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Rsvuede
Métaph^que
etde
Moole
Phusiset polis
1. Une adoptionhâtive
Lorsqu'onse penchesurla genèsedes conceptsfondamentaux de la
philosophie politiquemoderne, on ne peuts'empêcher d'être frappépar
le faitque ces conceptssont beaucoup plus imprégnés de l'espritdes
théoriesphysiquesnées au xvnesiècleque par l'héritagegréco-romain.
Nous pensonsà la Grèceantiquelorsquenous parlonsde démocratie,
de tyrannieou de monarchie, mais,en réalité,ces termescontiennent,
commeenfouisen eux-mêmes, un ensemblede découvertes, d'intuitions
ou de postulatsrelatifsau développement de la sciencemoderne.
A cetégardl'évolution du conceptde loimérite la plusgrandeattention.
On sait que dansles théoriespolitiquesdes xvineet xixe sièclesla loi
tendà se détacherde la notionde législateur humainou divin.La célèbre
définitionde la loi donnéeparMontesquieu, parexemple, le montre bien:
« Rapportsnécessaires qui dériventde la naturedes choses»*.La « nature
des choses», ce n'est pas une volontélégislatrice ! Dès le milieudu
xvmesiècle,l'idée de loi n'estplusliée à celled'unevolontélégislatrice
résidantdansun espritsingulier (Dieu ou monarque).Cetteévolution est
généralement présentée commeun progrès typiquede Fâp JesLumières :
d'unevolontéunique,on auraitsubstitué
à l'arbitraire u1 légalismetirant
sa légitimitédes loisinhérentesà la vie des corpspolitiques.Les diverses
1. Montesquieu, L'Esprit des lois, Paris, 1964,p. 530.
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Revue db Méta. - N« 2, 1983. 10
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Phusisetpolis
3. L'étheret la volontégenerale
L'analogieentremouvements de la natureet mouvements du corps
politiquea fascinéles meilleurs
esprits.Elle est prisetrèsau sérieuxpar
Kant lorsqu'ilécritque « les actionshumaines...sont... déterminées,
exactement commetoutévénement naturel,selonles lois universelles
de
4. Citépar E. A. Burtt, TheMetaphysical
FoundationsofModemScience,Revised
Edition,DoubledayAnchorBooks (Paperback),New York,1954,p. 199 (Pubi, orig.,
1924; Edit,revis.,1932).
5. Th. MoLNAR, La Contre-révolution,
Uvre de Poche, coll. 10/18,p. 51.
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Phusis et polis
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4. Les gravitations
beatifiques
Si Ton oublieles réservesde Newtonau sujet de la forced'attraction
et si Ton croitque la matièrebrutes'inscritd'elle-même en un ordre
harmonieux sans suivreles « commandements » d'un espritcréateur, on
aura tendanceà direque les lois des corpsen général(et des corpspoli-
tiquesen particulier), unefoisdécouvertes, pourront permettre des gravi-
tationsaussisereinesque cellesdes planètes,et que Jesactionshumaines
s'harmoniseront sans qu'il soit nécessairede recourirà. un législateur
souverain.
Relevonstout d'abordque des gravitations sereineset une harmonie
parfaitesignifieraient (commeHegel l'a bien pressenti) la finde l'histoire
humaine.Observonsensuiteque la notionde souveraineté populaire(ou
démocratisation absolue)ne se seraitjamaistantdéveloppéesi, au préa-
lable,l'idée d'une harmonie inhérente à la matièren'avaitconnuun tel
succès.Dès qu'oneut réduitl'extraordinaire complexité des mouvements
planétaires à un système de lois et dès de
que, surcroît, on eut cesséde
ce
rapporter système à une intelligence créatrice et souveraine, il devenait
de
légitime postulerqu'unsystème de lois pût aussi régler les actions des
hommessans qu'il fûtnécessaire de fairedériverce systèmede la volonté
et de l'intelligence d'un êtresingulier. Avantl'âge moderne,la notion
d'ordreétait indissociablede celle d'une souveraineté bien circonscrite
d'où cet ordresurgissait. Mais dès qu'on se mità croireà la possibilité
d'un ordreconsubstantiel aux éléments ordonnés, il n'étaitplus nécessaire
de garderl'idéed'unesouveraineté législatrice distincte de la matièresur
laquelle elle s'appliquait.N'ayantplus à être placée en un lieu déterminé
et biendistinctde tousles autres,la sourcede l'ordrepouvaitêtreéga-
lementrépartieparmitous les élémentssur lesquelselle avait semblé
s'exercer.Plus rienne s'opposaità l'idée que la souveraineté, garantede
l'ordre,appartienne au peuple.
L'avènement d'uneabsoluesouveraineté populaire va doncde pairavec
la finde l'histoire. Puisquela souveraineté populairedérivedesloisimma-
nentesau corpspolitique,elle produitces gravitations beatifiquesdans
lesquellesHegelvoyaitle termede notreodyssée. Une telle souveraineté
s'aboliraitd'ailleursd'elle-même puisque là où tout le monde est souverain,
personne ne l'est plus.Noustrouvonsdansce mécanisme d'auto-suppres-
sionde la souveraineté (ou du pouvoir)et d'abolitionde l'histoire, l'ori-
de
gine toutes les théoriespolitiquesqui prévoient l'avènement de sociétés
sans classesou, plus généralement, sans conflits.
