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Philippe Pétriat

Aux pays
de l’or noir
Une histoire arabe du pétrole
INÉDIT
histoire
collection
folio histoire
Philippe Pétriat

Aux pays
de l’or noir
Une histoire arabe du pétrole

Gallimard
Cet ouvrage inédit est publié
sous la direction de Martine Allaire.

Crédits photographiques
No 1, 2, 3, 9, 10, 12, 13 et 14 : Droits réservés*. No 4 et 5 : © Nadir
Eseler Kütüphanesi II / Abdülhamid Han Fotoğraf Albüm-
leri / İstanbul Üniversitesi archives. No 6 : © Library of Congress,
Prints & Photographs Division, LC-DIG-matpc.16848. No 7 :
© Library of Congress, Prints & Photographs Division, LC-DIG-
matpc-16246. No 8 : © Library of Congress, Prints & Photo-
graphs Division, LC-DIG-matpc-16866. No 11 : ACT 5463 :
© ECPAD/France/Extraits de : Installation de la compagnie de
recherches et d’exploitation du pétrole du Sahara (CREPS) / René
AUTONES / 1956. No 15 : © ­REUTERS / ­Stringer.
* Droits réservés : il nous a été impossible d’identifier les auteurs de
certains documents, mais les droits usuels leur ont été réservés en
notre comptabilité.

© Éditions Gallimard, 2021.

Couverture : Puits de pétrole, Arabie Saoudite, 1952.


D’après photo © Photo12 / Alamy /
Touring Club Italiano / Marka.
Philippe Pétriat enseigne l’histoire du Moyen-Orient
contemporain à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.
Chercheur à l’Institut d’histoire moderne et contemporaine
(CNRS) et au Centre français d’archéologie et de sciences
sociales (Koweït), il est notamment l’auteur du Négoce des
Lieux saints (2016) et d’une Histoire du Moyen-Orient de
l’Empire ottoman à nos jours avec Olivier Bouquet et Pierre
Vermeren (2016).
Sigles

ARAMCO : Arabian American Oil Company, nom


pris en 1944 par la filiale créée en 1933
par la Standard Oil of California pour
exploiter sa concession en Arabie Saou-
dite ; elle devient l’entreprise nationale
du pétrole en Arabie Saoudite en 1988
sous le nom complet de Saudi Aramco.
BAPCO : Bahrain Petroleum Company, créée en
1929 par la Standard Oil of California
pour exploiter le pétrole à Bahreïn ;
actuelle entreprise nationale du pétrole
de Bahreïn.
CCG : Conseil de Coopération du Golfe, créé en
1981 pour regrouper les États arabes du
Golfe (le Yémen n’en fait pas partie).
FLN : Front de Libération Nationale, créé en 1954
pour obtenir l’indépendance de l’Algérie ;
parti unique jusqu’à la fin des années 1980.
INOC : Iraq National Oil Company, créée en 1966
par l’État irakien.
IPC : Iraq Petroleum Company, consortium de
compagnies européennes et américaines
créé en 1927 pour remplacer la Turkish
Petroleum Company.
10 Aux pays de l’or noir

KOC : Kuwait Oil Company, créée en 1934 par


l’entreprise britannique British Petro-
leum et l’américaine Gulf Oil.
LEA : Ligue des États Arabes, fondée au Caire
en 1945.
OPEP : Organisation des Pays Exportateurs
de Pétrole, fondée à Bagdad en 1960
par l’Arabie Saoudite, l’Irak, l’Iran, le
Koweït, la Libye et le Venezuela.
OPAEP : Organisation des Pays Arabes Exporta-
teurs de Pétrole, fondée en 1968 par le
royaume d’Arabie Saoudite, l’émirat de
Koweït et le royaume de Libye.
SONATRACH : Société Nationale pour la Recherche, la
Production, le Transport, la Transfor-
mation et la Commercialisation des
Hydrocarbures, créée par l’État algérien
en 1963.
Avant-propos

UNE HISTOIRE ARABE DU PÉTROLE

Lorsque l’expression commence à s’imposer dans


la première décennie du xxe siècle pour désigner
le pétrole, l’« or noir » n’est pas encore arabe. Les
productions russe et américaine qui comptent pour
près de 90 % des 150 millions de barils produits
dans le monde en 1900 sont sans commune mesure
avec les exploitations artisanales d’Irak. Les gise-
ments de la rive occidentale du golfe Persique ne
sont pas encore prospectés. Quand Hergé prépare
Tintin au pays de l’or noir en revanche, il en situe
résolument l’action dans le Moyen-Orient arabe des
pipelines, des intrigantes entreprises pétrolières
étrangères et des émirs récemment enrichis : la
Palestine dans la première édition de l’album en
1950 et un pays arabe imaginaire dans la seconde
version de 1971.
L’essor rapide de la production après 1945 fait
du pétrole arabe le sujet d’analyses scientifiques
et de clichés en nombre croissant, comme ceux
qui s’imposent à Tintin et dont la presse arabo-
phone a parfaitement conscience. Dans bien des
imaginaires européens, l’or noir est associé aux
Arabes, à la forme particulière de leurs États et à la
12 Aux pays de l’or noir

modernisation inégale et parfois insolente de leurs


économies et de leurs modes de vie. À rebours, l’ex-
ploitation du pétrole imprime sa marque de façon
radicale sur la culture matérielle et immatérielle,
l’environnement et la vie politique des sociétés
arabes.

1. « Les Arabes échangent leurs barils de pétrole contre des barils


de bière », dans un bar de Londres. Caricature du journal libyen
Al-Fajr al-jadid (la nouvelle aube) reproduite dans Naft al-‘Arab,
vol. 13, no 4, janvier 1978, p. 15.

Qu’elle soit écrite dans une langue européenne


ou en arabe, l’histoire de l’or noir au Maghreb et
au Moyen-Orient est et reste souvent une histoire
épique. Celle que font écrire les entreprises pétro-
lières dès le début des années 1950 narre les exploits
de leurs pionniers et détaille les transformations
apportées par elles à des pays désertiques. Dans ces
récits linéaires de modernisation, les entreprises
américaines et européennes visionnaires finissent
toujours par l’emporter sur les réticences locales
grâce à leur force de conviction, à leurs réalisations
Avant-propos 13

et à leur efficacité économique1. Dans cette histoire,


les Arabes n’ont qu’un rôle second et le plus souvent
passif, qu’il s’agisse du développement économique
de leurs pays ou des rivalités géopolitiques que l’or
noir ne manque pas d’attiser.
Rares sont les universitaires, les diplomates et
les journalistes à s’intéresser à ce que le pétrole
signifie aux yeux de ceux qui l’extraient, le raffinent
ou en vivent au Maghreb et au Moyen-Orient. L’éco-
nomiste libanais Albert Badre avec son collègue
juriste palestinien Simon Siksek en 1960, ou David
Hirst, alors correspondant du Guardian, en 1966
sont de notables exceptions2. Il faut attendre les
coups d’éclat des années 1970 et en particulier
la hausse des prix décidée en 1973 pour que les
Arabes entrent en scène avec fracas dans le récit du
pétrole, non sans ruiner la réputation débonnaire
de leurs émirs rendus responsables du « choc »
pétrolier.
La guerre du Golfe (1990‑1991) puis la guerre
d’Irak (2003) ont ravivé l’intérêt pour le rôle du
pétrole dans la compréhension des crises du monde
post-Guerre froide mais les pays arabes ne sont
encore souvent, dans les publications spécialisées
et généralistes, qu’un décor. Les grandes puissances
indexent leurs alliances avec les dirigeants arabes
sur leurs intérêts pétroliers. Les partisans arabes du
nationalisme pétrolier n’ont d’ailleurs pas une inter-
prétation si différente quand ils s’appuient sur ces
publications et adoptent les mêmes grilles de lecture
pour dénoncer la passivité de leurs gouvernements.
En anglais et en français comme en arabe, la géo-
politique du pétrole l’emporte sur l’expérience des
populations des pays producteurs3.
14 Aux pays de l’or noir

2. « L’industrie pétrolière arabe » traite par l’Amérique.


Caricature du journal koweïtien al-Ra’i al-‘amm (l’opinion publique)
reproduite en couverture de Naft al-‘Arab, vol. 8, no 6, mars 1973.

C’est la première ambition de ce livre que de faire


des Arabes des sujets à part entière de l’histoire de l’or
noir. Depuis les années 2000, politistes et historiens
proposent des relectures décapantes de l’histoire du
pétrole au Moyen-Orient en s’inspirant, notamment,
des travaux réalisés sur l’Europe et, plus encore, sur
l’Amérique latine à laquelle l’histoire du pétrole arabe
est particulièrement liée. Le récit des grandes com-
pagnies pétrolières et de leurs réalisations miracu-
leuses en plein désert peut désormais être confronté
à l’expérience des ouvriers et des habitants des cités
pétrolières d’Arabie et d’Irak4. Le tableau des grandes
alliances et rivalités géopolitiques nouées autour du
pétrole et la théorie politique de la « rente » ne suf-
fisent plus pour comprendre l’assise pétrolière des
pouvoirs en place. L’évolution des cultures politiques
et économiques, la construction à la fois hétérogène
et progressive des appareils d’État, l’évolution du
capitalisme et la transformation de l’environnement
Avant-propos 15

sont de nouveaux champs pour comprendre l’expé-


rience que les sociétés des pays arabes ont eue du
pétrole depuis le début du xxe siècle5.
Pour prolonger ces travaux et comprendre la façon
dont la découverte et l’exploitation du pétrole ont
été vécues et analysées dans les pays arabes, ce livre
poursuit un deuxième objectif : donner la priorité
aux sources arabes prises dans leur plus grande
variété, c’est-à-dire à la presse arabophone, qu’elle
soit éditée à Alger, au Caire ou à Koweït, aux livres
et articles publiés en différentes langues par ceux qui
ont été ou sont encore les experts et les responsables
du pétrole dans les États producteurs, aux romans et
à la poésie souvent critiques qu’inspire l’or noir au
Maghreb et au Moyen-Orient. Les archives produites
par les sujets et les administrateurs de l’Empire otto-
man dans ses provinces arabes permettent même de
commencer à suivre cette histoire quand le pétrole
arabe n’était pas encore considéré comme un or noir,
c’est-à-dire dès la fin du xixe siècle. Ces requêtes
d’entrepreneurs, ces pétitions d’habitants et ces rap-
ports d’administrateurs locaux adressés depuis l’Irak
au gouvernement d’Istanbul — où ils sont toujours
conservés — sont autant de plongées dans le pétrole
d’avant les grandes découvertes des années 1930 qui
servent habituellement de point d’entrée aux pays
arabes dans les histoires globales du pétrole.
S’ils ne sont sûrement pas exhaustifs, ces points de
vue font apparaître de multiples manières le façon-
nement des États, des populations, des économies
et des paysages arabes par ce que Nasser décrit dès
1953 comme le « nerf de la civilisation et du progrès »
mais que la presse nationaliste de gauche ne tarde
pas à décrier pour ses effets pervers sur la société
et l’économie6. Ils font apparaître un monde arabe
16 Aux pays de l’or noir

qui n’est pas seulement la somme des pays dont la


majorité de la population est arabophone et dont
la vie culturelle et politique a été transformée par
le nationalisme arabe au cours du xxe siècle, mais
aussi la communauté d’intérêts, d’expériences et de
destin que les spécificités de l’exploitation pétrolière
ont rendu sensible dans ces pays.

3. « L’agriculture au Koweït. Sans commentaire. » Caricature


de la revue koweïtienne al-Sha‘b (le peuple), no 58, 8 janvier 1959.

Leur subjectivité une fois assumée et considérée


comme un objet à part entière, ces sources « arabes »
variées restituent une histoire qui tranche avec celle
que l’on écrit encore depuis l’Europe et les États-
Unis. De la teneur des débats suscités par son exploi-
tation jusqu’aux discussions contemporaines sur le
régime énergétique qui prendra sa suite, l’histoire du
pétrole n’a pas le même sens ici et là. La chronologie
même des périodes de prospérité et de crise diffère
selon les pays. La fin de nos Trente Glorieuses n’est-
elle pas l’apogée du boom pétrolier (tafra) arabe ?
Avant-propos 17

L’histoire arabe du pétrole n’est toutefois pas


seulement l’envers ou le contrepoint des histoires
globales qui existent déjà. Le « choc » de 1973 et le
« contre-choc » de 1985‑1986 manifestent la parti-
cipation active et souvent déterminante des pays
producteurs arabes à la redéfinition de l’ordre éco-
nomique et politique mondial. Pilier du proces-
sus de décolonisation dans lequel se constitue le
Tiers-Monde, l’or noir arabe est aussi à l’origine des
réflexions et des manifestes pour le « nouvel ordre
économique » prôné dans les années 1970, avant de
devenir le substrat des politiques économiques néo-
libérales expérimentées à partir des années 1980.
L’expérience des pays arabes est un élément indis-
pensable pour comprendre comment le pétrole a
modelé et globalisé le monde contemporain7.
Pour les sociétés arabes elles-mêmes à partir des
années 1950, le pétrole est le ciment des projets
d’unité relancés et le moteur principal des échanges
et des circulations qui lient les pays arabes les uns
aux autres en dépit de leurs divergences écono-
miques et politiques. C’est le domaine dans lequel
émergent au cours des années 1950 des groupes d’ex-
perts, de technocrates et de militants qui, tout en
s’associant aux élites anticoloniales de l’ensemble du
monde, explorent les voies d’une unification propre
aux pays arabes. Une recherche biographique sur
‘Abdallah al-Tariqi, figure clé du nationalisme pétro-
lier à l’échelle du monde arabe, a ainsi été le point
de départ de cet ouvrage. La redécouverte récente de
la carrière et des grandes ambitions de ceux que l’on
appelle alors « les hommes du pétrole arabe » et de
leurs homologues dans les autres pays en dévelop-
pement des années 1950‑1960 met fin au face-à-face
avec l’Occident américain ou européen dans lequel
18 Aux pays de l’or noir

est encore trop souvent emprisonnée l’histoire du


pétrole au Maghreb et au Moyen-Orient8. Elle rap-
pelle le rôle actif d’une certaine élite pétrolière arabe
face à l’oligopole des grandes compagnies interna-
tionales, leur influence dans les débats juridiques,
économiques et parfois philosophiques qui agitent
les institutions internationales. Elle souligne aussi
à quel point le pétrole est perçu, au moins jusqu’au
début des années 1980, comme un bien commun qui
structure le monde arabe face aux ingérences étran-
gères et devrait le conduire à dépasser ses propres
divisions9.
Il ne faudrait cependant pas tomber à nouveau
dans l’écueil d’une histoire des grandes figures
seules. À côté de ces héros parfois hauts en couleur,
les sources utilisées ici permettent aussi de suivre et
parfois d’écouter les ouvriers qui produisent l’or noir
arabe, d’observer les transformations des paysages
urbains et ruraux par le développement pétrolier,
d’apercevoir les traductions culturelles de ces trans-
formations dans leurs descriptions positives comme
dans leurs critiques les plus acérées. La conclusion
de cet ouvrage n’est pas la fin du pétrole arabe mais
le désenchantement pétrolier des sociétés arabes du
xxie siècle. Son découpage chronologique cherche
néanmoins à rendre compte de l’unité de chaque
période sans préjuger de celle qui suit, afin de suivre
l’histoire d’une expérience, celle du pétrole. Une
expérience qui, tout en étant énergétiquement liée
à elle, n’est pas tout à fait la nôtre.
Introduction

LES TARD-VENUS DU PÉTROLE

« Quel est le nombre des gisements qu’ils exploitent


en usufruit ? Où se trouvent ces gisements ? Sont-ils
en activité ? Produisent-ils du naphte ou non ? »
Les questions des fonctionnaires du Grand Vizir
(Premier ministre) ottoman à propos de la famille
des Neftçizade en 1892 ont tout d’une enquête1. En
s’adressant aux responsables de la province de Mos-
soul, les bureaux du Grand Vizir tentent de faire
le point sur une exploitation certes millénaire mais
qui connaît un regain d’intérêt du fait des progrès
technologiques aux États-Unis et à Bakou. Le pétrole
brut (naphte) affleure à l’état naturel dans la région
de Kirkouk et de Mossoul au nord de l’Irak. Le mot
hérité du grec naphta est passé depuis longtemps
dans les langues persane, arabe et kurde pour dési-
gner le pétrole brut. Il est connu depuis l’Antiquité et
l’on trouve des « feux éternels » en Irak (Baba Gur-
gur) et dans la région de Bakou (dans l’actuel Azer-
baïdjan) passée de l’empire iranien qadjar à l’empire
russe au début du xixe siècle. Ils servent depuis long-
temps de support aux cultes régionaux (zoroastriens
en particulier) et à ceux des communautés indiennes
émigrées. Les missions archéologiques européennes
20 Aux pays de l’or noir

en redécouvrent les vestiges à la fin du xixe siècle et


leurs rapports de prospections et de fouilles suscitent
la curiosité des entrepreneurs.
Le nom des Neftçizade est dérivé de la fonction qui
a fait la réputation de leur famille, comme souvent
au Moyen-Orient jusqu’au milieu du xxe siècle. Ce
n’est pourtant pas qu’une question de réputation. En
1892, les « descendants (zade) des producteurs de
naphte (neftçi) » sont toujours actifs sur les affleu-
rements de pétrole qui se trouvent alors à une heure
de distance de Kirkouk, à Baba Gurgur. À Baba
Gurgur dont l’étymologie kurde signifie probable-
ment « le père du feu » comme en d’autres lieux du
nord de l’Irak, les failles du sol laissent remonter
du gaz et du pétrole brut. C’est ce liquide noir et
visqueux (le naphte) qu’exploitent les Neftçizade et
leurs homologues. Sont-ils turcs, arabes ou même
kurdes ? Leur nom ne l’indique pas. À l’image de leur
nom qui associe un terme arabe (naft) à des suffixes
turc-ottoman (çi) et persan (zade), ils communiquent
dans les trois langues avec probablement la même
aisance. La question ne fait de toute façon pas partie
des préoccupations des fonctionnaires ottomans de
l’époque.
Les Neftçizade exploitent ces gisements en famille
depuis si longtemps que les responsables locaux
peinent à répondre aux demandes de précisions
formulées par les autorités à Istanbul. « Depuis
très longtemps » et « génération après génération »,
évoque seulement le gouverneur de Mossoul. Un
décret du sultan Murad IV en 1639‑1640 leur en
aurait octroyé l’usufruit, la dynastie ottomane res-
tant le propriétaire éminent du sol et du sous-sol2.
Comme tant d’autres acteurs économiques de la
région, les Neftçizade ont consacré vers 1840 une
Les tard-venus du pétrole 21

partie des revenus qu’ils tirent de ces gisements à


une fondation (un waqf) chargée d’une mosquée et
d’une madrasa à Kirkouk et de l’entretien d’un imam
et d’un prêcheur pour le culte quotidien. Ce n’est
cependant pas un signe de richesse particulière : le
pétrole n’est pas encore synonyme d’opulence, même
si plusieurs Neftçizade font partie de la notabilité
de Kirkouk. Aux fonctionnaires du Grand Vizir qui
s’inquiètent du paiement des taxes dues à l’État, les
autorités locales s’empressent de répondre que toute
une partie de la famille des Neftçizade est dans une
telle condition d’indigence et de pauvreté qu’elle
mérite la compassion impériale.
Si l’on se fie aux rares photographies de l’époque,
force est de constater que l’exploitation de ces gise-
ments dans la région de Kirkouk et Mossoul est une
industrie artisanale. Mais ses conséquences sur la
santé des ouvriers et sur l’environnement étaient déjà
perçues comme néfastes. Le naphte est ramassé là
où il affleure, à la surface du sol ou dans des puits
peu profonds. Des ouvriers comme les employés des
Neftçizade le distillent dans des fours à cheminée
pour produire un pétrole lourd conditionné et vendu
dans de petits bidons métalliques, transportés à dos
d’ânes et de dromadaires dans la région. À Kirkouk,
à Mossoul et dans le reste du Moyen-Orient, ce
pétrole est utilisé pour l’éclairage, le calfeutrage et
même le soin des plaies de certains animaux comme
les dromadaires.
4. Ouvriers et fours de raffinage du pétrole
dans les environs de Tuz Khurmatu, au sud de Kirkouk,
pendant le règne du sultan Abdülhamid II (1876‑1909).
İstanbul Üniversitesi, Nadir Eserler Kütüphanesi.

5. Un des affleurements de pétrole (en blanc) d’al-Qayyara,


au sud de Mossoul, pendant le règne du sultan
Abdülhamid II (1876‑1909). İstanbul Üniversitesi,
Nadir Eserler Kütüphanesi.
Les tard-venus du pétrole 23

Qu’est-ce qui attire ce photographe ottoman et


son accompagnateur — qui prend soin de protéger
son uniforme par une cape — parmi les modestes
employés et au milieu des exploitations rudimen-
taires et salissantes de la province de Mossoul ?
Pourquoi ce regain d’intérêt de la part des fonction-
naires du Grand Vizirat pour une activité plurisécu-
laire ? Le Moyen-Orient ottoman et iranien fournit
à peine un demi-million de tonnes de pétrole sur les
20 millions produits dans le monde en 1900 mais les
fonctionnaires ottomans constatent l’intérêt grandis-
sant des investisseurs étrangers, européens, russes
et américains, pour les gisements des provinces de
l’Empire. Le pétrole devient un des canaux de la
mondialisation financière de l’économie ottomane.
Sous la conduite d’un gouverneur énergique, Ahmad
Midhat Pacha, les provinces irakiennes sont les pre-
mières où les Ottomans tentent de mettre en place
dans les années 1870 une industrie moderne pour
exploiter et transformer le naphte. De l’Anatolie au
Sinaï et au golfe Persique, seuls ou en association,
des entrepreneurs ottomans arabes et non arabes se
lancent dans l’exploration de ressources jusque-là
négligées et acquièrent pour cela des licences auprès
des autorités de l’Empire. À partir de 1889 en effet,
une série de décrets rattachent les gisements des
régions de Mossoul et de Kirkouk au Trésor Privé
du Sultan, ce qui pousse les fonctionnaires à vérifier
le statut des concessions passées et l’acquittement
des taxes légales, comme ce fut le cas des Neft­çizade.
L’extraction et le raffinage du naphte ne sont plus un
artisanat parmi d’autres mais une ressource dont la
valeur croît sur le marché mondial et dans les rela-
tions diplomatiques et dont on connaît et apprécie
24 Aux pays de l’or noir

mieux les dérivés possibles. Chez ces fonctionnaires


et investisseurs, la généralisation d’un mot nouveau
pour en désigner les produits signale le changement.
Il n’est plus seulement question de « naft » mais
aussi, et de plus en plus, de « bitrol », une transcrip-
tion à partir des langues européennes qui manifeste
déjà l’internationalisation des affaires pétrolières
dans l’Empire.

LES PREMIÈRES AFFAIRES PÉTROLIÈRES

Jusqu’au milieu du xixe siècle, le pétrole, comme


le reste du secteur minier auquel il est officiellement
rattaché, est peu ouvert aux investisseurs privés.
Depuis les années 1830 en Égypte et au cours de
la décennie suivante dans l’Empire ottoman (dont
l’Égypte est officiellement une province quoique très
autonome), une série de traductions d’ouvrages euro-
péens de géologie suscitent un vif intérêt pour les
ressources du sous-sol, et avant tout pour le char-
bon désormais considéré comme un véritable trésor
confié par Dieu et dont la propriété revient au souve-
rain3. À partir des années 1880, l’essor de la produc-
tion mondiale, le processus de réformes auxquelles
se soumet l’État impérial et ses besoins urgents de
financements favorisent l’octroi aux enchères de
droits d’exploration et d’exploitation des gisements
sur le modèle des fermes fiscales (iltizam). Des
sujets ottomans, grands négociants et propriétaires
fonciers, s’en portent acquéreurs. L’attrait devient
assez fort pour inciter les investisseurs à payer des
sommes parfois au-delà de leurs moyens.
Lorsqu’en 1893 le dénommé Hasan Tenekeci (le
Les tard-venus du pétrole 25

« ferblantier ») n’arrive pas à s’acquitter du montant


qu’il doit à l’État en contrepartie du droit d’exploiter
pendant deux ans les gisements de Qayyara (au sud
de Mossoul), l’administration centrale doit examiner
son cas : faute de moyens techniques probablement,
la production à laquelle parvient cet investisseur
est manifestement insuffisante pour rembourser
la mise de fonds exigée par une administration de
plus en plus gourmande4. Cinq ans plus tôt, en 1888,
un rapport ottoman soulignait déjà que le pétrole
des régions de Kirkouk et Erbil était en bonne par-
tie exploité dans le cadre de ces concessions mais
qu’en raison des méthodes primitives utilisées et de
la mauvaise gestion des ayants droit, la qualité et la
quantité du pétrole extrait puis raffiné baissaient.
Le kérosène américain est ainsi préféré aux produits
des raffineries locales pour alimenter les premiers
moteurs des navires à vapeur circulant sur les fleuves
irakiens. Le rapport s’inquiétait aussi des effets
néfastes de la fumée sur la santé des ouvriers et de la
population voisine des exploitations — les maladies
y sont récurrentes. La fréquence des incendies ajoute
encore au risque que font peser ces exploitations mal
gérées et concédées à des investisseurs particuliers
dont les aptitudes sont mal évaluées5.
Le pétrole fait pourtant partie des ambitions des
administrateurs ottomans les plus acquis à l’idée
de moderniser l’Empire à marche forcée. Avant
de devenir l’un des plus célèbres mais aussi éphé-
mères Grands Vizirs (Premier ministre) de l’Empire,
Ahmad Midhat Pacha s’illustre comme gouverneur
de la province de Bagdad entre 1869 et 1872 où,
entre autres réformes, il entreprend de développer
les gisements de Mendeli (sur la frontière irako-
iranienne). L’Empire a pris l’habitude d’employer des
26 Aux pays de l’or noir

experts européens et, en Irak, les experts allemands


sollicités par Midhat Pacha sont alors enthousiastes.
En 1877, une petite raffinerie moderne est construite
à Bakouba, à environ 50 kilomètres de Bagdad. Elle
est abandonnée quelques années plus tard, mais ces
efforts attirent encore un peu plus l’attention des
investisseurs ottomans et étrangers sur la richesse
des sous-sols irakiens.
Les lois sur les mines comme celle de 1861 sont
modifiées en 1869 et encore en 1886 pour encadrer
les activités de prospection et d’extraction et garantir
le contrôle de l’État, et les règles avant tout conçues
pour le charbon sont étendues au pétrole6. Après le
lancement de l’exploitation moderne d’un premier
gisement dans la région d’Iskenderun en 1887 par
un entrepreneur ottoman, Ahmet Necati, l’attention
du sultan, de ses fonctionnaires et des investisseurs
se tourne de plus en plus vers les gisements irakiens.
D’autres gisements sont connus dans les régions de
Lattaquié (Syrie), de Marmara et de la mer Morte
mais ce sont les provinces irakiennes qui semblent
déjà les plus prometteuses. Le sultan ottoman Abdül-
hamid II lui-même entreprend de réaffirmer ses
droits par une série de décrets (firmans) sur ce que
les textes officiels ottomans désignent comme les
« sources » de pétrole. En 1889, celles de la province
de Mossoul sont attribuées au Trésor Privé (Hazine-i
Hassa) du sultan. En 1898, celles de la province de
Bagdad les rejoignent. Les concessions accordées par
le passé et droits d’usufruit hérités comme ceux des
Neftçizade doivent être révisés ou annulés.
Le pétrole est de plus en plus considéré comme
une ressource importante pour l’économie de l’Em-
pire, au même titre que les ressources agricoles et
sylvicoles. Les affaires pétrolières sont rattachées, à
Les tard-venus du pétrole 27

partir de 1893, au ministère des Forêts, des Mines


et de l’Agriculture. Les gouvernements contrôlés
par les Jeunes Turcs qui ont pris le pouvoir après
la déposition du sultan Abdülhamid II en 1909 sont
encore plus sourcilleux sur la propriété de ces gise-
ments. L’un des principaux entrepreneurs pétroliers
de l’Empire, le négociant stambouliote Hasan Tah-
sin Nemlizade, acquiert en 1897 des concessions de
prospection de naphte et de gisements pétroliers dans
les provinces de Basra et Bagdad. Dès l’année sui-
vante, les textes doivent être modifiés à la demande
du Conseil d’État. Les conditions d’attribution et de
validité sont précisées pour être conformes aux nou-
velles exigences de l’Empire et ne laisser aucun doute
sur la seule responsabilité de l’investisseur pour les
cas récurrents où ces entreprises se font à perte et
sont abandonnées faute de résultats. Des clauses
apparaissent afin de limiter les nuisances que l’on
peut supposer importantes pour les habitants voisins
des sites dont l’exploitation est décidée7.
L’emballement des investisseurs pour ces gise-
ments ne réjouit pas tout le monde. Les besoins en
produits pétroliers que couvre l’exploitation artisa-
nale des gisements irakiens augmentent avec l’usage
du moteur à explosion pour les navires à vapeur
qui circulent sur les fleuves irakiens mais aussi
pour l’éclairage public et de machines telles que les
moulins dans les grandes villes d’Irak. Les plaintes
augmentent au voisinage des exploitations manifes-
tement bruyantes, polluantes et surtout inquiétantes
pour des habitants qui n’ont pas été habitués à de tels
aménagements. Le soin avec lequel sont élaborées
les clauses des contrats de concession est l’écho de
ces préoccupations. Les forages et l’exploitation des
gisements peuvent empiéter sur les jardins privés,
28 Aux pays de l’or noir

les pâturages et les terrains réservés aux usages col-


lectifs des paysans et des habitants comme les lieux
de marchés. Officiellement, les voisins des gisements
explorés par Hasan Tahsin Nemlizade ne sauraient
voir leurs droits élémentaires d’accès à leurs pâtu-
rages et terrains collectifs réduits de façon gênante
par l’exploration et l’exploitation de gisements. Les
propriétaires de parcelles emmurées, de jardins et
de terres irriguées situées à proximité de ces gise-
ments doivent donner leur accord car ce sont eux
qui craignent le plus pour la pollution de leur eau8.
Pour les habitants des provinces irakiennes, l’en-
gouement pour le pétrole et l’expansion de son
usage constituent déjà une malédiction. Les habi-
tants des rives ottomanes du Chatt-el-Arab (le delta
formé par la confluence du Tigre et de l’Euphrate)
se plaignent des rejets de la raffinerie que l’Anglo-
Persian Oil Company développe depuis 1909 à Aba-
dan. Le pétrole se mêle aux eaux qui alimentent
les systèmes d’irrigation des champs de la province
méridionale de l’Irak, une des principales régions
agricoles de l’Empire. En 1914, le ministère ottoman
des Affaires étrangères reçoit de son homologue bri-
tannique l’assurance que les pollutions passées n’ont
été qu’épisodiques et qu’il n’existe plus aujourd’hui
de fondements à ces plaintes9. Les Irakiens font pro-
bablement connaissance avec les premiers épisodes
d’un siècle de marées noires.
Cinq ans auparavant, en 1909, les négociants
d’un quartier de Bagdad se font les porte-parole
de la population pour se plaindre de quatre grands
moulins alimentés par des moteurs fonctionnant au
pétrole. La pollution, insupportable, s’ajoute aux
risques d’explosion et d’incendie qui inquiètent les
habitants de quartiers denses où le moindre feu peut
Les tard-venus du pétrole 29

engendrer une catastrophe. Juifs et musulmans réu-


nis, certains appartenant aux familles réputées de
Bagdad comme les Sassoun, ces négociants arabes
joignent les rapports des médecins et des inspecteurs
de santé municipaux à l’appui de leurs doléances.
Ces machines produisent une « gêne terrible » qu’ils
comparent à un véritable « poison ». Les effets nocifs
de la fumée et des rejets de pétrole polluent l’en-
semble du quartier et exposent les plus faibles, en
particulier les enfants, à des maladies mortelles.
Ils sont démultipliés par la chaleur au moment où
l’été débute. Le plus grave, ajoutent-ils, est que leurs
plaintes ne produisent aucun effet. Elles se heurtent
manifestement aux intérêts des notables membres
des conseils qui sont associés au gouvernement de
la province10.
Les nouvelles dispositions impériales n’empêchent
donc pas de grands négociants de continuer à faire
des affaires. En 1912, Hasan Tahsin Nemlizade se
voit expliquer par l’administration ottomane que
les concessions qu’il a obtenues dans la province de
Bagdad, probablement peu de temps avant le décret
de 1898, ne sont plus valides. Le différend qui l’op-
pose alors aux ministères chargés des ressources
minières et aux autorités provinciales et leurs débats
argumentés montrent que les décisions d’Abdülha-
mid II n’ont pas été appliquées abruptement. Des
investisseurs de taille comme Hasan Tahsin Nemli-
zade bénéficient d’un pouvoir certain de négociation.
À partir des années 1890, ces entrepreneurs otto-
mans sont de plus en plus nombreux à associer des
investisseurs européens aux entreprises coûteuses et
techniques de prospection et d’exploitation modernes
des gisements de pétrole. Le négociant originaire de
Mossoul Mustafa Tchélébi Zakariazade a contracté
30 Aux pays de l’or noir

l’exploitation de gisements à Qayyara directement


au nom du Trésor Privé du sultan — transféré après
1909 au ministère des Finances — et fait venir du
matériel européen pour développer la production.
Il en demande le remboursement à l’administra-
tion en 191211. Les discussions sont plus complexes
lorsqu’il s’agit d’entrepreneurs étrangers qui sont de
plus en plus nombreux à investir dans le pétrole des
provinces arabes de l’Empire. En 1913, l’ambassade
britannique s’adresse au ministère des Affaires étran-
gères ottoman pour s’opposer au transfert au Trésor
Privé des droits de prospection acquis en 1909 par
William Knox d’Arcy dans les vilayets (gouvernorats)
de Bagdad et Mossoul. L’identité de cet entrepre-
neur accentue la complexité des négociations. Wil-
liam Knox d’Arcy est le propriétaire de la concession
sur le territoire de laquelle le pétrole est exploité
avec succès dans le sud de l’Iran depuis 1908. Les
dirigeants ottomans redoutent que leur empire ne
perde le contrôle de ses ressources au profit de
la compétition des empires européens, comme la
Grande-Bretagne et la Russie dont les perspectives
pétrolières ont aggravé l’ingérence en Iran depuis le
début du siècle12.

LES DÉBUTS DE L’IMPÉRIALISME


PÉTROLIER

C’est dans la dernière décennie du xixe siècle


que le pétrole devient un domaine recherché par
les investisseurs étrangers et un objet de compéti-
tions impériales. Les empires européens en expan-
sion intègrent la recherche des gisements à leur
Les tard-venus du pétrole 31

diplomatie économique de l’Irak au Maghreb, où des


prospections sont menées sans grand succès à partir
de 1877 dans le Sahara algérien. L’un des entrepre-
neurs et intermédiaires les plus célèbres de l’époque,
Calouste Serkis Gulbenkian, un sujet ottoman armé-
nien, est sollicité par le Trésor Privé du sultan en
1893 pour préparer un rapport sur les perspectives
économiques des gisements de pétrole irakiens.
Le pétrole arabe est encore un pari risqué où les
échecs sont plus nombreux que les découvertes sus-
ceptibles de devenir des exploitations profitables.
La nécessité de mobiliser des capitaux importants
et celle d’utiliser du matériel et des techniques
complexes, souvent importés, font de l’industrie
pétrolière un terrain propice à la multiplication
des intermédiaires. Ces sujets ottomans peuvent
se porter acquéreurs des concessions mises sur le
marché par le gouvernement, seuls ou, de plus en
plus, en association avec d’autres investisseurs.
Ils peuvent ensuite les revendre en totalité ou en
partie. Les opérations sont facilitées par la loi
ottomane sur les mines dont la nouvelle version
promulguée en 1906 est bien plus favorable que
les précédentes aux investissements étrangers. Le
cadre de l’Empire encourage les entrepreneurs
comme Hasan Tahsin Nemlizade à investir des
sommes importantes dans d’autres provinces que
celle où ils résident tout en conservant les garanties
qu’offrent une même administration et un même
système juridique. La plupart du temps cependant,
ils privilégient les opportunités proches de leur
province. Sulayman Nassif fait partie des inves-
tisseurs les plus actifs au Liban et en Syrie. Les
administrateurs ottomans l’identifient comme étant
originaire de Dayr al-Qamar dans la province du
32 Aux pays de l’or noir

Mont-Liban mais établi à Haïfa pour ses affaires.


Au début des années 1910, il rachète des permis
d’exploration dans les régions de ‘Ajlun et Qunay-
tra (Syrie) à un groupe d’investisseurs locaux qui
en avaient fait l’acquisition cinq ans auparavant.
Ces investisseurs arabes, dont plusieurs sont issus
de familles de notables comme ‘Abd al-Qadir Qab-
bani, Sa‘id al-‘Azmeh, Iskender ibn Ilyas Qassab et
Mustafa Pacha al-Khalil, s’étaient déjà associés à
un ressortissant allemand, le docteur Schumacher,
probablement pour des raisons d’apport de capi-
taux et de savoirs techniques. Comme eux, Sulay-
man Nassif s’associe à des investisseurs étrangers
pour acquérir ces permis et mener les opérations
d’exploration au nom, par exemple, d’une Syrian
Exploration Company fondée en 1912 à Londres et
dirigée par un entrepreneur britannique13.
En 1910‑1911, Sulayman Nassif acquiert un per-
mis de prospection de pétrole et de bitume dans la
région de Hébron (Palestine). Il est alors associé
à d’autres notables palestiniens, Ismaïl Hakki al-
Husayni (Hüseynizade) et Selim ibn Khalil Ayoub,
dont l’apport en capitaux et l’entregent politique faci-
litent probablement les démarches auprès de l’ad-
ministration. Trois ans plus tard, en 1914, les trois
associés revendent ce permis à des représentants de
la Standard Oil Company américaine, avec l’accord
du ministère ottoman du Commerce et de l’Agricul-
ture en charge des mines. Ces affaires sont facilitées
par le fait que Sulayman Nassif est un partenaire
local important des diverses entreprises européennes
qui investissent dans l’Empire ottoman. Après la Pre-
mière Guerre mondiale, il est encore l’agent de plu-
sieurs compagnies maritimes et touristiques à Haïfa.
Entre-temps, les opérations de la Syrian Exploration
Les tard-venus du pétrole 33

Company et celles de la Standard Oil en Palestine


ont été interrompues par les combats14.
Jusqu’à la défaite de l’Empire dans la Première
Guerre mondiale, la propriété de l’État ottoman sur
les mines et les gisements de pétrole n’est pas remise
en cause et les États successeurs resteront attachés
à cet héritage précieux. Le décret signé par Abdül-
hamid II en 1902 réitère l’autorité du sultan sur les
ressources pétrolières, mais il a aussi pour objectif
d’encadrer les privilèges accordés aux investisseurs
étrangers dont l’Empire a un besoin croissant pour
financer sa modernisation15. La concession accordée
en 1903 à un consortium d’entrepreneurs allemands
pour construire la ligne de chemin de fer entre
Konya et Bagdad contient en effet le droit d’exploi-
ter les ressources minières qui se trouvent dans un
rayon de 20 kilomètres de chaque côté de la voie. La
Deutsche Bank et ses associés sont encouragés par
les résultats prometteurs d’une expédition d’experts
en Irak. En 1904, le Trésor Privé du sultan accorde à
la société une option pour lancer de premières inves-
tigations sur les gisements compris dans les clauses
de la concession. Si le droit du consortium mené par
les Allemands à exploiter les gisements à proximité
de la ligne n’est finalement pas exercé, il illustre l’at-
mosphère fiévreuse dans laquelle les gisements des
provinces arabes de l’Empire sont disputés par les
investisseurs étrangers.
En 1910, une African and Eastern Concessions
Limited, rebaptisée Turkish Petroleum Company en
1912, est créée pour concilier les intérêts concur-
rents des investisseurs européens en particulier en
Irak. Par l’entremise de Calouste Serkis Gulbenkian
qui obtient 5 % de son capital, la société réunit les
investisseurs britanniques (National Bank of Turkey,
34 Aux pays de l’or noir

Anglo-Persian Oil Company) et allemands qui s’en-


gagent déjà à ne pas entreprendre d’autres projets
pétroliers dans l’Empire ottoman sans s’associer. Les
gouverneurs ottomans en poste à Mossoul et à Bag-
dad s’inquiètent en 1914 de l’effet de ces concessions
à des compagnies étrangères sur les habitants de
leurs provinces, déjà très échauffés par les mono-
poles accordés à des compagnies britanniques pour
la navigation à vapeur sur le Tigre et l’Euphrate.
L’Empire, craignent-ils, n’affiche-t-il pas sa faiblesse,
son incapacité à participer lui-même à l’exploitation
de ses ressources, et ne s’expose-t-il pas à perdre la
confiance de ses sujets16 ?
Les gouvernements qui se succèdent après la dépo-
sition du sultan Abdülhamid II ont beau être plus
tatillons, ils n’en ont pas moins besoin des capitaux
et des moyens techniques et scientifiques qu’ap-
portent les sociétés européennes. Le 28 juin 1914,
le Grand Vizir Said Halim Pasha écrit encore aux
ambassadeurs britannique et allemand à Istanbul
pour valider la concession accordée à la Turkish
Petroleum Company des gisements de pétrole décou-
verts ou à découvrir dans les provinces de Bagdad et
Mossoul. Il se réserve cependant le droit de fixer les
revenus exigés par l’Empire17.
Dans la vice-royauté d’Égypte, largement autonome
depuis le début du xixe siècle quoique toujours par-
tie officielle de l’Empire ottoman, les prospections
lancées dans le golfe de Suez au cours des années
1870‑1880 débouchent sur de premières découvertes
à partir de 1909. Le pays est passé depuis 1882 sous
protectorat britannique et le pétrole qui est découvert
à Gemsa en 1909, sur la rive occidentale du golfe,
puis à Hurghada en 1913, est exploité par l’Anglo-
Egyptian Oilfields Limited, créée par la Shell en 1911,
Les tard-venus du pétrole 35

en vertu d’une concession qui permet au gouverne-


ment égyptien de percevoir de premières royalties.
L’entreprise construit rapidement une raffinerie à
Suez. Les coûts sont élevés et l’entreprise est défi-
citaire car les puits produisent peu et du pétrole de
mauvaise qualité. Cette première exploitation indus-
trielle de pétrole dans un pays arabe est souvent
oubliée par les auteurs arabes qui font commencer
l’histoire du pétrole moyen-oriental avec la découverte
des gisements iraniens par l’entreprise de William
Knox d’Arcy en 1908. Elle est cependant quasiment
contemporaine et partage avec le pétrole iranien la
caractéristique d’être entreprise dans le cadre d’un
impérialisme économique pétrolier en plein essor18.
Dans les émirats et sultanats du golfe Persique sur
lesquels la Grande-Bretagne a étendu son protectorat
au cours du xixe siècle, les accords de « trêve » et
de protection ne mentionnent pas directement les
gisements de pétrole. Les négociations avec les émirs
de la côte de la Trêve (futurs Émirats arabes unis),
le sultan d’Oman et le cheikh de Koweït portent sur-
tout sur l’interdiction d’accorder sans le consente-
ment de Londres des terrains pour la construction
d’infrastructures portuaires et ferrées qui pourraient
remettre en cause le contrôle britannique sur la
région. Lors des premières prospections qui sont
menées au Koweït en 1913, l’eau est aussi recher-
chée que le pétrole. Leurs conclusions plus positives
sur les chances de trouver du pétrole que de l’eau
renforcent l’attachement de la Grande-Bretagne à
ses protectorats et l’encouragement donné aux inves-
tisseurs pour sécuriser le contrôle des gisements les
plus prometteurs.
36 Aux pays de l’or noir

QUAND LE PÉTROLE
ÉCHAPPE AUX ARABES

La Première Guerre mondiale accentue la dimen-


sion impériale des affaires pétrolières. L’Empire otto-
man tente de protéger ses gisements à Mendeli, sur
la frontière avec l’Iran. Après de premières avancées
bloquées par l’envoi de troupes britanniques vers les
gisements iraniens et la raffinerie d’Abadan en 1915,
l’armée ottomane assiège la ville pétrolière de Bakou
pendant l’été 1918. L’arrivée de contingents britan-
niques fait obstacle une nouvelle fois à ces mouve-
ments de l’armée ottomane vers les ressources d’un
territoire passé sous contrôle soviétique. Avec les
armes et les munitions, le pétrole (kérosène pour
l’éclairage et les moteurs) encore largement importé
(États-Unis, Russie, Indonésie et Iran) est l’une des
marchandises principales des caravaniers arabes qui
relient le Golfe, l’Irak, la Syrie et le Hedjaz (Médine)
pour approvisionner les troupes ottomanes en
contournant les blocus britanniques et français tout
au long de la guerre.
Les opérations de prospection et d’exploitation
dans les provinces arabes de l’Empire sont inter-
rompues. Leur reprise à partir de 1919 en Irak, en
Palestine et en Syrie pose des problèmes juridiques
qui opposent les Alliés comme dans le cas de permis
revendus par Ismaïl al-Husayni et Sulayman Nassif
à la Standard Oil Company à la veille de la guerre.
L’Empire ottoman qui était propriétaire éminent de
ces gisements n’a pas encore disparu en 1919 mais
il a été remplacé en Palestine et en Syrie par l’oc-
cupation militaire britannique et la diplomatie du
Les tard-venus du pétrole 37

Royaume-Uni s’efforce de contrecarrer les efforts


des entreprises américaines au Proche-Orient19.
Si la guerre a interrompu les premiers développe-
ments industriels du pétrole des régions arabes, la
production du sud de l’Iran, à l’abri des opérations,
a considérablement augmenté. Tout en restant bien
inférieur à la production birmane, le volume pro-
duit par les champs de l’Anglo-Persian Oil Company
atteint les 23 000 barils par jour en 1918 et le nombre
des ouvriers à Abadan dépasse 20 000 au début des
années 1920. La guerre a favorisé la production
pétrolière iranienne et conforté pour longtemps son
rôle dominant dans la production du Moyen-Orient.
Lorsque les États arabes doivent officiellement
reprendre les engagements de l’Empire ottoman
en tant qu’États « successeurs » tandis que le rat-
tachement du vilayet de Mossoul à l’Irak est offi-
ciellement reconnu par la Société des Nations en
1925, le pétrole échappe largement aux décisions des
nouveaux gouvernements de la région. Il n’y a guère
que quelques gouvernements locaux éphémères qui
bénéficient de la période d’absence d’État pour tirer
quelques revenus du pétrole en profitant des souve-
nirs laissés par les prospections de l’avant-guerre.
Le « gouvernement national de Moab » formé en
1920 par des notables de la ville d’al-Karak, au sud
d’Amman, tire tous ses revenus (1 000 livres sterling)
d’une concession vendue à un entrepreneur britan-
nique pour l’exploitation des ressources minérales
locales. Lorsque l’entrepreneur réussit à revendre
ses droits à la Royal Dutch Shell, « le gouvernement
national de Moab » a cessé d’exister. La concession
n’est plus évoquée dans le nouvel émirat de Transjor-
danie qui est établi en 192120.
Les décisions prises entre les Alliés n’associent
38 Aux pays de l’or noir

que formellement les dirigeants arabes dont les


premières préoccupations vont d’abord à la défense
de leur souveraineté et à la négociation des nou-
veaux régimes de tutelle qu’exercent la France et
la Grande-Bretagne sur les pays arabes : mandats
confiés par la SDN à partir de 1920 à la France sur
la Syrie et le Liban et à la Grande-Bretagne sur
l’Irak, la Transjordanie et la Palestine ; protectorats
britanniques en Égypte (officialisé en 1914) et sur
les émirats des côtes du golfe Persique (depuis la fin
du xixe siècle) à l’exception de l’Arabie Saoudite qui
reste indépendante, protectorats français au Maroc
(1912) et en Tunisie (1881) ; colonisation française
lancée en 1830 en Algérie. Lors de la conférence
de San Remo en avril 1920, la France récupère
les parts allemandes dans la Turkish Petroleum
Company et l’Anglo-Persian Oil Company britan-
nique fait passer les siennes à 50 % du capital de
la société, la Royal Dutch Shell conservant le quart
restant.
L’accord prévoyait aussi que l’équivalent de 20 %
des bénéfices tirés de l’exploitation des concessions
de la Turkish Petroleum Company devait être reversé
aux habitants des provinces irakiennes. Le retrait de
cette disposition et l’accord donné par le roi d’Irak,
Faysal, à une version de la concession très favorable
aux intérêts des actionnaires de la Turkish Petroleum
Company en 1925 provoquent de premières contes-
tations du gouvernement et la démission de deux
ministres. La concession accordée pour 75 ans exclut
toute participation du gouvernement et le taux de
royalties reversées à l’État irakien sur chaque tonne
produite est jugé très modeste. Le pétrole devient un
motif récurrent de tensions entre le gouvernement
irakien, les partis nationalistes et la Grande-Bretagne
Les tard-venus du pétrole 39

à laquelle la Turkish Petroleum Company est cou-


ramment identifiée.
Sur place, le gouvernement irakien remet en cause
les droits que revendiquent les Neftçizade sur les
gisements, tandis que la direction de la Turkish
Petroleum Company repousse leurs plaintes en
soulignant le fait qu’elle creuse ses puits bien plus
profond que les puits de l’entreprise familiale et n’ex-
ploite donc pas les mêmes couches. « Des centaines
de natifs d’Irak et d’étrangers qui possèdent ensemble
ces domaines voudront peut-être un jour exercer
leur droit naturel d’exploiter le pétrole des couches
inférieures, comme ils exploitent aujourd’hui les
couches supérieures », proteste l’un des membres
de la famille avec perspicacité21.
Après avoir obtenu la confirmation de sa conces-
sion par le nouveau gouvernement irakien placé
sous mandat britannique jusqu’en 1930, la Turkish
Petroleum Company lance en effet dès 1926 d’im-
portantes campagnes de prospection dans la région
de Kirkouk. Elles mobilisent près de 2 500 ouvriers
irakiens sous la direction d’une cinquantaine d’ingé-
nieurs et experts britanniques parfois ramenés des
gisements d’Asie du Sud-Est (Birmanie) et rompus à
l’utilisation du matériel moderne importé d’Europe.
De premiers forages sont inaugurés en avril 1927 à
Palkhana (au sud de Kirkouk) en présence du roi
Faysal. Les opérations sont difficiles et lorsqu’un pre-
mier gisement est atteint en octobre 1927 à Baba
Gurgur (au nord de Kirkouk), le pétrole jaillit si fort
que deux ouvriers sont tués. La Turkish Petroleum
Company concentre ses opérations dans la région de
Kirkouk tandis que d’autres forages à Tuz Khurmatu
et Qayyara révèlent surtout des gisements de gaz, qui
n’est alors pas exploité.
40 Aux pays de l’or noir

La promesse des gisements découverts autour de


Kirkouk incite les différentes entreprises action-
naires de la Turkish Petroleum Company à régler
leur concurrence par un accord dit « de la ligne
rouge » en 1928. L’accord met en place une entente
dans laquelle chaque actionnaire s’engage à ne pas
investir seul et sans proposer à ses coactionnaires de
participer à l’exploitation d’un gisement de la région
délimitée par la ligne rouge, soit la quasi-totalité de
l’ancien Empire ottoman (Irak, Jordanie, Turquie,
Syrie) et de la péninsule Arabique à l’exclusion du
Koweït — que la diplomatie britannique se réserve
au nom d’un accord de protectorat passé avec l’émi-
rat avant la guerre. À cette occasion, l’Anglo-Persian
Oil Company, la Shell et la Compagnie Française des
Pétroles font une place aux entreprises américaines
dans le capital de la Turkish Petroleum Company,
tandis que Calouste Serkis Gulbenkian garde ses 5 %.
Au cours du dernier quart du xixe siècle, le pétrole
devient une affaire d’État et, plus précisément, d’em-
pire. La prise en compte des enjeux économiques
et politiques de cette richesse minière redécouverte
par les administrateurs ottomans transforme la
nature jusque-là locale et artisanale de l’exploitation
pétrolière. Les quelques tentatives de modernisation
de leur exploitation par les autorités provinciales
exceptées, les sources de pétrole qui affleurent puis
les gisements plus en profondeur sont concédés,
exploités et échangés par des entrepreneurs privés
ottomans qui s’associent de plus en plus souvent
à des investisseurs étrangers. Leurs affaires sont
rarement couronnées de succès industriels, mais
l’augmentation de la production et la construction
d’installations plus importantes suscitent déjà des
réactions inquiètes chez les habitants des provinces
Les tard-venus du pétrole 41

arabes de l’Empire comme l’Irak. La puissance finan-


cière et technique des entreprises européennes et le
soutien diplomatique qu’apportent leurs gouverne-
ments respectifs à leurs concessions dans l’ensemble
de l’Empire ottoman assurent à ces investissements
étrangers une durée de vie et des promesses de béné-
fices supérieurs. Les décisions politiques et écono-
miques des pays vainqueurs de la Première Guerre
mondiale accélèrent le passage en des mains étran-
gères d’intérêts pétroliers qui, s’ils ne sont plus otto-
mans, commencent à peine à être identifiés comme
des intérêts nationaux arabes.
Ankara

OCÉAN Alger
Tunis
TURQUIE*
Téhéran
AT L A N T I Q U E Ceuta SYRIE IRAK
Rabat TUNISIE 1943 LIBAN 1943 1930
1956 Mer Méditerranée Beyrouth Damas IRAN
Tripoli Bagdad
MAROC PALESTINE
1956 Amman KOWEÏT
ISRAËL 1948 Basra 1961
Ifni TRANSJORDANIE
Le Caire Koweit
Suez 1946 Go
lf e
Per
ALGÉRIE Manama siq u e Golfe
SAHARA LIBYE ÉGYPTE Doha d’Oman
ESPAGNOL 1962 1951 Riyad
1922 Nedj Abou Mascate
Dhabi
ARABIE
Hedjaz SAOUDITE
Me 1926-1932
rR
ou
ge

YÉMEN
Limites de l'ancien Empire ottoman 1919
EdiCarto

Khartoum
Sanaa
Pays sous tutelle (colonie, protectorat, mandat)
SOUDAN Golfe d’Aden
Royaume-Uni France Espagne ANGLO-ÉGYPTIEN Aden
1956
Italie dès 1919 Italie après 1920-1930 OCÉAN
INDIEN
Territoire
indépendant * après le traité de Lausanne (1923)
1922 Date d’indépendance 500 km

Le
LeMoyen-Orient
Moyen-Orient dans l’entre-deux-guerres
dans l’entre-deux-guerres
Chapitre premier

LES ARABES FACE AU


« PARTAGE DU PÉTROLE »

Les tentes noires caractéristiques des bédouins


arabes semblent attirées par les tentes blanches de
l’Iraq Petroleum Company. Pourquoi des éleveurs
nomades se rapprochent-ils du campement des
ouvriers et ingénieurs en train de poser l’oléoduc
qui doit relier les champs irakiens de l’IPC au port
méditerranéen de Haïfa ? Dans cette vallée fertile de
Palestine dont les terres sont alors disputées entre
colons juifs et paysans arabes, on aperçoit les instal-
lations mobiles (certaines fumantes) et les traces des
engins motorisés de l’entreprise britannique qui a
pris la succession de la Turkish Petroleum Company
pour exploiter et commercialiser le pétrole irakien.
Quelques silhouettes font l’aller-retour entre le camp
central de la compagnie et celui des bédouins.
Si l’Irak est indépendant depuis trois ans en 1933,
la Palestine est encore placée sous mandat britan-
nique, et l’IPC bénéficie du soutien des autorités pour
avancer ses travaux. Mais en Palestine comme en
Irak, rares sont les voix qui s’élèvent pour dénoncer
la collusion des entreprises pétrolières avec l’impé-
rialisme européen et en particulier, à Marj ibn ‘Amir,
avec le sionisme qui enflamme le nationalisme arabe.
6. Tentes de bédouins à proximité de celles de l’Irak Petroleum Company
dans la vallée de Jezreel (Esdraelon)
entre 1934 et 1939 (le mont Tabor est à l’arrière-plan).
G. Eric and Edith Matson Photograph Collection,
Library of Congress.
Les Arabes face au « partage du pétrole » 45

Plus rares encore sont les intellectuels, scientifiques


et ingénieurs arabes qui comprennent la complexité
et les enjeux de l’exploitation pétrolière dont les pays
arabes sont en train de devenir le terrain privilégié
au lendemain de la Première Guerre mondiale.
Sur les gisements exploités comme autour des points
de pompage d’eau établis tout au long des oléoducs,
les groupes nomades sont attirés par la possibilité
d’abreuver les animaux et de trouver de l’eau potable
même en période de sécheresse, de se voir proposer
de petits emplois rémunérés en argent comptant, et
même de vendre une partie de leurs productions aux
employés arabes et aux ingénieurs étrangers. Des mil-
liers de nomades se regroupent autour des champs de
Ghawar en Arabie Saoudite dans les années 1950. La
perspective d’un emploi temporaire comme garde ou
comme manœuvre pour certains bédouins et la vente
de quelques produits de l’élevage ajoutent encore à
l’attrait de ces nouvelles infrastructures1.
Bien qu’elle soit peu connue et difficile à percevoir,
l’expérience de ces travailleurs arabes du pétrole dans
l’entre-deux-guerres, comme celle des bédouins et
des autres habitants qui les entourent et qui espèrent
retirer quelque profit des installations des compa-
gnies étrangères, est essentielle pour comprendre
les premières revendications arabes sur le pétrole.
Les régimes variés de tutelle qu’exercent des États
étrangers sur les pays arabes expliquent l’intrication
des enjeux locaux, plus ou moins bien compris, de
l’exploitation pétrolière avec les questions politiques
qui embrasent les mouvements nationalistes en plein
essor dans l’entre-deux-guerres au sujet de la souve-
raineté nationale.
46 Aux pays de l’or noir

LE PÉTROLE DANS LES PREMIÈRES


REVENDICATIONS
NATIONALISTES ARABES

Les militants du nationalisme arabe de l’entre-


deux-guerres ne tardent pas à dénoncer les accords
de concessions qui contredisent les promesses
(l’accompagnement vers l’indépendance) des man-
dats confiés par la SDN à la Grande-Bretagne et
à la France, mandats dont le principe même les
révoltait puisqu’il cantonnait leurs pays dans un
état de minorité juridique. Leurs attaques sont
toutefois subordonnées à une dénonciation plus
globale et avant tout politique du colonialisme
européen dans le monde arabe et islamique. À
l’heure où des hommes s’organisent pour se battre
pour l’indépendance de leurs nations, la dénon-
ciation des concessions accordées aux étrangers
est d’abord une critique du pouvoir colonial et des
tutelles mandataires sur les anciennes provinces
de l’Empire ottoman, de leurs tentatives de blo-
quer le développement et l’émancipation de la
nation arabe. Fondateur et éditeur à Genève avec
­Chakib Arslan de la revue La Nation Arabe à par-
tir de 1930, le militant nationaliste déjà expéri-
menté qu’est Ihsan al-Jabri est bien placé pour
se tenir au courant des manœuvres européennes
mais le pétrole n’est qu’une des ressources dont il
dénonce le pillage par les puissances impériales et
leurs alliés sionistes. En avril 1930, il participe à la
mobilisation de la presse nationaliste arabe contre
les projets britanniques de concessions autour de
la mer Morte, accusés de favoriser les sionistes et
Les Arabes face au « partage du pétrole » 47

d’écarter les Arabes. C’est l’accord d’une concession


accordée à un investisseur juif pour l’exploitation
des minerais (potasse, phosphates) qui provoque
sa fureur et celle de ses collègues. Quand, à la fin
des années 1930, des rumeurs circulent sur la pos-
sibilité de trouver de larges quantités de pétrole
sous la mer Morte, la presse nationaliste redouble
d’ardeur contre un développement économique
qui ne profite pas aux Arabes2. En novembre 1930,
Ihsan al-Jabri reprend une critique similaire pour
dénoncer les concessions sur le pétrole irakien,
« cette ressource si précieuse », au moment où la
Grande-Bretagne vient d’accorder l’indépendance
au royaume :

Il est extrêmement triste de constater que les inté-


rêts de la nation arabe, qui est propriétaire de ces
trésors, ne soient pas pris en considération, par suite
de l’égoïsme exagéré des Puissances coloniales. Ces
puissances se croient en droit de se partager, avec
un exclusivisme déconcertant, les biens d’autrui sans
aucun scrupule et sans autre justification légitime
que le droit de la force (…). Après la répartition des
territoires, on est passé au partage du pétrole, la plus
grande richesse de ces pays3.

S’il reconnaît son « importance mondiale gran-


dissante (…) et l’influence qu’elle exercera sur les
destinées de notre pays », la question du pétrole
n’est encore qu’un champ parmi d’autres des cri-
tiques d’Ihsan al-Jabri contre l’impérialisme euro-
péen et le mépris du droit des Arabes. Le pétrole ne
fait d’ailleurs plus l’objet d’article spécifique dans
La Nation Arabe qui cesse de paraître en 1938. Deux
décennies plus tard, dans les années 1950 et 1960,
lorsque la majeure partie des pays arabes ont
48 Aux pays de l’or noir

obtenu leur indépendance, les militants révolution-


naires et les experts anti-impérialistes reprennent
ces dénonciations en voyant dans les décisions de
l’après-guerre le début d’un partage impérialiste du
Moyen-Orient arabe organisé autour du pétrole.
Ces partisans du « pétrole arabe » dénoncent la
création artificielle d’États dont la petite taille et
la division ont d’abord servi les intérêts coordonnés
des entreprises pétrolières. Ils critiquent les élites
dirigeantes arabes de l’époque et leurs successeurs
accusés de servilité et de naïveté face aux diplo-
maties et aux entreprises occidentales. L’accord
de 1928 est pour eux l’apogée de cet impérialisme
pétrolier qui met fin aux espoirs que beaucoup de
nationalistes arabes avaient placés dans les États-
Unis au nom des idéaux wilsoniens comme le
développement autonome des anciennes provinces
ottomanes.
Le récit de « l’implantation du cartel » ouvre le
premier chapitre de la thèse que Nicolas Sarkis sou-
tient en 1963 sur Le Pétrole et les Économies arabes.
Cinq ans plus tard, il explicite son analyse de la divi-
sion du Moyen-Orient en États « qui n’ont d’autre
raison d’être que de servir d’enveloppes juridiques
aux activités de ces grandes unités interterritoriales
que sont les sociétés pétrolières ». Pour Nicolas Sar-
kis et ses pairs, l’histoire politique de la région au
xxe siècle est essentiellement celle de la concurrence
des grandes entreprises pétrolières occidentales et
de leurs États d’origine tandis que les États arabes
ont été privés de leurs ressources4. Son compatriote
Muhammad al-Mughrabi défend en 1966 une thèse
de droit en grande partie consacrée à l’analyse des
concessions obtenues par les sociétés occidentales
avec l’appui de leurs États respectifs. Pour ces
Les Arabes face au « partage du pétrole » 49

experts, le contrôle renforcé des Britanniques sur


le pétrole irakien à l’issue de la guerre est l’exemple
le plus fort des biais que les conditions politiques
de l’époque ont permis d’introduire dans les conces-
sions pétrolières. Dépourvus d’expertise juridique
et technique, maintenus sous la tutelle politique et
militaire de la France et de la Grande-Bretagne, les
pays arabes n’ont pas pu résister à l’imposition de
contrats qui leur étaient gravement défavorables.
Ils ont été privés de leur souveraineté sur leurs res-
sources naturelles5.

LA RUÉE VERS L’OR NOIR

L’Iran domine très largement la production pétro-


lière du Moyen-Orient jusqu’au tout début des années
1950. L’indépendance du pays et sa direction autori-
taire par le Shah Reza Pahlavi permettent d’obtenir
en 1933 une renégociation favorable de la conces-
sion de l’Anglo-Persian Oil Company. En échange
d’une prolongation jusqu’en 1993 de la concession,
le gouvernement iranien obtient une revalorisation
des impôts sur les bénéfices de l’Anglo-Persian Oil
Company et des royalties qui est présentée comme
une victoire sur l’entreprise britannique et ses action-
naires. Le succès du Shah est scruté de près en Irak,
où les nationalistes le comparent avec amertume aux
conditions accordées à la Turkish Petroleum huit
ans plus tôt.
Si l’Iran est le modèle pétrolier du Moyen-Orient,
le renouvellement et l’octroi d’une série de conces-
sions entre les années 1920 et les années 1930 puis
la mise en exploitation de nouveaux gisements
50 Aux pays de l’or noir

permettent toutefois aux pays arabes de prendre


une place croissante dans la production mondiale.
Les concessions accordées par les États arabes sur
le modèle de l’accord de 1925 entre le gouverne-
ment irakien et la Turkish Petroleum Company
instaurent le principe du paiement par le conces-
sionnaire (les entreprises pétrolières) d’une rede-
vance (royalty) fixe sur chaque tonne de pétrole
exportée et d’un impôt sur les bénéfices réalisés.
La moyenne des royalties au Moyen-Orient est sta-
bilisée à quatre shillings or par tonne (soit 0,22
dollar par baril) dans les années 1930 et les taux
d’imposition sur les bénéfices sont maintenus très
bas. Ce principe n’est remis en cause qu’au début
des années 1950. Les États arabes se voient assurés
de percevoir une recette garantie qui ne pèse pas
sur leur population mais dont le calcul relève des
seules entreprises, qui fixent les prix ainsi que les
volumes de production et d’exportation.
Plus que le volume de pétrole effectivement pro-
duit et le montant des revenus tirés des conces-
sions, c’est le contexte de ces accords qui fait du
pétrole un élément de changement déjà radical
dans les économies arabes. La signature de la
majeure partie des contrats et la mise en route des
premiers sites industriels de production entre la
fin des années 1920 et le début des années 1930
coïncident avec la crise mondiale qui affecte gra-
vement les structures économiques des pays arabes
du Golfe. Le poids des premiers revenus tirés des
concessions pétrolières et l’importance des pre-
mières entreprises sont ressentis d’autant plus for-
tement que la contraction des échanges ruine les
secteurs fondamentaux du négoce, de l’agriculture,
de la pêche et de l’artisanat.
Les Arabes face au « partage du pétrole » 51

Bien qu’elles ne mobilisent qu’un nombre réduit


de géologues et ingénieurs pétroliers étrangers et
qu’elles n’associent qu’un nombre tout aussi réduit
de citoyens locaux, les premières prospections dans
la péninsule Arabique ne passent pas inaperçues. Les
opérations et le matériel de ces équipes dans des ter-
ritoires rarement exposés à des visiteurs non arabo-
phones suscitent parfois des critiques qui ne tardent
pas à viser les émirs au pouvoir. Déjà confronté à
la révolte de ses guerriers Ikhwan (« Frères ») qui
dénoncent ses relations avec la Grande-Bretagne et
l’importation de techniques étrangères, le roi ‘Abd
al-‘Aziz Ibn Saoud (1880≈-1953) doit aussi écouter
en 1928 la critique par les oulémas wahhabites de
ses relations avec des étrangers chrétiens, y compris
pour les prospections minières qui débutent dans ses
domaines6. La présence des Lieux Saints de l’islam,
l’hostilité de l’école fondée par Muhammad Ibn ‘Abd
al-Wahhab au xviiie siècle à toute influence étrangère
et la nécessité pour la dynastie saoudienne de ne pas
s’aliéner les oulémas wahhabites font de l’exploita-
tion du pétrole par les entreprises étrangères un sujet
polémique dès le début.
En dépit de leurs faibles montants initiaux, les
revenus tirés des concessions pétrolières sont tout de
suite une ressource indispensable pour les États dont
le budget est déficitaire et qui ne peuvent recourir à
l’augmentation des taxes pesant sur les marchands.
Un grand nombre de ces fournisseurs traditionnels
de revenus sont de fait au bord de la faillite quand
ils ne sont pas déjà ruinés. Les premiers emplois
dans le secteur pétrolier attirent une foule d’agricul-
teurs sédentaires et de bédouins nomades souvent au
bord de la famine, de pêcheurs et d’ouvriers endet-
tés et sans travail. Dès 1932, la Bahrain Petroleum
52 Aux pays de l’or noir

Company (BAPCO) attire les pêcheurs de perles que


les capitaines de navire et les négociants armateurs
ruinés ne peuvent plus employer. Une partie des
salaires payés par l’entreprise britannique est immé-
diatement reversée à ces capitaines et aux négociants
pour éponger les dettes contractées par leurs anciens
employés7.
Les premières installations de la Turkish devenue
en 1929 l’Iraq Petroleum Company (IPC) sont termi-
nées en 1930 et permettent de lancer l’exploitation
commerciale des gisements du nord de l’Irak. Des
routes, des canalisations d’alimentation en eau pour
les employés et pour maintenir la pression dans les
gisements, des oléoducs pour exporter le pétrole, des
laboratoires d’analyse, des bâtiments pour l’adminis-
tration de l’entreprise et le logement des employés,
et même un hôpital sont installés à Kirkouk et dans
les champs pétroliers environnants. Le développe-
ment des activités de l’IPC attire des ouvriers des
arrière-pays de Kirkouk, notamment des Kurdes et
des Turkmènes pour lesquels les salaires et les condi-
tions proposés par l’entreprise sont préférables à la
misère des régions rurales. De premiers entrepre-
neurs locaux se voient confier le recrutement des
hommes que l’IPC ne veut pas employer directement,
la fourniture des denrées alimentaires et du matériel
élémentaire. Les premières infrastructures indus-
trielles de l’entreprise (puits, usines de dégazage, de
stabilisation du brut) forment ainsi de petits noyaux
d’urbanisation. La garde des champs exploités fait
l’objet d’ententes avec les cheikhs des Shammar,
la confédération de tribus bédouines qui domine
encore une grande partie des steppes du nord de
l’Irak.
Les Arabes face au « partage du pétrole » 53

7. Chantier de forage de l’Iraq Petroleum Company


aux environs de Kirkouk en 1932. G. Eric and Edith Matson
Photograph Collection, Library of Congress.

La renégociation de la concession de 1925 entre


la Turkish Petroleum Company et le gouvernement
irakien aboutit en 1931 à une nouvelle convention.
Devenue l’Iraq Petroleum Company en 1929, l’en-
treprise s’engage à construire des oléoducs vers la
Méditerranée et à renoncer à une partie des sur-
faces comprises dans la concession de 1925 pour
permettre au gouvernement irakien de les allouer
à d’autres entreprises. Entre 1937 et 1938 cepen-
dant, l’IPC reprend les concessions accordées à des
entreprises rivales pour les champs de Mossoul et
de Basra et transforme ces entreprises en filiales. Le
pétrole irakien est alors entièrement contrôlé par
l’IPC. Le monopole de fait de l’entreprise renforce les
appréhensions des Irakiens les plus hostiles aux ingé-
rences étrangères et à la politique probritannique de
54 Aux pays de l’or noir

la monarchie irakienne. Leur hostilité est renforcée


lorsque le pays accède officiellement à l’indépen-
dance en 1932. Les députés de l’opposition nationa-
liste au Parlement irakien et une partie de la presse
arabophone critiquent les discussions expédiées à
l’Assemblée et au Sénat et les obstacles posés par le
gouvernement à tout débat sur la politique pétrolière
du pays. Les journaux comme al-Mustaqbal (l’ave-
nir) critiquent l’absence de publicité donnée aux
textes négociés dont les députés eux-mêmes n’ont
parfois pas connaissance, ce qui ne fait qu’alimenter
les rumeurs et les soupçons au sujet des ingérences
britanniques dans les délibérations du gouvernement
et du Parlement. Alors même que le pays est indé-
pendant, le gouvernement doit accepter d’accorder
à l’IPC des conditions similaires à celles de l’époque
du mandat8.
L’emprise de l’IPC s’étend à la Transjordanie,
à la Palestine, à la Syrie et au Liban. En Pales-
tine, sa filiale obtient 29 concessions pendant les
années 1930 et 1940, couvrant plus de 52 % de la
superficie du pays sous mandat britannique, non
sans provoquer l’inquiétude des leaders arabes et
des militants nationalistes. La concession obtenue
par la filiale syrienne de l’IPC en 1930 s’étend à l’en-
semble de la Syrie — sans la région d’Alexandrette
(Iskenderun) en passe d’être cédée par les autori-
tés françaises à la Turquie. Là aussi, la taille et les
conditions de la concession négociée avec les minis-
tères sous la tutelle des autorités mandataires, mais
aussi l’exclusion de la région d’Alexandrette du cadre
syrien, suscitent la colère des partis de l’opposition
nationaliste9.
Les recherches ne sont pas plus fructueuses
que les projets d’avant-guerre mais l’IPC peut y
Les Arabes face au « partage du pétrole » 55

construire un oléoduc reliant Kirkouk aux ports


méditerranéens de Haïfa (Palestine) et Tripoli
(Liban), le premier à desservir plusieurs pays
arabes. L’accord de construction est négocié en
1931 avec l’émir ‘Abdallah de Transjordanie, les
présidents des républiques syriennes et libanaises
sous mandat français et le Haut-Commissaire bri-
tannique en Palestine. Les chantiers rappellent la
construction de la voie de chemin de fer du Hedjaz
qui avait relié Damas à La Mecque trente ans plus
tôt. La pose de cet oléoduc mobilise une main-
d’œuvre dont les effectifs avaient rarement été
atteints dans l’histoire de la région : 4 250 Trans­
jordaniens, 2 600 Libanais et Syriens, 1 400 Pales-
tiniens — avec un savant équilibre entretenu
par l’entreprise entre employés juifs et musul-
mans — sont recrutés au début des années 1930.
Ces chiffres sont d’autant plus importants que les
pays arabes sont alors touchés par la crise mon-
diale qui affecte gravement les conditions de vie de
leur population. Les tribus bédouines fournissent
une part de cette main-d’œuvre quand les chan-
tiers passent dans leurs zones de transhumance.
Les tentes noires des familles dont les membres
sont employés à la pose des conduites s’accolent
alors aux tentes de la compagnie. Les bédouins en
profitent pour vendre une partie de leurs produc-
tions pastorales aux ouvriers du chantier. Affec-
tés aux travaux qui n’exigent pas de qualification
particulière, à l’exception de quelques médecins,
ingénieurs et techniciens, les employés arabes sont
attirés par la promesse de conditions de travail
incluant le logement, la nourriture et les soins
médicaux10.
8. Creusement d’un tunnel sous la route de Nazareth
pour un oléoduc de l’Iraq Petroleum Company
dans la vallée de Jezreel (Esdraelon) entre 1934 et 1939.
G. Eric and Edith Matson Photograph Collection,
Library of Congress.
Les Arabes face au « partage du pétrole » 57

La construction est achevée à la fin de l’année 1934


et les différents tronçons de l’oléoduc sont inaugurés
par les autorités de chaque pays en 1935. Si le nombre
des ouvriers décroît avec l’avancement des travaux,
l’entretien et l’exploitation de l’oléoduc et des sta-
tions de pompage continuent de faire de l’Iraq Petro-
leum Company et de ses filiales l’un des principaux
employeurs de chaque pays pendant l’entre-deux-
guerres. Le trajet de cet oléoduc puis celui du Tapline
qui relie les gisements saoudiens au port libanais de
Sidon en 1950 permettent aux pays sans ressources
pétrolières connues mais traversés par l’infrastructure
de percevoir une première partie des bénéfices réali-
sés par l’exploitation du pétrole. À l’emploi de leurs
citoyens et aux contrats confiés à leurs entrepreneurs
par les entreprises pétrolières s’ajoute une redevance
fixe sur chaque tonne chargée dans les terminaux des
côtes libanaises, syriennes et palestiniennes. Les négo-
ciations lancées en 1945 pour le passage du Tapline
permettent à ces pays de transit d’exiger également le
paiement de droits dont ils réclament régulièrement
la renégociation.
Tandis que les prospections menées aux îles
Farasan (mer Rouge) et au Yémen par les géolo-
gues de la Shell et en Oman par les géologues de
l’Anglo-Persian Oil Company ne produisent aucun
résultat encourageant dans les années 1920, les expé-
ditions relancées à la même époque dans les émirats
arabes du Golfe sont plus prometteuses. Les accords
frontaliers conclus au cours de la même décennie
encouragent les entreprises pétrolières à acquérir
des droits de prospection auprès d’Ibn Saoud, des
cheikhs du Koweït et de Bahreïn en particulier.
La découverte de pétrole à Bahreïn en 1932 par
la Bahrain Petroleum Company, une filiale de la
58 Aux pays de l’or noir

Standard Oil of California (SOCAL) qui n’est pas une


actionnaire de l’IPC et qui n’est donc pas liée par l’ac-
cord de la ligne rouge, relance la course à l’or noir
et la concurrence entre les entreprises britanniques
et américaines. Les souverains du Qatar, du Koweït
comme du royaume du Hedjaz et du Najd essaient
de tirer profit de cette concurrence anglo-américaine
pour obtenir des conditions favorables en dépit du
peu de marges de manœuvre que leur laisse la crise
économique. Au Koweït, l’américaine Gulf Oil Cor-
poration finit par s’associer à l’Anglo-Persian Oil
Company pour former la Kuwait Oil Company et
obtenir une concession de 75 ans en 1934. La fin
de la concurrence des deux entreprises, la crise qui
frappe l’économie de l’émirat et qu’aggrave encore
un blocus saoudien autour des frontières terrestres
du Koweït empêchent le cheikh Ahmad al-Jabir Al
Sabah de négocier des montants de rentes et de rede-
vances supérieurs à ceux des concessions irakiennes.
Il assiste au premier forage exploratoire en 1936.
Le gisement de Burgan est découvert en 1938. Au
Qatar, c’est l’Anglo-Persian Oil Company qui obtient
en 1935 une concession de 75 ans sur tout le terri-
toire de l’émirat et la transfère à l’Iraq Petroleum
Company. Le cheikh ‘Abdallah ibn Jasim Al Thani
a agité la menace d’accepter l’offre concurrente de
la Standard Oil pour négocier de meilleures condi-
tions de rémunération et obtenir le renouvellement
du traité de protection britannique sur l’émirat11.
Les premiers gisements qataris sont découverts à
Dukhan en 1938.
Le ministre saoudien des finances ‘Abdullah al-
Sulayman négocie avec l’Iraq Petroleum Company
(IPC) et avec la Standard Oil of California encou-
ragée par ses découvertes au Bahreïn. Confrontés
Les Arabes face au « partage du pétrole » 59

eux aussi à une grave crise budgétaire, Ibn Saoud


et son trésorier privilégient l’offre de l’entreprise
américaine, qui s’engage à payer en or tandis que
l’IPC ne peut proposer que des livres sterling et des
roupies depuis que la Banque d’Angleterre a interdit
les exportations d’or en 1932. La SOCAL obtient en
mai 1933 une concession de 60 ans sur la province
orientale du royaume, l’Ahsa, en échange d’un verse-
ment initial de 30 000 souverains or, d’un paiement
annuel minimal de 5 000 souverains si du pétrole
est découvert, et de deux prêts de 50 000 souverains
or. Pour le jeune royaume saoudien dont les deux
principales sources de devises — les pèlerins de
La Mecque et les douanes commerciales — s’effon-
drent au même moment sous le coup de la Grande
Dépression et qui sort de deux graves séries de
révoltes intérieures, la promesse de cet or sonnant
et trébuchant est irrésistible.
La SOCAL crée une filiale chargée d’exploi-
ter la concession, la California Arabian Stan-
dard Company (CASOC) et future Aramco. Dès
septembre 1933, des géologues américains sont
à l’œuvre pour explorer avec leurs guides saou-
diens les régions de Jabal Dhahran, Hofuf, Qatif
puis Abqaiq sur la côte du golfe Persique. De pre-
miers forages font surgir de l’eau, ce qui est déjà
une découverte célébrée dans un royaume essen-
tiellement désertique, puis du gaz et du pétrole
en petites quantités. L’injection de capitaux par
de nouveaux actionnaires permet de renforcer les
équipes de prospection et, en 1937, un des puits
forés à Dhahran laisse jaillir des quantités promet-
teuses de pétrole. Les installations sont rapidement
développées au fur et à mesure des forages et de
l’approfondissement de nouveaux puits et, en 1939,
60 Aux pays de l’or noir

le roi Ibn Saoud assiste au départ d’un premier


pétrolier chargé de brut saoudien. La concession de
1933 est prolongée et les versements de la CASOC
à Ibn Saoud sont augmentés. L’entreprise est régu-
lièrement sollicitée par ‘Abdallah al-Sulayman pour
combler par des prêts et des avances de royalties le
déficit permanent du budget saoudien.
En Oman et dans les émirats de la Trêve (futurs
Émirats arabes unis) sous protectorat britannique,
les concessions accordées entre 1936 et 1939 per-
mettent aux entreprises pétrolières d’entamer de pre-
mières prospections. Celles qui sont engagées dans
la région omanaise du Dhofar et autour de l’oasis
frontalière de Buraymi par l’Iraq Petroleum Com-
pany sont aussi un moyen pour le sultan Sa‘id ibn
Taymur d’affirmer sa souveraineté sur des régions
qu’il contrôle mal (Dhofar) ou qui sont disputées par
les États voisins (Buraymi)12. Comme dans les émi-
rats de Sharja, Ras al-Khayma, ‘Ajman et Abu Dhabi,
les prospections s’avèrent peu concluantes mais, en
dépit de l’absence de découvertes significatives, les
émirs de la côte et le sultan omanais reçoivent déjà
le loyer des concessions ou des simples permis qu’ils
ont accordés.
Avec la découverte des gisements de pétrole et
la concurrence des entreprises pétrolières, les pays
arabes font l’expérience d’une première industriali-
sation. Il n’y a guère que l’Égypte qui est déjà dotée
d’un appareil industriel mais ce dernier est essen-
tiellement tourné vers le textile dans les années
1920. Les gisements exploités à Hurghada, sur la
côte de la mer Rouge, s’épuisent progressivement
et il faut attendre la découverte en 1938 d’un gise-
ment déjà connu mais abandonné à Ras Gharib
pour relancer la production de pétrole égyptien.
Les Arabes face au « partage du pétrole » 61

Entre-temps, la raffinerie ouverte à Suez en 1922 a


été agrandie et dotée d’une usine de craquage. Elles
raffinent le pétrole versé par l’Anglo-Egyptian Oil-
fields Limited en tant que partie en nature des rede-
vances dues au gouvernement égyptien. Avec une
production qui culmine à 280 000 tonnes annuelles
(contre plus de 5 900 000 pour l’Iran) en 1930
et 1931 et alors que les champs irakiens démarrent
à peine, l’Égypte est, au début des années 1930, le
plus important et l’un des rares producteurs arabes
de pétrole13.
À partir du milieu des années 1930, l’Irak (4 000 000
tonnes annuelles en 1936) et Bahreïn (620 000 tonnes
annuelles en 1936) prennent les premières places et
leurs économies entrent elles aussi dans l’industria-
lisation pétrolière. Dès 1933, le cheikh de Bahreïn
Hamad ibn ‘Isa Al Khalifa réclame la construction
d’une raffinerie pour accroître l’emploi de la popu-
lation frappée par la crise économique mondiale.
La raffinerie est inaugurée en 1937 et la Bahrain
Petroleum Company devient rapidement le premier
employeur du pays avec plus de 3 300 employés
bahreïnis et près de 1 600 employés étrangers cette
année-là, sur une population totale estimée entre
100 000 et 120 000 habitants. Dans ce grand port et
entrepôt commercial du Golfe, les exportations de
pétrole commencent en 1934 et les revenus tirés du
pétrole dépassent le produit des douanes dès 1936.
Bahreïn est le premier État arabe du Golfe à pas-
ser de l’économie perlière à l’économie des hydro­
carbures14.
62 Aux pays de l’or noir

AVANT LE PÉTROLE, L’EAU

9. « Sans commentaire. » Caricature du journal koweïtien


al-Sha‘b (le peuple), no 60, 22 janvier 1959.

Avant que coule le pétrole et tandis que les gou-


vernements arabes attendent les versements en or
prévus par les concessions, la découverte des nappes
d’eau est le premier résultat concret qu’observent
les habitants voisins des sites de prospection. Avec
leurs promesses d’eau, de petits emplois et leurs
achats de productions agricoles locales, les camps
installés par les équipes de prospection attirent les
sédentaires comme les nomades. « Il paraît qu’ils
cherchent de l’eau… » se disent les habitants inquiets
de Wadi al-‘Uyun (la vallée des sources) dans le
roman du Saoudien ‘Abd al-Rahman Mounif, L’Er-
rance. La richesse promise par l’arrivée des étrangers
est d’abord celle de l’eau, toujours rare, avant celle
Les Arabes face au « partage du pétrole » 63

d’un pétrole dont les usages locaux sont limités15.


