­­Jeudi 31­ août 2023
79e année – No 24465
3,40 € – France métropolitaine
www.lemonde.fr –
Fondateur : Hubert Beuve-Méry
Directeur : Jérôme Fenoglio
Logement : pourquoi le marché locatif est bloqué
▶ Trouver un logement
dans les grandes villes
de France relève de plus
en plus souvent du
parcours du combattant
pour les locataires
Ukraine le difficile retour du front
▶ Les soldats vivent comme un choc les permissions à l’arrière, où la vie continue
▶ Epuisés, ils racontent l’absence de relève, faute de troupes, et l’âpreté des combats
En gare de Kramatorsk, à la descente d’un train venant de Kiev, en Ukraine, le 24 août. Rafael Yaghobzadeh pour « Le Monde »
Espagne Le scandale Rubiales,
symbole du sexisme du football
Lors d’une manifestation de soutien à la joueuse espagnole
Jenni Hermoso, à Madrid, lundi 28 août. Andrea Comas/AP
Des milliers de femmes et
d’hommes réunis à Madrid, lundi
28 août, ont encore demandé la
démission de Luis Rubiales, le
président de la Fédération royale
espagnole de football. Ce dernier,
qui a embrassé de force Jenni
▶ Les prix sont parfois
démesurés, et l’offre se ra-
réfie, une partie du parc
étant louée en meublé
touristique sur les plates-
formes de type Airbnb
Hermoso, joueuse de la sélection,
après la victoire au Mondial, s’y
refuse. L’affaire est devenue le
symbole du retard du football
dans un pays précurseur en ma-
tière d’égalité des sexes.
page 2
Algérie 220 DA, Allemagne 4,50 €, Andorre 3,90 €, Autriche 4,20 €, Belgique 3,70 €, Espagne 3,90 €, Grèce 3,90 €, Guadeloupe-Martinique 3,70 €,
Hongrie 1 790 HUF, Italie 3,90 €, Luxembourg 3,80 €, Maroc 28 DH, Pays-Bas 4,30 €, Portugal cont. 3,90 €, La Réunion 3,70 €, Sénégal 2 500 F CFA, Suisse 4,80 CHF, Tunisie 5,50 DT, Afrique CFA autres 2 600 F CFA
▶ Les effets de la loi sur ▶ Paris figure au deuxième ▶ Dans les villes étudiantes
l’interdiction de la loca- rang des capitales les plus comme Rennes, la de-
tion des pires passoires chères en Europe, derrière mande locative se heurte
thermiques, en vigueur Dublin, avec un encadre- à l’insuffisance de l’offre,
depuis le 1er janvier, ment des loyers très mal révélant une crise profonde
se font également sentir respecté Page s 14- 15
Gabon Un coup d’Etat militaire
en cours contre Ali Bongo
Page s 4- 5
Alors que la victoire d’Ali ont annoncé la fermeture des
Bongo Ondimba à la présiden- frontières. Le principal opposant,
tielle du 26 août venait d’être pro- Albert Ondo Ossa, avait dénoncé
clamée dans la nuit, des militai- des fraudes dès samedi, dans un
res issus de différents corps de pays où Internet a été coupé et les
l’armée et des policiers sont inter- médias étrangers interdits. Le ré-
venus sur la chaîne de télévision seau a été rétabli dans la foulée de
Gabon 24 pour annoncer l’annu- la déclaration télévisée. De pre-
lation des élections, mercredi ma- mières manifestations de soutien
tin. « Nous mettons fin au régime aux putschistes se sont organi-
en place », ont-ils déclaré, poin- sées à Libreville. La situation d’Ali
tant « la gouvernance irresponsa- Bongo Ondimba était encore in-
ble, imprévisible » du président au connue mercredi matin.
pouvoir depuis quatorze ans. Ils pag e 6 e t chronique pag e 28
Société Politique
Une période Macron cherche
estivale un terrain
éprouvante pour d’entente avec
les sans-abri les oppositions
Les fortes chaleurs, A la recherche de compro-
la fermeture de structures mis sur des réformes,
d’aide et la baisse de la le chef de l’Etat devait
solidarité rendent difficile recevoir les responsables
la traversée de l’été pour des partis politiques
les personnes à la rue représentés au Parlement
Page 12 P. 8- 9 e t éditorial P. 28
Sports LES FILMS DU LOSANGE PRÉSENTE
Russie
Les Jeux Mystères et écrans UN CONTE
paralympiques
de fumée pour
l’enterrement D’ETE SOLAIRE.
de Prigojine TÉLÉRAMA
dans la dernière Page 5
ligne droite
Les organisateurs veulent Japon
créer un élan pour Le casse-tête
sensibiliser le pays à
la question du handicap du démantèlement
Page 1 3 de Fukushima
Page 7
Bonnes feuilles
Paris UN FILM DE CHRISTIAN PETZOLD
« Ne réveille pas La rentrée
les enfants » : mouvementée
aux origines d’Anne Hidalgo
Page 10
d’un drame
La journaliste Ariane Royaume-Uni
Chemin enquête sur l’his- Le British Museum, AU CINÉMA
toire derrière la mort de
une institution LE 6 SEPTEMBRE
X
quatre membres d’une fa-
mille à Montreux en 2022 fragilisée
CRÉATION :
Page 1 9 Page 20
 International
2|
« C’est fini.
Vallecas avec
toi Jenni »,
peut-on lire
sur la pancarte
d’une
supportrice,
avant le match
de Liga entre le
Rayo Vallecano
et l’Atlético
Madrid,
lundi 28 août.
THOMAS COEX/AFP
Le football à la traîne des
acquis féministes espagnols
Dans un pays précurseur en matière de législation sur l’égalité entre
les femmes et les hommes, l’affaire du baiser forcé de Luis Rubiales
à Jenni Hermoso provoque un séisme au sein de la société
Madrid - correspondance
L’
affaire du baiser forcé
indigne toujours l’Espa-
gne. Le pays des con-
quêtes féministes con-
tinue de s’insurger contre le geste
du président de la Fédération
royale espagnole de football
(RFEF), Luis Rubiales, qui, lors de
la cérémonie de remise des mé-
dailles du Mondial de football fé-
minin, remporté par la Roja le
20 août, a embrassé de force l’at-
taquante Jenni Hermoso.
En complet décalage avec les ac-
quis de ces dernières années en
matière de violences faites aux
femmes, le scandale Rubiales a
provoqué un séisme au sein de la
société espagnole. « C’est ter-
miné », « Ce n’est pas un “bisou”,
c’est une agression », « Jenni, on
est avec toi ». Elles étaient des mil-
liers de femmes à scander ces slo-
gans place de Callao, dans le cen-
tre de Madrid, lundi 28 août. Une
marée violette, couleur devenue
celle des luttes féministes, pour
réclamer une nouvelle fois la dé-
mission du dirigeant.
Ouverture d’une enquête
Le gouvernement socialiste sor-
tant a dû intervenir. La ministre
du travail, Yolanda Diaz, a dé-
noncé « le machisme structurel
des organisations sportives ». Son
collègue des sports, Miquel Iceta,
a enfoncé le clou : « C’est terminé, il
n’y aura plus aucune discrimina-
tion envers les femmes » après
cette « forte mobilisation sociale ».
Le parquet espagnol a annoncé
l’ouverture d’une enquête pour
« Rubiales est
le symbole d’un
machisme qui ne
se rend même
pas compte qu’il
n’a plus sa place »
Irune Aguirrezabal
spécialiste des questions
de genre
« agression sexuelle » présumée.
La Fédération a réclamé, lundi, la
« démission immédiate » de son
président, déjà suspendu par la
Fédération internationale pour
quatre-vingt-dix jours, jugeant
que les derniers événements et
« comportements inacceptables »
ont « gravement porté atteinte à
l’image du football espagnol ».
Luis Rubiales maintient, lui, que
le baiser était consenti, une affir-
mation démentie catégorique-
ment par la joueuse qui a dit s’être
sentie « vulnérable et victime
d’une agression (…) sans aucun
consentement de [sa] part ».
Le feuilleton Rubiales a connu
un nouveau rebondissement
lorsque la mère de celui-ci, Ange-
les Béjar, a décidé d’entamer une
grève de la faim pour demander
qu’une solution soit trouvée. « Je
serai là aussi longtemps que mon
corps tiendra. Je n’arrêterai pas jus-
qu’à ce que Jenni [Hermoso] dise la
vérité. Cela ne me dérange pas de
mourir pour la justice. Mon fils est
une personne honnête », a-t-elle
déclaré à la chaîne de télévision
Telecinco, mardi 29 août, depuis
une église de Motril (Andalousie),
où elle s’est enfermée.
Plus que le baiser forcé, « ce qui a
vraiment scandalisé les Espagnols,
c’est l’attitude de Rubiales. Il s’est
dit victime d’un “faux féminisme”
alors qu’il est le symbole d’un ma-
chisme qui ne se rend même pas
compte qu’il n’a plus sa place dans
la société », explique Irune Aguir-
rezabal, spécialiste des questions
de genre et autrice d’une étude sur
la démocratie paritaire en Améri-
que latine (éditions Marcial Pons,
non traduit). « Si l’Espagne n’avait
pas gagné la Coupe du monde, le
geste de Rubiales serait peut-être
passé inaperçu. C’est parce que le
scandale a dépassé le monde du
foot que les joueuses ont finale-
ment pu s’exprimer librement », as-
sure Antonio Aguiar, directeur du
média sportif numérique Iusport.
Ce n’était pas le cas il y a un an,
rappelle le journaliste. En sep-
tembre 2022, quinze joueuses
s’étaient plaintes des méthodes
employées par l’entraîneur de la
Roja, Jorge Vilda, pour épier la vie
personnelle de ses troupes, tra-
çant leur localisation et leurs
achats. « Rien ne s’était vraiment
passé, et personne n’avait réagi.
Mais la blessure ne s’était pas re-
fermée, et les joueuses ont travaillé
jusqu’au Mondial dans des condi-
tions très difficiles », explique
M. Aguiar. Le #metoo du foot es-
pagnol a désormais plongé la
Roja et la Fédération dans le
chaos, Jenni Hermoso et quatre-
vingt-une autres joueuses refu-
sant de continuer les compéti-
tions sous la direction actuelle.
Rubiales n’est pas le seul mis en
cause. Les responsables de la RFEF
qui, le vendredi 25 août, debout
comme un seul homme, applau-
dissaient leur président lorsque
celui-ci annonçait son intention
de ne pas démissionner – ceux-là
mêmes qui, trois jours plus tard,
lui ont demandé de partir – sont
également très critiqués. « Un tel
clientélisme est inacceptable. (…) Il
faut changer de modèle », a exigé
Beatriz Alvarez, présidente de la Li-
gue féminine de football, la Liga F.
« Féminisme très ancré »
« L’affaire Rubiales a montré qu’il
existe encore des problèmes de
sexisme dans tous les secteurs, no-
tamment dans ceux dominés par
les hommes, où il y a beaucoup
d’argent en jeu, C’est le cas du
sport, estime Mme Aguirrezabal.
Le scandale a aussi un côté positif :
ces questions doivent maintenant
être abordées, et les revendica-
tions des femmes, en termes de di-
gnité et de salaires, ne peuvent
plus être ignorées. »
« L’Espagne, poursuit la spécia-
liste, a réussi à réduire drastique-
ment les inégalités entre femmes
et hommes en très peu de temps.
Elle est allée plus loin que nombre
d’autres pays européens. Il n’y a
pas de retour en arrière possible.
Les acquis de ces dernières années
ne peuvent plus être remis en ques-
tion, même par les conservateurs »
du Parti populaire. Leur parte-
naire dans quatre gouverne-
ments régionaux, l’extrême
droite de Vox, opposé à la lutte
contre les violences sexistes,
traite pourtant souvent les
­ ctivistes de « feminazies ». Mais
a
« le féminisme est désormais très
ancré dans la société, il est très pré-
sent et très organisé », souligne
Mme Aguirrezabal. Les manifesta-
tions du 8 mars, date de la Journée
internationale des droits des fem-
mes, sont habituellement très
suivies en Espagne.
Depuis l’inscription dans la
Constitution de 1978 du principe
de non-discrimination des sexes,
le pays n’a eu de cesse de légiférer
pour accompagner et pour en-
courager l’égalité entre femmes et
hommes. Entre la mort de Franco,
en 1975, et l’admission du pays au
sein de la Communauté euro-
péenne, en 1986, une agence na-
tionale, l’Institut de la femme, a
été créée en 1983 afin de prendre
en charge cette question.
En 2004, les députés espagnols
ont voté à l’unanimité une loi-ca-
dre contre les violences faites aux
femmes, qui permet notamment
la création de tribunaux spéciali-
sés dans ce type d’affaires. La vio-
lence de genre est ainsi passée du
statut de question privée à celui
d’un problème débattu publique-
ment qu’il appartient au gouver-
nement de résoudre.
Adoptée en 2007 par le gouver-
nement socialiste de José Luis Ro-
driguez Zapatero, la première loi
d’égalité fixe des amendes élevées
en cas de discrimination. Le texte
prévoit aussi un droit à la concilia-
tion entre vie professionnelle et
vie familiale, oblige les grandes
entreprises à établir des plans
d’égalité, fixe des quotas de fem-
mes dans l’administration publi-
que et impose la parité sur les lis-
tes électorales.
Des images fortes ont accompa-
gné ces changements : celle de la
nomination d’un cabinet pari-
taire (huit ministres de chaque
Le principe
de la non-
discrimination
des sexes est
inscrit dans
la Constitution
espagnole
depuis 1978
0123
­
­Jeudi 31­ août 2023
sexe et une vice-présidente) pour
le gouvernement Zapatero en
2004 ; celle, encore, de la ministre
de la défense Carme Chacón,
en 2008, enceinte de sept mois,
passant en revue les troupes, une
photo qui fit le tour du monde.
« Seul un oui est un oui »
Bien que controversée, car elle a eu
pour effet pervers de faire sortir de
prison certains condamnés en ré-
duisant leurs peines, la loi sur les
violences sexuelles du gouverne-
ment socialiste de Pedro Sanchez,
entrée en vigueur en octobre 2022,
a voulu répondre à l’affaire de « la
Meute », un viol collectif en marge
des fêtes de Pampelune qui,
en 2018, avait indigné le pays. Sur-
nommée loi du « seul un oui est
un oui », elle place la notion de
consentement explicite au cœur
de la définition des délits sexuels
et introduit dans le code pénal le
fait que toute relation sexuelle
non consentie est un viol.
« L’Espagne n’est plus la même :
entre l’affaire Nevenka et celle de
Jenni Hermoso, une révolution fé-
ministe a changé le sens commun
d’un pays », a écrit la journaliste
­Pilar Requena, le 28 août, dans le
quotidien numérique ElDiario.
Elle rappelait le cas de cette con-
seillère municipale de la petite
ville de Ponferrada (région de Cas-
tille-et-Léon), Nevenka Fernan-
dez, qui, en 2001, avait dénoncé
publiquement le harcèlement
dont elle avait été victime de la
part du maire conservateur
­Ismael Alvarez.
En 2002, son procès aboutissait
à la première condamnation pour
harcèlement sexuel d’un homme
politique en Espagne. Une vic-
toire judiciaire, hypermédiatisée,
chèrement payée. Dans une at-
mosphère particulièrement hos-
tile, la jeune femme, qui n’arrivait
pas à retrouver du travail, avait
choisi de partir s’installer au
Royaume-Uni. « J’ai fait ce qu’il fal-
lait, sinon je serais morte », con-
fiait-elle en 2021 à la réalisatrice
Maribel Sánchez-Maroto dans le
documentaire « Nevenka Fernán-
dez brise le silence », qui retraçait
son combat pionnier. Depuis lors,
les femmes espagnoles n’ont plus
à quitter le pays pour échapper
au machisme. p
Isabelle Piquer
 LES PORTES
BLINDÉES
QUI NE
LAISSENT
RIEN PASSER

4 | International
Guerre en Ukraine
Dans le train
qui relie Kiev
à Kramatorsk,
à 25 kilomètres
du front,
dans l’est de
l’Ukraine,
jeudi 24 août.
Rafael Yaghobzadeh
pour « Le Monde »
Reportage
Kiev, Kramatorsk (Ukraine) - envoyé spécial
L
a permission prend fin dans la
pénombre, sur un quai de la gare
de Kiev. Il est 6 h 30. Des grappes
d’hommes en tenue militaire
s’engouffrent dans les wagons de
l’Intercity en direction de Krama-
torsk, centre industriel devenu la principale
base arrière ukrainienne sur le front du Don-
bass. Peu de proches accompagnent les sol-
dats de si bon matin. Un garçon essuie furti-
vement une larme en regardant son père
monter les marches, mais l’émotion est rete-
nue sur les visages des accompagnants.
Tous, civils et militaires, semblent encore
engourdis par le sommeil.
Moderne et confortable, ce train de fabrica-
tion sud-coréenne fait depuis 2012 la navette
entre Kiev et le Donbass. Le gouvernement
l’avait alors acquis à grands frais pour trans-
porter les supporteurs de l’Euro 2012. Autre-
fois, son terminus était Donetsk, ville occu-
pée depuis 2014 par l’armée russe, puis an-
nexée en 2022 à la suite de l’invasion à
grande échelle.
Ce 24 août, les passagers du train complet
sont pour moitié des civils, pour moitié des
militaires. Quelques hommes portent des
prothèses. Une autre trace de la guerre que
l’on aperçoit désormais fréquemment à l’ar-
rière. Mais en dépit du fait que le train fonce
à 120 kilomètres à l’heure vers l’enfer, l’am-
biance est aussi paisible et somnolente que
dans un Paris-Bordeaux matinal.
Petro, un petit homme sec de 50 ans, blond
aux yeux bleus, se tient debout, seul, regar-
dant le paysage à travers la vitre de la por-
tière. Comme les autres militaires, il a ôté son
nom et celui de son unité sur sa poitrine et
ses épaules. Consigne de l’état-major pour les
soldats circulant à travers le pays. « Je rentre
de ma première permission en un an et demi
de guerre », raconte Petro, d’abord un peu
méfiant. « Normalement, on a droit à trente
jours par an. J’ai dû me contenter de passer dix
jours chez moi avec ma femme », dit-il d’une
voix hachée qui cherche ses mots.
Un parfum éthylique autour de lui trahit
une cuite nocturne. « On ne peut pas vrai-
ment quitter le front – qu’est-ce qui va se pas-
ser alors ? Il n’y a pas assez d’hommes. Per-
sonne ne veut se battre du côté de Bakhmout,
à part les dingues dans mon genre, poursuit
Petro, qui pointe fréquemment sa tempe de
l’index. Je suis parti comme volontaire. Je
n’avais pas le choix. Si on n’arrête pas ces [Rus-
ses], ils vont revenir à Kiev et poursuivre ce
qu’ils ont fait à Boutcha. Ma femme pense que
je suis dingue ! Les gens à Kiev ne se rendent
pas compte. Pour eux, la guerre, c’est un truc à
Dans le train menant au front,
la rage des soldats ukrainiens
Entre Kiev et Kramatorsk, sur la ligne ferroviaire qui les ramène de l’arrière après
de brèves permissions, les combattants se disent épuisés, faute de relève suffisante
la télé. Ils n’ont pas envie d’en parler ou de nous
écouter. Ils veulent des nouvelles rassurantes,
pas écouter des histoires d’horreurs. » Il se
marre. « Moi, j’avais oublié qu’aujourd’hui,
c’est la fête [nationale] de l’indépendance. »
Carreleur dans le civil, il déclare gagner
d’ordinaire « bien plus que [sa] solde de
100 000 hryvnias [2 500 euros] par mois ».
Une somme qui n’est versée qu’aux combat-
tants en première ligne, dans les tranchées.
Son teint cuivré le confirme. « J’ai combattu
trois mois à Bakhmout. Je suis toujours sur le
front ! Mes rotations ne se font pas entre le
front et la base arrière, mais entre deux posi-
tions du front. » Il s’estime chanceux de
n’avoir jamais été blessé sérieusement.
« Juste des commotions cérébrales [provo-
quées par les ondes de choc d’obus]. Plein !
Comme tout le monde. J’ai des acouphènes en
permanence, ils me rendent cinglé. C’est un tel
bordel dans ma tête », se plaît-il à répéter.
« Tu vois qui est patriote »
Grignotant un sandwich au wagon-restau-
rant, Dmytro paraît aux antipodes de son ca-
marade. Sympathique barbu de 30 ans, il
parle posément et se présente comme un
entrepreneur fabricant de meubles dans le
civil. Mais son expérience est similaire. « Je
viens d’avoir quinze jours de permission. C’est
ma première permission depuis un an et demi
et j’en ai été informé la veille. Il est impossible
de rien prévoir, parce que la situation change
sans arrêt sur le front. Et on a un très gros défi-
cit de soldats. Une bombe peut tuer d’un coup
la moitié de l’unité et alors, adieu la rotation »,
explique-t-il tristement.
Voir sa ville natale ne lui a pas procuré que
des émotions agréables. « C’est très dur de voir
Kiev ainsi, de voir comment les gens vivent. Ils
ne réalisent absolument pas ce qui se passe
dans leur pays. Pour moi, la guerre a tout bou-
leversé, mes valeurs, mes priorités. Je vois mes
amis piloter des motos sans casque, faire les
idiots en voiture, sans se rendre compte de ce
qu’ils risquent de perdre. Sur le front, tu prends
conscience de l’importance de la vie, de la cha-
leur humaine, de la famille. La guerre révèle la
nature profonde des gens. Tu vois clairement
qui est patriote, qui se contente de brailler des
slogans tout en fuyant l’armée. J’ai perdu plein
d’amis », lâche-t-il avec émotion.
Dmytro a tiré profit de sa permission pour
soigner ses dents. « Un ami dentiste l’a fait
gratuitement. C’est impossible sur le front et
l’hygiène dentaire passe au troisième plan. Je
suis très reconnaissant à mon ami, beaucoup
« Beaucoup n’en de mes camarades n’ont pas cette chance. »
ont rien à foutre L’ancien entrepreneur se dit « épuisé ». « Je
n’arrive jamais à m’abstraire de la guerre. Sur
qu’on crève comme le front, j’essaie de ne pas penser du tout, mais
la peur est toujours là. La fatigue morale est
des mouches pour terrible. Et on n’en voit pas le bout. La situa-
tion est mauvaise : nous n’avons pas assez de
les protéger », munitions, c’est un rapport de 3 sur 20 en fa-
grogne Mykola, veur des Russes. Comment peut-on avancer
avec ça ? Et les gens s’étonnent que la contre-
des forces offensive prenne du temps ! »
Après sept heures de trajet, l’Intercity at-
spéciales teint son terminus sur le quai n° 4 de Kra-
matorsk. Il faut traverser à pied plusieurs
voies pour gagner la gare. A droite, de l’autre
côté du quai, un convoi de marchandises
barre l’horizon. A gauche, sur la voie paral-
lèle, stationne un convoi identique, sans
motrice. Un examen plus attentif révèle que
les deux convois, constitués de wagons-
tombereaux (servant au transport de mine-
rai), forment un écrin protecteur au train de
voyageurs en cas de bombardement. Les
wagons rouillés sont remplis de terre et ga-
rés depuis suffisamment longtemps pour
que des arbustes pointent leur cime au-des-
sus des parois métalliques.
Dix minutes après l’arrivée du train, une
alerte aérienne retentit. Mais dans cet ancien
centre industriel situé aujourd’hui à 25 kilo-
mètres des positions russes, les alertes et les
explosions sont si fréquentes que même les
civils s’y sont habitués. Pourtant, la gare de
Kramatorsk fut le théâtre d’une terrible
frappe russe, le 8 avril 2022, qui tua 63 civils,
0123
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­Jeudi 31­ août 2023
alors qu’ils attendaient un train d’évacuation.
Une demi-heure plus tard, le quai se rem-
plit de voyageurs en direction de Kiev. De
nombreux couples s’étreignent avant le
coup de sifflet du départ. Même mixité qu’à
l’aller entre civils et militaires. Tantôt une co-
pine se rend à Kiev, tantôt un soldat part
pour sa permission, laissant son amie éplo-
rée. Ihor va à Kiev pour un traitement médi-
cal. « Je sors de l’hôpital. Ce n’est pas une per-
mission, raconte ce cuisinier de 48 ans affligé
de graves hernies discales. Ça me calmera les
nerfs. L’usine à côté de l’hôpital est constam-
ment bombardée. » Pour lui, les combats
sont terminés. « Je rentre dimanche à Krama-
torsk pour passer devant la commission mé-
dicale, qui va me déclarer inapte », assure-t-il.
« On voit trop d’horreurs »
Ihor a hâte de voir son fils de 12 ans et son
épouse. « Franchement, le moral n’est pas bon
du tout. On voit trop d’horreurs. J’en ai perdu
l’appétit. Ça m’arrive de rester deux ou trois
jours sans manger, je suis obligé de me forcer
à manger des fruits secs. Rien d’autre ne
passe. » Tandis qu’Ihor entrevoit le bout du
tunnel, Mykola débute sa cinquième permis-
sion avec la rage au cœur. « Je n’ai même plus
envie de baiser tellement je suis furieux contre
ces filles de Kiev qui se prélassent aux quatre
coins de l’Europe. Je regarde leurs comptes
Instagram, elles me dégoûtent ! », grogne ce
jeune homme musculeux et tatoué qui dit
combattre dans les forces spéciales et bénéfi-
cier à ce titre de permissions fréquentes.
« Certains dépensent leurs dernières écono-
mies pour aider l’armée, mais beaucoup n’en
ont rien à foutre qu’on crève comme des mou-
ches pour les protéger. Si jamais le gouverne-
ment s’avise de signer la paix avec les Russes
dans notre dos, ça va barder dans ce pays ! »,
menace-t-il, tandis que le train fonce vers la
capitale. Une colère montant du front qui
met à l’épreuve l’unité dont les Ukrainiens
ont su faire preuve face à l’agression russe. p
Emmanuel Grynszpan
0123
­
­Jeudi 31­ août 2023
Robotyne, une brèche
ukrainienne dans
les lignes russes du sud
La prise du village est considérée comme
une première étape de la contre-offensive
pour asphyxier les forces de Moscou
R obotyne a été libéré ! »
D’habitude réservée, la vi-
ce-ministre de la défense
ukrainienne, Hanna Maliar, avait
des accents de victoire, lundi
28 août, lors du point de situation
quotidien sur les opérations mili-
taires en cours. Plus de deux mois
et demi après le début de la contre-
offensive ukrainienne, l’armée de
Kiev a percé la première ligne de
défense russe, considérée par les
analystes comme le dispositif le
plus densément fortifié depuis la
seconde guerre mondiale.
En apparence, la conquête appa-
raît modeste. Situé dans l’oblast de
Zaporijia, dans le sud du pays, Ro-
botyne est un bourg perdu au mi-
lieu des champs, dénué d’installa-
tions stratégiques. Avant la guerre,
on y comptait moins de 500 habi-
tants. Mais le village est situé le
long de la route T0408, qui mène à
Tokmak, une ville située vingt ki-
lomètres plus au sud et considérée
comme un verrou pour accéder à
Melitopol et à Berdiansk, deux
grandes agglomérations proches
de la mer d’Azov, en zone occupée.
Surtout, Robotyne se trouve au
cœur de la première des trois li-
gnes de défense russes, compo-
sées de milliers de tranchées, de
champs de mines et de dispositifs
antichars. « La prise du village in-
dique que les Ukrainiens ont réussi
à franchir cet obstacle et peuvent
désormais exploiter la percée », es-
time Thibault Fouillet, directeur
scientifique de l’Institut d’études
de stratégie et de défense. Mardi
29 août, l’armée ukrainienne a
annoncé avoir « enregistré des
succès en direction de Novoproko-
pivka et de Verbove », deux locali-
tés situées au sud et au sud-est de
Robotyne, signe que ses troupes
poursuivent leur avance.
« Idéal pour percer »
Au-delà du gain tactique, la prise
de Robotyne est la première étape
de ce qui apparaît comme l’un des
objectifs, si ce n’est le principal, de
la contre-offensive ukrainienne,
lancée le 4 juin : couper le « pont
terrestre » qui relie la Russie à la
Crimée, et ainsi asphyxier les for-
ces de Moscou présentes dans le
sud du pays, dans l’oblast de Zapo-
rijia, mais aussi dans la péninsule
annexée par la Russie en 2014,
que les Ukrainiens ne désespè-
rent pas de reconquérir.
A l’heure actuelle, quelque 80 à
90 km séparent la ligne de front
des rives de la mer d’Azov. Si les
Ukrainiens arrivent à s’y frayer un
chemin depuis Robotyne, tout le
sud du champ de bataille pourrait
s’en trouver bouleversé. « Le pont
terrestre est l’endroit idéal pour per-
cer. Y créer un corridor permettrait
aux forces ukrainiennes d’isoler la
rive gauche du fleuve Dniepr et
d’étrangler tout le sud de la con-
quête russe, en prenant sous le feu
les axes logistiques ennemis », es-
time Isabelle Dufour, directrice
des études stratégiques à Euro-
crise. C’est en agissant ainsi que les
Ukrainiens avaient réussi, en no-
vembre 2022, à déloger les Russes
de la rive droite du Dniepr et de la
ville de Kherson, devenue intena-
ble sous les tirs de canons de Kiev.
Pour y parvenir, les Ukrainiens
n’auraient d’ailleurs pas néces-
sairement besoin d’atteindre la
mer d’Azov elle-même mais sim-
plement de mettre à portée de
leur artillerie les voies de chemin
de fer qui parsèment le sud de
La prise de Robotyne
permettrait à Kiev
d’atteindre l’un
de ses principaux
objectifs : couper
le « pont terrestre »
qui relie la Russie
à la Crimée
l’Ukraine et l’autoroute E58 qui la
traverse d’est en ouest. Dans une
note publiée le 23 août, Jan Kall-
berg, chercheur au Centre d’ana-
lyse des politiques européennes,
un centre de réflexion de
Washington, estime ainsi à seule-
ment « ten miles » (16,1 km) la dis-
tance restant à parcourir aux
Ukrainiens pour « interdire les
liaisons routières et ferroviaires »
qui ravitaillent en hommes et en
matériels les forces russes.
A écouter les analystes militai-
res, l’opération n’aura néan-
moins rien d’une sinécure. Créer
et exploiter un corridor en zone
ennemie demande de conquérir
d’importantes portions de terri-
toire. « Il ne faut pas une bande de
terre étroite, une route avec dix ki-
lomètres de chaque côté. Sinon, les
Russes pourraient pincer le corri-
dor par le nord et y emprisonner
les Ukrainiens. Ou battre ses flancs
par les feux », alerte Mme Dufour.
Les troupes de Kiev ont certes
tenu, durant des semaines au
printemps, un passage de quel-
ques kilomètres les reliant à la
ville de Bakhmout, mais ce fut au
prix d’importantes pertes.
De plus, rien ne garantit qu’un
tel corridor suffira à asphyxier to-
talement les forces russes. Le pont
de Kertch, qui relie la Russie au sud
de la Crimée, permet toujours
d’approvisionner pour partie le
front sud, même si les Ukrainiens
tentent régulièrement de le dé-
truire. De plus, les Russes peuvent
utiliser des navires pour traverser
la mer d’Azov et alimenter leurs
troupes, même si cela serait plus
compliqué qu’avec une liaison fer-
roviaire, le moyen logistique his-
toriquement privilégié par l’ex-ar-
mée rouge. En attendant, les for-
ces russes font tout pour colmater
la brèche de Robotyne. Selon diffé-
rentes sources, Moscou aurait dé-
pêché dans la région des troupes
de parachutistes (les Vozdouchno
Dessantnye Voïska, ou VDV), répu-
tées plus aguerries, en les dépla-
çant notamment des régions de
Kreminna et de Kherson. Mais il
n’est pas certain qu’elles suffiront
à contenir la poussée ukrainienne,
tant elles ont été éprouvées par
dix-huit mois de guerre.
« La dégradation de ces forces [de
parachutistes] affaiblira probable-
ment la capacité de la Russie à me-
ner des opérations défensives com-
plexes », souligne ainsi le cercle de
réflexion américain Institute for
the Study of War dans une note
publiée le 28 août. « La capacité des
Russes à mobiliser leurs réserves et
à tenir leur deuxième ligne de dé-
fense, elle aussi très bien fortifiée
mais qui doit être valorisée par des
hommes avec l’expérience du com-
bat, sera déterminante dans le suc-
cès ou l’échec de la percée de Robo-
tyne », confirme M. Fouillet. p
Cédric Pietralunga
Le général russe Averianov dans
le viseur des services occidentaux
Soupçonné d’avoir joué un rôle dans le crash de l’avion du chef de
Wagner, il a été identifié dans plusieurs actions clandestines en Europe
L e régime de Vladimir Pou-
tine se gardera sans doute
de lever le voile sur les cir-
constances exactes de l’explosion,
le 23 août, en plein vol, du jet qui a
coûté la vie au chef de la milice pri-
vée Wagner, Evgueni Prigojine, et
à six de ses collaborateurs, près de
Moscou. Le secret participe du cli-
mat de terreur imposé par le chef
de l’Etat russe pour conforter son
pouvoir, y compris auprès de son
entourage. Néanmoins, depuis la
chute de l’avion, les principaux
services secrets occidentaux
échangent et tentent d’en savoir
plus sur le modus operandi.
Selon les éléments transmis par
les Américains à leurs alliés euro-
péens, l’explosion n’est pas acci-
dentelle. Un constat réalisé, en
grande partie, grâce à du rensei-
gnement technique faute d’accès
aux pièces de l’appareil. Toujours
d’après le fruit de la coopération
entre agences occidentales, des
agents issus du renseignement
militaire russe (GRU) auraient pu
jouer un rôle dans la préparation
de l’opération ciblant Prigojine.
Parmi eux, est apparu le nom
d’Andreï Averianov, connu de ces
mêmes services secrets pour avoir
dirigé l’unité 29 155 du GRU, tête de
pont de l’ingérence russe en Eu-
rope pendant près de dix ans.
Le Monde n’a pas pu obtenir de
détails sur le niveau d’interven-
tion d’Andreï Averianov. Mais il
est d’ores et déjà prouvé que son
positionnement, aujourd’hui, au
sein du pouvoir poutinien, a été
payé de retour pour de précieux
services rendus au régime et n’est
plus celui qu’on lui connaissait
encore en 2020. Fin juillet, à Saint-
Pétersbourg, lors d’une rencontre
Evgueni Prigojine enterré
dans le secret à Saint-Pétersbourg
Préparatifs dans trois cimetières différents, accès restreints, corbillards vides, fausse
cérémonie d’adieu : tout a été fait pour minimiser les funérailles du chef du Groupe Wagner
Moscou - correspondant
D es internautes facétieux
ont nommé cela une
« opération funéraire spé-
ciale », en référence à « l’opération
militaire spéciale », l’euphémisme
employé par le Kremlin pour dési-
gner l’invasion de l’Ukraine. L’en-
terrement d’Evgueni Prigojine,
mardi 29 août à Saint-Péters-
bourg, s’est déroulé dans le plus
grand secret, et dans des condi-
tions rocambolesques.
Malgré les dizaines de journalis-
tes qui tentaient de localiser la cé-
rémonie aux quatre coins de la
ville, rien n’a filtré jusque dans la
soirée. C’est finalement le service
de presse de l’entreprise Con-
corde, société mère du groupe de
mercenaires Wagner, qui a indi-
qué sur son site Telegram que ces
funérailles s’étaient déroulées
plus tôt dans la journée, dans le
­cimetière de Porokhovskoïe. Ce
lieu bucolique, situé dans les
­faubourgs orientaux de Saint-Pé-
tersbourg, accueille déjà la dé-
pouille du père de M. Prigojine.
Son administration a affirmé
avoir organisé la cérémonie « se-
lon le souhait de la famille ».
Prudence des autorités
Aucune date ni aucun lieu
n’avaient été communiqués. Les
fonctionnaires pétersbourgeois
reconnaissaient eux-mêmes avoir
été tenus en dehors du secret.
avec une délégation malienne, au
cours d’un sommet Russie-Afri-
que, il figurait au côté de minis-
tres russes et des chefs de conglo-
mérats entourant Vladimir Pou-
tine. Lorsque vint son tour de se
présenter, on le voit, devant les
­caméras, lâcher un laconique
« Averianov Andreï, sécurité ».
En réalité, son profil est tout
autre. Aujourd’hui général, An-
dreï Averianov est sorti diplômé,
en 1988, de l’Académie militaire
de Tachkent, dans ce qui était
alors la République soviétique
d’Ouzbékistan. Il a effectué une
grande partie de sa carrière au
sein du GRU qui, selon le rensei-
gnement britannique, s’est im-
posé au sein de la communauté
des services secrets russes avec le
durcissement de la politique
étrangère du pays. Le pouvoir a
fait des unités du GRU le fer de
lance clandestin de cette straté-
gie de tension qui n’a cessé de
croître depuis l’annexion de la
Crimée, en 2014.
Chargée, pendant la guerre
froide, de l’entraînement des gué-
rillas communistes en Asie, en
Afrique ou en Amérique centrale,
l’unité 29 155 a été reconvertie,
L’agent du
renseignement
militaire est sorti
de l’ombre après
la tentative
d’assassinat au
Novitchok contre
Sergueï Skripal
Dans la matinée, le Kremlin avait
également prétendu ne pas être
au courant de quelconques prépa-
ratifs, et assuré que le président
russe, Vladimir Poutine, proche
de l’homme d’affaires depuis les
années 1990, n’avait pas prévu
d’être présent.
Selon plusieurs sources citées
par des médias indépendants
­russes, une quarantaine de per-
sonnes seulement, parmi les plus
proches d’Evgueni Prigojine, tué le
23 août dans le crash non expliqué
de son avion, ont assisté à ces funé-
railles. Les nombreux mercenaires
ou ex-combattants du Groupe
­Wagner qui le souhaitaient n’ont
donc pas pu rendre hommage à
leur chef, auquel ils vouent, pour
certains, une dévotion sans limite.
Les images qui commençaient à
paraître dans la soirée montraient
une tombe des plus simples, sur-
montée d’une croix de bois (la tra-
dition russe ne prévoit la pose
d’une stèle qu’après un an). A ses
pieds, un extrait du poème Nature
morte, de Joseph Brodski.
Les autorités ont déployé des
trésors d’imagination pour trom-
per journalistes et curieux. Des
préparatifs ont ainsi été signalés
au cours de la journée dans trois
autres cimetières de la ville, dont
les accès avaient été restreints.
Dans l’un d’eux, le cimetière Sera-
fimovski, où reposent les parents
de Vladimir Poutine, un des lieu-
tenants de Prigojine, Valeri Tche-
International | 5
après la chute du mur de Berlin,
en service action de l’armée russe,
notamment en Tchétchénie dans
les années 1990. En 2012, elle fi-
gure parmi les trois unités du GRU
récompensées par le ministère
russe de la défense pour des « réa-
lisations spéciales dans le cadre de
leur mission militaire », termes pu-
diques qui désignent des actions
souterraines souvent sanglantes.
En janvier 2015, Andreï Averia-
nov, déjà à la tête de l’unité, se voit
décerner la médaille de « héros de
la Russie », la plus haute distinc-
tion du pays. Son groupe, choyé
par le pouvoir, fonctionne
comme une communauté sou-
dée vivant sur elle-même. Une
photo oubliée sur les réseaux so-
ciaux, prise en 2017, le montre au
mariage de sa fille, en costume
gris et nœud papillon. Il pose avec
des membres de son unité.
Elimination de personnes
Habitué du secret, il sort pourtant
de l’ombre malgré lui, à l’instar de
son unité, après la tentative d’as-
sassinat manquée, le 4 mars 2018,
au Novitchok, un agent neuro-
toxique, menée dans le sud de
l’Angleterre contre Sergueï Skri-
pal, un ex-agent double du GRU.
Les Occidentaux ouvrent la
chasse aux membres de cette
unité et découvrent qu’elle se li-
vre, depuis des années, à l’élimi-
nation de personnes ciblées par
Moscou, au sabotage et à la sub-
version politique de gouverne-
ments souverains.
En 2014, elle fait sauter, en Répu-
blique tchèque, deux dépôts de
munitions. Le chef du gouverne-
ment tchèque, en 2021, annoncera
l’implication « hautement proba-
kalov, a été enterré mardi. Les da-
tes et lieux des cérémonies pré-
vues pour les huit autres person-
nes qui étaient à bord de l’avion,
dont Dmitri Outkine, fondateur
du Groupe Wagner, sont tenues
tout aussi secrètes.
Parmi les autres ruses dé-
ployées, plusieurs corbillards, ap-
paremment vides, ont sillonné
Saint-Pétersbourg, se rendant
d’un cimetière à l’autre. Une
fausse cérémonie d’adieu a aussi
été organisée dans un bâtiment
officiel de la ville, bouclée par la
police. « Même après sa mort, Pri-
gojine arrive à offrir un tel specta-
cle, complètement inédit à l’ère
Poutine », relevait l’un de ses pro-
ches auprès de la chaîne Telegram
VTchK-OGPU, bien introduite
auprès de l’état-major de Wagner.
Ces péripéties rappellent, de fait,
la passion pour la mystification
qu’entretenait l’homme de son
vivant, en particulier l’utilisation
qu’il faisait de faux passeports, de
perruques, et de sosies.
Mais au-delà de l’aspect extrava-
gant de cette journée, cet enterre-
ment aux airs d’opération des ser-
vices spéciaux pose question.
Quel ennemi s’agissait-il de trom-
per ? D’improbables saboteurs
pro-ukrainiens ou les sympathi-
sants de Prigojine ? La prudence
des autorités rappelle une évi-
dence : les anciens de Wagner,
ainsi que tous ceux qui admi-
raient le chef de guerre et le politi-
ble » de l’unité d’Averianov. La pre-
mière explosion, qui a fait deux
morts parmi les employés du site,
ciblait un entrepôt hébergeant
50 tonnes de munitions. La se-
conde a détruit près de 100 tonnes
de munitions et de matériel qui de-
vaient, en partie, soutenir l’effort
de guerre des forces ukrainiennes.
Les services de renseignement
de Prague ont pu matérialiser la
présence, sur leur sol, au moment
de l’explosion, des deux officiers
impliqués dans l’affaire Skripal.
Trois autres agents, arrivés de
­Budapest, en Hongrie, et leur
chef, Andreï Averianov, spéciale-
ment venu de Vienne, en Autri-
che, auraient participé à cette ac-
tion. En 2016, l’unité tente d’orga-
niser un coup d’Etat au Montene-
gro. L’opération avortera.
Comme Le Monde l’avait révélé,
Andreï Averianov avait établi une
base arrière dans les communes,
côté français, jouxtant Genève, en
Haute-Savoie et dans l’Ain. C’est
d’ici qu’ils ont lancé leurs opéra-
tions dans toute l’Europe jus-
qu’en 2018. « Entre 2014 et 2018, au
moins onze officiers de l’unité
29 155 du GRU ont séjourné en
France, à proximité de Genève », se-
lon les dires d’un haut cadre du
renseignement français. La mise
au jour de ses activités et de celles
de son unité a mis fin à toute sortie
de Russie pour Andreï Averianov.
Mais le pouvoir ne sera pas ingrat.
S’ouvrent alors, pour lui, les portes
d’une autre carrière, dans les pre-
miers cercles du président Pou-
tine et pourquoi pas en Afrique,
dans les pas de celui qui était pré-
senté comme son « ennemi in-
time », Evgueni Prigojine. p
Jacques Follorou
que, ont de quoi garder une
rancœur à l’égard du pouvoir – ou
au moins des questions à lui po-
ser au sujet du crash du 23 août.
C’est aussi, à travers celui des ca-
méras, du regard des Russes que le
Kremlin entend se préserver, plu-
tôt que de devoir expliquer pour-
quoi un « héros de la Russie » est
enterré en catimini, presque
comme un paria. Evgueni Prigo-
jine avait reçu cette décoration, la
plus prestigieuse qui soit, des
mains de Vladimir Poutine, en
juin 2022.
Anonymat et silence médiatique
Selon un décret présidentiel, l’en-
terrement de ses récipiendaires
est d’ailleurs parfaitement codi-
fié, avec salve d’honneur, orches-
tre et escorte militaire. Le « hé-
ros » devenu « traître » – selon le
mot du président russe, qui lui a
pourtant rendu hommage le len-
demain de sa mort – n’a eu droit à
rien de cela.
En 1934, après avoir été le proba-
ble commanditaire du meurtre de
Sergueï Kirov, le populaire chef du
Parti communiste de Leningrad,
Staline lui avait offert des funé-
railles grandioses. Quatre-vingt-
neuf ans plus tard, dans la même
ville, celles d’Evgueni Prigojine se
sont tenues dans l’anonymat et le
silence. Mardi soir, le journal télé-
visé de la Première chaîne n’y con-
sacrait pas un mot. p
Benoît Vitkine

