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MARXISME ET HUMANISME
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BIBLIOTHÈQUE DE LA
SCIENCE ÉCONOMIQUE
COMITÉ DE DIRECTION :
MM.
Émile JAMES
Professeur à la Faculté de Droit
et des Sciences économiques de Paris
Jean LHOMME
Professeur à la Faculté de Droit
et des Sciences économiques de Paris
André MARCHAL
Professeur à la Faculté de Droit
et des Sciences économiques de Paris
Jean MEYNAUD
Directeur d'Études
à l'École pratique des Hautes Études
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BIBLIOTHÈQUEDELASCIENCEÉCONOMQ
I UE

MARXISME
ET
HUMANISME
N
ITRODUCTO IN
AL
Œ
' UVREÉCONOMQ IUEDEKARLMARX
par
Pierre BIGO
Docteur en Droit, Licencié ès Lettres
Diplômé de l'École des Sciences politiques
Diplômé du Centre de préparation aux Affaires
de la Chambre de Commerce de Paris
OUVRAGE HONORÉ DU PRIX LESCURE
ET DU PRIX DES SCIENCES POLITIQUES
TROISIÈME ÉDITION REVUE ET MISE A JOUR
PRÉFACE DE JEAN MARCHAL

PRESSES UNIVERSITAIRES DE FRANCE


108, BOULEVARD SAINT-GERMAIN, PARIS
1961
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DÉPOT LÉGAL
1 édition 1 trimestre 1953
3 — (revue) .. 1 — 1961
TOUS DROITS
detraduction,dereproductionet d'adaptation
réservés pour tous pays
© 1953, Presses Universitaires de France
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Ala mémoire demonpère


En hommageà mamère
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PRÉFACE DE JEAN MARCHAL


A LA PREMIÈRE ÉDITION

Un livre passionnant ! Un grand livre !


Incontestablement, l'ouvrage de M. Pierre Bigo estl'un desplus
remarquables et l'un des plus suggestifs qu'il m'ait été donné de lire
au cours de ces dernières années.
Qu'a voulu faire l'auteur ? «Établir, d l'encontre des interpré-
tations courantes, la version de la pensée économique de Marx qui
apparaît, à la lumière des découvertes récentes de la marxologie,
comme primitive et seule cohérente. Sur cette base de départ,
reprendre, à frais nouveaux, la critique des grandes thèses de
l'économie marxiste ».
Mais M. Pierre Bigo a fait plus que cela. Son œuvre est, en
réalité, une réflexion sur les institutions et les systèmes économiques;
c'est une théorie ou l'ébauche d'une théorie visant à rendre compte
de leurs causes profondes et de leur évolution. Marxisme et huma-
nisme. Introduction à l'œuvre économique de Karl Marx. Tel
est son titre, je le sais. Mais il ne meparaît pas que cetitre ait été
bien choisi. Tranchons dans le vif. Que les faiseurs d'histoire des
doctrines oudesthéories économiques mepardonnent, jenecomprends
pas l'intérêt qu'il peut yavoir à étudier pour lui-même un auteur du
passé, donc, a priori, sans prise sur les réalités actuelles, si grand
qu'ait pu être cet auteur. Seuls comptent ou devraient compter,
pour unpeuple dynamique, les problèmes du présent, ces problèmes
qui nousempoignentsi tragiquement à la gorge. En fait, si M. Pierre
Bigo s'est attaché à Marx, c'est que Marx est sans doute l'un de
ceux qui ont le mieux saisi que les institutions évoluent, comme
toute chose humaine, et entrepris de méditer sur cette évolution pour
l'orienter. Et sa critique de Marx est en réalité une tentative de
reconstruction qui utilise, certes, beaucoup d'apports de Marx, de
ces apports irremplaçables et qu'il faudra bien que l'on incorpore
un jour à la science, mais une tentative qui se développe dans une
ligne queMarxaurait trèsprobablementdésavouéeetquesesdisciples
orthodoxes certainement n'accepteront pas. M. Pierre Bigo est un
marxologueéminent, je penseque son travail contribuera à unemeil-
leurecompréhension deMarxetdusens véritable deson œuvre. Mais
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M. Pierre Bigo n'est pas un marxiste. Son inspiration profonde


est ailleurs. Il utilise le marxisme dans ce qu'il lui reconnaît de
valable. Il ne le sert pas. Philosophe, économiste, ouvrier pendant un
temps —ce qui vaut bien la fréquentation des bibliothèques pour
comprendre certains problèmes —M. Pierre Bigo nous apporte,
après une longue méditation, une construction qui mérite attention.
I
Marx est incontestablement l'un des auteurs les plus mal
compris qui soient et souvent critiqué pour ce qu'il n'a pas dit.
C'est que Marx est un auteur difficile et qui a eu la volonté de
traiter de problèmes graves d un degré de profondeur supérieur à
celui où se placent ordinairement les économistes. M. Pierre Bigo
a donc commencépar lire Marx, cequi, malgré certaine affirmation
récente, est probablement la condition nécessaire pour en parler
sérieusement.
Qu'a donc voulu faire Marx ? Il nous le dit lui-même dans un
texte décisif : «pénétrer l'ensemble réel et intime des rapports de
production dans la société bourgeoise », édifier une véritable
science économique « par opposition d l'économie vulgaire qui se
contente des apparences ». Marx, en d'autres termes, se refuse à
considérer les institutions du capitalisme comme des données,
découlant de la nature permanente de l'homme et, par conséquent,
immuables. Prenant ces institutions et le système économique tout
entier comme une variable, il entreprend de déterminer leur effet
sur les hommes,placés dans dessituations changeantes par leprogrès
technique, de dire la réaction de ces hommes et la direction dans
laquelle institutions et système doivent s'orienter et s'orienteront
nécessairement, tôt ou tard. Ceque Marx nous fournit —M. Pierre
Bigo le souligne avec force —ce n'est pas une explication de méca-
nismes au sein d'un régime économique, en fait le régime capi-
taliste, c'est une explication d'existence, c'est-à-dire une étude des
réactions des hommes, considérés non pas en eux-mêmes mais
armés d'une certaine technique etaux prises avecles institutions.
Delà un énorme malentendu qui sépare Marx, non seulement de
la majorité de ses critiques, mais aussi de certains de ceux qui le
considèrent avec le plus desympathie, voire mêmequi s'en déclarent
partisans. Imprégnés d'économisme, dirait-on, ils s'obstinent à
critiquer, parfois à défendre le marxisme sur un plan qui n'est pas
le sien, comme explication de ce que nous avons appelé ailleurs
des mécanismes de fonctionnement du capitalisme, en supposant
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implicitement des institutions immuables, sans parvenir à saisir


