule plus de la moitié de
cette mortalité, a pris sa part consultations classiques. Sur le en argent et en personnel, mais in- rues et les chemins pour con-
dans ces progrès, la réduisant en
« Rougeole, continent africain, outre Mada- vestir davantage dans les systè- seiller, expliquer, repérer les
La « marraine
moyenne de 43 %, d’après les fièvre jaune, gascar, le Cameroun, la Républi- mes qui ont prouvé leur résilience femmes isolées ou les enfants de quartier »
chiffres de l’Unicef. Mais le conti- que centrafricaine (RCA), la Libye grâce au Covid-19 », poursuit le oubliés du carnet de vaccination.
nent, quoique moins touché que
choléra, épisodes et le Soudan ont été particulière- médecin qui a également été en Désamorçant aussi les peurs, la
ou le « père
les pays du Nord par le Covid-19 d’Ebola, tout cela ment touchés par la désorganisa- poste en RCA et au Mali. désinformation et les pesanteurs éducateur »
avec 100 000 décès officielle- tion, selon l’Unicef. sociales qui les tiennent éloignés
ment recensés à la mi-février, a
absorbe déjà « Rougeole, fièvre jaune, cho- Systèmes de proximité du poste ou de la case de santé qui
conseillent,
lui aussi vu toute sa chaîne de beaucoup léra, épisodes d’Ebola, tout cela Au centre de l’attention pour les n’est parfois qu’à quelques kilo- repèrent les
santé bouleversée. absorbe déjà beaucoup de fonds acteurs de terrain : le renforce- mètres de chez eux.
« La pandémie a posé des pro-
de fonds et de et de personnel. L’arrivée de l’épi- ment des systèmes de proximité, « L’agent communautaire est
femmes isolées
blèmes de continuité pour la personnel » démie de Covid a rendu la du centre de santé aux équipes tout au bout de la chaîne du sys- ou les enfants
santé maternelle et infantile, no- situation encore plus difficile, elle mobiles, en passant par les agents tème de santé, mais il en est un
tamment parce que les effectifs
DEOGRATIAS MANIRAKIZA
a notamment perturbé le système communautaires. Ni médecin, ni élément-clé. Il crée la confiance
oubliés du carnet
médecin pour l’Unicef
ont été réduits pour être proté-
basé à Kinshasa (RDC)
pour les maladies évitables par la infirmier, ni sage-femme, l’agent entre la population et les soi- de vaccination
gés : jusqu’à 50 % du personnel a vaccination. Il faut absolument communautaire est capable de gnants. Il est souvent le seul à
été absent dans les centres de que cette crise soit l’occasion de prendre en charge un cas de palu- pouvoir conduire le médecin ou
santé de base, ce qui a abouti à renforcer les systèmes », explique disme, une diarrhée infantile l’infirmière dans le dédale des déterminer collectivement les
fermer pendant quelque temps productive pour Médecins du de son côté le docteur Deogra- aiguë, de créer une pharmacie de quartiers pour lesquels il n’existe priorités de santé. Ce travail de pé-
certains services, comme le plan- monde, basée à Antananarivo, à tias Manirakiza, médecin pour base et de délivrer des médica- pas de plan », souligne Véronique dagogie approfondit le lien avec
ning familial ou la consultation Madagascar. S’y est ajoutée la l’Unicef basé à Kinshasa, en ments essentiels. Rajaonarivelo. les autorités coutumières. Car la
prénatale », confirme Véronique réaffectation d’une partie des République démocratique du Respectés des habitants, la Enfin, l’agent forme à son tour réussite d’une campagne vacci-
Rajaonarivelo, responsable mé- centres à la riposte contre le Congo (RDC). « Il faut non seule- « marraine de quartier » ou le des personnes-ressources au sein nale ou d’un programme de pla-
dicale de la santé sexuelle et re- Covid-19, au détriment des ment sanctuariser les ressources « père éducateur » sillonnent les des villages, leur permettant de nification familiale dépend
autant du soutien du chef de vil-
lage ou de l’imam que de l’accès
aux médicaments.
Au Sénégal, la course de fond de la planification familiale La crise due au Covid-19 a en-
core confirmé son importance :
c’est sur lui que les autorités de
« je voulais avoir le temps de m’occu- quiets de cette baisse de fréquentation réparties sur des chaises en plastique « Je les rassure et je réponds à leurs inquié- santé de nombreux pays afri-
per de mes enfants et de ma santé. » A la car les besoins, eux, restent les mêmes, espacées ou assises à un mètre de dis- tudes concernant les effets secondaires. cains ont pu s’appuyer pour in-
sortie de la modeste salle de consulta- note Salimata Diouf Cissé, directrice de tance les unes des autres sur les bancs Nous discutons en toute confidentialité former, expliquer les gestes
tion d’un poste de santé de Rufisque, en MSI au Sénégal. La continuité des servi- de la salle d’attente. Le chauffeur de pour s’assurer qu’elles fassent un choix barrières et la conduite à tenir en
banlieue de Dakar, Nour Fall se dit soula- ces est essentielle, par exemple pour pren- l’équipe mobile s’est transformé en res- libre et éclairé », détaille la sage-femme. cas de symptômes. « Les épisodes
gée. Cette mère de quatre enfants a pu dre en charge les femmes qui ne suppor- ponsable Covid-19 : il impose le lavage Pour atteindre un maximum de fem- successifs d’Ebola avaient déjà dé-
choisir le moyen de contraception qui tent pas les effets secondaires d’un con- des mains à l’entrée et vérifie que le mes, les équipes de santé s’appuient sur montré la résilience de l’organisa-
lui convient : un implant qui sera actif traceptif non adapté. Le risque est qu’elles masque est correctement placé sur le les acteurs communautaires, et notam- tion communautaire », rappelle
pour les cinq années à venir. arrêtent de le prendre. » visage. Un protocole qui rassure les ment sur les badiénou gokh, marraines le docteur Manirakiza.
Au cours de la journée, une trentaine Or le Sénégal, qui comptait 4,6 enfants femmes venues consulter : elles sont de quartier dont la parole est écoutée. Les associations de terrain
de femmes viendront consulter les deux par femme en 2018 selon la Banque près de 20 500 à avoir été reçues au der- C’est l’une d’elles qui a prévenu Oumy comme les grandes agences onu-
sages-femmes envoyées en renfort dans mondiale, commence à peine à voir les nier trimestre 2020. Ndiaye de la présence des sages-femmes siennes plaident aujourd’hui
ce centre habituellement animé par une résultats de ses efforts en matière de pla- ce jour-là dans le quartier. « Je suis venue pour renforcer ce rôle essentiel.
seule infirmière. Toutes deux travaillent nification familiale. Si le pays n’a pas at- Les barrières sociales se lèvent pour un dépistage du col de l’utérus car « L’agent de santé doit être encore
pour l’ONG Marie Stopes Internatio- teint l’objectif, fixé par le gouverne- Ne pas interrompre les soins est d’autant j’ai des douleurs partout dans le corps et mieux formé et bien rémunéré »,
nal (MSI), dont les onze équipes mobiles ment, de 45 % de taux de prévalence con- plus important que les barrières sociales, surtout dans le sein gauche », témoigne précise M. Manirakiza qui conclut :
sillonnent le territoire sénégalais en traceptive en 2020, il est passé de 16 % à culturelles et religieuses commencent à la mère de famille de 47 ans. « Le coronavirus fera partie de nos
s’appuyant sur les structures de santé 26 % entre 2012 et 2020. Une course de se lever. « A Dakar, la planification fami- Alors qu’il n’est pas toujours facile de vies comme d’autres épidémies
existantes, pour offrir aux femmes un fond qu’il ne faut pas stopper, au risque liale n’est plus vraiment taboue », se féli- parler du corps, de la sexualité ou de la avant lui. Il faut l’intégrer à nos sys-
accès gratuit aux soins : planification fa- de fragiliser les avancées. « Les femmes cite Coumba Dieng, coordinatrice des contraception, les acteurs communau- tèmes de santé comme on l’a fait
miliale, dépistage du cancer du col de avaient peur de contracter le virus en fré- équipes mobiles. D’ailleurs, ici on parle taires permettent de sensibiliser les pour le choléra ou la fièvre jaune. Il
l’utérus ou traitement des infections quentant des structures sanitaires. Nous de « clientes » et non de « patientes » femmes, mais également les maris et ne faut pas oublier qu’en RDC, par
sexuellement transmissibles. avons dû nous adapter pour continuer le pour ne pas assimiler la planification fa- les belles-mères, qui ont une influence exemple, 6 000 enfants sont morts
Ces activités avaient pourtant baissé service des équipes mobiles, mais aussi miliale à une maladie. sur leurs choix. Un travail de proximité de la rougeole rien qu’en 2020, alors
au début de la pandémie causée par le les visites à domicile et les causeries, tout « Les maris disent souvent que la reli- crucial rendu plus compliqué depuis la que le Covid-19 n’a même pas tué
coronavirus. Alors que 16 600 femmes en respectant les mesures barrières », ex- gion interdit de limiter les grossesses. crise due au Covid-19. Les causeries ont 1 000 personnes. » p
avaient été prises en charge au premier plique Gaëlle Diop, responsable des opé- Mais nous proposons l’espacement des dû être réduites à seulement une quin- sandrine berthaud-clair
trimestre 2020, elles n’étaient plus que rations de l’ONG. naissances, c’est différent », explique Awa zaine de femmes afin d’éviter les ras-
7 683 au deuxième trimestre, période à A Rufisque, la petite cour sablonneuse Diouf, équipée d’une mallette remplie semblements plus importants. p Cette page a été réalisée
laquelle la première vague de Covid-19 a devant le poste de santé est d’habitude des différents contraceptifs afin que les théa ollivier dans le cadre d’un partenariat
frappé le Sénégal. « Nous avons été in- remplie. Désormais, les femmes sont femmes puissent les voir et les toucher. (dakar, correspondance) avec Cartier Philanthropy.
0123
MARDI 23 FÉVRIER 2021
Margaux Keller
ou la virtuosité
poétique
A 34 ans, la créatrice marseillaise
au design tout en rondeurs et
couleurs subtiles a déjà sa propre
maison d’édition et des best-
sellers derrière elle. Portrait
DESIGN
E
lle n’a pas l’accent chan-
tant, mais elle a fait de
Marseille, la ville de son
enfance, le siège de sa pe-
tite maison d’édition et le cœur
battant de son inspiration. Cela
lui a plutôt bien réussi : en dix ans
seulement, Margaux Keller s’est
imposée en tant que designer vir-
tuose, avec un parcours à faire
pâlir d’envie.
Diplômée en 2010 de l’Ecole na-
tionale supérieure des arts appli-
qués et des métiers d’art Olivier
de Serres puis de l’école Boulle,
à Paris, avec les félicitations du
jury, elle se forme d’abord dans
Le vase Hualos
(série « Vue mer ») créé
par Margaux Keller,
ici en février 2019.
LAURE MELONE
Yves Saint Laurent Beauté, Dior
La jeune femme Parfum, Bibelo, Hartô, Habitat,
a fait le pari Compagnie française de l’Orient
et de la Chine… : la liste de ses col-
de quitter Paris laborations n’en est que plus lon-
pour s’installer gue.
à Marseille. Un mode de production raisonné
« Je me suis jetée Dès 2012, la jeune femme a fait
le pari de quitter la capitale pour
à la mer », dit-elle s’installer à Marseille. « Je me suis
en souriant jetée à la mer, dit-elle en souriant.
A l’époque, ce n’était pas la cité
effervescente d’aujourd’hui. C’est à
partir de 2013, en tant que Capitale
pas. Dès ses débuts, elle collabore européenne de la culture, que Mar-
avec Made.com, qui vient d’in- seille a pris son essor. » Margaux
venter la vente en ligne de design Keller, qui a installé son studio
contemporain accessible à tous, dans le 6e arrondissement, se par-
ment, elle rend hommage à l’ar-
bre majestueux du sud de la
France qui lui a tant manqué.
D’où ces verres Pichoun ondulés à
l’image des troncs qui se déhan-
chent pour s’offrir au soleil : cha-
que pièce soufflée bouche est uni-
que et signée (à partir de 92 euros
les quatre, en rose Porquerolles,
vert olive ou transparent).
Seules pièces en édition non li-
mitée : les bougies et son premier
styles | 25
parfum d’intérieur. Il associe des
notes résineuses et boisées sur
un fond de musc, comme une ba-
lade au cœur d’une calanque bor-
dée de pinède. Le flacon rechar-
geable dessiné par Margaux Kel-
ler marie, lui, le chêne foncé au
brou de noix, le laiton et une cou-
ronne en acétate de cellulose to-
talement végétale, tel un co-
quillage nacré. p
véronique lorelle
MARGAUX KELLER
EN DIX QUESTIONS
Votre définition du design ?
Esthétique, fonction et émo-
tion.
Le maître auquel vous rêvez
que l’on vous compare ?
Je n’oserai jamais me comparer
à Charlotte Perriand mais
elle est un peu mon gourou.
L’objet design que vous
avez toujours près de vous ?
Un Moleskine, un Criterium
(et un iPhone il faut l’avouer).
La matière ou la forme
que vous préférez ?
Le verre ou le miroir.
L’artisanat d’art qui
vous fascine le plus ?
Les souffleurs de verre.
La construction architecturale
qui fait battre votre cœur ?
La Fabrica de Tadao Ando
à Trévise. J’y ai passé une an-
née inoubliable, je suis mar-
quée au fer par cet endroit.
Votre paysage et
vos senteurs préférés ?
Le plus bel endroit que j’ai vu
jusqu’à présent : la calanque de
Sormiou. Deux falaises calcai-
res habitées d’une pinède qui
plongent dans un lagon para-
disiaque. Des senteurs iodées,
boisées et résineuses à la fois.
Si vous pouviez vous
téléporter, vous iriez…
J’adorerais vivre dans les des-
sins de Fantasia, la partie qui
se déroule dans des paysages
grecs, dans des tonalités
en dégradé avec des fontaines
d’arcs-en-ciel, des centaures
roses, des grappes de raisin
partout… Un monde d’apaise-
ment et d’insouciance.
Le mot que vous détestez
le plus ?
C’est plutôt une expression qui
selon moi ne veut rien dire :
« C’est design », à propos de
n’importe quel objet au look
épuré, souvent laqué blanc
et au profil affûté.
La maxime qui vous sert
de boussole ?
« Le génie, c’est l’enfance retrou-
vée à volonté », de Charles Bau-
delaire. p
l’agence Philippe Starck, puis à la
  
