LA GRANDE HISTOIRE DES

LA GRANDE HISTOIRE DES ROIS DE FRANCE

COLLECTION LE MONDE
ROIS DE FRANCE

CHARLEMAGNE
Charlemagne
L’EMPEREUR D’OCCIDENT
VOLUME 1 - 2,99 €
EN VENTE UNIQUEMENT EN FRANCE MÉTROPOLITAINE

LES LIAISONS DANGEREUSES ENTRE REVUES ET SCIENTIFIQUES

MERCREDI 23 AOÛT 2023 · 79E ANNÉE · NO 24458 · 3,40 € · FRANCE MÉTROPOLITAINE · WWW.LEMONDE.FR FONDATEUR : HUBERT BEUVE-MÉRY · DIRECTEUR : JÉRÔME FENOGLIO

Le gouvernement envisage des hausses d’impôts

▶ Pris entre la flambée ▶ Si les grands impôts, ▶ Des nouvelles taxes ▶ Pour équilibrer le bud- ▶ Côté collectivités, la taxe
de la dette, les besoins comme ceux sur le revenu sur les sociétés d’autorou- get, Bercy ambitionne foncière va connaître
d’investissement vert et ou sur les sociétés, tes, les billets d’avion d’économiser 15 milliards à cette rentrée une
ses promesses, l’exécutif devraient rester stables, s’ajouteront à la fin pro- d’euros, notamment augmentation historique
va devoir trouver de des prélèvements inédits gressive de niches fiscales sur les aides à l’emploi sur fond d’inflation
nouvelles recettes en 2024 seront intégrés au budget et de la réduction Pinel et les dépenses de santé PAGE 6

Santé Pékin veut

Ces médecins faire des BRICS
généralistes un rival du G7
entrés en
JUSTINE TRIET
le 15e sommet des brics

« fronde tarifaire » s’ouvre ce mardi à Johannesburg.

Ce groupe informel de cinq gran-

ANATOMIE D’UN CINÉMA

des nations émergentes – Brésil,
Dénonçant l’inflation et Russie, Inde, Chine et Afrique du
la hausse des charges qui Sud – va tester sa capacité à faire
pèsent sur leur profession,
des praticiens se réunis-
sent en collectifs et aug-
À L’AFFÛT DU RÉEL consensus ces prochains jours à
propos d’un élargissement à
d’autres Etats. Pour l’heure, le vé-
ritable point commun du club
mentent leur tarif de
▶ La réalisatrice d’« Anatomie est l’ambition de proposer un
consultation avant l’ouver- autre ordre international, do-
ture des négociations d’une chute », Palme d’or miné aujourd’hui par les écono-
PAGE 8 à Cannes, revient sur mies les plus riches de la planète.
Pékin voit dans l’adoubement
sa manière de travailler d’autres nations un levier pour
Nucléaire ▶ Enquête sur une œuvre promouvoir son modèle et faire
reconnaître sa vision privilégiant

Au Tricastin, un traversée par la question

de la vérité
le développement économique
sur le respect des droits humains.

premier réacteur
PAGE 2
PAGE S 1 2 - 1 3

prolongé jusqu’à
cinquante ans 1
ÉD ITO R IAL
L’Autorité de sûreté
nucléaire autorise pour LA CHINE
la première fois à dépasser
Justine Triet, chez elle,
AU DÉFI DU
la durée de fonctionne-
ment préconisée lors à Paris, le 4 mai. RALENTISSEMENT
JEAN-FRANÇOIS ROBERT/MODDS
de la conception P A G E 24
PAGE 7

Etats-Unis
Un millionnaire
Politique
L’Elysée refuse
Japon
Dès le 24 août,
Planète
d’origine indienne de boycotter les eaux de Tenerife face
se rêve en candidat « Le Journal Fukushima seront au plus grand
des républicains du dimanche » rejetées en mer
PAGE 3 PAGE 7 PAGE 5 incendie
de son histoire
Equateur
Les autorités régionales,
qui font face depuis
le 15 août à un vaste feu
de forêt dans le nord-est
de l’île, s’inquiètent de
PÉROU
PÉR la quatrième vague
de chaleur
Les pulsations PAGE 5
de la Terre
La folle richesse
du courant de Tropique Grèce
Poros s’oppose
du Capricorne
Humboldt
s
nde

Courant à une pisciculture

PAGE S 1 8 -1 9
sA

Le nouvel de Humboldt
intensive
e de

espionnage
russe
illèr

OCÉAN Les habitants de cette île

L’œil de Moscou PAC I F I Q U E
Co r d

proche d’Athènes crai-

en Lettonie CHILI
gnent des effets néfastes
PAGE 2 2
sur la vie marine et le tou-
risme dans cette région
PAGE 1 0
Algérie 220 DA, Allemagne 4,50 €, Andorre 3,90 €, Autriche 4,20 €, Belgique 3,70 €, Espagne 3,90 €, Grèce 3,90 €, Guadeloupe-Martinique 3,70 €,
Hongrie 1 790 HUF, Italie 3,90 €, Luxembourg 3,80 €, Maroc 28 DH, Pays-Bas 4,30 €, Portugal cont. 3,90 €, La Réunion 3,70 €, Sénégal 2 500 F CFA, Suisse 4,80 CHF, Tunisie 5,50 DT, Afrique CFA autres 2 600 F CFA
 International
2|
La Chine veut faire des BRICS un rival du G7
Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud se réunissent à Johannesburg et envisagent d’élargir leur groupe
L
e 15e sommet des BRICS,
ce regroupement infor-
mel de cinq grandes na-
tions « émergentes » dont
le seul véritable point commun
est l’ambition de proposer un
autre ordre international encore
dominé aujourd’hui par les éco-
nomies les plus riches de la pla-
nète, s’est ouvert, mardi 22 août, à
Johannesburg, sans la présence
de ­Vladimir Poutine. Sous le coup
d’un mandat d’arrêt lancé en
mars par la Cour pénale interna-
tionale pour crimes de guerre, la
déportation d’enfants ukrainiens
vers la Russie, le chef du Kremlin
n’a pas pris le risque de faire le dé-
placement dans le pays hôte de ce
sommet qui, outre la Russie et
l’Afrique du Sud, réunit depuis
2011 le Brésil, la Chine et l’Inde – la
première lettre des cinq nations
concernées formant l’acronyme
anglais de BRICS.
En dépit de l’absence remarquée
du président russe – une défec-
tion soigneusement minimisée
par les médias nationaux, qui pré-
fèrent insister sur sa « participa-
tion » à distance, en visioconfé-
rence –, le sommet colle parfaite-
ment aux priorités de l’agenda di-
plomatique de Moscou : pour la
Russie, il s’agit une nouvelle fois
de démentir un quelconque isole-
ment international et de propo-
ser un front commun d’Etats sus-
ceptible de faire pendant au bloc
occidental. Celui-ci « tente en vain
de conserver son hégémonie », ar-
gumente le ministre des affaires
étrangères, Sergueï Lavrov, qui
s’est rendu à Johannesburg, dans
une tribune publiée par le journal
sud-africain Ubuntu ; il y vante au
passage avec force le rôle de la
Russie, « Etat-civilisation », dans la
formation d’un « ordre mondial
multipolaire et plus juste ».
Totalisant 40 % de la population
mondiale et près d’un quart du
PIB de la planète, les BRICS pèsent
d’un poids démographique et
Pékin souhaite
en réalité
promouvoir
son modèle de
développement
auprès
des économies
émergentes
économique assurément non né-
gligeable, justifiant les raisons in-
voquées par ses membres d’unir
leurs forces face au « camp » d’en
face – Etats-Unis, Europe, Japon.
Leurs différences politiques et
idéologiques l’emportent cepen-
dant parfois sur ce qui les réunit :
la rivalité entre l’Inde et la Chine
est à cet égard l’une des plus fla-
grantes illustrations des divi-
sions au sein même d’un groupe
dont les membres ont avec
­l’Occident des rapports aux tona-
lités contrastées.
Ainsi, même si elle entretient
des liens de proximité anciens
avec la Russie, New Delhi s’est
spectaculairement rapproché de
la sphère occidentale ces derniè-
res décennies ; nul besoin de rap-
peler que Pékin et Moscou s’en
sont éloignés… Quant au Brésil,
même si le président brésilien
Lula da Silva a cultivé l’ambiguïté
sur la guerre en Ukraine, il pro-
fesse désormais que le « Brésil
aime tout le monde et tout le
monde aime le Brésil ».
Malgré ces divergences d’ap-
proche, une certaine solidarité a
prévalu jusqu’ici entre membres
de ce « club des 5 » : sans les
BRICS, la Russie serait sans doute
dans une position plus compli-
quée aujourd’hui, remarquent
un certain nombre d’experts en
relations internationales. Les dif-
férentes formes de soutien, di-
plomatique, économique et
­ olitique, à la Russie de la part de
p BRICS. « Les cinq pays, tous émer-
l’Inde, de l’Afrique du Sud, de la
Chine et du Brésil après l’invasion
de l’Ukraine – pour des motifs
certes liés à leurs propres inté-
rêts – n’ont pas été négligeables
pour Moscou.
La capacité de ces cinq pays à
faire consensus devrait néan-
moins être testée ces prochains
jours à Johannesburg à propos
d’un débat crucial, celui de l’élar-
gissement des BRICS à d’autres
« émergents » de moindre taille. A
ce sujet, les avis divergent : à New
Delhi, qui s’apprête en septembre
à accueillir un autre sommet, celui
du G20 – auquel tous les BRICS ap-
partiennent –, on craint par exem-
ple qu’une extension à d’autres
économies émergentes ne dimi-
nue la propre influence de l’Inde.
Inquiétude de l’Inde
Les motivations de la Chine, favo-
rable à l’entrée dans les BRICS de
nouveaux acteurs – plus d’une di-
zaine de pays sont candidats,
dont l’Algérie, l’Arabie saoudite,
les Emirats arabes unis, l’Indoné-
sie, l’Iran, le Venezuela, l’Argen-
tine, le Nigeria… – inquiètent clai-
rement les Indiens : l’intérêt pro-
noncé de Pékin pour cet élargisse-
ment est susceptible de donner
l’impression que son but n’est pas
« de travailler ensemble et de coor-
donner des actions (…) pour don-
ner plus de voix aux acteurs émer-
gents, mais plutôt de faire des
BRICS une plate-forme antiaméri-
caine façonnée par les priorités
chinoises », écrit Harsh Pant, vice-
président de l’Observer Research
Foundation, un groupe de ré-
flexion basé à New Delhi.
Dans les médias chinois, l’orga-
nisation est décrite comme un re-
groupement constituant une op-
position au G7 (Allemagne,
­Canada, Etats-Unis, France, Italie,
Japon et Royaume-Uni), club des
« vieux » pays riches bientôt dé-
passé en termes de PIB par les
gents, se battent activement pour
les droits et les intérêts des pays en
développement, avec leurs parte-
naires africains qui plaident pour
plus de justice et d’égalité dans l’or-
dre mondial », clamait récem-
ment la propagande pékinoise
dans un programme de la version
internationale de la chaîne d’Etat
CCTV. Pour la Chine, il s’agit en
réalité de promouvoir son mo-
dèle de développement auprès
des économies émergentes, et
faire reconnaître ainsi une vision
privilégiant le développement
économique sur le respect des
droits humains.
« Je pense que la Chine préfère
que les BRICS soient plus représen-
tatifs du monde et de l’économie
d’aujourd’hui, argumente de son
côté Niu Haibin, spécialiste de
l’Amérique latine à l’Institut pour
les études internationales de
Shanghaï. La Chine avait déjà fait
cela en invitant l’Afrique du Sud à
rejoindre les BRICS, ce qui a été
très important pour le développe-
ment du groupe en incluant l’Afri-
que au tableau. » Une intention
que confirme l’experte brési-
lienne Karin Costa Vazquez, cher-
cheuse en relations internationa-
les à l’université Fudan (Shan-
ghaï) : « La Chine continue à prô-
ner un nouveau multilatéralisme
et a besoin de s’entourer d’un
maximum de pays qui partagent
cette vision. Les BRICS restent cen-
Parmi la dizaine
de pays voulant
intégrer les
BRICS figurent
l’Algérie, l’Arabie
saoudite, l’Iran,
l’Indonésie ou
le Nigeria
traux aux yeux de Pékin et le Brésil
est un acteur très important de
cette dynamique, comme membre
fondateur du bloc. »
Effectivement très attaché aux
BRICS, dont il fut lui-même l’un
des pères fondateurs, le prési-
dent brésilien Lula da Silva a tou-
jours mis l’institution au cœur de
sa politique externe, avec pour
objectif de promouvoir le multi-
latéralisme et la dédollarisation
de l’économie. Dès son retour au
pouvoir, il a placé Dilma Rous-
seff, l’ancienne présidente desti-
tuée (2011-2016), à la tête de la
Nouvelle Banque de développe-
ment, la banque des BRICS, basée
à Shanghaï. Signe de l’impor-
tance qu’il donne à tout cela, Lula
a défendu l’idée, au dernier
G7 qui s’est tenu à Hiroshima, en
mai, que les BRICS possèdent une
monnaie commune comparable
à l’euro pour réduire la dépen-
dance au dollar.
Mais même si le président se
montre officiellement favorable
à l’élargissement, il n’est pas sûr
que le Brésil voie d’un très bon
œil l’inclusion de nouveaux ac-
teurs dont l’influence pourrait
faire baisser la sienne ; cela
d’autant plus que certains, dans
son gouvernement, craignent
que l’ouverture des BRICS ne se
fasse dans la désorganisation la
plus complète.
Un rôle grandissant
L’intégration en 2010, au sein de la
famille des BRICS, de l’Afrique du
Sud, dernier entrant et pays hôte
du sommet, représente « proba-
blement [pour Pretoria] le trophée
de politique étrangère le plus pré-
cieux décroché dans le cadre de
son agenda Sud-Sud visant à pro-
mouvoir un monde multipolaire »,
soulignait récemment Priyal
Singh, chercheur à l’Institut d’étu-
des de sécurité, un cercle de ré-
flexion africain. Même si le pays
reste le poids plume de l’alliance,
0123
­
­Mercredi 23­ août 2023
Le président
chinois,
Xi Jinping,
est accueilli par
son homologue
sud-africain,
Cyril Ramaphosa,
à son arrivée
à l’aéroport
de Johannesburg
(Afrique du Sud),
le 21 août,
la veille
de l’ouverture
du 15e sommet
des BRICS.
HUANG JINGWEN/
Xinhua via AFP
« être membre des BRICS a renforcé
la position et l’influence de
­l’Afrique du Sud en tant qu’écono-
mie émergente importante », as-
sure ainsi le ministère du com-
merce sud-africain dans un docu-
ment énumérant les bénéfices
des BRICS pour l’Afrique du Sud à
l’approche du sommet.
Sur le plan économique, si les
Etats-Unis et l’Union européenne
restent des partenaires commer-
ciaux incontournables, les BRICS
jouent un rôle grandissant dans
l’économie sud-africaine. Entre
2017 et 2021, les échanges com-
merciaux de l’Afrique du Sud avec
les membres de l’alliance ont aug-
menté de 10 % en moyenne. Pre-
mier partenaire commercial de
Pretoria, la Chine domine encore
largement ces échanges, mais un
rééquilibrage semble à l’œuvre,
alors que ses exportations vers
l’Afrique du Sud tendent à dimi-
nuer au profit des autres mem-
bres du groupe.
A la veille du sommet, le gouver-
nement sud-africain a voulu faire
preuve d’une modération de bon
aloi, s’attachant à éviter que le
groupe dont il est aujourd’hui le
porte-flambeau ne soit perçu
comme une instance hostile à
l’Occident. Cela, en dépit des posi-
tions favorables à Pékin et Mos-
cou maintes fois affichées par Pre-
toria. « Je pense qu’il serait extrê-
mement faux de voir le groupe des
BRICS comme prorusse et anti-oc-
cidental », a réagi la ministre sud-
africaine des relations internatio-
nales et de la coopération, Naledi
Pandor. Qui a tenu à mettre en
garde contre un élargissement
dont les « critères d’expansion
pourraient [les] emmener sur des
chemins contribuant à augmenter
les conflits dans la communauté
internationale ». Une formule
peut-être pas à l’unisson d’autres
pays membres. p
Bruno Philip
(avec nos correspondants)
0123
­
­Mercredi 23­ août 2023
Etats-Unis: Vivek Ramaswamy
s’immisce chez les républicains
Donald Trump sera absent du premier débat des primaires mercredi
Washington - correspondant
T
out est joué. C’est fini
avant d’avoir com-
mencé. Il est déjà
l’heure de replier le
grand chapiteau des primaires
républicaines. Voilà l’idée que
Donald Trump voudrait imposer
pour justifier sa dérobade.
L’ancien président ne partici-
pera pas au premier débat télé-
visé entre les prétendants de son
camp, prévu à Milwaukee (Wis-
consin) mercredi 23 août et dif-
fusé par la chaîne Fox News. Ni au
suivant, le 27 septembre. Donald
Trump explique que les électeurs
républicains le connaissent déjà
et que son avance sur son premier
rival, le gouverneur de Floride,
Ron DeSantis, est irréversible. Elle
s’élevait à 46 points, dimanche,
selon un sondage de CBS News.
Durant l’été, les inculpations se
sont succédé pour l’ancien prési-
dent. Mais aucun rival n’en a pro-
fité. Donald Trump prend donc le
risque – assez limité – de laisser
les autres parler de lui, devant les
caméras, tandis qu’il se prépare à
comparaître jeudi devant un juge
du comté de Fulton, en Géorgie,
pour son rôle-clé dans la tentative
de manipulation de l’élection pré-
sidentielle de 2020. Aucun autre
candidat républicain n’est par-
venu à incarner une alternative
crédible. Le débat risque donc de
ressembler à un concours d’élo-
quence pour la deuxième place,
en raison de la multiplication des
prétendants. Avec un nouveau
venu, le seul à retenir l’attention
des commentateurs, tant il in-
carne aussi l’évolution du parti :
Vivek Ramaswamy.
Plusieurs sondages l’ont placé
en troisième position de la
course, de plus en plus proche de
Ron DeSantis. Millionnaire de
38 ans ayant fait fortune dans les
biotechnologies avec la société
Roivant, orateur habile au débit
En Italie, les propos racistes d’un général
divisent la majorité de Giorgia Meloni
La suspension de l’officier est critiquée jusque dans les rangs du parti de la cheffe de l’exécutif
Rome - correspondant
L e parcours de normalisa-
tion voulu par la présidente
du conseil italien, Giorgia
Meloni, continue à subir des vents
contraires venus de son propre
camp. La confusion régnait ainsi
dans son parti, Fratelli d’Italia
(FdI), lundi 21 août, à la suite des
sanctions prises contre un officier
en exercice, le général Roberto
Vannacci. Auteur d’un livre dé-
taillant des positions racistes et
homophobes, il a été désavoué par
le ministre de la défense italien,
Guido Crosetto, alors même que
certains des partisans de Mme Me-
loni ne renient pas son contenu.
Publié le 10 août à compte
d’auteur, Il mondo al contrario
(« le monde à l’envers ») occupe le
premier rang des ventes sur Ama-
zon en Italie. Il s’agit d’une compi-
lation d’attaques contre ce que le
général Vannacci désigne comme
« le lobby gay international » et
contre les responsables d’un sup-
posé « lavage de cerveau » en fa-
veur de « l’élimination de toutes les
différences, y compris entre les eth-
nies, pour ne pas dire entre races ».
Ce discours accompagne des pri-
ses de position réactionnaires sur
les questions de genre et la protec-
tion de l’environnement.
« Un candidat très
prometteur »,
a dit à son sujet
Elon Musk,
le patron de Tesla
et de X
rapide, Vivek Ramaswamy est un
visage familier de la base conser-
vatrice. Ces dernières années, il
était un invité fréquent des chaî-
nes de droite. Après avoir hésité à
se présenter à un poste de séna-
teur dans l’Ohio, il a choisi de par-
ticiper à la plus exposée des élec-
tions américaines, mû par une
confiance en soi peu commune. Il
a multiplié les meetings dans les
deux premiers Etats des primai-
res, l’Iowa et le New Hampshire.
Un débatteur actif
Sa soif évidente de renommée
peut paraître puérile, mais l’ère
Trump a appris à ne plus négliger
personne. Strive Asset Manage-
ment, sa société d’investisse-
ment, a été lancée en 2022 avec le
soutien du milliardaire Peter
Thiel. « Un candidat très promet-
teur », a dit à son sujet Elon Musk,
le patron de Tesla et de X (ancien-
nement Twitter).
Vivek Ramaswamy se pose en
outsider, défiant les institutions et
les conventions. Il rêve de répéter
le coup trumpien de 2016 : entrer
dans l’arène politique sans expé-
rience, sous les railleries des ana-
lystes, offrir un visage nouveau,
puis utiliser les débats télévisés
comme un accélérateur de popu-
larité. La condition pour un tel mi-
racle : couvrir Donald Trump
d’éloges, ne se distancier de lui
qu’à la marge. Vivek Ramaswamy
a invité tous les autres candidats à
promettre de gracier l’ancien pré-
sident, s’il était condamné, en cas
d’accession à la Maison Blanche.
Dans un pays dont l’exécutif est
dominé par l’extrême droite, l’of-
ficier se drape dans une posture
voulant mêler esprit provocateur
et bon sens populaire, pour se
plaindre de « règles d’inclusion et
de tolérance imposées par les mi-
norités ». Il s’en prend à la cham-
pionne italienne de volley-ball
­Paola Egonu, cible d’attaques ra-
cistes obsessionnelles du fait de
ses origines nigérianes, affirmant
qu’elle est « italienne de citoyen-
neté », mais qu’il est « évident que
ses traits somatiques ne représen-
tent pas l’italianité ».
Si ce discours reprenant les thé-
matiques du populisme de droite
n’a rien d’original, la qualité de
son auteur a contraint le gouver-
nement à réagir. Une semaine
après la parution de l’ouvrage,
Guido Crosetto (FdI) a affirmé le
17 août sur son compte X (ex-Twit-
ter) que « le général Vannacci a ex-
primé des opinions qui discrédi-
tent l’armée de terre, la défense na-
tionale et la Constitution » avant
d’annoncer un « examen discipli-
naire » à son encontre. La suspen-
sion de l’officier de ses fonctions à
la tête de l’Institut de géographie
militaire était annoncée le len­-
demain, contraignant une droite
habituée des accusations de
­censure contre les tenants du
Fils d’immigrés indiens, il est
né à Cincinnati (Ohio), d’un père
ingénieur chez General Electrics
et d’une mère psychiatre en gé-
riatrie. Eduqué dans une famille
hindoue traditionnelle, il a fré-
quenté un lycée catholique de la
ville. En campagne, il ne manque
jamais l’occasion de souligner sa
foi, un atout par rapport à l’an-
cien président Donald Trump.
Diplômé en biologie de la presti-
gieuse université Harvard, il s’y
montra un débatteur actif,
s’adonnant aussi au rap sous le
pseudonyme de Da Vek. Egale-
ment diplômé de la faculté de
droit Yale, il est l’auteur de plu-
sieurs ouvrages, dont un best-sel-
ler dans lequel il dénonce la poli-
tisation des grandes entreprises
cherchant à paraître vertueuses.
Ramaswamy avait annoncé sa
candidature fin février dans une
vidéo cochant les cases de l’imagi-
naire national. Il s’y prenait au
« covidisme, au climatisme et à
l’idéologie des genres ». L’essentiel
de son message se focalisait sur
l’identité américaine. Pas une
seule référence à une autre figure
républicaine dans l’histoire. Pas
davantage à la liberté de détenir
des armes, à l’avortement ou à la
guerre scolaire, thèmes privilé-
giés dans le parti mais aussi pola-
risant. Vivek Ramaswamy est
jeune, énergique, optimiste.
Pour le reste, il a une ligne politi-
que fluide. Sa principale croisade
consiste à pourfendre le culte des
différences (sexuelles, raciales,
etc.), le fameux « wokisme » qui
aurait éloigné les Américains les
uns des autres. D’un classicisme
libéral absolu, chantant les méri-
tes d’une croissance économique
libérée des pesanteurs bureaucra-
tiques et des préoccupations cli-
matiques, le candidat s’en prend
aussi à la Réserve fédérale, dont il
veut renvoyer 90 % des effectifs.
Vivek Ramaswamy a un sourire
de prétendant idéal, décidé à sé-
« politiquement correct » à se li-
vrer à des contorsions.
« Si nous établissons qu’il appar-
tient à la politique de décider si des
idées sont bonnes ou mauvaises,
ce sera la fin de la démocratie », a
ainsi déclaré Giovanni Donzelli,
député de premier plan de FdI,
dans un entretien au Corriere
della Sera, tout en jugeant légi-
time la décision de M. Crosetto,
un poids lourd du gouvernement,
également cofondateur de FdI.
Faille au sein de la droite
Le secrétaire d’Etat à la culture,
Vittorio Sgarbi, s’est exprimé con-
tre la position de son propre exé-
cutif, affirmant que « tous les élec-
teurs de droite sont [du] côté [de
Vannacci] et regardent avec préoc-
cupation le fait que la mesure prise
par Crosetto plaise au PD [Parti dé-
mocrate, centre gauche] », d’après
La Nazione, qui cite des propos
prononcés dimanche lors d’un
événement public. Il a également
affirmé que « les idées [de Van-
nacci] sont celles grâce auxquelles
la droite a gagné les élections ».
Le vice-président du conseil,
Matteo Salvini (Ligue, extrême
droite), s’est distingué de ses parte-
naires de coalition de FdI en louant
sur les réseaux sociaux le général
Vannacci et en annonçant qu’il
duire ses futurs beaux-parents.
Ce n’est pas forcément aux jeu-
nes qu’il s’adresse en priorité.
L’une de ses propositions con-
siste à relever l’âge légal de vote
de 18 à 25 ans. Les Américains de
18 ans pourraient encore partici-
per aux élections à condition de
passer un test de connaissances
civiques – tel un immigré postu-
lant à la naturalisation – ou de
servir six mois dans l’armée ou
les services d’urgences.
Propos péremptoires
La crédibilité de l’entrepreneur
est surtout compromise sur les
questions de politique étrangère,
où ses propos péremptoires font
frissonner les experts. Vivek Ra-
maswamy envisage de réduire
l’aide militaire à Israël, en
oubliant qu’il s’agit pour l’essen-
tiel d’une subvention déguisée à
l’industrie américaine.
Il promet aussi une curieuse
« clarté stratégique » sur Taïwan :
il s’engage à défendre l’île contre
toute invasion chinoise, mais
seulement jusqu’en 2028, date à
laquelle les Etats-Unis attein-
draient l’autosuffisance en ma-
tière de semi-conducteurs. Pas
question, dès lors, de risquer des
vies américaines pour « une dis-
pute nationaliste » entre la Chine
et Taïwan.
Quant à l’Ukraine, l’entrepre-
neur s’opposera à sa candidature
à l’OTAN. Il envisage de donner à
la Russie une partie du Donbass
qu’elle occupe. « Notre objectif ne
peut pas être la défaite de Pou-
tine », expliquait-il sur CNN le
18 août. « Je me rendrai à Moscou
et je tirerai la Russie hors de son
alliance militaire avec la Chine »,
ajoutait-il. De Donald Trump, le
jeune candidat n’emprunte pas
toutes les idées. Mais il a retenu
une leçon : l’aplomb pour les ex-
primer compte autant que le
contenu. p
Piotr Smolar
achèterait son livre, après avoir
échangé avec lui au téléphone.
Dans un entretien au quotidien
national La Repubblica, lundi,
Gianni Alemanno, ancien maire
de Rome, figure historique de la
famille politique de Mme Meloni et
désormais rival à droite de la pré-
sidente du conseil, a accusé
M. Crosetto d’avoir « humilié la
meilleure partie de son armée ». Il a
dénoncé un exécutif désireux
d’être « le premier de la classe dans
la relation atlantique, au niveau
européen et en ce qui concerne le
politiquement correct », un posi-
tionnement qui selon lui « fera ex-
ploser de très nombreuses contra-
dictions », produisant une faille au
sein de la droite.
Début août, le même Gianni Ale-
manno avait défendu Marcello De
Angelis, chef de la communica-
tion du président FdI de la région
Latium. Ce dernier avait remis en
cause la vérité judiciaire sur l’atta-
que à la bombe de la gare de Bolo-
gne du 2 août 1980, exécutée par
des militants d’extrême droite.
Dans cette affaire comme dans la
polémique actuelle, qui illustre
les difficultés de son parti à tour-
ner le dos à des idées rejetées offi-
ciellement, Giorgia Meloni s’est
gardée de prendre position. p
Allan Kaval
International | 3
Au Royaume-Uni, prison
à vie pour l’infirmière
tueuse de nouveau-nés
Lucy Letby a notamment été reconnue
coupable de l’assassinat de sept bébés
Londres - correspondante
L a condamnation à la prison
à vie sans possible remise de
peine de Lucy Letby, l’infir-
mière tueuse de bébés, lundi
21 août, suscite une intense émo-
tion au Royaume-Uni, ainsi que de
vives polémiques. Agée de 33 ans,
cette jeune femme au carré blond
et au visage lisse a été reconnue
coupable du meurtre de sept nou-
veau-nés et de tentatives de meur-
tre sur six autres. Elle est la qua-
trième femme condamnée à la
plus lourde des peines possibles
par la justice britannique.
Ses crimes sont terribles : native
de Hereford, à la frontière avec le
Pays de Galles, Lucy Letby, décrite
comme discrète et sans histoire
par son entourage, s’est acharnée
sur des bébés souvent prématurés
dont elle était chargée en soins
néonataux. Entre juin 2015 et
juin 2016, dans l’hôpital Countess
of Chester (ouest de l’Angleterre)
où elle venait de décrocher l’un de
ses tout premiers postes, l’infir-
mière leur a injecté, quand elle se
trouvait seule avec eux, de l’insu-
line, de l’air dans les veines ou leur
a fait ingérer trop de lait. Les bébés
qui n’en sont pas morts en ont
gardé pour la plupart de très gra-
ves séquelles neurologiques.
Témoignant une dernière fois
dans l’enceinte du tribunal royal
de Manchester, avant le prononcé
du jugement lundi, les parents des
jeunes victimes ont rappelé le cal-
vaire que leurs enfants, et eux-mê-
mes, ont enduré par la faute de
l’infirmière. « Ma fille ne pourra ja-
mais aller au lycée, avoir un petit
ami ni se marier », a souligné la
mère d’une petite fille, très grande
prématurée, sur laquelle Lucy
Letby s’est acharnée durant l’été
2015. L’infirmière s’y est reprise à
trois fois pour tenter de tuer cette
enfant qui ne pesait que
500 grammes à la naissance, lui
­infligeant des dommages céré-
braux irréparables.
« Aucun remords »
La maman de jumeaux, garçon et
fille, attaqués en juin 2015 (seule
la fille a survécu), a expliqué souf-
frir de stress post-traumatique :
« Après la mort de notre fils, nous
étions terrorisés pour la santé de
notre fille, il y avait toujours un
membre de la famille à ses côtés,
c’est sans doute ce qui l’a sauvée. »
Elle a souhaité que l’infirmière
« vive une longue vie et passe cha-
que jour de cette vie à souffrir de ce
qu’elle a commis ». Aucun nom de
victimes n’a été révélé, la justice
ayant imposé l’anonymat aux
­médias à la demande des familles.
Les chaînes britanniques ont re-
transmis en direct l’énoncé de la
condamnation. Pesant ses mots,
le juge James Goss, qui présidait la
cour royale de Manchester (où a eu
lieu le procès, pendant près d’un
an), a qualifié les crimes de Lucy
Letby de « campagne de meurtres
cruelle, calculée et cynique, dirigée
contre les plus petits et les plus vul-
nérables des bébés (…). Vous avez
créé les situations pour que leurs
malaises et les causes de leurs ma-
laises ne soient pas évidents », a in-
sisté le juge Goss, relevant « une
profonde malveillance à la limite
du sadisme ». L’infirmière n’ayant
en outre « montré aucun remords,
Dès
l’automne 2015,
raconte la BBC,
des médecins
ont alerté sur
le comportement
de Lucy Letby
L’infirmière
injectait à ses
victimes de
l’insuline, de l’air
dans les veines
ou leur faisait
ingérer trop
de lait
il n’y a pas de circonstances atté-
nuantes » pour des crimes « dont la
sévérité justifie un emprisonne-
ment à vie », a conclu le magistrat.
Le juge s’adressait à la condam-
née comme si elle était face à lui :
elle ne l’était pas, ce qui a déclen-
ché une première controverse.
Faut-il obliger les personnes fai-
sant l’objet d’un procès criminel à
assister au prononcé de leur
­condamnation ? Rien dans la loi
britannique ne les y contraint,
mais régulièrement, des refus de
présence déclenchent la colère des
victimes ou de leurs familles. Ce
fut le cas au printemps, quand le
meurtrier de la petite Olivia, Pratt
Korbel, tuée par balle à Liverpool
en 2022, a refusé d’apparaître pour
l’énoncé de son verdict.
De telles absences sont « lâches »,
a estimé le premier ministre con-
servateur, Rishi Sunak, lundi. Keir
Starmer, le chef de file du Labour,
lui a emboîté le pas, promettant
que sa formation « soutiendra » le
gouvernement si ce dernier
change la loi. Tous les juristes ne
sont pas d’accord. « Le système ju-
diciaire doit garder une part d’hu-
manité », a réagi l’avocate Felicity
Gerry sur la chaîne Sky News. Le
risque est de « transformer les con-
damnations en véritables cirques.
(…) Que fait-on si les personnes ne
veulent pas entendre ni voir le juge :
les obliger à garder les yeux
ouverts ? », interrogeait la juge
Wendy Joseph sur le podcast « The
News Agents ».
Une autre polémique concerne
les possibles graves négligences de
la part des responsables de l’hôpi-
tal Countess of Chester. Dans un
documentaire édifiant, la BBC
donne la parole à des médecins
qui, dès l’automne 2015, ont alerté
sur le comportement de l’infir-
mière Letby : les morts inexpli-
quées des bébés intervenaient
quand elle était de garde. Leurs su-
périeurs hiérarchiques ont fait la
sourde oreille, semblant surtout
préoccupés par la réputation de
leur établissement. Il faudra atten-
dre juin 2016, l’accumulation des
morts et celle, hautement sus-
pecte, de deux triplés, à quelques
heures d’intervalle, toujours en
présence de Lucy Letby, pour que
cette dernière soit transférée dans
un autre service, à un poste admi-
nistratif. La police ne sera finale-
ment contactée par les dirigeants
de l’hôpital qu’en 2017.
Ces manquements, s’ils sont
confirmés, rappellent d’autres
drames, comme celui comme ce-
lui révélé en 2022 portant sur des
centaines de bébés morts à la ma-
ternité de Shrewsbury (Midlands).
Ce scandale n’impliquait aucun
serial killer, mais des mauvaises
pratiques qui ont mis des années à
être dénoncées et renvoient à une
culture du secret qui semble ani-
mer bien des responsables du
sacro-saint NHS (National Health
Service), le système de santé bri-
tannique. C’est pourquoi tant de
voix s’élèvent pour demander que
l’enquête publique annoncée par
le ministère de la santé sur les cir-
constances entourant les crimes
de Mme Letby soit dotée des pou-
voirs les plus étendus possible et
présidée par une personne autre
qu’un hiérarque du NHS. p
Cécile Ducourtieux