pleinement que les mécanismes décrits par Marx sont, en même
temps, des mécanismes d'évolution, ne manifestant tous leurs
effets qu'en très longue période et supposant toujours une réaction
des institutions sur les hommes et des hommes sur les institutions.
Passés par l'économie bourgeoise, et quelquefois par le margina-
lisme, mal dégagés de son emprise, ils veulent à tout prix que les
lois marxistes rendent compte des réactions des hommes, et notam-
ment de laformation des prix dans le cadre du marché, cadre sup-
posé intangible, alors qu'elles expriment la réaction des hommes
contre cette institution modifiable qu'est le marché, la tendance des
hommes, au siècle de la division du travail et du machinisme, à
éliminer le marché.
Le point de départ de Marx est bien connu. Il réside dans la
découverte des effets sociaux des techniques modernes de produc-
tion. Adam Smith avait ouvert la voie. Dans le fameux chapitre
que constitue le portique d'entrée de Larichesse desnations, il avait
décrit la société nouvelle comme une immense manufacture dans
laquelle les hommes se répartissent les tâches et accroissent la
productivité de leur travail. Marx l'en félicite. Mais d'emblée il va
plus loin. Smith avait parlé d'une république du travail, soulignant
le caractère social du travail, l'accentuation de ce caractère dans
l'Angleterre du XVIII siècle. Marx poussant les choses à l'extrême
suggère l'idée d'un travailleur unique aux bras innombrables. Il ya
là plus qu'une substitution d'images. ChezSmith, le travail s'intègre
à un ensemble. Il acquiert une dimension sociale mais sans perdre
pour autant toute dimension individuelle. Chez Marx, cette dimen-
sion individuelle disparaît. Unbras n'a pas de viepropre. Il n'existe
pas en dehors de l'organisme dont il fait partie. C'est le fragment
d'un tout, non le membre d'une collectivité.
Mais surtout Marx s'est posé une question, à laquelle Smith
n'avait pas songé, une question centrale : le travail étant devenu
social, intégralement social, la propriété des biens peut-elle demeurer
individuelle ? Comprenons bien qu'étant donné la position matéria-
liste de Marx, il ne s'agit pas de rechercher si cela est acceptable en
droit ou en morale mais simplement de déterminer si, en pratique,
lorsqu'on considère une période de temps suffisamment longue et
les institutions comme des variables, il peut en être ainsi. En
d'autres termes, il n'est pas question de moraliser mais de construire
une théorie scientifique. Lorsque l'offre augmente et que la demande
reste constante, en régime de concurrence, disent les économistes,
le prix tend à baisser. Lorsque le travail de l'homme devient inté-
gralement social, la propriété ne tend-elle pas à devenir collective ?
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Bien sûr, elle ne le deviendra pas tout de suite. Mais lorsqu'en


montagne un alpiniste rencontre unepierre branlantesur unepente,
il sait bien que, tôt ou tard, sous l'effet dela geléeet du ruissellement,
ellefinira par rejoindre l'éboulis qui esten bas.
Le problème que se pose Marx, est donc celui de l'existence
d'une économie fondée sur la division des tâches et la propriété des
biens, avec, comme corollaire de la dernière, le mécanisme du
marché. C'est le problème d'une économie sociale, intégralement
sociale, qui affecte la forme d'une économie marchande. Sur te
caractère social, Marx pense qu'il n'y a pas à revenir, qu'il esl
irréversible car la division des tâches et le machinisme accroissent
considérablement la productivité du travail. Mais le caractère
marchand, issu de la propriété privée, ne lui paraît pas aussi
intangible. A priori, il peut évoluer. Doit-il évoluer et dans quelle
direction ? En d'autres termes, une réaction est-elle à prévoir et
quelle réaction ?
M. Pierre Bigo analyse celle réaction dans la première partie de
son travail. Dans l'économique marxiste, il relève deux thèmes
majeurs: celui de la valeur et celui du capital, deux thèmes qui sont
en réalité deux moments de la pensée et fortement liés l'un d
l'autre. Son souci est alors, à l'exclusion de toute critique, de
restituer dans toute sa pureté la véritable pensée de Marx.
Cesdeux théories : cellede la valeur etcelledu capital, ontsouvent
été mal comprises. Elles sont fameuses mais leur célébrité est
plutôt, chez les économistes, demauvais aloi. Sans se laisser impres-
sionner, M. Pierre Bigo remonte aux textes économiques et philo-
sophiques. Ses chapitres paraîtront sans doute à certains un peu
longs, il lui arrive de se répéter ou d'anticiper sur des développe-
ments. Mais il ne faut pas oublier que la pensée de Marx est riche
et, parce que riche, difficile. A la différence des Latins, les Alle-
mands ne savent pas être à la fois gründlich und klar, profonds et
clairs, les deux termes leur semblent s'opposer. Par ailleurs, en
même temps qu'il propose une interprétation, il faut que M. Pierre
Bigo la légitime. Débarrassé decesouci, peut-êtrepouvons-nous nous
permettre de purifier son exposé, d'insister sur certains points et de
fournir ainsi un fil directeur aux lecteurs.
1. La théorie de la valeur chez Marx n'est point du tout, comme
on le croit trop souvent, une étude du mécanisme des prix ou une
méditation philosophique sur ce mécanisme mais une analyse de la
situation de l'homme dans une économie de marché.
Cette situation est paradoxale. L'échange instaure entre les
hommes une communauté nécessaire de travail et de vie. La pro-
priété privée interdit à cette collectivité de se réaliser suivant une
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forme normale. Une opposition dialectique surgit entre les forces


productives, devenues sociales et les rapports de production, restés
individuels. Une relation s'établit entre les hommes mais, au lieu
que celle relation unisse directement des êtres vivants, elle passe
par l'intermédiaire des choses. Un phénomène d'objectivation se
manifeste, que Marx va s'efforcer d'analyser.
Dans la communauté primitive, les hommes produisent des
valeurs d'usage, c'est-à-dire des biens directement affectés à la
satisfaction de besoins, et non des marchandises, c'est-à-dire des
biens destinés à être vendus sur un marché. Les rapports qui
s'établissent entre les membres de la collectivité, sont des rapports
personnels. Sans doute certains peuvent-ils être exploités par d'au-
tres mais cette exploitation, si elle intervient, ne sera pas masquée,
elle s'étalera ouvertement et, en quelque sorte, naïvement. Dans une
société qui repose sur la propriété privée et le marché au contraire,
les personnes s'effacent derrière les choses. Ce sont les choses qui
entrent en contact directement les unes avec les autres, ce sont leurs
caractères, et leurs caractères seuls, qui sont pris en considération
dans les relations qui se nouent entre les hommes à cette occasion.
«Le rapport social des personnes »devient, nous dit Marx, «le rap-
port social des objets ». «La communauté des hommes, ajoute forte-
ment M. Pierre Bigo, s'est hypostasiée en communauté des choses ».
Rien d'étonnant à ce que les relations qui en découlent entre les
personnes puissent devenir malsaines et donner lieu à des spolia-
tions. Mais cequ'il faut comprendresurtout, c'est que ces spoliations
seront masquées et que seuls pourront les déceler ceux qui, dépassant
le stade de l'économie vulgaire, tenteront de pénétrer l'ensemble réel
et intime des rapports deproduction.
A la question posée : que se passe-t-il dans une société lorsque,
le travail étant devenu social par l'effet de la technique, la propriété
reste privée ? Une première réponse peut donc être donnée : un
phénomène d'objectivation se produit en vertu duquel les rapports
des hommes sont gouvernés par les rapports des choses. Un écran
opaque masque la réalité. Des spoliations peuvent se manifester,
qui ne seront pas évidentes aux yeux de tous. L'économie cessed'être
transparente, elle perd sa limpidité.
Mais ces spoliations qui peuvent se produire, se produiront-
elles en fait ? Sur quelle base, en d'autres termes, va se fixer, sur
les marchés, ce rapport social des objets, qui commande le rapport
social des personnes ? Ici se place la théorie de la valeur-travail,
théorie délicate mais sur laquelle il mesemble que M. Pierre Bigo
projette une vive clarté.
Au départ, il y a celle idée de Marx que le travail, et le travail
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seul, est la source de la valeur. Pour le comprendre, il ne faut


