JEUDI 4 AVRIL 2024

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DIRECTEUR : JÉRÔME FENOGLIO

Chômage : Attal face aux réserves de son camp

▶ Depuis l’annonce d’une ▶ Le bien-fondé d’un ▶ Plusieurs députés esti- ▶ Mardi, Gabriel Attal a ré- ▶ Dans la majorité, le
nouvelle réforme de durcissement des règles ment aussi que le projet pété sa volonté de « valori- sérieux budgétaire est
l’assurance-chômage par d’indemnisation est ne respecte pas la « con- ser le travail » et élargi la un totem que se disputent
le premier ministre, des discuté, et les risques tracyclicité » promise par recherche d’économies en Edouard Philippe et Bruno
membres de la majorité de précarisation des Emmanuel Macron lors lançant une mission sur la Le Maire, en vue de 2027
expriment leurs doutes chômeurs inquiètent de sa campagne de 2022 « taxation des rentes » PAGE S 8 - 9

CHINE LE PARTI INCITE AU MARIAGE Agriculture Un projet de loi pour

produire plus et sans contraintes
POUR ENRAYER LE DÉCLIN DÉMOGRAPHIQUE profondément remanié de- ment, déclaré d’intérêt public
▶ Les autorités multiplient les initiatives pour inciter les jeunes à fonder une famille puis janvier sous la pression syn- majeur en 1976. En réponse au
▶ Ces efforts peinent à endiguer la baisse de la population constatée depuis deux ans PAGE 4 dicale, le projet de loi d’orienta- mouvement des agriculteurs, le
tion pour la souveraineté agricole projet s’est fortement étoffé de
et le renouvellement des généra- dispositifs de simplification des
tions en agriculture devait être contraintes environnementales.
présenté en conseil des ministres, Le texte acte aussi l’ambition de
mercredi 3 avril, avant un examen protéger la souveraineté alimen-
programmé à l’Assemblée natio- taire et contient des mesures
nale en mai, puis au Sénat en juin. pour faciliter la transmission et
Le texte déclare l’agriculture, la l’installation. Mais il n’aborde
pêche et l’aquaculture « d’intérêt quasiment pas la transition éco-
général majeur », ce qui les place logique des exploitations.
au même niveau que l’environne- PAGE S 1 3 ET 1 4

Gaza Ukraine
Humanitaires La colère
tués : l’armée grandissante
israélienne admet des blessés
une « grave erreur » de guerre
Israël fait face à une vive Après deux ans de conflit,
réprobation internatio- les invalides réclament
nale après la mort de sept une meilleure prise en
membres de l’ONG World charge et composent une
Central Kitchen, victimes force qui peut peser sur
d’une frappe lundi l’avenir politique du pays
Participants à un speed dating parrainé par le Parti communiste chinois, à Huzhou (Zhejiang), le 30 mars. ALEX LEE POUR « LE MONDE » PAGE 3 PAGE 2

Climat Paris 2024 Disparition Alimentation

37 propositions
pour adapter
Comment le
comité olympique
Maryse Condé,
militante Huîtres 04.04.24 > 05.01.25

l’assurance à la se prépare aux et romancière contaminées par

nouvelle donne
PAGE 1 5
risques d’épidémie
PAGE S 2 0 - 2 1
de la Guadeloupe
PAGE 1 9
des eaux usées :
la fin du silence
VU PAR PLOP & KANKR (FRANCE) CARTOONING FOR PEACE D’Arcachon à la Bretagne,
la pollution des bassins
a longtemps été un sujet
tabou. Mais, confrontés
à des interdictions de
vente récurrentes, les
ostréiculteurs n’hésitent
plus à saisir la justice
PAGE 6

1
ÉD ITO R IAL
MIXITÉ SOCIALE :
JAMES
EN ASSOCIATION
AVEC

L’ART DE
L’ENSEIGNEMENT BILLETS CINEMATHEQUE.FR et FNAC.COM CAMERON
PRIVÉ DOIT PRENDRE étude pour Neytiri par James Cameron, avant le casting de Zoe Saldana. Circa 2005. Prismacolor sur papier. Avatar Alliance Foundation © James Cameron.

GRANDS MÉCÈNES DE LA CINÉMATHÈQUE FRANÇAISE

SA PART MÉCÈNES DE L’EXPOSITION PARTENAIRES DE L’EXPOSITION PARTENAIRES MÉDIAS

P A G E 30

Algérie 220 DA, Allemagne 4,70 €, Andorre 4,20 €, Autriche 4,40 €, Belgique 3,90 €, Espagne 4,10 €, Grèce 4,10 €, Guadeloupe-Martinique 3,90 €,
Italie 4,10 €, Luxembourg 4 €, Maroc 30 DH, Pays-Bas 4,50 €, Portugal cont. 4,10 €, La Réunion 3,90 €, Sénégal 2 500 F CFA, Suisse 4,80 CHF, Tunisie 6,50 DT
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INTERNATIONAL
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JEUDI 4 AVRIL 2024

En Ukraine, la colère des soldats mutilés

« Semi-aptes » et blessés de guerre espèrent peser sur le gouvernement pour une meilleure prise en charge

REPORTAGE
kiev, odessa - envoyé spécial

L’
agression russe du 24 fé-
vrier 2022 est loin
d’avoir détruit les bases
démocratiques en
Ukraine. Au cœur même de l’ar-
mée, une parole critique grandit
sur le sujet sensible du soutien ap-
porté aux soldats blessés. Ce mé-
contentement est diffus et inorga-
nisé mais relayé par la société ci-
vile et certains membres de l’op-
position. Parmi eux, le député
Oleksiy Hontcharenko estime
qu’« une nouvelle demande politi-
que est née avec cette guerre. Un
million de personnes mobilisées,
plus les familles et les entourages
proches, ça fait du monde, même si
cela ne constitue pas encore une
force politique capable de menacer
le gouvernement ».
Par un jour gris et neigeux de la
mi-mars, à Kiev, dans l’un des cen-
tres de rééducation pour soldats
ouverts par l’organisation de Vik-
tor Pintchouk, homme d’affaires
ukrainien, apparaît l’autre visage
de la guerre. Au détour des cou-
loirs surgit ce que les états-majors
n’aiment guère montrer, les chairs
meurtries et les yeux pleins d’ef-
froi d’hommes et de femmes pour
qui le temps s’est figé. « Nous som-
mes spécialisés dans le suivi des
amputations, on peut traiter une
cinquantaine de personnes en
même temps, mais la liste d’attente
est longue », confie Oleh (qui n’a
pas voulu donner son nom), l’un
des médecins de l’établissement.
Sur un tapis roulant, devant une
large fenêtre, un homme marche
sur deux prothèses chaussées de
baskets. Ses deux avant-bras ont
disparu. Ses épaules impriment le
mouvement. Il n’a pas de mot
pour dire ce qu’il ressent. Sur un
brancard contre le mur, un autre Au centre de réhabilitation Recovery, à Kiev, le 12 mars : Olga Chudna, touchée à la jambe en avril 2022 ; Yevhen Serbin avec Daria Chaikivska, infirmière avant la guerre ;
soldat se sert du seul bras qu’il lui Yevhen Berdnyk, blessé en août 2023. En bas à droite : dans une salle de sport, à Odessa, le 6 mars, un kinésithérapeute s’occupe d’un soldat. PHOTOS : R. YAGHOBZADEH POUR « LE MONDE »
reste pour faire des tractions avant
de s’en recouvrir les yeux comme
s’il ne voulait plus voir le jour ou près de Lyman, dans l’oblast de Do- posé sur un tapis de sol dans une privés de ces avantages. Le traite- « De nouvelles figures vont appa-
ceux qui se trouvent là. Sa jambe netsk, par des shrapnells alors salle d’exercice du centre. Pour- ment réservé aux « semi-aptes »,
Selon raître, mais, pour l’instant, dit-il, les
droite est inerte, la gauche n’est qu’elle évacuait des blessés. Elle tant, il a le moral. Le 10 avril, il part trop diminués pour retourner l’association élus traditionnels restent encore les
plus qu’un moignon. s’est engagée avec son mari dé- au Minnesota, aux Etats-Unis, dans leur unité mais assez opéra- principaux relais de leurs revendi-
Dans la même pièce, Yevhen Ser- claré, depuis, mort au combat. dans le seul institut fournissant tionnels pour rester dans l’armée,
Pryncyp, près de cations. Tous les partis chercheront
bin, 36 ans, sait qu’il ne marchera « Des membres de son unité l’ont vu les prothèses adaptées à son est symptomatique de cette ges- 70 % des soldats à avoir leur héros. Les sondages
plus, mais son large sourire refuse prendre une balle dans la tête, mais handicap. « L’Ukraine ne donne tion jugée défaillante. Faute de donnent déjà Zelensky à 32 %
d’abdiquer. Touché à la colonne ils ont dû le laisser sous le feu de l’ar- rien si vous sortez du pays pour des nouvelles affectations disponibles
ont financé contre 67 % à Valeri Zaloujny [ex-
vertébrale, le 31 octobre 2022, dans tillerie russe. » Son fils aîné, âgé de traitements, il me fallait à cause des milliers de demandes, eux-mêmes des chef de l’armée ukrainienne]. »
le Donbass, lors d’une percée en- 29 ans, a également pris les armes. 45 000 dollars [42 000 euros], mes nombre de soldats « semi-aptes » En réponse, le gouvernement
nemie, par une balle passée sous amis, à Kiev, ont collecté la moitié attendent chez eux. Ils recevaient
soins médicaux tente de réformer le système grâce
son gilet pare-balles, il attend de- « Système d’aide incohérent » et les Américains ont dit qu’ils com- une indemnité comprise entre 20 au numérique et à la centralisation
puis des mois que la commission Elle apprend à marcher sans pléteraient. » et 35 euros par mois jusqu’à une des procédures. La cheffe des for-
médicale militaire se prononce béquilles et espère trouver un Masi Nayyem connaît bien cette loi de juin 2023 qui l’a élevée à indemnité liée à la blessure, à sa ces médicales de l’armée ukrai-
sur son invalidité et son régime de autre séjour de rééducation avant problématique. Le visage de cet 475 euros. Début avril, la mesure nature, au rang du soldat… Elle va- nienne, Tetyana Ostashchenko, a
protection. Pour l’heure, il touche de se présenter devant la commis- avocat porte les stigmates des n’était pas encore généralisée et rie de 15 000 à 25 000 euros. été évincée en novembre 2023. Le
sa paie de soldat. « Je ne suis pas le sion médicale militaire pour être blessures subies, en juin 2022, interdisait toujours de cumuler « Ces problèmes nous ont con- ministre de la santé, Viktor Lia-
seul à être dans le flou, des camara- déclarée apte. En attendant, elle ré- lorsque son véhicule a sauté sur un autre travail. vaincus de créer une coalition avec shko, assure que son pays étudie de
des ayant des handicaps identiques vise les mathématiques pour un une mine. Son énergie fait vite quatre autres organisations pour près le modèle israélien de réédu-
mais venant de bataillons diffé- examen. Elle peint des natures oublier son œil manquant, et de L’absence du « formulaire 5 » défendre l’idée d’une politique du cation des anciens combattants et
rents ne seront pas traités de la mortes. Et, guitare à la main, elle son expérience il a fait un combat Devant le centre médical de réédu- vétéran auprès du gouvernement qu’il a, depuis juin 2023, augmenté
même manière que moi. » Même chante l’histoire d’amour impossi- en créant avec Lyubov Galan, une cation et sanatorium d’Odessa, et du Parlement », lance Masi l’enveloppe réservée à la rééduca-
avec son grade de commandant, il ble d’un soldat pour la femme militante des droits civiques, l’as- Oleksandr Kornigenko, 45 ans, chi- Nayyem, notamment, sur les tion de chaque soldat blessé, de
n’a pas assez pour faire vivre sa fa- d’un frère d’arme. « Je m’en sors, as- sociation Pryncyp qui défend les rurgien et président de l’une de ces questions de la prise en charge des 439 à 1 086 dollars, en fonction de
mille sans le salaire de sa femme. sure-t-elle, et je continuerai à servir intérêts des soldats blessés et vété- commissions médicales militai- soins et la numérisation des dos- la gravité de la blessure.
« Il ne faut pas traiter que les blessu- mon pays, mais le gouvernement rans. « Nous sommes encore tribu- res, jure qu’il s’efforce, avec les huit siers de chaque soldat. D’après le Dans une arrière-salle du club
res, il va falloir aussi gérer les consé- n’apporte pas le soutien qu’il de- taires du système soviétique des médecins militaires et civils qui député Hontcharenko, « si le blo- UnderAir Fitness, situé dans les
quences psychologiques, familiales vrait aux blessés, le système d’aide commissions médicales de l’armée, l’entourent, « de suivre les souhaits cage par le Congrès américain des beaux quartiers d’Odessa, face à la
et financières de la guerre, pendant aux vétérans est incohérent. » très bureaucratique, qui donne des soldats ». En moyenne, sur dix 61 milliards de dollars d’aide à mer, Oleh (qui n’a pas souhaité
des générations. » Lorsque les soldats doivent se trop de latitude aux gens qui les cas, trois sont déclarés semi-aptes, l’Ukraine et la bureaucratie plom- donner son nom), 47 ans, blessé
Pour ces trois combattants, l’ar- faire soigner à l’étranger, ce n’est composent, sans parler de la cor- un inapte, et les autres sont consi- bent le système, le refus du prési- une première fois en septem-
mée, c’est fini. Pas pour Olga guère plus simple. Yevhen ruption », expose-t-il. dérés comme valides. « Certaines dent [Volodymyr] Zelensky de si- bre 2022, près de Mykolaïv, essaie
Chudna, 47 ans, qui compte bien Berdnyk, 40 ans, était dans les La liste des griefs est longue. L’ar- indemnités sont injustes, admet le gner les décrets de mise en applica- de réparer son dos, après une
retrouver son unité. Elle reçoit forces spéciales. Le 28 août 2023, mée refuse de prendre en charge chirurgien, mais c’est une autre tion des lois votées en leur faveur, vilaine hernie et une épaule abî-
dans sa chambre. Chargée des pre- sur le front de Zaporijia, une mine des maladies, comme l’épilepsie, commission qui décide, si cela se notamment celle sur la digitalisa- mée, à peine revenu dans son
miers secours sur le front, elle a été a coupé son corps en deux, ne que de nombreux médecins civils traduisait en colère politique et tion, empêche aussi d’avancer ». unité, en 2023. « Je suis cassé de
touchée à la jambe, en avril 2022, laissant, aujourd’hui, qu’un tronc estiment être aggravées par les sociale, ce serait une victoire pour Pour Lyubov Galan, 27 ans, partout, je ne pensais pas vivre
combats. « Je dois assumer seul le l’ennemi. » l’autre figure de Pryncyp, venue tout ça, je ne vois aucun futur et je
traitement de mon diabète et de Selon le député Oleksiy Hont- au militantisme en 2013 avec la ré- vais toucher moins que mon sa-
L’âge de la mobilisation des Ukrainiens mon ulcère », ajoute Masi Nayyem. charenko, « des centaines de mil- volution de Maïdan, « le principal laire de soldat. La colère monte. On
Selon Pryncyp, près de 70 % des liers de soldats sont concernés par souci des soldats et vétérans réside ne se sent pas protégé. »
passe de 27 à 25 ans soldats ont financé eux-mêmes ces dysfonctionnements ». La faute dans l’accès au marché de l’emploi De la grande salle voisine perce la
Le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, a signé, mardi des soins médicaux. De même, incombe souvent à l’absence d’un et le défaut de protection sociale musique tonitruante d’une séance
2 avril, une série de lois visant à élargir et à améliorer les capa- seuls 20 % à 30 % des blessés sur le document, le « formulaire 5 », qui qu’ils estiment due après leur sacri- où une quinzaine de jeunes fem-
cités de mobilisation de l’armée. La plus importante concerne front ont obtenu, à ce jour, le « sta- décrit les « circonstances du trau- fice ». « Il existe, ajoute-t-elle, une mes aux tenues multicolores s’ac-
le passage de l’âge pour être appelé à combattre de 27 à 25 ans. tut de combattant » qui donne matisme primaire » et prouve le multitude de structures dans le tivent sous les ordres d’une coach
Le texte, bloqué au Parlement depuis deux mois, fait l’objet de droit à quinze jours de vacances lien entre « la défense de la patrie » pays qui œuvrent pour améliorer le à la voix autoritaire. Oleksandr
vives discussions au sein de la société ukrainienne. Une base de supplémentaires, à des rabais sur et la blessure. Cette pièce est sort des soldats et des vétérans, au Pelin, l’un des responsables du
données électronique des hommes en âge de servir dans l’armée les travaux de maintenance à leur délivrée par les commandants niveau national et local. » club, explique que si les soldats
sera aussi établie, afin de mieux identifier les ressources domicile et à la gratuité des frais d’unité qui expliquent les retards Selon le député Oleksiy Hont- blessés peuvent venir chez lui gra-
humaines du pays. Ces mesures devraient permettre une rota- d’école et d’université pour leurs par les contraintes de la guerre. De charenko, cette prise de cons- tuitement, c’est grâce aux dons
tion des soldats, épuisés après deux ans de guerre, et le rempla- enfants. Près de 500 000 soldats ce formulaire dépend aussi le cience va conduire les soldats à privés et à son activité. p
cement des pertes humaines, tués et blessés. pouvant y prétendre seraient paiement, en une fois, d’une s’engager dans la vie politique. jacques follorou
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JEUDI 4 AVRIL 2024
Frappes sur des
humanitaires
à Gaza: la «grave
erreur» d’Israël
Sept employés d’une organisation
d’aide alimentaire américaine ont
été tués par des tirs israéliens, un
événement qui ravive la crainte des ONG
jérusalem - correspondance
D
ans une vidéo relayée
sur les réseaux so-
ciaux, le toit d’un véhi-
cule de l’ONG améri-
caine World Central Kitchen
(WCK) apparaît percé d’un trou
béant, à l’endroit de son logo en
forme de poêle : l’impact d’un tir
de drone qui n’aurait pas explosé.
Un autre véhicule est complète-
ment carbonisé.
Lundi 1er avril, au centre de la
bande de Gaza, sept membres de
différentes nationalités de l’orga-
nisation de distribution de nour-
riture ont été tués dans une frappe
israélienne. Selon le quotidien is-
raélien Haaretz, citant des sources
sécuritaires, trois missiles ont été
tirés, coup sur coup, contre le con-
voi de WCK : après la première
frappe, le groupe d’humanitaires
visés se serait réfugié dans le se-
cond véhicule, avant qu’il ne soit
frappé à son tour. Blessés, les vo-
lontaires ont été tués par une troi-
sième frappe alors qu’ils tentaient
de se protéger dans la dernière
voiture du convoi.
Dans un premier temps, l’armée
israélienne a indiqué avoir visé un
homme armé, que les militaires
auraient repéré dans le hangar de
l’ONG, mais qui n’aurait ensuite ja-
mais rejoint le trajet. Mercredi, le
chef de l’état-major israélien, le gé-
néral Herzi Halevi, a reconnu,
dans un message vidéo, que son
armée avait commis « une grave
erreur (…) qui a suivi une mauvaise
identification de nuit, pendant une
guerre, dans des conditions très
complexes. Cela n’aurait pas dû se
produire », a-t-il ajouté. La veille, le
porte-parole de l’armée israé-
lienne, Daniel Hagari, avait an-
noncé une « enquête au plus haut
niveau » pour éclaircir les circons-
tances de ce qu’il désignait
comme un « tragique accident ».
Ces frappes sont validées par des
salles de commandement où siè-
gent militaires et juristes estimant
le risque de dommages collaté-
raux. Les tirs mortels de lundi sont
ONU : les Palestiniens en quête d’un statut de membre à part entière
La direction palestinienne ne dispose pour l’instant que d’un siège d’Etat observateur non membre au sein de l’organisation internationale
new york, nations unies -
correspondante
C onséquence du carnage en
cours dans la bande de
Gaza et de l’impuissance
de la communauté internationale
à y mettre un terme, les Palesti-
niens ont officiellement relancé,
mardi 2 avril, leur demande d’ad-
hésion comme membre à part en-
tière de l’ONU. Depuis 2012, ils ne
disposent que d’un siège d’Etat
observateur au sein de l’organisa-
tion internationale. L’ambassa-
deur palestinien à New York, Riyad
Mansour, espère que cette requête
sera examinée par le Conseil de sé-
curité dans le courant du mois,
bien qu’il semble compliqué, pour
Washington, allié historique d’Is-
raël, de s’y montrer favorable.
Depuis plusieurs semaines, la
rumeur de cette initiative bruis-
intervenus alors que le respect du
droit humanitaire de la guerre par
Israël a été interrogé ces dernières
semaines devant la Cour interna-
tionale de justice de La Haye. La
frappe a suscité des condamna-
tions de la communauté interna-
tionale et ravivé les craintes des
ONG venant en aide aux Palesti-
niens dans l’enclave. Mardi, le pre-
mier ministre, Benyamin Néta-
nyahou, avait admis que l’armée
israélienne avait « frappé des inno-
cents de manière non intention-
nelle », avant d’ajouter : « Cela peut
arriver pendant une guerre. »
Coordonnées GPS transmises
« Notre convoi a été touché alors
qu’il quittait l’entrepôt de Deir Al-
Balah, où notre équipe avait dé-
chargé plus de 100 tonnes d’aide
humanitaire apportée à Gaza par
le couloir maritime », a décrit l’or-
ganisation dans un communiqué
publié sur son site, en précisant
que ses coordonnées GPS avaient
été transmises à l’armée israé-
lienne pour que le convoi puisse
être identifié sur le terrain. Les
trois véhicules, dont deux blindés,
se dirigeaient vers le centre logisti-
que de WCK à Rafah, à la frontière
entre la bande de Gaza et l’Egypte,
précise Sean Carroll, le PDG
d’Anera, partenaire de l’organisa-
tion dans la zone, joint par télé-
phone à Amman, en Jordanie.
En quelques mois, WCK, créée
par le célèbre chef étoilé José An-
drés en 2011, est devenue l’un des
principaux acteurs humanitaires
dans la bande de Gaza où plus de
32 000 Palestiniens ont été tués
depuis le 7 octobre. Quelques jours
après l’attaque du Hamas, l’orga-
nisation a installé son principal
centre d’opérations au Caire, en
Egypte, d’où ses membres ont
commencé à piloter l’envoi d’aide
par camions, à travers la région du
Sinaï et le passage de Rafah. « Ils
ont des ressources opérationnelles
que je n’avais jamais vues jus-
que-là », précise Sean Carroll.
L’humanitaire américain ra-
conte comment José Andrés et
sait dans les couloirs de l’ONU,
mais Riyad Mansour ne l’a officia-
lisée que mardi, dans une lettre
au secrétaire général, dans la-
quelle il informe ce dernier de sa
volonté de réactiver le processus
entamé en septembre 2011, qu’il
considère toujours en suspens.
Aux Nations unies, les Palesti-
niens sont parrainés par le
groupe des pays arabes, l’Organi-
sation de la coopération islami-
que et le groupe des non-alignés.
« A ce jour, cent quarante Etats
membres reconnaissent l’Etat de
Palestine », ont écrit les présidents
de ces trois organisations à la pré-
sidente du Conseil de sécurité
pour appuyer leur requête. L’am-
bassadrice de Malte, Vanessa Fra-
zier, a assuré vouloir vérifier rapi-
dement la marche à suivre.
Car, ONU oblige, la procédure
d’adhésion de plein droit est tech-
Le véhicule de l’ONG World Central Kitchen, détruit par une frappe, à Deir Al-Balah, dans la bande de Gaza, le 2 avril. ABDEL KAREEM HANA/AP
World Central Kitchen lui ont
fourni une aide financière « à sept
chiffres » moins d’une semaine
après le début de la guerre, pour
accélérer la distribution de repas.
Depuis, les deux partenaires ont
distribué « deux millions de repas
par semaine dans toute la bande de
Gaza », selon Sean Carroll.
Le 15 mars, l’ONG américaine a
aussi livré pour la première fois de
l’aide humanitaire par la mer. La
construction d’une jetée de for-
tune, au sud de la ville de Gaza,
doit permettre aux bateaux de
l’ONG espagnole Open Arms, par-
tenaire de l’opération, de délivrer
quelques centaines de tonnes de
nourriture. Mardi, suite à la mort
des personnels de WCK, un
deuxième navire chargé d’aide,
qui se dirigeait vers l’enclave, a fait
demi-tour vers Chypre.
Sur place, l’organisation du chef
aurait « vingt fois plus de person-
nel » – environ dix employés et
contractuels étrangers en rota-
tion, et plus d’une centaine de vo-
lontaires locaux – que d’autres
ONG, dont Médecins sans frontiè-
res, raconte une humanitaire
européenne, régulièrement pré-
sente dans la bande de Gaza et qui
souhaite conserver l’anonymat.
Pour des discussions sur la logis-
tique, WCK a plusieurs fois sollicité
l’entreprise de sécurité privée Fog-
bow, sans forcément coordonner
ses livraisons de nourriture avec
cette structure proche du Penta-
gone. Composée d’anciens agents
de la CIA ou de vétérans de l’armée
américaine, la firme, qui facilite et
sécurise des opérations humani-
taires dans la zone depuis fin octo-
bre, a mis l’ONG américaine en
contact avec le Cogat (l’adminis-
nique : les Palestiniens doivent
obtenir tout d’abord une recom-
mandation positive du Conseil de
sécurité et de la commission ad
hoc. Une fois celle-ci obtenue, il
faut la faire valider par un vote à la
majorité des deux tiers à l’Assem-
blée générale ; et, enfin, repasser
devant le Conseil pour une ultime
confirmation. Les plus pessimis-
tes pensent que la discussion sera
bloquée dès le premier volet de la
première étape, qui se déroule à
huis clos : au sein de la commis-
sion des adhésions du Conseil.
L’Autorité palestinienne avait été
bloquée à ce stade à l’automne
2011, alors que Benyamin Néta-
nyahou était, déjà, premier minis-
tre d’Israël. La procédure n’avait ja-
mais été menée à terme, car
Barack Obama avait menacé d’y
mettre son veto : le président amé-
ricain de l’époque arguait que la
Blessés,
les volontaires
de l’organisation
WCK ont été visés
par une troisième
frappe alors
qu’ils tentaient
de se protéger
tration civile israélienne dans les
territoires palestiniens occupés).
Pour mener à bien ses opéra-
tions humanitaires, José Andrés a
établi des liens de confiance avec
toutes les parties prenantes.
Grâce à la distribution de nourri-
ture aux déplacés israéliens qui
ont fui les zones frontalières de la
bande de Gaza après le 7 octobre,
le chef hispano-américain s’est
imposé comme un interlocuteur
privilégié pour l’Etat hébreu.
Dans la bande de Gaza, une partie
de ses contacts ont été noués à
l’aide de l’ONG Anera. « WCK a
beaucoup de facilités pour obtenir
des autorisations en quelques heu-
res alors que ça peut prendre des
jours à d’autres structures », pré-
cise l’humanitaire européenne.
Ses meilleurs contacts, l’ONG les
a développés à Washington, où
José Andrés a construit son em-
pire gastronomique composé
d’une vingtaine de restaurants :
ami de nombreux élus, démocra-
tes et républicains, comme de Ron
Klain, l’ancien directeur de cabinet
du président Joe Biden, jus-
qu’en 2023, le chef étoilé peut
« joindre directement, par texto »
Antony Blinken, le secrétaire
solution à deux Etats devait être
absolument négociée entre les di-
rigeants palestinien et israélien.
Mahmoud Abbas avait donc fait
marche arrière, se contentant
d’un statut d’Etat non membre ob-
servateur, accordé quelques mois
plus tard par un vote de l’Assem-
blée générale des Nations unies.
Risque de veto américain
Mais, douze ans plus tard, après
six mois de bombardements qui
ont fait plus de 32 000 morts dans
la bande de Gaza, convaincre la di-
rection palestinienne de ne pas al-
ler au bout de sa démarche, au ris-
que d’exposer Washington à un
embarrassant veto, pourrait être
plus difficile. C’est dans ce cas de
figure que pourrait se trouver la
Maison Blanche si les négocia-
tions à huis clos, au sein de la com-
mission, patinent et que la discus-
international | 3
d’Etat américain, explique un an-
cien employé de l’ONG. D’autres
contacts, auprès des autorités jor-
daniennes ou égyptiennes, lui per-
mettent une efficacité sur le ter-
rain. Mardi, depuis Paris où il était
en visite, Antony Blinken a ex-
horté Israël à mener une enquête
« rapide, complète et impartiale »,
insistant sur l’importance d’une
protection pour le personnel hu-
manitaire dans la bande de Gaza.
L’incident de lundi est survenu
alors que la famine est imminente
dans le nord de l’enclave, où
300 000 personnes restent encore
bloquées, selon un communiqué
du PAM du 18 mars. Cette zone, lar-
gement coupée du monde depuis
l’offensive terrestre israélienne
commencée fin octobre, subit de
plein fouet la crise alimentaire.
Celle-ci se trouve aggravée par un
vide politique, avec l’élimination
du Hamas en tant que gouver-
nement à Gaza, et par un vide hu-
manitaire, car Israël limite sa coo-
pération avec les ONG et institu-
tions onusiennes.
« Situation de famine massive »
Le 26 mars, les autorités isra-
éliennes ont annoncé qu’elles
n’approuveraient plus le passage
des convois alimentaires de
l’UNRWA, l’agence onusienne
d’aide aux réfugiés palestiniens,
vers le nord de Gaza. Israël accuse
des membres de l’organisation
d’avoir participé à l’attaque du
Hamas, le 7 octobre 2023.
Mais l’UNRWA n’est pas la seule
touchée. Selon l’OCHA, autre
agence de l’ONU qui coordonne
l’aide humanitaire, les autorités ne
laissent passer qu’une partie des
missions d’aide au nord de
sion est renvoyée dans l’arène pu-
blique du Conseil de sécurité.
Joe Biden, écartelé entre une
part croissante de la base démo-
crate, mécontente de son soutien
à Benyamin Nétanyahou, et son
attachement historique à Israël,
risque d’être mis en contradiction
directe avec sa volonté répétée de
pousser pour une solution à deux
Etats. « C’est la communauté inter-
nationale qui a décidé de créer
deux Etats en Palestine en 1947.
C’est le devoir de la communauté
internationale, aux côtés du peu-
ple palestinien, de terminer cette
démarche en admettant la Pales-
tine comme Etat membre », a rap-
pelé M. Mansour en février.
Plusieurs dizaines de ministres
des pays arabes devraient partici-
per à une réunion du Conseil, le
18 avril, au cours de laquelle la
question de cette adhésion de-
l’enclave. Entre le 16 et le 29 mars,
seule la moitié d’entre elles ont été
autorisées à y accéder. « Pour Is-
raël, il s’agit du démantèlement
d’une entité – le Hamas – qui gou-
verne Gaza depuis près de
vingt ans. Mais même si Israël le-
vait toutes ses restrictions sur l’aide,
cela serait insuffisant, surtout s’il
n’y a pas de coordination avec
toutes les organisations humani-
taires, en premier lieu avec l’UN-
RWA. En conséquence, Gaza se re-
trouve dans cette situation de fa-
mine massive », estime Mairav
Zonszein, analyste pour le groupe
de réflexion International Crisis
Group sur Israël-Palestine.
Après l’attaque de lundi, l’ONG
américaine a annoncé la suspen-
sion immédiate de ses activités,
tout comme Anera. « La pause du-
rera le temps qu’il faut pour que no-
tre personnel puisse se sentir en sé-
curité », précise Sean Carroll.
La mort de personnels humani-
taires sous les frappes israéliennes
s’est produite à plusieurs reprises
depuis le début de la guerre. Anera,
Médecins sans frontières ou en-
core le Croissant-Rouge palesti-
nien ont perdu plusieurs em-
ployés ces derniers mois. Par
ailleurs, 176 personnels de l’UN-
RWA ont été tués dans l’exercice de
leurs fonctions ou à leur domicile.
« Il s’agit du plus grand nombre
de travailleurs humanitaires tués
dans un conflit depuis la seconde
guerre mondiale », selon Juliette
Touma, de l’UNRWA, pour qui
« personne n’est en sécurité à Gaza.
Toutes les lignes rouges ont été
franchies dans cette guerre et par
toutes les parties au conflit ». p
samuel forey
et lucas minisini (à paris)
vrait être débattue. Il n’est pas cer-
tain, dans l’hypothèse où les Etats-
Unis bloqueraient le processus au
sein de la commission, que le vote
du Conseil se tienne le même jour.
En 2011, plusieurs capitales occi-
dentales avaient contribué à faire
reculer Mahmoud Abbas pour évi-
ter une confrontation avec l’admi-
nistration américaine au Conseil
de sécurité. Il n’est pas sûr que Joe
Biden puisse compter sur un tel
soutien. De plus en plus de pays
comprennent l’urgence de recon-
naître l’Etat palestinien. « Il y a un
mouvement en Europe, en ce mo-
ment, dans ce sens, reconnaît une
diplomate européenne. L’Espagne,
Malte, la Slovénie devraient recon-
naître l’Etat palestinien en bilatéral
d’ici à cet été. » Malte et la Slovénie
siègent toutes deux au Conseil de
sécurité jusqu’à la fin de l’année. p
carrie nooten
4 | international
Les autorités chinoises se mettent au speed dating
Face au déclin démographique, le Parti communiste recourt à tous les moyens pour inciter les citoyens à se marier
REPORTAGE
changxing (chine) - envoyé spécial
A
tout événement officiel
son discours, mais, ici,
les bannières sont ro-
ses et non rouges, et les
slogans font place au romantisme.
« Laissez fleurir la passion, lance
Huang Jilai, cadre du canton de
Changxing, devant une cinquan-
taine de jeunes réunis sur un es-
pace de pique-nique au bord d’un
lac. Cueillez l’amour pour rendre la
vie plus intense, plus belle, plus su-
crée. » Le printemps est arrivé
dans la province du Zhejiang,
dans l’est de la Chine, et les res-
ponsables politiques locaux espè-
rent que la merveilleuse floraison
des pêchers sera propice aux ren-
contres. En ce dernier week-end
de mars, c’est le syndicat officiel,
associé à la Fédération des fem-
mes et à la Ligue de la jeunesse
communiste, qui organise trois
heures d’activités rapprochant
filles et garçons célibataires – jeux
en cercle, poignets liés avec une
ficelle rose, cueillette de fleurs :
tout est fait pour se rapprocher.
Une forme de speed dating orga-
nisé par l’Etat-parti, en réponse au
déclin démographique auquel est
désormais confrontée la Chine.
Pour la deuxième année consécu-
tive, la population chinoise a
baissé en 2023, dépassée par celle
de l’Inde. Le taux de fécondité,
autour de 1,1 enfant par femme
en 2021, est bien en deçà des 2,1 né-
cessaires au maintien de la popu-
lation. Comme dans les écono-
mies développées d’Asie du Nord-
Est – Japon, Corée du Sud, Taïwan –,
l’urbanisation, le coût de la vie et le
désir d’offrir la meilleure éduca-
tion dissuadent les couples d’avoir
davantage d’enfants.
S’ajoute une spécificité chinoise :
le même Etat qui, aujourd’hui,
pousse à fonder une famille a im-
posé la politique de l’enfant uni-
que à coups d’amendes prohibiti-
ves et d’avortements forcés pour
accélérer la transition démogra-
phique, de 1980 à 2016. A Wuhan,
l’artiste auquel avait été comman-
dée une statue d’un couple heu-
reux avec un enfant, installée dans
un parc le long du fleuve Yangzi, a
dû reprendre son œuvre pour y
ajouter deux bambins. Les consé-
quences d’un vieillissement de la
population – risque de chute de
productivité, problème majeur de
financement de retraites – sont
déjà largement documentées et
inquiètent les dirigeants.
Face au constat démographique,
les autorités incitent les Chinois à
se marier. En 2023, 7,68 millions de
Au Portugal, un exécutif conservateur fragile s’installe au pouvoir
Le premier ministre de centre droit, Luis Montenegro, devra composer avec les socialistes face à la poussée de l’extrême droite
madrid - correspondante
E st-ce que [gouverner] sera
une mission impossible ? Je
ne le pense pas. (…) Est-ce
que ce sera très difficile ? Certaine-
ment. » Le président de la Républi-
que portugaise, Marcelo Rebelo
de Sousa, n’a pas manqué de rap-
peler la fragilité de l’exécutif
formé par le conservateur Luis
Montenegro, lors de la cérémonie
d’investiture de ses dix-sept mi-
nistres, au palais de Belem, mardi
2 avril. Le Parti social-démocrate
(PSD, centre droit) n’ayant réuni
que 28,9 % des suffrages et ne
comptant que 80 des 230 sièges à
l’Assemblée, le président a sug-
géré au nouveau premier minis-
tre de « diviser les problèmes en
plusieurs plus petits » et de les ré-
soudre « un par un sans perdre de
vue l’ensemble et sans créer d’at-
tentes ou d’ambitions illusoires ».
Des participants à un speed dating parrainé par le gouvernement chinois, à Huzhou (Zhejiang), le 30 mars. ALEX LEE POUR « LE MONDE »
Shuyang, dans
la province du
Jiangsu, a lancé
un concours pour
trouver
« la meilleure
belle-mère »
couples chinois se sont dit oui, se-
lon le ministère des affaires civiles,
une hausse de 12,4 %, la première
depuis neuf ans. Compositions
florales, animation musicale, créa-
tion après l’événement d’un
groupe sur le réseau social WeChat
pour que les participants se recon-
tactent : Huang Jilai, chargé de s’as-
surer que les politiques du gouver-
nement central sont bien appli-
quées dans le canton de Chan-
gxing, n’a pas ménagé ses efforts.
« Les jeunes sont focalisés sur leur
travail, au bureau ou à l’usine, et
fonder une famille n’est plus la prio-
rité pour eux », déplore M. Huang.
A son événement, on croise des
jeunes travaillant dans des entre-
prises locales ou dans l’adminis-
tration, mobilisés par le syndicat
Composé de dix hommes et
sept femmes, le gouvernement
est moins paritaire que le précé-
dent exécutif du socialiste Anto-
nio Costa, qui a passé le témoin
après huit ans au pouvoir. Il avait
démissionné en novembre 2023,
éclaboussé par une affaire de tra-
fic d’influence présumé impli-
quant de proches collaborateurs.
Professeur d’économie nommé
aux finances, présidente d’hôpital
nommée à la santé, ex-directrice
de musées nommée à la culture :
tous les membres du nouvel exé-
cutif appartiennent au PSD, à l’ex-
ception du ministre de la défense,
issu du petit parti de droite
CDS-PP. Comme promis, M. Mon-
tenegro n’a confié aucun porte-
feuille au parti d’extrême droite
Chega (« ça suffit »), malgré les
pressions de son président, André
Ventura, pour entrer dans un gou-
vernement de coalition en
officiel. Certains ont accepté de ve-
nir par simple curiosité, d’autres
espèrent une rencontre rapide.
Wu Fengyang, 29 ans, coupe bran-
chée, en chemise bleu et blanc,
confie que dans son métier – gar-
dien de prison –, rencontrer
l’amour n’est pas évident. « Si le
destin est au rendez-vous, on verra.
Nos parents pensaient très jeunes à
se marier et à faire des enfants. No-
tre génération n’est pas pareille »,
dit le jeune homme, qui ne se voit
pas avoir plus d’un enfant.
Application de rencontres
Comme le Zhejiang, les provinces
et communes chinoises multi-
plient les initiatives pour pousser
à fonder une famille. A Guixi (pro-
vince de Jiangxi), une ville de
640 000 habitants dans le sud-est
du pays, les responsables politi-
ques ont lancé une application de
rencontres pour ceux qui sont en-
registrés comme célibataires. A
Daijiapu (Jiangxi), les jeunes sont
invités à refuser la pratique de la
dot, traditionnellement versée à
la famille de la femme et dont le
montant n’a cessé de grimper ces
dernières années. Il est en effet
fréquent que les hommes et leurs
parents s’endettent pour, à la cam-
échange du soutien de ses 50 dé-
putés (18 % des voix). « Le PSD a
choisi sa voie. Il a choisi le Parti so-
cialiste [PS] comme interlocuteur et
c’est avec le PS qu’il devra s’enten-
dre. Chega dirigera l’opposition au
Parlement », a lancé M. Ventura,
présent lors de la prise de fonction
officielle des ministres.
« Béquilles »
Le chef de file du PS, Pedro Nuno
Santos, dont le parti est arrivé se-
cond avec 78 députés (28 % des suf-
frages), n’a pas assisté à la cérémo-
nie. Une absence calculée pour si-
gnifier publiquement, une nou-
velle fois, que le PS ne « servira pas
de béquilles » au gouvernement
sorti des urnes le 10 mars. Et pour-
tant, c’est bien cette formation qui
est venue au secours de l’exécutif
le 27 mars. La veille, à trois reprises,
la désignation du président de l’As-
semblée avait échoué, faute de
pagne, présenter une somme im-
portante à la future belle-famille
ou acheter un appartement en
ville et, si possible, une voiture :
conditions souvent posées pour
un mariage. En février 2023,
Shuyang, dans la province du
Jiangsu, lançait un concours de
« recherche de la meilleure belle-
mère » : pas trop exigeante finan-
cièrement pour marier sa fille,
mais se focalisant plutôt sur le
bonheur à long terme du couple.
Toutefois, ces efforts peinent à
endiguer la tendance. C’est que,
malgré les alertes des démogra-
phes, une politique d’encadre-
ment des naissances a toujours
cours : les couples ont été autori-
sés à avoir un deuxième enfant
depuis 2016, et un troisième de-
puis 2021, mais c’est toujours
l’Etat qui décide du nombre maxi-
mal – même si très rares sont les
familles qui souhaiteraient en
avoir plus de trois. Le Sichuan a
été la première province à lever in-
tégralement, en février 2023, le
plafond du nombre d’enfants et à
autoriser femmes célibataires et
couples non mariés à enregistrer
une grossesse et une naissance,
qui, ailleurs dans le pays, ne peu-
vent être reconnues et bénéficier
La collaboration
entre socialistes
et sociaux-
démocrates
a permis d’éviter
le blocage
des institutions
majorité au sein du Parlement,
Chega ayant choisi de présenter
un candidat alternatif. Le PS a fina-
lement trouvé une solution : il a
accordé son soutien au candidat
conservateur, José Pedro Aguiar-
Branco, en échange d’une prési-
dence tournante de l’Assemblée,
laquelle devra lui revenir dans
deux ans, en septembre 2026.
M. Nuno Santos a aussi précisé
que, le 10 avril, lorsque M. Monte-
d’aides publiques que dans le
cadre d’un mariage. D’autres
facteurs profonds jouent éga-
lement : le coût du logement, les
inégalités entre hommes et fem-
mes, qui, comme dans beaucoup
de pays, font largement peser sur
ces dernières le fardeau du
quotidien et les amènent à sacri-
fier leur carrière.
Cesser d’encadrer les naissances
Han Ruobing, une infirmière, est
venue un peu par curiosité assister
à la rencontre romantique. Dans le
groupe, elle n’a pas identifié de
garçon qui lui plaise vraiment. Ha-
billée d’un haut à volants et d’une
jupe noire, elle dit que sa famille
ne la presse pas encore. Elle n’a que
24 ans. Mais si elle se marie, elle
sait quel sera le projet : « Avoir un
enfant, comme tout le monde.
Aujourd’hui, on veut vraiment le
meilleur pour leur éducation, leur
avenir, et ce serait difficile d’en avoir
plusieurs avec la pression économi-
que. » Mais elle se donne le temps,
craignant de ne plus avoir de
marge financière ni de temps de
vie tranquille. Elle redoute égale-
ment de subir une forte pression
au travail. « Fonder une famille c’est
beau, mais c’est aussi perdre une
negro soumettra son programme
de gouvernement au vote du Par-
lement, il ne le bloquera pas, « par
responsabilité institutionnelle ».
Un vote de rejet provoquerait
automatiquement la chute de
l’exécutif. « Le PS doit maintenir un
équilibre difficile et subtil, souligne
l’analyste politique Patricia Lisa. Il
veut incarner l’opposition durant la
législature, pour ne pas laisser cette
place à Chega et ne pas se dénatu-
rer en pactisant avec la droite. Mais
il ne veut pas non plus être respon-
sable de l’instabilité du pays, et sou-
haite maintenir l’image d’un parti
d’Etat, responsable. »
Difficile de savoir combien de
temps durera cette collaboration
entre les deux grands partis du
centre droit et du centre gauche.
Celle-ci a permis de maintenir un
cordon sanitaire autour de Chega
et d’éviter que les institutions ne
soient bloquées par l’extrême
0123
JEUDI 4 AVRIL 2024
« Fonder une
famille c’est
beau, mais c’est
aussi perdre une
partie de sa
liberté, pour les
femmes »
HAN RUOBING
infirmière
partie de sa liberté, pour les fem-
mes », estime-t-elle.
En mars, lors de la session an-
nuelle de la Conférence consulta-
tive politique du peuple de Chine,
un organe qui n’a force que de sim-
ple proposition, le délégué Xiong
Shuilong fait valoir qu’au regard
du déclin démographique il n’est
plus approprié pour l’Etat d’enca-
drer le nombre de naissances. Il a
suggéré une liste d’idées : réduire
les cotisations sociales lors des
congés maternité, créer des incita-
tions fiscales à l’embauche des
femmes en âge de procréer, accélé-
rer la construction de crèches…
Des mesures ont déjà été prises ces
dernières années : en janvier 2023,
la déduction fiscale pour les foyers
avec enfant à charge a doublé. Des
dizaines de villes proposent des
aides au crédit immobilier pour
les familles avec plusieurs enfants.
Toutefois, la direction du Parti
communiste chinois – le Politburo
est composé de 24 hommes – pro-
meut une vision conservatrice de
la place des femmes. Lors de la réu-
nion de la Fédération des femmes,
en novembre 2023, le président Xi
Jinping a appelé cette organisation
de masse à amener « les femmes à
jouer leur rôle pour soutenir les va-
leurs traditionnelles de la nation
chinoise ». Elles doivent « active-
ment porter une nouvelle culture
du mariage et de la maternité »
pour, notamment, répondre au
vieillissement de la population.
Pan Yuefeng est restée un peu en
retrait des activités de ce samedi,
préférant s’asseoir dans un tran-
sat. Cette fleuriste n’a pas croisé de
regard qui attire son attention. Sa
famille commence à lui deman-
der si elle fait des rencontres, sans
trop lui mettre la pression. Elle a
29 ans et cherche « un type réfléchi
et tourné vers les autres ». S’ils
devaient décider d’avoir un en-
fant, elle sait qu’il n’y en aura
qu’un. « Je voudrais lui offrir une
éducation de qualité, explique la
jeune femme. Je me dis, un enfant
c’est déjà bien. » p
harold thibault
droite, favorisée par sa forte pous-
sée électorale. Elle a aussi mis en
valeur les capacités du PS et du
PSD à dialoguer avec respect entre
adversaires, une « leçon de démo-
cratie », selon le journal Publico.
Cependant, l’équation pour les
socialistes est délicate. En soute-
nant le PSD, le PS risque de perdre
des électeurs de gauche. S’il ne le
fait pas, le PSD ne manquera pas
de l’accuser de le jeter dans les
bras de l’extrême droite. Pour
l’heure, M. Nuno Santos a pré-
venu que son parti ne soutiendra
pas le budget 2025 et n’est disposé
qu’à des accords ponctuels sur
des questions consensuelles,
comme la hausse du salaire des
fonctionnaires. Chega, pour sa
part, a choisi de miser sur la con-
frontation avec la droite tradi-
tionnelle, en vue des prochaines
élections européennes. p
sandrine morel
0123
JEUDI 4 AVRIL 2024
Le président sénégalais
nomme son mentor,
Sonko, premier ministre
Bassirou Diomaye Faye a prêté serment
mardi en présence de l’ex-président Macky Sall
et de dirigeants de nombreux Etats africains
dakar - correspondance
D L
jerijef Sonko ! » (« merci
Sonko ! » en wolof, la lan-
gue la plus parlée au Sé-
négal). Mardi 2 avril, Bassirou Dio-
maye Faye a prêté serment, deve-
nant à 44 ans le cinquième prési-
dent sénégalais, mais c’est un
autre homme, Ousmane Sonko,
qui était le plus acclamé par l’as-
sistance. Assis dans l’ombre, le
leader du parti des Patriotes afri-
cains du Sénégal pour le travail,
l’éthique et la fraternité (Pastef,
dissout en juillet 2023 par le gou-
vernement) n’a pas dit un mot
mais nul ne s’y est trompé. Ni le
réalisateur de la télévision séné-
galaise, qui a laissé apparaître le
visage d’Ousmane Sonko en ar-
rière-plan lorsque Bassirou Dio-
maye Faye a levé la main droite
devant les sept juges du Conseil
constitutionnel, ni la foule, en-
thousiaste de ce changement.
Quelques heures plus tard, le
nouveau président élu nommait
son mentor premier ministre.
Cette victoire est celle de
deux hommes qui ont parfaite-
ment joué pour l’emporter. Empê-
ché de se présenter à l’élection pré-
sidentielle à cause d’une condam-
nation judiciaire, le populaire
Ousmane Sonko a laissé sa place
dans la course à son numéro deux,
jusque-là largement méconnu.
Un coup gagnant au résultat ines-
péré : les opposants au président
sortant Macky Sall l’ont emporté à
54 % dès le premier tour.
Désormais plus jeune président
élu d’Afrique, Bassirou Diomaye
Faye s’est présenté en costume
bleu sombre au centre des exposi-
tions de Diamniadio. « Je suis
conscient que les résultats sortis
des urnes expriment un profond
désir de changement systémi-
que », a-t-il déclaré dans son dis-
cours d’investiture. « Je travaille-
rai à la préservation de la paix et
de la cohésion nationale. Je garde-
rai à l’esprit que notre ressource la
plus précieuse est la stabilité de no-
tre pays. (…) Ce sera un pays d’espé-
rance et apaisé avec une justice in-
dépendante et une démocratie
renforcée », a-t-il promis, sous le
regard de ses deux épouses.
« Attachement à la paix »
Après une campagne éclair et une
ascension météorique, ce candi-
dat antisystème a réussi un ex-
ploit en parvenant à se faire élire.
Depuis trois ans, son parti, au dis-
cours parfois radical, a subi une
forte répression qui a fait une
soixantaine de morts, selon Am-
nesty International. Des centai-
nes de militants ont été incarcé-
rées – même Bassirou Diomaye
Faye et Ousmane Sonko étaient
encore en prison deux semaines
avant l’élection du 24 mars. Jus-
qu’au bout, le processus électoral
a semblé pouvoir dérailler, alors
que le scrutin a été reporté
d’un mois. Même le Conseil cons-
titutionnel, l’arbitre du scrutin, a
été dans la tourmente, accusé
d’avoir été corrompu lors du pro-
cessus électoral pour falsifier les
listes électorales.
« L’élection présidentielle que
l’on croyait définitivement com-
promise a pu se tenir même dans
un délai réduit sans qu’aucune ir-
régularité de nature à altérer la
crédibilité du scrutin n’ait été no-
tée. (…) Cela tient presque du mira-
cle », a déclaré lors de son dis-
cours Mamadou Badio Camara, le
président du Conseil constitu-
tionnel, qui a aussi rendu hom-
mage au sortant Macky Sall pour
« sa détermination » à reprendre
en main le processus électoral
« dans un temps record ». « Ce
grand peuple que nous sommes
au prix de vies perdues, de blessu-
« Je suis
conscient que les
résultats sortis
des urnes
expriment un
profond désir
de changement
systémique »
BAssirou DiomAYE FAYE
président du Sénégal
res irréversibles, de libertés confis-
quées, de carrières brisées a mon-
tré son attachement à la paix et
aux valeurs républicaines. (…) Je
garderai toujours à l’esprit les
lourds sacrifices consentis afin de
ne jamais vous décevoir », a ajouté
sous des applaudissements Bas-
sirou Diomaye Faye.
Après douze années de prési-
dence de Macky Sall, les attentes
sont immenses vis-à-vis de cet
ancien fonctionnaire des impôts,
et les interrogations nombreuses
tant l’homme est vite passé de
l’ombre au sommet de l’Etat.
Comme son mentor dont il avait
contribué à forger le programme
politique, Bassirou Diomaye Faye
a promis de faire de la lutte contre
la corruption et de la bonne gou-
vernance ses priorités.
« Nouveaux partenariats »
Ses premières décisions sur le
plan international vont égale-
ment être scrutées, alors qu’il
prône de « nouveaux partena-
riats », une sortie du franc CFA et
la renégociation d’accords mi-
niers et des contrats pour l’ex-
ploitation du pétrole et du gaz,
qui devrait commencer en 2024.
Seuls des dirigeants africains
étaient à l’investiture, officielle-
ment pour des raisons de « sécu-
rité » et de « protocole ». Les
autres Etats, dont la France,
étaient représentés par leurs di-
plomates. Mohamed Ould Gha-
zouani, le président de la Mauri-
tanie, par ailleurs président en
exercice de l’Union africaine,
Adama Barrow, chef d’Etat de la
Gambie, Umaro Sissoco Embalo,
président de la Guinée-Bissau,
avaient fait le déplacement, tout
comme le putschiste guinéen
Mamady Doumbouya.
Un temps annoncés, les militai-
res à la tête du Mali et du Burkina
Faso se sont finalement fait repré-
senter. L’entourage de Bassirou
Diomaye Faye assure que le nou-
veau président veut œuvrer à la
réintégration des trois pays de
l’Alliance des Etats du Sahel au
sein de la Communauté écono-
mique des Etats d’Afrique de
l’Ouest (Cedeao). « Sur le plan afri-
cain, l’ampleur des défis sécuritai-
res et des nombreux défis que nous
devons relever nous obligent à
plus de solidarité. J’entends la voix
des élites décomplexées qui disent
haut et fort notre aspiration com-
mune à plus de souveraineté », a
déclaré le jeune chef d’Etat devant
le président du Nigeria, Bola Ti-
nubu, à la tête de la Cedeao.
Bassirou Diomaye Faye a en-
suite quitté le centre des exposi-
tions en saluant la petite foule de
militants présents, avant de se
rendre au palais présidentiel, où il
a reçu les honneurs de la garde ré-
publicaine. Sur le perron, il a été
accueilli par Macky Sall, habillé
d’un caftan blanc. L’ex-président a
quitté les lieux sous le regard de
son ancien adversaire. p
théa ollivier
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Entre Libye et Crète, une route
migratoire qui inquiète la Grèce
Depuis janvier, plus de 1 500 migrants, en majorité égyptiens,
ont débarqué sur l’île de Gavdos, débordée par cet afflux
athènes - correspondance
undi 1er avril, à l’aube,
quelques heures avant la
visite du ministre grec
des migrations, Dimitris
Kairidis, 74 migrants ont encore
été secourus au sud de la Crète, au
large de l’île de Gavdos, d’une su-
perficie de 27 kilomètres carrés.
Depuis janvier, plus de 1 500 exi-
lés partis de Tobrouk, dans le
nord-est de la Libye, sont arrivés
dans le sud de la Crète et sur cet
îlot, qui compte quelque 70 habi-
tants hors saison, une école avec
seulement quatre enfants,
deux épiceries et un seul policier.
Cette route migratoire inhabi-
tuelle a pris de court les autorités
grecques puisque aucune struc-
ture d’accueil n’est prévue sur
l’île, située à environ 300 kilomè-
tres de Tobrouk.
Depuis plusieurs mois, la maire
de Gavdos, Lilian Stefanakis,
appelle le gouvernement à l’aide
pour disposer d’un hangar
avec de la nourriture et du maté-
riel de premiers secours pour les
nouveaux arrivants, souvent
épuisés après plus de trente-
six heures d’un voyage qui leur a
coûté entre 4 000 et 5 000 dollars
(soit entre 3 700 et 4 600 euros),
selon les témoignages.
En février, dans une lettre au mi-
nistère des migrations, l’édile in-
sistait sur « le manque de ressour-
ces pour accueillir les migrants » :
« Au moment où je vous écris,
74 âmes sont bloquées sur notre île
et nous essayons avec les habi-
tants de les nourrir, mais nous ne
pouvons pas leur offrir l’essentiel. »
Lundi 1er avril, elle a réitéré ses de-
Le renseignement russe serait derrière
le « mystérieux syndrome de La Havane »
D’après des médias, des fonctionnaires américains ont été visés par une arme sonique russe
U ne enquête journalisti-
que sur le « mystérieux
syndrome de La Ha-
vane », qui avait touché des fonc-
tionnaires américains en poste à
Cuba, à partir de 2016, pointe la
responsabilité de l’unité 29155 du
renseignement militaire russe
(GRU). Devenue, depuis 2014,
l’arme favorite du Kremlin pour
des actions, à l’étranger, de désta-
bilisation, d’élimination ou de sa-
botage, ce groupe d’espions était
déjà apparu dans le viseur des ser-
vices de renseignement occiden-
taux, en 2018, après la tentative
d’empoisonnement d’un trans-
fuge du GRU exilé en Angleterre.
D’après les éléments dévoilés,
lundi 1er avril, par le média russe
indépendant The Insider, le maga-
zine allemand Der Spiegel et la
chaîne américaine CBS, une cen-
taine de personnes, des diploma-
tes ou des agents du FBI et de la
CIA, parfois des membres de leur
famille, ont été la cible d’une arme
sonique mise au point par la Rus-
sie. Provoquant de graves symp-
tômes – migraines, vertiges, nau-
sées, troubles de la vision –, ces
« incidents de santé anormaux »,
selon les termes de l’administra-
tion américaine, auraient aussi
été signalés, dès 2014, à Washing-
ton et dans des représentations
officielles des Etats-Unis, en Alle-
magne, puis en Chine, en Austra-
lie, au Vietnam et en Autriche.
En mars 2023, au terme d’une en-
quête interne, les autorités améri-
caines considéraient « très impro-
mandes auprès du ministre des
migrations : « Nous aimerions un
soutien financier pour pouvoir
nous préparer [à une hausse des
arrivées] et, compte tenu de l’ap-
proche de la saison touristique,
voir comment le problème sera
géré car, ne l’oublions pas, Gavdos
vit du tourisme. » Le parti socia-
liste (Pasok) a, de son côté, averti
qu’il fallait éviter que « Gavdos ne
devienne une Lampedusa ».
Accès à l’Italie plus compliqué
Face à cette situation, Dimitris
Kairidis a, lors de son déplace-
ment sur l’île, promis aux habi-
tants de ne pas les laisser seuls et
aux municipalités de leur attri-
buer des « fonds spéciaux ». Pour
transférer rapidement les nou-
veaux arrivants dans des camps
sur le continent depuis la Crète,
un député conservateur crétois,
Sevi Voloudaki, a également de-
mandé au ministre de « renforcer
le nombre de gardes-côtes et de
policiers ». « Les chiffres sont pour
l’instant faibles, mais il ne fait
aucun doute qu’étant donné ce qui
se passe aujourd’hui en Egypte, et
bien sûr dans le Sahel plus large-
Gavdos compte
quelque
70 habitants hors
saison, une école
avec seulement
4 enfants,
2 épiceries
et un seul policier
bable » qu’une puissance étran-
gère ou une arme soient à l’origine
de ces troubles mystérieux ayant
conduit les victimes à l’hôpital,
avant de, souvent, les contraindre
à quitter leurs fonctions. Le porte-
parole du département d’Etat,
Matthew Miller, a assuré, lundi,
que le ministère et la commu-
nauté du renseignement mainte-
naient leurs conclusions de 2023.
Pour sa part, Moscou a rejeté,
lundi également, ces accusations
qualifiées « sans fondement ».
Outre des témoignages de victi-
mes, relatant avoir ressenti de vi-
ves douleurs aux oreilles, géné-
rées par des ondes sonores, l’en-
quête livre le récit de l’ancien mili-
taire chargé de l’enquête officielle
sur le syndrome de La Havane.
Pour lui, l’origine russe de ces atta-
ques ne fait aucun doute, et il met
sur le compte d’une exigence de
preuves trop élevée le refus des
Etats-Unis d’en attribuer la pater-
nité à Moscou. Il souligne, enfin,
que l’ensemble des personnes tou-
chées avaient toutes travaillé sur
des sujets liés à la Russie. Leur
mise à l’écart permettait, selon lui,
de nuire au niveau de connais-
sance des autorités américaines
sur les activités réelles de la Russie.
Enfin, The Insider, Der Spiegel et
CBS affirment avoir retrouvé la
trace de deux Russes maillons de
cette opération. Le premier aurait
émigré aux Etats-Unis en se pré-
tendant cuisinier. Disposant, en
réalité, d’une formation d’ingé-
nieur électronicien effectuée dans
international | 5
Mer
Ionienne
ITALIE
GRÈCE
Mer TURQUIE
Egée
Mer Athènes
Méditerranée
CRÈTE
Ile de Gavdos
Tobrouk
LIBYE
ÉGYPTE
250 km
ment, on se doit d’être vigilant et
de surveiller l’évolution de la situa-
tion », précise au Monde le minis-
tre des migrations, M. Kairidis.
Malgré les accusations récurren-
tes de refoulements violents par
les gardes-côtes grecs, les îles du
nord-est de la mer Egée, face à la
Turquie, restent la principale
porte d’entrée en Grèce. Depuis le
début de l’année 2024, 8 000 réfu-
giés sont arrivés sur ces îles,
contre 3 000 à la même période
en 2023. Mais, pour les passeurs
opérant en Libye, l’accès à l’Italie
semble de plus en plus compliqué.
« Ces derniers mois, Rome a ren-
forcé sa coopération avec les gou-
vernements libyens. Depuis le port
de Tobrouk [sous la direction du
général Haftar], les opérations de
“pullback”, qui consistent à empê-
cher les embarcations de partir
vers l’Italie, se sont multipliées, et
cette surveillance accrue a conduit
les passeurs à trouver un itinéraire
alternatif, qui reste cependant très
coûteux et donc dissuasif pour un
un institut lié au complexe sécuri-
taire russe, il aurait travaillé pour
les services secrets russes sur le
territoire américain. On l’aperçoit
sur une vidéo de la police, lors
d’une arrestation pour excès de
vitesse et délit de fuite. Malgré un
interrogatoire par le FBI, il a purgé
sans encombre sa peine pour in-
fraction routière, avant de rega-
gner la Russie, et serait mort, de-
puis, sur le front ukrainien.
Stratégie de tension
L’autre suspect serait le propre fils
de celui qui était alors chef de
l’unité 29155, Andreï Averianov. Il
aurait été aperçu à Tbilissi, devant
le domicile d’un fonctionnaire
américain dont l’épouse a subi de
graves lésions à l’oreille, après
avoir ressenti cette même dou-
leur causée par une arme sonique.
Interrogée par CBS, elle dit le re-
connaître sur la photo qui lui est
présentée et jure l’avoir vu à
proximité d’une voiture noire que
l’on distingue sur le cliché qu’elle
a, elle-même, pris le jour des faits.
Si cette enquête a vu juste, elle
ajoutera une ligne à l’histoire des
activités clandestines de cette
unité 29155. Interrogé en 2018,
Charles Farr (mort en 2019), prési-
dent du comité conjoint du
renseignement, chargé, auprès
du premier ministre britannique,
de coordonner les affaires de
renseignement, assurait que
Moscou avait fait du GRU le fer de
lance d’un durcissement de sa
politique étrangère. Une straté-
grand nombre de migrants », ex-
plique Angeliki Dimitriadi, res-
ponsable du programme sur les
migrations au sein du centre de
réflexion grec Eliamep.
En effet, la Crète n’était, jusqu’à
présent, pas vraiment une desti-
nation pour les migrants en pro-
venance de l’Afrique du Nord, cer-
tains bateaux en direction de
l’Italie s’y égarant parfois. Mais
cette donne a changé et pour évi-
ter que ne se crée un nouveau cor-
ridor, « la clé est la coopération
avec l’Egypte », selon Dimitris Kai-
ridis. Le gouvernement grec se ré-
jouit donc de la signature de l’ac-
cord entre l’UE et l’Egypte, qui
prévoit une aide économique de
7,4 milliards d’euros contre un
contrôle renforcé des frontières
en Egypte et en Libye.
« La majorité des flux concernent
des Egyptiens et sont une consé-
quence de la crise économique que
connaît le pays, son économie
ayant été encore plus durement
touchée avec la guerre à Gaza »,
note Dimitris Kairidis.
L’agence européenne Frontex a
constaté une hausse des entrées
irrégulières d’Egyptiens – majori-
tairement vers l’Italie – avec plus
de 25 000 tentatives de passage
depuis la Libye ou la Tunisie
en 2022. L’Egypte accueille, par
ailleurs, 9 millions de réfugiés,
dont un grand nombre de Souda-
nais. A cela s’ajoute la crainte que
des Palestiniens puissent em-
prunter à un moment ce même
chemin. Pour M. Kairidis, « tout le
monde comprend les risques
d’une éventuelle déstabilisation »
de l’Egypte. p
marina rafenberg
gie de tension qui n’a cessé de
croître, disait-il, depuis l’an-
nexion de la Crimée et la guerre
du Donbass, en 2014.
Mais il a fallu attendre le
4 mars 2018 pour que les services
de contre-espionnage occiden-
taux réagissent. Ce jour-là, Ser-
gueï Skripal, ancien agent double
du GRU, et sa fille échappent, dans
le sud de l’Angleterre, à une tenta-
tive d’empoisonnement au No-
vitchok, un agent neurotoxique
innervant datant de l’ère soviéti-
que. La chasse à l’unité 29155 est
ouverte. Pendant la guerre froide,
celle-ci se chargeait de l’entraîne-
ment des guérillas communistes
en Asie, en Afrique ou en Améri-
que centrale. Depuis la chute du
mur de Berlin, elle a été reconver-
tie en service d’action de l’armée
russe, en particulier en Tchétché-
nie, dans les années 1990, avant
de devenir le bras armé quasi per-
sonnel du président Poutine.
Vingt noms de membres de
l’unité ont été rendus public par la
presse internationale, dont Le
Monde qui a par ailleurs révélé
qu’entre 2014 et 2018 onze d’entre
eux avaient séjourné en France, en
Haute-Savoie, une zone transfor-
mée en base arrière pour mener
des opérations dans toute l’Eu-
rope. Les services occidentaux ont
pu démontrer leur présence en
Bulgarie, en République tchèque,
en Hongrie, en Autriche ou encore
au Monténégro, pour des mis-
sions souvent liées à l’Ukraine. p
jacques follorou
6|
PLANÈTE
0123
JEUDI 4 AVRIL 2024

