MARDI 1ER DÉCEMBRE 2020

76E ANNÉE – NO 23606

3,00 € – FRANCE MÉTROPOLITAINE
WWW.LEMONDE.FR –
FONDATEUR : HUBERT BEUVE-MÉRY
DIRECTEUR : JÉRÔME FENOGLIO

LE MONDE CAMPUS – SUPPLÉMENT  LES JEUNES ARCHITECTES À L’ÉPREUVE DU RÉEL

Bitcoins : enquête sur une escroquerie planétaire
▶ « Le Monde » et un ▶ Des milliers de person­ ▶ Publicités mensongères, ▶ Ce type de criminalité ▶ Même s’il est difficile
consortium international nes, appâtées sur Internet, sociétés­écrans, rabatteurs est l’œuvre de réseaux d’identifier les donneurs
de journalistes ont en­ ont été piégées par des persuasifs, centres d’ap­ bien rodés, actifs dans d’ordre, les procédures
quêté sur de vastes arna­ promesses d’investisse­ pels… le système est d’une divers pays, dont Israël, judiciaires se multiplient
ques aux cryptomonnaies ments très rémunérateurs redoutable efficacité l’Ukraine et la Biélorussie PAGE S 22- 23

COVID­19 Police : Macron 
LA STRATÉGIE  veut apaiser 
DES TESTS MASSIFS  sans se déjuger
FAIT DÉBAT le chef de l’état cherche à sor­
tir du débat sur la loi « sécurité
globale ». L’écriture de l’article 24,
▶ Pour freiner l’épidé­ fortement contesté, pourrait être
mie en France, un amendée. Le ministre de l’inté­
rieur, Gérald Darmanin, doit
groupe de dix scienti­ aussi faire des propositions pour
fiques suggère aux renouer le lien entre la police et la
population. Près de cent policiers
pouvoirs publics et gendarmes ont été blessés lors
des dépistages de des manifestations du 28 novem­
grande envergure bre. Deux policiers accusés
d’avoir roué de coups un produc­
▶ D’autres spécialistes teur parisien ont été placés en dé­
doutent fortement tention provisoire.
PAGES 10-11 ET ANALYSE PAGE 30
de cette stratégie
▶ Une expérience Centre de dépistage
pilote pourrait
être menée à Lille
du Palais des sports
de Gerland, à Lyon, Liban
PAGE 8 ET IDÉES PAGES 2 8 -2 9
le 13 octobre.
LAURENT CIPRIANI/AP La banque 
centrale préserve 
Chine LE REGARD DE PLANTU  Corse ses secrets
Révélations
Les géants de  sur l’affaire de la L’institution, accusée de
bloquer les investigations
l’Internet obligés  bande du Petit Bar sur ses comptes, joue un
PAGE 13 rôle­clé dans le système
de rentrer oligarchique à l’origine
des dérives du pays
dans le rang Sondage PAG ES 2- 3
La place des sujets
Le vent tourne pour les
environnementaux
puissants groupes chinois
de la tech que sont Ali­
dans trente pays
PAGE 7
1
É D ITO RI A L
baba, Tencent ou encore
Meituan. Après les avoir
considérés d’une certaine Reportage L’ÉTAT LIBANAIS, 
manière comme ses en­ En Guadeloupe, MONSTRE 
fants chéris, le Parti com­
muniste multiplie les si­
l’éternelle course INGOUVERNABLE
gnes de reprise en main à l’eau potable PA GE 32
PAGE 18 PAGE 24
Année 2020 - Photos non contractuelles - LIDL RCS Créteil 343 262 622.

MERCREDI 2 DÉCEMBRE

De Noel
L’ABUS D’ALCOOL EST DANGEREUX POUR LA SANTÉ, À CONSOMMER AVEC MODÉRATION

Algérie 220 DA, Allemagne 3,70 €, Andorre 3,50 €, Autriche 3,80 €, Belgique 3,20 €, Canada 5,80 $ Can, Chypre 3,20 €, Danemark 36 KRD, Espagne 3,50 €, Gabon 2 400 F CFA, Grande-Bretagne 3,10 £, Grèce 3,50 €, Guadeloupe-Martinique 3,30 €, Guyane 3,50 €,
Hongrie 1 440 HUF, Italie 3,50 €, Luxembourg 3,30 €, Malte 3,20 €, Maroc 22 DH, Pays-Bas 3,80 €, Portugal cont. 3,50 €, La Réunion 3,30 €, Sénégal 2 400 F CFA, Suisse 4,40 CHF, TOM Avion 500 XPF, Tunisie 4,10 DT, Afrique CFA autres 2 400 F CFA
 INTERNATIONAL
0123
2| MARDI 1ER DÉCEMBRE 2020

LA  CRISE  LIBANAISE

Au Liban, une intouchable banque centrale
L’institut d’émission est au cœur du système oligarchique à l’origine des dérives et de la faillite du pays

beyrouth ­ correspondant

L
es bailleurs de fonds internatio­
naux du Liban le réclament. Le
président de la République,
Michel Aoun, en fait une affaire
personnelle. Le gouvernement
d’Hassan Diab, qui avait lancé ce
chantier en mars, continue de le soutenir
bien qu’il soit démissionnaire depuis l’ex­
plosion du port de Beyrouth, survenue le
4 août. Pourtant, dans l’un de ces dysfonc­
tionnements institutionnels dont le pays
du Cèdre a la spécialité, l’audit juricompta­
ble de la Banque du Liban (BDL, la banque
centrale du pays), un élément­clé du sauve­
tage économique du pays, risque de ne ja­
mais voir le jour.
Vendredi 20 novembre, le cabinet mandaté
par le ministère libanais des finances pour
mener à bien cette mission, la firme améri­
caine Alvarez & Marsal, a jeté l’éponge, après
que la BDL a refusé de lui ouvrir ses comptes,
en arguant du secret bancaire. Son gouver­
neur, l’inamovible Riad Salamé, en poste de­
puis vingt­sept ans, résiste bec et ongles à
cette opération, destinée à faire la lumière
sur la faillite du secteur bancaire du pays,
dont les pertes sont évaluées à 68 milliards
de dollars (57 milliards d’euros).
« C’est une gifle pour l’Etat libanais », s’indi­
gne Marie­Claude Najm, la ministre de la jus­
tice, qui, comme ses homologues, continue
d’expédier les affaires courantes, le temps
que Saad Hariri, le successeur d’Hassan Diab
désigné fin octobre, ait formé son équipe.
« La BDL s’est transformée en un Etat dans
l’Etat, qui refuse de rendre des comptes, pour­
suit la ministre. Cela envoie un très mauvais
signal, celui d’une institution qui a quelque
chose à cacher. »
C’est peu dire qu’il y a urgence, pourtant. La
crise de liquidités, qui a éclaté à la fin de l’été
2019, a entraîné un effondrement de la mon­
naie nationale et une hausse vertigineuse du
prix des denrées de base. La part de la popu­ Devant la Banque du Liban, le 12 novembre, à Beyrouth. MOHAMED AZAKIR/REUTERS
lation vivant sous le seuil de pauvreté est
passée de 30 % en 2019 à 55 % aujourd’hui.

PRATIQUES PEU ORTHODOXES
A l’instar de la France, les Etats occidentaux
et arabes, qui n’ont cessé de renflouer le
Liban ces vingt dernières années, refusent
de ressortir leur chéquier tant que le pays
n’a pas signé un accord avec le Fonds moné­
taire international (FMI). Et ce dernier, avec
lequel le gouvernement avait négocié sans
succès au printemps, exige au préalable une
série de réformes, dont l’audit de la BDL.
Celui­ci se divise en trois volets : un volet
purement comptable, confié au cabinet
KPMG, qui vise à connaître le bilan exact de
la BDL ; un volet « conformité », attribué au
cabinet Oliver Wyman, pour vérifier que les
pratiques de l’institution monétaire ne déro­
gent pas aux standards des banques centra­
les ; et un volet juricomptable donc, pour dé­
tecter d’éventuelles malversations.
Ces procédures ont été lancées par le gou­
vernement d’Hassan Diab à la fin mars. Elles
répondaient à la colère de la rue, imputant la
responsabilité de la crise à l’oligarchie
politico­financière. Ce faisant, Hassan Diab,
un nouveau venu sur l’échiquier politique,
remplaçant de Saad Hariri, poussé à la dé­
mission par les manifestations de l’automne
2019, faisait acte de courage politique.
Pour financer le déficit budgétaire et main­
tenir la parité de la livre libanaise avec le
dollar, la BDL a recouru à des pratiques peu
orthodoxes, qualifiées d’« ingénieries finan­
cières ». Un système destiné à aspirer les dé­
pôts en dollars des banques commerciales,
moyennant un taux d’intérêt très élevé, que
le président français Emmanuel Macron a
lui­même qualifié de « pyramide de Ponzi ».
Avant de précipiter la chute du secteur
bancaire, ces montages ont fait la fortune
des actionnaires des banques, parmi les­
quels on trouve de nombreux hommes poli­
tiques. La Bankmed, au capital de laquelle fi­
gure Saad Hariri, en a été l’une des grandes
bénéficiaires. Rien qu’en 2016, les « ingénie­
ries » de la BDL ont fait gagner 5 milliards de
dollars aux établissements financiers liba­
nais, selon le FMI. L’équivalent de 10 % du
produit intérieur brut (PIB) du pays, sans la
moindre contrepartie pour l’Etat. Un rap­
port d’audit « classique », réalisé en 2018 par
les cabinets EY et Deloitte, dont Le Monde guère appréciée. Concernant l’audit juri­ dit qui « interdit à la Banque centrale de révé­
s’est procuré une copie, fait apparaître comptable, M. Salamé a assuré au Monde ler les comptes d’autrui qui sont ouverts
d’autres éléments problématiques. Les que « la Banque du Liban a coopéré avec auprès d’elle ». Il assure aussi avoir demandé
auditeurs relèvent qu’ils n’ont pas été auto­ Alvarez & Marsal ». Le déroulement de la au ministre des finances l’autorisation
risés à procéder à l’inventaire du stock d’or procédure permet d’en douter. Via ses relais écrite de livrer les comptes souverains et
de la BDL, valorisé à 10 trillions de livres en au sein de l’establishment libanais, le gou­ que celle­ci ne lui est jamais parvenue.
décembre 2018 (5,5 milliards d’euros). Leur verneur a multiplié les obstacles. L’un de ses « Les comptes souverains appartiennent à
rapport pointe aussi une augmentation sus­ fidèles, le chef du Parlement, Nabih Berri, l’Etat et c’est l’Etat qui a mandaté Alvarez
pecte de ses actifs, de l’ordre de 6 milliards leader du parti chiite Amal, a fait échouer la & Marsal. Il n’y a pas d’autorisation à deman­
de dollars, basée sur des procédés compta­ candidature d’un premier cabinet d’audit, der », riposte Alain Bifani, ancien directeur
bles contestables. l’américain Kroll, en laissant entendre qu’il général du ministère libanais des finances,
« LA BANQUE CENTRALE  aurait partie liée avec Israël. Une rumeur qui a claqué la porte des négociations avec le
ZONES D’OMBRE S’EST TRANSFORMÉE infondée, qui n’a pas même inquiété le FMI pour protester contre l’obstruction du
Les détracteurs de Riad Salamé soupçonnent Hezbollah, le mouvement chiite pro­ira­ secteur bancaire. Le Haut Conseil consulta­
que ces zones d’ombre ne soient que la par­ EN UN ÉTAT DANS  nien, pourtant très hostile à l’Etat hébreu. tif du ministère de la justice a d’ailleurs sta­
tie émergée d’un système plus vaste, ayant Saad Hariri, le premier ministre désigné, tué que l’argument du secret bancaire
profité à l’élite libanaise. Dans leur esprit, la L’ÉTAT, QUI REFUSE DE  chef de file de la communauté sunnite, s’op­ brandi par la BDL n’était pas recevable.
BDL est la boîte noire du système politique pose aussi à l’audit juricomptable. Une posi­ Depuis quelques jours, l’entourage de Riad
prédateur qui a fait le malheur du Liban. « La
RENDRE DES COMPTES.  tion logique compte tenu de son implication Salamé affirme que l’audit de la BDL sera
BDL s’est infiltrée dans tous les circuits écono­ CELA ENVOIE UN TRÈS  dans la Bankmed et de sa proximité avec mené par la Banque de France. Une idée sug­
miques du pays et la classe politique en a lar­ M. Salamé, qui fut longtemps le gestionnaire gérée cet été par Emmanuel Macron, qui re­
gement bénéficié », soutient l’économiste MAUVAIS SIGNAL, CELUI  de portefeuille de son père, l’ancien premier vient à minorer l’importance de l’audit juri­
Toufic Gaspard. ministre Rafic Hariri, assassiné en 2005. « Le comptable. Mais selon les informations du
« La BDL a rempli son mandat et a œuvré D’UNE INSTITUTION message implicite que Riad Salamé envoie à Monde, la Banque de France n’a aucunement
pour l’intérêt du Liban, rétorque Riad QUI A QUELQUE CHOSE  la classe dirigeante, c’est : “Si je coule, vous l’intention de réaliser cette opération. Celle­ci
Salamé, qui a répondu par écrit aux ques­ coulez aussi.” Le désastre libanais est le résul­ s’est juste engagée à fournir une assistance
tions du Monde. Le double déficit qui a gé­ À CACHER » tat de décennies de mauvaise gestion, de cor­ technique, en tant que « tiers de confiance ».
néré la vulnérabilité, déficit du budget ou dé­ ruption, menées par une élite oligarchique », Derrière ce rapprochement, les milieux ré­
MARIE-CLAUDE NAJM
ficit du compte courant, n’est pas de son res­ suggère Toufic Gaspard. formateurs libanais redoutent un arrange­
ministre libanaise de la justice
sort. » Au début du mois, le gouverneur ment en coulisses entre les bailleurs de
affirmait aussi que « le Liban n’est pas un LA CRAINTE D’UN « DEAL » fonds du Liban et le patron de la BDL. Un
pays en faillite », attribuant la crise actuelle En dépit des pressions, le gouvernement « deal » qui enterrerait l’enquête juricomp­
aux tensions régionales. Une déclaration Diab a tenu bon. En juillet, il a sélectionné un table, jugée trop politisée, en échange des
que les Libanais, qui ne peuvent pas accéder nouveau candidat, Alvarez & Marsal. A la deux autres volets de l’audit. « La commu­
à leur épargne depuis bientôt un an, n’ont rentrée de septembre, ce cabinet a envoyé à nauté internationale a couvert notre classe
la BDL une liste de 129 requêtes. La réponse politique pendant trente ans, confie une
de l’institution s’est apparentée à une fin de source au sein du gouvernement. Pourrait­
Une conférence humanitaire internationale non­recevoir. Elle a refusé de satisfaire 58 %
des demandes de la société américaine,
elle lui offrir l’impunité contre un simple en­
gagement à changer ses pratiques ? »
La France organisera, mercredi 2 décembre, une visioconférence qu’elles soient d’ordre financier (fournir des Vendredi 27 novembre, lors d’une séance
humanitaire internationale destinée à faire le point sur les besoins de documents comptables), administratif exceptionnelle au Parlement, les députés
la population libanaise, quatre mois après l’explosion du port de (fournir la liste des employés de la BDL de­ ont rivalisé de déclarations favorables à
Beyrouth. Une trentaine de chefs d’Etat, de gouvernement, de minis- puis 2015) ou même logistique (mettre un l’audit juricomptable. Une mobilisation de
tres ainsi que des institutions internationales et des ONG libanaises bureau à disposition des auditeurs). pure forme, sans implication concrète, des­
participeront à cet exercice, suite d’une première conférence, tenue « Alvarez & Marsal ont compris que ce se­ tinée à leur donner le beau rôle vis­à­vis de
le 9 août, qui avait permis de lever 250 millions d’euros d’aide. L’Elysée rait l’enfer, c’est pour cela qu’ils ont renoncé », l’opinion publique. Les élus auraient pu vo­
a choisi de maintenir cette réunion virtuelle bien que le Liban ne soit argue un analyste financier libanais sous ter un texte contraignant et ils ne l’ont pas
toujours pas doté d’un gouvernement en mesure de mener les couvert d’anonymat. Dans sa réponse au fait. On ne touche pas à la BDL, la boîte de
réformes réclamées par ses bailleurs de fonds. Elle sera présidée par Monde, Riad Salamé justifie son attitude par Pandore du système libanais. 
Emmanuel Macron et le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres. l’article 151 du code de la monnaie et du cré­ benjamin barthe
0123
MARDI 1ER DÉCEMBRE 2020 international | 3

Nucléaire iranien : l’appel

à l’action d’anciens
diplomates européens
Quatre mois après l’explosion du port Un groupe d’experts redoute d’ultimes
initiatives de la part de Donald Trump
de Beyrouth, un pays au point mort avant la prise de fonctions de Joe Biden

Ni l’enquête sur la tragédie du 4 août ni la formation d’un gouvernement n’ont progressé

beyrouth ­ correspondant parti chiite Amal de céder le por­

tefeuille des finances, qu’il dé­
de l’investigation, Fadi Sawan, a
demandé au Parlement d’ouvrir
mencer par la présence massive
de réfugiés syriens, que l’Europe
L’ assassinat, le 27 novem­
bre, de Mohsen Fakhriza­
deh, figure majeure du
programme nucléaire iranien, le
rappelle à point nommé : les
Pour prévenir
toute escalade,
il faudra

P rès de quatre mois après

l’explosion qui a dévasté
le port de Beyrouth et plu­
sieurs quartiers de la capitale li­
banaise, obligeant le gouverne­
ment de Hassan Diab à présenter
sa démission, le processus de for­
mation d’un nouvel exécutif est
au point mort.
Cette paralysie institutionnelle,
triste classique de la vie politique
libanaise, avive la crise économi­
que en cours, marquée par une
inflation de 120 %, une déprécia­
tion de la livre de l’ordre de 80 %
et un effondrement des réserves
de la Banque centrale. Cette situa­
tion pourrait conduire, à brève
échéance, à une levée des subven­
tions sur les importations de pro­
duits de base, étranglant encore
un peu plus la population dont le
pouvoir d’achat s’est effondré.
Pour endiguer cette descente
aux enfers, le président français
Emmanuel Macron avait lancé,
lors de sa venue fin août à Bey­
routh, une initiative appelant à la
formation, dans un délai de deux
semaines, d’un exécutif resserré
composé d’experts adoubés par
les partis. Un gouvernement de
mission, censé mettre en œuvre
les réformes réclamées par les
bailleurs de fonds du Liban de­
puis près de deux décennies.
Le diplomate Mustapha Adib,
initialement choisi pour mettre
en œuvre cette feuille de route,
endossée verbalement par tous
les partis, a jeté l’éponge au bout
de trois semaines. Ses efforts ont
notamment buté sur le refus du
tient depuis 2014 et qui lui donne
une sorte de droit de veto sur l’ac­
tion gouvernementale. Un dur­
cissement consécutif aux sanc­
tions imposées par les Etats­Unis
sur deux alliés du Hezbollah, le
mouvement chiite pro­iranien,
dont un responsable d’Amal.
Stratégie d’évitement
La charge de former le gouverne­
ment a alors échu à Saad Hariri,
chef de file de la communauté
sunnite et premier ministre à
trois reprises depuis la fin des an­
nées 2000. Mais ses efforts ne
sont pas plus fructueux pour
l’instant. Ils se heurtent à l’hosti­
lité de Gebran Bassil, le chef du
Courant patriotique libre (CPL,
droite chrétienne), qui insiste
pour désigner « ses » ministres au
sein du futur gouvernement. Les
pressions des Etats­Unis, qui refu­
sent maintenant que le Hezbol­
lah, le mouvement classé terro­
riste par Washington, soit repré­
senté dans cette équipe, entra­
vent aussi la tâche de M. Hariri.
Selon des médias libanais, l’am­
bassadrice américaine à Beyrouth
a menacé de le placer sous sanc­
tions, comme M. Bassil, un allié
du Hezbollah, s’il outrepasse
cette consigne.
L’enquête sur la tragédie du
4 août n’avance guère plus. L’ex­
plosion de l’énorme stock de ni­
trate d’ammonium entreposé
dans le port de Beyrouth depuis
2014 a fait plus de 200 morts et
des milliers de blessés. La se­
maine dernière, le juge en charge
une enquête sur plusieurs minis­
tres sortants et anciens minis­
tres. Mais pour l’avocat Nizar
Saghieh, directeur de l’ONG Legal
Agenda, cette initiative ressem­
ble davantage à une stratégie
d’évitement qu’à un début de so­
lution. « Cela ouvre la voie aux in­
terférences politiques, dit­il. En
agissant de la sorte, le juge veut
éviter toute confrontation avec
des gens influents. »
Jusqu’ici, seuls des seconds cou­
teaux ont été arrêtés, comme
Badri Daher, le directeur général
des douanes, ainsi qu’une ving­
taine d’autres responsables liés à
l’administration du port et à sa sé­
curité. Pourtant, ces six dernières
années, les autorités politiques
ont été prévenues à plusieurs re­
prises de la présence de cette
bombe à retardement dans un
hangar du port. La dernière alerte
était arrivée sur le bureau de
Hassan Diab et du président de
la République, Michel Aoun, le
20 juillet, deux semaines avant la
déflagration.
Impuissance occidentale
Persuadée de n’être qu’un pion
dans le jeu des puissants, la classe
politique veut croire que la pro­
chaine administration améri­
caine enclenchera une détente
avec l’Iran, qui se répercutera sur
la scène locale. Si le Liban n’est
plus une « priorité », comme le
martèlent les pays « amis », exas­
pérés par l’enlisement des réfor­
mes, plusieurs dossiers conti­
nuent de les préoccuper. A com­
ne veut pas voir débarquer sur
son sol. Ces intérêts pourraient­
ils inciter les chancelleries occi­
dentales, qui se sont longtemps
accommodées de la mauvaise
gouvernance libanaise, à redeve­
nir moins sourcilleuses ? Certains
caciques font ce calcul.
Dans son discours au vitriol de
la fin septembre, suite à l’échec de
Mustapha Adib, M. Macron avait
fustigé la « trahison » de l’élite
politique libanaise et s’était fixé
un nouvel horizon : « quatre à six
semaines » pour voir si la forma­
tion d’un gouvernement de mis­
sion est toujours possible, faute
de quoi, il faudrait « aller peut­être
dans une voie plus systémique de
recomposition politique ».
L’échéance est passée et l’op­
tion du changement de système
semble avoir disparu. Lors de sa
venue à Beyrouth, mi­novembre,
le conseiller Moyen­Orient du
président, Patrick Durel, n’y a pas
fait allusion. Il s’est contenté de la
sempiternelle tournée des ba­
rons communautaires, figure ri­
tuelle de l’impuissance occiden­
tale au Liban.
« Macron n’a pas poussé assez
fort, déplore Henri Chaoul, un ex­
conseiller du ministre des finan­
ces, figure du mouvement proré­
formes. Il aurait dû obliger tous
nos responsables politiques à se
mettre à l’écart et à investir un
vrai gouvernement d’indépen­
dants, dotés de pouvoirs excep­
tionnels pour dix­huit mois. C’est
aussi simple que ça. » 
benjamin barthe et l.s.
Européens ont des moyens d’ac­
tion limités, mais ils ne peuvent
demeurer passifs, en attendant
l’entrée en fonctions de Joe Biden,
en janvier 2021. Ils doivent mettre
en place une stratégie afin de ten­
ter de revitaliser l’accord sur le
nucléaire iranien (JCPoA), sur une
base transatlantique. Tel est le
sens de la lettre ouverte publiée,
lundi 30 novembre, sur le site du
Conseil européen pour les rela­
tions internationales (ECFR), un
cercle de réflexion, par six an­
ciens diplomates européens de
haut rang. Ceux­ci ne mention­
nent même pas deux autres si­
gnataires de l’accord, la Chine et la
Russie, et se concentrent sur la
feuille de route que pourraient
suivre Paris, Berlin et Londres.
Après s’être démenés pendant
quatre ans pour résister aux
coups de boutoir de l’administra­
tion Trump, qui s’est retiré de l’ac­
cord en 2018, les pays de l’E3
(Royaume­Uni, France, Allema­
gne) doivent, selon les signatai­
res, appeler Washington et Téhé­
ran à se conformer de nouveau au
JCPoA. La question du séquençage
des étapes sera évidemment cru­
ciale. Ensuite, seulement, pour­
rait être abordée, éventuelle­
ment, la question plus large de
la sécurité régionale et du pro­
gramme balistique iranien.
L’équipe rassemblée par le prési­
dent américain élu, Joe Biden – et
notamment son futur conseiller
à la sécurité nationale, Jack Sulli­
van, très familier du dossier ira­
nien –, ne veut pas se contenter
d’un simple renversement de la
décision de Donald Trump.
appeler l’Iran
à la retenue,
notamment
en Irak
évoquées pour compliquer un re­
tour de Biden dans le JCPoA, no­
tent­ils dans leur lettre, rédigée
avant l’assassinat de Mohsen
Fakhrizadeh. De récents rapports
suggèrent aussi qu’il existe un ris­
que de tensions militaires accrues
entre les Etats­Unis et l’Iran. »
Pour prévenir toute escalade, il
faudra appeler l’Iran à la retenue,
notamment en Irak contre les in­
térêts américains, mais aussi
échanger avec des pays­clés de la
région comme l’Arabie saoudite
et Israël. L’Etat hébreu s’inquiète
d’une possible réhabilitation
américaine du JCPoA. Tous les re­
gards se sont tournés vers Tel­
Aviv, vendredi, au vu de l’audace
et du professionalisme de l’assas­
sinat du scientifique iranien.
Sur un plan politique, d’autres
difficultés, en Iran, apparaissent.
La perspective de la présidentielle
au printemps 2021 tend les posi­
tions entre conservateurs et mo­
dérés, et incite peu au compro­
mis. Il est possible que des pro­
grès ne puissent être réalisés
qu’après cette échéance.
Dans cette perspective, il faudra
aussi, dit la lettre ouverte, œuvrer
à élargir le soutien au Congrès
américain, en faveur d’un retour
dans le JCPoA. Afin d’anticiper ces
étapes, une réunion de la com­
mission conjointe du JCPoA de­
vrait se tenir dans les prochaines

Face aux épreuves, le soutien de la diaspora Dérapage contrôlé

Le village de Zrariyé, dans le sud du Liban, dépend en grande partie de l’aide des expatriés
REPORTAGE
zrariyé (liban) ­ envoyée spéciale
Adnane Jezzini, le président de la
municipalité, qui chouchoute ces
donateurs­électeurs. Depuis un
ment de la monnaie locale, ne
donne pas lieu à un embrasement
social. « Il y a aussi des réflexes de
d’Amal, ou Hassan Nasrallah, le
chef du Hezbollah, ont leur por­
trait, Che Guevara apparaît aussi
Les signataires de la lettre repré­
sentent plusieurs pays de l’UE. Il
s’agit de l’ancien premier minis­
tre suédois Carl Bildt ; de l’ex­mi­
nistre d’Etat britannique pour le
Moyen­Orient Alistair Burt ; du
président de la Conférence sur la
sécurité de Munich, Wolfgang Is­
chinger, qui fut vice­ministre des
semaines, de même qu’une ren­
contre entre les directeurs politi­
ques des diplomaties européen­
nes et leur homologue iranien. Il
s’agirait notamment d’appeler
Washington à renouveler les dé­
rogations – supprimées en mai –
portant sur des projets nucléaires
civils iraniens, comme la moder­
nisation du réacteur d’Arak.

L e ciel rougeoyant d’au­

tomne cède la place à l’obs­
curité, et le village de Zra­
riyé, situé sur les hauteurs du lit­
toral, dans le sud du Liban, entre
en somnolence quand débute le
couvre­feu imposé en ces temps
d’épidémie de Covid­19. Dans la
journée, l’activité tourne déjà au
ralenti, effet des multiples crises
qui agitent le pays. Mais les habi­
tants de cette bourgade chiite, où
l’on vit d’ordinaire du commerce
ou de la construction, disent ser­
rer les rangs face à la dégringo­
lade économique et financière.
« On vit au jour le jour. Mais, à Zra­
riyé, la solidarité joue à fond, as­
sure Mohamed Fakih, jeune em­
ployé d’une pharmacie. Ici, par
exemple, des malades chroniques
qui n’ont pas les moyens de payer
leur traitement sont pris en
charge par des bienfaiteurs. »
Des bienfaiteurs ? « Des gens qui
sont en Afrique », précise le jeune
homme de 23 ans, né à Abidjan,
où vivent toujours ses parents. Le
Liban est célèbre pour l’étendue
de sa diaspora. A Zrariyé, près
d’un tiers des 15 000 inscrits sur
les listes électorales vit en Côte
d’Ivoire. C’est aux plus fortunés
d’entre eux qu’appartiennent les
bâtisses clinquantes dont les vo­
lets ne s’ouvrent que lors des re­
tours estivaux. S’ajoutent les fa­
milles installées ailleurs en Afri­
que, en Europe ou aux Etats­Unis.
« La diaspora en Afrique a assuré le
développement du village, résume
an, des habitants dépendent vrai­
ment du soutien financier de leurs
proches [émigrés] pour vivre. La
générosité nous permet aussi
d’épauler les plus pauvres. »
Père de famille de 46 ans, Has­
san Zorqat peine avec son métier
d’ouvrier dans la peinture. Pour
survivre, il a troqué sa voiture
contre une mobylette, et reçu de
l’aide de la diaspora. « Tout est de­
venu très cher. » Dans les épice­
ries, des produits syriens ou turcs
ont remplacé la marchandise
européenne.
« L’argent de l’étranger joue un
rôle d’amortisseur social : c’est vrai
ici, et pour toutes les familles liba­
naises qui comptent un émigré »,
considère Mohamed Mroué,
55 ans et ancien d’Abidjan, en fu­
mant le narguilé au pied de sa
maison cossue, non loin de Zra­
riyé. Dans le pays, le soutien de la
diaspora explique sans doute en
partie pourquoi jusqu’ici l’hype­
rinflation, couplée à l’effondre­
ENVOYER DE L’ARGENT  M. Mroué. Depuis 2016, Washing­
EST TOUTEFOIS DEVENU  comptant couper le robinet au
PLUS COMPLIQUÉ.  puissant mouvement chiite armé.
LES LIBANAIS D’AFRIQUE  des Etats­Unis et d’Israël.
ONT PERDU CONFIANCE  par l’inamovible président du
DANS LES BANQUES
DE BEYROUTH
pays instable : de nombreux foyers
ont des espèces chez eux, au cas où.
Quand ces liquidités vont se tarir,
les choses vont se compliquer »,
alerte M. Mroué.
Longtemps entrepreneur dans
l’industrie plastique en Côte
d’Ivoire, avant de passer la relève
à ses fils, il participe à l’entraide,
par l’intermédiaire de « collectes » :
l’une de ces initiatives privées a
permis l’achat de tablettes pour
des élèves de Zrariyé, contraints
de suivre l’école en ligne à cause
du coronavirus.
La crise s’annonce longue
Envoyer de l’argent est toutefois
devenu plus compliqué. Les Liba­
nais d’Afrique ont perdu confiance
dans les banques de Beyrouth : de­
puis un an, leurs économies y ont
été gelées, comme tous les dépôts
des clients ordinaire. En outre, « les
gens du Sud sentent comme une
épée de Damoclès sur leur tête, à
cause des sanctions américaines
contre le Hezbollah, même si eux et
les leurs n’ont rien à voir avec les
finances du parti », explique
ton a accru ces sanctions, en es­
L’allié de Téhéran est l’ennemi juré
Dominé par Amal (parti dirigé
Parlement, Nabih Berri), le village
revendique une certaine diver­
sité. Si Moussa Sadr, le fondateur
– sur des bannières communis­
tes ; des jeunes ont participé au
soulèvement de 2019 contre la
classe politique. Mais les pres­
sions de Washington à l’encontre
du Hezbollah et de ses alliés font
boomerang dans le Sud : elles
contribuent à renforcer la solida­
rité communautaire et sont dé­
noncées comme une volonté
d’imposer une nouvelle donne
politique au Liban.
On s’y prépare à des jours diffici­
les, on tente de varier l’activité :
selon plusieurs interlocuteurs,
des terres qui n’étaient plus culti­
vées sont aujourd’hui ensemen­
cées. Parfois à petite échelle :
« Mon oncle fait pousser tout ce
dont on a besoin pour cuisiner »,
détaille Mohamed Fakih, le jeune
pharmacien.
Parce que la crise s’annonce
longue, certains songent aussi à
partir. Selon Adnane Jezzini, le
président de la municipalité, plus
de 70 hommes de Zrariyé sont al­
lés grossir les rangs des expatriés
en Côte d’Ivoire au cours des der­
niers mois – parfois comme sim­
ples manœuvres. Son épouse,
Dalida, a envoyé leur fils aîné au
Sénégal, chez ses propres pa­
rents. Quant à Mohamed Fakih,
qui aspirait à vivre au Liban
« pour casser le cycle où l’on ne
pense toute l’année qu’à une chose
– revenir ici l’été », son rêve est
compromis. Il compte s’en aller,
sans savoir où encore. 
laure stephan
affaires étrangères, de Jean­David
Levitte, ancien ambassadeur de
France à Washington et « sherpa »
des présidents Jacques Chirac et
Nicolas Sarkozy, d’Andrzej Ole­
Téhéran réclame jusqu’à pré­
sent un geste unilatéral de Joe
Biden, sous la forme d’un retour
pur et simple dans l’accord. Mais
l’Iran se trouve en dérapage con­
chowski, ancien chef de la diplo­ trôlé depuis dix­huit mois, multi­
matie polonaise, et, enfin, de Ja­ pliant les entorses à ses propres
vier Solana, qui fut notamment engagements, accumulant la
secrétaire général de l’OTAN. quantité d’uranium faiblement
Le texte constate l’échec de la enrichi par exemple, bien au­delà
« campagne de pression maxi­ du plafond prévu (douze fois
mum » conduite par Washington plus). Les échanges diplomati­
contre l’Iran, et ses « sanctions ques entre Européens et Iraniens
sans précédent ayant touché néga­ doivent conduire à plus de réa­
tivement les Iraniens ordinaires ». lisme dans les attentes mutuelles.
Les signataires mettent en garde Sans cela, il ne sera pas possible de
au sujet de la période de transition définir « le contour réaliste d’une
aux Etats­Unis, d’un président à levée des sanctions » par les Etats­
l’autre. « Le temps restant du man­ Unis et d’envisager une aide éco­
dat de l’administration Trump ris­ nomique importante de l’UE, esti­
que d’être turbulent, de nouvelles ment les diplomates. 
mesures étant spécifiquement piotr smolar
L’Iran divisé sur sa riposte au meurtre
de Mohsen Fakhrizadeh
« La vengeance » ou la patience stratégique, telle est aujourd’hui
la question que l’Iran se pose. Alors que le président Hassan Ro-
hani et son entourage, dont le chef de la diplomatie, Mohammad
Javad Zarif, optent pour « ne pas tomber dans le piège », selon les
mots du président iranien, de réagir tout de suite à l’assassinat
de Mohsen Fakhrizadeh, survenu le 27 novembre, ses adversaires
– l’aile dure du régime et les gardiens de la révolution – récla-
ment une réponse forte et immédiate. Le quotidien ultraconser-
vateur Kayhan a ainsi préconisé, ce week-end, une attaque aux
missiles sur le port israélien de Haïfa – Israël étant accusé à Téhé-
ran d’être à l’origine de sa mort. « Notre pays (…) répondra au
moment opportun » à cet assassinat, a jugé Hassan Rohani.
Mohsen Fakhrizadeh, considéré comme un des responsables du
nucléaire iranien, devait être inhumé lundi 30 novembre.

4 | international
Dans le Tigré,
le spectre
des massacres
ethniques
L’Ethiopie affirme avoir repris
la capitale de la région, mais celle­ci
reste coupée du monde
addis­abeba, khartoum ­
correspondance
D
ifficile de faire émer­
ger la vérité d’une ré­
gion coupée du
monde… Alors que le
premier ministre éthiopien, Abiy
Ahmed, revendique la prise de
Makalé, la capitale du Tigré, le
mystère continue de planer sur la
situation réelle dans cet Etat ré­
gional du nord de l’Ethiopie.
Aucune autre source ne vient en
effet confirmer que la ville soit
vraiment tombée et le plus grand
flou règne toujours sur le massa­
cre du bourg de Maïkadra, qui a
fait plusieurs centaines de morts,
le 9 novembre. En marge des
combats, qui sévissent dans ce
territoire, à la suite de l’offensive
militaire lancée le 4 novembre
par Abiy Ahmed, pour arrêter les
dirigeants du parti dissident du
Front populaire de libération du
Tigré (TPLF), de nombreux corps
tailladés ont été retrouvés dans ce
village. Et, en raison de la coupure
d’Internet dans la région, la bour­
gade de l’ouest du Tigré a gardé
son secret pendant trois jours,
jusqu’à la divulgation de ce mas­
sacre par Amnesty International.
Alors que l’ONG se refuse à chif­
frer les morts ou à désigner un
coupable, les témoignages af­
fluent pour expliquer que les for­
ces tigréennes auraient tué sauva­
gement « une centaine de person­
nes » en se retirant de la ville. Les
morts appartiennent pour la plu­
part à l’ethnie amhara, la
deuxième du pays avec 25 % de la
population, après les Oromo. Une
version confirmée par la Commis­
sion éthiopienne des droits de
l’homme (EHRC), organisme
semi­indépendant, qui estime le
nombre de victimes à 600. Le vil­
lage aurait été quadrillé par les
N I G ER IA
Au moins 110 morts dans
une attaque djihadiste
« Au moins 110 civils ont été
froidement tués, et de nom­
breux autres blessés » dans
une attaque survenue samedi,
a déclaré, dimanche 29 no­
vembre, le coordinateur hu­
manitaire de l’ONU au Nigeria,
Edward Kallon. Le massacre
s’est déroulé à Koshobe, à
moins de dix kilomètres de
Maiduguri, la capitale de l’Etat
de Borno, le jour des élections
locales, les premières organi­
sées depuis le début de
l’insurrection de Boko Haram,
en 2009. – (AFP).
É TATS -U N I S
L’administration Trump
veut ajouter des sociétés
à sa liste noire chinoise
L’administration Trump
veut, d’après Reuters, ajouter
le fabricant chinois de
puces SMIC et la compagnie
pétrolière CNOOC à la liste
noire du département de la
défense recensant les firmes
liées à ou contrôlées par l’ar­
mée chinoise. Cette mesure,
si elle est confirmée, limitera
l’accès de ces entreprises aux
investisseurs américains et
devrait alimenter les tensions
avec la Chine. – (Reuters).
Samris, un groupe de jeunes mili­
ciens affiliés au TPLF, qui auraient
massacré les non­Tigréens, « frap­
pés à l’aide de bâtons, poignardés à
l’aide de machettes, de couteaux et
étranglés à l’aide de cordes », selon
le rapport du EHRC.
Un conflit plus ancien
Dans la guerre de communica­
tion qui accompagne les combats
militaires, Maïkadra est devenu
un enjeu. Abiy Ahmed appelle la
communauté internationale à
condamner ces crimes « déchi­
rants » commis par le TPLF, quand
le parti tigréen rejette, lui, des ac­
cusations « sans fondements, qui
ne sont pas en accord avec nos va­
leurs ». Et pour ajouter encore à la
confusion, les témoignages de
quelques­uns des 43 000 réfugiés
éthiopiens passés au Soudan con­
tredisent, eux, la version officielle
et pointent un conflit plus ancien.
Devant le baraquement qu’il
partage avec douze personnes,
dans le camp d’El Hashaba,
au Soudan, Berhane Weldermi­
chael veut faire entendre son ré­
cit. Pour ce témoin, venu de Maï­
kadra, « les forces du TPLF étaient
en déroute, quand des soldats
éthiopiens sont arrivés. Et là, dans
le centre­ville, des gangs sans uni­
forme ont commencé à se battre, à
s’entre­tuer, à brûler des maisons,
à égorger des gens ». Ce professeur
d’anglais de 29 ans, qui n’est affi­
lié à aucun parti politique, affirme
que « ce sont les Amhara qui ont
commencé, tuant avec des cou­
teaux, des haches, des bâtons ». En­
suite, les Tigréens auraient con­
tre­attaqué, « des jeunes ont com­
mencé à se défendre parce qu’ils
étaient en train de nous tuer ! Et ils
nous tuaient à cause de notre iden­
tité », résume l’enseignant.
Dans la clinique de fortune du
camp d’El Hashaba, le docteur
Entre Paris et Londres, une entente contre les migrants
France et Royaume­Uni se sont mis d’accord pour limiter les traversées de la Manche, en hausse avant le Brexit
londres ­ correspondante
A près des semaines de
discussions, Paris et
Londres ont confirmé,
samedi 28 novembre, un nouvel
accord franco­britannique pour
mieux lutter contre les passeurs
et prévenir les traversées de la
Manche par les migrants. Priti
Patel, ministre de l’intérieur bri­
tannique, s’est félicitée du « dou­
blement » des effectifs de gendar­
mes et de policiers français
patrouillant les 150 kilomètres de
côte faisant face au Royaume­Uni.
Son homologue, Gérald Darma­
nin, a insisté de son côté, dans un
communiqué, sur « l’investisse­
ment financier supplémentaire de
31,4 millions d’euros » consenti par
les Britanniques pour « soutenir
les efforts importants de la France
contre les traversées irrégulières ».
L’argent ira aussi à la construc­
tion « de logements appropriés »
en France pour soustraire les mi­
grants aux passeurs, à l’achat de
drones ou de caméras pour
mieux surveiller les plages, et sé­
Un homme devant un fossé où gisent plusieurs victimes, près de Maïkadra (Ethiopie), le 21 novembre. EDUARDO SOTERAS/AFP
Daryelowm ausculte un patient
au visage boursouflé, le corps
couvert d’hématomes. Miniam,
un Tigréen de 45 ans, arrivé
à Maïkadra deux jours après le
massacre, raconte, lui, la confu­
sion qui y régnait encore et expli­
que qu’il y a été battu. Des plaies
comme les siennes, le praticien
en a vu sur quelques autres resca­
pés, mais « avec de telles blessures,
peu ont pu passer la frontière ; la
plupart sont sûrement morts sur
place », estime le médecin.
Spoliation de terres
Certains, qui ont fui à l’approche
des combats, sont arrivés au camp
avec leur tracteur. Plus rares sont
ceux qui, comme Mekonen Ti­
gabu, ont vu « des gens dans le vil­
lage se faire massacrer, des jeunes
égorgés, des femmes violées ». Ce
fermier, qui possédait quatre hec­
tares de sorgho à Maïkadra, accuse
les Fannos (des miliciens amhara) :
« Ils disent depuis longtemps que
toutes les terres qui s’étendent jus­
qu’à la rivière Tekezé [à la frontière
avec l’Erythrée] sont à eux. Depuis
l’élection de Abiy Ahmed, le conflit
s’est intensifié. Il les a poussés à re­
vendiquer ces territoires. »
Cette région, appelée Wolkait, a
été rattachée en 1991 par le TPLF à
la province du Tigré. « C’est une
vaste zone de basses terres fertiles,
donc stratégiques, où sont cultivés
du sésame et du coton », précise
curiser les ports et l’entrée du
tunnel sous la Manche, où les
migrants tentent régulièrement
de monter dans les camions prêts
pour la traversée. Le 19 novembre,
Mohamed Khamisse Zakaria, un
jeune homme originaire du
Soudan, a perdu la vie, percuté
par une voiture sur l’A16, alors
qu’il fuyait les gaz lacrymogènes
de la police après avoir tenté de
monter dans un camion.
« Des gens ordinaires »
Cet été, Priti Patel, une brexiter de
la première heure, avait durci le
ton après une hausse historique
du nombre de traversées du
Channel par des « small boats »,
pour la plupart des bateaux pneu­
matiques. En août, 1 500 person­
nes ont réussi la traversée et, sur
l’ensemble de l’année 2020, envi­
ron 8 000 migrants pourraient
avoir atteint les côtes du Kent,
côté britannique. A comparer aux
1 835 passages recensés en 2019
par l’agence Press Association.
Fin octobre, une famille ira­
nienne d’origine kurde est morte
Mehdi Labzaé, un sociologue qui
s’intéresse aux revendications ter­
ritoriales des Amhara. « Jus­
qu’en 1991, c’était un territoire à fai­
ble densité de population, sans rè­
gles d’appropriation foncière clai­
res, sans homogénéité ethnique, où
était parlé l’amharique, le tigrinya
aussi bien que l’arabe soudanais ».
Mais lorsque le TPLF le rattache
au Tigré, il y implante des milliers
de Tigréens et y mène une réforme
agraire à marche forcée, avanta­
geant les membres du parti, qui
deviennent de grands propriétai­
res fonciers. Des milliers d’Amhara
fuient par dissidence politique ou
après la spoliation de leurs terres.
Depuis 2016, les comités natio­
nalistes font du retour du Wolkait
un symbole de la lutte amhara. Ils
sont aujourd’hui proactifs dans le
recrutement des Fannos, ces pay­
sans qui partent au front. Un in­
vestisseur agricole tigréen qui
souhaite garder l’anonymat ex­
plique avoir dû abandonner son
troupeau de 500 moutons aux
Amhara, et rappelle que « depuis
plusieurs années, les comités Wol­
kait infusent un discours de haine
à l’encontre des Tigréens. »
A ses côtés, un autre fermier,
Gebregziabher Gebremichael, ac­
cuse aussi les Fannos de s’engouf­
frer dans le sillage de l’armée
pour les spolier. « Tout a com­
mencé à Dansha, explique­t­il.
Quand l’armée a mis le TPLF en
Près de
300 personnes
ont perdu la vie
entre les côtes
françaises
et britanniques
entre 1999
et 2020
noyée (Rasoul Iran­Nejad, le père,
Shiva Mohammad Panahi, sa
femme, et deux de leurs enfants),
dans le Channel, une des voies
maritimes les plus denses au
monde. Ce drame s’ajoute à bien
d’autres : selon l’Institute of Race
Relations, un think tank, près de
300 personnes ont perdu la vie
entre les côtes françaises et bri­
tanniques entre 1999 et 2020.
« Cet accord [franco­britanni­
que] pour davantage de sur­
veillance, de drones et de radars,
fait penser à un pays qui se prépare
à l’arrivée d’ennemis. Mais [les
Un fermier a vu
« des gens se
faire massacrer,
des jeunes
égorgés, des
femmes violées »
déroute, les milices s’en sont donné
à cœur joie. Il n’y avait plus per­
sonne pour protéger les Tigréens.
C’est la même chose à Maïkadra.
Leur but, c’est de nettoyer cette ré­
gion de tous les Tigréens pour s’ap­
proprier les terres. »
Plus de 600 Amharas ont aussi
trouvé refuge dans le camp d’El
Hashaba. Installés à part, ils sou­
haitent rester discrets, même s’ils
ont aussi des choses à raconter,
comme ce père de famille qui
confie avoir « fui le village car le
TPLF et leurs dirigeants nous ont
forcés à partir ». Et de poursuivre
que « beaucoup d’Amharas ont été
tués par ce parti et ses élites ».
Bien difficile donc d’y voir clair
d’autant que, de son côté, Addis
Abeba tente de discréditer les té­
moignages des réfugiés passés au
Soudan et précise avoir « des ren­
seignements crédibles selon les­
quels des agents du TPLF ont infil­
tré les camps de réfugiés pour me­
ner des missions de désinforma­
tion ». Rhétorique reprise par le
gens qui tentent le passage] sont
des gens ordinaires, des ingénieurs,
des agriculteurs avec leurs familles,
pas des criminels », a déclaré au
Guardian Clare Moseley, fonda­
trice de l’association Care4Calais.
Orientation sécuritaire
Mi­juillet, Mme Patel, qui avait pro­
mis une mise en œuvre scrupu­
leuse d’une des principales pro­
messes du Brexit – la reprise des
contrôles des frontières –, a
d’abord accusé la France de ne pas
en faire assez. Puis, tandis que le
nationaliste Nigel Farage, patron
du Brexit Party, multipliait les
prises de parole en dénonçant la
supposée inertie du Home Office,
ce dernier a distillé dans la presse
des idées plus ou moins réalistes
(refouler les small boats parvenus
dans les eaux britanniques vers la
France, installer des générateurs
de vagues pour les repousser vers
les eaux françaises…).
Paris et Londres ont fini par re­
négocier leur coopération, les
passages étant en partie encoura­
gés par la perspective du Brexit et
0123
MARDI 1ER DÉCEMBRE 2020
National Movement of Amhara,
un parti nationaliste qui se fait
l’écho des doléances de l’ethnie.
« Pendant trente ans, le TPLF cher­
chait à nous réduire à la fois politi­
quement et ethniquement », as­
sure son président Belete Molla. Il
fait du rattachement du Wolkait
sa priorité numéro un car « le TPLF
a mis en place un apartheid et com­
mis un génocide dans la zone ! »
Des accusations graves que ré­
futent différents responsables
politiques, à l’instar d’Aregawi
Berhe, l’un des membres fonda­
teurs du TPLF, devenu leader du
Tigray Democratic Party, une or­
ganisation rivale. Selon lui, « tout
le monde a souffert sous le règne
du TPLF, y compris les paysans
tigréens qui ont été délaissés par
les élites corrompues ».
Entre Tigréens et Amharas, la
plaie est profonde et risque de ne
pas s’effacer demain. D’ailleurs,
dans le camp de réfugiés, une
femme tigréenne originaire de
Dansha promet déjà vengeance
envers « les Fannos qui se sont as­
sis sur nos récoltes, ont bu les bières
de nos frigos ; et qui, ivres, vont se
servir dans nos troupeaux et mas­
sacrer le reste de notre peuple. » 
noé hochet­bodin
et eliott brachet
Retrouvez en ligne l’ensemble de nos contenus
d’une politique migratoire bri­
tannique encore plus restrictive.
Priti Patel a aussi réitéré, sa­
medi, sa promesse d’une révision
de la loi sur l’asile britannique,
pour des règles plus « fermes et
justes » après la fin de la période
de transition, dès le 1er jan­
vier 2021, quand le pays aura défi­
nitivement quitté l’Union euro­
péenne. Preuve, s’il en était be­
soin, de l’orientation très sécuri­
taire du gouvernement Johnson :
le Home Office a prévu l’expul­
sion de 50 Britanniques d’origine
jamaïcaine, le 2 décembre, pour la
plupart des hommes ayant purgé
une peine de prison.
Plus de 80 figures noires du pays
(l’écrivaine Bernardine Evaristo,
l’historien David Olusoga) ont
pourtant protesté, rappelant que
le Home Office avait été reconnu
coupable, il y a deux ans, d’avoir
instauré un « climat hostile » après
avoir dénié leur nationalité à des
milliers de Britanniques venus
pour la plupart de Jamaïque entre
les années 1950 et 1970. 
cécile ducourtieux
 NOËL, C’EST
LE MEILLEUR
MOMENT POUR
DIRE MERCI.
Merci aux agriculteurs, aux pêcheurs, à tous ceux qui travaillent dans
nos usines et nos bases logistiques. Aux chauffeurs, aux transporteurs,
à nos partenaires. Merci à tous ceux qui travaillent dans nos magasins.
Merci à tous les acteurs de la distribution alimentaire, les grands
comme les petits. Merci enfin à tous ceux qui restent le plus possible
chez eux. Merci à ceux qui ne viennent pas, ou seulement quand
c’est nécessaire. À ceux qui viennent seuls, pour tout leur foyer. Merci
à tous ceux qui font leurs courses de manière responsable et solidaire.