jamais perdre de vue que la théorie de Marx est, bien avant que les
économistes aient découvert le terme, une théorie macro-écono-
mique. Par la division des lâches, la communauté est devenue
comme un être unique aux bras innombrables. Cette communauté,
largement conçue dans le temps et dans l'espace, utilise, pour
fabriquer ce dont elle a besoin, des outillages et des biens naturels.
Marx l'admet. Mais les outillages, ce sont, comme dira plus tard
Böhm-Bawerk, les biens intermédiaires, c'est-à-dire des biens qui
apparaissent en cours de production. Du point de vue global, il n'y
a pas lieu d'en tenir compte. Quant aux biens naturels, Marx
reconnaît sans difficulté qu'ils jouent un rôle dans la production
matérielle. Mais il se refuse à admettre qu'ils puissent intervenir
dans la détermination de la valeur. El du point de vue auquel il
se place, ceci est assez logique puisque ces biens appartiennent à la
communauté considérée dans son ensemble et que seul le travail de
ses membres, la peine qu'ils assument, représente pour elle un coût.
Une difficulté subsiste cependant : malgré les progrès du machi-
nisme et de la rationalisation, le travail n'est pas devenu entière-
ment homogène. Certains ouvriers sont paresseux ou maladroits
tandis que d'autres sont habiles et, surtout, certains sont des spécia-
listes, tandis que d'autres nesont que des manœuvres. Ala première
objection, Marx répond en précisant que la valeur ne se mesurepas
au travail effectivement dépensé mais au travail socialement
nécessaire. Pour parer à la seconde, qui est beaucoup plus grave,
il avance que «le travail complexe n'est qu'une puissance du travail
simple ou plutôt n'est que le travail simple multiplié, de sorte
qu'une quantité donnée de travail complexe correspond à une
quantité grande de travail simple ».
« Rien ne montre mieux, nous dit M. Pierre Bigo, que celle
explication déroutante le véritable sens de l'intention marxiste.
Elle porte avant tout sur le fait d'une concrétion ou d'une cristal-
rement qu'elle établit une équation entre la valeur et la durée du
travail ; encore cette équation ne peut-elle être rigoureuse ».
« La vraie découverte marxiste, c'est que le travail vivant se
l i s a t i matérialise
o n dudans la valeur
travail dans laetmarchandise
cette réalisation
et caelieu
n'estaussi
quebien dans
secondai-
le cas de l'ouvrier qualifié. Peu importe que le travail du premier
soit payéplus cher : il a subi, lui aussi, la transformation caraclé-
ristique. Il s'est incorporé à la marchandise, il est devenu de la
valeur ».
Ceci étant, il y a, si j'en crois M. Pierre Bigo, une hésitation
et peut-être une évolution dans la pensée de M a r x .
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a) La technique ayant évolué, la productivité du travail s'est


accrue. Il y a donc gain pour l'humanité. Mais en même temps que
le travail est devenu plus productif, il est, par un mêmemouvement,
devenu social. De toutes façons, une communauté doit en résulter
entre les hommes. Seulement comme la transformation du travail est
intervenue à l'intérieur d'une structure demeurée individuelle, la
collaboration humaine qui s'est établie, est masquée et dénaturée.
Chacun travaillant pour l'échange, et donc pour les autres, continue
de travailler pour soi et à ignorer l'immense organisme auquel il est
intégré. Par suite, la coopération ne peut prendre la forme simple
qu'elle a dans la société patriarcale où «les forces de travail indi-
viduelles ne fonctionnent que commeorganes de la force communede
la famille »et où«le caractère social »est attaché «aux travaux eux-
mêmes». Les hommesjuridiquement autonomes dans la production,
n'apparaissent pas comme les membres d'un même organisme. Ce
sont les marchandises qui semblent entrer en relations directement
les unes avec les autres. «Les rapports entre les travaux privés et
l'ensemble du travail social » affectent la forme bizarre « d'une
valeur attachée aux choses elles-mêmes ».
Que doivent faire les hommes pour remédier à cette situation ?
Que feront-ils, tôt ou tard, lorsqu'ils auront compris les dangers
inhérents à cette forme desociété ?Éliminer l'échange et la propriété
qui lui donne naissance, faire retour au système de la communauté
patriarcale mais rénovée et élargie aux dimensions de la collectivité
humaine. «Représentons-nous, écrit Marx, une réunion d'hommes
libres travaillant avec des moyens de production communsetdépen-
sant, d'après un plan concerté, leurs nombreusesforces individuelles
commeuneseuleet mêmeforce detravail social ». Alors «les rapports
sociaux des hommesdans leurs travaux etavec les objets utiles qui en
proviennent » redeviendraient « simples et transparents dans la
production aussi bien que dans la distribution ». «Tout ce que nous
avons dit de Robinson se reproduit ici mais socialement et non
plus individuellement ».
Une opposition est donc établie entre la valeur d'usage et la
valeurd'échange.Lapremière, quiestlefondementvrai detoute collec-
tivité, estfonction duseul besoin. La seconde, qui apparaît seulement
dans une économie de marché, est une «chose »déterminée par un
certain quantum de travail «réifié ». Mais si nous introduisons,
commeon doit toujours le faire pour entrer dans la pensée marxiste,
la possibilité d'une réaction des hommes sur les institutions,
nous sommes amenés à soutenir qu'une action s'exerçant dans le
sens d'une élimination de la propriété privée et du marché, la valeur
tendra, dans ce cadre et par une variation du système économique
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lui-même, à revenir vers celle valeur vraie, cette valeur naturelle


qu'est la valeur d'usage. A un système objectif de valeurs, tend à se
substituer une communauté humaine de besoins.
b) Marx toutefois, nous dit M. Pierre Bigo, est assez réaliste
pour se rendre compte que l'humanité ne sera pas capable avant
longtemps de pratiquer le communisme intégral, c'est-à-dire la
suppression de toute propriété et de toute contrainte juridique. Il
doit donc nous dire comment l'institution de la propriété privée et
donc du salaire et du libre achat, n'entraînera pas l'aliénation
caractéristique de la production pour le marché. Il résout le problème
en avançant que ce qui provoque l'objectivation et l'aliénation dans
une société reposant sur l'échange, ce n'est pas cet échange lui-
même, mais le fait qu'il intervient sur un marché libre, où les
valeurs et les prix se fixent au gré de la concurrence des acheteurs et
des vendeurs, ne sont plus, par conséquent, entre les mains des
hommes, ne sont plus déterminés par une pensée consciente. Si le
marché est objectif, en d'autres termes, c'est parce qu'il est abandonné
aux impulsions aveugles du chacun pour soi ;mais s'il était réglé
par l'homme, planifié, dirions-nous, il perdrait cette objectivité.
Marx est amené dès lors à déplacer ou à préciser la ligne de
son attaque. Ce n'est plus à la valeur et d la monnaie en tant que
telles qu'il en a, mais à tout système de valeurs et de prix non
planifiés. Ce qu'il critique, ce n'est pas l'échange en soi mais
l'échange par le canal du marché, au sens précis que les économistes
donnent d ce mot. Du coup, nous dil M. Pierre Bigo, « la valeur
d'échange, d'abord condamnée en elle-même, devient — dans la
seconde phase de la pensée marxiste — une réalité essentiellement
équivoque. A l'opposition entre vàleur d'usage et valeur d'échange,
qui a centré la pensée marxiste primitive s'est substituée l'oppo-
sition entre la valeur et ses formes phénoménales, qui sera l'axe de
ses développements ultérieurs ».
Y a-t-il vraiment substitution d'une opposition à une autre ?
Pour ma part, je serai moins absolu que M. Pierre Bigo. Il me
paraît qu'il y a approfondissement plutôt que substitution. La
valeur naturelle reste identifiée avec la valeur d'usage et fondée sur
le travail. Mais les formes phénoménales de la valeur d'échange se
précisent. Il y a, si je comprends bien, la forme socialiste, forme
planifiée, qui se modèle sur le travail et qui est saine et la forme
capitaliste, qui s'écarte du travail et tend seulement à y revenir
dans la mesure où le marché fait l'objet d'un processus d'élimination
et de planification.
Dans la théorie de la valeur, telle que nous venons de la schéma-
tiser, à la lumière du travail de M. Pierre Bigo, il reste quelque
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chose d'un peu mystérieux. Marx a montré que la propriété privée