Des huîtres contaminées par les eaux usées

D’Arcachon à la Bretagne, les ostréiculteurs dénoncent des réseaux d’assainissement saturés et l’urbanisation

C’
est une première vic-
toire pour les ostréi-
culteurs du bassin
d’Arcachon et les as-
sociations de défense de l’environ-
nement dans le dossier des huî-
tres contaminées au norovirus. Le
tribunal judiciaire de Bordeaux a
ordonné, mardi 2 avril, au Syndi-
cat intercommunal du bassin d’Ar-
cachon (SIBA) et à son délégataire,
la société SB2A, filiale de Veolia
Eau, de prendre une série de me-
sures en urgence (arrêt immédiat
de tout pompage sur un bassin de
sécurité, construction de déver-
soirs d’orage…) pour mettre fin au
« caractère actuellement inadapté
du dimensionnement du réseau
d’assainissement » qui se mani-
feste par des débordements des
eaux usées dans le milieu naturel.
Saisie par le parquet dans le ca-
dre d’un référé pénal environne-
mental, une procédure rarissime,
la juge des libertés et de la déten-
tion leur fixe un ultimatum (jus-
qu’à six mois pour certains tra-
vaux) assorti d’une astreinte de
1 000 euros par jour de retard,
« au regard de l’importance de
la pollution ».
L’affaire éclate le 27 décem-
bre 2023 : en plein « pic » des fêtes
de fin d’année, la préfecture de
Gironde interdit la vente des huî-
tres après une explosion de cas de
gastro-entérite liés à la consom-
mation d’huîtres contaminées au
norovirus. « A Bordeaux, tout le
monde connaît quelqu’un qui a
été malade comme un chien », dit
François Ruffié, l’avocat de la
branche girondine de la Société Sur le banc d’Arguin, dans le bassin d’Arcachon, le 30 décembre 2023. GUILLAUME BONNAUD/PHOTOPQR/SUD OUEST/MAXPPP
pour l’étude et l’aménagement
de la nature dans le Sud-Ouest,
l’association à l’origine du référé. des huîtres « pour ne pas mettre le lusques ont été infectés après Quiberon terre atlantique a mobi- tion. Dans la nuit du 1er au 2 février,
Le 5 janvier, le parquet de Bor- feu aux ostréiculteurs juste avant avoir filtré des eaux usées conte-
« Nous devons lisé ses efforts là où la population un pêcheur de L’Ile-aux-Moines a
deaux ouvre une enquête préli- Noël ». Des photos et des vidéos nant ce virus particulièrement pe- nous défendre varie fortement au gré notam- filmé une traînée marron s’étirant
minaire notamment pour « éco- attestent de débordements de tit, résistant à l’eau, à l’air, et actif ment de l’activité touristique et à travers le golfe du Morbihan.
cide » et « déversement dans l’eau bassins de rétention d’eaux usées jusqu’à trente jours, une fois niché
et faire appliquer de l’occupation des maisons se- L’hypothèse d’un déversement
(…) d’une substance entraînant dès novembre 2023. dans le tissu d’un mollusque. le principe de condaires. Il y a urgence. d’eaux usées a été confirmée par
des effets nuisibles graves et dura- Les enquêteurs ont également Soizick Le Guyader rappelle En 2022, le préfet du Morbihan des prélèvements « mettant en
bles sur la santé ». constaté des pompages sur un qu’une personne atteinte de gas-
pollueur-payeur » avait gelé les permis de construire évidence la présence d’Escherichia
Ostréiculteur à Gujan-Mestras et bassin « tampon » du SIBA situé tro-entérite peut sécréter jusqu’à ISABELLE CRENEGUY à Carnac, Ploemel et La Trinité- coli et d’entérocoques intestinaux,
président de l’Association de dé- sur la commune d’Audenge avec dix milliards de norovirus par ostréicultrice sur-Mer pour contraindre les col- des organismes principalement
fense des eaux du bassin d’Arca- des rejets d’eau usée pleine d’ex- gramme de selles : « Il est donc fré- lectivités à une mise aux normes présents dans les eaux fécales », se-
chon, Thierry Lafon est le premier créments dans le milieu naturel. quent de retrouver un million de de leurs réseaux. Cette pression lon le parquet. Depuis, d’autres vi-
à déposer plainte contre le SIBA, Dans son ordonnance du 2 avril, virus par litre d’eau non traitée. Il recoin de la baie de Quiberon de l’Etat fait écho à celle de la déos ont été transmises aux en-
deux jours après l’interdiction de le tribunal de Bordeaux de- suffit de peu pour contaminer un (Morbihan), Yvonnick Jégat, Sé- Commission européenne qui a quêteurs confirmant la répétition
la vente. Et à briser l’« omerta ». mande la « cessation immédiate » milieu maritime durablement et bastien Lemoine et Isabelle Cre- saisi, en juin 2021, la Cour de jus- de tels déversements.
« Ça fait des années qu’on est con- de ces opérations de pompage. sur une grande surface. » Les huî- neguy décrivent l’érosion de tice de l’Union européenne pour Les plaignants suspectent la sta-
fronté à des problèmes de mortalité Contacté, le SIBA se tient à sa li- tres sont les coquillages les plus leurs chiffres d’affaires même si non-respect de la France des exi- tion d’épuration de Bourgerel, à
et de virus, mais parler de pollution gne de communication depuis le sensibles à cette maladie. leurs huîtres n’ont subi aucun gences de la directive relative au Baden (Morbihan), mise en ser-
et de qualité dégradée de l’eau du début de l’affaire : « Pas de com- Dans une étude d’octobre 2023, rappel cette année : « Chaque an- traitement des eaux dans une vice en 2018. Le Monde a consulté
bassin, c’est un vrai tabou pour no- mentaire tant que des procédures Santé publique France souligne nonce d’intoxication dégrade centaine d’agglomérations de ses bilans annuels. Ils révèlent
tre profession, c’est se tirer une balle judiciaires sont en cours. » une « sous-déclaration impor- l’image de notre produit. Les con- plus de 2 000 habitants. des insuffisances dans le traite-
dans le pied, témoigne Thierry La- De son côté, Veolia Eau estime tante des toxi-infections alimen- sommateurs ont peur et redou- ment bactériologique des eaux
fon, ancien patron du Comité ré- que les mesures ordonnées par la taires collectives », ces alertes sa- tent de manger des huîtres. » « On nous cache trop de choses » rejetées en mer. En 2022, la moi-
gional de conchyliculture Arca- justice « vont dans le sens d’une ac- nitaires permettant de retracer la La Bretonne Isabelle Creneguy Sur le bassin d’Arcachon, tié des trente autocontrôles de la
chon Aquitaine, mais on ne peut célération du plan d’actions me- source d’une contamination et s’agace et incite à « briser 160 000 habitants l’hiver et plus Saur, le gestionnaire de la station,
pas faire l’autruche indéfiniment. » nées par la SB2A sur le territoire menant à des interdictions tem- l’omerta » : « Longtemps, les profes- du double l’été, les associations dépassaient les recommanda-
pour préserver le milieu naturel et poraires de consommation de co- sionnels ont refusé de dénoncer la mettent en cause l’urbanisation tions des services de l’Etat. Sept
« Catastrophe annoncée » littoral, et protéger les riverains ». quillages. Ces épisodes à répéti- mauvaise qualité des eaux de peur galopante et son corollaire, l’artifi- étaient jugés « rédhibitoires ».
Des interdictions de vente d’huî- La préfecture a évalué à 36 mil- tion seraient donc la face émer- d’écorner l’image de la filière et du cialisation des sols qui ne permet L’usine recrachait alors jusqu’à
tres avaient déjà été prononcées lions d’euros les investissements gée d’un iceberg d’intoxications. territoire. Qu’a-t-on gagné à se plus à l’eau de s’infiltrer. « Le ré- vingt-quatre fois le taux d’Esche-
en 2018, 2020 et 2021 après des in- nécessaires pour améliorer l’as- taire ? Rien. Nous devons nous dé- seau des eaux pluviales est à bout richia coli préconisé.
toxications alimentaires liées à la sainissement du bassin. Le SIBA « Multiplier les recours » fendre et faire appliquer le principe de souffle, les crastes et les fossés ne Thierry Eveno, vice-président
présence de norovirus. En raison avait connaissance des insuffi- La formule ne plaît pas au prési- de pollueur-payeur. » Tous jugent peuvent plus jouer leur rôle à cause (divers gauche) de Vannes agglo-
d’un enchaînement se répétant à sances de son réseau. Dans un dent du Comité national de la con- les élus locaux « responsables » de de la logique du bétonnage », es- mération, promet des « ajuste-
chaque épisode de précipitations procès-verbal du 7 juin 2021 que chyliculture, Philippe Le Gal. Gé- ne pas avoir suffisamment entre- time Thierry Lafon qui dénonce la ments », mais défend cet investis-
important : la saturation du ré- Le Monde a consulté, le syndicat rant d’une structure ostréicole en tenu les réseaux d’assainisse- « schizophrénie » du SIBA chargé sement de 6 millions d’euros : « Il
seau d’eaux pluviales entraîne des évoque de « nombreuses insuffi- Bretagne – première région pro- ment. Dans certains endroits du de l’assainissement et de la pro- s’agit d’une non-conformité sans
débordements des eaux usées sances et états de vétusté avancée ductrice d’huîtres –, il s’agace de la littoral, une succession de précipi- motion du tourisme. « Au Cap-Fer- risque pour le milieu. » L’édile in-
chargées en matières fécales qui se de certains ouvrages ». « surcommunication » autour des tations suffit à saturer une vétuste ret, on laisse construire des jolies siste sur les 20 millions d’euros
retrouvent in fine dans le bassin et Dans les locaux de l’Institut fran- interdictions, qui « dégomme la tuyauterie souterraine. Les eaux villas en bois, certes, mais avec pis- investis annuellement pour
contaminent les huîtres. çais de recherche pour l’exploita- profession ». « Les ostréiculteurs vi- de pluie se mêlent à celles usées. cine et cave intégrale », raille Fran- « améliorer » la gestion des eaux
Président de la Coordination en- tion de la mer (Ifremer), à Nantes, vent avec une épée de Damoclès Incapables de traiter le flux, nom- çois Ruffié. Le président de la usées du territoire.
vironnement du bassin d’Arca- Soizick Le Guyader, biologiste spé- au-dessus de la tête. Nous sommes bre de stations d’épuration débor- CEBA prévient qu’il va attaquer le Outre les dysfonctionnements
chon (CEBA), Jacques Storelli dé- cialiste des huîtres, n’a aucun déterminés à protéger les consom- dent. En amont, des pompes de re- tout nouveau schéma de cohé- des réseaux d’assainissement,
nonce « la chronique d’une catas- doute sur l’origine de la contami- mateurs, mais personne ne cher- levage cèdent fréquemment. rence territoriale du bassin d’Arca- l’association Eau et rivières de
trophe annoncée ». Le 11 janvier, il nation des coquillages, que ce soit che les véritables responsables », Isabelle Creneguy, Yvonnick Jé- chon qui prévoit la construction Bretagne pointe la responsabilité
a porté plainte contre X pour sur le bassin d’Arcachon ou en Bre- s’emporte-t-il. Jusqu’alors, Phi- gat et Sébastien Lemoine ne d’un peu plus de 30 000 loge- des élevages intensifs. L’Ifremer
« mise en danger d’autrui » et tagne : « Le norovirus est présent lippe Le Gal n’était pas partisan de comptent plus les alertes autour ments d’ici à 2040 pour accueillir planche aussi sur cette piste de
« écocide », et accuse les autorités dans le milieu naturel parce qu’il y « judiciariser » les pollutions, mais d’eux. Las de « crouler sous le 40 000 nouveaux habitants « en contaminations. Soizick Le Guya-
d’avoir tardé à interdire la vente a été rejeté par l’homme. » Les mol- « si c’est le seul moyen pour obtenir caca », des ostréiculteurs voisins majorité attirés par le littoral ». der encourage les pouvoirs pu-
des réponses des responsables de la ont porté plainte pour une pollu- « Attaquer les permis de cons- blics à développer les recherches
mauvaise qualité de l’eau, nous al- tion à Landaul (Morbihan). En dé- truire semble être la seule manière sur les eaux usées : « On peut y sur-

5 MILLIONS
lons multiplier les recours. Les os-
tréiculteurs sont des lanceurs
d’alerte contre leur gré et à grands
frais. » C’est qu’ils connaissent
parfaitement le manque à gagner
C’est le coût estimé, en euros, des pertes liées à l’interdiction des provoqué par les épidémies à ré-
ventes d’huîtres du bassin d’Arcachon entre le 27 décembre 2023 pétition de norovirus.
et le 19 janvier, date de leur réautorisation. Les ventes ont plongé Attablés à l’étage d’une exploi-
de 50 % par rapport à la même période de l’année précédente. tation ostréicole dominant un
cembre 2023, la station d’épura-
tion de cette commune de
2 200 habitants a déversé un trop-
plein de boue sur les sols alen-
tour. L’affaire a relancé la ques-
tion du sous-dimensionnement
des infrastructures. La rénovation
de cet équipement a été reportée
à 2028. L’agglomération Auray
de faire réagir nos élus. Nous allons
agir ainsi si nécessaire ! On nous
cache trop de choses », peste
Claude Fuchs, président de la Fé-
dération d’associations de protec-
tion de l’environnement du golfe
du Morbihan. En février, le retraité
a écrit au procureur de Vannes
pour signaler une nouvelle pollu-
veiller l’évolution des norovirus et
celle des deux bactéries habituelle-
ment traquées, mais possiblement
d’autres virus plus dangereux, des
résidus médicamenteux et telle-
ment d’autres choses… » p
benjamin keltz
(rennes, correspondant)
et stéphane mandard
0123
JEUDI 4 AVRIL 2024 planète | 7

Les méga-orages risquent de s’intensifier en France

La hausse des températures, notamment, favoriserait ces phénomènes orageux appelés « derechos »

D
ans une vingtaine
d’années, la France
ressemblera-t-elle à
l’Oklahoma, l’Etat
américain connu pour être un ter-
rain de jeu idéal des tempêtes ? La
question peut sembler provoca-
trice, mais elle est très sérieuse-
ment posée par deux chercheurs
qui publient, mercredi 3 avril, la
première étude climatologique
des « derechos » dans l’Hexagone.
Ils montrent que ces gigantesques
systèmes orageux, pour l’instant
rares sur le territoire, risquent de
s’intensifier sous l’effet du dérè-
glement climatique. L’instabilité
de l’atmosphère a d’ores et déjà
augmenté ces dernières années.
Ces phénomènes, très étudiés
aux Etats-Unis, restent relative-
ment méconnus en France. Ils ont
fait une entrée fracassante dans
les médias en 2022, lorsqu’un de-
recho très violent a balayé la
Corse, dans la nuit du 17 au
18 août. Des vents atteignant
225 kilomètres/heure (km/h) se
sont conjugués à des pluies inten-
ses, de la grêle et cent mille éclairs.
Bilan : cinq morts et de nombreux
dégâts. Au total, douze personnes
ont perdu la vie sur l’ensemble du
funeste parcours du monstre
d’orages, des îles Baléares jusqu’à
l’Autriche, en passant par l’Italie.
« Cela nous a alarmés, car nous
ne connaissions pas bien ce phéno-
mène. Cet événement était inédit
par son ampleur et son intensité, et
le fait qu’il survienne au-dessus de
la Méditerranée », raconte le cli-
matologue Davide Faranda, direc-
teur de recherche au CNRS et l’un
des deux auteurs de l’étude, pu-
bliée dans la revue Weather and
Climate Dynamics. A l’époque,
Météo-France avait été vertement
critiquée pour ne pas avoir placé
l’île de beauté en vigilance rouge.
En combinant données satelli-
taires et observations, les
deux scientifiques sont parvenus
à une typologie des derechos en
France. Ils ont recensé trente-
huit phénomènes entre 2000 et
2022, uniquement lors de la sai-
son chaude (de mai à septembre),
soit 1,7 par an en moyenne. Un
nombre similaire à celui l’Allema-
gne, mais bien inférieur à celui
des Etats-Unis, où l’on en compte
entre dix et quinze chaque année.
Le nord-est et l’est plus touchés
Pour prétendre à cette appella-
tion, les systèmes orageux doi-
vent être étendus sur plus de
100 kilomètres, parcourir plus de
400 kilomètres, « et avoir une du-
rée de vie de plusieurs heures, du-
rant laquelle ils produisent de très
fortes rafales de vent, supérieures
à 90 km/h », détaille Lucas Fery,
doctorant en physique du climat
au Commissariat à l’énergie ato-
mique et aux énergies alternati-
ves, et premier auteur de l’étude.
Les vents provoqués par ce phé-
nomène se déplacent en ligne
droite, d’où leur nom qui signifie
« droit » en espagnol – un terme
utilisé pour la première fois
en 1888. Ces systèmes régionaux
sont ainsi nommés par opposi-
tion aux tornades, des vents cir-
culaires sur quelques centaines
de mètres, des cyclones tropi-
caux, en rotation autour d’un œil
sur quelques centaines de kilo-
mètres, ou des tempêtes, de lar-
ges dépressions s’étendant sur
environ 1 000 kilomètres.
De nombreux ingrédients sont
nécessaires à la formation de ce
cocktail. De manière générale, il
faut d’abord une forte instabilité
de l’atmosphère, entraînée par la
rencontre d’un air chaud et hu-
mide amené par la Méditerranée,
à basse altitude, avec des vents
plus frais, à plus haute altitude,
provenant de l’Atlantique. En-
suite, de l’humidité, pour « géné-
rer des nuages », et un important
cisaillement vertical des vents,
c’est-à-dire un changement de vi-
tesse ou de direction, « qui permet
aux orages de s’autorégénérer et
de se renforcer », explique M. Fery.
Si ces systèmes peuvent affecter
presque tout l’Hexagone, ils ont
Un très violent
« derecho » avait
balayé la Corse
en 2022 faisant
cinq morts
néanmoins davantage touché le
nord-est et l’est du pays, essen-
tiellement l’été. L’événement
corse se distingue, car c’est le seul,
avec un autre derecho, en 2003, à
avoir eu lieu au-dessus de la mer
et non des terres, plus chaudes. La
température de la Méditerranée,
supérieure de 3 °C aux normales
de saison (1991-2020), a « nourri
ce derecho », selon M. Faranda, de
même que celui de 2003, survenu
lors de l’été le plus chaud jamais
enregistré en France.
Le réchauffement climatique
est-il en cause ? L’étude montre
une augmentation de l’instabilité
de l’atmosphère entre 1992 et
2022, comparée à 1950-1980, « ce
qui a potentiellement pu intensi-
fier les orages », indique M. Fery.
Les auteurs estiment qu’une
grande partie de cette variation
est liée au changement climati-
que, mais ne peuvent l’attribuer
de manière claire. Des facteurs de
variabilité naturelle du climat,
tels que l’oscillation atlantique
multidécennale – variation de la
température de surface de la mer
qui s’étend sur des décennies –,
semblent aussi avoir joué un rôle.
L’évolution future de ces mons-
tres météorologiques est encore
difficile à appréhender, du fait, en
partie, du manque de recul statis-
tique. Mais on sait que le réchauf-
fement climatique augmente la
quantité de chaleur humide.
« Cela donne plus de kérosène, ex-
plique M. Faranda. Si le briquet qui
allume les orages, l’air frais de l’At-
lantique, se maintient dans le fu-
tur, on pourrait avoir des derechos
plus nombreux et intenses. » p
audrey garric

Taïwan subit un puissant Publicité

tremblement de terre
D’une magnitude supérieure à 7, le séisme
a causé au moins 7 morts et 736 blessés
hongkong - correspondance
institutrice à Fuli, petite ville de la
province de Hualien.
En route vers un monde meilleur,
bon pour l’homme et la planète
AVEC LE LANCEMENT DE LA CAMPAGNE MOVING FOOD FORWARD (1) L’ENTREPRISE TETRA PAK INVITE LE MONDE
DE L’AGROALIMENTAIRE, DE LA RECHERCHE, DES ENTREPRISES, LES ONG ET LES POUVOIRS PUBLICS À TOUS

L e plus fort tremblement de

terre depuis un quart de siè-
cle a été ressenti à l’heure de
pointe mercredi 3 avril, au matin, à
Taïwan, causant, selon un premier
Le tremblement de terre a pro-
voqué des glissements de terrain
et l’écroulement d’un large tron-
çon d’autoroute. Des éboule-
ments ont également fermé plu-
LES ÉCHELONS, À SE METTRE COLLECTIVEMENT « EN ROUTE VERS DES SYSTÈMES ALIMENTAIRES SÛRS,
DURABLES ET RÉSILIENTS ».

bilan de l’agence nationale de
lutte anti-incendie, au moins sept
morts et 736 blessés, ainsi que l’ef-
fondrement d’une trentaine d’im-
meubles. La plupart des dégâts
ont eu lieu dans la ville de Hualien
sur la côte est de l’île, située à quel-
ques kilomètres de l’épicentre. Les
secousses ont également été per-
çues à Hongkong et jusqu’aux
provinces côtières de Chine, si-
tuée à environ 350 kilomètres de
l’épicentre, notamment au Fujian
où de violentes secousses ont été
rapportées par les médias locaux.
A Taïwan, tous les services de sé-
curité et de secours, y compris l’ar-
mée, ont été mobilisés. Une alerte
au tsunami a été déclenchée sur
l’île ainsi que dans les archipels du
sud du Japon et dans quatre pro-
vinces des Philippines mais quel-
ques heures après le tremblement
de terre, le risque de tsunami sem-
blait passé, seules de petites va-
gues ayant été enregistrées à
Taïwan et dans le sud du Japon où
aucun blessé ni dégât n’ont été si-
gnalés. Rien de grave non plus en
fin de matinée aux Philippines, où
les habitants de la côte nord
avaient initialement reçu l’ordre
d’évacuer vers les hauteurs.
Glissements de terrain
Selon l’agence taïwanaise de sur-
veillance des tremblements de
terre, ce phénomène a atteint une
magnitude de 7,2, tandis que l’Ins-
titut d’études géologiques des
Etats-Unis (US Geological Survey)
l’a évaluée à 7,4. Le séisme a frappé
à environ 18 kilomètres au sud-
ouest de Hualien à une profon-
deur de 15 kilomètres. Taïwan se
trouve le long de la ceinture de feu
du Pacifique, une ligne de failles
sismiques à la jonction de pla-
ques tectoniques tout autour de
l’océan Pacifique et les tremble-
ments de terre y sont fréquents.
« C’est par l’alarme du téléphone
que nous avons été alertés, mais
nous avons ressenti le tremble-
ment de terre quelques secondes
plus tard car nous sommes la ré-
gion la plus proche de l’épicentre »,
a déclaré au Monde Vicky Huang,
sieurs tunnels dans cette partie
montagneuse de Taïwan. A Taipei,
la capitale située dans le nord-
ouest de l’île, où la plupart des bâ-
timents sont construits avec des
normes antisismiques élevées,
les intérieurs de nombreux im-
meubles, dont le Yuan législatif, le
Parlement, ont été plus ou moins
gravement abîmés. Des toits se
sont effondrés et une petite sec-
tion d’une nouvelle ligne du mé-
tro aérien s’est détachée.
Mais la panique initiale, qui s’est
d’abord traduite par d’impor-
tants bouchons, s’est rapidement
dissipée. Les élèves ont été éva-
cués des écoles, qui venaient juste
d’ouvrir, vers les terrains de sport,
selon une routine bien rodée.
Le temps d’effectuer les inspec-
tions de sécurité nécessaire, tous
les trains de l’île ont été suspendus
mercredi matin. Taipower, le prin-
cipal fournisseur d’électricité a in-
diqué que plus de 87 000 foyers
taïwanais étaient privés d’électri-
cité, et a précisé que les deux cen-
trales nucléaires en activité
n’avaient pas été touchées par la
secousse. Le géant mondial des
semi-conducteurs, TSMC, dont les
centres de production sont plutôt
situés au nord-ouest de l’île, a indi-
qué avoir fait évacuer certaines
usines de fabrication « pour assu-
rer la sécurité du personnel ».
Le pire tremblement de terre que
Taïwan ait connu ces dernières an-
nées remonte à septembre 1999.
D’une magnitude de 7,7, il avait
causé la mort de 2 400 personnes
et environ 100 000 blessés.
Des répliques sismiques conti-
nuaient de se faire sentir à Taïwan
mercredi et les autorités ont ap-
pelé à la plus grande vigilance
pendant les trois prochains jours.
L’une des répliques enregistrées
mercredi matin était d’une ma-
gnitude de 6,5 et d’une profon-
deur de 11,8 kilomètres or les
tremblements de terre moins pro-
fonds ont tendance à causer plus
de dégâts en surface, a fortiori sur
des infrastructures affaiblies par
une première secousse. p
florence de changy
Le secteur de l’agroalimentaire est soumis à deux in-
jonctions qui peuvent paraître contradictoires: nourrir
les humains dans leur totalité – alors que la faim dans
le monde, mesurée par la prévalence de la sous-alimen-
tation, touche plus de 9 % d’entre eux – et protéger la
planète, sachant que son activité génère plus d’un tiers
des émissions de gaz à effet de serre mondiales. Il est
urgent d’agir pour atteindre le deuxième des 17 Objectifs
de Développement Durable définis par l’ONU : celui
d’éradiquer la faim et la malnutrition d’ici 2030, quand
les projections indiquent que près de 600 millions de
personnes seront chroniquement sous-alimentées, dont
la moitié en Afrique, dans le contexte d’une croissance
démographique rapide. L’ambition est de garantir à tous,
partout, une alimentation sûre, nutritive, en quantité
suffisante, en établissant des systèmes de production
durables et résilients. L’implémentation de solutions de
production plus durables, capables notamment de réduire
les déchets alimentaires lors du traitement même des
matières premières, tout comme la mise en place d’em-
ballages adaptés, sont indispensables. Parmi lesquels la
brique alimentaire, une solution d’emballage éprouvée,
peut jouer un rôle de premier plan dans la transition vers
des systèmes alimentaires plus eicaces. Constitué à 75%
de fibres certifiées FSC® en moyenne pour une brique
alimentaire de 1L (données Alliance Carton Nature), ce
mode de conditionnement permet de prolonger jusqu’à
douze mois la durée de conservation des aliments péris-
sables, tout en assurant leur intégrité gustative et nutri-
tionnelle. La brique aseptique facilite en outre leur stockage,
leur transport, leur distribution et donc l’accès du plus grand
nombre à une nourriture saine, y compris dans des zones
reculées, partout dans le monde. Le tout sans besoin de
réfrigération, réduisant ainsi l’impact environnemental
des denrées transportées et sans la nécessité d’ajouter des
conservateurs.
Une campagne multidirectionnelle pour mobiliser tous
les acteurs et au-delà
Mobilisant son expertise dans cette démarche l’entreprise
Tetra Pak, leader mondial des solutions de traitement et de
conditionnement de produits alimentaires de bout en bout,
s’engage aux côtés de ses partenaires pour promouvoir le
développement de systèmes alimentaires plus durables et
résilients. «Tetra Pak travaille de concert avec les acteurs de la chaîne
de valeur agroalimentaire, ain de poser les constats et d’explorer en
profondeur les pistes innovantes pour contribuer à l’amélioration de
l’écosystème alimentaire. L’ambition est de réduire drastiquement les
déchets et le gaspillage alimentaire, qui concerne un tiers des denrées
produites à l’heure actuelle, à la fois au sein des chaînes de production,
lors de l’acheminement des denrées alimentaires mais aussi une fois les
produits en magasin ou chez le consommateur. Chez Tetra Pak, nous
nous sommes engagés à réduire de moitié les pertes de produits sur nos
lignes de traitement et de conditionnement d’ici 2030, en adoptant les
meilleures pratiques disponibles» indique Chakib Kara, Président
France & Benelux Tetra Pak. «Il est indispensable de mobiliser tous
les acteurs du secteur, dont les décideurs publics, ain de promouvoir
la collaboration, l’innovation et les solutions qui permettent de faire
avancer l’accès à une alimentation sûre et durable, au niveau local,
national et international.»
Une position centrale pour participer au changement
collectivement
Sa présence dans plus de 160 pays et sa position au cœur
même de la chaîne de valeur permet à l’entreprise de jouer
un rôle de facilitateur dans la transition de notre modèle
alimentaire en créant des synergies avec les experts du
secteur. En France, l’entreprise compte 650 collaborateurs
et investit massivement dans une logique de durabilité, en
lien avec la vision et les ambitions des autorités locales. L’en-
treprise rejoint également des campagnes de collectes ali-
mentaires, telle que l’opération Lait Solidaire lancée lors du
dernier salon de l’agriculture – l’occasion pour Tetra Pak de
conjuguer ses forces avec la coopérative Agrial, les Banques
Alimentaires et les Restos du Cœur. La brique alimentaire
permet ainsi non seulement l’emballage du lait collecté,
mais également sa longue conservation pour l’accès à un
maximum de personnes dans le besoin.
(1)
Traduction: Faisons évoluer l’industrie alimentaire
8|
FRANCE
0123
JEUDI 4 AVRIL 2024

L
e projet de réforme de
l’assurance-chômage fait
tanguer la majorité. Qua-
tre mois après les débats
sur la loi sur l’immigration qui
avaient divisé les élus macronis-
tes, plusieurs députés du camp
présidentiel font à nouveau en-
tendre une voix dissonante, cette
fois-ci au sujet de la réduction des
droits des demandeurs d’emploi
annoncée par le premier minis-
tre, Gabriel Attal.
La plupart des critiques vien-
nent d’élus de la majorité classés
à l’aile gauche de la majorité.
C’est notamment le cas de la pré-
sidente de l’Assemblée nationale,
Yaël Braun-Pivet, qui a appelé le
gouvernement à temporiser,
mardi 2 avril. Rappelant que le
gouvernement a plusieurs fois
« réformé l’assurance-chômage »
et a « déjà réduit la durée d’indem-
nisation », elle a souligné sur
Franceinfo qu’il fallait « évaluer »
ces réformes avant d’en envisa-
ger une nouvelle. Deux jours plus
tôt, l’ex-ministre des transports,
Clément Beaune, s’était dit « pru-
dent » face à cette nouvelle ré-
forme, alertant sur le risque de
précariser les plus fragiles « si on
allait vers des paramètres qui sont
trop durs ».
Gabriel Attal a confirmé la pré-
paration d’un nouveau tour de
vis pour les chômeurs lors d’un
entretien au « 20 heures » de TF1,
mercredi 27 mars. Une hypothèse Gabriel Attal, lors de la séance de questions au gouvernement à l’Assemblée nationale, mardi 2 avril. MIGUEL MEDINA/AFP
qui est dans les cartons de l’exécu-
tif depuis la fin 2023. Le locataire
de Matignon a annoncé qu’« une

Assurance-chômage : le projet de
vraie réforme globale de l’assuran-
ce-chômage » serait élaborée d’ici
« à l’été », « pour qu’elle puisse
entrer en vigueur à l’automne ».
Cela serait la quatrième depuis
qu’Emmanuel Macron est arrivé à