6 | International
Au Gabon, des militaires
proclament «la fin du régime»
Alors que la victoire du président sortant, Ali Bongo, venait d’être
annoncée mardi soir, des soldats ont surgi et annulé les élections
I
l n’a fallu que quelques mi-
nutes, après l’annonce des
résultats officiels consa-
crant sans surprise la réélec-
tion d’Ali Bongo à un troisième
mandat, pour qu’une dizaine de
militaires fasse irruption à la télé-
vision, dans la nuit du
mardi 29 au mercredi 30 août, et
proclame la dissolution de « tou-
tes les institutions de la Républi-
que » et la « fin du régime ». Réunis
au sein d’un Comité pour la tran-
sition et la restauration des insti-
tutions (CTRI), ces soldats, issus
de différents corps de l’armée ga-
bonaise, ont justifié leur coup de
force sur la chaîne Gabon 24, abri-
tée au sein de la présidence, en
raison de « la grave crise institu-
tionnelle, politique, économique
et sociale » que traverse leur pays.
Dans leur communiqué, lu par
l’un des leurs, ces militaires et po-
liciers considèrent que « l’organi-
sation des échéances électorales –
tenues le 26 août – n’a pas rempli
les conditions d’un scrutin transpa-
rent, crédible et inclusif tant espéré
par les Gabonaises et les Gabonais.
A cela s’ajoute une gouvernance ir-
responsable, imprévisible, qui se
traduit par une dégradation conti-
nue de la cohésion sociale, risquant
de conduire le pays au chaos ».
Alors que des tirs d’armes auto-
matiques se faisaient entendre
dans plusieurs quartiers de Libre-
ville, la capitale, au moment de
leur déclaration, ces militaires
parmi lesquels se trouvaient no-
tamment des membres de la
garde républicaine, ont égale-
ment annoncé la fermeture des
frontières. S’il est encore trop tôt
pour connaître l’issue de cette
tentative de coup d’Etat, celle-ci
est intervenue dans la foulée de la
publication des résultats officiels
de l’élection présidentielle de sa-
medi. Selon les chiffres commu-
niqués au cœur de la nuit de
mardi à mercredi par le Centre ga-
En Arabie saoudite, un retraité condamné
à mort pour des tweets critiques du pouvoir
Le verdict témoigne, selon Human Rights Watch, d’un niveau de répression « terrifiant »
S ur l’échelle des châtiments
ubuesques dont l’Arabie
saoudite du prince héritier
Mohammed Ben Salman a fait sa
spécialité, c’est un nouveau re-
cord. Au mois de juillet, un ensei-
gnant à la retraite de 54 ans, Mo-
hammed Al-Ghamdi, a été con-
damné à la peine capitale pour de
simples messages dénonçant les
violations des droits humains
dans le royaume. Ce verdict d’une
sévérité caricaturale a été révélé
par l’ONG Al-Qst, spécialisée dans
la défense des prisonniers d’opi-
nion saoudiens, ainsi que par l’or-
ganisation des droits humains
Human Rights Watch (HRW).
Jusqu’ici, la sanction la plus sur-
réaliste infligée par le système ju-
diciaire saoudien était la condam-
nation, en août 2022, d’une profes-
seure de littérature, Noura Al-Qah-
tani, à quarante-cinq années de
prison, pour des messages de sou-
tien aux prisonniers de cons-
cience saoudiens. Pour un « for-
fait » similaire, Salma Al-Shehab,
une étudiante en médecine, s’était
vu infliger, quelques semaines
plus tôt, une peine de trente-qua-
tre années d’incarcération, réduite
ultérieurement à vingt-sept ans.
« Le fait qu’un tribunal puisse
prononcer la peine de mort pour
bonais des élections, le président
sortant Ali Bongo Odimba, a ob-
tenu 64,27 % des suffrages, quand
son principal rival, Albert Ondo
Ossa, n’en a recueilli que 30,77 %.
« Ils ont renversé les résultats qui
selon les premières tendances
nous donnaient plus de 70 % des
suffrages alors une partie de l’ar-
mée a pris ses responsabilités. Le
président élu Ondo Ossa est serein
et réagira plus tard », expliquait,
mercredi matin, Mike Jocktane,
son directeur de campagne, sans
condamner ou approuver l’en-
trée en scène des militaires.
« Epidémie de putschs »
L’un des hauts cadres du régime
Bongo, joint par Le Monde assu-
rait pour sa part ne pouvoir « rien
dire en l’état » et ne pas avoir d’in-
formations sur le sort du chef de
l’Etat, Ali Bongo Ondimba. Ce
dernier, réélu en 2016 dans la
contestation et la violence, avait
déjà été victime d’une tentative
de coup d’Etat en janvier 2019,
deux mois à peine après un AVC
qui l’a considérablement affaibli,
mais celle-ci avait rapidement
tourné court.
A Libreville, comme le relate un
journaliste local souhaitant lui
aussi conserver l’anonymat, des
manifestations de soutien aux
militaires sont apparues. « Nous
avons commencé à entendre des
coups de feu nourris vers
4 h 30 autour de la télévision puis
ceux-ci sont devenus sporadiques.
Maintenant, les tirs ont cessé et les
gens commencent à descendre
dans la rue pour applaudir les sol-
dats en chantant l’hymne natio-
nal », décrit-il.
« Le résultat des élections était
attendu mardi à 14 heures mais ils
n’ont pas été annoncés à ce mo-
ment-là, alors tout le monde a
veillé durant la nuit pour les atten-
dre », raconte Paulo Obiang Fir-
min, un conseiller municipal
rien de plus que des tweets pacifi-
ques atteste que la répression en
Arabie saoudite a atteint un nou-
veau stade terrifiant, s’alarme
Joey Shea, chercheuse à HRW. Les
autorités saoudiennes ont porté
leur campagne visant à étouffer
toute forme de contestation à un
niveau ahurissant. »
Absolutisme moyenâgeux
Comme l’assassinat du journa-
liste Jamal Khashoggi en 2018, ce
verdict porte à son paroxysme les
contradictions inhérentes au pro-
gramme de Mohammed Ben Sal-
man. Celui que l’on surnomme
« MBS » entend tout à la fois
ouvrir le royaume d’un point de
vue des mœurs, en octroyant par
exemple le droit de conduire aux
femmes, et le refermer d’un point
de vue politique, en imposant un
absolutisme moyenâgeux.
Le jugement contre Moham-
med Al-Ghamdi a été rendu le
10 juillet par la cour de Riyad,
chargée des dossiers labellisés
« terrorisme ». Cet habitant de
La Mecque, inconnu jusque-là
dans les milieux d’opposition, a
été reconnu coupable d’« atteinte
au statut du roi et du prince héri-
tier » et de « soutien à une idéolo-
gie terroriste » sur la base de son
Les élections
avaient eu lieu ­
à huis clos, sans
observateurs
ni journalistes
étrangers
sous la bannière du parti d’oppo-
sition Union nationale. Habitant
du PK14, un quartier à la sortie de
la capitale, celui-ci rapporte qu’« il
y a eu quelques coups de feu vers
4 heures du matin mais c’est calme
depuis. Il y a beaucoup de chars
dans les rues depuis trois jours, on
n’avait jamais vu pareil dispositif
lors d’un scrutin. Les militaires
nous ont demandé de rester chez
nous. C’est calme pour l’instant
mais on va sortir, il faut qu’on
montre notre joie. »
« C’est une délivrance pour la po-
pulation, une libération, constate
pour sa part Georges Mpaga, pré-
sident du Réseau des organisa-
tions libres pour la bonne gouver-
nance au Gabon. La lecture de ces
résultats truqués à la télévision est
la goutte d’eau qui a fait déborder
le vase. Ali Bongo en a trop fait en
piétinant tous les principes démo-
cratiques. Cet événement était pré-
visible. On ne peut pas truquer une
élection comme ça. »
A Franceville, chef-lieu de la
province du Haut Ogooué et fief
de la famille Bongo, la situation
restait calme, mercredi matin.
« Très peu de voitures circulent
dans les rues », signalait un habi-
tant en avouant avoir été surpris
par l’action des militaires. « De-
puis ce week-end, nous étions
comme le reste du Gabon, soumis
au couvre-feu et à la suspension
d’Internet. Il était même impossi-
ble d’envoyer des SMS et de com-
muniquer entre nous », dit-il. Les
élections générales se sont en ef-
activité sur X (anciennement
Twitter) et YouTube. Deux plates-
formes où il relayait les propos
de dissidents.
Selon l’enquête de HRW, le pré-
venu, arrêté un an plus tôt, n’a pu
s’entretenir avec son avocat que
très peu de temps avant l’ouver-
ture du procès. Pour justifier la
dureté inédite de leur peine, les
magistrats ont argué que « la ma-
gnitude des actions » de M. Al-
Ghamdi a été « amplifiée » par les
réseaux sociaux. Une mention ri-
sible, car selon HRW, les deux
comptes Twitter que ce Saoudien
ordinaire utilisait ne totalisaient
pas plus de dix abonnés.
La cruauté du verdict s’explique
plus sûrement par le fait que le
condamné est le frère de Saeed
Ben Nasser Al-Ghamdi, l’une des
bêtes noires de la couronne saou-
dienne. Ce prédicateur aux
470 000 followers fut, au croise-
ment des années 1980 et 1990, l’un
des idéologues de la Sahwa, un
mouvement de contestation du
royaume, d’inspiration islamiste.
Il est l’un des rares clercs issus de
cette mouvance à avoir échappé
aux vagues d’arrestations ordon-
nées par « MBS » à l’automne 2017,
dans la foulée de son accession au
poste de prince héritier.
fet déroulées à huis clos. Après
avoir refusé la présence d’obser-
vateurs internationaux et l’accré-
ditation de journalistes étran-
gers, le gouvernement avait
coupé l’accès à Internet dès la fin
du vote et imposé dimanche un
couvre-feu de 19 à 6 heures en in-
voquant les risques de « propaga-
tion d’appels à la violence et de
fausses informations ». Les autori-
tés ont également suspendu la
diffusion de RFI, France 24 et TV5
Monde. Internet a, depuis mer-
credi matin, été rétabli.
Si, dès leur prise de parole, les
militaires ont réaffirmé leur « at-
tachement au respect des engage-
ments du Gabon vis-à-vis de la
communauté nationale et inter-
nationale », ce nouveau coup
d’Etat, après ceux au Mali, en Gui-
née, au Burkina Faso et au Niger,
est une nouvelle difficulté à gérer
pour la France. Les éléments fran-
çais au Gabon, sont au nombre
d’environ 400. Cette base fran-
çaise est au centre des réflexions
de l’Elysée, partisan d’une réduc-
tion des troupes au Gabon,
comme au Sénégal ou encore en
Côte d’Ivoire.
Lundi, lors de son discours aux
ambassadeurs, le président Em-
manuel Macron s’était inquiété
de l’actuelle « épidémie de
putschs » dans le Sahel. Celle-ci
semble désormais se propager à
l’Afrique centrale, riche en pétrole
et en ressources minières, et où
les pouvoirs sont le plus souvent
tenus par des régimes autocrati-
ques. Mercredi matin, les autori-
tés françaises, disaient suivre la
situation au Gabon avec « la plus
grande attention. » p
Cyril Bensimon,
Laurence Caramel
et Élise Vincent
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Depuis Londres où il est réfu-
gié, le très conservateur Cheikh
Saeed vitupère contre les réfor-
mes sociétales du prince héritier,
ce qui a très probablement dé-
cidé ce dernier à se venger sur
son frère. « Ce jugement menson-
ger est fait pour me contrarier
après l’échec des tentatives des
services secrets pour me ramener
dans le pays », a réagi le prédica-
teur sur le réseau X. Pour faire
taire les gêneurs à l’étranger, Mo-
hammed Ben Salman a pris l’ha-
bitude de faire pression sur leurs
proches restés en Arabie, en les
arrêtant ou bien en leur interdi-
sant de voyager.
« C’est une nouveauté de l’époque
“MBS”, souligne Stéphane Lacroix,
politologue à Sciences Po et spé-
cialiste de la monarchie saou-
dienne. Le prince héritier reproduit
ce qui se faisait en Irak du temps de
Saddam Hussein et ce qui se fait
aujourd’hui dans la Syrie de Ba-
char Al-Assad. Ça n’existait pas
avant : quand l’opposant Saad Al-
Faqih est parti à Londres en 1994,
sa famille a continué sa vie comme
si de rien n’était. L’un de ses frères
était même le cardiologue attitré
du roi Fahd ! Avec “MBS”, la famille
n’est plus une ligne rouge. » p
Benjamin Barthe
En Algérie, deux ans de
prison pour un chercheur
et un journaliste
Les condamnés étaient poursuivis
pour collaboration avec des ONG étrangères
M ême si leurs défen-
seurs ne se faisaient
guère d’illusions avant
le jugement, le verdict est lourd.
Le tribunal de Constantine (Algé-
rie) a condamné, mardi 29 août, à
deux ans de prison ferme le cher-
cheur algéro-canadien Raouf Far-
rah, 36 ans, et le journaliste algé-
rien Mustapha Bendjama, 32 ans,
en détention depuis plus de six
mois. Ils ont été jugés coupables
de « publication d’informations et
de documents dont le contenu est
classé partiellement ou intégrale-
ment secret, sur un réseau électro-
nique ou d’autres moyens techno-
logiques de média ».
Le 22 août, le parquet avait re-
quis trois ans de prison contre les
deux hommes. Leurs avocats
avaient demandé la relaxe, dé-
nonçant des irrégularités dans
les procédures et des violations
des droits des accusés lors de leur
garde à vue, dont des violences
commises à l’égard de Mustapha
Bendjama. M. Farrah a égale-
ment été condamné pour « ré-
ception de fonds d’institutions
étrangères ou intérieures dans
l’intention de commettre des ac-
tes qui pourraient porter atteinte
à l’ordre public ». Pour ce même
motif, son père Sebti, 67 ans, a
écopé d’un an d’emprisonne-
ment avec sursis.
L’affaire avait démarré le 8 fé-
vrier avec l’arrestation de Musta-
pha Bendjama, rédacteur en chef
du quotidien Le Provincial, basé à
Annaba (nord-est). Il est alors
soupçonné d’avoir facilité la fuite
vers la Tunisie de la militante
Amira Bouraoui deux jours plus
tôt alors qu’elle se sentait mena-
cée. Franco-algérienne, Mme Bou-
raoui, qui a toujours nié avoir bé-
néficié de son aide, avait pu re-
joindre la France après une inter-
vention des services consulaires
français en Tunisie. L’affaire Bou-
raoui, qualifiée d’« exfiltration il-
légale » par le gouvernement al-
gérien, avait provoqué une crise
diplomatique avec la France,
qu’Alger avait accusée d’avoir or-
ganisé la fuite de la militante.
M. Bendjama se trouve, lui, dans
le viseur des autorités depuis des
années. Depuis le Hirak – le mou-
vement de contestation qui a se-
coué l’Algérie à partir du 16 fé-
vrier 2019 jusqu’en 2021, mettant
fin au règne d’Abdelaziz Bou­-
teflika, il enchaîne les contrôles
judiciaires et les inculpations
pour avoir révélé plusieurs affai-
res qui ont notamment dérangé
les autorités locales.
C’est en « exploitant » le télé-
phone du journaliste que les gen-
darmes d’Annaba, à défaut d’éta-
blir un lien entre lui et la cavale
d’Amira Bouraoui, vont se lancer
dans une chasse aux sources de
M. Bendjama. « Ils étaient six. Ils
m’ont mis à genoux et ils ont utilisé
un tournevis pour gratter mes
doigts afin d’utiliser mon em-
preinte pour déverrouiller mon
smartphone. Le lendemain, ils
sont revenus et m’ont demandé le
mot de passe. Les interrogatoires
duraient jusqu’à 4 heures du ma-
tin », a-t-il témoigné lors de son
procès, le 23 août.
Dans la liste de ses contacts : le
chercheur Raouf Farrah, grâce
auquel le journaliste est entré en
C h ili
Suicide d’un ex-officier
de Pinochet avant
son incarcération
Un général chilien à la
retraite, condamné avec
d’autres officiers pour
le meurtre en 1973 du très po-
pulaire chanteur Victor Jara,
au lendemain du coup d’Etat
0123
­
­Jeudi 31­ août 2023
contact avec l’ONG anticorruption
Global Integrity Index (GII), et qui
l’a chargé de rédiger un rapport
compilant cinquante-quatre indi-
cateurs socio-écono­miques basés
sur des sources ouvertes et acadé-
miques contre une rétribution de
1 500 dollars américains (environ
1 380 euros). Dans leur lancée, les
enquêteurs traduiront vers
l’arabe le terme « indicateurs » par
« informateurs »… Quant à Raouf
Farrah, il lui sera entre autres re-
proché de rédiger des « rapports »
à destination d’étrangers. En fait,
des analyses publiées par l’ONG
suisse Initiative mondiale contre
la criminalité transnationale or-
ganisée (GI-TOC).
Diplômé au Canada et installé
en Tunisie depuis 2020, Raouf
Farrah s’intéresse notamment au
trafic d’êtres humains, aux ques-
tions liées au crime organisé et
aux conflits libyen et malien. Il
avait également coordonné, dé-
but 2023, un essai collectif sur le
hirak : Algérie : l’avenir en jeu, essai
sur les perspectives d’un pays en
suspens (éditions Koukou). Parmi
les contributeurs, le journaliste
Mustapha Bendjama.
« C’est un choc. Nous n’acceptons
pas ce verdict. Au vu des éléments
qui ont été présentés par la justice,
nous pensons qu’il n’y a aucune
base pour étayer les accusations
portées contre Raouf, Sebti et les
autres co-accusés », déclare au
« Monde » Mark Micallef, direc-
teur de l’Observatoire du GI-TOC
pour l’Afrique du Nord.
« Un contributeur essentiel »
« Nous sommes une organisation
de la société civile. Tout ce que
nous faisons, depuis la façon dont
nous sommes organisés jusqu’à
nos membres, nos financements,
nos publications est com­-
plètement transparent », ajoute
M. Miccalef. « Raouf est un
­contributeur essentiel de nos re-
cherches sur l’Afrique du Nord et le
Sahel. Tous ses travaux ont été pu-
bliés pour le bénéfice de tous. Et
j’aimerais insister sur le fait que
les Etats sont les premiers bénéfi-
ciaires de nos travaux et de nos
­recommandations. »
Dans un communiqué, l’ONG a
appelé l’Algérie à « reconnaître les
précieuses contributions de Raouf
Farrah à la recherche et à défendre
son droit à une procédure judi-
ciaire équitable et transparente
dans le cadre d’un appel accéléré ».
Mustapha Bendjama rejoint,
quant à lui, la cohorte des journa-
listes condamnés en Algérie. Le
18 juin, la cour d’appel d’Alger a
alourdi à sept ans de prison, dont
cinq ans ferme, une condamna-
tion du patron de presse Ihsane
El Kadi, fondateur de Radio M. et
Maghreb Emergent, pour « finan-
cement étranger ».
Pour Eric Goldstein, directeur
adjoint Moyen-Orient et Afrique
du Nord de l’ONG Human Rights
Watch, « la condamnation du
chercheur Raouf Farrah et du jour-
naliste Mustapha Bendjama à
deux ans de prison est politique.
Elle atteste une nouvelle fois de la
répression tous azimuts des auto-
rités, sous des prétextes fallacieux
et via une instrumentalisation
de la justice ». p
Madjid Zerrouky
militaire d’Augusto Pinochet,
s’est suicidé mardi 29 août,
peu avant son incarcération.
Lorsque la police s’est rendue
chez lui pour le conduire
en prison, Hernan Chacon,
85 ans, « a pris une arme à feu
qu’il a retourné contre lui ce
qui a provoqué sa mort », a ex-
pliqué un procureur. – (AFP.)
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­Jeudi 31­ août 2023
Les défis du démantèlement de Fukushima
Le principal enjeu est de retirer près de 880 tonnes de combustible ayant fondu dans les réacteurs de la centrale
Tokyo - correspondance
A
l’origine d’une vérita-
ble tempête diploma-
tique avec la Chine, la
gestion controversée
des eaux contaminées de la cen-
trale nucléaire de Fukushima
n’est par ailleurs qu’un des nom-
breux problèmes liés au déman-
tèlement du site ravagé par le
séisme et le tsunami de mars 2011.
Le rejet amorcé jeudi 24 août de
ces eaux dans l’océan a suscité de
vives réactions en Chine, qui a in-
terdit les importations de pro-
duits de la mer japonais. Des pier-
res et des œufs ont été jetés contre
l’ambassade nippone de Pékin et
des écoles japonaises. Tokyo a dû
appeler ses ressortissants à rester
discrets. Des dizaines d’entrepri-
ses et de restaurants de l’archipel
ont reçu des milliers d’appels
­téléphoniques de Chine d’insultes
parfois à caractère raciste. Le pre-
mier ministre japonais, Fumio
Kishida, a appelé son grand voisin
à veiller à ce que la population « se
comporte avec calme et de manière
responsable ».
Tokyo a dans le même temps ex-
pliqué que les résultats des tests ef-
fectués sur des échantillons d’eau
de mer et des poissons pêchés à
proximité de la centrale après le
début du déversement ont con-
firmé que les substances toujours
présentes, à commencer par le tri-
tium, restaient dans les normes.
Malgré cela, la Chine maintient
son opposition à l’opération. Le
porte-parole du ministère des af-
faires étrangères, Wang Wenbin, a
appelé le Japon à faire face aux pré-
occupations légitimes de toutes
les parties, à stopper immédiate-
ment le rejet de l’eau et à entamer
des consultations avec ses voisins.
Sur le plan technique, le déverse-
ment des eaux de Fukushima
oblige les autorités nippones à ré-
fléchir au devenir des plus de
1 000 réservoirs où elles sont stoc-
kées. La compagnie d’électricité de
Tokyo – Tepco, l’opérateur du site –
doit aussi gérer les boues chargées
de nucléides issues du traitement
de ces eaux avant leur rejet, par le
système de filtration par absorp-
tion dit ALPS (acronyme d’Advan-
Le risque de cancer pour les salariés du nucléaire réévalué à la hausse
Une étude a analysé les donnés de quelque 310 000 travailleurs du secteur en France, au Royaume-Uni et aux Etats-Unis
E valuer le risque de cancer
lié à l’atome et aux rayon-
nements ionisants : l’exer-
cice a fait l’objet de nombreux tra-
vaux au cours des dernières dé-
cennies. Ceux publiés le 16 août
dans le British Medical Journal re-
vêtent toutefois un statut particu-
lier puisqu’ils proviennent de
l’analyse des données de près de
310 000 travailleurs de l’industrie
nucléaire, suivis en moyenne pen-
dant plus de trente ans et recrutés
en France, au Royaume-Uni et aux
Etats-Unis. Le principal résultat
est l’augmentation de 52 % du ris-
que de décès par cancers dits « so-
lides » (c’est-à-dire à l’exclusion
des leucémies et des lymphomes)
pour une dose cumulée d’un gray
(Gy) reçue par un individu.
« Un gray représente une dose de
radiation très importante : la dose
moyenne reçue par les travailleurs
de la cohorte est de l’ordre de vingt
millièmes de gray [mGy], détaille
Klervi Leuraud, épidémiologiste
à l’Institut de radioprotection et
de sûreté nucléaire (IRSN), et co-
autrice de ces travaux. L’estima-
tion du risque que nous publions
signifie que sur une population de
1 000 travailleurs suivis pendant
trente-cinq ans, âgés en moyenne
de 66 ans en fin de suivi et ayant
cumulé cette dose au cours de leur
Pour extraire,
le corium,
extrêmement
radioactif, les
réflexions se
poursuivent
et mobilisent
des acteurs du
monde entier
ced Liquid Processing System).
Ces boues sont pour l’instant ver-
sées dans des conteneurs à haute
intégrité (HIC), eux-mêmes ran-
gés dans un site de stockage tem-
poraire protégé par des murs de
béton en raison des hauts niveaux
de radiation. Or la limite de place
pour ce stockage devrait être at-
teinte en 2027. Tepco envisage de
construire une installation de
déshydratation pour réduire de
70 % le volume de ces boues.
Mais le principal enjeu sur le site
reste celui de l’extraction des près
de 880 tonnes de combustible
ayant fondu dans trois des six
réacteurs de la centrale. Or l’état
précis de ce combustible reste mal
connu. D’après l’Institut interna-
tional de recherche sur le déman-
tèlement nucléaire, le réacteur
­numéro 1, le plus touché, aurait ac-
cumulé 279 tonnes de débris de
combustible fondu. Un robot a
confirmé en mars que ce combus-
tible avait traversé la cuve et en-
dommagé le socle de béton se
trouvant dessous.
Risque sismique
Dans les trois réacteurs, rappelle
Hideyuki Ban, du Centre citoyen
d’informations sur le nucléaire
(CNIC, une organisation indépen-
dante), « du corium a été formé. Il
peut être aussi dur que de la roche ».
Le corium est un mélange qui se
crée à près de 3 000 oC. Extrême-
ment radioactif, il est constitué de
dioxyde d’uranium fondu issu du
combustible nucléaire, d’un al-
liage oxydé de zirconium prove-
nant des gaines du combustible et
d’aciers fondus de la structure du
carrière, on observerait 91 décès
par cancer solide dont un serait
­attribuable à l’exposition pro­-
fessionnelle aux rayonnements
­ionisants. »
La méthodologie utilisée con-
siste à relever le cumul des doses
reçues par les individus, mesu-
rées grâce à un dosimètre, mises
en regard du risque de mortalité
par cancer. L’estimation obtenue
ne diffère pas grandement de la
précédente analyse issue de cette
même cohorte, publiée en 2015.
Celle-ci concluait alors à un risque
de décès par « cancer solide » aug-
menté de 47 % pour chaque Gy
reçu. Les dix années supplémen-
taires de suivi n’ont donc conduit
les auteurs – chercheurs à l’uni-
versité de Californie à Irvine, au
Centre international de recherche
sur le cancer (CIRC) ou au sein des
institutions nationales chargées
de la santé au travail ou de la sécu-
rité nucléaire – qu’à relever de
cinq points leur évaluation.
« Rester prudent »
Cependant, l’accumulation de
nouvelles données suggère une
remise en cause du modèle dit
« linéaire sans seuil » générale-
ment utilisé en radioprotection,
selon lequel le risque de cancer
est proportionnel à l’exposition.
Un pipeline de rejet en mer de l’eau radioactive traitée provenant de Fukushima Daiichi, à Futaba (Japon), le 27 août. POOL/via REUTERS
cœur du réacteur. Pour l’extraire,
les réflexions se poursuivent et
mobilisent des acteurs du nu-
cléaire du monde entier. Naoyuki
Takaki, professeur d’ingénierie de
la sûreté nucléaire à l’université de
Tokyo, considère que ce corium
« ne peut être enlevé que s’il est ré-
duit en petits morceaux ». Tepco
prévoit qu’un bras robotisé de con-
ception britannique en prélève
quelques grammes dans le réac-
teur numéro 2, avant de les placer
dans un conteneur sous vide pour
de plus amples recherches.
La compagnie envisage cette
opération avant la fin de l’exercice
en cours, en mars 2024. Aucun ca-
lendrier n’a été fixé pour les réac-
teurs numéro 1 et numéro 3. Un
consortium français regroupant
l’Institut de radioprotection et de
sûreté nucléaire, le Centre pour
Ce modèle s’appuie sur la cohorte
des survivants d’Hiroshima et de
Nagasaki et permet, par extrapo-
lation, d’évaluer l’ampleur du ris-
que des petites doses reçues de
manière répétée par les employés
de l’industrie du nucléaire ou les
personnels médicaux au contact
de rayonnements ionisants.
« Les radiations reçues par les
survivants de ces bombardements
ne sont pas de même nature et de
même ampleur que celles reçues
par les travailleurs au cours de leur
vie professionnelle, qui sont expo-
sés à des doses très faibles », expli-
que Mme Leuraud. Les nouvelles
données suggèrent que le risque
n’est pas strictement proportion-
nel à l’exposition, comme le sup-
pose le modèle « linéaire sans
seuil » : le risque augmente plus
vite pour les gammes d’exposi-
tion faibles, inférieures à 100 mGy.
« Il s’agit d’une étude importante,
qui montre clairement que l’expo-
sition prolongée à de faibles doses
de radiations ionisantes est liée à
un risque de mortalité par cancer
plus élevé que précédemment es-
timé », commente Paul Dorfman,
consultant et chercheur associé à
l’université du Sussex, membre
du conseil consultatif pour la ra-
dioprotection de l’Agence de pro-
tection de l’environnement d’Ir-
l’énergie atomique et l’entreprise
Onet Technologies a par ailleurs
été sélectionné par le ministère
de l’industrie japonais pour réali-
ser des recherches sur la découpe
au laser du corium et la collecte
des aérosols générés.
Outre ces difficultés, les travaux
se font toujours sur fond de ris-
que sismique. « Le socle du réac-
teur numéro 1 pourrait s’effondrer
et la cuve du réacteur pourrait
tomber », s’inquiète Chihiro Ka-
misawa, du CNIC. A l’inverse,
Tepco juge suffisante la résistance
aux tremblements de terre du so-
cle, qui empêche le corium d’en-
trer dans les sols sous la centrale.
Cela soulève la question de la
durée des travaux. La feuille de
route du gouvernement mise tou-
jours sur une quarantaine d’an-
nées. Elle s’appuie sur un rapport
« C’est la
mortalité par
cancer qui a été
étudiée, plutôt
que l’incidence
de la maladie »
Klervi Leuraud
épidémiologiste
lande. « Il faut rester prudent car il
reste des incertitudes importantes
aux très faibles doses et on n’a pas
d’explication très claire à ce phéno-
mène, dit de son côté Klervi Leu-
raud. C’est la première fois qu’on
observe cela dans cette cohorte et il
faudrait corroborer ce résultat
avec d’autres études. »
L’une des limites de ces travaux
est de ne pas avoir pu contrôler
deux facteurs de confusion ma-
jeurs, le tabagisme et l’exposition
à l’amiante, tous deux fortement
associés au cancer du poumon et
de la plèvre. Les chercheurs ont
ainsi testé la robustesse de leur
analyse en ignorant ces cancers,
sans que cela ne change la force
de l’association entre les rayon-
nements ionisants et la mortalité
par cancers. « Cette étude est fon-
Planète | 7
de décembre 2011 de la Commis-
sion japonaise de l’énergie atomi-
que – dépendante du gouverne-
ment et chargée de formuler la
politique nucléaire du pays –, se-
lon laquelle il faudra « plus de
trente ans » pour achever le dé-
mantèlement. Selon Shunsuke
Kondo, professeur émérite d’ingé-
nierie nucléaire à l’université de
Tokyo, les quarante ans s’obtien-
nent en additionnant les dix ans
nécessaires pour préparer l’enlè-
vement du combustible fondu
aux dix autres années nécessai-
res, par réacteur, pour récupérer
ce combustible.
Ce scénario apparaît peu réaliste
car il ne précise pas l’avenir du site
de la centrale. Faut-il prévoir un
démantèlement complet, confor-
mément à la promesse gouverne-
mentale de débarrasser le dépar-
dée sur la mortalité par cancer et
non sur l’incidence du cancer », dit
M. Dorfman, suggérant que ce
choix pourrait minorer la réalité
du risque. « C’est en effet la morta-
lité par cancer lié à l’exposition
aux rayonnements ionisants qui a
été étudiée, plutôt que l’incidence
de la maladie, confirme Klervi
Leuraud. Mais c’est en raison de
l’absence de registre national des
cancers en France, où il n’existe
que quelques registres régionaux.
Les travailleurs du nucléaire étant
répartis sur tout le territoire, il n’a
pas été possible de déterminer
tous les cas de cancers survenus
dans cette cohorte : nous avons dû
nous limiter à la cause médicale
du décès. »
Les sous-traitants hors champ
Y a-t-il un effet de minoration du
risque en raison de cette limite ?
Au Royaume-Uni, où est tenu un
tel registre national, le fait de con-
sidérer l’incidence du cancer plu-
tôt que la mortalité ne bouleverse
pas l’évaluation du risque, ajoute
Mme Leuraud. Les « cancers liqui-
des » au sein de la cohorte feront
l’objet d’une étude distincte qui
devrait être publiée dans les pro-
chains mois.
L’étude ne suffit pas à épuiser la
question de la sécurité des tra-
tement de Fukushima de toute
trace de la catastrophe nucléaire ?
Ou faut-il opter pour un assainis-
sement partiel en laissant en
place les fondations des bâti-
ments des réacteurs et en mainte-
nant une partie des sols contami-
nés dans l’attente de solutions sa-
tisfaisantes ?
Dans une étude de 2021, la So-
ciété pour l’énergie atomique du
Japon, qui regroupe des universi-
taires, estime qu’une centaine
d’années seraient nécessaires
pour le premier scénario. Il néces-
siterait l’élimination de 7,6 mil-
lions de tonnes de déchets ra-
dioactifs. Le second scénario obli-
gerait à l’éliminer de 4,4 millions
de tonnes de déchets mais aussi
d’attendre près de trois cents ans
pour de nouvelles solutions. p
Philippe Mesmer
vailleurs du nucléaire. Les quel-
que 60 000 travailleurs français
de la cohorte sont employés par
les plus grands acteurs du sec-
teur : EDF, Orano et le Commissa-
riat à l’énergie atomique. Les sala-
riés des entreprises sous-traitan-
tes restent ainsi hors champ.
« Dès 1991, une enquête réalisée
par des médecins du travail EDF et
la sociologue Annie Thébaud-
Mony montrait le transfert du ris-
que radio-induit des agents EDF
vers les sous-traitants, dit la socio-
logue de la santé Marie Ghis Mal-
filatre, chercheuse au laboratoire
Pacte (CNRS, université Grenoble-
Alpes, Sciences Po Grenoble). De
même que le caractère aléatoire
du suivi médical de ces derniers en
raison de leur grande mobilité et
de la précarité des emplois. »
Les auteurs estimaient que 80 %
de la dose totale de rayonnements
reçue par les travailleurs dans les
installations nucléaires l’était par
des prestataires, ajoute Mme Ghis
Malfilatre, qui précise que « cette
proportion demeure stable selon
l’IRSN ». « De manière générale,
ajoute la chercheuse, La non-prise
en compte des salariés sous-trai-
tants les plus exposés reste le point
aveugle majeur de ces grandes étu-
des épidémiologiques ». p
Stéphane Foucart
 France
8|
Rentrée politique
Macron invite les oppositions à sa table
Le président de la République doit consulter les chefs des partis politiques, mercredi, à Saint-Denis
Emmanuel Macron, aux Invalides, à Paris, le 25 août, lors de l’hommage national rendu au général Jean-Louis Georgelin, mort le 18 août. BERTRAND GUAY/AFP
C’
était veillée d’armes,
mardi soir, à l’Elysée : Em-
manuel Macron réunis-
sait les cadres de la majo-
rité présidentielle avant
le premier acte de son
« initiative politique d’ampleur », mercredi
30 août. Au cours de ce dîner préparatoire,
il fut beaucoup question, entre les ­bulots, les
huîtres et les crevettes, de référendum – le
chef de l’Etat en ayant formulé l’éventualité
dans une lettre envoyée aux chefs de parti.
La plupart des dix-huit convives du camp
présidentiel en ont rejeté l’idée, à l’excep-
tion inattendue de Yaël Braun-Pivet, prési-
dente de l’Assemblée nationale, qui s’est dite
favorable à une consultation directe des
Français sur le service national et/ou sur la
fin de vie. L’ancien premier ministre
Edouard Philippe et le président du Mo-
Dem, François Bayrou, ont exprimé leurs
­réserves. De même, ­Richard Ferrand, ancien
président de ­l’Assemblée, a jugé préférable
que « les objets du référendum ne servent pas
les successeurs non souhaités » d’Emmanuel
Macron. ­Stéphane Séjourné, secrétaire
­général de ­Renaissance, s’est dit hostile à
tout référendum avant les élections euro-
péennes, fixées au 9 juin 2024, ce qui re-
pousserait de plus d’un an une éventuelle
consultation. Gérald Darmanin, ministre de
l’intérieur, a jugé impossible un référen-
dum sur l’immigration…
Fort de ces mises en garde, c’est à l’ombre
de la nécropole des rois de France, dans le
cloître de l’ancienne abbaye royale de Saint-
Denis (Seine-Saint-Denis), qu’Emmanuel
Macron réunira à partir de 15 heures mer-
credi les chefs de parti politique représentés
au Parlement. Un lieu « pas très républicain »,
relève le constitutionnaliste Didier Maus.
Le bâtiment, qui abrite désormais la mai-
son d’éducation de la Légion d’honneur, a
été rénové dans les années 2010 à l’initia-
tive du général Jean-Louis Georgelin, an-
cien grand chancelier de la Légion d’hon-
neur, mort le 18 août. Le gouvernement met
en avant un « symbole de la méritocratie ré-
publicaine » à travers cet établissement.
Créée par Napoléon, « c’est une école pour
des jeunes filles dont les parents ont été ré-
compensés par la nation pour des mérites
particuliers », précise Olivier Véran, porte-
parole du gouvernement. Toutes sont pen-
sionnaires et portent l’uniforme. La maison
d’éducation est sise à Saint-Denis, une ville
qui a été largement touchée par les émeutes
urbaines entre fin juin et début juillet. Plus
prosaïquement, le lycée présente l’avantage
d’être désert (la rentrée des classes n’a pas
eu lieu), proche de Paris, facilement accessi-
ble par l’autoroute et aisément sécurisable.
A quelques pas des restes de Louis XVI et « Chaque parti
de Marie-Antoinette donc, devant la pre- viendra avec
mière ministre et les trois présidents d’as-
semblée Gérard Larcher (Sénat), Yaël Braun- son idée de
Pivet et Thierry Beaudet (Conseil économi-
que, social et environnemental), Emmanuel référendum et
Macron invitera les chefs de parti à s’expri-
mer sur les grands bouleversements du
le président fera
monde, mais aussi à s’interroger sur sa cuisine »,
­« comment regagner en efficacité pour notre
action publique par une simplification des explique l’un de
procédures, de nouvelles pistes d’organisa-
tion territoriale et de décentralisation, des ses conseillers
propositions de réformes de nos institu-
tions » et « comment assurer la cohésion de
la nation, en rassemblant les Françaises et les
Français autour d’un socle républicain
­commun », selon le programme dévoilé tar-
divement par l’Elysée mardi soir.
« Discussion franche »
Emmanuel Macron estime qu’il est de sa
responsabilité, au lendemain des émeutes
qui ont sidéré le pays, et face à l’absence de
majorité absolue à l’Assemblée, de tendre la
main aux oppositions pour trouver des
­terrains d’entente. Le huis clos sera total :
­téléphones proscrits (même pour le prési-
dent), collaborateurs exclus, journalistes te-
nus à bonne distance. Le chef de l’Etat, qui
souhaite une « discussion franche, loyale,
­directe », jouera franc-jeu, assure l’Elysée. Il
ne présentera aucune proposition, mais
sera « dans une position d’écoute », affirme
encore son entourage.
Si les partis politiques ont tous répondu
présents, la plupart se montrent méfiants,
soupçonnant une mise en scène médiati-
que. Dans sa lettre adressée à leurs diri-
geants, Emmmanuel Macron souligne que
l’objectif est de bâtir « ensemble » des textes
législatifs et d’ouvrir la voie, « le cas
échéant », à des référendums. Le président
de la République a pourtant évoqué à plu-
sieurs reprises le recours au référendum
­depuis son élection, sans jamais passer à
l’acte. « C’est un peu l’Arlésienne de l’ère
­Macron, note Frédéric Dabi, directeur géné-
ral de l’IFOP. On en a beaucoup parlé mais ça
n’a jamais opéré. »
Désormais en quête de relégitimation, Em-
manuel Macron osera-t-il recourir à cette
« respiration démocratique » ? L’appel direct
au peuple peut aisément se retourner contre
son auteur, comme l’histoire l’a montré. « Le
référendum sur le traité de Maastricht
en 1992 n’a pas sauvé François Mitterrand, ce-
lui sur le traité constitutionnel européen
en 2005 a été le clou sur le cercueil de Jacques
Chirac », rappelle Frédéric Dabi. La difficulté,
pour le chef de l’Etat, est de choisir un sujet à
la fois suffisamment clivant pour susciter la
participation et assez fédérateur pour entraî-
ner l’adhésion. « Son sujet, c’est d’éviter une
cristallisation sur une question qui se résu­-
merait par “pour ou contre Macron” », traduit
l’ancien garde des sceaux Jean-Jacques
­Urvoas, professeur de droit constitutionnel
à l’université de Brest.
Risque de fracturation
Mercredi, « chaque parti viendra avec son
idée de référendum et le président fera sa cui-
sine », simplifie l’un de ses conseillers. De
fait, la gauche réclamera un référendum sur
la retraite à 64 ans, la droite et l’extrême
droite sur l’immigration. Il est exclu, cepen-
dant, que le chef de l’Etat remobilise les Fran-
çais contre lui en leur donnant la parole sur
les retraites, six mois après l’adoption dou-
loureuse de la réforme, qui doit entrer en
­application le 1er septembre.
A priori, il est peu probable qu’il les
­consulte sur l’immigration : le risque de
fracturation du pays est trop important, et
le président de la République n’entend pas
contrevenir aux traités européens en limi-
tant le droit d’asile. Il pourrait, en revanche,
donner satisfaction à la droite en renonçant
à la régularisation des travailleurs sans pa-
pier dans les métiers en tension, annoncée
à l’automne 2022, afin de s’épargner un
­recours à l’article 49.3 pour faire adopter la
future loi sur l’immigration. Emmanuel
0123
­
­Jeudi 31­ août 2023
Macron a en tout cas souhaité, mardi soir,
devant ses soutiens à l’Elysée, que le texte
soit adopté d’ici à la fin de l’année.
Une consultation des Français sur la fin de
vie n’est pas davantage envisagée. « On ver-
rait revenir La Manif pour tous », assure un
conseiller, ce collectif d’associations, dont
certaines proches de l’Eglise catholique, qui
a défilé pendant des mois en 2013 contre le
mariage et l’adoption pour les couples de
même sexe. Emmanuel Macron pourrait
plutôt retenir des propositions relatives à
l’efficacité de l’action publique, aux institu-
tions ou au service national universel, que
75 % des Français souhaitent rendre obliga-
toire, selon un sondage réalisé par l’institut
de sondage IFOP en mars.
Chargé du « renouveau démocratique »,
Olivier Véran a suggéré, lundi, l’organisa-
tion d’un « préférendum ». Une notion in-
connue des constitutionnalistes, inspirée
du monde associatif, qui permettrait de
« poser plusieurs questions indépendantes le
même jour, explique Olivier Véran. Il y
aurait fort à parier que les Français vote-
raient davantage sur le fond des questions
plutôt que d’arbitrer sur celui qui interroge ».
Une idée sur laquelle le ministre a échangé
avec le président, qui rappelle fortement le
« questionnaire à choix multiples » déjà en-
visagé par Emmanuel Macron après la crise
des « gilets jaunes », puis abandonné.
Mardi dans la matinée, Emmanuel Macron
avait réuni à l’Elysée Elisabeth Borne et une
dizaine de ministres. Il leur avait assuré qu’il
leur ferait un retour de ses « rencontres de
Saint-Denis » au conseil des ministres sui-
vant, mercredi 6 septembre. Pour le reste,
nul ne sait ce qu’il en sortira.
En cas d’échec, « on ne pourra pas lui repro-
cher de ne pas avoir essayé », confie l’un de
ses plus proches collaborateurs. Mais après
le grand débat, les conventions citoyennes,
le Conseil national de la refondation, si
cette nouvelle « innovation démocratique »
devait à son tour accoucher d’une souris,
Emmanuel Macron n’aurait plus guère de
leviers à sa disposition pour sauver son
­second quinquennat de l’enlisement. Si ce
n’est, peut-être, la dissolution de l’Assem-
blée nationale. p
Nathalie Segaunes
0123
­
­Jeudi 31­ août 2023 France | 9