Et merci aux soignants, bien sûr, les grands héros de 2020.

Merci enfin à tous ceux qui respectent les gestes barrières :

c’est sans doute la meilleure façon de leur dire merci.

Annonceur : ITM Alimentaire International - RCS PARIS 341 192 227 - SAS au capital de 149 184 € - Siège social : 24, rue Auguste Chabrières 75737 Paris Cedex 15 - Sous réserve d’erreurs typographiques - 2020.

6 | international
Révolte des paysans indiens
contre la libéralisation de Modi
Des milliers d’agriculteurs, qui dénoncent l’ouverture au privé imposée
par le premier ministre, menacent de bloquer les accès à New Delhi
new delhi ­ correspondante
D
es milliers de paysans
indiens en colère sont
massés aux portes de
Delhi, stoppés à deux
postes­frontières entre l’Etat de
l’Haryana et la capitale indienne,
avec la ferme intention de couper
l’approvisionnement de la ville
en bloquant les routes d’accès.
Leur cortège s’étend sur plu­
sieurs kilomètres. Le gros des ba­
taillons vient du Pendjab, le gre­
nier à riz et à blé de l’Inde, où la ré­
volte gronde depuis près de trois
mois. Les cheveux cintrés dans des
turbans colorés, portant mousta­
che et longue barbe, une armée de
vieux paysans sikhs sont équipés
pour tenir plusieurs mois.
Derrière leurs tracteurs, les re­
morques sont remplies de chau­
drons et de vivres, riz, oignons,
lentilles, farine, et de paille pour y
dormir. « Nous resterons ici tant
que le gouvernement ne reviendra
pas sur les lois qui vont tuer les pay­
sans », crie un Pendjabi, proprié­
taire de deux hectares, qui a effec­
tué quatre cents kilomètres sur
son tracteur pour atteindre Delhi.
Des heures d’affrontements
Le gouvernement de Narendra
Modi les a trop longtemps igno­
rés. Le 20 septembre, sans aucune
concertation préalable avec le
monde agricole, ni avec les res­
ponsables régionaux, il avait fait
adopter au Parlement trois textes
libéralisant la vente des produits
agricoles. En vertu de la réforme,
les paysans ont dorénavant la li­
berté de vendre leur production à
un acheteur et au prix de leur
L’Inde officiellement en récession
L’Inde a enregistré un recul de 7,5 % de son produit intérieur
brut (PIB) de juillet à septembre, au deuxième trimestre
de son année budgétaire, entrant officiellement en récession
pour la première fois depuis son indépendance, en 1947.
Le sous-continent avait déjà connu au premier trimestre, entre
avril et juin, une chute historique de 23,9 % du PIB. Le Fonds
monétaire international table sur une contraction de 10,3 %
sur l’année budgétaire qui s’achèvera le 31 mars 2021, la plus
sévère au sein des principales économies émergentes.
L’extrême droite allemande se déchire
La direction de l’AfD est assaillie par l’aile radicale avant une année électorale chargée
berlin­ correspondant
L es congrès du parti d’ex­
trême droite Alternative
pour l’Allemagne (AfD)
sont souvent tumultueux. Celui
qui s’est déroulé, samedi 28 et
dimanche 29 novembre à Kalkar
(Rhénanie­du­Nord­Westphalie)
le fut tout particulièrement.
Alors que certains espéraient
qu’il soit l’occasion d’une récon­
ciliation − au moins de façade −
entre « modérés » et « radicaux »,
les deux camps ont, au contraire,
préféré étaler leurs divisions,
donnant l’image d’un parti en
lambeaux à la veille d’une année
2021 qui sera jalonnée par six
élections régionales et surtout
par des élections législatives
d’autant plus attendues qu’elles
marqueront la fin des seize an­
nées de règne d’Angela Merkel.
Tout a commencé samedi
quand le président de l’AfD, Jörg
Meuthen, est monté à la tribune
pour condamner les « provoca­
teurs » qui, dans le parti, font ré­
gner un climat « toujours plus
agressif, toujours plus brutal et
toujours plus désinhibé ». Les com­
parant à des « adolescents en
« Nous sommes
des paysans
indiens, pas
des terroristes »,
s’indignent les
manifestants
choix et non plus seulement sur
les marchés régulés par l’Etat (les
« mandis ») avec des prix fixés,
comme c’était le cas jusque­là. Ce
système permettait au gouverne­
ment de constituer des stocks
stratégiques, en priorité de riz et
de blé, qui sont ensuite redistri­
bués à bas prix aux pauvres et as­
surent aux producteurs un re­
venu décent.
Le dialogue avec le gouverne­
ment est au point mort. Une ren­
contre entre syndicats et agricul­
teurs à la mi­novembre n’a rien
donné. Une autre est prévue le
3 décembre avec le ministre de
l’agriculture.
Les paysans se sont mis en
branle jeudi 26 novembre, à l’ap­
pel des syndicats, pour une cam­
pagne baptisée « Dilli chalo », « la
marche vers Delhi ». Le cortège du
Pendjab a grossi, rejoint par des
paysans de l’Haryana, de l’Utta­
rakhand, de l’Uttar Pradesh, mais,
en chemin, ils ont été violemment
arrêtés par la police qui a fait usage
de gaz lacrymogène et de canons à
eau. Celle­ci a même demandé au
chef de gouvernement de Delhi de
pouvoir utiliser les stades de cric­
ket de la capitale comme prisons
temporaires pour y enfermer les
manifestants. Arvind Kejriwal, un
pleine puberté qui cherchent à
jouer aux super­mecs », il s’en est
pris à ceux qui, ces dernières se­
maines, ont accusé le gouverne­
ment de mettre en place une « co­
rona­dictature », allant jusqu’à
comparer la nouvelle loi de pro­
tection contre les infections,
adoptée le 18 novembre, à celle
qui donna les pleins pouvoirs à
Hitler en mars 1933. « Soit nous
nous ressaisissons, soit c’est tout le
parti que nous allons entraîner
dans une mer très agitée, au risque
d’échouer collectivement », a pré­
venu Jörg Meuthen, s’attirant
plus de huées que d’applaudisse­
ments parmi les 540 délégués
présents.
« Son temps est fini »
La contre­attaque à ce discours
étonnamment musclé de la part
d’un orateur d’habitude assez
transparent est venue dimanche
matin quand un membre de l’aile
radicale de l’AfD a proposé au vote
une « motion de défiance » contre
le président du parti. Pendant
plus de deux heures particulière­
ment agitées, les adversaires de
celui­ci se sont alors relayés au
micro pour lui reprocher son « ar­
centriste, a refusé, prenant la dé­
fense des paysans. « Au lieu de reti­
rer des lois antipaysans, on empê­
che les agriculteurs d’organiser des
manifestations pacifiques. On uti­
lise contre eux des canons à eau.
Manifester pacifiquement est un
droit constitutionnel », a­t­il assuré
sur les réseaux sociaux.
Vendredi, après des heures d’af­
frontements, le gouvernement a
finalement proposé de leur al­
louer un terrain, Sant Nirankari
Park, dans le nord de Delhi, mais
seulement une centaine de pay­
sans a accepté de s’y rendre, par­
fois contraints par la police.
Dimanche, le camp, une im­
mense friche terreuse était pres­
que vide. Des tentes ont été mon­
tées, l’électricité amenée, des cui­
sines installées, où des hommes
préparent chapatis (petits pains)
et dhal de lentilles mais pour une
poignée de convives.
Aux portes de Delhi, les paysans
affirment qu’ils n’iront pas à Sant
Nirankari. « Nous resterons là,
nous n’irons pas dans cette prison
ouverte », ont­ils prévenu lors
d’une conférence de presse, cons­
cients qu’ils imposent un rapport
de force beaucoup plus impor­
tant en bloquant les routes de la
capitale. « Nous sommes des pay­
sans indiens, pas des terroristes »,
annoncent des pancartes bran­
dies par les hommes en colère.
Depuis des mois, les paysans du
Pendjab manifestent, campent
sur des routes et les rails pour dé­
noncer cette ouverture au privé.
Ils redoutent d’être étranglés par
les grosses entreprises de la distri­
bution qui viendront directe­
ment leur acheter leur produc­
tion et visent particulièrement
Mukesh Ambani, le patron de
Reliance, et Gautam Adani, deux
milliardaires proches de Naren­
dra Modi. Malgré leur mobilisa­
tion, le gouvernement s’est mon­
tré sourd à l’inquiétude des pay­
sans continuant d’affirmer que la
législation permettra de stimuler
la production grâce à des investis­
sements privés. Narendra Modi,
qui s’exprimait, dimanche, à l’oc­
casion de Maan Ki Baat, son allo­
rogance », l’accuser de « faire le jeu
des vieux partis », voire pour tout
simplement lui signifier que « son
temps à l’AfD est fini », comme le
lui a lancé le député de Thuringe
Jürgen Pohl.
La motion de défiance n’a fina­
lement pas été adoptée, mais elle
a tout de même recueilli 47 % des
voix, ce qui en dit long sur la pro­
fondeur des divisions qui traver­
sent l’AfD, et ce, alors même que le
parti a été secoué par plusieurs
graves crises au cours des der­
niers mois : exclusion d’Andreas
Kalbitz, le leader de la fédération
du Brandebourg, accusé d’avoir
caché son appartenance passée à
une organisation néonazie ; dif­
fusion d’un documentaire télé­
visé où l’ancien porte­parole du
groupe parlementaire – filmé en
caméra cachée – évoque la possi­
bilité de « gazer » les migrants ; dé­
missions et exclusions en cascade
menaçant la survie des groupes
AfD dans les assemblées régiona­
les de plusieurs Länder ; menace
d’une « mise sous surveillance »
du parti dans son ensemble par
l’Office fédéral de protection de la
Constitution, le service chargé du
renseignement intérieur en Alle­
cution radiophonique mensuelle,
a répété l’argumentaire.
La situation s’est tellement ten­
due que le ministre de l’intérieur,
Amit Shah, le plus proche de
M. Modi, a proposé ses services,
en transmettant une lettre aux
manifestants, leur proposant de
discuter avec eux à la condition
qu’ils rejoignent le camp de Sant
Nirankari. La réponse des organi­
sations agricoles a été cinglante :
« Ce n’est pas de la compétence du
ministre de l’intérieur. » Les syndi­
cats demandent une « réunion au
plus haut niveau » avec des minis­
tres « compétents » et habilités à
prendre des décisions.
Stratégie de tensions
Cette nouvelle révolte souligne à
la fois la crise structurelle traver­
sée par l’agriculture paysanne et
le manque d’empathie et de dialo­
gue du gouvernement Modi qui
avait pourtant promis, lors de son
élection en 2014, de doubler leurs
revenus d’ici à 2022.
Les agriculteurs représentent
près de la moitié de la population
− 650 millions d’Indiens mais
seulement 14 % du produit inté­
rieur brut. Ils détiennent des par­
celles de plus en plus petites et
sont de plus en plus endettés sous
la pression d’un mode de produc­
tion intensif issu de la « révolu­
tion verte » des années 1970.
Les paysans réclament le retrait
des trois lois adoptées le 20 sep­
tembre. Mais il est peu probable
que le gouvernement recule. De­
puis sa réélection, en mai 2019,
Narendra Modi, joue une stratégie
de tensions, exacerbe les antago­
nismes pour discréditer les oppo­
sants à ses réformes. En décem­
bre 2019, une loi attribuant la na­
tionalité indienne aux réfugiés,
sauf s’ils sont musulmans, avait
suscité un mouvement de protes­
tation d’une ampleur inédite dans
tout le pays. Durant des mois, des
Indiens étaient descendus dans la
rue et la contestation n’avait pris
fin qu’avec l’arrivée du Covid­19 et
le confinement général ordonné
par le premier ministre. 
sophie landrin
magne, qui a déjà contraint à se
dissoudre le courant du leader ul­
tra­radical Björn Höcke, « L’Aile »,
accusé de « chercher à saper les
fondements de l’Etat de droit dé­
mocratique ».
Premier parti d’opposition au
Bundestag avec 89 députés (sur
709), l’AfD aborde la prochaine
campagne des législatives dans
des conditions beaucoup plus
compliquées qu’il ne pouvait
l’imaginer il y a encore un an.
Crédité de 7 % à 11 % dans les son­
dages – il avait recueilli 12,6 % des
voix en 2017 –, le parti n’a
d’ailleurs toujours pas de chef de
file pour conduire la campagne :
Jörg Meuthen a dit qu’il préférait
rester député européen ; Alice Wei­
del, la présidente du groupe au
Bundestag, est empêtrée dans une
affaire de financement illégal ;
Tino Chrupalla, élu coprésident du
parti aux côtés de Jörg Meuthen
en 2019, est politiquement inexis­
tant ; et Alexander Gauland, le pré­
sident d’honneur, qui a quitté pré­
cipitamment le congrès pour l’hô­
pital après un malaise, dimanche
matin, incarne tout sauf l’avenir à
bientôt 80 ans. 
thomas wieder
Au Brésil, les municipales
confirment la chute
des grands partis
Le centre s’impose localement, tandis que le
PT ne contrôle plus aucune capitale régionale
sao paulo ­ envoyé spécial
I l y a des soirs de défaite qui
ont des airs plus tristes que
d’autres. Ce dimanche 29 no­
vembre au soir, face au Musée
d’art de Sao Paulo (le « MASP »),
sous la bruine et les bourrasques,
quelques dizaines de jeunes mili­
tants de gauche au regard éteint
se sont rassemblés. Histoire de se
réconforter, ensemble, autour
d’un peu de musique et de bière
glacée, après la déroute de leur
champion, Guilherme Boulos,
aux municipales. Tous y cro­
yaient. Mais le candidat du Parti
Socialisme et liberté (PSOL) s’est
finalement largement incliné au
second tour du scrutin face au
maire sortant de centre droit,
Bruno Covas, issu du Parti de la
social­démocratie brésilienne
(PSDB). Malgré des sondages fa­
vorables et une bonne campagne
menée tambour battant, Guil­
herme Boulos n’a recueilli que
40,62 % des voix contre 59,38 % à
son adversaire.
Chez les « boulistes », la décep­
tion est grande, même si beau­
coup préfèrent voir plus loin. « On
a perdu une élection, mais gagné
un candidat à la prochaine prési­
dentielle ! », tente un orateur face à
la petite foule du MASP. « Je suis
très heureuse, j’ai même un senti­
ment de victoire !, insiste pour sa
part Deborah, 29 ans, militante
du PSOL. On a montré qu’une gau­
che rénovée, moderne, pouvait
émerger. Depuis l’élection de Bol­
sonaro, on était sur la défensive.
Maintenant, on relève la tête ! »
Au­delà de Sao Paulo, 38 mil­
lions de Brésiliens étaient appelés
aux urnes ce 29 novembre pour
départager les derniers candidats
de 57 des quelque 5 500 villes du
pays – un second tour n’étant
prévu que dans les municipalités
comptant plus de 200 000 élec­
teurs –, à l’exception de l’Etat
d’Amapa (Amazonie), où de gigan­
tesques coupures d’électricité ont
forcé les autorités à reporter l’en­
semble du scrutin au 6 décembre.
Déroute du Parti des travailleurs
Malgré une importante absten­
tion (29,7 %) due au Covid­19, le
scrutin a été salué pour sa bonne
tenue et a même permis quelques
échanges de fond, en particulier à
Sao Paulo, où les deux candidats
se sont affrontés lors de débats de
haut niveau sans injure ni invec­
tive. « Il est possible de faire de la
politique sans haine », a insisté
Bruno Covas dans son discours de
victoire : une allusion implicite
aux outrances familières au pré­
sident Jair Bolsonaro.
L’élection n’aura cependant pas
tenu ses promesses en matière de
diversité et de représentativité
des élus. Malgré l’imposition de
quotas et de règles contraignan­
tes, selon les relevés du quotidien
Folha de Sao Paulo, à peine 2 % des
mairies du Brésil seront désor­
mais dirigées par des Noirs et
autour de 12 % par des femmes.
L’élection aura cependant large­
ment remodelé la carte électorale
du pays. Dans le détail, on assiste
tout d’abord à l’effondrement des
partis de gouvernement, qui
structuraient la vie politique de­
puis trois décennies et la chute de
Malgré des règles
contraignantes,
à peine 2 % des
mairies seront
désormais
dirigées par des
Noirs et 12 % par
des femmes
0123
MARDI 1ER DÉCEMBRE 2020
« Le Brésil
est un pays
fédéral, les gens
différencient
très bien les
scrutins locaux
des nationaux »
EDUARDO MELLO
enseignant en sciences
politiques
la dictature, à commencer par le
Parti de la social­démocratie brési­
lienne (PSDB), à droite, et le Parti
des travailleurs (PT) de l’ex­prési­
dent Lula, à gauche. Le PSDB sauve
certes les meubles avec sa victoire
à Sao Paulo ou encore à Natal (Nor­
deste). Mais, avec seulement
520 mairies gagnées, il perd le tiers
des municipalités remportées
au dernier scrutin de 2016. Pour le
PT, la déroute est plus grave en­
core : ce dernier est balayé et ne
l’emporte que dans 183 villes (con­
tre 254 en 2016). Pour la première
fois de son histoire, il ne dirigera
plus aucune capitale régionale.
En quête de stabilité
Rejeté par les électeurs, ce dernier
est désormais sérieusement ta­
lonné (voire devancé) par des par­
tis de gauche alternatifs, en parti­
culier le PSOL. A défaut de Sao
Paulo, ce dernier l’a emporté dans
la capitale amazonienne de Be­
lem (Para), où son candidat, Ed­
milson Rodrigues, 63 ans, ex­
maire de la ville et transfuge du
PT, a obtenu 51,7 % des suffrages.
Mais épuisés par l’épidémie de
Covid­19 (172 000 décès au 29 no­
vembre) et deux ans de tempête
bolsonariste, les électeurs brési­
liens semblent d’abord en quête
de stabilité. Ils se sont donc tour­
nés vers le rassurant centrão
(« gros centre »), ventre mou de la
politique locale, composé d’une
quinzaine de partis attrape­tout,
vainqueurs dans plus de 70 % des
municipalités du pays cette année.
Là encore, les cartes ont été re­
battues. Le Mouvement démocra­
tique brésilien (MDB), autrefois
dominant, avec 784 villes gagnées,
a perdu un quart de ses mairies. Il
est concurrencé par de nouvelles
formations comme Les Démocra­
tes (DEM), qui l’ont emporté dans
464 villes (198 de plus qu’en 2016),
dont Salvador, Curitiba, et Rio de
Janeiro, où triomphe l’ancien
« maire de la Coupe du Monde »
Eduardo Paes, au pouvoir de 2009
à 2017, vainqueur avec 64 % des
voix de l’édile sortant et pasteur
évangélique Marcelo Crivella.
Au pays du foot, la balle est donc
maintenant au centre, mais avec
beaucoup plus de joueurs pour lui
courir après. Quid, dans ce con­
texte, de l’extrême droite et de Jair
Bolsonaro ? Un peu partout, de
Rio de Janeiro à Fortaleza (Nor­
deste), le président a vu ses candi­
dats balayés ; l’échec de son im­
plantation locale est désormais
acté. « Aujourd’hui, le bolsona­
risme se résume à Jair Bolsonaro »,
décrypte le politologue
Glauco Peres. Faut­il pour autant
parler de déroute personnelle
pour le président ? Il reste popu­
laire, sa cote d’approbation frô­
lant les 40 %. « Le Brésil est un pays
fédéral, les gens différencient très
bien les scrutins locaux des natio­
naux. Aux municipales, ils se pro­
noncent d’abord sur les enjeux lo­
caux. On ne peut pas considérer ce
scrutin comme un vote sanction
contre Bolsonaro. Il a encore ses
chances pour la présidentielle de
2022 », insiste Eduardo Mello, en­
seignant en sciences politiques à
la Fondation Getulio Vargas. 
bruno meyerfeld
 PLANÈTE
0123
MARDI 1ER DÉCEMBRE 2020 |7

Le Covid n’occulte pas l’inquiétude climatique
L’environnement se classe en sixième position des préoccupations dans 30 pays, selon un sondage Ipsos

L
a crise sanitaire n’a pas
effacé la crise climatique
dans l’esprit des citoyens.
Mais si 70 % de la popula­
tion mondiale se dit plus inquiète
qu’il y a un an concernant le
dérèglement climatique, elle en
connaît encore mal les causes et
elle peine à agir à la hauteur des
enjeux. C’est ce que montre un
vaste sondage réalisé par Ipsos
pour EDF, dans trente pays comp­
tant les deux tiers de la popula­
tion mondiale et parmi lesquels
figurent les plus importants
émetteurs de CO2, que Le Monde
révèle en exclusivité.
Cette étude, réalisée en septem­
bre auprès de 24 000 personnes
selon la méthode des quotas,
montre que l’environnement se
classe en sixième position des
préoccupations (39 % des sondés
l’ont choisi parmi les sujets qui les
préoccupent le plus), loin derrière
le coronavirus (59 %), suivi par le
coût de la vie, le chômage, la pau­
vreté et le système de santé. Les
habitants les plus préoccupés se
situent en Europe – l’environne­
ment est 4e en France –, mais
aussi au Canada, en Australie, en
Inde et en Chine.
« Le Covid­19 est venu brutale­
ment bouleverser le système de re­
présentations. L’opinion publique
a réagi au coronavirus de manière
très forte et très immédiate, et a
quelque peu minimisé la question
environnementale, ce qui est para­
doxal alors que le changement cli­
matique pose un danger plus
lourd et plus pérenne dans le
temps », analyse Brice Teinturier,
directeur général délégué d’Ipsos.
Climatoscepticisme persistant
L’intérêt pour l’environnement
reste malgré tout « enraciné », ju­
ge­t­il. Il en veut pour preuve la
courte majorité (51 %) de répon­
dants qui juge que, dans le con­
texte actuel, la priorité devrait être
donnée à ce sujet, même si cela
peut ralentir la croissance écono­
mique. « Il y a un clivage social :
davantage de personnes modestes
restent plus attachées à une crois­
sance pourvoyeuse d’emplois »,
précise Brice Teinturier. Parmi les
problèmes liés à l’environne­
ment, le changement climatique
et sa manifestation la plus visible,
les événements climatiques ex­
trêmes, figurent parmi les sujets
qui inquiètent le plus.
Malgré cette préoccupation, la
confusion reste grande quant
aux causes du dérèglement cli­
matique. Seules six personnes
sur dix citent les gaz à effet de
Aujourd’hui, l’environnement préoccupe l'opinion publique Le changement climatique inquiète le plus Le passage
sans toutefois être prioritaire parmi les problèmes environnementaux
Dans cette liste, quels sont les sujets qui vous préoccupent le plus ? en %
aux actes, encore
Dans cette liste, quels sont les problèmes liés
à l’environnement que vous jugez le plus préoccupants peu intégré
Le coronavirus 59
dans votre pays ? en % au quotidien,
Le coût de la vie 47 est concentré
Le changement climatique
Le chômage et ses événements extrêmes 27 sur des mesures
45 (inondations, canicule, sècheresse...)
La pauvreté et qui n’ont qu’un
45 Déchets, emballages, plastiques 14
les inégalités Dans le contexte de crise sanitaire impact limité
Le système de santé actuel, devrait-on donner Pollution de l’air 11
43 la priorité à... sur les émissions
Epuisement des ressources 9
L’environnement 39
Pollution de l’eau
...l’environnement, 8
La corruption 39 fois plus nombreuses que celles
La délinquance, 51 % même si cela peut ralentir Déforestation 6 de droite à être conscientes du
la croissance économique
la criminalité 36 de votre pays et faire perdre
changement climatique.
Pollution des sols 4 « Le fait que le mécanisme du
des emplois
L’éducation, l’école 33 réchauffement climatique ne soit
Recul de la biodiversité 4
pas bien compris empêche d’agir
Le terrorisme 29 ...la croissance économique Désertification, sécheresse 4 sur ses causes profondes »,
et aux emplois même observe Brice Teinturier. Le son­
Les taxes et impôts 26 34 % si cela peut avoir des Ne sait pas 13 dage Ipsos pour EDF, comme celui
conséquences néfastes de « d|part », montre que le pas­
Les retraites 25 pour l’environnement 70 % de la population mondiale sage aux actes, encore peu intégré
se dit « plus inquiète » qu’il y un an au quotidien, est concentré sur
L’immigration 15 % Ne sait pas
19 concernant le changement climatique des mesures qui n’ont qu’un im­
pact limité sur les émissions. Si la
Un décalage entre les actions individuelles et les causes principales du changement climatique moitié de la population interro­
Parmi ces actions individuelles contribuant à la lutte Répartition des émissions françaises de gaz à effet de serre, gée (et 81 % des Français) trie sys­
contre le changement climatique, lesquelles réalisez-vous en % en 2019 tématiquement ou presque ses
systématiquement ou presque ? en % déchets, ils sont seulement 20 % à
éviter de prendre leur voiture,
19 % à limiter leur consommation
France Monde de viande, 18 % à recourir à des
énergies renouvelables et 16 % à
31 19 18 18 11 3 se déplacer à vélo, alors que la pro­
Transport Agriculture Bâtiments Industrie Energie Déchets duction d’énergie pour les trans­
Trier ses Privilégier les
ports et les bâtiments ainsi que
déchets fruits et légumes
Eviter d’acheter l’agriculture fait partie des sec­
de saison Limiter le chauffage des produits teurs les plus émetteurs.
81 ou la climatisation Limiter sa
Prendre fabriqués Eviter
61 Limiter les les transports dans des pays de prendre consommation Recourir à Refus des contraintes
emballages en commun lointains de viande des énergies En réalité, d’après les deux études,
50 49 sa voiture Se déplacer
43 renouvelables la majorité des personnes
à vélo
34 32 29 30 interrogées pense que c’est aux
28 22 22 20 26
20 19 18 16 gouvernements d’agir en priorité
14 10 contre le dérèglement climatique,
davantage qu’aux citoyens. Mais
Infographie : Le Monde Sources : Sondage EDF-Ipsos Obs'Cop 2020 auprès de 24 004 individus représentatifs de la population de 16 ans et plus de trente pays, si les attentes envers les diri­
réalisé en ligne du 9 au 29 septembre ; Haut Conseil pour le climat geants sont fortes, seulement
50 % des répondants, dans le
serre, tandis que plus de 30 % des l’Australie (43 %), tous des grands climatique ne s’explique par visés sur les causes du réchauffe­ sondage Ipsos, estiment que les
sondés évoquent le trou de la producteurs de pétrole et de gaz. aucun facteur naturel, et qu’il est ment climatique (39 % en France), gouvernements agissent réelle­
couche d’ozone ou confondent Un autre sondage, commandé intégralement dû aux conséquen­ alors qu’il existe un consensus ment, et ce chiffre tombe à 26 %
CO2 et pollution. par le think tank allemand ces des activités humaines », rap­ total parmi les climatologues. en France, pays le plus critique.
Plus inquiétant, un tiers des « d|part » et l’Open Society Euro­ pelle Valérie Masson­Delmotte, Davantage que l’âge, le genre Les mesures qui pourraient être
citoyens n’associe pas le change­ pean Policy Institute, et publié le coprésidente du Groupe d’ex­ ou le niveau d’éducation, ce sont mises en place par les dirigeants
ment climatique à un phénomène 23 novembre, confirme une perts intergouvernemental sur les orientations politiques qui sont d’autant moins acceptées
d’origine humaine, et 7 % le nient grande confusion quant à l’éten­ l’évolution du climat (GIEC). polarisent le plus les opinions qu’elles relèvent de contraintes
purement et simplement. Les due de la responsabilité humaine « Mais je ne considère pas que l’on sur le changement climatique, ou de taxes. Ainsi, si 86 % des
Etats­Unis deviennent le pays le dans huit pays européens et aux puisse qualifier tous ces gens de en Europe comme aux Etats­ sondés jugent « acceptable » de
plus climatosceptique au monde, Etats­Unis. Entre 17 % et 44 % des climatosceptiques : il ne s’agit pas Unis. Les personnes de gauche développer les énergies renouve­
avec 52 % des Américains ne sondés – le maximum étant en forcément d’un déni des faits ont tendance à être plus lables, ce niveau tombe à 51 %
croyant pas à un changement cli­ France – croient que le change­ scientifiques, mais d’un manque conscientes de ses causes et de pour le fait de taxer davantage les
matique d’origine humaine (+ ment climatique est autant causé d’information et de connaissan­ son impact, et plus favorables à ordures ménagères, ou à 47 %
7 points par rapport à 2019). Ils par les humains que par les pro­ ces », avertit­elle. l’action, que celles de droite : aux pour l’instauration d’une taxe
sont suivis de près par l’Arabie cessus naturels. « La science du cli­ Nombre de citoyens pensent en Etats­Unis, les personnes de sur les billets d’avion. 
saoudite (51 %), la Norvège (50 %) et mat montre que le réchauffement outre que les scientifiques sont di­ gauche sont par exemple trois audrey garric

La militante anticharbon Lucie Pinson lauréate du prix Goldman

La directrice générale de l’ONG Reclaim Finance a reçu, lundi, le prestigieux prix pour l’environnement pour la région Europe

L ucie Pinson n’est pas an­

goissée par l’avenir. Non
pas que l’état de la planète
ne l’inquiète pas – elle est plutôt
pessimiste. Mais elle n’a pas vrai­
ment le temps d’y penser, tant elle
est tout entière tournée vers son
combat : limiter l’expansion des
énergies fossiles nocives pour le
climat, en luttant contre leur fi­
nancement. « On est dans une
guerre climatique, la vie de mil­
lions de gens est en jeu, affirme
cette militante, directrice générale
de l’ONG Reclaim Finance. Je res­
sens beaucoup de pression quand
je vois tout ce qu’il faudrait faire. »
Cette travailleuse acharnée a
déjà beaucoup fait. A tel point
que, lundi 30 novembre, la jeune
femme de 35 ans a reçu, pour la
région Europe, le prix Goldman
pour l’environnement, la plus
grande distinction dans le do­
maine, pour son « action en fa­
veur de la fin des financements du
charbon par les grandes banques,
sociétés d’assurances et d’investis­
sements ». C’est seulement la troi­
sième fois qu’un Français est
lauréat – après Claire Nouvian
en 2018 et Christine Jean en 1992.
« Name and shame »
Sous la pression de Lucie Pinson,
16 groupes financiers français,
dont le Crédit agricole, Axa, BNP
Paribas et la Société générale, se
sont engagés à sortir totalement
du charbon en excluant de leur
portefeuille les entreprises déve­
loppant de nouveaux projets et en
demandant aux autres d’adopter
des plans de sortie de cette éner­
gie. Par la suite, 43 banques et as­
sureurs internationaux ont cessé
de soutenir la construction de
mines et de centrales à charbon.
Son esprit de combat, la jeune
Nantaise l’a forgé lors de ses étu­
des, dans un parcours atypique
qui l’a menée d’une école fré­
quentée par l’aristocratie catholi­
que – elle qui est issue d’une fa­
mille modeste et athée – à un
double master en science politi­
que et en politique de développe­
ment. En 2011, un stage l’amène à
participer à l’organisation de
contre­sommets au G8 et au G20.
Elle découvre le rôle de la finance,
un « levier majeur de transforma­
tion » qui est « souvent laissé aux
mains des experts alors qu’il a des
impacts sur des millions de gens ».
Embauchée aux Amis de la
Terre de 2013 à 2017, comme
chargée de campagne finance pri­
vée, elle cible le charbon, la pre­
mière source d’émissions de CO2
au monde. En Afrique du Sud, où
elle a passé deux années durant
ses études, elle a observé les
conséquences environnementa­
les et sanitaires « catastrophi­
ques » d’une énergie qui « ne peut
pas être propre ». Des coups, elle
en a pris quelques­uns, se faisant
huer et insulter, année après an­
née, aux assemblées générales
des actionnaires des banques,
lors desquelles elle demandait à
prendre la parole après avoir
acheté des actions. Mais elle en a
surtout donné, en bloquant des
sièges d’institutions et surtout en
pratiquant le « name and
shame », qui consiste à exposer
au grand public les mauvaises
pratiques d’une entreprise.
« Il faut mettre la pression sur les
acteurs financiers, sinon ça avance
trop lentement. C’est le coût répu­
tationnel qui les fait bouger », es­
time cette « lobbyiste » qui utilise
les avancées des uns comme
moyen de pression sur les autres.
Elle ne s’en cache pas, elle fait ap­
pel à la « menace » mais « tout est
transparent et carré ». « On les
avertit à l’avance et tout ce qu’on
peut avancer en privé, tant mieux.
Mon ennemi n’est pas la finance
mais le changement climatique. »
Car la force de Lucie Pinson, c’est
d’être parvenue, derrière les cam­
pagnes publiques, à développer
une relation de confiance, privée
cette fois, avec de nombreux ac­
teurs financiers, qu’elle rencontre
régulièrement. Des liens encore
renforcés lorsqu’elle a créé, en
mars, Reclaim Finance, une ONG
consacrée à la finance et au climat.
Respectée et redoutée
L’essentiel de son travail se passe
derrière un ordinateur, où elle
plonge dans les bases de données,
recense et analyse les finance­
ments des projets d’énergies fossi­
les, se familiarise avec les notions
financières. « Il faut comprendre le
fonctionnement et les contraintes
des acteurs financiers pour pouvoir
leur faire les recommandations les
plus précises et réalistes possible »,
explique la jeune femme, qui
donne désormais des formations
aux banques ou aux gestionnaires
d’actifs. « C’est presque une presta­
tion de conseil très haut de gamme
mais gratuite », compare un
acteur du secteur, qui juge que
Lucie Pinson « a fait avancer » son
entreprise « en arrivant avec de
bonnes idées, des propositions bien
ficelées et intelligentes ». « Elle est
tant respectée que redoutée »,
poursuit­il, en souriant.
Malgré les progrès obtenus sur
le charbon, Lucie Pinson est loin
d’avoir rangé les armes. « Les ac­
teurs financiers français financent
encore largement l’expansion des
énergies fossiles les plus risquées, le
gaz et pétrole de schiste, les sables
bitumineux ou les hydrocarbures
en Arctique. Il est urgent d’exclure
les entreprises qui s’y développent,
même lorsqu’il s’agit de majors
comme Total. » Des demandes
qu’elle inclura dans sa carte de
vœux adressée aux banques et
aux assureurs, en janvier 2021. 
au. g.
 0123
8 | planète MARDI 1ER DÉCEMBRE 2020

C R I S E   S A N I TA I R E

Des tests massifs de la population à l’étude

Une expérience pilote pourrait être menée à Lille avant Noël, comme le préconisait le conseil scientifique

P
our empêcher une troi­ dernières semaines. Jeudi 26 no­ stratégie de déconfinement terri­ totalité, et nécessiterait de retester fre des contaminations repasse
sième vague de l’épidé­ vembre, Olivier Véran a ouvert la torial », écrivent­ils. régulièrement la population. Ça « IL FAUT TESTER  sous la barre des 5 000 par jour.
mie de Covid­19 et évi­ porte à une telle stratégie à Pour y parvenir, ils réclament le me paraît prendre un marteau­pi­ TOUTE LA POPULATION  L’idée est déjà lancée dans la
ter d’alterner des pha­ l’échelle de la population. « Nous feu vert à la généralisation des lon pour écraser une mouche », es­ région Auvergne­Rhônes­Alpes,
ses de déconfinement et de re­ étudions la faisabilité et surtout prélèvements salivaires, qui ne time Renaud Piarroux, chef du RAPIDEMENT, EN ISOLANT  l’une des plus éprouvées par la
confinement jusqu’à l’arrivée l’intérêt [d’opérations de] testing sont pour l’heure autorisés par la service de parasitologie à l’hôpital deuxième vague. Son président
des vaccins, faut­il recourir aux de masse au sein de certaines Haute Autorité de santé (HAS) que de la Pitié­Salpêtrière. LES POSITIFS. SANS ÇA,  (LR), Laurent Wauquiez, a an­
dépistages de grande envergure ? collectivités », a fait savoir le pour les personnes symptomati­ Dans un entretien au Monde, le noncé une campagne de dépis­
A l’échelle d’une ville, d’une ré­ ministre de la santé. ques. Et recommandent de procé­ 20 novembre, Jean­François Del­
ON SE DIRIGE VERS  tage gratuit aux 8 millions d’ha­
gion ou même du pays ? La ques­ « L’enjeu, c’est de gagner la course der selon la méthode de tests fraissy, le président du conseil UNE TROISIÈME VAGUE » bitants du territoire avant les fê­
tion a refait surface en France ces contre la montre contre le virus, groupés (poolage), jusqu’à des scientifique, émettait lui aussi des tes de Noël, entre le 16 et le 23 dé­
insiste Philippe Froguel, profes­ échantillons de dix personnes, réserves sur une telle stratégie : CATHERINE HILL cembre. L’opération, organisée
seur au CHU de Lille et à l’Imperial moins consommatrice de res­ « Sur le papier, l’idée est très sédui­ épidémiologiste en lien avec l’agence régionale de
Les tests College de Londres. Rien n’est sim­
ple pour contrôler cette épidémie
sources et de temps que le
dépistage individuel.
sante mais elle a une limite : chez
les personnes asymptomatiques, il
santé et la préfecture de région,
mobilisera entre 10 000 et
antigéniques en attendant les vaccins, mais il y a une fenêtre de deux ou trois installer des tentes, les labos 20 000 personnes : profession­
élargis aux existe des solutions à combiner le Lenteur décisionnelle jours où on ne détecte pas le virus. d’analyses médicales peuvent in­ nels médicaux et paramédicaux,
« cas contacts » plus vite possible, dont le “mass « Avec des prélèvements salivaires Donc, même avec les tests anti­ vestir le Zénith de Lille…, énumère pharmaciens, biologistes ainsi
testing” [tests de masse] et les son­ et des tests groupés, c’est faisable à géniques très largement utilisés, le professeur Froguel, qui re­ que les réseaux de la protection
La Haute Autorité de santé (HAS) dages », comme c’est le cas en An­ l’échelle de la France. Avec des pré­ on ne peut pas dépister tous les cas grette la lenteur décisionnelle. civile et de la Croix­Rouge et les
s’est prononcée, samedi 28 no- gleterre, qui s’emploie depuis mai lèvements nasopharyngés et des infectés », expliquait­il. Même si on est l’arme au pied, sapeurs­pompiers.
vembre, pour l’élargissement de à dépister de manière aléatoire tests antigéniques, c’est plus diffi­ L’initiative relevant de la ga­ aucune décision n’a encore été
l’utilisation des tests antigéni- des échantillons de personnes cile parce qu’il faut des profession­ geure à l’échelle du pays, le conseil prise. Or, cela demande dix­ « Gros pari logistique »
ques « pour les cas contacts, dé- tous les mois. « Le chirurgien en­ nels de santé qui prélèvent la scientifique préconise de mener quinze jours de préparation. » « Cela reste un acte basé sur le vo­
tectés isolément ou au sein de lève la tumeur, en l’occurrence le population entière, complète une expérience pilote sur une ou Outre les capacités de tests, il lontariat, il n’y aura aucune obli­
clusters », et plus seulement chez confinement, et ensuite la chimio­ l’épidémiologiste Catherine Hill, deux grandes villes. Avant un faut pouvoir prévenir la popula­ gation. Si on a entre 600 000 et
les personnes présentant des thérapie sert à tuer les dernières également signataire de la note. éventuel déploiement national, tion, multiplier les lieux de dé­ 1 million de personnes qui viennent
symptômes. Réalisés sur prélè- cellules, le “mass testing” fait par­ On a perdu énormément de Philippe Froguel et la poignée pistage et disposer d’agents en se faire tester, ce sera déjà bien »,
vement nasopharyngé, ces tests tie de cette “chimio” », relève de temps, c’est la stratégie qu’il aurait d’experts suggèrent ainsi de nombre pour pratiquer les prélè­ avance Yannick Neuder, vice­pré­
permettent un résultat en façon imagée le généticien. fallu adopter pendant ou juste tester cette stratégie dans la mé­ vements, y compris pour se ren­ sident de la région, qui s’attend à
quinze à vingt minutes. Leur uti- Avec neuf autres confrères, il a après le premier confinement. Il tropole européenne de Lille, dre chez les personnes qui ne dépister environ 20 % de cas posi­
lisation n’est en revanche tou- adressé une note le 11 novembre faut tester toute la population s’inspirant de l’exemple de Liver­ peuvent se déplacer. En atten­ tifs. Un millier de lieux de dépis­
jours pas recommandée pour le au président de la République, française rapidement en isolant pool, qui a lancé le 6 novembre dant une autorisation plus large tage sur l’ensemble des territoires
dépistage de personnes asymp- puis une deuxième à Olivier les positifs, il n’y a pas d’autre solu­ une opération d’envergure desti­ des prélèvements salivaires, la auvergnats et rhônalpins ont été
tomatiques. La HAS a par Véran, proposant de tester la tion, sans ça, on se dirige directe­ née à tester son demi­million méthode combinerait des tests identifiés : outre des publics ciblés
ailleurs autorisé sous condition population française le plus large­ ment vers une troisième vague et d’habitants. L’incidence, soit le PCR et antigéniques. « Je pense (lycées, entreprises de plus de
le test salivaire EasyCov, dont les ment possible en deux semaines, un troisième confinement. » nombre de cas pour 100 000 habi­ qu’en trois ou quatre jours, maxi­ 300 salariés, Ehpad…), des gymna­
résultats sont donnés en qua- en détectant les porteurs du virus Parmi les scientifiques, l’idée de tants, est passée de 635, mi­octo­ mum une semaine, on arriverait à ses et salles de spectacle seront ré­
rante minutes. Elle s’est dite fa- au sein de familles ou groupes recourir à des tests de masse dans bre, à 158 fin novembre. dépister toute la population de la quisitionnés et des barnums ins­
vorable à son utilisation et à son d’individus afin qu’ils s’isolent. la population fait débat. Les plus Lille et Roubaix, qui réunissent métropole lilloise », avance Phi­ tallés sur des places publiques et
remboursement seulement chez « L’objectif est de diminuer les sceptiques invoquent la difficulté un peu moins de 400 000 habi­ lippe Froguel. aux abords de centres commer­
les patients symptomatiques cas de manière drastique en atten­ à mettre en pratique une telle tants, sont citées comme zones Le chercheur espère voir l’expé­ ciaux. En complément, des cars
« pour lesquels le prélèvement dant l’approvisionnement en vac­ opération. A la fois à cause du urbaines tests. « C’est à la fois rience démarrer aux alentours du itinérants doivent permettre de
nasopharyngé est impossible ou cins. [Ce dispositif] permettra en nombre de tests à effectuer et du assez pour que ça soit une expé­ 15 décembre puis être étendue aux couvrir des zones rurales.
difficilement réalisable », et ne le outre d’établir une carte de la fait que le résultat s’avère partiel. rience concluante, et faisable. La autres métropoles le 20 jan­ Les tests utilisés seront majori­
recommande pas pour les per- prévalence du virus dans les terri­ « Cette méthode repère un certain ville de Lille est prête à aider, les vier 2021, lors de la troisième tairement antigéniques – plus de
sonnes asymptomatiques. toires français afin d’adapter une nombre de personnes mais pas la pharmaciens sont d’accord pour étape du déconfinement, si le chif­ 2 millions ont été commandés –
mais des tests PCR seront propo­
sés pour les personnes les plus à
Comme la Slovaquie, l’Autriche veut tester toute sa population avant Noël risque. « C’est un gros pari logisti­
que, mais ça peut démontrer que
l’échelon régional est pertinent
en europe, quelques pays ou régions nombre d’infections a plongé dans le les bulletins épidémiologiques quoti­ testées, cela ferait tout de même pour proposer des actions de pré­
ont déjà fait l’expérience de dépistages pays, mais difficile de savoir si cette diens. Ce qui ne l’a pas dissuadé de 100 000 personnes à confirmer par vention et de dépistage, insiste
massifs à l’échelle de la population. baisse est attribuable à la campagne de poursuivre cette stratégie. Mardi 24 no­ PCR, « ce qui débordera notre capacité Yannick Neuder, qui cite l’exem­
L’expérience la plus ambitieuse a été dépistage massif ou aux mesures de vembre, Igor Matovic a annoncé que le de test », s’inquiète­t­il. ple des Länder à s’impliquer dans
menée en Slovaquie, pays d’Europe confinement décrétées en parallèle fin dépistage national lancé en novembre De son côté, après l’avoir envisagé, la la crise sanitaire allemande. Et si
centrale comptant 5,5 millions d’habi­ octobre. « Ce que l’on constate, c’est que le serait répété en décembre, sur trois Suisse a renoncé à dépister massive­ cette organisation est efficiente,
tants, qui a opté pour des tests antigéni­ virus continue à circuler, ça n’a pas eu, week­ends, afin que les Slovaques puis­ ment sa population. « Aujourd’hui, la cela permettra de se roder en vue
ques. Les Slovaques ont d’abord été semble­t­il, un effet extraordinaire sur le sent profiter des vacances de Noël. task force du Conseil fédéral n’est pas d’une future phase vaccinale. »
invités à venir tous se faire tester le taux de reproduction : il est actuellement favorable à ces tests de masse », expli­ Le ministre de la santé avait
premier week­end de novembre, la de 0,90 en Slovaquie, contre 0,72 en La Suisse a renoncé que Antoine Flahault. L’instance scien­ qualifié le 17 novembre cette
campagne a ensuite été renouvelée France, par exemple. La descente est L’Autriche voisine a également indiqué tifique helvétique invoque la moins initiative régionale « d’effet d’an­
deux week­ends dans les régions les beaucoup plus rapide en France qu’en sa volonté de tester toute sa population bonne sensibilité des tests antigéni­ nonce ». « Ce qui est important, ce
plus touchées. Près des deux tiers des Slovaquie », observe Antoine Flahault, le week­end juste avant Noël. Pour écar­ ques et la lourdeur logistique que cela n’est pas de tester les gens, c’est
habitants se sont déplacés, alors que directeur de l’Institut de santé globale à ter les faux positifs attribués aux tests implique. « Le pays est plus complexe d’être sûr qu’une fois [qu’ils sont]
ceux qui refusaient de le faire étaient l’université de Genève (Suisse). antigéniques, Vienne prévoit de refaire que la Slovaquie, la Suisse comprend des testés, on est capable de les mettre
menacés de mise en quarantaine. Le gouvernement slovaque a lui­ tester par PCR tous les cas positifs, mais cantons très autonomes, ce serait une à l’abri pour éviter les contamina­
Environ 1 % des personnes testées se même reconnu que les tests antigéni­ le conseil scientifique auprès du gou­ campagne beaucoup plus difficile à tions », a insisté Olivier Véran.
sont révélées positives, soit 38 000 per­ ques gratuits ont pu en outre faire arti­ vernement a fait part de ses réticences. mettre en œuvre logistiquement et Sur ce point, tous les avis conver­
sonnes. Le premier ministre, Igor ficiellement baisser le nombre de tests L’épidémiologiste Gerald Gartlehner politiquement », conclut le professeur gent : sans isolement des cas
Matovic, a vanté ce résultat, mais les PCR – payants lorsqu’ils sont comman­ estime ainsi dans le quotidien Der de santé publique.  positifs, tout dépistage massif
experts sont plus dubitatifs. Trois se­ dés sans ordonnance dans ce pays –, qui Standard que, sur la base de 2 % de faux jean­baptiste chastand (vienne, serait rendu inutile. 
maines après la vague de tests, le servent de seule base de données pour positifs sur 5 millions de personnes correspondant régional) et é. pi. élisabeth pineau