4 | International
Massacre de migrants à la frontière saoudienne
Human Rights Watch accuse les gardes du royaume d’avoir tiré à bout portant sur des centaines de personnes
Nairobi et Beyrouth -
correspondants
D
es centaines de mi-
grants et de deman-
deurs d’asile éthio-
piens ont été tués par
les gardes-frontières saoudiens,
entre mars 2022 et juin 2023, ac-
cuse l’organisation américaine
Human Rights Watch (HRW) dans
un rapport accablant, publié
lundi 21 août et intitulé « “Ils ont
fait pleuvoir les tirs sur nous” : les
massacres par l’Arabie saoudite
de migrants éthiopiens à la fron-
tière saoudo-yéménite ». Le nom-
bre de victimes pourrait être bien
plus élevé et atteindre des mil-
liers, selon les militants des droits
humains, qui ont constaté une
multiplication des sites funérai-
res de part et d’autre de la fron-
tière avec le Yémen.
La route migratoire sur laquelle
HRW a enquêté est bien moins
mise en lumière que celle de la
­Libye vers l’Europe. Mais la mort,
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les menaces et le racket sont aussi
monnaie courante sur cette tra-
jectoire qu’empruntent en majo-
rité des Ethiopiens, mais aussi des
Erythréens et des Somaliens, de la
Corne de l’Afrique vers un éden
supposé : la riche Arabie saoudite.
Ceux qui survivent au voyage en
mer de Djibouti vers le port
d’Aden se retrouvent sous la loi de
passeurs agissant en collusion
avec les rebelles houthistes pour
remonter vers le nord du Yémen,
en guerre. Une fois parqués dans
des camps voisins de l’Arabie
saoudite, ils tentent de franchir la
frontière montagneuse.
« Escalade délibérée »
S’appuyant sur le témoignage
de trente-huit migrants ayant
tenté le passage et sur des images
satellites, HRW accuse les gardes-
frontières saoudiens d’avoir tiré à
bout portant sur des hommes, des
femmes et des enfants et d’avoir
utilisé des armes explosives pour
les repousser. L’organisation dé-
LA GRANDE HISTOIRE DES
L’organisation
n’exempte
pas les rebelles
houthistes,
qui contrôlent
la région
nonce une « escalade délibérée »
dans des « meurtres » qu’elle docu-
mente depuis 2014.
Des personnes isolées aussi bien
que des groupes comptant jus-
qu’à deux cents migrants ont été
visés. En juin, des Ethiopiens qui
venaient d’être reconduits à la
frontière yéménite après avoir été
interceptés et détenus par les gar-
des saoudiens ont été la cible de
tirs de mortier, selon le témoi-
gnage de Mounira, 20 ans :
« Quand j’y pense, je pleure. J’ai vu
un homme appeler au secours, il
avait perdu ses deux jambes. Il
criait, il disait : “Vous m’abandon-
2
LE LIVRE N°1
,99
seulement
nez ici ? Ne me laissez pas !” Nous
ne pouvions pas l’aider, car nous
tentions de sauver nos vies. »
« S’il était avéré que ces meurtres,
dont la pratique continue aujour­-
d’hui, sont commis dans le cadre
d’une politique du gouvernement
saoudien, destinée à tuer des
­migrants, ils constitueraient un
crime contre l’humanité », avertit
HRW. Le rapport se concentre sur
la ­violence meurtrière à la fron-
tière, mais l’organisation
n’exempte pas les rebelles hou-
thistes, qui contrôlent la région
où se situent les camps de mi-
grants et « jouent un rôle considé-
rable dans les abus ».
Les autorités saoudiennes ont
rejeté lundi des « allégations (…) in-
fondées » qui « ne reposent pas sur
des sources fiables », selon un re-
présentant du gouvernement
s’exprimant sous le couvert de
l’anonymat auprès de l’Agence
France-Presse. Les Etats-Unis, dont
les liens avec l’Arabie saoudite se
sont resserrés depuis 2022, se sont

* pas encore connue mardi matin
* Prix de lancement
contentés d’exprimer leurs « in-
quiétudes » et d’appeler Riyad à
mener une enquête. Les rebelles
houthistes ont démenti à leur tour
tout lien avec les passeurs.
Silence à Addis-Abeba
A Addis-Abeba, les autorités ont
gardé le silence sur l’horreur vé-
cue par les ressortissants éthio-
piens sous les tirs saoudiens. Le
premier ministre de l’Ethiopie,
Abiy Ahmed, est engagé dans un
rapprochement avec les pays du
Golfe, dont il espère un soutien
économique ou un appui mili-
taire, comme ce fut le cas des Emi-
rats arabes unis qui ont soutenu
l’effort de guerre du dirigeant con-
tre la province du Tigré. Le minis-
tère des affaires étrangères éthio-
pien n’a pas réagi aux sollicita-
tions du Monde.
Les autorités misent sur une pro-
longation des permis de travail
pour leurs ressortissants en Ara-
bie saoudite, en même temps
qu’elles ont accepté de rapatrier
Equateur : second tour
ouvert à la présidentielle
Luisa Gonzalez (gauche) affrontera Daniel
Noboa, fils d’un magnat de la banane
Bogota - correspondante
D eux héritiers se retrou-
veront au second tour
de l’élection présiden-
tielle en Equateur, le 15 octobre.
La candidate du Mouvement Ré-
volution citoyenne, Luisa Gonza-
lez, 45 ans, héritière désignée de
l’ancien président socialiste Ra-
fael Correa (2007-2017), est arri-
vée en tête du premier tour, di-
manche 20 août, avec 33,5 % des
voix. Mais c’est l’irruption inat-
tendue du jeune Daniel Noboa et
ses 23,5 % de suffrages qui, lundi,
occupaient conversations et dé-
bats. Agé de 35 ans, il est le fils du
magnat de la banane Alvaro
­Noboa, qui a lui-même été cinq
fois candidat.
Les élections se sont tenues
dans le calme, après une campa-
gne électorale marquée par l’as-
sassinat de l’un des huit candidats
en lice, Fernando Villavicencio. Le
vainqueur ne restera en poste que
dix-huit mois, le temps de finir le
mandat du président sortant,
Guillermo Lasso (droite).
Très impopulaire et menacé de
destitution, M. Lasso a choisi en
mai de dissoudre l’Assemblée et
de démissionner lui-même, pro-
voquant des élections législatives
et présidentielle. La liste définitive
des 137 élus à l’Assemblée n’était
22 août. Avec 93,89 % des votes dé-
pouillés, les résultats octroyaient
au Mouvement Révolution ci-
toyenne 39,3 % des voix, 20,7 % au
parti Construye, qui avait soutenu
la candidature de Fernando Villa-
vicencio, et 14,6 % au tout nou-
veau parti Action démocratique
nationale de M. Noboa. Une certi-
tude : le prochain chef d’Etat
n’aura pas de majorité facile.
Déploiement de policiers
Les Equatoriens étaient égale-
ment appelés à se prononcer par
référendum sur l’exploitation pé-
trolière dans le parc amazonien
Yasuni, dans le nord-est du pays. A
la question de savoir si le gouver-
nement devait laisser le brut « in-
définiment dans le sous-sol »,
58,9 % des Equatoriens ont ré-
pondu « oui ».
Plus de 100 000 soldats et poli-
ciers avaient été déployés dans le
pays, confronté à une montée de
la violence attribuée à la présence
0123
­
­Mercredi 23­ août 2023
ceux en situation illégale. Près de
750 000 Ethiopiens vivent et tra-
vaillent en Arabie saoudite.
Pour Eden Ayele, psychologue
au sein du refuge Agar, une asso-
ciation accueillant, à leur retour
en Ethiopie, les femmes victimes
d’abus au Moyen-Orient, la vio-
lence meurtrière décrite par HRW
« n’est pas une surprise ». « C’est le
quotidien des migrants, et l’on en-
tend souvent des récits similaires.
Les Ethiopiens des régions du
Nord [qu’un regain de violence
menace d’embraser, neuf mois
après la fin du conflit au Ti-
gré] sont les plus concernés par
cette route migratoire. Quand ils
arrivent au Yémen, ils se retrou-
vent dans un pays en guerre, ils ne
comprennent pas, ils sont sans dé-
fense », explique-t-elle. p
Noé Hochet-Bodin
et Laure Stephan
Retrouvez en ligne l’ensemble de nos contenus
croissante du narcotrafic. Le nom
et la photo de Fernando Villavi-
cencio, le candidat assassiné le
9 août à Quito, apparaissaient sur
un bulletin de vote. Autorisé à le
remplacer au dernier moment,
Christian Zurita, son ami et collè-
gue, est arrivé à la troisième place,
avec 16,5 % des voix.
Juriste de formation, la candi-
date Luisa Gonzalez a joué la
carte de la nostalgie du « cor-
réisme », en rappelant l’embellie
des indicateurs économiques et
sociaux à l’époque de la prési-
dence de Rafael Correa. Le poli-
tiste Hernan Reyes y voit une er-
reur de stratégie : « Mme Gonzalez
a oublié qu’une campagne électo-
rale se joue aussi sur le terrain de
l’utopie, de l’avenir. Elle n’a pas su
mobiliser au-delà du “corréisme
dur”, qui représente un tiers de
l’électorat. »
Largement inconnu du grand
public il y a encore trois mois, Da-
niel Noboa fait figure d’outsider.
« Mais il a un nom et des con-
seillers en marketing très bien ro-
dés », rappelle M. Reyes. En 2007,
son père, Alvaro Noboa, affrontait
dans les urnes Rafael Correa.
Emploi et sécurité
Le fils Noboa s’est fait remarquer
à l’occasion du débat télévisé du
14 août. Le jeune candidat a évité
les attaques personnelles et s’est
démarqué de la fracture entre
« corréistes » et « anti-corréistes ».
Soucieux de parler de l’avenir,
M. Noboa a axé ses propositions
sur l’emploi – notamment des
jeunes – et la sécurité. Il a surpris
en expliquant que le pays pouvait
se passer du pétrole du Yasuni.
M. Noboa n’aime pas se faire éti-
queter à droite.
Le candidat Jan Topic, ancien
soldat de la Légion étrangère fran-
çaise au programme ultra-sécuri-
taire, a obtenu le score non négli-
geable de 14,7 % des voix. Yaku Pe-
rez, qui, il y a deux ans, avait raté
de peu une place au second tour,
fait les frais des divisions du mou-
vement indigène. Il s’effondre à
moins de 4 % des suffrages.
La suite de la campagne s’an-
nonce difficile pour Mme Gonza-
lez. Trois des petits candidats ont
d’ores et déjà annoncé qu’ils ral-
liaient la candidature de Daniel
Noboa pour le second tour. p
Marie Delcas
0123
­
­Mercredi 23­ août 2023
Tenerife lutte
contre le plus
grand incendie
de son histoire
Les autorités s’inquiètent de
la vague de chaleur qui devrait
balayer l’Espagne cette semaine
Madrid - correspondance
L
e feu de forêt qui ravage
depuis une semaine l’île
de Tenerife n’est tou-
jours pas maîtrisé, mais
« le pire est passé », s’est avancé le
président des Canaries, ­Fer­-
nando Clavijo, lundi 21 août. « Es-
pérons que la météo nous aide
pour que nous puissions défini­-
tivement considérer l’incendie
­stabilisé dans les prochaines
­heures, les prochains jours », a
­déclaré, pour sa part, le premier
ministre socialiste sortant, Pedro
Sanchez, à l’occasion d’une brève
visite dans la zone lundi.
Les prochaines heures vont
être « très importantes », a-t-il
­insisté lors de cette allocution
­devant la presse, alors que les
prévisions laissent présager une
nuit difficile avec du vent et des
températures en hausse. Une
quatrième vague de chaleur
­devrait balayer l’Espagne cette
semaine. Le service météo­ro­-
logique espagnol a déclaré que
les températures augmente-
raient progressivement pour
­atteindre 40 °C dans certaines
parties du pays ­mercredi et jeudi.
A Tenerife, l’agence prévoit des
températures maximales
moyennes de 30 °C.
« Nous concentrons nos efforts
sur deux fronts, en particulier
dans le sud-est, qui est très difficile
d’accès car composé de ravins et
de falaises abruptes », a expliqué
à la télévision espagnole Victoria
Palma, conseillère technique du
« Cabildo » (gouvernement) de
Tenerife, en décrivant un « incen-
die inédit qui s’est propagé très
Le Japon autorise le rejet controversé des eaux de Fukushima
Des centaines de milliers de tonnes d’eau issues du refroidissement des réacteurs nucléaires endommagés vont être déversées dans l’océan
Tokyo -- correspondance
L e controversé rejet dans
l’océan Pacifique des eaux
traitées de la centrale nu-
cléaire de Fukushima devrait
commencer jeudi 24 août. Après
une ultime visite à la centrale sui-
vie d’une rencontre avec les pê-
cheurs du département, le pre-
mier ministre, Fumio Kishida, a
validé mardi 22 août le projet de
déversement des centaines de
milliers de tonnes d’eau issues du
refroidissement des réacteurs en-
dommagés à la suite du séisme et
du tsunami du 11 mars 2011.
Pour M. Kishida, il s’agit d’une
« mesure essentielle à l’avance-
ment du démantèlement de la cen-
trale et à la reconstruction du dé-
partement Fukushima ». Le gou-
vernement a fait tout son possi-
ble pour convaincre du bien-
fondé et de l’innocuité du rejet.
En préparation depuis 2020,
cette opération − qui devrait du-
rer le temps du démantèlement
du site, soit une quarantaine
d’années − vise à répondre à
l’épuisement de l’espace disponi-
ble sur le site de la centrale gérée
par la Compagnie d’électricité de
Tokyo (Tepco) dans les réservoirs
vite depuis le début, du fait des va-
gues de chaleur successives ». Plus
de 400 pompiers et agents de sé-
curité ont été mobilisés pour lut-
ter contre les flammes.
Aucun blessé
Cet incendie est considéré
comme le plus important qu’ait
connu l’archipel. Le feu, qui s’est
déclaré mardi 15 août dans une ré-
gion montagneuse du nord-est
de l’île, a déjà dévoré plus de
14 800 hectares sur un périmètre
de presque 90 kilomètres, soit en-
viron 7,3 % de la superficie de l’île,
et forcé plus de 13 000 personnes
à fuir. Il est d’une « ampleur et
d’une puissance auxquelles nous
n’avons jamais été confrontés »,
selon les mots de M. Clavijo.
Samedi, le chef des services fo-
restiers, Pedro Martinez, signa-
lait qu’en dépit de l’ampleur du
brasier et grâce à l’intervention
des pompiers, aucun blessé
n’était encore signalé et aucune
maison n’avait brûlé jusqu’à pré-
Archipel des Canaries
(ESPAGNE)
La Palma Arafo
Pic du Teide Candelaria
Tenerife Grande
MAROC
Canarie
Océan
Atlantique
Sahara
occidental
200 km
accueillant jusque-là l’eau, hau-
tement radioactive, issue du re-
froidissement des réacteurs en-
dommagés.
Risque de contamination
Cette eau sera rejetée après un
passage dans les systèmes de fil-
tration par absorption dite ALPS
(advanced liquid processing sys-
tem), un processus destiné à ré-
duire la présence des nucléides
encore contenus dans l’eau, à l’ex-
ception du tritium. Elle sera en-
suite diluée pour que le niveau de
ce nucléide soit abaissé à un sep-
tième des normes fixées par l’Or-
ganisation mondiale de la santé
(OMS) pour l’eau potable.
Le projet avait reçu le 6 juillet
l’aval de l’Agence internationale
de l’énergie atomique (AIEA), qui
juge le plan conforme aux règles
de sécurité et à « l’impact radiolo-
gique négligeable sur la popula-
tion et l’environnement ».
Or il peine à convaincre au Ja-
pon, où les pêcheurs et des habi-
tants de la région de Fukushima
s’inquiètent de la réaction que
pourrait provoquer cette annonce
et du risque de contamination des
produits de la mer. « Le rejet de ma-
tières radioactives dans l’océan va
Le premier ministre espagnol, Pedro Sanchez, à Arafo, sur l’île de Tenerife (Canaries), le 21 août. DESIREE MARTIN/AFP
sent – « un vrai miracle », a souli-
gné le président régional.
Dans la nuit de dimanche à
lundi, l’unité militaire d’urgence,
les brigades de renfort contre les
incendies de forêt, ainsi que les
équipes d’intervention régiona-
les ont concentré leurs efforts sur
le secteur sud, plus précisément
entre les localités d’Arafo et de
Candelaria, où une ligne de dé-
fense a été mise en place afin de
protéger notamment la zone de
l’observatoire du Teide, où se
trouvent les télescopes de l’Insti-
tut d’astrophysique des Canaries.
Lundi matin, les habitants de ces
deux communautés ont pu ren-
trer chez eux.
Etat de catastrophe naturelle
Interrogé sur l’origine de l’incen-
die, Fernando Clavijo a affirmé
qu’il avait été « provoqué », se
­demandant « comment quel-
qu’un pouvait être aussi ignoble
et bête pour mettre la vie de tant
de personnes en danger et dé-
truire notre patrimoine », sans
donner plus de détails. La garde
civile a commencé son enquête
et aurait déjà recueilli les témoi-
raviver les peurs d’il y a douze ans,
au moment de la fusion des trois
cœurs de réacteur et de l’évacua-
tion des populations », réagit Ai Ki-
mura, directrice de l’ONG Labora-
toire d’étude des radiations des
mères de Fukushima, qui assure
un suivi des niveaux de radiations
dans l’alimentation et l’océan.
Selon un sondage réalisé à la mi-
juillet par le quotidien de centre
gauche Asahi, 51 % des Japonais se
disent favorables au rejet, mais
76 % s’inquiètent des conséquen-
ces pour les produits issus de la
pêche et de l’agriculture autour
de Fukushima.
La question suscite aussi des cri-
tiques chez les voisins du Japon.
En Corée du Sud, le président
Yoon ne s’oppose pas au rejet,
mais 80 % de la population y est
hostile. Des centaines de person-
nes ont défilé à Séoul, le 12 août,
pour appeler à « protéger l’océan
Pacifique ». « L’océan n’est pas seu-
lement la propriété du gouverne-
ment japonais, mais un bien com-
mun de l’humanité », a déclaré
Choi Kyoung-sook, de l’associa-
tion Korea Radiation Watch, ajou-
tant que les substances radioacti-
ves présentes dans l’eau « finiront
par détruire l’écosystème marin ».
Visible sur les
images satellites,
un important
nuage de fumée
de 8 kilomètres
de haut
s’est dégagé
des flammes
gnages de certains habitants
d’Arafo, où le feu a commencé.
Le chef du gouvernement
­sortant a également annoncé
que l’état de catastrophe natu-
relle ­allait être décrété à la suite
de cet incendie afin de venir en
aide à la population, et assuré
que l’Espagne allait « s’engager
(…) dans les travaux de recons-
truction » de l’île, sans toutefois
indiquer à quelle hauteur sur le
plan financier.
L’incendie s’est propagé sur
douze municipalités de Tenerife,
la plus grande des sept îles des
Canaries, avec 203 400 hectares.
Selon les services d’urgence, la
Les craintes en Corée du Sud ont
même provoqué une ruée des
consommateurs sur le sel de mer
récolté sur des littoraux considé-
rés comme menacés si les rejets
de Fukushima venaient à s’appro-
cher des côtes sous l’effet des cou-
rants marins. L’opposition sud-
coréenne, majoritaire à l’Assem-
blée nationale, a accusé M. Yoon
de mettre en danger la santé de la
population pour améliorer les re-
lations bilatérales.
Pour calmer les critiques, le gou-
vernement de Séoul multiplie les
mesures de radiations dans les
principaux marchés aux pois-
sons du pays. Il teste aussi le sable
des plages du sud et de l’ouest du
pays, côtes considérées comme
les plus exposées.
La Chine, de son côté, exhorte
Tokyo à renoncer à son projet. Elle
a rejeté les conclusions de l’AIEA et
instauré le 7 juillet des contrôles
systématiques sur tous les pro-
duits alimentaires japonais. Elle a
de nouveau soulevé la question le
1er août à Vienne, lors de la réunion
du comité préparatoire à la confé-
rence d’examen du traité de non-
prolifération nucléaire de 2026.
Hongkong, pour sa part, est prêt
à remettre en place les restrictions
Planète | 5
qualité de l’air est affectée dans la
majeure partie de l’île « en raison
de la fumée générée par le feu », ce
qui a rendu difficile le travail des
avions de lutte anti-incendie, a
précisé Mme Palma. Les autorités
ont recommandé aux riverains
le port de masques FFP2.
Visible sur les images satellites,
un important nuage de fumée de
8 kilomètres de haut s’est en effet
dégagé des flammes. Ce dernier
dépasse même le sommet du
Teide, point culminant de l’Espa-
gne, qui surplombe l’île avec ses
3 715 mètres d’altitude. En juillet,
plus de 2 000 personnes ont été
évacuées à la suite d’un feu de ­forêt
sur l’île voisine de La Palma, qui a
touché quelque 4 500 ­hectares.
En 2022, 300 000 hectares
avaient été détruits par plus de
500 incendies sur le territoire
­espagnol, un record en Europe,
selon le Système européen d’in-
formation sur les feux de forêt
(Effis). Depuis le début de l’année
en cours, le pays comptabilise
déjà 340 incendies qui ont ravagé
près de 76 000 hectares, selon les
données de l’Effis. p
Isabelle Piquer
aux importations des produits ve-
nant de dix départements de la ré-
gion de Fukushima, une mesure
imposée après la catastrophe, en
vigueur jusqu’en 2018. Cette déci-
sion menacerait les exportations
de produits alimentaires japo-
nais, dont 47 % vont en Chine et à
Hongkong.
Contraint d’agir sur de multi-
ples fronts pour convaincre du
bien-fondé de sa décision, le gou-
vernement japonais a insisté sur
ses efforts de transparence et sur
l’impact environnemental limité
du tritium.
Effort de pédagogie
Il a débloqué par ailleurs 80 mil-
liards de yens (plus de 500 mil-
lions d’euros) pour les pêcheurs
japonais. L’argent doit servir à ga-
rantir l’écoulement des prises sur
les marchés et le paiement du car-
burant des bateaux. Tokyo utilise
aussi l’intelligence artificielle
pour identifier les « fausses infor-
mations » circulant sur les ré-
seaux sociaux. L’agence des pê-
ches a promis des tests de ni-
veaux de radiations tous les jours
dès le début du rejet de l’eau.
Au niveau international, le mi-
nistère des affaires étrangères dif-
Reprise des feux
en Grèce
La Grèce fait face mardi 22 août
à une nouvelle vague d’incen-
dies, la deuxième en un mois,
qui a déjà fait deux morts et en-
traîné de nombreuses évacua-
tions. Des feux incontrôlés sévis-
sent dans le nord-est du pays,
dans les îles d’Eubée (près
d’Athènes) et de Kythnos, ainsi
que dans la région de Béotie
(centre), avec un mélange de
vents violents et de températu-
res allant jusqu’à 41° C. « C’est
une situation similaire à celle de
juillet », a déclaré à l’AFP une
porte-parole des pompiers, en
référence à la précédente vague
qui avait fait cinq morts et dé-
truit près de 18 000 hectares sur
l’île de Rhodes. Un corps, pré-
sumé être celui d’un migrant
sans papiers, a été découvert
lundi soir dans le parc national
de Dadia, en feu. Un berger a
également été trouvé mort lundi
en Béotie. L’Union européenne
va déployer deux avions de lutte
contre les incendies basés à Chy-
pre et une équipe de pompiers.
fuse sur X (anciennement Twitter)
des vidéos animées expliquant le
projet en neuf langues, dont l’an-
glais, le chinois et le coréen.
Au-delà de cet effort de pédago-
gie, le gouvernement et les mé-
dias nippons dénoncent une cer-
taine hypocrisie des critiques chi-
noises et sud-coréennes. En 2021,
a rappelé le ministère japonais de
l’industrie, la centrale de Yan-
gjiang en Chine a rejeté environ
112 térabecquerels (TBq) de tri-
tium, et celle de Kori en Corée du
Sud en a rejeté environ 49 − par
comparaison, le site de retraite-
ment de La Hague (Manche), en
France, rejette 10 000 TBq.
« La norme japonaise en matière
de rejet de tritium est inférieure à
22 TBq par an. Elle est bien plus
stricte que celle d’autres pays, no-
tamment la Chine et la Corée du
Sud », a martelé Hirokazu Mat-
suno, le porte-parole du gouver-
nement. « Il est difficile de ne pas
soupçonner le gouvernement chi-
nois d’utiliser la question de l’eau
traitée pour faire pression sur le Ja-
pon », soulignait dans un éditorial
du 17 juillet le quotidien Asahi, qui
rappelait les relations tendues en-
tre les deux voisins. p
Philippe Mesmer
 France
0123
6| ­
­Mercredi 23­ août 2023

L’exécutif envisage des hausses d’impôts

Pour la première fois, le gouvernement rompt avec sa doctrine de stabilité fiscale dans le cadre du budget 2024