LR et RN pour un référendum sur l’immigration

Les présidents des deux partis, Eric Ciotti et Jordan Bardella, comptaient défendre la même idée, mercredi

S
i Emmanuel Macron a
­invité et défini le plan de
table, il a laissé le choix
des sujets de discussion à
ses convives, mercredi, pour ses
« rencontres de Saint-Denis » avec
les chefs des partis représentés au
Parlement, afin d’ouvrir la voie,
« le cas échéant », à des référen-
dums. Cela tombe bien, Eric Ciotti
a le mot en bouche depuis des
mois, le Rassemblement national
(RN) depuis des décennies. Début
juin, le président du parti Les Ré-
publicains (LR) demandait « so-
lennellement » à être reçu à l’Elysée
pour évoquer la mise en place ur-
gente de quotas migratoires et la
convocation d’un référendum sur
l’immigration. Un mois plus tard,
Marine Le Pen sollicitait la même
entrevue, en pleine crise des vio-
lences urbaines.
Le carton n’est arrivé qu’à la fin
de l’été aux destinataires, sans
mentionner l’adresse de l’Elysée
mais celle de la Maison d’éduca-
tion de la Légion d’honneur en
Seine-Saint-Denis. Dans le 93, la
droite comme l’extrême droite
vont encore avoir l’occasion de
parler d’une même voix, cette fois
dans la même pièce. Les nuances
sont minces : le député des Alpes-
Maritimes demande un référen-
dum sur une réforme constitu-
tionnelle, préalable, selon lui,
­indispensable à des mesures plus
répressives contre l’immigration.
Jordan Bardella, lui, veut remettre
sur la table le référendum sur
l’immigration porté par le RN lors
de la campagne présidentielle de
2022, à l’époque jugé impossible
par une majorité de constitution-
nalistes. Il a même trouvé une
date : le 9 juin 2024, en même
temps que les européennes.
L’eurodéputé du RN dit s’inscrire
dans une démarche « d’opposition
ferme, mais constructive », quand
M. Ciotti répète que « LR est un
parti de gouvernement, ­toujours
prêt à débattre ».
Les entourages des deux hom-
mes ne sont pas dupes de la stra-
tégie de communication du prési-
dent de la République. Réunir les
oppositions, feindre de les consul-
ter pour mieux se défausser sur
elles par la suite en cas d’échec.
« Nous avons fait des propositions
concrètes au printemps et en l’ab-
sence de leur reprise, nous ne pou-
vons pas cautionner cette impuis-
sance », prévient le député LR de
l’Isère Yannick Neuder. Il n’est tou-
L’invitation
permet au RN
de continuer
de gagner ses
galons de « parti
d’opposition
constructive »
tefois plus question de menacer le
gouvernement d’une motion de
censure à la faveur du futur projet
de loi immigration, comme l’a fait
Olivier Marleix, président des
­députés LR, dans un entretien
­remarqué au JDD, en mai.
Dans « l’arc républicain »
A cette occasion, Eric Ciotti avait
jugé « non négociable » l’abandon
du titre de séjour promis par
l’exécutif pour les étrangers qui
travaillent dans les secteurs en
tension. « Chiche », avait-il lancé à
Emmanuel Macron, en le défiant
de reprendre les propositions de
LR. A commencer par le vote de
quotas annuels par le Parlement,
pour déterminer « un nombre
maximum d’étrangers qu’on peut
accueillir », a-t-il réitéré mardi, au
micro de BFM-TV.
Le chef de la droite souhaite
mettre fin au regroupement fami-
lial, rétablir la double peine pour
les délinquants étrangers et infli-
ger au consommateur de drogue
(étranger ou non) une amende
forfaitaire multipliée par cinq.
Des sujets abordés, mardi 22 août,
lors d’une discussion d’une heure
au téléphone avec le chef de l’Etat,
qu’il décrit « courtoise sur la forme
mais ferme sur le fond ».
Jordan Bardella, lui, n’a eu droit
qu’à un quart d’heure, mais c’était
la première fois qu’il avait l’hon-
neur d’un coup de fil présidentiel.
Mercredi, dans la ville de Saint-
Denis, où il a grandi, il sera en
­terrain connu dans le lycée où il a
obtenu son bac. Le jeune homme
y revient des notes plein la tête
mais sans guère d’ambition, si ce
n’est celle de porter la voix du RN
Le monde
sur trois sujets : immigration, fis-
calité et école. Il en a posé les
­termes dans une lettre ouverte
­reprenant des propositions de la
campagne présidentielle – aux-
quelles il ajoute la suppression de
la cotisation sur la valeur ajoutée
des entreprises (CVAE), une pro-
messe d’Emmanuel Macron ré-
clamée par le Medef et que le gou-
vernement étale jusqu’à 2027.
Le RN pense n’avoir rien à ­perdre
et tout à gagner dans l’opération
macroniste : le voilà inscrit, selon
lui, dans « l’arc républicain », puis-
que convié une fois de plus par
l’Elysée. L’invitation lui ­permet
également de continuer de gagner
ses galons de « parti d’opposition
constructive », bien qu’il n’aurait
pas participé, si la question s’était
posée, à un dîner officiel présidé
par M. Macron. Le rendez-vous est
aussi pour lui une rare occasion
de se mettre en avant après dix
mois de présidence à l’ombre de
l’actualité parlementaire : depuis
un an, ce sont Marine Le Pen et ses
lieutenants qui se sont habitués à
être reçus par les huissiers de l’Ely-
sée, de Matignon ou des ministè-
res. La cheffe de file de l’extrême
droite, pourtant rentrée de vacan-
ces, n’a pas participé aux réunions
préparatoires au rendez-vous
­dyonisien. Sans doute pense-t-elle
au fond comme son conseiller
spécial, beau-frère et député euro-
péen Philippe Olivier : « On est
­respectueux des institutions donc
on écoute le président, mais on n’a
aucune confiance : c’est une
­anguille. Dans quatre ans, il n’aura
pas fait un référendum. » p
Clément Guillou
ET Alexandre Pedro

La Nupes ira au rendez-

commence
vous, mais à reculons
Les partis de gauche se sont mis d’accord
pour répondre à l’initiative du chef de l’Etat

A son corps défendant, Em-

manuel Macron a réussi à
réconcilier la Nouvelle
Union populaire écologique et so-
ciale (Nupes). Unis, les quatre chefs
de file des partis de gauche, Olivier
Faure (Parti socialiste), Manuel
Bompard (La France insoumise,
LFI), Fabien Roussel (Parti commu-
niste français, PCF) et Marine Ton-
delier (Europe Ecologie-Les Verts)
se rendront au rendez-vous fixé
par le chef de l’Etat à l’école de la Lé-
gion d’honneur à Saint-Denis (Sei-
ne-Saint-Denis), mercredi 30 août.
Dès jeudi, ils avaient convenu de
faire « une action commune »,
­précise le député « insoumis » du
Val-d’Oise Paul Vannier. Difficile,
en effet, de refuser cette invitation
adressée à tous les partis. Sur le pa-
pier, cette initiative représentait
une amélioration pour les gau-
ches : plus de référence à l’« arc ré-
publicain », formule employée par
le gouvernement pour exclure, de
fait, LFI, au même titre que le
­Rassemblement national (RN).
Mais l’Elysée a marqué ses prio-
rités – certaines invitations ont
été lancées plus vite que d’autres.
Alors que le chef de l’Etat avait
­appelé personnellement le chef
de file des Républicains (LR), Eric
Ciotti, mardi 22 août, et Jordan
Bardella, du RN, dans la foulée, les
quatre partis de gauche ont dû
­attendre le week-end du 27 août
pour prendre connaissance du
courrier d’invitation. Manuel
Bompard a été contacté par l’Ely-
sée vendredi, en plein Amfis, les
journées d’été de LFI.
Il n’a jamais réussi à joindre le
palais. « La veille au soir à 20 heu-
res, nous n’avons toujours pas
­l’ordre du jour », déplorait-il mardi.
Olivier Faure et Fabien Roussel
­attendaient un coup de téléphone
d’Emmanuel Macron. Cette ges-
tion au compte-gouttes de l’Elysée
a nourri un sentiment de mé-
fiance au sein de la Nupes. Les par-
tis de gauche craignent que ce ren-
dez-vous ne soit qu’un prétexte
pour toper avec LR, comme le re-
doute Olivier Faure, qui n’a pas en-
vie de « tenir la chandelle lors d’un
dialogue entre Ciotti et Macron ».
« Dire les urgences »
Les chefs de parti sont tombés
d’accord pour éviter tout moment
informel, tel qu’un dîner avec le
chef de l’Etat, comme cela était ini-
tialement prévu. « Ce n’est quand
même pas difficile de s’accorder sur
le fait qu’on ne va pas rester à
­manger, mesure M. Roussel. Je ne
vais pas me retrouver à table entre
Macron, Ciotti et Le Pen pour parler
de mes vacances ! Les Français ne
peuvent pas comprendre ça. »
Finalement, les partis ont appris
qu’il ne s’agirait pas d’agapes en
grande pompe, mais d’une
­prolongation des séances de tra-
vail. Quoi qu’il en soit, aucun des
responsables de gauche n’entend
bouder le rendez-vous fixé par le
locataire de l’Elysée. Y compris
La France insoumise. « On s’est
posé toutes les questions, mais très
vite il nous a paru utile d’y aller
pour dire les urgences, être témoin
de cette convocation monarchi- Toute l’info vue de votre région dès le 4 septembre.
que », explique Paul Vannier.
Lundi 28 août, des émissaires des
différents partis se sont mis d’ac-
cord sur des revendications com-
munes, comme un référendum
sur la réforme des retraites ou l’en-
jeu climatique. Marine Tondelier,
choquée que M. Macron n’ait pas
eu dans sa lettre « un mot pour
l’écologie ou l’environnement »,
viendra avec les « propositions
­propres » émanant de son parti. p
Julie Carriat
et Sandrine Cassini

10 | France
A Paris, la rentrée sportive d’Anne Hidalgo
A moins d’un an des Jeux olympiques et paralympiques, la maire fait face à une série d’épineux dossiers
Q
uand on interroge
Emmanuel Grégoire,
premier adjoint
d’Anne Hidalgo (Parti
socialiste) à la Mairie
de Paris, sur son état d’esprit en
cette rentrée municipale, il vous
coupe la parole avec une allé-
gresse des plus vives : « J’ai rare-
ment vécu une aussi bonne ren-
trée politique ! D’habitude, on
nous ­demande si la majorité mu-
nicipale [composée des socialis-
tes, des écologistes et des com-
munistes] va tenir… Là, le climat
est très bon ! Et il y a le chantier en-
thousiasmant des Jeux olympi-
ques et paralympiques. » Une hu-
meur primesautière qui pourrait
­cependant être fugitive.
Plusieurs dossiers de mauvais
augure s’amoncellent sur son bu-
reau. Tout d’abord, la réception,
imminente, par les propriétaires
parisiens de leur avis de taxe
­foncière, augmentée de 52 % cette
année par la maire de Paris pour
se rapprocher des taux pratiqués
ailleurs en France, pourrait plon-
ger l’opinion publique locale dans
un mécontentement caractérisé.
« Il y avait déjà eu une série de
hausses de taxes décidées, comme
le prix du stationnement, qui
avaient été diluées, mais qui illus-
traient déjà une aggravation de la
situation financière de la Ville,
­intervient Nelly Garnier, mem-
bre de l’opposition Les Républi-
cains (LR) au Conseil de Paris.
Mais là, l’augmentation vertigi-
neuse de la taxe foncière, qui est
contraire aux engagements de la
maire, est un marqueur psycholo-
gique fort qui vient montrer aux
Parisiens les conséquences direc-
tes et douloureuses d’une mau-
vaise gestion budgétaire : l’aug-
mentation de leurs impôts. »
S’est ajoutée la parution, le
16 août, d’un article du Canard
­enchaîné, dont les calculs mettent
au jour, pour la municipalité pari-
sienne, un manque à gagner de
500 millions d’euros de recettes
issues des frais de notaires, en
­raison de transactions immobi-
lières en baisse. Rien de cataclys-
mique pour Emmanuel Grégoire
qui assure que « ce chiffre est
­fantaisiste. Ce ne sera pas aussi
grave. On sait qu’on aura un petit
coup dur, mais qui reste aisément
absorbable grâce à notre épargne
brute. Notre budget est sain. »
Privée d’agrément, Anticor déplore l’« inertie » du parquet d’Alès
L’association anticorruption ne peut pas se constituer partie civile dans une enquête qui pourrait impliquer le maire de la ville du Gard
Q uelles sont les consé-
quences concrètes du re-
trait, avec effet rétroactif
à avril 2021, de l’agrément
gouvernemental à l’association
anticorruption Anticor, décidé par
le tribunal administratif de Paris
le 23 juin ? Dépourvue de ce pré-
cieux sésame qui lui permettait
d’agir en justice dans les affaires
d’atteinte à la probité présumées,
engagée dans 159 procédures,
­Anticor ne peut plus déposer de
plainte avec constitution de partie
civile – ce qui permet de saisir un
juge d’instruction –, notamment
en cas de désaccord avec le par-
quet et de classement sans suite.
L’association a déposé, le
22 août, une double requête
­devant la cour administrative
d’appel de Paris contre le juge-
ment du tribunal administratif,
pour faire, notamment, annuler
ses effets avant une nouvelle déci-
sion de cette cour, et a envoyé une
nouvelle demande d’agrément
auprès des services de Matignon.
En attendant, Anticor est fragili-
sée dans plusieurs procédures.
C’est le cas à Alès (Gard), où le
parquet a ouvert, en 2019, une
La maire socialiste de Paris, Anne Hidalgo, devant l’Hôtel de ville, le 20 juillet. STéPHANE MOUCHMOUCHE/Hans Lucas/AFP
Pierre-Yves Bournazel, membre
de la majorité présidentielle au
Conseil de Paris, déplore pourtant
« un manque d’anticipation.
J’avais annoncé ce retournement
du marché dès le mois de décem-
bre 2022. Pour désendetter la Ville
et maintenir une capacité d’inves-
tissement indispensable, cette
baisse des recettes va compliquer
la tâche. Il n’y a donc qu’une seule
solution : réduire le train de vie de
l’Hôtel de ville. »
Conflit hautement symbolique
Dans le même temps, la liste des
mécontents s’allonge. Les
­bouquinistes des quais de Seine
sont très remontés depuis que la
Préfecture de police de Paris leur
a signifié, en juillet, qu’ils
­devraient déménager temporai-
rement 570 « boîtes » afin de faire
place nette pour la cérémonie
d’ouverture des Jeux olympiques,
prévue le 26 juillet 2024.
Selon Jérôme Callais, président
de l’Association culturelle des
­ nquête préliminaire relative à la
e
construction de 180 logements
étudiants sur le site de la Maison
des élèves de l’Ecole des Mines.
Sous la forme d’un bail à cons-
truction confiée au bailleur social
Logis Cévenols OPH du Grand
Alès, cette opération immobilière
est estimée à 12,3 millions d’euros.
« Situation de blocage »
En décembre 2018, l’association
de défense des intérêts de l’ami-
cale des anciens élèves de l’Ecole
des Mines d’Alès a déposé une
plainte auprès du parquet d’Alès
pour dénoncer des faits présumés
de « favoritisme » et de « prise illé-
gale d’intérêts » en lien avec l’attri-
bution, en 2016, de deux marchés
de maîtrise d’œuvre dans le cadre
de ce chantier. Désireuse d’éten-
dre l’enquête à des faits présumés
de « détournement de fonds
­publics », Anticor a déposé une
plainte complémentaire auprès
du parquet d’Alès, en décem-
bre 2021, mettant en avant la
­possible implication de Max
Roustan, 78 ans, maire (Les Répu-
blicains) de la commune depuis
1995 et ancien député du Gard.
bouquinistes de Paris, qui s’élève
contre cette mesure, « enlever
autant de boîtes en une semaine,
ce serait un massacre. Aucune n’est
fixée de la même manière, certai-
nes sont fixées depuis plus de cent
ans ! La Mairie affiche son soutien
aux bouquinistes en disant qu’elle
remplacerait les boîtes cassées…
Elle ne comprend rien à l’aspect
pittoresque de ces boîtes qui sont
toutes uniques. On ne veut pas de
leurs boîtes similaires immondes !
Avec la Préfecture, la Mairie fait
l’unanimité contre elle. »
Risque d’embrasement d’un
conflit hautement symbolique :
les bouquinistes pourraient
­entraîner dans leur combat une
partie des Parisiens très attachés
à ce patrimoine. La Mairie mise
sur l’organisation prochaine
d’une réunion tripartite, avec les
bouquinistes et la Préfecture de
police, pour tenter de trouver un
terrain d’entente. « Mais nous
n’avons aucune nouvelle, souffle
Jérôme Callais dans un soupir
Après plusieurs mois de silence,
le procureur de la République
d’Alès, François Schneider, a
adressé un courrier à l’associa-
tion, en mai 2022, « informant
­Anticor qu’il allait prendre bientôt
une décision et nous communi-
quer la copie du dossier », selon
son avocat François de Cambiaire.
« Nous n’avons rien reçu depuis »,
déplore ce dernier.
Par la voix de sa juriste Inès
­Bernard, Anticor dénonce « une
situation de blocage et l’inertie du
parquet » : « Nous ignorons
­toujours si les faits portés à la
­connaissance du procureur par
Anticor – et notamment la poten-
tielle implication du maire d’Alès –
ont donné lieu à des actes d’en-
quête, puisque le parquet nous op-
pose son silence sur ce point de-
puis deux ans, ce qui est anormal. »
Afin de « contourner d’éventuel-
les difficultés du parquet local » et
d’obtenir la délocalisation du dos-
sier auprès de la juridiction inter-
régionale spécialisée de Marseille
dans le cadre d’une information
judiciaire, Anticor a déposé une
plainte contre X avec constitution
de partie civile, en septem-
d’impuissance. De toute façon, le
préambule à toute discussion,
c’est : pas touche aux boîtes ! pas
de déménagement envisageable.
Beaucoup de collègues pani-
quent. Jusqu’ici, j’arrivais à les
­tenir, mais ça commence à deve-
nir vraiment compliqué. »
Emmanuel Grégoire tranche :
« C’est le symbole de l’injustice des
reproches faits à la maire de Paris !
Il y a même des fausses informa-
tions selon lesquelles c’est Anne
­Hidalgo qui a demandé ce démé-
nagement. Au contraire, nous vou-
lons accompagner au mieux cette
prescription de sécurité publique.
Si le préfet dit qu’il est dangereux
pour la sécurité de maintenir les
boîtes, qui serions-nous pour con-
tester les analyses des renseigne-
ments des autorités de police ? »
Mais la grande affaire de
­l’année, celle vers laquelle la Mai-
rie est tournée tout entière,
l’acmé du second mandat d’Anne
Hidalgo, c’est la bonne organisa-
tion des Jeux olympiques et para-
bre 2022 et mars 2023. L’associa-
tion y a mis en avant un possible
conflit d’intérêts, dans la mesure
où le maire a délivré le permis de
construire à Logis Cévenols OPH
du Grand Alès, organisme dont il
est lui-même le président, ainsi
qu’un usage supposément
­détourné des fonds du bailleur
social sur décision de l’édile.
Toutefois, le 14 août, la doyenne
des juges d’instruction au tribu-
nal judiciaire de Marseille a rendu
une ordonnance d’incompé-
tence, concluant que le tribunal
judiciaire d’Alès est « la juridiction
compétente » dans ce dossier. An-
ticor a déposé un recours mais,
Le parquet
a ouvert, en 2019,
une enquête
préliminaire
relative à la
construction de
180 logements
étudiants
lympiques. Un gong politique
crucial, aussi, pour l’élue pari-
sienne qui, en cas de réussite de
l’événement sportif planétaire,
pourrait être tentée par un troi-
sième mandat, en 2026. Or, en
août, plusieurs épreuves test qui
devaient se dérouler dans la
Seine ont été annulées par la Fé-
dération internationale de nata-
tion. En cause, le dysfonctionne-
ment d’une vanne des égouts pa-
risiens, responsable d’une pollu-
tion ponctuelle du fleuve.
« Risque de pollution »
« Ce couac pose des questions, as-
sène Nelly Garnier. Sera-t-on
prêt ? L’Etat et l’administration
pourront-ils compenser l’amateu-
risme de la majorité municipale ? »
Emmanuel Grégoire évacue le
problème comme on chasse une
poussière. « Ce n’est pas un motif
d’inquiétude, minimise le pre-
mier adjoint. On a toujours dit
qu’il y avait un risque de pollution
en cas de grand orage. Et là, les
« sans agrément, il est difficile
pour notre association d’évaluer
les chances de succès d’un tel
­appel », observe Inès Bernard.
« Un outil puissant »
Le retrait de l’agrément empêche
par ailleurs Anticor de déposer
une nouvelle plainte avec consti-
tution de partie civile auprès du
parquet d’Alès afin de saisir un
juge d’instruction. « Nous crai-
gnons désormais qu’en l’absence
d’agrément, la lumière ne soit
­jamais faite sur cette affaire », sou-
ligne Inès Bernard, redoutant « un
blocage politique ». « Ce dossier,
avec des délais longs et inexpli-
qués, est une énigme, un trou noir,
ajoute Me de Cambiaire. Il révèle la
situation de paralysie de l’associa-
tion, causant une réelle atteinte à
la poursuite des infractions à la
probité impliquant des élus et des
décideurs publics. » Un tweet du
procureur d’Alès, le 17 juillet, a par
ailleurs intrigué Anticor. Relayant
un article du Midi Libre, le magis-
trat a adressé « ses félicitations »
au maire d’Alès, fait chevalier de la
Légion d’honneur lors de la
­promotion du 14 juillet.
0123
­
­Jeudi 31­ août 2023
Les élections
sénatoriales
du 24 septembre
vont nécessiter
un remaniement
au sein de
l’exécutif parisien
orages ont été d’une sévérité
­exceptionnelle. D’ici un an, des me-
sures seront prises pour que le
­problème soit réglé. Et un calen-
drier glissant peut être envisagé. »
Sur un front politique plus im-
médiat, les élections sénatoriales
du 24 septembre vont nécessiter
un remaniement au sein de l’exé-
cutif parisien. Trois de ses mem-
bres devraient être élus au Palais
du Luxembourg : Colombe Bros-
sel (adjointe socialiste à la
­propreté), Anne Souyris (adjointe
écologiste à la santé) et Ian Bros-
sat (adjoint communiste à l’habi-
tat). Assistera-t-on à des rempla-
cements poste pour poste, en
­prenant simplement soin de
­respecter les équilibres politiques
internes ou sera-ce l’occasion de
renforcer des délégations définies
comme prioritaires par la maire, à
savoir l’accélération de la lutte
contre le changement climatique
et l’action sociale ?
« A mi-mandat, c’est sans doute
le moment ou jamais d’avoir un
débat de fond et de revoir les péri-
mètres pour mettre pleinement
en place le plan d’urbanisme
­bioclimatique, et son corollaire en
santé environnementale, notam-
ment », précise Anne Souyris, qui
ajoute, comme une mise en
garde : « Ces discussions n’ont pas
encore eu lieu au sein de l’exécutif
municipal. » Finalement, la
­rentrée pourrait être moins
joyeuse que ne le laisse paraître
Emmanuel ­Grégoire.
Heureusement, Anne Hidalgo a
bénéficié d’une petite dose de féli-
cité personnelle durant l’été. La
maire de Paris a été classée en
quatrième position au palmarès
du site américain Planetizen,
­spécialisé dans l’urbanisme, qui
établit le top 100 des « personnes
qui ont un impact sur l’aménage-
ment des villes aujourd’hui ». p
Laurent Telo
Contacté, le secrétariat du par-
quet d’Alès n’a pas été en mesure
d’indiquer au Monde si l’enquête
était toujours en cours. A-t-elle été
classée ou donnera-t-elle lieu à un
procès ? Le procureur d’Alès est ac-
tuellement en congés et ses colla-
borateurs n’ont pu répondre à nos
questions. « C’est vraiment le dos-
sier du procureur », a fait savoir son
secrétariat. Sollicité, le cabinet du
maire – déjà condamné en 2003 à
une amende pour détournement
de fonds publics (sans inscription
à son casier judiciaire, selon Libé-
ration) – n’a pas répondu.
« On voit bien que l’agrément est
vital pour enquêter sur la corrup-
tion du quotidien », considère
Me de Cambiaire. « Cet agrément
est un outil puissant, une arme
­citoyenne contre l’impunité d’une
certaine classe politique, abonde
Inès Bernard. D’autres affaires
sont désormais laissées à l’appré-
ciation des parquets qui ont
­malheureusement parfois les
mains liées. » Anticor espère que
Matignon répondra favorable-
ment, « au plus tard fin décem-
bre », à sa demande d’agrément. p
Rémi Dupré
0123
­
­Jeudi 31­ août 2023
Le succès
d’un diplôme
de sociologie
pour les policiers
Deux cents candidatures ont afflué
à l’annonce de cette formation
universitaire en un an
L
a sécurité de nos conci-
toyens est une chose trop
sérieuse pour la laisser
aux mains des seuls poli-
ciers. » C’est par cette sentence,
inattendue sous la plume d’un
policier, qu’un candidat au
­diplôme universitaire de sociolo-
gie proposé par la police natio-
nale au sein de l’université de
­Picardie-Jules-Verne conclut sa
lettre de motivation. Faut-il croire
que l’humour soit parfois récom-
pensé au sein de l’institution ? La
candidature a été retenue.
A l’heure où la question des rela-
tions avec la population se pose
avec une particulière acuité, cette
formation ouverte exclusive-
ment aux fonctionnaires de
­police a rencontré un succès ines-
péré sitôt l’appel à candidatures
lancé par l’Académie de police­
­(ex-direction centrale du recrute-
ment et de la formation de la po-
lice nationale). En quelques
­semaines, quelque deux cents
candidatures – pour cinquante
postes ouverts – ont afflué sur le
bureau de Mathieu Fiolet, sociolo-
gue dans la police depuis 2018 et
cheville ouvrière du ­programme,
le signe d’un ­engouement auquel
il admet ne pas s’être attendu.
« Plus de cent candidatures
­présentaient des profils intéres-
sants, explique-t-il, et la hiérarchie
intermédiaire a joué le jeu. Dans
dix à quinze cas seulement, elle a
émis un avis défavorable, exclusi-
vement motivé par des nécessités
de service ou des tensions en effec-
tifs. » Les candidats – 61 % d’hom-
mes, 39 % de femmes – venaient
aussi bien de la police aux frontiè-
res que de la sécurité publique, de
la police judiciaire et même du
service de la protection, les gardes
du corps des autorités. Le plus âgé
avait 62 ans, le plus jeune, 25 ans.
Le signe d’un intérêt partagé pour
un projet qui n’a jamais suscité
« de défiance ou de tabou de l’insti-
tution », selon M. Fiolet.
Confession
A compter de septembre, deux
jours par mois pendant la durée
d’une année universitaire, vingt
étudiants – tous policiers et poli-
cières en activité – prendront la
direction de la citadelle d’Amiens,
où se dérouleront cent vingt
­heures de cours dispensés par
vingt-trois enseignants sociolo-
gues spécialistes de la matière.
Corrélations entre l’organisation
des espaces urbains et la « produc-
tion de l’ordre », « étude compara-
tive des relations entre police et
minorités », « genre dans les socia-
bilités policières », « police et
­médias » : « Nous voulons poser un
premier jalon et passer par la
J ust ic e
Emeutes à Marseille :
une quatrième enquête
pour violences
policières présumées
L’existence d’une quatrième
enquête pour violences poli-
cières présumées, en marge
des émeutes de début juillet à
Marseille, a été révélée, mardi
29 août. Un policier a été
placé en garde à vue, soup-
çonné de « violences en réu-
nion avec arme entraînant
une incapacité totale de tra-
Tous les admis
témoignent de leur
volonté de mieux
appréhender leur
environnement
professionnel
et les mutations
de la société
f­ ormation continue pour réfléchir
à un programme de formation
­initiale », insiste Elodie Lemaire,
maîtresse de conférences au
­département de sciences sociales
de l’université d’Amiens et impli-
quée dans le projet.
Empruntant parfois la forme
d’une confession, d’un courrier
­libre, manuscrites, rédigées sous
forme de rapport avec objet et
­référence, les lettres de motiva-
tion des candidats admis, que Le
Monde a pu consulter, témoi-
gnent de profils et de parcours
très divers : un ancien adjoint de
sécurité ayant dû abandonner ses
études car issu d’un « milieu
­modeste », une enquêtrice d’un
service de pointe, un ex-policier
de la BAC très impliqué dans le
milieu médico-social ou une poli-
cière élue au conseil municipal de
sa commune. Mais tous témoi-
gnent de leur volonté de disposer
de clés d’intelligibilité pour
mieux appréhender leur environ-
nement professionnel et les
­mutations d’une société avec
­laquelle ils sont pourtant en prise
quotidienne, sans parler d’une
appétence singulière pour l’ensei-
gnement universitaire.
Certains ont déjà assisté à des
cours ou des « rencontres »
autour de la sociologie, évoquent
la ­« nécessité » d’une telle forma-
tion pour « réfléchir au rôle des
policiers dans la société » et, aussi,
une « curiosité intellectuelle » qui
pourrait offrir un tremplin à une
reprise d’études ultérieure. Ils ne
résument pas pour autant leur
­intérêt à une vision strictement
utilitaire. Dans tous les courriers
surgit la notion d’un service
­public pas toujours bien rendu,
au bénéfice parfois théorique
d’une population avec laquelle
les ponts apparaissent quelque-
fois ­rompus. « Mon mandat
d’élue, écrit une autre, m’a permis
de me rendre compte de l’image
que ma profession renvoyait à nos
concitoyens. »
L’un d’eux raconte dans le détail
avoir pris sa décision après s’être
rendu compte que ses collègues
n’étaient plus « capables d’analy-
vail (ITT) de plus de huit jours
par personne dépositaire de
l’autorité publique », d’« abus
d’autorité pour faire échec à
l’exécution de la loi » et de
« menace ou acte d’intimida-
tion en vue de déterminer
une victime à ne pas déposer
plainte ou à se rétracter », a
détaillé à l’AFP la procureure,
confirmant l’information de
Libération. La victime présu-
mée, un trentenaire présen-
tant sept fractures au visage, a
témoigné sur le site Marsactu.
ser de façon neutre les relations
­entre police et population », dans
une société dont les change-
ments « ne sont pas forcément
­négatifs, comme beaucoup de
­policiers le pensent ». « Pas une
journée ne passe, écrit-il, sans une
nouvelle démonstration de la cas-
sure du lien police-population »,
notant avec pertinence un regard
biaisé sur une police qu’on ne sol-
licite pas lorsque « tout va bien ».
Les figures imposées ne
­manquent pas dans ces lettres au
ton introspectif, truffées de
­citations de philosophes et de
­références à une IIIe République
­volontiers perçue comme un âge
d’or de la profession – l’un des
candidats a même consacré un
ouvrage à un homme politique
de l’époque, l’élu normand
Henry Chéron, plusieurs fois
­ministre.
« Flics du quotidien »
Pour l’un des candidats, 45 ans,
cette formation offre la perspec-
tive de renouer avec des études
avortées « par manque de matu-
rité ». Entré dans la police pour
échapper au service militaire, ce
« pas grand-chose venu de la
­campagne », désormais enquê-
teur dans une petite unité de
­police judiciaire, cherche d’abord
à comprendre « ce qu’on fait et
pourquoi on le fait ». Longtemps
en service dans les quartiers diffi-
ciles de Roubaix (Nord), il dit y
avoir tenté de saisir « pourquoi ce
sont toujours les mêmes qu’on met
dans les mêmes endroits » et y a
­retrouvé les récits de ses grands-
parents polonais, mineurs dans
les corons, « avec les rapports des
préfets de l’époque, qui expli-
quaient que cette population
n’avait aucune chance d’être inté-
grée sur le long terme ».
Comme lui, les 41-55 ans sont les
plus représentés (34 %) dans les
effectifs des policiers-étudiants
de la promotion. Comme lui, près
de la moitié est issue de la sécurité
publique, les « flics du quotidien »,
les plus au contact du public. Ce
choix ne doit rien au hasard.
« L’idée, poursuit M. Fiolet, est de
Piétons fauchés dans
les Vosges : les suspects
incarcérés
Après l’accrochage qui a fait
un mort à la sortie d’une dis-
cothèque dans les Vosges di-
manche 27 août, les trois per-
sonnes poursuivies par la
justice ont été placées en dé-
tention provisoire et mises
en examen « des chefs
­d’assassinat et tentative
­d’assassinat », a indiqué
mardi 29 août le procureur
d’Epinal. – (AFP.)
France | 11
construire avec chacun d’eux la sonne comme une petite révolu-
manière dont ils vont mettre en
« Pas une journée tion, ­encore timide, dont les effets
pratique ce qu’ils auront appris. » ne passe sans ­restent à mesurer dans le temps.
Un projet qui implique aussi, par Selon Philippe Lutz, directeur de
la suite, « de suivre le parcours de
une nouvelle la nouvelle Académie de police,
cette première promotion pour démonstration « ouvrir les policiers au monde
voir comment tout ça infusera ­universitaire et les universitaires
dans leur comportement ».
de la cassure du au monde policier n’est pas
Alors que la police traverse lien police- ­nouveau ». Mais une telle entre-
une profonde crise interne, la prise « est aujourd’hui indispensa-
création d’un diplôme universi-
population », ble pour travailler le lien entre
taire de ­sociologie ouvert à des écrit un candidat l’institution et la population ». p
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12 | France
Pour les sans-abri, « l’isolement s’intensifie l’été »
Moins de structures, de dons… la période estivale est compliquée pour les SDF comme pour les associations
Témoignages
L
a nourriture, en août, c’est
compliqué : beaucoup d’as-
sociations ferment », expli-
que Ibrahim (les person-
nes citées par leur prénom souhai-
tent rester anonymes), la quaran-
taine, dont l’apparence – fine
barbe, tee-shirt et chemise rayée
ouverte sur un jean clair – ne per-
met pas de déceler la situation de
« sans-abrisme ». « La manche
aussi, c’est compliqué, car il y a plus
de gens qui demandent », confie-
t-il en même temps que son regret
de devoir la faire, depuis que ses
droits au revenu de solidarité ac-
tive ont été suspendus.
« Je préfère l’hiver à l’été, déclare
de son côté Sacha, 16 ans, yeux
bleus et piercing, qui demande
une pièce aux passants aux côtés
de son compagnon, Lapo, Italien
de 23 ans, et de son chien, Votane.
Quand il fait froid, tu peux te cou-
vrir. Là, tu ne peux pas te découvrir.
Et puis, l’hiver, c’est plus calme. Les
gens sont moins pressés et plus
gentils, et ils donnent un peu plus. »
Cela fait deux ans qu’Ibrahim
vit dans la rue à Paris, et quelques
jours que Sacha et Lapo y cam-
pent, installés dans les jardins des
Halles, après avoir été expulsés
du bois de Vincennes par des po-
liciers. La Ville Lumière est celle
qui, en France, compte le plus de
personnes sans abri – 3 015 y ont
été recensées lors de la 6e édition
de la Nuit de la solidarité, organi-
sée le 26 janvier par la mairie. Et
c’est aussi celle qui compte le plus
de structures pour les aider : des
centres d’hébergement et des hô-
tels sociaux, des bains douches
en accès gratuit, des accueils de
jour et autres lieux où boire un
café, manger, laver son linge, ren-
contrer des travailleurs sociaux,
sans oublier des équipes de ma-
raude qui viennent à la rencontre
de ceux qui ne se déplacent pas,
ou plus.
« Manque de bénévoles »
La période estivale, y compris en
cette année où l’Ile-de-France a été
épargnée par la canicule, est néan-
moins loin d’y être simple.
« Quand tu es constamment à la
rue, il n’y a jamais de repos »,
­confirme Ibrahim. « Il y a moins de
structures ouvertes l’été, même si
la situation s’améliore », constate
ainsi Lotfi Ouanezar, directeur gé-
néral d’Emmaüs Solidarité. Cette
Un nombre inédit d’enfants à la rue à la veille de la rentrée scolaire
Le baromètre de l’Unicef et de la Fédération des acteurs de la solidarité a dénombré 1 990 enfants sans solution d’hébergement
L e gouvernement précédent
n’a pas tenu sa promesse de
“zéro enfant à la rue”. Ils sont
même encore plus nombreux. Ce
n’est pas tenable », alerte la prési-
dente de l’Unicef France, Adeline
Hazan. Presque 2 000 enfants
sont restés sans solution d’héber-
gement pendant la nuit du 21 au
22 août après que leur famille a
réussi à joindre le numéro d’ur-
gence 115, révèle le cinquième ba-
romètre des enfants à la rue, pu-
blié mercredi 30 août par l’orga-
nisme international et par la Fédé-
ration des acteurs de la solidarité
(FAS), qui regroupe près de 900 or-
ganismes et associations.
Ce nombre augmente : 1 990 en-
fants à la rue, c’est plus que le dou-
ble du 31 janvier 2022, c’est 17 % de
plus que le 22 août 2022 et 56 % de
plus que le 30 janvier 2023, à une
période où le gouvernement avait
porté le dispositif d’hébergement
d’urgence à un niveau jamais at-
teint par le passé, avec 205 000 pla-
ces au total. Le nombre de femmes
seules à la rue avec des enfants est
aussi en forte hausse, de 46 % en
un an. « Et encore, il s’agit d’estima-
« On a une tente
dans un parc. Il
fait très chaud !
(…) On appelle le
115, mais on n’a
jamais de place »,
se désole Abdou
association a servi durant un
mois des repas chauds, le soir,
dans le réfectoire de l’Hôtel de
ville, et des déjeuners organisés
porte de la Villette, avec le finance-
ment de la mairie de Paris. « On a
voulu compenser la fermeture des
Restos du cœur une partie de l’été,
liée au manque de bénévoles et au
coût des denrées, qui a augmenté
avec l’inflation », explique Léa Fi-
loche, adjointe aux solidarités de
la maire de Paris, Anne Hidalgo.
Alors que le besoin était estimé
à 250 dîners quotidiens, l’af-
fluence est allée croissant. Quel-
que 370 personnes ont savouré le
ragoût de légumes et son riz par-
fumé au curcuma préparé le
22 août par l’association Refugee
Food, juste avant l’arrêt du dispo-
sitif. Parmi elles, le quadragénaire
Ibrahim, qui tient à « dire bravo à
tous ceux qui nous aident », et,
quelques tables plus loin, Abdou
et Mohammed. Ces Marocains,
âgés de 22 et 26 ans, achèvent leur
seul repas de la journée.
« On ne veut pas mendier, on ne
veut pas voler. Mais on voit que,
sans papiers, on n’arrive pas à trou-
ver du travail », se désole Abdou,
tandis que Mohammed montre le
certificat qu’il a récemment ob-
tenu pour conduire des chariots
élévateurs. La nuit, ils dorment
mal. « On a une tente, dans un
parc, porte de Charenton. Il fait
très chaud ! On a fait une demande
SIAO [Service intégré de l’accueil
et de l’orientation, pour de l’hé-
bergement d’urgence pérenne] il
y a six mois, et on appelle aussi le
115, mais on n’a jamais de place ! »
L’Ile-de-France peine de plus en
plus à répondre aux besoins d’hé-
bergement d’urgence : faute de
places, deux mille deux cent
onze personnes, pour la plupart
en famille, sont restées sans solu-
tion le 21 août, soit une hausse de
près de 20 % par rapport au
22 août 2022, a calculé la Fédéra-
tion des acteurs de la solidarité. Et
tions minim[ales], qui ne prennent
en compte ni les mineurs isolés
ni les familles qui ne parviennent
pas à joindre le 115, ou n’essaient
même plus, découragées par les re-
fus », souligne le président de la
FAS, Pascal Brice.
Dans la métropole lyonnaise, le
collectif d’enseignants et de pa-
rents d’élèves Jamais sans toit, mo-
bilisé en faveur des enfants sans
abri, est confronté à une situation
inédite depuis sa création, en 2014.
« Les familles mises à l’abri l’hiver
ne le restent plus systématique-
ment aux beaux jours, bien que la
loi prévoie la continuité de l’héber-
gement d’urgence. 80 familles ont,
par exemple, été remises à la rue le
7 août, avec des enfants âgés de
seulement 3 ans, explique Raphaël
Vulliez, membre fondateur de Ja-
mais sans toit. Au total, on a re-
censé 395 enfants sans toit dans la
métropole, soit trois fois plus que
l’été précédent. Il y a des nourris-
sons, des familles avec des problè-
mes de santé assez graves, et aussi
des femmes enceintes. »
Une vingtaine de ménages ont
commencé fin juin l’occupation
Des tentes de sans-abri, sur les berges de la Saône, à Lyon, le 28 mai. Eric Dervaux/Hans Lucas.
ce, malgré la création, au prin-
temps, de sas régionaux destinés à
désengorger la région-capitale. « Il
est très difficile d’encourager les fa-
milles à partir en province, car
beaucoup ont créé un vrai réseau
ici : elles ont trouvé du travail, scola-
risé leurs enfants, certaines sont
suivies à l’hôpital pour un pro-
blème de santé », relate Aurélie
El Hassak-Marzorati, directrice gé-
nérale du Centre d’action sociale
protestant, à Paris.
« Fermeture de places »
Ce contexte fragilise l’accompa-
gnement des sans-abri. « Dans les
années 1990, il y avait moins d’as-
sociations, mais les assistantes so-
ciales étaient moins débordées »,
se souvient Corinne, quinquagé-
naire à l’allure soignée, qui vient
souvent déjeuner à la halte pour
femmes de l’Hôtel de ville. Ju-
liette, travailleuse sociale au sein
de ce lieu géré par le Samusocial,
confirme : « Depuis cet été, on n’ar-
rive plus à recevoir les gens le jour
même, ils doivent prendre rendez-
du gymnase Bellecombe, à Lyon,
pensant être rapidement mises à
l’abri. Presque toutes restent sans
solution, à moins d’une semaine
de la rentrée des classes. Des col-
lectifs similaires à Jamais sans toit
se sont constitués ou renforcés
dans une quinzaine d’autres vil-
les : Paris, Lyon, Strasbourg, Bor-
deaux, Nantes, Rennes, Grenoble,
Saint-Etienne, Le Havre, Saint-Na-
zaire (Loire-Atlantique), Fougères
(Ille-et-Vilaine), Tours, Argenteuil
(Val-d’Oise), Rosny-sous-Bois (Sei-
ne-Saint-Denis), Ivry-sur-Seine
(Val-de-Marne) et Pantin (Seine-
Saint-Denis). Certains ont hé-
bergé les familles sans abri au
sein d’écoles ou chez des particu-
liers, ou organisé des collectes
pour financer des nuits d’hôtel.
Parcours du combattant
« Laisser des enfants vivre à la rue
constitue une violation de la Con-
vention internationale des droits
de l’enfant. Celle-ci demande à
l’Etat d’aider les familles à bénéfi-
cier d’un logement et reconnaît le
droit des enfants à la santé et à
l’éducation », critique Adeline Ha-
vous. Et on a du mal à leur trouver
une domiciliation, une bagagerie,
une assistante sociale qui les sui-
vra sur la durée… Comme tout est
saturé, de plus en plus de condi-
tions d’accès sont fixées. »
L’été est aussi une période qui
peut être difficile à traverser. Les
sans-abri sont plus visibles quand
les rues sont moins fréquentées.
Mais il y a moins de gens pour les
voir et prendre de leurs nouvelles.
« Les bonjours des voisins le matin
manquent, et la sociabilité est plus
complexe. Or, ce public a besoin,
plus que d’autres, d’habitudes, de
repères et de chaleur humaine », re-
lève Aurélie El Hassak-Marzorati.
Annie, 73 ans, qui a quitté son do-
micile fin décembre 2022 avant de
passer des nuits entières dans les
bus Noctilien, est devenue une ha-
bituée de la halte pour femmes,
dont elle a entrepris de réorgani-
ser le coin bibliothèque. « J’ai hâte
que reprenne la distribution des
Restos du cœur place de la Républi-
que, de retrouver les visages qui me
sont familiers », sourit cette dame
« On a recensé
395 enfants
sans toit dans
la métropole
de Lyon »
Raphaël Vulliez
Jamais sans toit
zan, de l’Unicef. L’organisme a pu-
blié avec le Samusocial de Paris, en
octobre 2022, une étude montrant
combien les enfants sans abri et en
hébergement d’urgence voient
leur santé mentale affectée.
Quant à leur scolarité, elle relève
du parcours du combattant. « Cer-
taines familles sans logement fixe
sont confrontées à des refus d’ins-
cription, malgré la loi ; d’autres pré-
fèrent attendre que leur situation se
stabilise un peu avant de mettre les
enfants à l’école », témoigne Auré-
lie El Hassak-Marzorati, directrice
générale du centre d’action sociale
protestant de Paris. Une fois scola-
risés, « ces élèves souffrent de leurs
conditions de vie. Il leur arrive de
en ballerines et petit sac de cuir.
« La rupture du lien social est sou-
vent à la source de la situation d’ex-
clusion de la personne. Et l’isole-
ment s’intensifie l’été, abonde Jean-
Marc Potdevin, fondateur et prési-
dent de l’association Entourage,
dont le but est de recréer du lien
entre les personnes isolées et leurs
voisins. C’est pourquoi nous conti-
nuons d’aller à la rencontre des
gens à la rue et maintenons nos ac-
tivités à cette période, avec des pe-
tits déjeuners, des parties de ping-
pong, des jeux… Renouer un lien so-
cial, cela permet à beaucoup de se
remettre dans une dynamique. »
La chaleur peut aussi renforcer
les difficultés, générant infec-
tions et maux de tête chez des
personnes à la santé déjà précaire.
« Boire de l’alcool déshydrate,
même si cela donne le sentiment
de s’hydrater. On voit aussi des
personnes qui gardent tous leurs
vêtements sur eux, de peur de se les
faire voler, souligne le sociologue
Julien Damon. Heureusement, le
problème est bien mieux pris en
s’endormir en classe, d’être absents
s’ils ont dû passer la nuit loin »,
constate Raphaël Vulliez.
Comment expliquer une telle
hausse du nombre d’enfants sans
abri ? Pascal Brice y voit « un échec
des pouvoirs publics en matière
d’hébergement, de logement et
d’immigration » : « Après avoir fait
un gros effort pour mettre les per-
sonnes à l’abri cet hiver, ils ferment
des places, renouant avec la politi-
que du thermomètre, qu’ils avaient
promis d’arrêter. Et ils bloquent des
personnes en hébergement d’ur-
gence et à la rue en ne créant pas
suffisamment de logements so-
ciaux et en accordant ou renouve-
lant de façon trop restrictive des ti-
tres de séjour pour ceux qui tra-
vaillent ou sont en mesure de le
faire. Le tout alors que la précarité
augmente avec l’inflation et la
hausse des expulsions locatives. »
Les acteurs de terrain s’atten-
daient à ce que l’Etat continue de
fermer des places d’hébergement,
afin de tenir les budgets alloués
(195 000 places pour l’année 2023,
soit 10 000 de moins que celles
qui ont finalement été ouvertes
0123
­
­Jeudi 31­ août 2023
compte depuis la canicule de 2003,
et la France est sans doute le pays
du sud de l’Europe qui fait le plus
pour les sans-abri en période de
fortes chaleurs, avec des maraudes
renforcées, des distributions de
bouteilles d’eau, l’ouverture de
gymnases où se mettre au frais… »
A Lyon, passé en alerte rouge ca-
nicule le 22 août, Maud Bigot, pré-
sidente de la Fédération des Sa-
mus sociaux, considère que « le
problème, c’est moins la canicule
que les fermetures de places. Des
personnes ultra-fragiles, telles des
familles avec des nourrissons, sont
à la rue. Ceux qui sont un peu moins
vulnérables perdent donc tout es-
poir d’être hébergés, et semblent
déjà se résigner à rester dehors l’hi-
ver prochain. Ils refusent les bou-
teilles d’eau qu’on leur tend, en di-
sant que ce n’est pas ce dont ils ont
besoin. » Les acteurs sont unani-
mes : face à la canicule et en toute
saison, le meilleur remède con-
siste à loger dignement ou à hé-
berger les personnes sans abri. p
Claire Ané
pour répondre à la demande). Ils
ont été soulagés d’entendre le
­ministre délégué au logement,
Patrice Vergriete, annoncer le
24 août sur France Inter qu’il sou-
haitait augmenter le nombre de
places d’hébergement d’urgence.
« Nous attendons des actes à la
hauteur des besoins, sans doute un
peu au-delà des 205 000 places qui
étaient disponibles cet hiver, et une
programmation pluriannuelle »,
fait savoir Pascal Brice. Le Collectif
des associations unies – dont font
partie la FAS et la Fondation Abbé
Pierre –, l’Unicef France, Jamais
sans toit, la FCPE et Ecole pour tous
devaient demander, lors d’une
conférence de presse conjointe,
mercredi, un renforcement de la
politique du Logement d’abord,
afin de vite loger les familles sans
domicile, ainsi que l’instauration
d’une trêve scolaire, protégeant les
familles des enfants scolarisés des
expulsions des lieux de vie pré-
caire. « Il faut aller vite, car en 2022
le nombre des enfants à la rue avait
bondi entre fin août et fin septem-
bre », exhorte Raphaël Vulliez. p
Cl. A.
0123
­
­Jeudi 31­ août 2023
Les Jeux paralympiques dans la dernière ligne droite
A un an de l’échéance, les organisateurs ont fait un point d’étape sur l’avancement de l’événement
M
êmes lieux, mêmes
symboles, mêmes
emblèmes. Le co-
mité d’organisation
de Paris 2024 (Cojop) ne cesse de le
répéter : les Jeux paralympiques
(du 28 août au 8 septembre 2024)
ont le « même projet et la même
ambition » que les Jeux olympi-
ques (du 26 juillet au 11 août 2024)
sans en être un copié-collé.
Pour illustrer son propos, le
­Cojop parle de « match retour », qui
viendra conclure l’aventure com-
mencée un mois plus tôt avec la
quinzaine olympique. Au-delà
de la réussite des Jeux paralympi-
ques, organisés pour la première
fois en France, le Cojop veut créer
un élan, sensibiliser le pays et
­mobiliser les acteurs publics sur
les sujets de l’inclusion. Dans
ce but, la deuxième édition de la
Journée paralympique aura lieu
dimanche 8 octobre, place de la
­République, à Paris, avec des dé-
monstrations de para-athlètes et
des initiations ouvertes au public.
Alors que lundi 28 août a marqué
le « J − 1 an » du coup d’envoi des
Jeux paralympiques, où en est-on ?
Pour les transports, un retard
à combler Jusqu’à 2 500 specta-
teurs en fauteuil roulant sont
­attendus chaque jour, lors des Jeux
paralympiques, sur les sites de
compétition – 4 000 lors des JO.
Mais « la France a un grand ­retard »
en matière d’accessibilité, notam-
ment dans les transports en
­commun, alertait déjà en avril
­Patrice Tripoteau, directeur géné-
ral adjoint d’APF France handicap,
alors que la ville attend jusqu’à
350 000 visiteurs en situation
de handicap pendant l’été 2024.
L’association a écrit au président
Emmanuel Macron pour l’alerter
sur la « situation critique dans
les transports aériens pour les
­personnes à mobilité réduite »,
­faisant part de « graves dys­-
fonctionnements dans la prise en
charge des fauteuils roulants
ou tout autre appareil d’aide à la
mobilité ».
Si 100 % des tramways et des bus
parisiens sont accessibles aux per-
« Un accélérateur en matière d’inclusion »
Le président du Comité international paralympique espère des Jeux « révolutionnaires »
Entretien
P résident du comité interna-
tional paralympique (IPC),
Andrew Parsons s’est
rendu à Paris, fin août, pendant
quelques jours à l’occasion du
J-1 an des Jeux paralympiques
2024 (du 28 août au 8 septembre).
Accessibilité, cérémonie d’ouver-
ture, participation des Russes…
le dirigeant brésilien est revenu
sur les grands enjeux auxquels fait
face le mouvement paralympique.
Vous étiez assez critique
­envers Paris 2024 sur le volet
accessibilité. Votre opinion
­a-t-elle changé ?
Paris doit faire face à de nom-
breux défis, notamment celui
de rendre les réseaux de transport
plus accessibles aux personnes
en situation de handicap. Mais
nous comprenons également ce
que cela représente, ici en France,
concernant le coût et la législation.
Il est parfois possible de faire
des choses dans certaines villes,
pas dans d’autres. A Tokyo, il était
­davantage question de changer
de perspective que de rendre la
ville accessible, elle l’était déjà. La
Ville de Paris a fait un gros effort
en investissant 125 millions
d’euros dans la mise en accessibi-
lité du réseau de transports ter-
restre. Donc oui, nous sommes
davantage satisfaits, nous voyons
sonnes en situation de handicap,
seulement 9 % des lignes de métro
le sont. A l’été 2024, 14 % d’entre
­elles devraient l’être – grâce au pro-
longement de la ligne 14, entière-
ment automatisée – tout comme
93 % du réseau ferré terrestre pari-
sien (66 % actuellement) et 89 %
(contre 75 % aujourd’hui) du
­réseau ferré francilien.
Par ailleurs, Paris 2024 prévoit
des parkings réservés aux usagers
en fauteuil roulant (UFR) pour
qu’ils puissent utiliser leur voiture
personnelle adaptée ainsi que des
taxis accessibles (1 000 véhicules
doivent être opérationnels d’ici les
Jeux). Des navettes spécifiques,
d’une capacité de trois à quatre
personnes avec leur accompagna-
teur et réservables après l’achat
d’un billet UFR, seront également
disponibles depuis les grandes
­gares parisiennes.
Les para-athlètes auront eux
aussi un dispositif adapté avec
des lignes spécifiques, dont cer-
taines avec des bus transformés
qui pourront accueillir six per-
sonnes en fauteuil roulant. La
ville de Paris a par ailleurs investi
125 millions d’euros entre 2022 et
2026 pour la mise en accessibilité
des équipements recevant du pu-
blic. Et une enveloppe de 100 mil-
lions d’euros a été mobilisée par
l’Etat à destination des hôtels,
­cafés et restaurants dans les diffé-
rentes collectivités hôtes.
2,8 millions de billets à la vente
dès le 9 octobre Tous les billets
paralympiques seront mis en
vente, à l’unité et sans tirage au
sort, le 9 octobre. Chaque per-
sonne pourra acheter jusqu’à
Seulement
9 % des lignes
de métro sont
équipées pour
les personnes
en situation
de handicap
l’héritage des Jeux paralympi-
ques se concrétiser.
Pensez-vous que cette édition
fera date dans l’histoire
des Jeux paralympiques ?
Je n’ai aucun doute. Le comité
d’organisation et la Mairie de Pa-
ris ont l’ambition de faire des Jeux
révolutionnaires, avec le même
logo pour les Jeux olympiques et
paralympiques, des cérémonies
d’ouverture hors du stade…
Même si vous étiez sceptique
sur le logo commun
et la cérémonie dans la ville…
Mais c’est ce qu’on attend d’un
comité d’organisation, qu’ils nous
challengent et nous proposent de
nouvelles choses. Honnêtement,
si quelqu’un avait dit, il y a dix ans,
qu’il organisait la cérémonie
d’ouverture en dehors d’un stade,
on lui aurait répondu : « Arrête, tu
plaisantes. » Mais dans plusieurs
années nous nous souviendrons
que la cérémonie d’ouverture des
Jeux de Paris 2024 fut la première
dans l’histoire paralympique qui
s’est ­tenue hors d’un stade.
Paris 2024 peut-il faire mieux
que Londres 2012, considéré
comme l’exemple de Jeux
paralympiques réussis ?
Londres 2012 est toujours la réfé-
rence, les Anglais ont porté le
mouvement paralympique à un
L’Espagnole
Rakel Mateo
Uriarte,
lors l’épreuve
test de
paratriathlon,
le 20 août.
EMMANUEL DUNAND/AFP
trente tickets pour les onze jours
de compétition, avec une limite
de dix par épreuve et quatre pour
la cérémonie d’ouverture.
Le prix d’entrée aux compé­-
titions est fixé à 15 euros
(500 000 sésames) quand la moi-
tié des billets à destination du
grand public ne dépassera pas
25 euros et qu’il en coûtera
100 euros maximum pour assister
aux finales les plus demandées.
A noter que les jauges de specta-
teurs ont été réduites en raison de
capacités d’accueil insuffisantes :
environ 2,8 millions de billets
(2,7 millions à Londres 2012) de-
vraient être mis en vente, contre
3,5 millions annoncés. Paris
2024 promet que 80 % d’entre eux
seront à 50 euros ou moins.
Par ailleurs, deux passes « décou-
verte » à 24 euros seront disponi-
bles. Le premier donnera accès,
pour une journée, aux sites du
niveau inédit de reconnaissance
internationale, et Paris peut faire
la même chose sur d’autres plans.
Cela fait longtemps que nous
n’avons pas eu de spectateurs [les
Jeux d’été de Tokyo et d’hiver à
­Pékin se sont déroulés dans un qua-
si-huis clos à cause du Covid], nous
voulons que les Jeux de ­Paris
soient non seulement spectaculai-
res mais qu’ils changent la société.
Nous voulons faire de ces Jeux
un accélérateur en matière d’in-
clusion pour quelque 1,2 milliard
de personnes en situation de han-
dicap dans le monde. Ils peuvent
être un tournant dans l’histoire du
mouvement paralympique. On se
souviendra de Paris 2024 comme
révolutionnaire.
Nous avons besoin que ces Jeux
donnent envie aux gens d’allu-
mer leur télé, d’acheter des tickets
pour venir à Paris assister aux
compétitions. Mais ces dernières
doivent laisser un héritage.
Quand les Français regarderont
en arrière, ils se diront : « S’il n’y
avait pas eu les Jeux paralympi-
ques, ça, ça n’aurait pas changé. »
Le Comité international
olympique s’est dit favorable
au retour des athlètes russes
et biélorusses dans le sport
mondial. Quelle est la position
de l’IPC sur cette question ?
Nous avons une assemblée
­générale du 27 au 29 septembre
Sports | 13
Grand Palais, de l’Arena Champ-de- à travailler sur les sites de compé- promenade Cesaria-Evora de L’Île-
Mars, au stade Tour-Eiffel et aux tition et autres infrastructures Saint-Denis, des rampes seront
Invalides. Le second permettra de liées à l’événement sont incitées installées pour en faciliter l’accès.
découvrir les sports qui n’existent à suivre une formation pour « sa- La structure des appartements
qu’aux Jeux paralympiques (la voir analyser les besoins et les at- du village des athlètes, situé au
boccia et le goalball), ainsi que le tentes de la personne en fonction nord de Paris, à cheval sur les com-
para-tennis de table. L’offre famille de son handicap », se réjouit Ludi- munes de Saint-Denis, Saint-Ouen
permettra, elle, d’obtenir deux vine Munos, triple championne et L’Ile-Saint-Denis, a aussi été pen-
billets enfants à 10 euros pour paralympique de natation et sée « par et pour les personnes en
deux billets adultes achetés. membre du comité d’organisa- ­situation de handicap », explique
Un budget plus important sera tion. « Le pays va se réveiller diffé- Antoine Du Souich, directeur de la
nécessaire pour assister aux céré- remment après avoir été confronté stratégie et de l’innovation au sein
monies d’ouverture et de ferme- pendant onze jours au handicap », de la Solideao, la société chargée
ture, qui coûteront respective- veut croire Elie Patrigeon, direc- des ouvrages olympiques. Des
ment entre 150 et 700 euros et en- teur général du Comité paralym- douches sans ressaut – saillie qui
tre 45 et 450 euros. L’Etat distri- pique et sportif français. L’objectif dépasse d’une surface – aux espa-
buera 17 400 billets gratuits à des est de « rendre visibles des person- ces libres dans les chambres per-
personnes en situation de handi- nes structurellement invisibles ». mettant les manœuvres du fau-
cap et à leur accompagnateur. Et cela passe par des aménage- teuil (cercle de rotation de 1,50 m
ments : le centre aquatique d’Aul- de diamètre), ces appartements
L’espoir d’un pays différent nay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis) « inédits » dans leur conception
après les Jeux « Sensibiliser », tel sera, par exemple, équipé de lo- « doivent servir de modèle » pour le
est le leitmotiv de l’ensemble des caux pour les chiens guides futur de l’immobilier. p
acteurs des Jeux paralympiques. d’aveugle. Mais aussi côté extra- Oscar Korbosli
A ce titre, les personnes amenées sportif : pour gérer le dénivelé de la et Laura Pottier
au Bahreïn au cours de laquelle
nos membres doivent se pronon-
cer sur [la présence des] comités
paralympiques russes et biélorus-
ses. Nous avons trois options :
une suspension totale, une sus-
pension partielle autorisant les
athlètes sous statut neutre, et
l’absence de suspension. Quelle
que soit la décision qui sera prise,
nous la mettrons en œuvre.
La Russie s’est déjà dite prête
à envoyer une délégation de
300 athlètes à l’événement…
Leur annonce n’est pas une ma-
nière d’anticiper les résultats
SAISON 3
de l’assemblée générale. Sur cette
question d’ailleurs, nous pouvons
avoir une position différente du
Comité international olympique
[les deux organisations sont indé-
À partir du 20 septembre, participez à 5 séances de 2 heures.
pendantes et autonomes]. Une approche thématique de la peinture autour des couleurs pour
Nous avons discuté de la partici- obtenir des clés de compréhension et acquérir des réflexes de lecture.
pation des Russes et des Biélorus-
ses avec le comité d’organisation Françoise Barbe-Gall est historienne d’art française et conférencière
de Paris 2024, avec la ministre des dans les musées nationaux. Elle a également enseigné à l’École du
sports, Amélie Oudéa-Castéra, et Louvre entre 1982 et 2011. Depuis 2020, elle assure un programme
le président, Emmanuel Macron régulier de conférences en ligne. Elle est l’autrice de nombreux livres
sur la peinture, notamment Comment regarder un tableau et Comment
[Andrew Parsons a été reçu à l’Ely-
parler d’art avec les enfants.
sée le 13 juillet]. Nous sommes
transparents avec eux depuis le
début de la situation ; le président
nous a assuré de son plein sou-
tien et que le gouvernement fran- ateliers.lemonde.fr
çais respecterait la décision que
l’IPC prendra, quelle qu’elle soit. p
propos recueillis par ­
Nicolas Lepeltier
 Économie & Entreprise
0123
14 | ­
­Jeudi 31­ août 2023