Gabriel Attal attaqué dans la majorité

l’Elysée, en 2017.
Tout en indiquant qu’un « docu-
ment de cadrage » sera envoyé
aux partenaires sociaux – norma-
lement chargés de définir les rè-
gles d’indemnisation – pour bali-
ser la négociation entre patronat
et syndicats, le premier ministre a
évoqué les pistes envisagées par
l’exécutif : réduction de la durée
d’indemnisation, augmentation
de la durée d’affiliation (le temps
de travail nécessaire pour ouvrir
des droits au chômage) ou baisse
du montant de l’allocation.
Après les réformes de 2018, 2019
et 2023, « il n’est pas forcément de
bonne méthode de réformer aussi
rapidement, à nouveau, un point
majeur sans qu’on ait pu regarder
les effets produits par la précé-
dente réforme », a souligné Yaël
Braun-Pivet, mardi.
Conscient des remous provo-
qués dans les rangs de la majorité
par ses déclarations, Gabriel Attal
est venu justifier son projet lors
de la réunion hebdomadaire du
groupe Renaissance à l’Assem-
blée nationale, mardi 2 avril au
matin. Le chef du gouvernement
a ainsi défendu une réforme de-
vant « inciter au travail », sans
avoir nécessairement pour but de
faire des économies. Une réponse
aux critiques du député Renais-
sance de la Vienne Sacha Houlié,
qui avait jugé, dimanche 31 mars,
sur le plateau du « Grand jury »
RTL-Le Figaro-M6, que la « moti-
vation » de la réforme « n’est pas le
retour à l’emploi », mais « une me-
sure d’économies ». « Est-ce que je
pense qu’il faut faire une mesure
d’économies sur les chômeurs
aujourd’hui ? Je ne le pense pas », a
ajouté le président de la commis-
« Il faut faire
attention à cette
petite musique
qui s’installe
entre les bons et
les mauvais
Français »
ASTRID PANOSYAN-BOUVET
députée Renaissance de Paris
Plusieurs députés macronistes contestent le bien-fondé d’un nouveau tour de vis
sion des lois, figure de l’aile gau-
che de la majorité. « Le seul qui
parle de mesure d’économies, c’est
toi Sacha, a rétorqué le premier
ministre, mardi. Ni moi ni les
membres du gouvernement n’ont
utilisé ces mots. »
Restriction budgétaire
Pas sûr cependant que sa ré-
ponse dissipe tous les doutes,
tant la réforme a d’abord été évo-
quée et souhaitée par le ministre
de l’économie, dès fin 2023. « Ce
n’est pas une réforme financière, a
toutefois assuré Bruno Le Maire,
samedi, à Ouest-France. Nous ne
la faisons pas pour faire des éco-
nomies, mais pour parvenir au
plein-emploi, c’est-à-dire 5 % de
taux de chômage. »
Il n’empêche que l’urgence avec
laquelle l’exécutif tient à réfor-
mer le régime intervient dans un
contexte de restriction budgé-
taire, alors que la France a accusé
un déficit de 5,5 % du produit in-
térieur brut en 2023 – contre
4,9 % initialement prévu. De quoi
faire craindre à l’exécutif une
éventuelle dégradation de la note
de la dette du pays par les deux
agences de notation, Fitch et
Moody’s, qui doivent rendre leur
verdict le 26 avril.
Mardi, lors de la séance de
questions au gouvernement à
l’Assemblée nationale, le député
Renaissance des Français de
l’étranger Marc Ferracci a redit
que la réforme « ne doit pas avoir
pour but premier de faire des éco-
nomies, mais d’améliorer le ni-
veau et la qualité de l’emploi », in-
vitant le gouvernement à propo-
ser une « réforme efficace et
juste ». « C’est grâce à l’emploi que
nous pourrons désendetter le
pays », avait avancé Gabriel Attal
le matin même, jurant ne pas
s’en prendre aux chômeurs,
« mais à un système qui a conduit
au chômage de masse ».
Plusieurs députés s’inquiètent
par ailleurs que la nouvelle ré-
forme remette en cause une pro-
messe de campagne du président
de la République. « A chaque fois
que la conjoncture s’améliore, on
doit avoir des règles qui réincitent
encore davantage au retour à
l’emploi, déclarait Emmanuel
Macron en mars 2022. A chaque
fois que la conjoncture se dégrade,
on doit mieux protéger celles et
ceux qui tombent dans une situa-
tion de chômage. »
La réforme adoptée fin 2022 a
donc instauré le principe de
« contracyclicité » : un durcisse-
ment des conditions d’indemni-
sations des chômeurs lorsque le
marché du travail se porte bien et
un assouplissement quand il se
dégrade, plus précisément lors-
que le taux de chômage passe au-
dessus de 9 %. Mis en œuvre en fé-
vrier 2023, alors que le chômage
était à son plus bas, à 7,1 %, le dis-
positif a conduit à une réduction
de 25 % de la durée d’indemnisa-
tion, passant de vingt-quatre à
dix-huit mois pour les moins de
53 ans. Mais alors que le chômage
remonte depuis un an, en s’éle-
vant désormais à 7,5 %, le gouver-
nement envisage un nouveau
durcissement des règles.
« Est-ce qu’il faut une nouvelle
réforme sur ce sujet alors même
qu’on constate que le chômage ne
baisse plus ? », s’est ainsi inter-
rogé Sacha Houlié. Mais le pre-
mier ministre ne compte pas
changer de ligne. « Ce n’est pas
parce que le chômage augmente
qu’il faut arrêter de mener des ré-
formes structurelles », précise-
t-on dans son entourage. Un
conseiller de l’exécutif assure
que le projet de réforme ne remet
pas en cause la contracyclicité :
Sacha Houlié,
élu Renaissance,
juge que la
« motivation » de
la réforme « n’est
pas le retour à
l’emploi »
« La modulation doit s’appliquer
selon de nouvelles règles, on ne
l’abandonne pas, on la revoit. »
Des voix s’élèvent plus généra-
lement contre le principe même
d’une réforme de l’assurance-
chômage. « La question du travail
et de l’emploi doit être vue dans
son ensemble, avance Astrid Pa-
nosyan-Bouvet. Si un seul levier,
celui de l’assurance-chômage, est
activé, on rate la cible. » La dépu-
tée Renaissance de Paris consi-
dère qu’il faut « parler de tous les
sujets », comme les trappes à bas
salaires, les freins périphériques à
l’emploi (logement, transport et
garde d’enfant).
Parler aux classes moyennes
Macroniste de la première heure,
l’élue réfute également l’idée que
le modèle français serait « le plus
généreux du monde ». « Il est cer-
tes très protecteur, avec une durée
d’indemnisation longue et des
conditions d’éligibilité assez basse,
mais le taux de remplacement [le
pourcentage de salaire versé]
n’est pas du tout le plus élevé »,
tient-elle à rappeler. « On peut
tout regarder, mais il faut aussi
parler de l’attractivité des métiers,
des conditions de rémunérations
et des conditions de travail », juge
également la présidente (Renais-
sance) de la commission des af-
faires sociales de l’Assemblée,
Charlotte Parmentier-Lecocq.
Mardi matin, lors de la réunion
avec le groupe macroniste à l’As-
semblée, si le premier ministre a
assuré ne pas vouloir « stigmati-
ser les chômeurs », il en a profité
pour rappeler sa volonté de parler
aux classes moyennes, la « majo-
rité silencieuse », ces Français « qui
bossent et qui ont l’impression
que les efforts leur sont deman-
dés ». Devant les députés Renais-
sance, l’ancien ministre de l’édu-
cation a répété qu’il faut « leur en-
voyer un message et montrer que
nous valorisons le travail ».
Une opposition entre deux ca-
tégories de Français que certains
députés de la majorité jugent
dangereuse. « Il faut faire atten-
tion à cette petite musique qui
s’installe entre les bons et les mau-
vais Français », met en garde As-
trid Panosyan-Bouvet. « Ce n’est
pas en appauvrissant certains
qu’on améliorera le sort des clas-
ses moyennes, c’est en offrant des
opportunités économiques à
tous », complète-t-elle.
A Matignon, on assure que les
voix discordantes ne sont pas lé-
gion et qu’une large partie de la
majorité soutient le projet du
gouvernement. Gabriel Attal a
souligné que son initiative n’était
pas rejetée dans l’opinion publi-
que, prenant peu de risque de ce
côté-là, tant les Français ne se mo-
bilisent jamais sur ces sujets.
Mettant en avant l’absence d’« un
raz de marée contre la réforme »
dans les sondages, le premier mi-
nistre en a conclu qu’il y a donc
« une forme de lucidité dans la
société ». Un argument qui de-
vrait toutefois peiner à convain-
cre, puisque le gouvernement, il y
a un an, était resté sourd aux étu-
des d’opinion qui faisaient état de
la large opposition des Français à
la réforme des retraites. p
thibaud métais
LES DATES
1ER OCTOBRE 2018
Changement de système
Les cotisations salariales sur le
régime de l’assurance-chômage
sont supprimées. Elles sont
remplacées par une part de
contribution sociale généralisée.
1ER JANVIER 2019
Des radiations plus systéma-
tiques Le fait de ne pas se
rendre à un rendez-vous avec un
conseiller entraîne un mois de
radiation. Deux refus d’une « of-
fre raisonnable d’emploi » provo-
que la suppression de l’alloca-
tion-chômage pendant un mois.
1ER DÉCEMBRE 2021
La durée d’affiliation aug-
mente Il faut désormais avoir
travaillé six mois, contre quatre
auparavant, sur les vingt-quatre
derniers mois pour ouvrir des
droits au chômage. Le gouverne-
ment instaure également un dis-
positif de dégressivité des allo-
cations pour les hauts revenus.
1ER FÉVRIER 2023
Une modulation de la durée
d’indemnisation selon le taux
de chômage Un mécanisme
« contracyclique » module la
durée d’indemnisation en
fonction de l’état de santé
du marché de l’emploi.
0123
JEUDI 4 AVRIL 2024
Le Maire-Philippe, la course au sérieux budgétaire
Le ministre de l’économie et le maire du Havre revendiquent leur refus de recourir à des hausses d’impôts
sandouville (seine-maritime) -
envoyé spécial
D
ans les allées de l’usine
Renault de Sandou-
ville (Seine-Maritime),
l’uniforme rétrofutu-
riste bleu pétrole dont le ministre
de l’économie, Bruno Le Maire, et
l’ancien premier ministre
Edouard Philippe sont affublés les
ferait presque passer pour deux
frères. Leur grande taille aussi
– 1,91 mètre pour le premier,
1,89 mètre pour le second – quand
ils se penchent en avant, parfaite-
ment synchronisés, pour prêter
l’oreille à une ouvrière qui leur ar-
rive à peine à la poitrine.
La ressemblance entre les deux
hommes n’est pas seulement une
affaire de silhouette. Ce vendredi
29 mars au matin, les deux poten-
tiels candidats à l’élection prési-
dentielle de 2027 – tous deux is-
sus de la droite – veulent profiter
de cette visite pour défendre
leurs vues sur la réduction de la
dette publique. Avec le même
mot d’ordre : ne pas recourir à des
hausses d’impôts alors que le
gouvernement cherche des pistes
d’économie et de recettes après
l’annonce d’un déficit de 5,5 % du
produit intérieur brut en 2023, au
lieu des 4,9 % attendus.
Menacée de fermeture au début
des années 2010 et devenue la vi-
trine de la politique de réindustria-
lisation du gouvernement, l’usine
Renault de Sandouville leur en
offre le prétexte : 550 nouvelles
embauches et 330 millions d’euros
d’investissement ont été promis
par l’entreprise pour les quatre an-
nées à venir, grâce « d’abord à des
décisions fiscales », selon Bruno
Le Maire. « La baisse des impôts de
production, c’est un cadeau qui est
fait à l’industrie française et c’est un
cadeau qui est fait aux ouvriers,
poursuit-il devant un parterre de
dirigeants, de cadres et d’ouvriers,
venus écouter sa conférence de
presse au milieu des chaînes d’as-
semblage. Il fallait les baisser d’ur-
gence. Nous l’avons fait et nous al-
lons continuer. »
Différences subtiles
Le ministre de l’économie rappelle
également son opposition à toute
taxation des « superprofits » et des
rachats d’action, sous le prétexte
que cela pénaliserait l’actionnariat
salarié. « Tous ceux qui nous disent
qu’il faut augmenter l’imposition
des dividendes et le prélèvement
forfaitaire unique oublient qu’ils
Nouvelle-Calédonie : le projet de loi constitutionnelle adopté au Sénat
Le texte, qui élargit le corps électoral calédonien pour les élections provinciales d’ici à 2025, a été significativement amendé par les oppositions
C’ est un projet de loi
constitutionnelle sur
la Nouvelle-Calédonie
sérieusement amendé, et ce
contre l’avis du gouvernement,
qui a été adopté mardi 2 avril par
le Sénat (233 voix pour, 99 con-
tre), lors d’un vote solennel. Le
texte élargit le corps électoral ca-
lédonien pour les prochaines
élections provinciales du terri-
toire d’ici à 2025, un scrutin cru-
cial dont dépendent le Parlement
local et le gouvernement de
Nouméa, aujourd’hui dirigés par
les indépendantistes.
Le sujet du corps électoral, dont
le ministre de l’intérieur, Gérald
Darmanin, pousse la réforme
depuis des mois sous la pression
des loyalistes, demeure très sensi-
ble. Les listes avaient été gelées
par dérogation constitutionnelle
en 2007 au nom d’une politique
de rééquilibrage en faveur des Ka-
nak : le sujet se trouve au cœur du
pacte calédonien depuis les ac-
cords de Matignon de 1988 entre
Edouard Philippe
fustige
les « coups de
rabot », « un peu
sur tout », qui
« ne produisent
pas grand-chose
d’intelligent »
vont augmenter les impôts des
salariés actionnaires », abonde-t-il,
sous le regard de Luca de Meo, le
directeur général de Renault, dont
le revenu est estimé à
5 297 829 euros pour l’exercice
2023, parmi lesquels 1,9 million
d’euros d’action.
Alors que cette position est de
plus en plus contestée au sein du
gouvernement, le locataire de
Bercy peut compter sur le soutien
d’Edouard Philippe, venu l’accom-
pagner en sa qualité de maire
du Havre. « Je suis tout à fait d’ac-
cord avec Bruno Le Maire », ap-
prouve-t-il, lors d’un point presse
à ses côtés.
Trois jours plus tôt, mardi
26 mars, le sujet du déficit public a
été au centre d’une réunion du bu-
reau politique de son parti, Hori-
zons. Après avoir écouté les pro-
positions et les remarques de ses
cadres, Edouard Philippe a rap-
pelé le cap qui était le sien : exclure
le recours à tout nouvel impôt qui,
selon lui, se ferait automatique-
ment au détriment de la consom-
mation des ménages et de la com-
pétitivité des entreprises. Quant à
une taxe sur les « superprofits » et
les « superdividendes », il estime
qu’elle ne « serait pas à la hauteur
de l’enjeu » et relèverait de « l’anec-
dotique et du symbolique », rap-
porte un participant.
Mais derrière l’alignement entre
l’ancien chef du gouvernement et
celui qui était son ministre de
l’économie de 2017 à 2020, des dif-
férences subtiles se font jour,
quand elles ne prennent pas la
forme de critiques en creux. A San-
douville, lors de son micro tendu
devant la presse, Edouard Philippe
fustige « les coups de rabot », « un
peu sur tout », qui « font mal tout le
temps » et qui « ne produisent pas
grand-chose d’intelligent ». Ce dont
est précisément accusé Bruno
Le Maire, après avoir décrété, le
18 février, un plan de 10 milliards
d’euros d’annulations de crédit sur
le budget de l’Etat. « Ces 10 mil-
la droite locale et le Front de libé-
ration kanak et socialiste.
La commission des lois du Sénat,
sous la houlette de Philippe Bas et
de François-Noël Buffet, tous deux
membres du groupe Les Républi-
cains, a convaincu les centristes et
le Rassemblement national (RN)
de soutenir plusieurs amende-
ments pour desserrer le calendrier
voulu par l’exécutif.
Accusé de « passage en force »
par les oppositions de gauche,
M. Darmanin espérait un accord
politique sur le futur statut d’ici au
1er juillet, ainsi que des élections
provinciales d’ici au 15 décembre
ou repoussées si besoin jus-
qu’en 2025, par décret. Un amen-
dement a supprimé cette habilita-
tion du pouvoir réglementaire, ce
qui a beaucoup irrité le ministre
de l’intérieur – lui soulignait les
« risques démocratiques » de ne
pouvoir tenir les élections prévues
initialement en mai 2024 dans un
délai raisonnable. « Nous avons été
unanimes à dire non au fait de pri-
Bruno Le Maire et Edouard Philippe, à l’hôtel de ville du Havre (Seine-Maritime), le 29 mars. LOU BENOIST/AFP
liards ne sont pas un coup de rabot
mais un frein d’urgence », s’était-il
défendu auprès du Monde.
Plus tôt en conférence de presse,
M. Philippe avait déjà plaidé pour
« la nécessité d’investissements
exceptionnels dans l’enseignement
supérieur », alors que ce ministère
a vu 904 millions d’euros retran-
chés de son budget. Ces critiques à
demi-mot interviennent après
que l’ex-premier ministre a déjà
déclaré, fin février dans L’Opinion,
dans un entretien consacré aux fi-
nances publiques : « Aujourd’hui,
le problème, c’est qu’on ne réforme
pas grand-chose. »
« Le dernier qui est venu ici en tant
que ministre, il est devenu prési-
dent ! », lance un responsable de la
CFDT aux duettistes, en référence
à la visite d’Emmanuel Macron
dans l’usine en 2014. « C’est ce qui
s’appelle maximiser ses chances ! »,
lui réplique Edouard Philippe, qui
ne cache pas ses ambitions pour la
présidentielle de 2027. M. Le Maire,
quant à lui, n’a pas (encore) officia-
lisé sa volonté de concourir au
scrutin élyséen. Mais ses déclara-
tions, notamment la sortie en
ver le Parlement de ses prérogati-
ves », a insisté M. Buffet mardi.
Le vote solennel du Sénat inter-
vient alors que la tension politi-
que monte à Nouméa, sur fond de
crise du secteur du nickel et d’ab-
sence d’accord sur le futur statut
du territoire, en débat depuis deux
ans. Les deux camps se sont comp-
tés en défilant, bloc contre bloc, le
28 mars. L’occasion pour Sonia
Backès, cheffe de file des loyalistes
et ancienne secrétaire d’Etat
auprès du ministre de l’intérieur,
de lancer : « Le bordel, c’est nous qui
le mettrons si on essaie de nous
marcher dessus. »
L’engagement de
Gérald Darmanin
sur le dossier
est reconnu,
mais sa méthode
rejetée
france | 9
mars de son livre programmati- l’un de l’autre sur ce sujet central bitrages sur le budget se font en mil-
que La Voie française (Flamma- pour leur socle électoral. liards d’euros » alors qu’ils étaient
rion, 160 pages, 15 euros), laissent Les prévisions à la hausse sur le de l’ordre « de quelques dizaines de
peu de doute sur ses intentions. déficit 2024 permettent à M. Phi- millions d’euros » quand M. Phi-
lippe de prendre du champ en ali- lippe était aux affaires.
Un « grand non-dit » mentant le narratif d’une dette qui « Personne n’a intérêt à commen-
Outre leur âge – 53 ans pour le pre- se serait creusée depuis son dé- cer à se tirer dans les pattes sur le
mier, 54 ans pour le second – et part. « Avant la crise due au Covid, sujet des dépenses publiques », ré-
leur carrière politique commen- nous avions entamé un processus torque le député Renaissance du
cée à l’UMP (l’ancien nom du parti d’assainissement des finances pu- Bas-Rhin Charles Sitzenstuhl, qui
Les Républicains, LR), les deux bliques qui a réussi, vante son ex- fut conseiller de M. Le Maire au mi-
hommes ont aussi en commun conseiller à Matignon, l’eurodé- nistère de l’économie, rappelant
d’avoir fait du sérieux budgé- puté (Renew) Gilles Boyer. Il faut que « toutes les composantes de la
taire leur marqueur politique. Ils regarder ce qu’il s’est passé depuis. » majorité ont voté tous les budgets
doivent cependant se démarquer Il dit « avoir l’impression que les ar- présentés par Bruno Le Maire ». A
Bercy, on rappelle que le ministre
n’a jamais cessé d’alerter le gou-
Budget : Attal lance une mission vernement sur l’aggravation du
déficit, sans avoir été entendu.
« sur la taxation des rentes » « Nous avons un responsable
Une mission de la majorité fera, « d’ici à juin », des propositions dont personne ne parle, c’est Em-
« sur la taxation des rentes », a annoncé Gabriel Attal, mardi manuel Macron », insiste l’ex-diri-
2 avril, devant le groupe Renaissance à l’Assemblée nationale, geant de l’UMP Jean-François
alors que la question de l’augmentation des impôts pour résor- Copé. Avant de lancer sur un ton
ber le déficit divise le camp présidentiel. Le chef du gouverne- accusateur : « C’est le grand non-dit
ment a souhaité que « toute la majorité soit associée » à ce travail de cette affaire. Bruno Le Maire a
conduit par le député macroniste du Gers Jean-René Cazeneuve, alerté sur la dégradation des finan-
rapporteur général du budget au Palais-Bourbon. « On doit avan- ces publiques, Edouard Philippe
cer de manière coordonnée », a déclaré M. Attal, en précisant que avant lui, et Macron n’en a jamais
le gouvernement envisageait toujours de ramener le déficit à 3 % rien eu à faire. » p
du PIB en 2027, malgré son dérapage inédit à 5,5 % en 2023. robin d’angelo
Lundi, à Nouméa, les indépen-
dantistes ont massivement mobi-
lisé contre la réforme. Des consi-
gnes de calme avaient été passées.
« Les discours très électoralistes,
Guévenoux. L’accord sur les futu-
res relations de la Nouvelle-Calé-
donie avec la France semblant tou-
jours hors de portée, d’autres ap-
pellent à une initiative politique.
Nouvelle-Calédonie a en effet tou-
jours été pilotée à Matignon, avant
d’être confiée par Emmanuel Ma-
cron au ministre de l’intérieur. Le
projet de loi constitutionnelle sur
c’est dommage, cela est valable Philippe Bonnecarrère (Union le corps électoral sera examiné par
pour nous aussi », a indiqué mardi centriste) suggère « une action des l’Assemblée nationale à partir de
Robert Xowie, premier indépen- parlementaires ». Mais le groupe début mai, pour une seule lecture.
dantiste élu au Sénat avec un de contact créé par Gérard Larcher, Un chemin à hauts risques, afin
maire calédonien de droite, Geor- avec les présidents de groupe et les d’obtenir un vote dans les mêmes
ges Naturel (qui a rejoint Les Répu- deux sénateurs calédoniens, n’a termes et, ainsi, permettre au chef
blicains), grâce à un accord passé à pas réussi depuis octobre 2023 à de l’Etat de convoquer un Congrès
deux pour écarter Mme Backès. Les auditionner Gérald Darmanin, pour faire adopter la révision.
loyalistes manifesteront de nou- malgré plusieurs invitations. A gauche, les oppositions rejet-
veau le 13 avril. tent le texte – même amendé – en
L’engagement de Gérald Darma- Un chemin à hauts risques dénonçant la démarche « unilaté-
nin sur le dossier est reconnu, Au nom du groupe de la majorité rale » de l’Etat. La droite approuve
mais sa méthode aujourd’hui reje- présidentielle, Olivier Bitz a salué le dégel du corps électoral. Mais
tée. Le sénateur Xowie réclame « l’excellent travail de Philippe Bas » s’il fait part de sa « confiance » en-
« une médiation » pour sortir du et a, lui, appelé « une mission de vers Les Républicains, le sénateur
blocage dans lequel se sont enfer- dialogue comme celle menée par le Georges Naturel indique aussi :
més les uns et les autres : « Le résul- préfet Christian Blanc » lors des « Je me bats pour qu’on ne mêle pas
tat du vote d’aujourd’hui, c’est un événements de 1988. A l’instar de le dossier calédonien à nos débats
texte amendé, à lui d’en tirer les la socialiste Corinne Narassiguin, de l’Hexagone. » Le RN pourrait se
conséquences. » En déplacement à M. Bitz réclame un retour du dos- faire entendre : Marine Le Pen a
Singapour, M. Darmanin avait été sier calédonien « à l’attention du fait du sujet calédonien son do-
remplacé sur le banc par la minis- premier ministre ». Jusqu’au dé- maine réservé. p
tre déléguée aux outre-mer, Marie part d’Edouard Philippe, la nathalie guibert
10 | france 0123
JEUDI 4 AVRIL 2024

La campagne
européenne
poussive
des écologistes
En mal de notoriété, la tête de liste
des Verts, Marie Toussaint, peine
à enclencher une dynamique
favorable, à deux mois du scrutin

P
roduire, produire », cra-
chote la sono installée,
jeudi 28 mars, par
l’équipe de campagne de
Marie Toussaint devant la tour de
TotalEnergies, sur le parvis de la
Défense. « Nous avons pensé que
cela nous rendrait plus forts et plus
heureux, nous nous sommes trom-
pés », poursuit la voix. Des dan-
seurs tout en noir s’agenouillent à
chaque mention des destructions
du vivant imputées au groupe pé-
trolier. Quatre mois après le cours
de booty therapy (danse sensuelle
du bassin), qui avait lancé en dé-
cembre leur campagne pour les
élections européennes, les Verts
récidivent, assumant d’illustrer
leur projet politique par une nou-
velle performance artistique. Au
risque de provoquer un nouveau
procès en déconnexion.
La chorégraphie s’achève – les
danseurs sont en vert – et la tête de
liste des écologistes pour le scrutin
du 9 juin vient présenter ce qu’elle
revendique comme une mesure
phare de sa campagne : la création
d’un fonds de souveraineté euro-
péen pour prendre des parts majo-
ritaires dans les grandes entrepri-
ses pétro-gazières du continent,
afin de les forcer à s’aligner sur les
objectifs de réduction des émis-
sions de gaz à effet de serre préci-
sés dans l’accord de Paris de 2015.
Une sorte de nationalisation mas-
sive au niveau européen, pilotée
par la Banque européenne de dé-
veloppement.
Marie Toussaint assure que les
dernières interprétations du droit
européen permettent d’agir en ce
sens au nom de la défense du cli-
mat. Sur ce projet à 100 milliards
d’euros, Marine Tondelier, nu-
méro un des Verts, devance les
critiques en utopisme : « Dans dix
ans, cette mesure paraîtra nor-
male à tout le monde. »
A deux mois du scrutin, les éco-
logistes restent confrontés à leur
éternel dilemme : comment in-
carner la défense de l’environne-
ment tout en élargissant leur
champ de compétences, ainsi que
leur électorat ? Un choix difficile,
à l’heure où la défense de l’envi-
ronnement n’est plus un sujet Marie Toussaint et Marine Tondelier à la Défense, à Courbevoie (Hauts-de-Seine), le 28 mars. THOMAS SAMSON / AFP
consensuel, mais parfois un re-
poussoir politique, instrumenta-
lisé par l’extrême droite à l’échelle nute. Il y a cinq ans, Yannick Jadot Sans idolâtrie, l’Europe est une des Fille de militants d’ATD Quart
européenne. « Plus personne ne se avait réalisé un score inattendu constructions humaines les plus
« On aimerait Monde, Marie Toussaint a pour-
revendique de l’écologie, il n’y a de 13,5 %. « En 2019, on partait de incroyables jamais faites », encou- que ça décolle ! tant tenté de lancer sa campagne
plus que nous pour porter le fer zéro. Un premier sondage un an et rage la députée de Paris Sandrine sur les questions de justice so-
contre les attaques de la majorité, demi avant nous donnait à 3,5 % », Rousseau. Un décollage ? « Tout le
ll faut que Marie ciale. En janvier, elle avait mis sur
qui nous a fait passer de l’ère des se remémore l’eurodéputé David monde l’espère, tout le monde l’at- assume d’être la table la question de la lutte
petits pas à celle des grands re- Cormand, candidat à sa réélec- tend », reconnaît Alain Coulom- contre la « pauvrophobie ». Un
culs », estime Marie Toussaint. tion, qui se dit « pas très inquiet ». bel, membre du bureau exécutif
pro-européenne » concept complexe qui avait sus-
« C’est la coalition du déni : plus on Sauf que la situation n’est pas tout du parti, évoquant une « alchimie SANDRINE ROUSSEAU cité la raillerie des « insoumis ».
avance dans le dur sur le dérègle- à fait comparable : en 2019, la liste que personne ne maîtrise ». « Ma- députée EELV de Paris Marie Toussaint s’attelle à une tâ-
ment climatique, plus on a de ré- socialiste, déjà menée par Ra- rie Toussaint a voulu faire une che compliquée, celle de parler
sistance », se désole l’une des figu- phaël Glucksmann, était large- campagne très pacifiante, peut- d’écologie tout en s’aventurant
res tutélaires du parti, Noël ment derrière celle des Verts. être que cette tactique ne permet dée par le conseil fédéral du sur des terrains risqués, comme
Mamère, qui avait réalisé 5,25 % à Aujourd’hui, elle la devance de pas de percer le mur des mé- 13 avril). Cette créatrice d’une en- l’industrie ou l’agriculture. « C’est
la présidentielle de 2002. trois points, alors que les deux dias… », poursuit-il. treprise engagée dans la transition un dosage permanent, juge San-
forces se disputent le même élec- En mal de notoriété, la candi- écologique se présente comme es- drine Rousseau. Il faut parler de
Le pari Flora Ghebali torat pro-européen. date peine d’autant plus à se faire sayiste et connaît son petit succès tout, y compris d’environnement,
Malgré un contexte difficile et des Chez les Verts, on tente de se ras- entendre qu’elle conduit sa pre- médiatique. Chroniqueuse dans mais pas que d’environnement
sondages peu favorables (8,5 % se- surer en observant que la campa- mière campagne électorale, à l’op- l’émission « Les Grandes Gueules » non plus. »
lon le dernier baromètre Ipsos gne commence à peine. « On posé de Raphaël Glucksmann et sur RMC, elle participe régulière- Ces derniers mois, Marie Tous-
pour Le Monde, publié le 11 mars), aimerait que ça décolle ! ll faut que de Manon Aubry (La France in- ment à « C ce soir », sur France 5. saint a également subi les départs
les écologistes espèrent profiter Marie assume d’être pro-euro- soumise, LFI), plus aguerris. Noël de plusieurs membres de son
d’une dynamique de dernière mi- péenne. Il faut y aller sur la fierté ! Mamère aimerait aussi que « les « Il faut parler de tout » parti pour aller faire la campagne
écologistes soient beaucoup plus Avant de trouver un accord avec de LFI : ce fut le cas de l’eurodé-
visibles », considérant qu’il « faut les Verts, celle qui fut communi- puté Damien Carême, du député
Julien Bayou démissionne d’EELV des figures pour porter » cette cante à l’Elysée pendant le mandat Aurélien Taché, pourtant rattaché
cause. Sandrine Rousseau se sou- de François Hollande avait tâté le au groupe écologiste à l’Assem-
et de son groupe à l’Assemblée vient que « les plus gros scores » terrain auprès de Raphaël Glucks- blée nationale, et de l’ex-prési-
L’ex-dirigeant d’Europe Ecologie-Les Verts (EELV) Julien Bayou a réalisés par les Verts avaient été mann. Mais la discussion n’avait dente des Jeunes Ecologistes
démissionné du parti et du groupe écologiste à l’Assemblée na- favorisés par la présence de per- pas abouti. Le CV de la nouvelle ve- Camille Hachez. Pas de quoi dé-
tionale, a-t-on appris mardi 2 avril. Le 5 mars, son ancienne com- sonnalités telles que « José Bové, nue alimente ceux qui pointent le courager David Cormand, qui
pagne, Anaïs Leleux, avait annoncé porter plainte contre lui pour Eva Joly ou Daniel Cohn-Bendit ». décalage entre le discours de s’attendait « à pire ». Après Total,
« harcèlement moral » et « abus frauduleux de l’état de faiblesse ». Marine Tondelier cornaque donc Marie Toussaint autour de l’« éco- Marie Toussaint se rendra, jeudi
Le député était en retrait depuis, mais n’avait pas été suspendu de près sa candidate, se tenant en logie populaire » et une campagne 4 avril, en Bretagne pour un nou-
par son groupe à l’Assemblée. Cette décision, prise à la suite d’un permanence à ses côtés. orientée vers les « bobos » des mé- veau déplacement de campagne.
vote interne, avait été critiquée notamment par la députée San- Visiblement soucieuse de don- tropoles. L’écologiste Bénédicte Elle espère réconcilier dans le
drine Rousseau et les Jeunes Ecologistes. EELV avait annoncé un ner plus de résonance à sa campa- Monville, également candidate Morbihan environnement, accès
peu plus tôt l’ouverture d’une enquête externe par un cabinet gne, Marie Toussaint s’apprête à aux européennes, n’a pas attendu au logement et tourisme. p
spécialiste des violences sexistes et sexuelles, « doté de compéten- accueillir sur sa liste Flora Ghebali pour la qualifier d’« influenceuse julie carriat
ces juridiques », afin « d’établir un rapport ». (son arrivée doit encore être vali- de l’écologie bourgeoise ». et sandrine cassini

Pierre Hurmic : « J’assume de faire de la sécurité une priorité »

Elu de la vague Verte de 2020, le maire écologiste de Bordeaux revendique de vouloir signer des engagements réciproques avec l’Etat

Où en est-on sur le contrat de l’accord de Thomas Cazenave, un pour des caméras, mais validées n’est pas uniquement des opéra- que les Bordelais commencent à
ENTRETIEN sécurité intégrée que Bordeaux de mes opposants municipaux, par un comité d’éthique. Et finan- tions coup-de-poing. Il en faut s’en rendre compte.
bordeaux - correspondante
se dit disposé à signer avec qui a aussi la spécificité d’être mi- cées par l’Etat au-delà des 40 % ac- dans certains quartiers. Mais il ne

P ierre Hurmic, maire de

Bordeaux, qui n’a jamais eu
de responsabilités chez
les Verts, est « adepte d’une écolo-
gie pragmatique ».
l’Etat, afin de lutter contre
la délinquance dans le cadre
d’une « approche globale »
(sécurité, justice, politique
de la ville, éducation… ) ?
nistre délégué chargé des comptes
publics. Or, ce n’est pas à un élu
d’opposition, fût-il ministre, de
donner son accord !
tuels, à hauteur de 80 %. Ce point
reste en suspens.

Que pensez-vous des

Au niveau national, les Verts
se retrouvent régulièrement
accusés d’angélisme sur les su-
jets de sécurité. Et vous, com-
ment vous positionnez-vous ?
Je me sens indépendant des pri-
ses de position des Verts et des af-
fectations partisanes. En tant que
maire de Bordeaux, je suis adepte
d’une écologie à la bordelaise :
émancipée, inventive, humaniste
et pragmatique. Cela ne me gêne
pas, donc, sur des sujets, quels
qu’ils soient, de ne pas être en os-
mose avec les positions nationa-
les. Je n’ai jamais eu de responsabi-
lité chez les Verts, ni localement ni
nationalement, et je cultive cette
indépendance qui m’a aidé à deve-
nir maire de Bordeaux.
Loin des idées reçues sur les mai-
res écolos, j’assume de faire de la
sécurité une priorité. Le ministère
de l’intérieur propose aux maires
de signer un contrat de sécurité in-
tégrée, c’est-à-dire des obligations
et engagements réciproques entre
l’Etat et la mairie. Cela fait deux
ans environ que j’ai fait part de
mon souhait de le signer. Cela a pu
surprendre qu’un maire écolo
veuille signer. Mais je suis un par-
tenaire exigeant : je veux bien
prendre des engagements, s’il y en
a également du côté de l’Etat.
Aujourd’hui, nos propositions,
travaillées avec la préfecture, sont
sur le bureau du ministre de l’inté-
rieur depuis six mois. Je n’arrive
pas à obtenir de réponse, même
un refus. J’ai entendu qu’il fallait
Sur le fond, quels points
posent problème ?
Là où ça achoppe, c’est sur la pré-
sence de policiers sur le terrain.
Dès le début de la discussion, j’ai
dit être prêt à engager davantage
de policiers municipaux à Bor-
deaux (avec une progression ac-
tuelle de dix créations de postes
par an). En contrepartie, j’ai de-
mandé d’engager autant de poli-
ciers nationaux. Depuis le début
du mandat, il y a 140 nouveaux po-
liciers sur la zone de police de Bor-
deaux, qui s’étend jusqu’à Arca-
chon, mais ce n’est pas suffisant.
L’autre point d’achoppement, ce
sont les caméras de vidéo-
surveillance. Quand j’étais dans
l’opposition, je n’y étais pas favo-
rable. Aujourd’hui, je suis d’accord
opérations « Place nette XXL »,
menées sur le territoire natio-
nal contre le trafic de drogue ?
Il y a beaucoup de communica-
tion autour de ces opérations,
qui peuvent être utiles contre des
points de deal enkystés. Mais je
suis assez d’accord avec ce que di-
sent les associations : la lutte con-
tre le trafic de drogue est un travail
de longue haleine, de proximité, ce
« Je me sens
indépendant des
prises de position
des Verts et
des affectations
partisanes »
faut pas laisser croire aux gens que
c’est à la hauteur de la situation. Il y
a aussi une lutte à mener contre
les addictions, un traitement du
problème en amont par la préven-
tion et la médiation.
Comment imposer l’écologie
dans le débat politique ?
Le thème reste secondaire,
malgré la réalité du dérègle-
ment climatique…
Le gouvernement recule jour
après jour sur cette thématique.
Donc, le sujet a du mal à s’imposer
nationalement. Mais, localement,
je suis souvent interpellé. Toute
politique municipale est exami-
née à l’aune du défi climatique. Pas
un investissement n’est décidé
sans que l’on étudie quelles seront
ses conséquences écologiques et
climatiques. Entre la végéta-
lisation des rues, la place donnée
au vélo et aux transports en
commun, j’ai tendance à penser
Vous faites partie des maires
de la vague verte de 2020…
Quel avenir y a-t-il pour
ces élus à l’heure de la montée
du climatoscepticisme ?
On est là pour rester mais aussi
pour faire nos preuves. Quand on
a été élus, on a eu des procès en
sorcellerie, comme cette histoire
de sapin de Noël qui a empoi-
sonné la première partie de mon
mandat. Pendant la campagne
électorale, souvenez-vous, on a eu
toute une coalition anticlimat
contre nous. Bordeaux était, avant
mon élection, depuis soixante-
treize ans à droite, enkystée dans
le camp conservateur. Les Borde-
lais réalisent désormais que leur
ville est en train de changer. Quel-
que 44 % de la population a moins
de 30 ans. C’est une ville jeune, une
ville de la génération climat, nous
avons le devoir d’y répondre. p
propos recueillis par
j. ca.et claire mayer
0123
JEUDI 4 AVRIL 2024
Groupes de niveau au collège : le
plan du ministère pour recruter
Pour mettre en place la mesure, 2 330 postes d’enseignants sont nécessaires Une partie des professeurs réclame de ne plus
L
a question bruisse jusque
sur les bancs de la majo-
rité et dans les couloirs
du ministère de l’éduca-
tion nationale : ce dernier aura-
t-il les moyens de mettre en
œuvre les groupes de niveau – dé-
sormais officiellement dénom-
més « groupes de besoin » – dont
il a acté la création ? La ministre
Nicole Belloubet, sans nier l’épi-
neux enjeu du recrutement, se
veut rassurante. « Je suis certaine
que nous aurons les moyens de
mettre en place les groupes de ni-
veau », a-t-elle encore certifié sur
France Inter mardi 26 mars.
Mais un document interne de la
direction des ressources humai-
nes du ministère, révélé par AEF
info et que Le Monde s’est procuré,
témoigne de la préoccupation de
l’hôtel de Rochechouart, le siège
du ministère, face au manque
d’enseignants, alors que 2 330 pos-
tes sont nécessaires pour créer les
groupes. Au moins 830 doivent
être créés, les 1 500 autres résul-
tant théoriquement des moyens
dégagés par la suppression d’une
heure de cours hebdomadaire
pour tous les élèves de 6e.
Dans un courrier adressé aux
recteurs et daté du 28 mars, le di-
recteur général des ressources
humaines, Boris Melmoux-Eude,
prévient ainsi que la rentrée 2024
se prépare, comme les années
précédentes, « dans un contexte
de tension particulièrement élevée
sur la ressource disponible et les vi-
viers existants », d’autant que les
groupes en 6e et en 5e nécessitent
des « besoins disciplinaires impor-
tants » en lettres et en mathéma-
Mortalité maternelle : une femme meurt
tous les quatre jours en France
Selon un rapport paru mercredi, 60 % de ces décès sont considérés comme évitables
L a mortalité maternelle ne
baisse pas en France. Le rap-
port de l’enquête nationale
confidentielle sur les morts ma-
ternelles, rendu public mercredi
3 avril par Santé publique France
et l’Institut national de la santé et
de la recherche médicale (Inserm),
fait état de 272 décès maternels
sur la période 2016-2018, soit une
femme tous les quatre jours. « La
mortalité maternelle reste rare,
mais il faut rester vigilant, résume
Catherine Deneux-Tharaux, di-
rectrice de recherche à l’Inserm et
responsable scientifique de l’en-
quête, car un certain nombre de
facteurs de risques comme l’âge ou
l’obésité chez les femmes enceintes
sont de plus en plus fréquents. Ces
événements disent aussi quelque
chose de notre système de santé. »
Selon les experts (épidémiolo-
gistes, gynécologues obstétri-
ciens, sages-femmes, anesthésis-
tes-réanimateurs, psychiatres et
médecins internistes) qui ont
analysé ces décès, 60 % d’entre
eux sont considérés comme
« probablement » (17 %) ou « possi-
blement » (43 %) évitables.
Pour mesurer cette mortalité,
tous les décès survenus pendant
la grossesse – à quarante-deux
jours (une référence ancienne qui
historiquement correspondait au
retour des règles) et jusqu’à un an
suivant sa fin, comme le recom-
mande l’Organisation mondiale
de la santé (OMS) – ont été pris en
compte, et ce, quelle que soit la
cause de la mort, liée à la gros-
sesse, l’accouchement et leurs
suites. « Cette période jusqu’à un
an est d’autant plus importante
tiques. Pour les couvrir, le direc-
teur général des ressources hu-
maines en appelle à des « solu-
tions innovantes », entérinant le
postulat que les titulaires recru-
tés par concours ne suffiront pas.
Le nombre de candidats en 2024
est légèrement moins élevé
qu’en 2023 et s’est effondré de-
puis 2021, laissant des milliers de
postes vacants à l’issue des épreu-
ves. Les mathématiques et les let-
tres sont deux disciplines dites
« déficitaires » depuis des années :
en 2023, seuls 47 des 134 postes
ouverts en lettres classiques ont
pu être pourvus, 606 sur 755 en
lettres modernes, et 790 sur 1 040
en mathématiques. Le volume de
postes ouverts en 2024 dans ces
matières n’a en outre pas été aug-
menté en dépit des besoins sup-
plémentaires – il a même baissé
en lettres.
« Bricolage en série »
Dans l’optique de combler les
manques et de pourvoir « un
maximum de postes » dès le jour
de la rentrée, la direction générale
des ressources humaines pro-
pose plusieurs solutions dans son
plan de préparation de la rentrée.
Le ministère devra d’abord em-
baucher davantage de personnels
contractuels pour créer les grou-
pes de niveau, ce qu’a plusieurs
fois assumé Nicole Belloubet.
En parallèle, le ministère invite
les académies à également « favo-
riser le recours aux professeurs des
écoles » pour intervenir au collège.
L’institution va lancer pour cela
une campagne complémentaire
afin d’inviter les enseignants du
Nombre de décès maternels survenus pendant la grossesse,
l’accouchement ou l’année suivant la fin de la grossesse,
en France, entre 2016 et 2018, selon les causes
Causes
obstétricales
directes 99
(dont 20 hémorragies
272
obstétricales)
décès
Causes
obstétricales
91
indirectes
(dont 39 maladies
cardiovasculaires)
Source : Enquête nationale confidentielle sur les morts maternelles (ENCMM)
que l’OMS met l’accent sur l’impor-
tance de la santé mentale des fem-
mes et que la plupart des suicides
surviennent au-delà de ces qua-
rante-deux jours », précise-t-elle.
Avec quarante-cinq décès, le sui-
cide est désormais la première
cause de mortalité jusqu’à un an,
le pic survenant vers quatre à cinq
mois après l’accouchement. L’un
des leviers pour éviter ces décès
est d’agir, selon la directrice de
l’Inserm, sur une meilleure con-
naissance des signes de mauvaise
santé mentale par tous les inter-
venants. « Et pour les femmes qui
ont déjà des antécédents psychia-
triques et planifient une grossesse,
il faut créer un parcours de soins
coordonné entre les médecins de
ville et ceux de la maternité », sou-
ligne-t-elle. Dans les autres causes
indirectes de mortalité mater-
nelle, les décès liés aux maladies
Face au manque
de professeurs, le
ministère devra
embaucher
davantage
de personnels
contractuels
premier degré qui le souhaitent à
demander leur détachement dans
le secondaire et d’y enseigner les
mathématiques ou le français.
Cette possibilité sera également
ouverte aux professeurs des éco-
les actuellement en disponibilité,
faute d’avoir obtenu leur muta-
tion pour suivre leur conjoint – ils
seraient plusieurs milliers –, et
« qui pourraient rejoindre leur
académie de préférence via un dé-
tachement dans le corps des pro-
fesseurs certifiés ». Une hypothèse
qui révolte le SNUipp-FSU, pre-
mier syndicat dans les écoles.
« On envisage de dépouiller le pre-
mier degré alors que nous avons
besoin d’enseignants, notamment
pour les remplacements », s’in-
surge Guislaine David, cosecré-
taire générale et porte-parole, dé-
nonçant également un « contour-
nement des règles de mutation ».
Le directeur général des res-
sources humaines incite égale-
ment les rectorats à recourir aux
plus de 1 000 enseignants de let-
tres et mathématiques partis à la
retraite au cours de l’année sco-
laire. « Afin de mobiliser ce vivier
habituellement peu enclin à se
Causes
psychiatriques
(dont 45 suicides)
47
35 Causes
inconnues
Infographie Le Monde
cardiovasculaires (trente-neuf
cas) viennent en deuxième posi-
tion. Mais ces pathologies repré-
sentent la première cause de mor-
talité à quarante-deux jours.
Le risque augmente avec l’âge
Parmi les causes directes, les dé-
cès à la suite d’une hémorragie
obstétricale restent stables par
rapport à la période 2013-2015,
alors que la France avait connu
une baisse de moitié en quinze
ans. Avec une vingtaine de cas,
cette complication demeure l’une
des principales causes de morta-
lité (vingt cas), plaçant le pays
dans la fourchette haute des pays
européens. « On sait que l’on peut
faire beaucoup mieux en amélio-
rant l’organisation des soins », af-
firme Catherine Deneux-Tharaux.
Sur le volet des inégalités socio-
démographiques, ils tirent les
réinvestir, les académies pourront
leur proposer un temps d’interven-
tion limité dans le temps, mais as-
sorti d’une rémunération attrac-
tive », précise le document. Le mi-
nistère avait déjà fait appel aux
enseignants retraités pour assu-
rer les remplacements lors de la
crise du Covid-19.
Pour Sophie Vénétitay, à la tête
du SNES-FSU, premier syndicat du
secondaire, ce plan de préparation
de la rentrée « est révélateur de
l’état de crise de l’éducation natio-
nale qui ne recrute définitivement
plus assez » ainsi que « du fossé en-
tre la parole politique et la réalité
du terrain ». « Gabriel Attal promet
depuis décembre qu’il y aura les
moyens de mettre en œuvre sa po-
litique, mais c’est faux et le minis-
tère en est réduit à du bricolage en
série pour essayer de colmater les
brèches », tance la responsable
syndicale. La crise d’attractivité du
métier enseignant constitue quoi
qu’il en soit un deuxième écueil
majeur pour la mesure phare du
« choc des savoirs », toujours lar-
gement rejetée par les personnels
de l’éducation nationale et les pa-
rents d’élèves, qui dénoncent tant
la philosophie des groupes de ni-
veaux que le manque de moyens
pour les mettre en œuvre.
De nouveau appelés à la mobili-
sation, mardi 2 avril, contre cette
politique, environ 7 % des ensei-
gnants étaient en grève ; une pro-
portion qui a atteint près de 15 %
dans les collèges selon le minis-
tère. Le SNES-FSU a, lui, annoncé
36 % d’enseignants mobilisés
dans les collèges et lycées. p
éléa pommiers
mêmes conclusions que lors de
l’édition précédente : le risque de
mortalité maternelle augmente
avec l’âge des femmes de façon
marquée. Il est multiplié par 2,6
pour celles de 35 ans à 39 ans (39 %
des décès), grimpe à 5 fois à partir
de 40 ans (13 % des décès). Un
constat d’autant plus inquiétant
que ce surrisque n’a pas diminué
depuis 2006 et que les grossesses
après 35 ans sont plus nombreu-
ses. « A partir d’un certain âge, les
complications sont plus fréquen-
tes, et lorsqu’il y a complication, la
capacité du corps pour lutter con-
tre cet événement est moins
bonne, rappelle la chercheuse.
Néanmoins, si ces femmes sont
plus nombreuses et plus à risques,
elles ne meurent pas plus, notre
système de soins arrivant à com-
penser cette hausse du risque. »
Autre facteur d’inégalité, le pays
de naissance : 33 % des femmes
mortes étaient des migrantes et,
parmi celles-ci, celles nées en Afri-
que subsaharienne ont 3,1 fois
plus de risque de mourir que cel-
les nées en France, reflétant des
difficultés et une moins bonne
qualité de suivi prénatal. La vul-
nérabilité sociale joue aussi un
rôle dans la mortalité maternelle.
Ainsi, cette fragilité se retrouve
chez 34 % des femmes mortes,
contre 24 % dans la population to-
tale des femmes enceintes. Les
femmes obèses payent aussi un
lourd tribut : elles représentent
26 % des décès, soit une propor-
tion deux fois plus importante
que dans la population totale des
parturientes. p
nathalie brafman
A l’école de design
Camondo, la longue
grève d’enseignants
dépendre de la convention de l’animation
D ans le milieu du design,
elle est bien connue.
L’école Camondo a
formé de grands noms tels Phi-
lippe Starck, Elisabeth Garouste,
Jean-Michel Wilmotte. L’établisse-
ment a une particularité : il est
adossé au Musée des arts décora-
tifs au sein d’une association loi
1901 reconnue d’utilité publique.
Une chance pour ses 350 étu-
diants qui bénéficient d’un accès
privilégié aux collections et déve-
loppent des projets pédagogiques
autour de la muséographie.
Mais l’adossement au musée a
un revers. L’école Camondo ne
jouit d’aucune personnalité juridi-
que et ses enseignants – pour la
plupart des architectes et des desi-
gners – dépendent de la conven-
tion collective à laquelle l’ensem-
ble des salariés du Musée des arts
décoratifs sont affiliés : la conven-
tion de l’éducation, de la culture,
des loisirs et de l’animation au ser-
vice des territoires. « Cette conven-
tion ne correspond pas strictement
à l’activité reconnue d’enseigne-
ment supérieur de l’école Ca-
mondo, souligne Vincent Tordj-
man, représentant de la CGT qui y
enseigne la scénographie. Et elle
n’est pas appliquée à la lettre puis-
que pour les professeurs, en prin-
cipe, le contrat intermittent [où se
succèdent périodes travaillées et
non travaillées] n’est pas autorisé. »
Depuis le 13 février, à l’appel de la
CGT, entre 20 % (selon la direction)
et 40 % (selon la CGT) des profes-
seurs sont en grève, perturbant la
scolarité des étudiants. Inquiets
de ces « tensions », des parents ont
adressé une lettre à la direction le
10 mars, pointant le grand nom-
bre d’heures de cours perdues.
Le sujet des heures « induites »
Les grévistes demandent une re-
définition du contrat d’enseignant
appuyée sur un cadre d’emploi à
temps plein qui ferait référence, à
l’instar de ce qui existe dans les
établissements d’enseignement
supérieur. Avec un argument
phare : si Camondo se prévaut de
délivrer un diplôme visé par le mi-
nistère de l’enseignement supé-
rieur et conférant le grade de mas-
ter depuis huit ans, alors l’école
doit en adopter tous les standards.
A l’université et dans les écoles
publiques, un enseignant-cher-
cheur doit ainsi exercer 192 heu-
res par an et la loi prévoit qu’une
heure de travaux dirigés avec des
étudiants correspond à 4,2 heures
de travail effectif. A Camondo,
seules les heures dispensées de-
vant les élèves sont rémunérées,
sans décompter précisément les
« heures induites » nécessaires à
la préparation des cours et à la
correction des travaux.
« Les grévistes s’attachent au mo-
dèle des écoles publiques mais Ca-
mondo est privée, tranche Isabelle
Waquet, déléguée UNSA, syndicat
majoritaire au sein de l’associa-
tion des Arts décoratifs, pour qui
la demande d’un temps plein n’est
pas justifiée. Son ADN repose pré-
cisément sur des professionnels re-
connus pour leurs savoir-faire qui
ne sont pas nécessairement diplô-
més de l’enseignement supérieur. »
Cet « ADN » n’a pourtant pas
empêché l’école d’obtenir,
en 2016, le visa du ministère de
« Les grévistes
s’attachent au
modèle des
écoles publiques,
mais Camondo
est privée »
ISABELLE WAQUET
déléguée UNSA
france | 11
En 2016,
le ministère
a conféré
à l’école
d’architecture
d’intérieur le
grade de master
l’enseignement supérieur en re-
connaissance de la qualité géné-
rale de sa formation. Mieux, le
ministère a conféré au diplôme le
grade de master, en faisant la pre-
mière école d’architecture d’inté-
rieur privée à bénéficier de ce ni-
veau de reconnaissance.
« Emploi permanent »
Pour en arriver là, il a fallu mon-
trer patte blanche. Ont été scrutés
plusieurs critères parmi lesquels
le contenu de la scolarité, les acti-
vités de recherche, l’adéquation
au marché du travail, l’ouverture
à l’international mais aussi les
moyens matériels et humains,
notamment le nombre de profes-
seurs permanents.
En 2016, pour son dossier de can-
didature, la direction avait choisi
de s’appuyer sur le statut des en-
seignants des écoles nationales
supérieures d’architecture (ENSA)
qui prévoit un temps plein d’ensei-
gnement de 320 heures annuelles.
Résultait de ce calcul une « estima-
tion » : à l’école Camondo, dix en-
seignants pouvaient à cette date
être ainsi qualifiés de « perma-
nents », avançait alors l’école en lis-
tant leurs noms dans le dossier.
« La direction, à cette époque,
avait simplement voulu faire une
comparaison avec les ENSA et cela
a engendré une incompréhension
sur le mot “permanent” qui évo-
que simplement la stabilité de la
maquette pédagogique », défend
Mme Waquet. Fin 2023, en revan-
che, le dossier de renouvellement
du grade de master transmis au
ministère – qui a été accepté jus-
qu’en 2027 – ne mentionnait plus
la présence d’enseignants à
temps plein sur 320 heures, affir-
me-t-elle.
Dans les prérequis pour obtenir
le grade de master, « c’est la ques-
tion de l’“emploi permanent” qui
prime, et nous sommes au rendez-
vous, puisque la majorité de nos
enseignants sont en CDI », estime
de son côté la directrice de l’école,
Michèle Dard. « On ne nous de-
mande pas un référentiel de temps
de travail, mais un nombre de sa-
lariés en CDI et une maquette pé-
dagogique », affirme-t-elle. Elle
promet également une « montée
en compétences » dans les années
à venir, notamment sur le volet
de la recherche en architecture
d’intérieur, « une discipline dont le
cadre est encore à travailler ».
Le flou entretenu depuis des an-
nées sur le temps de travail reste
le talon d’Achille de l’école, selon
les enseignants grévistes, tous en
CDI. La direction a proposé, le
29 mars, un accord reconnaissant
11 heures de travail induites pour
24 heures d’enseignement hebdo-
madaires, ainsi qu’une annualisa-
tion du statut d’enseignant pro-
fessionnel. Seule l’UNSA l’a signé.
Pour la CGT, qui reconduit la
grève pour la septième semaine
de suite, cet accord ne répond pas
aux enjeux, les enseignants
n’étant pas perçus comme de
« vrais professeurs ». « Sur la fa-
çade, il est pourtant indiqué que
Camondo est une école et non pas
un centre de formation, relève un
tract. Combien de temps la direc-
tion refusera-t-elle de conformer
son modèle contractuel à son mo-
dèle académique ? » p
soazig le nevé
12 | france
Pour les violences sexuelles,
86 % de classements sans suite
Les données des années 2012 à 2021 ont été décortiquées dans une étude
D
e nouveaux chiffres
s’invitent dans le débat
actuel sur la perti-
nence ou non d’intro-
duire la notion de consentement
dans la définition du viol. Selon
une note inédite de l’Institut des
politiques publiques, dévoilée
mercredi 3 avril, le taux de classe-
ment sans suite s’élève en effet à
86 % dans les affaires de violences
sexuelles, atteignant même 94 %
pour les viols. En cause, majoritai-
rement : des infractions « insuffi-
samment caractérisées ».
L’autrice, Maëlle Stricot, docto-
rante à l’Ecole d’économie de Paris
et affiliée à l’Institut des politiques
publiques, a décortiqué un mil-
lion d’affaires de violences sexuel-
les et de violences conjugales trai-
tées par les parquets entre 2012 et
2021 – une décennie marquée par
un afflux sans précédent de ces
dossiers après 2017, dans le sillage
de #metoo. Un tiers du corpus
concerne des faits de violences
sexuelles (viols, agressions sexuel-
les, harcèlement sexuel) et deux
tiers des violences conjugales.
Prenant des formes diverses
(violences physiques, psychologi-
ques, emprise…), ces dernières
s’inscrivent en général dans des
logiques de domination au sein
du couple. La chercheuse s’est in-
téressée à leur traitement judi-
ciaire, depuis le dépôt de plainte
ou le procès-verbal, jusqu’au clas-
sement sans suite ou le passage au
tribunal correctionnel ou en juri-
diction pour mineurs. Les viols –
peu nombreux – jugés aux assises
ou ayant fait l’objet d’un non-lieu
ne sont pas étudiés.
Des traits communs apparais-
sent dans tous ces dossiers. Leur
dimension genrée, déjà largement
documentée, est une nouvelle fois
Des vêtements retrouvés, mais la mort
d’Emile toujours inexpliquée
Le procureur de la République d’Aix-en-Provence ne privilégie aucune hypothèse
le vernet (alpes-de-haute-
provence), aix-en-provence
(bouches-du-rhône) -
envoyé spécial
D e nouvelles découvertes,
mais toujours un mys-
tère. Mardi 2 avril, en fin
d’après-midi, le procureur de la Ré-
publique d’Aix-en-Provence (Bou-
ches-du-Rhône), Jean-Luc Bla-
chon, a tenu une conférence de
presse pour faire le point sur les re-
cherches liées à la mort d’Emile So-
leil, âgé de 2 ans et demi lors de sa
disparition le 8 juillet 2023 au
Haut-Vernet (Alpes-de-Haute-Pro-
vence). Le magistrat a notamment
révélé que des vêtements du petit
garçon, à savoir un tee-shirt, des
chaussures et une culotte ont été
retrouvés lundi 1er avril le long d’un
ruisseau à proximité du hameau.
Ces nouveaux éléments ont été
envoyés au centre de l’Institut de
recherche criminelle de la gendar-
merie nationale à Pontoise
(Val-d’Oise) pour des analyses,
dont les résultats ne sont pas en-
core connus.
Les effets personnels d’Emile
ont été trouvés à environ 150 mè-
tres en contrebas d’un chemin où
une randonneuse avait déjà dé-
couvert le crâne du garçon, sa-
medi 30 mars en milieu de jour-
née. Un chemin qu’elle avait déjà
emprunté un mois auparavant,
sans rien déceler. « Perturbée par
cette découverte », selon les mots
du procureur, la promeneuse s’est
incontestable : « En moyenne, 83 %
de l’ensemble des victimes de vio-
lences sexuelles dont le sexe est
connu sont des femmes, et ce chif-
fre s’élève à 91 % pour les violences
conjugales. » A l’inverse, sur les
970 000 personnes mises en
cause sur la période, « la grande
majorité sont des hommes (94 %
pour les violences sexuelles et 88 %
pour les violences conjugales) ».
Quand les auteurs sont poursui-
vis, ils sont souvent condamnés,
relève par ailleurs la note. Mais la
publication s’attache surtout à
mettre en lumière le nombre im-
portant de classements sans suite
que rencontrent ces situations, un
aspect régulièrement dénoncé par
les victimes et leurs soutiens. Et ce,
à juste titre : leur taux est élevé
non seulement pour les violences
sexuelles, mais aussi pour les vio-
lences conjugales, atteignant 72 %
en moyenne pour ces dernières
sur l’ensemble de la période consi-
dérée par l’Institut.
Manque de preuves
Sauf qu’à rebours des idées re-
çues, l’étude souligne aussi que le
faible taux de poursuite corrélé
n’est pas spécifique à ces procédu-
res ; on relève ainsi 81 % de classe-
ments sans suite pour les infrac-
tions impliquant des personnes
physiques sans lien avec les vio-
lences faites aux femmes (cam-
briolages, vols, destructions de
biens…). Et même, souligne
l’autrice, un taux de 85 % pour les
autres atteintes à la personne (vio-
lences physiques, menaces…).
Il existe une différence de taille
concernant les violences sexuelles
et conjugales. Dans la grande ma-
jorité des cas, et contrairement
aux autres procédures, l’auteur
des faits est connu et identifié.
saisie du crâne, en prenant soin de
ne pas le souiller, l’a placé dans un
sac en plastique, est rentrée chez
elle puis a appelé la gendarmerie.
Son témoignage est jugé « fiable »
par le parquet.
La randonneuse a, par la suite,
indiqué aux forces de l’ordre l’en-
droit de sa trouvaille, à vingt-cinq
minutes à pied du village du Ver-
net. « Il s’agit d’un chemin forestier
étroit. Il ne présente pas en tant que
tel de difficultés majeures, si ce n’est
que, dans le sous-bois, le terrain est
de part et d’autre très pentu », a
précisé Jean-Luc Blachon.
Comment se fait-il que ces osse-
ments n’aient pas été détectés
plus tôt par les gendarmes, les ri-
verains, les drones, les chiens pis-
teurs, les caméras thermiques des
hélicoptères mobilisés dès la dis-
parition d’Emile ? D’autant que la
zone où le crâne a été découvert
avait bien été quadrillée par les
premières recherches. « A ce mo-
ment-là, nous sommes en juillet, la
végétation est dense et haute, la to-
La promeneuse
s’est saisie du
crâne, en prenant
soin de ne pas
le souiller, et l’a
placé dans un sac
en plastique
« N’oublions
pas que
près de 90 %
des victimes
connaissent
leur agresseur »
ISABELLE ROME
magistrate et ex-ministre
Pour ces violences de l’intime, le
motif principal est, en effet, le clas-
sement « pour infraction insuffi-
samment caractérisée », ce qui ne
signifie nullement que l’infraction
n’a pas eu lieu, mais qu’on man-
que de preuves pour sanctionner
l’auteur présumé. « Cela repré-
sente 57 % des classements sans
suite dans les affaires de violences
sexuelles et 43 % pour les affaires de
violences conjugales, contre 33 %
des classements pour les autres af-
faires d’atteinte à la personne »,
précise Maëlle Stricot.
S’il existe des points communs
dans toutes ces affaires, la publica-
tion, en observant les évolutions
sur dix ans, éclaire aussi les diffé-
rences importantes de trajectoi-
res. Ainsi, les violences conjugales,
véritable contentieux de masse
devenu au fil des années un enjeu
majeur des politiques pénales,
voient leur taux de classement
sans suite diminuer sensible-
ment ; de 76 % en 2016, il est
passé à 67 % en 2020. Dans le
même temps, la part de viols clas-
sés est, elle, passée de 82 % en 2012
à 94 % en 2020.
Plusieurs pistes d’explication
sont avancées par Mme Stricot, qui
évoque « d’une part l’augmenta-
tion du nombre d’affaires, surtout
pographie est difficile, le terrain en
dehors des chemins est très es-
carpé, avec des pentes naturelles
avoisinant 30 % », a justifié le pro-
cureur de la République, ajoutant
que les températures estivales ont
pu brouiller les pistes des chiens
des gendarmes.
Attendre que la science parle
Surtout, impossible pour l’instant
de dire « si le corps d’Emile était
déjà présent dans la zone couverte
par les recherches entreprises ini-
tialement et, s’il y était, s’il aurait
été nécessairement découvert ».
L’hypothèse selon laquelle le crâne
aurait été déplacé récemment
n’est pas exclue par le parquet. Et si
c’est le cas, par qui ? Une per-
sonne ? Un animal ? Les intempé-
ries ? Le mystère reste entier.
Sur le terrain, les fouilles se pour-
suivront au moins mercredi et
peut-être plus. « Le temps qu’il fau-
dra », répètent inlassablement les
gendarmes. Le hameau du Haut-
Vernet reste inaccessible, sauf
pour ses habitants, jusqu’à diman-
che, à la suite d’un arrêté munici-
pal. Les enquêteurs attendent que
la science parle désormais. Les pre-
mières analyses du crâne ont ré-
vélé « de petites fractures et des fis-
sures post mortem », a déclaré Jean-
Luc Blachon, mais « aucun trau-
matisme ante mortem ». Des traces
de morsure ont été relevées, mais
possiblement de nature animale.
Si les analyses témoignent que
les os n’ont pas été enfouis et ont
depuis 2017, qui conduit sans doute
à la dénonciation de faits plus an-
ciens de violences sexuelles, donc
plus difficiles à prouver ». Mais
aussi, face à ce volume accru, « on
peut émettre l’hypothèse que les
moyens de la justice n’ont pas été
proportionnellement renforcés, et
que les parquets concentrent donc
leurs efforts sur les affaires de vio-
lences conjugales, qui sont en géné-
ral plus faciles à prouver ».
Selon la magistrate Isabelle
Rome, autrice de La Fin de l’impu-
nité (Stock, 192 pages, 19,50 euros),
« ce qui est compliqué c’est que le
viol n’existe aujourd’hui que par la
seule preuve de la violence, de la
contrainte, de la menace ou de la
surprise ». Pour l’ancienne minis-
tre chargée de l’égalité entre les
femmes et les hommes, il est donc
nécessaire désormais de « chan-
ger de braquet » dans l’appréhen-
sion de ce crime, en élargissant sa
définition pour y introduire la no-
tion de non-consentement. « Le
postulat de départ devrait être de
considérer que tout acte sexuel
doit être librement consenti, obser-
ve-t-elle. Il faut rappeler que céder
n’est pas consentir, n’oublions pas
que près de 90 % des victimes de
violences sexuelles connaissent
leur agresseur. »
Se réjouissant que la société ait,
ces dernières années, « franchi un
cap dans son appréhension des vio-
lences intrafamiliales », Mme Rome
appelle de ses vœux un tel change-
ment sur les violences sexuelles.
Le 8 mars, le président de la Répu-
blique, Emmanuel Macron, a lui-
même ouvert la porte à l’entrée du
consentement dans la définition
pénale du viol. Les conclusions
d’une mission parlementaire sur
le sujet sont attendues sous peu. p
solène cordier
été exposés aux intempéries, elles
ne permettent pas encore de dire
quelle est la cause de la mort
d’Emile Soleil. « Entre la chute de
l’enfant, l’homicide involontaire et
le meurtre, on ne peut toujours pas
privilégier une hypothèse plus
qu’une autre. Ce n’est satisfaisant
pour personne, ni pour la famille ni
pour les enquêteurs ou les juges
d’instruction. Mais nos impatien-
ces respectives ne sauraient nous
imposer des conclusions hâtives »,
a conclu le magistrat, comme
pour prévenir tout risque d’em-
ballement médiatique.
En préambule de la conférence
de presse, le procureur de la Répu-
blique d’Aix-en-Provence avait
tenu à exprimer son soutien aux
parents et à la famille du petit gar-
çon, « qui continuent de vivre des
heures douloureuses avec une di-
gnité et une retenue qui nous invi-
tent tous au respect de cette dou-
leur mais aussi à la mesure ». Il n’a,
en revanche, pas souhaité donner
de précisions sur la mise en situa-
tion du 28 mars au Haut-Vernet,
reconstitution visant à contextua-
liser et matérialiser les déclara-
tions des témoins directs et indi-
rects lors de la disparition de l’en-
fant le 8 juillet. Il a simplement
confirmé qu’il n’y avait aucun lien
entre cette étape de l’enquête et la
découverte du crâne. L’informa-
tion judiciaire reste toujours
ouverte pour des faits d’« enlève-
ment » et de « séquestration ». p
robin richardot
Réquisitoire accablant
au procès de l’attentat
de Strasbourg
Le ministère public a demandé, mardi,
trente ans de réclusion criminelle à l’encontre
du principal accusé, Audrey Mondjehi
P endant près de six heures,
le ministère public a pa-
tiemment enroulé son ré-
quisitoire autour de l’accusé,
comme un boa resserrant ses an-
neaux autour de sa proie. Une
lente et suffocante étreinte au
terme de laquelle il a demandé à
la cour d’assises spéciale de Paris,
mardi 2 avril, de condamner
Audrey Mondjehi, le principal ac-
cusé au procès de l’attentat du
marché de Noël de Strasbourg, à
une « peine lourde » : trente ans de
réclusion pour « association de
malfaiteurs terroriste » et « com-
plicité d’assassinats terroristes ».
Le Parquet national antiterro-
riste (PNAT) a dressé un portrait
accablant d’Audrey Mond-
jehi pour expliquer sa sévérité :
« Si nous nous en étions tenus à la
gravité des faits, nous nous serions
arrêtés à vingt-cinq ans. Mais la
peine prend aussi en considération
la personnalité de l’accusé… » Un
accusé de 42 ans déjà condamné
vingt-quatre fois, qui « s’autocon-
forte dans ses mensonges » et
« n’éprouve pas une once de culpa-
bilité » alors qu’il est « celui qui a
fourni l’arme à l’assaillant ».
Rappeur amateur et délin-
quant, Audrey Mondjehi est jugé
pour avoir fourni plusieurs ar-
mes à un ami de quartier, le terro-
riste Cherif Chekatt, dont le pisto-
let avec lequel ce dernier a assas-
siné cinq passants, le 11 décem-
bre 2018. Tout l’enjeu du procès
était de savoir s’il était conscient
de la radicalisation du tueur, ce
qui fonderait l’« association de
malfaiteurs terroriste », voire de
son projet d’attentat, ce qui ca-
ractériserait la « complicité d’as-
sassinats terroristes ».
Cercles concentriques
L’accusation a donc procédé par
cercles concentriques pour tenter
de démontrer sa double culpabi-
lité. Durant trois mois, entre sep-
tembre 2018 et le jour de l’attentat,
l’accusé a servi d’« intermédiaire
zélé » pour fournir des armes au
tueur : une kalachnikov défec-
tueuse, un revolver, une grenade
et enfin le pistolet avec lequel il
passera à l’acte. Mais savait-il que
Cherif Chekatt était radicalisé ?
Audrey Mondjehi affirme qu’il a
passé ces trois mois avec le terro-
riste pour tuer le temps, qu’ils ne
parlaient « de rien de spécial » et
qu’il n’était donc pas au courant
qu’il était djihadiste. « Menson-
ges ! », cingle le PNAT, qui rappelle
que Cherif Chekatt ne se cachait
pas de ses sympathies idéologi-
ques auprès de ses proches, au
point que plusieurs avaient refusé
de l’aider à trouver des armes.
Audrey Mondjehi, lui, a fré-
quenté assidûment le terroriste
durant ces trois mois, leur relation
était « ancienne, intense et exclu-
sive », insiste le Parquet antiterro-
riste. « C’est tout le contraire d’une
relation creuse. C’est la preuve d’un
intérêt commun, voire d’un projet
commun. Audrey Mondjehi appa-
raît comme le seul ayant répondu à
la demande de fourniture d’armes.
Il ne peut ignorer ce que ça veut dire
de remettre une, puis deux, puis
trois, puis quatre armes à un indi-
EN FAN C E
Une nouvelle direction
à la tête de la Ciivise
Près de deux mois après la dé-
mission de Sébastien Boueilh
de la tête de la Commission
indépendante sur l’inceste et
les violences sexuelles faites
aux enfants (Ciivise), une
nouvelle direction prend la
tête de l’instance, a indiqué au
Figaro, mercredi 3 avril, Sarah
0123
JEUDI 4 AVRIL 2024
vidu radicalisé. » Voilà pour l’« as-
sociation de malfaiteurs terro-
riste ». Les faits sur lesquels s’ap-
puie l’accusation pour étayer la
« complicité d’assassinats terroris-
tes » se déroulent le jour de l’atten-
tat. Le 11 décembre 2018 au petit
matin, les gendarmes mènent
une perquisition chez Cherif Che-
katt dans le cadre d’une affaire de
braquage. Le terroriste n’est pas
chez lui. Mais son père, lui-même
islamiste, l’appelle : il le prévient
que les « chiens » le recherchent.
Cherif Chekatt est à la rue. Il sait
que les gendarmes ont trouvé
chez lui une grenade et un revol-
ver, et peut-être, après avoir ex-
ploité sa clé USB, la vidéo de reven-
dication de son attentat en prépa-
ration. Cette perquisition va « pré-
cipiter » son passage à l’acte,
explique le PNAT : le djihadiste ap-
pelle alors Audrey Mondjehi pour
lui demander de lui trouver une
nouvelle arme, le pistolet qui fera
cinq morts et onze blessés.
« Tu vas entendre parler de moi »
« Cherif Chekatt est en cavale, et la
seule personne en qui il a con-
fiance, c’est Audrey Mondjehi, qu’il
appelle aussitôt ! Mondjehi sait
que son ami est recherché, qu’il est
aux abois, il voit son empresse-
ment à chercher une autre arme, et
il décide de l’aider ! Mondjehi est
décidément un ami qui lui veut du
bien, il le réarme ! Il est présent
pendant les trois mois de prépara-
tion, il est présent le 11 décembre,
au moment de la complicité, il est
présent à tous les moments ! »
Cette « complicité », l’accusation
la décèle aussi dans les derniers
moments que l’accusé a passés
avec le terroriste après lui avoir
procuré son pistolet : « Nous som-
mes le 11 décembre à 12 h 40, Audrey
Mondjehi, à bord de son Audi
orange, dépose son ami Cherif Che-
katt à un arrêt de tram. Il sait qu’il
est radicalisé, il sait qu’il est recher-
ché par les gendarmes, il sait que
son ami sort de la voiture avec
l’arme qu’il vient de lui fournir et
cinquante munitions, il sait que
Cherif Chekatt lui a dit “tu vas en-
tendre parler de moi sur BFM”. Et la
porte claque. »
« La référence à BFM-TV ne pou-
vait que révéler son projet d’atten-
tat », estime le Parquet antiterro-
riste, pour qui l’accusé s’est donc
rendu coupable de « complicité
d’assassinats terroristes » du jour
de l’attentat à la mort de Cherif
Chekatt, abattu par des policiers
sur qui il venait d’ouvrir le feu
après deux jours de cavale. Quit-
tant pour un instant le code pénal,
le ministère public invoque Sénè-
que : « Celui qui n’empêche pas un
crime alors qu’il le pourrait s’en
rend complice. »
Trois autres accusés, issus de la
communauté des gens du voyage
et qui ne connaissaient pas Cherif
Chekatt, sont jugés pour avoir
joué un rôle, parfois lointain, dans
la fourniture des armes. Le PNAT a
demandé cinq ans de prison con-
tre deux d’entre eux pour une as-
sociation de malfaiteurs de droit
commun, et a requis l’acquitte-
ment pour le troisième. p
soren seelow
El Haïry, ministre déléguée à
l’enfance et aux familles. La
magistrate Maryse Le Men
Régnier, présidente de la Fé-
dération France
Victimes, le psychiatre pour
adolescents Thierry Baubet,
la présidente de l’association
Face à l’inceste, Solène
Podevin, et l’ancien élu Bruno
Questel en composent
le « collège directeur ».
0123
JEUDI 4 AVRIL 2024 france | 13