Epidémie de Covid-19 : situation au 29 novembre, 14 heures

HOSPITALISATIONS ET RÉANIMATION NOMBRE D’HOSPITALISATIONS PAR DÉPARTEMENT TESTS POSITIFS DANS LE MONDE

+ 9 784
Personnes hospitalisées pour 100 000 habitants Nombre de décès et rapport pour 100 000 habitants
Personnes en réanimation Petite couronne
et en soins intensifs Guadeloupe
nouvelles personnes positives 16 547 morts Belgique 144 décès / 100 000 hab.
1 confinement
er
28 284
(17 mars) au SARS-CoV-2 en
32 131 44 668 Espagne 95
vingt-quatre heures
Martinique (tests antigéniques inclus)
54 904 Italie 91
Cet indicateur dépend
2e confinement du nombre de personnes 58 342 Royaume-Uni 87
testées, variable selon
(30 octobre) Mayotte les jours et les territoires.
172 833 Brésil 82
de 100 à 127 NOMBRE DE MORTS
de 50 à 100 266 873 Etats-Unis 81

+ 198
La Réunion
de 25 à 50
52 325 France 78
7 019 de 10 à 25
3 744 Moins de 10 Guyane nouveaux décès à l’hôpital 4 650 Suisse 54
2 972 en vingt-quatre heures,
771 soit un total de 52 325 morts 39 127 Russie 27
18 mars 29 novembre depuis le début de l’épidémie
(y compris les décès en Ehpad). 16 306 Allemagne 20
Infographie Le Monde Sources : Santé publique France, Géodes, université Johns Hopkins
0123
MARDI 1ER DÉCEMBRE 2020
A Bichat, des
greffes ralenties
par le Covid­19
Même si des lits ont été
« sanctuarisés » dans l’hôpital
parisien, les transplantations
diminuent fortement cette année
REPORTAGE
M
ardi 24 novembre,
un peu avant
23 heures. Reynald
est dans son ca­
napé en train de regarder un do­
cumentaire à la télévision quand
l’appel tant attendu de l’hôpital
Bichat arrive enfin : grâce au don
d’une famille, deux poumons
sont disponibles pour lui. La
greffe est prévue dans quelques
heures à Paris, à deux heures de
route de la petite ville des Hauts­
de­France où il vit avec sa femme
et ses trois filles. A 45 ans, il souf­
fre d’une insuffisance respira­
toire grave, et a été inscrit voilà un
an sur la liste d’attente de l’Agence
de biomédecine, qui coordonne
les prélèvements dans toute la
France. Mais avec le Covid, tout
s’est ralenti : moins de donneurs,
moins de médecins pour prélever
les organes, moins de lits de réa­
nimation pour accueillir les mala­
des après leur opération.
Haute tour sombre en lisière du
périphérique, l’hôpital Bichat est
le seul établissement de l’Assis­
tance publique­Hôpitaux de Paris
(AP­HP) à réaliser des transplan­
tations pulmonaires. Environ 70
interventions ont lieu par an. « Là,
on a un gros retard. On ne dépas­
sera pas 50 », constate Yves Cas­
tier, chef du service de chirurgie
vasculaire et thoracique, qui par­
ticipera à l’intervention plus tard
dans l’après­midi. Sur le fil What­
sApp créé par les chirurgiens de
l’hôpital pour s’échanger les in­
formations sur les organes propo­
sés par l’Agence de biomédecine,
les messages ne se sont guère
bousculés au mois de novembre,
même si plusieurs interventions
ont eu lieu pendant cette
deuxième vague.
« Ambiance plus tendue »
Lors de la première vague, les chi­
rurgiens avaient tout stoppé, esti­
mant qu’il était bien trop risqué
d’hospitaliser dans des réanima­
tions « submergées de patients Co­
vid » des malades greffés, aux dé­
fenses immunitaires affaiblies par
les médicaments antirejet. « On
était tous stressés », reconnaît Yves
Castier. A cela, s’ajoutait la crainte
de manquer de lits. « La greffe pul­
monaire demande un temps d’hos­
pitalisation d’au moins une dizaine
de jours, quelquefois plus quand les
patients ont des complications in­
fectieuses », souligne le chirurgien.
Autant qu’un patient atteint d’une
forme grave de Covid.
Cet automne, des lits ont été
« sanctuarisés » pour des trans­
plantations, mais d’autres inter­
ventions ont dû être annulées, au
grand dam des chirurgiens con­
cernés. « Au printemps, on avait
tous l’impression d’être dans le
même bateau, les gens étaient rai­
sonnables. Là l’ambiance est plus
tendue, et le ton monte parfois »,
raconte Yves Castier, coprésident
du Conseil de bloc de l’hôpital,
l’instance chargée de répartir les
ressources – accès aux salles
d’opération, lits de réanimation –
entre les différents services.
Reynald sera le 43e greffé pul­
monaire de l’année. Arrivé à
2 heures du matin en ambulance
porte de Saint­Ouen, il patiente
depuis dans une chambre au
dixième étage de l’hôpital, ha­
billé du pyjama bleu foncé de
l’hôpital, sous un drap jaune pâle.
Il est presque midi. Le greffon at­
tendu dans la nuit n’est toujours
pas arrivé car les intempéries ont
empêché l’avion de décoller. Con­
formément à la loi, aucune infor­
mation ne lui a été transmise sur
le donneur, ni même sur le lieu
où ont été prélevés ses futurs
poumons. « J’aimerais tant dire
merci aux familles, elles ne sont
pas obligées, c’est vraiment no­
ble », précise­t­il, avec émotion.
L’attente a été longue et angois­
sante. « Je me disais, avec le Covid,
cela ne va plus être possible »,
explique­t­il en soulignant qu’il
n’a pour autant « jamais baissé
les bras ». Confiné depuis le mois
de mars, il s’est résolu à porter le
masque chez lui, et à prendre ses
repas en bout de table, bien
conscient que le virus pourrait
lui être fatal. « Avec cette greffe,
j’espère retrouver ma place dans
la société, retravailler un peu, cou­
rir avec mes enfants », dit­il la
voix un peu éraillée.
Au niveau – 1, dans la salle où il
doit être opéré, tout le matériel et
les machines ont été disposés. Au
printemps, quatre lits de réani­
mation y avaient été placés pour
accueillir des patients atteints du
Covid. Dans une salle voisine, où
un chirurgien opère ce matin­là
un patient atteint d’un cancer du
poumon au moyen d’un robot,
quatre autres lits avaient été ins­
tallés. Enfin, la totalité de la salle
de réveil, soit douze lits, avait été
transformée, en « open space de
réanimation ». « C’était une vérita­
ble usine à gaz, avec le bruit, la cha­
leur, les entrées, les sorties », se
souvient Aurélie Gouel, anesthé­
siste et coprésidente du Conseil
de bloc. Pour créer ces lits, il a fallu
récupérer dans les différents
blocs opératoires des pousse­se­
ringues, des ventilateurs, des sco­
pes, des chariots avec du maté­
riel : « un énorme déménage­
ment », souligne­t­elle.
Pour la deuxième vague épidé­
mique, deux réanimations éphé­
mères ont été créées. « Nous
avons fermé certaines salles d’opé­
ration pour récupérer le personnel
dont nous avions besoin pour les
ouvrir », explique Aurélie Gouel,
en arpentant les longs couloirs
qui desservent les 22 « blocs ».
Cette fois, 15 ont pu rester ouverts
contre 9 la première fois. Quel­
SI LA RÉPARTITION DES  vice et ses « annexes », contre 16
LITS ENTRE LE COVID ET  mi­novembre. Si la répartition
D’AUTRES PATHOLOGIES SE  Pour nous contacter :
MAINTIENT, « CELA AURA  sur l’activité chirurgicale », souli­
UN IMPACT SUR L’ACTIVITÉ  gne Brice Lortat­Jacob, anesthé­
CHIRURGICALE »,  qu’en temps normal le service de
SOULIGNE BRICE LORTAT­
JACOB, ANESTHÉSISTE­
RÉANIMATEUR
planète | 9
Le professeur Yves Castier, lors d’une greffe bi­pulmonaire, le 25 novembre, à l’hôpital Bichat, à Paris. JULIE BALAGUÉ POUR « LE MONDE »
ques malades attendent, dans un choix, mais « la question peut se d’anesthésie­réanimation. Selon Au cœur de l’hôpital Bichat,
sas ouvert, séparés par de simples poser à tout instant en cas de nou­ lui, « le pays ne peut pas faire à Paris, « Le Monde » raconte,
paravents, avec comme seule dis­ velle épidémie d’un nouveau virus l’économie d’un débat éthique » depuis le mois d’octobre et tout
traction un écran de télévision où plus agressif, ou d’évolution du vi­ sur ce sujet. « Mais ce n’est pas au long de la deuxième vague
se promènent en continu des rus actuel conduisant à un nom­ aux médecins, qui sont juges et de l’épidémie de Covid­19, les vies
poissons rouges. « Cela fait partie bre de décès accru », prévient Phi­ parties, de décider. »  bouleversées des soignants,
du programme d’“amélioration de lippe Montravers, chef du service chloé hecketsweiler des patients et de leurs familles.
la qualité de vie” », sourit Aurélie
Gouel, qui espère maintenant
convaincre l’AP­HP d’y ajouter un
peu de musique.
Délimités par une bâche
Après une batterie d’examens,
C’EST AUX ÉCOLES
Reynald est descendu au bloc vers
14 h 30, mais il est près de 17 heu­
res quand l’intervention dé­
DE S’ADAPTER
marre. A ses pieds, sur une table,
tout un arsenal de pinces, d’écar­
teurs, de ciseaux a été disposé. Sur
fond de musique pop, l’équipe
AUX AMBITIONS
avance minutieusement, stressée
tant la vie du patient tient à un fil,
pendant ces quelques heures. Un
DES ÉTUDIANTS
peu plus tard, la porte de la salle
s’ouvre. « J’ai une nouvelle : Diego
Maradona est mort ! », lance Yves
Castier à la cantonade, tout en en­
filant sa blouse pour se joindre à
l’opération. Les poumons sont Opter pour l’ISG après le bac, c’est décider de choisir l’un des programmes
encore dans les airs, en direction qui correspond le mieux à ses aspirations, à ses ambitions.
de l’aéroport du Bourget, escortés Et ce, dans une pluralité de villes pour la majorité d’entre eux.
par le chirurgien de l’hôpital qui a
réalisé le prélèvement. 18 h 55.
Les voilà enfin. Disposés dans 5 PROGRAMMES POST BAC ET 1 500 PLACES
une grande bassine en inox rem­
plie de glace, ils sont prêts pour
un second souffle. • Programme Grande École*
Quatre chirurgiens se succèdent
au cours de l’opération, et il est
minuit et demi lorsque Reynald • Programme 3+2 Business & Management
descend enfin dans le service de
réanimation chirurgicale. Sur les
douze lits, quatre sont occupés • International Program BBA / MBA
par des patients malades du Co­
vid et huit par des patients at­
teints d’autres pathologies, en
• Programme Bachelor
majorité des greffés pulmonaires. en Management International*
Les deux espaces ont été délimi­
tés mi­octobre par une simple bâ­
che scotchée au mur. Au mur du • Programme ISG Luxury Management*
couloir, une série de portraits a
été affichée, avec tous les soi­
gnants ayant travaillé ici pendant
la première vague.
Au pic du printemps, 35 malades
étaient hospitalisés dans le ser­
www.isg.fr
au plus haut de la seconde vague,
Dans 9 villes de France :
des lits entre patients atteints du
Paris • Lille • Nantes • Nice
Covid et d’autres pathologies se
01 56 26 26 26 Bordeaux • Toulouse
maintient, « cela aura un impact
Montpellier • Lyon • Strasbourg
siste­réanimateur, en rappelant
réanimation « tourne à 100 % ». *Les programmes Grande Ecole et Bachelor en Management International ne sont disponibles qu’à Paris. Le programme Luxury Management est
L’équilibre entre les deux caté­
également disponible à Genève.Établissement d’enseignement supérieur privé. Cette école est membre de
gories de patients reste fragile.
Pour cette deuxième vague, les
médecins n’ont pas eu à faire de
 FRANCE
10 |
SÉCURITÉ
Police : Macron veut apaiser sans se déjuger
Le chef de l’Etat cherche à sortir du
débat sur la loi « sécurité globale »
sans perdre en crédibilité sur
le terrain régalien. Des annonces
sont attendues dans la semaine
U
ne majorité en
ébullition, des
dizaines de mil­
liers de mani­
festants dans la
rue… Emma­
nuel Macron voit son virage ré­
galien des dernières semaines se
muer en crise politique.
Samedi 28 novembre, plus de
130 000 personnes selon le mi­
nistère de l’intérieur – et 500 000
selon les organisateurs – ont dé­
filé dans une centaine de villes
de France contre les violences
policières et pour réclamer le re­
trait de l’article 24 de la proposi­
tion de loi « sécurité globale ».
Une foule gonflée par l’émoi qu’a
suscité la révélation de vidéos
montrant le passage à tabac par
des policiers de Michel Zecler, ou
rapportant l’évacuation musclée
d’un camp de migrants, place de
la République, à Paris.
Après avoir clamé sa « honte »
face à ces agissements, le prési­
dent de la République doit désor­
mais apaiser une situation qui
mobilise jusqu’à ses électeurs de
2017. « J’ai vu des amis dans cette
manifestation, qui d’habitude ne
descendent pas dans la rue. Des
gens qui, politiquement, sociolo­
giquement, sont proches de
nous », souligne un macroniste,
qui s’inquiète d’une possible ri­
tualisation des défilés, comme
au temps des « gilets jaunes ».
Principal objet du délit, l’arti­
cle 24, qui prévoit de pénaliser la
diffusion malveillante d’images
de policiers. Ce dernier pourrait
être repris, malgré l’adoption par
les députés, le 24 novembre, de la
proposition de loi. « Il faut revoir
notre copie, retravailler, refaire
des auditions », a convenu, sur
France Inter, la présidente (La Ré­
publique en marche) de la com­
mission des lois de l’Assemblée
nationale, Yaël Braun­Pivet, qui
déplore le « désordre ambiant ».
DARMANIN TENU À L’ÉCART
Le sujet a fait l’objet d’une réu­
nion, dimanche après­midi à Ma­
tignon, entre le premier minis­
tre, Jean Castex, et plusieurs diri­
geants de LRM. « Cet article crée
trop de tensions, de doutes, de di­
visions, mais il ne faut pas donner
le sentiment aux policiers qu’on
les abandonne, ni que la majorité
se sente désavouée, car elle l’a
voté », résume un participant.
Une solution envisagée revien­
drait à le supprimer lors du pas­
sage du texte au Sénat, début
2021, et à se contenter de l’arti­
cle 25 du futur projet de loi
contre le séparatisme, qui sanc­
tionne le fait de diffuser des in­
formations sur une personne
« dans le but de l’exposer, elle ou
les membres de sa famille, à un
UNE SOLUTION  tude ». « Les représentants de la
ENVISAGÉE  droite, pour l’instant, se taisent.
REVIENDRAIT  prêts à récupérer le butin et à dire
À SUPPRIMER  retire l’article 24, met en garde un
L’ARTICLE 24 LORS DU  difficile de reculer sans perdre une
PASSAGE DU TEXTE AU  partie de notre crédibilité sur le
SÉNAT, DÉBUT 2021
0123
MARDI 1ER DÉCEMBRE 2020
risque immédiat d’atteinte à la
vie, ou à l’intégrité physique ou
psychique ». Un délit puni plus
sévèrement lorsqu’il est commis
contre un dépositaire de l’auto­
rité publique.
Le ministre de l’intérieur,
Gérald Darmanin, a été tenu à
l’écart de ces échanges. Malgré la
polémique, il reste un fervent
partisan de cette disposition
– dont il est l’auteur –, qui lui per­
met de se poser en défenseur des
policiers. « Bilan définitif [des ma­
nifestations de samedi] : 98 bles­
sés parmi les policiers et gendar­
mes. Je leur apporte tout mon sou­
tien. Les auteurs de ces violences
doivent être poursuivis », twee­
tait­il encore, dimanche soir.
UN « PRÉSIDENT CAMÉLÉON »
L’ancien disciple de Nicolas
Sarkozy devait répondre, lundi
après­midi, aux questions de la
commission des lois de l’Assem­
blée nationale sur le sujet du
maintien de l’ordre. Il est at­
tendu au tournant par Emma­
nuel Macron, qui a demandé au
gouvernement « de [lui] faire ra­
pidement des propositions » afin
de renouer le lien entre la police
et la population.
Une réforme de l’inspection gé­
nérale de la police nationale est
envisagée, tout comme celle de la
formation continue des policiers,
ainsi qu’un recours accru aux ca­
méras­piétons. Des annonces
pourraient être formulées dans
la semaine. « Il faut avoir un dis­
Affaire Zecler : quatre policiers mis en examen
cours cadré sur les comporte­
ments de la police, c’est un sujet Deux d’entre eux ont été écroués dimanche pour le passage à tabac d’un producteur à Paris
que nous ne traitons jamais en
France », regrette un ministre.
L’opposition, de son côté,
continue de faire monter la pres­
sion sur le préfet de police de
Paris, Didier Lallement, dont le
député (La France insoumise) du
Nord, Adrien Quatennens, a ré­
N euf jours après l’interpel­
lation violente subie par
le producteur de musi­
que Michel Zecler dans le local de
son studio situé dans le 17e arron­
tère raciste », mais aussi pour
« faux en écriture publique, viola­
tion de domicile et dégradations
de bien ». Le parquet de Paris a
aussi requis leur placement en dé­
local était en fait un hall d’entrée
public. Il était indiqué dans leur
rapport que l’interpellation résul­
tait du refus de M. Zecler de se
soumettre à un contrôle de police
exprimer la « honte » du président
à la vue des images.
Dans l’entourage du chef de
l’Etat, on surveille de près la ques­
tion des violences policières,
clamé le « limogeage ». Pour dissement de Paris, et cinq jours tention provisoire compte tenu alors qu’il ne portait pas de après la succession d’affaires ces
l’heure, l’exécutif n’envisage pas après la révélation par le site de « la gravité des faits », de « l’im­ masque et qu’il se dégageait de lui derniers jours. Samedi 28 no­
de remercier cet homme dont Loopsider des images établissant portance du trouble causé à l’ordre une forte odeur de cannabis. vembre, des « marches des liber­
Jean Castex avait pourtant cher­ les mensonges des policiers sur public » et pour éviter « les risques M. Heitz a précisé que, à l’issue tés » ont eu lieu dans de nom­
ché à se débarrasser lors de sa les circonstances de leur inter­ de concertations et de pressions ». d’une perquisition réalisée lundi breuses villes du pays, avec
nomination à Matignon, en vention, quatre policiers ont été Le parquet avait enfin demandé dans le studio, la quantité de 130 000 participants selon le
juillet. « Une fois que vous faites mis en examen conformément la mise en examen d’un qua­ 0,5 gramme de cannabis avait été ministère de l’intérieur, pour
ça, vous dites aux flics “on vous aux réquisitions du parquet et trième policier, auteur d’un jet de retrouvée dans la sacoche de protester contre l’article 24 de la
lâche”. L’idée n’est pas de les déju­ deux d’entre eux, le brigadier et grenade lacrymogène dans le local M. Zecler. Les policiers avaient par proposition de loi « sécurité glo­
ger, ils sont soumis à rude l’un des gardiens de la paix que dans le deuxième temps de l’inter­ ailleurs assuré dans leur rapport bale », qui restreint le droit de fil­
épreuve », souffle un membre du l’on voit sur les vidéos, ont été vention policière, pour « violences avoir subi des violences de la part mer les forces de l’ordre. Les ima­
gouvernement. placés en détention provisoire. volontaires par PDAP en réunion du producteur, des affirmations ges de l’interpellation de Michel
Une recherche d’équilibre qui A l’occasion d’une conférence et avec armes et dégradation de démenties par la vidéosur­ Zecler, relayées des millions de
résume la position d’Emmanuel de presse tenue, dimanche 29 no­ biens par moyens dangereux pour veillance où, à aucun moment, on fois, avaient participé à la visibi­
Macron, soucieux de rassurer vembre, au tribunal judiciaire de les personnes », et requis son pla­ ne le voit porter des coups. lité des appels au rassemblement.
son électorat originel face aux Paris, le procureur de la Républi­ cement sous contrôle judiciaire Le procureur a dit par ailleurs Dans un entretien accordé au
accusations de dérives libertici­ que de Paris, Rémy Heitz, était avec l’interdiction d’exercer. que les trois fonctionnaires Journal du dimanche paru le
des et en même temps de dé­ revenu sur la chronologie de l’af­ contestaient les insultes racistes. 29 novembre, le directeur général
montrer à ses sympathisants is­ faire Zecler, devenue en quelques Très bons états de service Michel Zecler avait dit avoir de la police nationale, Frédéric
sus de la droite sa fermeté sur les jours un nouveau symbole des Rémy Heitz a précisé que les trois entendu à plusieurs reprises Veaux, a condamné « des compor­
sujets régaliens. violences policières, et avait an­ policiers auteurs des violences « sale Nègre » au milieu des coups. tements de délinquants ». « Les
Ce qui a fait dire au président noncé l’ouverture d’une informa­ avaient reconnu au cours de leurs Des accusations « corroborées » policiers doivent avoir un compor­
de la région Hauts­de­France, tion judiciaire et le défèrement de gardes à vue avoir porté des coups par l’un des jeunes artistes pré­ tement irréprochable. Et c’est le cas
Xavier Bertrand, invité de quatre policiers. en raison de l’attitude de M. Zecler sents dans le local, selon M. Heitz. de la quasi­totalité d’entre eux. Ce
BFM­TV, que M. Macron serait un Il avait précisé que son parquet « qui se débattait » mais aussi à Parmi eux, quatre ont, à ce stade, sont ceux­là, qui travaillent de
« président caméléon, qui, au fil avait requis les mises en examen cause de « la panique qu’ils avaient déposé plainte pour violences, manière professionnelle, honnête,
des circonstances, change d’atti­ du brigadier et des deux gardiens ressentie dans le local dont ils ne tout comme la cotitulaire du bail responsable, qui vont avoir à subir
de la paix qu’on voit sur la parvenaient pas à s’extraire ». Le du studio, qui a engagé des pour­ les conséquences de tels comporte­
vidéosurveillance du studio d’en­ procureur a ensuite dit qu’après suites pour dégradations. ments », a­t­il déploré.
Ils attendent, tapis dans l’ombre, registrement asséner de très plusieurs auditions ils avaient fini Vendredi soir, Emmanuel Ma­ Samedi, depuis son compte
nombreux coups au producteur par reconnaître que « les coups cron avait dénoncé une « agres­ Instagram, le producteur Michel
que les masques tombent si on de 41 ans pour « violences volon­ portés n’étaient pas justifiés ». sion inacceptable » et demandé au Zecler a, de son côté, réclamé
taires avec interruption tempo­ Toujours selon le procureur, les gouvernement de lui faire rapide­ « qu’aucune violence ni aucun
conseiller de l’exécutif. C’est raire de travail (ITT) inférieure à policiers, qui affichaient de très ment des propositions « pour amalgame ne soient faits en [son]
huit jours par personnes déposi­ bons états de service, ont réfuté le lutter plus efficacement contre nom », ajoutant : « Les faits sont
taires de l’autorité publique caractère mensonger de leur toutes les discriminations ». L’Ely­ graves. Ma réponse sera froide
régalien. »  (PDAP) avec arme en réunion et procès­verbal d’interpellation, sée a appelé le producteur de mais résolue. » 
olivier faye accompagnées de propos à carac­ expliquant qu’ils pensaient que le musique ce week­end, pour lui simon piel
0123
MARDI 1ER DÉCEMBRE 2020 france | 11

Dans le cortège
de la manifestation
contre la loi « sécurité
Avec l’article 23, la majorité donne des gages aux
globale », à Paris,
le 28 novembre.
AGNÈS DHERBEYS/MYOP POUR « LE MONDE »
policiers en détricotant l’arsenal disciplinaire en prison
Cet article de la proposition de loi « sécurité globale » exclut du crédit de réduction de peine les personnes
condamnées pour l’agression d’un membre des forces de l’ordre, d’un élu ou d’un pompier

U n article de loi peut en

cacher un autre. Derrière
l’article 24 de la proposi­
tion de loi « sécurité globale » qui
a mobilisé l’attention en raison
des craintes qu’il suscite – ne plus
pouvoir filmer la violence de
certains policiers –, l’article 23,
répondant, lui aussi, à une
demande des syndicats de poli­
ciers, vient détricoter le droit
pénitentiaire. Voté peu après
2 heures du matin dans la nuit du
vendredi 20 au samedi 21 novem­
bre à l’Assemblée nationale, il
exclut du bénéfice des crédits de
réduction de peine les auteurs
d’infractions contre un membre
des forces de sécurité intérieure,
un élu ou un pompier.
Il s’agit avec cet article, inséré
dans un chapitre intitulé « Mieux
protéger ceux qui nous protè­
gent », de « tirer les conséquences
du risque d’atteinte accru qu’en­
courent ces agents », écrivent les
auteurs du texte, les députés La
République en marche Jean­Mi­
chel Fauvergue (Seine­et­Marne)
et Alice Thourot (Drôme). En
commission des lois, le champ
des professions ainsi « proté­
gées » a été élargi aux contrac­
tuels de la police et de la gendar­
merie, aux agents des douanes et
de l’administration pénitentiaire
et aux policiers municipaux. Une
multitude d’amendements pro­
posant d’ajouter à cette liste des
professions comme les gardiens
« CE DISPOSITIF N’A AUCUN 
RAPPORT AVEC LA GRAVITÉ 
DES FAITS : CELUI QUI  première préoccupation de sa
MENACE UN POLICIER EST  d’y ajouter les personnels péni­
PRIVÉ DES RÉDUCTIONS  nes et ses collègues regrettaient
DE PEINE, MAIS PAS  pourtant il y a quelques mois l’ex­
LE VIOLEUR D’ENFANTS »
IVAN GUITZ
premier vice-président
au tribunal judiciaire
de Bobigny
C’est donc un levier à la main de
l’administration pénitentiaire
dans le maniement de la carotte et
du bâton en matière disciplinaire.
« Cela aide les personnels pénitenti­
aires à tenir les tôles, pour la paix
en détention », reconnaît Ivan
Guitz, premier vice­président au
tribunal judiciaire de Bobigny,
coordonnateur du service de l’ap­
plication des peines, et depuis
septembre président de l’Associa­
tion nationale des juges de l’appli­
cation des peines. Il explique
d’ailleurs avoir, « à chaque com­
mission d’application des peines,
des retraits de crédit de réduction
de peine pour des détenus, le plus
souvent pour la possession de télé­
phone portable ou de stupéfiant ».
Dans l’échelle des comportements
peine pour les agresseurs de poli­
ciers ou gendarmes. Lors des
débats en commission des lois,
on peut d’ailleurs relever que la
présidente, Yaël Braun­Pivet, a été
tentiaires. La députée des Yveli­
ception au principe de réduction
de peine créé pour les terroristes
par la loi de 2016. Cela conduit à
des « sorties sèches » de terroris­
tes, déploraient­ils pour justifier
le vote de mesures de sûreté pour
les sortants de prison…
« Poison à diffusion lente »
Selon l’article 23, même les
auteurs d’infraction les plus légè­
res comme « les menaces et actes
d’intimidation » seront concer­
nés. Les insultes qui fusent lors
d’interpellations agitées et vien­
nent souvent s’ajouter à la liste
des infractions retenues par un
tribunal priveront ainsi systéma­
tiquement leurs auteurs du crédit
de réduction de peine… et l’admi­
nistration pénitentiaire d’un de
ses instruments pour maintenir
la discipline. « Ce qui, au niveau
d’une maison d’arrêt comme
Villepinte [Seine­Saint­Denis], ris­
que de poser des difficultés », s’in­
quiète le juge de Bobigny.
Au­delà du mauvais service
rendu à l’administration péniten­
tiaire, on a du mal à imaginer en
quoi ce texte va mieux protéger
les forces de sécurité. Quel peut
être l’effet dissuasif de cette
mesure sur celui qui lance des
pavés sur des CRS ? « Le seul effet
dissuasif contre l’agresseur d’un
policier ou d’un surveillant péni­
tentiaire est la certitude d’une
poursuite pénale et d’une
condamnation ferme », remarque
M. Nicolas, de FO­Direction péni­
tentiaire. En la matière, observe­
t­il, « c’est le cas, les condamna­
tions tombent ». S’il « comprend le
but recherché » par l’article 23, il
s’« étonne » du moyen choisi.
Surtout, cette réforme crée un
précédent. « Il y a un risque de
multiplier à l’avenir ce genre
d’exception », craint­il. Le prési­
dent de l’Association des juges de
l’application des peines, « scan­
dalisé » par cet article, est plus
catégorique. « C’est une sorte de
poison à diffusion lente, dit­il. A
chaque fait divers soulevant une
émotion dans le pays, la pression
politique pour élargir cet article 23
sera très forte. » D’autant plus,
souligne M. Guitz, que le disposi­
tif voté « n’a aucun rapport avec
la gravité des faits : celui qui
menace un policier est privé des
réductions de peine, mais pas le
violeur d’enfants ».
Dans un avis donné sur la
proposition de lois sécurité
globale, le Défenseur des droits
voit d’ailleurs dans cet article 23
« un risque d’atteinte aux principes
constitutionnels d’égalité devant
la loi, de nécessité des peines, de
proportionnalité et d’individuali­
sation des peines ». La Commis­
sion nationale consultative des
droits de l’homme regrette pour
sa part l’exclusion des auteurs de
certaines infractions du bénéfice
d’un dispositif « dont l’objectif est
la réinsertion du condamné ».
Approuvée lors d’un vote solen­
nel au Palais­Bourbon mardi
24 novembre, la proposition de
loi sera débattue au Sénat en
janvier. 
jean­baptiste jacquin

d’immeuble, les médecins urgen­
tistes, les magistrats ou les ensei­
gnants a été rejetée.
La carotte et le bâton
ON M’APPELLE
ainsi sanctionnés, viennent
ensuite les violences entre déte­
nus, puis les agressions verbales
ou physiques à l’égard des agents
pénitentiaires. Sans présager bien

98 gendarmes
et policiers blessés
Le bilan est lourd et rappelle
ceux des samedis de « gilets jau-
nes » les plus violents. A travers
le pays, 98 policiers et gendar-
mes ont été blessés, samedi
28 novembre, lors des Marches
des libertés organisées dans de
nombreuses villes. A Paris, les
affrontements ont été particu-
lièrement violents à l’arrivée
place de la Bastille, entre
une petite partie du cortège,
décidée à en découdre, et les
forces de l’ordre.
Ces dernières, qui traversent
une phase de profonde remise
en question de leurs modes
d’action, avaient adopté une
stratégie moins offensive que
celle de ces derniers mois. De
très nombreuses grenades la-
crymogènes ont été tirées, mais
dans un premier temps, peu de
charges et d’interpellations ont
été réalisées. Un groupe type
black bloc est parvenu à se
constituer et à commettre des
dégradations. Des caravanes de
chantier, des véhicules, la fa-
çade d’une brasserie et les fenê-
tres d’un établissement de la
Banque de France ont été in-
cendiés. Tout comme un kios-
que à journaux, malgré le mot
d’ordre de la manifestation,
pour la liberté d’informer. Alors
que les forces de l’ordre ten-
taient de dégager le passage
pour les pompiers, un policier a
été pris à partie et s’est retrouvé
au sol où des individus lui ont
asséné de nombreux coups.
Après l’appel à la dispersion des
organisateurs, les forces de l’or-
dre sont passées à l’offensive,
récupérant rapidement le con-
trôle de la place. Au total, 81 in-
terpellations ont été effectuées.
Jusqu’ici, seuls les terroristes
avaient été privés des crédits de
réduction de peine. Ce coup de
canif au principe inscrit dans le
code de procédure pénal depuis la
loi Perben 2, votée en 2004 sous le
gouvernement de Jean­Pierre
Raffarin, avait été porté dans un
moment d’émotion extrême.
Dans les heures suivant l’attentat
de Nice du 14 juillet 2016, la
mesure dérogatoire avait été
introduite à la dernière minute
dans la loi du 21 juillet prorogeant
l’état d’urgence.
De quoi s’agit­il ? Le dispositif
attribue de façon automatique à
chaque condamné entrant en pri­
son une réduction de peine calcu­
lée sur la durée de la condamna­
tion prononcée (trois mois pour la
première année, deux mois pour
les suivantes, et pour les peines in­
férieures à un an, sept jours par
mois). Par exemple, une personne
condamnée à deux ans et quatre
mois de prison bénéficiera d’un
crédit de réduction de peine de
cinq mois et vingt­huit jours.
Mais un crédit peut se dilapider.
« Ce dispositif est un des
éléments de régulation du com­
portement des détenus dans les
établissements pénitentiaires »,
explique Sébastien Nicolas, secré­
taire général du syndicat FO des
directeurs pénitentiaires. Sur son
site Internet, le ministère de la
justice précise que l’objectif de ce
crédit accordé à la personne
condamnée est « de favoriser son
bon comportement ». De fait, l’ar­
ticle 721 du code de procédure
pénale instituant cette règle
précise : « En cas de mauvaise
conduite du condamné en déten­
tion, le juge de l’application des
peines peut être saisi par le chef
d’établissement ou sur réquisi­
tions du procureur de la Républi­
que aux fins de retrait (…) de cette
réduction de peine. »
sûr des poursuites pénales.
« La pratique est ancrée puisque le
plus souvent est déduit de la sup­
pression des réductions de peine le
« LE SÉROPO »
nombre de jours passés en quartier
disciplinaire décidés en commis­
sion de discipline au sein de l’éta­
blissement », précise M. Nicolas.
POURTANT,
Aucune statistique nationale n’est
disponible, mais selon les JE M’APPELLE
ERWAN.
estimations corroborées côté dé­
tention par M. Nicolas et côté ma­
gistrats par M. Guitz, entre un
quart et un tiers des condamnés
voient leur crédit de réduction de
peine amputée au moins en partie.
« Sorties sèches »
C’est également un des instru­
ments de prévention de la réci­
dive, car la carotte devient épée
de Damoclès après la sortie de
prison. Si une personne qui
aurait bénéficié de six mois de
réduction de peine commet une
nouvelle infraction au cours du
semestre suivant sa sortie de
prison, le tribunal pourra ajouter
à sa nouvelle condamnation une
peine supplémentaire corres­
pondant au crédit dont il avait
bénéficié lors de sa précédente
incarcération.
Le dispositif ne doit pas être
confondu avec celui en faveur de
la réinsertion, dont il n’est pas
question ici. Ce dernier est consti­
tué de « réductions supplémentai­
res de peine » accordées par le juge LE VIH M’ATTEINT
de l’application des peines aux
condamnés qui « manifestent des CERTAINS-ES M’ENFONCENT
efforts sérieux de réadaptation
sociale », précise la loi en vigueur.
AVEC AIDES, JE ME RELÈVE
Cela concerne, par exemple, ceux
qui suivent une formation en
détention ou y travaillent.
Mais revenons à cet article 23,
voté sans état d’âme par la Les discriminations
majorité, rejointe par l’opposition font le lit de l’épidémie du VIH.
de droite et avec le soutien du Donnez sur aides.org
gouvernement, afin de suppri­
mer les crédits de réduction de

12 | france
L’inquiétude des maires face à la parole raciste
Plusieurs élus alertent sur une montée des agressions physiques ou verbales dans leur commune
L’
alerte est venue, fin
octobre, quinze jours
après l’assassinat de
Samuel Paty, le profes­
seur d’histoire­géographie déca­
pité par un terroriste islamiste le
16 octobre, à Conflans­Sainte­Ho­
norine (Yvelines). Lors d’une
visioconférence entre une ving­
taine d’élus de banlieue, plusieurs
font état de leurs préoccupations
face à la multiplication des ré­
flexions racistes ou des propos
antimigrants qu’ils ont entendus.
« Nous étions tous vraiment
inquiets, comme si un bouchon
avait sauté », se souvient Gilles
Leproust, le maire communiste
d’Allonnes (Sarthe). « On a senti
alors un vrai raidissement, et
certains de nos habitants se sont
lâchés avec des bouffées de
racisme qui s’exprimaient ouverte­
ment », renchérit Catherine Are­
nou, élue (divers droite) de Chan­
teloup­les­Vignes (Yvelines).
Cette impression d’une marée
qui monte doucement est exacer­
bée par la série d’agressions et
insultes dont ont été victimes
certains élus aux noms à conso­
nance étrangère, bien avant l’at­
tentat de Conflans­Sainte­Hono­
rine. Azzédine Taïbi, le maire
communiste de Stains (Seine­
Saint­Denis), a ainsi été la cible de
plusieurs courriers anonymes au
mois de juillet et septembre : « Re­
garde bien devant, derrière, sur les
côtés… on va venir te crever ! », me­
nace l’un d’entre eux. D’autres
élus divers gauche comme le
maire de Villetaneuse (Seine­
Saint­Denis), Dieunor Excellent,
ou celui de Givors (Rhône), Moha­
med Boudjellaba, ont connu des
intimidations identiques fin
août. Mohamed Gnabaly (divers
gauche), lui, a retrouvé, le 10 no­
vembre, le portail de son domicile
à l’Ile­Saint­Denis (Seine­Saint­
Denis) tagué de quatre croix gam­
mées et des mots « A mort ».
Pour ces différents élus, ces
agressions sont la conséquence
d’une haine qui s’exprime de
plus en plus sur les réseaux so­
ciaux. « Il y a un climat qui se dé­
grade sur fond de haine avec les
attentats en toile de fond. Cela
existait avant, mais là, un nou­
veau palier est franchi », assure
Azzédine Taïbi. Un sentiment
partagé par Karim Bouamrane, le
maire socialiste de Saint­Ouen
(Seine­Saint­Denis) : « Depuis le
premier confinement, on ressent
« Territoires zéro chômeur », une nouvelle arme contre l’exclusion
L’Assemblée nationale devait adopter, lundi, ce dispositif créé en 2016 pour l’étendre à une cinquantaine de bassins d’emploi dans le pays
U ne nouvelle étape est sur
le point d’être franchie
dans les politiques de
lutte contre l’exclusion. Lundi
30 novembre, l’Assemblée natio­
nale devait adopter définitive­
ment une proposition de loi qui
permet de prolonger et d’étendre
une expérimentation en faveur
des personnes privées de travail
depuis des mois. Celle­ci porte un
nom aussi long qu’intrigant :
« territoires zéro chômeur de lon­
gue durée ». A l’heure actuelle, elle
est mise en œuvre dans une di­
zaine de municipalités. Le texte
soumis au vote des députés per­
mettra d’y ajouter – au moins –
cinq fois plus de bassins d’emploi.
Le dispositif a vu le jour sous la
précédente législature grâce à
une loi de février 2016, approuvée
à l’unanimité – ce qui démontre à
la fois l’intérêt et l’adhésion qu’il
recueille parmi les élus de tous
bords. Promue, en particulier, par
l’association ATD­Quart Monde,
la démarche repose sur un mo­
dèle économique qui se veut
innovant : il s’agit de créer des
« Il y a un climat
qui se dégrade
sur fond de haine
avec les attentats
en toile de fond »
AZZÉDINE TAÏBI
maire de Stains
(Seine-Saint-Denis)
une cristallisation du racisme
sournois qui se traduit aussi par
une violence à l’égard des maires,
et, quand ce sont des élus noirs ou
arabes, cela peut se traduire par
des actions xénophobes. » Ou, à
Strasbourg, par l’adjointe écolo­
giste Floriane Varieras, pour qui
« on voit davantage un racisme
décomplexé s’exprimer sur les ré­
seaux sociaux de la part d’habi­
tants qu’on connaît ».
Le phénomène n’est pas nou­
veau. Les signes d’un durcisse­
ment sur la question migratoire
étaient déjà présents dans cer­
tains territoires, bien avant les
derniers attentats. Notamment
ceux où le Rassemblement natio­
nal (RN) s’est implanté. « Cette pa­
role raciste qui s’assume, on l’en­
tend depuis trois ans », affirme
Willy Bourgeois, adjoint aux fi­
nances de Lons­le­Saunier (Jura).
Même chose à Saint­Vallier, dans
la Drôme, confirme son maire
socialiste, Pierre Jouvet : « Les
discours de rejet embrayent beau­
coup plus facilement. Ce n’est pas
lié aux attentats, mais à la
présence du RN. »
Tendance à la « foxisation »
Ce sentiment que la parole se
libère est d’autant plus prégnant
que cette rhétorique s’invite
désormais sur certains plateaux
télévisés. La « foxisation » de
certains médias, et son corollaire
d’outrance et de provocations,
donne libre cours à une diffusion
des arguments d’extrême droite.
Le président socialiste du dépar­
tement de Seine­Saint­Denis, Sté­
phane Troussel, l’assure : « Quand
on a un Zemmour qui a micro­
ouvert sur les ondes malgré ses
condamnations par la justice, cela
a des répercussions : celle de la
libération de la parole raciste. »
Ces remarques xénophobes
qu’on réservait plutôt avant aux
soirées privées ou aux déjeuners
de famille s’assument désormais
entreprises dites « à but d’em­
ploi », qui n’embauchent, en CDI
et au smic, que des hommes et
des femmes au chômage depuis
au moins un an. Les entreprises
en question développent des acti­
vités répondant à des besoins
locaux, à condition de ne pas en­
trer en concurrence avec des em­
ployeurs déjà implantés à proxi­
mité. Les biens et services mis en
vente prennent des formes diver­
ses : maraîchage, recyclage de
tissus, petits travaux à domicile,
boutiques solidaires…
Des chiffres modestes
Autre caractéristique importante
à rappeler : les entreprises à but
d’emploi reçoivent des crédits
apportés par des collectivités pu­
bliques (Etat, département…), une
des idées fondatrices de l’expéri­
mentation étant d’« activer des
dépenses passives ». En clair, les
prestations versées aux indi­
vidus, lorsqu’ils n’avaient aucun
poste (RSA, allocation­chô­
mage…), sont réaffectées dans le
financement de productions
Manifestation en soutien au maire de Stains (Seine­Saint­Denis), Azzédine Taïbi, le 26 septembre. DRAGAN LEKIC
publiquement. « Une partie des
militants de droite ou d’extrême
droite se sentent libérés, raconte
Olivier Bianchi, le maire socialiste
de Clermont­Ferrand. J’entends de
plus en plus d’habitants dire que
l’islam serait incompatible avec la
société française, et on m’accuse
de trop accueillir de réfugiés, d’être
trop laxiste avec les migrants… »
« Le résultat, c’est que des habi­
tants se plaignent des remarques
et que des mères voilées me disent
que, depuis les attentats, elles sen­
tent que le regard sur elles a
changé, que les gens se raidissent
quand elles arrivent à la sortie de
l’école », explique Dieynaba Diop,
adjointe aux Mureaux (Yvelines).
Certains élus tentent de relativi­
ser cette flambée soudaine, esti­
mant qu’elle ne serait que passa­
gère et que le pays serait plus rési­
lient qu’on ne le pense. D’autres
maires, au contraire, disent com­
prendre le ressentiment de leurs
concitoyens : « Est­ce que c’est du
racisme ? J’y vois plutôt l’expres­
nouvelles, créatrices d’emploi.
Des institutions privées appor­
tent également des subsides.
Depuis la création du dispositif,
environ 1 000 individus ont été
recrutés dans les entreprises à but
d’emploi – certains d’entre eux les
ayant quittées par la suite, expli­
que Laurent Grandguillaume, le
président de l’association natio­
nale Territoires zéro chômeur de
longue durée et ex­député (PS,
Côte­d’Or), initiateur de la loi de
février 2016. D’autre part, le lance­
ment de l’expérimentation a
contribué à remettre en selle de
Au premier
trimestre,
près de 900 000
chômeurs
déclaraient
rechercher du
travail depuis
au moins un an
sion d’un désarroi sur un ton véhé­
ment et un ressenti du décalage
entre les discours et ce qui est vécu
alors que les attentats s’enchaî­
nent, qui montre l’impuissance
des autorités », estime Xavier
Lemoine, le maire divers droite de
Montfermeil (Seine­Saint­De­
nis). Le climat de colère à l’égard
de la gestion de l’épidémie de
Covid­19, l’angoisse devant la
crise économique qui frappe for­
tement les petits commerçants et
les travailleurs précaires, la dé­
fiance grandissante à l’égard des
institutions, forment un cocktail
qui inquiète les élus de terrain.
Cette situation de mécontente­
ment et d’incertitude a généré
une aspiration à davantage de fer­
meté, où la nuance n’a plus guère
de place, soulignent nombre
d’entre eux.
Les études manquent pour
étayer ou infirmer ces remontées
du terrain. La Commission natio­
nale consultative des droits de
l’homme, instance placée sous
500 à 600 autres personnes, qui
ont décroché un contrat de travail
en dehors des entreprises à but
d’emploi : ce sont les « externalités
positives » de la mesure, selon la
formule de Marie­Christine Ver­
dier­Jouclas, députée LRM du
Tarn et rapporteure de la proposi­
tion de loi examinée lundi à
l’Assemblée nationale.
Les chiffres peuvent paraître
modestes, au regard de l’ampleur
du phénomène : au premier tri­
mestre, près de 900 000 chô­
meurs déclaraient rechercher du
travail depuis au moins un an,
d’après l’Insee. Mais la démarche
suscite un élan spectaculaire :
« 135 territoires sont candidats »,
rapporte M. Grandguillaume. La
proposition de loi, qui doit être
votée lundi, donne, d’ores et déjà,
la possibilité d’étendre l’expéri­
mentation dans 50 bassins d’em­
ploi – en plus des dix déjà concer­
nés. Mais des projets supplémen­
taires pourront être acceptés, via
des décrets pris par l’Etat, qui s’as­
surera, au préalable, que le cahier
des charges a été respecté. Le gou­
Certains élus
tentent de
relativiser
cette flambée,
estimant qu’elle
ne serait que
passagère
l’autorité du premier ministre
qui publie tous les ans un rapport
sur la question, n’en a pas réalisé
en 2020, faute d’avoir pu envoyer
ses enquêteurs interroger les
Français à cause du confinement.
« Il est vrai qu’on a vu exploser le
racisme antimusulman et anti­
asiatique sur les réseaux sociaux.
Pour le reste, on ne sait pas. On
constate que nous sommes dans
un contexte qui peut favoriser le
rejet et la recherche de boucs émis­
saires et que les allocutions d’Em­
manuel Macron et de certains
vernement disposera ainsi d’une
marge de manœuvre, de nature à
rassurer les collectivités locales
qui désirent tester la mesure.
« C’est une belle victoire », se féli­
cite Mme Verdier­Jouclas, évo­
quant un « texte bien équilibré »,
sur lequel l’Assemblée nationale
et le Sénat ont su trouver un com­
promis en commission mixte pa­
ritaire. Les désaccords, qui exis­
taient initialement entre les deux
chambres, notamment à propos
de la contribution financière des
conseils départementaux, ont été
levés. La députée du Tarn souli­
gne également le « travail collec­
tif » qui a prévalu tout au long des
débats. En première lecture, la
proposition de loi avait été votée à
l’unanimité au Palais­Bourbon.
Coût élevé
De plus, les échanges avec l’exécu­
tif, notamment avec la ministre
du travail, Elisabeth Borne, ont
été « constructifs », assure la rap­
porteure. Comme le fait remar­
quer un bon connaisseur du
dossier, l’aggravation récente du
0123
MARDI 1ER DÉCEMBRE 2020
ministres ne favorisent pas l’apai­
sement des tensions », note la
politiste Nonna Mayer. La cher­
cheuse au centre d’études euro­
péennes et de politique compa­
rée de Sciences Po fait notam­
ment allusion aux déclarations
du président de la République sur
le séparatisme ou celles du minis­
tre de l’intérieur, Gérald Darma­
nin, sur les rayons hallal des su­
permarchés.
Son collègue Vincent Tiberj,
coauteur d’une étude sur l’impact
sur l’opinion publique des atten­
tats de 2015 et 2016 (Face aux at­
tentats, PUF, 108 p., 9,50 euros),
prend avec sérieux les alertes des
élus. « Ce n’est pas l’attentat qui
crée le racisme, mais le discours.
Dans ces moments­là, les cadrages
politiques qui aident à faire sens
comptent. Or, on n’a pas beaucoup
entendu de discours qui permet­
tent d’éviter les amalgames avec
les musulmans et facilitent la rési­
lience », estime­t­il. 
sylvia zappi
chômage, liée à la récession éco­
nomique, a sans doute joué en fa­
veur du texte : au départ, il n’élar­
gissait l’expérimentation qu’à
une trentaine de territoires.
Des voix se sont fait entendre
au sujet du coût du dispositif, qui
a été jugé élevé par l’économiste
Pierre Cahuc, membre du comité
scientifique d’évaluation de Ter­
ritoires zéro chômeur. Celui­ci
s’est également demandé si la
mesure profitait bien à des indi­
vidus durablement coupés du
monde du travail. Un point de
vue qui n’est pas partagé par ses
pairs. « Les études qui ont été con­
duites sur les dix expérimenta­
tions en cours montrent qu’il n’y a
pas eu de dérive, affirme Carole
Tuchszirer, socio­économiste et
membre, elle aussi, de l’instance
d’évaluation. Ceux qui sont entrés
dans le dispositif, y compris au
cours de la période récente, corres­
pondent bien au public ciblé ini­
tialement : il s’agit de personnes
qui avaient été durablement éloi­
gnées de l’emploi. » 
bertrand bissuel
0123
MARDI 1ER DÉCEMBRE 2020 france | 13

