JEUDI 16 AVRIL 2020

76E ANNÉE– NO 23411

2,80 € – FRANCE MÉTROPOLITAINE
WWW.LEMONDE.FR –
FONDATEUR : HUBERT BEUVE-MÉRY
DIRECTEUR : JÉRÔME FENOGLIO

Trump rejette la responsabilité de la crise sur l’OMS
▶ Le président américain a ▶ Le locataire de la Maison ▶ Cette sanction intervient ▶ Accusé d’avoir lui­même ▶ Il est également en butte
décidé, mardi 14 avril, de Blanche reproche à l’insti­ alors que les Etats­Unis sous­estimé le Covid­19, à l’opposition de plusieurs
geler la contribution de tution de s’être rangée sont officiellement le pays Donald Trump se défausse gouverneurs d’Etat qui
son pays à l’Organisation derrière le discours officiel le plus touché par l’épidé­ donc sur l’OMS et confirme entendent maintenir les
mondiale de la santé, ju­ de la Chine, minimisant la mie, avec 25 000 morts, sa ligne de rejet des organi­ mesures de confinement
gée trop proche de Pékin gravité de la maladie dont 2 200 ce mardi sations multilatérales PAGE 8

Sans­abri
L’infortune
AVEC L’ARMÉE DE L’OMBRE DES HÔPITAUX Economie
Le FMI prédit 
▶ Femmes de ménage, brancardiers, magasiniers : invisibles mais essentiels PAG ES 2- 3
des « confinés  une récession 
dehors » historique
Dans les quartiers nord et
le fonds monétaire internatio­
est de Paris, les sans­abri nal prévoit une contraction du
et les toxicomanes, surex­ PIB de la planète de 3 % en 2020 et
posés à la maladie, sont n’exclut pas une chute plus bru­
les derniers à errer dans tale encore en 2021. Les pays les
des rues quasi désertes plus touchés seront ceux de la
zone euro, avec une contraction
PAGES 22-23 pouvant atteindre 7,5 % (7,2 %
pour la France). La pandémie
pourrait faire basculer un demi­
milliard d’habitants dans la pau­
Education vreté, effaçant les gains des dix à
trente dernières années.
Les parents Mario Centeno, président de
l’Eurogroupe, évoque dans un en­

au bord de tretien le plan de relance que vont

devoir imaginer les Européens.
PAGE 15
la crise de nerfs
L’école à la maison tourne
parfois au calvaire : conci­ 1
É D ITO RI A L
lier le télétravail, le flux de
devoirs envoyés par les
profs, le confinement et LA CHINE DOIT 
l’humeur des ados est loin ANNULER DES 
d’être évident. Où l’on dé­
couvre que le sens péda­ DETTES AFRICAINES
gogique n’est pas inné PA GE 28
PAGE 14 Diby Tounkara, femme de ménage, à l’hôpital de Villeneuve­Saint­Georges (Val­de­Marne), le 10 avril. LUCAS BARIOULET POUR LE MONDE

Politique Photoreportage Commerce TURQUIE

Entre confinement
Emmanuel A bord d’un La justice somme improvisé, vraie­fausse
Macron TGV­hôpital Amazon France démission du ministre
à la recherche de de campagne, en de se borner aux de l’intérieur et amnistie
l’union nationale route vers le Sud produits essentiels de 90 000 prisonniers
non politiques, la gestion
PAGE 13 PAG E 4 PAGE 17 erratique de la crise par
le président Erdogan
PAGE 6
LE REGARD DE PLANTU
RUSSIE
Face à l’afflux de patients,
les hôpitaux de Moscou
« atteignent leurs limites »
PAGE 8

INDE
La prolongation du
confinement provoque
un vaste exode vers les
campagnes et la panique
dans le plus grand
bidonville de Bombay
PAGE 9

ISRAËL
Après avoir ignoré les
consignes de distancia­
tion sociale, Yaakov Litz­
man, ministre de la santé
issu d’un parti ultraortho­
doxe, est contaminé
PAGE 10
Algérie 220 DA, Allemagne 3,70 €, Andorre 3,50 €, Autriche 3,80 €, Belgique 3,10 €, Cameroun 2 400 F CFA, Canada 5,70 $ Can, Chypre 3,20 €, Côte d'Ivoire 2 400 F CFA, Danemark 36 KRD, Espagne 3,50 €, Gabon 2 400 F CFA, Grande-Bretagne 3,10 £, Grèce 3,50 €, Guadeloupe-Martinique 3,20 €, Guyane 3,50 €,
Hongrie 1 330 HUF, Irlande 3,50 €, Italie 3,50 €, Liban 6 500 LBP, Luxembourg 3,20 €, Malte 3,20 €, Maroc 22 DH, Pays-Bas 3,80 €, Portugal cont. 3,50 €, La Réunion 3,20 €, Sénégal 2 400 F CFA, Suisse 4,40 CHF, TOM Avion 500 XPF, Tunisie 4,10 DT, Afrique CFA autres 2 400 F CFA
 CORONAVIRUS
2|
Covid­19 : invisible et 
essentielle, l’armée de 
l’ombre des hôpitaux
Femmes de ménage, brancardiers, magasiniers :
en seconde ligne derrière les soignants s’active
un personnel sans qui l’hôpital ne fonctionnerait pas
REPORTAGE
D
eux agents de l’Assistance
publique­Hôpitaux de Paris
(AP­HP) sont morts, jeudi
9 avril. Les deux premiers
décès dus au Covid­19 au
sein du personnel de cette
gigantesque structure hospitalière – 39 éta­
blissements, 100 000 employés. Ils n’étaient
ni médecins, ni infirmiers, ni aides­soi­
gnants. L’un était électricien à l’hôpital An­
toine­Béclère de Clamart (Hauts­de­Seine),
l’autre était vaguemestre à Bichat (Paris 18e).
En plus de mettre en lumière une fonction
méconnue – le vaguemestre est le responsa­
ble du courrier –, la triste nouvelle a souligné
à quel point l’hôpital était, plus qu’un grou­
pement de soignants, une ville dans la ville.
« Un hôpital, c’est une centaine de métiers »,
explique Catherine Vauconsant, directrice
du centre hospitalier intercommunal de
Villeneuve­Saint­Georges (CHIV), perché sur
une colline à cheval sur l’Essonne et le
Val­de­Marne, où l’on perçoit mieux, ces
temps­ci, le chant des oiseaux normale­
ment recouvert par le bruit des avions
d’Orly, et le rôle essentiel du personnel non
médical : « La crise sanitaire a révélé un cer­
tain nombre de gens en support des profes­
sions du soin, et le fait que les uns ne peuvent
pas vivre sans les autres. »
Le Monde s’est rendu au CHIV – 32 lits de réa­
nimation, tous pleins – pour rencontrer ceux
auxquels les citoyens confinés applaudissant
à leurs fenêtres à 20 heures ne pensent pas
forcément, ceux qui ne portent pas de blou­
ses blanches, mais qui prennent soin des soi­
gnants, ceux qui sont partout mais que les pa­
tients ne croisent que furtivement, ne devi­
nent que de loin, ou ne voient pas. Il faut par­
fois explorer les sous­sols des hôpitaux pour
trouver ceux qui turbinent dans leurs
entrailles, rouages invisibles et essentiels
d’un moteur qui ne tournerait pas sans eux.
CAVERNE D’ALI BABA
L’hôpital ne fonctionnerait pas sans Thierry
Ancien, responsable de l’approvisionne­
ment pour les services de soins, qui œuvre
au cœur d’une mini­zone industrielle collée
à l’arrière de l’hôpital. Toute la journée, des
camions y déchargent les palettes de blou­
ses, de masques, de gants ou de draps qu’il a
commandés, matériel à usage unique dont
la consommation a explosé depuis le début
de la crise. Un stock de blouses qui durait
deux semaines s’évapore désormais en une
journée, leur prix est passé de 20 centimes à
4,68 euros l’unité.
Thierry Ancien multiplie les coups de fil et
combat le stress de la commande qui n’ar­
rive pas, la rupture de stock est parfois évitée
de quelques heures. « On est comme tout le
monde, on est aux abois, on cherche
partout. » Un samedi, un agent de l’hôpital a
dû rouler jusque chez un fournisseur de
secours en Belgique pour chercher les ta­
bliers et les ponchos à usage unique qui me­
naçaient de faire défaut.
Thierry Ancien ne signe plus les accusés de
réception pour éviter tout risque de conta­
mination. Puis le matériel file au magasin,
un vaste entrepôt où des gros bras cavalent
toute la journée au milieu des cartons pour
préparer les commandes qui ont été passées
par chaque service de l’hôpital – en mas­
ques, en blouses et en gel, mais aussi en
bouteilles d’eau, en papier à imprimante ou
en papier toilette. C’est tout un art, chacun
sait où se trouve chacune des 600 référen­
ces stockées dans cette caverne d’Ali Baba ; il
faut éviter les allers­retours au moment de
remplir le chariot.
Le nombre de commandes quotidiennes
est passé de 15 à 45, avec des pointes à 60 ou
70, explique le gouailleur Miguel Guedes,
32 ans, ancien grutier, ancien brancardier,
désormais magasinier, comme son père
l’avait été. « Je ne me souviens plus du jour
précis où ça s’est mis à faire mal, mais en ce
moment, ça pique tous les jours. D’habitude,
le matin, on prend dix minutes pour un café.
Aujourd’hui, on se sert le café froid de la veille,
et c’est parti, enquille, mon pote ! A la guerre
comme à la guerre. »
Même activité frénétique dans l’entrepôt
voisin, celui de la pharmacie, où Tracy
Joseph et ses collègues gèrent le stock de
médicaments, de seringues, de cathéters, et
préparent les commandes en veillant à
envoyer la tubulure avec le bon diamètre et
le bon embout : « On est là pour faire en sorte
que les soignants n’aient qu’à se retourner
pour trouver ce dont ils ont besoin, dit la
jeune femme. S’il n’y avait pas de pharmacie,
ce serait aux services de gérer tout ça, et ça ne
serait pas tenable, Covid ou pas Covid. »
« CERTAINS M’APPELLENT MACGYVER »
Dans le périmètre restreint de cette mini­
zone industrielle, pendant que Miguel
Guedes et Tracy Joseph empilent les flacons
de gel hydroalcoolique et les bonbonnes
d’oxygène dans leurs chariots, Hélène Cazo­
mont, à la lingerie, prépare les draps des
patients et les tenues du personnel ; Antonio
Marques, ingénieur biomédical, répare de
vieux respirateurs artificiels ou en bricole de
nouveaux à l’aide des masques de plongée
Decathlon, adaptés pour l’occasion ; Erick
Levostre, lui, répare tout et n’importe quoi,
le vérin défectueux d’un lit qui l’empêche de
s’incliner, la roue bloquée d’un fauteuil, une
agrafeuse électrique en panne. Son badge
indique « électromécanicien ». « Certains
services m’appellent MacGyver. »
Quand la crise a éclaté, il a fallu repenser
toute la structure de l’hôpital, délimiter une
zone Covid et une zone non­Covid, rapatrier
tous les lits éparpillés. Erick Levostre était à
la baguette. Le virus l’inquiète modérément
– « Est­ce que ça va changer quelque chose de
vivre avec la peur ? » –, mais comme il est
cardiaque, il n’entre plus dans les chambres,
par précaution. Quand un lit tombe en
panne, on le sort et on le désinfecte pour lui,
puis il descend le retaper dans son garage à
lits. Cet homme à tout faire travaille dans
l’ombre, au sens propre : son atelier sans
fenêtre est situé au fond d’un couloir obscur.
« Parfois, je sors en fin de journée, et je dis :
“Zut alors, il faisait beau aujourd’hui ?” »
Pistons de la chaîne logistique, Amine
Brick, Thibaut Celestin et la dizaine de
membres de l’équipe de transport avalent
des kilomètres de couloir et des centaines
d’étages d’ascenseur chaque jour. « On
connaît l’hôpital par cœur. » Leurs chariots
sont pleins du matériel, des médicaments,
du linge ou des plateaux­repas que les uns et
les autres ont préparés pour les services :
« On fait la navette pour permettre aux soi­
gnants de rester au plus proche des patients. »
L’hôpital ne tournerait pas, pour filer la
métaphore guerrière en vogue, sans toute
cette base arrière qui alimente le front. Indis­
pensables également, par les temps infec­
tieux qui courent, sont ceux qui nettoient le
champ de bataille. « Dans cette crise sanitaire,
on s’aperçoit de l’importance des agents du
bionettoyage et de la gestion des déchets,
constate la directrice du CHIV. Heureusement
qu’ils sont là pour que tout le monde puisse
travailler dans un environnement sain. »
Heureusement que Diby Tounkara est là,
derrière son masque, sa blouse, sa sur­
blouse, ses surchaussures et sa charlotte,
pour désinfecter les couloirs et les cham­
bres, les poignées, les rampes, les interrup­
teurs, les accoudoirs, les boutons d’ascen­
seur, les chasses d’eau. « Les gens touchent à
tout. Je nettoie tout. » Avec le Covid­19, « la
Tracy Joseph,
préparatrice
pharmacie,
à l’hôpital de
Villeneuve­
Saint­Georges
(Val­de­Marne),
le 10 avril. LUCAS
BARIOULET POUR « LE MONDE »
Hélène Cazomont,
à la lingerie
de l’hôpital de
Villeneuve­Saint­
Georges (Val­de­
Marne), le 10 avril.
LUCAS BARIOULET
POUR « LE MONDE »
charge de travail a triplé », il faut désinfecter
toutes les deux heures. Diby Tounkara en­
tre parfois « la peur au ventre » dans la
chambre de certains patients, elle pense à
son fils de 4 ans, mais elle y tient : « Quand il
y a du miel, on le mange ensemble, quand
c’est amer, on continue à travailler ensem­
ble. Avec les infirmières et les aides­soignan­
tes, on forme une équipe. »
Florian Biron fait de même : il remplit ses
poubelles dans les étages et les vide dans des
bacs de la mini­zone industrielle, où les
camions poubelles passent le matin. Bac gris
pour les ordures ménagères, bac jaune pour
les déchets infectieux – seringues, perfu­
sions, gants, tout ce qui est au contact du
patient. Pas d’angoisse particulière, il mani­
« ON EST LÀ POUR  pule ces déchets dangereux à longueur d’an­
FAIRE EN SORTE née, c’est juste que lui et ses collègues en ra­
massent deux fois plus que d’habitude – soit
QUE LES SOIGNANTS  20 tonnes par mois au lieu de 10 tonnes. Un
dimanche, début mars, le responsable du
N’AIENT QU’À service salubrité – un des premiers employés
de l’hôpital à avoir attrapé le virus – a reçu un
SE RETOURNER POUR  coup de fil : « Ça déborde dans certains servi­
TROUVER CE DONT ces. » Depuis, les camions poubelles vien­
nent le dimanche aussi.
ILS ONT BESOIN » Il faut de tout pour faire un hôpital. Il faut
TRACY JOSEPH
quelqu’un pour faire le boulot qui semble le
préparatrice pharmacie plus rude. Frédéric De Sa Pedrosa, 31 ans, est le
à l’hôpital de responsable de la chambre mortuaire depuis
Villeneuve-Saint-Georges cinq ans. « Avant, j’étais sur les réquisitions de
police : suicides, meurtres, accidents de la
route. Donc ici, pour moi, c’est bénin. C’est des
gens qui dorment. » La carapace du gaillard
est solide. « C’est pas qu’on n’a pas de cœur,
c’est que si on se met à la place des gens tristes
qu’on voit tous les jours, c’est invivable. » L’hô­
pital ne tournerait pas non plus sans lui.
Quand la sonnerie retentit dans son sous­
sol carrelé, c’est qu’il faut monter chercher
un cadavre dans une chambre. La sonnerie
retentit souvent ces temps­ci : 90 fois en
mars, deux fois plus qu’en temps normal.
Les morts du Covid ne transitent pas par les
« frigos » habituels, deux conteneurs réfrigé­
0123
JEUDI 16 AVRIL 2020
rés de fortune ont été installés derrière l’hô­
pital pour les accueillir.
Le Covid­19 a bouleversé l’activité de tout le
personnel. Miguel Neves De Aguiar, brancar­
dier, brancarde davantage de patients – jus­
qu’à trente dans la journée. Un jour, il a
regardé sa montre connectée pour voir
quelle distance il avait parcourue dans les
couloirs : 22 kilomètres. « J’ai arrêté de regar­
der ma montre. »
LIENS RENFORCÉS
Au plateau d’imagerie, les manipulateurs ra­
dio enchaînent les scanners qui permettent
de déceler le virus. La blanchisserie (externa­
lisée) reçoit désormais le linge sale dans des
sacs hydrosolubles – ce qui n’a pas empêché
le prestataire qui passe le chercher de déplo­
rer plusieurs cas de Covid­19 parmi son per­
sonnel. Le personnel administratif a été ré­
quisitionné pour gérer les innombrables
dons de nourriture qui affluent et les redis­
tribuer au personnel soignant – ce sera tou­
jours ça de moins à cuisiner le soir. Un autre
exemple de la solidarité entre soignants et
non­soignants. Ces derniers représentent un
cinquième des 2 000 agents au CHIV.
D’ailleurs, plutôt que du personnel soi­
gnant, nombre de salariés de la logistique,
de l’hygiène, de la restauration ou de l’admi­
nistration préféreraient entendre parler du
personnel hospitalier lorsqu’il est question
d’hommages. « J’ai du mal à prendre les
applaudissements de 20 heures pour moi. Les
lauriers, je m’en fiche, mais ça me titille un
peu quand même, parce que je vous jure
qu’on s’arrache et qu’on travaille sans comp­
ter nos heures, c’est du bénévolat », dit Mi­
guel Guedes le magasinier, qui touche
1 500 euros net par mois.
A défaut de celle du public, ces travailleurs
de l’ombre ont la reconnaissance des collè­
gues. « Ils nous remercient, et nous font savoir
qu’ils sont bien contents qu’on soit là », sou­
rient Amine Brick et Thibaut Celestin, qui
voient que « la période a renforcé les liens »
0123
JEUDI 16 AVRIL 2020
« Nous sommes passés
à un moment plus politique »
Pour le sociologue Henri Bergeron, la crise sanitaire est désormais
aussi abordée dans sa dimension économique et sociale
ENTRETIEN
D irecteur de recherche au
CNRS et enseignant
chercheur au Centre de
sociologie des organisations à
Sciences Po, Henri Bergeron dé­
crypte le discours prononcé lundi
13 avril par le président de la Ré­
publique annonçant une sortie
progressive du confinement à
partir du 11 mai.
Avez­vous noté un change­
ment de ton dans le discours
présidentiel ?
J’ai constaté une vraie inflexion.
Ce qui m’a frappé, c’est qu’on a eu
dans les premières interventions
un ton assez martial avec un
champ lexical à la fois guerrier et
très médical. Il y a dans l’allocu­
tion du 13 avril une ouverture sur
le champ de l’économie et du so­
cial, qui dans les premiers temps
étaient beaucoup moins au cœur
de la décision.
Certains se demandent si les
mesures pour contenir l’épidé­
mie n’auront pas des conséquen­
ces aussi délétères voire plus que
l’épidémie elle­même. La crise est
donc désormais abordée dans
toutes ses dimensions. Nous
sommes passés à un moment
plus politique même si la possibi­
lité d’un rebond de l’épidémie
peut ramener la question médi­
cale tout en haut de l’agenda.
Le président a beaucoup in­
sisté sur les inégalités sociales,
les invoquant pour justifier la
réouverture des crèches et des
établissements scolaires. Com­
ment analysez­vous ce choix ?
Il y a évidemment deux lectures
possibles. La réouverture des crè­
ches et collèges est une façon de
redonner de la liberté aux parents
pour aller travailler. Mais, c’est
Erick Levostre, aussi une mesure très pragmati­
électromécanicien que pour réduire les inégalités
entre soignants et non­soignants. « Les uns à l’hôpital de créées par le confinement. Cer­
ne peuvent pas vivre sans les autres », a dit la Villeneuve­Saint­ tains enfants ou étudiants sont
directrice, Catherine Vauconsant. Qu’ils Georges (Val­de­ dans des situations très défavora­
portent ou non une blouse blanche, tous se Marne), le 10 avril. bles pour continuer leurs appren­
désinfectent de la tête aux pieds avant d’em­ LUCAS BARIOULET tissages, voire pour vivre décem­
brasser leurs enfants en rentrant à la maison. POUR « LE MONDE » ment tandis que d’autres conti­
Ces derniers jours, une vidéo sur Internet nuent d’avancer.
a marqué les esprits : dans un couloir de
l’hôpital Sant Joan de Deu de Barcelone, Le président a parlé de
deux femmes de ménage sont longuement « failles » dans la gestion de la
applaudies par le personnel soignant. On crise. Est­ce un véritable mea
n’a pas encore vu pareille scène au CHIV. A culpa ou une façon d’anticiper
Bichat, jeudi 9 avril, après la mort du vague­ de futures mises en cause ?
mestre dans une chambre de cet hôpital J’ai voulu l’écouter naïvement :
où il travaillait depuis quarante ans, les avoir un discours raisonnable sur
soignants ont tenu à accompagner le bran­ les capacités et incapacités de
card de leur défunt collègue jusqu’à la l’Etat, reconnaître les difficultés,
chambre mortuaire.  les débats, les incertitudes, et les
henri seckel conflits plutôt que de servir une
Epidémie de Covid-19 : situation au 14 avril, 14 heures
DÉCÈS À L’HÔPITAL HOSPITALISATION HOSPITALISATIONS PAR DÉPARTEMENT
ET RÉANIMATION pour 100 000 habitants
10 129
32 131 de 150 à 213
Personnes
hospitalisées de 100 à 150
depuis le 1 mars
er
de 50 à 100
de 25 à 50
RETOUR À DOMICILE de 10 à 25
28 804 moins de 10
En réanimation
et en soins intensifs
2 972 Petite couronne
6 599
816 771
18 mars 14 avril 18 mars 14 avril
Infographie Le Monde Sources : Santé publique France, Johns Hopkins University
vision irénique, irréaliste et lisse
des processus de formation des
décisions et de l’action publique
est, selon moi, une manière de
tenter de prévenir le populisme, la
montée de la défiance envers les
institutions et le complotisme.
Gouverner en situation d’incer­
titude est une chose complexe.
Sans tout exposer, il est impor­
tant de casser une vision parfaite­
ment rationnelle et utopique de la
décision et de l’action publiques.
C’est prendre au sérieux le citoyen
et éviter de susciter des décep­
tions. Dire « tout va bien », « tout
est sous contrôle » pour ensuite
avoir des commissions d’enquête
qui dénoncent et ciblent des
boucs émissaires n’aide pas à res­
taurer la confiance des citoyens.
Nous devons nous donner les
moyens de travailler sur les causes
systémiques des difficultés de ges­
tion des crises. Les défaillances, s’il
y en a, ne sont pas liées à un indi­
vidu mais à un système qui dé­
raille ou à un ensemble de proces­
sus et d’événements qui conver­
gent pour provoquer l’hésitation,
le retard dans la réaction ou l’er­
reur. Lors de la canicule de 2003,
c’est notamment une gestion sous
forme de tableaux de bord avec
des indicateurs qui a conduit à une
forme d’invisibilisation de ce que
l’on voyait très bien par ailleurs
dans les services des urgences.
Pourquoi pas davantage de
précisions sur les modalités
de sortie du confinement dans
le discours du président ?
Ce n’est pas dans le rôle du prési­
dent lors de ce type d’allocution.
Je ne m’attendais pas à ce qu’il
rentre dans les détails techniques
qui vont être extrêmement com­
plexes. Là, Emmanuel Macron
s’est voulu beaucoup plus proche
des gens, avec des ressorts diffé­
rents des allocutions précéden­
tes. On ne parle plus d’une mobi­
lisation face à l’ennemi mais de
rassemblement, d’inventivité.
Par le passé, la gestion
des crises a été confiée à des
entités interministérielles.
Cette fois, elle est pilotée
par le ministère de la santé…
Le président, le premier ministre
et le ministre de la santé ont peut­
être voulu avoir de l’autonomie
dans la décision et l’action. Lors­
que vous réunissez autour de la ta­
ble des représentants des adminis­
trations, des agences, ce que nous
enseigne la sociologie des organi­
sations, c’est que vous devenez
moins autonome dans votre capa­
cité à décider, car derrière ces re­
Guadeloupe
Martinique
Mayotte
La Réunion
Guyane
coronavirus | 3
« IL EST IMPORTANT
DE CASSER UNE VISION 
PARFAITEMENT 
RATIONNELLE DE
LA DÉCISION ET DE  été culpabilisés, parce qu’ils
L’ACTION PUBLIQUES »
présentants, il y a des organisa­
tions qui ont leurs propres fonc­
tionnement, objectifs et entende­
ment de ce qu’est la crise (sa
nature) et quelles sont les « bon­
nes solutions ». D’où une mé­
fiance constatée dans nos travaux,
vis­à­vis de ce que proposent les
administrations car une fois
qu’une solution est adoptée, les
procédures et les routines sont en­
clenchées. Le politique peut crain­
dre de perdre le contrôle de la mise
en œuvre.
Est­ce que les « plans pandé­
mies » étaient là pour nous
rassurer ou pour nous
préparer réellement ?
Je ne dirais pas qu’ils ont inten­
tionnellement pour objectif de
créer de la confiance. En revan­
che, ils peuvent créer une impres­
sion indue de préparation et un
sentiment de sécurité qui ensuite
peut être déçu. Car ces plans ne
sont jamais vraiment mis à
l’épreuve lors des exercices de si­
mulation et ne fonctionnent pas
en situation de réelle urgence
comme on le pensait. En temps
de crise, la capacité des institu­
tions à coopérer et à se coordon­
ner est déterminante. Or dans les
exercices de simulations ce pro­
blème n’est jamais abordé. C’est
peut­être pour éviter ces batailles
de juridictions que le gouverne­
ment a créé un conseil scientifi­
que, qui l’a rendu plus autonome
pendant un certain temps.
Quel est le rôle du conseil
scientifique au milieu
de toutes les agences de santé ?
Cela pourrait témoigner d’une
volonté d’avoir une capacité d’ac­
tion plus autonome. Face à une
crise il est classique de créer des
institutions. Après les attentats de
2015, on a fusionné les services de
renseignements. Dans la foulée de
différentes crises sanitaires on a
créé des agences, on les a renom­
mées, transformées…
Le conseil scientifique a aussi
permis de légitimer certaines dé­
cisions. Je ne suis pas sûr, comme
sans doute beaucoup de membres
du conseil, que la question du
COMPARATIF EUROPÉEN
Italie France Espagne
Allemagne Royaume-Uni
18 056 morts
Les données
commencent au 10e décès.
15 729morts*
3 294 morts
en Allemagne
12 129 morts
au Royaume-Uni
(jour 31)
Jour 0 Jour 15
* Dont 10 129 décès à l'hôpital et au moins 5 600 décès en Ehpad
maintien des municipales tom­
bait dans leur champ de décision.
Cela donnait l’impression que le
gouvernement utilisait le conseil
scientifique pour justifier une dé­
cision déjà prise.
Les Français ont par moments
ne respectaient pas les gestes
barrières…
Le président les félicite
aujourd’hui pour le respect des
consignes. Mais dans un premier
temps, les citoyens n’ont pas été
jugés assez responsables. Les auto­
rités leur ont reproché de ne pas
respecter les gestes barrières et le
confinement. Ce discours critique
a contrasté avec les approches tra­
ditionnelles de prévention, qui
ont au contraire tendance à res­
ponsabiliser les individus,
comme dans la lutte contre l’obé­
sité et le surpoids, le tabagisme, ou
les addictions. La somme des
changements de comportements
individuels constituerait ce bien
commun qu’est la santé publique.
Cela coûte peu à l’Etat et n’impli­
que pas d’engager un rapport de
force défavorable avec le marché,
sans s’attaquer aux déterminants
structurels des inégalités.
La place prépondérante de la
science dans le discours politi­
que est­elle liée à la nature de
cette crise, ou bien est­ce un
changement de paradigme ?
Les optimistes considèrent qu’il
y a un vrai changement de para­
digme. Les pessimistes disent que
le naturel va revenir au galop une
fois la crise passée. Devant l’agres­
sivité du virus, la priorité à la santé
et à la science n’a pas été discutée.
La santé est une question telle­
ment importante dans nos socié­
tés que des chercheurs en science
politique y voient le meilleur indi­
cateur de la réussite d’une société.
Peut­être que cette crise permettra
d’accorder davantage d’attention
aux questions de santé, dont on
remarque qu’elles sont structurel­
lement sous­débattues lors des
élections présidentielles. Or,
comme il existe désormais un lien
chaque jour plus étroit entre ques­
tions sanitaires et questions éco­
logiques, cette crise sanitaire
pourra peut­être nous aider à pro­
gresser vers des sociétés plus res­
pectueuses de la préservation de
leur environnement et de la biodi­
versité. Je pensais que l’écologie
porterait la santé. C’est peut­être
l’inverse qui va se passer. 
propos recueillis
par paul benkimoun
et chloé hecketsweiler
21 067 morts
en Italie
20 000
en Espagne
en France 15 000
10 000
5 000
0
Jour 30 Jour 38 Jour 49

4 | coronavirus
A bord d’un
TGV­hôpital
de campagne
La photojournaliste Laurence Geai
a suivi le transfert de malades
I
l est 7 h 30, vendredi 10 avril,
gare d’Austerlitz, à Paris. Ha­
bituellement, on aurait pu
voir les passagers se masser
sur les quais, en cette veille de
week­end de Pâques.
Mais ce matin­là, c’est un ballet
d’ambulances, de brancards et de
personnels soignants qui défile.
Deux TGV, Chardon 9 et 10 (du
nom de l’opération de transfert
ferroviaire), ont été mis à disposi­
tion des services de santé pour
évacuer 45 patients d’Ile­de­
France afin de libérer des lits de
réanimation. C’est à bord de
Chardon 9 qu’a embarqué la pho­
tojournaliste Laurence Geai, di­
rection Bordeaux. Chardon 10,
lui, se rend à Poitiers.
Chaque convoi est composé
d’une rame standard placée en
tête pour absorber le choc en cas
de rencontre avec un obstacle, et
d’une seconde rame sanitarisée. A
l’intérieur, chaque voiture en du­
plex a été littéralement transfor­
mée en hôpital de campagne pour
accueillir quatre patients. Ce TGV
transporte 24 malades.
En bas, dans la zone Covid, les pa­
tients et leurs brancards sont ins­
tallés à la place des fauteuils. Les
perfusions, respirateurs portables
et autres machines sont placés au­
dessus, là où l’on pose un manteau
ou un sac en temps normal.
Les patients sont sous sédation,
intubés et sous respiration artifi­
cielle. « On fait tout comme si on
était en service de réanimation »,
Il est 10 h 17, le train pour Bordeaux quitte la gare d’Austerlitz.
Chaque voiture du TGV transporte quatre patients souffrant du Covid­19.
0123
JEUDI 16 AVRIL 2020
Le personnel soignant arrive à la gare d’Austerlitz, à Paris. Une ambulance va à l’hôpital Bichat chercher un malade.
constate le docteur Lionel
Lamhaut, anesthésiste­réanima­
teur et coordinateur du transport.
En haut, c’est l’espace des soi­
gnants : deux médecins, quatre in­
firmiers et un logisticien par voi­
ture, sans compter les secouristes
bénévoles. La voiture­bar, elle, est
convertie en centre de comman­
dement. Dans chaque voiture
transportant des patients, les con­
tacts entre les deux espaces sont
aussi rares que possible, afin d’évi­
ter toute contamination. Près des
escaliers, un sas permet au person­
nel de s’équiper en tenue stérile.
Côté SNCF, tous les postes sont
doublés : conducteurs, chefs de
bord, dépanneurs, agents de sû­ Un médecin procède au transfert d’un patient au service Gare d’Austerlitz, 8 h 42. Les équipes médicales répartissent
reté… Tous volontaires. réanimation de Bichat. L’opération dure quarante minutes. les patients entre les deux TGV.
Vers 13 heures, le ballet reprend
sur les quais de la gare de Bor­
deaux. Des véhicules médicalisés
du SAMU, des pompiers et de la
Croix­Rouge répartissent les ma­
lades vers des hôpitaux et clini­
ques privées de l’agglomération..
« C’est une organisation iné­
dite en Europe, si ce n’est dans le
monde », s’exclame la docteure
Agnès Ricard­Hibon, présidente
de la Société française de méde­
cine d’urgence. « On a un système
hospitalier relativement fort pour
pouvoir répondre à cette crise », af­
firme Lionel Lamhaut. « Mais ce
système est clairement abîmé,
regrette­t­il. Est­ce qu’après la crise
on aura plus de moyens ? C’est une
vraie question. » 
gabriel coutagne
Les malades sont installés dans le compartiment inférieur des voitures. L’opération est délicate.
En gare de Bordeaux, les soignants débarquent les malades
avant de les envoyer dans les hôpitaux de la région.
Les équipes du convoi mettront deux heures pour débarquer
les 24 patients.
0123
JEUDI 16 AVRIL 2020 coronavirus | 5

Au Sénégal, des tests de dépistage à moins de 1 euro

Un kit de diagnostic rapide va être produit par l’Institut Pasteur de Dakar et une société britannique

dakar ­ correspondance voir maîtriser la chaîne de trans­ res. L’autre à partir de prélève­ teindre cet objectif, Amadou Sall « Le Sénégal offre une histoire et
mission et endiguer la pandémie ments sanguins, qui vise à déce­ explique s’appuyer sur trois le­
« Le but est aussi une tradition remarquables en re­

L
a course contre la montre
est engagée. L’Institut
Pasteur de Dakar, en par­
tenariat avec la société
britannique Mologic, s’est fixé
l’objectif de mettre sur le marché
dès le mois de juin des tests rapi­
des pour diagnostiquer en dix
minutes les personnes atteintes
du Covid­19. Un prototype, fabri­
qué au Royaume­Uni, est en
cours d’évaluation au Sénégal, en
Espagne, en Chine, en Malaisie et
au Brésil.
« Les tests seront réajustés en
fonction des résultats. Il faut qu’ils
soient efficaces et performants
avant tout, assure le professeur
Amadou Sall, directeur de l’Insti­
tut Pasteur de Dakar, virologue et
spécialiste des maladies émer­
gentes. Quand le prototype sera
suffisamment robuste, nous le
produirons ici pour le rendre ac­
cessible en Afrique. »
Ce projet est une réponse à l’ap­
pel du docteur Tedros Adhanom
Ghebreyesus, directeur général
de l’Organisation mondiale de la
santé (OMS) : « Testez, testez, tes­
tez. Testez tous les cas suspects. »
Le but est de diagnostiquer un
maximum de personnes conta­
minées, pour les isoler et les
prendre en charge, et enfin pou­
sur le continent africain. Déjà
plus de 11 000 cas de coronavirus
y ont été confirmés, causant la
mort de plus de 500 personnes.
Si l’OMS a assuré avoir expédié
près de 1,5 million de tests à
120 pays dont des africains, il en
faudra bien plus au continent.
« Une arme essentielle »
Entreprise britannique de bio­
technologie, Mologic est spéciali­
sée dans les diagnostics rapides
pour les épidémies comme Ebola,
la rougeole, la fièvre jaune, la den­
gue et le paludisme. Elle a reçu
une subvention de 1 million
d’euros de la part du gouverne­
ment britannique pour travailler
sur ce projet en partenariat avec
l’Institut Pasteur de Dakar.
« Le diagnostic est une arme es­
sentielle dans la lutte contre cette
pandémie et, une fois prêt, ce test
permettra un diagnostic aborda­
ble, plus précis et plus précoce de
l’infection, limitant la propagation
de la maladie », a annoncé le pro­
fesseur Paul Davis, cofondateur et
chef scientifique à Mologic.
Aujourd’hui, deux types de
tests rapides sont en cours de dé­
veloppement. L’un à partir de
prélèvements nasaux, qui détecte
le virus dans les voies respiratoi­
ler des traces d’anticorps signi­
fiant que la personne a été
contaminée par le Covid­19 (ce
sont les tests sérologiques). Tout
cela en dix minutes, contre plu­
sieurs heures pour les tests molé­
culaires actuels.
« C’est aussi simple d’utilisation
qu’un test de grossesse », résume
le docteur Cheikh Tidiane Dia­
gne, manager de la plate­forme
sénégalaise DiaTropix où seront
fabriqués les tests une fois les
prototypes validés. Créée en dé­
cembre 2018, cette unité de pro­
duction a été pensée pour pro­
duire des tests – habituellement
peu accessibles et trop coûteux –
pour le diagnostic et la sur­
veillance des maladies tropicales
négligées.
Ces tests du Covid­19 devront
coûter moins de 1 dollar (et donc
de 1 euro), soit « 5 à 20 fois moins
chers que les tests moléculaires ac­
tuels », estime M. Diagne. Pour at­
viers. « Nous produisons en fonc­
tion de la demande pour éviter les
pertes, localement au Sénégal
avec une main­d’œuvre moins
chère et une proximité des lieux
d’exportation et, dernier point,
nous cherchons des donneurs et
des subventions qui nous ap­
puient », détaille le professeur
aux lunettes rondes, habillé de
son boubou bleu en wax. Le test
sera alors vendu à prix coûtant
en fonction du prix des intrants,
pour l’heure encore importés.
Le professeur Sall est intransi­
geant sur la modicité du prix du
produit. « Les tests actuels sont
trop chers pour nos systèmes de
santé. Et nous voulons rendre nos
tests rapides accessibles aux po­
pulations défavorisées, avec une
qualité respectant les standards
internationaux, explique­t­il. Le
but est aussi de décentraliser le dé­
pistage et de tester sans avoir be­
soin d’un laboratoire, d’infrastruc­
de décentraliser
le dépistage
et de tester sans
avoir besoin
d’un laboratoire »
AMADOU SALL
directeur de l’Institut
Pasteur de Dakar
tures de santé, d’électricité ou de
compétences spécifiques. »
Dans un premier temps, la ca­
pacité de production du lieu est
estimée entre 2 millions et
4,5 millions de tests par an.
« Nous réfléchissons à augmenter
ces capacités », annonce M. Dia­
gne, de DiaTropix. Et cela passe
par une phase de recrutement de
gens qualifiés, alors qu’une partie
du personnel a déjà été formée
chez Mologic au Royaume­Uni.
cherche et développement, en édu­
cation et en riposte aux épidémies.
L’Institut Pasteur de Dakar pro­
duit déjà un vaccin contre la fièvre
jaune. Il est même l’un des quatre
fabricants mondiaux avec pré­
qualification par l’OMS. Preuve
que le lieu dispose d’un ensemble
de compétences uniques qui
s’étendent de la recherche à la pro­
duction », rappelle Joe Fitchett, di­
recteur médical à Mologic.
Cette crise du Covid­19 pourrait
être l’occasion de montrer que « la
capacité d’innovation est énorme
en Afrique » et qu’il est primordial
« d’augmenter la production lo­
cale sur le continent », revendique
le professeur Sall, fier de contri­
buer au niveau mondial à la lutte
contre cette pandémie. 
théa ollivier
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SOUTENONS ENSEMBLE
Troc en ligne, la grande L’AGRICULTURE FRANÇAISE
débrouille des hôpitaux
Des cadres de santé s’échangent du matériel
de protection sur des boucles WhatsApp

J e recherche, urgent, des sets de

dialyse. » « J’ai un bon stock de
pyjamas en cas de besoin. »
« Quelqu’un peut fournir du
gel hydroalcoolique ? » « Je dispose
de cinq pousse­seringues électri­
ques »… Sur la boucle WhatsApp,
les messages de ce type sont nom­
breux. La dernière de ces offres a
déclenché une cascade de réac­
tions d’intérêt, de propositions de
troc, de promesses. Il ne s’agit ni
de trafic ni de marché noir. Seule­
ment d’un groupe informel qui
mêle des cadres hospitaliers de
l’AP­HP et des directeurs de clini­
ques franciliennes. Ils s’y lancent
des bouteilles à la mer, des appels
à l’aide et se donnent des coups de
main salvateurs.
Depuis presque un mois, les res­
ponsables des achats des établisse­
ments de santé se dé mènent pour
glaner, ça et là, de quoi équiper
leurs soignants. Début mars, cha­
que établissement disposait, théo­
d’échanger sur les besoins et les ca­
pacités de chacun en temps réel »,
témoigne Jean­Philippe Gambaro,
directeur de la clinique Floréal, à
Bagnolet (Seine­saint­Denis).
Les trocs s’organisent en quel­
ques coups de pouces sur un
smartphone. « Nous étions en pé­
nurie de masques, la clinique Am­
broise­Paré de Neuilly­sur­Seine
nous a dépannés avec des masques
Décathlon, nous les avons échan­
gés contre des housses mortuaires
que nous avions en abondance »,
admet M. Michot, de l’Hôpital
américain. Les groupes des direc­
teurs des achats sont ceux « de la LIDL S’ENGAGE
ET DONNE LA PRIORITÉ
débrouille, de la persévérance »,
rend compte un directeur d’hôpi­
tal de l’Oise. Et de la solidarité.
« Tous dans la même barque »
Ces groupes existaient bien avant
AUX ÉLEVEURS FRANÇAIS
la crise, mais l’urgence de la situa­
tion collective les a enrichis. La
6 steaks à griller • 6,49 € • 600 g • 10,82 € le kg • Origine France • Offre valable jusqu’au samedi 18 avril
zone géographique s’est étendue,
|

riquement, de stocks de matériel des barrières entre les institu­

Année 2020 - Photos non contractuelles - LIDL RCS Créteil 343 262 622

permettant de répondre à une tions publiques et privées sont

crise majeure. Mais ces dernières
semaines ont prouvé qu’ils étaient
parfois insuffisants. Le 12 mars,
quand Emmanuel Macron a an­
noncé l’ouverture du « plan blanc »
pour les hôpitaux, « personne ne
s’est rendu compte alors de l’éten­
due de la crise qui arrivait ni de sa
durée », avoue une directrice d’un
grand établissement francilien.
« Les draps jetables, les masques
sont produits en Chine, les gants en
Malaisie. Quand la Chine a com­
mencé à tousser, nous nous som­
mes dit que cela allait piquer », dé­
taille Stéphane Michot, responsa­
ble des achats à l’Hôpital améri­
cain de Paris, à Neuilly­sur­Seine.
En mars, les directeurs des
achats des hôpitaux et cliniques
« ont eu la tête dans le guidon pour
la recherche de masques, raconte
une cadre de santé parisienne,
sans suffisamment regarder le
reste. Et puis nous avons com­
mencé à manquer de draps, de sur­
blouses et de médicaments alors
que les patients continuaient de
déferler. » « WhatsApp permet
Lidl, depuis plusieurs années, s’est donné pour objectif de proposer de
tombées. « Personne ne se pose la la viande 100% française. Dans le contexte actuel, nous vous invitons, plus
question de savoir d’où viennent et que jamais, à soutenir les éleveurs de nos régions.
où vont les échanges. Nous som­
mes tous dans la même barque »,
assure M. Gambaro. Et quand
l’Hôpital américain a eu besoin de
pousse­seringues, c’est la mater­
nité des Lilas qui lui en a donné.
Il faudra retenir des leçons, s’ac­
cordent à dire les directeurs des
achats. En premier lieu, « il faudra
avoir un pilotage des sources d’ap­
provisionnement plus fin et plus
multiple », analyse Stéphane Mi­
chot. En clair, cesser d’être dépen­
dant d’un seul pays, la Chine, con­
cernant les importations. Et puis,
réintégrer au sein des établisse­
ments des éléments qui, jusqu’à
cette épidémie, semblaient non
prioritaires, comme le linge. « Re­
prendre le contrôle de l’ensemble
des outils qui font fonctionner un
hôpital », conclut le responsable
des achats de l’Hôpital américain,
avant de promettre à ses collè­
gues de la maternité de Lilas « un
bon repas dès la sortie de crise ». 
éric nunès