Conflits de voisinage : une future loi très politique

Le texte, examiné mercredi au Sénat, introduit une exception protégeant les activités agricoles des plaintes

C’
est une proposition
de loi qui dit beau-
coup des recomposi-
tions sociales et des
conflits d’usage dans les espaces
ruraux. Un texte attendu par une
partie du monde agricole, autant
que craint par ceux qui s’inquiè-
tent qu’il n’alimente une vision ca-
ricaturale selon laquelle les agri-
culteurs (de moins en moins nom-
breux) et les nouveaux ruraux se-
raient voués à en découdre.
Le texte définissant le trouble
anormal de voisinage, qui était en
passe d’être adopté au Sénat mer-
credi 3 avril, avant l’Assemblée na-
tionale, lundi 8 avril, a notamment
vocation à mieux protéger les agri-
culteurs des recours de riverains
leur reprochant de traiter leurs
champs, de salir les routes, de
moissonner la nuit ou de vouloir
agrandir leur exploitation… Des
cas dont la presse se fait l’écho.
Ainsi de cet éleveur de l’Oise con-
damné, en 2022, à verser
100 000 euros à des voisins indis-
posés par le bruit et l’odeur des
260 bovins dans sa stabulation.
Un cas qui a conduit son avocat,
Me Timothée Dufour, qui conseille
la profession agricole, aux côtés de
la Fédération nationale des syndi-
cats d’exploitants agricoles
(FNSEA), syndicat majoritaire, à in-
terpeller le ministre de la justice
sur le sujet, lors du Salon interna-
tional de l’agriculture en 2023. Eric
Dupond-Moretti s’était alors en-
gagé sur un texte de loi porté par la
majorité pour éviter aux agricul-
teurs des « faux procès ». « Que ce-
lui qui arrive et qui veut remodeler
la campagne à sa guise (…) ne
vienne pas vous ennuyer quand
vous vous levez le matin, décla-
rait-il alors. Si l’on n’aime pas la
campagne, on reste en ville et si l’on
va à la campagne, on s’adapte à la
campagne qui préexiste. »
Au départ du travail parlemen-
taire, un premier texte a été sou-
mis à la chancellerie par Me Dufour
et le juriste de la FNSEA, relatent
Me Dufour et Luc Smessaert, vice-
président du syndicat et éleveur.
Revendication de la FNSEA
Portée par la députée Renaissance
du Morbihan Nicole Le Peih, elle-
même éleveuse de volailles, la pro-
position de loi introduit la notion
de trouble anormal de voisinage
dans le code civil, en la définis-
sant comme un trouble excédant
les inconvénients normaux de
voisinage. La notion était jus-
qu’alors demeurée à la libre appré-
ciation des juges. « Un vide juridi-
que qui créait une insécurité pour
les agriculteurs », selon Me Dufour.
En 2021, la loi dite « Maurice » – du
nom d’un coq de l’île d’Oléron –,
avait déjà tenté de limiter les liti-
En 2021, la loi dite
« Maurice »,
du nom
d’un coq de l’île
d’Oléron, avait
déjà tenté de
limiter les litiges
ges, en protégeant le patrimoine
sensoriel des odeurs et des sons
propres à la campagne.
Le nouveau texte introduit aussi
une exception de taille liée à l’anté-
riorité de l’activité : un arrivant ne
pourra plus se prévaloir d’un trou-
ble anormal si l’activité existait
avant et est conforme à la régle-
mentation. « Ce principe général de
responsabilité entre voisins pourra
être invoqué par tous, habitants des
villes et habitants des champs. Il
participera d’un mieux-vivre en-
semble », a fait valoir le garde des
sceaux à l’Assemblée.
Les parlementaires ont accédé à
une revendication de la FNSEA,
qui plaidait pour que la responsa-
bilité civile de l’agriculteur ne soit
pas engagée en cas d’extension de
son activité. La loi introduit une
exception pour protéger l’évolu-
tion de l’activité (mises aux nor-
mes, agrandissement…) et ce,
même après l’installation de la
personne s’estimant lésée, pourvu
que le type d’activité demeure le
même et que le trouble n’aug-
mente pas intensément. Exem-
ple : lorsqu’un éleveur passe de
vingt à trente vaches, ça ne pourra
pas constituer de trouble, non plus
lorsqu’un éleveur de poules pon-
deuses est contraint, par la loi, de
passer d’un élevage en batterie à
un élevage en plein air. En revan-
che, passer de vingt vaches à une
ferme-usine ne sera pas protégé.
Une « victoire » dont se félicitent
Luc Smessaert et Me Dufour, ce
dernier estimant qu’« au-delà des
agriculteurs, c’est la liberté d’entre-
prendre qui est protégée. Le modèle
La crainte reste
d’alimenter
la caricature d’un
face-à-face entre
agriculteurs
et néo-ruraux
économique condamne les agricul-
teurs à s’agrandir – pas de souverai-
neté alimentaire sans hangar ni
stabulation –, c’était nécessaire ».
La Coordination rurale, deuxième
syndicat agricole, salue, elle aussi,
« un important pas en avant ».
La codification du trouble de voi-
sinage « garantira une application
plus homogène sur tout le terri-
toire, à la campagne comme en
ville », veut croire Mme Le Peih. Et
de rappeler que les exceptions « ne
donnent pas pour autant un blanc-
seing ». Si l’activité ne respecte pas
la législation, l’auteur de troubles
pourra être jugé responsable.
Pas de quoi rassurer les oppo-
sants au texte. Les députés San-
drine Rousseau (Paris, Europe Eco-
logie-Les Verts) et Ugo Bernalicis
(Nord, La France insoumise) crai-
gnent qu’elle n’offre, par ses excep-
tions, « un droit à polluer », ren-
dant inattaquables « des outils in-
dustriels ou agricoles polluants »,
selon Mme Rousseau. « Il ne doit y
avoir aucune exception, même
d’antériorité, à pouvoir continuer à
polluer », pour M. Bernalicis.
Autre crainte : alimenter la cari-
cature d’un face-à-face entre agri-
culteurs, présumés victimes, et
néo-ruraux, présumés dange-
reux. De fait, si ses soutiens font
valoir que la loi favorisera le vivre-
ensemble, une petite musique se-
lon laquelle les agriculteurs se-
raient la cible de plaintes en
hausse des néo-ruraux a été sou-
vent entendue. Le garde des
sceaux évoquant des citadins qui
« emmerdent » les agriculteurs et
citant, en reprenant les chiffres
avancés par la FNSEA, « plusieurs
centaines de procédures en cours
engagées contre des agriculteurs
par des voisins quérulents ». « Nous
avons entre 400 et 500 cas de liti-
ges concernant des conflits d’usage
entre néo-ruraux et agriculteurs »,
affirmait le président du syndicat,
Arnaud Rousseau, dans Le Figaro
fin 2023, sans préciser ni la source
des chiffres ni la période.
« Absence de données fiables »
Interrogés, Me Dufour et M. Smes-
saert expliquent qu’ils provien-
nent d’un rapport datant de 2020.
Or, ce rapport faisait état de la dif-
ficulté « à quantifier le phénomène
judiciaire en l’absence de données
fiables ». Il évoquait alors le chiffre
de 490 recours qui « auraient été »
examinés par la Cour de cassation
– sans date –, en prenant garde de
préciser qu’ils ne sont « pas tous
liés à la ruralité ». Un chiffre ancien
et extrapolé, donc. « Peu importe le
chiffre exact, objecte M. Smes-
saert. Des cas, on en connaît tous
quatre-cinq par département. »
« L’image souvent fantasmée des
néo-ruraux, ciblés par le texte, ne
doit pas cacher les milliers de ru-
raux qui habitent la campagne de-
puis des générations et se plaignent
de la mise en danger de leurs condi-
tions de vie », estimait Mme Rous-
seau lors des débats en première
lecture. « Ce ne sont pas seulement
les néo-ruraux mais tous les habi-
tants, dont les paysans, qui subis-
sent les effets de l’industrialisation
agricole », abonde Stéphane Ga-
lais, secrétaire national de la Con-
fédération paysanne, le troisième
syndicat agricole, éleveur bio. Lui
aussi craint que cette loi ne dresse
davantage « les agriculteurs contre
les écolos et les néo-ruraux », au
lieu de « les relier autour d’un projet
de relocalisation alimentaire ».
Directeur de recherche à l’Insti-
tut national de recherche pour
l’agriculture, l’alimentation et l’en-
vironnement, spécialiste des con-
flits d’usage, André Torre atteste
de l’impossibilité de quantifier ces
conflits et de les attribuer. Selon
lui, les « néo-ruraux », qui, dit-il, re-
couvrent une diversité de profils et
ont davantage migré vers les villes
moyennes, sont « brandis comme
un faux-nez. Le texte vise à accéder
à une demande récurrente de l’agri-
culture intensive : permettre de
s’étendre, malgré les externalités
polluantes, et de desserrer le verrou
de la constructibilité des terres, un
terrain constructible pouvant va-
loir dix fois celui d’une terre agri-
cole ». Et de regretter que ce texte
« masque le débat de société com-
plexe qui le sous-tend : la question
du modèle agricole que l’on est prêt
à accepter pour conserver une sou-
veraineté alimentaire et un excé-
dent de balance commerciale ». p
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14 |
ÉCONOMIE & ENTREPRISE
Agriculture : une loi pour produire plus
Remanié sous la pression syndicale, le texte devait être présenté mercredi 3 avril en conseil des ministres
L
a grande loi agricole du se-
cond quinquennat d’Em-
manuel Macron entre en-
fin en piste. Plusieurs fois
reporté, réécrit en partie après la
crise agricole du début d’année, le
projet de « loi d’orientation pour la
souveraineté agricole et le renou-
vellement des générations en agri-
culture » devait arriver sur la table
du conseil des ministres mercredi
3 avril, avant un examen pro-
grammé à l’Assemblée nationale
en mai, puis au Sénat en juin.
Souveraineté et
agriculture « d’intérêt
général majeur »
La loi agricole compte désormais
dix-neuf articles articulés autour
de trois volets – souveraineté, ins-
tallation et simplification. Signe
du profond remaniement du
texte dans la dernière ligne
droite, en collaboration avec le
syndicat majoritaire, la Fédéra-
tion nationale des syndicats d’ex-
ploitants agricoles (FNSEA), il
s’ouvre en préambule sur la décla-
ration « d’intérêt général majeur »
de l’agriculture, de la pêche et de
l’aquaculture, une promesse faite
par le président de la République
lors de l’inauguration du Salon de
l’agriculture, fin février.
« La déclaration d’intérêt général
majeur n’aura pas un impact signi-
ficatif immédiat, mais c’est un en-
jeu à plus long terme. Cela permet
de pondérer les politiques publi-
ques et de placer l’agriculture au
même niveau que l’environne-
ment », déclaré d’intérêt public
majeur en 1976, explique le cabi-
net du ministre de l’agriculture,
Marc Fesneau. « Cela viendra en
appui de l’interprétation du juge
administratif chargé de se pronon-
cer sur la validité de tel ou tel projet
agricole », ajoute le ministère.
Des organisations s’inquiètent
toutefois : « Il peut y avoir des im-
pacts très concrets, par exemple en
cas de contentieux entre des impé-
ratifs agricoles et des impératifs en
matière de santé publique, pour
faire pencher la balance en faveur
de l’agriculture », analyse Marion
Vigneau, de Collectif Nourrir, qui
regroupe cinquante associations
et organisations paysannes.
Le gouvernement entend en
outre, avec ce texte, inscrire dans
la loi la nécessité de protéger la
souveraineté alimentaire, sans en
définir véritablement le concept.
L’Etat doit veiller à « préserver et
améliorer sa capacité à assurer
son approvisionnement alimen-
taire dans le cadre du marché inté-
rieur de l’Union européenne et de
ses engagements internatio-
naux », précise ainsi le projet de
loi, qui évoque aussi la « souverai-
neté agricole du pays, liée à la pro-
duction durable de biomasse
[l’énergie issue de la production
agricole, sylvicole et des déchets]
sur le territoire ».
Le ministère estime qu’il n’y a
pas grand-chose à dire sur ces défi-
nitions, laissant le soin aux parle-
mentaires d’en préciser les con-
tours. « Le projet de loi fixe un cadre
mais ne donne pas de définition de
la souveraineté alimentaire », sou-
ligne Véronique Marchesseau, se-
crétaire générale de la Confédéra-
tion paysanne. « La souveraineté
est placée comme axe directeur des
politiques publiques, mais le cadre
proposé n’est pas conforme à la dé-
finition de la souveraineté alimen-
taire des Nations unies, dans sa dé-
claration sur les droits des paysans
de 2018, dans laquelle les droits hu-
mains sont fondamentaux », sou-
ligne Mathieu Courgeau, éleveur
en Vendée et coprésident de Col-
lectif Nourrir.
La question
de l’usage
des produits
phytosanitaires,
très débattue
pendant la crise
agricole, n’est pas
du tout abordée
Soutenir l’installation
et la transmission
Faciliter la transmission et l’ins-
tallation en agriculture reste l’un
des enjeux principaux du texte.
Mais aucun objectif chiffré n’est
fixé. Le ministre de l’agriculture
avait pourtant, en septem-
bre 2023, réitéré une ambition
forte du gouvernement : installer
150 000 nouveaux agriculteurs en
l’espace de dix ans. Sachant qu’en-
tre 2010 et 2020 la France a perdu
près de 100 000 fermes et n’en
comptait, au dernier recense-
ment, plus que 389 000. Or, dans
dix ans, un tiers des agriculteurs
seront en âge de partir à la retraite.
La fixation d’un cap face à cet
enjeu démographique majeur a
disparu. Le gouvernement veut
toutefois inciter les jeunes à
s’orienter vers les métiers agrico-
les et agroalimentaires, et refon-
der le lien entre le monde agricole
et les Français en repartant de la
jeunesse. Les élèves de l’école élé-
mentaire, du collège et du lycée
sont invités à découvrir les sec-
teurs de l’agriculture et de l’agroa-
limentaire par le biais de stages.
Pour former une nouvelle géné-
ration d’agriculteurs, l’idée est de
faire évoluer l’enseignement agri-
cole en créant, en 2025, un bache-
lor agro de niveau bac + 3.
Concernant les cessions et les
installations proprement dites, le
gouvernement mise sur la créa-
tion d’un réseau « France services
agriculture », chargé de l’accueil,
de l’orientation et d’un accompa-
gnement personnalisé des per-
sonnes qui souhaitent s’engager
ou se retirer d’une activité agri-
cole. Ce réseau établira un dia-
gnostic des fermes à céder et une
évaluation des projets d’installa-
tion face aux enjeux du change-
ment climatique.
Ce « guichet unique » départe-
mental serait confié aux cham-
bres d’agriculture, même si le
texte prévoit d’agréer d’autres
structures d’accompagnement
des candidats à l’installation. En
outre, l’accès à une partie des
« Le texte crée
une usine à gaz
grâce à laquelle
il sera plus facile
de détruire
les haies »
CÉCILE CLAVEIROLE
vice-présidente de France
Nature Environnement
aides serait conditionné au pas-
sage par ce réseau. « Nous ne som-
mes pas contre l’idée du guichet
unique, mais le fonctionnement
des chambres d’agriculture et leur
gouvernance ne permettent pas
d’assurer la pluralité des modèles
agricoles », estime Mme Marches-
seau. Dans le cadre des installa-
tions, le sujet de l’accès au foncier
est déterminant. Le projet de loi
n’aborde pas la question, si ce
n’est pour donner corps à un nou-
veau statut juridique, le groupe-
ment foncier agricole d’investis-
sement (GFAI), l’idée de ces struc-
tures étant de mobiliser des res-
sources financières pour acquérir
et gérer des terres agricoles.
Simplification
des normes
En réponse au mouvement des
agriculteurs du début d’année, le
projet de loi s’est considérable-
ment étoffé en matière de simpli-
fication des contraintes environ-
nementales. Rajouté dans la der-
nière ligne droite, l’article 14 du
projet de loi vise à alléger les ré-
glementations sur les haies – il est
pourtant de loin l’article le plus
bavard du texte. Enjeu majeur de
préservation de la biodiversité et
de résilience, les haies sont en fort
déclin depuis des décennies et la
France s’est fixé pour objectif
d’augmenter leur linéaire de
50 000 kilomètres nets en 2030.
« La France fait partie des pays
dans lesquels faire de la haie est le
plus compliqué », estime le cabi-
net de Marc Fesneau, reprenant à
son compte les doléances de la
FNSEA contre les « quatorze » ré-
glementations relatives aux
haies. Selon l’Association fran-
çaise des arbres champêtres-Agro-
foresterie, le millefeuille régle-
mentaire est toutefois à nuancer :
seuls trois textes principaux con-
cernent les haies au niveau natio-
nal (code de l’environnement,
code de l’urbanisme et politique
agricole commune), les autres ré-
glementations étant d’applica-
tion très localisée. « Aucun agricul-
teur n’est confronté à quatorze ré-
glementations au même endroit »,
fait valoir Mathieu Courgeau.
Le texte prévoit un régime uni-
que des haies, mais permet aux
régions de définir leur propre ca-
lendrier d’interdiction de taille et
facilite les procédures d’arrachage
si d’autres haies sont replantées.
Or, les associations rappellent que
les haies récemment plantées
n’apportent pas les mêmes béné-
fices que des linéaires anciens et
que l’urgence est de préserver les
haies existantes. « Sous couvert de
simplification, le gouvernement
crée une usine à gaz grâce à la-
quelle il sera plus facile de détruire
les haies », estime Cécile Clavei-
role, vice-présidente de France
Nature Environnement (FNE).
Autre mesure emblématique :
l’accélération des procédures de
contentieux autour de projets hy-
drauliques ou d’installations d’éle-
vage. Cette disposition, qui intro-
duit une présomption d’urgence
pour des installations de retenues
d’eau, comme les bassines, ou
d’extensions de bâtiments d’éle-
vage porcin et de volailles, vise à
« redonner de la visibilité » aux por-
teurs de projets en réduisant les
délais de recours et de traitement.
Pour Cécile Claveirole, « il n’y a pas
matière à faire un régime conten-
tieux spécifique pour l’agriculture.
Si les délais de procédure sont par-
fois longs, c’est parce qu’ils concer-
nent des projets à multiples et forts
impacts environnementaux ».
En outre, fustige FNE, cette dis-
position ne bénéficierait qu’à une
0123
JEUDI 4 AVRIL 2024
Des membres
de la FNSEA
au 78e congrès
national
du syndicat
agricole,
à Dunkerque,
le 28 mars.
DENIS CHARLET/AFP
minorité d’agriculteurs irriguant
et aux plus grosses installations
d’élevage. « Ce sont des cadeaux de
très court terme pour l’agriculture,
mais des choix collectifs que l’on
va regretter dans les années à ve-
nir », se désole Mathieu Courgeau.
Enfin, le gouvernement intro-
duit dans le projet un article visant
à assouplir l’échelle des peines ap-
plicables en cas d’atteinte à l’envi-
ronnement. « Ça ne veut pas dire
qu’il n’y aura plus de peine pour les
atteintes graves, précise le minis-
tère de l’agriculture, mais que, lors-
qu’une atteinte est involontaire ou
due à la méconnaissance, il vaut
mieux privilégier une logique de ré-
paration plutôt que d’enclencher
une procédure pénale. »
La transition
écologique absente
Finalement, malgré un exposé
des motifs qui consacre les enjeux
de l’adaptation au réchauffement
climatique et de la préservation
de la biodiversité comme des défis
majeurs, la transition des exploi-
tations est à peine abordée dans
les articles du projet. Le sujet n’est
traité qu’à travers quelques dispo-
sitions touchant à la formation et
à la mise en place de diagnostics
climatiques avant l’installation.
« On a l’habitude : les mots sont là,
on a un discours qui semble dire
qu’on a compris mais qui ne se tra-
duit pas par des mesures concrè-
tes », fustige Cécile Claveirole.
De même, la question de l’usage
des produits phytosanitaires, très
débattue pendant la crise agri-
cole, n’est pas du tout abordée. La
version définitive du plan Eco-
phyto, qui vise à réduire de 50 % le
recours aux produits phytosani-
taires d’ici à 2030 mais que le gou-
vernement entend assouplir, est
attendue dans les prochaines se-
maines. Le Parlement n’aura pas
l’occasion d’en débattre : le minis-
tère a répété que le sujet des pesti-
cides ne serait pas discuté dans le
cadre du projet de loi. p
mathilde gérard
et laurence girard
0123
JEUDI 4 AVRIL 2024
Adapter l’assurance au changement climatique
Les propositions des experts mandatés par le gouvernement visent notamment à favoriser la prévention
M
ieux financer l’in-
demnisation des
catastrophes natu-
relles, prendre en
compte les différences d’exposi-
tion aux risques et renforcer la
prévention : c’est sur ces trois pi-
liers que devrait s’appuyer la stra-
tégie française d’adaptation du
secteur de l’assurance au change-
ment climatique, si le gouverne-
ment valide la démarche préconi-
sée par le rapport d’experts publié
mardi 2 avril.
Après avoir consulté quelque
150 acteurs du secteur de l’assu-
rance, représentants de la société
civile et chercheurs, ce sont
37 propositions que détaillent sur
116 pages les trois experts manda-
tés, en mai 2023, par les ministè-
res de l’économie et de la transi-
tion écologique : Thierry Langre-
ney, ex-directeur général adjoint
des activités d’assurances du Cré-
dit agricole et président de l’asso-
ciation Les Ateliers du futur, Go-
néri Le Cozannet, géographe et
contributeur aux rapports du
Groupe d’experts intergouverne-
mental sur l’évolution du climat,
et Myriam Merad, directrice de re-
cherche au Centre national de la
recherche scientifique.
Au cœur de ces propositions fi-
gure la consolidation du régime
d’indemnisation des catastro-
phes naturelles, dont la pérennité
est aujourd’hui menacée par des
déficits récurrents, qui l’obligent
déjà à puiser régulièrement dans
ses réserves.
Identifier des déséquilibres
Les sinistres liés au climat (inon-
dations, sécheresse, tempêtes et
grêle) ont coûté 6,5 milliards
d’euros en 2023 aux assureurs, fai-
sant du millésime le troisième le
plus coûteux pour le secteur
après 1999 (16,6 milliards d’euros
avec les tempêtes Lothar et
Martin) et 2022 (10,6 milliards
d’euros, principalement pour
cause de sécheresse et de grêle),
selon le bilan annuel de la fédéra-
tion France Assureurs.
Selon les travaux de la Caisse
centrale de réassurance (CCR),
gestionnaire du régime « Cat
Nat », les dommages causés par
les sinistres que couvre celui-ci
(inondation, sécheresse, sub-
mersion marine, cycloniques,
tremblement de terre) pour-
raient augmenter de 40 %, soit de
811 millions d’euros par an, à l’ho-
rizon 2050, et même de 60 % en
Les ex-salariés de Toupnot exigent réparation
Ils contestent devant les prud’hommes leur licenciement de la PME familiale, intervenu après un incendie
toulouse - correspondance
D es trémolos dans la voix,
Eric Testeil, 59 ans, s’in-
terrompt pour repren-
dre son souffle. Cinq ans après
qu’un incendie a ravagé les lo-
caux de l’entreprise Toupnot,
donnant à sa carrière profession-
nelle une tournure imprévue, cet
ancien salarié ne s’en remet tou-
jours pas. « J’ai laissé plus de
trente ans de ma vie dans l’entre-
prise. Puis il a fallu que je retrouve
un emploi. C’était dur, car je
n’avais plus 20 ans », raconte
M. Testeil, aujourd’hui cariste
magasinier.
Entré à l’âge de 17 ans et demi
chez le fabricant de corned-beef,
installé sur 2 hectares dans le
nord-est de Lourdes (Hautes-Py-
rénées), il occupe divers postes
(déballage de viande congelée,
maintenance des outils, chef
d’équipe) jusqu’à son licencie-
ment, en mai 2020. Alors,
jeudi 4 et vendredi 5 avril, il assis-
Devant le local inondé des assurances Allianz, à Neuville-sous-Montreuil (Pas-de-Calais), le 3 janvier. SÉBASTIEN JARRY/LA VOIX DU NORD/MAXPPP
Au cœur de ces
37 propositions
figure
la consolidation
du régime
d’indemnisation
des catastrophes
naturelles
prenant en compte l’augmenta-
tion de la valeur globale des
biens assurés.
Sans attendre la publication du
rapport, le gouvernement avait
annoncé, le 28 décembre 2023, un
relèvement, effectif au 1er jan-
vier 2025, de la « surprime » sur
les contrats d’assurance qui fi-
nance le régime.
Cette surprime prélevée sur
tous les contrats d’assurance
multirisque habitation passera
donc, en 2025, de 12 % à 20 %. De
quoi assurer au régime environ
tera aux audiences du conseil de
prud’hommes délocalisé dans
une salle de la chambre de com-
merce et d’industrie de Tarbes. Au
total, ils seront 54 anciens sala-
riés, sur les 72 employés que
comptait l’usine, sur les bancs de
la juridiction pour contester leur
licenciement économique.
Toupnot, une PME familiale
créée en 1932, change de mains
lorsque Pierre Franco, petit-fils du
fondateur, part à la retraite : à par-
tir de 2011, le dirigeant cède pro-
gressivement le capital de l’entre-
prise à Rémi Arnauld de Sartre,
qui finit par en détenir 75 %
en 2012. Le reste est cédé à Cofigeo.
« C’est un scandale absolu »
Trois ans plus tard, le groupe
agroalimentaire avale entière-
ment la société lourdaise. L’appé-
tit du spécialiste des plats cuisi-
nés en conserve ne s’arrête pas là :
il met la main sur William Saurin,
avec l’aval de Bercy. Le
19 juillet 2018, Bruno Le Maire,
1,3 milliard d’euros de ressources
supplémentaires chaque année et
porter sa capacité à quelque
3,2 milliards d’euros.
Mais, pour la mission Langre-
ney, ce relèvement n’est qu’une
étape : elle préconise son indexa-
tion automatique pour suivre
l’« inflation climatique », ce qui
reviendrait, dans un premier
temps, à un relèvement de
1 point de pourcentage chaque
année et à un réexamen régulier
des conditions de financement
du régime.
Au-delà, le rapport entend aussi
préserver la « mutualisation » de
la prise en charge des catastro-
phes naturelles et éviter des pra-
tiques tarifaires dissuasives ou
un retrait pur et simple des assu-
reurs des zones les plus expo-
sées, des évolutions qui seraient
« toxiques » à moyen et long
terme pour l’ensemble du sys-
tème assurantiel.
Ils proposent donc de confier à
la CCR le soin de recenser tous les
ans la part de chaque assureur
ministre de l’économie et des fi-
nances, donne son feu vert à cette
opération, à la seule condition du
maintien de l’emploi dans le
groupe pendant deux ans.
En 2019, dans la nuit du 9 au
10 janvier, un incendie détruit en
grande partie l’atelier de fabrica-
tion de Toupnot. Le choc passé, les
salariés ne perdent pas espoir.
Car, pour eux, la reconstruction
de l’usine peut être financée par
les 18 millions d’euros de prime
d’assurance que perçoit Cofigeo.
Et puis, un atelier relais de
7 000 mètres carrés est envisagé
pour sauver une cinquantaine
d’emplois. Ce projet est jugé via-
ble par le cabinet d’expertise
Secafi et la Compagnie d’aména-
gement des coteaux de Gascogne.
Il est aussi présenté aux collectivi-
tés locales et aux élus politiques
lors d’une réunion en préfecture,
en février 2019.
Cependant, « les salariés ne
voient rien venir », rapporte
Me Elise Brand, saisie par ces der-
économie & entreprise | 15
sur le marché de l’assurance-ha-
bitation, au niveau national et
dans les zones les plus exposées,
afin de pouvoir identifier des dé-
séquilibres. S’ils ne recomman-
dent la publication de ces don-
nées, la méthode inquiète déjà
certains assureurs, qui craignent
la tentation du « name and
shame », la mise en cause publi-
que des éventuels « mauvais élè-
ves » du secteur.
Prêt à taux zéro
Pour inciter les assureurs à rester
présents dans les zones les plus
exposées, le rapport propose
l’instauration d’un bonus-malus,
soit une modulation de la part
des surprimes Cat Nat reversée
au fonds public de prévention
des risques naturels majeurs, dit
« fonds Barnier » : aujourd’hui
fixée à 12 %, cette part pourrait
ainsi être ramenée à zéro dans
les zones classées rouges (les
plus exposées) et, au contraire,
portée à 30 % voire 50 % pour les
zones vertes.
« J’ai laissé plus
de trente ans
de ma vie dans
l’entreprise »
ÉRIC TESTEIL
ancien salarié de Toupnot,
aujourd’hui cariste
magasinier
niers au mitan de 2022. « Et, le
1er octobre 2019, le groupe décide
de fermer l’usine. C’est de la fraude,
un scandale absolu », tonne l’avo-
cate, qui réclame l’indemnisation
des salariés pour la perte de leur
emploi en raison du non-respect
par l’employeur de l’accord con-
clu en juillet 2018.
Pour Philippe Combes, délégué
syndical CGT, il s’agit d’une « tra-
hison ». « La direction nous a pris
pour des ploucs du Sud-Ouest, sauf
que les Toupnot sont toujours là. »
A la tête de l’entreprise, on a une
Ce mécanisme de vases com-
municants n’aurait aucun impact
sur les tarifs appliqués aux assu-
rés, du moins pour ce qui est des
résidences principales. En revan-
che, une autre proposition prend
directement pour cible les pro-
priétaires de résidences secondai-
res situées en zones rouges.
Car si le gouvernement suit les
recommandations du rapport,
ces « biens haut de gamme surex-
posés » pourraient sortir du
champ des tarifs et des franchises
prévues par le régime Cat Nat,
tout comme les biens à usage lo-
catif et certains locaux commer-
ciaux. Ce qui devrait logiquement
conduire à un relèvement des pri-
mes et à une diminution des in-
demnisations en cas de sinistre.
Une autre série de propositions
vise à encourager et à mieux fi-
nancer la prévention des sinistres
liés aux aléas climatiques : parmi
elles figure la création d’un prêt à
taux zéro pour financer des tra-
vaux de prévention en zone
rouge ou orange, celle d’un crédit
autre lecture des événements.
« Immédiatement après le sinistre,
nous avons cherché des solutions
de production pour livrer les
clients », explique Rémi Arnauld
de Sartre, président de Toupnot,
qui cite une tentative (ratée) de
rapprochement avec un concur-
rent et un redémarrage de la pro-
duction de corned-beef, jugé
« techniquement faisable, mais
pas commercialement ». « Nos
clients historiques étaient partis à
la concurrence », précise-t-il.
Il indique avoir envisagé alors
d’autres pistes, une vingtaine en
tout (dans la valorisation des lé-
gumes secs, de la laine ou de la
viande de canard, entre autres),
avant de mettre en place un plan
de sauvegarde de l’emploi, en oc-
tobre 2019. « Je sais que l’on a pro-
voqué une certaine frustration
chez les salariés, reconnaît-il. Mais
c’est une sorte de deuil pour moi
aussi. Dans l’histoire, j’ai perdu
mon entreprise. » p
audrey sommazi
L’Etat se donne
cinq mois pour
consulter les
parties prenantes
avant une phase
d’arbitrages
politiques
d’impôt complété par des sub-
ventions locales pour les ména-
ges à faibles et moyens revenus.
A l’opposé, un propriétaire en
zone rouge qui ne réaliserait pas
les travaux de prévention pres-
crits par un plan de prévention
des risques ou un diagnostic de
résilience dans les trois ans sui-
vant un sinistre pourrait voir tri-
pler la franchise prévue par le ré-
gime Cat Nat.
Face au risque de retrait-gonfle-
ment des argiles, qui menace plus
de 10 millions de maisons en
France, les experts recomman-
dent de prendre exemple sur
l’Espagne, autre pays très exposé
à ce péril, notamment en ren-
forçant le contrôle de la souscrip-
tion d’une assurance-dommages
ouvrage lors de la construction de
logements neufs.
Parmi les autres pistes avancées
figurent la création d’un nouveau
fonds public appelé à financer des
mesures de prévention et une
meilleure hiérarchisation des in-
terventions du « fonds Barnier »,
doté d’environ 250 millions
d’euros consacrés presque inté-
gralement à des projets collectifs.
Dans le cas particulier de l’éro-
sion du trait de côte, face auquel la
prévention sera sans doute insuf-
fisante, le rapport recommande
de prévoir le financement du ra-
chat des biens menacés à l’hori-
zon 2050, une enveloppe évaluée
entre 50 millions et 150 millions
d’euros par an.
Désormais officiellement saisi
de ces multiples propositions, le
gouvernement se donne cinq
mois pour consulter les parties
prenantes avant une phase d’arbi-
trages politiques, un calendrier
qui devrait permettre d’inclure
certaines mesures dans le projet
de loi de finances 2025. Mais Bercy
s’emploie déjà à déminer le ter-
rain : « Il n’est pas prévu de hausses
d’impôts sur ce sujet », assure l’en-
tourage de Bruno Le Maire. p
marc angrand
I MMOBI LI ER
Nexity annonce
la cession de son pôle
services aux particuliers
Touché par la crise du secteur,
Nexity a annoncé, mardi
2 avril, avoir cédé sa branche
services aux particuliers à la
société d’investissement Brid-
gepoint pour 440 millions
d’euros. Ces activités seront
regroupées dans une nouvelle
entité, Evoriel. Elles représen-
tent plus de 3 100 collabora-
teurs, un tiers des effectifs de
Nexity, et 320 millions d’euros
de chiffre d’affaires. – (AFP.)
MUS I QU E
Selon « Forbes », Taylor
Swift est milliardaire
Avec un patrimoine estimé à
1,1 milliard de dollars (1,02 mil-
liard d’euros), Taylor Swift
devient la première artiste,
femme ou homme, à avoir
franchi le seuil à dix chiffres
grâce aux seuls revenus tirés
de sa musique, selon le classe-
ment des fortunes des célébri-
tés publié mardi 2 avril par le
magazine Forbes. En moins
d’un an, elle a vu sa fortune
croître de 360 millions de dol-
lars, en grande partie grâce
aux retombées de sa tournée
« The Eras Tour ». – (AFP.)
16 | économie & entreprise
La scission de GE marque la fin d’une époque
Le conglomérat industriel fondé en 1892 par Thomas Edison s’est divisé en trois entreprises distinctes
new york - correspondant
I
l fut un temps, au tournant
du siècle, où General Electric
(GE) était la première capitali-
sation mondiale, valant près
de 600 milliards de dollars (près
de 557 milliards d’euros). Elle pèse
aujourd’hui quatre fois moins –
153 milliards de dollars – et se situe
désormais au-delà de la cinquan-
tième place américaine en termes
de valorisation boursière.
En quelques années, le conglo-
mérat, fondé en 1892 par le génie
technologique Thomas Edison
(1847-1931) et construit par Jack
Welch (1935-2020), brute managé-
riale érigée en héros dans les an-
nées 1980, est devenu une entre-
prise monoproduit, recentrée sur
les moteurs d’avions sous le nom
de GE Aerospace. En 2023, elle a
introduit en Bourse sa division
santé, General Electric Health-
Care, spécialisée dans l’imagerie
médicale. Et, ce 2 avril, la mue est
achevée avec l’introduction à
Wall Street de sa division consa-
crée aux énergies renouvelables,
GE Vernova. Ces deux entreprises
valent respectivement 41 et
37 milliards de dollars en Bourse.
Il y a quatre décennies, GE était
l’exception qui confirme la règle :
celle d’un conglomérat diversifié
ultraperformant en Bourse. Habi-
La Malaisie profite du « derisking »
des multinationales avec la Chine
Le pays suscite l’intérêt des firmes qui cherchent à diversifier leurs chaînes de production
I nfineon, Airbus, Safran et
Thales, Air liquide ou encore
Stellantis : des semi-conduc-
teurs à l’aéronautique, en passant
par l’automobile, la plupart des
grandes multinationales euro-
péennes sont présentes en Malai-
sie. Avec ses 33 millions d’habi-
tants, ce petit pays d’Asie ne fait
pas le poids face aux géants dé-
mographiques de la région, mais
il a su tirer son épingle du jeu éco-
nomique en développant, depuis
les années 1970, une industrie de
sous-traitance reconnue.
De passage en Allemagne et en
France à la mi-mars, le ministre
malaisien des investissements,
Aziz Zafrul, est venu courtiser les
entreprises de premier plan du
Vieux Continent afin de tenter
d’attirer des investissements sup-
plémentaires. Avec un message :
ayant une population jeune, an-
glophone et souvent sinophone,
la Malaisie dispose d’atouts pour
participer aux efforts de réduc-
tion des risques (« derisking ») dé-
ployés par les grandes entreprises
en vue de limiter leur dépen-
dance à la Chine.
Derrière le Vietnam ou l’Indo-
nésie, le pays, stratégiquement si-
tué sur le détroit de Malacca, au
nord de Singapour, tire déjà profit
de cette tendance : ses investisse-
ments directs étrangers ont
bondi de 18 % en 2023. « Les entre-
prises nous disent qu’elles ne vont
É R IE
H O R S -S
UNE V
ION
ÉDIT
2024
Émile
Zola bats
m
Les co rivain
d’un éc
ès Ara
tuellement, de tels mastodontes
souffrent d’une décote, les inves-
tisseurs valorisant à de différents
multiples des activités sans rap-
port entre elles, et ne faisant pas
confiance à leurs dirigeants pour
les gérer au taquet. Sauf si les acti-
vités sont complémentaires, et
sauf si le patron est un génie.
Des chaudières aux médias
Celui qui préside à la destinée du
groupe américain de 1981 à
2001 fut considéré comme tel à
l’époque : Jack Welch constitue un
conglomérat doté d’une force fi-
nancière majeure : GE Finance. Il
taille dans les coûts, vend beau-
coup et rachète de tout, notam-
ment des médias, avec NBC
en 1986. Sous son règne, la valori-
sation du groupe est passée de 12 à
un maximum de 594 milliards de
Les trois entités
sont positionnées
dans des secteurs
d’avenir : moteurs
d’avion, imagerie
médicale
et énergies
renouvelables
pas fermer leurs opérations en
Chine, mais qu’elles veulent se di-
versifier : c’est la stratégie Chine + 1.
Après la guerre en Ukraine, nous
avons suscité encore plus d’intérêt,
à la fois en raison des tensions géo-
politiques et de l’augmentation
des coûts à cause des prix de l’éner-
gie en Europe », explique M. Zafrul
au Monde.
Emergence de classes moyennes
Pour lui, c’est le retour d’un phé-
nomène interrompu par l’entrée
de la Chine dans l’Organisation
mondiale du commerce, en 2001 :
« Auparavant, on voyait des multi-
nationales délocaliser dans toute
la région, mais à partir de 2001, la
Chine s’est mise à tout rafler », se
remémore-t-il.
Autre argument du ministre : le
dynamisme de la région. Alors
que l’économie chinoise ralentit,
les pays membres de l’Association
des nations d’Asie du Sud-Est
(Asean) connaissent une forte
croissance. Grâce à l’émergence
de classes moyennes locales, ils
représentent des relais potentiels
pour les grandes marques.
« L’Asean est le cinquième bloc
économique au monde, avec une
population de 680 millions d’ha-
bitants et une croissance qui de-
vrait atteindre de 4 % à 5 %
[en 2024] ». L’économie malai-
sienne a progressé de 3,8 % en
2023, et sa croissance pourrait
E
ŒUVR
E
IE, UN
ira…
, Taub
France
endès
gon, M
dollars. GE est alors considéré
comme une école de manage-
ment, et ses dirigeants estiment
qu’ils peuvent toucher à tout, des
chaudières nucléaires aux médias
en passant par la finance car ils se
pensent les meilleurs.
Les successeurs moins brillants
de Jack Welsh poursuivent dans la
même voie, rachetant, par exem-
ple, en 2002, les activités éolien-
nes d’Enron après sa faillite. Puis
survient la crise financière de
2008, qui révèle que le roi est nu :
sans ses revenus financiers, GE ne
gagne pas d’argent, les activités
industrielles étant bien peu géné-
ratrices de cash. Le géant doit ap-
peler le milliardaire Warren Buf-
fett à son secours. C’est le début
d’une grande glissade, qui cul-
mine en 2018 avec l’humiliation
suprême : après plus d’un siècle
de présence, GE, qui ne pèse plus
que 115 milliards de dollars, est
bouté hors de l’indice Dow Jones
des trente principales capitalisa-
tions américaines.
En 2018, l’entreprise fait appel à
un nouveau patron, Larry Culp,
qui, de 2000 à 2014, réussit à mul-
tiplier par cinq la valeur de Dana-
her, le conglomérat qu’il dirigeait
alors. La potion qu’il administre
est amère, la cure de désendette-
ment et de cessions est brutale.
GE doit provisionner 20 milliards
s’élever entre 4,5 % et 5 % en 2024,
selon plusieurs instituts de
recherche.
Les investissements étrangers
concernent principalement le
secteur des semi-conducteurs,
dans lequel la Malaisie est impli-
quée depuis une cinquantaine
d’années, notamment pour la
partie technologiquement la
moins avancée du processus, à sa-
voir les tests et l’emballage des pe-
tites puces de silicium dans leurs
protections de plastique.
Défi de la montée en gamme
Néanmoins, elle cherche aussi à
diversifier son tissu industriel, en
renforçant par exemple son in-
dustrie aéronautique. Ainsi, des
composants d’avions Airbus y
sont déjà fabriqués. Grâce à son
électricité bon marché, le pays
attire aussi des centres de don-
nées qui servent toute la région. Si
le gouvernement insiste sur les
Les
investissements
étrangers
concernent
principalement le
secteur des semi-
conducteurs
LES COMBATS D’UN ÉCRIVAIN
Un hors-série du « Monde » - 120 pages - 11 €
Chez votre marchand de journaux et sur lemonde.fr/boutique
de dollars sur ses activités éner-
gie, après l’acquisition ruineuse
et à contretemps des activités
d’Alstom en 2015. L’entreprise
cède même, en 2020, ce qui avait
fait la gloire d’Edison, inventeur
de la lampe à incandescence : les
ampoules d’éclairage.
Puis, après deux années, sur-
vient en 2021 la décision salva-
trice : la découpe du groupe.
« Comment Larry Culp a sauvé Ge-
neral Electric en le démantelant »,
titrait, début janvier, l’hebdoma-
daire financier Barron’s. Trois ans
plus tard, l’opération est effective-
ment un succès. GE a vu son action
doubler en 2023, elle est à son plus
haut depuis sept ans. « Le lance-
ment réussi de trois sociétés publi-
ques indépendantes étant désor-
mais terminé, cela marque
aujourd’hui une dernière étape his-
torique dans la transformation
pluriannuelle de GE », a déclaré,
mardi 2 avril, Larry Culp, désor-
mais patron du seul GE Aerospace.
Sans nostalgie
Les trois entreprises sont posi-
tionnées dans des secteurs d’ave-
nir. Les moteurs d’avion bénéfi-
cient d’une croissance constante
en dépit du réchauffement clima-
tique, et ont surmonté la crise liée
à la pandémie de Covid-19. L’entre-
tien des 44 000 moteurs commer-
capacités d’énergies renouvela-
bles en augmentation, qui repré-
sentent 25 % des capacités instal-
lées, celles-ci ne produisent pour
l’instant que 6 % de l’électricité
locale, du fait de l’intermittence
de la production.
Le défi, pour la Malaisie, con-
siste à monter en gamme, afin de
capter une part plus importante
de la valeur ajoutée de sa pro-
duction. Une transition réussie
par d’autres « tigres » asiatiques
comme la Corée du Sud et Taïwan.
Après avoir servi des champions
américains des semi-conduc-
teurs, elles ont fait naître leurs
propres géants, respectivement
Samsung et TSMC, qui dominent
actuellement le secteur.
La clé d’un tel succès, qui
échappe encore à Kuala Lumpur,
réside dans les talents, estime
M. Zafrul : « Nous avons une in-
dustrie manufacturière depuis cin-
quante ans, des jeunes ingénieurs
qui parlent anglais et chinois, mais
nous voyons beaucoup d’entre eux
émigrer, pour Taïwan par exem-
ple, parce que les salaires sont plus
élevés. Je le dis à nos patrons : il
faut les payer plus ! » Peut-être fau-
drait-il aussi mentionner la cor-
ruption, omniprésente dans le
pays, qui, en 2023, occupait le
57e rang (sur 180) dans le classe-
ment de l’ONG Transparency In-
ternational. p
simon leplâtre
ÉMILE ZOLA
Il y a quatre
décennies, GE
était l’exception
qui confirme
la règle : celle
d’un conglomérat
diversifié
ultraperformant
ciaux et 26 000 moteurs militaires
dans le monde sont une vache à
lait qui a permis à GE Aerospace de
réaliser au total 32 milliards de dol-
lars, en 2023, et 5,6 milliards de
profits opérationnels.
GE HealthCare a réalisé 20 mil-
liards de dollars de chiffre d’affai-
res et 3 milliards de profits avant
amortissements. L’avenir devrait
être dopé par l’usage des données
et de l’intelligence artificielle. En-
fin, les énergies renouvelables
(35 milliards de dollars de revenus)
devraient repartir de l’avant, après
le choc de 2023 qui a vu la bulle se
dégonfler avec la hausse des coûts
et l’envolée des taux d’intérêt. GE
Vernova dispose d’une base instal-
lée de plus de 7 000 turbines à gaz
et d’environ 55 000 éoliennes.
L’entreprise affirme qu’elle contri-
bue à produire environ 30 % de
PERTES & PROFITS | NAVAL GROUP
p a r j e a n- m ic h e l b e za t
Sous-marins et
transferts de technologie
Le secteur de la défense a ceci de
paradoxal qu’il s’agit d’une in-
dustrie de souveraineté où, pour
arracher des contrats, les pays
exportateurs doivent consentir
des transferts de technologie et
de la fabrication locale. Des
« offset » que la France a long-
temps limités. Si le français Naval
Group a pu annoncer, mardi
2 avril, la vente à l’Indonésie de
deux sous-marins Scorpène, c’est
que 30 % de la valeur du contrat
reviendra au chantier indoné-
sien PT PAL, avec un « transfert
de savoir-faire et de technologie
de Naval Group ».
Le pays archipel aux 17 000 îles
est devenu une terre de conquête
pour l’industrie française d’ar-
mement. En 2022, Dassault Avia-
tion y a signé la vente de 42 Ra-
fale et de leur armement pour
plus de 7 milliards d’euros, et Air-
bus la livraison de deux avions
A400M. Un an plus tard, en 2023,
Thales vendait 13 radars de
pointe GM 400 de surveillance
aérienne avec, là encore, des
transferts et une partie de fabri-
cation locale. Après la rupture
du contrat de douze sous-marins
par l’Australie en 2021, la France
n’a guère le choix pour s’imposer
dans l’Indo-Pacifique. Avec les
Philippines en ligne de mire
pour la vente de submersibles,
autre pays inquiet de la montée
en puissance de la Chine.
0123
JEUDI 4 AVRIL 2024
l’électricité mondiale. Ainsi, le dé-
mantèlement est un succès, dans
un pays sans nostalgie pour les an-
nées Welch. La fin de l’ère du pa-
tron emblématique, décédé
en 2020, a sans doute été marquée
définitivement par l’annonce en
mars du départ de la tête de
Boeing, de Dave Calhoun, après
l’arrachage d’une porte-bouchon
d’Alaska Airlines début janvier.
Cet homme, qui travailla pen-
dant vingt-six ans chez GE et était
devenu président de Boeing
en 2019, était l’un des représen-
tants de l’école Welch. Il fut incapa-
ble de changer la culture de l’avi-
onneur, plus concentrée sur le
cash-flow (la trésorerie) que la sé-
curité de ses clients.
Quant aux conglomérats, nul
ne les regrette non plus. D’après
la chaîne CNBC, quelque trente-
six opérations de « spin-off » sont
prévues dans le monde en 2024.
Le seul à avoir résisté à la tempête
est le financier Warren Buffett,
93 ans, patron de Berkshire Ha-
thaway, qui s’est fait pour spécia-
lité d’investir dans les entreprises
à forte marge peu exposées à la
concurrence. Lui aussi est large-
ment tombé de sa superbe, pas-
sant du statut d’investisseur de
génie à incarnation de la rente
non concurrentielle. p
arnaud leparmentier
« Outre les sous-marins, notre
partenariat stratégique avec PT
PAL permettra à l’industrie de dé-
fense indonésienne de préparer
l’avenir du combat naval », se féli-
cite Pierre Eric Pommellet, PDG
de Naval Group. Partout, au
moins une part de fabrication lo-
cale est la règle. Comme en Inde,
où six Scorpène ont été construits
par les chantiers de Bombay, en
attendant les trois derniers, ou
aux Pays-Bas, où les quatre sous-
marins d’attaque de classe Barra-
cuda commandés par la marine
royale, certes construits à Cher-
bourg (Manche), bénéficieront à
des industriels locaux qui empo-
cheront une partie de ce contrat
de plus de 5 milliards d’euros.
Pour l’heure, la France n’ex-
porte pas ses sous-marins à pro-
pulsion nucléaire, en service
dans la seule marine nationale.
En visite au Brésil, fin mars, le
président de la République, Em-
manuel Macron, a néanmoins
confirmé le programme Prosub,
lancé en 2008. Il prévoit la cons-
truction locale de quatre Scor-
pène et un appui technique pour
le développement d’un sous-ma-
rin nucléaire brésilien. « Le pro-
gramme de transfert de technolo-
gie le plus complet jamais effec-
tué », résume-t-on chez Naval
Group, sans préciser jusqu’où la
France est prête à aller dans la
livraison de ses savoir-faire. p
0123
JEUDI 4 AVRIL 2024
PLEIN CADRE
Dans le Cantal,
trois générations
au service
de l’hôtellerie
Depuis 1962, la famille Bancarel
tient l’Hôtel Le Bailliage à Salers.
Intendance, recrutement du personnel,
animations, restauration…
En six décennies, les pratiques
touristiques ont bien changé
et chaque génération a dû s’y adapter
REPORTAGE
salers (cantal) - envoyée spéciale
L
orsque Antoine et Ma-
rion Bancarel pénè-
trent en début de ma-
tinée dans le hall de
l’Hôtel Le Bailliage à
Salers (Cantal), leur
marathon ne fait que commen-
cer. Pendant que les hôtes les plus
matinaux prennent leur petit dé-
jeuner, Antoine monte contrôler
une cheminée dans la chambre 8
et Marion vérifier un volet électri-
que dans la 12. En reprenant l’éta-
blissement en février 2020, ils sa-
vaient tous deux qu’ils auraient à
régler une multitude de problè-
mes au quotidien.
Dans l’entrée, une série de pho-
tographies illustre soixante ans
d’activité de l’hôtel, transmis sur
trois générations. La famille y
pose entourée du reste de l’équipe
ou de clients plus ou moins célè-
bres. Denise et Charly Bancarel,
les grands-parents d’Antoine, ont
fait construire le lieu en 1962, à
l’entrée de ce village médiéval si-
tué à 950 mètres d’altitude, qui
domine la vallée de la Maronne. A
l’époque, elle s’occupe de l’accueil
et de la cuisine du restaurant ; lui
gère le bar, le PMU, et la station es-
sence installée devant la bâtisse.
Le couple loge à l’arrière de l’hô-
tel et il n’est pas rare que leurs
deux enfants, Jean-Charles et Do-
minique, traînent au milieu des
clients. La vocation naît chez leur
fille, Dominique, qui finit par s’as-
socier à l’entreprise de ses parents
dans les années 1970, avec son
mari, Jean-Michel, qui entreprend
alors de se former à la cuisine
pour passer derrière les four-
neaux. La collaboration entre les
deux générations perdure jus-
qu’en 1999, lorsque Charly et De-
nise se décident à prendre leur re-
traite, à presque 70 ans.
Lever le pied n’est pas dans
l’ADN de la famille Bancarel. Lors-
qu’il se lance avec Denise dans
l’hôtellerie, Charly est déjà à la tête
d’une société de cars. En parallèle
de son activité au Bailliage, il s’oc-
cupe donc matin et soir du ramas-
sage scolaire du canton. Son gen-
dre Jean-Michel sera également
de la partie, jusqu’à ce que Charly
se sépare de l’entreprise de trans-
port quelques années plus tard.
FERMETURE IMPOSÉE
En 2019, lorsque Dominique et
Jean-Michel annoncent au détour
d’un repas qu’ils envisagent de
vendre l’hôtel, l’idée de le repren-
dre germe chez leur neveu, qui
« voulai[t] que Le Bailliage reste
dans la famille ». Antoine et Ma-
rion, alors âgés de 28 ans, tra-
vaillent une saison aux côtés de
Dominique et Jean-Michel pour
rassurer les banques sur leur ca-
pacité à gérer le restaurant.
Lesté d’un emprunt de 1,5 mil-
lion d’euros, le jeune couple de-
vient propriétaire du Bailliage en
février 2020, six semaines avant
le premier confinement dû à la
pandémie de Covid-19. Une des
conditions pour toucher les aides
de l’Etat est d’avoir démarré son
activité avant le 1er février, Antoine
et Marion n’y ont donc pas droit.
D’entrée de jeu, ils sont contraints
de s’adapter et mettent à profit
cette fermeture imposée pour lan-
cer en avance des travaux de réno-
vation. Trois mois plus tard, ils
sont prêts pour la réouverture et
réalisent finalement un bon chif-
fre d’affaires sur la période res-
treinte de l’été. Lors du deuxième
confinement, ils mettent en place
des ventes à emporter et du ser-
vice en chambre. « On appréhen-
dait beaucoup quand il y a eu le
confinement. Mais en définitive, ça
s’est bien passé », racontent-ils.
Comme son grand-père, Antoine
est déjà à la tête d’une entreprise.
Ses journées commencent aux
Bouiges, sur son exploitation agri-
cole située à 6 kilomètres de Salers,
où il nourrit sa centaine de vaches
avant de venir travailler à l’hôtel. Il
y retourne l’après-midi pour leur
ration du soir, et revient tenir la ré-
ception jusqu’à la fermeture.
La clientèle du petit déjeuner est
clairsemée ce mardi 19 mars : un
motard faisant étape et deux cou-
ples en vacances. Chacun re-
monte dans sa chambre pendant
que le serveur dessert les tables.
L’époque n’est plus aux groupes
du troisième âge qui s’arrêtaient
quelques jours au Bailliage pour
visiter la porte du Beffroi, vestige
de l’ancien rempart, et déguster
une truffade. Denise leur prépa-
rait une cuisine familiale et il
n’était pas rare que les clients ré-
clament un loto ou une partie de
belote après dîner.
Souvent, il s’agissait d’habitués
qui appréciaient l’ambiance de la
maison et revenaient d’une an-
« On s’est rendu
compte que les
gens mangeaient
moins le soir,
qu’ils préféraient
grignoter dans
leur chambre »
ANTOINE BANCAREL
propriétaire du Bailliage
depuis février 2020
De gauche
à droite,
les trois
générations de
Bancarel qui ont
tenu l’Hôtel Le
Bailliage : Charly,
Denise, Marion,
Antoine,
Dominique
et Jean-Michel,
à Salers (Cantal),
le 19 mars.
LÉO KELER/
HORS FORMAT
POUR « LE MONDE »
née sur l’autre séjourner trois se-
maines l’été. Ils se mêlaient aux
habitants de Salers venus manger
un morceau ou boire un apéritif
au bar de l’hôtel. Ces derniers fré-
quentaient déjà l’auberge du père
de Charly dans les années 1950.
Il a été le premier à avoir un télévi-
seur sur le canton, la diffusion
des matchs de rugby attirait un
public nombreux. L’époque où Le
Bailliage proposait des randon-
nées de ski de fond et avait la ca-
pacité de louer soixante-dix pai-
res de ski est aussi révolue. « On
pouvait avoir cinquante clients
derrière nous !, s’amuse Jean-Mi-
chel. C’était un truc de dingue, avec
les risques pour la sécurité, on ne
pourrait plus faire ça mainte-
nant. » De toute façon, il ne neige
plus l’hiver à Salers.
DANSE FOLKLORIQUE
Lorsque arrive la mode des cof-
frets cadeaux type Smartbox, Do-
minique et son mari s’en inspi-
rent pour proposer leurs propres
week-ends ou soirées à thème. Un
formateur de la chambre de com-
merce leur avait conseillé de gar-
der les e-mails des clients pour en
faire une liste de diffusion. C’est
alors qu’ils l’utilisent pour la pre-
mière fois et annoncent une soi-
rée pour la Saint-Valentin. « On
avait fait une superdécoration.
Sans vous mentir, c’était incroya-
ble, assure Dominique. Il y avait
des gens partout. » « Presque
trop », intervient Jean-Michel. Dé-
sormais, la clientèle semble da-
vantage rechercher la tranquillité
que les activités. Antoine ne fait
plus venir le groupe de danse folk-
lorique de Salers à la fin des repas :
certains clients s’étaient plaints
économie & entreprise | 17
que « ça les avait dérangés » pen-
dant leur dîner. D’autres peuvent
« faire un drame » si le parking est
plein, ce qui a contraint l’hôtel à
investir dans une barrière pour le
réserver aux clients.
Dans les étages, les femmes de
ménage ont commencé à net-
toyer les chambres. Dix personnes
sont employées aux 35 heures en
CDI, avec un temps de travail et un
salaire (environ 1 500 euros net
par mois) lissés sur l’année. L’hôtel
ferme de mi-novembre à début fé-
vrier, et vingt embauches en CDD
viennent renforcer l’équipe l’été.
En pratique, les salariés ne dépas-
sent pas les 48 heures par se-
maine. Dans les années 1970, la
serveuse « arrivait le matin à 7 h 30,
à 11 heures du soir, elle était encore
là », se souvient Dominique.
Le recrutement reste l’une des
difficultés majeures de l’hôtel.
Pour fidéliser le personnel, An-
toine et Marion mettent à dispo-
sition des logements. L’entreprise
doit également élargir son hori-
zon, même si cela occasionne
quelques péripéties administrati-
ves. En février 2023, une société de
placement leur propose quatre
travailleurs argentins, embau-
chés avec un visa vacances-tra-
vail. Si l’obtention de leur autori-
sation d’emploi en CDI est immé-
diate, ils sont forcés d’interrom-
pre leur travail six semaines
pendant l’été pour rentrer en Ar-
gentine obtenir un visa long sé-
jour auprès du consulat français.
« On a été obligés de refuser des
clients parce qu’il nous manquait
du personnel », se désole Antoine.
A l’accueil, un groupe d’em-
ployés de mairie venu déjeuner
au restaurant attend d’être placé
L’époque
où Le Bailliage
proposait
des randonnées
de ski de fond
et avait la
capacité de louer
70 paires de ski
est aussi révolue
en salle. Chaque génération de la
famille Bancarel façonne la carte à
son goût. Le coq au vin de Denise a
été remplacé par la cuisine semi-
gastronomique de Jean-Michel.
Antoine, lui, a retravaillé la carte
pour utiliser tous les morceaux de
ses vaches salers. Il a aussi déve-
loppé une offre de snacking : « On
s’est rendu compte que les gens
mangeaient de moins en moins de
gros repas le soir, qu’ils préféraient
grignoter dans leur chambre. »
LOCATION SAISONNIÈRE
En salle, le serveur prend les com-
mandes. Antoine et Marion ont
dû investir pour informatiser le
système. « En 2019, on travaillait
encore avec des bouts de papier »,
se rappelle Antoine. Désormais,
« on est plus efficaces : ça évite les
erreurs et c’est directement facturé
sur la chambre ». La réservation
s’est, elle aussi, modernisée. Elle
se fait aujourd’hui presque exclu-
sivement en ligne. « Ça va beau-
coup plus vite car le client enregis-
tre directement toutes les informa-
tions et la garantie bancaire », ex-
plique Antoine.
Cependant, pour éviter les com-
missions des plates-formes (15 %
pour Booking), ils ont dû amélio-
rer la réservation directe depuis
leur site Web, travailler leur réfé-
rencement, leur présence sur les
réseaux sociaux et la publicité en
ligne. « On peut faire une campa-
gne de pub pour 20 euros qui va
toucher un segment de clientèle
dans un périmètre choisi. Là où
une campagne de communication
dans un journal ou une radio nous
coûterait 500 euros. »
Le secteur fait aussi face aux
plates-formes de location saison-
nière telle Airbnb. Une concur-
rence qu’Antoine estime « dé-
loyale » puisque l’hôtel est sujet à
des réglementations auxquelles
ces locations ne sont pas soumi-
ses, comme les normes incendie
ou l’accessibilité aux personnes à
mobilité réduite. « Et je ne pense
pas non plus qu’ils déclarent beau-
coup de charges sociales et d’im-
pôts, souligne Antoine. Alors ef-
fectivement, ils sont moins chers.
Mais ce n’est pas comparable. »
Au restaurant comme à l’hôtel,
Antoine et Marion ont ressenti
l’inflation : « les prix du beurre et
de la crème ont doublé, la viande a
augmenté de 30 % ». Mais le plus
gros poste reste celui de l’électri-
cité, dont la facture mensuelle a
été multipliée par cinq en 2023.
« Ça nous a mangé toute notre tré-
sorerie, s’inquiète Antoine. Heu-
reusement, on est engagés pour
deux ans seulement. A la fin de
l’année, on va pouvoir renégo-
cier. » Dans la salle, le service du
déjeuner se termine. Antoine et
Marion ont encore une longue
journée devant eux. p
solène l’hénoret
18 | management 0123
JEUDI 4 AVRIL 2024