« Avant que les revenus du pétrole et la technologie
moderne arrivent au Qatar pour fournir les fruits du
développement, le plus grand problème de la société
de Doha, comme toute société vivant dans un envi-
ronnement désertique, était l’eau et plus particuliè-
rement l’eau potable », rappelle le journaliste qatari
Nasir al-‘Uthman Fakhru au début de son recueil de
témoignages d’ouvriers du pétrole publié en 198016.
Pour les dirigeants des pays arabes du Golfe en par-
ticulier, le contrôle de l’eau et de sa distribution est
depuis longtemps un fondement du pouvoir territorial.
Les puits et les oasis sont les lieux où l’autorité des
émirs et des cheikhs s’impose aux nomades gardant
leurs troupeaux comme aux agriculteurs sédentaires.
La recherche du pétrole ne met pas fin à la priorité
du contrôle de l’eau pour les gouvernements de la
région. L’énergie bon marché et les revenus fournis
par le pétrole permettent à des gouvernements comme
celui de l’Arabie Saoudite de garantir l’alimentation en
eau de leur population, d’envisager la création de colo-
nies agricoles en plein désert et d’approfondir ainsi le
contrôle du territoire. L’expansion agricole grâce à l’ex-
ploitation de l’eau reste l’un des principaux projets de
développement du royaume saoudien jusqu’au début
du xxie siècle. Le pétrole vient compléter la stratégie
plus large et plus ancienne de contrôle du territoire
et de ses ressources en offrant les moyens au gouver-
nement d’agir à un niveau inouï sur l’environnement.
Des géologues occidentaux sont missionnés dès
les années 1930 pour établir la cartographie précise
des ressources hydriques de la péninsule Arabique17.
C’est le premier objectif de l’ingénieur minier Karl
Saben Twitchell lorsqu’il arrive au Hedjaz en 1931
après de premières missions au Yémen et avant de
64 Aux pays de l’or noir

travailler pour la SOCAL. Les prospections ultérieures


de cet Américain pour les minéraux précieux (l’or en
particulier) et les hydrocarbures du royaume d’Arabie
Saoudite ne négligent pas l’eau. En 1940, Twitchell
s’adjoint les services d’un des premiers ingénieurs géo-
logues saoudiens, Ahmad Fakhry, pour cartographier
à la demande de ‘Abdallah al-Sulayman les ressources
agricoles et minérales de la région saoudienne du ‘Asir,
rattachée quelques années auparavant au royaume. En
1942, une mission exploratoire plus large est entamée
et les experts américains, dont Karl Twitchell, s’ap-
puient largement sur les connaissances des habitants
locaux pourtant peu mentionnés dans le rapport final18.
Jusqu’à la fin des années 1940, le souverain saoudien
Ibn Saoud et son entourage comme leurs homologues
dans les autres États arabes du Golfe sont moins avides
d’hydrocarbures que de produits agricoles pour nour-
rir leur population. Les révoltes de régions rurales et
des groupes nomades dans les années 1930 comme les
disettes de la période de la Seconde Guerre mondiale
obligent les jeunes États à augmenter leurs ressources
en eau pour développer l’agriculture, encourager
la sédentarisation des nomades et diminuer la forte
dépendance aux importations de produits alimentaires
étrangers. Les États-Unis proposent une première mis-
sion d’aide alimentaire pendant la Seconde Guerre
mondiale. En 1944, quand une succession de séche-
resses décime les dromadaires, Ibn Saoud réclame aux
États-Unis et à l’Aramco des véhicules pour distribuer
de quoi vivre aux tribus nomades et aux populations
rurales sédentaires menacées par la famine19. Pour
les gouvernements des pays arabes où s’installent les
entreprises pétrolières comme pour leur population
qui assistent de près ou de loin aux travaux des pros-
pecteurs et des ingénieurs miniers, l’eau reste jusqu’au
Les Arabes face au « partage du pétrole » 65

lendemain de la Seconde Guerre mondiale une res-


source bien plus importante que le pétrole.

LES PREMIERS FORÇATS DU PÉTROLE

En dépit des apparences, la ruée vers l’or noir arabe


de l’entre-deux-guerres n’est pas qu’une affaire d’en-
treprises étrangères négociant avec les souverains en
place. Le texte des concessions précise, dans les pays
arabes comme en Iran, que la priorité doit être don-
née par les entreprises concessionnaires à l’emploi et à
la formation des citoyens locaux et arabes. Les partis
nationalistes accusent régulièrement le gouvernement
de ne pas contraindre les entreprises occidentales à
respecter ces clauses. Les opérations de prospection
puis de mise en place des premiers puits mobilisent
en effet un nombre important de citoyens locaux et de
premiers ouvriers immigrés depuis la Syrie et l’Égypte.
Ils sont employés directement par les entreprises
concessionnaires ou par le biais de sous-traitants, avec
des contrats mensuels ou comme journaliers. Lorsque
l’Anglo-Persian Oil Company lance l’exploitation du
gisement irakien de Naftkhana à proximité de la fron-
tière iranienne en 1925, elle emploie 1 000 Irakiens20.
Comme lors de la pose des oléoducs entre le Golfe
et la Méditerranée, ces travaux attirent les habitants
ruraux et bédouins. Certains sont plus tard élevés au
rang de héros nationaux dans cette épopée que devient
l’exploitation du pétrole, dont il s’agit de montrer que
les ingénieurs et techniciens étrangers ne sont pas les
seuls protagonistes. Mansour ibn Khalil al-Shahwani
al-Hajri, un bédouin de la tribu des Bani Shahwan, est
employé comme guide par les prospecteurs de l’Iraq
66 Aux pays de l’or noir

Petroleum Company au Qatar pendant les années 1930.


Avant d’être reprises dans le cadre d’un véritable mythe
érigé autour de sa personne, sa vue légendaire et sa
mémoire des lieux et du relief marquent les géologues
de l’entreprise. Pendant la Seconde Guerre mondiale,
Mansour ibn Khalil al-Shahwani al-Hajri se voit confier
la garde des biens de la Petroleum Development (future
Qatar Petroleum Company) tandis que les équipes de
l’entreprise quittent le pays. Il vit dans l’une des villes
développées à proximité des champs pétroliers qu’il a
contribué à découvrir, jusqu’à sa mort en 1972. Khamis
ibn Rimthan al-‘Ajmi est son équivalent saoudien. Dési-
gné par l’émir de la province de l’Ahsa pour guider les
premiers géologues américains en 1934, il participe à
la découverte du pétrole en 1938 et poursuit son travail
au sein de l’Aramco jusqu’à sa mort de maladie dans
un hôpital de l’entreprise en 195921.
En dépit de ces exemples héroïques et de l’attrait
réel des emplois proposés par les entreprises pétro-
lières dans le contexte de la crise économique des
années 1930 qui frappe durement les économies
encore très agricoles des pays arabes, les conditions
de travail auxquelles sont soumis les employés sont
éprouvantes. L’immersion de ces hommes issus du
monde agricole dans un univers de travail industriel
réglé par des normes étrangères suscite des tensions
précoces avec les directeurs et les contremaîtres
européens, américains et indiens ou pakistanais. Les
accidents de travail sont nombreux et souvent graves,
les rythmes difficiles à tenir. Le vent et la chaleur du
désert rendent encore plus insupportables le souffle et
le bruit des puits et des premières usines de raffinage.
Le Qatari Ibrahim ibn Salih Bu Matar al-Muhannadi
est l’un de ces employés. Embauché comme homme
à tout faire et porteur en 1937 par la Qatar Petroleum
Les Arabes face au « partage du pétrole » 67

Company, il travaille sept jours sur sept, avec un seul


jour de congé par mois. À l’occasion de ce congé
mensuel, les ouvriers qui résident comme lui sur les
champs sont transportés à Doha. Les fêtes religieuses
sont les seuls moments de vacances.
La hiérarchie très étendue des postes et des salaires
est quotidiennement ressentie sur les champs de
pétrole. Les journaux nationalistes rapportent les
tensions suscitées par ces inégalités aux consé-
quences concrètes pour les revenus, le logement, le
repas, l’accès à des formations et donc à une certaine
promotion professionnelle. Peu avant la première
grève bahreïnie en 1938, des journaux irakiens et
égyptiens critiquent la faiblesse des salaires de la
BAPCO autant que la politique du gouvernement du
sultanat et l’ingérence du conseiller britannique Bel-
grave22. Ibrahim ibn Salih Bu Matar al-Muhannadi
est payé une roupie par mois, quand les chauffeurs
de la compagnie en gagnent trois à quatre. Il habite
dans un logement de pierre et d’adobe qu’il partage
avec une vingtaine d’autres employés, les chauffeurs
ont des logements particuliers et prennent leurs
repas à part23.
Avec les salaires, la fourniture des repas et d’un
logement jugé décent, le transport à destination des
champs pétroliers fait partie des premières revendi-
cations des ouvriers arabes. La Bahrain Petroleum
Company encourage ces ouvriers à vivre à proximité
de ses installations. Pour ceux qui veulent habiter en
ville et rester proches de leur famille, le transport est
payant. Ceux qui veulent économiser le prix du bus
doivent marcher deux heures pour rejoindre les sites
d’exploitation. Au Qatar, la majorité des employés
arabes préfèrent aussi continuer à dormir dans leur
village ou leur ville avec leur famille en dépit de
68 Aux pays de l’or noir

l’éloignement des champs : Dukhan est à près de


100 kilomètres de Doha24.
Le recours des entreprises pétrolières à des inter-
médiaires pour fournir une partie de leur main-
d’œuvre peu ou pas qualifiée est aussi la cause
de nombreuses incompréhensions. Officiellement
employée par leur recruteur local, cette main-
d’œuvre ne bénéficie pas des garanties et des ser-
vices promis par les entreprises concessionnaires à
leurs propres employés. Elle est la première à perdre
son travail quand la cadence des forages diminue et
quand les périodes qui exigent beaucoup de person-
nel sont passées. Quand elle suspend ses opérations
de forage en 1931 après la première phase d’explora-
tion, l’Iraq Petroleum Company renvoie plus de 1 400
de ses ouvriers irakiens à Kirkouk où le chômage
cause de premières tensions urbaines. Dès 1938, un
an après la construction de sa raffinerie, la BAPCO
réduit son personnel bahreïni de moitié, passant de
3 300 à 1 60025.
Les salaires sont ponctionnés dès leur versement
par les recruteurs : 6 annas sur un salaire d’une rou-
pie (16 annas) pour un manœuvre sans qualification
à Bahreïn au début des années 1930. Les récrimina-
tions sont d’autant plus compliquées que ces four-
nisseurs sont souvent des notables envers qui les
ouvriers sont déjà endettés, soit parce qu’ils ont eu
besoin d’avances pour eux-mêmes et leur famille, soit
parce qu’ils travaillaient déjà pour eux auparavant, au
sein des équipages des navires de pêche à la perle par
exemple. Les émirs et leurs représentants au Qatar et
au Koweït sont les principaux fournisseurs de main-
d’œuvre aux entreprises pétrolières. Dans ce dernier
émirat, les représentants de l’émir demandent même
à la Kuwait Oil Company de retenir directement une
Les Arabes face au « partage du pétrole » 69

partie des salaires qu’elle verse pour rembourser les


dettes que les ouvriers leur doivent26.
Les entreprises étrangères ne prennent conscience
que plus tard et sous la pression du nationalisme
arabe de la nécessité de valoriser la participation des
citoyens locaux à leurs découvertes et opérations. En
1957, la Kuwait Oil Company (KOC) organise pour la
première fois une cérémonie en l’honneur de ses pre-
miers employés à avoir passé vingt ans en son sein. Le
mensuel en arabe de la KOC (Risalat al-Naft, la lettre
du pétrole) leur consacre la page des « nouvelles de
l’entreprise ». Parmi les quatre hommes distingués par
la direction, deux sont des Koweïtiens, l’un est pakis-
tanais, le dernier est l’ancien représentant britannique
au Koweït. Cette opération de communication ponc-
tuelle n’empêche pas la presse nationaliste de l’émirat
de continuer à critiquer l’absence de reconnaissance
de l’entreprise pour les efforts des travailleurs locaux
et le privilège donné à l’emploi d’étrangers au mépris
du texte des accords de concessions. Les découvertes
et les progrès industriels de l’entre-deux-guerres ne
sont ni vécus ni remémorés de la même façon par les
employés arabes et les employés étrangers27.
Dans la majorité des pays arabes, la découverte du
pétrole et les débuts de son exploitation interviennent
au moment où les États sont créés ou accèdent à l’in-
dépendance. L’Arabie Saoudite dont le royaume est
officiellement proclamé en 1932 est ainsi largement
façonnée selon la structure administrative du Hedjaz
qu’Ibn Saoud a conquis en 1925. Dans les pays du
Golfe comme le sultanat de Bahreïn, les représentants
des protectorats britanniques lancent une politique
volontariste de développement des institutions à partir
de 1926 pour répondre aux premières critiques natio-
nalistes et réduire leurs propres engagements.
70 Aux pays de l’or noir

Les revenus apportés par l’octroi des concessions


pétrolières accélèrent toutefois le développement des
institutions, en particulier dans les États qui ne béné-
ficient pas du legs ottoman. La nécessité de gérer ces
revenus, le recrutement de fonctionnaires et de mili-
taires, la création de ministères, de municipalités et
de forces de police, l’extension des réseaux d’écoles
transforment progressivement les émirats pétroliers
en États. Un an après avoir octroyé sa concession à la
future Aramco, l’Arabie Saoudite élabore son premier
budget puis, l’année suivante, se dote d’un premier
ministère de la Défense. Les nouvelles ressources en
pétrole ont aussi deux effets particuliers que les élites
économiques et politiques des pays producteurs iden-
tifient rapidement. L’extraction et la commercialisa-
tion du pétrole changent d’une part le rapport entre les
gouvernants et les gouvernés et d’autre part le rapport
entre les États arabes et leurs tutelles étrangères.
Les premières grèves du pétrole dans les pays
arabes éclatent au cours de la deuxième moitié des
années 1930. La formation de syndicats ouvriers
encourage ces actions pour obtenir de meilleures
conditions de travail et de rémunération. En 1935,
les ouvriers palestiniens (juifs et arabes) employés par
l’Iraq Petroleum Company dans le terminal de son
oléoduc à Haïfa entament une série de grèves pour
réclamer l’augmentation de leurs salaires. À Bahreïn,
dont l’économie est transformée par les activités du
secteur des hydrocarbures précocement au regard des
États voisins, la grève et les manifestations de 1938
unissent les employés locaux du pétrole aux leaders
nationalistes comme ‘Abd al-Rahman al-Bakir. Après
la faillite de son entreprise familiale en 1933, al-Bakir
est embauché comme traducteur par la Bahrain Petro-
leum Company (BAPCO). Il fait partie de la jeunesse
Les Arabes face au « partage du pétrole » 71

sunnite acquise au nationalisme arabe et mobilisée


dans le cadre des clubs qui se forment à Bahreïn28.
L’emploi d’un plus grand nombre de Bahreïnis et
d’un nombre moindre d’étrangers par la BAPCO est
associé dans leurs demandes à la critique du rôle du
conseiller britannique Charles Belgrave auprès de la
dynastie régnante des Al Khalifa. Le caractère à la fois
économique et politique de ces demandes tient aussi à
ce que représente l’entreprise pétrolière. Comme dans
les pays voisins, la BAPCO est à la fois une société
étrangère largement autonome et l’incarnation de
l’impérialisme britannique dans la région.
L’arrestation en novembre 1938 des meneurs du
mouvement en novembre, dont un employé bahreïni
de la BAPCO, Ahmad al-Shirawi, déclenche la grève
des employés et ouvriers arabes de l’entreprise. La
répression sévère de la grève par le gouvernement
ainsi que le licenciement des meneurs supposés par
la BAPCO ne font pas disparaître les revendications
des ouvriers. Ils réclament l’égalité de traitement
avec les employés indiens (sujets britanniques), l’ou-
verture d’écoles pour faciliter leur formation et la
progression de leur carrière, la construction de mos-
quées et l’autorisation refusée par le gouvernement
et l’entreprise de constituer un syndicat29.
La mobilisation des employés arabes de la BAPCO
a lieu dans un contexte régional porté par les mou-
vements dits du « majlis » (Parlement) au Koweït en
1938 puis à Dubaï au cours de la même année. Dans
ces deux pays, la mobilisation de l’élite marchande
affligée par la crise économique, remontée contre
l’exercice du pouvoir par leurs émirs et opposée aux
ingérences britanniques, permet d’obtenir la consti-
tution d’une assemblée associée aux décisions et élue
par les notables. À Dubaï, l’assemblée obtient même de
72 Aux pays de l’or noir

contrôler les revenus tirés des concessions pétrolières


par le gouvernement et le souverain. Si les deux assem-
blées élues par les notables des deux cités portuaires
du Golfe sont rapidement dissoutes par les émirs au
pouvoir avec l’appui des Britanniques, elles constituent
un précédent durable pour la vie politique de ces États
et sont suivies de près par les groupes négociants des
pays voisins. Plongées dans la crise et parfois en faillite
tandis que leurs souverains bénéficient depuis peu de
revenus tirés des concessions, les élites négociantes
réagissent en réclamant d’être associées aux décisions
et en particulier à l’utilisation de l’argent du pétrole.

DANS LE SECRET DES CONCESSIONS

À la différence des taxes, des droits de douane


et des contributions plus ou moins volontaires que
les marchands acceptaient de verser ou qu’ils pou-
vaient refuser en s’établissant dans un port voisin, le
texte des concessions pétrolières permet aux émirs
de contrôler, au nom de l’État, les revenus tirés du
pétrole et de percevoir, en leur nom propre, le loyer
initial des concessions. À l’exception du Koweït où
le groupe des grands négociants a préservé sa cohé-
sion face à la dynastie des Al Sabah et maintenu un
important secteur privé, les États du Golfe font l’expé-
rience d’un bouleversement radical du rapport entre
les émirs et les élites locales30. Affaiblies économi-
quement par la crise, ces dernières ne sont plus en
mesure de faire valoir leur contribution au budget
du gouvernement pour influencer les décisions. Pro-
priétaires légaux ou de fait des ressources du sous-sol,
les caractéristiques de ce que les politistes appelleront
Les Arabes face au « partage du pétrole » 73

plus tard les « États rentiers » sont en germe. Rendus


plus autonomes à l’égard de leurs élites économiques,
les souverains en place peuvent progressivement s’af-
franchir de consulter leurs notables et redistribuer les
revenus tirés des concessions confiées aux entreprises
étrangères sans rendre de comptes à leurs conseils et
assemblées. Avant d’être la malédiction identifiée par
les experts arabes les plus critiques une génération
plus tard, la « rente » pétrolière permet d’abord à des
dynasties affaiblies par la crise économique, les crises
de succession et de multiples contestations politiques
de survivre puis de s’imposer définitivement.
Le poids économique des entreprises pétrolières et
l’appui politique dont elles bénéficient de la part des
grandes puissances rendent toutefois les États produc-
teurs dépendants de leurs versements, de leurs prêts,
de leur expertise technique et administrative. Jusqu’aux
années 1950, l’Iraq Petroleum Company finance lar-
gement la création des routes et des premières forces
de police chargées d’étendre l’autorité du sultan pour
faciliter les opérations de prospection et d’exploitation
de ses concessions dans l’intérieur de l’Oman. Les tri-
bus patronnées par le sultan comme les Hawasinah
dans l’ouest de Mascate fournissent le gros des troupes
et ces emplois rémunérateurs sont particulièrement
recherchés dans un pays encore très pauvre31.
Les transformations que suscitent les activités pétro-
lières affectent concrètement les conditions de travail
et de vie de la population des pays arabes à partir des
années 1930 et les affaires du pétrole font régulièrement
l’actualité de leur vie politique. Les renégociations des
concessions de l’Iraq Petroleum Company (IPC) sont
à l’origine de fortes tensions au Parlement irakien et
dans les rues. Les appréhensions et les critiques sont
renforcées par le secret dans lequel les gouvernements
74 Aux pays de l’or noir

successifs maintiennent les textes des accords passés


avec l’entreprise pétrolière alors que le poids des partis
nationaliste et communiste augmente. En 1952 encore,
le texte renégocié avec l’IPC par le Premier ministre
Nuri al-Sa‘id à la réputation très probritannique n’est
ni publié ni présenté aux députés qui doivent l’approu-
ver. Les partis de l’opposition ont beau jeu de réclamer
la fin du mystère des textes cachés aux citoyens32.
La déclassification des accords de concessions est
une revendication politique dans les autres pays arabes
également. Au début d’une série d’articles très critiques
sur l’« État indépendant » qu’est la Kuwait Oil Com-
pany, le rédacteur en chef du journal koweïtien al-Sha‘b
(le peuple) exprime une revendication similaire. Il exige
au nom de la population la fin du « secret absolu »
gardé par le gouvernement de l’émirat et la publication
des accords de concessions accordés à la Kuwait Oil
Company depuis plus de trente ans. La publication du
texte de la concession accordée à une société pétrolière
japonaise l’année précédente en 1957 pour exploiter le
pétrole dans la zone neutre dont les ressources sont
partagées par l’Arabie Saoudite et le Koweït encou-
rage la presse nationaliste de l’émirat. La concession
de 1957 est publiquement présentée comme bien plus
favorable aux intérêts du gouvernement koweïtien
que toutes les précédentes concessions de la région33.
Dans sa thèse, Muhammad al-Mughrabi défend la
déclassification du texte des concessions comme une
étape nécessaire dans la voie du rétablissement de la
souveraineté des États du Moyen-Orient sur leurs res-
sources. Les progrès de l’éducation au Moyen-Orient
et l’existence d’un groupe de plus en plus nombreux de
diplômés permettent à ces textes d’être étudiés, amen-
dés et améliorés. Leur secret en revanche favorise la
critique des gouvernements accusés d’en minimiser
Les Arabes face au « partage du pétrole » 75

les conditions léonines et d’empêcher les citoyens de


s’enquérir de l’utilisation des revenus pétroliers.
Ce constat est a posteriori partagé par l’ensemble des
experts nationalistes des années 1950‑1960. Les entre-
prises étrangères ont profité de la tutelle de leurs pays
respectifs sur les États arabes et du sous-développement
juridique et administratif de ces derniers pour y éta-
blir le monopole de chacune d’entre elles, à l’instar de
la Turkish Petroleum Company qui a pris le contrôle
du pétrole irakien et écarté ses concurrents. Les États
colonisés ou sous protectorat ont obtenu les conditions
de rémunération les moins favorables. Ils ont été privés
de toute participation aux activités de production. Le
contexte de la crise économique des années 1930 a ren-
forcé encore le pouvoir de négociation des entreprises
américaines et européennes qui s’établissaient dans les
pays arabes du Golfe. En somme, les concessions de
l’entre-deux-guerres ont établi le caractère colonial de
l’exploitation pétrolière dans le monde arabe et l’ont
perpétué y compris après l’accès des États arabes à
l’indépendance politique34.
Cette vision de l’histoire du pétrole est si convain-
cante que les élites politiques des États du Golfe la
reprennent à leur compte. L’ancien ministre émirati
du pétrole Mani‘ al-‘Utayba la reproduit encore à la
fin des années 1970, quand les pays arabes ont mis
fin aux derniers héritages de concessions et que son
pays s’est affranchi du protectorat britannique : « À
l’époque où tous les pays de la région étaient sous
domination coloniale, les compagnies pétrolières pré-
paraient elles-mêmes des accords que les souverains
se voyaient contraints de signer sous la pression des
navires de guerre britanniques. (…) Ces accords, sans
doute bénéfiques pendant quelque temps, portaient
en eux les germes de leur rupture. (…) [I]l fallait en
76 Aux pays de l’or noir

effet qu’ils reflètent les idées modernes et rétablissent


le droit des pays à leurs ressources nationales en vue
du développement économique et social35. »
En dépit des critiques postérieures dont feront l’ob-
jet les concessions des années 1930, la recherche puis
l’exploitation du pétrole transforment profondément
les pays arabes. Elles accélèrent le passage d’un modèle
économique à un autre. Leur rôle dans le grand com-
merce international entre l’Europe et l’Inde décline.
La constitution d’économies fondées sur le pétrole et
intégrées à une mondialisation de plus en plus pola-
risée par les États-Unis permet la reconversion d’an-
ciens plongeurs et pêcheurs du Golfe embauchés par
les sociétés pétrolières ou de négociants capables d’ap-
provisionner ces sociétés en matériel et en hommes.
Cette reconversion est progressive. Jusqu’au lendemain
de la Seconde Guerre mondiale, des ouvriers pétroliers
continuent d’alterner les travaux et retournent sur les
navires au moment de la saison de la perle ou dans
la palmeraie au moment de la récolte des dattes. La
sédentarisation des bédouins employés sur les champs
est entrecoupée par des épisodes plus ou moins longs
de retour à la vie nomade36. L’emploi souvent instable
des ouvriers arabes par les entreprises concession-
naires encourage ces allers-retours entre un mode de
vie et de travail et un autre. La transformation n’en est
pas moins radicale. Les ouvriers et les premiers entre-
preneurs arabes comme les vieilles élites négociantes
le constatent dès les années 1930. Le pouvoir des émirs
est renforcé, une source nouvelle de revenus remplace
les secteurs traditionnels en crise et l’horizon indien
qui était celui du négoce est éclipsé par le business
anglo-américain.
LES RÉPERCUSSIONS
DE LA SECONDE GUERRE MONDIALE
SUR L’INDUSTRIE PÉTROLIÈRE
en
Arabie
milliers Bahreïn Égypte Irak Koweït Iran
Saoudite
de tonnes
1925 180 4 330
1926 170 4 560
1927 180 110 4 830
1928 260 120 5 360
1929 270 120 5 460
1930 280 120 5 940
1931 280 110 5 730
1932 260 100 6 450
1933 230 100 7 080
1934 40 210 1 060 7 540
1935 170 170 3 660 7 490
1936 620 170 4 020 8 200
1937 1 050 170 4 290 10 160
1938 1 110 230 4 320 10 190
1939 530 1 010 50 4 040 9 580
1940 680 940 910 2 650 8 020
1941 570 910 1 190 1 010 6 600
1942 590 840 1 140 3 250 9 400
1943 640 900 1 260 3 780 9 710
1944 1 050 910 1 320 4 250 13 270
1945 2 840 950 1 300 4 620 16 040
1946 7 990 1 100 1 270 4 000 800 19 190
1947 12 150 1 250 1 320 4 650 2 200 20 190
1948 18 950 1 500 1 890 3 400 6 300 24 870

Tableau 1. Production pétrolière (en milliers de tonnes) des pays arabes


et de l’Iran entre 1911 et 1948. Source : Cahiers de l’Orient contempo-
rain, vol. 44, 1960, p. 388‑389, reproduit dans Yakan, 1977, p. 191.
78 Aux pays de l’or noir

Les principaux gisements découverts à la fin des


années 1930, au Koweït et en Arabie Saoudite en
particulier, ne sont exploités de façon commerciale
qu’à partir de 1944. La production comme l’expor-
tation sont jusque-là réduites. La mobilisation des
capitaux et surtout des hommes (techniciens, ingé-
nieurs) pendant la Seconde Guerre mondiale para-
lyse le développement des champs pétroliers pendant
plusieurs années de suite, au grand dam des diri-
geants et des Arabes employés parfois laissés sur le
carreau. La majeure partie des employés américains
de l’Aramco sont évacués des gisements saoudiens à
partir de 1941. L’impression d’abandon est atténuée
par la poursuite de quelques forages pétroliers, par
le maintien en activité d’un nombre réduit de puits
et par l’aide technique que les États-Unis continuent
d’apporter au royaume pour la construction de puits
d’eau et la mise en place de projets agricoles expéri-
mentaux à partir de la même année 1941.
Le ralentissement du secteur pétrolier dans les
pays arabes au cours de la première moitié des
années 1940 douche les espoirs que ce nouveau sec-
teur avait fait naître au cours de la décennie précé-
dente. Le choc est d’autant plus vif que les mesures
d’embargo et de rationnement mises en place par
les pays belligérants paralysent les économies arabes
dans des proportions parfois équivalentes à celle de
la crise des années 1930. Seuls les pays où les ins-
tallations sont déjà achevées d’une part et considé-
rées comme nécessaires à l’économie de guerre des
Alliés d’autre part échappent à la fermeture de leur
industrie pétrolière.
Au Bahreïn, les effectifs passent de 1 600 Bahreï­nis
et 1 022 non-Bahreïnis employés directement dans
Les Arabes face au « partage du pétrole » 79

le secteur pétrolier en 1938 à 1 300 Bahreïnis et


716 non-Bahreïnis en 1941. La réduction est minime
au regard de celle que connaissent le Koweït et le
Qatar. Les deux tiers des ouvriers koweïtiens sont
licenciés au début de la guerre. En 1943, il ne reste
plus que 62 Koweïtiens, 11 Indiens et trois Britan-
niques pour veiller sur les installations de la Kuwait
Oil Company. Les opérations britanniques dans le
Golfe permettent toutefois à une partie des ouvriers
licenciés de trouver un emploi dans la construction
de barges. Au Qatar, les employés britanniques de
la Qatar Petroleum Company (filiale de l’Iraq Petro-
leum Company) sont évacués et mobilisés en Europe.
Le développement des gisements ralentit dès 1938 et
les activités sont complètement interrompues entre
1942 et 1945. Pendant la guerre, les puits sont même
scellés de peur qu’ils ne tombent entre des mains
ennemies.
Au Qatar, la quasi-totalité des ouvriers arabes de
la Qatar Petroleum Company (QPC) est mise au chô-
mage37. L’émir lui-même s’émeut de leur condition
auprès du représentant britannique : « La suspension
des activités de l’entreprise sera un coup dur pour
une grande partie de mes sujets qui sont en majorité
pauvres et dont la subsistance dépend en grande par-
tie de leur travail dans l’entreprise38. » L’amertume
des ouvriers et entrepreneurs qataris à l’égard de l’en-
treprise britannique est d’autant plus grande qu’ils
comparent leur mise au chômage par la QPC aux
activités minimes maintenues par l’Aramco de l’autre
côté de la frontière. Dans nombre de pays arabes pro-
ducteurs, la réputation des entreprises américaines
croît aux dépens des concurrentes britanniques39.
Sans autre débouché possible, une grande partie
des ouvriers qataris tentent leur chance au Bahreïn
80 Aux pays de l’or noir

et en Arabie Saoudite où les sociétés pétrolières ont


maintenu quelques activités. D’autres partent plus
loin. C’est le cas de ‘Abd al-Rahman al-Bakir, un mar-
chand bahreïni qui avait participé au mouvement de
protestation de 1938 et s’était installé au Qatar où il
avait trouvé un emploi au sein de la QPC en 1941.
Lorsque l’entreprise ferme ses activités l’année sui-
vante, al-Bakir fonde à Dubaï une société d’import-
export avec Afrique de l’Est, puis retourne à Bahreïn
en 1948 où il devient un journaliste militant célèbre40.
La réduction des activités pétrolières frappe des
économies déjà ralenties par les quotas sévères impo-
sés par les autorités britanniques sur les p ­ roduits
importés d’Inde. Le manque de riz, de thé et de sucre
favorise une inflation générale et parfois de véritables
disettes qui ne touchent pas que les ouvriers du
pétrole. La Bahrain Petroleum Company (BAPCO)
constate à partir de 1942 une hausse des accidents
de travail attribuée à l’affaiblissement physique de
ses ouvriers. L’entreprise doit accorder des augmen-
tations de salaires exceptionnelles en 1942 et 1943
qui ne satisfont qu’à moitié les employés arabes.
Quand les employés indiens obtiennent 25 roupies,
les Bahreïnis se voient concéder un supplément de
8 roupies par mois (pour un salaire journalier moyen
de 1,12 roupie). Dès l’année suivante, les ouvriers
arabes de la BAPCO et de ses sociétés de transport
se mettent en grève. Les ouvriers immigrés du Qatar
notamment sont alors déportés sans ménagement.
L’un d’eux se souvient que la police ne lui laissa même
pas le temps d’acheter des fruits pour sa famille avant
de partir. Certains tentent leur chance sur les champs
de l’Aramco en Arabie Saoudite, d’autres reprennent
leur métier d’avant le pétrole, pêcheurs de perles ou
petits marchands41.
Les Arabes face au « partage du pétrole » 81

Les activités sont en revanche soutenues en Irak.


Après les troubles nationalistes du printemps 1941
qui ont paralysé les champs de pétrole et l’oléoduc
Kirkouk-Haïfa avant de provoquer l’intervention
des forces britanniques, les Alliés s’entendent pour
augmenter la production à partir de 1942 afin de
soutenir l’approvisionnement de leurs armées en
pétrole. L’effort de guerre soutient aussi l’activité
des oléoducs et de leurs terminaux dans les pays
non producteurs. La raffinerie de Haïfa (Palestine)
devient la première industrie de Palestine jusqu’à son
interruption par la guerre israélo-arabe de 1948. Un
consortium formé par les entreprises Shell-Socony-
Vacuum associées à quatre entrepreneurs libanais
prend le contrôle de la commercialisation du pétrole
raffiné à Tripoli. De même en Égypte, la présence
des troupes britanniques soutient le développement
des activités pétrolières — comme du reste de l’in-
dustrie — sur les champs de Hurghada et dans les
installations de raffinage à Suez.
Ce n’est qu’à la fin de la guerre, entre 1944 et 1946,
que les entreprises concessionnaires relancent leurs
opérations dans les pays arabes. Le redémarrage est
particulièrement rapide dans les pays du Golfe où
il soulage les autorités et les habitants affectés par
le marasme économique de la guerre. L’un de ces
ouvriers originaires du Qasim, une des régions du
Najd au centre de l’Arabie Saoudite, se souvient de
l’atmosphère étrange dans laquelle le plonge son
embauche par l’entreprise pétrolière américaine
Aramco à la fin de la Seconde Guerre mondiale :

Pendant la Seconde Guerre mondiale, nous mou-


rions quasiment de faim dans le Qasim. (…) Nous
avions déjà entendu dire par certains que des Chré-
82 Aux pays de l’or noir

tiens offraient du travail rémunéré en espèces son-


nantes et trébuchantes, dans l’Ahsa. Mon père décida
que je devais y aller et tenter ma chance. J’ai fait le
voyage avec une caravane de bédouins pour rejoindre
le « camp américain » et l’on m’a proposé un travail
de transport de biens et de matériel. J’ai fait toutes
sortes de travaux. Pour la première fois de ma vie, j’ai
vécu avec des hommes d’autres tribus (…) ; chacun
avait ses histoires et son dialecte. Et nous travaillions
ensemble. (…) C’était étonnant. Nous avions une cui-
sine collective, c’était notre « restaurant ». Nous l’ap-
pelions « mat‘am abu rub‘ » (le restaurant au quart
de riyal) car on payait notre repas un quart de riyal.
La nourriture était dégoûtante. Mais les Najdis ne
disaient rien. Ils étaient timides et ne se plaignaient
pas. Ils ne réclamaient pas plus d’argent ou de nour-
riture. Ils laissaient simplement les Indiens manger
là. Plus tard dans les années 1950 ils ont commencé
à demander des choses à l’Aramco42.

La situation de l’Algérie tranche alors avec celle


des autres pays arabes. Les premiers affrontements
entre les partisans de l’indépendance et l’armée fran-
çaise à partir de 1945 n’encouragent pas la reprise
de prospections par ailleurs peu encourageantes.
La Standard Oil New Jersey renonce à poursuivre
ses efforts en 1946. La société française Repal
(Recherche et Exploitation des Pétroles en Algérie)
qui se lance en 1948 dans des prospections au nord
puis dans le Sahara et le Hoggar déclare ne trouver
aucun indice superficiel (affleurement, source de
gaz) qui laisse supposer l’existence de gisements de
pétrole. Les premières analyses géologiques laissent
plutôt croire à la présence de nappes d’eau.
Les forages sont en revanche relancés en Arabie
Saoudite où la raffinerie et le terminal de Ras Tan-
nura sont inaugurés en 1945. La ville de Dhahran
Les Arabes face au « partage du pétrole » 83

— la Harran du romancier saoudien ‘Abd al-Rahman


Mounif — que développe l’Aramco entame son essor
sur la côte saoudienne du Golfe mais l’intérieur du
pays commence à peine à ressentir les effets de la
transformation pétrolière. Les caravanes qui relient
les oasis aux ports des rives du Golfe sont encore
plus nombreuses que les camions des sociétés pétro-
lières qui empruntent les premières routes asphaltées
ou parfois, comme au Qatar, les pistes simplement
recouvertes de pétrole brut.
La rencontre du roi Ibn Saoud et du président
Roosevelt sur le Quincy en février 1945 n’a pas
encore l’importance qui lui a été prêtée par la suite.
Le compte rendu qu’en fait Yusuf Yassine, le chef
du cabinet du roi saoudien, est bien moins explicite
au sujet du pétrole que le « pacte » qu’en ont retenu
les historiens non arabes puis arabes par la suite.
Le pétrole n’a été abordé qu’en termes généraux,
c’est du moins ce qu’en retient le conseiller du roi.
« Grâce à vos bonnes intentions et à vos assurances
nous avons pu profiter des richesses terrestres, en
vous y associant. Nous ne désirons rien de plus pour
l’avenir. Ces richesses nous sont nécessaires. (…)
Nous voulons traiter avec vous en commerçants et
ne voulons rien vous imposer. Nous désirons vendre
et acheter, et gêner ceux qui veulent faire pression
sur vous, s’ils tentent de nous concurrencer » aurait
expliqué en substance le président américain. Quant
au roi ‘Abdal-‘Aziz Ibn Saoud, il aurait répondu :
« Le pétrole constitue une fortune que Dieu nous
a donnée. Il est utile de l’exploiter et d’en tirer de
communs profits. Il nous paraît bon que nos amis
en aient tout le bénéfice possible. » Le compte rendu
saoudien s’en tient là. Le pétrole préoccupe manifes-
tement beaucoup moins le monarque que la question
84 Aux pays de l’or noir

de la Palestine et celle de l’indépendance des pays


arabes qui constituent l’essentiel de ses propos à
l’adresse de Roosevelt43.
À Bahreïn, le développement des installations
de raffinage et de pétrochimie reprend tandis que
l’oléoduc qui y achemine le pétrole saoudien depuis
Dhahran est achevé. La construction de nouvelles
installations et les opérations industrielles mobilisent
à nouveau des effectifs sans précédent d’ouvriers et
d’employés arabes et non arabes. En 1945, le secteur
pétrolier emploie à Bahreïn plus de 3 500 Bahreïnis
et 2 100 étrangers. Le Koweït est doté d’un port
et terminal pétrolier inauguré en grande pompe
en 1946 à al-Ahmadi, à proximité des installations de
la Kuwait Oil Company (KOC). Entre 1946 et 1949,
le nombre de Koweïtiens employés par la KOC est
multiplié par quatre (de 1 000 à 4 000) mais celui
des étrangers augmente dans des proportions encore
plus fortes. Le nombre des employés indiens passe
dans le même intervalle de 177 à 4 900. Le redémar-
rage des activités exige une main-d’œuvre nombreuse
affectée aux constructions, à la reprise des explora-
tions et à la mise en route des infrastructures. Dès
le début des années 1950, ces effectifs baissent une
fois la phase intensive achevée44.
La demande de main-d’œuvre encourage la reprise
de l’émigration, notamment chez les ouvriers arabes
qui ont acquis de premières qualifications avant le
début de la guerre. Des ouvriers bahreïnis partent
chercher du travail auprès des entreprises pétro-
lières d’Arabie Saoudite et du Qatar à la recherche
de meilleurs salaires quand l’interdiction d’émigrer
est levée en 1946. Cette émigration vers les champs
pétroliers des pays voisins fournit à bien des plon-
geurs et pêcheurs de perles l’occasion d’échapper
Les Arabes face au « partage du pétrole » 85

à leurs dettes et d’espérer se libérer de l’emprise


des capitaines et négociants qui les retenaient. Les
salaires de ceux qui restent à Bahreïn sont amputés
par des prélèvements sur leurs salaires. Les entre-
prises comme la BAPCO contribuent ainsi à éponger
les dettes qui grèvent le capital des débiteurs comme
des créanciers depuis parfois des décennies45.

DES INÉGALITÉS AUX PREMIÈRES


REVENDICATIONS OUVRIÈRES

La reprise de l’émigration permet aussi aux idées et


aux modèles de circuler au sein des groupes ouvriers
arabes en formation. Les ouvriers qataris employés
par la Bahrain Petroleum Company (BAPCO) avaient
déjà participé à la grève des ouvriers de l’entreprise
pétrolière à Bahreïn en 1943. Lorsque la Petroleum
Development du Qatar reprend ses activités en 1946,
le flux des ouvriers s’inverse. Les ouvriers bahreïnis
y deviennent, jusqu’au milieu des années 1950, le
premier contingent de travailleurs pétroliers arabes
après les Qataris46. La concurrence entre les entre-
prises de la région pour attirer la main-d’œuvre
nécessaire à la reprise et à l’expansion des opéra-
tions encourage de premières revendications d’amé-
lioration des salaires et des conditions de travail par
les ouvriers. Des grèves éclatent en Arabie Saoudite
en 1945, en Irak en 1946, au Koweït en 1948. Les
ouvriers arabes réclament des conditions de travail,
de vie et de rémunération égales à celles des employés
étrangers et hésitent de moins à moins à critiquer
leurs gouvernements quand ces derniers se montrent
trop conciliants à l’égard des entreprises pétrolières.
86 Aux pays de l’or noir

Les premières années de reprise des opérations n’ont


pas amélioré la situation des travailleurs arabes qui
vivent encore bien souvent dans des tentes ou des
huttes installées au voisinage des gisements exploités,
balayées par le sable pendant les tempêtes et dotées
d’équipements de cuisine et d’hygiène très rudimen-
taires. Rares sont encore ceux qui bénéficient d’un
accès garanti aux soins médicaux autres que ceux de
première nécessité ou qui ont accès à un logement en
dur fourni par les entreprises.
À partir de la fin des années 1940 toutefois, les
employés arabes obtiennent d’accéder à de premiers
centres d’apprentissage où, comme au Bahreïn,
ceux qui sont jugés les plus prometteurs peuvent
apprendre l’anglais et des rudiments d’arithmétique
en sus des techniques pétrolières. Le développement
industriel de la BAPCO et le nationalisme fort qui
règne au sein de la population bahreïnie ainsi que
la pression des autorités britanniques incitent l’en-
treprise pétrolière à entamer des améliorations pour
éviter les grèves. En 1951, une étude de la BAPCO
révèle que les besoins caloriques minimaux d’un
ouvrier et de la famille dont il a la charge ne peuvent
être couverts que par un salaire de 6 roupies par jour
alors que le salaire journalier minimal est encore
de 3 roupies. L’année suivante, c’est au tour de la
Kuwait Oil Company d’introduire de nouvelles grilles
de salaires pour ses employés koweïtiens : de 6 rou-
pies pour les ouvriers non qualifiés à 12 roupies par
jour pour les ouvriers qualifiés47. Ces inégalités sont
l’un des ressorts de la politisation de l’exploitation
du pétrole arabe au cours des années 1950.
Les perspectives dans le Golfe sont encourageantes
mais, en 1945, les pays arabes sont encore des pro-
ducteurs minoritaires sur le marché mondial des
Les Arabes face au « partage du pétrole » 87

hydrocarbures. Les États-Unis produisent 60 % du


pétrole mondial soit 3,5 des 5,7 millions de barils
journaliers à la veille de la Seconde Guerre mon-
diale. Le Moyen-Orient, Iran compris, n’en produit
pas plus de 5 %. L’Irak est alors le premier produc-
teur arabe, loin derrière l’Iran. Entre 1945 et 1946,
la production irakienne oscille entre 4 600 et 4 000
tonnes par an, tandis que la production saoudienne
passe de 3 000 à 8 000 et devient la première produc-
tion arabe avant d’être dépassée par la production
koweïtienne au début des années 1950. Le produc-
teur arabe historique qu’est alors l’Irak est dépassé
par ses nouveaux concurrents. Les champs saou-
diens et koweïtiens sont jeunes mais en plein essor
et la situation politique y paraît bien plus propice
aux investissements des entreprises étrangères que
l’agitation nationaliste et communiste irakienne.
Tandis que cette période de découvertes est pré-
sentée comme une véritable épopée dans les récits
européens et américains relayés par les bureaux de
relations publiques des entreprises pétrolières à par-
tir des années 1950, les histoires nationales des pays
arabes tardent à s’en emparer. Dans certains pays
comme en Irak, ce sont les inquiétudes des hauts
fonctionnaires d’Istanbul puis des hommes politiques
irakiens devant l’impérialisme économique européen
qui les ont poussés à s’intéresser à une exploitation
artisanale séculaire. Dans d’autres comme en Arabie,
l’eau et les métaux précieux qu’ils espéraient voir sur-
gir des premiers forages ont été l’objet des premières
préoccupations des habitants. Ce sont les journaux
et les militants nationalistes qui font, les premiers,
l’histoire du pétrole arabe mais il s’agit plus souvent
de critiquer le caractère arrogant et discriminatoire
des étrangers auxquels les gouvernements arabes ont
88 Aux pays de l’or noir

remis le contrôle de leurs ressources, que d’en van-


ter les premières réalisations. La crise des années
1930 puis les difficultés nées de la Seconde Guerre
mondiale font certes du pétrole une échappatoire
pour des milliers d’agriculteurs, éleveurs nomades,
employés de la pêche ou du commerce endettés. À
quelques notables exceptions près, les premiers tra-
vailleurs arabes du pétrole sont toutefois mainte-
nus dans des tâches subalternes manifestement peu
compréhensibles, et employés dans des conditions
encore proches de la misère qu’ils cherchent à fuir.
La recherche assidue du pétrole est d’abord une his-
toire étrange et étrangère si l’on en croit les rares
témoignages de l’époque, puis une histoire d’oppres-
sion qui profite plus aux étrangers et aux émirs qu’à
la population arabe.
Jusqu’aux années 1970, les images et commémo-
rations officielles sont celles des inaugurations et en
particulier des premiers chargements de pétrole à
destination de l’exportation. Rois, émirs et ministres
en tout genre y sont au premier plan, la main sur les
vannes des conduites pétrolières, aux côtés des diri-
geants européens et américains. Les employés arabes
sont soit au second plan des photographies officielles
soit absents, comme un décor maintenu à distance
de l’action principale. Dans les années 1950 cepen-
dant, les citoyens arabes commencent à s’emparer
des questions pétrolières. Les grèves du lendemain
de la Seconde Guerre mondiale sont le signe de cette
irruption qui a d’abord lieu sur les champs pétroliers
d’Irak et du Golfe. De diverses façons, experts, mili-
tants, employés et ouvriers arabes du pétrole font
alors de ces questions un sujet politique national et
panarabe.
Chapitre II

LES PAYS DE L’OR NOIR


DES LENDEMAINS DE LA GUERRE
À LA FIN DES ANNÉES 1960

En 1958, l’Égyptien Mahmud Taymur publie l’un


des premiers romans arabes à faire du pétrole son
sujet principal. Dans le pays fictif de Zaytistan (le
pays du pétrole), des étrangers découvrent l’« or
noir » (al-zahab al-aswad), expression qui sert d’ail-
leurs de sous-titre aux rééditions du même roman
quelques années plus tard1. Sous les apparences de
la prospérité, l’afflux de richesse ne tarde pas à cor-
rompre l’ensemble de la société en faisant disparaître
la tranquille harmonie d’une Arabie prépétrolière lar-
gement idéalisée. Parmi les puissants du Zaytistan
qui profitent égoïstement des revenus, seul le clair-
voyant prince héritier semble capable de repousser
les dangers du pétrole. Mahmud Taymur installe ce
bouleversement au cœur même de la vie du prince
pris entre deux projets de mariage : l’un avec la fille
de son oncle, gage de fidélité aux héritages du passé,
l’autre avec la représentante de l’entreprise pétrolière
étrangère. Mais l’« or noir » ne devient pas seulement
un thème littéraire : de l’Égypte aux pays du Golfe, la
rupture provoquée par l’exploitation du pétrole appa-
raît déjà dans toute sa puissance et son ambiguïté.
10. « J’ai entendu dire que nous étions devenus les propriétaires
de la plupart des richesses mondiales, est-ce croyable ?
— Ce que tu as entendu dire est vrai, mais ces richesses ont
été renvoyées en Europe et en Amérique de peur que nous nous
habituions au luxe et à la civilisation. » Dessin du journal Herald
Tribune reproduit dans Naft al-‘Arab, vol. 10, no 1, octobre 1974.
Les pays de l’or noir 91

LE PÉTROLE ARABE COULE À FLOTS

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la


production du Moyen-Orient est encore dominée par
l’Iran où l’Anglo-Iranian Oil Company produit près de
40 % du pétrole de la région. C’est au cours des deux
décennies suivantes, les années 1950 et 1960, que
la production des pays arabes l’emporte sur celle de
l’Iran et impose le pétrole arabe sur le marché mon-
dial à côté des productions américaine, vénézuélienne
et russe. Tandis que la crise économique et poli-
tique provoquée par la nationalisation iranienne en
1951‑1954 donne aux pays arabes du Golfe l’occasion
de prendre les parts de marché du pétrole iranien, les
découvertes de gisements géants se succèdent et les
délais de mise en exploitation sont raccourcis grâce
à l’expérience accumulée par les concessionnaires.
Le pétrole arabe se déverse à grands flots dans
les bateaux pétroliers qui touchent les côtes du
Golfe et de l’Afrique du Nord et repartent ensuite
vers l’Europe, l’Asie et l’Amérique du Nord. Les éco-
nomies arabes sont mécaniquement transformées
par la croissance de l’activité d’extraction et, dans
une moindre mesure, de transformation des hydro-
carbures. Dans la thèse de sciences économiques
qu’il consacre à cette question en 1963, le Libanais
Nicolas Sarkis présente les chiffres des « transfor-
mations en cours ». Alors que les pays arabes pro-
duisent 4,2 % de la production mondiale en 1946
puis 9,4 % en 1950, ils en assurent plus de 20 % en
1960. Sept ans après, dans sa propre thèse consacrée
aux effets du pétrole sur le développement régional
arabe, l’ingénieur palestinien Kamal Sayegh souligne
que cette production est d’autant plus importante
92 Aux pays de l’or noir

qu’elle est en majorité exportée. Avec l’Iran dont le


pétrole est revenu sur le marché, les pays arabes du
Moyen-Orient sont à l’origine de plus de 50 % des
exportations mondiales de pétrole brut en 19592.
La participation croissante des pays arabes à l’ali-
mentation du marché mondial est d’abord le résultat
des découvertes de nouveaux gisements dits « géants »
depuis la fin de la guerre. L’Égypte elle-même y a sa
part avec le lancement de la production de pétrole
dans le Sinaï en 1947‑1949. En Arabie Saoudite, le
gisement de Ghawar est découvert en 1948 et reste,
jusqu’à aujourd’hui, le principal gisement saoudien.
La même année, le gisement de Dukhan est mis en
exploitation au Qatar. En Irak, les champs de Rumayla
sont découverts par une filiale de l’Iraq Petroleum
Company (IPC) en 1953. En Libye, la découverte de
pétrole à Zelten en 1959 permet au pays de devenir dès
1961 le premier producteur d’Afrique du Nord puis, en
1969, le quatrième exportateur et le cinquième pro-
ducteur mondial. L’exploitation du champ d’Umm
Shaif à Abu Dhabi en 1958 renforce le poids de cet
émirat sur ses voisins de la Trêve (la future fédération
des Émirats arabes unis) où d’autres gisements de
moindre volume sont découverts et exploités comme
à Dubaï à partir de 1966. En Oman, il faut attendre
le remplacement du sultan Sa‘id ibn Taymur par son
fils, Qabous, en 1970, pour que débute la production
du pétrole découvert entre 1962 et 1964 par la filiale
locale de la Shell. En Syrie enfin, le champ de Kara-
chuk, à l’Est, et d’autres plus petits dans le centre sont
mis en exploitation à partir de 1968. La succession des
découvertes fait apparaître les pays arabes comme les
détenteurs des plus importantes ressources en hydro-
carbures. En 1960, le Koweït, principal producteur
arabe à l’époque, est réputé détenir 20 % des réserves
Les pays de l’or noir 93

prouvées de l’ensemble du monde « libre », c’est-à-dire


non rattaché à la sphère d’influence soviétique3.
Peu de pays arabes dans les années 1950‑1960 ne
se découvrent pas dotés de ressources pétrolifères. Il
n’y a guère que le Yémen, du Sud comme du Nord,
qui se trouve privé de ce qui passe alors pour un
gage de développement accéléré. Les explorations
entamées pendant l’entre-deux-guerres n’y ont pas
été concluantes. L’installation d’activités de raffinage
et de stockage à Aden par le protectorat britannique
(jusqu’en 1967) raccroche le Yémen du Sud au déve-
loppement pétrolier des autres pays de la péninsule
Arabique. Le Liban, la Jordanie et la Palestine sont
parcourus par les oléoducs et dotés de quelques sta-
tions de pompage. Le port libanais de Sidon accueille
aussi une industrie de raffinage.

Le contre-modèle iranien
L’effondrement de la production iranienne
intervient au moment des découvertes en série de
gisements dans les pays arabes. La première natio-
nalisation d’une industrie pétrolière par un pays
producteur au Moyen-Orient — près de treize ans
après la nationalisation mexicaine — est à la fois une
aubaine et le début d’un traumatisme durable pour
les producteurs arabes. Ils suivent de près et par-
fois avec enthousiasme la nationalisation des actifs
iraniens de l’AIOC en 1951. En Irak en particulier,
les mouvements nationalistes de l’opposition font de
la nationalisation iranienne le contre-exemple de la
renégociation controversée que le Premier ministre
Nuri al-Sa‘id mène au même moment avec l’IPC4.
Plus encore que le renversement du Premier ministre
iranien Mossadegh en 1953, le boycott international
en milliers de

Mauritanie
Saoudite

Jordanie
Bahreïn
Algérie

Koweït
Égypte
tonnes

Arabie

Maroc
Liban

Libye
EAU

Irak
1945 2 840 950 1 300 4 620
1946 7 990 1 100 1 270 4 000 800
1947 12 150 1 250 1 320 4 650 2 200
1948 18 950 1 500 1 890 3 400 6 300
1949 23 100 1 510 2 310 4 100 12 200
1950 25 900 1 510 2 310 500 17 000
1951 36 900 1 500 2 300 8 550 27 800
1952 41 000 1 500 2 370 18 450 37 100
1953 40 700 1 500 2 400 27 800 42 600
1954 46 160 1 470 1 960 30 210 46 940
1955 46 800 1 500 1 800 33 200 54 000
1956 47 940 1 490 1 650 31 100 54 120
1957 48 100 1 600 2 000 21 500 56 370
1958 50 400 2 000 3 000 35 000 70 100
1959 1 303 54 162 2 253 3 076 0 41 730 0 69 533 0 0 94 0
1960 8 548 62 065 2 257 3 272 0 47 500 0 81 863 0 0 0 0
1961 15 638 69 227 2 250 3 766 0 49 030 0 82 482 0 700 0 0
1962 20 492 75 746 2 251 4 670 808 49 190 0 92 177 0 8 420 127 0
1963 23 640 81 045 2 258 5 600 2 483 56 570 0 96 197 0 22 039 150 0
1964 26 227 85 794 2 460 6 353 9 003 61 429 0 106 715 0 41 572 120 0
1965 26 025 99 596 2 841 6 510 13 539 64 533 0 107 323 0 58 803 102 0
1966 33 253 119 456 3 144 6 260 17 313 68 011 0 114 355 0 72 460 103 0
1967 38 388 129 305 3 443 6 216 18 125 60 165 0 115 169 0 83 815 98 0
1968 42 145 140 998 3 768 10 995 24 006 73 848 0 122 085 0 124 524 89 0
1969 43 824 148 839 3 795 14 848 29 284 74 700 0 129 549 149 084 58 0
1970 47 253 176 851 3 834 20 904 37 594 76 600 0 137 397 0 159 021 46 0
1971 36 500 222 000 3 750 21 000 51 000 83 000 0 145 000 0 132 000 25 0
1972 50 085 285 583 3 478 15 954 58 106 72 350 0 151 097 0 105 751 27 0
1973 51 154 364 685 3 410 13 667 73 572 99 371 0 138 255 0 104 586 42 0
1974 48 656 421 942 3 354 12 150 81 041 91 354 0 128 101 0 72 329 24 0
1975 45 057 352 029 3 041 11 700 81 890 110 096 0 104 791 0 72 390 20 0
1976 46 050 428 659 2 840 16 060 94 337 104 378 0 108 029 0 92 052 10 0

Tableau 2. Production pétrolière (en milliers de tonnes)


des pays arabes entre 1945 et 1976.
Source : Cahiers de l’Orient Contemporain, vol. 44, 1960, p. 388‑389 pour 1870‑1958 ;
Pétrole Informations, juin 1972 ; Petroleum Economist, juin 1976 ; Pétrole et Gaz Arabes,
octobre 1976 et février 1977 pour 1959‑1976 ; Yakan, 1977, p. 191 et p. 204‑205 ;
BP Statistical Review of the World Oil Industry.
(Nord et Sud)

Total monde
koweïtienne
Zone neutre

% Arabe/
saoudo-
Somalie

Soudan

Tunisie

Yémen

Monde
Oman

Qatar

Syrie

Total

Iran
16 040
19 190
20 190
24 870
10 10 26 810
1 620 10 31 750
2 300 20 10 720
3 250 20 750
4 000 30 1 300
4 720 60 2 950
5 300 180 16 000
5 780 320 26 090
6 500 330 34 900
8 000 370 41 000
0 7 993 0 0 0 0 0 6 051 186 195 46 400 1 010 801 18,5
0 8 212 0 0 0 0 0 7 284 221 001 52 100 1 051 070 21,0
0 8 382 0 0 0 0 0 9 800 241 275 59 304 1 119 233 21,5
0 8 808 0 0 0 0 0 13 044 275 733 65 809 1 214 358 23,0
0 9 095 0 0 0 0 0 16 856 315 933 73 556 1 405 895 22,5
0 10 136 0 0 0 0 0 19 503 369 312 84 612 1 504 625 24,5
0 10 961 0 0 0 0 0 19 164 409 397 94 126 1 632 753 25,0
0 13 845 0 0 0 1 509 0 22 341 472 050 105 444 1 757 555 27,0
2 801 15 479 0 0 0 2 240 0 22 618 497 862 130 577 1 831 467 27,5
12 068 16 363 0 0 1 000 3 173 0 22 827 597 889 141 636 1 975 315 30,5
16 069 17 341 0 0 3 200 3 708 0 23 502 657 801 168 235 2 130 751 31,0
17 169 17 257 0 0 4 350 4 151 0 26 724 729 151 191 663 2 336 176 31,5
14 700 20 000 0 0 6 500 4 200 0 26 400 766 075 184 000 2 464 720 31,0
13 955 23 262 0 0 5 862 3 975 0 30 497 819 982 168 232 2 604 274 31,5
14 457 27 495 0 0 5 521 3 878 0 27 415 927 508 175 388 2 847 849 32,5
14 350 24 565 0 0 6 535 4 139 0 0 908 540 155 080 2 785 179 32,5
16 806 20 813 0 0 9 637 4 611 0 0 832 881 122 075 2 644 060 31,5
18 087 22 912 0 0 9 760 3 990 0 0 947 164 118 249 2 843 779 33,5
96 Aux pays de l’or noir

de l’industrie pétrolière iranienne par les grandes


entreprises pétrolières occidentales dissuade long-
temps les experts arabes des affaires pétrolières. Il
faut attendre le milieu des années 1960 pour que la
nationalisation devienne à nouveau une option éco-
nomique sérieuse aux yeux de ces experts, et 1971
pour qu’un pays arabe, mais du Maghreb, brise le
tabou de la nationalisation.
Le boycott du pétrole iranien par les compagnies
européennes et américaines entre 1951 et 1954
rehausse mécaniquement la part des pays arabes
dans la production mondiale. Elle encourage le
développement rapide de leurs capacités par les
compagnies britanniques et américaines, tandis que
la raffinerie d’Abadan — la plus grande du monde,
située au sud de l’Iran à la frontière irakienne — est
quasiment à l’arrêt à partir d’avril 1951. Le Koweït,
dont la production passe de 17 millions de tonnes
en 1950 à 37 millions en 1952 puis à 46 millions en
1954, devient le principal producteur du Golfe. Il
n’est dépassé par l’Arabie Saoudite qu’en 1966 et à
nouveau par l’Iran en 1967.
Tandis que la production iranienne chute de 49 %
en 1951, celle de l’Irak augmente de 30 %, passant de
6,4 à 8,3 millions de tonnes5. Le pays profite du déve-
loppement des champs de Kirkouk au nord relancés
à partir de 1943 avec la construction d’une nouvelle
zone industrielle en 1948‑1951, et de la découverte
des gisements au sud du pays. Le gouvernement qui
percevait l’équivalent de 40 millions de dollars de
royalties en 1951 en perçoit 95 millions en 1952 puis
140 millions en 1953 et décide d’en attribuer 70 %
au développement du pays6.
Les pays de l’or noir 97

Produire sans raffiner :


l’écueil de l’industrie pétrolière
Bien qu’elles soient encore établies de façon pri-
vilégiée par les compagnies pétrolières européennes
et américaines à proximité des foyers de consom-
mation, les raffineries modernes font leur entrée
dans les pays arabes producteurs. En tête, mais
loin derrière l’Iran dont les raffineries d’Abadan et
Masjid-i Sulayman renouent avec leur forte capa-
cité de production une fois la crise de 1951‑1953
passée, l’Arabie Saoudite, Bahreïn et le Koweït sont
les principaux sites de raffinage du monde arabe
au début des années 1960 grâce aux réguliers tra-
vaux d’expansion des capacités de leurs raffineries.
La raffinerie de l’Aramco à Ras Tannura ouverte
en 1945 a une capacité de 11,5 millions de tonnes
annuelles à la fin des années 1950. Elle est reliée à
celle de la Bahrain Petroleum Company (BAPCO)
à Sitra, qui fut la première à être construite dans
le Golfe (en 1936) et capable elle aussi de produire
11,5 millions de tonnes chaque année. La raffine-
rie de la Kuwait Oil Company (KOC) à Ahmadi,
inaugurée en 1949, peut produire 9 millions de
tonnes7. À Aden, la raffinerie de la British Petro-
leum construite en 1954 est capable de produire
5 millions de tonnes en 1959 mais ce pétrole raffiné
est avant tout destiné au ravitaillement des pétro-
liers qui passent par le port sous protectorat britan-
nique et aux avions qui y atterrissent. En dépit des
faibles gisements du pays, le développement indus-
triel de l’Égypte lui permet de figurer parmi les pro-
ducteurs arabes de pétrole raffiné. La production de
la raffinerie des Anglo-Egyptian Oilfields, inaugurée
98 Aux pays de l’or noir

en 1913, atteint 2,25 millions de tonnes annuelles


en 1959, après une série d’extensions accélérées
depuis la Seconde Guerre mondiale. Avec les autres
raffineries de Suez et d’Alexandrie, la production
de pétrole raffiné atteint 3,8 millions de tonnes en
1959. En Irak, la raffinerie de Dawra, inaugurée en
1955 près de Bagdad, et celle de Basra produisent
respectivement jusqu’à 2,4 et 2,2 millions de tonnes
annuelles. D’autres raffineries sont inaugurées à
Muftiya et Qayyara en 1955.
En dépit de sa progression rapide, les économistes
arabes du pétrole s’inquiètent dès les années 1960
du retard pris par le développement industriel dans
leurs pays. Si les quantités raffinées dans les pays
arabes passent de 15,8 millions de tonnes en 1950 à
28,6 millions en 1957, Nicolas Sarkis calcule en 1963
que cela ne représente que 20 % de la production
totale de pétrole dans ces mêmes pays. ‘Abdallah
al-Tariqi, l’un des experts du pétrole les plus réputés
du monde arabe, souligne quant à lui que 85 % du
pétrole mondial — à l’exception de la production
soviétique et états-unienne — est raffiné en dehors
des pays d’où il est extrait. Les pays arabes pétro-
liers font piètre figure dans cet ensemble. Après avoir
dépassé les 4 % des capacités mondiales de raffinage
en 1953, à la faveur de la crise iranienne, la capacité
totale des raffineries arabes reste inférieure à 5 %
pendant les années 1960.
Pour ces experts, la faible part du pétrole raffiné
dans l’ensemble du pétrole extrait n’est pas seulement
le signe du développement trop lent des économies
arabes. À l’heure des modèles de développement qui
privilégient l’industrie lourde, cette faiblesse main-
tient les pays arabes dans leur dépendance vis-à-vis
des pays industrialisés. Elle permet à ces derniers
Les pays de l’or noir 99

de s’arroger l’essentiel de la valeur ajoutée produite


par la transformation du brut et, par conséquent,
de tirer plus de profits du pétrole arabe que les pays
arabes eux-mêmes8.
Les mêmes experts voient toutefois dans le déve-
loppement de l’exploitation des hydrocarbures le
principal facteur de ce qui constitue, à quelques
exceptions près comme l’Égypte, une première vague
d’industrialisation dans les pays arabes. Allant de
pair avec l’essor de la production, cette industria-
lisation mobilise un nombre croissant d’ouvriers et
d’ingénieurs, arabes et étrangers. Elle transforme les
paysages et les cadres de vie. Des noyaux urbains se
développent autour des complexes industriels. Quand
ils ne surgissent pas ex nihilo à partir des camps
pétroliers, ces noyaux s’étendent rapidement jusqu’à
toucher les villes voisines. L’urbanisme qu’imposent
les entreprises pétrolières transforme les conditions
de vie des habitants locaux et des immigrés, venus
de l’arrière-pays ou des pays étrangers pour travailler
sur les gisements.

L’URBANISATION PÉTROLIÈRE

Nul romancier n’a mieux décrit les effets du


pétrole sur les sociétés urbaines arabes que ‘Abd al-
Rahman Mounif (1933‑2004) dans les cinq parties
de son roman intitulé précisément Les Villes de sel
et publié au cours des années 1980. Au milieu des
années 1950, ce fils d’un négociant caravanier du
Najd commence des études qui le mènent d’Amman
à Bagdad puis au Caire où il obtient une licence
de droit. Il achève en 1961 à Belgrade un doctorat
100 Aux pays de l’or noir

de sciences économiques consacré au pétrole. Avant


d’en décrire la brutalité et les effets pervers dans ses
romans, ‘Abd al-Rahman Mounif a pu constater les
transformations que suscite l’exploitation du pétrole
dans les pays arabes. En entrant dans la compagnie
pétrolière nationale puis au ministère du Pétrole de
la Syrie baasiste des années 1960, et en finissant en
1973 par s’établir à Beyrouth pour se consacrer à
l’écriture et au métier de consultant, Mounif suit un
parcours fréquent chez la première génération d’ex-
perts arabes du pétrole. Rares sont toutefois ceux
qui, parmi ces experts, ont utilisé comme lui le genre
romanesque pour décrire le bouleversement des pay-
sages et des cadres sociaux et pour dénoncer l’aliéna-
tion des sociétés arabes par l’exploitation du pétrole.
Dans le premier tome des Villes de sel, L’Errance
(al-Tih), Mounif décrit la disparition progressive
de l’oasis agricole et étape caravanière de Wadi al-
‘Uyun (la vallée des sources) puis l’asservissement
de ses habitants à la compagnie pétrolière améri-
caine. L’ensevelissement de l’harmonieuse société
oasienne par les installations pétrolières a pour
corollaire l’apparition d’une nouvelle ville pétro-
lière sur la côte. La vieille ville côtière de Harran
est d’abord entièrement détruite, à l’exception de sa
mosquée, puis reconstruite au rythme de l’embauche
des bédouins de l’intérieur et des oasiens déracinés
par des intermédiaires peu scrupuleux, tandis que les
navires débarquent ingénieurs américains et maté-
riel. Pour se loger, la main-d’œuvre arabe se voit
contrainte de construire des baraquements à l’écart
de la ville nouvelle dont l’entrée et le confort sont
réservés aux « Américains » protégés par des barbe-
lés. Dans La Tranchée, deuxième tome des Villes de
sel, c’est la capitale de l’émirat, Mooran, qui devient
Les pays de l’or noir 101

méconnaissable pour ses habitants, transformée


par une croissance économique forcenée et la spé-
culation immobilière qu’engendrent les revenus du
pétrole.
L’attention portée par Mounif à l’expansion des
villes n’est pas le décalque des transformations de
la seule péninsule Arabique par l’exploitation du
pétrole. Tous les pays arabes sont en effet en train de
passer par cette phase décisive d’urbanisation, qu’ils
soient producteurs d’hydrocarbures ou non. Elle peut
paraître tardive si on la compare au reste du monde,
mais elle est d’autant plus violente qu’elle est rapide
et précipitée par les effets de la production pétrolière
sur le tissu économique comme sur l’environnement
des villes de la région. Dans les années 1930‑1950,
les villes de la péninsule connaissent ainsi une crois-
sance démographique annuelle moyenne de 3 %. Elle
est de 9 % dans les années 1950‑1970 — contre 3,8 %
pour les villes du Croissant fertile (Liban, Syrie, Irak,
Jordanie, Palestine et Israël)9. La croissance urbaine
est alimentée par l’exode rural et la sédentarisation
des nomades. De nombreux agriculteurs et éleveurs
viennent chercher un emploi sur les puits pétroliers
ou dans les petites entreprises et commerces qui se
construisent autour. En 1954, l’Aramco calcule que
deux tiers de ses employés saoudiens viennent des
deux oasis agricoles voisines de l’Ahsa et de Qatif.
Ce sont majoritairement de jeunes hommes, âgés
de moins de 35 ans, qui ont laissé leurs familles,
leurs épouses et leurs aînés gérer les palmeraies10.
En pleine période de transition démographique, les
taux de mortalité diminuent mais ceux de la nata-
lité restent élevés, augmentant même parfois grâce
aux nouvelles infrastructures financées par les reve-
nus du pétrole. Cette croissance démographique
102 Aux pays de l’or noir

naturelle vient encore alimenter les flux de migrants


attirés par ces nouveaux bassins d’emplois qu’en-
gendre l’industrie pétrolière.

Urbanisme et conditions de vie


dans les villes du pétrole
Le développement des villes du pétrole s’inscrit
dans une dynamique globale d’urbanisation des
pays arabes. Mais la croissance de ces villes parfois
construites ex nihilo à partir des camps pétroliers pos-
sède des traits caractéristiques, elle est d’abord parti-
culièrement fulgurante. En Arabie Saoudite, l’attrait
de ces villes nouvelles fait même décliner les vieux
centres urbains de la province orientale, un phéno-
mène que l’on ne retrouve d’ailleurs ni dans les autres
pays du Golfe ni dans le reste des pays arabes11.
Les revenus de l’exploitation des hydrocarbures et
le paternalisme des entreprises concessionnaires sol-
licitées par les gouvernements arabes permettent de
répondre aux besoins croissants de logements et d’in-
frastructures. Mais cet activisme urbanistique encou-
rage une spéculation foncière que les pays arabes
n’avaient plus connue depuis la crise économique des
années 1930. Cela choque d’autant plus les ouvriers
arabes du pétrole et le reste de la population urbaine
que le souci d’un logement décent fait partie de leurs
principales revendications, au moment où s’accélèrent
le boom démographique et l’exode rural12.
L’urbanisme de ces nouvelles villes suit le modèle
des noyaux résidentiels développés par les entre-
prises américaines et européennes autour des gise-
ments. Tracés orthogonaux, voirie conçue pour
la voiture, généralisation du béton, étalement
urbain, etc., toutes ces caractéristiques tranchent
Les pays de l’or noir 103

avec les constructions denses et resserrées des vieilles


villes arabes. La population qui s’y installe est de fait
projetée dans un monde radicalement nouveau. Ce
bouleversement est aggravé par la destruction des
vieux centres, dont les derniers vestiges ne font pas
l’objet de plans de sauvegarde avant les années 1980.
L’urbanisme pétrolier est d’abord guidé par le
principe de la ségrégation spatiale des différents
groupes d’habitants. En 1955, un jeune économiste
libanais enseignant à l’Université Américaine de Bey-
routh, Albert Badre, et un juriste palestinien passé
par Cambridge et Princeton, Simon Siksek, entament
une enquête sur les conditions de travail de la main-
d’œuvre pétrolière dans les pays arabes. Ils relèvent
que la principale critique formulée par ces mêmes
ouvriers et par les responsables politiques locaux à
l’encontre des camps pétroliers en passe de devenir
des villes, comme à Kirkouk et Dhahran, porte sur la
« mentalité de compound » qu’ils instillent13.
Cette « mentalité » est responsable de la faible
intégration des travailleurs pétroliers non arabes
dans la société nationale, et rigidifie les ségréga-
tions établies entre les différents groupes de cadres,
d’ouvriers qualifiés et d’ouvriers non qualifiés. Elle
contribue à faire de ces camps le symbole de l’extra-
néité des entreprises pétrolières aux yeux des Arabes
qui composent l’essentiel des bataillons d’ouvriers
non qualifiés. Logés dans des tentes puis dans des
baraquements en tôles autour des gisements, ils
sont confrontés quotidiennement au spectacle des
quartiers confortables réservés aux cadres améri-
cains et européens mais aussi aux logements des
ouvriers indiens souvent mieux équipés que les
leurs. La concentration de l’industrie du pétrole sur
un nombre de sites restreint et souvent à l’écart des
104 Aux pays de l’or noir

villes existantes impose à ces travailleurs du pétrole


une cohabitation d’autant plus délicate que les étran-
gers sont nombreux, les conditions de vie rudes et les
tâches épuisantes. Les journées de huit heures, seuil
légal dans une grande partie des pays arabes, sont
fréquemment dépassées et parfois le dépassement
est encouragé par la promesse d’un complément de
salaire.
Organisée et assumée par les compagnies pendant
les années 1950, la séparation des cadres en majo-
rité étrangers (américains, britanniques et parfois
italiens) et des employés arabes est allégée au cours
des années 1960. Elle permet aux employés arabes
les mieux placés dans la hiérarchie des entreprises
pétrolières et à la jeunesse la plus aisée de s’appro-
prier les éléments d’une modernité urbaine jusque-là
réservée aux étrangers. Les histoires de Kirkouk
(Irak), de Dhahran (Arabie Saoudite), de ‘Awali
(Bahreïn) et d’Ahmadi (Koweït) illustrent les change-
ments que vivent les employés arabes des entreprises
pétrolières et les habitants qui les entourent.

Kirkouk : le pétrole creuse


les divisions communautaires
La population de Kirkouk passe de 25 000 habi-
tants au milieu des années 1920 à plus de 120 000
en 195714. Dès le début de l’exploitation des premiers
gisements, la Turkish Petroleum Company (devenue
l’Iraq Petroleum Company en 1929) installe ses cadres
britanniques et leurs familles dans un camp construit
au nord-ouest de la ville, près du gisement de Baba
Gurgur où le pétrole a jailli en 1927. Les ouvriers
doivent, eux, trouver à se loger dans la ville de Kirkouk
dont la population est multipliée par l’immigration
Les pays de l’or noir 105

de paysans kurdes, surtout, et arabes. Au milieu des


années 1940, près de la moitié de la population de
la ville est constituée par des travailleurs du secteur
pétrolier et leurs familles. Les employés irakiens n’ont
pas plus accès aux logements que l’Iraq Petroleum
Company (IPC) réserve à ses cadres qu’à des services
de transport pour rejoindre les gisements où ils tra-
vaillent. Leur grève en 1946 surprend la direction de
la compagnie. Les membres du Parti Communiste Ira-
kien, très implanté chez les ouvriers kurdes et arabes
de l’IPC, en sont les principaux organisateurs. Leurs
tracts dénoncent les conditions de vie misérables des
ouvriers qui ne sont ni nourris ni logés et dont les
salaires ne sont pas affectés par les profits croissants
de l’IPC. Après la répression de la grève par la police
irakienne qui fait près de 10 morts chez les ouvriers,
l’entreprise engage toutefois une première augmen-
tation de salaires.
Un an après la grève, le Parlement irakien vote
une loi contraignant toutes les entreprises qui
emploient plus de 100 ouvriers à leur fournir un
logement. L’IPC entame alors la construction d’une
première cité ouvrière au nord-ouest de Kirkouk,
Arrapha Estate, tout en lançant un programme d’aide
à l’acquisition de logements dans la ville elle-même.
Tandis que les ouvriers chrétiens (assyriens) sont
logés en majorité dans la cité ouvrière, les musul-
mans (kurdes, arabes et turkmènes) restent dans la
vieille Kirkouk. La ségrégation pratiquée par l’IPC
contribue à attiser les tensions communautaires au
sein d’une population confrontée à l’arrivée rapide
de migrants ruraux et aux différends entre nationa-
listes kurdes et partisans du contrôle de Bagdad. Les
écoles, les services de santé et les infrastructures que
l’entreprise finance et gère lui donnent un pouvoir
106 Aux pays de l’or noir

égal et parfois supérieur à celui des autorités ira-


kiennes sur la ville. En provoquant la fermeture du
consulat britannique sur place puis en remettant en
cause les dispositions de la concession de 1925, le
coup d’État de 1958 met un terme au pouvoir qua-
siment municipal de l’IPC sur Kirkouk15.

‘Awali : le miroir inversé de Manama


Comme l’IPC à Kirkouk, la Bahrain Petroleum
Company (BAPCO) entreprend à partir de 1937
la construction de la cité de ‘Awali à proximité de
Manama. Elle y avait déjà installé entre 1934 et 1935
son centre administratif. Désormais, elle y loge éga-
lement ses employés blancs, en majorité britan-
niques, dans des maisons familiales et des dortoirs.
Au milieu des années 1950, les 2 000 habitants de la
cité profitent du confort et de l’ambiance d’une ville
conçue exactement d’après le modèle des banlieues
résidentielles américaines et britanniques, avec sa
revue d’informations locales significativement appe-
lée Islander et son système d’air conditionné cen-
tralisé. De leur côté, les ouvriers arabes doivent
trouver leur logement eux-mêmes. Pour encourager
les ouvriers qui résident dans la capitale Manama
et la ville voisine de Muharraq à se rapprocher des
sites d’exploitation, la BAPCO construit au milieu
des années 1950 un « quartier ouvrier » (Hayy al-
‘Ummal) entre ‘Awali et la raffinerie de Sitra. Il s’agit
d’abord d’un camp avec des dortoirs dotés de l’élec-
tricité, de ventilateurs et de douches communes.
L’ouverture de magasins et de cantines, l’installa-
tion d’une mosquée, d’un cinéma et la construction
d’une piscine transforme le quartier ouvrier au fur
Les pays de l’or noir 107

et à mesure en une véritable petite ville que la com-


pagnie s’efforce de présenter comme une réplique
de ‘Awali16.
Comme les héros de Mounif qui observent la ville
« américaine » de Harran avec un mélange d’envie
et d’incrédulité, ou comme les employés qataris de
Dukhan qui s’amusent à regarder les cadres britan-
niques jouer au tennis sur des courts inaccessibles,
les jeunes employés bahreïnis continuent de voir dans
‘Awali, ses équipements et ses clubs un monde à part.
« Awali était pour nous une ville utopique, un pays
de rêve, une étoile inatteignable où les sexes étaient
mélangés, où les couples se fréquentaient librement
en public (…). Le club de ‘Awali était une fenêtre sur
un autre monde », se souvient l’un d’eux, engagé à
18 ans en 1958 par la BAPCO17. L’attraction n’agit pas
seulement sur les ouvriers. Le souverain lui-même,
cheikh ‘Isa, y fait des visites fréquentes et déserte sa
capitale, ce dont se moquent les slogans des étudiants
lors des émeutes nationalistes qui agitent Manama
en 1965.
Au milieu des années 1960 cependant, la BAPCO
modifie sa politique urbaine. L’équipement des
quartiers ouvriers, la fourniture de services en plus
grand nombre à ses employés, le soutien aux clubs
de jeunesse de Manama mais aussi la constitution
d’un département de relations publiques doté d’une
équipe de cinéma mobile ainsi que des campagnes
de presse régulières permettent d’atténuer le senti-
ment de ségrégation urbaine18.
Les nouveaux paysages urbains planifiés par la
BAPCO accompagnent l’essor de Manama après
la Seconde Guerre mondiale. La population passe
de 41 000 habitants en 1941 à 61 000 en 1960. Les
revenus du pétrole et les modèles diffusés par les
108 Aux pays de l’or noir

employés expatriés changent la physionomie de la


ville et les habitudes de consommation. Les voitures
et les appareils domestiques importés remplissent les
magasins comme les pages de publicité de la presse
locale. Les clubs et les cinémas deviennent les nou-
veaux lieux de sociabilité de la jeunesse locale dont
une partie s’engage dans les mouvements nationa-
liste, baasiste et communiste qui condamnent tout
ensemble l’impérialisme de la BAPCO, le protectorat
britannique et le gouvernement des Al Khalifa19.

Ahmadi : l’emblème
de la planification urbaine
Au Koweït, l’essor urbain des années 1950 et 1960
est un élément essentiel de ce qui est rapidement
qualifié par les historiens et les auteurs des manuels
scolaires locaux d’« ère de la renaissance » (‘asr al-
nahda) dans les pays arabes du Golfe. La référence
à la période d’intense élaboration intellectuelle qui a
commencé à la fin du xviiie siècle dans l’ensemble du
monde arabe et a été qualifiée a posteriori de nahda
est assumée. Pour ces historiens, les pays du Golfe
comme le Koweït rejoignent, grâce aux revenus du
pétrole, un courant dont ils étaient jusque-là absents.
Ils retrouvent leur place dans le progrès de l’histoire
arabe20.
Le volet urbanistique du développement fait l’ob-
jet d’une attention particulière de la part du cheikh
‘Abdallah al-Salem Al Sabah (r. 1950‑1965). À
l’époque où l’émirat devient le principal producteur
arabe de pétrole, la capitale est transformée sous
l’influence des cabinets britanniques chargés de la
planification urbaine. L’homme qui dirige, à par-
tir de 1947, le plan d’urbanisme global est James
Les pays de l’or noir 109

Wilson, un architecte qui a travaillé comme assistant


d’Edward Lutyens lors de la planification de New
Delhi dans les années 1910. Il souhaite construire
une véritable cité verte dans le désert, aux portes de
la ville de Koweït : ce sera Ahmadi, cité développée
au sud de la capitale grâce au financement de la
Kuwait Oil Company (KOC).
Au début des années 1950, la capitale Koweït sort
de son enceinte : de larges avenues sont percées et
relient les nouvelles banlieues organisées en quar-
tiers au centre. Elles séparent de fait les différents
quartiers et guident les nouvelles constructions rési-
dentielles au prix de la destruction de la vieille ville.
À partir de 1953, la KOC reloge ses ouvriers koweï-
tiens dans les nouvelles habitations communes du
quartier arabe d’Ahmadi et met fin aux camps de
tentes dans lesquelles logeaient jusque-là une partie
des ouvriers arabes. Mais la majorité des employés
originaires de Koweït vivent encore dans la capitale
et rejoignent les champs pétroliers par le service de
bus fourni par la compagnie. En 1961, la ville de
Koweït et sa banlieue rassemblent plus de 152 000
habitants. Ahmadi en compte alors 12 860 dont deux
tiers de non-Koweïtiens. Jusqu’à cette date, à Koweït
comme ailleurs, l’urbanisation manifeste aux yeux
des habitants arabes le caractère étranger de l’indus-
trie pétrolière. Leur exclusion de ce nouveau système
est d’autant plus critiquée par la presse nationaliste
que la KOC fait d’Ahmadi une vitrine de la moder-
nité21. Jusqu’à la fin des années 1950, cette presse
nationaliste accuse régulièrement la compagnie
pétrolière de n’offrir à ses ouvriers arabes que des
conditions misérables et des services réduits au strict
minimum, en dépit de la propagande de ses services
de relations publiques. Elle soutient donc les grèves
110 Aux pays de l’or noir

régulières des ouvriers qui réclament des amélio-


rations et multiplie les reportages, photographies à
l’appui, pour faire pression sur la compagnie et sur
le gouvernement22. Tandis que le développement des
infrastructures d’énergie, de santé et d’éducation fait
l’objet d’un soin particulier de la part du gouverne-
ment koweïtien, l’action des nationalistes arabes et
les débats qui entourent la mise en place du régime
constitutionnel au moment de l’indépendance (1961)
font de l’urbanisme une question politique. En 1963,
la revue al-Hadaf publie une série d’articles intitulée
« L’autre face de notre nahda » qui dénonce pêle-
mêle les trous dans la chaussée, l’invasion de l’es-
pace y compris des trottoirs et des places publiques
par les voitures, l’insuffisance des égouts et les ter-
rains vagues abandonnés aux détritus derrière les
immeubles modernes. La dénonciation du journal
vise autant la mauvaise utilisation des revenus du
pétrole que leur effet destructeur sur les conditions
de vie des Koweïtiens. Elle est d’autant plus aiguë
que la capitale est constamment comparée à la cité
de la KOC à al-Ahmadi23.
Au milieu des années 1960, la KOC gère à Ahmadi
une ville de 25 000 habitants où elle peut prétendre
loger près de 72 % de ses employés. Un club, le Nadi
al-Ahmadi, est créé pour les employés arabes de la
KOC, tandis que les employés indiens et pakistanais
d’une part et les cadres d’autre part ont leurs clubs
spécifiques. Des salles de sport, une bibliothèque,
une piscine et plusieurs restaurants y sont climatisés
et subventionnés par l’entreprise. L’image de la cité
pétrolière au sein de la population arabe de Koweït
s’en trouve transformée. L’indépendance de l’émirat
et les efforts de la KOC pour rompre avec sa répu-
tation coloniale favorisent l’installation de familles
Les pays de l’or noir 111

koweïtiennes des classes moyennes et supérieures


qui quittent les maisons arabes de la vieille ville.
Elles s’approprient progressivement ce qui devient
une banlieue aisée de Koweït, jusqu’à en devenir nos-
talgiques une décennie plus tard, quand la poursuite
de l’urbanisation modifie encore la composition des
habitants et le visage des bâtiments24.

LES PREMIÈRES EXPÉRIENCES OUVRIÈRES


DU PÉTROLE : TURN-OVER
ET LICENCIEMENTS

11. Un ouvrier sur un chantier de forage de la région d’In Salah


(Algérie) en 1956. ECPAD.