6 | coronavirus
En Turquie, gestion erratique et tensions politiques
Erdogan a annoncé le confinement de la population seulement le week­end dans trente et une provinces
istanbul ­ correspondante
C
ette fois­ci, le président
turc, Recep Tayyip Erdo­
gan, a préféré prendre
les devants. Lundi
13 avril, dans le cadre de la lutte
contre la propagation du nou­
veau coronavirus, il a annoncé
à l’avance le confinement obliga­
toire et total de la population dans
31 provinces du pays pendant le
week­end, de vendredi 17 avril mi­
nuit à dimanche 19 avril minuit.
Ces mesures interviennent alors
que l’épidémie de Covid­19 s’am­
plifie ; 107 personnes sont mortes
mardi de la maladie, ce qui porte
le nombre de décès à 1 403, selon
le bilan quotidien publié sur le
compte Twitter du ministre de la
santé, Fahrettin Koca ; 33 070 per­
sonnes ont été dépistées au cours
des dernières vingt­quatre heures
et 4 062 ont été testées positives.
La pandémie met à rude
épreuve la résilience de l’establis­
hment islamo­conservateur qui
vient d’entrer dans sa dix­hui­
tième année au pouvoir. En dépit
des avis du corps médical et du
maire d’Istanbul, Ekrem Imamo­
glu, favorables à un confinement
obligatoire et généralisé, le prési­
dent Erdogan ne veut pas le décré­
ter de peur de voir l’économie du
pays s’effondrer. C’est un risque
qu’il ne veut pas courir, sachant
que des millions de Turcs vont se
tourner vers le gouvernement
pour obtenir une aide financière
massive. Des mesures ont bien
été prises, mais elles sont insuffi­
santes, assurent les syndicats et
les partis d’opposition.
Panique généralisée
Rien ne menace davantage le
président Erdogan et son parti
qu’une récession d’ampleur, une
issue qui semble inévitable
comme partout ailleurs dans le
monde. Face à cette menace,
M. Erdogan a choisi de confiner sa
population uniquement les week­
ends. Avant tout, ce deuxième
couvre­feu devra s’avérer plus ef­
ficace que le précédent, lequel,
mal organisé, a conduit à un déra­
page puis à une crise politique qui
a révélé les failles du régime.
L’isolement de 31 villes – dont Is­
tanbul, le principal foyer de
l’épidémie dans le pays avec 60 %
des cas déclarés, et la capitale, An­
kara – est la mesure la plus stricte
que la Turquie ait prise pour con­
tenir la maladie. Annoncé au soir
du 10 avril, deux heures seule­
ment avant son entrée en vigueur,
Une amnistie massive, qui exclut les prisonniers politiques
Une loi votée mardi permet la libération de 90 000 détenus, à l’exception des critiques du régime, qui risquent d’être exposés au Covid­19
istanbul ­ correspondante
D ominé par le Parti de la
justice et du développe­
ment (AKP, islamo­con­
servateur au pouvoir depuis
2002) et ses alliés nationalistes, le
Parlement turc a approuvé, mardi
14 avril, une loi d’amnistie qui
permet la libération de quel­
que 90 000 prisonniers. La loi
ambitionne de réduire une popu­
lation carcérale estimée à
300 000 personnes au moment
où l’épidémie de Covid­19 prend
de l’ampleur en Turquie.
Les détenus condamnés pour
trafic de drogue, abus sexuels,
meurtre, violences domestiques
graves et terrorisme ont été ex­
clus de l’amnistie. Mais aussi
les prisonniers politiques qui,
blogueurs, militants des droits
de l’homme, maires de locali­
tés kurdes, sont détenus pour
« terrorisme ».
Parmi ces prisonniers de cons­
cience figurent notamment le
Les Stambouliotes s’approvisionnent d’urgence, deux heures avant l’entrée en vigueur du couvre­feu, vendredi 10 avril. AP
le couvre­feu a entraîné une pani­
que généralisée. Une foule com­
pacte s’est alors précipitée dans les
magasins d’alimentation et les
boulangeries pour acheter de la
nourriture. Des images et des vi­
déos de clients affolés, se pressant
en rangs serrés devant les maga­
sins encore ouverts, certains sans
masques de protection, ont été
postées sur les réseaux sociaux.
Une avalanche de critiques
Ce fut la consternation parmi
les membres du conseil scientifi­
que, l’organisme qui conseille le
gouvernement sur les mesures à
prendre pour lutter contre la pan­
démie. « Après cet épisode, l’épidé­
mie pourrait progresser de façon
effrayante », a déploré le doc­
teur Tevfik Özlü lors d’une inter­
view télévisée, disant craindre
une recrudescence des cas de
contamination d’ici « une semaine
à dix jours ».
Une avalanche de critiques s’en
est suivie. Attaqué pour sa mau­
mécène et homme d’affaires Os­
man Kavala, le leader kurde
Selahattin Demirtas et l’écrivain
Ahmet Altan. Condamné à la
perpétuité pour « terrorisme »,
brièvement libéré en 2019 puis
réincarcéré quelques jours après,
ce dernier, âgé de 70 ans, purge sa
peine dans la prison de haute sé­
curité surpeuplée de Silivri, si­
tuée à la périphérie d’Istanbul.
« Les droits communs sont libres
mais la vie d’un romancier qui a
écrit trois articles déplaisants
pour le gouvernement reste en
prison, à la merci de l’épidémie »,
a dénoncé son frère, l’écono­
miste Mehmet Altan, joint par
téléphone.
Manque d’hygiène
« Il est inacceptable que le régime
choisisse ceux qu’il juge bon de li­
bérer, tout en abandonnant à la
perspective d’une mort en prison
des journalistes, des étudiants, des
avocats et des intellectuels accusés
de crimes d’opinion », a lancé
vaise gestion du couvre­feu, le
ministre de l’intérieur, Süleyman
Soylu, a fini par reconnaître sa
responsabilité. Jusqu’à présenter
sa démission dimanche soir, une
heure avant la fin du confine­
ment, fixée à minuit. « La mise en
œuvre de la mesure prise pour
contrer l’épidémie m’appartient
entièrement », a­t­il alors tweeté.
Quelques heures plus tôt, il avait
pourtant rappelé, dans un entre­
tien au quotidien progouverne­
mental Hürriyet, que le couvre­feu
avait été décidé sur ordre du prési­
dent, ce dont personne ne pouvait
douter. Quoi qu’il en soit, sa contri­
tion à propos de sa « mise en
œuvre » ratée, une façon de dé­
douaner le président puisqu’il ne
remettait pas en question la déci­
sion en elle­même, lui a valu un
franc soutien de la part des mili­
tants de l’AKP, le parti présidentiel,
et parmi les cercles ultranationa­
listes dont il est issu.
Plus d’un million de personnes
ont tweeté des messages de sou­
Adnan Selçuk Mizrakli, le maire
démocratiquement élu de Diyar­
bakir, la plus grande ville du Sud­
Est à majorité kurde. Le politicien
s’est exprimé dans une lettre
ouverte rédigée depuis sa cellule
de la prison de Kayseri où il purge
une peine de neuf ans et quatre
mois de prison pour « propa­
gande terroriste ».
Depuis les purges lancées
après la tentative de coup d’Etat
de juillet 2016, les emprison­
nements de journalistes, d’avo­
cats, de personnalités politi­
ques d’opposition et de défen­
seurs des droits humains se
sont multipliés.
Selon des statistiques diffusées
en juin 2019 par le ministère de la
justice, près d’un cinquième de la
population carcérale totale de
Turquie, soit 48 924 personnes, a
été inculpé ou condamné pour
des infractions liées au « terro­
risme », une accusation dont les
autorités usent et abusent pour
faire taire les voix dissidentes.
Le dérapage
du week-end
a révélé
les fissures
croissantes au
sein du régime
tien à M. Soylu. Mais, tandis que
les chaînes de télévision progou­
vernementales diffusaient la
nouvelle de sa démission, le vent
a soudainement tourné. Le prési­
dent a instamment prié Süley­
man Soylu de garder son poste,
vantant son efficacité. Sa lutte
sans failles contre le « terro­
risme », entamée dès sa nomina­
tion, juste après la tentative de
coup d’Etat du 15 juillet 2016, a fait
de lui le visage de l’autoritarisme
croissant du régime.
Est­il pensable que Süleyman
Soylu n’ait pas informé le
président de sa décision de dé­
Surpeuplées, les prisons tur­
ques sont caractérisées par le
manque d’hygiène et de suivi
médical. Dans ces conditions, les
mesures de distanciation néces­
saires pour lutter contre la pro­
pagation du Covid­19 sont impos­
sibles à mettre en place. « Cette
approche est inique », a déclaré à la
presse le député Mustafa Yene­
roglu, un transfuge de l’AKP qui a
récemment rejoint les rangs de
Deva, le nouveau parti créé au
début du mois de mars par Ali
Babacan, un ancien compagnon
de route du président turc Recep
Tayyip Erdogan.
Les opposants craignent que les
libertés civiles soient les prochai­
nes victimes de l’épidémie en
Turquie. Un amendement de loi
est d’ailleurs en préparation qui
prévoit de soumettre Twitter,
YouTube, Facebook, WhatsApp et
Telegram à un contrôle plus strict.
Prétextant lutter contre les « pro­
vocations » postées par des inter­
nautes et des journalistes sur
missionner avant de la rendre pu­
blique ? « Cette démission est typi­
que de la bizarrerie connue sous le
nom de système présidentiel »,
a estimé Emin Cölasan, le chroni­
queur vedette du quotidien na­
tionaliste d’opposition Sözcü.
Mis en place après les élections
législatives et présidentielle de
juin 2018, le système d’hyperpré­
sidence confère d’immenses
pouvoirs à M. Erdogan qui s’ap­
puie désormais sur son entou­
rage proche et restreint, tandis
que les institutions, vidées de
leur substance, n’ont plus aucun
poids. La politique est devenue
une affaire de clans.
Le dérapage du week­end a ré­
vélé les fissures croissantes au
sein du régime. La démission de
Süleyman Soylu, disent les poli­
tologues, avait été obtenue de
haute lutte par Berat Albayrak, le
ministre du Trésor et des finan­
ces, qui est aussi le gendre du pré­
sident Erdogan et l’époux de sa
fille aînée, Esra.
les réseaux sociaux, le ministère
de l’intérieur a procédé à des cen­
taines d’arrestation. Quelque
616 personnes ont été contrôlées
pour des partages sur les réseaux
et 212 personnes ont été interpel­
lées. Huit d’entre elles ont été in­
carcérées. Des médecins, qui
avaient émis des critiques sur la
réponse du gouvernement à
la crise sanitaire, ont été con­
traints de s’excuser.
« Maintenir la pression »
« La crise sanitaire est un outil
puissant entre les mains de ce ré­
gime, prêt à tout pour rester au
pouvoir. Empêcher la critique, blâ­
mer un hypothétique ennemi inté­
rieur est la seule arme à la disposi­
tion des autorités qui veulent
maintenir la pression pour éviter
la destruction de l’empire de la
peur qu’elles ont créé », estime
Bayram Erzurumluoglu, un an­
cien professeur de sociologie de
l’université d’Adiyaman, dans le
Sud­Est, limogé par décret après
0123
JEUDI 16 AVRIL 2020
Les deux hommes sont à cou­
teaux tirés depuis longtemps. En
témoigne ce rude coup d’épaule
donné par le ministre de l’inté­
rieur à celui des finances alors
qu’ils se croisaient lors d’une cé­
rémonie officielle au mausolée
d’Atatürk, le 2 août 2018.
A l’époque, les rares médias
d’opposition en avaient fait des
gorges chaudes, évoquant « la
lutte pour la succession ». De­
puis, la bataille fait rage sous le
tapis entre Süleyman Soylu et un
clan proche du gendre, appelé
« le groupe d’Istanbul » ou
« les Pélicans ».
Fulgurante ascension du gendre
Ce clan est connu pour mener, par
le biais du quotidien progouver­
nemental Sabah, des attaques
contre des personnalités de pre­
mier plan au sein du parti au pou­
voir. En mai 2016, un blog pro­Er­
dogan avait publié le « dossier Pe­
lican », qui dénonçait Ahmet Da­
vutoglu, alors premier ministre,
qualifié de « traître » parce qu’il
avait conclu le pacte migratoire
avec Bruxelles.
Dès lors, le poids du groupe n’a
cessé de se renforcer, grâce entre
autres à la fulgurante ascension
du gendre de M. Erdogan, pro­
pulsé en 2015 au poste de ministre
de l’énergie, puis en 2018 à celui
de ministre du Trésor et des fi­
nances, soit de facto le numéro
deux du gouvernement.
Beau­père et beau­fils gèrent
ensemble le Fonds souverain,
créé après le coup d’Etat manqué
de 2016 pour remédier aux fai­
blesses de l’économie. Crise sani­
taire oblige, le fonds, qui détient
des participations dans les
plus grandes sociétés nationales,
s’apprête justement à prendre le
contrôle d’un nombre croissant
d’entreprises en difficulté.
Selon un nouveau projet de loi,
il sera ainsi dispensé des régle­
mentations d’usage concernant
ses investissements dans des so­
ciétés privées et ne sera plus tenu
de respecter certaines règles en
vigueur sur le marché, notam­
ment en ce qui concerne les fu­
sions et acquisitions. Il aura toute
latitude pour investir dans les en­
treprises de son choix.
Une décision qui augure d’une
vaste transformation de l’écono­
mie, dont des pans entiers ris­
quent de passer sous le contrôle
de M. Erdogan et de son beau­fils,
seuls aptes à décider quelle entre­
prise doit vivre ou mourir. 
marie jégo
le putsch manqué de 2016. Ces
craintes semblent justifiées.
Dans son discours à la nation
après la réunion du cabinet mi­
nistériel, lundi 13 avril, le prési­
dent turc Recep Tayyip Erdogan a
critiqué la presse. « Certains mé­
dias ont utilisé la pandémie
comme prétexte, déclarant prati­
quement la guerre à leur propre
pays avec leurs articles et leurs
chroniqueurs, comme ils l’ont
toujours fait », a­t­il martelé. Et de
conclure : « Si Dieu le veut, notre
pays va se débarrasser non seule­
ment du coronavirus, mais aussi
des virus médiatique et politi­
que. » Selon Mehmet Altan, la loi
d’amnistie marque « une nou­
velle phase » de consolidation du
régime. « La loi vise à faire passer
aux gens l’envie de critiquer. Il
s’agit de préparer le terrain car,
après l’épidémie, les conditions
économiques et sociales seront
encore plus difficiles », explique
l’économiste. 
m. jé.

Covid-19 : Aux seniors, nous livrons
beaucoup plus que des repas
Alors que le confinement renforce l’isolement des seniors, La Poste continue de leur livrer des
repas à domicile. Reportage en Seine-et-Marne où ces rendez-vous quotidiens nourrissent la
solidarité.
C’
est un paysage de
départementales et de
communes rurales, en
Seine-et-Marne. Un
paysage où la vie s’est
considérablement ralentie depuis les
premières heures du confinement. À bord
de sa camionnette frigorifique La Poste,
Nadège Magloire livre des repas à
23 habitants des villages qui composent
sa tournée. Une tournée de 80 kilomètres
avalée en 3 heures, de 8 heures à 11 heures
du matin avec, pour point de départ, le
centre de tri de Melun-Vaux-le-Pénil.
« Les bénéficiaires sont principalement
des seniors, dont certains en couple,
ainsi que des personnes en situation de
handicap », explique Nadège Magloire.
« Avec le confinement, ces personnes
déjà isolées ont vu leurs déplacements
encore plus restreints et notre service de
portage s’avère plus nécessaire que
jamais ». Depuis le début de la crise,
Nadège Magloire compte un nouveau
senior sur sa tournée et ce dernier devrait
rapidement être rejoint par d’autres. « Ce
sont souvent leurs familles qui les
convainquent de se faire porter, 5 jours
par semaine, des menus sains et équili-
brés pour le déjeuner comme pour le
dîner ».
Une mission ancestrale
Ce service de portage de repas à domicile
a été lancé en septembre 2017 par
La Poste à destination des collectivités
en vue de diversifier l’activité des
Les prestations sociales :
le défi d’un accueil pour tous
Plus de la moitié des foyers bénéficiaires des prestations sociales sont à La Banque Postale.
Pour une majorité d’entre eux, il est impératif de se déplacer en bureau de poste pour retirer
leurs allocations en espèces. Un challenge en pleine épidémie de coronavirus.
Chaque début de mois, La Poste accueille
plus de 1,5 million de clients bénéficiaires
des prestations sociales, qui viennent retirer
leurs allocations en espèces dans les
bureaux de poste. Dans le contexte de l’épi-
démie de coronavirus, « la première
semaine d’avril a demandé à La Poste
beaucoup de préparation pour recevoir les
allocataires dans les meilleures conditions
de sécurité », souligne Albert Bencheton,
directeur de secteur Paris-Denfert-Rochereau.
Même écho à Dammarie-les-Lys (Seine-et-
Marne) : « Notre bureau de poste compte
environ 30 % de clientèle en situation de
fragilité et, au moment du versement des
prestations sociales, les flux doublent pour
atteindre jusqu’à 1 500 personnes par
jour », explique Corinne Ferrari, directrice
de secteur.
Pour assurer cette mission de service
public, La Poste a mis en place un dispo-
sitif adapté, à partir du 4 avril, dans ses
1 850 bureaux de poste ouverts au public,
en métropole et en outremer. « Nous avons
pris les mesures sanitaires qui s’imposaient
et nous disposons de toutes les fournitures
© CPelletier – MKTLV
facteurs - une nécessité, compte tenu de
la baisse du courrier. - « Au départ, nous
nous sommes demandés ce qui pouvait
faire sens dans la livraison à domicile
pour les personnes âgées », se souvient
Nicolas Tran, directeur du portage de
nécessaires au respect des mesures
barrières », précise Corinne Ferrari.
« Toutes les surfaces d’accueil, les îlots ainsi
que les distributeurs de billets sont réguliè-
rement nettoyés pour protéger nos
collaborateurs et nos clients ».
Respect des gestes barrières
« Notre objectif, c’est de protéger les
postiers et les clients à l’extérieur comme
à l’intérieur du bureau de poste », complète
Albert Bencheton. « C’est pourquoi nous
régulons les entrées, avec deux files
d’attente distinctes, l’une pour les presta-
tions sociales, l’autre pour les autres
opérations. Nous avons un souci constant,
celui du respect des gestes barrières et des
distances de sécurité avec un marquage au
sol à l’extérieur comme à l’intérieur. »
Le dispositif mis en place a bien fonctionné
sur l’ensemble du territoire grâce à la
mobilisation et à l’engagement sans faille
des postières et des postiers du Réseau
des bureaux de poste. Un premier
coup d’essai réussi, qui devra être réédité
début mai.
repas à La Poste. En analysant ce marché
et en discutant avec des opérateurs de
restauration, La Poste a eu la conviction
que le portage de repas pour les aînés
correspondait à son savoir-faire. « Le
facteur qui livre à domicile poursuit une
© La Poste
mission ancestrale. Il est l’acteur incon-
tournable de la présence postale, connu
et particulièrement apprécié des personnes
âgées. Apporter un repas s’intègre
parfaitement dans la continuité de cette
mission. C’est une distribution quoti-
PUBLICITÉ
dienne qui facilite le bien-vieillir à
domicile. C’est une mission noble et utile ».
La première année d’activité, en 2018,
La Poste a servi 500 seniors, soit 80 000
repas distribués. En mars 2020, 2 582
seniors ont bénéficié quotidiennement de
ce service et, sur l’ensemble de l’année,
600 000 repas devraient être distribués.
« Aujourd’hui, 75 facteurs font du
portage de repas en France et ils
devraient être une centaine l’année
prochaine », complète Nicolas Tran.
Cette nouvelle corde à leur arc rend les
facteurs encore plus nécessaires, dans les
zones rurales mais aussi en ville.
Sécurité renforcée
Coronavirus oblige, les mesures de sécu-
rité ont été renforcées lors du portage des
repas. « Le processus est bien rodé : je
sonne à la porte, puis dépose le sac
contenant le repas sur le pas de porte et
je me recule d’au moins un mètre »,
précise Nadège Magloire. Au début, les
convives étaient un peu surpris de la
découvrir masquée mais une habitude
s’est créée. « Ce sont beaucoup plus que
des repas que nous livrons. Avec la crise,
les rapports sont devenus encore plus
humains qu’avant. Par le passé, j’avais
l’impression que ma présence quasi-quo-
tidienne les soutenait. Désormais, ce sont
aussi eux qui me soutiennent en m’enjoi-
gnant de faire attention à moi, le temps
du confinement. Résultat, on tient tous
ensemble, moralement, avec l’envie de
s’entraider, de se faire du bien ».
Rompre l’isolement
des seniors
En France, 22 % des seniors sont isolés de
leur famille selon une étude réalisée en
2019 par Les Petits Frères des Pauvres et le
CSA. Un phénomène rendu encore plus
sensible par les mesures de confinement.
Pour permettre aux personnes âgées de
conserver une vie sociale, La Poste rend
gratuit, pendant toute la durée du
confinement, la visite de lien social de son
service « Veiller sur mes parents* ».
Lancé en 2017, ce service dédié aux
particuliers, propose, outre de la
téléassistance, une visite hebdomadaire
du facteur complétée d’un compte-
rendu adressé aux proches qui ont souscrit
l’abonnement, à consulter sur une
application dédiée. Ces missions sont
assurées par un facteur spécialement
formé aux relations avec les personnes
âgées, avec la collaboration de
médecins gérontologues et de
psycho-gérontologues. Les mesures
sanitaires actuelles, indispensables à la
protection des seniors, sont strictement
appliquées lors de la visite : port du
masque de type chirurgical, usage
de gel hydroalcoolique, respect des
distances de protection. Dans le cadre
de l’épidémie, les clients « Veiller sur mes
parents » peuvent aussi bénéficier
d’une offre de portage de repas.
*un service de sa filiale Services à la personne

8 | coronavirus
Donald Trump gèle la contribution Face à l’afflux de patients,
les hôpitaux de Moscou
des Etats­Unis à l’OMS « atteignent leurs limites »
Alors que l’épidémie a fait plus de 25 000 morts dans le pays, le président
américain joue sur les critiques traditionnelles des républicains
washington ­ correspondant
D
onald Trump a mis ses
menaces à exécution,
mardi 14 avril. Après
avoir régulièrement
critiqué l’Organisation mondiale
de la santé (OMS) pour sa gestion
de la crise mondiale provoquée
par le coronavirus, le président
américain a annoncé, en repré­
sailles, dans la roseraie de la Mai­
son Blanche, le gel du finance­
ment américain.
L’administration Trump est
sous le feu des critiques pour sa
gestion de la préparation à la pan­
démie. Les Etats­Unis ont enregis­
tré mardi un sombre record avec
plus de 2 200 morts supplémen­
taires du virus en vingt­quatre
heures, le plus lourd bilan journa­
lier recensé par un pays, selon le
comptage de l’université Johns­
Hopkins. Ce qui porte le bilan
américain à 25 757 morts au total.
Les Etats­Unis sont devenus le
pays enregistrant le plus de décès
liés à l’épidémie de Covid­19, de­
vant l’Italie, l’Espagne et la France
et celui qui compte le plus grand
nombre de cas diagnostiqués –
plus de 600 000 contaminations.
Les Etats­Unis sont le premier
contributeur de l’OMS, à la fois
pour ce qui relève de leur quote­
part et des versements addition­
nels destinés à des projets spécifi­
ques. Cette contribution repré­
sentait 17 % du budget de l’organi­
sation en 2017.
Le gel, a assuré Donald Trump,
restera en vigueur jusqu’à la con­
clusion d’« une étude pour exami­
ner le rôle de l’OMS dans la mau­
vaise gestion et la dissimulation de
la propagation du coronavirus ».
« Si l’OMS avait fait son travail et
envoyé des experts médicaux en
Chine pour étudier objectivement
la situation sur le terrain, l’épidé­
mie aurait pu être contenue à sa
source avec très peu de morts », a
affirmé le président, mettant en
cause une complaisance de la di­
L’Autriche sort sobrement du confinement
Le pays est parmi les premiers du continent à rouvrir ses commerces, avec des restrictions
vienne ­ correspondant régional
D ans le calme et en respec­
tant scrupuleusement
les règles. A l’image de
leur gestion du Covid­19, les
Autrichiens ont célébré sans effu­
sion le début de leur déconfine­
ment, mardi 14 avril. Le pays d’Eu­
rope centrale est parmi les pre­
miers du continent à avoir orga­
nisé une réouverture de ses
commerces, en s’appuyant sur
son bon bilan en matière de lutte
contre la maladie. Avec 384 victi­
mes pour 8,8 millions d’habi­
tants, l’Autriche a « évité le pire »,
a rappelé le même jour le chance­
lier conservateur, Sebastian Kurz,
en mettant cette réussite sur le
compte de la « discipline » de ses
concitoyens.
Mardi, les commerces de moins
de 400 m² et les magasins de bri­
colage et de jardinage ont été
autorisés à rouvrir en prévoyant
des conditions d’hygiène renfor­
cées. Les masques – ou n’importe
quoi couvrant la bouche et le
nez – sont obligatoires dans les
rayons et la fréquentation est li­
mitée à un client pour 20 m².
Si les Autrichiens se sont rués
sur les enseignes de bricolage, la
plupart des commerces ont rou­
vert dans le calme et sans célébra­
tion particulière. Les queues de­
rection de l’organisation vis­à­vis
des autorités chinoises. Il s’est ce­
pendant refusé à exiger la démis­
sion du directeur général de
l’OMS, Tedros Adhanom Ghe­
breyesus, réclamée aux Etats­Unis
par certains élus républicains.
Le président des Etats­Unis avait
adopté un tout autre ton le 24 jan­
vier sur son compte Twitter. « La
Chine a travaillé très dur pour con­
tenir le coronavirus. Les Etats­Unis
apprécient grandement ses efforts
et sa transparence. Tout fonction­
nera bien », avait­il assuré. « Au
nom du peuple américain, je tiens
à remercier le président Xi
[Jinping]! », avait­il ajouté.
« Virus chinois »
Après la progression de l’épidé­
mie aux Etats­Unis, Donald
Trump avait ensuite adopté un
discours plus agressif envers Pé­
kin, évoquant systématique­
ment à partir du 21 mars un « vi­
rus chinois » pendant que son se­
crétaire d’Etat, Mike Pompeo, op­
tait pour le « virus de Wuhan », la
région d’origine de la pandémie.
Le président a renoncé à cette
formule après un échange télé­
phonique avec son homologue
chinois, et après avoir constaté le
développement dans son pays
d’actes xénophobes visant la
communauté asiatique.
Le président des Etats­Unis
avait déjà annoncé le gel de la
Passe d’armes avec les gouverneurs
Déterminé à être le grand ordonnateur du déconfinement des
Etats-Unis, Donald Trump semble prêt à aller au conflit avec les
gouverneurs, alors que, depuis plusieurs jours, aux Etats-Unis,
ceux-ci se regroupent pour esquisser des réponses coordonnées.
« Quand quelqu’un est président des Etats-Unis, l’autorité est to-
tale. (…) Les gouverneurs le savent », a-t-il martelé lundi 13 avril
au soir. « La position du président est tout simplement absurde. Ce
n’est pas ce que dit la loi. Ce n’est pas ce que dit la Constitution.
Nous n’avons pas un roi, nous avons un président », a répondu
mardi Andrew Cuomo, gouverneur de New York. Le système fédé-
ral accorde aux gouverneurs des 50 Etats le pouvoir de prendre
les mesures obligatoires de confinement ou de déconfinement.
vant les magasins de bricolage se
sont d’ailleurs rapidement dissi­
pées dans l’après­midi.
Dans les rues de Vienne, les pe­
tits commerces ont surtout uti­
lisé cette première journée pour
redémarrer la caisse, laver les vi­
trines ou même faire quelques re­
prises de peinture.
A la quincaillerie Benno Markt,
dans le quartier populaire d’Ot­
takring, le nombre de clients est
resté très limité quelques heures
après l’ouverture. « Il y a eu six ou
sept personnes au maximum de­
puis ce matin », expliquait la pa­
tronne, Nathalie. La plupart sont
des habitués qui viennent davan­
tage discuter que consommer.
« Tapis rouge, rentrez, rentrez,
mais gardez les distances et lavez­
vous les mains », leur intime­t­elle
en leur désignant une bouteille
de parfum avec cette camaraderie
dénuée de toute forme de poli­
tesse typiquement viennoise.
« Cela lave tout aussi bien. » « J’ai
peur, mais on n’a pas le choix », se
lamente­t­elle en pointant son
stock de décorations de Pâques
désormais invendable.
« On est contentes de reprendre
et de ne pas perdre nos emplois »,
abonde, dans le plus chic quartier
voisin de Josesfstadt, Petra, ven­
deuse dans une papeterie, tout
aussi peu fréquentée mardi ma­
Le financement
américain
représentait 17 %
du budget
de l’Organisation
mondiale de
la santé en 2017
contribution américaine une se­
maine auparavant, avant de reve­
nir rapidement sur ses propos.
« L’OMS reçoit d’énormes sommes
d’argent des Etats­Unis. Et nous
payons la majorité, la plus grande
partie de leur argent. Et ils ont en
fait critiqué mon interdiction de
voyager [pour les étrangers en
provenance de la Chine] au mo­
ment où je l’ai faite. Et ils avaient
tort. Ils se sont trompés sur beau­
coup de choses. Et ils avaient beau­
coup d’informations tôt et ils sem­
blent être très centrés sur la Chine.
Nous devons examiner cela. Nous
allons donc y jeter un œil », avait­il
ainsi dit le 7 avril.
L’OMS a toujours exprimé des
réserves vis­à­vis des interdic­
tions d’accès à des territoires
comme réponse aux pandémies.
Elle juge qu’elles peuvent ali­
menter exagérément un senti­
ment de sécurité. Elle s’était gar­
dée en revanche de critiquer di­
tin. Elle est aussi un peu inquiète :
« Nous avons amené nos propres
masques mais nous ne savons pas
vraiment ce qui est prévu pour les
clients. »
Depuis une semaine, les super­
marchés fournissent des mas­
ques en théorie gratuitement
à l’entrée, mais les stocks fondent
et certains font désormais payer.
« Gardez bien le vôtre », conseille
une caissière dans un Spar.
« Sur la bonne voie »
Les Viennois sont un peu plus
nombreux à sortir dans les rues
que ces dernières semaines, mais
le niveau de fréquentation est
loin d’atteindre celui d’une jour­
née normale. Le confinement
reste d’ailleurs la norme, même si
« aller faire des achats » est désor­
mais une exception autorisée
sans restriction. Les tramways et
métros, qui avaient prévu une
hausse de leur fréquence, sont
restés très clairsemés.
Dans Mariahilfer, grande rue
commerçante, une grosse moitié
des magasins a rouvert, tandis
que les grandes surfaces doivent
encore attendre deux semaines.
Seul un magasin de sport bran­
ché qui contingente les entrées
affiche une petite queue devant
ses portes. « J’ai besoin de chaus­
sures », justifie Bilal, 23 ans, qui
rectement l’administration amé­
ricaine pour sa décision du
31 janvier visant la Chine. Cette
interdiction n’était par ailleurs
que partielle. Selon le New York
Times, plus de 40 000 personnes,
principalement américaines,
sont arrivées aux Etats­Unis en
provenance de l’empire du Mi­
lieu depuis cette date.
En sanctionnant de la sorte
l’OMS, Donald Trump joue sur les
critiques traditionnelles du Parti
républicain vis­à­vis des organi­
sations multilatérales, qu’il par­
tage. Ses projets de budget, systé­
matiquement ignorés par le Con­
grès, ont régulièrement prévu des
coupes claires dans la contribu­
tion annuelle à l’OMS. Il avait
d’ailleurs prévu de la diviser par
deux pour l’année 2021.
Richard Haass, le président du
Council on Foreign Relations, un
cercle de réflexion américain spé­
cialisé dans les relations interna­
tionales, a commenté sévère­
ment la décision américaine.
« L’OMS est une agence qui ne fonc­
tionne pas bien », a­t­il estimé sur
son compte Twitter, mais « parce
que les grandes puissances, y com­
pris les Etats­Unis, permettent qu’il
en soit ainsi » et « ses échecs n’ex­
pliquent pas nos propres mauvai­
ses performances » dans la lutte
contre l’épidémie de Covid­19.
Un ancien diplomate aguerri du
département d’Etat, Nicholas
Burns, qui a rejoint l’équipe du
candidat démocrate à la présiden­
tielle, Joe Biden, a émis une criti­
que similaire. « Cela n’a aucun
sens de couper le financement de
la principale organisation mon­
diale de santé publique au milieu
d’une pandémie. L’OMS n’est pas
sans défauts mais voyons cela plus
tard lorsque le Covid­19 sera
passé », a­t­il dit sur le même ca­
nal, comparant la décision de Do­
nald Trump à celle de supprimer
le budget « des pompiers au milieu
d’un incendie ». 
gilles paris
attend patiemment devant l’en­
trée. Cet aide­soignant prend
bien la peine de préciser qu’il a
été testé négatif trois fois avant
de venir faire la queue. Les clients
y respectent de toute façon scru­
puleusement les distances d’un
mètre entre eux.
Pendant le week­end de Pâques,
le nombre de nouvelles infections
n’a quasiment pas progressé en
Autriche, tandis que les chiffres
de guérison sont positifs. « Nous
sommes sur la bonne voie », a célé­
bré M. Kurz, en rappelant une
nouvelle fois que son gouverne­
ment avait été parmi les premiers
en Europe à prendre des décisions
de quarantaine strictes.
Le pays profite aussi de sa faible
densité et des grands espaces
verts de sa capitale. Avec son allié
écologiste, le chancelier conser­
vateur n’a jamais été aussi popu­
laire, à en croire les sondages.
Mais M. Kurz a aussi averti qu’il
pourrait revenir en arrière et
« mettre le pied sur le frein » à n’im­
porte quel moment si les chiffres
d’infection repartaient à la
hausse. Et, pour l’instant, les hô­
tels et surtout les cafés ne pour­
ront pas rouvrir avant le 15 mai au
mieux, ce qui prive toujours
Vienne de ses commerces les plus
emblématiques. 
jean­baptiste chastand
Les deux tiers des cas de Covid­19 recensés
en Russie le sont dans la capitale
moscou ­ correspondant
E n fermant, dès le 1 février,
er
ses 4 200 kilomètres de
frontière terrestre avec la
Chine, Moscou pensait se prému­
nir de la menace venue du Sud, ce
nouveau coronavirus qui sévis­
sait de l’autre côté du fleuve
Amour. Deux mois et demi plus
tard, c’est au tour de Pékin de
se protéger contre l’afflux de cas
« importés » de Covid­19, arrivés
principalement de Russie.
Mardi 14 avril, la Chine a ainsi
annoncé la fermeture totale des
quelques points de passage qui
restaient ouverts pour les cas ex­
ceptionnels. Cette décision fait
suite aux arrivées, sur le sol chi­
nois, de malades en provenance
de Russie : 52 rien que samedi
11 avril, débarqués d’un vol Mos­
cou­Shanghaï ; près de 150 ces
derniers jours dans la province
frontalière du Heilongjiang, ren­
trés en Chine par la route après
avoir pris des vols intérieurs rus­
ses à destination de Vladivostok.
Ces cas sont le fait de ressortis­
sants chinois qui reviennent de
longs séjours en Russie. Certains
jours, ces malades « russes » cons­
tituent à eux seuls la majorité des
nouvelles contaminations obser­
vées sur le territoire de la Chine.
Les informations venues de la
frontière chinoise témoignent­el­
les d’une situation hors de con­
trôle en Russie ? « La situation évo­
lue tous les jours, et pas dans le bon
sens », a constaté Vladimir Pou­
tine, lundi 13 avril, dans une nou­
velle adresse télévisée. Le prési­
dent, qui a prévenu que le pic épi­
démique était encore loin d’être
atteint, a d’ores et déjà décidé que
la plupart des entreprises devai­
ent cesser leur activité jusqu’au
30 avril. Les chiffres totaux de con­
taminations restent relativement
modestes, avec 21 102 cas avérés et
170 morts, mais les autorités re­
connaissent que ces bilans pour­
raient être sous­évalués. Plusieurs
experts remettent notamment en
cause la fiabilité des tests prati­
qués en Russie, ceux­ci pouvant
être erronés à 30 %, selon un ex­
pert du ministère de la santé.
Reste que la tendance est claire :
avec 2 774 nouveaux malades an­
noncés mardi 14 avril, la Russie se
place à la huitième place mon­
diale en termes d’augmentation
de cas de Covid­19 sur les vingt­
quatre dernières heures, juste
derrière l’Italie.
Environ les deux tiers de ces cas
sont détectés à Moscou, qui sup­
porte le plus gros effort. « Nos hô­
pitaux et nos services ambulan­
ciers atteignent leur limite », esti­
mait, vendredi 10 avril, l’adjointe
au maire, Anastasia Rakova. « La
situation à Moscou et à Saint­Pé­
tersbourg, mais surtout à Moscou,
est assez tendue car le nombre de
personnes malades augmente. Il y
a un énorme afflux », constatait,
samedi, le porte­parole du
Kremlin, Dmitri Peskov.
Mieux que ces discours inquié­
tants, les images d’ambulances
agglutinées sur des dizaines de
mètres devant plusieurs hôpitaux
moscovites disent la gravité de la
situation dans la capitale. Ces pho­
tos ou vidéos apparues sur les ré­
seaux sociaux durant le week­end
témoignent de l’engorgement des
structures hospitalières. Selon un
ambulancier cité par l’agence Reu­
ters, il faut parfois jusqu’à quinze
Vladimir Poutine
a prévenu que le
pic épidémique
était encore loin
d’être atteint
0123
JEUDI 16 AVRIL 2020
Les ambulanciers
attendent parfois
jusqu’à quinze
heures devant
les hôpitaux
avant de pouvoir
remettre
un malade
heures d’attente avant de pouvoir
remettre un malade du Covid­19.
« Il y a encore des hôpitaux qui
n’ont pas été mobilisés, donc il y a
de la réserve, relativise Andreï M.,
un médecin hospitalier de Mos­
cou, d’ores et déjà tombé malade.
Mais dans ceux mobilisés, la ten­
sion est importante. Dans mon hô­
pital, plusieurs dizaines de soi­
gnants ont démissionné au début
de la crise, à cause du manque de
protections et des salaires ridicules
face à ce risque. » Mercredi 8 avril,
en plus de quelques mesures de
soutien à l’économie, jugées timi­
des, Vladimir Poutine avait an­
noncé le versement de primes
conséquentes pour les médecins
et les soignants mobilisés.
Infrastructures vieillissantes
Conséquence de cette aggravation
dans la capitale russe, où vivent
plus de 12 millions de personnes,
les mesures de confinement y ont
été durcies et un système de lais­
sez­passer électroniques a été mis
en place pour les déplacements
hors du quartier d’habitation.
En province, la dureté du confi­
nement varie selon les régions,
même si la plupart d’entre elles
ont suivi l’exemple moscovite et
ordonné la fermeture des entre­
prises. La situation y est particu­
lièrement scrutée, du fait des for­
tes inquiétudes sur la qualité des
hôpitaux : non seulement les in­
frastructures y sont vieillissantes,
mais les régions sont loin derrière
la capitale en termes de nombre
de médecins et de disponibilité
des appareils respiratoires. Or, les
mauvaises nouvelles commen­
cent à s’accumuler, en prove­
nance de Saint­Pétersbourg, de
Nijni­Novgorod, de Crimée ou en­
core de Bachkirie…
Dans plusieurs régions, ce sont
précisément les hôpitaux qui ap­
paraissent comme les princi­
paux foyers de propagation de
l’épidémie. La République des
Komis, un territoire septentrio­
nal pauvre, a dû placer en qua­
rantaine six hôpitaux qui
n’étaient pourtant pas dédiés à la
lutte contre le Covid­19.
La diffusion du coronavirus pro­
voque aussi des tensions, percep­
tibles sur les réseaux sociaux.
Dans de nombreuses régions,
ceux qui ont apporté le SARS­
CoV­2 sont stigmatisés. Les « ri­
ches », ceux qui ont les moyens de
voyager à Moscou ou même à
l’étranger, se voient reprocher
leur comportement, principale­
ment quand ils n’ont pas appliqué
les mesures de quarantaine pré­
conisées au début de l’épidémie
pour ceux revenant de l’étranger.
En Tchétchénie, une enquête
publiée par le journal Novaïa Ga­
zeta, mardi 14 avril, laisse enten­
dre que les 64 cas officiellement
recensés (apportés par des pèle­
rins revenant de La Mecque) sont
loin de correspondre à la réalité.
Là, les déclarations du président,
Ramzan Kadyrov, assimilant les
personnes infectées à des « terro­
ristes », ont semé l’effroi et poussé
de nombreux malades à ne pas se
signaler aux autorités sanitaires.
Pour autant, plusieurs hôpitaux
tchétchènes ont été placés en
quarantaine. 
benoît vitkine
0123
JEUDI 16 AVRIL 2020
En Inde, la désespérance des pauvres confinés
Le gouvernement de Narendra Modi n’a rien prévu pour les plus démunis, qui tentent de fuir les villes
new delhi ­ correspondante
D
es scènes de chaos ont
accueilli en Inde la
prolongation du con­
finement annoncé
par Narendra Modi mardi 14 avril.
Le premier ministre a décidé
d’étendre jusqu’au 3 mai l’obliga­
tion de rester chez soi et l’arrêt de
la quasi­totalité des activités de ce
pays de 1,3 milliard d’habitants. A
Bombay, des centaines de tra­
vailleurs, des migrants intérieurs,
se sont massés sans aucune
protection à la gare de Bandra,
dans un terminal de bus pour de­
mander à rentrer chez eux, dans
leur village d’origine, où les atten­
dent leurs familles.
Beaucoup espéraient que le
confinement démarré le 25 mars
allait prendre fin. Durant plu­
sieurs heures, des hommes qui
avaient rejoint la capitale éco­
nomique du pays, pour trouver
du travail et nourrir la famille se
sont agglutinés les uns sur les
autres sans protection. Des
heurts ont éclaté avec les forces
de l’ordre qui tentaient de disper­
ser la foule à coup de lathis, des
longs bâtons. L’Etat du Maharash­
tra est la région la plus contami­
née de l’Inde et l’épidémie due au
Covid­19 a atteint Dharavi à Bom­
bay, le plus grand bidonville
d’Asie, où s’entassent dans des
conditions d’hygiène précaires
1 million de personnes.
En vain, le chef du gouverne­
ment régional, (extrême droite)
Uddhav Thackeray, a appelé les
migrants à rester là où ils se trou­
vent. « Vous êtes en sécurité, ne
vous inquiétez pas. Le jour où le
confinement sera levé, le gouver­
nement prendra des dispositions
pour que les migrants rentrent
New Delhi
UTTAR PRADESH
GUJARAT Surat INDE
Dharavi
Bombay
MAHARASHTRA
Mer d’Oman
KERALA
SRI LANKA
Dans le bidonville de Dharavi, l’impossible distanciation sociale
Des centaines de milliers de personnes entassées dans le « slum » barricadé par la police paniquent face à la progression du virus
bombay ­ correspondance
E n Inde, c’est désormais un
fait, l’épidémie due au
coronavirus a établi son
épicentre dans la ville grouillante
de Bombay. Située sur la mer
d’Arabie, la capitale économique
du sous­continent, 21 millions
d’habitants, compte 1 500 cas
dépistés et déplore 100 morts,
tandis que le bilan national
s’établissait, mercredi 15 avril au
matin, à plus de 11 000 contami­
nations et 377 morts.
La situation commence pour­
tant à devenir critique dans les
bidonvilles, où vivent 7 habitants
de l’agglomération sur 10, et en
particulier à Dharavi, une éten­
due de 240 hectares où s’aggluti­
nent des logements insalubres
par dizaines de milliers et où sont
repérés la très grande majorité
des cas. Lors du recensement de
2011, il avait été établi que 850 000
personnes vivaient dans ce slum,
entassées les unes sur les autres.
Aujourd’hui, certains esti­
ment que les indigents y sont un
million et demi, avec moins de
2 m2 par tête. Encore pire que ce
chez eux », a­t­il déclaré. Les auto­
rités mettent ces incidents sur le
compte de rumeurs propagées
sur les réseaux sociaux. Tout sem­
ble parti d’une lettre de la direc­
tion des chemins de fer deman­
dant aux responsables commer­
ciaux d’évaluer le nombre de per­
sonnes bloquées et de soumettre
des propositions. La rumeur s’est
répandue que des trains allaient
être remis en circulation.
Souffrance et impatience
Pour les travailleurs migrants,
des journaliers, bloqués dans les
grandes mégapoles l’équation est
simple : pas de travail, pas d’ar­
gent, pas de nourriture et, sou­
vent, plus de logement. Le gou­
vernement de Narendra Modi n’a
rien prévu pour ces millions de
pauvres, qui pour la plupart ne
disposent même pas des papiers
donnant droit aux quelques sub­
sides promis. Face à ces lacunes,
des ONG et les Etats régionaux
tentent depuis le début du confi­
nement d’organiser la distri­
bution de repas chauds. Mais
cette aide est insuffisante pour
convaincre les migrants de rester
confinés. Ils vivent souvent en­
tassés dans de petits logements
ou dorment dans la rue. Le gou­
vernement n’a pas imposé le gel
des loyers, se contentant de re­
quérir l’indulgence des proprié­
taires. Les migrants sont convain­
cus qu’ils seraient plus en sécurité
« au village ».
La situation se tend chaque jour
davantage et le gouvernement ne
semble toujours pas avoir pris la
mesure de la souffrance et de
l’impatience des plus démunis. Il
y a quelques jours à Surat dans
le Gujarat, des travailleurs du sec­
teur textile, des centaines de tis­
Golfe du Bengale
500 km
qu’avait montré le film de Danny
Boyle, Slumdog Millionaire,
tourné ici en 2008. A l’époque, les
habitants de Dharavi n’avaient
pas du tout apprécié la façon dont
cette fiction décrivait leur quoti­
dien miséreux. Avec l’arrivée du
« virus chinois », comme beau­
coup d’Indiens continuent d’ap­
peler le coronavirus, le slum est
désormais en survie.
Impossible de respecter le confi­
nement instauré le 25 mars, tant
la promiscuité est élevée. Joint
par téléphone, Suresh explique
que la consigne de distanciation
sociale fait doucement rigoler :
« On estime que 90 % des gens uti­
lisent les latrines publiques, vous
imaginez ? » Ce père de famille de
43 ans loge avec sa femme, ses
deux fils et son propre frère dans
une pièce de 13 m2, à proximité du
carrefour où se croisent les deux
grandes artères de Dharavi.
« La plupart de mes voisins vi­
vaient avec un salaire à la journée,
ils ont perdu leur boulot et crèvent
de faim. Ils sont bien obligés de
sortir de chez eux et de plonger
dans la foule pour aller aux toilet­
tes et faire la queue aux distribu­
Les travailleurs migrants protestent contre la prolongation du confinement, à Bombay, en Inde, mardi 14 avril. ZOYA THOMAS LOBO/AP
seurs, s’étaient regroupés sur une
route pour demander que des
bus les ramènent chez eux. Ils
avaient mis le feu à des charret­
tes et s’étaient affrontés aux for­
ces de l’ordre.
La première phase du confine­
ment qui avait débuté le 25 mars
s’était déjà immédiatement tra­
duite par un exode des tra­
vailleurs migrants, piégés par
cette mesure, car privés brutale­
ment de moyens de subsistance.
Dans la capitale New Delhi, des
centaines de milliers de familles
désespérées avaient pris la route à
pied ou s’étaient entassées des
heures durant sous une chaleur
de plomb pour tenter d’attraper
un bus mis à disposition par l’Etat
voisin, l’Uttar Pradesh.
Les experts sont extrêmement
critiques sur la gestion des plus
pauvres. « Leur survie ne figure
pas parmi les priorités du gouver­
nement, lequel ignore les conseils
d’experts », cingle l’ancien gou­
verneur de la banque centrale,
Raghuram Rajan.
tions de nourriture organisées par
les ONG », raconte Suresh, qui
s’avoue chanceux à titre person­
nel : l’entreprise où il occupait un
emploi de chauffeur continue
pour l’instant de le payer.
Le ravitaillement n’en demeure
pas moins un parcours du com­
battant. Les épiceries n’ouvrent
plus qu’entre 10 heures et midi,
leur accès est barré par des fils de
Nylon tendus entre deux po­
teaux, et leurs étagères sont de
plus en plus vides. Suresh dit met­
tre « plus de dix minutes à parcou­
rir les 500 mètres qui [le] séparent
du premier magasin ouvert », tant
il y a de monde dehors. Pour avoir
« On estime
que 90 %
des gens utilisent
les latrines
publiques,
vous imaginez ? »
SURESH
père de famille de 43 ans
L’économiste Jean Drèze, spécia­
liste du développement, qui vit en
Inde depuis de nombreuses an­
nées, avait, dès le départ, prédit
que la crise sanitaire risquait de se
doubler d’une crise sociale et hu­
manitaire, un « tsunami » pour les
pauvres. Il avait appelé à des me­
sures d’urgence : une aide finan­
cière de 7 000 roupies (84 euros) à
268 millions de foyers, un réseau
public de distribution de repas et
de nourriture, le maintien des ser­
vices essentiels. L’économiste es­
time que 130 millions d’Indiens
sont menacés par la faim en rai­
son du confinement. Le gou­
vernement n’a proposé qu’une
aide de 2 000 roupies (24 euros)
pour 87 millions d’agriculteurs,
1 000 roupies (12 euros) pour
30 millions de personnes âgées et
la distribution de riz et de lentilles,
les aliments de base des Indiens.
La stratégie du gouvernement,
calquée sur le modèle des pays oc­
cidentaux, n’est sans doute pas
adaptée à un pays aussi pauvre
que l’Inde où près de la moitié de
une chance d’obtenir ne serait­ce
qu’un kilo de riz et de dahl (len­
tilles), il faut passer commande
par téléphone et attendre que
l’échoppe rappelle pour aller
chercher les denrées.
« C’est l’horreur »
Alors qu’au début du mois
d’avril la population croyait en­
core à une exception indienne
dans ce pays de 1,3 milliard d’ha­
bitants, certains élus laissant en­
tendre que le climat tropical et le
haut niveau d’immunité des
pauvres auraient raison du
SARS­CoV­2, elle cède mainte­
nant à la panique. Le Covid­19 a
fait sa première victime à Dha­
ravi le 1er avril et tout le monde a
peur que l’épidémie se répande
comme un feu de paille.
« C’est l’horreur », confie Vincy,
une femme de 27 ans tombée en­
ceinte « vers la mi­février », après
avoir perdu un premier nou­
veau­né en 2019. « Même les mé­
decins ont la trouille. Les cabinets
sont ouverts, mais on ne peut plus
prendre de rendez­vous et aucun
ne veut plus faire de visite à domi­
cile. Je me demande comment je
coronavirus | 9
L’équation
est simple :
pas de travail,
pas d’argent, pas
de nourriture,
et souvent plus
de logement
la population vit avec 1,35 dollar
par jour, souvent pour nourrir
toute une famille. Les spécialistes
recommandent un soutien maté­
riel et financier massif pour les
personnes les plus vulnérables et
conseillent au gouvernement de
déléguer beaucoup plus qu’il ne le
fait, en s’appuyant sur les
800 000 panchayats, les assem­
blées de village, pour diffuser les
messages de bonnes pratiques,
organiser les mises en quaran­
taine nécessaires, la distribution
de repas, et l’offre de lits. Ces ins­
tances au plus près de la popula­
vais faire pour trouver un gynéco­
logue et passer une échographie.
J’ai pourtant besoin de savoir si
mon bébé va bien, et de connaître
le terme de ma grossesse », dit­elle.
Institutrice à Kurla, un autre
quartier de Bombay, Vincy n’a
plus aucun revenu : « Pour me
protéger et pouvoir manger un
minimum, je me suis réfugiée
chez ma mère, qui est veuve. Mon
mari, lui, reste tout seul à la
maison. » Jusqu’à présent, les
autorités n’apparaissaient que
pour asperger de désinfectant les
ruelles du bidonville, où d’ordi­
naire des centaines d’ateliers
s’activent dans l’habillement,
l’artisanat du cuir, la poterie ou
le recyclage du plastique.
Dimanche 12 avril, la municipa­
lité a ordonné à la police de « bar­
ricader » Dharavi, dans le but
d’isoler le virus qui n’aurait
frappé que 47 individus et tué
5 personnes, d’après les statisti­
ques officielles. Sur place, per­
sonne n’accorde de crédibilité à
ces chiffres. Les élus ont aussi
déclaré que les personnels soi­
gnants pratiquaient un « porte­à­
porte systématique » pour déni­
tion bénéficient d’un fort taux
de confiance, au contraire des
administrations gouvernemen­
tales, des fonctionnaires et de la
police. Les Etats les plus perfor­
mants dans la gestion de la crise,
comme le Kerala, dans le sud, ont
délégué en partie la gestion de
l’aide aux panchayats.
De nouvelles règles, relatives au
fonctionnement de secteurs es­
sentiels, comme le commerce en
ligne, l’industrie et l’agriculture,
les banques, le transport de mar­
chandises indispensables, ont été
publiées par le gouvernement
mercredi 15 avril et comportent
quelques assouplissements
« pour atténuer les difficultés du
public ». Elles seront applicables à
partir du 20 avril. La pêche, l’éle­
vage, la production de lait sont
notamment autorisés, les planta­
tions de thé, de café, de caout­
chouc également, mais avec un
personnel réduit de moitié. L’épi­
démie ne fait que démarrer dans
le sous­continent. 
sophie landrin
cher les éventuels malades. Vincy,
comme Suresh, n’a vu passer per­
sonne chez elle. Elle ignore où en
est l’épidémie dans le quartier et
l’affirme : aucun test de dépistage
n’est pratiqué dans le slum. « Ils
contrôlent la température avec
une sorte de pistolet sur le front, et
c’est tout », s’inquiète­t­elle.
A Delhi, le ministère de la santé
prétend, lui, que le gouverne­
ment Modi est « surpréparé » à
l’épidémie. Alors qu’au départ un
seul laboratoire était habilité à
dépister le coronavirus en Inde, à
Pune, plus de 200 sites peuvent
maintenant le faire et plus de
26 000 tests sont actuellement
réalisés chaque jour dans le pays.
A Dharavi, le fonctionnaire
chargé de superviser les opé­
rations de confinement, Kiran Di­
ghavkar, a fait savoir qu’une clini­
que de 50 lits avait été réquisi­
tionnée pour les malades à venir.
En outre, 300 lits de quarantaine
ont été installés dans le complexe
sportif Rajiv­Gandhi, ainsi que
700 autres dans un gymnase mu­
nicipal. Des moyens qui pour­
raient vite se révéler dérisoires. 
guillaume delacroix