Fabrica, à Trévise, ce centre de re-
cherche d’étudiants du monde
 
 
entier, vitrine de la création,
fondé par Benetton en Italie. « J’ai
mais aussi Roche-Bobois, et jus- tage, avec succès, entre architec-
   

qu’à la galerie parisienne En at- ture d’intérieur, scénographie et
tendant les barbares, pour la- design d’objets. 
quelle elle signe une table hom-
mage à Eileen Gray, qui sera expo-
En 2019, cette grande brune,
beaucoup appris chez Starck,
d’Eugeni Quitllet à propos du de-
sign industriel et de la manière de
fabriquer une chaise, par exem-
ple ; puis de Sam Baron, qui diri-
geait à l’époque la Fabrica : il m’a
poussée à exprimer une vraie
identité créative. »
Et de la créativité, la jeune
femme de 34 ans n’en manque
 

! 



sée à l’ambassade de France, à
Rome. Le secrétaire à deux pieds
qu’elle crée pour la Redoute, le
Scriban en chêne massif, sera
pendant cinq ans un best-seller,
de même cette console haute sur-
montée d’un miroir pour Sia.
Son design est à la fois juste et
poétique, empli de rondeurs et
de couleurs subtiles. Ainsi, les ob-
jets qu’elle dessine sont de
ceux auxquels on s’atta-
che sans y prendre
garde, parce qu’ils vous
apprivoisent plus que
vous ne les apprivoisez.
mère de deux bambins, innove ! 
encore : elle s’associe à Anaïs Fre-
tigny, anciennement chef de pro-
duit pôle bijoux chez Saint Lau-
rent, pour fonder Margaux Keller
Collections. Comme le Britanni-
que Tom Dixon ou la Française
Sarah Lavoine, elle vend directe-
ment ses objets sur son site. Mais
elle les conçoit comme des séries
limitées, avec un mode de pro-
duction raisonné et des prix rai-
sonnables pour du « fait en Eu-
rope » : tout y est fabriqué, par-
fois en Italie pour le verre soufflé
par un maître vénitien que Mar-
gaux Keller affectionne particu-
lièrement, dans la région nan-
taise pour les meubles, mais es-
sentiellement dans la cité
phocéenne et son arriè-
re-pays.
Ce coin de Méditerranée
inspire ses collections. « J’ai fait le
bon choix en m’installant ici, celui
de se sentir apaisé, inspiré par
l’endroit où l’on habite, et je reven-
dique fièrement d’appartenir à
Marseille. » 
A la collection « Vue mer »
en 2019 succède « Mistral noir » 

en 2020, puis « Pin parasol », fin
  

              


   
 
Eustache, banc en chêne dessiné 2020. Dans cette dernière série,
pour Hartô. MARGAUX KELLER COLLECTIONS dessinée pendant le confine-
26 |
IDÉES
0123
MARDI 23 FÉVRIER 2021

Michel Eltchaninoff ment illicite des membres du parti Rus-

sie unie ou de l’entourage du Kremlin
rencontre davantage d’écho au sein de
la population, même la moins politisée,
que la lutte contre les clandestins. Après
un autre leader politique : Vladimir
Poutine. En 2014, le président russe sus-
cite une vague d’enthousiasme nationa-
liste en annexant la Crimée. Par cette
transgression du droit international,