et l'échange, en donnant à la communauté des hommes la forme
d'une communauté des choses, comportent un inconvénient : celui
de rendre celle communauté opaque, d'en cacher aux yeux de
l'observateur non averti les ressorts vérilables. Il ajoute — et
M. Pierre Bigo développe ce point dans un chapitre spécial —que
l'intervention de la monnaie renforce encore cette opacité. Mais il
n'a pas encore démontré, bien que cela soit sous-jacent à son exposé,
qu'une spoliation se développe nécessairement, dans la société
capitaliste, à l'abri de cette opacité. Ce sera l'objet de la théorie du
capital, théorie contenue dans la théorie de la valeur mais qui achève
de lui donner son plein sens.
2. Par l'expression capital, Marx entend, non les moyens de
production en eux-mêmes mais « les moyens de production mono-
polisés par une fraction déterminée de la société ».
Le capital, au sens de Marx, ce n'est donc pas le capital technique
des économistes, mais quelque chose qui ressemble à ce qu'ils
appellent le capital juridique. Il y a toutefois un monde entre la
plate définition ordinairement donnée et la vision marxiste. C'est
que le capital n'est pas pour Marx un simple ensemble de droits.
C'est, comme l'écrit M. Pierre Bigo, « un ensemble prenant vie en
quelque sorte, s'animant d'un mouvement fantastique, mettant au
travail des milliers d'hommes et poursuivant avec une logique
implacable à travers ce processus de production son but dernier qui
est, non la satisfaction des besoins humains mais l'appropriation
et la capitalisation de la plus-value ».
Le processus économique que le capital transforme, restait,
malgré l'échange, un processus humain. Il allait de la marchandise
à la marchandise, en passant par l'argent, c'est-à-dire de l'homme
à l'homme, de l'homme qui produit une richesse dont il n'a pas
besoin, à l'homme qui a besoin d'une marchandise qu'il ne produit
pas. En dépit du phénomène d'objectivation sur lequel nous avons
insisté, l'homme restait l'origine et la fin du mouvement. Tout
change avec l'intervention du capital. C'est lui qui provoque la
production en s'investissant et c'est lui qui en est le but. L'homme
qui produit et qui achète, sans lequel le mouvement ne pourrait
s'établir, n'est plus qu'un maillon dans la chaîne capitaliste.
Tout ce mouvement ne peut tirer sa raison d'être d'aucune
différence qualitative de ses extrêmes puisqu'ils sont argent tous
deux. Il ne peut s'expliquer que par leur différence quantitative.
La plus-value devient la règle du jeu. Pour obtenir cette plus-
value, qui est sa seule raison d'être, le capital doit nécessairement
s engager dans un processus d'exploitation des ouvriers.
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Par suite de l' institution de la propriété privée, appliquée aux


biens de production, en effet, deux groupes de gens se trouvent en
présence : ceux qui sont effectivement propriétaires de biens et
ceux qui ne le sont pas. Que peuvent faire ces derniers ? Fabriquer
des produits en y incorporant leur travail et vendre ces produits
sur le marché ? Impossible. Pour fabriquer des produits, il ne faut
pas seulement du travail mais des instruments de production et
de l'usage de ces instruments les travailleurs sont exclus par la
propriété. Une seule voie pratiquement leur est ouverte : offrir
et mettre en vente comme une marchandise la source de ce tra-
vail : leur force de travail elle-même. Sur le marché dès lors va
apparaître une marchandise véritablement extraordinaire, une
marchandise qui ne ressemble à aucune autre, une marchan-
dise qui jouit de la propriété unique de permettre, à celui qui en
dispose, de créer une valeur qui peut être supérieure à sa valeur
propre.
Celte force de travail qu'il achète, le capitaliste doit, en effet,
la payer. A quel prix ? A un prix qui dépend de la somme des
moyens de subsistance nécessaires à l'individu pour vivre, lui et
ses enfants, car il faut que « cette singulière race d'échangistes se
perpétue sur le marché ». La valeur de la force de travail dépend
donc du « temps de travail nécessaire à sa production » ou, plus
exactement, « du temps de travail nécessaire à la production de ses
moyens de subsistance ».
Mais Marx ajoute immédiatement que la somme des moyens de
subsistance nécessaire au travailleur «dépend... en grande partie, du
degré de civilisation atteint ». « Les origines de la classe salariée
dans chaque pays, le milieu où elle s'est formée, continueront
longtemps à exercer la plus grande influence sur les habitudes, les
exigences et, par contre-coup, les besoins qu'elle apporte dans la vie.
La force de travail renferme donc, au point de vue de la valeur, un
élément moral et historique; ce qui la distingue des autres mar-
chandises ». Marx, contrairement à ce que d'aucuns pensent, ne
rejoint donc pas les théoriciens de la loi d'airain et laisse place à
une évolution du salaire favorable aux salariés.
Ayant acquis la force de travail, pouvant en disposer à sa
guise, le capitaliste a soin de le faire fonctionner pendant un temps
suffisamment long pour obtenir une marchandise dont la valeur
soit supérieure à celle qu'il a dû payer au travailleur. Si, étant
donné le degré de civilisation, les capitalistes sont contraints de
remettre aux travailleurs chaque jour un salaire leur permettant de
se procurer des subsistances représentant cinq heures de travail, ils
auront soin d'exiger des ouvriers des journées de plus de cinq heures,
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donnant naissance, par conséquent, à un produit d'une valeur


supérieure à celle qui a été payée à l'ouvrier.
L'exploitation des ouvriers — il me semble qu'il faut insister
sur ce point — n'est donc nullement liée chez Marx à l'idée d'un
salaire réduit au minimum vital. Rien dans la construction marxiste
n'empêche d'admettre que le degré de civilisation variant, cesalaire
s'élève. Mais les capitalistes s'attacheront toujours à faire travailler
les ouvriers pendant un temps suffisamment long pour obtenir un
produit dont la valeur excède le salaire. De la sorte naîtra une plus-
value. Et si cette plus-value venait à se réduire par trop ou à dis-
paraître, le capitaliste retranché derrière la propriété privée,
préférerait laisser au repos les moyens de production qui lui
appartiennent.
« Tout est basé, écrit très bien M. Pierre Bigo, sur l'idée d'une.
matérialisation : la force de travail qui n'existe « que comme une
puissance ou faculté de l'individu vivant » est traitée dans la pro-
duction marchande comme «un quantum », comme une chose. Tout
est là : une réalité qui est en devenir et qui tient au sujet humain,
est vendue comme un objet réalisé, quelque chose de vivant est
vendu commemort. Apartir du moment où la force de travail séparée
du capital et donc, à l'état nu, prend sa place à côté des autres mar-
chandises dans un monde dominé par la valeur d'échange, elle
subit la loi d'objectivation commune, loi d'objectivation qui devient,
dans son cas particulier, loi de spoliation ».
De là découle tout le reste : la distinction du capital constant et
du capital variable; les deux formes d'extorsion de la plus-value :
par allongement de la durée du travail ou augmentation de sa
productivité ; la tendance à l'accumulation du capital.
Cequ'il convient toutefois de souligner, à notre sens, c'est que la
théorie de Marx est une théorie macro-économique et sociologique.
Les termes employés par lui ne doivent pas faire illusion. Lorsqu'il
parle du capitaliste et du travailleur, Marx les prend comme
représentants de groupes. C'est le capitaliste moyen et le travailleur
moyen qu'il met en jeu. Autrement dit, non pas tels capitalistes ou
tels travailleurs, mais l'ensemble des capitalistes et l'ensemble des
travailleurs. Ce qu'il nous fournit c'est une théorie des rapports
de groupes, saisis dans le jeu et l'évolution d'un système économique
et non une théorie des rapports individuels. Ce que Marx nous
explique —c'est que l'ensemble des capitalistes, grâce à la propriété
des moyens de production, est en mesure d'extorquer une plus-value
à l'ensemble des travailleurs, Mais il n'analyse pas les rapports des
capitalistes entre eux : des capitalistes qui produisent l'outillage
par exemple et des capitalistes qui le mettent en œuvre, ou des
P. BG
IO b
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travailleurs entre eux, ni de tels groupes bien caractérisés de capi-