Affaire du Petit Bar :

les secrets d’une
enquête corse
Malgré des investigations poussées, les
piliers de la bande mafieuse sont en cavale

A
près des années
d’échecs, la justice
pensait, enfin, avoir
trouvé le moyen de
faire chuter la bande du Petit Bar,
aujourd’hui au sommet du crime
organisé corse. Le 28 septembre,
des dizaines d’interpellations et
de perquisitions sur l’île, sur le
continent et à l’étranger devaient
conclure deux ans d’une enquête
intense, après la tentative d’assas­
sinat, en septembre 2018, de Guy
Orsoni, figure criminelle locale et
fils d’un ancien chef nationa­
liste. Sur cette île criminogène,
où si peu d’homicides trouvent
leur explication, les policiers
avaient, pour une fois, eu de la
chance, et les nouvelles technolo­
gies étaient venues à leur secours
pour lever le voile sur les moyens
utilisés par la mafia insulaire.
Mais, deux mois plus tard, selon
les éléments du dossier auxquels
Le Monde a eu accès, la partie n’est
pas encore gagnée. Outre des
dysfonctionnements qui ont con­
duit, le 3 octobre, au dessaisisse­
ment des policiers au profit des
gendarmes, les piliers du Petit
Bar, Pascal Porri, André Bacchio­
lelli et Mickaël Ettori sont en
cavale après avoir été prévenus
que leur arrestation était immi­
nente. Seul leur chef, Jacques San­
toni, tétraplégique, présenté com­
me le « parrain de la Corse­du­
Sud », a été mis en examen, le
30 septembre, pour « complicité
d’homicide en bande organisée »
et « association de malfaiteurs ».
Mais, son état de santé étant in­
compatible avec la détention, il
sait qu’il ne sera jamais incarcéré.
La bagarre procédurale promet
d’être rude. Tout a commencé le
13 septembre 2018, sur les hau­
teurs d’Ajaccio. Deux hommes
casqués et habillés de noir surgis­
sent sur une moto puissante. Le
passager tient un fusil automati­
que, il arrose de 48 coups la
voiture blindée de Guy Orsoni,
s’agit d’une balise, ressemblant à
celles posées par les services
enquêteurs pour suivre les dépla­
cements de suspects à leur insu.
Dès le lendemain, la justice sait
qu’elle n’appartient ni aux poli­
ciers, ni aux gendarmes, ni au
renseignement intérieur.
Milliers de données
Dès lors, l’enquête va se bâtir sur
une investigation technique très
ambitieuse pour laquelle police et
justice demanderont un secret
absolu pendant deux ans. Et pour
cause, son dévoilement aurait fait
perdre un atout de taille. Faute
d’autres éléments probants, la
piste de la balise devient primor­
diale. Si le propriétaire est identi­
fié, il sera possible de remonter
aux auteurs. Elle provient d’un lot
de trois balises qui ont com­
mencé à émettre en même temps
à Ajaccio et ses environs. Celle
trouvée sous la voiture a émis, la
première fois, le 18 octobre 2017 et
a été fixée dans la nuit du 3 au
4 août 2018. Les deux autres ont
été allumées le 24 octobre 2017. « Il
est très probable, dit l’enquête,
qu’elles ont été acquises par une
même équipe de malfaiteurs. »
De fabrication russe, ces balises
coûtent 200 euros l’unité et leur
durée de vie varie de trois ans à
deux mois en fonction du mode
utilisé, en veille ou en « tracking
actif ». Elles se consultent à
distance avec un smartphone. La
précision de leurs données GPS va
être d’une aide redoutable pour
les enquêteurs : cinq mètres à l’ex­
térieur et trente mètres dans des
bâtiments. De même, les cartes
SIM estoniennes dont sont équi­
pées les trois balises pour pouvoir
fonctionner hors de Russie seront
riches en informations. Elles per­
mettent aux balises de transmet­
tre leurs données et actionnent
les relais téléphoniques. Sur la
La police, sur
les lieux de
la tentative
d’assassinat
de Guy
Orsoni,
à Ajaccio, le
13 septembre
2018.
PASCAL POCHARD-
CASABIANCA/AFP
seule base de ces cartes SIM, les Pierre­François Luccioni, ex­gé­ balise n’a fonctionné qu’un jour, Ange­Marie Gaffory a assuré
experts déduisent, le 5 novem­ rant du Petit Bar à l’époque où le 24 octobre 2017. Enfin, les nom­ n’avoir « jamais eu cette balise
bre 2018, que « les utilisateurs fré­ celui­ci était encore un café, habi­ breuses tentatives pour remplacer entre les mains, il s’agit d’une coïn­
quentaient des zones géographi­ tant du village de Vero où réside la première balise défectueuse par cidence si mes coordonnées corres­
ques correspondant au domicile une partie de la famille de Guy la deuxième balise ont été vaines. pondent aux siennes ». En revan­
de plusieurs membres de l’équipe Orsoni, aurait également trans­ Des déplacements, dit l’enquête, che, a­t­il noté, « j’en ai trouvé plein
du Petit Bar ». porté l’une de ces balises. « correspondent à la recherche du sur mon 4 × 4, ma moto, le véhicule
Mais, à ce stade, le ciblage de­ véhicule de Guy Orsoni », jusqu’à la de ma femme, je les ai toujours
meure encore trop lâche pour éta­ Balise inactive veille de la tentative d’assassinat. laissées ». Pierre­François Luccio­
blir un lien solide entre les balises Ce travail fouillé n’a pourtant pas Interrogé le 30 septembre, ni nie toute implication. « On ne
et le Petit Bar. Le 31 octobre 2018, levé toutes les interrogations. Les Jacques Santoni a indiqué qu’il m’a jamais demandé de mettre
les policiers reçoivent, cette fois­ci, échanges avec le fabricant russe « n’avait rien à voir avec cette ten­ cette balise sous le véhicule de Guy
les codes d’accès à l’historique des des balises n’ont pas permis de tative d’assassinat ». Il a ajouté : Orsoni et puis, on l’aurait fait,
balises. « C’est un apport essentiel savoir qui les a achetés et quand. « Mes rapports avec Guy Orsoni j’aurais refusé. » Guy Orsoni, lui, a
et inédit, écrivent­ils, car les don­ De plus, les auteurs de la tentative ont toujours été bons, demandez­ été arrêté, le 19 octobre 2018, sus­
nées GPS des balises concernent d’assassinat n’ont pas eu besoin lui, il ne pourra pas vous dire le pecté par la justice d’avoir projeté,
des mouvements s’apparentant à de celle trouvée sous la voiture de contraire. » Entendu le 2 octobre, pour se venger, l’assassinat d’un
des repérages effectués aux abords Guy Orsoni. Elle était inactive de­ lors de sa mise en examen pour poids lourd du Petit Bar. 
des domiciles de Guy Orsoni. » Il puis… le 22 août 2018. La troisième « association de malfaiteurs », jacques follorou
reste alors à croiser les données
des balises avec celles des télépho­
nes des membres du Petit Bar afin
de voir si les déplacements des
suspects coïncident avec ceux de
ces mouchards électroniques. Et
cela va prendre du temps et le trai­
tement de milliers de données.
Les résultats tombent le 17 mars
2020. Confiants, les policiers pré­
voient de lancer les interpella­
tions le 30 mars. Mais, crise due
au Covid­19 oblige, ils les
reportent au 28 septembre. Le
puzzle reconstitué par la justice
montre des balises effectuant de
nombreux allers­retours, à Ajac­
S
cio, passant entre les mains des
T ION
EC
membres du Petit Bar, au domi­
cile de Jacques Santoni, à celui de L
HOR
L

qui ne sera que blessé. Le même Pascal Porri, chez André Bacchio­
S-
CO

jour, vers 18 h 45, après deux heu­ Le puzzle lelli. Mais aussi dans des lieux que SÉ
res d’expertise du 4 × 4 Mercedes fréquentent ces derniers ; l’hôtel
reconstitué par
R

criblé de balles, un membre de la du Maquis, l’hôtel Palazzu Domu,

IE

police technique jette un dernier la justice montre l’aéroport d’Ajaccio et même des
S

coup d’œil sous la voiture et chemins déserts non carrossa­

des balises
découvre « sur le châssis droit, un bles. On découvre aussi l’inter­ S
boîtier rectangulaire aimanté noir effectuant de vention d’un affidé du Petit Bar, RE
V

de 6 cm de long, 4 cm de large et Ange­Marie Gaffory, suspecté

nombreux allers-
LI

2 cm de haut ». Il vient de faire d’avoir cherché le véhicule de Guy

faire à l’enquête un pas de géant. Il retours à Ajaccio Orsoni pour y fixer une balise.

La bande connaissait la date des interpellations C

O
FF

le vaste coup de filet lancé en Corse, le quêteurs d’entendre les discussions qui se tien­
RETS

28 septembre, contre la bande mafieuse du nent autour d’elle. Les échanges portent, notam­
Petit Bar et son chef, Jacques Santoni, par la juge ment, sur la perquisition du 28 septembre. « Moi ES
d’instruction Anaïs Trubuilt, attachée à la juri­ je sais ce que je vais faire (…). P’t’et que je vais y al­ N
U

diction spécialisée de Marseille contre le crime
organisé (JIRS), a connu plusieurs aléas. Un
gardé à vue avait pu communiquer avec sa
compagne, avec l’accord des policiers, et faire
disparaître de son domicile des éléments
compromettants avant la perquisition. Et, lors­
que les enquêteurs ont voulu interpeller trois
piliers du Petit Bar, ceux­ci avaient déjà quitté
leur domicile, sans doute prévenus de l’immi­
nence des arrestations.
Informateurs
Dans le même dossier, il apparaît que, trois jours
avant cette opération, grâce à des écoutes réali­
sées sur le téléphone de la femme de Pascal
Porri, un historique du Petit Bar, des éléments
permettaient déjà de deviner que cette équipe
était au courant des interpellations à venir et
comptait bien ne pas être présente à l’arrivée des
policiers. Le 25 septembre au soir, cette dernière
est à son domicile, entourée d’amis, et tente de
réserver, à dix reprises, une table dans un restau­
rant. Son appel est systématiquement dirigé sur
un message automatique puis tombe sur un ré­
pondeur. Cette mise en attente permet aux en­
ler », dit un homme à l’accent corse et à la voix
grave, tout en s’inquiétant qu’il n’y ait personne
quand les policiers arriveront chez lui. La femme
de Pascal Porri lui répond : « Ils prennent un voi­
sin, ils font la perquisition avec, ils ont déjà fait.
Moi, ils m’avaient pris la voisine, sur le cours Na­
poléon. » Cet homme n’est autre qu’André Bac­
chiolelli, dit « Dédé », un des quatre membres du
noyau dur du Petit Bar, qui partira en cavale.
Une autre voix, au timbre plus clair, participe
au débat : c’est celle de Philippe Porri, le frère de
Pascal, garde­malade de Jacques Santoni, tétra­
plégique. La femme de ce dernier est également
présente ce soir­là. Enfin, pour compléter ce
LA CULTURE EN FÊTE !
petit groupe se trouve un « homme sans accent
corse, un orateur au ton clair et affirmatif maîtri­
JUSQU’À 60% DE RÉDUCTION
sant son sujet », qui fournit des explications sur
les modalités de la détention. Autant d’élé­
ments qui laissent à penser que les piliers du
Petit Bar possédaient des informateurs au sein
de l’institution policière ou judiciaire, pour EN VENTE SUR BOUTIQUE.LEMONDE.FR
connaître à l’avance les menaces qui les vi­
saient, et que les policiers disposaient peut­être
d’éléments permettant d’anticiper leur fuite.  Exclusivité web du 25 au 30 novembre.
j. fo.
 0123
14 | france MARDI 1ER DÉCEMBRE 2020

La Cour des comptes étrille la protection de l’enfance

Dans un rapport publié lundi, les magistrats financiers décrivent une gouvernance défaillante

P
rès de 330 000 jeunes
(306 800 mineurs et
21 400 jeunes majeurs)
étaient pris en charge au
titre de la protection de l’enfance
en France, fin 2018. De la simple
mesure éducative jusqu’au place­
ment, cette mission est dévolue
aux départements depuis les lois
de 1983 sur la décentralisation, et
en grande partie assurée par le
secteur associatif. Le coût de cette
politique publique s’élève à
8,4 milliards d’euros par an, dont
7,99 milliards à la charge des
départements.
C’est donc bien à un « enjeu so­
cial majeur », comme elle le défi­
nit elle­même, que la Cour des
comptes consacre un rapport au
titre éloquent, « La protection de
l’enfance, une politique inadap­
tée au temps de l’enfant », rendu
public lundi 30 novembre.
Ce n’est pas la première fois que
les magistrats financiers se pen­
chent sur la thématique. En 2009
déjà, un rapport soulignait les
fragilités de la protection de l’en­
fance et formulait 27 recomman­
dations, adressées soit à l’Etat,
soit aux départements, soit aux
deux conjointement. Force est de
constater que, onze ans plus tard,
ces dernières n’ont, « pour une
majeure partie », pas été prises en
compte. Elles sont en partie
réitérées dans les dix recomman­
dations qui concluent le nouveau
rapport.
En 168 pages, les magistrats
étrillent un système manifeste­
ment à bout de souffle, marqué
par d’importantes disparités ter­
ritoriales. En effet, malgré deux
lois ambitieuses (en 2007 et
2016), le cadre fixé demeure en
partie inappliqué. Avec une ex­
ception, relevée par la Cour : les
cellules de recueil des informa­
tions préoccupantes qui sont
« fonctionnelles dans l’ensemble
des départements » bien que de
manière imparfaite.
Pour le reste, l’organisation
complexe du système, qui se
trouve à la croisée de plusieurs
ministères et fait intervenir à la
Des mineurs isolés,
à Saint­Denis
(Seine­Saint­Denis)
le 2 novembre. BENJAMIN
GIRETTE POUR « LE MONDE »
fois une autorité administrative
(le département) et judiciaire (le
juge des enfants), s’illustre par la
faiblesse de sa gouvernance et un
pilotage défaillant. En cause,
estiment les magistrats, « une
multiplicité d’instances aux mis­
sions enchevêtrées, aux moyens
limités, dont la coordination est
chronophage ».
Le manque cruel de référentiels
communs qui permettraient de
lutter contre les iniquités territo­
riales est souligné. De l’Aisne aux
Bouches­du­Rhône, chaque dé­
partement procède à sa manière,
tant pour l’évaluation du danger,
le nombre de mesures suivies par
les travailleurs sociaux, que pour
le contrôle des établissements ac­
cueillant des mineurs protégés.
Des disparités qui s’illustrent
notamment dans la prise en
charge des mineurs non accompa­
gnés, originaires de pays étrangers
et demandant la protection de la
France, lesquels prennent une
place croissance dans le dispositif.
Parcours chaotiques
Par souci d’équité, « clarification
et simplification » devraient être
les mots d’ordre, considèrent les
magistrats. Ils proposent ainsi
qu’au niveau de l’Etat le pilotage
soit confié à la direction générale
de la cohésion sociale, avec le ren­
forcement du rôle de l’Observa­
toire national de la protection de
l’enfance et la suppression d’une
autre instance, le Conseil national
de la protection de l’enfance, créé
par la loi de 2016. Autre recom­
mandation : que le préfet soit l’in­
terlocuteur du président du dé­
partement concernant le déploie­
ment de cette politique.
Un chantier est en outre pré­
senté comme absolument néces­
saire : la meilleure coordination
des services de l’aide sociale à
l’enfance (ASE) avec ceux de la jus­
tice, sachant que les juges des en­
fants sont à l’origine de 75 % des
décisions de prise en charge.
Globalement, s’alarme la Cour,
les délais importants ayant cours
en protection de l’enfance, qu’il
s’agisse du traitement des cellules
de recueil des informations pré­
occupantes et de l’exécution des
délais de justice, « peuvent nuire
gravement à l’enfant ». Ainsi, « l’in­
dicateur du nombre de mineurs en
attente de suivi éducatif se dé­
grade sensiblement sur la période
Le manque cruel
de référentiels
communs qui
permettraient
de lutter contre
les iniquités
territoriales
est souligné
étudiée (+ 8,6 % depuis 2014),
preuve de la difficulté des départe­
ments à assurer leur mission ».
Pour les magistrats, l’absence de
vision à long terme concernant le
devenir des enfants fait cruelle­
ment défaut. Elle se heurte, relè­
vent­ils, à une caractéristique
française : le maintien à tout prix
des liens avec la famille d’origine.
Or, « appréhender le parcours des
enfants sur le long terme suppose
de clarifier la relation avec leurs
parents, d’une part en évaluant les
compétences parentales et d’autre
part en envisageant si nécessaire
des adaptations du statut de l’en­
fant et des modifications de l’exer­
cice de l’autorité parentale ». Sauf
que la procédure de délaissement
parental, introduite dans la loi de
2016 dans ce but, reste à ce stade
fort peu utilisée.
Conséquence de la difficulté des
pouvoirs publics à élaborer une
solution adaptée aux besoins des
enfants protégés : les parcours
souvent chaotiques de ces der­
niers, malgré l’existence d’outils
comme le « projet pour l’enfant »,
instauré en 2007, censé garantir
sa bonne prise en charge mais qui
« se heurte, en pratique, à de nom­
breux écueils ». Dès lors, au « cou­
peret » des 18 ans, en raison « du
caractère facultatif des contrats
jeunes majeurs », l’insertion so­
ciale de ces jeunes apparaît très
difficile, comme en témoigne la
forte proportion d’anciens de
l’ASE chez les sans­abri.
Dernier enjeu soulevé dans le
rapport : celui des ressources hu­
maines du secteur, qui peine à re­
cruter. « Cette situation ne saurait
cependant justifier le recours, de
plus en plus fréquent, à des person­
nels moins qualifiés ou à l’allége­
ment de la surveillance des obliga­
tions attendues en la matière, au
premier rang desquelles figure le
contrôle des antécédents judiciai­
res », met en garde la Cour.
Concernant la situation des as­
sistants familiaux, qui accueillent
une part importante des enfants
placés, elle note qu’« il est indis­
pensable de renforcer l’attractivité
du métier et de leur apporter un
meilleur appui ». C’est justement
un des chantiers de la stratégie
nationale de prévention et de pro­
tection de l’enfance, lancée
en 2019 par le secrétariat d’Etat à
l’enfance. 
solène cordier

Une offre d’emploi au collège de Le gouvernement contraint d’assouplir

Samuel Paty crée l’indignation
les restrictions aux cultes publics
A u départ, il y a une petite annonce, publiée sur le site de
Pôle emploi. Collège recherche professeur d’histoire­
géo, « débutant accepté », qualités requises : « gestion du
stress ». Le procédé n’est pas nouveau : les rectorats ont parfois
Le Conseil d’Etat a jugé « disproportionné » le plafond uniforme de trente personnes

recours à Pôle emploi pour recruter des « contractuels », ces

professeurs non titulaires des diplômes de l’enseignement, af­
fectés en général à des postes de remplacement.
Seulement voilà : le poste à pourvoir se trouve au collège du
Bois­d’Aulne, à Conflans­Saint­Honorine (Yvelines), où ensei­
P our la seconde fois en six
mois, le Conseil d’Etat
contraint le gouverne­
ment à revoir à la baisse les restric­
tions imposées à la célébration de
gnait Samuel Paty assassiné par un terroriste le 16 octobre après cultes en présence de fidèles en
avoir montré des caricatures de Mahomet à des élèves. L’an­ raison de la crise sanitaire. Diman­
nonce a été révélée dimanche 29 novembre sur le site des Clio­ che 29 novembre, saisie par la
nautes, une association de professeurs d’histoire et de géogra­ Conférences des évêques de
phie, qui s’indigne d’un tel procédé. Retweetée par le média Café France (CEF), par des évêques indi­
pédagogique, l’affaire suscite l’indignation sur les réseaux. Le viduellement et par des groupes
même jour, peu après 15 heures, le rectorat de Versailles annonce catholiques, la plus haute juridic­
sur Twitter la suppression de cette annonce « inappropriée ». tion administrative a jugé « dispro­
portionné » le plafond uniforme
« Politique de suppression des postes » de 30 personnes imposé pour la
Contacté par Le Monde, le rectorat confirme qu’il s’agit d’une participation aux messes, comme
« maladresse de [ses] services » – liée au « suivi particulier » dont le aux célébrations de tous les cultes,
collège fait l’objet. Le poste à pourvoir ne correspond pas à celui quelle que soit la capacité de l’édi­
de Samuel Paty. Le rectorat a précisé que « certains personnels fice dans lequel elles ont lieu.
sont en arrêt de travail » mais que « la quasi­totalité sont rempla­ Cette mesure généralisée consti­
cés ». Les classes de M. Paty sont prises en charge depuis quinze tue, selon l’assemblée du Palais­
jours par deux enseignants « titulaires, volontaires et expérimen­ Royal, « une atteinte grave et mani­
tés », précise­t­on dans l’entourage de la rectrice de Versailles. festement illégale » à la liberté de
L’explication n’a pas convaincu la communauté enseignante. culte. Le Conseil d’Etat a donné
« Dans un établissement qui a vécu une chose pareille, comment trois jours au gouvernement pour
peut­on envisager de balancer un contractuel recruté en dix minu­ revoir son dispositif. Lors d’une
tes ? », dénonce Bruno Modica, porte­parole des Clionautes. réunion à Matignon, dimanche
« Cette annonce touche deux points sensibles, analyse pour sa soir, Jean Castex a indiqué aux re­
part Sophie Venetitay, du SNES­FSU. Il y a d’abord le cas très parti­ présentants de l’épiscopat qu’il
culier d’un collège en deuil. D’un autre côté, on touche à une réalité consulterait les autres confessions
de l’éducation nationale, contrainte de passer par Pôle emploi avant de modifier son décret, d’ici
pour faire face à ses besoins. » Une situation issue d’une « politi­ à mercredi. « Nous avons travaillé
que de suppressions de postes » dans le second degré, selon la sur des hypothèses », a indiqué au
syndicaliste, qui assure que les volants de remplaçants sont les Monde Olivier Leborgne, évêque
premiers touchés lorsque des postes sont supprimés.  d’Arras et vice­président de la CEF.
violaine morin Depuis une semaine, l’Eglise ca­
tholique a transmis au gouverne­
ment un protocole sanitaire ren­
forcé, prévoyant 4 mètres carrés
par fidèle avec une occupation
maximale d’un tiers de la capacité
totale de chaque édifice. « Le pre­
mier ministre a insisté sur le fait
que la situation épidémique n’est
pas la même que celle qui prévalait
au moment du premier déconfine­
ment, avec par exemple un nombre
de personnes en réanimation supé­
rieur », a précisé Mgr Leborgne.
Une liberté fondamentale
Annoncé par Emmanuel Macron
le 24 novembre, le numerus
clausus de 30 personnes a déclen­
ché une levée de crosses de la part
des évêques. La CEF avait transmis
peu avant à l’exécutif un protocole
sanitaire adapté à la capacité des
édifices. Eric de Moulins­Beau­
fort, le chef de file de l’épiscopat,
avait appelé le président de la Ré­
publique le soir même. Il avait
compris de cette conversation
que l’exécutif était prêt à assouplir
ce plafond fixe. Mais jeudi, Jean
Castex l’avait confirmé. Depuis,
de nombreux évêques avaient
prévenu que, dans leur diocèse,
les curés ne refuseraient pas d’ac­
cueillir les fidèles, même en nom­
bre excédentaire. Ce qui s’est
d’ailleurs produit dimanche.
Le feuilleton de la suspension
des messes en public a mis en lu­
mière des tensions entre l’épisco­
pat et l’Etat d’une part, et des ten­
sions internes au catholicisme
français d’autre part. Le premier
épisode avait eu lieu en mai ;
quand avait commencé le déconfi­
nement, le 11 mai, les célébrations
en présence de fidèles étaient res­
tées interdites. La CEF avait pro­
testé, faisant valoir que les cultes
ne pouvaient pas être moins bien
traités que d’autres activités, no­
tamment commerciales, ne rele­
vant pas d’une liberté fondamen­
tale comme l’est la liberté de culte.
Mais, fidèle à son rôle tradition­
nel d’interlocuteur mesuré des
pouvoirs publics, la CEF n’avait
alors pas attaqué le décret du gou­
vernement devant le Conseil
d’Etat. En revanche, un référé­li­
berté avait été déposé par des
groupes liés aux mouvances
conservatrice, traditionaliste ou
identitaire, les plus mobilisées sur
la question de la messe. Ils avaient
eu gain de cause : le 18 mai, le
Conseil d’Etat avait donné huit
jours au gouvernement pour as­
souplir l’interdiction totale des
cultes en présence des fidèles.
Début novembre, lorsque est
arrivé le second confinement, ne
voulant sans doute pas laisser
cette stratégie payante à une
frange militante, la CEF avait
contesté elle­même, devant le
Conseil d’Etat, la nouvelle inter­
diction des messes. Mais elle n’a
pas obtenu gain de cause, le juge
administratif ayant jugé les res­
trictions « nécessaires » et « pro­
portionnées ». La nouvelle saisine,
elle, a été payante.
Le recours aux tribunaux par la
CEF, dans ses rapports avec l’Etat,
est une première. Elle laissera sans
doute des traces. Au sein du catho­
licisme d’abord, car tous les fidèles
ne jugeaient pas opportun de faire
de la messe une pomme de dis­
corde, dans un contexte de crise
sanitaire, économique et sociale.
Avec les autres cultes ensuite, qui
donnaient la priorité à l’obser­
vance des consignes sanitaires.
« Nous souhaitons poursuivre
dans la voie de la concertation avec
les pouvoirs publics, explique Fran­
çois Clavairoly, le président de la
Fédération protestante de France,
par ailleurs président de la Confé­
rence des responsables de culte en
France. Les cultes ne sont pas dans
la logique de recours juridiques. Au
regard de la situation, il y a bien
d’autres sujets très graves : l’écono­
mie, le chômage, la pauvreté, la dé­
tresse de certaines familles… » 
cécile chambraud
0123
MARDI 1ER DÉCEMBRE 2020
Parricide : trente ans de prison pour Kevin Rouxel
Le jeune homme a été jugé coupable, samedi, du meurtre de ses parents en 2016, près de Bayonne
pau ­ envoyé spécial
E
lle s’est effondrée à
l’énoncé du verdict. De
son côté, lui a peut­être
ressenti, en son for inté­
rieur, une sorte de satisfaction.
Kevin Rouxel et son ex­épouse,
Sofiya Bodnarchuk, 27 ans l’un et
l’autre, ont été respectivement
condamnés à trente ans et
vingt ans de réclusion criminelle.
Samedi 28 novembre, à Pau, la
cour d’assises des Pyrénées­At­
lantiques, devant laquelle ils
comparaissaient depuis le 19 no­
vembre, les a reconnus coupables
du double assassinat de Pascal et
Ewa Rouxel, commis le 20 fé­
vrier 2016 dans leur maison fami­
liale de La Bastide­Clairence (Py­
rénées­Atlantiques).
L’affaire, a priori relativement
simple, pourrait se résumer ainsi.
Ce samedi­là, vers 11 h 30, Kevin a
tué son père et sa mère en leur ti­
rant dessus avec un revolver. Pour
en arriver à ce double parricide, il
a bénéficié de l’aide et du soutien
de son ex­épouse. Le couple, qui
vivait non loin de là, à Hasparren,
avec leur fille Alice, 2 ans, d’aides
sociales et du soutien des parents,
en avait après l’or, les bijoux et
l’argent de ces derniers.
Relation fusionnelle
Il a fallu huit journées d’audience
et trois procès reportés les uns
après les autres pour parvenir à ce
dénouement dans un dossier
que, selon les mots de l’avocat
général, Marc Mariée, « les deux
auteurs se sont employés à
brouiller » pendant toute l’ins­
truction. Pour le représentant du
ministère public, suivi en ses
réquisitions par le jury, ce double
assassinat relève d’un « crime
crapuleux » dont l’argent consti­
tue l’unique mobile. « Ewa et Pas­
cal n’ont pas été assassinés en tant
que parents, mais parce que leur
meurtre représentait un moyen de
gagner beaucoup d’argent ; entre
1,5 million et 2 millions d’euros,
selon Kevin », a­t­il affirmé.
A ses yeux, cet assassinat est
l’aboutissement d’un projet
« mûri pendant plusieurs mois,
voire plusieurs années ». Si la
culpabilité de Kevin, qui a
reconnu les faits et les a longue­
ment détaillés lors de l’audience,
n’a pas souffert du moindre
Pollution en Haute­Savoie: l’Etat jugé en «faute»
Le tribunal administratif de Grenoble pointe des plans d’action « insuffisants »
E n septembre 2017, Nicolas
Hulot, alors encore minis­
tre de l’écologie, était allé
expliquer aux habitants en co­
lère de la vallée de l’Arve, en Hau­
te­Savoie, qu’il n’avait pas de « ba­
guette magique » contre la pollu­
tion qui les asphyxie chaque hi­
ver. Trois ans plus tard, la justice
vient de reconnaître une « faute
de l’Etat ». Le jugement a été
rendu par le tribunal administra­
tif de Grenoble, vendredi 27 no­
vembre, alors même que la vallée
était en « alerte rouge », avec un
nouveau pic de pollution aux
particules fines.
C’est un nouveau camouflet
pour le gouvernement sur le
front de la pollution de l’air, à
l’origine, chaque année, en
France, d’au moins 48 000 décès
prématurés. En juillet, le Conseil
d’Etat a fixé à l’exécutif un ultima­
tum de six mois pour prendre
toutes les mesures nécessaires
pour réduire les niveaux de pollu­
tion sous peine d’une astreinte
record de 10 millions d’euros par
semestre de retard. Et la France
est également sous la menace
d’une lourde amende de la Cour
L’accusé
a bénéficié
du soutien de
son ex-épouse,
condamnée, elle,
à vingt ans
de réclusion
doute, celle de Sofiya, qui n’a
cessé de clamer son innocence, a
été au cœur des débats.
En fait, il faut remonter à l’été
2011. A cette époque Kevin et
Sofiya ont 17 ans. Ils ne se connais­
sent pas, mais l’un et l’autre cher­
chent l’âme sœur sur des sites
de rencontres. Encouragé par
Ewa – sa mère est d’origine polo­
naise –, Kevin, qui vit au Pays bas­
que chez ses parents, s’intéresse
aux jeunes femmes slaves en
quête de jeunes hommes euro­
péens. A 6 600 kilomètres de là,
au Kazakhstan, Sofiya, elle, vise
sur Internet les Européens en
quête de femmes slaves. Les deux
finissent par se rencontrer et, à la
fin de décembre 2011, Sofiya arrive
au Pays basque, accompagnée de
sa mère. Elle apporte dans ses ba­
gages tous les documents néces­
saires au mariage, qui est célébré
quelques jours plus tard à la mai­
rie d’Hasparren, le 30 décembre.
Pendant plus d’un an, le couple
vit chez les Rouxel, jusqu’au
déménagement dans un deux­
pièces de 30 mètres carrés à
Hasparren, quelques mois avant
la naissance d’Alice. Là, Kevin et
Sofiya s’enferment dans un tête­
à­tête dont ils ne sortent que
pour se rendre à La Bastide­Clai­
rence, dans la maison parentale.
Ils n’ont aucune relation exté­
rieure. Pas d’amis. Ils sont cons­
tamment ensemble – « fusion­
nels », selon l’entourage familial –
et ne font rien l’un sans l’autre.
« Des inséparables », décrit l’avo­
cat général. « Elle est déçue, dit­il.
Les espoirs qu’elle fondait sur
son mariage n’ont pas été com­
blés. Elle n’est pas venue du Ka­
zakhstan pour ça. »
Une version que la jeune femme
et son avocat, Me Edouard Martial,
rejettent. Dans sa plaidoirie
celui­ci a fustigé « le cliché de la
petite “pute” blonde qui vient
de justice de l’Union européenne
pour des dépassements répétés
des normes de qualité de l’air de­
puis plus de dix ans.
Le jugement du tribunal de Gre­
noble fait suite aux recours dépo­
sés au printemps 2018 par neuf fa­
milles de la vallée pour « carence
fautive » de l’Etat. Coincé entre les
montagnes, au pied du mont
Blanc, ce territoire est exposé cha­
que hiver aux particules émises
par les feux de cheminée, les mil­
liers de poids lourds qui emprun­
tent le tunnel ou encore les usi­
nes de décolletage. Le tribunal
rappelle ainsi que, entre 2011 et
2016, malgré l’adoption d’un plan
dit de protection de l’atmosphère
(PPA) en 2012, les valeurs limites
(en vigueur depuis 2008) ont été
régulièrement, voire systémati­
quement, dépassées pour les par­
ticules fines et le dioxyde d’azote.
Pour le tribunal, la « persistance
de ces dépassements » démontre
que le PPA de 2012 et les moyens
dont il prévoit la mise en œuvre
sont « insuffisants ». Il relève que
le nouveau PPA, d’avril 2019, com­
porte, lui, des mesures précises et
détaillées, permettant d’escomp­
Kevin Rouxel, à la cour d’assises de Pau, vendredi 20 novembre. DAVID LE DEODIC/PHOTOPQR/« SUD-OUEST »/MAXPPP
prendre un pauvre jeune Français
pour partir avec sa fortune, le
dépouiller avant de rentrer au
pays ». Pour l’avocat, en 2011, lors­
que, à 18 ans, Sofiya et Kevin font
connaissance sur la Toile, ils tom­
bent amoureux. « Si elle était la
petite blonde de l’Est, vous croyez
qu’elle n’aurait pas pris ses jambes
à son cou en découvrant la tris­
tesse de La Bastide­Clairence ? »,
lance­t­il au jury.
« On voulait tuer mon frère »
Dans les heures qui ont suivi le
meurtre et jusqu’en 2018, Kevin
Rouxel s’en est également tenu à
cette version. A l’en croire, Sofiya
et lui étaient fous amoureux. Et
Sofiya n’était en rien mêlée au
crime. Elle n’avait rien à voir avec
une histoire de famille dont il dé­
nonçait la pingrerie et la violence,
notamment venant du père. Pen­
dant deux ans, ils ont tenu cette
ter un respect des normes d’ici à
2022, mais qu’il a été adopté « trop
tardivement ». « Cette situation ca­
ractérise une faute de l’Etat »,
conclut le tribunal.
Victoire au goût amer
« C’est une victoire historique
pour les malades de la pollution et
une reconnaissance pour les ci­
toyens de la vallée de l’Arve », se fé­
licite Muriel Auprince, requé­
rante et représentante du collec­
tif Coll’air pur. Une victoire au
goût amer. Asthme, otites à répé­
tition, pneumopathies, crises de
toux… les familles demandaient
jusqu’à 100 000 euros de répara­
tion pour des pathologies respi­
ratoires qu’elles attribuent, sou­
vent certificats médicaux à l’ap­
pui, à l’air dégradé qu’elles respi­
rent depuis des années. Le
tribunal a rejeté leurs requêtes,
estimant que le « lien de causa­
lité » entre leurs maladies et l’in­
suffisance des mesures prises
par l’Etat pour réduire les émis­
sions de polluants en dessous
des normes n’était « pas établi ».
« Cette décision est satisfaisante
en ce qu’elle retient la carence fau­
ligne : Sofiya n’est au courant de
rien. Las. En décembre 2018, lors
du premier procès, qui sera inter­
rompu à la suite d’un malaise de
Sofiya et d’une tentative de
suicide de Kevin dans la foulée,
celui­ci apprend que Sofiya a eu
un flirt lors d’un séjour à l’hôpital
pendant sa détention provisoire.
Dès lors, Kevin modifie complè­
tement son récit. Au juge chargé
de l’instruction, il livre une tout
autre version qui implique
Sofiya. De la même manière, à
Pau, durant les huit journées
d’audience de la cour d’assises
du 19 au 28 novembre, il s’est
employé à charger son ex­épouse
de façon quasi obsessionnelle.
« Sofiya, quand elle est venue en
France, elle s’attendait aux bouti­
ques de luxe, à Paris… On a com­
mencé à basculer dans le projet
criminel vers fin 2014, début 2015.
On a acheté du matériel [notam­
tive de l’Etat, mais le tribunal ne
va pas au bout du raisonnement
en considérant que les déboires
médicaux, l’aggravation des
symptômes des victimes lors des
épisodes de pollution et leurs con­
ditions de vie dégradées ne se­
raient pas en lien avec cette inac­
tion de l’Etat », commente Fran­
çois Lafforgue, l’avocat des fa­
milles. Certaines ont même
préféré déménager pour ne plus
exposer leurs enfants aux épiso­
des de pollution à répétition. El­
les devraient faire appel. De son
côté, le gouvernement n’a pas
encore réagi au jugement.
Dans une affaire similaire, le
tribunal administratif de Mon­
treuil (Sene­Saint­Denis) avait
également reconnu une « faute »
de l’Etat, en juin 2019, après le re­
cours d’une mère et de sa fille qui
avaient dû quitter la région pari­
sienne en raison de pathologies
respiratoires importantes. Mais,
là aussi, la justice avait rejeté le
lien de causalité avec l’action « in­
suffisante » des pouvoirs publics
pour en finir avec les excès de
pollution. 
stéphane mandard
Kevin apprend
que Sofiya a eu
un flirt lors d’un
séjour à l’hôpital.
Dès lors, il modifie
complètement
son récit
ment un revolver en 2015]. On a
planifié des empoisonnements.
Nous étions en train de mettre en
place le crime parfait. A la base, on
voulait aussi tuer mon frère. »
Sans s’épargner, quitte à rajou­
ter des détails mortifères
jusque­là jamais abordés (des
recettes de poison à base de plan­
tes cueillies dans les Pyrénées),
Kevin n’a eu qu’un but tout au
long de cette audience : entraîner
S OC IAL
Le président du Medef
appelle l’exécutif
à plus de concertation
Geoffroy Roux de Bézieux,
président du Medef, a criti­
qué, dimanche 29 novembre,
le fonctionnement trop verti­
cal de l’Elysée et du gouver­
nement, appelant l’exécutif à
plus de concertation, notam­
ment avec les partenaires
sociaux. « Les solutions, ça ne
peut pas être simplement le
chef de l’Etat », a­t­il déclaré
lors du Grand Rendez­vous
Europe 1/« Les Echos »/CNews
à propos de la politique con­
cernant l’ouverture des sta­
tions de ski. La question sur
ce point doit être traitée par
« une vraie discussion entre les
professionnels, les médecins,
les scientifiques (…) et le gou­
vernement pour trouver la so­
lution », a déclaré le numéro
un de l’organisation patro­
nale. Quand les décisions
« tombent du ciel », elles « ne
sont pas acceptées », a­t­il
ajouté. – (AFP.)
CONFINEMENT
Un Français sur dix
a quitté sa résidence
principale
Si les Français sont très
majoritairement restés chez
eux pendant le second confi­
nement mis en place pour
france | 15
Sofiya dans sa chute, avec la
même énergie qu’il avait mis
auparavant à la disculper.
Vénale, cupide, « feignasse »,
voilà en trois mots le portrait que
Kevin brosse désormais de la
mère de sa fille. Un portrait que le
ministère public et les parties
civiles représentant la famille
Rouxel, ont repris à leur compte.
« A chaque étape du projet crimi­
nel, Sofiya est toujours là », a mar­
telé Marc Mariée. Complice ? « Il
n’y a aucune preuve matérielle de
la participation de Sofiya, a plaidé
Me Martial. On ne condamne pas
sur des impressions. On condamne
sur du tangible. » Dès le prononcé
du verdict dans la nuit de samedi
à dimanche, Edouard Martial a
annoncé que Sofiya Bodnarchuk
interjetterait appel de sa condam­
nation. La justice n’en a pas fini
avec l’affaire Rouxel. 
yves bordenave
freiner l’épidémie de Co­
vid­19, 10 % d’entre eux ont
quitté leur domicile princi­
pal, selon un sondage Odo­
xa­CGI pour Franceinfo et
France Bleu publié lundi
30 novembre. Cela repré­
sente plus de 5 millions de
personnes, soit 1 million de
plus qu’au printemps, lors
du premier confinement.
C’est principalement dans
les grandes villes que cet
« exode » a eu lieu et les
étudiants sont deux fois plus
nombreux à être rentrés
chez leurs parents. Le
sondage, réalisé par Internet
du 13 au 19 novembre, a été
effectué auprès de 3 003 per­
sonnes représentatives de la
population française âgée de
18 ans et plus.
LOGE ME NT
Marseille : évacuation
d’un des plus grands
squats de la ville
Des CRS ont procédé, lundi
30 novembre au matin, à
l’évacuation d’immeubles
insalubres de la cité du Petit
Séminaire, à Marseille, selon
les médias locaux. Plusieurs
bâtiments de cette cité
des quartiers Nord sont
en péril et squattés par
des migrants et demandeurs
d’asile. La mairie réclame
leur relogement.
 ÉCONOMIE & ENTREPRISE
18 |
Pékin reprend en main ses héros de la tech
Xi Jinping met sous surveillance les magnats du Net. Premier visé, Jack Ma, le très puissant fondateur d’Alibaba
RÉCIT
pékin ­ correspondant
L
e vent tourne pour les
géants de la tech chi­
noise. Enfants jusqu’ici
chéris d’un régime dont
ils symbolisent à la fois la gran­
deur et la réussite, Alibaba, Ten­
cent, Meituan et autre JD.com
sont victimes de leur succès. A la
surprise générale, leur père spiri­
tuel, le Parti communiste chinois,
leur inflige actuellement une sé­
rie de rappels à l’ordre, leur inti­
mant de rentrer dans le rang.
Logiquement, la victime expia­
toire est le plus turbulent des frè­
res ennemis : Jack Ma, président
d’Alibaba, l’équivalent chinois
d’Amazon. Moins de quarante­
huit heures avant l’introduction
en Bourse historique de sa filiale
financière, Ant, les autorités de
tutelle l’ont humilié, le 3 novem­
bre, en bloquant l’opération, pri­
vant le milliardaire chinois de
37 milliards de dollars supplé­
mentaires (31 milliards d’euros).
Une décision prise, selon le Wall
Street Journal, par le président Xi
Jinping en personne. Mais au­
delà du premier de la classe, c’est
toute la bande qui est visée.
Lancement expérimental d’une
cryptomonnaie par la banque
centrale de Chine début octobre,
ouverture d’un débat sur la pro­
tection des données personnel­
les le 20 octobre, publication
d’un projet de loi sur la régula­
tion de la fintech le 2 novembre,
puis d’un autre projet de loi sur
les monopoles huit jours plus
tard… L’heure de la régulation et
de la reprise en main a claire­
ment sonné. Comme les Etats­
Unis, la Chine se rend compte
qu’après avoir favorisé la concur­
rence elle a vu ses géants de l’In­
ternet constituer des oligopoles
qui finissent par entraver celle­ci.
« Il y a trente­cinq ans, des entre­
prises technologiques américai­
nes ont pris des risques et ont per­
turbé des business models éta­
blis. Aujourd’hui, ce sont de nou­
veaux services publics qui tirent
des revenus de leurs monopoles
en contrôlant des marchés. (…) La
Chine veut éviter de tomber dans
le piège américain », analyse
l’économiste David Goldman sur
le site japonais Asia Times.
« Les géants chinois de l’Internet
sont moins internationalisés que
les Américains mais ont une offre
plus diversifiée. Sur la finance, la
santé, la voiture autonome, ils
sont en avance sur les Américains.
Ils sont vraiment très puissants.
Alibaba et JD.com représentent
75 % du commerce électronique.
LES CHIFFRES
55,4 MILLIARDS
C’est, en dollars (46,2 milliards
d’euros), la fortune de Jack Ma,
le fondateur d’Alibaba, selon le
Bloomberg Billionaires Index,
soit la 22e fortune mondiale et la
2e en Chine après Zhong Shans-
han (62 milliards de dollars),
magnat de l’eau en bouteille.
748 MILLIARDS
C’est, en dollars, la valorisation
d’Alibaba Group, l’équivalent
chinois d’Amazon. Le 11 novem-
bre, plus importante fête com-
merciale chinoise, le groupe a
réalisé un chiffre d’affaires de
73 milliards de dollars.
714 MILLIARDS
C’est, en dollars, la valorisation
de Tencent, le groupe qui dé-
tient à la fois le portail QQ et la
messagerie WeChat, doté de
moyens de paiement intégrés.
WeChat, filiale du spécialiste des
services Internet et mobile Ten­
cent, assure 60 % de l’ensemble
des paiements en Chine », observe
Jean Dominique Seval, directeur
et fondateur du cabinet de con­
seil Soon Consulting, spécialiste
du marché chinois. A lui seul, Ali­
baba représenterait 20 % de l’en­
semble du commerce de détail en
Chine, à comparer aux 5 % déte­
nus par Amazon aux Etats­Unis.
Aucun risque
L’orage menaçait depuis plu­
sieurs semaines. Il a éclaté le
24 octobre, au cours d’un forum
financier à Shanghaï. Dans une de
ses rares apparitions publiques, le
vice­président chinois, Wang Qis­
han, met en garde contre « les ris­
ques financiers systémiques ». Le
septuagénaire sait de quoi il
parle : en 2008, alors vice­premier
ministre, c’est lui qui a supervisé
la gestion de la crise financière.
Intervenant peu après, Jack Ma
accuse les banques publiques de
se comporter comme des « prê­
teurs sur gages ». Surtout, il af­
firme qu’il n’y a pas de risque sys­
témique, pour la bonne raison
que la finance ne constitue pas,
selon lui, un « système ». Si les in­
novateurs ne craignent pas la su­
pervision, poursuit Jack Ma, « ils
redoutent la supervision d’un
autre temps ». Faire perdre la face
en public à Wang Qishan, un des
très proches de Xi Jinping, au mo­
ment où plusieurs projets de loi
étaient en préparation n’était
sans doute pas très judicieux.
Déjà, le lancement par la ban­
que centrale d’un yuan virtuel
auprès de 50 000 Chinois et de
3 000 boutiques à Shenzhen était
clairement une pierre dans le jar­
din de WeChat et d’Alipay, le sys­
tème de paiement d’Alibaba qui, à
eux deux, contrôlent 94 % du
paiement en ligne. « Après plu­
sieurs tentatives par le biais de la
loi ces dernières années, la mon­
naie digitale est la première tenta­
tive technologique de l’institution
financière centrale pour contenir
leur influence rapidement crois­
sante, note Kai von Carnap, de
l’institut allemand Merics, dans
une note parue le 9 novembre. La
monnaie virtuelle constitue un vé­
hicule idéal pour reprendre en
partie le contrôle sur la sécurité et
la stabilité financière, dans le sens
où l’entend Xi Jinping – à travers
une technologie contrôlée par
l’Etat­Parti – et pour faire de la
banque centrale le pivot de
l’écosystème sous­jacent des don­
nées financières. »
Les données sont au cœur du
débat. Tencent et Alibaba con­
naissent les revenus et les dépen­
ses des ménages chinois mieux
que personne. Grâce à leur maî­
trise de l’intelligence artificielle,
ils sont mieux à même que les
banques d’établir en un temps re­
cord le risque client. Pour la ma­
jorité des Chinois, l’argent li­
quide et la carte de crédit ne sont
que des lointains souvenirs.
Mais ils commencent à voir le
revers de la médaille. Ils s’aper­
çoivent qu’ils paient certains
produits vendus par Alibaba plus
cher s’ils ont un iPhone car ils
sont supposés avoir un pouvoir
d’achat plus élevé. Ils pestent
quand ils n’arrivent pas à payer
avec WeChat un produit com­
mandé sur Taobao (Alibaba). Les
professionnels de la finance s’in­
surgent contre la concurrence
déloyale faite par ces intermé­
diaires devenus indispensables
et qui ne prennent aucun risque.
Le débat sur la protection des
données personnelles constitue
un autre aspect de la remise en
cause des géants de la tech. La loi
annoncée sera la première à s’at­
taquer spécifiquement au pro­
blème. Elle est donc importante,
même si elle harmonise surtout
les pratiques existantes. Princi­
pale innovation : elle concerne
également les entreprises étran­
gères qui vendent des biens et des
services à des personnes se trou­
vant en Chine et elle limite le
transfert de données à l’étranger.
« Jour des célibataires »
Dévoilés en novembre, les projets
de loi sur la fintech et sur les mo­
nopoles sont plus ambitieux. Le
premier oblige les prêteurs en li­
gne comme Ant à ne plus être
seulement des intermédiaires en­
tre les banques et les particuliers
mais à prendre un risque en four­
nissant eux­mêmes au moins
30 % du crédit accordé. Actuelle­
ment, Ant n’inscrit à son bilan
que 2 % du montant des prêts. Les
entreprises devront également
Comme les
Etats-Unis, la Chine
se rend compte
qu’avoir favorisé
la concurrence
a fini par entraver
celle-ci
accepter de communiquer le
montant de ces prêts à la banque
centrale de Chine, ce qu’Ant avait
refusé de faire jusqu’à présent.
Selon la banque centrale chi­
noise, le montant des crédits à la
consommation accordés par des
banques à travers des plates­for­
mes technologiques aurait at­
teint 1,4 billion de yuans (environ
178 milliards d’euros). « Il faut por­
ter une attention particulière aux
nouveaux risques générés par la
transformation digitale des ris­
ques financiers », a expliqué, le
11 novembre, Liang Tao, vice­pré­
sident de la commission de régu­
lation de la banque et de l’assu­
rance, ajoutant que « cela est par­
ticulièrement vrai de la cybersé­
curité, la protection des données et
les monopoles de marché ».
La date n’était sans doute pas
choisie au hasard. Le 11 novembre
est le « jour des célibataires », ce­
lui où, depuis 2009, Alibaba mul­
tiplie les promotions commer­
ciales, bat tous les records de
vente et étrangle un peu plus la
concurrence. La veille a été publié
un projet de loi, soumis à consul­
tation, qui prévoit de limiter cer­
taines pratiques anticoncurren­
tielles. En ligne de mire : les clau­
ses d’exclusivité que les géants
du Net imposent aux commer­
çants, la segmentation des con­
sommateurs en fonction de leur
comportement et des données
personnelles recueillies, et les
ventes groupées forcées.
« L’émergence et l’adoption ra­
pide de l’intelligence artificielle, la
technologie du big data et les al­
gorithmes qui l’accompagnent
ont permis ces dernières années
aux grandes entreprises et à leurs
0123
MARDI 1ER DÉCEMBRE 2020
Le projet de loi
sur la fintech
oblige les
prêteurs en
ligne à fournir
au moins 30 %
du crédit accordé
plates­formes de consolider en­
core davantage leur pouvoir et
même leur monopole, au point
que des nouveaux venus ne sont
tout simplement plus capables de
les concurrencer », affirme, selon
le site Asia Times, le document
envoyé par les autorités de la
concurrence bancaire aux res­
ponsables politiques. Alors que
le Covid­19 a favorisé le com­
merce en ligne, l’arrivée de la 5G,
qui nécessite d’importants in­
vestissements de la part des en­
treprises, risque d’accroître en­
core l’avantage comparatif des
géants du Net, tant en raison
de leur savoir­faire technologi­
que que des données toujours
plus nombreuses qu’ils vont
pouvoir collecter.
Partir à la conquête du monde
La banque d’affaires Morgan
Stanley a regardé de près ces
nouvelles dispositions législati­
ves et tenté d’évaluer leur impact
sur les différentes sociétés. Selon
elle, Alibaba ne devrait pas trop
souffrir, en raison de « l’environ­
nement concurrentiel déjà féroce
dans le commerce électronique
de nos jours ». Très présent sur
les loisirs en ligne, Tencent ne
devrait pas non plus voir ses acti­
vités pâtir de la nouvelle régle­
mentation. « L’impact sur Ten­
cent pourrait être relativement
gérable, à l’exception de l’utilisa­
tion abusive potentielle des don­
nées des utilisateurs sur les pla­
tes­formes, ou du blocage de l’ac­
cès des concurrents à l’écosys­
tème WeChat », note l’institution
américaine.
La situation pourrait être plus
problématique pour Pinduoduo
et, dans une moindre mesure,
JD.com, deux challengers qui at­
tirent les commerçants à coups
de subvention. « Si les règles limi­
tent à terme l’utilisation des sub­
ventions fournies par les plates­
formes, nous pensons que la limi­
tation potentielle affectera
en particulier Pinduoduo, car la
subvention de 10 milliards de
yuans [annoncée par l’entreprise
en 2019] est l’une de ses stratégies
centrales pour stimuler l’engage­
ment des utilisateurs », prévien­
nent les analystes de la banque.
Reste Meituan, une plate­
forme de vente en ligne spéciali­
sée dans la livraison de repas :
« Nous notons que la mise en
œuvre potentielle de nouvelles ré­
glementations antitrust pourrait
également peser sur le taux
de prélèvement de Meituan fac­
turé aux commerçants », indique
Morgan Stanley.
Comme les Etats­Unis, la Chine
entend donc recadrer ses cham­
pions nationaux tout en veillant
à ce qu’ils restent des champions.
Comme le fait remarquer Jean
Dominique Séval, les géants chi­
nois restent nationaux : « Ils se
sont attaqués aux pays asiati­
ques, commencent à regarder les
pays participant aux “nouvelles
routes de la soie” et sont peu pré­
sents dans le reste du monde. »
Contraints de freiner leurs ambi­
tions dans l’empire du Milieu,
les géants chinois pourraient
profiter de leur puissance finan­
cière pour partir à la conquête
du reste de la planète. A condi­
tion, bien entendu, qu’ils obtien­
nent le feu vert du Parti commu­
niste chinois. 
frédéric lemaître
Aujourd’hui plus que jamais,
il est essentiel de travailler tous
ensemble face au COVID-19
Facebook collabore avec près de 100 gouvernements et organismes à
travers le monde, comme l’Organisation mondiale de la Santé ou le Centre
européen de prévention et de contrôle des maladies, pour partager des
informations fiables sur le COVID-19 à travers nos plateformes. Ensemble,
nous développons des ressources qui offrent à tous des informations
précises en temps réel, pour mieux lutter contre la pandémie.