Etre salarié et militant : un dédoublement CARNET DE BUREAU

CHRONIQUE PAR ANNE RODIER

source de souffrance au travail Des seniors ? « Oui,

Au nom de la cause de leur organisation, des travailleurs mettent leur santé en danger mais pas chez nous »

E A
nzo Poultreniez les ap-
pelle les « étoiles filan-
tes ». Ce sont, comme lui,
des collaborateurs du
mouvement Les Ecologistes. Ils
sont arrivés à l’occasion d’une
campagne électorale dans la-
quelle ils se sont investis sans re-
tenue, jusqu’à l’épuisement. « On
ne les reverra plus », conclut-il.
Aujourd’hui à la tête de l’Asso-
ciation des collaborateurs d’élus
écologistes et apparentés (Aceva),
il se dit inquiet pour la santé de
ces salariés éphémères mais
aussi, plus largement, pour celle
de l’ensemble des collaborateurs
du mouvement, dont beaucoup
seraient touchés par un « suren-
gagement ». Lui-même est allé au
bout de ses limites. En 2015, il a
été l’un de ces « martyrs » prêts à
« se sacrifier pour la cause ». Vic-
time d’un burn-out, il explique
aujourd’hui avoir pris du recul et
appris à dire non.
Le ressenti de M. Poultreniez
est confirmé par une enquête
menée par le sociologue Simon
Cottin-Marx en 2023 sur les
conditions de travail des collabo-
rateurs d’Europe Ecologie-Les
LES CHIFFRES
46 %
C’est la part des collaborateurs
du mouvement Europe Ecologie-
Les Verts qui déclarent effectuer
une quantité de travail excessive,
selon une étude du sociologue
du travail Simon Cottin-Marx
(2023).
1,89
C’est, en million, le nombre
de salariés dans les associations,
en France, en 2022 (Urssaf caisse
nationale et MSA).
Verts (rebaptisé Les Ecologistes),
à la demande de l’Aceva, et dont
Le Monde livre les résultats en ex-
clusivité. Elle montre que, si les
salariés trouvent du sens au tra-
vail, ils se plaignent d’exercer un
métier qui « déborde ».
Parmi eux, 68 % se disent solli-
cités en dehors des heures de tra-
vail, ce qui a une influence néga-
tive sur leur vie privée (47 %) et
leur santé (46 %) ; 64 % disent
être préoccupés par la situation
de collègues, et 66 % déclarent
connaître des collègues ayant
quitté leur emploi pour cause de
souffrance ou d’épuisement au
travail. La situation rencontrée
chez Les Ecologistes n’a rien
d’une exception. Elle peut être
observée dans d’autres mouve-
ments politiques, des syndicats,
des associations. Le fort engage-
ment des salariés dans leur tra-
vail est une première explication.
Les collaborateurs sont en
grande majorité des militants qui
épousent une cause. « Au départ,
il y a la flamme », résume le so-
ciologue Matthieu Hély.
Manque de structuration
Leur implication est d’autant
plus forte que la frontière est
floue entre missions salariées et
militantisme (surtout lorsque
l’on côtoie des bénévoles eux
aussi très investis), et que le dé-
vouement est présenté comme
une norme. « Il est par exemple
très dur de dire non lorsque des ac-
tions sont proposées par mon em-
ployeur – et, donc, pour la cause –
le soir ou le week-end », reconnaît
une salariée dans l’humanitaire.
Autre facteur de risque, surtout
dans les petites organisations : le
manque de structuration du ma-
nagement en interne. « Dans les
associations, les employeurs sont
souvent des bénévoles, note
M. Cottin-Marx. Ils n’ont la plu-
part du temps pas été formés pour
cette fonction. » Même chose dans
L’implication
est d’autant
plus forte
que la frontière
est floue
entre missions
salariées
et militantisme
le secteur politique, où des élus
gèrent plusieurs collaborateurs
sans avoir de notions de manage-
ment. L’encadrement du travail
peut logiquement faire défaut.
L’affaire se complique encore
lorsque l’employeur rejette l’idée
même de gestion des ressources
humaines. « Dans des petites or-
ganisations engagées à gauche,
certains considèrent que ce sont
des problématiques de droite,
liées au capitalisme », résume Ar-
thur Brault-Moreau, auteur du li-
vre Le Syndrome du patron de
gauche (Hors d’atteinte, 2022). La
fonction d’encadrement n’est
alors plus assumée, ce qui débou-
che, à ses yeux, sur un « manage-
ment d’évitement ».
M. Brault-Moreau a vécu voici
quelques années une telle situa-
tion, dans l’équipe d’une élue de
gauche. Elle a été, pour lui, à l’ori-
gine d’une profonde désillusion.
Plus de cinquante heures de tra-
vail par semaine, une pression
psychologique douloureuse…
« La réalité était très éloignée des
valeurs défendues par mon em-
ployeuse », écrit-il.
Cet écart ressenti entre les at-
tendus et le réel peut justement
être une autre source de souf-
france pour les salariés mili-
tants. « L’accomplissement per-
sonnel peut permettre de contre-
balancer un état d’épuisement,
explique Ieva Prapuolenyte-Ni-
zaraly, psychologue du travail.
Mais si l’on n’est pas en accord
avec ce que l’on fait ou que l’on
n’y prend plus de plaisir, le burn-
out peut survenir. »
Face à ces multiples risques
psychosociaux, les organisa-
tions militantes avancent en or-
dre dispersé, le sujet n’étant sou-
vent pas jugé prioritaire. Certai-
nes grandes ONG proposent des
consultations psychologiques à
des salariés en souffrance. Ce qui
demeure insuffisant, pour
Mme Prapuolenyte-Nizaraly : « On
cherche alors à soigner l’individu
et non le travail. » Elle appelle à
une réflexion sur une évolution
des organisations, afin d’« amé-
liorer les conditions de travail ».
Bien que peu structurées pour
porter une politique de préven-
tion, des petites associations se
sont justement engagées en ce
sens. Des syndicats d’employeurs
ont ainsi décidé d’œuvrer à la for-
mation de leurs membres. « La
montée en compétences des béné-
voles employeurs est nécessaire,
notamment sur les thématiques
de gestion », constate David Clu-
zeau, délégué général d’Hexopée,
syndicat d’employeurs de l’édu-
cation populaire. Des formations
sont désormais dispensées pour
maîtriser les procédures d’em-
bauche ou les enjeux de la qualité
de vie et des conditions de travail.
Chez Les Ecologistes, l’Aceva a
contribué à l’adoption d’une
motion lors du dernier congrès,
fin 2022, pour « renforcer le dia-
logue social et prévenir les ris-
ques professionnels des salariés ».
Tous les élus et cadres du parti
employeurs doivent désormais
être formés à l’encadrement des
salariés. Un comité paritaire de
promotion du dialogue social
est, par ailleurs, en cours de créa-
tion. Il aura notamment la
charge d’édifier une procédure
de signalement des risques psy-
chosociaux. p
françois desnoyers
vant l’ultime séance de négociation entre les parte-
naires sociaux sur le « pacte de la vie au travail » et
l’emploi des seniors, fixée au 8 avril, la plate-forme
numérique Review Jobs, spécialisée dans l’expé-
rience collaborateur, a interrogé plus de 1 000 salariés du 9 au
12 mars sur la place des plus de 55 ans dans leur entreprise. Res-
pectés mais peu désirés, résume en deux mots leur jugement
sur cette catégorie d’actifs. L’ensemble des salariés considèrent
que les seniors sont davantage impliqués et plus exemplaires
qu’eux-mêmes ne se voient. Ils les jugent compétents (76 %) et
soigneux (69 %). De plus, 44 % les estiment même créatifs dans
leur travail. Une bonne image à première vue.
Mais paradoxalement, quand les questions portent sur l’aug-
mentation du taux d’emploi des seniors, rendue nécessaire par
le report de l’âge légal de départ à la retraite à 64 ans, 30 % des
jeunes de moins de 25 ans et 38 % des cadres trouvent que « c’est
une bonne idée, mais pas chez nous ». Elle ne peut pas s’appliquer
à leur métier, pas à leur entreprise, disent-ils.
Dans ce sondage publié le 28 mars, 40 % des salariés font état
d’un manque d’appropriation des nouvelles technologies par
les plus de 55 ans, 31 % des jeunes salariés les estiment incapa-
bles de s’habituer à travailler autrement (té-
létravail, projets collaboratifs), et 39 % des ca-
UNE ÉTUDE JUGE dres dirigeants les croient également incapa-
CETTE CATÉGORIE bles de comprendre les attentes des plus
jeunes. « Notre analyse est que les jeunes
D’ACTIFS n’ont pas un regard très précis, car ils ont peu
de seniors auprès d’eux », relativise Nicolas
RESPECTÉS MAIS Marette, le fondateur de Review Jobs. Dans
PEU DÉSIRÉS 44 % des entreprises consultées pour son
étude, les seniors représentent moins de
10 % de l’effectif.
Ces signaux de crispation des relations intergénérationnelles
apparaissent sur fond de ralentissement de la dynamique de
l’emploi. Les prévisions de recrutement de cadres seniors pu-
bliées mardi 2 avril par l’Association pour l’emploi des cadres
(APEC) pour 2024 indiquent que la porte des entreprises a ten-
dance à se refermer devant les plus anciens : « Le secteur privé en-
visagerait de recruter jusqu’à 20 220 cadres de plus de vingt ans
d’expérience (6 % de l’ensemble des recrutements) », soit 15 % de
moins qu’en 2023. Ces cadres très expérimentés seraient « da-
vantage prisés dans les entreprises industrielles que dans les ser-
vices », précise l’APEC. Autrement dit, le taux d’emploi des
55-64 ans que le gouvernement aimerait bien rapprocher de la
moyenne européenne de 62,4 % (contre 56,9 % en France
en 2022) serait plus envisageable dans certains secteurs d’acti-
vité plus ouverts aux salariés plus âgés.
L’étude prospective de l’Institut national de recherche et de
sécurité pour la prévention des accidents du travail et des ma-
ladies professionnelles « Le travail en 2040 », publiée en no-
vembre 2023, rappelait en trois points les conséquences de l’al-
longement des carrières : gestion des compétences, pénibilité,
cohabitation intergénérationnelle. Trois chantiers prioritaires
pour 2024. p