L
a politique a parfois ses
ironies. C’est à Thomas
Cazenave, le nouveau
ministre délégué au bud-
get, que reviendra la tâche de pré-
senter, fin septembre, un projet
de loi de finances pour 2024 en
forme de quadrature du cercle :
baisser les dépenses pour réduire
la colossale dette tricolore, tout
en investissant dans la transition
écologique et les services publics.
Ce même Thomas Cazenave qui,
au début au premier quinquen-
nat Macron en 2017, échoua à
mettre en musique le projet
« CAP 22 », qui visait à réduire les
dépenses publiques. L’ancien di-
recteur adjoint du cabinet
­d’Emmanuel Macron à Bercy
aura-t-il davantage de succès
pour bâtir le prochain budget ?
Plus d’un an après la réélection
du chef de l’Etat, les consé­-
quences des différentes crises­
(Covid-19, énergétique) semblent
enfin s’éloigner. Néanmoins, le
millésime 2024, qui devrait s’im-
poser au menu du conseil des mi-
nistres de rentrée, mercredi
23 août, s’annonce peu réjouis-
sant pour les Français. Et menace
même de brouiller le cap écono-
mique tracé depuis six ans par
Emmanuel Macron.
Depuis le début de l’été, Bercy
comme l’Elysée préparent les es-
prits à un budget bien plus frugal.
Les motifs d’inquiétude sont
nombreux : une dette publique
dépassant pour la première fois le
seuil de 3 000 milliards d’euros,
des taux d’intérêt remontés en
flèche depuis dix-huit mois… La
dégradation par l’agence Fitch de Bruno Le Maire, le ministre de l’économie, et Thomas Cazenave, le ministre délégué au budget, à Paris, le 21 juillet. CYRIL BITTON/DIVERGENCE POUR « LE MONDE »
la note souveraine de la France, en
avril, a durablement ébranlé
Bercy. « Nous avons tous des ef- Borne, a annoncé débloquer la réduction fiscale Pinel va être Le Maire, on s’empresse de rappe- délégué aux transports, Clément
forts à faire, une responsabilité vis- 7 milliards d’euros dès 2024.
Bercy songe supprimée et le prêt à taux zéro, ler qu’il n’est pas question de tou- Beaune. La taxe supplémentaire
à-vis de nos comptes publics. J’ap- L’écologie n’est pas la seule dé- en particulier recentré. Un temps envisagée, la cher aux grands impôts, comme sur les concessions d’autoroutes
pelle tout le monde au sérieux pense nouvelle avec laquelle hausse des taxes sur l’alcool sem- celui sur le revenu ou celui sur les n’aura « aucun impact » sur les
­budgétaire », a lancé Roland Les- Bercy va devoir composer : entre
à une taxe ble s’éloigner. sociétés, passé, lui, de 33 % à 25 % péages, a-t-il précisé, lundi, sur
cure, ministre délégué à l’indus- les promesses d’Emmanuel sur les sociétés Ce n’est pas tout : la suppres- depuis 2017. Franceinfo.
trie, lundi 21 août sur Europe 1. ­Macron pour les services publics sion de la deuxième moitié de la Mais les budgétaires de Bercy
Fin juin, le ministre de l’écono- – relèvement du point d’indice
d’autoroutes et cotisation sur la valeur ajoutée « Bricolage fiscal » savent qu’ils marchent sur des
mie, Bruno Le Maire, avait assuré des fonctionnaires, moyens sup- à un relèvement des entreprises (4 milliards res- « Il n’y a aucun changement de li- œufs vis-à-vis de l’opinion publi-
vouloir dégager 10 milliards à plémentaires pour la police et la tants), cet impôt de production gne : on reste dans une politique de que. « Il va falloir trouver un équili-
12 milliards d’euros d’économies justice après les émeutes urbai-
de celle sur payé les entreprises, pourrait se l’offre, et cela ne concernera pas les bre, on doit faire attention à
en 2024. Dans le viseur du gou- nes de juin – et les différentes lois les billets d’avion faire en quatre fois au lieu d’une. plus fragiles », assure-t-on au mi- l’image qu’on renvoie », glisse-t-on
vernement : les dépenses de de programmation (recherche, Quant aux allègements de cotisa- nistère de l’économie, où l’on rap- dans les couloirs du ministère.
santé (contrôle accru des arrêts armées), la liste s’est encore allon- tions sur les hauts salaires (au- pelle que l’allocation de rentrée « Le risque, c’est de créer une disso-
maladie, hausse de la franchise à gée. Le tout, sur fond de crois- blic de 0,5 point de PIB prévue en delà de 2,5 smic), ils sont dans le scolaire a augmenté de 5 %. « Là, nance avec la petite musique de
1 euro sur les médicaments) ou sance moindre. 2024 (de 4,9 à 4,4 %). A Bercy, on viseur de la majorité. La baisse on parle de taxes sectorielles et ces dernières années, faite de stabi-
les aides à l’emploi jugées mal ci- envisage une taxe sur les sociétés d’impôts promise de 2 milliards d’impôts comportementaux, qui lité fiscale et de baisse des prélève-
blées (apprentissage, compte per- Ligne rouge d’autoroutes (qui doit rapporter d’euros pour les classes moyen- ne touchent pas tout le monde et ments », abonde Brice Teinturier,
sonnel de formation). « Ce sera Les premiers documents budgé- de l’ordre de 500 millions à nes, elle, est repoussée à « la fin visent à faire changer les usages directeur général délégué d’Ipsos.
plutôt 15 milliards », renchérit taires publiés mi-juillet prévoient 600 millions d’euros à terme), un du quinquennat », a indiqué le ou à s’attaquer à des rentes, D’autant que le résultat finan-
aujourd’hui son entourage. ainsi une baisse nette de 4,2 mil- relèvement de celle sur les billets chef de l’Etat en Nouvelle-Calédo- comme celle des autoroutes. On ne cier est encore incertain. Ces
Car, dans le même temps, le fi- liards des dépenses de l’Etat. Cet d’avion (environ 100 millions), nie, fin juillet. peut pas d’un côté nous demander taxes, aux recettes relativement
nancement du changement cli- objectif repose en partie sur la fin mais aussi, comme annoncé avec Avec un risque d’envergure : d’être plus verts et s’offusquer faibles par rapport aux besoins de
matique s’est imposé en des dispositifs d’aide mis en place la loi industrie verte votée en pre- ­affaiblir le message économique quand on relève des taxes », affir- l’Etat, ne monteront en puissance
­Macronie : l’économiste Jean face à la crise énergétique, mière lecture en juillet, une res- de l’exécutif qui a, depuis 2017, me-t-on encore. que progressivement. « Pour le
­Pisani-Ferry, ancien conseiller du comme le bouclier tarifaire sur le triction du bonus automobile et fait de toute hausse d’impôts sa « Le but du gouvernement n’est moment, on est plutôt sur du bri-
président, a chiffré à plus de gaz et l’électricité : pas moins de l’extinction progressive de plu- ligne rouge. Une perspective qui pas de matraquer les Français, colage fiscal. Mais difficile pour le
30 milliards d’euros par an le 14 milliards d’euros seront à ce ti- sieurs niches fiscales « brunes », fait déjà bondir les patrons, alors mais de leur redonner du pouvoir gouvernement de faire autrement,
montant d’argent public néces- tre réalloués au budget. telles celles qui concernent le ga- que les universités d’été du Me- d’achat », plaide l’entourage de s’il souhaite préserver le pouvoir
saire à la transition. Début juillet, Mais cela ne suffira pas pour res- zole non routier ou les transpor- def doivent se tenir le 28 août. Au M. Cazenave. Même tentative de d’achat des classes moyennes sans
la première ministre, Elisabeth pecter la résorption du déficit pu- teurs routiers. Dans le logement, cabinet du ministre Bruno déminage du côté du ministre réaugmenter la fiscalité du capi-
tal », résume Mathieu Plane, éco-
nomiste à l’OFCE.
Pourquoi la taxe foncière va s’envoler cette année Les débats dans l’Hémicycle,
qui démarreront en octobre,
­promettent d’être d’autant plus
Voilà qui n’arrangera pas les affai- moyenne des grandes villes, la maire ­ oulouse, ont subi une véritable explo-
T rence entre les communes qui avaient accrochés qu’il n’y a guère de
res du gouvernement, en pleins prépara- (Parti socialiste), Anne Hidalgo, a ainsi sion des coûts de l’énergie, avec des aug- fortement augmenté leur taxe d’habita- ­suspense sur la volonté du gou-
tifs du projet de loi de finances pour fait voter une hausse de… 52 %. « C’est un mentations de 400 % à 500 % », s’alarme tion avant 2018 et les autres… – conti- vernement de recourir à l’arti-
2024. A Bercy, on conserve un silence choix politique qui nous permet de ne pas France urbaine. nuent de faire grogner. Le fait que le gou- cle 49.3 pour adopter le texte
gêné sur le sujet. Et pour cause : alors que remettre en cause la tarification sociale L’évolution de la fiscalité locale depuis vernement ait supprimé en 2022 la moi- sans vote. « Ce sera un moment de
l’exécutif prévoit de relever les taxes ver- des cantines ou des transports », justifie 2018 explique aussi la situation. La tié (4 milliards d’euros) d’un autre impôt vérité pour LR [Les Républi-
tes et de rogner sur les dépenses de santé Ian Brossat, adjoint (Parti communiste) ­suppression progressive de la taxe d’ha- local – la contribution sur la valeur ajou- cains] », veut croire l’entourage
ou d’emploi l’an prochain, l’envolée de la chargé du logement. bitation décidée par Emmanuel tée des entreprises – a contribué à de Bruno Le Maire.
taxe foncière, cet impôt local réclamé ­Macron pour quelque 16,5 milliards échauffer les esprits. France urbaine dé- A gauche, la tonalité verte du
chaque année aux propriétaires entre « Erreurs politiques majeures » d’euros – elle disparaît définitivement nonce des « erreurs politiques majeures », budget à venir laisse encore du-
fin août et fin septembre, risque d’aggra- Mêmes envolées à Grenoble (+ 33 %), cet automne sur les résidences princi- alors que la demande de services publics bitatif. « Le gouvernement a
ver un peu plus le ressentiment des Mulhouse (+ 17 %) ou Lyon (+ 16 %), se- pales, y compris pour les plus aisés – a de proximité va croissant. ouvert plusieurs petits chantiers
Français face à la fiscalité. lon le décompte de l’Union nationale réduit l’autonomie fiscale des commu- Du côté des propriétaires, Christophe car ils ne peuvent pas ne pas par-
La taxe foncière devrait, au minimum, des propriétaires immobiliers (UNPI). nes, lesquelles ne peuvent plus jouer Demerson, qui vient de céder la main à ler d’écologie, mais je ne vois en-
augmenter de 7,1 % – sa plus forte hausse Et ce n’est sans doute pas fini. Pour que sur la taxe foncière pour augmen- la présidence de l’UNPI, déplore « une ex- core rien de probant », lâche le
depuis 1986. Réévaluée chaque mois de 2024, « environ 20 % des communes de- ter leurs ressources. Pour éteindre plosion des taxes, de celle sur les résiden- président La France insoumise
novembre en fonction de l’indice des vraient se pencher sur le sujet », selon toute bronca, l’Etat s’était engagé à ces secondaires à celle sur les logements de la commission des finances de
prix à la consommation harmonisé de l’association France urbaine, qui repré- compenser « à l’euro près » les recettes vacants ». Et dénonce le jeu très politi- l’Assemblée, Eric Coquerel. Pour
l’Insee, cette évolution était connue de- sente les vingt-deux métropoles et les manquantes. Les maires reçoivent dé- que de certains élus : « Dans les villes où la députée Europe Ecologie-
puis neuf mois. Elle dépasse cependant grandes villes de France. sormais la part de la taxe foncière les locataires sont majoritaires, les mai- Les Verts Eva Sas, « le diagnostic
l’inflation (+ 4,5 % en juin sur un an). Sur- En cause, d’abord, l’inflation des autrefois dévolue aux départements. res peuvent faire exploser un impôt qui est le bon, mais on est encore loin
tout, elle augmentera bien davantage ­dix-huit derniers mois, notamment en Mais le diable se cache dans les détails, touche une minorité de leurs concitoyens, du virage écologique que doit
dans nombre de communes. A Paris, où matière énergétique. « Certaines et les décalages en tout genre – augmen- sans craindre pour leur réélection. » p prendre la fiscalité ». p
le taux était deux fois plus faible que la ­collectivités, à l’instar de Rennes ou tation du nombre d’habitants, diffé- A. T. Audrey Tonnelier
0123
­
­Mercredi 23­ août 2023
Au Tricastin, un
réacteur sera utilisé
cinquante ans
L’exécutif souhaiterait prolonger tous ces
ouvrages « jusqu’à soixante ans, et au-delà »
C’
est une première
pour le parc nu-
cléaire français. Par
une décision rendue
publique le 10 août, l’Autorité de
sûreté nucléaire (ASN) autorise un
premier réacteur, le réacteur nu-
méro 1 de la centrale du Tricastin
(Drôme), à fonctionner pendant
cinquante ans. Une annonce qui
intervient alors que la question de
la « durée de vie » des centrales est
cruciale pour l’avenir énergétique
du pays : pour faire face aux be-
soins croissants en électricité bas
carbone au cours des prochaines
décennies, l’exécutif souhaite
prolonger, dans la mesure du pos-
sible, tous les réacteurs « jusqu’à
soixante ans, et au-delà ».
L’avis de l’ASN, communiqué au
milieu de l’été, mais pris dès le
29 juin, clôt un très long proces-
sus permettant de prolonger la
durée de vie des réacteurs les plus
anciens du parc, soit trente-deux
réacteurs de 900 mégawatts, au-
delà de quarante ans. En fé-
vrier 2021, l’ASN a ouvert la voie à
cette prolongation par une déci-
sion générique, qui doit être
­confirmée par un réexamen de
chaque réacteur, prenant en
compte ses spécificités. Mis en
service en 1980, le réacteur nu-
méro 1 du Tricastin est le premier
à avoir réalisé, en 2019, cet exa-
men approfondi, appelé « qua-
trième visite décennale ».
« L’ASN ne peut prononcer un
avis définitif qu’après la réalisa-
tion des examens sur chaque réac-
L’Elysée refuse d’ostraciser le « JDD »
Le camp présidentiel se divise sur l’hebdomadaire de Geoffroy Lejeune
E t de deux ! Quinze jours
après la secrétaire d’Etat
chargée de la ville, Sabrina
Agresti-Roubache, le député Re-
naissance des Yvelines Karl Olive
s’est exprimé dans les colonnes
du Journal du dimanche (JDD) le
20 août. Sobrement intitulée « Al-
lons sentir le cul des vaches ! », sa
tribune vante sur une pleine page
la « démocratie de proximité » et le
cumul des mandats.
Ce faisant, l’ancien maire de
Poissy (Yvelines) enfreint la consi-
gne du président du groupe Re-
naissance, Sylvain Maillard, adres-
sée le 11 août à ses troupes, de ne
pas répondre aux sollicitations du
JDD version Bolloré, en attendant
de voir comment évolue la ligne.
Une consigne de prudence après
l’arrivée à la tête du journal de l’ex-
patron de l’hebdomadaire d’ex-
trême droite Valeurs actuelles,
Geoffroy Lejeune, mais aussi une
forme de « respect » vis-à-vis des
journalistes du JDD, qui ont effec-
tué une grève de quarante jours
pour s’opposer à cette arrivée.
Plusieurs voix de macronistes
historiques, dont celle de l’ancien
secrétaire général d’En marche !
(aujourd’hui Renaissance) Phi-
lippe Grangeon, se sont élevées,
au cœur de l’été, pour appeler à ne
pas se précipiter et à s’assurer que
l’hebdomadaire restait dans la
même tempérance avant de lui
apporter toute forme de caution.
La « participation » de Karl Olive
au JDD, « alors que ce journal n’ap-
porte toujours pas la garantie né-
cessaire de pluralité que notre
groupe attend », « n’engage en
aucun cas les députés Renais-
sance », a réagi M. Maillard di-
teur, la remise d’un rapport de
conclusions par EDF et la tenue de
l’enquête publique, qui a eu lieu dé-
but 2022 pour le réacteur numéro 1
du Tricastin, précise Yves Guan-
nel, chef du bureau agressions et
réexamens de sûreté au sein de la
direction des centrales nucléaires
de l’ASN. L’ensemble de ce proces-
sus a été à son terme pour le réac-
teur 1 du Tricastin et il va se dérou-
ler de la même façon pour les
autres réacteurs. »
Examen décennal
« Le processus d’instruction du
passage des quarante ans s’inscrit
dans deux étapes-clés complé-
mentaires : une phase dite généri-
que commune à tous les réacteurs
du même type et une phase spécifi-
que à chaque réacteur, intégrant
les spécificités locales telles que les
niveaux d’agression à prendre en
compte ou la source froide, ajoute
EDF, qui exploite les cinquante-
six réacteurs du parc. La décision
de l’ASN relative à “Tricastin 1”
vient clôturer ces deux phases. »
Si la réglementation française
ne prévoit pas de « durée de vie »
maximale des réacteurs, une hy-
pothèse de quarante ans de fonc-
tionnement avait été retenue
lors de leur conception. Tous les
dix ans, les réacteurs font l’objet
d’un examen approfondi, en vue
d’obtenir l’autorisation de fonc-
tionner une décennie supplé-
mentaire. Pour la quatrième vi-
site décennale, l’objectif était de
faire en sorte que les trente-deux
manche sur X (anciennement
Twitter). Le président du groupe
macroniste réunira le bureau « à
la rentrée pour donner suite », sug-
gérant une éventuelle sanction.
« Les visées politiques de M. Bol-
loré ne font guère de doute, juge
l’ex-président du groupe La Répu-
blique en marche (aujourd’hui
Renaissance) à l’Assemblée, Gilles
Le Gendre. Devons-nous considé-
rer tout ou partie des médias dont
il est le propriétaire comme des
­acteurs politiques à part entière,
justifiant un traitement particu-
lier ? L’avenir le dira. En attendant,
prétendre réguler la parole des dé-
putés est une gageure. »
« Il ne faut pas segmenter »
Si le camp présidentiel se trouve
dans l’incapacité de tenir une posi-
tion collective sur le sujet, c’est
aussi parce que l’Elysée se tient en
retrait. Mieux : la proximité reven-
diquée de Mme Agresti-Roubache
et de M. Olive avec Emmanuel Ma-
cron indique, au minimum, une
forme de tolérance présidentielle
à l’égard de leurs initiatives. La se-
crétaire d’Etat affirme avoir « suivi
le process formel de relecture avec
l’Elysée et Matignon » avant la pu-
blication de son interview dans Le
JDD. « Nos cabinets respectifs se
sont parlé, personne ne m’a appelée
avant, et il n’y a eu aucun recadrage
après », assure-t-elle. Karl Olive,
qui échange régulièrement avec le
chef de l’Etat, n’a pas davantage été
découragé de publier sa tribune.
Alors que le chef de l’Etat a lui-
même accordé une longue inter-
view sur l’immigration et l’islam à
Valeurs actuelles, en 2019, il n’en-
tend pas, aujourd’hui, donner de
France | 7
A l’intérieur
du réacteur
numéro 1
de la centrale
nucléaire
du Tricastin,
dans la
Drôme,
le 27 juin 2019.
PHILIPPE DESMAZES/AFP
réacteurs entrés en fonction en- avec le déploiement d’équipements sur l’aléa sismique : celui-ci est
tre 1978 et 1987 atteignent le emblématiques comme, par exem-
Une hypothèse de revu à la baisse, en raison de l’évo-
même niveau de sûreté que le ple, un système complémentaire quarante ans de lution des connaissances sur le
réacteur le plus récent, soit l’EPR d’appoint du refroidissement de la tremblement de terre de référence
de Flamanville, dont le démar- piscine d’entreposage du combusti-
fonctionnement de 1873. En revanche, le dérègle-
rage est prévu en 2024. ble », précise Yves Guannel. « Le vo- avait été retenue ment climatique contraint à re-
Pour y parvenir, un récupéra- lume de travaux lors de ces quatriè- voir à la hausse le risque lié aux
teur de corium a été installé sous mes visites décennales est cinq fois
lors de la épisodes caniculaires. Les équipe-
la cuve du réacteur pour retenir le supérieur au volume de travaux conception ments de la centrale devront dé-
combustible qui aurait fondu en lors des troisièmes visites décenna- sormais pouvoir résister à une
cas d’accident avec fusion du les », a aussi expliqué l’ancien PDG
des réacteurs température maximale de 45,7 °C
cœur, la sûreté de la piscine d’en- d’EDF, Jean-Bernard Lévy, lors pendant douze heures, et à une va-
treposage des combustibles usés d’une audition en décembre 2022. riation de température comprise
a été renforcée, tout comme la ro- Au total, onze réacteurs ont Si l’ASN estime que le réacteur entre 45,7 °C et 28,1 °C pendant
bustesse des sources électriques. achevé leur quatrième examen numéro 1 du Tricastin est en me- quatorze jours. « Ces prescriptions
Des travaux d’une ampleur iné- périodique et quatre sont en cours sure de fonctionner jusqu’à l’âge figent ces nouveaux critères, qui de-
dite, qui ont mobilisé pour le (Saint-Laurent-des-Eaux 2, Chi- de 50 ans, elle souligne toutefois vront s’appliquer sur le site, insiste
réacteur numéro 1 du Tricastin non 1, Blayais 2 et Gravelines 2). « la nécessité d’encadrer » cette pro- Yves Guannel. EDF devra faire en
environ 5 000 intervenants pen- Ces « visites décennales » de- longation par « des prescriptions sorte qu’ils soient respectés. » p
dant six mois. vraient se prolonger jusqu’à 2031. complémentaires ». L’une porte Perrine Mouterde
« Ce quatrième réexamen a per-
mis de mettre en place des objectifs
de sûreté ambitieux afin d’attein-
dre le même niveau de sûreté que
pour les constructions neuves. Cela
permet également de compléter les
dispositions prises après l’accident
de Fukushima [au Japon en 2011] Une collection
consigne de boycott à l’égard des
médias du groupe Vivendi (Eu-
rope 1, CNews, Paris Match et Le
JDD principalement). « Le projet
politique que portent ces médias
n’est pas celui du président, et de
loin, affirme son proche entou-
rage. D’ailleurs, ils sont extrême-
ment durs avec lui. Mais il veut que
le combat se mène politiquement,
en allant convaincre sur toutes les
chaînes et dans tous les ti-
tres. Comme disait Mendès France,
en démocratie, il faut convaincre. »
« Il ne faut pas segmenter, mettre LE VOLUME 3
11 99 €
de côté ou ignorer ce que les Fran-
çais regardent, lisent et écoutent »,
insiste un autre conseiller de l’Ely-
,
SEULEMENT !
sée. Une règle en matière de com-
munication qui ne s’applique pas DYSTOPIES · HORREUR · MONDES IMAGINAIRES
forcément aux partis d’opposi-
tion : « L’initiative politique d’am-
pleur » annoncée par le chef de
l’Etat pour la rentrée devait initia-
lement se limiter à « l’arc républi-
cain », arguait l’Elysée, en ex-
Cette semaine
cluant le Rassemblement natio-
nal et La France insoumise.
LE CHAT NOIR
Attentif à ne pas entrer dans une de Edgar Allan Poe
confrontation publique avec l’in-
Les contes les plus emblématiques de l’auteur
dustriel breton Vincent Bolloré,
Emmanuel Macron entend répon- qui révolutionna la littérature de l’horreur.
dre à la crise du JDD par le biais des
états généraux de l’information,
en septembre, sous la houlette du
secrétaire général de Reporters
sans frontières, Christophe De-
loire. Et observe avec attention le
projet de l’armateur CMA CGM du
milliardaire Rodolphe Saadé, qui
ne fait pas mystère de ses bonnes
relations avec le chef de l’Etat et
doit lancer le 8 octobre une édition En vente tous les quinze jours chez votre marchand de journaux
dominicale de La Tribune Diman- Et sur www.maitresdufantastique.fr
che, concurrente directe du JDD. p
Nathalie Segaunes
 0123
8 | France ­
­Mercredi 23­ août 2023

Ces médecins entrés en « fronde tarifaire »

Dénonçant l’inflation et la hausse de leurs charges, certains généralistes augmentent leur tarif de consultation

L
e docteur Yannick meture des cabinets, portée par le
­Pacquelet, l’un des cinq collectif Médecins pour demain
généralistes exerçant à la dont ce généraliste fait partie.
maison de santé de Signy- Autre lieu, autre collectif : de-
le-Petit (Ardennes), 1 200 habi- puis Angers où il exerce dans un
tants, a « plongé dans les chiffres » il cabinet de groupe pluriprofes-
y a un an, à l’« arrivée de [s]on sionnel, le docteur Olivier Leroy,
comptable ». Il n’en est jamais vrai- syndiqué lui aussi à l’UFML mais
ment ressorti : « 20 % : c’est la agissant, explique-t-il, « à titre
hausse de toutes nos charges mises asyndical », est parvenu à fédérer
bout à bout, rapporte ce médecin 402 des 650 généralistes du Mai-
de 39 ans. Les salaires des secrétai- ne-et-Loire. Plus de 100 sont déjà
res et assistants médicaux, le loyer, passés à 30 euros.
le matériel, les logiciels, le gaz, l’eau,
les taxes… L’inflation se fait sentir à « Le prix de notre colère »
tous les niveaux. » « Se mettre en grève n’a rien
Le constat fait l’unanimité parmi changé, les pétitions, les affiches, ça
ses collègues généralistes, mais ne fonctionne pas, dit-il. Alors coter
aussi les trois infirmières, les deux [l’acte de consultation] 5 euros de
kinés, le podologue, l’orthopho- plus, sans s’en cacher, c’est une fa-
niste, le dentiste, le psychologue et çon d’imposer le sujet dans le débat
la diététicienne qui partagent son avec les patients. On prend un ris-
quotidien et les 1 000 mètres car- que, c’est sûr, mais on le fait collec-
rés de cette structure pluriprofes- tivement. Nous sanctionner de
sionnelle où sont suivis entre 100 déconventionnements, ce se-
4 000 et 5 000 patients par an. rait un coup dur pour le départe-
L’équivalent de quatre fois la po- ment… » Il raconte avoir sondé le
pulation du village. collectif « sur l’avenir ». Et avoir été
Après un hiver compliqué pour frappé des réponses : « 20 % des
les médecins libéraux, marqué par collègues qui ont répondu envisa-
l’échec des négociations conven- gent de “déplaquer”, d’arrêter la
tionnelles avec l’Assurance-mala- médecine libérale, voire d’arrêter la
die, une succession de proposi- médecine tout court. Certains n’ex-
tions de loi touchant à leur métier Des médecins défilent à Paris, le 14 février, notamment pour l’augmentation du tarif de la consultation. Gauthier Bedrignans/Hans Lucas cluent pas de se déconventionner.
et un mouvement de grève inédit Cela semblait impensable il y a
– auquel M. Pacquelet, non syndi- quelque temps encore… »
qué, a participé –, le petit noyau de pas le reste à charge – « une seule Yannick Pacquelet et ses collè- tape au porte-monnaie, on sera so- Le gouvernement s’est engagé à
médecins ardennais a décidé, en patiente s’en est plainte, on ne le lui gues les ont donc devancés. Et ils lidaires pour encaisser les pénali-
« Doit-on reprendre les négociations
mai, de lancer une invitation « en a pas appliqué ». Ils disent fixer ne sont pas les seuls : de la Marne tés. » La « dynamique » que ce géné- accepter que nos ­conventionnelles à la rentrée. Un
visio » aux autres professionnels leur tarif « avec tact et mesure » à la Loire-Atlantique, du Nord au raliste de 40 ans décrit, dans son dossier chaud de plus pour le nou-
du département. Quarante d’entre suivant les situations – « pas pour Maine-et-Loire en passant par département, ne se résume pas,
revenus baissent veau ministre de la santé, Auré-
eux se sont connectés pour témoi- nos patients en difficulté, qu’on l’Oise ou encore l’Ile-de-France, assure-t-il, à une « question d’ar- alors qu’on lien Rousseau, qui doit avoir des
gner d’un même « ras-le-bol », ex- connaît bien, et pas non plus cette « fronde tarifaire », selon gent » : « On sait bien qu’on n’est pas échanges avec les syndicats de la
plique-t-il, de la « course contre la pour les enfants ». l’expression consacrée, fait parler les plus à plaindre, que nos revenus
travaille toujours médecine de ville ces jours-ci, pré-
montre » face à des patients tou- Pour les autres, c’est 5 euros sup- d’elle en s’appuyant sur des col- sont confortables… Mais, dans le autant ? » cise-t-on dans son entourage, no-
jours plus nombreux et, donc, de plémentaires qui sont demandés lectifs. Certains sont liés à des contexte actuel, on a de plus en plus tamment pour fixer le calendrier.
Thomas Lacroix
ce sujet devenu une « préoccupa- pour une consultation dite de syndicats, d’autres pas. La plupart de difficultés à faire fonctionner Comme son prédécesseur, Fran-
généraliste à Couëron
tion commune » : l’inflation. Ils ont base, alors que celle-ci doit être re- comptent quelques dizaines de nos cabinets. Doit-on accepter que çois Braun, il y a tout juste un an,
(Loire-Atlantique)
vite été soixante, et, aujourd’hui, levée, cet automne, à 26,50 euros, membres, certains plusieurs cen- nos revenus baissent alors qu’on M. Rousseau va devoir assumer le
quatre-vingts, soudés autour d’un en vertu du règlement arbitral en- taines, sans qu’il soit possible de travaille toujours autant ? » « télescopage » de deux échéan-
autre calcul : l’« ajustement » du ta- tré en vigueur faute d’accord sur savoir qui, en leur sein, a modifié Les données tout juste rendues ces-clés : la reprise des discus-
rif de la consultation. la convention médicale. D’ici là, ses tarifs, qui n’a pas sauté le pas. publiques par l’Union nationale A ce stade, certains médecins sions conventionnelles et le débat
Depuis début juin, ces médecins les syndicats représentatifs de la des associations agréées appuient majorent leur consultation « en parlementaire autour du projet
l’ont porté, de leur propre initia- médecine de ville espèrent bien « On ne se laissera pas faire » leur argumentaire : malgré une re- assumant le bras de fer avec les tu- de loi de financement de la Sécu-
tive, de 25 à 30 euros. « Après tout, être revenus s’asseoir à la table Il y a des risques, pour une profes- lance de l’activité après la crise due telles et en espérant que les mu- rité sociale. Le tout dans un con-
nous sommes les garants des soins, des négociations, face à sion réputée légaliste, à s’affran- au Covid-19, les bénéfices nets tuelles couvrent les patients », texte budgétaire contraint.
pas du remboursement », fait va- ­l’Assurance-maladie, pour porter chir des règles conventionnelles : comptables de la quasi-totalité des souffle l’un d’eux, anonymement. C’est pour retrouver une « respi-
loir M. Pacquelet, en assurant que leurs revendications – 30 euros les courriers des caisses primaires professions médicales libérales D’autres déclarent un dépasse- ration » que Xavier Lambertyn
sa patientèle, avertie, ne conteste faisant figure de « plancher ». d’assurance-maladie qui ont ont diminué en 2022. C’est encore ment d’honoraire pour « exigence s’apprête à quitter son cabinet de
commencé à arriver à ces méde- plus vrai pour les généralistes qui, particulière du malade ». « Une Lachapelle-aux-Pots dans l’Oise,
cins, en juillet, le rappellent : « La après une hausse de leurs revenus pratique légale lorsque la consul- 1 500 habitants, où il a exercé
non-conformité aux dispositions avant impôt de 9 % en 2021, ont tation sort du cadre habituel [de vingt-sept ans, pour en rejoindre
de la convention [signée en 2016], connu un recul de 7 %. Une « dou- temps et/ou de lieu], par exemple un autre dans un bourg voisin. Et
Le Tribunal de Commerce de Paris, statuant publiquement en premier ressort si elle venait à se répéter, est sus- che froide », souffle M. Lacroix, qui si elle nécessite un temps plus long monter avec un collègue un
par jugement contradictoire du 19 décembre 2022 : ceptible d’enclencher la procédure estime à près de deux cents le que la durée moyenne d’une ­second projet de maison de santé –
• Dit irrecevable l’action intentée par Monsieur le Ministre de l’Economie et de sanction », peut-on y lire. Une nombre de médecins mobilisés ­consultation – quinze minutes – et le premier a « capoté ». Devant ses
des Finances et de la Relance envers la Société privée à responsabilité limitée procédure graduée : d’abord, un en Loire-Atlantique. que le patient ne peut pas revenir factures d’électricité, ce généraliste
constituée selon le droit irlandais APPLE SOFTWARE SERVICES LIMITED, avertissement ; ensuite, la non- Du côté de l’Assurance-maladie, pour la suite de ses soins », expli- de 59 ans est resté sans voix.
• Dit l’intervention volontaire à titre accessoire de l’ASSOCIATION FOR prise en charge des cotisations so- on se dit « très attentif » à la situa- que le docteur Djilali Saïche, géné- « Tout augmente pour les méde-
COMPETITIVE TECHNOLOGY recevable, • Prend acte de l’abandon par ciales ; enfin, dans les cas les plus tion, notamment dans « certains raliste à Strasbourg et chef de file cins… sauf le prix de la consulta-
Monsieur le Ministre de l’Economie et des Finances et de la Relance de ses extrêmes, un déconventionne- territoires localisés », sans consta- de la Fédération des médecins de tion, constate-t-il. Cette fronde ta-
prétentions concernant la clause 15.6 dans le contrat communiqué le 19 mai ment. Ce qui ne ferait qu’« aggra- ter, pour l’heure, d’« évolution no- France dans le Grand-Est. rifaire, c’est le prix de notre co-
2015 et 14.6 dans le contrat communiqué le 22 septembre 2016, intitulée « ver les choses », soufflent les inté- table du recours à ce type de prati- Thomas Lacroix a, lui, affiché le lère ! » Il prévoit lui aussi de passer
Autonomie des clauses » qui avait été mentionnée par erreur dans l’assignation, ressés, en privant les patients de ques au niveau national ». Dans message dans sa salle d’attente : à 30 euros. Ses 2 000 patients le
• Condamne solidairement la Société californienne de droit américain APPLE tout remboursement. les colonnes des Echos, mi-juillet, « Une consultation de qualité ne suivent d’un cabinet à l’autre. « Vu
INC et la Société privée illimitée constituée selon le droit irlandais APPLE DIS- En ce début du mois d’août, ils son directeur général, Thomas peut pas coûter 25 euros, peut-on y l’offre de soins dans le secteur, ce
TRIBUTION INTERNATIONAL LIMITED à payer à Monsieur le Ministre de mettent la dernière main à leur ré- ­Fatome, a tenté de donner des ga- lire. Le prix minimal est de n’est pas comme s’ils avaient le
l’Economie et des Finances et de la Relance la somme de 1 090 909 € au titre ponse, qu’ils veulent eux aussi na- ges : « Nous avons sans doute mal 30 euros. » Minimal, car lui dit « ne choix ! Mais je les ai prévenus, il me
de l’amende civile, • Dit que le greffe de ce tribunal transmettra une expédition tionale : « Le message, c’est qu’on ne estimé le malaise d’une partie de la pas s’interdire 35 ou 40 euros » et reste huit ans avant la retraite, il va
exécutoire du présent jugement au Service Amendes de la Direction Régionale se laissera pas faire, affirme le doc- profession. (…) Nous sommes d’ac- soutenir le principe d’une « factu- leur falloir à un moment chercher
des Finances Publiques de Paris situé 16 rue Notre Dame des Victoires 75081 teur Thomas Lacroix, installé à cord pour revaloriser les médecins, ration libre ». Pour mémoire, la ailleurs… », dit-il. Il espère, dans
Paris cedex 02 pour en permettre la mise en recouvrement. • Dit n’y avoir lieu à
Couëron (Loire-Atlantique), syndi- et la consultation à 26,50 euros [à demande d’une consultation à l’intervalle, pouvoir compter sur
ordonner à la Société californienne de droit américain APPLE INC et la Société
qué à l’Union française pour une partir de l’automne] ne sera 50 euros avait résonné, à l’hiver leur soutien. p
privée illimitée constituée selon le droit irlandais APPLE DISTRIBUTION IN-
médecine libre (UFML). Si on nous qu’une étape », a-t-il promis. 2022-2023, lors des appels à la fer- Mattea Battaglia
TERNATIONAL LIMITED de cesser, sous astreinte, les pratiques consistant à
mentionner les clauses litigieuses dans leurs contrats ou à les mettre en oeuvre
sous quelque forme que ce soit, la nouvelle Législation sur les Marchés Numé-
riques en vigueur contraignant dorénavant les défenderesses à se conformer aux Des arbitrages attendus sur la hausse des franchises médicales
exigences légitimes de Monsieur le Ministre de l’Economie et des Finances et
de la Relance, • Ordonne solidairement à la Société californienne de droit amé-
ricain APPLE INC et la Société privée illimitée constituée selon le droit irlan- C’est, avec les arrêts maladie et les ration, en 2008. Les dépenses de médica- tifs médicaux (pansements, béquilles, etc.)
dais APPLE DISTRIBUTION INTERNATIONAL LIMITED de publier à leurs soins dentaires, la troisième piste ments ont, elles, augmenté de plus de 4 % qui n’étaient jusqu’à présent pas concernés.
frais, sous huit jours à compter de la signification du présent jugement, le dispo- ­d’économie sur les dépenses de santé iden- entre 2021 et 2022. Et l’envol s’est pour- Mais comment faire sans doubler, aussi,
sitif dudit jugement dans les journaux suivants en version électronique et papier tifiée par le gouvernement. Le scénario suivi au premier semestre 2023. le plafond de 50 euros par patient et
: LE MONDE, LE FIGARO et LES ECHOS et ce, pour une durée d’un mois, d’une augmentation des franchises médi- par an ? L’équation n’est pas simple à résou-
le tout sous astreinte de 10 000 € par jour de retard à compter de la signification cales, lancé comme un ballon d’essai mi- Préserver « les Français les plus fragiles » dre, et fait déjà craindre un coup de rabot
du présent jugement, excluant expressément l’exécution provisoire au titre de- juin, et de la participation forfaitaire chez le Face à cette hausse, le gouvernement envi- dans le monde de la santé.
mande de publication, • Dit que le tribunal ne se réserve pas la liquidation de médecin, semblent se confirmer. « Des arbi- sagerait, donc, d’accroître la participation Avenue de Ségur, on l’évoque avec beau-
l’astreinte, • Condamne solidairement la Société californienne de droit améri- trages seront finalisés fin août », assure-t-on des assurés : doubler la franchise sur les coup de prudence. « Nous défendons le
cain APPLE INC et la Société privée illimitée constituée selon le droit irlandais au ministère. Interrogé lundi 21 août sur médicaments, pour la porter à 1 euro, pour- maintien d’un plafond qui préserve les Fran-
APPLE DISTRIBUTION INTERNATIONAL LIMITED à payer à Monsieur le BFM-TV, le ministre de la santé, Aurélien rait rapporter de 500 à 600 millions çais les plus fragiles, fait-on valoir dans l’en-
Ministre de l’Economie et des Finances et de la Relance la somme de 3 000 € Rousseau, a reconnu que ces pistes sont d’euros, selon un calcul de Bercy. Et le projet tourage du nouveau ministre de la santé,
au titre de l’article 700 du CPC, • Déboute les parties de leurs demandes plus « sur la table », évoquant la nécessité d’un de l’exécutif pourrait aller plus loin, pour Aurélien Rousseau. Il nous faut trouver un
amples ou contraires, • Ordonne l’exécution provisoire de la présente décision « effort de responsabilisation collective ». concerner également la participation for- système de responsabilisation qui ne péna-
à l’exclusion de la demande de publication, • Condamne solidairement la So- Le montant des franchises, ces sommes faitaire qui s’applique aux consultations lise pas les patients en affection de longue
ciété californienne de droit américain APPLE INC et la Société privée illimitée non remboursées par la Sécurité sociale, chez le médecin (1 euro), ainsi que sur les ra- durée. » Quelque 20 millions d’assurés souf-
constituée selon le droit irlandais APPLE DISTRIBUTION INTERNATIONAL notamment sur les boîtes de médicaments dios et les analyses, selon une hypothèse frent d’une maladie chronique, dont 11 mil-
LIMITED aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme (50 centimes d’euro), pour une enveloppe dévoilée par le quotidien Les Echos le 7 août. lions sont reconnus en affection de longue
de 318,07 € dont 52,37 € de TVA. maximale de 50 euros par an et par pa- Le gouvernement n’exclurait pas non plus durée, selon l’Assurance-maladie. p
tient, n’a guère évolué depuis leur instau- une extension de la franchise aux disposi- M. Ba.
 Économie & Entreprise
0123
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­Mercredi 23­ août 2023 |9

A Paris, la fin des trottinettes de location

Les trois opérateurs, Dott, Lime et Tier, doivent retirer les 15 000 engins en libre-service avant le 31 août

D
ans une semaine, il ne
sera plus possible
d’avaler le bitume des
boulevards parisiens
juché sur sa trottinette électrique
vert et blanc louée pour 23 centi-
mes d’euro la minute. Les engins
des trois opérateurs, Dott, Lime et
Tier, auront disparu de la voirie
d’ici à la fin d’août, ­conformément
au résultat de la « votation ci-
toyenne » organisée par la Ville de
Paris, le 2 avril. Au total, 89 % des
votants, ne représentant toutefois
que 7 % des inscrits en raison
d’une forte abstention, avaient
choisi le bulletin contre les trotti-
nettes en libre-service. La munici-
palité avait ouvertement encou-
ragé les électeurs à se débarrasser
du service, estimant que les acci-
dents avaient augmenté de 189 %
depuis leur mise en circulation, et
que la trottinette générait un cli-
mat anxiogène.
Les sociétés ont pris leurs dispo-
sitions pour retirer progressive-
ment les 15 000 « trots de loc »,
comme les appelaient les utilisa-
teurs, avant la date butoir, fixée au
31 août. Dott a été le plus prompt,
en collectant 3 000 de ses
5 000 appareils dès juillet. Lime a
annoncé, mardi 1er août, le retrait
de sa flotte au cours du mois et Tier
a commencé l’opération le 14 août.
« Nous savons déployer et retirer
une flotte en quelques jours », com-
mente Erwann Le Page, directeur
des affaires publiques de l’entre-
prise pour l’Europe de l’Ouest. Et
tant pis si l’été est habituellement
rentable, grâce aux longues jour-
nées, à la météo plutôt clémente et A Paris, le 15 mars 2020. FRANCK FIFE/AFP
aux nombreux touristes.

Report vers le vélo
Mais, du côté des opérateurs, la pi-
lule a encore visiblement du mal à
passer. Paris « fait figure d’excep-
tion sur le territoire européen »,
souligne Lime dans un communi-
qué. L’entreprise californienne fait
savoir que ses engins seront réaf-
fectés à Lille, Copenhague ou Lon-
dres, des « villes cosmopolites et in-
ternationales de premier plan ».
La société allemande Tier envoie
ses trottinettes « en Allemagne,
notamment à Berlin, et en Pologne,
notamment à Varsovie », mais
aussi en Ile-de-France, dans les in-
tercommunalités de Saint-Quen-
tin-en-Yvelines, de Grand Paris
Seine et Oise (Yvelines) ou du Val
d’Europe (Seine-et-Marne), des
collectivités où le service est « très
bien tenu », insiste Erwann Le
Page. La grande couronne franci-
lienne fait ainsi figure d’eldorado
pour la trottinette de location, au
moment même où Paris s’en sé-
pare. Les engins de Dott pren-
dront, eux, les chemins qui mè-
nent à Rome, à Bordeaux, aux vil-
les belges ou à Tel-Aviv, où l’entre-
prise fondée aux Pays-Bas est im-
plantée. Entre-temps, les engins
auront été révisés et des pièces
éventuellement changées. Un
processus qui demande au plus
quelques semaines.
Les trois sociétés ne partagent
avec la municipalité parisienne
qu’un objectif : le report des trajets
à trottinette en libre-service vers le
vélo, puisqu’elles détiennent cha-
cune une flotte de bicyclettes à as-
sistance électrique dans la capi-
tale, 10 000 pour Lime et 5 000
pour chacun des deux autres.
Quelle est la proportion des usa-
gers orphelins qui choisiront dé-
sormais un vélo ? Pendant la cam-
pagne pour la votation, la Ville de
Paris estimait ce report à environ
la moitié. Afin d’inciter les usa-
gers à pédaler, les 2 500 emplace-
ments jusque-là réservés sur la
voirie au stockage des trottinettes
La municipalité
avait
ouvertement
encouragé
les électeurs
à se débarrasser
de ce service
seront reconvertis dès septembre
« en stationnement pour les vélos,
avec ou sans arceaux », promet
David Belliard, adjoint (Europe
Ecologie-Les Verts) à la maire,
chargé de la mobilité et de la voi-
rie. Toutefois, selon une étude
conduite par le consultant spécia-
lisé 6T en mai 2022, seulement
12 % des usagers des trottinettes
auraient, en l’absence de ce ser-
vice, choisi une bicyclette.
Lime rappelle avec optimisme la
hausse de 73 % de l’usage de ses vé-
los en 2022 par rapport à 2021, un
chiffre élevé qui s’explique aussi
par le fait que 2021 était encore
marquée par les confinements et
les couvre-feux. « La tendance se
confirme en 2023 », affirme l’opéra-
teur californien. Dott et Tier se
montrent plus prudents. Ces der-
niers mois, « [leurs] vélos étaient
trois fois moins utilisés que [leurs]
trottinettes », observe Erwann Le
Page. Un vélo d’un opérateur privé
se loue plus de 10 euros les quaran-
te-cinq minutes, contre 3 euros
pour un Vélib’ électrique. Enfin, la
gestion des vélos, lourds et en-
combrants, est plus complexe que
celle des trottinettes, que les opé-
rateurs pouvaient charger facile-
ment dans un véhicule en cas de
dysfonctionnement, explique le
responsable de Tier.
Le report de la trottinette vers le
vélo décidera en outre des consé-
quences sociales de la votation pa-
risienne. Si Lime soutient qu’en
tout état de cause « aucun emploi
n’est menacé », Tier s’inquiète pour
ses cent salariés parisiens. « Ils ré-
parent les trottinettes, rééquili-
brent les flottes, gèrent les batte-
ries », précise M. Le Page, ajoutant
qu’il s’agit d’emplois non suscepti-
bles d’être accomplis en télétravail.
Compenser le fiasco
La même crainte agite Dott, chez
qui 51 salariés sont concernés par
un « plan de sauvegarde de l’em-
ploi » homologué par le ministère
du travail, mercredi 16 août.
« Moins de dix salariés pourront
être reclassés », regrette Maggy
Gerbeaux, directrice des affaires
publiques de la société.
En juillet, l’entreprise espérait
conclure avec Vélib’ un accord
pour le reclassement des salariés,
ce que démentait Stéphane Vo-
lant, président de Smovengo,
l’opérateur du vélo en libre-ser-
vice : « Nous n’avons aucun accord
avec un opérateur de trottinettes. »
Tier et Dott considèrent que la si-
tuation sociale se décantera à
l’automne, après le retrait effectif
de leurs engins, et alors que les
usagers se seront habitués à la
nouvelle donne.
Les opérateurs comptent sur
leurs autres marchés pour com-
penser. Tier et Lime se présentent
tous deux comme « le plus grand
opérateur mondial » du secteur.
Tous mettent en avant leurs suc-
cès plutôt que leurs déceptions.
L’entreprise allemande a an-
noncé, avant l’été, que sa techno-
logie serait exploitée par Vélhop,
le vélo en libre-service de l’Euro-
métropole de Strasbourg. A Paris,
les opérateurs déchus espèrent
profiter du surcroît de trafic an-
noncé pour 2024, année olympi-
que, quitte à déployer de nou-
veaux vélos. Mais pas à n’importe
quelles conditions. « On veut bien
aider pour les Jeux, à condition que
la gouvernance fonctionne », pré-
vient Erwann Le Page, chez Tier. p
Olivier Razemon