Le développement des camps pétroliers et leur


transformation progressive en noyaux urbains
plus ou moins reliés aux villes existantes ont pour
effet de rendre visible la constitution d’un groupe
jusque-là absent de la plupart des sociétés arabes.
112 Aux pays de l’or noir

À quelques exceptions près comme les villes indus-


trielles d’Égypte et quelques ports arabes de la Médi-
terranée, l’apparition d’une classe ouvrière est un
phénomène nouveau dans les années 1950‑1960.
Les premiers ouvriers arabes de l’industrie pétro-
lière font l’expérience d’une hiérarchie des postes et
des salaires qui les oppose aux directions européennes
ou américaines d’une part, et aux ouvriers spécialisés
et contremaîtres étrangers venus du sous-continent
indien ou d’Europe du Sud d’autre part. Cette hié-
rarchie détermine aussi les conditions de vie dans
les camps et les lotissements des entreprises, les ser-
vices et les aménités accessibles et les évolutions de
carrière. Les différences de statut sont d’autant plus
durement ressenties qu’une grande partie des emplois
non ou peu qualifiés auxquels peuvent prétendre la
plupart des ouvriers arabes des années 1950 sont des
emplois temporaires, soumis à des renvois réguliers.
En dépit de premières améliorations obtenues à la
fin des années 1940, ces conditions parfois terribles
expliquent la précocité des revendications matérielles
des ouvriers pour leur nourriture et leur logement
et le succès du nationalisme arabe de gauche sur les
gisements25.
De rares enquêtes comme celle de l’économiste
libanais Albert Badre et du juriste palestinien Simon
Siksek pendant les années 1950 soulignent la dif-
ficulté avec laquelle les ouvriers arabes du pétrole
s’adaptent à ce mode de production industriel. Les
conditions d’exploitation définies par les entreprises
étrangères sont unanimement condamnées et per-
çues comme « injustes et inéquitables26 ». La vie
en ville de ces ouvriers commence souvent par des
huttes et des baraquements sans équipements, à
proximité des installations pétrolières mais à l’écart
Les pays de l’or noir 113

des quartiers réservés au personnel européen, améri-


cain et indien. Les règles qui contraignent l’ensemble
de leurs activités et de leurs déplacements sont dif-
ficilement acceptées. Dans les romans de Mounif
comme dans les souvenirs des ouvriers, elles four-
nissent des prétextes faciles au renvoi des employés
et sont des sources de tension récurrente entre les
ouvriers, les contremaîtres et la direction des entre-
prises27.
Les départs du lieu de travail pour aller rendre
visite à des proches ou s’occuper d’une propriété agri-
cole sans la permission des supérieurs sont plus fré-
quents que l’absentéisme, rarement mentionné parmi
les causes de renvoi. Les contremaîtres se plaignent
aussi régulièrement des ouvriers qui font la sieste
sur leur lieu de travail. Les démissions définitives et
sans préavis ainsi que les nombreuses pétitions indi-
viduelles qui en appellent à la direction de l’entreprise
ou au gouvernement en Irak et au Koweït montrent
les déceptions mais aussi la conception que les pre-
mières générations d’ouvriers ont de leur rapport avec
l’entreprise : il est encore empreint des habitudes sou-
vent héritées du travail agricole et des attentes placées
dans la figure d’un patron familier que la direction
étrangère des compagnies peine à incarner.
La rigidité des procédures et la violence des rap-
ports humains jouent probablement autant que la
rudesse des conditions de travail dans le mécon-
tentement des ouvriers des années 1950. Elles
expliquent que les taux de turn-over soient élevés
dans les régions où les entreprises pétrolières sont
des employeurs parmi d’autres comme à Mossoul
ou à Basra, et plus faibles dans les régions, comme
celles de Kirkouk ou de Dhahran, où l’entreprise
pétrolière est le principal employeur et souffre
114 Aux pays de l’or noir

d’une concurrence bien moindre. Les lois sur l’en-


registrement des travailleurs et le changement de
travail, comme dans l’Irak des années 1950, viennent
soutenir les efforts des entreprises pour garder le
contrôle de leur main-d’œuvre. Comme l’IPC en Irak,
les entreprises concessionnaires recrutent en prio-
rité les habitants locaux et conditionnent les aides
et les services qu’elles fournissent à l’ancienneté de
leurs employés pour limiter le turn-over aux seuls
licenciements décidés par les directions en fonction
des activités.

Combien d’ouvriers du pétrole ?


Les licenciements sont le principal facteur des taux
de rotation élevés que l’on peut constater dans l’indus-
trie pétrolière au plus fort des mobilisations ouvrières.
Les meneurs des grèves, les ouvriers recrutés pour des
chantiers de durée limitée comme la construction d’un
oléoduc, et ceux dont les tâches sont progressivement
confiées à des sous-traitants locaux sont les premiers
licenciés. Le turn-over évolue entre 23 et 25,5 % pour
les employés de l’IPC au début des années 1950. Il est
proche de 75 % pour les employés arabes de l’Aramco
entre 1945 et 1960, les employés chiites originaires de
la province orientale étant les plus stables. À la fin de
l’année 1954, un employé de la Bahrain Petroleum
Company (BAPCO) sur trois seulement travaille pour
la compagnie depuis plus de six ans sans interruption,
un sur six depuis plus de neuf ans, un sur vingt depuis
plus de quinze ans. À la même date, un employé sur
trois de l’Aramco travaille pour l’entreprise améri-
caine depuis plus de six ans, un sur sept depuis plus
de neuf ans et un sur quarante depuis plus de quinze
ans28. Les anciens du pétrole sont encore rares. En
Les pays de l’or noir 115

1957, la Kuwait Oil Company (KOC) célèbre dans


le premier numéro de son magazine, Risalat al-Naft
(la lettre du pétrole), ses premiers employés à avoir
passé 20 ans au sein de l’entreprise. Ils sont quatre :
un Britannique — l’ancien représentant britannique à
Koweït qui a été embauché par l’entreprise après son
départ de l’India Office en 1937 —, un Pakistanais et
seulement deux Koweïtiens29.
Avec la réduction de la main-d’œuvre pendant les
années 1960 et le départ d’une grande partie des
ouvriers peu qualifiés qui étaient encore employés au
début des exploitations pétrolières, le turn-over dimi-
nue. La prise en charge par les entreprises concession-
naires de la formation d’une part croissante de leurs
employés fournit des perspectives de carrière plus
attirantes. Dès les années 1950, les entreprises pétro-
lières les plus engagées comme la KOC organisent des
sessions de formation qui permettent aux ouvriers
sélectionnés d’acquérir des rudiments d’anglais et
les savoir-faire techniques (de la mécanique surtout,
quelques éléments d’ingénierie) pour progresser dans
la hiérarchie des postes et des salaires. Pour certains,
les formations en électricité, plomberie et autres per-
mettent aussi de trouver du travail « en ville »30.
Les grèves ne cessent pas mais les premières réé-
valuations de salaires et la fourniture d’une gamme
de services parmi lesquels le logement est le plus
demandé ont affaibli les causes de départ. À la fin
de l’année 1963, 80 % des salariés de la BAPCO tra-
vaillent pour l’entreprise depuis plus de six ans, 60 %
depuis plus de neuf ans et 22 % depuis plus de quinze
ans. Les chiffres disponibles pour l’Aramco à la fin
de l’année 1965 montrent que le turn-over a là aussi
diminué : 94 % des employés saoudiens travaillent
pour l’entreprise depuis plus de cinq ans, 82 % depuis
116 Aux pays de l’or noir

plus de dix ans et 43 % depuis plus de quinze ans.


En une dizaine d’années, les ouvriers de l’industrie
arabe du pétrole se sont manifestement attachés à leur
employeur. Dans les années 1950 et 1960, leur mobi-
lité d’une entreprise ou d’un pays à l’autre est toutefois
le moteur d’une politisation croissante, quoique rapi-
dement réprimée. Des revendications sectorielles et
nationalistes sont exprimées dans les grèves. Ouvriers,
experts et hommes politiques arabes partagent le sen-
timent d’être confrontés, à l’échelle de leurs camps, à
celle de leurs États et à celle du monde arabe, à des
défis communs que lance l’exploitation du pétrole.
Il faut pourtant relativiser les manifestations nou-
velles et parfois puissantes de ces premiers groupes
d’ouvriers arabes du pétrole. Des observateurs de
l’époque y voient les ferments d’une classe dont les
capacités révolutionnaires s’expriment dans les muta-
tions politiques des pays arabes31. D’autres s’inter-
rogent, au contraire, sur la capacité de ces ouvriers à
entrer dans un processus de lutte des classes. Un article
du journal koweïtien al-Tali‘a (l’avant-garde) pose
explicitement la question en 1964, alors que l’émirat
de Koweït a déjà connu une succession de grèves des
ouvriers du pétrole et que les revenus du pétrole sont
accaparés par un groupe de plus en plus restreint de
« capitalistes ». Pour la rédaction du journal (l’article
n’est pas signé), la raison en est que l’exploitation du
pétrole a commencé dans une société majoritairement
non scolarisée, aux structures encore peu complexes
et essentiellement tribales. Le ralliement des premiers
et rares intellectuels du pays au capitalisme ne fait
que prolonger cet anachronisme que la rédaction du
journal se donne pour mission d’abolir en éclairant la
conscience ouvrière. C’est l’arriération sociale et poli-
tique de la société dans son ensemble, non l’absence
Les pays de l’or noir 117

de développement économique et de groupes capita-


listes, qui empêche la lutte des classes32.
La virulence des débats idéologiques se voit
toutefois atténuée par l’attachement croissant des
employés aux entreprises pétrolières et par la fai-
blesse du nombre de ces employés dans la popu-
lation active totale de chaque pays arabe. Les
chiffres absolus disent bien l’ampleur des travail-
leurs concentrés sur quelques sites d’exploitation
mais il faut les rapporter à la population totale
pour mesurer l’impact de l’industrie pétrolière sur
la main-d’œuvre nationale. En 1950, entre 11 000 et
15 000 personnes sont employées dans l’industrie
pétrolière en Irak, entre 7 000 et 9 000 au Bahreïn
(dont 64 % de Bahreïnis), entre 8 000 et 10 000 au
Koweït (dont 30 % de Koweïtiens), près de 16 000 en
Arabie Saoudite (dont 72 % de Saoudiens). En 1970
en Arabie Saoudite, les employés du secteur pétrolier
ne représentent plus que 15 000 personnes dans une
population active estimée par le Bureau de planifica-
tion saoudien à 1 200 000 personnes. Ils font face aux
131 000 agriculteurs, aux 142 000 employés dans la
construction, aux 138 000 employés dans les services
et aux 138 000 fonctionnaires. Au Koweït, la popula-
tion active dans l’industrie pétrolière est descendue
à environ 7 000 personnes en 1960, puis de 6 000 à
7 000 en 1970 sur une population active totale de
200 000 personnes. Au Bahreïn, les employés du sec-
teur pétrolier sont encore près de 8 000 en 1960 mais
plus que 4 300 en 1970 sur une population active
totale de 60 000 personnes. En Irak, le secteur pétro-
lier emploie encore de 14 000 à 16 000 personnes
en 1960, soit 8,6 % de la main-d’œuvre industrielle,
mais cela représente moins de 1 % de la population
active du pays. Au Liban, les employés arabes du
118 Aux pays de l’or noir

Tapline ne sont pas plus de 1 000 entre 1953 et 1960.


À la fin des années 1960, l’industrie arabe du pétrole
n’emploie pas beaucoup plus de 100 000 personnes,
Arabes et non-Arabes confondus33.
En dépit de son importance dans leur industria-
lisation, le secteur pétrolier n’emploie donc direc-
tement qu’une part minime de la population active
des pays arabes. Le raffinage et la pétrochimie sont
encore peu développés dans les pays arabes alors que
ce sont des employeurs plus importants que les acti-
vités dites de « l’amont ». Une fois les phases d’ex-
ploration et de lancement des productions passées,
le développement rapide des techniques d’extrac-
tion et de transport du pétrole et du gaz favorise la
réduction des effectifs au cours des années 1960. Les
plus âgés et les moins qualifiés — les premiers licen-
ciés — vivent souvent ce départ comme un déchire-
ment. Pour Jasseem al-Naameh, employé pendant
trente et un ans par la Qatar Petroleum Company
et passé de simple manœuvre à chef d’équipe avant
d’être licencié en 1970, le déchirement est d’autant
plus douloureux que les employés comme lui ont
rarement droit à une pension de retraite suffisante34.
Peu d’Arabes font donc l’expérience directe de l’in-
dustrie du pétrole dans les années 1950 et 1960. Cela
renforce le rôle d’avant-garde dont se sentent investis
les premiers meneurs ouvriers et les premiers experts
arabes du pétrole.

LE TEMPS DES GRÈVES

Dans ses Mémoires, le « père » du syndicalisme


ouvrier koweïtien Husayn Saqr (né en 1935) sou-
ligne le rôle du pétrole dans l’émergence de l’idée
Les pays de l’or noir 119

syndicale au Koweït à la fin des années 1940.


Husayn Saqr n’a pas été employé par la Kuwait
Oil Company (KOC). Après sa formation d’ouvrier
qualifié en électricité, il est entré dans la fonc-
tion publique. Il affirme pourtant sans détour que
ce sont les mobilisations des ouvriers de la KOC
qui ont été à l’origine du mouvement syndical et
de la « conscientisation » des ouvriers de l’émirat.
Ces ouvriers tentent dès 1946 de fonder un syndi-
cat, en vain. En 1948, ils se mettent en grève pour
réclamer l’égalité de traitement avec les ouvriers
étrangers, notamment pour la fourniture des repas,
de logements et de services sociaux35. En dépit de
son échec au bout de trois jours et de l’arrestation
puis du renvoi des meneurs, la grève de 1948 est la
première occurrence au Koweït d’une mobilisation
contre l’entreprise étrangère et les conditions de
travail qu’elle impose sans contrôle du gouverne-
ment. En 1951, les conducteurs de la KOC lancent
une nouvelle grève et leur mouvement est largement
suivi par la population. Les meneurs sont emprison-
nés puis renvoyés mais les ouvriers obtiennent de
premières améliorations : deux semaines de congés
annuels, la transformation du vendredi en jour de
repos hebdomadaire et la fourniture par l’entreprise
d’un déjeuner à prix réduit pour ses ouvriers36.
Le transport entre les lieux de vie et les sites indus-
triels n’est pris en charge que progressivement par
les sociétés d’exploitation, tout comme la fourniture
des repas. Ainsi, ceux de la Kuwait Oil Company qui
préfèrent la ville de Koweït à celle d’Ahmadi n’en
bénéficient qu’à partir de 1952. Et dans cette entre-
prise comme chez nombre de ses concurrentes, le
week-end ne passe à deux jours qu’à partir de la fin
des années 195037.
120 Aux pays de l’or noir

Les grèves sont autant d’occasions pendant lesquelles


ces ouvriers prennent conscience qu’ils forment une
communauté. L’opposition à la direction étrangère de
leur entreprise et aux groupes de travailleurs immigrés
mieux lotis qu’eux rassemble les hommes qui sont sou-
vent des agriculteurs déracinés ou des bédouins que la
recherche d’un emploi rémunérateur force à se sédenta-
riser. Faute d’avoir pu ou réussi à régulariser leur statut
à temps, de nombreux nomades qui se sont établis au
Koweït, à Bahreïn ou en Arabie Saoudite après avoir
été habitués à franchir les frontières avec la Jordanie
et l’Irak restent privés (bidun) de citoyenneté et des
droits qui y sont attachés. Aux revendications propres
aux ouvriers des entreprises pétrolières s’ajoutent rapi-
dement les revendications politiques de ces nouveaux
prolétaires qui visent les tutelles étrangères autant que
la passivité des gouvernements arabes dans le contexte
de la décolonisation et du nationalisme triomphant.
Elles permettent aux travailleurs du pétrole de prendre
la tête des contestations nationalistes qui mobilisent
une grande part de la jeunesse et des classes moyennes
arabes dans les années 1950‑1960.
Dans les champs et les camps pétroliers, l’expé-
rience des comités de grève et des syndicats prépare
les mobilisations de plus grande ampleur de ces deux
décennies. En 1948, les évènements de Palestine et
la négociation d’un nouveau traité entre l’Irak et son
ancienne tutelle mandataire, la Grande-Bretagne,
relancent alors la contestation nationaliste qui vise
de plus en plus explicitement le gouvernement en
place. Les ouvriers de l’IPC rejoignent les violentes
manifestations lancées par la jeunesse nationaliste
et le parti communiste. La participation souvent
déterminante des ouvriers du pétrole aux mobilisa-
tions nationalistes en Irak se renouvelle en 1952, au
Les pays de l’or noir 121

moment de la ratification du nouvel accord entre le


gouvernement irakien et l’Iraq Petroleum Company.
Les employés des raffineries de Basra se mettent
en grève en août 1952 pour obtenir des revalorisa-
tions salariales mais aussi le droit de se syndiquer.
La mobilisation des ouvriers du pétrole fait écho à
la nationalisation de l’industrie pétrolière en cours
en Iran qui est suivie de près et ne tarde pas à faire
figure de modèle. Tandis que leur mouvement s’étend,
les slogans anti-impérialistes s’ajoutent aux premières
revendications et préparent le terrain aux émeutes de
novembre 1952 dans les principales villes irakiennes38.

Sur les champs saoudiens de l’Aramco,


l’expérience fondatrice de la grève de 1953
Le 17 octobre 1953, treize mille des quinze mille
employés saoudiens et arabes de l’Aramco ne se pré-
sentent pas au travail. L’année qui s’achève a été
agitée par des tensions particulièrement vives au sein
de l’entreprise américaine entre les ouvriers arabes et
la direction. La grève commence lorsque les jeunes
cadres saoudiens de la compagnie qui assument la
représentation des ouvriers mécontents sont igno-
rés par l’entreprise puis arrêtés. Il est vrai que les
camps saoudiens ressemblent encore à des bidon-
villes à côté du compound américain de Dhahran qui
s’est, lui, considérablement développé. La fermeture
en 1950 par l’Aramco de la seule école qu’elle avait
établie pour ses employés arabes ajoute encore à
leur frustration39. La revendication de meilleures
conditions de travail et de rémunération est doublée
d’une forte hostilité à l’encontre des Occidentaux et
des responsables arabes associés de l’entreprise. Des
comités ouvriers qui encadrent la grève sont issus
122 Aux pays de l’or noir

les principaux meneurs nationalistes saoudiens des


années 1950‑196040. Nasir al-Sa‘id (1923‑1979), un
jeune employé saoudien de l’Aramco originaire de
l’oasis de Ha’il au nord du royaume, est l’un d’eux.
Avec d’autres, il étend les mots d’ordre au soutien à
la Palestine et à la critique du gouvernement, trop
aligné sur les positions américaines. L’ouvrier saou-
dien rencontré dans le chapitre précédent, embauché
à la fin de la Seconde Guerre mondiale par l’Aramco
et interviewé par l’historienne Madawi al-Rasheed,
décrit précisément le couplage des luttes :

Quand le comité ouvrier nous a dit de réclamer plus


d’argent et une meilleure nourriture, nous n’avons pas
répondu. Les gens n’étaient pas des mendiants. Mais
quand ils nous ont dit de réclamer des droits poli-
tiques, nous avons tous répondu et rejoint les grèves
en 1953. J’ai envoyé de l’argent à ma famille. Tout ce
que je voulais m’acheter, c’était une radio. Je voulais
écouter ce qui se passait en Palestine et en Égypte.
Les ouvriers palestiniens nous parlaient de leurs pro-
blèmes. Nous écoutions les informations ensemble41.

Le gouvernement annonce une série de mesures


de revalorisation des salaires et des conditions de vie
dans les camps arabes de l’Aramco, mais ordonne
aussi l’emprisonnement des meneurs. Le roi Saoud
(fils d’Ibn Saoud) confie à un jeune bureaucrate, ‘Abd
al-‘Aziz ibn Mu‘ammar, le soin de mener une enquête
sur les conditions de travail des ouvriers de l’Aramco.
Au cours de cette enquête dans la province pétrolière
du royaume, Ibn Mu‘ammar se rapproche des intel-
lectuels et meneurs nationalistes. Avec eux, il crée
le Front de la Réforme Nationale (Jabhat al-Islah al-
Watani) qui associe les revendications économiques
(l’amélioration des conditions de travail des employés,
Les pays de l’or noir 123

le développement d’une industrie nationale) aux reven-


dications politiques (la mise en place d’une monarchie
constitutionnelle, la liberté d’association et syndicale).
Le roi Saoud le nomme à la tête d’un Bureau du Tra-
vail et des Travailleurs pour soutenir ses réformes et
son crédit nationaliste. Ibn Mu‘ammar et ceux qu’il
emploie au Bureau en profitent pour mener un com-
bat résolu contre la compagnie pétrolière. Lorsqu’en
décembre 1953 le roi visite Ha’il où Nasir al-Sa‘id a
été placé en résidence surveillée, al-Sa‘id en profite
pour faire un discours dans lequel il décrit le sous-
développement préoccupant du pays et la misère de la
population. Tout en soulignant l’urgence de réformes
politiques, il associe l’état préoccupant du pays à la
gestion impérialiste de l’Aramco et à la répression des
meneurs de la grève d’octobre42.
La mobilisation pendant trois semaines suc-
cessives en 1953 de ces hommes pour la plupart
jeunes et sans leur famille surprend la direction
de l’Aramco autant que les autorités du royaume.
« Ce fut un différend majeur et presque toutes les
familles de la région furent affectées d’une manière
ou d’une autre » se souvient le futur patron saou-
dien de l’Aramco, ‘Ali al-Naimi, pourtant très loyal à
son entreprise et à sa culture américaine43. Les res-
ponsables ne s’attendaient pas à ce que ces produits
de l’exode rural puissent se mobiliser contre leur
employeur avec une telle résolution, encore moins
sous la conduite de cadres saoudiens entrés jeunes
dans la compagnie. L’ampleur de la grève attire aussi
l’attention des pays voisins.
À Koweït, les diplomates britanniques remarquent
qu’un livre intitulé Le Pétrole volé est proposé à la
vente en 1954. Publié par une maison d’édition de
Beyrouth, il est écrit par un certain Yusuf Khater
124 Aux pays de l’or noir

al-Hilu qui ne cache pas ses références communistes


et particulièrement soviétiques. Le livre relate avec
détails la grève héroïque des ouvriers arabes de
l’Aramco en 1953 mais aussi les actions des ouvriers
et paysans de Sidon au Liban contre la société gestion-
naire de l’oléoduc Tapline (qui achemine le pétrole de
l’Aramco) et celles des ouvriers de la Kuwait Oil Com-
pany depuis la grève de 1952. Leur résistance face à
la répression est présentée non seulement comme un
exemple pour l’ensemble des pays arabes mais aussi
comme le signe annonciateur de la révolution qui doit
mettre fin à l’impérialisme étranger44.

Des revendications sociales


aux revendications politiques

12. De gauche à droite : « Les ouvriers », « le gouvernement »


et « les entreprises pétrolières » qui tirent le sac
des « droits des ouvriers ». al-Tali‘a, no 323, 17 avril 1971.

Lors des grèves du début des années 1950, les


ouvriers de l’Aramco critiquent aussi la discrimi-
nation pratiquée par le gouvernement à l’égard
des habitants chiites de la province orientale où
se trouvent les principaux puits de pétrole et dont
les hommes constituent près de 60 % de la main-
d’œuvre saoudienne de l’Aramco en 1954. À Bahreïn,
Les pays de l’or noir 125

les manifestations nationalistes pour la mise en place


de réformes politiques réussissent à réunir les habi-
tants sunnites et chiites après les graves tensions
de l’année précédente entre les deux communau-
tés. La grève générale de 1954 en faveur de la créa-
tion d’une assemblée législative mobilise 95 % de
la main-d’œuvre de la Bahrain Petroleum Company
(BAPCO), dont près de 70 % des ouvriers bahreïnis
sont chiites45. Parmi les meneurs, le représentant de
la BAPCO Muhammad Qasim al-Shirawi joue un
rôle essentiel pour obtenir la formation d’un comité
gouvernemental chargé de rédiger un Code du travail
autorisant la création de syndicats. Les travailleurs
du pétrole sont les principales forces d’un combat
syndical dont la dimension politique est double. Il
fait de ces travailleurs les défenseurs de réformes
politiques qui se limitent de moins en moins à la ges-
tion des affaires pétrolières. Il atténue les tensions
confessionnelles parfois vives, comme à Bahreïn, au
profit de revendications nationales46.
En 1956, des grèves éclatent dans la quasi-totalité
des exploitations pétrolières des pays arabes, de la
Syrie à Bahreïn et à nouveau en Arabie Saoudite.
Elles protestent contre l’« agression tripartite » orga-
nisée par la France, la Grande-Bretagne et Israël pour
prendre le contrôle du canal de Suez dont le président
Nasser vient de nationaliser la compagnie. Le person-
nel chargé de l’entretien des pipelines et des stations
de pompage en Syrie cesse le travail et des sabotages
ont lieu en novembre. À Bahreïn où les ouvriers sont
engagés depuis deux ans dans des protestations pour
obtenir le droit syndical, la crise de Suez est l’occasion
d’une surenchère dans la revendication de réformes
constitutionnelles et dans la contestation de la tutelle
britannique. La « révolution » bahreïnie de 1956 est
126 Aux pays de l’or noir

suivie de près par les journaux nationalistes des pays


voisins qui célèbrent l’essor de la conscience natio-
nale tout en condamnant l’impérialisme colonial
des compagnies pétrolières et la passivité des États
arabes47. En Arabie Saoudite, le roi Saoud est pris à
partie lors d’une visite à Dhahran où les ouvriers lui
demandent de chasser les militaires américains de la
base aérienne qui leur a été louée et de nationaliser
l’Aramco. Les manifestations et les grèves qui mobi-
lisent les ouvriers du pétrole pendant l’année 1956
sont partout coordonnées avec les mobilisations
nationalistes qui soutiennent la Palestine arabe, l’Al-
gérie en guerre contre la France et l’Égypte qui résiste
aux vieilles puissances colonisatrices.
En mars 1965, les ouvriers de la BAPCO sont à nou-
veau à la tête d’une grève qui paralyse le pays. Leurs
revendications politiques portent toujours sur le droit
de réunion et de former des syndicats, mais incluent
aussi la libération des prisonniers politiques et la
fin de l’état d’urgence instauré lors des émeutes qui
avaient marqué la grève de 1956. Un « comité d’union
nationale » réunit les ouvriers sunnites et chiites de
la BAPCO pour réclamer la reconnaissance des syn-
dicats et la réforme du droit du travail. Au début des
années 1960, la main-d’œuvre des sociétés pétrolières
étrangères se syndicalise massivement au Liban. À
l’instar du leader syndical et technicien de la société
du Tapline, Ayyub Shami — lui-même catholique et
diplômé de l’Université Américaine de Beyrouth —,
les premiers responsables syndicaux de la petite
industrie pétrolière libanaise réussissent à mobiliser
les employés arabes des différentes positions hiérar-
chiques et confessions. La grève réussie des employés
des sociétés pétrolières au Liban en 1964 enracine le
pouvoir de ces syndicats dans l’industrie. Plus encore
Les pays de l’or noir 127

que l’amélioration de leurs conditions de travail et


de leurs salaires, ils réclament l’égalité complète de
traitement des employés arabes et occidentaux au
nom d’un nationalisme arabe anticolonial. Pour le
Libanais Ayyub Shami, c’est notamment le racisme
d’un responsable passé par les installations bien plus
inégalitaires de l’Aramco en Arabie Saoudite, qui pro-
voque le mécontentement des employés arabes48.
Le nationalisme arabe n’est pas le seul ensemble
de références auxquelles ces ouvriers puisent pour
réclamer des améliorations de leurs conditions de tra-
vail et contester l’hégémonie étrangère sur le pétrole.
Les idées de gauche sont vives dans les années 1950.
Le parti communiste est en Irak le principal parti
de l’opposition au gouvernement de Nuri al-Sa‘id
et les ouvriers du secteur pétrolier lui fournissent
un nombre important de militants, inférieur seule-
ment à celui des ouvriers du secteur ferroviaire. La
révolution portée par le Front de Libération Natio-
nale (FLN) en Algérie puis celle de Kadhafi après
le renversement de la monarchie libyenne en 1969
sont des révolutions socialistes. Quant au Front de
la Réforme Nationale saoudien, il adopte dès 1958
des positions communistes et fait place en 1960 au
Front Populaire Démocratique pour la Libération de
la Péninsule Arabique, particulièrement actif chez
les ouvriers du pétrole. Couplées au nationalisme
arabe prégnant dans l’industrie pétrolière, ces idées
de gauche favorisent le dépassement des clivages
confessionnels au profit d’une solidarité profes-
sionnelle et parfois intellectuelle. Elles permettent
aux revendications d’abord économiques et souvent
sectorielles de s’étendre progressivement aux pro-
positions de réformes politiques tout en faisant des
128 Aux pays de l’or noir

gisements et des cités ouvrières voisines des labora-


toires de la mobilisation nationaliste arabe.
Si elles fournissent aux gouvernements l’occasion
d’entamer la renégociation de leurs concessions en
faisant pression sur les compagnies pétrolières, les
contestations qui culminent en 1956 ont aussi été
le moment du raidissement autoritaire de la part
des États arabes. En Arabie Saoudite où les partis
politiques sont bannis depuis la constitution offi-
cielle du royaume en 1932, les syndicats sont inter-
dits après la grève de 1945. Lorsque les ouvriers
de l’Aramco saisissent l’occasion de la visite du roi
Saoud sur les camps de la compagnie en juin 1956
pour exposer bruyamment leurs revendications, le
monarque, pourtant réputé proche des nationalistes,
fait interdire la grève par décret royal. Les travail-
leurs étrangers arabes, accusés de diffuser les idées
révolutionnaires, sont expulsés en masse. Les grèves
de novembre 1956 à Bahreïn sont réprimées avec
l’aide des troupes britanniques. Les meneurs syndi-
caux y sont arrêtés ou poussés à l’exil puis discrédi-
tés comme al-Shirawi. Le projet de Code du travail
est repris en main par le cheikh et place de nom-
breux obstacles à la création de syndicats actifs49.
À l’exception notable de la Syrie, il n’y a guère qu’au
Koweït devenu indépendant en 1961 et doté d’une
Constitution en 1962 que la formation des premiers
syndicats pour les différentes entreprises pétrolières
est autorisée après une grève très suivie en 1963. Par-
tout ailleurs, l’interdiction est générale ou, comme en
Irak, spécifique au secteur pétrolier. Jusqu’aux grèves
du début des années 1960, les sociétés pétrolières
étrangères installées au Liban sont exemptées du res-
pect des lois sur le travail depuis que des ouvriers de
l’Iraq Petroleum Company, de la Shell et de Socony y
Les pays de l’or noir 129

ont fait grève pour obtenir le paiement d’un treizième


mois en 1946. Même dans l’Algérie indépendante et
révolutionnaire post-1962, le seul syndicat autorisé
qu’est l’Union Générale des Travailleurs Algériens est
soumis à la direction du gouvernement du FLN50.

Une expérience arabe du pétrole


Lorsqu’ils cohabitent dans les premiers camps et
lorsqu’ils sont confrontés ensemble à l’inégalité de
traitement qui les sépare des employés étrangers,
les ouvriers arabes font la première expérience de
l’intégration régionale des pays arabes par le pétrole.
L’engouement pour le nationalisme arabe dans ses
différentes variantes est un des résultats de ces expé-
riences communes de travail et, parfois, de lutte. Les
accords de concessions des pays arabes des années
1920‑1930 comme ceux des années 1950 spécifient
que les citoyens nationaux doivent être privilégiés
« autant que possible » dans l’emploi des entreprises
pétrolières. Les dérogations sont toutefois fréquentes
pour les postes de direction et les métiers spéciali-
sés allant du foreur au mécanicien. En contrepartie,
les entreprises concessionnaires s’engagent à former
elles aussi « autant que possible » des citoyens natio-
naux dans ces métiers. Les accords de concessions
conclus dans les années 1950 incluent des clauses
similaires. Dans le cas où des citoyens nationaux ne
peuvent être embauchés pour occuper des postes
vacants, ils prévoient toutefois que les citoyens
arabes devront être privilégiés sur les autres natio-
nalités51.
Les besoins de l’industrie pétrolière rendent l’em-
ploi d’immigrés étrangers d’autant plus nécessaire
que les bassins de recrutement sont étroits dans
13. Reportage de l’hebdomadaire koweïtien al-Tali‘a (l’avant-garde)
à l’occasion de la grève des ouvriers de la Kuwait Oil Company
en 1963 : les grévistes rassemblés et une cuisine dans les habitats
réservés aux ouvriers de la compagnie. al-Tali‘a, no 28, 17 avril 1963.
Les pays de l’or noir 131

un grand nombre de pays arabes producteurs. Le natio-


nalisme arabe et la proximité géographique de pays
arabes fortement peuplés favorisent l’essor des migra-
tions qui ont commencé pendant les années 1940. Des
bataillons de travailleurs viennent des pays sans res-
sources pétrolières que sont la Jordanie, la Palestine,
le Yémen et, jusqu’à la fin des années 1960, Oman. Le
Qatar et les émirats de la Trêve comme Sharjah eux-
mêmes participent à l’envoi de travailleurs pétroliers
vers leurs voisins. L’Irak et la Syrie envoient aussi des
travailleurs, souvent qualifiés ou semi-qualifiés, sur
les gisements pétroliers de Libye et des pays du Golfe.
En 1956, près de 31 500 travailleurs étrangers sont
enregistrés au Koweït, dont 4 300 sont employés par
la Kuwait Oil Company (KOC) à Ahmadi. En 1958,
75 % des employés de la KOC sont étrangers. La moi-
tié des ouvriers étrangers sont arabes, en majorité
venus d’Oman, de Jordanie et d’Irak. En Arabie Saou-
dite, au contraire, la population plus nombreuse et
la politique de l’Aramco permettent aux Saoudiens
de former 71 % des 17 000 employés de l’entreprise
américaine.
Les registres du personnel montrent aussi le poids
des employés asiatiques bien avant l’immigration des
années 1970. S’ils sont particulièrement bien repré-
sentés dans les entreprises britanniques comme au
Koweït, Pakistanais et Indiens sont nombreux dans
le personnel de l’Aramco aussi. Ces anglophones
souvent formés dans le cadre de l’empire puis du
Commonwealth britannique sont des cadres, des
techniciens et parfois aussi des domestiques recher-
chés. Ils forment 31 % du personnel de la KOC et
11 % du personnel de l’Aramco en 195852.
Il faut toutefois prendre ces chiffres avec pru-
dence. L’emploi des non-nationaux est encore
132 Aux pays de l’or noir

difficile à mesurer quand ils sont arabes. Dans les


années 1950, des immigrés omanais peuvent encore
aisément acquérir un certificat de nationalité saou-
dienne pour obtenir un emploi à l’Aramco. Dans un
rapport sur sa visite au Qatar en 1949, le conseiller
pour les affaires du travail de l’ambassade britan-
nique du Caire, Audsley, relève que 1 580 (58 %) des
2 712 Qataris employés par la Petroleum Develop-
ment Qatar (la filiale de l’Anglo-Iranian Oil Com-
pany chargée d’exploiter le pétrole qatari et future
Qatar Petroleum Company) sont effectivement nés
au Qatar, les autres venant de Bahreïn, de la côte de
la Trêve, d’Oman et du Baloutchistan53.
Le recrutement obéit par ailleurs déjà à des consi-
dérations qui ne sont pas entièrement économiques.
Si les autorités britanniques au Koweït à l’époque
du protectorat favorisent l’emploi d’immigrés du
sous-continent indien, l’émirat devient dès la fin des
années 1950 et plus encore après son indépendance
en 1961 un pôle d’immigration réputé dans le monde
arabe grâce aux revenus tirés de l’exploitation du
pétrole et à la politique d’immigration volontariste
choisie par les dirigeants. L’installation de Yasser
Arafat et des autres fondateurs du Fatah (le Mou-
vement de libération de la Palestine) en atteste,
tout comme la naturalisation d’experts palestiniens
employés par le gouvernement koweïtien à l’instar
d’Ashraf Lutfi. La politique migratoire de l’émirat est
solidaire d’une diplomatie financière active puisque
le pays se dote dès 1961 du premier Fonds pour le
développement économique arabe. Dans le royaume
saoudien voisin, le roi ‘Abd al-‘Aziz Al Saoud (Ibn
Saoud) impose à l’Aramco de compenser les fai-
blesses du recrutement local par l’embauche d’ou-
vriers musulmans arabes en priorité et, dès 1949, de
Les pays de l’or noir 133

Palestiniens affectés par la guerre de 194854. L’attrait


des pays pétroliers du Golfe pour les Palestiniens
conduit aussi à des émigrations dramatiques. Dans
un roman publié en 1962, Ghassan Kanafani met
en scène l’errance de ses compatriotes palestiniens
sur les routes qui mènent vers les promesses d’em-
ploi des villes du Golfe. Les deux exilés palestiniens
meurent enfermés dans la citerne du camion de leur
passeur, un autre Palestinien chargé de leur faire
franchir les check points de la route désertique qui
conduit de Basra (en Irak) à la ville de Koweït55.
Les défenseurs des projets d’intégration écono-
mique mettent leurs espoirs dans les migrations de
travail et dans les redistributions financières que ces
migrations génèrent par le biais des remises des tra-
vailleurs émigrés à leurs familles. Des pays arabes
fortement peuplés mais faiblement dotés deviennent
complémentaires de pays faiblement peuplés mais
richement dotés en pétrole. L’or noir doit intégrer
les économies arabes les unes aux autres et servir
au développement régional. Le roman de Kanafani,
rapidement célèbre dans le monde arabe, rappelle
cependant dès le début des années 1960 que les eldo-
rados pétroliers peuvent aussi être, pour bien des
Arabes déracinés, des mirages.

ET LE PÉTROLE IRRIGUA
LE MONDE ARABE

La liquidité du pétrole, et plus tard celle du gaz,


facilite son transport et permet aux pays peu ou pas
dotés en pétrole de tirer parti d’une rente géogra-
phique. Dans le canal de Suez contrôlé par l’Égypte,
134 Aux pays de l’or noir

le tonnage pétrolier qui représentait 17 % du trafic


total en 1938 puis 30 % en 1946 atteint 60 % du trafic
total en 1950. En 1951, année de blocage des expor-
tations iraniennes et de l’ouverture du Tapline, cette
part redescend à 58 % du tonnage total qui transite
par le canal. À la veille du conflit israélo-arabe de
1967, les droits de transit par le canal rapportent
environ 300 millions de dollars. Les flux d’hydro-
carbures n’alimentent pas que les caisses de l’État
égyptien56. De leur construction au début des années
1950 jusqu’à leur fermeture après 1982 à la suite
de l’invasion israélienne au Liban et de désaccords
sur la fourniture de pétrole entre l’Iran et la Syrie,
les oléoducs partis d’Arabie Saoudite et d’Irak per-
mettent aux États non producteurs du Proche-Orient
(Jordanie, Liban, Syrie) de prélever eux aussi une
partie des bénéfices de l’exploitation pétrolière sous
la forme des droits de péage et de l’emploi d’une
partie de leurs ressortissants dans les stations de
pompage.
Le Trans-Arabian Pipeline (Tapline) est construit
entre 1947 et 1950 sur le territoire de la Jordanie, de
la Syrie et du Liban pour acheminer le pétrole saou-
dien de l’Aramco vers la Méditerranée. L’installation
d’une raffinerie à Sidon, au débouché du Tapline,
dote le Liban de sa première industrie pétrolière. Il
renforce les ambitions des élites politiques libanaises
de l’époque de faire de leur pays un pôle financier et
commercial entre le Moyen-Orient et l’Europe. Entre
1950 et 1952, la construction de l’oléoduc reliant
Kirkouk à Banias (Syrie) pour exporter le pétrole
de l’Iraq Petroleum Company (IPC) mobilise près
de 7 000 Irakiens et Syriens à côté des 390 Britan-
niques et Américains57. Deux ans après l’achèvement
de la construction de l’oléoduc, 78 % du pétrole brut
Les pays de l’or noir 135

saoudien et irakien à destination de l’Europe de


l’Ouest passent par le Liban, 22 % pour le pétrole à
destination des États-Unis58.
La place de la Syrie et du Liban dans le transit
des hydrocarbures du Golfe vers la Méditerranée en
général et vers l’Europe et l’Amérique du Nord en
particulier assure aux deux États des revenus régu-
lièrement renégociés à la hausse avec les compagnies
pétrolières propriétaires des oléoducs. Ces renégocia-
tions sont facilitées pendant les années 1950 lorsque
les pays arabes producteurs exigent des compagnies
pétrolières le partage à moitié des profits réalisés.
Les deux pays peuvent mettre en avant les écono-
mies réalisées par le transport par oléoducs dont le
coût est inférieur de 50 à 75 % au prix du transport
par tankers. Entre 1950 et 1961, les revenus perçus
par le gouvernement libanais passent par exemple
de 100 000 dollars à 4,1 millions de dollars par an59.
La succession des renégociations, la radicalisation
de la politique nationaliste en Syrie et les sabotages
des années 1960 suscitent toutefois plusieurs conflits
entre les pays arabes. En 1966, la Syrie passée sous
le contrôle du néo-Baas, au socialisme beaucoup
plus radical et autoritaire, exige un nouveau mode de
calcul des droits de transit sans consulter le Liban.
La reprise du transit en mars 1967 est le résultat
des revalorisations consenties par l’IPC mais aussi
des pressions exercées par l’Irak sur la Syrie. Après
la fermeture des oléoducs au moment de la guerre
israélo-arabe de juin 1967 et la perte par la Syrie
du plateau du Golan par lequel passe le Tapline, le
Liban s’oppose en 1968 à la demande formulée par le
gouvernement syrien d’un partage à égalité des droits
de transit reversés par la société. Le 31 mai 1969, le
gouvernement saoudien critique publiquement les
136 Aux pays de l’or noir

sabotages organisés par les groupes de résistance


palestinienne, en l’occurrence le FPLP, sur les oléo-
ducs. Le lendemain, le quotidien égyptien al-Ahram
dénonce lui aussi des sabotages qui affectent les éco-
nomies arabes plus qu’ils n’affaiblissent Israël.
Après la défaite de 1967, la diplomatie égyptienne
est moins hostile aux intérêts saoudiens. Tandis que
les troupes égyptiennes commencent à se retirer du
Yémen du Nord où elles combattaient le camp roya-
liste soutenu par l’Arabie Saoudite, la ligne politique
de la puissante presse cairote transpose ces nouvelles
orientations. En décembre 1969, le royaume saou-
dien menace même de couper son aide financière aux
pays qui ne s’opposent pas aux sabotages. En 1970,
un incident de chantier à proximité de Deraa (sud
de la Syrie) provoque une nouvelle interruption du
transit. Le gouvernement syrien s’oppose aux répa-
rations au motif que la proximité des troupes israé-
liennes rend les travaux dangereux. Pour la Syrie,
l’interruption du transit est l’occasion d’exiger une
revalorisation des droits de transit tout en affirmant
son hostilité à Israël et à la politique américaine. Le
ministre saoudien du Pétrole Ahmad Zaki Yamani
et ses collègues au gouvernement accusent alors la
Syrie de miner l’effort de guerre arabe. La médiation
du Liban et de la Jordanie, inquiets des pertes finan-
cières et des conséquences d’une fermeture définitive
de l’oléoduc pour leurs économies, permet de rouvrir
le transit en janvier 1971. La même année, les droits
de transit versés à chacun des trois pays concernés
(Jordanie, Liban, Syrie) sont considérablement réé-
valués60.
L’exploitation commune de certains gisements et
infrastructures suscite donc une série de différends
entre pays arabes. Le plus connu est sans doute le
Les pays de l’or noir 137

conflit qui oppose à partir de 1956 l’Arabie Saou-


dite d’une part à l’émirat d’Abu Dhabi et au sulta-
nat d’Oman d’autre part autour de l’oasis frontalière
de Buraymi. L’octroi des concessions et la décou-
verte de gisements exploitables rendent nécessaire
la délimitation précise des frontières des États, en
particulier lorsque leurs tutelles protectrices ont des
intérêts divergents. La concurrence entre les entre-
prises pétrolières américaines et britanniques pour
prendre le contrôle de possibles gisements souter-
rains alimente le vieux conflit frontalier entre les
trois États dont deux, Oman et Abu Dhabi, sont
encore sous le protectorat de la Grande-Bretagne.
En 1967‑1968, ce sont l’Algérie et la Tunisie qui s’op-
posent au sujet de l’exploitation du champ pétrolier
d’El-Borma sous leur frontière commune. Lorsque
les négociateurs tunisiens rappellent maladroitement
le soutien sans contreparties de leur pays à l’Algérie
en guerre contre la France, le différend technique
prend une dimension politique. Les concessions de
l’Algérie pour mettre fin au différend sont officiali-
sées en 1968. Non sans malice, le président Boume-
diene justifie ces concessions devant son homologue
tunisien Bourguiba au nom, précisément, de l’amitié
qui doit unir les deux pays61.
Parce qu’ils ne relèvent pas seulement de questions
techniques, ces différends mettent à mal les ambi-
tions d’unité affichées au moment où les sommets
arabes décrits dans le chapitre suivant discutent des
projets de flotte arabe de tankers, de réseaux arabes
d’oléoducs, de raffineries communes à deux ou plu-
sieurs États voisins.
138 Aux pays de l’or noir

LE « DÉVELOPPEMENT »
POUR MOT D’ORDRE

« Développement » (al-tanmiyya et parfois al-


tatwir) : comme dans le reste de ce que l’on appelle
encore le Tiers-Monde et les pays sous-développés,
le mot est utilisé comme un mantra par les experts
arabes et étrangers qui mesurent et scrutent la crois-
sance des pays producteurs d’hydrocarbures et ses
répercussions sur celle des pays non producteurs.
Il faut dire que les journaux des gouvernements
comme des oppositions ainsi que les revues publiées
par les entreprises pétrolières en font le mot d’ordre
des travaux financés par les revenus du pétrole. Les
réalisations et les ambitions du développement dont
les villes sont le théâtre le plus éloquent relèguent la
période précédente, prépétrolière, dans une vague
obscurité qui ne suscite pas encore de nostalgie. Les
secteurs traditionnels disparaissent. L’agriculture
non mécanisée et l’élevage, mais aussi la vannerie,
le tissage, la pêche et, dans le Golfe, le commerce de
la perle et les chantiers navals sont remplacés par le
commerce d’importation, les transports mécanisés et
les activités liées à l’exploitation des hydrocarbures.
Leurs employés sont attirés par les salaires des entre-
prises pétrolières et, plus encore, des administrations
publiques en plein essor.
Du Koweït à l’Algérie, les entreprises pétrolières
sont les locomotives de programmes de construc-
tion d’infrastructures sans précédent dans des pays
qui sont encore majoritairement pauvres et sous-
développés. Le rôle moteur de ces entreprises n’est
pas toujours assumé de plein gré, en dépit de ce qu’en
Les pays de l’or noir 139

disent leurs campagnes de communication, lorsqu’il


s’agit de contribuer à des projets éloignés des sites
d’exploitation. Le chemin de fer Riyad-Dhahran,
inauguré en grande pompe par le roi ‘Abd al-‘Aziz
en 1951, est encore aujourd’hui célébré comme l’une
des principales contributions de l’Aramco au déve-
loppement du royaume et au partenariat « spécial »
unissant le royaume aux États-Unis. Les archives
des directeurs américains de l’entreprise sont pour-
tant sans ambiguïté sur leurs réticences à construire
une ligne qui leur apparaît inutile et surtout trop
onéreuse62.
Dans les années 1950, la construction des écoles,
des hôpitaux et des lotissements est mise en avant
par les services de communication dont se dotent les
entreprises pour contrer les accusations des mou-
vements nationalistes et valoriser leur vision à long
terme du développement des pays arabes. L’année
de l’inauguration du premier chemin de fer saou-
dien, l’Iraq Petroleum Company célèbre à Kirkouk
l’ouverture de sa première école professionnelle. La
promesse de formation des futurs cadres de l’entre-
prise répond aussi aux revendications de plus en plus
radicales des mouvements ouvriers nationalistes et
communistes. Elle répond enfin aux pressions crois-
santes de l’État irakien. Ce dernier a mis en place un
Bureau du développement en 1950 chargé d’investir
les revenus reversés par l’IPC dans le développement
des infrastructures et de l’appareil de production.
Rapidement cependant, une part croissante (30 %
au début des années 1950, 50 % à la fin de la même
décennie) est affectée au financement des dépenses
courantes de l’État63.
Précoces en Irak où l’IPC a débuté ses opéra-
tions pendant les années 1920, les programmes
140 Aux pays de l’or noir

d’équipement sont plus tardifs dans les autres pays


producteurs du Golfe et ceux de l’Afrique du Nord.
Comme dans le reste des pays arabes, ils sont désor-
mais inscrits dans le cadre de plans. Les experts
arabes et étrangers qui les conçoivent apportent un
gage de scientificité et justifient l’accroissement de
l’emprise des États sur leurs économies et leurs socié-
tés64. Quant aux entreprises pétrolières et gazières,
en dépit des objectifs affichés de diversification, elles
restent, partout, les indispensables locomotives du
développement. La hausse des revenus tirés de l’ex-
portation du pétrole et du gaz permet de financer
des travaux massifs et, concrètement, d’enraciner le
pouvoir d’États encore jeunes sur l’ensemble de leur
territoire par le biais des constructions d’écoles, d’hô-
pitaux, de routes, de barrages et de fermes modèles.

Le pétrole au service de politiques


gouvernementales volontaristes
Lorsque le Premier ministre et prince héritier
saoudien Faysal expose en 1962 son « Programme
en dix points » qui doit lancer le pays sur la voie
du développement économique et de la moder-
nité politique, il s’agit aussi pour lui de s’imposer
comme réformateur face à son frère, le roi Saoud. Le
royaume se dote ainsi d’une Organisation Centrale
de la Planification en 1965. En Oman, le sultan Sa‘id,
pourtant réticent à tout projet de développement qui
mettrait en péril le budget du sultanat, proclame en
1968 le début d’une « nouvelle ère pour [son] pays
qui verra le début de plusieurs plans conduits sous
le contrôle de techniciens qualifiés et d’experts ». Le
pétrole dont les exportations ont commencé un an
Les pays de l’or noir 141

plus tôt en 1967 doit permettre de construire « des


bâtiments pour les bureaux des différents départe-
ments du gouvernement (…), puis, étape par étape,
des hôpitaux, des écoles, des routes, des communi-
cations. (…) Aussi longtemps que coulera le pétrole,
le gouvernement répondra à ce débit par le dévelop-
pement continu pour le bien-être du pays ». Lorsque
son fils Qabous prend le pouvoir en 1970, les insti-
tutions officielles du sultanat se mettent à décrire le
nouveau règne comme l’époque d’une « renaissance
(nahda) » capable de réunir les Omanais par-delà
les divisions tribales et de les faire entrer dans une
modernité bénéficiant à tous65.
Le président Boumediene lance en Algérie un pre-
mier plan triennal en 1967. L’heure est à l’industrie
lourde dans cette ancienne colonie française où le
modèle développementaliste des « industries indus-
trialisantes » est une source d’inspiration assumée
par le gouvernement, qui a d’ailleurs fait appel à ses
théoriciens. Ainsi, en 1968, aux Rencontres médi-
terranéennes de Rome, le patron de la Sonatrach,
Sid Ahmed Ghozali, s’associe à l’économiste français
Gérard Destanne de Bernis pour présenter un exposé
théorique intitulé « Les hydrocarbures et l’industria-
lisation de l’Algérie ». En avril de la même année,
le texte de l’exposé est publié dans El-Moudjahid, il
sera ensuite repris par la Revue juridique et écono-
mique de la faculté d’Alger66. L’émirat d’Abu Dhabi
en suit les préconisations avec un plan quinquennal
lancé en 1968‑1972 qui doit confirmer la stature de
modernisateur du cheikh Zayed, au pouvoir depuis
deux ans. Le budget de ce plan privilégie la construc-
tion de routes, le développement d’infrastructures
industrielles — en l’occurrence la construction de
centrales électriques et d’usines de dessalement d’eau
142 Aux pays de l’or noir

qui accaparent la majeure partie des fonds alloués à


l’industrie — et l’urbanisation67.
Un effet d’entraînement de l’industrie des hydro-
carbures est perceptible dans la création de pre-
mières entreprises locales. À partir des années 1950,
les compagnies concessionnaires sous-traitent en
effet un nombre croissant d’opérations peu tech-
niques d’exploitation, de transport, d’importation et
de construction. Elles deviennent alors le premier
client et, souvent aussi, une source de savoir-faire
pour des entreprises familiales dans lesquelles se
reconvertissent d’anciens négociants ou qui sont
créées par de nouveaux entrepreneurs. Après des
études d’ingénieur à Beyrouth puis au Massachusetts
Institute of Technology, le Libanais Emile Boustani
(1907‑1963) commence par travailler pour l’Iraq
Petroleum Company avant de créer sa propre entre-
prise en 1937, la Contracting and Trading Company
(CAT). Spécialisée dans la construction d’oléoducs et
de bâtiments dans les pays arabes, la société a son
siège à Beyrouth à partir de 1948 où elle emploie de
nombreux Palestiniens. Elle profite de la place du
Liban dans le réseau des oléoducs reliant le Golfe à
la Méditerranée. La CAT remporte plusieurs contrats
de l’Iraq Petroleum Company à capitaux britan-
niques pour la pose d’oléoducs en Irak et construit
les premiers bâtiments du site d’Umm Said pour la
Qatar Petroleum Company68.
En Arabie Saoudite, un jeune immigré yéménite,
Muhammad Bin Ladin, est employé par de grandes
familles négociantes du Hedjaz souvent d’origine
yéménite comme lui, avant de devenir maçon sur
les chantiers de l’Aramco. En 1935, il crée sa propre
entreprise et vit des premiers contrats accordés
par l’Aramco puis par les Al Saoud. Au début des
Les pays de l’or noir 143

années 1950, ses revenus sont suffisants pour lui


permettre de reprendre à une société britannique le
contrat de construction de la route Médine-Djedda
avec l’asphalte produit par l’Aramco. Un pourcentage
des paiements que l’Aramco verse à l’État saoudien
est directement affecté à son entreprise. C’est éga-
lement lui qui construit l’aéroport civil de Dhahran
inauguré en 1961. De la même manière, Sulayman
al-‘Ulayan, héritier d’une famille de négociants de
l’oasis de ‘Unayzah, s’engage dans l’Aramco en 1937.
Bien qu’étant encore dans sa dix-neuvième année, il
devient l’un des premiers Saoudiens à occuper des
postes de direction dans l’entreprise américaine.
Chargé de l’organisation des transports, il entre
ensuite au service des relations publiques de l’entre-
prise avec le gouvernement, dans lequel il devient
l’intermédiaire privilégié puis le partenaire en affaires
de l’Aramco et de la monarchie saoudienne. À la tête
de sa propre société à partir de 1947, il travaille sur
les chantiers du Tapline et, dans les années 1950, il
fonde la Société Nationale du Gaz qui redistribue la
production de l’Aramco dans tout le royaume.
Le développement des infrastructures financées,
directement ou indirectement, par les entreprises
pétrolières est un terreau fertile pour ces premiers
entrepreneurs arabes du pétrole. Souvent issus de
familles négociantes spécialisées dans l’import-export
de biens de consommation (alimentaire, textile, etc.),
ces hommes d’affaires assurent la reconversion des
activités familiales. Ils sont les fers de lance de la
transformation des économies arabes par l’indus-
trie pétrolière. Si les activités de production des
hydrocarbures restent sous le contrôle exclusif de
l’État, les contrats de services intermédiaires et de
constructions confiés par les institutions publiques
144 Aux pays de l’or noir

aux entreprises locales d’une part, et l’obligation faite


aux entreprises étrangères désireuses de s’implanter
dans les pays du Golfe d’avoir un partenaire local
d’autre part, favorisent l’émergence d’entreprises
d’envergure nationale puis régionale69.

Le bilan critiqué des retombées pétrolières


sur les économies nationales
La contribution à l’économie locale, que les entre-
prises pétrolières se plaisent à rappeler dans leurs
correspondances avec les gouvernements ou dans
leurs magazines, n’est toutefois pas perçue de façon
univoque par les observateurs arabes. Employé à
la mission saoudienne auprès de l’ONU, l’expert
palestinien ‘Umar Kamil Khaliq dénonce la forma-
tion de cette classe d’entrepreneurs sans conscience
politique, préférant l’enrichissement immédiat aux
intérêts de leur nation70. Le recours à des sous-
traitants pour des opérations de transport et parfois
pour recruter des ouvriers n’améliore pas les condi-
tions de vie de ces derniers. Ces sous-traitants sont
la principale cible des critiques formulées par les
comités de grève, en 1953 par exemple, lors de la
grève des ouvriers arabes employés sur les gisements
saoudiens. À cette époque, près de 11 000 Saoudiens
travaillent pour les sous-traitants de l’Aramco. Le
ministère des Finances saoudien lui-même s’émeut
de leurs conditions de travail et de leurs rémunéra-
tions, très inférieures aux standards de l’entreprise
américaine. Au Koweït cinq ans plus tard, l’hebdo-
madaire nationaliste al-Sha‘b (le peuple) accuse la
Kuwait Oil Company (KOC) de ne se fournir qu’a
minima sur le marché local pour sa consommation
Les pays de l’or noir 145

courante et de privilégier les importations depuis la


Grande-Bretagne. Le journaliste anonyme à l’origine
de l’article se présente comme un ancien employé
de la KOC qui, chargé de guider des experts étran-
gers venus se renseigner sur la capacité des mar-
chés locaux à fournir les biens de première nécessité
jusque-là importés par la KOC, les décrit confrontés
au mécontentement général des négociants71.
Alors qu’ils entament la renégociation des conces-
sions des entreprises pétrolières, les gouvernements
ne sont pas épargnés par les critiques. L’hebdoma-
daire saoudien, Les Nouvelles de Dhahran (Akhbar
al-Dahran), publie entre janvier et février 1956 une
série de trois articles sur le pétrole et la politique
pétrolière dans son pays. Dans un premier article
intitulé « Notre richesse pétrolière », le journaliste
Muhammad Bakir ‘Atiyya dénonce la gestion cala-
miteuse des revenus du pétrole par la famille royale
accusée non seulement de gaspillage mais aussi
d’être réticente au développement des institutions
du pays et d’entretenir une dépendance complai-
sante vis-à-vis des États-Unis. Les premiers signes
de l’exploitation du pétrole n’ont pour lui rien d’en-
courageant. Le pétrole est exporté sans finalement
susciter le développement et la diversification indus-
trielle promis. Les experts et techniciens sont trop
peu formés pour préparer une gestion indépendante
des ressources naturelles du pays. Dans la ville de
Dhahran, entièrement transformée par l’activité
pétrolière de l’Aramco, un discours aussi pessimiste
peut difficilement être toléré. Le journal est alors
interdit par les autorités l’année suivante, soit trois
ans après sa fondation.
D’autres titres, souvent de courte vie, prennent
le relais dans le royaume. Ils profitent du conflit
146 Aux pays de l’or noir

politique qui oppose le roi Saoud à son demi-frère,


le prince héritier Faysal. La volonté du roi Saoud
de rallier les nationalistes, y compris en tenant tête
à l’Aramco, offre à la presse quelques moments de
liberté. En 1958 et 1959, l’hebdomadaire al-Adwa’
(les lumières) prend régulièrement l’Aramco à partie
et critique sa gestion discriminatoire des employés
saoudiens et arabes ainsi que ses campagnes de com-
munication trompeuses à l’attention des autorités
et de la population saoudienne. Le journal attaque
aussi la politique impérialiste des États-Unis dont
l’Aramco serait le relais et appelle le gouvernement
saoudien à reprendre le contrôle de ses ressources
afin d’obtenir l’indépendance économique. Le jour-
nal rend publiques les manœuvres juridiques et la
propagande de l’Aramco qui cherche à obtenir son
interdiction. Peu avant sa fermeture, l’un de ses fon-
dateurs et journalistes vedettes, Muhammad Sa‘id Ba
‘Ishin, interpelle la compagnie en ces termes :

Quand nous avons écrit au sujet de l’Aramco, notre


but était d’empêcher que les droits de nos enfants les
citoyens soient foulés aux pieds, de protéger le bon
droit de notre pays et de notre gouvernement. (…) Et
comme les menaces échouèrent, l’Aramco a recouru
ensuite à l’achat : l’achat des consciences et l’achat
de la plume. (…) Mais nous n’allons pas vendre notre
pays pour des dollars. Tu peux acheter des traîtres et
des vendus avec tes dollars. (…) Menace-nous autant
que tu veux, Aramco, envoie tes mercenaires contre
ceux que ton Bureau de relations publiques a dési-
gnés72 !

Au Koweït, al-Tali‘a (l’avant-garde) et al-Sha‘b


mènent, depuis le milieu des années 1950, des cam-
pagnes régulières contre la Kuwait Oil Company.
Les pays de l’or noir 147

En 1958, cette dernière est accusée de garder secret


le montant réel de ses bénéfices, de trafiquer ses
chiffres pour contourner les accords sur le partage
des bénéfices et donc de voler le pays73.
Il faut attendre la fin des années 1960 et surtout
les années 1970 pour lire les premières traductions
macroéconomiques de ces critiques. En 1968, l’éco-
nomiste Nicolas Sarkis dresse un bilan inquiétant
des premières décennies de développement dans
les pays producteurs. L’Irak, l’un des premiers pays
arabes à avoir exploité ses ressources pétrolières,
présente encore tous les signes d’une économie
sous-développée. Parmi ces signaux négatifs, c’est
la monovalence de l’économie qui l’inquiète le
plus : d’après ses calculs, les exportations de pétrole
constituent une part de plus en plus écrasante des
exportations globales, de 81,2 % en 1956 à 96,5 %
en 1960. Cette augmentation est accompagnée du
recul continu des autres exportations, notamment
issues de la production agricole qui constituait avant
les années 1950 le principal secteur économique du
pays. L’industrie pétrolière représente désormais
près de 40 % du PIB du pays. Quant aux bénéfices et
impôts versés par les sociétés pétrolières, ils sont ou
bien placés à l’étranger faute de pouvoir être inves-
tis dans le pays, ou bien affectés à des dépenses de
consommation non productives. Le pays s’enferme
dans une monoactivité, à l’opposé du développement
tant espéré, et les autres pays arabes producteurs
semblent suivre la même voie74.
Ce bilan critique est repris en Algérie à l’issue des
plans de développement mis en place sous la prési-
dence de Houari Boumediene (1965‑1978). Là aussi,
l’accroissement de la part des hydrocarbures dans
les exportations du pays (de 59 % en 1966 à 96 %
148 Aux pays de l’or noir

en 1978) a été contemporain de l’effondrement du


secteur agricole. Ainsi, bien que l’agriculture reste
le premier employeur dans les économies arabes,
sa productivité et sa rentabilité stagnent. Sa parti-
cipation aux PIB nationaux gonflés par les exporta-
tions d’hydrocarbures diminue. Le secteur pétrolier
accapare l’essentiel des investissements productifs et
attire les bras à la recherche d’un emploi, bien plus
que l’élevage ou les cultures. La relégation de l’agri-
culture est un bouleversement économique qui n’af-
fecte pas uniquement les habitants ruraux, encore
majoritaires dans la plupart des pays arabes, mais
aussi ceux des villes. Le recours croissant aux impor-
tations, notamment alimentaires, pour combler les
demandes d’une population en plein essor s’installe
durablement même si la hausse des revenus tirés des
exportations d’hydrocarbures le rend imperceptible
au quotidien75.

Les premiers bilans de la fin des années 1960


sont mitigés et leurs auteurs souvent critiques. Ils
signalent l’ambivalence avec laquelle les transforma-
tions économiques sont perçues dans les pays arabes
par ceux dont le pétrole est devenu, directement ou
indirectement, le métier. L’émergence de nouveaux
groupes économiques, tels les ouvriers et les entre-
preneurs du pétrole, mais aussi la construction de
nouveaux paysages urbains et industriels sont les
manifestations concrètes d’un changement d’époque
qui affecte les habitants des pays arabes dans leur
mode de vie. L’exploitation du pétrole et l’essor des
migrations de travail relancent l’intégration écono-
mique, politique et démographique de ces pays à la
mondialisation. La modernité — si l’on entend par là
la capacité à rompre avec une époque et à la reléguer
Les pays de l’or noir 149

à un passé distant — provoquée par le pétrole est


indéniable ; c’est du moins ainsi que les responsables
et militants du pétrole arabe, et leurs enfants après
eux, décrivent la rupture qu’a constituée, pour eux,
cette époque.
Au cours des années 1950, ces transformations
économiques entrent dans l’agenda politique des
dirigeants comme dans celui des mouvements d’op-
positions arabes. Alors que les revenus du pétrole
s’accroissent fortement, la possibilité d’un dévelop-
pement global qui en découlerait est mise en doute
par des ouvriers confrontés à la discrimination
systématique que pratiquent les compagnies sur
les gisements, par des négociants qui n’ont ni les
faveurs des entreprises pétrolières ni l’entregent suf-
fisant pour obtenir des contrats gouvernementaux,
ou encore par des experts acquis au nationalisme
arabe. Pour les gouvernements planificateurs comme
pour les oppositions de la gauche arabe nationaliste,
le pétrole est devenu une matière politique.
Chapitre III

LA POLITIQUE ARABE DU PÉTROLE


DES ANNÉES 1950 ET 1960

« C’est pour jeter les bases d’une politique


commune que le département des Pétroles
prépare activement le premier congrès arabe
du pétrole (…). La révolution arabe aborde sa
deuxième phase : sur la voie de l’indépendance
totale, elle rencontre les problèmes écono-
miques et devra les résoudre. »
« La révolution arabe et ses conséquences
économiques », El-Moudjahid, 29,
17 septembre 1958

(…) Vautre-toi, prince du pétrole, au-dessus


et autour de ton plaisir
Comme un chiffon. Vautre-toi dans tes tur-
pitudes.
Le pétrole est à toi. Étends-le aux deux pieds
de tes amantes.
Les profondeurs de la nuit à Paris ont tué
ta virilité
Aux pieds d’une femme adultère là-bas, ta
vengeance a été enterrée.
Tu as vendu Jérusalem, vendu Dieu, vendu les
cendres de tes morts. (…)
NIZAR QABBANI ,
« L’amour et le pétrole », 19611
La politique arabe du pétrole 151

Au début des années 1950, le pétrole est encore une


ressource dont les conditions d’exploitation (la natio-
nalité des entreprises, la gestion du personnel, les stra-
tégies et les technologies de l’industrie, les retombées
économiques locales, etc.) importent moins aux États
arabes que les revenus et les relations diplomatiques
qu’il leur assure. L’intérêt essentiellement financier
et diplomatique que portent ces États au pétrole est
d’autant plus prononcé que ces revenus croissent rapi-
dement et que les entreprises qui exploitent l’or noir
sont liées à de puissantes diplomaties étrangères. Le
rattachement du pétrole aux ministères des Affaires
étrangères ou des Finances dans la plupart des pays
arabes traduit bien ce biais. Au Koweït, premier
producteur arabe de pétrole entre 1955 et 1965, les
affaires pétrolières sont ainsi rattachées au ministère
des Affaires étrangères jusqu’en 1967, puis à celui des
Finances de 1967 à 1975, sous la houlette de ‘Abd
al-Rahman al-‘Atiqi d’abord vice-ministre des Affaires
étrangères (1963‑1967) puis ministre des Finances
et du Pétrole (1967‑1974). Ce n’est qu’à la fin des
années 1960 que ce haut fonctionnaire, qui fut aussi
le premier ambassadeur koweïtien aux États-Unis,
défend la création d’un ministère distinct pour les
affaires pétrolières. Le ministère du Pétrole koweïtien
est alors créé en 1975. L’Arabie Saoudite se dote d’un
ministère dédié au Pétrole en 1960, d’abord confié
à ‘Abdallah al-Tariqi. Jusqu’en 1960 toutefois, c’est
dans le cadre du ministère des Finances que cet ingé-
nieur talentueux gère les affaires pétrolières. Dans
l’Irak monarchique d’avant la révolution de 1958, ce
sont les ministères de l’Économie et des Finances qui
sont responsables de la gestion du pétrole. Nadim
al-Pachachi, futur secrétaire général de l’OPEP, a
152 Aux pays de l’or noir

commencé sa carrière comme directeur des Affaires


pétrolières et minières au sein du ministère de l’Éco-
nomie en 1940 avant de devenir ministre de l’Écono-
mie puis des Finances dans les années 1950. Dans
l’Irak baasiste d’après la révolution, l’économiste et
journaliste militant Saadun Hamadi devient directeur
de l’Iraq National Oil Company avant d’être ministre
des Affaires étrangères entre 1974 et 19832.
Le traitement régalien du pétrole expose les dif-
férents gouvernements à la pression nouvelle mais
croissante de ceux qui réclament un contrôle plus
étroit des ressources pétrolières et accusent les
« princes du pétrole » de naïveté voire, comme le
poète syrien Nizar Qabbani, de complaisance. Au
Koweït, la presse nationaliste critique sans relâche
la nature foncièrement « coloniale » des entreprises
qui exploitent le pétrole. Les journaux nationalistes
multiplient les articles sur le mauvais comportement
des entreprises américaines et britanniques dans le
Golfe : accusées de piller les ressources et de traiter
leurs employés locaux sans ménagement, elles se
cacheraient derrière des concessions tenues secrètes,
et seraient de véritables « nids d’espions ». Au même
moment, le journal El-Moudjahid, porte-voix des
militants du FLN algérien, voit dans l’exploitation
du pétrole le prochain combat révolutionnaire pour
l’indépendance « totale » du monde arabe3.
L’exigence d’un contrôle plus ferme des États arabes
sur le pétrole tient d’abord à la montée en puissance
du nationalisme arabe dans les pays producteurs. Elle
s’appuie sur deux transformations des marchés pétro-
liers arabes : l’irruption d’entreprises indépendantes
des majors et la remise en cause des concessions.
La politique arabe du pétrole 153

LA BATAILLE POUR LES REVENUS


DU PÉTROLE

À partir des années 1950, un ensemble d’entre-


prises indépendantes commencent à concurren-
cer les majors dans les pays arabes en proposant
des conditions d’exploitation et de rémunération
inouïes. C’est le cas de compagnies américaines qui
obtiennent dès 1948‑1949 des concessions dans la
zone neutre entre le Koweït et l’Arabie Saoudite en
proposant des contreparties financières largement
supérieures aux concessions déjà détenues par les
majors britanniques et américaines.
La Libye est le premier État arabe à adapter sa
législation à cette évolution de la concurrence. Anis
al-Qasim, un jeune juriste palestinien né à Naplouse
en 1925, y est le principal consultant pour la politique
pétrolière du gouvernement libyen. Il a été formé à
Jérusalem puis à l’université de Londres à l’époque
du mandat britannique en Palestine, avant de pour-
suivre ses études aux États-Unis pour se spécialiser
dans les questions pétrolières4. C’est lui qui prépare
la loi de 1955 qui devient par la suite un modèle
pour les pays arabes pétroliers. Le texte inscrit dans
la loi le principe de la souveraineté nationale sur
le pétrole du sous-sol libyen. Habilement utilisée à
partir de 1961 par le Premier ministre du Pétrole
libyen, Fu’ad al-Ka‘bazi, cette disposition permet
d’imposer un nouveau modèle de concessions : plus
petites, reprises par l’État si elles ne sont pas exploi-
tées par les entreprises concessionnaires, et surtout,
révisables, contrairement aux concessions héritées
de l’entre-deux-guerres5. En acceptant ces nouvelles
154 Aux pays de l’or noir

conditions, les sociétés indépendantes prennent un


rôle croissant dans la production libyenne.
Parmi ces nouvelles entreprises, la jeune italienne
Ente Nazionale Idrocarburi (ENI) et les japonaises
sont particulièrement recherchées. Lorsqu’ils envi-
sagent l’avenir de l’industrie pétrolière de l’Algérie
indépendante, les articles d’El-Moudjahid préco-
nisent le recours à ces compagnies indépendantes
(qui ne font pas partie du groupe des majors), dont
l’ENI fait figure d’exemple. Pendant l’été 1957, une
filiale de l’ENI a d’ailleurs proposé à la National Ira-
nian Oil Company une coentreprise en s’engageant
à reverser l’équivalent de 75 % de ses bénéfices au
gouvernement iranien. L’accord est étudié de près
dans les pays arabes6. En décembre 1957, l’Ara-
bie Saoudite et le Koweït accordent à la Japanese
Arabian Trading Company une concession dans la
partie maritime de la zone neutre qui les sépare.
Les deux gouvernements obtiennent de recevoir à
eux deux 56 % des bénéfices nets de l’exploitation et
d’être associés à l’exploitation des gisements et à la
fixation des prix. L’accord est célébré dans les publi-
cations de la Ligue des États Arabes comme l’un des
principaux évènements de l’année, « le début d’une
ère nouvelle où les pays producteurs peuvent jouir
enfin de conditions équitables ». ‘Abdallah al-Tariqi,
qui l’a négocié, le décrit ni plus ni moins comme « le
meilleur accord du monde » dans la revue publiée
par le ministère saoudien du Pétrole, Akhbar al-bitrul
wal-l-ma‘adin (nouvelles du pétrole et des minéraux).
En 1958, c’est au tour du petit producteur qu’est le
Maroc de signer un ensemble d’accords avec l’ENI
présentés eux aussi par les économistes marocains
comme « particulièrement avantageux » et comme
« l’amorce d’une politique révolutionnaire (…) par
La politique arabe du pétrole 155

rapport aux formules juridiques pratiquées partout


ailleurs dans le monde7 ».
Applaudie dans les années 1950 et 1960 pour avoir
introduit une concurrence capable d’entamer le pou-
voir des grandes compagnies américaines et de la
British Petroleum, l’arrivée de ces sociétés « indépen-
dantes » laisse a posteriori un souvenir plus ambigu
aux responsables pétroliers arabes. Le choix des res-
ponsables koweïtiens d’accorder en 1961 à la Shell
(une « Major ») une large concession offshore, alors
que plusieurs sociétés indépendantes leur « promet-
taient le paradis » selon la presse spécialisée, montre
que la solidité de ces sociétés et leurs débouchés
encore peu assurés suscitent la méfiance des gouver-
nements. En 1972, peu de temps après la nationa-
lisation de l’industrie algérienne des hydrocarbures,
le président algérien Houari Boumediene constate
d’ailleurs devant une assemblée d’experts arabes
du pétrole que ces nouvelles entreprises ont bien
remis en cause le monopole des majors mais qu’elles
n’ont pas renversé la logique inéquitable des accords
pétroliers8.
Or, c’est précisément l’iniquité des concessions
passées qu’attaquent les responsables gouvernemen-
taux arabes à partir des années 1950. Accompagnés
de leurs experts, ils parviennent en quelques années
à imposer, même aux majors déjà installées, la modi-
fication des concessions. Le principe du partage à
moitié des bénéfices entre la société concessionnaire
et le gouvernement du pays hôte remplace progres-
sivement le système des royalties, versées en pro-
portion des volumes produits et exportés. La hausse
des cours du pétrole depuis la guerre, la meilleure
connaissance par les experts arabes des mécanismes
financiers et fiscaux auxquels ont recours les sociétés
156 Aux pays de l’or noir

pétrolières pour augmenter leurs bénéfices et enfin,


l’exemple donné par le Venezuela et l’Arabie Saou-
dite en 1948‑1949 permettent au fifty-fifty de se
généraliser dans les pays arabes producteurs. Par la
suite, les méthodes de calcul de ces 50 % sont elles-
mêmes contestées et renégociées par les responsables
arabes. Pour le spécialiste des questions financières
du pétrole qu’est Zuhayr Mikdashi, cette évolution
annonce la fin de l’« ignorance » des gouvernements
des pays producteurs dans les années 1950. Mikdashi
y contribue directement puisqu’il alterne cours à
l’Université Américaine de Beyrouth et missions de
conseil dans les pays arabes pour le compte de la
Banque Internationale pour la Reconstruction et le
Développement (l’actuelle Banque mondiale) et de
l’OPEP9.
Le Venezuela est un modèle pour ces pays en quête
de souveraineté sur leurs matières premières. Devenu
ministre du Développement, l’économiste et juriste
Juan Pablo Pérez Alfonzo critique le contournement,
par les entreprises pétrolières, de la loi de 1943 sur
le partage des profits à moitié entre les compagnies
concessionnaires étrangères et le gouvernement
vénézuélien. En 1948, cet homme politique coura-
geux fait voter une loi qui habilite le gouvernement
vénézuélien à fixer librement les taux d’imposition
et permet d’imposer le fifty-fifty. Les contacts sont
officiellement établis avec les pays arabes lors de la
visite la même année d’une délégation vénézuélienne
au Moyen-Orient. Ses membres découvrent l’Ara-
bie Saoudite, l’Égypte, l’Irak, le Koweït et la Syrie,
ainsi que l’Iran, afin de coordonner avec ces pays les
politiques pétrolières du Venezuela à l’heure où la
production arabe est en passe de devenir une concur-
rente. Tout au long de la décennie, le Venezuela ne
La politique arabe du pétrole 157

cesse d’inspirer ses homologues arabes avec qui il


entretient des contacts resserrés. De jeunes experts
comme les Saoudiens Muhammad Joukhdar, futur
secrétaire général de l’OPEP, et Hisham Nazir, futur
ministre du Pétrole, font leur stage de début de car-
rière au ministère vénézuélien10.
Les discussions sur une rémunération « juste » des
États arabes ont cependant débuté dès le lendemain
de la Seconde Guerre mondiale. Comme l’Iran avec
l’Anglo-Iranian Oil Company (AIOC), l’Irak entame
en 1947 une longue renégociation qui porte dans
un premier temps sur le montant des royalties et
sur d’autres questions techniques comme le taux de
conversion de l’or payé au gouvernement, ou encore
les volumes de production et la participation de
l’État irakien au capital des entreprises concession-
naires. Profitant de la crise suscitée par la nationali-
sation de l’AIOC en Iran, le gouvernement hachémite
obtient en 1952 que l’Iraq Petroleum Company lui
reverse l’équivalent de 50 % de ses profits, augmente
significativement sa production (jusqu’à 225 millions
de barils par an) et s’engage à employer un nombre
croissant de cadres irakiens. Entre-temps, le principe
du partage s’est étendu à la quasi-totalité des pays
arabes du Golfe. Il faut dire que les négociateurs s’y
observent mutuellement pour répliquer dans leur
propre pays les acquis des pays voisins. Dans cette
logique, un premier accord officiel de coopération
et d’échange d’informations est conclu par l’Irak et
l’Arabie Saoudite en 1953.
En Arabie Saoudite, les négociations portent sur la
transformation des redevances payées par l’Aramco
en un impôt sur le revenu calculé de telle sorte que
l’entreprise transfère au gouvernement saoudien la
moitié de ses bénéfices. La conclusion rapide de
158 Aux pays de l’or noir

ces négociations en 1950 facilite la tâche des négo-


ciateurs arabes dans les autres pays producteurs.
Des accords similaires sont appliqués au Koweït à
partir de 1951, au Qatar et au Bahreïn à partir de
1952. Alors que le FLN cite en exemple le Venezuela
et évoque même la possibilité d’exiger un partage
attribuant 60 % des profits nets au gouvernement
du pays hôte, la France reprend le principe du par-
tage des profits dans le code pétrolier qu’elle éla-
bore pour le Sahara algérien en 195811. C’est à Abu
Dhabi que les négociations aboutissent le plus tardi-
vement, en 1965. L’emploi de l’expert irakien Nadim
al-Pachachi comme consultant a finalement raison
des hésitations de l’émir, le cheikh Chakhbout, par-
ticulièrement réticent à négocier avec les entreprises
concessionnaires12. De manière générale, pour les
experts et responsables gouvernementaux de ces
États arabes, ces aménagements sont jugés plus sûrs
et plus adaptés aux économies de leurs pays que les
mesures de nationalisation dont l’exemple iranien a
montré les risques en 1951‑1953.

Le prix du pétrole arabe


Les négociations des années 1950 et l’application
des accords amènent les experts arabes à concentrer
toute leur attention sur les « prix affichés » (posted
prices), ces prix définis par les entreprises pour
calculer les montants reversés aux États. Les com-
pétences techniques, financières et juridiques, désor-
mais acquises, des experts arabes leur permettent de
comprendre et de contester les calculs et les mon-
tages juridiques et financiers des entreprises conces-
sionnaires tout en gérant la hausse des revenus. En
1952 par exemple, ‘Abdallah al-Tariqi, encore jeune
La politique arabe du pétrole 159

fonctionnaire au ministère des Finances saoudien et


chargé de contrôler les activités des sociétés pétro-
lières, dénonce le contournement par l’Aramco de
l’accord de 1950 sur le partage des bénéfices. Au
terme de sa démonstration, il conclut que l’entre-
prise américaine ne verse en réalité que 22 % de ses
bénéfices. La crise iranienne qui inquiète alors les
entreprises pétrolières et rend le pétrole arabe indis-
pensable lui permet d’obtenir le versement de com-
pensations sans provoquer de crise politique mais
non sans communiquer largement dans la presse.
Tariqi cite régulièrement cette victoire parmi ses
succès remportés sur les compagnies étrangères.
En Irak, Fadil al-Chalabi, futur secrétaire général de
l’OPEP entre 1983 et 1988, doit à sa thèse en sciences
économiques sur le pétrole, soutenue à Paris sous la
direction de Maurice Byé, de sortir de sa relégation
au sein du ministère de l’Économie irakien après le
coup d’État de 1963. Après un court passage comme
économiste à la Conférence des Nations Unies pour
le commerce et le développement — un haut lieu
des débats juridiques entre anti-impérialistes —, il
devient en 1968 directeur des affaires pétrolières au
sein du ministère du Pétrole puis sous-secrétaire
d’État pour les affaires pétrolières et entre au conseil
d’administration de l’Iraq National Oil Company13.
L’augmentation des revenus tirés du pétrole s’ac-
célère sous le double coup de la hausse des volumes
produits et de l’accroissement de la part des profits
revenant aux États. Après Bahreïn où cette transfor-
mation avait eu lieu dès le milieu des années 1930,
le pétrole prend la première place dans le budget des
États arabes au cours des années 1950, loin devant le
revenu des taxes variées et des emprunts. Au Koweït,
les revenus tirés du pétrole par le gouvernement
160 Aux pays de l’or noir

passent de 760 000 dollars en 1946 à 169 millions


de dollars en 1953. Ils constituent 92 % des reve-
nus du gouvernement et plus de 97 % des revenus
tirés de l’exportation au moment de son indépen-
dance en 1961. En Arabie Saoudite, les recettes du
pétrole reversées par l’Aramco constituent 85 % des
revenus du gouvernement et 90 % des revenus de
l’exportation dès 1959. En Irak, les revenus pétro-
liers qui constituaient environ 16 % des revenus du
gouvernement avant l’accord sur le partage des béné-
fices en constituent près de 60 % en 1958‑1959. Le
contrôle des entreprises étrangères sur l’exploitation
de ressources dont les revenus sont désormais indis-
pensables au fonctionnement des États arabes n’en
devient que plus insupportable14.

LE DÉBUT DES INDUSTRIES


PÉTROLIÈRES NATIONALES

En 1958, après deux ans d’une position hésitante,


le nouveau Gouvernement Provisoire de la Répu-
blique Algérienne de Ferhat Abbas exige que le
Sahara soit reconnu par la France comme une par-
tie du territoire algérien et les hydrocarbures sont
alors présentés comme l’« enjeu le plus sérieux de la
guerre d’Algérie aux yeux des dirigeants français15 ».
Signes de l’importance croissante prise par le pétrole
dans la stratégie du Front de Libération Nationale
(FLN), de premiers attentats contre les installations
ferrées et les pipelines dépendant des compagnies
pétrolières françaises sont revendiqués à partir de
195916. Pour Hocine Malti, alors jeune ingénieur, la
découverte des gisements algériens et l’opposition
La politique arabe du pétrole 161

intransigeante du gouvernement français aux reven-


dications algériennes ne font que retarder l’issue de
la guerre d’indépendance. Plus grave encore, elles
favorisent la prise en main du FLN par son aile mili-
taire. Aussi tragique que soit ses effets, l’attachement
du FLN à faire reconnaître la propriété nationale
du pétrole manifeste aussi la conscience nouvelle
de l’importance économique et politique des hydro-
carbures tant pour l’indépendance que pour le déve-
loppement des pays arabes17. Le FLN fait donc du
contrôle des ressources énergétiques un « but à long
terme » de la révolution. Et lorsque, au moment de
l’indépendance, les rôles déterminants du pétrole et
du gaz se voient confirmés dans le programme dit
« de Tripoli » (juin 1962) puis dans la Charte d’Alger
(1964), l’expérience des autres pays arabes sert de
repoussoir aux nouveaux dirigeants algériens. Ces
derniers refusent en effet qu’un secteur dans lequel
tant d’espérances ont été placées pendant la guerre
soit la chasse gardée d’entreprises étrangères. Pour
ces hommes qui ont fait du FLN le représentant
presque organique de la nation algérienne, les hydro-
carbures sont une affaire politique en premier lieu.
Les technologies et les capitaux, tout comme la
main-d’œuvre qualifiée et les cadres employés sur les
gisements des pays arabes, viennent encore principa-
lement d’Europe, d’Amérique et dans une moindre
mesure d’Asie. Les gains réalisés, comme l’ont illus-
tré les discussions sur le partage des bénéfices et
la faiblesse des activités de raffinage, sont encore
en majorité réinvestis vers les pays consommateurs.
Facteur aggravant, l’exploitation répond encore dans
les années 1950 à des stratégies élaborées dans le
secret des compagnies, indépendamment des gou-
vernements. al-Tariqi est l’un des deux premiers
162 Aux pays de l’or noir

Saoudiens à participer au conseil d’administration


de l’Aramco en 1959. Pour leur ménager des sièges,
il a fallu réviser l’accord de concession de 1933. En
1958, au Koweït, une série d’articles de l’hebdoma-
daire nationaliste al-Sha‘b dénonce l’« État indépen-
dant » que forment la Kuwait Oil Company et les
institutions multiples qu’elle a mises en place autour
de ses sites d’exploitation et qu’elle administre en
toute indépendance, privilégiant les étrangers aux
dépens des employés arabes qui peuvent être ren-
voyés sans justification18. Après avoir été critiquées
par un militantisme politique dans les années 1950,
l’« insularité » et l’« extraversion » du secteur pétro-
lier dans les pays arabes sont désormais identifiées
par les chercheurs des années 1960 comme le prin-
cipal obstacle au développement économique des
pays producteurs et des pays de transit. L’industrie
pétrolière est selon eux un secteur trop tourné vers
l’exportation et trop contrôlé par des entreprises
étrangères pour avoir un effet d’entraînement réel
sur les économies arabes19. « Industrie de pointe,
étroitement liée aux marchés étrangers », l’indus-
trie pétrolière n’entraîne pas le reste des écono-
mies nationales qui conservent leur « dualité » :
« il faut s’efforcer d’intégrer l’industrie dominante
— le pétrole — aux autres secteurs économiques »,
conclut le ministre du Pétrole des Émirats arabes
unis, Mana al-Otaïba, dans la thèse qu’il soutient à
l’université du Caire en 197620.
La création des entreprises nationales publiques est
le premier instrument dont se dotent les États arabes
pour mettre fin à cette extraversion. À l’heure de l’af-
firmation du contrôle souverain des ressources et du
rôle de l’État, la création de ces entreprises natio-
nales est un geste politique autant qu’économique.
La politique arabe du pétrole 163

En 1956, l’Égypte se dote d’une Egyptian General


Petroleum Corporation qui ne tarde pas à s’asso-
cier avec des sociétés étrangères pour exploiter les
gisements égyptiens et gérer ses raffineries et ses
oléoducs. En 1960, la Kuwait National Petroleum
Company est créée avant même l’indépendance offi-
cielle de l’émirat. En 1962, c’est au tour de l’Ara-
bie Saoudite de créer son entreprise nationale, la
Petromin. Ces entreprises n’ont pas pour objectif
immédiat de prendre la main sur toutes les activi-
tés d’exploitation. Celles-ci restent en effet sous le
contrôle des entreprises étrangères, le traumatisme
de la nationalisation iranienne étant encore puis-
sant. Ce sont donc d’abord les activités dites « aval
(downstream) » (raffinage, commercialisation et dis-
tribution) qui les occupent. Moins complexes que les
activités « amont », elles doivent cependant préparer
le contrôle des ressources21.