10 | coronavirus
En Israël, un ministre de la santé
qui inquiète la population
L’ultraorthodoxe Yaakov Litzman, allié indispensable de Nétanyahou,
a été contaminé après avoir ignoré les consignes de distanciation
jérusalem ­ correspondant
H
aro sur le ministre
de la santé. Yaakov
Litzman, sans con­
teste le ministre le
plus impopulaire d’Israël, subit
un flot de critiques depuis qu’il a
été diagnostiqué, jeudi 2 avril,
porteur du coronavirus, tout
comme son épouse.
Cette révélation a entraîné
l’isolement, durant plusieurs
jours, du chef du gouvernement,
Benyamin Nétanyahou, qui
s’était trouvé à ses côtés à de
multiples reprises, ainsi que du
chef d’état­major, Aviv Kokhavi,
du patron du Mossad, Yossi
Cohen, et de la haute direction
du ministère de la santé.
Selon la chaîne 12, M. Litzman,
membre de la communauté
ultraorthodoxe, avait ignoré les
consignes de distanciation so­
ciale de sa propre administra­
tion. D’après des témoignages de
voisins rapportés par la presse, il
aurait continué de se rendre
dans une synagogue proche de
son domicile, dans le quartier
Ezrat Torah de Jérusalem, pour y
prier en groupe. Yaakov Litzman
a nié ces accusations.
Alors que le pays recense plus
de 12 000 personnes contami­
nées et 123 morts, les appels à la
démission n’ont suscité aucune
réaction de M. Nétanyahou. Selon
diverses fuites concordantes
sur l’accord que le premier minis­
tre négocie avec son opposition,
en vue de former un gouverne­
Tractations pour former un
gouvernement d’union nationale
Le premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, et son
ex-rival Benny Gantz menaient leurs derniers pourparlers pour
former un gouvernement d’union et ainsi mettre fin à la plus
longue crise politique d’Israël en pleine pandémie de Covid-19.
Après seize mois de gouvernement de transition, MM. Nétanya-
hou et Gantz ont jusqu’à mercredi soir minuit pour s’entendre.
Les deux camps ont fait état mardi de « progrès significatifs » dans
leurs échanges pour former un gouvernement « d’union nationale
et d’urgence » afin d’affronter la pandémie qui a fait 123 morts
dans le pays. M. Gantz a renoncé, à court terme du moins,
à son projet de devenir premier ministre et a consenti à former
un gouvernement mené par M. Nétanyahou, mis en examen
pour corruption et abus de confiance
La Corée du Nord peaufine ses missiles, sans franchir la ligne rouge
Kim Jong­un multiplie les tirs de courte portée. Des manœuvres qui permettent à Pyongyang d’effectuer de réelles avancées technologiques
A lors que le monde est
tout à la lutte contre la
pandémie de Covid­19,
la Corée du Nord procède à des
essais de missiles à un rythme
effréné. La dernière salve a été
tirée mardi 14 avril à l’aube, à la
veille de l’anniversaire du fon­
dateur du régime, Kim Il­sung,
et des élections législatives en
Corée du Sud. Les missiles de
croisière de courte portée ont
parcouru 150 kilomètres.
Alors que les rumeurs sur les
cas de contamination de coro­
navirus courent dans son pays,
le dirigeant Kim Jong­un envoie
le message que la République
populaire démocratique de
Corée (RPDC) ne s’en trouve
nullement affaiblie d’un point de
vue militaire.
Pyongyang avait déjà procédé à
neuf tirs sur le seul mois de mars,
et à une trentaine depuis qu’ont
repris les tirs en mai 2019, trois
mois après l’échec du sommet
de Hanoï entre Kim Jong­un
et le président américain, Do­
nald Trump. La Corée du Sud, qui
ment d’union, M. Litzman paraît
voué à conserver son poste.
Sans éducation scientifique, ce
ministre tient un poste éminem­
ment politique. Il représente de­
puis avril 2009 au gouvernement
un parti ultraorthodoxe fort de
sept sièges à la Knesset, et solide­
ment arrimé à la coalition de
droite de M. Nétanyahou. « Il est le
soldat le plus loyal que Nétanya­
hou aura jamais. C’est pour cela
qu’il le défendra, (…) même si le
renvoyer ou le changer de poste
serait une décision immensément
populaire », note l’analyste de la
chaîne 13 Barak Ravid.
M. Litzman, 71 ans, appartient à
la communauté hassidique de
Gour. Très proche de sa direction
religieuse, il représente son parti,
Agoudat Israël, au sein d’un Etat
que les ultraorthodoxes tiennent
en grande défiance. Il contribue
ainsi à maintenir des subven­
tions publiques pour leurs éco­
les religieuses et les exemptions
de service militaire accordées
à leurs étudiants.
« Le Messie nous sauvera »
M. Litzman fait de longue date
l’objet du ressentiment d’Israé­
liens laïques et juifs traditionnels,
qui accusent notamment les
ultraorthodoxes (représentant
environ 12 % de la population)
de vivre aux dépens de leurs
concitoyens, dans un état de
relative autarcie et d’impunité
pour leurs dirigeants.
Avant la pandémie, la police
israélienne et l’avocat général
a tenté de se poser en médiatrice,
a préféré ces derniers mois évo­
quer des « projectiles » pour évi­
ter de prendre acte de l’impasse.
Il faut pourtant remonter au pic
des tensions entre les Etats­Unis
et la RPDC, en 2016­2017, pour
voir cette dernière tester ses mis­
siles à une telle fréquence.
Avec une certaine subtilité tou­
tefois, car Pyongyang n’a pas réa­
lisé de nouvel essai nucléaire ou
lancé de missiles intercontinen­
taux, ceux qui pourraient théori­
quement atteindre le sol améri­
cain. Ce qui permet à Washing­
ton et à Séoul de détourner le re­
gard. « Non, pas de réaction. Non,
missiles courte portée. Non », ré­
pondait Donald Trump début
mars, après un nouveau tir.
Démonstration de précision
Mais, sous ce radar, la Corée du
Nord en profite pour réaliser des
avancées techniques qui n’ont
rien de négligeables, avec de réel­
les implications sécuritaires, no­
tamment pour le sud de la pénin­
sule, où vivent 51 millions d’ha­
La principale
victime des
retards demeure
la propre
communauté
de M. Litzman :
elle concentre
la majorité des
cas d’infection
avaient cependant recommandé
des poursuites en justice contre
M. Litzman pour corruption,
fraude et abus de confiance. Il est
soupçonné d’avoir fait pression
sur des psychiatres affiliés au mi­
nistère pour qu’ils déclarent l’ir­
responsabilité pénale de Malka
Leifer, une ancienne directrice
de lycée ultraorthodoxe, accusée
d’avoir commis de multiples sévi­
ces sexuels dans un établisse­
ment de Melbourne, en Australie,
cela afin d’empêcher son extradi­
tion. Aggravant les choses, le quo­
tidien Haaretz a aussi révélé que
M. Litzman aurait utilisé son mi­
nistère pour faciliter des contrats
financiers et immobiliers en fa­
veur de sa communauté.
Avec l’arrivée du virus, c’est
l’impréparation du ministère de
la santé qui lui est désormais re­
prochée. La presse a soudain re­
découvert le manque d’investis­
sements qu’a connu le secteur
depuis dix ans, et dans les faits de­
puis les années 1970. Cette criti­
que visait M. Litzman, mais sur­
tout M. Nétanyahou lui­même,
les deux hommes s’étant re­
layés à la tête du ministère
durant cette période.
Soir après soir, M. Litzman est
apparu à la télévision, chapeau
de fourrure cylindrique tradi­
tionnel et longue barbe blanche,
au côté de M. Nétanyahou, pour
détailler les mesures prises afin
de limiter la propagation du vi­
rus. Dans le même temps, en
coulisses, le ministre cherchait à
obtenir le maintien des activités
religieuses de sa communauté,
insistant pour que la police ne
bitants et où sont stationnés
28 500 soldats américains.
Le plus souvent Pyongyang tire
un modèle de missile d’une por­
tée de 400 km, soit l’intégralité de
la Corée du Sud. Alors qu’ils
étaient auparavant tirés en pleine
mer au large, sans indication
quant à la précision de l’opéra­
tion, le quotidien Rodong Sinmun
(l’organe officiel du Parti des tra­
vailleurs, au pouvoir) publie dé­
sormais des photos d’impact sur
des roches émergées au large, à
l’est de la péninsule. Une dé­
monstration de précision.
Ces missiles sont à combusti­
ble solide, une technologie que la
Corée du Nord a longtemps
peiné à maîtriser. Elle permet un
chargement de carburant en
amont, à la différence du plus ba­
sique combustible liquide, qui
doit être chargé sur le site de lan­
cement. L’ennemi a ainsi moins
de temps pour identifier, inter­
cepter et répliquer.
Enfin, son rythme de tir
s’est considérablement accéléré :
d’une grosse vingtaine de minu­
gêne pas les festivités de Pourim,
à la mi­mars. Il est apparu depuis
que ces réjouissances ont cons­
titué le premier grand pic de
contamination du pays.
Par la suite, M. Litzman s’est em­
ployé à maintenir les synagogues
et les bains rituels ouverts aussi
longtemps que possible. Inter­
rogé à la mi­mars sur la possibi­
lité que les Israéliens soient
contraints à demeurer en isole­
ment jusqu’aux fêtes de Pâques, il
s’était dit assuré que « le Messie
arrivera[it] et [les] sauvera[it] tous
des troubles du monde ».
Forte discipline
« Il a été tiraillé entre les exigences
de sa communauté et ses fonc­
tions, mais Litzman est vraiment
dédié à sa tâche : c’est l’ambition
d’une vie pour lui », nuançait à la
fin mars Jonathan Halevy, prési­
dent de l’hôpital Shaare­Zedek
de Jérusalem. Pourtant, la princi­
pale victime de ces retards de­
meure la propre communauté
de M. Litzman : elle concentre la
majorité des cas d’infection dans
le pays. Dans les hôpitaux de
Jérusalem, 75 % des patients
traités sont des ultraorthodoxes.
M. Litzman a failli dans son rôle
de courroie de transmission en­
tre l’Etat et une communauté
pauvre, fragile et parlant sou­
vent mal l’hébreu courant.
Il a aussi échoué à inciter le pre­
mier des rabbins ultraorthodo­
xes, Chaim Kanievsky, à écouter
les conseils des experts de santé,
comme le recommande pourtant
la tradition rabbinique : durant de
longues semaines, M. Kanievsky
s’était évertué à maintenir ouver­
tes les écoles religieuses.
Aujourd’hui, en dehors de quel­
ques sectes radicales, les ultraor­
thodoxes paraissent respecter les
mesures d’isolement. Le gouver­
nement note que la communauté
dispose d’atouts importants : elle
est majoritairement jeune, donc
moins fragile face au virus, et do­
tée d’une forte discipline de
groupe. A tel point qu’aucune cri­
tique publique ne s’est encore éle­
vée de son sein contre les man­
quements de ses dirigeants. 
louis imbert
tes entre chaque tir, en mai 2019,
à vingt secondes au début
de mars. Elle pourrait désormais
tirer les quatre missiles d’un ca­
mion lanceur en une minute. Et
certains essais ont été réalisés
non pas par des ingénieurs, mais
en situation d’exercices supervi­
sés par les militaires.
Autant d’éléments qui montrent
que le déploiement opérationnel
est proche. « Ils gagnent en mobi­
lité et en rapidité. La Corée du Nord
développe des systèmes de frappe
Son rythme de tir
s’est accéléré :
d’une grosse
vingtaine de
minutes entre
chaque tir,
en mai 2019,
à vingt secondes,
début mars
L’ambassadeur chinois
à Paris convoqué pour ses
notes peu diplomatiques
Les commentaires de Lu Shaye sur la gestion
du Covid­19 sont vus comme un parasitage
pékin ­ correspondant
L e communiqué du minis­
tère des affaires étrangères,
par sa construction, dit tout
de l’affaire. Publié mardi 14 avril
dans la soirée, il révèle seulement
à sa dernière ligne l’information
principale. L’ambassadeur de
Chine en France, Lu Shaye, a été
convoqué dans la matinée. Jean­
Yves Le Drian tenait ainsi à lui
exprimer sa « désapprobation ». La
cause, non évoquée dans le texte :
la publication d’une série de tribu­
nes anonymes jugées très dépla­
cées sur le site de la représentation
chinoise à Paris. « Certaines prises
de position publiques récentes de
représentants de l’ambassade de
Chine en France ne sont pas confor­
mes à la qualité de la relation bila­
térale entre nos deux pays », pré­
cise le ministère. Une façon de
stigmatiser un comportement in­
dividuel, sans froisser Pékin.
Dans la dernière publication, da­
tée du 12 avril, un diplomate chi­
nois anonyme fustigeait en ter­
mes très rudes les Américains et
les Européens pour leurs critiques
à l’égard de son pays, au sujet de la
gestion de l’épidémie. Renvoyant
ces voix à leurs responsabilités,
l’auteur écrivait notamment :
« On a fait signer aux pensionnai­
res des maisons de retraite des
attestations de “renonciation aux
soins d’urgence” ; les personnels
soignants des Ehpad ont aban­
donné leurs postes du jour au len­
demain, ont déserté collective­
ment, laissant mourir leurs pen­
sionnaires de faim et de maladie. »
L’utilisation même de l’acro­
nyme Ehpad ne laissait pas de
doute sur le pays visé, la France.
Or, après vérification, il apparaît
que la source de l’ambassade est
un article de Ouest­France évo­
quant… l’Espagne.
Plus loin, l’auteur du texte écrit :
« L’OMS [l’Organisation mondiale
de la santé] a fait l’objet d’un vérita­
ble siège de la part des pays occi­
dentaux, certains lançant même
des attaques ad hominem contre
son directeur général, le docteur
Tedros Adhanom Ghebreyesus. Les
autorités taïwanaises, soutenues
par plus de 80 parlementaires fran­
çais dans une déclaration cosignée,
de précision face à la Corée du Sud.
Sans remettre en cause l’équilibre
des forces conventionnelles, ils lui
ouvrent des options de frappe et
de gestion de l’escalade », constate
Antoine Bondaz, spécialiste de
l’Asie du Nord­Est à la Fondation
pour la recherche stratégique.
Appel à l’attention
La Corée du Sud préfère voir en
ces tirs un appel à l’attention. De
fait, la Corée du Nord avait posé
aux Etats­Unis un ultimatum
pour avancer des propositions ac­
ceptables menant à la levée des
sanctions à la fin de l’année 2019,
sans être entendue. Le gouverne­
ment nord­coréen a bien cons­
cience qu’à l’issue des élections
américaines de novembre, il
pourrait se trouver face à un pré­
sident des Etats­Unis plus forma­
liste que Trump qui, faisant fi du
passif de méfiance entre les deux
pays et du préalable de dénucléa­
risation posé par Washington, a
rencontré Kim trois fois depuis
l’été 2018 – sans avancées sur le
fond des négociations.
0123
JEUDI 16 AVRIL 2020
ont même utilisé le mot “nègre”
pour s’en prendre à lui. Je ne com­
prends toujours pas ce qui a pu pas­
ser par la tête de tous ces élus fran­
çais. » Problème : cet appel, publié
par L’Obs le 31 mars, qui plaide pour
l’admission de Taïwan à l’OMS, ne
fait ni référence ni même allusion
au directeur général. On y cherche­
rait en vain le mot « nègre ».
Dilemme
Arrivé en France à l’été 2019, Lu
Shaye s’était déjà taillé une répu­
tation de « faucon » dans son pré­
cédent poste au Canada. La France
lui avait déjà indiqué que certai­
nes de ses déclarations au sujet de
Huawei étaient déplacées. De­
puis, note­t­on au Quai d’Orsay, il
publie ses commentaires sous le
titre d’« observations d’un diplo­
mate chinois en poste à Paris ».
Le Quai d’Orsay se trouvait face
à un dilemme. Mettre en scène
l’irritation des autorités françai­
ses à l’égard du représentant chi­
nois risquait de compromettre la
seule entreprise qui compte :
l’acheminement des masques
produits en Chine, dont la France
a si cruellement besoin. Le rôle de
Pékin pourrait être aussi décisif
sur une autre question majeure
pour Paris : soulager les pays afri­
cains – au moins en partie – du
poids de leur dette extérieure.
Dès lors, ces écrits sont vus
comme un parasitage. Mais ces
publications ne traduisent­elles
pas aussi une posture plus agres­
sive, faisant fi de toute vérité des
faits, adoptée par la diplomatie
chinoise pour fuir ses responsa­
bilités ? Lu Shaye est loin d’être le
seul diplomate chinois à avoir
adopté cette politique de commu­
nication, voire de désinformation.
De son côté, Jean­Yves Le Drian a
noué une relation personnelle de
qualité avec son homologue chi­
nois, Wang Yi. Fin octobre 2019, en
marge d’une visite officielle, ce­
lui­ci avait effectué une visite pri­
vée en Bretagne, à l’invitation
du ministre français. Depuis, M. Le
Drian juge que son interlocuteur
fait preuve de bonne volonté dans
les moments de tension nécessi­
tant une intervention politique. 
frédéric lemaître
et piotr smolar
En l’absence de progrès diplo­
matiques, Kim Jong­un doit
montrer aux sceptiques au sein
de son armée qu’il n’a pas re­
noncé à l’option militaire. « Il
s’agit de renforcer la solidarité en
interne, et à l’extérieur d’attirer
l’attention des Etats­Unis et de la
Corée du Sud et de les presser de
changer d’attitude », analysait le
ministère de l’unification sud­co­
réen mardi 10 mars, au lende­
main de quatre tirs.
« Kim Jong­un améliore sa force
conventionnelle plus que nu­
cléaire, pour ne pas embarrasser
Trump et ne pas le forcer à réagir,
mais les progrès réalisés sur la mo­
bilité de ces missiles sont en retour
utiles pour des missiles intercon­
tinentaux, résume Vipin Narang,
professeur de sciences politi­
ques au Massachusetts Institute
of Technology (MIT). Kim a tout
intérêt à procéder ainsi, d’autant
qu’il n’est pas certain d’avoir un
président américain si clément
face à lui à la fin de l’année. Il met
ce temps à profit. » 
harold thibault
0123
JEUDI 16 AVRIL 2020
La « ligne de crête » du Conseil d’Etat sur les référés
Une partie des milieux judiciaires estime que la haute juridiction ne défend pas assez les libertés fondamentales
L
e Conseil d’Etat, gardien
des libertés fondamenta­
les ou auxiliaire zélé du
pouvoir exécutif ? Telle est
la question qui agite ces derniers
temps les milieux judiciaires au
vu des décisions rendues par la
haute juridiction administrative,
saisie depuis le 10 mars de 115 re­
cours – selon notre décompte,
dont plus de 70 en référé – liés aux
mesures prises pour lutter contre
l’épidémie de Covid­19.
Dans la plupart des cas, le juge
des référés était appelé à statuer
en urgence sur le fondement de
l’article L. 521­2 du code de justice
administrative lui permettant
d’ordonner toutes mesures né­
cessaires à la sauvegarde d’une li­
berté fondamentale à laquelle
aurait été portée « une atteinte
grave et manifestement illégale ».
Il peut alors soit suspendre le
texte ou la disposition contes­
tés, soit ordonner au gouverne­
ment d’agir pour prendre des
mesures adaptées.
Une partie significative de ces
requêtes n’ont pas été examinées,
le Conseil estimant qu’il n’y avait
pas lieu. Sur les 46 décisions ren­
dues à ce jour, 41 étaient des déci­
sions de rejet. Une constance qui
a soulevé de nombreuses interro­
gations. « Ces décisions soulignent
avec une lumière crue les limites
du recours au juge, en général,
dans le cadre de situations excep­
tionnelles, relève Claire Saunier,
docteure en droit à l’université
Paris­II, sur le blog “Jus Politi­
cum”. Dans un tel contexte, la défé­
rence envers les décisions du gou­
vernement apparaît comme l’uni­
que réponse au dilemme d’un juge
écartelé entre une réalité pratique
qui le dépasse et une volonté de
conserver son image de gardien
privilégié des droits et libertés. »
« Carte blanche » à l’exécutif
Et la professeure de droit d’ajou­
ter : « Sous couvert de protéger un
droit (celui du respect de la vie), le
juge du référé­liberté se comporte
non plus comme le garant des li­
bertés en se chargeant de fixer des
limites à la police administrative,
mais il semble, tout au contraire,
participer à l’extension de cel­
le­ci. » Xavier Dupré de Boulois,
professeur de droit à l’univer­
sité Paris­I, en est venu, dans la
Revue des droits et libertés fonda­
mentaux, à qualifier le Conseil
d’Etat d’« auxiliaire de la police
administrative ».
« La haute juridiction n’est plus
simplement le conseiller du gou­
vernement, mais s’en fait l’allié de
circonstance en lui accordant un
certificat de légalité qui semble
sans fin, couvrant ainsi de graves
entorses à l’état de droit, jugeaient
sévèrement les avocats William
Bourdon et Vincent Brengarth
dans une tribune parue le 12 avril
sur Lemonde.fr. A la défaillance
du contrôle parlementaire s’ajou­
te celle du Conseil d’Etat. Il s’inscrit
dans ce même continuum en don­
nant carte blanche au pouvoir
exécutif et en donnant l’impres­
sion d’être tétanisé à l’idée que
son pouvoir critique puisse fra­
giliser les moyens d’action du gou­
vernement. Face à une menace
vitale, le Conseil d’Etat se dévita­
lise alors qu’il devrait être l’ulti­
me bastion. »
Des accusations dont se défend
le vice­président du Conseil
d’Etat, Bruno Lasserre, joint par
Le Monde. Tout d’abord, sur le
« tri » des recours, c’est­à­dire les
affaires non instruites ou qui ne
viennent pas en audience. « Les
textes permettent au juge d’éva­
luer le sérieux et la pertinence de la
requête. Le taux d’affaires ayant
fait l’objet d’une instruction et
convoquées en audience se situe
dans la ligne des années antérieu­
res. On n’écarte pas plus », assure
le magistrat, qui au contraire sa­
lue la mobilisation de la juridic­
tion administrative dans un con­
texte compliqué.
Quant aux décisions de rejet,
« dans beaucoup de cas, le Conseil
d’Etat a rejeté mais après avoir fait
faire beaucoup de chemin grâce à
l’audience, et ses invitations ont
été prises en compte par l’adminis­
tration », affirme M. Lasserre. Il
cite en exemple l’ordonnance
concernant la verbalisation de
sans­domicile­fixe ne respectant
pas les mesures de confinement.
« Ce n’est pas possible de verbaliser
quelqu’un pour être sorti de son
domicile alors qu’il n’en a pas,
constate le magistrat. Des instruc­
tions très fermes ont été données. »
Ou encore sur les migrants placés
en centre de rétention adminis­
trative : le Conseil d’Etat a estimé
que le placement devait être li­
Sur les
46 décisions
rendues à ce jour,
41 étaient des
décisions de rejet.
Une constance
qui a soulevé
de nombreuses
interrogations
mité aux personnes dont les pers­
pectives d’éloignement étaient
« crédibles et immédiates ».
Dans la plupart des requêtes
examinées, le Conseil d’Etat
s’évertue à examiner point par
point l’état des pratiques et les de­
mandes formulées. Exemple, le
recours déposé le 1er avril par plu­
sieurs associations de soutien
aux migrants, qui demandaient,
entre autres, le dépistage systé­
matique des personnes en situa­
tion de précarité, la mise à l’abri
des personnes en situation de
grande précarité, la mise en place
d’une procédure dématérialisée
permettant l’enregistrement des
demandes d’asile et de l’ouver­
ture des droits, etc.
Demandes contradictoires
Dans ce cas, comme dans la majo­
rité des demandes de mise à dis­
position de protections sanitai­
res ou de tests de dépistage con­
cernant telle ou telle catégorie de
population, le Conseil d’Etat con­
sidère les mesures qui ont déjà
été prises par l’administration, la
réalité des moyens mis en œuvre
et de ceux qui peuvent l’être, pour
finalement décider si, en droit, il
y a « une atteinte manifestement
illégale » à une liberté fondamen­
tale. Un raisonnement qui fait
dire à Roseline Letteron, profes­
seure de droit public à Paris­I, sur
son blog « Liberté, libertés ché­
ries », que l’argumentation du
Conseil d’Etat reposerait « exclu­
sivement sur la communication
gouvernementale ».
« Le juge des référés est un
juge pragmatique, il regarde les
moyens dont dispose l’administra­
tion et ce qui a pu être mis en place,
répond M. Lasserre. Bien sûr, sont
en cause des libertés fondamenta­
les, mais pour protéger d’autres li­
bertés fondamentales. Moins
qu’un combat contre un Etat qui
rognerait les libertés, c’est un équi­
libre à trouver entre des libertés
tout aussi fondamentales. »
D’où la difficulté, parfois, à ré­
pondre à des demandes contra­
dictoires quand, d’une part, des
syndicats de personnels péniten­
ciers demandent la suspension
du régime « portes ouvertes »
– qui consiste à laisser les portes
ouvertes une partie de la journée
afin de permettre la liberté de cir­
culation en centre de détention –,
et que d’autre part l’Observatoire
international des prisons réclame
que soient maintenus les liens de
communication dans cette pé­
riode de crise.
« Nous ne sommes pas devenus
le bouclier du gouvernement, as­
sure M. Lasserre. Nous fonction­
nons toujours avec notre ADN, qui
est de protéger les libertés. Nous
sommes en réalité sur une ligne de
crête. » Le nombre de recours
devant le juge administratif, pro­
bablement appelé à s’amplifier
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« Nous
ne sommes
pas devenus
le bouclier du
gouvernement »
BRUNO LASSERRE
vice-président
du Conseil d’Etat
que, de contester l’action publi­
que. « C’est au gouvernement de
définir sa stratégie pour lutter con­
tre l’épidémie. Les experts sont là
pour le conseiller et l’éclairer. Or on
nous demande de prendre la place
du gouvernement et des experts,
sans se rendre compte que, si nous
suivions ces demandes, nous ins­
taurerions un gouvernement des
juges contre lequel tout le monde
s’insurgerait, à juste titre, dé­
plore le vice­président du Conseil
d’Etat. Ce n’est pas à nous de dire
oui à la prescription et à la distri­
bution de l’hydroxychloroquine
alors que le risque n’a pas été éva­
lué. Comment le juge pourrait­il se
prononcer à la place des experts ?
Ce n’est pas au juge de prendre les
commandes. »
Mardi 14 avril, les bâtonniers
des barreaux de Paris et de Mar­
seille plaidaient devant le Conseil
encore vu le nombre d’ordonnan­ d’Etat les « atteintes manifeste­
ces et de décrets publiés depuis la ment illégales » portées au service
loi d’urgence sanitaire du 23 mars, public de la justice du fait du refus
témoigne aussi de la tendance de de l’Etat de mettre à la disposition
plus en plus accentuée à la judi­ des avocats les moyens nécessai­
ciarisation de la société, avec une res à leur protection. 
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12 | coronavirus
Quelle politique
de relance pour
l’après­crise ?
Le gouvernement s’oriente
vers un soutien ciblé
aux entreprises défaillantes
et aux ménages modestes
C’
était il y a un an à
peine. Le mouve­
ment des « gilets jau­
nes » avait fait tan­
guer comme jamais le quinquen­
nat d’Emmanuel Macron. Fin
avril 2019, après un hiver de grand
débat national et des mesures
d’urgence pour le pouvoir d’achat,
le chef de l’Etat annonçait une
baisse de 5 milliards d’euros de
l’impôt sur le revenu. Une ma­
nière de montrer qu’il avait
entendu la colère des manifes­
tants, sans revenir trop fortement
sur les gages donnés aux entrepri­
ses et aux « premiers de cordée »,
comme la suppression de l’ISF.
Mais la politique de l’offre et de
soutien aux entreprises afin de
doper la croissance et l’emploi, hé­
ritée de la seconde moitié du quin­
quennat Hollande, et poursuivie
par Emmanuel Macron, s’en trou­
vait toutefois amendée.
Un an plus tard, la situation est
radicalement différente, mais les
similitudes, troublantes. « Il nous
faudra rebâtir notre économie plus
forte afin de produire et redonner
plein espoir à nos salariés (…). Il
nous faudra rebâtir une indépen­
dance agricole, sanitaire, indus­
trielle et technologique française.
Cela passera par un plan massif
pour notre santé, notre recherche,
nos aînés, entre autres », a assuré le
président de la République à la fin
de son allocution télévisée, lundi
13 avril, comme en écho au « quoi
qu’il en coûte » de sa première
prise de parole, le 12 mars. Il a aussi
annoncé une aide exceptionnelle
pour les familles modestes,
déplorant que « notre pays,
aujourd’hui, tient tout entier sur
des femmes et des hommes que
nos économies reconnaissent et
rémunèrent si mal ».
Une préoccupation partagée par
le ministre de l’économie et des fi­
nances, Bruno Le Maire. « Au mo­
ment où l’on s’aperçoit que l’on a
besoin des caissières, des transpor­
teurs, la question de la justice sur
les salaires des plus modestes re­
vient encore plus sur le devant de la
scène », a­t­il souligné, mardi ma­
tin, sur BFM­TV. Un ton qui con­
traste fortement avec celui em­
ployé à la fin de la semaine précé­
dente. « Le redressement économi­
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La société NORD EUROPE PARTENARIAT, SA au capital de 5.489.275,03 €,
ayant son siège à LILLE (59300 – Nord), 4, Place Richebé, immatriculée au
registre du commerce et des sociétés de LILLE METROPOLE sous le n° 345
351 225,
A décidé la mise en vente de 53 de ses actions dont les titulaires et/ou leurs ayants-
droit n’ont pas été atteints par les convocations aux assemblées générales depuis
plus de dix ans et n’ont pas réclamé les dividendes revenant à ces actions.
La société procèdera à la mise en vente de ces titres dans les conditions prévues
aux articles R. 228-11 et R. 228-12 du Code de Commerce à l’expiration d’un
délai d’un an suivant la date de publication du présent avis.
En conséquence, les ayants-droit sont invités à faire valoir leurs droits dans ce
délai auprès de la société à l’adresse ci-dessus mentionnée, par lettre recomman-
dée avec avis de réception, faute de quoi ils ne pourront plus prétendre qu’à la
répartition en numéraire du produit net de ladite vente qui sera tenu à leur disposi-
tion sous réserve de la prescription prévue au profit de l’Etat sur un compte bloqué
à la banque Caisse Fédérale du Crédit Mutuel Nord Europe (4, place Richebé,
LILLE). Tous les dividendes ou autres produits attachés aux actions en cause dont
la distribution sera décidée à dater de la présente publication bénéficieront aux
acquéreurs des titres après leur mise en vente.
A l’expiration de ce délai, les sommes revenant aux ayants-droit seront versées à
la Caisse des Dépôts et Consignations et y resteront à leur disposition sous réserve
de la prescription au profit de l’Etat.
que sera long, difficile et coûteux. Il
demandera des efforts de la part de
tous les Français », avait lancé le
patron de Bercy, jeudi 9 avril, dans
un entretien aux Echos.
De là à imaginer un nouveau
tournant social pour la fin du
quinquennat, il y a un pas qu’il ne
faudrait pas franchir trop vite. Le
coût sans précédent de la crise a
fait voler en éclats la trajectoire
budgétaire de l’exécutif. Le second
projet de budget rectifié, qui de­
vait être présenté en conseil des
ministres mercredi 15 avril, enté­
rine 110 milliards d’euros de me­
sures de soutien aux entreprises.
« Un équilibre à trouver »
La prévision de déficit pour 2020 a
été alourdie en quatre jours de
près de 1,5 point de PIB, soit quel­
que 30 milliards d’euros. « Le défi­
cit public pourrait être plus dé­
gradé que prévu », prévient même
le Haut Conseil des finances
publiques dans son avis publié
mercredi, en fonction des « dispo­
sitifs nouveaux mis en place ou de
ceux qui pourraient être prochai­
nement décidés ». D’autant que la
récession inédite prévue cette an­
née, avec un recul du PIB de 8 %,
repose sur un « scénario de rattra­
page, dans lequel le niveau du PIB
n’est pas affecté durablement par
le choc induit par la crise sani­
taire », note le Haut Conseil.
Pour Xavier Ragot, président de
l’Observatoire français des con­
jonctures économiques, « il y a un
équilibre à trouver dans le soutien
à l’économie en se rappelant qu’en
ce moment soutenir les entrepri­
ses, c’est aussi soutenir les sala­
riés ». Et de plaider pour « une véri­
table politique industrielle » : « Il va
falloir assumer le fait que l’Etat
réinvestisse des missions de base
dans la société, dont une partie
semblait assurée suffisamment
efficacement par le privé. Qu’il
s’agisse de relocaliser les chaînes de
valeur de la pharmacie, de la politi­
que industrielle de la santé, de l’ar­
ticulation hôpital­médecine de
ville… On va changer de monde,
plus qu’en 2008, qui était une crise
financière. Là, c’est aussi politi­
que », estime­t­il.
Selon Philippe Martin, président
délégué du Conseil d’analyse éco­
Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances, à Paris, mardi 14 avril. BENOIT TESSIER/REUTERS
nomique, le plan de relance qui
suivra la crise devra « cibler les en­
treprises et les ménages les plus fra­
giles. La grille de lecture politique
de l’offre­politique de la demande,
vue comme une opposition droite­
gauche, n’est plus adaptée. Il faut
redéfinir les outils pour accompa­
gner les entreprises, penser des dis­
positifs concrets pour éviter les
faillites. Par exemple, monter au
capital de certaines entreprises
afin d’éviter un effet domino sur les
plus petites », avance­t­il.
Le gouvernement a commencé
à travailler sur le sujet, même si
aucun mouvement stratégique
concret n’a encore eu lieu. Il a bud­
gété 20 milliards d’euros afin de
pouvoir soutenir les grands grou­
pes qui en auraient besoin,
comme Air France. « Nous nous te­
nons prêts à intervenir le moment
venu, sans doute rapidement », a
précisé Bruno Le Maire, vendredi
20 avril, sur Europe 1. Le ministère
de l’économie a dressé une liste
d’une vingtaine d’entreprises ju­
gées stratégiques qui pourraient
avoir besoin du soutien de l’Etat,
sous forme de prêt, de montée au
capital ou de nationalisation.
Pour Laurent Saint­Martin, dé­
puté La République en marche
(LRM) du Val­de­Marne et rappor­
teur du budget à l’Assemblée na­
tionale, le « en même temps »
macronien des débuts du quin­
quennat peut encore survivre à la
crise. « Il serait baroque de faire
demi­tour sur ce qui a fonctionné
depuis le début du quinquennat :
notre capacité à attirer des inves­
tissements, à créer de la crois­
sance et de l’emploi. Mais l’Etat de­
vra aussi être un amortisseur
d’inégalités car nous ne sortirons
pas tous égaux de cette crise », ex­
plique l’élu, qui préconise « une
politique d’investissement plus
audacieuse, sur les sujets réga­
liens, comme la sécurité et la jus­
tice, mais aussi la transition écolo­
gique, l’éducation et la santé ».
« Sérieux budgétaire »
Mais alors, qui paierait ? « On ne
pourra pas augmenter les impôts
dans une économie qui a déjà du
mal à tourner », estime Emilie Ca­
riou, députée LRM de la Meuse.
Pour autant, avertit­elle, « il faudra
être plus exigeant envers les entre­
prises. On ne pourra plus déverser
des milliards sur celles qui produi­
sent au bout du monde ». Et d’ima­
giner « une stratégie industrielle
pour sécuriser nos fils d’approvi­
sionnement, en étant plus interven­
tionniste, y compris avec des outils
fiscaux. On pourrait par exemple
conditionner le crédit d’impôt
recherche à une production en Eu­
rope. Mais il faudra revoir les critè­
res européens de concurrence », es­
time l’ex­porte parole du groupe
LRM à la commission des finances
de l’Assemblée.
« Une dette
publique qui
prend plus de
dix points, c’est
très violent, ça
ne se résorbe pas
en deux ans »
LAURENT SAINT-MARTIN
député LRM du Val-de-Marne
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le journalisme d’investigation
3 PA RENTOLOGIE
Le syndrome
Ronaldinho
Dans les yeux de votre enfant,
vous voilà doté de superpouvoirs.
Une hypertrophie du moi
qui peut vous pousser à vous
prendre pour le MBappé
du square d’à côté
6 LES COUCOUS
DU NUMÉRIQUE
C’est quoi
ton code ?
Ils squattent allègrement vos
abonnements Netflix et Spotify.
Le pire, c’est que c’est vous
qui leur avez donné accès
à vos comptes
9 UN APÉRO AVEC
Bigflo et Oli
Les deux frères n’ont pas le
temps de souffler. Un succès
qui ne se dément pas.
Rencontre avec les rappeurs
préférés des enfants
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DIRECTEUR : JÉRÔME FENOGLIO
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Chômage: l’espoir d’une amélioration durable
Lynchez
▶ Au troisième trimestre,
le nombre de demandeurs
d’emploi sans aucune acti­
vité a diminué de 0,4%,
selon les chiffres publiés
vendredi 25octobre
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LES ARTISTES MORTS N’ONT JAMAIS AUTANT TRAVAILLÉ
ENQUÊTE
▶ Le reflux du nombre ▶ Ces résultats font écho à
de chômeurs se confirme la bonne santé du marché
doucement. Il s’agit du travail. Jeudi, le réseau
du quatrième trimestre des Urssaf a fait état
de baisse. Sur un an, la d’une «augmentation
décrue est nette, à – 2,4% soutenue» des CDI
CHILI AUX SOURCES
DE LA COLÈRE
▶ Le mouvement de contestation qui
dénonce les inégalités sociales a connu une
mobilisation historique à Santiago vendredi
PAGE 4
▶ La montée en régime du
plan gouvernemental de
formation contribue aussi
à cette baisse, encore fra­
gile dans une conjoncture
internationale incertaine
Géopolitique Le rêvemission
d’autonomie des Kurdes
TURQUIE
SYRIE
IRAK
Lubrizol
0123
JEUDI 16 AVRIL 2020
Une chose est sûre, les finances « la pire erreur serait d’empêcher
publiques porteront longtemps la reprise, comme en 2011­2012,
les stigmates de la pandémie. quand on a augmenté les impôts
« On ne pourra pas faire d’efforts pour éviter au déficit de se creu­
budgétaires sur les deux pro­ ser ». Mais, note­t­il, « le sérieux
chains projets de loi de finances. Je budgétaire sera tout de même né­
ne vois pas comment ce serait cessaire. On peut financer un plan
compatible avec un plan de re­ d’urgence quoi qu’il en coûte, mais
lance », prévient Mme Cariou. l’investissement dans la relance
« Une dette publique qui prend doit se faire de façon optimisée. Il
plus de dix points, c’est très violent, faudra faire des choix ». Certaines
ça ne se résorbe pas en deux ans », choses ne changent pas. 
admet M. Saint­Martin, pour qui audrey tonnelier
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« La cause des Kurdes nous concerne »
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UNIQUEMENT EN FRANCE MÉTROPOLITAINE,
EN BELGIQUE ET AU LUXEMBOURG
▶ L’exécutif et sa majorité
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jugent atteignable
l’objectif d’un taux de
BREXIT: UN NOUVEL ACCORD ET DES INCERTITUDES
chômage ramené à 7%
à la fin du quinquennat
PAGE 10
▶ Jean­Claude Juncker,
briséeuropéenne,
président de la Com­ 1
et Boris Johnson, ÉDITORIAL
premier ministre
britannique,
▶ L’offensive turque ont an­ AMER COMPROMIS
noncé, syrien
dans le Nord­Est à Bruxelles, POUR L’EUROPE
marque un coup
jeudi d’arrêt
17octobre, avoir
au projetconclu
politique
unduaccord sur
peuple apatride
la sortie du Royaume­
PAGES 16 À 19
la décision en juin 2016 des
Uni de l’UE Britanniques de quitter l’UE
représente une régression
1 ÉDITORIAL
▶ Approuvé par les
Vingt­Sept, le texte
pour le continent et traduit
un échec collectif. Mais, ac­
ÉTERNELS LAISSÉS­
doit encore être va­
quise à 51,9 %, elle doit être
respectée. L’accord sur les mo­
POUR­COMPTE
lidé, samedi, par un dalités de ce départ, conclu
PAGE 30 jeudi 17 octobre à Bruxelles,
Parlement britanni­ prévoit une rupture nette, un
que qui reste
Brexit plus dur que celui, flou,
qui avait été vendu aux élec­
extrêmement divisé
Corse
teurs. Mais, face à la menace
0123
JEUDI 16 AVRIL 2020
Emmanuel Macron cherche son union nationale
Après un appel à l’unité dans sa première allocution, en mars, le chef de l’Etat réfléchit à l’après­crise
L
a phrase a été glissée
comme si de rien n’était.
« Dans les prochaines
semaines, avec toutes les
composantes de notre nation, je
tâcherai de dessiner [le] chemin », a
déclaré Emmanuel Macron lors
de son allocution du 13 avril, sui­
vie par 36,7 millions de Français.
Une phrase anodine en apparence
mais qui marque un tournant
dans la stratégie présidentielle.
Jusqu’ici, le chef de l’Etat s’était
contenté d’appels à l’unité, expli­
quant que l’heure n’était pas aux
polémiques mais à la solidarité.
« On ne vient pas (…) à bout d’une
crise d’une telle ampleur sans faire
bloc », avait­il lancé le 12 mars, lors
de sa première allocution consa­
crée à l’épidémie de Covid­19. Le
16 mars, c’est à la « mobilisation
générale » qu’il avait appelée, con­
viant « tous les acteurs politiques,
économiques, sociaux, associatifs,
tous les Français à s’inscrire dans
cette union nationale ».
Mais cette fois, Emmanuel Ma­
cron semble décidé à passer aux
travaux pratiques. Ces derniers
jours, il a beaucoup consulté, et
bien au­delà de son cercle politi­
que habituel. Il a téléphoné plu­
sieurs fois au président (Les Répu­
blicains, LR) du Sénat, Gérard Lar­
cher, mais aussi à Nicolas Sarkozy,
qu’il tient en haute estime. « Ils
ont échangé à plusieurs reprises »,
confirme l’entourage de l’ancien
président, sans dévoiler la teneur
de leurs discussions.
Objectif : dessiner les contours
de « l’après ». Celui­ci ne ressem­
blera pas au « jour d’avant », a pro­
mis M. Macron, qui s’est engagé,
lundi, à « tirer toutes les consé­
quences » de la crise, y compris
politiques. « La Constitution pré­
voit trois possibilités : un remanie­
ment du gouvernement, la démis­
sion du premier ministre [Edouard
Philippe] ou la dissolution de
l’Assemblée nationale. Toutes les
options sont sur la table », assure
un visiteur du soir de l’Elysée.
« C’est prématuré à ce stade. Rien
ne devrait bouger avant l’été. Mais
la période est au “phosphorage” »,
nuance un proche.
Dans l’entourage présidentiel,
certains s’interrogent notam­
ment sur l’hypothèse d’un gou­
vernement d’union nationale. En
privé, le président (La République
L’épidémie percute les finances de la Ville de Paris
La crise sanitaire pourrait coûter jusqu’à 450 millions d’euros à la capitale, au risque de creuser encore sa dette
D évastatrice pour le bud­
get de l’Etat, la crise du
coronavirus percute
aussi celui de la Ville de Paris.
« Oui, c’est un choc pour nos finan­
ces », reconnaît Emmanuel Gré­
goire, le premier adjoint de la
maire Anne Hidalgo, chargé no­
tamment des comptes. Au total,
l’épidémie pourrait coûter jus­
qu’à 450 millions d’euros à la
Ville, estime­t­il.
Les unes après les autres, les
agences de notation en tirent les
conséquences. Après Fitch, le
26 mars, Standard & Poor’s (S&P)
a révisé, mardi 14 avril, ses pers­
pectives concernant les finances
de la capitale. Pour la principale
agence de notation mondiale,
Paris reste un emprunteur solide,
qui conserve à ce stade sa note AA.
Mais S&P n’exclut plus, désor­
mais, d’abaisser les notes de la
Ville au cours des deux prochai­
nes années, pour tenir compte de
la dégradation des comptes liée
au Covid­19.
De quoi faire repartir de plus
belle la polémique sur la dette de
la capitale. Durant la campagne
des élections municipales, l’op­
position avait violemment criti­
qué l’« explosion » de cette dette
« Un
gouvernement
d’union nationale
ne pourrait se
faire qu’à l’issue
d’un vrai débat
démocratique »
CHRISTIAN JACOB
président de LR
en marche, LRM) de l’Assemblée
nationale, Richard Ferrand, dit
beaucoup de bien de la tribune de
Guillaume Larrivé, publiée le
11 avril par L’Opinion. Le député
(LR) de l’Yonne appelle dans ce
texte à former « dès 2020 » un
« gouvernement de mission »,
composé d’hommes et de fem­
mes « de bonne volonté ».
Certains, comme le ministre de
l’économie et des finances, Bruno
Le Maire, plaident pour un gou­
vernement resserré autour d’une
poignée de « super­ministres »,
pour gérer bride courte la sortie
de la crise. « Cela a toujours été sa
position. A partir du moment où
le président est le chef de la majo­
rité, les décisions doivent être pri­
ses en direct avec lui par six ou
sept ministres forts », confirme
un de ses soutiens. D’autres en­
core décryptent la phrase prési­
dentielle comme l’annonce d’un
« grand débat épisode 2 ».
Faire « bouger la poutre »
Seule certitude, la crise peut de
nouveau faire « bouger la pou­
tre », une expression chère
à Edouard Philippe. « Le président
n’a pas encore adopté la position
qui sera la sienne à la sortie de la
crise car il ne connaît pas le péri­
mètre politique et surtout les posi­
tions de chacun. Mais on voit bien
qu’il y a plusieurs lignes, notam­
ment à droite, où l’unité n’est que
de façade. Il s’agira certainement
d’ouvrir le moment venu, tout en
respectant ce que nous sommes et
nos valeurs », explique un diri­
geant de la majorité. « L’union na­
tionale, c’est déjà le pari intrinsè­
que de LRM : arriver à créer une
majorité autour de personnalités
issues tant de la droite que de la
gauche », abonde une députée.
au cours des dernières années.
Tout en admettant une forte
hausse de l’endettement durant
son mandat, Anne Hidalgo assu­
rait, elle, qu’il restait très suppor­
table. Les recettes excédant sensi­
blement les dépenses de fonc­
tionnement, la Ville se flattait
alors de pouvoir se désendetter
entièrement en 9,4 années, une
durée « très en deçà des douze ans
fixés par le contrat avec l’Etat », se­
lon l’élue socialiste.
Endettement supportable
Or, avec l’épidémie, cette durée
théorique de désendettement ris­
que de s’envoler. Selon les estima­
tions de S&P, la dette consolidée
de Paris pourrait, fin 2020, repré­
senter non pas douze ans mais
plutôt vingt­quatre ans d’épargne
brute. Soit bien au­dessus du pla­
fond négocié avec l’Etat.
La faute, avant tout, à la chute
des recettes engendrée par la
crise actuelle. Une grande partie
des activités étant stoppées, la
Ville n’encaisse quasiment plus
d’argent dans les piscines publi­
ques, les conservatoires, les crè­
ches… La collecte est également
au point mort en ce qui concerne
le stationnement résidentiel. De­
Emmanuel Macron, lors d’un déplacement à Pantin (Seine­Saint­Denis), le 7 avril. GONZALO FUENTES/REUTERS
La phrase du chef de l’Etat, per­
çue comme un appel du pied, a
été abondamment commentée,
mardi 14 avril, lors de la réunion
du groupe LR de l’Assemblée na­
tionale. Le patron des députés,
Damien Abad, qui s’était réjoui la
veille dans un Tweet de « l’esprit
de concorde » et de « l’humilité »
de l’intervention présidentielle,
s’est fait tancer par plusieurs élus,
qui ont cru y voir une offre de ser­
vice dans le cadre d’une éven­
tuelle « union nationale ».
« Si l’on est contre la désunion
nationale, les conditions – projet
politique et légitimité démocrati­
que – pour l’union nationale ne
sont pas réunies », a précisé le dé­
puté de l’Ain, même s’il a con­
vaincu son groupe de voter, ven­
dredi, le projet de loi de finances
rectificative pour 2020. « Les cho­
ses sont claires, abonde Christian
puis le 16 mars, il est gratuit afin
d’encourager les Parisiens à res­
ter chez eux.
Surtout, la glaciation du marché
immobilier a fait plonger les pré­
lèvements sur les ventes de mai­
sons et d’appartements, les fa­
meux « frais de notaire ». Or ces
droits de mutation « ont repré­
senté 22 % des recettes de gestion
de la Ville en 2019 », relèvent les
analystes de Fitch. « Nous faisons
tout pour que l’activité immobi­
lière ne s’arrête pas totalement,
précise Emmanuel Grégoire. Par
exemple, nous répondons formel­
lement aux déclarations d’inten­
tion d’aliéner, pour que les tran­
La glaciation
du marché
immobilier
a fait plonger
les prélèvements
sur les ventes
d’appartements,
les fameux
« frais de notaire »
Jacob, le président de LR. Un gou­
vernement d’union nationale ne
pourrait se faire qu’à l’issue d’un
vrai débat démocratique. On se­
rait alors loin d’une opération de
débauchage comme ce fut le cas
en 2017. »
Réticences à gauche
Même scepticisme au Sénat où le
patron des sénateurs LR, Bruno
Retailleau (Vendée), met deux
conditions à une éventuelle
union nationale : une « vraie ma­
jorité » et un « projet commun ».
Lesquelles « ne sont pas réunies ».
Il juge même dangereux une al­
liance des partis de gouverne­
ment qui pourrait « faire apparaî­
tre Marine Le Pen comme seule al­
ternative pour une alternance ».
A gauche, on se dit aussi réti­
cent à cette union sacrée. « La so­
lidarité nationale se joue dans la
sactions puissent se conclure sans
attendre la fin du délai, désormais
porté à quatre mois. »
Malgré ces efforts, le premier
adjoint s’attend à un manque à
gagner global compris entre
150 millions et 350 millions
d’euros, l’essentiel dû aux droits
de mutation. L’agence S&P, elle,
estime que Paris « perdra
300 millions d’euros » par rapport
aux prévisions. A cela s’ajoutent
les mesures de soutien et de re­
lance de l’activité économique,
pour lesquelles Anne Hidalgo a
donné un cadrage d’environ
100 millions d’euros.
« Sous pression »
Moins de recettes, plus de dépen­
ses : au total, la facture est éva­
luée, à ce stade, entre 250 et
450 millions d’euros en 2020. La
crise devrait également avoir un
effet retard en 2021 et 2022, avec
une baisse des recettes tirées de
taxes diverses comme la TVA.
Tout cela « place l’épargne brute
de la Ville sous pression », consta­
tent les experts de S&P. L’excé­
dent des recettes sur les dépenses
de fonctionnement devrait, selon
eux, se réduire de 40 % en 2020, et
pousser la collectivité à se réen­
coronavirus | 13
guerre contre le virus mais quand
il s’agit d’imaginer les solutions
pour sortir de la crise, il n’y a
aucune raison de tuer le débat po­
litique et de penser que c’est
autour de la personne du prési­
dent de la République qu’il doit
s’organiser », assène le premier
secrétaire du Parti socialiste, Oli­
vier Faure. Il pense au contraire
que M. Macron est mal placé
pour y prétendre : « Il faut une al­
ternative qui soit à l’orthogonale
des réformes menées depuis trois
ans, tant sur le plan sanitaire que
social et fiscal. »
Même réserve du côté de Julien
Bayou, cosecrétaire national
d’Europe Ecologie­Les Verts :
« C’est un peu facile son appel à
l’unité quand on ne débat avec
personne. L’union sacrée, c’est en
cas de guerre et nous ne sommes
pas en guerre. »
detter, après une année de stabili­
sation. D’où le pic attendu du taux
d’endettement. « Une hausse
ponctuelle liée à la crise », tempè­
re­t­on à l’Hôtel de Ville.
Pour les agences de notation, il
n’y a pas péril en la demeure.
« Paris continue de bénéficier
d’une économie riche et rési­
liente », relève S&P. Sa gestion fi­
nancière « reste marquée par un
pilotage budgétaire étroit et une
forte maîtrise des dépenses de
fonctionnement », ajoute l’agence
américaine.
En cas de besoin, la Ville de
Paris dispose en outre de deux le­
viers pour accroître ses recettes :
relever les tarifs de stationne­
ment, notamment dans le cadre
de sa politique antivoitures, et
vendre des actifs jugés non stra­
tégiques, des immeubles bien
placés mais non occupés, par
exemple. Une option à l’étude.
« Nous allons réexaminer le
caractère stratégique ou non de
ces actifs, annonce Emmanuel
Grégoire. Nous hésiterons sans
doute moins qu’avant à céder
certains biens immobiliers d’ex­
ception dont nous n’avons plus
l’usage. » 
denis cosnard
En attendant, il sera difficile
pour le chef de l’Etat de conser­
ver son premier ministre, esti­
ment plusieurs voix. Parce que
c’est la logique des institutions,
mais aussi car la crise a révélé des
divergences entre les deux têtes
de l’exécutif.
« Il y a eu de grands moments de
tension entre l’Elysée et Mati­
gnon », assure un observateur. « Il
y aura une vague dégagiste après
la crise. C’est mort pour nous »,
craint même un conseiller minis­
tériel. Des interrogations ba­
layées par l’entourage de M. Phi­
lippe. « Aujourd’hui, le gouverne­
ment gère la crise. Les débats sur le
jour d’après viendront… après »,
explique­t­on. De quoi laisser le
temps de phosphorer. 
cédric pietralunga,
solenn de royer
et sylvia zappi
BU DGE T
Une prime de 1 000 euros
pour des fonctionnaires
Certains fonctionnaires, qui
poursuivent leur mission de
service public malgré le
confinement, recevront jus­
qu’à 1 000 euros de prime, a
annoncé, mercredi 15 avril, le
ministre des comptes publics,
Gérald Darmanin. – (AFP.)
- CESSATIONS DE GARANTIE
LOI DU 2 JANVIER 1970 - DECRET
D’APPLICATION N° 72-678
DU 20 JUILLET 1972 - ARTICLES 44
QBE EUROPE SA/NV, sis Cœur Défense
– Tour A – 110, Esplanade du Général de
Gaulle – 92931 La Défense Cedex ( RCS
Paris 414 108 708), succursale de QBE
Insurance (Europe) Limited, Plantation
Place dont le siège social est à 30 Fenchurch
Street, London EC3M 3BD, fait savoir que,
les garanties financières dont bénéficiait la :
SARL SO’ IMMO.COM
81 rue Pierre Semard
69520 GRIGNY
SIREN : 801 550 997
depuis le 01 Juin 2014 pour ses activités de :
TRANSACTIONS AVEC PERCEPTION
DE FONDS, GESTION IMMOBILIERE,
SYNDIC,
Ont cessées au 31 DECEMBRE 2019. Les
créances éventuelles se rapportant à ces
opérations devront être produites dans les
trois mois de cette insertion à l’adresse de
l’Etablissement garant sis Cœur Défense
– Tour A – 110, Esplanade du Général de
Gaulle – 92931 La Défense Cedex. Il est
précisé qu’il s’agit de créances éventuelles
et que le présent avis ne préjuge en rien du
paiement ou du non-paiement des sommes
dues et ne peut en aucune façon mettre en
cause la solvabilité ou l’honorabilité de la
Société SO’ IMMO.COM.