talistes et de tels groupes de travailleurs.
Cette position est tellement étonnante pour ceux qui sont habitués
à raisonner dans les schémas traditionnels que, même de grands
auteurs comme Böhm-Bawerk s'y sont mépris et que nous voyons ce
dernier ironiser au sujet d'une théorie qui renonce à rendre compte
du taux des rapports individuels, soulignant qu'il n'y a plus de
rapports, ni par conséquent de taux lorsqu'on considère l'ensemble
des membres d'une collectivité mais ne songeant pas qu'on peut
considérer ces membres par groupes sociaux.
Le sens vrai de la loi de la valeur-travail apparaît dès lors
avec netteté. Dans une première acception, nous dit M. Pierre Bigo,
elle «n'est pas autre chose qu'une loi de spiritualisation qui élimine
de la valeur tout élément matériel, tout autre élément que le travail ».
Elle exprime celle idée que « dans la communauté humaine de
travail, il n'y a pas d'autre titre naturel qui puisse être reconnu
que celui de l'effort humain dans la production ». Dans une seconde
acception, lorsque, me semble-t-il, on prend en considération, non
seulement la relation générale acheteur-vendeur mais la relation
particulière capitaliste travailleur (1), la loi de la valeur-travail
«n'exprime plus la poussée qui élimine de la communauté humaine
tout homme prétendant y concourir à un autre titre que le travail ;
elle exprime, au contraire, la poussée qui élimine de la communauté
humaine le travailleur au profil de ceux qui possèdent son œuvre,
le travail vivant au profit du travail mort ».
M. Pierre Bigo voit là «deuxsens fondamentalement différents »,
ou plutôt, me semble-t-il, et alors je suis entièrement d'accord avec
lui, deux aspects de la réalité économique, deux poussées, deux
tendances en opposition dialectique. Dans la perspective marxiste, il
n'y a pas, en effet, de loi qu'on puisse poser abstraitement, en
partant de la nature de l'homme en soi. Ceque nous constatons, c'est
comme le dit M. Pierre Bigo dans sa seconde acception, une
poussée qui tend, dans le régime capitaliste, à éliminer les travail-
leurs de la communauté, poussée qui détermine une réaction de ces
mêmes travailleurs en vue de transformer et d'anéantir le régime
capitaliste — variable du modèle, ne l'oublions jamais — et
finalement, de promouvoir un système différent où la valeur sera
effectivement purgée de tout élément autre que le travail. C'est
en ce sens, et en ce sens seulement, qui contient bien, mesemble-t-il,
(1) C'est pourquoi le développement de M.Pierre Bigo meparait donné
prémat
capital,unrément
onàla;finil de
devrait êtrelaplacé,
celuisur valeur,àconsacré
monsens,auàprocessus
la fin dud'chapitre sur le
objectivation.
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le précédent et qui correspond à la première acception de M. Pierre


Bigo, que nous pouvons dire qu'il y a une loi de spiritualisation
de la valeur.
S'il s'en était tenu à cet effort, M. Pierre Bigo nous aurait
déjà beaucoup apporté : une interprétation meilleure du marxisme,
une interprétation tenant compte des recherches contemporaines,
une interprétation cohérente, suggestive, tendant à éliminer des
erreurs trop répandues et à restituer au mirxisme sa fécondité
comme instrument d'analyse du monde moderne.
Mais un auteur de la trempe de M. Pierre Bigo ne s'en tient
pas là. Cesont les auteurs desecondezone seulement qui ont latitude
de se cantonner dans le rôle de purs commentateurs. Les autres
sont bien contraints, par une sorte d'exigence intérieure, d'aller
plus loin : ou de prolonger la pensée du maître dont ils adoptent les
thèses, ou de les reprendre, de les repenser, de les modifier, parfois
profondément, de les incorporer à un ensemble nouveau, original,
d'inspiration et d'esprit entièrement différents. C'est celte dernière
solution qu'a adoptée M.Pierre Bigo.
II
Dans quelle mesure le donné économique contemporain se
soumet-il aux lois d'évolution que sont les lois marxistes ? Dans
quelle mesure se révolte-t-il contre elles ? Voilà le problème, infini-
mentdifficile, que M.Pierre Bigovaessayerderésoudre.
Dès le premier chapitre, un parallèle suggestif avec la mystique
révolutionnaire de 1789, parallèle « très marxiste », permet à
M. Pierre Bigo de nous faire comprendre sa pensée. Selon lui, le
socialisme marxiste subira la même évolution que la démocratie
rousseauiste, un partage semblable s'opérera en lui. «Il s'affirmera
de moins en moins comme une philosophie totale, il se dépouillera
de ses vêlements métaphysiques ; il se muera en une grande doc-
trine polilique, en une haute technique de dévolution du pouvoir
économique ».
«Il semble que le monde s'achemine vers une distinction fonda-
mentale. Il refuse la proprieté commesource depouvoir, il l'accepte
comme source de liberté. Il refuse la propriété chaque fois que
sur elle s'édifie unepuissance qui meten échecla puissancepublique
dans ses légilimes attributions au service du bien commun écono-
mique et social. Il accepte la proprieté, même celle des biens de
production, quand elle apparaît comme le soutien nécessaire de
précieuses libertés individuelles devant l'omnipotence abstraite et
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anonyme de l'État ». « Ce qui sera renié par l'histoire, avance