AVIS D’EXPERT | ENTREPRISES TRAVAIL ET VIE DE COUPLE

L’entreprise de crèches en question

A A
la suite d’un rapport public de l’inspec-
tion générale des affaires sociales, en
mars 2023, et de livres rapportant des
maltraitances dans les crèches du secteur lucra-
tif, l’Assemblée nationale a constitué une com-
mission d’enquête sur le « modèle économique
des crèches et la qualité d’accueil des jeunes en-
fants ». Celle-ci vient d’interroger les grands
groupes du secteur (Babilou, People & Baby, La
Maison bleue, Les Petits Chaperons rouges…)
sur leurs actionnariats, leurs modèles économi-
ques et leurs politiques de qualité. Ces témoi-
gnages, visibles par tous, retracent des croissan-
ces réussies mais qui exigent des formes nou-
velles de gouvernance et de contrôle.
Dans les années 2000, l’Etat peine à répondre
aux besoins dans ses domaines habituels. Il sus-
cite alors la création d’entreprises de crèches qui
bénéficient du financement public des presta-
tions. Les investisseurs seront séduits par leur
potentiel de croissance en France et à l’étranger.
Aujourd’hui, ces entreprises détiennent envi-
ron 20 % des places (80 000) et ont réalisé l’es-
sentiel de la croissance du secteur. Elles inno-
vent avec les réservations de places pour les en-
treprises et les organismes, et s’appuient aussi
sur un large réseau de crèches, souvent associati-
ves, pour rester près du domicile des enfants. En-
fin, leurs actionnaires ne reçoivent pas de divi-
dendes et misent sur la croissance du secteur
pour valoriser leurs titres.
Ce modèle suscite plusieurs critiques. Les pres-
tations étant, pour l’essentiel, payées par l’argent
public, on demande aux entreprises de mieux
justifier de leurs coûts et de leurs marges. On
craint aussi que leur rentabilité ne repose sur des
conditions de travail dégradées. Pour autant,
crèches publiques ou privées doivent se confor-
mer à un grand nombre de normes de qualité et
font l’objet de contrôles inopinés par la protec-
tion maternelle et infantile. Aussi, et comme
pour les établissements d’hébergement pour
personnes âgées dépendantes (Ehpad), per-
sonne n’avait prévu l’indignation provoquée par
le signalement de maltraitances ou la révélation
d’indicateurs de gestion contraires à la qualité de
l’accueil. Cela venait conforter le soupçon d’un
secteur trop financiarisé, autant que les difficul-
tés à contrôler des activités aussi sensibles.
Pour sortir de ce piège et restaurer la confiance,
il faut d’abord une gouvernance propre aux va-
leurs du métier. Certaines entreprises ont déjà
adopté la qualité de société à mission. Elle en-
gage les actionnaires sur ces valeurs, impose un
comité de mission, la publication régulière d’un
rapport de mission et un audit indépendant. En
s’étendant au secteur,
cette mutation amélio-
rerait son attractivité et
CERTAINES
sa transparence. ENTREPRISES
Il importe aussi d’étu-
dier les limites des con- ONT DÉJÀ ADOPTÉ
trôles externes, lorsque
les activités s’ancrent
LA QUALITÉ
dans des relations hu- DE SOCIÉTÉ
maines fragiles et lour-
des de conséquences À MISSION
pour les jeunes enfants
et les personnels. Quoique indispensables, ces
contrôles pourraient être complétés par des
dispositifs d’échange, au niveau local, entre des
personnels de crèches venant d’institutions dif-
férentes. Ils aideraient à surmonter les difficul-
tés d’un métier qui n’en manque pas.
Resterait à revoir la tarification, dont la com-
plexité pèse sur toute la profession. Car le gou-
vernement avait annoncé la création de
200 000 places d’ici à 2030. Et, sans préjuger des
conclusions de la commission d’enquête, il se-
rait surprenant, face à un tel effort national, de se
passer d’un secteur privé ainsi rénové. p
Armand Hatchuel est professeur émérite
à Mines Paris-PSL Université.
ttention, couples fragi-
les. Des séparations
en nombre croissant
(45 % des mariages se
terminent par un divorce en
France en 2020), une explosion du
nombre de familles monoparen-
tales (1,5 million en 1999, près de
2,4 millions en 2020)… les statisti-
ques mettent en lumière toute la
difficulté de mener, au long cours,
une vie à deux. Si les causes d’une
telle évolution sont multiples,
Antoine de Gabrielli, spécialiste
de l’égalité professionnelle, a fait
le choix d’interroger la responsa-
bilité des mutations du système
économique en général et du
monde du travail en particulier.
Quels sont les écueils rencontrés
par ces couples dans lesquels cha-
cun tente de mener de front car-
rière et responsabilités privées ?
Quelles réponses l’entreprise pro-
pose-t-elle ? Quels leviers déployer
pour qu’un partage des différents
types de travail (professionnel, so-
cial, familial) ait lieu entre fem-
mes et hommes ? Autant de ques-
tions auxquelles M. de Gabrielli
tente de répondre dans son essai,
S’émanciper à deux. Le couple, le
travail et l’égalité (Ed. du Rocher).
Premier constat : le couple a
changé ces dernières décennies,
devenant « la juxtaposition de
deux projets personnels et profes-
sionnels qui peuvent entrer en con-
currence, explique l’auteur. Il est
plus aérien, plus libre, plus respec-
tueux des talents de chacun, mais
aussi plus fragile et moins solidaire
que l’épaisse pièce de bois, le joug,
qui unissait les animaux de trait au
sein d’un attelage, réalité imagée
et concrète de l’égalité conjugale ».
Dès lors, deux défis se sont im-
posés. Celui de l’égalité au cœur
des entreprises, tout d’abord.
Pour y répondre, les organisa-
tions ont négligé l’approche systé-
mique, pourtant indispensable
pour permettre aux femmes d’ac-
céder aux responsabilités. Des
quotas de femmes ont ainsi été
imposés à certains cénacles exé-
cutifs. Mais tout s’est passé
« comme s’il ne s’agissait que de
mettre un terme à une mauvaise
volonté sexiste », déplore M. de Ga-
brielli. C’est nier une organisation
du travail inadaptée car trop
chronophage pour des femmes
portant encore la plus grande part
des charges familiales.
L’équation semble impossible
Le second défi, justement, est celui
que doivent relever les couples :
concilier temps professionnels et
privés. Une gageure pour nombre
d’entre eux, tant l’équation sem-
ble impossible, sauf à ce que l’une
des deux parties mette en som-
meil une part de ses aspirations ou
ambitions. Une source potentielle
de fragilisation du couple.
Face à ces problématiques,
l’auteur juge indispensable de
« changer le travail ». Il estime en
particulier nécessaire, non de
donner des signes d’ouverture
cosmétiques aux femmes, mais
d’œuvrer sur les charges profes-
S’ÉMANCIPER À DEUX
d’Antoine de Gabrielli,
Editions du Rocher,
240 pages, 17,90 euros
sionnelles qui incombent aux
hommes. « La réalité incontour-
nable de l’égalité, c’est que seule la
liberté donnée aux pères de tra-
vailler moins donne aux mères
celle de travailler plus, conduisant
à un rééquilibrage des temps dis-
ponibles entre conjoints », analyse
M. de Gabrielli.
Il avance pour ce faire des propo-
sitions-chocs, parmi lesquelles les
35 heures par semaine pour tous,
la fin du forfait-jours des cadres ou
la suppression du statut déroga-
toire du cadre dirigeant. La charge
de travail de ce dernier pourrait
aussi être répartie entre deux per-
sonnes. De tels leviers permet-
traient, selon l’auteur, de tendre
vers l’égalité professionnelle et fa-
voriseraient une meilleure répar-
tition des responsabilités privées.
Enfin, ils renforceraient, grâce à
une « émancipation à deux », la so-
lidité des couples. p
f. de
0123
JEUDI 4 AVRIL 2024
Maryse Condé
Ecrivaine guadeloupéenne
D
epuis qu’elle avait
remporté le prix de
littérature de la Nou-
velle Académie à Stoc-
kholm, en octobre 2018, avant
d’être accueillie avec les honneurs
en Guadeloupe, Maryse Condé se
disait en paix. Avec elle-même,
avec le monde littéraire, avec
sa vocation. Elle est morte, à l’âge
de 90 ans, dans la nuit du
lundi 1er au mardi 2 avril à l’hôpi-
tal d’Apt (Vaucluse).
Elle laisse une œuvre magis-
trale, qui décrit « dans un langage
précis (…) les ravages du colonia-
lisme et le chaos du postcolonia-
lisme », selon la Nouvelle Acadé-
mie. Lue et étudiée dans le monde
entier, la professeure à l’univer-
sité Columbia, l’écrivaine voya-
geuse qui a habité à Paris, en Afri-
que, aux Antilles, aux Etats-Unis,
la militante et grande romancière
de la Guadeloupe avait dédié la
récompense, longtemps désirée,
à son « pays », qu’elle a rêvé indé-
pendant sa vie durant.
Les romans, pièces de théâtre et
livres pour la jeunesse, les mé-
moires et les essais de Maryse
Condé sont pareillement portés
par un irrépressible besoin de
comprendre. Sa vie. La vie. Ce qui
anime les peuples et le monde.
Dans la chute d’un royaume
bambara (les deux tomes de Sé-
gou, Robert Laffont, 1984 et 1985)
comme dans son milieu d’ori-
gine, la bourgeoisie « négro-an-
tillaise » (Le Cœur à rire et à pleu-
rer, Robert Laffont, 1999). Dans
les mentalités et les croyances
guadeloupéennes (Traversée de
la mangrove, Mercure de France,
1989, et Célanire cou-coupé,
Robert Laffont, 2000) comme
dans le djihadisme français, ins-
piration du Fabuleux et Triste
Destin d’Ivan et d’Ivana (JC Lattès,
2017). Dans le couple mixte et le
statut de la femme artiste (His-
toire de la femme cannibale, Mer-
cure de France, 2003) comme
dans le parcours de sa grand-
mère maternelle, une cuisinière
exceptionnelle qui louait ses ser-
Guy Goffette
Poète et éditeur belge
D
is donc, ne marche pas
si vite, mon vieux Guy,/
Tiré par ton profil qui
fend la brise. Qu’est-ce
qui/Nous presse ? », écrivait Jac-
ques Réda en préface à Un man-
teau de fortune (Gallimard, 2014)
de son ami Guy Goffette. Et pour-
tant, le voilà emporté par le vent,
Guy Goffette. Il s’est éteint dans la
nuit du 28 mars, à l’âge de 76 ans,
lui qui a toujours vécu en par-
tance, à la lisière, rêvant de l’hori-
zon dans une vieille caravane
échouée dans un jardin, entre la
jouissance du présent et le goût
de la nostalgie. « On ne part pas »,
disait Rimbaud, mais tout le
monde sait que ce n’est pas vrai. Il
faut relire l’œuvre pour retrouver
la voix du poète, comme l’eau
d’une source.
Ce poète-là est né le 18 avril 1947
à Jamoigne, en Lorraine belge,
aux frontières de trois pays (Belgi-
que, France et Luxembourg), avec
la nature comme premier livre de
lecture, à préférer les arbres où
font halte les oiseaux aux mai-
sons qui grincent. Sa famille est
ouvrière sous le ciel blanc, le foyer
reclus sur lui-même, le père tai-
seux et brutal. L’enfance sera au
cœur des élégies futures, « une vie
promise » retirée et, depuis, inlas-
sablement pourchassée.
Adulte, Guy Goffette choisit l’en-
seignement. Il sera longtemps ins-
vices aux familles blanches de la
Guadeloupe (Victoire, les saveurs
et les mots, Mercure de France,
2006).
Son refus des carcans identitai-
res et des étiquettes commodes
(non, elle n’était pas une roman-
cière francophone, elle écrivait
en « Maryse Condé »), sa lucidité
et son ironie mordante concou-
raient à rendre sa voix singulière.
Sa perte est immense.
Se rebeller et écrire
Benjamine d’une fratrie de huit,
Maryse Liliane Appoline Bouco-
lon naît le 11 février 1934 à Pointe-
à-Pitre. Son père, Auguste Bouco-
lon, est commerçant et fondateur
d’une banque. Sa mère, Jeanne
Quidal, est la première institu-
trice noire de la Guadeloupe. Les
parents élèvent leurs enfants
dans l’amour de la culture fran-
çaise et l’ignorance de leur ascen-
dance africaine. Ils voyagent ré-
gulièrement à Paris, ne parlent ja-
mais créole à la maison. Ils rêvent
que leur fille devienne une fonc-
tionnaire, qu’elle épouse un fonc-
tionnaire antillais. Elle aspire à
autre chose.
Elle a 10 ans quand une amie
de sa mère lui offre Les Hauts de
Hurlevent, d’Emily Brontë (1847),
en la prévenant que « les gens
comme eux » n’écrivent pas. Plus
tard, elle transposera l’histoire
d’amour d’Heathcliff et Cathe-
rine aux Caraïbes dans La Migra-
tion des cœurs (Robert Laffont,
1995). Mais, pour l’heure, l’enfant
comprend qu’écrire et se rebeller
seront pour elle une seule et
même chose. A 16 ans, elle intè-
gre l’hypokhâgne du lycée Fé-
nelon, à Paris.
La suite ressemble à un roman.
L’écrivaine la raconte dans La Vie
sans fards (JC Lattès, 2012). La dé-
couverte de l’esclavage et de la co-
lonisation grâce au père d’une
amie, l’historien marxiste Jean
Bruhat (1905-1983). La lecture de
Césaire (1913-2008), la librairie
Présence africaine, les premiers
essais et nouvelles. Une passion
tituteur et professeur. Il se marie
en 1969 avec Françoise, a trois en-
fants, construit lui-même sa mai-
son, près du village d’Harnon-
court. Plus tard, devenu éditeur, il
dirigera les collections « Enfance
en poésie » et « Folio Junior en
poésie » chez Gallimard, faisant
œuvre de passeur pour les plus pe-
tits. Car les livres ont pris de plus
en plus de place dans son exis-
tence : en 1980, il fonde avec des
amis la revue Triangle, puis L’Ap-
prentypographe, des cahiers qu’il
compose et imprime à la main
jusqu’en 1987. Cette année-là, il
commence à publier des notes de
lecture dans La Nouvelle Revue
française. C’est l’heure des dé-
parts, des voyages (Balkans, Qué-
bec, Roumanie…), des séparations.
Musique et peinture
En 1988 paraît chez Champ Val-
lon Eloge pour une cuisine de pro-
vince, son premier recueil majeur,
récompensé par le prix Mallarmé.
Son art y est déjà arrivé à matu-
rité. Loin du formalisme des
avant-gardes, le poète reste fidèle
aux mots les plus simples et à sa
mission première : communi-
quer une émotion. C’est pour lui
affaire de grâce et d’épure, d’at-
tention aux petits riens du quoti-
dien, à la beauté des êtres et des
lumières sous l’amas des choses.
La tonalité est mélancolique : « La
avec un journaliste haïtien – plus
tard assassiné sous Aristide – qui
l’abandonne, enceinte. La licence
d’anglais à la Sorbonne. En 1958,
l’étudiante se marie avec l’acteur
guinéen Mamadou Condé, qu’elle
voit jouer dans Les Nègres, de Ge-
net. Puis ce sera l’appel de l’Afri-
que. Elle s’envole pour la Côte
d’Ivoire, enceinte et avec son fils,
pour un poste de professeure de
français au lycée de Bingerville.
Elle a 22 ans.
Elle passera douze ans en Afri-
que, qui feront voler en éclats ses
rêves de négritude. D’abord dans
la Guinée de Sekou Touré (1922-
1984), où elle assiste à la répres-
sion du soulèvement étudiant
en 1962 ; puis au Ghana, où on
l’accuse d’être une espionne à la
solde du régime guinéen, la pri-
vant de passeport. Ses papiers de
nouveau en poche, elle s’envole
avec ses quatre enfants pour Lon-
dres, où elle travaille à la BBC,
avant de partir enseigner au
Sénégal. Elle y rencontre Richard
Philcox, professeur d’anglais bri-
tannique. Elle l’épouse en 1981, il
deviendra son traducteur. Mais
avant cela elle prend une déci-
sion « très dure », en 1972 : laisser
ses enfants pendant cinq ans à
Mamadou Condé, et reprendre le
chemin de la faculté. « J’ai com-
pris que, si je n’arrivais pas à reve-
nir à mes études, je ne m’en sorti-
rais jamais », nous a-t-elle confié.
Retour en Guadeloupe
L’année 1976 est celle de la paru-
tion simultanée de sa thèse à
Paris-III (Stéréotype du Noir dans
la littérature antillaise) et de son
premier roman, Heremakhonon
(10/18) sur la Guinée de Sekou
Touré. Elle publie ce dernier
grâce à l’insistance de son ami,
l’éditeur béninois Stanislas Ado-
tevi. Huit ans plus tard, Ségou
connaît un grand succès public
et critique, au grand dam des in-
tellectuels africains qui « n’ont
jamais accepté qu’une Antillaise,
qu’une femme, se mêle de ce pas-
sé-là », dira-t-elle au Monde. Puis
18 AVRIL 1947 Naissance
à Jamoigne (Belgique)
1988 « Eloge pour une
cuisine de province »
(Champ Vallon)
1991 « La Vie promise »
(Gallimard)
2001 Grand Prix de poésie
de l’Académie française
2010 Goncourt de la poésie
28 MARS 2024 Mort à
Namur (Belgique)
A Gordes (Vaucluse), le 27 juillet 2021. ARNOLD JEROCKI/GETTY IMAGES
Maryse Condé achète une mai-
son en Guadeloupe.
Le retour au pays natal ne se
passe pas comme espéré. L’écri-
vaine se sent ignorée par ses
compatriotes, bien que ses livres
soient constamment distingués :
Grand prix littéraire de la
Femme pour Moi, Tituba sor-
cière… (Gallimard, 1986) ; prix
américain Puterbaugh pour l’en-
semble de son œuvre, en 1993.
Elle est toutefois en désaccord
avec la « créolité » en vogue à
l’époque, lui opposant la liberté
de création des auteurs antillais.
Invitée régulièrement par des
universités américaines, elle part
finalement créer le centre des
études françaises et francopho-
nes à l’université Columbia
en 1997, qu’elle dirige jusqu’à sa
retraite universitaire, en 2002.
nuit en province tombe dans les
yeux bien avant l’âge » ; l’humour,
discret : « Mais la dernière station/
Est celle du métro. »
On songe aux mélodies fausse-
ment naïves du poète belge Max
Elskamp, quand un léger déhan-
chement du vers fait surgir des
larmes, que l’on essuie, un peu
honteux, du revers de la main. Car
la poésie de Guy Goffette est mu-
sique – le poète guitariste est fan
de blues – et peinture – avec son
stylo Bic, il dessine sur les nappes
en papier. Les femmes aussi sont
présentes, comme le plus terrien
des paradis. Guy Goffette n’hésite
pas à citer les poètes qu’il chérit,
dans des « dilectures » (Georges
Perros, Jean Follain, André Fré-
naud, Emily Dickinson, Umberto
Saba…) : sa poésie est ouverte aux
autres, accessible à tous.
L’homme a pris son envol. Il
pose ses valises entre Charleville
et le quartier des Halles, à Paris,
devient lecteur chez Gallimard,
où il entrera au comité de lecture,
éditeur empathique promenant
sa faconde joyeuse dans les cou-
loirs (Guy Goffette était bavard).
Les recueils se succèdent chez
Gallimard : La Vie promise (1991),
Le Pêcheur d’eau (1995), Un man-
teau de fortune (2001). Distiques,
vieux dizains, alexandrins, vers
libres ou de quinze syllabes : le
poète joue avec les formes. Par-
disparitions | 19
Longtemps, Maryse Condé a
vécu entre Paris et Gordes (Vau-
cluse), avant de s’installer à l’an-
née dans le Luberon. Avec Mets et
merveilles (JC Lattès, 2015), ses
« Mémoires culinaires » où elle
mêlait les plaisirs d’écrire, de voya-
ger et de cuisiner dans l’idée de
« vaincre les barrières que les gens
érigent entre les différents aspects
de la vie », les lecteurs ont décou-
vert une nouvelle facette de son
incroyable personnalité. Son cœur
était « à rire et à pleurer ». Affectée
de longue date par un accident cé-
rébral, l’écrivaine était affaiblie par
une maladie neurologique qui
l’avait contrainte à dicter son der-
nier roman, L’Evangile du Nouveau
Monde (Buchet-Chastel, 2021). p
gladys marivat
(collaboratrice du « monde
des livres »)
fois, il retrouve la longue respira-
tion claudélienne, la grandilo-
quence en moins. Souvent,
il coupe ses longues phrases sou-
ples en des vers courts qui cal-
quent le temps qui passe.
Fictions intimes
La quarantaine passée, il décou-
vre en Verlaine un frère d’inspira-
tion dans l’impair, Ardennais
d’adoption comme lui. Il lui con-
sacre un texte en prose, terrible et
merveilleux, Verlaine d’ardoise et
de pluie (1996), où figurent aussi
quelques vers de neuf pieds :
« Ô verre verdoyant des étangs/
Où, calmes, les loups gris s’en al-
laient/Boire la nuit, et leurs grands
yeux blancs/Signaient l’ombre
comme en un ballet. » Le livre pa-
raît dans la collection « L’un et
l’autre », tout comme Elle, par
bonheur, et toujours nue (1998),
consacré à Marthe Bonnard.
Le pli du récit est pris. Bientôt,
aux recueils de poèmes s’ajoutent
des fictions intimes, portées par
les mêmes inspirations. La bles-
sure de l’enfance est toujours
ouverte, ne reste plus qu’à y jeter
du sel. En 2001, dans Un été autour
du cou (Gallimard), il crée la figure
de Simon pour évoquer la honte,
l’effroi, le désir et la colère d’un
garçon de 12 ans, entraîné par une
femme plus âgée dans une rela-
tion sexuelle qu’on ne qualifiait
11 FÉVRIER 1934 Naissance
à Pointe-à-Pitre
1959-1972 Vit et enseigne
en Afrique
1984-1985 Publie « Ségou.
Les Murailles de la terre »
(t. 1) et « Ségou. La Terre
en miettes » (t. 2)
1997 Fonde le centre
des études françaises et
francophones à l’université
Columbia (New York)
2004 Préside le comité pour
la mémoire de l’esclavage
2018 Prix de littérature
de la Nouvelle Académie
2 AVRIL 2024 Mort à Apt
(Vaucluse)
pas encore de viol ou d’emprise.
On retrouvera le même person-
nage dans Géronimo a mal au dos
(Gallimard, 2013), tentative avor-
tée de réconciliation avec le père –
« l’homme de ma vie ». Entre-
temps, Guy Goffette aura voyagé
sur le Transsibérien et célébré la
beauté des femmes dans Une en-
fance lingère (Gallimard, 2006)
et Presqu’elles (Gallimard, 2009),
par amour des frontières tou-
jours, qu’elles soient celles d’un
pays ou d’un porte-jarretelles.
Au Grand Prix de poésie de l’Aca-
démie française qui récompensa
le poète en 2001 s’ajoute le Gon-
court de la poésie en 2010. Mais sur
le métier le poète remet son
ouvrage. Le poignant Tombeau du
capricorne (Gallimard, 2009) est
dédié à Paul de Roux, d’autres poè-
mes, aux amis indispensables –
Jacques Réda, Hédi Kaddour ou
Gilles Ortlieb. Pain perdu (Galli-
mard, 2020) est offert à sa
deuxième épouse, Dany Martin,
qui l’aide à surmonter un AVC. Il
décide de retourner dans sa Belgi-
que natale, s’installe à Lacuisine,
dont les habitants étaient surnom-
més « les tordus » parce qu’ils tar-
daient à se rendre à la messe. Une
plaie mal soignée dégénère et aura
raison de Guy Goffette – « Et toi, tu
redemandes un café très fort/Pour
changer la couleur des larmes ». p
louis chevaillier
20 | sports
Comment les JO se préparent aux épidémies
Avec environ quinze millions de visiteurs attendus, l’organisation tente d’anticiper tout risque sanitaire
A
ucun microbe n’avait
affecté, de façon signi-
ficative, la Coupe du
monde de football au
Brésil, en 2014, ou les Jeux olympi-
ques d’été de Pékin, en 2008.
Quelques dizaines de cas de rou-
geole avaient été enregistrés aux
Jeux d’hiver de Vancouver,
en 2010, et une soixantaine de
gastro-entérites à Munich lors du
Mondial de football, en 2006.
Si virus et bactéries ne frappent
pas toujours avec virulence lors
des événements sportifs de
grande ampleur, ceux-ci « sont
systématiquement associés à des
craintes épidémiques », constate
Mircea Sofonea, épidémiologiste
et chercheur en évolution des
maladies infectieuses à l’univer-
sité de Montpellier.
Qui dit grands-messes du sport,
dit brassage d’une population
massive, venant pour partie de
l’étranger, qui peut être porteuse
d’agents pathogènes. A quoi
s’ajoutent, quand les compéti-
tions ont lieu en été, des tempéra-
tures susceptibles de fragiliser la
chaîne du froid et de favoriser les
intoxications alimentaires.
La France, qui devrait accueillir
11,3 millions de visiteurs en ré-
gion parisienne durant les Jeux
olympiques (du 26 juillet au
11 août), puis 3,9 millions pour les
Jeux paralympiques (du 28 août
au 8 septembre) – 40 % venant des
différentes régions françaises
(hors Ile-de-France) et 13 % de
l’étranger, selon une note de l’of-
fice de tourisme de Paris, publiée
en janvier – est-elle préparée à
d’éventuelles épidémies ?
Si le comité de veille et d’antici-
pation des risques sanitaires (Co-
vars) n’a pas rendu d’avis concer-
nant les Jeux en tant que tels, sa
présidente, Brigitte Autran, dit
constater « une très bonne prise
de conscience » parmi les
autorités sanitaires.
Ces dernières ont choisi de ren-
forcer les moyens existants plu-
tôt que d’opérer un grand bou-
leversement. « Plus on met en
œuvre des protocoles spécifiques,
moins les gens y sont habitués et
plus on a de chances d’avoir des
difficultés de mise en œuvre »,
explique Marie Baville, cheffe de
service au centre de crises
sanitaires de la direction géné-
rale de la santé (DGS). Ce centre,
inauguré le 1er mars, est une mu-
tation de l’ancienne sous-direc-
tion de la veille et de la sécurité
sanitaire. Au passage, le service
s’étoffe : de 45 personnes, il est en
train de passer à 69.
En amont des compétitions, la
DGS a identifié une quarantaine
d’aléas avec composante sani-
taire. Cela va des orages aux mou-
vements de foule en passant par
les risques infectieux. A chacun
d’entre eux est donné un coeffi-
cient de « criticité », en fonction
de la probabilité d’apparition et
de la sévérité de l’impact. Cette
« cartographie » est régulière-
ment actualisée et mise à la dis-
position du centre de renseigne-
ment olympique, sous tutelle du
ministère de l’intérieur.
La dengue sous surveillance Les
arboviroses sont sur le radar. Ces
maladies dues à des arbovirus
sont transmises d’une personne
contaminée à une personne
saine par l’intermédiaire de
Qui dit grands-
messes du sport,
dit brassage
d’une population
massive, qui peut
être porteuse
d’agents
pathogènes
Anne
Hidalgo,
masquée,
lors de la
cérémonie
de clôture
des Jeux
olympiques
de Tokyo,
au stade
national
de Shinjuku
Ward,
à Tokyo, le
8 août 2021.
DAISUKE TOMITA/THE
YOMIURI SHIMBUN
VIA AFP
moustiques. En métropole, c’est
le moustique-tigre, installé de-
puis 2004, qui peut transmettre
la dengue, Zika et le chikungunya.
Les autorités surveillent surtout
la dengue, maladie se signalant
par une forte fièvre, susceptible
d’évoluer dans de très rares cas
vers des formes sévères à risque
vital. En 2023, la métropole a re-
censé plus de 2 000 cas importés,
c’est-à-dire des voyageurs por-
teurs du virus arrivés d’outre-mer
ou de l’étranger. Concernant les
cas autochtones, c’est-à-dire les
contagions survenues dans
l’Hexagone, Santé publique
France en avait recensé 45.
En métropole, le moustique-ti-
gre est présent dans au moins
71 départements, dont tous ceux
où se dérouleront des compéti-
tions olympiques, à l’exception
du Nord. Dans le même temps,
l’année s’annonce historique
pour la dengue en Amérique
latine et aux Antilles : d’après
l’Organisation panaméricaine de
la santé, la maladie y a déjà
connu plus de 3,5 millions de cas
au premier trimestre, à compa-
rer aux 4,5 millions enregistrés
pour l’ensemble de l’année
2023 dans la région.
Il reste hasardeux d’en tirer une
projection concernant les Jeux.
Aux yeux de l’entomologiste
Didier Fontenille, directeur de re-
cherche émérite à l’Institut de re-
cherche pour le développement
et membre du Covars, l’année
2023 a été défavorable au mousti-
que en métropole, avec plusieurs
sécheresses et canicules. Il n’est
pas dit que ces circonstances se
répètent cette année. En tout état
de cause, « les conditions vont
probablement être réunies » pour
favoriser les arboviroses, observe-
t-il : « Cela va dépendre un peu de
la météo, mais les Jeux durent
assez longtemps et se déroulent
dans plusieurs villes. »
Dans un avis d’avril 2023, le Co-
vars recommandait d’anticiper
des cas de dengue pendant les
Jeux « par exemple en simulant la
survenue de foyers autour de cinq
sites ». Ces simulations n’ont pas
été réalisées à échelle réelle, dé-
clare Mme Baville. Selon elle, l’avis
du Covars, en fournissant des
scénarios de risque, ne suggérait
« pas tant des exercices sur le ter-
rain que pour [eux], en état-ma-
jor », c’est-à-dire des réunions im-
pliquant les services de l’Etat con-
cernés pour s’assurer de la qualité
de la réponse. « Les maladies vec-
torielles sont un sujet qu’on suit
toute l’année en outre-mer et l’été
en métropole, nous en avons une
bonne expérience », souligne la
responsable de la DGS.
La prévention repose d’abord
sur la suppression des rétentions
d’eau où les moustiques-tigres
pondent leurs larves. En curatif, le
protocole prévoit en première in-
tention de repérer et de détruire
les gîtes. Le grade supérieur
consiste à pulvériser de l’insecti-
cide dans un périmètre de quel-
ques rues autour du domicile
d’un cas d’arbovirose – en 2023,
l’agence régionale de santé Ile-de-
France a autorisé une vingtaine
d’opérations de ce type.
Ces pulvérisations ont pu être
contestées par des riverains,
comme dans le Val-de-Marne ou
en Charente-Maritime, au nom
de la protection de l’environne-
ment. « C’est une solution de der-
nier recours, notre analyse du ris-
que sera partagée avec des experts
et l’évaluation du rapport coût-bé-
néfice est réalisée au cas par cas »,
justifie Marie Baville, qui rappelle
que la priorité est donnée à la
« lutte mécanique » contre les
moustiques et à la prévention in-
dividuelle, comme le port de vête-
ments couvrants.
Contrôles renforcés dans l’ali-
mentaire Avec des millions de
repas servis dans les sites olympi-
ques et aux alentours, et les ris-
ques associés en matière d’intoxi-
cations alimentaires, les Jeux
constituent un « immense défi »
selon le ministère de l’agricul-
ture. Les fournisseurs des repas
des athlètes, des journalistes, des
bénévoles et des salariés des Jeux
seront soumis à des contrôles sys-
tématiques. Les prestataires de la
restauration destinée au public
feront l’objet quant à eux de
« contrôles ciblés et renforcés selon
une analyse de risque locale ».
Les inspections ciblées en vue
des Jeux ont commencé en 2023 et
« battent leur plein » depuis jan-
vier, assure Maud Faipoux, la di-
rectrice générale de l’alimentation
au ministère de l’agriculture. Pour
orienter leurs contrôles, les direc-
tions départementales font appel
à leur connaissance des établisse-
ments, en particulier au regard
d’éventuels signalements anté-
rieurs pour non-conformité. Les
enseignes nouvellement instal-
lées sont aussi des cibles de choix.
Le ministère s’est fixé pour ob-
jectif de contrôler au moins la
moitié des établissements de
restauration dans les communes
de Seine-Saint-Denis accueillant
des compétitions. A la fin du mois
d’avril 2023, cent inspections
avaient été conduites dans le dé-
partement, conduisant à dix-
huit fermetures administratives.
« On contrôle notamment l’hy-
giène globale, le respect de la
chaîne du froid et l’absence de nui-
sibles », rappelle Mme Faipoux. Des
prélèvements sont notamment
aussi réalisés dans les aliments
suspectés – restes ou « plats té-
moins » – et confiés à des labora-
toires pour des analyses bacté-
riologiques et virologiques. Sont
principalement traquées la liste-
ria et les salmonelles.
Dans les départements où se dé-
rouleront les Jeux, 300 agents
sont chargés de ces contrôles. A
cet effectif nominal s’ajoutent
31 agents supplémentaires tempo-
raires dont 26 pour l’Ile-de-France.
Sept agents de renfort sont aussi
La finale de l’Euro
de football 2021
pourrait avoir
provoqué
la contamination
de plus de
3 400 personnes
au Covid-19,
selon une étude
affectés à l’Agence nationale de sé-
curité sanitaire de l’alimentation,
de l’environnement et du travail,
qui participe aux tests de labora-
toire. Si les services de l’Etat sont
chargés des contrôles « de second
niveau », Mme Faipoux souligne
que les professionnels du secteur,
qui doivent respecter leurs dispo-
sitifs d’autocontrôle, restent « la
première pierre » de la sécurité
alimentaire.
Covid-19 : des facteurs favora-
bles et défavorables Reste aussi
l’hypothèse d’une épidémie de Co-
vid-19. En juillet 2021, la finale de
l’Euro de football, dans le stade de
Wembley aux abords de Londres,
pourrait avoir provoqué la conta-
mination de plus de 3 400 person-
nes, selon une étude de Public
Health England parue dans la
revue Epidemiology & Infection en
janvier 2022. A l’époque, le variant
Delta soumettait le Royaume-Uni
à sa troisième vague et les vaccins
n’étaient disponibles que depuis
quelques mois – la situation dans
l’Hexagone aujourd’hui est très
différente.
« Même en extérieur et pendant
l’été, les rassemblements peuvent
favoriser les transmissions », rap-
pelle toutefois Mircea Sofonea,
qui cite la hausse importante des
cas après les Fêtes de Bayonne, à
l’été 2023. Selon l’épidémiolo-
giste, la période estivale peut en-
0123
JEUDI 4 AVRIL 2024
traver la circulation du virus, en
raison de la température élevée,
du rayonnement ultraviolet et du
faible taux d’humidité, mais ces
facteurs ne jouent que sur un
cinquième environ de sa capacité
de transmission.
Pour le chercheur, d’autres fac-
teurs peuvent favoriser les conta-
gions pendant les Jeux, tels que
« la présence de personnes en
nombre dans de petits logements,
le déclin de l’immunité de la popu-
lation [conférée par les vaccins
ou les infections précédentes] qui
se produit à une vitesse qui n’est
pas forcément prévisible, et
l’émergence éventuelle de va-
riants et sous-variants ». De fait, le
SARS-CoV-2 continue de muter :
le variant JN.1 a eu besoin d’à
peine plus de trois mois pour do-
miner en France cet hiver. Pour
autant, « rien ne laisse penser
qu’un variant inquiétant soit en
train d’émerger », relève Brigitte
Autran, du Covars.
A ce stade, « le Covid-19 n’est pas le
risque qui nous inquiète le plus car
nous avons été entraînés récem-
ment, et disposons de capacités de
réponse en cas de rebond épidémi-
que », assure Marie Baville, de la
DGS, qui précise que le virus reste
« sous surveillance permanente ».
« En cas de situation grave, l’hypo-
thèse d’instaurer des jauges dans
les lieux de grands rassemblements
ferait partie des réponses potentiel-
les à examiner », ajoute-t-elle.
Une campagne de rappel vacci-
nal gratuit est prévue du 15 avril
au 16 juin, juste avant les Jeux. Elle
s’adresse aux plus de 80 ans, aux
personnes immunodéprimées
quel que soit leur âge, aux rési-
dents d’établissement d’héberge-
ment pour personnes âgées dé-
pendantes et à toute personne à
très haut risque en raison de sa si-
tuation médicale individuelle.
Une bonne illustration qu’en ma-
tière d’épidémies, faute de pré-
dire, on peut prévenir. p
julien lemaignen
0123
JEUDI 4 AVRIL 2024
A marathon exceptionnel, préparation inédite
Les coureurs sont obligés d’adapter leur entraînement face aux nombreuses côtes que comporte le tracé
T
ony Estanguet a dit qu’il
voulait casser les codes.
Je crois qu’il va nous cas-
ser les jambes. » Le rire
nerveux du coureur français Yo-
han Durand face à la presse, une
fois le parcours du marathon des
Jeux olympiques (JO) révélé, en
octobre 2022, laissait déjà entre-
voir les défis à relever. Avec de
violentes montées et descentes à
encaisser sur les 42,195 kilomè-
tres, qui doivent mener les athlè-
tes de l’Hôtel de ville de la capitale
aux Invalides, après un long dé-
tour par le château de Versailles et
la tour Eiffel, la course de Paris
2024 dénote. Et n’a pas grand-
chose à voir avec le Marathon de
Paris, dont la prochaine édition
doit avoir lieu, dimanche 7 avril,
entre les Champs-Elysées et l’Arc
de triomphe.
A première vue, le dénivelé pro-
posé (+ 436 mètres et – 438 mè-
tres) classe ce marathon dans la
moyenne haute en matière de dif-
ficulté. Mais, à la différence
d’autres épreuves, où des pentes
assez faibles sont réparties tout
au long de la course, la quasi-tota-
lité des ascensions du marathon
des JO est concentrée sur 18 kilo-
mètres, à mi-épreuve, dans les
Hauts-de-Seine : entre Sèvres et
Ville-d’Avray puis dans la côte du
Pavé-des-Gardes, entre Chaville et
Issy-les-Moulineaux, et ses incli-
naisons jusqu’à 13,5 %. De quoi
considérer le cru 2024 comme le
plus exigeant de l’histoire des JO.
« Cela risque de faire mal »
« C’est encore plus motivant de se
dire qu’il n’y a jamais eu une
épreuve aussi éprouvante. Je ne
pouvais vraiment pas manquer cet
événement », juge Nicolas Navarro,
l’un des quatre coureurs tricolores
qualifiés depuis la fin de janvier
avec Mehdi Frère, Mélody Julien et
Mekdes Woldu. Un contingent
auquel devraient s’ajouter Mo-
rhad Amdouni et Méline Rollin, au
30 avril, si personne n’améliore
leurs records de France établis à
Séville, en Espagne, en février.
Conséquence de ce profil val-
lonné : une préparation spécifique
attend les concurrents (80 hom-
mes et 80 femmes au total). « Le
parcours nécessite de changer
énormément de choses, à com-
mencer par le travail hors course à
pied. D’habitude, je n’ai pas le
temps de faire du renforcement
musculaire. Mais là, si le corps n’est
pas préparé, cela risque de faire
HISTOIRES DE JEUX | CHRONIQUE
p a r p a t r ick cl a s tr e s , his to r ie n du s p o r t e t p r o fe s s e ur à l ’unive r s ité de l a us a nne
Les membres du CIO, des personnalités cooptées et peu représentatives de la diversité
Dans la galaxie des organisations
internationales, où chaque
nation du monde délègue
son représentant, le Comité
international olympique (CIO)
se distingue par le mode de
désignation de ses membres : pas
d’élection mais une cooptation.
Ceux recrutés avant 1966 l’ont
été à vie, les autres le sont pour
huit ans renouvelables, avec une
limite d’âge fixée à 70 ans depuis
le scandale de corruption de
Salt Lake City, survenu en 1998.
Depuis lors, le CIO est constitué
de quatre catégories de membres :
ceux qui n’occupent aucune
fonction sportive spécifique
(soixante-dix au maximum)
et ceux recrutés parmi des
athlètes et des dirigeants
exécutifs de comités nationaux
olympiques et de fédérations
internationales sportives
(trois fois quinze, au maximum).
Loin d’être un reflet de la
diversité des peuples et des
groupes sociaux qui pratiquent
Parcours du marathon
des Jeux olympiques de Paris 2024
Semi-
marathon
21,1 km
1 km
VERSAILLES
Château
de Versailles
Profil du marathon
160 mètres
120
80 Départ
40 Hôtel de ville
0 du CNRS Christophe Cassou.
1 km PARIS
Source : Paris 2024
La Fédération
française
d’athlétisme doit
faire intervenir
des spécialistes
de la foulée en
descente auprès
des Bleus
mal sur un terrain traumatisant »,
poursuit le meilleur Français au
classement du marathon des JO de
Tokyo (12e), en 2021.
Exit l’entraînement classique
lors des douze semaines qui pré-
cèdent l’épreuve, l’accent était
déjà mis sur le foncier – un travail
d’endurance spécifique – à six
mois des JO. Histoire de tenir la
distance le jour J, lorsque les qua-
driceps et les ischio-jambiers se-
ront mis à contribution comme
rarement. Avec un effort à fournir
le sport, le CIO a longtemps
fonctionné comme un cénacle
de gentlemen effrayés par
les revendications sociales et
démocratiques. Cette singularité
remonte aux choix effectués
par Pierre de Coubertin parmi
des diplomates et des nobles
de cours. A ceux qui veulent
lui imposer le principe électif,
il répond, en 1908, que la
cooptation à vie est « le meilleur
moyen de sauvegarder la liberté
et de servir la démocratie en
garantissant la continuité d’un
effort indépendant et stable ».
Est-ce à dire que les membres
cooptés dans l’entre-deux-guerres
sont politiquement neutres ? Ils
se situaient plutôt à la droite des
échiquiers politiques, entre
libéraux socialement
conservateurs, nostalgiques
de l’ordre ancien religieux et
monarchique, et nationalistes
antiparlementaires et
xénophobes en quête d’un chef.
Après 1945, mis sous pression par
Point
VILLE- BOULOGNE-
culminant
183 m D’AVRAY BILLANCOURT
à 20,3 km
SÈVRES
MEUDON
CHAVILLE
VIROFLAY
183 m
à 20,3 km
BOULOGNE- SÈVRES VILLE-
BILLANCOURT D’AVRAY
« comparable à un 50 kilomètres
au niveau des muscles », selon
Max Lesauvage, l’entraîneur de
Mélody Julien, un travail spécifi-
que s’impose : double ration à la
salle de sport, séances de kinési-
thérapie supplémentaires, mas-
sages presque quotidiens, exerci-
ces de pliométrie, sorties à vélo…
Afin d’obtenir leurs tickets olym-
piques, les marathoniens ont dû
réaliser les meilleurs temps possi-
bles, s’alignant ainsi sur des cour-
ses plates et roulantes, à l’image de
celle de Valence, en Espagne. Des
profils très éloignés de ce qui se
dessine pour les Jeux. Pour Mé-
lody Julien, le plan est donc établi :
« On va s’adapter, construire nos
entraînements sur les change-
ments de rythme au fil des mon-
tées, des descentes et du plat. » A
chaque fin de séance, son coach
envisage de l’emmener « faire une
ou deux côtes » sur les routes acci-
dentées de son Tarn natal.
Placé autour du kilomètre 30, le
pavé des Gardes, un lieu « où l’on
Winston Churchill et le
commandement allié, le
président suédois du CIO Sigfrid
Edström et son successeur
américain, Avery Brundage,
finiront par se séparer du fils
du dictateur hongrois Miklos
Horthy et du général Michele
Vaccaro, chef de la milice
de Mussolini. Du fait d’un veto
américain, ils ne recruteront
pas plus Carl Diem, organisateur
des Jeux de Berlin 1936.
Donner le change
Protégés par le dogme de
la neutralité du sport, tous
les autres membres se verront
dotés d’un siège au CIO après
la guerre. Ainsi des Français
Melchior de Polignac, François
Piétri et Armand Massard,
condamnés à la Libération,
ou bien de Karl Ritter von Halt,
ministre des sports d’Hitler.
C’est finalement la guerre froide
qui aura bloqué le processus
de dénazification du CIO.
PARIS
Arrivée
Esplanade
des Invalides
42,195 km
ISSY-LES-
MOULINEAUX
Château
de Versailles
VERSAILLES CHAVILLE MEUDON ISSY-LES-
VIROFLAY
gagne ou perd un marathon à haut
niveau », comme le rappelle Do-
minique Chauvelier, aligné aux
Jeux de Barcelone, en 1992, se pose
également la question de l’équipe-
ment. « Dans les descentes, je suis
sceptique vis-à-vis des chaussures
très fines », précise l’ex-athlète, qui
préconise des souliers avec « une
mousse sur le talon pour amortir ».
« Le matériel hyperléger aide à
battre des records, mais, ici, je
pense que ce type de chaussure va
en desservir certains en fin de
course à force de taper, de monter
et de descendre », renchérit Max
Lesauvage. Quant à Nicolas
Navarro, il a déjà prévu de se ren-
dre dans l’Ouest parisien, en avril,
« pour tester les différents modèles
sur le parcours » avec son sponsor.
Le Provençal y retournera ensuite
avec la Fédération française d’ath-
létisme (FFA). « On veut réunir les
qualifiés trois ou quatre fois avant
les Jeux et mettre à profit le fait
d’être à domicile : les autres déléga-
tions ne vont pas multiplier les re-
Pour donner le change, quinze
nouveaux membres sont choisis
côté OTAN, mais dans les milieux
conservateurs. C’est ainsi que
se comprend le recrutement,
en 1961, de Juan Antonio
Samaranch, industriel catalan
devenu ministre des sports
du dictateur Franco, qui occupera
la présidence du CIO de 1980
à 2001. Jusqu’aux années 1960,
la cooptation permet en outre
de refouler les dirigeants du sport
issus du camp communiste.
Mais la digue finit par céder
sous la pression de l’URSS
qui cherchera dès lors à rallier
des membres africains, latino-
américains et asiatiques.
Si les pays du « tiers-monde »
ont dû souvent patienter après
leur accession à l’indépendance,
on compte aujourd’hui
14 membres africains, 12 latino-
américains et caribéens,
26 asiatiques et 2 polynésiens,
chiffres que l’on pourra
rapporter aux 2 membres
Départ
Hôtel de ville
Arrivée
Esplanade
des Invalides
42,195 km
PARIS
MOULINEAUX
Infographie Le Monde
pérages », détaille Patrice Binelli,
le responsable national du mara-
thon à la fédération.
La FFA doit aussi faire intervenir
des spécialistes de la foulée en
descente auprès des Bleus. Une
manière de réduire les incon-
nues, alors que les athlètes avan-
cent avec l’impression de tâton-
ner. « Le tracé, c’est quelque chose
de nouveau pour tout le monde.
Du coup, on ne sait pas trop com-
ment gérer la préparation. Faut-il
qu’elle soit corsée, vu le profil des
Jeux ? Il y a pas mal d’interroga-
tions sur la façon de doser. Il va fal-
loir se ménager pour ne pas arriver
cuit », estime Nicolas Navarro.
Compte tenu de l’incertitude, la
fraîcheur mentale s’annonce dé-
terminante pour conserver un
brin de lucidité sur le marathon
olympique, à défaut de pouvoir
s’appuyer sur des repères chro-
nométriques. « Avec le dénivelé
irrégulier, les coureurs vont per-
dre leurs temps de passage habi-
tuels. Il faudra être sûr de soi, faire
américains, 2 russes ou 4 français.
Les membres issus de micro-Etats
ne sont que 8 sur 106.
En onze années de présidence,
Thomas Bach aura renouvelé aux
deux tiers la composition du CIO
(62 hommes pour 44 femmes),
ce qui pourrait lui permettre
de briguer un troisième mandat,
même si les statuts ne l’autori-
sent pas encore. La surreprésen-
tation des têtes couronnées est
toujours de mise (8), avec des
dynastes d’Asie désormais plus
nombreux que ceux d’Europe.
Par-delà cette étrangeté,
un quart des membres du CIO
est issu de régimes autoritaires
au sens du Democracy Index
produit par l’hebdomadaire
britannique The Economist. C’est
là un reflet de l’état du monde
où l’on compte seulement
24 régimes sur 167 où les libertés
fondamentales publiques et
privées sont garanties. Au sein de
l’actuelle commission exécutive,
on trouve des hommes d’affaires
sports | 21
L’effort
à fournir sera
comparable à
un 50 kilomètres
au niveau
des muscles »,
estime
l’entraîneur
Max Lesauvage
abstraction des aléas », prévoit
Dominique Chauvelier. Autre-
ment dit, leur donner confiance
fait plus que jamais partie de la
préparation.
D’autant que la chaleur pourrait
s’inviter. Les courses masculine et
féminine de Paris 2024 se cour-
ront à 8 heures du matin les 10 et
11 août, mais en cas de canicule, le
mercure est susceptible de dépas-
ser largement les 20 °C dès le ma-
tin. La période olympique corres-
pond au « moment de l’année où
les vagues de chaleur ont le plus de
chance d’être de la plus forte inten-
sité sur la France », expliquait, au
Monde le 27 mars, le climatologue
Stages en altitude
Les températures élevées consti-
tuent donc un autre facteur à
prendre en compte, bien qu’il soit
difficile de s’acclimater en amont.
« A part pour se griller, les athlètes
ne vont pas s’amuser à aller faire
une trentaine de bornes sous le ca-
gnard de juillet, proscrit avec ratio-
nalité Dominique Chauvelier.
Pour lutter contre la thermorégula-
tion lorsque l’on se déshydrate, il y
a, à la rigueur, quelques petits artifi-
ces à trouver, notamment s’habi-
tuer à suer en faisant du sauna,
mais cela devient vite compliqué. »
D’ici à l’été, les athlètes ont pro-
grammé des stages en altitude,
au Kenya ou au centre national
d’entraînement en altitude de
Font-Romeu, dans les Pyrénées-
Orientales. Puis, certains d’entre
eux s’aligneront au semi-mara-
thon des championnats d’Eu-
rope, à Rome, début juin. Après
cela, il sera l’heure de se tourner
vers les Jeux, où des surprises
sont attendues. L’espoir d’une
première médaille tricolore sur
marathon depuis Alain Mimoun
en 1956 est permis. p
gabriel joly
de premier plan, dont l’avocat et
président Thomas Bach, l’un
des fils du roi de Jordanie,
un directeur australien d’une
société de services financiers,
un PDG de sociétés
d’investissement immobilier
à Singapour, le fils de l’ancien
président du CIO, Samaranch Jr,
directeur général d’une banque
d’investissement, un
importateur serbe de voitures,
le président du plus grand
groupe d’assurances argentin…
Comment interpréter, enfin,
la cooptation récente de l’actrice
malaise Michelle Yeoh, par
ailleurs épouse de l’ancien
président de la Fédération
internationale de l’automobile,
Jean Todt ? Le CIO serait-il atteint
par la vague people ? A-t-il
voulu encourager la Malaisie
à poursuivre sa transition
démocratique ? Ou bien vise-t-il à
intégrer les compétitions de jeux
vidéo du groupe Formula One
à ses Olympic Esports series ? p
22 | carnet 0123
JEUDI 4 AVRIL 2024

Luisella, Silvia et Jean-Paul Brunetti, Mme Paule Kodjo, Lucie Filbert, Philippe, Corinne, Raphaël,
ses enfants, Valerie-Noëlle Kodjo Diop, Bénédicte sa sœur, ses enfants
Ses petits-enfants, Kodjo, Martine van Woerkens-Mutterer, et leurs conjoints,
leurs conjoints, ses enfants, sa belle-ille, Ses six petits-enfants
en vente Charles-Francis Diop, Les familles Filbert, Freymann,
Et ses trois arrière-petits-enfants,

actuellement Le Carnet ont le chagrin de faire part du décès son gendre, Burucoa, Mutterer
Parents et amis,
de Charles-Alexandre, Cheyen, Jade, Et ses très nombreux amis,
Lou-Blue, ont la profonde tristesse de faire part
du décès de
ses petits-enfants
En kiosque Vous pouvez nous faire M me
Franca BRUNETTI, Et les grandes familles Ahuma,
ont la profonde tristesse de faire part
Mme Claire RECLUS,
née PONZO, du décès de
Amega, Kodjo, Massan, Amorin, Ross,
parvenir vos textes Cirany, Berthelot, Othily, Yacé, Diop,
chevalier de la Légion d’honneur,
oicier
survenu le 27 mars 2024, à Paris, Keita, Marguerite MUTTERER,
de l’ordre national du Mérite,
HORS-SÉRIE

fondatrice
soit par e-mail : à l’âge de quatre-vingt-dix-neuf ans.
ont la douleur de faire part du décès du Centre de réadaptation
ancienne adjointe
du Maire de Nice
carnet@mpublicite.fr
numéro
spécial
700 e
anniversaire
1254—1324 La cérémonie religieuse sera célébrée de leur regretté de Mulhouse (CRM), déléguée à l’urbanisme,
membre fondateur du réseau ENA promotion Rabelais 1973,
(en précisant impérativement le 8 avril, à 10 heures, en l’église de
Marcel Mensah KODJO, européen des centres de rédaptation,
Bonnieux (Vaucluse).
le fabuleux voyage de votre numéro de téléphone grand oicier survenu le 30 mars 2024, à Nice, dans
MARCO et votre éventuel numéro Anne Crenier et Mario Vaudano,
survenu le 23 mars 2024, à Paris,
à l’âge de quatre-vingt-deux ans.
de l’ordre national du Mérite, sa quatre-vingt-quatrième année.

POL
PO LO sur la route de la soie
d’abonné ou de membre sa ille et son gendre,
Eléna,
survenu le 26 mars 2024, Un dernier hommage lui sera
rendu à l’Athanée de Nice, 42, avenue
La cérémonie religieuse se tiendra
En partenariat avec

de la SDL) sa petite-ille, le vendredi 5 avril, à 10 h 30, en

à l’âge de cent trois ans. Saint-Augustin, ce mercredi 3 avril,
à 15 heures.
Hors-série Françoise Gros, l’église Notre-Dame-de-Grâce de Passy, Les obsèques ont eu lieu dans la
soit sur le site : sa sœur, Paris 16e. plus stricte intimité.
HORS-SÉRIE https://carnet.lemonde.fr Souvenir
ont la tristesse de faire part du décès L’inhumation aura lieu au cimetière
Cet avis tient lieu de faire-part et
UNE VIE, UNE ŒUVRE

de de Montmartre, Paris 18 e , dans Il y a dix-huit ans, le 3 avril 2006,

de remerciements.
L’équipe du Carnet
ÉDITION
2024
l’intimité familiale. s’en allait
Émile
Zola
reviendra vers vous Michèle CRENIER,
Bruno BOCCARA,
Les combats
d’un écrivain Les obsèques parisiennes seront Yerres.
employée des chèques postaux, avocat à la cour de Paris.
suivies de cérémonies d’hommages
dans les meilleurs délais militante CGT à Abidjan, Lomé, Dakar, Pointe-à- me
et engagée pour défendre M Paule Piekarski,
pour vous confirmer les droits des femmes.
Pitre. son épouse,
Il manque à tous ceux qui l’ont
aimé.
Vu par Clemenceau, Jaurès, Aragon, Mendès France, Taubira… la parution. Dominique Piekarski (†) et Pierre
Ses obsèques auront lieu dans Baden-Baden. Paris. Virgile, Son épouse,
Hors-série l’intimité familiale. Anne Piekarski et André Brands, Sa famille,
Sigrun Lang, Laurence et Vincent Bernard- Ses amis.
carnet@mpublicite.fr son épouse,
anne.crenier@orange.fr Piekarski,
https://carnet.lemonde.fr Anne-Marie et Thomas Ludwig, Christophe et Farida Piekarski,
sa ille et son gendre, Communication diverse
100 GRILLES ses enfants et leurs conjoints,
Michaël et Nolwenn, avec Louisa et Lena,
AU CARNET DU «MONDE» Béatrice Lang, Florie-Anne Virgile et Thibaut
PAR PHILIPPE DUPUIS – N° 9 ses enfants,
Marie-Claude Lang Rejzman, Nocella,
leurs conjoints, Anne Lise et Mathieu, Perrine Virgile et Sam Ewing,
ses sœurs,
Décès Hugo, Hadrien, Alyson, Tiphaine Bernard-Piekarski,
ses petits-enfants, ont la grande tristesse de faire part Aymeric Bernard-Piekarski et Lena
Michèle Baudouin, du décès de
Marie-Sophie, Bertrand, Gabrielle Renard,
ont l’immense tristesse de faire part Nicholas Flynn,
et Xavier-Marie,
ses enfants,
du décès du Antoine LANG, Syrine Piekarski,
Benoît, Etienne, Romane, Emma, Myriam Piekarski, Envie d’être utile ? Rejoignez-nous !
Thomas, Clémentine, Valentin, Lilou, docteur survenu le 22 mars 2024, à Baden-
ses petits-enfants tant aimés,
Magazine Rose, Tess, Jean-Philippe DELAFOSSE, Baden.
Zoey Ewing,
ses petits-enfants, médecin-psychiatre. son arrière-petite-fille, sa dernière Les bénévoles de SOS Amitié
La cérémonie aura lieu à Baden-
Baden, le 9 avril. grande joie, écoutent
font part du décès de
HORS-SÉRIE
Les obsèques auront lieu le jeudi par téléphone et/ou par internet
Gérard BAUDOUIN, 4 avril 2024, à 14 h 30, au centre La famille rappelle le souvenir de ont la tristesse d’annoncer le décès ceux qui soufrent de solitude,
ingénieur général funéraire de Grammont, à Montpellier. son frère, de
de mal-être et peuvent avoir
RÉSISTANTS des ponts et chaussées,
MISSAK MANOUCHIAN
ET SA COMPAGNE MÉLINÉE
chevalier de La Légion d’honneur, Nous exprimons notre infinie Jean-Philippe LANG Henri PIEKARSKI, des pensées suicidaires.
oicier
ENTRENT AU PANTHÉON

HISTORIENS ET DESCENDANTS
RACONTENT L’ENGAGEMENT gratitude pour le professionnalisme et ENA promotion Jean Jaurès,
DES COMBATTANTS ÉTRANGERS
de l’ordre national du Mérite, et de
l’humanité des personnels du service Nous recherchons des écoutants
qui nous a quittés le 23 mars 2024, hospitalier. Mlle Helène BRIEFF, survenu le 1er avril 2024, bénévoles
à l’âge de quatre-vingt-un ans. Juste parmi les Nations. à l’âge de quatre-vingt-six ans.
sur toute la France.
M. Julien Gascon, L’écoute peut sauver des vies
Les obsèques ont eu lieu dans Mme Anne-Marie Descoubes, langparisbaden@proton.me La cérémonie religieuse aura lieu
Hors-série l’intimité, le 2 avril. M. Pierre Descoubes, le 6 avril, à 14 h 30, en l’église de et enrichir la vôtre !
Saint-Julien-des-Chazes (Haute-Loire), Choix des heures d’écoute,
Bayonne (Pyrénées-Atlantiques).
0123
H O R S - S É R I E
É DITION
2024 Chelles. Paris. ont la douleur de faire part du décès suivie de l’inhumation au cimetière formation assurée.
LE BILAN ▶ GÉOPOLITIQUE
▶ ENVIRONNEMENT
▶ ÉCONOMIE

Julie et Jonathan, Vincent et Maylis,

de On nous prie d’annoncer le décès du village où il rejoindra sa ille,
DU MONDE
+ AT LA S D E 1 9 8 PAYS
+ 1 5 PAG E S D E D É B AT S :
ses enfants et leurs conjoints, Benoît DESCOUBES,
du
Dominique.
En IdF RDV sur
Romane, Mathilde, Aimé, Georges www.sosamitieidf.asso.fr
M É L A N I E A L B A R E T, É L I E B A R N A V I , PA S C A L B R I C E ,

magistrat, docteur Jean LAVIELLE,

LU C I L E M A E R T E N S , X A V I E R R A G O T, LU C R O U B A N , M A R TA S P R A N Z I , PAT R I C K W E I L . . .

et Jeanne,
ses petits-enfants,
ont la profonde tristesse de faire part
du décès de
M. Jean-Paul BELZENNE.
Hors-série Les obsèques auront lieu le 4 avril
2024, à 14 h 30, en la basilique Notre-
Dame-du-Perpétuel-Secours, Paris 11e.
HORS-SÉRIE
Daniel et Isabelle Bloch,
LES SECRETS DU PHARAON Juliette Bloch et Thierry Le Boité,
Jacqueline Bloch et Ivan Lamouret,
ses enfants et leurs conjoints,
Judith et Edouard, Alexandre et
Hugo, Quentin et Joachim,
ses petits-enfants,
Gabriel, Adèle et Sarah,
ses arrière-petits-enfants
Et les familles Mattout, Fischer et
En partenariat avec
Premier vice-président médecin en chef honoraire,
du tribunal de Paris, titulaire
de la reconnaissance de la Nation,
survenu à l’âge de cinquante-quatre oicier du Ouissam Alaouite,
ans.
survenu à Bayonne, le 1er avril 2024.
Une cérémonie civile sera célébrée
le 5 avril 2024, à 10 h 30, au
Ioânna Kasapi et Victor,
crématorium du cimetière du Père-
Lachaise, Paris 20e. son épouse et son ils,
Sa famille,
Anastasia, Giorgos, Ntina et Antonis
Cet avis tient lieu de faire-part.
Kasapis,
Robi Morder,
Le Mans. Le Germe,
Nathalie Lopes,
M. Loïc du Parquet, Le Rn2A,
Mme Carole Chanteau, Ses ami-e-s et camarades de lutte,
son ils et sa compagne,
ont l’immense tristesse de faire part
ont la douleur de faire part de la du décès de
disparition de
Jean-Philippe LEGOIS,
Famille Piekarski, En région RDV sur
14, résidence du Bois des Godeaux, www.sos-amitie.com
91330 Yerres.
Société éditrice du « Monde » SA
Président du directoire, directeur de la publication Louis Dreyfus
Directeur du « Monde », directeur délégué de la publication, membre du directoire Jérôme Fenoglio
Directrice de la rédaction Caroline Monnot
Direction adjointe de la rédaction Grégoire Allix, Maryline Baumard, Philippe Broussard, Nicolas Chapuis,
Emmanuelle Chevallereau, Alexis Delcambre, Marie-Pierre Lannelongue, Franck Nouchi, Harold Thibault
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Directeur délégué aux relations avec les lecteurs Gilles van Kote
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Nicolas Jimenez (photographie), Sabine Ledoux (cheffe d’édition),Alain Salles (Débats et Idées)
Direction artistique Emmanuel Laparra
Infographie Delphine Papin
Directrice des ressources humaines du groupe Emilie Conte
Secrétaire général de la rédaction Sébastien Carganico
Conseil de surveillance Aline Sylla-Walbaum, présidente, Gilles Paris, vice-président

édition spéciale
Horowitz,
historien, archiviste,
Hors-série M. Jean-Régis DU PARQUET, fondateur et coprésident
ont la tristesse de faire part du décès
de de la Cité des mémoires étudiantes.
survenue le 27 mars 2024,

Collection Adèle BLOCH,

née HOROWITZ,
à l’âge de quatre-vingt-cinq ans. Les obsèques auront lieu le 4 avril
2024, à 15 h 30, au cimetière de
Une cérémonie religieuse sera Beauchamp.
CHEFS -D’OEUVRE survenu le 31 mars 2024, célébrée le 4 avril, à 10 heures, en
EN M I N I AT U R E dans sa quatre-vingt-treizième année. l’église Saint-Lazare, au Mans. Valérie et Pierre,
COLLECTION DES ESSENTIELS DE LA LITTÉRATURE EN VERSION INTÉGRALE ses enfants,
Elle reposera aux côtés de Ni leurs ni couronnes mais un Hadrien, Hana, Nathan, Gabriel et
don à la SPA. Simon,
Claude BLOCH, ses petits-enfants,
lduparq@univ-lemans.fr Sa famille
son époux, décédé le 29 décembre 1971. Et ses amis,
L’inhumation aura lieu le 5 avril, Nadia et José Kamal,
ont la tristesse de faire part du décès
au cimetière parisien de Bagneux, Alek Klioua et Asmaa Tazi, de
à 11 h 30. ses enfants et leurs conjoints,
Naïl, Shems et Zaïna, Claude LÉVY-SOUSSAN,
Cet avis tient lieu de faire-part. ses petits-enfants adorés, née SCEMLA,
fondatrice
Thérèse, ont la tristesse de faire part du décès de la Bourse Agora du Design,
Dès mercredi 3 avril, son épouse, de chevalier dans l’ordre
le volume n° 9 Marie, des Arts et des Lettres,
EUGÉNIE GRANDET sa ille, Ahmed Salah KAMAL, oicier de la Légion d’honneur,
Ses ils, docteur es sciences,
survenu le 30 mars 2024,
Nos services Juliette,
sa petite-ille,
Wissam de l’ordre du Mérite classe
exceptionnelle, royaume du Maroc,
chevalier
dans sa quatre-vingt-douzième année.

ont la tristesse de faire part du décès Famille Lévy-Soussan,

Lecteurs de
Abonnements M. Bernard BOURGEOIS,
Sur abo.lemonde.fr membre de l’Institut de France,
Par tél. au 03 28 25 71 71 professeur de philosophie
de 9 h à 18 h (prix d'un appel local) en Sorbonne,
survenu le 26 mars 2024,
Le Carnet du Monde dans sa quatre-vingt-quinzième année.
carnet@mpublicite.fr
L’inhumation a eu lieu le 2 avril,
dans son village natal, à Varennes-
Saint-Sauveur, en Saône-et-Loire.
Cet avis tient lieu de faire-part.
de l’ordre du Mérite agricole.
Une cérémonie civile aura lieu le
samedi 6 avril 2024, à 15 heures, au
foyer rural de Cortambert, suivie de
l’inhumation dans le caveau familial,
en communion de pensée avec son
épouse,
Jane KAMAL,
née ROJAT.
Villeret, 2088, route de la Bussière,
71250 La Vineuse-sur-Frégande.
12, rue Duguay Trouin,
75006 Paris.
Le comité de rédaction de la Revue
d’histoire moderne & contemporaine
a la tristesse de faire part du décès
soudain de son directeur,
Philippe MINARD.
Pour toute information :
Un hommage lui sera rendu le carnet@mpublicite.fr
7 juin 2024 (consulter le site rhmc.fr). Prix à la ligne : 33,60 € TTC.
(Le Monde du 30 mars.)