Logement

Un marché particulièrement tendu dans les grandes villes étudiantes Moins d’offres en 2023
France Evolution de l’offre locative entre 2021 et 2023 selon le type de biens
Lille métropolitaine
Studio T2 T3 T4 T5 Maison
Prix médian affiché −5% −6%
xxx € au 2e trimestre 680 € 620 €
+5% +2%
pour un deux-pièces, Pour 100 offres au premier trimestre 2021*... ... et au deuxième trimestre 2023
en euros
10 1 7
2 7 5
Paris
Strasbourg
1 495 € − 26 % 24 16
+1%
Rennes + 10 % 710 €
+4%
− 34 %
630 € +6%
35 23
Nantes
−9%
637 €
+6%
24 18
Evolution sur un an,
pour les petites surfaces Lyon Offres manquantes
(studio et deux-pièces)... −6% par rapport au premier
820 € trimestre 2021
+7% Grenoble
... de l’offre de logements,
Bordeaux − 17 %
en %
− 14 % 632 €
+3% C’est la baisse de l’offre de biens à louer depuis 2021
... du loyer médian, 748 €
+7% selon les données du site Bien’ici
en %
Nice Studios et deux-pièces, une offre inférieure à la demande en milieu urbain
Toulouse Montpellier − 20 % au deuxième trimestre 2023, selon le type de territoire
+3% − 12 % 860 €
622 € 685 € +8%
+3% +4% Offre* 79 % 17 5
Demande 91 % 8 1
Urbain Périurbain Rural
* Total supérieur à 100 en raison des arrondis

Plusieurs facteurs participent à la pénurie... ... tandis que les locataires ont de plus en plus de difficultés à accéder à la propriété
Les passoires thermiques Hausse des taux d’emprunt Chute des prêts accordés Des prix qui ne baissent pas ou peu
Evolution des taux moyens fixes d’emprunt, Nombre de prêts accordés, niveau annuel Evolution de l’indice des prix des logements
En Ile-de-France, en % glissant, base 100 : moyenne en 2020 anciens, en %
55 % des logements Entre le 4e trimestre 2022 Sur un an
locatifs privés, 3,61
et le 1er trimestre 2023
soit 1 354 000 logements, 125
ont une faible performance
France entière
thermique (classés E, F ou G).
Sans travaux de rénovation – 0,2
énergétique, ils seront interdits 2,35 100
+ 2,7
à la location.
1,7 En province
1,24 1,17 75
Les locations saisonnières 1,05 1,06 + 0,1
+ 3,9
Plus de 800 000
locations saisonnières En Ile-de-France
50
étaient recensées fin 2021, – 1,1
en France, en hausse de 18 % Juillet Déc. Juil. Déc. Juil. Déc. Juillet Janvier Janvier Janvier Mai
par rapport à l’année 2020 2020 2021 2021 2022 2022 2023 2009 2015 2020 2023 – 0,6
précédente.
Infographie : Le Monde Sources : Bien’ici ; Notaires de France ; Observatoire Crédit Logement-CSA ; Institut Paris région ; Le Monde

Le grand blocage du marché locatif

Entre une offre qui se raréfie et les exigences démesurées
La loi sur les passoires énergétiques est
de certains propriétaires, trouver un logement dans les toutefois loin d’expliquer à elle seule l’am-
pleur des difficultés rencontrées par les lo-
grandes villes françaises relève du parcours du combattant cataires à trouver un logement dans les
grandes villes françaises et les zones litto­-
rales attrayantes. La brusque hausse des
taux d’intérêt a en effet bloqué de nom-
connexion entre les prix de l’immobilier, qui
ont explosé à partir des années 2000, et le
­niveau des loyers, qui ont été de plus en plus
encadrés, pour tenter de limiter la paupérisa-
tion des locataires », avance Pierre Madec. La
politique fiscale d’Emmanuel Macron – la
transformation de l’ISF en impôt sur la for-

C’
est un été qui n’a ressem-
blé à aucun autre. Dans
son agence immobilière
Laforêt du 11e arrondisse-
ment de Paris, Samantha
Néro ne « rentre » plus
qu’un appartement à louer par semaine, dans
le meilleur des cas. « Il y a beaucoup moins
d’offres de location et de turn-over dans les lo-
gements que les années passées, témoigne-t-
elle. Mais, en revanche, je reçois une dizaine de
demandes par jour de personnes en recherche
d’un appartement. » Pour chaque nouvelle an-
nonce, elle obtient « une centaine d’appels et
autant de mails dans les deux heures qui sui-
vent ». « Je filtre, dit-elle, je n’organise jamais
plus d’une dizaine de visites, pour ne pas don-
ner de faux espoirs à plus de monde. »
A la tête de huit agences Laforêt dans l’Est
parisien, Laurent Da Costa confirme la pé-
nurie. « Pour la première fois depuis que j’ai
ouvert, en 2007, on perd plus d’appartements
en gestion qu’on en rentre, constate-t-il.
­Lorsqu’un locataire part, beaucoup de pro-
priétaires mettent en vente leur apparte-
ment. » Ses clients « avaient déjà eu du mal à
digérer l’encadrement des loyers », désor-
mais, c’est la perspective du couperet du dia-
gnostic de performance énergétique (DPE)
qui les pousse à vendre.
« Les petites surfaces à louer dans les quar-
tiers de Paris où sont installées mes agences,
ce ne sont quasiment que des étiquettes F
ou G. La rentabilité locative à Paris était déjà
faible, mais elle va être nulle pour les proprié-
taires qui doivent réaliser de gros travaux de
rénovation énergétique pour pouvoir conti-
nuer à louer, explique le responsable d’agen-
ces. Les bailleurs ont aussi du mal à trouver
des entrepreneurs quand ils veulent faire des
devis, les matériaux coûtent très cher… Bref,
ils préfèrent vendre. »
Passoires thermiques
Depuis le 1er janvier, les pires passoires ther-
miques sont interdites à la location. Cette in-
terdiction concernera tous les biens clas-
sés G en 2025, les F en 2028 et les E en 2034.
Des mesures destinées à faire baisser les
émissions de gaz à effet de serre, loin d’être
anodines : en Ile-de-France, 2,3 millions de
résidences principales avaient, en 2018, un
diagnostic de performance énergétique
classé E, F ou G. Soit 45 % du parc francilien
de résidences principales.
L’investissement locatif a perdu de son at-
trait. « Nous ne vendions plus ces derniers
mois que des résidences principales dans nos
agences, souligne Laurent Da Costa. Mais, de-
puis le début du mois d’août, on perçoit un fré-
missement, les investisseurs semblent revenir
sur le marché, avec l’amorce d’une baisse des
prix de l’immobilier. Peut-être que l’effet DPE
commence aussi à être digéré. »
breux ménages dans leur projet d’accession
à la propriété, qui n’ont pas d’autre choix
que de rester locataires, et ne libèrent plus
leurs logements.
« Lorsqu’un Pour lutter contre l’inflation galopante, qui
locataire part, s’est installée depuis le début de la guerre en
Ukraine, la Banque centrale européenne
beaucoup (BCE) a effectué la hausse de taux d’intérêt la
plus rapide de son histoire. Les banques ré-
de propriétaires percutant ces hausses au fil des mois, le taux
moyen des crédits immobiliers est ainsi
mettent en vente passé de 1,06 %, en décembre 2021, à 3,61 %,
leur appartement » en juillet 2023 (hors assurances), selon
­l’Observatoire Crédit Logement CSA.
Laurent Da Costa Les candidats à l’achat subissent ce durcis-
directeur de huit agences sement des conditions de crédit et la grande
Laforêt, dans l’Est parisien frilosité des banques, alors que les prix tar-
dent à s’ajuster. « Les ménages sont désolva-
bilisés, observe Pierre Madec, économiste à
l’Observatoire français des conjonctures éco-
nomiques. Pour compenser la hausse des
taux d’intérêt, il faudrait que les prix de l’im-
mobilier baissent de 20 %. »
Nous en sommes loin : selon Century 21,
principal réseau d’agences en nombre de
transactions, le prix moyen au mètre carré
des appartements n’a amorcé qu’une baisse
de moins de 2 % (sur douze mois), au pre-
mier semestre – mais un recul plus marqué,
de plus de 6 %, à Paris.
« Le marché locatif privé est toutefois en
crise depuis bien plus longtemps, depuis la dé-
tune immobilière et la « flat tax » (prélève-
ment forfaitaire unique) – a également pesé,
estime l’économiste.
Le manque de logements à louer s’explique
aussi par la transformation massive d’appar-
tements en meublés touristiques, portée par
le succès d’Airbnb : la France comptait plus
de 800 000 locations saisonnières fin 2021
(+ 18 % par rapport à l’année précédente).
« Louer son appartement en Airbnb permet
de faire beaucoup de sous, mais ces loge-
ments-là sortent du marché. Aujourd’hui,
tous les signaux sont au vert pour ce type de
locations : on gagne 2,5 à 3 fois plus qu’avec
une location classique, et c’est facile pour la
logistique, car il y a des conciergeries, détaille
Guillaume de Vergie, responsable d’une
agence immobilière Laforêt à Rennes. Et les
revenus bénéficient d’un impôt réduit. »
« Fiscalité très favorable »
Les loueurs de meublés touristiques classés
bénéficient en effet d’un abattement forfai-
taire de 71 % (jusqu’à 176 200 euros de recet-
tes), contre 50 % pour les meublés classiques,
et seulement 30 % pour les locations classi-
ques vides (dans la limite de 15 000 euros de
loyers). Un avantage aujourd’hui sur la
­sellette. « J’ai du mal à comprendre la fiscalité
très favorable qui s’applique aujourd’hui à
Airbnb », a reconnu le 9 juin dernier le mi­-
nistre de l’économie, Bruno Le Maire, sur
0123
­
­Jeudi 31­ août 2023
Avec la hausse des taux
d’intérêt, de nombreux
ménages sont bloqués
dans leur projet
d’accession à la
propriété et restent
en location
­ MC-BFM-TV. Une mesure corrective pour-
R
rait figurer dans le budget pour 2024.
Adèle (son prénom a été changé), 20 ans,
étudiante originaire d’Orléans à la recherche
d’un logement à Paris, a finalement renoncé
à passer par une agence immobilière. « J’ai
essayé, j’ai trouvé une copine avec qui on
pourrait louer en colocation, mais soit notre
dossier était recalé, soit le logement n’était
pas satisfaisant, soit il y avait dix personnes
sur le palier et on savait qu’on ne serait pas re-
tenues, car notre dossier était moins bon que
les leurs », témoigne-t-elle.
Après un mois de déconvenues, elles font
le choix de la banlieue. « On a trouvé en deux
semaines à Saint-Denis [Seine-Saint-Denis],
par la plate-forme La Carte des colocs. Un
coup de chance, l’annonce venait d’être pu-
bliée, dit la jeune femme. Mais, à un moment,
j’ai pensé à faire tous les jours l’aller et retour
entre Orléans et Paris, j’étais découragée. »
Conséquence de cette pénurie, les loyers
ont augmenté, en particulier pour les petites
surfaces convoitées par les étudiants au
cours de l’été et jusqu’à la veille de la rentrée.
Une étude de la société PriceHubble, qui a
analysé des annonces publiées sur les princi-
paux portails immobiliers, a constaté des
hausses de loyer pour les studios de + 6,5 % à
Paris, + 6,2 % à Bordeaux, + 4,8 % à Stras-
bourg, + 4,6 % à Marseille, + 4 % à Lille ou
+ 4,2 % à Nantes, entre le 1er juillet 2022 et le
30 juin (charges comprises).
Soit une progression souvent supérieure
au « bouclier loyer » mis en place par le légis-
lateur, plafonnant la hausse des loyers à 3,5 %
maximum, pour limiter l’impact de l’infla-
tion sur le budget des ménages. Un signe que
l’encadrement des loyers à la relocation n’est
pas toujours respecté.
Tentatives d’arnaque
L’insuffisance de l’offre dans les villes at-
trayantes et le désarroi des candidats à la lo-
cation alimentent les tentatives d’arnaque
(faire payer en avance pour un logement qui
n’existe pas) et les exigences démesurées de
certains propriétaires. « Certains me deman-
daient à la fois la garantie Visale [caution pu-
blique] et celle de mes parents, ce qu’ils n’ont
pas le droit de faire », souligne Adèle.
Face à cette crise, que propose le gouverne-
ment ? Rien qui soit de nature à détendre
réellement le marché, déplorent les profes-
sionnels du logement. La première ministre,
Elisabeth Borne, a bien annoncé, le 12 juillet,
une augmentation de 66 % du budget an-
nuel de MaPrimeRénov’, dispositif phare
d’aide à la rénovation des logements (porté
de 2,4 milliards à 4 milliards d’euros pour
2024), mais le gouvernement a contreba-
lancé ces efforts par une réduction de voi-
lure du prêt à taux zéro (PTZ) et la fin de la ni-
che fiscale Pinel, destinée aux particuliers
réalisant un investissement locatif dans
l’immobilier neuf. Un dispositif critiqué, très
coûteux pour l’Etat et mal ciblé, mais qui
permettait de soutenir l’acquisition de près
de 40 000 logements neufs affectés à la loca-
tion dans les zones tendues, chaque année.
Le parc HLM est lui aussi soumis à un ré-
gime d’économies. Malgré les 2,4 millions de
ménages en attente d’un logement social,
Bercy ne souhaite pas une accélération de la
construction de logements sociaux. L’exécu-
tif mise plutôt sur le logement locatif inter-
médiaire (avec des loyers réglementés infé-
rieurs de 10 % à 15 % aux prix du ­marché), un
parc qui jusqu’à présent a peiné à se dévelop-
per. Il veut également jouer sur la vacance.
Un décret vient ainsi d’être publié, le 26 août,
afin que plus de 2 000 communes de moins
de 50 000 habitants, sous tension (déséquili-
bre entre offre et demande de logements),
puissent majorer la taxe d’habitation sur les
résidences secondaires et appliquer une
taxe sur les logements vacants. Une possibi-
lité jusqu’ici réservée aux agglomérations de
plus de 50 000 habitants.
« Loger les gens nécessite de faire des choix.
Celui d’une France de propriétaires, avec des
mesures comme le PTZ ou la déduction des in-
térêts d’emprunt sous Nicolas Sarkozy, ou
bien le choix de développer le parc locatif,
privé ou social. Mais, aujourd’hui, on perçoit
mal la voie politique empruntée par le gou-
vernement, estime Pierre Madec. Ce que l’on
constate, c’est un chemin d’austérité pour la
politique du logement. » p
Véronique Chocron
Un encadrement mal respecté
et des prix prohibitifs à Paris
La capitale française figure au deuxième rang, en Europe,
des villes les plus chères pour les locataires
L e cabinet de conseil Deloitte
a publié, en août, son « Pro-
perty Index », une étude an-
nuelle qui offre un panorama du
marché immobilier résidentiel
européen. Il en ressort que les vil-
les européennes les plus chères
pour les locataires sont Dublin, de-
vant Paris (28,50 euros le mètre
carré par mois) et Oslo. « Les écarts
de loyer sont toutefois très signifi-
catifs selon les quartiers, souligne
Laurent Da Costa, qui dirige des
agences Laforêt dans l’Est parisien.
Un appartement de 40 mètres car-
rés à la porte de La Chapelle se loue
de 800 à 1 000 euros par mois,
­contre de 1 200 à 1 500 euros dans
les beaux quartiers. »
Des montants si élevés qu’ils
restent hors de portée pour nom-
bre d’étudiants et de ménages à la
recherche d’un appartement en
cette rentrée. En outre, si la capi-
tale a été pionnière en mettant en
place un encadrement des loyers,
ceux-ci continuent pourtant de
progresser rapidement.
Selon une étude de la société Pri-
ceHubble, fondée sur l’analyse des
annonces publiées sur les princi-
paux portails immobiliers, les
loyers des studios ont grimpé de
6,5 % à Paris entre le 1er juillet 2022
et le 30 juin. Une augmentation
contraire au gel de la hausse des
loyers, fixé à + 3,5 % par les parle-
mentaires pour protéger les loca-
taires en période de forte inflation.
Le non-respect de l’encadrement
des loyers est un secret de Polichi-
nelle. En dépit de cette mesure,
30 % des nouvelles mises en loca-
A Rennes, une crise « profonde »
Malgré des politiques volontaristes, la ville manque de logements étudiants et de rotations
dans le parc social, et est confrontée à une hausse du nombre de locations à la nuitée
Rennes - correspondance
P ochette remplie de photo-
copies de papiers d’iden-
tité et de fiches de paie de
ses parents, Joan Billon patiente
dans le hall d’une agence immo-
bilière de la place des Lices, à Ren-
nes. Dehors, ses parents guettent
un signe. Auront-ils la « chance »
de visiter un studio, ce mercredi
23 août ?
Arrivés de Challans en Vendée,
ils se démènent pour trouver un
toit à leur fils, étudiant en master
de bio-informatique. « Depuis un
mois et demi, on prospecte sur In-
ternet. On appelle les agences im-
mobilières. Sans succès. On nous
dit que la seule manière de dégoter
une habitation à Rennes, c’est de
venir sur place, d’avoir de la
chance et d’être réactif. »
Dans la capitale bretonne, où
72 000 jeunes suivent des études
supérieures, la rentrée a toujours
été synonyme de tensions sur le
marché locatif. Elle n’a, cepen-
dant, jamais été aussi compli-
quée. Responsable commerciale
de l’agence Guenno depuis six
ans, Solène Fleury confirme : « On
ne poste plus nos annonces sur le
Web tant nous croulons sous les
sollicitations. Aujourd’hui, j’ai 150
demandes pour deux apparte-
ments. Pour éviter les frustrations,
je ne fais visiter un appartement
qu’à trois personnes. Ensuite, le
propriétaire sélectionne son dos-
sier préféré et fait deux déçus. »
Emma Humbert fait partie de
ceux-là. Etudiante en licence de
biologie, elle arrive de Lyon, où
Économie & Entreprise | 15
tion ont dépassé le loyer maxi-
mum autorisé en 2021, selon les
données de l’Observatoire des
loyers de l’agglomération pari-
sienne. « C’est encore pire pour les
petites surfaces : 80 % des studios
ne respectent pas l’encadrement
des loyers », affirme Ian Brossat,
l’adjoint (communiste) au loge-
ment à la Mairie de Paris.
Perte d’habitants
La Ville, première collectivité à
pouvoir contrôler l’encadrement
des loyers, a, depuis le 1er janvier, la
possibilité de mettre en demeure
les bailleurs qui ne s’y plient pas.
Elle a mis en place une plate-
forme permettant aux locataires
de comparer ce qu’ils versent cha-
que mois et le loyer de référence
majoré, fixé par arrêté préfectoral.
Les locataires lésés peuvent en-
suite y déposer un signalement,
afin de régulariser la situation.
Plus de 1 000 signalements ont
à ce jour été adressés à la Mairie,
concernant à 85 % des apparte-
ments d’une et deux pièces.
Après plusieurs relances en-
voyées aux bailleurs, afin d’obte-
nir le remboursement du trop-
perçu, les premières amendes
tomberont en septembre.
Etonnamment, le non-respect
de l’encadrement des loyers ne se
cantonne pas aux propriétaires
louant de particulier à particulier.
« Près de trois signalements sur
cinq concernent aujourd’hui des
biens gérés par des agences immo-
bilières, soit en tant que proprié-
taires, soit en tant que mandataire
elle avait eu « beaucoup moins de
souci pour se loger ». A Rennes, elle
a lorgné un appartement des se-
maines durant, avant de lancer un
appel au secours sur les réseaux
sociaux. En guise de réponse,
beaucoup de fausses annonces ré-
digées par des escrocs qui tentent
de récupérer des copies de docu-
ments personnels ou de convain-
cre des personnes aux abois de
leur verser un mois de loyer pour
réserver un bien qui n’existe pas.
Emma Humbert a trouvé une
chambre dans une maison à par-
tager. Elle a revu son budget à la
hausse. Loyer mensuel ?
590 euros. Comme elle, nombre
de jeunes se rabattent massive-
ment sur des colocations, désor-
mais plébiscitées par les proprié-
taires. Car louer une demeure à
plusieurs étudiants s’avère plus
rentable qu’à une famille. La mue
de ces appartements familiaux
en colocations complexifie de-
puis les recherches des actifs. Dé-
sormais, personne n’est épargné
par les tensions immobilières qui
pourraient « s’amplifier encore »,
selon Yann-Eric Prouteau, direc-
teur général du Crous Bretagne.
A Rennes, l’organisme dispose
de 5 800 biens mais reconnaît un
manque de 1 500 logements pour
assumer les objectifs fixés par
l’institution elle-même. « Tous nos
partenaires dressent désormais un
constat partagé et prennent la me-
sure du problème », insiste M.
Prouteau. Il annonce la fin de la ré-
novation du parc étudiant et la
construction de 400 nouveaux lo-
gements, à Rennes, d’ici à 2027.
pour un particulier », a écrit Ian
Brossat dans un courrier envoyé,
le 10 mai, aux réseaux d’agences.
« C’est un vrai problème, de plus
en plus de propriétaires veulent
s’affranchir de l’encadrement des
loyers, et beaucoup d’agences les
suivent », reconnaît Richard Mel-
lul, patron d’agences immobiliè-
res Century 21 dans les 13e et 16e ar-
rondissements de Paris. « Par
exemple, certains propriétaires
proposent – même pour louer des
studios – des baux de résidence se-
condaire, qui sont moins protec-
teurs du locataire, n’ouvrent pas
droit aux aides au logement, mais
qui ne sont pas soumis à l’encadre-
ment des loyers. Et ce n’est pas un
phénomène de niche », prévient-il.
Jules (il ne souhaite donner que
son prénom), diplômé de Scien-
ces Po Grenoble et embauché à
compter de septembre dans une
société de production dans le
quartier de Montparnasse, a cher-
ché en vain une chambre en colo-
cation à Paris adaptée à son bud-
get, de 850 euros par mois pour le
loyer, soit la moitié de son salaire.
Après deux mois de recherches
et plus de trois cents messages en-
30 % des nouvelles
mises en location
ont dépassé le loyer
maximum autorisé
en 2021
Un nombre insuffisant au re-
gard de la pénurie. D’autant plus
avec l’émergence du phénomène
Airbnb. Selon la plate-forme
AirDNA, qui analyse les données
du marché à la nuitée, la quantité
de locations rennaises de courte
durée a enflé de 18 % ces trois der-
nières années. Une partie de ces
1 850 habitations ont été soustrai-
tes au marché locatif traditionnel.
« La première des dignités »
Dans ce contexte de tensions, les
occupants de logements sociaux
restent dans leurs biens. Quelque
30 000 demandes sont en attente
de traitement dans l’aggloméra-
tion rennaise. Le délai pour obte-
nir un HLM atteint trois ans,
­contre dix-huit mois en 2018.
Fréquemment saluée pour sa
politique volontariste de l’habitat,
Nathalie Appéré, maire (Parti so-
cialiste) de Rennes, sait son terri-
toire confronté à une crise du lo-
gement « profonde et nationale » :
« Avoir un toit est la première des
dignités. Il faut cesser de traiter la
question du logement comme un
sujet technique. Il est éminemment
politique. Le marché ne peut pas
apporter de réponses au besoin. »
Mme Appéré défend un immi-
nent programme local de l’habi-
tat pour contrer la spéculation
immobilière, contenir les hausses
des prix, encourager la rénova-
tion et la production de loge-
ments. L’agglomération rennaise
compte mobiliser 43 millions
d’euros par an pour, notamment,
garantir la livraison de 5 000 nou-
veaux logements annuels, dont
voyés sur des sites de colocation, il
a décroché une chambre dans un
appartement du Kremlin-Bicêtre
(Val-de-Marne). « Je vais être en
proche banlieue, près du métro, et
je vais payer 700 euros par mois, se
réjouit-il. Je trouve ça idiot de payer
aussi cher pour Paris, qui n’est pas
la ville la plus agréable à vivre au
monde, où le prix au mètre carré re-
pose beaucoup sur la spéculation. »
Le manque de logements abor-
dables dans la capitale pèse sur l’at-
trait de la capitale. Comme le souli-
gne l’Insee, la population de l’Ile-
de-France a progressé dans tous les
départements de la région,
en 2021, « sauf à Paris (− 7 800 habi-
tants), qui perd régulièrement des
habitants depuis dix ans ».
La municipalité en a bien cons-
cience. « Le fort renouvellement de
la population parisienne observé
chaque année, s’il témoigne de l’at-
tractivité de la capitale, atteste
aussi de la difficulté à maintenir
des populations, notamment les
familles », a souligné, en 2022, la
Ville de Paris, en présentant son
plan stratégique à l’horizon 2035.
Celui-ci prévoit d’atteindre l’ob-
jectif très ambitieux de 40 % de lo-
gements publics dans la capitale,
soit 30 % d’habitations sociales lo-
catives et 10 % de logements abor-
dables (au minimum à 20 % au-
dessous des loyers du marché), à
destination des classes moyennes.
La municipalité parisienne comp-
tait, début 2021, un peu plus de
22 % de logements sociaux et 4 %
d’habitations intermédiaires. p
Vé. Ch.
30 % à vocation sociale. Un inves-
tissement par habitant « unique »
en France, selon l’édile.
Mme Appéré promet un dévelop-
pement massif du bail réel soli-
daire, ce dispositif sous conditions
qui permet à un acquéreur d’ache-
ter le bâti mais pas le foncier et
ainsi de bénéficier d’un prix plus
abordable. Cette stratégie pourrait
détendre le marché locatif. « Cer-
taines de nos décisions peuvent
être opérationnelles immédiate-
ment. Mais d’autres nécessitent de
faire évoluer les cadres réglemen-
taires et législatifs », dit la maire.
En mai, l’élue a exhorté le gou-
vernement à se saisir d’une mul-
titude de propositions produites
par France urbaine, organisme re-
présentant cent huit grandes vil-
les et agglomérations. Secrétaire
générale de cette association, Na-
thalie Appéré estime ne pas avoir
été entendue sur « la gravité de la
situation pourtant exprimée par
les élus locaux, le monde associatif
et les promoteurs immobiliers ».
Les mêmes qui, à Rennes, ten-
tent d’alerter sur « la bombe à re-
tardement » provoquée par la loi
Climat et résilience. D’ici à 2034,
la location de demeures dont la
classification énergétique oscille
entre E et G sera interdite (70 %
des petits logements du centre-
ville rennais sont concernés).
Beaucoup pensent qu’une partie
de ces biens ne seront pas réno-
vés ou, pire, rénovables. Une telle
situation provoquerait alors un
nouveau séisme sur le marché lo-
catif local. p
Benjamin Keltz