Navalny a compris que la lutte le grand mouvement de protestation de

2011-2012, qui lui donne une stature na-
tionale, Navalny cesse de participer aux
« marches russes ».
il veut dévoiler la faiblesse de l’Occident
et la supériorité de l’homme russe –
prêt, selon lui, à risquer sa vie pour ses
idéaux, tandis que les Occidentaux ont

contre la corruption est

A-t-il, depuis, abandonné toute trace de pour valeur absolue le confort. Il ressus-
nationalisme ? Lisons ses déclarations. cite l’impérialisme tsariste et
En 2015 paraît un livre de dialogues entre soviétique.
Navalny et le dissident historique polo- Si quelqu’un, en Russie, a fait main
nais Adam Michnik (non traduit en fran- basse sur les sentiments nationalistes,

un meilleur angle d’attaque çais). Fondateur du quotidien Gazeta Wy-

borcza, d’origine juive, ennemi de tout
nationalisme, mais grand amoureux de
la culture russe, Michnik demande à son
interlocuteur de s’expliquer sur ce point.
c’est bien Vladimir Poutine. Navalny a
d’ailleurs compris la manœuvre : « A un
moment, le nationalisme russe aurait
pu évoluer vers un conservatisme de type
européen, explique-t-il. Malheureuse-

que le nationalisme Navalny affirme que le thème de l’immi-

gration ne saurait rester tabou dans les
milieux d’opposition. Selon lui, un ré-
gime de visas doit être établi entre la
Russie et les pays d’Asie centrale : « Tout
ment, Poutine a tout détruit, et le natio-
nalisme russe mainstream est redevenu
un nationalisme impérial. » Tandis que
Navalny réclame des règles claires pour
l’immigration en Russie, le président
Si l’opposant russe a incontestablement flirté avec

I
l n’est pas d’extrême droite, celui-là ? »
On entend souvent cette petite
phrase ces temps-ci. La question est
ancienne. En 2015, Jean-Luc Mélen-
chon traitait même Alexeï Navalny
« d’extrémiste xénophobe » et « d’antisé-
mite ». Si les présupposés idéologiques et
les intentions polémiques sont parfois
– comme ici – transparents, la question
du nationalisme de Navalny ne peut pas
être balayée du revers de la main. Elle est
aussi soulevée en Russie. En 2013, l’écri-
vain Boris Akounine, l’une des figures
de l’opposition démocratique, interroge
Navalny sur son goût « pour la rhétorique
nationaliste », exprimant ses doutes sur
sa capacité à diriger un jour le pays.
Aujourd’hui, même s’ils saluent son cou-
rage, certains opposants au Kremlin se
méfient toujours de lui.
Qu’en est-il ? Le nationalisme occupe
dans le parcours politique de Navalny
une place importante, de la fin des an-
nées 2000 au début des années 2010.
En 2007, il participe à la création du
mouvement « Le Peuple » (Narod), avec
l’écrivain national-bolchévique Zakhar
Prilepine. A cette période le nationa-
lisme a le vent en poupe. Les agressions
des skinheads se multiplient, notam-
ment contre les Caucasiens. La réaction
des autorités face aux attaques racistes
est ambiguë, parfois, complaisante. Mais
beaucoup de nationalistes sont des ad-
versaires enragés de Vladimir Poutine.
des groupes d’extrême droite à la fin des années 2000,
il l’a fait par calcul politique, estime le philosophe
C’est l’époque où les adeptes de l’écrivain
Edouard Limonov, fondateur du parti na-
tional-bolchévique, souvent plus anars
que fascistes, manifestent aux côtés de
l’opposition libérale. Eux sont réprimés
sans pitié.
Des positions anti-immigration
Alexeï Navalny, au même moment, veut
coûte que coûte décloisonner l’opposi-
tion libérale, l’ouvrir à d’autres milieux
que les classes cultivées des grandes vil-
les. Il décide ainsi de s’adresser à la jeu-
nesse en colère. Pour la séduire, il fait de
la lutte contre l’immigration clandestine
l’un de ses chevaux de bataille. Il tourne
un clip dans lequel il compare implicite-
ment des combattants tchétchènes à
des mouches et des cafards, et appelle à
légaliser l’usage des armes à feu pour
s’en défendre.
Il participe, à partir de 2007, aux « mar-
ches russes », qui rassemblent chaque
année diverses organisations nationalis-
tes, jusqu’à l’extrême droite la plus radi-
cale. Il prétend de son côté défendre un
nationalisme démocratique et, dit-il,
« normal », non radical. Cette offensive
mon nationalisme se réduit à cette propo-
sition, notamment pour assurer le droit
des migrants à un permis de travail ou
une assurance médicale. » Les outils de
contrôle des flux migratoires sont,
d’après lui, les attributs des « pays civili-
sés », que devrait suivre la Russie.
politique est critiquée dans son camp.
Il est exclu du parti libéral Iabloko, dans Nouvelle période de lutte
lequel il militait. Navalny justifie son choix de s’adresser
Mais il comprend rapidement que la aux électeurs nationalistes. Il affirme
lutte contre la corruption est un angle qu’ils ne sont qu’une minorité à avoir
d’attaque bien plus efficace que le natio- « une idéologie claire », qu’ils sont
nalisme. La dénonciation de l’enrichisse- surtout indignés par l’injustice qui rè-
gne en Russie. « En réponse, continue
Navalny, ils agressent des gens qui ont
une autre couleur de peau ou des yeux
bridés. Je trouve très important de leur
expliquer que la résolution du problème
de l’immigration illégale ne se règle pas
SI L’OPPOSANT par des agressions, mais par des moyens
démocratiques. »
RELATIVISE SON Lesquels ? L’organisation d’élections
justes qui permettraient de chasser le
ENGAGEMENT PASSÉ, « parti des escrocs et des voleurs », le
C’EST AUSSI PARCE QUE parti Russie unie, qui profite, d’après
lui, des fruits de l’immigration illégale.
LE NATIONALISME Navalny adoucit donc nettement sa rhé-
torique et tente de l’articuler – histoire
AGRESSIF A ÉTÉ CAPTÉ de plaider la cohérence – à ce qui est de-
venu son nouvel angle d’attaque : la cor-
PAR UN AUTRE LEADER ruption des élites politiques.
POLITIQUE : Mais si Navalny relativise son engage-
ment passé, c’est aussi parce que le
VLADIMIR POUTINE nationalisme agressif a été capté par
russe hystérise la population contre
l’Occident décadent. Navalny est-il donc
nationaliste ? Il a incontestablement
flirté, par calcul politique, avec un cer-
tain milieu russe à la fin des années
2000, avant de trouver des outils beau-
coup plus efficaces : la dénonciation de
la corruption. Le « poutinisme » a alors
pris le relais, exploitant ces sentiments
nationalistes pour guider sa volonté de
revanche russe contre l’Occident.
Mais avec la tentative d’empoisonne-
ment et le retour de l’opposant, une nou-
velle période de la lutte entre les deux
hommes s’ouvre désormais. Vladimir
Poutine affirme que son adversaire est
un agent des Etats-Unis. Navalny tente
de parler au cœur des Russes en mon-
trant son courage. Il n’a rien d’un dange-
reux fasciste, mais c’est un homme poli-
tique déterminé, qui compte s’appuyer
sur les affects politiques de ses conci-
toyens (indignation, lassitude, admira-
tion…) pour peut-être parvenir, un jour,
au sommet de l’Etat. p
Michel Eltchaninoff, philosophe,
est l’auteur de « Dans la tête
de Vladimir Poutine » (Solin-Actes Sud,
2015) et de « Dostoïevski. Le roman
du corps » (Jérôme Millon, 2013).