14 | coronavirus
Ecole à la maison: parents au bord de la crise de nerfs
Télétravail, charge mentale, fratries nombreuses… pour certains, la classe à distance a viré au calvaire
TÉMOIGNAGES
C’
est une lueur d’espoir
au bout du tunnel »,
concède Caroline
(tous les prénoms
ont été modifiés), après l’an­
nonce de la réouverture « pro­
gressive » des écoles à partir du
11 mai. Depuis quelques jours, la
rumeur prédisait un autre scéna­
rio, selon lequel les écoles reste­
raient fermées jusqu’en septem­
bre. Caroline fait partie de ces
parents pour qui « l’école à la mai­
son » est « un enfer ». La perspec­
tive de voir la situation durer était
particulièrement décourageante.
Pour elle, une anecdote résume
tout : « Le coup des crayons de
couleur, ça m’a tuée. » Au cours de
la troisième semaine de confine­
ment, elle s’aperçoit que sa fille,
en garde partagée, a oublié ses
crayons de couleur chez son père.
A priori, rien de grave. Mais à
l’heure de la distanciation sociale,
tout prend des proportions étran­
ges. « La maîtresse exigeait que le
coloriage soit fait au crayon, et
pas au feutre. » Et voilà Caroline
partie « faire la queue pendant
quarante­cinq minutes devant le
Monoprix », pour racheter les
précieux crayons, « avec les autres
clients qui nous regardent de
travers parce qu’ils soupçon­
nent ma fille d’être un por­
teur sain ». Entre­temps, l’enfant
commence à avoir faim et l’attes­
tation de déplacement approche
de la péremption…
« Partis bille en tête »
Comme tous les parents d’élèves,
depuis la fermeture des établisse­
ments scolaires, le 16 mars, Caro­
line a dû mettre en place « l’école
à la maison » avec sa fille, en CE1
dans une école privée de l’Est pa­
risien. « J’ai fini par poser des jours
pour m’en occuper, raconte­t­elle.
C’était ingérable. Je ne sais pas qui
a pu penser qu’on pourrait télétra­
vailler en supervisant les cours à la
maison. Parce qu’on ne peut pas. »
Portés par les injonctions de
« continuité pédagogique », pa­
rents et enseignants sont « partis
bille en tête », rapporte ainsi Julie,
qui élève seule sa fille de 11 ans en
Seine­Saint­Denis. « Les premiers
jours, on a reçu des dizaines de
mails. Les profs envoyaient les
exercices sur trois canaux diffé­
rents. Ils croyaient bien faire, mais
personne ne nous a expliqué com­
ment nous y prendre. » De nom­
breux parents se retrouvent alors
à « jouer à la maîtresse », un rôle
dont ils se seraient bien passés.
« En CE1, on n’est pas autonome,
mais alors, pas du tout », s’étonne
« Les enfants vont perdre deux mois d’école, est­ce un drame ? »
Le chercheur en sciences de l’éducation Benoît Urgelli invite à considérer cette période particulière « à l’échelle de toute une scolarité »
ENTRETIEN
B enoît Urgelli est chercheur
en sciences de l’éducation
à l’université Lyon­II et
administrateur de la Fédération
des conseils de parents d’élèves
(FCPE) du Rhône et de la métro­
pole de Lyon. Il revient, après un
mois de confinement, sur la
« continuité pédagogique ».
Après un mois de confinement,
quel bilan peut­on tirer de
la « continuité pédagogique » ?
Les familles font de leur mieux,
même si elles s’inquiètent beau­
coup de la manière dont seront gé­
rées les inégalités, voire les injusti­
ces, de l’enseignement à la mai­
son. Certains parents sont en télé­
travail, d’autres ont des fratries
nombreuses ou des enfants en si­
tuation de handicap, d’autres en­
core ont des difficultés à compren­
dre les attentes des enseignants.
William, père de trois filles et
confiné à Paris. « Un enfant de cet
âge­là, il faut lui faire un point sur
la feuille pour qu’il sache où
écrire ! » Face à l’ampleur de la
tâche, le père de famille s’est mis
d’accord avec sa compagne, sala­
riée en entreprise : c’est lui, indé­
pendant, qui a mis son activité de
chasseur d’appartements en
pause pour s’occuper de l’école.
Rapidement, ces parents « qui
s’improvisent profs » sont rattra­
pés par l’angoisse de mal faire.
« Réviser des choses qu’ils ont déjà
vues, ça va encore, rapporte Sarah,
mère de trois garçons de 11, 14 et
16 ans, scolarisés dans le Val­de­
Marne. Mais, par exemple, mon
deuxième devait apprendre l’im­
parfait en espagnol. Je n’ai jamais
fait d’espagnol, et mon mari non
plus ! » Certains enseignants ont
tout essayé pour rassurer les
parents… mais cela n’a pas suffi.
« On a fini par nous dire : “Faites de
votre mieux, et si vous n’y arrivez
pas, ce n’est pas grave”, raconte
William. Mais je ne peux pas
m’empêcher de penser que mon
enfant risque de prendre du retard
si je m’y prends mal. »
Le confinement ne fait qu’ac­
centuer un problème qui lui
préexistait, celui de la « pression
sociale et collective autour de la
réussite scolaire », analyse Sophie
Marinopoulos, psychologue­psy­
chanalyste et fondatrice des lieux
d’accueil de parents « Les Pâtes
au beurre ». Elle explique que,
dans une société qui « valorise la
performance », « bien élever ses en­
fants, c’est les faire réussir à
l’école ». Avec l’enseignement à
distance, les parents sont mis face
aux difficultés scolaires de leurs
enfants, mais aussi devant leurs
propres limites, quel que soit leur
milieu social : « On peut être très
cultivé et n’avoir aucune compé­
tence pédagogique, rappelle­t­
elle. La transformation du parent
en professeur n’est pas donnée à
tout le monde. Certains s’épuisent
à une tâche qui n’est pas pour
eux. » Une inadéquation sanc­
tionnée par les commentaires de
l’enfant, qui ne manque jamais de
faire remarquer qu’« avec la maî­
tresse, on ne fait pas comme ça ».
« Charge mentale »
Les difficultés de « l’école à la
maison » se transforment ainsi
en échec personnel pour les adul­
tes. « Nous avons reçu des appels
de parents qui se mettaient une
énorme pression, comme si c’était
à eux de connaître les tables de
multiplication », raconte Sophie
Marinopoulos. Parce que « l’enjeu
narcissique » de réussir à faire
L’autre source d’inquiétude,
c’est la perte du lien entre les élè­
ves, en particulier les adolescents,
pour qui la socialisation entre
pairs est essentielle. De nombreu­
ses familles rapportent que leurs
ados se sentent déprimés et ont
du mal à se mettre au travail – y
compris parce que les attentes
des enseignants sont très diver­
ses et pas toujours bien coordon­
nées. Cela semble mettre en diffi­
culté beaucoup de jeunes.
Qu’est­ce que cet épisode nous
apprend sur le fonctionnement
de la communauté éducative ?
Le confinement et la demande
de continuité pédagogique créent
une situation exceptionnelle dans
l’histoire de l’école française, où
l’école s’immisce à la maison, et la
maison à l’école ! C’est à la fois
instructif et dangereux. Dange­
reux parce que les parents qui se
mettent corps et âme à faire tout
Des parents font l’école à leurs deux enfants, à Mulhouse (Haut­Rhin), le 17 mars. SÉBASTIEN BOZON/AFP
travailler son enfant est impor­
tant, un fort sentiment de culpa­
bilité survient lorsque les parents
n’y parviennent pas. « Je me sens
incompétente en tant que
maman, avoue ainsi Sarah. Je me
dis que les autres parents y arri­
vent bien, eux, alors qu’ils conti­
nuent à travailler. Moi, je suis mère
au foyer, et je n’y arrive pas. »
Car c’est bien souvent aux
mères qu’échoit la tâche de faire
fonctionner l’école à la maison, a
fortiori si elles sont célibataires.
« Quand on est seule, tout est plus
compliqué, on ne peut pas laisser
l’enfant seul pour aller faire les
courses », rappelle Caroline, forte
de l’épisode des crayons de
couleur. Les mères célibataires
« cumulent en ce moment trois
casquettes de mère, maîtresse
d’école et salariée, sans pouvoir
s’appuyer sur leurs relais habi­
tuels », rappelle Christine Cas­
telain­Meunier, sociologue au
CNRS, et auteure de L’Instinct pa­
ternel, plaidoyer en faveur des
nouveaux pères (Larousse, 2019).
Dans les familles où les deux
parents vivent sous le même toit,
le confinement peut toutefois
redistribuer les rôles : les pères,
plus présents qu’à l’accoutumée,
prennent parfois le relais. « On
ce que les enseignants deman­
dent perdent parfois patience, et
exercent une forme de violence
éducative sur leurs enfants. La
méconnaissance réciproque de
ces deux univers – qui se croisent
aujourd’hui par la force des choses
– peut être source de difficultés
psychologiques pour les enfants.
Néanmoins, la délégation d’une
« On a de plus
en plus
d’exemples de
collaborations
entre parents
et enseignants,
qui se
téléphonent pour
échanger »
voit vraiment les deux tendances,
juge Christine Castelain­Meunier.
Des pères plutôt impliqués le sont
encore davantage, en s’appuyant
sur ce qu’ils savent déjà faire »,
quand, dans d’autres familles,
la « charge mentale » des femmes
s’accentue, face à des pères
présents physiquement mais
« marginalisés » dans l’organisa­
tion de la vie domestique.
C’est ce qui semble se passer
pour Sarah, dont le mari télétra­
vaille, et pour Mélanie, en cours
de séparation. Dans ces familles,
l’épuisement, la crainte de mal
faire et la pression des devoirs à
rendre, ajoutés à la promiscuité,
finissent par créer un cocktail
dangereux. « Au début, mes filles
se couchaient à 4 heures du matin
et émergeaient à 14 heures, se
désespère Mélanie. Mais si je di­
sais quelque chose, ça partait en
conflit. » Mélanie dit ne pas avoir
reconnu sa fille aînée, une élève
de 2de « plutôt moteur et volon­
taire » en temps normal. « D’un
coup, plus rien ne l’intéressait. Je
me disais : Qu’est­ce que c’est que
cette chiffe molle qui se traîne toute
la journée ? » Chez Sarah aussi, les
choses ont fini par exploser, avec
« crise de larmes et hurlements ».
L’aîné, âgé de 16 ans, a même fait
partie de la tâche aux parents, qui
est sous­entendue dans l’idée de
« continuité pédagogique », peut
être intéressante. Traditionnelle­
ment, tout ce qui touche à la péda­
gogie scolaire appartient à l’ensei­
gnant, et n’a pas à être discuté. Or
en ce moment, les parents s’auto­
risent de plus en plus à adapter les
méthodes proposées, en inté­
grant les attentes des enseignants.
De l’autre côté, les profession­
nels sont directement aux prises
avec la diversité et la complexité
des situations familiales. La « dif­
férenciation pédagogique » – le
fait d’adapter une méthode d’ap­
prentissage à un enfant – s’impose
donc au même moment, aussi
bien aux parents qu’aux ensei­
gnants. On a de plus en plus
d’exemples de collaborations rap­
prochées entre parents et ensei­
gnants, qui se téléphonent pour
échanger sur la manière dont l’en­
fant apprend. On est vraiment au
« Les autres
parents y arrivent
bien, eux, alors
qu’ils continuent
à travailler.
Moi, je suis mère
au foyer, et je
n’y arrive pas »
SARAH
mère de trois garçons
de 11, 14 et 16 ans
une petite grève de la faim. « Pen­
dant 24 heures, il n’est pas sorti de
sa chambre et n’a rien mangé,
raconte Sarah, la gorge nouée. Il ne
voulait plus nous voir. »
« Faire différemment »
Pour sortir de cette spirale infer­
nale, la solution des parents « sur
le point de craquer » est souvent
de lâcher prise. « J’ai fini par dire à
l’aînée : “Tu te débrouilles, je ne
m’en occupe plus” », raconte Méla­
nie. « Et ça a marché. Elle s’y est
mise, elle a pris son rythme, elle
fait sa séance de sport tous les
jours… Je pense qu’elle avait besoin
de s’opposer. » D’autres ont décidé
cœur de la « coéducation ». Ce
principe, inscrit dans les compé­
tences des enseignants, prend
corps avec le confinement. Il faut
espérer que nous en tirerons des
leçons pour faire évoluer les prati­
ques, lorsque les écoles rouvriront.
Alors que s’amorce la cinquième
semaine de confinement, ne
faudrait­il pas commencer à
décélérer sur l’école à distance,
et acter l’« année particulière » ?
Les parents commencent à se
demander si l’on ne pourrait pas
acter ce fait. Les enfants pour­
raient repartir sereinement de là
où ils en étaient avant la ferme­
ture des classes. Cela permettrait
de s’assurer que les connaissances
et les compétences ont été, a mi­
nima, consolidées pour tous.
Pour de nombreux enseignants,
en primaire en tout cas, l’avance­
ment dans le programme passera
après. A titre personnel, je pense
0123
JEUDI 16 AVRIL 2020
de faire les choses à leur façon,
quitte à s’éloigner des demandes
de l’institution. Julie, dont la fille
est scolarisée en 6e, a rapidement
opté pour cette solution : « J’ai dit
aux enseignants : faites ce que
vous voulez. Moi je ferai ce que je
veux avec ma fille. »
« Lâcher prise » permet aux
adultes de reprendre le dessus et
de sortir d’une « posture infan­
tile » où le parent « redoute de ne
pas pouvoir rendre les devoirs au
maître », analyse Sophie Marino­
poulos. « Ceux qui y arrivent vont
aller du côté de la créativité,
apprendre à se dégager de ce qu’on
leur demande pour faire les choses
à leur manière. Lâcher prise, ce
n’est pas tout laisser tomber : c’est
faire différemment. » Chez les
parents d’élèves au bord de la
crise de nerfs, « l’enfer » du confi­
nement peut­il être l’occasion de
se réinventer ? « Je n’ai jamais
passé autant de temps avec ma
fille, admet ainsi William. Elle est
toute contente, c’est elle qui me ré­
clame de faire les devoirs. » Ces
« ajustements », observés dans de
nombreuses familles, « peuvent
être douloureux, mais aboutir à
quelque chose de positif », conclut
Christine Castelain­Meunier. 
violaine morin
qu’il faut l’accepter : les enfants
perdront deux mois d’école, peut­
être plus… Mais est­ce vraiment
un drame, à l’échelle de toute leur
scolarité ? Nous pouvons faire
confiance aux professeurs pour
reprendre les choses calmement,
en s’adaptant à tout le monde.
Mais aussi pour revenir sur ce que
les élèves auront appris chez
leurs parents, peut­être avec
d’autres méthodes.
Les enfants auront été privés
pendant un long moment de la
possibilité de « vivre en classe »,
c’est­à­dire d’apprendre en
groupe. Il faudra donc un temps
de réadaptation. Quelle que soit
la date du retour en classe, les
enseignants devront recréer du
lien entre et avec les élèves, parler
de leur vécu, et relancer une dy­
namique d’apprentissage collec­
tif, fondée sur la coopération plus
que sur la compétition. 
propos recueillis par v. m.
0123
JEUDI 16 AVRIL 2020
Le FMI prédit une récession mondiale historique
L’institution estime que le PIB de la planète chutera de 3 % en 2020. Aucun continent ne sera épargné
L
e monde doit s’attendre à
une récession comme il
n’en a pas connu, en
temps de paix, depuis
près d’un siècle. Dans ses perspec­
tives sur l’économie mondiale
publiées mardi 14 avril, le Fonds
monétaire international (FMI)
prévoit une contraction de 3 % du
PIB de la planète en 2020, en pre­
nant l’hypothèse d’une diminu­
tion de la pandémie de Covid­19
au second semestre de cette an­
née. L’éventualité d’une chute en­
core plus brutale en 2021 n’est pas
exclue. Les conséquences écono­
miques du « Grand Confine­
ment », comme l’appelle désor­
mais le FMI, en référence à la
Grande Dépression de 1929, ne
vont épargner aucun continent.
Cette année, les pays les plus
touchés seront ceux de la zone
euro, avec une contraction de l’ac­
tivité de 7,5 % (7,2 % pour la
France), suivis du Royaume­Uni
et des Etats­Unis, avec des replis
respectifs de 6,5 % et 5,9 %. Seuls
les pays émergents d’Asie enregis­
treront une croissance positive, à
1 %, dont la Chine, qui peut espé­
rer une hausse de 1,2 % de son pro­
duit intérieur brut (PIB), mar­
quant cependant un très net coup
de frein, après 6,1 % en 2019.
Une situation qui contraste avec
celle d’autres pays émergents en
Amérique latine, à l’instar du Bré­
sil et du Mexique, qui devraient
voir leur croissance chuter de res­
pectivement 5,3 % et 6,6 %. L’Afri­
que subsaharienne pourrait enre­
gistrer sa première récession de­
puis un quart de siècle avec une
croissance négative de – 1,6 %
en 2020. La Banque mondiale
met en garde contre le risque
d’une crise alimentaire sur ce
continent qu’entraîneraient une
baisse de la production agricole et
la fermeture des frontières.
La crise sera aussi sociale. Le
chômage pourrait augmenter de
40 % cette année dans la zone
euro, passant de 6,6 % de la popu­
lation active, en 2019, à 9,2 %
en 2020, et même tripler aux
Etats­Unis pour atteindre, selon
le FMI, 10,4 % en 2020. Selon les
prévisions de chercheurs du
King’s College de Londres et de
l’Australian National University,
rendues publiques le 8 avril, la
pandémie pourrait faire basculer
un demi­milliard d’habitants de
la planète dans la pauvreté, effa­
çant les progrès enregistrés ces
dix à trente dernières années.
« Imaginer un plan de relance où les Européens seront solidaires »
Mario Centeno, président de l’Eurogroupe, évoque les moyens à engager pour soutenir les économies lors de la sortie du confinement
ENTRETIEN
bruxelles ­ bureau européen
J eudi 23 avril, les chefs d’Etat et
de gouvernement européens
se retrouveront par visiocon­
férence pour parler du plan de
relance qui doit accompagner le
déconfinement. Ils sont très divi­
sés : les pays du Sud, derrière l’Ita­
lie, militent pour une mutualisa­
tion de la dette qui servira à le fi­
nancer, quand les Pays­Bas et l’Al­
lemagne ne veulent pas en
entendre parler. Ils devront aussi
avaliser l’accord auquel sont par­
venus leurs ministres des finan­
ces, le 9 avril, pour déjà mettre sur
la table 540 milliards d’euros – le
Mécanisme européen de stabilité
(MES) met à disposition des pays
de la zone euro jusqu’à 240 mil­
liards de lignes de crédit, la Ban­
que européenne d’investissement
pourra prêter 200 milliards aux
entreprises, et la Commission va
consacrer 100 milliards à aider à fi­
nancer le chômage partiel.
Dans un entretien au Monde et
à quatre autres journaux (l’alle­
mand Frankfurter Allgemeine
Devant un centre public d’action sociale à Melbourne, en Australie, le 23 mars. WILLIAM WEST/AFP
Le choc économique mondial
sera brutal, même si les prévi­
sions sont encore fragiles. Les in­
certitudes sont en effet nombreu­
ses, parmi lesquelles la trajectoire
de la pandémie, l’efficacité des
mesures de confinement, l’am­
pleur des ruptures dans les chaî­
nes d’approvisionnement, le
changement des habitudes de
consommation ou la volatilité du
prix des matières premières.
« Malgré cette révision de la
croissance mondiale, les risques
restent toujours orientés à la
baisse », précise bien le FMI. « La
crise est pareille à nulle autre »,
renchérit son économiste en chef,
Gita Gopinath, en préambule du
rapport sur les perspectives de
l’économie mondiale. D’abord
parce que, selon elle, la chute de la
production « va probablement dé­
passer » celle enregistrée au len­
demain de la crise financière de
2008­2009. Ensuite, parce que
l’« intensité » et la « durée » du
Zeitung, l’italien Corriere della
Sera, l’espagnol El Mundo, le néer­
landais NRC Handelsblad), le mi­
nistre des finances portugais Ma­
rio Centeno, président de l’Euro­
groupe, qui rassemble les minis­
tres des finances de la zone euro,
revient sur les éléments du débat
qui s’annonce.
Qu’attendez­vous
de la réunion du 23 avril ?
L’accord auquel les ministres
des finances sont parvenus la se­
maine dernière n’est que le début
de l’histoire. J’attends désormais
que les dirigeants européens
donnent à l’Eurogroupe et à la
Commission un mandat et des
instructions clairs pour réfléchir
à la suite, au plan de relance qu’il
nous faudra mettre en place au
fur et à mesure que les Vingt­Sept
sortiront du confinement.
C’est­à­dire ?
La croissance va perdre quelque
chose comme 20 points au
deuxième trimestre. Tous les
pays ont mis en place des mesu­
res d’aide et vont voir leur dette
choc subi sont inconnues. Et, en­
fin, au vu des circonstances, « le
rôle assigné à la politique éco­
nomique est très différent ». En
ces temps de confinement géné­
ralisé, Les Etats ne peuvent pas
miser sur la hausse de la de­
mande pour relancer l’économie,
comme c’est souvent le cas en pé­
riode de crise, ce qui complique
leur tâche.
« Dynamiser la demande »
« Les gouvernements doivent s’as­
surer, souligne Mme Gopinath, que
les personnes puissent subvenir à
leurs besoins et que les entreprises
reprennent leur activité une fois la
phase sévère de l’épidémie pas­
sée. » Une règle qui vaut pour le
monde entier, mais qui s’appli­
que plus difficilement dans les
pays dominés par le secteur infor­
mel, sans la capacité administra­
tive ou financière d’offrir aux
chômeurs des allocations ou de
secourir les petites entreprises.
augmenter considérablement. La
Banque centrale européenne
[BCE] a fait ce qu’il fallait. Mais
cela ne saurait suffire, si on veut
éviter la fragmentation des mar­
chés et la divergence entre les
pays de la zone euro. Il nous faut
être innovant, penser en dehors
de nos cadres habituels et imagi­
ner un plan de relance où les
Européens seront solidaires. C’est
une question politique, avant
d’être économique.
Vous pensez aux
« coronabonds » ?
Pas nécessairement. Il n’est pas
question de préempter le débat
ce stade. Quand je parle de penser
en dehors de notre cadre habi­
tuel, je parle de sortir de nos li­
vres de recettes traditionnelles.
Cette crise ne ressemble à aucune
autre. L’important, c’est de trou­
ver une solution pour étaler, en­
semble et dans le temps, le coût
de la dette liée à la crise due au
nouveau coronavirus.
Certains pays sont favorables à
un instrument commun de dette
pour financer les ravages écono­
Le Fonds
monétaire
international
dispose
de 1 000 milliards
de dollars pour
venir en aide
aux plus fragiles
Pour eux, le FMI préconise les
transferts d’argent par Internet
mobile, ou de subventionner
les factures d’eau ou d’électricité.
L’institution de Washington
salue également les actions « im­
portantes » des banques cen­
trales, qui ont permis « de soute­
nir la confiance et de limiter l’am­
pleur du choc ». Mais les efforts
sont loin d’être terminés, mal­
gré les milliers de milliards de
dollars déjà injectés par les ban­
miques du virus, c’est la proposi­
tion française d’un fonds de re­
lance, pour l’instant il n’y a rien
d’autre sur la table. D’autres pré­
fèrent utiliser le prochain budget
pluriannuel de l’Union euro­
péenne [qui court sur la période
2021­2027, le précédent budget
pluriannuel étant presque intégra­
lement consommé puisqu’il se ter­
mine cette année]. Ces deux solu­
tions sont innovantes et ne sont
pas incompatibles. On peut les
combiner, les articuler. Dans un
compromis qui permettra à cha­
cun de crier victoire.
C’est­à­dire ?
Ce plan de relance devra com­
mencer à être mis en œuvre dès
que les pays commenceront à
sortir du confinement. A la fin du
printemps ou au début de l’été. Ce
qui, au début du moins, exclut de
recourir au prochain budget
européen, qui couvre la période
2021­2027. On peut trouver des
instruments pour faire la transi­
tion, si nécessaire. Le fonds de re­
lance, que propose Paris, offre
une force de frappe immédiate.
coronavirus | 15
ques centrales et les Etats dans
l’économie mondiale.
Kristalina Georgieva, la direc­
trice générale du FMI, a affirmé, le
9 avril, qu’il faudrait, au fil du dé­
confinement, « rapidement dyna­
miser la demande », par le biais
d’« une action budgétaire coor­
donnée ». Les plans de relance de­
vraient donc se poursuivre, à
condition, toutefois, que les Etats
en aient la capacité. Or les pays
émergents d’Afrique, d’Amérique
latine et d’Asie sont « à haut ris­
que » selon Mme Georgieva.
Relativement plus épargnés par
le Covid­19 que l’Europe ou les
Etats­Unis, ces pays sont cepen­
dant moins bien préparés pour
affronter la crise économique.
Contrairement à eux, ils ne peu­
vent pas injecter des milliards
dans leur économie. Pis : ils sont
désertés par les capitaux étran­
gers, à hauteur de 100 milliards de
dollars (91,3 milliards d’euros) au
cours des deux derniers mois, soit
Le budget pluriannuel peut pren­
dre la relève, s’il est reformaté.
Quelle doit être l’ampleur
de ce plan de relance ?
Est­ce qu’il faudra 1 500 milliards
ou 700 milliards d’euros ? Nous
n’avons pas besoin d’arrêter un
chiffre tout de suite. Il est trop tôt
pour le faire, la pandémie sévit en­
core. Mais, une chose est sûre, la
reprise sera longue. Il faudra atten­
dre au moins deux ans – sans
doute à la fin 2022 – avant que l’Eu­
rope retrouve les niveaux de fin
2019. La dette, elle, sera là pour
bien plus longtemps.
Les Européens commencent
à évoquer des dates pour
une sortie progressive
du confinement. Il faut donc
que les Vingt­Sept se mettent
rapidement d’accord ?
On a quelques semaines, et, en­
core une fois, la question du mon­
tant du plan de relance n’a pas be­
soin d’être tranchée maintenant.
En revanche, il faut se décider sur
la manière dont il doit fonction­
ner, ce à quoi il doit servir, com­
l’équivalent de 0,4 % de leur PIB,
ce qui entraîne une dépréciation
de leurs devises et, donc, une aug­
mentation du remboursement de
leurs emprunts contractés en
yens, en euros ou en dollars.
La dette publique des émergents
est passée de 33,8 %, en 2008, à
53,3 % en 2019. Pour les pays ex­
portateurs de matières premières,
comme le Congo, le Tchad ou le
Gabon, la situation est aggravée
par une chute de 65 % des cours du
pétrole entre mi­janvier et fin
mars. Etranglés par les dettes et af­
faiblis par des déficits budgétaires,
des pays comme le Brésil ou l’Afri­
que du Sud voient leurs marges de
manœuvre réduites à néant, lais­
sant craindre une aggravation de
la récession. « Certaines économies
émergentes et en développement
pourraient vite être dépassées par
le coût de la crise », met en garde le
FMI, qui ajoute que « le soutien ex­
terne sera crucial » et n’exclut pas
le recours à des mesures de restric­
tion de sortie de capitaux.
L’institution dispose de
1 000 milliards de dollars pour ve­
nir en aide aux plus fragiles. Elle a
annoncé, mardi, qu’elle avait
puisé dans le Fonds fiduciaire
d’assistance et de riposte aux
catastrophes (CCRT), doté de
500 millions de dollars, pour ré­
pondre aux demandes d’assis­
tance de 25 pays. Mais cela ne sera
pas suffisant. « Pour ceux qui doi­
vent faire face à des rembourse­
ments de prêts importants, des
moratoires sur la dette et des réé­
chelonnements devraient être en­
visagés », ajoute le FMI.
Mardi matin, Bercy a annoncé
« un service de la dette allégé, re­
porté ou refinancé à hauteur de
20 milliards de dollars sur un total
de 32 milliards de dollars », dans le
cadre d’une initiative qui re­
groupe les créanciers du Club de
Paris et du G20 et cible les 76 pays
les plus pauvres de la planète,
dont une majorité en Afrique. « Ce
moratoire va permettre de redon­
ner de la trésorerie aux Etats qui en
ont le plus besoin », a déclaré
mardi matin le ministre de l’éco­
nomie, Bruno Le Maire, avant de
préciser qu’il fallait regarder « au
cas par cas, et dans le cadre multi­
latéral », une éventuelle annula­
tion de dette d’ici à la fin de l’an­
née. Lundi 13 avril au soir, Emma­
nuel Macron avait appelé à aider
les pays d’Afrique en « annulant
massivement leurs dettes ». 
julien bouissou
ment il doit s’articuler avec le
« green deal » et la numérisation
de l’économie qui restent priori­
taires, et comment il doit être fi­
nancé. Là­dessus, il faut de la
clarté, comme il en faut dans le
Brexit. Les agents économiques
ont horreur de l’incertitude.
Entre le recours au budget
européen et la mutualisation
de la dette, avez­vous une
préférence ?
L’important, c’est la solidarité. Et
l’Europe est structurellement soli­
daire. Le marché unique, ce n’est
rien d’autre qu’une mutualisation
de nos échanges. Et le marché uni­
que, s’il n’y a plus de marché, ce
n’est rien. Par exemple, un pays
comme les Pays­Bas [La Haye est
opposée autant à la hausse du bud­
get européen qu’à la mutualisation
des dettes], qui est encore plus
dépendant du marché unique que
d’autres, ne peut pas l’ignorer. Le
marché unique, ce n’est rien
d’autre qu’une mutualisation in­
telligente de notre avenir. 
propos recueillis par
virginie malingre