16 | Économie & Entreprise
Agriculture : des machines à défaut de saisonniers
Pour la récolte des fruits et des légumes comme pour les vendanges, la mécanisation progresse
P
rès de 120 000 vendan-
geurs en Champagne,
25 000 en Beaujolais,
55 000 cueilleurs de
pommes et de poires… A la fin de
l’été, même si le coup de feu des
fruits à noyaux comme les abri-
cots, les pêches ou les prunes est
passé, l’agriculture française em-
bauche encore à tour de bras. Un
recrutement de saisonniers sou-
vent synonyme de dossier épi-
neux à gérer.
« Il y a une vraie carence de sai-
sonniers. Quelques semaines
avant le début des vendanges, les
deux tiers des vignerons indépen-
dants n’avaient pas encore com-
plété leurs équipes », affirme Jean-
Marie Fabre, président des Vigne-
rons indépendants, installé à Fi-
tou, dans l’Aude, avant d’ajouter :
« Le problème s’est accru depuis
deux ou trois ans avec le Covid. Les
salariés sans emploi ne sont guère
enclins à faire ces travaux, même si
le salaire est correct. Et la
main-d’œuvre qui venait de l’Est a
vu les conditions sociales s’amélio-
rer en Allemagne ou en Pologne et
a donc moins tendance à venir jus-
qu’en France. » A cela s’ajoutent
les calendriers de récolte fluc-
tuant d’une année sur l’autre et
parfois difficilement compatibles
avec les agendas des étudiants, un
des viviers de recrutement.
Cette situation a poussé nombre
de viticulteurs à opter pour la ven-
dange mécanique. Un bascule-
ment négocié au tournant des an-
nées 1980. M. Fabre, lui, vient de
s’y résoudre. Il ne garde plus que
1 hectare récolté à la main. « Au lieu
d’être douze, nous sommes main-
tenant six pendant les vendanges,
dont mes deux salariés », témoi-
gne-t-il. « Sur les 750 000 hectares
de vignes en France, il n’en reste que
70 000 à 80 000 vendangées ma-
nuellement, estime Philippe As-
toin, directeur de la division agri-
culture du fabricant de machines
Pellenc. De plus en plus de produc-
teurs de rosés ou de blancs veulent
récolter la nuit pour éviter les fortes
chaleurs diurnes, ce qui est quasi-
ment impossible manuellement. »
Seules les appellations qui le
spécifient dans leur cahier des
charges, comme le champagne
I nd ustr i e
Dordogne : plan social
en discussion
à la papeterie Condat
Les discussions autour du
plan de sauvegarde de l’em-
ploi (PSE) à la papeterie Con-
dat, plus gros employeur privé
de Dordogne, ont commencé,
mardi 29 août, et s’étaleront
jusqu’au 11 octobre, selon
l’intersyndicale, la direction
maintenant sa volonté
de supprimer 187 emplois. En
juillet, l’entreprise a présenté
aux syndicats et à l’Etat
son PSE, qui vise à arrêter
une ligne de production et
à supprimer près de la moitié
des quelque 400 emplois de
l’usine de Lardin-Saint-Lazare
(Dordogne), propriété du
groupe espagnol Lecta. – (AFP.)
Ag roa l i m e n ta i r e
Tereos annonce la
fermeture de son usine
marnaise d’Haussimont
« Faute d’acquéreur », Tereos
a annoncé, mardi 29 août,
la fermeture de son usine de
transformation de pomme
de terre en fécule, à Haussi-
mont (Marne), dans un com-
muniqué. Le groupe coopéra-
tif avait indiqué, en juin, qu’il
envisageait la fermeture de
ce site, qui emploie 62 per-
sonnes. Ce sera le troisième
site de Tereos concerné par
une fermeture en quelques
mois, après la sucrerie d’Es-
caudœuvres (Nord), rachetée
récemment par l’entreprise
« Sur les 750 000
hectares de
vignes en France,
il n’en reste que
70 000 à 80 000
vendangées
manuellement »
Philippe Astoin
directeur de la division
agriculture du fabricant
de machines Pellenc
ou le crémant, les vignobles si-
tués sur des pentes fortes, possé-
dés par un vigneron soucieux de
préserver la tradition ou encore
les grands crus ont toujours re-
cours aux bras munis de séca-
teurs. Ce qui représente à peine
plus de 10 % des surfaces totales
de vignoble français.
« Cela devient difficile quand on
dépasse les vingt-cinq vendan-
geurs. Nous, nous en avons quinze
pendant deux semaines pour les
crémants. Ce sont des habitués, des
saisonniers et quelques salariés es-
pagnols qui viennent chaque an-
née. Nous nous organisons à plu-
sieurs pour étendre leur période de
travail », explique Michel Barraud,
viticulteur dans le Mâconnais.
Même approche dans le vignoble
de Plaimont, dans le Sud-Ouest,
où le cépage tannat est souvent ré-
colté à la main. « Nous avons formé
un groupement d’employeur à
trois. Nous embauchons ensemble
une quinzaine de personnes, dont
la moitié de fidèles, surtout des lo-
caux », témoigne Joël Boueilh,
­président des Vignerons coopéra-
teurs de France, installé à Saint-
Mont, dans le Gers.
Dans ce panorama, la champa-
gne reste le plus gros recruteur.
« Nous employons vingt person-
nes, des jeunes qui font des petits
boulots, des étudiants qui retar-
dent leur rentrée et trois personnes
venues du Québec pour faire les
cueillettes en France », raconte
Maxime Toubart, président du
Syndicat général des vignerons de
la Champagne, lui-même installé
au Breuil, dans la Marne.
belge Agristo, et la distillerie
de Morains (Marne). – (AFP.)
Co n j o n ctu r e
Allemagne : un paquet
d’aides fiscales pour
soutenir l’économie
Le chancelier Olaf Scholz a
annoncé, mardi 29 août, un
vaste plan de relance de l’acti-
vité économique allemande
en plein marasme compre-
nant un paquet d’aides fisca-
les de plus de 7 milliards
d’euros par an jusqu’en 2028.
Le bouquet d’allégements
fiscaux concerne en particu-
lier les petites et moyennes
entreprises, mais aussi le lo-
gement, un secteur en proie
à la hausse des prix. – (AFP.)
Vo it u r e s
Le marché automobile
européen poursuit
sa croissance
Le marché automobile euro-
péen a connu, en juillet,
son douzième mois de crois-
sance d’affilée, dépassant
851 000 immatriculations
(+ 15,2 % sur un an), alors que
les voitures diesel ont repris
le dessus sur les ventes d’élec-
triques, a annoncé, mercredi
30 août, l’Association des
constructeurs européens
d’automobiles. Pour les sept
premiers mois de 2023,
la hausse est de 17,6 %, avec
6,3 millions de voitures neu-
ves vendues – un chiffre
toutefois inférieur de 22 % à
la même période de 2019.
Vendanges mécaniques, à Langoiran (Gironde), en novembre 2022. JEAN-BERNARD NADEAU/Only France/AFP
Il héberge et nourrit le groupe.
Un modèle traditionnel qui perd
chaque année du terrain face aux
règles de plus en plus contrai-
gnantes sur le logement des sai-
sonniers. « Un tiers des vignerons
champenois font désormais appel
à des prestataires. Il n’y en avait
pas il y a dix ans. L’exploitant paie
50 % de plus, mais il n’a plus à
­gérer les contrats de travail, les
­fiches de paie, l’hébergement »,
souligne M. Toubart.
Concurrence exacerbée
Ce modèle de la prestation est
aussi très répandu dans le vigno-
ble de Cognac, non pas pour les
vendanges déjà mécanisées, mais
pour d’autres travaux de la vigne,
comme la taille. Il est aussi très
La grande distribution enterre peu à peu
les catalogues promotionnels
Les enseignes réduisent, voire arrêtent, la production de prospectus imprimés, pour
des raisons écologiques mais aussi économiques, les cours du papier ayant flambé
A près le sac en plastique à
usage unique en caisse,
qui a fait ses adieux en
juillet 2016, puis le ticket de caisse,
délivré seulement sur demande
depuis le 1er août, le prospectus
commercial en papier des gran-
des surfaces, distribué anonyme-
ment dans les boîtes aux lettres,
va-t-il disparaître à son tour ?
Chez E. Leclerc, qui aspire 23,6 %
des dépenses des Français dans les
grandes surfaces alimentaires, se-
lon l’institut Kantar, c’est la fin.
Son patron, Michel-Edouard Le-
clerc, avait promis, fin 2022, qu’à
partir du mois de septembre il ces-
serait leur distribution pour ses
734 magasins en France, avec une
économie de 50 000 tonnes de pa-
pier chaque année.
A la différence du ticket de caisse,
dont l’arrêt de la distribution sys-
tématique est encadré par la loi re-
lative à la lutte contre le gaspillage
et à l’économie circulaire du 10 fé-
vrier 2020, la disparition progres-
sive des catalogues en papier est
une démarche que les enseignes
anticipent aussi par crainte qu’elle
ne leur soit un jour imposée.
prisé des maraîchers et de cer-
tains arboriculteurs. Le presta-
taire fait souvent appel à des tra-
vailleurs étrangers.
Mais l’exercice n’est pas sans
risque. L’entreprise d’intérim es-
pagnole Terra Fecundis – renom-
mée Work for All – et des produc-
teurs de fruits et légumes qui
avaient passé contrat avec elle
ont été condamnés, en 2022,
pour une affaire de fraude au tra-
vail détaché.
La récolte des fruits et des légu-
mes est, en effet, encore très ma-
nuelle, et la concurrence avec des
pays comme l’Espagne, l’Italie ou
la Pologne, exacerbée. Pour la
cueillette de pommes, estimée à
1,5 million de tonnes cette année,
il faut enrôler 50 000 personnes,
Cora a cessé de distribuer les
siens en janvier, Franprix et Mo-
noprix, en 2019. Ikea a mis un
terme, fin 2020, à celui qu’il édi-
tait depuis soixante-dix ans. Car-
refour a annoncé qu’il réduirait de
80 % la distribution de ses catalo-
gues papier en France dès 2024…
pour les numériser.
« Un outil difficile à remplacer »
Des raisons écologiques mais
aussi économiques, étant donné
la forte hausse des cours du pa-
pier en 2022, « dont les prix ont été
multipliés par trois en huit mois »,
fait remarquer un distributeur se-
lon lequel, « dans les comptes d’ex-
ploitation, en plus de la hausse des
salaires et de l’énergie, ça com-
mence à coûter très cher ».
Selon l’Agence de la transition
écologique (Ademe), plus de
766 000 tonnes d’imprimés pu-
blicitaires non adressés ont été
distribuées en 2021, dont une part
significative a été jetée sans avoir
été lue. « Il existe 23 millions de boî-
tes aux lettres en France » et cha-
cune reçoit, en moyenne, « entre
dix et douze prospectus par se-
en ajoutant les 120 000 tonnes de
poires, le nombre monte à 55 000.
« Il y a une frange de jeunes en
camping-car qui vont de saison en
saison, des retraités, mais aussi
beaucoup de gens qui viennent de
l’étranger, de l’Europe de l’Est ou
d’Espagne, et un recours accru aux
contrats de l’Office français de
l’immigration et de l’intégration
pour employer des Marocains »,
explique Daniel Sauvaitre, arbori-
culteur en Charente et président
de l’Association nationale pom-
mes poires.
Si les saisonniers détachent les
pommes de l’arbre, ils sont placés
sur des escaliers qui se déplacent
automatiquement entre les
rangs. « Une start-up israélienne
va venir nous faire une démons-
maine, sauf à Paris, qui est très mal
desservi », fait remarquer Pierre-
Yves Larvor, directeur général ad-
joint de Milee, ex-Adrexo, qui re-
couvre 40 % du marché de la dis-
tribution de prospectus papier.
Mais tous les distributeurs ne
sont pas prêts à y mettre fin. « Le
prospectus, c’est bien plus que du
papier ! », déclarait Dominique
Schelcher, le PDG de Système U,
dans une tribune publiée dans
plusieurs quotidiens en décem-
bre 2022, assurant que 60 % de
ses clients les plébiscitent. L’en-
seigne souligne que, « pour certai-
nes opérations, c’est un outil diffi-
cile à remplacer », qui reste un
bon moyen d’attirer de nouveaux
clients. « Lorsque l’hypermarché
est à 30 kilomètres du consomma-
teur, il faut des sollicitations pour
l’inciter à se déplacer. »
Depuis le 1er mai 2022, quatorze
collectivités expérimentent un
dispositif instauré par la loi Cli-
mat et résilience d’août 2021, qui
interdit la distribution des impri-
més publicitaires sans adresse,
sauf si l’indication « Oui Pub » est
apposée sur la boîte aux lettres. Le
0123
­
­Jeudi 31­ août 2023
tration de récolte de pommes par
drone », affirme M. Sauvaitre.
Mais ce dispositif robotisé devra
faire mieux qu’un cueilleur, soit
récolter plus de 1 tonne de fruits
par jour.
Les entreprises comme Pellenc
cherchent à accroître la mécanisa-
tion dans les vignes ou les vergers.
« La taille de la vigne se fait
aujourd’hui à 90 % manuelle-
ment, mais nous avons les outils
pour la mécaniser quand les ca-
hiers des charges des appellations
s’assoupliront », affirme M. Astoin.
Il évoque aussi la mécanisation de
la récolte des olives, amandes, et
des fruits pour les confitures. En-
core faut-il adapter arbres et ver-
gers à cette robotisation. p
Laurence Girard
taux d’apposition de cet autocol-
lant « oscille entre 20 % et 30 %
dans huit régions, et est en dessous
de la barre des 10 % dans cinq ré-
gions », selon les résultats diffu-
sés, le 8 juin, par l’Ademe. Cette
dernière relève « une tendance à la
baisse du volume d’imprimés pu-
blicitaires collectés et traités » dans
les poubelles de tri sélectif.
Milee a lancé, début mai, un ma-
gazine gratuit appelé 150 € dans
lequel sont glissés, chaque se-
maine, les catalogues des ensei-
gnes qui ont payé pour y figurer.
Il revendique 6 millions d’abon-
nés inscrits à la fin août, dont plus
de la moitié (55 %) réclame une
version papier, le reste ayant opté
pour une newsletter. Une étude
que l’entreprise avait menée avec
Ipsos en décembre 2022 montrait
que pour 46 % des Français le
prospectus est « un outil néces-
saire à la liste de courses ». La dimi-
nution des tracts en papier ne si-
gnifie pas pour autant l’arrêt des
promotions, mais ouvre la porte,
avec leur numérisation, à la per-
sonnalisation des rabais. p
Cécile Prudhomme
0123
­
­Jeudi 31­ août 2023 Économie & Entreprise | 17

Pertes & profits | Pharmacie

p a r Ph il i ppe E s cande
L’ordonnance
sévère de Joe Biden
« Nous voulons qu’aucun senior
n’ait plus à choisir entre respecter
son ordonnance médicale et rem-
plir son frigo. » La promesse de
Le ralentissement mondial ne
freine pas encore les dividendes
Les 1 200 entreprises les plus importantes du monde ont distribué, au
texte comportait un important
volet sur le prix des médica-
deuxième trimestre, plus de 525 milliards d’euros à leurs actionnaires
ments, qui autorisait Medicare à
en négocier le prix. Ce qu’il ne

Kamala Harris, la vice-présidente
des Etats-Unis, n’est pas un pro-
pos en l’air. Aujourd’hui, près de
9 millions de personnes dans le
pays sont contraintes à ce choix.
L’enjeu est d’en finir avec cette
­situation choquante qui voit
le pays le plus riche du monde
incapable de soigner l’ensemble
de ses citoyens.
Le gouvernement américain
vient de publier la liste de dix
médicaments qui devront faire
l’objet d’une négociation entre
les laboratoires pharmaceuti-
ques et Medicare, le système
d’assurance santé fédéral destiné
aux plus de 65 ans.
Les produits concernés ne sont
pas des petites pilules, mais
des traitements de long terme,
très onéreux et très populaires,
comme l’anticoagulant Equilis
produit par Bristol ou l’antidia-
bétique Jardiance de Lilly. Tous
ensemble, ces médicaments re-
présentent une dépense de près
de 50 milliards de dollars
(46 milliards d’euros) par an pour
Medicare. Son intention est de
réduire de moitié la facture et
d’utiliser ces économies pour
plafonner le reste à charge pour
les patients.
Sanctionner les récalcitrants
C’est un aspect méconnu de la fa-
meuse Inflation Reduction Act,
la loi promulguée en août 2022 et
dont les Européens ont surtout
retenu le volet protectionniste
d’aide aux voitures électriques
« made in USA » ou de subven-
tions aux industries vertes. Le
ENI s’apprête à rembourser
pouvait faire jusqu’à présent.
C’est justement l’angle d’attaque
choisi par les laboratoires qui
tentent de bloquer cette décision
en justice. Ils arguent de l’aspect
anticonstitutionnel de cette ex-
tension des pouvoirs de ce pro-
gramme qui pourra sanctionner
les récalcitrants.
L’enjeu est donc essentiel pour
l’industrie du médicament aux
Etats-Unis et même au-delà.
Si les substances de la liste sont
pour beaucoup en fin de mono-
pole sur les brevets, certaines
sont encore de belles vaches à
lait. L’Equilis représente une re-
cette annuelle de plus de 11 mil-
liards de dollars pour Bristol.
Au-delà, c’est cet alignement
­progressif des Etats-Unis sur les
systèmes de sécurité sociale en
Europe qui fait peur aux indus-
triels. Il remet en cause un mo-
dèle économique rodé et effi-
cace. Le prix de la santé aux
Etats-Unis est très élevé, tant à
l’hôpital que dans les pharma-
cies. Les dépenses totales appro-
chent des 4 000 milliards de
­dollars soit près de 18 % du PIB.
Bien plus que les 12 % observés
en France ou en Allemagne.
Ce surcoût est la manne qui
­finance la recherche du secteur,
y compris pour les industriels
européens. Ce n’est pas le contri-
buable mais le patient qui sub-
ventionne l’excellence de son in-
dustrie pharmaceutique. D’où
l’arbitrage entre le frigo et l’or-
donnance. C’est ce choix de
­société qui est progressivement
remis en question. p
S
i les signes de dégrada-
tion de la conjoncture
économique mondiale
se multiplient, le retour-
nement de tendance n’est pas en-
core à l’ordre du jour pour les di-
videndes payés à leurs actionnai-
res par les entreprises cotées en
Bourse. Au total, les 1 200 entre-
prises les plus importantes du
monde ont distribué 568,1 mil-
liards de dollars, soit plus de
525 milliards d’euros, sur le seul
deuxième ­trimestre, selon
l’étude de la société de gestion
d’actifs Janus Henderson publiée
mercredi 30 août. Un montant
en hausse de 4,9 % sur un an,
hors versements exceptionnels.
Cette croissance encore soute-
nue est, après tout, logique, puis-
que le dividende correspond à
une fraction des bénéfices réali-
sés au cours de l’année précédant
son paiement. Ceux qui sont
payés cette année reflètent donc
la croissance des profits engran-
gés en 2022, lesquels ont atteint
des niveaux historiques, grâce,
entre autres, à la poursuite du re-
bond post-Covid, à l’envolée des
prix de l’énergie et à la remontée
des taux d’intérêt. Ainsi, 88 % des
entreprises ont maintenu ou aug-
menté leurs dividendes sur le tri-
mestre avril-juin.
Grâce à la hausse des taux, qui
soutient les profits des banques,
le secteur financier a été le pre-
mier moteur de cette progres-
sion des dividendes au deuxième
trimestre : à l’échelle mondiale,
les sommes distribuées par les
banques ont bondi de 19,7 %, à
85,3 milliards de dollars, ce qui
constitue un record.
Emblématique, la française BNP
Paribas, avec 4,8 milliards d’euros
de dividendes distribués, re-
trouve la sixième place du classe-
Le secteur
financier a été
le premier
moteur de cette
progression
de 4,9 %
sur un an
ment mondial des principaux
payeurs de dividendes. Les
3,90 euros par action versés le
22 mai assurent aux actionnaires
de la première banque euro-
péenne un rendement de 6,5 % au
cours actuel. Un autre établisse-
ment, le britannique HSBC, a dis-
tribué plus qu’attendu et pourrait
être le premier contributeur à la
croissance mondiale des dividen-
des sur l’ensemble de cette année.
Plus mitigé aux Etats-Unis
« Une conjoncture économique
moins porteuse est généralement
défavorable aux banques, mais la
fin de cette période de taux d’inté-
rêt très bas a un effet positif
très puissant sur les marges des
établissements bancaires », expli-
que Ben Lofthouse, qui est l’un
des responsables de l’étude de Ja-
nus Henderson.
La générosité des banques en-
vers leur actionnariat compense,
en partie, la baisse des dividendes
observée dans le secteur minier,
qui sape la croissance des divi-
dendes au Royaume-Uni (+ 2,9 %).
Outre BNP Paribas, quatre so-
ciétés françaises figurent dans le
top 20 établi par Janus Hender-
son : le groupe pharmaceutique
Sanofi, l’assureur Axa, le groupe
de luxe LVMH et le fournisseur
d’énergie Engie. Grâce, notam-
ment, au bond de 65 % du coupon
de ce dernier, les dividendes ver- Les Chiffres
sés par les sociétés cotées hexa-
gonales ont augmenté de 10,3 %
au total au deuxième trimestre, à
53,9 milliards de dollars. La 1 640 milliards
France représente, à elle seule, C’est, en dollars, soit environ
près de 30 % des sommes distri- 1 508 milliards d’euros,
buées par les sociétés cotées en le montant des dividendes
Europe, hors Royaume-Uni. qui devraient être versés cette
Parmi les autres gagnants des année par les 1 600 plus grandes
derniers mois figurent les ac- entreprises du monde, selon
tionnaires du géant suisse de la la société de gestion d’actifs
logistique Kuehne + Nagel, dont Janus Henderson.
les profits ont été dopés, en 2022,
par la bonne santé du secteur du
transport maritime, autorisant 5%
un bond de 40 % du dividende, et C’est la hausse attendue du
ceux du groupe automobile alle- montant des dividendes versés
mand BMW, qui a distribué une en 2023.
enveloppe en hausse de 42 % sur
un an et plus que doublée par
rapport à son niveau d’avant la 5
pandémie de Covid. C’est le nombre d’entreprises
Au beau fixe en Europe, la ten- françaises parmi le top 20 mon-
dance est plus mitigée de l’autre dial des groupes qui versent
côté de l’Atlantique : les dividen- le plus de dividendes. Il s’agit
des payés par les entreprises amé- de BNP Paribas, de Sanofi,
ricaines (+ 4,6 %) ont décéléré d’Axa, de LVMH et d’Engie.
pour le sixième trimestre d’affi-
lée, une évolution qui s’explique,
entre autres, par le fait qu’ils 4,8 milliards
avaient moins diminué que dans C’est, en euros, le montant
les autres grandes régions du des dividendes distribués
monde durant la pandémie. par BNP Paribas, qui occupe
Sur ces bases, malgré la solidité la sixième place du classement
de la tendance globale, Janus Hen- mondial des principaux payeurs
derson, qui avait revu à la hausse de dividendes.
ses prévisions de dividendes
2023 il y a trois mois, préfère
aujourd’hui se contenter de les
maintenir : alors que se profile
une stagnation des bénéfices des
entreprises, la société table sur
une croissance de 5 % hors excep-
tionnels sur l’ensemble de cette
année, à 1 640 milliards de dollars.
Suffisant, tout de même, pour as-
surer un nouveau record. p
Marc Angrand

50 millions d’euros à ses clients

L e groupe italien ENI, spécialisé dans les hydrocarbures,

vend aussi de l’électricité. Mais, dans le cas présent, son
antenne en France doit plutôt procéder à un rembourse-
ment. Elle s’apprête à verser 50 millions d’euros à quelque
Les aiguilleurs du ciel déposent un préavis de
100 000 clients lésés par « des problèmes de surfacturation », a
annoncé la ministre de la transition énergétique, Agnès Pan-
nier-Runacher, mardi 29 août sur RMC. Soit, en moyenne,
grève en pleine Coupe du monde de rugby
500 euros par personne. Les préjudices sont parfois bien supé-
rieurs, sans même avoir surconsommé durant ces derniers
Le Syndicat national des contrôleurs du trafic aérien appelle à cesser le travail le 15 septembre,
mois. Cet été, l’initiateur d’un collectif de « victimes d’ENI » a té- alors que des centaines de milliers de touristes et de supporteurs sont attendus en France
moigné d’une facture de régularisation de plus de… 9 000 euros.
Les 50 millions d’euros à rembourser aux clients correspon-
dent surtout à des sommes déjà débloquées par l’Etat pour le
fournisseur dans le cadre des « boucliers tarifaires ». Le gouver-
nement a mis en place ce dispositif en pleine crise européenne
des prix de l’énergie, pour atténuer, in fine, la facture des ména-
ges et des très petites entreprises. Problème : ENI ne l’a pas ap-
pliqué dans son intégralité au mo-
L a rentrée du transport aé-
rien promet d’être agitée.
Les aiguilleurs du ciel sont
appelés à cesser le travail le 15 sep-
tembre. Un préavis de grève de
rant laquelle plusieurs centaines
de milliers de touristes et autres
supporteurs sont attendus, dont
la majorité devrait arriver en
France par avion.
même manière, il y a un an, lors-
qu’il négociait déjà un accord sa-
larial et des recrutements.
Cette menace de grève est de na-
ture à inquiéter les compagnies
liers de passagers ou consommer
plus de carburant.
Au printemps, les compagnies
membres de l’association Airli-
nes for Europe avaient manifesté
ment de présenter la note estivale vingt-quatre heures a été déposé, Le SNCTA, qui souligne l’inac- aériennes. Alors que le trafic re- leur irritation contre les grèves à
En France, aux foyers, selon le ministère. « Les lundi 28 août, par le Syndicat na- tion de la DGAC en matière de re- trouve plus vite que prévu ses ni- répétition des contrôleurs aé-
montants reçus au titre des boucliers tional des contrôleurs du trafic valorisation salariale alors veaux de 2019, avant la survenue riens français et appelé la Com-
100 000 clients doivent être reversés aux consomma- aérien (SNCTA), première organi- qu’elle « s’était engagée à tra- de la pandémie de Covid-19, elles mission européenne à intervenir.
du groupe italien teurs », souligne la Commission de sation des aiguilleurs du ciel avec vailler la question pour l’année redoutent un conflit qui vien- En mars, Michael O’Leary, le PDG
régulation de l’énergie (CRE). plus de 60 % des voix, pour des re- 2023 », veut mettre la pression. drait pénaliser leur activité et de la compagnie à bas coûts irlan-
ont été lésés par Le 23 août, à Paris, Agnès Pannier- vendications salariales. L’organisation, auréolée de sa avoir d’importantes conséquen- daise Ryanair, s’était plaint de ne
Runacher a convoqué la direction Le SNCTA demande « le rattra- victoire obtenue lors du long ces financières. pas être autorisé « à récupérer ces
des problèmes française d’ENI – laquelle n’a pas ré- page de l’inflation et la mise en conflit social contre la réforme En effet, la France, de par sa posi- sommes auprès des gens qui pro-
de surfacturation pondu à nos questions. La discussion
s’est tenue en présence de la CRE et
place de négociations annuelles
obligatoires » sur les rémunéra-
des retraites, a de bonnes chan-
ces d’être très suivie.
tion géographique, est le pays le
plus survolé d’Europe. En cas de
voquent ces retards ou annula-
tions, les contrôleurs aériens fran-
d’une autre autorité indépendante, tions. A l’en croire, le recours à la conflit, les compagnies devraient çais, qui bénéficient de l’immunité
le médiateur national de l’énergie. Le même jour, la ministre grève n’est que la conséquence Inquiétude des compagnies annuler et retarder des vols ou de la part de leur gouvernement ».
convoquait aussi les représentants d’Engie (ex-GDF). Car le du « mutisme de la direction gé- Au prix d’une mobilisation de ses contourner l’Hexagone, ce qui si- Une proposition de loi, déjà vo-
principal fournisseur gazier dans le pays commercialise aussi nérale de l’aviation civile troupes à l’occasion de plusieurs gnifierait rembourser des mil- tée par le Sénat et qui doit arriver
de l’électricité, au même titre que tous les concurrents de l’élec- [DGAC] ». Le SNCTA rappelle « que journées de grève, le syndicat à l’Assemblée nationale à
tricien historique, EDF. « Engie applique les boucliers tarifaires à le contrôle aérien français, à l’ins- avait remporté son épreuve de l’automne, voudrait obliger les
toutes ses offres d’énergie », souligne l’entreprise. Là encore, cer- tar de l’ensemble des prestataires force contre la DGAC et le gouver- aiguilleurs du ciel, comme c’est
tains rattrapages de factures ont pourtant été importants. de services européens, est régi par nement. Il avait notamment ob- Le principal déjà le cas pour les autres person-
Le médiateur national de l’énergie fait surtout un reproche des plans de performance euro- tenu le maintien du départ à la re- nels du transport aérien, à préve-
aux dirigeants d’Engie, de même qu’à ceux d’ENI : « Lors de re- péens qui prévoient une compen- traite à l’âge de 59 ans. Outre les
syndicat réclame nir quarante-huit heures à
nouvellements de contrats en 2022, ils n’ont pas informé de façon sation de l’inflation ». Interrogée, contrôleurs aériens, les pilotes « le rattrapage l’avance avant de se mettre en
transparente et compréhensible leurs clients que les prix aug- la DGAC n’a pas souhaité faire ainsi que les personnels navi- grève, ce qui permettrait à l’auto-
mentaient. » Puisque le code de la consommation impose une de commentaire. gants commerciaux avaient eux
de l’inflation et rité de s’organiser pour en mini-
communication claire, Mme Pannier-Runacher a demandé de Ce n’est pas un hasard si ce aussi réussi à conserver, au terme la mise en place miser les conséquences. Faute
vérifier qu’il n’y ait pas eu d’« anomalie » ou « un défaut d’infor- mouvement social intervient de discrètes négociations, leurs d’obtenir satisfaction d’ici au
mation », a-t-elle déclaré sur RMC. Chargé des litiges entre four- juste au retour des grandes va- régimes de retraite particuliers.
de négociations 15 septembre, ce préavis de grève
nisseurs et particuliers, le médiateur suggère par ailleurs de cances d’été. Et au milieu de la Cette fois encore, le syndicat des annuelles pourrait être pour le syndicat une
plafonner la hausse du prix de l’énergie, lorsque celle-ci sur- Coupe du monde de rugby, une aiguilleurs du ciel laisse à ses manière de répétition générale
vient en cours de contrat. p compétition organisée en France autorités de tutelle le temps de
obligatoires » avant les Jeux de Paris 2024. p
Adrien Pécout du 8 septembre au 28 octobre, du- réagir. Le syndicat avait agi de la sur les salaires Guy Dutheil
18 | Management ­
0123
­Jeudi 31­ août 2023

L’intelligence artificielle générative s’attaque Carnet de bureau

Chronique par Anne Rodier

aux ressources humaines Sortir du « surtravail »

Plusieurs outils en cours de lancement montrent des gains de productivité impressionnants dès la rentrée

L S
e recrutement se fera de
manière proactive grâce
à des algorithmes capa-
bles d’identifier les candi-
dats compatibles avant même
qu’ils ne postulent, tant qu’ils se
sont déclarés en veille active ou en
recherche. » Voici l’une des carac-
téristiques du monde du travail
en 2040, tel que l’imagine le
­rapport « IA et RH : le futur du tra-
vail à l’ère des IA génératives ».
Publié en juin par l’agence d’in-
novation RH Tomorrow Theory,
il identifie plus de trente cas
d’usage dans la sphère managé-
riale, « du recrutement à la forma-
tion, en passant par la fidélisation
et la santé mentale ».
Dès aujourd’hui, les directions
d’entreprise planchent sur les ap-
plications concrètes de l’intelli-
gence artificielle (IA) générative,
n’ayant pu rater début 2023 l’ex-
plosion de ChatGPT. Par sa capa-
cité à créer du contenu à partir de
tout ce qui existe déjà sur Inter-
net, cette nouvelle vague enthou-
siasme autant qu’elle effraie, et
des salariés ont déjà pu, dans leur
coin, constater le potentiel de cet
Les chiffres
28 %
C’est la part des entreprises
françaises qui utilisent déjà l’IA
dans le cadre du recrutement,
selon le Baromètre Manpower-
Group des perspectives d’emploi
pour le troisième trimestre 2023.
23 %
C’est la proportion de jeunes
­actifs européens (18-24 ans) qui
ont déjà utilisé l’IA dans le cadre
d’une recherche d’emploi,
d’après une enquête réalisée
en mai par CleverConnect.
outil pour automatiser des tâ-
ches chronophages. Les fonc-
tions RH, déjà habituées à faire
appel à des algorithmes d’IA,
n’échappent pas à ce constat : à
tous les niveaux de leur exper-
tise, de nouveaux outils « généra-
tifs » sont déjà en cours de
­déploiement.
C’est en recrutement qu’ont été
formalisées les applications les
plus concrètes, à commencer par
la rédaction assistée d’offres
d’emploi. C’est ce que proposera
dès septembre à ses clients le
groupe CleverConnect, qui gère
notamment le site d’emploi Me-
teojob. « Cela prend beaucoup de
temps pour les recruteurs de rédi-
ger les offres d’emploi. Ils vont
eux-mêmes surfer sur le Web, ou
alors ils vont prendre une descrip-
tion interne et en faire une offre,
décrit Marko Vujasinovic, cofon-
dateur de CleverConnect. Ici, à
partir d’informations sur l’entre-
prise et la description de poste en
interne, notre outil rédige une of-
fre d’emploi qui leur correspond. »
Enthousiaste, il met en avant
les résultats de la phase de test :
« Il y a 28 % de candidatures en
plus sur les offres générées par IA
en moyenne, et les recruteurs
­observent un gain de productivité
­de 70 %. »
Confidentialité des données
La start-up Golden Bees, qui ac-
compagne des entreprises dans
leur « marque employeur », a dé-
voilé un outil similaire, Golden-
Job. « Le recruteur indique le mé-
tier, le profil et les compétences re-
cherchés, s’il veut que l’offre soit
conviviale, formelle… Et il obtient
une proposition d’annonce, qu’il
peut bien sûr modifier, décrit Da-
niel Morais, directeur général dé-
légué. On aura aussi des intona-
tions différentes selon le site où l’of-
fre sera hébergée : vous n’aurez pas
le même ton sur LinkedIn, Pôle em-
ploi ou Welcome to the Jungle. »
Les entreprises
préféreront-elles
licencier des RH,
ou réinvestir
le temps gagné
pour mieux
travailler ?
Le groupe Adecco, confronté à la
pénurie de main-d’œuvre, a sauté
sur l’occasion, et teste jusqu’en
septembre la solution de Golden
Bees : « L’outil est très apprécié, il va
nous permettre de faire gagner du
temps à nos consultants, d’harmo-
niser nos offres au niveau groupe,
et d’optimiser l’attractivité de nos
offres, considère Myriam Besnet,
chef de projet innovation du
groupe d’intérim. L’offre d’emploi
est cruciale, c’est le premier point
de contact avec le candidat, elle
doit lui permettre de se projeter
concrètement. »
Dans leurs tâches du quotidien,
nombre d’optimisations sont
également envisageables pour
les équipes des ressources hu-
maines, même si les outils ne
sont pas toujours « prêts à
­l’emploi », notamment pour des
raisons de confidentialité des
données : sonder en temps réel
les salariés et en obtenir des
comptes rendus clairs, mettre en
place des robots conversation-
nels pour répondre à leurs ques-
tions du quotidien, ou encore
structurer des programmes de
formation.
« L’IA peut aider les RH à voir les
tendances du marché et les com-
parer aux compétences des sala-
riés. Elle va, par exemple, repérer
des commerciaux qui pourraient
s’améliorer sur la clôture de leurs
contrats », détaille Julie Asselin,
responsable du marketing de
l’éditeur de logiciels 365Talents,
qui développe de nouvelles fonc-
tionnalités d’IA générative.
« L’IA peut aussi générer du
­contenu d’autopréparation d’en-
tretien annuel : attention, on ne
veut pas que l’entretien annuel se
remplisse tout seul, on veut juste-
ment que la qualité de ce genre de
moment puisse être meilleure »,
estime David Guillocheau, direc-
teur général de Zest, qui produit
des logiciels RH.
Il vante aussi la capacité de l’IA
générative à « stimuler la déci-
sion ». « L’IA peut conseiller, alerter
les RH et manageurs : identifier les
signes avant-coureurs d’un dé-
part, des objectifs non atteints.
Nous avons déterminé que 100 %
des cinq familles d’activité d’un
manageur de proximité (réunions,
communication, prise de décision,
développement de son équipe, ad-
ministratif) sont impactées par
l’IA générative, ce qui générera
40 % de gain de temps. »
Devant cette productivité ac-
crue, tous les acteurs du secteur
voient poindre le même risque…
ou la même opportunité : les
­entreprises préféreront-elles li-
cencier des RH, ou réinvestir le
temps gagné pour mieux tra-
vailler ? Le rapport de Tomorrow
Theory exige une transformation
profonde du secteur RH, du fait
de ces changements… Puisqu’il
prédit la disparition pure et sim-
ple, d’ici quelques années, des
métiers de responsable adminis-
tratif RH, recruteur ou encore
gestionnaire de paie.
De son côté, Julie Asselin en est
convaincue : « Les RH pourront
fournir un travail de meilleure
qualité, la fin de ces tâches répéti-
tives leur permettra de faire plus
d’entretiens, de mieux accompa-
gner les manageurs et les sala-
riés. » Les accompagneront-ils à
accepter à leur tour l’irruption de
l’IA générative dans leur cœur de
métier ? p
Jules Thomas
ynonyme de journée à rallonge pour les actifs concer-
nés, le « surtravail » est la quantité de travail fournie au-
delà du temps rémunéré. Notion marxiste pour cer-
tains, source de gains de productivité pour d’autres, du
point de vue de Julie qui arrive rarement à décrocher avant
20 heures, ou de Maxime qui commence à perdre de vue ses
amis, sa famille et bientôt sa santé, c’est une mauvaise habi-
tude dont il faut vite qu’ils se débarrassent. Etre « stressé »,
« surbooké », ne devrait jamais avoir les accents glamour que
cela prend parfois dans les dîners en ville.
Par passion de la programmation en jeu vidéo, surengage-
ment dans sa mission ou compensation d’un manque d’effec-
tif chronique à l’hôpital, l’hyperactivité professionnelle est en
effet plus souvent valorisée que stigmatisée, comme le remar-
que le sociologue Marc Loriol, dans son dernier essai, L’Addic-
tion au travail. De la pathologie individuelle à la gestion collec-
tive de l’engagement (Ed. Le Manuscrit, 168 pages, 14,50 euros).
Et ils sont nombreux ces actifs qui font bien au-delà du temps
de travail pour lequel ils sont payés.
En France, plus de 10 % de la population active a travaillé
quarante-neuf heures ou plus par semaine en 2022, indique
Eurostat. En Europe, seules la Grèce et l’Is-
lande ont fait davantage. Des statistiques
les statistiques qui sont loin des préjugés fustigeant des
sont loin Français fainéants qui voudraient en faire
le moins possible. Le « travailler plus »,
des préjugés payé ou non, s’est banalisé. La Dares con-
firme le diagnostic. Au 1er trimestre, le
fustigeant nombre moyen d’heures supplémentaires
par salarié à temps complet est en hausse
des Français de 1,8 % sur un an, à 16,8 heures.
fainéants La part des salariés concernée a aussi
augmenté, désormais à 32 % de salariés
(hors forfait jours) ayant effectué des heures supplémentai-
res en moyenne chaque mois en 2022. Et les cadres sont aussi
dans la cible du surtravail. En moyenne, les cadres à temps
complet travaillent 42,4 heures par semaine, note l’Insee
dans l’étude sur l’« Emploi, chômage, revenus du travail » pu-
bliée le 29 juin. Le capitalisme franchirait-il un nouveau cap ?
Rien n’est moins sûr ; Paul Lafargue (1842-1911) dénonçait déjà
en 1880 la « passion moribonde du travail, poussée jusqu’à
l’épuisement » (Le Droit à la paresse).
Est-ce un problème d’organisation au sein des entreprises ?
« Il semblerait que nous dépensions une partie de notre temps
pour rien », écrit Olivier Tirmarche dans Le Nouvel Horizon de
la productivité. En finir avec le surtravail (Odile ­Jacob, 2020). Il
estime que nous nous sommes laissés envahir par des tâches
d’organisation et de contrôle parasites, qui ne créent aucune va-
leur. Marc Loriol souligne aussi l’importance de soigner l’orga-
nisation, mais pour distinguer « surcharge réelle de travail » et
« surtravail », comprendre les « différentes formes de surengage-
ment ou de surtravail, quelles qu’en soient les causes », et éviter
une dérive pathologique du rapport au travail. Julie et Maxime
devraient déjà programmer leurs prochains congés. p

Avis d’expert | Entreprises Après le congé maternité

Faut-il refonder l’entreprise de presse ?