Mikhaïl Khodorkovski Contre la Russie, l’option à privilégier

serait celle des sanctions personnelles et ciblées
L’ancien prisonnier politique et homme d’affaires, fondateur du mouvement Russie ouverte, appelle les Européens
et, en premier lieu, la France, à frapper directement les responsables russes qui pillent le pays et violent les droits humains

D
ans un tweet en russe,
Emmanuel Macron a dé-
noncé l’arrestation et la
condamnation d’Alexeï
Navalny. Par la voix du secrétaire
d’Etat aux affaires européennes,
les autorités françaises se sont
en outre publiquement pronon-
cées contre la mise en service du
gazoduc Nord Stream 2, projet
voulu par le Kremlin comme un
outil supplémentaire de pres-
sion économique sur l’Ukraine.
C’est un signal clair au chef du
régime criminel qui s’est emparé
de la Russie.
La position de l’Elysée n’a pas
toujours été aussi limpide. Nous
nous souvenons de nombreuses
tentatives de Paris pour mener
un dialogue avec le régime de
Poutine, comme s’il s’agissait
du gouvernement démocratique
d’un Etat de droit. Or la Russie
n’est plus un Etat de droit. Si
certains avaient encore quelques
doutes sur le sujet, les derniers
événements autour d’Alexeï Na-
valny les ont, je l’espère, enfin
dissipés.
Il n’est pas acceptable que le di-
rigeant d’un Etat qui se prétend
de droit permette à ses fonction-
naires d’empoisonner puis d’en-
voyer en prison un opposant po-
litique pour le simple fait de ren-
trer dans son pays, comme ce fut
le cas avec Alexeï Navalny. Il n’est
pas acceptable d’abandonner
l’enquête sur le meurtre d’un op-
posant comme Boris Nemtsov.
Il n’est pas non plus acceptable
qu’il puisse ordonner d’utiliser
des armes chimiques redoutable-
ment létales contre des oppo-
sants réfugiés au Royaume-Uni
comme Alexandre Litvinenko
ou Sergueï Skripal, quand bien
même il les considérerait comme
des « traîtres ».
Crime organisé
Il y a certes la nécessité de négo-
cier avec le Kremlin car il dispose
toujours d’un important arsenal
nucléaire. Cela ne doit pas nous
aveugler sur la situation réelle en
Russie dont les dirigeants pillent
les caisses, investissant en Occi-
dent l’argent ainsi volé au peuple
russe. Les divers mécanismes
européens de lutte contre la cor-
ruption et le blanchiment d’ar-
gent par le crime organisé ne
sont pas efficaces dans une situa-
tion où le pays de provenance
des fonds est lui-même contrôlé
par le crime organisé.
L’histoire montre que la Russie
fait partie de la civilisation euro-
péenne et de ce que nous appe-
lons aujourd’hui « le monde
euro-atlantique ». Ce qui se pas-
sait en Europe de l’Ouest a inévi-
tablement eu des répercussions
en Russie et réciproquement.
L’interpénétration des mondes
russe et occidental est totale, et ce
depuis bien longtemps.
Soit on respecte la morale, soit
non. Il est certes possible de res-
ter les bras croisés. Il pourrait
même être tentant de profiter
de la corruption régnant au
Kremlin. Nous pouvons déjà voir
des hommes ou des femmes po-
litiques français qui poursuivent
l’objectif de s’installer un jour à
LE RÉGIME CRIMINEL
RUSSE ASPIRE
À DÉFAIRE
LES NORMES
EUROPÉENNES
AFIN QU’ELLES
SERVENT
SES INTÉRÊTS
l’Elysée tendre la main pour qué-
mander les deniers de Moscou.
Mais cela ne restera pas en vase
clos. Si une maison est infestée
de rats, sans aucun doute, celle
du voisin le sera aussi.
Bon compromis
Alors que faire ? Mettre en place
des sanctions contre la Russie
conduira à une réduction
d’échanges économiques, mais
aussi culturels et humanitaires
avec la société russe. Ce n’est
peut-être pas la meilleure voie,
car une telle décision frappera
les citoyens russes sans distinc-
tion, et finira même par renfor-
cer les positions du Kremlin, qui
aura ainsi un argument de plus
pour clamer que le pays est en-
cerclé par ses ennemis.
Il ne faut pas permettre à la
Russie d’utiliser de telles mesu-
res pour supprimer les libertés.
Par exemple, pour ce qui est du
Nord Stream 2, un bon compro-
mis pourrait être d’accepter qu’il
soit terminé, et utilisé pour les
livraisons de gaz à l’Union
européenne, mais à condition
de maintenir aussi celles par
l’Ukraine, ce qui limiterait
également les possibilités pour
Moscou d’exercer un chantage
sur Kiev.
L’option à privilégier serait, à
mon avis, celle des sanctions
personnelles et ciblées. Il est
inadmissible d’un point de vue
éthique de permettre à des per-
sonnes qui pillent leur pays et ne
respectent pas les droits hu-
mains de dépenser en Occident
l’argent dérobé, s’offrant des
résidences de luxe pour eux-mê-
mes ou pour leurs enfants, et
faisant prospérer leurs intérêts
criminels.
Certes, personne, même l’en-
fant d’un criminel notoire, ne
devrait être privé du droit de vi-
vre et d’étudier là où il ou elle le
souhaite. Mais cela à condition
que ce soit avec de l’argent gagné
honnêtement, et non en menant
un train de vie luxueux grâce à
l’argent sale de la famille. La so-
ciété russe verrait d’un bon œil
de telles mesures d’interdictions
de visa et de gels d’avoirs pour
ceux qui ont pillé les richesses
du pays.
Volonté politique
Un instrument utile pourrait
être l’équivalent de la loi Ma-
gnitski qu’a adoptée, en décem-
bre 2020, l’Union européenne en
s’inspirant de celle votée par le
Congrès américain en 2012. Elle
porte le nom d’un juriste mort
en prison en 2009, à Moscou,
après avoir été incarcéré pour
avoir mis au jour un des nom-
breux complots liés à la corrup-
tion dans les cercles du pouvoir.
Pour être efficace, cette loi ne
doit pas être dirigée seulement
contre les exécutants d’ordres
qui vont à l’encontre des droits
humains, mais aussi contre ceux
qui les ont donnés, les proches de
Vladimir Poutine et les bailleurs
de fonds du régime, dont les
méfaits et l’avidité ont été mis
en lumière dans diverses enquê-
tes internationales.
Le régime criminel russe aspire
à défaire les normes européen-
nes afin qu’elles servent ses inté-
rêts. Pour lui tenir tête, il faut
une volonté politique et une
prise de responsabilité au niveau
de l’Union elle-même. La France
devrait pleinement assumer
cette charge, dans le contexte
d’un changement de l’équipe
dirigeante en Allemagne avec
les élections de l’automne. p
Mikhaïl Khodorkovski
est le fondateur du mouve-
ment Russie ouverte
 idées | 27
0123
MARDI 23 FÉVRIER 2021

Françoise Thom Face à la Russie, ce n’est pas en paroles

qu’il faut réagir, mais en actes, sans crier gare
Après la « claque infligée » au chef de la diplomatie
européenne, Josep Borrell, le 5 février, à Moscou,

