­Mardi 28­ mars 2023

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79e année – No 24331
3,40 € – France métropolitaine
www.lemonde.fr –
Fondateur : Hubert Beuve-Méry
Directeur : Jérôme Fenoglio

Retraites : Macron tente d’apaiser sans rien céder

▶ A la veille d’une dixième
journée de mobilisation
nationale, mardi, le chef
de l’Etat cherche à renouer
le dialogue et à amadouer
les syndicats
▶ Elisabeth Borne s’est
engagée à ne plus recourir
▶ Le climat de violences et
de tensions accroît la pres-
▶ Gérald Darmanin accuse
un « millier de personnes ra- 1 éditorial
au 49.3, sauf pour les sion sur le gouvernement : dicalisées », la LDH dénonce
textes financiers, mais ni samedi, la mobilisation « un usage immodéré et
Crise française,
retrait ni « pause » de la contre les mégabassines a indiscriminé de la force » incompréhension
réforme ne sont envisagés fait des dizaines de blessés Pag e s 6 - 7 européenne Pag e 2 7

Israël Nétanyahou sous la pression de la rue Politique Le marché florissant

▶ Le premier ministre est débordé par les protestations contre sa réforme de la justice
▶ Sa coalition est au bord de la rupture, et le président appelle à stopper le processus pag e s 2 - 3 des sondages confidentiels
Ce sont des enquêtes d’opi- que le gouvernement a dépensé
nion qui n’ont pas vocation à plus de 16 millions d’euros pour
être rendues publiques, mais des études d’opinion entre 2019
qui nourrissent les candidats et 2022, l’appel d’offres sur les
aux élections, les partis politi- quatre prochaines années pré-
ques, le gouvernement. voit une hausse de 54 %.
Tous font un usage massif de Une boulimie qui interroge : ­la
ces sondages confidentiels : pertinence de ces panels est
625 000 euros d’études ont été ­remise en cause par des experts,
commandées lors de la dernière et la frontière est parfois mince
présidentielle par les différents ­entre l’analyse publique et le
candidats, dont 325 000 pour conseil privé.
Emmanuel Macron. Et, alors pag e s 8 - 9

Russie Etats-Unis
Moscou étend son Donald Trump
chantage nucléaire orchestre son
avec l’appui retour au cœur
de la Biélorussie du jeu politique
Sur fond d’enlisement Sous pression judiciaire,
militaire en Ukraine, l’ex-président multiplie
Vladimir Poutine annonce les outrances verbales,
son intention de déployer menace un procureur et a
des armes nucléaires tenu un premier meeting
sur le territoire biélorusse de campagne au Texas
Manifestation contre le projet de réforme du système judiciaire, à Tel-Aviv, lundi 27 mars. © Oren Ziv/AP Pag e 3 Pag e 5

Syndicats
Congrès à haut
Agriculture
Arnaud Rousseau,
Idées
Education : dangers
Société
risque pour un agro-industriel à et bénéfices Une loi contre
une CGT divisée la tête de la FNSEA de ChatGPT les arnaques
Page 9 Pag e 1 4 Page 25
et les dérives
L’ONU alerte sur une crise de l’eau douce par Amorim (Brésil) Cartooning for Peace des influenceurs 0123
H O R S - S É R I E
ÉDITION 2023

LE BILAN
Un texte examiné à ▶ GÉOPOLITIQUE
▶ ENVIRONNEMENT
­l’Assemblée veut définir ▶ ÉCONOMIE

DU MONDE
les contours d’une profes-
sion ternie par les escro-
queries et les controver- + AT LA S D E 1 9 8 PAYS
+ 1 5 PAG E S D E D É B ATS : BERTRAND BADIE, LAUREN ELKIN, SOROUR KASMAÏ,
ses, à l’image de celles MARIE MENDRAS, VALÉRIE NIQUET, MARC-ANTOINE PÉROUSE DE MONTCLOS...

qui entourent Dylan Thiry

Pages 10-11

Télécoms
Le grand blues
des opérateurs
face aux GAFAM
En mal de croissance et
marginalisé par les géants
du numérique, le secteur
s’inquiète pour l’avenir
et interroge son modèle
Pages 16-17
Algérie 220 DA, Allemagne 4,50 €, Andorre 3,90 €, Autriche 4,20 €, Belgique 3,70 €, Espagne 3,90 €, Grèce 3,90 €, Guadeloupe-Martinique 3,70 €,
Hongrie 1 790 HUF, Italie 3,90 €, Luxembourg 3,80 €, Maroc 28 DH, Pays-Bas 4,30 €, Portugal cont. 3,90 €, La Réunion 3,70 €, Sénégal 2 500 F CFA, Suisse 4,80 CHF, Tunisie 5,50 DT, Afrique CFA autres 2 600 F CFA
 International
2|
Israël
En Israël,
Nétanyahou
acculé par la
colère de la rue
Le premier ministre de l’Etat hébreu
est débordé par les protestations
contre sa réforme de la justice. Après le
limogeage du ministre de la défense, la
coalition semble au bord de la rupture
Jérusalem - correspondance
B
enyamin Nétanya-
hou est acculé. Le
soir du dimanche
27 mars, en limo-
geant son ministre
de la défense, Yoav
Gallant, qui avait appelé publi-
quement à reporter la réforme de
la justice, le premier ministre is-
raélien espérait étouffer la fronde
en germe au sein de son parti, le
Likoud. Mais finalement il a attisé
la colère de la rue, démontrant
par ce limogeage le jusqu’au-bou-
tisme de son gouvernement,
sourd depuis trois mois au
­mouvement de contestation de
son projet visant à réduire drasti-
quement les pouvoirs de la Cour
suprême.
Lundi matin, le chef du gou­-
vernement poursuivait ses con-
sultations, débordé par les protes-
tations qui ont atteint une am-
pleur jamais vu jusque-là, et
­craignant que sa coalition ne s’ef-
frite, rongée par les désaccords
sur la marche à suivre.
La longue croisade des radicaux de droite contre le pouvoir judiciaire
Ultraorthodoxes et ultranationalistes contestent depuis des décennies la capacité de la Cour suprême à interférer dans l’action de l’exécutif
Analyse
Jérusalem - correspondance
P endant une décennie, Sim-
cha Rothman a travaillé à
un plan pour affaiblir le
système judiciaire israélien. Jeune
avocat, il a fondé Meshilut – le
Mouvement israélien pour la
­gouvernabilité et la démocratie –,
et écrit deux livres sur le sujet.
Aujourd’hui, le député ultra­na­-
tionaliste du Parti sioniste reli-
gieux orchestre la réforme de la
justice du gouvernement de
Benyamin Nétanyahou depuis la
présidence de la commission des
lois. Lui et toute l’extrême droite
savent que l’occasion ne se repré-
sentera peut-être plus, d’où leur
urgence à mener les discussions.
« Il y a un mécanisme qui préserve
le pouvoir élitiste que vous avez
­acquis – injustement – et mainte-
nant, on vous le retire. (…) Vous pro-
tégez votre privilège en tant qu’As-
hkénaze, laïc, de gauche, de Tel-
Aviv », affirmait M. Rothman en fé-
vrier, au quotidien Haaretz.
Dès la création d’Israël, en 1948,
les religieux se sont opposés
à l’instauration d’un système
­judiciaire civil. Les deux grands
La presse israélienne laissait en-
tendre que le premier ministre en-
visage désormais un report de sa
réforme. Il est assuré du soutien
des deux partis ultraorthodoxes,
le Shass et le Judaïsme unifié de la
Torah, ainsi que de trois ministres
du Likoud, Nir Barkat, Miki Zohar
et Amichai Chikli qui se sont ex-
primés publiquement sur le sujet.
Benyamin Nétanyahou avait
prévu de s’exprimer en milieu de
matinée, pour faire part de sa déci-
sion avant d’annuler son discours.
Le ministre de la sécurité natio-
nale, Itamar Ben Gvir, du parti su-
prémaciste Otzma Yehudit (« puis-
sance juive »), menaçait de faire
tomber le gouvernement si le pro-
jet de refonte du système judi-
ciaire était suspendu. Le ministre
de la Justice, Yariv Levin, qui pilote
la réforme depuis son lancement,
le 4 janvier, aurait également mis
sa démission dans la balance.
Sortant de sa traditionnelle ré-
serve, le président Isaac Herzog a
tenté lundi matin de persuader le
premier ministre de céder. « Nous
avons vu des scènes très difficiles
r­ abbins ont boudé la cérémonie
d’inauguration de la Cour su-
prême, rappelle l’historien
Alexander Kaye dans son livre The
Invention of Jewish Theocracy
(« l’invention de la théocratie
juive », Oxford University Press,
2020, non traduit). Le grand rab-
bin ashkénaze Isaac Herzog,
grand-père de l’actuel président, y
voyait une « trahison catastrophi-
que de la tradition juive ». Durant
la première législature, laïcs et re-
ligieux ont échoué à s’entendre
sur un socle commun, cela expli-
que en partie pourquoi Israël n’a
pas de Constitution.
« Guerre des cultures »
« Depuis l’arrivée des Lumières
dans l’histoire moderne juive, à
Berlin, dans la seconde moitié du
XVIIIe siècle, il y a une “guerre des
cultures” : l’option libérale, pro-oc-
cidentale, laïque, face à l’option
juive halakhique », qui place au
centre la loi religieuse juive, la
­halakha, remarque Menahem
Mautner, professeur de droit à
l’université de Tel-Aviv. « Nous as-
sistons aujourd’hui à un regain
spectaculaire de cette “guerre des
cultures”. La Cour suprême se
cette nuit, a-t-il dit. Au nom de
l’unité du peuple d’Israël, au nom
de la responsabilité qui nous
oblige, je vous demande d’arrêter
immédiatement le processus légis-
latif. » Depuis hier soir, ce genre
d’appels se multiplient. L’un des
avocats du Premier ministre,
Boez Ben Zur, a même menacé de
ne plus le représenter s’il ne fai-
sait pas marche arrière
Rassemblements spontanés
Pour le premier ministre, il y a
urgence à trancher. Le limo-
geage de Yoav Gallant a provo-
qué une onde de choc. Moins
d’une heure après son renvoi,
r­ etrouve au milieu, car elle est le
bastion des valeurs libérales dans
le pays », juge-t-il.
Benyamin Nétanyahou et son
parti, le Likoud, représentent une
droite conservatrice, libérale et
laïque. Ce n’est pas le cas du reste
de la coalition : les partis ultra­-
orthodoxes cherchent à appliquer
la loi religieuse juive, tandis que
les forces nationalistes religieu-
ses, dirigées par les suprémacistes
juifs Itamar Ben Gvir et Bezalel
Smotrich, portent la vision mes-
sianique du « Grand Israël », qui
suppose l’annexion des territoires
palestiniens et l’application de la
halakha. Pour ces deux courants,
la réforme sonne comme une re-
vanche contre la Cour suprême,
qu’ils voient comme un obstacle à
leur vision politique.
L’un de ses péchés fondateurs,
aux yeux des ultranationalistes,
est un arrêt de 1979. Cette an-
née-là, les juges ont invalidé la ré-
quisition par l’armée d’un terrain
privé palestinien où une colonie,
Elon Moreh, avait été établie. C’est
la première fois depuis 1967 et
­l’occupation israélienne de la
­Cisjordanie qu’une colonie est
­démantelée. Elle sera finalement
La presse israélienne
laissait entendre lundi
matin que le premier
ministre envisage
désormais un report
de la réforme
de la justice
­ éplacée un peu plus loin, en vio-
d
lation du droit international et
avec des subventions de l’Etat.
En 2005, avec l’évacuation des
­colonies de Gaza et du nord de
la Cisjordanie, le divorce est
­consommé. Les ­colons estiment
que les juges n’ont rien fait pour
les défendre. Cette image a beau
ne pas correspondre à la réalité de
la Cour ­suprême (qui viole régu­-
lièrement le droit international
pour faciliter la colonisation en
Cisjordanie), la haine reste tenace.
En parallèle, conservateurs et
­religieux commencent à fustiger
l’« activisme » des juges. Après
­l’arrivée au pouvoir de la droite
en 1979, la Cour suprême engage
« une révolution juridique », note
l’ancien ministre de la justice
­Daniel Friedmann. Les plaignants
peuvent désormais saisir la justice
sur des questions qui ne les con-
cernent pas directement, et les
magistrats peuvent « intervenir si
l’action d’un gouvernement est ju-
gée “fortement déraisonnable”.
Presque toute décision gouverne-
mentale peut ainsi être contestée »,
résume M. Friedmann. Quelques
années plus tard, la Cour suprême
met en avant le principe d’autorité
des dizaines de milliers d’Israé-
liens se sont rassemblés sponta-
nément un peu partout dans le
pays, bloquant certains axes rou-
tiers, marchant vers la Knesset,
le Parlement israélien, ainsi que
vers la résidence du ­premier mi-
nistre à Jérusalem. Ils ont été
évacués quelques heures plus
tard. L’autoroute Ayalon, le péri-
phérique de Tel-Aviv, n’a été rou-
verte qu’au petit matin, lundi.
Une nouvelle manifestation
était prévue dans l’après-midi
devant la Knesset, alors que l’op-
position, enhardie par sa dé-
monstration de force, appelait à
une « semaine de paralysie ».
Le grand rabbin Isaac
Herzog, grand-père
du président actuel,
voyait dans la Cour
suprême une « trahison
catastrophique de
la tradition juive »
supérieure des Lois fondamenta-
les, qui font office de Constitution,
pour pouvoir annuler certaines lé-
gislations passées par la Knesset.
La décennie suivante, avec Aharon
Barak à sa tête, la Cour prend posi-
tion en faveur des droits des fem-
mes et de la communauté LGBT, et
pour une plus grande séparation
entre l’Etat et le religieux. En 1999,
les juges s’attaquent à l’exemption
de service militaire pour les ultra-
orthodoxes. Leur capacité de mo-
bilisation – quelque 250 000 ma-
nifestants – et leurs relais politi-
ques font échouer le projet.
En 2012, le Likoud propose de
­retirer à la Cour suprême son droit
de regard sur les lois votées au
0123
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­Mardi 28­ mars 2023
Dimanche soir, le consul général
d’Israël à New York, Asaf Zamir, a
annoncé sa démission. Plusieurs
universités et établissements sco-
laires étaient fermés lundi. Au
moins 23 dirigeants de conseils ré-
gionaux ont entamé une grève de
la faim. Le principal syndicat israé-
lien, la Histadrut, a lancé un appel
à la grève générale dans la mati-
née, qui a conduit à la suspension
des vols au départ de l’aéroport
Ben-Gourion.
« Nous devons sauver l’Etat d’Is-
raël, ni plus ni moins. Il ne doit pas
y avoir de sang versé », a mis en
garde l’ex-premier ministre Naf-
tali Bennett dimanche soir, tandis
­ arlement. En 2017, la ministre de
P
la justice d’extrême droite, Ayelet
Shaked, obtient la nomination de
trois juges conservateurs. Elle
aussi parle de meshilut, la « gou-
vernabilité » – un euphémisme
pour justifier de se débarrasser
des contrepouvoirs judiciaires qui
entravent, à ses yeux, le bon fonc-
tionnement du pays.
En 2015, le député Moti Yogev, du
même parti d’extrême droite que
Mme Shaked, appelle à attaquer la
Cour suprême au bulldozer pour
protester contre une de ses déci-
sions. Le Likoud prospère sur un
discours populiste, accusant les
institutions et l’« Etat profond » de
tous les maux. « Le public a perdu
confiance dans le système juridi-
que », lâche Benyamin Nétanya-
hou le soir de l’annonce de sa mise
en examen pour corruption et
fraude. Sa seule solution pour
échapper à un procès passe par
une refonte de ce système. C’est
une aubaine pour l’extrême
droite. « L’attaque actuelle de la
droite fait partie d’un changement
majeur, met en garde Menahem
Mautner. La Cour suprême n’est
qu’une étape. » p
Clothilde Mraffko
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­Mardi 28­ mars 2023
Des manifestants opposés
au plan de réforme judiciaire
du premier ministre bloquent
une autoroute à Tel-Aviv, en
Israël, le 26 mars. Ohad Zwigenberg/AP
que le chef de l’opposition, Yaïr
­Lapid, accusait Benyamin Néta-
nyahou d’être « une menace pour
la sécurité d’Israël ». Dans la nuit,
la Maison Blanche, qui se livre ces
dernières semaines à un délicat
numéro d’équilibriste, en tentant
de faire plier la coalition au pou-
voir tout en veillant à ne pas se
montrer trop offensive dans ses
critiques, s’est dite « profondé-
ment préoccupée », appelant en-
core une fois au compromis.
« Les changements fondamen-
taux apportés à un système démo-
cratique devraient être menés sur
la base du soutien populaire le plus
large possible », a écrit la porte-pa-
role du Conseil de sécurité natio-
nale, Adrienne Watson.
« l’activisme » des juges
Le parti du premier ministre est
tiraillé ces dernières semaines
sur la réforme. Cette dernière, qui
prévoit notamment de dépossé-
der la Cour suprême de son droit
de supervision des textes votés à
la Knesset et de politiser la nomi-
nation des juges, du procureur
général et des conseillers légaux
du gouvernement, est née de la
nécessité pour le premier minis-
tre d’échapper à son procès pour
fraude et corruption. Pour les
partenaires de la coalition, elle re-
présente l’aboutissement d’un
long combat idéologique contre
« l’activisme » des juges, décrié
dans les rangs des mouvements
pro-colonisation, ultranationalis-
tes et ultrareligieux.
Au départ, le Likoud suivait sans
broncher. Benyamin Nétanyahou
a toujours veillé à ce qu’aucune
personnalité susceptible de lui
faire de l’ombre n’émerge au sein
de son parti. Mais la montée de la
contestation, qui menace d’agré-
ger des électeurs de la droite con-
servatrice, ainsi que les mises en
garde alarmistes des services de
sécurité et de renseignements,
ont commencé à fissurer cette ap-
parente unité. Pour certains élus,
le prix à payer pour la réforme pa-
raît particulièrement élevé. Les
Le principal syndicat
a lancé un appel
à la grève générale ,
qui a conduit
à la suspension des
vols au départ de
l’aéroport Ben-Gourion
prévisions du ministère des fi-
nances, qui s’attend à de lourdes
répercussions sur l’économie,
l’inquiétude de l’Etat-major, con-
fronté à la grève de centaines de
réservistes, et les menaces pour
l’image et le statut international
d’Israël, ont entamé les certitudes
de certains ténors du parti, dont
Yoav Gallant.
Le 23 mars au soir, à la surprise
générale, il avait annoncé qu’il al-
lait s’exprimer devant la nation.
Depuis quelques jours, il sem-
blait émettre des doutes sur le ca-
lendrier de la réforme, deman-
dant plus de temps pour apaiser
les contestations. Aussitôt convo-
qué par le premier ministre, il
avait annulé sa prestation.
Benyamin Nétanyahou a finale-
ment pris seul la parole ce soir-là,
annonçant qu’il allait désormais
s’impliquer personnellement
dans la réforme. Loin de favoriser
un apaisement, le discours a été
perçu comme une énième provo-
cation à l’encontre du pouvoir ju-
diciaire. En 2020, le premier mi-
nistre avait conclu un accord qui
lui interdit de prendre part publi-
quement aux débats sur le sys-
tème judiciaire et d’être impliqué
dans la nomination des juges. Le
matin même de son allocution, il
avait fait voter une loi lui garan-
tissant l’immunité.
Yoav Gallant a compris le mes-
sage : le premier ministre ne recu-
lerait pas sans menace. Deux
jours plus tard, le ministre de la
défense a profité de la visite de
Benyamin Nétanyahou à Londres
pour demander au gouverne-
ment de geler la réforme pendant
un mois. « Le fossé croissant dans
notre société a pénétré les forces
de défense israéliennes et les
­agences de sécurité. Cela pose une
menace claire, immédiate et tan-
gible à la sécurité de l’Etat. Je n’ap-
porterai pas ma contribution à
cela », a-t-il déclaré dans une
adresse à la télévision. En même
temps, des centaines de milliers
d’Israéliens manifestaient contre
la réforme, pour la douzième se-
maine consécutive.
Le coup est d’autant plus rude
pour le premier ministre qu’il
émane d’un de ses alliés fidèles.
Benyamin Nétanyahou a mis
vingt-quatre heures à réagir.
Deux autres députés du Likoud,
Yuli Edelstein et David Bitan,
avaient déjà demandé ces
­dernières semaines à ralentir le
rythme. La chaîne israélienne 12
rapporte qu’Avi Dichter, le minis-
tre de l’agriculture, se serait joint
à leurs appels. Dimanche, celui
qui a ­dirigé le Shin Bet, le service
de renseignement intérieur
­israélien pendant la seconde Inti-
fada, a pourtant affirmé qu’il vo-
terait bien la réforme. Il est désor-
mais pressenti pour remplacer
M. Gallant.
Jusqu’alors, Benyamin Néta-
nyahou comptait sur son expé-
rience pour faire taire les inquié-
tudes et mater les voix critiques.
A rebours des appels au gel du
projet qui se multipliaient, la
coalition a accéléré les débats,
sous la houlette de Simcha
­Rothman, le ­président de la com-
mission des lois. Celle-ci espère
faire voter une loi étendant le
contrôle du gouvernement sur la
nomination des juges, l’une des
principales dispositions de la ré-
forme, d’ici au 3 avril, avant les
vacances parlementaires. Lundi
matin, le projet a été validé en
commission, dans une ambiance
électrique. p
Clothilde Mraffko
Vladimir Poutine, avec le Biélorusse Alexandre Loukachenko, à Novo-Ogarevo (Russie), le 17 février. VLADIMIR ASTAPKOVICH/AFP
Poutine étend son chantage
nucléaire avec l’appui de Minsk
La Russie veut déployer sur le territoire biélorusse des armes nucléaires
tactiques, en plus des systèmes de missiles Iskander déjà présents
Moscou - correspondant
A
près des mois à agiter
la menace d’une con-
frontation nucléaire,
la Russie se dote dans
ce domaine d’une nouvelle carte :
selon Vladimir Poutine, Moscou a
l’intention de déployer sur le ter-
ritoire de la Biélorussie voisine
des armes nucléaires tactiques.
Le président russe en a fait l’an-
nonce samedi 25 mars, lors du
­traditionnel entretien télévisé
« Moscou. Kremlin. Poutine ».
Comme il le fait souvent,
M. Poutine assure avoir pris cette
décision « à la demande » de son
homologue, Alexandre Louka-
chenko. En réalité, celui-ci est de-
puis 2020, et sa réélection fraudu-
leuse contestée, le complet vassal
de Moscou, sans la moindre
marge de manœuvre. Le territoire
biélorusse, qui sert déjà de base
arrière à l’invasion de l’Ukraine,
est désormais mis au service du
chantage nucléaire que la Russie
exerce sur l’Occident.
Le constat n’est d’ailleurs pas
nouveau. Vladimir Poutine a rap-
pelé que la Russie avait déjà dé-
ployé sur le sol biélorusse des sys-
tèmes de missiles Iskander capa-
bles d’emporter des charges nu-
cléaires ainsi que des avions de
combat adaptés dans le même
sens. « Dix appareils sont déjà
prêts à utiliser ce type d’armes », a-
t-il précisé. Début 2022, Minsk
avait amendé sa Constitution
pour effacer toute référence à son
statut d’Etat dénucléarisé.
La nouveauté réside dans le
­stockage annoncé de ces armes
nucléaires sur le territoire biélo-
russe. Selon M. Poutine, Moscou
aura achevé le 1er juillet la cons-
truction d’un centre d’armes nu-
cléaires tactiques – soit des armes
qui ­contiennent des charges
moins puissantes que les armes
nucléaires dites stratégiques.
Le président russe a également
précisé que celles-ci resteraient
sous le contrôle des forces armées
russes, ce qui signifie que Moscou
« ne viole pas ses engagements in-
ternationaux en matière de non-
prolifération des armes nucléai-
res ». Des unités biélorusses se-
ront toutefois formées à l’utilisa-
tion des Iskander à partir du
3 avril, a fait savoir le chef du
Kremlin. Outre la supposée de-
mande de son homologue biélo-
russe, Vladimir Poutine a justifié
cette initiative par l’annonce,
lundi, que le Royaume-Uni allait
fournir à l’Ukraine des obus à ura-
nium appauvri. Ces munitions,
efficaces contre les chars et les vé-
hicules blindés, n’ont rien à voir
avec les armes nucléaires, même
si leur emploi peut se révéler toxi-
que pour les populations et les
militaires les maniant.
Le président russe a égale-
ment établi un parallèle avec les
actions occidentales. « Il n’y a rien
d’inhabituel ici, a-t-il fait va-
loir. Les Etats-Unis font cela de-
puis des décennies. Ils déploient
depuis longtemps leurs armes
­nucléaires tactiques sur le terri-
toire de leurs alliés. »
Options réduites sur le terrain
Cette équivalence n’est que par-
tiellement juste. « Partager des tê-
tes nucléaires utilisables par des
missiles biélorusses va au-delà de
ce que fait l’OTAN, note sur Twitter
l’expert en armement nucléaire
Jeffrey Lewis, du Middlebury Ins-
titute. Les Etats-Unis ne déploient
plus de charges nucléaires pour les
missiles de ses alliés européens.
L’Allemagne y a, par exemple, re-
noncé en 1987, en marge de la si-
gnature du traité sur les forces nu-
cléaires à portée intermédiaire.
C’est donc un précédent que Pou-
tine pourrait regretter. »
Cette annonce confirme aussi le
détricotage systématique de tous
les traités hérités de la guerre
froide encadrant le nucléaire mili-
taire. Fin février, la Russie avait
déjà suspendu sa participation à
l’important traité de désarme-
ment nucléaire New Start, signé
avec les Etats-Unis, tout en pro-
mettant de respecter la limitation
de son arsenal nucléaire jusqu’à la
fin de cet accord, le 5 février 2026.
Ces initiatives successives res-
semblent à autant de tentatives
de faire pression sur les alliés occi-
dentaux de l’Ukraine, dont les li-
vraisons d’armes à Kiev consti-
tuent une « menace » pour la Rus-
sie, selon le terme employé par
Vladimir Poutine, samedi soir.
Dès le début de l’invasion de
l’Ukraine, le 24 février 2022, la
question du nucléaire a été posée.
Moscou a même cité la volonté
International | 3
La déclaration
commune
adoptée lors
de la visite
de Xi Jinping
à Moscou faisait
référence à la
non-prolifération
supposée de Kiev de se doter de
l’arme nucléaire comme l’une des
motivations au lancement d’une
offensive « préventive ». Par la
suite, les officiels russes ont évo-
qué, sur le ton de l’intimidation, le
risque d’une confrontation nu-
cléaire avec l’Occident.
« Il s’agit d’une nouvelle tentative
d’attirer l’attention de Washing-
ton, estime l’expert en nucléaire
Maxim Starchak, de l’université
canadienne Queen’s, pour le mé-
dia en ligne russe Meduza. En aug-
mentant la tension, en utilisant un
sujet présumé important pour les
Etats-Unis, Moscou veut forcer les
Américains à s’asseoir à la table
des négociations et à reconnaître
les gains russes en Ukraine. »
Reste que le caractère répétitif
de ces menaces et le moment
choisi pour cette dernière initia-
tive interrogent. L’annonce res-
semble fort à un aveu de faiblesse
de la part de Moscou, qui voit ses
options sur le terrain ukrainien se
réduire de plus en plus. Depuis
qu’elles ont repris l’initiative,
après les contre-attaques ukrai-
niennes victorieuses de l’été et de
l’automne, les forces russes appa-
raissent enlisées, avec comme
seul succès – modeste – la prise de
Soledar, en janvier.
Sur le terrain diplomatique, le
constat est proche. L’annonce du
déploiement d’armes nucléaires
en Biélorussie intervient après la
visite à Moscou du dirigeant
­chinois, Xi Jinping. M. Poutine
semble ainsi reconnaître que le
soutien de Pékin n’est pas de na-
ture à faire bouger significative-
ment les lignes, malgré l’enthou-
siasme affiché côté russe.
Le message envoyé par Moscou
à Pékin pose lui aussi question.
La déclaration commune adop-
tée par M. Xi et M. Poutine faisait
­ xplicitement référence à la non-
e
prolifération : « Tous les Etats do-
tés de l’arme nucléaire devraient
s’abstenir de déployer de telles ar-
mes à l’étranger », indiquait le
texte signé le 21 mars.
Côté occidental, Paris et Berlin
ont immédiatement condamné
l’annonce de M. Poutine, la
France appelant Moscou à faire
preuve de « responsabilité ». Le
chef de la diplomatie euro-
péenne, Josep Borrell, a averti de
son côté que l’UE était « prête à
réagir par de nouvelles sanctions »
contre Minsk. L’Ukraine, dénon-
çant le « chantage nucléaire »
russe, a demandé une réunion ex-
traordinaire du Conseil de sécu-
rité des Nations unies.
Les Etats-Unis, de leur côté,
n’ont « aucune indication » que la
Russie a transféré des armes nu-
cléaires en Biélorussie, ni même
que Vladimir Poutine ait l’inten-
tion de recourir à l’arme nucléaire
en Ukraine, a affirmé John Kirby,
porte-parole du Conseil de sécu-
rité nationale. Cette réaction me-
surée ressemble autant à un refus
de la part de Washington de ren-
trer dans le jeu russe qu’à une
réelle expression de scepticisme.
Moscou promet par exemple de-
puis sept ans de construire un site
de stockage d’armes nucléaires
dans son enclave de Kaliningrad.
Le véritable enjeu se situe sur le
terrain des armements conven-
tionnels, et notamment dans la
quantité d’obus et de munitions à
disposition des armées ukrai-
nienne et russe. Alors que Kiev a
reconnu ne pas disposer d’assez
de réserves pour lancer une con-
tre-offensive efficace, Moscou nie
la moindre difficulté.
Samedi, M. Poutine a assuré que
la Russie serait capable de pro-
duire 1 600 chars dans les trois
prochaines années, soit « plus de
trois fois plus » que son adversaire.
Son prédécesseur au Kremlin,
Dmitri Medvedev, avait évoqué
un peu plus tôt une production
équivalente… pour 2023.
S’agissant des munitions à ura-
nium appauvri, « la Russie a de
quoi répondre », a aussi affirmé
Vladimir Poutine : « Nous avons,
sans exagérer, des centaines de mil-
liers d’obus de ce type. Nous ne les
utilisons pas, pour le moment. » p
Benoît Vitkine

4 | International
Au large de la Tunisie, le tombeau des migrants
Cinq embarcations ont chaviré en quelques jours, causant la mort d’une trentaine d’exilés subsahariens
Reportage
Sfax (Tunisie) - envoyé spécial
A
madou a la voix va-
cillante, submergée par
l’émotion. De son ha-
vre provisoire de Sfax,
ville portuaire située à 270 kilomè-
tres au sud-est de Tunis, le jeune
Guinéen, qui préfère être identifié
sous ce nom d’emprunt, raconte
comment il a côtoyé la mort, mer-
credi 22 mars, dans les eaux gla-
cées du large. « Nous sommes par-
tis vers 4 heures du matin, tout était
normal, puis l’eau a commencé à
entrer dans le bateau. Vers 7 heures,
nous avons fait naufrage. » Il se
souvient de tout : l’embarque-
ment en pleine nuit sur une plage
à proximité de Sfax, la longueur
du bateau et la puissance du mo-
teur, le départ vers les côtes de la
Sicile. Puis, quelques heures plus
tard, les vagues qui frappent vio-
lemment la coque, la panique,
l’appel de détresse aux gardes-cô-
tes tunisiens et, enfin, l’embarca-
tion qui chavire, les corps en perdi-
tion. « Il y avait des petits bébés, ils
sont tous morts », souffle-t-il.
Le jeune homme témoigne,
­vendredi 24 mars, assis sur un
­matelas à même le sol au milieu
d’une dizaine d’autres migrants,
dont quatre étaient à bord du
même bateau. Tous ont trouvé re-
fuge dans cette petite maison d’un
quartier résidentiel de Sfax. Deux
pièces : une chambre, où ils dor-
ment tous, et une cuisine, sans
compter les toilettes. A peine quel-
ques mètres carrés entre lesquels
on ne cesse de conter les drames
et de décompter les morts.
« Regarde cette photo, c’est un
ami qui a disparu hier », lance un
jeune homme, brandissant son
téléphone portable. « Moi, mon
frère est mort en mer il y a deux
jours », lui répond un autre, d’une
voix timide. Ces derniers jours, les
naufrages s’enchaînent. Au moins
cinq, d’après des chiffres officiels
tunisiens cités par Reuters, proba-
blement plus, qui ont coûté la vie
à une trentaine de migrants.
Amadou et ses camarades d’in-
fortune ont été poussés à quitter
la Tunisie à cause d’un climat hos-
tile. Le 21 février, le chef de l’Etat,
Kaïs Saïed, avait prononcé un dis-
cours contre « les hordes de mi-
grants clandestins », qui a déclen-
ché une vague sans précédent
d’agressions racistes contre la
communauté noire dans le pays.
Pour ceux des Subsahariens ne
pouvant – ou ne souhaitant – pas
retourner dans leur pays d’ori-
gine, la traversée de la Méditerra-
née vers l’Italie s’est imposée.
C’est le cas d’Amadou.
Liban : la discorde sur l’heure d’été vire à la dispute confessionnelle
La décision inopinée du premier ministre, Najib Mikati, de reporter d’un mois le changement d’heure est contestée par le camp chrétien
Beyrouth - correspondance
L es Libanais se surpassent
dans ce qu’ils savent faire le
mieux : ne jamais s’accor-
der sur rien. Depuis dimanche
26 mars, le pays du Cèdre vit au
rythme de deux fuseaux horaires
distincts. C’est la conséquence de
la décision du premier ministre
intérimaire, Najib Mikati, de retar-
der le passage à l’heure d’été et du
rejet de cette initiative par une
partie de la société.
L’ambiance était ubuesque lundi
27 mars au matin : les élèves des
écoles chrétiennes, pilier du sec-
teur éducatif, sont allés en classe
calés sur l’heure d’été, que suivent
aussi certains médias ou entrepri-
ses privés. Mais les employés de
l’Etat et ceux des banques sont
restés à l’heure d’hiver. Une cas-
cade de couacs et de dysfonction-
« Il y avait
des petits
bébés, ils sont
tous morts »
Amadou
migrant guinéen secouru
le 22 mars au large de Sfax
« [Kaïs Saïed] a fait sa déclara-
tion, le 21, j’ai perdu mon travail de
pâtissier, le 23, relate-t-il. Mon pa-
tron était très gentil, il me traitait
bien, il me donnait de la nourriture.
Mais, après le discours, il m’a dit : “Je
ne peux pas prendre le risque
d’avoir des problèmes.” Il a bien es-
sayé de m’arranger un contrat de
travail pour que je puisse obtenir
ma carte de résident, mais ce n’était
pas possible. Il m’a payé ce qu’il me
devait et je suis parti. » Deux jours
plus tard, son bailleur le somme de
quitter sans délai l’appartement
où il vivait avec deux autres per-
sonnes. Amadou passe plusieurs
jours dans la rue avant qu’un ami
lui propose de l’héberger. Il le re-
joint à Sfax dans cette maison.
Manœuvres dangereuses
Quatre de ses compagnons, pré-
sents dans la pièce, qui ont pris
place à bord du même bateau, sont
partis pour les mêmes raisons. Au
total, 38 personnes se trouvaient
dans l’embarcation lorsqu’elle a
chaviré. Les survivants ont passé
plusieurs heures dans l’eau, à la dé-
rive, accrochés à des chambres à
air. Ils ont finalement été secourus
par les gardes-côtes tunisiens et
ramenés à l’hôpital de Jebeniana, à
une trentaine de kilomètres au
nord-est de Sfax. L’embarcation
d’Amadou faisait partie d’un
­convoi de quatre bateaux. Deux
d’entre eux ont fait demi-tour face
aux conditions météorologiques
difficiles. On n’a pas retrouvé trace
du dernier, à bord duquel qua-
rante personnes avaient pris place.
Il est difficile de mesurer l’am-
pleur de ce phénomène d’exode.
A 186 kilomètres de là, l’île ita-
lienne de Lampedusa a enregistré
près de 900 arrivées entre jeudi et
vendredi, selon l’agence de presse
italienne Ansa. Ce chiffre s’ajoute
aux 12 134 migrants et réfugiés
déjà débarqués du 1er janvier au
19 mars en Sicile à partir de la Tu-
nisie, soit dix fois plus que lors de
la période correspondante de
2022. Et le nombre serait bien plus
important sans la garde nationale
maritime tunisienne, qui affirme
avoir intercepté, en vertu d’un ac-
cord passé avec l’Italie, 2 034 per-
sonnes à bord d’une trentaine
nements guette le pays en faillite.
A moins d’un rebondissement, la
schizophrénie devrait durer plu-
sieurs semaines. La décision de
M. Mikati, annoncée de manière
inopinée, jeudi 23 mars, prévoit
que le Liban passe à l’heure d’été
autour du 21 avril, soit le jour de
clôture du ramadan, même si
aucune référence n’a été faite par
les autorités au mois de jeûne des
musulmans. D’ha­bitude, le Liban
avance ses hor­loges d’une heure
lors du dernier week-end de mars,
comme dans le reste du monde.
Cette annonce surprise n’est pas
le fruit d’une concertation – le
gouvernement, chargé de la ges-
tion des affaires courantes, se réu-
nit rarement – et aucune explica-
tion n’a été fournie. Mais une vi-
déo qui a fuité montre l’indébou-
lonnable président du Parlement,
Nabih Berri, converser avec Najib
Des migrants, lors d’une opération de la garde nationale tunisienne, au large de Sfax, le 28 octobre 2022. YASSINE GAIDI/Anadolu Agency/AFP
d’embarcations pour les seules
journées de mercredi et de jeudi.
Mais, derrière ces chiffres impres-
sionnants, de plus en plus de té-
moignages pointent du doigt le
comportement des gardes-côtes.
Assis à côté d’Amadou, Ousmane
– également un nom d’emprunt –
a, lui aussi, frôlé la mort, le 23 mars.
Il était parti à l’aube de la même ré-
gion en compagnie d’une cin-
quantaine de personnes. Son em-
barcation a été rattrapée par un
­canot semi-rigide de la garde na-
tionale maritime. « Avant de partir,
le conducteur du bateau nous a dit
qu’il avait été intercepté trois fois et
qu’il ne comptait pas se faire pren-
dre, témoigne-t-il. Quand les gar-
des-côtes sont arrivés, ils nous ont
crié d’éteindre le moteur. Ils ont
sorti une longue barre de fer et ont
tapé sur le moteur. Puis ils ont es-
sayé d’attraper le moteur avec une
corde, mais ça n’a pas marché. Ils
ont jeté des bouteilles d’eau sur
nous pour nous faire mal. »
La garde nationale entreprend
des manœuvres dangereuses.
« Quand ils sont venus par le côté
droit, on s’est éloignés par la gau-
che. Puis ils revenaient par la gau-
che et l’on partait vers la droite. On
zigzaguait comme ça. Comme ils
ont des moteurs puissants, on ne
Mikati sur un report du passage à
l’heure d’été, afin de rendre moins
tardif le repas de rupture du jeûne,
calé sur le coucher du soleil.
Flot de railleries
Les spéculations vont bon train :
s’agit-il d’une mesure destinée à
satisfaire les Libanais musulmans
– Nabih Berri est chiite, tandis que
Najib Mikati est sunnite – ou d’une
diversion, alors que la monnaie
nationale périclite ? Ou un mes-
sage voilé pour rappeler que les
musulmans sont majoritaires au
Liban, ou encore une provocation
politique destinée à démontrer
que les deux hommes tiennent les
rênes du pouvoir en l’absence
d’un président ? Le siège du chef
de l’Etat, dévolu à un chrétien ma-
ronite, est vacant depuis cinq
mois. L’élection est gelée par les
querelles partisanes.
pouvait pas leur échapper. C’était
comme s’ils jouaient avec nous. Ils
envoyaient des vagues sur nous. »
Après plusieurs vaines tentatives,
les garde-côtes percutent violem-
ment l’embarcation, qui chavire.
« C’était volontaire », affirme Ous-
mane, sur un ton catégorique.
« Je me suis retrouvé dans l’eau
directement. J’ai vu les enfants, les
femmes qui criaient. La garde na-
tionale a commencé à nous repê-
cher, mais ils n’étaient que cinq. Le
temps qu’ils nous sortent de l’eau,
plusieurs se sont noyés. J’ai vu au
moins six morts, ils ont laissé les
corps. » Les survivants sont trans-
férés sur une embarcation plus
grande, où ils retrouvent d’autres
migrants secourus dans d’autres
opérations : au moins plusieurs
centaines, estime Ousmane.
« Comportements violents »
Ce dernier n’a pas pu filmer l’ac-
crochage, mais une vidéo diffusée
sur les réseaux sociaux montre
une scène similaire. On y voit un
homme en uniforme, debout sur
un canot semi-rigide de la garde
nationale immatriculé « GN 648 »,
frappant violemment un bateau
de migrants à l’aide d’une longue
barre de fer. En décembre 2022, un
collectif d’organisations de la so-
Un flot de railleries et de réac-
tions consternées, provenant de
tout le spectre confessionnel liba-
nais, a suivi l’annonce. Champions
en humour noir, les Libanais ont
ironisé sur la capacité de leurs lea-
ders à acheter du temps, alors que
le pays sombre, et à s’extraire de
toute contrainte internationale.
Des critiques de bon sens ont fait
valoir que le report hâtif était un
casse-tête pour l’aviation et pour
nombre d’entreprises dont les sys-
tèmes informatiques passent
automatiquement à l’heure d’été.
Mais la fronde s’est ensuite déve-
loppée sur des lignes sectaires. Le
patriarcat maronite, institution
religieuse représentant la plus
grande communauté chrétienne
du Liban, a rejeté samedi la déci-
sion. Les principaux responsables
politiques chrétiens, comme
­Samir Geagea (Forces libanaises)
Le 21 février,
le président
tunisien s’était
exprimé contre
« les hordes
de migrants
clandestins »
ciété civile, dont le Forum tuni-
sien pour les droits économiques
et sociaux et Alarmphone, la ligne
de détresse à destination des mi-
grants, dénonçait déjà « des com-
portements violents de la part des
autorités tunisiennes lors de leurs
opérations d’interception en mer »
après avoir recueilli de nombreux
témoignages similaires. Hous-
sem Eddine Jebabli, le porte-pa-
role de la garde nationale, avait
balayé les accusations, appelant
quiconque aurait des preuves à
saisir la justice.
Le canot semi-rigide « GN 648 »
est stationné sur le quai de la
garde nationale d’El Louza, petite
bourgade de pêche située à une
quarantaine de kilomètres au
nord-est de Sfax. Camionnettes
frigorifiques pour le transport de
et Gebran Bassil (Courant patrio­-
tique libre), qui se détestent cor­-
dialement, par ailleurs, ont appelé
à la résistance contre « l’heure
­Berri-Mikati ».
Le leader druze Walid Joum-
blatt, pour qui il y a d’autres ur-
gences que d’avancer ou de retar-
der l’heure, a dépêché l’un de ses
fidèles auprès de Nabih Berri pour
­tenter une médiation. La contro-
verse offre aux « zaïm » (chef de
file) libanais l’occasion inespérée
de se poser en défenseur de
« leur » communauté.
« Si tout ce cirque se développe,
c’est aussi à cause de la mentalité
sectaire du pays. La décision de
Mikati et de Berri est stupide, mais
la surréaction chrétienne est exa-
gérée », estime Nada, une chré-
tienne mariée à un musulman,
qui se prépare à un mois de mi-
graines. Au Liban, toute initiative
0123
­
­Mardi 28­ mars 2023
poisson et grandes plages déser-
tes : c’est ici qu’Amadou et ses
compagnons ont été débarqués
après leur naufrage. A l’entrée du
port, les épaves de bateaux en mé-
tal – plusieurs dizaines – utilisés
par les migrants, faute de bois,
s’entassent. Soudain, le bruit d’un
pick-up de la garde nationale vient
briser le calme ambiant. Sa benne
est chargée de plusieurs moteurs
de 40 chevaux, les mêmes que
ceux utilisés par les migrants.
Ici, les pêcheurs sont devenus
malgré eux témoins et acteurs de
ce drame. « A chaque fenêtre de
beau temps, il y a des centaines de
migrants en mer », raconte un vil-
lageois adossé à la devanture d’un
café fermé pendant le ramadan.
Deux jours plus tôt, alors qu’il pê-
chait, il a secouru une femme et sa
fille à la dérive depuis quarante-
huit heures. « Elles ont survécu
grâce à une chambre à air », préci-
se-t-il. Avec l’été qui approche, pé-
riode propice aux départs en rai-
son d’une météo généralement
plus clémente, le pêcheur redoute
une augmentation des drames. p
Nissim Gasteli
Retrouvez en ligne l’ensemble de nos contenus
ayant trait, de près ou de loin, au
facteur religieux provoque des
réactions épidermiques. Mais le
clivage en cours s’inscrit dans un
climat inquiétant de repli com-
munautaire. La crise totale – poli-
tique, économique, financière –
que traverse le pays ravive la peur
de chaque confession de « dispa-
raître » de la table des négocia-
tions intercommunautaires ou
d’être « soumis » à la décision de
« l’autre ». Une aubaine pour les
partis confessionnels, qui avaient
été déstabilisés par la révolte an-
tisystème de l’automne 2019 et
ont remis la main sur leurs parti-
sans en les aidant, à travers des
aides sociales, à faire face à la
crise. Des Libanais préfèrent iro-
niser : selon eux, le pays s’est doté
d’une capacité nouvelle, celle de
voyager dans le temps. p
Laure Stephan
0123
­
­Mardi 28­ mars 2023 International | 5