• En Espagne, la Banque mondiale utilise les cartes de prévention des

maladies de Facebook pour planifier les besoins de tests COVID-19 et
de lits d’hôpitaux.

• Les épidémiologistes et les spécialistes de santé français et italiens

utilisent la technologie de Facebook pour anticiper la propagation
virale du COVID-19 et identifier les communautés les plus à risque.

• Nous avons travaillé avec les gouvernements européens pour

développer des chatbots sur WhatsApp afin de répondre rapidement
et précisément aux questions de santé.

Découvrez-en plus sur nos initiatives pour protéger et informer les

communautés sur about.fb.com/fr/europe
 0123
20 | économie & entreprise MARDI 1ER DÉCEMBRE 2020

5G : un conflit Berlin­Washington s’annonce

L’Allemagne, qui va voter une loi sur la sécurité des infrastructures numériques, ne veut pas bannir Huawei

berlin ­ correspondance
La Chine,

L
e sujet est depuis des
mois un nœud gordien
dans les relations germa­
no­américaines, et de­
vrait le rester sous la future prési­
dence Biden : les infrastructures
de télécommunication 5G. Les
Etats­Unis, qui ont banni de leurs
fournisseurs le chinois Huawei,
soupçonné d’espionnage, exi­
gent depuis des mois des pays
européens qu’ils fassent de
même. Certains Etats ont montré
leur bonne volonté, comme la
France, qui a décidé de limiter le
poids de Huawei dans les cœurs
des réseaux 5G, au grand dam de
SFR et de Bouygues Telecom, ou
bien le Royaume­Uni. L’Allema­
gne s’apprête, elle, à refuser de
bannir a priori toute entreprise
en particulier.
La question est particulière­
ment sensible : au­delà des que­
relles commerciales, la technolo­
gie a pris une place centrale dans
les rapports de force géopoliti­
ques. « Ce n’était pas encore le cas
il y a quatre ans. Aujourd’hui, les
Etats­Unis et la Chine examinent
toute dépendance réciproque en
matière de flux de données, d’in­
frastructures de télécommunica­
tions, de semi­conducteurs, qui
deviennent des enjeux géopoliti­
ques majeurs », souligne Tyson
Barker, directeur du départe­
ment technologies et politique
extérieure d’un centre allemand
de recherches en relations inter­
nationales, le DGAP. « Ce conflit
technologique s’étend jusqu’aux
appareils finaux (smartphones
et tablettes) et aux réseaux so­
ciaux et plates­formes de paie­
ment, où l’offre chinoise est de
plus en plus appréciée. »
« Concurrent systémique »
Longtemps indécise sur la 5G, An­
gela Merkel devrait bientôt clari­
fier la position allemande. A Ber­
lin, les discussions au sein de la
coalition au pouvoir sont entrées
dans leur phase finale, après
deux ans de débats houleux. Un
projet de loi devrait être présenté
d’ici à la fin de l’année 2020. Une
chose semble acquise, soulignent
les personnes proches du dossier,
il n’y aura pas de « lex Huawei » :
aucune entreprise ou pays en
particulier ne sera mis à l’index.
Le texte devrait seulement impo­
ser des mesures de sécurité très
en raison
de son
dynamisme
économique,
pèse très lourd
dans les intérêts
de l’industrie
allemande
milieux économiques alle­
mands. Entre Paris et Berlin, la
« souveraineté technologique »,
qui suppose un savoir­faire pro­
pre et une certaine distance avec
Washington, pose beaucoup
moins de problèmes que l’épi­
neuse question de la défense. En
témoignent l’élargissement en
novembre de Gaia­X, le « cloud
européen », initiative franco­al­
lemande, ou la coopération in­
dustrielle européenne sur cer­
tains secteurs comme les semi­
conducteurs ou les batteries.
« Le sujet des infrastructures nu­
mériques a longtemps été sous­es­
timé par les responsables politi­
ques européens, car on ne savait
pas ce que la 5G permettait. Les
fournisseurs européens Nokia et
Au salon high­tech IFA de Berlin, le 4 septembre 2020. BLOOMBERG/BLOOMBERG VIA GETTY IMAGES Ericsson n’ont pas été suffisam­
ment soutenus, ils sont plus coû­
teux et moins avancés que Huawei,
strictes à l’ensemble des fournis­ beaucoup sur un retour à une lieux économiques inquiets de la potentiel gigantesque dans l’éco­ explique un observateur averti
seurs. Ce texte suffira­t­il à apai­ certaine normalité dans les rela­ politique expansionniste de Xi nomie chinoise. Le conflit avec des milieux industriels alle­
ser Washington, qui considère tions transatlantiques après le Jinping, Berlin a mis fin à une dé­ Washington est préprogrammé. mands. Aujourd’hui, on a compris
Huawei comme le bras technolo­ départ de Donald Trump. Et, de­ cennie de pragmatisme opti­ que la 5G est un élément central de
gique des ambitions hégémoni­ puis deux ans, l’Allemagne a sen­ miste s’agissant de la Chine. Pas Nouvelle phase industrielle la nouvelle phase industrielle qui
ques de Pékin ? C’est peu proba­ siblement fait évoluer sa position question pour autant de se sou­ « La question des infrastructures s’amorce, où la donnée est au cen­
ble, même sous la présidence Bi­ vis­à­vis du géant asiatique. mettre totalement à Washing­ 5G est un sujet extrêmement déli­ tre de la création de valeur. »
den, qui va conserver une posi­ En qualifiant le pays de « con­ ton. Certes, les Etats­Unis sont cat », souligne Steven Heckler, ex­ Signe de l’importance du sujet
tion hostile vis­à­vis de la Chine. current systémique », et plus seu­ toujours le premier client du pert des questions technologi­ pour l’industrie : lors de la mise
A Berlin, les milieux politiques et lement de « partenaire », début made in Germany, et la relation ques au BDI, la grande fédération aux enchères du réseau 5G, en
économiques misent pourtant 2019, sous l’impulsion des mi­ transatlantique est traditionnel­ industrielle allemande. « Travail­ 2019, une partie des fréquences a
lement privilégiée. Mais la pé­ ler à renforcer la souveraineté été réservée à l’usage exclusif des
riode Trump a laissé des traces. technologique européenne ne si­ entreprises, sur des « réseaux
Le Royaume-Uni veut exclure Huawei Et la Chine, en raison de son dy­
namisme économique, pèse très
gnifie pas mettre fin à la mondiali­
sation, estime­t­il. Il faut des exi­
campus ». L’objectif est de leur
permettre d’échanger rapide­
Sous la pression des Etats-Unis, le gouvernement britannique lourd dans les intérêts de l’indus­ gences de sécurité, que tous les fa­ ment de grandes quantités de
souhaite bannir l’équipementier de télécoms Huawei de son trie allemande. Depuis quelques bricants doivent respecter. Nous données de façon sécurisée, par
réseau 5G. Le 24 novembre, il a présenté au Parlement un projet années, la République populaire voulons rester en mesure d’éva­ exemple pour la réparation à dis­
de loi l’autorisant à contrôler les fournisseurs considérés est le premier partenaire com­ luer des technologies venues de tance de machines ou d’avions,
« à haut risque » des opérateurs télécom. « Cette loi constituera mercial de Berlin (exportations pays tiers comme la Chine, au dans les usines automatisées ou
une étape importante pour protéger le Royaume-uni des activités et importations), pour un mon­ même titre que les offres des four­ encore la télémédecine. L’indus­
hostiles de la part d’entités étatiques ou de criminels », a souligné tant total de transaction de nisseurs européens », que sont trie 4.0, qui repose sur la produc­
le ministère du numérique dans un communiqué. Les entreprises 200 milliards d’euros. Bannir ex Nokia et Ericsson. tion et la transmission de don­
contrevenant à ces consignes risqueront, si la loi est approuvée, ante un fournisseur chinois ex­ C’est la raison pour laquelle la nées entre machines, est consi­
des amendes atteignant 10 % de leur chiffre d’affaires voire, poserait le pays à des représailles notion de « souveraineté » défen­ dérée comme l’avenir du made
en cas de récidive, 100 000 livres sterling par jour (soit environ douloureuses pour les entrepri­ due par Emmanuel Macron in Germany. 
112 000 euros). – (AFP.) ses exportatrices, qui voient un est volontiers reprise dans les cécile boutelet

Les citoyens des « pays frugaux » inquiets du plan de relance de l’UE

Un sondage montre que Suédois, Hollandais, Autrichiens, Danois et Finlandais redoutent un gaspillage par les pays bénéficiaires

D épenser ensemble, mais

comment, et sous quel­
les conditions ? A l’heure
où le plan de relance européen de
750 milliards d’euros se heurte
encore à la ferme opposition de
Varsovie et de Budapest, une nou­
velle étude vient apporter un
éclairage riche en enseignements
sur les inquiétudes des citoyens
européens. Publiée le 25 novem­
bre par le Conseil européen pour
les relations internationales
(ECFR), un centre de recherche
européen, elle s’intéresse en par­
ticulier aux « frugaux » (Autriche,
Danemark, Pays­Bas, Suède), ini­
tialement réticents à l’égard de
telles dépenses communes – on
les a même qualifiés de « club des
radins » – auxquels la Finlande est
également associée.
Mais, selon l’ECFR, l’opinion de
leurs habitants, plus subtile, ne
se résume pas à de la pingrerie.
Au contraire : le sondage révèle
que huit personnes sur dix inter­
rogées dans ces pays rejettent
l’idée selon laquelle « l’Union
européenne (UE) dépense trop
d’argent ». Seuls 20 % adhèrent à
cette proposition en Suède et en
Autriche (contre 17 % en France),
22 % au Danemark, et 24 % en Fin­
lande et au Pays­Bas.
« Affrontements répétés »
Voilà qui tranche avec les argu­
ments avancés par les gouverne­
ments de ces pays au début des
négociations. Dans une tribune
publiée par le Financial Times du
16 février, leurs dirigeants, Sebas­
tian Kurz (Autriche), Mark Rutte
(Pays­Bas), Mette Frederiksen
(Danemark) et Stefan Löfven
(Suède) affirmaient ainsi ne pas
vouloir dépenser plus de 1 % de
leur revenu national brut pour
l’Europe. Leurs réticences por­
taient en particulier sur l’endette­
ment commun envisagé pour fi­
nancer le plan, et la part élevée de
subventions (390 milliards sur
750 milliards d’euros).
Or, ce n’est pas tant le « dépenser
plus » qui préoccupe leurs ci­
toyens, que le « dépenser mal »
– et, en particulier, le risque de
gaspillage des fonds et de corrup­
tion dans les pays bénéficiaires.
Une inquiétude particulièrement
vive en Autriche (48 %). « Ces ré­
sultats montrent que le label “fru­
gal” ne reflète pas l’opinion du pu­
blic, jugent les auteurs de l’étude.
Bien que la formation de cette coa­
lition ait pu tactiquement porter
ses fruits durant les négociations
sur le plan de relance, le position­
nement futur de ces dirigeants au
sein de l’UE devrait être éclairé par
une compréhension plus fine de la
position de leurs citoyens. »
L’étude ne précise pas sur quels
Etats en particulier portent ces
craintes de gaspillage et de cor­
ruption : le sud de la zone euro ?
L’Europe de l’Est ? Faut­il en con­
clure que les clichés nationaux
ont la vie dure entre les pays
membres ? « En partie, oui, mais
pas complètement : ces craintes
mettent le doigt sur un véritable
problème qui, si on ne le résout
pas rapidement, se muera en
bombe à retardement », s’in­
quiète un eurodéputé.
« Des allégations de corruption
et des affrontements répétés avec
l’UE sur des questions d’Etat de
droit ont ébranlé la confiance, à un
moment­clé, et ont suscité [chez
les frugaux] des craintes que l’UE
ne soit plus un club partageant un
engagement envers une responsa­
bilité et des valeurs démocrati­
ques », estime Susi Dennison,
coautrice de l’étude.
Ces questions sont aujourd’hui
au cœur des tensions entre les ca­
pitales, alors que l’épreuve de
force se poursuit avec la Pologne
et la Hongrie. Le 26 novembre, les
deux premiers ministres de ces
pays ont de nouveau fait savoir
que tant que le plan de relance ne
Une position qui
tranche avec les
arguments des
gouvernements
de ces Etats au
début des
négociations
serait pas dissocié de la condition
du respect de l’Etat de droit, ils
mettraient leur veto au budget
communautaire de 1 074 mil­
liards d’euros pour 2021­2027,
auquel est adossé le plan de re­
lance de 750 milliards d’euros.
Attachement
Cela, alors qu’ils seraient pour­
tant parmi les grands bénéficiai­
res de ces fonds, que les pays fra­
gilisés par la pandémie attendent
fébrilement. « On ne voit pas bien
comment cela peut se résoudre : si
les gouvernements “frugaux” s’op­
posaient d’abord au plan par réti­
cence à propos des emprunts com­
muns et transferts, ils l’ont finale­
ment soutenu uniquement parce
que les fonds sont désormais con­
ditionnés à l’Etat de droit », ré­
sume le même eurodéputé.
A cet égard, le sondage de
l’ECFR délivre un autre enseigne­
ment. Les personnes interrogées
au sein des « frugaux » estiment
que les domaines pour lesquels
l’UE contribue le plus à la promo­
tion de leurs intérêts ne sont pas
l’économie, mais la liberté de vi­
vre et de travailler dans d’autres
pays (32 %) ou la coopération en
matière de sécurité, de justice et
de terrorisme (24 %). Dit autre­
ment : loin de prêter l’oreille aux
arguments eurosceptiques, ils
restent très attachés au projet
européen, et regrettent que l’in­
fluence de leur pays ait, selon
eux, diminué ces dernières an­
nées dans celui­ci.
Qu’en conclure ? Les chercheurs
de l’ECFR se veulent optimistes.
En prenant mieux en compte les
aspirations de leurs citoyens, les
« frugaux » pourraient changer
d’étiquette pour celle de « trans­
formateurs ». Au lieu de réclamer
le « moins », ils pourraient se bat­
tre pour le « plus » sur les grands
sujets sociétaux. Et, surtout, sur
la défense de la démocratie,
« étant donné le risque que les mé­
canismes dont dispose actuelle­
ment l’UE s’avèrent soit insuffi­
sants, soit politiquement difficiles
à mettre en œuvre », souligne
Pawel Zerka, coauteur. 
marie charrel
0123
MARDI 1ER DÉCEMBRE 2020
Au Royaume­Uni, la chute de
l’empire du tycoon Philip Green
Son groupe de prêt­à­porter, Arcadia, est au bord du dépôt de bilan
londres ­ correspondance
L
e groupe britannique de
prêts­à­porter Arcadia,
qui comprend les ensei­
gnes Topshop, Evans, Do­
rothy Perkins ou encore Miss Sel­
fridge, est au bord du dépôt de bi­
lan, mettant en péril 13 000 em­
plois. Le risque de faillite, qui serait
la plus importante de la crise liée à
la pandémie de Covid­19 au
Royaume­Uni, symbolise la chute
de Philip Green, son patron, autre­
fois surnommé « l’Empereur ».
Pour ce résident fiscal de Monaco,
connu pour ses yachts et ses fêtes
démesurées, surnommé « le vi­
sage inacceptable du capitalisme »
en 2016 par un groupe parlemen­
taire, il s’agit d’une descente aux
enfers faite d’ego surdimen­
sionné, de méthodes de « cost
killer » de court terme et de mo­
dèle économique dépassé.
Vendredi 27 novembre, la chaîne
d’information Sky News a révélé
qu’Arcadia rencontrait de graves
difficultés. Dans la foulée, le
groupe s’est fendu d’un commu­
niqué reconnaissant l’urgence du
problème : « Les fermetures obli­
gées de nos magasins pour une pé­
riode prolongée à cause de la pan­
démie de Covid­19 ont eu un im­
pact important sur notre activité.
En conséquence, le conseil d’admi­
nistration d’Arcadia travaille sur
un certain nombre d’options de se­
cours. » Un dépôt de bilan, com­
plet ou partiel, pourrait avoir lieu
dans les prochains jours.
Ajoutant l’humiliation à la catas­
trophe financière pour M. Green,
Mike Ashley, son grand rival, autre
milliardaire self­made­man du
commerce britannique, a fait sa­
voir qu’il lui proposait un prêt de
50 millions de livres sterling
(55 millions d’euros). Il n’était évi­
demment pas question d’accepter
Coiffeurs: la reprise d’activité n’apaise pas les craintes
Près d’un quart des salons seraient menacés de fermeture en France
T out était prêt samedi
28 novembre pour la réou­
verture le salon de coiffure
Dessange de l’avenue Franklin­
Roosevelt, à Paris, dans le 8e arron­
dissement. Après un mois de fer­
meture administrative dans le ca­
dre des mesures de confinement
pour lutter contre la propagation
du Covid­19, Jason Le Carrour, son
directeur, a vécu « une journée ba­
roque », avec quelque 80 clients à
coiffer par demi­journée. Dans ce
salon cossu, les 54 employés, coif­
feurs, coloristes et techniciens ont
repris leur ballet virevoltant face
au miroir et derrière chaque
client. « Le planning de rendez­
vous est plein pour les quinze pro­
chains jours », assure Emmanuel
Gasnot, PDG du groupe Dessange
International. Ce salon n’a pas été
le seul à rencontrer un afflux de
clientèle, ce samedi. A Strasbourg,
Yannick Kraemer, gérant de
200 salons dont 60 en France,
était aussi « sur le pont ». Il devra
« faire appel aux heures supplé­
mentaires, en décembre », puisque
les carnets de rendez­vous « ont
été pris d’assaut ».
Un rush « violent »
Mais le soufflé retombera vite,
prédit M. Kraemer. Le secteur a en
mémoire la réouverture après le
premier confinement de mai,
après deux mois de fermeture.
Les clients sont venus en masse
raccourcir leur chevelure, refaire
un balayage ou dissimuler leurs
cheveux blancs. Le rush fut « vio­
pour le propriétaire d’Arcadia, qui
préfère encore vendre les actifs de
son groupe au plus offrant que de
se tourner vers son concurrent. La
somme nécessaire pour renflouer
Arcadia est de toute façon certai­
nement bien supérieure. En 2018,
le groupe réalisait un chiffre d’af­
faires de 1,8 milliard de livres. Il
possède aujourd’hui quelque
500 magasins.
Acheter et revendre rapidement
La chute de M. Green, encore porté
aux nues il y a moins d’une décen­
nie, est spectaculaire. Jusqu’en
2015, Topshop était montrée en
exemple, admirée pour avoir su
s’imposer dans la « fast fashion »,
cette mode peu chère qui s’adapte
en permanence aux goûts de ses
clients, proposant à toute vitesse
de nouveaux modèles « inspirés »
de ceux des défilés de prêt­à­por­
ter. En fabriquant en Asie tout en
présentant ses propres défilés à la
semaine de mode de Londres pour
créer l’événement, et en collabo­
rant avec la mannequin Kate Moss
et la chanteuse Beyoncé, l’ensei­
gne était devenue l’incontourna­
ble succès du début du XXIe siècle.
A son pic, la part de marché au
Royaume­Uni d’Arcadia, dominée
par Topshop, a atteint 6 %. Elle a
depuis été divisée par deux.
Le milliardaire de 68 ans, issu
d’une famille aisée mais qui a
Le milliardaire
n’a pas compris
la concurrence
d’Internet, où des
sites répliquent
en ligne la même
méthode
lent, pendant trois semaines », se
rappelle Christophe Doré, prési­
dent de l’Union nationale des en­
treprises de coiffure (UNEC). Puis,
la fréquentation a fléchi, sans ja­
mais renouer avec celle d’antan.
Car, « bien qu’aucun cluster n’ait
été identifié dans un salon de coif­
fure », rappellent les profession­
nels de la coiffure, les mesures
sanitaires répugnent certains
clients. Le report des mariages ou
celui des réunions entre amis ont
aussi « réduit à néant » les raisons
d’aller chez le coiffeur « pour le
plaisir », selon M. Doré. Le 31 octo­
bre, la fermeture des salons de
coiffure a plongé un peu plus en­
core leurs gérants dans le désarroi.
Essorés par le premier confine­
ment, tous réclamaient le droit
d’exploiter leur établissement au
plus vite. Quitte à poser nu dans
leurs fauteuils, comme l’a fait un
artisan du Havre, et à publier leur
appel à l’aide sur les réseaux so­
Des aides renforcées pour
l’hôtellerie-restauration
Les gérants du secteur hôtellerie-cafés-restauration qui ont
trouvé un autre travail du fait de la crise du Covid-19 pourront bé-
néficier de l’accès au fonds de solidarité, a indiqué Bercy, diman-
che 29 novembre, dans un communiqué détaillant de nouvelles
aides. Toutes les entreprises fermées administrativement bénéfi-
cient d’une aide mensuelle allant jusqu’à 10 000 euros ou d’une
indemnisation jusqu’à 20 % du chiffre d’affaires mensuel, plafon-
née à 200 000 euros. Celles qui ne sont pas fermées mais qui ont
perdu au moins 50 % de leur chiffre d’affaires peuvent bénéficier
de l’aide jusqu’à 10 000 euros, ou d’une indemnisation de 15 %
du chiffre d’affaires mensuel, par le biais du fonds de solidarité.
quitté l’école à 16 ans, n’a jamais
compris la concurrence d’Inter­
net. Lui ne jure que par ses bouti­
ques et a longtemps travaillé avec
son vieux Nokia vissé sur l’oreille,
refusant les smartphones. Des si­
tes comme Boohoo ou Asos, qui
répliquent en ligne la méthode de
la mode pas chère, se sont depuis
imposés dans le paysage.
M. Green est aussi victime de
son avarice, refusant d’investir
dans ses marques. Jamais il n’a
créé d’entreprise qu’il a vraiment
développée, se contentant toute
sa vie de les acheter et les reven­
dre rapidement. A ses débuts, il
s’emparait à bas prix de stocks de
vêtements de magasins en
faillite, les revendant avec un bon
profit. Cette technique lui a per­
mis de s’enrichir, jusqu’à l’achat
en 2002 d’Arcadia, où l’enseigne
Topshop, créée dans les an­
nées 1960, était déjà un succès.
Forcé d’aller s’expliquer
Si M. Green a évité les investisse­
ments, il n’a, en revanche, jamais
oublié de se servir. En 2005, il a
défrayé la chronique en se ver­
sant un dividende géant de
1,2 milliard de livres. Il n’avait
bien sûr aucun impôt à payer, la
somme allant directement sur le
compte de sa femme Tina, rési­
dente à Monaco et bénéficiaire
officielle de Taveta Investments,
la holding possédant Arcadia.
Cheveux blancs tirés en arrière
et bouclant sur la nuque, chemise
blanche largement ouverte, avec
son incroyable bagou, l’homme
était à cette époque célébré au
Royaume­Uni. Les fêtes mémora­
bles du tycoon sont courues du
Tout­Londres. Les premiers mi­
nistres se l’arrachent. En 2006,
Tony Blair le recommande pour
être anobli par la reine. En 2010,
quand David Cameron arrive au
ciaux. Ce fut en vain. Tout le sec­
teur s’est ensuite ému après le sui­
cide d’une barbière belge le 16 no­
vembre, qui est devenue le sym­
bole de leur crise, y compris en
France. Dès lors, malgré la réou­
verture de leurs salons, les coif­
feurs sont circonspects. Le pas­
sage à une jauge d’un client pour
8 m² de surface, au lieu de 4 m², va
entraver la fréquentation, et donc
encore plomber l’activité. A
moyen terme, d’autres sujets in­
quiètent. La généralisation du té­
létravail assèche la clientèle dite
« de bureaux », tandis que les sa­
lons situés dans les centres com­
merciaux peinent.
Hausse des ventes de coloration
« Le Covid­19 a rebattu les cartes »,
résume M. Le Carrour. Les deux
périodes de confinement auront
aussi été celles de l’avènement de
nouvelles pratiques. Les hommes
ont appris à manier une ton­
économie & entreprise | 21
pouvoir, il lui confie un rapport
sur la meilleure façon de faire des
économies de fonctionnement
au gouvernement.
Le vent commence à tourner
en 2016, quand les grands maga­
sins BHS font faillite. M. Green les
avait acquis en l’an 2000 pour
200 millions de livres, avant de
les revendre au bord du dépôt de
bilan pour 1 livre symbolique
en 2015. L’année suivante, le
groupe a fait faillite et tous les
magasins ont fermé, provoquant
11 000 suppressions d’emplois. La
question du fonds de pension de
retraites de BHS a rattrapé le mil­
liardaire. Le régulateur a estimé
que M. Green était responsable
de son énorme déficit. Forcé d’al­
ler s’expliquer devant un comité
parlementaire, sous pression
pour que la reine lui retire son ti­
tre (ce qu’elle n’a finalement pas
fait), l’homme d’affaires a fini par
abonder 363 millions de livres
pour le renflouer.
Le scénario de BHS pourrait se
répéter pour Arcadia. En 2018,
dernière année pour laquelle les
comptes sont disponibles, le
groupe a réalisé une perte nette
de 202 millions d’euros. A l’été
2019, il a réussi à renégocier à la
baisse les loyers de près de
200 magasins, faisant valoir
qu’il ne pouvait plus payer les
prix d’autrefois. La pandémie a
fait le reste. La chute du groupe
risque maintenant d’entraîner
celle de Debenhams, une chaîne
de grands magasins en graves
difficultés, qui cherche actuelle­
ment un repreneur. Arcadia se
trouve être l’un de ses princi­
paux locataires et son affaiblisse­
ment va encore plus réduire les
chances de reprises de Deben­
hams. A eux deux, les groupes
emploient 27 000 personnes. 
éric albert
deuse, tandis que les femmes font
leur « colo » seules dans leur salle
de bains. Pour preuve : les ventes
de produits colorants s’envolent.
La start­up américaine eSalon,
qui vend des kits de coloration sur
mesure, a enregistré une hausse
de 200 % sur ses commandes en
novembre. Et les ventes de colora­
tions en hypermarchés ont
bondi : respectivement + 82 % et
+ 67 % lors des deux premières se­
maines de novembre, selon l’ins­
titut d’études IRI.
Dans ce contexte, les prêts ga­
rantis par l’Etat et le recours au
chômage partiel ne suffiront pas,
à en croire les fédérations du sec­
teur, à « sauver » les milliers d’éta­
blissements en souffrance « après
des chutes d’activité de 15 % à
40 % ». L’UNEC appelle l’Etat à les
aider dès décembre en exonérant
les charges salariales sur les heu­
res supplémentaires, en sus des
charges patronales. Car, à l’en
croire, « entre 10 000 et 15 000 éta­
blissements en France seraient
menacés de fermeture », sur
63 000 salons. Cette crise pourrait
cependant avoir un effet positif :
ramener « vers le salariat » tous
les coiffeurs indépendants échau­
dés par la crise et le manque de
protection du statut d’autoentre­
preneur, observe ce dernier. Dans
un secteur qui, depuis une di­
zaine d’années, peine tant à re­
cruter, ces derniers constitue­
raient un vivier de coiffeurs
à réemployer. 
juliette garnier
PERTES & PROFITS | SONY
par phi lippe esc ande
L’industrie nippone
en manque d’éoliennes
C’est un peu le monde à l’envers.
Au Japon, ce sont les industriels
qui poussent à accélérer la transi­
tion énergétique. Alors que le
gouvernement ambitionne de
porter à 24 % la part des renouve­
lables dans la production d’élec­
tricité à horizon 2030, contre 17 %
en 2018, un puissant lobby de pa­
trons japonais, le Keizai Doyukai,
a demandé, en juillet 2020, que
cette part soit portée à 40 %,
presque deux fois plus.
Pour donner du poids à cette de­
mande, le PDG de Sony, Kenichiro
Yoshida, aurait indiqué, selon le
Financial Times, que, sans engage­
ment massif dans cette direction,
il devrait délocaliser ses usines
hors du Japon. Plutôt partir que
d’utiliser de l’électricité produite à
partir de gaz ou de charbon, voilà
qui n’est pas banal de la part d’un
baron de l’industrie nipponne.
M. Yoshida n’a pas été soudaine­
ment aveuglé par la lumière de
Dieu, comme saint Paul sur le
chemin de Damas, mais poussé
par certains de ses clients.
Et notamment Apple. Non con­
tente d’affirmer être déjà neutre
en carbone sur ses propres activi­
tés depuis 2018, la firme améri­
caine a annoncé en juillet dernier
que l’ensemble de ses fournis­
seurs devraient être 100 % décar­
bonés d’ici à 2030. Or, Sony four­
nit dans ses usines japonaises les
capteurs photo des iPhone. Non
loin de là, le taïwanais TSMC, qui
fabrique les puces électroniques
d’Apple, a carrément acheté l’inté­
gralité de la production d’un pro­
jet d’immense parc éolien mari­
time, de la capacité d’une centrale
nucléaire, construit par le danois
Orsted au large des côtes de l’île.
MM. Niel et Pigasse
s’invitent dans le bio
Avec M. Zouari, actionnaire de Picard, le duo va
investir dans les biens de consommation
D évoilé dimanche 29 no­
vembre, le nom 2MX Or­
ganic est celui d’un nou­
vel acteur dans le secteur euro­
péen des biens de consommation
bio ou durables. A l’origine de ce
projet, trois investisseurs de
poids, Xavier Niel, actionnaire
majoritaire de l’opérateur de télé­
communications Iliad, Matthieu
Pigasse, à la tête du bureau fran­
çais de la banque américaine Cen­
terview [tous deux sont également
actionnaires à titre individuel du
Monde], et un expert de la distri­
bution, Moez­Alexandre Zouari.
Le trio a choisi de passer par la
création d’un véhicule d’acquisi­
tion, dit SPAC (Special purpose ac­
quisition company). Une voie sim­
plifiée pour une introduction
boursière, avec à la clé une levée de
fonds afin de financer des acquisi­
tions. Dans ce schéma, les investis­
seurs signent, en fait, un véritable
chèque en blanc aux fondateurs de
la SPAC. 2MX Organic, qui sera co­
tée à Paris, sur le compartiment
professionnel du marché régle­
menté d’Euronext, souhaite lever
entre 250 millions et 300 millions
d’euros. Le résultat de l’offre de­
vrait être annoncé le 7 décembre.
La somme devrait être mise à pro­
fit dans l’acquisition « d’une ou
plusieurs sociétés opérant en Eu­
rope à forte responsabilité sociale
et environnementale qui intervien­
nent dans le secteur des biens de
consommation, production et dis­
tribution », selon les termes du
communiqué publié par 2MX Or­
ganic. Si les cibles ne sont pas révé­
lées, un portrait­robot est es­
Comme Taïwan, le Japon est
donc poussé par ses industriels
les plus puissants à accélérer la
manœuvre. Le message a été
compris par le nouveau gouver­
nement de Yoshihide Suga. Ce­
lui­ci a fixé comme horizon la
neutralité carbone en 2050, se
plaçant ainsi dans les traces de
l’Union européenne. Tâche ardue.
Le Japon importe plus de 90 % de
l’énergie qu’il consomme, et l’ac­
cident nucléaire de Fukushima a
sérieusement réduit ses ambi­
tions dans l’atome civil.
Tâche ardue
Il consomme donc goulûment du
gaz, du pétrole et du charbon, li­
vrés par bateau en provenance du
Moyen­Orient, d’Australie ou
d’ailleurs. Basculer massivement
vers l’éolien ou le solaire, comme
l’y invitent Sony et ses amis, n’est
pas facile compte tenu de la topo­
graphie montagneuse du pays et
de sa réglementation pointilleuse
en ce qui concerne l’usage des ter­
res. D’où l’interview accordée par
le ministre de la réforme adminis­
trative, Taro Kono, au Financial Ti­
mes, vendredi 27 novembre.
C’est lui qui a vendu la mèche
sur les intentions de Sony, his­
toire de faire pression sur sa pro­
pre administration. Objectif, allé­
ger les demandes d’autorisation
pour le solaire et l’éolien, qui ne
parviennent pas à se développer
en dehors des côtes maritimes.
Mais les écologistes ne sont du
coup plus tout à fait d’accord et
invoquent la menace pour la bio­
diversité. La route de la transition
énergétique est un chemin de ro­
ses constellé d’épines. 
philippe escande
quissé. « Elles interviennent dans
un marché en pleine expansion. El­
les s’inscrivent également dans une
dynamique de consommation de
proximité. Elles offrent des alterna­
tives différenciantes aux consom­
mateurs qui cherchent à donner du
sens à leurs achats. » Alors que la
consommation connaît des boule­
versements profonds, les fonda­
teurs de 2MX Organic estiment
avoir une carte à jouer. La pre­
mière acquisition, d’un montant
de 1,5 milliard à 2 milliards d’euros,
pourrait être bouclée en 2021.
M. Niel et M. Pigasse ont déjà à
leur actif un précédent SPAC, le
premier en France, lancé en 2016
dans le secteur de l’audiovisuel. Il
a donné naissance au groupe Me­
diawan, dirigé par Pierre­Antoine
Capton. Cette fois, ils se sont asso­
ciés à un spécialiste de la distribu­
tion alimentaire, M. Zouari, dont
le groupe exploite de nombreux
magasins sous franchise et est de­
venu l’actionnaire de référence de
Picard Surgelés. Il prendra la di­
rection générale de l’entreprise.
D’autres experts de la consom­
mation alimentaire accompa­
gnent le projet. A l’image de Cécile
Cabanis, qui quittera son poste de
directrice financière de Danone
début 2021 et sera membre du
conseil d’administration. De
même que Gilles Piquet­Pellorce,
ex­directeur général de l’enseigne
Biocoop. Il avait récemment
œuvré à une offre de reprise de la
chaîne de magasins Bio c’Bon
avec le groupe Zaouari, mais Car­
refour a emporté la mise. 
laurence girard