0123
JEUDI 4 AVRIL 2024
Au Centre Pompidou-Metz, André
Masson, le mal-aimé du surréalisme
Moins connu que Joan Miro ou René Magritte, le peintre, salué par une nécessaire
rétrospective, est l’auteur d’une œuvre puissante, pleine de fureur et de pulsions
ARTS
metz
A
ndré Masson (1896-
1987) est dans toutes
les histoires du surréa-
lisme. Il a eu des com-
mentateurs prestigieux : André
Breton, Michel Leiris et Jean-Paul
Sartre. Il a accompagné de ses
dessins la revue nietzschéenne
Acéphale, créée par Georges
Bataille et Pierre Klossowski. En
exil, en 1941, à la Martinique, il a
écrit, avec Breton, « Le dialogue
créole », conversation sur la na-
ture, la poésie et le rêve. Il a été ex-
posé à Paris et à New York par des
galeristes tels que Daniel-Henry
Kahnweiler, qui lui a été long-
temps fidèle, Pierre Matisse, Paul
Rosenberg ou Curt Valentin.
Pour autant, la rétrospective au
Centre Pompidou-Metz tient de la
résurrection. Il y en a eu quel-
ques-unes en France, mais rares
et souvent partielles : à Nîmes
en 1985, à Marseille en 2015, à Cé-
ret (Pyrénées-Orientales) en 2019.
Il suffit de comparer la façon dont
les musées traitent les peintres
Max Ernst, Joan Miro ou René
Magritte pour se demander si
Masson ne serait pas le mal-aimé
du surréalisme.
Voici donc, enfin, la rétrospec-
tive nécessaire. Elle est ample,
grâce à plus de trois cents œuvres,
l’équilibre étant à peu près égal
entre peinture et dessin. L’atten-
tion est aussi attirée très juste-
ment sur les livres auxquels
Masson a contribué avec des gra-
vures et des lithographies : L’Om-
bilic des limbes, d’Antonin Artaud,
en 1925 ; Le Con d’Irène, de Louis
Aragon, en 1928 ; et, la même
année, anonymement, l’Histoire
de l’œil, de Georges Bataille. Une
reconstitution partielle de sa bi-
bliothèque suggère, en écho, la
variété et l’abondance de ses lec-
tures : poésie, roman, philoso-
phie, ethnographie, etc.
Ainsi les conditions sont-elles
réunies pour prendre mieux
conscience de la complexité de
l’artiste. L’histoire est pourtant
d’abord simple. Elle commence
par sa formation aux Beaux-Arts
de Bruxelles, à partir de 1907 – très
tôt donc –, puis à ceux de Paris,
en 1912, qui fait de lui un praticien
très à l’aise et un érudit en histoire
de l’art. Mobilisé en 1915, il
manque mourir au Chemin des
Dames, en 1917, et passe presque
deux ans à l’hôpital. Il séjourne,
de 1919 à 1920, à Céret – refuge es-
tival, avant-guerre, des peintres
Georges Braque et Pablo Picasso –,
puis revient à Paris, où il rencon-
tre rapidement les écrivains
Michel Leiris et Georges Limbour,
ses plus fidèles amis.
Puissance féroce des pulsions
Il entre avec eux dans le cercle de
Kahnweiler, où règne alors la foi
cubiste. Il s’y rallie et exécute des
variations élégantes sur des
thèmes cubistes, des natures
mortes, des jeux de cartes. Quand
il les montre pour la première fois,
en février 1924, dans la galerie de
Kahnweiler, alors galerie Simon,
Les peintures
se fondent sur
les mythologies
antiques
les plus connues :
Pasiphaé,
le Minotaure,
Ariane, Thésée
André Breton, qui n’a pas encore
rencontré Masson, achète une de
ses toiles. Or, 1924 est l’année de la
publication du Manifeste du sur-
réalisme. Quand Masson peint La
Proie, l’année suivante, toile qui a
appartenu à Leiris, son passage du
cubisme vers le surréalisme est en
cours. L’espace est encore géomé-
triquement fragmenté, mais le
dessin d’un nu féminin en lignes
rouges sinueuses s’y superpose
aux plans bistre et gris.
Or, il y a là bien des éléments ca-
ractéristiques de Masson : le corps
féminin et la sexualité masculine,
le rut et la violence, l’expression
par le symbole, la tension entre
dessin et peinture. L’exposition
confirme abondamment que
Masson, surréaliste en cela, veut
mettre à nu ce que la psychana-
lyse dévoile et que Bataille décrit
dans les pires détails : la puissance
féroce des pulsions, l’affronte-
ment d’Eros et de Thanatos, la
lutte sans fin entre engendre-
ment et mort, la jouissance dans
le crime et l’abjection.
Pour accomplir cette tâche, qui
est moins une introspection per-
sonnelle qu’une analyse de la na-
ture humaine, il dispose de deux
instruments, le trait et la couleur.
Le trait, ce sont ses séries d’encres
sur papier, souvent intitulées
« Massacres ». Il y trace des scènes
de bataille furieuses de nus fémi-
nins et masculins. Meurtre, viol,
fureur vengeresse, transe éroti-
que et danse macabre. Dessinant
vite lors de sessions de quelques
jours, il est porté par une sorte
d’automatisme obsessionnel,
que rend possible sa maîtrise du
trait, sa dextérité ne faiblissant à
aucun moment.
L’autre moyen, c’est peindre,
évidemment, mais ses toiles sont
à l’inverse de ses dessins. Ceux-ci
ne renvoient à aucune histoire : ce
sont des cauchemars universels
et éternels. Les peintures se
fondent sur les mythologies anti-
ques les plus connues : Pasiphaé,
le Minotaure, Ariane, Thésée.
Moins attendues, moins sérieu-
ses, sont sa botanique et son ento-
mologie sexuelles : plantes an-
thropomorphes aux germina-
tions monstrueuses, mantes reli-
gieuses attendant leurs mâles à
dévorer, sauterelles lubriques.
Mais toutes ces œuvres, même
les plus légères, ont un point
commun, que leur réunion rend
mieux visible : leur part illustra-
tive et didactique. Dans la tour du
sommeil, Métamorphose des
amants ou Gradiva, toiles de 1938-
1939, relèvent de la peinture à pro-
gramme, saturée de détails expli-
CULTURE
« Dans la tour
du sommeil » (1938),
d’André Masson.
ADAGP, PARIS, 2024
catifs et de références psychanaly-
tiques, ce qui surprend d’autant
moins que Masson a pour beau-
frère Jacques Lacan. La fureur qui
précipite les uns contre les autres
les corps à peine esquissés de ses
dessins s’englue dans une pein-
ture trop calculée et achevée. On
pourrait parfois douter qu’ils sont
du même artiste.
Dispersion des formes
On n’avance là rien que Masson,
esprit très critique, n’ait pensé et
écrit lui-même. En 1961, il faisait
remarquer, entre regret et ironie,
que les surréalistes avaient
toujours préféré à ses « tentatives
d’automatisme graphique » ses
« tableaux ou dessins plus “labo-
rieux” – plus arrêtés ».
Et poursuivait : « Je n’ai pas sou-
venance qu’un seul de mes amis
surréalistes ait fait l’acquisition
d’un seul de mes dessins qui fut
vraiment automatique (…). Ils pré-
féraient les tableaux plus “tra-
vaillés”, plus statiques, mais, pour
moi, moins surréalistes. » C’était à
tort, pense-t-on en les regardant
alternativement, d’un mur à
l’autre : folies graphiques, dé-
monstrations picturales.
La différence se voit jusque dans
les œuvres politiques. Masson,
qui doit fuir l’Espagne où il vivait
avec les siens au moment du
putsch franquiste de 1936, des-
sine alors les satires les plus terri-
bles du militarisme fasciste et du
cléricalisme haineux qui écrasent
la république. Sur le papier, il ex-
celle dans le sacrilège et l’insulte.
| 23
A partir de 1939,
l’artiste cherche
comment
insuffler à son
travail pictural
la puissance
dynamique
de ses dessins
Le Thé chez Franco (1938), Un
carliste en 1936 (1936), avec la
croix gammée à la place des
poumons, ou le prêtre brandis-
sant son crucifix au-dessus d’une
scène de carnage de Tuez les
pauvres (1937) : ce Masson en rage
est irrésistible. Celui qui peint En
revenant de l’exécution (1937) l’est
moins, car il en fait trop.
Conscient de cette difficulté, il
cherche dès lors comment insuf-
fler à son travail pictural la puis-
sance dynamique qui donne vie
et rythme à ses œuvres graphi-
ques. Ce renouvellement volon-
taire commence vers 1939, quand
il jette du sable sur la toile enduite
de colle pour y inciser des picto-
grammes. Celui-ci prend toute
son ampleur lors du séjour aux
Etats-Unis, au cours duquel il
semble que l’artiste se soit senti
plus libre qu’en France, quoique
en exil. Il contracte et abrège les
formes, renonce à donner l’illu-
sion d’un espace, compose en
compartimentant la surface,
restreint le nombre des couleurs
à quelques dominantes sombres
qu’il rehausse de lueurs rouges
ou blanches.
Surgissent alors, dans un bref
laps de temps, entre 1941 et 1943,
des toiles que l’on dirait inespé-
rées au regard de celles qui ont
précédé : l’admirable Méditation
sur une feuille de chêne (1942), la
non moins admirable Antille
(1943), le Paysage iroquois (1942).
Poussant plus loin la dissolution
et la dispersion des formes, à par-
tir de 1944, il les laisse se perdre
dans des entrelacs de boucles ou
s’évanouir dans des nuées de
taches et de coulures. Devant ces
expériences, on ne peut que
penser aux toiles d’Arshile Gorky
(1904-1948) et de Jackson Pollock
(1912-1956) exactement contem-
poraines, devenues si célèbres,
alors que les siennes, qui
ouvraient cette voie et ont été lar-
gement exposées à New York
durant la période de la guerre,
n’ont pas connu le même sort.
Ce dernier tiers de l’œuvre
occupe peu de place dans l’expo-
sition, et l’accrochage devient
alors serré, ce qui nuit visuelle-
ment à des créations fondées sur
l’expansion et l’accélération des
gestes. On aimerait les voir en
compagnie des Miro éclaboussés
de coulures, de la même époque.
Les uns et les autres ont été
montrés dans les galeries new-
yorkaises et ont été, ensemble,
déterminants dans la formation
de l’expressionnisme abstrait.
Cette part de la trajectoire de
Masson reste donc à écrire. p
philippe dagen
André Masson. Il n’y a pas
de monde achevé.
Centre Pompidou-Metz, 1, parvis
des Droits-de-l’homme, Metz.
Jusqu’au 2 septembre,
du mercredi au lundi
de 10 à 18 heures, 19 heures
vendredi, samedi et dimanche.
24 | culture
Un « Macbeth » sombre et sans concession
La tragédie de William Shakespeare est adaptée et mise en scène avec radicalité par Silvia Costa
THÉÂTRE
O
ppressante et obs-
cure, sans l’once
d’une éclaircie, la re-
présentation de Mac-
beth, tragédie adaptée et mise en
scène avec radicalité par Silvia
Costa à la Comédie-Française,
s’inscrit d’entrée de jeu là où
William Shakespeare lui-même
l’achemine dès son premier acte :
la mort. Sur le plateau de la salle
Richelieu, la « pièce écossaise »
− une vieille superstition interdit
de prononcer son nom sous
peine de provoquer un drame −
est allégée de quelques-uns de
ses protagonistes. Huit comé-
diens en scène quand la pièce
compte une trentaine de figures.
Mais l’essentiel des héros ne
manque pas, à commencer par
les trois sorcières qui surgissent
sur la route de Macbeth (Noam
Morgensztern) et Banquo (Clé-
ment Bresson), annonçant au
premier qu’il sera roi, au second
qu’il sera père de rois.
Cette prophétie inaugurale
émanant d’êtres surnaturels
condamne l’histoire à n’être
qu’un bain de sang. Epaulé par
Lady Macbeth, son épouse (Julie
Sicard), Macbeth élimine ceux
qui pourraient entraver sa mar-
che vers la couronne. Le couple
n’épargne personne, le premier
meurtre (celui de Duncan, roi
d’Ecosse incarné par Alain Len-
glet) étant le prélude à une sauva-
gerie où se percutent, savam-
ment dosées par la mise en scène,
stratégie et paranoïa, détermina-
tion et fuite en avant, rationalité
et hallucinations.
Traversée sinistre des abîmes
L’élastique de la barbarie s’étire
ainsi jusqu’à son point de rup-
ture. Au cinquième acte, il revient
en boomerang frapper le duo san-
guinaire. Rongée par la culpabi-
lité, Lady Macbeth se suicide, tan-
dis que son époux est tué par
Macduff (émouvant Pierre Louis-
Calixte), dont il avait fait assassi-
ner la femme et les enfants.
Le poète et traducteur Yves Bon-
Sur les traces magnétiques de Yann Paranthoën
Les archives de l’auteur d’une œuvre radiophonique majeure seront conservées dans les Côtes-d’Armor, sa terre natale
REPORTAGE
saint-brieuc - envoyée spéciale
E t voilà, nous y sommes :
dix palettes et des centai-
nes de cartons. A l’inté-
rieur ? Des trésors sonores et une
vie d’enregistrements. Les archi-
ves des Côtes-d’Armor, à Saint-
Brieuc, ne s’y sont d’ailleurs pas
trompées et savent qu’elles vien-
nent d’accueillir un fonds excep-
tionnel. Celui de Yann Paranthoën
(donné par sa fille Gwenola), né à
une centaine de kilomètres de là, à
l’Ile-Grande, en 1935.
Disparu en 2005, ce « tailleur de
sons » est en effet l’auteur d’une
œuvre radiophonique à la fois re-
connue et récompensée – notam-
ment par le prix Italia, en 1980,
pour « Questionnaire pour Lesco-
nil » –, mais restée largement ines-
timable. Non seulement une très
grande partie de ses émissions,
diffusées sur les ondes de la radio
publique française à partir de 1967,
sont aujourd’hui difficilement ac-
cessibles au public, mais de nom-
breux inédits restent à découvrir.
Or, voilà qu’un projet global de nu-
mérisation, lancé par Bastien
Lambert et qui devrait commen-
cer à l’automne, promet de faire
revivre cette œuvre.
Ce documentariste de 38 ans ra-
conte la « déflagration esthétique »
qu’a représentée pour lui l’écoute,
en 2016, de « Lulu », récit polypho-
Macbeth (Noam Morgensztern) et Lady Macbeth (Julie Sicard), à la Comédie-Française, à Paris. CHRISTOPHE RAYNAUD DE LAGE/COMÉDIE-FRANÇAISE
Une sauvagerie
où se percutent,
savamment
dosées par la
mise en scène,
stratégie
et paranoïa
nefoy écrivait de Shakespeare
qu’il avait « visité dans Macbeth
un des cercles les plus retirés de la
nuit humaine ». C’est dans cette
zone de non-droit que s’inscrit un
spectacle quasi létal, dont il faut
saluer l’absence courageuse de
concession à ce qui, de près ou de
loin, allégerait l’ambiance.
nique construit autour et à partir
de Lucienne Virgoulay, femme de
ménage à Radio France. Sur les
conseils de l’écrivain et composi-
teur Christian Rosset (qui a coor-
donné un bel ouvrage hommage à
Yann Paranthoën : L’Art de la radio,
Phonurgia Nova, 2009), il rencon-
tre alors celle qui fut sa compagne
et son oreille première : Claude
Giovannetti. A peine débarquée de
Corse, où elle passe sa retraite, cel-
le-ci nous confie à quel point elle
est « soulagée et heureuse » que ce
fonds – jusqu’alors relégué dans
un hangar de l’Institut national de
l’audiovisuel – soit enfin réuni et
sauvegardé dans des conditions
idoines, 14 °C en l’occurrence.
L’affaire de toute une vie
Mais il est grand temps d’ouvrir
ces cartons qui occupèrent jusqu’à
« vingt-sept placards à la Maison
de la radio », comme le rappelle,
sourire en coin, Claude Giovan-
netti. Outre les enregistrements
de terrain et en studio de Yann Pa-
ranthoën, conservés dans leur
état d’origine, et de nombreuses
versions de ses émissions se trou-
vent ici des éléments de travail qui
témoignent des différentes pha-
ses de fabrication et que Yann Pa-
ranthoën avait l’habitude de dis-
poser sur des bobinots empilés
sur des piques en bois.
Le travail des sons, l’affaire de
toute une vie et le cœur de l’affaire.
Silvia Costa dépose d’emblée la
pièce dans l’irrémédiable, c’est-à-
dire dans ce temps de la mort qui
ne progresse plus sur la ligne fa-
milière d’un présent menant au
futur. Tenu en laisse par l’artiste,
ce temps n’est plus un flux mais
une béance. Il s’enfonce sur lui-
même et fige chacun sur place. A
telle enseigne que Macbeth reste
immobile et mutique pendant
de longues minutes une fois qu’il
a tué Duncan.
Silences ou mises sur pause de
l’action, cette traversée sinistre
des abîmes peut paraître ingrate.
C’est le risque pris et assumé par
une représentation qui se situe
aux antipodes des notions de di-
vertissement.
Son ouverture (la scène 5 de
l’acte I) expose à l’avant-scène,
Claude Giovannetti se souvient :
« Yann était différent. En marge,
même. Ni technicien ni producteur,
il s’est très vite posé la question du
comment sortir de la glaise techni-
cienne pour faire une émission. Je
l’ai vu travailler : une bête devant
une console ! Il était très physique :
“On n’écoute pas qu’avec ses
oreilles”, disait-il. » D’ailleurs, écou-
ter du Yann Paranthoën, c’est faire
une expérience – idéalement dans
le noir, les yeux fermés et le cœur
ouvert. « Foudroyé » par l’écoute de
« Lulu », le dessinateur Emmanuel
Guibert a expliqué que, « dans les
émissions de Paranthoën, il y a des
gens entiers et le monde entier.
C’est-à-dire que, dans les voix, il y a
toute la vie de la personne, et dans
les bruits tout l’univers extérieur.
Tout le dedans et tout le dehors ».
Longtemps technicien sur des
émissions comme « Des Papous
dans la tête » et « L’Oreille en
coin », Yann Paranthoën avait
L’homme de
radio comparait
volontiers
son travail
à de la peinture
ou encore à
la taille du granit
devant un rideau rouge, le corps
assis de Lady Macbeth s’arra-
chant les cheveux, tandis qu’au-
dessus d’elle tournoie en pein-
ture le visage de Macbeth peu à
peu lardé de coups de couteau.
La messe est dite et elle l’est par
la femme, soit l’égale de l’homme
en abjection.
Héros aspirés par le néant
Les traits durs, la voix métallique,
Julie Sicard tranche dans le vif :
Macbeth doit oublier sa nature
qui « a trop bu du lait de l’hu-
maine tendresse » pour se confor-
mer aux prophéties des sorciè-
res. Saisissante vision qui donne
son coup d’envoi à une cérémo-
nie d’impressionnants tableaux
visuels révélés acte après acte,
dans la profondeur d’un plateau
compris que la radio – où il débar-
qua par hasard, en 1957 – ne pou-
vait se résumer à être un médium
passeur de plats, diffuseur de
« music and news ». Nagra (enre-
gistreur de radio) en bandoulière,
perche et parapluie de berger des
Pyrénées, Yann Paranthoën enre-
gistrait tout le monde, tout le
temps. Pour lui, chaque son avait
de l’importance et trouvait sa
place dans ses compositions aux
innombrables niveaux de lecture.
Langage nouveau
Salué par des gens de radio (Daniel
Mermet, Alain Veinstein), des écri-
vains (Claude Ollier, Jean-Bernard
Pouy), des musiciens (Christian
Zanési), Yann Paranthoën compa-
rait volontiers son travail à de la
peinture ou encore à la taille du
granit comme la pratiquait son
père : après avoir extrait de la réa-
lité un bloc sonore, il fallait tailler
et polir, c’est-à-dire monter et
mixer, jusqu’à ce que ça chante ! Il
regrettait que peu de journalistes
s’intéressent à ce langage nouveau
et que seules quelques-unes de ses
émissions aient été gravées sur
CD. Citons-en ici quelques-unes :
« Un petit chariot pour la Grande
Ourse », première pierre de son
œuvre (1967) ; « Le Temps des sei-
gneurs » (1985) ; « On Nagra »
(1987) ; « Jeux de mains » (1999),
dans lequel il disait son rapport
charnel à la bande magnétique.
qui, des costumes aux décors,
s’énonce en trois couleurs : le
rouge, le noir et le blanc.
Espace surplombé d’une im-
mense couronne suspendue (à
moins qu’il ne s’agisse d’une al-
liance), façade d’église gothique,
sombre confessionnal : chaque
changement de décor recule les
scènes vers le lointain.
Aspirés par le néant, les héros
s’éloignent du public. Il faut atten-
dre l’heure de leur mort pour les
voir regagner les berges des spec-
tateurs et d’une possible huma-
nité. La fin de Macbeth est, de ce
point de vue, glaçante : touché par
la main christique d’un Macduff
drapé de blanc, Noam Morgensz-
tern, alors usé jusqu’à la corde,
sanglote et trépigne comme un
enfant dépité.
Mais hors de question de figer
Yann Paranthoën dans sa légende.
Le soin apporté aujourd’hui à ses
archives et cette numérisation à
venir doivent permettre à tous
ceux qui en ont l’envie de suivre sa
trace et de faire (re)vivre la radio.
Suivre sa trace et l’accompagner,
partout, tout le temps, Claude
Giovannetti, qui était chargée de
réalisation à France Culture, l’aura
fait depuis leur rencontre, en 1974.
En déballant ces 9 mètres cubes
d’enregistrements, elle retrouve
une interview de Jacques Tati (me-
née par Christian Rosset et enre-
gistrée par Yann Paranthoën
en 1978), et se souvient : « C’est un
des rares cinéastes qui l’attirait
dans une salle de cinéma. Gamin, à
l’Ile-Grande, dans le café de sa
mère dans lequel des films étaient
projetés, il avait vu Jour de fête. »
Mais aussi les bandes magnéti-
ques sur lesquelles il enregistra
tous les Paris-Roubaix, de 1978 à
2004 : « C’était une épopée, et un ri-
tuel auquel Yann n’aurait jamais
dérogé. Comme les femmes
n’avaient pas le droit de suivre dans
les voitures, je me cachais chaque
fois qu’un directeur de course pas-
sait ! » Et d’ajouter, à voix basse :
« Il y avait une estime réciproque :
ça, c’est évident. » On se souvient
alors de sa formule, qui convient
si bien : « Il y a tout ce qui n’est pas
dit mais qui s’entend. » p
émilie grangeray
0123
JEUDI 4 AVRIL 2024
Silvia Costa sait
déplier le texte.
On entend donc
parfaitement
les mots de
Shakespeare
Silvia Costa a longtemps tra-
vaillé avec Romeo Castellucci, son
geste en témoigne. Alors que l’ar-
tiste italien vient de présenter au
Théâtre de la Ville, à Paris, une
version (contestée) de Bérénice
de Racine, son ex-collaboratrice
prend son relais avec une appro-
che de Macbeth puisant aux mê-
mes impératifs plastiques. A cette
nuance près que, si elle aussi
veut − et sait − faire parler un pla-
teau dont elle exploite la matéria-
lité (le son, la musique, la lumière,
le rythme, le décor), en revanche,
elle déplie ce que Castellucci
contracte : le texte.
On entend donc parfaitement
les mots de Shakespeare. Et
d’autant mieux qu’ils ne sont es-
cortés d’aucun message parasite
et ne se plient qu’à un désir : an-
crer le drame là où il se nécrose,
au plus profond de cette mort
dont Macbeth salue le règne dans
un de ses rares éclairs de lucidité :
« La vie n’est qu’une ombre qui
passe, un pauvre acteur qui s’agite
et parade une heure, sur la scène,
puis on ne l’entend plus. C’est un
récit plein de bruit, de fureur,
qu’un idiot raconte et qui n’a pas
de sens. » p
joëlle gayot
Macbeth, d’après William
Shakespeare. Traduction : Yves
Bonnefoy. Adaptation, mise en
scène et scénographie : Silvia
Costa. Avec Alain Lenglet, Julie
Sicard, Pierre Louis-Calixte,
Suliane Brahim, Jennifer Decker,
Noam Morgensztern, Clément
Bresson et, en alternance, Julien
Frison et Birane Ba. Comédie-
Française, salle Richelieu, Paris 1er.
Durée : 2 h 15. Jusqu’au 20 juillet.
MUS I QU E
200 musiciens appellent
à défendre leurs droits
contre l’intelligence
artificielle
Dans une lettre ouverte pu-
bliée le 2 avril, plus de 200 ar-
tistes de renom, dont les stars
Billie Eilish, Nicki Minaj, et
Stevie Wonder, ou encore le
groupe Pearl Jam, appellent à
mieux protéger la création et
les droits des auteurs face aux
menaces posées par l’intelli-
gence artificielle (IA). « Nous
devons nous protéger contre
une utilisation prédatrice de
l’IA pour voler les voix et les
ressemblances des artistes
professionnels, violer les droits
des créateurs et détruire l’éco-
système de la musique », écri-
vent les artistes, dans ce texte
porté par l’organisation Artist
Rights Alliance. Le développe-
ment de l’IA dite générative
fait craindre de nombreuses
menaces sur la création artis-
tique, notamment celle de co-
pier des voix célèbres. – (AFP.)
Des enregistrements
inédits de Marvin Gaye
retrouvés en Belgique
Quarante ans après la mort du
chanteur soul Marvin Gaye,
des chansons inédites ont été
découvertes à Ostende, en Bel-
gique. Selon la BBC, la collec-
tion de 30 cassettes, qui con-
tient 66 chansons, apparte-
nait au musicien Charles
Dumolin (décédé en 2019), qui
avait hébergé Marvin Gaye
en 1981 pendant sa cure de
désintoxication à la cocaïne.
0123
JEUDI 4 AVRIL 2024 culture | 25

Le Musée
Jacquemart-
André retrouve
son lustre
Fermé depuis septembre 2023
pour d’importants travaux
de restauration, l’établissement
parisien doit rouvrir en septembre
œuvres qu’ils rapportaient de
ARTS leurs nombreux voyages. Quel-

U
n fin pinceau dans une
main, une palette
d’aquarelliste dans
l’autre, une restaura-
trice de l’atelier Arcanes, bras levé,
s’applique à repiquer le visage
d’un enfant sur la fresque de
Giambattista Tiepolo (1696-1770),
qui surplombe la salle à manger
du Musée Jacquemart-André. A
l’instar des décors muraux, des
boiseries, des tapisseries, des do-
rures et des marbres qui font de
cet hôtel particulier du boulevard
Haussmann, dans le 8e arrondisse-
ment de Paris, un des joyaux de la
capitale, les peintures murales du
Vénitien, maître du trompe-l’œil,
détachées de la Villa Contarini, à
Mira, nécessitaient un sérieux dé-
crassage depuis la dernière réno-
vation, entreprise en 1998.
Depuis septembre 2023,
ouvriers et artisans d’art s’em-
ploient à redonner son éclat à l’éta-
blissement, protégé au titre des
Monuments historiques, pro-
priété de l’Institut de France de-
puis 1912, date à laquelle il lui fut
légué par Nélie Jacquemart (1841-
1912), artiste et mécène, veuve
d’Edouard André (1833-1894). Tous
deux collectionneurs et amateurs
d’art, notamment de peinture ita-
lienne, hollandaise et française,
les époux avaient fait bâtir cette
résidence en 1875 pour y exposer
leurs acquisitions ainsi que les
ques privilégiés étaient invités à
venir les découvrir dans leur de-
meure écrin à l’occasion d’un bal,
d’une soirée mondaine ou d’un dî-
ner de gala, plaisirs que s’offrait la
bourgeoisie de l’époque. Dans son
testament, Nélie Jacquemart avait
fait part de sa volonté d’ouvrir les
collections à un plus large public.
Changement de ton
Avec sa transformation en musée,
le lieu a vu sa fréquentation bon-
dir (en moyenne 400 000 person-
nes par an), entraînant une accélé-
ration de sa dégradation, dont la
Cour des comptes s’était alarmée
dans un rapport publié en 2021.
L’Institut de France a profité du re-
nouvellement jusqu’au 31 décem-
bre 2029 du contrat de concession
signé avec Culturespaces, une so-
ciété qui gère le lieu depuis 1996,
pour engager des travaux entraî-
nant la fermeture du musée pour
une durée d’un an. Il doit rouvrir
en septembre avec une exposition
de chefs-d’œuvre de la Galerie Bor-
ghèse, à Rome, dont des tableaux
du Caravage, de Botticelli ou de Ra-
phaël. Parallèlement à la rénova-
tion des salles et des œuvres, une
mise aux normes s’imposait pour
un établissement qui dispose
d’une cuisine et d’un restaurant.
En se frayant un chemin entre
les bassines de colle et les pots de
peinture, on commence la visite
Restauration de la fresque de Giambattista Tiepolo au Musée Jacquemart-André, à Paris, en janvier. NICOLAS HERON
par le fumoir, vidé de toutes les
pièces de mobilier, des objets rap-
portés du Proche-Orient par Nélie
Jacquemart, comme des tableaux
de peintres anglais et des sculptu-
res qui y sont exposés habituelle-
ment, partis pour la restauration.
Agrafeuse en main, un artisan fi-
nit de poser le textile rouge, un
tissu synthétique ignifugé imi-
tant le satin de soie, qui, désor-
mais, habille les murs, auparavant
couverts d’un vert sapin. « On a
pris pour référence une photo du
journal L’Illustration de 1913, où le
décor est rouge, avec des rideaux
assortis que l’on a fait retisser à
l’identique », précise Pierre Curie,
conservateur du musée, qui
ajoute que le plafond en bois doré
garni de gypseries a également été
remis à neuf : « Un morceau s’est
détaché, il était source de danger,
quelqu’un aurait pu le recevoir sur
la tête. Il n’avait jamais été restauré
depuis son installation il y a près de
cent cinquante ans. »
Changement de ton aussi pour
la salle à manger, devenue, depuis
1996, un restaurant et salon de thé
très fréquenté (plus de cent cou-
verts midi et soir). Le choix a été
fait de revenir à la couleur d’ori-
gine, un gris-vert dont la teinte a
été identifiée par sondage sous la
couche de peinture actuelle, plus
claire. Les tapisseries de la tenture
d’Achille du XVIIIe siècle contant
les aventures des héros de la
guerre de Troie qui garnissaient
les murs ont fait l’objet d’un net-
toyage en Belgique dans l’atelier
de la manufacture royale De Wit.
Pavés posés en éventail
Emmailloté dans des bâches de
plastique et gainé de barres
d’échafaudage en aluminium, le
célèbre escalier à double révo-
lution, attraction du jardin d’hiver
– « merveille de ce palais mer-
veilleux », selon un article de
L’Illustration datant de 1876 –, ne
laisse rien paraître de ses décors
de marbre et de dorures baroques,
dissimulant aux regards ses extra-
ordinaires courbures qui, malgré
la monumentalité, lui donnent
Une seconde
phase de travaux
est prévue,
de 2026 à
2030, qui ne
nécessitera pas la
fermeture du lieu
une impression de légèreté. « La
restauration est l’occasion de dé-
couvrir quelles techniques avaient
utilisé les artisans, avec de la feuille
de marbre et du stuc, pour obtenir
ce résultat », souligne M. Curie.
L’extérieur du musée ne man-
quera pas de surprendre les habi-
tués. Fini le sol couvert de gros
gravier où l’on risquait à chaque
pas de se tordre la cheville : désor-
mais l’arrivée jusqu’au perron
s’effectue sur une allée garnie de
pavés élégamment posés en
éventail. Le centre de la cour
comme ses bordures ont été végé-
talisés et les deux lions en pierre
montant la garde devant l’entrée,
de part et d’autre des colonnes à
chapiteau corinthien, ont re-
trouvé leur orientation d’origine :
ils se font désormais face au lieu
de se tourner le dos !
Menée sous la maîtrise d’œuvre
conjointe de l’Agence Goutal et
d’Eugène Architectes du patri-
moine, la campagne de rénova-
tion, évaluée à 12 millions d’euros,
est financée par l’Institut de
France, la fondation Jacquemart-
André et la direction régionale des
affaires culturelles d’Ile-de-
France. Une seconde phase, pré-
vue de 2026 à 2030 et qui ne né-
cessitera pas la fermeture du mu-
sée, concernera la bibliothèque, le
salon de musique et la façade nord
du bâtiment. Les travaux actuels
ont, par ailleurs, permis de tester
la résistance aux vibrations du
musée sous lequel passera pro-
chainement le RER E. Bonne nou-
velle, « les tests ont été positifs », se
réjouit le conservateur. p
sylvie kerviel

Avec le rappeur Bekar, la revanche du cancre

Le jeune Roubaisien défend sur scène son premier album, « Plus fort que l’orage », réédité
Nouveau hors-série
De son vrai nom Alexandre Le diplôme en poche, il se pré-
MUSIQUE Becquart, le rappeur de 26 ans a
« Jouer sente alors à des concours pour

I ls sont rares, aujourd’hui, les

artistes rap qui ont com-
mencé par la scène. Bekar est
de ceux-là. Il est actuellement en
tournée pour présenter la réédi-
tion, en mars, sous le titre Plus
grandi dans une famille tout ce
qu’il y a de plus banal. Il est l’aîné
de trois enfants. Son père travaille
pour une chaîne de magasins de
sport, sa mère est assistante de
avec les mots,
c’est infini. Il y a
une infinité
intégrer des écoles de graphisme
ou de beaux-arts, et les réussit
tous. Il part pour la Belgique et
intègre une école de dessin, avant
de finalement revenir, quelques
vie scolaire pour des élèves en si-
de possibilités mois plus tard. C’est alors l’usine Hors-série Avril-mai 2024

fort., de son premier album, Plus
fort que l’orage, sorti un an plus
tôt. Le jeune Roubaisien avait
signé avec un tourneur pour re-
transcrire sur scène l’ambiance
de ses chansons douces-amères
qui naviguent entre rap et électro,
comme des photographies en
noir et blanc d’une jeunesse désa-
busée qui a grandi dans l’univers
gris des villes du Nord, bien avant
de trouver une maison de disques
pour publier ses premiers raps.
Dans les locaux de son attaché
de presse dans le 11e arrondisse-
ment de Paris, le grand jeune
homme aux yeux clairs raconte
son entrée dans le métier : « Il y a
cinq ans, mon tourneur m’a
confronté au live tout de suite.
J’avais à peine sorti un projet, la
mixtape Boréal, j’avais très peu
d’abonnés sur mes réseaux
sociaux et il m’a programmé en
première partie de PLK puis de
Zola et, enfin, de Gaëtan Roussel,
bref devant 5 000 personnes d’un
coup. Ça m’a forgé, obligé à me dé-
passer. J’étais réservé, timide,
mais j’ai adoré. Jamais je n’aurais
cru pouvoir prendre un micro
devant autant de personnes. »
tuation de handicap. Lui se pas-
sionne pour le foot et le dessin,
mais pas vraiment pour l’école,
où, comme il l’avoue dans le
morceau Eric Koston, il s’ennuie à
mourir. Dans l’introduction de
son titre Entre 4 murs, il rappe a
cappella : « J’ai grandi dans une fa-
mille simple, mentalité on partage
tout/Avec mon frère, on dormait
dans la même chambre/Roubaix,
c’était pas les Champs, mais on n’a
jamais manqué d’argent/J’suis ni
bicraveur ni marchand, j’connais
la rue qu’en y marchant. »
Décrochage scolaire
A l’adolescence, le rap balaie tout.
Il ne se rappelle plus vraiment du
déclic, pense avoir écouté cette
musique toute sa vie. Sa mère,
comme lui, est fan de Guizmo, un
rappeur connu pour ses textes
presque dépressifs. Dans la cour
de récréation du collège, avec ses
copains, ils se lancent des défis,
comme dans les vidéos sur
YouTube de la compétition Rap
Contenders, où déjà les rappeurs
du collectif L’Entourage brillent.
« Je me suis pris au jeu, reconnaît
Bekar, à écrire des morceaux, à ra-
de rimes… »
BEKAR
conter une histoire, à poser les mots
sur une musique. J’avais l’impres-
sion de progresser tout le temps ; et
puis jouer avec les mots, c’est infini.
Il y a une infinité de possibilités de
rimes, de tournures de phrases… »
Sa nouvelle passion pour le rap
correspond aussi au moment de
son décrochage scolaire. Dans le
morceau Sans la pluie, il décrète :
« L’école, j’aime pas, donc j’crache
dessus, j’parle mal aux profs, j’me
trompe de cible. » En entretien, il
se remémore cette phase et expli-
que : « Entre ma 3e et mon arrivée
au lycée, j’en voulais un peu à tout
le monde. Je ramais au collège de-
puis quatre ans. Si j’écoutais les
profs, j’allais droit dans le mur. Je
ne supportais plus les cours, je n’ar-
rivais pas à me concentrer, à lire
plus de cent pages. Mais je me suis
accroché parce que je voulais
quand même un bac. On a fini par
m’orienter en lycée pro, option ar-
chitecture et construction. Je me
suis laissé porter. »
le jour et le rap le soir sur les
réseaux sociaux. Sur Facebook, il
fait la connaissance du beatma-
ker Lucci, un Lillois, fils d’un
batteur de rock. Ensemble, ils
vont construire l’univers musical
doux-amer de Bekar, teinté de
cloud rap, d’électro aérée et de
boom bap. Ils mettent au point
ces morceaux où une voix entê- EUROPE
tante demande au rappeur d’être
moins triste. Ou des refrains
ATTENTION,
comme celui de Fisheye, avec PLK, FRAGILE
Guerre en Ukraine, élargissement,
dans lequel il lutte contre le crise agricole, crise migratoire,
montée de l’extrême droite…
monde qui lui fait « douter de Les défis qui ébranlent
l’Union européenne
tout ». Pour la réédition de son vus par la presse étrangère.
premier album, Bekar a aussi fait
appel à Myth Syzer pour treize
nouveaux titres, dont un duo
avec SDM, un autre champion du
rap sur scène. p
stéphanie binet
Plus fort., de Bekar, réédition
de Plus fort que l’orage (2023),
Panenka/Wagram.
En concert : le 5 avril
à Strasbourg (complet), le 12 avril
à Nice, le 26 avril à Nantes,
EN VENTE CHEZ VOTRE MARCHAND
le 27 avril au Printemps
de Bourges… Les 7 et DE JOURNAUX
8 novembre à l’Olympia, à Paris.
26 | télévision
Décryptage des codes et du langage des yakuzas
La deuxième saison de « Tokyo Vice », parfait prolongement de la première, privilégie les personnages à l’intrigue
CANAL+
JEUDI 4 AVRIL - 21 H 10
SÉRIE
D
ans ce monde à courte
vue, où les séries meu-
rent de plus en plus
jeunes et selon le bon
vouloir des diffuseurs, Tokyo Vice
propose une denrée devenue
rare : le plaisir d’une deuxième
saison. En plus de venir répondre
aux questions posées par la fin de
la saison précédente, celle-ci a
l’originalité d’allonger son format,
de huit à dix épisodes. Profi-
tons-en. D’une part parce que
rien, à l’heure actuelle, ne peut ga-
rantir une troisième saison à
l’adaptation du best-seller épo-
nyme de Jake Adesltein, d’autre
part parce que la plate-forme Max
étant censée être enfin disponible
en France d’ici aux Jeux olympi-
ques (selon les annonces faites par
HBO, lors du festival Séries Mania
en mars), Tokyo Vice est probable-
ment l’un des derniers program-
mes HBO à se faufiler dans les
foyers français via Canal+.
Continuum parfait de la précé-
dente, cette saison s’éloigne un
peu plus des Mémoires journalis-
tiques qui ont inspiré la série
pour mieux s’emboîter dans la
forme classique d’un thriller ur-
bain. Le pilote, réalisé par Michael
Mann, en avait dessiné les élé-
gants contours : violence milli-
L’odyssée de Simon Gronowski, survivant de la Shoah
La productrice du podcast « Les Odyssées », Laure Grandbesançon, a recueilli le témoignage de ce « miraculé », déporté à l’âge de 11 ans
FRANCE INTER
JEUDI 4 AVRIL
PODCAST
A vec son énergie habi-
tuelle et son débit à faire
dérailler la fibre, Laure
Grandbesançon, la productrice du
remarquable podcast « Les Odys-
sées » l’avoue sans peine : « C’est
sans doute mon épisode préféré. »
Pas besoin de demander pour-
quoi, elle enchaîne : « Parce que Si-
mon Gronowski est extraordinaire,
parce qu’il a une vitalité, une force
et un humour incroyables. »
GRILLE N° 24 - 080
PAR PHILIPPE DUPUIS
Retrouvez l’ensemble de nos grilles sur
1 2 3 4 5 6
I
II
III
IV
V 3
VI
VII
VIII
IX
X page du temps. Moitié oicielle.
SOLUTION DE LA GRILLE N° 24 - 079
HORIZONTALEMENT I. Intempérants. II. Nuisiblement. III. Cat. Eventé.
IV. Ogre. Emane. V. Léandre. Di. VI. Ls. Tarn. Etel. VII. Carats. Ami.
VIII. Blêmissantes. IX. Lice. Diène. X. ENA. Ténèbres.
VERTICALEMENT 1. Incollable. 2. Nuages. Lin. 3. Titra. CECA. 4. Es.
Entame. 5. Mie. Dari. 6. Pb. Errasse. 7. Eléments. 8. Rêva. Sade.
9. Amende. Nib. 10. Néné. Tâter. 11. TNT. Démène. 12. Stérilisés.
Samantha (Rachel Keller), dans la saison 2 de la série « Tokyo Vice ». MYCANAL
métrée, cité filmée à hauteur de
ses marginaux, criminels, journa-
listes et gardiens de la paix incar-
nés avec aplomb par des acteurs
parfaitement distribués.
Ancrage local
Pour qui n’a pas lu le livre, qui ras-
semble toute la matière journalis-
tique que Jake Adelstein n’a pas
pu publier dans le journal qui
l’employait à Tokyo, la première
Parce que, aussi, elle en est cons-
ciente, il a valeur de grand témoin
et que sa parole est d’autant plus
nécessaire que le nombre d’actes
antisémites recensés en France a
été multiplié par quatre en un an,
selon un rapport du Conseil re-
présentatif des institutions juives
de France publié le 25 janvier.
De même, une étude réalisée à
la fin de l’année 2023 par Opi-
nionWay auprès des 16-24 ans
montre que seulement 63 % d’en-
tre eux savent ce que désigne le
terme « Shoah » et que 46 %, pas
davantage, sont capables de dire
jeux.lemonde.fr
7 8 9 10 11 12
saison présentait un intérêt quasi
documentaire en donnant un
aperçu de l’emprise, insoupçon-
nable pour un Occidental, des
yakuzas sur la société japonaise.
Le point de vue de Jake, jeune
journaliste débarqué du Missouri
pour fuir une situation familiale
tendue, et embauché par un
grand quotidien local grâce à son
excellent niveau linguistique, en
constituait le centre de gravité.
ce qu’a été la « solution finale ».
Laure Grandbesançon est donc
partie interviewer Simon Gro-
nowski à Bruxelles, où vit ce « mi-
raculé » de la seconde guerre
mondiale.
« Il y a du soleil »
Le témoignage collecté est saisis-
sant et pourrait bien jouer
auprès des plus jeunes le rôle
qu’Un sac de billes (le récit de Jo-
seph Joffo paru en 1973) ou le
Journal d’Anne Frank (1947) ont
joué auprès des générations
précédentes dans la compréhen-
HORIZONTALEMENT
I. Vous pourrez le protéger, mais pas
le soutenir. II. Un coup à prendre
racines. Mémoire volatile. III. Irlande
libre. Au fond du parc. Cartes
sur table. IV. Lancé pour faire appel.
Assurent de belles pompes. V. Au plus
haut point. Evitez de tourner autour
trop longtemps. Pèsent lourdement
tour après tour. VI. Un peu plus loin
dans le texte. Fit venir au palais.
VII. Transporté par les eaux, il ter-
mine dans le vin. A consommer pur,
quand c’est possible. Dans le noir.
VIII. Informations fraîches. IX. Arri-
vées chez nous. Le cri de Bacchantes.
X. Donnés en plein accord.
VERTICALEMENT
1. Sa racine nauséabonde alimente
les oicines. 2. Traîné dans la boue.
Démonstratif. 3. Entraînent la nullité
des unions et des afaires. 4. Décou-
5. Défend le monde du travail. Facilite
la traction. 6. Ouvre et fait le vide. Fait
chaque jour en principe. 7. Altérai les
tissus vivants. 8. En droit et en devoir.
Conjonction. Dans un ensemble.
9. Se franchit d’un pas. Eclate en s’ou-
vrant. 10. Rapprochai solidement.
Les murs ne l’arrêtent pas. 11. Triste
et plaintif dans la fosse. Lettres de
honte. 12. Pour évacuer les eaux des
canaux.
Celui-ci se brouille un peu dans
la deuxième saison, à mesure que
la série se « japonise » – l’épisode 7,
qui se déroule principalement
aux Etats-Unis, n’est d’ailleurs pas
le plus réussi. On y entend plus
souvent le japonais que l’anglais, y
compris dans la bouche des étran-
gers, et l’une des qualités de la sé-
rie est de rendre cet ancrage local
extrêmement naturel, y compris
le casting, Ansel Elgort (Jake) et Ra-
sion sensible de cet épisode de
notre histoire.
Cette « Odyssée » commence
dans les années 1930, à Bruxelles,
où la famille Gronowski, qui a fui
l’Europe de l’Est et ses pogroms,
élève avec amour Ita et Simon. Le-
quel se souvient des mots de son
père quand il apprend, le 1er sep-
tembre 1939, qu’Hitler a envahi la
Pologne : « C’est terrible. » Laure
Granbesançon reprend alors le
récit en main pour rappeler quel-
ques faits : l’invasion de la Belgi-
que, le 10 mai 1940 ; l’interdiction
faite aux juifs d’exercer nombre
SUDOKU
N°24-080
6 3
1 5
1 5
7 9
7 6 Complétez
4 6 1 8
8 9 6 3
3 9 5 2
Réalisé par Yan Georget (https://about.me/yangeorget)
En vente chez votre marchand de journaux
chel Keller en tête (Samantha). A
l’heure où les choix linguistiques
douteux pullulent dans la fiction
– on pense aux villageois français
parfaitement anglophones de
Mister Spade, ou au broken english
de The New Look –, cette cohé-
rence témoigne d’une exigence
au-dessus de la moyenne.
Le charme de cette saison repose
donc beaucoup sur les acteurs et
sur la mise en scène, à la fois sim-
ple et classieuse, qui préside aux
trajectoires, rectilignes mais flui-
des, des personnages. L’intrigue
policière, un peu faible, n’a d’inté-
rêt que pour les accès de violence
et les longues séquences dialo-
guées qu’elle génère. Volontiers
sanglante et sensuelle, cette sai-
son injecte par ailleurs un peu de
corps et de désir dans un paysage
télévisuel relativement aseptisé.
Il ne manque finalement à ces
dix épisodes parfaitement maîtri-
sés que le point de vue du gaijin, ce
décalage entre l’américanité du
héros et l’exotisme de l’Extrême-
Orient qu’Ansel Elgort a si bien in-
carné dans la saison 1. Rançon du
talent, l’acteur est si à l’aise avec
son personnage qu’il en gomme
parfois sa principale aspérité : la
mélancolie de l’expatrié. p
audrey fournier
Tokyo Vice saison 2, série créée
par J. T. Rogers. Avec Ansel Elgort,
Rachel Keller (EU, 2024, 10 × 52 min).
de professions ; les spoliations et
l’obligation, à partir de mai 1942,
de porter l’étoile jaune – « cousue
par ma mère à la place du cœur »,
se remémore Simon Gronowski.
Alors que les rafles se multi-
plient, le père de Simon est à l’hô-
pital quand, le 17 mars 1943, la
Gestapo vient les arrêter. « Tu
vois, Simon, il y a du soleil, et ce
n’est pas pour nous », lui dira sa
sœur, à qui il dit au revoir sans sa-
voir qu’il ne la reverra jamais. « Le
19 avril 1943, j’ai sauté d’un train
qui transportait plus de 1 600 dé-
portés juifs, dont 262 enfants, de-
1 9 6 2 4 8
2 7 5 9 3 1
3 4 8 6 7 5
9 5 3 7 6 2
6 2 7 8 1 4
9 8 1 4 5 9 3 7
7 8 1 4 2 6
4 6 2 3 5 9
3 9 1 8 7 4
3 4 Moyen
toute la
grille avec des chiffres
allant de 1 à 9.
7 Chaque chiffre ne doit
être utilisé qu’une
seule fois par ligne,
par colonne et par
carré de neuf cases.
0123
JEUDI 4 AVRIL 2024
NOTRE
SÉLECTION
JEU D I 4 AV R IL
Arte
Charité
20.55 2049, dans un hôpital
berlinois. A la montée suffocante des
températures s’ajoutent l’apparition
d’un virus tueur et une intelligence
artificielle agressive et inhumaine.
Les six épisodes de la saison 4 de
cette série sont diffusés d’une traite.
Gulli
King Kong
21.05 En 1933, King Kong, de Merian
Cooper et Ernest Schoedsack, durait
cent minutes. En 2005, celui de Peter
Jackson prend deux fois plus de
temps, mais en ajoutant une mise en
abyme du premier film et d’étonnants
effets spéciaux numériques.
France 2
Cash Investigation : argent
facile, les fausses promesses
des influenceurs
21.10 Pour le magazine d’Elise Lucet,
Mathieu Robert a enquêté sur les
influenceurs, tels Laurent Billionaire,
Julien Bert ou Marc Blata, à Dubaï,
qui promettent à leur public de
s’enrichir par « copy trading ».
Canal+
Dark Tokyo avec Jake Adelstein
22.55 Complémentaire
à la saison 2 de Tokyo Vice, ce
documentaire suit l’auteur du livre
éponyme, Jake Adelstein, dans
les bas-fonds tokyoïtes.
puis la ville de Malines, en Belgi-
que, jusqu’au camp d’Auschwitz,
en Pologne. » C’est sa mère – exé-
cutée, tout comme le sera sa
sœur, dès son arrivée – qui l’aide à
sauter du wagon : « Ma mère m’a
donné la vie deux fois : quand je
suis né et le jour de mon évasion »,
dit-il aujourd’hui. Une « Odys-
sée » poignante et nécessaire. p
émilie grangeray
Simon Gronowski : « Ma vie
est un miracle », de Laure
Grandbesançon, réalisé par
Marion Le Lay (Fr., 2024, 19 min).
est édité par la Société éditrice
du « Monde » SA. Durée de la société :
99 ans à compter du 15 décembre 2000.
Capital social : 124.610.348,70 €.
Actionnaire principal : Le Monde Libre (SCS).
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Eutrophisation : PTot = 0,0083 kg/tonne de papier
 IDÉES | 27
0123
JEUDI 4 AVRIL 2024