16 | coronavirus
Les professionnels du tourisme
réclament des mesures rapides
Restaurateurs et cafetiers redoutent de nombreux dépôts de bilan dans les prochains jours
L’
annonce, lundi 13 avril,
par le président de la
République, de la mise
en œuvre prochaine
« d’un plan spécifique » pour le
secteur du tourisme, de l’hôtelle­
rie et de la restauration n’a pas
suffi à calmer les angoisses des
professionnels. « Je peux affirmer
que 2020 est perdue pour le sec­
teur », se lamente Roland Héguy,
président de l’Union des métiers
et des industries de l’hôtellerie
(UMIH). Un pessimisme qui tran­
che avec le volontarisme affiché
par Jean­Baptiste Lemoyne, secré­
taire d’Etat auprès du ministre de
l’Europe et des affaires étrangè­
res, à l’occasion d’une conférence
de presse, mardi 14 avril.
Selon lui, c’est la « satisfaction
générale » qui règne chez les pro­
fessionnels du secteur après l’al­
locution d’Emmanuel Macron. Il
a évoqué les mesures de « soutien
à court terme » par les autorités
« d’un secteur principalement im­
pacté ». Selon ses calculs, l’impact
économique de la pandémie de
Covid­19 sur le tourisme, l’hôtel­
lerie et la restauration atteindrait
40 milliards d’euros par trimes­
tre. Pour le seul tourisme, la fac­
ture mensuelle s’élèverait à
10 milliards d’euros.
Ce n’est donc pas un hasard si les
entreprises de ce secteur ont été
parmi les plus nombreuses à solli­
citer des prêts garantis par l’Etat.
D’après les derniers décomptes,
1,26 milliard d’euros de prêts ont
déjà été accordés, soit 11,45 % du
Les compagnies aériennes américaines
subventionnées à hauteur de 25 milliards
Les aides accordées par l’Etat fédéral devront être remboursées à hauteur de 30 %
dans un délai de cinq à dix ans, tandis que 10 % pourront être converties en actions
new york ­ correspondant
L’ Etat fédéral américain va
renflouer les compagnies
aériennes des Etats­Unis à
hauteur de 50 milliards de dollars
(45,5 milliards d’euros), la moitié
sous forme de subventions desti­
nées à payer les salariés, la se­
conde sous forme de prêts.
Une étape décisive a été fran­
chie, mardi 14 avril, avec l’an­
nonce par le Trésor américain
d’un accord de principe sur les
25 milliards de dollars de subven­
tions, alors que toutes les entre­
prises aériennes américaines
sont au bord de la faillite, clouées
au sol par l’épidémie due au coro­
navirus. Le nombre de passagers
a été divisé par 20, le nombre de
vols réduit des trois quarts, un
siège sur dix seulement est oc­
cupé par un voyageur payant tan­
dis que 2 200 aéronefs sont im­
mobilisés sur les tarmacs du pays.
L’accord a été approuvé par les
dix principales compagnies amé­
ricaines, notamment American
Airlines, Delta, United, South­
west, Alaska et JetBlue. Cette aide
faisait partie des 2 200 milliards
de dollars d’aides fédérales votées
par le Congrès, fin mars. Elle
aurait dû être versée début avril,
mais sa mise en œuvre achoppait
sur les contreparties exigées par
l’administration Trump
Ces entreprises ne pourront
pas licencier ou mettre en chô­
mage technique leurs salariés
contre leur gré avant la fin sep­
tembre. L’accord prohibe, par
ailleurs, les rachats d’actions et le
versement de dividendes jus­
qu’en septembre 2021, limite la
rémunération des dirigeants jus­
total. Dans le détail, « quatre gran­
des régions », a pointé M. Le­
moyne, l’Ile­de­France, PACA, la
Nouvelle­Aquitaine et Auvergne­
Rhône­Alpes, se partagent 60 %
de la manne distribuée par les
pouvoirs publics.
Une « année blanche »
Pour M. Lemoyne, ces sommes
sont une bouffée d’oxygène bien­
venue pour des entreprises sou­
vent exsangues. Ces « prêts per­
mettent d’obtenir jusqu’à un quart
du chiffre d’affaires ». Surtout, a­
t­il ajouté, ils interviennent alors
que « l’on entre dans des mois im­
portants pour le tourisme ». En
juillet et août, le tourisme domes­
tique génère 41 milliards d’euros,
tandis que les revenus du tou­
risme international s’élèvent à
14 milliards d’euros.
M. Lemoyne a aussi tenté de cal­
mer les « attentes des profession­
L’impact
économique
de la pandémie
sur le tourisme,
l’hôtellerie
et la restauration
atteindrait
40 milliards
d’euros
par trimestre
qu’en mars 2022 et impose une
desserte minimum (une fois par
semaine pour les destinations
desservies jusqu’à présent).
Le point délicat portait sur le
sort des subventions. Elles de­
vront être remboursées à hau­
teur de 30 % dans un délai de cinq
à dix ans, tandis que 10 % pour­
ront être converties en actions. A
l’origine, les directions des com­
pagnies aériennes espéraient re­
cevoir des aides non remboursa­
bles, ce qui a conduit à des négo­
ciations rugueuses avec le secré­
taire au Trésor, Steven Mnuchin.
Elles ont tout fait pour éviter une
entrée du gouvernement à leur
capital. Selon les calculs de la so­
ciété d’analyse financière Ray­
mond James, le gouvernement
pourrait in fine posséder entre
1 % et 3 % du capital de ces entre­
prises. Southwest mentionne un
chiffre inférieur à 1 %.
Les syndicats avaient demandé
au gouvernement d’imposer le
moins d’exigences possible, crai­
gnant que les compagnies préfè­
rent organiser des licenciements
massifs dans une industrie qui
emploie 750 000 personnes.
Les transporteurs aériens
s’étaient lancés, ces dernières se­
maines, dans une course éperdue
vers les liquidités pour éviter la
faillite et mieux négocier avec
Washington : Delta avait mis
au chômage volontaire quelque
35 000 salariés et gagé des avions
pour 2,6 milliards de dollars.
Outre la réduction de sa masse sa­
lariale, American Airlines s’était
assuré un prêt de 1 milliard de dol­
lars, et avait donné en garantie les
revenus de sa desserte New York­
Londres, qui est l’une des plus
nels » qui souhaiteraient connaî­
tre le calendrier de « la relance de
la filière ». Surtout, les entreprises
veulent savoir quand « les annula­
tions de charges », évoquées par le
président de la République seront
effectives. A en croire M. Le­
moyne, cela pourrait prendre en­
core un moment. Le secrétaire
d’Etat a prévu de se réunir avec le
ministre de l’économie et des fi­
nances, Bruno Le Maire, et les re­
présentants du secteur, « jeudi 16
ou vendredi 17 avril ». Un premier
rendez­vous de « préparation »
avant la tenue d’un comité inter­
ministériel consacré au tourisme
prévu « courant mai », sans plus
de précision. Ces annulations de
charges pourraient aller jusqu’à
750 millions d’euros, selon le mi­
nistre de l’action et des comptes
publics, Gérald Darmanin, mer­
credi 15 avril, sur Europe 1.
Pas question d’attendre aussi
longtemps, fait savoir M. Héguy.
Pour le patron de l’UMIH, il faut
aller vite. Ce dernier affirme rece­
voir des « centaines d’appels de dé­
tresse » des petits patrons de cafés
et de restaurants. Il redoute une
hécatombe parmi les 220 000 ca­
fés et restaurants de France qui
emploient plus d’un million de
salariés. Selon M. Héguy, si rien
n’est fait rapidement, « 20 % d’en­
tre eux pourraient déposer le bilan
dans les prochains jours ».
« Les restaurants se classeraient
premiers devant les cafetiers et les
hôtels », d’après son « podium »
des faillites. Pour éviter le désas­
rentables. United avait obtenu
2,5 milliards de dollars en hypo­
théquant des appareils et même
des moteurs et des pièces de re­
change, révèle le Wall Street Jour­
nal. Toutes cherchent aussi à ob­
tenir de leurs banques partenai­
res l’équivalent des points qu’elles
collectent via les cartes de crédit
voyageur. Ces dernières semai­
nes, les demandes de rembourse­
ment dépassaient les comman­
des de nouveaux billets.
Une mesure impopulaire
Cette course contre la montre a
eu lieu alors que le sauvetage des
compagnies aériennes, envisagé
dès le début de l’épidémie, s’est ré­
vélé très impopulaire.
« Les actionnaires n’ont pas be­
soin d’être renfloués », estimait
l’économiste Thomas Philippon,
professeur à la New York Univer­
sity, estimant que ces entreprises
avaient parfaitement fonctionné
à la fin du XXe siècle en restant
des années sous la loi de protec­
tion contre les faillites. Les prin­
cipales compagnies, qui avaient
été renflouées après les attentats
du 11 septembre 2001, ont été ac­
cusées d’avoir utilisé depuis dix
Les syndicats
craignaient des
licenciements
massifs dans
une industrie
qui emploie
750 000
personnes
« Nous n’avons
aucun horizon,
nous ne pouvons
rien prévoir,
c’est terrible »
ROLAND HÉGUY
président de l’UMIH
tre qui s’annonce, fait­il savoir, « il
ne faut pas que le plan du prési­
dent de la République soit mis en
œuvre dans quelques semaines,
mais dans les dix jours qui arri­
vent ». Le président de l’UMIH
n’en démord pas : « Il faut que,
dans la semaine, le gouvernement
valide l’annulation des charges. »
La seule solution, selon lui, « pour
repartir à zéro et dans les meilleu­
res conditions en 2021 ».
Car les hôteliers et restaurateurs
auraient déjà fait une croix sur
l’année en cours. A en croire
M. Héguy, 2020 « sera une année
blanche. Si nous réalisons 30 % du
chiffre d’affaires, nous serons des
champions et je n’y crois pas ! »
Le syndicat des hôteliers et res­
taurateurs porte aussi le fer contre
les assureurs. Selon une enquête
de l’UMIH, « 60 % des chefs d’entre­
prise ont fait valoir la garantie
perte d’exploitation auprès de leur
assureur », mais « 98 % de ces de­
mandes de garantie perte d’exploi­
tation ont été refusées ». Les pro­
fessionnels aimeraient un coup
de pouce de l’Etat. Le secrétaire
ans l’intégralité de leurs liquidi­
tés pour racheter leurs propres
actions et faire monter leur
cours de Bourse.
L’information révélée par
l’agence Bloomberg avait été re­
prise par l’égérie de la gauche
américaine, la représentante dé­
mocrate de New York, Alexandria
Ocasio­Cortez. Cela alors que les
prix du transport aérien, cartel­
lisé, sont élevés, que les passa­
gers sont particulièrement mal­
traités, avec des pratiques com­
merciales inspirées des compa­
gnies low cost (bagages payants,
frais de changement de billets,
service à bord exécrable), et que
s’ajoutent des retards inces­
sants, dus à l’encombrement de
l’espace aérien, aux aéroports
sous­dimensionnés et aux in­
tempéries inhérentes au climat
nord­américain.
Les accords ne sont pas complè­
tement finalisés ou rendus pu­
blics. Pour donner un ordre de
grandeur, American Airlines, la
compagnie la plus endettée, de­
vrait recevoir 5,8 milliards de dol­
lars et solliciter un prêt supplé­
mentaire de 4,8 milliards (dans le
cadre des 25 milliards de prêts qui
n’ont pas encore été négociés).
United et Delta devraient, selon la
presse américaine, recevoir envi­
ron 5 milliards de dollars de sub­
ventions chacune.
Donald Trump a pu saluer un
accord qui protège les salariés, le
contribuable et les compagnies.
« Nos compagnies aériennes sont
désormais en bonne santé et vont
pouvoir surmonter cette période
très difficile dont elles ne sont pas
responsables. » 
arnaud leparmentier
d’Etat, conscient qu’il « y a des at­
tentes vis­à­vis du monde de l’assu­
rance », a indiqué que Bruno Le
Maire attendait « des propositions
des assureurs d’ici à mardi soir ».
M. Lemoyne a cité en exemple
un « accord » intervenu en Ba­
vière (Allemagne) par lequel un
groupement d’assureurs, mené
par le groupe Allianz, « va prendre
en charge 10 % à 15 % des pertes
d’exploitation ».
Violemment bousculé par les
conséquences de la pandémie, le
secteur se désespère de n’avoir
« aucune visibilité » pour le proche
avenir. « Nous n’avons aucun hori­
zon, nous ne pouvons rien prévoir,
c’est terrible », se plaint le patron
de l’UMIH. Quid des vacances
d’été ? « A ce stade, il est complexe
de donner un horizon matérialisé
par une date précise, s’est défaussé
le secrétaire d’Etat. C’est l’état sani­
taire du pays qui commande. »
Toutefois, il a assuré que, « le mo­
ment venu, la destination France
sera prioritaire ». Sans certitude,
M. Héguy « croise les doigts ». Lui
aussi veut croire que, pendant la
période estivale, « la France sera
très tendance » auprès des vacan­
ciers. Ils pourront se le permettre
car, a précisé M. Lemoyne, à ce
moment­là, les Français « auront
encore plusieurs semaines de con­
gés payés » à prendre. En effet, se­
lon les ordonnances prises par le
gouvernement, pas plus d’une se­
maine de vacances ne pourra être
ôtée aux salariés. 
guy dutheil
En échec en Chine,
Renault réduit la voilure
Le groupe renonce au thermique pour
se concentrer sur l’électrique et les utilitaires
shanghaï ­ correspondance
A près deux mois et demi
d’arrêt de son usine de
Wuhan, Renault a mis fin
à sa collaboration avec Dongfeng,
l’entreprise d’Etat basée dans la
capitale du Hubei, son partenaire
depuis l’entrée en Chine de la
marque, en 2013. L’ex­Régie a dé­
cidé d’abandonner les véhicules
thermiques grand public dans le
pays, après avoir échoué à péné­
trer le premier marché automo­
bile mondial. La marque au lo­
sange a annoncé, mardi 14 avril,
son recentrage sur les seuls véhi­
cules électriques et les utilitaires.
« Nous ouvrons un nouveau cha­
pitre en Chine », a annoncé dans
un communiqué François Pro­
vost, directeur des opérations de
la région pour le constructeur
français. Renault cédera son
usine, qui emploie 2 000 person­
nes, à son ex­partenaire.
Un marché ultra-concurrentiel
Conçu pour fabriquer 150 000 vé­
hicules par an, le site avait les ca­
pacités de doubler sa produc­
tion. Mais la demande n’a pas
suivi : le losange a vendu
18 500 véhicules en 2019, contre
50 112 l’année précédente.
Arrivé en 2013 sur le marché, le
français n’a jamais réussi à y per­
cer. Ultra­concurrentiel et en
panne de croissance depuis 2017,
le pays n’était plus l’eldorado
d’antan où chaque véhicule pro­
duit trouvait automatiquement
preneur. « Quand Renault a sorti
ses premiers véhicules en 2016, l’es­
sentiel de la croissance avait déjà
eu lieu, et le marché était déjà ré­
parti entre les marques, explique
Jochen Siebert, fondateur du cabi­
0123
JEUDI 16 AVRIL 2020
CONJO NCTU RE
Chute des ventes
de détail en France
Les ventes du commerce de
détail en France ont reculé
de 24 % en mars par rapport
à février, sur une période qui
comprend le début du confi­
nement et la fermeture de
certains magasins durant
les deux dernières semaines
du mois, a rapporté, mercredi
15 avril, la Banque de France. –
(AFP.)
AÉRIEN
Un plan d’aide
pour Air France
Le ministre de l’économie,
Bruno Le Maire, a promis,
mercredi 15 avril, sur RTL, une
décision dans les prochains
jours en ce qui concerne les
aides publiques accordées à
Air France­KLM. Le gouverne­
ment est prêt à mobiliser jus­
qu’à 20 milliards d’euros
pour renflouer le capital d’en­
treprises françaises mises en
difficulté par la crise due au
coronavirus
FINANC E
L’assurance mise plus
à contribution
Selon une annonce faite par
les services du premier mi­
nistre, mercredi 15 avril, les
assureurs vont porter à
400 millions d’euros leur
contribution au fonds de soli­
darité mis en place par le
gouvernement pour soutenir
les entreprises ; mettre en
œuvre des gestes commer­
ciaux en faveur de leurs assu­
rés pour un montant estimé
globalement à 1,35 milliard
d’euros ; mobiliser leurs capa­
cités d’investissement à tra­
vers un programme de
1,5 milliard d’euros ; et tra­
vailler à la mise en place d’un
régime d’assurance des pan­
démies. – (Reuters.)
net de conseil JSC Automotive.
C’était trop tard pour que Renault
puisse construire sa marque. »
Actant l’échec du thermique, Re­
nault mise désormais sur l’électri­
que avec deux coentreprises éta­
blies ces dernières années : eGT
New Energy Automotive Co., Ltd.,
montée avec son allié Nissan et
Dongfeng en 2017 autour du mo­
dèle entrée de gamme K­ZE
(2 658 unités vendues en Chine
en 2019), à Shiyan, dans le Hubei,
la province dont Wuhan est la ca­
pitale. En 2019, Renault en a lancé
une autre, JMEV, avec JMC, basée
dans le Jiangxi, plus au sud. Enfin,
en matière de véhicules utilitai­
res, Renault compte sur son par­
tenaire Jinbei, dont il a racheté
49 % des parts en 2017, pour se dé­
velopper : le groupe français a
vendu 160 000 véhicules en 2019.
Aujourd’hui, le français affiche
des ambitions optimistes. « Les
ventes de véhicules électriques de­
vraient atteindre 25 % du marché
chinois d’ici à 2030 », prédit l’en­
treprise. Dès 2022, « JMEV prévoit
de couvrir 45 % de ce segment »,
mais la fabrication n’a pas encore
commencé. « Le secteur des véhi­
cules électriques va être très con­
currentiel, avec des nouveaux mo­
dèles de Volkswagen, Toyota et,
bien sûr, des marques locales : il n’y
aura pas beaucoup de place pour
Renault », met en garde Jochen
Siebert. D’autant que l’épidémie
due au coronavirus devrait peser
encore davantage sur les ventes
en 2020, avec une baisse mini­
mum de 15 % des immatricula­
tions, selon M. Siebert. Renault
est le deuxième constructeur
étranger à jeter l’éponge en Chine,
après le départ de Suzuki en 2018.
simon leplâtre
0123
JEUDI 16 AVRIL 2020 coronavirus | 17

Le Tour de France
pourrait être
décalé à la fin août
Le report vise à assurer la survie
d’un sport très dépendant
de sa course­phare

S’
il n’en reste qu’un à la
fin, ce sera peut­être
bien lui. Du haut de
ses 117 ans, le Tour est
un centenaire coriace et même
résistant au Covid­19, pour l’ins­
tant. Les festivals d’été sont annu­
lés les uns après les autres, l’Euro
de football et les Jeux olympiques
ont battu retraite pour revenir
en 2021, mais lui résiste. Irréducti­
ble juillettiste, il devrait prendre
ses aises plus tard dans l’été.
Mardi 14 avril, en début de soi­
rée, Le Dauphiné libéré révélait
que la 107e édition de la course cy­
cliste se déroulerait du 29 août au
20 septembre au lieu des dates
initiales (27 juin­19 juillet). L’an­
nonce officielle de l’organisateur,
Amaury Sport Organisation
(ASO), devait intervenir mercredi
15 avril, au terme d’une réunion
hebdomadaire entre l’Union cy­
cliste internationale (UCI) et les
organisateurs de courses cyclis­
tes, selon Le Parisien. Le peloton
s’élancera toujours de Nice pour
un parcours inchangé.
Ce report était devenu inévita­
ble depuis que le président de la
République, Emmanuel Macron,
a annoncé, lundi 13 avril, l’inter­
diction des « événements avec un
public nombreux au moins jus­
qu’à la mi­juillet ». Un temps évo­
qué, le huis clos a été très vite
considéré comme « inimagina­
ble » par le directeur de l’épreuve,
Christian Prudhomme. Un adjec­
tif également valable concernant
une possible annulation. « Seule
la guerre mondiale, à deux repri­
ses, a empêché le déroulement du
Tour de France », rappelait le pa­
tron de la course pendant Paris­
Nice, en mars.
A l’époque, ASO avait maintenu,
à huis clos, sa « Course au soleil »
comme le dernier reliquat de
sport en France, alors que le confi­
nement du pays était une ques­
tion de jours.
L’annulation ? « Désastre total »
Là, il s’agit de sauver le Tour quoi
qu’il en coûte, et peut­être le cy­
clisme avec lui. Si quelques esprits
libres et même certains coureurs
peuvent lui préférer le charme et
l’authenticité d’un Giro italien, le
Tour de France reste la vitrine de
son sport, son poumon économi­
que. « Il y a assez peu de disciplines
sportives qui reposent à ce point
sur un événement, qui plus est dé­
tenu par un privé et non une fédé­
ration », souligne Bruno Bianzina,
directeur général de l’agence
Sport Market.
Même des contempteurs de la
toute­puissance d’ASO et de sa
course se sont émus d’une éven­
tuelle annulation. « On parle d’un
désastre total », assurait, le
11 mars, Patrick Lefevere, direc­
teur de l’équipe belge Deceu­
ninck­Quick Step pourtant da­
Les coureurs du Tour
de France, lors de la 14e étape,
entre Tarbes et le col
du Tourmalet (Hautes­
Pyrénées), le 20 juillet 2019.
CHRISTOPHE ENA/AP
vantage tournée vers les classi­
ques. Mais en bon comptable de
formation, le Belge avait déjà
évalué cette hypothèse dans un
entretien au quotidien Het
Nieuwsblad : « ASO peut assumer
un coup dur, les équipes ne peu­
vent pas. S’il n’y a pas de Tour de
France, le modèle entier du cy­
clisme peut s’effondrer. »
Il a déjà commencé à s’effriter.
L’équipe polonaise CCC a sus­
pendu les salaires de la majorité
de ses coureurs, et le désengage­
ment de son sponsor principal
paraît acquis. En France, les cou­
reurs veulent se raccrocher à la fi­
délité d’un partenaire historique,
tel AG2R La Mondiale, comme
c’est le cas pour Romain Bardet.
« A l’étranger, je vois certaines
équipes qui se délitent, dont les
sponsors se retirent ou qui ne
paient plus leurs coureurs ou l’en­
cadrement. Leur système de pro­
tection est inexistant », observe le
grimpeur français dans son car­
net de bord de confinement pour
Le Monde.
La menace ne tient pas aux pri­
mes reversées aux équipes par
ASO, environ 2,3 millions d’euros
sur l’édition 2019, selon l’associa­
tion Sporsora, qui regroupe les ac­
teurs de l’économie du sport. Le
cyclisme vit du sponsoring, ven­
dant du temps d’antenne à des
partenaires qui voient leur mar­
que sur le maillot des coureurs
pendant trois semaines et leur
nom associé à une longue échap­
pée, par exemple. Or, le Tour offre
une exposition incomparable,
avec une audience estimée à
2 milliards de téléspectateurs cu­
mulés dans 170 pays.
Manageur de l’équipe B & B Ho­
tels, Jérôme Pineau a mis trois ans
pour obtenir une invitation pour
la Grande Boucle. Alors, il mesure
bien la valeur d’une saison avec et
sans Tour. « C’est la clé de voûte de
notre économie. Si le Tour est an­
nulé, on court à la catastrophe,
fectent leurs partenaires. Dans ce
« Je vois cas, les budgets marketing sont
certaines équipes souvent les premiers à sauter.
Dans un entretien au site Cyclin­
qui se délitent, gnews, Jonathan Vaughters, mana­
dont les sponsors geur d’EF Pro Cycling, a mis en
garde ses homologues. Même
se retirent ou qui ceux qui sont encore liés pour plu­
ne paient plus sieurs saisons avec leur sponsor
principal, comme c’est le cas de la
leurs coureurs ou plupart des équipes françaises :
l’encadrement » « J’ai lu des commentaires disant
que les choses iront bien pour les
ROMAIN BARDET
équipes, car elles ont un contrat,
coureur cycliste
mais c’est une chose assez stupide à
dire. Quand une entreprise souffre
s’inquiétait­il, le 3 avril, au micro financièrement et cherche une pro­
de France Télévisions. Le modèle tection juridique, un contrat ne
économique de mon équipe re­ vaut pas grand­chose. »
pose aussi sur les hospitalités, et je Plus loin, l’Américain appelle à
compte énormément sur le Tour réfléchir à sortir de cette dépen­
pour lever des fonds, choyer mes dance au Tour et à chercher
sponsors, organiser des reconnais­ « d’autres solutions pour diversi­
sances d’étapes. » fier les expositions médiatiques
Les directeurs d’équipe crai­ des équipes ». Un vœu pieux, pour
gnent que la crise économique et l’instant. 
le risque de récession à venir n’af­ alexandre pedro

La justice rappelle Amazon à ses responsabilités

Le marchand en ligne va devoir restreindre son activité, tant que les risques auxquels sont exposés les salariés ne seront pas bien appréciés

V oilà une décision suscep­

tible de faire froncer les
sourcils de nombreux
employeurs. Mardi 14 avril, le tri­
bunal judiciaire de Nanterre a im­
posé à Amazon France de res­
treindre son activité aux com­
mandes de produits alimentaires,
médicaux et d’hygiène, tant que
la société n’aura pas apprécié cor­
rectement les risques auxquels
PERTES & PROFITS | AMAZON
p a r ph il i ppe e scand e
sont exposés ses salariés, du fait
de la pandémie de Covid­19.
Rendue en référé, cette ordon­
nance représente un vigoureux
rappel à la loi adressé aux entre­
prises, au moment même où le
président de la République, Em­
manuel Macron, vient d’expri­
mer, durant son allocation télévi­
sée, lundi 13 avril, la volonté de
« redémarrer », à compter du
11 mai, « notre industrie, nos com­
merces et nos services ».
Depuis plusieurs semaines,
Amazon France est pointée du
doigt par les syndicats, au motif
que la direction ne se soucierait
guère de la protection de ses équi­
pes contre le risque de contami­
nation. Des membres du person­
nel ont fait valoir leur droit de re­
trait, tandis que plusieurs alertes
pour « danger grave et imminent »
ont été déclenchées. Début avril,
l’inspection du travail s’en est mê­
lée, en exigeant que des mesures
soient prises dans cinq sites, afin
de mettre fin à la « situation dan­
gereuse » qui prévalait.
Qu’était­il reproché au géant
du commerce en ligne ? Le non­
respect de la « distanciation so­
ciale » à certains endroits, le
manque de gel hydroalcoolique
dans d’autres, etc. C’est dans ce
contexte que l’Union syndicale
Solidaires a engagé un recours en
référé, avec l’objectif d’obtenir la
fermeture, temporaire, de tous
les centres de distribution
d’Amazon dans l’Hexagone. Le
tribunal n’est pas allé aussi loin,
mais sa décision sonne comme
une sévère remontrance.
Les magistrats reconnaissent
que l’entreprise a accompli des ef­
forts et que son « organisation du
travail a été constamment modi­
fiée », afin de contenir la propaga­
tion du virus. Mais ces « change­
ments » sont intervenus « sans
société devra payer une astreinte
de 1 million d’euros « par jour de
retard et par infraction ».
Solidaires s’est félicitée « de ce
résultat, qui ouvre la voie à
d’autres actions ». Amazon, de son
côté, a, bien évidemment, indi­
qué être « en désaccord » avec l’or­
donnance, et compte faire appel.
Sollicité par Le Monde, le Medef
semble éprouver un certain em­
barras face à cette affaire. « Il nous
est très difficile de commenter une
décision de justice relative à un cas
dont nous ne connaissons pas le
détail », confie Patrick Martin, le
président délégué du mouvement
d’employeurs. Pour autant, sa po­

Les nouveaux temps modernes concertation préalable avec les re­

Cette crise devait être une forme de sacre
pour Amazon. La démonstration éclatante de
son utilité sociale et de sa suprématie sur ses
concurrents physiques, fermés pour cause de
confinement. Grâce à lui des millions de re­
clus conservent une petite fenêtre mar­
chande sur l’extérieur. Chez Amazon, comme
naguère à la Samaritaine, on trouve tout, du
dernier prix Goncourt à la table de jardin. Et
le succès est au rendez­vous, les ventes grim­
pent et l’entreprise embauche à tour de bras
au moment où le commerce licencie en
masse ou place en chômage technique des
cohortes entières de salariés. La dernière
bouée de sauvetage de l’économie.
Et puis voilà que le tribunal judiciaire de
Nanterre ordonne, mardi 14 avril, au plus
gros magasin en ligne du monde de ne plus
vendre en France que des produits essentiels,
d’alimentation et de santé, sous peine d’une
amende de un million d’euros par jour. Non
pas que les juges aient trouvé immoral de
commercialiser des objets plus futiles en
cette période troublée, mais parce que l’en­
treprise n’a pas suffisamment respecté « son
obligation de sécurité et de prévention de la
santé des salariés ».
Pourtant, la société, qui assure que « rien
n’est plus important que la sécurité des colla­
borateurs », n’a pas lésiné sur les fournitures :
27 000 litres de gel hydroalcoolique, 1,5 mil­
lion de masques, pour les seuls 6 500 salariés
français. Mais les inspecteurs, alertés par le
syndicat SUD, auteur de la plainte, ont souli­
gné la promiscuité dans les vestiaires, la dis­
tance entre opérateurs dans les entrepôts…
Pour SUD, la protection des salariés passe par
la réduction de l’activité, limitant le person­
nel, et donc les risques de contamination.
Révolution en marche
Cette histoire promet des jours difficiles lors­
que le déconfinement se produira. Voulant
protéger leurs troupes, les syndicats seront
intraitables sur les consignes de sécurité
quand les directions seront obsédées par le
retour à une activité décente et à la rentabi­
lité. D’autant que toutes les sociétés ne sont
pas aussi riches qu’Amazon pour noyer ses
salariés sous les hectolitres de gel. Il faudra de
bonnes heures de discussion avec les repré­
sentants du personnel.
L’action se déroule chez Amazon car le sym­
bole est fort, médiatique et américain, alors
que tout est disponible en ce moment sur In­
ternet, sans pour autant que l’on soit certain
que les manutentionnaires et les livreurs
soient mieux traités que chez le géant de
Seattle. Mais il incarne à lui seul cette révolu­
tion en marche, comme Ford dans les années
1930 avec la révolution industrielle. Même
promesse de prospérité et d’emploi, mais
même rudesse dans les rapports sociaux. Les
employés des immenses entrepôts robotisés
d’Amazon sont comme Charlot dans Les
Temps modernes, pris dans l’engrenage d’une
machine qui les dépasse et les déshumanise.
Comme le soulignait récemment l’écono­
miste Daniel Cohen, la révolution numérique
nous promet dans un même élan la crois­
sance, l’emploi, le confort, la solitude et la
précarité. La crise sanitaire d’aujourd’hui
nous fait basculer dans les nouveaux temps
modernes. A nous d’inventer la société qui
les rendra plus vivables. 
présentants du personnel » et
n’ont pas été « portés de manière
appropriée à la connaissance des
salariés ». En outre, la direction a
réalisé une analyse « des risques
induits par l’épidémie » qui s’avère
« insuffisante » et dont « la qualité
(…) ne garantit pas une mise en
œuvre permettant une maîtrise »
des problèmes potentiels.
L’embarras du Medef
Conclusion, pour les juges : la fi­
liale tricolore du groupe améri­
cain « a méconnu son obligation
de sécurité et de prévention de la
santé des salariés, ce qui constitue
un trouble manifestement illicite ».
C’est pourquoi elle est sommée de
conduire une « évaluation des ris­
ques professionnels inhérents » à
la pandémie sur tous ses entre­
pôts, « en y associant les représen­
tants du personnel ». En attendant
qu’un tel document soit finalisé,
Amazon ne devra traiter que des
commandes portant sur des
biens essentiels. Faute de quoi, la
sition demeure la même : « L’acti­
vité doit être maintenue autant
que faire se peut, sinon nous irons
tous vers une catastrophe écono­
mique et sociale, dit­il. Mais cela
n’est possible que si des mesures de
sécurité sanitaire sont mises en
place et respectées, après une con­
certation systématique avec les re­
présentants des salariés. »
Après la décision « radicale » du
tribunal de Nanterre, les entrepri­
ses vont redoubler de « vigi­
lance », observe Me Nicolas de Se­
vin, président d’AvoSial, une asso­
ciation d’avocats qui conseillent
des employeurs en matière de
droit du travail. « Le tribunal porte
une atteinte excessive au principe
de liberté du commerce et de l’in­
dustrie, ajoute­t­il. Au lieu de dicter
une obligation générale de réduc­
tion de l’activité, il aurait pu déga­
ger une solution plus équilibrée, en
énonçant des recommandations
précises pour chaque zone dans les
centres de distribution. » 
raphaëlle besse desmoulières
et bertrand bissuel
 0123
18 | coronavirus JEUDI 16 AVRIL 2020

A l’arrêt, Le stade
Charléty, à Paris,
le 18 janvier.
JB AUTISSIER/PANORAMIC

le football fait
son introspection
La perte brutale de revenus a mis en lumière
la fragilité de l’économie du ballon rond.
Mais, si certains attendent davantage de
régulation, la décroissance de ce secteur, qui a
toujours résisté aux crises, reste peu probable

Q
ue faire ? Peu de diri­
geants du football ont Lé­
nine pour auteur fétiche,
sans doute encore moins
ont lu son livre intitulé
ainsi et publié en 1902.
Pourtant, le ballon à l’ar­
rêt et les caisses vides, les voilà eux aussi
tourmentés par des questions brûlantes. On
entend même monter çà et là une rumeur
quasi bolchevique, sans qu’elle puisse bien
sûr prétendre à la majorité. Le sport roi n’est
pas rompu à l’introspection ; tout allait si fa­
cilement jusqu’alors.
Mais à Zurich – où Lénine la précéda –, la
Fédération internationale de football (FIFA)
n’est plus sûre de rien. « Notre monde comme
notre sport seront différents après le retour à
la normale », dit Gianni Infantino, son prési­
dent, dans un étonnant oxymore. Prière,
ajoute­t­il, de « contribuer de manière posi­
tive et mettre l’intérêt global au­dessus des
intérêts individuels ». Certains ont dû se pin­
cer : jusqu’à la crise, le Suisse poussait coûte
que coûte un projet de championnat du
monde des clubs qui surcharge davantage le
calendrier et perturbe un équilibre des pou­
voirs déjà fragile.
Concrètement, la FIFA se concentre pour
l’heure sur le sauvetage de la pyramide grâce
au trésor de guerre constitué au fil des an­
nées par son ancien président Sepp Blatter –
près de 2,5 milliards d’euros de réserves
en 2019. Le versement des fonds sera anti­
cipé ; la réforme de fond attendra, confie un
membre du conseil de la fédération interna­
tionale : « Nous n’avons eu aucune discussion
concernant l’après ou les pistes de réflexion sur
un éventuel changement de modèle. » Un pro­
che de l’institution, sceptique, enchérit : « La
crise actuelle ne fait que mettre en lumière le
vide et l’inutilité de la machine FIFA. Au­delà de
la distribution des fonds, c’est “Blablaland”. »
La réflexion est plus avancée du côté de
l’Union des associations européennes de
football (UEFA), dont le président, Aleksan­
der Ceferin, estimait, dès le 18 mars, que
« l’heure [n’était] plus à l’égoïsme » et que « le
football mondial [repartait] de zéro ». Un
haut dirigeant de l’UEFA livre cette analyse :
« L’industrie du football était disproportion­
née par rapport aux autres activités écono­
miques. Le président Ceferin est ouvert à tou­
tes les propositions : plafond salarial, plus de
régulation… Mais il ne faut pas aller trop vite,
et mesurer d’abord l’impact de cette crise. Si
on ne termine pas les coupes d’Europe, cela
aura un impact important en termes de re­
distribution pour les clubs des grands cham­
pionnats. Il y a une unité européenne dans ce
travail de réflexion, c’est l’aspect positif de
cette période. La FIFA, elle, la joue en solo,
pour ses propres intérêts. »
UNE CROISSANCE FOLLE
Malgré les effets bénéfiques du fair­play fi­
nancier – qui impose aux clubs européens de
ne pas dépenser plus qu’ils ne gagnent – et
en dépit d’une formidable croissance, le
football reste une activité peu rentable.
En 2018, le marché européen était estimé par
le cabinet Deloitte à 28,4 milliards d’euros –
une progression de 68 % en six ans. L’arrêt
subit des compétitions a mis à nu les clubs
les plus puissants. La Juventus Turin, le diate – le britannique Sky a offert la possibi­ 2008 l’avait à peine freiné. Certains clubs
Bayern Munich ou le FC Barcelone ont rapi­ « IL FAUDRA  lité d’interrompre les abonnements en rai­ restés à l’écart de cette dynamique, qui
dement dû négocier la baisse des salaires de QUE LES INSTANCES  son de l’arrêt des matchs – ou différée, avec creuse les écarts entre l’élite et la majorité,
leurs vedettes. la crise économique. Le championnat alle­ imaginent une pause salvatrice.
Ils sont pourtant ceux dont les revenus ÉTABLISSENT DES  mand a d’ailleurs suspendu ses appels d’of­ « Cette crise fera peut­être retrouver la raison
sont les plus importants et diversifiés. Mais fres. Quant aux revenus de sponsoring, ils à certains, espère Olivier Delcourt, proprié­
l’investissement dans les joueurs – trans­ RÈGLES PLUS FORTES.  sont menacés par l’effondrement des sec­ taire et président du club de Dijon, en Ligue 1.
ferts, salaires et commissions aux agents – teurs aérien et hôtelier, parmi les principaux On a tous envie de gagner, mais il ne faut pas
continue de les ponctionner en quasi­tota­
ON VA AVOIR QUINZE  annonceurs du football, et, plus générale­ faire n’importe quoi et partir dans des délires
lité. La prise de risque financier est presque MOIS DIFFICILES  ment, par la baisse annoncée des dépenses financiers. Un club appartient à tout le
obligatoire pour ces clubs, en ce qu’elle as­ de marketing. monde, aux supporteurs comme aux parte­
sure leur maintien dans le cercle vertueux – MAIS ON REPARTIRA  Troisième source de revenus des clubs, naires. » Ces derniers mois, il a observé l’infla­
la Ligue des champions pour les uns, la pre­ d’une importance croissante, le marché des tion des salaires, des prix des joueurs et des
mière division nationale pour les autres. PLUS FORTS,  transferts est aussi menacé d’implosion, es­ commissions versées aux agents à la faveur
Ceux qui en sortent se brûlent les doigts : le PLUS ÉQUILIBRÉS » time le directeur de la Bundesliga, le cham­ d’un nouveau contrat de droits télévisés…
Milan AC, qui finançait ses recrues avec des pionnat allemand. « A court terme, le marché dont l’argent n’est pas encore sur la table.
emprunts à des taux usuraires, est tombé BERNARD CAÏAZZO estival n’existera pas, il va s’effondrer, a af­
dans les mains de son bailleur, le fonds d’in­ propriétaire firmé Christian Seifert au New York Times. « L’URGENCE EST LÀ »
vestissement Elliott. de l’AS Saint-Etienne Certains championnats vont comprendre que Sous le choc du drame humain en Italie, de
L’arrêt des rencontres signera­t­il la fin de l’argent n’est pas une chose qui tombe du ciel grands noms du Calcio, comme l’entraîneur
cette croissance folle ? Les signaux sont au tous les mois. » Toutefois, depuis qu’il a af­ Carlo Ancelotti ou l’ancien dirigeant histori­
rouge. Les diffuseurs européens devraient firmé sa suprématie sur le sport mondial, le que du Milan AC Adriano Galliani, imagi­
négocier de manière plus serrée, après la football a poursuivi sa cavalcade, quels que nent déjà la décroissance. Bernard Caïazzo,
baisse de leurs revenus, qu’elle soit immé­ soient les chocs économiques. La crise de propriétaire de l’AS Saint­Etienne et prési­