M. Pierre Bigo, c'est, non pas la reconnaissance du travail et du
social commevaleurs mais la tentative deprojetercesvaleurs dans
l'absolu et de ramener à elles la totalité des valeurs humaines ».
« Ce qui sera renié par l'histoire... », lisons-nous. M. Pierre
Bigo est-il prophète ?Nullement. Pas plus que Marx.
Mais de la mêmefaçon que Marx a déceléau sein du capitalisme
une contradiction centrale, autour de laquelle s'ordonnent toutes les
autres et qui donne naissance à un mouvement dialectique qui, tôt
ou tard, provoquera l'évolution du système et déterminera l'avène-
ment d'un régime nouveau, M. Pierre Bigo repère, d'abord dans le
marxisme théorique puis dans le marxisme réalisé ou en voie de
réalisation, une contradiction qui lui indique la voie d'évolution
nécessaire.
Le marxisme, en effet, est ambivalent. M. Pierre Bigo insiste
avec beaucoup deforce sur cepoint. Il ya, nous dit-il, sans conteste,
une affirmation de l'homme chez Marx. Toute la construction
marxiste s'ordonne autour d'une opposition, qui doit se résoudre
dialectiquement, entre la grandeur et la misère de l'homme dans le
travail. Cette construction est donc traversée par l'idée que l'homme
est incommensurable à la matière, qu'il est, par rapport à elle,
transcendant. Contre toute notion de transcendance, Marx n'a
cependant cessé de protester. M. Pierre Bigo rappelle que, s'il s'est
inspiré de Hegel, il a également subi l'influence de Feuerbach et
que, dans la voie de l'athéisme, il a été nettement plus loin même
que ce dernier.
Celte foi dans l'homme, qui est un des traits essentiels du
marxisme, il faut donc qu'elle s'exprime sans faire appel à aucun
moment d des catégories éthiques ou métaphysiques. Pratiquement,
elle s'insinue dans le système à travers le double thème d'une
inversiondans la relation del'hommeà la nature etd'une exploitation
dans la relation de l'homme avec son semblable. Le capitalisme
apparaît comme un monde objectif, dans lequel la production et ses
rapports régissent l'homme au lieu d'être régis par lui, et un monde
d'expropriation oùl'hommecessed'être unhommepour l'homme.
«Obligé de se passer des catégories fondamentales de la méta-
physique et de l'éthique, écrit M. Pierre Bigo, Marx s'est rabattu
sur l'idée d'aliénation, qu'il a cru pouvoir emprunter à Hegel
sans trahir le matérialisme. Mais qu'est-ce que l'aliénation dans
laquelle l'homme devient étranger et extérieur à lui-même si l'homme
n'est pas le siège d'une intériorité et le sujet de droits ?Ondira que
l'aliénation marxiste n'est pas l'aliénation hégélienne. Elle en est,
en effet, le contrepied. Ce que perd le prolétaire dans l'aliénation
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dont il est la victime, ce n'est pas son essence, c'est son produit.
Mais si ceproduit devient étranger à l'ouvrier, c'est qu'à l'origine et
en droit il s'identifie à lui, c'est qu'il y a une exigence d'appro-
priation dans la création. Interpréter la réalité économique comme
un processus d'appropriation, c'est reconnaître l'homme comme un
sujet de droits ».
Tout le drame du marxisme —et, si je comprends bien, son
ressort dialectique —résident dès lors dans cette opposition d'une
infrastructure sociologique, qui impose la reconnaissance de
l'homme en tant qu'être transcendant, incommensurable à la matière,
et une superstructure métaphysique, qui nie obstinément celle
transcendance . «Si l'on essaye de circonscrire la négativité marxiste
sur le plan social, écrit M. Pierre Bigo, on découvre qu'elle découle
entièrement de la négation de l'absolu et du transcendant. Ce sont
les positions théologiques de Marx qui ont faussé sa sociologie. Et
il suffirait à cette sociologie, pour se redresser, de refuser le plan
théologique, c'est-à-dire d'être logique avec elle-même ».
Mais ce redressement de la sociologie que la raison impose,
cette élimination dialectique d'une métaphysique erronée, M. Pierre
Bigo, me semble-t-il, estime qu'ils se produiront nécessairement.
Par là s'explique son affirmation antérieure que le marxisme se
dépouillera, tôt ou tard, de ses revêtements métaphysiques et se
transformera en une simple doctrine politique et une technique de
dévolution du pouvoir économique. Alors cessera, nous dit-il,
«cette sorte de désaxement qui se produit dans un système où le
caractère total et exclusif est attribué à une vérité partielle, un
caractère absolu à des vérités relatives ».
Une évolution de ce genre doit rencontrer cependant des diffi-
cultés. La métaphysique et la sociologie marxistes sont étroitement
imbriquées l'une dans l'autre. Onne peut les séparer commepar un
coup de hache en rejetant l'une à droite et l'autre à gauche. «Dieu,
écrit M. Pierre Bigo, n'est pas une superstructure qu'on peut
supprimer ou rétablir dans un système de pensée et d'action sans de
profondes transformations decesystème».
La question dès lors se pose : que devient l'analyse marxiste de
la valeur, de la monnaie et du capital quand on adopte pleinement
la perspective humaniste ? M. Pierre Bigo s'y attache et pour ce
faire, non seulement il utilise le raisonnement mais il s'appuie
également sur l'évolution des faits en U. R. S. S. où le marxisme a
été réalisé et dans les pays capitalistes où se marque seulement une
tendance à la socialisation. En U. R. S. S. la vie s'est-elle coulée
sans difficulté dans les institutions créées en s'inspirant de la
théorie ou a-t-elle imposé des retours en arrière, témoignant d'erreurs
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dans la conception de base ?Dans les pays capitalistes, l'évolution


vers le socialisme, pour indéniable qu'elle soit, ne rencontre-t-elle
pas des limites, suggérant la même conclusion ?
La recherche de M. Pierre Bigo consiste donc à repenser la
sociologie marxiste d la lumière de la transcendance, autour d'un
homme devenu véritablement le centre du système, parce qu'il lui
semble que l'observation impose du point de vue social cette attitude.
Mais cet effort de repensée ne se développe pas sur le plan d'une
logique abstraite, élaborée en vase clos, mais d'une logique incarnée,
qui ne perd jamais contact avec la réalité et son évolution. «Il faut
dire, écrit M. Pierre Bigo, comment seront conçus la valeur, la
monnaie et le capital dans une civilisation construite sur l'homme
véritable. Et l'histoire tend toujours à construire sur l'homme
véritable ».
Deux problèmes sont dès lors envisagés successivement : celui de
la valeur-objet et celui de la valeur-travail. Que vaut, se demande
l'auteur, une économie basée sur l'échange et le marché ? Que vaut
une économiefondée sur le capital et la recherche du profit ?
1. L'évolution économique d'abord, aussi bien l'évolution de
l' U. R. S. S. que l'évolution des pays demeurés capitalistes, tend-
elle à confirmer les vues de Marx sur le système du marché ?
A cette question, M. Pierre Bigo croit pouvoir répondre en
décelant à la fois un courant unificateur, destructeur des autonomies
d'entreprises et de revenus et qui œuvre dans le sens prévu par
Marx, et un courant décentralisateur qui s'oppose à la disparition
complètedeces autonomies etsemble bien indiquer qu'elles répondent
à certaines nécessités humaines. Sur l'existence du courant unifi-
cateur, il ne saurait y avoir de doute. Sur le plan de la production,
les hommes, soudés entre eux par la division de leurs travaux,
s'intègrent désormais à des ensembles de plus en plus vastes, que ce
soient des trusts, des cartels ou des combinats. Sur le plan de la
répartition, par suite des institutions de sécurité sociale notamment,
ils sontpris dans des systèmes deplus en plus larges où s'établissent
des compensations de charges et des dispersions de risques. Sur le
plan de la production commesur celui de la répartition, l'économie
tend à se soumettre à une finalité humaine. Mais, à l'intérieur des
régimes capitalistes, des résistances de plus en plus vives freinent le
mouvement unificateur et, ce qui est plus caractéristique encore,
en U. R. S. S. une évolution tend à déformer les principes de
départ et à réintroduire des autonomies relatives. A l'intérieur des
unités modernes de production, le travailleur voit, en effet, son
produit lui échapper. Tout lien est brisé entre sa création et lui,
«Et cette rupture, nous dit M. Pierre Bigo, a une portée humaine
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incalculable ». « Elle se répercute gravement sur le plan de la