22 | économie & entreprise
Alerte sur
les escroqueries
aux bitcoins
Sociétés­écrans à Chypre, rabatteurs au Bangladesh,
régies biélorusses ou israéliennes, centres d’appels
en Ukraine : des milliers de personnes se font
abuser par une arnaque mondiale basée sur des
publicités pour des placements en cryptomonnaies
DOSSIER
E
xcusez­moi, vous pouvez atten­
dre cinq minutes ? Ma femme
pense que je suis en train de me
faire escroquer. » Clas Backman
pose le téléphone un instant, le
temps de rassurer sa femme :
non, s’il parle en anglais au téléphone, ce
n’est pas parce qu’il est à nouveau en con­
tact avec des arnaqueurs, mais pour répon­
dre à un journaliste du Monde. Ce Suédois a
été victime, en 2019, d’une escroquerie
aux faux placements, opérée par un call
center (centre d’appels) proposant des
investissements alléchants. Il a investi en­
viron 20 000 euros, et a « presque tout
perdu ». Sa plainte est toujours en cours
d’instruction, mais il se fait peu d’illusions :
il ne reverra jamais cet argent.
Comme des centaines de milliers de per­
sonnes dans le monde, M. Backman est
tombé dans le piège à cause d’une simple pu­
blicité en ligne. En septembre 2019, il cli­
que sur un encart pour Bitcoin Trader, qui se
présente comme un logiciel de trading en
cryptomonnaies révolutionnaire. Après avoir
entré ses coordonnées sur le site, il est immé­
diatement rappelé par un « conseiller », qui le
convainc de placer 250 dollars (210 euros).
L’escroquerie suit ensuite un scénario bien
connu : au début, la victime voit ses gains
augmenter à grande vitesse ; ses « con­
seillers » la pressent de déposer davantage
d’argent, pour profiter d’une tendance à la
La lourde responsabilité des régies publicitaires
on voit souvent des publicités lou­
ches sur Internet, mais certaines sont
plus marquantes que d’autres. Fin
2019, plusieurs salariés du Monde ont
eu la surprise de découvrir, sur des si­
tes différents, des publicités usur­
pant grossièrement le logo du journal
et faisant la promotion d’un « place­
ment miracle » dans les cryptomon­
naies. Sur l’image figuraient Xavier
Niel (actionnaire à titre individuel du
Monde), le présentateur Cyril Ha­
nouna, et les logos d’une demi­dou­
zaine d’autres grands médias.
Tout était, bien sûr, faux dans cette
publicité. Au même moment, nos voi­
sins britanniques voyaient une pu­
blicité similaire utilisant l’image du
milliardaire Elon Musk ; les Suédois
avaient droit à une photographie de
l’acteur Dolph Lundgren. Plus récem­
ment, en France, l’image du footbal­
leur Kylian Mbappé a été utilisée par
des publicités similaires.
Derrière ces encarts mensongers,
qui redirigent vers des centres d’ap­
pels spécialisés dans les arnaques aux
faux placements, on trouve une my­
riade d’annonceurs qui agissent
comme « prestataires » pour des ré­
seaux criminels internationaux.
« C’est un système proche du fonc­
tionnement classique de la publicité
numérique, note Ilia Rozhnov, cher­
cheur en sécurité informatique pour
hausse. Puis, lorsque la victime a investi tout
ce qu’elle pouvait, ou quand elle demande à
retirer ses gains, silence radio. L’argent n’est
plus disponible. Parfois, il n’a jamais été in­
vesti nulle part – il est simplement venu
gonfler le compte en banque des escrocs.
Le Monde a enquêté, en partenariat avec un
consortium international de journalistes, di­
rigé par le quotidien suédois Dagens Nyheter
et le réseau de journalistes Organized Crime
and Corruption Reporting Project (OCCRP),
associant une dizaine d’autres rédactions,
sur la manière dont ces arnaques se sont
réinventées au cours des trois dernières an­
nées. Les escroqueries aux faux placements
sont loin d’être une nouveauté, mais elles
sont devenues, faute d’un meilleur terme,
beaucoup plus « professionnelles » et « redou­
tablement efficaces », explique Claire Casta­
net, directrice des relations avec les épar­
gnants et leur protection à l’Autorité des
marchés financiers (AMF).
CRIMINALITÉ ORGANISÉE INTERNATIONALE
Efficaces, et lucratives : selon les estimations
de l’AMF, qui a mené une enquête d’ampleur
sur une année et demie, en 2017 et 2018, le
préjudice de l’ensemble des arnaques au pla­
cement s’élevait, en France, à environ un
milliard d’euros sur cette période. Et l’Hexa­
gone est moins touché par le phénomène
que d’autres pays d’Europe de l’Ouest. Selon
les explications d’une source ayant travaillé
pour un call center opérant les escroqueries,
les responsables de ces arnaques évitent la
France, estimant que ses enquêteurs sont
Group­IB, qui a travaillé sur le sujet.
C’est une chaîne à plusieurs maillons,
avec un site principal, et des intermé­
diaires, des fournisseurs d’outils… »
Tout le système fonctionne sur la
mécanique du « marketing d’affilia­
tion » : le créateur du faux site est le
plus souvent « partenaire » d’une régie
qui lui fournit les éléments­clés en
main, et lui reverse une commission
sur chaque arnaque qui va jusqu’au
bout. Le créateur du site peut toucher
plusieurs centaines d’euros lors­
qu’une victime dépose de l’argent
chez un faux courtier après avoir cli­
qué sur son site.
Vérifications inexistantes
Pour fonctionner, l’arnaque a besoin
d’importants volumes de visites. Seul
un petit pourcentage des internautes
va cliquer sur des publicités de ce
type ; les escrocs ont donc recours à
toutes les techniques possibles pour
amener le maximum de trafic sur
leurs pages, à commencer par la publi­
cité. Le Monde a examiné plusieurs
centaines de petites annonces pu­
bliées sur des sites spécialisés, dans
lesquelles des régies publicitaires plus
ou moins connues proposent à la
vente du « trafic Forex et Crypto » (spé­
culation sur les devises et les crypto­
monnaies) – soit, dans le jargon du
secteur, des flux de visites très prisés
plus efficaces que dans d’autres pays – une
UNE MÉCANIQUE  tendance confirmée par plusieurs docu­
BIEN RODÉE,  ments que Le Monde a pu consulter, bases
de données de ciblage de victimes ou an­
DANS LAQUELLE IL  nonces de recrutement.
Les escrocs ont peut­être raison de se mé­
EST RECOMMANDÉ  fier. Fin janvier, une opération commune
d’enquêteurs français, belges et israéliens, en­
AUX OPÉRATEURS  cadrée par l’unité de coopération judiciaire
DE « JOUER de l’Union européenne Eurojust, a permis de
démanteler un réseau d’escroqueries aux
SUR L’EMPATHIE » faux placements qui avait fait 85 victimes
pour un total de 6 millions d’euros. Le cer­
veau présumé, un Franco­Israélien, s’est réfu­
gié, depuis 2012, en Israël pour échapper à la
prison – il avait été condamné à cinq ans de
prison en France dans une affaire de fraude à
la taxe carbone. « La France délivre, plus facile­
ment que d’autres pays, des mandats d’arrêt
par les sites d’arnaques. Les vérifica­ Les plates­formes comme Google ou
tions semblent inexistantes : du « tra­ Facebook sont aussi largement utili­
fic FR », visant des internautes fran­ sées. Il y a deux ans, de nombreuses
çais, est proposé sans conditions, alors publicités pour des fausses offres de
que les publicités pour les produits cryptomonnaies, publiées notam­
d’investissements risqués sont globa­ ment par une entreprise américaine,
lement interdites en France. ADS Inc., envahissaient Facebook. De­
Des régies spécialisées, qui revendi­ puis, le réseau social a durci ses règles
quent parfois des chiffres impor­ et ses contrôles, sans faire totalement
tants – plusieurs milliards d’impres­ disparaître ces annonces.
sions publicitaires par mois – affichent Des millions de dollars sont dépen­
des adresses physiques en Biélorussie, sés par les escrocs pour diffuser leurs
aux Emirats arabes unis ou en offres sur Google. Sollicité par l’Orga­
Ukraine. Les informations légales sont nized Crime and Corruption Repor­
absentes de leurs sites, qui opèrent ting Project (OCCRP), Google explique
parfois depuis une adresse de contact avoir « renforcé ses règles en juillet, en
Gmail. D’autres sont de véritables en­ complément de celles, déjà en place, qui
treprises, comme PropellerAds, qui af­ interdisent les publicités pour des cryp­
fiche des adresses légales en Républi­ tomonnaies en Europe ». « C’est un jeu
que tchèque, à Chypre et dans le para­ du chat et de la souris, écrit Google. Les
dis fiscal de l’île de Man. Cette régie, qui escrocs font évoluer leurs techniques en
revendique pouvoir toucher jusqu’à permanence (…), mais nous avons des
1 milliard d’internautes, a créé une fi­ milliers de personnes qui travaillent à
liale de « marketing d’affiliation », Zey­ améliorer nos outils et nos règles pour
doo, qui propose diverses offres pour arrêter ces menaces. »
des fausses publicités comme Bitcoins Même sur le site d’Associated Press,
Revolution et Bitcoins Code. l’agence d’information américaine,
Sollicitée, PropellerAds a demandé plusieurs dizaines de publireportages
au Monde de « prouver que ces offres vantent des services qui sont des es­
étaient interdites ». Le Monde a trans­ croqueries – les articles ont été publiés
mis à la régie des alertes émises par automatiquement sur le service de
huit régulateurs européens, portant « communiqués de presse » de
sur la quasi­totalité des marques pro­ l’agence. Contactée par Le Monde, AP
posées par PropellerAds. La société n’a n’a pas donné suite à nos questions. 
alors plus donné suite à nos questions. da. l.
0123
MARDI 1ER DÉCEMBRE 2020
internationaux, ça inquiète ces escrocs qui ont
des vies de grands voyageurs », estime Ma­
thieu Fohlen, premier vice­procureur de la
République à Bordeaux, qui a mené des en­
quêtes sur plusieurs escroqueries similaires.
Mais remonter jusqu’aux donneurs d’or­
dres est très compliqué, note le magistrat, en
raison des circuits de blanchiment d’argent
complexes utilisés par les criminels. « Ils ont
épuisé tous les systèmes bancaires européens :
on a commencé par la Pologne, les pays baltes,
le Portugal. Au fur et à mesure que les fraudes
étaient détectées, ils changeaient de pays. L’ar­
gent est ensuite ventilé vers l’Asie avant de re­
tourner dans les mains des escrocs. »
Les enquêteurs passent beaucoup de
temps à remonter des pistes, mais les con­
clusions sont rares : « A Hongkong, il faut un
an pour exécuter une demande sur un compte
bancaire. Au bout d’un an, on découvre que
l’argent a été transféré sur un autre compte, et
il faut faire une nouvelle demande, raconte
M. Fohlen. On voit de véritables lessiveuses,
avec 40 millions de dollars qui rentrent en six
mois sur le compte d’une entreprise, puis l’ar­
gent ressort dans une myriade de pays qui
sont des paradis fiscaux, sans rapport avec
l’objet social de l’entreprise. Et au final, on dé­
couvre que le titulaire du compte est un prête­
nom… On perd beaucoup de temps et d’éner­
gie sur des mules financières, c’est un peu la
limite de la stratégie “Follow the money”
[“suivre la piste de l’argent”]. »
PETITES MAINS CHARGÉES DU RABATTAGE
Les arrestations restent rares, dans un sec­
teur où de très nombreux maillons d’une
longue chaîne peuvent espérer gagner des
sommes importantes sans prendre de
grands risques. Au cœur de ces escroqueries
se situent des centres d’appels spécialisés,
dont la plupart sont situés en Europe de
l’Est, en Biélorussie, à Chypre ou en Israël.
Mais leur bon fonctionnement dépend de
toute une série d’intermédiaires, et notam­
ment de petites mains chargées du rabat­
tage des futures victimes : ce qu’on appelle
la « génération de leads ». Le terme désigne
toutes les pratiques consistant à récolter les
coordonnées de personnes à appeler – les
leads, en jargon du marketing.
Cette partie de l’arnaque est à la fois in­
dustrialisée et disséminée – une forme de
« crime désorganisé », selon l’expression du
chercheur en criminologie britannique Da­
vid S. Wall. Des sociétés spécialisées, parfois
cachées derrière un montage complexe
pour masquer leur véritable raison so­
ciale ou leur origine géographique, recru­
tent des petites mains qui vont se charger
0123
MARDI 1ER DÉCEMBRE 2020
de trouver des victimes à travers des sites
fournis clés en main. Ces sous­traitants se
chargent de construire et d’héberger des si­
tes visant à récolter les données personnel­
les de futurs « clients », achètent des publi­
cités pour les mettre en avant, et transmet­
tent au centre d’appels – en temps réel – les
coordonnées des personnes qui s’inscri­
vent sur leurs sites.
Le Monde a pu consulter un contrat passé
entre une société israélienne spécialisée
dans ces pratiques, Trafficasa, et un donneur
d’ordre bulgare : le contrat spécifie que les
numéros transmis au centre d’appels doi­
vent être rappelés « dans les dix minutes sui­
vant la réception du numéro ». Trafficasa, qui
met en avant sur sa page Facebook le fait
qu’elle utilise la marque prisée des escrocs
Bitcoin Evolution, n’a pas répondu aux solli­
citations du Monde.
Pour les sous­traitants, la manœuvre peut
être extrêmement rentable. Pour les hot
leads tout juste récoltés, le mode de rémuné­
ration principal est celui de l’affiliation : le
sous­traitant est directement intéressé au
fait que de nouveaux clients s’inscrivent. Les
tarifs présentés sur des sites spécialisés sont
très élevés : pour tout internaute qui s’inscrit
et dépose 250 euros, le montant minimal,
l’intermédiaire reçoit entre 200 et 600 euros,
selon le pays de résidence de la « cible ».
Plusieurs dizaines de sociétés spécialisées
dans le « marketing de l’affiliation » propo­
sent ainsi des « offres crypto » ou « offres fo­
rex » qui utilisent des publicités mensongè­
res, et illégales en France comme dans de
nombreux pays, pour attirer des investis­
seurs un peu trop crédules, en promettant
des rendements bien trop beaux pour être
vrais. Différentes publicités, présentant diffé­
rentes « marques », fournissent parfois des
leads au même centre d’appels.
Le Monde a pu consulter de larges extraits
d’une base de données interne à un centre
d’appels, nommé alternativement Swiss­ca­
pital.fm ou Wealth Advisor ; le régulateur
britannique a émis un avertissement sur
cette entreprise qui usurpe l’identité d’une
autre société, elle, légitime. C’est ce centre
d’appels qui a soutiré 20 000 euros à Clas
Backman – sa localisation exacte reste in­
connue. Le document, très détaillé, men­
tionne les différents types de publicités
mensongères utilisées pour récupérer le nu­
méro de téléphone des personnes démar­
chées ; une douzaine de canaux différents y
sont mentionnés, dont les classiques Bit­
coins Revolution et Bitcoins Code.
La base de données éclaire également les
pratiques des centres d’appels, par le biais des
mémos laissés par les employés à l’adresse de
leurs collègues ou de leurs supérieurs. « Elle
va ajouter 1 000, elle ne peut pas se permettre
de perdre 1 000, ha, ha, ha ! », écrit ainsi un
employé à propos d’une victime anglaise.
« Ne veut pas mettre plus d’argent, a trois en­
fants handicapés. (…) Je vais bosser un peu
avec lui et lui demander plus », écrit un autre à
propos d’un père de famille anglais. Lorsque
les victimes n’ont plus d’argent, les opéra­
teurs les incitent à emprunter : « Il a obtenu
un prêt de 17 500 euros, on attend qu’il arrive
sur son compte », explique ainsi un commen­
taire à propos d’une victime néerlandaise qui
avait déjà investi 2 700 euros.
Des scripts de conversations fournis à l’OC­
CRP par un ex­employé d’un centre d’appels
israélien montrent une mécanique bien ro­
dée, dans laquelle il est recommandé de
« jouer sur l’empathie », de lui dire que sa
voix « fait beaucoup plus jeune » que son âge,
de se montrer « confiant et enthousiaste »
pour mieux soutirer à la personne des infor­
mations sur sa situation financière. Si l’in­
terlocuteur se montre méfiant et se rend
compte qu’il s’agit d’une escroquerie, l’opé­
rateur doit lui faire comprendre que « nous
n’avons pas besoin de lui, c’est lui qui a besoin
de nous. S’il n’a pas raccroché, c’est qu’il est
juste inquiet, on peut résoudre le problème
dans la plupart des cas ».
« MARCHÉ DE L’OCCASION »
Après avoir perdu leurs économies, les victi­
mes subissent souvent une deuxième peine :
leurs coordonnées sont revendues à d’autres
escrocs, et le démarchage est incessant. Cer­
tains replongent, comme l’atteste le fichier
de Swiss Capital FM : « Le client s’est déjà fait
arnaquer, il est très sceptique. (…) Nous nous
sommes mis d’accord pour qu’il mette 2 500.
(…) Il n’a aucune idée de ce qui se passe sur les
marchés, je vais trader avec lui et lui deman­
der de mettre plus. »
Ces numéros de victimes alimentent un
« marché de l’occasion », moins rémunéra­
teur que celui des hot leads, mais qui fait vi­
vre des revendeurs spécialisés. « Je récupère
les fichiers via des hackers, des call centers,
des piratages de CRM [logiciels de gestion
de clients] », explique au Monde un reven­
deur indépendant vivant au Bangladesh,
qui propose à la vente sur YouTube ou Lin­
kedIn des fichiers contenant des centaines
de milliers de noms et de numéros de télé­
phone. Clas Backman reçoit, encore
aujourd’hui, jusqu’à quatre appels par jour
pour lui proposer d’investir dans le marché
Forex ou les diamants. 
damien leloup
économie & entreprise | 23
« Ce qu’on voit aujourd’hui, ce sont
des supermarchés de l’arnaque »
Claire Castanet et Alexandre Neyret, de l’Autorité des marchés
financiers, décrivent « une criminalité très sophistiquée et réactive »
ENTRETIEN
L’ Autorité des marchés fi­
nanciers (AMF) a placé ces
dernières années sur sa
liste noire de très nombreux sites
promettant des rendements gi­
gantesques pour des placements
en cryptomonnaies, qui dissimu­
lent en fait des escroqueries. En­
tretien avec Claire Castanet, direc­
trice des relations avec les épar­
gnants et de leur protection, et
Alexandre Neyret, directeur ad­
joint de la direction des enquêtes.
On assiste depuis deux ans à
une multiplication des offres
de type Bitcoins Revolution ou
Bitcoins Code. Ces escroque­
ries sont­elles fondamentale­
ment différentes d’autres
arnaques aux placements ?
Claire Castanet : Ce caractère
très protéiforme est majeur à
comprendre : s’il y a une évolu­
tion dans les arnaques, c’est cette
agilité permanente. Avant, c’était
le Forex [la spéculation sur les de­
vises], puis ça a été le diamant
d’investissement, aujourd’hui les
cryptomonnaies… Ce qu’on voit,
ce sont des supermarchés de l’ar­
naque. Les gens contactent les fu­
tures victimes et ont plusieurs
produits à leur proposer ; ils ajus­
tent leur offre en fonction des in­
formations qu’ils ont sur la vic­
time potentielle et de ce qu’ils par­
viennent à capter dans l’échange.
Ces victimes ont bien souvent
laissé leurs coordonnées sur In­
ternet via des formulaires, après
avoir cliqué sur des bannières pu­
blicitaires qui viennent s’afficher
en fonction du comportement
des internautes, ou via des cour­
riels. Les données sont ensuite re­
vendues : vous avez répondu à un
formulaire pour investir dans le
champagne, et vous êtes rappelé
pour des investissements dans les
cryptomonnaies.
L’AMF a publié l’an dernier une
série de vidéos pour expliquer
que « les arnaques, ça n’arrive
pas qu’aux autres ». Pourquoi ?
C. C. : Malheureusement, trop
souvent, les épargnants nous ap­
pellent alors qu’il est trop tard ;
certains nous appellent même
après avoir investi via des sites
qui sont sur liste noire depuis
longtemps. On voit des gens qui
se laissent prendre par des techni­
ques de manipulation. Ils n’arri­
vent pas à maintenir de la dis­
tance, ni à en parler à leur entou­
rage. C’est d’autant plus dur de
sortir de l’emprise mentale.
Les appels que l’on reçoit sont la
pointe émergée de l’iceberg. Il
faut réussir à développer les ré­
flexes de vigilance chez les épar­
gnants. On essaye de les amener à
se questionner ; dans tous les con­
tenus pédagogiques, nous dé­
montons les mécanismes de ma­
nipulation mentale pour que les
gens puissent mettre un mot des­
sus. On démonte aussi les my­
thes : celui du tradeur, celui de
l’argent facile. L’épargne, c’est une
construction qui se fait petit à pe­
tit : c’est moins fun, mais il faut
miser sur le temps.
Y a­t­il un profil type des victi­
mes de ces escroqueries ?
Alexandre Neyret : En 2017­
2018, nous avons fait une en­
quête, transmise au parquet.
Nous estimions alors que toutes
CE QU’IL 
FAUT SAVOIR
Escroquerie Les autorités fi­
nancières de nombreux pays
s’alarment d’une arnaque
mondiale aux cryptomon­
naies, basée sur des publicités
en ligne pour de faux place­
ments. Une escroquerie qui
fait des milliers de victimes,
pour des préjudices atteignant
des milliards d’euros, mais
dans laquelle les arrestations
restent rares.
Centres d’appels Au cœur de
ces affaires se trouvent des
centres d’appels spécialisés,
situés en Europe de l’Est, en
Biélorussie, à Chypre, en Is­
raël. Leurs opérateurs sont
formés à convaincre les victi­
mes de miser toujours plus
d’argent dans ces placements,
qui leur rapportent d’abord
des gains rapides avant de
leur faire tout perdre.
Intermédiaires Pour collecter
les coordonnées de leurs futu­
res victimes, ces centres
d’appels s’appuient sur une
galaxie de sous­traitants opa­
ques qui publient des sites
Internet et des publicités en
ligne faisant la promotion de
ces placements miracles dans
les cryptomonnaies, puis re­
vendent ensuite les données
personnelles de leurs contacts.
arnaques au placement confon­
dues, le préjudice s’élevait à envi­
ron 1 milliard d’euros, sur une pé­
riode d’une année et demie.
Aucune catégorie d’âge n’est
épargnée, même si la grande ma­
jorité des victimes ont plus de
50 ans – ils représentent 65 % des
victimes, et 80 % des sommes
perdues. Parmi les facteurs qui
peuvent l’expliquer, il y a le mon­
tant d’épargne, en moyenne plus
important chez les personnes
plus âgées, et le fait qu’il peut y
avoir des facteurs de vulnérabilité
psychologique, comme l’isole­
ment familial.
Si les retraités sont les plus tou­
chés, toutes les catégories socio­
professionnelles sont concer­
nées : les employés forment la
deuxième catégorie de victimes
(14 % des investisseurs et 10 % des
investissements), et les personnes
sans profession représentent
11,75 % des victimes, pour 10 % des
montants. Nous avons eu des té­
moignages de cadres, de profes­
sions intellectuelles et même des
professions de justice, notaires ou
avocats, qui tombent aussi dans
ce type d’arnaque.
Qui sont les bénéficiaires
de ces escroqueries ?
A. N. : On a affaire à une crimina­
lité internationale, très organisée,
et qui s’appuie sur des prestatai­
res spécialisés : des équipes sont
en charge de la production de
« leads », d’autres des sites Inter­
net, d’autres des call centers spé­
cialisés, sans oublier les filières de
blanchiment et de compensation.
C’est une criminalité très sophisti­
quée et très réactive. 
propos recueillis par da. l.
24 | horizons
guadeloupe ­ envoyé spécial
D
umé l’affirme avec fierté : à
84 ans, il est le plus vieux
charpentier de Guadeloupe.
Depuis la terrasse de sa mai­
son, dans le sud de la Basse­
Terre, il n’a qu’à tendre le
bras pour désigner, à quelques mètres, l’un
des grands chantiers de sa jeunesse : un réser­
voir d’eau potable, aux murs désormais noir­
cis par le temps, construit en 1965 pour ali­
menter deux quartiers sur les hauteurs de la
commune de Capesterre­Belle­Eau. Dumé ve­
nait à peine de se marier quand il a érigé le
coffrage en bois du château d’eau, bientôt re­
lié à l’artère centrale du réseau d’adduction
de l’île, la canalisation de Belle­Eau­Cadeau.
Après huit mois de travaux, les logements
sont raccordés à l’eau courante. Un terrain de
football et des vestiaires sont établis en bas de
l’ouvrage en face duquel Dumé construit sa
maison. « Mes onze enfants ont grandi ici », ra­
conte­t­il en dessinant de mémoire les plans
du réservoir, cinquante­cinq ans plus tard.
En cette soirée d’automne, un de ses fils,
David Dumesnil, s’arrête devant la maison. Il
habite deux rues plus loin mais vient pren­
dre sa douche dans les anciens locaux du
club de sport, aujourd’hui abandonnés : chez
lui, l’eau est coupée depuis six jours. Le vieux
réservoir de 700 m3, construit autrefois par
son père, ne suffit plus à desservir les nou­
velles maisons bâties le long de la route
menant à l’une des trois chutes du Carbet,
une destination touristique très courue. Les
nombreuses fuites apparues sur le réseau au
fil des années n’ont jamais été réparées.
« Quand une mamie est alitée, elle n’a pas
d’eau. Quand un bébé vient de naître, il n’a pas
d’eau », déplore une voisine de Dumé, habi­
tante du quartier de Routhiers. Adossée à un
pilier soutenant la terrasse de sa maison en
bois, elle souligne le paradoxe de sa région :
la côte est de la Basse­Terre a beau concentrer
une grande partie des points de captage de
la Guadeloupe – laquelle dispose naturelle­
ment de deux fois plus d’eau douce par habi­
tant que la France métropolitaine –, bien des
familles en sont régulièrement privées.
DOUCHES À LA BOUTEILLE
Vivre ici oblige à s’habituer aux douches pri­
ses à l’aide de bouteilles d’eau, aux seaux
tendus sous chaque robinet pour profiter du
moindre retour de pression dans les tuyaux.
Quant à la lessive, elle se fait souvent au lavoir
du quartier : trop de machines sont tombées
en panne après avoir tourné à sec pendant
des heures. « Karukera » – le nom amérindien
de la Basse­Terre, autrement dit « l’île aux bel­
les eaux » – n’est pas un cas isolé. De telles
coupures s’étendent à l’ensemble de la Gua­
deloupe et constituent, selon un audit inter­
ministériel effectué en 2018, une « crise systé­
mique » au « coût humain et financier considé­
rable ». Les chiffres le confirment : pour
100 m3 d’eau captés dans les rivières et les
nappes phréatiques, seulement 40 m3 par­
viennent en moyenne à être distribués – un
rendement inférieur de moitié aux résultats
obtenus dans l’Hexagone. Le reste part dans
la nature. Pendant des décennies, la recher­
che et la réparation de fuites ont été négligées
par les agences responsables du réseau. Plu­
sieurs plans d’urgence n’ont pas suffi à remé­
dier à la dégradation accélérée des tuyaux.
Parmi les quelque 390 000 Guadeloupéens,
combien subissent des coupures d’eau ? Il
n’existe aucune estimation précise. Certai­
nes de ces coupures sont liées aux fuites,
d’autres sont programmées par les autorités :
tout au long de la canalisation de Belle­Eau­
Cadeau, par laquelle transite 40 % de l’eau po­
table de l’île, des « tours d’eau » ont été lancés
au début des années 2010 afin d’assurer un
minimum de distribution. Quand les com­
munes de Saint­François et de Saint­Anne
disposent, par exemple, de l’eau courante
pendant toute une journée, les 80 000 habi­
tants de Capesterre­Belle­Eau, des Abymes et
de Goyave en sont privés et ainsi de suite,
tout au long de l’année.
L’alternance est organisée par un calendrier
dont le respect, selon le constat de la préfec­
ture régionale, est rare. Résultat : l’alimenta­
tion en eau potable en Guadeloupe est caté­
gorisée comme un « système très inefficace »
par les indicateurs de la Banque mondiale.
« Chez nous, l’eau est un accident », résume
Guadeloupe,
île en mal d’eau
La vétusté du réseau d’eau potable et l’obligation
de réguler la distribution en certains endroits
pénalisent des milliers d’habitants. L’épidémie
de Covid­19 est venue rappeler à l’Etat la précarité de
la situation, le forçant à tenter une nouvelle réforme
s’échappent plus dans la nature. A la veille du
week­end de la Toussaint, une de ces équipes
s’active encore pour remplacer quinze cana­
lisations d’une rue résidentielle de Saint­
François, dans l’est de la Grande­Terre.
Justin Coupin et ses employés se heurtent
tous les jours à la méfiance des habitants :
après tant de rénovations manquées et de
promesses non tenues par le passé, les Gua­
deloupéens sont désabusés. Venu demander
pourquoi son eau est coupée le temps des
travaux, un homme à vélo clôt la discussion
d’un « bla bla bla », sarcastique, avant de s’en
aller quand M. Coupin lui promet que le ré­
seau sera bientôt rétabli. Plus de 95 % des fui­
tes sont trouvées sur les branchements entre
les canalisations et les habitations, preuve
que le réseau principal reste, lui, en bon état.
C’est pour garder en mémoire ce type d’ensei­
gnement qu’elles sont désormais géolocali­
sées et archivées. Sur les cartes de Karuker’o,
la filiale locale de Suez chargée de la coordina­
tion des travaux d’urgence, la zone de Capes­
terre­Belle­Eau est recouverte de points rou­
ges et verts : plus de 900 fuites y ont été détec­
tées et un tiers réparé depuis le début de l’opé­
ration. « C’est le premier souffle d’une remise
en état globale, assure Cyrille Hammouda, di­
recteur de Karuker’o. On espère quand même
que tout ne s’effondrera pas à notre départ. »
LUTTES POLITIQUES
L’incertitude demeure tout de même impor­
tante : depuis vingt ans, la gouvernance de la
fameuse canalisation de Belle­Eau­Cadeau
Eddi Pilade, un habitant de Morne­à­l’Eau. Un fait l’objet de vives luttes politiques. Histori­
événement imprévisible, quelquefois heu­ quement, le Syndicat intercommunal d’ali­
reux, trop souvent source de souffrances. mentation en eau et d’assainissement de la
L’épidémie de Covid­19 est venue rappeler Guadeloupe (SIAEAG) est le responsable de
à l’Etat la précarité de la situation. Difficile de l’infrastructure ainsi que de la distribution
demander aux Guadeloupéens de se laver les AU MOINS  d’eau sur les régions qu’elle traverse.
mains plusieurs fois par jour quand les cou­ En 2015, certaines communautés de com­
pures se multiplient. Au moins quarante QUARANTE ÉCOLES,  munes décident d’en sortir après avoir ob­
écoles, deux lycées et un collège n’ont pu tenu, par la loi, la compétence de gestion de
rouvrir à la rentrée scolaire faute d’alimenta­
DEUX LYCÉES  l’eau. Mécontentes de l’état du réseau, elles
tion en eau pour assurer un niveau d’hy­ ET UN COLLÈGE  créent leurs propres régies de distribution
giène minimal et le fonctionnement des mais se fournissent toujours sur la canalisa­
cantines. La préfecture a utilisé les pouvoirs N’ONT PU ROUVRIR  tion Belle­Eau­Cadeau, restée dans l’escar­
étendus permis par l’état d’urgence sanitaire celle du syndicat. Depuis, elles doivent ache­
pour réquisitionner une dizaine d’entrepri­ À LA RENTRÉE, FAUTE  ter et vendre au SIAEAG de l’eau non traitée
ses et identifier les fuites. Quelque 2 500 D’ALIMENTATION  en fonction de leurs besoins, avant de la
d’entre elles ont été réparées sur 1 400 km de potabiliser dans leurs usines. Les conten­
canalisations, et 530 m3 d’eau par heure ne EN EAU tieux financiers se sont multipliés sur ces
0123
MARDI 1ER DÉCEMBRE 2020
Sur la RN 1, qui relie les communes
de Basse­Terre et de Pointe­à­Pitre.
En bas : Charles­Sylvestre Combet
devant une citerne d’eau publique,
sur la route de Petit­Marquisat.
PHOTOS : NICOLA LO CALZO POUR « LE MONDE »
transactions et creusent des dettes croisées
de plusieurs dizaines de millions d’euros.
Cet éclatement intervient au moment
même où le groupe Veolia, prestataire histo­
rique, quitte l’île. Ses missions et ses agents
sont transférés aux différents opérateurs :
le SIAEAG peine à absorber un triplement
de ses effectifs et hérite de graves carences
dans la gestion de la facturation. Dans les lo­
gements guadeloupéens, les conséquences
sont immédiates : pendant trois ans, David
Dumesnil, le fils du charpentier Dumé, ne
reçoit aucune facture. Un voisin, Patrice Sou­
prayen, n’apprend qu’en 2018 qu’il doit plu­
sieurs milliers d’euros, sans aucun détail
sur sa consommation. François, un autre
habitant du quartier, accumule des factures
mensuelles de 11,40 euros – le montant de la
seule location du compteur. « Je veux bien
payer si on m’explique, mais là c’est au petit
bonheur la chance, soupire­t­il. Un problème
semblable en Corse serait scandaleux, inac­
ceptable. Ici, personne ne réagit. »
Le SIAEAG voit augmenter le mécontente­
ment des Guadeloupéens, nombreux à ne
plus payer pour une eau qu’ils n’ont pas.
D’autant que l’image du syndicat est, à cette
période, écornée par la découverte de frais de
représentations jugés exorbitants – un an­
cien dirigeant a été condamné à un an de pri­
son ferme pour détournement de fonds
en 2019. « Dans certains cas, on remplaçait
l’eau par le champagne », ironise à l’époque
le président de la chambre régionale de la
Cour des comptes. « Nous allons être obligés
de forcer les collectivités à s’entendre », pré­
vient aujourd’hui le préfet, Alexandre Ro­
chatte. Le SIAEAG doit être dissous, au plus
tard, en janvier 2021. Le gouvernement sou­
haite qu’un projet de loi créant une structure
unique soit débattu au Parlement avant le
mois de septembre 2021. Ce syndicat mixte
ouvert (SMO) rassemblerait la région, le dé­
partement et toutes les intercommunalités
autour d’un premier objectif : mutualiser
l’ensemble des dettes pour débloquer de pro­
fonds conflits financiers.
A Capesterre­Belle­Eau, David Dumesnil ne
croit plus à un retour de l’eau dont il entend
parler depuis près de vingt ans. Autour du ré­
servoir construit par son père, des travaux
ont commencé : le conseil régional a engagé
3,4 millions d’euros dans le quartier dès 2018,
mais le chantier a été ralenti par le premier
confinement et n’est pas encore terminé.
UNE CITERNE DANS LE JARDIN
En plus du remplacement du château d’eau,
l’installation de deux pompes est prévue
pour faire remonter l’eau prélevée sur la cana­
lisation principale. Un investissement néces­
saire pour pallier les carences du réseau, mais
inutile si celui­ci avait été bien entretenu : la
simple gravité de Belle­Eau­Cadeau permet,
en théorie, de distribuer l’eau potable depuis
les réserves de la Basse­Terre jusqu’aux com­
munes les plus peuplées de la Grande­Terre.
Au bord de la route de Petit­Marquisat, José­
phine et Charles­Sylvestre Combet ont adopté
la même stratégie de contournement, à leur
échelle : ils ont installé une citerne et un petit
surpresseur dans leur jardin. Un budget de
700 euros pour être certains d’avoir de l’eau
pendant les coupures. Joséphine Combet,
âgée de 73 ans, ne pouvait plus supporter de
vider la cuvette des toilettes à l’aide de seaux.
« Merci au Seigneur de nous donner de l’eau de
temps en temps », soupire l’ancienne auxi­
liaire de vie. Dans la commune, la force de
l’habitude a accentué le sentiment de résigna­
tion. Aucune manifestation n’a été organisée
depuis 2015, quand les habitants avaient
bloqué plusieurs routes en signe de protesta­
tion contre les coupures. « On finit par être in­
dividualiste, regrette François, dans le quar­
tier des Rhoutiers. Dès qu’on a un peu d’eau,
on ne se bat plus pour ceux qui n’en ont pas. »
Du jardin de leur maison, François et sa
compagne aperçoivent l’océan Atlantique,
au­delà des bananeraies émaillant les pentes
du volcan de la Soufrière. Installés là depuis
plus de dix ans, ils ont toujours refusé de
boire l’eau du robinet. Un principe adopté
par beaucoup de Guadeloupéens. L’incerti­
tude persiste sur une possible contamina­
tion de l’eau au chlordécone, pesticide ultra­
toxique utilisé pendant plus de vingt ans sur
les champs de l’île. Amer, François le recon­
naît : « Celle du robinet, on ne la boit pas.
Même quand elle est là. » 
simon auffret
 CULTURE
0123
MARDI 1ER DÉCEMBRE 2020 | 25

Les dramaturges privés de leurs droits d’auteur
Le reconfinement a accentué la précarité de ceux qui écrivent pour le théâtre, malgré les aides de l’Etat

ENQUÊTE

U
n jour, peut­être, un
petit virus à la physio­
nomie insaisissable,
ayant réussi à mettre
le monde à l’arrêt pour de longs
mois, deviendra le héros d’une
pièce de théâtre, accompagné des
peurs et des dégâts qu’il a engen­
drés. Mais, en attendant ce jour, le
petit virus en question décime les
auteurs dramatiques. Le constat
est simple, et unanime, fondé sur
le principe de l’entonnoir : dans
une crise qui touche particulière­
ment la culture, et à l’intérieur de
celle­ci particulièrement le spec­
tacle vivant, les auteurs, maillon
déjà le plus fragile de la chaîne,
sont les plus fragilisés.
Pour les dramaturges au temps
du Covid­19, c’est en effet la dou­
ble, voire la triple peine. « Un
auteur n’est pas payé du tout pen­
dant la période où il écrit, c’est le lot
commun des écrivains, constate
Denise Chalem, vice­présidente
de la Société des auteurs et com­
positeurs dramatiques (SACD) et
elle­même dramaturge. Pour un
auteur de théâtre, il existe trois
sources de rémunération : les com­
mandes ou bourses d’écriture, qui
sont rares ; les droits d’auteur, prin­
cipale source de revenus ; et les re­
venus de l’édition, minimes en gé­
néral, les pièces de théâtre ne fai­
sant pas l’objet des mêmes volu­
mes de ventes que les romans ou
les essais. Les dramaturges, par
ailleurs, ne bénéficient pas du filet
de sécurité offert par le régime des
intermittents du spectacle, contrai­
rement à toutes les autres profes­
sions du spectacle vivant, artistes OLIVIER BALEZ
comme techniciens. »

Un paysage dévasté nes. Dans les deux cas, ils sont per­ C’est par exemple le cas de Rémi tère de la culture a donc fléché les « On sent un vrai désespoir, les
La mâchoire s’est refermée, sur­ dants dans la période actuelle, De Vos, signataire d’une trentaine aides principalement vers la
« On sent un vrai ailes sont coupées », confirme
tout sur ceux qui ne sont pas par avec des salles qui, quand elles de pièces jouées aussi bien dans le SACD, qui a mis en place deux désespoir, Jean­Michel Ribes, qui, depuis son
ailleurs metteurs en scène ou sont ouvertes, fonctionnent avec théâtre public que dans le privé, et fonds relevant du fonds d’ur­ poste de pilotage du Rond­Point,
comédiens. Avec une activité des jauges réduites, et des recettes un des rares auteurs de comédies gence gouvernemental : un fonds
les ailes sont s’inquiète, comme ses collègues,
théâtrale à l’arrêt depuis le diminuées en conséquence. » en France. Des autrices de la di­ spectacle vivant, et un fonds d’ur­ coupées » des conséquences en chaîne in­
16 mars, une timide reprise à la Comme ses collègues du Théâtre mension de Marie NDiaye, qui gence solidarité. Le premier duites par la crise. Aux comités de
JEAN-MICHEL RIBES
rentrée avec des salles en demi­ national de la Colline, du Rond­ avait trois pièces à l’affiche cette s’adresse aux auteurs qui ont tou­ lecture du TNS, de la Colline, du
Théâtre du Rond-Point
jauge, le couvre­feu puis le recon­ Point et du Théâtre Ouvert, à Paris, année, ou de Yasmina Reza, dont ché au moins la moitié de leurs re­ Rond­Point ou du Théâtre Ouvert,
finement intervenu le 29 octobre, autres structures dévolues à l’écri­ les textes sont très joués à l’étran­ venus en droits d’auteur, le se­ on constate que beaucoup des tex­
les droits d’auteur se sont évapo­ ture d’aujourd’hui, Stanislas Nor­ ger, notamment dans des pays cond à ceux qui n’atteignent pas tes, nombreux, qui affluent, sont
rés. Les ventes de pièces, très liées dey observe un paysage dévasté. anglo­saxons où l’activité est ces 50 %, ce qui est fréquent : la mais pour le moment rien n’a écrits pour un ou deux personna­
à l’activité théâtrale, ont baissé. « Même certains auteurs connus et complètement à l’arrêt, sont plupart des auteurs dramatiques abouti de ce côté­là, visiblement ges. « Les auteurs intériorisent qu’il
« Les amateurs achètent en géné­ reconnus se retrouvent en grande fortement impactées par la crise. sont obligés de travailler par parce que l’administration avait sera de moins en moins possible de
ral des textes lors d’une sortie au difficulté », signalent tant Denise Certains théâtres, ceux qui dé­ ailleurs pour pouvoir survivre. La mis en place une usine à gaz », monter des pièces chorales, re­
théâtre, ou pendant les festivals, re­ Chalem que Jean­Michel Ribes, le pendent de l’Etat principalement, SACD dit ainsi avoir aidé plus de déplore Stanislas Nordey. grette le patron du Rond­Point. Je
marquent aussi bien Claire David, directeur du Théâtre du Rond­ ont réglé aux auteurs des dédits 200 auteurs, pour un montant Il y a l’argent, nerf de la guerre, m’inquiète aussi des projets mort­
directrice du département théâtre Point, lui­même auteur d’une ou des droits compensatoires, cal­ total de 700 000 euros, chaque mais il y a aussi l’imaginaire, et les nés qui vont s’accumuler en raison
d’Actes Sud, que François Berreur, bonne vingtaine de pièces. culés souvent sur la jauge mini­ aide étant plafonnée à 1 500 euros multiples effets pervers induits de l’effet domino dû aux reports de
directeur des éditions Les Solitai­ male de spectateurs. D’autres non, par mois. par la crise. « Ce virus pulvérise nos programmation, et du désiste­
res intempestifs. L’annulation soit qu’ils estiment ne pas être en projets et nos rêves », se désole ment de certains producteurs. »
d’un festival comme Avignon, no­ mesure de le faire, soit qu’ils atten­ Multiples effets pervers l’autrice Pauline Bureau, qui pour­ C’est la grande angoisse de nom­
tamment, entraîne une forte chute La SACD dit avoir dent de savoir à quels reports de Le TNS et le Théâtre de la Colline, tant s’estime privilégiée, car elle bre d’auteurs, notamment les plus
des ventes de pièces de théâtre. » programmation ils vont pouvoir eux, ont utilisé les fonds de « L’Eté est aussi metteuse en scène et di­ jeunes, ceux qui devaient accéder à
« Suivant que l’on est à Paris ou
aidé plus de procéder. « Tout se négocie de gré à culturel et apprenant », opération rectrice de sa compagnie, La Part une certaine visibilité durant cette
en province, dans le théâtre privé 200 auteurs, pour gré avec chaque lieu en particu­ mise en place par les ministères des anges, qu’elle a réussi à sauver année maudite : tomber dans un
ou dans le public, les auteurs sont lier », constatent à la fois Sonia de la culture et de l’éducation na­ du marasme. A 40 ans à peine, elle trou dont ils ne pourront pas res­
payés soit au nombre de
un montant total Chiambretto, Christophe Pellet ou tionale, pour passer des com­ devait faire une création dans le sortir, chassés par d’autres, qui se
spectateurs, soit sur un pourcen­ de 700 000 euros, Pauline Bureau, trois auteurs qui mandes d’écriture, ou organiser saint des saints de la Comédie­ glisseront dans une époque plus
tage de la recette du spectacle, qui avaient plusieurs textes en jeu des ateliers animés par des Française, la salle Richelieu, et favorable. Stanislas Nordey et De­
se situe entre 9 % et 12 % en général,
chaque aide cette année. auteurs. « Il devait aussi y avoir donc entrer au répertoire de la nise Chalem, eux, veulent croire
résume Stanislas Nordey, direc­ étant plafonnée Les aides de l’Etat existent, mais une enveloppe pour les auteurs Maison, « ce qui n’est pas rien », ré­ que la période peut être un levier
teur du Théâtre national de les principaux intéressés ont par­ dramatiques dans l’enveloppe gé­ sume­t­elle sobrement. Sans sa­ pour une prise de conscience du
Strasbourg (TNS) et fervent défen­
à 1 500 euros fois du mal à s’y retrouver dans le nérale allouée aux commandes voir à ce jour si cette création sera sort des auteurs dramatiques.
seur des écritures contemporai­ par mois maquis des procédures. Le minis­ publiques à de jeunes créateurs, de nouveau possible à l’avenir. « C’est quand même sidérant que
la personne qui est à la base de
l’acte théâtral soit justement celle
Rémi De Vos, auteur : « Je n’ai touché aucun revenu depuis le mois de mars » qui est la plus négligée et la plus
mal payée », argumente le pre­
mier. « Quand on monte une pièce
2020 aurait dû être pour lui une an­ ler m’installer dans le Berry, ce qui aide à mes pièces, mise en scène par Christo­ sentiment indéfinissable, celui que tout aujourd’hui en France, tout le
née faste : il avait pas moins de neuf piè­ vivre modestement. Je m’en sors parce phe Rauck. En l’état actuel des choses, me file entre les doigts comme du sable, monde est payé, sauf l’auteur, réca­
ces à l’affiche, montées aussi bien par des que j’ai eu deux commandes de pièces, impossible de savoir à quoi ressemble­ encore plus que d’habitude. Cela s’appa­ pitule Denise Chalem. Si ce virus
metteurs en scène en vue comme Jean­ payées chacune 8 000 euros, au début de ront les tournées. Une troisième pièce, rente à une panne, clairement. pouvait au moins servir à avancer
Michel Ribes et Christophe Rauck – deux l’année, qui m’ont permis de traverser Sosies, devait être créée par le metteur en Un auteur, quelqu’un qui raconte des sur cette question… »
spectacles qui faisaient l’objet d’une lon­ les mois qui viennent de s’écouler, mais scène Alain Timar, au Théâtre des Halles, histoires, n’écrit pas “sur” un sujet, de Un jour, peut­être, le petit virus
gue tournée –, que par des petites compa­ les négociations avec ma banquière à Avignon, pendant le festival. Avignon, manière mécanique. Ce sont des per­ sans visage inspirera des histoi­
gnies dans le Off d’Avignon. L’auteur Rémi commencent à être un peu compli­ c’est la promesse d’être vu par de nom­ sonnages qui parlent à travers moi, et là res, tragiques ou comiques. Mais
De Vos, 57 ans, régulièrement joué aussi quées… Mes revenus sur les ventes de breux programmateurs, avec les réper­ ils sont aux abonnés absents… Je pense il y faudra sans doute du temps,
bien dans le théâtre public que dans le mes pièces [publiées aux éditions Actes cussions que cela implique. que ce qu’un auteur écrit de mieux le dé­ comme il en a été avec le sida. Le
privé, constate que « la précarité, inhé­ Sud] sont de l’ordre de 1 000 euros par Le confinement en tant que tel ne me passe toujours, mais pour pouvoir l’ac­ temps de l’imaginaire, du rêve, de
rente à [sa] vie, est devenue avec le Covid an. Je touche quelques centaines d’euros pèse pas outre mesure. L’existence ordi­ cueillir, il faut être dans un état de dispo­ l’échappée mentale hors des con­
vertigineuse ». Il raconte. en plus en tant que membre du comité naire d’un auteur qui vit à la campagne nibilité. J’écris des pièces qui font rire, tingences, qui ne se quantifie pas,
de lecture du Théâtre du Rond­Point. s’apparente elle­même à une sorte de mais qui reposent toujours sur une an­ ne se mesure pas au poids, ne se
« Je n’ai touché aucun revenu depuis Ma pièce Kadoc, mise en scène par confinement. Mais j’ai un mal de chien à goisse, à la base. Je sens que tout ce qu’on découpe pas en tranches, et peine
mars. Comme beaucoup de mes confrè­ Jean­Michel Ribes, devait jouer six se­ écrire, depuis le début de cette période. Je vit travaille inconsciemment, et ressor­ dans les temps que nous vivons à
res, cela fait des années que je vis avec maines au Théâtre du Rond­Point, puis me sens parasité, dans un état de pesan­ tira d’une manière ou d’une autre. Mais se transformer en espèces son­
très peu d’argent. J’ai fui Paris après l’at­ partir pour une longue tournée. Idem teur permanente. Dès que je m’approche quand, telle est la question… »  nantes et trébuchantes. 
tentat de Charlie Hebdo, en 2015, pour al­ pour Départ volontaire, une autre de de mon ordinateur, je suis pris par un propos recueillis par f. da. fabienne darge
 0123
26 | culture MARDI 1ER DÉCEMBRE 2020

Barney Wilen Cinéma : un Livre blanc pour lutter

et Tete Montoliu,
premier contact
contre les violences sexuelles
Un collectif propose d’aller plus loin que les mesures prises par le CNC
Sortie d’un concert inédit du saxophoniste
et du pianiste donné à Grenoble en 1988