Surcotée, la Ligue 1 vit à crédit

Endettement, dépendance aux droits TV et au « trading de joueurs » : la crise sanitaire met en exergue les faiblesses du football français

A vant la crise du coronavi­

rus, les présidents des
clubs de Ligue 1 rêvaient
d’un été 2020 plus cigale que
fourmi. Les plus audacieux, anti­
cipant cette manne, avaient
même sorti le chéquier lors du
dernier marché des transferts. En­
fin la France allait rattraper une
partie de son retard sur ses voi­
sins espagnols, allemands et an­
glais grâce à ses droits TV record
d’un montant de 1,15 milliard
d’euros par saison pour la période
2020­2024. Une hausse de 54 %
par rapport au précédent appel
d’offres, qui doit beaucoup à l’arri­
vée d’un nouvel acteur, le groupe
espagnol Mediapro, pour une
somme proche de 800 millions
d’euros annuels.
Mais le football professionnel
français va devoir attendre avant
d’enfiler ses habits de nouveau ri­
che. Sont­ils à sa taille, d’ailleurs ?
Si personne ne peut reprocher à
ses dirigeants d’avoir ignoré dans
leurs prévisions cette pandémie,
cette crise révèle les faiblesses
structurelles du modèle français.
Et ses divisions aussi.
Quand le président de l’Olympi­
que lyonnais, Jean­Michel Aulas,
évoque, dès le 13 mars dans
Le Monde, l’hypothèse d’« une sai­
son blanche » et demande à réflé­
chir à cette possibilité, ses confrè­
res lui tombent dessus. Depuis, ils
répètent en boucle (à l’exception
de Denis Le Saint, président du
Stade brestois) qu’il faut sauver la
saison de Ligue 1. Ils en feraient
presque une cause nationale.
Pour la beauté du sport ? Avant
de permettre à Paris de décrocher
un nouveau titre ou à Toulouse
d’établir peut­être un record de
défaites, il s’agit surtout de récu­
pérer les droits TV (près de
150 millions d’euros) que Canal+
et BeIN Sports refusent de payer
pour la dernière tranche de la sai­
son. Les présidents ont même en­
voyé au front Nasser Al­Khelaïfi
avec sa double casquette de pa­
tron du PSG et de BeIN Media
Group. Faisant fi des risques de
conflit d’intérêts.
A défaut de laisser un club sur le
carreau – un chiffon rouge agité
pour dramatiser la situation –,
cette crise fragilise un football
hexagonal qui s’imagine plus
beau et plus gros qu’il ne l’est vrai­
ment. Vue de France, la Ligue 1 ap­
partient aux cinq grands cham­
pionnats avec la Premier League,
la Liga, la Bundesliga et la Serie A.
Mais ses résultats sportifs et son
attractivité racontent une autre
réalité, celle d’un championnat
intermédiaire coincé entre ces
« Big Four » et des ligues périphé­
riques comme celles des Pays­
Bas, de la Belgique ou du Portugal.
Après tout, la France compte
moins de victoires en Coupe d’Eu­
rope que l’Ecosse et autant que la
Suède (deux en soixante­
cinq ans). Le montant de ses
droits TV doit davantage à son im­
portant bassin de population ou
aux stars du PSG qu’à la qualité du
spectacle proposé.
« Acrobates du financement »
La crise risque aussi de freiner,
pour cet été du moins, l’inflation
des prix sur le marché des trans­
ferts. Pour certains clubs, c’est un
modèle économique qui vacille,
celui du « trading de joueurs » –
former ou acheter pas cher pour
revendre à plus riche que soi. Avec
son cadre fiscal privilégié, l’AS Mo­
naco a développé depuis 2014 ce
modèle et inspiré ses camarades.
« Il y a des clubs en milieu de ta­
bleau qui n’ont qu’une idée en tête :
gagner de l’argent par le mercato.
Ce n’est pas cela, le sport ! », regrette
le président de l’AS Saint­Etienne,
Bernard Caïazzo. Les supporteurs
des Girondins de Bordeaux
auront reconnu leur propriétaire
actuel, le fonds d’investissement
américain King Street.
Le loup de Wall Street est entré
dans la bergerie. En 2017, le finan­
cier Gérard Lopez a racheté le Lille
Olympique Sporting Club (LOSC)
grâce à un prêt de 140 millions
d’euros souscrit auprès d’Elliott,
un fonds qualifié de « vautour »
par certains experts. Adepte d’un
« trading » effréné mais efficace
(Lille était le dauphin du PSG la
saison dernière), le Luxembour­
geois a été mandaté par ses con­
frères pour solliciter l’aide de
fonds d’investissement afin de se
faire prêter « entre 300 et 500 mil­
lions d’euros remboursables à 8 %
[par an] à échéance de trois à cinq
ans », détaille­t­il.
A la dette, les clubs risquent
donc d’ajouter de la dette et d’ac­
célérer la prise de contrôle de la Li­
gue 1 (et même de la Ligue 2,
comme c’est déjà le cas pour Lens
et Auxerre) par ces fonds améri­
cains ou chinois. Reste à savoir si
« ces acrobates du financement »,
comme les a qualifiés le président
de la Fédération française de foot­
ball, Noël Le Graët, ont prévu un
filet en cas de chute. 
alexandre pedro
0123
JEUDI 16 AVRIL 2020
dent de Première Ligue, le syndicat des
grands clubs français, les rejoint : « Il faudra
que les instances établissent des règles plus
fortes. On va avoir quinze mois difficiles mais
on repartira plus forts, plus équilibrés. »
La FIFA et l’UEFA, à qui les clubs les plus
puissants tordaient récemment la main en
menaçant de rompre avec un système selon
eux trop partageur, joueront­elles un rôle
décisif au sortir de la crise ? David Dellea, di­
recteur de la branche sport du cabinet
d’audit et de conseil PwC, le pense et montre
surtout du doigt un marché des transferts
« déraisonnable » : « Jusqu’à présent, il y a tou­
jours eu une résistance politique à la régula­
tion car il n’y avait pas de notion d’urgence.
Cette fois, l’urgence est là. Il y a un momen­
tum pour appliquer de nouvelles règles qui
rendront l’industrie plus soutenable, même
s’il sera très difficile de le faire sur l’ensemble
de l’écosystème. »
World Rugby, arbitre du jeu à XV, envisage
déjà d’imposer une plus grande régulation fi­
nancière. La Formule 1 devrait abaisser le
seuil maximal de dépenses autorisées pour
une écurie. Le football imposera­t­il un pla­
fond salarial, sur le modèle américain ? Réfor­
mera­t­il profondément le marché des trans­
ferts, après plusieurs tentatives timides ? Phi­
lippe Piat, président de la FIFPro, le syndicat
international des joueurs, a trop d’expérience
des arcanes du football pour y croire : « Quand
le problème du virus sera réglé, on reviendra
aux affaires courantes, c’est la nature humaine
qui est comme ça. » Pour ce qui est de la nature
humaine, on ne sait ; pour celle du football,
l’histoire récente lui donne raison. 
clément guillou (avec rémi dupré,
anthony hernandez et adrien pécout)
La mise en garde des ultras
Dans une rarissime démonstration d’unité, 45 groupes ul-
tras de supporteurs de clubs de Ligue 1, Ligue 2 et National
ont affirmé, lundi 13 avril, leur opposition à une reprise des
championnats tant que la situation sanitaire ne serait pas
rétablie. « Il n’est pas envisageable que le football reprenne
prématurément. Il n’est pas envisageable qu’il reprenne à
huis clos. Il reprendra en temps voulu, plaident les suppor-
teurs français. Le football “coûte que coûte” est un football
de honte, qui n’aura aucun lendemain. » Adversaires tradi-
tionnels de la course à l’argent dans leur sport, les ultras en
profitent pour dénoncer la « brutale cupidité » et « l’insup-
portable indécence » d’un football « devenu un programme
télévisuel qui a cru pouvoir se passer de stades pleins, mais
qui ne peut surtout pas se passer de l’argent des diffuseurs ».
Christian Gourcuff : « Il faudra bien que le foot
revienne à une économie réelle »
L’entraîneur du FC Nantes pointe les limites d’un football vivant à crédit et malade de la spéculation
A 65 ans, dont trente­huit an­
nées passées sur les bancs
de touche, Christian Gour­
cuff, entraîneur du FC Nantes, pose
un regard critique – et donc rare – sur
les dérives du marché du football,
qu’il lie à celles du capitalisme actuel.
Dans un entretien à « Ouest­
France », vous dites que ça ne se­
rait pas un drame « si le football
diminuait son train de vie de
50 % ». C’est une parole assez rare
dans votre milieu…
Si on réduit les salaires de moitié
dans le foot, personne ne sera sur la
paille. Un joueur moyen de Ligue 1
peut gagner 80 000 euros par mois
[94 000 euros brut, selon une récente
estimation de L’Equipe]. On a de quoi
voir venir. Le 7 avril, un accord entre
les clubs et les représentants des
joueurs a été trouvé pour acter d’un
report de salaire selon les différentes
tranches de revenus. C’est bien, mais
c’était la moindre des choses.
Vous dites que cette crise montre
à quel point le football est lié
aux dérives de la mondialisation.
Est­ce encore plus sensible
aujourd’hui ?
Oui, je pense que nous vivons dans
un modèle économique qui ne peut
pas continuer de la sorte. Le football
suit la dérive de l’économie et fonc­
tionne sur la spéculation. On vit
d’emprunts et, quand on spécule, on
ne gagne pas toujours. Il faudra bien
que le foot revienne à une économie
réelle. S’il dépensait l’argent qu’il
avait, je dirais pourquoi pas. Mais ce
Gérard Lopez : « On ne finance plus un club
avec une baraque à frites et du mécénat »
Le propriétaire et président du LOSC ne croit pas à une remise en cause du modèle actuel
H omme d’affaires hispano­
luxembourgeois, Gérard
Lopez, 48 ans, est proprié­
taire et président du club de Lille, de­
puis janvier 2017.
Parler de la situation financière
du football professionnel en cette
période n’est pas très populaire.
Le comprenez­vous ?
J’ai du mal avec les gens qui criti­
quent quand on parle de football dans
des moments comme ça. Le LOSC fait
vivre directement 300 familles et in­
directement environ 3 000, en in­
cluant les prestataires de la région en
sécurité, restauration ou encore net­
toyage. Dès que l’on dit qu’il faut ter­
miner le championnat, on répond :
« Il y a plus important que le foot. »
Oui, mais un club ce sont aussi des
employés qui dépendent de nous.
Pourquoi l’UEFA et la plupart des
clubs veulent­ils absolument que
les championnats se terminent ?
On ne finance plus un club de foot
avec une baraque à frites et du mécé­
nat. Les clubs sont des grosses entre­
prises, avec de gros chiffres d’affai­
res, dont une partie importante des
revenus provient des droits TV. Si on
ne joue pas, il n’y a pas de droits TV.
La FIFA, l’UEFA, les fédérations, les li­
gues et les dirigeants de club ont la
responsabilité de faire en sorte que
le système continue de fonctionner.
Quelle est la date butoir
de reprise qui permettrait
à la saison de s’achever ?
La position de l’UEFA aujourd’hui,
c’est qu’un championnat non conclu
n’est pas valable. Une date butoir au
3 août a été fixée pour terminer les
compétitions françaises. Entre la Li­
n’est pas le cas. On va dans le mur,
mais on refusait de voir ce mur. Cette
crise vient nous le rappeler. Quand
on observe les transferts, beaucoup
de clubs ne payent pas et repoussent
le paiement sur des reventes futures,
sur des droits télé à venir. Certains
présidents veulent souscrire à un em­
prunt pour passer cette crise. On
parle donc d’emprunter de nouveau
pour des clubs déjà endettés. Et tout
ça fait le jeu de sociétés financières et
des fonds de pension qui prêtent de
l’argent à des taux incroyables.
Ciblez­vous les fonds de pension
ou d’investissement
qui détiennent des clubs ?
Quand vous demandez plus d’ar­
gent et que vous appelez à la res­
cousse des fonds d’investissement
américains comme à Bordeaux, le
foot se détruit lui­même en faisant
rentrer des personnes qui accélèrent
cette logique spéculative. Quand je
vois que Gérard Lopez [propriétaire et
président du club du LOSC via une hol­
ding britannique contrôlée par des so­
ciétés offshore] est appelé par les
autres présidents pour solliciter des
emprunts, c’est très significatif.
De plus en plus de clubs français
basent leur modèle sur le trading
des joueurs. Pensez­vous
qu’il puisse être remis en cause
par la situation actuelle ?
C’est le marché anglais aussi qui
permet ce trading. Si l’Angleterre n’a
plus les mêmes moyens après cette
crise, toute l’économie du foot fran­
çais sera modifiée. Si vous voulez
gue 1, les play­off, les deux coupes, ça
représente 17 dates. On a donc besoin
de six semaines, ce qui nous amène à
une reprise mi­juin, en sachant
qu’environ trois semaines de prépa­
ration physique sont nécessaires.
Que se passera­t­il s’il est impos­
sible de tenir cette date butoir ?
L’impact financier qui en découle­
rait constitue en quelque sorte une
fusée à trois étages. Le premier étage :
on ne joue pas et on a une perte de
300 millions, puisqu’on ne termine
pas le championnat. Dans ces condi­
tions, quelle garantie a­t­on d’être
prêts à jouer pour la nouvelle saison ?
Le deuxième étage de la fusée serait
un retard sur 2020­2021, et donc sur
les paiements à venir. Et enfin, le troi­
sième étage, important surtout pour
la Ligue 1, qui réalise beaucoup de
ventes, serait un mercato décalé. Au
total, entre les retards de paiement
des droits télévisuels et le retard des
rentrées du mercato, on se situe dans
une fenêtre de 300 millions à
600 millions de pertes.
Les clubs sont­ils capables
d’encaisser une telle perte ?
Il est clair que beaucoup vont souf­
frir. Au LOSC, on a beaucoup vendu
de joueurs cette saison et on a dis­
puté la Ligue des champions. Nous
sommes dans une situation plutôt
bonne. On s’attend à des moments
très difficiles dans les semaines à ve­
nir et c’est pour cela que l’on m’a de­
mandé de donner un coup de main
de par mon expérience et mes ré­
seaux [Gérard Lopez s’occupe d’un
groupe de travail réunissant plusieurs
dirigeants de club sur l’aspect finan­
cier de la crise]. Une institution
comme la Ligue professionnelle de
coronavirus | 19
faire de l’argent, vous vendez en An­
gleterre. Les droits télé en Premier
League sont monumentaux et ont
modifié la donne depuis une dizaine
d’années. Le discours des présidents
français est de dire qu’il faut aussi
plus de droits télé. Mais pour en faire
quoi ? Former ou acheter un joueur
pour le revendre avec une grosse
plus­value en Angleterre ? On a vu des
wagons de joueurs moyens vendus
là­bas pour des sommes faussées.
Mettez­vous cette logique
en œuvre comme entraîneur ?
A Rennes, nous avions récupéré
gratuitement Adama Diakhaby à
Caen, où il avait refusé de signer son
premier contrat pro. Au bout de trois
mois, je commence à l’aligner dans
mon équipe. Il marque quelques buts
et Monaco le rachète 12 millions
d’euros en fin de saison. C’était un
joueur intéressant mais pas un phé­
nomène. Là­bas, il joue assez peu,
mais ce qui n’empêche pas Monaco
de le vendre en Angleterre [à Hudder­
sfield Town] pour presque 16 mil­
lions. Quand je vois ça, je me dis
qu’on est dans un système complète­
ment fou. Monaco réalise une plus­
value sur un garçon plus ou moins en
situation d’échec.
Comprenez­vous cette surenchère ?
Malheureusement, oui. Si vous
voulez bien travailler, il faut du
temps et vous n’êtes pas sûrs de réus­
sir. En empruntant, en faisant du tra­
ding, vous avez besoin de beaucoup
moins de temps. Mais on voit qu’on
peut réussir avec un autre modèle,
« LE MONDE 
DU FOOTBALL 
S’ADAPTE DE MANIÈRE  dit aussi acheter moins cher. Si la si­
DARWINIENNE  dure au­delà de cette saison, il y aura
À LA LOI DU PLUS FORT,  laires. Le monde du football s’adapte
CELLE DE CELUI  de manière darwinienne à la loi du
QUI PAIE LE PLUS »
football (LFP) se doit d’avoir une pro­
cédure d’urgence qui lui permette, si
besoin, d’avoir la capacité de faire ap­
pel à une ligne de crédit de plusieurs
centaines de millions d’euros.
Cette crise ne met­elle pas en
exergue le manque de diversifica­
tion du football professionnel
français, qui repose principale­
ment sur les droits TV (36 %) et les
ventes de joueurs (25 %) ?
Vous avez raison sur l’importance
de ces postes de revenus, mais je ne
considère pas cela comme négatif.
L’une des grandes vertus du football
français est cette capacité perma­
nente à faire éclore des talents. Cette
force ne doit pas être abandonnée,
mais au contraire renforcée. Pour les
droits télévisuels, autant l’augmenta­
tion des droits nationaux a été remar­
quable, autant le montant des droits
internationaux est ridicule. Un gros
effort est nécessaire pour promou­
voir notre championnat à l’étranger.
Le LOSC a construit une partie de
sa réussite sur le trading des
joueurs. N’êtes­vous pas inquiet
pour le mercato ?
l’Ajax Amsterdam l’a prouvé la saison
dernière en Ligue des champions
grâce à la qualité de sa formation.
Malheureusement, le succès vous
condamne assez vite. Vos meilleurs
joueurs sont sollicités et vous ne
pouvez pas les retenir, comme cela a
été le cas pour l’Ajax l’été dernier.
Des changements positifs
peuvent­ils surgir après
cette période critique ?
Pour l’instant, l’urgence est de gé­
rer la crise sanitaire, et le foot peut
se permettre de ne pas être dans
l’urgence, à la différence d’autres ac­
tivités plus importantes pour la vie
du pays. On peut décaler le cham­
pionnat de trois ou quatre mois, on
terminerait la saison plus tard et on
pourrait décaler les calendriers sur
l’année civile et jouer en été. Le foot
est un sport d’été, c’est plus agréa­
ble de jouer en juillet qu’en décem­
bre ou janvier.
Depuis bientôt un mois, il n’y a
plus de football à la télé en dehors
des rediffusions. Pensez­vous que
ce manque puisse être une bonne
chose finalement ?
Je trouve qu’il y a trop de foot à la
télé depuis un moment. Quand vous
aimez la bonne cuisine, vous ne pre­
nez pas de plaisir si vous vous goin­
frez. Quand cette crise sanitaire sera
dernière nous, on appréciera peut­
être mieux ces plaisirs simples de la
vie comme un bon match. Le man­
que est une bonne chose parfois. 
propos recueillis par
alexandre pedro
Oui, notre modèle repose sur la
vente, mais il l’est aussi sur l’investis­
sement. Qui dit vendre, dit aussi
acheter, et qui dit vendre moins cher,
tuation économique difficile per­
également un ajustement sur les sa­
plus fort, celle de celui qui paie le
plus. Si celui qui est en haut de la py­
ramide paie moins, celui du milieu
paiera moins et pareil pour celui
tout en bas. Dans le cas du LOSC, ce
n’est pas une intersaison où l’on
avait prévu de vendre dix joueurs,
plutôt trois ou quatre. Et si ce n’est
pas possible, on s’en remettra.
Un changement de paradigme
est­il possible ?
Il est très compliqué pour le foot­
ball de réécrire son histoire : le fait
que des grands clubs, comme le Real
Madrid ou le Bayern Munich, domi­
nent le football continental depuis
soixante ou soixante­dix ans. Imagi­
nez­vous dire à un grand club euro­
péen qu’il doit accepter un système
de régulation qui permette de par­
fois laisser gagner les autres ? C’est
absolument impensable.
Le football n’est­il pas quand
même malade de ses excès ?
Le problème du football est surtout
qu’il est hypermédiatisé. Oui, je préfé­
rerais donner un spectacle tout aussi
bon avec moins d’argent, mais je
pense que la croissance des montants
dans l’industrie du football n’est pas
totalement dissociée de celle qui
existe dans d’autres secteurs. 
propos recueillis par
anthony hernandez
20 | carnet
Le Carnet
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AU CARNET DU «MONDE»
Naissance
Mathilde COHEN SOLAL
et Jérôme SELLES
ont la grande joie d’annoncer
la naissance de
Sandro,
le 9 avril 2020.
Il fait déjà le bonheur de ses
grands-parents,
Odile et Jean-Martin COHEN SOLAL,
Christine et Jean-Marie SELLES
et de ses arrière-grands-parents...
qui attendent patiemment la fin du
confinement pour le serrer dans
leurs bras !
sandro.09042020@gmail.com
Décès
Lyon. Grenoble.
Jean-Claude Anaf,
son fils
Et sa famille,
ont la tristesse de faire part du décès
de
Lyliane Reine ANAF,
née GABAY,
survenu le samedi 11 avril 2020,
à Grenoble.
En raison des circonstances
actuelles et conformément aux
vœux de la défunte et de son fils, les
obsèques ont eu lieu dans la plus
stricte intimité au cimetière des
Sablons, secteur israélite, à Grenoble.
Cet avis tient lieu de faire-part.
8, quai de Serbie,
69006 Lyon.
Nous sommes priés d’annoncer
la mort survenue le 13 avril 2020,
à Paris de
Jacques-Emile BLAMONT,
né à Paris le 13 octobre 1926,
ancien élève
de l’Ecole normale supérieure.
De la part de
Claudie,
sa femme,
Frédéric et Catherine, Denis,
Emmanuel et Katarina, Moïna et Marc,
Juliette,
ses enfants,
Ses douze petits-enfants
Et ses sept arrière-petits-enfants,
Stéphane Farhi,
son beau-fils,
Evelyne Blamont,
sa belle-sœur,
François Blamont,
son frère.
L’enterrement aura lieu au
cimetière du Père-Lachaise, Paris 20e,
dans l’intimité familiale.
Cet avis tient lieu de faire-part.
fblamont0338@orange.fr
Jean-Yves Le Gall,
président du Centre national
d’études spatiales (CNES),
Le conseil d’administration
Et l’ensemble des collaborateurs
du CNES,
font part du décès du
professeur
Jacques-Emile BLAMONT.
Jacques-Emile Blamont avait
proposé en 1961 la création du CNES.
Il en a été le premier directeur
scientifique et technique et a été
conseiller de tous ses présidents.
Avec sa disparition, le CNES est
tout entier touché dans son histoire.
Le président,
Le vice-président,
Les secrétaires perpétuels
Et les membres
de l’Académie des sciences,
ont la tristesse de faire part de la
disparition de leur confrère
Jacques BLAMONT,
professeur émérite
à l’université Pierre-et-Marie-Curie,
conseiller du président du CNES,
grand officier
de la Légion d’honneur,
grand-croix
de l’ordre national du Mérite,
commandeur
de l’ordre des Palmes académiques,
décédé le 13 avril 2020,
à l’âge de quatre-vingt-treize ans.
Ils adressent à sa famille leurs plus
sincères condoléances.
Mme Jacques Calvet,
son épouse,
Jérôme et Savine Calvet,
Antoine et Aude Calvet,
Alara-Hélène Calvet,
ses enfants,
Pierre-Louis et Charles-Adrien
Calvet,
Guillaume, Apolline et Nicolas
Calvet,
Donatella, Fiorella et Andreï
Basdereff,
ses petits-enfants,
font part du rappel à Dieu de
Jacques CALVET,
commandeur
de la Légion d’honneur,
ancien président de la BNP,
ancien président
du directoire du groupe PSA,
le 9 avril 2020,
à l’âge de quatre-vingt-huit ans.
La cérémonie religieuse et
l’inhumation auront lieu dans
l’intimité familiale.
Michel Pébereau,
président d’honneur de BNP Paribas,
Jean Lemierre,
président
Et les membres
du conseil d’administration,
Jean-Laurent Bonnafé,
administrateur directeur général
Et les membres du comité exécutif,
Les équipes du Groupe,
s’associent à la tristesse de la famille
de
Jacques CALVET,
président d’honneur
de la BNP,
président directeur général
de la BNP
de 1979 à 1982,
décédé le jeudi 9 avril 2020.
(Le Monde du 11-12-13 avril.)
Pont-sur-Yonne.
Son épouse,
Ses enfants,
Ses petits-enfants
Et toute la famille,
ont la tristesse de faire part du décès
de
M. Alain DORBAIS,
survenu le 8 avril 2020,
à l’âge de soixante et onze ans,
des suites d’une longue maladie.
Les obsèques ont eu lieu ce mardi
14 avril, au cimetière de Pont-sur-
Yonne, dans l’intimité familiale.
PF Deassasseigne,
Pont-sur-Yonne.
Isabelle Dubar,
sa fille,
Dean,
son petit-fils,
Sa famille
Et ses nombreux amis,
ont l’immense chagrin de faire part
du décès de
Jacqueline DUBAR,
à son domicile, entourée des siens,
à l’âge de quatre-vingt-cinq ans.
Ses cendres seront dispersées à
l’Île de Ré selon sa volonté.
Une cérémonie sera organisée
à Paris dès que possible.
Nous remercions tout
particulièrement le personnel de
l’hôpital Ambroise-Paré à Boulogne-
Billancourt ainsi que le personnel de
l’hospitalisation à domicile.
44, boulevard du Montparnasse,
75015 Paris.
Isabelledubar@hotmail.com
Lorient. Carnac. Paris. Lyon.
Jacqueline Le flohic-Gilles,
son épouse,
Maud-Emmanuelle et Teddy,
Louis-Gabriel
Et toute sa famille,
ont la profonde tristesse de faire part
du décès de
M. Daniel GILLES,
ancien vice-président
de la région Bretagne
en charge des Sports,
ancien maire adjoint
Jeunesse et Sport
de la ville de Lorient,
ancien directeur
de la SEGEPEX,
président fondateur
de la Fête de l’Humanité Bretagne,
président fondateur
de l’Association Vent d’Ouest,
survenu à l’âge de soixante-huit ans,
au terme d’une longue maladie.
Il a œuvré toute sa vie pour la
défense des valeurs humanistes et de
progrès.
Ses funérailles seront célébrées
dans l’intimité familiale, le jeudi
16 avril, au Centre funéraire de
Kerlétu, à Lorient.
Un hommage lui sera rendu
lorsque les circonstances le
permettront.
condoleances.danielgilles@gmail.
com
Giselle et Cécile Helmer,
ses filles,
Arnaud et Lionel Debauge,
Adrien et Valentin Hoarau,
ses petits-fils,
Claire Bourgart,
sa sœur
ainsi que ses enfants
et leurs familles,
ont le chagrin de faire part du décès
de
Gilbert HELMER,
professeur agrégé honoraire,
officier
dans l’ordre des Palmes académiques,
médaille d’honneur
de la Jeunesse et des Sports
médaille d’honneur
de la ville de Versailles,
survenu le 9 avril 2020,
à l’âge de quatre-vingt-douze ans.
Comme sa femme
Denise HELMER,
née LASAL,
décédée le 11 janvier 2020, et selon
leur volonté, il sera incinéré dans la
plus stricte intimité familiale.
Il a souhaité, avant son départ,
adresser une pensée affectueuse à
tous ceux qui, au cours de sa vie, lui
ont témoigné affection et estime.
Sa famille remercie l’ensemble du
personnel de la résidence le Jardin de
Levallois pour leur dévouement et
leur courage.
Cet avis tient lieu de faire-part.
clervoi1@free.fr
6, rue Lacharrière,
75011 Paris.
Mme Thessa Herold,
son épouse,
Ses enfants
Et ses petits-enfants,
ont la douleur d’annoncer le décès
de
Jacques HEROLD,
survenu le 13 avril 2020,
à l’âge de quatre-vingt-sept ans.
Ses obsèques seront célébrées
dans l’intimité familiale.
Cet avis tient lieu de faire-part.
65, avenue Georges-Mandel,
75116 Paris.
Pierre Jean,
son époux,
Bruno et Annick, Michel, Béatrice
et Olivier,
ses enfants,
Justin, Elisabeth et Adrien,
ses petits-enfants,
Cécile et Jacques Lermigeaux,
Christian et Eliane Commençais,
Jean-Noël et Suzon Commençais,
Anne-Marie Jean,
ses sœur, frères, beaux-frères et
belles-sœurs,
Ses neveux et ses nièces,
ont la grande tristesse de faire part
du rappel à Dieu de
Jacqueline JEAN,
née COMMENÇAIS,
diplômée d’études supérieures
de philosophie,
docteur d’Etat en droit privé,
maître de conférence honoraire
à l’université d’Aix-Marseille,
le 12 avril 2020 en cette nuit pascale.
Elle sera inhumée dans l’intimité.
Un office religieux sera célébré
ultérieurement.
« Christ est vraiment ressuscité. »
Pierre Jean,
25, avenue Jules-Ferry,
13100 Aix-en-Provence.
Sylvie et Mario Pagani-Joly,
Anne et Guy Hannebique-Joly,
ses enfants,
Ses petits-enfants
Et ses arrière-petits-enfants,
Toute la famille,
Ses amis,
ont la tristesse de faire part du décès
de
M. André JOLY,
ancien inspecteur général
de l’enseignement technique,
veuf de
Mme Germaine BARBE,
survenu à Lille, le 13 avril 2020,
à l’âge de quatre-vingt-dix ans.
En raison des circonstances, ses
funérailles auront lieu dans
l’intimité familiale.
Cet avis tient lieu de faire-part.
PF Thierry Duriez (Lille).
Tél. : 03 20 47 89 94.
Rosine Maury,
son épouse,
Nicole Berthoud,
sa sœur,
Jacqueline Maury et Gilbert Vincent,
Dominique Maury Chauvineau,
Brigitte Maury,
Isabelle Maury et Hervé Barbaste,
Christiane et Christian de Gennes,
Agnès Maury,
ses filles et leurs conjoints,
Mathieu Vincent et Raphaelle
Michaux
et leurs fils, Léo et Timothée,
François Vincent
et son fils, Hugo,
Simon Vincent,
Sylvain et Anna Chauvineau,
Claire Marquebielle et Cédric
Vlemmings
et leur fille, Liora,
Thomas Barbaste et Margaux
Rembry,
Nicolas de Gennes et Marion
Poincelet
et leur fils Pierre
Paul de Gennes et Véronique
Brusset
et leurs fils, Joaquim et Macéo,
ses petits enfants et ses arrière-
petits-enfants,
Christine, Claire, Jean, Antoine
Maury
et leurs familles
Marion, Thierry, Claudine Berthoud
et leurs familles,
ses neveux,
Ses très nombreux amis,
ont la grande tristesse de faire part
du décès
Jacques MAURY,
pasteur
de l’Église protestante unie
de France,
survenu à Clichy, le 12 avril 2020,
à l’âge de quatre-vingt-dix-neuf ans.
A l’issue de la période de
confinement, un culte d’action de
grâce aura lieu au temple des
Batignolles. La date sera
communiquée dès que possible.
Nous remercions très profondément
les fidèles soutiens de Jacques et
Rosine, Marie Jo Dahon et Akshai
Ramiah.
Nous remercions l’ensemble du
personnel de l’hôpital Beaujon pour
leur dévouement.
« Mes temps dans ta main.»
Psaume 31/16.
Famille Maury,
8, rue Achille-Adam,
92110 Clichy.
famillejmaury.2020@gmail.com
0123
JEUDI 16 AVRIL 2020
Alain Mérot, Les présidents
Jean-Jacques Mérot et Catherine Et les membres des conseils
Rodolphe-Mérot, d’administration des sociétés
membres, d’AG2R LA MONDIALE,
Pierre Mérot,
La direction générale
ses enfants,
Et les collaborateurs du Groupe,
Guillemette Mérot et Victor
Gysembergh, ont appris avec une immense tristesse
Antoine Mérot et Marion Fatemi, le décès de
ses petits-enfants,
M. Bernard STALTER,
ont la tristesse de faire part du décès
administrateur de La Mondiale
de
et de SGAM AG2R LA MONDIALE,
président
Jacques MÉROT,
du Pôle des Institutions
inspecteur général honoraire de la coiffure,
des Établissements administratifs membre
et scolaires de la Marine marchande, de la Commission régionale
chevalier de la Légion d’honneur, prévoyance de Lorraine Alsace,
chevalier
de l’ordre du Mérite maritime,
survenu le 13 avril 2020.
survenu à Paris le 5 avril 2020, dans Ils s’associent au chagrin de son
sa quatre-vingt-quatorzième année. épouse, Mme Agnès Stalter, de leur
fils, Benjamin, et celui de leur famille
et de leurs proches.
L’inhumation a eu lieu dans
l’intimité familiale, au cimetière
parisien de Saint-Ouen, le 14 avril. Anniversaire de décès
Il y a trente ans, disparaissait
alain.merot@sorbonne-universite.fr
notre grand-mère bien-aimée,
jeanjacquesmerot@sfr.fr
pierre.merot@sfr.fr
Lucie SAUCÈDE,
née URRUTY
Sa famille (30 juillet 1890 - 16 avril 1990).
Et les Missionnaires d’Afrique
Femme de caractère libre et
(Pères blancs),
indépendante, toujours présente
parmi nous.
font part du retour au Seigneur du
Catherine et Michel Artigala
père Michel LELONG, Monnereau.
chevalier de la Légion d’honneur,
officier de l’ordre national du Mérite. Formation
Originaire du diocèse d’Angers, il est
décédé le 10 avril 2020 à l’hôpital de
Lariboisière, Paris 10e, à l’âge de quatre-
vingt-quinze ans dont soixante-douze
ans de vie missionnaire en Tunisie,
en Algérie et en France.
L’inhumation aura lieu à
Chassignolles - La Châtre (Indre), L’Inalco
dans la plus stricte intimité. lance un DU d’ethnomédecine
en septembre 2020
Une cérémonie aura lieu quand D’une durée de deux ans,
les temps seront apaisés. ce nouveau DU comprend 12 UE
de langues
Nous le recommandons à vos (initiation chinois ou hindi),
de sciences humaines et sociales
prières.
(droit de la santé, anthropologie
et géographie de la santé),
Anne Hidalgo,
d’ethnobotanique,
présidente du conseil de surveillance
d’ethnopharmacologie,
de l’Assistance Publique-Hôpitaux
de médecine chinoise
de Paris,
et ayurvédique.
Ce diplôme est ouvert
Martin Hirsch,
à tous les professionnels de santé,
directeur général de l’Assistance
médecins, pharmaciens,
Publique-Hôpitaux de Paris,
infirmiers, sages-femmes,
kinésithérapeutes, ergothérapeutes,
Le professeur Rémi Salomon,
ainsi qu’aux autres professionnels
président de la Commission Médicale
à partir du niveau L2-L3
d’Etablissement de L’Assistance
(sélection sur dossier).
Publique-Hôpitaux de Paris,
INALCO,
65, rue des Grands Moulins,
Jean-Marc Allouche,
75013 Paris.
secrétaire du Comité Technique
Renseignements :
d’Etablissement,
www.inalco.fr/formations/ecoles
L’ensemble de la communauté de
l’AP-HP,
Communication diverse
ont la tristesse de faire part du décès
de
Olivier MANSCOUR,
électricien de maintenance
à l’hôpital Antoine-Béclère,
survenu le 9 avril 2020,
Envie d’être utile ? Rejoignez-nous !
à Fontenay-aux-Roses,
Les bénévoles de SOS Amitié
José DE SA FARIA,
écoutent
vaguemestre
par téléphone et/ou par internet
à l’hôpital Bichat,
ceux qui souffrent de solitude,
de mal-être et peuvent avoir
survenu le 9 avril, à l’hôpital Bichat- des pensées suicidaires.
Claude-Bernard, Paris 18e,
Nous recherchons des écoutants
Charles RAVI, bénévoles
aide-soignant sur toute la France.
en radiologie polyvalente L’écoute peut sauver des vies
et oncologique et enrichir la vôtre !
à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, Choix des heures d’écoute,
formation assurée.
survenu le 9 avril,
à Tremblay-en-France,
En IdF RDV sur
www.sosamitieidf.asso.fr
Toutes les équipes de l’AP-HP
En région RDV sur
expriment leurs vives condoléances www.sos-amitie.com
à leur famille et à leurs proches.
Société éditrice du « Monde » SA
Président du directoire, directeur de la publication Louis Dreyfus
Directeur du « Monde », directeur délégué de la publication, membre du directoire Jérôme Fenoglio
Directeur de la rédaction Luc Bronner
Directrice déléguée à l’organisation des rédactions Françoise Tovo
Direction adjointe de la rédaction Grégoire Allix, Philippe Broussard, Emmanuelle Chevallereau, Alexis Delcambre,
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Directrice éditoriale Sylvie Kauffmann
Rédaction en chef numérique Hélène Bekmezian
Rédaction en chef quotidien Michel Guerrin, Christian Massol, Camille Seeuws, Franck Nouchi (Débats et Idées)
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Infographie Delphine Papin
Directrice des ressources humaines du groupe Emilie Conte
Secrétaire générale de la rédaction Christine Laget
Conseil de surveillance Jean-Louis Beffa, président, Sébastien Carganico, vice-président
0123
JEUDI 16 AVRIL 2020
Jacques
Blamont
Astrophysicien
L’
astrophysicien Jacques
Blamont est mort, lundi
13 avril à Châtillon
(Hauts­de­Seine). Il était
âgé de 93 ans. Chercheur infatiga­
ble, il fut l’un des ardents promo­
teurs de la présence de la France
dans l’espace et un acteur majeur
de ses programmes scientifiques.
Ce goût pour les sciences lui est
venu, disait­il, de son adoles­
cence. Le jeune homme, né le
13 octobre 1926 à Paris, rêvait au
rythme des histoires que les amis
de son père, docteur en droit et se­
crétaire de l’Assemblée nationale,
racontaient. Parmi elles, celles
parlant de physique et d’astrono­
mie. Il envisage de s’y lancer.
En 1948, il entre à l’Ecole normale
supérieure. Il prépare sa thèse
sous la conduite d’Alfred Kastler,
dont les travaux sur le pompage
optique vont jouer un rôle essen­
tiel dans le fonctionnement des
lasers et lui valoir, en 1966, le prix
Nobel de physique.
A son contact, Jacques Blamont
passe l’agrégation de physique
en 1952, puis, deux ans plus tard,
son doctorat. C’est durant cette
courte période que le CNRS le re­
crute pour un poste d’attaché de
recherche, qu’il occupera jus­
qu’en 1956. Un an plus tard, alors
qu’il vient d’être nommé chargé
de recherche, le directeur général
du CNRS, Jean Coulomb, lui de­
mande de se libérer pour aider le
géophysicien Etienne Vassy, qui
mène des expériences scientifi­
ques à partir de fusées­sondes.
Celles­ci sont appelées Véronique.
« Ver » comme Vernon, dans
l’Eure, où le Laboratoire de recher­
ches balistiques et aérodynami­
ques (LRBA) travaille à son déve­
loppement depuis 1948 et « oni­
que » comme électronique.
Si les premières versions de ce
lanceur donnent satisfaction, les
suivantes, plus puissantes, sont
une catastrophe. Entre mai 1952 et
avril 1953, neuf tirs de la Véroni­
que­N tirées depuis la base algé­
rienne de Colomb­Béchar sont des
échecs, au grand dam des scientifi­
Jacques Frémontier
Journaliste et écrivain
J’
ai tout pour vous déplaire.
Octogénaire blanc, hété­
rosexuel, juif, ancien com­
muniste (…), ancien direc­
teur du “journal le plus
bête de Paris”. J’allais oublier le dé­
tail qui tue : ancien énarque. »
Cet autoportrait ironique, signé
en 2018 par Jacques Frémontier à
l’orée de son blog, n’offre qu’un
bref raccourci des vies et des en­
gagements multiples de cet
homme passionné qui fut jour­
naliste, sociologue, producteur
d’émissions télévisées, historien
et écrivain. Emporté par le Co­
vid­19 à presque 90 ans, le 7 avril à
l’hôpital Cochin, il est l’auteur de
dix livres convoquant tous les
genres, et notamment d’un best­
seller « matriciel », La Forteresse
ouvrière : Renault (Fayard, 1971),
qui a marqué la sociologie du tra­
vail par son style d’enquête.
Né Jacques Friedmann le
8 mai 1930 dans une famille juive
ashkénaze commerçante du Ma­
rais, il grandit dans un milieu
bourgeois si athée, laïque et assi­
milé qu’enfant, il ignore qu’il est
juif. Ecolier chez les bonnes sœurs
ques et des militaires. Avec le
temps, Véronique s’assagit et lance
avec succès le 29 octobre 1954 sa
première charge utile.
Peu de scientifiques croient alors
au potentiel de ces fusées. A tort.
Jacques Blamont en fait la dé­
monstration en mars 1959. Il dé­
couvre une région inconnue de la
haute atmosphère, la turbopause,
et réalise les premières mesures de
la thermosphère. Ces résultats
sont si novateurs qu’ils vont bien­
tôt donner lieu à une nouvelle dis­
cipline, la dynamique de la haute
atmosphère, dont lui et ses colla­
borateurs vont devenir des cham­
pions. Ce début de notoriété l’éloi­
gne progressivement d’Etienne
Vassy, dont il trouve les projets
trop répétitifs. D’élève, il devient
patron. De l’appétit et des idées, il
n’en manque pas. Alors, il fonce,
comme il le fera toujours, et com­
mence à se faire un nom.
« Il se débrouille toujours »
Le CNRS ne s’y trompe pas, et lui
confie en 1962 la direction du ser­
vice d’aéronomie qu’il vient de
créer, poste qu’il occupera jus­
qu’en 1985. Jacques Blamont a
35 ans, il vient d’être nommé pro­
fesseur à la faculté des sciences de
Paris et n’a qu’une obsession : faire
voler les expériences que son
équipe a imaginées. Mais il faut
des crédits et des moyens de trans­
port pour aller en orbite.
A cette époque, l’argent est rare.
Qu’à cela ne tienne. « Blamont se
débrouille toujours », s’amuse un
de ses collaborateurs. Pour les fu­
sées, c’est plus délicat. La France
n’offre que Véronique. Certes, elle
a des ambitions et prépare avec le
Centre national d’études spatiales
(CNES), que le général de Gaulle a
créé en 1961, un lanceur plus puis­
sant, Diamant, capable de délivrer
un satellite en orbite. Mais il ne
sera pas disponible avant novem­
bre 1965.
Pas question d’attendre. Il faut
s’inviter sur les lanceurs et les vais­
seaux des deux grands, les Soviéti­
ques et les Américains.
de l’Institut Dupont­des­Loges
qui lui demandent sa religion, il
répond « parisien » et le sera, en
effet, jusqu’à la publication des
décrets antisémites de 1940 qui
lui apprendront cruellement sa
« nouvelle identité ».
Lycéen et khâgneux à Louis­le­
Grand, il entre à Sciences Po, puis
à l’ENA (1952­1954), mais démis­
sionne vite de la fonction publi­
que pour se lancer dans la presse.
D’abord à L’Express, puis à Franc­
Tireur, Paris­Journal et Paris­Jour,
dont il fut le directeur de 1965 à
1969. En 1959, excédé par l’anti­
sémitisme persistant, il prend
Frémontier comme nouveau pa­
tronyme, choix suivi par son père
et son oncle. « Je voulais désor­
mais choisir mes imbéciles, écrira­
t­il plus tard. Je ne voulais plus que
le premier crétin venu me traite de
juif sans que je sois le premier à me
déclarer comme tel. »
Après la publication d’un ro­
man, La Colonie (éd. Robert Laf­
font, 1967), il s’enthousiasme
pour la révolte étudiante de
mai 1968. C’est le début d’un
engagement politique qui le pro­
En 2004. LEEMAGE VIA AFP
Avec les premiers, il s’impose, au
culot. En 1960, lors d’un colloque à
Nice, il interpelle le général d’artil­
lerie Anatoli Blagonarov, l’un des
grands responsables du pro­
gramme spatial soviétique, et lui
demande s’il serait favorable à une
coopération scientifique avec les
Français. Quelques jours plus tard,
il découvre à la « une » du Monde
que Moscou n’est pas hostile à une
telle initiative. Il faudra du temps
pour que les choses se mettent en
place, mais elles se feront.
Avec les seconds, des contacts
plus officiels se nouent dès 1962.
Jacques Blamont se fait connaître
de la NASA et des chercheurs de
ses laboratoires, en particulier de
l’un des plus célèbres d’entre eux,
le JPL, engagé dans l’exploration
du Système solaire.
Fort de ces atouts, il s’appuie sur
son poste de directeur scientifique
pulse vers l’usine de Boulogne­
Billancourt où il enquête durant
plusieurs mois, inaugurant une
méthode d’interview basée sur
l’humilité et l’empathie dans
l’écoute qui fera florès dans les
nombreux documentaires de té­
lévision qu’il produit à l’ORTF,
de 1970 à 1975, à travers les séries
cultes Vivre aujourd’hui et La Vie
ensemble – qui lui vaudront le
Prix de la critique de télévision,
en 1974. Chroniqueur à L’Huma­
nité Dimanche, il couvre, en
avril 1974, la révolution portu­
gaise, expérience rapportée
dans Portugal : les points sur les i
(Editions sociales, 1976). Suivront
d’autres essais : La Vie en bleu
(Fayard, 1980), Pied de guerre
(Fayard, 1982), Les Cadets de la
droite (Le Seuil, 1984).
« La vie commence à 88 ans »
Longtemps « juif sans judéité »,
non sioniste, il rompt avec le Parti
communiste et découvre le ju­
daïsme à travers l’enseignement
du philosophe et rabbin Marc­
Alain Ouaknin, l’apprentissage
du yiddish, les livres de Gershom
et technique du CNES (1962­1972)
pour décrocher des coopérations
internationales et s’imposer sur le
plan national. Devenu haut con­
seiller scientifique de cet orga­
nisme (1972­1982) et membre de
l’Académie des sciences en 1979, il
continuera dans cette voie grâce
aux liens qu’il a tissés. Il est cons­
cient que, pour réussir, il faut des
propositions originales ou être à
l’origine d’une découverte. C’est le
cas avec l’étude de la forme de la
Terre par échos laser (1964), le son­
dage vertical de la haute atmos­
phère par laser (1967), l’étude de la
basse atmosphère grâce à des bal­
lons suivis par satellite (1971), la dé­
couverte du vent interstellaire
(1971) et du cocon d’hydrogène qui
enveloppe les comètes (1971).
Avec les deux grands, il élargit
son champ de recherche et
« monte à bord » de leurs sondes.
Scholem et de Walter Benjamin.
En 2002, il publie L’Etoile rouge de
David (Fayard), ouvrage impor­
tant issu de sa thèse de doctorat
à l’EHESS sur les juifs communis­
tes en France, qui interroge le ca­
ractère potentiellement révo­
lutionnaire du judaïsme antique
et le communisme comme subs­
titut messianique.
La même année, il retrouve la
fille du couple d’épiciers de Ville­
neuve­sur­Lot qui les avait cachés,
lui et ses parents, pendant la
guerre, et leur fait décerner la
médaille de « Juste parmi les na­
tions » en 2005, histoire tour­
mentée racontée dans deux
beaux récits, Le Nom et la peau
(Denoël, 2004) et La femme pros­
crite qui m’a sauvé la vie (Le bord
de l’eau, 2014). De 2005 à 2017,
il est l’éditorialiste de la revue de
presse de la Fondation Médéric
Alzheimer et intervient sur la
manière dont cette maladie
impacte le corps social et l’éthique
de fin de vie.
Grand voyageur, fou de l’Italie et
du Japon, lecteur infatigable de
littérature et passionné de théâtre
disparitions | 21
13 OCTOBRE 1926
Naissance à Paris
1962-1985 Directeur
du service d’aéronomie
du CNRS
1962-1972 Directeur
scientifique et technique
du CNES
1972-1982 Haut conseiller
scientifique du CNES
1979 Membre de l’Académie
des sciences
2009 Publie « Lève-toi
et marche : propositions
pour un futur de l’humanité »
13 AVRIL 2020 Mort
à Châtillon (Hauts-de-Seine)
En 2013. NICOLAS GUILBERT
comme d’opéra, Jacques Frémon­
tier prétendait avec dandysme
que « la vie commence à 88 ans » et
le prouvait dans son blog « Octos­
copie », tenu avec élégance et brio
jusqu’à ses derniers jours. « Etre li­
bre, c’est rester lucide, y écrit­il. Sa­