production. Le ressort si puissant de l'intérêt privé ne joue plus.
L'ouvrier voit du même coup se détendre tout le dynamisme qui le
porte ὰcréer. Il perd ses réflexes de paysan ou d'artisan, attaché au
labeur. Il se dérobe autant qu'il le peut ὰla production. Il ne lui
donne plus son acquiescement intérieur. Il ne lui accorde plus ni
son intelligence, ni sa volonté. Par ses facultés nobles, il échappe
autant qu'il le peut ὰla corvée du boulot. Ce non-vouloir ouvrier,
qu'il ne faut pas confondre avec un mauvais vouloir, est l'un des
phénomènes les plus caractéristiques de l'économie moderne : il est
d'autant plus accusé qu'elle est plus collectivisée. Il joue comme le
plus efficace des freins ὰla production ».
Pour obliger l'ouvrier au travail, on a donc établi des systèmes
de chaîne ou de primes. Méthode efficace mais qui rencontre des
limites car «l'habileté de l'ouvrier est grande pour échapper à la
loi qu'on lui impose malgré lui. Forcé à la quantité, il se désin-
téresse de la qualité. Moins que jamais, on obtient son consen-
tement ». Dira-t-on que la nationalisation des grands ensembles,
leur prise en mains par la collectivitéfait disparaître toutedifficulté ?
M. Pierre Bigo montre que non. Il avance que si certaines résis-
tances cèdent peut-être par suite de la disparition de l'antagonisme
de classes, d'autres naissent de l'unification renforcée et de l'aug-
mentation démesurée des moyens de pression.
Résistance donc sur le plan de la production mais résistance
aussi sur le plan dela répartition car, plus encore que l'organisation
collective du travail, l'organisation publique de la prévoyance,
malgré des avantages indéniables, qui lui confèrent jusqu'à un
certain point un caractère de nécessité, représente pour l'hommeun
péril parce qu'elle touche davantage à sa vie privée. « Il importe
beaucoup à l'homme de garder dans son travail une certaine liberté.
Il lui importe encore davantage d'avoir un large pouvoird'initiative
dans l'organisation desa vie ».
Dans la structure économique de l'U. R. S. S. on voit dès lors
reparaître des autonomies relatives, tant sur le plan horizontal
par la constitution de cellules de production partiellement indépen-
dantes les unes des autres que sur le plan vertical par l'établissement
de relais dotés de pouvoirs propres. Une certaine discussion est
désormais admise entre l'échelon supérieur et l'échelon inférieur
pour les quantités d livrer et les prix à facturer. Le ressort du
profil joue à nouveau dans certaines limites. Des procédés de
rémunération individuelle reparaissent. Ainsi se rétablit, nous dit
M. Pierre Bigo, «un certain jeu de l'intérêt privé contre-distingué
de l'intérêt public, c'est-à-dire le travail pour soi à l'intérieur du
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travail commun et, par conséquent, une certaine objectivité de la


valeur ».
Parallèlement, sur le plan de la répartition, on a vu reparaître
une certaine autonomie de revenu car « le nouveau principe à:
chacun suivant son travail, n'a de sens que si on laisse au tra-
vailleur la disposition de son revenu ». Le système soviétique a été
très loin dans cette voie. «La rémunération en fonction du travail et
non du besoin, les grandes inégalités de cette rémunération, la mise
d la disposition du kolkhoznik des profits qu'il peut réaliser sur le
petit marché libre, la suppression du rationnement, tout cela
introduit dans le système de répartition soviétique une discrimina-
tion à partir d'un potentiel objectif de richesse et non plusà
partir del'intensité du besoin ».
La réintroduction des autonomies de production et des auto-
nomies de revenus enfin entraîne celle de la monnaie car « une
comptabilité non monétaire ne permet pas d'attribuer pratiquement
au travailleur ou au groupe de travailleurs autre chose qu'un salaire
au temps. Elle fond toutes les entreprises et tous les travailleurs
individuels dans une masse amorphe et anonyme où s'éteint tout
sens de la responsabilité et de l'initiative. Pour ces deux raisons,
parce qu'elle détruit la notion de revenu comme celle d'entreprise,
parce qu'elle rend invivable le système de production comme le
système de répartition, l'abolition de la monnaie se heurte à des
résistances devant lesquelles l'économie collectiviste elle-même a
dû s'incliner... Après de nombreux avatars, la monnaie soviétique
s'est fixée à mi-chemin entre le schéma capitaliste et le schéma
collectiviste ».
Il apparaît donc, à la lumière même de l'évolution, que le
marché et la monnaie, à côté d'inconvénients certains, sur lesquels
Marx a justement insisté, ont une valeur humaine, répondent
certaines aspirations profondes des hommes, même lorsque ceux-ci
utilisent les techniques modernes deproduction. Onpeut logiquement
présumer que le régime de l'avenir ne laissera pas intactes les
autonomies de production mais qu'il ne les supprimera pas nonplus
complètement. «Les directions économiques qui gouvernent la pro-
duction et la répartition des biens, trouveront, en face d'elles, non
pas unepoussière d'individualités sans défense, mais desorganismes
représentatifs avec le concours desquels elles élaboreront leurs
décisions et par l'intermédiaire desquels elles les appliqueront ».
Par leur entrecroisement, ces organismes permettront d'échapperà
la fois au monisme étatique et à la dispersion individuelle.
Ceci étant, une question pratique se pose : «Est-il plus facile
d'organiser le bien commun à partir d'une technique d'entreprises
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privées ou la liberté individuelle à partir d' une technique d 'entre-