« La Tribune Dimanche » : le pari d’un nouveau média généraliste

Propriété de Rodolphe Saadé, le quotidien économique en ligne annonce, pour le 8 octobre, l’arrivée en kiosque d’un nouvel hebdomadaire

U ne gageure. Le 8 octobre,
les lecteurs qui disposent
encore d’un kiosque
ouvert le dimanche y découvri-
ront un nouveau venu. Extension
du journal économique exclusive-
ment disponible en ligne depuis
juillet 2020, La Tribune Dimanche
offrira un contenu généraliste, a
annoncé le président de La Tri-
bune (groupe Hima), Jean-Christo-
phe Tortora, dimanche 20 août.
« Nous voulions accompagner
nos lecteurs qui, le week-end, sont
en attente d’autre chose, justifie au
Monde l’entrepreneur toulousain.
Le dimanche est le jour où il y a le
moins d’offres de quotidiens natio-
naux, et le plus d’appétit pour une
lecture loisirs et plaisirs, les grands
formats, les grandes enquêtes, etc. »
La première partie du journal sera
tournée vers « le monde autour de
soi » (international, politique, so-
ciété, écologie, etc.), quand l’autre
moitié fera la part belle au « monde
proche de nous » (culture, loisirs, li-
vres, art de vivre, décryptage des
médias…), détaille-t-il. « Nous al-
lons essayer d’avoir le meilleur des
deux mondes. »
Au-delà de Philippe Mabille et
Fabrice Gliszczynski, le directeur
et le directeur délégué de la rédac-
tion, le projet repose sur les épau-
les de Bruno Jeudy, l’ancien rédac-
teur en chef politique et économi-
que de Paris Match, licencié pen-
dant l’été 2022 après avoir porté la
contestation de la rédaction con-
tre la « une » consacrée au cardinal
ultraconservateur Robert Sarah.
La quarantaine de journalistes
de la rédaction de La Tribune sera
mise à contribution pour nourrir
les 32 pages de ce quotidien du
septième jour (qui sera également
disponible en ligne). Mais l’arrivée
de Soazig Quéméner (ex-rédac-
trice en chef du service politique
de Marianne, ex-rédactrice au
Journal du dimanche) à ses côtés et
celle de Ludovic Vigogne (ex-jour-
naliste politique à L’Opinion, qui a
également travaillé avec M. Jeudy
lors de son passage au Parisien) au
service politique augurent aussi
d’une volonté de contribuer forte-
ment à l’actualité politique domi-
nicale, le terrain de prédilection
du Journal du dimanche (JDD)
avant la nomination de Geoffroy
Lejeune (ex-Valeurs actuelles) à la
direction de la rédaction.
Jean-Christophe Tortora nie ce-
pendant rechercher un éventuel
effet d’aubaine. « Le vrai enjeu,
c’est de convaincre les Français
d’aller chez leurs marchands de
journaux et de faire un acte ci-
toyen en achetant un journal, as-
sure-t-il. Et si c’est La Tribune Di-
manche, j’en serai très heureux. »
120 000 exemplaires tirés
« Une quinzaine d’embauches » de-
vraient permettre à l’équipe ainsi
renforcée de traiter de l’actualité
culture et loisirs dont elle se pas-
sait jusqu’ici. Les candidatures
des journalistes du JDD « en par-
tance » (seuls trois ou quatre jour-
nalistes sur la cinquantaine en
CDI de la rédaction du journal en
cours de reprise par Vincent Bol-
loré devraient rester en poste, se-
lon une source interne) seront
examinées « comme les autres ».
Alors que l’offre d’actualité éco-
nomique et locale vaut à l’édition
numérique quotidienne de La Tri-
bune de rassembler 20 000 abon-
nés et 3 millions de visiteurs uni-
ques par mois, La Tribune Diman-
che bénéficiera d’un tirage consé-
quent de 120 000 exemplaires. A
titre d’exemple, la diffusion France
payée du Parisien dimanche s’éle-
vait à 151 544 exemplaires en 2022,
et 131 770 pour Le Journal du di-
manche, selon l’Alliance pour les
chiffres de la presse et des médias.
Quoi qu’il en soit, La Tribune Di-
manche aura vraisemblablement
besoin de temps, et donc de
moyens, pour s’installer. M. Tor-
tora assure en disposer, sans révé-
ler les investissements consentis
par le nouveau propriétaire du
journal, la CMA CGM de Rodolphe
Saadé (propriétaire de La Provence
notamment), à qui il vient de ven-
dre son entreprise.
Afin de médiatiser la naissance
de ce nouveau « quotidien qui ras-
semble », mais aussi de « recueillir
des idées », la rédaction entamera
un tour de France des régions, qui
débutera le 3 septembre à Tou-
louse pour s’achever à Lyon le
1er octobre. « La proximité est pour
nous une valeur essentielle, qui
doit permettre à la presse de re-
trouver la confiance des Fran-
çais », plaide M. Tortora, qui se tar-
gue de trouver la moitié de la ré-
daction de La Tribune en région
grâce à son réseau de correspon-
dants. Le prix de vente, probable-
ment situé entre 2 et 3 euros, n’a
pas encore été arrêté. p
Aude Dassonville

10 | Économie & Entreprise
L’île de Poros contre la croissance de la pisciculture
Les habitants craignent des effets néfastes sur la vie marine et le tourisme dans cette région de Grèce
Reportage
Athènes - correspondance
D
ans la paisible baie de
Poros, petite île du
golfe Saronique située
à une heure et demie
d’Athènes, Fay Orfanidou, la direc-
trice de l’ONG locale Katheti, ne se
laisse pas bercer par la chaleur
ambiante de ce début du mois de
juillet. Depuis des mois, elle s’ac-
tive contre un projet de l’Etat grec
qui vise à transformer son île en
zone stratégique pour le dévelop-
pement de la pisciculture.
Un quart des côtes pourrait bien-
tôt être envahi de bassins d’éleva-
ges de poissons dans des criques
jusqu’à présent préservées. Poros
possède déjà quatre bassins, créés
dans les années 1990 dans le nord
de l’île. Mais le nouveau projet,
mené par l’entreprise Avramar,
prévoit de multiplier par huit la
production de daurades et de bars
en seulement cinq ans, pour pas-
ser à 8 831 tonnes.
« Pourquoi décider de faire un
élevage intensif sur une île qui vit à
plus de 90 % du tourisme et qui at-
tire les visiteurs pour la qualité de
ses eaux ? », soupire Fay Orfani-
dou, qui a lancé une pétition en li-
gne. Selon la militante, l’étude en-
vironnementale commissionnée
par Avramar, leader en Europe
dans la production de bars et de
daurades et dont les actionnaires
sont des fonds d’investissement
américain (Amerra Capital Mana-
gement) et émirati (Mubadala),
indique que les déchets produits
par l’activité aquacole vont être
équivalents à ceux d’une ville de
35 000 personnes, alors que Poros
n’a que 3 500 habitants.
Assis à la terrasse de sa taverne,
Le Chat Blanc, Andreas Kaikas,
membre du comité local des en-
treprises touristiques, estime que
les bassins de pisciculture instal-
lés dans le nord de l’île ont déjà fait
GRÈCE
Xiromero
Athènes
Poros Golfe
Saronique
Mer Egée
100 km
Exploitation des abysses : la société TMC tentée par le coup de force
La firme canadienne The Metals Company espère entrer en activité fin 2025, malgré les craintes liées à la collecte minière au fond des océans
U n comportement « de
cow-boy ». Tel est le com-
mentaire scandalisé de
Greenpeace, après que la société
canadienne The Metals Company
(TMC) a annoncé dans un com-
muniqué daté du mardi 1er août
son intention de déposer, dans un
an, une demande de licence
auprès de l’Autorité internatio-
nale des fonds marins (AIFM)
pour aller exploiter le plancher de
l’océan Pacifique.
Cette instance, créée sous
l’égide de l’Organisation des
­Nations unies, a tenu son conseil
et son assemblée générale en
juillet à Kingston, la capitale de la
Jamaïque. Ses 168 Etats membres
« ont passé trois longues semaines
à débattre de l’avenir des océans et
ont conclu que cette industrie ne
devait pas recevoir d’autorisa-
tion », ­considère Greenpeace.
L’ONG voit dans l’entêtement de
TMC à vouloir remonter en sur-
Des bassins d’élevage de poissons situés près des côtes de l’île de Poros, le 4 juillet. Louiza Vradi pour « Le Monde »
des dégâts : « Quand j’étais enfant,
j’allais plonger dans cette partie de
l’île. Les fonds étaient magnifiques,
avec plein de poissons. Désormais,
ils sont complètement nus, sans al-
gues. Que va-t-on laisser à nos en-
fants ? », se demande-t-il.
Espèce protégée
L’accumulation de déchets, d’ex-
créments de poissons ou même
de poissons morts, riches en
azote, menace la vie marine et
particulièrement la posidonie,
cette plante aquatique qui sert de
refuge à plusieurs espèces et oxy-
gène l’eau. Sa présence est le signe
d’une grande limpidité et de la
qualité de la mer. Petros Varelidis,
secrétaire général au ministère
grec de l’environnement, con-
firme que les activités piscicoles
sont « interdites dans le cas où des
herbiers de posidonie existent
dans la zone ». « L’étude comman-
ditée par l’entreprise affirme qu’il
n’y a pas de posidonie, alors qu’elle
est visible même à l’œil nu dans
plusieurs parties de l’île », s’in-
surge Fay Orfanidou. Le nord, qui
n’est pas accessible par la route,
est aussi le plus sauvage, et abrite
des phoques moines, une espèce
face des millions de tonnes de
métaux (lithium, cobalt, nickel,
cuivre et manganèse) une posi-
tion qui va « à l’encontre de l’oppo-
sition internationale à l’exploita-
tion minière en eaux profondes ».
Une affirmation qui se heurte
aux interprétations possibles du
droit de la mer. En juillet, l’AIFM a,
en effet, plongé dans un grand
vide juridique, en reportant au-
delà de 2025 l’adoption d’un code
minier destiné à fixer les règles
d’exploitation des planchers
océaniques sur lesquels reposent,
par 3,5 à 6,5 kilomètres de pro­-
fondeur, des nodules contenant
les matériaux indispensables à la
fabrication des batteries des voi-
tures électriques.
En théorie, aucune demande de
licence ne pourra être jugée
­recevable d’ici là. D’autant qu’à la
demande d’une vingtaine de pays
appelant à un moratoire ou à une
« pause de précaution », voire,
protégée, des hérons, des cormo-
rans, des tortues marines.
Depuis 2011, la Grèce a identifié
vingt-cinq sites stratégiques pour
développer les activités de pisci-
culture. Le pays est déjà le princi-
pal producteur européen de bar et
de daurade d’élevage, et 83 % de la
production grecque est destinée à
l’exportation, notamment vers
l’Italie, l’Espagne et la France. L’in-
dustrie embauche peu de locaux.
A Poros, moins de dix personnes
sont employées dans l’aquacul-
ture. Si, pendant la crise économi-
que, le développement de ces si-
tes semblait se faire au ralenti,
l’Union européenne a alloué
92 millions d’euros au pays pour
développer l’activité entre 2023 et
2027. La pisciculture est vue
comme une solution de rempla-
cement à la surpêche et une acti-
vité « à faible teneur en carbone ».
Récemment, huit localités sur les
vingt-cinq du plan ont vu s’instal-
ler des fermes piscicoles, notam-
ment à Xiromero, dans la région
d’Etolie-Acarnanie, dans l’ouest de
la Grèce. Malgré l’opposition de la
municipalité et des habitants, le
projet a été lancé dans une zone
d’une grande importance pour la
comme la France, à l’interdiction
pure et simple d’aller labourer les
grands fonds, l’assemblée géné-
rale de l’AIFM a décidé, le 28 juillet,
d’inscrire à l’ordre du jour provi-
soire de sa prochaine grand-
messe annuelle, programmée
pour juillet 2024, un débat sur le
bien-fondé de cette activité.
« Cow-boys à court d’argent »
Or TMC, coté au Nasdaq et ayant
pour actionnaire de référence le
groupe de travaux offshore helvé-
tique Allseas (15 % du capital), fait
une lecture très différente. « La
question est désormais de savoir
quand, et non pas si, la collecte de
nodules à l’échelle commerciale
commencera », juge Gerard Bar-
ron, PDG de TMC, qui souligne
que les pays réticents à aller de
l’avant dans les abysses « repré-
sentent une minorité des membres
de l’AIFM » et sont « sous forte pres-
sion des ONG internationales ».
biodiversité. « De nombreuses fer-
mes piscicoles en Grèce se dévelop-
pent dans des zones protégées par
des directives européennes ou des
accords internationaux, comme les
sites Natura 2000. (…) Et cette ex-
pansion se poursuit sans études lé-
galement requises. La plupart des
études sont soit incomplètes, soit
non concluantes, et manifestement
en faveur de la pisciculture », com-
mente Anthi Giannouli, avocate
en droit environnemental et mari-
time. La juriste note qu’« en 2022
une loi a été votée prévoyant
qu’une entreprise de pisciculture
qui produit jusqu’à 500 tonnes par
an peut s’installer, même dans une
zone Natura 2000. Une société
peut déclarer qu’elle produit à un
moment moins de 500 tonnes et
ensuite augmenter sa production
graduellement. Il n’y a pas vrai-
ment de contrôle ».
Autre spécificité de l’activité
aquacole en Grèce : les bassins
sont placés à moins de 200 mè-
tres de la côte, alors que dans
d’autres pays européens, comme
en Espagne, ils sont en moyenne à
2 000 mètres du littoral. « La ré-
glementation européenne n’est
pas respectée en Grèce, mais le
Le patron de TMC considère que,
même sans code minier, sa so-
ciété peut aller de l’avant. Concrè-
tement, TMC, à travers sa filiale
Nauru Ocean Resources Inc.
(NORI), « a l’intention de déposer
une demande de licence d’exploi-
tation » auprès de l’AIFM, « après
la réunion de juillet 2024 ».
Cette société, parrainée par l’île
de Nauru, une République de
moins de 10 000 habitants située
entre les archipels des Marshall et
des Salomon, émet l’hypothèse
que l’examen de sa demande
« prendra un an » et qu’elle pourra,
en obtenant l’aval de l’AIFM, « en-
trer en production au quatrième
trimestre 2025 ».
Selon Greenpeace, TMC tient
« un discours optimiste visant à
forcer les gouvernements à pren-
dre des décisions hâtives ». En ten-
tant de « passer outre aux déci-
sions internationales », elle mon-
tre « son vrai visage », à savoir celui
gouvernement et l’Union euro-
péenne ferment les yeux », dé-
nonce Anthi Giannouli. La proxi-
mité du littoral réduit les coûts de
transport pour l’entreprise, mais
ne permet pas un brassage des dé-
chets, ce qui est préjudiciable
pour les fonds marins.
« Les cages sont près des côtes,
car si elles étaient placées plus loin,
elles seraient renversées en raison
des vents et des vagues importan-
tes », soutient Efthimios Bako-
giannis, secrétaire général de
l’aménagement du territoire au
ministère de l’environnement. Il
réfute toute accusation de vouloir
privilégier la croissance effrénée
de l’activité aquacole : « Les bas-
sins sont mis dans des zones où ils
ne sont pas visibles et loin des acti-
vités touristiques. Par ailleurs,
nous voulons mettre en place des
règles plus strictes pour contrôler
la qualité de l’eau, la nourriture
donnée aux poissons… »
Dans le golfe de Pirkali, aucune
pancarte n’indique la présence de
l’entreprise Avramar. Après avoir
pris une route cabossée, le visiteur
arrive sur une plage en apparence
paradisiaque. Mais malgré la sur-
veillance des ouvriers, les bassins
d’ « une entreprise de cow-boys à
court d’argent », qui annonce « des
plans fantaisistes pour augmenter
sa production dans une tentative
désespérée de rassurer ses investis-
seurs inquiets et de sauver un cours
de Bourse en chute libre ».
Créé en 2011 sous le nom de
DeepGreen, TMC ne vit qu’en pa-
riant sur l’avenir. L’entreprise ne
produit aucun chiffre d’affaires, et
si son action a connu un petit re-
bond en juillet, au moment où les
membres de l’AIFM se réunis-
saient en Jamaïque, elle est retom-
bée début août autour de 1 dollar
(90 centimes d’euro). Il y a deux
ans, elle valait 12 dollars. La firme
canadienne déclare avoir besoin
de 60 millions à 70 millions de
dollars d’argent frais pour sou-
mettre un dossier sérieux à l’AIFM.
Afin de rassurer ceux qui dou-
tent de la rentabilité de son projet
industriel, TMC vient d’annoncer
la mise au point, avec son action-
0123
­
­Mercredi 23­ août 2023
Le projet prévoit
de multiplier
par huit
la production
de daurades
et de bars
en cinq ans
de pisciculture ont laissé échapper
des microplastiques, qui se
sont déversés dans l’eau, devenue
huileuse et peu limpide. « Sur cer-
taines plages comme celle-ci, l’en-
treprise a mis en place des infras-
tructures alors qu’elle n’a pas de
permis. Lorsque je les appelle, les
autorités d’inspection concluent
assez rapidement qu’il n’y a rien
d’illégal, alors qu’il suffit d’aller sur
place pour remarquer que les entre-
prises sont bien installées dans ces
baies », dénonce Ioannis Dimitria-
dis, le maire de Poros. Contactée
par Le Monde, la société Avramar
n’a pas répondu à nos questions.
« David contre Goliath »
En octobre 2020, le conseil muni-
cipal a voté unanimement contre
le projet. « Il n’y a aucune consulta-
tion de la part de l’entreprise, du
gouvernement. Mais nous n’allons
pas céder, nous avons fait un re-
cours au Conseil d’Etat pour annu-
ler l’extension de l’activité, insiste
Ioannis Dimitriadis. Prochaine
étape, prévue à l’automne : la si-
gnature du décret présidentiel vi-
sant à transformer le nord de Po-
ros en zone industrielle. « Il faut
éviter d’en arriver là. Sinon c’est le
début de la fin ! », enrage Giorgos
Kanatsidis, vice-président de la
chambre de commerce de Poros et
propriétaire de la plus belle pâtis-
serie de l’île. « L’entreprise n’a pas
pris le temps de venir rencontrer les
élus locaux, les représentants de la
chambre de commerce ou les habi-
tants. Nous menons un combat de
David contre Goliath, mais nous
n’allons rien céder », poursuit-il.
Andreas Kaikas approuve :
« Nous sommes prêts à entrer dans
l’illégalité pour sauver notre île ! »
Les deux compères envisagent de
bloquer l’arrivée des camions de
l’entreprise sur l’île. Pour le maire
de Poros, qui joue sa réélection en
octobre et qui possède le soutien
de la population, l’enjeu est trop
important : « Nous ne pouvons pas
laisser notre mer, notre richesse, de-
venir une poubelle pour les beaux
yeux des entreprises piscicoles ! » p
Marina Rafenberg
naire Allseas, d’une deuxième
machine de collecte de nodules
sous-marins, qui lui permettrait
de porter à 3 millions de tonnes
par an sa capacité de production,
au lieu des 1,3 million de tonnes
envisagées jusqu’ici. Ces sortes
de moissonneuses-batteuses, de
respectivement 10 et 15 mètres
de large, seraient reliées à un
­bateau dans lequel remonte-
raient les nodules métalliques,
au moyen d’une grosse conduite
à air comprimé.
A l’automne 2022, TMC et All-
seas avaient mené une campagne
de tests concluante sur un terri-
toire de 75 000 kilomètres carrés
situé dans la zone dite « de Cla-
rion-Clipperton », entre le Mexi-
que et Hawaï. Les deux partenai-
res entendent poursuivre leur
­exploration dans une autre zone
de même étendue, avec le soutien
des atolls de Kiribati. p
Guillaume Delacroix
0123
­
­Mercredi 23­ août 2023
Patrick Saytour
Peintre
En 2019. Michel Lunardelli
I
l était le doyen des anciens
membres du mouvement
pictural Supports/Surfaces,
qui fut l’un des groupes fon-
dateurs de l’art contemporain
français au tournant des années
1970. Né à Nice en 1935, Patrick
Saytour est mort, le 15 août, chez
lui, à Aubais (Gard), à l’âge de
87 ans. Ses années de formation,
qui l’avaient mené du côté des arts
décoratifs et de la mise en scène,
ont influencé son travail plasti-
que, qu’il envisageait comme
« une entreprise de déconstruction
de la forme, de la couleur, du for-
mat, du cadre de présentation »,
dans une sorte de parodie théâtra-
lisée de l’art à travers des pliages et
dépliages, des matériaux banals,
et des tissus brûlés, trempés,
­rasés, greffés ou rapiécés.
« On s’est suivis toute la vie, avec
Patrick, c’était mon alter ego. No-
tre travail avançait sur des rails pa-
rallèles. On s’est influencés l’un
l’autre », a déclaré à Midi Libre l’ar-
tiste Claude Viallat, autre grande
figure de Supports/Surfaces.
« Son travail sans concession, d’une
efficacité visuelle neuve, radicale, a
grandement contribué à transfor-
mer le cours de l’art français et in-
ternational à la fin des années
1960. Il a, sans relâche, questionné
les conditions de production de
l’art, son rôle, ses significations so-
ciales, culturelles et politiques », a
réagi l’historien de l’art Bernard
Ceysson dans un texte publié sur
le compte Instagram de la galerie
Ceysson & Bénétière.
Le directeur parisien de cette ga-
lerie, Loïc Garrier, évoque « un pa-
triarche discret, à l’esprit espiègle
et vif ». Philippe Valentin, qui fut
un autre de ses galeristes, salue
sur les réseaux sociaux « un grand
artiste, mais aussi un homme
d’une grande finesse, d’une huma-
nité remarquable ». Pour le groupe
Supports/Surfaces, qui a rassem-
blé une douzaine d’artistes, « l’ob-
jet de la peinture, c’est la peinture
elle-même », selon un texte signé
Louis Cane, Daniel Dezeuze, Pa-
trick Saytour et Claude Viallat
en 1969, année de la première ex-
position sous cette appellation au
Musée d’art moderne de Paris.
Tandis que se développent simul-
tanément, à la fin des années
1960, l’art minimal américain et
l’arte povera italien, Supports/
Surfaces réduit ainsi la peinture à
l’accessoire, au cadre, à la couleur,
au matériau, aux motifs, au mur.
Le sujet passe au second plan.
Tandis que des dissensions ap-
paraissent entre les membres du
groupe, la scission arrive dès 1972,
avec une ligne de partage plus ou
moins marquée entre le camp des
sudistes, dont Patrick Saytour fai-
sait partie, et le clan parisien, cha-
que artiste évoluant dans des di-
rections allant de la figuration
18 septembre 1935
Naissance à Nice
1969 Ses œuvres figurent
parmi la première exposition
du mouvement Supports/
Surfaces, au Musée d’art
moderne de Paris
1972 Scission des membres
de Supports/Surfaces
1994 Peint une série
de toiles sous l’intitulé
« Recommencer »
15 août 2023 Mort à Aubais
(Gard)
l­ ibre à l’expressionnisme abstrait.
Il restera très proche de Daniel De-
zeuze, Noël Dolla et Claude Vial-
lat. Ce dernier résume ainsi leurs
travaux : « Dezeuze peignait des
châssis sans toile, moi je peignais
des toiles sans châssis, et Saytour,
l’image du châssis sur la toile. »
A partir des années 1980, Patrick
Saytour réalisera des pièces mura-
les où sont réunis tissus fleuris ou
synthétiques, revêtements de sol
imitation marbre, tapis lestés
d’éléments de mobilier, drapeaux
ou luminaires dans des assembla-
ges parfois monumentaux, et non
dénués d’une séduction jubila-
toire qu’il qualifiait de « pompon-
nages », comme ses filets montés
sur des cerceaux métalliques, où
sont accrochés des fruits en plasti-
que, des flotteurs de filet de pêche,
des plumes ou des perles.
Linéarité du temps
Au fil du temps, la posture ironi-
que de l’artiste a donné le ton des
titres de ses séries d’« homma-
ges » : « Anniversaires », « Célébra-
tions », « Chroniques », « Commé-
morations », « Couronnements »,
« Javas », « Noces », « Monuments »
ou « Noubas », avec des œuvres
d’une grande beauté formelle
créées à partir de costumes de fête
pour enfants, de vêtements de
poupée, de bandes de carton, de
feutre et de mises en boîte.
Depuis 1994, sous l’intitulé « Re-
commencer », Patrick Saytour
réalisait de nouvelles pièces en re-
prenant et modifiant des œuvres
­anciennes, effectuant une mise
en perspective de son travail avec
autant de procédures de correc-
tion, copie ou mise en scène,
jouant avec la linéarité du temps.
Exposées dans des musées en
France, en Europe, en Amérique et
en Asie, ses œuvres figurent dans
de nombreuses collections publi-
ques et privées, notamment au
Centre Pompidou, à Paris. Une de
ses pièces à base de pliages est ex-
posée à Carré d’art, à Nîmes, pour
les 30 ans du musée, et la galerie
Ceysson & Bénétière fera une pré-
sentation de son travail en 2024,
dans son fief de Saint-Etienne. p
Emmanuelle Jardonnet
Le Carnet
Vous pouvez nous faire parvenir
vos textes soit par e-mail :
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votre numéro de téléphone et
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AU CARNET DU «MONDE»
Naissance
Nicole RAMBOURG,
en union avec
Michel,
a la joie d’annoncer la naissance de
son dixième petit-enfant,
Guillaume, Jordan,
à Londres, le 1er août 2023.
chez
Sarah et Guillaume.
Décès
Les équipes,
Les professeur.e.s,
Les étudiant.e.s,
de l’École nationale supérieure des
beaux-arts de Paris,
font part de leur immense tristesse
suite au décès de
Pierre ALFERI.
Professeur depuis 2015, Pierre Alferi
a été un enseignant exceptionnel, un
écrivain singulier en compagnonnage
profond avec les artistes.
Toutes nos pensées vont à sa
famille et à celles et ceux qui l’ont
tant aimé.
« tôt ce matin vent frais
temps clair personne
tout était bien
égal instant
où sur soi tombe
une paix déflagrante. »
Les éditions P.O.L
ont la très grande tristesse de faire
part de la mort de
Pierre ALFERI,
poète, romancier, essayiste,
plasticien,
le 16 août 2023, à Paris,
à l’âge de soixante ans.
La cérémonie aura lieu le lundi
28 août, à 15 h 30, au crématorium du
cimetière du Père-Lachaise, Paris 20e.
(Le Monde du 22 août.)
Leïla, Walid, Nader, Mouna,
ses enfants
et les conjoints respectifs de Leïla
et de Mouna, Philippe Fontaine et
Philippe Fontana,
Lena, Laura, Noé, Antoine,
ses petits-enfants
et le conjoint de Laura, Gabriel Martins
et son fils, Sacha,
Maya, Nora, Bazil,
ses arrière-petits-enfants,
Sa famille
Et ses proches,
ont l’infinie tristesse de faire part
du décès, survenu le 12 août 2023,
à Paris, de
Mme Andrée, Jeanne BEYK,
née TRANCHANT,
le 16 novembre 1930,
à Bourg-de-Péage,
infirmière, diplômée d’État
de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière,
surveillante générale
de l’hôpital René Muret.
L’inhumation aura lieu le samedi
26 août, à 11 h 30, au cimetière du
Père-Lachaise, Paris 20e.
« C’est une belle harmonie
quand le dire et le faire
vont ensemble. »
Montaigne.
mouna.beyk@gmail.com
Luc Cédelle,
son fils,
Wilnise Cédelle,
sa belle-fille,
Arthur Lavrov,
son petit-fils,
Achille Ferrari,
son frère,
Eliane Ferrari,
sa belle-sœur
Et toute sa famille,
ont la tristesse de faire part du décès,
survenu le 16 août 2023, dans sa
quatre-vingt-treizième année, de
Costanza CÉDELLE,
orfèvre,
créatrice de bijoux.
Ses obsèques auront lieu le jeudi
24 août, à 13 h 30, au départ de la
chambre funéraire du 7, boulevard
de Ménilmontant, Paris 11e, pour une
inhumation au cimetière parisien
d’Ivry, 44, boulevard de Verdun.
Un hommage à sa personne et
à son œuvre se tiendra, le samedi
9 septembre, à partir de 15 heures,
en son atelier du 33, rue de Cotte,
Paris 12e.
Les Éditions Albin Michel,
ont la grande tristesse de faire part
de la disparition de leur ami et
auteur,
Daniel COHEN,
professeur agrégé,
directeur
du département d’économie
de l’École normale supérieure,
cofondateur
de l’École d’économie de Paris,
survenue le dimanche 20 août 2023.
Les Éditions Albin Michel s’associent
à la douleur de sa famille et lui
présentent leurs sincères condoléances.
(Le Monde du 22 août.)
Neuilly-sur-Seine.
Nicole Dupuy,
son épouse,
Madeleine et Norman Gaut,
sa sœur et son beau-frère,
leurs fils, Christopher, Eric et Jeffrey
et leurs épouses,
Michel (†) et Jacqueline Dupuy,
son frère et sa belle-sœur,
leur fille, Sylvie et son époux,
Tsiory Razafindrabe
et Arnaud Benedetti
et leur fille, Olympe,
Toute sa famille
Et ses amis,
ont la tristesse de faire part du décès
de
M. Daniel DUPUY,
ingénieur des Arts et Métiers
et de Supélec,
chevalier de la Légion d’honneur,
chevalier
de l’ordre national du Mérite,
médaillé de l’aéronautique,
retraité de la Sagem-Safran,
survenu à l’âge de quatre-vingt-dix
ans.
La cérémonie religieuse sera célébrée
le jeudi 24 août 2023, à 10 h 30, en
l’église Saint-Pierre de Neuilly-sur-
Seine, suivie de l’inhumation au
cimetière nouveau de Neuilly-sur-
Seine.
Condoléances sur
www.pf-laborde.fr
Selon le souhait de la famille,
vous pouvez faire vos dons à la
Fondation Akamasoa du père Pedro,
à Madagascar,
https://www.madagascar-
association.fr/donation/
Cet avis tient lieu de faire-part.
Martina Avanza,
son épouse,
Yasmine El Hafidi et Elia Avanza-
Germa,
ses enfants,
Daniel Germa,
son père,
François et Laurent Germa,
ses frères,
Sa famille
Et ses amis,
ont la douleur de faire part de la
disparition, survenue le 19 août 2023,
à l’âge de cinquante ans, de
Antoine GERMA,
scénariste,
auteur et enseignant.
Les obsèques auront lieu à Brescia
en Italie, ce mercredi 23 août, à 10 h 30.
Carnet | 11
Erik Haakenstad, Les membres
son époux,
Philomène et Blaise,
ses enfants,
Anne-Marie Bianquis,
de l’Institut Weizmann des Sciences
et du Conseil Pasteur-Weizmann,
ont la profonde tristesse de faire part
sa mère,
Anahita, Sylvestre et Jean-Baptiste,
sa sœur et ses frères
du décès de
Robert PARIENTI,
ainsi que leurs familles,
fondateur
ont la douleur de faire part du décès du Conseil Pasteur-Weizmann,
de commandeur
de la Légion d’honneur.
Arielle HAAKENSTAD,
née BIANQUIS, Les obsèques ont lieu ce mardi
22 août, au cimetière parisien de
survenu le 18 août 2023, à Châtillon, Bagneux. On se réunira à 15 heures,
à l’âge de cinquante-quatre ans,
à l’entrée principale.
des suites d’un cancer.
Un hommage lui sera rendu
Arielle ayant fait don de son corps
ultérieurement.
à la médecine, il n’y aura pas
de cérémonie dans l’immédiat ;
Bucarest. Paris.
un hommage sera organisé
ultérieurement.
L’équipe du
La famille remercie chaleureusement Courrier des Balkans
toutes les personnes l’ayant soutenue
pendant sa maladie ainsi que le a la profonde tristesse de faire part
personnel de l’hôpital Percy et la du décès de son ami et collègue,
Fondation Santé Service pour leur
accompagnement et leur gentillesse.
Nicolas TRIFON,
écrivain, sociolinguiste
Erik Haakenstad,
et militant libertaire,
67, rue Pierre-Brossolette,
92320 Châtillon.
survenu le 18 août 2023,
ehaakenstad@gmail.com
à l’âge de soixante-quatorze ans.
Anne-Marie Bianquis,
5, rue Hector-Malot, Ses funérailles sont célébrées ce
69007 Lyon. mercredi 23 août, à 10 heures, en
l’église orthodoxe roumaine des
Le Mans. Angers. Bruxelles. Saints-Archanges, Paris 5e.
M. Romain Zémiri,
Communication diverse
M. André Zémiri,
Ses proches,
Ses amis
Et les nombreux artistes
qu’elle a soutenus et exposés,
ont la douleur de faire part du décès
de
Joëlle LEBAILLY, Envie d’être utile ? Rejoignez-nous !
créatrice
et longtemps directrice
de l’Artothèque d’Angers, Les bénévoles de SOS Amitié
écoutent
survenu le 13 août 2023, à Bruxelles,
par téléphone et/ou par internet
à l’âge de soixante-douze ans.
ceux qui souffrent de solitude,
Cet avis tient lieu de faire-part. de mal-être et peuvent avoir
des pensées suicidaires.
romain.zemiri@gmail.com
Ses amis, Nous recherchons des écoutants
associés à la douleur de son épouse,
bénévoles
Corinne,
sur toute la France.
ont la tristesse de faire part de la
L’écoute peut sauver des vies
mort de
et enrichir la vôtre !
Alfred MARIÉ, Choix des heures d’écoute,
formation assurée.
le 18 août 2023.
Son œuvre, ses assemblages, ses En IdF RDV sur
constructions, son atelier, son jardin,
www.sosamitieidf.asso.fr
témoignent du monde poétique qu’il
créait sous le nom d’A.C.M. En région RDV sur
www.sos-amitie.com
corrine.marie@sfr.fr
Société éditrice du « Monde » SA
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Directeur du « Monde », directeur délégué de la publication, membre du directoire Jérôme Fenoglio
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Infographie Delphine Papin
Directrice des ressources humaines du groupe Emilie Conte
Secrétaire général de la rédaction Sébastien Carganico
Conseil de surveillance Aline Sylla-Walbaum, présidente, Gilles Paris, vice-président
 Culture
0123
12 | ­
­Mercredi 23­ août 2023

pppp Chef-d'œuvre pppv à ne pas manquer ppvv à voir pvvv pourquoi pas vvvv on peut éviter

Avec Justine Triet,

filmer pour capturer
le présent
La cinéaste, Palme d’or pour « Anatomie d’une
chute », revient sur la polémique après son discours
lors de la cérémonie de clôture du Festival de Cannes