Aux Etats-Unis,
les outrances
verbales de
Donald Trump
Devant ses partisans réunis au Texas,
l’ex-président redouble de menaces
contre le procureur de Manhattan

Washington - correspondant Le 21 mars, nulle trace de ­l’ancien

président au tribunal, contrai­-

I
l y a trente ans exactement,
le monde entier découvrait
la ville de Waco (Texas),
­théâtre d’un siège dramati-
que et sanglant. Avant de donner
l’assaut final, la police avait encer-
clé pendant cinquante et un jours
le ranch dans lequel vivaient une
centaine de membres d’une secte
religieuse, équipés d’armes de
guerre. C’est dans cette même
ville, devenue un symbole pour
les milices d’extrême droite
­haïssant l’Etat fédéral, que Do-
nald Trump a choisi de tenir son
premier meeting officiel de cam-
pagne présidentielle, samedi
25 mars, devant ses partisans les
plus résolus.
« L’homme le plus ­innocent de
l’histoire » des Etats-Unis, selon
ses mots, y a énuméré pendant
une heure et demie la longue liste
de ses ennemis : « l’Etat profond »,
« les communistes », « les mondia-
listes », « les va-t-en-guerre ». Alors
que les enquêtes judiciaires se
resserrent autour de lui, Donald
Trump poursuit sa fuite en avant,
à ­grandes enjambées, devant un
Parti républicain tétanisé.
On le sait de longue date :
­Donald Trump préfère lancer les
rement à sa dénonciation préven-
tive. Nulle délibération du grand
jury. Donald Trump a pourtant
­redoublé de vigueur, dans un tor-
rent de messages violents, mena-
çant même de « mort et destruc-
tion potentielles », en cas de
« fausse accusation » portée ­contre
lui. Un homme est devenu la cible
privilégiée des républicains et des
chaînes conservatrices : Alvin
Bragg, en poste depuis quatorze
mois. Plusieurs élus MAGA à la
Chambre des représentants ont
adressé des courriers au magis-
trat, lui demandant de fournir des
informations sur son enquête et
de comparaître devant eux. Un
geste théâtral gratuit, M. Bragg ne
pouvant en aucun cas s’exprimer
sur une enquête en cours.
« On ne pense pas du tout que le
président Trump ait violé la loi », a
lancé l’élu républicain Jim Jordan
(Ohio), sans rien connaître des
conclusions de l’enquête à ce
stade. Une sorte d’offensive coor-
donnée, pour discréditer et
­mettre sous pression le magistrat
new-yorkais, qui a reçu par
ailleurs à son bureau une enve-
loppe avec de la poudre blanche et
une menace de mort. Dans une
L’ancien président Donald Trump, à Waco, au Texas, samedi 25 mars. BRANDON BELL/AFP
L’ancien
président qualifie
le magistrat
Alvin Bragg
de « psychopathe
dégénéré » et
de « tyran woke »
avec le Mexique, la criminalité et
même l’édification de dix « free-
dom cities », des villes du futur où
l’on circulerait dans des voitures à
décollage vertical. Ce souci de
l’avenir n’a guère duré. En vérité,
ce que propose Donald Trump est
une restauration de son mandat.
Le deuxième facteur est l’embar-
ras des républicains, incapables de
s’opposer – pour ceux qui le vou-
L’ancien président et son équipe
le mentionnent plusieurs fois par
jour pour discréditer M. Bragg, ce
« tyran woke », magistrat « cor-
rompu », « psychopathe dégé-
néré », « militant progressiste », ac-
cusé d’avoir touché 1 million de
dollars de donation de la part de
George Soros, par l’intermédiaire
du comité d’action publique ­Color
of Change. Donald Trump a aussi
qualifié le magistrat d’« animal »
et de « raciste ». Un milliardaire
juif, un procureur noir : l’ancien
président mise sur la stigmatisa-
tion la plus vile et sur les théories
11 eme é d i t i o n
conspirationnistes pour détour-
ner l’attention. « C’est la Gestapo,
c’est la Russie et la Chine, mais en
pire », assure Donald Trump.
L’efficacité de cette stratégie
d’affrontement à ciel ouvert de-
meure inconnue. Les conseillers
de Donald Trump se disent per-
suadés qu’une éventuelle incul-
pation s’inscrirait dans la longue
liste des attaques contre-produc-
tives portées contre l’ancien pré-
sident. Des coups renforçant
l’idée d’une conspiration politi-
que et paralysant ses rivaux. Ses
conseillers s’appuient sur le pré-
cédent de la perquisition de la
­police fédérale, le FBI, en
août 2022, dans sa résidence de
Mar-a-Lago, à la recherche de car-
tons de documents classifiés et
soustraits aux archives nationa-
les. Mais ce retour à la polémique
permanente, à la violence verbale
et paranoïaque, à la chronique
­judiciaire individuelle au détri-
ment d’une offre politique pour
le pays, porte aussi le risque d’une
lassitude générale, voire d’un re-
jet massif, au-delà du cercle sec-
taire autour de Donald Trump. p
Piotr Smolar

Les Français
incendies plutôt que de les subir. ­réponse adressée le 23 mars, le draient – à leur geôlier depuis sept
Dans un message publié sur son procureur a fait savoir que la de- ans, qui tient pourtant un bidon
réseau Truth Social, le 18 mars au mande des élus constituait une d’essence dans chaque main. Le

d e L’ é t r a n g e r
matin, l’ancien président avait « requête sans précédent dans une speaker de la Chambre des repré-
prévenu de son arrestation immi- investigation locale en cours ». sentants, Kevin McCarthy, est
nente, trois jours plus tard, à forcé de poursuivre sa synthèse

­l’initiative du procureur démo-
crate de Manhattan, Alvin Bragg.
« Protestez, reprenez notre na-
tion ! », écrivait-il. Cet appel à la
mobilisation du monde MAGA
(« Make America great again »,
son slogan) lui a permis de lancer
une nouvelle collecte de dons
fructueuse, grâce à des rafales de
courriels. Les chaînes d’informa-
tion, elles, se plaçaient toute la
­semaine en édition spéciale.
Parmi toutes les affaires judiciai-
res qui le visent, celle relevant d’Al-
vin Bragg est très ancienne. Do-
nald Trump est mis en cause en
raison de la somme de
130 000 dollars (120 750 euros),
versée en espèces par son ancien
avocat et homme à tout faire, Mi-
chael Cohen, à la vedette du porno
Stormy Daniels. Celle-ci dit avoir
eu une liaison avec Donald
Trump, qui aurait voulu acheter
son silence par une sorte de con-
trat privé, à l’approche de l’élection
présidentielle de 2016. Ce n’est pas
le paiement lui-même qui consti-
tue un délit potentiel au regard de
la loi américaine, mais le fait que la
somme – remboursée en chèques
plus tard par Donald Trump à
­Michael Cohen – ait été enregis-
trée au titre de frais juridiques
dans les dépenses de campagne.
Le milliardaire
est à nouveau
au cœur du jeu
politique,
imposant
dans son camp
un référendum
permanent
« C’est la Gestapo »
En attendant une éventuelle in-
culpation cette semaine, le para-
doxe Trump se confirme une fois
encore. On l’annonce à terre ? Il se
remet en selle. Les enquêtes judi-
ciaires s’intensifient ? Il les utilise
à son profit pour électriser sa base
militante. Dans la foulée des
­élections de mi-mandat début no-
vembre 2022, Donald Trump avait
précipité son annonce de candi-
dature aux primaires, avant la pré-
sidentielle de 2024. Paraissant à
court d’idées, de conseillers quali-
fiés et même d’énergie, il inspirait
soudain le sentiment qu’il exècre
le plus : l’indifférence.
Quatre mois plus tard, le voici de
nouveau au cœur du jeu politique,
imposant dans son camp un réfé-
rendum permanent sur son nom,
aspirant l’attention des médias. Et
redoublant d’une violence ver-
bale et symbolique, tel ce mon-
tage de deux images, diffusé sur
Truth Social. On y voit Trump te-
nant une batte de baseball, à côté
du procureur Bragg. Son équipe
de campagne a finalement décidé
de supprimer ce message.
Ce retournement est dû à plu-
sieurs facteurs. Dans un premier
temps, Donald Trump a semblé
­tirer des leçons des midterms, en
ne se contentant plus de ruminer
des mensonges sur des fraudes
imaginaires lors de la victoire de
Joe ­Biden, en 2020. Déjà candidat à
deux reprises à la présidentielle, il
a renoué un peu avec le terrain, et
sa rhétorique classique sur les
malheurs de l’homme blanc relé-
gué. Il s’est notamment rendu, le
22 février, à East Palestine (Ohio),
lieu de déraillement d’un train
contenant des produits haute-
ment toxiques. Il a ensuite enre-
gistré une série de vidéos, dites
« programmatiques », sur son pro-
o n t u n i n c r oya b L e
impossible, donnant des gages
aux élus trumpistes qui ont per-
mis son élection en janvier, tout
en prétendant rejeter la violence
politique. « Nous y revoilà, a écrit
M. McCarthy sur Twitter, avant
ta L e n t !
toute inculpation. Un abus de pou-
voir scandaleux de la part d’un pro- Le 28 m a rs 2023, l e p eti t j o u r n a l .co m , l e m éd i a d es F ra n ça is et
cureur de district radical qui laisse d es f ra n co p h o n es à l ’ét ra n g e r, a réco m p e n sé a u Q u a i d ’o rsa y
des criminels violents en liberté
7 F ra n ça is exce pti o n n e ls q u i o n t ré ussi à l ’ét ra n g e r.
tout en poursuivant le président
Trump par vengeance politique. »
Les candidats républicains aux
primaires, déclarés, comme Nikki
Haley, ou potentiels, ont dû aussi
se situer par rapport à Donald
Trump et dénoncer l’enquête
new-yorkaise. C’est particulière-
ment vrai de Ron DeSantis, son simon toseLLi mAdeLeine BAYon mArie-FrAnCe des PALLières
expert technique pour la FiFa plongeuse de haut vol pour un sourire d’enfant
principal rival. Jusqu’alors sans Prix du Public trophée Ancien-ne élève trophée Humanitaire
grand succès, le gouverneur de banque transatlantique des Lycées français du monde cFe
Floride a choisi de coller à toutes aeFe
les positions du favori, tout en dé-
ployant son propre agenda local,
la guerre législative contre le
­wokisme. Tandis que M. Trump
montait le volume des moqueries
à son égard, M. DeSantis s’est re-
trouvé sur la défensive, dévissant
Yves miLLiere PAuLine Fétu Jesus diAz de vivAr GAëLLe BourGeAuLt
nettement dans les sondages. « Il en bici por Francia 9 mois pour toi un jardin sur les toits c’est quoi la France ?
tombe comme une pierre », a raillé trophée Culture/Art de vivre trophée impact social trophée entrepreneur trophée education
Donald Trump, samedi. misterFly malakoff Humanis edHec cned
Après la dénonciation préven-
tive de son interpellation, il a forcé
le gouverneur de Floride à pren-
dre position. Celui-ci a concentré
ses attaques sur le magistrat de
Manhattan. « Comme d’autres
procureurs financés par Soros, ils
instrumentalisent leur fonction
pour imposer un programme poli-
tique à la société, au détriment de L e p e t i tj o u r n a L .c o m r e m e r c i e s e s pa rt e n a i r e s
l’Etat de droit et de la sécurité publi-
que », a expliqué M. DeSantis. Le
milliardaire philanthrope George
Soros est une obsession de longue
date de Donald Trump, qui l’a
érigé en figure centrale de la « ca-
bale ténébreuse de forces mondia-
listes » – expression figurant dans
BUSINESS SCHOOL

sur son nom jet fiscal, le contrôle de la frontière un mail envoyé à ses partisans.
 France
6|
Apaiser sans reculer, le paradoxe de Macron
Dans un climat de violences, l’exécutif cherche à amadouer les syndicats, sans retirer la réforme des retraites
T
enter de calmer les es-
prits, sans céder sur l’es-
sentiel. Alors que la ré-
forme des retraites pour-
suit son chemin pour un mois au
Conseil constitutionnel, l’Elysée
écarte toujours le scénario préco-
nisé par Laurent Berger, consis-
tant à mettre ce texte très impopu-
laire « sur pause » pendant six
mois. Le président de la Républi-
que et le leader de la CFDT n’ont ja-
mais trouvé de langage commun
autour du recul de l’âge légal de dé-
part de 62 à 64 ans, qui a précipité
le pays dans la crise. Mais, depuis le
regain de violences, à la veille
d’une dixième journée de mobili-
sation nationale, mardi 28 mars, le
camp macroniste tente de renouer
le dialogue. « Soit on se regarde en
chiens de faïence, soit on utilise ce
temps de pause pour discuter », ap-
puie un conseiller élyséen.
Alexis Kohler, bras droit d’Em-
manuel Macron, a appelé Laurent
Berger en fin de semaine dernière,
tout comme plusieurs ministres
et députés. Sans résultat tangible.
Vendredi, M. Macron a certes in-
vité les syndicats à venir discuter
des carrières et de l’usure profes-
sionnelle – « des sujets qui ne sont
pas déliés des retraites », traduit un
conseiller du palais. Petite in-
flexion du ton présidentiel. « Un
jour, il me met une gifle, l’autre jour
une caresse », dit en riant jaune
auprès du Monde Laurent Berger,
qui attend toujours « un acte sur
les retraites ». « On entre dans une
violence inacceptable pour tous les
démocrates. On nous a vendu du
pragmatisme, c’est le moment de
se parler. Il faut remettre l’ouvrage
sur le métier », estime le syndica-
liste qui juge, dans la revue Le
Grand Continent, « absurde de ris-
quer de faire sombrer la France
dans le chaos pour si peu ».
Le climat de violences accroît,
d’heure en heure, la pression sur
un président qui ne cède pas. Des
affrontements entre militants
écologistes et forces de l’ordre
autour des bassines de Sainte-So-
line (Deux-Sèvres), samedi, ont
fait des dizaines de blessés parmi
les gendarmes et les manifes-
tants. Un militant se trouvait di-
manche entre la vie et la mort.
« Rien n’indique encore que ce soit
le fait des gendarmes », démine-
t-on place Beauvau, où l’on re-
doute un drame semblable à la
mort de Rémi Fraisse, manifes-
tant écologiste de 21 ans tué par
un gendarme qui avait jeté une
grenade offensive, au barrage de
Sivens (Tarn), en 2014.
Des faits de violence policière se
multiplient et acculent le gouver-
nement. L’enregistrement d’une
interpellation effectuée à Paris
par la brigade de répression de
l’action violente motocycliste
(BRAV-M), dévoilé par Le Monde et
Loopsider, révèle des policiers qui
injurient et menacent d’envoyer
Edouard Philippe appelle à l’unité et au respect mutuel dans la majorité
Les yeux rivés sur la présidentielle de 2027, l’ex-premier ministre a réuni le premier congrès de son parti, Horizons, samedi à Paris
E douard Philippe a, un
temps, envisagé de tout an-
nuler. Le premier congrès
de son jeune parti, Horizons, orga-
nisé samedi 25 mars au Parc floral,
dans le cœur du bois de Vincen-
nes, tombait mal alors que la rue
s’enflamme contre la réforme des
retraites. Mais pas question d’an-
nuler. Malgré les difficultés de
transport, une foule d’un peu plus
de 3 000 sympathisants était
au rendez-vous pour applaudir le
candidat pressenti à l’élection pré-
sidentielle de 2027, à la parole rare
et parfois cinglante. En cette pé-
riode de gros temps, les brouilles
qui ont agité les trois piliers de la
Emmanuel Macron,
à l’Elysée, à Paris,
le 24 mars. YOAN VALAT/AFP
« à l’hôpital » de jeunes manifes-
tants contre la réforme des retrai-
tes, giflant l’un d’eux. « Il y aura
des sanctions », a réagi le ministre
de l’intérieur, Gérald Darmanin,
tout en réaffirmant son « soutien
total » aux policiers et gendarmes
« attaqués par l’extrême gauche ».
Le préfet de police de Paris, Lau-
rent Nuñez, a saisi l’inspection
­générale de la police nationale,
qui a lancé dix-sept enquêtes judi-
ciaires depuis la première journée
de mobilisation contre cette ré-
forme, le 19 janvier.
« Les plaies sont trop à vif »
Ces heurts dans la rue rejaillissent
dans l’arène politique. Les élus de
La France insoumise (LFI) récla-
ment la dissolution de la BRAV-M.
« Vous ne pourrez pas embastiller
tous les opposants à votre ré-
forme. (…) Le désordre, c’est
vous ! », avait accusé le député LFI
Andy Kerbrat (Loire-Atlantique),
mardi 21 mars, à l’endroit du mi-
nistre de l’intérieur, tandis que le
pouvoir cible les « factieux », qui
voudraient « tuer les institutions ».
« Macron s’adresse à une “majo-
rité silencieuse” qui ne supporte
pas le désordre et la chienlit, en es-
pérant un regain de popularité
majorité avaient été mises de côté,
comme dans ces familles où les
­sujets qui fâchent flottent dans
l’atmosphère sans être jamais
frontalement évoqués. Et c’est
l’image d’une communion en-
tre Horizons, le MoDem et le parti
présidentiel Renaissance qui s’affi-
chait aux premiers rangs de la salle
érigée au milieu du parc bucoli-
que. La première ministre, Elisa-
beth Borne, était présente, aux cô-
tés de quelques membres du gou-
vernement, comme le ministre du
travail, Olivier Dussopt, ou Fran-
çois Bayrou, patron du MoDem.
Les temps sont graves. Mais le
maire du Havre (Seine-Maritime),
Elisabeth Borne
fixe comme
« objectif » de
ne plus recourir
au 49.3, sauf
pour les textes
budgétaires
comme après le saccage de l’Arc de
triomphe par les “gilets jaunes”,
analyse Frédéric Dabi, directeur
général de l’IFOP. Mais cette logi-
que ne se vérifie pas, les plaies sont
trop à vif. »
« On a un niveau de colère et de
ressentiment comme j’en ai rare-
ment vu, s’est alarmé François
Hollande, dimanche, sur BFM-TV.
On ne peut pas vivre encore plu-
sieurs semaines dans ce cli-
mat-là. » Une rancœur touchant
des Français de toute sensibilité
politique, note l’ancien chef de
l’Etat : de celle qui éclate au Stade
de France, en plein match entre la
France et les Pays-Bas, vendredi,
où le public scande « Macron dé-
mission ! » à la 49e minute, à celle
qui se distille silencieusement
allié du chef de l’Etat, avait à cœur
de rappeler qu’Horizons ne
compte pas, malgré la tempête,
les divergences de vues et les dis-
sensions avec Renaissance, se dis-
tancier du gouvernement. « Hori-
zons est, et restera, un membre de
la majorité présidentielle », a-t-il
asséné pour dissiper les doutes,
après que trois députés apparen-
tés Horizons ont menacé de ne
pas voter la réforme des retraites.
Regrets sur les retraites
L’appui à la Macronie en péril
s’est traduit par une « standing
ovation » adressée à Elisabeth
Borne, qui s’est érigée en « ga-
chez les soutiens de M. Macron.
« Il existe pour la première fois un
décrochage dans son propre élec-
torat, relève M. Dabi. Le 49.3 a ac-
céléré les doutes : où nous emmè-
ne-t-il ? Jusqu’où sera-t-il le prési-
dent sourd, qui n’écoute ni la rue, ni
les syndicats, ni les forces politi-
ques ? Même ses partisans trou-
vent qu’il a braqué le pays. »
Sans renoncer à sa réforme, le
chef de l’Etat orchestre des reculs
sur d’autres sujets, comme sur la
loi immigration. Il devait recevoir
la première ministre, lundi
27 mars, pour prendre acte d’une
feuille de route visant à « élargir la
majorité présidentielle ». Avant un
déjeuner, à l’Elysée, avec les cadres
de la majorité – chefs de parti, par-
lementaires et ministres. Une scé-
nographie vouée à « décaler l’épi-
centre de l’Elysée à Matignon », se-
lon un proche de M. Macron. « Le
président cherche une initiative
pour bouger en restant dans le ca-
dre : ni retrait, ni dissolution, ni re-
maniement… pour le moment »,
dit-on autour de M. Darmanin.
Dimanche, dans la soirée, Elisa-
beth Borne a dévoilé à l’Agence
France-Presse son « plan d’action »,
en vue de « mettre de l’apaise-
ment ». La cheffe de la majorité
rante du dépassement », promet-
tant « d’élargir la majorité »,
comme l’a enjoint M. Macron.
« Nous devons améliorer le fonc-
tionnement de notre majorité », a
enchaîné M. Philippe, parlant
d’un « impératif politique ». Les
députés Horizons avaient peu
goûté que la proposition de loi de
l’une des leurs, Naïma Mout-
chou, pour instaurer des peines
minimales, soit balayée d’un re-
vers de la main, début mars. Son
parti, désormais doté de
20 000 membres, de 800 comi-
tés municipaux et de 450 maires,
entend se faire davantage res-
pecter par les macronistes.
r­ elative recevra dans la semaine
du 3 avril les groupes parlementai-
res et les partis politiques, y com-
pris de l’opposition, ainsi que les
associations d’élus pour « accélé-
rer les réponses aux attentes des
Français ». Un créneau est aussi
prévu pour d’éventuelles rencon-
tres avec les organisations syndi-
cales, la semaine du 10 avril.
D’autres réformes
Laquelle fixe comme « objectif »
de ne plus recourir au 49.3, sauf
pour les textes budgétaires. Un
­revirement par rapport au dis-
cours tenu la veille. « Certains
voudraient nous réduire au 49.3
qui serait devenu, tout à coup, une
arme antidémocratique, fusti-
geait Elisabeth Borne, au congrès
du parti Horizons samedi. Mais
enfin, (…) nous avons fait ce que les
Français attendaient de nous ! »
La partition gouvernementale
se compose encore à tâtons. Dési-
reux de temporiser, Clément
Beaune, ministre délégué aux
transports, plaide pour une
grande conférence sociale et se
montre sceptique à l’idée de dé-
baucher des élus Les Républi-
cains : « On a payé cher un paquet
de biscuits qu’ils nous vendaient
Soucieux de faire valoir la sin-
gularité d’Horizons, M. Philippe a
décrit une France « inquiète, cris-
pée, dubitative », ne se privant
guère de partager quelques re-
grets sur la façon dont a été me-
née la réforme des retraites. Le
constat d’un déficit du régime n’a
pas été intégré par l’opinion, a-t-il
analysé. Comment pouvait-elle,
dès lors, accepter de travailler
deux années de plus ?
L’ex-proche d’Alain Juppé a pris
soin de dérouler son « cap » et ses
priorités lors d’un discours d’une
heure et demie où son alopécie
n’aura été qu’effleurée. Caressant
son crâne dégarni, le quinquagé-
0123
­
­Mardi 28­ mars 2023
délicieux, il était vide », dit-il cin-
glant. Partisan de la détermina-
tion, Olivier Véran a rejeté, dans
Le Journal du dimanche, toute « re-
traite des réformes » : il y en aura
d’autres, dont certaines « impo-
pulaires, mais nécessaires », pré-
vient le porte-parole du gouver-
nement. De son côté, Olivier Dus-
sopt, ministre du travail, prend
sur France Inter un ton martial :
« Le problème, ce n’est pas la po-
lice », mais « les fauteurs de trou-
bles, les casseurs et les émeutiers ».
Au sommet de l’Etat, on nourrit
surtout l’espoir que la tension
­sociale retombe mardi. « La der-
nière erreur ne serait-ce pas de con-
tinuer comme si de rien n’était ? »,
interroge M. Hollande en appelant
M. Macron à reprendre langue
sans délai avec les syndicats. « S’il
n’y a pas un mouvement sur la
question du report de l’âge légal, il
n’y aura pas d’issue du conflit »,
achève-t-il. Conscients que les
tempéraments des hommes
comptent dans la crise, des pro-
ches du chef de l’Etat s’évertuent à
le convaincre : mettre de l’eau dans
son vin quand le pays s’embrase
ne serait pas aveu de faiblesse.
L’entendra-t-il ? p
Ivanne Trippenbach
naire a évoqué son passé étu-
diant : une époque où « il avait
plus de cheveux et plus de sour-
cils », a-t-il plaisanté. Parlant géo-
politique et adaptation écologi-
que, il a choisi une ligne faisant de
l’école le cœur de son projet.
« Charles Péguy disait : “Il n’y a pas
de crise de l’enseignement mais
une crise de la société”. Ce n’est pas
l’école qui est en crise, c’est nous.
Il avait raison », a-t-il résumé,
avant d’inviter ses troupes à réflé-
chir ensemble à la façon de faire
évoluer le pays. « L’objectif c’est
de gouverner », a-t-il conclu. Une
­parole rare, un message clair. p
Claire Gatinois
0123
­
­Mardi 28­ mars 2023
Lourd bilan après
les affrontements
à Sainte-Soline
Gendarmes et manifestants se rejettent
la responsabilité des violences lors de
la mobilisation contre les mégabassines
D
eux jours après des af-
frontements, samedi
25 mars, d’une grande
violence entre oppo-
sants aux mégabassines, et forces
de l’ordre, aux abords de la bas-
sine, construite mais pas encore
en service, de Sainte-Soline
(Deux-Sèvres), l’inquiétude res-
tait vive sur le sort d’un manifes-
tant de 30 ans blessé à la tête, par
un tir de grenade GM2L (lacrymo-
gène et assourdissante) selon les
organisateurs. Dimanche soir, la
rumeur de son décès a couru,
mais la famille a confirmé, en
toute fin de soirée, qu’il était
­encore en vie « à ce stade », le pro-
nostic vital restant engagé.
La tragédie est donc toujours
possible, faisant ressurgir le trau-
matisme de la mort de Rémi
Fraisse, 21 ans, tué par un tir de gre-
nade, dans la nuit du 25 au 26 octo-
bre 2014, lors d’une manifestation
à Sivens (Tarn). Un drame pour le-
quel la cour administrative d’ap-
pel de Toulouse a reconnu, le 22 fé-
vrier, la « responsabilité sans
faute » de l’Etat.
Le sort du jeune manifestant
« antibassines » de 30 ans illustre
la gravité des heurts qui ont cul-
miné samedi, lors d’un week-end
de mobilisation contre les « réser-
ves de substitution », qui visent à
pomper dans les nappes phréati-
ques l’hiver pour permettre à des
agriculteurs une utilisation de
l’eau toute l’année, et que les op-
posants dénoncent comme un ac-
caparement de l’eau. Signe de la
montée des tensions, plusieurs ar-
rêtés préfectoraux avaient interdit
manifestations et attroupements
dans les secteurs concernés.
Au final, le bilan des affronte-
ments est très lourd. Côté mani-
festants, les organisateurs de la
mobilisation avancent le chiffre
de 200 blessés dont 40 griève-
Le mouvement contre les bassines veut poursuivre les luttes locales
Pour les opposants aux « réserves de substitution », Sainte-Soline est un symbole du combat contre les « grands projets inutiles »
Melle (Deux-Sèvres) -
envoyé spécial
L e gouvernement est loin
d’en avoir fini avec le dos-
sier des mégabassines.
Après la manifestation contre la
réserve de Sainte-Soline (Deux-Sè-
vres), samedi 25 mars, marquée
par de violents affrontements, il
va devoir faire face à une mobilisa-
tion croissante contre ces gigan-
tesques retenues d’eau.
En rassemblant, du 24 au
26 mars, des milliers de person-
nes, le collectif Bassines non
merci, la Confédération paysanne
et Les Soulèvements de la terre
ont fait de Sainte-Soline un nou-
vel emblème national de la lutte
écologique et contre les « grands
projets inutiles imposés ». La cible
de ce week-end de mobilisation,
un bassin pas encore en service de
16 hectares, quasiment la taille du
Stade de France, et d’une conte-
nance de 720 000 mètres cubes
d’eau, symbolise bien, pour les op-
posants, le modèle d’une agricul-
ture intensive qu’ils dénoncent.
Durant trois jours, à Melle, un
bourg des Deux-Sèvres, à une
quinzaine de kilomètres de
­Sainte-Soline, stands d’associa-
tions, débats ou films ont permis
aux militants de présenter leurs
ment, touchés principalement
par des éclats de grenades de dé-
sencerclement et des tirs de lan-
ceurs de balles de défense (LBD).
Du côté des gendarmes, 47 agents
ont été blessés. Deux d’entre eux
se trouvent en état d’urgence ab-
solue, sans que leur pronostic vi-
tal ne soit finalement engagé.
4 000 grenades tirées
Dimanche, un communiqué du
procureur de Niort, Julien Watte-
bled, ne faisait état que de sept
blessés pris en charge par les se-
cours, dont trois en urgence abso-
lue mais annonçait « des vérifica-
tions (…) en cours pour déterminer
si d’autres personnes se sont pré-
sentées spontanément dans des
établissements hospitaliers ».
Une enquête judiciaire a été
ouverte « pour déterminer la na-
ture exacte » des graves blessures
infligées aux trois manifestants
les plus touchés et « les circonstan-
ces dans lesquelles » elles sont in-
tervenues, a-t-il encore précisé.
D’autres procédures judiciaires
sont ouvertes pour :« organisation
de manifestation interdite sur la
voie publique », « violences aggra-
vées sur personnes dépositaires
de l’autorité publique », « partici-
pation à un groupement formé en
vue de commettre des dégrada-
tions ou des violences ».
Les autorités comme les organi-
sateurs de la manifestation se re-
jettent la responsabilité des af-
frontements. Selon le ministre de
l’intérieur, Gérald Darmanin, les
gendarmes ont dû faire face à un
« millier de personnes radicalisées »
et à un « déchaînement de violen-
ces absolument inexcusables ». Les
autorités ont avancé le chiffre, as-
tronomique, de 4 000 grenades de
tous types tirées, confirmant aussi
l’usage de LBD. « Les gendarmes
ont fait un usage gradué et propor-
c­ ombats, dont plusieurs concer-
nant des projets d’infrastructures
routières, et d’échanger sur les
stratégies à mettre en place.
Les prochains rendez-vous des
Soulèvements de la terre, un ré-
seau qui vise à mobiliser nationa-
lement pour soutenir des luttes
locales, sont d’ores et déjà fixés.
« On va lancer la cinquième saison
des Soulèvements de la terre, avec
des rendez-vous nationaux, fin
avril contre le projet d’autoroute
A69, entre Castres et Toulouse, dé-
but mai à Rouen contre le projet de
contournement [A133-A134], un
mois plus tard contre l’extension de
carrières de sable à Saint-Colom-
ban, au sud de la Loire, mais aussi
début juin pour arrêter le chantier
du tunnel ferroviaire du Lyon-Tu-
« Partout où
seront annoncés
des projets de
mégabassine,
il y aura des
oppositions
systématiques »
Benoît Feuillu
Les Soulèvements de la Terre
Manifestation à Sainte-Soline (Deux-Sèvres), le 25 mars. THIBAUD MORITZ/AFP
tionné de la force », a indiqué la
lieutenante-colonelle Nassima
Djebli, l’une des deux porte-parole
de la gendarmerie sur le plateau de
BFM-TV dimanche, évoquant les
« armes saisies » sur les « oppo-
sants radicaux », soit des cou-
teaux, des « boules de pétanque »,
des haches et machettes, des artifi-
ces et quelques matraques et bat-
tes de baseball… Trois véhicules de
gendarmerie ont été brûlés.
Samedi, avant le départ de la
­manifestation, le porte-parole de
la Confédération paysanne des
Deux-Sèvres, Benoît Jaunet, avait
eu beau demander à la foule de
« ne pas répondre aux provoca-
tions violentes qui viendraient des
gendarmes », le choc a été frontal.
La mobilisation avait été appelée
par le syndicat agricole, ainsi que
par le collectif Bassines non merci
et Les Soulèvements de la Terre.
Trois cortèges, de plusieurs mil-
liers de personnes chacun – les or-
ganisateurs parlent de 25 000 à
30 000 participants en tout, l’Etat
de 6 000 manifestants –, avaient
été constitués, qui devaient
­converger vers la réserve de Sain-
te-Soline : trois couleurs et trois
totems, les « outardes roses », les
« loutres jaunes » et les « anguilles
rin », annonce Benoît Feuillu (un
pseudonyme), pour ce réseau
lancé en janvier 2021 dans le bo-
cage de Notre-Dame-des-Landes.
Ces activistes, issus de groupes
d’origines et d’horizons différents,
ont pris l’habitude de traverser le
pays pour venir appuyer des con-
testations locales, voire installer
des zones de résistance. A Sainte-
Soline se sont notamment retrou-
vés des militants de la Confédéra-
tion paysanne, de Solidaires, de la
CGT, de Greenpeace, d’Extinction
Rebellion, d’Alternatiba ou d’Attac,
ainsi que des représentants du
Nouveau Parti anticapitaliste
(NPA), de La France insoumise,
d’Europe Ecologie-Les Verts…
Pour l’heure, la mobilisation
contre les mégabassines mobilise
toute l’attention, car la bataille
pour l’eau permet de mettre en
avant la question climatique (les
sécheresses et pénuries d’eau à ve-
nir) tout autant que celle de la
­justice sociale, en défendant l’ac-
cès à cette ressource qui se raréfie.
« Demain, dans n’importe quelle
région où seront annoncés des
­projets de mégabassines, il y aura
des oppositions systématiques, an-
nonce Benoît Feuillu. Elles vont
coûter de plus en plus cher, car il
faudra un superniveau de sécurité
pour protéger les chantiers. »
turquoise », les deux derniers
étant réservés aux « plus aguer-
ris », c’est-à-dire à ceux « prêts à
­aller au contact » avec les gendar-
mes : des jeunes pour la plupart,
portant masques à gaz, lunettes
de protection et vêtus de bleu de
travail.
« Usage immodéré de la force »
L’objectif était « d’encercler tout
l’édifice, d’y pénétrer à des dizai-
nes de milliers et que chaque
équipe plante son drapeau sur le
chantier », précisait le mode
d’emploi distribué, pour ensuite
démonter les installations. Les
drapeaux n’ont pas pu être plan-
tés, mais « une pompe centrale du
dispositif ainsi que plusieurs ca-
nalisations » ont été sabotées aux
abords du grand cratère de la bas-
sine, selon les organisateurs.
Les cortèges ont réussi à attein-
dre le pourtour de la bassine,
mais ont été arrosés de grenades
lacrymogènes et de désencercle-
ment dès qu’ils s’approchaient
de la ligne de gendarmes et de
­véhicules entourant l’édifice. Les
manifestants les plus offensifs
ont riposté à coups de pierres, de
cocktails incendiaires, voire de
tirs de mortier selon les gendar-
Ce samedi, les manifestants
étaient bien venus « soutenir une
lutte contre l’appropriation de
l’eau », selon Sara Melki, 37 ans,
militante de la Confédération pay-
sanne, qui avait mobilisé un mil-
lier d’agriculteurs, avec le renfort
d’une cinquantaine de tracteurs.
« Dans notre métier, l’eau est essen-
tielle, et les ressources des nappes
phréatiques vont être pompées
pour l’agro-industrie et quelques
agriculteurs. Il faut changer de
­modèle », proteste l’agricultrice,
qui fait du maraîchage dans la ré-
gion de Millau (Aveyron).
Emmenant un cortège d’une
cinquantaine de militants du NPA,
Philippe Poutou, plusieurs fois
candidat à l’élection présiden-
tielle, fait aussi le lien entre cette
mobilisation et les luttes sociales.
« Avec le mouvement contre la
­réforme des retraites, ici contre les
mégabassines, on sent que le mou-
vement social reprend confiance,
ce qui nous autorise à répondre
aux coups tordus de Macron, ex­-
plique-t-il. On est là sur des ques-
tions de fond, de démocratie, de
partage des richesses, et il y a un
lien entre les questions sociales et
environnementales. »
Ce combat pour un meilleur
partage de l’eau se déclinait aussi
internationalement, ce week-end
Côté
manifestants,
les organisateurs
avancent
le chiffre de
200 blessés, dont
40 grièvement
mes. « Nous n’avions jamais vu un
tel degré de violence [de la part
des gendarmes], une violence que
les autorités avaient annoncée,
préparant l’opinion publique à un
éventuel drame », s’insurge Julien
Le Guet, porte-parole de Bassines
non merci, qui s’était vu interdire
de pénétrer dans la zone rouge et
est resté à l’écart de la manifesta-
tion. « Nous verrons des images
extrêmement dures », avait en
­effet prévenu Gérald Darmanin,
la veille sur CNews.
Pour Sylvain Griffault, le maire
(liste citoyenne et écologiste) de
Melle (Deux-Sèvres), commune
de rassemblement de la mobili-
sation, « beaucoup a été fait pour
faire penser à la population que
Melle serait un lieu d’affronte-
à Melle. De nombreuses déléga-
tions étaient venues soutenir la
lutte : Italiens, Belges, Suisses,
­Espagnols, des représentants des
sans-terre au Mali, des luttes
­sociales et écologiques au Brésil,
au Chili, en Colombie ont livré
leurs témoignages, lors d’un fo-
rum, dimanche, consacré au
« mouvement international pour
le partage de l’eau ».
Mouvement international
« On parle tous les jours de la séche-
resse en Italie, le gouvernement ré-
fléchit à comment la gérer mais ne
s’attaque pas à ses causes », dé-
nonce Ludovica, militante ita-
lienne des No Tav (pour « treno ad
alta velocità » – train à grande vi-
tesse) du Lyon-Turin. Ruben, amé-
ricain mais surtout « citoyen de la
grande nation des Oglala Lakota »,
un peuple amérindien du Dakota,
a évoqué le combat contre les mi-
nes d’uranium et de gaz de schiste,
grandes consommatrices d’eau.
Julien Leguet, porte-parole de
Bassines non merci, y voit
l’amorce d’un mouvement inter-
national. « Pourquoi ne pas créer
une “internationale des rivières et
des bassins versants”, travailler des
alliances avec des organisations
comme La Via campesina [mouve-
ment international d’organi­-
France | 7
ment et présenter ceux qui allaient
venir comme des délinquants, une
stratégie de la tension ».
Sur place, la députée La France
insoumise (LFI) du Puy-de-Dôme,
Marianne Maximi, a dénoncé un
maintien de l’ordre d’« une bruta-
lité absolue ». « Le fait d’empêcher
les secours d’accéder aux blessés
en urgence absolue est incroyable.
On a dû appeler la préfète pour
faire en sorte qu’ils soient évacués
et on s’est opposé, avec d’autres
députés, à l’intervention des
quads [sur le modèle de la
BRAV-M, les équipes motorisées
de répression, deux gendarmes
par quad dont un équipé de LBD]
qui arrivaient sur les “médics” [les
secouristes] et les blessés », ra-
conte Marianne Maximi, députée
et éducatrice spécialisée.
La Ligue des droits de l’homme,
qui avait expédié sur place vingt-
deux de ses « observateurs des li-
bertés publiques et des pratiques
policières », assure avoir « constaté
un usage immodéré et indiscriminé
de la force (…) avec un objectif clair :
empêcher l’accès à la bassine, quel
qu’en soit le coût humain ». p
Antoine Albertini
et Rémi Barroux
(Sainte-Soline, envoyé spécial)
sations paysannes] ou la Fonda-
tion Danielle Mitterrand-France Li-
bertés [créée en 1986], qui travaille
sur ces problématiques de l’accès à
l’eau ? », avance-t-il.
En attendant, le batelier, figure
de proue du mouvement anti­-
bassine depuis une vingtaine
d’années, espère toujours un mo-
ratoire sur la construction de ces
­gigantesques réserves d’eau, dont
seize sont prévues dans les Deux-
Sèvres. « Il faut que le gouverne-
ment tire les bonnes leçons de ce
qui s’est passé ce week-end. Il y a
encore des décisions de justice à
­venir, mais il va falloir continuer à
mener ces actions d’éclat pour
amener les autorités à rediscuter
du bien-fondé de ces projets »,
­onfie Julien Leguet.
Sylvain Griffault, le maire (liste
citoyenne et écologiste) de la
­commune nouvelle de Melle, is-
sue de la fusion de cinq commu-
nes en janvier 2019, n’espère pas
autre chose, lui qui a accueilli dans
sa commune le Festival de l’eau,
en soutien à la mobilisation du
week-end. « La population prend
­conscience de ce que signifie le sys-
tème agricole intensif. Et cons-
truire ces mégabassines, c’est ins-
taller une guerre dans le monde
agricole », avance-t-il. p
R. Bx
 0123
8 | France ­
­Mardi 28­ mars 2023