L I
a longue grève des journalistes du Journal
du dimanche n’a pas fait plier la direction
de l’entreprise. Pourtant, de nombreux
observateurs et acteurs publics avaient soutenu
leur lutte contre la nomination d’un directeur
de la rédaction dont ils rejettent les valeurs.
Cette décision heurtait aussi la conception du
journaliste comme un professionnel attaché à
la liberté d’investigation et au traitement rigou-
reux de l’information, qualités dont l’absence
dans les réseaux sociaux est si dénoncée.
Reste que du point de vue du droit – et au-delà
des couleurs politiques des protagonistes –, rien
n’empêche une telle décision ! D’où le retour
d’un projet ancien : celui d’une entreprise de
presse plus respectueuse de ses journalistes.
Sauf qu’aujourd’hui la réforme du droit de l’en-
treprise lui offre de nouvelles pistes. Le droit de
la presse a été avant tout fondé sur la liberté.
­Liberté de l’entrepreneur qui peut créer une so-
ciété de presse à sa guise. Liberté pour chacun
d’exercer une activité de journaliste comme pi-
giste ou salarié de ces sociétés. Les législations
qui ont suivi n’ont pas dérogé à ce principe. Elles
ont voulu protéger le public en garantissant la
transparence des actionnaires et des responsa-
bles de la publication ; en limitant l’emprise d’un
seul financier ou celle des étrangers.
Le métier de journaliste n’exige ni diplôme ni
carte de presse. Et malgré son utilité (accrédita-
tions, protections…), celle-ci n’est détenue que
par une minorité de journalistes. Certes, une ins-
tance nationale valide le statut d’entreprise de
presse ou celui de journaliste professionnel et
des chartes déontologiques encadrent les droits
et les devoirs de la presse. Mais le code du travail
ne modifie qu’à la marge le statut salarial du
journaliste et ne lui donne aucun droit de regard
sur la direction de l’entreprise de presse (Journa-
listes, des salariés comme les autres ? Représenter,
participer, mobiliser, de Camille Dupuy, Presses
universitaires de Rennes, 2016).
Cette situation a suscité la multiplication des l y a Anaïs, cadre dans le sud grossesse ou de sa maternité, se-
sociétés de journalistes qui portent la voix de la de la France, qui se souvient lon un baromètre du Défenseur
rédaction, mais sans légitimité institutionnelle. d’une manageuse qui « [l’]a des droits (2020). Enfin, plus
Ou le recours à des montages juridiques, à l’ins- fait beaucoup culpabiliser d’une femme sur six s’est sentie
tar des quotidiens Libération et Le Monde, où les d’être enceinte ». Il y a aussi Anne- mise à l’écart par son manageur à
journalistes détiennent une part de la société Laure, « visual merchandiser », son retour (étude du CSEP
détentrice du média. Le droit a aussi instauré qui a « été écartée de certains pro- de 2019). Ainsi, dans de nombreu-
une « société solidaire de presse d’informa- jets » à son retour de congé. Quant ses entreprises, la maternité est
tion », qui ne peut être détenue que par ses col- à Carole, assistante comptable, perçue comme un facteur de dés-
laborateurs. Mais il s’agit de solutions ad hoc elle a dû s’adapter, sans accompa- tabilisation interne, et la nouvelle
qui soulignent par contraste qu’une entreprise gnement circonstancié, à un nou- mère jugée, a priori, moins per- La Reprise. Le tabou de
de presse reste une entreprise… vel environnement de travail, lors formante. la condition des femmes
Or, depuis la loi Pacte (Plan d’action pour la de sa reprise : son entreprise avait après un congé maternité
croissance et la transformation des entreprises) considérablement évolué en son Double peine de Thi Nhu An Pham,
de 2019, une réforme im- absence, son poste aussi. « Il y En mettant en lumière la com- Payot, 304 pages, 18 euros
portante de l’entreprise avait une pression, des attentes plexité des reprises après un
a été inscrite dans le
Le code énormes. Les mois passant, j’avais congé maternité, Mme Pham a
droit. Elle permet d’ins- du travail du mal à trouver ma place. » voulu briser un tabou. Elle pour- certains cas, être un point de bas-
crire dans les statuts des Au fil des pages de l’ouvrage de suit ainsi le travail entrepris avec cule dramatique « vers une dépen-
sociétés des missions ne modifie qu’à Thi Nhu An Pham, La Reprise son podcast « La Reprise », lancé dance financière, à son ou sa con-
particulières vis-à-vis (Payot, 304 pages, 18 euros), les té- en 2021. Quelques mois aupara- jointe et/ou son employeur, voire
des parties prenantes so-
la marge le moignages, souvent saisissants, se vant, alors en congé maternité, une précarisation économique,
ciales et environnemen- statut salarial succèdent, évoquant les difficultés elle avait subi un licenciement avec toutes les conséquences que
tales. Missions opposa- rencontrées par des femmes sur le économique. Son ouvrage, réso- cela implique sur leur vulnérabilité
bles et soumises à un du journaliste plan professionnel pendant et lument féministe, veut donner de aux violences au sein du foyer ou
double contrôle interne après leur grossesse. Il est ques- la visibilité aux souffrances des au travail, comme sur leurs trajec-
et externe (par un auditeur indépendant). tion de critiques quant à une sup- mères et de contribuer ainsi à les toires professionnelles et leurs re-
On peut ainsi envisager que toute entreprise posée baisse de motivation, de dis- sortir de l’isolement dans lequel traites, ensuite ».
de presse soit nécessairement une « société à criminations, de mises au placard. elles peuvent se trouver. Comment, dès lors, faire évoluer
mission », dont les missions comportent impé- Des phénomènes qui n’ont rien De fait, le sujet apparaît comme la condition des mères ? D’abord
rativement, par exemple, le respect de la charte de marginaux, selon les rares sta- un « impensé sur les lieux de tra- par une prise de conscience, à la-
des journalistes professionnels et les décisions tistiques sur le sujet, compilées vail et à l’échelle de la société ». quelle Mme Pham espère contri-
éditoriales qui doivent recevoir l’agrément de la par l’autrice. Une étude du Conseil C’est par conséquent la double buer grâce à son ouvrage.
société des journalistes. S’ouvre ainsi un champ supérieur de l’égalité profession- peine pour les femmes qui doi- Mais c’est avant tout avec l’appui
des possibles qui mérite un large débat démo- nelle entre les femmes et les hom- vent affronter de nombreuses du législateur que des change-
cratique. Tout en respectant la liberté de la mes (CSEP) de 2018 indique que problématiques (fatigue physi- ments interviendront, reconnaît-
presse, on y gagnerait une meilleure adéqua- 80 % des femmes ont entendu sur que et mentale, cumul des impé- elle. L’autrice appelle en particulier
tion entre l’entreprise de presse et les valeurs leur lieu de travail des remarques ratifs professionnels et person- à une « réforme ambitieuse des
du journalisme. p sexistes liées à la maternité. nels…), tout en ne bénéficiant congés parentaux », avec la mise
De même, une femme victime souvent ni d’un accompagne- en place de congés maternité et
Armand Hatchuel est professeur à MinesParis, de discrimination au travail sur ment ni d’une écoute. Pire, souli- paternité de même durée. p
université PSL. quatre l’a été en raison d’une gne l’autrice, la reprise peut, en François Desnoyers
0123
­
­Jeudi 31­ août 2023
Le 24 mars 2022, quatre membres d’une famille française sont morts après
avoir sauté de leur appartement de Montreux, sur les bords du lac Léman.
« Un suicide collectif », a conclu la police suisse. Dans « Ne réveille pas
les enfants », qui paraît aux Editions du sous-sol le 1er septembre, Ariane
Chemin, grande reporter au « Monde », explore les origines de ce drame
On voit les corps tomber,
mais on ne voit pas le
balcon ni le point de départ
L
pour guetter toute tentative d’intrusion,
quelqu’un qui voudrait filer avec le jackpot.
Posée près du dais de l’entrée, elle scrute
jour après jour les deux rangées de
­palmiers de la rue Stravinsky – à gauche
l’Adam’s Café, « best pub in Town », plus
haut le coiffeur, à droite la pharmacie et
l’horloger qui fait l’angle – une institution,
la bijouterie où acheter ses montres Patek.
La caméra de surveillance a un regard fixe :
elle ne lève jamais les yeux au ciel. « On voit
les corps tomber, mais on ne voit pas le
­balcon ni le point de départ, me précise le
commissaire. Nous ne savons rien du saut,
mais tout des chutes. » La caméra a permis
de conclure, vu le laps de temps écoulé
­entre chaque plongeon, que le saut n’était
pas groupé. Y a-t-il eu des ordres et des
­consignes donnés par l’un des adultes ?
­Impossible de savoir. Peut-être des mots
murmurés, des regards et alors un autre
­silence dans le silence, un mystère plus
épais encore ? (…) Cinq jours après le drame,
la police cantonale vaudoise pouvait indi-
quer que « la piste du suicide collectif était
a sœur jumelle [Narjisse Feraoun-Gama, privilégiée » – terme retenu un an plus tard,
40 ans, chirurgienne-ophtalmologue]. lors de la préclôture du dossier, en
Puis la mère [Nasrine Feraoun-David, chi- mars 2023. (…) « Aucun signe avant-coureur
rurgienne-dentiste]. d’un tel passage à l’acte » n’avait été décelé,
Puis la petite fille de 8 ans. assurent alors les enquêteurs, qui ajoutent
Puis le fils adolescent. en guise d’explication : « Depuis le début de
Et enfin le père [Eric David, 40 ans, ingé- la pandémie, la famille était très ­intéressée
nieur du corps des Mines]. par les thèses complotistes et survivalistes. »
Le jour venait de se lever sur le Léman (…)
quand les cinq membres de la famille « J’admire ma sœur », confie la dentiste
­David-Feraoun ont sauté dans le vide, les Nasrine David à l’un de ses patients croisés
uns après les autres [seul l’adolescent a sur- devant le Monoprix de la place centrale de
vécu]. Il était environ 6 h 45 du matin. Ce fut Vernon [où sa famille s’était installée
comme une pluie de corps depuis le sep- en 2008], tandis que Narjisse fait quelques
tième étage de l’immeuble. Cinq longues courses. « Nous sommes fusionnelles. »
minutes, avec parfois soixante secondes Autant la nouvelle praticienne de l’Eure
entre chaque saut. A cette heure matinale, tient le reste de sa famille à distance, autant
Montreux paresse et personne n’a rien vu. le lien quotidien avec sa jumelle s’est ren-
Les seuls témoins, un passant retraité, une forcé. Il n’y a de place pour personne d’autre
voisine psychothérapeute, n’ont fait qu’en- dans sa vie, hormis son fils et son mari Eric,
tendre le son des corps sur le bitume de la qui semble si épris.
rue Igor-Stra- (…)
vinsky. C’est là [Fin 2012] les David ont quitté Vernon sans
que donnent les crier gare, du jour au lendemain, comme si
balcons en forme le Conseil national de l’ordre [des chi­-
de trapèzes in- rurgiens-dentistes] allait les jeter en prison.
Le jour venait curvés du 35, ave- Comme si des hordes de patients pouvaient
nue du Casino, encercler leur maison, comme si des
de se lever sur comme des va- ­créanciers s’apprêtaient à leur réclamer de
le Léman quand gues déferlant rembourser leurs emprunts sur-le-champ,
sur sept étages, comme si un danger les menaçait, derrière
les cinq membres afin que chacun les collines de Vernonnet. « Ils n’ont pas
puisse profiter de même pris un camion de déménagement,
de la famille la vue sur le lac tout s’est fait en voiture », dit la voisine de
David-Feraoun s’étalant à cent la rue Paul-Doumer. Leur maison est mise
mètres. en vente 300 000 euros, quasiment son
ont sauté dans Un détail les a prix d’achat.
frappés. Les pro- Le charmant cabinet médical est aussi
le vide, les uns cès-verbaux des ­proposé aux agences immobilières de Ver-
après les autres rares témoins
auditifs sont for-
non. Un ostéopathe parisien soucieux de se
mettre au vert se montre vivement inté-
mels, et le procu- ressé. Il doit patienter un moment : Eric et
reur, pourtant Nasrine David guettent en effet le feu vert
peu bavard, a de leurs créanciers, car, comme pour l’autre
tenu à souligner maison, ils sont liés à leurs emprunts. Trois
cette information « saisissante » : les chutes ans après leur départ précipité, le bien est
n’ont été accompagnées d’aucun cri. Les ­finalement négocié à trois quarts de son
corps ont plongé sans une plainte, sans un prix initial dans une étude notariale ver-
appel au secours. Rien d’autre que le bruit saillaise où le chef de famille se rend seul,
de cinq corps tombés, vingt-cinq mètres muni de la procuration de sa femme.
plus bas, sur l’artère en pente douce plantée « Tout était resté en l’état dans le cabinet,
de huit palmiers. Sans que personne ne voie me raconte l’ostéopathe de Vernon en
rien. Une caméra veillait, cependant. ­sirotant un whisky glaçons dans l’ancienne
« Aujour­d’hui, tout commence par des camé- salle d’attente devenue un coquet salon.
ras de surveillance, me glisse plus tard Jean- Un départ à la cloche de bois, comme si on
Christophe Sauterel, le porte-parole de la leur avait dit : “Vous avez trois heures”. »
police cantonale vaudoise. De nos jours, tou- La fuite de Vernon. A l’étage, des ballons et
tes les enquêtes démarrent par là. » des jeux d’enfants. Au rez-de-chaussée,
(…) abandonnés, le fauteuil de dentiste, « le ma-
Une seule a enregistré la scène : celle du tériel médical, la poudre pour les pan­-
casino, installée par le Groupe Barrière sements dentaires », détaille depuis son ca-
Bonnes feuilles | 19
napé moelleux le ­ « repreneur » de Vernon.
« Elle avait même laissé deux cents mâchoi-
res sur les étagères ! »
C’est sur cette évocation d’une forêt
­d’incisives et de molaires que je me décide
à quitter la compagnie de mon hôte. Je ne
veux pas rater le dernier train pour Paris-
Saint-Lazare. J’avale le fond de mon verre et
lève les yeux vers une lithographie d’un
­tableau de Monet – La Tamise à Charing-
Cross. L’ostéopathe suit mon regard tout à
coup fixé sur un drôle d’œilleton blanc
dans un coin du plafond. Il devance ma
question :
« Mme Feraoun a aussi laissé des caméras de
surveillance. Du “Verisure”. Trois dedans, une
dehors. »
(…)
[Le 15 mars 1962, six professeurs sont assas-
sinés au centre social de Château-Royal, près
d’Alger, par l’Organisation de l’armée secrète
(OAS) en début de matinée. La victime la plus
connue s’appelle Mouloud Feraoun, écrivain
et futur grand-père des sœurs jumelles.]
J’ai pris rendez-vous dans un café avec
Jean-Philippe Ould Aoudia. Ce médecin a
passé trente ans à essayer de faire la lumière
sur le massacre du 15 mars 1962 – la mort de
son père, celle de [Mouloud] Feraoun, de
quatre autres inspecteurs de l’éducation na-
tionale –, et c’est honteuse que je dois
avouer à ce monsieur de 82 ans venu me re-
joindre à l’autre bout de Paris que je suis
moins là pour lui parler de Château-Royal
que du drame de Montreux. J’entends ma
voix mal assurée se perdre dans des tas de
circonvolutions. « Je vous explique ce qui
m’amène, ce que je cherche exactement, les
questions que je me pose, comment vous
pourriez m’aider… » Jean-Philippe Ould Aou-
dia n’a pas la réputation d’un homme facile
(…). Il a la critique rosse et aime la précision.
Je me lance et décide d’aller au but. « Vous
avez le droit de vous lever et de quitter la ta-
ble si vous trouvez mes questions et mon in-
tention indécentes. » Et j’évoque le « suicide
collectif » du 24 mars 2022.
Un long silence s’installe à la table du
­bistrot. Je guette chaque tressaillement de
son visage un brin sévère. Et puis, tout à
coup, il lâche cette phrase, onze mots qui
tissent un fil invisible entre lui, le valeu-
reux fils de Salah, l’innocent fusillé, et elles,
les deux jumelles du balcon de Montreux,
les petites-filles de Mouloud Feraoun : « Le
15 mars 1962 a fait six victimes et vingt
­orphelins. »
(…)
« C’est une drôle d’entreprise dans laquelle
vous vous lancez là, me dit Jean-Philippe
Ould Aoudia en évoquant mon enquête sur
Montreux. Je connais la solitude et les abî-
mes de la recherche. Moi-même je m’y suis
frotté : le massacre de Château-Royal, j’étais
seul face à une énigme. » Quelques investiga-
tions ont été lancées après le meurtre col-
lectif du 15 mars 1962. Mais dans les archives
déposées à Pierrefitte, l’enquête se limite à
quelques dépositions, juste quelques pages
volantes. Rien de plus. Personne n’a été
­inculpé pour avoir assassiné Marchand,
Aoudia, Feraoun, Eymard, Basset et Ham-
moutène. Le chef du commando, Roger
­Degueldre, a été condamné à mort par la
cour militaire de justice le 20 juin 1962 et
exécuté au Fort d’Ivry, pour onze chefs
­d’accusation. Mais le crime de Château-
Royal n’y figure pas, alors que la police
­connaissait son ­implication.
(…)
Dans ce récit, je bute sans cesse sur de pe-
tits cailloux blancs, des « coïncidences exa-
gérées », pour reprendre le titre d’un roman.
A moins d’être malhonnête, le journaliste
ne peut pas en faire grand-chose : ces corres-
pondances, ces dates, ces numéros de rue
Ne réveille pas
les enfants
d’Ariane Chemin
Editions du sous-sol,
128 pages, 18,50 euros
ne signifient rien. J’ignore si les petites-filles
de Mouloud Feraoun savaient que leur trot-
toir avait été foulé par d’anciennes figures
de la Résistance algérienne. Peut-être même
auraient-elles détesté cet entrechoquement
des mémoires, elles qui ne parlaient jamais,
ou si rarement, du pays où étaient nés leurs
parents.
(…)
J’ai lu quantité d’articles et de revues
scientifiques sur ce trouble psychiatrique si
particulier qu’est la paranoïa, faite de « mé-
fiance excessive et irrationnelle envers les
autres » et d’« idées délirantes de persécution
ou de complot », entraînant un « comporte-
ment étrange ou inhabituel » et obligeant
ceux qui en souffrent « à interpréter les ac-
tions ou les intentions des autres comme
étant délibérément menaçantes ou mal-
veillantes », provoquant parfois des colères,
isolant un peu plus les malades du reste de
la société. J’ai besoin de savoir comment
cette maladie peut puiser loin, très loin,
dans une généalogie.
« Vous avez entendu parler des TSPT, les
troubles du stress post-traumatiques ? me ré-
pond le docteur Amine Benyamina [psy-
chiatre à l’hôpital Paul-Brousse de Villejuif].
Par exemple, les gens qui ont vécu les atten-
tats du Bataclan en 2015 sont sensibles à la
moindre explosion, au moindre événement.
Mouloud Feraoun a vécu la peur de manière
réelle, objective. Mais cette angoisse a pu
faire écho chez les générations suivantes. Il a
pu creuser malgré lui le lit d’une décompen-
sation pour une partie de sa descendance. »
J’interromps son exposé. « Vous voulez dire
que le danger au milieu duquel Mouloud
­Feraoun a vécu, ces menaces de sang et de
mort dans lesquelles il évoluait, ont pu irri-
guer et créer, deux générations plus tard, un
état traumatique ? »
(…)
Je suis assise face au commissaire Jean-
Christophe Sauterel, à Lausanne, et j’ai l’im-
pression étrange d’entendre l’exposé d’un
biographe. « On ne sait pas tout. On ne saura
pas tout. On ne pourra pas tout savoir. Il y a
une partie de cette histoire et de cette journée
pour laquelle on n’aura pas de réponse. Il
faut juste admettre que dans ce genre de
­situations, il y a des secrets qu’on ne connaît
jamais. L’être humain n’aime pas ne pas sa-
voir, mais voilà. Il y a des choses qui appar-
tiennent à cette famille. »
Quoi qu’elle en dise, la police vaudoise a
été d’une discrétion étonnante dans cette
affaire, cadenassant le dossier de toute part.
(…) Le porte-parole de la police vaudoise ne
veut pas plonger dans cette histoire franco-
algérienne. Je le devine agacé quoiqu’il
­contrôle son humeur. « En Suisse, nous ne
déroulons pas le pedigree des victimes et
nous n’entrons pas dans la vie privée. Nous
sommes là pour faire du pénal : nous devions
la vérité sur la mort de ces quatre personnes
à leur famille. Y a-t-il eu infraction ? Nous
avons montré que personne n’avait pu entrer
dans l’appartement et pousser ses occupants.
Est-ce que l’histoire familiale de ces gens ap-
porte des éléments objectifs à la recherche
d’une responsabilité devant la loi ? Non. Le
reste ne nous regarde plus. Nous ne sommes
pas là pour faire de la psychologie ou de la
sociologie. A chacun son métier. Pour nous,
l’enquête s’arrête là. »
Une collègue des jumelles avait évoqué
devant moi le goût de l’écriture de Nasrine
Feraoun. J’ai voulu me promener dans ce
monde méconnu de l’auto-édition. Je n’ai
pas eu à naviguer très longtemps pour trou-
ver la trace d’une dentiste française qui
s’évadait dans les livres et publiait de longue
date des romans de science-fiction à deux
voix et à la première personne. p
Ariane Chemin
 Culture
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20 | ­
­Jeudi 31­ août 2023

Le British Museum dans la tourmente

La démission, le 25 août, de son directeur, Hartwig Fischer, met en lumière les fragilités du musée londonien

Enquête

N
ous ne sommes pas
seulement un musée
pour le monde. Nous
sommes un musée
dans le monde et du monde : un
musée qui parle de notre huma-
nité commune, plastronne le
­dernier rapport d’activité du
­British Museum, publié mardi
11 juillet. Nos conservateurs ont
protégé le patrimoine ukrainien,
nos restaurateurs ont reconstitué
d’anciens récipients en verre après
l’horrible explosion de Beyrouth. »
Le panégyrique omet l’épineux
problème qui embarrasse pour-
tant depuis un an le musée londo-
nien : Peter Higgs, conservateur
en chef des antiquités grecques et
romaines, est suspecté d’avoir
volé depuis deux décennies près
de 2 000 objets d’archéologie (sur
les 8 millions inventoriés), princi-
palement des petits bijoux et des
pierres semi-précieuses, qu’il
aurait écoulés ensuite sur la plate-
forme eBay pour des ­sommes
parfois dérisoires. Une tache dans
la réputation de la vénérable ins-
titution et du site de vente qui,
en 2006, avaient mis en place une
équipe chargée de ­contrôler les
enchères en ligne pour éviter les
ventes illégales d’antiquités bri-
tanniques.

Levée de fonds compromise

Selon les quotidiens britanniques
The Times et The Daily Telegraph,
qui ont découvert le pot aux roses
mi-août, un marchand danois, It-
tai Gradel, avait sonné l’alerte
voilà deux ans. Dans un premier
courrier, adressé le ­28 février 2021
au musée, que Le Monde a pu
­consulter, il signalait, photo à
l’appui, qu’une intaille, alors ap-
parue sur le marché, provenait
des col­lections du musée. En re-
coupant les sources, Ittai ­Gradel
s’était rendu compte qu’il avait
lui-même acheté 70 bijoux de-
puis 2016 auprès du même ven-
deur sur eBay, un ­certain Paul
Higgins, résident de Hastings,
dans le sud de l’Angleterre. En
fouillant, le marchand découvre
que le nom lié à son compte
­PayPal est, en réalité, ­Peter Higgs.
« Ce qui est inquiétant, écrit alors
Gradel au ­British ­Museum, c’est
Fragments connus sous le nom de « marbres d’Elgin » au British Museum, le 24 août 2022, à Londres. MIKE KEMP/IN PICTURES VIA GETTY IMAGES
qu’il a ­vraiment vendu les ­objets
pour des prix dérisoires. Cela me
fait craindre que ce ne soit que le
­sommet de l’iceberg… »
Durant des mois, et malgré
­plusieurs relances, le musée
­londonien ignore ses avertisse-
ments et offre même une promo-
tion à ­Peter Higgs, avant de le li-
cencier discrètement en juillet.
Certaines pièces ont déjà été récu-
pérées, a annoncé George
­Osborne, président du British
Museum, à la BBC, et une enquête
indépendante a été lancée pour
clarifier les ­dysfonctionnements
internes. « Dans la moindre bouti-
que, il y a des caméras partout.
Est-ce à dire qu’on peut plus facile-
ment voler des bijoux dans les ré-
serves du ­British Museum qu’un
paquet de cigarettes dans un
­tabac ? », s’étonne Ittai Gradel,
joint par ­téléphone.
L’affaire compromet la campa-
gne de levée de fonds du musée
pour financer son grand projet
­visant à restaurer le bâtiment et à
réaménager de fond en comble le
­parcours des collections, chiffré
par The Art Newspaper à plus de
­1 milliard d’euros. Le scandale est
tel que son directeur, l’Allemand
Hartwig Fischer, en poste depuis
2016, n’a eu d’autre choix que de
présenter sa démission, vendredi
25 août, reconnaissant, dans un
communiqué, que son musée
« n’a pas réagi comme il aurait dû
aux avertissements de 2021 et au
problème désormais totalement
visible ». Contacté, ce dernier n’a
pas souhaité répondre aux
­questions du Monde.
Les professionnels le concèdent,
il est facile de subtiliser les objets
minuscules, inventoriés sous
forme de lot et non individuelle-
ment. Aucun musée n’est à l’abri
de méfaits. En France, des milliers
d’œuvres se sont ainsi volatilisées
à l’Elysée, dans les ministères ou
les ambassades. « Mais, à cette
échelle, c’est du jamais-vu ! »,
­confie au Monde l’archéologue
Christos Tsirogiannis, qui dirige
un groupe de travail sur le trafic il-
licite d’antiquités à l’Unesco.
Connu pour avoir résolu une tren-
taine d’affaires de vol, Arthur
Brand tient le registre des grandes
affaires. « Il y a bien eu des milliers
de vols dans les musées en
­Ouzbékistan, dont on a appris
l’existence en 2022, réagit à Ams-
terdam ce détective privé aguerri.
Mais, dans un musée occidental,
franchement, c’est une première. »
Fondé en 1753, à l’âge des Lumiè-
arrachent des cris admiratifs aux
enfants. Avec 4,5 millions de visi-
teurs en 2022, il caracole dans le
palmarès des institutions les plus
visitées en Europe. « Le British
Museum, c’était un label en or,
soupire David Gill, spécialiste de
la Grèce antique et professeur ho-
noraire à l’université du Kent. On
vantait sa manière de cataloguer,
son site Internet, sa médiation. Le
monde entier l’enviait. »
Le pilier de l’establishment
­britannique craque désormais
de partout. La pluie s’invite dans
le bâtiment néoclassique datant
du XIXe siècle. Et les critiques
pleuvent aussi. A commencer
par celles des employés, dont
une centaine (sur mille collabo-
rateurs) s’étaient mis en grève,
en février, pour obtenir des
­hausses de salaire.
Demandes de restitution
Les militants antiracistes fusti-
gent son manque de diversité – à
peine un Noir parmi la centaine
de conservateurs que compte le
musée. Les activistes écologistes
l’ont forcé, en juin, à couper le
­cordon avec le géant des énergies
fossiles, BP, qui le finançait
­depuis près de trente ans. Quant à
son credo universaliste, il se
­fissure sous le coup des deman-
des de restitution. « C’est une ins-
titution physiquement et psychi-
quement à bout de souffle, qui doit
se réinventer », résume l’histo-
rienne Bénédicte Savoy, autrice
en 2018 avec Felwine Sarr du
­rapport sur la restitution du
­patrimoine culturel africain.
Profitant de l’onde de choc du
vol, la ministre de la culture
­grecque, Lina Mendoni, a exigé à
nouveau le retour des frises du
Parthénon, emportées en 1802 par
le diplomate britannique Lord
­Elgin. Le Nigeria, qui réclame 900
bronzes du Bénin, pillés lors d’un
raid punitif des troupes britanni-
ques en 1897 et dont à peine une
« Plus grand
entrepôt d’objets
volés au monde,
il se mure
dans le secret,
l’autoritarisme, et
refuse de rendre
des comptes »
Paul Boateng
ancien député travailliste
s­ eraient pas en sécurité au Nigeria
sont eux-mêmes victimes de vols »,
a ironisé Abba Isa Tijani, directeur
de la Commission nationale des
musées et monuments du
­Nigeria, interrogé par Sky News.
Le British Museum a toujours
rejeté les demandes, au prétexte
que ses collections sont inaliéna-
bles. Une loi de 1963, rédigée dans
la foulée des indépendances en
Afrique, y veille scrupuleuse-
ment. Cette posture rigide peine à
tenir quand, partout en Europe, la
restitution est en marche. Même
en Grande-Bretagne, les musées
universitaires de Cambridge et
d’Aberdeen, habitués au débat
d’idées, ainsi que le Horniman
Museum, au sud de Londres, ont
commencé à rendre des objets.
« Le British Museum est le plus
grand entrepôt d’objets volés au
monde, mais il se mure dans le
­secret, l’autoritarisme, et refuse de
rendre des comptes », rugit Paul
Boateng, membre travailliste de
la Chambre des lords. Le parle-
mentaire britannique né au
Ghana a récemment défendu le
retour en Ethiopie de tablettes
­sacrées de pierre et de bois repré-
sentant une Arche d’alliance – le
coffre qui, selon la Bible, a
­contenu les Dix Commande-
ments donnés à Moïse sur le
mont Sinaï. « Elles n’ont jamais été
de 1963. En vain. « Quel que soit le
spectre des sensibilités, c’est diffi-
cile de faire avancer les choses », se
désole l’ancien député, qui
compte remettre le sujet à l’ordre
du jour, lors de la rentrée parle-
mentaire britannique, lundi
4 septembre.
Pour Bénédicte Savoy, le British
Museum se trouve aujourd’hui
otage d’un contexte politique
hostile au débat postcolonial.
Lorsque, en septembre 2020, en
réaction au mouvement Black
­Lives Matter, Hartwig Fischer a re-
tiré de son piédestal le buste de
Hans Sloane, le fondateur du
­musée, propriétaire d’esclaves,
pour l’installer dans une vitrine
avec des documents éclairant ce
passé esclavagiste, il s’est fait sè-
chement recadrer par l’ancien
ministre de la culture Oliver
Dowden. Dans une mise en garde
adressée au musée – comme à
l’ensemble des institutions bri-
tanniques –, le conservateur a af-
firmé que l’impartialité était
« particulièrement importante à
l’heure où nous entrons dans une
politique globale difficile » et un
réexamen des dépenses. La me-
nace est à peine voilée : si le
­British Museum ne rentre pas
dans le rang, ses subventions pu-
bliques pourraient s’en ressentir.
En janvier, l’ex-ministre de la
­culture Michelle Donelan avait
aussi coupé court aux tentatives
de négociation entre George
­Osborne et la Grèce pour un prêt
de cent ans des frises du Parthé-
non. Selon un sondage réalisé
en 2021, 59 % des Britanniques es-
timent ­pourtant que la place de
ces ­marbres est à l’Acropole. Pro-
fesseur d’archéologie à l’univer-
sité d’Oxford et auteur d’un livre
à la tonalité acide, The Brutish
­Museums. The Benin Bronzes,
­Colonial Violence and Cultural
Restitution (Pluto Press, 2020),
Dan Hicks ne décolère pas : « Le
monde change, les jeunes conser-