S’
il est une leçon que l’on peut
tirer de la visite calamiteuse
du chef de la diplomatie euro-
péenne, Josep Borrell, à Moscou,
le 5 février, c’est qu’il est temps pour
l’Union européenne (UE) de repenser de
fond en comble sa politique russe. Car le
comportement de Moscou à cette occa-
sion a révélé une chose : le Kremlin con-
sidère désormais que l’UE est moribonde
et qu’on peut impunément rouer de
coups le lion devenu vieux. Mais ce n’est
pas parce qu’il se tournerait vers la
Chine, comme le ressasse l’orchestre de
Moscou. C’est parce qu’une autre struc-
ture européenne, patiemment cons-
truite par la Russie depuis des années,
est prête à prendre la relève.
Il s’agit du réseau des relations bilaté-
rales tissé par le Kremlin avec les princi-
paux pays européens, grâce auquel la
Russie espère acquérir une place cen-
trale et prépondérante en Europe. La
France ne cesse d’appeler à un « partena-
riat stratégique » avec Moscou ; les suc-
cesseurs présumés d’Angela Merkel ont
les yeux fixés sur les juteux contrats
que le Kremlin fait miroiter devant eux.
L’Angleterre, seul pays considéré comme
réfractaire par la Russie, est maintenant
hors jeu grâce au Brexit. Le traitement
humiliant démonstrativement infligé à
Josep Borrell montre que le Kremlin en-
tend désormais faire de la question
russe un « boutoir » contre ce qu’il reste
de l’Union européenne.
Il est par conséquent urgent pour
l’Union de formuler une politique russe
cohérente qui permette de resserrer les
rangs et d’éviter à l’avenir les désastres
comme celui auquel nous venons
l’universitaire spécialiste de la Russie préconise
une politique « résolue de sanctions dures »
de l’Union européenne contre le Kremlin
Occidentaux ont « humilié la Russie »,
etc. Ce genre de rhétorique a persuadé
Moscou qu’on peut souffleter les Euro-
péens, et qu’ils tendront l’autre joue.
Ceux qui préconisent le « dialogue » ne
voient pas que toute main tendue de
l’Occident est perçue en Russie soit
comme une agression camouflée – l’ex-
pression du projet prêté à l’Occident de
« démembrer la Russie » pour mettre le
grappin sur ses richesses –, soit comme
le signal d’une disposition à la capitula-
tion de « l’adversaire » (car le Kremlin
considère comme des adversaires tous
les pays qui ne sont pas des dictatures).
Paranoïa et arrogance
Il résulte de ceci que toute démarche des
Occidentaux à l’égard de la Russie se re-
tournera contre eux. Une bonne po-
litique russe est une politique où on en
fait le moins possible, où l’on parle le
moins possible, une politique d’isole-
ment, sans les déclarations fracassan-
tes, sans les menaces creuses, qui nour-
rissent à la fois la paranoïa et l’arro-
gance des occupants du Kremlin. Ceci
ne veut pas dire qu’il ne faille pas mar-
quer le coup quand Moscou pratique
le fait accompli, agresse ses voisins ou
se livre à des répressions. Toutefois, ce
n’est pas en paroles qu’il faut réagir
les permettent au régime de provoquer
un sursaut patriotique autour du pou-
voir ; on laisse entendre que les sanc-
tions sont imposées par les Etats-Unis à
une Europe qui ne demanderait pas
mieux que de manifester son « indépen-
dance » en pratiquant une politique ac-
commodante avec Moscou, bref que les
Européens doivent être « réalistes », pri-
vilégier leurs « intérêts », assurer leur
« sécurité énergétique » en soutenant le
Nord Stream 2 [projet de gazoduc entre
la Russie et l’Allemagne].
Justement, soyons « réalistes » et réflé-
chissons où sont nos vrais « intérêts »,
sans que le Kremlin nous dicte le sens
qu’il faut attribuer à ces termes. D’abord,
contrairement à ce qu’on ne cesse de
prétendre, les sanctions marchent, et
UNE BONNE
POLITIQUE RUSSE
EST UNE POLITIQUE
OÙ L’ON EN FAIT
c’était déjà le cas à l’époque soviétique.
Les archives montrent qu’elles ont dis-
suadé Khrouchtchev de pratiquer l’es-
calade au moment de la crise de Berlin
[entre 1958 et 1962], qu’elles ont dissuadé
Brejnev et Andropov d’intervenir en
Pologne en 1981 [au moment des grèves
massives conduites par le mouvement
Solidarnosc]. Si des sanctions sérieuses
avaient été adoptées après le démem-
brement de la Géorgie en 2008, au lieu
du pathétique « reset » [la relance des re-
lations russo-américaines voulue par le
président Obama], on aurait évité l’an-
nexion de la Crimée en 2014.
Viser les oligarques
Mais venons-en aux relations économi-
ques, dont on nous assure qu’elles vont
permettre un rapprochement entre l’Eu-
rope et la Russie. C’est oublier que pour
Moscou, les relations d’affaires sont
avant tout un instrument de projection
de la puissance et de l’influence russe.
En devenant le fournisseur de pétrole et
de gaz de l’Europe, le Kremlin se crée de
puissants oligarques au sein des élites
politiques occidentales, qui, comme les
oligarques russes, sont autorisés à s’en-
richir à condition de servir Moscou.
Les grandes sociétés faisant des affaires
en Russie deviennent les vecteurs de la
politique russe en Europe.
Quant à la « sécurité énergétique »
qu’assurerait le Nord Stream 2, souve-
nons-nous de la manière dont le
Kremlin ferme les robinets du gaz aux
pays de « l’étranger proche » qui ont le
malheur de lui déplaire. L’Europe a-t-
elle vraiment « intérêt » à se passer la
corde au cou ? A-t-elle « intérêt » à aug-
tout si elles visent les oligarques et les
siloviki [soit « les hommes en uniforme »,
issus des services de sécurité russes – le
KGB, puis le FSB] proches du pouvoir, ou
si elles entravent le développement des
secteurs de puissance de la Russie (éner-
gétique et armement), les seuls qui
comptent aux yeux du Kremlin. Une
politique résolue de sanctions dures
obligerait les hommes du Kremlin à se
demander si la politique de confronta-
tion voulue par le président Poutine est
vraiment conforme aux intérêts natio-
naux russes.
La claque infligée à Josep Borrell n’est
pas seulement l’expression d’un mou-
vement d’humeur du Kremlin, mécon-
tent du soutien étranger à l’opposant
Alexeï Navalny. Elle jette une lumière
crue sur un aspect essentiel de la straté-
gie de la Russie. Il s’agit de faire une dé-
monstration éclatante de la faiblesse
des Occidentaux, pour hâter l’avène-
ment d’un ordre ou, plutôt, d’un désor-
dre international postoccidental. C’est
un signal lancé à Xi Jinping, Erdogan et
consorts : voyez, nous pouvons impu-
nément nous essuyer les pieds sur l’UE
et elle passera par nos volontés.
C’est pourquoi, si nous voulons éviter
que Poutine fasse des émules, la pre-
mière règle que les Européens doivent
adopter est de ne plus faire étalage de
leur faiblesse et de leur désunion, de
riposter sans tarder aux humiliations
publiques et aux provocations. Mieux
vaut agir sans parler que parler sans agir.
Dans le monde de voyous qui nous
entoure, il est temps que l’UE apprenne à
se faire craindre. p

d’assister. Pour cela, il faut d’abord se dé-
barrasser des clichés qui nous collent à
la peau et qui défilent déjà de nouveau,
quelques jours après la volée de bois vert
infligée à M. Borrell : « Il faut maintenir
le dialogue », « le mur du silence n’est pas
une option », il faut « trouver des domai-
nes où la coopération est possible », les
mais en actes, et en actes mis en place
sans crier gare, à la manière des opéra-
tions spéciales qu’affectionne le prési-
dent Poutine. Si nous nous donnons le
luxe d’être imprévisibles, Poutine ces-
sera de jouer sur le velours. Ceci con-
cerne avant tout les sanctions. On nous
dit que les sanctions sont inutiles, qu’el-
LE MOINS POSSIBLE, menter les flux financiers vers la Russie,
quand on sait que ces ressources vont
OÙ L’ON PARLE alimenter la guerre hybride menée con-
tre les Occidentaux, acheter notre classe
LE MOINS POSSIBLE, politique, nos médias et nos think Françoise Thom est historienne,
UNE POLITIQUE tanks, financer le déploiement de nou- spécialiste de la Russie, et autrice
veaux missiles braqués contre l’Europe ? de « Comprendre le poutinisme »
D’ISOLEMENT Les sanctions sont un outil efficace, sur- (Desclée de Brouwer, 2018)

Kirill Martynov Entre Vladimir Poutine et le peuple russe,

il n’y a plus aujourd’hui que les matraques
Toujours plus impopulaire, le président russe est prêt à tout pour garder un « pouvoir personnel et éternel »,
dénonce le philosophe, responsable du service politique du journal « Novaïa Gazeta »