Sondages politiques

L’addiction aux sondages confidentiels

Candidats, partis, gouvernement… les acteurs politiques multiplient les commandes d’enquêtes d’opinion

C’
est la partie secrète
des sondages d’opinion.
Ceux qui n’ont pas voca-
tion à être rendus publics
mais qui nourrissent les
candidats à la présiden-
tielle, les partis politiques et le gouverne-
ment en place. Pour des montants élevés :
625 000 euros d’études commandées lors de
la dernière élection présidentielle par les dif-
férents candidats, dont 325 000 pour le seul
Emmanuel Macron. Plus de 16 millions
d’euros de sondages confidentiels dépensés
entre 2019 et 2022 par les différents services
gouvernementaux. Et la perspective d’une
boulimie accentuée dans l’avenir : un appel
d’offres du gouvernement, en cours jusqu’au
4 avril, ouvre un marché de 21,5 millions
d’euros d’études d’opinion pour les quatre
prochaines années, en hausse de 54 % par
rapport au dernier appel d’offres, en 2019.
Ces chiffres pourront ne pas être atteints,
précise le service d’information du gouver-
nement, mais ils pourront aussi être dépas-
sés : l’appel d’offres prévoit un plafond maxi-
mal de 50 millions d’euros.
Ces données lèvent une partie du voile sur
l’équilibrisme des principaux instituts de
sondage, à la fois rémunérés par les équipes
de campagne pour les aider à gagner des élec-
tions, omniprésents dans les médias pour
commenter leurs nombreuses études publi-
ques et en concurrence, enfin, pour emporter
les fructueux marchés du gouvernement sur
les enquêtes d’opinion. Une bataille de prix,
de méthodologie, d’influence, mais aussi de
légitimité et de visibilité – celle qui est don-
née sur les plateaux de télévision et dans les
colonnes de journaux par les 514 enquêtes
publiques réalisées pour des médias pendant
les campagnes présidentielle et législatives.
Le travail de la Commission nationale des
comptes de campagne et des financements
politiques, qui examine en détail les dépen- présidentielles privilégient des demandes ci- été commandité par le Cevipof, la ­Fondation du chef de l’Etat pour faire parler quelques di-
ses et les recettes des candidats, permet blées sur des thèmes particuliers. Lesquels Plus de 16 millions Jean Jaurès et Le Monde. Même chose avec zaines de Français sur des thèmes choisis sur
d’éclairer partiellement l’opacité qui règne ont construit la campagne du président sor- d’euros ont été une étude, en septembre 2021, pour Le Pari- une longue période. Une série de notes, entre
sur les sondages confidentiels en période de tant et nourri la première année de son man- sien et Franceinfo : des questions supplémen- février et avril 2022, rendent compte de leurs
campagne. Même s’ils ne représentent dat. Sur les priorités et la temporalité des ré- dépensés entre taires posées pour le candidat Macron avis sur le clivage droite-gauche, le pouvoir
qu’une petite partie du chiffre d’affaires des formes, par exemple (Kantar, 8 160 euros (3 000 euros) concernent les retraites, la mise d’achat, la guerre en Ukraine, etc. L’IFOP, de
sociétés de marketing, les montants en jeu TTC), avec une interrogation sur l’intérêt de 2019 et 2022 par en place d’une aide de 500 euros par mois son côté, a travaillé pour le président sortant
sont significatifs, d’autant que ces dépenses « s’attaquer aux réformes difficiles du pays dès pour les jeunes sans emploi ainsi que la créa- sur le suivi des « électeurs acquis et indécis de
sont remboursées par l’Etat pour les candi- le début de son mandat ». Ou bien une liste de
les différents tion de nouvelles centrales nucléaires – déci- Valérie Pécresse » (3 600 euros TTC) ou sur
dats ayant dépassé 5 % des suffrages. Avec douze mesures, testant les hypothèses de re- services sion qui interviendra en février 2022. « les ressorts de la préférence pour ­Emmanuel
325 000 euros en 2022, sensiblement le même port de la retraite à 65 ou 64 ans (peu soute- L’autre méthodologie choisie est qualita- Macron et pour Marine Le Pen » (4 800 euros
montant qu’en 2017, Emmanuel Macron nues, sauf dans les électorats de M. Macron et gouvernementaux tive : les électeurs interrogés sont peu nom- TTC), juste avant le second tour.
­apparaît comme le plus gros consommateur, Mme Pécresse), une augmentation de 20 % du breux, mais questionnés de façon plus appro- Visiblement fascinée par les outils techno-
devant Valérie Pécresse (101 280 euros), Ma- salaire des enseignants ou la création d’un pour des sondages fondie ou plus longue. Ce type d’enquêtes, ja- logiques de compréhension de la société,
rine Le Pen (94 320 euros), Yannick Jadot service public de leasing de véhicules électri- confidentiels mais rendues publiques, sert à construire les l’équipe Macron a également fait appel aux
(60 600 euros), Anne ­Hidalgo (41 400 euros) ques (Ipsos, 23 400 euros TTC). « éléments de langage », à tester secrètement logiciels de Dassault Systèmes pour traiter,
ou Eric Zemmour (10 800 euros). Une hiérar- des annonces ou à travailler l’image d’un can- grâce à de l’intelligence artificielle, des ver-
chie qui montre que la consommation de Nuages de mots et cartes de chaleur didat. Les équipes Macron ont, par exemple, batim recueillis par ses militants pendant la
sondages ne garantit pas la réussite électo- La frontière est parfois ténue avec le travail demandé des bilans sur les débats télévisés, campagne. Là aussi, l’opération était coû-
rale. Jean-Luc Mélenchon, très critique sur ces des médias – qui financent en réalité une pe- ce qui est assez courant. Harris Interactive a teuse : 24 000 euros TTC. « Les répondants
outils, n’en a pas commandé. tite partie des coûts réels de ces sondages. ainsi mis en place un « salon télévisé virtuel » trouvent que le gouvernement n’est pas allé
L’examen des comptes d’Emmanuel ­Ipsos a ainsi facturé 6 000 euros (TTC) à pour une émission sur TF1, le 14 mars 2022, assez loin dans la transition écologique, la ré-
­Macron, chef de l’Etat sortant, est particuliè- l’équipe Macron une analyse en quatre info- afin de rendre compte de la perception d’élec- forme des retraites, la sécurité », croit pouvoir
rement éclairant. Deux types d’enquêtes pré- graphies sur le devenir des électeurs de teurs choisis à l’avance. Coût : 19 800 euros. dire, alors, Dassault Systèmes dans un
dominent dans le secret des campagnes élec- ­Nicolas Sarkozy et François Hollande en 2012, « Une prestation d’Emmanuel Macron jugée PowerPoint de présentation rempli de nua-
torales, en 2022 comme dans les scrutins puis de M. Macron en 2017. « Prestation réali- largement “au-dessus” de celle de ses concur- ges de mots et de heatmaps (« cartes de cha-
­précédents. D’abord, des approches quantita- sée à partir de la vague 2 de l’enquête électorale rents », avait commenté l’institut. leur ») difficilement compréhensibles.
tives : plus que les intentions de vote, large- menée en ligne auprès de 16 228 personnes », Autre exemple, Ipsos a proposé une « com- Une entreprise moins connue, Quali-
ment traitées dans les médias, les équipes précise la facture. Or, le sondage initial avait munauté de citoyens » (76 200 euros) au parti Quanti, dont le slogan est, en anglais, « crea-
tive intelligence » (« intelligence créative ») et
qui se présente comme « pionnier sur des thè-
Des experts mettent en cause la pertinence des études d’opinion en ligne mes comme le brand content, la brand cul-
ture, le product content », a travaillé sur les
inquiétudes des retraités et les a interrogés
« Vous personnellement, diriez- ciété française de statistique, une so- chef du service des enquêtes de lide, les chercheurs ont pu question- sur l’image renvoyée par le chef de l’Etat. Il en
vous que la France devrait fermer tou- ciété savante, dresse un tableau sé- ­l’Institut national d’études démogra- ner un échantillon de 14 892 person- ressort, selon l’analyse, assez flatteuse, de
tes ses bases militaires en Afrique ? » vère de la qualité de ces enquêtes en phiques, Guillaume Chauvet, ensei- nes sur leurs inscriptions dans des ac- cette société marketing, une image de candi-
(IFOP pour Le Journal du dimanche). ligne censées rendre compte de l’opi- gnant à l’Ensai, Noémie Soullier, ex- cess panels. D’où il ressort que 1,8 % dat « jeune », « énergique », « expérimenté »,
« D’après vous, quel est le type de can- nion publique. « Les méthodes em- perte de Santé publique France. d’entre elles sont aujourd’hui mem- « compétent », quoique « arrogant ».
cer entraînant le plus de décès en ployées par les instituts sont variables Car les méthodes de recrutement des bres d’un panel, soit 1 million de per- « Les retraités associent Emmanuel Macron
France pour les femmes ? » (Harris inte- mais elles possèdent toutes une carac- panélistes constituent, à leurs yeux, sonnes environ. Un chiffre inférieur à des personnes charismatiques et aventuriè-
ractive pour Gilead, un laboratoire téristique commune, celle d’être assez un biais majeur, conduisant à interro- aux affirmations des instituts. Sur- res, tels James Bond, Jean-Paul Belmondo,
pharmaceutique). « Kylian Mbappé de- peu précisément décrites et quanti- ger une population non représenta- tout, un nombre significatif de ces pa- Jean Dujardin ou Louis XIV », écrit Quali-
vrait-il être nommé capitaine du fiées », indiquent-ils, en rappelant tive de la société. Les instituts de son- nélistes a reconnu être inscrit ou Quanti dans une synthèse qui n’a pas très
PSG ? » (Opinion Way pour Le Parisien). que 13,5 % des Français n’ont pas ac- dage communiquent certes beaucoup avoir été inscrit dans plusieurs pa- bien vieilli. Cette étude a été payée
Même si les campagnes électorales se cès à ­Internet ou ne l’ont pas utilisé sur les panels. Mais leur fonctionne- nels. « La multi-inscription est com- 33 000 euros (TTC) par l’équipe Macron. « Un
sont éteintes, l’industrie des sondages dans les douze derniers mois. ment relève du secret des affaires. En mune : 46 % des panélistes interrogés prix particulièrement modique », se défend
continue de tourner à plein régime en octobre 2021, Le Monde avait créé une sont ou ont été membres d’un unique Daniel Bô, le PDG de l’entreprise, en insistant
s’appuyant massivement sur des pa- Secret des affaires dizaine de faux profils pour répondre panel, 29 % de deux, 11 % de trois et 14 % sur le coût du dispositif pour faire s’expri-
nels en ligne, appelés « access panels », D’où une recommandation forte à à plus de 200 sondages en ligne et ra- de quatre panels au moins », consta- mer des électeurs. Les conclusions ? « Mieux
constitués de centaines de milliers de destination, notamment, de la statis- conter de l’intérieur ces panels, gérés tent les experts. Ces volontaires des lutter contre les incivilités et l’insécurité »,
volontaires anonymes recrutés sur tique publique : « Le recours à des ac- directement par les instituts ou par panels apparaissent notamment plus « créer les conditions d’une société plus unie »,
­Internet, rémunérés sous forme de cess panels pour des études en popula- des sociétés spécialisées dans le recru- militants et engagés que les autres. « faire face aux défis de demain », etc.
bons cadeaux de faible valeur, dispo- tion générale nécessitant fiabilité et tement et la gestion de bases de don- Conclusion : « Les membres des access La frontière entre l’analyse publique et le
nibles pour répondre, jour et nuit, à précision est à proscrire », soulignent nées de panélistes, parfois à l’échelle panels forment une sous-population conseil privé est, de fait, assez mince. Une
des flots de questions en tout genre. les auteurs, Stéphane Legleye, direc- européenne ou mondiale. minoritaire et sélectionnée dont les partie des instituts et leurs représentants ap-
Une étude, effectuée par cinq ex- teur des études de l’Ecole nationale Grâce à une enquête de l’Insee comportements de réponse (…) ne sont paraissent sur les plateaux de télévision et
perts de profils différents, rendue pu- de la statistique (Ensai), Aurélie auprès de 30 000 ménages, contactés pas corrigibles par les méthodes de re- dans les colonnes de journaux tout en étant
blique le 22 mars lors d’un colloque ­Vanheuverzwyn, directrice exécutive à partir des fichiers fiscaux, dans une dressement classiques. » p rémunérés, en parallèle, pour donner des
sur les sondages organisé par la So- de Médiamétrie, Thomas Merly-Alpa, méthode dite probabiliste, la plus so- Luc Bronner conseils aux candidats. Ce qui ressort des no-
0123
­
­Mardi 28­ mars 2023
Certaines enquêtes
servent à construire
des « éléments
de langage » ou
à tester secrètement
des annonces
tes méthodologiques envoyées au moment
de signer les contrats avec les équipes politi-
ques : « Il s’agira dans ce contexte d’identifier
les leviers permettant de lancer des dynami-
ques et de générer davantage de désir autour
de sa personne et de ses arguments », expli-
que ainsi Ipsos en décembre 2021 dans son
devis sur la perception de la campagne de
M. Macron (32 600 euros HT). L’institut
ajoute que l’enquête permettra d’« investi-
guer un certain nombre d’idées-forces, de fer-
ments de mobilisation – notamment de son
socle électoral – lui permettant de faire la dif-
férence en termes de programme/mesures ».
Avec cet objectif complémentaire : « renfor-
cer » le « capital d’empathie » du candidat.
Autre exemple avec le « salon télévisé vir-
tuel » d’Harris Interactive (36 000 euros), mis
en place, cette fois-ci, pour le débat de l’entre-
deux-tours entre M. Macron et Mme Le Pen.
L’entreprise marketing livre explicitement
ses conseils à l’équipe du candidat, comme
autant de lignes directrices « pour les derniè-
res heures » de la campagne : « Exploiter la
question de l’interdiction du port du voile dans
l’espace public pour réactiver le réflexe du
front républicain à gauche », « appuyer la maî-
trise des dossiers par le chef de l’Etat », « ne pas
sous-estimer la défiance vis-à-vis du candidat
sur la question environnementale », etc.
« Il y a toujours eu plusieurs piliers dans les
activités des instituts, la dimension de spin
doctor en fait partie », reconnaît le haut cadre
d’un institut. Brice Teinturier, directeur gé-
néral délégué d’Ipsos, réfute tout risque de
conflit d’intérêts : « Nous n’avons jamais une
exclusivité pour un seul client. Nous tra-
vaillons avec des candidats différents, avec
des règles strictes de confidentialité. » De fait,
la plupart des instituts assurent travailler
avec des candidats différents – sauf Marine
Le Pen et Jean-Luc Mélenchon –, tout en ar-
guant de la confidentialité.
« Analyse des frictions existantes »
Le gouvernement est, dans le même temps,
un client important pour les départements
« opinion publique » des instituts. Notam-
ment via le service d’information du gou-
vernement, rattaché à Matignon, qui centra-
lise les marchés publics sur ces sujets. Parmi
les principaux instituts vainqueurs des ap-
pels d’offres ces dernières années, Ipsos et
IFOP font la course en tête des marchés attri-
bués devant BVA, Kantar, Harris Interactive
ou OpinionWay. Les études couvrent des su-
jets d’actualité extrêmement variés, comme
l’avait montré, en mars 2022, une enquête
du Monde sur trois cents sondages payés par
le gouvernement et obtenus – difficile-
ment – via la Commission d’accès aux docu-
ments administratifs.
Le marché des sondages achetés par les
pouvoirs publics va continuer d’être floris-
sant. Dans l’appel d’offres pour les quatre pro-
chaines années – qui représente 21,5 millions
d’euros de commandes estimées pour les ins-
tituts, contre 13,92 millions d’euros lors de la
période précédente –, la liste des commandes
envisagées est longue. Des « questions d’ac-
tualité » par exemple (2,4 millions d’euros),
soit quinze à vingt questions par semaine,
auprès de mille à deux mille panélistes. Des
« études quantitatives en ligne auprès du
grand public », sur des échantillons de mille
personnes, pour couvrir « des sujets d’actua-
lité, de société » et évaluer « l’action et la com-
munication des pouvoirs publics » (5,4 mil-
lions d’euros). Des approches par groupes. Ou
encore des « communautés en ligne ».
Parmi le flot des enquêtes envisagées,
400 000 euros sont prévus pour des études
utilisant les sciences comportementales,
connues en anglais sous le terme de
« nudge », une approche à la frontière des re-
cherches en psychologie cognitive, neuros-
ciences et économie comportementale, cen-
sées aider le gouvernement à « accompagner
le changement ». L’objectif, explique le SIG
dans sa terminologie inimitable, est de « ren-
forcer la bascule vers les changements de com-
portement dans un but d’intérêt général ».
Parmi les chantiers demandés aux instituts
marketing en matière de sciences comporte-
mentales, figure l’« analyse des frictions exis-
tantes » dans la société « pour définir un cadre
d’inspiration pertinent ». Une démarche à des
années-lumière des corps intermédiaires,
élus, associations ou syndicats, pourtant bien
placés pour connaître les frictions dans la so-
ciété, surtout dans le contexte actuel. p
Luc Bronner
Le secrétaire général de la CGT, Philippe Martinez, à Montreuil (Seine-Saint-Denis), le 21 mars. AgnÈs DHERBEYS pour « Le Monde »
La bataille pour la succession de
Philippe Martinez fragilise la CGT
Le deuxième syndicat de France se réunit en congrès du 27 au 31 mars
I
l y aura un absent de taille sur
la photo. Alors qu’une
dixième journée nationale
d’action contre la réforme
des retraites est prévue, mardi
28 mars, Philippe Martinez ne dé-
filera pas aux côtés de ses homolo-
gues, à Paris. Le secrétaire général
de la CGT est retenu à Clermont-
Ferrand par le 53e congrès de son
organisation, dont le coup d’en-
voi devait être donné lundi. Une
page se tourne pour le métallo,
qui a décidé de quitter le poste de
commandement après l’avoir oc-
cupé durant huit ans. Il s’agit éga-
lement d’une période à hauts ris-
ques pour le deuxième syndicat
de France, en butte à des querel-
les intestines qui se cristallisent
sur la désignation de la person-
nalité appelée à devenir numéro
un. M. Martinez devrait – sauf re-
bondissement – être remplacé
par une femme mais l’incerti-
tude prévaut quant au nom de sa
successeure.
Jusqu’au vendredi 31 mars, mille
délégués sont réunis dans le chef-
lieu du Puy-de-Dôme afin de défi-
nir la ligne de la CGT pour les trois
prochaines années et d’élire
l’équipe de direction qui la défen-
dra. Un moment crucial dans la vie
de la confédération, confrontée à
une érosion de son influence. Elle
revendiquait près de 606 000 ad-
hérents en 2020, soit 33 000 cartes
de moins en deux années. Aux
élections professionnelles, elle a
reculé, perdant sa première place
fin 2018, au profit de la CFDT. Une
rétrogradation synonyme de choc
pour la « maison CGT », habituée
depuis des décennies à se situer à
la proue du syndicalisme tricolore.
C’est donc un syndicat affaibli
qui tient son conclave, à Clermont-
Ferrand – même s’il a retrouvé
quelques couleurs, au cours des
derniers mois, en ferraillant
­contre la retraite à 64 ans. Non
seulement la CGT est sur le recu-
loir mais sa fragilité est accentuée
par une bataille de succession.
A l’origine de ces tourments, il y
a la décision prise au printemps
2022 par M. Martinez de placer
sur orbite Marie Buisson pour
qu’elle accède à la fonction de se-
crétaire générale quand il pas-
sera la main. Entériné par les ins-
tances exécutives de la confédé-
ration, ce choix s’inscrit dans le
prolongement d’orientations
suivies depuis plusieurs années.
La CGT a voulu s’ouvrir à de nou-
velles thématiques, liées, en par-
ticulier, à la transition écologi-
que, en créant le collectif Plus ja-
mais ça avec des défenseurs de
l’environnement (Greenpeace,
Les Amis de la Terre…). Une opé-
ration dans laquelle Mme Buisson
a joué un rôle clé.
« Fait du prince »
Mais le fait que cette enseignante
de 54 ans ait été adoubée passe
mal dans une partie de l’organisa-
tion. Pour des raisons de forme,
tout d’abord : beaucoup y voient
« le fait du prince », un geste
d’autoritarisme, alors qu’il aurait
fallu davantage de collégialité. Le
pedigree de la dauphine suscite
aussi des réticences. Jouissant, jus-
qu’à une date très récente, d’une
faible notoriété y compris auprès
de ses camarades, Mme Buisson a,
qui plus est, le handicap de diriger
une petite structure – la Fédéra-
tion de l’éducation, de la recher-
che et de la culture – que d’autres
composantes de la confédération,
beaucoup plus puissantes et im-
plantées dans les bastions de la
CGT, regardent de haut.
Enfin, la « favorite » de M. Marti-
nez a le tort – pour ses contradic-
teurs – d’avoir été l’une des che-
villes ouvrières de Plus jamais ça.
Un partenariat sur lequel de nom-
breux cadres et adhérents, en par-
ticulier dans l’industrie, s’interro-
gent car il porte des idées sur la
sortie du nucléaire et la décarbo-
nation de l’économie, qui sont
susceptibles de remettre en cause
des dizaines de milliers d’emplois.
Dès lors, il n’est guère étonnant
que d’autres figures de la CGT
soient entrées en lice pour bri-
guer le fauteuil de secrétaire géné-
ral. Olivier Mateu a été le premier
à sortir du bois en décembre 2022.
Patron de l’union départemen-
tale des Bouches-du-Rhône, il est
répertorié dans le camp des « op-
positionnels » à la ligne confédé-
rale (fédérations de la chimie, du
commerce, union départemen-
tale du Val-de-Marne, etc.). Ses
chances de l’emporter sont quasi
inexistantes car il ne bénéficie
que d’un nombre très limité de
« La CGT
est devenue
une organisation
éclatée »
Dominique Andolfatto
professeur de
sciences politiques
soutiens ; en outre, sa démarche
ne respecte pas des critères érigés
par l’organisation en matière de
parité femmes-hommes.
Plus récemment, une autre per-
sonnalité a émergé : Céline
­Verzeletti, actuellement membre
du bureau confédéral et corespon-
sable de l’Union fédérale des syn-
dicats de l’Etat. Elle assure qu’elle
n’est pas officiellement candidate
mais admet qu’elle peut représen-
ter une alternative, sachant que
c’est le comité confédéral national
– le « parlement » du syndicat – qui
décidera au terme du 53e congrès.
Les dirigeants de plusieurs gran-
des fédérations estiment qu’elle
est capable d’incarner le rassem-
blement. La compétition devrait
donc se jouer entre elle et
Mme Buisson.
Durant des décennies, c’est le se-
crétaire général sortant de la CGT
qui désignait celui qui allait le rem-
placer et ce choix était avalisé par
les instances. « Mais une cassure
s’est produite en 2012, lorsque
­Bernard Thibault, qui était alors le
numéro un, a voulu confier le poste
à Nadine Prigent, rappelle
­Raymond Soubie, président de la
société de conseil Alixio et spécia-
liste des questions sociales. Son
choix a été contesté, un affronte-
ment s’est ensuivi, débouchant sur
l’élection par défaut de Thierry
­Lepaon, qui a, lui-même, dû démis-
sionner deux ans après une obscure
affaire de train de vie. » Pour
M. Soubie, ces épisodes montrent
que « les fédérations les plus fortes,
qui sont aussi souvent celles les plus
adeptes du rapport de force, se sont
affranchies de la direction natio-
nale de la confédération ». « Elles
sont de plus en plus autonomes »,
renchérit Dominique Andolfatto,
professeur de sciences politiques à
l’Université de Bourgogne-Fran-
che-Comté, au point que « la CGT
France | 9
est devenue une organisation écla-
tée ». Le phénomène ne date pas
d’hier, complète-t-il, « mais Phi-
lippe Martinez n’a pas su l’enrayer ».
Aujourd’hui, la CGT se trouve
« dans un état de confusion im-
portant », enchaîne Jean-Marie
Pernot, chercheur associé à l’Ins-
titut de recherches économiques
et sociales : « On peut même par-
ler de crise. » Selon lui, une telle si-
tuation révèle « un problème de
gouvernance dont Philippe
­Martinez peut être tenu pour res-
ponsable ». Mais d’autres difficul-
tés ne sont pas principalement de
son fait. « Si la CGT a perdu des
points aux élections profession-
nelles, nuance M. Pernot, l’expli-
cation se situe d’abord à l’échelon
des fédérations : la capacité de ces
structures à s’implanter dans les
entreprises, à déployer un tissu
militant s’est émoussée et le
rayonnement de toute l’organisa-
tion en a, du même coup, pâti. »
« Lieu d’affrontements »
Aux yeux de M. Pernot, la CGT n’a
pas réussi à forger « des modes de
régulation internes » pour que la
confrontation d’idées se déroule
en bonne intelligence. « Le co-
mité confédéral national n’est pas
l’enceinte où s’élaborent des dé-
bats d’orientations mais un lieu
d’affrontements », dit-il. Les ac-
teurs en présence n’arrivent pas
à élaborer des solutions pour
contrer le déclin de l’organisa-
tion, qui résulte en grande partie
des transformations de l’écono-
mie : le développement de la
sous-traitance, l’apparition de
nouvelles catégories de tra-
vailleurs – ceux des plates-for-
mes numériques par exemple –,
fragmentent le salariat et com-
pliquent la syndicalisation.
Durant le 53e congrès, la plupart,
pour ne pas dire la quasi-totalité,
des participants vont sans doute
tout faire pour « empêcher que les
forces centrifuges ne l’empor-
tent », pronostique M. Pernot.
Mais le risque est grand, d’après
lui, que chaque composante
poursuive son chemin, sans que
s’enclenche une dynamique col-
lective qui permettrait de s’atta-
quer aux problèmes de fond ren-
contrés par l’organisation. p
Bertrand Bissuel
 0123
10 | France ­
­Mardi 28­ mars 2023

Réseaux sociaux

Dylan Thiry, ou les

dérives du monde
des influenceurs
Le parcours du Luxembourgeois illustre
certaines pratiques troubles de ces personnes
présentes sur les réseaux sociaux, alors qu’une
proposition de loi visant à mieux contrôler
leurs activités doit être examinée mardi

Portrait Luxembourg, alors que le comité lui-même a

fait un démenti. » Après un passage dans le
jeu « Ninja Warrior » (TF1), Dylan Thiry re-

D
ropshipping » de produits
douteux, cagnottes huma-
nitaires évanescentes et
­pilules miracles : Dylan
Thiry, un million et demi
d’abonnés sur Instagram,
est un cas d’école du brouillard légal
dans lequel naviguent de nombreux in-
fluenceurs. Au point, comme d’autres an-
ciens candidats de télé-réalité, d’être lui
aussi devenu la cible d’une campagne de
harcèlement lancée par le rappeur Booba à
l’encontre de ceux que ce dernier appelle
les « influvoleurs ».
Tout commence en 2017 au Cambodge. Ce
Luxembourgeois de 22 ans aux allures de
playboy, qui se présente comme agent im-
mobilier et mannequin professionnel, dé-
barque sur le tournage de la 17e saison de
« Koh Lanta » (TF1). Son portrait, diffusé en
début d’émission, donne le ton : « Pour ga-
gner, je suis prêt à tout, si je dois arnaquer un
tel ou un tel, je le ferai. » Les autres aventu-
riers l’éliminent dès le premier épisode, mais
les images de son arrivée en mocassins
Gucci dans la jungle déferlent sur les réseaux
sociaux. Interviewé dans la foulée, il affirme
avoir décroché un partenariat avec la mar-
que de luxe italienne grâce au « buzz des mo-
cassins ». Gucci réfute aussitôt.
« Sa carrière commence par une arnaque : il
ment en inventant un partenariat, analyse
Audrey, qui scrute méticuleusement les es-
croqueries des influenceurs avec son compte
Instagram “Vos stars en réalité”. Il se présente
ensuite comme gagnant du titre de Mister
joint le casting de « Les Princes et les princes-
ses de l’amour » (W9), à la fin de 2018, pro-
gramme au cours duquel il se met en couple
avec Fidji Ruiz, influenceuse et candidate.
Le duo s’installe à Dubaï, leur nombre
d’abonnés décolle et les placements de pro-
duits se multiplient. C’est à ce moment-là
que Dylan Thiry se lance dans le « dropship-
ping », une pratique légale, mais polémique,
qui consiste à supprimer une étape de la
chaîne commerciale en effectuant une vente
avant de passer commande à son fournis-
seur, souvent un mastodonte de l’export chi-
nois comme Ali Express, qui aura la charge
d’envoyer le produit directement au client.
Faux AirPods, CPF et djellaba
En 2019, le couple crée sa société basée au
Luxembourg, 21 pods. Sur Instagram et
Snapchat, ils vantent les mérites de leurs
écouteurs sans fil, copie à 60 euros des Air-
Pods d’Apple. Mais, très vite, des consomma-
teurs dénoncent la mauvaise qualité des
produits, et des commandes qu’ils n’ont ja-
mais reçues. « C’est le fournisseur chinois qui
nous a lâchés au moment du Covid, se défend
Dylan Thiry auprès du Monde. Si j’avais été
un arnaqueur : je n’aurais jamais fait en
sorte qu’on puisse lier aussi facilement cette
société à mon nom. »
Malgré cela, l’ancien candidat de « Koh
Lanta » poursuit les placements de produits
flirtant avec l’illégalité : formation CPF pour
apprendre les langues « dans le kiff », promo-
tion d’un sac « qui ressemble un peu à la mar-
que Hermès mais en mille fois moins cher »,
« très bon contact pour décrocher son permis
« Si j’avais voulu sans passer par tous les cours, 100 % certifié
arnaquer des par l’Etat »… En novembre 2022, sur son pro-
fil Instagram, il fait la promotion d’Unicity,
gens, je n’aurais entreprise dubaïote de compléments ali-
mentaires, qui commercialise « une dingue-
pas laissé le rie » qui « guérit les cellules cancérigeu-
ses [cancérigènes]». Interrogé par Le Monde
montant des à ce sujet, il nie : « Ce n’est pas un placement
cagnottes visible. de produit. Je n’ai reçu aucune rémunération.
C’était une découverte que je voulais trans-
C’est mon erreur : mettre à mes abonnés. »
Depuis, il ne participe plus à aucun pro-
avoir été trop gramme. « Les placements de produit dou-
transparent » teux et l’emballement des internautes ont dû
porter un coup à sa carrière sur le petit
Dylan Thiry écran », juge Sam Zirah, blogueur et spécia-
influenceur liste de la télé-réalité. Qu’importe : converti
à l’islam pendant son adolescence, il décide,
lors du premier confinement, de faire de sa
foi son nouveau levier de communication.
Lors de lives Instagram qui réunissent jus-
qu’à 14 000 personnes, accompagné de l’ex-
imam de Cannes Abed Al Abidi, il propose
même à ses abonnés de se convertir. Son
compte, lui, mêle désormais photos en
­djellaba en pleine prière, clichés torse nu
pour dévoiler des muscles saillants et sel-
fies pendant ses voyages humanitaires, cha-
rité religieuse oblige.
Charité et cagnottes
Ce sont ces derniers qui lui valent
aujourd’hui ses soupçons de malversation.
En octobre 2020, Dylan Thiry part au Sénégal
en tant qu’ambassadeur de l’association
française Speals. Il récolte des fonds en pu-
bliant un lien vers une cagnotte sur ses ré-
seaux. Celle-ci ayant été supprimée, il est
aujourd’hui impossible d’en connaître le
montant exact et de savoir ce qui a été effec-
tué sur place avec cette levée de fonds. A Libé-
ration, il explique que le président de l’asso-
ciation « n’était pas honnête sur l’argent ré-
colté » mais « qu’il a fermé les yeux ». Con-
tacté, ce dernier n’a pas donné suite aux
sollicitations du Monde.
En avril 2021, deuxième séjour au Sénégal
avec l’association Anidioteleia, deuxième ca-
gnotte et nouvelle polémique. « Chassé du vil-

Une proposition de loi pour encadrer ce nouveau métier

Le texte entend définir plus clairement les contours d’une profession souvent décriée, en créant notamment un statut légal