Rencontre « Les films, pour La ministre a ajouté qu’il y avait

« clairement un fond idéologique

J
ustine Triet déplie ses
­jambes sur le canapé du
­salon. « Ça fait un peu psy-
chanalyse », dit-elle en
­souriant, comme un écho à
quelques-uns de ses films hantés
par les cabinets de psy – Victoria
(2016) et Sibyl (2019). Nous
­sommes le 28 juin, dans l’appar-
tement parisien, proche de la
gare de l’Est, que la réalisatrice
partage avec son compagnon, le
cinéaste Arthur Harari (Onoda.
10 000 nuits dans la jungle, 2021),
et ses deux enfants, et cela fait un
mois qu’elle n’a pas touché terre.
Samedi 27 mai, Justine Triet a
reçu la Palme d’or pour son
­quatrième long-métrage, Anato-
mie d’une chute – devenant ainsi
la troisième femme à obtenir la
récompense, après la Néo-
Zélandaise Jane Campion (La
­Leçon de piano, 1993) et la
­Française Julia Ducournau (Ti-
tane, 2021). Onze ans après Vilaine
fille, mauvais garçon (2012), son
court-métrage primé à Berlin,
l’ancienne étudiante aux Beaux-
Arts de Paris, où elle découvrit le
montage vidéo, accède à la mar-
che la plus haute, à l’âge de 45 ans.
La réalisatrice signe avec Anato-
mie d’une chute un film « meur-
trier » sur le couple, coécrit avec
Arthur Harari. Une écrivaine,
­Sandra (Sandra Hüller), accusée
d’avoir tué son mari, Samuel ­(Sa-
muel Theis), voit sa vie disséquée
sous tous les angles lors d’un pro-
cès aux assises – sa sexualité, son
rapport à la maternité… Brut, so-
phistiqué et torrentiel comme un
Cassavetes, Anatomie d’une chute
a cependant le potentiel d’une
œuvre grand public.
Les producteurs Marie-Ange Lu-
ciani (Les Films de Pierre) et David
Thion (Les Films Pelléas) l’ont me-
suré au cours des avant-premiè-
res organisées avant la sortie en
salle, mercredi 23 août. « On a vu
beaucoup de jeunes de 20-25 ans,
et des gens pas forcément cinéphi-
les. Il y a des Palmes d’or qui ne font
moi, ont cette
possibilité
d’organiser un
peu le chaos de
notre existence »
Justine Triet
pas l’unanimité, mais là, c’est une
Palme aimée. Et, même si la décla-
ration de Justine lors de la cérémo-
nie a divisé, elle a aussi rassemblé
autour de son image de ci-
toyenne », souligne la coproduc-
trice de 120 battements par mi-
nute (2017), de Robin Campillo.
En recevant la statuette, lors de
la cérémonie retransmise en di-
rect sur France 2, Justine Triet,
smoking et tee-shirt, a calé sa
­longue silhouette sous le micro.
Puis, après les remerciements,
elle a tenu à rappeler « la contesta-
tion historique, extrêmement
puissante, unanime de la réforme
des retraites », laquelle a été « niée
et réprimée de façon choquante ».
Dénonçant un « schéma de
­pouvoir dominateur de plus en
plus décomplexé », la réalisatrice a
évoqué une « marchandisation de
la culture que le gouvernement
néolibéral défend », et qui est en
train de « casser l’exception cultu-
relle », sans laquelle elle-même
n’aurait pas été là, a-t-elle précisé.
Immédiatement les propos ont
mis en ébullition les réseaux
­sociaux, les uns applaudissant le
« courage » de la cinéaste, les
autres dénonçant une « attitude
d’enfant gâtée ». Dans un tweet, la
ministre de la culture, Rima Abdul
Malak, s’est dite « estomaquée »
devant un discours « si injuste ».
Plus tard, sur BFM-TV, elle a ajouté
l’adjectif « ingrat », laissant enten-
dre que le film de Justine Triet, et
le cinéma en général, était sub-
ventionné par l’Etat – ce qui n’est
pas le cas, comme cela a été abon-
damment expliqué dans la presse.
d’extrême gauche » dans les mots
de la cinéaste. Vilaine fille ! « Mes
propos ont été taxés d’extrême
gauche pour ne pas avoir à répon-
dre sur le fond. Cette polémique
aura eu au moins le mérite de rap-
peler les règles de financement du
cinéma, lequel n’est pas payé avec
les impôts des Français, comme on
l’entend dire trop souvent », ob-
serve, avec le recul, Justine Triet.
Une partie de l’équipe du film,
qui regardait la cérémonie à Pa-
ris, n’en revenait pas. La Palme, et
en plus le discours ! Laurent Sé-
néchal, qui a monté Anatomie
d’une chute pendant la mobilisa-
tion contre la réforme des retrai-
tes, dit sa joie : « Justine n’est pas
une gauchiste, elle est relative-
ment insaisissable, et c’est ce qui
la rend intéressante. Pendant le
montage, on travaillait les jours
de grève, car il fallait être prêt
pour Cannes. Qu’elle utilise son
quart d’heure de célébrité pour
parler de ces douze grandes jour-
nées de mobilisation, j’ai trouvé ça
très fort et j’étais fier. »
« Du temps de montage »
Ce tourbillon a suscité beaucoup
de curiosité autour de la réalisa-
trice. Pas moins de soixante-dix
interviews depuis la Palme…
Même si Justine Triet avait pré-
senté Sibyl en compétition au Fes-
tival, en 2019, sa notoriété restait Justine Triet
associée à une « nouvelle vague » et Sandra Hüller,
du cinéma français avec Vincent le 21 mai, à Cannes.
­Macaigne, Laetitia Dosch, Benoît CHLOE SHARROCK/MYOP
Forgeard, Sophie Letourneur… POUR « LE MONDE »
Ses premiers courts-métrages
captent des séquences politiques,
tel le documentaire Sur place
(2007), filmant les manifestants
rassemblés place d’Italie, à Paris, ment, je n’ai jamais adhéré à un long-métrage de deux heures et cherait rien, sur la durée de tour-
contre le contrat première embau- parti. Dans Sur place, on a filmé demie – contre seize à vingt semai- nage, le temps de montage, etc. Elle
che, mais ce ne sont jamais des avec plusieurs caméras pour avoir nes en moyenne pour la plupart a mis la barre très haut et a travaillé
films à thèse. La réalisatrice ac- différents points de vue. Mon ci- des films d’une heure trente : ça non stop pendant trois ans », souli-
quiesce : « J’ai commencé à faire des néma amène du temps de regard, aussi, c’est « politique », dit-elle, au gne David Thion, qui avait déjà
films pour comprendre l’époque. Je et donc du temps de montage. » Jus- sens de l’exception culturelle et de produit Sibyl.
me demandais pourquoi ma géné- tine Triet a obtenu quarante- l’argent nécessaire à la fabrique Dans le passé, la réalisatrice fil-
ration était si peu engagée, moi- deux semaines de montage pour d’une œuvre. « Justine nous l’a dit mait son quotidien, obsession-
même je ne l’étais pas spéciale- Anatomie d’une chute – certes un d’emblée : sur ce film-là, elle ne lâ- nellement. Un peu comme le per-

La dégringolade d’un couple qui s’entre-déchire, sous le regard du fils

Justine Triet brosse le portrait vertigineux d’une femme accusée du meurtre de son mari. Sandra Hüller excelle dans ce rôle trouble

Anatomie d’une chute Hüller), révèle les méandres de

son intimité avec son compa-
pppv
gnon, Samuel, avant qu’il meure
nages se télescopent avec fracas.
Et, en matière de trouble et d’im-
pureté, Sandra Hüller excelle.
récits. Sandra dit au revoir à l’étu-
diante, monte les marches de l’es-
calier. Cut. On ne verra pas la suite.
l’audience sa propre descente : la
dégringolade de son couple, sous
le regard de son fils. Tout est au
est vertigineux. La désynchronisa-
tion image-son apporte un trou-
ble supplémentaire. Samuel avait

U ne écriture remarquable,
des acteurs parfaits, un
secret bien gardé et une
atmosphère vénéneuse. Tout est
là, mais il y a quelque chose en
– Samuel Theis, qui reste hors
champ, sauf dans quelques
­scènes cruciales. Ecrit avec Ar-
plus dans cette Anatomie d’une
chute, qui a valu à sa réalisatrice,
Justine Triet, 45 ans, la Palme d’or,
lors de l’édition 2023 du Festival
de Cannes. Son quatrième long-
métrage examine les affres d’un
couple d’écrivains, dont l’un
trouve la mort. Suicide, meurtre ?
On ne saura pas, mais le chemin
qui mène à ce mystère est un pas-
sionnant précis de cinéma.
Devant les jurés de la cour d’as-
sises, l’accusée, Sandra (Sandra
thur Harari, le réalisateur de Dia-
mant noir (2016), d’Onoda,
10 000 nuits dans la jungle (2021),
compagnon de Justine Triet, le ré-
cit condense les obsessions de la
cinéaste tout en les injectant
dans un récit aussi minimal que
terrifiant : vivre en couple tue.
Les films de Justine Triet – La
­Bataille de Solférino (2013), Victo-
ria (2016) et Sibyl (2019) – sont des
tourbillons mettant au défi les co-
médiennes de jouer des êtres im-
purs, lorsque les vies intime et
professionnelle de leurs person-
Désynchronisation image-son
Anatomie d’une chute s’ouvre dans
l’énergie et la confusion d’une dis-
cussion qui ne pourra avoir lieu.
­dehors. Dans la neige. Daniel
Nous voici dans un chalet sur les
hauteurs de Grenoble. Un escalier
menant sous les combles, une
musique… Deux femmes se par-
lent, dont les visages sont filmés
en plan serré : Sandra, écrivaine,
reçoit une étudiante (Camille
Rutherford) venue l’interviewer,
mais le bruit est tel que l’entretien
doit être interrompu. A l’étage, Sa-
muel a monté le son à fond. Sans
doute pour embêter sa femme.
Auteur lui aussi, il est en panne de
La caméra nous transporte
(Milo Machado Graner), le fils du
couple, préadolescent, est parti
en promenade avec son chien.
L’enfant est malvoyant, et ses
yeux bleu glacé lui donnent un air
de médium. Quand il revient, il
découvre devant la maison son
père allongé, inerte, son sang figé
dans les cristaux de glace. Une en-
quête est ouverte et Sandra mise
en examen. Un ancien ami
(Swann ­Arlaud), avocat, prend sa
défense devant la cour d’assises.
Un homme tombe de la fenêtre,
les experts dissertent sur la chute
du corps… Et Sandra raconte à
cordeau, la présidente du tribunal
(Anne Rotger), l’auxiliaire de jus-
tice (Jehnny Beth) qui vient s’oc-
cuper de l’enfant et mettre de la
distance avec la mère, les saillies
de l’avocat général (Antoine
­Reinartz). Jusqu’au chien, présent
le jour du crime.
C’est l’histoire d’un couple de
créateurs qui s’entre-déchire. Sa-
muel n’a pas assez de temps pour
lui. Qui s’occupe de l’enfant ? Qui a
failli à ses devoirs ? Sandra a pu
avoir d’autres relations, notam-
ment avec des femmes. Elle s’est
permis de récupérer une idée gé-
niale d’un roman inachevé de son
mari. Est-ce un crime ? Le montage
pris l’habitude d’enregistrer le
quotidien. Le tribunal écoute, le
spectateur découvre l’image.
L’enfant se met à témoigner. Da-
niel est-il en train de fabriquer de
faux souvenirs ? Il dit se remémo-
rer une phrase de son père, pen-
dant un trajet en voiture. On voit
Samuel parler, mais c’est la voix
de l’enfant qui résonne à l’écran.
Encore une belle trouvaille dans
cette anatomie du cinéma. p
Cl. F.
Film français de Justine Triet.
Avec Sandra Hüller, Samuel
Theis, Swann Arlaud,
Milo Machado Graner (2 h 30).
0123
­
­Mercredi 23­ août 2023
(2013) et ­Victoria. « Sur la question
du ­regard, Anatomie… est très
proche de ses premiers films, avec
un ­dispositif de plusieurs camé-
ras. Où est-ce que l’on place le
­curseur de l’objectivité, en
sonnage de Samuel, dans Anato-
mie d’une chute, qui enregistre les
conversations. « J’ai une peur folle
que les choses disparaissent. Je fais
des films pour figer un moment du
présent. Les films, pour moi, ont
cette possibilité d’organiser un peu
le chaos de notre existence. » Son
œuvre est traversée par la ques-
tion de la vérité. « L’histoire de ma
famille est remplie de mythologies,
d’histoires racontées avec des ver-
sions qui changent. Cette idée du
récit – qu’est-ce qui est vrai ou pas ?
– m’a hantée très jeune », dit-elle.
« Les hommes comme ils sont »
Justine Triet évoque une enfance
parisienne : père imprimeur, une
mère qui a « essayé d’être actrice »
et a fait « plein de métiers, standar-
diste, correctrice dans l’édition… ».
Avec ses parents, elle passait
­toutes ses vacances – elle insiste
sur le « toutes » – dans une
­communauté bouddhiste où elle
avait une « liberté incroyable ».
Mais elle n’est pas devenue
bouddhiste : « J’aimerais bien l’être,
mais mes parents ont produit l’in-
verse de la personne cool et zen. Je
suis hyperangoissée et stressée. »
Tous ses proches le disent :
pour savoir qui est « Justine », il
faut plonger dans sa filmogra-
phie. « Dans chacun de ses films,
Justine nous donne des nouvelles
de sa vie », dit joliment le produc-
teur Emmanuel Chaumet (Ecce
Films) qui, outre Vilaine fille…, a
produit ses deux premiers
« longs », La Bataille de Solférino
« Tous les films
de Justine sont
des autoportraits
planqués, codés »
Laurent Sénéchal
chef monteur
amour ? Qui est bon pour l’autre,
dans ce potentiel champ de ba-
taille qu’est la vie de couple ? »,
s’interroge le producteur.
Justine Triet déconstruit-elle la
virilité ? Thomas Lévy-Lasne, ar-
tiste et ex-compagnon de la réali-
satrice, qui a coécrit Victoria, ne le
pense pas : « Elle montre les hom-
mes comme ils sont, pas forcé-
ment sûrs d’eux, pleins de faibles-
ses. Elle ne vient pas du féminisme.
A 20 ans, elle ne se demandait pas
si elle était légitime, elle y allait. » Il
ajoute : « Elle a passé trois ans à
faire Anatomie… et elle est arrivée
exténuée à Cannes. Elle ne se ren-
dait pas compte de la machine de
guerre qu’elle avait créée. C’est un
film assez violent, qui pose cette
question : a-t-on vraiment besoin
des hommes dans la vie ? »
Le temps dont dispose un cou-
ple avec enfants, « c’est le nerf de la
guerre », confirme Laurent Séné-
chal, qui connaît bien le tandem
Triet-Harari, pour avoir monté des
films avec chacun d’eux. « C’est un
couple où la question du temps est
extrême. Tous les films de Justine
sont des autoportraits planqués,
codés. » La cinéaste le dit avec
d’autres mots : « Le couple, ce sont
des tentatives de négociation au
milieu de putschs permanents. »
Sur le plateau, la réalisatrice est
décrite comme une pile, en totale
connexion avec Cynthia Arra, une
amie proche rencontrée aux
Beaux-Arts, qui exerce un double
métier : directrice de casting et
coach d’acteurs. Les deux femmes
ont un langage codé, parlent avec
les mains pendant les prises, ce qui
n’empêche pas Justine Triet de de-
mander son avis à toute l’équipe,
chef opérateur, maquilleuse,
scripte, pour ensuite trancher.
« Souvent, alors que Justine a
tendance à décentrer les acteurs, à
les provoquer, il me semble qu’à
l’inverse je les stabilise et les con-
duis dans un état de disponibilité.
Ce double mouvement ouvre la
voie, je pense, à une possibilité
d’abandon et de vérité. Justine
aime avoir le maximum de prises
et n’en finit pas de traquer une vé-
rité plurielle », analyse Cynthia
Arra.­Thomas ­Lévy-Lasne livre
cette image d’ogresse au grand
cœur : « Elle fait du collectif, elle
prend les gens, elle les mange, tout
en douceur. »
Le montage est une autre phase
« énergivore et chronophage »,
comme le dit Laurent Sénéchal.
« Justine ne supporte pas d’avoir
déjà vu ce qu’elle fait, elle est très
innovante, c’est le côté Beaux-Arts.
Avec elle, on tisse, c’est pour ça que
cela prend beaucoup de temps. » Il
tient à préciser : « J’aimerais que
l’on arrête de s’étonner qu’un mon-
tage pour un film de deux ou
trois heures dure dix mois. On a be-
soin de cet espace. Il y a plein de
producteurs qui nous disent :
“Qu’est-ce que vous faites de beau
pendant tout ce temps ?” Je leur ré-
ponds : “Eh bien, venez voir !” »
L’heure est aujourd’hui à l’apai-
sement. Mi-juillet, une rencontre
a eu lieu entre la ministre, la ci-
néaste et les producteurs. « Justine
a pu exposer tous les signes de fra-
gilité » qu’elle perçoit dans l’éco-
système du cinéma français, a ex-
pliqué Marie-Ange Luciani. A la
veille de la sortie en salle, tout
semble pardonné. p
Clarisse Fabre
L’humanité sous les vanités
Tizza Covi et Rainer Frimmel dressent le portrait de Vera Gemma
Vera
ppvv
T
izza Covi, italienne, et
Rainer Frimmel, autri-
chien, se rencontrent
dans les années 1990 à
l’école supérieure d’art et de
­design de Vienne et travaillent
ensemble depuis 1996. En 2002,
ils fondent ensemble une société
de production, puis en 2009 ils
réalisent leur premier long-mé-
trage. La Pivellina, l’histoire
d’une fillette abandonnée re-
cueillie par un couple de circas-
siens, est aussitôt remarqué pour
le sentiment d’authenticité et de
force qui s’en dégage. Les deux
artistes, de fait, déclinent une
­esthétique aux franges du docu-
mentaire et de la fiction. Tour-
nant avec des acteurs non profes-
sionnels, ils leur proposent
­d’entrer avec eux dans une his-
toire fictionnelle, qui pourrait
virtuellement être la leur et où ils
joueraient leur propre rôle.
Le procédé n’est pas nouveau, il
n’est pas toujours opératoire non
plus, mais sa réussite, quand elle a
lieu, relève d’une intensité et d’un
charme très particuliers. Covi et
Frimmel – à l’instar d’un Jean-
Charles Hue en France (La BM du
Seigneur, 2011) – font partie de ces
cinéastes qui réussissent le pari
haut la main. Leur attrait pour le
monde et les artistes de la scène,
généralement dans la panade,
­excentriques en marge d’une
­société qui ne semble que les
­tolérer, s’y développe de film en
film, avec L’Eclat du jour (2012),
puis Mister Universo (2016).
Demi-mondaine bling-bling
Nouveau tour de piste avec Vera,
dont rien ne dispose, a priori, à
aimer le personnage, du moins
tel que le film nous la révèle.
Quinquagénaire intégralement
refaite, bimbo avec Stetson blanc
et longue chevelure peroxydée,
Vera est une actrice ratée, demi-
mondaine bling-bling qui court
les soirées et poste sur Internet
les résultats de ses dérives noc-
turnes. Le film serait inutilement
cruel s’il se contentait de l’image
que ce prologue nous donne de
son héroïne. Aussi bien, on en
prend le pari, pas un spectateur
ni une spectatrice ne sortira de la
salle sans être fraternellement
ou sororalement, voire plus,
épris de Vera.
Fille d’un acteur très populaire
en Italie – l’Apollon Giuliano
Gemma (1938-2013), star des
­péplums et des westerns spa­-
ghettis, croisé également du côté
Ben Affleck égaré dans un polar de série B
L’œuvre de Robert Rodriguez est marquée par un scénario qui accumule les aberrations
Hypnotic
vvvv
O n se souvient, un jour,
d’avoir vu Ben Affleck
dans un bon film : c’était
Gone Girl (2014), chef-d’œuvre de
David Fincher, qui avait tout
­compris de son acteur : son œil
bovin, son jeu pataud, cette ma-
nière – même de face – d’être aussi
expressif qu’un dos. Et pour toute
émotion, un éternel froncement
de sourcils. Affleck ou le grand
égaré du cinéma hollywoodien,
voilà ce que Fincher avait compris.
On n’en dira pas autant d’Hypno-
tic, film de série B dont on peine à
comprendre qui peut être le
­public cible de ce genre d’aberra-
tions – en dehors de ­quelques pro-
fiteurs de climatisation.
Aux manettes, Robert Rodri-
guez (Machete, Sin City) artisan
d’une œuvre pop qui rend de vi-
brants hommages à toute une
Vera Gemma (à gauche). LES FILMS DE L’ATALANTE
de notre Angélique, marquise des
­Anges (1964) –, elle voue à ce père
un sentiment filial éperdu. Elle lui
doit, à ce titre, sa vocation
­d’actrice et ce culte de la beauté
qui l’a conduite à ne pas s’accom-
moder des outrages de l’âge. Le
métier d’acteur et le passage du
temps étant ce qu’ils sont, la voici
aujourd’hui, démunie, devant la
caméra de Covi et Frimmel, et
transplantée dans une ordalie
­pasolinienne.
Son vieux chauffeur – ultime
luxe qu’elle s’octroie après avoir
rapidement dilapidé l’héritage
paternel – renverse un jeune
­garçon à bicyclette, dont le père,
­Daniel, beau sous-prolétaire ro-
main, menace la propriétaire du
véhicule de la poursuivre en jus-
tice. Il n’en a pas besoin. Vera,
­bouleversée par l’accident, par
ailleurs essorée par un réalisateur
gigolo qui n’en veut qu’à ses
­relations et à son argent, se mon-
tre très généreuse avec la famille
et se prend d’une réelle ­affection
pour le petit accidenté, dont la
mère est absente.
Au point que, de fil en aiguille,
une relation plus intime s’établit
entre elle et Daniel, dont il ne sera
mémoire du cinéma. A ce titre,
Hypnotic se place sous le patro-
nage de Sueurs froides (Vertigo,
1958), d’Alfred ­Hitchcock : le récit
comme machination, dédale de
rebondissements agencés par
une intelligence malveillante. Le
film s’ouvre sur Danny Rourke, flic
à Austin, en pleine séance de psy-
chothérapie, revenant fébrile-
ment sur ce jour où, dans une aire
de jeux, sa fille de 7 ans a été enle-
vée. Des secondes d’inattention
qui ont fait basculer sa vie.
Bidouillages numériques
De retour sur le terrain, lui et son
collègue sont avertis par une
source anonyme de l’imminence
d’un cambriolage qui aura lieu
dans une banque de la ville. Sur
place, ils assistent à un étrange
phénomène : un homme par-
vient à atteindre le coffre-fort
sans une once de violence, et
­s’enfuit incognito sans que rien ni
Fille d’un acteur
très populaire
en Italie, Giuliano
Gemma, elle
voue à ce père
un sentiment
filial éperdu
pas certain qu’elle échappe au
destin cruel de la petite fille riche
condamnée à ne jamais trouver
le bonheur. Le personnage rap-
pelle, à cet égard, celui de Taelor,
la fille de milliardaire texan que
filmait Nicolas Peduzzi dans son
âpre documentaire Southern
Belle (2017).
Mais il y a plus de douceur dans
le film de Tizza Covi et de Rainer
Frimmel, entre la part propre-
ment documentaire du film, que
l’on devine à demi-mot, et la ­fable
concertée qui la cristallise. Le
­dernier shot dans un bar ­romain
où elle se confie à une barmaid.
Le trajet solitaire dans un taxi au
son du déchirant ­Dedicato (1979),
de Loredana Berte. Le casting
personne ne se mette en travers
de son chemin. Dans le coffre-fort
attaqué, Danny retrouve une
photo de sa fille avec l’inscription
« Trouvez Lev Dellrayne ».
Le spectateur aura d’emblée
tout compris, mais Ben Affleck
mettra encore quelque temps à
percer le mystère, à grand renfort
de froncements de sourcils : le
cambrioleur, qui se fait appeler
Lev Dellrayne, est un hypnotiseur
formé par une division secrète du
gouvernement censée contrôler
l’esprit des gens. Si tous succom-
bent au pouvoir du mentaliste, le
hasard veut que le gentil flic soit
immunisé contre lui et poursuive
gentiment son enquête.
La deuxième partie inaugure le
dévoilement d’une machination
intimement liée à la disparition
de l’enfant de Danny, Rodriguez
lorgnant du côté des polars
­mentaux de Christopher Nolan.
Hypnotic fait mine de se poser la
Culture | 13
­ ilarant sur la vie de Schopen-
h
hauer dont elle est recalée, mais
où elle en remontre au cinéaste
en matière de ­connaissance et
d’amour du ­cinéma. La fantasque
escapade avec Asia ­Argento, autre
fille de célébrité, sur la tombe du
fils ­innommé de Goethe. La
­simplicité de cœur que l’on pres-
sent chez elle sous le vernis des
apparentes vanités. Autant de
­moments qui font ­apparaître
Vera sous un jour qui, pres-
sent-on, lui ressemble ­davantage.
Son humanité, son intelligence
profonde, sa lucidité sur le
monde et sur elle-même, sa
­souffrance intime aussi, sans
doute, font qu’on ne peut qu’être
ému, et plus encore conquis par
elle. Cette fille de l’ombre – parce
que la beauté et la célébrité de son
père l’ont toujours écrasée, parce
qu’elle n’est jamais parvenue à se
défaire de l’idée qu’elle déméri-
tait de lui – a ainsi trouvé, grâce à
ce film, sa lumière. p
Jacques Mandelbaum
Film autrichien de Tizza Covi
et Rainer Frimmel. Avec Vera
Gemma, Daniel de Palma,
Sebastian Dascalu (1 h 55).
question : qu’est-ce que le réel ?
Comment distinguer la réalité de
son simulacre ? Les bidouillages
numériques viennent au secours
d’un scénario qui s’effrite sous
nos yeux : la réalité n’est plus
qu’un paysage entre les mains
d’un technicien des effets
­spéciaux, doublé d’un scénario
qui accumule les aberrations.
Le spectateur, lui, aura tantôt
trois coups d’avance sur l’intri-
gue, tantôt se prendra les pieds
dans un nœud d’incohérences, et
puis, au bord de ne plus rien y
comprendre, n’aura d’autre
choix que de se prendre de
­sympathie pour cet accident in-
dustriel. Splendeurs et misères de
la climatisation. p
Murielle Joudet
Film américain de Robert
Rodriguez. Avec Ben Affleck,
Alice Braga, William Fichtner
(1 h 33).