voir que l’on joue. Parfois même
choisir son rôle, choisir son camp.
Je est beaucoup d’autres. » 
cécile guilbert
De 1972 à 1985, il participe à l’étude
des planètes géantes du Système
solaire, à celle de Vénus, de la co­
mète de Halley et à celle de Mars et
de ses lunes.
Devenu en 1982 conseiller du
président du CNES, il continue de
sillonner la planète, enseigne au
Caltech (1985) et fréquente plus
que jamais les acteurs influents du
secteur spatial. En 1994, à presque
70 ans, il participe à un pro­
gramme d’études de la Lune (Cle­
mentine) imaginé par… le départe­
ment d’Etat américain de la dé­
fense. Pour lui, peu importe le pa­
tron, du moment que son système
de compression d’image peut
prendre place à bord.
Micromissions planétaires
C’est une réussite. D’autant plus
grande qu’elle a été accomplie avec
une sonde spatiale de faibles di­
mensions. Professeur émérite à
l’université Pierre­et­Marie­Curie,
il se replonge alors dans la con­
quête spatiale, convaincu que son
avenir passe par cette miniaturisa­
tion. Il imagine des micromissions
planétaires qui pourraient embar­
quer comme passagers supplé­
mentaires sur la puissante fusée
Ariane 5. Il ne manque pas une oc­
casion de s’en prendre à la Station
spatiale internationale, dont il es­
time que le programme budgéti­
vore a accouché de résultats scien­
tifiques plus que « marginaux ».
Il répète alors que l’humanité ne
doit pas attendre grand­chose
pour le moment des vols habités.
Ce sont les satellites et les sondes,
martèle­t­il, qui lui apporteront du
progrès. « Le rêve qui m’a mené
dans l’atmosphère de Vénus était
bien modeste », dira­t­il, comparé à
celui « que j’ai fait jadis avec mes
amis indiens d’éduquer des villa­
geois illettrés par des émissions de
télévision relayées par des satelli­
tes ». Cela « paraissait fou », mais,
en 1967, « ce rêve s’est bien in­
carné ». Il en sera deux fois remer­
cié par les plus grandes distinc­
tions indiennes, en 1994 et 2015.
Au crépuscule de sa vie, l’enthou­
siasme s’émousse. Dans ses deux
derniers livres qui ne traitent pas
de la conquête spatiale, Introduc­
tion au siècle des menaces (éd.
Odile Jacob, 2004) et Lève­toi et
marche : propositions pour un fu­
tur de l’humanité (éd. Odile Jacob,
2009), le pessimisme l’emporte.
Face à cette volonté manifestée
par l’humanité d’atteindre « un
modèle de société Hollywood », que
les progrès sde la science et de la
technologie ne pourront satis­
faire, il prône l’économie des res­
sources et le partage. 
jean­françois augereau
8 MAI 1930 Naissance
à Paris
1971 « La Forteresse
ouvrière : Renault » (Fayard)
2004 « Le Nom et la peau »
(Denoël)
2018 Commence à tenir
un blog, « Octoscopie »
7 AVRIL 2020 Mort à Paris
22 | horizons
A Paris, l’infortune
des « confinés
dehors »
N
ul ne veut mourir seul sur le
boulevard de la Chapelle.
Allongé sur le bitume cras­
seux, le corps comme désar­
ticulé, appuyé sur le grillage
qui surplombe les trains de
la gare du Nord, un homme d’une cinquan­
taine d’années quitte doucement ce monde à
l’arrêt. Hagard et désorienté, il ne prête
même plus attention à Barbès et à ses rues
vides où, ce vendredi 10 avril vers 17 heures,
ne grouillent plus que des petits dealeurs et
des toxicomanes aguerris à toutes les combi­
nes de la survie dans Paris. Même les rayons
de soleil de ce printemps qui démarre parais­
sent l’accabler un peu plus. Il n’a ni toit ni
d’autres habits que cette tenue d’hôpital trop
large pour son corps fluet. Il ne parle plus.
Des pompiers ont été alertés par des policiers
écumant les 10e et 18e arrondissements, qui
suspectent une infection au coronavirus.
Depuis la mise en place du confinement, il
n’est plus possible de regarder ailleurs. Les
ombres qui errent en quête de survie ont
investi le nord­est de Paris. « On ne fait quasi­
ment plus que du Covid­19 », dit l’un des poli­
ciers, inquiet de la dégradation rapide de l’état
de santé de l’homme sans nom. Un pompier
en combinaison intégrale tente de le soulager
en lui apportant de l’oxygène médical. Il faut
le transporter à l’hôpital Lariboisière, tout pro­
che. Il est bientôt 18 heures. Il ne mourra pas
sur le boulevard de la Chapelle.
A la station de métro Barbès­Rochechouart,
sur un bout d’asphalte envahi par les pigeons,
Arlan installe ses matelas noircis par la crasse
avant d’avaler une salade glanée dans les pou­
belles. Visage grêlé, œil gauche percé recou­
vert par une frange de cheveux longs et gras,
ce quadragénaire sri­lankais a échoué là il y a
plusieurs mois. « On le voit tous les jours, et il
faut l’aider, car ici c’est dangereux », dit un
jeune revendeur de cigarettes de contrebande
qui passe par là. Arlan ne se plaint ni de l’insé­
curité, ni de l’absence de points d’eau, ni de la
fermeture des toilettes publiques. « Je ne me
douche pas depuis bien longtemps et, ici, je n’ai
pas de problème », lâche­t­il, indifférent au
ballet des toxicomanes et des margoulins qui
rôdent autour du métro.
« LES GRANDS OUBLIÉS »
Quelques cars et voitures de police passent
mais ne s’arrêtent pas. La veille, des CRS
étaient déployés en nombre dans le quartier.
« Le lendemain et les jours suivants, ils
n’étaient plus là, glisse Michael, un gaillard de
43 ans. C’est parce que le préfet était dans le
quartier. » Avec quatre collègues, il escorte,
depuis le 31 mars, le personnel soignant de
l’hôpital Lariboisière sur la centaine de
mètres qui mènent au métro ou à la gare du
Nord. « Il y a eu trop d’agressions, de vols, de
tracas faits par les toxicos. Ma mission, c’est
qu’ils arrivent sans problème », explique le
garde du corps, ancien militaire reconverti
dans la sécurité privée depuis dix ans. En cas
d’embrouille, il ne compte que sur ses gros
bras, sa bombe lacrymogène, sa matraque
télescopique et sa maîtrise des techniques de
self­défense. « Je fais du pencak­silat, un art
martial indonésien », dit­il fièrement de sa
voix grave qui s’échappe de son épais masque
en tissu noir. « Il n’y a que des cafards dehors
en ce moment », poursuit son collègue.
Sur le chemin, ils peuvent croiser Ndiaye,
alias « Beurre de karité », qui musarde avec
son sac à dos de randonneur et son tapis de
sol. A 47 ans, ce Sénégalais sans papiers ni
logement depuis six mois se débat dans ces
rues interlopes, angoissé par le Covid­19 qui
pourrait lui être fatal. Il a de sérieux problè­
mes pulmonaires. « Mes médicaments et
mes ordonnances ont été volés pendant que
je dormais. Dans la rue, il y a trop de charo­
gnards ; t’es pas encore mort qu’ils viennent
pour te finir et te dépouiller », raconte­t­il.
Puis il reprend sa marche d’un pas décidé,
comme s’il savait subitement où le mènera
son interminable errance.
Dans les quartiers du nord et de l’est
de la capitale, sans­abri et
toxicomanes errants sont les
dernières âmes qui vivent dans les
rues désertes. Le secteur associatif
tente de leur venir en aide, alors
qu’ils sont surexposés à la maladie
Ceux qui n’ont plus l’énergie de se mouvoir
se retrouvent rue Saint­Vincent­de­Paul, à
une dizaine de mètres de l’entrée de l’hôpital
Lariboisière. Un toxicomane édenté s’y cache
derrière une voiture. Sur le trottoir d’en face,
une femme d’une trentaine d’années, assise
sous un porche, les pieds nus ravagés par les
mêmes trous de seringue qui parsèment ses
jambes et son cou, se prépare un shoot. « Ça
va, oui », parvient­elle à articuler. Son injec­
tion sera photographiée par un habitant
exaspéré par ces scènes qui se répètent et
bouleversent la vie du quartier. Des images
ensuite retweetées par le compte Riverains
Lariboisière gare du Nord avec ce commen­
taire : « Il faisait beau, on entendait les enfants
jouer sur les balcons. Sans vouloir stigmatiser,
sous leurs yeux, [il y avait] des shoots à la
seringue et des fumeurs de crack. »
Dans une tribune parue le 9 avril dans Libé­
ration, un collectif d’associations a décidé
d’alerter sur la situation des usagers de dro­
gues, les « grands oubliés » du Covid­19. « La
crise actuelle agit en révélateur des manque­
ments de notre société vis­à­vis de ses membres
les plus vulnérables, et met en lumière les limi­
tes d’un système basé sur la prohibition et la
répression », écrivent ces professionnels du
monde associatif. La docteure Elisabeth Avril,
directrice du centre Gaïa, la salle de consom­
mation de drogue à moindre risque jouxtant
l’hôpital Lariboisière, fait partie des signatai­
res. Beaucoup des personnes que reçoit l’as­
sociation « vivent de la manche, mais
aujourd’hui, en raison du confinement, ça ne
leur rapporte plus rien », explique­t­elle. Elles
sont sans domicile fixe pour la plupart. Début
avril, une soixantaine d’entre elles ont été re­
logées grâce à la solidarité de quelques hôte­
liers. Les plus autonomes – entre 70 et 100 par
jour depuis le début du confinement – se dé­
placent jusqu’au centre Gaïa pour accéder à
un traitement de substitution. Le chiffre de
fréquentation de la salle a décru à l’initiative
de la direction en raison de la nécessité d’ob­
server les gestes barrières et la distanciation
sociale. Les usagers n’ont ni masque ni gel,
l’équipe de Gaïa peinant déjà à en avoir pour
elle, mais rentrent désormais un par un. Ils
doivent patienter à l’extérieur, ce qui les rend
encore un peu plus visibles pour les riverains.
La moitié sont accros au Skenan, un antalgi­
que composé de sulfate de morphine utilisé
contre le cancer et moins risqué que l’hé­
roïne de mauvaise qualité. Les plus précaires
se rabattent sur de la drogue bon marché
vendue autour de la gare de Nord, dont le par­
vis paraît avoir été abandonné. Seuls quel­
ques chauffeurs de taxi, de rares bus et le ke­
bab Oasis du Nord poursuivent leurs
activités. Les devantures du McDonald’s, du
Burger King et de la célèbre brasserie Art
déco Terminus Nord, tous fermés, sont
squattés par des sans­abri couchés dans la
saleté. De chaque côté de l’entrée de la gare,
rue de Dunkerque, les dealeurs, eux, conti­
nuent leurs affaires à ciel ouvert. « On peut y
trouver facilement un petit caillou de crack
pour 12 euros, de quoi se faire un ou deux
shoot à la pipe en ce moment, mais c’est de la
“pharmacie”, avec moins de 2 % de coke
dedans. Ça bouche les artères et la descente est
hyper dure », dit Hervé, un usager de la salle
Gaïa, la quarantaine abîmée. « Nous, on est à
la rue, on a besoin de notre came, coronavirus
ou pas », ajoute­t­il. Les prix ont augmenté
avec la crise sanitaire et ses conséquences sur
l’approvisionnement des trafiquants, mais il
0123
JEUDI 16 AVRIL 2020
La photographe
des déshérités
Diane Grimonet vit et travaille à
Paris. Elle photographie depuis
trente ans les communautés les
plus précaires : mal-logés, sans-
papiers, squatteurs du périphéri-
que ou Roms. Elle intervient
aussi régulièrement dans les
milieux scolaires ou associatifs,
avec ses archives comme sup-
port, et organise des ateliers
photo pour les personnes en
difficulté. En 2020, des images
de sa série « Sans-papiers »
rejoignent le Musée national
de l’histoire de l’immigration.
Depuis le 18 mars, elle arpente
les quartiers du Nord-Est
parisien et rencontre les plus
vulnérables qui vivent dans
la rue au temps de l’épidémie
due au coronavirus.
Dans le quartier de
Belleville, à la frontière
des 10e, 11e, 19e et
20e arrondissements.
DIANE GRIMONET
est encore aisé d’acheter de la drogue dure. mité de la porte d’Aubervilliers, au niveau de
« LA CRISE  A Stalingrad aussi, où le nombre d’usagers et la gare Rosa­Parks, que le paysage est le plus
SANITAIRE REND  de dealeurs a considérablement augmenté cauchemardesque.
depuis le démantèlement de la « colline du Porte de la Chapelle, le long de la ligne de
VISIBLES CEUX  crack », porte de la Chapelle, en février. En fin tram T3b, qui rallie la porte de Vincennes via
de journée, alors que la nuit tombe, ne se les boulevards extérieurs, débute un autre
QUI ÉTAIENT  croisent plus sur la place de la Bataille­de­Sta­ voyage dans la grande précarité. Des affiches
lingrad, dans le 19e arrondissement, que les « Paris, votez Campion » rappellent le temps
JUSQUE­LÀ  joggeurs, les dealeurs et les toxicomanes. d’avant. La tour Super Chapelle, du haut de
INVISIBLES  « Stal » est redevenue la cité du crack. ses 86 mètres, domine l’horizon, mais im­
possible d’ignorer les petits groupes de
ET FAIT RESSORTIR  INITIATIVES SOLIDAIRES dealeurs qui officient en bas et sous les abris
« La crise sanitaire rend visibles ceux qui de chaque arrêt du tram. Ils ne se cachent
LES INÉGALITÉS » étaient jusque­là invisibles et fait ressortir les même plus des policiers, pourtant postés à
LOUIS BARDA inégalités. On ne voit plus qu’eux car il n’y a quelques dizaines de mètres. Il y a aussi de
coordinateur des plus qu’eux dehors, les “confinés dehors”, nombreux migrants. De jeunes adultes pour
programmes de Médecins constate Louis Barda, coordinateur des pro­ l’essentiel, venus de pays lointains en guerre,
du monde à Paris grammes de Médecins du monde à Paris. La de Somalie, du Soudan ou d’Afghanistan, ou
situation est très compliquée car l’Etat se re­ de dictatures, comme l’Erythrée. De l’autre
pose trop sur le secteur associatif, dont l’acti­ côté du périphérique, à Aubervilliers, un
vité a baissé avec le confinement. Les SDF sont campement à ciel ouvert a été « évacué » par
surexposés à la maladie. » Certaines patholo­ les forces de l’ordre le 24 mars à l’aube. « Dans
gies liées à la vie dans la rue, comme les pro­ la brutalité », selon plusieurs associations qui
blèmes respiratoires dus à la pollution respi­ avaient vainement réclamé l’installation de
rée jour et nuit, les rendent encore plus fragi­ points d’eau. Près de 700 migrants s’entas­
les face au coronavirus. M. Barda rappelle que saient sur un terrain vague, dans des condi­
les politiques publiques ont toujours visé à tions d’insalubrité et de promiscuité aug­
repousser les plus démunis vers la périphé­ mentant considérablement le risque d’infec­
rie. Malgré les quelques poches de très tion au coronavirus.
grande pauvreté dans le nord et l’est de Paris, La plupart de ces exilés ont été relogés
c’est bien sur les boulevards extérieurs, à dans des hôtels et des gymnases aménagés
hauteur du boulevard Ney, au niveau de la dans l’urgence et gérés par des associations
porte de la Chapelle ou, plus à l’est, à proxi­ dont les membres n’ont souvent pas d’équi­
0123
JEUDI 16 AVRIL 2020
Entre les stations
de métro Jaurès et
Stalingrad (Paris 19e),
le 21 mars. DIANE GRIMONET
pements de protection contre le virus.
D’autres ont repris leur errance. Après avoir
détruit leurs tentes, des policiers leur ont
conseillé d’aller à Paris. Ils se retrouvent
aujourd’hui à végéter autour de Rosa­Parks,
devenu pour l’occasion un nouveau termi­
nus de la misère. En cette fin d’après­midi,
sur la pelouse passée au peigne fin par des
toxicomanes en quête de mégots ou de
microdoses égarées, Mohammed Nur Ali
papote en arabe avec deux camarades de
galère. Ce Somalien de 43 ans a quitté Moga­
discio pour chercher la paix et la prospérité à
plus de 10 000 km au nord. Il est arrivé en
France il y a trois ans. Vêtu de guenilles, une
bière Baltus à la main, Mohammed a la bou­
che pâteuse et l’œil torve. La faute sans doute
à la mauvaise drogue qui circule ici. « Je dors
dehors sous une tente ou dans l’herbe. Nos
situations mentales sont terribles. On est déjà
morts, alors le coronavirus… », dit­il en
anglais. Puis son visage couvert de cicatrices
se ferme et son regard se durcit : « Si vous
voulez que je vous raconte ma vie, donnez­
moi de l’argent ou des “pills” [de la drogue
sous forme de cachets]. » Samir, un jeune
Afghan de 23 ans, se lève pour le calmer :
« Vous savez, le coronavirus n’a rien changé
pour nous. On doit toujours survivre. »
Depuis peu, des points d’eau ont été installés
sur place, et à 20 heures un camion des
Restos du cœur doit venir distribuer des
repas et soulager quelques douleurs.
A Belleville, le 7 avril.
DIANE GRIMONET
Car si le secteur associatif a d’abord été pris
de court par la crise sanitaire, il commence à
s’organiser et des initiatives solidaires se met­
tent peu à peu en place. Chacun tente d’aider
comme il peut. Comme cette cantine asiati­
que de la rue Saint­Vincent­de­Paul (10e arron­
dissement), qui prépare des bo bun pour le
personnel de Lariboisière, et ce camion des
Restos du cœur qui s’arrête devant la salle de
consommation de drogue pour distribuer
quelques vivres. Un peu plus au nord, dans le
18e arrondissement, des brasseries et des res­
taurants s’activent pour préparer des paniers
repas frais pour les sans­abri et les familles
dans le besoin. L’un d’eux a déployé son
auvent pour que des SDF puissent s’y abriter.
LE RÉCONFORT DE JÉSUS ET D’ÉDITH PIAF
Au bout du passage Ramey, dans un bâti­
ment semi­industriel aux murs recouverts
d’œuvres de street art, Louise et Anne char­
gent une camionnette de thermos remplis de
soupe et de café, constituent des casiers de
gâteaux, de dentifrice, de vêtements qu’elles
disposent dans le coffre. Il est bientôt 20 heu­
res, ce jeudi 9 avril, au siège parisien du
Secours populaire, et ces deux jeunes bénévo­
les de moins de 30 ans mettent leurs masques,
reçus quelques jours plus tôt, avant de com­
mencer leur tournée dans un Paris déserté.
Premier arrêt non loin de la place de Clichy.
Une grappe d’habitués se retrouvent autour
de la fourgonnette. Il y a Didier, 60 ans, dé­
sormais logé dans un studio d’Emmaüs,
« JE NE SAIS  après trente et un ans à la rue. « Quand je sors,
PAS COMMENT  j’ai mon papier d’autorisation, comme un éco­
lier. Mais il n’y a rien dehors, et surtout pas de
JE FERAIS SANS  travail », soupire­t­il. Débrouillard, il est l’un
des seuls à avoir un masque, d’où s’échappe
LES MARAUDES  un sourire lorsque Isabelle, petite dame
énergique de 80 ans, se met à chanter Edith
QUOTIDIENNES.  Piaf – Je ne regrette rien, puis La Vie en rose –,
DEPUIS  rompant le silence d’une ville confinée. Des
riverains applaudissent l’ancienne SDF. In­
LE CORONAVIRUS,  suffisant toutefois pour arracher un sourire à
Elisabeth. Cette Béninoise, précipitée dans la
IL Y A UN PEU PLUS  rue à la suite d’une série de tracas personnels,
DE SOLIDARITÉ » mendie comme elle peut, plus terrorisée à
l’idée de contracter le Covid­19 que d’être une
ERWAN fois encore agressée par des voyous armés de
sans-domicile-fixe couteaux. Son visage porte une cicatrice et
elle affirme avoir été agressée sexuellement.
Alors, elle serre fort dans sa main droite le
crucifix en plastique dont elle ne se sépare
jamais. « Hier, j’ai eu 8 euros en mendiant et
avant hier, on m’a donné 10 euros pour
m’acheter des couches, car je suis incontinente
à la suite d’un cancer du rein. Je me demande
pourquoi je suis en vie », dit­elle, confiant
devoir en plus lutter contre l’alcoolisme.
« Tout ça, c’est du lavage de cerveau du
gouvernement, on a oublié les “gilets jaunes”,
les manifs contre la réforme des retraites. De
Gaulle, il a dit “les Français sont des veaux” »,
s’énerve Mouss, ancien conducteur d’engin
chez Arcelor Mittal, à la rue depuis onze ans, à
horizons | 23
Dans le
quartier de
Ménilmontant
(Paris 20e),
le 20 mars.
DIANE GRIMONET
l’occasion d’un arrêt du Secours populaire
derrière le Musée d’Orsay. Chapeau de
cow­boy froissé sur la tête, il ironise sur la
crise et en renverse sa soupe. « La distancia­
tion sociale, c’est impossible de toute façon.
Comment faire l’amour à un mètre ? Tu n’as
pas fait l’amour depuis le 16 mars, toi ? », lan­
ce­t­il, rigolard, avant de demander « si l’on va
nationaliser ou privatiser le virus ».
En plein milieu de l’avenue de l’Opéra,
Erwan, 24 ans, profite de la prise extérieure et
du Wi­Fi d’un hôtel pourtant fermé devant
lequel il a posé son matelas. Ce Nantais, ama­
teur de techno passé par la case prison, tue le
temps en jouant à Call of Duty sur son télé­
phone, en fumant du haschich acheté à Saint­
Ouen (Seine­Saint­Denis). La journée, il attend
devant un tabac resté ouvert que des badauds
jettent quelques pièces dans son Tupperware
troué. « Je fais attention aux clochards bourrés
qui postillonnent et aux Roumains qui veulent
me couper la tête, car ils disent que je leur ai pris
leur place de manche », glisse le jeune homme,
emmitouflé dans une polaire élimée. Il ne
« fait » plus que 12 euros par jour, contre près
de 30 avant le confinement, et galère pour
trouver des bains­douches restés ouverts. « Je
ne sais pas comment je ferais sans les marau­
des quotidiennes. Depuis le coronavirus, il y a
un peu plus de solidarité. Mais dès que la crise
sera terminée, ça recommencera comme
avant. », dit­il en riant. 
simon piel et joan tilouine
24 | culture
« Il faut s’attendre à des rachats de festivals »
Pour le sociologue Emmanuel Négrier, sans action des pouvoirs publics, le secteur sera durablement touché
C
omme un château de
cartes, les festivals de
musique, de cinéma, de
théâtre ou de danse
s’annulent sous l’effet de la straté­
gie mise en œuvre pour lutter
contre le Covid­19. Aucun ne se
tiendra avant « mi­juillet », a an­
noncé Emmanuel Macron, lundi
13 avril. Le Festival d’Avignon (Vau­
cluse), celui d’art lyrique d’Aix­en­
Provence (Bouches­du­Rhône), du
film d’animation d’Annecy, Mont­
pellier Danse ou encore, dans le
domaine musical, Lollapalozza et
Solidays à Paris, le Main Square
Festival à Arras (Pas­de­Calais), le
Hellfest à Clisson (Loire­Atlanti­
que), Marsatac à Marseille, les
Francofolies de La Rochelle… Tous
les directeurs de ces manifesta­
tions et de dizaines d’autres en­
core se sont résolus, la mort dans
l’âme, à annoncer qu’ils passaient
leur tour cette année. Une héca­
tombe sidérante et jamais vue
dans le domaine de la culture.
Ce séisme frappe de plein fouet
les organisateurs, les artistes
mais aussi des territoires entiers.
Et les quelque 7,5 millions de visi­
teurs répertoriés en 2019 dans les
plus grands festivals de l’Hexa­
gone. Le Monde a interrogé l’un
des rares universitaires spécia­
listes des festivals en France,
Emmanuel Négrier, directeur de
recherche au CNRS et directeur du
Centre d’études politiques de
l’Europe latine à l’université de
Montpellier. Celui­ci estime
qu’« il existe aujourd’hui en France
non pas 3 000 festivals, comme on
le pense souvent, mais plutôt près
de 6 000, dont plus de la moitié
dans le domaine musical, aux­
quels s’ajoutent 900 festivals de ci­
néma, un millier dédiés à la littéra­
ture et une centaine spécialisés en
danse ». Pour lui, « entre le 16 mars
et fin août était programmée bien
plus de la moitié de ces festivals ».
Et ceux qui souhaitent décaler à
l’automne ces manifestations
risquent « d’être confrontés à un
énorme embouteillage ».
« Concurrence tendue »
Aucune étude exhaustive englo­
bant tous les secteurs culturels ne
permet d’analyser précisément
les retombées directes, qui con­
cernent les dépenses engagées
par les festivals (comme le coût
des spectacles), et les retombées
indirectes (les dépenses des festi­
valiers). Le Prodiss, le syndicat na­
tional du spectacle musical et de
variété, qui a commandé une pre­
mière analyse prévisionnelle sur
l’impact du Covid­19 – du 1er mars
jusqu’à la fin mai –, chiffre déjà à
477 millions d’euros le manque à
gagner lié uniquement à l’arrêt
des concerts (4 430 dates initiale­
Des centaines de manifestations musicales en voie d’annulation
Les annonces de report se multiplient pour les festivals de musiques actuelles, mais la situation demeure indécise pour ceux prévus en août
D ans les heures qui ont
suivi l’annonce, lundi
13 avril, par le président
de la République, Emmanuel
Macron, que les « grands festivals
et événements avec public nom­
breux ne pourront se tenir au
moins jusqu’à mi­juillet », les com­
muniqués d’annulation se sont
succédé. Dans le secteur des musi­
ques dites actuelles (jazz, pop,
rock, chanson, électro…), une tren­
taine de festivals, aux fréquenta­
tions quotidiennes allant de quel­
ques centaines de personnes à
plusieurs milliers, étaient prévus
en avril – décompte fait à partir
des données du site Infocon­
cert.com. Tous avaient pris la déci­
sion de ne pas avoir lieu, en amont
des décisions gouvernementales.
Une partie de ceux de mai, près de
Emmanuel Négrier,
le 18 avril 2017,
à Montpellier.
VINCENT PEREIRA / PIXPRO
ment programmées) et des pre­
miers festivals de musique de la
saison, comme le Printemps de
Bourges. Au total, selon le Prodiss,
37 900 personnes seront, à dif­
férents degrés selon leur statut
(permanents­intermittents), af­
fectées directement par ces pre­
mières annulations de concerts.
Selon Emmanuel Négrier, qui a
pris pour champ d’étude de­
puis plusieurs années les Eu­
rockéennes, à Belfort, les retom­
bées économiques directes et in­
directes du festival atteignent en
trois journées seulement quelque
12 millions d’euros. La direction
du Festival d’Avignon se targue,
quant à elle, entre le « in » et le
« off », de générer au total une
80, avaient déjà fait de même ou
viennent de le faire, comme Art
Rock, à Saint­Brieuc (Côtes­d’Ar­
mor), Les 3 Eléphants, à Laval
(Mayenne), ou Musiques métisses,
à Angoulême (Charente).
A partir de juin, le nombre des
festivals augmente, passant à plus
de 120, puis à plus de 200 en juillet,
puis revient à près de 70 en août.
Période qui voit se concentrer les
rassemblements les plus impor­
tants, avec des dizaines de géants
attirant chaque jour plusieurs
dizaines de milliers de personnes,
et de nombreux autres aux capaci­
tés d’accueil quotidiennes de plu­
sieurs milliers de personnes.
Pour ces grosses structures, sou­
vent avec une programmation
liée à des tournées nationales ou
internationales, le report à une
manne d’une centaine de mil­
lions d’euros.
« Ce coup d’arrêt risque d’avoir
une incidence durable. C’est un sec­
teur mixte (privé­public), et la plu­
part des festivals, même les plus
réputés, ont une rentabilité faible
ou nulle », détaille l’universitaire.
Dans le domaine musical, ajoute­
t­il, « la concurrence s’est d’ailleurs
tendue avec l’arrivée des grands
groupes comme Live Nation, AEG,
Vivendi, Fimalac, et la hausse con­
tinue des cachets des grands artis­
tes ». Il redoute d’ailleurs qu’au
surlendemain du confinement
certains de ces grands groupes en
profitent pour mettre la main sur
leurs concurrents affaiblis. « Cyni­
quement, on peut s’attendre à des
autre période de l’année n’est pas
possible. Après Solidays et Lolla­
palooza, tous deux à l’Hippo­
drome ParisLongchamp, la liste
des « rendez­vous pris pour l’an­
née 2021 » s’est allongée. C’est le
cas des Nuits de Fourvière, à Lyon,
à la programmation pluridiscipli­
naire (musiques, théâtre, danse…),
qui étaient prévues du 2 juin au
31 juillet. Pour fin juin, ce sont
Rock in Evreux, Europavox, à
Clermont­Ferrand, La Nuit de
l’Erdre, à Nort­sur­Erdre (Loire­At­
lantique), l’Ardèche Aluna Festival,
à Ruoms, Garorock, à Marmande
(Lot­et­Garonne), Jazz à Vienne
(l’un des plus célèbres festivals de
jazz avec ceux de Juan­les­Pins, en
juillet, lui aussi annulé, et Marciac
en juillet­août). Idem pour les
trois concurrents du premier
rachats, des concentrations si les
pouvoirs publics n’arrivent pas à
réarmer financièrement les festi­
vals » afin qu’ils puissent résister,
pronostique­t­il.
« Festivalisation de la culture »
A ses yeux, ces manifestations
ont profondément évolué depuis
une vingtaine d’années. Là où
les organisateurs des Chorégies
d’Orange (Vaucluse) venaient
avec une équipe de techniciens
qui repartaient une semaine
après la fin du festival, désormais
des équipes ancrées dans les terri­
toires sont installées à l’année. Si
bien que les dépenses des festi­
vals deviennent aussi de plus en
plus locales. Le public suit sou­
week­end de juillet, Beauregard, à
Hérouville­Saint­Clair (Calvados),
les Eurockéennes de Belfort et
Main Square, à Arras, et, dans ce
même mois, la grande célébration
de la chanson que sont Les Franco­
folies de La Rochelle, Les Déferlan­
tes, à Argelès­sur­Mer (Pyrénées­
Orientales), ou Musilac, à Aix­les­
Bains. Des dizaines d’autres noms
ne manqueront pas de s’ajouter
dans les jours qui viennent.
Tout se complique dès mi-juillet
A partir de mi­juillet, tout se com­
plique. Sur le papier, en espérant
que les mesures prises pour lutter
contre l’épidémie de Covid­19
aient été efficaces et que la situa­
tion sanitaire se soit améliorée,
une reprise prudente de l’activité
festivalière serait possible. Si tant
vent cette tendance et, selon lui,
« il se régionalise de plus en plus »
et l’impact économique extérieur
baisse en proportion.
Emmanuel Négrier explique ce
phénomène de « festivalisation
de la culture » dans l’Hexagone
essentiellement en raison de la
modification économique du
secteur de la musique. L’impor­
tance accrue donnée au live est
liée au déclin de la musique enre­
gistrée, qui ne génère plus les mê­
mes espoirs de gains que les
concerts. « Au point que les festi­
vals représentent une source de
revenus de plus en plus impor­
tante pour les artistes. Il y a cinq
ans, la moitié des rémunérations
des artistes de musiques du
est que les aménagements de si­
tes puissent avoir été mis en place
– quelques jours suffisent pour les
plus modestes, mais il faut
compter plusieurs semaines pour
les grosses structures. Ainsi Les
Sud à Arles (Bouches­du­Rhône),
prévu du 11 au 18 juillet, ont fait sa­
voir que le festival travaillait « de­
puis plusieurs semaines sur dif­
férents scénarios » et qu’il restait
maintenu « jusqu’à nouvel ordre,
dans un format qui sera nécessai­
rement différent ».
Enfin, si les festivals dont la pro­
grammation repose majoritaire­
ment sur des artistes français
pourraient envisager d’avoir lieu,
en format réduit (nombre de
concerts, durée), la venue de
groupes et artistes internatio­
naux est bien plus aléatoire. Sans
0123
JEUDI 16 AVRIL 2020
« L’arrêt de tous
les festivals est
un crève-cœur,
parce qu’ils ont
acquis un statut
d’opérateur
social
et territorial »
monde ou des formations de jazz
provenait de ce biais, et les festi­
vals constituaient plus du tiers
des revenus des artistes des en­
sembles classiques », précise­t­il.
Une perte sèche cette année.
Sans compter que nombre de
festivals ont développé des fonc­
tions de « places de marché »,
affirme l’expert. « Quand le Fes­
tival d’Avignon est annulé, ce ne
sont pas que les cachets des
comédiens et des metteurs en
scène qui partent en fumée, mais
toutes les prévisions de ventes des
spectacles s’écroulent », explique­
t­il. Pas de tournées pour les
compagnies qui utilisent le Festi­
val comme vitrine. Pour Nuits so­
nores à Lyon (musique électroni­
que et musiques indépendantes),
tous les alter ego européens de
cette manifestation se retrouvent
chaque année pour y faire leur
marché, échanger leurs coups de
cœur, précise­t­il. C’est aussi
l’exportation des spectacles qui
pâtit du Covid­19.
« L’arrêt de tous les festivals est
un crève­cœur également parce
qu’ils ont acquis un statut d’opé­
rateur social et territorial », ajoute
Emmanuel Négrier. En tant
qu’employeurs certes, mais aussi
parce qu’ils ont largement re­
cours à l’incroyable dévouement
de milliers de bénévoles. S’il faut
trouver un seul « signal positif »
dans ce marasme que constitue
l’annulation massive de ces ma­
nifestations, l’universitaire souli­
gne « le fait qu’il soit envisagé, de
façon semble­t­il favorable, que
les intermittents puissent être éli­
gibles au chômage partiel. Cela
tend à prouver que l’artiste, long­
temps regardé avec sympathie
mais distance, devient enfin un
acteur économique et social plein
et entier. Il mérite un traitement
équivalent à celui des salariés ».
A ses yeux, il faudra encore sur­
veiller les responsables de collec­
tivités territoriales pour vérifier
qu’ils ne profitent aussi de cette
crise pour appliquer une logique
« darwinienne » de sélection natu­
relle, en réduisant drastiquement
leurs aides au domaine culturel. 
nicole vulser
parler de la possibilité, en ce qui
concerne les festivals d’août, de
recevoir des foules nombreuses.
Pour mémoire, l’Interceltique de
Lorient, en août, attire près de
800 000 personnes durant dix
jours, soit quatorze fois la popula­
tion de la ville.
La situation actuelle laisse en­
core dans l’incertitude Les Vieilles
Charrues à Carhaix­Plouguer en
Bretagne (du 16 au 19 juillet), Pa­
pillons de nuit, à Saint­Laurent­
de­Cuves (Manche), qui a été dé­
calé de fin mai aux 21­23 août,
Rock en Seine, à Saint­Cloud ou Le
Cabaret vert, à Charleville­Méziè­
res (Ardennes), tous deux fin août.
Pour n’en citer que quelques­uns
qui ne se sont pas encore résignés
à dire « à l’année prochaine ». 
sylvain siclier
0123
JEUDI 16 AVRIL 2020
Cate Blanchett en militante antiféministe américaine
Pour son premier rôle dans une série, l’actrice australienne n’a pas choisi la facilité en incarnant Phyllis Schlafly
CANAL+ SÉRIES
JEUDI 16 - 21 H 00
MINISÉRIE
P
our sa première série,
Cate Blanchett n’a pas
choisi la facilité. Nicole
Kidman s’était réservé
un rôle de victime magnifique
(Big Little Lies), Amy Adams s’était
enlaidie pour jouer l’ambiguïté
(Sharp Objects). Avec Mrs America,
l’actrice australienne préfère
s’emparer d’un personnage indé­
fendable, Phyllis Schlafly. A peu
près inconnue en France (à sa
mort, en 2016, à 92 ans, elle n’a
pas eu droit à une nécrologie dans
Le Monde), cette militante conser­
vatrice américaine a lourdement
pesé sur le destin de son pays, par­
venant à empêcher la ratification
de l’Equal Rights Amendment
(ERA), texte qui aurait inscrit
l’égalité des genres dans la Consti­
tution des Etats­Unis.
Le portrait de cette femme
brillante et énergique, qui mit ses
formidables capacités d’organisa­
tion au service d’une cause juste­
ment destinée à empêcher les
femmes de faire fructifier leurs
talents, met quelques épisodes à
se dessiner pour finalement s’im­
poser avec une force qui n’empê­
che pas la nuance. Il faut d’abord
ne pas se laisser emporter par le
flot d’informations que déverse le
scénario de la créatrice de la série,
Les manuscrits de la mer Morte décryptés
Un documentaire explore la piste des Esséniens, secte juive qui pourrait être l’auteure de cette « bibliothèque cachée »
FRANCE 5
JEUDI 16 - 20 H 50
DOCUMENTAIRE
B aptisé, un peu pompeuse­
ment, Révélations sur les
manuscrits de la mer
Morte, le documentaire présenté
par France 5 mérite toutefois
mieux que son titre. S’il est hasar­
deux de promettre des « révéla­
tions » propres à changer le cours
de l’histoire archéologique, ce film
d’une heure et demie permettra
néanmoins aux profanes de com­
prendre pourquoi ces célèbres ma­
GRILLE N° 20 - 091
PAR PHILIPPE DUPUIS
1 2 3 4 5 6
I
II
III
IV
V Hugo. Capucin en Amérique. Jeune
VI
VII
VIII
IX
X Fond de cours. 5. Assure la liaison.
SOLUTION DE LA GRILLE N° 20 - 090
HORIZONTALEMENT I. Salmonellose. II. Idéalisée. An. III. Mutité. Atout.
IV. Plot. Nantira. V. Lé. Ruth. Osés. VI. Isaïe. Usnées. VII. Scissure. Sa.
VIII. Té. Rincé. IX. Enorme. Tomme. X. Stratégiques.
VERTICALEMENT 1. Simplistes. 2. Adulescent. 3. Léto. Aï. Or. 4. Maîtrise-
ra. 5. Olt. Ues (usé). Mt. 6. Nient. Urée. 7. Es. Ahuri. 8. Lean. Senti. 9. Let-
ton. Coq. 10. Oise. Emu. 11. Saurées. Me. 12. Entassâtes.
Cate Blanchett
dans le rôle
de Phyllis Schlafly.
CANAL+/FX PRODUCTION
la Canadienne Dahvi Waller.
On est au tout début des années
1970. Richard Nixon est à la
Maison Blanche, mais les démo­
crates conservent le contrôle du
Congrès. La guerre du Vietnam
n’en finit pas de finir mais les
grandes batailles pacifistes sont
passées. Le mouvement fémi­
niste est assez puissant pour que
les deux grands partis américains
s’accordent pour voter l’ERA, à
charge pour les Etats de le ratifier.
nuscrits exposés à Jérusalem sus­
citent la curiosité et la fascination
des archéologues depuis leur « re­
découverte » par hasard, en 1947. Il
a aussi l’utilité de faire le point sur
les recherches en cours, les pro­
grès de l’imagerie technique per­
mettant, année après année, de le­
ver le voile sur les mystères que re­
cèlent ces textes bibliques, les plus
anciens connus à ce jour.
Une cité dissidente
Ce trésor, composé d’environ un
millier de textes, dont les plus an­
ciens datent de deux siècles avant
7 8 9 10 11
Dans sa banlieue de Chicago,
Phyllis Schlafly, mère de six en­
fants, femme d’un avocat qui sem­
ble avoir inventé le paternalisme
(John Slattery, aussi peu attrayant
qu’il était séduisant dans Mad
Men), et anticommuniste viscé­
rale, mène comme elle le peut le
combat de toute son existence, la
lutte contre la menace nucléaire
soviétique. Jusqu’à ce qu’elle com­
prenne que le combat contre le fé­
minisme et l’ERA lui offrira une
Jésus­Christ, a été retrouvé dans
des jarres en terre cuite, cachées
dans 11 grottes sur les bords de la
mer Morte, ce qui explique l’état
de conservation remarquable
d’une petite partie d’entre eux.
Aujourd’hui encore, de nombreu­
ses incertitudes demeurent sur
l’identité des auteurs et sur la rai­
son pour laquelle ces textes ont
été cachés. Le documentaire
propose d’explorer en détail la
piste des Esséniens, la plus popu­
laire à ce jour, qui fait le lien entre
ces manuscrits et la cité voisine
de Qumran. Les recherches me­
HORIZONTALEMENT
I. Met à l’abri des mauvais coups sur
le terrain. II. Rend stupide et abruti.
III. Ornent moulures et corniches.
Le bulgare est parmi les meilleurs.
12
IV. Petite éminence. Aller au plus
pressant. V. Encouragement au
cirque. Passai en revue. VI. Particuliè-
rement expressive. Trois points sur
quatre. VII. Sans la part de Bercy. Mys-
térieuse chez Jules Verne. Propre pour
chacun. VIII. Passée à l’huile. Attaché
à son travail. IX. S’amuse chez Victor
amateur de son. X. Héros chez Virgile.
Commence à se décomposer.
VERTICALEMENT
1. Eclairait les mineurs avant nos
soirées d’été. 2. Grande découverte.
3. Charger très lourdement. Met en
doute. 4. Protège la langouste en mer.
Galères de l’amirauté. 6. Fut anglaise
avant d’être donnée par Louis XI à
son frère. Mention à l’examen. 7. Fut
capitale pour les Nippons. Ouverture
de gamme. Ses caïeux parfument
à l’office. 8. Enveloppe protectrice.
9. Sonne et trébuche dans la poche
du Suédois. Retranchât. 10. Fait beau-
coup mais devient rare. 11. Mobiles
dans les moufles. Insensé de l’igno-
rer. 12. Apre en bouche.
voie royale vers ce qui reste l’une
des composantes essentielles du
rêve américain, la célébrité.
Parcours ambigu
A ce parcours ambigu, sur lequel
Cate Blanchett avance avec un
mélange de majesté, de mesqui­
nerie et d’aveuglement finale­
ment effrayant, répond une des­
cription minutieuse du mouve­
ment féministe de l’époque. Tou­
tes les grandes dirigeantes – celles
nées sur les sépultures montrent
en effet des similitudes entre le
mode de vie des habitants de Qu­
mran et les préceptes inscrits
dans les textes retrouvés. Ceux
d’une secte juive, obsédée par
l’idée de purification, qui aurait
quitté Jérusalem pour fonder une
cité dissidente. Ce lien est ren­
forcé par la datation des tombes
et celle des textes, qui concordent.
Cette hypothèse, privilégiée
dans le documentaire – d’autres
ne sont pas évoquées –, constitue
le point de départ d’un récit histo­
rique bien documenté sur la vie
SUDOKU
N°20­091
2 4
5 8
7 2
4 3
3 9 8 4
5 1 2 Chaque chiffre ne doit
3 9 6 7 seule fois par ligne,
7 8 9
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télévision | 25
dont on se souvient, Gloria
Steinem ou Betty Friedan – et cel­
les que l’on a oubliées ou ignorées
– Shirley Chisholm ou Bella
Abzug – sont incarnées par des ac­
trices de première grandeur. Cha­
que épisode accorde une place de
choix à l’une d’entre elles. Ce qui
pourrait donner lieu à une espèce
de concours pour l’Emmy du se­
cond rôle dramatique entre Rose
Byrne (Steinem), Tracey Ullman
(Friedan), Uzo Aduba (Chisholm)
et Margo Martindale (Abzug).
Ce qui apparaissait d’abord
comme une galerie de portraits fi­
nit par se cristalliser en une ré­
flexion riche et fouillée sur les rai­
sons d’une défaite. Phyllis Schlafly
est mise en scène à la fois comme
l’agent de la cause qu’elle promeut
et l’instrument d’intérêts qui ne
considèrent les femmes qu’à
l’aune de la version la plus conser­
vatrice du christianisme. En face,
la richesse des débats qui agitent
le mouvement des femmes nour­
rit aussi les rivalités et les divi­
sions. Il n’est pas besoin d’avoir un
master en sciences politiques
pour deviner que cette histoire est
aussi à l’usage du temps présent. 
thomas sotinel
Mrs America, de Dahvi Waller.
Avec Cate Blanchett, Rose Byrne,
Sarah Paulson, Tracey Ullman,
Uzo Aduba, John Slattery
(EU, 2020, 10 × 55 min).
en Judée au tout début du pre­
mier millénaire. Grâce à des sé­
quences filmées sur les sites ar­
chéologiques parmi les plus ri­
ches du monde et à un recours
aux images de synthèse – pas for­
cément très belles, mais utiles à la
compréhension –, le documen­
taire fait œuvre de pédagogie et se
révèle accessible à tous les pu­
blics, notamment aux enfants. 
audrey fournier
Révélations sur les manuscrits
de la mer Morte, réalisé par
Jamie Wiggins (RU, 2019, 90 min).
2 3 9 1 5 6
8 4 5 2 9 7
1 6 7 3 8 4
7 8 6 9 2 3
9 2 4 6 1 5
5 1 3 7 4 8
3 5 2 8 6 1
6 9 8 4 7 2
1 4 7 1 5 3 9 2
Moyen
Complétez toute la
2 grille avec des chiffres
allant de 1 à 9.
être utilisé qu’une
2 1 par colonne et par
carré de neuf cases.
VOTRE
SOIRÉE
TÉLÉ
JEUDI  16 AVRIL
TF1
21.05 On a retrouvé
la 7e compagnie
Film de Robert Lamoureux. Avec
Pierre Mondy, Jean Lefebvre, Henri
Guybet (Fr., 1975, 95 min).
22.40 New York, unité spéciale
Série. Avec Robert Vaughn,
Christopher Meloni, Ice-T
(EU, 2006, 2003 et 2015).
France 2
21.05 #EtAprès : la grande
émission des Européens
Emission spéciale présentée par
Julian Bugier.
23.00 Complément d’enquête
Magazine présenté par Jacques
Cardoze.
France 3
21.05 Les Grands Esprits
Film d’Olivier Ayache-Vidal. Avec
Denis Podalydès, Abdoulaye Diallo,
Tabono Tandia (Fr., 2017, 110 min).
22.55 Je dis donc je suis
Documentaire de Marie Bonhommet
(Fr., 2018, 65 min).
Canal+
21.00 L’Amie prodigieuse
Série. Avec Gaia Girace, Margherita
Mazzucco, Giovanni Amura (It., 2020).
23.05 The Affair
Série. Avec Maura Tierney, Dominic
West, Jadon Sand (EU, 2019).
France 5
20.50 Révélations sur les
manuscrits de la mer Morte
Documentaire de Jamie Wiggins
(RU, 2019).
22.35 C dans l’air
Talk-show présenté par Caroline
Roux.
Arte
20.55 Private Banking
Téléfilm de Bettina Oberli. Avec
Stephanie Japp, Dietrich Siegl, Bruno
Todeschini (Sui., 2017, 1/2 et 2/2).
0.05 Transferts
Série. Avec Arieh Worthalter, Brune
Renault, Steve Tientcheu (Fr., 2016).
M6
21.05 Why Women Kill
Série. Avec Lucy Liu, Ginnifer
Goodwin, Kirby Howell-Baptiste
(EU, 2019).
21.55 Good Girls
Série. Avec Christina Hendricks, Mae
Whitman, Matthew Lillard (EU, 2018).
0123 est édité par la Société éditrice
du « Monde » SA. Durée de la société :
99 ans à compter du 15 décembre 2000.
Capital social : 124.610.348,70 ¤.
Actionnaire principal : Le Monde Libre (SCS).
Rédaction 80, boulevard Auguste-Blanqui,
75707 Paris Cedex 13. Tél. : 01-57-28-20-00
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6 1 3 Abonnements par téléphone : de France 3289
5 2 9 (Service 0,30 ¤/min + prix appel) ; de l’étranger :
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L’Imprimerie, 79, rue de Roissy,
93290 Tremblay-en-France
Montpellier (« Midi Libre »)
Origine du papier : France. Taux de fibres recyclées : 100 %.
Ce journal est imprimé sur un papier UPM issu de forêts gérées
durablement, porteur de l’Ecolabel européen sous le N°FI/37/001.
Eutrophisation : PTot = 0.009 kg/tonne de papier
 IDÉES
0123
26 | JEUDI 16 AVRIL 2020