C
eux qui en Russie voient
les manifestations actuel-
les comme la simple pour-
suite de nos anciennes
protestations se trompent lour-
dement. En décembre 2011, nous
marchions fièrement et gaie-
ment sur la place Bolotnaïa ; lors
de l’été 2019, nous criions : « Nous
sommes le pouvoir. » Les Mosco-
vites protestaient ainsi contre
l’interdiction faite aux candidats
indépendants de se présenter
aux élections locales. Mais, après
chaque mobilisation, la vie repre-
nait son cours.
Cette fois, l’enjeu est bien plus
élevé. La fin des manifestations
signifiera « un contrat social de
type nouveau » imposé par le
pouvoir. Désormais, seuls les cer-
cles de l’élite dirigeante pourront
jouir d’une vie dans la dignité,
une vie où l’on n’a pas peur de
dire ce que l’on pense et où l’on
ne s’attend pas à l’irruption de la
police chez soi au petit matin.
Comment cela s’est-il produit ?
Auparavant, les hauts responsa-
bles du Kremlin estimaient que
l’emprisonnement de Navalny ne
serait d’aucune utilité dans leur
lutte pour un pouvoir personnel
et éternel. Désormais, ils consi-
dèrent cette solution comme
étant la plus efficace. Même sa
tentative d’assassinat, comme le
montrent les événements de
2020, était considéré comme une
excellente stratégie.
La vie normale s’est arrêtée
Qu’est-ce donc qui a changé ?
Il n’est pas difficile de trouver
une hypothèse plausible : le peu-
ple a cessé d’aRussie ouverteimer
le président Poutine. On ne
l’aime plus car il est impossible
de se réjouir, des décennies du-
rant, des « victoires sur les enne-
mis extérieurs », et que le régime
de Poutine ne peut se vanter
d’aucune autre réalisation. L’éco-
nomie russe se contracte depuis
sept ans. Pendant la pandémie de
Covid-19, l’Etat a décidé de ne pas
aider les citoyens, préférant
amasser des réserves. Beaucoup
de gens considèrent que Poutine
n’a pas partagé le sort de son peu-
ple en s’isolant dans sa résidence.
La vie normale en Russie s’est
arrêtée vers 2014-2015, lorsque le
Kremlin a déclenché une guerre
honteuse contre son plus grand
voisin slave, l’Ukraine. Une fois
que les combats ont cessé, la vio-
lence s’est répandue dans le reste
du pays, un phénomène bien dé-
crit par les historiens. Le meurtre
de Boris Nemtsov aurait pu en de-
venir le déclencheur, mais, à
l’époque, le régime n’avait pas be-
soin de recourir à une violence à
grande échelle car le président
était plébiscité. Aujourd’hui, en-
tre lui et le peuple, il n’y a plus que
les matraques.
L’ERREUR DE CEUX
QUI N’ONT PAS
SAISI L’AMPLEUR
DE L’ENJEU EST
DE CROIRE QUE,
S’ILS N’ATTIRENT
PAS L’ATTENTION,
ILS POURRONT
SURVIVRE
A un certain moment, parallèle-
ment à l’effondrement de l’auto-
cratie populiste, le pouvoir dans
le pays a été accaparé par un
groupe qui représente les « struc-
tures de force ». Je n’ai aucune
« source » particulière pour affir-
mer cela, mais il suffit de regar-
der : entre l’apparition des « édu-
cateurs politiques », qu vont
façonner l’« état d’esprit » des en-
fants dans les écoles – comme en
URSS –, la paralysie du système
judiciaire et les villes bouclées
par la police, tout dénote le style
propre aux officiers issus des ser-
vices secrets soviétiques.
On propose aux enseignants
des universités russes de pro-
mouvoir des « valeurs tradition-
nelles » et de renoncer à leurs
convictions politiques, sous
menace de licenciement. On ex-
pulse les étudiants ayant parti-
cipé à des manifestations pacifi-
ques. Le Parlement russe adopte
une loi selon laquelle les scienti-
fiques ne peuvent donner des
cours magistraux que s’ils possè-
dent une autorisation gouverne-
mentale, et les établissements
d’enseignement supérieur
doivent faire approuver tous
leurs contacts étrangers par le
ministère de l’éducation.
Quand les « leaders politiques »
présentent leurs fondements
idéologiques ou leur vision de
l’avenir, ils ne font que recracher
leur propre propagande. Ils ne
sont plus aimés et la « fin de la
belle époque », celle où ils tiraient
une rente sans limite du pays et
de tout ce qui y est encore vivant,
est proche. Ils croient eux-mêmes
que cela se produit à cause d’es-
pions et d’ennemis étrangers.
L’erreur-clé de ceux qui n’ont pas
saisi l’ampleur de l’enjeu est de
croire que, s’ils n’attirent pas l’at-
tention et se taisent, ils pourront
survivre et s’adapter aux temps
très durs qui se dessinent. C’est là
une pitoyable illusion.
Le courage de ne pas se taire
Aujourd’hui, toute la vérité se
trouve du côté d’une poignée
d’étudiants partis se battre, dans
le centre de Moscou, sans armes,
vêtus de parkas multicolores
ridicules, avec leurs corps fluets,
pour leur avenir et pour le nôtre.
Si vous n’étiez pas à leurs côtés,
essayez de trouver au moins le
courage de ne pas vous taire. Face
à un tribunal illégitime, à une dé-
lation, à une violence institution-
nalisée, ne restez pas muets.
Notre espoir repose sur la possi-
bilité qu’ont des personnes et des
professions dans leur ensemble
de s’exprimer, tel que cela s’est
produit en 2019, lorsque des insti-
tuteurs, des médecins, des prê-
tres, des acteurs et des informati-
ciens avaient publié divers appels
condamnant la persécution poli-
tique dans l’affaire de Moscou.
Ces dernières années, la tolérance
vis-à-vis de la violence a beau-
coup baissé, et peu nombreux
sont ceux qui sont prêts à regar-
der sans broncher un policier qui
frappe une femme dans le ventre.
Tant que nous ne nous taisons
pas, l’espoir demeure encore
et toujours. p
Kirill Martynov, responsable
du service politique du journal
« Novaïa Gazeta », philosophe
et fondateur de l’Université
libre de Moscou. Traduit
du russe par Galia Ackerman
28 | idées
Les protestations en Biélorussie
inspirent les Russes anti-Poutine
ANALYSE
D PRÉVAUT
evant un bâtiment offi-
ciel figé dans son appa-
rence soviétique, une pe-
tite foule sautille sur
place et scande : « Mettez Louka-
chenko dans un fourgon ! [de po-
lice] ». Ce slogan, familier lors des
grandes manifestations de l’été
2020 en Biélorussie après la réélec-
tion contestée d’Alexandre Louka-
chenko à la tête du pays, a parcouru
quelque 2 000 kilomètres. Ce 31 jan-
vier, il a réapparu dans le sud de la
Russie, à Krasnodar, au milieu des
partisans d’Alexeï Navalny descen-
dus dans la rue pour protester,
comme dans de nombreuses villes
russes, contre l’emprisonnement de
l’opposant du Kremlin.
A Moscou, le drapeau rouge et
blanc des contestataires biélorusses
a été également aperçu, brandi par
deux jeunes filles très vite interpel-
lées. Simples témoignages de solida-
rité entre manifestants de pays voi-
sins culturellement proches ? Pas
seulement. De Minsk à Moscou, les
mouvements de protestation lut-
tent contre des régimes autoritaires,
marqués l’un et l’autre par l’usure de
leurs dirigeants : Alexandre Louka-
chenko est au pouvoir depuis vingt-
six ans en Biélorussie, Vladimir Pou-
tine préside aux destinées de la Rus-
sie depuis bientôt vingt et un ans. Et
le soutien affiché du chef de l’Etat
russe à son homologue biélorusse,
qui devait le recevoir de nouveau à
Moscou, lundi 22 février, accentue
l’effet miroir.
C’est vrai, aussi, de la répression.
Tout en refusant tout « parallèle » en-
tre les manifestations en Biélorussie
et en Russie, Dmitri Peskov, le porte-
parole du Kremlin a établi de lui-
même cette comparaison : dans les
deux Etats, a-t-il déclaré le 3 février
selon l’agence Tass, « les structures du
pouvoir font leur devoir (…) contre les
provocateurs et des manifestations
non autorisées ». Les mêmes images
de manifestants interpellés avec bru-
LE SOUTIEN AFFICHÉ
DU CHEF DE L’ÉTAT
RUSSE À SON
HOMOLOGUE
BIÉLORUSSE
ACCENTUE
L’EFFET MIROIR
Somnolence | par selçuk
talité dans les deux pays ou apparais-
sant dans le box des accusés de tribu-
naux, ont afflué sur les réseaux so-
ciaux. « Qu’y a-t-il à comparer ? Ce
sont les mêmes. Et nous gagnerons »,
commentait Klaramikh30 sur Twit-
ter. « Ce ne sont pas les protestations
qui doivent être rapprochées, mais
leur répression », affirmait un autre
internaute biélorusse.
Après la répression particulière-
ment féroce des services de sécurité
biélorusses, les manifestations
monstres dans ce petit pays de dix
millions d’habitants ont cédé la
place à de nouvelles actions, moins
massives, mais elles aussi scrutées
avec la plus grande attention à Mos-
cou. Par quartiers, avec de brefs défi-
lés, des rassemblements dans des
cours ou des portables allumés bran-
dis le soir, les Biélorusses ont renou-
velé les formes de la protestation.
Le 14 février, à la Saint-Valentin,
quelques centaines de Moscovites,
en majorité des femmes, se sont es-
sayés à ces techniques en arborant
des cœurs en papier, téléphones allu-
més à la main. « La mobilisation, de
part et d’autre, peut s’alimenter car il y
a une forme de solidarité dans la ré-
pression et des similarités existent jus-
que dans le rôle que joue l’exil dans les
rangs de l’opposition », relève la poli-
tologue Alexandra Goujon, spécia-
liste des ex-pays de l’Est.
« Effet d’entraînement »
Toutefois, objecte cette dernière,
chacune des contestations, biélo-
russe et russe, possède ses propres
ressorts. « En Biélorussie, souligne-t-
elle, c’est d’abord l’usage de la vio-
lence [des autorités] qui a créé un
choc et entraîné toute une partie de la
population. » « Il n’y a pas de corres-
pondance politique », abonde Anna
Colin Lebedev, maîtresse de confé-
rences à l’université de Paris-Nan-
terre et spécialiste, elle aussi, des so-
ciétés post-soviétiques.
« Le mouvement biélorusse reste as-
sez autocentré et, en Russie, Alexeï
Navalny ne fait pas l’unanimité [à la
différence de la chef de file biélo-
russe de l’opposition, Svetlana
Tikhanovskaïa]. Mais des deux côtés,
prévaut l’idée d’une confrontation
avec des régimes de moins en moins
légitimes, poursuit-elle. S’il n’existe
pas, ou très peu, de contacts entre les
oppositions biélorusse et russe, il y a
un effet d’entraînement avec le senti-
ment que la chute d’un régime pour-
rait bien entraîner celle de l’autre »,
explique-t-elle.
L’écho biélorusse résonne jusque
dans le sort des opposants, toujours
désignés, à Moscou comme à Minsk,
« DES DEUX CÔTÉS
L’IDÉE D’UNE
CONFRONTATION
AVEC DES RÉGIMES
DE MOINS EN MOINS
LÉGITIMES »
ANNA COLIN LEBEDEV
spécialiste des sociétés
post-soviétiques
comme des marionnettes de l’Occi-
dent. Le retour bravache en Russie
d’Alexeï Navalny, arrêté à peine
avait-il mis le pied sur sa terre natale,
a poussé Svetlana Tikhanovskaïa,
aujourd’hui en exil en Lituanie, à réa-
gir. « Navalny et moi sommes dans
une situation différente, s’est-elle jus-
tifiée, le 3 février, sur la BBC. Je suis
sûre que je peux faire beaucoup plus
que simplement devenir une autre
victime et finir en prison. »
La rivale d’Alexandre Loukachenko
à l’élection présidentielle entachée
de fraudes en août 2020, élue aux
yeux d’une bonne partie de la popu-
lation biélorusse, avait créé la sur-
prise en prenant la place de son mari,
jeté en prison avant le scrutin. Or,
l’émergence sur la scène politique
russe d’une autre femme, Ioulia Na-
valnaïa, épouse de l’opposant Alexeï
Navalny, dont le courage a ému la
Russie, nourrit à Moscou une nou-
velle hantise : que l’exemple biélo-
russe prenne corps avec le « rempla-
cement » du principal opposant au
Kremlin, condamné à trois ans et
demi de prison, par une candidature
féminine, celle de sa femme.
Le 8 février, des entrepreneurs rus-