14 | Culture
Romy Schneider et Marcello Mastroianni, dans « Fantôme d’amour » (1981), de Dino Risi. LES ACACIAS
La face sombre de Dino Risi
Deux films du maître de la « comédie à l’italienne » ressortent en salle
Reprises
L
a ressortie en salle de
­Fantôme d’amour (1981)
et de Cher Papa (1979)
vient idéalement confir-
mer à quel point il a été illusoire
de réduire leur auteur, Dino Risi
(1916-2008), à un spécialiste de la
« comédie à l’italienne », ce mé-
lange incomparable d’études de
mœurs, de burlesque et de satire
sociale. Le genre naît à l’orée des
années 1960 et incarne de façon
quasi immédiate un antidote à
l’euphorie provoquée par le mi­-
racle économique transalpin tout
en anticipant le désenchante-
ment à venir, celui des « années
de plomb » et d’une modernité
­finalement destructrice de tout.
C’est sans doute Mario Monicelli
(1915-2010) qui plantera le dernier
clou sur le cercueil de la « comédie
à l’italienne » avec son Bourgeois
tout petit, petit, réalisé en 1977, où
Alberto Sordi, en petit fonc­-
tionnaire minable et combinard,
­cessait brusquement de faire rire.
Dès le début des années 1970, le
­cinéma de Risi se distinguait déjà
par son pessimisme, sa mor­-
bidité, son accablement triste. Il
fut peut-être, de tous les cinéastes
de sa ­génération, le plus nihi-
liste. Son œuvre va, à plusieurs re-
prises, ­effleurer un fantastique,
où la mélancolie, mêlée à une tri-
Le retour oppressant de l’horreur gothique
André Ovredal adapte l’une des péripéties du « Dracula » de Bram Stoker de façon anxiogène
Le Dernier Voyage
du Demeter
ppvv
U ne des vertus du film
d’André Ovredal, cinéaste
d’origine norvégienne,
découvert avec l’amusant Troll
Hunter (2010) et l’inquiétant The
Jane Doe Identity (2016), réside
sans conteste dans sa référence
d’origine. Le Dernier Voyage du
­Demeter renvoie à une source lit-
téraire de l’épouvante cinémato-
graphique que l’on pensait, depuis
un moment, obsolète. En s’atta-
chant à adapter un des chapitres
du roman de Bram Stoker Dracula,
le cinéaste et ses scénaristes
étaient-ils conscients qu’ils res-
suscitaient une mythologie, celle
de l’horreur gothique, qui était
passée de mode au cinéma ou qui
ne survivait plus, sporadique-
ment, que sous une forme syncré-
tique et postmoderne (cf. Dracula,
de Francis Ford Coppola, en 1992) ?
vialité toute personnelle, aura
parfois l’odeur de la mort. Cette
voie ne sera pas toujours com-
prise en son temps, notamment
par ceux qui regretteront les far-
ces vachardes d’avant.
Avec Cher Papa, réalisé en 1979 et
coécrit avec le prolifique scéna-
riste Bernardino Zapponi, Risi
­redonne à Vittorio Gassman (1922-
2000) un rôle à sa mesure, celui
d’un grand bourgeois, ancien de la
Résistance, moins détestable à
première vue que celui qu’il incar-
nait dans Au nom du peuple italien
(1971) et pourtant tout aussi mons-
trueux dans sa capacité à partici-
per à cette transformation fatale et
corrompue d’une Italie qui allait
tourner le dos à son passé.
Violence politique
Albino Millozza est un industriel
qui contribue à l’entrée des socié-
tés multinationales dans les acti­-
vités industrielles de l’Italie, parti-
cipant de l’impérialisme et de ce
que l’on n’appelait pas encore une
mondialisation de l’économie. Il
découvre progressivement que
son propre fils a rejoint un groupe
d’activistes qui pratiquent la lutte
armée et préparent un attentat.
Un an après l’enlèvement et l’exé-
cution d’Aldo Moro par les Briga-
des rouges, Risi aborde la violence
politique, mais les contradictions
de l’Italie prennent ici la forme
Le livre de Stoker, écrit en 1897,
venait boucler un siècle, le XIXe,
durant lequel le triomphe de la
bourgeoisie, la lutte entre le ratio-
nalisme moderne et industriel et
un surnaturel persistant avaient
nourri toutes sortes de récits d’un
romantisme fébrile et morbide.
Le cinéma a longtemps aimé ces
histoires de créatures mons-
trueuses et de vampires, ancrées
dans le siècle précédent, jusqu’à
ce qu’une épouvante plus
­contemporaine, optant pour un
réalisme plus cru et une angoisse
plus familière, détournant ainsi le
public d’une vision désormais
­dépassée car trop ancrée dans un
moment de l’histoire désormais
lointain, ne s’impose.
Prévu à l’origine pour
Guillermo del Toro, tourné à Ber-
lin, dans les studios de Babels-
berg, et à Malte, Le Dernier Voyage
du Demeter s’appuie sur une des
péripéties du roman, racontée fic-
tivement par le journal de bord
retrouvé, rédigé par le comman-
Dino Risi fut
peut-être, de tous
les cinéastes
de sa génération,
le plus nihiliste
d’un conflit de générations qui
s’exacerbera jusqu’à l’extrême.
Cher Papa prend acte, dans sa
­virulence, du triomphe d’un maté-
rialisme obtus et mortifère, celui
d’une bourgeoisie inconsciente et
aveuglée par ce qu’elle n’arrive
même pas à identifier comme ses
propres intérêts. La toute dernière
séquence du film frappe par sa ter-
rible ambiguïté (retour sentimen-
tal du fils égaré ou triomphe impi-
toyable d’un ordre monstrueux et
désormais inattaquable ?).
En 1981, Risi signe Fantôme
d’amour, l’adaptation par lui-
même et Bernardino Zapponi, en-
core, d’un roman de Mino Milani.
Marcello Mastroianni (1924-1996)
incarne un homme ordinaire qui
croise, un soir dans l’autobus, une
femme vieillie et misérable.
­Celle-ci le contacte plus tard et pré-
tend être celle qu’il a aimée vingt
ans plus tôt. Mais n’est-elle pas
morte il y a quelques années ? Les
apparitions spectrales du person-
nage incarné par Romy Schneider
dant du bateau qui a acheminé le
cercueil du comte Dracula depuis
sa Transylvanie jusqu’à l’Angle-
terre. Ce passage du livre décrit
comment l’équipage du navire
fut progressivement massacré
par une force mystérieuse, qui se
révélera être le vampire en action.
Journal de bord retrouvé
Si elle fut peu souvent reprise
dans les multiples adaptations du
livre, elle donna néanmoins pré-
texte à un des plus effrayants et
des plus inoubliables moments de
Nosferatu le vampire, de Friedrich
Wilhelm Murnau, en 1922. Sans
avoir l’ambition d’atteindre un tel
sommet, André Ovredal s’est
donné pour tâche de reprendre
cet épisode. Si l’on peut regretter
quelques concessions artificielles
aux idéologies contemporaines –
le héros est un médecin noir em-
barqué sur le vaisseau et victime
des préjugés raciaux du siècle –,
reconnaissons au film une ma-
nière particulièrement habile de
0123
­Mercredi 23­ août 2023
­
pvvv pourquoi pas
E
Les Fantômes d’Istanbul
N
Film turc, français et qatari d’Azra Deniz Okyay (1 h 30).
Azra Deniz Okyay, réalisatrice turque de 40 ans qui s’est
I
­formée au cinéma à la Sorbonne avant de retourner en
A
­Turquie, a réalisé ce premier long-métrage en 2020. Eu égard
à une sophistication narrative qui se révèle rapidement
M
d’une vaine complication, rapportée à la minceur du propos,
E
on comprend un peu le temps qu’il a mis à sortir. Le film
­entrecroise les destins d’une jeune danseuse et activiste, d’une
S
mère qui veut faire sortir son fils de prison, d’un ­marchand
de sommeil en cheville avec la mairie de la ville et d’une ar-
tiste féministe. Devant une caméra comme saisie par la fièvre
A
de Saint-Guy, voilà beaucoup de fils à tirer en même temps
L
au risque de n’en attraper aucun. On créditera la réalisatrice,
en revanche, d’un réel courage politique dans le contexte que
l’on sait. Ce qui est admirable mais jamais suffisant. p J. Ma.
E
D
Infiltrée
Film guatémaltèque, américain et mexicain de Justin Lerner
(2 h 05).
S
De nos jours, au Guatemala, après une sortie en boîte et une
dispute avec son petit ami, Andrés (Rudy Rodriguez), voyou
M
peu recommandable, la jeune Pamela disparaît. Sa sœur,
L
­Sarita (Karen Martinez), part à sa recherche et, pour ce faire,
tente d’intégrer le gang très fermé d’Andrés. Une fois accep-
I
tée, la jeune femme reçoit l’ordre de ses premières missions.
F
Déterminée, la sage Sarita se transforme en petit soldat buté
au regard duquel se révèle le quotidien des bandes armées
qui, partout dans le pays, sèment la terreur, s’entre-tuent sans
S
état d’âme, avec la misère et la violence pour unique moteur.
E
Dans ce troisième long-métrage (couronné du prix Sang neuf
au festival Reims Polar en 2022), le réalisateur ­Justin Lerner
R
s’est appuyé sur un long travail de terrain pour délivrer une
T
réalité crue, proche du documentaire. Sur ce point, Infiltrée
remplit plutôt son office, négligeant au passage quelque peu
U
son héroïne et l’aspect fictionnel du film. Lequel additionne
A
les invraisemblances, relâche à mesure son intrigue, offrant
ainsi un entre-deux qui peine à convaincre. p V. Cau.
S
vvvv on peut éviter
E
Retribution
(1938-1982) renvoient dès lors à
une perte dont le héros ne par- Film américain, allemand et britannique de Nimrod Antal
L
vient pas faire le deuil. Le remords (1 h 31).
et peut-être le sentiment vertigi- Alors qu’il conduit ses enfants à l’école, un homme d’affaires
neux d’une existence qui aurait pu est contacté au téléphone par un inconnu qui lui déclare
être autre chose que ce qu’elle fut qu’une bombe a été placée dans sa voiture et qui le contraint
rongent l’esprit d’un homme qui, à effectuer diverses actions à la finalité mystérieuse avant
on s’en rend compte progressi­- que ne se dévoile leur véritable mobile, celui de la cupidité.
vement, sombre dans la folie. Retribution est, paraît-il, le remake d’un film espagnol.
Fantôme d’amour se distingue C’est surtout le nouvel avatar de ces productions au service
par une atmosphère proprement de Liam Neeson, devenu, depuis le succès de Taken (2008),
maladive, engendrée par la de Pierre Morel, un héros de films d’action de plus en plus
­photographie de Tonino Delli Colli ­engagé dans d’absurdes péripéties. Le dispositif adopté (un
tirant magistralement parti de la huis clos dans une voiture) exige du spectateur une certaine
brume poisseuse enveloppant la indulgence et une grande crédulité face aux incohérences et
ville de Pavie et par la suavité ma- invraisemblances d’un scénario particulièrement mal fichu.
cabre de la musique de Riz Orto- Tentative mercantile et opportuniste, Retribution ne cherche
lani et de – idée étrange et géniale – guère à soigner la logique narrative, pas plus que la direction
la clarinette de Benny Goodman. d’acteur. Ajoutons que, pour qui a vu quelques thrillers
Les deux films paraissent très au cinéma, l’identité du méchant se devine très vite. p J.-F. R.
différents, ce qui a peut-être em-
pêché de considérer à sa juste me- À l’affiche également
sure une œuvre qui a pu sembler La Guerre des dieux
incohérente à la critique de ci- Film d’animation chinois de Ji Zhao (2 h 07).
néma. La lutte armée dans un cas, Ma vie est un défi
la folie dans l’autre ne relèvent-el- Documentaire suisse de Stephan Rytz (1 h 24).
les pas pourtant d’une même ma-
nière de s’accrocher, désespéré-
ment, à un passé qui s’est enfui ? p
Jean-François Rauger
Les meilleures entrées en France
Cher Papa (1979), film italien de Evolution
Dino Risi. Avec Vittorio Gassman, Nombre par rapport Total
Andrée Lachapelle (1 h 47). de semaines Nombre Nombre à la semaine depuis
Fantôme d’amour (1981), film d’exploitation d’entrées (*) d’écrans précédente la sortie
italien de Dino Risi. Avec Romy
Schneider, Marcello Mastroianni,
Barbie 5 332142 784 ↓ – 25 % 4825262
Eva Maria Meineke (1 h 38). Oppenheimer 5 247223 962 ↓ – 20 % 3606658
Les As de la jungle 2… 1 200078 624 200078
Blue Beetle 1 190811 514 190811
En eaux très troubles 3 177921 573 ↓ – 33 % 1244044
Gran Turismo
Ninja Turtles Teenage…
2
2
174927
99917
571
724
557276
381561
Mission : impossible… 6 81057 895 2421205
Elémentaire 9 60092 564 2780097
Les Blagues de toto 2… 3 54886 621 531421
s’attaquer au récit et de le plonger
progressivement dans une am-
biance oppressante et anxiogène. AP : avant-première
Source : « Ecran total »
* Estimation
Période du 16 au 20 août inclus
Dans un lieu dont il est impos­-
sible de s’échapper, la menace est
d’abord cachée, suggérée, avant
de s’imposer sous la forme
d’éclats sanglants. Le vampire lui-
même évolue au gré de ses
­méfaits, puisant dans les mises à
Barbie continue d’occuper la première place pour sa cinquième se-
maine d’exploitation, s’acheminant vers les 5 millions d’entrées, loin
devant Oppenheimer, qui pointe à un peu plus de 3,6 millions. Le suc-
cès de ces deux mastodontes, ainsi qu’un nombre plus important de
sorties de films, explique en partie le bon score de fréquentation des
mort une force qui le fait même salles en juillet : 18,38 millions de billets ont été comptabilisés, en forte
muter physiquement. Inspiré par hausse (33,33 %) par rapport à 2022, selon le Centre national du cinéma
le vampire créé par Max Schreck et de l’image animée. Les histoires de requin attirent toujours et En
dans le film de Murnau, le eaux très troubles s’accroche à la cinquième place, tandis que Yannick,
­monstre est incarné par l’acteur de Quentin Dupieux, frôle, en troisième semaine, les 250 000 entrées.
Javier Botet, au physique impres-
sionnant, déterminé par une ma-
ladie provoquant une élasticité
excessive des articulations. La fin
du film laisse entrevoir une suite. Festival films en compétition, sept
Sera-t-elle à la hauteur de l’origi- Angoulême accueille sont réalisés par des femmes.
nalité de ce premier volet ? p une majorité Dont Iris et les hommes, de
J.-F. R. de réalisatrices Caroline Vignal (Antoinette
La seizième édition du Festi- dans les Cévennes) ; La Fiancée
Film américain d’André Ovredal. val du film francophone, qui du poète, de et avec Yolande
Avec Javier Botet, Corey Hawkins, devait s’ouvrir, mardi 22 août, Moreau ; Le Temps d’aimer,
Aisling Franciosi, Liam à Angoulême, fait la part belle de Katell Quillévéré, et Rien
Cunningham (1 h 58). aux réalisatrices : sur les onze à perdre, de Delphine Deloget.
0123
­
­Mercredi 23­ août 2023
The Mamas & The Papas, un rêve californien
Entre 1965 et 1969, les quatre musiciens furent de vraies stars et les icônes d’une contre-culture assumée
Arte.tv
À la demande
Documentaire
T
he Mamas & The Papas ?
Quelques années d’exis-
tence seulement en tant
que groupe, mais une no-
toriété planétaire et un impact
énorme sur la jeunesse de l’épo-
que. Et des tubes (California Drea-
min’, Monday Monday, Twelve
Thirty ou San Francisco) d’une évi-
dente efficacité avec leurs harmo-
nies subtiles et leurs mélodies lu-
mineuses. Un exemple ? Dès les
premières notes de California
Dreamin’, composé en 1965 par
John et Michelle Phillips, on sait où
l’on va : loin. Très loin de la grisaille
et du froid new-yorkais où vivent
les musiciens. Direction la Califor-
nie, son soleil, son Flower Power…
Ce qui frappe dans ce documen-
taire consacré à Cass Elliot, à
Denny Doherty, à Michelle et
John Phillips, c’est la rencontre
parfaite entre quatre artistes de
talent assumant leur marginalité
et une époque : celle de la contre-
culture et du mode de vie hippie.
Entre 1965 et 1969, The Mamas
& The Papas furent à la fois de
vraies stars de la scène musicale et
les icônes d’une contre-culture as-
sumée. Menant une vie de bo-
hème dans le quartier de Laurel
Canyon, à Los Angeles, tout en
étant régulièrement invités des
Avec « Douleur et gloire », Pedro Almodovar en son labyrinthe
La beauté habite chaque scène de ce film sorti en 2019, le plus étourdissant du réalisateur espagnol depuis « Parle avec elle »
Ciné+ Emotion
Mercredi 23 - 20 h 50
Film
L es petits maux qui minent
un homme vieillissant sont
assez répandus pour n’inté-
resser que les intéressés et – dans
le meilleur des cas – ceux qui l’en-
tourent. Pedro Almodovar les a
placés au service de son cinéma.
De cette mise au pas de contrarié-
tés quotidiennes, il a fait naître
son film le plus achevé depuis Vol-
ver (2006), le plus doux depuis La
Fleur de mon secret (1995), le plus
GRILLE N° 23 - 194
PAR PHILIPPE DUPUIS
Retrouvez l’ensemble de nos grilles sur
1 2 3 4 5 6
I
II
III
IV
V diennes. Note. VIII. Produit distillé.
VI
VII
VIII
IX
X cymbales. 3. Les points de la rose.
SOLUTION DE LA GRILLE N° 23 - 193
HORIZONTALEMENT I. Phallocrates. II. Lamiacées. Ta. III. Ale. Nc. Valet.
IV. Illégale. V. Seines. Sonar. VI. Abel. IV. Be. VII. Na. Avoineras. VIII. Tra-
çantes. Nt. IX. Idées. Aréage. X. Néoréalistes.
VERTICALEMENT 1. Plaisantin. 2. Hallebarde. 3. Amélie. Aeo. 4. Li. Enla-
cer. 5. Lange. Vase. 6. Occasion. 7. Ce. Vital. 8. Rêves. Néri. 9. Asa.
Obèses. 10. Liner. At. 11. Eté. Ange. 12. Satiristes.
Cass Elliot, Michelle et John Phillips et Denny Doherty, en 1967. PHOTO12/MIRRORPIX/WILSON/DAILY HERALD
émissions de variétés. Les seuls à
pouvoir rivaliser en matière de po-
pularité avec The Beach Boys et
The Byrds. Au programme : sexe,
drogue, folk et pop, avant la rup-
ture, brutale, dans l’ombre de l’af-
faire des meurtres commis par la
« famille Manson », en 1969.
En retraçant la rencontre impro-
bable entre quatre personnalités
originaires d’endroits aux tempé-
étourdissant depuis Parle avec elle
(2002). On trouvera au centre de
Douleur et gloire (2019) un réalisa-
teur vieillissant et fameux, Salva-
dor Mallo. Pour l’incarner, Anto-
nio Banderas s’est un peu vieilli,
beaucoup ébouriffé, affirmant,
dès les premières séquences, la
proximité entre auteur et person-
nage. On peut s’amuser à recher-
cher les détails empruntés à la vie
d’Almodovar, qui sème des petits
cailloux dans tous les sens.
Du Labyrinthe des passions
(1982) à Douleur et gloire, Antonio
Banderas n’a jamais été meilleur
jeux.lemonde.fr
7 8 9 10 11 12
ratures souvent réfrigérantes
(Halifax, au Canada, Baltimore et
New York), France Swimberge dé-
crit une facette de l’Amérique des
années 1960. L’histoire de jeunes
artistes refusant la vision tradi-
tionnelle du rêve américain et
voulant fuir une société corsetée,
mais aussi le froid de Greenwich
Village, à Manhattan, pour la dou-
ceur californienne.
que chez Almodovar. C’est l’un des
plus jolis traits d’esprit de ce film
que de donner à cet acteur qui dé-
pend tant du réalisateur qui le di-
rige, justement, le rôle d’un ci-
néaste, et de lui permettre d’at-
teindre une complexité et une
profondeur inédites.
Mieux vaut faire connaissance
avec Salvador Mallo, comme si
l’on ne savait rien de lui. Ce qui lui
arrive – la peur à l’approche d’une
fin pourtant encore lointaine, le
doute sur la distance déjà parcou-
rue, les consolations fugaces et
les douleurs nouvelles – est tout à
HORIZONTALEMENT
I. Chez eux, tout est conventionnel et
conforme aux règles. II. Plus sensible
chez le chien que chez nous. Le temps
pour préparer Noël. III. Tous les plai-
sirs et même les gourmands. Suiveur
de Platon. IV. Saute en se déplaçant.
V. Suivi d’un nombre, il permet
de s’y retrouver dans les notes. Fin
de journée. A dit bon vent à Ulysse.
VI. Singe devenu facteur. Une fois de
plus. VII. Il faut le doubler pour jouer
avec lui. Récompenses hollywoo-
Mesure à Pékin. Freudien ou Laca-
nien. IX. Fait vinaigre. Points en op-
position. Signal avant de tourner.
X. Quand l’importance est capitale.
VERTICALEMENT
1. Gargouillis ou gargouillement.
2. Cloches, castagnettes et autres
Riches décorations. 4. Dans le genre.
Complètement affligée. 5. S’engage et
prend des risques. 6. D’un auxiliaire.
Le scandium. Conjonction. 7. Roi
de Juda. Titre légal des monnaies.
8. Releva. Premier geste écologiste.
9. Chargées d’une trop grande
consommation. Le chlore. 10. Pe-
tit-fils de Poséidon. Le faux est bien
vrai. 11. Fait tout sauter. Fatiguât son
auditoire. 12. D’une grande banalité.
Parmi ces quatre personnalités,
Cass Elliot sort du lot. Née Ellen
Naomi Cohen en 1941 à Baltimore,
dans le Maryland, élevée dans un
environnement musical, elle souf-
fre depuis ses 8 ans d’obésité.
Après une carrière dans le milieu
des comédies musicales, elle se
tourne vers la scène folk, où sa
voix de mezzo-soprano fait mer-
veille. Sa rencontre à New York
fait commun. Mais parce que
Pedro Almodovar lui a conféré le
privilège de vivre dans la fiction,
Mallo bénéficie de l’opération
magique par laquelle la beauté
s’impose au monde, si trivial et
cruel soit-il.
Garnement prodigieux
Salvador vit en reclus dans un bel
appartement qui ressemble un
peu à un musée, beaucoup à une
chambre funéraire. On voit l’ar-
tiste se tordre de douleur sous les
coups de l’âge et du manque d’ins-
piration sans que cette souffrance,
sudoku
n°23-194
9 2
8 3
2 5 6 3
3 7 5 4 6 Complétez
1 9 2 5 Chaque chiffre ne doit
8 5
5 3 9 6 1 par
Réalisé par Yan Georget (https://about.me/yangeorget)
N° 97
SEPTEMBRE
2023
LE GRAND TURC
L’EUROPE FACE
À L’EMPIRE OTTOMAN OR NOIR
Quand le monde
avait soif de pétrole
Télévision | 15
avec le couple Phillips et Denny
Doherty, issus de différents grou-
pes, donne naissance aux impro-
bables The Mamas & The Papas.
Mère célibataire, forte tête, ca-
pable de fédérer autour d’elle tout
ce que la scène musicale compte
de stars dans sa maison de Laurel
Canyon, où même les Beatles et
les Stones, de passage à Los Ange-
les, viennent la saluer, le charisme
de « Mama Cass » est évident.
« Cass ? C’est l’une des personnes
les plus brillantes et les plus drôles
que j’ai rencontrées », souligne Da-
vid Crosby, dont la rencontre déci-
sive avec David Nash aura lieu
chez Cass, dans cette maison de
Laurel Canyon où Neil Young, Joni
Mitchell, Eric Clapton et The
Doors ont leurs habitudes.
La proximité avec des membres
de la « famille » de Charles Man-
son mettra fin au groupe. La co-
caïne et l’héroïne ont remplacé le
cannabis et les acides, il est temps
de se quitter. Trois ans plus tard,
Cass Elliot, qui avait commencé
une prometteuse carrière solo,
meurt d’une crise cardiaque, à
seulement 32 ans. Restent les tu-
bes, intemporels. Il suffit d’en-
clencher California Dreamin’ et de
fermer les yeux. p
Alain Constant
The Mamas & The Papas.
California Dreamin’, de France
Swimberge (Fr., 2023, 52 min).
somme toute ordinaire, envahisse
le film. Il ne tourne plus, passe du
temps à flotter entre deux eaux à
la piscine et avale des théories de
petites pilules. Il rêve au passé, et
d’abord à son enfance, qui surgit
en flash-back lumineux, au centre
desquels brille la figure de sa mère,
Jacinta (Penélope Cruz).
C’est une femme aussi, une ac-
trice, Zulema (Cecilia Roth), qui
administre au reclus un électro-
choc. Elle lui apprend qu’Alberto
(Asier Etxeandia) – l’interprète
d’élection avec qui Salvador s’est
fâché – est de retour à Madrid. La
8 2 7 5 1 4
6 3 5 7 9 8
9 4 1 2 3 6
8 5 7 2 1 6 9 3
4 8 6 3 2 5
4 1 9 3 4 8 7 5
7 6 4 8 5 1
2 5 8 9 7 3
1 9 6 4 2 8
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L’EUROPE FACE
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MARCHAND DE JOURNAUX
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et-civilisations.com
Notre
sélection
Me rc r edi 23 août
Mezzo
Ottone in villa
20.30 Opéra d’Antonio Vivaldi
enregistré au théâtre La Fenice à
Venise, le 15 juillet 2020. Le premier
opéra du Vénitien, qu’il a composé
à 35 ans, est une réussite.
L’Orchestre de La Fenice est dirigé
par Diego Fasolis et la mise en scène
signée Giovanni Di Cicco.
Arte
Onoda. 10 000 nuits
dans la jungle
20.55 Film franco-japonais d’Arthur
Harari (2021), avec Yuya Endo et
Kanji Tsuda. D’après l’histoire vraie
d’un soldat japonais débarqué sur
une île des Philippines en 1944 et qui
ne rendra les armes qu’en… 1974.
Un grand moment de cinéma.
LCP
39-40. La guerre des images
22.00 Bâti à partir des actualités
télévisées d’époque signées UFA,
Pathé, Gaumont, Eclair et Movietone,
le documentaire de Jean-Christophe
Rosé (2010) interroge le discours à
l’œuvre dans ces films de
propagande. Edifiant.
Ciné+ Classic
L’Ange bleu
22.40 Inoubliable chef-d’œuvre
signé Josef von Sternberg, en 1930,
avec une Marlene Dietrich en
redoutable femme fatale.
réconciliation rapproche un peu
Salvador de la société des vivants.
Le calumet de la paix qu’ils se
choisissent est un souvenir du
garnement prodigieux que fut Al-
modovar à ses débuts. La beauté
est à portée de main, dans les ob-
jets qui entourent l’artiste, dans
les souvenirs par lesquels il se
laisse envahir, pour se réfugier
dans l’illusion que le cours du
temps peut s’inverser. p
Thomas Sotinel
Douleur et gloire, film de Pedro
Almodovar (Esp., 2019, 112 min).
0123 est édité par la Société éditrice
du « Monde » SA. Durée de la société :
99 ans à compter du 15 décembre 2000.
Capital social : 124.610.348,70 ¤.
Actionnaire principal : Le Monde Libre (SCS).
Rédaction 67-69, avenue Pierre-Mendès-France,
75013 Paris. Tél. : 01-57-28-20-00
6 9 3
1 2 4 Abonnements par téléphone au 03 28 25 71 71
7 8 5 (prix d’un appel local) de 9 heures à 18 heures.
4 8 Depuis l’étranger au : 00 33 3 28 25 71 71.
9 7 1 Par courrier électronique :
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6 2
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2 3 9
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75013 PARIS
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Fax : 01-57-28-39-26
L’Imprimerie, 79, rue de Roissy,
93290 Tremblay-en-France
Midi-Print, Gallargues le Montueux
Origine du papier : France, Belgique.
Taux de fibres recyclées : 87 %. Ce journal est imprimé sur un
papier issu de forêts gérées durablement et de sources controlées.
Eutrophisation : PTot = 0.008 kg/tonne de papier
 0123
16 | ­
­Mercredi 23­ août 2023

Clara Locher traque

les liaisons dangereuses
entre chercheurs et revues
« Chasseurs de fraude » — 6/7 — Depuis le premier
article de Didier Raoult sur l’efficacité supposée contre le
Covid-19 de l’hydroxychloroquine, la pharmacologue quantifie
les pratiques de népotisme dans les journaux biomédicaux

I
ls et elles n’ont pas leur pareil pour flai-
rer un article plagié, détecter des images
falsifiées, etc. Détectives amateurs ou
professionnels, les chasseurs de fraude
scientifique forment un petit club hété-
roclite… auquel Clara Locher ne se sent pas ap-
partenir. « Des chercheurs comme Elisabeth
Bik font un travail extraordinaire pour révéler
des manquements à l’intégrité, salue d’emblée
la pharmacologue, praticienne hospitalière
au CHU de Rennes. Mais le terme “chasseur de
fraude”, qui renvoie à un côté policier, voire jus-
ticier, me semble réducteur et ne reflète pas la
nécessité de mettre en place une démarche
­positive favorisant les bonnes pratiques. »
Au quotidien, elle s’y emploie selon deux
principaux axes, l’acculturation et la recher-
che clinique. Comme méthodologiste, cette
passionnée de 39 ans accompagne dans leurs
projets de recherche clinique des médecins
et d’autres professionnels de son CHU. En
amont, elle les aide à délimiter la question
scientifique, à définir la méthode et les
moyens ad hoc nécessaires à l’obtention de
réponses interprétables et robustes ; en aval,
elle peut les guider dans le processus de publi-
cation. Au-delà, Clara Locher est investie dans
des missions locales, avec Florian Naudet,
professeur de thérapeutique dans le même
hôpital, pour promouvoir la science ouverte,
notamment le partage des données.
Et puis il y a ses propres travaux. Dès le début
de ses études de pharmacie, à Lyon, elle avait
déjà contracté le virus de la recherche, ce qui
l’a conduite à faire en parallèle Normale-Sup
bio, puis une thèse de science en immuno-
oncologie. Mais c’est finalement en méta­-
recherche, une discipline qui a fait de la recher-
che elle-même son principal sujet d’étude,
qu’elle s’est spécialisée. Objectif : « prendre de
la hauteur » sur la façon dont se fait la science.
Au ­risque de tomber violemment de sa chaise.
C’est précisément ce qui lui est arrivé en
­lisant la première publication de l’équipe de
l’institut hospitalo-universitaire (IHU) de
Marseille évaluant l’efficacité de l’hydroxy-
chloroquine (HCQ) contre le Covid-19. On
est en mars 2020, au tout début de la pandé-
mie. Sidérée par les faiblesses méthodologi-
ques de cet essai clinique sur un effectif très
limité, ­accepté pour publication en moins de
vingt-quatre heures, Clara Locher tente, avec
d’autres, de tempérer l’emballement avec des
arguments rationnels. Sur Twitter (devenu X),
elle explique pourquoi les résultats ne sont
pas exploitables. En vain. « On s’est rendu
compte que ce type de débat était inaudible
pour le grand ­public, du fait de l’argument
d’autorité de ­Didier Raoult, lié au prestige de
son CV et de ses publications », se souvient-elle.
5 millions d’articles à la moulinette
Alors avec son compère Florian Naudet, et
deux collègues en Italie et au Canada, elle va
procéder autrement. En déroulant la pelote, le
quatuor s’aperçoit que bien des articles de
l’équipe Raoult sont parus dans des revues où
au moins un des auteurs appartient au comité
éditorial, dans des délais de publication « ab-
solument incompatibles » avec un processus Olivier Balez
d’examen par des pairs. Clara Locher est aussi
frappée par une méta-analyse des chercheurs
de l’IHU sur l’efficacité de l’HCQ « ne répon- d’infectiologie (239 au total) pour mieux ca- Elle en est convaincue, il est temps de réfor-
dant pas aux critères de qualité reconnus », et ractériser ces phénomènes d’auteur prolifi- mer le système actuel, qui pousse à la publica-
publiée dans une revue prétendument consa- que et d’autopromotion des revues. Ils les dé- tion et privilégie la quantité à la qualité. « La re-
crée aux germes nouvellement découverts : crivent dans un premier article scientifique cherche peut s’améliorer à toutes les étapes, à
New Microbes and New Infections (NMNI). (BMJ Evidence-Based Medicine, mars 2021). condition de convaincre et de coordonner l’en-
Avec une simple requête dans un moteur de Puis ils vont changer d’échelle. Rejointe par semble des acteurs », espère-t-elle. De plus en
recherche, elle constate que Didier Raoult y a Dorothy Bishop, une chasseuse de fraude bri- plus reconnue par la communauté scientifi-
signé 235 articles. Soit un tiers de la produc- tannique qui a décrit le même type de mau- que et les institutions – elle est d’ailleurs
tion de cette revue de l’éditeur Elsevier créée vaises pratiques en psychologie sur son blog, membre de la commission de transparence de
en 2013, et dont le rédacteur en chef, Michel et Alexandre Scanff, un interne en médecine la Haute Autorité de santé, qui évalue les médi-
Drancourt, travaille avec l’infectiologue. En- féru d’informatique, l’équipe va cette fois pas- caments –, elle fourmille d’idées pour agir tous
semble, Michel Drancourt et six autres mem- ser à la moulinette 5 millions d’articles publiés azimuts. Elle n’en a pas fini avec l’exploration
bres du comité éditorial s’avèrent également dans près de 5 500 revues biomédicales. des liaisons dangereuses entre chercheurs et
cosignataires d’un tiers des articles de NMNI, Le constat, publié dans PLOS Biology, est édi- revues. Après les deux premières recherches
évaluent Clara Locher et ses collègues. fiant : dans 5 % des journaux, un chercheur menées dans des conditions artisanales (tra-
Les métachercheurs ne vont cependant cosigne plus de 10 % des articles. Et les auteurs vail le soir et le week-end, sans budget consa-
pas s’arrêter là. Poursuivant leur démarche les plus prolifiques font, dans 60 % des cas, cré), elle continue dans le cadre d’un projet fi-
scientifique, ils analysent d’autres journaux partie de l’équipe éditoriale, selon des analy- nancé par l’Agence nationale de la recherche.
ses menées sur un échantillon de 100 revues « L’objectif sera de mesurer la quantité d’arti-
« suspectes ». Partant d’un exemple emblé- cles cosignés par un membre du comité édito-
matique, Clara Locher et ses collègues ont rial d’une revue, puis de comparer la qualité de
ainsi mis au point des indicateurs de népo- ces études à celles d’auteurs indépendants »,
« La recherche peut tisme des revues médicales. « On nous repro- explique-t-elle. Tout un programme. p
che parfois d’enfoncer des portes ouvertes, en- Sandrine Cabut
s’améliorer à toutes core faut-il qualifier et quantifier les mauvaises
les étapes, en coordonnant pratiques. Les indicateurs que nous proposons La semaine prochaine
pourront être utilisés par d’autres chercheurs Leonid Schneider, un canardeur
l’ensemble des acteurs » et par les maisons d’édition », précise-t-elle. chez les chercheurs

L’androsace du Dauphiné, alpiniste menacée

Plantes de génie — 6/7 — Le changement climatique est un danger pour cette primulacée habituée aux conditions extrêmes d’altitude

J usqu’à peu, l’androsace du

Dauphiné n’avait pas d’exis-
tence officielle. Du moins la
prenait-on pour une autre,
l’androsace pubescente, à qui elle
ressemble à s’y méprendre. Mais
la génétique a tranché et, en 2021,
cette primulacée a accédé au rang
de nouvelle espèce. Avec l’andro-
sace de Saussure et l’androsace
du Viso, ce sont trois nouvelles
plantes alpines qui ont fait leur
entrée dans le grand club des es-
pèces vivantes. Un fait devenu
rare pour la flore européenne, lar-
gement explorée… à l’exception
des milieux de haute altitude.
L’androsace du Dauphiné fait
partie de cette flore des monta-
gnes qui se joue du vertige : elle
s’accroche aux falaises, se loge
dans la moindre fissure verticale,
fréquente les sommets escarpés
et les fronts des glaciers… Elle est
chez elle au-delà de 2 500 mètres,
culminant jusqu’à 3 800 mètres,
voire 4 100 mètres pour sa ju-
melle l’androsace de Saussure. Ra-
res sont les plantes qui, en Europe,
côtoient des cimes aussi élevées.
Les chercheurs qui l’ont dénichée
ont su porter un autre regard
sur ces écosystèmes aux condi-
tions extrêmes, perçus jusqu’alors
comme des déserts biologiques.
Pour survivre, cette plante, endé-
mique des massifs des Ecrins, de
Belledonne et des Grandes Rous-
ses, a su se faire discrète et auto-
nome. Elle pousse en petits cous-
sins denses, d’où émergent, au
cœur de l’été, des fleurs blanches
minuscules. Celles-ci sont pollini-
sées par les rares insectes de pas-
sage, des mouches, des papillons,
et peut-être même, fait inédit dans
le monde floral, des acariens. Sa
forme en demi-sphère lui procure
un volume maximal pour un mi-
nimum de surface en contact avec
l’air. Une stratégie efficace pour
s’isoler, la différence de tempéra-
ture pouvant dépasser 20 °C entre
la surface et l’intérieur du coussin.
Mais l’androsace pousse plus
loin encore son ingéniosité, fa­-
briquant par tous les moyens son
propre micro-environnement :
Sur un glacier alpin. SÉBASTIEN LAVERGNE/LABORATOIRE D’éCOLOGIE ALPINE/CNRS
germant dans un univers minéral,
elle crée son propre sol en piégeant
et en recyclant sa matière organi-
que. Ainsi, le coussin se nourrit lui-
même, et s’hydrate en retenant
l’eau. A ce rythme, avec un cycle de
vie et des processus biologiques
au ralenti, elle peut vivre plu-
sieurs siècles, témoin immobile
de l’évolution des montagnes.
Or, depuis quelques décennies,
cette évolution s’accélère. Le chan-
gement climatique aura-t-il rai-
son de l’androsace, avec son lot de
nouvelles menaces : pics de cha-
leur, sécheresses, réduction du
manteau neigeux qui isole du
froid et hydrate au printemps,
­remontée de nouvelles espèces
plus compétitrices qui profitent
des températures douces ? A court
terme, cette plante pourrait ga-
gner de nouveaux habitats, libérés
par la fonte des glaciers. Ou bien
trouver refuge dans les microcli-
mats froids dont regorge la haute
montagne, dans les plis de ses re-
liefs, ses ombres, ses faces nord…
Mais, à plus long terme, les condi-
tions climatiques risquent de lui
devenir franchement hostiles.
Entrée en politique
A moins que ces hauts sommets
ne lui servent, une fois encore,
d’asile. Pendant les derniers
2,4 millions d’années de périodes
glaciaires et interglaciaires, ces ci-
mes aux pentes abruptes, bom-
bardées de soleil, ont émergé des
glaces qui inondaient les Alpes.
Sur ces îles minérales, certaines
espèces, parmi lesquelles des an-
drosaces, ont survécu pendant des
millénaires dans des conditions
extrêmes. Ces petites populations
isolées ont ensuite pu réensemen-
cer les montagnes alentour lors
des périodes de réchauffement.
Leur long isolement géographi-
que a créé des divergences, des
émergences de nouvelles espèces,
faisant de la haute montagne une
fabrique de biodiversité.
Pour l’androsace du Dauphiné,
les aménagements constituent
une autre pression. A La Grave
(Hautes-Alpes), un projet d’exten-
sion de téléphérique, pour monter
les skieurs plus haut sur le glacier
de la Girose, menace directement
plusieurs spécimens de cette es-
pèce, présents sur le site du chan-
tier. Protégée au niveau national,
cette petite plante entre ici en poli-
tique, servant d’alliée aux asso­-
ciations environnementales et ci-
toyennes pour contrer le projet. p
Angela Bolis
La semaine prochaine
Le virevoltant sème à tout vent
0123
­
­Mercredi 23­ août 2023 l été des sciences | 17

Un tympan en 3D pour pratiquer l’otoscopie Télescope

b
Santé
Médecine - A l’hôpital Necker, à Paris, des étudiants s’entraînent à un examen approfondi Les IPP accroissent le risque
de l’oreille avec un simulateur fabriqué par la nouvelle plate-forme d’impression de l’AP-HP d’infections graves chez les enfants
La prise d’inhibiteurs de la pompe à protons
(IPP), largement utilisés pour traiter les trou-
bles gastriques, augmenterait de 34 % le ris-

Q ui a déjà examiné un tympan

sur un patient ? », interroge
François Simon, ORL au cen-
tre hospitalo-universitaire
Necker-Enfants malades (Paris 15e).
Parmi les cinq étudiants en 5e année
de médecine présents, seul Nicolas
lève la main. « Est-ce que tu l’as vu ? »,
poursuit le spécialiste. Le jeune ac-
quiesce. « Bravo ! C’est difficile, car l’an-
gle d’accès au tympan varie d’un pa-
tient à l’autre, selon sa morphologie. »
L’objectif du cours est d’« enseigner
l’otoscopie [examen du tympan] grâce
à une oreille et des tympans imprimés
en 3D à taille réelle », explique le profes-
seur Simon, 35 ans. Il a lui-même conçu
ces dispositifs pédagogiques, avec
l’aide d’une ingénieure. L’outil est dé-
sormais mis à disposition par la nou-
velle plate-forme 3D qui a vu le jour au
sein de l’Assistance publique-Hôpitaux
de Paris (AP-HP) début 2023. Une di-
zaine d’imprimantes différentes sont
réparties entre Necker et l’ancien hôpi-
tal Broussais (Paris 14e). Ce service est
­financé par les restes des donations de
Kering et d’Hermès, qui avaient sub-
ventionné, au moment du Covid-19, la
« ferme 3D » de Port-Royal, où était im-
primé du matériel médical.
Après de brefs rappels sur l’aspect
d’un tympan sain, le spécialiste remet
aux étudiants un otoscope – une petite
loupe lumineuse pour regarder à l’in-
térieur de l’oreille : « On le tient comme
un stylo, et surtout pas comme un mar-
teau ! Cela permet de garder un poignet
mobile pour se déplacer dans le conduit
auditif sans faire mal », insiste-t-il.
« Mais, monsieur, je tiens très mal mon
stylo ! » L’ambiance est détendue.
Pathologies fréquentes
L’ORL distribue les oreilles factices
dans lesquelles il vient clipser les cap-
sules de tympan. Il se saisit d’un otos-
cope et fait la démonstration en collant
son sourcil contre la loupe : à l’intérieur
de l’oreille en 3D, dépasser le conduit
auditif externe, un peu rugueux, avant
de trouver le tympan ; de là, bien dépla-
cer l’otoscope, qui ne permet de voir
qu’un quart du tympan à la fois. « Il faut
ensuite le reconstruire mentalement »,
explique le professeur Simon. L’enjeu
est de diagnostiquer les pathologies
fréquentes, notamment chez l’enfant :
otite moyenne aiguë ou séromu-
queuse, perforation, hémotympan.
Pendant les six premières années
d’études, avant l’internat, la formation
à l’otoscopie est variable selon les uni-
versités. Pourtant, savoir pratiquer un
examen otoscopique est une compé-
Prototype d’une oreille imprimée en 3D, à l’hôpital Necker, à Paris, le 15 juin. Christophe Caudroy pour « Le Monde »
tence indispensable pour les généra-
listes, les pédiatres ou les urgentistes.
Le médecin passe entre les étudiants.
Quel est le diagnostic ? Quelqu’un
lance : « Otite moyenne aiguë. » Une
autre ajoute : « On ne voit pas le triangle
lumineux. » L’ORL confirme : « Le tym-
pan est tellement bombant qu’on ne
voit plus le marteau », l’un des trois os-
selets de l’oreille moyenne, avec l’étrier
et l’enclume. Certains sont visibles en
transparence pendant l’examen. Pro-
chaine capsule : un hémotympan. A
l’intérieur, difficile d’y voir clair : une
tache bleutée, presque vert foncé, pré-
domine. C’est un gros caillot de sang.
L’enseignement de ces pathologies se
fait en général avec des photos agran-
dies placées au fond de l’oreille d’un
mannequin. « Mais ces photos sont pri-
ses au bloc opératoire en très haute défi-
nition et avec un angle permettant de
voir tout le tympan », prévient l’ensei-
gnant. « Dans la vraie vie », les méde-
cins se serviront principalement de
leur otoscope, moins performant.
Enfin, il tranche : otite séromuqueuse
due à un épanchement dans l’oreille in-
terne. « Le tympan est légèrement bour-
souflé, et les minibulles que vous voyez
autour du marteau sont vraiment typi-
ques. » L’ORL souhaite que l’apprentis-
sage de l’otoscopie sur modèle 3D, qu’il
dispense aux externes en stage dans
son service, soit étendu à l’ensemble de
la promotion de l’université Paris Cité.
Cette dernière devrait d’ailleurs passer
commande, à la rentrée, au service du
professeur Khonsari, directeur scienti-
fique de la plateforme 3D et professeur
en chirurgie maxillo-faciale à Necker.
« Répéter les gestes au maximum »
« Ce simulateur pourra servir d’outil
d’enseignement mais aussi d’évalua-
tion », explique Albert Faye, vice-prési-
dent du conseil pédagogique de l’UFR
de médecine de l’université Paris Cité
et professeur de pédiatrie à l’hôpital
Robert-Debré (Paris 19e). Séduit par le
réalisme du tympan que lui a présenté
l’ORL, le professeur Faye poursuit : « On
peut imaginer l’introduire assez rapide-
ment dans le parcours des jeunes, car il
faut répéter les gestes au maximum. »
Pour arriver à cette qualité d’impres-
sion, les échanges avec le professeur Si-
mon ont duré plusieurs mois, explique
Juliette Prebot, ingénieure recherche
et développement chargée, avec un
confrère, de la plateforme d’impres-
sion 3D de l’AP-HP. « Trop mou, trop
clair… Il fallait que les couleurs et les tex-
tures soient le plus réalistes possible. »
Ce jour-là, une imposante impri-
mante Polyjet tourne dans les locaux
du laboratoire supervisé par le profes-
seur Khonsari et diffuse une lumière
verte derrière une vitre fumée noire.
Des tuyaux projettent de la résine li-
quide qui se solidifie grâce à des ultra-
violets, couche par couche. « C’est le seul
type d’imprimante capable d’imprimer
en multicouleurs et multimatériaux à ce
niveau de précision », détaille-t-il.
« N’importe quel soignant de l’AP-HP
peut nous solliciter pour un projet 3D »,
poursuit le professeur Khonsari. Une
trentaine sont en cours, dont la majo-
rité concerne la recherche – objets
d’enseignement, outils d’éducation
thérapeutique pour les patients…
« C’est la première fois en France qu’un
service généraliste d’ingénierie et de
­design est à disposition de tous les soi-
gnants à l’échelle d’un si grand groupe
hospitalier », assure-t-il. L’équipe est à
l’initiative d’un réseau national d’hô-
pitaux recourant à l’impression 3D en
interne, qui regroupe quatorze des
trente-deux CHU sur le territoire.
Le cours touche à sa fin. Clémence in-
terpelle l’ORL : « Vous n’auriez pas une
perforation en stock ? » Pas aujourd’hui.
Les étudiants semblent conquis par
l’outil. « C’est super réaliste », s’enthou-
siasme Maelys. Pour Nicolas, cela per-
met de « se faire l’œil » dans de bonnes
conditions. Tous sont d’accord : c’est la
première fois qu’ils regardent un tym-
pan « aussi longtemps ». p
Lilas Pepy
que relatif d’infections graves, nécessitant
une hospitalisation, chez les jeunes enfants.
C’est ce que montre une étude française me-
née par le groupement d’intérêt scientifique
Epi-Phare, porté par l’Agence nationale de
sécurité du médicament et des produits de
santé et l’Assurance-maladie. Les chercheurs
ont étudié une population de 1,26 million
d’enfants nés de 2010 à 2018, dont 606 645
ayant pris des IPP. « La prescription d’un IPP
doit être réservée aux nourrissons âgés de plus
de 1 mois et aux enfants ayant un reflux
gastro-œsophagien persistant et gênant »,
rappelait, en septembre 2022, la Haute Auto-
rité de santé dans ses recommandations.
> Lassale et al., « JAMA Pediatrics », 14 août.
Paléoan thropologie
Le génome d’Ötzi de nouveau analysé
Trouvé en 1991 naturellement momifié dans
un glacier à la frontière entre l’Autriche et
l’Italie, Ötzi, mort il y a environ cinq mille
trois cents ans, vient de faire l’objet d’une
nouvelle analyse génomique. L’étude effec-
tuée à l’Institut Max-Planck d’anthropologie
évolutionnaire, à Leipzig, confirme que la
pigmentation foncée de sa peau n’était pas
due au processus de momification, mais
qu’il avait probablement hérité cette carna-
tion de ses ancêtres agriculteurs venus
d’Anatolie, alors qu’une précédente analyse,
conduite en 2012, le reliait à un profil observé
en Sardaigne. L’absence de cheveux est aussi
d’origine génétique, et non un choix capil-
laire, l’étude ayant mis en évidence des gènes
liés à la calvitie. (Photo : EURAC/Marion Lafogler)
> Wang et al., « Cell Genomics », 16 août.
Mété orologie
L’isotherme 0 °C mesuré à l’altitude
record de 5 298 mètres
C’est un record depuis le début des mesures
en 1954, affirme MétéoSuisse. Selon l’office
fédéral de météorologie et de climatologie,
la limite du 0 °C (l’isotherme) s’est située,
dans la nuit du 20 au 21 août, à 5 298 mètres
d’altitude. Ce relevé par radiosondage a été
effectué par la station météo de Payerne,
dans le canton de Vaud. Le précédent record,
à 5 184 mètres, datait du 25 juillet 2022.

