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Introduction
On peut définir la puissance par la capacité qu’a un État à peser dans un rapport de
forces donné et de remporter la décision. Pour Pascal Boniface : « c’est la capacité
d’un acteur à pouvoir imposer sa volonté aux autres ou à modifier leur volonté en
fonction de ses propres intérêts. L’intérêt, c’est un rapport de force au sens classique
du terme, ou le plus fort doit céder la place au plus faible. Traditionnellement, la puissance
était donc déterminée par, par exemple, la taille de l’armée, du territoire, de l'économie, de
la richesse disponible, l’importance des matières premières dont le sous-sol est riche, etc.
Dans ce cadre, la configuration géographique est donc un élément primordial. » Ajoutons
comme atouts les moyens d’aligner des forces armées importantes et la capacité
d’intervenir à l’échelle mondiale, dite « capacité de projection » : tous ces attributs sont
désignés sous le nom de hard power.
On entend donc par puissance, selon Raymond Aron « la capacité d’une unité politique
à imposer sa volonté aux autres unités ».
À ces deux définitions de hard et de soft power posées par Joseph Nye au début des
années 1990 s’ajoute aujourd’hui le smart power. On entend par là la combinaison de
ces deux formes de puissances, à savoir l’usage de la force et de la séduction. Ainsi, la
Chine se dote d’une flotte de guerre et donc d’une capacité de projection, bien qu’encore
limitée à la région asiatique, tout en multipliant les partenariats culturels et économiques
avec les États riverains des « routes de la soie » ou en multipliant les investissements en
Afrique.
Néanmoins, « Tout Empire périra », comme le titrait en 1981 Jean-Baptiste Duroselle ; les
puissances ont vocation à évoluer dans le temps et se manifester dans des cadres et
selon des modalités différentes.
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Comment expliquer une telle longévité pour un empire (1299 - 1922) ? L’histoire de
l’Empire ottoman est d’abord celle de la conquête d’un territoire étendu sur trois
continents par une dynastie unique, les Omeyyades ayant pour religion officielle
l’Islam ; puissance crainte par les Occidentaux jusqu’à la bataille de Lépante en 1571.
Trois éléments ont permis à cet Empire de tenir sous la même autorité des peuples très
différents : une administration centrale s’appuyant sur le droit islamique et qui
demeure forte jusqu’au XVIIe siècle ; une acceptation des élites locales et de leurs
religions, avec le statut de dhimmi pour les chrétiens et les juifs ; la mise en place d’un
système de méritocratie dont bénéficient en premier lieu les janissaires, ces soldats
d’élite issu des territoires chrétiens de l’Empire et au service direct du sultan.
La légitimité du pouvoir s’appuie sur une double tête : le calife, représentant religieux,
successeur du Prophète, et le sultan, chef politique et militaire, parfois secondé par un
grand vizir. L’apogée de l’Empire ottoman semble avoir été atteinte sous Soliman le
Magnifique, nommé sultan en 1520. Il étendra l’Empire jusqu’à Vienne en 1529.
Réorganisateur des lois de l’Empire, il entretiendra une politique commerciale et
diplomatique active avec les souverains Européens, notamment François Ier, par une
correspondance nombreuse, un intérêt pour les lettres et les sciences.
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Le cas de la Russie est à ce titre exemplaire. En effet, après avoir incarné l’un des deux
pôles de la Guerre Froide, la démission du président de l’URSS Mikhaïl Gorbatchev le
25 décembre 1991, après deux ans de contestations internes incarnées notamment par
son futur successeur Boris Eltsine, marque la fin de l’empire soviétique. Elle morcelle les
anciennes républiques contrôlées par l’URSS et provoque des indépendances en nombre.
Pour remplacer l’URSS, le nouveau président Eltsine propose la création de la CEI, mais
seuls trois États la rejoigne. Dans ce « nouvel ordre mondial » proclamé par le président
Bush, les États-Unis semblent sortir grands vainqueurs, d’autant que l’économie russe est
mise à mal par des années de dépenses militaires excessives. La « thérapie de choc »
économique provoquée par le changement de système économique a appauvri une partie
importante de la population, mais également enrichi une petite élite d’oligarques, sans
modifier l’essentiel, la dépendance de la Russie à ses ressources majeures, les
hydrocarbures.