JAZZ
O n a toujours appelé le pia­
niste catalan Vincente
Montoliu (1933­1997),
« Tete ». Quant à Bernard Jean
Wilen (1937­1996), de mère fran­
çaise et de père américain, il aura
eu ce génie poétique de transmuer
son nom en « Barney Wilen ».
Barney & Tete : le saxophoniste
(ténor et soprano) de légende et le
pianiste mythique, pour la pre­
mière fois ensemble. Ce concert,
inédit, vient d’être publié en un
double album. Vendredi 12 fé­
vrier 1988 à Grenoble : Barney a
50 ans, Tete, 54. Riccardo Del Fra, à
peine 32 ans, contrebasse, fera of­
fice de go­between : d’une énorme
présence tout du long, volume, in­
vention mélodique et swing impa­
rables. Quant à Aaron Scott (Chi­
cago, né en 1956), batteur au CV di­
gne d’un Prix Nobel des cymbales,
des deux côtés de l’Atlantique, il est
de bout en bout d’une furia exacte.
L’idée de cette réunion hors
festival vient de Jacques Panisset,
directeur de Grenoble Jazz Festi­
val. Inédit retrouvé grâce au DAT
(Digital Audio Tape) que Barney
Wilen branche sur les tables de
mixage afin de garder une trace.
Qualité sonore exceptionnelle.
Jordi Soley, Patrick Wilen, fils de
Barney, et Martine Palmé, sa fi­
dèle agente, assurent une édition
soignée. Textes de Philippe Vin­
cent et Ashley Kahn, page de sou­
venirs de Riccardo Del Fra, photo­
graphies de Jean­Philippe Pichon,
un coffret de toute beauté.
Ils pratiquent
la même syntaxe :
le style le plus
moderne issu du
be-bop, fusion,
acrobaties
harmoniques
lancent posément et fermement
vers L’Ame des poètes, la chanson
de Charles Trénet.
Feu d’artifice sans artefact. La
musique à l’état chimiquement
pur. Ce n’est certes pas le réper­
toire qui va dérouter. Ou alors, à
l’envers : Billie’s Bounce, ‘Round
Midnight, Summertime, La Valse
des lilas, Autumn Leaves, Someday
My Prince Will Come en coda…
Tout réinventé avec cet art du récit
spontané. Barney Wilen, lunettes
d’intellectuel dont s’affublent
aujourd’hui les pitres de télévi­
sion, élégance inégalable, main­
tien d’un prince indifférent, re­
vient de son septième retrait. Tout
passé (Amérique, free, psychotro­
pes, séjour en Afrique, rencontres
avec musiciens touareg, autres…)
aboli comme on l’oublie, lui, à heu­
res fixes, sauf un noyau de fidèles.
Un lundi après­midi de 1986, il
découvre, dans une librairie pari­
sienne, une BD de Paringaux et
Loustal, récit illustré plutôt : Bar­
ney et la note bleue. Passé l’irrita­
tion première, poussé par
Philippe Petit, un de ces grands
guitaristes modestes qui font que
S
ix minutes pour dire une
vie de femme, de réalisa­
trice et d’actrice. Six mi­
nutes pour raconter ses
prises de conscience successives.
« Vers 5 ans, je me suis fait abuser
par un inconnu dans la cage
d’escalier de mon immeuble »,
commence Agnès Jaoui avant de
décrire une dizaine d’événements
qui racontent cinquante ans de
confrontation à la violence et au
sexisme.
« Vers 11 ans, je me suis fait abu­
ser par mon oncle. A 12 ans, j’ai
commencé un régime. (…) Vers
25 ans, une directrice de casting
m’a dit qu’ils recherchaient pour
un film d’auteur une actrice prête à
se faire sodomiser en vrai. (…) Vers
30 ans, quand j’allais à l’étranger,
j’étais très fière de clamer qu’en
France nous étions 20 % de fem­
mes réalisatrices. Vers 34 ans, je me
suis rendu compte que 80 % des
films étaient réalisés par des hom­
mes et je me suis demandé pour­
quoi j’avais été aussi fière d’un
pourcentage aussi nul. »
Une mission loin d’être achevée
Cette introspection de l’actrice­
réalisatrice a saisi l’auditoire de la
troisième édition des Assises
pour l’égalité, la parité et la diver­
sité dans le cinéma et l’audiovi­
suel, organisées par le collectif
50/50, les 25 et 26 novembre, à Pa­
ris. Créé en février 2018, 50/50
s’était donné jusqu’à 2020 pour
faire progresser la parité et la di­
versité dans le milieu du cinéma
et de l’audiovisuel.
Deux ans après, le collectif es­
time, chiffres à l’appui, que sa mis­
sion est loin d’être achevée.
« En 2019, 76 % des films produits
sion a été signée par la majorité
des associations représentatives
du métier, celle qui engage les fes­
tivals à favoriser la parité a été si­
gnée par 156 d’entre eux à travers
le monde et la Bible 50/50, un an­
nuaire de professionnels incar­
nant la « diversité », a été adoptée
par France Télévisions pour at­
teindre son objectif minimal de
30 % de réalisatrices pour ses fic­
tions. En introduction de ces assi­
ses, la ministre de la culture, Ro­
selyne Bachelot, a aussi tenu à
rappeler deux autres avancées : le
« bonus parité » instauré par le
CNC et le conditionnement des
aides du CNC au respect des obli­
gations légales en termes de pré­
vention du harcèlement sexuel.
Des mesures proposées lors des
Assises de 2019, quelques jours
après le séisme provoqué par le té­
moignage d’Adèle Haenel dans
Mediapart. « Lutter contre le
harcèlement et les violences sexuel­
les est dans l’ADN du collectif, qui
est né à la suite de l’affaire Weins­
tein, rappelle Sandrine Brauer.
Mais nous avions essentiellement
travaillé sur la répartition du pou­
voir. Après la prise de parole d’Adèle
Haenel, nous ne pouvions pas ne
pas nous emparer de cette question
comme d’une priorité absolue. »
Ces derniers mois, le collectif
s’est attelé à la rédaction d’un Li­
vre blanc, guide pratique destiné
aux professionnels du cinéma et
de l’audiovisuel pour lutter con­
50/50 appelle
à engager des
formations pour
tous les métiers
du cinéma
tre le harcèlement et les violences
sexuelles. « On s’est appuyé sur
l’existant : le droit pénal et le droit
du travail, explique la coprési­
dente du collectif. On a tenté de
comprendre pourquoi ils sont si
mal appliqués dans nos métiers. »
Dans ce texte, le collectif pro­
pose d’aller plus loin que les me­
sures prises par le Centre national
du cinéma et de l’image animée
(CNC). Depuis le mois d’octobre,
des formations obligatoires de
sensibilisation ont été mises en
place pour les entreprises du ci­
néma, de l’audiovisuel et du jeu
vidéo qui prétendent aux aides
du CNC. 50/50 appelle à engager
des formations pour tous les
métiers du cinéma et pas pour les
seuls producteurs, distributeurs
et vendeurs, comme c’est le cas
actuellement.
Les réalisateurs ne sont ainsi
pas concernés par cette forma­
tion, alors même que plusieurs
ont été accusés de harcèlement
ou d’agressions sexuelles – der­
nier en date, David Moreau a été
écarté du tournage de son pro­
chain film après avoir été accusé
d’agression sexuelle par une tech­
nicienne. Il ne s’est pas exprimé
sur cette affaire.
Si 50/50 salue la décision du
CNC de conditionner ses aides au
respect des obligations telles que
définies par la loi, le collectif
relève une lacune : en effet, la loi
prévoit un référent harcèlement
sexuel et agissements sexistes
pour les entreprises de plus de
250 salariés. Or les sociétés qui
comptent de tels effectifs dans le
cinéma français sont très rares.
« Il faut adapter cette disposition à
la réalité de l’industrie et exiger au
moins un référent au sein de
l’équipe du film, tout au long de la
vie de l’œuvre – tournage, tournée,
festivals », préconise le collectif.
Et la suite ? « Consacrer notre
énergie à élaborer des mesures et
des outils concrets pour réaliser
nos objectifs de parité, d’égalité et
de diversité. » Agnès Jaoui, elle­
même membre du collectif
50/50, rappelait combien le re­
nouvellement de la création est
étroitement lié à la diversité de
celles et ceux qui fabriquent les
images : « Je crois qu’une série télé
avec un président noir peut aider à
faire élire Barack Obama. Je crois
que des représentations répétées
de femmes filiformes, jeunes, blan­
ches et soumises n’aident pas à
l’épanouissement des femmes, ni à
celui des hommes. » 
zineb dryef

Feu d’artifice sans artefact

Pour des musiciens de ce niveau,
l’idée de première rencontre est
doublement excitante. Ils se con­
naissent à distance. A la hauteur
des géants du jazz qu’ils ont tous
deux côtoyés, ils pratiquent la
même syntaxe : le style le plus mo­
derne issu du be­bop (Bird, Monk,
Gillespie, Bud Powell, Miles Davis,
etc.), fusion, acrobaties harmoni­
ques, simplicité. Supposition : vous
lancez la première plage de Barney
& Tete, avant d’en savoir plus.
Comme ça. Pour voir. Tapis ! Vous
entendrez ceci : applaudissements
de courtoisie – les musiciens en­
trent en scène, j’imagine, on guide
Tete Montoliu, non­voyant, vers le
clavier. Silence de cathédrale. Un
son qu’on croit ténu naît du rien.
Soprano puis ténor et basse, quel­
ques notes de piano au loin.
Se cherchent­ils ? Font­ils l’ac­
cord ? Et s’ils ne cherchaient rien ?
S’ils étaient toujours déjà en train
de jouer ? Et là, vous n’en croyez
pas vos yeux, le ténor et la basse se
le jazz est le jazz, Barney Wilen en­
registre avec Alain Jean­Marie
(piano), Del Fra et Sangoma
Everett une sorte de bande­son
pour BD, La Note bleue. Vif succès.
Public douché à l’élixir de jeu­
nesse, tournées, triomphes. Là­
dessus, Grenoble lui propose une
rencontre inédite, Barney & Tete.
Le reste, vous le dénicherez à la
« Galerie j’farfouille » des clichés
désirés : Barney dandy, surdoué,
météore, étoile filante, sublime
nonchalance, jazz attitude au bout
des ongles, astre noir, vie dépassée
ou déchirée, au choix, par l’hé­
roïne et les amours perdues. Or, ce
qui retient, c’est le contraire. Une
fidélité sans faille à l’idée qu’il se
fait de la musique, sa morale du
jeu. Articulation, phrasé, diction
qui ne mentent jamais. Ce qu’il dé­
montre, le plus naturellement du
monde, avec Montoliu, un soir à
Grenoble. 
francis marmande
Barney & Tete, 1 coffret de 2 CD
Elemental Music.
ont été réalisés par des hommes,
88 % pour les œuvres audiovisuel­ LE SALON DES
les. Il n’y a pas de parité dans les
équipes. Les salaires des scénaris­
FORMATIONS ARTISTIQUES
tes et réalisatrices sont de 30 % à
40 % inférieurs à ceux des
hommes, déplore Sandrine
Brauer, productrice et coprési­
dente du collectif. On ne peut pas
accepter ça. »
Des victoires ont toutefois été
obtenues au cours de ces derniè­
res années : la charte pour l’inclu­ 2 JOURS EN LIVE
5 & 6 DÉCEMBRE
Les réalisateurs ne
sont pas concernés CHOISIS TON ORIENTATION !
par cette Lives • Tchats • Inscriptions aux JPO
sensibilisation. • Conférences par les journalistes de Télérama
Or plusieurs + Rendez-vous personnalisés avec
ont été accusés les écoles et les étudiants
de harcèlement
ou d’agressions
sexuelles

D I SPA R I TI O N que (1971), de Stanley Kubrick, mais comme d’autres produc­

Mort de Dave Prowse,
Dark Vador à l’écran
L’acteur britannique Dave
Prowse, qui a incarné le per­
sonnage de Dark Vador dans la
première trilogie de La Guerre
des étoiles, s’est éteint, samedi
28 novembre, à l’âge de 85 ans,
a annoncé son agent. Celui qui
avait représenté l’Angleterre en
haltérophilie pour les Jeux du
Commonwealth, au début des
années 1960, avait décroché le
rôle grâce à sa carrure – il me­
surait 1,98 m. Mais comme son
fort accent de Bristol (ouest de
l’Angleterre) avait été jugé peu
approprié, la voix du person­
nage avait été confiée à James
Earl Jones. Dave Prowse avait
auparavant interprété le
monstre de Frankenstein dans
Casino Royale (1967) et appa­
raissait dans Orange mécani­
en tant que garde du corps de
l’écrivain. – (AFP.)
S É R I E S T É L É VI S É ES
Polémique autour de
la nature fictionnelle
de « The Crown »
Le ministre britannique de la
culture, Oliver Dowden, a es­
timé que Netflix devrait claire­
ment indiquer que sa série à
succès The Crown, consacrée
à la famille royale, est une
fiction, sans quoi le public
risque de se méprendre. Selon
le Mail on Sunday, qui milite
en ce sens, le ministre va for­
mellement demander au
géant américain de la vidéo en
ligne d’introduire un avertisse­
ment au début de chaque épi­
sode pour expliquer que l’in­
trigue est romancée. « C’est une
magnifique œuvre de fiction,
tions TV, Netflix devrait être très
clair dès le début sur le fait que
ce n’est que ça, a déclaré Oliver
Dowden. Sans cela, je crains
qu’une génération de téléspec­
tateurs qui n’ont pas connu ces
événements prennent la fiction
pour la réalité. » La quatrième
saison de The Crown retrace
notamment la rencontre et le
mariage entre le prince
Charles et Lady Di, l’héritier de
la couronne y apparaissant en CONNECTE-TOI
époux froid et infidèle. Les
propos du ministre de la LE-START.COM
culture font écho à de récentes
déclarations du frère de Lady
Di, Charles Spencer, plaidant
pour un avertissement au
début de chaque épisode. La
quatrième saison en comporte
un qui montre à l’écran les
troubles du comportement
alimentaire de Lady Di . – (AFP.)
0123
MARDI 1ER DÉCEMBRE 2020
Sur France Musique, Lang Lang livre sa partition intime
Le pianiste chinois évoque sa formation et surtout son enregistrement des « Variations Goldberg », de Bach
FRANCE MUSIQUE
MARDI 1ER - 6 H 35 ET 22 H 35
ÉMISSION
P
arfois, il faut peu de
chose pour se réconcilier.
Il y a fort à parier que les
cinq épisodes enregistrés
par Priscille Lafitte sur France Mu­
sique avec le pianiste Lang Lang,
longtemps mal aimé en France et
un peu trop rapidement qualifié
de « rock star de la musique classi­
que » permettent ce miracle.
Chaque épisode commence par
un extrait des Variations Gold­
berg que le pianiste, né en Chine
en 1982, a enregistrées pour
Deutsche Grammophon en mars
dans l’église Saint­Thomas de Lei­
pzig, fief de Jean­Sébastien Bach,
où il est enterré. « Pouvoir enregis­
trer là­bas, c’était comme être tout
près du paradis », confie d’emblée
Lang Lang. A l’entendre, on ne
saurait le contredire.
Humilié quotidiennement
Largement biographique, l’épi­
sode 1 s’intéresse à la jeunesse du
pianiste originaire de Shenyang,
« ville industrielle aux hivers très
durs ». Dans la famille, il y a la mère
– dont il parle peu – et le père, qui
jouait de l’erhu, sorte de violon tra­
ditionnel chinois à deux cordes.
Un père qui n’hésite pas à déclarer
à l’enfant : « Il faut que tu sois le
meilleur pianiste au monde. »
Tommaso Buscetta, fils maudit de Cosa Nostra
Marco Bellocchio retrace le parcours de celui qui est considéré comme le premier vrai « repenti » de la Mafia sicilienne
CANAL+
MARDI 1ER - 21 H 10
FILM
O n n’attendait pas forcé­
ment Marco Bellocchio
dans cette saignante spé­
cialité italo­américaine qu’est le
film de mafia. Mais son entrée sur
ce territoire nous rappelle qu’il n’a
jamais cessé, en un certain sens,
de filmer la Mafia, à travers tous
les corps constitués cadrés depuis
un demi­siècle par son objectif.
Loin de la fascination qui carac­
térise les films de ce genre, Marco
GRILLE N° 20 - 280
PAR PHILIPPE DUPUIS
1 2 3 4 5 6
I
II
III
IV
V sans distinction. IX. Donnes des cou-
VI
VII
VIII
IX
X
SOLUTION DE LA GRILLE N° 20 - 279
HORIZONTALEMENT I. Jargonneuses. II. Ubu roi. PAO. III. Base. Pro. Uri.
IV. Ise. A-peu-près. V. Lorgnons. Cri. VI. Au. Aînesse. VII. Trais. Sée. OS.
VIII. Ide. Et. Toisa. IX. Oira. Obéirai. X. Néantiserait.
VERTICALEMENT 1. Jubilation. 2. Abasourdie. 3. Ruser. Aéra. 4. Gré. Gai.
An. 5. Oô. Anisé. 6. Nippon. Toi. 7. Rênes. Bs. 8. Epoussetée. 9. Ua. Seoir.
10. Source. Ira. 11. RER. Osai. 12. Saisissait.
20 - 280 daté mardi 1er décembre.indd 1
Le pianiste Lang Lang, le 3 septembre, à Pékin. GREG BAKER/AFP
A 18 mois, Lang Lang reproduit à
l’oreille les mélodies des dessins
animés (notamment la Rhapsodie
hongroise no 2 de Franz Liszt dans
un épisode de « Tom et Jerry »).
A 5 ans, il passe son premier con­
cours. Et il a 6 ans quand ses pa­
rents déménagent à Pékin pour
qu’il puisse tenter d’intégrer le
conservatoire (épisode 2). Là, sa
professeure – qu’il surnomme
Bellocchio choisit son terrain, qui
n’est autre que celui en lequel il se
reconnaît. Celui du « traître » à
la cause, du fils maudit, de celui
par qui le scandale arrive. Cet
homme existe, il s’appelle Tom­
maso Buscetta (1928­2000) et il
est considéré comme le premier
vrai « repenti », grâce à la collabo­
ration duquel le juge Giovanni
Falcone, responsable du pool an­
timafia de Palerme, pénétrera les
arcanes du mouvement et citera à
comparaître, en 1986, lors d’un
« maxi­procès » mémorable, quel­
que 400 mafieux.
7 8 9 10 11 12
« Madame Colère » – l’humilie
quotidiennement. A cela s’ajoute
la pression de son père. Lang Lang
quitte la Chine pour les Etats­Unis.
Parmi ses mentors, il y a le chef
d’orchestre allemand Christoph
Eschenbach, puis Daniel Baren­
boim (« l’une des personnes les plus
intelligentes que je connaisse ») et
Nikolaus Harnoncourt, le célèbre
violoncelliste et chef d’orchestre
Le film, auquel certains spécia­
listes reprochent de s’écarter par­
fois de la réalité historique, évoque
l’installation de Buscetta au Brésil
avec une femme native de ce pays,
où il se livre au trafic de drogue.
Bellochio revient aussi sur la
guerre foudroyante déclarée en Si­
cile par le clan de Corleone, qui
massacre à tour de bras ses rivaux,
entre 1981 et 1983. Le rôle détermi­
nant de Salvatore Riina, alias le
fauve, chef du clan de Corleone,
véritable machine à tuer, respon­
sable de centaines d’homicides
dans la carrière qui le mène à la
HORIZONTALEMENT
I. Sans preuves, elles ne pèsent rien.
II. Rognera sur tout. Ne vaut pas
grand-chose chez le lapin. III. Ouver-
ture de compte. Quand le public ne
veut pas de VO. IV. Galère de l’amiral.
Cap espagnol, entre Alicante et
Valence. Cité antique. V. Remplissent
les caisses du banquier. Préposition.
Chez les Grecs. VI. Patron dans
la Manche. Tentative. VII. Peintures
religieuses. Equipai le bâtiment.
VIII. Un titre chez Elizabeth. A com-
battu contre la paix. Tout le monde
leurs. Lecteur fidèle. X. S’intéressent
aux hommes et à leur travail.
VERTICALEMENT
1. Ouvert aux opinions et différences
des autres. 2. Reprendre la discus-
sion. 3. Préposition. Edenté et pares-
seux. Tour d’Italie dans la montée.
4. Sur la portée. A bonne distance.
Drame à Tokyo. 5. Circulent dans les
airs. Grande assemblée de cardinaux.
6. Population asiatique. Entraîne
l’Europe dans l’espace. 7. Ramassées
pour infractions. Oncle d’Amérique.
8. Distribua des pains. Double tout.
9. Ouvre le loquet. Devait surveiller
Io. 10. Bouscule le monde des actions.
A consommer avec modération.
11. Souverain d’Ethiopie. Sa fille
serait restée vierge. 12. Devenus
inféconds.
26/11/20 11:26
autrichien, figure de proue de la
musique baroque, qui lui donne
les clés pour comprendre Mozart
et la confiance nécessaire pour
oser le jouer (épisodes 3 et 4).
Dans le dernier épisode – sans
aucun doute le plus intéressant,
car le moins directement biogra­
phique, où Lang Lang plonge au
cœur de la musique –, il explique
comment il s’est blessé en répé­
tête de Cosa Nostra. Buscetta
échappe au massacre et apprend à
distance l’assassinat de tous ses
proches, y compris ses deux fils
qui n’avaient pas d’implication
dans l’organisation.
Lorsqu’il est arrêté par la police
brésilienne puis remis à la justice
italienne, Buscetta, ivre d’une rage
froide contre le démentiel bain de
sang auquel s’est livré Riina, envi­
sage, après une tentative de sui­
cide, de faire ce que, peu ou prou,
aucun membre de l’organisation
n’avait osé faire avant lui : rompre
avec la sacro­sainte omerta, autre­
SUDOKU
N°20­280
6 2
5 2
2 5
4 3 9
7 8
3 1
5 8 4 3
Réalisé par Yan Georget (https://about.me/yangeorget)
& CIVILISA TIONS
NS
& CIVILISATIO
CARTHAGE,
ESPAGNE,
GAULE,
GRÈCE…
ROME CONQUIERTE
LA MÉDITERRANÉ
télévision | 27
tant le Concerto pour la main gau­
che de Ravel. Une méchante in­
flammation à la main gauche
l’oblige à arrêter de jouer pendant
un an et demi. Il faudra attendre
2018 pour qu’il se remette aux
Variations Goldberg. Il travaille
son interprétation de l’œuvre
composée initialement pour cla­
vecin par Jean­Sébastien Bach
avec et au côté d’Andreas Staier. Le
pianiste et pianofortiste alle­
mand, également claveciniste, est
« l’homme de la situation ».
Pour Lang Lang, il semblerait
que ce travail ait constitué une
étape déterminante dans sa com­
préhension de l’œuvre de Bach.
Tout comme il est probable que
cette interruption forcée ait été bé­
néfique pour son jeu, lui permet­
tant d’appréhender différemment
le temps. « Respiration et gestion
du temps : c’est ce qu’il y a de plus
important dans la musique. Il faut
savoir où prendre le temps, et com­
bien de temps prendre pour la res­
piration. On joue toujours avec le
temps pour arriver à la bonne inter­
prétation. » A l’écouter, on a effecti­
vement le sentiment de respirer
mieux et plus grand. 
émilie grangeray
Les grands entretiens : Lang Lang,
animé par Priscille Lafitte. Cinq
volets diffusés du 30 novembre au
4 décembre. A la demande sur
France Musique.
ment dit s’assumer comme traître
à la « société des hommes d’hon­
neur ». Voilà qui suffit à faire de
Tommaso Buscetta un magnifi­
que personnage de tragédie, et à
offrir à son interprète, Pierfran­
cesco Favino (50 ans), jamais aussi
attachant que chez Bellocchio,
l’occasion d’une prestation pleine
de conviction et de grâce. 
jacques mandelbaum
Le Traître, de Marco Bellocchio.
Avec Pierfrancesco Favino,
Maria Fernanda Candido, Luigi
Lo Cascio (It., 2019, 145 min).
2 8 9 3 5 6
3 7 5 2 1 4
6 1 4 8 7 9
1 1 3 2 4 6 5 9
5 9 7 1 3 8
1 9 8 4 6 9 2 7
7 2 3 6 4 1
4 5 8 7 9 2
9 6 1 5 8 3
9 3 Très facile
Complétez toute la
1 grille avec des chiffres
allant de 1 à 9.
6 Chaque chiffre ne doit
être utilisé qu’une
5 seule fois par ligne,
par colonne et par
carré de neuf cases.
HORS-SÉRIE
UN HORS-SÉRIE
DE 148 PAGES - 9,90 E
CHEZ VOTRE
MARCHAND DE JOURNAUX
VOTRE
SOIRÉE
TÉLÉ
MARDI  1 ER   DÉCEMBRE
TF1
21.05 Manifest
Série. Avec Melissa Roxburgh,
Joshua Dallas, Alex Morf (EU, 2020).
23.05 Manifest
Série. Avec Melissa Roxburgh,
Joshua Dallas, Matt Long (EU, 2020).
France 2
21.05 Prodiges
Divertissement présenté par
Marie-Sophie Lacarrau.
23.30 Chef d’orchestre,
symphonie pour un cerveau
Documentaire de Jean-Pierre
Devillers (Fr., 2020, 60 min).
France 3
21.05 Un mensonge oublié
Téléfilm d’Eric Duret. Avec Sara
Martins, Théo Frilet, Antoine Duléry
(Fr., 2018, 95 min).
22.40 Un crime oublié
Téléfilm de Patrick Volson.
Avec Corinne Touzet, Michèle Moretti
(Fr., 2012, 90 min).
Canal+
21.10 Le Traître
Film de Marco Bellocchio.
Avec Pierfrancesco Favino,
Maria Fernanda Candido
(It.-Fr., 2019, 160 min).
23.30 Donnybrook
Film de Tim Sutton. Avec Jamie Bell,
Margaret Qualley (EU, 2018, 100 min).
France 5
20.50 Arctique,
la guerre du pôle
Documentaire d’Agnès Hubschman
(Fr., 2020, 90 min).
23.30 C à vous
Magazine présenté par
Anne-Elisabeth Lemoine.
Arte
20.50 Main basse sur l’eau
Documentaire de Jérôme Fritel
(Fr., 2018, 90 min).
22.20 La Guerre commerciale
des superpuissances : les USA,
la Chine et l’Europe
Documentaire de Jens Niehuss
(All., 2020, 55 min).
M6
21.05 La France
a un incroyable talent
Divertissement.
23.00 La France a un incroyable
talent, ça continue
Divertissement.
0123 est édité par la Société éditrice
du « Monde » SA. Durée de la société :
99 ans à compter du 15 décembre 2000.
Capital social : 124.610.348,70 ¤.
Actionnaire principal : Le Monde Libre (SCS).
Rédaction 67-69, avenue Pierre-Mendès-France,
75013 Paris. Tél. : 01-57-28-20-00
4 7 1
8 6 9 Abonnements par téléphone au 03 28 25 71 71
2 5 3 (prix d’un appel local) de 9 heures à 18 heures.
8 7 Depuis l’étranger au : 00 33 3 28 25 71 71.
Par courrier électronique :
6 4 2
1 3 5 abojournalpapier@lemonde.fr.
Tarif 1 an : France métropolitaine : 399 ¤
5 9 8
3 1 6 Courrier des lecteurs
7 2 4 Par courrier électronique :
courrier-des-lecteurs@lemonde.fr
Médiateur : mediateur@lemonde.fr
Internet : site d’information : www.lemonde.fr ;
Emploi : www.talents.fr/
Collection : Le Monde sur CD-ROM :
CEDROM-SNI 01-44-82-66-40
Le Monde sur microfilms : 03-88-04-28-60
La reproduction de tout article est interdite
sans l’accord de l’administration. Commission
paritaire des publications et agences de presse
n° 0722 C 81975 ISSN 0395-2037
Présidente :
Laurence Bonicalzi Bridier PRINTED IN FRANCE
67-69, avenue
Pierre-Mendès-France
75013 PARIS
Tél : 01-57-28-39-00
Fax : 01-57-28-39-26
L’Imprimerie, 79, rue de Roissy,
93290 Tremblay-en-France
Montpellier (« Midi Libre »)
Origine du papier : France. Taux de fibres recyclées : 100 %.
Ce journal est imprimé sur un papier UPM issu de forêts gérées
durablement, porteur de l’Ecolabel européen sous le N°FI/37/001.
Eutrophisation : PTot = 0.009 kg/tonne de papier
 IDÉES
0123
28 | MARDI 1ER DÉCEMBRE 2020

VACCINATION ANTI-COVID-19, MODES D’EMPLOI

Si un vaccin contre le virus est véritablement disponible
dans les prochains mois, il faudra encore déterminer les conditions
dans lesquelles il sera accessible. Et convaincre les plus réticents

Rustam Romaniuc et Angela Sutan

Des stratégies pour faire accepter la vaccination
Face à la frilosité des Français, les deux portementales. Nous devons
aujourd’hui utiliser ces connais­
spécialistes de l’économie comportementale sances pour rendre le vaccin plus
proposent différentes idées pour les encourager acceptable et plus facile d’accès. Il
existe ainsi une série de solutions
à se faire vacciner, sans les y contraindre qui s’appuient sur les facteurs
exprès (opt­in). A l’université
américaine Rutgers, un groupe de
chercheurs a envoyé une lettre à
408 employés de l’université
pour les informer d’une campa­
gne de vaccination contre la
(opt­in) : 92 % des employés du
premier groupe ont maintenu
leur rendez­vous, alors que seule­
ment 50 % du deuxième groupe
ont fait la démarche nécessaire
pour se faire vacciner.
sée en Sierra Leone, qui visait à
encourager les parents à vacciner
leurs enfants contre la grippe
(« Social Incentives for Childhood
Immunization in Sierra Leone »,
Anne Karing, Innovations for Po­

A
lors que les annonces
récentes de différents
laboratoires pharma­
ceutiques ont redonné
un peu d’espoir, les
réactions de défiance
qui ont suivi parmi les popula­
tions, en particulier en France,
ont eu l’effet d’une douche froide.
Cela rappelle à quel point il est
important que le travail sur les so­
lutions techniques soit accompa­
gné de politiques qui visent à
changer les croyances et les com­
portements des citoyens.
Le constat est aujourd’hui alar­
mant. Le hashtag #antivax fait un
tabac sur les réseaux sociaux.
Entre accusations infondées vi­
sant les grands groupes pharma­
ceutiques, le milliardaire améri­
cain Bill Gates qui aurait créé le
virus afin de s’enrichir avec la
vente des vaccins, ou encore Elon
Musk [le patron de Tesla] qui refu­
serait de faire vacciner ses en­
fants, les théories complotistes
envahissent nos écrans – le der­
nier épisode en date étant le do­
cumentaire Hold­up, diffusé en li­
gne, censé démontrer les men­
songes sur le Covid­19.
Ces phénomènes qui font la
« une » des médias ne sont que la
partie visible de l’iceberg. Sur
13 000 personnes interrogées
dans 19 pays, une sur trois refuse­
rait de se faire vacciner, même si le
vaccin était approuvé et recom­
mandé par les autorités compé­
tentes (« A Global Survey of Poten­
tial Acceptance of a COVID­19 Vac­
cine », Jeffrey V. Lazarus et alii,
Nature Medicine, 20 octobre).
Encore plus inquiétant, un
Français sur deux affirme qu’il ne
se fera pas vacciner (sondage
Odoxa­Dentsu Consulting pour
France Info et Le Figaro publié le
12 novembre). Ces chiffres indi­
quent qu’il sera probablement
difficile d’atteindre l’immunité
collective, même des mois après
la distribution massive des vac­
cins contre le Covid­19.
La question de savoir comment
changer des comportements col­
lectivement coûteux n’est pas
nouvelle et a fait l’objet de nom­
breux travaux en sciences com­
psychologiques et culturels et qui
ont fait leurs preuves quand il
s’agit d’encourager des compor­
tements civiques. Les autorités
publiques pourraient s’en inspi­
rer pour inciter à moindre coût
les citoyens à se faire vacciner. La
décision de faire don de ses orga­
nes après sa mort, une décision
importante posant des questions
morales, est un des exemples
classiques qui pourrait fournir
des enseignements en matière de
vaccination.
Faible coût de mise en œuvre
Une étude réalisée il y a plusieurs
années suggérait qu’il est possi­
ble de faire basculer le choix
des individus en changeant tout
simplement sur les formulaires
l’option par défaut (« Do Defaults
Save Lives ? », Eric J. Johnson,
Daniel Goldstein, Science, 21 no­
vembre 2003). Les pays où les
taux de consentement au don
d’organe sont les plus élevés pré­
sument que chacun est donneur,
sauf décision contraire (opt­out),
alors que les pays où les taux de
consentement sont très faibles
demandent un consentement
grippe (« Opting In vs Opting Out
of Influenza Vaccination », Gret­
chen Chapman, Meng Li, Helen
Colby et alii, Journal of the Ameri­
can Medical Association n° 304/1,
2010). Les employés ont été divi­
sés en deux groupes sans qu’ils le
sachent. Ceux du premier groupe
ont reçu un message avec la date,
l’heure et l’endroit de leur rendez­
vous pour se faire vacciner. Leur
rendez­vous avait été programmé
automatiquement, mais ils pou­
vaient se désister à tout moment
(opt­out). L’autre groupe a reçu un
message lui demandant de choi­
sir une date pour se faire vacciner
IL EXISTE UNE SÉRIE
DE SOLUTIONS
QUI S’APPUIENT
SUR LES FACTEURS
PSYCHOLOGIQUES
ET CULTURELS
Une autre stratégie compor­
tementale efficace est celle qui re­
pose sur la pression par les pairs.
Par exemple, au lieu d’instaurer
une vaccination obligatoire,
comme le préconisent certains
politiques, les autorités pour­
raient s’inspirer des campagnes
de don de sang ou pour encoura­
ger des actes citoyens tels qu’aller
voter, en offrant des badges, stic­
kers ou encore des bracelets.
Ces outils simples et peu coû­
teux permettent à celles et ceux
qui le souhaitent de signifier pu­
bliquement leur adhésion aux
principes de base de la science et
leur volonté de contribuer au bien
commun en se vaccinant. Plus le
nombre de personnes affichant
un sticker ou un bracelet sera
important, plus celles et ceux qui
n’en porteront pas ressentiront le
besoin de le faire à leur tour par
mimétisme ou par désir d’appar­
tenir à un groupe plus large. Les
stickers montrant qu’on est allé
voter sont même devenus l’acces­
soire à la mode pendant l’élection
présidentielle aux Etats­Unis.
Cette stratégie a été utilisée lors
d’une expérience de terrain réali­
verty Action, 12 décembre 2018).
L’effet s’est avéré particulière­
ment fort quand les participants
à l’étude étaient informés des
bienfaits du vaccin, pour eux
mais aussi pour les autres mem­
bres de leur communauté.
Ces outils ne représentent pas la
solution magique. Mais au vu de
leur faible coût de mise en œuvre,
le retour sur investissement, qui
se mesure en nombre de vies sau­
vées, est potentiellement consi­
dérable. Leur mise en place peut
également soulever des questions
éthiques, qui devront être abor­
dées avec des experts en la ma­
tière pour assurer une meilleure
transparence et éviter que cer­
tains citoyens ou citoyennes ne se
sentent exclus ou manipulé 
Rustam Romaniuc et
Angela Sutan sont ensei-
gnants-chercheurs en économie
expérimentale et comporte-
mentale à la Burgundy
School of Business, à Dijon

Thomas Breda Des données essentielles manquent encore

Selon l’économiste, le seul moyen de ne plus imposer aux Français des « interdits drastiques sur la base de présomptions »
est de s’informer sur l’environnement et la situation des personnes positives au SARS­CoV­2

L
es gens se contaminent­ils dans les
restaurants ? Dans les bars ? Au su­
permarché ? A l’école ? Dans les
taxis ? Au travail ? A l’heure où le
déconfinement se dessine, ces questions
sont déterminantes pour décider ce
qu’on peut de nouveau autoriser et ce
qu’il faut encore interdire ; et nombreux
sont ceux qui se demandent pourquoi, à
l’heure du big data et malgré tous les ef­
forts qui semblent déployés, on n’a tou­
jours pas de réponses claires. En tant que
chercheur dont le métier consiste princi­
palement à analyser des données statisti­
ques, je tente ici de proposer quelques
explications.
Il y a essentiellement deux approches
pour comprendre la propagation du vi­
rus. La première est médicale et biologi­
que. Il s’agit d’étudier le virus directe­
ment, ses propriétés, par exemple sa sur­
vie sur différents matériaux, dans l’air,
dans les lieux clos… Ou la contagiosité
des personnes avec et sans symptômes,
des enfants, etc. A partir des connaissan­
ces qui progressent doucement grâce à la
recherche médicale, on commence à
se faire une idée des risques principaux
de contamination.
La seconde approche est épidémiologi­
que à partir de données statistiques. Il
s’agit d’examiner qui a contracté le virus
(et quand) afin d’en tirer des conclusions.
Le principe est simple : si les enfants pro­
pagent fortement le virus parmi les adul­
tes, alors on devrait voir que les parents
ont été davantage infectés, et plus tôt
dans les vagues épidémiques. Idem pour
les restaurants : s’ils sont des lieux de pro­
pagation, alors les gens qui ont eu le virus
devraient être plus nombreux que la
moyenne à être allés au restaurant la se­
maine précédant leur infection. Et pour
savoir si les masques les protègent effecti­
vement, on peut examiner si les serveurs
sont surreprésentés parmi les personnes
ayant contracté le virus récemment. Il y a
bien sûr quelques précautions à prendre
et des pièges méthodologiques à éviter,
mais ces intuitions peuvent assez vite se
transformer en certitudes quantifiées si
l’on calibre les modèles adéquats sur des
données suffisamment riches.
Savoir comment le virus se propage
Cette seconde approche statistique est es­
sentielle pour confirmer les résultats de
la recherche médicale. En effet, certaines
situations peuvent être en théorie très
propices à la propagation du virus, mais
en pratique s’avérer peu dangereuses.
C’est le cas des écoles, par exemple :
même si les enfants sont asymptomati­
ques, des études ont montré qu’ils con­
tractent aussi le virus et peuvent en sécré­
ter une quantité importante. Pour autant,
il ne semble pas que la propagation se
fasse massivement par les enfants, pour
des raisons que la recherche médicale
semble encore mal comprendre.
Le seul moyen de transformer des in­
tuitions en certitudes, et donc d’arrêter
d’imposer à 67 millions de Français des
interdits drastiques uniquement sur la
base de présomptions, c’est d’avoir des
données individuelles sur les personnes
ayant contracté le virus, permettant de
savoir ce qu’elles font en général (métier,
situation familiale, etc.) et, si possible,
ce qu’elles ont fait juste avant d’avoir
été diagnostiquées positives. Or, nous
n’avons toujours pas de telles données.
Pourtant, ce n’est pas si compliqué.
Il y a essentiellement deux moyens de
récolter ces données. La première, et
aussi la plus coûteuse, consiste à consti­
tuer un large échantillon représentatif de
la population et à lui poser tout un tas de
questions à plusieurs moments dans le
temps, notamment concernant la santé
et les symptômes du Covid­19. Cela s’ap­
pelle une « cohorte épidémiologique ».
De ce côté­là, la France fait figure de
bonne élève : l’Institut national de la
santé et de la recherche médicale (In­
serm) et le ministère de la santé ont lancé
sur ce modèle, dès le mois d’avril, l’en­
quête EpiCov auprès de 200 000 person­
nes, dont 100 000 auront des tests séro­
logiques permettant ainsi de détecter
aussi les asymptomatiques. Cela devrait
permettre d’apprendre beaucoup de
choses sur la propagation réelle du virus.
Cependant, du fait de logiques de compé­
tition entre institutions publiques, un
délai de neuf mois a été retenu avant que
l’ensemble de la communauté des cher­
cheurs puisse accéder aux données,
même dans un cadre très contrôlé (ce qui
est toujours le cas pour les recherches à
partir de données sensibles). A l’heure
des confinements à répétition, ne de­
vrait­on pas plutôt tout faire pour aider
les chercheurs à collaborer et à travailler
tous ensemble le plus tôt possible sur
ces questions si urgentes ?
Venons­en à la seconde approche. Il
s’agit cette fois de récolter des données
un peu riches directement sur les per­
sonnes positives au SARS­CoV­2 : leurs
métier, situation familiale, activités ré­
centes, comment elles pensent avoir
contracté la maladie, etc. Cela n’a pas été
fait : on se contente de descendre l’arbre
des contaminations en cherchant les cas
contacts, mais on ne fait pratiquement
rien pour le remonter, ce qui permettrait
pourtant de bien mieux comprendre
comment le virus se propage.
Avec plus de 1 million de personnes dé­
tectées positives, on pourrait avoir des
données formidables permettant de sa­
voir quels profils sont surreprésentés
parmi les malades, qui a été infecté en
premier, etc. Il suffirait en effet de com­
parer les personnes qui ont contracté le
virus avec les données très riches de la
statistique publique sur la prévalence de
différents métiers, les activités typiques
des individus durant une semaine don­
née et le temps qu’ils y passent, etc.
Donnons un exemple de l’intérêt de
telles données à l’échelle mondiale. Mi­
novembre est sortie dans la revue Nature
ce qui est peut­être à ce stade l’étude épi­
démiologique la plus aboutie, et qui con­
clut notamment que les restaurants sont
des lieux importants de propagation
(« Mobility Network Models of COVID­19
Explain Inequities and Inform Reope­
ning », Serina Chang, Emma Pierson,
Pang Wei Koh et al., Nature, 10 novem­
bre 2020). L’étude est évidemment par­
faitement réalisée à partir de données
extrêmement riches (récoltées grâce aux
téléphones portables puis anonymisées)
permettant de connaître heure par heure
l’ensemble des déplacements indivi­
duels à l’échelle d’une ville.
Pour autant, concernant l’épidémie
elle­même, les chercheurs ne disposent
que du nombre total de cas quotidiens
dans la ville et n’ont presque aucune
information sur les personnes contami­
nées. Ils doivent donc faire des hypothè­
ses très fortes pour conclure que les gens
se contaminent dans les restaurants,
tout simplement parce qu’ils n’ont pas
d’information sur cela, même indirecte,
dans leurs données. Tant que cette infor­
mation n’aura pas été collectée à grande
échelle, on n’aura aucune certitude.
Les données récoltées sur les person­
nes positives seraient évidemment ano­
nymisées et leur participation rendue fa­
cultative. Si on demandait aux person­
nes positives si elles sont d’accord pour
répondre à un court questionnaire ano­
nyme afin d’aider la recherche sur la pro­
pagation du Covid­19, la grande majorité
accepterait sans hésiter. Il n’est donc
peut­être pas trop tard pour bien faire. 
Thomas Breda est chercheur au
CNRS, à l’Ecole d’économie de Paris
et à l’Institut des politiques publiques
0123
MARDI 1ER DÉCEMBRE 2020 idées | 29

Miquel Oliu-Barton et Bary Pradelski

Qui doit être prioritaire, et selon quels critères ?
Le mathématicien et l’économiste établissent
ports en commun, travailleurs/travailleu­
la liste des personnes à vacciner en priorité. ses du sexe ». Mais pourquoi, alors, en
Car, selon eux, il faut savoir, en temps de crise, faire une priorité ?
D’abord, pour les empêcher de devenir
conjuguer égalité, fraternité… et efficacité des super­contaminateurs : ils ont, du
fait de leur activité, plus de risques d’être
infectés. Les cibler est donc une mesure
gnant, vacciner les connexionnistes doit
donc être une priorité. Ce n’est cepen­
dant pas l’unique catégorie qu’il faudrait
ajouter. Il en reste une, tout aussi essen­
tielle : les voyageurs. En effet, d’après la
revue Science, si la plupart des contami­
nations ont lieu dans la sphère familiale
Une telle hiérarchie des personnes et
des territoires, distinguant des priorités,
pourra surprendre : ne va­t­elle pas à
l’encontre de l’égalité ? En réalité, elle
s’avère plus juste, plus équitable : elle
réduit les écarts régionaux, s’agissant
du risque de contracter le Covid­19 ; elle

V
accins… enfin, le mot est lâché, et
les nouvelles s’accumulent. Nous
les avions attendus, voilà qu’on
nous les annonce. Pourtant, les
vaccins ne suffisent pas. Ils sont une
opportunité, certes. Encore faut­il la sai­
sir. En effet, que vaut une campagne de
vaccination, si elle n’est pas suivie par
la majorité ? Plusieurs enquêtes révèlent
que près de 40 % des Français ne sou­
haitent pas se faire vacciner contre le
Covid­19, alors que ce chiffre est de l’ordre
de 25 % en moyenne dans le monde.
L’enjeu est immense pour les pouvoirs
publics : comment agir face à cette dé­
fiance ? Peut­être faudrait­il, dès à pré­
sent, associer les citoyennes et les ci­
toyens à la prise de décision, en partici­
pant à la définition des types de
personnes et de territoires prioritaires ?
Un effort pédagogique autour du vaccin
à venir semble de mise pour permettre
à tout un chacun de saisir les enjeux.
La responsabilité individuelle doit aller
de pair avec la fraternité, sans quoi cette
crise pourrait se pérenniser.
Ce sont donc quelques pistes que nous
souhaiterions ici exposer, pour répon­
dre à cette question, simple en appa­
rence, mais en réalité éminemment
complexe : qui vacciner en priorité ?
Selon quels critères ? Comment hiérar­
chiser tout cela ? Nous avons proposé
une politique de vaccination juste,
acceptable et efficace dans Terra Nova
le 2 octobre (« Une politique de vaccina­
tion par zones »). Là où les deux pre­
miers impératifs permettent d’assurer la
cohésion sociale, le troisième est vital
pour minimiser le nombre de cas graves
de Covid­19, et raccourcir ainsi cette pé­
riode de détresse économique et sociale.
Super-contaminateurs probables
Jusqu’à présent, c’est l’équité qui a sur­
tout retenu l’attention. Ainsi, à l’échelle
européenne, par exemple, l’UE s’est en­
gagée à garantir une répartition propor­
tionnelle du vaccin entre les Etats mem­
bres. En outre, tout le monde s’accorde
pour donner la priorité aux personnes
les plus vulnérables (du fait de leur âge,
ou de leurs comorbidités) et au person­
nel soignant. Ces deux points d’accord
sont importants pour sauvegarder le
projet européen. Pourtant, l’équité et
la fraternité ne peuvent pas, à elles seu­
les, éradiquer le virus.
Dans un rapport du mois de juillet,
un consortium autour du conseil scien­
tifique identifie une catégorie de person­
nes en plus sur lesquelles il est essentiel
de mettre l’accent : les « connexionnis­
tes ». Derrière ce mot étrange, une réa­
lité : certaines personnes sont au cœur
de nombreuses interactions sociales. Ce
sont « les personnels au contact de la
population : commerçants, guichets de la
fonction publique, banques, enseignants,
personnel hôtelier, restaurants, trans­
efficace pour réduire la circulation du vi­
rus : les protéger eux, c’est protéger toute
la population. Ensuite, il faudra donner
la priorité à certains connexionnistes.
C’est une question de justice. Bien sûr,
en cas d’infection, un connexionniste de
60 ans risquera moins de développer une
forme grave de Covid­19 qu’un retraité de
75 ans. Cependant, du fait de sa fonction,
il risque beaucoup plus d’être infecté.
Le risque de développer une forme
grave de Covid­19 dépend ainsi, cruelle­
ment, du métier exercé. En plus des per­
sonnes vulnérables et du personnel soi­
PROTÉGER
LES PERSONNES
QUI SE DÉPLACENT
D’UNE ÉVENTUELLE
RÉIMPORTATION
DU VIRUS
EST CRUCIAL
SI NOUS VOULONS
ÉVITER DES RETOURS
EN ARRIÈRE
ou sociale, les voyages sont déterminants
dans la circulation générale du virus.
Gérer la pandémie de manière durable
D’une part, les voyageurs ont un risque
élevé de contracter et de transmettre
le virus, notamment lorsqu’ils partent
d’une zone rouge. D’autre part, leur
traçage est rendu particulièrement diffi­
cile car la transmission s’opère entre
de parfaits inconnus. Les personnes de­
vant voyager pour des impératifs profes­
sionnels, médicaux ou encore familiaux
devraient, elles aussi, être prioritaires
pour le vaccin, en particulier lorsqu’elles
circulent de manière régulière entre des
zones rouges et des zones vertes. Proté­
ger ceux qui se déplacent d’une éven­
tuelle réimportation du virus est crucial
si nous voulons éviter des retours en
arrière, dont nous serions toutes et tous
les victimes.
Cette question des zones vertes et rou­
ges doit aussi, naturellement, constituer
un critère dans la distribution du vaccin
sur l’ensemble du territoire. Comment
ne pas voir, dans les circonstances excep­
tionnelles que nous affrontons, qu’il se­
rait trop simpliste de fixer, pour chaque
région, des quotas de doses de vaccin en
fonction de la population ? Les territoires
les plus touchés doivent être prioritaires.
Se focaliser sur les zones rouges, c’est
s’attaquer directement à la circulation du
virus. Résultat ? La population dans son
ensemble en ressort mieux protégée.
assure la protection des zones les moins
touchées, en attendant que le vaccin
soit massivement distribué. D’ailleurs,
si l’on souhaite encore protéger davan­
tage les zones vertes, pourquoi ne pas
envisager de limiter les voyages prove­
nant des zones rouges, en imaginant,
par exemple, un test négatif, un disposi­
tif d’isolement de sept jours, ou même
un certificat de vaccination pour
chaque voyageur ?
Après avoir eu recours au confine­
ment national une deuxième fois, le
temps est venu de gérer cette pandémie
de manière durable. Pour la première
fois, le brouillard se dissipe et nous
laisse entrevoir la fin de cette longue
épreuve. Saisirons­nous l’opportunité ?
L’arrivée imminente du vaccin ouvre
une voie encourageante, mais il est
nécessaire de définir une stratégie de
vaccination qui ait du sens. Egalité,
fraternité et efficacité doivent nous
guider dans cet ultime effort collectif.
Notre liberté en dépend. 
Miquel Oliu-Barton est maître
de conférences en mathématiques
à l’université Paris-Dauphine, PSL ;
Bary Pradelski est chargé de recher-
che en économie au CNRS et membre
associé du Oxford-Man Institute.