L’étoile mystérieuse qui se métamorphose en aimant géant

Astronomie - Un astre au fort champ magnétique pourrait expliquer la genèse des magnétars, ces étoiles à neutrons d’une densité extrême

L a Voie lactée recèle tou-

jours des trésors inatten-
dus. C’est ce qui arrive
grâce à un duo d’étoiles, pourtant
observé depuis tout juste un siè-
cle, situé dans la constellation de
la Licorne, à plus de 3 000 an-
nées-lumière de la Terre. La paire,
baptisée « HD 45166 », est consti-
tuée de deux étoiles assez massi-
ves, respectivement 3,4 et 2 fois la
masse du Soleil, qui se tournent
autour en cent vingt-huit jours.
Le plus léger membre du duo
pourrait expliquer l’un des mys-
tères du cosmos : la formation
d’objets aussi compacts qu’un
trou noir et émettant un champ
magnétique gigantesque, les
­magnétars. Par « gigantesque »,
on parle de plus de 10 milliards de
teslas, soit environ 1 000 mil-
liards de fois plus que le champ
magnétique moyen du Soleil.
Ces magnétars appartiennent à
la grande famille des étoiles à neu-
trons, astres très denses d’une di-
zaine de kilomètres de rayon, mais
pesant comme une fois et demie le
Soleil. C’est souvent ainsi que les
étoiles géantes finissent leur vie,
après avoir brûlé leur hydrogène
et s’être effondrées sur elle-même.
Les pulsars sont des étoiles à neu-
trons particulières, qui émettent
des ondes radio régulières vers la
Terre. Et les magnétars en sont
une autre catégorie, pourvue de
champs magnétiques très inten-
ses, mais à l’origine inconnue.
« Obsédé par HD 45166 »
C’est là qu’entre en scène
HD 45166 et une collaboration
­internationale d’une quinzaine
de chercheurs qui ont publié
leurs observations dans Science,
le 17 août. « J’étais obsédé par
HD 45166 car ce que l’on connais-
sait de ce système ne collait pas »,
se souvient Tomer Shenar, désor-
mais au Centre d’astrobiologie de
Madrid. L’étoile la moins massive
du système HD 45166 était clas-
sée comme étoile de Wolf-Rayet,
un astre composé d’hélium, qui a
perdu son hydrogène et qui émet
de forts vents, éjectant la matière
­environnante. « Mais elle était
moins lumineuse que les autres de
cette catégorie. Ses vents étaient
dix fois moins forts », note Tomer
Shenar qui ajoute que sa signa-
ture lumineuse ne correspondait
pas non plus à sa famille. En
outre, ce spectre est très variable
dans le temps, certains éléments
disparaissant littéralement.
Un détail de ce spectre fait alors
penser au chercheur qu’il ne se-
rait pas impossible qu’un très
fort champ magnétique soit gé-
néré par cette étoile, expliquant
les singularités.
En février 2022, les chercheurs
ont l’autorisation de pointer sur
leur cible l’instrument Espadons
du télescope France-Canada-
Hawaï. Surprise, il y a bien un
champ magnétique. Et même
énorme, de 4,3 teslas, soit 1,4 fois
plus que celui d’une IRM.
Loin de celui d’un magnétar,
certes, mais un record pour un
objet céleste de cette masse, hors
étoile à neutrons. Et cela permet
d’expliquer certaines des particu-
larités observées. Le champ ma-
gnétique piège les particules, ce
qui les ralentit et donne des vents
d’échappement plus faibles. Cela
modifie aussi la chimie locale, vi-
sible dans les spectres de l’étoile.
C’est également suffisant pour
qu’une simulation de la fin de vie
de cette étoile conduise à… un
magnétar. En effet, la partie
« aimantée » de HD 45166 a juste
la bonne masse, environ deux
fois celle du Soleil, pour évoluer
en une étoile à neutrons. Et un
champ magnétique assez fort
pour que ce dernier soit gigantes-
que en fin de vie.
L’étoile mystérieuse de HD 45166
pourrait donc être un progéni-
teur des magnétars. « C’est une
hypothèse parmi d’autres, car cer-
tains suggèrent que les processus
d’explosion d’étoiles massives en
supernovas agitent suffisamment
les particules chargées pour créer,
par effet dynamo, des champs
magnétiques très intenses », rap-
pelle Francesca Gulminelli, pro-
fesseure à l’université de Caen,
spécialiste des étoiles à neutrons.
Paramètres à la limite
« C’est un beau résultat et un bon
travail. La détection magnétique
est très claire, et l’étoile en elle-
même est un objet original qui
méritera d’être étudié plus en dé-
tail. Mais le lien avec le magnétar
reste très spéculatif », note Cora-
lie Neiner, de l’Observatoire
­Paris-Meudon. Elle relève, en ef-
fet, que les paramètres sont à la
limite : si elle était un peu plus lé-
gère, l’étoile de HD 45166 ne de-
viendrait pas étoile à neutrons,
mais une naine blanche et donc
pas un magnétar. Le champ final
calculé est, lui aussi, à peine suffi-
sant pour que les spécialistes
parlent de magnétars.
De nouvelles observations sont
d’ores et déjà prévues, notam-
ment au Very Large Telescope, au
Chili, pour parvenir à distinguer
sur une image les deux étoiles du
duo et affiner les mesures de mas-
ses et de vitesse. Les chercheurs
veulent également fouiller dans
les catalogues d’étoiles de Wolf-
Rayet, pour voir si d’autres
n’auraient pas caché leurs pro-
priétés magnétiques. « Comme
toujours en astronomie, lorsqu’on
découvre des nouveaux objets, on
doit savoir combien il y en a et
comment ils se sont formés », ex-
plique Tomer Shenar, pas prêt à
abandonner son obsession. p
David Larousserie

20 |
Pompidou et Paulin, le normalien
hédoniste et le designer misanthrope
Un président, un artiste — 2/6 — Pour créer trois espaces contemporains à l’Elysée, Georges Pompidou fait appel
à l’exigeant Pierre Paulin. Un pari artistique, industriel, sociétal que les deux hommes gagneront, sans partager
les mêmes opinions politiques. Pièces et mobilier sont entrés dans l’histoire mondiale du design
Saint-Roman-de-Codières (Gard) -
envoyées spéciales
A
u soir de sa vie, dans les re-
plis rudes et sauvages des
Cévennes, Pierre Paulin
(1927-2009) rechigne à évo-
quer le mobilier « Elysée »
qu’il a dessiné pour Georges
Pompidou dans les années 1970. Trop
vieillot, trop bourgeois, juge le designer,
aussi rugueux que ses meubles colorés sont
doux et rassurants. « J’ai rempli avec compé-
tence et adresse mon contrat, mais dans un
style un peu prétentieux, s’autoflagelle-t-il
huit ans avant sa mort, devant les autrices du
livre Paulin (Dis Voir, 2001), Elisabeth Ve-
drenne et Anne-Marie Fèvre. C’est de la dé-
chéance luxueuse. »
Maïa Paulin, 81 ans, son épouse et son asso-
ciée pendant quarante ans, que Le Monde a
rencontrée dans leur repaire de La Calmette
(Gard), n’est pas de cet avis. Elle connaît les
grincements de son mari, son irrémédiable
insatisfaction, sa droiture aussi. Elle a tout ar-
chivé d’une carrière qu’elle veut faire rayon-
ner. « Paulin avait coutume de dire qu’il avait
été méprisé par la France et que ce pays n’avait
pas les industriels et éditeurs de meubles à la
hauteur de son talent », témoigne l’histo-
rienne du design Anne Bony, qui l’a longue-
ment interviewé en 2006. Une amertume in-
compréhensible à ses yeux. « C’est un très
grand designer, un génie de formation classi-
que dont les sièges Dos à dos et Face à face
sont de brillantes réinterprétations de meu-
bles anciens, la boudeuse et la conversation »,
relève cette autrice.
Benjamin Paulin, qui a hérité de son père
un visage de patricien auréolé de boucles, et
sa femme, Alice, s’emploient, eux aussi, avec
leur maison d’édition Paulin Paulin Paulin, à
prolonger l’œuvre paternelle. Dans leur vaste
demeure parisienne, qui tient du showroom,
ils sont intarissables, pointant le détail d’un
fauteuil rembourré, ou l’assemblage astu-
cieux d’une chaise en aluminium. Depuis des
années, cette famille unie milite pour que
l’aménagement complet de l’Elysée soit res-
tauré et réinstallé. Un juste hommage au tan-
dem improbable qu’ont formé Paulin et
Pompidou, le designer misanthrope et le
normalien hédoniste.
La vitrine d’une « qualité France »
Paulin n’a pas été l’intime de l’ancien prési-
dent, comme le fut le peintre Pierre Soulages.
Entre eux, point de correspondance nourrie,
à l’égal de celle entretenue entre le chef de
l’Etat et le peintre Georges Mathieu. Les Pom-
pidou ne l’ont pas convié à leur domicile sur
l’île Saint-Louis ou dans leur maison de Ca-
jarc, dans le Lot. Le designer lui-même admet
volontiers qu’il n’a pas eu de rapports très
personnels avec le président, « un person-
nage magistral, davantage que Mitterrand »,
confiait-il. Aucun artiste pourtant n’a mieux
servi que lui l’ambition artistique et politi-
que de Pompidou.
Combien de chefs d’Etat ont réclamé une
interview pour expliciter leur point de vue
sur l’art ? En octobre 1972, Pompidou déroule
le sien, sur deux pages, dans Le Monde. « L’art
n’est pas une catégorie administrative, il est le
cadre de vie, ou devrait l’être », philosophe le
chef de l’Etat. Il n’est finalement pas si loin
des vues de Paulin, qui, paradoxalement, tra-
vaille pour les élites, considérées comme les
cobayes des classes moyennes. Pompidou,
attentif aux expérimentations d’artistes ci-
nétiques comme aux nouveaux réalistes,
ignore pourtant tout du design. Il le sait, choi-
sir ses meubles, c’est apposer sa signature. Se
démarquer de son prédécesseur, Charles de
Gaulle, dont il revendique l’héritage culturel
tout en veillant à le dépoussiérer.
Quand les Pompidou emménagent en 1969
à l’Elysée, le palais du XVIIIe siècle est vétuste
et inhospitalier. Le mobilier Empire, aussi ri-
gide que le protocole, ne permet pas d’y im-
proviser un repas entre amis. Devant Philippe
de Gaulle, qui lui rend un jour visite, le chef de
l’Etat se lamente : « Je me demande comment
votre père a pu travailler si longtemps dans un
lieu aussi horrible », rapporte Henry Gidel
0123
­
­Mercredi 23­ août 2023
dans Les Pompidou (Flammarion, 2014). Le
président ne pense pas qu’à son bien-être. Il
veut faire de l’Elysée la vitrine d’une « qualité
France », encourager un nouvel art de vivre
dans un pays qui vit les derniers feux des
« trente glorieuses ». L’Hexagone se moder-
nise à grands pas, mais son design est à la
traîne de ceux de l’Italie et des Pays-Bas.
Cette révolution de palais sera circonscrite
à quatre pièces au rez-de-chaussée, vouées à
accueillir les hôtes de marque en petit co-
mité. Pompidou choisit l’artiste cinétique
Yaacov Agam pour l’antichambre. A Jean
Coural, qui dirige le Mobilier national, échoit
la tâche de trouver la personne capable
d’aménager la salle à manger, le fumoir et le
salon-bibliothèque. Trois créateurs français,
plébiscités à l’étranger, sont sur les rangs : Ro-
ger Tallon, qui a dessiné les uniformes des
contrôleurs de la SNCF ; Olivier Mourgue,
dont les fauteuils ondulants ont équipé la
station spatiale de 2001 : l’odyssée de l’espace,
le film de Stanley Kubrick, et Pierre Paulin. Ce
dernier a vu ses meubles élégants, gainés de
tricot de jersey, entrer dans les collections du
prestigieux Musée d’art moderne de New
York ; sa banquette circulaire Mushroom et
ses sièges ont les honneurs du Louvre pour le
repos des visiteurs.
Imagination et bon sens
Paulin a le profil parfait, assez d’imagination
pour faire vivre les gens en déclive ou au plus
près du sol, mais suffisamment de bon sens
pour ne pas ignorer leur confort. Lorsque
Jean Coural l’emmène à plusieurs reprises à
l’Elysée au prétexte de dessiner une table
basse, Paulin ne s’y voit pas. Il déteste les
mondanités et fuit les bavardages. Lui, dont
le regard est tourné vers l’Amérique et la
Scandinavie, devenir « designer du pouvoir »,
« artiste officiel » dans un pays qui l’a si peu
reconnu ? Très peu pour lui. Et s’il n’a pas par-
ticipé à Mai 68, il a le cœur résolument à gau-
che. « Je ne peux pas accepter, je ne partage
pas vos opinions politiques », ose-t-il répon-
dre à Pompidou. « Je vous choisis plutôt deux
fois qu’une, cela me coûtera moins cher que les
créateurs de mon bord », lui répond non sans
malice le chef de l’Etat.
Le cahier des charges relève quasiment de
l’impossible : prévoir un aménagement ré-
versible, car le bâtiment est classé, utiliser
des technologies nouvelles et ne faire aucun
bruit durant les travaux. Trois semaines plus
tard, Paulin présente aux Pompidou ses
plans tracés au stylo blanc sur un papier
brun. Silence gêné. « Je crois que tout le
monde a compris que c’était “fort de café”,
mais que c’était ce qu’il fallait faire », assure le Pompidou et Simonne Servais, dans le salon des Tableaux, conçu par Paulin. France Archives/adagp 2023
designer à Catherine Geel dans un livre d’en-
tretiens (Archibooks, 2008). Le couple Pom-
pidou, en particulier Claude, s’implique dans
le chantier. Aussi le président est-il exaspéré tent le teint à la laine du tapis qui ne doit pas trop difficile à démonter, mais relégué le
lorsque Le Point assure qu’ils s’en sont désin- s’accrocher au pantalon des gardes mobiles. reste au château de Pierrefonds (Oise), à la
téressés. Sa lettre au patron de l’hebdoma- « Certains matériaux n’existaient pas en merci des rats. Plus personne ne s’en sert,
daire, Georges Suffert, est des plus sèches : France ou servaient à tout autre chose, indi- pas même François Mitterrand, qui com-
« S’imaginer que je vais transformer quatre que Maïa Paulin, comme les éléments en fibre mande pourtant, en 1984, son bureau à Pau-
pièces de l’Elysée sans en discuter longuement de verre dans la salle à manger, utilisés pour lin. Bernadette Chirac, qui lui trouve même
avec ceux qui exécutent, pour qui est-ce me fabriquer les bateaux. » un air de funérarium, demande au designer
prendre ? Croit-on que je fais semblant ? » d’accentuer l’éclairage. Nicolas Sarkozy y
Pour satisfaire ses commanditaires, Paulin Un air de funérarium fait installer un flipper et un tableau de flé-
accepte quelques concessions. Le bleu est re- chettes pour ses enfants. « Il y avait des cro-
misé au profit du beige – « Je ne devais pas Inauguré début 1972, l’ensemble connaît un quettes aussi, c’était devenu la pièce du
choquer, mais rester classique », reconnaît-il. retentissement international. « Bientôt cha- chien », se désole Benjamin Paulin.
Le designer imagine un cocon intimiste et cun pourra se meubler dans le nouveau style François Hollande s’engage à une restaura-
cossu, masquant l’ancien décor d’une struc- de l’Elysée », prédit le Reader’s Digest. Pour tion qui reste seulement à l’état de promesse.
ture tendue de tissu élastique. Le fumoir, Pierre Paulin, toutefois, c’est le début d’une Brigitte Macron voudrait tout installer dans
dans l’ancienne bibliothèque Napoléon III, traversée du désert, car la gauche hurle à la un musée. La famille Paulin juge au contraire
devient méconnaissable. Un canapé circu- compromission. La même année, de nom- que cet incroyable ensemble, connu dans le
laire est moulé dans les parois. Au centre, une breux artistes, refusant d’être annexés par le monde entier, appartient à l’Elysée. Invités
table basse en forme de fleur aux pétales opa- politique, boycottent l’Expo 72, inaugurée au par les Macron, les chanteurs Justin Bieber et
lescents. Dans la salle à manger, un lustre milieu des gaz lacrymogènes et des CRS. At- Rihanna ont expressément demandé à visi-
scintillant formé de 9 000 petites cannes de teint d’un cancer, le chef de l’Etat meurt deux ter la salle à manger et à s’y faire prendre en
verre couvre le plafond dans sa totalité. Pau- ans plus tard, mais le couple Paulin reste lié à photo. Au Mobilier national, on indique que
lin veille à tout, des lampes rose pâle qui flat- Claude Pompidou, qui le présente à Jacques des études ont commencé pour la faire res-
et Bernadette Chirac. Lorsque le maire de Pa- taurer. La rénovation du fumoir, toujours en-
ris le sollicite pour des travaux à l’Hôtel de treposé, reposera entièrement sur du mécé-
ville, Paulin hésite cependant. « On s’est dit nat privé. Ce qui ne devrait pas être si difficile
qu’on allait revivre les années Pompidou où à trouver. De jeunes milliardaires, comme
Aucun artiste n’a mieux servi toute la gauche parisienne nous conspuait », Alexandre Arnault, se sont entichés de ce
se souvient Maïa Paulin. mobilier, mélange d’élégance et d’audace, ar-
que Paulin l’ambition La droite n’a pas davantage apprécié l’in- chétype du chic français. p
artistique et politique trusion de la modernité à l’Elysée. Valéry Roxana Azimi et Béatrice Gurrey
Giscard d’Estaing a bien petit-déjeuné avec
de Pompidou quelques éboueurs dans la salle à manger, Prochain article Giscard et Lartigue
0123
­
­Mercredi 23­ août 2023
La bibliothèque
insolite
de Mara Goyet
Léa Girardot
Colonisation
par les nuls
J’
ai un aveu à faire. Avant de me
juger, attendez. Ne vous empor-
tez pas dès la première seconde.
Je viens de lire un ouvrage consacré
à la colonisation et j’ai passé mon temps
à rire. Je ne pensais pas que ce fût possi-
ble dans la mesure où l’humour colonial
n’est pas drôle ; quant à l’existence de
l’humour décolonial, elle reste à prouver.
Ce livre est l’Atlas des territoires éphé-
mères (Robert Laffont, 2022) écrit par
Benoist Simmat et illustré par ­Daniel
Casanave. Il est consacré aux « colonies
ratées », aux « souverainetés utopiques »
ainsi qu’aux « aberrations territoriales ».
On y croise des « aventuriers calami-
teux », des malchanceux, des approxi-
matifs et des fous, tous auréolés d’une
totale absence de gloire. On leur doit
beaucoup : sans eux, il y aurait sans
doute eu davantage de colonies. Ainsi,
dans ces pages burlesques, découvre-
t-on la colonisation par les nuls : projets
insensés, erreurs de lecture sur les car-
tes, méconnaissance des territoires et
mégalomanie d’aventuriers à la dérive.
J’ai été particulièrement amusée par
le récit qui concerne l’île Julia. D’autant
plus que l’histoire n’est pas terminée.
Drapeau étanche
Pendant l’été 1831, on apprend qu’une
terre nouvelle a surgi des eaux à « 20 ki-
lomètres des côtes sud-ouest de la Sicile ».
Il s’agirait d’un archipel volcanique
qui, en raison de son activité sismique,
aurait émergé. Le brick La Flèche s’y
rend rapidement : le 28 août, deux mate-
lots français arpentent son sol brûlant.
Le lendemain, un nouveau contingent
accoste muni, notamment, d’un ton-
neau de vin pour fêter l’événement. Le
drapeau est planté et l’île nommée Julia.
Un panneau indicateur est même fixé.
De leur côté, le royaume des Deux-
Siciles et les Anglais assurent, chacun de
leur côté, avoir arpenté le « caillou volca-
nique » en premier. Pour compliquer
l’affaire, l’objet de toutes ces convoitises
est de nouveau englouti en décembre de
la même année. On attendit alors que
l’île émergeât de nouveau. L’aviation
américaine qui, dans les années 1980, la
confondit avec un sous-marin libyen
et la bombarda faillit régler le problème.
Néanmoins, l’île repointa le bout de son
nez, au début de l’année 2002.
Les Italiens se dépêchèrent d’y instal-
ler un drapeau. Le descendant du roi
des Deux-Siciles, afin de revendiquer
avec la plus grande solennité Ferdinan-
dea (autre nom de l’île), y fit déposer
une plaque en marbre (retrouvée dé-
truite peu après – on soupçonna les
services secrets anglais). En France,
on décida d’en rire avec le plus grand
­sérieux : dans Le Canard enchaîné, un
vrai-faux professeur fit du petit rocher
sous-marin une autre « France d’en
bas » ; il proposa d’y planter un drapeau
étanche et ignifugé pour plus de sécu-
rité. Depuis, rien, ou presque. Rien ne
presse : si l’île réapparaît, il faudra s’at-
tendre à des conflits diplomatiques et
il n’est pas certain que l’actualité inter-
nationale ait besoin d’une querelle
européenne de plus pour se divertir. p
Mara Goyet
Mara Goyet est écrivaine et professeure
de collège
Prochain article Gros plan sur un petit
coin
Aleister Crowley, influenceur
post-mortem de la pop culture
Aleister Crowley, une vie avec Satan — 2/6 — Personnage excentrique de son vivant,
l’occultiste britannique a inspiré des générations d’artistes après sa mort, en 1947
C’
est un mémo at-
tribué au contre-
espionnage bri-
tannique, dont
l’authenticité di-
vise les experts
d’Aleister Crowley (1875-1947). « Agent
assez maladroit, toujours à court
­d’argent, d’une moralité corrompue, y
lirait-on. A n’utiliser qu’en prenant de
très grandes précautions. » Dans quelle
mesure « l’homme le plus malsain du
monde », ainsi que l’on surnommait
l’artiste britannique, a-t-il aidé les servi-
ces de renseignement de son pays ? Des
­livres entiers ont creusé la question,
sans apporter de réponse définitive.
Pour expliquer le refus par la France de
renouveler son titre de séjour, en 1929,
ce grand voyageur fanfaronnait, dans
Le Petit Parisien : « D’abord, je fais des
messes noires. Les femmes, je les crucifie
et puis je les mange. C’est pratique. Je
suis espion aussi. Enfin, j’ai volé les tours
de Notre-Dame. Voilà… »
En 1941, Ian Fleming, alors officier du
renseignement, songe à lui confier une
mission sensible : interroger le bras
droit de Hitler, Rudolf Hess, féru d’éso-
térisme et détenu sur le sol britanni-
que. Si rien n’indique que l’interroga-
toire a bien eu lieu, Fleming se souvien-
dra de Crowley au moment d’écrire
­Casino Royale (1953), qui marque le dé-
but des aventures de James Bond : le
Chiffre, l’ennemi de l’agent 007, est en
partie inspiré par « la Bête 666 ».
L’anecdote résume bien le paradoxe
Crowley. Personnage excentrique de
son vivant, il s’est, après sa mort, infil-
tré au cœur de la culture populaire. A
son décès, le 1er décembre 1947, le New
York Times publie un maigre entrefilet :
« Edward Alexander Crowley, dit Aleister
Crowley, auteur et poète, praticien pré-
sumé de “magie noire” et de sacrifice de
sang, est mort aujourd’hui à Hastings,
à 72 ans. » Le 22 février 1970, le quoti-
dien américain évoque ses ­Confessions
En 1967, au faîte de leur gloire,
les Beatles l’incluent sur la
pochette de l’album « Sgt. Pepper’s
Lonely Hearts Club Band »
dans un article bien plus volumineux :
« Nous vivons à l’ère d’Aleister Crowley »,
se désole le chroniqueur.
Que s’est-il passé pour que, en à peine
plus de vingt ans, « la Bête » soit ainsi
domestiquée ? Avec le boom démogra-
phique et économique de l’après-
guerre, une culture spécifiquement
adressée aux jeunes s’est développée.
Ayant adopté pour devise le triptyque
« sexe, drogues et rock’n’roll », les nou-
velles générations se reconnaissent vo-
lontiers dans les excès crowleyiens. « Je
me sens toujours de l’âge d’environ 18 ou
20 ans, écrit-il dans ses Confessions,
alors qu’il en a près du triple. C’est ma
mission éternelle de sauver l’univers en
lui faisant retrouver cet état d’innocence
enivrée et de sensualité spirituelle. »
Pour accomplir cette mission, Crow­-
ley s’est trouvé des acolytes de poids.
En 1967, au faîte de leur gloire, les Beat-
les l’incluent sur la pochette de leur al-
bum Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club
Band. Le groupe dévore alors les écrits
du psychologue qui précipite la révolu-
tion psychédélique, l’Américain Timo-
thy Leary, marqué au fer rouge par « la
Bête ». Leurs rivaux, les Rolling Stones,
ne sont pas en reste. De l’album Their
Satanic Majesties Request (1967) à
l’hymne Sympathy for the Devil (1968),
ils multiplient les références au Malin
depuis qu’ils ont découvert les films
expérimentaux de Kenneth Anger, un
cinéaste crowleyien en diable.
David Bowie mentionne l’occultiste
dans sa chanson Quicksand (1971), tout
en s’inspirant de ses transformations
vestimentaires. Autrement fétichiste,
Jimmy Page, le guitariste de Led Zeppe-
lin, collectionne tout ce qui a trait à
Crowley : livres, manuscrits… Sa décou-
verte d’un livre de « la Bête », à l’âge de
15 ans, l’a transformé. Si bien qu’il ira
jusqu’à acquérir, en 1970, la maison sur
les rives du Loch Ness, en Ecosse, où a
vécu ce « génie incompris du XXe siè-
cle », qui a tant fait pour « la libération
de l’individu », comme Page le présen-
tera dans une interview, en 1978.
« Quand je fréquentais le milieu du
rock, dans les années 1970, Crowley était
une référence obligée, se souvient
l’Américain Gary Lachman, ancien
membre de Blondie et auteur d’une
biographie de Crowley, parue en 2014
(non traduite). Sa rage adolescente con-
tre toute forme d’autorité, ses expéri-
mentations avec la drogue, le sexe ou la
magie résonnaient avec notre désir
d’ouvrir les “portes de la perception”,
comme le formulait l’une de ses connais-
sances, l’écrivain Aldous Huxley. »
L’Oncle Fétide
En 1980, Ozzy Osbourne interpelle
« la Bête 666 » dans le morceau
Mr. Crowley. « Qu’avais-tu en tête ? », s’y
demande l’ex-leader de Black Sabbath,
un groupe pionnier du metal. Dans son
sillage, Crowley devient une référence
qu’artistes et fans des musiques dites
« extrêmes » s’échangent comme un
talisman, d’Iron Maiden hier à Ghost
aujourd’hui. « Le metal au sens large
s’est construit comme une culture d’ini-
tiés, avec ses rites, ses techniques, ses
cercles – d’où son intérêt pour l’ésoté-
risme d’un Crowley », analyse la cher-
cheuse et journaliste Sixtine Audebert,
qui s’est fait tatouer un hexagramme
sur l’abdomen, symbole que chérissait
« l’homme le plus malsain du monde ».
La fragmentation des musiques po-
pulaires, de plus en plus spécialisées,
n’a pas fait pâlir l’étoile de sieur Aleis-
ter, au contraire. Son ombre plane sur
les sous-genres les plus obscurs de
l’electro comme dans le hip-hop le plus
grand public. Bien avant que des poin-
tures du rap, tels Jay-Z, Kanye West ou
Tyler, The Creator, n’y aillent de leur
clin d’œil, la mégastar Michael Jackson
l’avait fait dessiner sur la pochette de
son album Dangerous, en 1991.
Dangereux, Crowley ? Fameux pour
ses infamies, qu’elles fussent réelles ou
fantasmées, il fut un recours utile pour
tous ceux qui, à Hollywood et ailleurs,
ont façonné l’imaginaire anglo-saxon,
indéfectiblement structuré autour de
l’opposition entre le Bien et le Mal. De
best-sellers en blockbusters, on ne
compte plus les « méchants » qu’il a
inspirés. L’Oncle Fétide de La Famille
| 21
Isabel Espanol
Addams ? En partie calqué sur Crowley.
Les séries Luther ou Good Omens, pour
citer des exemples plus récents ? Idem.
Qu’il intéresse tant les auteurs de sa-
gas populaires – J. K. Rowling (Harry
Potter), Dan Brown (Da Vinci Code),
­Michael Ende (L’Histoire sans fin)… –,
emblématiques du soft power occiden-
tal, n’est peut-être pas anodin : Crowley
lui-même est le produit de l’impéria-
lisme de son temps. « C’est un enfant de
l’Angleterre victorienne, résume l’un de
ses biographes, Phil Baker. Il s’est vio-
lemment heurté à son puritanisme, tout
en embrassant son colonialisme. Ses
idées empruntent à beaucoup de cultu-
res alors sous domination britannique,
quand elles ne les pillent pas : l’Inde,
l’Egypte… En un sens, il me fait penser
à Boris Johnson, par ses bouffonneries
potaches et son côté vieux jeu. »
Une sorte de synthèse du garnement
et du gentleman, en somme. L’écrivain
Lucien d’Azay décèle en Crowley des
traits éminemment anglais : « C’était
un leader, doté d’une confiance en lui
ahurissante – qui confinait, parfois, au
mépris d’autrui. » Vers la fin de sa vie,
« la Bête 666 » prétendra avoir inspiré à
Churchill, en février 1941, par l’intermé-
diaire d’amis espions, son geste le plus
célèbre : le « V » de la victoire – un signe
que reprendront, en le modifiant quel-
que peu, des générations de rockeurs
pour lui faire dire alternativement
« peace and love » ou « Satan ».
Si rien n’étaie son affirmation,
Crowley est bel et bien à l’origine, en re-
vanche, d’un autre « V », presque aussi
glorieux : celui de V pour Vendetta
(1982-1990), la bande dessinée d’Alan
Moore et David Lloyd, dont l’imagi-
naire, depuis son adaptation au ci-
néma en 2006, irrigue de nombreux
mouvements contestataires, dans le
monde entier. Féru d’ésotérisme,
Moore avait pioché son titre dans une
expression latine prisée par « la Bête » :
« Vi veri universum vivus vici. » Soit :
« Par le pouvoir de la vérité, j’ai, de mon
vivant, conquis l’univers. » Que
Crowley y soit parvenu, après sa mort,
par la force de ses affabulations, n’est
pas la moindre de ses prouesses. p
Aureliano Tonet
Prochain article
Avec les disciples de « la Bête 666 »
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22 | ­
­Mercredi 23­ août 2023

L’œil de Moscou en Lettonie

Le nouvel espionnage russe — 2/5 — Le petit pays balte, qui fit partie de l’empire soviétique, s’inquiète des agissements
des services secrets russes sur son territoire. Un ancien ministre y est même accusé d’avoir transmis des infos sensibles