Eric Caumes et Mathurin Maillet Gardons-nous

de tomber dans une réactivité maladive
Un excès de réaction immune serait à l’origine des cas parler, mais est devenue une maladie
inflammatoire évoluant pour son propre
les plus sévères et des décès liés au Covid­19. compte ?
Pour les deux médecins au service des maladies Sous ce nouveau regard, des essais thé­
rapeutiques se proposent d’utiliser des
infectieuses de la Pitié­Salpêtrière, il faut éviter de médicaments capables de moduler la
répliquer cette hyperréactivité et de céder le contrôle réaction inflammatoire excessive, tels
que les corticoïdes ou un inhibiteur de
de notre existence à une science toute­puissante l’interleukine 6 – médiateur majeur de
cette réaction hyperinflammatoire liée
au coronavirus SARS­CoV­2. S’il arrive
d’actualité la fameuse sentence de
Nietzsche : « On ne périt jamais que par
soi­même. » Le « père » de Zarathoustra a
une conception surprenante de la mort.
Selon lui, il s’agit toujours d’un suicide de
l’organisme, y compris ce que l’on consi­
dère comme une « mort naturelle ».
Cette dernière conception, pour
Nietzsche, est une vue de l’esprit qui n’a
aucun rapport avec la réalité du corps. Il
n’existe pas un moment où il devien­
gale. Aiguisons, à l’inverse, notre esprit
critique pour nous rendre compte de la
formidable suprématie de la science et
de la médecine sur la vie des individus.
Nous vivons la démonstration flagrante
de l’existence d’un biopouvoir d’am­
pleur planétaire ! Le contrôle de la vie
des individus par la médiation de la
santé, ou biopolitique, contre laquelle
Foucault mettait en garde est, en cette
période, criant.

L
a réactivité est devenue une qua­
lité maîtresse au sein du monde
dans lequel nous vivons. Réagir
vite, rebondir sur un événement
avant qu’il soit trop tard : il est devenu
impératif de vivre dans un permanent
état d’alerte. La crise sanitaire que nous
traversons confirme­t­elle cette extrême
nécessité d’être toujours sur le qui­vive ?
Rappelons­nous que cette expression
était à l’origine une interjection pro­
noncée devant un danger potentiel :
« qui vive ? », autrement dit « qui est là
vivant ? ». Paradoxe s’il en est, mais le
« vivant » était ce qui représentait le
danger pour les vivants. Si l’on avait
autrefois peur de son prochain en criant
« qui vive ? », notre crainte s’est déplacée
ces derniers temps vers un autre type de
vivant, un invisible, un vivant microsco­
pique. Un virus qui a fait exploser la
viralité médiatique… Prenons de la hau­
teur pour sortir de cette contagion nu­
mérique et nous recentrer vers le vérita­
ble virus.
Lors d’une maladie virale, il arrive par­
fois que les hôtes réagissent de façon ex­
cessive à la présence du virus. C’est le cas
par exemple de l’hépatite B, où la maladie
hépatique est liée à une hyperréactivité
immune. C’est également l’hypothèse
principale des chercheurs qui travaillent
sur le coronavirus actuellement. Les ta­
bleaux les plus graves seraient liés, non
pas au virus lui­même, mais à un embal­
lement du système immunitaire de
l’hôte, qui survient le plus souvent vers
le septième jour. Il se produit ce que l’on
nomme un « orage cytokinique », c’est­à­
dire un envoi massif, par le système im­
munitaire, de médiateurs inflammatoi­
res, appelés « cytokines ».
Paradigme des maladies infectieuses
Cet excès de réaction immune nous in­
vite à repenser le paradigme des mala­
dies infectieuses. La théorie micro­
bienne élaborée à la fin du XIXe siècle sti­
pule en effet que les agents infectieux
sont la cause directe des maladies infec­
tieuses. Ce changement de paradigme,
qui rend l’organisme responsable de l’es­
sentiel de la maladie, implique égale­
ment un changement de stratégie théra­
peutique. Pourquoi chercher à empêcher
la prolifération du virus, comme on le
fait habituellement, dès lors que la mala­
die n’est plus infectieuse à proprement
que des médicaments modulant l’in­
flammation soient parfois prescrits dans
des maladies infectieuses, cela se fait
d’ordinaire en association avec un médi­
cament inhibant la reproduction du pa­
thogène, antiviral ou antibiotique. Con­
sidérer que la gravité de la maladie
puisse être attribuée non au pathogène,
mais à l’organisme hyperréactif pourrait
transformer la conception générale des
maladies infectieuses.
Cette hyperréactivité immune à l’ori­
gine des cas les plus sévères et des décès
n’a jamais fait résonner avec autant
CHEZ NIETZSCHE,
LA MALADIE, TOUT
COMME LA MORT, EST
TOUJOURS LE RÉSULTAT
D’UNE « MALADIE
DE L’INTÉRIORITÉ »
drait « normal », au sens physiologique,
de mourir. La mort est toujours un sui­
cide du corps : « Il s’agit maintenant, en
dépit de toutes les lâchetés du préjugé, de
rétablir l’appréciation exacte, c’est­à­dire
physiologique, de ce qu’on appelle “mort
naturelle”, et qui n’est en fin de compte
elle aussi qu’une mort “non naturelle” :
un suicide. »
Un biopouvoir d’ampleur planétaire
Chez Nietzsche, la maladie, tout comme
la mort, est toujours le résultat d’une
« maladie de l’intériorité », comme l’écrit
le philosophe Pierre Montebello. Que se
passe­t­il donc au sein de cette intériorité
pour que la maladie, la mort, survien­
nent ? Pour le philosophe au marteau,
l’origine de toute maladie réside, juste­
ment, dans la réactivité, dans la réaction
réflexe, dans « l’incapacité à ne pas réa­
gir », dans « l’impuissance physiologique
à ne pas réagir ».
Gardons­nous donc de tomber dans
cette réactivité maladive, qui n’est pas
uniquement viro­induite, mais égale­
ment sociale et politique. Si le confine­
ment fait consensus chez les experts en
santé publique, essayons de ne pas le vi­
vre de façon réactive à une injonction lé­
Profitons de ce moment de réclusion
pour réfléchir à cette dépendance
inouïe de l’homme envers la médecine,
que dénonçait déjà Ivan Illich. Cette em­
prise a grandi à un tel point qu’elle est
aujourd’hui capable d’arrêter le cours
du monde. Un nombre incalculable de
vies souffriront, voire s’effondreront,
sous les effets secondaires de cette crise
sanitaire. A force d’avoir encouragé la
quête infinie de santé et de sécurité,
nous avons, paradoxalement, rendu la
vie extrêmement fragile… Tâchons de
devenir plus indépendants vis­à­vis de
ce biopouvoir en tentant d’appréhender
cette crise sanitaire, non comme une
maladie, mais comme un symptôme
civilisationnel. 
Eric Caumes est chef du service
de maladies infectieuses
à la Pitié-Salpêtrière
Mathurin Maillet est interne
en maladies infectieuses à la
Pitié-Salpêtrière - diplômé d’un master
en philosophie.

Agir collectivement pour changer de modèle politique

Un collectif d’intellectuels, d’artistes et d’acteurs du milieu associatif, dont Boris Cyrulnik et Dominique Sopo, souhaite un rassemblement
de la gauche pour rebâtir la société en tirant les leçons de la crise due au coronavirus

L
e désastre sanitaire que
nous vivons révèle l’absur­
dité funeste des modèles de
gestion et d’organisation de
nos sociétés. Cette crise ouvre le
champ des possibles, ne ratons
pas l’occasion d’en tirer des le­
çons durables. Cinq orientations
paraissent prioritaires :
1. La pandémie du Covid­19 fait
la preuve que ce ne sont pas
les « premiers de cordée » qui au­
jourd’hui assurent la survie
sanitaire, sociale et économique
du pays. Mais celles et ceux dont
les dirigeants du pays semblaient
penser qu’ils n’étaient rien :
aides­soignants, infirmiers,
agents d’entretien, ambulanciers,
pompiers, agriculteurs, postiers,
employés de l’industrie agro­
alimentaire, employés de la
grande distribution, chauffeurs
routiers, livreurs, marins pê­
cheurs, éboueurs… Toutes celles
et ceux qui ne peuvent ni télétra­
vailler ni s’absenter parce qu’ils
soignent et nourrissent au risque
de leur santé, et pour certains de
leur vie, pour préserver la nôtre.
Nous devons agir pour une re­
négociation exigeante des con­
ventions collectives de ces pro­
fessions, et plus largement pour
une redéfinition de la rétribution
du travail et une meilleure pro­
tection des emplois.
2. La pandémie du Covid­19
montre au pouvoir politique
l’importance vitale de l’hôpital
public qu’il a pourtant méthodi­
quement désorganisé : en qua­
rante ans, le nombre de lits est
passé de 11 à 6 pour 1 000 habi­
tants ; sur les seules six dernières
années, 17 500 lits de nuit ont été
supprimés. Les personnels hospi­
taliers sont en effectifs si réduits
que des étudiants et des retraités
sont aujourd’hui réquisitionnés
comme forces supplétives. Ceux
qui sont en première ligne, les
médecins de l’hôpital public (qui
pourraient gagner le double en
secteur privé mais qui ont choisi
volontairement de gagner moins
pour être dans le public), ont
sonné l’alarme depuis long­
temps. Sans être entendus. La
sixième puissance économique
mondiale manque de produits
aussi simples et peu coûteux que
des masques de protection respi­
ratoire, du gel hydroalcoolique,
NOUS APPELONS
À UNE ALLIANCE
POLITIQUE INÉDITE
QUI TRANSCENDE
LES QUERELLES
PARTISANES
des gants de protection et même
des cotons­tiges ! Emmanuel Ma­
cron a déclaré lors de son premier
discours sur le coronavirus que la
santé et l’alimentation ne devai­
ent plus être soumises à la seule
loi de l’économie de marché. Il va
falloir le lui rappeler fermement.
Nous devons agir pour une re­
négociation exigeante de la poli­
tique publique de santé, pour la
défense de l’hôpital public.
3. La pandémie du Covid­19 ré­
vèle l’indigence des politiques de
réduction du budget de la recher­
che. En 2003 (époque où a
émergé l’épidémie de SRAS) plu­
sieurs équipes de chercheurs ré­
pondent à un appel de l’Union
européenne cherchant à mieux
connaître ces virus. En 2006 (soit
seulement trois ans après la peur
du SRAS !), on supprime les cré­
dits de ces recherches pourtant
productives au prétexte qu’elles
sont insuffisamment rentables à
court terme. Le recours aux fi­
nancements privés via les crédits
d’impôts ne doit être que com­
plémentaire et ne peut en aucun
cas se substituer au financement
public, qui lui seul respecte la li­
berté et le temps dont ont besoin
les chercheurs dans les domaines
de la recherche appliquée comme
de la recherche fondamentale.
Nous devons agir pour une re­
négociation exigeante de la po­
litique de financement public
de la recherche.
4. La pandémie du Covid­19 per­
met que soient entendues les voix
de celles et de ceux qui depuis des
décennies constatent les consé­
quences écologiques, économi­
ques et sociales aberrantes d’une
mondialisation pilotée par une
logique productiviste et finan­
cière. Surexploitation des ressour­
ces naturelles, accélération des
échanges, diminution de la biodi­
versité font le lit des pandémies.
Tous les secteurs de l’activité hu­
maine ne sont pas des marchan­
dises. Certains doivent être proté­
gés, comme ceux qui concernent
la santé, l’éducation, la justice.
Elaborer un « new deal »
Nous devons agir pour élaborer
un « new deal » qui prévoie la réo­
rientation des budgets de l’Etat,
de l’Europe et des investisse­
ments privés vers les enjeux dé­
sormais vitaux pour l’avenir de
l’humanité : maintien de la biodi­
versité, agriculture relocalisée
(circuits courts, etc.), énergies re­
nouvelables, mobilité propre, ce
qui ne pourra s’obtenir qu’avec
une fiscalité plus redistributive.
5. La pandémie de Covid­19
permet enfin de montrer les in­
suffisances des institutions euro­
péennes, notamment leur im­
puissance à organiser les répon­
ses sanitaires face à cette crise.
Nous avons besoin d’une organi­
sation qui permette une préven­
tion à l’échelle européenne pour
assurer une solidarité intangible
entre les Etats membres. Une Eu­
rope soutenant un idéal qui ne
soit pas celui porté par les politi­
ques de mondialisation.
En France, en Europe, comme
partout dans le monde, il est ur­
gent de saisir cette fenêtre
ouverte par la crise que nous vi­
vons afin de changer de valeurs à
la fois individuellement et collec­
tivement ; de remettre en ques­
tion le rôle de la finance dans nos
vies ; de remettre l’humain au
centre des préoccupations politi­
ques. Il nous faut dès à présent ré­
fléchir à une nouvelle pensée, à
de nouvelles organisations allant
au­delà des associations que
nous connaissons, à la refonda­
tion du contrat social et citoyen.
Dans un premier temps et
compte tenu de l’urgence, nous
appelons à une alliance poli­
tique inédite qui transcende
les querelles partisanes au béné­
fice d’un projet porté par toutes
celles et ceux qui souhaitent ar­
rêter l’entreprise de destruction
massive du monde au profit de
quelques­uns.
Ecologistes, partis de gauche,
syndicats, ainsi que toutes celles
et ceux qui ont pris conscience de
cette urgence sont désormais face
à une responsabilité vitale : soit ils
réussissent à s’unir, comme ils
l’ont déjà fait par le passé, pour
élaborer et prendre en charge un
nouveau modèle de production et
de consommation résolument
orienté vers le progrès social, le
développement durable et le res­
pect de nos libertés, soit ils persis­
tent dans leurs divisions mortifè­
res, et ce sont les représentants du
capitalisme financier le plus cu­
pide qui effectueront cette réo­
rientation à leur seul profit, c’est­
à­dire en accentuant les inégali­
tés, en mettant nos vies en péril,
et en nous imposant de plus en
plus de privations de liberté. 
Liste des premiers signa-
taires : Ariane Ascaride,
comédienne ; Boris Cyrulnik,
neuropsychiatre ; Martine De-
rivry, enseignante-chercheuse
en sciences du langage, uni-
versité de Bordeaux ; François
Dubet, sociologue, université
de Bordeaux ; Pascal Gui-
bert, enseignant-chercheur en
sciences de l’éducation et de la
formation, université de Nan-
tes ; Philippe Meirieu, péda-
gogue ; Edgar Morin, socio-
logue ; Marie-Aude Murail,
écrivaine pour la jeunesse ;
François de Singly, sociolo-
gue, université de Paris ; Domi-
nique Sopo, président de SOS-
Racisme…
Retrouvez la liste complète des
signataires sur Lemonde.fr.
0123
JEUDI 16 AVRIL 2020 idées | 27

Rachid Benzine et Yeshaya Dalsace

Le virus de l’irrationalité religieuse
Alors que déferlent sur Internet des commentaires de folie de liberté, à une décadence qui n’a pas
eu d’équivalent depuis le Déluge ! »
prédicateurs qui exploitent le désarroi pour propager leurs Pourtant, autrefois, le discours religieux
idéologies, l’islamologue et le rabbin rappellent que le discours a su promouvoir le progrès et la raison. Au
XIIe siècle, Maïmonide (judaïsme) et Aver­
religieux sait aussi promouvoir la raison et le progrès roès (islam) avaient déjà enseigné que les
accidents de la nature n’ont aucune signifi­
cation et sont contingents de la vie elle­
Et si la mondialisation favorise la propa­
gation rapide du virus, elle profite aussi à
l’échange entre savants et à la recherche du
remède, à la solidarité (relative) entre Etats
et à la conscience que l’humanité est bien
liée par une commune destinée. Notre
sensibilité provoque notre refus de la pas­
sivité face à la mort. Pour la première

L
a pandémie actuelle, qui entraîne
beaucoup d’incertitudes et de peurs
fondées sur le sentiment de ne rien
contrôler, provoque un déferlement
de commentaires religieux de toutes origi­
nes, rivalisant de bêtise et d’insanités. Une
légion de prédicateurs, suffisance che­
villée au corps et suivis avec dévotion par
nombre d’âmes déboussolées, y vont de
leurs interprétations sur ce virus qui para­
lyse le monde. Irrationalité et spéculations
hasardeuses, drapées dans l’illusoire di­
gnité de la foi, font rage.
Pourquoi la rationalité en matière reli­
gieuse, qui s’est pourtant exercée à main­
tes reprises dans l’histoire, y compris dans
des périodes de crise, manque­t­elle cruel­
lement aujourd’hui dans certains cercles ?
Et comment la rationalité avec laquelle
nous appréhendons une telle pandémie
– grâce notamment aux nouvelles techno­
logies – peut­elle aussi s’exercer dans le
domaine religieux, pour le meilleur ?
Des prévisions apocalyptiques
A se promener sur le Net, royaume terres­
tre des prêcheurs, on se dit que Dieu n’a
guère de souci à se faire : nombreux sont
ceux qui comprennent la marche de sa
création et ses intentions les plus cachées.
Les grilles de lecture hasardeuses, les
recettes aberrantes pour se protéger du
coronavirus, les prévisions apocalypti­
ques sont légion. Une véritable cour des
miracles de l’irrationalité humaine et
des spéculations les plus farfelues que les
soubresauts de l’histoire éveillent dans
les cerveaux égarés. Mais aussi l’exploi­
tation cynique du désarroi du public
pour avancer ses idées et son idéologie
religieuse, en grande partie basée sur la
culpabilisation.
« Dieu veut qu’on croie en lui et non en la
médecine ! » ; « On peut faire disparaître le
Corona en nous purifiant par la prière et par
notre croyance. Celui qui espère que la
science va trouver une solution se trompe » ;
« Dieu nous protège ! Si tu y crois, saches
que le Corona ne s’approchera pas de toi. Le
virus fait la distinction entre celui qui a la
foi et celui qui ne l’a pas ! » ; « Le Messie ar­
rive ! Les signes ne manquent pas. La mar­
che du monde s’est arrêtée. Depuis le Dé­
luge, aucune plaie n’a ravagé le monde en­
tier comme ce virus » ; « On est arrivé à une
CE QUI EST GRAVE DANS
CE PHÉNOMÈNE, C’EST
QUE DES QUANTITÉS
D’INDIVIDUS SONT SOUS
L’INFLUENCE NÉFASTE
DE CES DISCOURS
MANIPULATEURS
même, qui ne saurait exister sans certai­
nes imperfections, engendrant par voie de
conséquence notre finitude ultime… La na­
ture ne se venge pas, elle ne pense pas, on
ne saurait lui attribuer une quelconque in­
tention. N’en déplaise aux prédicateurs, le
fait que le fléau commence en Chine n’a
rien à voir avec l’oppression des Ouigours,
et qu’il frappe durement l’Iran, n’a rien à
voir avec une quelconque animosité de ce
pays à l’égard d’Israël. Nulle intention et
nul signe en la matière, sinon le cours nor­
mal de la nature. La vie engendre réguliè­
rement des épidémies et il n’y a ici rien de
nouveau sous le soleil, comme nous l’a
déjà enseigné le roi Salomon !
Les valeurs humaines remontent
La nouveauté n’est pas dans les faits : c’est
le regard que nous portons sur eux qui
leur donnent ou non du sens. Aujourd’hui
nous suivons quotidiennement le nombre
de morts ; notre sensibilité, notre réacti­
vité et notre capacité à tirer des conclu­
sions et à agir sont plus fortes que par le
passé. Nos moyens de communication
nous font vivre en direct l’éveil de la mala­
die dans un Extrême­Orient parvenu à no­
tre porte et nous permettent de suivre en
temps réel sa lente progression vers la pan­
démie. Nos connaissances scientifiques
nous font envisager les mesures de pré­
caution à prendre pour freiner la diffusion
du virus, identifié et devenu objet d’étude.
Notre appréhension de cette conjoncture
et notre capacité de mobilisation à très
grande échelle, voilà la nouveauté !
fois peut­être dans l’histoire humaine, l’in­
térêt cynique des Etats est sacrifié au profit
de la sécurité individuelle et de la vie hu­
maine. Même la Chine, où les morts collec­
tives ne semblent pas avoir toujours ému,
a été mise à l’arrêt pour assurer la survie
des plus fragiles et des plus âgés. L’éco­
nomie va mal, la Bourse plonge, mais les
valeurs humaines remontent. Et la cote du
respect de la vie a rarement été plus haute.
Les religieux, plutôt que de se laisser aller
à des délires spéculatifs, de jouer aux
matamores ou à Madame Soleil, de­
vraient s’en réjouir et se montrer à la
pointe de ce progrès…
Ce qui est grave dans ce phénomène, c’est
que des quantités d’individus sont sous
l’influence néfaste de ces discours mani­
pulateurs. Face à la contamination par la
bêtise, plaie éminemment contagieuse en­
voyée sur l’humanité et contre laquelle nul
vaccin n’a encore été trouvé, nous prônons
d’urgence, d’une voix unique et frater­
nelle, le confinement le plus strict et le re­
tour à la raison ! 
Rachid Benzine est islamologue
et chercheur associé
au Fonds Paul-Ricoeur ;
Yeshaya Dalsace est rabbin
de la communauté massorti,
créateur du site Massorti.com

L’écrasante majorité des musulmans et des imams en France

appliquent les directives scientifiques et sanitaires
Un collectif de quatre acteurs importants cessaire de souligner que les institutions
musulmanes françaises ainsi que l’écra­
de l’islam en France, dont Mohammed Moussaoui, sante majorité des musulmans et des
président du Conseil français du culte musulman, imams de notre pays ont accepté d’appli­
quer les directives scientifiques et sani­
souligne la contribution des musulmans taires officielles. Sur le plan individuel,
au combat contre la pandémie même pour les plus défavorisés d’entre
nous qui ne bénéficient pas des meilleu­
res conditions de logement, la compré­
citoyen en parfait accord avec les fonde­
ments de l’islam : « Celui qui sauve une vie
humaine c’est comme s’il avait sauvé toute
l’humanité » (Coran 5 : 32).
Le Haut Conseil de la santé publique
(HCSP) et les juristes musulmans œuvrent
actuellement ensemble pour le bien
commun. Ces derniers s’emploient à mon­
trer que toutes les mesures de prévention
Dieu, nous permettront de sortir de
cette crise sanitaire.
Aujourd’hui, de nombreux musulmans
ont su montrer que leur culture et leur hé­
ritage spirituel, ou tout simplement leur
réflexion, peuvent participer aux grands
combats de notre temps, en l’occurrence
aux nouveaux défis sanitaires, bioéthi­
ques et écologiques. Grâce à ses principes

R
appeler l’importance de la vie, culti­
ver notre sens des responsabilités
et conserver notre optimisme sont
devenus des vertus fondamentales
pour affronter ces temps difficiles. Nous
avons tous été révoltés par les infractions
SE PROTÉGER au confinement de la part de certains de
ET PROTÉGER nos concitoyens. Il est néanmoins néces­
saire de garder confiance en l’humanité en
LES AUTRES EST UN montrant l’importance de la solidarité qui
se déploie pour lutter contre le Covid­19.
DEVOIR RELIGIEUX, De nombreux Français ont montré leur
sens du civisme, notamment ceux de con­
HUMAIN, MÉDICAL fession musulmane qui s’impliquent au
ET CITOYEN même titre que leurs compatriotes de tou­
tes convictions pour aider la collectivité
EN PARFAIT nationale et internationale à dépasser
cette grave crise sanitaire.
ACCORD AVEC Nous savons que, ici ou là, il y a eu des
LES FONDEMENTS débordements ou des manquements.
Mais, contrairement à ce qui a pu être
DE L’ISLAM déclaré et véhiculé par certains, il est né­
hension des mesures de responsabilité à
entreprendre est exemplaire.
Une prise de conscience rapide
Les mosquées et les établissements d’en­
seignement privé ont été très vite fermés,
les cérémonies religieuses, y compris fu­
néraires, ont été annulées ou adaptées.
La formule de l’adhân (appel à la prière)
diffusée par Internet et sur les réseaux so­
ciaux et dans laquelle la séquence incitant
les musulmans à venir prier à la mos­
quée a été remplacée par l’exhortation
« priez chez vous » est un symbole fort
de cette prise de conscience rapide de la
gravité de la situation.
S’en sont suivis de nombreux avis juridi­
ques justifiant et insistant sur la nécessité
de respecter un principe fondamental en
islam : la préservation de la vie humaine
doit primer sur le respect des normes reli­
gieuses. Se protéger et protéger les autres
est un devoir religieux, humain, médical et
qui visent à éviter la mise en danger de la
vie humaine sont conformes à la lettre et à
l’esprit de la religion musulmane. En effet,
de nombreux textes de la tradition et de la
juridiction musulmane montrent qu’en is­
lam réside une grande sagesse qui permet
à la foi d’entrer en adéquation avec la
raison et la médecine, comme ce hadith
(propos attribué au prophète Mahomet) :
« Une personne souffrant de maladie infec­
tieuse ne devrait pas s’approcher d’une per­
sonne en bonne santé. »
Faire confiance à la science
D’autres traditions incitent les musul­
mans à respecter les principes de l’isole­
ment sanitaire en période d’épidémie,
à utiliser leur bon sens naturel et à faire
confiance à la science.
Seules les compétences médicales, la
volonté et la responsabilité des êtres hu­
mains, et non celles issues de super­
stitions et prétendument attribuées à
fondamentaux, parmi lesquels la préserva­
tion de la vie humaine comme finalité pre­
mière, la culture musulmane éclairée
prouve qu’elle peut prendre toute sa part
aux grands débats de société qui s’annon­
cent, en leur apportant la contribution du
meilleur de sa philosophie et en partici­
pant au progrès de l’humanité, de manière
responsable et réelle. 
Sadek Beloucif est président
de l’association L’Islam au XXIe siècle ;
Hakim El Karoui est président
de l’Association musulmane pour l’islam
de France ;
Chems-Eddine Hafiz est recteur
de la Grande Mosquée de Paris ;
Mohammed Moussaoui est président
du Conseil français du culte musulman

28 | 0123
GÉOPOLITIQUE | CHRONIQUE
par sylv i e kauf fmann
La responsabilité
de l’Allemagne
A LA CRISE DUE
près avoir – littérale­
ment – volé au secours
du troisième âge autri­
chien, la Roumanie
vole maintenant au secours des
mangeurs d’asperges allemands.
C’est un effet collatéral de la crise
due à la pandémie de Covid­19 : les
pays les plus riches de l’UE, dont
l’organisation sociale et économi­
que a été perturbée par la ferme­
ture des frontières et le retour
massif des travailleurs immigrés
chez eux, mettent en place des
ponts aériens pour acheminer la
main­d’œuvre roumaine, afin de
parer aux urgences. Et, en Allema­
gne, la récolte des asperges printa­
nières en fait partie.
Etranges disparités que ce re­
tour du rite des asperges et la
réouverture de boutiques vien­
noises, contrastant avec le sud de
l’Europe toujours confiné, qui
compte ses morts ! Tandis que le
Royaume­Uni dérive dans sa pro­
pre tragédie à l’écart du continent
européen, cette crise redonne un
rôle central à l’Allemagne. De nou­
veau, ce poids lourd de l’Europe,
par la taille de sa population et
par celle de son économie, doit af­
fronter la question de sa respon­
sabilité face à l’avenir de cette UE
dont il a tant bénéficié.
Comme il y a dix ans, l’Allema­
gne est du bon côté. Par chance,
cette fois, autant que par mérite :
si le niveau d’anticipation, de pré­
paration et d’équipement du sec­
teur sanitaire outre­Rhin face à
l’offensive du SARS­CoV­2 a fait
l’admiration de leurs partenaires
européens, les Allemands ont
aussi profité du fait qu’ils se sont
trouvés en arrière du front. Pour
eux, le Covid­19 a d’abord été une
épidémie de skieurs, qui ont rap­
porté le virus des stations de
sports d’hiver du Tyrol, en Autri­
che, et des Alpes italiennes. Jeunes
et sportifs, ils ont mieux résisté
que les fidèles de la conférence
évangélique qui s’est tenue à Mul­
house (Haut­Rhin) en février.
Faire sauter les tabous
A ce stade, l’Italie était déjà frap­
pée ; instruit par l’expérience
transalpine, le système de santé
allemand a su réagir très vite, tes­
ter et isoler les patients, mettre en
œuvre un système de dépistage
massif grâce à une production ac­
célérée de tests et protéger les
personnes âgées. Parallèlement,
un plan de sauvetage d’une am­
pleur sans précédent dans l’his­
toire du pays – soit 750 milliards
d’euros – a été mis au point pour
permettre à l’économie de tenir le
choc, faisant sauter au passage
tous les tabous, à commencer par
celui du déficit budgétaire.
Moins atteinte et mieux équi­
pée, l’Allemagne est donc mise au
défi de la solidarité par l’Italie et
l’Espagne, pays les plus grave­
ment touchés. Le réflexe n’est pas
venu spontanément de Berlin, où
l’on se sent aujourd’hui un peu pi­
teux d’avoir si vite fermé les fron­
tières et interdit (comme Paris)
l’exportation de matériel médi­
cal. Le ministre des affaires étran­
gères, Heiko Maas, a eu dans Der
Spiegel cette métaphore mala­
droite pour le justifier : « C’est
comme dans les avions, il faut
mettre son masque à oxygène
avant d’aider les autres, a­t­il dit :
MOINS ATTEINTE  exercera à partir du 1er juillet, et
ET MIEUX ÉQUIPÉE,  qu’elle repense à grande vitesse en
L’ALLEMAGNE EST  placidité, ignorant le sentiment
MISE AU DÉFI DE  Espagne, frise la désinvolture. La
LA SOLIDARITÉ PAR  solidarité, c’est maintenant. Et
L’ITALIE ET L’ESPAGNE
Tirage du Monde daté mercredi 15 avril : 132 515 exemplaires
0123
JEUDI 16 AVRIL 2020
LA CHINE, 
ELLE AUSSI,  pays africains. Vingt millions d’Africains être soutenue par le G20 où siège la Chine,
risquent de perdre leur emploi cette année, l’un des principaux créanciers de l’Afrique
DOIT ANNULER 
DES DETTES 
avec des conséquences potentiellement ex­
plosives en termes d’instabilité sociale et
politique, de faim et aussi d’émigration.
(133 milliards d’euros de prêts), l’un des plus
intransigeants aussi.
Si l’appel d’Emmanuel Macron est des­
AFRICAINES Pour les Etats africains, le coup est d’autant
plus rude qu’ils sont dépendants des prix
des matières premières qui s’effondrent et
tiné à manifester l’ouverture d’esprit de
Paris vis­à­vis de l’Afrique francophone,
elle sonne aussi comme une invitation à la
de la faiblesse de leurs monnaies, qui alour­ Chine. Alors que le président Xi Jinping re­
dit la charge de leurs dettes. vendique pour son pays un statut de
 
C’est pourquoi Emmanuel Macron a eu grande puissance et cherche à faire oublier
raison, lundi 13 avril, d’appeler à « aider » son rôle dans la pandémie qui paralyse la
AU CORONAVIRUS  l’Afrique en « annulant massivement sa planète, il est temps pour lui d’assumer
dette », ainsi que le revendiquent plusieurs ses responsabilités à l’égard de l’Afrique,
DONNE DE NOUVEAU  chefs d’Etat, dont le Sénégalais Macky Sall. où sa « générosité » se traduit massive­
Rare digression internationale dans un dis­ ment par des prêts.
À BERLIN 
UN RÔLE CENTRAL 
EN EUROPE 
L e séisme planétaire déclenché par le
Covid­19 risque d’emporter les plus
faibles, les plus désarmés. Cela est
vrai des êtres humains, des entreprises,
mais aussi des Etats. Avec 16 900 cas d’in­
cours destiné à l’opinion française, l’invita­
tion présidentielle rappelle utilement,
alors que le monde se hérisse de frontières,
que la victoire sur la pandémie ne peut être
que planétaire et solidaire. L’annulation
Jusqu’à présent, Pékin n’annule pas les
dettes des pays africains en détresse : il lui
arrive de les « oublier » provisoirement
contre la souscription de nouveaux prêts
dont les taux d’intérêt sont supérieurs à
fection recensés, le continent africain ne des dettes africaines figure depuis trois dé­ ceux de la Banque mondiale. Les autres
on a fait les choses dans le bon représente pour l’heure qu’une faible part cennies à l’agenda des pays développés Etats créanciers, eux, craignent que les det­
ordre. » La suite, pourtant, ne du 2 millions de malades recensés dans le créanciers, avec des processus comme ceux tes qu’ils effacent ne bénéficient indirecte­
semble pas aller de soi. Accompa­ monde. Mais les dégâts du nouveau coro­ mis en œuvre par le Club de Paris. ment à la Chine.
gner les grands blessés sur le to­ navirus dans des pays pauvres dénués de Mardi, au lendemain de l’appel du prési­ Seule une procédure incluant l’ensemble
boggan de sortie, c’est plus risqué. systèmes de santé publique, où le confine­ dent Macron, le G7 a pris position en faveur des créanciers peut donc réellement des­
Car, très vite, une fois surmontés ment est incompatible avec la survie, ris­ de la suspension du service de la dette de serrer l’étau sur les pays africains. Cela sup­
les écueils habituels de la caco­ quent d’être considérables. « Un choc sé­ 76 pays pauvres, dont une quarantaine en pose que Pékin sorte de l’opacité de ses re­
phonie à vingt­sept et des nuits vère », avertit la Banque mondiale. Afrique subsaharienne. Ce simple mora­ lations financières avec le continent. Si la
blanches de l’Eurogroupe, une fois Bill Gates, très impliqué dans les politi­ toire constitue un premier pas vers une an­ Chine veut consolider son image de bien­
agréés des dispositifs d’assistance ques sanitaires africaines, rappelle dans Le nulation pure et simple de dette, qui reste à veillance en Afrique, elle doit accepter ce
financière d’urgence non négli­ Monde que Manhattan dispose de plus de décider au cas par cas dans un cadre multi­ que les pays riches ont fini par admettre :
geables, on a touché au fond du lits en soins intensifs que la plupart des latéral. Fait marquant, l’initiative pourrait annuler des dettes africaines. 
problème : comment financer
équitablement, à l’échelle euro­
péenne, la reconstruction des éco­
nomies dévastées ? Comment évi­
ter que l’écart économique se
creuse encore entre le Nord et le
Sud, dans un engrenage désas­
treux ? Ce partage du fardeau im­
plique, pour le pays qui s’en est le
mieux sorti, une concession. A
Berlin, où l’on devine sans peine
derrière le « partage du fardeau »
un mot qui fait horreur, celui de
mutualisation, cette concession
est perçue comme très politique.
Et, pour l’instant, ni la chancelière
Angela Merkel ni ses partenaires
de coalition ne sont prêts à la faire.
Et encore moins les euroscepti­
ques, minoritaires, de l’AfD (ex­
trême droite).
Inutile de se cacher derrière
les Pays­Bas, tout aussi réfractai­
res – c’est bien de l’Allemagne
qu’il s’agit, et de l’ultime limite de
sa logique européenne. La France,
passée à l’offensive aux côtés de
Rome et de Madrid, pousse elle­
même sa logique : il faut, précisé­
ment, mutualiser, car la profon­
deur et la violence de cette crise­ci
imposent un saut qualitatif au
système européen. Peu importe
que ce saut s’appelle « corona­
bonds » ou « instrument budgé­
taire », que l’on parle de « mutua­
lisation des dépenses de la crise »
pour éviter l’anathème de la
« mutualisation des dettes », mais
le geste de solidarité qu’exige le
fonds de reconstruction doit être
suffisamment spectaculaire pour
montrer que l’on a changé d’ère.
Le débat est ouvert, à Berlin
comme à Bruxelles. Dans les mé­
dias allemands, de nombreuses
voix pressent le gouvernement
d’évoluer. En réponse, Angela Mer­
kel et ses ministres ne manquent
pas une occasion de rappeler, tardi­
vement, leur engagement euro­
péen, tout en restant dans leur
zone de confort : l’accueil de plus
de 200 patients de l’UE dans les hô­
pitaux allemands avec l’aide de la
Bundeswehr, l’envoi de matériel
médical à l’Italie, les mesures
agréées par l’Eurogroupe. « Ils tour­
nent autour de l’idée sur le terrain de
RÉUSSIR SA TERMINALE AVEC
jeu qu’ils connaissent, là où Macron
cherche à sortir la balle du court »,
observe un diplomate à Paris. ET BIEN PRÉPARER LA SUITE.
« Je ne crois pas que l’on puisse
déjà dire quelle sera l’image de l’Al­
lemagne à la fin de cette crise, a en­
core dit Heiko Maas au Spiegel. En vente chez votre marchand de journaux ou sur lemonde.fr/boutique
Nous aurons bien d’autres occa­
sions de manifester notre solida­
rité. » Sans doute pense­t­il à la pré­
sidence de l’UE, que l’Allemagne
En coédition avec
« présidence corona ». Mais cette En partenariat avec
d’urgence qui règne en Italie et en
En regard des conséquences liées à la crise sanitaire, la MAIF, Le Monde et Rue des Ecoles offrent à toutes
c’est maintenant que l’image de
les lycéennes et tous les lycéens le téléchargement de ces hors-série : revisersonbac.com
l’Allemagne se dessine. 