L’activisme des États irakien et algérien


Le contexte de création de ces entreprises natio-
nales est éclairant. En 1962, le général et président
irakien Qasim annonce, à la suite de la promulga-
tion de la « loi 80 » en décembre 1961, la création de
l’Iraq National Oil Company (INOC). Sous la pres-
sion d’une opinion publique de plus en plus hostile à
l’Iraq Petroleum Company (IPC), le gouvernement de
Qasim met ainsi fin à trois ans de laborieuses négo-
ciations avec l’entreprise étrangère, trois longues
années pendant lesquelles le contrôle des ressources
pétrolières avait fini par devenir le thème principal
des joutes politiques et l’élément central de l’affir-
mation du nationalisme irakien. La « loi 80 » permet
au gouvernement de reprendre 99,5 % des surfaces
164 Aux pays de l’or noir

concédées en 1925 dont il estime qu’elles ne sont pas


activement exploitées. L’évènement a un écho consi-
dérable dans les pays arabes : c’est la première fois
depuis le précédent iranien de 1951 qu’un gouverne-
ment impose des conditions aussi drastiques à une
entreprise pétrolière concessionnaire. La réussite
irakienne est d’autant plus éclatante que l’opinion
a été préparée. La publication dans la presse des
comptes rendus des dernières réunions de négocia-
tion met le président Qasim à son avantage face aux
responsables de l’IPC. Et les interviews accordées par
le ministre du Pétrole, Muhammad Salman Hassan,
confortent la position du gouvernement.
La loi irakienne de 1961 impose en réalité un prin-
cipe déjà appliqué dans d’autres pays arabes pro-
ducteurs, comme la Libye dont le corpus législatif a
servi de modèle à l’Irak : la restitution des surfaces
concédées mais non exploitées. Elle ne retire pas non
plus à l’IPC le contrôle des champs qu’elle exploite
selon les normes, ce qui n’affecte donc pas vraiment
sa capacité de production. En permettant au gouver-
nement de confier les surfaces libérées à des compa-
gnies concurrentes de l’IPC qui acceptent les termes
fixés par l’État irakien, la loi de 1961 puis l’annonce
de la création de l’INOC sont seulement des moyens
de faire pression sur l’IPC. Une fois créée en 1966 et
après plusieurs difficultés liées au manque de per-
sonnel qualifié et aux menaces de l’IPC, l’INOC se
voit confier l’exploitation du champ très prometteur
de Rumayla. Elle fait alors appel aux techniciens
soviétiques et le forage d’un premier puits productif
en 1970 y est célébré comme le début de l’indépen-
dance pétrolière22.
En Algérie, alors que les accords d’Évian (1962)
maintiennent l’essentiel des droits des entreprises
La politique arabe du pétrole 165

françaises sur l’exploitation du pétrole et du gaz


sahariens, la création de la Société nationale pour
la recherche, la production, le transport, la transfor-
mation et la commercialisation des hydrocarbures
(Sonatrach) est décidée pour permettre à l’Algérie
indépendante de prendre des participations dans les
sociétés de construction et de gestion des oléoducs
qui acheminent le pétrole et le gaz de l’intérieur des
terres vers la Méditerranée. Il s’agit ici d’affaiblir
le monopole français après que des responsables
politiques comme Belaïd Abdesselam ont été accu-
sés d’avoir « vendu » le Sahara aux anciens colons
en accordant trop de concessions aux intérêts éco-
nomiques français. L’association à des entreprises
américaines puis le compromis trouvé en 1965 avec
les entreprises françaises permettent à la Sonatrach
d’étendre ses activités : les revenus qu’elle génère et
son rôle moteur dans les plans de développement
font d’elle la principale entreprise de l’État algérien
dès la fin des années 196023.
En Algérie aussi, la recherche de partenaires alter-
natifs complète la stratégie d’autonomie vis-à-vis du
concessionnaire historique qu’est la France. Ainsi,
une coopération pétrolière et gazière avec l’URSS
débute dès 1965. Les cadres, comme Belaïd Abdes-
selam qui dirige la Sonatrach et devient ministre de
l’Énergie en 1965, sont séduits par les promesses
de développement des experts soviétiques qui par-
ticipent aux opérations d’exploration des gisements
algériens et d’évaluation des capacités du champ de
Hassi Messaoud. Les méthodes d’exploitation inten-
sive des champs gaziers ainsi que les stratégies glo-
bales d’industrialisation importées tout droit d’URSS
confortent l’empressement et les ambitions des élites
pétrolières algériennes. D’autres jeunes experts, qui
166 Aux pays de l’or noir

se plaignent du manque d’ambition des Français


pour le développement de l’industrie pétrolière algé-
rienne, sont également séduits par l’expertise et les
méthodes américaines auxquelles ils recourent au
même moment. En 1967, lorsque les sociétés pétro-
lières américaines et britanniques sont placées sous
la tutelle de l’État dans le contexte global d’embargo
sur le pétrole arabe, Boumediene obtient la garantie
de l’aide soviétique. Mais cela n’empêche nullement
les responsables algériens de négocier de nouveaux
accords de coopération avec les entreprises améri-
caines, alors même que les relations diplomatiques
sont rompues24. Les premières entreprises nationales
sont donc de premiers instruments d’indépendance
vis-à-vis des entreprises occidentales, suspectes de
néocolonialisme, autant que des mesures politiques
découlant du nationalisme arabe dont le pétrole
devient un fondement.

LE NATIONALISME PÉTROLIER

L’indépendance « nationale » qu’invoquent les


dirigeants et les militants acquis au nationalisme
est celle de la nation arabe dans son ensemble. Les
découvertes et l’exploitation du pétrole forgent leur
conviction de partager la même expérience histo-
rique, les mêmes défis du développement et de
l’indépendance économique. En 1954, c’est-à-dire
moins de deux ans après avoir été porté avec les
Officiers Libres à la tête de l’Égypte, Gamal ‘Abd
al-Nasser exprime cette profonde conviction dans
un ouvrage resté célèbre : Philosophie de la Révolu-
tion. Dans ce texte programmatique en grande partie
La politique arabe du pétrole 167

rédigé par l’intellectuel et journaliste Muhammad


Hasanayn Haykal, Nasser présente l’unité des pays
arabes comme le cadre nécessaire à leur libération
et au progrès de leur société. Pour construire cette
unité, les Arabes peuvent compter sur trois forces :
le partage d’une même histoire, leur emplacement
stratégique dans le monde et leur pétrole, « nerf de
la civilisation et du progrès ». C’est sur ce dernier
élément que Nasser s’attarde le plus, n’hésitant pas
à évoquer, sans en préciser ni le titre ni l’auteur,
une thèse « éditée par l’université de Chicago » et à
donner une série de chiffres pour mettre en évidence
« l’importance de l’élément que constitue le pétrole
dans la puissance des nations »25.
La Philosophie de la révolution signale une transfor-
mation majeure : le pétrole n’est plus seulement une
ressource commercialisable, c’est-à-dire une source
de revenus, il devient au cours des années 1950 un
instrument de la puissance politique pour les jeunes
États arabes et les militants anti-impérialistes. C’est
aussi une ressource qui revient à la nation arabe
dans son ensemble et dont l’exploitation doit encou-
rager l’unité politique et économique.
L’évolution est manifeste dans l’attitude du Front
de Libération Nationale algérien et de son organe de
presse, El-Moudjahid. Dans son deuxième numéro,
paru en juillet 1956, les gisements de pétrole et de gaz
qui viennent d’être découverts ne sont mentionnés
qu’au troisième rang des raisons stratégiques pour
lesquelles la France cherche à garder le contrôle du
Sahara, et parmi d’autres matières premières comme
le fer et le charbon. Le programme politique établi
lors du congrès du FLN, réuni en août 1956 dans la
vallée de la Soummam, évoque rapidement l’exploita-
tion des « sous-sols » et des « régions sahariennes ».
168 Aux pays de l’or noir

Si la plateforme rappelle l’impératif d’une stratégie


commune aux « trois peuples frères » du Maghreb,
le pétrole et le gaz ne figurent manifestement pas
encore parmi les priorités des mudjahidun26.
À partir de 1958 toutefois, quand l’importance des
gisements découverts est mieux connue et que les
contacts du FLN avec les pays arabes se sont inten-
sifiés, les articles sur le pétrole et le gaz du Sahara
se font de plus en plus nombreux et précis. Pendant
l’été 1958, une série d’articles expliquent aux lecteurs
d’El-Moudjahid que le pétrole est « aujourd’hui » le
fondement économique de l’unité arabe après avoir
été « hier » le facteur de sa division par les pays
impérialistes et leurs entreprises pétrolières. Sur
un plan idéologique au moins, le pétrole devient
le principal moteur d’une révolution politique et
économique qui doit affranchir les pays arabes de
leurs tutelles européennes et les conduire à l’unité27.
L’annonce du plan de développement de l’Algérie
par de Gaulle en visite à Constantine au mois de
septembre de la même année ne fait qu’accélérer
les discussions sur le rôle des hydrocarbures. Le
pétrole et le gaz sont désormais intégrés aux pro-
jets politiques et économiques du FLN : ils forment
le socle d’un combat partagé avec les pays arabes
contre l’impérialisme. Dans le journal du FLN, les
découvertes à Edjelé, Hassi R’Mel, Hassi Messaoud
et In Salah sont désormais minutieusement décrites.
La nécessité de développer une politique pétrolière
à l’échelle du Maghreb pour exploiter les ressources
algériennes est réaffirmée mais cette fois, les options
en sont précisées : contrats avec des entreprises indé-
pendantes (et non des majors) américaines ou euro-
péennes, accords avec des pays considérés comme
non impérialistes (Italie, Japon et RFA), examen des
La politique arabe du pétrole 169

propositions avancées par l’URSS. Dans tous les cas,


l’exploitation commune du pétrole et du gaz trou-
vés au Maroc et en Tunisie est envisagée comme
l’instrument de libération et de développement d’un
Maghreb arabe enfin uni28.

Le pétrole devient une question panarabe


Parce qu’elle a l’ambition de concilier la souverai-
neté de chacun de ses membres avec la possibilité de
débats panarabes (c’est-à-dire englobant l’ensemble
des pays arabes et s’affranchissant de la division en
États), la Ligue des États Arabes (LEA) créée en 1945
est le lieu où sont élaborées les premières formes de
concertation pétrolière à l’échelle du monde arabe.
Ce sont d’abord les crises qui poussent les membres
de la Ligue à développer une première approche
commune du marché pétrolier. En 1951, un Comité
du pétrole est créé et des mesures sont adoptées
sous la houlette de l’Irak et de l’Arabie Saoudite
pour mettre fin à la contrebande et au contourne-
ment de l’embargo imposé par les pays arabes sur
Israël après la guerre de 1948. Les difficultés d’ap-
plication de cet embargo et, plus généralement, des
décisions des États arabes mettent en évidence l’ab-
sence de contrôle des pays arabes sur les compagnies
étrangères qui raffinent et transportent l’essentiel de
leur pétrole. C’est donc dans un double contexte de
confrontation avec Israël et de nationalisation de
l’industrie pétrolière votée par le Parlement iranien
en mars 1951 que la Commission politique de la
Ligue adopte une résolution demandant la création
d’un « Comité d’experts pour l’étude approfondie
des affaires pétrolières afin de préparer des projets
de résolutions spéciales concernant la poursuite du
170 Aux pays de l’or noir

boycottage et la politique pétrolière arabe ». En fai-


sant du pétrole un domaine qui relève de sa respon-
sabilité, la LEA prend une décision qui signale le
« réveil arabe concernant le pétrole », écrit a poste-
riori le politiste égyptien Gamil Yakan29.
Le comité se réunit pour la première fois en
juin 1952 au siège de la LEA, au Caire. L’Arabie
Saoudite, l’Égypte, l’Irak, le Liban et la Syrie y
envoient chacun un représentant30. La présidence
est confiée à Mustafa ‘Allam, un ingénieur égyptien.
L’examen de l’efficacité des mesures d’embargo sur
le pétrole arabe à destination d’Israël est le principal
sujet des premières réunions. Lors de leur deuxième
réunion en juillet 1953 cependant, les experts pro-
posent aussi la création d’un Bureau Permanent du
Pétrole au sein de la Ligue. Sa mission ne doit pas
être seulement de contrôler l’application de l’em-
bargo. Sur la proposition du Comité d’experts, la
Ligue lui assigne aussi la tâche d’élaborer une poli-
tique pétrolière arabe et de faciliter l’échange des
informations sur le pétrole entre les pays membres.
Le Bureau permanent du pétrole est ainsi créé
en 1954. Il devient, en 1959, un Département des
affaires pétrolières. Muhammad Salman, un jeune
ingénieur irakien, en est le premier directeur. La
mission officielle du département consiste à collec-
ter et à diffuser les informations pétrolières utiles
aux pays arabes, à préparer les réunions du Comité
d’experts et, toujours, à empêcher l’exportation
de pétrole arabe vers Israël. La crise de Suez en
octobre 1956 relance les discussions. L’embargo sur
les exportations de pétrole est étendu par les États
arabes à la France et à la Grande-Bretagne, au prix
de pertes importantes pour les pays producteurs
comme pour les pays de transit. Les ouvriers arabes
La politique arabe du pétrole 171

font alors massivement grève dans les installations


pétrolières. Lors d’une réunion du Comité organisée
au Caire en avril 1957, les experts obtiennent des
pays membres de la Ligue la tenue d’un Congrès
afin de susciter « une prise de conscience concer-
nant le pétrole dans les pays arabes ». D’abord pro-
grammée à un terme suffisamment lointain pour
permettre aux entreprises et aux États de préparer
leur participation à l’exposition sur le pétrole que le
Comité d’experts veut organiser à cette occasion, la
tenue du Congrès est précipitée par les décisions des
entreprises pétrolières au début de l’année 1959 de
faire baisser les prix du pétrole au Venezuela et au
Moyen-Orient. C’est moins la raison avancée par les
entreprises — faire revenir les cours au niveau qui
était le leur avant la crise de Suez —, qui provoque
la colère des responsables arabes et de leurs homo-
logues vénézuéliens, que le fait de ne pas avoir été
consultés31. La Ligue affirme en réalité la nécessité
d’une « planification économique à long terme » à
l’échelle du monde arabe pour bénéficier davantage
des revenus pétroliers.
Du 16 au 23 avril 1959, Le Caire accueille les
responsables gouvernementaux, les experts et les
entreprises pétrolières actives dans les pays arabes.
L’afflux des 535 délégués des pays arabes et des
compagnies pétrolières prend au dépourvu les orga-
nisateurs égyptiens, et ce d’autant plus que le gou-
vernement propose aux participants de prolonger
leur séjour par la visite d’une série de sites embléma-
tiques de la modernisation industrielle nassérienne
dans les zones industrielles de Helwan, Mahalla
al-Kubra et Suez afin de les convaincre de l’utilité
d’une coopération économique à l’échelle du monde
arabe. Les participants se plaignent de l’organisation
172 Aux pays de l’or noir

hésitante, et parfois improvisée, de leur séjour mais


aussi des sessions durant lesquelles la traduction
simultanée des débats, souvent techniques et parfois
très animés, constitue un problème récurrent. Mais
d’une manière générale, pour les experts comme
pour les responsables gouvernementaux arabes, le
premier Congrès arabe du pétrole est une réussite.
L’actualité des questions techniques et plus encore,
des questions politiques traitées dans les différentes
sessions de ce Congrès lui vaut une large couverture
médiatique et diplomatique. La capitale politique du
monde arabe, à savoir la ville du Caire, se prête ainsi
à de nouvelles mondanités et à une sociabilité des
élites pétrolières arabes qui se renforce tout au long
des années 196032.
Les groupes de travail sont dominés par les experts
égyptiens et, dans une moindre mesure, saoudiens.
Trois des commissions spécialisées sont consacrées
aux sujets techniques (de l’exploration des sous-sols
au transport du pétrole) autour desquels le débat
est assez consensuel. C’est la commission consacrée
à « l’économie du pétrole » qui est la plus animée et
attire tous les regards. Elle est présidée par le juriste
palestinien et ancien conseiller du gouvernement
libyen pour les affaires pétrolières, Anis al-Qasim.
Les discussions au sein de cette commission sont
d’autant plus suivies que la rumeur d’un débat sur
la nationalisation des industries pétrolières a cir-
culé en amont. Pour rassurer les représentants des
compagnies européennes et américaines, la Ligue a
rapidement démenti cette information relayée par
la presse arabe.
Bien que Muhammad Salman insiste sur le carac-
tère économique et technique des discussions lors de
son discours d’inauguration du sommet, il s’attarde
La politique arabe du pétrole 173

aussi sur les « appels lancés aux compagnies dans


nos pays pour qu’elles corrigent leurs contrats avec
nous et purifient leurs textes de tout ce qui peut
pousser les Arabes à penser que leurs droits ont été
enfreints et que leur part n’est pas juste, qu’elles les
expurgent, en fait, de tout ce qui dégage l’odeur de
l’exploitation33 ». En dépit de la colère suscitée par
la baisse du début de l’année et de quelques com-
munications, la question des prix n’est finalement
abordée que de façon secondaire. Ce sont la remise
en cause des contrats de concession et la coopéra-
tion panarabe qui font progressivement l’objet de
nombreux débats34.
Dans son exposé devant la commission dédiée à
« l’économie du pétrole », l’avocat américain Frank
Hendryx, un ancien de l’Aramco débauché par
‘Abdallah al-Tariqi pour être conseiller juridique au
Bureau des Affaires pétrolières saoudien, conteste
juridiquement la sanctuarisation des contrats de
concession. Au nom du principe des droits souve-
rains des États, Hendryx défend la possibilité pour
les gouvernements arabes de réviser et de faire évo-
luer ces contrats. al-Tariqi de son côté présente le
projet d’une société arabe d’oléoducs pour trans-
porter le pétrole du Golfe vers la Méditerranée. Le
chef de la délégation du Liban, l’entrepreneur Emile
Boustani, défend son projet d’Institut financier arabe
pour le développement économique. Sur le modèle
de la Banque de Reconstruction et de Développe-
ment, le capital de cet Institut serait constitué par un
prélèvement sur les revenus tirés du pétrole par les
pays arabes. Il permettrait de financer le développe-
ment des pays arabes les moins bien dotés, comme
le Liban35.
La question de la fixation du prix du pétrole est
174 Aux pays de l’or noir

à nouveau débattue lorsque le directeur du Dépar-


tement des affaires pétrolières de la Ligue Arabe
(appelé autrefois Bureau), Muhammad Salman, se
rend au Venezuela à l’été 1960 après avoir achevé
une tournée en Arabie Saoudite, en Irak et au
Koweït. Il transmet à Caracas le souhait des pays
arabes de voir le Venezuela participer au prochain
Congrès arabe du pétrole. Le ministre des Mines et
des Hydrocarbures vénézuélien, Juan Pablo Pérez
Alfonzo, soutient alors la proposition avancée par
‘Abdallah al-Tariqi de mettre en place un système de
régulation de la production en fonction du marché
pour garantir le niveau des prix36.
Depuis le milieu des années 1950, les prix réels
du pétrole tendent à baisser en raison de la diminu-
tion des coûts de production et de l’augmentation
des volumes produits. Ils entraînent dans leur chute
les marges bénéficiaires des entreprises pétrolières
concessionnaires qui sont donc tentées de baisser
les prix affichés (posted prices), qu’elles fixent encore
unilatéralement et à partir desquels la part des
marges qu’elles doivent reverser au pays producteur
est calculée. En août 1960, l’annonce par la Stan-
dard Oil of New Jersey (qui participe notamment
au consortium de l’Aramco) d’une nouvelle baisse
du prix affiché de l’Arabian Light précipite l’organi-
sation d’un sommet des ministres arabes du Pétrole
à Bagdad le mois suivant. La tension est d’autant
plus vive que les discussions entre l’Irak Petroleum
Company et le nouveau gouvernement républicain
irakien patinent. Le Premier ministre irakien ‘Abd
al-Karim Qasim veut rompre ostensiblement avec
la politique pétrolière du régime monarchique qu’il
a renversé deux ans plus tôt avec d’autres officiers
nationalistes, monarchie régulièrement accusée
La politique arabe du pétrole 175

de complaisance envers les intérêts britanniques.


Alors que le pays n’a pas envoyé de représentant
au Congrès du Caire pour ne pas cautionner le rôle
directeur que se donne l’Égypte nassérienne rivale,
l’organisation du sommet à Bagdad permet à l’Irak
de revenir dans les discussions pétrolières.

Des Congrès à l’Organisation


des Pays Exportateurs de Pétrole
La question des prix est la première raison de la
naissance de l’OPEP. La conscience grandissante
d’affronter des défis pétroliers communs, le début
des consultations interarabes sur ces sujets et des
contacts fréquents avec le Venezuela facilitent la
naissance d’une organisation dont les pays arabes
sont la majeure partie. A posteriori les experts arabes,
comme ‘Abdallah al-Tariqi, font de l’OPEP le produit
logique de ces Congrès dont ils ont été les acteurs37.
L’association aux pays arabes du Venezuela d’une
part, et de l’Iran d’autre part, n’allait pourtant pas
de soi en 1960. En 1961, les ouvriers égyptiens char-
gés du fioul à Port-Saïd refusent encore de ravitail-
ler les navires iraniens, parce que l’Iran soutient la
Syrie dans la scission de la République Arabe Unie.
En Égypte toujours, la presse s’insurge contre l’ab-
sence d’invitation adressée au pays pour le sommet
des ministres du Pétrole que l’Irak organise en sep-
tembre 1960. Une fois ce dernier passé, le quotidien
cairote al-Jumhuriyya se moque même des résolu-
tions « faibles et conciliantes » que le sommet de
Bagdad a adoptées à l’égard des États étrangers dont
les entreprises exploitent le « pétrole arabe »38.
En réalité, en dépit de ces tensions, le sommet de
Bagdad s’achève dans une ambiance enthousiaste
176 Aux pays de l’or noir

par la décision de constituer l’Organisation des


Pays Exportateurs de Pétrole (OPEP) dont ‘Abdal-
lah al-Tariqi et Juan Pablo Pérez Alfonzo ont été les
principaux instigateurs. En enrôlant le Venezuela et
l’Iran à leurs côtés, les ministres arabes ont l’espoir
de reprendre la main sur la fixation de la production
et des prix qui relèvent jusque-là de la seule déci-
sion des entreprises pétrolières et d’établir avec ces
dernières des relations jugées équitables. « Nous ne
sommes pas ici pour demander quoi que ce soit qui
lèse une autre partie, qu’il s’agisse d’entreprises ou
des gens qui utilisent le pétrole », assure le ministre
irakien du Pétrole et président du sommet, Talaat al-
Shaybani : « Notre cause est juste et nous ne deman-
dons que ce qui est juste39. »
La question des prix est au cœur des débats du
deuxième Congrès arabe du pétrole à Beyrouth. Les
délégués arabes réussissent à exercer sur les repré-
sentants des entreprises pétrolières une pression
conjointe « considérable » aux dires des diplomates
britanniques. Dans sa conférence très attendue sur
« la fixation des prix du pétrole brut et des produits
raffinés », le Saoudien ‘Abdallah al-Tariqi accuse les
entreprises pétrolières de traiter les Arabes « comme
des enfants » et de fixer des prix selon une formule
qui leur permet de cacher leurs bénéfices réels aux
pays arabes. Ce stratagème leur aurait permis d’es-
camoter en sept ans près de 5,5 milliards de dollars
dus aux pays arabes selon al-Tariqi, qui propose
donc un nouveau système de fixation des prix. La
dénonciation des entreprises pétrolières fait l’objet
d’une attention sans précédent parmi les plus de
600 participants arabes et non arabes du Congrès.
Elle pousse les représentants des entreprises à récla-
mer une deuxième session de débats pour répondre
La politique arabe du pétrole 177

aux accusations, et fait du représentant saoudien le


héraut du nationalisme pétrolier arabe40.
Cinq autres Congrès arabes du pétrole ont lieu entre
1960 et 1970. Les participants qui s’y retrouvent de
congrès en congrès peuvent constater la fin du déclin
du prix du baril et se réjouissent des manifestations
de solidarité entre les pays producteurs alors même
que les tensions politiques n’ont pas disparu en leur
sein. En parallèle, les sommets de l’OPEP deviennent
réguliers et fournissent des occasions supplémentaires
de consultation entre experts et responsables arabes.
L’Irak qui a refusé de participer au sommet de l’OPEP
à Téhéran, en novembre 1961, à cause de son différend
avec le Koweït, reçoit tout de même des participants
un télégramme officiel de soutien pour ses négocia-
tions avec les entreprises pétrolières britanniques.
La presse arabe salue les manifestations de la solida-
rité des pays producteurs. Elle en vante les premiers
succès, tant attendus, face aux grandes entreprises
américaines et européennes. « La seule solution est
l’élaboration d’une politique unifiée des pays arabes
producteurs de pétrole », écrit le journaliste Wasim
Khalis dans al-Jumhuriyya (la République), avant de
poursuivre : « L’Amérique et l’Europe reconnaîtront
alors le droit légitime des Arabes sur leur pétrole41. »
La succession des sommets depuis 1959 confronte
rapidement les participants à la question de la répar-
tition des rôles entre les Congrès arabes du pétrole
d’une part, et l’OPEP qui associe l’Iran et le Vene-
zuela aux pays arabes d’autre part. La tribune que les
Congrès fournissent aux militants les plus radicaux
et aux pays arabes comme l’Égypte suscite l’hosti-
lité des ministres de l’OPEP, accusée d’ailleurs par
les premiers d’être trop gouvernementale. À Alexan-
drie justement, ‘Abdallah al-Tariqi formule une
178 Aux pays de l’or noir

distinction fonctionnelle. Le ministre saoudien du


Pétrole est encore auréolé de la gloire d’avoir été
l’un des principaux artisans arabes de l’OPEP. Cette
dernière doit être selon lui le « forum des gouverne-
ments42 ». Elle peut donc traiter de questions telles
que le prix du pétrole et la limitation de la produc-
tion. Les Congrès sont, quant à eux, des forums pour
les sociétés arabes et leurs experts43.
Pour les États arabes producteurs et membres
de l’OPEP, comme l’Arabie Saoudite et l’Irak, cette
distinction est une façon de se réserver le pouvoir
de décision dans les discussions pétrolières et donc
de limiter l’influence des pays arabes « transitaires »
(ceux que traversent les oléoducs) comme la Syrie,
et des petits producteurs comme l’Égypte. Ces der-
niers ne font pas partie de l’OPEP où sont votées
les principales décisions sur le pétrole. En outre,
l’échelle régionale des Congrès les soumet aux riva-
lités d’États dont les projets, fussent-ils panarabes,
diffèrent. Les représentants égyptiens tentent, par
exemple, d’obtenir, en vain, la formation au sein du
Congrès de commissions sur les prix et les prises de
participation des États dans les entreprises pétro-
lières. Ils se heurtent au refus de l’Arabie Saoudite.
Le poids croissant des pays du Golfe dans la produc-
tion pétrolière et donc dans l’économie globale des
pays arabes transforme progressivement les Congrès.
Les monarchies de la Péninsule apparaissent déjà
comme le repaire de princes corrompus que décrit
avec férocité le poète syrien Nizar Qabbani dans son
poème de 1961. Vautrés dans leurs « turpitudes », ils
préfèrent le luxe des capitales occidentales comme
Paris à la défense des intérêts de la nation arabe44.
La politique arabe du pétrole 179

LA COMMUNAUTÉ ARABE
DU PÉTROLE

Lorsqu’ils reprennent en novembre 1963 à Bey-


routh après un flottement de deux ans, les Congrès
restent le « parlement arabe du pétrole », selon l’ex-
pression du politiste égyptien Gamil Yakan qui y a
participé avant de leur consacrer sa thèse, c’est-à-dire
une instance non pas de négociation mais de discus-
sion capable de formuler des recommandations aux
États et d’agir comme un groupe de pression. Leur
rôle est d’autant plus précieux pour les experts et
les journalistes arabes que les espaces de débats se
referment au cours de la décennie et que la presse
est largement contrôlée par les États. Pourtant, les
participants au deuxième Congrès avaient appelé dès
1960 ces États « à faciliter l’implication des citoyens
arabes dans les travaux du Congrès ». L’affirmation
du caractère public du débat sur le pétrole et la
recommandation qu’ils formulent montrent toutefois
que le Congrès a conscience de la difficulté à associer
la population, alors même que les préoccupations de
ses membres s’arabisent45.
En effet, de Congrès en Congrès, la proportion de
participants non arabes s’amenuise. Lors du premier
Congrès arabe du pétrole en 1959, 143 des 535 par-
ticipants enregistrés viennent de pays non arabes
(ce qui représente environ 27 % du total), dont 53
des États-Unis, 19 du Venezuela et 19 de Grande-
Bretagne. Les participants non arabes constituent
près de 50 % (303 sur 617) des membres du Congrès
de 1960 : 138 viennent des États-Unis, 42 de Grande-
Bretagne, 17 du Venezuela. Lors du quatrième
180 Aux pays de l’or noir

Congrès, en 1963, ils sont encore 348 sur 708 parti-


cipants enregistrés à venir de pays non arabes. Leur
nombre décline ensuite, signe de l’arabisation des
débats. Ils ne seront plus que 219 (environ 38 %)
sur 569 en 1972 à Alger, et 161 (environ 27 %) à
Dubaï en 1975. Probablement moins attractifs pour
les participants non arabes au moment où l’OPEP
s’impose comme le lieu des négociations des pays
producteurs avec les principales entreprises pétro-
lières, les Congrès deviennent effectivement un
forum panarabe46.
À l’image de la fréquentation de ces Congrès,
les thèmes qui y sont abordés par les orateurs et
leurs contradicteurs sont eux aussi plus spécifi-
quement liés aux préoccupations des pays arabes.
L’influence du Venezuela et sa coopération avec les
pays arabes s’affaiblissent progressivement à partir
de 1963. Le renvoi d’al-Tariqi par le prince héritier
et Premier ministre saoudien Faysal en mars 1962,
puis la démission en janvier 1963 de son homologue
vénézuélien Juan Pablo Pérez Alfonzo portent un
coup sévère au couple moteur des Congrès arabes
et de l’OPEP. Le contexte économique affaiblit
encore le lien des pays arabes avec leur modèle des
années 1950. Le pétrole arabe se révèle toujours
moins cher à produire et ses prix « postés » tou-
jours inférieurs à celui du pétrole vénézuélien. La
conjonction d’intérêts qui réunissait les pays arabes
autour du Venezuela disparaît.
À partir de 1964, la rupture se manifeste à l’OPEP.
Un camp favorable aux discussions avec les entre-
prises pétrolières qui souhaitent faire baisser le prix
du baril est mené par l’Arabie Saoudite, l’Iran et
les pays du Golfe. Il s’oppose au groupe rassemblé
autour du Venezuela qui voit dans la négociation
La politique arabe du pétrole 181

avec les entreprises et plus encore, dans l’éventuelle


baisse du prix du baril un contre-pied aux principes
fondateurs de l’Organisation qui ruine les acquis des
années d’union. Les critiques qu’il formule à l’égard
de l’OPEP montrent que ‘Abdallah al-Tariqi ne se
reconnaît plus dans l’Organisation divisée dont il
revendique pourtant toujours la paternité avec une
certaine fierté. L’amertume de ce héraut du panara-
bisme pétrolier signale la perplexité avec laquelle les
premières générations d’experts voient la domination
nouvelle des pays du Golfe sur les affaires pétrolières
arabes. Elle traduit aussi l’évolution du pétrole aux
yeux des responsables de leurs gouvernements :
sans cesser d’être une affaire commune aux pays en
développement du monde, il devient aussi un objet
proprement arabe47.

La genèse d’un monde arabe du pétrole


L’horizon mondial des élites pétrolières arabes ne
disparaît pas pour autant. Il fonde leur conviction
d’être les acteurs d’une longue histoire de libéra-
tion partagée avec l’ensemble des mouvements anti-
impérialistes du monde. Ils adoptent d’ailleurs les
analyses et les arguments techniques et juridiques
que les « élites anti-impérialistes du pétrole » d’Amé-
rique du Sud, d’Afrique et d’Asie imposent avec
conviction dans les réunions internationales. Les
concepts juridiques de droits souverains de l’État,
de souveraineté permanente sur les ressources natu-
relles et de changement des circonstances (à savoir
le fait que la situation dans laquelle un contrat
de concession a été accordé, parfois plus de vingt
ans auparavant, a en tout point changé à cause de
l’évolution des marchés, des cadres juridiques, du
182 Aux pays de l’or noir

développement économique et humain d’un pays,


ou à cause d’autres facteurs, au point de léser l’une
des parties) sont mobilisés par les experts et res-
ponsables arabes pour exiger la renégociation et
l’adaptation des concessions, comme le font leurs
homologues des autres pays en développement pour
renégocier les concessions d’exploitation des hydro-
carbures et d’autres matières premières48.
Bien qu’ils relèvent d’un contexte global dont les
experts sont pleinement conscients, ces argumen-
taires sont déclinés avec précision à l’échelle des
pays arabes, notamment dans les revues spécialisées
qui apparaissent au même moment. Le Palestinien
Fuad Itayim (1929‑1986), un ancien de l’Aramco,
lance en 1957 le Middle East Economic Survey, heb-
domadaire, depuis Beyrouth. ‘Abdallah al-Tariqi crée
quant à lui la revue Pétrole et Minéraux (al-Bitrul
wa-l-Ma‘adin) en 1961 alors qu’il est encore ministre.
La Revue du pétrole et du gaz arabes, autre organe
de diffusion de ces idées dans les pays arabes, est
lancée en 1965 à Beyrouth par Nicolas Sarkis qui
s’adjoint l’aide et l’aura de ‘Abdallah al-Tariqi. Ce
dernier fonde un peu plus tard en parallèle la revue
Naft al-‘Arab (le pétrole des Arabes, 1969). Entre le
début et la fin des années 1960, l’adjectif « arabe »
s’est imposé à ces experts journalistes.
Avec sa devise « le pétrole des Arabes aux Arabes »,
Naft al-‘Arab accueille les articles de la plupart des
spécialistes arabes du pétrole pourvu qu’ils soient
favorables au nationalisme pétrolier. Le caractère
militant de la Revue du pétrole et du gaz arabes et de
Naft al-‘Arab les distingue du ton neutre du Middle
East Economic Survey de Fuad Itayim. Lorsqu’il
raconte les débuts financiers difficiles de la Revue
du pétrole et du gaz arabes, Nicolas Sarkis insiste
La politique arabe du pétrole 183

sur les lettres de soutien et les visites des « centaines


de fonctionnaires, d’étudiants et autres (…) chez
nous, au bureau, pour se documenter et discuter de
la situation pétrolière dans leurs pays ». C’est une
façon de rappeler le rôle formateur de la revue, des
autres magazines puis du centre qu’il a créés pour les
jeunes générations d’experts arabes dont sont issus
les ministres des années 197049.
L’idée d’une communauté d’intérêts et de projets
pétroliers spécifiquement arabes n’est pas limitée au
cercle des experts. Dans l’enquête qu’ils ont lancée
en 1955 sur les conditions de travail dans l’indus-
trie pétrolière, l’économiste libanais Albert Badre et
le juriste palestinien Simon Siksek relèvent la per-
ception politique commune des ouvriers arabes du
pétrole, particulièrement exposés aux échanges et
aux idées panarabes : l’hydrocarbure est déjà consi-
déré comme la « propriété de l’ensemble du peuple
arabe » et le moyen de défendre son « intérêt entière-
ment unifié ». Fruits de ces échanges intellectuels, de
la mobilité des ouvriers et des experts et de l’expan-
sion des infrastructures nécessaires à l’exploitation
des hydrocarbures, les projets d’intégration écono-
miques fleurissent dans les années 1950 avant même
que la hausse des revenus dans les années 1970
ne permette de leur donner une première concré­
tisation.
Dans un petit livre inspiré par les débats du
Congrès arabe du pétrole de 1959, le juriste
palestinien et futur secrétaire général de l’OPEP
(1965‑1966), Ashraf Lutfi, conclut son examen des
défis du pétrole arabe par la proposition de créer une
entreprise pétrolière arabe. Soutenue par les gouver-
nements arabes et intégrant l’ensemble des activités
allant de l’exploration à la commercialisation, une
184 Aux pays de l’or noir

telle structure serait assez forte pour résister aux


pressions des majors et des puissances étrangères50.
L’économiste Nicolas Sarkis consacre au même
moment la troisième et dernière partie de sa thèse
de sciences économiques au projet plus ambitieux
encore d’une « communauté arabe des pétroles »
dont la formulation même évoque la construction
européenne qu’il a eue sous les yeux et qui inspire
nombre de partisans du nationalisme arabe éco-
nomique. Le développement d’une industrie pétro-
chimique, d’une organisation de développement et
d’une politique pétrolière communes aux pays arabes
doit permettre non seulement de transformer en
complémentarités les inégalités démographiques
et économiques qui pèsent sur le développement
des pays arabes : les pays non producteurs peuvent
fournir une main-d’œuvre abondante et sont des
passages obligés pour l’acheminement du pétrole
vers les marchés européens ; les pays producteurs
ont une main-d’œuvre peu nombreuse et peu quali-
fiée et sont incapables d’absorber efficacement l’af-
flux de capitaux tirés du pétrole. Leur organisation
commune doit les rendre capables de peser face aux
grandes entreprises pétrolières et aux États qui les
soutiennent51.
En 1967, c’est au tour d’un ancien employé de
l’Iraq Petroleum Company en Palestine et de l’in-
dustrie pétrolière au Koweït de consacrer à cette
question la conclusion de la thèse qu’il soutient à
Harvard. L’examen des effets du pétrole sur le déve-
loppement des pays arabes conduit Kamal Sayegh à
souligner lui aussi la nécessité d’une « communauté
arabe du pétrole ». Après en avoir décrit les diffé-
rents projets existants, il passe en revue les intérêts
des pays arabes à placer leurs activités pétrolières
La politique arabe du pétrole 185

sous la conduite d’une entité commune. Cette der-


nière prendrait en charge les projets sectoriels évo-
qués par les experts arabes lors des Congrès : un
réseau arabe d’oléoducs et de raffineries, une société
de tankers. Avec ses institutions elles aussi calquées
sur la CECA et la CEE et son objectif d’un mar-
ché commun, la communauté défendue par Kamal
Sayegh garantirait aux États arabes de reprendre en
main leurs ressources dans de bonnes conditions en
organisant la complémentarité de leurs industries et
en associant leurs marchés artificiellement divisés
depuis la Première Guerre mondiale. En résistant à
la concurrence des grandes économies mondiales,
elle assurerait un développement régional à la fois
massif et équilibré52.
En 1968, alors même que la défaite des pays arabes
face à Israël l’année précédente a révélé leurs divi-
sions internes, y compris sur la question du pétrole,
Nicolas Sarkis reprend son plaidoyer avec plus de
vigueur. Malgré l’essor de leur production d’hydro-
carbures et de leurs revenus, les économies arabes
souffrent d’un retard que les théories économiques
en vigueur comme celle du sous-développement ne
suffisent pas à expliquer. La raison principale est
politique. L’industrialisation mal engagée des pays
arabes, leurs faibles revenus par habitant et l’ab-
sence des effets d’entraînement qui étaient attendus
de l’industrie pétrolière résident dans leur division
en « États minuscules ». Dans le découpage terri-
torial hérité de la Première Guerre mondiale au
Moyen-Orient, les États arabes ont servi de simples
« enveloppes juridiques » aux entreprises pétrolières.
Parce qu’il implique un minimum de collaboration
entre les États, le développement du secteur pétro-
lier remet pourtant nécessairement en cause cette
186 Aux pays de l’or noir

division : « Cause principale du démembrement du


Moyen-Orient arabe, l’industrie pétrolière s’impose
pourtant, à mesure qu’elle se développe, comme un
puissant facteur de collaboration et d’intégration
économique entre les différents pays de la région53. »

LE PÉTROLE AUX « EXPERTS »

Les experts (singulier khabir, pluriel khubara’)


pétroliers arabes prennent la tête des premiers
bureaux et ministères dédiés au pétrole dans les pays
arabes au début des années 1950. Ils se réunissent à
partir de 1952 dans un « Comité d’experts » sous les
auspices de la Ligue des États Arabes et dirigé par
Muhammad Salman. Ce dernier conforte son auto-
rité sur les affaires pétrolières au sein de la Ligue,
deux ans avant de prendre la direction du Bureau du
pétrole. Chargé de préparer les Congrès du pétrole
et de fournir des informations et des recommanda-
tions aux États membres, le Comité d’experts est le
noyau dur d’un groupe important d’ingénieurs, éco-
nomistes, juristes et fonctionnaires qui s’emparent
des questions pétrolières et orientent les négocia-
tions entre les États et les entreprises. Poussés par la
nécessité de se concerter pour élaborer les politiques
pétrolières de leurs pays comme par le besoin de
faire front commun face aux entreprises et de réunir
des soutiens suffisants pour leurs projets, ces tech-
nocrates sont les principaux artisans d’une commu-
nauté arabe de débats et d’analyses54.
Les experts arabes du pétrole des années 1950
et 1960 ont obtenu leur maîtrise et leur doctorat
au cours d’études réalisées, au moins en partie, à
La politique arabe du pétrole 187

l’étranger. Le droit, l’économie, les sciences de l’in-


génieur et la géologie sont les principales spécialités
de ces hommes aussi fiers de leurs diplômes et de
leurs doctorats que de leurs responsabilités gouver-
nementales. La référence faite par l’officier cultivé
qu’est Nasser à une thèse « éditée par l’université de
Chicago » pour appuyer son propos dans la Philoso-
phie de la révolution est révélatrice de la place nou-
velle de ces diplômés dans la conduite des affaires.
En sus de cette formation académique, nombreux
sont ceux qui ont fait leurs classes dans les sociétés
pétrolières concessionnaires étrangères. Cela ne les
empêche pas d’en devenir plus tard, pour certains,
les adversaires convaincus. Avant de rentrer en Ara-
bie Saoudite, ‘Abdallah al-Tariqi passe un an dans la
Texaco, une des sociétés actionnaires de l’Aramco,
après ses études aux États-Unis. Fuad Itayim est
employé par l’Aramco avant de fonder avec Ian Sey-
mour le Middle East Economic Survey. Le Palestinien
naturalisé Libyen, Mahmud al-Maghribi, est employé
par la société Esso dans les années 1960, comme
‘Abdallah Salem al-Badri, ministre du Pétrole libyen
des années 1990.
Cette première génération accède aux responsabi-
lités avant même que les pays arabes ne se dotent
de ministères spécifiquement dédiés aux affaires du
pétrole. Dans le Middle East Economic Survey, Fuad
Itayim décrit avec finesse ce groupe dont il fait lui-
même partie et qui se manifeste avec autorité lors
des Congrès arabes du pétrole depuis 1959 : « Les
experts du pétrole émergent comme une classe puis-
sante et indépendante. Ils sont déterminés à obte-
nir le soutien populaire qui comblera le manque de
soutien politique officiel. Dans leurs déclarations
à la presse, ils insistent souvent sur “la nécessité
188 Aux pays de l’or noir

d’améliorer les conditions de vie des habitants des


pays producteurs de pétrole en accroissant la parti-
cipation de ces pays à l’industrie pétrolière”. Ils font
cela avec sincérité55. »
Dans le cadre de bureaux rattachés aux ministères
des Finances ou du Développement, dans les délé-
gations arabes aux sommets internationaux et dans
les organisations internationales où les débats sur le
pétrole prennent une place croissante, les premiers
experts arabes représentent les intérêts de leur pays
et tissent des liens qui s’apparentent vite à un esprit
de corps. Convaincus d’être les acteurs d’une histoire
globale de lutte contre les entreprises impérialistes
et les gouvernements qui se cachent derrière, ils
profitent de leur autorité dans le domaine pétrolier
pour inscrire leur action dans un cadre régional et
mondial autant que national et s’affranchir des riva-
lités entre leurs États. Ils sont animés d’une passion
« sincère » qu’ils ont été les premiers à se décou-
vrir dans leur pays et qu’ils expriment parfois : « le
travail dans les affaires pétrolières est comme une
maladie (…) ; il devient une partie de toi, comme
lorsqu’on tombe amoureux d’une femme, et une
fois engagé tu ne peux plus t’en dégager » explique
Nadim al-Pachachi au futur secrétaire général de
l’OPEP, Fadil al-­Chalabi, en 196856.

‘Abdallah al-Tariqi, premier


technocrate arabe du pétrole
Le Saoudien ‘Abdallah al-Tariqi (1919‑1997) est
le meilleur représentant de la première génération
d’experts pénétrés d’un profond sentiment de res-
ponsabilité, fortement imprégnés par le nationalisme
arabe et les idéaux tiers-mondistes. Parvenu à la
La politique arabe du pétrole 189

tête des affaires pétrolières et minières du royaume


d’Arabie Saoudite à 37 ans, ‘Abdallah al-Tariqi insiste
dès 1957 auprès de ses homologues du Comité d’ex-
perts pour associer les représentants du Venezuela,
de l’Iran et des autres pays producteurs à la prépara-
tion du premier Congrès arabe du pétrole afin « d’ac-
croître les connaissances et l’expertise des Arabes ».
Il y défend, avec l’appui de ses homologues égyptiens
et syriens, les projets de coopération arabe dans le
domaine pétrolier. Il vante les accords sur l’échange
d’informations comme ceux qu’il a soutenus avec
l’Irak et le Koweït. Enfin, comme les autres experts
de sa génération, ‘Abdallah al-Tariqi reste préoccupé
pendant toute sa carrière par la formation d’une jeu-
nesse arabe qualifiée capable de prendre en main la
gestion du pétrole et du gaz arabes.
Avant d’être boursier du gouvernement saoudien
et diplômé en géologie à l’université du Texas où il
fut probablement l’un des premiers étudiants arabes,
‘Abdallah al-Tariqi a quitté sa ville du Najd (la partie
centrale de l’Arabie) pour se rendre au Koweït puis
en Inde et enfin à l’université Fouad du Caire. Le
réseau d’affaires de son père, un marchand carava-
nier, a probablement guidé la géographie de ses pre-
mières études. Après son retour à 30 ans en Arabie
Saoudite, Tariqi devient progressivement le princi-
pal responsable des affaires pétrolières du royaume,
d’abord au sein du ministère des Finances puis, à
partir de 1960, à la tête du premier ministère du
Pétrole du pays. Il s’entoure d’un ensemble de jeunes
diplômés dont il patronne les débuts et qu’il encou-
rage à s’exprimer dans la presse spécialisée sur les
affaires pétrolières et sur les questions sociales que
soulève le développement économique. Parmi eux,
Hisham Nazir, qui a étudié à Berkeley, sera nommé
190 Aux pays de l’or noir

à la tête du Bureau de la Planification en 1971, avant


de repasser au ministère du Pétrole comme vice-
ministre puis comme ministre entre 1986 et 1995.
Muhammad Jukhdar, passé lui aussi par les uni-
versités californiennes, deviendra secrétaire général
de l’OPEP en 1967. Pour ces futurs technocrates du
pétrole, Tariqi constitue un modèle enthousiasmant.
Lorsqu’il devient ministre du Pétrole en 1960,
Tariqi est déjà auréolé d’une série d’exploits qu’il
aime rappeler dans ses nombreux articles et dans
les entretiens qu’il donne régulièrement à la presse :
l’obtention d’une formule de partage à moitié des
bénéfices avec l’Aramco en 1950, les conditions
obtenues de la Japanese Arabian Trading Company
qui exploite le pétrole de la zone neutre koweïto-
saoudienne en 1957, la première participation d’un
Saoudien au conseil d’administration de l’Aramco
en 1959 et, surtout, la création de l’OPEP en 1960.
Dans les sommets internationaux et dans la presse
qui lui est favorable, l’expertise et l’aura du ministre
saoudien lui valent d’être appelé « cheikh » ‘Abdal-
lah, celui auquel on doit le respect en raison de son
expérience et de sa maîtrise. Son nationalisme de
plus en plus radical et sa proximité avec les parti-
sans d’une monarchie constitutionnelle en Arabie
Saoudite poussent ses détracteurs à le surnommer
le « cheikh rouge ».
Jusqu’à son renvoi en 1962, ‘Abdallah al-Tariqi
bénéficie d’une large autonomie pour déterminer la
politique pétrolière du royaume. Lorsqu’il devient
ministre du Pétrole en 1960, c’est au sein d’un
gouvernement comprenant plusieurs ministres et
princes acquis au nationalisme et que l’on surnomme
alors « les ministères des technocrates (wizarat al-
taknukrat) » ou encore « les ministères des Jeunes
La politique arabe du pétrole 191

(wizarat al-shabab) ». Quand ses opposants l’accusent


d’employer un trop grand nombre d’étrangers pour
gérer les affaires pétrolières, il a beau jeu de sou-
ligner le petit nombre de citoyens qualifiés pour
administrer des questions parfois très techniques,
le dévouement et le haut niveau des experts arabes
(et parfois américains) qu’il a recrutés et le soin qu’il
prend à s’entourer d’une jeune garde de Saoudiens
diplômés. Cette autonomie vaut au premier respon-
sable saoudien du pétrole l’hostilité et la méfiance de
plusieurs princes. Elle est représentative d’une liberté
de ton et d’action dont sera dépourvue la seconde
génération d’experts née dans les années 1920‑1930
et qui achève ses études pendant les années 195057.
Comme bien d’autres de ses homologues progres-
sivement remplacés au cours de la deuxième moi-
tié des années 1960 par cette seconde génération,
‘Abdallah al-Tariqi fonde son cabinet de consultant
pétrolier. Il s’installe à Beyrouth puis au Caire. Il
conseille les gouvernements syrien, algérien, koweï-
tien, irakien puis libyen dans la plupart de leurs pro-
jets de législation pour diminuer les privilèges des
entreprises pétrolières américaines et européennes.
En juillet 1969, il manque de peu de participer à
la réunion de l’OPEP au sein de la délégation algé-
rienne. Le ministre saoudien Ahmad Zaki al-Yamani
menace de boycotter la réunion si son prédéces-
seur y participe et il faut une médiation menée par
le ministre irakien et son homologue libyen pour
convaincre les Algériens de renoncer à inclure leur
célèbre conseiller58.
Si elles ne débouchent pas toujours sur des situa-
tions aussi cocasses, les activités de ces experts qui
passent de la première technocratie gouvernemen-
tale arabe aux cabinets de consultants manifestent
192 Aux pays de l’or noir

leur horizon transnational. Ils exposent leurs idées


avec aisance dans la presse arabophone et étrangère.
Les Congrès arabes du pétrole restent leur tribune
favorite. C’est là qu’ils entretiennent leur réputation
et leurs relations. La rareté de leur expertise et le
sentiment d’appartenir à une communauté de destin
et d’intérêts facilitent leur mobilité. L’Égyptien ‘Atef
Sulayman est passé par l’université du Caire avant
d’obtenir un doctorat en droit à Paris. Il devient
directeur du Département juridique du ministère du
Pétrole saoudien. En 1964, il est employé comme
conseiller juridique par le ministère de l’Énergie
algérien. Un an plus tard, il est associé au cabinet de
conseil de ‘Abdallah al-Tariqi à Beyrouth où il reste
jusqu’en 1968. Il revient alors en Algérie comme
consultant pour la Sonatrach. Il multiplie les confé-
rences dans le monde arabe en s’appuyant sur sa car-
rière et notamment sur le « succès » de l’expérience
algérienne qu’il a accompagnée59.

Nadim al-Pachachi : la loi


pour défendre les intérêts arabes
L’Irakien Nadim al-Pachachi (1914-1976) conseille
les gouvernements libyen, koweïtien et ceux des
émirats (Abu Dhabi, Sharjah, Umm al-Quwayn
et ‘Ajman) tout au long des années 1960. Comme
‘Abdallah al-Tariqi dont il est de deux ans l’aîné,
Nadim al-Pachachi a d’abord été un technocrate puis
ministre dans son pays. Ce descendant d’une illustre
famille de négociants de l’époque ottomane devient
directeur des affaires pétrolières et minières au sein
du ministère irakien de l’Économie pendant les
années 1940 alors qu’il vient d’achever une thèse sur
la technologie du pétrole à l’université de Londres.
La politique arabe du pétrole 193

Au cours des années 1950, Nadim al-Pachachi prend


successivement la tête des ministères de l’Économie,
du Développement puis des Finances au sein du
gouvernement royal. Il est écarté par le coup d’État
républicain de 1958. Peu après son départ d’Irak, il
est recruté par Anis al-Qasim qui a pris la tête du
Bureau du pétrole dans le royaume de Libye.
Nadim al-Pachachi et Anis al-Qasim se sont connus
dans le cadre du Congrès arabe du pétrole de 1959 et
des Comités préparatoires. Ensemble, ils déterminent
la politique pétrolière du royaume libyen entre 1960
et 1964 et réécrivent la loi libyenne de 1955. Pro-
mulguée en 1961, cette nouvelle loi libyenne sert
ensuite de modèle à la loi irakienne qui est adoptée
la même année et qui permet au gouvernement ira-
kien de récupérer 99,5 % des surfaces concédées en
1925 au motif qu’elles ne sont pas activement exploi-
tées. Lorsque les députés de l’opposition nationaliste
koweïtienne rejettent en 1965 l’accord négocié par
le gouvernement avec la Kuwait Oil Company, c’est
d’abord ‘Abdallah al-Tariqi qui est soutenu par les
députés nationalistes pour apporter son expertise.
Le gouvernement koweïtien, soucieux de régler le
différend avec la compagnie pétrolière, finit toutefois
par le remplacer par Nadim al-Pachachi en 1966.
Plus diplomate que ‘Abdallah al-Tariqi, il réussit à se
faire élire à la tête de l’OPEP en 1970. L’Irak s’oppose
en vain à l’élection de celui à qui il reproche tou-
jours ses responsabilités dans les gouvernements de
l’époque monarchique. Cela ne l’empêche pas d’être
accepté comme médiateur dans les différends qui
opposent le gouvernement irakien aux compagnies
propriétaires de l’Iraq Petroleum Company lorsque
cette dernière est nationalisée en 197260.
Dans les négociations sur la modification des
194 Aux pays de l’or noir

concessions, ces technocrates se fondent sur l’ex-


périence de leurs homologues d’Amérique latine et
invoquent des principes que consacre la résolution
de l’ONU sur « la souveraineté permanente » des
États sur leurs ressources naturelles, votée en 1962.
Pour justifier de nouvelles répartitions des béné-
fices entre les États et les sociétés concessionnaires,
ils se réfèrent aux théories de la détérioration des
termes de l’échange et plus généralement à celles
de l’échange inégal élaborées par l’Argentin Raúl
Prebisch et l’Allemand Hans Singer. La discussion
régulière de ces théories dans les réunions animées
par Raúl Prebisch à la Conférence des Nations Unies
sur le commerce et le développement (créée en 1964)
marque les experts arabes au moment où sont enta-
mées d’importantes renégociations des concessions
héritées de l’entre-deux-guerres.

Muhammad al-Mughrabi,
Mohammed Bedjaoui,
théoriciens de la souveraineté permanente
Le Libanais Muhammad al-Mughrabi et l’Algé-
rien Mohammed Bedjaoui font partie des juristes
arabes les plus lus et les plus cités par leurs pairs
qui cherchent à adapter les évolutions des théories
économiques et juridiques au droit pétrolier des pays
arabes. Après ses premières études supérieures à
l’Université Américaine de Beyrouth, Muhammad
al-Mughrabi prépare à l’université de Columbia une
thèse dans laquelle il applique le concept de souve-
raineté permanente des États sur leurs ressources
naturelles à l’exploitation du pétrole dans les pays
arabes. Dans la version publiée en 1966, il dresse
un tableau des différents moyens juridiques dont
La politique arabe du pétrole 195

disposent les États arabes pour exercer cette souve-


raineté, soit directement par le biais de la participa-
tion de l’industrie pétrolière, soit indirectement par
le biais de l’OPEP.
L’argumentation de Muhammad al-Mughrabi en
faveur de la possibilité d’adapter le texte des conces-
sions à l’évolution des circonstances fait de sa thèse
une inspiration puissante en Algérie, en Irak et en
Libye. Quant à Mohammed Bedjaoui qui a rejoint
les rangs de la révolution algérienne juste après
avoir soutenu sa thèse à Paris en 1956, il expose
dans un livre publié en 1961 l’adaptation nécessaire
et inéluctable du droit international aux processus
de décolonisation en cours dans le monde. Ce livre
traduit en anglais l’année suivante l’impose comme
l’un des principaux experts juridiques des cercles
pétroliers arabes61.

Emile Bustani contre les tenants


d’une ligne nationaliste intransigeante
Leurs idées communes sur l’histoire et l’avenir
du pétrole arabe n’empêchent nullement les désac-
cords entre les tenants de lignes opposées. Le Liba-
nais Emile Bustani (1907‑1963) est ainsi l’ennemi
préféré des partisans de l’intransigeance à l’égard
des entreprises pétrolières occidentales. Lors des
Congrès arabes de 1959 à 1962, il est le contradicteur
régulier de ‘Abdallah al-Tariqi et des experts nationa-
listes les plus intransigeants. Député du Chouf entre
1951 et 1963, Emile Bustani est aussi un ingénieur
dont même les adversaires reconnaissent l’expertise.
Ses affaires avec les entreprises américaines et euro-
péennes suscitent toutefois leur méfiance. Il est vrai
qu’il n’hésite pas à en faire une réclame jugée parfois
196 Aux pays de l’or noir

« tapageuse » lors des réunions et Congrès. Ce sont


toutefois ces activités qui lui permettent de s’imposer
à la tête de la délégation du Liban au Congrès de
1959. Il présente alors une communication intitulée
« Partager les bénéfices du pétrole » qui tranche avec
la ligne nationaliste de ses collègues arabes62.
La ligne de faille qui divise le monde arabe est,
selon Bustani, celle qui sépare les pays producteurs
des pays non producteurs : « Tant que les États ne
produisant pas de pétrole ne sont pas autorisés à
jouir d’une juste proportion de la richesse produite
par le pétrole arabe, il ne peut y avoir de progrès
réel dans le monde arabe et l’unité arabe, bien
qu’inéluctable, restera lointaine. » Le cœur de son
propos en 1959 consiste à proposer la création d’un
Institut Financier Arabe dans lequel les pays arabes
producteurs de pétrole investiraient 5 % de leurs
profits pétroliers en faveur des pays non pétroliers.
Si ‘Abdallah al-Tariqi et plus tard Nicolas Sarkis cri-
tiquent vertement le projet, l’idée d’Emile Bustani
est soutenue par une majorité des participants du
Comité des Experts de la Ligue en 1959 et par le
gouvernement libanais63.
Les débats entre experts sont des compétitions
d’autorité. La presse et les Congrès leur donnent un
écho sans précédent. Lorsqu’il faut désigner le pré-
sident de la très attendue commission sur « l’éco-
nomie du pétrole » pendant le Congrès de 1959,
Anis al-Qasim et ‘Abdallah al-Tariqi s’affrontent
sous le regard amusé de leurs collègues. Le juriste
palestinien remporte la présidence en arguant du
soutien du Secrétariat de la Ligue, qui avait prévu
de lui attribuer cette fonction, et en rappelant que
l’économie du pétrole est sa spécialité depuis son
doctorat à l’université. Dépité, son homologue et
La politique arabe du pétrole 197

rival saoudien refuse de prendre la présidence d’un


autre comité. Il est vrai que ‘Abdallah al-Tariqi a lui-
même manœuvré pour que cette commission occupe
les sessions de la matinée, les plus médiatisées du
Congrès. Sa communication sur le projet d’un réseau
arabe d’oléoducs et ses multiples interventions lui
permettent toutefois de conserver son statut de « pri-
madonna » du Congrès64.
Le drame de ces experts qui défendent une
approche résolument panarabe est que leur action
aide chacun des États arabes à prendre le contrôle
de ses ressources pétrolières. Ils assistent par consé-
quent à l’élaboration de politiques nationales par-
fois concurrentes alors même qu’ils sont encore les
principaux acteurs et, pour certains, les héros, d’une
communauté arabe pétrolière encore naissante.
Ce constat devient évident lorsque au cours des
années 1960, ils sont remplacés dans leurs fonctions
ministérielles par des cadets beaucoup plus attachés
au cadre national et bien moins indépendants au
sein de leur gouvernement.

LA PREMIÈRE TRAHISON
DU NATIONALISME ARABE PÉTROLIER

Qu’il soit révolutionnaire ou réformiste, le natio-


nalisme arabe est à son apogée chez les jeunes
diplômés et les ouvriers du pétrole arabe dans
les années 1960. En devenant une préoccupation
politique et économique commune des experts et
militants et en mettant les États arabes aux prises
avec des entreprises et des diplomaties étrangères
soupçonnées d’impérialisme, le pétrole est devenu
198 Aux pays de l’or noir

l’une des principales causes communes du nationa-


lisme arabe. Quand il observe son ministre de tutelle
Saadoun Hammadi, le jeune directeur des affaires
pétrolières au ministère du Pétrole irakien qu’est
Fadil al-Chalabi le décrit comme « pas excessivement
baasiste, bien qu’il restât fanatique lorsqu’il s’agis-
sait d’élargir l’unité arabe65 ». Le pétrole est devenu
l’élément clé de l’indépendance et de la modernité
politique économique qui doivent guider les États
arabes à l’unité qu’expérimentent déjà les ouvriers
et les experts du pétrole sur les gisements ou dans
les Congrès. Quand elle écarte ‘Abdallah al-Tariqi du
ministère du Pétrole, la monarchie saoudienne est
inquiète comme ses voisins de l’influence des idées
révolutionnaires non seulement sur les diplômés qui
reviennent de leurs études au Liban, en Syrie ou en
Égypte, mais aussi sur les jeunes officiers qui voient
dans le pétrole un combat parallèle à celui auxquels
ils se préparent contre Israël et ses soutiens occiden-
taux, et sur les ouvriers du pétrole que l’expérience
commune du pétrole réunit.
Les grèves en nombre croissant associent les reven-
dications politiques aux réclamations sectorielles.
Depuis la crise de Suez en 1956, elles sont utilisées
par les nationalistes pour manifester leur solidarité
avec les causes arabes. La proximité de la révolution
yéménite qui transforme en 1962 la monarchie du
Yémen du Nord en République arabe, puis la consti-
tution d’une République populaire démocratique au
Yémen du Sud en 1967 sont des ferments d’agitation
d’autant plus redoutés que les Yéménites sont nom-
breux à travailler sur les gisements de la Péninsule.
Plusieurs de ces ouvriers sont d’ailleurs expulsés des
pays du Golfe en 1962. L’adoption du principe révolu-
tionnaire par les groupes de résistance palestinienne
La politique arabe du pétrole 199

après la défaite de juin 1967 ajoute à cette inquié-


tude car les Palestiniens ont été embauchés en grand
nombre parmi les techniciens et les cadres de l’in-
dustrie pétrolière. Plusieurs ouvriers yéménites et
techniciens palestiniens sont ainsi emprisonnés et
expulsés aux côtés des officiers saoudiens qui sont
accusés d’avoir organisé un coup d’État contre le
roi saoudien Faysal en 1969. Depuis Le Caire et
Beyrouth où il s’est réfugié et a fondé l’Union du
Peuple de la Péninsule Arabique, l’ancien employé de
l’Aramco et leader nationaliste Nasir al-Sa‘id soutient
l’opposition à la monarchie saoudienne qui culmine
dans des attentats à Riyad et Dammam entre 1966
et 1967. Les manifestations sont relancées dans le
pays comme dans bien d’autres à l’occasion de la
guerre de 1967. La direction est rapidement affai-
blie par des arrestations mais Nasir al-Sa‘id exprime
encore son soutien en 1979 à la prise d’otages de
La Mecque, juste avant d’être kidnappé et proba-
blement exécuté par les services secrets saoudiens.
En Oman, de nombreuses tribus protestent depuis
le début des années 1950 contre la tutelle britan-
nique exercée sur le sultanat et s’opposent aux opéra-
tions des entreprises pétrolières étrangères. Pendant
les années 1960, la province méridionale du Dho-
far est même le théâtre d’un mouvement insurrec-
tionnel dont l’un des meneurs est un jeune cheikh
de la puissante tribu des Al Kathir, Musallam ibn
Nufl. Dans cette province périphérique maintenue
à l’écart de tout développement par le sultan, les
explorations pétrolières se succèdent depuis la fin
des années 1930. Sceptique à propos des positions
trop attentistes des mouvements nationalistes qu’il a
rencontrés en Arabie Saoudite et en Irak, Musallam
ibn Nufl organise en 1963 de premières attaques sur
200 Aux pays de l’or noir

la société pétrolière américaine qui mène les explo-


rations et menace ainsi les revenus que tire le sul-
tan de la concession. Les affrontements poussent la
compagnie à interrompre ses opérations en 196766.

La guerre des Six Jours


Les mobilisations des années 1950 et 1960 ne
sont paradoxalement pas liées à des périodes de bas
prix du pétrole même si elles ont des causes écono-
miques. Comme dans d’autres phases postérieures
(1978‑1981, 1991‑1996) les manifestations, les grèves
et parfois les insurrections contre les États ont lieu
alors même que les revenus tirés du pétrole aug-
mentent. Les mobilisations révolutionnaires très
intenses dans les années 1960 s’inscrivent dans une
crise régionale qui culmine en 1967 avec la guerre
des Six Jours et ne se résume pas aux cours des
hydrocarbures et donc aux volumes des bénéfices
redistribués par les États. C’est plutôt l’imbrication
des préoccupations pétrolières avec les tensions poli-
tiques et militaires du moment qui fait du pétrole
une cause capable de mobiliser les citoyens arabes
et une arme de leurs combats67.
L’exploitation du pétrole a donné au monde arabe
une unité sans précédent et, fait nouveau, elle a
permis aux élites techniques et politiques comme
aux ouvriers nationaux et immigrés d’en faire l’ex-
périence. La mobilité des experts, la couverture
médiatique croissante des négociations et des contes-
tations, l’échange d’informations et la circulation des
modèles économiques rendent possible la compa-
raison des politiques de développement d’un pays
à l’autre. Propriétaires éminents du pétrole et du
gaz de leurs sous-sols, les États arabes ont fait des
La politique arabe du pétrole 201

hydrocarbures un enjeu de souveraineté nationale,


non sans dépendre de plus en plus des revenus de
leur exploitation pour financer leur fonctionnement
courant et le développement de leur pays. Or, ces
revenus croissants ont souvent accentué les dimen-
sions patrimoniale et autoritaire des mêmes États et
manifesté leurs rapports ambigus avec les anciennes
puissances coloniales et les États-Unis.
C’est dans un tel contexte que les pays arabes sont
confrontés à la guerre de juin 1967. Le pétrole doit
venir à la rescousse des armées égyptiennes, jor-
daniennes, libanaises et syriennes et permettre de
récupérer les territoires arabes conquis. En l’espace
d’un mois, les experts du pétrole et les nationalistes
arabes assistent à la concrétisation de la stratégie
défendue depuis 1948, puis à son effondrement sous
le coup des divisions politiques entre les gouverne-
ments arabes. L’embargo sur le pétrole initié dès le
6 juin, au deuxième jour du conflit israélo-arabe,
puis les résolutions adoptées par les ministres du
Pétrole à Bagdad la semaine suivante rassemblent
les pays producteurs arabes contre les États-Unis, la
Grande-Bretagne, Israël et les entreprises pétrolières
qui leur fournissent des hydrocarbures. L’« arme du
pétrole » est invoquée par les hommes politiques et
les journalistes comme par les experts68.
L’efficacité de l’embargo est cependant minée par
la crainte des pays arabes de perdre leurs marchés au
bénéfice des concurrents iranien et vénézuélien et de
rompre totalement avec les États-Unis. L’assouplis-
sement des lois antitrust par les États-Unis facilite le
contournement discret mais réel de l’embargo par les
États arabes comme l’Arabie Saoudite où l’Aramco
reprend ses activités dès la fin du mois de juin. Le
Koweït et la Libye suivent rapidement le royaume
202 Aux pays de l’or noir

saoudien dans la rupture de l’embargo. Quarante ans


plus tard, l’expert ‘Atif Sulayman qui travaillait aux
côtés de ‘Abdallah al-Tariqi au moment du conflit
analyse en détail les raisons de cet échec encore
douloureux : un embargo complet et non pas limité
à quelques pays aurait eu plus de force et l’Iran a
miné la solidarité des pays producteurs. Il reprend
là une évaluation critique de l’embargo qui était déjà
celle de ses contemporains. L’ingénieur palestinien
Kamal Sayegh l’exprime en 1968 dans la préface
à la version publiée de sa thèse, soutenue avant le
conflit : « sélectif » et « temporaire », l’embargo des
pays arabes a provoqué une substitution de l’offre de
pétrole, pas la pénurie souhaitée69.
Au moment de présenter sa démission au peuple
égyptien dans son discours du 9 juin 1967, Nasser
évoque bien le « pétrole arabe (…) venu jouer son
rôle » dans la bataille mais c’est pour souligner la
trahison des pays arabes qui ont prêté leur pétrole
et leurs bases aux États-Unis. Lorsque le ministre
saoudien du Pétrole, Ahmad Zaki Yamani, com-
mence à critiquer l’embargo à la fin du même mois
au motif qu’il sert moins les objectifs des pays arabes
que ceux de leurs ennemis et de l’Iran, le gouverne-
ment irakien prend le relais de l’Égypte. Le Premier
ministre irakien, Tahir Yahya, soumis à une forte
pression nationaliste par la population, accuse l’Ara-
bie Saoudite de déserter la cause arabe et affirme
que l’Irak poursuivra l’embargo jusqu’au bout. En
dépit de leurs annonces et de leurs espoirs, les pays
arabes se divisent sur la question du pétrole et la
conjonction des luttes n’a donc pas lieu.
Le conflit a pourtant d’abord été l’occasion d’une
solidarité renouvelée entre les pays producteurs et
les pays dépourvus de pétrole. Répondant à l’appel
La politique arabe du pétrole 203

de Nasser, les gouvernements du Koweït et de la


Libye retirent une partie des fonds qu’ils ont dépo-
sés dans les banques britanniques pour faire pres-
sion sur la livre sterling à un moment de grave
crise financière pour le Royaume-Uni. Ingénieurs et
techniciens palestiniens sont embauchés en grand
nombre par les pays producteurs qui accueillent déjà
les principaux mouvements du nationalisme arabe.
On les retrouve sur les champs du Sinaï, parmi les
employés de la Kuwait Oil Company et ceux de la
Sonatrach. Lors du sommet de Khartoum qui réunit
les pays arabes du 29 août au 1er septembre 1967,
peu après leur défaite, trois monarchies tirant du
pétrole l’essentiel de leurs revenus et soumises à la
pression de leur population offrent leur aide finan-
cière (378 millions de dollars par an) à l’Égypte et
à la Jordanie : l’Arabie Saoudite, le Koweït et la
Libye. L’aide des trois monarchies aux pays et orga-
nisations du « front » face à Israël leur permet ainsi
d’être absoutes de toute accusation de trahison pour
avoir repris leurs exportations de pétrole.
C’est qu’en dépit de ces manifestations de soli-
darité, la défaite de 1967 accentue la polarisation
des pays producteurs par deux camps opposés, l’un
reprenant le flambeau de la révolution autour des
gouvernements irakien et algérien, l’autre autour des
gouvernements saoudien et koweïtien privilégiant
la négociation. Trois sujets cristallisent leur oppo-
sition : l’embargo sur le pétrole arabe, la stratégie
pour renégocier les prix de référence du pétrole avec
les sociétés pétrolières étrangères et, enfin, la natio-
nalisation de l’industrie pétrolière. Les trois sujets
sont intrinsèquement liés. En Algérie par exemple,
les nationalisations sont le résultat de l’impasse des
négociations avec les entreprises françaises sur les
204 Aux pays de l’or noir

prix au moment où l’accord de 1965 arrive à son


terme et de l’expérience des premières nationalisa-
tions du secteur à l’issue de l’embargo de 1967. À ces
trois sujets de divergence s’ajoute le renouvellement
progressif de la première génération des experts et
technocrates arabes du pétrole.

La manifestation des premières fractures :


la création de l’OPAEP en 1968
Le changement des personnes à la tête des affaires
pétrolières en Arabie Saoudite et au Koweït a pro-
fondément affecté la position des deux principaux
producteurs arabes. Lors du sixième Congrès arabe
du pétrole, réuni à Bagdad en mars 1967, les débats
ont opposé les experts renommés que sont ‘Abdallah
al-Tariqi, Nicolas Sarkis — alors conseiller du gou-
vernement algérien pour les affaires pétrolières — et
le représentant syrien de la Fédération Arabe des
Ouvriers du Pétrole d’une part, au chef de la déléga-
tion saoudienne, ‘Abd al-Hadi Hassan Tahir, d’autre
part. Tandis que ‘Abdallah al-Tariqi appelle à mettre
fin aux Congrès qu’il juge envahis par les représen-
tants des entreprises étrangères et étouffés par des
débats « réactionnaires », non sans susciter la répro-
bation de plusieurs de ses anciens admirateurs, ‘Abd
al-Hadi Tahir présente une communication sur le
développement et les industries pétrolières dans les
pays arabes. Ce titulaire d’un doctorat en adminis-
tration des affaires obtenu à Berkeley en 1964 a fait
partie de la jeune garde saoudienne rassemblée par
Tariqi lorsque ce dernier gérait la politique pétrolière
saoudienne. Il n’a cependant pas quitté l’administra-
tion en 1962 quand son patron a été renvoyé. ‘Abd
al-Hadi Tahir a pris la tête de la nouvelle compagnie
La politique arabe du pétrole 205

nationale Petromin censée prendre progressivement


la relève de l’Aramco et devient l’un des proches
collaborateurs du successeur de Tariqi au ministère
saoudien du Pétrole, Ahmad Zaki Yamani70.
Au Koweït, la politique pétrolière est confiée à
un groupe de technocrates qui ont fait leur carrière
au sein de la Kuwait Oil Company (KOC) comme
l’ingénieur Mahmud Khaled al-‘Adsani (né en 1934)
qui a étudié à l’université de Los Angeles. Ce dernier
cumule d’ailleurs des responsabilités au ministère
des Finances koweïtien avec le statut de membre du
conseil d’administration de la KOC entre 1960 et 1975,
ce qui ne l’encourage pas à adopter les positions radi-
cales exigées non seulement par ses collègues irakiens
ou algériens mais aussi par les députés nationalistes
de son pays. En 1965, le Parlement koweïtien a ainsi
rejeté l’accord de répartition des revenus renégocié
avec les entreprises pétrolières présentes au Koweït
mais aussi en Arabie Saoudite, en Iran, en Libye et au
Qatar. La crise entre le Parlement et le gouvernement
dure plus d’un an. ‘Abdallah al-Tariqi est sollicité pour
conseiller le gouvernement, pour la plus grande joie
des nationalistes arabes koweïtiens, avant d’être écarté
au profit du plus consensuel Nadim al-Pachachi71.
Le 9 janvier 1968, quatre mois après le sommet de
Khartoum et la fin officielle de l’embargo, les trois
monarchies qui ont offert leur aide à l’Égypte et à la
Jordanie se réunissent à Beyrouth pour fonder l’Or-
ganisation des Pays Arabes Exportateurs de Pétrole
(OPAEP). Comme pour les autres projets de commu-
nauté arabe du pétrole des années 1960, le modèle de
la CECA et de la CEE est explicitement revendiqué
par les ministres saoudien et koweïtien en 196872. La
création de l’OPAEP n’est pourtant pas qu’une réu-
nion des principaux producteurs arabes conscients
206 Aux pays de l’or noir

de leur poids dans l’économie mondiale. Pour l’Arabie


Saoudite, le Koweït et la Libye d’avant 1969, cette
Organisation indépendante de la Ligue Arabe et de
l’OPEP est un moyen de reprendre la main sur l’usage
diplomatique du pétrole arabe. D’après le préambule
adopté par les pays fondateurs, seuls les pays arabes
pour lesquels le pétrole constitue la principale source
de revenus peuvent en être membres. Le président de
l’Iraq National Oil Company (INOC), Adib al-Jadir, ne
s’y trompe pas : « Selon les règles en vigueur, l’Algérie
— qui est en tout point un exportateur important de
pétrole — ne pourrait pas être membre ; pas plus que
la République Arabe Unie [l’Égypte], qui sera pro-
bablement un important exportateur dans les pro-
chaines années. Nous ne sommes pas opposés à la
création d’une organisation des pays arabes exporta-
teurs de pétrole, pourvu que les conditions en soient
raisonnables73. »
Quelques semaines après l’annonce de la création
de l’OPAEP, les sociétés nationales irakienne (INOC)
et algérienne (Sonatrach) publient un communiqué
commun pour défendre une véritable coopération
dans le cadre d’une « politique pétrolière indépen-
dante et révolutionnaire bénéficiant à la nation
arabe ». Elles associent à leur entreprise les sociétés
pétrolières syriennes et égyptiennes74.

NATIONALISATION RÉVOLUTIONNAIRE
CONTRE PARTICIPATION CONSERVATRICE

Lors des débats virulents sur l’accord renégo-


cié avec l’Iraq Petroleum Company au début des
années 1950, les partis nationalistes et communistes
La politique arabe du pétrole 207

irakiens ont fait de la nationalisation de l’industrie


pétrolière un principe d’opposition à leur gouver-
nement. Après la grave crise de la nationalisation
iranienne et le renversement de Mossadegh en 1953
toutefois, experts et responsables gouvernementaux
arabes ont écarté l’idée de ce qui passe alors pour
un échec. Si la baisse des prix de référence décidée
par les sociétés concessionnaires comme en 1959
puis en 1960 rend la formule du fifty-fifty de moins
en moins intéressante aux yeux des gouvernements
arabes, ce sont les stratégies de participation pro-
gressive au capital des entreprises pétrolières
et d’intégration de l’industrie pétrolière qui sont
privilégiées par les experts jusqu’au milieu des
années 1960, y compris par les plus nationalistes.
Comme Ashraf Lutfi, Muhammad al-Mughrabi et
‘Abdallah al-Tariqi, ils considèrent que la nationa-
lisation de l’industrie pétrolière ne peut être qu’un
objectif à long terme, après le développement des
activités industrielles et d’une éducation formant des
ingénieurs et des administrateurs capables. Il s’agit
alors de faire d’entreprises comme l’Aramco saou-
dienne une entreprise non seulement d’exploitation
des gisements mais aussi de raffinage, de transport et
de commercialisation des produits pétroliers. L’inté-
gration de ces activités « aval » permet de contrecarrer
le contrôle que les majors exercent sur la commer-
cialisation du pétrole et la production de la valeur
ajoutée. Les sociétés exploitantes dans les pays arabes
revendent en effet l’essentiel de leur production de
brut aux entreprises qui les possèdent (la Standard
Oil of California et la Texas Oil Company associées à
la Standard Oil of New Jersey — future Exxon — et à
la Socony Vacuum — future Mobil — pour l’Aramco)
et à leurs filiales chargées de la mise sur le marché75.
208 Aux pays de l’or noir

Lors d’une conférence devant l’Association des


ingénieurs irakiens en 1964, ‘Abdallah al-Tariqi
défend la nationalisation comme une possibilité
à court terme lorsque les entreprises concession-
naires refusent de négocier. La même année, dans
un long article publié en trois parties dans le quo-
tidien égyptien al-Ahram, Tariqi décrit ces sociétés
comme la « tête » du serpent de l’impérialisme dont
Israël n’est que la « queue » au sein des pays arabes.
En 1965, il fait de la nationalisation une « néces-
sité nationale panarabe » dans son intervention au
cours du cinquième Congrès arabe du pétrole orga-
nisé au Caire. Pour ‘Abdallah al-Tariqi, la nationali-
sation n’est plus subordonnée par la mise en place
préalable de l’unité des pays arabes. Elle est devenue,
au contraire, un moyen d’accélérer cette unité qui
patine. Sa proposition n’est toutefois pas reprise dans
les résolutions finales du Congrès. Les représentants
égyptiens, soucieux de ne pas effrayer les entreprises
étrangères sollicitées par Nasser pour explorer les
champs égyptiens, s’y opposent encore. Loin de faire
l’unanimité, la nationalisation devient cependant une
option explicitement débattue et discutée à la veille
de la guerre de 1967. Les positions exprimées par
Tariqi sont d’ailleurs reprises par la suite dans les
travaux des juristes et des économistes arabes76.
En 1964 aussi, le secrétaire général de l’OPEP et
ancien doyen de la faculté de droit de Bagdad ‘Abd
al-Rahman al-Bazzaz (1913‑1973), avait exhorté les
négociateurs de l’Iraq Petroleum Company (IPC)
à faire preuve de souplesse pour résoudre le dif-
férend né de la loi de 1961 qui avait permis au
gouvernement irakien de reprendre le contrôle
des gisements concédés à l’IPC mais que la société
n’exploitait pas activement. Pour ce militant du
La politique arabe du pétrole 209

nationalisme arabe bien au fait des discussions en


cours sur le principe du changement des circons-
tances et sur l’échange inégal, les changements
intervenus depuis l’entre-deux-guerres ont rendu
les concessions obsolètes, mais une négociation
guidée par les principes de l’équité et du réalisme
permettrait d’éviter la position « extrême » de ceux
qui voient dans les sociétés comme l’IPC « des élé-
ments étrangers dont le seul but est l’exploitation
et, par conséquent, rien d’autre qu’un instrument
moderne de l’impérialisme »77.

Yamani, la voix arabe de la participation


Le poids de l’Arabie Saoudite, en particulier de son
représentant Ahmad Zaki Yamani, et de ses alliés
du Golfe à l’OPEP, permet d’orienter la déclaration
des pays membres de l’organisation en juin 1968 sur
« la politique pétrolière ». La déclaration appelle les
États à accroître leur rôle dans le secteur pétrolier
au-delà des deux instruments utilisés jusque-là : la
fiscalité sur le pétrole et la participation à la fixation
des prix de référence. Le texte ne fait toutefois réfé-
rence qu’à deux stratégies pour accroître ce rôle : soit
directement par le biais de la création d’entreprises
nationales, soit indirectement par le biais de la par-
ticipation au capital et aux activités des entreprises
des holdings concessionnaires.
S’il est très tôt politisé, le débat entre experts au
sujet de la nationalisation et de la participation
n’a pas lieu qu’entre responsables et conseillers
des ministères du Pétrole. Avant même les années
1970 et la hausse accélérée des cours du brut, les
thèses consacrées aux questions pétrolières par de
jeunes économistes, juristes et ingénieurs arabes se
210 Aux pays de l’or noir

multiplient. Les universités libanaises, égyptiennes


mais aussi et surtout américaines et européennes
sont investies par ces débats. En plus de ses prises
de position officielles et très médiatisées, le ministre
saoudien du Pétrole, Ahmad Zaki Yamani, tient à
intervenir dans ce cadre universitaire. Diplômé des
universités américaines de New York et de Harvard,
Yamani prend position comme ministre d’un pays
en passe de devenir le principal producteur arabe de
pétrole mais aussi comme un expert parmi ses pairs,
fût-ce contre son ancien patron et mentor ‘Abdallah
al-Tariqi. En avril 1967, il intervient dans un sémi-
naire de l’Université Américaine de Beyrouth dédié à
l’économie du pétrole et organisé par des spécialistes
alors en vue : Albert Julius Meyer, de l’université
de Harvard, l’économiste palestinien Yusuf Sayigh
et le Libanais Zuhayr Mikdashi. Yamani décrit la
politique pétrolière saoudienne de long terme et
s’étend sur la création de l’entreprise Petromin
(1962) chargée de développer l’industrie pétrolière
en coopération avec l’Aramco, ainsi que sur l’ouver-
ture du College of Petroleum and Minerals (1963)
qui devient le passage obligé des élites saoudiennes
et dans la direction duquel Yamani reste très investi.
La conférence est l’occasion pour lui de répondre
aux partisans de la nationalisation et de défendre sa
politique de participation.

En Arabie Saoudite, ce sont nos intérêts nationaux,


nos obligations juridiques et notre réputation interna-
tionale qui nous guident. (…) La politique gouverne-
mentale qui consiste à acquérir une part importante
du capital des joint-ventures futurs servira assuré-
ment à augmenter nos revenus pétroliers. (…) C’est
aussi une piste plus pratique et plus avantageuse que
celle de la nationalisation qui évoque pour nous, en
La politique arabe du pétrole 211

Arabie Saoudite, la fable du fermier dont la poule


pondait chaque semaine un œuf d’or. (…) Notre poli-
tique de « non-nationalisation » découle du sens de
la responsabilité que nous avons vis-à-vis du peuple
saoudien : il nous interdit de prendre des risques et
nous impose de nous fonder sur des stratégies réa-
listes et bien pesées78.

Le souci du réalisme économique et l’éthique de la


responsabilité nationale et internationale deviennent
les mots d’ordre des pays producteurs non révolu-
tionnaires face au groupe mené par l’Algérie, la Libye
et l’Irak. Les changements de régime en Irak puis
en Libye et le soutien des nouveaux dirigeants au
principe de la nationalisation accentuent les divi-
sions manifestées pendant la guerre de 1967. Les
hommes du Baas dirigés par Ahmad Hassan al-Baqr
et Saddam Hussein prennent le pouvoir en Irak en
1968 et Mu‘ammar al-Qadhafi renverse la monarchie
libyenne en 1969. La composition de l’OPAEP est
bouleversée par la transformation du régime de ce
pays fondateur. Rapidement, la Libye y fait entrer
l’Algérie (1970) puis l’Irak (1972).