L a proposition de loi « visant

à lutter contre les arna-
ques et les dérives des in-
fluenceurs sur les réseaux sociaux »
doit être examinée en séance plé-
nière à l’Assemblée nationale à
compter du mardi 28 mars.
L’aboutissement d’un mois de tra-
vail, six réunions de concertation
avec une trentaine de députés is-
sus des différents groupes politi-
ques et d’une adoption, mer-
credi 22 mars, en commission des
affaires économiques.
Le texte, « transpartisan »,
comme le décrivent ses deux co-
rapporteurs, Arthur Delaporte,
député socialiste du Calvados, et
Stéphane Vojetta, député Renais-
sance des Français de l’étranger,
« répond à une réelle nécessité de
structuration et d’encadrement
d’un secteur qui prend chaque
jour une place de plus importante
dans la société de consomma-
tion ». Il s’agit de poser « un ca-
dre de référence pour protéger
­influenceurs comme consomma-
teurs », explique Arthur Dela-
porte, avant de rappeler : « Cela
ne veut pas dire que tous les in-
fluenceurs sont engagés dans
des pratiques douteuses, mais
ces dernières sont le fait d’une mi-
norité d’entre eux très visible et
leurs conséquences sont dévasta-
trices » en matière de santé
­publique, mais aussi pour cer-
tains foyers qui ont investi par-
fois leurs économies (dans des
placements financiers fraudu-
leux notamment).
Contenus sponsorisés
Les parlementaires entendent
tout d’abord créer un statut légal
d’influenceur commercial, en
inscrivant sa définition dans le
code de la consommation et du
commerce. « Les personnes physi-
ques ou morales qui mobilisent
leur notoriété pour communiquer
au public par voie électronique
des contenus visant à faire la pro-
motion, directement ou indirecte-
ment, de biens, de services ou
d’une cause quelconque en con-
trepartie d’un bénéfice économi-
que ou d’un avantage en nature
(…) exercent l’activité d’influence
commerciale par voie électroni-
que », établit ainsi l’article pre-
mier de la loi. Y sera également
précisée une définition juridique
des agences d’influenceurs.
Le texte, qui concerne aussi
ceux exerçant depuis l’étranger
dès lors qu’ils s’adressent à un
public français, entend par
ailleurs obliger les créateurs de
contenus ou leurs agences qui fe-
raient affaire avec des marques à
établir des contrats. Quant aux
influenceurs mineurs de moins
de 16 ans amenés à promouvoir
des produits, ils seront rattachés
au régime de la loi qui encadre le
travail des enfants sur les plates-
formes Web, adoptée en 2020.
Ainsi, et « dans un souci de
clarté », expliquent les rédac-
teurs, les règles de publicité tra-
ditionnelle s’appliqueront sans
équivoque aux créateurs de con-
tenus, par exemple en matière de
cryptoactifs, de produits finan-
ciers, d’alcool, de tabac ou encore
d’actes médicaux. Seule excep-
tion : la promotion d’actes de
chirurgie esthétique, que le légis-
lateur souhaite strictement in-
terdire sur les réseaux sociaux.
Les députés souhaitaient égale-
ment prohiber d’autres types de
promotions, comme celles des
jeux d’argent en ligne ou de pro-
duits médicaux, mais cela n’a
pas fait consensus lors des dé-
bats en commission.
Si, dans leur proposition, les
députés réitèrent l’obligation
d’afficher le caractère publici-
taire des contenus sponsorisés,
ils souhaitent en plus contrain-
dre les influenceurs à faire appa-
raître la mention « retouchées »
lorsque leurs images promotion-
nelles seront modifiées ou qu’ils
utilisent un filtre pour corriger
leur apparence.
Les plates-formes aussi sont mi-
ses à contribution. Dans le sillage
du règlement européen sur les
services numériques adopté en
octobre 2022 et qui s’appliquera à
partir de 2024, la proposition de
loi leur enjoint d’améliorer leur
système de signalement, de trai-
ter en priorité les alertes données
par des « signaleurs de confiance »
désignés par les autorités – des as-
sociations de consommateurs ou
de victimes par exemple – et de
retirer les contenus frauduleux.
Création d’une « brigade »
S’il rassemble largement dans les
rangs de l’Assemblée nationale,
le texte est également « salué »
par le ministre de l’économie,
Bruno Le Maire. Après trois mois
de concertation avec des profes-
sionnels du secteur de l’in-
fluence numérique, et le recueil
de l’avis de 19 000 citoyens par le
biais d’une plate-forme en ligne,
Bercy a rendu ses propositions,
vendredi 24 mars. « Il y a
aujourd’hui environ 150 000 in-
fluenceurs en France. C’est un sec-
teur économique dynamique,
créatif, inventif, qui doit donc
faire l’objet d’une régulation ap-
propriée », a soutenu le ministre.
Après avoir détaillé et soutenu
les mesures prévues par les dépu-
tés, il a également annoncé la
« mise en place immédiate d’une
brigade d’influence commer-
ciale » au sein de la direction gé-
nérale de la concurrence, de la
consommation et de la répres-
sion des fraudes.
A ce jour, aucun de ses enquê-
teurs n’était spécialement dé-
volu à l’influence commerciale
en ligne. Ils seront désormais
quinze, « chargés de répondre
aux signalements des internautes
et de les faire remonter à la jus-
tice », a expliqué M. Le Maire.
« Les influenceurs qui ne respec-
tent pas ces règles en matière de
publicité trompeuse ou d’interdic-
tion sectorielle seront soumis à de
nouvelles sanctions pouvant aller
jusqu’à deux ans d’emprisonne-
ment et 300 000 euros d’amende,
a-t-il ajouté. Le juge pourra égale-
ment prononcer une d’interdic-
tion d’exercice de l’activité d’in-
fluence. Autrement dit, nous
pourrons suspendre le compte
d’un influenceur. » Preuve égale-
ment de son soutien, le gouver-
nement a engagé une procédure
accélérée sur le texte afin de la
voir entrer en vigueur au plus
vite après son vote. p
Pauline Croquet
0123
­
­Mardi 28­ mars 2023
lage par le maire », « obligé de fuir au Mali »…
les rumeurs sur cette expédition fleurissent
sur les réseaux sociaux et certains internau-
tes le soupçonnent de chercher à s’enrichir
personnellement. « Alors qu’une cagnotte
était déjà lancée par l’association, il lance un
nouvel appel aux dons via Shopify [un service
permettant de créer un site marchand en
quelques clics]. Les donateurs ont eu comme
indication sur le relevé bancaire “Arabie style”,
qui correspond à l’une de ses sociétés de vente
en ligne », assure l’un des cofondateurs du Col-
lectif d’aide aux victimes d’influenceurs (AVI),
une association créée en 2022 et qui regroupe
plusieurs victimes présumées de divers in-
fluenceurs souvent issus du milieu de la télé-
réalité, dont Dylan Thiry.
Puis, après un voyage humanitaire au
­Maroc qui tourne au fiasco, le jeune homme
fonde le 21 novembre 2021 sa propre associa-
tion, Pour nos enfants, dont le but est d’offrir
« un toit, de la nourriture, des soins et de
l’amour » aux enfants de Madagascar. Il lance
alors trois cagnottes. Captures d’écran à l’ap-
pui, le cofondateur du Collectif AVI détaille :
« Le 16 janvier 2022, la première cagnotte ré-
colte 158 177 euros de dons collectés en un
mois. La deuxième s’ouvre en juillet 2022 et ré-
colte 95 620 euros. Ces deux levées ont été réa-
lisées via la plate-forme CotizUp. Une troi-
sième cagnotte récolte 7 760 euros de dons. »
Mais si M. Thiry effectue bien deux voyages
humanitaires sur l’île et continue, jusqu’à la
fin de l’année 2022, de faire des appels aux
dons sur son compte Instagram, pourquoi
son association a-t-elle été dissoute le 15 no-
vembre, après moins d’un an d’existence ?
A cause de « l’acharnement » du Collectif
AVI, assure l’intéressé. L’association lui re-
proche en effet son manque de transparence
quant à l’argent récolté et à ses dépenses sur
place. « Nous avons contacté des associations
qui font de l’humanitaire, nous avons com-
paré les dépenses qu’il indiquait en story, le
nombre de repas qu’ils disaient avoir distri-
bué et les cagnottes… et ça ne colle pas ! », as-
sène le cofondateur. Le Collectif AVI affirme
que la trésorière et la vice-présidente de Pour
nos enfants ainsi que trois donateurs ont
porté plainte contre X à Paris en janvier pour
« abus de confiance ». Contacté, le parquet
n’a pas été en mesure de confirmer.
« Je n’ai jamais été notifié d’aucune plainte »,
assure de son côté Dylan Thiry, qui dénonce
un collectif « prêt à tout pour le buzz », « le
clic » et « les retweets de Booba ». « Si j’avais
voulu arnaquer des gens, je n’aurais pas laissé
le montant des cagnottes visible. C’est mon er-
reur : avoir été trop transparent », estime le
Luxembourgeois, complètement à rebours
de ce que dit de lui Sam Zirah : « C’est un per-
sonnage qui a basé toute sa célébrité sur de la
fumée. Il veut qu’on parle de lui, en bien ou en
mal. Coûte que coûte. » p
Constance Vilanova
Dylan Thiry, à Paris,
le 19 novembre 2021.
Eric Fougere/Corbis/Getty
Images
Une litanie d’affaires autour
des pratiques commerciales
Des arnaques financières aux escroqueries au compte personnel de
formation, les mises en cause se multiplient ces dernières années
C’ est un métier en
­construction », plai-
dait, à l’été 2022 dans
Le Monde, Magali Berdah, la pa-
tronne de Shauna Events, la plus
célèbre structure française
­consacrée à cette nouvelle ­« pro-
fession » d’influenceur. Manière
de demander de l’indulgence
face aux dérives, de plus en plus
nombreuses, du marketing d’in-
fluence. De fait, les affaires
ayant pour base la promotion
par une célébrité du Web d’un
produit ou d’une pratique dou-
teuse auprès de sa communauté
de fans s’accumulent depuis plu-
sieurs années, dans de nom-
breux domaines.
Le « dropshipping » La plus clas-
sique des pratiques douteuses
promues par les influenceurs est
celle du « dropshipping », qui con-
siste à profiter de sa notoriété
pour faire la promotion d’un pro-
duit en proposant à sa commu-
nauté de le « précommander ».
L’argent ainsi réuni permet de fi-
nancer l’achat du stock, et de pren-
dre au passage une marge confor-
table – l’influenceur ne se soucie
ni de l’expédition ni du stock, c’est
le fournisseur qui n’en charge. Si la
pratique n’est pas en soi illégale,
elle donne lieu à de fréquentes dé-
rives, la qualité des produits étant
souvent bien loin de celle vantée
par l’influenceur qui en fait la pro-
motion – lui-même étant parfois
trompé sur le produit en question
par son fournisseur.
En 2018, l’influenceuse Emma
CakeCup (aujourd’hui connue
sous le nom « Emma Paris », elle
compte 1,7 million d’abonnés sur
Instagram) et son ex-compagnon
Vlad Oltean (1,1 million d’abonnés
sur Instagram) avaient été accu-
sés par plusieurs vidéastes de
faire la promotion de contrefa-
çons de montres de prestige. La
jeune femme et son compagnon
de l’époque avaient annoncé por-
ter plainte pour diffamation con-
tre ces vidéastes, avant de se ré-
tracter avant le procès, prévu pour
fin 2020. Emma CakeCup avait en-
suite publié plusieurs « stories »
où elle se disait victime de trom-
perie sur les produits dont elle
avait fait la promotion.
L’agence Shauna Events a aussi
souvent été accusée de promou-
voir du dropshipping, activité
que Mme Berdah assurait, à l’été
2022, avoir abandonné depuis
plusieurs mois. En 2019, Emma
CakeCup et Vlad Oltean, sous
contrat avec une filiale de
Shauna Events, ont accusé
l’agence de ne pas les rémunérer
selon les termes prévus dans
leurs contrats, car ils refusaient
des prestations pour des pro-
duits en « dropshipping ». Un
conflit soldé en janvier 2023,
comme l’avait relaté Vanity Fair,
par la victoire en justice des deux
influenceurs, qui ont obtenu
plus de 1,8 million d’euros de
l’agence et de l’une de ses filiales.
L’arnaque aux placements fi-
nanciers C’est le combat initial
qui a justifié la création du Collec-
tif d’aide aux victimes d’influen-
ceurs (AVI), une association qui
lutte contre les arnaques promues
par des influenceurs : des person-
nalités font la promotion de place-
ments financiers supposément
très lucratifs, qui se révèlent bien
souvent être des arnaques. Le col-
lectif a ainsi annoncé déposer pas
moins de 88 plaintes contre X, qui
ciblent un couple d’influenceurs,
Marc Blata (4 millions d’abonnés
sur Instagram avant la suppres-
sion de son compte, fin janvier) et
son épouse, Nadé.
Tous deux sont installés à Dubaï
et affichent volontiers leur for-
tune sur les réseaux sociaux. Ils
ont fait la promotion d’Animoon,
une série de NFT (non-fungible to-
kens, jetons non fongibles), des
« certificats de propriété » sur des
œuvres d’art numériques, suppo-
sées acquérir rapidement de la
valeur et offrir en sus de nom-
breux avantages à leurs posses-
seurs – une promesse fallacieuse.
Ils proposaient par ailleurs le
­Blatagang, un canal sur la messa-
gerie Telegram incitant au copy
trading, où l’idée est de suivre des
directives de tradeurs spécialisés,
notamment sur les marchés très
volatils des cryptomonnaies, pour
acheter et revendre en même
temps qu’eux des titres financiers.
Là encore, les promesses sont
aussi alléchantes que fallacieuses.
L’Autorité des marchés financiers
a publié, depuis 2021, plusieurs
mises en garde contre ces prati-
ques, hautement risquées pour les
investisseurs malgré un succès
croissant. Des centaines de per-
sonnes ont ainsi perdu leur argent
dans ces pratiques douteuses,
pour un préjudice estimé à 2,8 mil-
lions d’euros, par Me Alexandre
Dakos, l’avocat du Collectif AVI.
L’arnaque au compte person-
nel de formation Autre manne,
le compte personnel de forma-
tion, qui permet à tout salarié
Si le « dropshipping »
n’est pas en soi illégal,
il donne lieu à de
fréquentes dérives,
la qualité des produits
étant souvent bien
loin de celle vantée
par l’influenceur qui
en fait la promotion
d’utiliser un crédit accumulé au
fil des années pour financer une
formation de son choix, a créé
une véritable filière d’arnaques
en tout genre. La plus classique,
et la plus souvent promue par
des influenceurs, consiste à pro-
poser au salarié de souscrire à
des « formations » pour des acti-
vités jugées alléchantes (par
exemple la spéculation sur les
cryptomonnaies). En réalité, ces
formations se résument à un
simple accès à quelques vi-
déos, en échange d’une grosse
somme directement prélevée
sur le compte personnel de for-
mation. Pour inciter les clients à
s’inscrire, on leur propose des
« cadeaux » (ordinateur, télé-
phone…), voire la rétrocession
d’une partie de la somme.
De très nombreux influenceurs
ont été rémunérés pour faire
la promotion de ces « forma-
tions » bidon, la plus célèbre étant
sans doute Nabilla Vergara
(8,3 millions d’abonnés sur Insta-
gram). En juillet 2021, elle a
été condamnée dans le cadre
d’une transaction judiciaire à
20 000 euros d’amende pour
avoir fait, en 2018, la promotion
d’une formation au trading, ven-
due comme « gratuite » et per-
mettant de réaliser des bénéfices
considérables, sans avoir indiqué
le caractère publicitaire de sa
communication. Une autre in-
fluenceuse très suivie – en ­contrat
avec Shauna Events – Maeva
Ghennam (3,3 millions d’abonnés
sur Instagram) avait été épin-
glée, en octobre 2022, à l’Assem-
blée nationale, par le député so-
cialiste du Calvados Arthur Dela-
porte pour la promotion d’une
formation douteuse.
L’arnaque aux abonnements
cachés Même influenceuse,
autre arnaque : la souscription à
une application mobile ou à un
service, par exemple un filtre Ins-
tagram ou des colis mensuels de
confiseries et de produits de
beauté, pour un tarif modique,
de l’ordre de 1 euro, mais qui va
ensuite rapidement augmenter,
pour atteindre des dizaines
d’euros mensuels. Le Parisien
évoquait, fin 2022, plusieurs per-
sonnes victimes de l’une de ces
promotions, lancée par Maeva
Ghennam, et obligées de faire
opposition pour stopper les pré-
lèvements abusifs. L’Autorité de
régulation professionnelle de la
publicité a plusieurs fois mis en
garde contre ces méthodes, qui
relèvent de la pratique commer-
ciale trompeuse.
La promotion de pratiques mé-
dicales douteuses La promotion
de services douteux peut avoir
des conséquences lourdes, lors-
qu’elle va jusqu’à la chirurgie es-
thétique. Injections de collagène,
France | 11
Des produits
recommandés par des
influenceurs ont fait
l’objet de notices
d’avertissement des
autorités sanitaires
de Botox, d’acide hyaluronique,
rhinoplastie… la modification de
la plastique, longtemps réservée
à un public aisé et souvent âgé,
connaît un regain de popularité
chez les plus jeunes, portée par
l’image d’influenceurs qui y ont
souvent recours. Et encouragée
parfois par des praticiens eux-
mêmes influents, à l’exemple du
chirurgien Benjamin Azoulay,
suivi par quelque 67 900 person-
nes sur son compte Instagram et
objet d’une série de plaintes
d’anciennes patientes à la suite
de complications ou de ratages,
comme l’avait révélé Le Parisien
en mai 2022.
D’autres produits vantés par
des influenceurs, comme les
compléments alimentaires ou
des appareils de détartrage den-
taire, ont fait l’objet de notices
d’avertissement des autorités
­sanitaires, qui soulignent leur
­potentielle dangerosité lors-
qu’ils sont utilisés sans contrôle
médical. Plus grave encore, l’in-
fluenceur luxembourgeois Dy-
lan Thiry, qui compte 1,5 million
d’abonnés sur Instagram, a été
très critiqué pour avoir fait, en
novembre 2022, la promotion de
gélules supposées guérir les cel-
lules cancéreuses. p
Samuel Laurent
- CESSATIONS DE GARANTIE
LOI DU 2 JANVIER 1970 - DECRET
D’APPLICATION N° 72-678 DU 20
JUILLET 1972 - ARTICLES 44
QBE EUROPE SA/NV, sis Cœur Défense
– Tour A – 110 esplanade du Général de
Gaulle – 92931 LA DEFENSE CEDEX
(RCS NANTERRE 842 689 556), succur-
sale de QBE EUROPE SA/NV, dont le siège
social est à 37, Boulevard du Régent, 1000
BRUXELLES - BELGIQUE, fait savoir que,
la garantie financière dont bénéficiait la :
JADIMMO SAS
La Haute Mulotais 44560 CORSEPT
RCS : 419 092 176
depuis le 01/10/2006 pour ses activités de
: TRANSACTIONS SUR IMMEUBLES
ET FONDS DE COMMERCE depuis le
01/05/2010 pour ses activités de : GESTION
IMMOBILIERE cessera de porter effet trois
jours francs après publication du présent avis.
Les créances éventuelles se rapportant à ces
opérations devront être produites dans les trois
mois de cette insertion à l’adresse de l’Établis-
sement garant sis Cœur Défense – Tour A –
110 esplanade du Général de Gaulle – 92931
LA DEFENSE CEDEX. Il est précisé qu’il
s’agit de créances éventuelles et que le pré-
sent avis ne préjuge en rien du paiement ou du
non-paiement des sommes dues et ne peut en
aucune façon mettre en cause la solvabilité ou
l’honorabilité de la SAS JADIMMO.
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12 | France ­
­Mardi 28­ mars 2023

Un gang de pilleurs d’héritages devant la justice

Neuf personnes sont soupçonnées d’avoir frauduleusement capté l’argent de défunts sans héritier

D
aniel Mazeas s’est
pendu chez lui, sous
l’escalier, le 3 septem-
bre 2015. Cet homme
veuf âgé de 65 ans, rongé par le
cancer et la solitude, n’a laissé ni
avis de décès ni autre testament
que celui léguant ses biens à sa dé-
funte épouse. Lors de ses obsè-
ques, seuls deux adjoints au
maire de Servilly, son village de
l’Allier, ont assisté à la sobre mise
en terre. L’histoire pourrait ici se
clore ; mais c’est de là que com-
mence une autre affaire.
Quelques mois plus tard, au
cœur de l’hiver, un avocat pari-
sien et un notaire de Saône-et-
Loire, visiblement pressés, dé-
boulent chez l’huissier chargé de
la succession. Ils sont accompa-
gnés par leur chauffeur aux che-
veux poivre et sel, qui patiente au
volant, garé en contrebas. Ils dé-
chiffonnent un papier : voici le
testament qu’aurait écrit Daniel
Mazeas, trois jours avant de se
donner la mort. Il indique
comme légataire universelle une
« vieille amie », septuagénaire li-
banaise résidant à Londres dans
le quartier chic de Chelsea. A elle
la maison de Servilly, ainsi
qu’un appartement à Vichy et la
place de parking à Roissy (Seine-
Saint-Denis) appartenant à cet
homme mort sans ami proche
ni descendance.
Les visiteurs repartent sous l’œil
méfiant de l’huissier. C’est un pré-
cautionneux : il a bien remarqué
que l’écriture du testament ap-
porté par ces curieux convoyeurs
n’est pas celle du défunt. Il
c­ ontacte dans la foulée le procu-
reur de Cusset (Allier).
L’enquête durera sept ans. Elle va
mettre au jour une équipe de pro-
fessionnels mobilisés par une
même mission : inventer des des-
cendants pour détourner les héri-
tages. Un notaire, un avocat, un di-
rigeant d’Ehpad, un généalogiste,
un croque-mort… Entre 2011 et
2015, ils ont récupéré plus de
6 millions d’euros au fil d’une di-
zaine de « successions douteuses »,
avant d’être démasqués grâce à
l’affaire Mazeas. Ils devaient com-
paraître, parmi neuf prévenus, ce
lundi 27 mars devant le tribunal
correctionnel de Cusset, notam-
ment pour « escroquerie » et « re-
cel en bande organisée ».
Péchés mignons coûteux
La scène chez l’huissier de Servilly
est trompeuse. Le chauffeur n’est
pas un simple figurant : il s’agit de
Jean-Louis Magnin, considéré
comme le cerveau de l’affaire. Le
« dénominateur commun » de l’es-
croquerie, selon l’expression des
magistrats instructeurs.
Le notaire Alain
Cauvel servira de
rédacteur pour
les documents.
Patrick Hureau,
responsable d’un
Ehpad Korian,
ciblera des proies
Magnin était notaire, jusqu’à
être radié de l’ordre après une
condamnation en 2004 pour
« abus de faiblesse ». Cet homme
entreprenant, qualifié de sympa-
thique mais aussi de tempétueux,
aime à se dire constamment à
court d’argent alors qu’il compte
plusieurs péchés mignons coû-
teux – les belles voitures, les voya-
ges exotiques et, surtout, les che-
vaux de course. Selon l’expertise
psychologique versée au dossier
d’instruction, il présente une per-
sonnalité sujette aux « idées de
grandeur » et à la « surévaluation
narcissique ». Pour mener à bien
l’arnaque de grande ampleur qui
lui est imputée – mise au jour par
les analyses graphologiques –, il
recrute des complices parmi ses
amis de longue date et ses con-
naissances professionnelles.
Le notaire Alain Cauvel, ancien
associé de Magnin, à Chauffailles
(Saône-et-Loire), servira de rédac-
teur pour les documents offi-
ciels. Patrick Hureau, responsa-
ble d’un Ehpad Korian à Fréjus
(Var), ciblera des proies, riches et
sans descendance. Christian
Chambaud, généalogiste che-
vronné, sera chargé de vérifier
l’absence d’héritiers potentiels.
Sébastien Boussel, directeur
d’une entreprise de pompes fu-
nèbres, et Georges-Henri Lau-
drain, avocat parisien, complè-
tent le casting, en tant qu’« ap-
porteur d’affaires » et représen-
tant lors des signatures légales.
Le petit groupe, qui échafaude
un temps un projet nommé « Di-
rect Sky Line », censé devenir un
fichier centralisé des disposi-
tions de deuil, profite de la fai-
blesse des dispositifs légaux ré-
gissant les testaments ologra-
phes autant que du manque de
sagacité de leurs interlocuteurs.
En associant leurs compétences,
ils ciblent les riches défunts sans
descendance et apportent des
faux testaments pour récupérer
les successions. Mais la finalité
semble inéluctable : enrichir
Jean-Louis Magnin, qui accumu-
lera des bénéfices évalués à
4 781 077 millions d’euros au fil de
la litanie de trépas dont fait écho
l’ordonnance de renvoi devant le
tribunal correctionnel.
Soixante maisons et terrains
Le « cas » de Victor Lambin fait fi-
gure de galop d’essai. Ce vieil
homme poussa son dernier souf-
fle le 17 mai 2008, à l’Ehpad Korian
de Fréjus, dirigé par Patrick Hu-
reau. Lequel se faufile dans la
chambre du gisant, et glisse su-
brepticement une enveloppe
dans la poche de son manteau. Un
« nouveau testament » au profit
de son ami Magnin…
Pour capter l’héritage de Janine
Boutier, décédée le 2 février 2012 à
Vichy, l’équipe procède à une mo-
dification de ses dernières volon-
tés au profit de « Louise, qui s’occu-
pait si bien de mes chats ». Il s’agit
de Louise Magnin, la mère de
Jean-Louis, dont il a procuration
sur les comptes bancaires. Une
mission accomplie malgré les
doutes de l’auxiliaire de vie de
Mme Boutier, persuadée que c’est à
la SPA que la vieille dame souhai-
Devant les juges
d’instruction,
Jean-Louis
Magnin a nié
avoir orchestré
une quelconque
escroquerie
tait léguer sa richesse – soit les
126 287, 20 euros retrouvés sur les
comptes de M. Magnin.
La succession de Colette Gaty,
morte le 29 avril 2012 et repérée
pour ses solides finances, sera le
coup de maître. Le stratagème re-
quiert l’aide d’Huguette Raqui-
det, une vieille amie de la famille
Magnin. Elle s’exerça longue-
ment sur des feuilles de brouillon
pour réaliser la parfaite boucle du
« G » de Gaty, puis réécrire le testa-
ment d’une calligraphie trem-
blante juste ce qu’il faut. « A mon
premier amour »… Le nom de cet
inoubliable amant ? Jean Magnin,
le père – décédé – de Jean-Louis…
De nouveau, le notaire radié de-
vient le ­légataire universel de la
vieille dame pour un pactole de
1 178 659 euros. Il prend soin de
faire léguer le contrat d’assuran-
ce-vie à un contact en Turquie
« sélectionné » en raison de sa si-
tuation de handicap, afin de bé-
néficier d’un abattement fiscal.
Au fil des perquisitions, les en-
quêteurs retrouvent chez Magnin
une Rolls Royce Silver, une Pors-
che 911 Carrera, mais aussi des sacs
à main Bulgari, Prada, Hermès…
Entre 2012 et 2017, son passeport
est tamponné aux Emirats arabes
unis, à Hongkong, au Japon, aux
Maldives, en Thaïlande… Ce grand
passionné de courses hippiques
fait l’acquisition de cinq pur-sang,
en partage la propriété de six
autres. Il crée, avec sa compagne,
elle aussi prévenue dans ce procès,
une SCI qu’il baptise « Alors heu-
reuse » afin de gérer une partie des
soixante maisons et terrains, dis-
séminés dans dix-neuf commu-
nes, dont il s’est emparé.
M. Magnin, un temps évaporé à
Dubaï après le fiasco de la succes-
sion Mazeas, s’est rendu le
5 mai 2017 au tribunal de Cusset,
où il fut interpellé sur-le-champ.
Devant les juges d’instruction, il a
nié connaître les défunts et avoir
orchestré une quelconque escro-
querie. Ses acolytes, eux, se
sont défaussés sur l’ancien no-
taire, certains confessant leur cré-
dulité au fil de ce projet. Tous re-
connaissent avoir touché bien
moins d’argent que leur « chef »
lors de ces opérations douteuses,
voire avoir « travaillé » pour lui
sans récompense.
Lundi, sur le banc des parties ci-
viles d’un procès où les victimes
n’ont plus leur mot à dire, seules
siégeront la direction nationale
des instances domaniales et les
directions des finances publiques
flouées, prêtes à récupérer les
biens qui leur étaient dus, à dé-
faut de légataires réels, de chair et
de sang… A moins que surgissent
encore de nouveaux héritiers. p
Thomas Saintourens

La ville de Saint-Ouen met en place un

congé menstruel pour ses employées
A compter de lundi, les agentes municipales pourront poser deux
jours d’arrêt par mois, sur justification médicale. Une première

U n peu plus d’un mois

après le vote, en Espa-
gne, d’une loi instaurant
un congé menstruel pour les fem-
mes souffrant de règles doulou-
reuses, la ville de Saint-Ouen (Sei-
ne-Saint-Denis) adopte à son tour
un dispositif similaire. A compter
du lundi 27 mars, l’ensemble des
agentes municipales – 1 200 fem-
mes environ – auront la possibi-
lité de poser deux jours d’arrêt
par mois, sur justification médi-
cale, pour ce motif, sans retenue
de salaire. C’est une première
pour une collectivité territoriale.
Pour le maire Karim Bouamrane
(Parti socialiste, PS), à l’origine de
cette décision annoncée symboli-
quement le 8 mars, Journée inter-
nationale des droits des femmes,
il s’agit à la fois d’« une question de
qualité de vie au travail » et d’un
enjeu concernant « la santé des
femmes ». Rappelant qu’une
femme sur dix en âge de procréer
est atteinte d’endométriose et
qu’une femme sur deux dit souf-
frir de règles douloureuses, « com-
ment accepter que rien n’est fait
pour améliorer leur quotidien pro-
fessionnel ? », interroge l’élu, qui se
dit sensibilisé à cette problémati-
que par des militantes féministes.
Sur le principe, le sujet ne fait ce-
pendant pas consensus ; certai-
De Kim Philby à Edward Snowden, du Mossad au FSB, du deuxième bureau à la nes associations féministes crai-
DGSE, plongée dans l’univers de l’espionnage, ses héros, ses traîtres, ses coups gnent notamment qu’un tel
tordus, ses exploits et son imaginaire, de James Bond au « Bureau des légendes ». congé entraîne une discrimina-
tion à l’embauche pour les fem-
mes. Pour Ophélie Latil, la cofon-
datrice du collectif Georgette
LES ESPIONS Sand, « le congé menstruel est une
fausse bonne idée. C’est une mesu-
rette qui occulte la nécessité d’une
Un hors-série du « Monde »
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vision d’ensemble concernant la
Chez votre marchand de journaux santé des femmes au travail, un
et sur lemonde.fr/boutique chantier bien plus vaste ». La mili-
tante féministe critique par
« C’est un sujet
encore tabou
dans le monde
professionnel »
Sofia Boutrih
conseillère municipale
de Saint-Denis
ailleurs le choix de renvoyer les
femmes qui souffrent chez elles,
ce qui « non seulement les isole,
mais invisibilise leurs douleurs ».
A Saint-Ouen, les agentes auront
donc le choix, une fois par mois,
de télétravailler ou de poser jus-
qu’à deux journées d’« autorisa-
tion spéciale d’absence », sans jour
de carence. « Une fois qu’elles se-
ront passées par la médecine du
travail, elles n’auront plus d’autre
démarche à faire », explique
M. Bouamrane, qui se félicite que
cette décision, qui fera l’objet
d’une information au conseil mu-
nicipal le 17 avril, soit soutenue par
« l’ensemble des élus ».
Proposition de loi
L’annonce a fait des émules. Dans
un courrier adressé le 22 mars à
Mathieu Hanotin, le président de
Plaine-Commune, une trentaine
d’élus de gauche demandent l’ex-
tension de ce dispositif à l’ensem-
ble des agentes des neuf munici-
palités de Seine-Saint-Denis (dont
Saint-Ouen) qui composent ce re-
groupement intercommunal.
« L’ouverture du débat dans les col-
lectivités sur la mise en place du
congé menstruel permettra de dé-
mocratiser ce sujet, de faciliter un
dépistage de l’endométriose et, sur-
tout, de participer à une avancée fé-
ministe et sociale dont vous avez
aussi la responsabilité », écrivent
les signataires dans leur courrier,
consulté par Le Monde. « Ce n’est
pas normal, beaucoup de femmes
souffrant d’endométriose ou de rè-
gles douloureuses n’osent pas en
parler et se rendent au travail
quand bien même elles ont du mal
à tenir debout, parce que c’est un
sujet encore tabou dans le monde
professionnel », développe la con-
seillère municipale de Saint-Denis
Sofia Boutrih, à l’origine de cette
interpellation.
A Paris, le 17 mars, c’est sur une
initiative des élus écologistes
qu’un vœu pour instaurer un
congé menstruel a été voté à l’una-
nimité, « et sous les applaudisse-
ments », souligne l’élue écologiste
Alice Coffin, qui l’a défendu. Avant
de le mettre en place pour les
30 000 agentes de la capitale, une
clarification de la loi est cepen-
dant nécessaire, explique Antoine
Guillou, l’adjoint chargé des res-
sources humaines. Dans les jours
qui viennent, il « va saisir le minis-
tère de la fonction publique pour
que le gouvernement éclaircisse les
conditions dans lesquelles le congé
menstruel peut être pris ». A ce
stade, un flou juridique existe sur
la latitude des collectivités concer-
nant les motifs d’autorisations
spéciales d’absence, du fait d’un
décret pas encore paru depuis le
vote, en 2019, de la loi de transfor-
mation de la fonction publique.
La sénatrice (PS) des Français de
l’étranger Hélène Conway-Mouret
ainsi que des députés de la Nou-
velle Union populaire écologique
et sociale travaillent de leurs côtés
à une proposition de loi afin
d’étendre ce congé menstruel à
l’ensemble des entreprises. Jus-
qu’à présent, seule une poignée
de PME l’ont mis en place. p
Solène Cordier
 Économie & Entreprise
0123
­
­Mardi 28­ mars 2023 | 13

Post-Covid, la jeunesse chinoise désorientée

Le chômage des 16-24 ans a atteint 17,3 % en janvier, contre 11,2 % en janvier 2019, avant la pandémie

Reportage
Shanghaï - correspondance

L
iu Qi, un solide gaillard à
lunettes, pousse une pe-
tite roulotte dans une rue
commerçante du centre-
ville de Shanghaï. Décorée de lan-
ternes et de grands sinogrammes
peints sur du tissu annonçant
« Soupe sucrée des gangsters », son
échoppe attire les regards : des
groupes de passants, jeunes pour
la plupart, s’arrêtent acheter un
bol de soupe visqueuse et un peu
acidulée. En une soirée, Liu Qi et
deux amis qui l’aident à faire tour-
ner la boutique peuvent gagner
un millier de yuans (136 euros).
« Au début, j’ai lancé ça pour
m’amuser avec mes copains, mais
si on gagne un peu d’argent en plus,
c’est tant mieux », commente le
jeune homme, tout sourire. L’idée
lui est venue début janvier, quand
les autorités ont encouragé « l’éco-
nomie de la rue » pour tenter de re-
lancer l’activité. Liu Qi travaille
pour une entreprise publique de
construction d’un district de
Shanghaï. Il gagne 5 000 yuans
par mois à conduire un camion.
Un métier stable, mais un salaire
modique pour vivre dans la ville,
où un bol de nouilles coûte une
trentaine de yuans, et un studio de
15 mètres carrés dans le centre dé-
passe facilement les 4 000 yuans.
Depuis la fin de la politique zéro
Covid, début décembre 2022, l’éco-
nomie chinoise reprend progres-
sivement ses marques. A voir les
rues commerçantes de Shanghaï,
prises d’assaut le week-end, on De jeunes Chinoises dans une rue de Shanghaï, le 4 mars.RAUL ARIANO POUR « LE MONDE »
croirait que tout est revenu à la
normale. Mais, quand on pose la
question aux entreprises, on tou- diant en ingénierie informatique à Et environ 10 % des restaurants économiste en chef à la banque Du jour au lendemain, tout s’est
che vite aux limites de cette re- Shanghaï. L’entrepreneuriat ne fait
« Les jeunes chinois ont fermé entre 2020 et hongkongaise Hang Seng, con- arrêté. « On a perdu confiance
prise : si les gens profitent de leur plus rêver. » Dimanche 5 mars, ce- d’aujourd’hui 2022, selon Chenzhi Big Data. firme : « Il y a eu un peu d’achats dans le gouvernement : notre paie-
liberté retrouvée, ils font encore lui qui était encore premier minis- Quant aux entreprises de la tech, plaisir pendant le Nouvel An chi- ment devait être contrôlé par la
preuve de prudence quand il s’agit tre, Li Keqiang, a fixé l’objectif de
gagnent moins elles ont aussi massivement ré- nois, fin janvier, mais c’est terminé. banque et par le ministère du loge-
de mettre la main au portefeuille. croissance pour 2023 à 5 %. Un que leurs duit leurs effectifs. Au cours des D’après nos calculs, les ventes au ment, mais, dans les faits, l’argent
« Avant, je commandais souvent chiffre jugé modeste, après les 3 % neuf premiers mois de 2022, détail atteignent seulement 60 % a été détourné, et personne n’en
à manger, mais maintenant, pour de 2022 – un de ses rythmes les
parents, ce qui Baidu, Alibaba et Tencent ont sup- de leur niveau de 2019. » prend la responsabilité, témoigne
économiser, je me fais systémati- plus faibles en quarante ans. En- n’était pas le cas primé au moins 24 000 postes. Cette frustration est visible sur la jeune femme. On a payé plus de
quement la cuisine et je sors core faudra-t-il redonner con- Les plates-formes du Web sont Internet. De nombreux forums 1 million, et on se retrouve sans
moins », témoigne Xie Ouran, fiance aux ménages et aux entre-
il y a dix ans » touchées du fait d’une campagne permettent de partager des con- rien, à supplier différentes institu-
23 ans, esthéticienne à Shanghaï. prises. Les difficultés accumulées Sizhang Kong de régulation du secteur. Mme Zhu seils pour vivre plus chichement. tions, et on se fait piétiner comme
Arrivée dans la ville en 2018, elle en 2022 sont loin d’être résolues. cofondatrice de Lu Digital (elle ne donne que son nom), « Les jeunes d’aujourd’hui gagnent des paillassons ! »
se souvient des bonnes années, Communication 29 ans, gagnait 18 000 yuans en moins que leurs parents, ce qui Au-delà des quelques millions de
quand elle pouvait gagner en- « Economiser sou à sou » tant que manageur chez TAL Edu- n’était pas le cas il y a dix ans, alors propriétaires d’appartements non
tre 7 000 et 10 000 yuans par L’immobilier, qui assure environ cation Group, l’un des leaders chi- l’heure n’est plus à la consomma- terminés, la crise affecte tous les
mois. Début 2022, elle a subi qua- le quart de la croissance chinoise, « Parfait pour éponger l’alcool », nois du tutorat en ligne. Mais, en tion débridée », décrit Sizhang jeunes Chinois qui voyaient
rante jours de chômage, faute de peine à se relever après une chute dit-il. Il rentre tout juste d’un mas- août 2021, Pékin, inquiet de l’aug- Kong, cofondatrice de Lu Digital l’achat d’un appartement comme
clients : résultat, elle a touché de 24 % des ventes en 2022. Les ex- ter en économie dans une univer- mentation des coûts de l’éduca- Communication, qui aide les mar- une étape nécessaire à l’installa-
4 000 yuans par mois. portations, qui avaient pris le re- sité anglaise. Malgré son diplôme tion privée, a imposé aux entrepri- ques à comprendre le marché chi- tion dans la vie adulte.
« Après des années de Covid, les lais pour entretenir la demande, prestigieux, trouver un travail n’a ses du secteur de devenir des « en- nois et à communiquer. Installée à Shanghaï depuis
jeunes semblent désorientés, ana- ont chuté depuis l’été 2022. Dans pas été facile. « Dans la finance, tités à but non lucratif ». Mme Zhu a Pour les jeunes Chinois, la baisse sept ans, Zoé Pan, 30 ans, em-
lyse Xiang Biao, chercheur à l’Ins- ce contexte, l’heure est aux res- beaucoup d’entreprises suppri- fait partie des 90 000 postes sup- de l’immobilier ajoute encore à ployée dans le marketing, vou-
titut Max-Planck pour l’anthro- tructurations pour les compa- ment des postes, constate-t-il. J’ai primés par TAL, qui ne conserve l’incertitude. Les ménages ont drait devenir propriétaire dans sa
pologie sociale. Il y a deux maniè- gnies, avec des baisses d’effectifs dû envoyer au moins 60 à 70 CV que 10 000 employés aujourd’hui. perdu confiance dans ce secteur, ville d’adoption avec son parte-
res de réagir : soit ils abandonnent, et de salaires. A peine entrés sur le pour recevoir cinq offres d’emploi. La jeune femme a trouvé un travail où ils plaçaient 70 % de leurs éco- naire et l’aide de leurs parents.
ne font plus de plans, soit au con- marché du travail, les jeunes Chi- D’habitude, les étudiants de ma d’enseignante dans une école pri- nomies. Yao Yitian (un pseudo- Mais le couple a décidé de suspen-
traire, ils planifient leur vie avec nois sont en première ligne. Le promotion en ont beaucoup plus. » vée de Xi’an, sa ville d’origine, dans nyme), 29 ans, commerciale dans dre son projet au moins six mois
des précautions extrêmes, évitent chômage des 16-24 ans atteignait Finalement, il a été pris dans une le centre du pays, où elle gagne dé- une entreprise de panneaux solai- de plus. « On veut voir où va le mar-
de prendre le moindre risque, par 17,3 % en janvier. Un taux excep- banque d’investissement, mais a sormais 5 500 yuans par mois. res, est l’une des nombreuses vic- ché, et si le gouvernement impose
exemple en se dirigeant vers les tionnellement élevé pour cette dû accepter un salaire de 15 % infé- Les tensions sur le marché de times de cette crise. Mi-2021, elle a une taxe foncière, car cela affecte-
concours pour devenir fonction- période de l’année : avant le Co- rieur à ses attentes. l’emploi ont un impact évident sur acheté avec son frère un apparte- rait la valeur des logements », dit
naires, qui sont pris d’assaut. » vid-19, en janvier 2019, 11,2 % des Rares sont les secteurs épar- la consommation. « Je suis en co- ment en construction dans la ville Zoé. Une prudence qui semble être
« La pandémie a touché beau- jeunes étaient sans emploi. gnés. Entre 2019 et 2021, le nom- lère : je vois passer des publicités et de Xi’an, pour 1,5 million de la norme en ce début d’année
coup de secteurs, alors mes cama- En sortant d’un bar, Wu Hedi, bre d’employés d’agences de des promotions sans arrêt, mais yuans. Mais, alors que la structure en Chine, en attendant que l’hori-
rades recherchent surtout la stabi- 24 ans, s’arrête devant la roulotte voyages a été divisé par deux, moi, je dois économiser sou à sou », était terminée, le promoteur s’est zon économique se dégage. p
lité, confirme Yubo, 22 ans, étu- de Liu Qi pour acheter une soupe : d’après le ministère du tourisme. témoigne Mme Zhu. Dan Wang, retrouvé à court de fonds. Simon Leplâtre