C'est ainsique l'on a commencé à examiner la constitution et le fonc-
tionnement des communautés politiques sans plus se référer à leurtête,
de mêmequ'onallaitcesserde se rapporter à,unCréateur pour comprendre
le cosmos,ou à l'âme de l'hommepourcomprendre soncorps.
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Phusis et polis
5. La maininvisible
Les effets
de la cosmologie moderne surla penséepolitiquesontencore
plus évidents si nous faisons une brève incursiondans le domainede
l'économie politique.
Avantla publicationdes Recherches sur la natureet les causesde la
richessedes nationsen 1776,l'école physiocratique avait déjà battuen
brèchecetteidéeque touteconduitehumaineimpliqueun guide.Sansles
œuvresdes physiocrates, en effet,on eût difficilement admis que le
des
comportement agentséconomiques pût s'inscrire dans des régularités
déterminées par des loisindépendantes de la volontéhumaineou divine.
Par la suite,tousles économistes classiquesfurent fascinéspar cetteidée
qu'en tantque producteurs ou consommateurs les hommes n'agissent pas
selondes décretsémanantd'une volontéet, toutefois, ne sombrent pas
dansle chaos.Or là où un ensembled'éléments restentinscritsdans un
ordresanspourtant obéirà un espritextrinsèque à cetensemble, on a un
systèmed'autorégulation parfaitement autonome. Ce qui gouvernait les
hommes en matièred'économie étaitla « nature»,et nonpointla « trans-
cendante» volontéd'unchef,d'unmonarqueou d'ungroupe.On se mità
rêverà une disparition du politique,domaineoù, parexcellence, s'exerce
la volonté,au profitd'unagrandissement de la sphèreéconomique (là où
personne ne commande à personne) afin la
d'élargir sphère de la
liberté.
De mêmequ'ons'étaitmisà étudierle corpshumainsanstenircompte
de l'âme qui l'anime,ou le cosmossans tenircomptede l'espritqui l'a
créé,de mêmecommença-t-on à étudierles phénomènes économiques sans
tenircomptedu pouvoirpolitiquequi, en principe, régularise leurcours.
Le plusimportant développement de l'écolephysiocratique allaitêtre
la théoriede la maininvisibled'Adam Smith.Et cettethéorierévèle
quelle fascination l'idée d'un systèmed'autorégulation exerça sur les
esprits.L'expression de maininvisible, en effet, estsignificative : la main,
symboledu pouvoir,disparaîtet s'infiltre, pourainsidire,dansle champ
surlequelelleexerçaitsoninfluence, afinde régler, del'intérieur de chaque
acteuréconomique, l'ensembledes mouvements du marché.Le parallèle
avec un Dieu créateurqui, dans les nouvellesthéoriesphysiques,se
dissoutlui aussidansl'ensemble deslois qui règlent les mouvements de la
création,est frappant.
On voit commentle principede gouvernement qui surplombait le
domainesurlequelce principe exerçaitsonpouvoir(Dieu relativement à la
nature- le monarquerelativement à la sociétécivile- l'âme relative-
mentau corps) disparaîtou, plus exactement,s'intègreà la matière
qu'autrefoisil animaitet dirigeait.En économie, on verrase développer
des écolesde penséeselonlesquelles,pourreprendre les termesde l'écono-
mistefrançaisDunoyer,« le comblede la perfection seraitque toutle
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Phusis et polis
6. Du commandement
au contrôle
Ce qu'il y a de paradoxal, dans cette évolutiondes idées en Occident,
est que la physiquemoderneest née de la foien un esprittranscendantle
cosmos. Les savants étaient,à l'origine,convaincusque si la matièreavait
été créée puis ordonnéepar une intelligencedivine,on devait nécessaire-
mentretrouvercommeune trace de cetteintelligencedans le mondecréé.
Kepler pensait acquérir une « meilleureconnaissance de Dieu grâce à
l'étude de la nature»18.Commele souligneAlfredNorthWhitehead,« la
foi en la possibilitéde la science précéda le développementdes théories
scientifiquesmodernes»19.Or cettefoi,les hommesde sciencel'héritèrent,
16. « Omnianaturalia...habentin seipsisaliquod inclinationis et non
principiimi...
solumducanturin finesdébitos». De Ventate,Quaestio XII, art. 1 (c'est moi qui
souligne).
17. N. Wiener, Ciîbernétiaue
etsociété.Livrede Poche. 10 /18.n. 17.
18. Citépar E. A. Burtt, op. cit. p. 61.
19. A. N. Whitehead, Scienceand theModem World,FreePressPaperbackEdition,
New York,1967,p. 13 (Pubi, orig.,1925).