prises publiques ? Va-t-on à un régime plus humain en partant de
droits individuels que l'on affecte d'une hypothèque sociale ou en
partant de pouvoirs collectifs que l'on limite progressivement au
profit des individus ? »
« La seule réponse que l'on puisse faire, écrit M. Pierre Bigo,
c'est que les deux systèmes, dans leur simplisme de départ, repré-
sentent de terribles menaces pour l'homme. L'absolutisme de
l'individu enfermé dans sa propriété ou l'absolutisme de la collec-
tivité ramenant à elle tout pouvoir économique, sont également
dangereux. Ils ne sont l'un et l'autre viables que par des amende-
ments qui corrigent et redressent les options d'où ils sont partis ».
Nous suggérerons que les chemins à suivre ne sont probablement
pas identiques pour tous les pays et qu'une voie peut être la meilleure
ou la moins mauvaise pour certains, mettons les pays en voie de
développement de l'Asie, et une autre pour les pays plus avancés de
l'Europe ou de l'Amérique.
2. L'évolution économique, d'autre part, tend-elle à confirmer
ou à infirmer les vues de Marx sur le rôle du capital et du profil ?
Ce rôle — on le sait — est double : dans l'économie de marché, le
capital est à la fois source de profit et source de pouvoir.
a) En ce qui concerne le capital, considéré comme une
source de profit, M. Pierre Bigo reprend le problème dans les
termes où Marx l'a posé. « Il ne s'agit pas de savoir qui, dans une
entreprise déterminée, peut légitimement s'attribuer le bénéfice. La
perspective de Marx est, en principe, beaucoup plus large et sa
notion de la plus-value ne correspond pas d celle de bénéfice. Il
s'agit de savoir si, dans la collectivité humaine totale, unifiée par
l'échange, l'ensemble des hommes qui se réclament de la propriété
des biens de production, peut faire valoir un droit sur la plus-
value de la production, c'est-à-dire sur la partie de la production
qui dépasse la subsistance nécessaire à l'ensemble des travailleurs ».
Ceci étant, M. Pierre Bigo examine les titres invoqués par le
capital. Il écarte, par un raisonnement fort élégant, la justification
du risque couru, arguant que, pour un capitaliste isolé, le risque peut
lui légitimer un gain égal à la perte éventuelle mais que, pour
l'ensemble des capitalistes, la loi des grands nombres jouant, il n'y
a plus en réalité de risque et que par conséquent, le gain des uns
devrait êlre égal à la perte des autres et le solde nul. L'abstinence ne le
retient que dans la mesure où il s'agit d'épargnants qui se privent
vraiment et non de gros capitalistes pour lesquels l'épargne n'est
qu'un résidu. Reste donc le service rendu.
M. Pierre Bigo souligne que le service rendu par le capitalà
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la société et au travailleur est réel mais que c'est «un service matériel,
un service purement objectif, le service rendu par une chose ». La
question est donc de savoir si, dans une société humaine, les hommes
peuvent faire valoir, en dehors de leurs titres personnels, des titres
objeclifs, à raison des richesses qu'ils possèdent. Marx ne l'admet
pas. Mais M. Pierre Bigo a précédemment montré, comme nous
l'avons dit, que la vie économique comporte inévitablement une
certaine objectivité « pour cette raison que la subjectivité pure, en
économie politique, dans l'état actuel de l'humanité, conduità
la contrainte pure ».
« Si l'on entre dans celle idée d'une relative objectivité de
l'économie et d'un bien objectif entre la personne et la chose, ajoute-
t-il, on ne peut plus condamner absolument l'octroi d'une rémuné-
ration à un individu, en raison des services rendus par la chose
qui est sienne. Ce principe, il faut le reconnaître, peut être la
source de toutes sortes d'abus. Il l'est pratiquement dans le régime
capitaliste parce que le droit au profit y est considéré comme un
absolu, primant tous les autres droits. Il faut donc le régler. Mais
on ne peut le déclarer injuste de soi ».
Pour régler ce juste profit, M. Pierre Bigo, utilisant le cadre
marxiste, se préoccupe d'abord de déterminer la part qui doit être
attribuée par priorité aux travailleurs «en raison de leur causalité
particulière », causalité « incommensurable par rapport à celle des
apporteurs de capitaux ». Il établit ensuite la part de la plus-value
qui reviendra, après cette première attribution, aux capitalistes
et aux travailleurs.
La part remise aux travailleurs, estime-t-il, doit leur permettre
de se procurer « les moyens de subsistance qui sont nécessaires et
utiles à leur vie et à celle des leurs ». De surcroît, elle « doit aller
constamment en s'accroissant à mesure que les facilités de pro-
duction deviennent plus grandes ».
Quant à la plus-value, M. Pierre Bigo souligne qu'il serait
injuste de l'attribuer intégralement aux capitalistes car sa création
« eût été impossible sans le travail ». Il lui paraîtrait même criti-
quable de leur en donner la plus grande part. «Dans une perspective
communautaire, nous dit-il, le gain de l'homme comme capitaliste
sera toujours un simple appoint par rapport à celui de l'homme
comme travailleur ». « Il n'y a qu'un cas, pense-t-il, où il est juste
d'être plus large dans la part attribuée au capital, c'est quand il
court réellement le risque de perdre toute sa mise ».
A ses considérations auxquelles nous souscrivons volontiers,
nous nous demandons s'il n'y a pas lieu d'en ajouter une autre.
Parmi les décisions les plus importantes que doit prendre une
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collectivité, se trouve sans conteste celle du volume d'épargne à


réaliser et d'investissement à opérer pour accroître la productivité du
travail futur, travail qui sera fourni par la génération présente,
ou par les générations ultérieures. L'expérience montre que l'épargne
individuelle et libre n'est pas toujours suffisante et qu'en oulre il
convient souvent de mettre en action des processus d'épargne collective
et forcée, par l'intermédiaire de majorations de prix des entreprises
nationalisées, de relèvements des impôts qu'alimentent les budgets
publics ou de variations provoquées du niveau général des prix.
Mais des faits récents semblent montrer que l'efficacité de ces
processus n'est pas illimitée, précisément à cause de la contrainte
qu'ils supposent et des réactions de liberté qu'ils provoquent. Dès
lors, on peut se demander si, dans le calcul de la portion de plus-
value à attribuer aux capitalistes, il ne faut pas faire également
entrer la considération d'un certain volume d'épargne « libre », à
laquelle il conviendrait d'inviter les capitalistes.
En tout cas, nous nous rallions pleinement à la conclusion de
M. Pierre Bigo que « le droit du capital n'est pas automatique : il
ne s'exerce qu'à travers une communauté ; il devient injuste dès
que l'on perd de vue cette communauté ».
Dans la pratique, l'évolution confirme celle façon de voir. Très
largement, nous dit M. Pierre Bigo, la thèse marxiste de l'abolition
de la plus-value se trouve confirmée. Au sein même du capitalisme,
une dérive ininterrompue tend à enlever au capital pur les accroisse-
ments de valeur dus au progrès technique. Le droit travaille dans le
mêmesens que les faits monétaires. Mais il ne faut pas s'exagérer la
portée de celle évolution. Si le capital est atteint dans les revenus
qu'il ne peut dissimuler, il continue de drainer, d'une manière
occulte, une partie importante du revenu national. Un effort en vue
d'une distribution plus équitable de la plus-value travaille les
régimes capitalistes, d'une manière plus ou moins efficace suivant les
pays. Mais nulle part, même en U. R. S. S., l'évolution n'a atteint la
limite prévue par Marx. « Il semble donc, conclut M. Pierre Bigo,
que l'évolution, ici encore convergente, des législations en régime
capitaliste et en régime communiste, s'éloigne du rigide schéma
tracé par Marx et tende à se rapprocher d'un schéma qui rémunère
le travail en première ligne mais qui, sans refuser toute part de la
plus-value au capital, favorise l'épargne lorsqu'elle correspond à
une privation, à un risque ou à un service rendu, défavorisant au
contraire, les revenus de la spéculation ou les revenus du capital
lorsqu'ils dépassent une certaine limite critique. Ce n'est pas la
plus-value capitaliste qui est mise en cause, c'est l'accumulation
capitaliste sans limites et sans titres. El toutes les législations, y
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BIBLIOTHÈQUE
DE LA SCIENCE ÉCONOMIQUE
COMITÉ DE DIRECTION
E. JAMES - J. LHOMME - A. MARCHAL - J. MEYNAUD

Jean LHOMME. — La politique sociale de l'Angleterre contem-


poraine NF. 18 »
— La grande bourgeoisie au pouvoir (1830-1880) NF. 18 »
André MARCHAL. — La pensée économique en France depuis
1945 NF. 6,80
Pierre BIGO. — Marxisme et humanisme (3e éd.) NF. 10 »
Jean-Claude ANTOINE. — Introduction à l'analyse macro-
économique : T. I : Les origines NF. 9,60
Émile JAMES. — Histoire de la pensée économique au XXe siè-
cle, deux volumes, ensemble épuisé
Johan AKERMAN. — Structures et cycles économiques :
T. I NF. 12 »
T. II, 1 Partie NF. 9,60
— 2 Partie NF. 9,60
Jan MARCZEWSKI. — Planification et croissance économique
des démocraties populaires :
T. I : Analyse historique NF. 12 »
T. II : Analyse économique NF. 9 »
André NICOLAÏ. — Comportement économique et structures
sociales NF. 16 »
Fr. BLOCH-LAINÉ et divers. — La Zone franc. épuisé
Fr. BLOCH-LAINÉ et Pierre de VOGÜÉ. — Le Trésor public
et le Mouvement général des fonds . . . . . . . . . . NF. 20 »

1961. —Imp. desPresses UniversitairesdeFrance, Vendôme(France)


NF. 10 » + T. L.
26065. B IMPRIMÉENFRANCE
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par le temps, cette édition numérique redonne vie à une œuvre existant jusqu’alors uniquement
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de la Bibliothèque nationale de France, notamment au titre du dépôt légal.

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dans le cadre de la loi n° 2012-287 du 1er mars 2012.

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