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14 | Économie & Entreprise
Arnaud Rousseau, un agro-industriel pour la FNSEA
Le président du puissant Groupe Avril devrait succéder à Christiane Lambert à la tête du syndicat agricole
Profil
I
l y a des élections sans sus-
pense. Celle du nouveau pré-
sident de la Fédération na-
tionale des syndicats d’ex-
ploitants agricoles (FNSEA) en est
une parfaite illustration. Arnaud
Rousseau, 49 ans, devrait prendre
le fauteuil laissé libre par Chris-
tiane Lambert, mercredi 30 mars,
à l’issue du congrès organisé à
Angers. Sans rival, il est vrai.
Comme une évidence. Il faudra
toutefois qu’il patiente jusqu’au
13 avril pour que son mandat
commence officiellement, après
le vote formel des membres du
conseil d’administration, chargés
d’élire le bureau et son président.
Paradoxalement, personne ne
voit M. Rousseau comme le suc-
cesseur de Mme Lambert, éleveuse
de porcs dans le Maine-et-Loire,
qui a incarné la FNSEA pendant
six ans. Tous évoquent imman-
quablement la filiation avec le
prédécesseur de cette dernière,
Xavier Beulin, décédé brutale-
ment le 19 février 2017.
Les points communs entre les
deux hommes ne manquent pas
pour étayer la comparaison. Tous
deux peuvent se définir comme
des céréaliers. Ou, selon les termes
consacrés, des producteurs de
grandes cultures. M. Rousseau
­cultive ainsi colza, blé, tournesol,
betterave, maïs, orge et légumes
de plein champ. Tous deux ont oc-
cupé les mêmes postes. M. Rous-
seau ayant mis consciencieuse-
ment ses pas dans ceux de M. Beu-
lin, figure de l’agrobusiness.
Il est d’abord adoubé président
de la Fédération française des
­producteurs d’oléagineux et de
protéagineux par son mentor. Ce-
lui-ci décède à peine deux semai-
nes plus tard. Le destin propulse
alors M. Rousseau, la même an-
née, à la présidence de Groupe
Avril, laissée vacante. Ce bras
armé de la filière colza et tourne-
sol en France, créé en 1983, est de-
venue une puissante firme agro-
industrielle présente dans les hui-
les, les agrocarburants, la nutri-
tion animale et la chimie. Peu
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Le céréalier
francilien,
diplômé
de l’European
Business School,
n’avait guère
le goût des
études agricoles
connue du grand public, si ce n’est
par ses marques Lesieur et Puget,
elle affichait, en 2021, un chiffre
d’affaires de 6,9 milliards d’euros.
Là s’arrête la comparaison. Si la
prise de pouvoir de M. Rousseau à
la tête de la FNSEA a un petit goût
de retour vers le passé, elle a aussi
une forte coloration de grand
bond en avant. Le nouvel homme
fort du syndicat agricole n’est pas,
comme son mentor, un self-made-
man, contraint de reprendre l’ex-
ploitation familiale située en pro-
vince, dans le Loiret, en arrêtant
ses études. M. Rousseau, diplômé
de l’European Business School, a
pris le temps de quelques expé-
riences professionnelles à Paris,
avant de s’installer dans l’exploita-
tion familiale, à Trocy-en-Multien,
en Seine-et-Marne, à 28 ans. Lui
qui n’avait guère le goût des étu-
des agricoles a toutefois dû passer
un brevet professionnel adulte,
comme la loi l’y oblige.
Aujourd’hui, avec la reprise de
l’exploitation familiale de sa
femme, il gère, avec quatre sala-
riés, 700 hectares dans les riches
plaines d’Ile-de-France. L’homme,
qui se voit d’abord comme un chef
d’entreprise, a décidé d’adjoindre
une activité de production d’agro-
carburant pour se développer.
Avec quatre agriculteurs, ils ont in-
vesti 5,6 millions d’euros dans un
méthaniseur, bénéficiant d’une
aide de 750 000 euros de l’Ile-de-
France. Mais celui-ci, entré en ser-
vice fin 2021, doit être alimenté.
C’est avec cet objectif que
M. Rousseau a fait évoluer son as-
solement cette année. En décem-
bre 2022, il évoquait une prévision
Lors des Assises de l’agriculture, de l’alimentation et de la santé, à Laval, le 13 octobre 2022. Martin ROCHE/OUEST-FRANCE/PHOTOPQR/MAXPPP
de réduction de 20 % de ses planta-
tions de betteraves, la culture pas-
sant de 20 % à 16 % de l’ensemble
de ses surfaces, au profit du maïs.
Un choix antérieur à la décision de
la Cour de justice européenne, ren-
due le 19 janvier, interdisant les dé-
rogations d’usage des néonicoti-
noïdes sur les betteraves.
Gouvernance renouvelée
Pour autant, M. Rousseau était
bien présent à la mobilisation du
8 février sur l’esplanade des Invali-
des, à Paris. Avec une armada de
tracteurs, les céréaliers voulaient
faire pression sur le gouverne-
ment, en dénonçant l’interdiction
des néonicotinoïdes et, plus géné-
ralement, les restrictions d’usage
des produits phytosanitaires.
Cette manifestation était organi-
énergie
EDF construira
le plus grand parc éolien
français en mer
Dans une interview à La
Presse de la Manche, lundi
27 mars, Agnès Pannier-Runa-
cher, ministre de la transition
énergétique, annonce l’attri-
bution du premier parc éolien
au large de la Normandie à
EDF et à son partenaire cana-
dien Maple Power. Il s’agit
du plus grand parc éolien en
mer français, d’une puissance
de 1 gigawatt. La production
commencera en 2031.
Banque
SVB rachetée par
First Citizens
First Citizens va racheter
« l’intégralité des dépôts et
prêts » de la Silicon Valley
Bank (SVB), qui a fait faillite,
début mars, a annoncé, dans
la nuit du dimanche 26 au
lundi 27 mars, l’autorité ban-
caire américaine Federal
Deposit Insurance Corpora-
tion. La transaction porte sur
72 milliards de dollars d’actifs
(67 milliards d’euros). – (AFP.)
Réseau social
Twitter vaut moins
de la moitié de son prix
d’acquisition
Elon Musk estime la valeur
de Twitter à 20 milliards de
dollars contre 44 milliards
il y a cinq mois, au moment
de son acquisition du réseau
social, selon un document
diffusé en interne vendredi
24 mars. – (AFP.)
sée par la FDSEA Ile-de-France, la
branche régionale de la FNSEA,
dont il a été le secrétaire général.
Dans ce parcours, l’homme jugé
pragmatique a minutieusement
préparé l’étape ultime pour
­conquérir la présidence de la
FNSEA. Même si, officiellement, il
n’est sorti du bois que le 15 décem-
bre 2022, après l’annonce faite par
Mme Lambert de sa décision de ne
pas se représenter, il avait déjà pré-
paré le terrain dans les instances.
D’abord, en étant élu premier
­vice-président du syndicat, à l’été
2020. Puis, par la publication du
projet stratégique FNSEA 2025, à
l’automne 2021, dont il assume la
paternité, et qui sonnait comme
un véritable manifeste de son
­ambition. Certains membres de la
FNSEA estiment qu’il aurait brigué
Pertes & profits | Distribution
p a r J e a n - M ichel Bezat
Leroy Merlin, le retrait de Russie
Après avoir maintenu son acti-
vité en Russie depuis l’invasion
de l’Ukraine par l’armée russe,
Leroy Merlin va quitter le pays.
La famille Mulliez, par la voix
de la holding Adeo, a annoncé,
vendredi 24 mars, « son intention
de céder le contrôle » de ses
activités en Russie à des parte-
naires locaux.
Elle veut ainsi « préserver les
emplois des 45 000 collabora-
teurs et pérenniser l’activité de
l’entreprise ». Mais aussi ne
pas être exproprié et conserver
tout ou partie des actifs. La Rus-
sie, où l’enseigne avait ouvert
son premier magasin à Moscou
en 2004, pèse près de 20 % de
son chiffre d’affaires (cinq mil-
liards d’euros), le plus important
hors de France.
Les pressions n’ont pas man-
qué. Un mois après l’invasion de
son pays, en février 2022, le pré-
sident ukrainien lançait un appel
au cours d’une visioconférence
avec les parlementaires français :
« Renault, Auchan, Leroy Merlin et
autres doivent cesser d’être les
sponsors de la machine de guerre
de la Russie, arrêter de financer le
meurtre d’enfants et de femmes,
les viols ». Volodymyr Zelensky
n’a pas obtenu gain de cause de
ces grandes enseignes, pas plus
la présidence cette année, même
si Mme Lambert n’avait pas aban-
donné son fauteuil.
Une fois déclaré, le candidat a
mené campagne tambour bat-
tant, adressant un courrier aux
administrateurs de la FNSEA,
mais surtout prenant son bâton
de pèlerin pour sillonner le terri-
toire. Un tour de France en vingt
étapes orchestré depuis début
janvier. Même s’il revendique sa
connaissance de la ruralité de par
son mandat de maire de sa com-
mune seine-et-marnaise de
280 habitants, il le sait, son éti-
quette de grand céréalier d’Ile-de-
France peut être clivante au sein
des agriculteurs syndiqués.
D’autant que le Groupe Avril,
qu’il préside, a fait le choix straté-
gique de se recentrer sur le végé-
que leurs employés en Ukraine.
Leroy Merlin avait suspendu tout
nouvel investissement dès fé-
vrier 2022. Il dit avoir engagé des
discussions pour céder ses
113 magasins « depuis plusieurs
mois ». Sans obtenir de réponse
de la commission spéciale char-
gée d’étudier la situation des en-
treprises de pays « inamicaux »,
affirme-t-il. Leroy Merlin ne veut
pas partir en essuyant de lourdes
pertes, ni céder sa marque
comme l’a fait McDonald’s à
un oligarque.
Effort de guerre
Les 230 hypermarchés Auchan
(plus de 10 % de son chiffre d’af-
faires), eux aussi propriété des
Mulliez, poursuivent leur activité.
L’enseigne aurait même contri-
bué à l’effort de guerre de Moscou
par l’intermédiaire d’une collecte
de produits destinés à l’armée,
selon une information du Monde
démentie par Auchan.
Avant la guerre, les multinatio-
nales françaises, dont 35 entrepri-
ses du CAC 40, étaient le premier
employeur étranger en Russie
avec 160 000 salariés. Mais partir,
c’est mourir un peu ou totale-
ment. Renault et Société générale
ont payé ce départ au prix fort :
2,3 milliards d’euros pour le cons-
0123
­
­Mardi 28­ mars 2023
tal, cédant ses activités d’élevage.
Il a donc souhaité convaincre sur
le terrain de sa volonté de tra-
vailler avec toutes les filières, en
particulier animales, et de les as-
socier à la gouvernance.
Cette gouvernance renouvelée
qu’il appelle de ses vœux devrait
passer par le remplacement de
20 % des membres du conseil d’ad-
ministration. Du jamais-vu. Pen-
dant cette campagne électorale,
M. Rousseau s’est fait discret dans
les médias. Sa communication est
gérée, non par la FNSEA, mais par
le Groupe Avril. A l’époque de
M. Beulin, certains s’interro-
geaient sur le mélange des genres
et le risque de conflits d’intérêts en
cumulant les deux présidences. La
question se pose-t-elle encore ? p
Laurence Girard
tructeur automobile et 3,3 mil-
liards pour la banque. Quant
à TotalEnergies, il a dû déprécier
15 milliards de dollars d’actifs.
D’autres grandes marques trico-
lore, comme Bonduelle ou Lacta-
lis, restent actives en Russie.
Une majorité des sociétés occi-
dentales continuent leurs affai-
res, ou suspendent leur activité
dans l’attente d’une solution
âprement négociée avec les auto-
rités. Il y a un an, 2 405 filiales dé-
tenues par 1 404 entreprises de
l’Union européenne et du G7
étaient actives en Russie, souli-
gnent Simon Evenett (Université
de Saint-Gall) et Niccolo Pisani
(IMD de Lausanne) ; fin novembre
2022, seulement 8,5 % en avaient
cédé au moins une.
Ce résultat est, selon les deux
chercheurs suisses, corroboré par
une équipe de la Kiev School of
Economics… mais vivement con-
testé par leur collègue de l’univer-
sité américaine de Yale, Jeffrey
Sonnenfeld, qui chiffre les dé-
parts réalisés ou imminents
à environ 1 300. Et d’accuser ses
confrères d’alimenter « le faux
récit de Poutine » sur la résilience
de l’économie russe. Quand la
guerre d’Ukraine s’étend jusque
dans les plus prestigieux cénacles
universitaires… p
0123
­
­Mardi 28­ mars 2023
Moteurs
thermiques :
accord entre
l’UE et Berlin
L’Allemagne votera le texte actant
la fin des voitures émettrices
de CO2 après 2035, mais obtient
des aménagements ultérieurs
Analyse
Bruxelles - bureau européen
S
i tout se passe comme
prévu, les ministres de
l’énergie européens, qui
doivent se retrouver à
Bruxelles, mardi 28 mars, de-
vraient acter la fin du moteur ther-
mique en 2035. Tout en laissant la
porte ouverte à une exception. La
Commission et l’Allemagne ont
annoncé, samedi 25 mars, avoir
trouvé un accord qui permet de
débloquer ce texte emblématique
du pacte vert européen, mais pré-
voit des aménagements ulté-
rieurs, dans un autre acte législatif,
pour les véhicules roulant aux
­carburants de synthèse.
Initialement, les Vingt-Sept de-
vaient entériner, le 7 mars, l’inter-
diction faite aux constructeurs
automobiles de produire des
­voitures émettrices de CO2 après
2035. Tout avait été calé, et le vote
devait être une formalité, comme
l’avait été celui du Parlement euro-
péen, mi-février. Après de longues
négociations entre Etats membres
et eurodéputés, un accord avait été
trouvé entre les institutions com-
munautaires, en novembre 2022.
L’Italie et la Pologne, notamment,
avaient fait connaître leurs réti-
cences, mais cela ne mettait pas en
péril l’adoption du texte, prévue à
la majorité qualifiée.
Tiraillé entre les différents mem-
bres de sa coalition (Verts, SPD et
libéraux du FDP), le gouverne-
ment allemand l’avait finalement
validé, après avoir obtenu l’ajout
d’un « considérant » demandant à
la Commission de tenir compte
des développements technologi-
ques lors d’une future revue du
La révision du plan local d’urbanisme de Paris s’enlise
Alors qu’il ne restait que trois points à trancher, le sujet du réaménagement de la porte de Montreuil a crispé les discussions entre les élus
L a fin de l’hiver devait signer
la fin des négociations,
l’heure des ultimes retou-
ches à apporter au document,
pour qu’au printemps le texte soit
présenté en Conseil de Paris. Mais
ça, c’était avant, quand la Mairie
de Paris croyait encore pouvoir te-
nir son calendrier pour que le
nouveau plan local d’ur­banisme
(PLU) de la capitale – le texte qui
donne les règles de construction
et d’aménagement –, voulu « bio-
climatique », entre en vigueur le
plus tôt possible.
Le document est prêt à 98 %,
­assurent les trois composantes de
la majorité municipale – socialis-
tes, écologistes, communistes. La
baisse du parc de bureaux est ac-
tée. La liste des 12 000 emplace-
ments réservés pour de nou-
veaux espaces verts, des équipe-
ments, des commerces, arrêtée.
Privilégier l’existant, augmenter
la part de logements publics, ne
pas construire aux abords du
boulevard périphérique avant
une baisse significative de la
­pollution, protéger les arbres,
augmenter la pleine terre, ils sont
texte. Berlin souhaite que les véhi-
cules électriques ne soient pas la
seule réponse à cette nouvelle lé-
gislation et que l’industrie auto-
mobile puisse explorer d’autres
pistes, dont celle d’un moteur à
combustion fonctionnant avec
des carburants de synthèse, c’est-
à-dire produits à partir de CO2 issu
des activités industrielles.
Dans ce contexte, Berlin sidère
ses partenaires, début mars, lors-
que son ministre des transports,
Volker Wissing (FDP), annonce
rallier le camp des contestataires,
arguant que le « considérant » al-
lemand ne lui offre pas suffisam-
ment de garanties. Il faut dire
que, quelques jours plus tôt, dans
un entretien au journal Bild,
Frans Timmermans a eu des
mots malheureux. « Nous ne de-
vons pas forcer notre industrie
automobile à développer différen-
tes technologies en même temps.
Ensuite, tout sera plus cher », y dé-
clarait-il le 17 février.
Exaspération
Le vice-président de la Commis-
sion, chargé du Green Deal, un pa-
quet législatif conçu pour mener
les Vingt-Sept à la neutralité car-
bone d’ici à 2050, poursuivait :
« Nous devons dire où aller. L’avan-
tage de l’Europe est de fournir une
législation de long terme. Les
Etats-Unis et la Chine ne fabri-
quent pas non plus d’e-carburants
– ils ne sont pas stupides. »
Le FDP, en chute dans les sonda-
ges et dans les urnes allemandes
depuis qu’il a rejoint la coalition
d’Olaf Scholz, en déduit que Frans
Timmermans ne laissera pas la
moindre chance à cette technolo-
gie, encore balbutiante et défen-
tous d’accord. Fin février, le texte
n’était pas loin d’aller au vote. Il
restait trois points à trancher.
La hauteur, sujet sensible à Paris,
est le premier point de blocage. Les
écologistes sont farouchement
opposés aux constructions supé-
rieures et même égales à 50 mè-
tres, plafond au-dessus duquel les
immeubles dits de « grande hau-
teur » consomment plus d’éner-
gie. En soulevant une faille juri­-
dique, ils ont fait tomber le projet
de forêt de tours de Bruneseau
nord, l’un des derniers îlots amé-
nageables de la zone d’aménage-
ment concerté Rive gauche, dans
le 13e arrondissement.
Mais la question n’est pas défi-
nitivement tranchée pour Bercy-
Charenton, 80 hectares le long
des voies ferrées, de l’autre côté
de la Seine. Les 50 mètres figu-
raient sur les premiers docu-
ments, la maire écologiste du 12e,
Emmanuelle Pierre-Marie, sui-
vait, mais les Verts ne veulent
plus en entendre parler. Emile
Meunier et Nathalie Maquoi,
deux des principaux négocia-
teurs du parti, craignent une ex-
A Francfort-sur-le-Main, en Allemagne, le 27 mars. Michael Probst/AP
« Grosse colère !
La Commission
se couche devant
l’Allemagne ! »
Karima Delli
eurodéputée écologiste
due par Porsche, en Allemagne,
ou Ferrari, en Italie. De fait, elle
permettrait de prolonger l’utili­-
sation des moteurs thermiques
­au-delà de 2035 et, jugent ses
­contempteurs, au premier rang
desquels le commissaire néerlan-
dais, réduirait donc la portée de la
législation. Qu’à cela ne tienne,
le FDP retire son soutien au texte
sur les émissions de CO2 des voi-
tures. Ses partenaires Verts sont
fâchés, Olaf Scholz laisse faire.
Les Européens n’ignoraient
rien des difficultés de la coalition
allemande, mais personne
n’imaginait un tel changement
de pied. Ce faisant, non seule-
ment Berlin contrevient à toutes
les règles de bienséance euro-
péenne qui veulent qu’un gou-
vernement, quand il a donné son
accord à un compromis, ne re-
vient pas sur sa parole. Mais le
gouvernement allemand empê-
che aussi le projet législatif sur le
position des populations à des
seuils trop élevés de pollution et
demandent des études d’impact
sur la santé approfondies.
Le devenir de la petite ceinture,
l’ancienne voie de chemin de fer
qui encercle la capitale, sur la-
quelle les trains ne circulent plus,
est le second point de tension.
­Depuis plusieurs années, une
convention lie la Ville de Paris à la
SNCF. L’accord réaffirme la voca-
tion ferroviaire des lieux, insiste
sur « la réversibilité des aménage-
ments », au cas où des trains vien-
draient de nouveau à passer, tout
en soulignant le « rôle de corridor
écologique et de biodiversité ex-
ceptionnel » qu’elle joue.
« C’est glauque »
Au début, Emmanuel Grégoire, le
premier adjoint chargé de l’urba-
nisme, a proposé de classer ces
54 hectares en zone urbaine verte.
Mais la SNCF, suivie par les com-
munistes, ne veut pas en entendre
parler. La Ville a proposé une voie
médiane : classer les talus en es­-
paces boisés. Nouveau veto de la
SNCF, qui craint de ne pas pouvoir
Économie & Entreprise | 15
CO2 des automobiles d’aboutir et
ouvre la porte à une contestation
plus globale du Green Deal.
Plusieurs Etats membres, dont
la France, manifestent leur exas-
pération face à cette volte-face.
D’autant que, depuis un an, les in-
cidents avec une Allemagne qui
change souvent d’avis se multi-
plient. A Strasbourg aussi, on s’in-
digne du chantage de Berlin. Pour
autant, les Vingt-Sept ont intérêt
à ce que la Commission et l’Alle-
magne trouvent un accord le plus
vite possible. Les négociations en-
tre Frans Timmermans et Berlin
reprennent donc, péniblement.
Même s’il n’était pas à l’ordre du
jour de la réunion des chefs d’Etat
et de gouvernement, à Bruxelles,
les jeudi 23 et vendredi 24 mars,
le sujet a fait l’objet de nombreu-
ses discussions en coulisses. A
n’en pas douter, le président fran-
çais, Emmanuel Macron, l’a évo-
qué avec la cheffe du gouverne-
ment italien, Giorgia Meloni,
qu’il a vue jeudi soir, et avec Olaf
Sholz, avec lequel il a petit-dé-
jeuné le lendemain matin.
« Nous avons trouvé un accord
avec l’Allemagne sur l’utilisation
future des carburants de syn-
thèse », a annoncé, le 25 mars ma-
tin, Frans Timmermans sur Twit-
ter. « Les véhicules équipés d’un
moteur à combustion pourront
intervenir sur ces espaces si elle
devait toucher à un arbre.
Il reste un troisième nœud : le
seuil à partir duquel un pourcen-
tage de pleine terre serait exigé
dans le cas d’une démolition-re-
construction. La Ville avait sug-
géré 85 mètres carrés, avant de
s’apercevoir que cela bloquerait
trop de projets. Les communistes
ont proposé 150 mètres carrés,
avant d’exiger 250 mètres carrés,
pour favoriser la création de loge-
ments. Le curseur est redescendu
à 200 mètres carrés, mais la Ville
espère encore 150 mètres carrés.
On en était là, lorsque le sujet du
réaménagement de la porte de
Montreuil est arrivé sur la table.
« Pour nous, la porte, c’est une
mocheté, c’est glauque, à partir
d’une certaine heure, cela fait
même peur, il fallait en finir », dé-
clarait Patrice Bessac, maire (PCF)
de Montreuil (Seine-Saint-Denis),
lors d’une visite qu’organisaient la
Ville de Paris et les élus d’Est En-
semble, en novembre 2021, pour
dévoiler le futur visage de la place.
Aujourd’hui vaste rond-point
routier de 3 hectares bordé de lo-
être immatriculés après 2035, s’ils
utilisent exclusivement des carbu-
rants neutres en matière d’émis-
sions de CO2 », s’est, dans la foulée,
réjoui Volker Wissing.
En clair, l’Allemagne va voter
pour le texte prévoyant la fin
de l’immatriculation de voitures
émettrices de CO2 après 2035 tel
qu’il a été rédigé après les négocia-
tions de l’automne 2022, permet-
tant à celui-ci d’obtenir la majorité
qualifiée requise. « Le texte validé
par le Parlement il y a quelques
­semaines sera bien voté par le
­Conseil, et il est inchangé. La règle
des 100 % de voitures zéro émis-
sion en 2035 est donc maintenue »,
se félicite Pascal Canfin, président
de la commission environne-
ment du Parlement européen.
La Commission, pour sa part,
fera, d’ici à l’automne, une propo-
sition législative qui prévoira un
statut particulier pour les voitu-
res équipées d’un moteur fonc-
tionnant avec des carburants de
synthèse. Les conclusions de ce
texte devront, dans un second
temps, être intégrées au règle-
ment sur les émissions de CO2.
Consciente que cette double
étape laisse présager de nouvelles
arguties entre les Vingt-Sept et les
eurodéputés, l’Allemagne a ob-
tenu que la régulation qui sortira
du vote de mardi puisse être
gements sociaux, d’un marché
aux puces, d’un centre commer-
cial et du siège de la CGT, elle serait
demain un espace accueillant
pour les piétons, les vélos, verdie
au maximum, telle que l’ont ima-
ginée les urbanistes de TVK, à l’ori-
gine de la transformation de la
place de la République.
Exaspération des riverains
La construction de bureaux, d’un
hôtel, « réanimera un front ur-
bain », disait M. Grégoire, selon le
principe qui veut que la densité at-
ténue les frontières. Paris paie la
totalité : 100 millions d’euros. L’ad-
joint écologiste David Belliard se
félicitait des « pistes cyclables de
4 mètres de largeur et du parc en
plein milieu du rond-point ».
Le permis d’aménager était sur le
point d’être déposé, lorsque les
écologistes parisiens, soutenus par
la droite, ont demandé une remise
à plat, en octobre 2022. Les bu-
reaux, l’hôtel surplombant le péri-
phérique, ils n’en veulent plus. La
tentative de bloquer le dossier par
la voie juridique ayant échoué, ils
ont menacé de ne pas voter le PLU.
amendée, si elle n’obtient pas sa-
tisfaction à terme. « Tout cela pren-
dra un an et demi à deux ans et de-
vrait aboutir après les élections
européennes de 2024 », à l’issue
desquelles la Commission sera re-
nouvelée, précise-t-on dans l’en-
tourage de Frans Timmermans.
« Grosse colère ! La Commission
se couche donc devant l’Allema-
gne ! », proteste la députée euro-
péenne écologiste Karima Delli,
appelant ses collègues à refuser
les carburants de synthèse. La
proposition de « Timmermans
est inacceptable : les carburants
de synthèse ne sont pas neutres en
carbone et ils sont mauvais pour
la santé », estime-t-elle.
« Je n’ai pas encore analysé le
texte. Tout ce que je sais, c’est que
les Verts, au sein du gouvernement
allemand, ont été tenus à l’écart
des discussions », précise, pour sa
part, Philippe Lamberts, le prési-
dent des Verts au Parlement
européen. A Berlin, on souhaite
désormais tourner la page de cet
épisode : « On est sorti de l’im-
passe, c’est une bonne chose, com-
mente la ministre de l’environne-
ment verte, Steffi Lemke. Toute
autre issue aurait sévèrement
abîmé la confiance dans les procé-
dures européennes et dans la fia-
bilité de l’Allemagne. » p
Virginie Malingre
Les communistes ont fait le
même chantage en cas de report
des travaux, relayant l’exaspéra-
tion d’habitants de Montreuil, de
Bagnolet (Seine-Saint-Denis) et de
la capitale, qui « attendent le projet
depuis vingt ans », selon l’adjoint
à Paris Jacques Baudrier (PCF).
­Refusant « de servir de monnaie
d’échange dans des négociations
politiques qui [les] dépassent », les
riverains se sont constitués en col-
lectif. Si le sujet de la porte de Mon-
treuil déborde sur le PLU, alors que
le projet n’est pas concerné par la
révision, c’est qu’il oppose deux de
ses principaux négociateurs, Jac-
ques Baudrier et Nathalie Maquoi.
Pour sortir de l’impasse, le futur
règlement n’évoquera le projet
qu’en des termes suffisamment
vagues pour ne froisser personne.
Trois ateliers de médiation, ani-
més par le maire divers gauche du
20e, Eric Pliez, sont programmés.
Le premier s’est tenu vendredi
24 mars. Pour le reste, si Emma-
nuel Grégoire espère un vote en
mai, il faudra avoir dénoué les
trois points sous quinzaine. p
Émeline Cazi

16 | Économie & Entreprise
Le grand vertige des télécoms
Dossier
E
n fait, 46 % des PDG du secteur
des télécommunications pen-
sent que leur entreprise ne pas-
sera pas la décennie suivante. »
Le 27 février 2023, seule sur la
scène de la conférence d’ouver-
ture du congrès mondial de la téléphonie
mobile, le salon qui réunit chaque année à
Barcelone (Espagne) l’industrie mondiale
des télécoms, Christel Heydemann, la direc-
trice générale d’Orange, glace l’assistance.
Dans les rangs de l’amphithéâtre, chacun
jette un œil inquiet à son voisin : qui des
deux pourrait ne plus avoir l’occasion de fré-
quenter le salon catalan dans dix ans ?
Extrait de l’étude annuelle du cabinet de
conseil PwC sur le moral des patrons publiée
en janvier à l’occasion du forum de Davos
(Suisse), ce nombre-choc alarme sur l’état de
santé du secteur des télécoms, confronté, se-
lon Mme Heydemann, à des « vents contraires
(…) peut-être jamais aussi importants ». La
concurrence ? « Féroce », juge-t-elle. La régle-
mentation ? « Parfois obsolète. » Les investis-
sements ? « Massifs – près de 600 milliards
d’euros en Europe au cours de la dernière dé-
cennie ! », mais « difficiles à rentabiliser ». Le
trafic de données ? « En croissance exponen-
tielle et principalement concentré entre une
poignée d’acteurs numériques. » Le tout avec
des « consommateurs qui s’attendent à payer
moins et à obtenir plus ».
« Je me demande vraiment si c’est ce que
nous avions en tête il y a dix ans pour l’avenir
de notre industrie européenne », a conclu à
Barcelone la directrice générale d’Orange. En
poste depuis avril 2022, après huit années
chez Schneider Electric, Mme Heydemann
sait bien qu’un industriel peut disparaître,
aussi gros soit-il : au début des années 2010,
elle a vécu de l’intérieur la chute d’Alcatel-Lu-
cent, ancien leader mondial des télécoms,
aujourd’hui dilué chez le finlandais Nokia.
Les opérateurs traînent leur spleen depuis
longtemps. Cela fait des années que les « tel-
cos » européens s’inquiètent de la faible
croissance de leur chiffre d’affaires : 2 % en
moyenne par an pour le secteur entre 2015
et 2020, selon le Digiworld Institute (an-
ciennement Idate), think tank qui rassem-
ble des opérateurs et des groupes du numé-
rique. D’où leur percée sur de nouveaux
marchés, comme l’Afrique pour Orange,
l’Amérique du Sud pour Telefonica et les
Etats-Unis pour Deutsche Telekom, afin de
En mal de croissance et marginalisés par les géants
du numérique, les opérateurs télécoms souffrent
d’une faible rentabilité et s’inquiètent pour l’avenir.
Un changement de modèle s’impose
remplacer les réserves d’abonnés qu’ils ont
épuisées en Europe. D’où aussi leurs coû-
teuses tentatives de diversification dans
d’autres métiers, comme les médias, sou-
vent soldées par des échecs, parfois cui-
sants. La récente vente d’OCS par Orange à
Canal+ marque d’ailleurs la fin de l’illusoire
convergence entre tuyaux et contenus, éla-
borée au début des années 2000 par Jean-
Marie Messier chez Vivendi Universal.
La bascule du pouvoir
Mais, aujourd’hui, la déprime est plus pro-
fonde : c’est l’existence même des opéra-
teurs qui est en jeu. « Nous sommes face à
un vrai paradoxe », s’étonne Nicolas Teis-
seyre, responsable mondial du secteur tech-
nologies-médias-télécoms (TMT) du cabinet
de conseil Roland Berger : « En permettant la
connexion et la circulation des données, les
réseaux fixes et mobiles des opérateurs télé-
coms sont la pièce centrale du numérique.
Depuis la pandémie, les usages de communi-
cation n’ont jamais été aussi développés,
aussi bien auprès des particuliers que des en-
Telecom Italia, l’homme malade au cœur d’une bataille financière
Telecom Italia est prêt à faire le
grand saut. L’opérateur italien est sur
le point de vendre son réseau de télé-
communications fixes et ses activités
internationales (Sparkle). Deux
camps s’opposent pour cette reprise :
d’un côté, le fonds américain KKR, in-
téressé depuis plus d’un an ; de l’autre,
le tandem formé par Cassa Depositi e
Prestiti (CDP), l’équivalent italien de la
Caisse des dépôts et consignations, et
l’investisseur australien Macquarie.
Telecom Italia a donné aux deux
prétendants jusqu’au 18 avril pour
déposer des offres améliorées, ju-
geant insuffisants les 20 milliards
d’euros initialement avancés. De-
venu locataire de cette infrastruc-
treprises. Et, pourtant, la très grande partie
de la valeur de la chaîne est captée par
d’autres », principalement les grands grou-
pes américains ou chinois de services nu-
mériques, Google, Meta, ­Amazon, Apple,
Netflix ou ByteDance (TikTok).
C’est pourquoi les opérateurs réclament de-
puis des années une participation financière
des géants de l’Internet à la construction des
réseaux. En lançant en février une consulta-
tion publique sur le sujet, la Commission
européenne leur a offert un peu de réconfort.
Pour se convaincre de la bascule du pou-
voir en une décennie entre poids lourds des
télécommunications et ceux de la tech, il
suffit de regarder les chiffres. En 2010, selon
les données de Roland Berger, les dix plus
gros opérateurs mondiaux généraient 2,5
fois plus de bénéfices que les Gafam (Goo-
gle, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft).
En 2021, ces derniers en faisaient 1,3 fois
plus que les groupes de télécoms. Avec ses
53 milliards de dollars (49 milliards d’euros)
de cash, Amazon pourrait même s’offrir ru-
bis sur l’ongle Orange et son homologue es-
ture fixe, l’opérateur pourrait alors
se consacrer entièrement à la com-
mercialisation d’abonnements ainsi
qu’à l’exploitation de son réseau mo-
bile et à ses activités annexes (cloud
et cybersécurité).
Retard de la fibre
Cette séparation d’ampleur entre la
société de réseaux (Netco) et celle de
services (Servco) marquerait le point
d’orgue d’une stratégie poussée ces
dernières années par les marchés
­financiers comme une réponse aux
difficultés des opérateurs. Plusieurs
groupes concurrents, à l’image
­d’Altice, ont déjà cédé à cette logique.
Mais jamais un acteur historique de
0123
­
­Mardi 28­ mars 2023
Tim Hoettges,
le PDG de Deutsche
Telekom,
commentant le
déséquilibre entre
Gafam
et opérateurs
télécoms,
le 27 février,
à l’ouverture
du Mobile World
Congress
de Barcelone
(Espagne).
Bloomberg via Getty Images
pagnol Telefonica. Mais le groupe créé par
Jeff Bezos en aurait-il besoin ?
Les Gafam ont profité ces dernières an-
nées de leurs ressources financières quasi-
ment illimitées pour déployer leurs pro-
pres réseaux, sous les océans et sous terre.
Résultat, pour transporter leurs contenus
numériques (vidéos, photos, transactions,
etc.), ils n’ont besoin des opérateurs que
pour le dernier kilomètre, ces quelques li-
gnes de fibre optique ou ces antennes mo-
« les réseaux des biles qu’il faut déployer sous les trottoirs
opérateurs sont ou sur les toits pour permettre aux abon-
nés de se connecter à Internet. Un métier
la pièce centrale ingrat car hautement concurrentiel, sou-
mis à une régulation drastique et qui coûte
du numérique. et, cher en génie civil, que les géants du numé-
rique préfèrent gentiment laisser à la
pourtant, la très charge des groupes de télécoms.
grande partie de Jusqu’à présent, les opérateurs ont gardé
un avantage essentiel : le contact avec
la valeur de la l’abonné et son porte-monnaie. Dans le mo-
bile, la carte à puce (SIM) que l’on insère dans
chaîne est captée le téléphone pour authentifier sa connexion
par d’autres » au réseau maintient le fil. Mais, avec le for-
mat dématérialisé des cartes SIM embar-
Nicolas Teisseyre quées (eSIM), un composant électronique
consultant standardisé présent dans le smartphone, le
lien entre opérateurs et abonnés se détend.
Apple a intégré l’eSIM dans son dernier
iPhone 14 et permet, à ses seuls clients amé-
ricains pour l’instant, de choisir en un clic
leur opérateur mobile en fonction de l’offre
tarifaire la plus intéressante du moment.
« L’eSIM facilite le passage d’un opérateur à un
la taille de Telecom Italia n’a encore férence (golden share) au capital de
osé sauter le pas sur son marché do- Telecom Italia, ne veut pas perdre la
mestique. main sur un actif aussi stratégique. Il
Avait-il un autre choix ? L’italien a pousse donc pour l’offre de rachat dé-
besoin d’argent frais pour faire face à posée par le tandem entre CDP et
ses 20 milliards d’euros de dette nette Macquarie. La Caisse détient déjà
au 31 décembre 2022. Ce poids l’empê- 9,81 % du capital de Telecom Italia.
che de financer la conversion de ses li- Un autre actionnaire a intérêt à
gnes ADSL vers la fibre optique et ex- faire monter les enchères. Il s’agit du
plique le retard de l’Italie dans le dé- français Vivendi, détenteur de 17,04 %
ploiement de cette nouvelle techno- de l’opérateur. Arrivé au capital
logie. Selon l’index numérique de la en 2015, le groupe de Vincent Bolloré
Commission européenne pour 2022, n’a jamais réussi à rentabiliser son in-
la fibre couvre un peu plus de 40 % du vestissement. Rien qu’en 2022, il a dû
pays, 20 points de moins qu’en France déprécier de 1,3 milliard d’euros la va-
et 40 de moins qu’en Espagne. leur de sa participation, en plus des
C’est pourquoi le gouvernement ita- 728 millions perdus en 2021. p
lien, qui dispose d’une action de pré- O. Pi.
0123
­
­Mardi 28­ mars 2023
Les opérateurs télécoms européens à la peine
Revenus des opérateurs télécoms par région*, en milliards d’euros
Europe Asie Amérique du Nord
2012 259 257 285
2013 254 264 307
2014
249 271
2015 278 308
2016 282 340
2017 278 357
2018 273 482
2019 275 484
2020 284 492
2021 286 527
* Nationalité selon la localisation du siège social.
L’explosion des usages d’Internet profite aux Gafam
Bénéfices des opérateurs télécoms et des Gafam,
en milliards d’euros
Gafam
Google, Apple, Meta
(Facebook), Amazon,
Microsoft
Top 10 opérateurs
(AT&T, Verizon, China
Mobile, Comcast, Deutsche
Telekom, China Telecom,
Telefonica, America Movil, 57 %
Vodafone et Orange)
28 %
43 %
72 %
2010 2021
Sources : Etude économique 2022, Fédération française des télécoms,
Thomson Reuters Eikon, Arthur D. Little, Arcep, Dares, Insee, TeleGeography, Future Telecoms, Roland Berger, Bloomberg, Diane
autre et pourrait accroître le taux de désabon-
nement [churn] », explique Philippe Vallée,
vice-président exécutif Identité & sécurité
numériques de Thales, l’activité d’authentifi-
cation numérique de l’ancien Gemalto.
Tous ces changements ont fini par faire
des opérateurs ce qu’ils craignaient de deve-
nir : des utilities, à savoir des sociétés d’in-
frastructures comme les distributeurs d’eau
ou d’énergie gérant des tuyaux. La Bourse en
a tiré les conséquences : les opérateurs télé-
coms ont beau appartenir au monde de l’in-
novation numérique, ce qui devrait leur of-
frir une prime, ils ne valent pas plus que les
réseaux d’énergie. « Etre une utility n’est pas
dégradant. Mais si c’est pour offrir le même
retour sur capital employé que les groupes
d’eau ou d’énergie, à quoi bon ? », résume un
banquier d’affaires, conscient de la com-
plexité de l’équation actuelle des grands
opérateurs européens.
Nouvelles perspectives
Car cette question de la valeur est cruciale
dans un métier extrêmement gourmand en
capitaux. « Une valorisation faible et en dé-
croissance, peu attractive pour les actionnai-
res, entraîne un accès à des capitaux à taux
trop élevés pour pouvoir investir dans l’inno-
vation ou les talents », explique le Digiworld
Institute dans son étude sur l’avenir des télé-
coms publiée en décembre 2022. Un déficit
d’investissement et d’attractivité, notam-
ment auprès des jeunes diplômés, qui creuse
un peu plus le fossé les séparant des Gafam.
Ces dernières années, les opérateurs pen-
saient avoir trouvé la solution à ce casse-tête
stratégique et financier. Comme des fonds
d’investissement semblaient prêts à dépen-
ser des fortunes pour acheter des bouts de
fibre optique ou des pylônes de réseaux mo-
biles, autant les leur vendre, utiliser l’argent
pour financer les investissements et faire
plaisir aux actionnaires. En Europe, quasi-
ment tous ont fait ce pari : les français Bou-
ygues Telecom, Altice et Iliad, le britannique
Vodafone, l’allemand Deutsche Telekom,
l’espagnol Telefonica, le néerlandais KPN…
Pour quel résultat ? Les cours de Bourse ne
sont pas sortis de leur torpeur, et les opéra-
teurs se demandent maintenant s’ils n’ont
pas fait une erreur en vendant des infras-
tructures essentielles au profit de groupes
spécialisés, comme l’américain American
Tower ou l’espagnol Cellnex, devenus plus
riches et plus puissants qu’eux. « Ce mouve-
ment d’externalisation s’essouffle, et certains
groupes pourraient être tentés de remettre la
Autres
82
84
329 86
387 91
435 89
437 84
445 87
474 89
424 74
475 78
L’usage mondial de bande passante est passé de...
térabytes par
seconde
en 2018
Partage de l’utilisation de la bande passante dans le monde,
en %
Fournisseurs de contenus (Gafam, Netflix et autres)
Fournisseurs d’accès à Internet (opérateurs télécoms)
Recherche et éducation
100
75
50
25
10 %
2011 12 13 14 2015 16
main sur leurs réseaux », estime Didier Levy,
associé chez Roland Berger.
Rare opérateur européen à avoir gardé le
plein contrôle de ses tours de téléphonie
mobile et de sa fibre optique, Orange se féli-
cite aujourd’hui de sa prudence. Le français
a d’ailleurs fait de son réseau télécom la
pièce centrale de son nouveau plan stratégi-
que dévoilé le 16 février, en évitant soigneu-
sement d’annoncer de nouvelles aventures
dans des activités annexes qu’il ne saurait
pas rentabiliser.
Les opérateurs télécoms ont-ils définitive-
ment perdu la partie ? La numérisation de
leur métier ne peut-elle pas, au contraire, ap-
porter une solution à leur équation ? Par
exemple, si l’eSim est une menace, elle est
aussi « une source potentielle de valeur im-
portante en facilitant la connexion des objets
(automobile, compteurs, capteurs, etc.) », po-
sitive Philippe Vallée. A terme, les centaines
de millions de voitures circulant dans le
monde seront connectées, et cela passera
nécessairement par un « telco ».
Les réseaux télécoms intègrent eux-mê-
mes de plus en plus de logiciels, ce qui ouvre
Vers une nouvelle saison des mariages entre opérateurs en Europe ?
Une centaine d’opérateurs en Eu-
rope pour 447 millions de citoyens.
Trois aux Etats-Unis pour 331 mil-
lions d’habitants. Le même chiffre en
Chine pour 1,4 milliard de personnes.
Les groupes européens de télécoms
aiment brandir ces statistiques pour
se plaindre de règles qui les empê-
cheraient de jouer à armes égales
avec leurs homologues américains
ou asiatiques.
Les opérateurs ne cessent de rappe-
ler que, dans une industrie aux coûts
fixes, la taille est essentielle pour ren-
tabiliser les investissements dans la
5G et la fibre optique. « Un quart seu-
lement des Européens ont accès à la
5G. En Chine, la couverture est de 65 %,
et elle est de 87 % aux Etats-Unis », ap-
puie Franck Bouétard, PDG pour la
France de l’équipementier télécom
Ericsson, pour illustrer ce handicap.
Ces arguments commencent à faire
leur chemin. « Il est temps que nous
ayons une discussion sérieuse sur les
éventuels obstacles à la consolidation
transfrontalière des fournisseurs de
Économie & Entreprise | 17
Emplois, revenus et investissements des opérateurs télécoms en France,
en indice base 100 en 2012
Chiffre d’affaires télécoms Investissements opérateurs Emplois directs opérateurs PIB France
240 Croissance
Le chiffre d’affaires des
annuelle
220 opérateurs français croît moins
moyenne
200 vite que le PIB depuis 2012,
201 + 8,1 %
alors que leurs investissements
180
sont en hausse constante
160
140
120
100 108 + 0,9 %
80 89 - 1,3 %
60 76 - 2,7 %
2012 2013 2014 2015 2016 2017 2018 2019 2020 2021
Croissance moyenne annuelle des cours en Bourse entre 2015 et 2022, en %
Moyenne Moyenne
à des Gafam + 26 % -6%
des opérateurs
en 2022 télécoms
Un partage de la valeur défavorable aux opérateurs, poids des différents
acteurs dans l’écosystème numérique français en 2021, en %**
Acteurs Internet (Gafam) Equipementiers réseaux, fabricants de terminaux
et fournisseurs de contenus
Opérateurs télécoms
Entreprises et autres 29 42
69
20 30
11
71 % 110 milliards d’euros
159 000
emplois directs de revenus
78 79
22 € 18
4 3
13 milliards d’euros 3,2 milliards d’euros
d’investissements d’impôts et de taxes
17 18 19 2020 21 2022 ** Total supérieur à 100 du fait des arrondis
Infographie : Le Monde • Benjamin Martinez, Victoria Denys
de nouvelles perspectives de chiffre d’affai- teurs : les prix. « Depuis des années, beau-
Les groupes res. Le secteur a bien compris l’intérêt de coup doutaient de la capacité du secteur
télécoms cette mutation. Vingt et un opérateurs mo- européen à augmenter ses tarifs. Or, ces der-
biles, sous l’égide de leur association profes- niers mois ont montré que c’était possible,
pourraient vendre sionnelle GSMA, ont annoncé, lors du der- même sans avoir à concentrer les marchés
nier congrès mondial de la téléphonie mo- domestiques », souligne notre banquier
aux industriels bile, la création d’Open Gateway, une d’affaires.
interface commune de programmation La France en est le meilleur exemple. Cité
l’accès à leurs d’applications ouvrant aux développeurs de comme le pays le plus concurrentiel en Eu-
réseaux comme services un point d’accès aux réseaux à rope, avec l’Espagne et l’Italie, et malgré ses
l’échelle mondiale. quatre opérateurs (Orange, SFR, Bouygues
un service à la Telecom et Free), l’Hexagone a engagé de-
Le prix des réseaux puis un an une remontée des prix. Celle-ci ne
demande, à l’image « La monétisation des infrastructures télé- compense pas totalement les surcoûts aux-
des éditeurs coms, avec en toile de fond la compétition quels font face actuellement les opérateurs
des Gafam, passe par cette ouverture et cette du fait de l’inflation des prix de l’électricité et
de logiciels approche commune », affirme Jacques Assa- des hausses de salaires. Orange estime que
raf, responsable de l’industrie des télécoms ses hausses de tarifs couvriront 70 % de ses
chez Capgemini. Les opérateurs pourraient surcharges en 2023, contre 40 % en 2022.
vendre aux industriels l’accès à leurs ré- Mais le fait même que les opérateurs puis-
seaux comme un service à la demande sent se permettre de remonter leurs prix
(network as a service), à l’image des éditeurs montre bien qu’ils conservent malgré tout
de logiciels qui, avec Internet, ont trans- un vrai pouvoir d’attraction sur les consom-
formé avec succès leur modèle en software mateurs. Et donc que leurs réseaux ont tou-
as a service (SAAS). Un autre indice fait pen- jours de la valeur. Une consolation. p
ser que tout n’est pas perdu pour les opéra- Olivier Pinaud
communications électroniques dans plus puissant. Mais, sur ce point, la pliquent les services de Mme Vestager.
l’Union européenne, ainsi que sur les commissaire européenne, qui s’était La décision est attendue au second
avantages d’un marché intégré du opposée en 2015 à la fusion au Dane- semestre 2023.
spectre radioélectrique », a lancé le mark entre TeliaSonera et Telenor, et « L’exemple de l’évolution du marché
27 février Thierry Breton, le commis- l’année suivante à celle des britanni- américain est un argument de poids
saire européen au marché intérieur et ques Hutchison et O2, se montre en faveur de la consolidation » en Eu-
au numérique, lors du Mobile World toujours aussi méfiante, craignant rope, estime Robert Pritchard, ana-
Congress de Barcelone (Espagne). une flambée du prix des forfaits, en- lyste au cabinet de conseil britanni-
Ces deux thèmes figurent dans la core plus « dans le contexte actuel que Global Data. Mais, selon lui, « le
consultation ouverte le 23 février par d’inflation croissante », rappelle sa plus grand obstacle au regroupement
M. Breton, en plus de celui sur la con- porte-parole. des opérateurs européens est peut-être
tribution des groupes de numérique le concept de champion national, se-
au financement des réseaux. L’idée « Concept de champion national » lon lequel les opérateurs nationaux
d’une consolidation chemine aussi La décision de la Commission sur le autrefois dominants sont toujours
dans l’esprit de sa consœur à la con- projet de rapprochement entre considérés comme des champions,
currence, Margrethe Vestager : « L’Eu- Orange Espagne et MasMovil, an- alors que, dans de nombreux cas, ils
rope a besoin d’acteurs véritablement noncé en 2022 mais notifié mi-fé- sont en train de devenir des retarda-
paneuropéens et d’un marché unique vrier à Bruxelles, servira de test pour taires sur le marché ».
des télécoms », appuient ses services. la doctrine européenne. L’opération Les difficultés actuelles de Voda-
Un rapprochement transfrontalier ferait mécaniquement disparaître fone, ex-star britannique des télé-
génère-t-il vraiment des économies un des quatre grands acteurs du coms, à l’origine, avec le rachat en fé-
si les deux opérateurs n’ont pas de pays. « Il n’y a pas de nombre magi- vrier 2000 pour 181 milliards d’euros
réseau à mettre en commun pour que d’opérateurs par pays et cela si- de l’allemand Mannesmann, de la
partager les coûts ? Un mariage entre gnifie que nous devons trouver un plus grosse fusion-acquisition de
deux groupes d’un même pays, équilibre entre les effets anticoncur- l’histoire en Europe, illustrent ce dé-
comme celui tenté par Bouygues Te- rentiels d’une moindre concurrence et classement européen. p
lecom et Orange en 2016, est bien les gains d’efficacité potentiels », ex- O. Pi.
18 | Horizons ­
0123
­Mardi 28­ mars 2023