Pour une politique pétrolière


plus radicale en Algérie, Irak et Libye :
les nationalisations
Ensemble, les trois gouvernements libyen, algé-
rien et irakien constituent le « front du refus » des
pays pétroliers révolutionnaires : ceux qui s’op-
posent autant aux puissances qui soutiennent Israël
qu’à leurs sociétés pétrolières accusées de néo-
impérialisme. Comme le président Boumediene en
Algérie, les nouveaux dirigeants irakiens et libyens
212 Aux pays de l’or noir

considèrent le pétrole comme un outil de change-


ment radical des sociétés et du renversement de la
domination des pays arabes par les anciennes puis-
sances coloniales et les États-Unis. Le contraste est
frappant avec l’Arabie Saoudite où, après avoir ren-
versé son frère Saoud en 1964 avec l’appui du clergé
wahhabite et de l’Aramco, le roi Faysal ordonne
en 1969 une vague d’arrestations qui éradique du
royaume les groupes nationalistes révolutionnaires
et met définitivement fin aux mouvements ouvriers
contestataires.
L’Algérie, la Libye et l’Irak engagent au début des
années 1970 un combat commun pour tenir tête aux
grandes compagnies pétrolières dans les négocia-
tions sur le partage des bénéfices, la propriété des
infrastructures industrielles et la fixation des prix. La
formation en droit et en économie de leurs ministres
et de leurs experts permet aux trois gouvernements
de manier avec aisance ce que Christopher Dietrich
a appelé la « culture économique de la décolonisa-
tion ». Mu‘ammar al-Qadhafi sollicite rapidement
l’aide de ses alliés révolutionnaires. En janvier 1970,
les sociétés nationales de l’Algérie, de l’Égypte, de
l’Irak et de la Libye signent un accord de coopéra-
tion incluant la constitution de joint-ventures et la
formation réciproque de techniciens. Il s’agit d’orga-
niser un front commun dans les négociations que les
trois pays ont entreprises avec les majors. En mai,
l’Algérie, l’Irak et la Libye s’engagent à adopter des
mesures unilatérales pour mettre fin aux trop lentes
négociations avec les sociétés pétrolières étran-
gères et à se soutenir mutuellement. La Sonatrach
algérienne est par exemple appelée pour expertiser
l’exploitation par les sociétés concessionnaires étran-
gères des gisements libyens79.
La politique arabe du pétrole 213

L’Algérie a accumulé une expérience industrielle


utile depuis son indépendance en 1962. Le président
Boumediene a commencé par racheter le réseau de
distribution de la société British Petroleum au début
de l’année 1967, un an après la première nationalisa-
tion réussie des sociétés minières étrangères. Il inau-
gure en grande pompe la première station-service
repeinte aux couleurs orange, rouge et noire de la
Sonatrach le 8 mai 1967, jour anniversaire des mani-
festations nationalistes et de leur répression violente
par le pouvoir colonial français en 1945. Pour la
première fois, des consommateurs arabes peuvent
faire leur plein dans une station-service aux couleurs
de leur société nationale. Lors de l’embargo décidé
par les pays arabes en 1967, l’État algérien prend
le contrôle des entreprises pétrolières américaines
installées au Sahara.
Contrairement à la publicité qui en est faite cepen-
dant, cette nationalisation favorise le développement
des coopérations entre la Sonatrach et les compa-
gnies américaines indépendantes. L’accord avec
Getty Oil en 1968 permet à l’entreprise nationale
algérienne de devenir opérateur sur les gisements
du pays. Le contrat signé avec El Paso en 1969 per-
met à la Sonatrach de développer ses infrastructures
gazières (oléoduc et usine de liquéfaction à Skikda)
et de consolider ses parts sur le marché américain
au moment où l’Algérie renégocie ses liens énergé-
tiques avec la France. En 1968, les activités de distri-
bution des autres entreprises comme la Compagnie
Française des Pétroles sont nationalisées avec des
indemnisations. Selon les responsables algériens
de l’époque, les mesures de 1967‑1968 étaient déjà
conçues comme des préparatifs à la nationalisation
intégrale du secteur pétrolier80.
214 Aux pays de l’or noir

En 1969, Mu‘ammar al-Qadhafi nomme Mahmud


al-Maghribi à la tête du gouvernement. Ce juriste né
à Haïfa en 1935 a étudié à Damas et a milité dans les
rangs des mouvements nationalistes arabes. Encore
marqué par les répercussions désastreuses de la
nationalisation iranienne lorsqu’il soutient sa thèse
sur la législation pétrolière en Libye à l’université
George Washington en 1966, il est embauché par la
société Esso en Libye. Il devient l’un des principaux
meneurs du mouvement syndical en prenant notam-
ment la tête du Syndicat du pétrole. En 1967, il est
renvoyé puis exilé pour avoir participé à une grève
des ouvriers contre le soutien américain et britan-
nique à Israël. En 1969, al-Maghribi a abandonné
les réserves qu’il exprimait encore dans sa thèse. Le
travail juridique et économique des experts anticolo-
niaux du pétrole depuis vingt ans et la concurrence
de la Guerre froide rendent désormais possible selon
lui d’adopter, sans risques majeurs, une position
intransigeante dans les négociations pétrolières avec
les compagnies.
Pendant ses quelques mois à la tête du gouverne-
ment libyen révolutionnaire, Mahmud al-Maghribi
met à profit la forte demande européenne, les effets
de la fermeture du Tapline et la concurrence des
sociétés installées en Libye pour convaincre Mu‘am-
mar al-Qadhafi d’exiger une augmentation forte des
prix du pétrole libyen. Il est soutenu par le ministre
du Pétrole de l’époque, Anis al-Chtiwi, lui aussi du
nationalisme arabe de gauche. Ce gouvernement très
politisé est rapidement remanié mais la politique
pétrolière est poursuivie. Si le nouveau ministre
du Pétrole libyen ‘Izz al-Din al-Mabruk affirme en
mai 1970 dans le quotidien égyptien al-Ahram que
personne avant le coup d’État révolutionnaire de
La politique arabe du pétrole 215

1969 « ne s’était soucié d’imposer un quelconque


contrôle sur les compagnies », Mahmud al-Maghribi
et ses successeurs s’appuient en réalité sur l’appa-
reil législatif hérité d’Anis al-Qasim pour l’attribution
des concessions. La révolution n’a pas rompu tout
lien avec la politique pétrolière de la Libye monar-
chique, elle capitalise astucieusement sur l’héritage
des experts du régime précédent. D’anciens respon-
sables du gouvernement du roi Idris comme Bashir
al-Sunni al-Muntasar sont d’ailleurs autorisés à ren-
trer dans la direction de l’entreprise Shell81.
Comme lors de l’adoption des lois de 1955 et 1961
encourageant l’attribution de concessions multiples
à des compagnies indépendantes, l’exemple libyen
est suivi avec attention. Les responsables algériens
obtiennent que leurs homologues libyens négo-
cient un prix correspondant à celui que l’Algérie
exige au même moment des sociétés françaises82.
Après avoir annoncé son intention de réclamer une
hausse importante du prix du baril libyen, Mu‘am-
mar al-Qadhafi commence par faire pression sur une
société américaine qui ne fait pas partie des majors,
Occidental Petroleum. La réduction de la produc-
tion de pétrole imposée par le gouvernement libyen
coïncide avec la fermeture du Tapline après un acci-
dent. La Syrie refuse opportunément de le laisser
réparer tant qu’elle n’a pas obtenu de l’Aramco une
augmentation de ses droits de transit. Cette conjonc-
tion organisée par les pays révolutionnaires aggrave
les tensions sur le marché du pétrole arrivant de
Méditerranée. La révision réussie des accords avec
Occidental Petroleum en 1970 accélère les négocia-
tions avec les autres sociétés pétrolières étrangères
en Libye. Le pays obtient une augmentation des
prix de référence de son pétrole et une part allant
216 Aux pays de l’or noir

de 55 à 58 % des bénéfices réalisés par les sociétés


concessionnaires.
Les camps ne sont cependant ni homogènes ni
diamétralement opposés. En décembre 1970, l’OPEP
elle-même, réunie à Caracas, encourage les États
producteurs à relever les prix de référence et le taux
d’imposition pesant sur les bénéfices des sociétés
pétrolières étrangères, fût-ce sans négociation préa­
lable comme sont en train de le faire la Libye et
l’Algérie. Les sommets de l’OPEP et la circulation
des experts arabes d’un pays à l’autre entretiennent
toujours les échanges d’informations et les débats
d’idées. Comme bien d’autres experts formés dans
les grandes capitales du nationalisme arabe avant
de prolonger leurs études en Europe ou aux États-
Unis, Mani‘ Sa‘id al-‘Utayba (né en 1946 à Abu
Dhabi) termine la première partie de ses études à la
faculté d’économie de l’université de Bagdad en 1969
et 1970. Il passe directement de l’ambiance baasiste
au Bureau du pétrole à Abu Dhabi dont il prend la
direction. En 1971, il devient le premier ministre
du Pétrole pour l’émirat d’Abu Dhabi puis, en 1972,
pour la fédération des Émirats arabes unis dont la
politique pétrolière suit pourtant de près celle de
l’Arabie Saoudite. L’assemblée nationale koweïtienne
abrite une opposition nationaliste proche des posi-
tions radicales des responsables algériens, irakiens
et libyens. Le Koweït soutient d’ailleurs diploma-
tiquement et financièrement par un prêt l’exécutif
révolutionnaire algérien lorsque ce dernier décide en
1964 de faire construire par la nouvelle Sonatrach
son propre pipeline vers le port d’Arzew sans passer
par les sociétés françaises qui protestent. L’émirat
pousse le gouvernement britannique et les sociétés
anglaises à s’engager dans la construction. Il soutient
La politique arabe du pétrole 217

avec les mêmes moyens l’Irak lors de la nationali-


sation de l’industrie pétrolière huit ans plus tard83.

Au cours des années 1950, la formation d’un groupe


d’experts a permis aux gouvernements de s’emparer
de questions techniques et de faire du marché du
pétrole l’espace d’une renégociation continue des
pays arabes avec leurs anciennes tutelles. La forma-
tion de ces experts ne leur a pas seulement conféré
l’aura, si forte dans les pays arabes de l’époque, du
savoir technique. Elle les a aussi rendus indispen-
sables aux gouvernements de plus en plus soucieux
de contrôler directement une ressource sur laquelle
reposent les espoirs de l’indépendance, du dévelop-
pement et de la puissance. Sur les gisements et dans
les raffineries, les ouvriers du pétrole font quant à
eux l’expérience d’une politisation précoce au regard
du reste de la population active des pays arabes. Les
congrès, les grèves, les manifestations de solidarité
et la presse sont les creusets de la transformation
des affaires pétrolières en une question politique que
l’époque de la décolonisation rend fondamentale :
celle de la souveraineté de la nation arabe sur ses
ressources.
Jusqu’au milieu des années 1960, les succès des
experts arabes du pétrole et de l’OPEP face aux
sociétés étrangères sont portés par un contexte
économique et politique favorable au nationalisme
arabe, y compris dans les pays du Golfe qui sont
alors les principaux producteurs arabes. La guerre de
1967 signale le rôle conféré au pétrole dans les pays
arabes mais aussi, rapidement, l’échec des projets de
politique pétrolière commune sur lesquels misaient
les économistes, juristes et autres militants arabes
218 Aux pays de l’or noir

du pétrole pour le développement de leurs pays. Elle


accentue les différences d’idées et de personnalités
dans une période qui coïncide avec plusieurs transi-
tions de régime politique.
À la fin des années 1960, le pétrole est devenu l’un
des principaux sujets de débats dans les pays arabes.
Les divergences d’opinions et de politiques sont plus
accentuées que vingt ans auparavant. Une nouvelle
génération d’experts et de dirigeants a mis de côté les
responsables des années 1950. L’Algérie, l’Irak et la
Libye ont remplacé l’Égypte face aux pays du Golfe.
Le paysage des pays arabes et en particulier des villes
a lui aussi été transformé par deux décennies d’ex-
ploitation du pétrole et de redistribution des revenus.
Ces changements sont le reflet des appropriations
différentes, mais désormais abouties, du pétrole par
les sociétés arabes.
En 1970, les pays arabes produisent plus de 31 %
du pétrole exporté dans le monde. Lors de leur réu-
nion à Caracas en décembre, les ministres des pays
membres de l’OPEP n’évoquent pas seulement les
renégociations en cours et la politique suivie par les
pays révolutionnaires. Ils décident aussi de redéfinir
la méthode de fixation des prix du brut en prenant
pour référence le pétrole saoudien léger (très peu
sulfureux) qu’est l’Arabian light. Le « pétrole arabe »
s’impose comme l’étalon de référence du marché
mondial.
Chapitre IV

LE PÉTROLE ARABE AUX ARABES !


LA DÉCENNIE 1970

Que de merveilles l’or arabe a-t-il faites pour


nous !
Nous rotons jusqu’à faire une indigestion de
faim
Pendant que le Roi du pétrole s’effraie que
des rats ne parviennent à son argent,
Et que l’Occident, dans sa merveilleuse supé-
riorité et perfection nucléaires,
Nous regroupe pour le pétrole et nous égorge
tous pour le pétrole.
Longue vie au pétrole !
Longue vie au gaz !
Longue vie au Roi des pets !
Extraits du poème de MUZAFFAR
AL-NAWWAB , « Tall al-Za‘tar », 1977.

Le ton sarcastique du poète irakien Muzaffar al-


Nawwab ne découle pas seulement de la colère susci-
tée par le silence des gouvernements arabes lorsque
les réfugiés palestiniens du camp libanais de Tell al-
Za‘tar ont été massacrés par les milices chrétiennes
en 1976, en pleine guerre civile. Naft ibn Kaaba,
« Pétrole fils de la Kaaba » (la Pierre Noire du sanc-
tuaire de La Mecque), personnage clé du poème, fait
220 Aux pays de l’or noir

des déclarations vides de sens qu’il oublie aussitôt.


Comme l’Arabie Saoudite et les autres pays du Golfe
qu’il représente, il se contente de réagir aux horreurs
du monde arabe en annonçant la tenue d’un sommet
de chefs d’État au lieu de prendre les mesures dont
ses ressources pétrolières et sa foi devraient le rendre
capable1.
Pour ce farouche défenseur du nationalisme arabe
et engagé à gauche qu’est Muzaffar al-Nawwab, les
horreurs de la guerre civile ont un goût d’autant
plus amer qu’elles douchent l’enthousiasme encore
chaud du début des années 1970. Les premières
nationalisations des entreprises pétrolières et la
hausse vertigineuse des revenus des pays produc-
teurs ont alors renforcé les espoirs placés dans le
pétrole arabe. Pour les dirigeants comme pour les
opinions publiques travaillées depuis deux décen-
nies par le nationalisme pétrolier, ces transfor­
mations et leur écho dans le monde scellent le
retournement d’une longue domination par les
grandes puissances étrangères. Par le biais des
salaires versés aux travailleurs émigrés, la prospé-
rité des pays producteurs ruisselle dans l’ensemble
du monde arabe. Le pétrole profiterait-il enfin aux
Arabes ? L’inégalité des bénéfices, les rivalités inter­
arabes et la transformation des comportements
dans toutes les couches de la société sont déjà de
mauvais augure pour des intellectuels inquiets
comme Muzaffar al-Nawwab.
Le pétrole arabe aux Arabes ! 221

L’ÉPOPÉE DES NATIONALISATIONS

Le 24 février 1971, le président du Conseil de la


Révolution algérien, Houari Boumediene, annonce
la nationalisation de 51 % des entreprises pétrolières
françaises et de 100 % des gisements de gaz et des
pipelines en Algérie :

Les négociations ont duré depuis le printemps 1970


jusqu’à l’automne. Les semaines et les mois se sont
succédé sans qu’apparaisse le moindre résultat. On
nous disait : nous ne négocierons qu’après les déci-
sions qui seront prises à Téhéran. (…) Le moment
est venu de prendre nos responsabilités. Nous avons
décidé aujourd’hui de porter la révolution dans le sec-
teur des hydrocarbures2.

« Qararna (nous avons décidé) » : devenue célèbre,


la formule fait de la nationalisation un acte de souve-
raineté, l’accomplissement d’une révolution qui s’est
trop longtemps heurtée à la résistance des vestiges
de l’époque coloniale que sont les sociétés pétrolières
françaises. Les accords d’Évian de 1962 avaient per-
mis aux sociétés françaises de conserver l’essentiel
de leurs activités d’exploitation des pétrole et gaz
algériens dans le cadre de l’Organisme Saharien. La
France avait obtenu d’être représentée à parts égales
avec l’Algérie dans cette structure qui exerçait sa
tutelle sur toutes les opérations d’exploitation du gaz
et du pétrole algériens. En 1965, un accord d’asso-
ciation entre la France et l’Algérie pour l’exploitation
des hydrocarbures algériens donnait pour la pre-
mière fois un rôle d’opérateur à la Sonatrach dans
certains gisements. La lenteur de la renégociation de
222 Aux pays de l’or noir

cet accord justifie, pour les dirigeants algériens, les


décisions de 1971.
À cette date, l’Algérie a déjà procédé à la natio-
nalisation de plusieurs entreprises américaines et
britanniques dans le secteur des hydrocarbures. Elle
exige, avec la Libye et l’Irak, une revalorisation des
prix de référence. Plus encore que son prédécesseur
Ben Bella renversé en 1965, Boumediene hisse le
rôle du pétrole à un rang mystique dans l’histoire de
l’Algérie : « s’il nous était donné d’analyser le pétrole
algérien, nous découvririons que le sang de nos mar-
tyrs constitue l’une de ses composantes car la pos-
session de cette richesse a été payée par le prix de
notre sang ». L’histoire algérienne, la résistance des
sociétés françaises qui organisent un embargo sur le
pétrole algérien jusqu’au règlement de juin 1971 et,
enfin, l’ensemble des débats sur le pétrole arabe aux-
quels participent les responsables algériens depuis
les années 1960 font du secteur des hydrocarbures
le champ de la bataille « décisive » pour la révolution
algérienne commencée lors du soulèvement de la
guerre d’indépendance3.
Les souvenirs de Hocine Malti, l’un des respon-
sables pétroliers chargés d’organiser en urgence la
relève des équipes françaises, signalent combien
la nationalisation est une expérience palpitante et
enthousiasmante pour les ingénieurs et juristes algé-
riens mobilisés depuis la fin de l’année 1970 dans ce
but. Pour ces jeunes cadres supérieurs, mais aussi
pour des centaines de techniciens promus dans l’ur-
gence pour remplacer les employés français, c’est
l’occasion d’accéder, du jour au lendemain, à des
responsabilités sans précédent4.
14. « Nationaliser, c’est se libérer à jamais de la domination
étrangère. » Autour de la femme qui appelle « À moi le reste
de mes fils », l’Algérie (à gauche) et la Libye (à droite).
Sur ses deux bras qui déchirent l’« accord de l’IPC » :
« Irak » et « Syrie ». Naft al-‘Arab, vol. 7, no 10, juillet 1972.
224 Aux pays de l’or noir

La nationalisation algérienne est un premier


modèle pour les pays révolutionnaires. La prise de
contrôle de 51 % du capital des industries pétrolières
est réussie dans un jeune pays à peine décolonisé et
toujours aux prises avec son ancienne métropole.
L’Égyptien ‘Atif Sulayman, l’un des experts qui
ont conseillé le gouvernement algérien, en tire les
« leçons » dès le mois de mars 1971 dans le journal
du parti unique, El-Moudjahid. Reprenant les théo-
ries développementalistes en vigueur à l’époque, ‘Atif
Sulayman souligne l’importance du contrôle de ce
secteur déterminant pour l’industrialisation du pays
et capable d’amorcer la transition du secteur agri-
cole. L’« expérience pionnière » de l’Algérie permet
d’expérimenter la pertinence des modèles de déve-
loppement qui sont alors en vogue dans les pays
arabes5.
Pour l’anniversaire du « redressement révolution-
naire » par lequel il a renversé et remplacé l’ancien
président Ben Bella le 19 juin 1965, Houari Boume-
diene exige que les célébrations soient organisées sur
le gisement de Hassi Messaoud. L’ancienne base de
la Compagnie Française des Pétroles est rebaptisée
par le président algérien « base du 24 février » pour
commémorer la nationalisation. Outre les deux mille
« cadres », musiciens et employés des services de
santé et de sécurité, plusieurs milliers de personnes
sont acheminées par le parti unique sur la base
industrielle à 800 kilomètres au sud d’Alger pour
manifester la cohésion de la nation autour de son
industrie pétrolière6.
La publicité donnée par l’État à la révolution
pétrolière est perceptible dans la production cultu-
relle la plus populaire. Rabah Driassa, star musicale
Le pétrole arabe aux Arabes ! 225

de l’époque, lance un tube intitulé « al-bitrul (le


pétrole) » qui célèbre l’aboutissement de la lutte
pour la libération. En 1971 encore, le pétrole s’im-
pose comme un thème majeur de la pièce de Kateb
Yacine, Mohamed prends ta valise, la première qu’il
fait interpréter non pas en français mais en darija
(l’arabe algérien courant). Tandis que le candide
Mohamed subit les désillusions de l’indépendance,
son épouse Aïcha est confrontée à l’oppression des
nouvelles élites algériennes et des anciens colons
dont elle devine la malhonnêteté. « Ce n’est pas
l’Algérie qui est dans le pétrole / C’est le pétrole qui
est en Algérie », lance-t-elle au P-DG de l’entreprise
pétrolière française « Pompez Tout » après avoir lu
les nouvelles de la nationalisation7.

Un contexte favorable aux nationalisations


Présentée comme révolutionnaire par Houari Bou-
mediene et par les gouvernements issus des coups
d’État de 1968 en Irak et de 1969 en Libye, la vague
de nationalisation n’en a pas moins été préparée
intellectuellement depuis le milieu des années 1960,
nous l’avons vu dans le chapitre précédent. Le conflit
de 1967 et les divisions qui ont suivi entre les pays
arabes sur l’embargo confirment les arguments des
partisans d’une prise de contrôle immédiate des
sociétés pétrolières étrangères. C’est d’ailleurs à cette
occasion que de premières mesures avaient permis
de nationaliser progressivement le réseau de distri-
bution en Algérie.
Au sein du Tiers-Monde, d’autres pays ont précédé
l’Algérie. Le Sri Lanka a nationalisé les activités d’im-
portation et de distribution des produits pétroliers
en 1962. Le Mexique a pris possession des actifs des
226 Aux pays de l’or noir

entreprises pétrolières étrangères opérant sur son sol


dès 1938, la Bolivie en 1937 et à nouveau en 1969,
le Pérou en 1968. Pour la première fois cependant,
les pays arabes devancent le Venezuela, leur modèle
économique pétrolier pendant la décennie précé-
dente, qui ne nationalise son industrie pétrolière
qu’en 1976. Les gouvernements arabes reprennent
les argumentaires juridiques et économiques déve-
loppés dans le cadre des conférences de l’ONU et
des sommets tiers-mondistes que fréquentent leurs
experts.
Le contexte économique est particulièrement
favorable. En Europe et au Japon, l’augmentation
de plus en plus rapide de la consommation soutient
la demande alors même que la livraison du pétrole
saoudien par le Tapline est interrompue depuis 1970
par les pays de transit qui exigent une revalorisa-
tion de leurs revenus. La fermeture du canal de Suez
depuis 1967 bloque toujours les livraisons rapides
de pétrole importé du Golfe par la Méditerranée8.
Les débouchés méditerranéens des hydrocarbures
algériens et libyens sont donc particulièrement
­recherchés.
La nationalisation algérienne bénéficie enfin du
soutien des pays arabes producteurs. Les respon-
sables pétroliers ont pris l’habitude de la concerta-
tion pour faire face aux sociétés étrangères dans le
cadre des négociations sur les prix, les volumes de
production et les revenus versés par ces mêmes socié-
tés. Lors d’un sommet à Bagdad en janvier 1970,
l’Algérie, l’Irak et la Libye officialisent leur coopé-
ration pour organiser un front commun face aux
majors. Le nouveau gouvernement libyen soutient
financièrement l’Algérie confrontée à l’embargo orga-
nisé sur ses exportations pétrolières et gazières par
Le pétrole arabe aux Arabes ! 227

les sociétés françaises. À Hassi Messaoud en 1971,


Boumediene salue longuement l’aide reçue par le
« peuple frère » et le « gouvernement révolution-
naire » de Libye. Le soutien ne se limite pas aux pays
révolutionnaires. En juin 1970, l’OPEP a tenu à Alger
son vingtième sommet tandis que l’Algérie entrait
dans le club de l’Organisation des Pays Exportateurs
de Pétrole.

Des nationalisations en chaîne


En décembre 1971, le Conseil de Commandement
révolutionnaire libyen annonce la nationalisation
des activités de la British Petroleum, officiellement
en représailles à la cession par la Grande-Bretagne
de deux îlots du Golfe à l’Iran la même année. Le
1er septembre 1973, à l’occasion de l’anniversaire du
coup d’État qui a porté Mu‘ammar al-Qadhafi au
pouvoir, 51 % des avoirs des sociétés Esso, Libyan
American Oil et Grace Petroleum en Libye sont
nationalisés. En 1974, la totalité des entreprises
concessionnaires étrangères est devenue propriété
nationale. La revue Naft al-‘Arab (le pétrole des
Arabes) célèbre l’héroïsme de Qadhafi et du peuple
libyen qui reprennent le flambeau de l’Égypte nas-
sérienne.
Le 1er juin 1972 enfin, c’est au tour de l’Irak d’an-
noncer la nationalisation de l’Iraq Petroleum Com-
pany (IPC) tandis que le président syrien annonce
celle des pipelines et du terminal de la même société
en Syrie. Pendant près de deux ans de négociation,
le gouvernement irakien a accusé les sociétés action-
naires de l’IPC de faire pression sur le pays en main-
tenant des niveaux de production artificiellement
bas. Quand il annonce la nationalisation, le président
228 Aux pays de l’or noir

Hassan al-Bakr décrit ces sociétés comme « les ins-


truments dangereux qui représentent la logique
impérialiste, la logique du pillage et de l’exploita-
tion monopolistique, ainsi que l’appauvrissement des
masses ». La prise de contrôle sur l’IPC est le point
d’accomplissement de l’histoire officielle du nouvel
Irak ; une victoire économique et politique contre
l’impérialisme, alors que les victoires militaires font
défaut9.
Pour exporter le pétrole des infrastructures dont
elle a pris le contrôle en dépit de l’opposition des
entreprises actionnaires de l’IPC, la société natio-
nale Iraq National Oil Company (INOC) multiplie
les contrats avec des sociétés française, italienne,
indienne, yougoslave et brésilienne. L’essor des
exportations et le développement continu des exploi-
tations par l’INOC permettent à l’Irak de négocier en
position de force et d’obtenir en 1973 un règlement
favorable des litiges qui l’opposaient à l’IPC depuis
l’adoption de la loi 80 en 1960. Le transfert des actifs
de l’IPC au gouvernement irakien permet au Liban
de nationaliser, à son tour, les installations de l’IPC
sur son sol la même année10.
L’ambiance du huitième Congrès du pétrole arabe,
opportunément organisé à Alger entre le 28 mai et
le 3 juin 1972, est enthousiaste. Les experts favo-
rables au principe de la nationalisation triomphent.
Ils peuvent d’autant plus facilement mettre en valeur
les nationalisations qu’ils les ont souvent accompa-
gnées en tant que conseillers. L’excitation atteint
son comble lorsque les participants apprennent la
décision irakienne le 1er juin. Pressés par les orga-
nisateurs algériens du congrès, l’ensemble des pays
représentés adressent aux gouvernements irakien et
syrien des messages de félicitations dûment relayés
Le pétrole arabe aux Arabes ! 229

par la presse. Comme aux grandes heures du natio-


nalisme arabe des années 1950‑1960, le représen-
tant des Émirats arabes unis applaudit à un acte qui
manifeste l’appartenance des pays arabes à une seule
entité « vivant d’un seul cœur et avec les mêmes
espoirs », un acte « décisif pour l’avenir même du
peuple d’Irak et des peuples arabes »11.

Le leadership pétrolier de l’Algérie


Lors du Congrès, ‘Atif Sulayman donne cette fois-ci
à la nationalisation algérienne une ampleur régio-
nale. La prise de contrôle d’une industrie « motrice
pour l’économie nationale » n’est plus seulement la
garantie pour l’Algérie d’un développement écono-
mique indépendant. L’expérimentation réussie des
options discutées depuis dix ans dans les congrès
arabes fait désormais de la nationalisation une
option réaliste pour l’ensemble des pays arabes, si
elle est aussi bien préparée qu’en 1971. En effet, il y
a aussi un peu de fierté dans les leçons que tire l’ex-
pert employé par le gouvernement algérien. L’échec
de l’embargo organisé par les sociétés françaises sur
le pétrole « rouge » de l’Algérie révolutionnaire et
socialiste puis le règlement relativement rapide du
différend sur les compensations versées par l’État
algérien effacent définitivement le traumatisme
laissé par la nationalisation iranienne de 195112.
La décision de Boumediene permet à l’Algérie de
prendre le relais de l’Égypte nassérienne dans le
monde arabe. Le contrôle de l’industrie pétrolière
fournit aux Arabes, selon le président algérien, une
opportunité sans précédent de peser dans les rela-
tions internationales et de faire valoir leurs droits.
La fierté de la délégation algérienne au moment de
230 Aux pays de l’or noir

son entrée dans l’OPEP, en 1969, avait déjà frappé


les autres participants arabes. En 1971, la natio-
nalisation confère à l’Algérie un rôle sans com-
mune mesure avec ses volumes de production et
ses réserves, non sans crisper les représentants des
autres pays membres de l’Organisation13.
La conviction d’avoir posé en 1971 un geste inau-
gural et panarabe est fortement enracinée chez les
responsables algériens. Dans son discours de clôture
du Congrès arabe du pétrole de 1972, le ministre
algérien de l’Énergie, Belaïd Abdesselam, célèbre
la nationalisation irakienne comme une nouvelle
étape dans la reprise en main par les Arabes de leurs
richesses naturelles et dans la victoire de la lutte
pour la Palestine, deux processus qui ont été relan-
cés, explique-t-il, par la nationalisation algérienne
de 1971. Vingt ans après, Belaïd Abdesselam affirme
toujours que les nationalisations qui ont suivi celle
de l’Algérie ainsi que les prises de participation des
États du Golfe dans l’industrie pétrolière sont « les
répercussions d’un processus dont l’acte initial et
majeur s’est joué en Algérie ». La décision des pays
membres de l’OPEP en 1973 de confier le secrétariat
général à un Algérien, Lamine Khène, confirme cette
conviction14.

QUI SERA LE CHAMPION


DES NATIONALISATIONS ?

En 1972, l’annonce de la nationalisation de l’IPC


par le gouvernement irakien puis les mesures
libyennes volent la vedette à l’Algérie. Pour les
dirigeants du Baas irakien, les décisions de 1972
Le pétrole arabe aux Arabes ! 231

redonnent sa légitimité au rôle du parti dans la


libération pétrolière. « C’est le Parti du Baas Socia-
liste qui a inventé le slogan : “le pétrole arabe aux
Arabes”, et la nationalisation du 1er juin 1972 a été
le premier coup porté par le peuple arabe à l’impé-
rialisme depuis la défaite de juin 1967 », indique une
publication du parti en 1974. Comme en Algérie, la
nationalisation est perçue et présentée comme l’issue
d’une longue prise de conscience nationale commen-
cée par la révolution de 1968 qui a porté le Baas au
pouvoir en Irak et ainsi mis fin à la passivité des gou-
vernements précédents. S’ils soutiennent dans leur
grande majorité la nationalisation, les experts ira-
kiens non baasistes de l’époque sont naturellement
plus réservés sur l’étendue de la victoire affichée par
Saddam Hussein et sur la réalité des avantages tirés
de la nationalisation en Irak et dans le reste des pays
du Golfe15.
Depuis la loi de 1960, la confrontation des diffé-
rents régimes irakiens avec l’Iraq Petroleum Com-
pany constitue le feuilleton le plus suivi des batailles
des experts arabes contre les sociétés actionnaires
britannique (British Petroleum), américaines (Esso,
future ExxonMobil, et Mobil), française (Compa-
gnie Française des Pétroles devenue Total) et anglo-
néerlandaise (Shell). En 1972, la nationalisation
irakienne apparaît donc comme la remise en cause
définitive du modèle des concessions. ‘Atif Sulayman,
qui célébrait encore le modèle algérien en 1972,
reconnaît sans équivoque la portée supérieure de
la décision irakienne. Le Koweït, où les députés de
l’opposition nationalistes font pression sur le gou-
vernement, et la Libye révolutionnaire promettent
une aide de 100 millions de dollars à l’Irak. Les deux
pays s’engagent aussi à empêcher toute hausse de
232 Aux pays de l’or noir

la production qui servirait à compenser, pour les


sociétés étrangères et les pays consommateurs, la
baisse des exportations irakiennes en Méditerranée.
La même année, l’Irak fait son entrée dans l’Orga-
nisation des Pays Arabes Exportateurs de Pétrole
(OPAEP)16.
Pour d’autres comme ‘Abdallah al-Tariqi, c’est
plutôt l’« héroïque » Libye qui se révèle la digne
héritière de l’Égypte nassérienne de 1956. Comme
la nationalisation de la Compagnie du canal de
Suez, la décision de Mu‘ammar al-Qadhafi est un
« pur acte panarabe (qawmi) » pour l’éditeur de
Naft al-‘Arab. La politique de confrontation appli-
quée depuis 1970 par la Libye et les succès qu’elle
a engrangés ont suscité l’adhésion des militants du
pétrole arabe. La pression du gouvernement libyen
sur les sociétés étrangères pour obtenir la revalori-
sation des prix de référence du pétrole a poussé les
majors à accepter de négocier collectivement avec
l’OPEP pour éviter les surenchères d’un pays arabe à
l’autre. Lors du sommet de l’OPEP organisé à Téhé-
ran en février 1971, les pays producteurs du Golfe
ont obtenu de relever le prix de l’Arab light de 1,79
à 2,17 dollars immédiatement puis d’augmenter ce
prix de 2,5 % chaque année pendant cinq ans. Le
taux d’imposition sur les bénéfices des entreprises
concessionnaires est passé de 50 à 55 % et des méca-
nismes ont été instaurés pour compenser l’érosion
du pouvoir d’achat du pétrole à cause de l’inflation
dans les pays importateurs17.
Au moment où les accords de Téhéran sont
conclus, l’Arabie Saoudite et l’Irak suspendent leur
livraison de pétrole aux terminaux méditerranéens
afin de soutenir le gouvernement libyen dans ses
négociations. Moins de deux mois plus tard, les
Le pétrole arabe aux Arabes ! 233

accords de Tripoli (avril 1971) permettent à la Libye


d’obtenir des conditions plus favorables encore et
dupliquées par la suite pour le pétrole irakien et
saoudien exporté par la Méditerranée. En contre-
partie, les gouvernements arabes s’engagent à ne pas
remettre en cause les conditions renégociées pendant
cinq ans. Dès 1972 toutefois, de nouvelles négocia-
tions sont engagées par l’OPEP pour maintenir le
pouvoir d’achat des pays producteurs de pétrole
affaibli par la dépréciation du dollar depuis la fin
de sa convertibilité en or en 1971. Après les rééva-
luations décidées en octobre et décembre 1973 par
les pays de l’OPEP, c’est encore la Libye qui fait de
la surenchère en relevant le prix de son pétrole de 9
à 18,80 dollars le baril en janvier 1974.
Entre 1971 et 1972, les concertations entre l’Algé-
rie et la Libye au sein des congrès et sommets n’em-
pêchent pas leur rivalité pour s’imposer comme chef
de file des pays arabes producteurs de pétrole et, plus
largement, pour orienter l’agenda de l’OPEP en for-
çant la main aux gouvernements des pays du Golfe.
L’annonce de la nationalisation algérienne moins de
dix jours après la conclusion des accords de Téhéran
relève de cette compétition. De plus, quatre jours
avant le discours de Houari Boumediene, le journal
El-Moudjahid, organe du FLN, publie des analyses
critiques des accords conclus à Téhéran une semaine
plus tôt. L’augmentation des prix obtenue par les
pays du Golfe membres de l’OPEP, soulignent alors
les journalistes algériens, ne règle pas le problème de
la dégradation des termes de l’échange pour les pays
producteurs de matières premières. Les entreprises
pétrolières sauront par ailleurs récupérer ce qu’elles
ont cédé aux gouvernements en faisant payer plus
cher le pétrole aux consommateurs finaux.
234 Aux pays de l’or noir

La veille de l’annonce de la nationalisation, alors


qu’il rentre tout juste de consultations en Libye,
Belaïd Abdesselam donne au même journal une
interview qui décrit les accords de Téhéran de façon
sensiblement différente. Insuffisantes, les avancées
obtenues à Téhéran sont cependant décrites comme
un pas fait par les pays du Golfe en direction des
idées défendues par l’Algérie. La capacité des États
arabes à décider du prix des hydrocarbures, fût-ce
contre l’avis des sociétés concessionnaires, n’est
cependant qu’une première étape. Le contrôle de
l’appareil productif par la nation est l’objectif indis-
pensable et désormais à portée de main18.
Lors du sommet de l’OPEP à Vienne en juil-
let 1971 qui est en grande partie consacré à la ques-
tion de la participation des gouvernements dans les
concessions, l’Algérie et la Libye font à nouveau
entendre leur opposition aux pays du Golfe en récla-
mant le principe d’un seuil minimal de 51 % tandis
que les seconds s’en tiennent à 20 %. Tandis que le
gouvernement algérien saisit l’occasion de réaffir-
mer le caractère exemplaire de la nationalisation
de 51 % des actifs des sociétés françaises décidée
cinq mois plus tôt, les observateurs du Middle East
Economic Survey jugent que la publicité donnée
par la Libye à ces exigences s’explique quant à elle
par la volonté de faire aussi bien que l’Algérie et de
s’imposer. La nationalisation de 51 % des actifs de
British Petroleum en Libye est décidée cinq mois
plus tard19.
Le pétrole arabe aux Arabes ! 235

PARTICIPATION
CONTRE NATIONALISATION ?

Peu de temps avant que son roman Les Arbres


et l’Assassinat de Marzouk ne le fasse connaître
en 1973 auprès du grand public, ‘Abd al-Rahman
Mounif produit une étude fouillée sur l’économie
du pétrole, sa spécialité : Le Principe de la participa-
tion et la Nationalisation du pétrole arabe. Cette syn-
thèse sur les stratégies pétrolières des pays arabes,
publiée à Beyrouth en 1972, n’est pas une œuvre
d’allégeance envers leurs gouvernements. Déjà privé
de sa nationalité saoudienne, ce militant du natio-
nalisme arabe radical a aussi été déclaré persona
non grata en Irak pour avoir critiqué la brutalité du
coup d’État de 1963. Employé au ministère syrien
du Pétrole entre 1964 et 1973, Mounif n’en a pas
moins pris ses distances avec le parti Baas qui est
également au pouvoir et qu’il quitte définitivement
en 1965. Après avoir décrit la façon dont les sociétés
concessionnaires étrangères ont été progressivement
contraintes d’accepter le principe de la participation
dans les pays du Golfe, il se concentre sur l’histoire
irakienne pour défendre les mérites d’une stratégie
de confrontation radicale pouvant déboucher sur la
nationalisation de l’industrie pétrolière, au moment
où celle-ci est encore une option parmi d’autres20.
Plus que ses travaux sur le pétrole, ce sont ses
romans qui font connaître Mounif mais dans les
années 1970, son expertise nourrit de plus en plus
son œuvre littéraire. Peu après le succès d’À l’est
de la Méditerranée en 1975, Mounif est de nouveau
accueilli avec les honneurs par l’Irak. Le Baas y a
236 Aux pays de l’or noir

repris le pouvoir depuis 1968 sous la direction du


général Ahmad Hassan al-Bakr et, de plus en plus,
de Saddam Hussein. En tant que vice-président de
la République irakienne, Saddam Hussein a déjà pris
la présidence de la commission ministérielle spéciale
chargée des affaires pétrolières. Le pays vient de pro-
céder à la nationalisation de son industrie pétrolière
lorsque Mounif rentre au Bureau des affaires écono-
miques du Conseil de commandement révolution-
naire. Il est en particulier chargé de la revue Pétrole
et développement (al-Naft wa-l-tanmiyya). En 1976, il
publie, à Bagdad, La Nationalisation du pétrole arabe.
Le succès des nationalisations est alors confirmé.

Le choix de la modération
par les pays du Golfe ?
Les mesures « révolutionnaires » défendues par
les pays où ‘Abd al-Rahman Mounif trouve refuge
inquiètent les gouvernements des pays du Golfe,
soumis à la critique de citoyens indignés par la fai-
blesse de leurs dirigeants face aux sociétés étran-
gères et instruits par la presse des résultats obtenus
en Algérie, en Libye et en Irak. Le ministre koweïtien
des Finances et du Pétrole entre 1967 et 1975, ‘Abd
al-Rahman Salim al-‘Atiqi, prend soin de rappeler
à ses interlocuteurs comme dans la presse que la
politique pétrolière de l’émirat est une politique de
« modération (i‘tidal) ». Cette caractéristique rappelle
l’attachement des élites koweïtiennes à jouer le rôle
d’intermédiaires avec l’Algérie et la Libye, ce qui est
aussi un moyen de dégager un consensus avec l’op-
position au Parlement. Revendiquée par l’ensemble
des pays arabes du Golfe pendant les années 1970, la
« modération » permet plus largement de défendre le
Le pétrole arabe aux Arabes ! 237

recours à la prise de participation progressive dans


les industries pétrolières « plutôt qu’à des expédients
tels que la nationalisation21 ».
La position des « modérés » s’explique d’abord par
l’absence de passif colonial que viendrait solder la
nationalisation. L’Arabie Saoudite est restée indé-
pendante tandis que le protectorat britannique dans
les émirats du Golfe a pris fin sans violence entre
1960 (Koweït) et 1971 (dans les émirats restants).
Elle s’explique aussi par le profil de la deuxième
génération des élites arabes du pétrole. Quand ils
n’appartiennent pas à la famille régnante, ministres
et technocrates arabes du pétrole des années 1970
font leur carrière entre le monde de l’État, qu’ils
servent avec conviction, et celui des affaires qui est
aussi celui de leur famille. Et c’est à ce dernier qu’ils
reviennent à l’issue de leurs responsabilités gouver-
nementales pour prendre, le plus souvent, la tête de
sociétés d’investissements. À la différence de leurs
prédécesseurs, ‘Abdallah al-Tariqi entre autres, ils
sont donc particulièrement sensibles aux réactions
des marchés et aux relations avec les entreprises
étrangères.
Depuis la fin de l’année 1971, le ministre saoudien
Ahmad Zaki Yamani a pris la direction des négocia-
tions au nom des pays producteurs du Golfe. Elles
aboutissent à la fin de l’année 1972 à un accord
entre les entreprises concessionnaires et les gou-
vernements saoudien, koweïtien et émirati portant
sur la prise de participation progressive par ces der-
niers de 25 % dès 1972 puis progressivement 51 %
du capital des premières. La pression exercée par les
nationalisations algérienne, libyenne et irakienne a
facilité le travail de Yamani, alors que le méconten-
tement manifesté dans la presse et au sein même des
238 Aux pays de l’or noir

administrations du Golfe est croissant à l’égard des


entreprises étrangères accusées de garder le secret
sur leurs opérations et les réserves en hydrocarbures.
Le successeur de ‘Abdallah al-Tariqi à la tête du
ministère saoudien du Pétrole ne manque pas de
défendre sa position. La « participation opposée à
la nationalisation » était déjà le titre d’une de ses
conférences à l’Université Américaine de Beyrouth
(AUB) en 1968. La participation, expliquait Yamani,
permet de préserver les liens nécessaires et indisso-
lubles « comme dans un mariage catholique » avec
les entreprises pétrolières. Chez les auditeurs de
l’AUB et dans la presse régionale, la formule avait
eu un grand écho. En décembre 1972, quelques
jours après la conclusion de l’accord sur le rachat
par le gouvernement saoudien de 25 % des parts de
l’Aramco, Yamani est invité à répondre aux critiques
croissantes sur la coopération du gouvernement avec
les entreprises américaines lors d’une interview à la
télévision de Riyad. Il dénonce encore les méfaits
de la nationalisation, une revendication « illusoire
ou trompeuse autant qu’elle est brillante ». Certes,
explique-t-il, la nationalisation « peut soulever l’en-
thousiasme dans les rues de certaines parties du
monde arabe » mais « grâce à Dieu » pas en Arabie
Saoudite car elle équivaudrait à une politique de
confiscation, inacceptable en principe et défavorable
aux relations avec les entreprises étrangères22.
Les détracteurs du ministre saoudien s’emploient
à critiquer le monopole que Yamani s’est arrogé sur
la stratégie de la participation au moment où cette
dernière gagne en crédibilité auprès des experts et
des gouvernements du Golfe. ‘Abdallah al-Tariqi, qui
y voit la remise en cause de son legs au ministère
du Pétrole saoudien, se moque de son successeur
Le pétrole arabe aux Arabes ! 239

qui se présenterait comme le « champion de la par-


ticipation » aux yeux de la presse occidentale et irait
même jusqu’à « philosopher » sur le sujet. En réa-
lité, rappelle Tariqi, la participation est un principe
qu’il a lui-même mis en œuvre dès la négociation
avec les entreprises japonaises pour l’exploitation
du pétrole de la zone neutre entre l’Arabie Saoudite
et le Koweït en 1957. Le royaume était alors associé
aux activités et aux bénéfices « du puits jusqu’à la
voiture » ; depuis tout ce temps, il aurait pu aller
bien plus loin23.

Les premières nationalisations


au service des négociations
La compétition autour du contrôle de l’industrie
pétrolière oppose les pays arabes producteurs autant
qu’elle les réunit. De même que les pays arabes du
Golfe ont soutenu l’Algérie, la Libye et l’Irak dans leurs
négociations avec les entreprises étrangères, les natio-
nalisations menées dans ces trois pays ont facilité le
travail des négociateurs saoudiens, koweïtiens, émiratis
et qataris en 1972. Les habitudes de consultation et
d’échanges d’informations hérités des grandes heures
des Congrès arabes n’ont pas cessé. En mai 1970, Alger
a accueilli les responsables pétroliers libyens et irakiens
venus manifester la solidarité de leur camp dans les
négociations pétrolières qui commencent, mais le mois
suivant, le président Boumediene reçoit également
avec tous les honneurs le roi saoudien Faysal à l’oc-
casion du cinquième anniversaire du « redressement
révolutionnaire » de 1965. Sur le passage du cortège à
Alger, le FLN fait placer de grandes banderoles vantant
la nationalisation des industries pétrolières, gazières et
chimiques. Ensemble, le président moudjahid algérien
240 Aux pays de l’or noir

et le très peu révolutionnaire roi saoudien inaugurent


le complexe d’ammoniac de la Sonatrach à Arzew, célé-
bré comme le signe de l’industrialisation du pays par
ses propres forces. La complicité des deux dirigeants
et de leurs ministres du Pétrole, Belaïd Abdesselam
et Ahmad Zaki Yamani, étonne même les diplomates
américains.
La stratégie pétrolière des pays du Golfe évolue
rapidement et se rapproche bientôt de celle de l’Al-
gérie, de la Libye et de l’Irak. Sans surprise, c’est au
Koweït que la synthèse est réalisée en premier. Le
Parlement rejette la proposition d’une participation de
25 %. Soutenus par les arguments d’experts comme
Nicolas Sarkis qu’ils invitent à Koweït, les députés de
l’opposition qui avaient déjà critiqué les accords avec
la Kuwait Oil Company (KOC) en 1965 contraignent
leur gouvernement à prendre d’abord 60 % des parts
de cette entreprise concessionnaire en 1974 avant
de nationaliser intégralement l’industrie du pétrole
à partir de 1975. La Kuwait Petroleum Corporation
est alors créée pour contrôler l’ensemble des activi-
tés liées à la production et la commercialisation du
pétrole. Comme l’explique le député de l’opposition,
‘Abdallah al-Nibari, lors d’une émission sur la chaîne
nationale koweïtienne al-Qurayn en 1975, l’étape du
seuil de 60 % de participation permettait de réunir les
partisans de la nationalisation immédiate et ceux de
la participation progressive. La présence à ses côtés
sur le plateau de Tariqi, qui reprend longuement ses
arguments sur l’opportunité de la nationalisation de
l’industrie pétrolière, montre à quel point la natio-
nalisation est en passe de devenir l’aboutissement
logique de la stratégie de participation — si ce n’est
une option immédiate — dans le débat public des
sociétés arabes du Golfe au début des années 197024.
Le pétrole arabe aux Arabes ! 241

L’exemple du Koweït est en effet rapidement suivi


par les autres pays arabes du Golfe. Soucieux de ne
pas se voir imposer les décisions de gros producteurs
de l’OPEP comme l’Arabie Saoudite, le Qatar décide
de négocier de son côté pour obtenir un accord de
participation de 25 % en 1973 dans la concession
de la Qatar Petroleum Company et, pour les activi-
tés offshore, dans celle de la Shell. La participation
est portée à 60 % en 1974 avant que l’État qatari ne
prenne, entre 1976 et 1977, la pleine propriété des
deux entreprises. Dès 1974, l’État saoudien augmente
sa participation dans l’Aramco pour en devenir l’ac-
tionnaire majoritaire avec 60 %. La nationalisation
est achevée en 1980, lorsque l’État saoudien acquiert
100 % du capital de l’entreprise. L’Aramco devient la
Saudi Aramco en 1988 et prend le contrôle de toutes
les activités liées à l’exploitation du pétrole et du gaz.
En 1974 aussi, la compagnie nationale Abu Dhabi
National Oil Company fait passer sa participation
de 25 à 60 % dans les deux entreprises concession-
naires Abu Dhabi Petroleum Company et Abu Dhabi
Marine Areas. À la différence de ses voisins toutefois,
l’émirat ne nationalise pas complètement son indus-
trie et maintient une politique de participation jugée
« sage » par les experts arabes les moins acquis au
principe absolu de la nationalisation. Au moment
où les pays arabes non ou faibles producteurs de
pétrole se lancent dans les programmes de libéra-
lisation économique et les privatisations (comme
l’Égypte à partir de 1974), les pays producteurs se
convertissent, eux, à l’appropriation nationale des
principaux moyens de production25.
242 Aux pays de l’or noir

FAIRE CARRIÈRE DANS LE PÉTROLE

Comme en Algérie où la base Hassi Messaoud a


été rebaptisée « base du 24 février » en l’honneur
de la nationalisation, la participation croissante des
pays du Golfe dans les entreprises pétrolières per-
met de nationaliser aussi l’histoire de la découverte
et de l’exploitation du pétrole. Le rôle des citoyens
dans les premières étapes de l’exploration et de la
découverte des puits est mis en valeur par la presse
et les institutions nationales. En 1974, au moment
où l’État saoudien devient majoritaire dans l’Aramco,
l’entreprise donne à l’un de ses champs pétroliers
le nom de « Rimthan » en mémoire de l’un des
guides bédouins qui ont participé à la découverte du
pétrole : Khamis ibn Rimthan al-‘Ajmi. Sa réputation
de guide à la mémoire prodigieuse et son identité
bédouine en font, pour les jeunes employés saou-
diens de l’entreprise américaine, la préfiguration de
la participation saoudienne à l’épopée pétrolière. La
réappropriation des ressources pétrolières par les
États arabes au début des années 1970 le transforme
en héros national26.
Si elle aboutit à un résultat similaire à celui
des nationalisations de 1971‑1973, c’est-à-dire au
contrôle des moyens de production, la prise de parti-
cipation négociée et progressive des États arabes du
Golfe maintient toutefois une différence fondamen-
tale. Le lien de l’industrie des hydrocarbures avec les
entreprises américaines, britanniques et, dans une
moindre part, françaises n’a pas été rompu comme
il a pu l’être en Algérie, en Libye et en Irak. Les
« Aramcons » perpétuent la culture de l’entreprise
Le pétrole arabe aux Arabes ! 243

américaine avec d’autant plus d’aisance qu’ils ont


étudié aux États-Unis, ils s’opposent ainsi aux projets
d’intégration dans l’entreprise nationale Petromin. Le
rôle de l’Aramco dans le développement et la moder-
nisation du royaume n’est que très rarement remis
en cause dans les récits nationaux. Avec la politique
du roi ‘Abdal-‘Aziz (Ibn Saoud) célébré comme le
fondateur de l’Arabie Saoudite moderne, l’Aramco
reste le principal agent de développement reconnu
dans l’histoire des débuts du royaume. L’histoire
nationale ainsi présentée entretient le rapport par-
ticulier des citoyens saoudiens avec les États-Unis,
admirés pour leur culture entrepreneuriale et leur
modernité technique, tout en étant critiqués pour
leur politique dans le reste du Moyen-Orient27.
De façon semblable, cette fois-ci, à la situation de
l’Algérie, de la Libye et de l’Irak après les nationali-
sations, les jeunes générations du Golfe qui entrent
dans le secteur pétrolier au cours des années 1970
se souviennent d’une décennie enthousiaste. Elles
arrivent sur le marché de l’emploi au moment des
premières mesures décidées par les gouvernements
pour augmenter la proportion des employés natio-
naux tandis que les stratégies de diversification
industrielle des entreprises pétrolières augmentent
considérablement les recrutements. Ils sont le plus
souvent diplômés d’universités étrangères, souvent
égyptiennes ou libanaises pour la première partie
des études que les plus doués et les plus ambitieux
poursuivent dans des universités européennes et, sur-
tout, américaines. Leur formation en droit, en éco-
nomie, en administration des entreprises (business
administration) et, pour un nombre croissant, en
sciences telles que la géologie, a été financée par
des bourses gouvernementales ou directement par
244 Aux pays de l’or noir

les programmes de formation que les sociétés pétro-


lières nationales ont mis en place ou hérité des entre-
prises américaines et européennes pour augmenter
la part d’employés locaux dans leur main-d’œuvre.
Les boursiers de la Sonatrach sont 2 165 à être ins-
crits dans des études supérieures en France et aux
États-Unis en 1979.
Le « piston (wasta) » fourni par un parent déjà
employé par l’entreprise ou par un patron influent
facilite leur entrée et leur ascension professionnelle,
tout en installant de véritables traditions profes-
sionnelles au sein des familles des nouvelles classes
moyennes ou des vieilles familles marchandes en
reconversion. La hausse des revenus tirés des hydro-
carbures, qui s’accélère en 1973, accroît encore leur
fierté de travailler dans les entreprises, souvent les
plus modernes des économies du Golfe et les pre-
mières créatrices de richesses, dans des conditions
de travail qu’ils décrivent a posteriori comme extraor-
dinaires. Le pétrole est un moteur d’ascension sociale
et professionnelle particulièrement rapide. À en juger
par leur situation une fois à la retraite et par l’amer-
tume de certains lors de la crise des années 1980, les
conditions de rémunération des cadres et des ingé-
nieurs étaient excellentes, mais les récits qu’ils en
livrent sont beaucoup plus discrets sur ce point28.
Jeune docteur de la Texas A & M (Agricultural
and Mechanical) University passé par la Shell et
plusieurs entreprises américaines du secteur pétro-
lier, le futur ministre de l’Énergie (de 1990 à 2010)
et président de la Sonatrach (de 2001 à 2003) Cha-
kib Khelil rentre en 1971 en Algérie pour travail-
ler au sein de la Sonatrach puis à la direction des
coentreprises avec les sociétés étrangères et comme
conseiller du président Boumediene. ‘Ali ibn Ibrahim
Le pétrole arabe aux Arabes ! 245

al-Na‘imi est un autre de ces jeunes produits des


métiers du pétrole dont la carrière s’accélère au
début des années 1970. Après avoir passé les dix
premières années de sa vie auprès de sa famille, des
nomades de la tribu des ‘Ajman dans l’est de l’Arabie
Saoudite, il commence sa scolarité dans une école
de l’Aramco où il suit son frère aîné en 1944. Il y
apprend l’anglais et un peu de mathématiques. À
douze ans, en 1947, il intègre les programmes de
formation de l’entreprise américaine et part étudier à
Beyrouth puis aux États-Unis, où il finit sa formation
en géologie et en hydrologie à Stanford. Au début
des années 1970, quand le gouvernement saoudien
accroît sa participation dans l’Aramco, le géologue
trentenaire connaît une ascension sans précédent.
À lire ses mémoires, tout se passe très vite : d’abord
responsable de plusieurs ensembles de gisements en
1972, il abandonne la gestion technique pour inté-
grer la direction générale de l’entreprise. En 1980,
il devient membre du conseil d’administration de
l’Aramco. Il est le premier Saoudien à en prendre la
présidence trois ans plus tard, avant d’être désigné
comme P-DG de l’entreprise en 1988. Entre 1995
et 2016, il est le quatrième ministre saoudien du
Pétrole. Contrairement aux deux ministres précé-
dents, Ahmad Zaki Yamani et Hisham Nazir, ‘Ali
al-Na‘imi n’a pas travaillé aux côtés de ‘Abdallah
al-Tariqi. La nomination de ce technocrate d’origine
modeste qui a fait toute sa carrière dans l’Aramco et
qui doit son ascension à la famille royale met fin à la
tradition des « cheikhs », ces ministres très politiques
du Pétrole issus de familles négociantes29.
La précipitation des carrières accompagne la pré-
cipitation des évènements. Le régime historique des
concessions a été systématiquement entamé au cours
246 Aux pays de l’or noir

des années 1960. Le conflit de 1967 a confirmé la


dimension politique et régionale que les mouvements
sociaux ouvriers et les Congrès avaient conférée aux
affaires pétrolières. Au début des années 1970, le
principe de la souveraineté nationale — à défaut
d’être panarabe — s’est imposé dans les débats : de
la question des prix et des volumes de production,
les différends en sont venus à la question de la pro-
priété des moyens de production. Dans ce contexte,
les décisions prises à la fin de l’année 1973 ne sont
que les éléments d’un long processus que les élites
et la presse arabes se refusent à considérer comme
un « choc ».

Y A-T-IL EU UN « CHOC » PÉTROLIER ?

La question s’impose dans les débats du neu-


vième Congrès arabe du pétrole, organisé à Dubaï en
mars 1975 : y a-t-il eu un « choc » pétrolier ? Un an
et demi après les décisions de leurs gouvernements
sur le relèvement des prix et la diminution de la pro-
duction, les ministres et les experts arabes du pétrole
sont unanimes pour contester la formule. Ils l’attri-
buent à une campagne médiatique entreprise par les
pays industrialisés importateurs de pétrole contre les
pays producteurs30. Parler de « choc pétrolier » revient
pour eux à faire porter aux seuls pays arabes la res-
ponsabilité des déséquilibres généraux du marché
mondial. « Il n’y a point de crise de l’énergie mais des
problèmes concernant l’énergie. (…) Nous refusons
de discuter des questions d’énergie seulement. Il faut
y inclure tous les problèmes des matières premières,
du développement et des questions monétaires »,
Le pétrole arabe aux Arabes ! 247

explique Mani‘ Sa‘id al-‘Utayba, le ministre émirati


du Pétrole et président du Congrès31.
L’analyse est fondée sur un double raisonnement.
La « crise de l’énergie » ou le « choc pétrolier » que la
presse occidentale attribue à la gestion politisée du
pétrole par les gouvernements arabes est d’abord le
résultat de déséquilibres économiques qui viennent
des pays industrialisés et touchent les pays en déve-
loppement. La politique monétaire des États-Unis et
l’inflation, l’augmentation des salaires et des impôts,
la concurrence accrue entre les pays du Nord puis
leurs mesures de stockage des hydrocarbures font
partie des principaux facteurs cités par les experts
arabes pour expliquer la pression à la hausse sur
les prix. En dépit de leur refus d’augmenter les prix
« affichés » (posted) à partir desquels sont calculés
les montants qu’elles doivent reverser aux États, les
majors ont en réalité intérêt à ce que le cours du baril
augmente. Cette augmentation, avancent les experts
arabes, leur permet de lancer des gisements plus
coûteux à exploiter que ceux des pays arabes (en mer
du Nord par exemple), et de maintenir leurs inves-
tissements comme leurs bénéfices alors même que
le dollar est dévalué (1971) et que la production de
pétrole stagne désormais aux États-Unis. L’allocution
de James Akins, responsable des affaires de l’énergie
au Département d’État américain, lors du Congrès
arabe du pétrole de 1972 à Alger est même perçue
comme un encouragement explicite à l’augmenta-
tion des prix du pétrole arabe32. Dans ce contexte
global dont les pays arabes ne sont qu’un élément, la
hausse des prix décidée en 1973 apparaît beaucoup
plus relative que lorsqu’elle est présentée isolément
comme relevant de la seule décision des producteurs
en représailles à la guerre israélo-arabe33.
248 Aux pays de l’or noir

Le relèvement des prix du pétrole fait ensuite par-


tie d’un processus de négociation entamé depuis plu-
sieurs années. À cause de la dépréciation du dollar
depuis la fin de la convertibilité en or décidée en
1971, le pouvoir d’achat du pétrole du Moyen-Orient
baisse. Le refus des entreprises pétrolières d’accepter
les hausses des prix « affichés » exigées par les pays
de l’OPEP alors que la demande en hydrocarbures
croît encourage les décisions unilatérales. La volonté
des pays arabes de réévaluer les prix est clairement
exprimée depuis les discussions de Téhéran et les
négociations sont engagées depuis assez longtemps
pour que les décisions de 1973 ne puissent être
considérées comme une surprise. Pour Nicolas Sar-
kis, Ahmad Zaki Yamani commet une grave erreur
lorsqu’il lie le prix du pétrole arabe au retrait des
troupes israéliennes des territoires occupés depuis
1967 puisqu’il laisse croire que « l’accroissement des
prix a été une action arbitraire et purement politique
sans justification économique ». Yamani répète pour-
tant lui aussi après 1973 que la hausse des prix était
un objectif déclaré de longue date et que l’intransi-
geance des entreprises étrangères et le contexte de
la guerre d’octobre ont contraint les gouvernements
à agir rapidement. Fuad Itayim en 1974 et ‘Atif
Sulayman trente ans plus tard le redisent, la hausse
des prix décidée par les pays producteurs était une
opération « purement économique » qu’il faut distin-
guer « de façon claire et absolue » des mesures poli-
tiques de réduction de la production et d’embargo
portées par les pays arabes pour réagir à la guerre
d’octobre 1973. Les décisions de 1973 font partie de
ce que le secrétaire général de l’OPAEP de l’époque,
‘Ali Ahmad ‘Atiqa, appelle en 1975 un « ajustement
(ta‘dil) » des prix qui n’a que trop tardé et qui n’est
Le pétrole arabe aux Arabes ! 249

d’ailleurs pas achevé34. La distinction entre le relève-


ment des prix d’une part, la réduction de la produc-
tion et l’embargo d’autre part, fonde l’analyse arabe
de l’histoire pétrolière du début des années 1970.
Dans la presse internationale, c’est l’association de
ces différentes mesures et leur précipitation à l’occa-
sion de la guerre d’octobre 1973 qui font apparaître
les pays arabes comme un bloc redoutable soudé par
l’usage économique et politique du pétrole. Pour les
experts et les responsables arabes, l’embargo mani-
feste au plus haut point — et pour une dernière
fois — la solidarité arabe. Quant à la hausse des prix,
elle est portée par les pays arabes autant que par
l’Iran et le Venezuela et prolonge les efforts entrepris
dans le cadre des Congrès arabes du pétrole depuis
plus de dix ans.

Le retour de l’« arme du pétrole »


En septembre 1973, l’OPEP déclare son intention
de relancer les négociations pour réévaluer le prix du
pétrole à la demande d’un groupe de pays mené par
l’Irak, l’Algérie, la Libye et le Venezuela. Les discus-
sions avec les entreprises commencent en octobre,
deux jours à peine après le début de la guerre du
Kippour qui incite les responsables arabes, sous la
pression de leurs opinions publiques, à obtenir les
hausses demandées. Pour les ministres des gouverne-
ments « modérés », obtenir une hausse significative
des prix permet de couper l’herbe sous le pied des
pays radicaux. Ces derniers proposent déjà d’orga-
niser un embargo tandis que le président égyptien
Sadate presse le roi saoudien Faysal d’utiliser la
production saoudienne pour faire pression sur les
États-Unis et donc sur Israël.
250 Aux pays de l’or noir

De fait, l’« arme du pétrole » expérimentée en


1967 est à nouveau plébiscitée par la presse et les
responsables nationalistes depuis que les tensions
ont repris entre l’Égypte et Israël. Le 21 juillet 1972,
le célèbre éditorialiste égyptien et ancien confident
de Nasser, Muhammad Hasanayn Haykal, a ainsi
appelé à utiliser l’arme du pétrole contre Israël35.
Les tenants d’une ligne « modérée » invoquent au
contraire leur éthique de responsabilité vis-à-vis du
marché mondial pour tenter de répondre aux va-t-
en-guerre et conjurer le risque d’une récession bru-
tale des économies importatrices de pétrole. Devant
ses homologues de l’OPEP en octobre 1972, Ahmad
Zaki Yamani est explicite :

[A]u moment où nous prenons conscience du pou-


voir de notre arme, nous devons l’utiliser pour bâtir
et non pour détruire, dans la paix et non la guerre,
dans la coopération et non la confrontation. Nous
croyons qu’avoir conscience d’être puissant fonde la
conscience d’avoir des responsabilités propres. Le
monde a besoin de notre pétrole et nous, de notre
côté, avons besoin du monde36.

Le mois suivant, le gouvernement irakien n’en


réactualise pas moins le souvenir de l’embargo décidé
à Bagdad en 1967 et réunit une conférence sur « le
pétrole comme arme » en coopération avec le Conseil
pour la paix mondiale et l’Organisation de la Solida-
rité des Peuples Afro-asiatiques. Porté par le succès
de la nationalisation de l’Iraq Petroleum Company,
le président irakien, Hassan al-Bakr, y fait part de
son enthousiasme en des termes tout à fait opposés
à ceux du ministre saoudien : « Il est maintenant en
notre pouvoir d’utiliser le pétrole arabe comme une
arme contre nos ennemis impérialistes dans toutes
Le pétrole arabe aux Arabes ! 251

nos batailles de libération et particulièrement dans


notre bataille pour donner un destin à la Palestine. »
En décembre 1972, c’est l’Union internationale des
syndicats des travailleurs arabes qui appelle les gou-
vernements arabes à viser les intérêts des États-Unis
dans leurs pays et en particulier à mettre en place un
boycott économique. Peu de temps après, le conseil
économique de la Ligue Arabe réuni au Caire exa-
mine lui aussi les moyens d’utiliser le pétrole arabe
pour contraindre les États-Unis à modifier leur poli-
tique étrangère. L’Assemblée nationale du Koweït
adopte le 6 janvier 1973 une motion qui invite les
pays arabes à geler leurs accords pétroliers avec les
entreprises concessionnaires occidentales si le com-
bat contre Israël est déclaré37.
Lorsque les négociations économiques sur le
pétrole commencent en octobre 1973, les négocia-
teurs arabes baignent donc dans une atmosphère
qui contraint les responsables comme Yamani à
adopter une attitude ferme à l’égard des entreprises
et des gouvernements étrangers. La pression des
opinions et de la presse renforce leur intransigeance
une fois que la guerre éclate. Le 16 octobre 1973,
les cinq pays arabes du Golfe membres de l’OPEP
décident avec l’Iran d’augmenter de 70 % le prix
« posté » de l’Arab light, ce qui correspond à une
augmentation de 17 % de son prix sur le marché
(3,65 dollars), sans attendre l’aval des entreprises
pétrolières. Dans leur communiqué, les six pays
déclarent s’inspirer des résolutions précédentes de
l’OPEP mais aussi des exemples donnés par l’Algé-
rie, le Venezuela et l’Indonésie pour fixer librement
le prix de leur pétrole. La Libye leur emboîte le pas
en décidant une augmentation supérieure (94 %).
Une nouvelle hausse est décidée en décembre par
252 Aux pays de l’or noir

l’ensemble des pays de l’OPEP cette fois-ci, sur l’in-


citation expresse du Shah d’Iran.
Si les experts défendent la logique économique
de l’augmentation des prix, l’ampleur et la rapidité
des décisions sont sans conteste la conséquence de
l’atmosphère politique dans laquelle les négociateurs
arabes ont plongé les réunions de l’OPEP.

LA DERNIÈRE BATAILLE PANARABE

Entre le Consortium de 1953 annihilant les mesures


de nationalisation du gouvernement Mossadegh et les
décisions d’octobre 1973 érigeant le pétrole comme
arme de guerre contre l’exploitation et la conquête,
ce furent vingt années d’une mobilisation patiente
et persévérante dans les pays arabes de l’Atlantique
au Golfe pour récupérer leurs richesses pétrolières,
pour entamer l’hégémonie du Cartel Internatio-
nal, pour faire coïncider l’indépendance politique
récemment conquise par certains d’entre eux avec
une indé­pendance économique indispensable à leur
dévelop­pement38.

Au moment où son analyse est publiée, en 1974, le


professeur d’économie à la faculté de droit de Rabat,
Mohamed Lahbabi, fait des décisions d’octobre 1973
le terminus ad quem qui donne son sens à l’ensemble
des transformations de l’industrie pétrolière dans les
pays arabes et efface définitivement le traumatisme
de la nationalisation iranienne de 1951. Cependant,
pour de nombreux experts qui s’expriment comme
lui au lendemain des évènements, ces mobilisations
solidaires s’achèvent aussi par la critique des vic-
toires de ce combat commun : les divisions internes
Le pétrole arabe aux Arabes ! 253

ressurgissent au moment de mettre fin à l’embargo et


les autres pays du Tiers-Monde dont les pays arabes
producteurs de pétrole ont, pourtant, voulu être les
avant-gardes remettent en cause leur légitimité.
Si les ministres n’hésitent pas à mettre en avant
la solidarité arabe entre 1972 et 1973 alors que l’es-
sentiel des négociations est mené dans le cadre de
l’OPEP, ce n’est pas seulement parce que l’hostilité
qu’ils affichent pour l’État d’Israël ressoude leurs
rangs. Depuis la fin des années 1960, la méfiance
des États arabes envers l’Iran, l’autre grand produc-
teur oriental, va croissant. Le souvenir de l’embargo
raté de 1967, pendant lequel l’Iran n’a pas soutenu
les efforts arabes, reste vif. Le triomphalisme du
Shah après les négociations de Téhéran en 1971 est
perçu comme une prétention à jouer le rôle de chef
de file des pays producteurs du Golfe. Il réactua-
lise les appréhensions du nationalisme arabe des
années 1950 dans le Golfe. Des militants comme le
Koweïtien Ahmad al-Khatib réclamaient alors la fin
de l’immigration iranienne dans les émirats arabes,
notamment sur les champs pétroliers. Ils exhumaient
le souvenir de l’inclusion à l’Iran de l’émirat d’Arabis-
tan du cheikh Khazaal, sur la rive orientale du Golfe,
en 1936. En 1971, la nationalisation des actifs de
British Petroleum en Libye est présentée par Mu‘am-
mar al-Qadhafi comme la réponse au soutien tacite
de la Grande-Bretagne à l’Iran qui occupe les îles
« arabes » d’Abu Mussa, de Petite et Grande Tomb.
Au même moment, l’Assemblée nationale de Koweït
vote une résolution appelant le gouvernement à
rompre ses relations diplomatiques avec l’Iran et la
Grande-Bretagne et à nationaliser, déjà, les actifs
pétroliers britanniques.
254 Aux pays de l’or noir

Dans les négociations sur l’augmentation des prix


du baril de 1973 et 1974, l’Iran continue de faire
cavalier seul aux yeux des négociateurs arabes. Avec
le ministre saoudien Ahmad Zaki Yamani accusé
d’être trop modéré, le Shah est régulièrement soup-
çonné d’être le soutien non avoué de la politique
des États-Unis au Moyen-Orient et leur meilleur
client. Mohammad Reza Pahlavi sait aussi compo-
ser habilement avec les divisions des gouvernements
arabes. Il bénéficie par exemple du soutien de l’Irak
et de l’Algérie en décembre 1973 quand il exige une
augmentation supplémentaire des prix de référence,
finalement établis à 11,65 dollars pour le baril d’Arab
light. Les pays « modérés » du Golfe réagissent en
renonçant à réduire leur production de janvier des
5 % mensuels décidés en octobre39.
Le 17 octobre, les ministres des pays membres
de l’Organisation des Pays Arabes Exportateurs de
Pétrole (OPAEP) recommandent de réduire la produc-
tion et de mettre en place un embargo contre les pays
« inamicaux » qui soutiennent Israël. Le 18 octobre,
l’Arabie Saoudite et le Qatar annoncent une réduction
immédiate de 10 % de leur production, suivis par l’Al-
gérie et le Koweït le lendemain. Le 18 octobre encore,
le cheikh Zayed bin Sultan, président des Émirats
arabes unis, lance une formule devenue célèbre pour
annoncer l’embargo de la fédération sur le pétrole à
destination des États-Unis : « Le pétrole arabe ne vaut
pas plus que le sang arabe. » L’embargo est suivi par
la Libye le lendemain, puis le 20 octobre par l’Arabie
Saoudite et l’Algérie, le 21 par le Qatar. Le 22 octobre,
l’ensemble des pays arabes producteurs ont mis en
place l’embargo pétrolier contre les États-Unis. À par-
tir du 23 octobre, les Pays-Bas font l’objet des mêmes
mesures.
Le pétrole arabe aux Arabes ! 255

Les décisions du mois d’octobre 1973 constituent


l’apogée de la mobilisation panarabe du pétrole. Si
elles ne satisfont pas les positions les plus radicales,
comme celles défendues par le ministre irakien du
Pétrole, Saadun Hamadi (nationaliser les entre-
prises américaines installées dans les pays arabes,
retirer les fonds arabes placés dans les banques
américaines et rompre les relations diplomatiques
avec les États-Unis) ou par son homologue libyen,
‘Izz al-Din al-Mabruk (nationaliser toutes les entre-
prises pétrolières étrangères), elles sont présentées
et vécues comme la manifestation d’une puissante
solidarité arabe face aux pays impérialistes. Cette
période laisse aux experts arabes le souvenir d’une
unité économique et politique enfin défendue par les
pays arabes producteurs d’hydrocarbures, avant que
les divergences, encore souterraines, ne l’emportent
quelques mois plus tard. Elle consacre la capacité
des gouvernements arabes à imposer leurs décisions
communes aux entreprises étrangères et les inté-
rêts de la nation arabe aux pays occidentaux. Sur
le moment, les décisions de 1973 semblent même
réussir à infléchir la diplomatie américaine là où
les précédentes tentatives de 1948, 1956 et 1967 ont
échoué. « Où en sommes-nous à présent de cet esprit
de dévotion à nos causes panarabes ? », demande
‘Atif Sulayman plus de trente ans après. L’impossi-
bilité de refaire du pétrole une arme partagée par
les pays arabes après 1973 plonge manifestement
l’expert égyptien dans une amère nostalgie40.
256 Aux pays de l’or noir

L’unité arabe et les conséquences


économiques des décisions d’octobre 1973
L’embargo est rapidement rompu dans les faits,
avant de l’être officiellement en 1974. Dès la fin de
l’année 1973, l’Aramco exporte du pétrole vers des
pays tiers non visés par l’embargo pour qu’il y soit
ensuite transbordé en direction des États-Unis. La
marine militaire américaine continue d’être ravitail-
lée en pétrole avec l’autorisation du gouvernement
saoudien. Au mois de janvier 1974, deux mois avant
les accords de cessez-le-feu entre l’Égypte et la Syrie
d’une part, et Israël d’autre part, la question de levée
de l’embargo est officiellement posée. Le ministre
des Affaires étrangères koweïtien, le cheikh Ahmad
Sabah al-Sabah, l’évoque publiquement le 21 janvier
mais il est corrigé par le reste de son gouvernement
le lendemain. Les 13 et 14 février, les présidents
Houari Boumediene, Hafez al-Assad et Anwar al-
Sadate se retrouvent à Alger mais repoussent au
sommet arabe de Tripoli, prévu le mois suivant, la
discussion sur l’embargo. À Tripoli donc, le 13 mars
1974, le ministre égyptien du Pétrole met en avant
les efforts de médiation réalisés par les États-Unis
pour demander la levée de l’embargo qui les vise. Les
discussions sont longues et s’échauffent car la Libye
et la Syrie s’opposent à la proposition égyptienne.
Les ministres arabes du Pétrole réunis à Vienne la
semaine suivante se saisissent du cessez-le-feu et des
annonces américaines de médiation pour décider
la levée de l’embargo contre l’avis de la Syrie et la
Libye. L’embargo aura duré cinq mois41.
Les menaces américaines de bloquer en repré-
sailles les exportations alimentaires ont inquiété les
Le pétrole arabe aux Arabes ! 257

pays arabes, déjà très dépendants. Il faut dire que


les calculs des experts et consultants employés par
les ministères et les institutions liées à l’OPAEP sont
alarmants. La croissance démographique des pays en
développement augmente les besoins des pays arabes
tandis que l’expansion des activités pétrolières com-
mence tout juste à être identifiée comme la cause de
l’atrophie du secteur agricole. Les importations de
produits agricoles ont augmenté de 300 % entre 1970
et 1975 dans les pays arabes alors que les exporta-
tions de ces mêmes produits n’ont augmenté que
de 47 %42.
Les effets de l’augmentation des prix du pétrole
sur les économies des pays en développement sont
plus graves encore pour les pays arabes producteurs
qui s’étaient portés à la tête du combat de ces pays
contre la domination économique des pays dévelop-
pés. Les responsables arabes ne découvrent pas le
problème en 1973 : lors du Congrès arabe du pétrole
de 1972, ‘Abdallah al-Tariqi s’inquiète du retard agri-
cole, Nicolas Sarkis de son côté évoque la répercus-
sion de la hausse des prix du brut sur les pays en
développement et critique l’instrumentalisation de
ce problème par les grandes entreprises pétrolières
étrangères et les pays consommateurs inquiets de
la hausse des prix. Lors du même congrès, le repré-
sentant irakien avait proposé de mettre en place des
accords de fourniture alimentaire bilatéraux avec
les pays en développement en général et africains
en particulier43.
Malgré les appels de pays comme l’Algérie à uti-
liser le pétrole pour réorganiser la hiérarchie éco-
nomique mondiale, les décisions des pays arabes
producteurs en octobre 1973 choquent les pays
de l’Afrique subsaharienne qui, à l’exception du
258 Aux pays de l’or noir

Nigeria, n’ont pas de réserves pétrolières confir-


mées et dont les factures des importations se
retrouvent gravement alourdies. Les chefs d’État
arabes réunis à Alger en novembre 1973 promettent
d’abord de garantir l’approvisionnement des États
africains et d’accroître leur aide financière et tech-
nique. La Libye est particulièrement active pour
soutenir les pays comme l’Ouganda et le Tchad
dont les dirigeants ont remis en cause dès 1971 leur
coopération avec Israël. Le conseil économique de
la Ligue Arabe suggère la création d’un fonds arabe
spécial pour aider les pays africains à financer leurs
importations pétrolières. Lors du Congrès arabe
organisé à Dubaï en mars 1975, le ministre émi-
rati du Pétrole insiste : « Il est bien clair que nous
faisons partie du Tiers-Monde et nous n’acceptons
pas le clivage entre pays producteurs et pays en
voie de développement 44. » La même année, la
Banque Arabe pour le Développement Économique
en Afrique est établie à Khartoum et abondée pro-
gressivement par les pays arabes producteurs,
Arabie Saoudite et Koweït en tête. Par le biais
de la Banque et surtout par le biais des accords
bilatéraux qu’ils privilégient, les pays de l’OPAEP
augmentent effectivement leur aide aux pays de
l’Organisation de l’Unité Africaine avec d’autant
plus de conviction que la majorité de ces pays ont
coupé leurs liens avec Israël45.
Les responsables arabes ne veulent pas se départir
du rôle qu’ils ont endossé dans le combat pour l’éta-
blissement de nouvelles relations entre pays produc-
teurs de matières premières et pays industrialisés.
Les batailles livrées par les pays arabes producteurs
« ont ouvert à coup sûr la voie à une révision fonda-
mentale des rapports entre les pays industrialisés et
Le pétrole arabe aux Arabes ! 259

les pays du Tiers-Monde producteurs des matières


premières », explique Mohamed Lahbabi. Les rela-
tions entre pays arabes producteurs et les autres sont
malgré tout encore tendues en 1974 et l’économiste
marocain doit consacrer de longs passages de son
livre sur La Bataille arabe du pétrole à minimiser les
effets néfastes de la hausse des cours du pétrole pour
les pays africains46.
Au début des années 1970, l’augmentation des
prix du pétrole arabe manifeste pour beaucoup de
pays non producteurs, africains et parfois arabes,
leur inégalité économique. Au sein même de ce que
les experts des années 1950‑1960 voyaient comme
une communauté fondée sur l’exploitation du pétrole
et la répartition de ses bénéfices, les évènements
des années 1970 accentuent les divergences écono-
miques. Ils aggravent aussi les inégalités à l’inté-
rieur des sociétés nationales transformées par une
décennie d’augmentation rapide des revenus tirés
des hydrocarbures et d’expansion des activités du
secteur pétrolier.

PROSPERITÉS ET DISPARITÉS :
L’ÈRE DE LA TAFRA

« Ce qui m’a le plus frappé, c’est le contraste entre


cette richesse énorme qui jaillit de la terre, et se
faufile, comme clandestinement, dans les oléoducs
enfouis dans le sol, vers les ports d’exportation, et
l’état de dénuement de la ville de Kirkouk et de la
zone environnante47. » Lorsqu’il décrit en 1975 la
situation des premiers gisements pétroliers irakiens
au journaliste français Éric Laurent, Nicolas Sarkis
260 Aux pays de l’or noir

ne se réfère pas à une époque lointaine. Sa visite


sur les champs de la région de Kirkouk a eu lieu
en mars 1972, moins de trois mois avant la déci-
sion de la nationalisation des actifs irakiens de l’Iraq
Petroleum Company. Les mesures de nationalisa-
tion décidées au début des années 1970 portaient
la promesse de rompre avec ce que les économistes
appellent alors le « sous-développement ». Or, avec
l’augmentation des prix du pétrole depuis 1973 et
donc des revenus encaissés par les États, le problème
n’est plus seulement celui de la solidarité arabe et du
financement des projets d’infrastructures. Il est aussi
celui de l’utilisation d’un volume financier inattendu
que les gouvernements des pays producteurs sont
rarement préparés à gérer, tandis que ceux des pays
voisins se plaignent d’avoir à supporter l’augmenta-
tion du coût de l’énergie.
En Arabie Saoudite, un groupe de technocrates
menés par Hisham Nazir, à la tête de l’Organisme
du Plan, et par les ministres de l’Industrie et des
Finances, s’opposent à l’augmentation de la produc-
tion au motif que le surplus de revenus ne peut plus
être utilisé ni investi efficacement. En Irak, les diffi-
cultés de recrutement d’une main-d’œuvre qualifiée
en nombre suffisant et la faiblesse des infrastructures
logistiques ne permettent pas au gouvernement de
dépenser plus de 61 % des sommes qu’il avait budgé-
tées pour la période 1970‑1974. « On ne savait cepen-
dant pas trop quoi faire de tant d’argent subitement
disponible dans les caisses du Trésor Public », écrit
l’ingénieur algérien Hocine Malti rétrospectivement,
et sans doute aussi avec un peu de provocation48.
Le pétrole arabe aux Arabes ! 261

Devenir les premiers


producteurs mondiaux
Le déclin de la production américaine transmet
progressivement le rôle de producteur d’appoint aux
États arabes et, en particulier, à l’Arabie Saoudite.
La production saoudienne a en effet pris le dessus
sur celle de son voisin koweïtien depuis 1966‑1967.
L’évolution de la production organise la hiérarchie
des pays arabes dans les négociations pétrolières.
L’Arabie Saoudite domine les débats avec la voix et
le talent médiatique de son ministre le « cheikh »
Yamani. Le Koweït, l’Irak et les Émirats arabes unis
(Abu Dhabi surtout qui produit bien plus de pétrole
que les autres émirats de la fédération) complètent
le groupe des principaux producteurs.
En 1972, les pays membres de la Ligue des États
Arabes et de l’OPAEP fournissent près de 750 mil-
lions de tonnes, soit 54,5 % du total des exportations
mondiales de pétrole. En 1975, avec près de 16 mil-
lions de barils exportés par jour, ils en fournissent
plus de 57 %, assurant ainsi environ un tiers de la
production mondiale. Entre les deux dates, le prix
des exportations a été multiplié par quatre. Les esti-
mations de l’époque quant à la production future
confortent la confiance des responsables pétroliers
en dépit du caractère particulièrement complexe du
calcul du volume des réserves. Les pays arabes de
l’OPAEP détiennent plus de 52 % des réserves prou-
vées récupérables en 1973, selon l’économiste maro-
cain Mohamed Lahbabi. En 1980, le ministre émirati
Mani‘ al-‘Utayba estime que cette part s’élève à 57 %49.
Pour désigner cette période, c’est le mot tafra qui
s’impose en arabe : il signifie, au sens propre, le saut
262 Aux pays de l’or noir

vers le haut ou en avant, celui que provoque l’exci-


tation. Dans les années 1970, il traduit la rapidité
avec laquelle les États arabes pétroliers ont le sen-
timent d’entrer dans la modernité économique. Aux
générations nées après la Seconde Guerre mondiale,
« les jours de la tafra (ayyam al-tafra) » ont souvent
laissé le souvenir d’un changement vertigineux dans
la sphère domestique comme dans l’espace public :
forte croissance démographique, accessibilité des
biens de consommation importés et développement
des appareils étatiques. L’expansion des services de
police, de l’armée et de la justice permet aux États
arabes d’achever la prise de contrôle de leur terri-
toire. Dans les villes en plein essor, les conditions
de vie des habitants sont bouleversées, et les nou-
veaux citadins viennent grossir les banlieues à Riyad
comme à Alger. L’urbanisation s’accélère et, avec
elle, l’usage de la voiture. Entre 1970 et 1980, la part
de la population urbaine est passée de 49 % à 67 %
en Arabie Saoudite, de 50 % à 70 % en Libye, de
56 % à 65 % en Irak, de 86 % à 95 % au Koweït.
L’Algérie est le seul producteur important à rester
sous le seuil des 50 % de population urbaine50. Au
Koweït, les architectes en vogue dans le monde sont
sollicités par le gouvernement pour construire les
principaux bâtiments publics. Les tours aux styles
hétérogènes poussent dans les capitales arabes tan-
dis que les vieilles villes disparaissent ou servent de
refuge aux populations immigrées en quête de loge-
ment bon marché.
Les travailleurs immigrés arabes et, de plus en
plus, asiatiques sont d’autant plus nombreux et
visibles dans l’espace public que la population
nationale privilégie les postes offerts par l’accroisse-
ment de l’administration. En 1975, la main-d’œuvre
Le pétrole arabe aux Arabes ! 263

étrangère représente déjà 70 % de la population


active au Koweït. Ce chiffre passe à 78 % en 1980.
Il est alors supérieur à 50 % dans la plupart des
pays arabes producteurs d’hydrocarbures : 90 % de
la population active est étrangère dans les Émirats
arabes unis, 85 % au Qatar, 53 % en Arabie Saou-
dite. Seules la Libye (34 %) et l’Algérie font excep-
tion. La coexistence de la main-d’œuvre étrangère,
même arabe, avec la population locale n’entraîne
pas le melting-pot espéré par les experts nationalistes
des années 1960. Les inégalités et clivages entre les
groupes s’imposent avec d’autant plus de force que
les services fournis par les États pétroliers à leurs
seuls citoyens s’accroissent. Le marché de l’emploi
est particulièrement segmenté dans les pays arabes
du Golfe où le secteur public concentre l’emploi des
citoyens tandis que les étrangers sont surreprésentés
dans le secteur privé. Les travailleurs indiens, pakis-
tanais, iraniens et arabes étrangers qui pouvaient
occuper le haut de la hiérarchie dans les entreprises
et les administrations publiques aux débuts de l’ex-
ploitation pétrolière sont progressivement relégués
aux positions subalternes. Au début des années 1980,
le sociologue égyptien Saad Eddin Ibrahim compare
même cette inégalité à l’apartheid51.