David Malpass L’objectif de la Banque mondiale

est de permettre la vaccination de 1 milliard de personnes
L’institution financière internationale, qui a validé une enveloppe de 12 milliards de dollars pour aider les pays en développement,
doit relever un triple défi logistique, sanitaire et humain, estime le président du groupe de la Banque mondiale

A
vec l’impact dévastateur
de la pandémie de
Covid­19 sur la santé pu­
blique, les sociétés et les
économies pourraient faire bas­
culer 150 millions de personnes
dans l’extrême pauvreté d’ici à
la fin 2021. Les pays ne pourront
se relever que lorsque les popula­
tions seront en mesure de
reprendre le cours de leur vie
avec confiance. Afin de protéger
les vies et les moyens de subsis­
tance, nous devons garantir la
distribution des vaccins, dès que
ceux­ci seront disponibles. Cette
tâche représente un défi im­
mense, en particulier pour les
pays en développement.
Les laboratoires Pfizer­BioN­
Tech et Moderna ont chacun
annoncé l’arrivée imminente
d’un vaccin, et d’autres essais
vont aboutir prochainement. La
question n’est donc plus de savoir
si un vaccin sera disponible, mais
quand et comment le mettre à la
disposition de tous. Il est primor­
dial que les pays à revenu faible
et intermédiaire aient un accès
équitable aux vaccins, au profit
avant tout des personnes qui en
ont le plus besoin. La réussite de
la vaccination nécessitera aussi
de renforcer les systèmes de
santé et les capacités logistiques.
C’est là que le groupe de la Ban­
que mondiale est appelé à jouer
un rôle­clé. En octobre, nous
avons approuvé une enveloppe
de 12 milliards de dollars (soit
10 milliards d’euros) pour aider
les pays en développement à se
procurer et à distribuer vaccins,
tests et traitements. La Société
financière internationale (IFC),
notre branche réservée au sec­
teur privé, mobilise 4 milliards de
dollars en faveur des fabricants
de vaccins et produits connexes.
Nos experts en santé publique,
passation des marchés, transport
et logistique sont à l’œuvre dans
le monde entier.
Améliorer transport et stockage
Notre objectif est de permettre
la vaccination d’un milliard de
personnes. Au­delà de l’achat des
vaccins, leur diffusion à grande
échelle exige une planification
minutieuse, un personnel quali­
fié et des infrastructures sanitai­
res fiables. A cet égard, trois
aspects sont essentiels.
Premièrement, la logistique. Les
gouvernements devront amélio­
rer le transport et le stockage
afin d’assurer la conservation des
vaccins. Certains auront besoin
d’aide pour atteindre les zones
reculées, augmenter leur capacité
de stockage, mettre en place une
chaîne du froid et renforcer les
structures de santé. Nous nous
inspirerons des pays d’Afrique de
l’Ouest et centrale, qui sont par­
venus à distribuer un vaccin
contre Ebola nécessitant un stoc­
kage à − 60 °C (soit des conditions
comparables à celles du vaccin de
BioNTech­Pfizer) grâce à des blocs
de glace sèche acheminés à moto
jusqu’aux villages isolés.
Deuxièmement, la vaccination
elle­même. Aujourd’hui, la plu­
part des pays ne vaccinent que
les nourrissons. Il leur faudra
établir un ordre de priorité :
soignants, personnes âgées ou
à risque, enseignants, forces de
police, commerçants, etc. Les
pays devront également rétablir
d’autres services de santé qui ont
été perturbés. Il faudra garantir
que les vaccins soient effective­
NOUS DEVONS
ADOPTER UNE
VISION GLOBALE
ET RENFORCER
LA RÉSILIENCE,
CAR DE
NOUVELLES CRISES
SURVIENDRONT
À L’AVENIR
ment distribués et inoculés, y
compris la seconde dose requise
pour la plupart d’entre eux. L’in­
novation technologique peut y
contribuer. Au Pakistan, la Ban­
que a soutenu la lutte contre la
polio grâce à des outils numéri­
ques permettant de localiser les
infections, guider les vaccina­
teurs et suivre la progression
des vaccinations. Ce type d’outils
peut aider à se prémunir contre
les risques de vol, de détourne­
ment ou de fraude.
Efforts sanitaires plus vastes
Troisièmement, l’acceptation par
la population. Les Etats pour­
raient être confrontés à un scepti­
cisme généralisé quant à la
sécurité de vaccins mis au point
à une vitesse record. Les récentes
épidémies d’Ebola ont souligné
l’importance de renforcer la
confiance dans la vaccination.
En République démocratique du
Congo, cela a consisté à recruter
du personnel local, à associer les
chefs communautaires et reli­
gieux, et à communiquer dans
les langues locales pour contrer
la désinformation.
Notre objectif au cours des cent
prochains jours sera d’aider au
moins cent pays à se préparer à
déployer les tests, traitements et
vaccins anti­Covid. Nous tra­
vaillons en étroite coordination
avec l’Alliance du vaccin Gavi, le
fonds des Nations unies pour
l’enfance (Unicef), l’Organisation
mondiale de la santé (OMS), la
Coalition pour les innovations
en matière de préparation aux
épidémies (CEPI) et le Fonds
mondial, et apportons un sou­
tien financier et technique. Nous
commencerons par aider les pays
à évaluer leur état de préparation,
à chiffrer leurs besoins et à ren­
forcer leurs systèmes de santé.
IFC a récemment investi dans le
laboratoire indien BioE et prévoit
d’aider d’autres pays à dévelop­
per la production locale lorsque
les vaccins seront disponibles.
Parmi les solutions innovantes
figurent la reconversion des
canaux de distribution alimen­
taire pour l’acheminement des
vaccins et l’utilisation de block­
chains pour suivre la livraison.
L’engagement du groupe de la
Banque mondiale dans la vacci­
nation s’inscrit dans la conti­
nuité de sa réponse d’urgence à la
pandémie. Dans 112 pays, nos
projets contribuent à sauver des
vies et à renforcer les systèmes
de santé. Nous avons aidé le Yé­
men et l’Ethiopie à améliorer
leurs installations et à acheter du
matériel médical. En Afghanis­
tan, notre soutien a renforcé les
laboratoires de diagnostic. Nous
avons aidé l’Egypte à lancer une
campagne nationale de préven­
tion et à maintenir les services
médicaux courants. Nous avons
aussi aidé l’Argentine, l’Equateur,
l’Indonésie, Haïti, le Sénégal, la
Somalie et l’Ukraine à se procurer
du matériel médical.
Le défi que représente la distri­
bution des vaccins anti­Covid
montre la nécessité de disposer
de systèmes de santé solides et
inclusifs dans chaque pays. Nous
devons adopter une vision glo­
bale et renforcer la résilience, car
de nouvelles crises surviendront
à l’avenir. L’urgence de la vaccina­
tion peut en outre favoriser
des efforts sanitaires plus vastes,
comme en Afghanistan et au Ni­
geria, où les dispositifs de vaccina­
tion ont renforcé les soins primai­
res en améliorant la logistique et
la gestion de la chaîne du froid.
Je suis convaincu que nous pou­
vons mettre en place une coali­
tion internationale inédite pour
relever un défi qui nous affecte
tous, riches ou pauvres, dans cha­
que pays. Je forme le vœu que ce
moment soit un véritable tour­
nant qui nous amène à reconnaî­
tre que la santé de chacun dépend
de la santé de tous. 
David Malpass est
président du groupe
de la Banque mondiale

30 | idées
Filmer les policiers, un droit bafoué avant
même la loi sur la « sécurité globale »
ANALYSE
E
tre visé au Flash­Ball lors­
que l’on filme un rassem­
blement. Se voir confisquer
son matériel de captation
pendant une manifestation. Faire
l’objet d’une interpellation dans
l’exercice de ses fonctions. Ces en­
traves au droit d’informer sont déjà
familières des journalistes couvrant
les mouvements sociaux, avant
même l’éventuelle adoption de la
proposition de loi sur la « sécurité
globale » votée en première lecture
par les députés, mardi 24 novembre.
Elles reflètent une tension crois­
sante entre la presse et la police
dans les banlieues, puis dans les
manifestations.
L’article 24 de ce texte prévoit de
pénaliser d’un an de prison et
45 000 euros d’amende le fait de dif­
fuser des images d’un policier ou
d’un militaire « dans le but manifeste
qu’il soit porté atteinte à son intégrité
physique ou psychique ». Rapporteur
du texte, le député (LRM) Jean­Michel
Fauvergue, anciennement chef du
RAID – unité d’intervention de la po­
lice nationale –, a justifié cette dispo­
sition par une volonté de « reprendre
le pouvoir dans la guerre des images ».
Le tournant dans la couverture mé­
diatique des mouvements sociaux
remonte à la mobilisation de 2016
contre la « loi travail ». Les journalis­
tes, aidés par des smartphones de
plus en plus sophistiqués et le déve­
loppement des réseaux sociaux
permettant des captations en direct,
rendent compte de l’émergence du
« cortège de tête » et des échauffou­
rées qui l’accompagnent.
Surtout, un nombre toujours crois­
sant de vidéos amateurs et profes­
sionnelles dévoile des actes policiers
particulièrement brutaux lors des
rassemblements. Une mise en lu­
mière qui attise de vives tensions
entre les forces de l’ordre et les jour­
nalistes. Les barrages filtrants avec
EN 2018,  déployées par les forces de l’ordre, al­
LE MOUVEMENT DES  nalistes aux menaces verbales. Des
« GILETS JAUNES »  dans les cortèges contre la réforme
CONSTITUE  des retraites. Le 11 janvier 2020, une
UN TOURNANT DANS  tège a ainsi essuyé un tir de grenade
LA BANALISATION  situé au quatrième étage.
DES VIOLENCES  Une circulaire de 2008 rappelle
POLICIÈRES
Pandémie | par selçuk
fouille de sacs se multiplient, en
même temps que les injonctions à
« baisser son téléphone » pendant
certaines mobilisations.
En juin 2016, après trois mois de
contestation, plusieurs syndicats de
la profession dénoncent des « exac­
tions » à l’encontre de reporters,
allant de coups de matraque à des
blessures à la suite de tirs de grena­
des, en passant par des dégradations
de matériel. « Les journalistes sont
devenus des cibles privilégiées pour
une partie importante des forces de
l’ordre », accusent les syndicats.
Deux ans plus tard, le mouvement
des « gilets jaunes » constitue un
tournant dans la banalisation de ces
pratiques. Il devient impérieux pour
tous les journalistes couvrant les ma­
nifestations de « s’équiper ». Après la
manifestation du 1er décembre 2018,
marquée par d’intenses violences
dont le saccage de l’Arc de triomphe,
la direction du Monde distribue à ses
reporters brassards « presse », cas­
ques, lunettes et masques.
Méthodes d’intimidation
Sur le terrain, ce matériel de protec­
tion est régulièrement confisqué
aux journalistes qui sont contraints
d’apprendre à jouer au chat et à la
souris avec les policiers pour
contourner les barrages, et de dissi­
muler leur attirail de travail pour
accéder aux rassemblements. Le
20 avril 2019, alors qu’il couvre l’acte
XXIII des « gilets jaunes », le vidéaste
indépendant Alexis Kraland est in­
terpellé au motif que sa caméra cons­
titue « une arme par destination ».
Selon le Syndicat national des jour­
nalistes (SNJ), 200 journalistes ont
été empêchés de travailler lors des
manifestations de « gilets jaunes ».
Gaspard Glanz, Rémi Buisine, Taha
Bouhafs font partie des dizaines de
journalistes placés en garde à vue à la
suite d’une manifestation. La grande
majorité est relâchée sans faire l’ob­
jet de poursuites judiciaires.
Même lorsque l’accès au cortège est
possible, filmer un rassemblement
se révèle souvent être une gageure
face aux méthodes d’intimidation
lant des armes pointées sur les jour­
méthodes observées notamment
étudiante en train de filmer le cor­
lacrymogène dans son appartement
pourtant que « les policiers ne peuvent
s’opposer à l’enregistrement de leur
LE SORT DE  MENTOR MEURTRI
L’ARTICLE 24, 
DONT L’ADOPTION  l a servi quatre présidents et évolué pendant quarante
COMPROMETTRAIT  Sarkozy, ami intime de François Hollande, mentor d’Em­
LA LIBRE  nets, noircis tout au long d’une carrière politico­administra­
INFORMATION SUR  tive au plus haut niveau, pour écrire ses Mémoires, L’Envers
LES MOBILISATIONS  beaux postes de la République – du Trésor à l’ambassade de
QUI AGITENT LE  crit « en contraire de Machiavel », doté d’une « spontanéité
PAYS, EST INCERTAIN
image lorsqu’ils effectuent une mis­
sion ». Ces captations sont­elles réali­
sées pour porter atteinte aux forces
de l’ordre ? Dans l’immense majorité
des cas, non. Elles rendent compte de
mouvements sociaux marquants.
Mais brandir un smartphone dans un
cortège est devenu une manière de se
protéger d’éventuelles bavures poli­
cières. Les journalistes ne sont pas
exempts de cette inquiétude d’être la
cible de violences des forces de l’or­
dre. Or, si les policiers obtiennent
l’adoption d’une loi entravant la cap­
tation des images de violences, on
peut se demander qui protégera à
l’avenir manifestants et journalistes.
Les déclarations du ministre de
l’intérieur, Gérald Darmanin, le 2 no­
vembre, assurant que « [sa] promesse
de ne plus pouvoir diffuser l’image des
policiers et des gendarmes sur les
réseaux sociaux » serait « tenue », ne
sont guère rassurantes. Pas plus que
celles de la ministre déléguée à la ci­
toyenneté, Marlène Schiappa, affir­
mant lundi 23 novembre que le
nouveau texte permettrait « aux ma­
gistrats de dire si le journaliste doit
être condamné » après avoir filmé
des policiers.
Certes, le scandale déclenché par la
diffusion, jeudi 26 novembre, de la
vidéo du tabassage de Michel Zecler a
contraint le gouvernement à davan­
tage de prudence. Le sort du fameux
article 24, dont l’adoption compro­
mettrait la libre information sur les
mobilisations qui agitent le pays, est
incertain.
Face aux méthodes d’intimidation
vécues sur le terrain, les journalistes
ont besoin de règles claires affirmant
leurs droits et ceux des forces de l’or­
dre, afin de limiter les contentieux et
les violences. C’est d’autant plus ur­
gent que, intimidés et inquiets, nom­
bre de reporters sont déjà contraints
d’abaisser leurs téléphones lorsqu’ils
couvrent des manifestations. 
cécile bouanchaud (lemonde.fr)
0123
MARDI 1ER DÉCEMBRE 2020
LE LIVRE
JEAN-PIERRE JOUYET,
I
ans au cœur du pouvoir. Ancien ministre de Nicolas
manuel Macron, Jean­Pierre Jouyet, 66 ans, a vidé ses car­
du décor. Ce fils de notaire normand, ayant cumulé les plus
France à Londres en passant par la Caisse des dépôts –, se dé­
parfois excessive », et d’une « indécrottable
candeur ». L’ancien secrétaire général de
l’Elysée (2014­2017) a en effet toujours eu la
réputation de dire ce qu’il pensait, loin de
l’habituelle langue de bois technocratique.
Il ne se censure pas davantage ici.
C’est avec Emmanuel Macron, son « an­
cien protégé », qu’il se montre le plus sé­
vère. Avec une amertume teintée de tris­
tesse, Jean­Pierre Jouyet conte un amour
déçu : il a accompagné « Emmanuel » vers
les sommets, en le présentant à François
Hollande avant 2012, puis en appuyant sa
nomination à Bercy en 2014, avant de se
faire snober par le président, un « séducteur
indifférent » qui n’a soudain plus jugé utile
de répondre à ses SMS. « Je suis passé en l’es­
L’ENVERS DU DÉCOR pace de 24 heures du statut de mentor à celui
de Jean-Pierre Jouyet d’infréquentable (…) devenu gênant, encom­
Albin Michel, brant », écrit­il. Critiquant l’« immobilisme
320 pages, 20,90 euros agité » de Macron, Jouyet juge sévèrement
le quinquennat. Il décrit une gouvernance
ultracentralisée et dysfonctionnelle : une
haute fonction publique livrée à elle­même ; une décision po­
litique lente et opaque ; des députés LRM inexpérimentés et
hors­sol et des ministres, pour la plupart, inconnus.
Hollande et son « addiction » aux journalistes S’il affirme
entretenir les meilleures relations avec Nicolas Sarkozy, qui
l’a nommé secrétaire d’Etat aux affaires européennes
en 2007, c’est avec François Hollande, qu’il connaît depuis
l’ENA, que les liens restent les plus intenses. De cet « être
d’exception », Jouyet connaît la plupart des tentations et des
petites faiblesses, comme son « addiction » aux journalistes
ou sa propension à remettre au lendemain. « Je te connais,
si tu me dis plus tard, c’est que tu ne le feras jamais », dit­il à
son ami qui souhaite différer la mise à l’écart de Valérie Trie­
rweiller, alors que cette dernière vient de le désavouer publi­
quement avec un Tweet soutenant l’adversaire de Ségolène
Royal aux législatives de 2012.
Le « coup audacieux » de Hollande à Royal L’auteur ra­
conte le « coup audacieux » que François Hollande tente
six ans plus tôt avec la mère de ses enfants, Ségolène Royal,
lors d’un week­end en Corse : si celle­ci accepte de passer son
tour – à son profit – pour la présidentielle de 2007, il lui
assure un « retour à la normale » dans leur vie privée. Royal
refuse et remporte la primaire socialiste. Au moment de leur
séparation, qui intervient peu après, « François » sera hé­
bergé par son ami « Jean­Pierre ».
Une chronique politique et mondaine Dans ce récit enlevé,
à la fois chronique politique et mondaine (l’ouvrage com­
prend un index), Jouyet décrit les codes et les rites du « petit
Paris », où les « trois mondes » (Etat, grandes affaires et artis­
tes et médias) se côtoient lors des dîners d’Etat à l’Elysée. A la
« cour », où se mêlent « influence et prestige », il faut dîner au
Siècle – club d’influence fondé en 1944 –, recevoir un carton
pour la dernière exposition de Pierre Soulages ou assister
aux anniversaires d’Alain Minc, sous peine de ne pas avoir
d’existence sociale. Un entre­soi et une interpénétration des
cercles du pouvoir qui, selon l’auteur, pèsent parfois sur les
décisions que doivent prendre les princes et leurs conseillers.
Jouyet dresse ici une galerie de portraits piquants, tantôt
flatteurs, tantôt féroces. Il raconte notamment que deux
actuelles ministres de Macron, Florence Parly et Elisabeth
Borne, anciennes des cabinets Jospin, alors sous son auto­
rité, ne lui ayant pas pardonné de devenir ministre de
Sarkozy, s’emploient à le fuir quand elles le croisent. « Des at­
titudes qui ne manquent pas de piquant quand on les revisite
en 2020, alors que ces deux intraitables vestales de la gauche
sont aujourd’hui au mieux avec les orientations les plus libé­
rales du président, écrit­il. Dans ce petit Paris des ambitions, le
contorsionnisme fait partie des disciplines homologuées. »
Ce livre n’est pas exempt de contradictions. Notamment
quand il s’agit de la haute fonction publique, dont Jouyet a
souvent été l’un des plus ardents défenseurs mais qu’il
reconnaît ici regretter de ne pas avoir cherché à réformer. Ou
quand, saint­simonien, il dépeint les us et coutumes d’un
microcosme qu’il semble critiquer alors qu’il en est depuis
toujours l’un des éminents piliers.
Jean­Pierre Chevènement comme « héros politique »
Autre paradoxe : alors qu’en tant que patron de la puissante
inspection des finances Jouyet a été un influent « DRH de la
République », il confesse avoir souvent conseillé à tous ces
jeunes gens brillants de se tourner vers le privé. Il est enfin
savoureux de lire que cet ex­membre influent des Gracques
– collectif d’inspiration libérale ayant œuvré pour le rappro­
chement entre la gauche et le centre – a le souverainiste
Jean­Pierre Chevènement comme « héros politique » et qu’il
regrette les orientations « droitières » et « ultralibérales » du
gouvernement Macron. 
solenn de royer
0123
MARDI 1ER DÉCEMBRE 2020
Jean­Louis
Servan­Schreiber
Patron de presse
Le 22 novembre, à Paris.
BERTRAND GUAY/AFP
N
é à Boulogne­Billan­
court le 31 octobre 1937,
Jean­Louis Servan­
Schreiber est mort des
suites du Covid­19, le 28 novembre.
Il avait 83 ans. Journaliste, créateur
de magazines et de groupes de
presse, il a marqué de son em­
preinte le monde de l’information
et des médias. Ce patron suractif
fut aussi un écrivain et un penseur,
ce qu’on n’a pas toujours assez re­
marqué, parce que l’homme public
occupait l’avant­scène, et qu’il était
trop pudique pour imposer une
autre image. Pourtant, il n’a cessé
de méditer sur le temps, la mort,
l’existence, le bonheur, avec une
puissante modestie, teintée d’hu­
mour et de sagesse.
Sa success story, la face la plus vi­
sible, a commencé en famille.
Après des études à Sciences Po, il
entre en 1960 dans le journal créé
par son père, Emile Servan­Schrei­
ber (1888­1967), le quotidien éco­
nomique Les Echos. De retour d’un
stage aux Etats­Unis, il rejoint son
frère Jean­Jacques à L’Express
en 1964 et ils métamorphosent
l’hebdomadaire, en créant le mo­
dèle des newsmagazines qui inspi­
rera les autres titres français.
La question du temps
Avec Jean Boissonnat, il fonde
en 1967 le magazine L’Expansion.
Peu à peu, le groupe va contrôler
plusieurs titres, et ses activités
s’étendront à une quinzaine de
pays. Après plus d’un quart de siè­
cle, la baisse des recettes publicitai­
res consécutive à la première
guerre du Golfe le contraint à ven­
dre le groupe en 1994. Mais ses
créations ne cessent pas : il fait
d’un journal de Casablanca, La Vie
économique, le premier hebdoma­
daire du Maroc. En 1997, il acquiert
le mensuel Psychologies Maga­
zine, qu’il transforme en quelques
années, avec son épouse Perla, en
un remarquable succès, passant en
France de 75 000 à 350 000 exem­
plaires, diffusé en plusieurs ver­
sions en Europe et en Chine.
Après la cession de Psychologies
en 2008, la dernière aventure de
Perla et de Jean­Louis Servan­
Schreiber est le magazine Clés, qui
paraît six ans. Entre­temps, ce fon­
dateur fécond a aussi créé, entre
autres, Radio Classique, en 1982,
ou encore le bureau de Human Ri­
ghts Watch en France, en 2007.
Ceci n’est que la face la mieux
connue d’un homme infiniment
plus subtil. Ne retenir de lui que
l’homme d’affaires, le patron de
presse inventif, le chef d’équipe se­
rait passé à côté de l’essentiel : un
esprit constamment attentif au
31 OCTOBRE 1937 Naissance
à Boulogne-Billancourt
(Hauts-de-Seine)
1967 Fonde le magazine
« L’Expansion »
1997 Rachète « Psychologies
Magazine »
2020 « Avec le temps »
(Albin Michel)
28 NOVEMBRE 2020 Mort
temps de la vie et à ses évidences
mystérieuses. Bien sûr, cette atten­
tion lui aura permis de saisir les
tournants de notre époque, no­
tamment son passage de l’obses­
sion de la réussite financière au
souci de trouver un sens à son
existence personnelle.
Mais cette préoccupation se dis­
cerne avant tout dans ses dix­sept
ouvrages. Fil directeur : la question
du temps. A 40 ans, il publie A mi­
vie (Stock, 1977). A 80 ans, il revient
sur ces pages, et sur ses pas, en
cherchant ce qui a changé ou non,
en lui, et autour de lui (80 ans, un
certain âge, Albin Michel, 2019).
Outre deux livres consacrés à
« l’art du temps », il s’est interrogé
sur la longévité aussi bien que sur
l’obsession du court terme, et il
confiait dans son dernier ouvrage :
« L’idée du temps a imprégné mon
existence » (Avec le temps, Albin Mi­
chel, 176 p., 17,90 euros).
Pas à pas, Jean­Louis Servan­
Schreiber a finalement élaboré
une méditation personnelle et ori­
ginale, où s’entrecroisent lucidité,
simplicité et humour, face à l’an­
goisse du temps qui fuit. Le
vieillissement et la mort, l’amour
et la vie, l’indispensable et l’acces­
soire furent les thèmes de sa quête
obstinée pour comprendre le réel,
sans complaisance comme sans
arrogance. Il pratiquait ainsi une
philosophie à mains nues, une re­
cherche de sagesse par tâtonne­
ment, écartant les références et
jargons inutiles, mais pas les énig­
mes. Sans doute cette humilité te­
nace et cette lucide humanité res­
teront­elles plus durablement que
ses empires de papier.
Ses amis, parmi lesquels j’ai eu
l’insigne bonheur de figurer, se
souviendront d’un être sensible,
courageux, qui paraissait parfois
distant à force d’être pudique et at­
tentif aux autres, éperdument
amoureux de sa femme, Perla.
Certains savent aussi que toute sa
vie il a tenu un journal. Des mil­
liers de pages où passent le temps,
les grands du monde, les petites
gens qu’il aimait vraiment, et le
siècle. Des pages qui restent. 
roger­pol droit
Le Carnet
Vous pouvez nous faire
parvenir vos textes
soit par e-mail :
carnet@mpublicite.fr
(en précisant impérativement
votre numéro de téléphone
et votre éventuel numéro
d’abonné ou de membre
de la SDL)
soit sur le site :
https://carnet.lemonde.fr
L’équipe du Carnet
reviendra vers vous
dans les meilleurs délais
pour vous confirmer
la parution.
carnet@mpublicite.fr
https://carnet.lemonde.fr
AU CARNET DU «MONDE»
Décès
Le musée du Louvre
a appris avec tristesse le décès de
Béatrice ANDRÉ-SALVINI,
conservateur général
du Patrimoine,
directrice du département
des Antiquités orientales
de 2004 à 2014,
assyriologue,
elle était entrée au Louvre en 1977,
Elle a consacré sa vie à la
sauvegarde du patrimoine au
Proche-Orient.
Le musée et ses agents s’associent
à la douleur de ses proches.
Antoine et Isabelle, Ariane,
Martin (†), Guillaume et Valérie,
ses enfants et belles-filles,
Simon et Yasmine, Roland et
Christel, Jean, Lou, Armand, Roxanne,
Elvire, Adèle, Andrea,
ses petits-enfants et ses arrière-
petits-enfants,
ont la tristesse de faire part du décès
de
Jacqueline AUQUIER,
née PARGUEL,
survenu le 24 novembre 2020,
à Vincennes,
à l’âge de quatre-vingt-dix-huit ans.
La cérémonie religieuse a eu lieu
le samedi 28 novembre, à 14 h 30,
en l’église de Huisseau-sur-Mauves
(Loiret).
Cet avis tient lieu de faire-part et
de remerciements.
Famille Auquier,
14, villa Robert-Doisneau,
75013 Paris.
PF marbrerie Girard,
45130 Meung-sur-Loire.
Tél. : 02 38 44 44 16.
Nous avons la profonde tristesse
d’annoncer le décès de
Mme Marie-France BANNIER,
née NAOUR,
survenu le mardi 24 novembre 2020,
à Paris,
à l’âge de soixante-dix-neuf ans.
Ses obsèques se tiendront le jeudi
3 décembre, à 15 heures, au
crématorium du cimetière du Père-
Lachaise, Paris 20e, dans l’intimité
familiale.
Sa joie de vivre, sa générosité, son
courage et sa force nous manquent
terriblement.
Yvonnick Bannier,
son époux,
Marie, Aude, François,
ses enfants
et leurs conjoints,
Ses neuf petits-enfants.
Saint-Genès-Champanelle.
M. Joël Bertrand,
son mari,
Odile,
sa fille,
Enzo,
son gendre,
Mathilde et Julio,
ses petits-enfants,
ont la tristesse de faire part du décès
de
Mme Marie-Jeanne BERTRAND,
née Marinou PRUNET,
ancienne élève
de l’Ecole normale supérieure
de Cachan (1956),
officier
dans l’ordre des Palmes académiques,
survenu le 25 octobre 2020,
à Berzet (Puy-de-Dôme).
L’inhumation a eu lieu, dans
l’intimité familiale, au cimetière
de Saint-André-les-Alpes (Alpes-de-
Haute-Provence).
Mireille Donadieu,
Michelle Donadieu-Zorman,
Jean Donadieu,
ses enfants,
Eliane Josette Giraud,
sa belle-sœur,
Ses petits-enfants,
Ses arrière-petits-enfants,
Les familles Donadieu, Giraud,
Rennert, Zorman,
ont la tristesse de faire part du décès
de
Lucien DONADIEU,
professeur des Universités émérite
de l’université Paris-Saclay,
chercheur
à l’Institut d’électronique
fondamentale
(supraconductivité, imagerie
par résonance magnétique),
premier directeur de l’IUT d’Orsay,
puis directeur général
de la Formation permanente,
survenu à Grenoble,
le 26 novembre 2020,
à l’âge de quatre-vingt-treize ans.
Son corps ayant été donné à
la science, il n’y aura aucune
cérémonie.
famille.donadieu@orange.fr
Quissac (Gard).
Mme Lucile Dusserre-Telmon,
son épouse,
Gilles Dusserre-Telmon,
Anne et Christian Agogué
et leurs enfants et petits-enfants,
Laure et Thierry Guerreau
et leurs enfants,
Mlle Alice Brun,
Familles et alliés,
ont la douleur de faire part du décès de
M. Pierre
DUSSERRE-TELMON,
maître d’œuvre en bâtiment,
survenu à l’âge de quatre-vingt-
douze ans.
Les obsèques seront retransmises
en direct vidéo sur le site :
pfducoutach.com
La famille remercie par avance
toutes les personnes qui s’associeront
à sa peine.
Pompes Funèbres du Coutach,
Tél. : 06 75 82 90 93.
Les familles Haïm, Lambelet,
Lechevalier et Rousselle,
Ses amis de la Route de Jérusalem,
font part du décès du
père André HAÏM,
survenu à Paris, le 27 novembre 2020.
Les obsèques auront lieu le jeudi
3 décembre, à 15 heures, en l’église
Saint-Louis de Garches (Hauts-de-
Seine).
Jérôme Rousselle,
8, rue Charles-Nodier,
75018 Paris.
Anne-Marie Kahn,
son épouse,
Frédéric et Anne Emmanuelle Kahn,
ses enfants
et leurs conjoints,
Aristide, Tobias et Solveig,
ses petits-enfants
Et l’ensemble de sa famille,
ont la tristesse de faire part du décès
de
Philippe KAHN,
survenu le 24 novembre 2020,
à l’âge de quatre-vingt-neuf ans.
Au-delà de ses écrits personnels
qui font toujours référence, Philippe
Kahn aura contribué à fonder une
dynamique collective de réflexion sur
les grands thèmes contemporains
du droit international des affaires liés
à la mondialisation des échanges
économiques, dans le cadre du
CREDIMI, centre qu’il a créé et dirigé
comme directeur de recherche au
CNRS.
Une cérémonie aura lieu dans
l’intimité le mardi 1er décembre, au
crématorium de Dijon.
carnet | 31
Jacqueline, Ses amies et ses amis HEC Alumni,
son épouse,
Chantal, Brigitte et Jean Marc,
ses enfants,
Radisa et Ljubica Janosevic, qui
l’ont accompagnée pendant plus de
vingt ans,
font part, avec une grande tristesse
ont la tristesse d’annoncer le décès
de du décès, survenu le 14 novembre
2020, de
Jacques KARILA,
Simone MARCHAL,
ingénieur, HECJF 1950.
socialiste engagé
depuis ses années étudiantes,
Premier secrétaire de la SFIO
du Rhône 1956-1957,
Elle aurait eu quatre-vingt-douze
ans, le 23 novembre.
cofondateur Une cérémonie religieuse, suivie
du Parti socialiste autonome de l’incinération, aura lieu au
puis membre du Parti socialiste crématorium de Clamart, le mardi
depuis 1972, 1er décembre, à 9 heures.
survenu le 24 novembre 2020, Plutôt que des fleurs, Simone
à l’âge de quatre-vingt-quatorze ans. aurait souhaité que des dons soient
adressés à la fondation HEC
Ses funérailles seront célébrées
(fondationhec.fr).
dans l’intimité le 4 décembre, à
14 h 30, au crématorium du Parc, Lola et Pablo Sanchez Marco,
à Clamart (Hauts-de-Seine). Zoé Flageollet,
ses petits-enfants
Vous pouvez laisser un message Ainsi que ses amis,
sur beaulier.karila@wanadoo.fr
ont la tristesse de faire part du décès
de
Rouen.
Mme Colette POCCARDI,
Ses enfants,
survenu le 23 novembre 2020,
Ses petits-enfants,
Ses amis, à l’âge de quatre-vingt-treize ans.
Ils rappellent le souvenir de leur
ont la douleur de faire part du décès,
survenu le 21 novembre 2020, de maman,
Véronique POCCARDI.
Jacqueline LETRÉGUILLY.
Les obsèques auront lieu le
« L’argile rouge a bu la blanche espèce jeudi 3 décembre, à 10 h 30, au
Le don de vivre est passé
crématorium du cimetière du Père-
dans les fleurs.» Lachaise, Paris 20e.
Pompes Funèbres Benoit-Albert,
Montlhéry.
3206, route de Neufchâtel,
76230 Bois-Guillaume. Valériane et Régis,
Tél. : 02 32 80 54 20.
ses enfants,
Chloë et Tao,
Ginette Locquet ses petits-enfants,
et Nadine Skiker, née Locquet,
ses sœurs, ont l’immense tristesse de faire part
du décès de
Nathalie, Pierre et Bertrand,
ses enfants, Marie Christine REGNIEZ,
Marine, Hakim, Sofia et Nacim,
ses petits-enfants, survenu le 9 novembre 2020,
la mère de ses enfants, Josée Amrhein, à Decize,
ont la douleur de faire part du décès Ses obsèques ont eu lieu, pour
du des raisons sanitaires, dans l’intimité
familiale, le 19 novembre 2020,
docteur Raymond LOCQUET, à Monthléry.
neuropsychiatre,
valerianecoppin@gmail
genevieve.regniez@wanadoo.fr
survenu le 25 novembre 2020,
dans sa quatre-vingt-septième année.
Stéphane, Emmanuel et Delphine,
ses enfants
La cérémonie aura lieu dans
et leurs conjoints,
l’intimité familiale le vendredi Rebecca, Emilie-Anna, Raphaël
4 décembre, au crématorium d’Amiens. et Louise,
ses petits-enfants,
Ses cendres reposeront sur la Ses frères, sœur et belle-sœur
tombe de ses parents dans la Creuse. Thibierge et Lobrot,
Sa belle-famille Olivet-Orsat,
Cet avis tient lieu de faire-part. Ses neveux et nièces Fabreguettes,
Lobrot et Thibierge,
leurs enfants et petits-enfants,
raymondlocquet@laposte.net
ont la douleur de faire part de la
Anne, mort, le 21 novembre 2020, à l’âge de
son épouse, quatre-vingt-onze ans, de
Perle,
sa fille adorée, Michel Raymond THIBIERGE,
X-Mines 47,
Marie-Georges et Fabienne,
ingénieur en génie atomique,
ses sœurs,
contrôleur général honoraire
Perrine, Lucie, Claire, Florence,
d’Electricité de France,
ses nièces, chevalier de la Légion d’honneur,
officier
ont la douleur de faire part du décès de l’ordre national du Mérite.
de
La mise en terre aura lieu le
Jean-Robert MORIZOT,
mercredi 2 décembre, à 15 h 30, au
général d’armée aérienne (2S),
cimetière de Sainte-Mesme (Yvelines),
ancien inspecteur général précédée d’une messe à 14 h 30, dans
des armées (air), la stricte intimité familiale en raison
conseiller défense air et espace de la crise sanitaire.
du groupe Thales,
Ni fleurs ni couronnes.
commandeur
de la Légion d’honneur, Cet avis tient lieu de faire-part.
officier
« A n’importe ce qui valut
dans l’ordre national du Mérite, le blanc souci de notre toile »
Stéphane Mallarmé.
survenu le 25 novembre 2020,
à l’âge de soixante-deux ans,
après un combat courageux contre Hommage
la maladie.
La Fondation de France
Dans la stricte intimité, un service
religieux sera célébré le vendredi exprime toute sa reconnaissance à
4 décembre, en la chapelle Saint-
Louis de l’École militaire, Paris 7e.
Mme Denise COHEN,
née DUBEAU,
Les honneurs militaires lui seront
rendus à l’issue de la cérémonie.
décédée le 16 mars 2020, à Paris,
Ni fleurs ni couronnes, des dons
peuvent être adressés à l’hôpital pour son legs généreux qui, selon
Paul-Brousse, à Villejuif, pour les son souhait, soutiendra les actions
soins donnés aux malades. prioritaires de notre fondation.
Société éditrice du « Monde » SA
Président du directoire, directeur de la publication Louis Dreyfus
Directeur du « Monde », directeur délégué de la publication, membre du directoire Jérôme Fenoglio
Directeur de la rédaction Luc Bronner
Directrice déléguée à l’organisation des rédactions Françoise Tovo
Direction adjointe de la rédaction Grégoire Allix, Philippe Broussard, Emmanuelle Chevallereau, Alexis Delcambre,
Benoît Hopquin, Marie-Pierre Lannelongue, Caroline Monnot, Cécile Prieur, Emmanuel Davidenkoff (Evénements)
Directrice éditoriale Sylvie Kauffmann
Rédaction en chef numérique Hélène Bekmezian
Rédaction en chef quotidien Michel Guerrin, Christian Massol, Camille Seeuws, Franck Nouchi (Débats et Idées)
Directeur délégué aux relations avec les lecteurs Gilles van Kote
Directeur du numérique Julien Laroche-Joubert
Chef d’édition Sabine Ledoux
Directrice du design Mélina Zerbib
Direction artistique du quotidien Sylvain Peirani
Photographie Nicolas Jimenez
Infographie Delphine Papin
Directrice des ressources humaines du groupe Emilie Conte
Secrétaire générale de la rédaction Christine Laget
Conseil de surveillance Jean-Louis Beffa, président, Sébastien Carganico, vice-président

32 | 0123
ÉCONOMIE | CHRONIQUE
par st ép hane laue r
Danone, entreprise à mission… impossible
D
ésormais, après toutes
ces décennies de crois­
sance, l’enjeu de l’éco­
nomie, c’est la justice
sociale. Sans justice sociale, il n’y
aura plus d’économie », affirmait
Emmanuel Faber, le PDG de Da­
none, en juin 2016, lors d’une céré­
monie de remise de diplômes sur
le campus de HEC. Enfin, le diri­
geant d’une multinationale pre­
nait ses distances avec la doxa do­
minante depuis les années 1980,
incarnée par Milton Friedman.
L’économiste américain, figure de
proue du courant néolibéral, avait
déterminé une fois pour toutes
que l’objectif des entreprises con­
siste à maximiser la valeur pour
les actionnaires, pas de soutenir
les salaires ou l’emploi.
En juin 2020, Emmanuel Faber
avait joint le geste à la parole en
faisant de Danone le premier
groupe coté de taille mondiale à
adopter le statut juridique d’entre­
prise à mission : les actionnaires
votèrent en assemblée générale
comme un seul homme pour que
le géant des produits alimentaires
se fixe des objectifs sociaux et en­
vironnementaux au­delà du seul
retour sur investissement.
Mais, le 23 novembre, face au re­
cul de son cours de Bourse et à la
chute des ventes d’eau en bou­
teille à cause de la crise liée à la
pandémie, Danone a été obligé de
rentrer dans le rang du capita­
lisme bien ordonné. L’améliora­
tion de la compétitivité redevient
la priorité au détriment des em­
plois, dont un quart doit disparaî­
tre dans les sièges sociaux pour
économiser plusieurs centaines
de millions d’euros.
Danone est­il au bord du dépôt
de bilan ? Pas vraiment. Le groupe
a versé 1,4 milliard d’euros de divi­
dendes au titre des résultats de
2019, tandis qu’au premier semes­
tre, les bénéfices se sont élevés à
plus de 1 milliard d’euros, permet­
tant de dégager une marge de 14 %
du chiffre d’affaires. « La protec­
tion de la rentabilité d’une entre­
prise est fondamentale », explique
le PDG. Certes, mais jusqu’où ?
Le juste partage de la valeur
La question fondamentale est
celle du juste partage de la valeur.
Est­il raisonnable que les rende­
ments des entreprises restent
aussi élevés que dans les années
1980 alors qu’entre­temps les taux
d’intérêt à long terme sur les
dettes publiques sont tombés à
zéro et que la croissance a été divi­
sée par deux ? Une rentabilité des
fonds propres aux alentours de
15 % a­t­elle un sens dans un
groupe agroalimentaire qui n’est
ni une star du high­tech ni un
géant du luxe ? Des taux de marge
d’un tel niveau sont­ils compati­
bles avec la préoccupation de ré­
munérer équitablement les pro­
ducteurs de lait, de continuer à
être présent sur certains marchés,
de consacrer une part équitable
des profits à sa masse salariale ?
Emmanuel Faber répond qu’à
partir du moment où ses concur­
rents proposent des rendements
supérieurs, son groupe ne peut pas
se laisser distancer. « Il est pris à son
propre piège, estime Patrick d’Hu­
mières, consultant en stratégie du­
rable et enseignant à l’Ecole cen­
trale de Paris. S’il ne parvient pas à
nouer un pacte avec des actionnai­
res qui comprennent que la course
avec Nestlé ou Coca­Cola ne doit
pas être le seul horizon de l’entre­
prise, le double discours sera com­
pliqué à tenir sur le long terme. »
Il ne s’agit pas de clouer au pilori
Emmanuel Faber. Il a su prendre
des initiatives courageuses et am­
bitieuses sur le plan sociétal, en
droite ligne avec l’héritage laissé
par le fondateur de Danone, An­
toine Riboud. En réalité, le di­
lemme auquel l’entreprise fait
face aujourd’hui pose la question
Tirage du Monde daté dimanche 29 ­ lundi
30 novembre : 150 241 exemplaires
LE NIVEAU DE
LA RÉMUNÉRATION
DU CAPITAL DEVIENT  ricatural aux Etats­Unis, moins
DE MOINS EN MOINS  nisme reste le même. Pour que les
SOUTENABLE SUR  servir à leurs actionnaires les ren­
LE PLAN SOCIAL  dements exigés, il a fallu compri­
ET ÉCOLOGIQUE
du niveau de la rémunération du
capital, qui devient de moins en
moins soutenable sur le plan so­
cial et écologique.
Ces rendements mirifiques qui
sont devenus la norme à partir
des années 1980 ont fini par
aboutir à une déformation spec­
taculaire du partage de la valeur
au détriment des salaires. Logi­
quement, les rémunérations
auraient dû progresser au même
rythme que la productivité du tra­
vail. Or, depuis 1990, celle­ci a fait
P. 581
+1
2 en organisant des conférences de
OFFERTE*
CHAMPAGNE 1ER CRU BRUT
Nicolas Gueusquin
AOC
Le lot de 3 bouteilles dont 1 OFFERTE :
38,97 € (1 L = 17,32 €) au lieu
de 58,44 € (1 L = 25,97 €)
12.
S OI T L A B O U T E I L L E
99 €
La bouteille à l’unité 19,48 €
L’ABUS D’ALCOOL EST DANGEREUX POUR LA SANTÉ, À CONSOMMER AVEC MODÉRATION
un bond de 50 % dans les pays de
l’OCDE, alors que les salaires
n’augmentaient que de 23 %.
Bien sûr le phénomène a été ca­
sensible en France. Mais le méca­
entreprises puissent continuer à
mer la part accordée aux salariés
grâce à la flexibilisation du mar­
ché du travail, à la libéralisation à
outrance des échanges, à la déloca­
lisation de la production dans des
pays à faible coût. La contrepartie
s’est traduite, dans les pays déve­
loppés, par une baisse du pouvoir
d’achat, la disparition des emplois
intermédiaires. Partout on assiste
à la montée des inégalités.
Même constat sur le plan envi­
ronnemental. Le maintien dans la
durée de retours sur investisse­
ment artificiellement élevés con­
duit les entreprises à générer des
externalités qui sont incompa­
tibles avec ce que la planète est
MERCREDI
De Noel
CHABLIS
Domaine de Oliveira Lecestre
2019 AOC
9.
75 €
Toutes les bouteilles sont de contenance 75 cl. *Offre valable sur 3 bouteilles identiques achetées.
capable de supporter. « Les entre­
prises peuvent se déclarer “à mis­
sion”, chercher à améliorer leurs
performances environnementales
et sociales, mais rien de majeur ne
changera si le rendement exigé du
capital reste aussi élevé », tranchait
récemment dans ces colonnes Pa­
trick Artus, chef économiste de la
banque Natixis. Patrick d’Humiè­
res est encore plus précis : « Il n’y
aura pas d’économie durable dans
les entreprises cotées si celles­ci ne
parviennent pas à convaincre leurs
actionnaires qu’ils doivent réduire
leur rémunération de quatre ou
cinq points. »
De plus en plus de fonds de pen­
sion et de fonds souverains arbi­
trent leurs investissements en
fonction de critères sociaux et en­
vironnementaux. C’est un progrès
décisif, mais si cette évolution ne
s’accompagne pas d’une modéra­
tion des rendements exigés, Da­
none et d’autres risquent de se
transformer en entreprises à mis­
sion… impossible. 
2 DÉCEMBRE
FRONSAC
Château La Justice
2018 AOC
9.
99 €
0123
MARDI 1ER DÉCEMBRE 2020
L’ETAT LIBANAIS, 
MONSTRE 
INGOUVERNABLE
D ans un Etat, le pouvoir
repose sur des institu­
tions, dont le fonction­
nement est régulé par une Cons­
titution. Dans un régime, institu­
trifiés, placés sous le joug d’un
militaire pour le premier (le ma­
réchal­président Abdel Fattah Al­
Sissi) et d’un clan pour le second
(la lignée des Assad).
tions et Constitution masquent Pourtant, le Liban a cessé d’être
le véritable détenteur du pou­ un Etat. Le pouvoir est plus que
voir : une famille, une armée ou jamais dans les mains d’un cartel
un parti. Il faut garder cette dis­ de partis communautaires, où
tinction en tête lorsque l’on s’in­ cohabitent notables tradition­
téresse au cas libanais. nels, anciens chefs de guerre et
Avec sa vie politique tumul­ affairistes. Une caste de cancres
tueuse, son paysage médiatique en politique publique et de gé­
foisonnant et sa société civile nies en politique politicienne.
combative, le Liban n’a a priori Préoccupés principalement par
pas grand­chose à voir avec les leur maintien au pouvoir, ils ont
deux régimes qui l’entourent, développé un art de faire obstacle
l’Egypte et la Syrie. Deux pays pé­ aux initiatives susceptibles de
nuire à leurs intérêts qui confine
au chef­d’œuvre.
L’empoignade actuelle sur
l’audit juricomptable de la Ban­
que du Liban (BDL) en fournit un
exemple édifiant. La présidence
et le gouvernement soutiennent
ce projet, destiné à faire la lu­
mière sur le trou abyssal du sec­
teur financier libanais. Mais le
« parti des banques », qui redoute
d’être emporté dans la débâcle,
fait tout pour empêcher cette
opération vérité. Forte de ses re­
lais au Parlement, dans les mé­
dias et jusqu’au sein de l’exécutif,
l’oligarchie politico­financière
peut parvenir à ses fins.
Enterrer l’audit équivaudrait à
faire une croix sur le redresse­
ment économique du pays, du
moins à moyen terme. Sa réalisa­
tion est l’une des conditions po­
sées par le FMI et les bailleurs de
fonds pour réapprovisionner les
caisses du pays. Mais l’« Etat pro­
fond » est plus fort que ces consi­
dérations. C’est en cela que le Li­
ban fonctionne comme un ré­
gime. La réalité du pouvoir réside
en dehors des institutions.
Ce régime, contrairement au
modèle en vigueur dans la ré­
gion, dispose de deux têtes. C’est
ce qui le rend si résilient. A côté
de l’oligarchie financière, il y a le
Hezbollah, l’autre pouvoir paral­
lèle. Le mouvement chiite pro­
iranien, moitié milice et moitié
parti, a appris à se financer en de­
hors des circuits bancaires. Il
Année 2020 - Photos non contractuelles - LIDL RCS Créteil 343 262 622.
n’est pas directement impliqué
dans le krach financier du pays
qui affecte beaucoup sa base.
Mais, par solidarité avec certains
de ses alliés qui le sont, le Hezbol­
lah se tient coi. Il ferme les yeux
sur la corruption et, en échange,
l’oligarchie ferme les yeux sur ses
armes. Donnant­donnant.
C’est ainsi que le Liban est de­
venu un monstre ingouvernable.
Pendant près de trois décennies,
la communauté internationale
s’est accommodée de ce sinistre
système. Elle l’a même financé,
levée de fonds, accompagnées de
vagues promesses de réformes
que les dirigeants du pays s’em­
pressaient d’oublier une fois
leurs chèques empochés.
Cette situation semble prendre
fin. Les chancelleries occiden­
tales sont à bout. Le président
français, Emmanuel Macron, l’a
donné à entendre dans sa catili­
naire de la fin septembre, dans la­
quelle il a pourfendu le « système
crapuleux » qui a cours à Bey­
routh. Mais la classe dirigeante
continue de faire comme si de
rien n’était. Elle persiste dans
ses travers ataviques, la préda­
tion et l’évitement. A ce rythme,
le Liban ne suscitera bientôt plus
de l’énervement mais du
découragement, de l’ennui, un
désintérêt poli. La pire des puni­
tions pour un pays qui a, un
temps, fasciné le monde. 