L
e temps qui passe n’a pas rendu
l’exercice plus facile. Jeudi 2 fé-
vrier, dans les locaux des archives
départementales des Hauts-de-
Seine, la voix de Patrick Jarry s’est
brisée au moment d’évoquer les
collègues et amis morts ou blessés sous ses
yeux, il y a vingt et un ans, à Nanterre. Et puis,
le regard rivé à sa feuille, les mains au pupitre,
le maire (divers gauche) de la commune est ar-
rivé au bout de son discours devant une as-
semblée d’une trentaine de personnes, muet-
tes et tendues. Toutes avaient en mémoire le
drame du 27 mars 2002 à l’hôtel de ville.
Cette nuit-là, peu après 1 heure du matin, le
­conseil municipal, dirigé à l’époque par la
maire communiste Jacqueline Fraysse, vient
de se terminer quand un administré, présent
dans les rangs du public depuis le début de la
séance, se lève et ouvre le feu. En moins d’une
minute, Richard Durn, un pratiquant de tir
sportif âgé de 33 ans, tue huit élus de diffé-
rents bords politiques – Louiza Benakli, Chris-
tian Bouthier, Jacotte Duplenne, Monique
­Leroy-Sauter, Olivier Mazzotti, Valérie Méot,
Michel Raoult, Pascal Sternberg – et blesse
dix-neuf personnes sur la soixantaine présen-
tes dans la salle, avant d’être maîtrisé. Le len-
demain, au cours de son audition par la ­police,
il mettra fin à ses jours en se défenestrant du
quatrième étage du 36, quai des Orfèvres, Cérémonie d’hommage aux victimes de la tuerie de Nanterre, à l’hôtel de ville, le 30 mars 2002. BEP/LE PARISIEN
siège de la police judiciaire parisienne.
Suivent l’émotion nationale, l’agitation

Se souvenir de
­médiatique, les corbeilles de fleurs en prove-
nance du monde entier… Et bientôt le silence.
Il faut dire que le 21 avril, un autre événement,
politique cette fois, éclipse tout : Jean-Marie
Le Pen atteint le second tour de l’élection pré-
sidentielle. La justice elle-même tourne la
page : les investigations sont rapidement in-

terrompues en raison de la mort du tueur.
Les années ont passé, déjà deux décennies,
le grand public a oublié. C’est un peu comme
si ce drame ne s’était pas inscrit dans la mé-
moire collective, comme s’il n’avait plus
aucune résonance dans la France actuelle.
L’ex-élue socialiste Marie-Laure Meyer le
constatait amèrement dans une tribune
­publiée en 2021 dans Le Monde.
De fait, qu’en reste-t-il de nos jours ? Au
moins une petite boîte bleue, passée ce
même 2 février des mains de Patrick Jarry à
celles du directeur des archives départemen-
tales, Pierre Chancerel. A l’intérieur, un dis-
que dur contenant quarante-six vidéos : des
témoignages au fil desquels des rescapés,
élus ou personnel administratif, mais aussi
des proches de victimes, certains élus qui
n’étaient pas présents, une représentante de
la justice et une fonctionnaire de la ville évo-
quent cette fameuse nuit et ce qu’elle a
changé dans leurs vies.
« Une sorte de non-dit au pluriel »
Ces séquences ont été filmées sous l’égide de
la mairie par Isabelle Antonutti, conserva-
trice des bibliothèques honoraire, et la socio-
logue Safia Dahani. « On sentait que la mé-
moire pouvait se perdre, car il existait peu de
traces », précise Mme Dahani. Il commençait à
y avoir urgence, certains témoins majeurs
ayant disparu, comme Yves Bot, le procureur
chargé de l’affaire, décédé en 2019.
De mars à août 2022, un petit studio a donc
été installé dans les locaux de la Société d’his-
toire de Nanterre, afin d’y recevoir plusieurs
dizaines de personnes, toutes volontaires.
Pour chaque intervenant, le processus est le
même : le témoin s’assied à une table, un
verre d’eau à portée de main, la caméra le
filme en plan fixe, cadrage serré, sans artifi-
ces ni jeu d’images. Les propos sont enregis-
trés à l’état brut, sans montage ultérieur. Et
les questions s’enchaînent, posées hors
champ par l’une ou l’autre des chercheuses :
« Viviez-vous seul ? Quand avez-vous com-
mencé à militer ? Où étiez-vous dans la salle ?
Qu’avez-vous vu ? Avez-vous assisté aux enter-
rements ? Pensez-vous que la tuerie a influé
sur vos relations avec votre famille, vos en-
fants, vos amis ? » La vidéo la plus courte dure
trente-cinq minutes, la plus longue deux
heures vingt-trois.
Deux ex-élus rescapés, Ghislaine Quilin et
Pierre Creuzet, ont encadré le projet. M. Creu-
zet, 54 ans, grièvement blessé au bras gauche,
a jugé l’exercice éprouvant mais libérateur :
« C’est dans la boîte, ce n’est plus quelque
chose que je garde en moi. » Sandra – prénom
d’emprunt –, la fille d’une victime, a pu se li-
vrer, elle aussi : « J’ai souvent raconté cette his-
toire, confie-t-elle, mais pour la première fois
j’ai suivi un fil du début à la fin, entre mon en-
fance, l’histoire de mes parents, l’incidence sur
mon parcours. »
Plus de vingt ans après les faits, cette quête
du souvenir, ce besoin de laisser des traces
la tuerie de Nanterre
Le 27 mars 2002, Richard Durn tuait huit personnes et en blessait dix-neuf
autres au conseil municipal. Pour préserver la mémoire de ce drame, la ville a
recueilli quarante-six récits filmés et les conserve pour les générations à venir
peuvent sembler tardifs. Mais ils sont avant
tout le fruit d’une souffrance trop longtemps
contenue. Cette souffrance, Patrick Jarry, à
l’époque conseiller municipal communiste,
l’a éprouvée dans sa chair, lui qui fut grave-
ment touché cette nuit-là. « Entre nous [les
rescapés], il est resté une sorte de non-dit au
pluriel », constate cet homme de 68 ans,
avant d’ajouter : « On dit que les drames peu-
vent souder les familles, mais ils peuvent aussi
les faire exploser. »
Pour le comprendre, il faut revenir au prin-
temps 2002. Passé la phase de sidération, la
politique et la douleur s’intriquent dangereu-
sement. De l’organisation du grand hommage
du 2 avril à la préparation des élections législa-
tives, rien ne peut garantir que le moindre
mot, le geste le plus anodin ne soient interpré-
tés comme un coup bas ou une manœuvre de
récupération. Le 14 septembre, la remise des
Légions d’honneur par Jacques Chirac forge
d’autres divisions. Certains ont suggéré
qu’une médaille symbolique soit décernée au
conseil considéré dans son ensemble. Mais les
décorations vont aux huit élus tués et à neuf
personnes qui ont entravé l’assaillant. Ghis-
laine Quilin estime qu’il ne fallait pas « scin-
der » de la sorte : « Se voir rappeler qu’on n’est
pas un héros, ce n’est pas facile. Je me suis ren-
due à la cérémonie à l’Elysée, je pensais que
c’était ma place, mais c’était dur. »
Les rescapés sont également partagés dans
l’analyse qu’ils font des motivations du tueur,
Richard Durn. Pour Gérard Perreau-Bezouille,
71 ans, l’ancien adjoint au maire qui avait jeté
son fauteuil sur lui pour l’arrêter et fut blessé,
il n’y a rien à comprendre au geste d’un
« fou ». Lui-même ne s’était-il pas décrit
comme tel dans une lettre, précisant vouloir
« tuer des gens » ? Considéré comme asocial,
suivi pour des troubles psychologiques, il
avait tenté déjà deux fois de se suicider.
Marie-Laure Meyer, 64 ans, touchée à
l’épaule, défend une autre approche : pour
elle, cette affaire trahissait, dès 2002, l’état dé-
gradé de la société et de la relation aux élus.
C’est d’ailleurs ce qu’elle a soutenu l’année
suivante dans un livre intitulé Qui veut tuer la
démocratie ? (Denoël). « Ce qui s’est passé n’est
pas qu’un fait divers, insiste-t-elle aujourd’hui,
c’est aussi la traduction d’une démocratie qui
fonctionne mal. C’est un problème de fragilité
psy, de chômage de longue durée, de pauvreté
matérielle et affective… Cela se passe dans un
contexte sociétal. » Sandra partage ce point de
vue. Rejetant le « discours de la fatalité », elle
s’accroche à une conviction : « Cette histoire, si
on en parle, il faut la rendre politique. »
Un procès, au moins, aurait permis de
­confronter les opinions, d’offrir aux victimes
la possibilité de s’exprimer… Mais le suicide
de l’auteur a bientôt éteint l’action publique.
« Notre boulot était de faire en sorte qu’il
existe une procédure et qu’elle aille jusqu’aux
assises », regrette la procureure de Versailles,
Maryvonne Caillibotte, à l’époque secrétaire
générale du parquet de Nanterre. La magis-
trate de 58 ans, qui a témoigné pour les archi-
ves, souligne que le procureur Bot avait pour-
suivi l’enquête pendant trois semaines en dé-
pit de la mort de Durn, avant d’en faire un
C’est un peu rapport. « Il était impensable qu’on ne laisse
pas cette trace », souligne Mme Caillibotte.
comme si ce
Terrain mouvant
drame ne s’était Cette initiative du procureur, chère à certains
pas inscrit dans rescapés, n’a pas répondu à toutes les ques-
tions, dont celles sur le suicide de Richard
la mémoire Durn en garde à vue. Deux enquêtes ont con-
clu qu’aucun dysfonctionnement grave ne
collective, comme pouvait être imputé à la police. En 2012, des
proches de Louiza Benakli ont bien cherché à
s’il n’avait plus en gager la responsabilité de l’Etat en justice,
aucune résonance mais les faits ont été déclarés prescrits. « Nous
restons interrogatifs », a martelé l’ex-maire,
dans la France Jacqueline Fraysse, 76 ans, lors de la cérémo-
nie des 20 ans de la fusillade, en 2022.
actuelle De malentendus en désaccords, de silences
en questions, le souvenir du 27 mars 2002 est
donc resté un terrain mouvant. L’évoquer
« remue des choses encore très actuelles », as-
sure l’ex-élu Gérard Perreau-Bezouille, qui ne
s’est pas prêté à la collecte de témoignages, de
crainte qu’elle ne « réécrive les événements ».
Mme Fraysse manque aussi à l’appel, jugeant
s’être suffisamment exprimée sur le sujet.
Elle n’est toutefois pas opposée à l’initiative
tant qu’est assurée une « utilisation respec-
tueuse » de la parole et de l’image. La ruée mé-
diatique de 2002 a laissé des traces : « J’ai vu
comment les larmes ont été utilisées, et j’en
garde un souvenir assez douloureux. »
Afin de protéger les témoins d’un usage sen-
sationnaliste des vidéos, celles-ci resteront
confidentielles pendant cinquante ans, sauf
accord exprès, au cas par cas. Jean-François
Voisin, 69 ans, ex-directeur de l’administra-
tion de la ville, approuve ce dispositif, car les
participants, dont il est, livrent des choses
« très personnelles ». Ghislaine Quilin et Pierre
Creuzet auraient aimé communiquer ce fonds
plus facilement au public. Mais chaque chose
en son temps, plaide le maire, qui ne vise que
« l’apaisement » et juge que l’heure du travail
d’historien, celui qui dissèque les « controver-
ses », n’est pas encore venue.
Dès l’origine, prudence et parcimonie ont
guidé le travail mémoriel entrepris dans cette
ville populaire de 96 000 habitants. Une pla-
que apposée sur un mur intérieur de la mairie
fut longtemps l’unique monument public lié
à cet événement. En 2012, pour les 10 ans, huit
allées gravillonnées sont baptisées aux noms
des élus tués. Elles traversent un terre-plein
herbeux aux abords duquel se pressent, à
l’heure du déjeuner, les cadres du quartier
d’affaires de la Défense. Certaines des plaques
métalliques sont masquées à demi par des
­arbustes un peu trop volontaires.
En 2022, la cérémonie des 20 ans a marqué
un cap. Depuis, une stèle noire se dresse aux
portes de l’hôtel de ville. Autre évolution très
symbolique : l’adresse officielle de la mairie
est désormais « place du 27-Mars-2002 ». Le
panneau est encore fiché dans un plot
­mobile, mais il devrait trouver sa place défi-
nitive à l’occasion de la réfection du parvis,
d’ici à 2025, autour d’un plan d’eau en hom-
mage aux morts.
En attendant, chacun compose avec « son »
27-Mars et celui des autres. En témoignant,
Ghislaine Quilin, 71 ans, a fait le point sur sa
« résilience ». Il y a quelques années, cette an-
cienne maoïste est devenue catholique, re-
trouvant dans la religion la force du collectif.
Nanterre la rouge n’est-elle pas aussi le fief de
sainte Geneviève ? La protectrice de la ville – et
de Paris – avait paraît-il deux pouvoirs : guérir
les aveugles et chasser les démons. p
Julien Lemaignen
 Culture
0123
­
­Mardi 28­ mars 2023
Timisoara célèbre le retour de Victor Brauner
La Capitale de la culture 2023 offre une exposition majestueuse au surréaliste roumain, rejeté en son temps
Reportage
Timisoara (Roumanie)
S
ur la majestueuse place
Unirii de Timisoara, une
silhouette étrange, l’œil
immense, est apparue.
Elle s’affiche sur la façade du Mu-
sée des beaux-arts, signalant la
première rétrospective de Victor
Brauner (1903-1966) en Rouma-
nie. Le retour au pays de l’enfant
prodige ? Le plus ésotérique des
peintres surréalistes n’est jamais
revenu dans sa contrée natale de-
puis son départ, en 1938.
Le voilà accueilli en majesté,
ouvrant les festivités de la Capitale
européenne de la culture 2023.
A cette occasion, le palais baroque
s’est refait une beauté. Deux mil-
lions d’euros pour le rehausser
aux normes muséographiques in-
ternationales. En septembre, il ac-
cueillera l’autre enfant du pays,
Constantin Brancusi (1876-1957,
prononcez « Brancoush »).
Mais Brauner aurait-il été heu-
reux de ce come-back en fanfare ?
« Pas si sûr, avoue, dans un sou-
rire, la commissaire française
­Camille Morando, qui travaille
sur son œuvre depuis vingt ans.
Cette exposition est un vrai défi,
et aussi une réparation. » Fonda-
teur de l’avant-garde de Bucarest,
l’artiste juif a quitté deux fois son
pays : au mitan des années 1920,
il file dans le Paris de la bande
à André Breton. La presse rou-
maine vient de qualifier sa pre-
mière exposition de « fruit d’une
noire étrangéité » : « l’art d’un
fou ». Il peint alors « des paysages
désertiques où l’humanité semble
en danger, un monde en décom-
position », décrit la commissaire,
figure du Centre Pompidou.
« Posture très anticonformiste »
En 1935, il revient à Bucarest. Les
fascistes de la Garde de fer font ré-
gner la terreur, l’antisémitisme
est à son comble. Retour vers la
France en 1938, donc, qu’il ne
quittera plus. « Pourtant, malgré
la lourde histoire qui pèse sur ses
épaules, malgré les trois ans qu’il
passe caché dans une cabane des
Alpes, il a toujours poursuivi ses in-
tentions poétiques, s’émerveille
la commissaire. La géographie, di-
sait-il, est [s]on pire ennemi. »
Qu’advient-il de sa renommée
sous la dictature communiste ?
Dans les années 1970, le président
Ceausescu envisage de célébrer le
« génie national » : son pays est le
berceau de talents planétaires, dé-
sire-t-il démontrer. Brancusi est
propulsé au rang de monument
par le régime, qui souligne son
amour du folklore local. « L’union
heureuse du paysan des Carpates
et de l’artiste de Montparnasse »,
prétend le cliché que la commis-
En Bulgarie, découverte d’un possible Jackson Pollock inconnu
La police de Sofia a saisi, lors de la perquisition d’un appartement, une mystérieuse toile qui pourrait être de la main du peintre américain
Vienne - correspondant régional
L a police bulgare a-t-elle mis
la main sur une peinture de
Jackson Pollock (1912-1956),
jusqu’à présent jamais recensée
ni cataloguée ? Les autorités de
ce pays d’Europe de l’Est se mon-
trent, en tout cas, relativement
confiantes dans l’authenticité
d’une mystérieuse toile saisie lors
d’une opération de police dans
le milieu des trafiquants d’art
bulgares, menée début février
en coopération avec la police
grecque et Europol.
Après des premières révélations
dans la presse bulgare, le secré-
taire général du ministère de l’in-
« Portrait d’André Breton », de Victor Brauner (huile sur toile, 1934).
Musée d’art moderne de Paris/ADAGP, PARIS, 2020
saire roumaine Doïna Lemny en-
tend décaper en septembre.
« Mais Victor Brauner est plus
difficile à récupérer, et donc in-
connu ici, raconte Camille Mo-
rando. Sa personnalité est très cli-
vante. D’abord parce que, à partir
du second procès de Moscou de
1937, ce grand marxiste aban-
donne toute idée communiste.
Mais aussi par sa posture artisti-
que, très anticonformiste. » Venue
du Canada pour le vernissage,
sa nièce Olga se souvient des
peintures de l’oncle Victor, rou-
lées dans la cave, derrière le char-
bon, quand elle était enfant.
« Il ne valait mieux pas que quel-
qu’un apprenne leur existence »,
se souvient celle qui est devenue
musicologue.
De synagogues bâchées en pa-
villons de notables, Timisoara
reste hantée par le souvenir des
100 000 juifs qui, parmi les Mol-
daves, Serbes, Croates et Alle-
mands, y vivaient au début du siè-
cle, avant d’être exterminés, victi-
mes de massacres ou de déporta-
tions sous la dictature d’Ion
Antonescu. Ils n’étaient plus que
5 000 en 1989.
térieur, Petar Todorov, a confirmé,
mercredi 22 mars, la découverte
par ses services, dans un apparte-
ment perquisitionné, d’une
œuvre dont « les examens mon-
trent, à ce stade, qu’il s’agit d’un ori-
ginal » du peintre américain, fi-
gure majeure de l’art du XXe siècle.
Spéculations les plus folles
Ces déclarations officielles ont im-
médiatement déclenché les spé-
culations les plus folles chez les
Bulgares, aguichés par une pein-
ture qui pourrait être valorisée
à des dizaines de millions d’euros
si son authenticité se confirmait.
Publiées par la presse locale, les
photos de l’œuvre saisie montrent
La moitié
des œuvres de
la rétrospective
viennent du
Musée national
d’art moderne
de Paris
Il y a cinq ans, un timbre à l’effi-
gie de Victor Brauner était édité
par la Poste roumaine. Un histo-
rien antisémite et opposé
à l’avant-garde a eu les mêmes
honneurs. « Mais le fait que la Rou-
manie soit devenue démocratique,
et intégrée à l’Union européenne,
permet que l’on parle enfin de
Brauner », se réjouit Camille Mo-
rando, heureuse du soutien de la
Fondation du judaïsme français.
« Ce retour d’un trésor non chéri
est un moment important pour
nous, assure Alin Nica, président
du judet (département) de Timis et
acteur de premier plan de la capi-
tale culturelle. Sa redécouverte
rappelle le rôle que notre pays
un patchwork de couleurs, typi-
que de l’œuvre du peintre, sur
fond doré. Sa signature est bien vi-
sible. Selon le parquet de Sofia, qui
est chargé de l’enquête, le dos de
la peinture contient aussi une dé-
dicace – « A ma chère et très talen-
tueuse amie Lauren Bacall » – et
une date, le 16 septembre 1949.
Certains médias bulgares évo-
quent également la présence
d’une signature de Nicolae Ceau-
sescu (1918-1989), laissant penser
que cette œuvre aurait pu appar-
tenir à la collection privée de l’an-
cien dictateur roumain, avant
de sortir du pays dans le chaos de
la révolution de 1989. « Le rapport
d’expertise préparé par deux ex-
« Jacqueline au grand voyage », de Victor Brauner (huile sur toile, 1946).
Musée d’art moderne de Paris/ADAGP, PARIS, 2020.
a joué dans la culture européenne
au XXe siècle. » Même si, comme
le souligne l’historien Radu Stern
dans le catalogue de l’exposition,
« le qualifier de “Roumain célèbre”
revient à l’enfermer dans une cami-
sole de force. (…) Brauner était juif
mais son art ne l’était pas, pas plus
qu’il n’était roumain ou français ;
il était transnational ». « De toutes
les nations, nous choisissons
­l’imagi-nation », clamait le peintre,
faisant sienne la phrase du poète
juif Ilarie Voronca (1903-1946).
« Une place dans l’avant-garde »
La nation française ne lui en tient
pas grief, qui se proclame premier
partenaire de la capitale cultu-
relle. C’est Tilla Rudel, directrice
de l’Institut français de Timi-
soara, qui a suggéré l’idée d’une
rétrospective Victor Brauner,
et convaincu Bernard Blistène,
alors directeur du Musée national
d’art moderne, de soutenir l’aven-
ture : la moitié des œuvres vien-
nent du musée parisien – il en
sera de même pour Brancusi.
Elle a aussi fait entrer dans
la boucle le collectionneur et mé-
cène Ovidiu Sandor, initiateur de-
perts indique que, par son style, sa
technique d’exécution et sa spécifi-
cité artistique, le tableau est con-
forme aux caractéristiques esthéti-
ques des peintures de Jackson Pol-
lock de la période 1945-1950, assure
le parquet de Sofia. Et une analyse
par fluorescence indique que les
Cette œuvre
aurait pu
appartenir à
l’ancien dictateur
roumain Nicolae
Ceausescu
puis 2015 de la biennale de Timi-
soara Art Encounters, dont la pro-
chaine édition aura lieu en mai :
un partenariat public-privé dont
le pays n’a pas coutume. « Dans
les années 1970, Timisoara avait
une place dans l’avant-garde,
et aujourd’hui beaucoup de forces
agissent dans cette direction. Espé-
rons que ce savoir-faire accumulé
sera exploité à l’avenir », analyse
ce fin connaisseur de la scène lo-
cale. Il rêve de voir sa ville, l’une
des plus industrialisées sous
la dictature, convertie en capitale
des arts visuels.
Le judet de Timis partage la
même ambition : « Nous voulons
créer un écosystème autour de la
culture, établir des connexions
avec les grands musées pour atti-
rer les touristes et aimanter les
opérateurs culturels, martèle Alin
Nica. Notre communauté est forte
et multiculturelle. Ce projet va
nous renforcer, stimuler notre
imagination. »
La France promet d’être en pre-
mière ligne : elle chérit particuliè-
rement la francophile Roumanie,
île latine dans une mer slave. « De-
puis le “printemps des peuples” de
pigments sont similaires à ceux
utilisés par Pollock dans d’autres
œuvres. » Mais si ces deux experti-
ses sont un élément « important »,
il est « non décisif pour l’identifica-
tion de l’auteur », précise la justice
bulgare, qui annonce avoir lancé
des demandes de coopération
­internationale pour essayer de
confirmer son authenticité.
Pour l’instant, seuls des experts
bulgares se sont penchés sur cette
œuvre, conservée à la Galerie na-
tionale des beaux-arts de Sofia.
Ils appellent à la prudence :
« Il n’existe aucune œuvre ni aucun
expert de Pollock sur le territoire
bulgare », rappelle ainsi le musée.
Les autorités roumaines ont aussi
| 19
1848, la France est un peu la grande
sœur, rappelle Julien Chiappone-
Lucchesi, directeur de l’Institut
français de Roumanie. Quand la
langue roumaine a été formalisée,
au moment de la construction na-
tionale, le français a été un modèle,
et toute l’intelligentsia l’a adopté. »
Aujourd’hui encore, un Rou-
main sur dix maîtrise le français,
beaucoup le vénèrent. « La France
est blottie dans mon cœur, rappe-
lait l’écrivaine Adriana Babeti,
quand elle a été promue chevalier
des arts et des lettres, au moment
de l’inauguration. Pif Gadget m’a
initiée à sa langue, puis La Prin-
cesse de Clèves, L’Education senti-
mentale… Comment cohabiter
avec l’absurde d’un tel régime ?
C’est en Albert Camus que j’ai
trouvé une réponse. Chaque fois
que je suis vaincue par la tristesse,
ma pensée se tourne vers ma visite
du Combray de Proust, et mon
cœur explose de bonheur. » p
Emmanuelle Lequeux
« Victor Brauner. Inventions et
magie ». Musée national d’art de
Timisoara (Roumanie). Jusqu’au
28 mai. Muzeuldeartatm.ro
fait part de leur doute, en esti-
mant qu’une telle œuvre n’avait
jamais été recensée dans les col-
lections de Ceausescu.
Selon les médias bulgares, les
enquêteurs de police travaille-
raient sur la piste d’un revendeur
bulgare qui aurait été missionné
par les propriétaires grecs de
l’œuvre prétendument peinte par
Pollock pour essayer de la reven-
dre discrètement. Si l’enquête est
toujours en cours, le supposé tra-
fiquant a été remis en liberté,
aucune plainte pour vol n’ayant
jamais été déposée pour une
œuvre jusqu’ici totalement en de-
hors des radars. p
Jean-Baptiste Chastand

20 | Culture
Les trésors de guerre nazis dissimulés en Belgique
Geert Sels raconte comment le pillage allemand a bénéficié aux collectionneurs et aux musées européens
Rencontre
Bruxelles - correspondant
I
l a accompli pendant plus
de huit ans le travail que les
autorités et les musées
­belges n’ont jamais voulu
mener à bien. Geert Sels,
­chercheur associé au Centre
d’étude guerre et société (Cege-
Soma) et journaliste culturel au
quotidien De Standaard, a enquêté
sur le pillage de l’art auquel l’occu-
pant allemand s’est livré dans son
pays. Avec la fréquente complicité
de marchands, de collectionneurs
et de salles de ventes. Ce qui expli-
que sans doute la passivité des
pouvoirs publics, peu désireux de
remuer un passé bien sombre.
Récompensé dès 2014 d’un prix
pour le journalisme néerlando-
phone d’investigation, M. Sels a
poursuivi une enquête qui débou-
che aujourd’hui sur la parution
d’une véritable somme : Le Trésor
de guerre des nazis. Un livre désor-
mais doté d’une portée interna-
tionale, car il révèle non seule-
ment que des dizaines de tableaux
et d’objets précieux remis par l’Al-
lemagne à des musées belges ont
une provenance douteuse, mais
aussi que la France et d’autres pays
(l’Allemagne, les Pays-Bas, la
­Russie, les Etats-Unis) possèdent
des œuvres qui auraient sans
doute dû revenir en Belgique.
« Au départ, je ne comptais
­publier qu’un seul article, dans la
foulée de l’affaire Cornelius Gurlitt,
chez qui on a retrouvé, à Munich,
puis à Salzbourg, en 2012 et
en 2014, des centaines de tableaux,
dont une partie résultait de spolia-
tions, explique Geert Sels. Mais je
me suis rapidement interrogé sur
la passivité des autorités de mon
pays et leur absence de réponse
aux questions qui leur étaient ré-
gulièrement posées : on me jurait
que “tout avait été étudié”. » Or, la
Belgique n’avait procédé à aucun
recensement des très nombreu-
ses œuvres volées dans le
royaume et, si le travail d’une
commission sur les biens dérobés
à la communauté juive a été
achevé en 2008, le détail de son
contenu est toujours secret.
Des compensations ont été ver-
sées à l’époque, ce qui, aux yeux du
monde politique, devait permet-
tre de clore le dossier. « En menant,
ensuite, mon enquête j’ai, en fait,
ouvert une boîte de Pandore que les
gouvernements avaient tenté de re-
fermer », explique M. Sels. La com-
mission d’enquête n’avait, en tout
A r c h é o lo g i e
Des béliers momifiés
découverts dans
le temple de Ramsès II
Plus de 2 000 têtes de bélier
momifiées datant de l’ère
ptolémaïque ont été
découvertes dans le temple
de Ramsès II, dans la cité
antique d’Abydos, dans le sud
de l’Egypte, ont annoncé,
dimanche 26 mars, les
autorités du pays. C’est une
équipe de l’université
de New York qui a exhumé
ces restes. – (AFP.)
Édition
A New York, un juge
donne raison à Hachette,
contre Internet Archive
Un juge fédéral américain
a donné raison, vendredi
24 mars, à quatre éditeurs
qui poursuivaient Internet
Archive pour avoir numérisé
sans autorisation et publié
gratuitement en ligne des
millions de livres. En juin
2020, Hachette, HarperCol-
lins, John Wiley & Sons et
Penguin Random House
avaient engagé des poursui-
tes contre Internet Archive.
L’association, fondée en 1996,
a annoncé faire appel. – (AP.)
Un soldat
américain
entouré
d’œuvres
d’art volées
par les nazis,
le 24 avril
1945,
à Ellingen
(Allemagne).
ALAMY STOCK PHOTO
cas, pas tenu compte du fait que
des familles avaient été décimées,
que d’autres avaient émigré vers
des pays lointains et que de
­nombreux ayants droit ignoraient
tout simplement qu’ils pouvaient
exiger une réparation.
Véritables expertises
Les experts avaient cependant
publié plusieurs recommanda-
tions. Mais elles ont été oubliées,
alors même que la commission
n’avait examiné que les collec-
tions des musées belges, sans
­envisager le rôle de tous ceux qui
avaient vendu au régime hitlérien
des œuvres volées. Comme
­Robert Giron (1897-1967), le direc-
teur du Palais des beaux-arts de
Bruxelles, un homme qui avait
entretenu des rapports étroits – et
très rémunérateurs – avec des col-
laborateurs qui, à Paris, avaient
récupéré des biens pillés dans des
galeries juives.
Il a, en fait, fallu attendre 2017 et
la publication, par un magazine
­flamand, d’une liste de 78 tableaux
« Premier amour », le jeu de piste d’Alain Françon
Le metteur en scène, secondé par l’actrice Dominique Valadié, adapte le texte de Samuel Beckett à La Scala, à Paris
Théâtre
O n ne souhaite à personne
d’aimer comme aime
le narrateur de Premier
amour. A personne d’être aussi
mal aimée que l’est la jeune
femme dont Samuel Beckett fait
la victime d’un homme de pas-
sage. Séduite sur un banc public,
épousée, mise enceinte, puis, une
fois mère, abandonnée par son
compagnon, cette prostituée est
un accessoire entre les mains
de son amant. Le texte, écrit en
français en 1945 et publié en 1970
aux Editions de Minuit, ne s’at-
tarde pas sur les sentiments fémi-
nins. Il se focalise sur les pensées
du narrateur, sa froide rationalité
et le désenchantement qui conta-
mine ses mots.
« Il bande encore, l’homme mo-
derne », écrit Beckett, avant
d’ajouter, quelques lignes plus
loin : « Ce qu’on appelle l’amour,
c’est l’exil, avec de temps en temps
une carte postale du pays, voilà
revenus en Belgique mais à l’ori-
gine douteuse pour qu’un proces-
sus se mette en branle. Associé à
des généalogistes qui ont contacté
des avocats, Geert Sels a identifié
des personnes pouvant légitime-
ment revendiquer la propriété de
diverses œuvres. Et obliger ainsi
les autorités à réagir et à créer une
commission de restitution.
Les réclamations qui ont été in-
troduites vont obliger les diffé-
rents niveaux de pouvoir (le gou-
vernement fédéral, les commu-
nautés flamande et francophone)
à répondre, en argumentant
(pourquoi remettre, ou non, un ta-
bleau ? ), ce qui suppose un recours
à de véritables expertises. Or, les
musées belges n’ont toujours pas
imité le Louvre, le Rijksmuseum
d’Amsterdam ou les grandes insti-
tutions allemandes, qui ont
plongé dans leurs collections pour
établir de manière systématique la
provenance des œuvres.
« Toute l’Europe nous a montrés
du doigt parce que la Belgique a
joué un rôle très particulier, souli-
mon sentiment ce soir. » Autant
dire que, si le désir physique per-
siste, il ne s’accompagne pas
de tendresse et n’est la preuve
d’aucun attachement. Ce locuteur
inapte à l’empathie n’est pas
un homme, mais ce qui reste de
l’homme une fois qu’il est devenu
cadavre. Le dispositif scénique or-
ganisé par le metteur en scène
Alain Françon le suggère : aux
pieds d’une chaise d’enfant sont
disposés un chapeau, une veste,
un pantalon et des chaussures éli-
mées. Rien de plus, rien de moins.
Portrait d’un peuple à terre
Ce sont ces traces inertes – pense-
t-on – qui doivent survivre aux
corps putréfiés des morts couchés
dans leur cercueil. D’ailleurs, l’his-
toire démarre dans un cimetière,
où le narrateur se recueille sur la
tombe de son père. Quant à la nou-
velle de Beckett, elle se clôt sur une
date : 1945. La guerre qui s’achève
a laissé la France exsangue. Au-
delà du délabrement psychologi-
« J’ai ouvert
une boîte de
Pandore que les
gouvernements
avaient tenté
de refermer »
Geert Sels
journaliste
gne M. Sels. Tandis que, pendant
la guerre, des œuvres étaient direc-
tement acheminées des Pays-Bas
ou de la France vers l’Allemagne, le
­riche marché belge, lui, alimentait
aussi de grands musées étrangers,
comme le Jeu de paume à Paris. On
passait littéralement commande à
Bruxelles de tableaux volés, extor-
qués ou résultant de ventes forcées
et qui ont ensuite été envoyés en
Allemagne. On a appelé cela des
“transferts indirects”. »
En 1945, les « Monuments Men »,
chargés de récupérer les biens cul-
que d’un héros, Premier amour
pourrait bien être le portrait d’un
peuple à terre, dévasté par la bar-
barie et revenu de ses illusions.
Comme souvent avec Alain
Françon, ce qui se passe sur le pla-
teau est un réseau de signes allu-
sifs que le spectateur est libre
d’articuler entre eux pour élabo-
rer à sa guise, dans son silence in-
térieur, sa propre représentation.
Le spectacle est un jeu de piste,
où l’on traque les indices jusqu’à
en étirer les sens vers de subjecti-
ves conclusions. Ainsi en va-t-il
des vêtements étalés sur le sol,
qui finiront pliés sur une valise,
comme prêts à repartir vers leur
lieu d’origine, autrement dit la se-
conde salle de La Scala, où se joue,
jusqu’au 8 avril, En attendant Go-
dot (autre pièce de Beckett mise
en scène par Françon). De là à pen-
ser que l’invisible Godot, qu’at-
tendent en vain Vladimir et Estra-
gon, est le narrateur de Premier
amour, il n’y a qu’un pas. Rien
n’interdit de le franchir.
turels accaparés par les nazis, déci-
dèrent que, compte tenu de l’am-
pleur de leur tâche – ils découvri-
rent un millier de dépôts en Alle-
magne –, il fallait renvoyer les ta-
bleaux et les objets vers leur pays
de provenance et pas nécessaire-
ment à des propriétaires dont on
risquait de ne pas retrouver la
trace. D’où le copieux héritage
dont ont bénéficié des musées
dans des pays par lesquels des
­tableaux partis de Bruxelles ou
d’Anvers avaient transité.
« Un dialogue constructif »
Geert Sels a, dès lors, patiemment
scruté les archives de plusieurs de
ces Etats. Il a notamment trouvé
dans celles de la ville allemande
de Coblence sept tableaux qui,
passés de Bruxelles à Paris avant
d’aboutir en Allemagne, se
­trouvent aujourd’hui dans des
musées français. Un triptyque du
XVIe siècle du peintre flamand
Joachim Patinier (1483-1524), ex-
posé au Puy-en-Velay, a été resti-
tué. En revanche, une Présenta-
Lorsque le théâtre phosphore de
la sorte à grands flux d’hypothè-
ses, il devient dynamique et jouis-
sif. Ce n’est pas la présence de
­Dominique Valadié, interprète de
Premier amour, qui le démentira.
La comédienne incarne le narra-
teur ne sachant pas aimer. Che-
veux gris ramassés en chignon,
visage concentré, elle est vêtue de
noir. Ni homme ni femme, elle est
neutre. Quasiment dégenrée. Son
regard s’aventure parfois vers
deux prompteurs installés dans
le dos des spectateurs. Sa perfor-
mance est une lecture améliorée.
Mais, avec Valadié, tout est tou-
jours densifié, à commencer par
l’écoute du public, promis, pour
le meilleur, à l’intranquillité.
Complice de longue date
de Françon, la comédienne im-
pose une relation électrique. L’in-
tonation sur le voltage, elle règle
les intensités du courant. Tour à
tour ironique ou complice, glaciale
ou souriante, mordante ou éva-
sive, elle organise avec la salle une
0123
­
­Mardi 28­ mars 2023
tion au temple attribuée d’abord à
Fragonard et considérée comme
une œuvre anonyme a été déro-
bée au marchand juif bruxellois
Léon Seyffers, dénoncé, déporté
et mort à Auschwitz. Il appartient
à la ville de Cognac depuis 1966.
« J’ai informé les héritiers, à eux de
juger s’il est opportun d’entrepren-
dre des démarches pour une resti-
tution », indique M. Sels.
Les archives de l’Etat belge, que
l’auteur a comparées aux infor-
mations du site Rose Valland du
ministère français de la culture,
­recensent quatre œuvres faisant
partie des collections du Louvre.
Un Portrait de C. Floret, de Jean-
Baptiste Perronneau (1715-1783) ;
Le Feu aux poudres, d’après
­Fragonard (1732-1806) ; Portrait
d’un soldat, du Hollandais Abra-
ham van Calraet (1642-1722) et Le
Lévite d’Ephraïm et sa concubine,
d’un autre Hollandais, Rombout
van Troyen (1605-1655). Un Por-
trait de Madame de Longueville at-
tribué à Simon Vouet (1590-1649) a
séjourné pendant plus de soixan-
te-dix ans au Louvre avant d’être
restitué aux héritiers américains
d’un banquier bruxellois. Huit
autres œuvres, non attribuées au
Louvre à la Libération, sont déte-
nues par des musées régionaux.
La liste de Geert Sels comporte
aussi une série de tableaux aux
origines très incertaines, ce qui
pousse le journaliste à plaider
pour « un dialogue constructif »
entre Paris et Bruxelles, et le lan-
cement de nouvelles recherches
sur le véritable trafic qui a eu lieu
entre les deux capitales, surtout
vers la fin du conflit de 1939-1945.
Une famille, les Delacre, a, elle,
décidé de ne pas entreprendre
de démarches pour récupérer sa
prestigieuse collection, en partie
dispersée au Louvre, à Toulouse
et à Strasbourg. Les ancêtres de
cette famille, célèbre en Belgique
pour avoir laissé son nom à une
marque de biscuits, ont pourtant
été poussés à la vendre par des
marchands parisiens, qui avaient
probablement conclu un marché
avec l’occupant. Geert Sels plaide
alors : « On devrait, au moins,
mentionner sur une plaque appo-
sée à côté de ces œuvres qu’elles
sont exposées avec l’approbation
de la famille. » p
Jean-Pierre Stroobants
Le Trésor de guerre des nazis.
Enquête sur le pillage d’art
en Belgique, Geert Sels, Editions
Racine, Bruxelles, 448 p., 39,99 €.
confrontation en forme de goutte
à goutte du présent théâtral.
Si Beckett fait mine de raconter
une pseudo-rencontre amou-
reuse, l’actrice, pour sa part, inves-
tit chaque seconde de son rendez-
vous public. Elle n’hésite pas
à monter en puissance et à hisser
le volume lorsque son person-
nage, enfin animé de sensations
vraies, clame son besoin de re-
trouver la liberté, la « chaude
bruyère », le « genêt », les « lumiè-
res des phares et des bateaux-pha-
res ». Si tant est que ce personnage
soit Godot reclus depuis des dé-
cennies dans les pages de Premier
amour, alors il faut d’urgence aller
le visiter. Car il n’est pas complète-
ment mort, l’homme moderne.
La preuve : « Il bande encore. » p
Joëlle Gayot
Premier amour, de Samuel
Beckett. Mise en scène d’Alain
Françon et de Dominique
Valadié. La Scala, Paris 10e.
Jusqu’au 19 avril. Lascala-paris.fr
0123
­
­Mardi 28­ mars 2023 Culture | 21

Pour Lana Les dernières

productions de
la New-Yorkaise

Del Rey, l’album impressionnent

du renouveau
La chanteuse explore des registres
inhabituels sur son dernier disque
Musique
autant par leur
rythme que par
leur créativité
renouvelée
en duo avec Father John Misty),
comme aux vertus hypnoti-
ques d’un psychédélisme nimbé
de soul (Candy Necklace, en duo
avec le pianiste Jon Batiste), celle
qui est aussi une fille du parler cru
qui la vit enchaîner avec l’édition
d’un recueil de poèmes, Violet
du rap bascule avec aisance dans
l’ère numérique. Notamment,

A
près le triomphe origi-
nel de Born to Die,
en 2012, l’album qui ré-
véla au monde le per-
sonnage de Lana Del Rey, le succès
commercial de la New-Yorkaise
n’a plus côtoyé les sommets fré-
quentés par ses consœurs Taylor
Swift, Beyoncé, Katy Perry ou
Ariana Grande. Son impact, ico-
nographique comme musical,
ne s’est pas moins ancré de ma-
nière décisive dans le paysage pop
international. Au fil d’une œuvre
foisonnante, à la fois fidèle à une
personnalité reconnaissable en-
tre toutes, mais aussi capable
de réinvention et de métamor-
phoses, ne cessant d’affirmer son
autonomie artistique.
Si d’anciens morceaux de son
répertoire (National Anthem,
Young and Beautiful…) redevien-
nent régulièrement des phéno-
mènes viraux par la grâce de Tik-
Tok, si de nouvelles idoles procla-
ment leur admiration pour leur
jeune aînée (telle Billie Eilish,
­confiant qu’elle avait une photo
de Lana Del Rey collée sur son tout
premier téléphone), ce sont bien
les dernières productions de la Ca-
lifornienne d’adoption qui im-
pressionnent le plus aujourd’hui.
Autant par leur rythme que par
leur créativité renouvelée.
Un peu plus de trois ans après
la consécration critique et publi-
que de Norman Fucking Rockwell !,
Bent Backwards Over the Grass (Si-
mon and Schuster, 2020, non tra-
duit), puis la sortie de deux opus
de bonne tenue, Chemtrails Over
the Country Club (2021) et Blue Ba-
nisters (2021), l’ange perturbé de
l’Amérique déroule la beauté ten-
taculaire de seize titres dans Did
You Know There’s a Tunnel Under
Ocean Blvd. Son album le plus long
et l’un des plus passionnants en
matière d’évolution esthétique.
Détermination sans artifice
Certes, le titre du neuvième chapi-
tre de sa discographie, faisant ré-
férence au Jergins Tunnel, qui per-
mettait aux habitants de Long
Beach de rejoindre la plage, sug-
gère qu’elle demeure une chro­-
niqueuse de la mythologie de
Los Angeles. Si certaines chan-
sons tissent encore des parallèles
entre sa vie intime et la traî-
treuse luminosité de cette ville,
l’ambivalence californienne do-
mine moins l’ensemble que dans
Norman Fucking Rockwell !
D’abord conduite par des am-
biances privilégiant cordes sus-
pendues et piano délicat, intensi-
fiées par des chœurs féminins flir-
tant avec le gospel, sa voix s’aven-
ture vers plus de registres qu’à
l’accoutumée. Révolu le temps
où, en vamp fatale esquintée par
les désillusions, Lana Del Rey
se contentait de surjouer une
suave étrangeté. Sans délaisser de
Lana Del Rey, en 2022. NEIL KRUG
caressants mystères (la langou-
reuse chanson-titre), son chant
peut progresser avec une déter-
mination sans artifice (The
Grants), mettre crûment à nu ses
anxiétés (Fingertips), oser une
­élégance spectrale (Paris, Texas)
ou la limpidité folk de la Cana-
dienne Joni Mitchell (Kintsugi),
déjà référence majeure de Chem-
trails Over the Country Club.
A ses débuts, Elizabeth Grant
donnait l’impression de postuler
pour des castings hollywoodiens
fantasmés, mettant en scène des
sosies de Lana Turner, dans des
scénarios réécrits par la violence
d’un James Ellroy ou l’onirisme
perturbant d’un David Lynch. Elle
pourrait aujourd’hui figurer au
générique d’un film de Terrence
Malick par sa capacité à évoquer
son lien spirituel avec un environ-
nement (Sweet). Ou revendiquer
l’influence du cinéma de John
Cassavetes, sa façon de saisir à vif
fragilités et névroses dans la vie
de famille (Fingertips). Voire citer
les expérimentations d’Andy Wa-
rhol – le Judah Smith Interlude, où
Rapport à la science, aux médias et au débat d'idées, compréhension
de la crise climatique : le Baromètre de l'esprit critique sonde les Français
le prêcheur hollywoodien préféré
de la dame est enregistré en direct
dans son église.
Une variété d’approches qui
se retrouve dans la façon dont se
télescopent les styles musicaux.
Eternelle amoureuse des grands
classiques de la chanson améri-
caine d’avant le rock, convertie
à la limpidité folk, au storytelling
du folk rock (Let the Light In,
dans le dernier tiers d’un album
qui s’acoquine alors avec le R’n’B
(Fishtail), le rap futuriste (Peppers,
avec un sample de Tommy Ge­-
nesis) ou la trap (dans un Taco
Truck x VB remixant une partie de
Venice Bitch).
Symbole de cette intensité
­multiple, single atypique de l’al-
bum, A & W (coécrit et coréalisé,
comme une grande partie du
­disque, par Jack Antonoff) déploie
d’abord sur fond acoustique
la tension désenchantée d’une vie
sans perspective amoureuse autre
que sexuelle (« Is the experience
of being an American whore »,
­confie-t-elle, aussi désespérée que
désinvolte). Avant que, au bout
de quatre minutes, un beat élec-
tronique ne métamorphose la
chanteuse en gamine insolente
rappant sur fond d’électro moite.
Pour l’un des morceaux les plus
fascinants d’une déjà remar­-
quable carrière. p
Stéphane Davet
Did You Know That There’s
a Tunnel Under Ocean Blvd
(Polydor/Inerscope/Universal).