L’industrialisation pétrolière
contre le spectre du « sous-développement »
Le développement de l’industrie est une priorité
facilitée par les capitaux générés par l’exportation
des hydrocarbures ou que les taux d’intérêt bas
permettent de mobiliser. Les facteurs paralysants
qu’étaient l’absence de personnel arabe qualifié et
la faiblesse des investissements sont en train de
264 Aux pays de l’or noir

disparaître. Le développement des structures édu-


catives dans les pays arabes, la force d’attraction
des pays producteurs sur les diplômés des autres
pays arabes, l’augmentation des cohortes d’étudiants
envoyés étudier à l’étranger et, enfin, l’encourage-
ment à réinvestir les revenus du pétrole dans le
monde arabe après les dévaluations du dollar per-
mettent d’espérer la réussite de l’industrialisation
selon l’Égyptien Ragaei El Mallakh52. Ce professeur
d’économie réputé enseigne alors à l’université du
Colorado où étudient de nombreux étudiants arabes
qui se destinent au secteur pétrolier.
L’heure est toujours à l’optimisme : le « sous-
développement » est en passe d’être surmonté grâce
à l’exploitation du pétrole et du gaz. La hausse des
revenus, redoublée en 1979‑1980, et le contrôle
national sur l’industrie pétrolière permettent de
lancer des projets dont on attend qu’ils « transfor-
ment le désert en un domaine industriel53 ». Les
ports pétroliers comme Umm Sa‘id au Qatar sont
dotés d’infrastructures massives. Des villes indus-
trielles sont construites de toutes pièces à Yanbu et
Jubayl en Arabie Saoudite avec l’aide d’entreprises
de travaux publics et d’investisseurs étrangers. Le
ciment, qui doit alimenter une urbanisation en plein
essor, et la pétrochimie sont les priorités des plans
quinquennaux de développement élaborés par les
gouvernements.
En Algérie, les hommes du secteur pétrolier
comme Sid Ahmed Ghozali, président de la Sona-
trach de 1966 à 1977, puis ministre de l’Énergie
de 1977 à 1979, continuent d’appliquer la stratégie
des « industries industrialisantes » pour développer
le pays à partir de l’industrie lourde. Les activités
d’exploration, puis d’exploitation des gisements et
Le pétrole arabe aux Arabes ! 265

celles de transport des hydrocarbures sont favorisées


pour cet effet d’entraînement qu’on leur reconnaît
alors. Mais certains s’inquiètent de ce que la prio-
rité donnée à l’exportation et à la rentrée de devises
accroîtrait la spécialisation du pays et sa dépendance
vis-à-vis du marché mondial. En Algérie, le plan Val-
hyd (Valorisation des Hydrocarbures) élaboré par
la société américaine Bechtel à la demande de la
Sonatrach suscite de telles craintes. Lancé en 1976,
il fixe pour le pays l’objectif d’accroître massivement
la production et l’exportation du gaz et de pétrole
afin d’accélérer son industrialisation, et à terme,
de le rendre indépendant des variations du cours
des hydrocarbures. En trente ans (1976‑2005), c’est
l’essentiel des réserves algériennes qui devrait être
extrait, raffiné et exporté54. Les critiques d’ordre
politique et économique contre le plan Valhyd se
multiplient à la fin des années 1970, avant qu’il ne
soit abandonné au lendemain de la mort du pré-
sident Boumediene. La remise en cause des options
défendues avec autorité jusque-là par les ministres
du Pétrole manifeste les premières inquiétudes sus-
citées par un développement reposant uniquement
sur les revenus du pétrole et du gaz55.

Gérer les pétrodollars


Les sommes engrangées par les États arabes et
leurs entreprises pétrolières et gazières sont inves-
ties à l’étranger plutôt que dans les pays arabes. Les
« pétrodollars », ces dollars gagnés par la vente de
pétrole, sont placés dans les banques américaines
et européennes. En 1967, le Koweït possédait près
de 979 millions de livres sterling dans les banques
de Londres. En 1979, l’Arabie Saoudite devient le
266 Aux pays de l’or noir

premier détenteur de bons du Trésor américain. Le


recyclage des pétrodollars déposés dans les banques
européennes et américaines puis prêtés par ces
banques aux pays en développement apparaît aux
responsables les plus critiques comme un soutien
à la domination occidentale sur le marché mondial
et le signe d’un mépris pour la coopération arabe.
« Il est criminel de laisser dormir dans les banques
étrangères des sommes considérables alors que les
Arabes ont besoin d’usines, d’écoles, d’hôpitaux,
de routes, de matériel agricole, etc. La base d’une
renaissance du monde arabe réside dans le dévelop-
pement et celui-ci implique une coopération finan-
cière. En dehors de ces voies, l’arabisme sera un mot
creux », explique Boumediene peu avant la confé-
rence des pays consommateurs de pétrole réunis à
Washington en février 197456.
Pour gérer cet afflux de revenus, les pays produc-
teurs lancent leurs premiers fonds souverains : l’Ara-
bie Saoudite en 1971, Abu Dhabi en 1976. La Kuwait
Investment Authority créée dès 1953 fait office de
modèle. Gérées par des experts arabes rompus aux
techniques financières depuis leurs études et par
des conseillers étrangers, ces nouvelles institutions
financières liées au pétrole sont des îlots d’efficacité
dans des bureaucraties en plein essor. À l’image du
secteur pétrolier dont elles gèrent les revenus, elles
jouissent d’une autonomie rare au sein des États. À
partir des années 1980, leurs investissements pro-
fitent des privatisations en Europe et aux États-Unis
et leur dynamisme suscite l’enthousiasme des ensei-
gnants en business administration comme Zuhayr
al-Mikdashi à l’Université Américaine de Beyrouth.
Il faut dire que la capitale libanaise connaît elle aussi
une véritable « euphorie financière » grâce à l’afflux
Le pétrole arabe aux Arabes ! 267

des placements arabes en 1974, un an avant le début


de la guerre civile57.
Le double défi de la diversification des activités
économiques et des débouchés occupe déjà les res-
ponsables et les experts du pétrole arabe. Le Koweït
augmente ses contrats et investissements en Aus-
tralie, en Corée du Sud, à Singapour, au Brésil, en
Grèce et à Taïwan. L’Arabie Saoudite diversifie ses
clients : au Japon s’ajoutent la Corée du Sud, la Thaï-
lande, Singapour et les Philippines. Les responsables
suivent de près les efforts des pays industrialisés pour
remplacer le pétrole par d’autres sources d’énergie.
À l’époque, le Bahreïn est vu comme l’exemple qui
préfigure l’avenir des pays arabes producteurs. Le
déclin de la production dès les années 1970 à cause
de l’épuisement des réserves n’y a été qu’un temps
compensé par la hausse des prix. La diversification
industrielle s’est imposée. Les installations de la
Bahrain Ship Repairing and Engineering Company
sont vantées comme les infrastructures navales les
plus complètes entre Rotterdam et Hong Kong. Le
sultanat s’efforce de leur ajouter un projet d’entre-
prise de construction navale porté par l’OPAEP.
L’usine de dessalement et la centrale de Sitra qui
fournit l’énergie nécessaire à l’industrie d’aluminium,
les raffineries et l’industrie pétrochimique font figure
de modèle pour les pays du Golfe. En 1974‑1975,
les revenus du pétrole ne constituent plus que 64 %
des revenus de l’État. Premier pays arabe du Golfe à
être entré dans l’ère pétrolière, le Bahreïn est aussi
le premier à en anticiper la fin58.
268 Aux pays de l’or noir

DE LA BÉNÉDICTION À LA MALÉDICTION

La stratégie économique suivie au nom de l’indé-


pendance et du nationalisme par les pays arabes les
rend paradoxalement plus dépendants du marché
mondial. En 1975‑1976, les revenus du pétrole repré-
sentent 97 % des revenus du gouvernement koweï-
tien. Les recettes d’exportation algériennes sont
constituées à 93 % par les exportations de pétrole et
de gaz en 1975 puis 98,5 % en 1980, contre 75 % en
1971. Ce chiffre atteint 98 % aussi en Libye où les
recettes tirées du pétrole forment 80 % environ des
recettes budgétaires59.
La nécessité de préparer d’autres sources de reve-
nus pour les pays producteurs de pétrole permet aux
experts arabes de reposer la question du développe-
ment économique et, pour les plus critiques d’entre
eux, de pointer les défauts des politiques suivies,
avant même que les premiers signes du retourne-
ment des marchés n’apparaissent. L’augmentation
régulière des prix du baril depuis la création de
l’OPEP engendre en effet le risque de décourager
la production de valeur ajoutée et l’enclenchement
d’une croissance plus durable.
La stratégie des industries industrialisantes, finan-
cée par l’endettement, et le besoin de compétences
industrielles favorisent la pénétration économique
étrangère, à rebours de ce que laissaient espérer les
mesures de nationalisation et les prises de partici-
pation. Cette dépendance économique est aggra-
vée par le désintérêt des États producteurs pour
le développement agricole alors que leur demande
intérieure croît. C’est pendant cette décennie que
Le pétrole arabe aux Arabes ! 269

l’Algérie passe du statut d’exportateur de produits


agricoles à celui de mono-exportateur d’hydrocar-
bures. Le primat donné au développement pétrolier
pendant les années 1970 a donné naissance à ce que
l’Algérien Tahar Ben Houria appelle une « bourgeoi-
sie bureaucratique d’État » qui contrôle le secteur
clé de l’économie nationale et entretient un « capi-
talisme dépendant60 ».
Avec son sens de la formule, ‘Abdallah al-Tariqi
traduit la préoccupation des experts arabes lors
d’une interview en 1978 : bénédiction (ni‘ma) à
l’origine, le pétrole est en passe de devenir pour les
Arabes une punition (niqma). Les volumes produits
sont trop importants pour ne pas épuiser rapidement
une ressource essentielle pour le développement des
pays arabes. Le débat sur la réduction concertée de
la production est lancé, bien que ‘Abdallah al-Tariqi
fasse part de ses déceptions quant aux capacités de
l’OPEP à jouer un rôle efficace. Incapables d’élaborer
une politique de développement commune autour du
pétrole et des échanges de main-d’œuvre et de compé-
tences qu’ils ont encouragés, les pays arabes se sont
divisés. L’Organisation dont al-Tariqi revendique
une part de la paternité n’est plus qu’une institu-
tion « formelle » et « médiatique » aussi impuissante
selon lui que la Ligue des États Arabes pour établir
une stratégie pétrolière à l’échelle du monde arabe.
Faute de diversification et de production de valeur
ajoutée, le pétrole bénéficie plus aux pays consom-
mateurs qui le transforment puis le taxent qu’aux
pays exportateurs qui importent l’essentiel de leurs
produits manufacturés61.
L’expérience de la tafra suscite aussi chez ces
experts une critique sociale qui devient d’autant plus
sévère à mesure que leurs espérances sont déçues.
270 Aux pays de l’or noir

Ils s’en prennent à la transformation des sociétés


des pays arabes producteurs en sociétés de « rente ».
D’après ‘Abdallah al-Tariqi, le plus préoccupant de
tous les effets néfastes du pétrole est que « les Arabes
et en particulier les Arabes du pétrole se sont accou-
tumés à la dépendance (tawakkul) et à la dépense
sans mesure ». Le défaut qui était déjà celui des
familles princières s’est étendu à l’ensemble de la
population depuis 1973 : « nous nous sommes trans-
formés en troupeaux de consommateurs ». Les repré-
sentants et concessionnaires (wakil, pl. wukala) des
grandes entreprises étrangères constituent de puis-
santes firmes familiales dont les contrats reposent
sur la proximité avec le pouvoir sans pour autant
participer au développement industriel : leurs acti-
vités d’importation de produits étrangers les rendent
suspects de « parasitisme ». La critique des entrepre-
neurs à la fois parasites et relais de l’impérialisme
économique étranger était déjà celle des intellectuels
réformistes arabes au début du xixe siècle. Elle est
réactivée pour dénoncer leur rôle dans la dépen-
dance vis-à-vis des économies occidentales62.
Parmi bien d’autres, l’économiste algérien Abdela-
tif Benachenhou dresse en des termes très proches
le bilan des années de prospérité :

L’Algérie a les moyens de vivre au-dessus de ses


moyens : c’est peut-être le dernier cadeau empoi-
sonné de l’histoire. (…) [L]es Algériens sont deve-
nus consommateurs avant d’être producteurs. Leur
consommation élevée et relativement diversifiée a été
rendue possible par la capacité d’importation de l’État
liée aux revenus pétroliers63.

Les débats sur les effets du pétrole n’épargnent


pas les pays exportateurs de main-d’œuvre. Des
Le pétrole arabe aux Arabes ! 271

pays du Golfe ou de Libye, les émigrés rapportent


avec eux les modes de consommation « gloutons »
aggravant un peu plus le déficit commercial et
détournant le capital qu’ils ont amassé d’investis-
sements productifs. Dans le bilan qu’il tire de la
tafra en 1986, le journaliste et enseignant de socio-
logie à l’université de Koweït, Muhammad al-Ru-
mayhi, incrimine le rôle des médias dans la création
puis l’entretien de ces rêves de richesse facile et
d’opulence confortable. Les méthodes des gouverne-
ments pour redistribuer les revenus tirés du pétrole
ont eu des effets déplorables dont la liste est, en
1986, bien établie : expansion monétaire et infla-
tion, dédain pour les secteurs et les métiers pro-
ductifs, croissance accélérée des importations. Les
préoccupations de ces experts et commentateurs
critiques permettent, en creux, de comprendre le
choc ressenti par les générations de la tafra à partir
des années 1980. Nées et éduquées dans l’opulence
et l’optimisme, elles atteindront leur majorité en
pleine crise économique64.
Rares sont ceux qui, dans les années 1970, nient
la réalité du développement permis par les revenus
du pétrole et du gaz. En quelques années, les pays
arabes producteurs ont tous mis en place, pour leurs
citoyens du moins, un système d’éducation primaire
et de santé efficaces, un réseau de routes et de ser-
vices publics sur l’ensemble de leur territoire. L’eau
qui permet de subvenir aux besoins domestiques et
de mettre en culture de nouvelles terres, l’électricité
qui permet d’éclairer les longues soirées et d’écouter
puis de regarder les nouvelles, l’école où l’on apprend
à lire et à écrire avec l’espoir d’un emploi rémuné-
rateur dans la grande ville la plus proche, la route
asphaltée qui permet de rejoindre la ville voisine,
272 Aux pays de l’or noir

voilà ce que retiennent d’abord les dernières géné-


rations à avoir grandi sans le pétrole65.

La nostalgie de l’ère ante-pétrolière


Au début des années 1980 toutefois, ces généra-
tions se prennent aussi à regretter une époque où
la rudesse de la vie façonnait des caractères droits,
une société moins individualiste et plus égalitaire.
Dans le deuxième volume des Villes de sel, Shamran
et Saleh al-Rushdan, deux vieux habitants de la Moo-
ran fictive derrière laquelle ‘Abd al-Rahman Mounif
brosse le portrait de Riyad, portent la voix de ces
regrets d’une autre ère. Avant le pétrole et l’afflux
d’étrangers transformant la tranquille Mooran en
terrain de spéculation acharnée, les gens gagnaient
honnêtement leur pain en dépit des difficultés de la
vie, ils avaient le temps de discuter, d’écouter des
chansons et de la musique, de danser : « Telle était
la vie alors, et ils avaient été heureux66. » La trans-
formation des comportements sociaux et la nostal-
gie quelque peu schizophrénique qu’elle engendre
sont-elles le prix à payer pour le confort ? Lorsqu’il
interroge l’un des premiers employés qataris de la
Qatar Petroleum Company sur le confort de sa mai-
son moderne et sur les voitures qui attendent sur son
parking, Nasir al-‘Uthman s’entend répondre : « Nous
étions bien plus à l’aise à l’époque, crois-moi. Ne te
laisse pas tromper par les apparences. À l’époque, les
gens étaient plus généreux, sincères (…). Ils étaient
honnêtes les uns avec les autres67. »
Le pétrole arabe aux Arabes ! 273

LES ARABES INÉGAUX DEVANT LE PÉTROLE

S’il a profondément modifié les paysages et les


sociétés, le pétrole a déçu les espoirs panarabes.
L’économiste libyen et secrétaire général de l’OPAEP,
‘Ali Ahmad ‘Atiqa, reconnaît lui aussi la mauvaise uti-
lisation des possibilités gigantesques offertes par le
pétrole mais il incrimine en premier lieu la faiblesse
des institutions chargées de planifier et d’organiser le
développement dans les pays arabes. Contrairement
à ce qui se passe, le pétrole ne doit pas d’abord profi-
ter aux firmes étrangères : il doit servir le développe-
ment national arabe. Son collègue palestinien, Yusuf
Sayigh, défend de la même manière la relance des
projets de développement commun avec des argu-
ments déjà formulés pendant les années 1960 : l’asso-
ciation des pays arabes permettra de développer des
projets de grande taille tout en assurant un débouché
suffisant aux productions, de réunir les pays riches
mais petits et faiblement peuplés du Golfe avec les
pays pauvres en ressources mais grands et peuplés68.
Les projets n’ont pourtant pas manqué. En 1973,
les pays de l’OPAEP se sont accordés pour fonder
en commun deux entreprises dont l’idée avait été
formulée lors de la décennie précédente : l’Arab
Maritime Petroleum Transport Company et l’Arab
Shipbuilding and Repair Yard. La première, une
entreprise de transport maritime de pétrole et de
gaz, reçoit la livraison de ses premiers pétroliers en
1977. La seconde gère les chantiers navals dont les
premières infrastructures sont inaugurées en 1977 à
Bahreïn. En 1975, l’Arab Petroleum Investment Cor-
poration est créée pour financer des investissements
274 Aux pays de l’or noir

pétroliers dans les pays arabes. Deux ans plus tard,


une Arab Petroleum Services Company est établie
à Tripoli (Libye) pour développer des compétences
arabes dans le forage et l’analyse du sous-sol. En
1978, l’Arab Petroleum Institute est fondé à Bagdad
pour former des techniciens et des ingénieurs pétro-
liers. Les missions de collaboration entre pays pro-
ducteurs se poursuivent, quoique à un rythme moins
intense que celui des échanges entre l’Algérie et la
Libye au moment des nationalisations. En 1974, une
mission algérienne d’ingénieurs débute à Abu Dhabi
pour participer au développement de la jeune Abu
Dhabi National Oil Company, officiellement créée
trois ans plus tôt. Elle prend fin en 198769.
Au regard de l’augmentation des revenus des États
arabes producteurs et du développement des entre-
prises nationalisées, les experts ne peuvent toutefois
que constater la modestie des activités pan­arabes.
Ces questions sont débattues lors du onzième som-
met arabe à Amman en novembre 1980, considéré
encore aujourd’hui comme le principal moment pen-
dant lequel le développement économique a été envi-
sagé dans une perspective panarabe (qawmi). Les
déclarations générales ne sont toutefois pas suivies
d’applications et les jeunes ingénieurs qui rejoignent
les entreprises pétrolières nationales gardent l’im-
pression d’une coopération essentiellement « for-
melle » et diplomatique avec leurs homologues
arabes. Les États restent jaloux de leurs informa-
tions et craignent la concurrence ou la comparaison
directe entre leurs entreprises70.
Le pétrole arabe aux Arabes ! 275

L’eldorado du Golfe arabe


Chiffrés avec de plus en plus de précision et de
régularité par les instituts liés à l’OPEP et l’OPAEP,
les écarts de développement rendent ce manque de
coopération criant. En 1970, c’est-à-dire après deux
décennies d’exploitation du pétrole, les écarts de
revenus (PNB) par habitant frappent les esprits. Ils
varient de 1 dans la République arabe du Yémen
(Yémen du Nord) à 78 aux Émirats arabes unis.
L’augmentation des revenus tirés du pétrole ne fait
qu’agrandir cette inégalité. À la fin de l’année 1973, le
revenu par habitant au Koweït est 48 fois supérieur
à celui de l’Égypte, et 120 fois supérieur à celui de
la République arabe du Yémen. Le produit national
brut (PNB) de l’Arabie Saoudite qui représente 74 %
de celui de l’Égypte en 1972 est multiplié par plus
de quatre en 1974 et représente désormais le triple
du PNB égyptien71.
De tels écarts sont acceptés avec d’autant plus de
difficulté que l’interdépendance s’est accrue entre
les économies arabes et que, bien souvent comme
dans le cas de l’Égypte et de l’Arabie Saoudite, ils
renversent une hiérarchie économique et culturelle
historique. Dans un article de 1977, le célèbre édi-
torialiste égyptien Muhammad Hassanein Haykal se
fait l’écho de la place nouvelle des pays du Golfe
et singulièrement de l’Arabie Saoudite à la tête du
monde arabe : « Le point essentiel est qu’avec ses
immenses revenus et le rôle majeur qu’elle joue à
l’époque présente — l’ère saoudienne dans l’histoire
arabe contemporaine — ainsi que les valeurs qu’elle
représente et qu’elle défend, l’Arabie Saoudite n’est
pas un État ordinaire. » À la fin des années 1970, ses
276 Aux pays de l’or noir

ressources pétrolières confèrent à l’Arabie Saoudite


une puissance économique et diplomatique que le
journaliste égyptien juge, à l’unisson de bien d’autres,
sans précédent. Venant de ce confident du héraut
du nationalisme arabe que fut Nasser, le constat
de l’émergence des pays du Golfe dans l’histoire
contemporaine arabe, ce qu’il appelle « l’ère saou-
dienne », n’en est que plus frappant. Le contraste
qu’il souligne entre les idéaux de l’Égypte républi-
caine et nationaliste et la diplomatie panislamique
et conservatrice du royaume saoudien accentue le
sentiment de rupture historique chez les militants
historiques du nationalisme arabe72.
Pour les ouvriers et les jeunes diplômés arabes,
l’attrait des pays producteurs du Golfe est renforcé.
Les migrations de travail s’accélèrent donc à par-
tir de 1973. Elles sont soutenues par les besoins
croissants de main-d’œuvre et de personnels quali-
fiés dans les pays producteurs. Les pays arabes non
producteurs sont les premiers à fournir à leurs voi-
sins des contingents de travailleurs de toutes quali-
fications. L’émigration yéménite et jordanienne en
direction des pays du Golfe se poursuit tandis que le
développement engagé en Oman commence à peine
à atténuer les flux de migrants omanais. L’immigra-
tion égyptienne en Irak et dans les pays du Golfe se
massifie et comporte une part croissante d’ouvriers
qualifiés et de diplômés. En 1975, 28 % des popu-
lations actives jordanienne et omanaise, 27 % de la
population active yéménite mais aussi de 3,7 à 3,8 %
des populations actives plus nombreuses que sont les
populations égyptienne et syrienne travaillent dans
les pays du Golfe73.
L’ampleur est telle que les économistes com-
mencent à s’interroger sur les risques que fait peser
Le pétrole arabe aux Arabes ! 277

cette émigration sur les économies des pays pour-


voyeurs de main-d’œuvre comme l’Égypte. La trans-
mission de comportements consuméristes et les
problèmes de recrutement de personnes motivées
et qualifiées dans les secteurs de l’ingénierie, de la
construction et de l’enseignement font craindre que
les effets négatifs de l’émigration l’emportent sur ses
effets bénéfiques. La nécessité pour chaque migrant
d’avoir un « garant » (kafil) citoyen du pays pétro-
lier dans lequel il travaille fait de cette « garantie »
une activité économique dans laquelle se spécialisent
avec profits certains ressortissants des pays du Golfe.
Elle instaure des rapports d’inégalité entre nationaux
et Arabes immigrés d’autant plus mal vécus qu’ils
s’ajoutent à la violence de l’émigration vers les pays
du Golfe et du déracinement74.
À la fin des années 1970, la proportion d’immigrés
dans la population des pays arabes de l’OPEP varie
d’un tiers à 85 %, la moitié environ de ces immi-
grés venant encore des pays arabes. Au cours des
années 1970 toutefois, le privilège qui était accordé à
l’immigration arabe au nom de l’arabisme et confor-
mément aux clauses des concessions s’effrite. Pour
des raisons politiques (la crainte des mouvements
liés au nationalisme arabe) et économiques (l’ou-
verture des économies, la concurrence des nouvelles
firmes sud-coréennes, chinoises et indiennes) les
gouvernements arabes du Golfe favorisent le recours
croissant à l’immigration asiatique. Jusqu’au milieu
des années 1980 cependant, l’augmentation géné-
rale des besoins rend cette évolution indolore pour
les pays arabes d’émigration. En 1980, les remises
des travailleurs émigrés vers leur pays d’origine
représentent 10 % du PNB égyptien, 20 % du PNB
278 Aux pays de l’or noir

jordanien, 25 % du PNB libanais et près de 50 % du


PNB des deux Yémen réunis75.

La création de fonds de développement


pour colmater des inégalités croissantes
Alors que les pays producteurs défendent encore
leur participation à l’instauration d’échanges éco-
nomiques plus justes, le constat des inégalités est
un motif de tension entre les pays arabes et avec
le reste des pays en développement. Tandis que le
président algérien Houari Boumediene réclame en
1974 une session extraordinaire de l’Assemblée géné-
rale de l’ONU pour défendre un « nouvel ordre éco-
nomique international », l’OPAEP et les principaux
États arabes producteurs lancent leurs fonds d’aide
au développement sur le modèle du Fonds Koweï-
tien pour le Développement Économique Arabe, le
premier du genre (1961). Les attributions dépendent
souvent des affinités politiques, mais l’objectif est
bien de manifester le rôle responsable des États
arabes producteurs au sein des pays en développe-
ment par le biais de ces fonds, des aides bilatérales
ou de la participation aux financements de la Banque
mondiale.
Entre 1974 et 1980, ils fournissent 93 % (environ
49 milliards de dollars) du total de l’aide au dévelop-
pement accordée par les pays de l’OPEP. En 1973, le
Koweït consacre l’équivalent de 4,2 % de son PNB à
l’aide internationale en faveur des pays arabes mais
aussi de pays africains et asiatiques. Les experts
arabes des organisations pétrolières ne manquent
pas de comparer ces chiffres avec ceux des pays
industrialisés. À l’instar du directeur du Fonds pour
le Développement International (établi par l’OPEP en
Le pétrole arabe aux Arabes ! 279

1976), ils soulignent pour appuyer cette comparai-


son que ces chiffres représentent un effort bien plus
lourd pour les pays arabes producteurs — encore
peu développés et puisant dans leurs ressources
naturelles — que pour les pays industrialisés76.
La création par l’Arabie Saoudite et le Koweït
du Gulf Organization for the Development of
Egypt (GODE) illustre bien les tensions créées par
les inégalités de la tafra. Le gouvernement égyp-
tien se déclare déçu par la faiblesse des montants
alloués (2 milliards de dollars en cinq ans) et par
le peu de considération accordée à ses demandes.
Ses espérances étaient grandes mais, surtout, les
tensions sociales grandissent depuis les premières
vagues de libéralisation de l’économie égyptienne.
Le pays connaît de premières émeutes de la faim
en janvier 1977. Le très officiel quotidien al-Ahram
accuse alors l’Arabie Saoudite et le GODE d’avoir
une conduite humiliante et nuisible aux relations
entre États arabes77. Dans une publication officielle
de l’OPAEP, le sociologue égyptien Ibrahim Saad
Eddin pointe, quant à lui, les travers de cette aide
sans épargner les pays récipiendaires. Ces derniers
restent, tout comme les pays donateurs, guidés par
leurs intérêts nationaux. La posture critique qu’ils
adoptent à l’encontre des pays riches en hydro-
carbures ne les empêche pas de rester, eux aussi,
prisonniers de stratégies de développement qui ne
sont pas pensées à l’échelle de l’ensemble des pays
arabes. L’intégration croissante de leurs économies
alimentées par les revenus du pétrole et du gaz rend
pourtant indispensable de penser le développement
à cette échelle78.
280 Aux pays de l’or noir

Après l’enthousiasme économique et politique du


début des années 1970, les débats sur l’usage et les
effets du pétrole ressurgissent. Jamais le pétrole n’a
autant irrigué les économies arabes, mais parce qu’il
est devenu leur bien commun, de fait sinon de droit,
les États et les experts se divisent sur son emploi.
Jamais il n’a suscité de transformations sociales aussi
rapides et profondes, mais parce qu’il est devenu le
principal moteur de la transformation des sociétés,
ses effets sont redoutés. Les flux de devises et de
travailleurs atteignent des montants sans précédent
mais n’empêchent pas les inégalités de se creuser.
Ils remettent même en cause la vieille hiérarchie des
États du monde arabe en plaçant au premier rang les
États du Golfe. Les cours du pétrole et du gaz n’ont
pas commencé à décliner et les sociétés arabes ne
sont pas encore entrées dans la crise économique
que, déjà, les effets de dix années de boom pétro-
lier suscitent de premières craintes sur l’avenir des
sociétés pétrolières.
Chapitre V

LA CRISE DES ÉTATS PÉTROLIERS


(LES ANNÉES 1980 ET 1990)

Cela fait maintenant une décennie que le mot


« crise » est entré dans le langage de tous les
jours. Jusqu’à la fin des années 1970 pourtant,
la crise s’appliquait aux autres.
ALI EL-KENZ , Réflexions algériennes
sur les crises arabes, 1986.

Les gens se font le plus grand souci pour leurs


revenus de tous les jours, et tout le monde parle
ouvertement de la récession économique, de
l’inflation des prix, de l’amplification des dettes
et de la surpopulation des prisons. (…) Les gens
se demandent : sommes-nous vraiment la pre-
mière source de pétrole dans le monde ?
OUSSAMA BIN LADIN ,
fatwa du 23 août 1996 sur le jihad.

Les images des près de 700 puits de pétrole koweï-


tiens incendiés par les troupes irakiennes battant
en retraite tournent en boucle sur les télévisions du
monde entier en janvier et février 1991. Dans les pays
arabes, ce sont les images saisissantes d’un conflit
qui manifeste le retournement de la conjoncture
282 Aux pays de l’or noir

pétrolière. Installations industrielles détruites, sols


et côtes pollués par des rejets de 2 à 3 millions de
barils quotidiens pendant près de 300 jours, tra-
vailleurs immigrés palestiniens soupçonnés d’avoir
soutenu l’invasion irakienne et forcés de quitter le
Koweït par dizaines de milliers, pays arabes divi-
sés face aux prétentions de l’Irak baasiste, critiques
croissantes de la gestion de l’émirat du Golfe par la
dynastie des Al Sabah : la crise du Golfe récapitule
pour beaucoup d’observateurs arabes la fragilité du
développement pétrolier. Quelques récits comme
ceux des employés de l’Aramco restés mobilisés sur
les gisements de l’est de l’Arabie Saoudite sous la
menace des missiles irakiens ou ceux des pompiers
koweïtiens participant à l’extinction des puits en feu
mettent un peu d’héroïsme dans ces images noires.
Ils n’effacent pas le souvenir catastrophique de la
fin d’une époque1.
Au cours de cette même année 1991, l’Égyptien
Ibrahim Abdel-Meguid publie L’Autre Pays, un roman
qui décrit l’expérience amère d’un émigré égyptien
parti travailler dans l’Arabie pétrolière et l’aliénation
des citoyens saoudiens qui ont grandi pendant la
tafra. Mansour, l’un d’entre eux, revient du Koweït en
« maudissant le jour où le pétrole a jailli de la terre »,
épuisé à force de courir de frustration en frustration
et d’être trompé par ceux que l’or noir continue d’en-
richir. Au bord de la folie, Mansour finit par rêver
d’un retour à l’Arabie d’avant le pétrole, quand « les
gens mangeaient le gibier du désert ». Dès l’année
de sa parution au Caire, le roman d’Ibrahim Abdel-
Meguid est considéré comme l’une des descriptions
les plus réalistes de l’émigration et des transforma-
tions pétrolières de la fin du xxe siècle2.
La crise des États pétroliers 283

Depuis près de dix ans, le pétrole est devenu la


malédiction des sociétés arabes. Les cours du baril
de l’Arab light plongent à des niveaux qui rappellent
aux ministres du Pétrole les années d’avant la révo-
lution des prix de 1973. « Le mot “crise” est entré
dans le langage de tous les jours », constate le socio-
logue algérien Ali El-Kenz dans une conférence de
19863. L’austérité à laquelle sont contraints les pays
arabes producteurs douche les espoirs placés dans
le développement pétrolier à l’époque de la tafra.
Elle touche les pays non ou peu producteurs par le
biais des travailleurs émigrés dont les salaires sont
réduits — quand ces travailleurs ne sont pas licen-
ciés et renvoyés chez eux — et des aides internatio-
nales qui se restreignent — quand elles ne sont pas
coupées. Elle divise les États arabes dont les intérêts
apparaissent désormais concurrents : les différends
qui opposaient les ministres arabes à l’OPAEP et à
l’OPEP pendant les années 1980 puis la division des
États arabes au moment de la guerre de 1990‑1991
en sont de tragiques manifestations. Elle accentue,
enfin, la dimension autoritaire de bien de ces États
et en particulier des plus « révolutionnaires » d’entre
eux, confrontés à la rareté nouvelle des revenus et au
regain des contestations que le boom pétrolier avait
contribué à étouffer.
Le premier conflit pétrolier interarabe d’ampleur
est le produit de cette crise qui transforme le rap-
port des États et des sociétés arabes au pétrole. Le
plus ancien pays arabe « pétrolier » est passé depuis
1968 sous la direction du parti révolutionnaire Baas
(« résurrection ») et de Saddam Hussein qui ont fait
du pétrole une arme politique au service de projets
de transformation autoritaire et violente de la société
par l’État. Après une guerre destructrice avec l’Iran
284 Aux pays de l’or noir

entre 1980 et 1988, l’Irak envahit en 1990 le Koweït,


un de ses principaux créanciers, qu’il accuse d’avoir
profité du conflit précédent pour exploiter la partie
irakienne du champ transfrontalier de Rumayla et
d’avoir, avec les autres pays du Golfe, fait plonger
les cours du pétrole pour affaiblir l’Irak. L’invasion
du 2 août 1990 et la promesse des revenus pétroliers
koweïtiens sont présentées par le gouvernement ira-
kien comme la solution quasi immédiate aux pro-
blèmes économiques dont souffre l’Irak depuis une
décennie4.
L’invasion d’un émirat qui est non seulement
l’un des plus importants producteurs de pétrole
mais aussi un acteur international réputé pour sa
diplomatie d’aide au développement divise les États
arabes. Les monarchies du Golfe et l’Égypte font bloc
pour condamner l’invasion et approuver le recours
aux armées non arabes contre l’Irak. La Libye et
l’Algérie condamnent aussi l’invasion mais elles
refusent, comme d’autres gouvernements arabes
(Yémen, Organisation de Libération de la Pales-
tine, Jordanie), de suivre l’embargo imposé à l’Irak
et d’endosser l’appel aux troupes étrangères. Si elle
libère les champs pétroliers, l’opération « Tempête
du désert » menée par les États-Unis contre l’Irak
déstabilise profondément les monarchies arabes du
Golfe. La contestation interne de ce que l’on appelle
depuis une décennie les États rentiers est attisée par
la guerre et la fébrilité avec laquelle les dynasties
régnantes ont réagi à l’invasion du Koweït.
La crise des États pétroliers 285

LE POIDS ÉCRASANT DES ÉTATS

Le développement accéléré des années 1970 a


transformé les paysages et la vie des habitants des
pays arabes producteurs de pétrole. Tous ne font
certes pas l’expérience directe du pétrole même si
l’industrie pétrolière irrigue désormais l’ensemble
de l’économie. En effet, plus le temps passe, moins
ils sont nombreux à travailler sur les champs pétro-
liers, gérés de façon croissante depuis des centres de
contrôle confinés. Relayés sur les champs comme sur
les chantiers par des travailleurs venus d’autres pays,
arabes et de plus en plus asiatiques, les citoyens des
États producteurs s’installent en ville. Ils s’éloignent
du désert. Ce sont plutôt l’eau, l’électricité, l’école, le
dispensaire, l’emploi dans l’administration ou dans
l’armée, le départ de la campagne et l’urbanisation qui
constituent l’expérience du développement pétrolier
pour la majeure partie de la population. Le pétrole
leur est de moins en moins visible mais jamais les
habitants des pays arabes producteurs n’ont autant
senti le poids de l’État pétrolier. Désormais innée
pour la génération née dans les années 1970, cette
expérience du contact quotidien avec les services et
les appareils de l’État — l’administration mais aussi
les différentes polices — est encore nouvelle pour les
générations précédentes. Elle est plus vacillante pour
les générations suivantes lorsque la crise qui débute
dans les années 1980 remet en cause la « rente » des
revenus pétroliers et la « vache à lait » qu’est devenu
l’État5.
Dans les années 1950, la majeure partie des États
arabes dans lesquels sont exploités du pétrole et du
286 Aux pays de l’or noir

gaz sont considérés comme sous-développés. Les


citoyens arabes du Golfe gardent encore le souvenir
des luttes qui ont conduit leur souverain à s’empa-
rer du pouvoir et qui pourraient tout aussi bien le
déloger. Les coups d’État des années 1960 en Irak et
en Algérie comme la contestation nationaliste dans
les pays du Golfe rappellent eux aussi l’instabilité
du pouvoir. Avant cela, aucun plan pluriannuel de
développement ne donne de cadre aux mesures déci-
dées par les gouvernements : si elles apparaissent
désordonnées, les décisions souvent influencées
par le socialisme et le modèle d’État-providence
entretiennent les espérances des porteurs de projets
révolutionnaires. À l’exception de l’Irak, les appareils
bureaucratiques sont placés sous tutelle étrangère
(Algérie, émirats du Golfe, Oman) ou limités à la
cour et aux institutions religieuses (Arabie Saoudite,
Libye).
Au début des années 1980, la situation est bien dif-
férente : les États pétroliers sont consolidés et aug-
mentés. Le secteur pétrolier, nationalisé et surtout
étatisé, domine l’économie nationale. Il est le pre-
mier contributeur aux recettes de l’État. Entre 1963
et 1982, à la veille de la chute des cours du pétrole, la
participation du secteur des hydrocarbures au PNB
de l’Arabie Saoudite passe de 50 à plus de 84 % et
sa contribution aux revenus du gouvernement de 75
à 97 %6. Le monopole de la gestion des ressources
en hydrocarbures et la protection diplomatique que
garantissent les concessions pétrolières encore en
vigueur ont consolidé le pouvoir d’une branche au
sein des familles régnantes des États monarchiques,
d’un clan de plus en plus resserré dans les autres.
Les évènements de 1973 passés, la génération des
technocrates et experts des années 1970 et 1980
La crise des États pétroliers 287

ne fait plus du pétrole une « arme » dans un jeu à


sommes nulles avec l’Occident. Ministres de l’Énergie
(et non plus seulement du Pétrole) et experts pétro-
liers sont acquis aux logiques du marché global qu’ils
respectent et dont ils veulent se montrer des acteurs
respectables et modérés. Ils se sont généralement
tenus à l’écart des manifestations des années 1960.
À l’image de l’Arabie Saoudite qui domine la produc-
tion arabe, ils tiennent un discours de responsabilité
à l’égard de l’économie mondiale. C’est ce que décrit
le politiste Walid Khadduri, fort de son expérience
de directeur de l’information et des relations interna-
tionales de l’OPAEP entre 1975 et 1981 puis comme
rédacteur en chef du Middle East Economic Survey
entre 1981 et 20047. Même dans les États révolution-
naires comme l’Algérie, les hydrocarbures deviennent
l’affaire d’une « classe d’État » composée de tech-
nocrates qui vont et viennent entre la direction des
entreprises issues des nationalisations et les postes
de la haute administration8. Signe des temps, ‘Abdal-
lah al-Tariqi lui-même revient à Riyad en 1980. Il y
est confortablement accueilli par la famille royale
tandis qu’il abandonne progressivement ses activités
éditoriales.
Employeur, fournisseur, contrôleur, jamais l’État
n’a été aussi proche, aussi vertical. Non contraint
de collecter des impôts pour fonctionner et doté de
revenus indépendants du contrôle de ses citoyens
au moment où son appareil bureaucratique est
construit, c’est un État distributeur et non un
État capable de prélever des revenus, de réguler
les transactions ou même de collecter les infor-
mations nécessaires (comme le recensement de la
population ou la mise en place d’un cadastre) aux
fonctions extractives. L’État impose ses règlements,
288 Aux pays de l’or noir

ses ministères et ses agences diverses sans rendre


de comptes à une représentation nationale organi-
sée, absente dans les pays producteurs à quelques
exceptions près comme le Koweït ou réduite à l’ap-
probation des décisions du clan au pouvoir comme
en Algérie et en Irak. La modernisation adminis-
trative des États producteurs de pétrole apparaît
donc à la fois incomplète et hétérogène dans les
années 1980. Si la corruption et le patrimonialisme
s’y généralisent à la faveur de la transformation
des ministères et agences en fiefs par les membres
des clans au pouvoir, des îlots d’efficacité se main-
tiennent et conservent leur autonomie. C’est le cas
de la SABIC saoudienne et de la plupart des entre-
prises pétrolières nationalisées9.

Le pétrole, affaire d’État


Pour désigner la forme particulière de ces sys-
tèmes de gouvernement distributeurs d’une manne
à la production de laquelle ils n’ont pas ou que peu
travaillé et qui leur donne souvent un caractère auto-
ritaire, l’expression d’« État rentier » se répand dans
les pays arabes comme dans le reste du monde. Ces
mécanismes avaient fait l’objet d’analyses dès 1969
pour la Libye, puis par l’économiste iranien Hossein
Mahdavy au sujet de son propre pays10. Au cours
des années 1970, l’approche d’abord économique
des premiers théoriciens de l’État rentier devient,
dans les pays arabes, plus critique en embrassant
le domaine politique et social au moment précis où
le développement pétrolier entre en crise. Au début
des années 1980, ‘Abd al-Rahman Mounif entame
à Paris l’écriture de sa pentalogie des Villes de sel,
métaphore de la fragilité du développement pétrolier
La crise des États pétroliers 289

et critique détaillée de l’État rentier et de la société


qu’il entretient.
« Les États pétroliers arabes représentent, on l’a
dit, l’exemple par excellence des États rentiers11. »
Lorsque au milieu des années 1980, l’économiste
égyptien Hazem al-Beblawi applique la définition au
développement des États arabes entre 1973 et 1982, il
insiste sur la conséquence sociale de la rente. Fort de
son expérience à la Banque Industrielle du Koweït et
de son poste à la tête de l’Export Development Bank
égyptienne, Hazem al-Beblawi décrit « la mentalité
rentière » qui, du sommet de l’État au citoyen, fait
de la richesse le résultat d’un statut (celui de citoyen)
et non du travail, un droit et non le produit d’une
entreprise. Par le biais des aides et des remises des
travailleurs émigrés, cette mentalité s’est étendue aux
pays non producteurs. Elle ne conduit pas seulement
les citoyens à se désintéresser des affaires politiques
et à abandonner toute revendication d’être consultés
en échange de l’absence de taxation. Elle produit
une richesse artificielle, des rémunérations sans rap-
port avec la participation effective à la production
nationale. Pour Hazem al-Beblawi, l’explosion d’une
bulle spéculative dans la bourse informelle du Souk
al-Manakh, au Koweït, en 1982, illustre les dangers
de l’économie fondée sur la rente pétrolière.
Le ministre saoudien de l’Industrie et de l’Élec-
tricité, Ghazi ‘Abd al-Rahman al-Gosaybi, relaie les
frustrations et les mécontentements suscités par le
développement. Dans une conférence de 1977 dont
le texte est publié trois ans plus tard, ce technocrate
né dans l’une des plus grandes familles marchandes
saoudiennes et passé par l’industrie pétrochimique
met en garde contre l’habitude prise dans les pays
pétroliers en développement, comme l’Arabie
290 Aux pays de l’or noir

Saoudite, de tout attendre de l’État. La richesse


pétrolière a fait croire que le développement serait
immédiat, que le pays accéderait au niveau des ser-
vices publics européens ou américains en quelques
années et que l’arriération disparaîtrait spontané-
ment : « Nous imaginions alors que la disponibilité
de fonds suffisants conduirait de façon magique à
l’accomplissement du développement. » Les citoyens
de l’ère de la tafra pestent contre les chantiers inces-
sants, les coupures d’électricité et l’inflation, sans
prendre part à l’effort collectif que doit être le déve-
loppement national. « Maudits soient le pétrole, les
riyals, les dinars et les dollars qui rendent les dis-
tances si longues ! », s’écrie Ismaël, le héros pourtant
philosophe de L’Autre Pays, lorsqu’il s’aperçoit qu’il
n’y a pas de ligne téléphonique pour lui permettre
de téléphoner à la jeune femme qu’il aime mais qui
habite dans une autre ville que celle où il est venu
travailler en Arabie Saoudite. Ismaël se surprend
ainsi à imiter les citoyens saoudiens dont le roman
d’Ibrahim Abdel-Meguid décrit les imprécations
faciles, la corruption et la soumission aux règles
édictées par les puissants, hypocrites, du pays12.
Pour le Saoudien Ghazi ‘Abd al-Rahman al-Go-
saybi, le comportement des citoyens n’est évi-
demment pas le seul à remettre en cause. Les
gouvernements portent leur part de responsabilité
quand ils font de la dépense un remède miracle
pour résoudre tous les problèmes, alors même que
l’économie nationale est incapable de recevoir les
sommes en jeu sans dérèglements, quand ils privi-
légient les projets géants d’usines ou d’universités
plutôt que des réalisations adaptées aux besoins du
pays en travailleurs qualifiés, quand ils réservent à
l’État l’essentiel des missions du développement sans
La crise des États pétroliers 291

laisser de place aux initiatives privées. La crise éco-


nomique des années 1990 ne fait que renforcer ses
convictions. Elles sont alors partagées par nombre
d’autres responsables arabes13.
Les responsables des politiques de développement
appliquées pendant les années 1970 ont beau jeu de
répliquer à leurs interlocuteurs et successeurs en les
ramenant à l’époque, encore proche, où le pétrole
n’avait pas encore infusé dans les sociétés arabes.
Cinq ans après son départ du ministère de l’Énergie,
Belaïd Abdesselam répond longuement aux critiques
désormais courantes sur les impasses de la politique
de développement menée sous Boumediene et dont
le plan Valhyd est pris comme symbole :

[S]’il faut suivre la logique de la thèse qui veut que


le pétrole et le gaz n’ont pas constitué une chance
pour l’Algérie, mais qu’ils ont été un facteur négatif
qui a contribué à affaiblir le sens de l’effort chez les
Algériens, doit-on alors conclure que le charbon de
ses provinces du Nord et le fer de la Lorraine ont été
une cause de faiblesse et non une source de richesse
pour la France ? (…) Peut-on vraiment souhaiter que
notre pays se retrouve dans les conditions qui étaient,
donc, les siennes à la fin de la décennie 1960, quand
ce que l’on appelle, non sans quelque malveillance, le
pactole pétrolier ou bien la rente pétrolière ne jouait
pas encore un rôle significatif dans la détermination
de notre politique de développement14 ?

La mort de Boumediene le 27 décembre 1978


et le changement du gouvernement conduisent à
l’abandon du plan Valhyd en 1980 et à une pre-
mière restructuration de la puissante Sonatrach.
Depuis la nationalisation de 1971, la taille de l’en-
treprise et son indépendance d’une part, le niveau
de rémunération de ses employés et leurs multiples
292 Aux pays de l’or noir

gratifications d’autre part, font l’objet de critiques


croissantes. Elles ne viennent pas seulement des
élites politiques algériennes irritées par le pouvoir
de l’entreprise et de son ministre de tutelle. Le rôle
moteur donné à la Sonatrach dans l’industrialisa-
tion fait de ses employés les premiers bénéficiaires
d’un développement qui touche peu les autres sec-
teurs comme l’agriculture. « Pour l’Algérien moyen,
la Sonatrach est plus qu’une entreprise, c’est une
institution mais c’est d’abord une pieuvre géante
qui étend ses tentacules à tout et à tous », peut-on
lire dès 1971 dans un article de Révolution africaine,
l’hebdomadaire du FLN15. L’entreprise emploie plus
de 86 000 personnes en 1978 et s’exonère régulière-
ment des procédures en vigueur dans le reste des
institutions publiques. Dans des entretiens réalisés
au début des années 1980, Belaïd Abdesselam justi-
fie ces exceptions au nom du développement et de
la nécessité d’égaler des concurrents de taille mon-
diale. La réputation d’omnipotence de l’entreprise lui
vaut d’être sollicitée par les ministères et les autres
entreprises lorsqu’il s’agit, par exemple, d’obtenir des
équipements ou de réaliser des travaux sans délai.
Ses bureaux sont même régulièrement mis à profit
par la diplomatie algérienne16.
À partir de 1981 toutefois, l’ennemi politique et
successeur d’Abdesselam au ministère de l’Éner-
gie, Belkacem Nabi, entame une série de réformes
pour « rectifier » le modèle hérité de la présidence
Boumediene. La Sonatrach est éclatée en une quin-
zaine d’entreprises aux activités distinctes. Avant
même la crise économique de la seconde moitié
des années 1980 puis l’exode des années 1990, les
réformes poussent au départ de nombreux cadres
qui avaient intégré l’entreprise à son heure de gloire.
La crise des États pétroliers 293

Comme ailleurs dans les pays arabes, la séparation


des activités n’est pas seulement justifiée par l’ob-
jectif d’une meilleure gestion économique. Elle per-
met aussi à l’État de reprendre le pouvoir sur des
entreprises trop indépendantes et de réduire le poids
politique de leurs dirigeants et experts17.
En Arabie Saoudite, Ahmad Zaki Yamani défend
l’intégration des activités de l’Aramco au sein de
l’entreprise nationale, Petromin, selon une stratégie
étatiste proche de celle des pays comme l’Algérie.
Petromin se lance dans un développement tous azi-
muts du raffinage à la distribution et multiplie les
projets de joint-ventures au nom de l’État saoudien.
De 3 000 employés au début des années 1970, les
effectifs de l’entreprise nationale passent à près de
12 000 en 1985. Une série de déboires et d’affaires de
corruption qui impliquent son patron, ‘Abd al-Hadi
Tahir, et le ministre Yamani confortent les argu-
ments de ceux qui veulent protéger le rôle moteur
et l’autonomie de l’Aramco dans le secteur pétro-
lier. Le bon déroulement de la prise de participation
progressive par l’État saoudien et le maintien d’une
forte culture d’entreprise au sein de l’Aramco font
ressortir les faibles profits et les retards des projets
de Petromin. L’affrontement de réseaux concurrents
au sein du gouvernement pour le contrôle du secteur
pétrolier personnalise, comme en Algérie, les diver-
gences sur les stratégies du développement pétrolier.
Le ministère de l’Industrie crée en 1976 l’entreprise
d’économie mixte Sabic qui concurrence avec effica-
cité Petromin dans la pétrochimie18.
Derrière les questionnements sur l’efficacité des
dépenses des revenus de la rente, ce sont l’ensemble
des transformations des pays arabes pétroliers qui
sont examinées. Si l’évolution des comportements
294 Aux pays de l’or noir

sociaux est largement critiquée, la participation


des responsables gouvernementaux de l’époque aux
débats dès la fin des années 1980 montre que les
critiques n’épargnent personne, pas même le som-
met de l’État ni les entreprises pétrolières nationales.
L’enthousiasme pour les grands projets et la célébra-
tion des dépenses massives pour remédier au sous-
développement ne sont plus de mise. L’omnipotence
que les revenus du pétrole sont supposés garantir
expose les dirigeants politiques aux attentes et donc
aux frustrations accrues des citoyens qui n’ont, il
faut le rappeler, que peu de moyens de s’exprimer
sur les choix politiques de leurs pays. Le retourne-
ment du marché à partir de la fin de l’année 1981
et la crise économique qui s’ensuit encouragent un
peu plus les bilans critiques de la tafra. Le pétrole
est déjà en train de perdre de sa magie.

LES ÉCONOMIES ARABES NOYÉES


DANS LE PÉTROLE

À partir de 1982, les États arabes entrent dans


une crise économique profonde. La tendance à la
hausse des prix du pétrole et du gaz s’inverse tandis
que les pays producteurs doivent désormais gérer
une surproduction inattendue. La crise est aggravée
par la succession de deux conflits qui impliquent
directement ces pays et remettent en cause la soli-
darité politique et économique célébrée en 1973 :
la guerre entre l’Iran et l’Irak (1980‑1988) et l’inva-
sion irakienne du Koweït (1990‑1991). La majorité
des responsables actuels du pétrole dans le monde
arabe ont grandi, étudié et commencé à travailler
La crise des États pétroliers 295

pendant cette décennie de crise. On ne saurait en


sous-estimer le legs.
La production arabe en plein essor se heurte au
ralentissement de la demande. Le stockage entrepris
par les pays consommateurs à partir de 1974 sous
la direction de la nouvelle Agence Internationale de
l’Énergie, et les mesures pour réduire la consomma-
tion de pétrole et basculer vers des sources d’éner-
gie alternatives se développent. Le renchérissement
des cours rend viable l’exploitation de champs plus
complexes, et donc plus coûteux, comme c’est le
cas en mer du Nord et en Sibérie occidentale. Dès
1981, la hausse des prix du brut cesse et les cours
se stabilisent avant d’entamer une baisse qui s’accé-
lère après 1982. Cette chute s’inscrit alors dans une
crise globale du cours des matières premières et les
pays arabes connaissent, comme bien d’autres pays
en développement, les déboires de la dette. Elle est
particulièrement dramatique dans des pays comme
la Syrie où les années 1980 sont précisément celles
de l’augmentation de la production pétrolière : le pic
de production (590 000 barils par jour) y est atteint
en 1996. Les cours sont alors sur le point d’entamer
une nouvelle chute (passant sous les 20 dollars le
baril pendant l’hiver 1998) qui ne prend fin qu’au
début de l’année 1999.
La plupart des responsables arabes pensent
d’abord que le déclin de la demande et la surpro-
duction qui en est la conséquence ne sont que de
court terme. L’excédent, assure le ministre saou-
dien Ahmad Zaki Yamani au Middle East Econo-
mic Survey en avril 1981, n’est que temporaire et
sera vite corrigé. Il permet de stabiliser les prix du
pétrole. La presse étrangère rapporte que le même
Yamani aurait affirmé que l’excédent a été « prévu »
296 Aux pays de l’or noir

et « quasiment organisé » par l’Arabie Saoudite afin


de stabiliser les prix du pétrole. La nouvelle est large-
ment reprise et fait grand bruit. En 1982, il infléchit
sa position en évoquant l’opportunité d’une « modé-
ration » de la production pour éliminer les stocks et
stabiliser les prix19. À cette date, Yamani est en effet
confronté à l’opposition croissante de ses homolo-
gues algérien, libyen et irakien, opportunément alliés
à l’Iran et au Venezuela, qui réclament une réduction
de la production de chaque État et font du maintien
des prix une question prioritaire. Le camp arabe se
divise et les réunions des organisations pétrolières
sont houleuses, se souvient le secrétaire général de
l’OPEP de l’époque et ancien responsable des affaires
pétrolières en Irak, Fadil Jaafar al-Chalabi. L’inquié-
tude se généralise à partir de 1982‑1983 : on la lit
dans les articles des experts et responsables gouver-
nementaux arabes, préoccupés par la tendance à la
baisse des prix qui semble se consolider tandis que
la production reste élevée. L’évolution du marché
est analysée comme le renversement du rapport de
force avec les pays consommateurs désormais orga-
nisés et capables de développer leur pétrole et leurs
énergies alternatives tandis que les pays de l’OPEP et
de l’OPAEP sont incapables de retrouver la solidarité
de 197320.

Le début des tensions pétrolières


entre l’Irak et les autres pays du Golfe
La guerre dans laquelle l’Irak entre contre l’Iran
à partir de 1980 aggrave encore la chute des cours
et la division des pays arabes. Les infrastructures
pétrolières de la région de Basra, de Khor al-Zubayr
et de Fao sur le Golfe persique sont gravement
La crise des États pétroliers 297

endommagées sinon détruites. La production ira-


kienne passe de 3,4 millions de barils par jour en
août 1980, à la veille de la guerre, à 900 000 barils
par jour en 198121. En 1982, l’Iran convainc le gou-
vernement syrien de bloquer les exportations ira-
kiennes qui empruntent l’oléoduc reliant l’Irak au
nord de la Syrie. En 1986, l’essentiel de la région
de Fao, où sont établies de nombreuses installations
pétrolières irakiennes, est occupé par les troupes
iraniennes repassées à l’offensive. Les pays arabes
producteurs voisins de l’Irak font connaître leur
aide. Des prêts sont accordés par l’Arabie Saoudite
qui autorise aussi la construction d’un oléoduc de
substitution à travers son territoire. Le royaume
saoudien et le Koweït allouent une part des revenus
du pétrole de leur zone neutre à l’Irak afin de com-
penser la fermeture de l’oléoduc syrien. La produc-
tion irakienne stagne jusqu’en 1987, elle est alors un
peu relancée grâce à l’ouverture d’oléoducs passant
par la Turquie et au transport routier par la Jorda-
nie. En dépit de ces soutiens, les dirigeants irakiens,
comme les experts les plus critiques, retiennent sur-
tout les déclarations d’Ahmad Zaki Yamani hostile à
toute baisse importante de la production pour faire
remonter les prix. Les négociations du ministre
saoudien avec l’Iran en 1986 pour fixer des quo-
tas suscitent la suspicion de bien des homologues
arabes.
En juillet 1981, le président irakien Saddam
Hussein adresse déjà ses « critiques amicales mais
sérieuses » aux « frères arabes dont les politiques de
production et de commercialisation ont conduit à
la création d’un excédent sur le marché du pétrole »
pour souligner leur responsabilité dans l’affaiblisse-
ment de l’Irak en guerre :
298 Aux pays de l’or noir

Nous ne pouvons pas trouver d’arguments convain-


cants en faveur de cette politique et de ses objectifs.
Ses effets nocifs sur les États arabes producteurs de
pétrole et les autres sont clairs. Si certains États pro-
ducteurs de pétrole ont des surplus financiers, nous
ne possédons pas tous une telle accumulation de
richesses22.

La critique devient plus explicite encore en sep-


tembre de la même année lorsque le ministre irakien
du Pétrole et membre du Conseil de Commandement
Révolutionnaire, Tayih ‘Abd al-Karim, s’en prend
explicitement aux positions de l’Arabie Saoudite :

La politique suivie par ce pays de maintenir sa


production plus élevée que ses besoins est une poli-
tique suicidaire et ne peut pas être expliquée autre-
ment que par le désir de faire du mal aux autres.
(…) Sans l’excédent de pétrole, qui a peut-être été
inspiré et planifié pour prolonger la guerre du Golfe
et abattre l’Irak, la guerre du Golfe serait à présent
terminée23.

Un rapport de la Direction des Renseignements


militaires irakiens en 1987 confirme cette convic-
tion, chez les dirigeants irakiens, que la production
saoudienne excessive a pour objectif de prolonger la
durée de la guerre et d’affaiblir l’Irak au moment où
le pays prétend faire la guerre au nom de la nation
arabe. La conscience de devenir dépendant des
monarchies arabes du Golfe, et notamment de leur
aide financière, à l’occasion de la guerre, est d’autant
plus insupportable à l’Irak que ces pays privilégient
la production aux dépens des prix24.
La crise des États pétroliers 299

Le pétrole arabe se soumet aux quotas


Les pays membres de l’OPEP se résolvent à fixer
des quotas à partir de 1982, en dépit du refus de
l’Iran qui exige que l’Arabie Saoudite diminue sa
production pour, au contraire, augmenter la sienne.
En 1983, l’Organisation fixe son prix de référence à
la baisse, pour la première fois depuis sa création.
Entre 1983 et 1985, l’Arabie Saoudite assume le rôle
de producteur d’appoint (swing producer) et réduit
considérablement sa production. De 10 millions de
barils par jour en 1981, la production saoudienne
moyenne passe à 7 millions en 1982 puis à 3,6 mil-
lions de barils par jour en 1985. En août 1985, elle
atteint même le point bas de 2,2 millions barils
par jour, un chiffre qui frappe les esprits des diri-
geants saoudiens puisqu’il s’agit des niveaux des
années 1960. Est-ce par volonté de préserver ostensi-
blement la souveraineté de la monarchie saoudienne
en s’imposant de façon autonome une réduction de
la production, ou parce que Yamani et ses équipes
sont convaincus que l’excès d’offre sera rapidement
réglé ? La réduction de sa production aux dépens
de ses rentrées financières et au risque de perdre
des parts de marché est décidée, de l’aveu des res-
ponsables pétroliers saoudiens eux-mêmes, pour des
raisons encore « obscures »25.
Les pays de l’OPEP s’accusent régulièrement de
« tricher » pour produire plus que leurs quotas et, de
fait, les prix continuent à chuter. Les prix officiels
décidés par l’OPEP, mais de moins en moins res-
pectés depuis 1982, passent de 34 dollars le baril en
1980 à 28 dollars en 1985. En termes réels (corrigés
de l’inflation), les prix sont revenus à leur niveau de
300 Aux pays de l’or noir

1973. Les prix du brut sur le marché des échanges


physiques (de barils) à court terme (marché « spot »)
passent d’une moyenne de 27 dollars en 1985 à
leur point le plus bas de 14 dollars en 1986 avant
de remonter un peu au cours de la même année. À
l’exception d’un pic dans la deuxième moitié de l’an-
née 1990 qui est dû à l’invasion du Koweït par l’Irak,
le prix nominal oscille sous la barre des 20 dollars
jusqu’à la toute fin de l’année 1998. Pour conserver
leurs parts de marché et une partie de leurs reve-
nus, de nombreux pays producteurs comme l’Irak se
mettent à vendre leur pétrole en offrant des réduc-
tions sur les prix officiels fixés au sein de l’OPEP à
tel point que l’Arabie Saoudite rejoint d’autres pays
arabes du Golfe pour condamner en octobre 1982 le
« comportement irresponsable » des autres membres
de l’Organisation26.
Les revenus des exportations de pétrole des pays
de l’OPAEP passent de leur pic de 209,5 milliards
de dollars en 1980 à 195,4 milliards en 1981 puis
74,5 milliards en 1987. Leur balance de paiements
passe d’un surplus de 91 milliards de dollars en 1980
à un déficit de 11,2 milliards en 1986. La situation
est encore plus alarmante en Irak où la guerre avec
l’Iran réduit considérablement les capacités de pro-
duction. Les revenus tirés du pétrole par l’État ira-
kien passent de 26 millions de dollars en 1980 à
10 millions en 1981 puis 7 millions en 198627.

La fin des quotas :


un « contre-choc pétrolier »
En décembre 1985, contre l’avis des représentants
de l’Algérie, de la Libye et de l’Iran qui peuvent diffi-
cilement augmenter leur production, mais fortement
La crise des États pétroliers 301

encouragée par le Saoudien Yamani, l’OPEP prend


la décision de se consacrer à la récupération de ses
parts de marché mondial plutôt qu’à la défense des
prix du brut, quitte à augmenter pour cela la pro-
duction. L’Organisation renonce alors à la fonction
qu’elle avait assumée dix ans plus tôt : celle de fixer
les prix du brut. Conforté par la nouvelle politique de
l’OPEP, le royaume saoudien abandonne son rôle de
producteur d’appoint, tout en restant officiellement
attaché à la défense des prix décidés par l’Organisa-
tion. Il n’est pas seul à être préoccupé par le risque
de perdre des marchés au profit de concurrents
sud-américain (Venezuela), africain (Nigeria) et
asiatique (Indonésie) qui s’affranchissent des règles
décidées au sein des organisations pétrolières. Mus-
sab al-Dujayli, un des directeurs de l’Iraq National
Oil Company jusqu’en 1982 puis haut fonctionnaire
du ministère irakien du Pétrole, en fait même une
inquiétude prioritaire au milieu des années 1980 tout
en défendant une stratégie différente de celle que
prônent ses homologues saoudiens : « Le problème
auquel le monde arabe est confronté aujourd’hui
n’est pas le déclin des revenus tirés du pétrole mais le
déclin de la demande mondiale en pétrole de l’OPEP
et en pétrole arabe. (…) Pour que le monde arabe
regagne son importance, il devrait regagner sa part
dans le marché mondial du pétrole et de l’énergie. »
La guerre des prix n’oppose plus seulement les pays
membres aux pays non membres de l’OPEP, elle
divise aussi les pays arabes28.
En dépit de la forte réduction de sa production,
le royaume saoudien et ses responsables font dès
lors l’objet d’attaques renouvelées de la part des
autres pays producteurs arabes. L’économiste ira-
kien ‘Abbas al-Nasrawi, enseignant aux États-Unis
302 Aux pays de l’or noir

et employé comme consultant à l’OPEP, tire un


constat sévère du rôle de l’Arabie Saoudite dans le
retournement de l’« arme du pétrole » contre les pays
arabes eux-mêmes dans le contexte du déclin de la
demande et des cours. L’attachement du royaume
à ne pas réduire drastiquement les niveaux de
production de pétrole lui vaut d’être accusé dans
la presse arabe et les pays arabes rivaux de s’être
accordé avec les États-Unis pour maintenir les prix
bas dans le cadre d’une stratégie globale de Guerre
froide. Trente ans plus tard, l’accusation est encore
évoquée par le représentant saoudien à l’OPEP des
années 1990 et membre du conseil de direction de
l’Aramco, Majid al-Munif, dans un article consacré
à la crise des années 1980. Il lui oppose les pertes
financières essuyées par l’Arabie Saoudite au cours
de la décennie et insiste sur la responsabilité collec-
tive des membres de l’Organisation, incapables de
s’entendre sur une politique commune29.
Le retournement des années 1980 est donc vécu
comme une crise économique autant que politique
par les pays arabes producteurs. Alors qu’ils rechi-
gnaient à reprendre la formule « choc pétrolier » en
1973, celle de « contre-choc » attribuée au directeur
de l’ENI, Franco Bernabè, est rapidement adoptée
par les experts arabes à partir de 1986. Elle exprime
la fin des espérances placées dans la croissance illi-
mitée de la richesse pétrolière, la remise en cause
du pétrole comme moteur fiable et durable du déve-
loppement, la fin de la puissance reconnue aux pays
producteurs arabes dans la gestion du marché mon-
dial depuis le tournant de 1971‑1973. À partir de
1986, les pays arabes membres de l’OPEP renoncent
à fixer les prix du brut, sous la pression du marché
mondial et des pays non membres de l’OPEP qui
La crise des États pétroliers 303

gagnent des parts à leurs dépens. Une nouvelle for-


mule est adoptée par l’Organisation pour fixer les
prix en fonction du marché, et plus particulièrement
en fonction du cours des produits raffinés dans les
pays consommateurs. Les quotas sont réintroduits,
sauf pour l’Irak qui est exempté, mais les plafonds
sont régulièrement réévalués et les prix continuent
de chuter. Le Koweït et les Émirats arabes unis s’af-
franchissent aussi des quotas à partir de la fin des
années 1980 et augmentent encore leur production,
au grand dam de l’Irak qui les accuse d’aggraver la
chute des cours et compare les effets de cette déci-
sion sur l’économie irakienne à des dommages de
guerre30.
En décembre 1986, l’OPEP abandonne l’Arabian
light comme brut de référence et le remplace par
un panier de plusieurs pétroles bruts dans lequel
l’Arabian light est associé au pétrole de pays non
membres de l’OPEP, comme celui de l’isthme du
Mexique. L’Arabie Saoudite décide à partir de 1987
de fixer le prix de son brut en fonction de l’évolution
du cours du Brent des gisements de la mer du Nord
et du WTI (West Texas Intermediate) texan, mais
aussi en fonction des prix « spots » des bruts vendus
à Dubaï en direction de l’Asie31. Cette décision du
premier producteur arabe de pétrole, suivi par les
autres pays arabes, signale la fin du règne de l’Ara-
bian light sur le marché pétrolier mondial.
304 Aux pays de l’or noir

EXPLOSION DE LA DETTE
ET RESTRICTIONS BUDGÉTAIRES :
LA FIN DE LA TAFRA

Après les surplus, ce sont les déficits budgétaires


et les dettes qui déséquilibrent les économies des
pays arabes. La dette extérieure algérienne double
entre 1985 et 1988. Le gouvernement est contraint
à partir de 1991 de négocier avec le FMI puis d’ap-
pliquer à partir de 1994 un programme d’ajustement
structurel, comme l’ont fait ses voisins tunisien et
marocain dont il voulait pourtant se différencier. Les
déficits budgétaires des États producteurs retrouvent
au milieu des années 1980 des niveaux dignes des
années 1930. Le prince héritier et futur roi saou-
dien ‘Abdallah sonne lui-même la fin de l’ère de la
tafra lors du sommet du Conseil de Coopération du
Golfe en 1998 : « Les jours de l’abondance sont pas-
sés, et ils ne reviendront jamais32 », avant de pour-
suivre : « Nous devons nous habituer à une nouvelle
façon de vivre qui ne dépende pas entièrement de
l’État33. »
Le revenu par tête chute. Aux Émirats arabes unis,
il est divisé par 2,5 entre 1980 et 1990 (de 16 900 dol-
lars à 7 200 dollars) et il faut attendre 2007 pour
qu’il passe à nouveau au-dessus des 16 000 dollars.
En Algérie où la production de gaz a été accélérée
pour compenser la chute des prix, le revenu par tête
(2 790 dollars par habitant, bien plus faible qu’en Ara-
bie Saoudite) diminue à partir de 1987 et ne retrouve
son niveau qu’en 2004. Nulle part dans le monde
arabe cependant la situation n’est plus catastro-
phique qu’en Irak. La production irakienne de pétrole
La crise des États pétroliers 305

qui était l’une des principales du Golfe chute alors


qu’aucun secteur ne peut remplacer la participation
du pétrole au revenu national. De 56 % du PNB en
1980, cette participation tombe à 23 % en 1989 puis
à 4‑5 % au début des années 1990. La guerre avec
l’Iran a dévasté les infrastructures pétrolières du sud
du pays et laissé une dette de près de 80 milliards de
dollars, dont 40 envers les monarchies arabes voi-
sines du Golfe. De son pic à 4 080 dollars en 1980, le
revenu par habitant tombe à 1 021 dollars en 200234.
Ce sont les segments les plus faibles de la société
qui sont les plus touchés par les licenciements, la
chute des recrutements et la baisse des revenus. Les
travailleurs immigrés font ainsi les frais des poli-
tiques de nationalisation de la main-d’œuvre lan-
cées dans les années 1990 et poursuivies jusqu’à
aujourd’hui, alors même que la guerre du Golfe a
accéléré le recours aux travailleurs asiatiques plutôt
qu’arabes dans les pays producteurs de la région.
Lorsqu’en 1990 le Yémen, tout juste réunifié, et l’Or-
ganisation de Libération de la Palestine adoptent
des positions pro-irakiennes, 800 000 Yéménites
et 300 000 Palestiniens sont expulsés des pays du
Golfe en rétorsion. Le Bahreïn et l’Arabie Saoudite
mettent en place des quotas à partir de 1995 pour
imposer l’emploi prioritaire des citoyens nationaux
et les mesures de contrôle de la main-d’œuvre sont
renforcées au cours des années 2000 dans l’ensemble
des pays du Golfe35.

Le secteur privé appelé au secours de l’État


Les annonces des budgets annuels deviennent des
moments de fébrilité. Les prévisions des rentrées fis-
cales sont régulièrement surestimées et conduisent
306 Aux pays de l’or noir

à des déficits budgétaires en série. Les rumeurs de


coupes générales se multiplient en 1982‑1983 en Ara-
bie Saoudite, où l’annonce du budget est reportée
plusieurs fois, comme en 1986 aux Émirats arabes
unis et au Koweït. Cette année-là, le célèbre Ahmad
Zaki Yamani est démis du poste qu’il occupait depuis
près de vingt-cinq ans dans une ambiance confuse.
Sur fond d’affaires de commissions impliquant la
famille royale, les divergences quant à la stratégie
pétrolière du royaume grandissaient entre le ministre
du Pétrole et le roi, de plus en plus inquiet de l’ef-
fondrement des revenus tirés du pétrole. Son départ
reste un évènement marquant pour les responsables
saoudiens du secteur pétrolier36.
Les grands projets de construction d’infrastruc-
tures sont progressivement gelés, y compris pour
l’industrie pétrochimique qui était la priorité des
plans de développement. À la fin des années 1990, le
ministre saoudien de l’Industrie Ghazi al-Gosaybi cri-
tique la « mégalomanie » du second plan quinquen-
nal (1975‑1980) de développement du royaume37. Le
rôle de l’État comme moteur du développement est
ainsi publiquement remis en cause par les dirigeants
eux-mêmes et le secteur pétrolier, quoique protégé,
finit par être affecté par les réformes économiques
et politiques. Le prince héritier saoudien ‘Abdallah
l’explique en 1998 devant ses homologues du Golfe
dans des termes choisis pour plaire aux institutions
financières mondiales qui scrutent les finances des
pays producteurs :

Les gouvernements du Conseil de Coopération du


Golfe ne peuvent plus se permettre de tout fournir
à leurs citoyens sur un plateau d’argent. Le secteur
privé, comme chaque individu, doit contribuer au
La crise des États pétroliers 307

développement économique et jouer un rôle impor-


tant dans la formation du capital, l’investissement et
le développement des ressources humaines. (…) Les
gouvernements continueront à fournir les équipe-
ments fondamentaux mais, en ce qui concerne l’in-
dustrialisation, le secteur privé devra jouer un rôle
très important (…), doit réduire sa dépendance au
travail d’expatriés de façon drastique et doit employer
des citoyens de façon plus significative38.

Dans l’Irak en pleine guerre, le parti Baas annonce


dès 1982 un changement de politique économique
en faveur du secteur privé, d’abord dans les activités
agricoles pour réduire les importations alimentaires.
Une seconde vague de réformes est lancée à partir
de 1987, au moment où l’armée irakienne subit des
défaites successives autour de Basra face aux armées
iraniennes, et jusqu’à la veille de l’invasion du Koweït
en 1990. Les mesures de privatisation massive et
d’encouragement à l’investissement privé sont cen-
sées apporter des fonds à l’État. Elles favorisent la
constitution d’une bourgeoisie d’entrepreneurs à qui
sont accordés des contrats financés par les revenus
du pétrole. L’essor de ce groupe social lié à l’État et
au parti Baas fait ressortir par contraste l’appauvris-
sement général du reste de la population soumise à
une inflation constante et des licenciements de plus
en plus fréquents. Les experts internationaux et les
planificateurs irakiens assurent tout au long des
années 1980 que « la nourriture est une exportation
plus précieuse que le pétrole » et Saddam Hussein
que « l’agriculture est un pétrole permanent » mais,
malgré les réformes agraires, l’agriculture pâtit de
la négligence et des sous-investissements qui ont
accompagné le tout-pétrole pendant les décen-
nies précédentes. La guerre de 1990‑1991, qui est
308 Aux pays de l’or noir

largement le produit de ces difficultés économiques,


aggrave encore la situation de la population alors
que les infrastructures industrielles sont détruites
par les bombardements de la coalition organisée
pour libérer le Koweït.
Faute d’agriculture, le pétrole reste la seule mon-
naie de l’Irak mais une monnaie du pauvre. Les
sanctions décidées par le Conseil de sécurité de
l’ONU coupent l’Irak du système mondial de tran-
sactions financières et n’autorisent que l’importation
de fournitures médicales et alimentaires. L’embargo
sur le commerce vise en particulier les exportations
de pétrole irakien alors que ce dernier constituait
près de 95 % des revenus du pays. Faute de pou-
voir importer le matériel nécessaire à son exploita-
tion, l’industrie du pétrole sombre dans un état jugé
« lamentable » par les experts de l’ONU en 199839.
L’Irak n’a plus les moyens de régler ses importa-
tions alimentaires. Le pétrole exporté tout au long
des années 1990 par un ballet de camions-citernes
vers la Jordanie et la Turquie sous la surveillance de
l’ONU et en contrebande vers la Syrie et le Golfe ne
suffit pas à solder les besoins en importations même
s’il enrichit un groupe d’intermédiaires proches du
pouvoir jusqu’à l’invasion américaine de 2003. Ces
soutiens du gouvernement baasiste bénéficient des
premières privatisations lancées dans le secteur
public à la fin des années 1980 et obtiennent les
licences qui leur permettent de faire leurs affaires
légalement. S’il permet de reprendre les exportations
de pétrole, le programme « pétrole contre nourri-
ture » lancé en décembre 1996 n’améliore que très
peu les conditions épouvantables dans lesquelles est
plongée la majeure partie de la société irakienne.
La paupérisation accélérée de la population alors
La crise des États pétroliers 309

que la démographie reste dynamique (l’Irak passe


de 13 millions d’habitants en 1980 à 23 millions en
2000), l’économie très politisée qu’organise l’État ira-
kien et l’intransigeance des États-Unis dans l’applica-
tion des sanctions brisent définitivement les espoirs
placés dans le pétrole et la réforme de l’État rentier40.

Le modèle d’État-providence ébranlé


Les subventions sur les produits pétroliers sont les
moins touchées par les programmes d’ajustement
que les États arabes mettent en place sous la pres-
sion des organisations internationales. D’ailleurs, la
consommation de pétrole ne cesse pas d’augmen-
ter dans les pays du Golfe. En équivalent pétrole, la
consommation d’énergie par habitant dans les pays
producteurs de pétrole et de gaz du Moyen-Orient est
passée de 80 (contre 657 pour la moyenne mondiale)
en 1950 à 1 262 kilogrammes en 1986 contre 1 327
pour la moyenne mondiale. Les pays producteurs
arabes ont plus que rattrapé la moyenne mondiale.
La consommation par habitant au Qatar dépasse
13 500 kilogrammes en 1986, celle des Émirats
arabes unis 10 700, celle du Koweït 5 400 et celle de
l’Arabie Saoudite (beaucoup plus peuplée) 2 900 kilo-
grammes. Seuls l’Algérie (890 kilogrammes équiva-
lent pétrole par habitant) et l’Irak (474 kilogrammes)
sont restés en dessous de la moyenne mondiale mais
la crise et la guerre avec l’Iran, dans le cas de l’Irak,
ont particulièrement affecté les citoyens41.
Les premiers projets de taxes qui sont évoqués
portent d’abord sur les revenus des travailleurs
étrangers, sur les services comme l’électricité, la télé-
phonie, les transports et les formalités administra-
tives. Les subventions sur les biens de consommation
310 Aux pays de l’or noir

courante sont les premières à être réduites mais


certains services hérités des années de prospérité,
comme la gratuité des soins, sont remis en cause42.
Les coupes qu’annoncent les gouvernements libyen
et saoudien en 1988 suscitent de premières formes de
protestation, notamment de la part des négociants.
En Arabie Saoudite, ils mobilisent les chambres de
commerce et leurs réseaux au sein du clergé, de l’ad-
ministration et de la famille royale pour contester
les mesures qui les menacent le plus. Néanmoins,
en 1981 et 1988, les dépenses publiques saoudiennes
sont effectivement réduites — de plus de 52 % — et
les coupes sont relancées entre 1992 et 199443.
L’austérité affecte autant les pays récepteurs des
aides internationales que les pays donateurs qui sont
contraints de les réduire, comme le Koweït frappé en
1982 par un violent krach boursier. La Syrie perd pro-
bablement un milliard de dollars sur le 1,8 milliard
que lui octroyaient les pays du Golfe, alors même
que le pays dépense près de la moitié de ses recettes
budgétaires dans la guerre au Liban. Seule la décou-
verte de quelques gisements annoncée par Hafez
al-Assad en 1988 soulage un peu le pays mais leur
exploitation n’est réellement lancée qu’en 1994. Leurs
revenus garantissent la survie de l’État mais sont très
mal redistribués. La chute des cours contamine aussi
les remises envoyées par les travailleurs émigrés : au
cours de la première moitié des années 1980, les
envois d’argent des immigrés yéménites en Arabie
Saoudite vers le Yémen chutent de 60 %44.
L’impact récessif de ces mesures sur les économies
arabes finit par toucher aussi le secteur pétrolier.
L’Aramco nationalisée doit renoncer à ses projets
d’expansion et licencier. Le nombre de ses employés,
que la direction au début des années 1980 prévoyait
La crise des États pétroliers 311

encore de faire passer à 75 000 en 1985, fond sous le


coup des licenciements. Il passe de 61 200 en 1982 à
43 500 en 198745. En Algérie, la chute des cours du
gaz cumulée à la crise fiscale et financière aggrave la
situation politique et justifie la remise en cause des
contrats conclus avec les pays européens et des pro-
jets de développement industriel qui constituaient la
stratégie du pays à l’époque de Boumediene et de son
ministre du Pétrole, Belaïd Abdesselam.

Après l’épopée des nationalisations,


le choix de la privatisation
L’ingénieur Belkacem Nabi, successeur d’Abdes-
selam au ministère de l’Énergie entre 1979 et 1988,
privilégie la réduction de l’endettement. Il lance une
« bataille du gaz » qui doit préserver les ressources
du pays pour les générations futures — ou, du moins,
pour le moment où les prix repartiront à la hausse.
Belaïd Abdesselam, qui en perçoit bien la charge
politique à son encontre, ne tarde pas à la critiquer
en alléguant des idéaux révolutionnaires oubliés et,
plus prosaïquement, la chute continue des prix qui
mine la stratégie de son successeur.
En Algérie comme dans les autres pays arabes
producteurs de gaz et de pétrole, les réformes de
la seconde moitié des années 1980 et celles des
années 1990 sont désormais tournées vers l’objectif
d’attirer les investissements et de développer le sec-
teur privé au grand dam des responsables du pétrole
de l’époque précédente et des employés du secteur
public. Les entreprises publiques sont « restructu-
rées » au prix, selon les détracteurs, de la perte de
milliers d’emplois, de l’augmentation de la corrup-
tion et de l’affaiblissement des entreprises les plus
312 Aux pays de l’or noir

productives. La Sonatrach est éclatée en une quin-


zaine d’entreprises et ses principaux dirigeants sont
remplacés46. Couplées aux programmes de « stabili-
sation » et d’ajustement structurel, ces restructura-
tions accélèrent la hausse du chômage qui touche
désormais le secteur pétrolier et dépasse les 20 % de
la population active en 1991.
Le sociologue algérien Ali El Kenz relève dans l’Al-
gérie des années 1990 la violence économique et psy-
chologique de la « prolétarisation des ingénieurs » des
secteurs comme le gaz. Tandis que certains d’entre
eux ont pu trouver de nouveaux postes dans les entre-
prises pétrolières et gazières d’Afrique et du Golfe, le
choc des mesures décidées depuis 1981‑1982 est rude
pour les cadres restés en Algérie qui constituaient
jusque-là une élite nationale choyée par l’État et se
voyaient à l’avant-garde de la modernité47.
La loi défendue en 1991 par le Premier ministre
algérien, ancien président de la Sonatrach et ancien
ministre de l’Énergie, Sid Ahmad Ghozali, pour
ouvrir le secteur des hydrocarbures aux investis-
sements privés suscite de si fortes critiques qu’elle
est d’abord repoussée. Le ministre est accusé de
brader les ressources naturelles du pays en vou-
lant vendre une partie des intérêts de la Sonatrach
dans des champs aussi symboliques que Hassi Mes-
saoud. D’anciens responsables du secteur pétrolier
évoquent l’idée de vendre la Sonatrach pour relancer
l’économie48. Belaïd Abdesselam qui revient au pou-
voir comme Premier ministre entre 1992 et 1993,
en pleine guerre civile, tente de rompre avec cette
stratégie et de refaire du pétrole le pilier de la crois-
sance : « l’après-pétrole, c’est encore le pétrole »,
explique le ministre l’Énergie Hacene Mefti en
199349. Les mesures de libéralisation n’en sont pas
La crise des États pétroliers 313

moins reprises et accélérées après l’élection d’Abde-


laziz Bouteflika à la présidence algérienne en 1999.
Entre-temps, les rapports d’experts commandés à
l’occasion des négociations avec le FMI ont réactivé
la menace de l’épuisement « prochain » des réserves
d’hydrocarbures et le directeur général de la Sona-
trach lui-même a jugé irréalistes les efforts néces-
saires pour maintenir à son niveau la production de
pétrole et augmenter la production de gaz50.
En Arabie Saoudite, l’heure est aussi à l’encoura-
gement du secteur privé qui est vu comme le moteur
de la diversification, là où l’État peine à sortir du
tout-pétrole. Dès 1985, le ministre responsable de la
Planification, Hisham Nazir, défend les fondements
culturels de cette politique en présentant aux investis-
seurs étrangers les « changements structurels » visés
par le quatrième plan de développement du royaume
(1985‑1990). La chute des cours du pétrole conforte
les convictions libérales exprimées par ce techno-
crate dès la fin des années 1970, à l’unisson d’autres
responsables critiques des projets publics massifs :
« il y a dans notre culture un respect fondamental
pour les efforts de développement personnel de l’in-
dividu, une tradition qui considère la propriété privée
comme un droit et la reconnaissance sociale du suc-
cès privé51 ». Le pétrole doit désormais servir l’expan-
sion des entreprises privées. De la part de ce produit
du ministère du Pétrole formé à l’école de ‘Abdallah
al-Tariqi, cette présentation est significative du chan-
gement d’approche des élites arabes. Elle est d’autant
plus importante que Hisham Nazir prend la place de
Yamani comme ministre du Pétrole l’année suivante,
en 1986, tout en restant responsable du plan.
314 Aux pays de l’or noir

L’HEURE DES COMPTES

En mettant un terme à l’enthousiasme des


années 1970, le déclin des revenus tirés du pétrole
modifie mécaniquement le regard porté par les
experts arabes et leurs concitoyens sur la décen-
nie de développement pétrolier. « Qu’avons-nous
fait du pétrole et de ses revenus ? », s’interroge le
sociologue et journaliste koweïtien Muhammad Gha-
nim al-Rumayhi52. Si le sociologue égyptien Saad
Eldin Ibrahim y voit encore en 1986 une « béné-
diction déguisée » qui doit contraindre les Arabes
à introduire plus de rationalité dans leurs écono-
mies et leurs sociétés, l’économiste irakien ‘Abbas
al-Nasrawi finit par décrire en 1991 la révolution
des prix du début des années 1970 comme une
« opportunité manquée ». L’amertume d’al-Nasrawi
vient aussi de sa déception. Dans sa thèse publiée
en 1967, il décrivait l’Irak des années 1960 comme
un pays « particulièrement bien doté en termes de
ressources naturelles, de taille de la population et
de la disponibilité du capital par rapport aux autres
pays sous-développés », tout en considérant déjà que
la diminution de la dépendance au secteur pétrolier
devait être la priorité du développement économique
du pays53. Lorsqu’il revient sur son œuvre désormais
célèbre, le romancier et expert pétrolier ‘Abd al-Rah-
man Mounif renouvelle ce constat d’une « opportu-
nité » sur le point d’être perdue au moment de la
rechute des cours des hydrocarbures en 1997‑1998 :

Dans les cinq tomes de mon roman Les Villes de sel,


j’ai essayé de décrire le long et difficile enfantement
La crise des États pétroliers 315

qui a accompagné l’industrie pétrolière dans la pénin-


sule Arabique, [j’ai essayé de décrire] comment on
espérait que cette ressource — accordée par la nature
à cette région qui a tant et si longtemps souffert — fût
une voie vers le futur et un espoir pour les générations
à venir. Mais cette opportunité est sur le point de
se perdre et de disparaître. Nous sommes donc à un
croisement, toutes les options sont possibles, et il vau-
drait mieux pour l’humanité qu’elle ne commette pas
d’erreurs supplémentaires en permettant que d’autres
peuples glissent vers l’indigence et la pauvreté54.