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/• Marejko
7. Physiqueet politique
II faut pourtantreconnaîtreque c'est dans la mesure où l'on a cessé,
à la findu moyenâge, de rapporterles phénomènesnaturelsà la volonté
d'une puissanceou d'une âme divineque la révolutionscientifiquemoderne
a pu se produire.Dire que les chosesse comportentde telleou tellemanière
parce que Dieu le veut ne favorisepas le progrèsscientifique.Pour que
celui-ci se produise,il faut non seulementcroireen la rationalité d'un
cosmoscréépar un êtreintelligent,mais aussi déciderque les chosescréées
jouissent d'une certaine autonomie,qu'elles ont leur dynamique propre,
et que celle-cipeut être comprisepar l'hommesans qu'il doive sans cesse
se rapporterà Celui qui a mis en marche cette dynamique. Pour mettre
en évidence l'intelligibilitéde l'univers,un homme de science doit donc
cesser de prêter attention à cette idée qu'un Autre esprit ordonne la
marchedes phénomènes.Il doit considérerles choses telles qu'elles sont,
et s'interdirede rationaliserhâtivementleurs mouvements.C'est cette
humilitéde l'espritdevant les choses qui a progressivement éliminél'idée
que l'ordredu cosmosdérived'un agent libre et intelligent.Au termede
la démarchescientifiquemoderneon se retrouvedans une positioninverse
de celle qu'on avait adoptée au départ: la rationalitéde l'universn'est plus
rapportéeà l'espritmais à,la matièreelle-même.
Ce renversement a eu des conséquencesprofondessurla formationde la
pensée politique occidentale qui, elle aussi, s'est maintenant« abaissée »
25. H. Butterfield, op. cit.,p. 202.
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Phusisetpolis
8. Moteur et mobile
La disparition progressive de la foien un Créateurde l'universa tout
d'abordfavorisél'analysedes phénomènes naturels.Malgréles protesta-
tionsde Newton,la principale conséquence de cettedisparition fut,nous
l'avonsvu, un succèsgrandissant de la théorieselonlaquelleles forces
régissant les mouvements de la matièresontimmanentes à cettematière.
Au plan philosophique la disparition
cela signifiait de toutealtérité
entrele mobileet le moteur.Les conséquences de cettedisparition sont
énormes : la possibilité
de postuler unprincipe créateurestdéfinitivement
exclue.Comment croireque ce qui animele cosmosle transcende, puisque
les forcesqui l'animentsonten lui? En d'autrestermes, si la sourcedu
26. R. Lenoble, od. cit.. o. 57.
27. J.-P. Vernant. Les Oriaines de la Densée arecaue. Paris. 1975. n. 1Ofi_
28. De Bonald, Mélangeslittéraires
et philosophiques,
Paris, 1858, tome I, p. 68.
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7. Marejko
9. Naissance de l'individualisme
De même que, dès le xvme siècle,les lois commencèrentà se détacher
de leur foyernaturel, un législateursouverain,la notion d'une origine
et d'une findu mouvementcommença,elle aussi, à se désintégrer.L'idée
d'un premiermoteurne tarda pas à disparaître,les mobiles cessèrentde
se rapporterà un centre intemporelet inétendu, le cosmos perdit sa
finitude.
Nous avons vu que l'idée de lois immanentesaux corps qu'elles gou-
vernentexclut celle d'une altéritéentremoteur et mobile. Nous voyons
maintenantque la coïncidenceentre originedu mouvementet matière
détruitla notion d'un centrede l'univers. Quittonsun instantle cosmos
et examinonsles répercussionsde ces changementssur la Cité.
La nouvelle cosmologie,fondéesur l'idée d'une structuredont la cohé-
rencesemblaitprovenirdes partiesqui la composaient,permitle dévelop-
pementdes théoriesfondéessurl'idée de pacte d'association: les individus,
à l'instar des corpusculesde matière qui s'étaient inscritsdans un ordre
naturel,avaient dû, croyait-on,se rapprocheraussi les uns des autres
pour formerun ordre politique. Cette explication permettaitd'espérer
une réorganisationtotale (révolution)des communautés,réorganisation
au terme de laquelle plus personnen'aurait à reconnaîtreun chef,un
souverain, un monarque, pour vivre avec ses semblables. On pouvait
ainsi imaginerque, dans l'avenir,personnen'auraitplus à obéirà personne
en tant que membred'une communautépolitique.De mêmeque la notion
d'altéritéperdait son sens dans le domaine des sciencesphysiques,où le
mouvementcessait d'être compris,dans les termes d'Aristote,comme
tendance d'un mobile vers un moteur, de même, au niveau politique,
l'idée d'obéissance à un Autre, c'est-à-dired'actions orientéesvers un
souverainet déterminéespar lui s'effritait.En même temps qu'on ima-
ginait des structure politiques en fonctionde lois immanentes(sans
rapportà un souverain) on s'imaginait aussi que les individus allaient
pouvoir libérerleurs actions de toute référenceà une instanceextérieure
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Phusisetpolis
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Revue de Méta. - N° 2. 1983. 11
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Phusisetpolis
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