Un « Nixon in China » entre fable

historique et merveilleux poétique
Valentina Carrasco signe un fabuleux spectacle à l’Opéra Bastille

Opéra a la tête d’un dragon de carnaval.

Valentina Carrasco place ainsi
Si la mise en scène de Valentina
Carrasco recourt volontiers à

E n 1972, Richard Nixon se

rend en Chine pour y ren-
contrer Mao Zedong et
­rebattre ainsi les cartes de la poli-
tique mondiale, alors que les ten-
sions avec l’URSS sont toujours
vives et que la guerre du Vietnam
est loin d’être achevée. En 1987,
cet épisode historique fait l’objet
d’un opéra créé à Houston, Nixon
in China, qui vaut au compositeur
John Adams, né en 1947, de pren-
dre date dans l’univers lyrique par
un traitement très personnel des
« mythes » contemporains.
Comme pour Einstein on the
Beach (1976), porte-drapeau du
nouvel opéra made in USA, dont
le succès tenait autant à la mise
en scène de Robert Wilson qu’à la
partition de Philip Glass, le reten-
tissement originel de Nixon in
China est à mettre en partie au
crédit de Peter Sellars, le metteur
en scène qui suggéra le thème de
l’opéra à John Adams. C’est dire si
l’on attendait avec intérêt, samedi
25 mars, à l’Opéra Bastille, la lec-
ture de l’œuvre par Valentina Car-
rasco, née en Argentine en… 1972.
Son point de vue est perceptible
dès l’exécution de l’ouverture, qui
revêt le caractère d’un prologue
théâtral dans lequel la musique
sert d’accompagnement à une
partie de tennis de table, jouée au
ralenti. Deux joueurs masqués de
manière symbolique s’y affron-
tent. L’un, vêtu de bleu, a le nez
crochu d’un aigle de farces et at-
trapes ; l’autre, tout en rouge,
son approche de l’opéra sous
l’égide du premier rapproche-
ment opéré entre Chinois et Amé-
ricains, en 1971, par le biais du
sport, que l’on qualifia de « diplo-
matie du ping-pong ».
Le rideau se lève ensuite sur plu-
sieurs dizaines de choristes-pon-
gistes qui ne tardent pas à enton-
ner le premier « tube » de l’opéra :
« The People Are the Heroes Now »
(« Le peuple, voilà les héros, dé-
sormais »). Une déclinaison sou-
riante de l’expression de masse
qui donne le ton d’un spectacle
d’apparence divertissant.
Concept d’illusion
D’apparence, seulement, car,
après l’arrivée du couple présiden-
tiel, flanqué de l’incontournable
Henry Kissinger (Joshua Bloom,
très crédible), à bord d’un aigle
de métal gris, et les saluts d’usage
à destination des photographes,
on comprend vite que le travail
de Valentina Carrasco repose sur
le concept d’illusion. Mao (inoxy-
dable John Matthew Myers), qui se
pique de philosophie, reçoit Ri-
chard Nixon (Thomas Hampson,
à l’aigu un peu émoussé) dans
un salon aux allures de bibliothè-
que. Les livres alignés sur les
rayonnages ne sont que des trom-
pe-l’œil ; les vrais livres sont empi-
lés à l’étage du dessous, derrière
les grilles d’une sombre geôle,
avant d’être brûlés dans un four
qui assure le chauffage de la rési-
dence du Grand Timonier.
l’imagerie populaire (Kissinger en
peignoir à la Rocky Balboa, la first
Lady Pat Nixon évoluant avec
« son » dragon de compagnie telle
une « Dame à la licorne » de l’em-
pire du Milieu), elle se plaît à con-
fronter les documents d’archives
(une classe d’écoliers chinois, petit
livre rouge en main, et un élevage
industriel de cochons) et, in fine,
à les superposer (violences poli-
cières en Chine et aux Etats-Unis).
Elle ne néglige pas non plus la poé-
sie, avec des arrêts sur image qui
permettent aux personnages
(l’émouvant Zhou Enlai de
­Xiaomeng Zhang, la radieuse Pat
Nixon de Renée Fleming) de s’ex-
traire de leur identité historique.
Fabuleux dans son registre aspi-
rant au merveilleux, le spectacle
l’est aussi dans le sens premier de
la fable, qu’un La Fontaine aurait
ici intitulée « L’Aigle et le Dragon ».
Travail d’orfèvre dans l’art de
l’étagement minimaliste (échel-
les, arpèges, pulsations, instru-
mentation), la partition de John
2e édition sur universcience.fr
Adams est idéalement nuancée
par Gustavo Dudamel à la tête
de l’Orchestre de l’Opéra national
de Paris. Et le compositeur mérite
bien la standing ovation que
le public lui réserve pendant
de longues minutes. p
Pierre Gervasoni
Nixon in China, de John Adams.
Opéra Bastille, Paris 12e.
Jusqu’au 16 avril. De 45 € à 170 €.
Operadeparis.fr
22 | Télévision
Exploration du progrès infini sur une planète finie
Dans une riche série, Tao Favre rend audible l’effondrement climatique et biologique de la Terre lié à l’homme
France Culture
À la demande
Podcast
L
e bouleversement clima-
tique est un bouleverse-
ment biologique, à bas
bruit mais massif et ra-
pide, comme en atteste le dernier
rapport du GIEC. Nous faisons
une entrée fracassante dans l’ère
de l’« anthropocène », ainsi que
le Prix Nobel de chimie Paul Crut-
zen l’a suggéré au début des an-
nées 2000. Une nouvelle époque
géologique où les hommes cons-
tituent la principale force de chan-
gement sur notre planète, surpas-
sant les forces géophysiques.
« Si l’histoire de la Terre se concen-
trait en vingt-quatre heures, l’an-
thropocène aurait commencé dans
les tout derniers millièmes de se-
condes, expose le documentariste
Tao Favre. C’est dire la complexité
de notre planète, avec laquelle nous
sommes entrés en collision. »
Passionnante réflexion
Sa riche série en quatre volets rend
audible cet effondrement, et con-
duit une passionnante réflexion
sur le sens de l’aventure humaine,
dans une critique topique de l’idée
de progrès infini et de l’homogé-
néisation mortifère du vivant.
Pour nous souhaiter la bienve-
nue, le premier épisode (« Où le vi-
vant s’effondre ») plante le décor
Taïwan, l’île de la tentation pour la Chine continentale
Un film instructif de Pierre Haski et de Camille Le Pomellec sur une démocratie asiatique atypique, qui vit à l’ombre de la menace chinoise
ARTE
MARDI 28 - 23 h 00
DOCUMENTAIRE
E n mai 2022, dans un docu-
mentaire diffusé sur Arte
(Asie-Pacifique, la nouvelle
poudrière, d’Anne Loussouarn),
un ancien directeur du rensei-
gnement américain résumait
ainsi la situation tendue entre la
Chine continentale et Taïwan :
« Quand on observe les actions de
Pékin ces deux dernières années,
on voit que le nœud se resserre
autour du cou de Taïwan. »
GRILLE N°23 - 074
PAR PHILIPPE DUPUIS
Retrouvez l’ensemble de nos grilles sur
1 2 3 4 5 6
I Charles III. IV. Renvoie vers l’hôpital
II
III
IV
V
VI
VII
VIII
IX
X
SOLUTION DE LA GRILLE N° 23 - 073
HORIZONTALEMENT I. Bredouillage. II. Levain. Oeben. III. Ace. Ait. Nt.
IV. Nunatak. Aber. V. Cette. Enlisé. VI. Si. Vn. Ec. VII. Blairées. OCI.
VIII. Eliras. Oural. IX. CI. Acoquinée. X. Sérieusement.
VERTICALEMENT 1. Blancs-Becs. 2. Recueillie. 3. Event. Aï. 4. Da. Attirai.
5. Ointe. Racé. 6. Un. Vesou. 7. Akène. Qs. 8. Loi. Soue. 9. Létale Uim.
10. AB. Bicorne. 11. Gênes. Caen. 12. Entrefilet.
Le podcast plante le décor de printemps sans chants d’oiseaux. TOPIC/PHOTONONSTOP
des printemps sans chants
d’oiseaux. Avec plusieurs écolo-
gues, Tao Favre dresse le bilan
et les conséquences en chaîne de
l’effondrement de la biodiversité
dans les campagnes. Surtout, im-
portant préalable à l’action et aux
choix politiques, il questionne
le rapport surplombant que les
sphères industrialisées du monde
ont tissé avec la nature depuis le
En cas d’invasion chinoise sur
l’île située à 130 kilomètres de ses
côtes et peuplée de vingt-qua-
tre millions d’habitants, à quel
adversaire se heurterait le puis-
sant envahisseur qui ne voit
Taïwan que comme une pro-
vince rebelle ? Pour Xi Jinping,
« la marche de l’histoire mène à la
réunification de la Chine ». La pré-
sidente taïwanaise Tsai Ing-wen
avertit : « Les autorités de Pékin
ne doivent pas sous-estimer la
force de la démocratie taïwa-
naise. Nous défendrons la liberté
et la démocratie. »
jeux.lemonde.fr
7 8 9 10 11
perfectionnement, au XVIIIe siè-
cle, de la machine à vapeur.
Puis le documentaire approfon-
dit, à l’aide de l’histoire de l’écolo-
gie scientifique, le potentiel formi-
dable qui réside dans l’idée
et le geste de tisser un autre lien
à la nature, qui serait fait de
­connaissances et d’inspirations,
pour imaginer des systèmes rési-
lients parce que symbiotiques
Dans ce documentaire, Pierre
Haski, spécialiste de géopolitique,
ne nie pas les menaces qui pèsent
sur l’île. A l’aide d’archives filmées
rares, certaines datant du début
du XXe siècle, il retrace l’histoire
coloniale de Taïwan, qui permet
de mieux comprendre comment
fonctionne cette société aux in-
fluences diverses.
On y apprend qu’il y a quatre
cents ans, les seuls à y vivre étaient
les aborigènes, qui représentent
aujourd’hui 2 % de la population.
Puis les Portugais sont arrivés (qui
baptisent l’île Formose), suivis des
HORIZONTALEMENT
I. Brève, elle peut tout exprimer,
la joie, la peine, le désir, la crainte et
autres sentiments. II. Sans maître
chez Boulez. Maîtrisa le sauvageon.
12
III. Petite vapeur. Les hommes chez
psychiatrique. Réacteur de la troi-
sième génération. V. Pareil. Déborde-
ra de partout. VI. Remarquables dans
leurs domaines. VII. Ouverture
vers le large. Pauvre et misérable.
VIII. Grande plume religieuse. Sensa-
tion de malaise. IX. Viennent de loin.
En perte. Sort en fin d’année. X. A mis
des fils dans les lampes. Grand
ouvert.
VERTICALEMENT
1. Ce n’est pas la peine de le provo-
quer. 2. Provoque dégoût et rejet.
3. Fournissent le bon jus. 4. Station
du Morbihan. Anneaux de cordage.
5. Sur la portée. Affluent du Rhône.
Montre la queue. 6. Plante bulbeuse.
7. Piégé. Filent à coups de pédale.
8. Prendre la tête. Appréciation en
marge. 9. Planté avant de frapper.
Dame de compagnie. 10. Naturelles.
Chez les Grecs. 11. Dans le pot. Lieu
de rencontres. Désaccord total.
12. Raportassent.
(épisode 2, « L’écologie ou la
mort »). Réalisée avant l’irruption
du Covid-19, la série documentaire
n’a pas pris une ride, au contraire.
Ecoquartiers, jardins urbains, toits
végétalisés : le troisième épisode
(« La possibilité d’une ville verte »)
interroge les paradoxes des déve-
loppements urbains qui, tout
en artificialisant toujours plus
de sols, cherchent aussi à redon-
Hollandais et des Mandchous.
En 1895, c’est au tour des Japonais
de s’emparer de Taïwan.
La République de Chine, fondée
en 1912, reprend la main et impose
l’usage du mandarin en 1945.
En 1949, les communistes de Mao
Zedong bouleversent la situation.
En passe de gagner la guerre
­contre les nationalistes du Kuo-
mintang menés par Tchang Kaï-
chek (1887-1975), protégé par l’ar-
mée américaine, ils le voient pren-
dre la fuite en compagnie de deux
millions de soldats. Le généralis-
sime se réfugie à Taïwan, qui vivra
sudoku
n°23-074
6 9
5 3
2 carré de neuf cases.
Réalisé par Yan Georget (https://about.me/yangeorget)
2023
L’EAU & LES OCÉANS EN CARTES
001 UNE Eaux et océans en cartes DEFPA-id.indd 1
ner de la place au vivant pour que
la ville reste… vivable.
Dans le quatrième et dernier
épisode (« Des mondes à compo-
ser »), à travers des expériences
multiples, à l’école ou sur une
zone d’aménagement différé, la
puissance de la diversité et des ré-
seaux est célébrée avec une ouver-
ture vers d’autres narrations.
Pour réaliser son documentaire,
Tao Favre a rencontré écologues
et philosophes, dont la parole est
limpide, mais aussi des citoyens
engagés. Grâce à une démarche
décentrée et voyageant sur plu-
sieurs échelles, il tire et réaffirme
des savoirs susceptibles de res-
taurer une « agentivité » (capacité
d’agir) politique, à rebours du mi-
roir aux alouettes tendu par
le technosolutionnisme.
Le documentaire sort de l’im-
passe du rapport nature-culture
pour penser d’autres rapports
à l’énergie, à l’agriculture et à nos
modes d’habitat. Une réflexion ré-
générante, comme un énergique
écho aux travaux du philosophe
et anthropologue Bruno Latour,
sur la place de l’humain dans son
écosystème : la tête sur les épaules
parce que les pieds sur terre. p
Mouna El Mokhtari
Bienvenue dans l’anthropocène,
de Tao Favre (Fr., 2019,
4 × 55 min). Sur Franceculture.fr
et l’application de Radio France.
durant des décennies sous son ré-
gime autoritaire.
Au fil du temps, la société taïwa-
naise s’est ouverte, libérée, déve-
loppée à grande vitesse. En inter-
rogeant des personnalités aussi
diverses que la ministre des affai-
res numériques, la productrice
Sandra Oh ou le milliardaire
­Robert Tsao, Pierre Haski esquisse
le portrait d’une démocratie vi-
vant à l’ombre de la menace chi-
noise. Un inquiétant voisin qui
profite de la très dynamique éco-
nomie taïwanaise en absorbant
40 % de ses exportations.
7 6 2 1 8 4
3 8 5 9 3 1 6 5 7 8
5 8 4 9 3 2
8 6 2 7 4 3 8 5 3 4 2 9
2 4 7 3 1 6
2 5 4 1 6 6 1 9 8 7 5 4
1 7 8 2 9 3
4 2 5 7 6 1
1 8 2 3 9 6 5 4 8 2
2 6 7 Très facile
8 7 Complétez toute la
grille avec des chiffres
allant de 1 à 9.
Chaque chiffre ne doit
être utilisé qu’une
seule fois par ligne,
par colonne et par
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Notre
sélection
Mardi 28 mars
NRJ 12
Gravity
21.10 Brillante ingénieure et
pionnière, Ryan Stone (Sandra
Bullock) effectue sa première
expédition dans l’espace, guidée
par Matt Kowalsky (George Clooney).
Un spectaculaire space movie
d’Alfonso Cuaron.
France 2
Les Eblouis
21.10 Le film aurait aussi pu
s’appeler Les Illuminés… Il montre
l’embrigadement, dans une secte,
de parents, et ses conséquences
sur la vie de leurs nombreux enfants.
France 5
Enquête de santé. Le poisson,
à consommer sans modération ?
21.00 Encore une émission qui
voudrait nous couper l’appétit ? Ce
serait dommage alors que le poisson
se cuisine facilement, stimule le
cœur, la mémoire… A condition de
savoir d’où il vient.
Canal+ Cinéma
Carnivores
22.40 Deux sœurs actrices : Samia
(Zita Hanrot) capte la lumière, Mona
(Leïla Bekhti) est plus réservée. Alors
quand Samia disparaît, Mona se
glisse dans ses souliers… Etrange
film, dont la situation de départ
est celle des auteurs, les frères
Jérémie et Yannick Rénier.
Dans les années 1990, à la fin de
la dictature, 20 % seulement de la
population se déclarait taïwa-
naise, à l’exclusion de toute autre
identité. Aujourd’hui, ils sont 64 %
à se sentir « uniquement taïwa-
nais ». Reste à savoir comment le
pays le plus démocratique d’Asie
(selon l’hebdomadaire The Econo-
mist) résistera aux éventuelles
agressions chinoises. p
Alain Constant
Nous sommes Taïwan,
de Pierre Haski et Camille
Le Pomellec (Fr., 2022, 53 min).
0123 est édité par la Société éditrice
du « Monde » SA. Durée de la société :
99 ans à compter du 15 décembre 2000.
Capital social : 124.610.348,70 ¤.
Actionnaire principal : Le Monde Libre (SCS).
Rédaction 67-69, avenue Pierre-Mendès-France,
75013 Paris. Tél. : 01-57-28-20-00
5 3 9
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1 7 6 (prix d’un appel local) de 9 heures à 18 heures.
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0123
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­Mardi 28­ mars 2023
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PAR PHILIPPE DUPUIS – N° 5
AU CARNET DU «MONDE»
Naissance
Sèvres. Oxford.
Martine et Thomas DURAND
Magazine N°5 sont heureux d’annoncer la naissance
de leur petit-fils,
Ernest,
le 10 mars 2023,
chez
Marion DURAND,
Alexander MILODOWSKI
et Edith.
Décès
Hors-série Clotilde,
son épouse,
0123 Serge, Marc et Eva,
ÉDITION 2023
H O R S - S É R I E
ses enfants,
LE BILAN
▶ GÉOPOLITIQUE
▶ ENVIRONNEMENT
Lila, Oscar et Léo,
▶ ÉCONOMIE
DU MONDE+ AT LA S D E 1 9 8 PAYS ses petits-enfants,
+ 1 5 PAG E S D E D É B ATS : BERTRAND BADIE, LAUREN ELKIN, SOROUR KASMAÏ,
MARIE MENDRAS, VALÉRIE NIQUET, MARC-ANTOINE PÉROUSE DE MONTCLOS...
ont la tristesse de faire part du décès
de
BERNARD BARTO,
artiste, architecte,
médaille d’honneur
de l’Académie d’architecture,
Hors-série chevalier dans l’ordre
des Arts et des Lettres,
survenu le 22 mars 2023,
HORS-SÉRIE
à l’âge de quatre-vingt-cinq ans.
L’EAU & LES OCÉANS
CARTES
EN
La cérémonie civile aura lieu en la
salle de la Coupole du cimetière du
Père-Lachaise, Paris 20e, le mercredi
29 mars, à 13 h 30.
L’Amicale du lycée Jules Ferry,
La direction,
Tous les professeurs,
Hors-série Les personnels
Et les étudiants,
ont la grande tristesse d’annoncer le
décès, survenu le 21 mars 2023, de
Caterina BONOMI,
professeur d’italien
en classe préparatoire littéraire.
Notre collègue a formé des
générations d’élèves qui
l’oublieront pas.
Musée idéal la revue n° 5 Sa générosité, son inlassable
curiosité, sa vitalité nous manquent
Collection cruellement.
Nous pensons aussi à ses proches
P R É S E N T E et les assurons de notre soutien.
Vous pouvez faire un don à
l’Institut Curie.
h evenement
Dès jeudi 30 mars,
le volume n° 7 DE GAULLE
LA RÉSISTANCE ET LA FRANCE LIBRE
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K Le Carnet du Monde
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Marie-Hélène et Christian Babusiaux,
Pierre et Dominique Comolet,
Thierry et Romane Comolet,
Arnaud et Anne Comolet,
Solange et Olivier Maire,
ses enfants et beaux-enfants,
Ses seize petits-enfants,
Ses dix-neuf arrière-petits-enfants,
ont la douleur de faire part du décès
de
Marie-Rose COMOLET,
née LEVEQUE,
survenu le 23 mars 2023, dans sa
quatre-vingt-dix-huitième année.
Ses obsèques seront célébrées le
mercredi 29 mars, à 14 h 30, en l’église
Saint-Jean-Bosco, à Igny (Essonne).
Danièle, Astrid, Constance, Elizabeth,
Milla et Jean,
ont la tristesse d’annoncer le décès
de
Mme Elisabeth COSSON,
née SOBEZAK,
croix de guerre 1939-1945,
chevalier de la Légion d’honneur,
survenu le 19 mars 2023,
à l’âge de cent quatre ans.
Elle a fait don de son corps à la
science.
Une pensée à son mari,
Jean COSSON,
décédé le 3 décembre 1993.
astrid@misstweed.com
dschere@bu.edu
Muret (Haute-Garonne).
Anne-Marie Courtés,
née Annie Joullié,
son épouse,
Sophie, Jean-Noël, Benoît,
ses enfants,
Ses petits-enfants
Et ses arrière-petits-enfants,
ont la douleur de faire part du décès
de
Joseph COURTÉS,
ancien prêtre de Saint-Sulpice,
licencié en théologie,
docteur ès lettres,
professeur émérite des Universités
à Toulouse-Le Mirail,
survenu le 10 mars 2023,
à l’âge de quatre-vingt-sept ans.
La célébration a eu lieu dans la
stricte intimité familiale, le 17 mars,
au nouveau crématorium de Lavernose
(Haute-Garonne).
Cet avis tient lieu de faire-part et
de remerciements.
Mme Madeleine Degroux-Ricard,
son épouse,
Marie-Hélène et Anne,
ses filles,
Emma,
sa petite-fille,
ont la tristesse de faire part du décès
de
ne M. Michel DEGROUX-RICARD,
survenu à l’âge de quatre-vingts ans.
Le culte d’action de grâce sera
célébré le mardi 4 avril, à 15 heures,
en l’Église protestante unie du Saint-
Esprit, 5, rue Roquépine, Paris 8e.
Ni fleurs ni couronnes. Dons
commémoratifs bienvenus à France
Alzheimer.
Un
, ,
eureux
a
partge
doit être
Pour toute information: carnet@m1mblicite.fr ~ Prix à la ligne: 24€ TTC.
Le Cnes
et son président-directeur général,
Philippe Baptiste,
adressent leurs plus sincères
condoléances à la famille et aux
proches de
Jean-Jacques FAVIER,
astronaute français.
Il restera à jamais l’un des grands
ambassadeurs du spatial français.
Le président,
Le vice-président,
Les secrétaires perpétuels
Et les membres
de l’Académie des sciences,
ont la tristesse de faire part de la
disparition de leur confrère,
Claude LORIUS,
directeur de recherche émérite
au Centre national
de la recherche scientifique,
grand officier
de la Légion d’honneur,
grand officier
de l’ordre national du Mérite,
survenue le 21 mars 2023,
à l’âge de quatre-vingt-onze ans.
Ils adressent à sa famille leurs plus
sincères condoléances.
(Le Monde du 26-27 mars.)
Paris.
Mmes Ferechta, Fariha, Sylvie
Massoud,
ses filles,
Son frère et ses sœurs,
Jean Marc Cornelus,
Ses petits-enfants,
font part du décès de
Zaher MASSOUD,
survenu le 15 mars 2023.
L’inhumation a eu lieu au
cimetière du Montparnasse, Paris 14e,
le 18 mars 2023.
Hervé, Sylvie, Agnès Message,
ses enfants,
Dominique Astruc,
sa belle-fille,
Marie, Vincent, Émile, Aurélie,
Fanny et Cédric, Hélia,
ses petits-enfants,
Jim, Hugo, Alex, Ulysse, Clément,
Raphaël,
ses arrière-petits-fils,
Aline, Antoine,
ont la tristesse d’annoncer le décès
de
Jean-François MESSAGE,
administrateur-adjoint honoraire
des services
de l’Assemblée nationale,
officier
de l’ordre national du Mérite,
survenu à l’âge de quatre-vingt-dix-
sept ans.
Fraternel, généreux, il aimait chanter
et rire.
Il a fait don de son corps à la science.
Famille Message,
3, route de la Cunaille,
41100 Thoré-la-Rochette.
!
fLelllonle
Le Carnet
Carnet | 23
Le président de l’École Pratique Pour
des Hautes Études,
Le doyen de la section des sciences Maurice GARCIN.
historiques et philologiques,
Quatre ans ont passé. La vie
Les directeurs d’études et les continue.
maîtres de conférences,
Maurice, Papa, nous pensons
Les étudiants et auditeurs,
Le personnel administratif, souvent à toi et à tous les bons
moments partagés ensemble.
ont la tristesse de faire part du décès,
Ton énergie, ta rage de vivre et ton
survenu le 18 mars 2023, de regard malicieux nous inspirent et
nous guident dans nos actions
quotidiennes.
M. NGUYÊN THÊ ANH,
De tout notre cœur,
directeur d’études,
titulaire de la direction d’études Claude,
« Histoire et civilisation ta femme,
Vincent et Aude,
indochinoises ».
tes enfants.
claudegarcin@gmail.com
Ils s’associent à la douleur de la
famille. Il y a trente ans disparaissait
Eric, Anne, Isabelle, Hélène et Cécile, Michel WIEBER,
sculpteur.
ses enfants,
Marthe, Didier, Odile et Simon, « Ne pleure pas celui que tu as perdu,
ses beaux-enfants,
réjouis toi de l’avoir connu. »
Tristan, Marion, Yves, Pénélope,
Léo, Jonas et Susan, Nominations
ses petits-enfants,
ont l’immense tristesse d’annoncer
le décès de
André PRIEUR,
directeur d’hôpital honoraire, Le vendredi 24 mars 2023, ont été
chevalier élus à l’Académie des Inscriptions et
de l’ordre national du Mérite, Belles-Lettres deux nouveaux associés
chef de bataillon honoraire étrangers :
des troupes de marine,
M. Philip J. van der EIJK,
survenu le 19 mars 2023, à Paris, dans helléniste, historien de la philosophie
sa quatre-vingt-seizième année. et de la médecine grecques, professeur
à l’université Humboldt de Berlin, de
Une cérémonie religieuse a été nationalité néerlandaise ;
célébrée le vendredi 24 mars, à 14 h 30,
M. Michal GAWLIKOWSKI,
en l’église Saint-Antoine, à Angers.
archéologue, historien du Proche-
Orient antique, et notamment de
Il repose aux côtés de son épouse,
Palmyre et de la civilisation
Michelle,
palmyrénienne, professeur émérite à
l’université de Varsovie, de nationalité
polonaise.
au cimetière de l’Est, à Angers.
Communication diverse
Remerciements
Ses enfants
vous remercient du fond du cœur
de tous vos mots et marques de
sympathie et d’affection à l’occasion
de la mort de
Envie d’être utile ? Rejoignez-nous !
Jeannine WALLON, Les bénévoles de SOS Amitié
née BARBEY. écoutent
par téléphone et/ou par internet
ceux qui souffrent de solitude,
de mal-être et peuvent avoir
Anniversaires de décès
des pensées suicidaires.
Nous recherchons des écoutants
François JODELET, bénévoles
13 janvier 1931-28 mars 2013. sur toute la France.
L’écoute peut sauver des vies
et enrichir la vôtre !
Tu étais mes joies, Choix des heures d’écoute,
tu étais mes peines.
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et mes peines ?
Société éditrice du « Monde » SA
Président du directoire, directeur de la publication Louis Dreyfus
Directeur du « Monde », directeur délégué de la publication, membre du directoire Jérôme Fenoglio
Directrice de la rédaction Caroline Monnot
Direction adjointe de la rédaction Grégoire Allix, Maryline Baumard, Hélène Bekmézian, Philippe Broussard,
Nicolas Chapuis, Emmanuelle Chevallereau, Alexis Delcambre, Marie-Pierre Lannelongue, Franck Nouchi,
Harold Thibault
Directrice éditoriale Sylvie Kauffmann
Directrice déléguée au développement des services abonnés Françoise Tovo
Directeur délégué aux relations avec les lecteurs Gilles van Kote
Rédaction en chef Laurent Borredon, Emmanuel Davidenkoff (Evénements), Jérôme Gautheret, Michel Guerrin,
Nicolas Jimenez (photographie), Sabine Ledoux (cheffe d’édition),Alain Salles (Débats et Idées)
Directrice du design Mélina Zerbib
Direction artistique du quotidien Natalie Lebreton
Infographie Delphine Papin
Directrice des ressources humaines du groupe Emilie Conte
Secrétaire général de la rédaction Sébastien Carganico
Conseil de surveillance Aline Sylla-Walbaum, présidente, Gilles Paris, vice-président
 Idées
24 |
Lauréline Fontaine
« Le Conseil
constitutionnel n’est
pas un contre-pouvoir »
La professeure de droit
souligne les faiblesses
constitutionnelles
de la loi sur la réforme
des retraites, mais
s’inquiète du manque
d’impartialité
et d’indépendance
des conseillers de
la rue de Montpensier
Entretien
A
u moment même où tous les re-
gards sont fixés sur le Conseil
constitutionnel, qui doit se pro-
noncer sur la réforme des retrai-
tes, Lauréline Fontaine, profes-
seure de droit public et constitu-
tionnel à la Sorbonne-Nouvelle, publie un
ouvrage sur l’institution de la rue de Mont-
pensier. Dans ce livre, préfacé par le spécia-
liste du droit du travail, Alain Supiot, La
Constitution maltraitée. Anatomie du
­Conseil constitutionnel (Amsterdam, 288 pa-
ges, 20 euros), elle critique le manque d’in-
dépendance et d’impartialité du Conseil.
Le Conseil constitutionnel va devoir
se prononcer sur la réforme des
retraites. Y a-t-il, selon vous, matière
à une censure ?
Le premier point de faiblesse de la ré-
forme des retraites est, évidemment, le
« véhicule » législatif choisi par le gouver-
nement – l’article 47-1 de la Constitution
sur les projets de loi de financement rectifi-
cative de la Sécurité sociale. Cette procé-
dure est légale, mais elle n’est ni habituelle
ni anodine : elle n’a jamais été utilisée pour
une réforme aussi importante que le report
de l’âge légal de la retraite – elle est réser-
vée, en principe, à des textes de fin d’année
sur le financement de la Sécurité sociale –
et, surtout, elle restreint considérablement
la durée des débats : le Parlement n’a que
cinquante jours pour se prononcer.
Le second point de faiblesse de ce texte,
c’est son contenu. Je ne pense pas au report
de l’âge légal, qui a été modifié plusieurs fois
au cours de la Ve République sans que le
Conseil constitutionnel y fasse obstacle,
mais à certains « cavaliers » sociaux. C’est le
cas de la création d’un « index senior » obli-
gatoire dans les entreprises de plus de
300 salariés : cette disposition n’a rien à voir
avec le financement de la Sécurité sociale, ce
qui pourrait pousser le Conseil, au nom de
la cohérence législative, à la censurer.
Dans votre livre, vous êtes très critique
à l’égard du Conseil constitutionnel.
Est-ce à dire que vous contestez ­
le principe même de la justice
constitutionnelle ?
Je ne fais pas partie, très loin de là, de ceux
qui s’insurgent contre le « gouvernement
des juges » : la justice constitutionnelle doit,
à mes yeux, être la garante de l’Etat de droit.
Depuis l’émergence des Constitutions, au
XVIIIe siècle, les textes fondamentaux
fixent des limites au pouvoir politique : la
justice constitutionnelle doit opposer aux
majorités successives et volatiles la parole
stable et forte de la Constitution et consti-
tuer un rempart contre les atteintes aux
droits et aux libertés. Le problème, c’est que
le Conseil constitutionnel, en France, n’est
pas à la hauteur de cette mission.
Vous soulignez, dans votre ouvrage,
le manque d’impartialité du Conseil.
Quels en sont les signes ?
Ses membres sont à la fois juges et par-
ties, ce qui est contraire au principe d’im-
partialité. La plupart d’entre eux sont issus
des pouvoirs qu’ils sont censés contrôler :
parce qu’ils ont été parlementaires, secré-
taires généraux de l’Assemblée nationale,
directeurs de cabinets ministériels, minis-
tres, voire premier ministre – c’est le cas du
président actuel, Laurent Fabius –, ils ont
participé, d’une manière ou d’une autre, à
l’élaboration des lois. Etant donné qu’ils ne
se déportent pas toujours, cet entre-soi en-
gendre des situations ubuesques de par-
tialité : Jacqueline Gourault a ainsi été
amenée à se prononcer sur la constitu-
tionnalité d’une loi dont elle avait rédigé la
circulaire d’application !
Quant à la procédure devant le Conseil,
elle ne respecte pas les règles minimales
du procès équitable. Le procès constitu-
tionnel n’est pas un procès contradictoire :
le gouvernement est omniprésent – il est
très longuement consulté lors de réunions
informelles –, alors que les parlementaires
ne sont pas entendus : une fois qu’ils ont
déposé leur recours, ils ne peuvent plus
faire valoir leurs arguments en faveur de
l’inconstitutionnalité d’une loi. Le débat
est un peu plus ouvert dans le cadre des
questions prioritaires de constitutionna-
lité, mais l’impartialité du juge constitu-
tionnel est loin d’être garantie.
Vous dénoncez le manque d’indépen-
dance des membres du Conseil consti-
tutionnel, non en critiquant le système
de nomination, comme on le fait
souvent, mais en soulignant le climat
d’entre-soi qui entoure cette procédure.
Quel est-il ?
Les neuf membres du Conseil constitu-
tionnel sont nommés par le président de
la République, le président de l’Assemblée
nationale et le président du Sénat. Ce
n’est certes pas une marque d’indépen-
dance, mais tous les pays, ou presque, ont
mis en place des procédures compara-
bles. Ce qui caractérise la France, ce n’est
donc pas le lien de dépendance créé par le
système de nomination, mais le climat de
cooptation, voire de connivence, qui l’ac-
compagne – ce qui n’est pas le cas, par
exemple, outre-Atlantique.
Aux Etats-Unis, le candidat à la Cour su-
prême est auditionné pendant plusieurs
jours par le Sénat, qui l’interroge de ma-
nière insistante et approfondie sur sa
­conception de la Constitution. Les séna-
teurs disposent d’une grande quantité de
données – une enquête du FBI, une en-
quête des services fiscaux et une enquête
de l’Office of Government Ethics, chargé
de rechercher les conflits d’intérêts des
agents du pouvoir exécutif. Ils peuvent
aussi entendre des témoins et demander
des compléments d’investigations.
En France, le candidat est entendu pen-
dant environ une heure par les parlemen-
taires. Cette discussion entre personnes de
bonne compagnie donne lieu à un concert
de louanges pendant lequel nul n’évoque
les conflits d’intérêts éventuels du futur
conseiller, ni même ses compétences juri-
diques. Lorsque Alain Juppé a été interrogé
sur ce point, il a d’ailleurs plaidé le « droit à
l’oubli » en ce qui concerne ses cours de
droit constitutionnel de Sciences Po – ce
qui est quand même un comble pour un
futur membre du Conseil !
Faudrait-il que les membres du Conseil
constitutionnel aient obligatoirement
des compétences juridiques ?
Il est sain, à mes yeux, que le Conseil
comprenne des non-juristes, mais la
France se situe à l’extrême inverse : les pro-
fesseurs de droit et les juges sont très rares
dans notre justice constitutionnelle ! Ce
mépris du droit nous distingue des autres
pays : seulement trois d’entre eux n’exi-
gent aucune compétence juridique – la
France, les Etats-Unis et la Suisse –, mais la
France est la seule à puiser quasi exclusive-
ment ses juges constitutionnels dans le vi-
vier politique. Aux Etats-Unis et en Suisse,
l’usage veut que les candidats aient une so-
lide expérience dans le domaine du droit.
Vous critiquez la faiblesse des déci-
sions du Conseil, voire leur « pauvreté
intellectuelle ». N’est-ce pas exagéré ?
Les décisions sont motivées, mais, la plu-
part du temps, cette motivation se résume
à un « parce que » aux allures minimalis-
tes : dans ses décisions, le Conseil se
­contente de dire que la loi est censurée ou
validée parce qu’elle est contraire ou non à
la Constitution, et ce, sans plus de détails,
ou presque. Il est très rare qu’il y ait un tra-
vail approfondi de mise en perspective des
notions constitutionnelles, comme le fait,
La Constitution par exemple, la Cour européenne des
maltraitée. droits de l’homme : en 2005, dans un arrêt
Anatomie du Conseil sur le port du voile dans les universités
constitutionnel turques, elle invoque ainsi longuement
de Lauréline Fontaine, des données historiques, politiques et juri-
Amsterdam, 288 pages, diques qui permettent d’éclairer la notion
20 euros de laïcité en Turquie.
Beaucoup de décisions du Conseil
sont le signe de sa complaisance envers
le pouvoir politique. Comment étayez-
vous une telle accusation ?
Il est vrai qu’il est difficile de démontrer
de manière incontestable cette loyauté
envers le pouvoir politique. Des analyses
statistiques montrent cependant que le
­Conseil, au fil de la session parlementaire,
censure de moins en moins les textes qui
lui sont soumis, comme s’il estimait qu’il
ne pouvait aller au-delà d’un certain
« quota ». Beaucoup de témoignages, par-
fois même ceux des conseillers, mon-
trent, en outre, une très grande proximité,
voire une très grande connivence, entre le
­Conseil et les élites politiques. Enfin, cer-
taines décisions sont ouvertement politi-
ques : c’est le cas, par exemple, de la vali-
dation des comptes de campagne de Jac-
ques Chirac et d’Edouard Balladur,
Les failles démocratiques d’une institution
C’est un réquisitoire sans con- constitutionnelle ne tient quasiment
cession contre une institution pour- aucune place ». « Les rudiments d’une
tant respectée de la Ve République : justice indépendante, impartiale et
dans La Constitution maltraitée. Ana- démocratique sont ignorés », affirme-
tomie du Conseil constitutionnel t-elle dans cet ouvrage préfacé par le
(Amsterdam, 288 pages, 20 euros), juriste Alain Supiot.
Lauréline Fontaine, professeure de Si la conclusion est accablante, le
droit public et constitutionnel à la livre n’a rien d’un pamphlet : cette
Sorbonne-Nouvelle, affirme que « anatomie » critique du Conseil
l’institution de la rue de Montpen- constitutionnel est nourrie par un
sier est un « antimodèle » qui propose examen approfondi des règles
une « justice au rabais où la réflexion déontologiques et procédurales qui
0123
­
­Mardi 28­ mars 2023
Yann legendre
en 1995, qui étaient notoirement irrégu-
liers – le président Roland Dumas s’était
alors justifié en déclarant qu’il fallait
« sauver la République ».
La réforme de 2008 a introduit une pro-
cédure nouvelle, la question prioritaire
de constitutionnalité, qui permet
à un justiciable d’interroger le Conseil
sur une loi déjà promulguée. Quel bilan
faites-vous de cette innovation
démocratique, qui ouvre le Conseil
aux citoyens et institue un contrôle
non plus seulement a priori, mais
aussi a posteriori ?
L’idée que les lois inconstitutionnelles
déjà promulguées ne puissent plus prospé-
rer dans l’ordre juridique est très bonne.
L’excellente décision du Conseil sur le ren-
forcement du rôle de l’avocat pendant la
garde à vue, en 2010, a d’ailleurs été prise
dans le cadre d’une question prioritaire de
constitutionnalité. Mais cette procédure a
renforcé la proximité du Conseil avec les
intérêts économiques : leurs représentants
l’utilisent plus souvent et avec plus de suc-
cès que les citoyens, qui étaient pourtant
les plus concernés par cette réforme.
Votre réquisitoire est si accablant que
l’on se demande si vous reconnaissez
la portée de ce que l’on appelle
les « grandes décisions » du Conseil
constitutionnel – je pense, par exem-
ple, à celle sur la liberté d’association
en 1971. Est-ce le cas ?
Je ne condamne évidemment pas toute la
jurisprudence du Conseil constitutionnel :
la décision sur la liberté d’association de
1971 est salutaire, comme celle sur la fouille
des véhicules de 1977 – le Conseil l’avait
alors assimilée à une perquisition dans un
domicile privé, ce qui a conduit à limiter
les pouvoirs de la police. Mais, sur la durée
et compte tenu des évolutions juridiques
des dernières décennies, le Conseil n’est
malheureusement pas un véritable contre-
pouvoir : si un gouvernement autoritaire
tentait, demain, de restreindre plus encore
qu’aujourd’hui nos droits et libertés, je
crains qu’il ait du mal à s’y opposer. p
Propos recueillis par
Anne Chemin
régissent le Conseil, une analyse
pointue de sa jurisprudence depuis
1958 et une comparaison détaillée
avec les cours constitutionnelles du
monde entier. Si l’on peut regretter
le choix de ne pas évoquer les avan-
cées instituées par le contrôle de
constitutionnalité, le travail solide
et argumenté de Lauréline Fontaine
sur les failles démocratiques de la
Ve République est précieux. p
A. Ch.
0123
­
­Mardi 28­ mars 2023 Idées | 25