Tout au long des années 1980 et 1990, les bilans


tirés par les experts relancent les débats sur l’utilisa-
tion du pétrole et sur les politiques économiques de
développement en général. En dépit des programmes
d’industrialisation, les produits pétroliers consti-
tuent encore 89 % du total des exportations de mar-
chandises par les pays arabes en 1986, les produits
industriels et pétrochimiques seulement 7,4 % et les
produits agricoles 1,4 % des exportations. La presse
même la plus officielle fait les comptes des projets
démesurés de la décennie passée, de l’abandon des
secteurs agricoles, et des illusions du développement
que manifeste le nombre croissant de grèves et de
manifestations depuis la fin des années 197055.
A posteriori, la décennie 1970 est analysée comme
celle de l’aggravation de la dépendance, à rebours
des espérances des années 1971‑1973. Les pays de
l’OPAEP importent pour 129,2 milliards de dol-
lars de biens et de services en 1980 quand ils tirent
74,5 milliards de leurs exportations de pétrole. Sur
le plan du commerce extérieur, la part des échanges
entre les pays de l’OPAEP eux-mêmes est restée
faible : 7,54 % du total des exportations et 6,77 %
du total des importations en 1987. La production
316 Aux pays de l’or noir

des pays arabes exportateurs de pétrole est tournée


vers le marché extérieur, mais leurs importations de
biens et services enrichissent d’abord des pays non
arabes56. L’augmentation des prix aurait pu conduire
à une nouvelle ère de relations entre les pays arabes
pour atteindre la diversification et l’autosuffisance
à l’échelle régionale, comme l’avait laissé espérer
le sommet d’Amman en 1980. Elle les a en réalité
encouragés à préférer les stratégies nationales et les
alliances avec les puissances étrangères à la solida-
rité régionale57.
L’effondrement des cours et le renoncement de
l’OPEP à fixer les prix de référence du baril sont les
signes du changement du rapport de force politique
et économique des pays arabes avec les pays indus-
triels. Ce sont ces derniers qui ont réellement pro-
fité des revenus du pétrole pendant les années 1970
grâce à leurs exportations de services, de biens de
consommation et de matériel militaire vers les pays
arabes et grâce au placement de ces revenus dans les
banques et sur les marchés occidentaux. Le pétrole a
miné le développement des économies arabes. « La
question décisive, conclut l’économiste palestinien
Yusuf Sayigh, est donc de savoir si la région arabe
peut se développer sans la forte dépendance aux
exportations de pétrole dont elle a fait l’expérience
pendant les années 197058. »

L’amertume des populations


et des intellectuels
Dans des pays arabes habitués depuis plus d’une
génération à la politisation des questions pétrolières,
l’échec n’est pas qu’économique. Entre 1990 et 1991,
l’Irak retombe dans la guerre et l’Algérie s’enfonce
La crise des États pétroliers 317

dans la guerre civile. L’année suivante, la Libye est


à son tour placée sous un régime de sanctions par
l’ONU après avoir été accusée d’avoir organisé l’at-
tentat de Lockerbie (1988). En consolidant l’assise
des régimes « révolutionnaires » dans ces trois pays,
l’augmentation des revenus pendant les années 1970
a aussi encouragé la création d’appareils de sécurité
et l’adoption de politiques répressives dont la vio-
lence s’exerce aussi contre les opposants de l’inté-
rieur, au nom de la révolution. Elle a parfois permis
le financement de stratégies terroristes à l’étranger
toujours au nom de la lutte anti-impérialiste. Source
de revenus pour ce que la presse arabophone et
étrangère appelle de plus en plus des « régimes »
plutôt que des « États », le pétrole est perçu par les
populations libyenne, irakienne et syrienne comme
l’aliment de logiques mafieuses qui bénéficient aux
groupes clientélisés par le pouvoir. Les nationali-
sations glorieuses des années 1970 sont désormais
critiquées pour être devenues le moyen de l’appro-
priation sans contrôle des revenus par les factions
au pouvoir59.
La diminution des revenus dans les années 1980,
aggravée par les sanctions et embargos internatio-
naux, rend la corruption encore plus insupportable
aux yeux de la population alors que les gouverne-
ments abandonnent les projets révolutionnaires au
profit de politiques de libéralisation économique qui
ne sont favorables qu’aux proches du pouvoir. Peu
d’années après la mort de Boumediene et alors que le
gouvernement algérien a entrepris un virage écono-
mique mettant fin à la stratégie développementaliste
des années 1970, la presse algérienne commence à
révéler les scandales impliquant des dirigeants de la
Sonatrach, non sans entretenir ainsi la lutte entre
318 Aux pays de l’or noir

les factions qui se disputent le pouvoir. En 1982,


El-Moudjahid dénonce un accord de fourniture de
gaz signé en 1969 avec l’entreprise américaine El
Paso et incrimine le responsable de la commercia-
lisation de l’époque, Nordine Aït Lahoussine qui
n’en devient pas moins ministre de l’Énergie dix
ans plus tard60. Toujours en Algérie, les procès de
1991‑1992, qui suivent de peu le report de la loi Gho-
zali sur l’ouverture du secteur des hydrocarbures aux
investissements privés, sont l’occasion de premières
dénonciations publiques des commissions versées
dans le cadre de contrats pétroliers passés avec les
entreprises françaises et l’ENI. La redistribution de
la rente pétrolière et gazière dans un contexte de
crise économique et au sein d’un système politique
autoritaire a instillé une corruption généralisée qui
s’étend des hauts fonctionnaires aux plus bas éche-
lons parce que « voler à l’État n’est pas voler61 ».
‘Abbas al-Nasrawi, Yusuf Sayigh, Saad Eldin Ibra-
him, ‘Abd al-Rahman Mounif et leurs homologues ne
font plus confiance aux modèles pétroliers de déve-
loppement suivis par les États arabes. Au contraire,
d’après eux, le véritable développement doit préparer
les économies à se passer du pétrole en rompant
avec le modèle économique et politique de l’État ren-
tier. Cette rupture constitue une critique du déve-
loppement des années 1970 autant qu’une réaction
aux politiques adoptées par les États producteurs à
partir des années 1980. Avec le sous-développement
de l’industrie et de l’agriculture, la consommation
irrationnelle de produits importés et l’obsession
pour les projets coûteux, ces experts critiquent les
faiblesses des systèmes d’éducation qui poussent les
éléments les plus prometteurs à émigrer, la corrup-
tion qui devient une habitude et l’accroissement des
La crise des États pétroliers 319

inégalités, la restriction des libertés et les obstacles


posés à l’association des citoyens aux décisions de
l’État, ou encore la paralysie des projets d’intégration
régionale. Pour décrire la transformation nécessaire
et radicale que ces experts déçus appellent de leurs
vœux, Yusuf Sayigh en appelle aux « destructions
créatrices » schumpétériennes. L’effondrement des
prix doit déjà préparer les esprits à l’épuisement des
ressources62.
L’Arab Research Center établi à Londres consacre
son séminaire international de 1985 à la perspective
des « Arabes sans pétrole ». Après « Pétrole et sécu-
rité dans le Golfe arabe » en 1980, au début de la
guerre Irak-Iran, puis « La crise du Liban en pers-
pective » en 1982, c’est le sujet de l’épuisement prévi-
sible des ressources en hydrocarbures qui est choisi :
il est identifié par les chercheurs de ce think-tank
dirigé par l’ancien secrétaire général à la présidence
de Nasser, l’Égyptien ‘Abd al-Majid Farid, comme le
défi majeur du moment. Les évaluations des réserves
sont encore confortables pour la plupart des pays
producteurs mais le déclin des revenus qui semble
irrémédiable incite les experts à réfléchir au moment
où ces réserves ne seront plus exploitables parce que
épuisées ou trop coûteuses63.
En 1985, l’épuisement ne menace d’abord que les
plus petits producteurs : il est envisagé pour 1995
dans les cas de Bahreïn et de l’Égypte, pour 2007‑2008
dans ceux de la Syrie et d’Oman. Les perspectives de
ces pays, et en particulier de ce producteur ancien
qu’est Bahreïn et du poids lourd démographique
qu’est l’Égypte, font naître le souci de l’après-pétrole
dans l’ensemble des gouvernements arabes. La réo-
rientation des activités économiques dans ces deux
pays est observée de près : industrie (pétrochimie,
320 Aux pays de l’or noir

aluminium) et finance à Bahreïn, industrie gazière


en Égypte. Les échéances sont plus optimistes pour
les autres pays arabes producteurs, elles ont même
fait l’objet de reports au fur et à mesure des rééva-
luations, du développement de nouvelles techniques
d’extraction et de la découverte de nouveaux gise-
ments : 2038 pour la Libye, 2064 pour les Émirats
arabes unis, 2085 pour l’Arabie Saoudite et même
2211 pour le Koweït. Depuis 1982 cependant, le
retournement du marché montre que la durée de vie
de ces réserves n’est plus une garantie de revenus et
donc de développement. Les responsables politiques
arabes en prennent conscience lorsqu’ils annoncent
les premières mesures de désengagement de l’État :
« l’ère du compter sur le gaz et le pétrole est révo-
lue », explique le président algérien, Chadli Bend-
jedid, au moment de lancer la politique de rigueur
en 198564.

THARWA (OPULENCE)
ET
THAWRA (RÉVOLUTION)

En concluant sa réflexion sur l’impact social et


psychologique du déclin des cours du pétrole sur les
sociétés arabes, l’intellectuel koweïtien Muhammad
al-Rumayhi s’interroge : « Puisque la prospérité [du
boom pétrolier] n’a pas été capable de résoudre les
problèmes arabes, la révolution va-t-elle revenir, sui-
vant le retrait de la prospérité et ouvrant la porte à
plus de changement65 ? » Dans l’expérience de cet
intellectuel né en 1942, la révolution est moins celle de
1979 en Iran que celle des mouvements nationalistes
La crise des États pétroliers 321

du Koweït des années 1950‑1960 dans lesquels les


ouvriers du pétrole avaient joué un rôle fondateur.
« Une partie de la réponse reposera dans les mains du
mouvement ouvrier dans le monde arabe », poursuit-il.
La crise suscite effectivement la reprise de mouve-
ments qui, s’ils ne sont plus menés par les groupes
ouvriers auxquels pense Muhammad al-Rumayhi, font
bien du développement des années 1970 et de l’État
rentier les cibles de leurs attaques et appellent à de
profondes réformes politiques et sociales.
Les appels à la révolution n’avaient pourtant pas
disparu du monde arabe. L’insurrection lancée depuis
le début des années 1960 dans la province omanaise
du Dhofar contre le pouvoir du sultan de Mascate
emprunte largement au répertoire de la gauche révo-
lutionnaire. Elle bénéficie d’ailleurs du soutien du
Yémen socialiste et de militants venus de l’ensemble
des pays arabes. À partir de 1970 toutefois, le nouveau
sultan Qabous rompt avec la stratégie de son père. Il
utilise à plein les revenus du pétrole et l’appui de par-
rains régionaux (l’Iran et la Grande-Bretagne) pour
mettre fin à la révolte. En sus des violentes opérations
de contre-insurrection, les élites dhofaries sont cour-
tisées et la Petroleum Development of Oman emploie
volontairement un nombre croissant d’habitants de la
région appartenant aux tribus rebelles, les Kathiris
notamment. Des infrastructures, des forages d’eau en
particulier, sont installées. C’est à cette stratégie d’uti-
lisation de la rente pétrolière que se réfère l’écrivain et
militant palestinien, Sakher Habash. Dans ses poèmes
publiés en 1975 dans le mensuel des révolutionnaires
dhofaris afin de rallier leur combat à la cause palesti-
nienne, il subvertit l’histoire des guerres de la Ridda.
Ces dernières ont selon la tradition islamique suc-
cédé à la mort du Prophète Muhammad, quand des
322 Aux pays de l’or noir

groupes ont commencé à renier leur conversion à


l’islam et à se révolter contre l’autorité de La Mecque.
Pour Habash, les apostats ne sont pas les militants de
gauche qui s’opposent à une monarchie réactionnaire
mais ceux qui, à l’instar du sultan omanais, imposent
la nouvelle « religion du pétrole66 ».

L’ère du pétrole répand sa religion avec l’épée,


La loyauté est son tribut.
Le courtier acquiert le plan du ciel
Et achète les martyrs.
Car le pétrole a acheté la vie
Il veut que l’au-delà vienne à lui en baissant la tête. (…)
La prière est perdue dans le palais du prince.
Apostasie : jusqu’à quand ?
Que l’épée prenne son envol, ô fils d’al-Walid67
En es-tu arrivé à accepter l’hérésie
à une époque où le pétrole produit des avions68 ?

En 1975 toutefois, la révolte du Dhofar a déjà été


en grande partie matée. L’appel aux forces révolu-
tionnaires du Golfe et du monde arabe ne rencontre
pas l’écho qu’il avait eu dans les années 1950, à
l’époque des grandes grèves pétrolières et du mili-
tantisme nationaliste dont le pétrole était devenu
le moteur. L’ère faste de la création des États, des
grands projets industriels, de l’expansion de l’État-
providence a asséché le terreau des mouvements
révolutionnaires. Le jeu de mots arabe qui se répand
alors oppose l’opulence (tharwa) pétrolière à la révo-
lution (thawra).
La révolution iranienne de 1979 puis la crise
économique — à partir de 1982 et plus gravement
encore, après 1986 — refont de la révolution une
hypothèse plausible dans les États pétroliers. Les
craintes des monarchies arabes du Golfe face au
La crise des États pétroliers 323

risque révolutionnaire et l’instabilité régionale


que provoque la guerre Iran-Irak les poussent à se
regrouper dans un Conseil de Coopération du Golfe
(CCG) en 1981 pour assurer leur sécurité mutuelle.
La position de l’Arabie Saoudite dans les négocia-
tions pétrolières de l’époque et sa diplomatie reli-
gieuse en font la cible privilégiée des critiques de
la « théo-pétrocratie » et du « pétro-islam ». Princi-
pal pays producteur arabe de pétrole pendant les
années 1980, grand pays d’immigration à la diplo-
matie islamique active, la monarchie saoudienne
incarne l’ordre pétrolier conservateur de la décen-
nie, et ses travers.

Le « pétro-islam » conservateur
des pays du Golfe
Le philosophe libanais Khalil Ahmad Khalil
dénonce en 1984 la monopolisation des ressources
pétrolières par un petit groupe de puissants aux
dépens des intérêts panarabes. Le pétrole sert le
maintien au pouvoir d’un groupe de souverains qui
empêchent toute évolution vers la démocratie tout en
prétendant défendre les intérêts de la communauté69.
Deux ans plus tard, c’est au tour du philosophe égyp-
tien Fouad Zakariyya, alors directeur du départe-
ment de philosophie de l’université de Koweït, de
critiquer le « pétro-islam » ou « islam pétrolier »
conservateur que portent les dirigeants des pays pro-
ducteurs de pétrole. En promouvant une orthopraxie
et un individualisme religieux qui n’ont pas de fon-
dements dans l’histoire de l’islam et qui détournent
les sociétés musulmanes des « vrais » problèmes des
années 1970 et 1980 (la répartition de la richesse,
324 Aux pays de l’or noir

le combat contre Israël), le « pétro-islam » n’est


finalement indexé que sur la seule accumulation de
richesses. Fondamentalement antidémocratique, il
sert le maintien au pouvoir d’une minorité sur la
majorité : pouvoir des clans politiques et des classes
riches sur le reste de la société, pouvoir des pays
producteurs sur les pays non producteurs. Tout en
restant très critique à l’égard des projets islamistes,
Fouad Zakariyya oppose au « pétro-islam » un islam
révolutionnaire au service du changement social, de
l’égalité et de la justice mais cet idéal d’une révolu-
tion qui romprait avec l’ordre de l’opulence n’a pas,
à l’heure où il écrit, de traduction concrète70.

De l’Algérie à l’Irak,
la contestation islamiste
des États révolutionnaires
La crise économique et le fonctionnement des
« États rentiers » — quelle que soit la pertinence de
ce modèle aujourd’hui très discuté71 — suscitent dans
les années 1980 un regain de contestations sans égal
depuis les années 1960. Elles mobilisent de jeunes
citoyens nés, pour la plupart, après la grande époque
des nationalisations ou qui, encore trop jeunes au
début des années 1970, n’en ont pas de souvenirs.
Leur histoire n’est pas celle de l’épopée du pétrole.
Les évènements marquants de leur jeunesse ne sont
pas la hausse mais la chute des cours, la crise éco-
nomique et, pour beaucoup, la crainte de la pénurie
et du déclassement.
En Algérie où les programmes de réduction
des dépenses et des subventions ont été particu-
lièrement importants, le nombre de grèves et de
La crise des États pétroliers 325

manifestations, parfois violentes, augmente à par-


tir de la fin des années 1970 alors que la stratégie
d’industrialisation est de plus en plus critiquée. Le
secteur des hydrocarbures reste encore à l’écart de la
contestation et ce sont surtout les dockers, les chemi-
nots et les employés d’autres secteurs économiques
qui se mobilisent dans un premier temps. Mais la
contestation prend une ampleur nouvelle au début
des années 1980 lorsque l’austérité est officiellement
mise en place par le gouvernement. En 1988, des
révoltes embrasent l’ensemble des grandes villes du
pays72. L’échec de la transition démocratique avec
l’interruption du processus électoral par l’armée en
1992 précipite le pays dans la guerre civile. Avant
d’être brutalement réprimées, les diverses contes-
tations islamistes dénoncent les États « révolution-
naires » qui n’ont de légitimité que celle qu’ils ont
tirée de l’arme pétrolière.
À la veille de la guerre civile, les intellectuels isla-
mistes algériens expriment eux aussi leur opposition
au modèle de développement pétrolier suivi par l’État
et au pillage orchestré par les proches du pouvoir.
Le journal al-Irshad, porte-parole d’un islamisme
pourtant modéré dans sa critique de l’État algérien,
publie en 1990 des tribunes qui dénoncent le recy-
clage par le gouvernement de théories économiques
occidentales (le développementalisme en particulier,
et plus généralement l’alternative entre socialisme et
capitalisme) déjà expérimentées sans succès en Algé-
rie depuis 1962 d’une part et le caractère uniquement
matériel des projets de développement d’autre part,
au détriment des ambitions de réformes culturelle et
identitaire qui sont alors celles de l’islamisme algé-
rien. Les dirigeants du Syndicat Islamique du Travail
rattaché au Front Islamique du Salut (FIS) dressent
326 Aux pays de l’or noir

le tableau d’un Sahara « qui renferme ce qu’il y a


de plus précieux » sans que ni les ouvriers ni les
habitants ne sortent pour autant de la pauvreté. Ce
qu’ils appellent « l’exemple du pauvre qui marche sur
une terre en or » rappelle étrangement les critiques
du nationalisme pétrolier des années 1950 et 1960.
L’ennemi n’est plus l’impérialisme des entreprises
occidentales mais le gouvernement de l’Algérie lui-
même : « ils ont distribué les richesses à ceux qu’ils
préfèrent ; ils ont donné des milliards à ceux qui ont
voulu exploiter les terres du Sahara », explique Sid
Ahmad Ghitri, secrétaire général adjoint du syndicat
lors d’une conférence de presse probablement tenue
en 199073. Le succès du Front Islamique du Salut
aux élections municipales (1990) et, pour le premier
tour (décembre 1991) du moins, aux législatives en
Algérie manifeste le discrédit du FLN et le rejet des
réformes entreprises au cours des années 1980.
En 1991, la révolte des régions chiites à la faveur
de l’opération « Tempête du Désert » bouscule l’État
baasiste irakien. En 1995, la Jamahiriyya (« État
des masses ») inventée par Mouammar al-Qadhafi
est elle aussi visée par une insurrection islamiste.
Tandis que leurs dirigeants mettent habilement en
avant le risque que représenterait le transfert de ces
ressources aux groupes islamistes, les revenus du
pétrole permettent aux institutions sécuritaires de
ces trois États de résister.

La repolitisation du pétrole
dans les monarchies du Golfe
Les pays « révolutionnaires » ne sont pas les seuls
touchés par les contestations. En Arabie Saoudite, le
pétrole retrouve aussi la force révolutionnaire qu’il
La crise des États pétroliers 327

avait jusqu’aux années 1960. Les inégalités écono-


miques et politiques aggravées par la crise servent
de terreau à des mobilisations dans la province
orientale, où se trouvent les principaux gisements de
pétrole et où habite l’essentiel des chiites saoudiens.
Pour ces citoyens régulièrement confrontés aux
mesures discriminatoires de l’État saoudien et de
son clergé sunnite, alors même qu’ils fournissent une
large partie de la main-d’œuvre pétrolière, la révolu-
tion islamique iranienne 1979 fournit l’exemple du
renversement d’un régime autoritaire reposant sur
le pétrole.
L’Organisation pour la Révolution islamique dans
la péninsule Arabique réclame un partage des reve-
nus du pétrole qui bénéficie autant aux habitants
sunnites qu’aux habitants chiites du royaume. Les
leaders de l’organisation, Hassan al-Saffar et Tawfiq
al-Sayf, s’insurgent contre les dirigeants saoudiens
qui s’accommodent de l’ordre capitaliste dominé
par les États-Unis et le soutiennent en refusant de
brusquer le marché mondial. À partir du constat
de la marginalisation économique et politique des
chiites en Arabie Saoudite, ces nouveaux leaders en
arrivent à associer la politique économique de l’État
saoudien à l’impérialisme des États-Unis. L’organi-
sation chiite du Hizbollah al-Hijaz (Parti de Dieu
au Hedjaz) organise les premiers attentats contre
les installations pétrolières et pétrochimiques du
royaume à partir de 198774.
Dans la première monarchie constitutionnelle du
Golfe qu’est le Koweït, le cheikh Jaber prend en 1986
le prétexte des menaces que la guerre Iran-Irak fait
peser sur le pays pour suspendre le Parlement et
mettre ainsi fin à plusieurs mois de différends avec
les députés koweïtiens dont la colère est attisée par
328 Aux pays de l’or noir

la crise économique. Parce qu’elle éclate dans un


contexte de crise qui affaiblit les États et appauvrit
des populations habituées depuis deux décennies
déjà à la prospérité, la guerre de 1990‑1991 constitue
un tournant majeur dans la vie politique des États
producteurs de la région. En Arabie Saoudite, elle
accélère la radicalisation d’une partie de la contes-
tation islamiste. Au Koweït, elle fragilise si durable-
ment la monarchie qu’aujourd’hui encore la plupart
des manuels d’histoire s’arrêtent en 1991.
En Arabie Saoudite, le recours aux troupes amé-
ricaines par la monarchie pendant la guerre du
Golfe fait exploser le mécontentement accumulé par
une partie de la jeunesse et des classes moyennes
acquises à l’islamisme véhiculé par le courant de la
sahwa (le « réveil » islamique) d’une part, et par les
élites libérales d’autre part. En 1991‑1992, dans une
série de pétitions, ces divers groupes réclament la
réforme profonde de l’État : la garantie d’un contrôle
démocratique sur l’action du gouvernement et la jus-
tice, la gestion plus transparente et plus prudente
des ressources en pétrole pour mettre fin à la cor-
ruption et à la surproduction qui sert avant tout, à
leurs yeux, les intérêts étrangers.
L’opposition islamiste saoudienne sunnite la
plus radicale, qui s’inscrit dans la ligne politique
d’Oussama Bin Ladin, fait elle aussi de la crise
le révélateur de l’incurie de l’État pétrolier des Al
Saoud. En 1996, un attentat contre un bâtiment
hébergeant des soldats américains à al-Khobar est
attribué au Hizbollah al-Hijaz puis à al-Qaeda.
Dans ce port transformé par l’industrie pétrolière,
à proximité des installations de la Saudi Aramco,
l’attaque contre ces forces américaines hébergées
depuis la guerre de 1990‑1991 cible évidemment le
La crise des États pétroliers 329

lien entre l’impérialisme étranger et le pétrole. Elle


a lieu moins d’un mois après un attentat à la voi-
ture piégée à Riyad contre un bâtiment de la Garde
nationale (chargée entre autres de la protection des
installations pétrolières) où travaillaient aussi des
officiers américains. Oussama Bin Ladin, fils d’un
entrepreneur d’origine yéménite qui a bâti son suc-
cès sur ses contrats avec l’Aramco et les compagnies
américaines, fait l’éloge des auteurs de l’explosion
dans la fatwa de 1996 citée au début de ce chapitre.
Avec moins de violence, les oppositions islamistes
et libérales koweïtiennes se saisissent de la recons-
truction de l’État et du pays en 1991 pour restreindre
le pouvoir de la famille régnante des Al Sabah et
rétablir le Parlement (en 1992) avec l’appui de la
coalition internationale qui a libéré l’émirat. Au
Qatar, deux pétitions sont adressées à l’émir en
1992 et rassemblent l’opposition libérale et l’op-
position islamiste. En Algérie, plusieurs candidats
non membres du FLN sont autorisés à se présenter
aux élections présidentielles de 1995, pour la pre-
mière fois depuis l’indépendance du pays en 1962.
Des conseils consultatifs sont établis en 1992 au
Bahreïn et en 1993 en Arabie Saoudite pour associer
des représentants, nommés, à la conduite du pays.
Une chambre élue est associée au conseil consul-
tatif en 2001 au Bahreïn. De premières élections,
municipales, sont organisées au Qatar en 1999. Les
crises économiques et politiques poussent en effet
les dirigeants arabes à associer à la libéralisation de
l’économie des réformes politiques d’abord perçues
positivement avant d’être, comme pour le secteur
pétrolier en son temps, critiquées pour leur inabou-
tissement.
330 Aux pays de l’or noir

Aux anciens militants du pétrole arabe, les mobi-


lisations et les pétitions des années 1990 rappellent
l’ardeur politique des années 1960. Les ouvriers du
pétrole s’étaient alors portés en tête d’une série de
manifestations associant les demandes politiques
et sociales. Pour le Qatari ‘Ali Khalifa al-Kuwari,
les demandes de réforme n’ont en réalité pas cessé
depuis cette époque : « [E]lles ont continué à une
moindre intensité (…) jusqu’à leur réapparition au
grand jour finalement en 1992 sous la forme de deux
pétitions. » Au début des années 1990, cet enseignant
d’économie qui a été formé à l’université de Damas
avant d’être vice-président de plusieurs entreprises
nationales du secteur des hydrocarbures conçoit son
engagement comme la réactivation des mobilisations
pétrolières d’avant la tafra75.
La gestion de plus en plus technocratique de l’in-
dustrie des hydrocarbures après 1973 a toutefois
occulté le potentiel idéologique du pétrole. La crise
des cours a généralisé le thème de la « rente » dans
les travaux des spécialistes comme dans les premiers
romans qui font l’inventaire souvent amer du boom
pétrolier. La magie de la tafra a disparu derrière
l’austérité, les impasses du développement et la vio-
lence des rapports sociaux et des inégalités au sein
des pays arabes.
Aux yeux des anciens militants du nationalisme
arabe libéral ou révolutionnaire comme aux yeux
des oppositions islamistes, les hydrocarbures appa-
raissent comme le fondement d’États qui, révolution-
naires ou monarchiques, ont accaparé la richesse
nationale au détriment de leurs citoyens. Dans la
littérature qui s’empare du thème de l’émigration
au cours des années 1990, les eldorados pétroliers
La crise des États pétroliers 331

sont toujours trompeurs, y compris chez des auteurs


citoyens des pays du Golfe76. Dans les États arabes
pétroliers en crise, une fois passée la vague des
contestations des années 1990‑1991, il n’est toutefois
plus question ni d’opulence (tharwa) ni de révolution
(thawra).
Chapitre VI

LE DÉSENCHANTEMENT PÉTROLIER
DES ANNÉES 2000 À AUJOURD’HUI

Comment lier notre destin aux prix du pétrole


quand ces prix sont hors de notre contrôle ?
Nous avons besoin d’une réforme économique,
nous devons l’entreprendre immédiatement,
nous ne pouvons continuer ainsi.
YUSUF AL-IBRAHIM ,
ministre koweïtien
des Finances, 20011.

Tout vient de toi, et sans toi, rien ne nous


aurait distingués ;
Tout vient de toi, pétrole sans qui personne
ne nous aurait critiqués (…).
Nos ancêtres enterrés saignent, toi l’objet des
concessions d’où leur sang jaillit !
La terre saigne : gardien, quand finira cette
hémorragie ?
Toi qui as corrompu notre réputation, excité
la jalousie de ceux qui nous envient
Toi qui as étanché notre soif avec un poison…
qui as tué notre conscience.
‘ABD AL-WAHID AL-ZAHRANI ,
poète saoudien né en 1970,
« al-Bitrul », 2016.
Le désenchantement pétrolier 333

Au début des années 2000, les pays arabes pro-


ducteurs ne retrouvent pas l’enthousiasme qui
caractérisait encore les générations nées au cours
des années 1970. Après être passés sous la barre des
20 dollars par baril de pétrole brut en 1998, les cours
mondiaux repartent pourtant à la hausse jusqu’à
approcher les 150 dollars en 2008. Ils se situent
alors bien au-dessus du record de 1980 en dollars
constants. La paralysie de l’industrie pétrolière ira-
kienne après l’invasion américaine (2003) conjuguée
à l’accélération de la demande des pays en dévelop-
pement comme la Chine entraînent une augmenta-
tion de la demande et donc des prix supérieure à
celle des années 1973‑1974 et 1979‑1980.

LE PÉTROLE HORS DE CONTRÔLE

La Sonatrach devient la première entreprise du


continent africain dans le classement des chiffres
d’affaires et la hausse des cours lui permet de conser-
ver ce rang qu’elle continue d’ailleurs d’afficher sur
la première page de son site officiel. Et pourtant,
dans les pays révolutionnaires qui, comme l’Algérie,
se faisaient fort d’utiliser le pétrole pour conduire
le combat anti-impérialiste et la modernisation du
monde arabe, la ferveur ne revient ni au plus haut
niveau de l’État ni parmi les classes moyennes et
les ouvriers du secteur des hydrocarbures. Cher ou
bon marché, le pétrole est désormais communément
perçu dans l’Algérie démocratique et populaire, dans
la Libye de l’« État des masses » (la Jamahiriyya de
Kadhafi) et dans l’Irak baasiste comme une rente
réservée à des petits groupes qui gravitent autour des
334 Aux pays de l’or noir

États selon des logiques clientélistes et bien souvent


illégales au regard même des lois du pays2.
Dans les pays du Golfe, l’abondance fait craindre
aux technocrates partisans du libéralisme économique
le retour des « dépenses sans discipline qui suivirent
le pic des prix du pétrole à la fin des années 1970 »,
alors que le gouvernement saoudien annonce des
budgets et des plans de plusieurs centaines de mil-
liards de dollars3. Dirigeants et experts arabes du
pétrole entretiennent pourtant le climat pessimiste
des deux décennies précédentes. La crise de 2008 et
la rechute des cours du pétrole (jusqu’à 40 dollars en
décembre 2008) donnent raison au ministre koweï-
tien des Finances, Yusuf al-Ibrahim : même pour les
pays arabes, le pétrole est hors de contrôle.

Le développement au péril
de la fluctuation des cours
Les cours suivent la reprise mondiale à partir
de 2009. Ils repassent au-dessus des 100 dollars
par baril à la fin de l’année 2010, au moment où
débutent, en Tunisie, les premières manifestations
des printemps arabes. Si elle profite aux élites des
États producteurs, la hausse affecte le prix des den-
rées alimentaires et des matériaux de construction
dont la production utilise le pétrole comme source
d’énergie ou comme composant. Elle aggrave la
situation des populations qui ont déjà été poussées
en Tunisie, en Égypte, au Yémen et au Soudan à
des émeutes de la faim depuis 2008 pour protester
contre les salaires non versés et le renchérissement
des aliments, de la bombonne de gaz et de l’essence.
La fluctuation des cours accentue les divergences
économiques non seulement entre les pays arabes
Le désenchantement pétrolier 335

non ou faibles producteurs d’une part et les pays pro-


ducteurs mais aussi, au sein de ces derniers, entre
les différents groupes de la population et en parti-
culier entre les travailleurs immigrés et les citoyens
nationaux.
Même les pays arabes producteurs les plus enga-
gés sur la voie de la diversification économique sont
durement frappés par la crise de 2007‑2008. Des
manifestations parfois violentes d’ouvriers immigrés
ont lieu à Dubaï, à Bahreïn et à Koweït : les prix des
denrées de base augmentent tandis que le secteur
immobilier prisé des investisseurs locaux s’effondre.
Les tours de béton inachevées font leur retour dans
le paysage des capitales arabes, les grands projets
d’infrastructures sont interrompus. La situation
budgétaire dangereuse de la médiatique Dubaï est
rattrapée par les aides financières qu’accorde l’émi-
rat, richement doté en hydrocarbures, d’Abu Dhabi.
Le contrôle politique et économique de ce dernier
sur la fédération des EAU en sort renforcé. C’est la
remontée des cours du gaz et du pétrole en 2009 qui
redonne de l’air frais aux États arabes. Après avoir
approché la barre des 120 dollars par baril en 2013
grâce à la reprise de la demande et à l’interruption de
la production dans les pays bousculés par les prin-
temps arabes comme la Libye, les prix du pétrole et
du gaz chutent à nouveau en 2014.
Aux effets du ralentissement de la croissance en
Chine s’ajoute la décision des pays arabes de suivre
l’Arabie Saoudite dans son choix de noyer les pro-
ducteurs américains de pétrole et de gaz de roche-
mère (pétrole et gaz de schiste) par des prix bas. Les
membres de l’OPEP ne parviennent pas à s’accor-
der sur la baisse de la production. Dans le contexte
des printemps arabes et de la concurrence des
336 Aux pays de l’or noir

hydrocarbures non conventionnels (pétrole et gaz


de roche-mère), aucun ministre n’est prêt à accep-
ter une baisse de revenus et à prendre le risque de
perdre des parts de marché. Les dirigeants saoudiens
refusent de continuer à assumer la responsabilité qui
était encore la leur dans les années 1980 et 1990.
« Trop de nouveaux producteurs sont entrés sur le
marché du pétrole pour que l’Arabie Saoudite joue le
rôle de producteur d’appoint pour le monde », écrit
le ministre du Pétrole de l’époque, ‘Ali al-Na‘imi,
après avoir déploré l’égoïsme de ses homologues. Le
royaume assume désormais ouvertement de donner
à ses propres intérêts pétroliers la priorité sur la soli-
darité avec les autres pays producteurs, fussent-ils
arabes4.
La décision de laisser filer les cours à la baisse
tout en maintenant une production élevée réduit les
bénéfices engrangés par les États sur chaque baril et
justifie ainsi les réformes néolibérales. Pendant ce
temps, les réserves de pétrole sont exploitées sans
retenue. La capacité des États à faire face aux crises
politiques, militaires et économiques de l’avenir est
de plus en plus limitée alors même que les reve-
nus amassés au début des années 2000 ont déjà
été largement dépensés pour apaiser les contesta-
tions des printemps arabes. Les réserves de change
accumulées par l’État algérien grâce à la reprise
des cours depuis 2003 passent de près de 200 mil-
liards de dollars en 2013 à 98 milliards en 2017,
et celles de l’Arabie Saoudite de 745 milliards à
510 milliards de dollars dans la même période. Les
critiques à l’encontre des politiques économiques
des États pétroliers ne sont pas seulement le fait
des opposants. Elles sont parfois dressées par les
experts proches du gouvernement qui appellent à
Le désenchantement pétrolier 337

des réformes urgentes pour sortir de la dépendance


aux hydrocarbures5.
La décision de maintenir leur production à un
niveau plus élevé que la demande a pour consé-
quence de creuser à nouveau les déficits budgé-
taires des pays producteurs. L’émirat d’Abu Dhabi
voit son PNB chuter de 24 % entre 2014 et 2016
tandis que le déficit budgétaire de l’Arabie Saou-
dite frôle les 100 milliards de dollars en 2015. Les
prévisions avec lesquelles travaillent les gouver-
nements arabes sont alors alarmantes : le déficit
fiscal cumulé des six États arabes producteurs du
Golfe, estime un rapport du FMI en 2015, pourrait
atteindre 1 000 milliards de dollars au cours des
cinq années suivantes6. En 2016, l’accord entre les
pays de l’OPEP menés par l’Arabie Saoudite et le
Venezuela d’une part, et la Russie d’autre part, per-
met de ralentir la production de pétrole et de gaz et
de faire remonter les cours et apporte un répit aux
pays producteurs.
Le premier « Rapport arabe sur le développement
humain » publié par le PNUD en 2002 par des cher-
cheurs arabes met en balance la stabilisation des
déficits avec la stagnation de la croissance. Critiques
— et critiqués dans les pays arabes pour leur ana-
lyse — les experts arabes reprennent le diagnostic,
devenu classique depuis plus d’une décennie, de pays
arabes à la croissance « excessivement tributaire des
fluctuations des prix du pétrole ». Le taux de chô-
mage moyen (15 %), la persistance de la pauvreté,
l’analphabétisme (65 millions d’Arabes sont alors
analphabètes, dont deux tiers de femmes, sur une
population totale d’environ 280 millions en 2000)
et les faibles performances de l’indicateur de déve-
loppement humain (IDH) confirment que le pétrole,
338 Aux pays de l’or noir

même en période de hausse des cours, n’est plus


capable d’assurer le développement des pays arabes7.

Les inconnues du « pic pétrolier »


Les inquiétudes sur le volume des réserves réelles
sont relancées par la parution de livres alarmistes qui
annoncent en 2005 l’épuisement prochain des gise-
ments saoudiens. Pour la direction de la principale
entreprise pétrolière arabe, Saudi Aramco, le débat
provoqué par ces prévisions pessimistes est trop grave
pour être ignoré. Toute la difficulté, se souvient le
ministre saoudien de l’époque partisan de la stratégie
de prix bas, ‘Ali al-Na‘imi, consiste pour le premier
producteur arabe de pétrole à contrer ces inquiétudes
sans partager des informations trop précises sur l’état
réel de ses gisements et leur potentiel. Une campagne
de communication est organisée jusqu’aux États-
Unis pour convaincre les observateurs de la taille des
réserves saoudiennes alors même que les câbles de la
diplomatie américaine révélés par WikiLeaks en 2011
aggravent les inquiétudes8.
Sadad al-Husayni, un expert géologue saoudien
qui a dirigé la division de l’exploration et de la pro-
duction de l’entreprise, confie en effet en 2007 à
des diplomates américains à Riyad que les réserves
saoudiennes présentées par Saudi Aramco sont selon
lui surestimées de 300 milliards de barils et que la
production commencera à décliner quinze ans plus
tard. L’expert est déjà connu de la presse saoudienne
et parmi les experts arabes pour ses déclarations pes-
simistes sur la capacité de Saudi Aramco à atteindre
les niveaux de production décidés par la monarchie.
En dépit des déclarations rassurantes de la direction
de Saudi Aramco, l’inquiétude est assez grande pour
Le désenchantement pétrolier 339

qu’en 2010, le roi ‘Abdallah ordonne l’interruption


des explorations afin de conserver les gisements non
exploités pour les générations futures. La mesure
est symbolique car les territoires des pays produc-
teurs du Golfe sont déjà largement explorés mais
elle répond au pessimisme des experts qui gagne la
population. Des doutes similaires sont relayés par
la diffusion, toujours par WikiLeaks, de rapports de
l’ambassade américaine en Algérie sur les réserves de
gaz du pays. Dans un contexte de forte concurrence
pour l’approvisionnement du marché européen du
gaz, plusieurs experts et auteurs algériens attribuent
la fuite de ces télégrammes au Qatar, rival pour la
fourniture de gaz arabe9.
Tandis que certains dirigeants et experts arabes
s’inquiètent du volume réel des réserves, d’autres
prévoient l’épuisement de la demande. Même les
adversaires de ce que les experts appellent alors la
thèse du « pic » pétrolier (le moment à partir duquel
la production ne peut que diminuer) ne sont pas
optimistes. Ahmad Zaki Yamani annonce en 2000
l’effondrement prochain des cours et l’abandon
rapide du pétrole.

Dans trente ans, il y aura une immense quantité de


pétrole, mais pas d’acheteurs. Dans trente ans, il n’y
aura pas de problème avec le pétrole. Le pétrole sera
laissé dans le sol. L’Âge de pierre n’a pas pris fin parce
que nous manquions de pierres, et l’âge du pétrole
ne prendra pas fin parce que nous manquerons de
pétrole. (…) Je suis un Saoudien et je sais que nous
allons au-devant de graves difficultés10.

La crainte d’un tarissement de la demande par


la conversion des industries mondiales à de nou-
velles énergies réactualise un débat qui remonte aux
340 Aux pays de l’or noir

années 1970 lorsque la précédente hausse des cours


poussait les experts à s’interroger sur la capacité des
pays importateurs à diversifier leurs approvisionne-
ments et à réduire leur consommation. La question
avait été évoquée lors du huitième Congrès arabe
du pétrole, en 1972. ‘Abdallah al-Tariqi et d’autres
discutaient déjà des stratégies développées par les
entreprises américaines pour stocker le pétrole et,
plus généralement, de la réduction des importations
par les pays occidentaux11.
Partageant les conclusions de son père, l’homme
d’affaires saoudien Hani Ahmad Zaki Yamani n’est
pas plus optimiste : « le jour qui verra les décou-
vertes [d’autres sources d’énergie] conduire à l’ar-
rêt de l’utilisation du pétrole sera une catastrophe
pour le royaume d’Arabie Saoudite », avant de
poursuivre : « nos réserves pétrolières gigantesques
deviendront presque sans intérêt, et notre économie
qui ne s’est pas préparée à cette évolution sera plon-
gée dans un état de faiblesse durable ». Avec la fin de
la demande en pétrole sur les marchés mondiaux, le
pilier souvent solitaire de l’économie des pays arabes
producteurs s’effondrera. Cette prise de conscience
permet de comprendre les décisions soutenues par le
royaume saoudien à l’OPEP au cours de la décennie
suivante. En attendant la mise au point de nouvelles
technologies, qui demanderont du temps avant d’être
compétitives, la stratégie des pays arabes n’est pas
de vendre le plus cher possible pour épargner les
réserves. Mieux vaut soutenir la demande avec des
prix modérés afin d’encourager la consommation,
conserver les parts de marché et ralentir l’adoption
de nouvelles énergies12.
Pétrole Gaz naturel
Production Consommation Production Consommation
Algérie 1,6 0,5 2,2 1,2
Arabie
12,4 3,9 2,8 2,9
Saoudite
Bahreïn 0,4
Égypte 0,7 0,8 1,6 1,5
Émirats
4,2 1,1 1,6 1,9
arabes unis
Irak 5 0,7 0,3 0,5
Koweït 3,1 0,4 0,5 0,6
Libye 1,3 — 0,2
Oman 1 0,3 0,9 0,6
Qatar 2 0,4 4,5 1,0
inférieure
Syrie — 0,1
à 0,05
Tunisie 0,1 — —
inférieure
Yémen 0,1 —
à 0,05
Total 31,5 8,1 15,1 10,2

Tableau 3. Part (en %) des principaux pays arabes producteurs


dans la production et la consommation mondiales de pétrole
et de gaz naturel en 2019.
Source : BP Statistical Review of World Energy, 2020.
342 Aux pays de l’or noir

L’HEURE DES « VISIONS »

Experts et dirigeants du pétrole arabe n’ont pas


attendu les années 2000 pour réfléchir à la trans-
formation de leurs économies et à ses lourdes
implications pour leurs sociétés. Dans la lignée du
Koweït des années 1950, les pays arabes producteurs
se sont dotés de fonds souverains puissants grâce
aux profits engendrés pendant les années 1970. La
crise des années 1980 a renforcé l’importance de ces
fonds pour compenser et remplacer la diminution
des revenus du pétrole et du gaz. Les critiques des
experts arabes de la dépendance vis-à-vis des biens
de consommation produits par les industries occi-
dentales à laquelle se sont accoutumés les gouverne-
ments et les citoyens arabes, battent alors leur plein.
En 1987, la Kuwait Investment Authority (KIA) est le
premier fonds souverain d’un pays pétrolier à faire
parler de lui lorsqu’il se porte acquéreur de 10 % du
capital de la British Petroleum — l’un des anciens
propriétaires de la Kuwait Oil Company. L’acquisi-
tion d’un fleuron de l’industrie britannique par un
émirat qui était, jusqu’en 1961, sous le protectorat de
Londres met le gouvernement de Margaret Thatcher
dans l’embarras. Il manifeste néanmoins le passage
des fonds souverains alimentés par le pétrole à une
stratégie active profitant de la baisse du cours des
actions en général et des privatisations en Europe
et aux États-Unis en particulier.
Les revenus repartis à la hausse jusqu’à la crise de
2008 ne sont pas seulement placés à l’étranger par
les États et les investisseurs privés arabes. Les dettes
contractées pendant les années 1980 et 1990 sont
Le désenchantement pétrolier 343

progressivement remboursées, par l’Algérie et l’Ara-


bie Saoudite notamment. Les investissements dans
les infrastructures, l’immobilier, les communications
et l’extension des services publics reprennent. Tout
en poursuivant l’objectif de préparer l’après-pétrole,
les contrats fournissent de nombreuses opportunités
de resserrer les liens entre les États et les hommes
d’affaires qui les soutiennent. Les dépenses militaires
sont en forte hausse. Les capitales que sont Dubaï,
Bahreïn et Koweït jouent, grâce au développement
de leur secteur bancaire, le rôle financier qui était
celui de Beyrouth jusqu’au début des années 1970,
achevant de déplacer vers le Golfe le barycentre éco-
nomique de la région. Pour attirer les touristes et les
plonger dans une histoire de l’avant-pétrole à la fois
exotique et digne de nostalgie, elles n’hésitent pas à
mettre en scène un orientalisme digne du xixe siècle
dans de vieilles villes reconstruites à l’identique à
destination d’un public étranger et, de plus en plus,
arabe. L’époque du dromadaire, les maisons en
pierre et en pisé, les souks orientaux font désormais
autant, sinon plus, rêver que les malls climatisés et
les gratte-ciel aux formes avant-gardistes.
À la veille de la crise de 2008, les économistes
arabes font pourtant le constat que leurs pays sont
toujours trop dépendants des revenus du pétrole et
que l’industrialisation est en perte de vitesse alors
que les réformes des décennies précédentes lais-
saient espérer le contraire. La reprise des cours des
hydrocarbures pendant les années 2000 a affaibli
l’ardeur réformatrice des gouvernements et des
entreprises. Les marchandises exportées des pays
arabes en 2007 sont composées pour moins de 11 %
par des produits manufacturés (textiles, aluminium)
non dérivés du pétrole. Si l’on excepte les industries
344 Aux pays de l’or noir

pétrochimiques en développement dont la valorisa-


tion progresse, la part des secteurs productifs non
pétroliers dans le PIB des pays arabes a baissé tout
au long des années 2000. Plus grave, la part de la
valeur ajoutée dans le PIB des producteurs histo-
riques que sont l’Arabie Saoudite, l’Algérie, le Koweït
et la Libye (sans parler de l’Irak en pleine guerre) est
inférieure à la moyenne des pays arabes13.

La promotion de l’après-pétrole
Le plan Oman 2020 : Vision for Oman’s Economy
lancé dès 1996 par le sultanat d’Oman, dont les
réserves d’hydrocarbures approchent de l’épuise-
ment, devient un modèle à imiter pour les autres
États du Golfe. En 2008, le roi du Bahreïn présente
Bahrain 2030 et l’émir du Qatar Qatar National Vision
2030. Avec un retard provoqué par les discussions
compliquées entre le gouvernement et son opposi-
tion parlementaire, l’émirat du Koweït lance en 2010
sa Vision 2035. La même année, la fédération des
Émirats arabes unis (EAU) présente sa Vision 2021.
En 2016 enfin, le nouveau prince héritier saoudien
Muhammad Bin Salman saisit l’occasion de son arri-
vée au pouvoir pour annoncer le plan Vision 2030.
Si le sultanat d’Oman est le premier à échafauder
un tel plan et à en faire l’objectif national prioritaire,
c’est que le pétrole y est, plus encore que dans les
autres pays arabes, un des piliers de l’unité natio-
nale construite autour du sultan Qabous (décédé en
2020). Le développement économique rapide qu’il a
inauguré en prenant le pouvoir en 1970 pour étouf-
fer les divisions tribales et les révoltes intérieures
comme celle du Dhofar est intégralement financé
par les revenus pétroliers. La transition économique
Le désenchantement pétrolier 345

implique de redéfinir les fondements d’une nation


essentiellement construite sur l’extension d’un État-
providence fortement centralisé et sur la distribution
des recettes tirées de l’exploitation des hydrocarbures
sur des territoires autrefois divisés.
La diminution prévisible de ces recettes rend la
présence de résidents étrangers d’autant plus mena-
çante aux yeux de bien des citoyens qu’ils constituent
une part majoritaire de la population de certains
pays du Golfe. Les lois qui encadrent leur présence
et leur travail sont régulièrement durcies pour tenter
d’empêcher leur assimilation — quand bien même
ces résidents sont installés parfois depuis plus de
quatre générations — et pour rassurer les citoyens.
Des vagues d’expulsions massives qui visaient les tra-
vailleurs asiatiques et africains ont ainsi été orga-
nisées au Koweït et en Arabie Saoudite entre 2014
et 2016. Dans le même temps, ces États multiplient
les festivals, les manuels d’éducation scolaire et les
programmes télévisés dans le but de promouvoir une
identité nationale qui ne se réduise pas aux profits de
plus en plus incertains tirés des hydrocarbures et qui
prenne le pas sur les divisions tribales et régionales14.
Outre la croissance de la valeur ajoutée des entre-
prises pétrochimiques dont certaines sont déjà des
championnes régionales comme la SABIC (Saudi
Basic Industries Corporation) saoudienne, les
« visions » annoncées dans les années 2000 font de
l’« économie de la connaissance » et de l’attraction
des investissements étrangers les nouvelles priorités.
Tout est subordonné à la diminution de la contribu-
tion des hydrocarbures aux PNB nationaux et à la
fin de la « dépendance » au pétrole.
Il y a une grande part de communication à l’échelle
internationale dans ces plans. Ceux soutenus par
346 Aux pays de l’or noir

Mu‘ammar al-Qadhafi ont pour objectif d’attirer les


investissements étrangers dans le secteur pétrolier et
les infrastructures du pays après la levée progressive,
à partir de 2003, des sanctions qui pesaient sur la
Libye. Ils ont aussi servi de canal de réchauffement
des relations diplomatiques avec les États-Unis. La
production de pétrole devait notamment soutenir le
plan The Road to the Future porté par l’un des fils
du chef de l’État libyen, Saadi al-Qadhafi, et annoncé
en 2007. Sur le modèle encore étincelant de Dubaï,
la Libye devait devenir une interface entre l’Europe,
la Méditerranée et l’Afrique grâce au développement
de ses installations portuaires, la création de zones
franches commerciales et la relance de sa compa-
gnie aérienne Ifriqiyya Airways. Dans les pays du
Golfe, le poids des firmes et des cabinets de conseil
américains et européens (le « Ministry McKinsey »
en Arabie Saoudite) dans l’élaboration des plans de
modernisation et de diversification est de notoriété
publique15. La libéralisation des économies et les
stratégies de diversification ne rompent pas seule-
ment avec l’époque des nationalisations et de l’en-
thousiasme pétrolier, elles transforment également
le marché du travail hérité des années de la tafra.
Les hauts salaires du secteur public attiraient les
citoyens laissant aux travailleurs étrangers le gros
des emplois du secteur privé — y compris, jusqu’aux
nationalisations des années 1970, ceux des entre-
prises pétrolières. Avec la réduction des avantages
du secteur public sur le secteur privé et la remise
en cause progressive des services publics gratuits
(eau, électricité, santé, logements), la dynamique
s’inverse. Et d’ailleurs, aux côtés des industries du
secteur pétrolier, le développement du secteur privé
des services et de l’industrie légère doit encourager
Le désenchantement pétrolier 347

l’augmentation de la part des femmes dans la main-


d’œuvre nationale des pays arabes producteurs où
elle reste le plus souvent inférieure à 25 % au début
des années 2010.

La conversion néolibérale
des économies pétrolières
Les nouvelles orientations économiques des pays
producteurs permettent à leurs élites d’accumuler des
capitaux sans précédent au cours des années 2000,
et de les réinvestir dans l’ensemble du Moyen-Orient
arabe. En 2008, 36 % des investissements étrangers
au Maghreb et au Moyen-Orient viennent des pays
du Conseil de Coopération du Golfe (CCG), contre
31 % des États-Unis et 25 % d’Europe.
En Irak, les intérêts des entreprises américaines
défendus par l’Autorité provisoire (2003‑2004) d’une
part, et l’activité de la Chine dont les entreprises rem-
portent près du quart des projets pétroliers mis aux
enchères par le gouvernement irakien à partir de 2009
(dont l’exploitation du gisement de Rumayla en asso-
ciation avec British Petroleum) d’autre part, attirent
l’attention de la presse spécialisée anglophone et ara-
bophone. Après la dissolution de l’Autorité provisoire
en 2004, ces investissements dans la reconstruction
de l’économie irakienne sont rapidement doublés par
les capitaux arabes du Golfe. Entre 2003 et 2009, plus
de la moitié des investissements en Irak sont le fait
d’entreprises des pays du CCG. Soutenus par les fonds
souverains et leurs États convertis aux stratégies
post-pétrolières, les champions nationaux des pays
du Golfe, qu’ils soient du BTP (le saoudien Saudi Bin-
laden Group, l’émirati Al Futtaim Group), des trans-
ports, des télécommunications (le qatari Ooredoo et
348 Aux pays de l’or noir

le koweïtien Zain), de la finance et même de l’agro­


alimentaire (les saoudiens Savola et al-Olayan Group),
prennent progressivement le contrôle de leur secteur
à l’échelle du monde arabe16.
À la fin des années 2010, le poids du pétrole dans les
économies arabes peine encore à baisser. Alors que
les gros producteurs arabes de gaz et de pétrole main-
tiennent leurs plans pour l’après-pétrole, la découverte
de champs gaziers en Méditerranée orientale à la fin
des années 1990 suscite à nouveau, pour le Liban,
la Palestine et l’Égypte, l’espoir d’une transformation
économique par le pétrole. Le partage de ces champs
avec des pays voisins non arabes (Chypre, Turquie,
Israël) ravive le nationalisme pétrolier de certains
experts comme Nicolas Sarkis. Ce dernier incite à
des rapprochements avec Israël pour exploiter des
quantités évaluées, avec beaucoup d’optimisme, au
double des réserves prouvées de l’Algérie17.
Les ambitions qui étaient encore celles du
prince héritier saoudien en avril 2016 pour un
pays capable de « vivre sans pétrole » à partir de
2020 ne sont plus évoquées dans la presse18. La
reprise des cours en 2018 n’a pas seulement gonflé
mécaniquement la part des revenus pétroliers et
gaziers dans les produits bruts nationaux. Elle a
aussi incité les États producteurs à étaler la durée
de réformes telles que la réduction des subventions
aux prix de l’énergie ou la mise en place de nou-
velles taxes. Lorsque, à cause de la crise mondiale
liée à l’épidémie de Covid-19, leurs budgets sont à
nouveau confrontés à la chute brutale des cours
ainsi qu’à l’augmentation des dépenses de santé
et de soutien à l’économie, ces États adoptent des
mesures de relance budgétaire bienvenues. Nombre
d’entre eux cependant, comme l’Arabie Saoudite,
Le désenchantement pétrolier 349

annulent ou repoussent aussi les investissements


massifs censés préparer leurs économies à l’ère
post-pétrolière. Les fonds souverains massifs des
pays de la péninsule Arabique comme Mubadala
(EAU) et le Public Investment Fund (Arabie Saou-
dite) eux-mêmes sont largement ponctionnés pour
couvrir les déficits qui croissent avec la baisse des
cours du baril. Ils sont toutefois plus utilisés pour
investir dans les firmes internationales les plus
réputées et les marchés financiers, y compris dans
le domaine du pétrole et du gaz, que pour soutenir
les entreprises de leurs pays lors des crises comme
celle de 2008‑2009 ou celle que provoque l’épidémie
de coronavirus en 202019.
Plutôt que l’enthousiasme, les rares enquêtes
d’opinion disponibles montrent l’inquiétude que pro-
voquent des réformes souvent autoritaires et ados-
sées au déclin des prix du pétrole. Sans surprise, les
classes moyennes qui sont les plus touchées par la
mise en place de nouvelles taxes et la réduction des
subventions publiques sont les moins optimistes pour
l’avenir post-pétrole de leur pays. Leur mise en avant
par les réformes du prince héritier n’empêche pas les
jeunes Saoudiens de se réfugier dans un attentisme
d’autant plus anxieux que le chômage les frappe par-
ticulièrement (63 % des Saoudiens au chômage en
2020 ont entre 20 et 29 ans) et que les voix critiques
même modérées font l’objet d’une répression impla-
cable20. Les classes moyennes, dont le nombre a crû
dans les années 1970 avec l’explosion des revenus du
gaz et du pétrole et l’expansion du secteur public,
ont été considérées par les politistes arabes dans le
contexte des révoltes des années 1990 et post-2011
comme un facteur à la fois de stabilisation et de sta-
gnation politique. Essentiellement dépendantes de la
350 Aux pays de l’or noir

rente pétrolière, elles auraient soutenu le statu quo


ante, du moins jusqu’aux premières inquiétudes sur
l’épuisement de la rente dans le Golfe et au début de
la révolte du hirak (mouvement) en Algérie en 201921.
Aussi étonnante soit-elle au regard de l’his-
toire arabe du pétrole, une telle dépolitisation des
questions pétrolières n’est pas systématiquement
mal vue par les intellectuels nés après les années
du pétrole révolutionnaire. Par exemple, alors que
les projets de privatisation de l’industrie pétrolière
divisent les élites politiques algériennes du début des
années 2000, l’écrivain Kamel Daoud défend, lui, la
nécessité de « dépolitiser la question des hydrocar-
bures » dans un pays où le gaz a surtout été l’« objet
des crispations nationalistes » et la « colonne verté-
brale d’un pouvoir que la rente a fait basculer dans
l’oligarchie »22.

Participation Participation
Participation du secteur du secteur des du secteur des
des hydrocarbures hydrocarbures aux hydrocarbures
au PNB (2018) revenus tirés de aux revenus
l’exportation (2018) de l’État
Algérie 30 % 95 % 60 %
Arabie
42 % 90 % 87 %
Saoudite
Bahreïn 18 % 46 % (2017) 85 %
Irak 65 % (2017) 80 % 85 %
Koweït 40 % 92 % 90 %
Libye 60 % 69 %
Émirats
30 %
arabes unis

Tableau 4. Source : OPEP ; World Bank, Iraq Economic Monitor,


2018 ; CIA, The World Factbook.
Le désenchantement pétrolier 351

Les crises pétrolières des années 2000 et 2010 ne


se sont pas produites dans un contexte idéologique
vide. Pour les partisans de la libéralisation politique
qui manifestent avec éclat en 2011 comme pour ceux
qui donnent la priorité au libéralisme économique,
le pétrole n’est toutefois plus l’instrument de rup-
ture qu’il était pendant les années 1960. Les élites
pétrolières des pays arabes producteurs sont avant
tout préoccupées par l’approfondissement de leur
intégration au marché global avec lequel il n’est plus
question de rentrer en confrontation, fût-ce au nom
des intérêts de la nation arabe. Le secteur pétrolier
est, au contraire, mis au service d’une stratégie d’at-
traction des investissements étrangers et, en parti-
culier après les contestations populaires de 2011, de
renforcement du contrôle des États arabes sur l’éco-
nomie et la société. L’instrumentalisation du secteur
par des États qui en ont détourné les bénéfices rend
même nécessaire d’enlever toute dimension politique
à l’exploitation des hydrocarbures. La carrière de
‘Abdallah al-Tariqi elle-même est débarrassée de sa
dimension contestataire par les médias officiels pour
être réintégrée dans le récit autorisé du développe-
ment national23. La gestion technocratique du sec-
teur pétrolier et des plans nationaux de réformes, le
triomphe du néolibéralisme économique et l’affai-
blissement des pays pétroliers révolutionnaires en
comparaison du poids financier croissant des pays
du Golfe ont achevé d’enlever au pétrole arabe sa
dimension révolutionnaire.
352 Aux pays de l’or noir

LA RÉSISTANCE DES CHAMPIONS


NATIONAUX

Le secteur des hydrocarbures emploie aujourd’hui


à peine plus de 250 000 Algériens soit 2,6 % d’une
population active d’environ 10 millions. En Arabie
Saoudite, ce secteur industriel (pétrochimie incluse)
emploie environ 115 000 Saoudiens soit à peine 2 %
de la population active saoudienne (travailleurs
étrangers non compris) et 1,5 % de la population
active totale du pays (étrangers compris). Il n’en est
pas pour autant relégué à la confidentialité.
La nationalisation de la main-d’œuvre entamée
au cours des années 1970 a été particulièrement
poussée et réussie dans les entreprises pétrolières,
y compris dans les pays où cette nationalisation a
été menée sans confrontation avec les actionnaires
étrangers. Ainsi, les ressortissants saoudiens forment
86 % du personnel de la Saudi Aramco, un chiffre
élevé au regard de la longue histoire américaine de
l’entreprise. La main-d’œuvre étrangère reste princi-
palement asiatique depuis le tournant des politiques
d’immigration dans les années 1970. Au début des
années 2010, les principaux producteurs arabes
— Arabie Saoudite, Algérie, Qatar, Émirats arabes
unis et Koweït, à l’exception de la Libye — sont les
pays arabes où la part des migrants arabes dans le
total de la population immigrée est la plus faible (elle
est inférieure à 20 %)24.
Dans les années 2000, l’indépendance acquise par
les entreprises grâce à la nationalisation du personnel
et à l’acquisition des compétences nécessaires pour
réduire les besoins en employés étrangers fait encore
Le désenchantement pétrolier 353

la fierté des employés algériens et saoudiens. Bien


qu’elles ne permettent plus une ascension hiérar-
chique aussi rapide qu’aux générations précédentes,
les champions comme Saudi Aramco et la Sonatrach
restent des employeurs d’autant plus recherchés par
les jeunes citoyens qui entrent sur le marché du tra-
vail que les offres de poste sont moins nombreuses.
Dans le contexte d’une croissance démographique
qui ne décélère pas, du développement de l’éduca-
tion supérieure et d’un chômage particulièrement
élevé pour eux, le pétrole est encore considéré par les
jeunes comme un secteur d’avenir et une source de
fierté. Aux hauts fonctionnaires en reconversion, les
entreprises pétrolières continuent d’offrir des postes
dotés de prestige et de fortes rémunérations. Pour
beaucoup, le passage par le secteur pétrolier est tou-
jours une étape formatrice et l’occasion de construire
un carnet d’adresses utiles avant de s’établir à son
compte ou de prendre la relève d’une société fami-
liale. Plus généralement, la réputation d’efficacité
des champions nationaux du gaz et du pétrole est
encore largement vantée, en particulier en période
de réformes inachevées.
Grâce à leurs salaires élevés, les entreprises du sec-
teur attirent les étudiants les meilleurs des facultés
d’ingénierie, de sciences et de gestion des affaires.
Mais elles embauchent aussi ceux qui ont bénéfi-
cié des meilleurs pistons pour obtenir, grâce à l’en-
tregent d’un proche à défaut d’un bon diplôme ou
de compétences avérées, des emplois prestigieux
et rémunérateurs. Même s’ils se réduisent au fur
et à mesure des crises successives, les avantages
que les entreprises pétrolières garantissent à leurs
employés leur permettent de maintenir leur pouvoir
d’attraction et d’en faire des mondes à part, non
354 Aux pays de l’or noir

sans susciter fantasmes et jalousies de la part du


reste de la main-d’œuvre nationale, comme au temps
des villes pétrolières des années 1960. Les bourses
d’études, les logements en résidences privées (com-
pounds), les clubs et les colonies de vacances réser-
vés aux employés et à leur famille font des employés
de l’industrie pétrolière nationale un groupe social
doté de privilèges enviés et contestés25.
La chute de leurs bénéfices depuis les années 1980
a cependant contraint les entreprises nationalisées à
restreindre drastiquement les dépenses qui n’étaient
pas nécessaires à leur cœur de métier. L’époque pen-
dant laquelle l’Aramco pouvait construire le chemin
de fer Riyad-Dhahran à la demande du roi saou-
dien est révolue. La Sonatrach, la Saudi Aramco et
leurs homologues ne sont plus les agences dont les
gouvernements arabes attendent qu’elles équipent le
pays en infrastructures. Elles restent néanmoins les
principales contributrices au budget des États pro-
ducteurs. En 2018, l’industrie pétrolière et gazière
fournit 60 % des recettes du budget de l’État algérien
et 68 % des recettes du budget de l’État saoudien
sous la forme de royalties, de dividendes et de taxes
diverses.
Attentifs aux revenus qu’ils peuvent en tirer, les
gouvernements arabes se sont ralliés à la priorité de
maximiser les bénéfices et la rentabilité des entre-
prises. Cette logique libérale est assimilée d’autant
plus facilement que les allers-retours des managers
et ingénieurs entre les ministères du Pétrole et les
directions des entreprises pétrolières sont fréquents.
En 2004‑2005, les réformes pour mettre fin au mono-
pole de la Sonatrach sur le secteur du pétrole et du
gaz sont défendues par le ministre Chakib Khelil.
Diplômé de l’université d’État de l’Ohio puis par la
Le désenchantement pétrolier 355

Texas A & M University où il a obtenu son docto-


rat en ingénierie pétrolière en 1968, Chakib Khelil
a travaillé à la Shell et dans plusieurs entreprises
pétrolières américaines avant de rentrer en Algérie
à l’occasion de la nationalisation de l’industrie des
hydrocarbures (1971). Il intègre alors la Sonatrach
puis différents cabinets ministériels algériens et ins-
titutions internationales comme l’OPEP. Dans les
pays du Golfe, les cadres des années 2000 et 2010
insistent sur l’atmosphère « professionnelle » et
« moderne » des entreprises pétrolières depuis les
années 1980, qui tranche avec la politisation des
décisions des années 1970. Les politiques pétrolières
y sont définies, formulées et parfois aussi critiquées
par des experts et des économistes arabes acquis au
libéralisme économique anglo-saxon26.

La difficile libéralisation
du secteur pétrolier
Les changements sont plus douloureux pour les
salariés. Ils remettent en cause l’esprit de corps qui
forge l’attachement des employés à des entreprises
qui ont accompagné les constructions nationales. Ils
sont souvent l’occasion de mettre au jour des affaires
de corruption qui minent la réputation d’exempla-
rité des champions nationaux du gaz et du pétrole.
Les scandales se multiplient en Irak autour du pro-
gramme « pétrole contre nourriture » mis en place
en 1996 sous la supervision de l’ONU, au Koweït
où ils alimentent les joutes politiques et en Algérie.
À partir de 2006, une série d’enquêtes et de mises
en examen révèle la corruption qui mine la Sona-
trach jusqu’à sa direction ainsi que l’opacité dans
laquelle sont conclus les contrats du secteur des
356 Aux pays de l’or noir

hydrocarbures. Le lien des dirigeants de la compa-


gnie avec les hommes politiques et les services de
sécurité alimentent de nombreuses théories impli-
quant les intérêts de pays et de dirigeants étran-
gers (États-Unis et France en particulier)27. Pour les
employés interrogés par la presse nationale cepen-
dant, ces scandales révèlent avant tout la transfor-
mation de la culture de l’entreprise avec laquelle ils
ne parviennent plus à s’identifier. « Notre famille est
touchée. On se sent humiliés », confie un cadre au
journal El-Watan en 2010. D’autres dénoncent ano-
nymement « la façon autoritaire dont sont gérées les
carrières, depuis quelques années. Il n’y a plus de
débats, car les gens ont peur d’être mis dehors. Au
fil du temps, les hauts responsables qui avaient un
mode de management participatif ont été écartés. Et
aux postes de responsabilité, on a ramené n’importe
qui, de n’importe où, au lieu de faire évoluer les gens
en interne28 ».
Les évolutions culturelles et démographiques du
secteur pétrolier accompagnent les transformations
économiques. Les entreprises pétrolières font alors
l’objet de deux grands débats qui mobilisent experts
puis citoyens à partir du milieu des années 2000
dans les pays arabes producteurs : la privatisation
du secteur pétrolier d’une part, l’augmentation de
la consommation locale d’autre part. Dans le cadre
général des réformes économiques lancées par les
pays producteurs, les deux débats sont liés : les
mesures préparant la privatisation du secteur (fin
des monopoles, fin des subventions et augmentation
des prix) sont aussi pensées comme des incitations
à limiter la consommation locale d’énergie afin de
préserver la part destinée à l’exportation.
C’est probablement en Algérie que l’ouverture aux
Le désenchantement pétrolier 357

investisseurs étrangers du secteur des hydrocar-


bures, et en particulier des activités « amont » que
sont l’exploration et la production, a suscité les pre-
miers débats d’ampleur au sujet du gaz et du pétrole
arabes depuis les années 1970. Le ministre de l’Éner-
gie Chakib Khelil présente en 2000 un projet de loi
destiné à moderniser l’industrie et à l’adapter à la
concurrence mondiale en désengageant l’État. Publié
en 2001, l’avant-projet prévoit de réduire la partici-
pation qu’une entreprise désireuse d’investir dans
le secteur doit proposer à la Sonatrach pour l’asso-
cier aux travaux de recherche et d’exploitation. De
51 % au minimum, la participation que peut exiger
l’entreprise nationale dans chaque nouveau projet
passe à 20‑30 % tandis que les permis de recherche
et d’exploitation sont attribués pour des durées plus
longues (de 32 à 37 ans). L’attribution des nouveaux
contrats est enfin confiée à une nouvelle agence de
l’État qui contourne les institutions ordinaires. Le
projet du ministre, suspecté de vouloir américaniser
l’industrie pétrolière algérienne pour attirer les capi-
taux étrangers, provoque rapidement des réactions
hostiles.
Les opposants, hommes politiques et experts
(notamment économistes), critiquent un projet de
loi qui restaure le système des concessions et qui
enlève à l’État le pouvoir de décider du volume de
la production. L’Union Générale des Travailleurs
Algériens (UGTA), le syndicat algérien historique,
accuse le ministre de brader les richesses nationales.
Une grève générale est organisée en 2003 contre les
projets du gouvernement et le projet de loi est gelé
l’année suivante à l’approche des élections prési-
dentielles. Le président Bouteflika réélu en 2004 le
fait adopter en 2005. Sous la pression des critiques
358 Aux pays de l’or noir

encore nombreuses et relayées par le président


vénézuélien Hugo Chávez, la loi est amendée en
2006 pour garantir à la Sonatrach une participation
majoritaire dans chaque contrat d’exploitation, de
production et de transport des hydrocarbures signé
avec une entreprise étrangère. L’acceptation de ce
compromis est facilitée par la hausse des cours du
gaz : les réformes de privatisation paraissent moins
urgentes et les marges financières du gouvernement
sont plus confortables29.
Les analystes étrangers soulignent toutefois les
obstacles posés par l’instabilité politique et juridique
qui rend périlleux l’investissement dans des entre-
prises encore très dépendantes des États. L’opacité
parfois volontaire de leur gestion, de leurs comptes
et de leurs réserves suscite des doutes sur la valo-
risation d’entreprises par ailleurs dépendantes de
cours du brut particulièrement instables depuis les
années 2000. Les patrons des années 2000 voient
dans ces transformations une nécessité urgente pour
augmenter la compétitivité d’entreprises pétrolières
et gazières dont les marchés sont menacés par la
concurrence internationale et pour développer des
infrastructures d’extraction et de production de plus
en plus complexes et de plus en plus coûteuses.

La résistance du nationalisme pétrolier


En s’étendant au début des années 2000 au sec-
teur des hydrocarbures et plus spécifiquement
aux activités d’exploration et de production (acti-
vités « amont »), les réformes remettent en cause
le lien construit par les hommes politiques et les
experts pétroliers depuis quatre décennies entre le
pétrole et la nation, dans les républiques populaires
Le désenchantement pétrolier 359

et révolutionnaires comme dans les monarchies


conservatrices arabes. Pour autant, la capacité à
explorer le territoire et ses ressources puis à décider
des volumes et des directions de la production est
toujours considérée comme un élément de souve-
raineté inaliénable. La privatisation des champions
nationaux remet donc en cause leur soumission aux
injonctions politiques des gouvernants et de l’OPEP.
Dans l’Irak de l’après-Saddam Hussein, encore
occupé par les troupes américaines, la dévastation
économique et politique du pays permet à l’Auto-
rité provisoire d’imposer ces réformes au sein d’un
programme choc de libéralisation de l’économie du
pays. Remis en cause par les difficultés de la sortie
d’une économie de guerre après 2003, les plans de
privatisation du secteur pétrolier sont ainsi relancés
en 2007. L’intérêt prédateur des entreprises améri-
caines et de leurs concurrentes européennes et asia-
tiques qui s’associent pour participer à la reprise des
gisements a été maintes fois souligné par les obser-
vateurs. L’État irakien organise entre 2009 et 2012
plusieurs séries d’enchères pour attribuer l’exploita-
tion puis, en 2012, l’exploration de plusieurs champs
pétroliers et gaziers.
L’ouverture du pétrole irakien aux capitaux pri-
vés et étrangers est en phase avec les politiques en
vigueur dans les autres pays arabes producteurs
dont plusieurs grandes entreprises, comme celles du
Golfe, jouent d’ailleurs un rôle essentiel dans l’Irak
d’après 2003. Les exigences ambitieuses de produc-
tion et de rémunération du gouvernement doivent
néanmoins être progressivement revues à la baisse
devant la méfiance des entreprises étrangères quant
à l’état des gisements, à la situation politique du
pays et à la corruption de l’administration locale.
360 Aux pays de l’or noir

Les habitants de la province de Basra, la principale


région exportatrice d’Irak, se plaignent de ce que ces
investissements ne créent pas plus d’emplois indus-
triels pour la population locale (à qui l’on préfère des
ouvriers chinois) et que les revenus récupérés par le
pays soient engloutis par le clientélisme politique au
lieu de servir au développement des infrastructures30.
Il n’y a guère qu’au Koweït que les projets de pri-
vatisation s’étendant au cœur de l’industrie pétro-
lière (l’exploration) bénéficient du soutien d’une
partie de la population au début des années 2000,
mais le gouvernement est alors soumis à de nom-
breuses critiques au Parlement et dans la presse
pour sa mauvaise gestion des entreprises du secteur
et pour les scandales de corruption qui impliquent
des ministres. Dans les autres pays arabes, comme
en Iran du reste, la population reste attachée à la
propriété nationale des entreprises d’exploration et
de production. Les partenariats public-privé privi-
légiés par les gouvernements dans les années 2010
concernent essentiellement les activités dites du
« milieu (midstream) » et de l’« aval (downstream) »
(transport, raffinage, commercialisation)31.
Annoncée par le prince héritier saoudien en 2016
et d’abord prévue pour 2018, l’ouverture de 5 % du
capital de la Saudi Aramco aux investisseurs consti-
tue l’épisode le plus significatif de ces transforma-
tions en raison notamment du poids économique
et historique de l’entreprise dans le monde pétro-
lier. Moins de trente ans après la nationalisation de
l’Aramco, les annonces du gouvernement et de la
direction de l’entreprise prennent soin de souligner
l’intérêt économique de la privatisation — fût-elle très
partielle. Le prince héritier Bin Salman va jusqu’à
accuser de proximité avec « la pensée communiste et
Le désenchantement pétrolier 361

socialiste » ceux qui s’y opposent. Un document des


archives royales est opportunément retrouvé dans
lequel le roi fondateur de l’Arabie Saoudite, ‘Abdal-
‘Aziz, précise qu’une partie des parts de la société
devront être mises sur le marché pour être acquises
par les citoyens32.
Les discussions s’étendent cependant à la société
saoudienne et dans la presse la plus loyale au gouver-
nement. Sur les réseaux sociaux les moins contrôlés
comme Twitter, des hashtags comme « Muhammad
[Bin Salman] a vendu la poule (Muhammad ba‘a
al-dajjaja) » apparaissent en 2017. Le ministre du
Pétrole et président du conseil d’administration de la
Saudi Aramco, Khalid al-Falih, est lui-même réticent
à engager trop vite une transformation complexe de
l’entreprise. L’hostilité d’une partie de l’opinion (il
n’existe pas de sondages pour l’évaluer), la com-
plexité juridique et financière de l’opération et les
cours jugés trop bas pour atteindre la valorisation
espérée par le gouvernement (2 000 milliards de
dollars) de l’entreprise ont d’abord justifié le report
régulier de ce qui était présenté comme la mesure
phare de la « vision » post-pétrolière33.
Le remplacement en 2019 de Khalid al-Falih à
la tête du ministère du Pétrole par un demi-frère
du prince héritier met fin à la longue tradition des
ministres technocrates et non membres de la famille
royale, même si la Saudi Aramco reste, elle, dirigée
par un ingénieur pétrolier et son conseil d’adminis-
tration présidé par un financier. Ces nominations
ont relancé le projet d’entrée en Bourse mais la pri-
vatisation de l’entreprise lancée en décembre 2019
avec 1,5 % des parts mises en vente à la Bourse de
Riyad est désormais planifiée par petites tranches.
Elle privilégie les investisseurs saoudiens et les pays
362 Aux pays de l’or noir

du Golfe, plus faciles à solliciter pour atteindre les


objectifs de valorisation autoritairement fixés que
les investisseurs étrangers. L’enthousiasme de ces
derniers a été refroidi par la politique autoritaire
et impulsive du prince héritier ainsi que par les
attaques revendiquées en 2019 par les rebelles
yéménites houthis contre les installations pétro-
lières du royaume. À l’heure où les plans de réforme
répètent aux citoyens des pays arabes du Golfe la
nécessité de sortir des énergies fossiles et de se
convertir à une économie de la connaissance et aux
énergies renouvelables, la privatisation des entre-
prises comme la Saudi Aramco n’a pas encore sus-
cité l’élan espéré par les réformateurs à la tête de
l’État saoudien. La réorganisation de la direction de
l’entreprise placée depuis 2015 sous la tutelle d’un
conseil présidé par le prince héritier lui-même a
mis fin à l’autonomie dont pouvait encore se préva-
loir la Saudi Aramco à l’égard de l’État et renforce
sa place centrale dans la politique économique
saoudienne. Force est de constater qu’à la fin des
années 2010, le caractère public des champions
nationaux du gaz et du pétrole arabe résiste aux
plans néolibéraux.

LES ÉNERGIES ARABES DU FUTUR

Longtemps jugés éloignés des réflexions sur le


changement climatique, les pays producteurs comme
les Émirats arabes unis (EAU) se sont emparés du
sujet. Ils en ont fait un enjeu économique et poli-
tique de leurs réformes et de leur renommée inter-
nationale. D’autres comme l’Algérie se signalent
Le désenchantement pétrolier 363

par la vivacité avec laquelle sont repoussés les


risques de l’exploitation du gaz et du pétrole dits
« de schiste » pour l’environnement. Les manifesta-
tions de 2015 contre les projets du gouvernement
dans la région d’In Salah, dans le Sahara algérien,
sont la preuve que les hydrocarbures non conven-
tionnels ne sont pas seulement un défi lancé aux
pays arabes par la concurrence américaine depuis
le milieu des années 2000 : ils sont aussi un objet de
débat publiquement exprimé là où les manifestations
sont tolérées. À In Salah par exemple, où la question
climatique se greffe au sentiment d’injustice ressenti
par les habitants de l’intérieur du pays face à Alger.
Dans cette région historique de production de gaz et
de pétrole, les manifestants se plaignent des faibles
retombées économiques.
Le soleil, le vent et peut-être un peu de fission
nucléaire sont les trois principales alternatives
recherchées dans les pays arabes producteurs d’hy-
drocarbures. À l’exception de l’Égypte (Assouan),
de la Syrie (Tabqa) et de l’Irak (Mossoul et Hadi-
tha) où des barrages ont été construits entre les
années 1960 et 1980, rares sont les pays produc-
teurs d’hydrocarbures qui ont des ressources suf-
fisantes pour produire de l’énergie hydraulique. À
la fin des années 1970, une coopération scientifique
américano-saoudienne permet d’alimenter en éner-
gie solaire trois villages à proximité de la capitale,
Riyad. Encore très onéreux à l’époque, exigeants en
capacités scientifiques et en savoir-faire techniques,
les plans solaires sont abandonnés au profit d’une
concentration des pays arabes producteurs sur le
développement des activités pétrochimiques au cours
des années 1980 et 1990, à la différence des pays
non ou faibles producteurs comme le Maroc où le
364 Aux pays de l’or noir

développement des énergies renouvelables (solaire,


hydraulique, éolien) reste privilégié.
À partir de la fin des années 2000 et plus nette-
ment après 2014, les pays arabes producteurs et
non producteurs s’intéressent à nouveau aux éner-
gies renouvelables. Au moment où les cours du brut
repartent à la baisse, 4 % de l’énergie consommée
dans les pays de la Ligue Arabe viennent de res-
sources considérées comme renouvelables, biomasse
comprise. Les Émirats arabes unis ont commencé
à rejoindre le Maroc parmi les pays développant le
plus rapidement leurs installations solaires tandis
que l’Arabie Saoudite, l’Égypte et l’Algérie annoncent
des plans gigantesques de valorisation des énergies
éolienne et solaire, dont les premières installations
commencent à peine à entrer en fonction à la fin des
années 201034.
En dépit des faibles quantités effectivement pro-
duites et consommées, la conversion aux énergies
renouvelables fait désormais partie de tous les plans
de réformes des États arabes producteurs d’hydro-
carbures et des débats qui mobilisent leurs citoyens.
Comme le pétrole et le gaz au début des années 1950,
les préoccupations des pays arabes producteurs de
gaz et de pétrole pour les sources futures de l’éner-
gie concernent à la fois les modèles de société envi-
sagés et les fondements énergétiques du rapport
que chacun d’entre eux veut avoir avec le reste du
monde. Abu Dhabi lance en 2008 la construction
d’une ville « verte », Masdar (Source) et obtient en
2009 d’accueillir le siège (mais pas le centre d’inno-
vation) de la nouvelle Agence Internationale pour
l’Énergie Renouvelable, une victoire pour ce pays
dont l’empreinte écologique par personne, calcu-
lée en 2005 par le World Wildlife Fund (WWF), est
Le désenchantement pétrolier 365

parmi les plus élevées du monde, à égalité avec les


États-Unis35. L’Arabie Saoudite lance la construction
entre 2009 et 2010 d’une université (King Abdullah
University of Science and Technology) destinée à
former les cadres scientifiques et techniques qui
lui manquent, et d’une ville consacrée aux énergies
renouvelables et nucléaire (King Abdullah City of
Atomic and Renewable Energy) avec des moyens
destinés à impressionner les investisseurs étrangers
et à favoriser les coopérations internationales.
Les énergies renouvelables sont considérées dans
les États arabes comme un domaine privilégié de
l’« économie de la connaissance » qui doit progressi-
vement prendre le pas sur l’économie des hydrocar-
bures. Les entreprises pétrolières nationales comme
la Sonatrach et la Saudi Aramco sont soucieuses de
jouer un rôle pionnier dans le développement de ces
énergies et soutiennent pour cela l’acquisition de
capacités d’innovation et la diversification de leurs
activités, en coopération avec des groupes pétroliers
étrangers plus avancés. Les pays asiatiques (Chine,
Japon, Corée en particulier), qui sont en passe de
devenir les premiers clients des exportations d’hy-
drocarbures des pays du Golfe et avec lesquels des
partenariats existent déjà, font partie des principaux
investisseurs dans ces projets de développement des
énergies renouvelables36.