Après les années de libéralisme sauvage prôné par Eltsine, le redressement de la Russie
par Poutine passe par l’affirmation d’un pouvoir autoritaire, écartant ses adversaires
(démocrature ?) et tenant la bride des principaux médias, la mise au pas des oligarques et
le contrôle des ventes des matières énergétiques, la modernisation des forces militaires et
l’exaltation du nationalisme russe. L’annexion de la Crimée suite à un référendum illégal
en 2014 montre sa volonté de contrôler l’étranger proche, et l’intervention en Syrie pour
soutenir Bachar el-Assad après 2015 montre un retour de la puissance militaire russe
sur la scène internationale. La volonté de développer son influence, par la création de
la chaîne d’information Russia Today ainsi que la manipulation par l’intermédiaire des
réseaux sociaux de campagnes politiques à l’étranger, comme lors du référendum sur le
Brexit ou de l’élection de Donald Trump en 2016 illustre également ce pouvoir autoritaire.
Mais la Russie, bien qu’ayant un siège au Conseil de Sécurité de l’ONU, reste une
puissance régionale, dont l’état de l’économie dépend essentiellement du prix fluctuant
des hydrocarbures.
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La langue peut être un puissant moyen d’affirmer ou de maintenir sa place dans les
institutions internationales. Le français en est un bon exemple qui fut la première
langue d’usage diplomatique. La langue permet également de jouer sur l’influence
culturelle, en participant à l’éducation des élites locales (réseaux des Alliances
Françaises et des établissements culturels à l’étranger, multiplication des instituts
culturels). Cette entrée par l’éducation est adoptée par les principales puissances
occidentales mais également aujourd’hui par la Chine avec la multiplication des Instituts
Confucius sur des territoires traditionnellement francophiles ou anglophiles. Pour chaque
État, faire reconnaître sa langue vise à exercer un pouvoir de séduction à travers les
images véhiculées par le cinéma et les séries télévisées, par exemple.
Plus de 140 langues officielles sont recensées dans les 193 États du monde, dont 32
sont parlées dans au moins deux États. Une vingtaine d’entre elles comptent plus de 50
millions de locuteurs. Cette répartition s’explique aussi bien par la démographie que par
l’Histoire. La mondialisation et sa « société de communication » ont facilité la
prééminence de l’anglais. Véhicule de la communication internationale, elle n’est
cependant qu’une des six langues officielles de l’ONU. Nombre d’États développent des
stratégies pour intégrer leur langue comme vecteur du soft power. L’organisation
internationale de la francophonie ou la communauté des pays de langue portugaise
constitue deux de ces exemples d’organisations internationales.
Les géants du numérique, originaires des États-Unis transcendent les frontières et sont
en situation de quasi-monopole. Forts de leur assise financière, ils jouent sur la
concurrence entre les acteurs pour se localiser et sur les avantages fiscaux entre États
démocratiques. En fait, Internet et les entreprises qui y prospèrent constituent un espace
d’expression mais aussi et surtout de puissance pour les États qui le dominent. Les
géants du numérique comme les GAFAM américains sont devenus incontournables à
l’échelle mondiale et disposent d’une puissance financière, politique et technologique
telle qu’elle inquiète bon nombre de pays. Ces entreprises ayant débuté à fin du XXe siècle
et dont les sièges se trouvent souvent dans la Silicon Valley sont aujourd’hui des FTN
extrêmement puissantes. Elles sont concurrencées par leurs équivalents chinois, les
BATX qui ne sont toutefois pas en mesure de les menacer, pour l’instant, à l’échelle
internationale.