L Philippe Meirieu
es débats suscités par l’arrivée de croyances qui sont devenues, pour eux,
ChatGPT, l’application de messa- des marqueurs identitaires.
gerie ­utilisant l’intelligence artifi- Inutile donc, pour les professeurs, de
cielle, dépassent aujourd’hui très- tenter de concurrencer ChatGPT en

ChatGPT comble le désir

largement le cercle des passionnés ­comblant leurs élèves et leurs étudiants
du numérique. Un peu partout, en effet, de connaissances dont ils se croient déjà
on s’essaye à cet outil, et il est rare qu’on comblés. Au mieux, leurs certitudes vien-
ne soit pas impressionné par le résultat dront se juxtaposer à celles qui étaient
obtenu. déjà là. Au pire, elles seront ­vécues

de savoir et tue le désir

Sans sous-estimer les performances comme de dangereuses menaces. L’essen-
techniques et le travail colossal qui ont tiel est bien plutôt de leur faire ­découvrir
permis la mise au point de ce logiciel les vertus du manque où s’origine le désir
conversationnel, rappelons qu’il fonc- d’apprendre. Et cette découverte n’est
tionne sur un principe relativement sim- possible que dans la ren­contre d’un sa-

ple : il fabrique des textes mot après mot
de telle manière que chacun d’entre eux
soit suivi des occurrences statistique-
ment dominantes dans la gigantesque
base de données identifiée par ses
­concepteurs (qui représente plus de
750 000 fois le volume de la Bible). Il n’est
donc pas étonnant qu’il ne fournisse
aucune référence. Une référence renvoie,
en effet, à un discours singulier – dont la
force ou l’originalité en font une expres-
sion remarquable –, alors que ChatGPT
comptabilise et utilise (en un temps re-
cord) les propos les plus répandus dans
la masse des données disponibles, en lis-
sant leur formulation selon les règles do-
minantes du bon usage.
Une occasion à saisir
On peut, bien sûr, s’amuser à mettre
ChatGPT en difficulté, voire en échec, en
recherchant les questions dont la formu-
lation (ambiguë ou contradictoire) pro-
duit des réponses absurdes. Mais, n’en
doutons pas : cela ne découragera per-
sonne d’utiliser un outil dont l’efficacité,
en matière de collecte d’informations et
de rédaction, est stupéfiante.
On peut donc comprendre que certains
professeurs craignent qu’il exonère leurs
élèves ou leurs étudiants de travaux de
recherche et d’écriture, voire compro-
mette la possibilité de toute évaluation.
D’autres considèrent, en revanche, que
toute tentative d’interdiction en la ma-
tière restera vaine et préfèrent s’emparer
de l’outil pour travailler avec leurs élèves
ou leurs étudiants. Ils leur apprennent à
poser des questions sous différentes for-
mes pour comparer les réponses ; ils
­confrontent ces réponses avec celles des
manuels et des encyclopédies ; ils les
d’apprendre
Par ses réponses immédiates et objectives en apparence, le robot abolit
la dynamique du questionnement et de l’apprentissage, qui restent la prérogative
des enseignants, expose le professeur honoraire en sciences de l’éducation
aident à repérer les glissements sémanti-
ques qui induisent des malentendus et
compromettent l’objectivité du texte ; ils
utilisent les propositions de ChatGPT
comme des brouillons à compléter et à
personnaliser, ou encore les font tra-
duire sous d’autres formes textuelles,
graphiques ou visuelles.
Ces professeurs-là ne s’inquiètent
guère que leurs élèves ou leurs étudiants
leur remettent des textes issus de Chat­-
GPT : ils les accompagnent suffisam-
ment dans le processus d’écriture de tex-
tes pour voir ces derniers se construire
Le danger majeur progressivement sous leurs yeux. Et, si
nécessaire, ils sont parfaitement capa-
n’est pas dans la bles, en une ou deux questions orales, de
vérifier qu’ils en sont bien les auteurs.
fraude, mais plutôt D’ailleurs, ils voient dans l’arrivée de ce
dans le rapport logiciel miracle une belle occasion de re-
penser les épreuves d’évaluation en don-
aux connaissances nant une plus large part à l’invention et à
l’expression personnelle.
que promeut Le danger majeur de ChatGPT n’est
l’application donc pas dans la fraude qu’il autoriserait,
mais plutôt dans le rapport aux connais-
de messagerie sances que promeut un robot conversa-
tionnel conçu pour donner le sentiment
de parler à un humain et qui inverse
complètement le sens de la relation pé-
dagogique. En effet, ChatGPT, bien plus
encore que les traditionnels moteurs de
recherche, comble le désir de savoir et
tue le désir d’apprendre. Il donne des ré-
ponses immédiates objectives et abolit
ainsi la dynamique du questionnement.
Il produit des certitudes qui enkystent la
pensée… Tout le contraire de ce qui in-
combe au professeur : susciter des inter-
rogations pour libérer des préjugés.
Paroles vivantes
Or, plus que jamais, au temps du matra-
quage publicitaire, de s réseaux sociaux,
des slogans populistes et des théories du
complot, il importe de déverrouiller
­l’esprit de nos élèves et de nos étudiants.
Comme le disait le pédagogue Fernand
Oury, « il est temps de donner aux en-
fants d’aujourd’hui ce qui leur manque le
plus : le manque » (Pédagogie institution-
nelle, Matrice, 2001). Trop d’entre eux,
en effet, sont dans le trop-plein, enfer-
més dans des opinions et dans des
voir vivant, habité, dans son énonciation
même, par l’exigence, constitutivement
tâtonnante, de précision, de justesse et de
vérité. Un sujet, en effet, ne s’engage dans
les apprentissages que s’il rencontre un
savoir qui ne ­s’impose pas comme un
dogme mais s’offre comme un chemin,
un chemin qui laisse entrevoir bien plus
de promesses de satisfactions futures que
les certitudes du présent.
Ce savoir, c’est celui du professeur, bien
sûr, dès lors qu’il sait en faire un objet de
découverte collective dans la classe. Mais
c’est aussi celui que nos élèves et étu-
diants peuvent rencontrer quand on les
met en situation d’enquête et qu’on les
envoie interroger l’artisan du quartier ou
le fonctionnaire municipal, les anciens
du village ou les scientifiques de l’univer-
sité. Car c’est avec ces paroles vivantes
qu’ils pourront oser la leur et créer leurs
propres écrits. Pour autant, bien sûr,
qu’ils soient accompagnés rigoureuse-
ment dans leur démarche et qu’on leur
fasse découvrir, tout au long de leur sco-
larité, des textes où entrevoir – à mille
lieues des compilations anonymes de
ChatGPT – cette trace, inquiète et exi-
geante à la fois, qui signe la présence d’un
être humain dont ils pourront dire, peut-
être, « mon semblable, mon frère ». p
Philippe Meirieu est pédagogue,
président des Centres d’entraînement
aux méthodes d’éducation active.
Il a récemment publié un « Dictionnaire
inattendu de pédagogie »
(ESF Sciences humaines, 2021)

Marie Grand Le robot nous invite à un regain d’intelligence

dans tous les domaines, dont l’enseignement
En prenant en charge la part la « plus accessible » de la pensée, ChatGPT nous pousse à nous recentrer
sur la « plus difficile », celle de la réflexion, souligne la professeure de philosophie

J’
ai demandé à l’applica-
tion de messagerie Chat­-
GPT si elle était « intelli-
gente ». Preuve qu’elle est
intelligemment programmée,
elle m’a dit se contenter de géné-
rer des réponses intelligentes qui
ne sont que les suites probables
d’un texte à partir d’un contexte
donné. Il en va de ChatGPT
comme du thermostat de notre
appartement et de tous les auto-
mates qui nous entourent : ils
sont capables d’effets intelligents
sans source interne d’intelli-
gence. Le propre de la machine
est de faire sans rien compren-
dre à ce qu’elle fait. Finalement,
Chat­GPT accomplit avec succès
le rêve de Bouvard et Pécuchet :
« Pas de réflexion. Copions ! Il faut
que la page s’emplisse, que le “mo-
nument” se complète. » Il repro-
duit et ordonne avec des moyens
techniques plus puissants tout le
savoir disponible. Pourquoi nous
sentirions-nous donc menacés
par ce qui n’est qu’un grand pro-
jet de « bêtise » selon Flaubert ?
rence, cette « inquiétante étran-
geté » brouille la figure tradition-
nelle de l’humain en compromet-
tant ses prétendus attributs
­spécifiques. Mais d’où vient exac-
tement la confusion ? Est-ce véri-
tablement la machine qui res-
semble à l’homme ou l’homme
qui ressemble à la machine ?
S’il existe des « singes savants »,
des Bouvard et Pécuchet ou des
« premiers de la classe », c’est
parce que trop souvent nous som-
mes « automate » avant d’être
« esprit » et que notre intelligence
prend un tour démesurément
mécanique. La machine que nous
avons produite, tel un miroir,
nous renvoie alors le reflet de ce
que nous sommes. Mais en pre-
nant en charge cette nécessaire
part d’automatisme qui précède
la pensée véritable, ChatGPT place
la barre haut et nous invite à un
regain d’intelligence dans tous les
domaines, notamment dans celui
de l’enseignement.
ChatGPT n’est personne
sation dirigée qui mène quelque
part. Mais à la différence de Chat­-
GPT, le professeur n’est pas une
machine à délivrer des informa-
tions exactes en un temps record.
Car il lui faut au préalable installer
les conditions de la conversation
en tâchant de rejoindre son inter-
locuteur, qu’il soit près du radia-
teur, absorbé par son bavardage et
sa rêverie, ou solidement enfoncé
dans son refus d’apprendre. En-
suite, avant toute réponse, il doit
faire jaillir la nécessité de la ques-
tion. Alors seulement il pourra ré-
pondre, en soulignant qu’aucune
réponse n’épuise totalement la
question. Il faut quelques secon-
des à ChatGPT pour « générer une
réponse », il faut toute une année
au professeur pour « répondre ».
En réalité, seuls le professeur et
l’élève conversent au sens où
toute parole suppose que quel-
qu’un parle à quelqu’un d’autre
de quelque chose. ChatGPT n’est
personne, il n’assume aucune pa-
role et ne parle de rien, il trouve
seulement le mot d’après. Avec
ment », rappelle Marcel Gauchet,
dans La Démocratie contre elle-
même (Gallimard, 2002).
Il ne s’agit pas de faire du profes-
seur un animateur, un communi-
cant ou un idéologue dont le
cours reposerait sur un charisme
ou des convictions personnelles.
Ce serait confondre l’éducation et
la séduction. Mais, en délivrant
un savoir, il « figure ce que vivre à
l’aise au milieu des savoirs veut
dire », résume Marcel Gauchet. Il
témoigne, par sa façon de trans-
mettre, du fait que la rencontre
avec certaines vérités ne l’a pas
laissé inchangé. Mais toutes les
heures de cours ne tiennent pas
ces belles promesses, et ce sont
ces heures-là que ChatGPT pour-
rait légitimement nous disputer.
Connaître, ce
Il en va de l’apprentissage
comme de l’enseignement. Con-
naître, ce n’est pas disposer d’un
stock d’informations mobilisa-
bles en dix secondes, mais faire
sienne cette multitude de répon-
ses qui nous précèdent afin
d’être capable un jour d’en in-
venter d’autres.
Puissance d’agir
Nous avons beau augmenter la
présence et la puissance de nos
instruments, rien ne pourra sup-
primer le gouffre à surmonter au
moment de comprendre ; il faut
faire passer à l’intérieur ce qui est
à l’extérieur. La solution de l’exer-
cice était hier dans la bibliothè-
que, à quelques mètres de l’élève.
Elle est aujourd’hui dans sa poche
à portée de clics. Pourtant la diffi-
culté reste la même : apprendre,
c’est se transformer. Il s’agit
moins de remplir sa mémoire
que de s’approprier subjective-
ment une portion de monde
pour y vivre avec plus d’aisance.
Ce que je sais augmente progres-
que la conversation humaine la
plus légère suppose qu’il sache
retirer les roulettes de son vélo,
s’affranchir de ses prothèses nu-
mériques afin d’avancer de son
propre mouvement pour répon-
dre à son tour. Comme nous
tous, il ne cherche qu’à retarder
ce moment. ChatGPT lui tend
alors les bras.
Si ChatGPT nous inquiète, c’est
parce qu’il nous dépossède de la
part la plus accessible de la pen-
sée et nous laisse la plus difficile.
En augmentant ses capacités,
nous ne serons pas dispensés de
réfléchir, mais convoqués à réflé-
chir authentiquement. Tra-
vaillons d’abord à combattre en
nous la part de l’automate, celle
qui en produisant des réponses
en série nous empêche de répon-
dre. Et demandons-nous collecti-
vement s’il n’est pas important
d’investir massivement dans l’in-
telligence vive des professeurs
« en même temps » que dans l’in-
telligence artificielle. p

Peut-être parce que ChatGPT se
situe dans la « vallée de l’étrange »
(expression du roboticien japo-
nais Mori Masahiro). Lorsqu’une
machine atteint un certain degré
de ressemblance anthropomor-
phique, elle nous dérange. Cette
grande proximité dans la diffé-
Il serait naïf de ne pas reconnaître
que cet outil conversationnel me-
nace certains dispositifs d’ap-
prentissage au sein de l’école.
Mais ses performances nous rap-
pellent par contraste ce qu’ensei-
gner veut dire. La classe est, elle
aussi, une sorte de grande conver-
l’enseignant, le « dire » compte
presque autant que le « dit ». Il se
met lui-même en jeu dans ce
qu’il dit en incarnant par sa pré-
sence concrète une relation sin-
gulière à la « vérité ». « C’est [son]
rapport subjectif au savoir qui fait
en réalité l’efficacité de l’enseigne-
n’est pas disposer sivement ma puissance d’agir.
D’ailleurs, l’élève n’est pas
d’un stock dupe. Comme nous, il admire ces
prisonniers qui ont su endurer la
d’informations solitude en récitant des poèmes Marie Grand est professeure
mobilisables en ou des livres entiers, ressuscitant agrégée de philosophie
par leur seule mémoire la vie en classes préparatoires,
dix secondes dont on les privait. Il sait bien à Sainte-Marie Lyon
 0123
26 | Idées ­
­Mardi 28­ mars 2023

Les assises sa vie avec une cousine de sa femme,

de quatorze ans sa cadette, venue
d’Algérie tenter sa chance à Paris.
Elle était musicienne, autrice et
si la liberté
accordée
aux juges et aux
La règle qui fonde le procès pénal
est de tenir compte des faits, d’un
contexte et d’une personnalité. De
son passé, son présent, son avenir,

au risque
­interprète. Il la suivait dans ses tour-
nées, la conduisait, et admirait celle
qui prenait la lumière sur scène. Lui
restait dans l’ombre, un peu décalé
dans un monde qui n’était pas le
son risque éventuel de récidive, de
sa dangerosité pour la société. Si
jurés est absolue, l’échelle des peines possibles est si
grande, si la liberté accordée aux
c’est parce qu’à juges et aux jurés de la choisir est si

de la loi du genre sien. Deux enfants sont nées. Sa

La condamnation d’un homme à quinze ans de prison
pour avoir tenté de tuer ses filles et de se donner la mort
pousse notre chroniqueuse judiciaire Pascale Robert-
Diard à s’interroger sur la façon dont la justice traite
ces dossiers selon que l’accusé est un père ou une mère
Analyse
­carrière à elle s’envolait, il restait de
plus en plus souvent à la maison
pour s’occuper des filles. Il ne voyait
plus ses aînés, avec lesquels sa
­seconde épouse ne s’entendait pas.
Il en souffrait, mais n’osait pas les lui
imposer par peur de la perdre. Elle
tenait en revanche à ce qu’il
­accueille sa famille, dont un frère et
une sœur, venus vivre avec eux.
Il a eu une aventure d’un soir avec
une autre femme, son épouse l’a
­appris, ne l’a pas supporté, ils se
sont séparés, puis réconciliés. Pour
essayer de sauver leur couple, ils ont
l’accusé, et les moyens de sa défense ».
Ces procès-là ne s’effacent pas.
quitté Paris pour une maison dans
le sud de la France, dont elle était la
chaque fois
L’histoire est
unique
pris en charge dans une clinique spé-
cialisée, et avait retrouvé un travail.
Les débats devant la cour d’assises
ont duré trois jours. La parole ne lui a
été donnée qu’aux dernières heures
du dernier jour. Il n’en a eu que
­quatre pour tenter de s’expliquer. Le
verdict fut donc quinze ans. L’avo-
cate générale en avait requis vingt.
L’accusé a été aussitôt réincarcéré.
Abdel Zamzem a fait appel. Il ne
absolue, c’est justement parce que,
à chaque fois, l’histoire est unique.
Là se tient la vertigineuse liberté,
pour les magistrats professionnels
et les jurés, de juger.
Une peine ne se puise pas dans un
catalogue, qui définirait une « caté-
gorie » de crime ou une « catégorie »
d’accusé. Quelle est celle dans la-
quelle l’accusation a rangé ce dos-
sier ? Celui des violences faites aux
femmes par les hommes. Une sorte
de tentative de féminicide par
­enfant interposé. « Un suicide égoïste
à tonalité de vengeance, par haine
d’une femme qui voulait le quitter », a
résumé l’avocate générale.
A l’adresse de la cour et des jurés,

J
e chronique les procès depuis
plus de vingt ans. Je raconte la
vie des autres dans ce moment
où le crime la fait basculer, que
l’on en soit l’accusé ou la vic-
time. Je raconte surtout ce temps
singulier de l’audience pénale où le
crime échappe à celui ou celle qui en
est accusé, à celui ou celle qui l’a
subi, pour être exposé, débattu puis
jugé au nom du peuple, donc de
­chacun d’entre nous. Je suis un té-
moin. Le vôtre. Ni plus, ni moins. Je
« rends compte », j’essaie de vous
faire ­asseoir vous aussi dans la salle
d’audience, de vous donner à voir, à
entendre, à éprouver à votre tour la
richesse du débat contradictoire au
terme duquel une décision judi-
ciaire est rendue.
J’ai à peu près tout vécu. Il y a des
procès, moins rares qu’on ne l’ima-
gine, dont on sort grandi. Des faits
ont été jugés, celui ou celle qui les a
commis, celui ou celle qui les a ­subis,
a été écouté(e) et compris(e). Un dos-
sier de papier a pris chair. La parole a
circulé. Le verdict reflète cet équi­-
libre tremblé, humain, toujours
­singulier d’un délibéré, pendant
­lequel des jurés citoyens et des
­magistrats professionnels se sont
défaits de leurs présupposés pour
chercher, selon les termes de l’arti-
cle 353 du code de procédure pénale,
« dans la sincérité de leur conscience,
quelle impression ont faite, sur leur
raison, les preuves rapportées contre
Et puis, il y a les procès que l’on
quitte meurtri. C’est le cas de celui
qui s’est conclu, samedi 4 mars, par
la condamnation à quinze ans de
­réclusion criminelle d’un homme
qui comparaissait devant la cour
d’assises des Bouches-du-Rhône, à
Aix-en-Provence. Abdel Zamzem,
64 ans, avait tenté, en 2017, de tuer
ses deux filles de 6 et 11 ans et de
mettre fin à ses jours. Il leur avait fait
boire une tisane aux barbituriques,
avait ouvert une bonbonne de gaz
dissimulée dans leur chambre,
­répandu du pétrole domestique
dans la maison, avant d’ingérer un
cocktail de médicaments et d’alcool
et de s’ouvrir les veines. Il avait ap-
pelé sa femme, avec laquelle il était
en instance de divorce, pour lui dire
qu’elle allait comprendre « le sens du
mot souffrir ». Paniquée, celle-ci avait
alerté les secours. Lorsque les pom-
piers étaient arrivés, le gaz sifflait, les
deux fillettes étaient « groggy » mais
conscientes dans leur lit, le père
­gisait inanimé dans le salon, le feu
n’avait pas été déclenché. Le com-
bustible utilisé n’était pas inflamma-
ble avec une allumette ou un bri-
quet. Le pire a été évité, les deux
­enfants et le père ont été sauvés.
La cour a remonté le fil d’une tra-
gédie familiale. Elle a plongé dans
l’histoire de cet homme qui, dix-
sept ans plus tôt, avait tout quitté
– une première épouse, trois
­enfants et un métier – pour refaire
seule propriétaire. Elle n’y venait
guère, multipliait les déplacements
professionnels. Il se retrouvait seul,
père au foyer. Un jour où elle était
partie en vacances dans sa famille
avec les filles, elle lui a annoncé par
SMS qu’elle voulait divorcer. Tout
s’est effondré, il a sombré. Il s’est
mis à boire, a tenté de se suicider
une première fois, n’a pas suivi le
traitement antidépresseur qu’on lui
avait prescrit. Jusqu’à ce soir de
mars 2017 où il a décidé de mourir
en emportant ses filles avec lui.
Comptabilité judiciaire
Les psychiatres qualifient ces actes
d’« homicide-suicide ». En droit
­pénal, il s’agit d’une double tenta-
tive d’assassinat. La peine encourue
est la même que pour l’assassinat.
Au minimum, deux ans avec sursis.
Au maximum, la réclusion crimi-
nelle à perpétuité. Si la cour consi-
dère, comme c’était le cas dans ce
dossier, que le discernement de
l’auteur des faits était « altéré » au
moment où il les a commis, la sanc-
tion maximale est de trente ans.
Six ans après les faits, l’accusé com-
paraissait libre. Il avait été hospita-
lisé d’office pendant deux semaines
en psychiatrie et avait ensuite passé
huit mois en détention provisoire,
au terme desquels il avait été remis
en liberté sous contrôle judiciaire,
avec interdiction de voir ses filles.
Grâce à l’aide de sa fratrie, il avait été
s’agit pas de compléter sa défense.
Ce qui, en revanche, doit être dé-
fendu, c’est le sens du procès pénal.
Or ces réquisitions et ce verdict
poussent à s’interroger. Auraient-ils
été les mêmes face à une femme,
une mère accusée ? Juge-t-on de la
même façon une femme délaissée
et un homme quitté ? Une femme
désespérée et un homme suici-
daire ? Face à la gravité des faits
­reprochés, la détresse et la solitude
d’une mère ne sont-elles pas davan-
tage considérées que celles d’un
père ? Lorsqu’elles se manifestent
par un état dépressif sévère et
­conduisent à une première tenta-
tive de suicide, les qualifie-t-on de
« chantage » – le mot a été employé
à l’adresse d’Abdel Zamzem – ou les
voit-on comme une preuve sup­-
plémentaire de souffrance qui doit
être prise en compte ?
Le premier sens du procès pénal
est d’être équitable. En consé-
quence, il ne saurait être genré. Le
raisonnement que l’avocate géné-
rale a soumis à la cour et aux jurés
pour justifier ses réquisitions était
le suivant : on part de la perpétuité,
avec l’altération on tombe à trente,
elle demande vingt. Vingt ans, a-t-
elle expliqué en guise de motiva-
tion de cette comptabilité judi-
ciaire, c’est le tarif dans « les dos-
siers de ce type ». De tels mots sont
glaçants. Aux assises, il ne peut y
avoir de « dossiers de ce type ».
elle a souligné qu’elle s’exprimait en
qualité d’« avocate de la société ». Et
la société exige aujourd’hui que « ce
type de dossiers » soit sévèrement
réprimé, a-t-elle insisté. Tant pis si
celui qui est accusé ne rentre pas
dans la case – ou la cause – à laquelle
il est assigné. Pardon pour ce cliché,
mais les somnifères dans la tisane
et le gaz pour tuer « en douceur » des
enfants, c’est statistiquement plutôt
un mode opératoire féminin.
Nul ne saurait requérir des juges et
des jurés qu’ils abdiquent cette
­liberté de juger un drame et un
crime singuliers. Une liberté qui est
encore plus nécessaire dans des cas,
comme celui-là, où le pire n’est pas
advenu. Tout y est possible. Au-delà
de la nécessité de réprimer des faits
passés, un tel procès doit aussi per-
mettre de penser l’avenir.
Et, face à de telles tragédies fami-
liales, de ­réfléchir au meilleur
moyen d’aider des enfants à se
­reconstruire. C’est aussi cela, la
grandeur d’une décision de justice.
­L’intérêt de l’enfant ne comman-
dait-il pas d’entendre autant la
­légitime colère du parent partie ci-
vile que d’aider à comprendre, et
peut-être à surmonter, la ­gravité du
geste du parent accusé ? Que ce
­parent-là soit sa mère ou son père.
A égalité de complexité. A égalité
d’humanité. p
Pascale Robert-Diard
(service Société)

Les noces du droit et de l’économie

L
es économistes aiment à polémi-
Le Livre quer sur les origines du capi­-
talisme, cette période histori-
que qui, entre les mi-XVIIe et
­mi-XIXe siècles, vit éclore par cercles
­concentriques à partir d’Amsterdam et
de Londres un nouveau système éco­-
nomique, mais aussi culturel et insti­-
tutionnel, appelé à dominer la planète.
Certains aiment à expliquer cette
« grande divergence » (Kenneth Pome-
ranz) d’avec le reste du monde, encal-
miné dans une faible croissance avant
d’être colonisé, par l’équation des « fac-
teurs de production », mêlant en d’arith-
métiques proportions l’investissement
financier des marchands, le travail des
paysans et des artisans ouvriers et les
innovations techniques des savants.
Le Code du capital D’autres, dits « institutionnalistes »
de Katharina Pistor, (John R. Commons), soulignent le rôle
Seuil, 380 p., 24,50 €. déterminant des institutions politi-
ques, la fragmentation de l’Europe
­entre Etats rivaux offrant ici un atout
plus qu’un handicap face au despo-
tisme centralisé des empires. D’autres
encore insistent sur le « soft power »
d’une révolution culturelle (Max
­Weber, Deirdre McCloskey), qui secoue
le carcan des religions et de la hiérar-
chie féodale pour promouvoir l’innova-
tion technique et intellectuelle, la
­liberté individuelle et la quête de savoir.
Mais tous s’accordent sur l’impor-
tance du droit, héritage du droit
r­ omain repris par les humanistes, pour
réguler par la loi et les instances
­judiciaires les rapports entre puissance
­publique et agents privés, mais aussi
entre les agents privés, fixant engage-
ments, responsabilités et ­garanties.
C’est en effet le contrat qui permet
­d’introduire dans l’économie la
­dimension du temps et de faire éclore
ainsi l’essence du capitalisme : investir,
innover et entreprendre aujourd’hui
pour que cela rapporte plus demain.
« Le côté obscur de la force »
Dans la littérature occidentale et libé-
rale, ce rôle du juridique est jugé posi-
tif. Car c’est la loi, le juge et l’avocat qui
permettent aux individus de se défen-
dre et de persévérer contre l’arbitraire
de plus puissants qu’eux par la
­richesse ou l’autorité. En cela, l’essor
du capitalisme est volontiers associé à
l’extension des notions d’universalité
et d’égalité des droits. Les assemblées
politiques du XIXe siècle se peuplent
d’avocats, de juristes et d’économistes
affichant des convictions libérales
­contre la religion et le despotisme.
L’originalité du livre Le Code du capi-
tal, de Katharina Pistor, professeure de
droit à l’université Columbia (New
York), est de raconter la même histoire,
mais en s’attachant à décrire le revers
de la médaille, « le côté obscur de la
force » du droit, pour expliquer la
­ enèse de ce que les économistes
g tements de la puissance ­publique – qui
­appellent pudiquement les « externali-
tés ­négatives » du capitalisme : explo-
sion des inégalités, crises et guerres, ac-
caparement et destruction des ressour-
ces naturelles, menace existentielle sur
les équilibres du vivant et de la planète.
« Le capital, explique-t-elle, se com-
pose de deux ingrédients : un bien et un
code juridique. » Autrement dit, un actif
(une terre, une machine, une usine, un
bâtiment, une invention, une créance,
un logiciel…) ne peut produire de la ri-
chesse que s’il est attaché à un « code »
(un recueil de textes juridiques) qui en
définit les caractéristiques au bénéfice
de son propriétaire. L’autrice en dis­-
tingue cinq : la priorité (la hiérarchie
des droits attachés au bien) ; la dura­-
bilité et l’universalité ­(la pérennisation
de ces droits dans le temps et l’espace) ;
la ­convertibilité (la garantie de la
­conversion de l’actif en monnaie). Ce
n’est qu’une fois ces caractéristiques
­définies que l’actif peut créer de la
­richesse, et donc devenir un capital.
Dès lors, l’histoire du capitalisme
­devient celle des luttes de pouvoir
­entre propriétaires d’actifs pour obte-
nir des institutions – généralement
l’Etat – des caractéristiques juridiques
plus ­favorables à leur enrichissement
que celles de leurs concurrents. Ce n’est
donc pas tant le seul droit de ­propriété
privée – en défense contre les empiè­-
serait à l’origine de l’essor du capi­-
talisme, mais la capacité politique des
propriétaires à capter les attentions de
l’Etat, ou au moins de l’ordre juridique,
pour valoriser, développer, pérenniser
et transmettre la valeur de leurs actifs.
A tour de rôle dans l’histoire du capi­-
talisme, ce sont les détenteurs de la
terre (capitalisme foncier), puis des
­entreprises (industriel), des créances
(financier) et des innovations (high-
tech) qui ont « fait valoir leurs droits »
(l’expression est ici adéquate).
Le point majeur est celui du droit des
faillites, car c’est lorsque la valeur est
menacée qu’il faut être en mesure de la
conserver. C’est là la racine des inéga­-
lités – définie comme la capacité à
­empêcher tout nouveau venu de s’em-
parer de la richesse existante ou d’en
créer une concurrente –, mais aussi de
l’incapacité du capitalisme à protéger
les « biens communs » contre les
­empiètements d’un capitalisme tou-
jours avide de valoriser de nouveaux
actifs tout en conservant ses rentes sur
des actifs devenus nocifs.
L’auteur conclut, de façon plus
­optimiste, qu’un « codage » démocra­-
tiquement conçu pourrait valoriser le
vivant, le travail et les biens collectifs,
sur le ­modèle de l’open source en
­matière de propriété intellectuelle. p
Antoine Reverchon
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­Mardi 28­ mars 2023
Économie |
par J ean-Michel Bezat
Ventes d’armes,
la Russie à la peine
L
es impressionnantes pa-
rades militaires, où les
chenilles des blindés écra-
sent les pavés de la place
Rouge en passant devant la tri-
bune officielle et le mausolée de
Lénine, c’était l’orgueil de l’Union
soviétique. Elles restent la fierté de
la Russie de Vladimir Poutine, et
l’arsenal sera encore déployé à
Moscou, le 9 mai, pour commé-
morer comme chaque année la
victoire de Staline sur Hitler dans
la Grande Guerre patriotique.
Soldats au pas de l’oie, lance-mis-
siles balistiques, chars de dernière
génération, chasseurs-bombar-
diers au-dessus du Kremlin… La
défense russe n’est pas un village
Potemkine. Ses ingénieurs ont su
développer une redoutable ar-
mada : missiles hypervéloces,
chars T-14 Armata, avions furtifs
Su-57 Felon, bouclier antimissile
S-400… M. Poutine a souvent
brandi des matériels de dernière
génération et des missiles « invin-
cibles » – pas tous opérationnels –
pour convaincre que son pays
n’avait pas décroché dans la
course aux technologies militai-
res. Ses démonstrations de force
cachent pourtant une réalité
moins brillante : le complexe mi-
litaro-industriel, qui produisait
un bon cinquième des armes ex-
portées dans le monde il y a dix
ans, ne cesse de céder du terrain.
C’en est fini du duopole améri­-
cano-russe de la guerre froide.
Le recul profite aux Etats-Unis, qui
pèsent 40 % du commerce des ar-
mes, et à la France (11 %), qui rat-
trape son retard sur la Russie
(16 %), encore numéro deux. Pour
combien de temps ? Celui-ci se ré-
duit, car « fin 2022, la France dis­-
posait de beaucoup plus de com-
mandes que la Russie », pronosti-
que l’Institut international de re-
cherche sur la paix de Stockholm.
Explication de Siemon Wezeman,
l’un de ses principaux experts : « Il
est probable que l’invasion de
l’Ukraine limitera davantage les
­exportations d’armes de la Russie. »
Perte de fiabilité
Elle doit en effet se concentrer sur
ses forces armées et le remplace-
ment des matériels, qui subissent
des pertes sans précédent depuis
la seconde guerre mondiale. Le
site de référence Oryx estime
qu’en un an de combats, près de
10 000 engins terrestres ont été
détruits, endommagés, abandon-
nés ou saisis par les Ukrainiens,
dont 1 865 chars, 813 véhicules de
combat armés, 2 500 véhicules
d’infanterie, 233 postes de com-
mandement, 500 canons…
Autre menace mortelle : les pres-
sions croissantes, parfois le chan-
tage, de Washington sur les clients
de la Russie. Joe Biden n’est pas re-
venu sur le Countering America’s
Adversaries Through Sanctions
Act (« loi visant à contrer les enne-
mis de l’Amérique par des sanc-
tions ») de Donald Trump sanc-
tionnant les acheteurs d’armes
russes et les banques finançant les
contrats. Il produit ses effets de-
puis 2018. Les experts lui attri-
buent la rupture du contrat de
vente d’hélicoptères Mi-17 aux
Philippines, remplacés par des
Black Hawk de Lockheed Martin et
des appareils turcs. L’Indonésie a
renoncé aux chasseurs-bombar-
diers Su-35 et le Koweït à des chars
T-90. L’acquisition d’une ving-
taine de Su-35 par l’Egypte est dans
le viseur américain.
D’anciens alliés,
comme la Chine
et la Turquie,
sont devenus
des concurrents
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chronique Crise française,
incompréhension
d’Angleterre la démarrera jeudi 30 mars à France ? Comment l’exécutif d’un pays qui
européenne
Berlin par un discours devant le Bundestag.
Le président français, que les manifes­-
tations répétées dans tout le pays ne font
prétend jouer un rôle de leader dans l’Union
européenne, peut-il se révéler à ce point in-
capable de gérer par le dialogue un conflit
pas dévier sur la réforme des retraites, a dû,
en renonçant à accueillir le roi d’Angleterre,
tenir compte pour la première fois de façon
politique interne ? Des questions auxquel-
les il n’est pas inutile, loin de là, pour les
Français, de rechercher des réponses.
explicite et retentissante de la mobilisation La France n’est évidemment pas le seul
de la rue. Les opposants au projet gouver- pays d’Europe à connaître des querelles po-
Le complexe nemental, en amenant M. Macron à bous- litiques et des contestations sociales. Mais il
culer le voyage d’un dirigeant étranger, ont, est l’un des rares où le recours à la violence
militaro- de fait, donné au conflit qui agite la France apparaisse comme un passage récurrent
une dimension européenne. pour les régler. Certes, un peu partout, le
industriel russe Non que l’annulation de l’étape française fonctionnement des démocraties est inter-
de Charles III remette en cause la volonté rogé, la stabilité des gouvernements de plus
ne cesse de
céder du terrain
aux États-Unis
L e langage diplomatique de Downing
Street masque à peine l’ampleur du
camouflet essuyé par Paris : la déci-
sion de reporter la venue en France du roi
Charles III « a été prise avec l’accord de toutes
commune, de part et d’autre de la Manche,
d’afficher sa solidarité dans le contexte de la
guerre en Ukraine et de relancer la coopé­-
ration. Dans la tradition britannique, les
voyages royaux ont surtout une fonction
en plus incertaine, les partis politiques tou-
jours plus mouvants et fragmentés. Mais la
France, avec son président aux larges pou-
voirs, son Etat supposé omnipotent, ses
corps intermédiaires affaiblis et sa tradition
et À la france les parties après que le président français a « émolliente », préparant le terrain aux di- éruptive, fait figure de phénomène.
demandé au gouvernement britannique de plomates et aux responsables politiques. Or Dans aucun des trois autres pays euro-
reporter la visite ». Alors que la France pou- Rishi Sunak et Emmanuel Macron ont mis péens − Allemagne, Italie, Royaume-Uni −
Les nouvelles sanctions occiden- vait s’enorgueillir d’avoir été choisie par le en scène, le 10 mars, à l’Elysée, le « nouveau étudiés récemment par l’enquête réalisée
tales privent Moscou de compo- nouveau chef de l’Etat britannique pour sa départ » des relations franco-britanniques. par l’institut OpinionWay pour le Cevipof
sants vitaux et rendront l’indus- première visite officielle à l’étranger, l’obli- Le report de la visite royale, en projetant la publiée dans Le Monde, le niveau de dé-
trie russe encore moins fiable. Ses gation dans laquelle s’est trouvé Emmanuel crise française sur la scène continentale, fiance envers les institutions n’atteint celui
partenaires vont revoir leur politi- Macron d’y renoncer à la dernière minute, met en lumière la double incompréhension de l’opinion française. La crise politique et
que d’achat, y compris des alliés vendredi 24 mars, sonne comme une humi- dont elle fait l’objet chez nos voisins : com- sociale qui secoue le pays exige de s’atta-
historiques. La Serbie a ouvert des liation. Au lieu d’inaugurer sa mini-tournée ment le report de l’âge de la retraite à 64 ans, quer d’urgence aux multiples causes de cet
discussions pour l’acquisition de européenne de retrouvailles post-Brexit en âge souvent nettement inférieur à celui en inquiétant décrochage, sauf à accroître les
Rafale à Dassault Aviation. L’Inde, descendant les Champs-Elysées en compa- vigueur chez nos voisins, peut-il mettre risques d’isolement de la France en Europe,
dont près de la moitié des arme- gnie de son homologue français, Charles sens dessus dessous un pays comme la voire de déclassement. p
ments importés vient de son
grand voisin du Nord, subit des re-
tards de livraison ; elle ne lui
tourne pas le dos, mais sa volonté
de réarmer vite et de diversifier ses
fournisseurs face à la menace chi-
noise ouvre des marchés aux in-
dustries française et américaine.
Au-delà de ses alliés iranien et
syrien, M. Poutine lorgnait aussi
le Moyen-Orient, notamment les
pays du Golfe, pour trouver des re-
lais de croissance, compenser le
déclin de ses ventes ailleurs en
Asie et reconquérir une influence
perdue. Ses perspectives s’assom-
brissent là aussi, alors que la ré-
gion vient de ravir à l’Asie-Océanie
la première place sur le podium
des importateurs d’armes.
La guerre actuelle n’est pas seule
responsable du déclin relatif de
l’industrie russe de défense. Ses
propres alliés sont devenus des
concurrents sans merci. La Chine,
qui a longtemps fait les beaux
jours des marchands de ca-
nons russes, est désormais proche
de l’autosuffisance, même si elle a
encore besoin de l’aide de Moscou
pour les chaufferies de ses sous-
marins nucléaires ou pour les mis-
siles sol-air. La Turquie monte en
puissance. Ses drones Bayraktar
ont fait des ravages… contre les
blindés russes en Ukraine et armé-
niens dans le Haut-Karabakh ; elle
vient de lancer les essais de son
premier avion de chasse furtif.
Enfin, les acheteurs scrutent tou-
jours la performance des maté-
riels militaires sur le terrain. Jus-
qu’à présent, l’armada russe dé-
ployée en Ukraine n’a pas fait la
différence. La masse joue plus que
l’excellence technologique, infé-
rieure à celle de l’armement occi-
dental. Les experts relèvent un
écart important entre les caracté-
ristiques affichées de ses systèmes
d’armes et leur disponibilité opé-
rationnelle. Rien de tel pour le ca-
non français Caesar ou le lance- CRUCIVERBISTES, À VOS CRAYONS !
missile antichar américain Jave-
lin : leur efficacité depuis un an est
un solide argument de vente. Le Monde a sélectionné pour vous 100 grilles de Philippe Dupuis.
La dernière inconnue reste la ca- Vous vous amuserez de ses définitions malicieuses et de ses astuces lexicales.
pacité de M. Poutine à financer
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de milliards de roubles, il avait
musclé l’industrie de défense 7,90 € − 124 pages
autour du conglomérat Rostec et
de sa filiale Rosoboronexport. Or,
en janvier-février, le budget russe
accusait un déficit de 31,5 mil-
liards d’euros, en raison d’une
flambée de 51 % des dépenses et
d’une baisse de 25 % des recettes
par rapport à la même période
en 2022. Au même moment, le
Pentagone, plus inquiet des am-
bitions chinoises que russes, a
­réclamé au Congrès un budget
pharaonique de 842 milliards
de dollars (781 milliards d’euros)
pour 2024. M. Poutine n’ignore
pas que l’URSS s’est épuisée dans
sa course aux armements contre
les Etats-Unis, et qu’elle a fini par
en mourir. p
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