L La démarche concernant
e « choc des savoirs » revendiqué
par Gabriel Attal a au moins obtenu
un premier résultat : ébranler l’édu-
cation nationale au point qu’il est
peu d’enseignants et de responsables du

les groupes « de niveau »

système éducatif, à tous les niveaux, qui
ne manifestent une grande inquiétude.
Ce qui a d’abord retenu l’attention, c’est le
débat sur les classes ou groupes « de ni-
veau », tant l’expérience autant que les re-
cherches montrent qu’il s’agit d’un dis-

est anachronique et inefficace

positif à la fois injuste et inefficace.
Avec raison, la nouvelle ministre, Ni-
cole Belloubet, a préféré parler de « grou-
pes de besoin » : gérés avec suffisamment
de flexibilité pour répondre de façon
transitoire et réversible aux difficultés
spécifiques de certains élèves. Les grou-
pes de besoin peuvent en effet corriger
ce que la classe traditionnelle a de trop ri-
gide. Mais, comme l’expliquait déjà
en 1982 le rapport de Louis Legrand sur
les collèges, cette solution ne peut fonc-
tionner qu’à plusieurs conditions. Elle
suppose que soient réunis les moyens et
les compétences pédagogiques nécessai-
res. Elle implique un travail de concerta-
tion important et le volontariat des en-
seignants concernés. Elle ne peut suivre
un modèle unique : il faut s’adapter à
l’extrême diversité des situations locales.
Politique taylorisée
Or, c’est bien là que le bât blesse
aujourd’hui. Là où il faudrait de la sou-
plesse, l’arrêté du 17 mars impose aux
collèges une organisation très détaillée,
à la semaine près, et n’envisage le retour
en classe entière que comme une me-
sure dérogatoire. Les collèges se retrou-
vent ainsi contraints tant par le texte of-
ficiel que par le manque de moyens. Les
nombreux dispositifs d’aide mis en
place les années antérieures deviennent
obsolètes : comment mobiliser les ensei-
gnants si chaque rentrée est présentée
comme un désaveu de la précédente ?
Tant de rigidité ne permettra guère, de
fait, que de composer des groupes de
niveau très peu fluides.
En procédant ainsi, le ministère se met
en contradiction avec la démarche qui,
depuis 1985, a consisté à donner des mar-
ges d’autonomie et de responsabilité aux
établissements, notamment sur le plan
Si la ministre de l’éducation nationale, Nicole Belloubet, a raison de parler de « groupes de besoin »
plutôt que « de niveau », le dispositif est trop rigide et trop « centralisé », estime un collectif d’anciens
directeurs de l’enseignement scolaire au ministère
pédagogique, et à les inciter à se mobili-
ser autour d’un projet adapté à leur situa-
tion. Ces principes, posés quarante ans
auparavant, ont été développés dans de
nombreux articles du code de l’éduca-
tion, notamment le D332-5 (décret du
18 novembre 2014) : « Le collège offre, con-
formément au principe d’inclusion et sans
constituer de filières, un enseignement et
une organisation pédagogique appropriés
à la diversité des élèves (…). La mise en
œuvre des modalités de différenciation re-
lève de l’autonomie des établissements. »
Plusieurs autres articles expriment
sans ambiguïté la même conception. Y
LES COLLÈGES
SE RETROUVENT
CONTRAINTS TANT
PAR LE TEXTE OFFICIEL
QUE PAR LE MANQUE
DE MOYENS
renoncer aujourd’hui, c’est donc opérer
un renversement qui fait du ministre, ou
du premier ministre, le « super princi-
pal » des sept mille collèges de France.
C’est méconnaître l’extrême diversité de
ces collèges, qui diffèrent par la taille,
l’histoire, le recrutement, les ressources
et l’environnement. C’est faire des chefs
d’établissement et des enseignants les
simples exécutants d’une politique pé-
dagogique taylorisée.
Au plus près du terrain
Comment motiver des acteurs qui ne
peuvent voir dans cette logique qu’une
preuve supplémentaire de défiance et
de déconsidération ? Comment ne pas
se dire que l’on va ainsi contre le cours
de l’histoire, en oubliant que les collè-
ges, s’ils sont sous la responsabilité de
l’Etat central, appartiennent aussi à des
territoires dont font intimement partie
les communautés éducatives ? Plutôt
que de normaliser à outrance de façon
centralisée, il faut viser un contrat terri-
torial ambitieux et tripartite (Etat, col-
lectivité, établissement) pour la réussite
de nos élèves.
Certes, les politiques et l’administra-
tion ne sont pas seuls responsables de
cette conception verticale et centralisée
du pilotage. Bien des enseignants, et
certaines de leurs organisations syndi-
cales, y adhèrent, au nom de la croyance
très française que seule l’intervention
de l’Etat central garantit l’équité. Conce-
voir et négocier un projet d’établisse-
ment, dans le cadre des principes géné-
raux qu’il revient à la puissance publi-
que de définir, peut aussi paraître plus
difficile que d’appliquer des normes.
Mais est-il d’autre solution que ces pro-
jets au plus près du terrain, liant le col-
lège et son environnement, si l’on veut
réconcilier les citoyens avec l’engage-
ment et l’action collective, et éviter que
la politique éducative ne soit perçue
comme lointaine et imposée ?
La démarche mise en œuvre aujour-
d’hui est anachronique et inefficace. Elle
méconnaît un principe que formulait
très clairement le sociologue Emile
Durkheim [1858-1917], il y a plus d’un siè-
cle [dans L’Evolution pédagogique en
France, œuvre posthume publiée
en 1938], en un temps où déjà les réfor-
mes de l’école faisaient débat : « Arrêtés
et règlements (…) ne peuvent avoir
d’autorité véritable que si l’opinion com-
pétente les a devancés, préparés, récla-
més, sollicités en quelque sorte, que s’ils
en sont l’expression réfléchie, définie et
coordonnée au lieu de prétendre l’inspi-
rer et la réglementer d’office. »
D’autres sujets ne manqueront pas de
faire débat dans les semaines à venir. A-
t-on anticipé les conséquences d’une
baisse annoncée des résultats au brevet
des collèges, au moment même où ce-
lui-ci deviendrait la condition des pour-
suites d’études ? Ces questions sont trop
graves pour être traitées dans l’urgence,
sans débat ni expérimentation préalable.
Elles sont trop profondes pour être tran-
chées autoritairement par des décisions
politiques ou administratives centra-
lisées, ignorantes de la complexité du
réel. Il est plus que temps de remettre en
cause un exercice ultra-jacobin du
pouvoir, de donner aux acteurs de vérita-
bles espaces d’autonomie, bref, de faire
confiance à l’intelligence collective. p
Alain Boissinot, Jean-Paul Dela-
haye, Jean-Paul de Gaudemar,
Jean-Louis Nembrini et Bernard
Toulemonde sont tous d’anciens
directeurs de l’enseignement scolaire
au ministère de l’éducation nationale

Lisa Belluco et Gaspard Koenig Il ne s’agit pas de prôner un lais-

ser-faire généralisé. La gestion
d’un commun implique une res-
ponsabilité partagée et les prome-
tre, en ouvrant un petit portillon !
Enfin, en Allemagne, la Loi fonda-
mentale précise que « das Eigen-
tum verpflichtet » : la propriété
neuronal. La marche en forêt est
particulièrement recommandée.
L’activité parasympathique, qui
régule la détente, y connaît une

Ouvrons une réflexion sur un neurs seront d’autant plus respec-

tueux de leur environnement
qu’ils s’y sentiront bien accueillis.
Le droit civil est aujourd’hui large-
comporte des obligations. Dans
cet Etat ordolibéral, les proprié-
taires de champs et de forêts ont
donc le devoir d’ouvrir et d’entre-
augmentation de 100 %. Les mo-
lécules phytoncides émises par
les arbres renforcent le système
immunitaire, au point de contri-

« droit à l’errance » à la française ment suffisant pour sanctionner

les éventuels abus et dommages,
tels que l’abandon – scandaleux –
de déchets non décomposables.
La députée (Les Ecologistes) et le philosophe plaident pour revenir sur Un autre paradigme est possi-
ble. Les pays nordiques consa-
la loi dite « engrillagement » de 2023, qui fait peser la menace d’une crent dans leur droit un accès
amende sur les promeneurs traversant une propriété privée forestière commun à la nature. Au Royau-
me-Uni, le « right to roam »
(« droit à l’errance », littérale-
tenir les chemins. En Bavière, nul
besoin de suivre des « chemins de
randonnée » : il suffit de prendre
une carte topographique et de se
promener à l’aventure en reliant
entre eux les traits noirs.
« Forêts thérapeutiques »
Ce vagabondage donne non seu-
lement un puissant sentiment de
buer à prévenir le cancer. La zone
du cerveau responsable des pen-
sées obsessionnelles, le gyrus cin-
gulaire antérieur pour être précis,
se calme : on rumine d’autant
moins qu’on se laisse gagner par
les sensations environnantes.
Voilà pourquoi les Asiatiques
ont érigé les bienfaits de la forêt
en politique de santé publique : le

P
romenons-nous, dans les
bois, pendant que le loup
n’y est pas. » Il faudrait
aujourd’hui ajouter à cette
charmante comptine : « Et tant
que le garde forestier ne nous voit
pas. » Car depuis la loi [« visant à
limiter l’engrillagement des espa-
ces naturels et à protéger la pro-
priété limitée »] dite « engrillage-
ment », votée en 2023, le fait de
traverser une propriété privée ru-
rale ou forestière est puni d’une
contravention de quatrième
classe (135 euros). Autrement dit,
la zone grise prévalant depuis
l’Ancien Régime, qui donnait à
chacun un accès libre à la nature,
aux chemins de campagne
comme aux sentiers forestiers, a
été discrètement pulvérisée. Il
faut à présent suivre les itiné-
raires autorisés : sentiers de ran-
donnée ou voies vertes dûment
homologués, fléchés, aménagés.
Loin d’être un détail, ce recours
à une sanction pénale constitue
une rupture anthropologique
majeure, qui prive le citoyen du
plaisir de cheminer à travers son
territoire et cantonne l’adminis-
tré à des circuits bien délimités.
Alors que nous cherchons – à
juste titre – à rétablir la liberté de
circulation des animaux en cons-
truisant des passerelles au-des-
sus des autoroutes ou en relevant
les clôtures, c’est l’être humain
qui se retrouve engrillagé.
Les mauvaises lois ont une fâ-
cheuse tendance à être utilisées
par de mauvais esprits. Déjà dans
les Vosges ou à Villeneuve-Loubet
(Alpes-Maritimes), des sentiers
empruntés de manière coutu-
mière ont été fermés. Dans le mas-
sif de la Chartreuse, un domaine
de 750 hectares s’est barricadé, au
grand désespoir de la population
locale qui forme des collectifs
pour protester. Les propriétaires
sont désormais à même d’engager
des gardes assermentés pour
dresser des contraventions aux
promeneurs du dimanche, aux
randonneurs égarés ou aux fa-
milles en goguette, devenus délin-
quants de droit commun.
Le droit de propriété, opportu-
nément inscrit dans la Déclara-
tion des droits de l’homme de
1789 pour émanciper l’individu
des injonctions du pouvoir cen-
tral, n’a jamais été sans limites :
l’article 17 le conditionne à la « né-
cessité publique ».
Puissant sentiment de liberté
Il faut savoir différencier l’usage
exclusif d’un jardin par exemple,
qui relève de l’habitat personnel,
et la possession toute théorique
de centaines de kilomètres carrés
d’espaces naturels, incommensu-
rables avec un usage individuel. Il
faut aussi distinguer la jouis-
sance légitime des revenus d’une
exploitation (forestière, par
exemple) et l’absurde prétention
à être le seul et unique occupant
des lieux. Sans même ouvrir le
nécessaire débat à venir sur la re-
fonte du droit de propriété par la
prise en compte du vivant, per-
sonne ne peut sans rire se décla-
rer « maître et possesseur » de
millions d’arbres.
ment) est activement défendu liberté, mais permet aussi l’affer-
par de nombreuses associations missement d’une conscience
afin de préserver ces merveilleux écologique et citoyenne. On
passages qui permettent de fran- prend soin d’une nature qu’on
chir les clôtures dans la campa- peut approcher comme d’un pays
gne anglaise ; on peut même tra- qu’on peut traverser. Dans un li-
verser Chequers, la résidence vre au titre explicite, Du senti-
campagnarde du premier minis- ment de la nature dans les sociétés
modernes, le géographe engagé
Elisée Reclus [1830-1905], figure
de l’écologie de la fin du XIXe siè-
cle, incitait ainsi ses concitoyens
à partir sur les chemins pour re-
trouver une part de leur huma-
IL FAUT SAVOIR nité première et lutter contre l’as-
servissement consubstantiel au
DIFFÉRENCIER mode de vie urbain. L’écologie
n’est pas seulement une affaire
L’USAGE EXCLUSIF de normes : c’est avant tout une
D’UN JARDIN question de pratique.
La recherche neuroscientifique
ET LA POSSESSION vient aujourd’hui compléter cette
analyse. Michel Le Van Quyen, di-
DE CENTAINES recteur de recherche à l’Institut
du cerveau, a consacré son der-
DE KILOMÈTRES nier ouvrage, Cerveau et nature
CARRÉS D’ESPACES [Flammarion, 2022], à vanter les
bénéfices du contact avec la na-
NATURELS ture pour notre développement
bain de forêt, le fameux shinrin-
yoku, est pratiqué au Japon de-
puis les années 1980, le pays
s’étant même doté de « forêts thé-
rapeutiques »… L’accès à la forêt
est une affaire de santé publique.
La commission des lois de l’As-
semblée nationale vient de rejeter
une proposition de loi de dépéna-
lisation de l’accès à la nature (le re-
tour au statu quo ante). La bataille
militante et législative est donc
devant nous : elle doit ouvrir une
réflexion plus large sur un « right
to roam » à la française. Prome-
nons-nous dans les bois ! p
Lisa Belluco est députée
(Les Ecologistes) de la
1re circonscription de la Vienne ;
Gaspard Koenig est
écrivain et philosophe.
Il est notamment l’auteur
d’« Humus » (L’Observatoire,
2023), prix Interallié 2023
28 | idées 0123
JEUDI 4 AVRIL 2024

Dorothée Schmid Le raté des élections municipales

à Istanbul démontre l’usure du système Erdogan
L’ampleur de la défaite cipales municipalités de l’Est. Les natio-
nalistes dissidents du Bon Parti (Iyi
électorale du 31 mars Parti) s’effondrent. Le Yeniden Refah
révèle que le Parti Partisi, nouveau venu islamiste, dépasse
le MHP et gagne des villes anatoliennes
de la justice et du (Yozgat, Sanliurfa).
développement, l’AKP, Cette déroute confirme l’érosion de
l’électorat de l’AKP. Certains, mécontents
n’a plus grand-chose de la performance économique du gou-
à proposer à la Turquie, vernement, se sont abstenus ; et, dans
l’ensemble, les électeurs semblent avoir
estime la spécialiste saisi le message du président Recep
du monde méditerranéen Tayyip Erdogan, qui a annoncé, voici
quelques semaines, son inévitable re-
trait des affaires. Pourtant, le chef de
l’Etat est probablement le plus surpris
notisés par la masse urbaine et la vitalité
culturelle de la ville, dit surtout implicite-
ment la volonté de rééquilibrage portée
par l’AKP, parti islamo-conservateur iden-
tifié aux Anatoliens de l’Est.
Dans la réalité, Istanbul est bien, et de
loin, la ville la plus importante de Tur-
quie : une mégapole au développement
territorial incontrôlé, qui compte onze
millions de votants, concentre dans son
aire d’attraction le tiers de l’économie
du pays, et dont l’aura internationale
n’a cessé de croître, notamment grâce
au dynamisme diplomatique de l’AKP.
Surtout, pour le chef d’Etat turc, Is-
tanbul est une affaire personnelle. Stam-
il veut réimposer les valeurs à tous. Il a fait
son apprentissage politique à Istanbul,
dont il a été maire entre 1994 et 1998 –
son mandat s’est achevé sur une peine de
prison pour activités antilaïques.
Il y a posé les bases de sa méthode :
pragmatisme et clientélisme, au service
d’un réformisme modernisateur impré-
gné de morale religieuse. Recyclant
cette formule magique sur le plan natio-
nal avec l’AKP depuis le début des an-
nées 2000, il était parvenu à ringardiser
ses concurrents et à rallier le marais des
indécis bien au-delà de l’électorat
islamiste stricto sensu, avant que la pul-
sion autoritaire ne l’entraîne du côté
neur, a été vécue comme un affront et
une anomalie. Sa réélection, le 31 mars,
avec une large majorité à l’Assemblée
métropolitaine, ouvre de nouveaux ho-
rizons : la mairie d’Istanbul et sa manne
financière sont un tremplin pour la pré-
sidentielle, et le charisme et l’intelli-
gence politique d’Imamoglu devraient
lui permettre de faire la course en tête –
ce qui explique ses déboires judiciaires à
répétition, l’AKP ayant pour principal
souci de le freiner.
Le raté d’Istanbul démontre l’usure du
système Erdogan. Usure programmati-
que : l’AKP, qui a révolutionné la Turquie
sur bien des points, n’a plus grand-chose

L
e paysage politique de la Turquie à
l’issue des élections municipales
du 31 mars rappelle celui de n’im-
porte quelle démocratie euro-
péenne dans les mêmes circonstances.
Dans ce pays, où les élections restent dis-
putées, malgré l’inégalité des moyens de
campagne et le climat d’intimidation
entretenu par le Parti de la justice et du
développement (AKP) au pouvoir, les
électeurs turcs ont fait la différence entre
élection nationale et locale.
Alors qu’ils avaient reconduit en 2023
l’AKP et ses alliés ultranationalistes du
Parti d’action nationaliste (MHP) à l’As-
semblée et à la présidence, ils ont sanc-
tionné aux municipales un parti en
panne de projet. Le Parti républicain du
peuple (CHP), parti kémaliste historique,
à nouveau chef de file de l’opposition,
conserve le trio de tête Ankara, Istanbul
et Izmir, gagne Bursa, et rafle des mai-
ries dans des régions conservatrices en
Anatolie centrale (Adiyaman) ou sur la
mer Noire (Giresun). Le parti Dem (ex-
HDP), prokurde, s’impose dans les prin-
de tous, tant il pense encore incarner
le destin de la Turquie.
Poids personnel
Réélu en 2023, alors que beaucoup le
donnaient perdant, il avait immédiate-
ment fait connaître sa priorité : la recon-
quête d’Istanbul, considérée comme
l’enjeu principal de ce scrutin municipal.
Erdogan avait donc encore une fois – la
dernière, disait-il –, mis tout son poids
personnel dans la campagne et s’était
montré la veille du scrutin en prière à
Sainte-Sophie, redevenue mosquée par
ses soins, lieu historique de la revanche
sur l’Europe chrétienne et symbole per-
manent de la confrontation identitaire
entre islamistes et laïques.
Cette bataille d’Istanbul, la façon dont
elle a été menée et son issue, illustrent les
ressorts du système Erdogan et détermi-
neront en grande partie son avenir. Cer-
tes, « Istanbul n’est pas la Turquie » : mais
cette mise en garde, adressée depuis
deux décennies aussi bien aux touristes
qu’aux hommes d’affaires étrangers hyp-
bouliote de naissance, d’une famille origi- sombre de l’autocratie.
naire de la mer Noire, son parcours illus- Si Istanbul compte autant pour Erdo-
tre le creuset social et ethnique unique gan, c’est donc à la fois par sentimenta-
qu’est cette ville. Enfant du quartier popu- lisme et par nécessité politique. Mais le
laire de Kasimpasa, situé dans le cœur premier grain de sable était apparu dès
européen d’Istanbul, le « reis » y a grandi 2013 dans la ville chérie : la contestation
dans un environnement islamique dont autour de l’affaire du parc Gezi, un espace
vert menacé par la politique urbaine de
l’AKP, avait cristallisé dès cette époque la
colère autour de la personne d’Erdogan et
précipité le resserrement du régime.
Usure de la ficelle nationaliste
LES BASES DE LA En 2016, c’est aussi à Istanbul que s’est
joué le sort de la tentative de coup d’Etat
MÉTHODE DU « REIS » : militaire qui a conforté la paranoïa du
PRAGMATISME président – la ville est désormais parse-
mée de mémoriaux confondant la vic-
ET CLIENTÉLISME, toire du « reis » contre les félons avec le
triomphe de la démocratie. Istanbul est
AU SERVICE D’UN au cœur du récit de conquête et de trans-
formation de l’AKP, et Recep Tayyip Erdo-
RÉFORMISME gan la considérait comme sa propriété.
MODERNISATEUR TEINTÉ En 2019, l’élection à la mairie d’Ekrem
Imamoglu, jeune candidat CHP prati-
DE MORALE RELIGIEUSE quement inconnu venu d’un district mi-
à proposer. Usure de l’équipe : le prési-
dent turc resserre sa communauté
autour de lui sans désigner clairement
de successeur. Son candidat à Istanbul,
Murat Kurum, était un apparatchik sans
envergure, ancien ministre de l’urbani-
sation, alors que le scandale des malfa-
çons dans le BTP est loin d’être éteint.
Usure de la ficelle nationaliste aussi : si
les partis turcs ne parviennent toujours
pas à intégrer la perspective kurde dans
leur programme, l’électorat kurde d’Is-
tanbul ne s’y trompe plus. Leur premier
adversaire est bien Erdogan. p
Dorothée Schmid est chercheuse
et responsable du programme
Turquie contemporaine et Moyen-
Orient de l’Institut français
des relations internationales.
Elle est l’autrice de « La Turquie
en 100 questions » (Tallandier, 2023)

P
rès de huit millions de per-
sonnes déplacées, une po-
pulation civile victime de
violences ciblées et indis-
criminées : depuis presque un an,
le Soudan souffre d’une guerre
qui s’étend à l’ensemble du pays
et le fait sombrer dans une crise
humanitaire d’une ampleur sans
précédent. La France a fermé son
ambassade et évacué ses ressor-
tissants dès le début du conflit,
mais, contre toute attente et au
mépris des risques pour la sécu-
rité et la vie des personnes de na-
tionalité soudanaise, elle orga-
nise des expulsions vers le Sou-
dan. Paroxysme d’une politique
assumée de rejet des exilés, en
violation du droit international.
Depuis le 15 avril 2023, les for-
ces armées du Soudan (armée ré-
gulière) et les paramilitaires des
Forces de soutien rapide s’af-
frontent dans un conflit armé
sanglant. Prises en étau, les po-
pulations civiles fuient massive-
ment les violences.
Certaines des violations recen-
sées par une enquête d’Amnesty
International constituent des cri-
mes de guerre. Des dizaines de
milliers de civils ont été ciblés en
raison de leur appartenance eth-
nique, en particulier au Darfour
Ouest, comme le rapporte Hu-
man Rights Watch, où entre
10 000 et 15 000 personnes
auraient été tuées, selon l’ONU.
En totale déconnexion avec la
gravité de la situation, la France a
procédé, en décembre 2023, à l’ex-
pulsion, via l’Egypte, d’un Souda-
nais vers son pays d’origine. Les
autorités françaises ont aussi con-
tinué d’enfermer, en vue de leur
expulsion, des demandeurs
d’asile soudanais, dont six ont été
placés en centre de rétention ad-
ministrative entre octobre 2023 et
Il faut protéger sans exception
tous les demandeurs d’asile soudanais
Bien que le Soudan soit en proie à un conflit armé d’une exceptionnelle violence,
la France, en violation du droit international, organise des expulsions vers ce pays,
dénonce un collectif de responsables d’organisations humanitaires et de chercheurs
janvier 2024. Plusieurs laissez-
passer consulaires ont été délivrés
afin de permettre leur expulsion
vers le Soudan via Le Caire. Si ces
six personnes ont finalement été
libérées fin janvier, trois d’entre
elles restent menacées d’un ren-
voi forcé vers le Soudan en guerre.
Ciblage sur une base ethnique
Alors que certains juges consta-
taient, depuis avril 2023, l’impos-
sibilité de prendre des mesures
d’éloignement vers certaines
localités du Soudan, d’autres – et
c’est le cas ici – ont validé l’enfer-
mement et l’expulsion de ressor-
tissants soudanais malgré la
dégradation de la situation sur le
terrain, et ce sans justifier ce
changement de paradigme
surprenant.
La gravité de la situation sécuri-
taire et humanitaire sur place est
bien documentée par les organi-
sations internationales. Une
étude menée fin 2023 par Méde-
cins sans frontières dans les
camps de réfugiés soudanais au
Tchad a constaté, parmi ceux qui
étaient originaires d’Al-Geneina,
la capitale du Darfour Ouest, une
multiplication par vingt de la
mortalité, causée dans plus de
80 % des cas par la violence, avec,
en particulier, un ciblage des
hommes sur une base ethnique.
Dans le reste du pays, certaines
communautés se disent ciblées
par les deux belligérants. Plu-
sieurs organisations ont rapporté
des cas multiples de disparitions,
des exécutions extrajudiciaires,
des détentions arbitraires, des
violences sexuelles et des actes
de torture. A ces graves violations
du droit international s’ajoute
une crise humanitaire extrême-
ment préoccupante.
EN FRANCE, LA
VOLONTÉ POLITIQUE
D’EXPULSER
DAVANTAGE PRIME
SUR LA PROTECTION
QUE LE DROIT
EST CENSÉ OFFRIR
À CEUX QUI FUIENT
LA GUERRE
Partout dans le pays, les rares
acteurs humanitaires encore pré-
sents constatent des restrictions
accrues sur l’approvisionnement
en denrées alimentaires et en
médicaments vitaux, mais aussi
sur les mouvements de leur per-
sonnel et des civils soudanais en
général. En dehors des millions
de déplacés, beaucoup de Souda-
nais, souvent les plus pauvres,
sont pris au piège dans des zones
de combat.
Le seul aéroport encore ouvert
est celui de Port-Soudan. Mais,
contrairement à ce qu’avance
l’administration française pour
justifier son zèle à expulser des
Soudanais, un retour à Port-Sou-
dan, forcé ou non, n’est pas sans
danger. Les routes qui relient l’aé-
roport et l’est du Soudan au reste
du pays, notamment l’Ouest, le
centre et la capitale abandonnée
par les autorités de Khartoum,
sont de plus en plus fermées. Une
personne du Darfour ou de Khar-
toum qui atterrirait à Port-Sou-
dan serait, de facto, dans l’incapa-
cité de regagner sa région d’ori-
gine, condamnée à devenir un
déplacé interne.
Aucune zone du pays n’est épar-
gnée par l’extension du conflit.
Cette réalité n’a pas échappé à la
Cour nationale du droit d’asile
(CNDA) qui, depuis juillet 2023, a
jugé que l’Etat de Khartoum et
trois des cinq Etats de la région
du Darfour étaient en proie à une
situation de « violence aveugle
d’exceptionnelle intensité ».
Demande de cohérence
Conformément à son mandat, la
Cour a ainsi annulé des rejets de
demandes d’asile par l’Office
français de protection des réfu-
giés et apatrides, et estimé que la
situation, dans les parties du Sou-
dan dont les requérants sont ori-
ginaires, justifie que l’Etat fran-
çais donne à tous les demandeurs
d’asile qui en viennent un droit
automatique à une protection
subsidiaire immédiate. Ces déci-
sions, censées faire jurispru-
dence, ont été précédées par des
décisions similaires concernant
d’autres parties du Soudan, avant
même la date du 15 avril.
Pourtant, la réalité prise en
compte par la CNDA est ignorée
par les mesures d’expulsion de
demandeurs d’asile soudanais.
Au lendemain de l’adoption
d’une énième loi répressive sur
l’immigration, tout indique que
la volonté politique d’expulser
davantage prime sur la protec-
tion que le droit est censé offrir à
ceux qui fuient la guerre. Les
droits fondamentaux – notam-
ment le droit à la vie et le droit de
ne pas subir de traitements inhu-
mains et dégradants – sont mis
en danger pour satisfaire l’objec-
tif d’une augmentation des ex-
pulsions.
Nous demandons aux autori-
tés françaises une cohérence en-
tre le constat partagé de la gra-
vité du conflit au Soudan et leurs
pratiques en matière d’asile,
d’enfermement et d’expulsion : il
faut protéger sans exception
tous les demandeurs d’asile sou-
danais en France. Il est urgent
que la France remette les droits
fondamentaux au cœur des poli-
tiques migratoires et se con-
forme aux obligations qu’im-
pose le droit international. p
Ziad Abdel Tawab, directeur
exécutif de l’Institut du Caire
pour les études des droits de
l’homme ; Fanélie Carrey-
Conte, secrétaire générale
de la Cimade ; Christophe
Daadouch, coprésident
du Groupe d’information
et de soutien des immigrés ;
Isabelle Defourny, présidente
de Médecins sans frontières
France ; Elvire Fondacci,
coordinatrice de plaidoyer
à Human Rights Watch ;
Vanina Rochiccioli, coprési-
dente du Groupe d’information
et de soutien des immigrés ;
Jean-Claude Samouiller,
président d’Amnesty
International France ;
Jérôme Tubiana, chercheur
spécialiste du Soudan
0123
JEUDI 4 AVRIL 2024 idées | 29

AIDE À MOURIR
l’euthanasie, au suicide assisté et au droit de
choisir sa mort. Dans le contexte de ces ques-
tionnaires, l’expression « aide à mourir », qui
ne précise ni l’auteur, ni la nature, ni les moda-
lités de l’« aide » apportée, s’avère, selon lui,
fort utile. « Cela a permis à l’ADMD de dire que
85 % des Français étaient favorables, si la per-
sonne se trouvait dans une souffrance insur-
montable due à une maladie incurable, à ce
L’expression, délibérément vague et consensuelle, choisie par le président qu’elle puisse être aidée à mourir à sa de-
Macron pour son projet de loi sur la fin de vie lui permet de réunir mande », poursuit le sociologue.
sans les nommer l’euthanasie et le suicide assisté, dans une tentative « Chapeau lexical »
de cadrer le débat politique et médiatique à venir Cette imprécision a d’ailleurs permis à l’ex-
pression d’être reprise… par les opposants à
ces pratiques. Dans un compte rendu de con-
dont le pronostic vital est engagé à courte ou grès, publié en 2004, la Société française d’ac-
HISTOIRE D’UNE EXPRESSION moyenne échéance, de demander qu’un compagnement et de soins palliatifs (SFAP),
De plus, en l’état, l’« aide à mourir » annon-
cée semble relever à la fois du suicide assisté
et de l’euthanasie, ou, du moins, ne pas tran-
cher entre ces deux modes opératoires. Le
projet de loi prévoit ainsi que la substance lé-
tale prescrite par un médecin soit adminis-
trée par la personne elle-même – une prati-
que proche du suicide assisté –, ou, si elle ne
peut réaliser elle-même ce geste, qu’elle soit
autorisée à demander à une tierce personne
– un médecin, un infirmier ou une personne
volontaire qu’elle aura désignée – de le faire à
sa place − une pratique proche de l’euthana-
sie. « L’utilisation de cette formulation dans le
titre de la loi est une ressource, car cela permet
de tenir ensemble euthanasie et suicide assisté
sans les nommer. Ainsi, les deux restent dans
la perspective de l’activité parlementaire », es-

D’
évidence, il importe de bien
choisir ses mots quand on
parle de la mort. C’est sûre-
ment pourquoi, parallèlement
aux diverses concertations menées entre
2022 et 2023 en vue d’une modification de la
législation sur la fin de vie, un groupe d’ex-
perts, mené par l’écrivain Erik Orsenna, s’était
vu confier une mission spécifique par l’exécu-
tif : concevoir un lexique des mots de la fin de
vie, dans l’espoir de définir des termes parfois
flous et de déminer un sujet sensible. Si ce
glossaire n’a finalement jamais été publié, le
choix d’Emmanuel Macron d’annoncer un
projet de loi prévoyant le recours à une « aide
à mourir » montre que le président a longue-
ment réfléchi à la façon de cadrer le débat po-
litique et médiatique à venir.
En effet, pourquoi avoir retenu ce vocable
afin de désigner la possibilité pour les patients
majeurs atteints d’une maladie incurable,
terme soit mis à leur souffrance ? Le choix ne
manquait pourtant pas : « euthanasie », « sui-
cide assisté », « assistance au suicide », ou
même les variantes « aide active à mourir » et
« aide médicale à mourir », les formulations
sont aussi nombreuses que les positions sur
le sujet. « Parce qu’il est simple et humain, a ré-
pondu Emmanuel Macron à Libération et à
La Croix, et qu’il définit bien ce dont il s’agit. »
En ce qui concerne ce dernier point, il est
pourtant permis de douter.
Historiquement, l’expression « aide à mou-
rir » est appréciée pour son ambiguïté. « C’est
une formule que l’on voit apparaître dans les
sondages réalisés par l’Association pour le droit
de mourir dans la dignité [ADMD] dans les an-
nées 1980-1990 », note Michel Castra, profes-
seur de sociologie à l’université de Lille. Alors
qu’à l’époque la polémique autour de la fin de
vie bat (déjà) son plein, l’ADMD cherche à dé-
montrer le vaste soutien des Français à
une institution historiquement opposée à
l’euthanasie et au suicide assisté, demandait
ainsi : « Aider à mourir, n’est-ce pas d’abord
prendre soin et accompagner ? » Vingt ans plus
tard, dans une tribune au « Monde », Claire
L’EXPRESSION Fourcade, directrice de la SFAP, voit même
dans l’aide à mourir « la véritable mission des
EST REPRISE soins palliatifs ». « L’expression euphémise con-
sidérablement la réalité qu’elle désigne, et peut
PAR LES OPPOSANTS donc désigner des choses diamétralement op-
AU PROJET DE LOI, posées », explique M. Castra.
Philippe Bataille, directeur d’études à l’Ecole
L’« AIDE À MOURIR » des hautes études en sciences sociales et an-
cien membre de la « commission Orsenna »,
DÉSIGNANT POUR voit, lui, l’expression comme un véritable
« chapeau lexical ». Elle s’avère d’abord très
EUX LA VÉRITABLE commode pour ce projet de loi qui, s’il intro-
MISSION DES SOINS duit la possibilité d’une « aide à mourir », pro-
meut aussi, dans son premier chapitre, les
PALLIATIFS soins palliatifs par le biais d’une stratégie dé-
cennale et de moyens supplémentaires.
time M. Bataille.
Aussi vague que consensuelle, l’expression
permet, par ailleurs, d’évacuer un autre pro-
blème sémantique et politique, selon Michel
Castra : le fait que ce projet de loi, qui vient fa-
voriser l’assistance au suicide, entre en con-
tradiction avec une autre politique de santé
publique bien installée visant, elle, à le préve-
nir. « En faisant du suicide assisté un libellé of-
ficiel, en promouvant une forme de suicide,
même restreint aux malades incurables, on
aurait heurté les nombreux professionnels qui
travaillent à la diminution du taux de suicide
en France », relève l’auteur de Bien mourir. So-
ciologie des soins palliatifs (PUF, 2003). L’évi-
tement du terme « suicide » permet ainsi
d’en faire deux objets politiques séparés. Il
reste à savoir si ces précautions lexicales suf-
firont à apaiser un débat parlementaire qui
s’annonce mouvementé. p
marion dupont

CHRONIQUE | PAR PIERRE-CYRILLE HAUTCŒUR

LA STAR FACE AU GANG DES PAPYS
La France a oublié son LIVRE publique la photo de sa bague de
fiançailles, un diamant de 18,8 ca-
gentilshommes, se contentent de
la laisser gésir toute « saucisson-

rôle dans l’histoire d’Haïti S i le moindre solécisme en

parlant vous irrite, passez
hardiment votre chemin : le
plaisant ouvrage dont il est ici
question ne répugne pas à quel-
rats évalué à 4 millions de dollars
(3,7 millions d’euros). La pierre
avait durablement impressionné
une poignée de malandrins, la
vieille garde parisienne du bandi-
née » dans la salle de bains. Ils met-
tent la main sur 10 millions de dol-
lars en bagues, colliers, bracelets et
boucles d’oreilles, prennent congé
en toute hâte et se cassent vite fait.

N ous sommes sidérés par les

images du chaos qui règne à
Haïti. Les médias qui nous
les montrent rappellent rarement ce
qui a largement contribué à cette si-
recettes publiques, conduisant au re-
jet d’un Etat taxant lourdement ses
citoyens sans pouvoir leur fournir de
services publics.
Le paiement de la dette, trop lourd
ques verdeurs de langage, et tient
moins des lettres de Mme de Sévi-
gné que des cinq du regretté géné-
ral Cambronne. Patricia Touran-
cheau, épistolière impénitente et
tisme, des âmes bien nées dont la
valeur n’a certes pas attendu la
soixantaine bien sonnée.

tuation : une histoire de violences po-
litiques et sociales enracinée dans la
colonisation, l’esclavage et l’ingé-
rence extérieure. Les Français doivent
mieux en prendre conscience, s’ils
souhaitent éviter de continuer à
croire que la mémoire de la violence
coloniale peut être effacée.
Haïti fut la plus profitable des An-
tilles esclavagistes au XVIIIe siècle,
produisant pour l’enrichissement des
planteurs et des négociants français
le sucre et le café, dont l’Europe s’eni-
vrait alors pour la première fois à une
telle échelle. Une petite minorité de
colons s’appropriait la quasi-totalité
des revenus, ne laissant aux esclaves
que le minimum vital – voire moins,
si l’on considère le taux affolant de
mortalité qui les frappait.
Profitant de la révolution de 1789,
les esclaves se révoltent, chassent les
colons et proclament l’indépendance
en 1804. Malgré les efforts de recon-
quête de Napoléon, cette indépen-
dance est maintenue, même si le pays
se divise, en partie à l’instigation des
Européens qui ont du mal à accepter
cet exemple funeste pour leurs autres
colonies. En 1825, sous la pression des
canonnières françaises, le gouverne-
ment haïtien doit accepter d’indem-
niser les propriétaires d’esclaves à
hauteur de 150 millions de francs (ré-
duits à 90 millions en 1838), un mon-
tant exorbitant qui correspond à en-
viron 300 % de la richesse du pays
(plus que les « réparations » exigées
de l’Allemagne en 1919).
Même après réduction, le paiement
du service de la dette va exiger le
maintien de cultures d’exportation
(café et bois principalement, les raffi-
neries de sucre ayant été détruites ou
transférées à Cuba par les planteurs
pendant la révolte), au détriment
d’une agriculture vivrière. Il va aussi
absorber longtemps l’essentiel des
MALGRÉ LES
PROCLAMATIONS
DE SYMPATHIE ENVERS HAÏTI,
LA FRANCE N’OUVRE SES
ARCHIVES QU’À GRAND-PEINE
Souvenirs de saucissonneurs
A bicyclette. Funeste erreur,
n’est-ce pas, pour le porteur de bi-
joux, dont le sac se prend dans la
roue : il choit rudement sur un
coin bitumineux en éparpillant
pour être honoré dans les courts dé- KIM ET LES PAPYS documentariste récidiviste, a en Il ressort rapidement qu’elle et ses son butin. L’homme ramasse ce
lais impartis, débouche sur une série BRAQUEURS effet écrit son livre en argot, et use, bijoux entendent, pour la fashion qu’il peut, et s’en va, tiquant sur les
de défaillances et de nouveaux em- de Patricia dès le début, pour parvenir à ses week, loger à Paris en l’hôtel du joies de la randonnée cycliste. La
prunts qui n’enrichissent que les in- Tourancheau, fins du vocabulaire du milieu. comte de Pourtalès. L’hôtel parti- brigade de répression du bandi-
termédiaires. Ancrée dans la violence Seuil, 240 p., 19 €. Dans Kim et les papys braqueurs. culier est devenu plus général tisme a tôt fait de retrouver les
esclavagiste, la politique haïtienne Main basse sur les bijoux de la Kar- sous le curieux nom du « No Ad- douze conspirateurs, qui atten-
est, depuis l’indépendance, une suc- dashian (Seuil, 240 pages, dress », que l’on trouve cependant dent leur procès, du 28 avril au
cession exceptionnellement doulou- 19 euros), elle en propose aimable- aisément dans l’annuaire. Ainsi, 23 mai 2025. Mais il eût été dom-
reuse de guerres civiles, de coups ment un lexique en annexe, qui dans la nuit du 2 au 3 octobre 2016, mage que notre autrice à ce point
d’Etat, de régimes autoritaires et de devrait certes enrichir utilement cinq coupe-jarrets, armés et ca- s’arrêtât. Elle n’a eu de cesse de
brèves tentatives démocratiques. Les le vocabulaire des collégiens, mais goulés, investissent les lieux sans susciter les souvenirs des ci-de-
ingérences étrangères sont nom- risque d’embarrasser quelque peu dommage et articulent les deux vant saucissonneurs, et dresse un
breuses, en particulier celles des son entrée à l’Académie des scien- mots qu’ils ont eu le bon sens de panorama fort documenté de leur
Etats-Unis, à partir de 1906. ces morales et politiques. réviser, « ring » et « money ». carrière, de leur casier et de leur in-
Or doncques, il s’agit du minu- La vedette de télé-réalité juge sa grat sacerdoce. Kim Kardashian,
Revendications financières tieux récit du mirifique cambrio- dernière heure arrivée, précédée depuis, jugeant que plaie d’argent
Cette histoire, longtemps occultée en lage d’une citoyenne d’outre-At- sans doute de quelque ultime n’est point mortelle, a jeté une par-
France malgré les proclamations de lantique, une certaine Kim Kar- outrage, et prie tout bas le Très- tie de son dévolu sur des œuvres
sympathie envers Haïti, commence dashian au goût très sûr (en ma- Haut de lui porter un rapide se- de bienfaisance. p
d’être étudiée par des chercheurs et tière de bijoux). La star avait rendu cours. Mais les truands, en parfaits franck johannès
des journalistes, plus souvent étran-
gers que français. Mais beaucoup en
France ne veulent pas la connaître et
freinent leur tâche. Dans nombre de
pays voisins (le Royaume-Uni ou les
Pays-Bas, par exemple), des institu-
Western | par sergueï
tions financières qui ont participé à
la traite ou au commerce colonial
ouvrent leurs archives et soutien-
nent la recherche.
Des musées, des ministères, des
banques centrales appuient ces ef-
forts. En France, au XIXe siècle, d’émi-
nents banquiers et hommes politi-
ques ont contribué à mettre en
œuvre l’odieuse ordonnance de 1825,
ainsi que la Caisse des dépôts et des
fondateurs de plusieurs banques
françaises actuelles. Mais, malgré les
efforts de la Fondation pour la mé-
moire de l’esclavage, les archives ne
sont ouvertes qu’à grand-peine,
comme si la réputation actuelle des
institutions réticentes pouvait être
entachée par autre chose que par
leurs propres tergiversations.
En 2025, cela fera deux cents ans que
Charles X a octroyé l’ordonnance qui
abandonna les revendications politi-
ques de la France sur Haïti au profit de
revendications financières écrasan-
tes. Puissent les Français, et d’abord
leurs dirigeants, comprendre qu’ils
ne peuvent prétendre défendre inter-
nationalement les droits humains et
la justice que s’ils savent regarder le
passé en face, et partager avec les des-
cendants des colonisés une même vi-
sion de notre commune histoire. p
30 | 0123
GÉOPOLITIQUE | CHRONIQUE
par sylvie kauffmann
La « pré-guerre »
secoue l’Europe
C’
est une des photos
noir et blanc expo-
sées dans une allée
de l’immense QG de
verre de l’Organisation du traité de
l’Atlantique Nord (OTAN), à Bruxel-
les, face à la bibliothèque. Une
photo des jours heureux : on y
voit, en mars 1991, l’ex-dissident
tchécoslovaque Vaclav Havel, de-
venu président, en conversation
avec le secrétaire général de l’Al-
liance atlantique d’alors, l’Alle-
mand Manfred Wörner. Havel
était le premier chef d’Etat d’une
des jeunes démocraties postcom-
munistes invité à s’exprimer de-
vant le Conseil de l’Atlantique
Nord. Huit ans plus tard, la Répu-
blique tchèque, la Hongrie et la Po-
logne étaient formellement admi-
ses dans l’OTAN. Treize autres pays
d’Europe les ont suivies depuis.
Créée le 4 avril 1949 à Washing-
ton, l’OTAN fêtera son 75e anniver-
saire à Washington, comme il se
doit, à la faveur d’un sommet qui
réunira ses trente-deux mem-
bres en juillet. L’ambiance devrait
y être moins sereine qu’à l’épo-
que où Vaclav Havel était accueilli
en héros. En 1949, le traité de l’At-
lantique Nord apportait un cadre
juridique à la présence militaire
américaine massive en Europe de
l’Ouest. En 1999, la première
priorité des pays d’Europe cen-
trale et orientale, libérés de la do-
mination soviétique, était de se
placer sous la protection des
Etats-Unis en intégrant le sys-
tème de défense collective de
l’OTAN. Aujourd’hui, alors que la
menace vient à nouveau de l’Est,
le protecteur américain hésite
entre ses diverses priorités. Et ce
sont certains des « nouveaux »
membres européens qui mènent.
Etonnant attelage
La République tchèque, dont le
président, Petr Pavel, est un an-
cien général ayant exercé d’im-
portantes responsabilités au sein
de l’OTAN, est à l’origine d’une
initiative qui va peut-être éviter à
l’armée ukrainienne une terrible
débâcle : face à la sévère pénurie
de munitions dont souffrent les
troupes de l’Ukraine sur le front
face à des forces russes mieux
approvisionnées, les Tchèques
sont allés faire leur marché à tra-
vers le monde et ont identifié
800 000 pièces de munitions
d’artillerie qui ne demandent
qu’à être vendues. Restait à trou-
ver l’argent pour les payer, alors
que les 60 milliards de dollars
(55,7 milliards d’euros) d’aides
promis par les Etats-Unis à
l’Ukraine sont bloqués depuis
novembre 2023 par les dissen-
sions républicaines au Congrès.
A la conférence de Munich sur la
sécurité, mi-février, le président
Pavel a fait état de cette initiative.
Plusieurs pays de l’OTAN – dix-
huit à ce jour – ont alors décidé de
la soutenir et de financer ces mu-
nitions providentielles, dont
300 000 devraient arriver à leurs
destinataires ukrainiens au début
de l’été. Mieux : les Tchèques ont
déniché 700 000 pièces de plus,
susceptibles d’être achetées.
Mieux encore : ce serait autant de
munitions potentiellement reti-
rées du marché mondial, que la
Russie ne pourrait donc acquérir
pour compléter sa propre produc-
tion. Il lui restera toujours la
ALORS QUE LA
MENACE VIENT À
NOUVEAU DE L’EST,
L’AMÉRIQUE
HÉSITE ENTRE
SES DIVERSES
PRIORITÉS
0123
JEUDI 4 AVRIL 2024
MIXITÉ SOCIALE :
L’ENSEIGNEMENT
PRIVÉ DOIT festations, renoncer au projet de loi Savary financière, l’opacité du financement de l’en-
PRENDRE SA PART
prévoyant la fusion des deux systèmes.
Il s’agit de prendre acte d’une réalité pré-
occupante, comme le fait le rapport de
seignement privé et la faiblesse des contrô-
les auxquels il est assujetti. Au point que les
« contreparties exigées des établissements
deux députés présenté, mardi 2 avril, de-
vant la commission des affaires culturelles
et de l’éducation de l’Assemblée nationale.
privés sont loin d’être à la hauteur des finan-
cements [10 milliards d’euros, dont 8 mil-
liards versés par l’Etat] qu’ils perçoivent ».
Les établissements privés « ne prennent pas Pour une part, l’enseignement privé est
toute la part qui devrait être la leur dans la victime de son succès. En attirant les fa-
CRÉÉE LE mise en œuvre des politiques publiques de milles déçues par les établissements pu-
4 AVRIL 1949, l’éducation ».
Alors que la mixité sociale est un objectif
blics, il met en lumière les faiblesses de ces
derniers : rigidité, absences non rempla-
L’OTAN assigné au système éducatif par la loi de- cées de professeurs, distance avec les fa-
puis 2013, les pratiques de nombre d’éta- milles. Dénoncer la dérive élitiste du privé
FÊTERA SON blissements du secteur privé sous contrat et le manque de transparence de son finan-
75E ANNIVERSAIRE
À WASHINGTON D ans la crise que connaît le système
éducatif français, soulignée par
une série de contre-performances
dans les comparaisons internationales,
l’enseignement privé, qui scolarise 17,6 %
s’en écartent. Tandis que 40 % des élèves
des collèges publics sont issus de familles
défavorisées, ce n’est le cas que de 16 % de
ceux du privé. Sélection des élèves les
mieux dotés, renvoi vers le public des élé-
cement n’exonère nullement le public d’un
aggiornamento que les pesanteurs, la valse
des ministres et des consignes pédagogi-
ques ne facilitent pas.
Alors que le « vivre-ensemble », valeur
Corée du Nord, qui lui en a fourni des élèves, a sa part, en particulier de la dif- ments aux résultats insuffisants, politique prônée par l’Eglise catholique, est mis à mal
1 million en 2023. ficulté à compenser les inégalités sociales. d’attribution des moyens creusant les iné- par la progression de l’« entre-soi », notam-
La Pologne aussi est à l’œuvre, Une telle affirmation n’équivaut nullement galités avec le public : l’enseignement privé ment à l’école, l’idée de moduler les moyens
qui gonfle son budget de défense à une volonté de rallumer la « guerre sco- – à 96 % catholique – « risque désormais de attribués aux établissements scolaires pri-
comme jamais et passe des com- laire » qui a abouti, en 1959, au vote de la loi participer à l’aggravation de certaines des vés en fonction des caractéristiques sociales
mandes d’équipements militai- Debré, posant le principe de « contrats » ac- faiblesses de notre système éducatif », avait et des difficultés scolaires des élèves paraît
res jusqu’en Corée du Sud. « Il cordant un financement public aux établis- déjà souligné, en juin 2023, un rapport de la logique. Dans le même esprit, les exclusions
nous faut nous habituer au fait sements privés en contrepartie du respect Cour des comptes. en cours de scolarité doivent être contrô-
qu’une nouvelle ère s’est ouverte : des programmes de l’éducation nationale Le rude constat des auteurs du rapport lées, et la traçabilité des fonds publics doit
l’ère de la pré-guerre », a expliqué et de l’engagement à accueillir les élèves parlementaire, d’autant plus percutant que être assurée. Nulle intention « guerrière »
le premier ministre polonais, Do- sans discrimination. Ni à un quelconque l’un appartient au parti présidentiel, Renais- dans ces objectifs du rapport parlementaire,
nald Tusk, le 29 mars, à la presse désir de rouvrir les plaies de 1984, lorsque sance, et l’autre à La France insoumise, en- dont le gouvernement devrait s’emparer,
européenne. « Le plus inquiétant la gauche avait dû, après d’énormes mani- globe, comme celui de la haute juridiction juste un but légitime de justice scolaire. p
est que tous les scénarios sont pos-
sibles. Nous n’avons pas connu de
telle situation depuis 1945. »
Les pays baltes, eux, compen-
sent la taille de leur budget et de
leur population par un activisme
et une créativité diplomatiques
qui leur permettent d’occuper la
scène autant que Berlin ou Paris.
La palme revient sans doute à la
première ministre estonienne,
Kaja Kallas ; sa proposition de lan-
cer un emprunt européen pour fi-
nancer l’effort de défense a reçu le
soutien, notamment, de la France.
Son autre proposition, celle de de-
venir le prochain secrétaire géné-
ral de l’OTAN, a été moins bien ac-
cueillie… Elle s’en est consolée avec
humour en approuvant, sur le ré-
seau social X, l’offre alternative
d’un site satirique de la nommer
« reine de l’Europe tout entière ».
Mais quelles que soient leur
énergie et leur motivation, large-
ment inspirées par leur histoire et
la géographie, ces pays ne règnent
pas encore sur l’Europe, et encore
moins sur l’Amérique. L’Europe
pourra-t-elle toujours compter
sur la protection américaine si les
MAGA [Make America Great
Again ; supporteurs de Trump]
l’emportent en novembre, à la
Maison Blanche et/ou au Con-
grès ? Dans les médias américains,
des titres sonnent déjà l’alarme :
« L’Europe peut-elle se battre
seule ? » A l’OTAN, reconnaît un di-
plomate, « tout le monde y pense,
personne n’en parle ». Alors, dans
cet étrange entre-deux sur lequel
plane l’impensé, de nouvelles dy-
namiques se mettent en place.
Soudain, celle du tandem franco-
allemand, entravée par un tempo
trop dissonant, cède le pas à un
étonnant attelage où la France,
plus connue dans le rôle de chef
de file des « pays du Club Med »,
fait cause commune avec les pays
baltes, la Pologne, la République
tchèque, voire la Finlande.
Le tournant opéré par le prési-
dent Macron en juin 2023, par un
discours à Bratislava en direction
des pays d’Europe centrale que la
France avait longtemps ignorés, a
servi de déclencheur. Ses propos,
le 26 février, sur la possibilité de
troupes au sol en Ukraine, en ont
été un autre, plus controversé :
certains Européens s’en sont of-
fusqués, beaucoup ont ironisé,
d’autres ont fini par suivre.
Berlin trouve le concept d’ambi-
guïté stratégique farfelu. Washing-
ton s’étonne que l’on puisse lâcher
des idées pareilles sans les avoir
préparées, mais juge positif que,
en matière d’aide à l’Ukraine, des
Européens cessent d’énumérer ce
qu’ils ne feront pas. A l’OTAN, le
secrétaire général, Jens Stolten-
berg, préfère, lui, prendre les de-
vants : il devait proposer mercredi
à Bruxelles un plan d’aide à
l’Ukraine sur cinq ans, doté de
100 milliards de dollars, pour se
prémunir contre les « vents du
changement » à Washington. p