ses réunis au sein d’une association
« patriotique » ont ainsi adressé au
parlement russe un texte destiné à
modifier la législation sur le profil
exigé pour se présenter à une élec-
tion, à quelque niveau que ce soit. Se-
raient ainsi écartés les « agents de
l’étranger », ceux supposés bénéfi-
cier d’une aide extérieure, ou des
« proches » de personnes physiques
empêchées. Dans ce document, rap-
porte le journal Moskovski Komso-
molets, le « blocage » de Ioulia Naval-
naïa est explicitement évoqué afin,
est-il précisé, d’empêcher « un scéna-
rio biélorusse » en Russie. Un autre ef-
fet miroir, et pas le moindre. p
isabelle mandraud
(service international)
0123
MARDI 23 FÉVRIER 2021
LE LIVRE
PETITE LEÇON DE
PHILOSOPHIE DONNÉE
À EMMANUEL MACRON
P
résident philosophe n’est pas une vocation sans
risque. Il arrive parfois que l’on s’attire les fou-
dres de professeurs plus expérimentés que soi.
Emmanuel Macron en fait les frais, avec L’Esprit
du macronisme ou l’art de dévoyer les concepts. En une
centaine de pages, Myriam Revault d’Allonnes adresse
à l’ancien disciple de Paul Ricœur une leçon de philo-
sophie politique aussi concise que lapidaire. « Auto-
nomie », « responsabilité », « capacité », autant de
concepts que le macronisme a appauvris, estime l’uni-
versitaire, décidée, dans cet opus, à « les déconstruire et
[à] se réapproprier leur épaisseur ».
Exigeante, l’autrice entraîne le lecteur
non philosophe dans une réflexion dense
convoquant Rousseau, Montesquieu, Fou-
cault, Jonas, Levinas ou Ricœur avec une
élégante autorité. Charge au lecteur de
bien vouloir parcourir ces quatre chapitres
sans se hâter, quitte à réviser au passage
quelques principes fondateurs oubliés.
Du macronisme, la philosophe retient
quelques jalons, des discours pour l’es-
sentiel. Celui sur le « pognon de dingue »,
les « premiers de cordée » et, plus récem-
ment, cet aveu du 12 mars 2020 : « Ce que
révèle d’ores et déjà cette pandémie, c’est
que la santé gratuite sans condition de re-
L’ESPRIT DU venu, de parcours ou de profession, notre
MACRONISME Etat-providence ne sont pas des coûts ou
de Myriam Revault des charges mais des biens précieux, des
d’Allonnes, atouts indispensables quand le destin
Seuil, 112 p., 16 euros. frappe. » Un changement de pied que
l’autrice modère d’emblée, estimant, au
vu des mesures annoncées, que « la révo-
lution macronienne poursuit son chemin avec la plus
grande constance ». Pour déchiffrer l’« univers men-
tal », le « style de vie » dans lesquels s’inscrit le prési-
dent de la République, la philosophe, qui avait précé-
demment exploré dans L’Homme compassionnel
(Seuil, 2008) les paradigmes de l’époque Sarkozy, expli-
cite un à un ses objets de pensée.
Les Lumières d’abord, dont se réclame si souvent le
président. Citant Rousseau, l’universitaire rappelle
ainsi que « l’existence politique ne se limite pas à la ga-
rantie des droits individuels mais (…) implique une obli-
gation réciproque entre l’homme et la société ». L’auto-
nomie, ensuite. Au discours kantien – penser par soi-
même c’est « penser en se mettant à la place de tout
autre » –, la philosophe oppose le discours néolibéral
venu se fracasser contre la crise sanitaire. « Lorsque la
rationalité calculante se heurte à l’existence de risques
incalculables, telle une pandémie en provenance du
marché d’une ville chinoise où l’on vendait des animaux
sauvages, on comprend, tardivement, certes, que le
monde n’est pas une entreprise et qu’il ne peut pas être
géré de la sorte », écrit-elle.
Les acrobaties théoriques du « en même temps »
Quant à la manière dont le macronisme envisage la res-
ponsabilité, c’est l’occasion pour Mme Revault
d’Allonnes d’évoquer des propos présidentiels ayant
mal vieilli. Sur la responsabilité qui incombe aux chô-
meurs de trouver du travail, « hôtels, cafés, restaurants,
je traverse la rue, je vous en trouve… », disait M. Macron
en septembre 2018. La philosophe appelle au contraire
à rétablir une définition riche de la responsabilité,
incluant « le souci du vulnérable et du fragile » d’un côté,
l’appréhension des risques « incalculables » que fait pe-
ser la technologie sur l’avenir du monde de l’autre (pan-
démie, climat). Une autre métaphore du chef de l’Etat,
celle des premiers et des derniers de cordée (octo-
bre 2017), donne matière à l’un de ses jugements les
plus fins, l’autrice réfutant moins sa dimension inéga-
litaire que la conception de la politique qu’elle traduit.
« C’est une pensée politique bien pauvre que celle qui,
s’appuyant sur cette représentation unidirectionnelle
(ascensionnelle), ignore que la dynamique démocratique
est habitée par le conflit », écrit-elle.
Une sévère leçon pour l’élève présidentiel, doublée,
quelques pages plus loin, d’un commentaire non moins
acide quant à la phénoménologie de « l’homme capa-
ble » développée par le philosophe Paul Ricœur, dont
Emmanuel Macron fut l’assistant éditorial. Là encore,
concept mal assimilé, semble dire la philosophe, fusti-
geant la vision d’un individu « entrepreneur de sa propre
vie », appuyé a minima par un Etat « investisseur social »,
le tout saupoudré de « bienveillance » managériale.
Après avoir relevé une à une les divergences du
macronisme avec l’esprit des philosophes dont ce der-
nier a pu s’inspirer, l’autrice achève l’ouvrage avec pru-
dence. « On ne sait pas encore ce que l’événement qui a
interrompu le déroulement des processus “habituels” va
modifier, non seulement dans les pratiques mais surtout
dans les constructions et les échafaudages intellectuels
qui soutiennent l’ordre néolibéral », écrit-elle. Pour
autant, en débusquant les acrobaties théoriques du
« en même temps » macronien, en confrontant ses res-
sorts à la lettre des textes philosophiques, Mme Revault
d’Allonnes contribue à élargir le champ des possibles,
un concept à la fois. p
julie carriat
0123
MARDI 23 FÉVRIER 2021
ÉCONOMIE | CHRONIQUE
par sté phane lau er
Bitcoin : le canari
au fond de la mine
D LE BITCOIN
ieu se rit des hommes
qui se plaignent des
conséquences alors
qu’ils en chérissent les
causes. » Les responsables des ban-
ques centrales auraient de quoi
méditer cet aphorisme prêté à
Bossuet. Alors que le cours du bit-
coin et autres cryptomonnaies
font l’objet d’une spéculation sans
limite, la Réserve fédérale améri-
caine (Fed) comme la Banque cen-
trale européenne (BCE) intensi-
fient leurs critiques tout en faisant
mine de relativiser le phénomène.
Elles sont pourtant les principales
responsables de cette exubérance.
Tandis que Christine Lagarde, la
présidente de la BCE, et Janet
Yellen, ex-présidente de la Fed et
actuelle secrétaire au Trésor amé-
ricain, s’inquiètent de l’utilisation
des cryptomonnaies pour le fi-
nancement d’activités criminel-
les, le gouverneur de la banque de
France, François Villeroy de Gal-
hau, ironise sur la frénésie qui s’est
emparée des acheteurs. « Les ar-
bres ne montent jamais au ciel »,
fait-il valoir dans une interview
accordée aux Echos, le 19 février.
Il n’y a pourtant aucune raison
qu’ils arrêtent de pousser tant
DÉFIANCE
POLITIQUE :
LE CAS FRANÇAIS
A UNE UTILITÉ : IL
RAPPELLE QUE LA
CONFIANCE DANS
LA MONNAIE N’EST
PAS IMMUABLE
base de 1 300 fois ses bénéfices.
Quant au bitcoin, son cours a qua-
siment doublé depuis le début de
l’année, à plus de 55 000 dollars,
soit le prix de 1 kg d’or.
A force d’avoir abusé de la moné-
tisation des dettes, couplée à un
abaissement historique des taux
d’intérêt, les banques centrales
ont fini par casser l’un des princi-
paux thermomètres de l’écono-
mie de marché. Désormais, le prix
des actifs ne reflète plus leur va-
leur intrinsèque. Au lieu de consi-
dérer le bitcoin avec suffisance, les
grands argentiers mondiaux de-
vraient le prendre pour ce qu’il
est : un canari au fond de la mine,
c’est-à-dire un témoin qui pré-
vient du coup de grisou avant qu’il
ne soit trop tard, avant que cette
gnement du « Baromètre de la confiance
politique » du Cevipof, dont Le Monde publie
les principaux résultats : 41 % des Français
disent en premier lieu éprouver de la lassi-
tude et 34 % de la morosité. Ces deux senti-
ments sont en forte augmentation par rap-
port au mois d’avril 2020, tandis que la
crainte recule de treize points. L’évolution
est sensiblement identique en Italie, où
40 % des sondés disent exprimer de la lassi-
tude. En revanche, le moral des Britanniques
et des Allemands résiste, en dépit des fortes
contraintes sanitaires qu’ils subissent.
Parce qu’il était conscient de la fragilité
psychologique du pays, Emmanuel Macron
a refusé, fin janvier, de décréter un troi-
D’ ordinaire, le retour des beaux
jours fait du bien au moral. Il ris-
que cette fois de prendre l’allure
d’une nouvelle épreuve. Le soleil incite aux
promenades, à la convivialité, à l’insou-
sième confinement national, au moment
où une partie du corps médical le récla-
mait. Le soulagement qui a accompagné la
décision présidentielle a certainement
contribué à rendre acceptable le couvre-feu
ciance après les longs mois d’hiver, mais le à 18 heures. Mais, plus les jours vont
relâchement reste impossible. Il faut en- rallonger, plus il va être difficile d’assigner
core tenir sans perspective claire sur les à résidence des jeunes et des moins jeunes
effets de la politique vaccinale. qui, depuis douze mois, ont appris à vivre
Pour l’exécutif, qui gère depuis un an l’in- avec le virus. Autant la première phase de
terminable crise sanitaire, les mois à venir l’épidémie autorisait des mesures jupité-
s’annoncent périlleux. Au tout début de riennes, autant les mois qui nous séparent
l’épidémie, la peur rendait acceptables des de la fin de la pandémie vont quasiment
dispositifs contraignants. Depuis, elle a for- nécessiter un sur-mesure afin d’éviter la
tement reculé, faisant place chez nos conci- colère des uns et de limiter la déprime des
toyens, comme chez nos voisins italiens, à autres. D’autant qu’à la crise sanitaire
du découragement. Tel est le premier ensei- s’ajoutent désormais de fortes appréhen-
0123 | 29
sions liées à ses conséquences économi-
ques, sociales et financières.
Dans les sondages, Emmanuel Macron
apparaît conforté par ses dernières déci-
sions : la moitié des Français disent avoir
une bonne opinion de lui, selon le baromè-
tre IFOP/Paris Match publié jeudi 18 février.
Pourtant, et c’est le deuxième enseigne-
ment de l’enquête du Cevipof, l’Hexagone
continue de souffrir d’une défiance politi-
que bien plus forte que ses voisins : seule-
ment 37 % des Français jugent que leurs
dirigeants ont bien géré la crise sanitaire,
alors que 56 % des Allemands et 52 % des
Italiens approuvent l’action de leurs gou-
vernements respectifs.
Cette spécificité ne tient pas à une perte
de confiance dans le modèle français ni à
un déclin de la foi dans la démocratie. Au
contraire. Elle s’explique par un fonction-
nement de la vie politique de moins en
moins satisfaisant : la verticalité du pou-
voir, favorisée par la Ve République, encou-
ragée par Emmanuel Macron et accentuée
par la gestion de la crise, contribue à entre-
tenir le fossé entre les dirigeants et les ci-
toyens, alors même que la politique du
« quoi qu’il en coûte » aurait dû, en partie,
combler le fossé. Remisée au second plan
de l’actualité, la réflexion sur le fonctionne-
ment des institutions apparaît non seule-
ment nécessaire, mais vitale pour accom-
pagner la sortie de crise. p