En vente chez votre marchand de journaux

res, le British Museum se veut un
sanctuaire éclairant l’humanité.
Ses bas-reliefs assyriens font cré-
piter les flashs des touristes, ses
opulents sarcophages égyptiens
centaine sont exposés dans ses
salles, est aussi remonté au front.
« Il est choquant d’entendre que les
pays et les musées qui nous ont dit
que les bronzes du Bénin ne
exposées au public, alors pourquoi
ne pas les rendre ? », s’interroge
Paul Boateng, qui, en début
­d’année, a tenté de déposer un
amendement pour modifier la loi
vateurs ont une autre éthique dif-
férente. Mais le British Museum
s’accroche à une vision dépassée
de l’histoire. » p
Roxana Azimi
0123
­
­Jeudi 31­ août 2023
Alberto Barbera :
« Je défends la justice,
pas la persécution »
Le directeur artistique de la Mostra de Venise,
qui s’ouvre mercredi 30 août, justifie la sélection des
films de Luc Besson, Woody Allen et Roman Polanski
Entretien
Venise (Italie) - envoyé spécial
D
es drapeaux rouge vif
flottent sur la plage du
Lido, raccord avec le
tapis détrempé de la
Mostra, à quelques mètres de là.
C’est peu dire qu’un avis de gros
temps plane sur le festival de
­Venise, qui se tient du 30 août au
9 septembre. Les controverses
s’accumulent, comme les cumu-
lus au-dessus de la lagune :
­sélection de trois cinéastes soup-
çonnés de violences sexuelles,
Luc Besson, Woody Allen et Ro-
man Polanski ; intervention-
nisme tous azimuts du gouverne-
ment d’extrême droite dans
l’audiovisuel transalpin ; pré-
sence massive de films produits
ou diffusés par les plates-formes
de streaming – cinq sélections
pour la seule Netflix ; grève des ac-
teurs et scénaristes hollywoo-
diens, qui échancre la robe festi-
valière d’une part de glamour…
Directeur artistique depuis 2011,
l’ex-critique piémontais Alberto
Barbera assume ses choix.
Comprenez-vous l’indignation
que suscite la sélection
de Luc Besson, Woody Allen
et Roman Polanski ?
Je défends la justice, pas la per-
sécution. Besson a bénéficié d’un
non-lieu. Allen a été acquitté, par
deux fois, dans les années 1990.
Quant à Polanski, il a demandé
des excuses à la victime, qui les a
Au Musée de Bretagne, mille visages
des photographes de studio
Dans une exposition de portraits classés par âges, Mathieu Pernot
donne une nouvelle vie aux archives de l’établissement rennais
Exposition
Rennes
A u Musée de Bretagne, à
Rennes, une jeune
femme vous regarde par-
delà le temps. Tout de noir vêtue,
les cheveux sagement retenus par
une barrette, elle vous fixe de ses
yeux clairs, comme sa peau
­constellée de taches de rousseur.
Elle est sûrement morte à pré-
sent : elle a été immortalisée en
1920 dans le studio du photogra-
phe professionnel Henri Rault, en
Bretagne. On ne connaît pas son
nom, ni son histoire, mais sa pré-
sence reste troublante.
Sur les cimaises, le photographe
Mathieu Pernot, commissaire de
l’exposition « La Vie en photogra-
phie », a accroché son image en
noir et blanc ainsi qu’une soixan-
taine d’autres, reproduites à taille
réelle à partir de négatifs d’une
étonnante précision. C’est
comme si ces portraits sortis du
passé regardaient le spectateur, et
non l’inverse. Les époques sont
mélangées, de la fin du XIXe siècle
jusqu’aux années 1970 – se succè-
dent un écolier en col pelle à tarte,
un travailleur immigré ou une
femme à coiffe… Les individus
sont tous rangés par ordre d’âge,
et c’est toute une vie qui défile.
Pas facile de tirer ainsi un fil
sans se perdre dans l’immense
collection amassée par le Musée
acceptées. Elle souhaite qu’on
cesse de remuer cette affaire, qui
remonte à il y a plus de quarante
ans. On ne peut pas ne pas faire la
distinction entre l’homme et l’ar-
tiste. L’histoire de l’art est remplie
de délinquants sexuels, voire de
criminels : devrait-on cesser d’ad-
mirer les tableaux du Caravage ?
Dans quelques décennies, on
continuera, de même, d’admirer
les films de Polanski. Je ne vois
pas de raison valable de ne pas
­sélectionner l’un des derniers
maîtres du cinéma en activité, à
90 ans révolus.
Vous attendez-vous à
ce que des actions féministes
perturbent le festival ?
En Italie, ces mouvements sont
bien moins agressifs qu’aux
Etats-Unis ou en France. Les affai-
res qui ont éclaté, dans le sillage
de #metoo, étaient parfaitement
justifiées. J’apporte mon soutien
absolu à la lutte contre les violen-
ces sexuelles, mais l’hostilité vi-
« Boycotter
Netflix, Apple
ou Amazon
équivaudrait
à appauvrir l’offre
des grands
festivals
de cinéma »
de Bretagne en trente ans – près
de 400 000 clichés aujour­-
d’hui. L’établissement a été un des
rares musées en France à s’inté-
resser aux archives de photogra-
phes professionnels, à en acheter
massivement et à les numériser
pour les mettre à disposition des
chercheurs et du public.
Taches étranges
« Lorsqu’on choisit de n’acheter
que quelques photos dans un
fonds, on ne peut les traiter que de
façon esthétique, explique Lau-
rence Prod’homme, conserva-
trice du patrimoine au Musée de
Bretagne. Nous avons préféré
­accueillir des fonds entiers, ce qui
autorise des lectures différentes. »
Dont celle de Mathieu Pernot, qui
réussit à toucher avec cette frise
chronologique de portraits évo-
quant le temps qui passe. Il y a in-
corporé avec poésie ce qui serait
passé pour des défauts à l’épo-
que : des yeux fermés, un visage
flou, des taches étranges dues à
l’altération de l’émulsion.
La Bretagne a longtemps été ri-
che en opérateurs, dont certains
très doués, qui battaient la cam-
pagne, armés de leur matériel,
pour photographier des familles
lors des événements – baptêmes,
communions et mariages – ou
qui faisaient poser les gens dans
leur studio devant un fond peint.
Plusieurs sont mis à l’honneur
Culture | 21
sant des cinéastes innocentés par
la justice est, à mes yeux, inac-
ceptable. L’extrémisme fait rare-
ment du bien aux causes qu’il
prétend servir.
Quel impact la grève
des acteurs et scénaristes
à Hollywood aura-t-elle ? Le directeur artistique de la Mostra, Alberto Barbera, à Venise, le 29 août. YARA NARDI/REUTERS
Il sera limité. J’avais bouclé la sé-
lection le 12 juillet – deux jours
avant l’intensification de la grève, leurs films, qui sont parmi les ailleurs, combien sortir leur film que les journaux télévisés pour
qui nous a pris par surprise. Nous plus attendus du moment. Mon- en salle pouvait les valoriser. nous le faire sentir et comprendre.
n’avons perdu qu’un seul film, trons-les, en les confrontant à des
Challengers, de Luca Guadagnino, découvertes de tous horizons. Ces derniers mois, le gouverne- Pour la première fois depuis
qui aurait dû ouvrir le festival. Les ment d’extrême droite, mené 1982, six films italiens figurent
stars des films produits par Les plates-formes ne présentent par Giorgia Meloni, est inter- en compétition. Comment
­Netflix, comme Michael Fassben- donc aucun péril à vos yeux ? venu dans les nominations à la ­l’expliquez-vous ?
der, Emma Stone, Bradley Cooper Indéniablement, elles ont profité tête de la télévision publique ou Notre cinéma, jusqu’alors épar-
ou Benedict Cumberbatch, ne de la pandémie pour croître, au dé- du Centro sperimentale, la prin- pillé entre mille petites maisons
viendront pas. D’autres, jouant triment des salles, qui ont fait du cipale école de cinéma. Quelle de production, est en train de
dans des productions indépen- cinéma une forme d’art extraordi- est votre marge d’autonomie ? changer de vitesse. Des produc-
dantes, ont obtenu des déroga- naire et pérenne, durant ses cent Elle est totale. Les présidents de teurs comme The Apartment,
tions. Adam Driver, Jessica trente premières années de vie. la biennale ont toujours préservé Wild Side ou Indigo deviennent
­Chastain, Caleb Landry Jones ou Mais leur modèle économique est ma liberté. Inévitablement, cer- compétitifs au niveau internatio-
les acteurs de Priscilla, de Sofia encore très instable. Disney+ ac- tains films sélectionnés auront nal, en injectant beaucoup d’ar-
Coppola, fouleront le tapis rouge. cuse des pertes deux fois supérieu- une portée politique – Io capitano, gent sur des projets ambitieux et
res à ses prévisions. La seule de Matteo Garrone, par exemple, osés – y compris politiquement.
Pourquoi continuez-vous de ­plate-forme rentable, à ce jour, est sur le drame des migrants. Le ci- Miser sur la qualité est le meilleur
le dérouler aux plates-formes ? Netflix. Jusqu’à quand pourront- néma a toujours été un miroir du moyen de survivre. p
Les studios historiques exploi- elles se permettre de perdre de présent. Les cinéastes disposent propos recueillis par
tent le filon des films de super-hé- ­l’argent ? Elles ont compris, par d’antennes bien plus sensibles Aureliano Tonet
ros, jusqu’à l’épuisement. Ils sont
supplantés, d’un point de vue
quantitatif et qualitatif, par les
plates-formes. Boycotter Netflix,
Apple ou Amazon équivaudrait à
appauvrir l’offre des grands festi-
vals de cinéma. Cannes est une
exception. Si la loi française le lui
permettait, Thierry Frémaux se-
rait ravi, je pense, de sélectionner
dans l’exposition, comme Amé-
dée Fleury, qui, à partir de 1896,
sillonne la haute Bretagne à vélo,
à moto puis en voiture, ou Anne
Catherine, une veuve qui a repris
le studio de son mari avant de le
transmettre à sa fille – elle est
l’autrice, en 1925, d’une étrange
photo de trois hommes masqués.
Le commissaire artiste a conçu
son exposition comme un hom-
mage à tous ces modestes photo-
graphes artisans, dont le métier
appartient désormais surtout au
passé. Après avoir acheté sur eBay
une collection de photos de vitri-
nes de studios photo en Bretagne,
réalisées en 1965 par un représen-
tant de l’entreprise Kodak, il est
parti sur les traces de ces ancien-
nes échoppes, et a refait des pho-
tos des mêmes lieux.
Sur vingt-cinq studios photo,
un seul est encore en activité, les
autres sont devenus des banques
ou des salons de coiffure. Il a
­accroché, à l’entrée de l’exposi-
tion, une enseigne Kodak rouge
et jaune récupérée dans une
de ces boutiques, comme un
­vestige ­archéologique qui veille
sur la mémoire de ces « vies en
photographies ». p
Claire Guillot
La Vie en photographie, Musée
de Bretagne, Les Champs libres,
10, cours des Alliés, Rennes.
Jusqu’au 3 décembre, 4 €.
22 | Télévision
Zahia Ziouani, une cheffe d’orchestre au XXIe siècle
Portrait de cette musicienne au parcours exceptionnel, habitée par l’idée de mettre l’excellence à portée de tous
DOCUMENTAIRE
MYCANAL
À LA DEMANDE
L
e 3 juin 2022. Seule dans sa
loge, Zahia Ziouani répète.
Ses mains reproduisent
les battues et tournent les
pages de ses opulentes partitions.
Quelques minutes plus tard, elle
entrera dans la Grande Salle
­Pierre-Boulez de la Philharmonie
de Paris pour diriger son orchestre
symphonique, Divertimento, de-
vant 2 500 spectateurs. Elle fait
partie des seulement 4 % de fem-
mes qui exercent cette profession.
Dans leur réjouissant documen-
taire, Emilie Thérond et Antonin
Boutinard Rouelle ont suivi en im-
mersion la préparation de ce con-
cert et dressent le portrait de Zahia
Ziouani, habitée par l’idée de met-
tre l’excellence à portée de tous.
Abolir les frontières élitistes
Au cœur de ce projet, l’exigence
comme forme la plus pure de
­considération. Nourrie du triom-
phe sur les avanies de son par-
cours, elle en a brillamment tiré
toutes les leçons en créant son
­espace d’expression.
Fille d’immigrés algériens mélo-
manes, Zahia Ziouani grandit avec
sa sœur jumelle – violoncelliste
solo – et leur petit frère à Pantin
(où elle vit toujours), en banlieue
parisienne. « On ne va pas se men-
Mona Ozouf, du vent de la Bretagne au souffle de la République
Un documentaire intime et intellectuel consacré à l’historienne et philosophe, ancrée dans ses racines bretonnes
Histoire TV
Jeudi 31 – 12 h 30
Documentaire
L a rediffusion du documen-
taire de Catherine Bern­-
stein consacré à l’histo-
rienne et philosophe Mona Ozouf
s’offre opportunément comme
un heureux bol d’air… iodé. La Bre-
tagne, pays de son enfance (née
en 1931), tient une place de choix
dans ce film qui sort de la biogra-
phie convenue pour proposer une
balade empreinte de mélancolie
sur les chemins de l’identité.
GRILLE N° 23 - 201
PAR PHILIPPE DUPUIS
Retrouvez l’ensemble de nos grilles sur
1 2 3 4 5 6
I les amateurs de viande rouge. V. En-
II
III
IV
V
VI
VII
VIII
IX
X
SOLUTION DE LA GRILLE N° 23 - 200
HORIZONTALEMENT I. Brillantines. II. Lena. Io. Mina. III. Anciennement.
IV. Nouées. Ma. Ui. V. Culs. Imitais. VI. SVP. Elucef (fécule). VII. Béeras.
Irisé. VIII. Elsa. Eléis. IX. Cl. Dînent. Pi. X. Sélects. Ecot.
VERTICALEMENT 1. Blancs-becs. 2. Renouvelle. 3. Inculpés. 4. Laies.
Rades. 5. Ee. Fa. Ic. 6. Ainsi. Sent 7. Non. Me. Les. 8. Emilien. 9. Immatu-
rité. 10. Nie. Acis. 11. Ennuies. Pô. 12. Satisfecit.
Zahia Ziouani,avec ses élèves de l’académie Divertimento, à Stains (Seine-Saint-Denis). CANAL+
tir, les personnes issues de l’immi- jouer ensemble ses élèves de Paris
gration dans le milieu de la musi- et de Seine-Saint-Denis. L’idée ?
que classique se comptent sur les Abolir les frontières élitistes d’un
doigts d’une main, dit-elle. Il n’a été milieu très conservateur et ame-
que très rarement accueillant avec ner l’excellence à tous les publics
nous au début. On y est parvenues et à tous les musiciens. Ainsi Di-
parce qu’on était déjà une armée de vertimento est un orchestre sym-
deux. » Images d’archives à l’appui. phonique, mais c’est aussi une
Zahia Ziouani, prodige de la mu- académie, basée à Stains (Seine-
sique, a créé Divertimento à l’âge Saint-Denis), où son équipe forme
de 19 ans, de sa volonté de faire de jeunes et saisissants musiciens.
Des chemins parsemés de dou- de l’école républicaine, lieu protec-
tes et de questionnements. Mais teur des menaces extérieures, de
aussi d’un sentiment de solitude la douleur, à la porte de laquelle on
– comblée par la lecture – auprès dépose ses particularités.
d’une grand-mère au français
mâtiné de breton et d’une mère
perdue dans la « religion du cha-
grin » après la mort de son mari,
lorsque Mona avait 4 ans.
Croyances différentes
« Perplexe », ainsi définit-elle sa
jeunesse tiraillée entre trois mon-
des – la maison vouée à la Breta-
Pas d’apitoiement cependant gne, l’école républicaine et l’Eglise
chez la petite Bretonne devenue catholique – qui professent des
grande historienne qui, de retour croyances différentes. Au temps
sur les bancs de l’école primaire de des « je » pluriels succédera, pour
Plouha (Côtes-d’Armor) – où offi- l’agrégée de philosophie, celui
cia sa mère, institutrice –, fait par- des rencontres qui guideront ses
tager à de jeunes élèves son amour choix plus sûrement que la
HORIZONTALEMENT
I. Frappe avec surprise. II. A la base de
jeux.lemonde.fr
l’ongle. Espace de fraicheur. III. C’est
souvent lui qui fait le plus gros du
travail. Spectacle au pays du Soleil-Le-
7 8 9 10 11 12
vant. IV. Oppose dans le texte. Pour
tendra comme avant. L’okapi sans kp.
Préposition. VI. Fondateur de l’Acadé-
mie. Pour les amateurs de toiles d’ail-
leurs. VII. Interjection. Examiner de
très près. VIII. Ardente. Tour complet.
Trou dans le mur. IX. Triste sire. Bles-
sée en profondeur. X. & & & & & &.
VERTICALEMENT
1. Partisan de la Russie depuis la fin
du XIXe siècle. 2. Herbacées aux fleurs
pectorales. 3. Liés aux autres. Dieu
porteur de rayons. Berger en remon-
tant. 4. Se débrouille pour faire son
trou. 5. Ses yeux ont inspiré Louis.
Ouverture de compte à la City. 6. Ac-
cueillions chaleureusement. Dans
la foule. 7. Au dessus du caïd. Fait tou-
jours des ravages dans le monde.
8. Accord tacite et discret. 9. La
femme de mon oncle. Accord d’en
bas. Assure la liaison. 10. En piste.
Négation. Pas facile à partager.
11. Passés à l’huile. Accessoire acadé-
mique. 12. Les points de la rose. Sor-
tis de l’esprit.
Au gré des répétitions qui se suc-
cèdent avant le jour J, nous sui-
vons presto la cheffe dans son
quotidien de bourreau de travail :
entre deux séances d’énergique
direction musicale, elle emmène
ses musiciens à la rencontre de ly-
céens, jouer en milieu rural, don-
ner des concerts de breakdance
symphonique, ou s’ingénie à
­paver la voie de l’orchestre-acadé-
­ ocation. Ce « nous » « chaleu-
v C’est dans cette période que se
reux » de son bref engagement
communiste aux côtés de jeunes
historiens qui « n’avaient pas en-
core d’œuvre, mais déjà l’idée d’en
faire une ». Une bande sans la-
quelle elle n’aurait pas écrit, dans
laquelle on retrouve Emmanuel
Le Roy Ladurie, Maurice Agulhon,
Denis Richet, Jacques Ozouf, son
époux, et bien sûr François Furet,
avec lequel elle signera en 1988 le
Dictionnaire critique de la
­Révolution française (Flamma-
rion), qui suscitera maints débats
et polémiques.
sudoku
n°23-201
4 8 9 3 5 Complétez
6 2 5 7
3 9
1 6 8 4 par
Réalisé par Yan Georget (https://about.me/yangeorget)
L’ATLAS
6 000 ANS
D’HISTOIRE
AFRIQUES
001 UNE ATLAS AFRIQUE_DEF_Promo_RTL.indd 1
mie en recherchant des finance-
ments et des partenariats.
« S’il vous reste des notes, vous ne
les jouez plus, d’accord ? », s’amuse
la cheffe d’orchestre d’un couac
cuivré, à la fin d’un passage de la
Danse Bacchanale, de Camille
Saint-Saëns. La tension et l’enjeu
sont palpables, mais elle n’oublie
pas de mâtiner son exigence de
plaisanteries pour encourager ses
instrumentistes. On ne peut que
partager l’œil émerveillé des
auteurs du film, tant ils mettent
en évidence comment la maestra
ne respire que pour la musique et
pour la transmission, par la puis-
sance du collectif et l’ouverture à
toutes les cultures, de cet art.
Reste que Zahia Ziouani et sa
sœur ont un « temps d’avance »,
comme l’indique le titre. « Je me
bats depuis de nombreuses années
pour que l’on nous donne les mê-
mes moyens. Pourquoi, lorsque
l’on joue à Stains ou à Saint-Denis,
on considère cela plutôt comme de
la politique de la ville, alors que,
quand on joue dans les grandes
salles parisiennes, on considère
cela comme de la culture ? », inter-
roge celle qui aurait l’étoffe d’une
ministre, selon Mouloud Achour,
qui l’interviewait sur Europe 1. p
Mouna El Mokhtari
Zahia, un temps d’avance, d’Emilie
Thérond et Antonin Boutinard
Rouelle (Fr., 2022, 91 min).
fonde, selon elle, notre rapport dif-
ficile – sinon violent – à l’identité.
« Tout vient de la Révolution fran-
çaise, parce qu’une fois décapité le
roi, il fallait trouver une unité aussi
forte, dit-elle. Du coup, il y a eu une
sorte d’obsession de “la France une
et indivisible” qui a été très inami-
cale aux identités culturelles. »
Tour à tour silhouette frêle se
promenant sur les rivages de son
enfance bretonne, historienne et
philosophe expliquant avec clarté
la controverse des Lumières entre
Thomas Paine (1737-1809) et Ed-
5 2 3 1 4 8
8 7 4 2 9 6
1 9 6 3 7 5
2 6 7 3 5 6 2 4
9 1 2 8 5 3
9 5 6 4 8 9 1 7
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ÉDITION 2023
31/05/2023 15:49
­
0123
­Jeudi 31­ août 2023
Notre
sélection
J eudi 31 août
LCP-Assemblée nationale
Combattre leur violence
20.30 Dix hommes se retrouvent
une fois par semaine pour évoquer
les faits de violence qu’ils ont commis
et qu’ils nient pour la plupart. Trois
animatrices, une psychologue et un
metteur en scène conjuguent leurs
efforts pour les amener à briser
le silence et à se responsabiliser.
M6
Cruella
21.10 Disney réhabilite un de ses
personnages iconiques, la méchante
des 101 Dalmatiens (1961). Dans le
Londres punk-rock des années 1970,
la jeune Cruella (Emma Stone) est
confrontée à une Emma Thomson
sans pitié en baronne von Hellman.
TMC
Corse, Saint-Tropez : l’été
de tous les excès pour
les gendarmes du Sud
23.05 Le magazine « 90’ Enquêtes »
a suivi les brigades motorisées des
gendarmes de Gassin, de Saint-
Tropez, de Draguignan, aux prises
avec des chauffards, des sorties en
boîte, des jeunes très alcoolisés…
Ciné+ Classic
Le Corbeau
22.20 Ce grand film réalisé par Henri-
Georges Clouzot sous l’Occupation,
avec Pierre Fresnay et Ginette Leclerc,
fit scandale après sa sortie en 1943.
mund Burke (1729-1797), ou en-
core citoyenne dialoguant sur
l’idée de nation avec le rappeur
Abd Al Malik, auteur de Camus,
l’art de la révolte (Fayard, 2016).
Catherine Bernstein tisse le por-
trait intime et intellectuel d’une
femme pour qui, aujourd’hui, la
question n’est pas tant de se de-
mander qui nous sommes, mais
bien qui est l’autre. p
Christine Rousseau
Les Identités de Mona Ozouf,
documentaire de Catherine
Bernstein (Fr., 2020, 52 min).
0123 est édité par la Société éditrice
du « Monde » SA. Durée de la société :
99 ans à compter du 15 décembre 2000.
Capital social : 124.610.348,70 ¤.
Actionnaire principal : Le Monde Libre (SCS).
Rédaction 67-69, avenue Pierre-Mendès-France,
75013 Paris. Tél. : 01-57-28-20-00
9 6 7
3 5 1 Abonnements par téléphone au 03 28 25 71 71
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7 3 2
4 8 6 Courrier des lecteurs
1 9 5
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0123
­
­Jeudi 31­ août 2023
Entretien
U
n nouveau lieu hédoniste ou­-
vert fin juin à Saint-Germain-
des-Prés avec cocktails à tous les
étages, après, en 2022, Madame
Brasserie pour Thierry Marx au premier
étage de la tour Eiffel qu’il habille de terre
crue, en attendant pour 2024 de nouveaux
chapiteaux pour les restaurants en terrasse
des Champs-Elysées : le designer belge de
44 ans Ramy Fischler est le discret pyg­-
malion de la capitale, qu’il revisite avec des
projets où l’écologie est au centre. Il signe
aussi le nouveau look des hôtels Novotel
(groupe français Accor), aux 110 000 cham-
bres dans 65 pays.
Signe que son prisme – un design durable
et inclusif – a le vent en poupe, ce diplômé
de l’Ecole nationale supérieure de création
industrielle (Ensci - Les Ateliers) en 2004, qui
a fondé le studio RF en 2011 après dix ans
passés auprès de l’agence Patrick Jouin, a vu
son effectif tripler, de quinze à quarante-
cinq collaborateurs, ces cinq dernières an-
nées. Il a donc déménagé tout son monde de
la mythique rue de Paradis, à Paris, jusqu’à
Pantin (Seine-Saint-Denis), à une encablure
des ateliers historiques d’Hermès, dans une
ancienne fabrique de luminaires.
Dix pour cent de son effectif se consacrent
à ce qui fait la singularité de ce studio, le
« Bureau des usages » : on dirait Le Bureau
des légendes, la série télévisée née
en 2015 qui s’inspirait d’agents clandes-
tins… Autant de moutons à cinq pattes, qui,
au milieu des designers et architectes d’in-
térieur patentés, sont à l’affût de l’innova-
tion, de l’anticipation, et travaillent sur les
métiers de l’usage. Soit quelque chose qui
ne s’apprend pas à l’école, qui précède cha-
que projet d’enquête de terrain sur les us et
coutumes des usagers, mais aussi sur l’his-
toire des lieux et leurs différentes vies.
Rencontre avec le créateur à l’agenda de
ministre, sous la lumière zénithale de son
atelier, au milieu duquel sont disposés
­mobilier de liège et béton récupéré, ta-
bleaux d’inspiration et matériaux respon-
sables, du verre en pare-brise de voiture aux
briques en coquilles d’huître.
« Le monde post-Covid n’a aucune
chance de ressembler au monde d’hier »,
nous déclariez-vous il y a un an.
Qu’en est-il aujourd’hui ?
Le changement de paradigme avait dé-
marré bien avant le Covid. En 2004, alors
que je sortais de l’Ensci, tout était déjà en
mutation. La gastronomie avec les « food
de rue », le début de l’ubérisation avec la
vente à emporter en quelques clics, le
smartphone qui a changé le monde du tra-
vail et la communication en général. Les
politiques, la finance, l’industrie se sont
mis en mode transformation.
Aujourd’hui, la question de l’écologie in-
fuse tous nos projets, et c’est un tsunami.
Chaque chantier nous apprend un peu plus
sur cette question complexe. Nous étudions
toutes sortes de matériaux, des noyaux
d’olive aux pelures de pomme, autant de
produits écologiques et issus de circuits
courts qui nous aident à faire beau et sim-
ple. Pour le restaurant de Thierry Marx au
premier étage de la tour Eiffel, Madame
Brasserie, inauguré au printemps 2022,
nous avons créé des chaises avec une struc-
ture en bois très simple, juste drapée d’une
peau de cuir rivetée – clin d’œil à la « dame
de fer » –, ce qui permet de les réparer aisé-
ment, et des tables vêtues d’un cuir végétal
qui remplace les nappes, pour ne rien jeter.
Surtout, à l’endroit où il y avait autrefois un
grand lustre, nous avons fait un vide, un
atrium en terre crue. L’idée était de faire
monter à la tour Eiffel de la terre, celle qui
nourrit et celle qui bâtit, puisque grâce à elle
on produit des salades et on fabrique du fer.
Ce n’est pas la première fois
que vous construisez en terre crue…
J’aime cette matière pour sa faible em-
preinte écologique. Plus encore : on marche
dessus depuis des milliers d’années et on a
perdu le contact avec les matières naturelles.
L’humain a besoin d’être entouré d’elles
pour bien vivre, se procurer énergie et apai-
sement. Les sons, la lumière ou les végétaux
naturels sont au cœur du design biophili-
que, qui s’efforce de rétablir ce contact avec
la nature dans l’environnement bâti.
Ramy Fischler, dans le bar à cocktails Cravan, qu’il a entièrement conçu, à Paris. ALICE FENWICK
Ramy Fischler :
« La question de l’écologie
infuse tous nos projets »
De la conception du plus grand bar à cocktails de Paris
jusqu’aux terrasses des Champs-Elysées,
l’architecte et designer belge de 44 ans met le vivant
au cœur de ses réalisations. Tout en étant
à l’écoute des usages de son temps
La terre est la pierre angulaire de tous mes
projets, à commencer par le Philanthro-
Lab, cet hôtel datant du XVe siècle trans-
formé en 2021 en lieu de coworking ré-
« Après servé aux organisations non gouverne-
mentales ou humanitaires. Nous avons,
une époque sur les murs, installé des bibliothèques
high-tech comme déformées par des blocs de terre
crue façonnés à la main, pour montrer que
d’univers la culture, ce n’est pas que de la littérature
blancs façon mais aussi des savoir-faire ancestraux.
Pour le nouveau siège des agences régio-
laboratoire, nales de santé d’Ile-de-France, à Saint-De-
c’est le retour nis, en 2021, nous avons créé du mobilier
avec des gravats terreux extraits du chan-
aux matériaux tier même, et pour l’exposition « L’Intelli-
naturels et aux gence de la main » dans le cadre d’« Homo
Faber », à Venise, en 2018, des murs de
expériences terre crue creusés de niches. Pour la tour
sensorielles » Eiffel, je souhaitais créer un lieu qui mette
tout le monde à l’aise, avec ces parois de
terre qui, par ailleurs, participent du con-
fort thermique et phonique de l’espace.
Las, certaines personnes ne trouvent pas
cela assez prestigieux.
Vous êtes aussi chargé, sur les Champs-
Elysées, de dessiner les terrasses et
les contre-terrasses, celles qui sont
séparées de l’établissement par
un trottoir ou une chaussée…
Durant le Covid, le Groupement national
des indépendants de l’hôtellerie et de la res-
tauration s’est inquiété de la disparition pro-
chaine du chauffage sur les terrasses. Nous
leur avons proposé de prendre les devants
avec un projet – soumis à la Ville de Paris
dans le cadre du programme « Réenchanter
les Champs-Elysées » – de mobilier urbain
beau, intelligent et économe en énergie. Les
contre-terrasses sur la plus belle avenue du
monde sont au nombre d’une vingtaine
aujourd’hui, avec beaucoup d’aberrations
esthétiques et fonctionnelles.
Nous avons dessiné un bâtiment inspiré
des pergolas d’un ancien marché aux fleurs
de la place de la République, avec le principe
des poutres métalliques et le vert mat épo-
que Napoléon III, typique de Paris. Nous ne
ferons pas du faux vieux, mais un design
contemporain en métal, avec des parois de
Styles | 23
protection qui, montant au-dessus de la tête
des clients, les abritent du vent et de la pluie,
des chaises empilables et made in France en
rotin pour grands et petits, des bacs à plan-
tes et un toit ouvrable en toile… Les restau-
rateurs pourront laisser leurs terrasses avec
leur chapiteau vide, ce qui n’est pas le cas
aujourd’hui. Pour qu’ils puissent les utiliser
en hiver, nous travaillons la piste de tables
chauffantes, à l’instar des Japonais, qui ne
chauffent pas la pièce mais son mobilier.
Avec le nouveau bar à cocktails Cravan
de Saint-Germain-des-Prés, le plus
grand de Paris, vous signez, dites-vous,
une maison d’expériences…
Après une époque high-tech d’univers
blancs façon laboratoire, c’est le retour aux
matériaux naturels et aux expériences sen-
sorielles. Pensé par le gastronome Franck
Audoux en hommage au poète boxeur
mondain et décadent Arthur Cravan, neveu
d’Oscar Wilde, dont il porte le nom, ce lieu
célèbre une forme d’art de vivre quasi sur-
réaliste, avec cocktails et mets, littérature et
cinéma. Nous l’avons imaginé sur quatre
étages comme un collage dadaïste de dé-
cors historiques et oniriques, avec de vrais
éléments scéniques chinés dans les théâ-
tres et opéras parisiens.
Le mobilier, quand il n’est pas vintage
(poutres, parquets, cheminées, livres du
XVIIe siècle, date de construction de l’im-
meuble), est fait des dalles de béton décou-
pées du chantier et autres gravats (tables,
cendriers, bars), ou revêtu des tissus dor-
mants des maisons de luxe, que valorise la
start-up Nona Source, née en 2021. A chaque
fois, les usagers ont la possibilité de passer
derrière le décor sur lequel ont travaillé une
quarantaine de métiers d’art, dans les
­coulisses, ce qui, pour moi qui ai scéno­-
graphié Hamlet pour l’Opéra-Comique, est
le meilleur endroit pour voir le spectacle
sans être vu… Sur le toit, j’ai installé le plus
petit cinéma de Paris, une gloriette qui
­permet de découvrir en petit comité des
films projetés sur les murs aveugles de la
cour intérieure.
Pour le nouveau concept hôtelier
de Novotel, êtes-vous resté plus
pragmatique ?
Nous avons recueilli auprès des franchi-
sés la difficulté qui est la leur, parce qu’ils fi-
nancent eux-mêmes les travaux, d’effec-
tuer la totalité des aménagements recom-
mandés par l’enseigne dans leurs hôtels. Le
défi à relever étant de réaliser des chambres
à bas coût de qualité, nous avons imaginé
ne décorer avec brio que la moitié de l’es-
pace en diagonale ou à la verticale, comme
une mise en scène glamour de ce qui se voit
une fois que l’on est couché sur son lit. D’un
côté, mobilier dessiné avec Ligne Roset, lu-
minaires avec Flos, table en liège et bois,
tête de lit chic… et de l’autre, une salle de
bains très simple, presque minimaliste. Le
concept se décline entre peinture et mo-
quette mi-grise, mi-colorée (le coût est ainsi
divisé par deux), jusqu’au bardage de bois
façon chalet sur une moitié de la chambre,
selon les moyens de chacun.
Autre réponse concrète aux mutations
d’aujourd’hui, votre frigo zéro déchet,
qui nourrit quelque quarante mille
salariés dans quarante villes d’Europe…
L’usage du frigo connecté NU !, pour « na-
turellement urbain », a explosé pendant le
Covid, avec l’idée de petits plats fournis par
des traiteurs locaux dans des contenants
en verre qui sont livrés à vélo puis récupé-
rés et lavés. Il a permis d’éviter un total de
200 000 emballages. Les salariés qui ont
déjeuné chez eux pendant la pandémie ont
eu envie, ensuite, de manger plus équilibré.
Les employeurs, eux, ont dû rentabiliser
leurs cantines, fréquentées moins assi­-
dûment qu’autrefois. Bien manger sur son
lieu de travail est aussi devenu central, un
liant ultime dans l’entreprise. Mon rêve
­serait que le rapport au vivant soit une
nouvelle esthétique, non pas dans une
réinterprétation du style naturaliste, mais
avec une réponse contemporaine inno-
vante. Mais j’ai accepté l’idée des petits pas.
On trouve une forme d’apaisement et de
fierté à participer à des évolutions lentes
mais décisives. p
propos recueillis par
Véronique Lorelle
24 | Carnet
Jean Canavaggio
Spécialiste de Cervantès
J
ean Canavaggio, l’un des
plus grands spécialistes
mondiaux de l’œuvre de
Cervantès (1547-1616), est
mort à Paris, le 20 août, à
87 ans. Né le 22 juillet 1936 à Paris,
fils du journaliste Dominique Ca-
navaggio (1899-1981), c’est par
l’enseignement de l’espagnol
qu’il reçut au lycée Carnot (Paris)
et grâce à un voyage en Espagne
qu’il effectua avec Emmanuel Berl
et sa femme, la chanteuse Mi-
reille, dans les années 1950 que le
jeune Jean décida de consacrer sa
vie aux études espagnoles.
Reçu en 1956 à l’Ecole normale
supérieure de la rue d’Ulm, il y
noue des amitiés fidèles avec
Georges Nivat, futur spécialiste
de la littérature russe, Jean-Yves
Tadié, déjà passionné par l’œuvre
de Proust, ou encore Jean-Marc
Pelorson, qui collaborera plus
tard avec lui. Reçu cacique – com-
ment, s’agissant de Jean Canavag-
gio, ne pas utiliser ce terme d’ori-
gine espagnole qui désigne le pre-
mier d’une promotion ? – à l’agré-
gation d’espagnol en 1960, il
commence sa carrière au lycée
Malherbe à Caen, puis au lycée
Jacques-Decour à Paris.
Entre 1963 et 1966, il est mem-
bre scientifique de la Casa de
­Velazquez, le dernier-né des
grands établissements français à
l’étranger aux côtés de l’Ecole
française d’Athènes ou de celle de
Rome. Il y commence ses travaux
sur l’auteur de Don Quichotte, qui
lui permettent de publier dans le
très sélectif Bulletin hispanique
un premier texte sur deux comé-
dies retrouvées. En 1977, il publie
sa thèse d’Etat Cervantès drama-
turge. Un théâtre à naître (PUF).
On peut dire aujourd’hui qu’il a
été celui qui a réveillé cet aspect
moins connu de l’œuvre de Cer-
vantès et qu’il a tracé une voie, y
compris pour les Espagnols, qui
l’ont empruntée avec bonheur.
Rigueur archivistique
Cervantès est le socle et l’horizon
de son œuvre. En 1986, il en pro-
pose une biographie (Mazarine,
réédition Fayard, 1997) qui fait
autorité par sa rigueur archivisti-
que et son articulation entre
l’homme et l’œuvre. Il édite, avec
Claude Allaigre, Michel Moner et
Jean-Marc Pelorson, les Œuvres
romanesques complètes dans la
« Bibliothèque de la Pléiade »
(2001). On lui doit encore un Don
Quichotte du livre au mythe.
­Quatre siècles d’errance (Fayard,
2005) et tout récemment un
­Dictionnaire Cervantès (Bartillat,
2021), rédigé d’abord en espagnol
puis adapté au public français.
Cette ultime somme est le réper-
toire le plus complet pour entrer
dans l’œuvre et la postérité de
Cervantès.
En février 2005.
John Foley/Opale.photo
22 juillet 1936 Naissance
à Paris
1977 « Cervantès dramaturge.
Un théâtre à naître » (PUF)
1986 « Cervantès », biographie
(Mazarine)
2005 « Don Quichotte du livre
au mythe » (Fayard)
2021 « Dictionnaire Cervantès »
(Bartillat)
20 août 2023 Mort à Paris
Professeur à l’université de Caen
puis à Paris-X-Nanterre à partir de
1991, président du jury d’agréga-
tion d’espagnol de 1988 à 1992, il
est directeur de la Casa de Velaz-
quez de 1996 à 2001. Membre cor-
respondant de ­l’Académie royale
espagnole, de l’Académie royale
d’histoire, il était aussi membre
honoraire (honorary fellow) de la
Société hispanique d’Amérique, à
New York. Il avait reçu, en 2023, le
Prix de la critique de l’Académie
française pour « l’ensemble de ses
­travaux ». Autant de reconnais-
sances espagnoles et françaises
qui venaient récompenser un
homme et une œuvre.
Mais Jean Canavaggio a su aussi
aborder d’autres thèmes. L’His-
toire de la littérature espagnole
(Fayard, 1993-1994), qu’il a dirigée,
continue de faire autorité et n’a
pas été dépassée. En 2012, avec
­Joseph Perez, Claude Allaigre et
Jacques Ancet, il édite un volume
de « La Pléiade » consacré aux
Œuvres de Thérèse d’Avila et de
Jean de la Croix. En 2016, il publie
Les Espagnes de Mérimée (Centro
de Estudios Europa Hispanica), un
magnifique ouvrage illustré qui
montre l’importance séminale de
Prosper Mérimée (1803-1870) dans
la configuration d’une certaine
tradition française de la vision de
l’Espagne. En septembre sort sa
traduction, enrichie d’une pré-
face, d’un texte du philosophe José
Ortega y Gasset (1883-1955), Une
méditation sur l’Europe (Bartillat).
De Jean Canavaggio, collègues
et amis soulignent la sensibilité
et la bienveillance. L’homme
privé, marié à Perrine Canavag-
gio, une chartiste devenue une ar-
chiviste dont l’expertise est re-
connue, père de quatre enfants et
heureux grand-père de sept pe-
tits-enfants, était mélomane – il
avait été ami du grand pianiste
Alexis Weissenberg, rencontré au
service militaire, et de sa femme,
Carmen de Reparaz. Grand lec-
teur, cet amoureux de la Corse et
de la Bretagne était aussi un
homme de foi. Sa discrétion cou-
vrait une personnalité puissante
qui avait trouvé dans l’œuvre de
Cervantès une source inaltérable
pour scruter la nature humaine
tout en se divertissant. p
Benoît Pellistrandi
(historien)
Le Carnet
Vous pouvez nous faire parvenir
vos textes soit par e-mail :
carnet@mpublicite.fr
(en précisant impérativement
votre numéro de téléphone et
votre éventuel numéro d’abonné
ou de membre de la SDL)
soit sur le site :
https://carnet.lemonde.fr
L’équipe du Carnet reviendra vers
vous dans les meilleurs délais
pour vous confirmer la parution.
carnet@mpublicite.fr
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AU CARNET DU «MONDE»
Décès
Dieulefit (Drôme).
Gilles, Jérôme et Frédéric,
ses fils
et leurs épouses,
Manon, Mathilde, Adèle, Juliette,
Pierre, Simon et Jeanne,
ses petits-enfants,
Mathias, Hugo, Eliot, Eiden, Joy,
Thelma (†), Agathe et Milo,
ses arrière-petits enfants,
Marie-Claude Devillers,
sa sœur,
Famille
Et amis,
font part du décès de
Mme Michèle ARFI,
née GELAS,
survenu à Crest, dans la Drôme,
le 28 août 2023,
à l’âge de quatre-vingt-dix ans.
Les obsèques seront célébrées
le jeudi 31 août, à 13 h 45, au
crématorium de Montélimar.
« Faut-il crier ? faut-il créer ?...
Qui donc nous crée en cet instant ?
Et contre la mort elle-même
n’est-il que de créer ? »
Saint-John Perse.
scdcstmartin@gmail.com
Maxime Bard,
son fils,
Edouard et Martin,
ses frères,
Cécile,
son ex-épouse,
Frauke et Annelies,
ses belles-sœurs,
Antoine, Mathias, Thomas et
Emma,
ses neveux et nièce,
ont la profonde douleur de faire part
du décès, survenu le 21 août 2023, à
l’âge de cinquante-neuf ans, de
Frédéric BARD.
Axel BOGOUSSLAVSKY
(1937-2023),
comédien, peintre et écrivain,
sera enterré ce vendredi 1er septembre
2023, à 15 h 45, au cimetière de La
Bocca, annexe Abadie, 258, avenue
Michel-Jourdan, à Cannes (Alpes-
Maritimes). Rendez-vous devant le
cimetière.
Balthazar Bogousslavsky,
Agnès Perlemuter.
Monique et Marina Yotnahparian
Et tous ses amis,
ont le grand chagrin d’annoncer la
mort de
Bernard CHARDÈRE,
à Lyon, le 25 août 2023, dans sa quatre-
vingt-treizième année.
L’inhumation aura lieu le vendredi
1er septembre, à 14 heures, au cimetière
de La Guillotière, à Lyon, dans le
souvenir de,
Alice CHARDÈRE
(1931-2016).
La revue Jeune Cinéma,
profondément affectée par la
disparition le 25 août 2023, de
Bernard CHARDÈRE
(1930-2023),
s’associe à la douleur de ses proches.
Parrain de la revue, il en fut l’un
des participants les plus actifs et
les plus joyeux depuis 1964. Nous
aurons à cœur de mener à bien les
projets initiés avec lui.
revue.jeunecinema@orange.fr
L’équipe de l’Institut Lumière
a la tristesse de faire part du décès,
dans sa quatre-vingt-treizième année,
de
Bernard CHARDÈRE,
écrivain, critique, journaliste,
historien et auteur
de « Les Lumière »,
directeur de la Fondation nationale
de la photographie (1978-1982),
directeur de l’Institut Lumière
(1982-1990),
conservateur de l’Institut Lumière
(1990-1995),
fondateur de Positif,
fondateur des ciné-clubs
et de la revue Premier Plan,
animateur des CICI,
cofondateur des films du Galion.
La cérémonie aura lieu au
crématorium du nouveau cimetière de
la Guillotière, vendredi 1er septembre,
à 14 heures, et sera suivie à 15 heures,
d’une réunion à l’Institut Lumière, sous
le Hangar du Premier-Film (Lyon).
Il reposera en paix aux côtés de
son épouse,
Alice CHARDÈRE.
Paris. Ponthierry. Montréal. Manille.
Christophe Beth,
son époux,
Mathilde et Aurélien Massaguer,
Guillaume Beth et Mariam Baradji,
ses enfants,
Alma et Suzanne,
Ezéchiel et Daïna,
ses petits-enfants,
ont la tristesse de faire part du décès
de
Annie CHARROIS,
survenu le 25 août 2023, à Paris,
dans sa soixante-septième année.
La cérémonie religieuse sera
célébrée en l’église Notre-Dame-du-
Travail, Paris 14e, le jeudi 31 août, à
14 h 30, suivie de l’inhumation au
cimetière parisien de Bagneux.
43, rue de Gergovie,
75014 Paris.
Hélène et Sergio Marcelli,
sa fille et son gendre,
Charles Chesneau,
son fils,
Camille et Clément,
ses petits-enfants,
ont le chagrin de faire part du décès
du
docteur
Gérard CHESNEAU,
survenu à Amiens, le dimanche
13 août 2023, à l’âge de soixante-dix-
neuf ans.
« Gémissons, gémissons, gémissons
mais espérons ».
Nikita Sichov,
son époux,
Françoise Papinot, Isabelle Gires,
Marie-Hélène Gires, Victoria Gires,
ses nièces,
Pierre-Emmanuel Gires,
son neveu et filleul,
Xavier Beer-Demander, Isabelle Beer-
Demander, Anne-Laure Jacquemard,
Emmanuelle Jacquemard, Paul
Jacquemard, Pierre-Yves Gires,
Ghislaine Gires, Cédric Gires, Marc-
Henri Gires, Augustin Gires Clément
Gires,
ses petits-neveux,
Ses arrière-petits-neveux,
Avec l’ensemble de la famille,
ont la douleur de faire part du décès
de
Jean-Paul GIRES,
docteur ès sciences économiques,
ancien directeur
de BNP Paribas,
survenu le 25 août 2023,
à l’âge de quatre-vingt-sept ans,
à Salzbourg (Autriche).
L’inhumation aura lieu au cimetière
d’Argenton-sur-Creuse (Indre), dans
l’intimité familiale.
Une messe sera au préalable célébrée
le vendredi 1er septembre, à 14 h 30,
en l’église Saint-Sulpice, Paris 6e.
Oppède (Vaucluse).
Mme Annie Bascou,
son épouse,
Henri, Françoise et Pierre,
ses enfants
et leurs conjoints,
Ses petits-enfants
Et ses arrière-petits-enfants,
ont la tristesse de faire part du décès
de
Paul JEAN,
préfet honoraire,
ancien vice-président
du Conseil général du Vaucluse,
ancien élève de l’ENA
(promotion Lazare Carnot),
officier de la Légion d’honneur,
chevalier
de l’ordre national du Mérite,
survenu à Oppède, le 26 août 2023,
à l’âge de quatre-vingt-treize ans.
La cérémonie religieuse a eu lieu
le mardi 29 août 2023, à 15 h 30, en
l’église paroissiale de Sault (Vaucluse),
suivie de l’inhumation dans l’intimité,
30, chemin du Mourre, à Oppède.
Catherine Joffre, née Viallefont,
son épouse,
François Joffre
et son épouse, Sandrine,
Isabelle Joffre,
ses enfants,
Paul et Thomas,
ses petits-enfants,
Odile, Chantal, Claire, Jean, Michel,
ses neveux et nièces,
Philippe Viallefont
et son épouse,
son beau-frère et sa belle-sœur
Ainsi que sa nombreuse famille,
ont la tristesse de faire part du
décès, survenu dans sa quatre-vingt-
cinquième année, de
Michel JOFFRE,
ancien élève de l’ENA,
promotion Montesquieu.
La cérémonie religieuse a eu lieu
en l’église Saint-Joseph-des-Épinettes,
40, rue Pouchet, Paris 17e, le mardi
29 août 2023, à 14 h 30.
L’inhumation aura lieu dans le
caveau de famille, à Rivesaltes.
Florence Sabouraud,
son épouse,
Yann et Séverine Le Meignen,
Benoît et Florence Le Meignen,
ses fils et belles-filles,
Gwenaëlle, Klervie et Hermine
Le Meignen,
ses petites-filles,
Nancy Sabouraud,
sa belle-sœur,
Toute sa famille,
Les familles Bocca, Ruet, Baracco,
Mercier, parentes et amies,
ont la tristesse de faire part du décès
de
M. Patrick LE MEIGNEN,
ingénieur en chef du génie rural,
des eaux et des forêts (e.r.),
officier
dans l’ordre du Mérite agricole,
ancien directeur
de l’Agence départementale
de l’ONF des Bouches-du-Rhône,
du Vaucluse,
puis des Alpes-de-Haute-Provence,
ancien directeur-adjoint
du parc national du Mercantour,
survenu à Allauch (Bouches-du-
Rhône), le 25 août 2023, dans sa
soixante-dix-septième année.
La cérémonie religieuse sera
célébrée ce jeudi 31 août, à 11 heures,
en l’église Saint-Roch, à Gap (Hautes-
Alpes), 6, allée de Provence, suivie
de la crémation, à 15 h 30, au
crématorium de Manosque (Alpes-
de-Haute-Provence), 260, chemin du
Grand Vallon.
Ni fleurs ni couronnes.
Cet avis tient lieu de faire-part et
de remerciements.
Antoine et Edouard,
ses enfants,
Anna,
sa belle-fille,
Juliette et Alexandre,
ses petits-enfants,
Anne-Marie,
sa sœur,
et ses enfants, David et Judith,
ont la tristesse de faire part du décès
de
Mme Nadine
LEFORT DES YLOUSES,
née BODENHEIMER,
artiste-sculpteur,
survenu le 20 août 2023, à Paris,
à l’âge de quatre-vingt-douze ans.
Entourée de sa famille et de ses
proches, l’inhumation a eu lieu au
cimetière du Montparnasse, Paris 14e,
le lundi 28 août.
antoine.lefortdesylouses@
gmail.com
edouard.lefort@orange.fr
Fabrizio et Anna Luisa
Pignatelli della Leonessa,
Laetitia Fernandez,
Ramon et Justine Fernandez,
ses enfants et ses belles-filles,
Stefano et Christina
Pignatelli della Leonessa,
Basile, Mirabelle et Clémentine
Fernandez,
ses petits-enfants,
Mathilda et Valentina
Pignatelli della Leonessa,
ses arrière-petites-filles,
ont la tristesse d’annoncer le décès
de
Diane de MARGERIE,
écrivain et traductrice,
officier de la Légion d’honneur,
commandeur
dans l’ordre national du Mérite,
commandeur
dans l’ordre des Arts et des Lettres,
survenu le 25 août 2023, à Paris,
à l’âge de quatre-vingt-quinze ans.
La cérémonie religieuse sera
célébrée le vendredi 1er septembre,
à 10 h 30, en l’église Saint-Pierre-du-
Gros-Caillou, Paris 7e.
L’inhumation aura lieu dans
l’intimité familiale, au cimetière
de Saint-Maixme-Hauterive (Eure-et-
Loir).
Cet avis tient lieu de faire-part.
­
0123
­Jeudi 31­ août 2023
Mme Ghislaine Finel,
sa sœur,
Ses neveux et nièces,
Ses arrière-petits-neveux
Et arrière-petites-nièces,
M. Yvon Le Herisse,
Sa famille,
Ses amis,
ont la tristesse de faire part du décès
de
M. Claude MARTIN,
directeur général honoraire
à l’Assemblée nationale,
chevalier de la Légion d’honneur,
officier
de l’ordre national du Mérite,
survenu le 25 août 2023, à Paris,
dans sa quatre-vingt-sixième année.
Les obsèques auront lieu ce 31 août,
à 15 heures, à Vandy (Ardennes).
Cet avis tient lieu de faire-part.
François Platone,
son époux,
Claire Platone, Hélène Platone,
ses filles,
Camille Kasolter Platone,
sa petite-fille,
ont la tristesse de faire part du décès
de
Françoise PLATONE,
née VIDAL,
survenu au Kremlin-Bicêtre,
le 23 août 2023,
à l’âge de soixante-dix-neuf ans.
Les obsèques ont lieu ce jeudi
31 août, à 16 heures, au crématorium
du Val-de-Bièvre, 8, rue du Ricardo,
à Arcueil.
La famille tient à remercier tous les
personnels du remarquable service de
rhumatologie du professeur Mariette,
au CHU de Bicêtre.
f.platone@laposte.net
Frédéric,
son époux,
Rémi, Emma, Manon et Hannah,
ses enfants,
ont l’immense tristesse d’informer de
la disparition de
Mme Florence SUSINI,
née RAPINE.
Elle a illuminé leur vie.
Les obsèques ont eu lieu ce 30 août
2023, à 10 h 30, à Piriac-sur-Mer.
Anniversaires de décès
Karl FLINKER,
31 août 1991.
« Parmi la jeune verdure
Dégustons le vin ardent :
L’herbe poussera longtemps
Sur tes cendres et les miennes. »
Omar Khayyâm.
J. et S.
Il y a vingt ans que
Louis SOLER
est décédé, le 30 août 2003.
Les siens ne l’oublient pas, il est
encore avec eux.
De
Famille Soler,
Colette, Léna, Tristan, Sarah, Lou
et Roman.
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Conseil de surveillance Aline Sylla-Walbaum,
présidente, Gilles Paris, vice-président
 Idées
0123
­
­Jeudi 31­ août 2023 | 25

Louis Maurin Le pourcentage

de ceux qui estiment
Si le débat médiatique
et politique prend pour

qu’il y a « trop »
acquise la xénophobie

E des Français, celle-ci est

n France, 45 % de la population teur inquiet sacrifie l’immigré sur l’autel
­estime qu’« il y a trop d’immigrés », du coup de gueule et de l’appel à l’aide
selon une enquête Kantar (ex- pourtant en recul sans réponse depuis des années.

d’immigrés
Sofres) de décembre 2022. L’affaire constant, observe le Suivre ce raisonnement n’empêche en
semble entendue : l’« opinion » rejette les rien de débattre des difficultés posées
immigrés. Ce chiffre, médiatisé à directeur de par la concentration d’immigrés dans
outrance, est un élément d’explication l’Observatoire des certaines cités, par l’expression du
de la xénophobie ambiante d’une partie ­radicalisme religieux, quel qu’il soit, et
inégalités, qui appelle le

est en forte baisse

du personnel politique, notamment l’ali-
gnement du discours du parti Les Répu-
blicains sur celui du Rassemblement na-
tional. C’est aussi en partie pour cela que
le gouvernement propose une énième
loi sur l’immigration.
L’unanimisme sur ce sujet mérite quel-
ques nuances. Ce pourcentage rassemble
le camp des « tout à fait d’accord » et celui
des « plutôt d’accord ». Dans le sondage
Kantar, les premiers représentent 20 % de
la population, les seconds 25 %. Parmi ces
derniers, une bonne partie suit le sens du
débat médiatique, pense : « Après tout,
puisqu’on nous le dit, c’est sans doute
vrai… », ou estime que, dans certains
quartiers, la ségrégation est trop grande.
Résumer l’« opinion » à une seule ques-
tion a peu de sens. Ainsi, en même temps,
plus de 60 % des Français trouvent que
« l’immigration est une source d’enrichisse-
ment culturel », selon les enquêtes de la
Commission nationale consultative des
droits de l’homme (CNCDH).
De plus, les commentateurs des sonda-
ges ne soulignent jamais que le pourcen-
tage de ceux qui estiment qu’il y a « trop »
d’immigrés est en forte baisse depuis plu-
sieurs années. Il était de 63 % en 2005 et
même de 74 % en 1995… La part des « tout
à fait d’accord » était de 45 % en 1994, plus
de deux fois supérieure au niveau
d’aujourd’hui. La part de ceux qui pen-
sent que « l’immigration est une source
d’enrichissement culturel » n’était que de
45 % au début des années 1990.
personnel politique à
se détacher des études
d’opinion
Les sondages ne valent que pour ce
qu’ils sont : un clic sur Internet au mi-
lieu de dizaines de questions sans rap-
port les unes avec les autres. Une ré-
ponse à une question qu’on ne se posait
pas forcément, du moins en ces termes.
Les sondages « hument » l’air du temps,
ils ne représentent que l’ombre des va-
leurs. Le clic sur le « oui » au « trop d’im-
migrés » est la conséquence de l’amplifi-
cation à outrance de la parole xéno-
phobe (que l’on pourrait qualifier de
« xénophobisme »).
Succès de l’extrême droite
Il traduit aussi un ras-le-bol des classes
populaires et moyennes. Les niveaux de
vie des catégories populaires stagnent
depuis le début des années 2000. Ré-
pondre à un sondeur qu’il y a « plutôt »
trop d’immigrés, c’est une manière de
dire son sentiment de ne pas être écouté
face à la violence de la précarité crois-
sante du travail, des pertes de pouvoir
d’achat et des inégalités scolaires, pour
ne citer que quelques exemples. Pour les
classes moyennes, c’est aussi l’impres-
sion d’être le dindon de la farce de politi-
ques qui se concentrent sur les plus pau-
vres et nourrissent l’épargne des riches
à force de baisses d’impôts.
Le succès de l’extrême droite ne corro-
bore-t-il pas les sondages ? Interrogeons-
nous un instant. Celui qui, en 2022, a
placé dans l’urne un bulletin Marine
Le Pen – comme celui qui s’est abstenu –
est responsable de son vote. Est-il ra-
ciste ? Pour partie, sans doute. Dans la
dernière enquête de la CNCDH, 3 % des
Dans le secret
de l’isoloir,
l’électeur inquiet
sacrifie l’immigré
sur l’autel du coup
de gueule et de
l’appel à l’aide
Français se disent « plutôt » racistes et
15 % « un peu » (contre respectivement
12 % et 31 % en 2000).
Cette explication est cependant trop
courte, car ce vote traduit beaucoup de
choses. Par exemple, la peur de la fin
d’un monde pour les catholiques. Leur
part dans la population est passée de
70 % en 1981 à 32 % en 2018, selon l’en-
quête Arval sur les valeurs. Les mariages
religieux et les baptêmes ont chuté, les
églises se vident, le nombre d’ordina-
tions de prêtres n’a jamais été aussi bas.
Le « remplacement » n’a rien à voir avec
l’islam, qui représente 6 % de la popula-
tion, mais avec les non-croyants, dont la
part a plus que doublé (de 26 % à 58 %)…
Les musulmans sont les boucs émissai-
res d’un autre phénomène.
Sortir de l’ivresse des sondages
Le vote pour l’extrême droite exprime
surtout le rejet de forces politiques qui ne
parlent plus aux classes populaires. Dont
les mots et les programmes, forgés par
notre élite scolaire, sont inintelligibles et
inadaptés à ses besoins, à droite comme
à gauche. Dans le secret de l’isoloir, l’élec-
des solutions concrètes à mettre en
œuvre. Les premières victimes en sont
souvent les immigrés eux-mêmes. Ce
même raisonnement devrait surtout
conduire la classe politique à une cure
de désintoxication aux sondages afin de
sortir de l’ivresse dans laquelle elle se
trouve. Elle doit quitter au plus vite cette
bulle de communication qui la tue à
­petit feu et qui menace nos valeurs
­démocratiques.
Sauf à imaginer qu’ils se moquent, au
fond, de l’avènement d’un régime auto-
ritaire, les partis politiques responsables
devraient mener une réflexion sur les
motivations profondes des électeurs et
sur la fracture sociale qui mine le pays,
sur les programmes capables de répon-
dre aux besoins sociaux concrets des
classes populaires et moyennes, notam-
ment dans le domaine de l’école, du
­logement, ou des transports. Plutôt que
de restreindre sans fin leurs droits, ils
­devraient faciliter l’insertion des étran-
gers vivant en France, en particulier sur
le marché du travail. p
Louis Maurin est directeur
de l’Observatoire des inégalités.
Il a notamment publié « Encore plus !
Enquête sur ces privilégiés qui n’en ont
jamais assez » (Plon, 2021)