Riga - envoyé spécial

Q
uand il se présente devant
le modeste bâtiment du
tribunal de Riga, en ce dé-
but du mois de mai, Janis
Adamsons, ancien minis-
tre de l’intérieur et figure
de la vie politique lettone, ne ressemble
guère à l’image que l’on se fait d’un espion de
haut vol au service de la Russie. C’est un
homme de 66 ans à la carrure massive et au
crâne dégarni, qui affiche une forme de bon-
homie et la volonté de faire profil bas. Le
voici bientôt dans la salle d’audience, un gros
sac plastique à la main. A l’intérieur, son dos-
sier d’accusation : les éléments qui font de
lui, selon ses détracteurs, le plus célèbre
­traître du pays.
La justice lettone n’est pas du genre à se
donner en spectacle. Sans doute est-ce un
trait propre à ce « pays de juristes », comme le
surnomment certains diplomates étrangers
en poste à Riga, où l’on cultive la retenue du
protestantisme et le goût de l’argutie.
­Pourtant, cet Etat balte de 1,9 million d’habi-
tants, dont 35 % de russophones, frontalier
de la Russie et de la Biélorussie, mesure bien
ce que la menace du Kremlin signifie. Après
s’être défait du joug soviétique en 1990, et
avoir intégré l’Union européenne et l’OTAN
en 2004, il fait tout pour se protéger de
­l’ancien occupant. Ses alliés l’y aident : des
troupes occidentales y sont stationnées,
alors que les troupes de Moscou font la
guerre à l’Ukraine.
En ce jour de printemps, Adamsons compa-
raît libre après le versement d’une caution de
30 000 euros et le report du procès, prévu
en 2022, qui est toujours en cours. Il va mieux
après avoir subi une intervention chirurgi-
cale et assure qu’il démontrera le « vide » des
accusations portées contre lui. De son côté, le Anne-Gaëlle amiot
contre-espionnage letton (VDD) espère enfin
faire tomber un personnage controversé qui
a toujours réussi à lui échapper. Il a fallu que
la présidente du Parlement, Inara Murniece, Le contre-espionnage letton dispose de peu transmettre des données sensibles sur les celui du soi-disant « patron » de Silonov, un
fasse voter, en 2021, la levée de son immunité d’éléments sur cette phase de son parcours. unités de l’OTAN déployées dans le pays. certain « Alexandre ». Un aveu auquel le VDD
pour que M. Adamsons soit poursuivi par la Officiellement, de 1995 à 1998, il est député, L’inquiétude de la Lettonie sur les dégâts accorde peu de crédit.
justice. A entendre cette dernière, « les soup- tout d’abord au sein du parti Voie lettone, et qu’il a pu provoquer n’est pas feinte. Aux yeux La surveillance des téléphones d’Adamsons
çons sont très graves ». membre de la Commission de la défense et du VDD, sa connaissance des institutions a fait et de Silonov montre que le député letton
des affaires intérieures. Puis il rejoint le Parti de lui un précieux agent recruteur pour le ren- ­sollicitait, depuis 2017, une rencontre avec le
Une centaine de rencontres social-démocrate du travail letton, dont il in- seignement russe. Ses cibles : des fonctionnai- « patron » de Silonov, à Moscou. Ce dernier lui
tègre le comité central. Adamsons pourfend res et des membres des services de sécurité. promet d’organiser le rendez-vous, tout en se
Selon le procureur général de Lettonie, Juris volontiers des gouvernements au nom de la Dès sa nomination au ministère de l’intérieur, plaignant de l’intérêt quasi exclusif de ses
Stukans, tout a basculé en 2021. « Nous avons lutte contre la corruption. Avec le recul, le en 1994, Adamsons s’est ainsi rapproché d’un chefs pour l’Ukraine. Après des mois
pu documenter des rencontres avec un officier VDD le suspecte d’avoir cherché, sur com- certain Andris Strautmanis, ancien officier de ­d’enquête, la motivation du « traître » reste dif-
du FSB russe dans des lieux publics, à Riga, no- mande, à affaiblir le pouvoir de l’époque. l’antenne lettone du KGB, devenu chef adjoint ficile à cerner. L’idéologie ? L’argent ? La peur ?
tamment dans un café », explique-t-il au Il faut attendre l’année 2000 pour que son de la police de sécurité après l’indépendance. D’après l’accusation, ses services étaient ré-
Monde. Peu de temps après, cet officier, passé resurgisse. Quand le Parlement décou- Dix ans plus tard, alors que la Lettonie tente de munérés quelques centaines d’euros, versés
Guennadi Silonov, est arrêté, de justesse, à vre son passage au sein des gardes-frontières, « dérussifier » le pays, Strautmanis perd son tous les deux mois par Silonov à la fille
l’aéroport de Riga. Il est jugé au cours du et donc du KGB, il est démis de ses fonctions habilitation secret-défense. Il finira par diriger d’Adamsons, installée en Russie.
même procès, mais en visioconférence, de sa de député. Il conteste cette éviction et ob- le service de sécurité d’un lieu hautement « Absurde », s’insurge Adamsons, assurant
cellule. « Dans un cas, on a pu établir qu’Adam- tient, en 2006, l’annulation de celle-ci par la stratégique, le chantier naval de Riga, plaque que s’il passait par Silonov pour donner de
sons lui remettait une clé USB », poursuit le Cour européenne des droits de l’homme. Son tournante portuaire de la mer Baltique. l’argent à sa fille, c’était juste pour éviter de
magistrat. Sur la centaine de rencontres re- argument : plus de quarante mille personnes payer des commissions bancaires. Des enre-
censées entre les deux hommes (de 2015 et se trouvent dans son cas dans toutes les an- Montants limités gistrements de conversations entre les deux
2021, certaines en Lettonie, d’autres à Mos- ciennes républiques soviétiques. Pourquoi hommes laissent pourtant entendre qu’il
cou), une quarantaine figure dans le dossier. serait-il le seul à être interdit de vie publique ? Strautmanis n’est visé que dans un volet se- veillait à limiter les montants pour ne pas
« Il faut garder à l’esprit qu’Adamsons est un Une fois revenu au Parlement, il enchaîne condaire de l’affaire Adamsons. La justice lui alourdir sa peine s’il se faisait prendre. Devant
ancien officier du KGB, précise le procureur. Il les mandats, jusqu’en 2021, sous l’étiquette reproche d’avoir transmis des informations le tribunal, il a affirmé que ses échanges avec
a gardé des liens avec son ancienne maison, du parti Harmonie, ce qui lui permet de sié- au député, lequel les aurait ensuite remises à Silonov portaient avant tout sur le « hockey et
tout en se disant grand patriote. » ger, de nouveau, au sein des commissions de Silonov. Mais faute de liens formels entre la politique étrangère », et qu’il a pu lui arriver
Janis Adamsons, né en Lettonie, ne savait la défense, des affaires intérieures et de la Strautmanis et Silonov, la justice l’exonère de le solliciter pour transmettre en Russie
sans doute pas qu’il deviendrait espion prévention de la corruption. En 2019, il est des accusations d’espionnage et se contente « des informations, des livres, ou même des ci-
quand il a décroché, en 1979, son diplôme de également désigné chef du groupe parle- de délits mineurs liés, entre autres, à la déten- gares, à des parents et à des connaissances ».
navigateur à l’Ecole navale supérieure de mentaire chargé de la coopération avec le tion illégale d’une arme. Le pistolet en ques- Après l’invasion de l’Ukraine, en 2022, son
Kiev. Cette année-là, il ne sort pas parmi les Parlement russe, un prétexte parfait pour tion lui avait été donné, en 1994, par… Janis parti politique a implosé, près de 50 % des
premiers de sa promotion et occupe pendant masquer, d’après le contre-espionnage let- Adamsons, alors ministre de l’intérieur. membres d’Harmonie ayant rendu leur carte
dix ans divers postes dans l’Extrême-Orient ton, ses liens avec le FSB. L’autre recrue présumée de ce même après les déclarations pro-Kremlin de certains
soviétique. Des destinations peu enviables Au fil des années, Janis Adamsons aurait Adamsons est Arturs Smaukstelis, ancien po- dirigeants. De quoi faire dire au premier mi-
au fil desquelles il gravit les échelons au sein transmis des informations et des documents licier devenu, quelque temps, son assistant nistre letton, Arturs Krisjanis Karins – qui a dé-
du corps des gardes-frontières, une adminis- sur des projets et des débats législatifs con- parlementaire. Lors du procès, l’un et l’autre missionné le 14 août –, que, dans son pays, « il y
tration intégrée aux services de renseigne- cernant son pays, sur les budgets alloués au assurent que Smaukstelis n’a fait que nourrir a 200 000 personnes dont la loyauté n’est pas
ment, le KGB, qui deviendra le FSB après la ministère de la défense et à l’achat de maté- la documentation du député sur le crime or- assurée ». Depuis, les autorités ont resserré les
chute de l’URSS. riel pour l’armée, sur les aménagements et ganisé et le transport de viande en Russie. mailles du filet, notamment à Riga, où 50 % de
Paradoxe pour un « traître », c’est l’accession infrastructures prévus à la frontière orien- Smaukstelis n’est poursuivi que pour divul- la population est russophone. Dans le pays,
à l’indépendance de son pays natal, en 1990, tale, et enfin sur les choix politiques natio- gation d’informations classifiées. Il aurait lui- une centaine de monuments à la gloire de l’Ar-
qui va changer sa vie et booster sa carrière. naux. Ainsi, le dossier Nord Stream 2, ce gazo- même recruté un autre ancien membre du mée rouge ont été démantelés, les célébra-
Sans doute poussé par le KGB à briguer des duc reliant la Russie à l’Allemagne, via la mer KGB letton, Andrejs Motils, qui a confirmé tions prosoviétiques ou les déclarations favo-
fonctions au sein d’une Lettonie en voie Baltique, aurait été au centre de son atten- avoir fourni des informations à Adamsons rables à Poutine sont désormais illégales. Ré-
d’émancipation, il s’oriente vers la marine let- tion. L’enquête mentionne, enfin, qu’il aurait par l’intermédiaire de Smaukstelis. sultat : les dirigeants de l’Union russe de Letto-
tone. En 1992, il devient chef d’état-major des utilisé son ordinateur au Parlement pour D’après l’accusation, Adamsons s’est rendu nie s’interdisent, depuis mars 2022, tout
forces navales, puis, en 1994, commandant à « au moins trois reprises », entre 2019 et commentaire sur la guerre en Ukraine. « Nous
des troupes frontalières ; un moyen, pour le 2020, à Moscou, afin de rencontrer les supé- avons des amis dans les deux camps, on ne peut
renseignement russe, de savoir ce qui se passe rieurs de son agent traitant du FSB. Il rétor- pas choisir », dit Miroslavs Mitrofanovs, copré-
sur la mer Baltique et sa partie ouest. Adam- que que ces visites s’inscrivaient dans le ca- sident de ce parti politique. Début 2022, ils ont
sons prend ensuite une autre voie, probable- Janis Adamsons a fait partie dre du travail de son groupe de députés, reçu un avertissement des autorités lettones.
ment inspirée aussi par ses mentors russes : il chargé des relations avec le Parlement russe. Au second, le parti sera déclaré hors la loi. p
quitte l’armée et est propulsé, en novem- d’une administration Pourtant, ces réunions se tiennent dans un… Jacques Follorou
bre 1994, ministre de l’intérieur. Il restera peu intégrée au KGB avant sauna, ce qu’Adamsons a reconnu, tout en re-
longtemps, mais le voici bien devenu – selon fusant de livrer l’identité complète des parti- Prochain article En Estonie, le pont
ses accusateurs – l’œil de Moscou en Lettonie. l’indépendance de la Lettonie cipants, tout juste quelques prénoms, dont de toutes les menaces
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­Mercredi 23­ août 2023 | 23

« Racines », les Noirs au premier plan

Les séries qui ont changé notre regard — 2/­6 — En 1977, le passé esclavagiste des Etats-Unis était enfin mis en lumière

L
e 30 janvier 1977, 100 millions
d’Américains regardaient le final de
Racines. Le record d’audience établi
l’année précédente par la program-
mation en prime time d’Autant en
emporte le vent (1939) était battu.
La série avait été diffusée huit jours d’affilée
par le réseau ABC, qui redoutait l’insuccès et
avait préféré concentrer d’éventuels mauvais
chiffres sur une seule semaine.
A la décharge des dirigeants du groupe
audiovisuel, on peut faire valoir le risque
qu’ils prirent de se lancer dans une entreprise
inédite dans l’industrie télévisuelle. Adaptée
du récit de l’écrivain Alex Haley Roots, la saga
d’une famille africaine, qui planait en tête des
ventes de livres depuis sa sortie en août 1976,
Racines proposait pour la première fois à une
heure de grande écoute une série dramatique
dont les personnages principaux étaient tous
noirs, déroulant l’histoire d’une famille – celle
d’Alex Haley –, de la déportation d’un ancêtre,
Kunta Kinte, de son village de Gambie vers le
Sud esclavagiste, juste avant l’indépendance
des Etats-Unis, jusqu’à la Reconstruction,
l’époque qui suivit la guerre de Sécession.
Avant cela, l’industrie du spectacle améri-
caine s’était gardée de mettre en scène l’escla-
vage autrement qu’à travers le regard des
Blancs. Le révisionnisme qui faisait de l’éco-
nomie de plantation sudiste un système pa-
ternaliste et protecteur restait la représenta-
tion dominante.
La coalition qui la fit voler en éclats n’était
pas celle qu’on aurait pu attendre. Alex Haley
– le seul Afro-Américain des promoteurs de
l’entreprise – avait beau avoir coécrit L’Auto-
biographie de Malcolm X (1965), il votait répu-
blicain. Le producteur, David Wolper, était
jusqu’alors connu pour des documentaires à
succès destinés au petit écran et une poignée
de longs-métrages commerciaux. Quant à
ABC, le réseau s’était hissé à la première place
des audiences grâce à des succès familiaux LeVar Burton (à gauche), qui incarne Kunta Kinte, et Thalmus Rasulala, dans la série « Racines » (1977). ABC Photo Archives/Disney/Getty Images
tels Happy Days ou The Brady Bunch.

Hybride d’histoire et d’invention

C’est ce trio pourtant qui a rappelé aux Etats-
Unis leur péché originel, à travers l’histoire
de Kunta Kinte, adolescent mandingue cap-
turé par des marchands d’esclaves, et celle de
ses descendants. Ce sont eux les héros de la
série, qui, de génération en génération, ten-
tent de sauvegarder leur héritage que les
planteurs veulent effacer, de préserver des fa-
milles disloquées par le commerce des êtres
humains, de construire une nouvelle identité
à travers les sévices et les privations.
Comme l’écrit le New York Times au prin-
temps 1976, à l’occasion d’un reportage sur le
tournage de la série, en Géorgie : « Racines est
une entreprise risquée, artistiquement et com-
mercialement (…). La possibilité existe que la
description exhaustive et exacte de l’esclavage
se révèle répugnante pour les téléspectateurs. »
Pourtant, dès le premier soir, Racines ren-
contre le succès. Cela tient à la fortune du livre.
Alex Haley a mis douze ans à le rédiger, de la
signature du contrat avec l’éditeur Doubleday
à la parution. Se fondant sur des indices plutôt
maigres (Haley se trouvera bientôt entraîné
dans une controverse sur la valeur historique
et généalogique de son travail, qui tournera à
son désavantage), l’écrivain s’est persuadé qu’il
Jusqu’alors, l’industrie
du spectacle s’était gardée
de mettre en scène l’esclavage
autrement qu’à travers
le regard des Blancs
descendait d’un clan mandingue de Juffureh,
village sur l’embouchure du fleuve Gambie, et
que son ancêtre, Kunta Kinte, avait été vendu
en 1750 à Annapolis (Maryland), afin de servir
dans une plantation de Virginie. Pour financer
son travail (l’avance de Doubleday est depuis
longtemps épuisée), il donne des centaines de
conférences à travers les Etats-Unis, réunis-
sant des centaines de milliers d’auditeurs qui
seront autant de prosélytes de Racines.
A l’écran, l’hybride d’histoire et d’invention
d’Alex Haley devient pure fiction. Les scénaris-
tes, tous blancs, ont décidé avec David Wolper
d’élaguer l’œuvre de son élément autobiogra-
phique, tout en donnant aux personnages
d’origine européenne une importance qu’ils
n’ont pas dans le livre. Ce qui permet d’em-
baucher des vedettes du petit écran. Ed Asner
(Lou Grant) sera le capitaine du navire et sa
performance de puritain taraudé par sa cons-
cience lui vaudra un Emmy Award, contraire-
ment à ses collègues noirs ; Chuck Connors
(L’Homme à la carabine), le petit planteur
auquel Kunta Kinte est revendu.
Les acteurs noirs sont forcément moins con-
nus. A l’exception de Sidney Poitier, Hol-
lywood ne compte alors pas de vedette afro-
américaine. Mais on peut voir en Racines un
Who’s Who du cinéma noir américain, de la
blaxploitation (Richard Roundtree, l’inter-
prète de Shaft, tient un petit rôle) au cinéma
d’auteur. Cicely Tyson, nommée à l’Oscar de la
meilleure actrice en 1973, joue la mère de
Kunta Kinte, personnage qui échoit à un in-
connu, le jeune LeVar Burton.
Dans Making Roots. A Nation Captivated
(ASU Press, 2016, non traduit), l’universitaire
Matthew Delmont rapporte qu’ABC trouvait le
jeune homme « trop africain (…) et que ses lè-
vres étaient trop grosses ». Le producteur Wol-
per passa outre, s’appuyant sur le fait que le
premier épisode, situé en Gambie (mais
tourné en Géorgie), devait mettre en valeur la
richesse et la complexité de la société et de la
culture auxquelles Kunta Kinte était arraché.
Dans le concert de louanges qui accueille la
diffusion de Racines, quelques voix dissiden-
tes se firent entendre, comme celle de Ronald
Reagan. Cité par le Washington Post, le futur
président estima que « le parti pris qui consiste
à ce que les bons soient tous d’une couleur et les
méchants d’une autre est plutôt destructeur ».
Ce couac est en fait le « la » d’un concert à ve-
nir, le programme de la réaction qui se cons-
truit face aux avancées du mouvement pour
les droits civiques. Le succès de Racines ne pro-
fitera pas aux acteurs, qui retourneront à la
semi-obscurité à laquelle les condamne le sys-
tème hollywoodien. Il faudra attendre le siècle
suivant pour que le quotidien et l’histoire des
Afro-Américains soient vus autrement dans
les séries qu’à travers le prisme de la comédie.
Pourtant, les racines ont continué de ramper,
à l’abri de la lumière, pour resurgir triompha-
lement. En 2015, le rappeur Kendrick Lamar
enregistre King Kunta. En 2020, Barry Jenkins
réalise la série The Underground Railroad,
autre adaptation d’une fiction sur l’esclavage,
qui sera cette fois une expérience entièrement
afro-américaine. Et un chef-d’œuvre. p
Thomas Sotinel
Prochain article « Girls »

Christophe et Alain Bashung au diapason

I
ls se tiennent côte à côte sur la scène
Une chanson, de la Cité de la musique. Ces deux-là
se connaissent depuis le début des an-
deux versions nées 1970, ont été très proches, se sont
éloignés puis retrouvés vingt ans plus
— 7/11 — tard. Lunettes noires, ensemble en cuir
« Les Mots bleus » pour Bashung, lunettes fumées, veste
noire, fine écharpe blanche autour du cou
(1974 et 1992) pour Christophe. En ce mois de juin 2005,
et pendant six jours, le premier s’est vu
remettre les clés de la salle parisienne
pour revisiter son répertoire, explorer son
univers musical et cinématographique,
choisir ses invités – dont le chanteur
d’Aline – pour une série de concerts
et de projections à guichets fermés.
Une guitare douze cordes fait entendre
les accords des Mots bleus. Un violoncelle
en souligne la mélodie. Premier couplet
et refrain pour Bashung. Puis Christophe
monte sur scène pour poursuivre en duo
cette chanson sortie en 1974 et qui fut l’un
des plus gros succès de sa carrière.
Les deux chanteurs sont au diapason,
chacun dans son registre mais complé-
mentaire. A près de trente ans de distance,
Bashung et Christophe opèrent là, avec
une complicité et un plaisir manifestes,
le lien entre leurs versions respectives
si uniques de ce titre magnifique écrit
par Jean-Michel Jarre (sur une musique
de Christophe). « Je vous le confie »,
souffle Bashung au public en quittant
la scène, laissant le micro à celui dont
il a su s’approprier Les Mots bleus
de la plus belle manière.
La reprise date de 1992. Elle figure en pre-
mier sur l’album collectif Urgence. 27 artis-
tes pour la recherche en faveur du sida,
porté par Etienne Daho. Elle sera plus tard
incluse sur le double album Climax, sorti
en 2000 et à travers lequel Bashung s’offre
non pas une banale compilation mais un
retour enrichi (live, reprises, réinterpréta-
tions, duos) sur son œuvre. A l’époque,
le chanteur vient de connaître un succès
public avec l’album et la tournée Osez José-
phine (1991), les deux marqués d’une forte
empreinte musicale américaine. Sa relec-
ture des Mots bleus – tout comme celle
de Nights in White Satin, des Moody Blues,
présente sur cet album en partie enregis-
tré à Memphis (Tennessee) – reste donc
baignée d’une tonalité très organique.
Christophe avait emmené cette chanson
de la timidité, de la difficulté à dire les sen-
timents et à faire le premier pas, dans le
registre du slow nimbé de nappes synthé-
tiques. Bashung fait parler les cordes. Les
arrangements soyeux, avec guitares sèches
et nappes de violons, réchauffent l’atmos-
phère du square où « les fleurs poétisent »
et la solitude de l’amoureux transi devient
plainte fiévreuse. A la voix effacée, presque
craintive du « Beau Bizarre », Bashung op-
pose la sienne, tout en puissance retenue,
et bouleverse dans un final où surgissent
mille tourments (« Je lui dirai… »).
Plusieurs captations de concerts resti-
tuent parfaitement l’intensité donnée par
le chanteur à cette reprise. L’une des plus
poignantes remonte à l’année 2005, quel-
ques mois avant le duo à la Cité de la mu-
sique. Sur la scène de l’émission « La Musi-
cale » sur Canal+, dans un halo bleuté,
Bashung en livre une version littérale-
ment habitée. Frissons garantis. p
Guillaume Fraissard
Prochain article Douce France
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24 | 0123 ­
­Mercredi 23­ août 2023

Geoffroy Didier L’économie

chinoise
Le Digital Services Act
par rapport au premier, affichant une inédite du prix des appartements, qui sape
au défi du hausse poussive de 0,8 %, qui fait douter de la confiance des propriétaires.
ralentissement la capacité de la Chine à atteindre l’objectif Enfin, le tour de vis politique décidé par le

ne menacera pas
de 5 % fixé pour l’ensemble de l’année.
Tandis que la deuxième économie mon-
diale est entrée en déflation en juillet et
que le chômage des jeunes atteint des som-
président chinois pour faire rentrer dans le
rang le secteur technologique et éducatif,
ajouté aux tensions géopolitiques avec les
Etats-Unis et à la volonté des Européens de

la liberté d’expression
Avec la mise en place, le 25 août, de sa nouvelle
loi de régulation des réseaux sociaux, l’Union
européenne rappelle l’esprit de sa civilisation,
où chacun peut exercer sa liberté dans le respect
de celle d’autrui, affirme le député européen
C es trente dernières années, la crois-
sance de la Chine semblait irrésisti-
ble. Malgré les aléas de la conjonc-
ture, le rattrapage économique du pays sur
le monde développé a suivi son propre
rythme, défiant les cycles et les chocs exté-
rieurs. L’année 2023 devrait marquer un
mets, les principaux moteurs de l’écono-
mie connaissent de sérieux ratés. D’abord,
le « made in China » n’est plus aussi attrac-
tif à l’étranger. Les pays développés, con-
frontés à la hausse des taux d’intérêt, ont
réduit leurs importations. De plus, en sor-
tie de Covid-19, les consommateurs occi-
dentaux ont orienté leurs dépenses davan-
tage vers les services que vers les produits
manufacturés, dont la Chine fournit un
tiers de la demande mondiale.
Ensuite, la consommation des Chinois est
incapable de prendre le relais de la baisse
des exportations. Les ménages rechignent à
dépenser. L’effet richesse, nourri par la
réduire leur dépendance à l’égard d’une
Chine perçue désormais comme une me-
nace, a fini par casser la dynamique.
Faute d’avoir su mener à temps la muta-
tion économique d’un pays qui a réussi son
décollage en devenant l’« usine du monde »
vers un modèle s’appuyant davantage sur la
consommation intérieure, le pouvoir chi-
nois se retrouve face à un dilemme. Pour-
suivre l’assainissement au prix de tensions
sociales et financières aux conséquences
incertaines, ou bien renflouer les secteurs
en difficulté et les gouvernements locaux,
étranglés par la dette, au risque d’entamer
la crédibilité politique du régime sur sa ca-

D
ès ce 25 août, une ving-
taine de très grandes pla-
tes-formes et moteurs de
recherche sur Internet, tels
Google, X (ex-Twitter), TikTok ou
Snapchat, seront soumis en Eu-
rope à une régulation inédite
dans le monde : le Digital Services
Act (DSA). En adoptant cette loi
sur les services numériques,
l’Union européenne (UE) a frappé
au cœur des maux de la société :
discours de haine ou racistes, har-
cèlement en ligne notamment à
l’école, appel à des manifestations
tournant. Après la politique insensée du
zéro Covid, c’est-à-dire de fermeture stricte
du pays pour lutter contre la pandémie, le
rebond espéré n’a pas eu lieu. Pis, alors que
les pays occidentaux ont effacé en grande
partie les stigmates du choc sanitaire, la
Les plates-formes Chine rencontre des difficultés persistan-
s’autorisaient tes qui sont autant de menaces pour la sta-
bilité de l’économie mondiale.
à retirer de Le rythme de croissance du PIB au
deuxième trimestre a été divisé par trois
manière opaque
des contenus
et à en autoriser
d’autres, faisant
hausse continue ces dernières années des
prix de l’immobilier, s’est éclipsé. Le loge-
ment, qui avait connu une croissance effré-
née, est plongé dans une crise profonde de-
puis la décision de Xi Jinping de réguler plus
sévèrement un secteur en surchauffe. Les
mesures, sans doute nécessaires pour assai-
nir une activité qui représente plus d’un
quart du PIB chinois, ont provoqué une cas-
cade de faillites chez les promoteurs, une
fragilisation des créanciers et une chute
pacité à mener les réformes nécessaires.
La baisse timide et insuffisante des taux
de certains prêts bancaires décidée lundi
21 août et les atermoiements sur le recours
à l’arme budgétaire pour relancer l’écono-
mie montrent l’embarras du pouvoir chi-
nois. Mais plus les décisions tarderont, plus
les moyens à déployer devront être impor-
tants pour enrayer une mécanique défla-
tionniste qui risque de peser durablement
sur la croissance chinoise, et mondiale. p

Pierre Haroche Redéployons nos soldats

violentes, vente en ligne de pro-
duits contrefaits ou dangereux…
De manière parfois assumée, fi de la loi
mais le plus souvent cachés der-

de l’Afrique vers le flanc est de l’Europe

rière une fausse identité, ceux qui
commettent ces agissements uti-
lisent un véhicule d’impunité : In-
ternet et les réseaux sociaux. Du
fait de la passivité des responsa-
bles politiques, le Web était une
zone de non-droit. Tout ce que la
loi interdisait, Internet le tolérait.
Cela ne pouvait plus durer. Désor-
mais, les plates-formes et les prin-
cipaux réseaux sociaux vont de-
dre ou à retirer de manière opa-
que des contenus et à en autori-
ser d’autres, faisant fi de la loi et
ne suivant que leurs conditions
générales d’utilisation.
Le DSA va protéger les citoyens Alors que la présence française est contestée dans des pays au Sahel, le spécialiste en sécurité
des dérives de certaines plates-
formes et accorder plus de droits internationale appelle à renforcer notre présence militaire face à la menace russe
aux internautes : les décisions de
retrait de contenus ou de sup-

voir respecter des obligations de
retrait des contenus illicites qu’ils
hébergent. Et, en cas de mauvaise
volonté, ils seront frappés au por-
tefeuille (jusqu’à 6 % du chiffre
d’affaires mondial), voire interdits
sur le marché européen.
Ce règlement européen suscite
des inquiétudes. Comment l’Eu-
rope s’autorise-t-elle à juger de la
légalité ou non d’un contenu hé-
bergé par un réseau social ? N’est-
elle pas en passe de surveiller,
voire de censurer les opinions ?
Comment pourrait-elle interdire
des appels à la révolte sur le Net,
alors qu’elle les encensait lors du
« printemps arabe » ? Le DSA cons-
tituerait une succession de coups
de canif à la liberté d’expression.
Protéger les citoyens
La réalité est tout autre. Le DSA ne
produira pas de nouvelles illégali-
tés, il mettra en œuvre sur Inter-
net le droit qui s’applique déjà
hors ligne. Il ne menacera pas la li-
berté d’expression, il la protégera.
Le DSA ne produira pas de nou-
velles illégalités. Bruxelles ne s’est
pas arrogé le pouvoir de juger de
l’opportunité des contenus en li-
gne. Ce n’est pas son rôle, ni son
objectif. Le DSA traite d’illégalités
qui existent en droit. Il n’a qu’une
vocation : s’assurer que le droit
soit aussi mis en œuvre sur Inter-
net, et ce, au nom d’un principe :
ce qui est illégal hors ligne doit
l’être en ligne. Pas plus, pas moins.
Si le DSA ne se substituera pas
au juge, il ne menacera pas non
plus la liberté d’expression. Au
contraire, il la protégera. Les pla-
tes-formes et les réseaux sociaux
sont des entreprises privées qui,
jusqu’ici, s’autorisaient à suspen-
Geoffroy Didier
est député européen
(Parti populaire européen),
rapporteur au Parlement
européen du Digital Services
Act (DSA), vice-président
de la commission spéciale
numérique et intelligence
artificielle
pression de comptes devront être
transparentes, et toute personne
qui verra son compte suspendu
ou résilié aura la capacité juridi-
que de le contester. Désormais,
les plates-formes ne vont pas seu-
lement devoir coopérer avec la
justice, mais aussi rendre des
comptes à leurs abonnés. Seule
une loi d’ampleur européenne
pouvait parvenir à un tel résultat.
Déjà encadrée par la loi, la li-
berté d’expression sera préservée.
Ce qui la menace n’est pas la mise
en œuvre du droit. C’est, au con-
traire, l’anarchie dans laquelle In-
ternet évoluait jusqu’ici. C’est la
viralité des discours de haine que
beaucoup de réseaux sociaux
laissent sciemment en ligne du
fait de l’audience et des bénéfices
qu’ils génèrent. Aucune législa-
tion n’empêchera la haine. Elle
peut, en revanche, freiner sa dif-
fusion et sa banalisation. Protéger
la liberté d’expression, ce n’est
pas laisser quelques-uns réduire
au silence une majorité par la
force de leur haine.
Aussi protecteur soit-il, le DSA
ne constitue qu’une première
étape. Nous devons aller plus loin.
Pour réduire substantiellement la
diffusion de la haine en ligne, je
proposerai bientôt officiellement
à la Commission européenne de
mettre un terme à l’anonymat sur
Internet en Europe. Nous pour-
rions exiger des réseaux sociaux
qu’ils recueillent, au moment de
la création d’un compte, une co-
pie de la carte d’identité de son ti-
tulaire pour pouvoir l’utiliser en
cas de violation de la loi par ce
dernier. Si le pseudonymat doit
rester autorisé car il permet à cha-
cun le secret de sa vie privée et de
ses opinions, l’anonymat, qui
laisse à croire qu’on peut violer la
loi dans l’impunité, lui, ne doit
plus l’être !
En concevant la première régu-
lation au monde des plates-for-
mes, surtout américaines ou chi-
noises, l’UE s’affirme comme un
acteur politique souverain. Elle
rappelle aussi au monde l’état
d’esprit de sa civilisation : per-
mettre à chacun d’exercer sa li-
berté tant qu’il ou elle respecte
celle d’autrui. p
D
epuis le coup d’Etat du
26 juillet au Niger, de nombreux
observateurs appellent à réduire
la présence militaire française en
Afrique. Déjà, les précédents coups
d’Etat au Mali, en 2020 et en 2021, puis
au Burkina Faso, en 2022, avaient poussé
la France à miser davantage sur la dis-
crétion. D’où la décision de mettre offi-
ciellement fin à l’opération « Barkhane »,
le 9 novembre 2022, et surtout de quit-
ter le Mali en août 2022, la Centrafrique
en décembre 2022 et le Burkina Faso en
février 2023. Cette année, un mouve-
ment de réduction des effectifs des ba-
ses permanentes au Gabon, au Sénégal
et en Côte d’Ivoire a même été engagé.
Certains experts pointent le fait qu’à
trop réduire ses effectifs en Afrique la
France risque de créer un « appel d’air
géopolitique » pour ses rivaux russe ou
chinois, de plus en plus actifs dans la ré-
gion. Les militaires français soulignent
aussi les avantages de la présence per-
manente, qui favorise leur bonne con-
naissance de la région, les liens avec les
armées africaines et une capacité de dé-
ploiement rapide en cas de crise.
Cependant, les développements de ces
dernières années mettent en lumière
les limites de cette approche. D’un point
de vue géopolitique, les milliers de sol-
dats français présents en Afrique cristal-
lisent le mécontentement des opinions
publiques régionales et offrent un argu-
ment de propagande aux Russes, qui
s’appuient volontiers sur une rhétori-
que anticoloniale. Les bénéfices de la
coopération avec les armées locales
sont également discutables, lorsque ce
sont à chaque fois des militaires puts-
En Afrique,
5 500 militaires
français sont
encore présents,
contre moins de
1 500 sur le flanc
est de l’europe
chistes qui ont exigé le départ des Fran-
çais au Mali, au Burkina Faso et au Niger.
Cependant, on aurait tort d’enfermer
la réflexion dans le seul cadre africain. La
guerre d’Ukraine fait que la remise en
question de la présence française en
Afrique intervient alors que les alliés de
l’OTAN se sont donné des objectifs ambi-
tieux en matière de présence sur le flanc
est de l’Europe. Le sommet de Madrid de
juin 2022 a validé l’objectif de mettre sur
pied une force de 300 000 militaires dé-
ployables en moins d’un mois pour s’op-
poser à une éventuelle tentative d’inva-
sion russe. Ce degré de réactivité impli-
que que la majeure partie de ces effectifs
devrait être fournie par les alliés euro-
péens, dont les contributions seraient
en grande partie prépositionnées sur le
flanc est. C’est dans ce contexte que l’Al-
lemagne a annoncé, en juin, qu’elle
comptait envoyer en Lituanie une force
permanente de 4 000 militaires.
Dilemme géostratégique
La question qui se pose à la France est
donc : est-il encore logique de mainte-
nir plus de 5 500 militaires français en
Afrique, où leur présence est très con-
testée, mais moins de 1 500 sur le flanc
est de l’Europe, où nos alliés ne cessent
de réclamer des renforts ?
Cette question nous renvoie à un di-
lemme géostratégique entre Europe et
outre-mer très structurant dans l’his-
toire de France. Déjà au temps de la colo-
nisation, le 30 juillet 1885, Georges Cle-
menceau estimait que « lorsqu’une na-
tion a éprouvé de graves, très graves
revers en Europe, lorsque sa frontière a
été entamée, il convient peut-être, avant
de la lancer dans des conquêtes lointai-
nes, (…) de bien s’assurer qu’on a le pied
solide chez soi ». Il rappelait ainsi la perte
de l’Alsace-Lorraine en 1871. La question
resurgit pendant la décolonisation.
En 1954, une majorité de militaires et de
députés s’opposèrent au projet d’inté-
gration de l’armée française dans une
Communauté européenne de défense
tournée vers la menace russe, souli-
gnant que cela risquait d’entraver sa ca-
pacité à faire face aux soulèvements an-
ticoloniaux en Indochine et en Afrique
du Nord. Plus récemment, en 2016, lors-
que l’OTAN a décidé de commencer à dé-
ployer des bataillons multinationaux
sur le flanc est, la France a invoqué son
engagement au Sahel pour justifier de
n’offrir qu’une contribution limitée.
Dans le contexte actuel, la crise de la
présence militaire française en Afrique
peut être l’occasion d’un rééquilibrage
en faveur de l’Europe et d’un retour à la
stratégie de Clemenceau. Ainsi, la
France continuerait à réduire sa pré-
sence en Afrique, quitte à fermer certai-
nes de ses bases permanentes. A l’in-
verse, elle renforcerait sa présence sur le
flanc est européen, en particulier en
Roumanie, où elle joue le rôle de nation
cheffe de file au sein de l’Alliance, et où
ses effectifs pourraient être portés à
4 000 militaires.
En Europe, ce rééquilibrage viendrait
crédibiliser les propos du président Ma-
cron au sujet d’un « pilier européen au
sein de l’OTAN », tenus à Bratislava en
mai. Les Français sont souvent prompts
à prédire que les forces américaines ne
seront pas toujours disponibles pour
défendre l’Europe, mais ils sont parfois
moins empressés à donner des gages
tangibles de leur propre détermination
à tenir la frontière orientale de l’Al-
liance. Ils en auraient ainsi l’occasion.
En Afrique, la fermeture des bases ren-
drait crédible aux yeux des opinions
publiques de la région l’argument selon
lequel la France a définitivement
rompu avec ses prétentions néocolo-
niales. Et le fait de s’être montrés des al-
liés fiables sur le flanc est permettrait
en outre aux Français de demander da-
vantage de soutien à leurs partenaires
de l’Union européenne, afin de repen-
ser une stratégie efficace en Afrique. Un
objectif prioritaire serait la lutte contre
l’influence de la Russie et du Groupe
Wagner, un intérêt naturellement par-
tagé par les pays d’Europe centrale.
Face au schéma hérité du XIXe siècle,
dans lequel la France se rêve en puis-
sance mondiale, l’occasion nous est
donnée d’inventer une ambition nou-
velle à travers l’Europe. Mais il nous
faut, pour y parvenir, commencer par
consolider la base, c’est-à-dire la capa-
cité de l’Europe à se défendre elle-même
sur son sol. Ou, comme disait Clemen-
ceau, « bien s’assurer qu’on a le pied so-
lide chez soi ». p
Pierre Haroche est maître de confé-
rences en sécurité internationale
à l’université Queen Mary de Londres