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Ces géants et leur monopole mondial posent la question d’un contrôle par des entreprises
privées soumises à la réglementation américaine de données personnelles (« big data »)
fournies parfois à leur insu par les utilisateurs. Aujourd’hui se pose donc la question de
leur régulation et du contrôle par les États de ces données pour mieux protéger les
citoyens, et de la territorialisation des géants du Net, accusés de pratiquer l’optimisation
fiscale. Enfin, pour être présents sur le premier marché, ils acceptent de la part de la
Chine des restrictions en termes de liberté d’action. L’État chinois, à l’inverse, n’hésite pas
à soutenir les sociétés chinoises comme Alibaba ou Huawei, solidement implantées sur le
marché national et tentant de conquérir d’autres parts de marché. La souveraineté
numérique est donc devenue un enjeu stratégique.
Depuis 2013, la Chine de Xi Jinping a pour projet d’atteindre l’Europe en passant par
l’Asie et l’Afrique en utilisant un ensemble de voies terrestres et maritimes. Derrière ce
projet se cachent des ambitions aussi bien économiques que politiques et culturelles
qui concernent une soixantaine d’États. Dans le cadre de la compétition avec les États-
Unis, il s’agit pour la Chine de contrôler des ressources énergétiques ou minérales, et
de se présenter comme un modèle de développement alternatif. Elle invoque pour
cela l’image de l’ancienne route ouverte depuis l’Antiquité qui mettait en contact
commerçants occidentaux et orientaux.
L’ensemble s’étendrait sur plus de 10 000 km, reliant la Chine à 64 autres États d’Asie,
d’Europe et d’Afrique, avec des extensions prévues dans le Pacifique et en Amérique
latine, pour un coût compris entre 4 et 26 000 milliards de dollars, financé par la Banque
asiatique d’investissement pour les infrastructures. La Chine, en concluant une multitude
d’accords avec les pays concernés par le passage de ces axes ferroviaires et maritimes
apparaîtrait alors comme le champion du multilatéralisme en Asie au profit des
entreprises chinoises. Les objectifs de la Chine sont donc d’abord économiques, mais
également géopolitiques et diplomatiques, et elle estime que son prestige en sortirait
renforcé.
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À la fin de la Seconde Guerre Mondiale, l’ordre mondial a été façonné par des traités
signés sur le territoire états-unien (Bretton Woods, ONU etc.), mais fut rapidement
contraint par la Guerre froide. Réactivé à la fin de celle-ci avec l’espoir d’un « nouvel
ordre mondial », cette hyperpuissance semble controversée dès la fin des années 1990.
Les attentats du 11 septembre 2001 poussent le président Bush a l’abandon de cette
démarche multilatérale et manifestent la perte de prestige des États-Unis. La politique
d’Obama envers les Européens ainsi qu’à l’égard du Moyen-Orient a visé à renouer les
liens, mais Donald Trump a lui fait sortir les États-Unis d’un grand nombre d’accords
internationaux. En somme, depuis leur naissance, les États-Unis n’ont cessé d’hésiter
entre isolationnisme et interventionnisme.
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Il reste néanmoins que les États-Unis gardent une capacité d’intervention militaire
inégalée et peuvent compter sur des alliés au Moyen-Orient comme l’Arabie Saoudite
ou Israël, ainsi qu’en Asie (Japon, Corée du Sud, Inde) et en Europe à travers l’OTAN.
Les États-Unis ont multiplié leurs bases militaires dès la fin de la Seconde Guerre
Mondiale, au Japon et en Allemagne notamment pour contrer le retour des États vaincus,
mais également pour contenir l’influence de l’URSS. Il s’agissait aussi de protéger leurs
routes commerciales et leur approvisionnement énergétique. La même logique est
suivie depuis la fin de la Guerre froide envers la Russie et la Chine, considérés comme
des adversaires géopolitiques — l’inverse étant également vrai, comme le montre
l’intervention russe dans l’élection américaine de 2016. Les alliances prises par les États-
Unis durant la Guerre froide se sont donc globalement poursuivies, bien que l’essor
chinois dans les années 2000 ait engendré une nouvelle donne, l’influence économique
de Pékin se transformant peu à peu également en influence militaire.