François Julien-Laferrière En 2080, quand les réfugiés

climatiques européens sont refoulés par leurs voisins...
Le professeur émérite de droit public utilise l’uchronie et imagine une Europe
apocalyptique pour mieux souligner l’inhumanité des politiques migratoires actuelles

N
ous sommes en 2080. La
Camargue a disparu sous
les eaux. Aigues-Mortes
(Gard) et Narbonne (Aude)
sont redevenues des ports. Sète
(Hérault) est réduite au mont
Saint-Clair, le reste de la ville a été
submergé. Les étangs de Mau-
guio, du Méjean, de Thau (Hé-
rault), de Sigean (Aude), de Leu-
cate (Aude et Pyrénées-Orienta-
les) ne sont plus que souvenirs.
Les Pays-Bas ont perdu près de la
moitié de leur superficie, tout
comme le Danemark. Le désert
couvre la moitié de l’Espagne, le
feu a dévoré la forêt portugaise.
La catastrophe annoncée de-
puis près d’un siècle est là. Les ha-
bitants des zones conquises par
les mers fuient. Les uns se réfu-
gient à l’intérieur des terres, pour
l’instant épargné. D’autres ten-
tent de gagner des contrées qui
devraient être à l’abri de la mon-
Nul n’est à l’abri tée des eaux pendant au moins
quelques décennies. L’Ecosse et la
de devoir quitter Norvège sont les destinations
privilégiées. La population de
son pays pour Lyon et de Grenoble double, celle
trouver la paix de Toulouse et Strasbourg aussi,
tandis que Montpellier et Bor-
ou pour deaux perdent près de la moitié
de leurs habitants.
survivre ; Ces migrations internes et in-
pas même nous, ternationales causent des ten-
sions. Tout un quartier d’une
Français sous-préfecture de l’est de la
France manifeste contre l’ouver-
ture d’un « centre d’accueil pour
réfugiés internes » qui doit rece-
voir douze familles originaires
du Languedoc.
Quant à ceux qui ont cru trou-
ver asile en Scandinavie, ils doi-
vent déchanter. Le Danemark, lui-
même profondément affecté, et la
Norvège, très sollicitée, se retirent
de l’espace Schengen pour ne plus
être liés par le principe de libre cir-
culation des personnes. Ils mobi-
lisent leurs gardes-côtes – dont les
effectifs sont considérablement
augmentés – et refoulent systé-
matiquement les migrants euro-
péens qui tentent d’accoster.
Et ceux qui ont réussi à gagner
la terre ferme sont parqués dans
des « camps » spécialement créés
pour eux, dotés d’équipements
rudimentaires, d’où il est interdit
de sortir tant que l’examen de
leur demande d’asile n’est pas ter-
miné. Et si l’asile est refusé – ce
qui est le cas pour environ 90 %
des demandes –, le retour au pays
d’origine est la règle, le recours
contre cette décision n’étant pas
suspensif, sauf raison de santé ou
motif « humanitaire ».
C’est que ces réfugiés d’un nou-
veau type n’entrent dans aucun
des cas prévus par la convention
de Genève de 1951 sur le statut
des réfugiés, qui ne s’applique
qu’aux personnes fuyant leur
pays « en raison de leur race, de
leur religion, de leur appartenance
à un certain groupe social ou de
leurs opinions politiques ».
C’est pourquoi les gouverne-
ments des pays d’Europe du Sud
ont demandé, aussi bien dans le
cadre de l’Union européenne
que de l’Organisation des Na-
tions unies, l’ouverture de négo-
ciations en vue de l’élaboration
d’une convention qui s’appli-
querait aux « réfugiés climati-
ques ». Vainement. Les Etats
d’Europe du Nord et des deux
Amériques, mais aussi certains
pays africains, s’y opposent fer-
mement, craignant un effet
d’« appel d’air » et une « invasion
de migrants ».
Un afflux d’Européens blancs
L’une des seules voies qui reste
ouverte aux candidats au départ,
c’est la traversée de la Méditerra-
née, puis de l’Afrique du Nord et
du Sahel, avec l’espoir de gagner
les pays d’Afrique centrale où
l’éloignement de la mer et le cli-
mat semblent encore permettre
de survivre pour quelques géné-
rations. Mais, eux aussi, se défen-
dent, dressent des murs et des
barbelés dans l’espoir de se proté-
ger de cet afflux – ces hordes –
d’Européens, blancs, chrétiens,
arrogants, qui risquent de mettre
en péril leur économie et leur co-
hésion nationale déjà si fragile.
On recense tous les jours des nau-
frages d’embarcations surchar-
gées. On trouve dans le désert des
cadavres d’hommes, de femmes
et d’enfants morts de soif, on en
sauve parfois quelques-uns avant
l’issue fatale. Mais les autorités de
certains pays refusent, notam-
ment à SOS Méditerranée, l’auto-
risation de débarquer les resca-
pés ou ferment leur espace aérien
aux avions ou hélicoptères effec-
tuant des sauvetages.
Nul n’est à l’abri de devoir un
jour quitter son pays pour trou-
ver la paix, la sécurité, ou tout
simplement pour pouvoir survi-
vre ; pas même nous, Français.
Alors, ce scénario d’apocalypse
est-il totalement absurde ? Imagi-
ner seulement qu’il n’est pas tota-
lement invraisemblable, sans al-
ler jusqu’à le penser probable, ne
doit-il pas nous conduire à être
davantage accueillants envers
ceux qui frappent à nos portes ?
Les débats qui vont entourer
l’élaboration puis le vote de la fu-
ture loi « pour contrôler l’immi-
gration, améliorer l’intégration »
doivent être l’occasion d’envisa- François Julien-Laferrière
ger différemment les phénomè- est professeur émérite de droit
nes migratoires, de ne pas les re- public à l’université Paris-
garder qu’avec nos yeux de pays Saclay, spécialiste du droit
sollicités, mais aussi avec ceux de des étrangers et de l’asile,
nos semblables humains qui ancien juge à la Cour
nous sollicitent. p nationale du droit d’asile
 0123
26 | Idées ­
­Jeudi 31­ août 2023

Kaare Dybvad Bek et Peter Nedergaard

Modifier le principe selon lequel les migrants ont le
droit de faire traiter leur demande d’asile en Europe
Le ministre social-démocrate danois et le professeur à l’université de Copenhague exhortent l’Europe
à revoir sa politique migratoire face au mécontentement croissant des populations européennes

L
es réfugiés et les migrants en pro-
venance du Moyen-Orient, d’Afri-
que du Nord et d’autres régions du
monde participent chaque année à
une course souvent tragique pour rejoin-
dre l’Europe. Après la pandémie de Co-
vid-19, l’afflux vers notre continent s’est
violemment intensifié : l’année dernière,
près d’un million de demandes d’asile
ont été déposées dans l’Union euro-
péenne (UE), le rythme s’accélérant en-
core cette année.
Un tel phénomène est extrêmement
inquiétant à plusieurs niveaux. D’une
part parce que des milliers de personnes
se noient en Méditerranée dans leur pé-
riple, mais aussi parce qu’une grande
partie de la population européenne a de
plus en plus le sentiment que l’immigra-
tion est hors de contrôle.
La plupart des pays de l’UE possèdent
aujourd’hui des décennies d’expérience
en matière d’immigration. Si de nom-
breux entrants non occidentaux se
­comportent de manière exemplaire,
nombre de nos concitoyens rencon-
trent des frictions et des conflits cultu-
rels dans leur vie quotidienne.
Les statistiques mettant en évidence
un taux de criminalité élevé et un faible
niveau d’emploi parmi les immigrés
sont bien ­connues, et de nombreuses
personnes ont le sentiment que leurs
préoccupations concernant la radicali-
sation et la formation de ghettos ne
sont pas prises au sérieux, à en juger par
les flux de migrants se poursuivant sans
relâche vers l’Europe. Cet état de fait est
en partie dû à notre système d’asile, qui
est à l’origine de certaines dynamiques
catastrophiques. En effet, bien que les
pays européens acceptent un nombre
record de demandeurs d’asile, nous
abandonnons les réfugiés les plus vul-
nérables du monde – femmes, enfants,
personnes handicapées ou en mauvaise
condition physique. Ces laissés-pour-
compte n’ont souvent ni l’argent ni la
force nécessaire pour entreprendre le
voyage dangereux vers l’Europe, et se
retrouvent dans des camps de réfugiés
sous-financés.
Au contraire, nous dépensons d’énor-
mes ressources pour traiter des cas, no-
tamment de jeunes hommes, dont beau-
coup n’ont aucun motif légal d’asile,
mais qui essaient d’aller en Europe pour
des raisons financières, afin d’obtenir de
meilleures conditions de vie.
Des propositions concrètes
Chaque année, les pays de l’UE exami-
nent des milliers de demandes d’asile.
L’année dernière, plus de la moitié ont
fait l’objet d’un refus en première ins-
tance. Il est navrant de penser aux som-
mes que nous dépensons pour les inter-
prètes, les avocats, l’hébergement et
le rapatriement de personnes qui
n’auraient jamais dû être ici – alors
même que l’Organisation des Nations
unies et la Croix-Rouge internationale
manquent désespérément de moyens
pour faire face à la misère dans certai-
nes zones du monde.
Rappelons expressément que le droit
d’asile est réservé aux personnes victi-
mes de persécutions. Les individus sou-
haitant vivre en Europe pour d’autres
raisons doivent déposer leur dossier par
les canaux réglementés, tels que les per-
mis de travail ou les séjours d’études.
Si nous ne modifions pas la politique
actuelle en matière d’asile et de réfugiés,
les accidents mortels se poursuivront,
tandis que nous courons le risque de
voir les citoyens ordinaires perdre con-
fiance dans les dirigeants et les institu-
Le Danemark
a proposé que les
demandeurs d’asile
spontanés soient
transférés vers
un pays partenaire
sûr en dehors de
l’Union européenne
tions. A long terme, cela pourrait con-
duire les électeurs à se tourner vers l’ex-
trême droite européenne, qui ne tentera
de résoudre le problème qu’avec des
murs plus hauts et des barbelés, sans
aucun égard pour l’aspect humanitaire.
Le Danemark a l’ambition de faire des
propositions concrètes sur ce à quoi
pourrait ressembler l’avenir de la politi-
que européenne d’asile et d’immigra-
tion. En premier lieu, nous devons effec-
tivement anéantir le modèle commercial
cynique des trafiquants d’êtres humains
qui spéculent sur la misère des gens.
En juin, nous avons vécu l’un des pires
naufrages de migrants en Méditerranée :
un bateau de pêche surpeuplé avec envi-
ron 750 personnes à son bord a chaviré
au large des côtes grecques. Une semaine
plus tard, un canot pneumatique a coulé
en mer lors de sa route vers les îles Cana-
ries, tandis que près de 100 personnes
ont disparu dans un accident au large
des côtes italiennes en février.
Les ONG et certains médias accusent
souvent les opérations de sauvetage
européennes d’être beaucoup trop ineffi-
caces et pressent les dirigeants de l’UE à
faire davantage pour aider les personnes
embarquées dans les canots pneumati-
ques dangereux. Mais trop peu d’acteurs
de ce débat mettent en avant le fait que
les accidents continueront jusqu’à ce
que nous arrêtions les cerveaux sans
scrupule qui font fortune en entraînant
les gens dans un voyage souvent mortel.
Le gouvernement danois a lancé un
projet de réforme du système d’asile qui
combattra la traite des êtres humains et
veillera à ce que nous fournissions une
protection à celles et ceux qui se trou-
vent éligibles au droit d’asile, tout en
maîtrisant l’afflux, afin de ne pas rece-
voir plus de personnes que nous ne som-
mes capables d’intégrer.
Diligence raisonnable
Pour ce faire, il convient de modifier le
principe actuel selon lequel les person-
nes mettant le pied sur le sol européen
ont le droit d’y faire traiter leur de-
mande d’asile.
Si le Danemark et les pays européens
doivent continuer à offrir une protec-
tion à ceux qui en ont besoin, il est né-
cessaire que l’UE fasse preuve de dili-
gence raisonnable en trouvant des solu-
tions innovantes pour améliorer le
contrôle de l’afflux, dans le respect de
nos obligations internationales. Le Da-
nemark a par conséquent proposé que
les demandeurs d’asile spontanés soient
transférés vers un pays partenaire sûr en
dehors de l’UE, où les demandes doivent
être instruites et une protection poten-
tiellement offerte.
Cependant, nous sommes également
ouverts à d’autres solutions, telles que
des partenariats migratoires avec
d’autres pays, sur le modèle du pacte
migratoire établi entre l’UE et la Turquie
en mars 2016. Les réfugiés devraient ve-
nir en Europe sur la base de principes
humanitaires et non parce qu’ils ont
réussi à entrer clandestinement sur son
sol. Nous devons supprimer le droit du
plus fort dans la politique d’accueil des
réfugiés.
Le souhait du Danemark est que nous
réaffections nos ressources, de sorte
que beaucoup plus de moyens soient al-
loués au soutien des organisations hu-
manitaires qui accomplissent une tâche
énorme à proximité des conflits.
Il s’agit à la fois de fournir la nourri-
ture, les médicaments, les couvertures
et d’autres besoins urgents aux dépla-
cés. Mais il s’agit également de scolari-
ser les enfants, de proposer un emploi
aux parents et de soutenir les commu-
nautés locales, qui font face à un
énorme travail d’intégration.
Le Danemark a été le premier pays à
avoir ratifié la convention de Genève
sur les réfugiés en 1951, et nous serons le
dernier pays à l’abandonner. Cepen-
dant, il convient d’adopter une posture
différente de sorte que les citoyens puis-
sent continuer à reconnaître leurs pro-
pres sociétés. p
Kaare Dybvad Bek est le ministre
danois de l’immigration
et de l’intégration ; Peter Nedergaard
est professeur de sciences politiques,
docteur de troisième cycle
à l’université de Copenhague

Inscrivons l’obligation d’identification des vage des données morphologi-

ques, biométriques et généti-
ques. La mise en œuvre d’efforts
femmes et des enfants puissent
disparaître sans laisser de trace et
sans que leurs proches soient dû-

défunts anonymes dans le droit européen

concertés à l’échelle européenne
permettrait d’appliquer le cadre
législatif qui donnerait une
chance à ces corps anonymes
d’être un jour identifiés.
La recherche d’identité des migrants morts en mer ou sur le territoire européen En inscrivant dans le droit
européen une obligation étati-
doit être systématisée afin de permettre aux familles de retrouver leurs proches, que d’identification des défunts
plaident quatre professionnels de la médecine légale et des droits humains anonymes, imposant la collecte
de données scientifiques ante
mortem auprès des proches
ment informés.
Alors que nous nous préparons
à commémorer les 10 ans de la
tragédie du 3 octobre 2013, il
nous semble nécessaire de trans-
former l’émotion en action.
Nous appelons à un engagement
collectif pour mettre en œuvre
les efforts nécessaires afin d’ac-
célérer et de garantir la re­-
cherche d’identité des défunts

L
e 9 août, 41 personnes ont
été portées disparues au
large des côtes de Lampe-
dusa (Italie). Les témoigna-
ges des 4 survivants nous per-
mettent de savoir que l’embarca-
tion était partie des côtes
tunisiennes avec 45 passagers,
dont 3 enfants. Cette énième tra-
gédie vient s’ajouter à la longue
liste des drames survenus en mer
ces dernières années. Elle sur-
nos sociétés vient près de dix ans après le nau-
frage du 3 octobre 2013, là encore
se sont au large de Lampedusa, l’une des
plus grandes tragédies mariti-
habituées à ce mes du XXIe siècle.
que des hommes, Dans la nuit du 13 au 14 juin, le
naufrage d’une embarcation au
des femmes et des large des côtes grecques a en-
traîné la disparition de plusieurs
enfants puissent centaines de personnes. En rai-
disparaître sans son de l’absence de renflouage de
l’épave et d’examens médico-lé-
laisser de trace gaux, l’identité des hommes,
femmes et enfants disparus dans
cette tragédie ne sera pas formel-
lement établie.
Cette absence de collecte de
données post mortem ainsi que
l’absence d’activation de procé-
dures de collecte de données ante
mortem des proches des dispa-
rus soulèvent de nombreuses
questions éthiques et juridiques.
Elles entravent en effet la possibi-
lité pour les proches des dé-
funts de faire leur deuil en l’ab-
sence de corps, ou d’engager les
démarches administratives habi-
tuelles en cas de décès, démar-
ches qui nécessitent précisément
un certificat de décès.
Au cours des décennies 2000 et
2010, les disparitions anonymes
au sein et aux portes de l’Europe
ont significativement augmenté.
Ce phénomène est intimement
lié à la dangerosité croissante des
migrations transfrontalières, et
notamment des traversées par
voies maritimes. Au-delà des dis-
parus en mer, dont l’identité pré-
cise demeure bien souvent in-
connue, il faut reconnaître la
hausse des disparitions anony-
mes sur le territoire européen.
Transformer l’émotion en action
Nous observons l’arrivée crois-
sante, dans nos services médico-
légaux de Paris et de Milan, de
corps sans aucun élément d’iden-
tité et pour lesquels la prise en
charge ne fait pas l’objet d’un
protocole. Si ce protocole existe
pour les victimes de catastrophe,
il est rarement appliqué aux
morts du quotidien.
Une telle réalité s’inscrit dans
un contexte plus général où les
sciences médico-légales ont fait
des progrès significatifs, notam-
ment en ce qui concerne le prélè-
vement, le croisement et l’archi-
(photographies, radiographies,
matériel clinique et génétique) et
la comparaison avec les données
post mortem recueillies lors
d’autopsies complètes sur les
corps anonymes, il nous serait
ainsi possible de mettre en place
et de consolider des bases de
données biométriques conte-
nant les caractéristiques et pro-
fils génétiques afin de maximi-
ser les chances d’identifier les
corps anonymes.
En réponse à l’onde de choc sus-
citée par le naufrage du 18 avril
2015, l’Italie avait pris l’initiative
de renflouer l’épave du chalutier
située à 400 mètres de profon-
deur, afin de permettre à des tra-
vaux d’identification des quel-
que mille victimes d’être enga-
gés. Cette initiative n’a pas été
reconduite lors des naufrages
successifs et, dans un silence re-
latif, nos sociétés se sont habi-
tuées à ce que des hommes, des
anonymes, rendant ainsi à leurs
familles les proches disparus
qu’elles recherchent encore. Cela
ne peut se faire sans un nouvel
effort législatif à l’échelle de
­l’Europe. p
Charles Autheman,
­consultant international
­spécialisé dans les droits
­humains ; Cristina Cattaneo,
­professeure titulaire
en médecine légale à l’institut
Labanof, université de Milan
(Italie) ; Tania Delabarde,
­anthropologue légiste, Institut
médico-légal de Paris ;
Bertrand Ludes,
­professeur de médecine légale,
directeur de l’Institut médico-
légal de Paris
0123
­
­Jeudi 31­ août 2023 Idées | 27

Méga, hyper…
et préposition latine signifiant « sur, au-des-
sus, par-delà », super indique d’abord une
position supérieure dans un ordre spatial.
Très vite populaire et utilisé dans la langue
familière, il revêt également un sens figuré :
superadulta signifie ainsi « tout à fait nu-
bile », et s’éloigne du paradigme locatif.
Cet emploi abstrait est d’abord limité aux
registres techniques. Au XXe siècle, il se
Longtemps réservés à la formation de termes scientifiques, les préfixes ­généralise sous l’influence de l’anglais,
d’abord dans le langage publicitaire (cuisine
exprimant le haut degré ou l’excès sont devenus d’inépuisables outils de création supermoderne), puis dans la langue fami-
de néologismes caractéristiques de la quête d’intensité de l’époque lière, notamment avec des adverbes – les
­super bien prospèrent. Comme pour le pré-
fixe hyper, le sens figuré de super se retrouve
Histoire d’une expression de Morel, diplômé en création littéraire, et
Elie Petit, maître de conférences à l’univer-
désormais dans des termes du registre cou-
rant, tels superbombe ou supercarburant.
ces préfixes « servent à former de nombreux
mots, notamment des termes savants », il est
fautif selon l’Académie « de les employer de-
vant des adjectifs courants pour leur donner
plus de force, à la manière des adverbes d’in-
tensité comme très, extrêmement. » Hyper-
gentil est à proscrire, de même que l’emploi
absolu de ces termes dans des phrases excla-
matives : « Hyper !, super !, trop ! ou c’est
géant ! sont autant de façons de parler à
oublier », prescrit l’Académie.
Il n’est cependant rien écrit des usages plus
récents de ces deux particules dont la nature
grammaticale semble osciller. Hyper et super
tendent en effet à être employés comme ad-
verbes depuis les années 1980 : « Il fait hyper
beau, c’est super bien. » Depuis les années

M
égafeux canadiens ou méga-
bassines polémiques, super-
profits des entreprises ou su-
permarchés ordinaires, hyper-
sensibilité ou hyperallergie… Les substantifs
flanqués de préfixes exprimant le haut degré
semblent fleurir au gré de notre actualité.
Aisément intelligibles, ces termes font en-
tendre les hypertrophies du présent à l’aide
de particules bien pratiques lorsqu’il s’agit
de forger de nouveaux termes.
A la manière du suffixe qui se glisse à la fin
des mots, et du moins illustre infixe qui
­s’insinue à l’intérieur d’un terme – tel rêvas-
ser, construit à partir de rêver –, le préfixe fait
partie des affixes, courts éléments lexicaux
s’ajoutant à un mot pour en modifier le sens.
Extrêmement prolifiques, « ce sont les sylla-
bes qui sonnent et entêtent aux extrémités des
mots. Qui battent la mesure de la parole »,
lit-on dans la récente revue Affixe qui leur est
entièrement consacrée, dirigée par Tugdual
sité Paris-Nanterre.
Bien avant notre siècle et la démesure qu’on
lui prête, les préfixes « hyper », « méga », « ar-
chi » et autres « super » ou « ultra » ont été de
commodes outils pour former des néolo­-
gismes. Aux origines de cette nébuleuse
­préfixale, on trouve des adjectifs, par exem-
ple « maxi » et « méga », mais surtout des
­prépositions locatives, grecques ou latines.
Ainsi, hyper provient du grec huper signifiant
« au-dessus, au-delà » et a longtemps servi en
français à la formation de termes scientifi-
ques, notamment médicaux – hypercoque­-
luche ou hyperpigmentation.
Exprimant le haut degré et l’excès, il est
bientôt employé dans le registre courant afin
de former des adjectifs et des noms, comme
hypermarché. Le Dictionnaire historique de
la langue française (sous la direction d’Alain
Rey, Le Robert, 2022) nous indique cepen-
dant qu’il est moins employé que son homo-
logue issu du latin classique super. Adverbe
Abondance et épuisement
On le voit, les significations de ces préfixes in-
tensifs sont très proches, au point qu’il est dif-
Qu’on ficile de distinguer leurs nuances ou d’établir
une gradation fine entre archi et super, entre
se désespère de méga et hyper. Toutefois, au-delà de l’expres-
sion de l’intensité, ces préfixes, polysémiques,
leur hégémonie ont chacun leurs particularités. Méga est ainsi
utilisé comme unité de mesure et construit
ou qu’on s’en mégatonne et mégawatt, tandis qu’extra ren-
réjouisse, voie au sens d’extériorité – on parle d’un ac-
cord extra-européen. Hyper, quant à lui, s’est
comment particulièrement développé à l’ère d’Internet
et des nouvelles réalités qui en résultent. Venu
expliquer de l’anglais, le néologisme hyperlien, condui-
la vitalité de sant à l’adjectif hypertextuel, est ainsi accepté
par la commission de terminologie française
ces préfixes ? en 1999, puis par l’Académie française.
Celle-ci, justement, consacre un article
« Dire, Ne pas dire » aux cas d’hyper et de su-
per, et de leurs emplois illicites nombreux. Si
1950, super, décidément sans limite, se ren-
contre régulièrement comme adjectif attri-
but – « elle est super » – et même épithète –
« une super-amie ».
Qu’on se désespère de leur hégémonie ou
qu’on s’en réjouisse, comment expliquer la
vitalité de ces préfixes qui surgissent à cha-
que coin de mot ? Dans Je parle comme je suis
(Grasset, 2020), la linguiste Julie Neveux ana-
lyse l’érosion cyclique des termes intensifs,
et résume : « L’intensité se vit dans une abon-
dance et un épuisement : son expression est
condamnée à une péremption rapide. Le lan-
gage s’use vite, encore plus vite que notre
quête d’intensité, qui nous use nous aussi. »
Face à cette surabondance usante et jamais
suffisante, peut-être serait-il temps de donner
aux pendants de ces préfixes gargantuesques
la même assise, et de mettre notre inventivité
au service de l’observation du minuscule, du
« micro », de l’« hypo » et du « sub ». p
Clara Cini

Chronique | par Pauline Grosjean

Des objets témoins des migrations
Les conflits politiques Livre avocats, des architectes, des so-
ciologues ou des géographes. La
au printemps au Palais de la Porte-
Dorée, ces objets sont organisés

ne se régleront pas au travail U ne marionnette de théâ-

tre forain du début du
XXe siècle représentant
un grotesque « Monsieur Bam-
boula », une paire de bottes à la-
mission de ces auteurs venus
d’horizons différents est, selon la
directrice générale du musée,
Constance Rivière, de faire surgir
les « 1 000 mondes » racontés par
autour de onze dates-clés qui ré-
sonnent avec l’histoire de France.
Certains d’entre eux évoquent le
Code noir qui régissait la société
esclavagiste, d’autres, la fuite des

A lors que la confiance en l’Etat

s’effrite dans de nombreux
pays, en réaction soit à l’inac-
tion gouvernementale, comme en
matière d’écologie, soit, au contraire, à
cer ce soutien. De la politique, par
­conséquent, plutôt bon marché.
Les auteurs ont ensuite étudié les ef-
fets de ces annonces sur les salariés,
soit 6,5 millions de commentaires et
cets ayant appartenu à un immi-
gré italien engagé en 1914 dans
l’armée française ou un casque de
chantier porté par un immigré
portugais ayant fui la dictature
ces « réservoirs à souvenirs » qui
constituent autant de « supports
à l’imaginaire ».

des décisions clivantes, comme l’abo-
lition du droit constitutionnel à l’avor-
tement aux Etats-Unis, beaucoup en
appellent à la responsabilité des entre-
prises. Certains voient dans le secteur
privé, à travers les initiatives dites « de
responsabilité environnementale, so-
ciale et de gouvernance », le salut face
aux failles politiques.
Une étude montre que de salut il n’y
aura point (P. Adrjan, S. Gudell, E. Nix,
A. Shrivastava, J. Sockin, E. Starr,
« We’ve Got You Covered : Employer
and Employee Responses to Dobbs v.
Jackson », Institute of Labor Econo-
mics, août 2023). L’entreprise ne sera
pas le lieu de résolution du conflit po-
litique. Et, au-delà des effets d’an-
nonce, ce sont bien les intérêts privés
de chacun qui prévaudront afin de
préserver l’activité économique.
Le contexte est l’arrêt Dobbs vs Jack-
son de la Cour suprême des Etats-Unis,
qui supprima le droit constitutionnel
à l’avortement le 24 juin 2022. Cette
décision entraîna une abrogation to-
tale ou partielle du droit à l’avorte-
ment dans près de 25 Etats, les plus ré-
publicains. Des centaines d’entrepri-
ses (444, répertoriées par les auteurs)
réagirent en annonçant qu’elles in-
demniseraient leurs employées si cel-
les-ci devaient voyager dans un autre
Etat pour subir un avortement.
Ce sont les entreprises dirigées par
des femmes et par des démocrates qui
s’engagèrent plus que les autres. En
moyenne, les auteurs estiment que le
soutien financier offert à leurs em-
ployées en cas de nécessité de voyager
pour subir un avortement équivaut à
environ 5 % du salaire moyen de ces
entreprises. Cependant, ce sont plutôt
les entreprises situées dans les Etats
où le droit à l’avortement fut main-
tenu, et, donc, où les employées n’ont
pas besoin d’accéder à ces fonds, qui
furent les plus susceptibles d’annon-
Les annonces politiques
des entreprises
attirent des employés
du même bord mais
en rebutent d’autres
« Récit choral »
émigrés après la Révolution fran-
çaise, le massacre des Italiens
d’Aigues-Mortes de 1893, les ti-
railleurs sénégalais de la première
guerre mondiale, le « certificat
notations publiés sur le site Glassdoor ­salazariste en 1963. Réunis dans Ces objets viennent du Musée Nansen » des réfugiés de l’entre-
par des employés existants et les ré- Une histoire Une histoire de l’immigration en ­national de l’histoire de l’immi- deux-guerres, le parcours de la
ponses de demandeurs d’emploi à de l’immigration 100 objets publié par les éditions gration, qui a réuni, depuis sa « Vénus noire » Joséphine Baker, la
2,5 millions d’annonces hébergées par en 100 objets de La Martinière et le Musée natio- création en 2007, plus de 7 000 do- rafle du Vél’ d’Hiv de 1942 ou la
le plus grand site Internet de recher- sous la direction nal de la Porte-Dorée, chacun de cuments, œuvres, photographies, « jungle » de Calais.
che d’emploi, Indeed, qui compte de Sébastien ces objets raconte non pas l’his- affiches et archives qui rendent Dans un pays où 30 % des adul-
300 millions de visiteurs mensuels. Gökalp, toire des mouvements migratoi- « visible et compréhensible », selon tes sont immigrés ou ont un pa-
L’intérêt (mesuré par le nombre de Ed. de La Martinière, res, précise le chercheur François Constance Rivière, la longue his- rent ou un grand-parent immigré,
clics) pour les postes à pourvoir dans 336 pages, 26 euros Héran, mais l’histoire de France toire des migrations françaises. cet ouvrage, à la fois émouvant, sa-
les entreprises engagées augmenta de « au prisme des migrations ». Face à la truelle du père de l’écri- vant et salutaire, permet, selon le
8 %. Cet effet est énorme : il est compa- Présentés par ordre chronologi- vain François Cavanna ou au banc mot de l’historien Patrick Bouche-
rable à l’intérêt généré par un salaire que à partir de la date symbolique couvert de graffitis des étrangers ron de dépasser les « grandes gé-
plus élevé de 12 %. Et ce sont principa- de 1685, marquée par la promul- sans visa arrêtés à Roissy, « l’ima- néralités vagues et potentielle-
lement les femmes, dans les Etats dé- gation du Code noir et la révoca- gination se met en route la pre- ment haineuses » pour bâtir un
mocrates, qui réagirent de cette façon. tion de l’édit de Nantes, ces objets mière ». « Puis, la curiosité prend le « récit choral » sur l’histoire de la
Leur réaction est plus forte pour des sont accompagnés de courts tex- relais pour connaître l’histoire véri- France – loin des crispations idéo-
postes qualifiés et bien rémunérés, et tes rédigés par des historiens, des table et, enfin, l’horizon s’élargit logiques et des passions verbales
est indépendante du soutien financier écrivains, des hommes politi- par la grâce de cette rencontre. » qui accompagnent le plus souvent
offert, ce qui suggère que l’effet d’an- ques, des critiques d’art, des réali- Dans le livre comme dans l’ex- les débats sur l’immigration. p
nonce domine l’aspect financier de sateurs, des anthropologues, des position permanente inaugurée Anne Chemin
ces politiques de soutien.
L’« effet ouin-ouin »
Mais la satisfaction des employés pré-
sents dans l’entreprise, elle, baissa for-
tement. La notation des dirigeants
Poutine et Prigojine | par Serguei
chuta de 8 %, soit plus qu’après un
scandale de fraude fiscale ! Et, bien
qu’il soit impossible d’établir avec cer-
titude le genre de ces mécontents − les
commentaires sur Glassdoor étant
anonymes −, l’effet vient principale-
ment des employés occupant des mé-
tiers traditionnellement masculins.
L’« effet ouin-ouin ». Ce mécontente-
ment se révèle par des démissions et
dans la nature des commentaires. Par
exemple, dans la rubrique « contre »
de Glassdoor, le mot « woke » revient
plus souvent (+ 325 %) après l’annonce
de leur employeur. Les entreprises de
ces mécontents ont réagi en augmen-
tant les salaires de 4 %.
Ainsi, les annonces politiques des
entreprises, loin de résoudre ce type
de conflits, les portent au sein des en-
treprises. Elles leur permettent d’atti-
rer des employés du même bord poli-
tique (sans doute à moindre salaire)
mais en rebutent d’autres, qui démis-
sionneront, à moins d’être compensés
financièrement. Cette segmentation
au sein du monde du travail, en rédui-
sant davantage les aires de débat, ris-
que d’aggraver les conflits sociaux. p
Pauline Grosjean est professeure
d’économie à l’université de
Nouvelle-Galles du Sud (Australie)

28 | 0123
Géopolitique | chronique
par Sy lv ie Kauf fmann
« Les fous »,
l’Afrique et la France
O La formule
n vit chez les fous ! » La
formule, très répandue
dans la vie de bureau
autour de la machine à
café, l’est moins de la tribune d’un
président de la République fran-
çaise, a fortiori quand elle se rap-
porte à certaines élites africaines.
Le fait qu’elle ait échappé à Emma-
nuel Macron au cours de son dis-
cours devant les ambassadeurs,
lundi 28 août à l’Elysée, reflète la
frustration de Paris face à l’image
d’échec de sa politique africaine
que projette le coup d’Etat du
26 juillet au Niger. L’annonce d’un
nouveau putsch, au Gabon cette
fois, à peine deux jours après ce
discours, est venue assombrir un
peu plus le panorama.
Les « fous », ce sont, dans le lan-
gage macronien, « cette alliance
baroque de prétendus panafricains
avec des néo-impérialistes » qui re-
jette la présence française en Afri-
que subsaharienne. Intéressante
description de la dynamique à
l’œuvre dans une région où l’ex-
puissance coloniale ne cesse de re-
culer sous l’effet de ce que M. Ma-
cron appelle « une épidémie de
putschs ». Le Niger fut son refuge
lorsque les militaires basés au Mali
ont dû plier bagage. Aujour­d’hui,
une junte à Niamey demande à
son tour aux Français de partir.
Bravache, la France refuse le dik-
tat des putschistes, maintient son
ambassadeur au-delà de l’ultima-
tum posé pour son départ, mise
sur les dissensions au sein de la
junte et sur l’effet des sanctions.
M. Macron tente de sauver l’hon-
neur en se posant en défenseur de
la démocratie : la France ne saurait
abandonner aux preneurs d’otage
un président élu dont « le courage
et l’engagement » collent aux va-
leurs défendues par l’Occident.
Un brin donquichottesque
Au passage, le président a déco-
ché un coup de patte à ces capita-
les occidentales qui prônent
l’apaisement : Washington, qui se
garde bien d’appeler un putsch
un putsch à Niamey et que l’on dit
prêt au compromis avec la junte
pour sauver ses bases militaires, a
même eu droit à une mention
particulière. Catherine Colonna,
la ministre des affaires étrangè-
res, est d’ailleurs revenue mardi
sur le sujet avec le même coup de
patte : Paris exige le retour au
plein ordre constitutionnel au Ni-
ger, a-t-elle souligné, « par fidélité
à des principes démocratiques »,
« même si d’autres hésitent ». De
toute évidence, la France se sent
un peu seule dans cette posture.
Un brin donquichottesque, la
position ne manque pas de pana-
che. M. Macron l’assortit d’un ar-
gument supplémentaire : le fac-
teur géopolitique. Dans une autre
partie de son discours, il évoque
le « risque d’affaiblissement de
l’Occident, et en particulier de l’Eu-
rope », face aux puissances qui
contestent le système multilaté-
ral onusien et cherchent à établir
un ordre international autre que
celui mis en place par les Etats-
Unis au XXe siècle. Ces puissan-
ces, notamment la Chine et la
Russie, sont actives sur le conti-
nent africain. Même si rien ne
permet d’indiquer que Moscou
ait été à la manœuvre dans les
On voit mal
comment la France
peut résister à
cette lame de fond
qui porte
des militaires
au pouvoir en
Afrique de l’Ouest
0123
­
­Jeudi 31­ août 2023
Macron
et la quête
Ce n’est pas la première fois qu’Emmanuel nourrissent la crise démocratique et la
du consensus
Macron court après le consensus. Devenu
depuis six ans le président des crises, il a, à
de nombreuses reprises, invoqué l’esprit du
montée du lepénisme : la perte d’efficacité
de l’action publique, la complexité de
­l’organisation territoriale, notamment. En-
Conseil national de la Résistance (CNR), qui
était parvenu, en 1944, à bâtir au-delà des cli-
vages un programme de redressement dont
fin, parce que les émeutes urbaines du
­début de l’été ont mis en exergue l’ampleur
de la déchirure nationale sans qu’un seul
le pays porte encore les traces. Mais, même parti ait cru bon, à ce jour, de tirer publique-
lorsque les circonstances se sont prêtées à ment les leçons de ce traumatisme.
l’union, comme ce fut le cas pendant la Dans ce contexte, aucun de ceux qui s’op-
­pandémie, il n’est pas parvenu à lever la mé- posent à Emmanuel Macron n’a pris le ris-
qui a échappé à fiance de ses opposants, qui lui ont reproché que de pratiquer la politique de la chaise
d’être trop vertical, voire « jupitérien ». De- vide, et c’est heureux : consacrer une après-
Emmanuel Macron puis juin 2022, le climat politique s’est en- midi et une soirée à débattre à huis clos de
core durci, avec la perte de la majorité abso- sujets aussi lourds que l’intégration, l’édu-
au cours de son
discours devant les
ambassadeurs
U n scepticisme légitime accompa-
gne la rencontre au sommet orga-
nisée mercredi 30 août à la mai-
son d’éducation de la Légion d’honneur à
Saint-Denis (Seine-Saint-Denis). En pré-
lue à l’Assemblée nationale et la forte oppo-
sition suscitée par la réforme des retraites.
L’annonce par la gauche qu’elle se rendrait
au rendez-vous mais boycotterait le dîner
résume le climat suspicieux de ces ren­-
cation, l’autorité, la citoyenneté et les insti-
tutions apparaît même court, au regard des
enjeux. Reste que la crainte de se retrouver
piégé par une manœuvre présidentielle est
forte. Elle pousse chaque camp à venir
reflète la sence de la première ministre et des prési- contres de Saint-Denis, qui ont peu de chan- bardé d’exigences : la gauche veut un réfé-
frustration de Paris dents des trois Assemblées (Assemblée na- ces de ressembler à « l’initiative politique rendum pour abolir la réforme des retrai-
tionale, Sénat, Conseil économique, social majeure » rêvée par Emmanuel Macron. Ra- tes, la droite une consultation populaire
et environnemental), le chef de l’Etat va mené à de plus justes proportions, le ren- pour restreindre l’immigration, qu’elle
événements du Niger, les efforts tenter de convaincre les représentants des dez-vous a cependant une indéniable utilité. rend responsable des violences de l’été.
déployés par le régime de Poutine onze partis représentés au Parlement que, D’abord parce que le monde est en plein Si Emmanuel Macron ne parvient pas à
pour exploiter le sentiment anti- en dépit des tensions qui y règnent, il est bouleversement, du fait notamment d’une trouver les mots justes pour décrisper, s’il
français dans les pays du Sahel possible de trouver quelques terrains d’en- crise climatique qui s’intensifie, et que le n’adopte pas une réelle posture d’écoute
sont notoires. Les résultats sont tente au service des Français d’ici à la fin du pays ne peut pas s’offrir le luxe d’être au ra- pour susciter le débat et faire émerger des
déjà tangibles au Mali et au Bur- quinquennat. Si tel est le cas, les proposi- lenti pendant quatre ans. Ensuite, parce que propositions plus rassembleuses, le rendez-
kina Faso, où les milices Wagner tions qui émergent seront susceptibles de l’action publique bute depuis des années, vous sera manqué. Il ne ressemblera qu’à
ont pris leurs quartiers, comme déboucher sur des textes dont une partie quelle que soit la couleur politique des gou- une course-poursuite derrière la droite,
dans quelques autres pays. pourraient être soumis à référendum. vernants, sur des problèmes structurels qui dont il cherche les voix au Parlement. p
L’Afrique est devenue l’un des
terrains de jeu privilégiés des
puissances, grandes et moyen-
nes, qui y rivalisent d’influence et
de contre-influence. Le ministre
ukrainien des affaires étrangères,
Dmytro Kuleba, ne s’y est pas
trompé, qui y a fait plusieurs
­visites depuis le début de l’agres-
sion russe contre son pays, pour
contrer le récit répandu par son
collègue russe, Sergueï Lavrov,
­visiteur familier du continent.
Irrémédiablement marquée du
sceau colonial, la France vit
d’autant plus mal son éviction
qu’elle a le sentiment de s’être ac-
quittée, à la demande des autori-
tés locales, d’une tâche que les ar-
mées africaines ne parvenaient
pas à remplir seules : la lutte anti-
terroriste contre le djihad. M. Ma-
cron a sans doute raison de rap-
peler que si les troupes françaises
n’étaient pas intervenues au Mali
en 2013 pour arrêter la progres-
sion des islamistes vers Bamako,
certains de ces pays n’existeraient
pas aujourd’hui dans la même
configuration. Il s’indigne de tant
d’ingratitude, alors que la mis-
sion a coûté la vie à cinquante-
huit soldats français : « C’est mal
d’avoir fait ça ? De grâce, non ! »
Le problème n’est pas d’être in-
tervenu en 2013, mais d’être resté
et de ne pas avoir adapté sa straté-
gie à l’évolution du conflit. Les
­bases militaires françaises et
leurs drapeaux tricolores ont pris
des airs pérennes de moins en
moins compatibles avec les aspi-
rations souverainistes d’une par-
tie des élites africaines. Les Amé-
ricains, très heureux de laisser les
troupes françaises en première
­ligne dans ce combat tout en les
épaulant à l’aide de drones et de
soutien logistique, entretiennent
aussi des bases militaires au Sa-
hel, mais ils sont moins visibles.
Et surtout, ils n’ont pas le fardeau
colonial des Français.
On voit mal comment Paris
peut résister à cette lame de fond
qui porte au pouvoir en Afrique
de l’Ouest des militaires pour la
plupart formés, ironie du sort, en
Occident, et fait de la France le
bouc émissaire de tous les maux.
Son discours démocratique n’est
plus audible face à ses propres
­ambiguïtés − Paris s’était mieux
accommodé de la chute de prési-
dents élus au Mali et au Burkina
Faso −, à l’extension de l’activité
djihadiste et à la faiblesse de la
gouvernance locale. Aux Euro-
péens maintenant de prendre
conscience de l’enjeu géopolitique LE 1ER SEPTEMBRE
et d’assurer une forme de relève. À DÉCOUVRIR AVEC
Trop longtemps, ils ont considéré M LE MAGAZINE DU MONDE
que la France n’agissait en Afrique LE GOÛT DE M CONSACRÉ À L’ITALIE :
LIFESTYLE, MODE, GASTRONOMIE,
que par intérêt postcolonial, pour
DESIGN ET VOYAGE
préserver une zone d’influence.
RETROUVEZ LE GOÛT DU MONDE SUR LE MONDE.FR
Depuis le coup d’Etat au Niger, ils
font le dos rond à Bruxelles, espé-
@M_MAGAZINE +
rant sans doute que la crise pas-
sera. Ils se trompent. Non, on ne
vit pas chez les fous. C’est juste le
monde moderne. p