   
 

qu’on les arrose. C’est ce que font exubérance finisse par faire dis-
les banques centrales grâce à joncter le système financier.
leur politique d’assouplissement « L’engouement pour le bitcoin

  


quantitatif (quantitative easing), est un signe avant-coureur de fuite
qui consiste à racheter massive- devant la monnaie », estime Geor-
ment de la dette publique et des ges Ugeux, PDG de la banque d’in-

       
actifs financiers pour injecter de vestissement Galileo Global Advi-
l’argent dans l’économie afin de sors et ancien vice-président exé-
stimuler la croissance. cutif du New York Stock Exchange


 
 
Thermomètre cassé
Le compte Twitter Documenting
Bitcoin, qui compte 150 000 fans
de la « monnaie » électronique, ré-
sume ainsi la situation : « Si vous
pensez que le bitcoin est cher, at-
tendez de voir comment le gouver-
nement [des Etats-Unis] va impri-
mer 1 900 milliards de dollars à
partir de rien. » La saillie fait réfé-
rence au gigantesque plan de re-
lance que le nouveau président
des Etats-Unis, Joe Biden, compte
faire adopter au Congrès.
(NYSE). Certains investisseurs
commencent à perdre confiance
dans la solidité des monnaies tra-
ditionnelles imprimées à volonté.
Leur valeur ne correspondant
plus à la richesse créée par l’écono-
mie réelle, entreprises et particu-
liers sont tentés de se porter sur de
nouveaux types d’actifs pour ten-
ter de protéger leur épargne.
« Quand la monnaie souffre d’un
taux d’intérêt négatif, il faudrait
être idiot pour ne pas regarder
ailleurs, a affirmé Elon Musk, le
patron de Tesla sur Twitter, le 

  

   




 

La création monétaire nécessaire 19 février. Le bitcoin est presque

à l’exécution de ce plan s’ajoute aussi stupide que la monnaie fidu- 
 
aux injections de liquidités colos- ciaire, j’insiste sur le “presque”. »  
sales déjà décidées par la Fed. De- La chroniqueuse du Financial Ti- 
 

 

puis le début de la pandémie, le bi- mes Rana Foroohar, elle, imagine
lan de la réserve fédérale est passé un nouveau monde multipolaire ,& ,.)
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de 4 700 milliards à 7 400 milliards dans lequel le billet vert ne serait 
 
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de dollars (3 880 milliards à plus prédominant. « Si le gouver-  
  

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6 100 milliards d’euros). Pour mé- nement américain émet tellement
moire, avant la crise de 2008, il
          

 
      
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de dettes au point de commencer à ,.#
   
      
    
          
était inférieur à 1 000 milliards de faire perdre au dollar sa valeur, le
      
  


  
    
 


   
   






        
dollars. Et, à ce stade, ni la Fed ni la bitcoin pourrait en théorie devenir
BCE n’ont l’intention de stopper la une valeur refuge », écrit-elle.
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planche à billets. Nous n’en sommes pas là. &') &*') -
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commodantes ont permis aux ble. Quand Elon Musk a annoncé, ,. ',&
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partie est loin d’être neutre. L’ar- comme une sorte d’avènement de
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pour la première fois les dernier reste manipulable, dans ' ',& ' &' &*$,'
110 000 milliards de dollars. Le ti-
tre du fabricant de voitures électri-
ques Tesla est en route pour la pla-
nète Mars en s’échangeant sur une
 
 


& ')',&)')&') &*$,')
un manque de transparence, réd- ,& ,. ''& ' ,. * &'#
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hibitoire à ce stade. Quant à sa ca-
pitalisation, qui dépasse désor-
mais les 1 000 milliards de dollars,

 


elle n’a pas encore le poids suffi- 
  




sant pour prétendre à devenir une    
 


monnaie de réserve. Malgré tout,
L’ARGENT, TROP le bitcoin a une utilité : il rappelle
ABONDANT, NE SAIT que la confiance dans la monnaie
n’est pas immuable. A force d’en
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 *&)&)),&,.#
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PLUS OÙ SE PLACER, imprimer à tout va pour stabiliser
le système financier, les banques
INCITANT centrales ont fini par fragiliser
cette confiance tout en s’exposant
LES INVESTISSEURS À à deux maux : l’hyperinflation et
SE PRÉCIPITER SUR un krach historique. C’est ce que
nous disent les acheteurs de bit-
TOUT CE QUI BRILLE coin en voulant s’en prémunir. p

Tirage du Monde daté dimanche 21 - lundi 22 février : 147 267 exemplaires