Les coûts du nucléaire arabe


Le regain d’intérêt pour l’énergie solaire puis
pour l’éolien a suivi de peu l’emballement des pays
arabes producteurs en faveur du nucléaire. Comme
l’énergie solaire, l’énergie nucléaire avait déjà été
envisagée par les États producteurs arabes au cours
366 Aux pays de l’or noir

des années 1970 et jusqu’au début des années 1980.


L’Irak, l’Algérie et la Libye avaient acquis grâce aux
revenus pétroliers en hausse de premiers réacteurs
expérimentaux avec l’aide de la France (Irak), de la
Chine (Algérie) et de l’URSS (Libye). Le gouverne-
ment saoudien avait commandé plusieurs études de
faisabilité pour alimenter les usines de dessalement
de l’eau en énergie nucléaire. Ces expériences sont
interrompues au cours des années 1980 lorsque les
tensions internationales encouragent les puissances
nucléaires à empêcher toute nouvelle acquisition de
la technologie nucléaire par un nouveau pays et que
la chute des cours rend, de surcroît, ces projets peu
compétitifs au regard du prix du pétrole et du gaz.
La remontée des cours offre de nouvelles possi-
bilités d’investissements et l’engagement des pays
arabes dans les réformes du secteur de l’énergie
relance leur intérêt pour le nucléaire. En 2006, le
secrétaire général de la Ligue Arabe, l’Égyptien Amr
Moussa, invite les États arabes à « entrer dans le
club nucléaire et utiliser l’énergie nucléaire à des
fins pacifiques ». La même année, la Libye signe
avec la France un accord pour le développement du
nucléaire civil, vingt ans après l’interruption d’un
premier projet de réacteur lancé en coopération avec
l’URSS. En décembre 2006, le sommet du Conseil
des Coopérations du Golfe (CCG) à Riyad est l’oc-
casion pour les États membres d’installer une com-
mission d’études chargée d’élaborer un programme
nucléaire civil commun, non sans volonté de faire
face au programme iranien bien plus avancé. Entre
2006 et 2009, les Émirats arabes unis, le Koweït,
Oman et l’Algérie annoncent tour à tour leur volonté
de se doter de centrales nucléaires pour produire
de l’électricité et les études de faisabilité menées en
Le désenchantement pétrolier 367

coopération avec les grands groupes internationaux


américains, européens, russes et asiatiques se mul-
tiplient37.
Avec le lancement de la construction de la centrale
al-Barakah (« Bénédiction ») dans l’émirat d’Abu
Dhabi en 2009, à grand renfort de communication
sur « la plus grosse centrale nucléaire en construc-
tion dans le monde », les Émirats arabes unis (EAU)
sont les plus avancés dans l’adoption d’une énergie
qui était jusque-là le monopole des pays importa-
teurs de pétrole et de gaz. Dans les EAU comme dans
le reste des pays arabes tentés par l’alternative
nucléaire, le développement des centrales se heurte
toutefois à plusieurs obstacles. La hausse constante
des coûts de construction et de mise aux normes de
sécurité des installations depuis l’accident de
Fukushima (en mars 2011) rend l’atome coûteux en
comparaison du fioul et du gaz. Le manque de capa-
cités techniques et scientifiques dans les pays arabes
ralentit l’exécution de ces projets et contraint à délé-
guer une grande partie de leur gestion à des mono-
poles étrangers qui ne sont pas sans rappeler les
anciennes concessions pétrolières. La mise en acti-
vité du premier des réacteurs d’al-Barakah, fournis
par un consortium mené par le groupe coréen
KEPCO, est d’abord prévue pour 2018 mais n’a lieu
qu’en août 2020. Après l’accident de Fukushima,
l’Emirates Nuclear Energy Corporation, l’institution
chargée du développement de l’énergie nucléaire
dans la fédération, doit lancer entre-temps une cam-
pagne de communication à destination de ses
citoyens inquiets. Dans le conflit qui l’oppose à ses
voisins du CCG, le Qatar écrit quant à lui officielle-
ment à l’Agence Internationale de l’Énergie Atomique
au début de l’année 2019 pour se plaindre des risques
368 Aux pays de l’or noir

que fait courir al-Barakah sur l’environnement et la


« stabilité régionale » de la région.
Sur des marchés nationaux où le gaz et le pétrole
sont à la fois abondants et peu chers, les énergies
solaire, éolienne et nucléaire restent peu compéti-
tives. Si pour les citoyens arabes ces énergies parées
des vertus de la modernité sont celles du futur, le
pétrole et le gaz restent les sources d’énergie du quo-
tidien et du futur proche, celles sur lesquelles sont
bâtis les modèles économiques de leurs entreprises,
celle dont l’État subventionne le prix comme il le fait
pour la farine et les denrées de première nécessité.
À leur faible coût d’extraction s’ajoutent donc les
subventions des États qui permettent au pétrole et
au gaz de conserver le privilège d’être les ressources
énergétiques les moins chères.

La fin de la politique des subventions


En 2010, alors même que plusieurs réformes des
prix ont été lancées, les pays arabes producteurs sont
encore en tête dans le classement des pays du monde
qui subventionnent le prix des combustibles domes-
tiques : de 55 % du prix en Irak à 85 % au Koweït. Le
développement continu depuis les années 1980 des
industries énergivores comme la raffinerie, la pétro-
chimie, la production d’aluminium, les techniques
de désalinisation — utilisée dans les pays arabes pro-
ducteurs du Golfe pour obtenir la majeure partie
de l’eau potable consommée par leur population —,
la généralisation de la climatisation et l’usage de
voitures fortement consommatrices ont été encou-
ragés par la disponibilité d’une électricité et d’une
essence peu coûteuses produites à partir des hydro-
carbures38.
Le désenchantement pétrolier 369

Plus que les préoccupations pour l’empreinte éco-


logique élevée d’une telle consommation, ce sont la
crise des cours et les objectifs de privatisation qui
rendent les gouvernements et les entreprises plus
soucieux de préserver leurs ressources exportables.
Les inquiétudes des gouvernements sont renforcées
par les rapports des think tanks étrangers selon
lesquels la croissance de la consommation interne,
dans des pays où la démographie reste dynamique,
mettrait en péril la capacité des pays arabes pro-
ducteurs à exporter et donc à gagner des devises et
jouer un rôle important sur les marchés. En Algérie,
la consommation nationale passe de 286 000 barils à
420 000 barils par jour entre 2007 et 2017 alors que
la production est passée de 2 à 1,5 million de barils
par jour à cause du vieillissement des infrastructures
et du manque d’investissements. Tandis que les pays
du CCG consommaient 13 % de leur production de
pétrole dans les années 1990, cette part se monte
à 25 % dans les années 2010. Entre 2010 et 2017,
la consommation intérieure de pétrole croît en
moyenne de 7,6 % au Qatar et en Oman, de 4,5 % en
Arabie Saoudite. À ce rythme, le ministre saoudien
du Pétrole de l’époque, al-Naimi, considère que son
pays pourrait devenir un importateur net en 2038 :
« Personne d’entre nous au gouvernement ne pen-
sait que notre consommation continuerait à croître
à cette vitesse pendant si longtemps à l’avenir mais,
pour notre société, ce fut un réveil qui n’avait que
trop tardé39. »
Pour régler le problème de compétitivité des éner-
gies renouvelables et ce qui est désormais considéré
comme un « gaspillage » des ressources, tout en ren-
dant le secteur de l’énergie plus profitable et donc
attractif pour les investisseurs, les gouvernements
370 Aux pays de l’or noir

des pays arabes relancent au début des années 2010


des plans de réduction des subventions déjà envisa-
gés lors de la chute des cours des années 1980‑1990.
Les subventions aux prix de l’énergie sont désor-
mais condamnées comme une méthode inefficace
de redistribution des revenus par les économistes
et consultants arabes des think tanks et institutions
internationales comme par les experts pétroliers40.
Muhammad bin Hamad al-Rumhi, un ingénieur
qui a fait sa carrière au sein de la Petroleum Deve-
lopment of Oman avant de devenir en 1997 ministre
omanais du Pétrole et du Gaz, confirme en 2013 la
conviction partagée par les élites gouvernementales
de son pays lors du sommet mondial du secteur,
l’Abu Dhabi International Exhibition and Confe-
rence :

Nous gaspillons trop d’énergie dans la région. Les


barils que nous consommons sont en train de deve-
nir une menace à présent, en particulier pour notre
région. (…) Nous devons simplement augmenter les
prix du pétrole et de l’électricité. Dans certains pays
de notre région, l’électricité est gratuite et on laisse
la climatisation en marche pendant l’été entier quand
on part en vacances. C’est un vrai crime. Nos voitures
deviennent plus grosses, notre consommation aussi
et le prix en est presque nul. Il faut donc envoyer un
signal aux poches du public41.

En dépit des convictions partagées par les diri-


geants et les experts arabes, les tensions sociales
provoquées par la crise économique de 2008 puis,
surtout, les printemps arabes en Tunisie, Égypte,
Syrie, Bahreïn, Yémen et Libye ont rendu les réduc-
tions des subventions aux prix de l’énergie diffi-
ciles à imposer aux « poches du public », y compris
Le désenchantement pétrolier 371

dans les pays producteurs les plus riches. Parmi les


réformes défendues dans les Émirats par le Tunisien
Najib Zaafrani à la tête du Dubai Supreme Council
of Energy, l’augmentation des prix de l’eau potable
(produite à 90 % par désalinisation de l’eau de mer)
et de l’électricité figure en bonne place. Les proposi-
tions de cet ancien ingénieur de la Shell à la longue
carrière au Moyen-Orient sont actées en 2010 mais
elles se heurtent en 2011 à la colère des citoyens
— plus mécontents encore que les expatriés pour
lesquels la hausse est plus forte — lorsque les pre-
mières factures arrivent après l’été. En pleine période
de printemps arabes, les plaintes aux princes, aux
ministres et aux chefs de tribu, et les tribunes cri-
tiques dans la presse émiratie pourtant très contrôlée
se multiplient. Le gouvernement est contraint d’allé-
ger les augmentations décidées même si le principe
de la diminution des subventions reste acté. La fédé-
ration des Émirats arabes unis est aujourd’hui plus
avancée que son voisin saoudien dans la réduction
des subventions aux prix de l’eau et de l’énergie d’une
part, l’augmentation des revenus non liés au pétrole
d’autre part42.
Entre 2015 et 2016, les gouvernements des pays
producteurs arabes du Golfe introduisent de pre-
mières hausses du prix de l’essence, de 25 % à 50 %
en fonction des pays et du type de carburant. L’ob-
jectif explicite est de libéraliser les prix de l’éner-
gie et de répondre aux incitations des institutions
financières internationales. Ils profitent de la baisse
des cours du pétrole et du gaz qui atténue l’effet
de la réduction des subventions d’une part, et de
l’affaiblissement de l’élan contestataire de 2011. En
Oman, l’un des pays producteurs du Golfe parmi les
plus soumis à la forte pression financière (à cause du
372 Aux pays de l’or noir

volume réduit de ses gisements), le prix du gaz natu-


rel pour les industries et les producteurs d’électricité
a doublé en 2015. Le litre de super passe de 0,31 à
0,42 dollar américain en 2016, tandis que celui de
l’essence ordinaire a augmenté de 20 % pour passer
à 0,36 dollar par litre. Comme chez ses voisins et sur
le modèle des Émirats arabes unis, le gouvernement
omanais fixe une méthode de définition des prix per-
mettant de les aligner progressivement sur ceux du
marché international.
Le gouvernement algérien procède aussi à une
hausse de 34 % en moyenne des prix de l’essence
en 2016 et annonce en 2018 que les subventions
pourraient être entièrement supprimées en 2019.
La mesure est d’autant plus sensible que la dernière
hausse du prix du gaz avait provoqué en 2004‑2005
une série d’émeutes dans le sud, puis le centre et
l’ouest du pays. La population s’était révoltée contre
le quasi-doublement du prix de la bombonne décidé
par Alger sans contrepartie visible pour les régions
productrices. Le hirak (mouvement de révolte) algé-
rien entamé en 2019 interrompt ces réformes par-
ticulièrement difficiles pour une population plus
pauvre que celle des pays du Golfe. Avant l’Algérie,
seul le Koweït est le lieu d’une vive protestation
populaire et parlementaire contre les hausses du
diesel décidées en janvier 2015. Des 200 % annon-
cés, les hausses sont ramenées à 100 % pour le
diesel dès le mois de février 2015 et à 70 % pour
l’essence ordinaire et le super en 2016. Le gouverne-
ment annonce également des mesures de compen-
sation telles que la fourniture d’un certain volume
gratuit chaque mois. En 2019, le prix du litre d’es-
sence est encore de 0,58 dollar en moyenne à une
pompe saoudienne, 0,35 dollar (0,08 pour le GPL)
Le désenchantement pétrolier 373

à une pompe algérienne, contre 1,10 dollar pour la


moyenne mondiale (0,60 pour le GPL)43.

Des préoccupations environnementales


croissantes
Les préoccupations financières et les crises poli-
tiques récurrentes ont souvent relégué le climat
au second plan pendant les périodes de crise des
années 2000 et 2010. Les journalistes comme les poli-
tistes arabes se plaignent du peu d’intérêt manifesté
sur ce sujet par la société civile de leur pays. Affec-
tée par de multiples autres préoccupations, l’opinion
publique arabe s’en remet, pour ces questions, aux
institutions étatiques et s’en tient à une approche
technique qui empêche de faire de l’environnement
un sujet de débat politique. En dépit d’une métho-
dologie contestable, l’un des rares sondages réalisés
dans les pays arabes à ce sujet montre qu’en 2009,
98 % des répondants sont convaincus que le climat
change mais que 51 % estiment que leur gouver-
nement ne prend pas les mesures nécessaires pour
enrayer ce changement. Les Algériens (à 80 %), les
Libanais (à 78 %) et les Koweïtiens (à 56 %) sont
ceux qui critiquent le plus l’insuffisance de l’action
gouvernementale. C’est aussi dans ces pays que le
débat public sur l’utilisation des hydrocarbures est
le plus vif44.
Ce sont les pays arabes aux ressources pétrolières
les plus proches de l’épuisement qui ont entrepris les
premières campagnes de protection de l’environne-
ment et la valorisation de leur patrimoine naturel,
comme Oman à partir des années 1990. Parmi les
pays du Golfe, c’est d’ailleurs le gouvernement de
ce sultanat qui, dans le sondage de 2009 déjà cité,
374 Aux pays de l’or noir

reçoit le plus d’approbation pour son action clima-


tique (92 %) de la part des répondants omanais.
Bien des rapports et des experts arabes ont pointé
du doigt le peu de soucis de leurs gouvernements
pour le changement climatique, tout en soulignant
l’exposition particulière de leurs pays à ses consé-
quences. Si certains comme l’Arabie Saoudite et les
Émirats arabes unis sont de forts émetteurs, le Rap-
port arabe sur le développement humain de 2009
rappelle que les pays arabes font partie, dans leur
ensemble, des plus faibles émetteurs de dioxyde de
carbone mais que leurs économies, qui reposent
directement ou indirectement sur la production et
l’exportation des hydrocarbures, sont largement res-
ponsables des émissions mondiales. Or, soulignent
les experts arabes qui ont rédigé ce rapport, ces
pays font aussi partie des plus vulnérables quant
aux effets du changement climatique (pénurie
aggravée d’eau, inadaptation des productions agri-
coles et détérioration des sols, désertification) et à
ses conséquences sociales : migrations humaines
et insécurité alimentaire mais aussi récurrence des
crues violentes et élévation du niveau de la mer
mettant en péril les villes côtières. Dans l’index de
durabilité environnementale calculé en 2005 pour
146 pays par les universités de Columbia et Yale,
les pays arabes producteurs de pétrole figurent en
queue du classement45. Il ne s’agit pas de consi-
dérations générales pour l’industrie pétrolière :
les infrastructures sont particulièrement exposées
dans les déserts aux hausses de température ou au
manque d’eau qu’il est nécessaire d’injecter dans
les puits tandis que sur le littoral, la remontée pro-
bable du niveau de l’eau est un danger pour bien
des installations du Golfe.
Le désenchantement pétrolier 375

La reconnaissance de l’urgence des mesures pour


enrayer le changement climatique et réduire les
émissions de gaz carbonique, les premières mobi-
lisations de la société civile sous la forme de mani-
festations, de campagnes locales de nettoyage et
de verdissement, de débats animés sur les réseaux
sociaux, et l’engagement des pays du Golfe dans
les accords sur le climat contraignent les respon-
sables pétroliers arabes à un jeu d’équilibre pour
ne pas condamner l’industrie qui irrigue encore
leurs économies, tout en soumettant leurs contri-
butions nationales à l’accord de Paris sur le climat
(2015). La déclaration de l’ancien ministre saoudien
du Pétrole al-Naimi à la fin de son autobiographie
l’illustre bien :

Soyons clairs : nous croyons à la vérité du change-


ment climatique, point barre. Mais le problème, ce ne
sont pas les carburants fossiles, ce sont les émissions
nocives que nous produisons à partir de la combus-
tion du charbon, du pétrole et du gaz. La réponse
n’est pas d’abandonner dans le sol la ressource éner-
gétique la plus importante, la plus abondante et la
plus économique du monde46.

Pour étoffer leur mix énergétique, d’importants pro-


ducteurs comme l’Arabie Saoudite et les Émirats arabes
unis misent sur le gaz naturel en développant l’exploi-
tation de champs gaziers considérés trop peu rentables
avant les années 2000. À la fin des années 2010, plus
de 60 % de l’électricité saoudienne est produite à partir
de gaz naturel, le reste étant essentiellement produit
à partir de pétrole et le solaire jouant encore un rôle
marginal. En attendant le développement de leurs
propres champs avec la collaboration d’entreprises
étrangères et la construction de centrales solaires et
376 Aux pays de l’or noir

nucléaires, les Émirats recourent aux importations de


gaz (notamment qatari) à partir de 200847.

Y A-T-IL UN PÉTROLE ISLAMISTE ?

Lorsqu’il est élu en 1999 puis réélu en 2004, le


président algérien Abdelaziz Bouteflika bénéficie
du regain des revenus du pétrole pour mettre en
œuvre sa politique de relance économique et tour-
ner la page de la guerre civile. Il peut compter sur
un réseau d’infrastructures gazières largement épar-
gné par la guerre civile en dépit de ce que laissaient
augurer la violence généralisée des combats des
années 1990 et les critiques du modèle de dévelop-
pement pétrolier par les intellectuels islamistes. Les
moudjahids du Front de Libération Nationale (FLN)
avaient revendiqué les attaques de ces installations
pendant la guerre d’indépendance (1954‑1962). Les
moudjahids du Mouvement Islamique Armé dans
les années 1980 puis du Groupe Islamique Armée
(GIA) dans les années 1990 reprennent la rhétorique
anticolonialiste de la guerre d’indépendance en dési-
gnant désormais le FLN au pouvoir comme le « parti
de la France », mais pour autant le gaz et le pétrole
sont maintenus à l’écart des violences.
Jusqu’au début des années 2000, les oppositions
islamistes, y compris les plus radicales dont il est
question ici, se distinguent peu dans leurs actions,
quand il s’agit du pétrole et du gaz, des gouverne-
ments et des institutions qu’elles critiquent. Dans
la société islamique, qui doit être la solution aux
problèmes des pays arabes en pleine crise écono-
mique, le pétrole reste une ressource fondamentale
Le désenchantement pétrolier 377

dont il ne convient même pas de cesser l’exporta-


tion vers les pays impérialistes et hostiles à l’islam,
à condition d’en tirer un prix juste. Cette conviction
tient en grande partie au contexte. Bien des leaders
islamistes ont grandi et étudié dans la prospérité de
la tafra avant d’entrer en politique au moment de la
crise économique des années 1980 (celle du contre-
choc pétrolier). Les prix des années 1990 sont très
bas, ceux de la première moitié des années 2000 n’en
sont même pas encore à leur record de 2008.
Lorsque, après 2001, les groupes djihadistes com-
mencent à viser les installations pétrolières, c’est
parce que les théoriciens d’al-Qaeda ont fait évo-
luer leur doctrine pour justifier la destruction d’une
ressource que de nombreux citoyens voient encore
comme un don divin et un bien commun aux Arabes,
si ce n’est à tous les musulmans. Les attaques pro-
voquent d’ailleurs de vives polémiques, comme dans
le royaume saoudien qui est particulièrement touché,
y compris dans les rangs djihadistes. Cependant, une
fois au pouvoir et aux rênes d’un État, les djihadistes
infléchissent leur position : l’expérience récente de
l’État islamique en Irak et en Syrie montre ainsi
que l’industrie et les ressources pétrolières peuvent
être gérées avec pragmatisme. Une attention toute
bureaucratique est en effet consacrée à l’exploita-
tion de l’hydrocarbure dont les cours peuvent à nou-
veau atteindre des sommets, comme ce fut le cas en
2013‑2014 au moment de la constitution officielle
de l’État islamique à cheval entre l’Irak et la Syrie.

Préserver un don de Dieu et son juste prix


Dans sa « déclaration de guerre contre les Amé-
ricains qui occupent le pays des Deux Saints
378 Aux pays de l’or noir

Sanctuaires [La Mecque et Médine, en Arabie Saou-


dite] » en 1996, Oussama Bin Ladin appelle les
musulmans à ne pas se battre entre coreligionnaires
et à s’en prendre avec prudence et discernement aux
infidèles et à leurs intérêts afin d’éviter « la destruc-
tion des industries pétrolières » : « L’extension des
combats dans ces régions [pétrolières] présenterait
le danger de mettre feu au pétrole, ce qui nuirait aux
intérêts économiques des États du Golfe, au pays des
Deux Saintes Mosquées et en réalité à l’économie
mondiale. » Le pragmatisme économique s’ajoute
au statut particulier de la ressource placée sous un
sol sacré : « (…) Nous appelons nos frères, les com-
battants venus du peuple, à préserver cette richesse
ainsi qu’un grand et important pouvoir pour l’État
islamique à venir, si Dieu le veut48. »
Oussama Bin Ladin a suivi le retournement écono-
mique des années 1980 et les débats sur l’utilisation
de la ressource avec d’autant plus d’attention qu’il
combattait alors en Afghanistan contre les troupes
soviétiques grâce aux fonds envoyés par les pays du
Golfe. Sa famille à la tête de la principale société
de construction et de travaux publics du royaume
saoudien doit par ailleurs une grande part de sa
prospérité à la tafra.
Autour de Bin Ladin, les théoriciens d’al-Qaïda
ne s’opposent pas à la détermination du prix du
pétrole par le marché. Ils accusent plutôt l’alliance
des États arabes avec les États-Unis de maintenir
son cours artificiellement bas et de permettre ainsi
le pillage d’une richesse qui appartient à l’ensemble
des musulmans : « le plus grand vol jamais vu par
l’humanité dans l’histoire du monde », selon le même
Oussama Bin Ladin en 2002. Au lieu de servir à la
prospérité des musulmans, le pétrole enrichit leurs
Le désenchantement pétrolier 379

ennemis et alimente leur machine de guerre. Dans


un texte dont il dit avoir rédigé l’essentiel au début
des années 1990, le théoricien du jihad interna-
tional Abu Mus‘ab al-Suri explique l’impératif de
combattre militairement l’occupation économique
américaine dont « le premier but (…) est le pillage
de ces ressources, comme un assistant de Bush père
l’a déclaré pendant la guerre du Koweït en 1990 en
disant qu’ils venaient corriger l’erreur que Dieu avait
faite en créant du pétrole dans nos pays ». Ainsi,
Abu Mus‘ab al-Suri jugeait déjà opportun de prendre
pour cible les gisements, les tankers et les installa-
tions pétrolières pour interrompre les exportations
de pétrole à destination des pays « croisés » et « sio-
nistes », quitte à gêner temporairement le dévelop-
pement économique des pays musulmans. L’islam a
remplacé la défense de la nation arabe mais le fond
des arguments reprend, de très près, ceux des experts
pétroliers anticoloniaux des années 1950 et 196049.
Dans un journal tenu par Oussama Bin Ladin lui-
même ou par un de ses proches en 2000 en Afgha-
nistan, la question du prix du pétrole est posée et
la « part qui revient à chaque musulman » dans un
monde égalitaire est calculée et fixée à 3,75 dol-
lars américains journaliers par musulman, avec un
prix juste du baril établi à 150 dollars. Un message
posté sur le site du Global Islamic Media Front en
décembre 2004 permet à Oussama Bin Ladin de
dénoncer la vente à 230 dollars en Europe du baril
de pétrole raffiné alors même que le baril de brut
a, avance-t-il, été acheté 9 dollars aux pays arabes.
L’asservissement du roi saoudien de l’époque, Fahd,
aux intérêts occidentaux est critiqué par le chef
d’al-Qaïda qui estime un prix juste du baril de brut
à 100 dollars américains. La reprise des cours qui
380 Aux pays de l’or noir

sont repassés en avril 2004 au-dessus des 50 dollars


par baril — un chiffre jamais atteint depuis 1986 à
l’exception du pic de 1990 lié à la guerre du Golfe —
explique peut-être les prix très élevés définis comme
justes par Oussama Bin Ladin50.

L’« arme du pétrole » retournée


contre les États arabes
En 2002, un supertanker français est visé au large
du Yémen. Entre 2003 et 2005, les membres d’al-
Qaïda dans la péninsule Arabique mènent une série
d’attaques contre le consulat américain à Djedda,
contre des ensembles résidentiels ou ministériels à
Riyad et, en mai 2004, contre de premières instal-
lations pétrolières à Yanbu et al-Khobar. En 2006,
une attaque suicide sur les installations pétrolières
échoue à Abqaiq, le site par lequel transite la majorité
de la production saoudienne (site à nouveau visé en
2019 lors de l’attaque revendiquée par les militants
chiites Houthis en révolte contre l’État yéménite et
son soutien saoudien). Les destructions infligées aux
installations pétrolières suscitent une large réproba-
tion dans la population saoudienne comme au sein
de l’establishment officiel. Le Grand Mufti saoudien
‘Abdal-‘Aziz ibn Abdallah Al al-Shaykh condamne des
attaques qui détruisent un don de Dieu permettant
de financer la propagande religieuse et de fournir
des salaires et des services quotidiens à des millions
de musulmans. Au sein même des réseaux de l’op-
position islamiste, la nouvelle stratégie d’al-Qaïda
suscite des critiques.
Ce retournement intervient après les attentats
du 11 septembre 2001 et la reprise du cours des
hydrocarbures. Le réseau djihadiste a réorganisé
Le désenchantement pétrolier 381

sa structure, sa doctrine et sa stratégie pour viser


désormais l’ennemi « lointain » incarné par les
États-Unis et, dans les pays arabes, par les compa-
gnies pétrolières. « Concentrez vos opérations sur
le pétrole, en particulier en Irak et dans le Golfe,
car cela signera leur mort », explique Oussama Bin
Ladin en décembre 2004 pour exhorter les militants
djihadistes à affaiblir désormais par ce biais les
États-Unis et leurs alliés. L’« arme du pétrole », une
expression que reprend un article de la revue d’al-
Qaïda Sawt al-Jihad en 2007 pour l’associer à Bin
Ladin, est reprise par les islamistes pour couper les
ressources américaines51.
L’effort de justification du changement de stratégie
est poursuivi dans un traité de 80 pages que l’orga-
nisation diffuse en 2004. Son auteur, ‘Abd al-‘Aziz
bin Rashid al-‘Anazi, arrêté par la suite en Arabie
Saoudite, prend position dans la controverse suscitée
par les attaques sur les installations pétrolières. Les
hydrocarbures sont la propriété de l’umma (la com-
munauté musulmane) tout entière et doivent être
exploités pour l’étendre et la défendre. Ils peuvent
être pris pour cibles quand ils ne sont pas exploités
à son service mais à ses dépens. Les attaques sont
donc une forme légitime de « guerre économique »
puisqu’elle inflige des pertes à l’ennemi. Elles sont
aussi légitimes, explique ‘Abd al-‘Aziz bin Rashid
al-‘Anazi, dans la mesure où la loi islamique inter-
dirait à des individus de posséder les gisements de
ressources naturelles. Si ces individus possèdent
les terres sous lesquelles se trouvent du pétrole ou
d’autres richesses naturelles, ils ne peuvent possé-
der que les parts correspondant à leurs besoins et
doivent laisser le reste à la communauté52.
Cette argumentation juridique n’est pas la première
382 Aux pays de l’or noir

à remettre en cause l’appropriation du pétrole par


des entreprises et des dynasties accusées d’être asser-
vies par les étrangers non musulmans. Le théoricien
islamiste égyptien et inspirateur de bien des mou-
vements djihadistes, Sayyid Qutb (exécuté en 1966
par les autorités égyptiennes), penchait déjà pour la
reconnaissance du pétrole comme « bien public »
au motif qu’il est nécessaire à toute la communauté
islamique, au moment même où les nationalistes y
voyaient un bien revenant à la nation arabe. Pourtant
critique de l’évolution d’al-Qaïda depuis la fin des
années 1990, le Syrien Abu Mus‘ab al-Suri juge lui
aussi légitimes les attaques contre les installations et
les navires pétroliers en 2004‑2005. Dans une lettre
adressée au « peuple du Yémen », il s’insurge contre
la confiscation du pétrole par les émirs et dirigeants
des pays arabes, inféodés « aux Juifs, aux Américains
et autres Croisés ». Le pétrole fait partie du Trésor
public (bayt mal) des musulmans et Abu Mus‘ab al-
Suri va jusqu’à lui attribuer un prix « naturel ». À la
différence du Saoudien Oussama Bin Ladin, que sa
jeunesse a rendu conscient de l’influence du marché
mondial sur le cours du brut, al-Suri fixe ce prix à
partir d’un critère politique : 260 dollars par baril,
un chiffre bien au-dessus des prix qu’imposent les
sociétés étrangères avec la complicité des monarques
arabes mais qui permettrait aux musulmans de se
libérer du travail pour se consacrer au jihad et à
la propagande. Les arguments du théoricien isla-
miste rappellent ceux des experts nationalistes des
années 1950 qui luttaient pour prendre le contrôle
de la fixation des prix du brut — mais avec d’autres
objectifs sociaux. Pour Abu Mus‘ab al-Suri, les Arabes
sont soumis à nouvelles colonisations dont le pétrole
est le pilier, et que seul le pétrole pourra abolir.
Le désenchantement pétrolier 383

Imaginez quelle serait la situation si nous possé-


dions notre pétrole, le commercialisions selon son
prix naturel et l’imposions à 260 dollars le baril, exac-
tement comme les Américains le font en imposant
aux consommateurs de la péninsule Arabique et des
autres régions du monde leurs prix pour les voitures,
les ordinateurs, les armes et les chocolats américains.
(…) Est-ce un droit réservé aux seuls chrétiens et non
pas un droit pour les musulmans aussi ? Les chiffres
des revenus seraient alors incroyablement élevés. Les
musulmans n’auraient alors plus besoin de travailler
et de peiner, ils pourraient se libérer pour le travail
missionnaire, mener le combat armé et étendre la
lumière de l’islam dans le monde53.

L’objectif reste donc de reprendre le contrôle des


ressources et de leur vente : « une fois que nos res-
sources seront repassées entre nos mains et en notre
possession », ajoute al-Suri, « nous ferons avec eux
de vraies affaires, fondées sur les règles de l’équité et
du voisinage ». Lorsqu’il envisageait en 1997 la pers-
pective d’une Arabie reconquise, Oussama Bin Ladin
aussi assurait que les échanges de pétrole pourraient
reprendre avec les pays non musulmans : le pétrole
sera une « marchandise soumise au prix du marché
en fonction de l’offre et de la demande », à la diffé-
rence des prix observés pratiqués jusque-là54.

Dans les faits : la gestion de l’industrie


pétrolière par l’État islamique
En juin 2014, l’État islamique en Irak et en Syrie
(EI) proclame la restauration du califat sous la direc-
tion d’Abu Bakr al-Baghdadi, ses soldats viennent à
peine de prendre le contrôle de plusieurs gisements
syriens (Omar, Tanak, Jafra et Ward à l’est) et
384 Aux pays de l’or noir

irakien (al-Qayyara dans la région de Mossoul). Les


cours du pétrole ont entamé leur dégringolade : alors
qu’ils se stabilisaient autour de 105 dollars le baril
entre l’été 2010 et 2014, ils chutent à partir de la mi-
juin 2014 pour atteindre un montant de 36 dollars en
janvier 2016. Les responsables ont été encouragés au
vu de l’état du marché mondial à gérer de façon très
pragmatique les champs pétroliers conquis. L’indus-
trie pétrolière est réorganisée en permanence pour
parer aux frappes aériennes qui commencent à la
viser à partir de 2015. Le pétrole islamiste emprunte
les oléoducs qui servent à la production régionale et
qui n’ont pas été coupés, comme l’oléoduc Kirkouk-
Ceyhan. De petits oléoducs transfrontaliers sont
parfois installés exprès mais la majeure partie du
pétrole extrait est transportée par camions. Quand
il n’est pas pris en charge par les raffineries gérées
par l’EI, le pétrole est revendu à des petites raffine-
ries privées caractéristiques de l’économie de guerre
mise en place par les petits entrepreneurs syriens et
irakiens depuis 201355.
Le plus souvent de piètre qualité, le pétrole raffiné
est acheté au marché noir par les groupes rebelles
comme par l’armée officielle syrienne, qui profitent
tous des prix inférieurs au cours mondial, encore
élevé. L’État islamique prélève une série de taxes sur
le transit des produits pétroliers et ses agents par-
ticipent parfois eux-mêmes aux réseaux de contre-
bande vers l’Iran, la Jordanie et surtout la Turquie.
En Irak, les réseaux de revente bénéficient de l’ex-
périence de ceux qui ont participé à la contrebande
de pétrole irakien à l’époque de Saddam Hussein.
Ces hommes d’affaires sunnites de toute envergure
avaient beaucoup perdu en 2003 lorsque l’invasion
américaine avait mis fin à ce trafic transfrontalier,
Le désenchantement pétrolier 385

puis, entre 2006 et 2014, lorsqu’ils avaient été vic-


times du système de corruption de l’administration
du Premier ministre chiite irakien, Nouri al-Maliki56.

15. Vendeurs d’essence le long d’une rue de Raqqa (Syrie),


alors contrôlée par l’État Islamique, le 30 septembre 2014.

Les évaluations des revenus tirés du pétrole par


l’État islamique font l’objet de débats contradic-
toires. Si le groupe a pu contrôler jusqu’à près de
60 % de la production syrienne et 10 % de la produc-
tion irakienne en 2014 et en tirer jusqu’à 2 millions
de dollars par jour, cette production a ensuite rapi-
dement décru à cause des problèmes techniques liés
à l’exploitation, des difficultés de commercialisation
et des frappes aériennes qui visent régulièrement
les installations pétrolières et les convois de pro-
duits pétroliers à partir de 2015. À compter de l’an-
née 2016, les forces kurdes et les troupes irakiennes
reprennent aux djihadistes le contrôle des gisements.
386 Aux pays de l’or noir

Jusqu’en 2016 en Libye, les attaques perpétrées par


des groupes affiliés à l’EI contre les installations
pétrolières comprenaient parfois des tentatives de
prise de contrôle. Lorsqu’elles envisagent de s’éta-
blir de façon durable sur le territoire d’un des pays
arabes producteurs, lorsqu’elles s’étatisent, les socié-
tés djihadistes ne se passent pas du pétrole et de la
demande du marché mondial57.

Il serait inexact de voir dans les islamistes arabes


de ce début de xxie siècle les héritiers des militants
nationalistes du pétrole des années 1950 et 1960.
Il faut néanmoins constater que les premiers
reprennent le fond des arguments des seconds. Aux
cibles qui étaient déjà celles de l’anti-impérialisme se
sont ajoutés, depuis la fin des années 1980, les États
arabes en tant que tels, de l’Algérie aux monarchies
du Golfe. Du reste, ces militants de l’une des der-
nières idéologies à englober les pays arabes conti-
nuent de voir dans le pétrole le pilier économique
d’un ordre transfrontalier.
Les plus offensifs considèrent eux-mêmes les hydro-
carbures comme une source indispensable d’énergie
et de revenus. Rares sont ceux qui songent à s’en
passer ou, du moins, à mettre fin à leurs échanges
avec les pays non musulmans. Gaz et pétrole relient
les projets de société des plus utopiques à la réalité
du marché global dont ils sont encore des marchan-
dises fondamentales. Même radicaux, les djihadistes
sont sur ce point au diapason avec le reste de leur
société. Le rôle du pétrole dans le fonctionnement
de l’État et de la société a donc survécu à la grave
crise des années 1980 et aux réformes entreprises
pour remédier à la chute des cours.
Le désenchantement pétrolier 387

Passés à l’arrière-plan des « visions » et autres


plans de développement, les hydrocarbures ne sont
plus les ressources énergétiques de la modernité
mais celles avec lesquelles il faut désormais rompre.
Entre l’exaltation nostalgique du passé prépétrolier
et la promotion de l’avenir numérique, gaz et pétrole
sont officiellement condamnés à jouer un rôle transi-
toire. Les gouvernements comme les experts scrutent
la diminution de leur participation au revenu natio-
nal et à l’emploi. Il n’en reste pas moins que l’indus-
trie pétrolière fait preuve d’un dynamisme continu
dans les pays arabes comme dans ceux où elle étend
ses investissements. Sur le marché du travail, son
attrait reste fort pour les jeunes générations, en dépit
de l’érosion des politiques sociales des entreprises
pétrolières et des scandales récurrents de corruption.
Les débats sur les privatisations confirment l’attache-
ment d’une grande partie de la population des pays
arabes à leurs entreprises pétrolières nationales.
Il n’est donc pas question de mettre fin à l’exploi-
tation de ces ressources naturelles mais le danger
économique, climatique et politique d’une écono-
mie trop « carbonée » fait manifestement l’objet d’un
consensus de plus en plus large dans la société civile
comme chez les dirigeants pétroliers des pays arabes.
Le primat donné depuis plus d’une génération à la
gestion technocratique des ressources et la part tou-
jours plus faible de la population active nationale
employée dans le secteur des hydrocarbures faci-
litent le désenchantement. L’éloignement des heures
glorieuses de l’industrie pétrolière, la généralisation
des débats sur l’après-pétrole et l’effilochement du
souvenir de la tafra chez les jeunes générations com-
mencent à faire de cette ressource une marchandise
un peu plus ordinaire.
Conclusion

LES ARABES, LE PÉTROLE


ET LE MONDE

Qu’il s’agisse des alliances politiques que sous-


tendent les échanges commerciaux, de la place des
entreprises du Golfe dans les marchés régionaux ou
des projets islamistes, le pétrole oriente le rapport
des pays arabes avec le reste du monde.
Pendant toute la première moitié du xxe siècle,
les gisements sont majoritairement exploités par des
entreprises européennes et américaines, même si de
premières rivales japonaises commencent à leur faire
concurrence dans les années 1950. L’exploitation du
pétrole n’accentue pas seulement la réorientation
entamée à la fin du xixe siècle des échanges mar-
chands des pays arabes depuis l’Asie — et de l’Inde
en particulier — vers les pays d’Europe et d’Amé-
rique du Nord. Elle instaure une dépendance inédite
entre les États arabes et les États qui sont le siège
des principales entreprises pétrolières internatio-
nales. Les initiatives de rassemblement et de solida-
rité économique comme les Congrès et l’OPEP sont
autant les produits que les premières contestations
d’un rapport que le développement des pays produc-
teurs rend de moins en moins acceptable.
L’histoire arabe du pétrole ne se résume pourtant
390 Aux pays de l’or noir

pas à ce face-à-face. Depuis le début des années 2000


et en dépit des enjeux pétroliers de la guerre d’Irak
commencée en 2003, le contenu idéologique que
cette confrontation avait encore à l’heure de la
Guerre froide et de l’anti-impérialisme s’affaiblit. Il
perd aussi son caractère exclusif au fur et à mesure
de la croissance des échanges des pays arabes pro-
ducteurs de pétrole avec les pays asiatiques. Les
pressions américaines sur les gouvernements arabes,
en particulier ceux du Golfe, et les restrictions de
visas après les attentats du World Trade Center
(2001) coïncident avec le redémarrage des prix du
baril et la croissance de la demande asiatique tirée
par la Chine.
Au moment où des capitaux redeviennent dispo-
nibles pour être investis à l’étranger, où la consom-
mation de produits importés reprend après les
années de crise du contre-choc pétrolier et où de
premières réformes ouvrent les économies arabes (la
Libye et l’Irak entreprennent les négociations d’adhé-
sion à l’OMC en 2004, l’Arabie Saoudite en devient
membre en 2005), les marchés asiatiques s’avèrent
plus accueillants que les marchés européens et amé-
ricains. La polémique que suscite aux États-Unis en
2006 le rachat de la société britannique de logistique
portuaire P & O par l’entreprise émiratie Dubaï Port
World marque les esprits des investisseurs arabes,
même si d’autres investissements en Europe et aux
États-Unis sont par la suite mieux réussis.
D’abord concentrés sur un petit nombre d’autres
pays arabes, les investissements des pays produc-
teurs se diversifient au cours des années 2000. À
côté des pays africains (Soudan, Djibouti, Éthio-
pie, Kenya, Maroc), les marchés asiatiques (Chine,
Corée, Inde, Malaisie, Pakistan) sont privilégiés par
Les Arabes, le pétrole et le monde 391

les entreprises et les fonds d’investissement du Golfe.


Les acheteurs arabes déferlent dans les grands mar-
chés chinois de gros comme à Yiwu ou dans le mar-
ché délocalisé de produits chinois qu’est le Dragon
Mart inauguré en 2004 à Dubaï. Les Émirats arabes
unis deviennent en 2019 le troisième partenaire
commercial de l’Inde, juste après les États-Unis et
la Chine, tandis que près de 40 % des importations
de pétrole du sous-continent indien sont fournis
par l’Irak et l’Arabie Saoudite. Les exportations de
pétrole de la Saudi Aramco vers la Chine dépassent
celles qui sont destinées aux États-Unis. L’Asie
constitue désormais pour les directeurs saoudiens
de l’entreprise pétrolière un marché prioritaire pour
les contrats de fourniture à long terme et le montage
de joint-ventures. L’objectif de ces investissements
par les entreprises et les fonds des pays producteurs
n’est pas seulement de construire des raffineries et
des industries pétrochimiques à proximité des prin-
cipaux marchés asiatiques, mais aussi de diversifier
leurs activités en s’appuyant sur l’expertise de firmes
chinoises, coréennes et indiennes dans les secteurs
de l’énergie, des transports, des services et de la
construction.
Au milieu des années 2010, le Qatar et Oman
fournissent 25 % des importations chinoises de gaz
naturel liquéfié, et l’ensemble des pays producteurs
du Conseil de Coopération du Golfe assure le tiers
des importations chinoises de pétrole brut. En 2018,
l’Asie (en particulier la Chine, le Japon, l’Inde et la
Corée du Sud) est la destination de près de 70 % des
exportations de pétrole brut saoudien et de plus de
90 % de celles de pétrole brut des Émirats arabes
unis. Que ce soit aux Émirats, en Arabie Saoudite,
mais aussi en Algérie et en Irak, les entreprises
392 Aux pays de l’or noir

japonaises, chinoises et coréennes augmentent leur


part dans les nouvelles concessions et multiplient les
consortiums avec les entreprises locales de l’énergie,
dans le pétrole comme dans les énergies renouve-
lables1.
Il ne faudrait pas voir dans ce bouleversement le seul
effet de la production croissante de pétrole américain,
ni celui des sanctions qui pèsent sur la production ira-
nienne et qui, comme au début des années 1950, sou-
tiennent la demande en pétrole arabe. La ­réorientation
vers l’Asie des pays arabes exportateurs de pétrole et
de gaz est une stratégie voulue, affichée lors des visites
bilatérales et planifiée dans le cadre des projets de
développement. Le pétrole et le gaz, qui constituent
encore le gros de leurs exportations, sont les moteurs
du retour des économies arabes à l’Asie, même si
celui-ci est mené de façon dispersée et concurrentielle
par les producteurs.
L’histoire du pétrole arabe n’est toutefois pas seu-
lement une histoire de relations internationales. L’es-
sor de son exploitation au lendemain de la Seconde
Guerre mondiale coïncide avec les combats indépen-
dantistes et l’apogée des courants anti-impérialistes
qui mobilisent les sociétés arabes comme bien
d’autres pays dits « du Sud ». Le pétrole joue un
rôle d’autant plus déterminant dans la formation
des États arabes que la crise économique de l’entre-
deux-guerres et, dans certains pays, la colonisation
ont affaibli, voire éliminé, les élites marchandes et
les anciennes structures politiques et économiques.
Plus encore que sur les mécanismes financiers de
la « rente » et leur rôle dans la formation des États,
les premiers chapitres de ce livre ont insisté sur les
conditions historiques des débuts de l’exploration
pétrolière.
Les Arabes, le pétrole et le monde 393

Ces conditions particulières expliquent aussi l’im-


pact décisif de l’économie pétrolière sur les sociétés
arabes. Les analystes les plus critiques en pointent
les défauts à partir de la fin des années 1970, en
observant avec pessimisme les mentalités « ren-
tières » de sociétés arabes perverties par la tafra,
avant d’être accablées par la chute des cours. Pour
les citoyens arabes des années 1950, le développe-
ment de l’industrie pétrolière est synonyme d’ac-
cès à l’indépendance économique, mais aussi à de
premiers services publics, à des conditions de vie
d’abord réservées aux étrangers avant d’être adop-
tées par l’ensemble des employés du secteur, à des
carrières qui ménagent des possibilités d’ascension
sociale inouïes, à des rencontres prolongées avec les
citoyens d’autres pays arabes. Leur travail côte à côte
sur les installations pétrolières, les manifestations,
les bureaux des entreprises et les congrès leur per-
mettent de faire l’expérience concrète d’un monde
arabe à l’intérieur duquel les circulations sont ampli-
fiées par l’exploitation du pétrole.
Experts et militants du pétrole arabe des
années 1950 et 1960 ne s’y trompent pas lorsqu’ils
voient dans cette matière première le moteur d’une
transformation révolutionnaire de leurs sociétés.
Enjeu et outil de la rupture avec la domination colo-
niale sous toutes ses formes, pilier de la réunifica-
tion nationale des Arabes, fondement économique
de la construction d’États indépendants vis-à-vis des
puissances étrangères comme des vieilles élites éco-
nomiques et religieuses, le pétrole devient rapide-
ment l’énergie d’un monde arabe à la fois moderne
et commun.
Des premiers Congrès arabes du pétrole jusqu’aux
nationalisations des années 1970, le pétrole constitue
394 Aux pays de l’or noir

avec la Palestine la grande cause qui réunit les gou-


vernements et mobilise les sociétés arabes. Les
grandes heures du combat pour la libération de la
Palestine sont aussi celles du pétrole arabe. Et les
échecs de l’usage de l’arme pétrolière ceux de la lutte
contre Israël. Le pétrole manifeste aux yeux de bien
des citoyens l’état de leur monde arabe, ses motifs
d’espérance comme ses divisions.
Si elle brise les espoirs des experts nationalistes et
soumet les sociétés des pays arabes à rude épreuve,
la crise des années 1980 ne met pas fin au rôle
moteur du pétrole dans les économies. L’austérité,
la critique de la rente et la mise à nu de l’autorita-
risme et de la corruption des États pétroliers ont en
revanche fait perdre aux hydrocarbures leur pou-
voir d’enchantement. Plutôt que les opportunités, les
experts mettent désormais en avant les risques que le
pétrole et le gaz font peser sur les économies natio-
nales. Ils lient l’évolution autoritaire et clientéliste de
leurs États à l’utilisation rentière d’une ressource qui
a été dépossédée de son potentiel d’émancipation.
Au début du xxie siècle, les hydrocarbures conti-
nuent de jouer un rôle majeur dans les économies
de la région mais ils ne sont plus le support de pro-
jets panarabes. Cela ne signifie certes pas que le gaz
et le pétrole ne sont plus des moteurs d’intégration
régionale. C’est même le contraire qui se produit,
autour des pays du Golfe et de leurs entreprises
conquérantes, à la faveur des mesures de libérali-
sation (infitah) relancées dans les pays arabes au
cours des années 2000. L’industrie des hydrocar-
bures n’y a jamais été aussi arabe dans sa direction,
sa main-d’œuvre et sa capitalisation. Cependant,
globalisées et standardisées, les stratégies pétro-
lières des États et de leurs entreprises nationales ne
Les Arabes, le pétrole et le monde 395

sont plus subordonnées à des projets idéologiques


d’unité régionale. Elles sont même de plus en plus
déconnectées des tensions diplomatiques. Alors que
le Qatar est soumis à un blocus sévère de la part
de ses voisins saoudiens et émiratis depuis 2017, il
n’interrompt pas ses livraisons de gaz aux EAU qui
en sont encore très dépendants.
En passant le relais à des acteurs privés (holdings
et groupes familiaux) ou semi-privés (fonds souve-
rains, investissements princiers) — fussent-ils encore
liés à la redistribution des revenus pétroliers —, en
cherchant à réduire le volume et le coût des ser-
vices publics au nom de la responsabilisation des
citoyens, et en allant jusqu’à défendre la privatisation
d’entreprises pétrolières nationalisées pendant les
années 1970, les élites politiques et économiques du
pétrole arabe des années 2000 et 2010 remettent en
cause la forme particulière d’État-providence pro-
duite à partir des années 1930 par le développement
pétrolier. Les logiques du marché l’emportent sur les
logiques idéologiques jusque dans le proto-État de
Daesh à cheval sur la Syrie et l’Irak. Les sommets
très gouvernementaux de l’OPAEP sont moins cou-
rus par les responsables et experts arabes du secteur
que les World Energy Congresses. La 24e édition du
Congrès organisée à Abu Dhabi en 2019 est non seu-
lement la première à se dérouler dans un pays arabe
mais aussi dans l’un des pays producteurs qui se
projettent le plus dans l’après-pétrole.
Le legs de deux générations ayant participé acti-
vement au développement pétrolier est massif. Et
la remise en cause de cet héritage, dans les pays
producteurs comme dans ceux qui ont bénéficié indi-
rectement de la redistribution des bénéfices de l’ex-
ploitation des hydrocarbures, est particulièrement
396 Aux pays de l’or noir

grave. Elle implique la redéfinition des modes de vie


des citoyens arabes, de leur consentement à l’État et
des finalités des économies nationales. Qu’elle soit
envisagée à moyen ou long terme, la fin du pétrole
engage les États et la population des pays arabes à
redéfinir autant leur modèle de société que leur place
dans les échanges mondiaux.
Le maintien des cours du baril à de bas niveaux
freine la capacité des États à financer leur plan post-
pétrole, de la même manière qu’il n’encourage pas
chez leurs clients la transition vers des énergies alter-
natives — aujourd’hui encore, moins compétitives
qu’un or noir qui inonde les marchés mondiaux.
Le poids croissant des échanges des pays arabes
avec l’Asie, la redistribution très politique lors des
printemps arabes des recettes engrangées pendant
la décennie précédente, les batailles acharnées que
mène l’Arabie Saoudite pour défendre ses parts de
marché contre le pétrole de roche-mère américain,
la place conservée par les champions nationaux du
pétrole dans les plans post-pétroliers, et enfin les
résistances à la privatisation du secteur indiquent
qu’une telle redéfinition ne peut aboutir sans l’usage
intensif du pétrole.
Les pays arabes n’en ont donc pas fini avec l’or noir.
APPENDICES
Remerciements

C’est une recherche biographique entreprise autour de


‘Abdallah al-Tariqi, elle-même suscitée par une recherche
plus vaste sur l’histoire économique des pays de la pénin-
sule Arabique, qui est à l’origine de cette histoire arabe du
pétrole. De nombreux collègues m’ont aidé à rassembler
une bibliographie parfois ancienne et difficile à consulter.
Au Koweït, Talal al-Rashoud m’a mis sur la piste de nom-
breuses sources. Du Liban, Carla Eddé et Léda Mansour
m’ont plusieurs fois rapporté ou envoyé des ouvrages par-
fois pesants. À Abu Dhabi, Justin Stearns, Nelida Fuccaro
et leurs collègues ont débattu avec précision des premières
thèses de cette recherche. À Paris, Séverine Blenner-Michel
m’a fait profiter de sa connaissance sans failles des archives
diplomatiques. Nicolas Sarkis a accepté d’évoquer longue-
ment avec moi une histoire dont il est partie prenante.
Deux promotions d’étudiants de master ont entendu une
partie des idées développées ici et les ont discutées avec
une ténacité qui fait la joie du métier d’enseignant. Avec
Éric Vigne, Martine Allaire a accueilli ces idées. Elle les a
encouragées et canalisées avec un enthousiasme stimulant
et une exigence constante de clarté. J’espère que tous se
reconnaîtront dans ce que cet ouvrage a de meilleur.
Bibliographie

ARCHIVES

Albums photographiques d’Abdülhamid II : Nadir Erserler


Kütüphanesi, Istanbul.
Archives diplomatiques françaises : Ministère des Affaires
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Égypte
al-Ahram (les pyramides)

Égypte et Koweït
Naft al-‘Arab (le pétrole des Arabes)

France
Pétrole et gaz arabes

Koweït
al-Sha‘b (le peuple)
al-Tali‘a (l’avant-garde)
Risalat al-Naft (la lettre du pétrole)

Liban
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Notes

AVANT-PROPOS

UNE HISTOIRE ARABE DU PÉTROLE

1. Ralph W. Hidy, George S. Gibb, Henrietta M. Larson


et Bennett H. Wall, History of Standard Oil Company, New
York, McGraw-Hill, 1955‑1988 ; Henry Longhurst, Adven-
ture in Oil : the Story of British Petroleum, avant-propos par
Winston Churchill, Londres, Sidgwick and Jackson, 1959 ;
Stephen Hemsley Longrigg, Oil in the Middle East. Its Dis-
covery and Development, Oxford University Press, 1961 ;
Ronald W. Ferrier (1982), The History of the British Petro-
leum Company, vol. 1, The Developing Years, 1901‑1932,
Cambridge University Press. Pour un commentaire récent
de cette historiographie très institutionnelle : Tristani,
2014, p. 19‑26.
2. Badre et Siksek, 1960 ; Hirst, 1966.
3. Muhammad al-Rumayhi, al-Naft wa-l-‘alaqat al-
dawliya : wajihat nazar ‘arabiyya (pétrole et relations inter-
nationales : un point de vue arabe), Koweït, 1982, pour une
synthèse représentative de la géopolitique arabe du pétrole
avant le contre-choc pétrolier ; André Nouschi, Pétrole et
relations internationales de 1945 à nos jours, Paris, Armand
Colin, 1999, pour une synthèse en français ; Daniel Yergin,
The Prize : The Epic Quest for Oil, Money, and Power, New
York, Simon and Schuster, 1991, pour le best-seller du
genre en anglais.
418 Aux pays de l’or noir

4. Vitalis, 2007 ; Freitag, Fuccaro, Ghrawi et Lafi, 2015 ;


Bet-Shlimon, 2019.
5. Pour les pays arabes : Hertog, 2010 ; Jones, 2010 ;
Hanieh, 2011 et 2018. Santiago, 2006, sur les boulever-
sements environnementaux et démographiques dans les
régions de production pétrolière au Mexique de la pre-
mière moitié du xxe siècle, et Tinker-Salas, 2009, sur le rôle
des campos petroleos dans les transformations sociales du
Venezuela, sont des exemples de l’historiographie corres-
pondante pour l’Amérique latine.
6. Nasser, 1953, p. 55‑56 dans l’édition française de
1957.
7. Bini, Garavini et Romero, 2016 ; Beltran, 2016 ; Mit-
chell, 2017 ; Basosi, Garavini et Trentin (dir.), 2018.
8. Dietrich, 2017 ; Nelida Fuccaro, « Oilmen, petroleum
arabism and OPEC : new political and public cultures of
oil in the Arab world, 1959‑1964 », in Claes et Garavini
(dir.), 2020, p. 15‑30.
9. Bustani, 1961, p. 171 et 183‑196.

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3. Barak, 2020, p. 198.
4. BBA HH. İ… 83‑39, 1893.
5. Arzu T. Terzi, « Bağdat ve musul petrolleri üzerine
bir değerlendirme », in Ahmetbeyoğlu, Cengiz et Başkan
(dir.), 2003, p. 349.
6. Issawi, 1988, p. 368 ; Barak, 2020, p. 198‑218.
7. BBA BEO 1127‑84462, 1898.
8. BBA BEO 1159‑86899, 1898. Les plaintes et les
règlements parlent de « nuisance de la santé », d’eaux
« impropres » ou « mélangées à l’huile ».
9. BBA DH ID 1052‑46, 1914.
10. BBA DH MKT 2837‑38 et 2851‑56, 1909.
Notes des pages 14 à 54 419

11. BBA BEO 4418‑308831, 1912 et BBA ML EEM


952‑18, 1912.
12. BBA HR İD 1233‑39, 1913.
13. Edward Thomas Boxall, 12 septembre 1913 et
Foreign Office (FO), 17 septembre 1913, IOR-R-15‑1-
512 ; BBA BEO 4199- 314908, 1913 ; BBA ŞD. 1245‑20 et
1245‑25, 1913.
14. Longrigg, 1961, p. 42 ; BBA BEO 4295‑322063,
1914 ; Hanbook of Palestine, 1922.
15. Arzu T. Terzi, « Bağdat ve musul petrolleri üzerine
bir değerlendirme », in Ahmetbeyoğlu, Cengiz et Başkan
(dir.), 2003, p. 350‑353.
16. Arzu T. Terzi, 2003, p. 356.
17. Geyikdağı, 2011, p. 125‑126 et 157‑158.
18. Sulayman, 2009, p. 42‑5.
19. BBA ; BEO 4291‑321767, 1914 et ML. EEM. 1214‑21,
1916 ; Fuller (éd.), 1934, p. 250‑253.
20. Alon, 2007, p. 33 ; Longrigg, 1961, p. 42.
21. Bet-Shlimon, 2019, p. 82‑83.

I
LES ARABES FACE
AU « PARTAGE DU PÉTROLE »

1. Meulen, 1957, p. 199 ; Jones, 2010, p. 77.


2. Ihsan al-Jabri, « La mer Morte et les mandats illé-
gaux », La Nation Arabe, 2, avril 1930, p. 58‑60 ; al-Difa‘,
12 avril 1937, cité dans Norris, 2013, p. 186‑188.
3. Ihsan al-Jabri, « La question du pétrole », La Nation
Arabe, 9, novembre 1930, p. 13‑20.
4. Sarkis, 1963 et 1968, p. 2.
5. Mughraby, 1966, p. 51‑53.
6. al-Durar al-Saniyya fi-l-ajwiba al-najdiyya, n. p., 2004,
vol. 9, p. 333‑334, cité par Bernard Haykel dans « Oil in
Saudi Arabian culture and politics : from tribal poets to
al-Qaeda’s ideologues », in Haykel, Hegghammer et Lacroix
(dir.), 2015, p. 130.
7. Saleh, 1991, p. 70.
8. Khalil, 1980, p. 267‑268 et 294‑296.
420 Aux pays de l’or noir

9. Norris, 2013, p. 106.


10. Longrigg, 1961, p. 88‑89.
11. al-Othman, 1984, p. 27‑32.
12. Takriti, 2013, p. 20.
13. Cahiers de l’Orient contemporain, vol. 44, 1960,
p. 388‑389, reproduit dans Yakan, 1977, p. 191.
14. Saleh, 1991, p. 85.
15. Mounif, 2013, p. 36‑40.
16. al-Othman, 1984, p. 8.
17. Jones, 2010.
18. Jones, 2010, p. 42‑43 ; Report of the United States
Agricultural Mission to Saudi Arabia, Le Caire, 1943.
19. Woertz, 2013, p. 47‑57.
20. Longrigg, 1968, p. 67 ; Tristani, 2014, p. 153.
21. al-Othman, 1984, p. 46‑47.
22. al-Nas, 27 septembre 1937 et al-Shabab, 6 octobre
1937, cités dans Saleh, 1991, p. 75
23. al-Othman, 1984, p. 49‑57.
24. Saleh, 1991, p. 74‑75 et p. 158‑159.
25. Bet-Shlimon, 2019, p. 85 ; Saleh, 1991, p. 72.
26. Saleh, 1991, p. 86‑90. Myrna Santiago décrit un
phénomène similaire pour le recrutement des ouvriers du
pétrole au Mexique à la même époque (Santiago, 2006).
27. Risalat al-Naft, no 1, février 1957, p. 16 ; al-Sha‘b, 46,
25 septembre 1958, p. 8.
28. al-Bakir, 1994, p. 29‑35 ; Fuccaro, 2009, p. 174‑175.
29. Saleh, 1991, p. 77‑84.
30. Crystal, 1989.
31. Takriti, 2013, p. 21‑22.
32. Sadâ al-ahâlî, 20 janvier 1952, cité par Khalil, 1980,
p. 413.
33. al-Sha‘b, 46, 25 septembre 1958 et 50, 23 octobre
1958.
34. Mughraby, 1966, p. 45‑48 ; Sayegh, 1968, p. 10‑14 ;
Mikdashi, 1972, p. 78‑79.
35. Al-Otaïba, 1980, p. 42‑43.
36. al-Othman, 1984, p. 76‑81.
37. Chiffres donnés par Saleh, 1991, p. 72, p. 85, p. 89
et 103.
Notes des pages 54 à 93 421

38. Émir du Qatar, 21 août 1942, India Office Records


(IOR), R/15/2/729, cité par Saleh, 1991, p. 110.
39. al-Othman, 1984, p. 33‑35.
40. al-Othman, 1984, p. 56‑57 ; Fuccaro, 2009,
p. 174‑175.
41. Jasseem bin Muhammad Jaber al-Naameh, in al-
Othman, 1984, p. 63.
42. Ancien ouvrier saoudien de l’Aramco, interviewé en
mars 1999 par Madawi al-Rasheed (2002, p. 97‑98).
43. Youssef Yassine, « Résumé des conversations de
S. M. Le Roi avec S. Excellence le Président Roosevelt,
par le chef de cabinet politique de S. M. Le Roi », Archives
diplomatiques de La Courneuve, « Afrique-Levant », fonds
« Arabie Saoudite », 1945. Sur la « légende » du pacte
du Quincy, voir la synthèse d’Henry Laurens, « De quoi
parlaient le président américain et le roi saoudien en
février 1945 ? », Orient XXI, 23 février 2016 (en ligne).
44. Saleh, 1991, p. 72 et p. 170.
45. Saleh, 1991, p. 143‑148 ; Fahad Bishara, Bernard
Haykel, Steffen Hertog, Clive Holes et James Onley, « The
economic transformation of the Gulf », in Peterson (dir.),
2016, p. 187‑222.
46. Saleh, 1991, p. 185 et 191.
47. Chiffres cités dans Saleh, 1991, p. 162‑163 et
p. 177‑178.

CHAPITRE II
LES PAYS DE L’OR NOIR DES LENDEMAINS
DE LA GUERRE À LA FIN DES ANNÉES 1960

1. Mahmud Taymur, Shamrukh, Le Caire, Dar al-Hilal,


1958.
2. Sarkis, 1963, p. 146‑148 ; Sayegh, 1968.
3. Bustani, 1961, p. 163, pour cette statistique sur le
Koweït.
4. Husayn Jamil, « La nationalisation du pétrole iranien
et les préjudices portés à l’Irak dans les privilèges pétro-
liers » (en arabe), al-Zaman, 20 mars 1951, cité par Khalil,
1980, p. 392‑396 ; Yakan, 1977, p. 116‑120.
422 Aux pays de l’or noir

5. AIOC Central Planning Department to Director J. A.


Jameson, « The oil industry in 1951 : Statistical review »,
p. 5, Rapport B 1/16, 29 avril 1952.
6. Tristani, 2014.
7. Sarkis, 1963, p. 77‑82.
8. Sarkis, 1963, p. 76‑84 ; Hamid El-Kaisy, « The eco-
nomic effects of absence of local refining conditions in oil
agreements in Arab Countries », Fourth Arab Petroleum
Congress, Beirut, 1963, p. 3‑4 cité par Sayegh, 1968, p. 242 ;
‘Abdallah al-Tariqi, « La nationalisation du pétrole arabe,
une nécessité nationale », conférence donnée en arabe lors
du 5e congrès arabe du pétrole en mars 1965, reproduite
dans al-Tariqi, 2005, p. 158‑178 ; Sayegh, 1968, p. 301.
9. Bernard Hourcade, « The demography of cities and
the expansion of the urban space », in Peter Sluglett (dir.),
2008, p. 168‑169.
10. Richard Lawless et Ian Seccombe, « Impact of the
Oil Industry on Urbanization in the Persian Gulf Region »,
in Amirahmadi et el-Shakhs (dir.), 1993, p. 183‑212 ; Dawn
Chatty, « Multinational oil exploitation and social invest-
ment : mobile pastoralists in the sultanate of Oman », in
Chatty (dir.), 2006, p. 496‑522.
11. Richard Lawless et Ian Seccombe, « Impact of the
Oil Industry on Urbanization in the Persian Gulf Region »,
in Amirahmadi et el-Shakhs (dir.), 1993, p. 211.
12. Sayegh, 1968, p. 140‑141 ; Munif, 1991 et 1998,
p. 115.
13. Badre et Siksek, 1960, p. 100.
14. Bet-Shlimon, 2013, p. 90.
15. Bet-Shlimon, 2019, p. 101‑106 et chapitre 4.
16. Fuccaro, 2013, p. 72.
17. Cité par Fuccaro, 2013, p. 68.
18. « Shaykh ‘Isa fi ‘Awali, wa-l-sha‘ab ma la wali », cité
par Fuccaro, 2013, p. 69 ; Longrigg, 1954 ; al-Othman,
1984, p. 52.
19. Fuccaro, 2009 et 2013.
20. al-Rashoud, 2016, p. 266.
21. Lawless et Seccombe, 1993, p. 210 ; Sayegh, 1968,
p. 129.
22. al-Sha‘b, 46, 25 septembre 1958, p. 9.
Notes des pages 96 à 124 423

23. « Ba‘d al-suwar al-khalfiyya li-nahdatina », al-Hadaf,


17 avril, 1er mai et 12 juin 1963, cité par al-Nakib, 2016,
p. 14.
24. Alissa, 2013.
25. al-Othman, 1984, p. 54.
26. Badre et Siksek, 1960, p. 8‑15
27. al-Othman, 1984, p. 73.
28. Badre et Siksek, au contraire, excluent les licen-
ciements du taux de turnover qu’ils prennent en compte
(1960) ; Sayegh, 1968, p. 92 ; Robert Vitalis, « Crossing
exceptionalism’s frontiers to discover America’s kingdom »,
The Arab Studies Journal, vol. 6, no 1, p. 10‑31 et Vitalis,
2007.
29. Risalat al-Naft, no 1, février 1957, p. 16.
30. Saleh, 1991, p. 182.
31. Halliday, 1974 ; Batatu, 1978.
32. « Du bateau de pêche au puits de pétrole », al-Tali‘a,
70, 19 février 1964, p. 10‑11.
33. Chiffres cités dans Sarkis, 1963, p. 52 ; Longrigg,
1954, p. 211 et 225 ; Halliday, 1974 ; Abir, 1988, p. 79 ;
Sayegh, 1968, p. 87 et 302 ; Tristani, 2014, p. 157 ; Zachary
Davis Cuyler, « Tapline, welfare capitalism, and mass
mobilization in Lebanon, 1950‑1964 », in Atabaki, Bini et
Ehsani (dir.), 2018, p. 343.
34. al-Othman, 1984, p. 68.
35. Khamis ibn Rimthan al-‘Ajmi, 1982, p. 59.
36. Husayn Saqr, 25‑26.
37. Sayegh, 1968, p. 94.
38. Batatu, 1978, p. 622‑624 sur le rôle des communistes
dans la grève des ouvriers de l’IPC à Kirkouk en 1946.
39. al-Naimi, 2016, p. 44.
40. Rosie Bsheer, « A counter-revolutionary state. Popu-
lar movements and the making of Saudi Arabia », Past and
Present, vol. 238, no 1, 2018, p. 233‑277.
41. al-Rasheed, 2002, p. 97‑98.
42. al-Sa‘id, p. 112‑118.
43. al-Naimi, 2016, p. 42‑43.
44. Sarkis, 1963, p. 54‑55 ; Robert Vitalis, « Crossing
exceptionalism’s frontiers to discover America’s kingdom »,
The Arab Studies Journal, vol. 6, no 1, p. 10‑31 ; Vitalis,
424 Aux pays de l’or noir

2007 ; Freitag, Fuccaro, Ghrawi et Lafi, 2015 ; Bsheer,


2018 ; Yusuf Khater al-Hilu, Le Pétrole volé, Dar al-Fikr
al-Jadid, Beyrouth, 1954, cité dans la correspondance de
l’Agence Politique, Koweït, à la Résidence britannique,
Bahreïn, 11 novembre 1954, dans Burdett (éd.), 1996,
p. 774‑781.
45. Lettre du Résident Politique, Bahreïn, au Foreign
Office, 20 juillet 1954, FO 371/109813, citée par Saleh,
1991, p. 230.
46. Saleh, 1991, p. 245‑247.
47. al-Sha‘b, 53, 13 novembre 1958.
48. Zachary Davis Cuyler, « Tapline, welfare capita-
lism, and mass mobilization in Lebanon, 1950‑1964 », in
Atabaki, Bini et Ehsani (dir.), 2018, p. 351‑356.
49. Saleh, 1991, p. 253‑254.
50. Cuyler, 2018, p. 347.
51. Badre et Siksek, 1960, p. 30‑32 ; Richard Lawless et
Ian Seccombe, « Foreign worker dependence in the Gulf
and the International Company, 1910‑1950 », The Inter-
national Migration Review, vol. 20, no 3, 1986, p. 548‑574.
52. Badre et Siksek, 1960, p. 36 ; Lawless et Seccombe,
1993, p. 190.
53. FO371‑74942E4773 cité dans Lawless et Seccombe,
1993, p. 189.
54. Gennaro Errichiello, « Foreign workforce in the Arab
Gulf States, 1930‑1950 : Migration patterns and nationality
clause », The International Migration Review, vol. 46, no 2,
2012, p. 389‑413.
55. Kanafani, Des hommes dans le soleil, 1990.
56. Lahbabi, 1974, p. 62.
57. Longrigg, 1954, p. 181 ; Zachary Davis Cuyler,
« Tapline, welfare capitalism, and mass mobilization in
Lebanon, 1950‑1964 », in Atabaki, Bini et Ehsani (dir.),
2018, p. 337‑368.
58. Gendzier, 2006, p. 91.
59. Gendzier, 2006, p. 100‑101.
60. Paul Stevens, « Pipelines or pipe dreams ? Lessons
from the history of Arab transit pipelines », Middle East
Journal, vol. 54, no 2, 2000, p. 224‑241 ; « Chronology of
events relative to the Trans-American pipeline », Hearings
Notes des pages 125 à 148 425

before the Subcommittee on Multinational Corporations of


the Committee on Foreign Relations, 93e Session, Part. 6,
U. S. Government Press, Washington, 1974, p. 343‑347.
61. Malti, 2012, p. 123.
62. Vitalis, 2007.
63. Yousif, 2007, p. 41‑42.
64. Jones, 2010.
65. Jones, 2010 ; Townsend, 1977, p. 192‑198.
66. La critique vient notamment de Bélaïd Abdesselam,
« Le modèle de développement appliqué par l’Algérie au
lendemain de son indépendance », 10 octobre 2007, www.
belaidabdesselam.com/?page_id=81 ; Sid Ahmed Ghozali
et Gérard Destanne de Bernis, « Les hydrocarbures et l’in-
dustrialisation de l’Algérie », El-Moudjahid, 4 avril 1968.
67. al-Otaïba, 1980, p. 133‑135.
68. Harold Beeley, Le Caire, 3 novembre 1961,
FO371‑158052 ; al-Othman, 1984, p. 67 ; Sfeir, 2008,
p. 125‑126.
69. Coll, 2008, p. 62 ; Hanieh, 2011.
70. Cité par Nelida Fuccaro dans « Oilmen, petroleum
arabism and OPEC : new political and public cultures of
oil in the Arab world, 1959‑1964 », in Claes et Garavini
(dir.), 2020, p. 15‑30.
71. Vitalis, 2007, p. 149 ; al-Sha‘b, 50, 23 octobre 1958.
72. Akhbar al-Dahran, no 26, 27 janvier 1956 ; no 27,
3 février 1956 et no 28, 10 février 1956, cités par Jones,
2010, p. 159‑61.
73. al-Sha‘b, 50, 23 octobre 1958 ; Muhammad Sa‘id
Ba ‘Ishin, « Nous ne nous soumettrons pas, Aramco ! »,
al-Adwa’, 6 janvier 1959, fac-similé dans Rosie Bsheer, « A
counter-revolutionary state. Popular movements and the
making of Saudi Arabia », Past and Present, vol. 238, no 1,
2018, p. 250‑252.
74. Sarkis, 1968.
75. Batatu, 1978, p. 106‑107 ; Yousif, 2012, p. 41 ;
Benhouria, 1980, p. 251, complété par les données de la
Banque mondiale pour 1978.
426 Aux pays de l’or noir

CHAPITRE III
LA POLITIQUE ARABE DU PÉTROLE
DES ANNÉES 1950 ET 1960

1. Nizar Qabbani, « L’amour et le pétrole », 1961,


trad. par Philippe Pétriat.
2. Résumé biographique confidentiel sur Nadim
al-Pachachi, 18 mai 1971, Foreign and Commonwealth
Records (FCO), 67‑559 ; Dietrich, 2017, p. 211‑212.
3. al-Fajr, 9 septembre 1958 ; al-Sha‘b, 44, 11 septembre
1958 ; El-Moudjahid, 29, 17 septembre 1958.
4. Mattar (dir.), 2005, p. 276.
5. Dietrich, 2017, p. 74.
6. El-Moudjahid, 27, 22 juillet 1958 ; Mughraby, 1966,
p. 65‑66.
7. Ligue des États Arabes, Le Pétrole dans le monde
arabe, Centre d’information arabe de Genève, 1959, p. 9 ;
Sarkis, 1963, p. 18 ; al-Tariqi, interview, Akhbar al-bitrul
wa-l-ma‘adin (nouvelles du pétrole et des minéraux), no 2,
septembre 1961, p. 22‑23 ; Lahbabi, 1974, p. 95‑96 et p. 121.
8. « Who bid in Kuwait and why Shell won », Petroleum
Week, 6 janvier 1961, p. 16‑18, cité dans Mikdashi, 1966,
p. 238 ; Boumediene, discours prononcé au 8e Congrès
arabe du pétrole, mai-juin 1972, et reproduit dans El-
Moudjahid, no 615, 4 juin 1972, p. 9.
9. Mikdashi, 1966, p. 139.
10. Al-Otaïba, 1980, p. 95 ; Dietrich, 2017, p. 77.
11. El-Moudjahid, 27, 22 juillet 1958.
12. Nicolas Chigot, « The presence of Compagnie Fran-
çaise des Pétroles in the Emirate of Abu Dhabi between
1936 and 1975 », in Beltran (dir.), 2011, p. 87‑98.
13. Sarkis, 1963 ; Sayegh, 1968, p. 48‑54 ; sur la « vic-
toire » d’al-Tariqi : 2e Congrès, octobre 1960, réponse au
journal koweïtien al-Ra’i al-‘amm (l’opinion publique),
reproduite dans Majallat al-Bitrul wa-l-ghaz al-‘arabi (revue
du pétrole et du gaz arabes), no 6, février 1966 et dans
al-Tariqi, 2005, p. 215 ; Chalabi, 2010, p. 19‑31.
14. al-Khatib et Abu al-‘Aynayn, 1998 ; Aziz Alka-
zaz, « The distribution of national income in Iraq with
Notes des pages 150 à 172 427

particular reference to the development of policies applied


by the State », in Hopwood, Ishow et Koszinowski (dir.),
1993, p. 247 ; Tristani, 2014, p. 150 ; al-Tanahi, 2011, p. 95.
15. El-Moudjahid, no 28, 22 août 1958.
16. El-Moudjahid, no 36, 6 février 1959.
17. Malti, 2012.
18. al-Sha‘b, no 49, 16 octobre 1958, p. 3 :
19. Sarkis, 1963, p. 57‑77 et p. 94‑101 ; Sarkis, 1968 ;
Sayegh, 1968, p. 81‑83 ; Mohamed El-Aziz Kouadri, « Place
et rôle du secteur pétrolier dans le développement de l’éco-
nomie algérienne », Tiers-Monde, 39, 1969, p. 629‑658 ;
Batatu, 1978, p. 34.
20. al-Otaïba, 1980, p. 37‑38.
21. Al-Rumayhi, 1982, p. 21‑23 ; Rebah, 2006,
p. 211‑214 ; Ghozali, 2009.
22. Tristani, 2014 ; Chalabi, 2010, p. 25.
23. Benhouria, 1980, p 261‑262 ; Abdesselam, 1990, t. 1,
p. 203‑205.
24. Abdesselam, Bennoune et El-Kenz, 1990, t. 1, p. 365 ;
Malti, 2012, p. 80‑82, 87‑88 et 116‑117 ; Tristani, 2014.
25. Philosophie de la révolution, 1953, p. 55‑56 dans l’édi-
tion française de 1957.
26. El-Moudjahid, no 2, juillet 1956.
27. El-Moudjahid, no 27, 22 juillet 1958 ; no 28, 22 août
1958 et no 29, 17 septembre 1958.
28. El-Moudjahid, no 21, 1er avril 1958 ; no 27, 22 juillet
1958 et no 28, 22 août 1958.
29. « Recommendations of the Petroleum committee of
the Arab League », juillet 1953, reproduit dans Burdett
(éd.), 2004, vol. 1, p. 81 ; Yakan, 1977, p. 104 et 329.
30. Khayr al-Din al-Zirikli pour l’Arabie Saoudite ; Mus-
tafa ‘Allam pour l’Égypte ; Muhammad ‘Abd al-Ghani al-
Naqib pour l’Irak ; Sa‘id Ammun pour le Liban ; Muwaffaq
al-‘Allaf pour la Syrie ; Ahmad Shuqayri pour la Palestine
et secrétaire général de la LEA.
31. Résolution 79 du conseil économique de la Ligue
Arabe, cité par Yakan, 1977, p. 138.
32. « Memorandum » du délégué qatari et employé de la
Shell, H. M. al-Khalidi, 9 mai 1959, reproduit dans Burdett
(éd.), 2004, vol. 1, p. 535‑547.
428 Aux pays de l’or noir

33. Salman, discours inaugural prononcé au premier


Congrès du pétrole arabe, 16 avril 1959, reproduit dans
Burdett (éd.), 2004, vol. 1, p. 385 ; al-Ahram, 17 avril 1959,
p. 1 et 11.
34. Sarkis, 1963, p. 131‑132.
35. al-Ahram, 17 avril 1959 : « Le Liban présente une
suggestion importante », cité dans Yakan, 1977, p. 183 ;
Bustani, 1961.
36. Hisham Nazir et Muhammad Joukhdar, « Oil prices
in the Middle East », Middle East Economic Survey, 23 sep-
tembre 1960, cité dans Hirst, 1966, p. 43 ; British Embassy,
Caracas, 29 juillet 1960, FO371‑150060, cité dans Burdett
(éd.), 2004, vol. 2, p. 38.
37. al-Tariqi, discours prononcé au 3e Congrès arabe du
pétrole, 1961, cité par Mikdashi, 1972, p 31 ; récits simi-
laires dans Mughraby, 1966, p. 120‑122 ; Lahbabi, 1974,
p. 157 ; Yakan, 1977 ; al-Otaïba, 1980, p. 95.
38. Middle East Economic Survey, 16 septembre 1960,
cité par Nelida Fuccaro, « Oilmen, petroleum arabism
and OPEC : new political and public cultures of oil in the
Arab world, 1959‑1964 », in Claes et Garavini (dir.), 2020,
p. 15‑30.
39. al-Shaybani, déclaration à l’Iraq News Agency,
15 septembre 1960, cité dans Burdett (éd.), 2004, vol. 2,
p. 87.
40. Tel. Beyrouth à Foreign Office (FO), 21 octobre 1960,
FO371‑150061 ; Rapport sur le congrès par A. J. Eden,
ambassadeur britannique, 25 octobre 1960, FO 371‑150061,
dans Burdett (éd.), 2004, vol. 2, p. 128‑138.
41. Wasim Khalis, al-Jumhuriyya, 4 mai 1963.
42. Propos rapportés par le correspondant du Times dans
« Oil and politics in the Middle East after the Alexandria
Congress », The Times, 1er novembre 1961, FO 195‑158082.
43. Nelida Fuccaro, « Oilmen, petroleum arabism and
OPEC : new political and public cultures of oil in the
Arab world, 1959‑1964 », in Claes et Garavini (dir.), 2020,
p. 15‑30.
44. Voir le début du chapitre.
45. Yakan, 1977, p. 169‑170.
46. Yakan, 1977, p. 192, 203, 232, 289 et 321.
Notes des pages 173 à 200 429

47. al-Tariqi, Majallat al-Bitrul wa-l-ghaz al-‘arabi, no 3,


novembre 1965 et 2005, p. 205 ; avant le sommet de l’OPEP
à Riyad : article dans al-Anwar, 14 décembre 1963, cité par
Hirst, 1966, p. 116.
48. Dietrich, 2017.
49. Sarkis, 1975, p. 30‑31 ; entretien avec l’auteur,
20 avril 2019.
50. Badre et Siksek, 1960, p. 8‑15 ; Lutfi, 1960.
51. Sarkis, 1963.
52. « Confidential report of the Arab oil expert’s confe-
rence held in Bagdad from nov. 1 to nov. 8 1957 », FO
371‑127224.
53. Sarkis, 1968, p. 2.
54. Yakan, 1977, p. 125, qui se demande si Muhammad
Salman n’est pas le « père, pas encore reconnu, des idées
arabes actuelles sur le pétrole » ; Hirst, 1966, p. 104.
55. Fuad Itayim, Middle East Economic Survey, 22 mai
1959, cité dans Hirst, 1966, p. 104.
56. Chalabi, 2010, p. 24.
57. al-Tariqi, 2005, p. 122‑124 ; al-Naimi, 2016, p. 64.
58. Chalabi, 2010, p. 50‑51.
59. Naft al-‘Arab, vol. 8, no 6, mars 1973, p. 15‑24.
60. R. H. Ellingworth, Oil Department, 18 mai 1971, FO
67‑559 ; Ambassade britannique (Koweït) au Oil Depart-
ment (FO, Londres), 24 octobre 1966, FO 960‑15 ; Chalabi,
2010, p. 88.
61. Mughraby, 1966 ; Bedjaoui, 1956 et 1961 ; Dietrich,
2017, p. 150‑157.
62. Harold Beeley, Caire, 3 novembre 1961,
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63. « Memorandum » d’al-Khalidi, 9 mai 1959, in Bur-
dett (éd.), 2004, vol. 1, p. 542 ; Sarkis, 1963, p. 235‑237
et p. 249‑251 ; Bustani, 1961, p. 171 et 183‑196 ; Sayegh,
1968, p. 208‑209.
64. « Memorandum » d’al-Khalidi, 9 mai 1959, in Bur-
dett (éd.), 2004, vol. 1, p. 542.
65. Chalabi, 2010, p. 30.
66. Takriti, 2013, p. 62‑63.
67. F. Gregory Gause, « Oil and political mobilization in
430 Aux pays de l’or noir

Saudi Arabia », in Haykel, Hegghammer et Lacroix (dir.),


2015, p. 13‑30, pour les années 1970 à 1990.
68. al-Tariqi, 1967.
69. Sayegh, 1968, p. viii ; Farouk A. Sankari, « The
character and impact of Arab oil embargoes », in Sher-
biny et Tessler (dir.), 1976, p. 265‑278 ; Sulayman, 2009,
p. 153‑162.
70. Ambassade britannique (Bagdad), 14 mars 1967,
FCO54‑2, in Burdett (éd.), 2004, vol. 4, p. 5 ; ‘Abd al-Amir
Kubbar, éditeur de la revue irakienne Review of Petroleum
and Economics, cité dans Middle East Economic Survey,
17 mars 1967, et dans Stephen Duguid, « A biographical
approach to the study of social change in the Middle East :
Abdullah Tariki as a New Man », International Journal of
Middle East Studies, vol. 1, no 3, 1970, p. 195‑220. Duguid,
1970, p. 219 ; Majallat al-bitrul wa-l-ghaz al-‘arabi, no 6,
mars 1967.
71. Ambassade britannique (Koweït) au Oil Department
(FO, Londres), 24 octobre 1966, FO 960‑15 ; Tahir, 2009 ;
Hijlawi, 2010, p. 212.
72. Middle East Economic Survey, 12 janvier 1968, p. 2
et 14 juin 1968, p. 8, cité par Mikdashi, 1972, p. 107.
73. Adib al-Jader, MEES Supplement, 19 janvier 1968,
p. 1, cité par Mikdashi, 1972, p. 87‑88.
74. Majallat al-Bitrul wa-l-ghaz al-‘arabi, janvier 1968,
cité dans Mikdashi, 1972, p. 88.
75. Khalil, 1980, p. 413‑414 ; Lutfi, 1960 ; Mughraby,
1966, p. 53‑54 et 70.
76. Al-Ahram, 8 au 11 août 1964 ; « La nationalisation
de l’industrie du pétrole arabe : une nécessité nationale
panarabe » (en arabe), Dirâsât ‘arabiyya, 7, 1965, in al-
Tariqi, 2005, p. 158‑178 ; Duguid, 1970 ; Mughraby, 1966,
p. 30‑31 ; Sayegh, 1968, p. 171‑180, examine les différentes
positions arabes sur la question de la nationalisation et
celle de la participation.
77. Cité dans Kubbah, 1974, p. 130‑133.
78. Yamani, Middle East Economic Survey, 21 avril 1967,
in Burdett (éd.), 2004, vol. 4, p. 87‑93.
79. Dietrich, 2017 ; Malti, 2012, p. 141.
80. Abdesselam, 1990, t. 1, p. 385 ; Ghozali, 2004.
Notes des pages 201 à 232 431

81. Ouannes, 2009, p. 111‑112 ; Dietrich, 2017, p. 191‑196


et 209 ; mémoires de Bashir al-Sunni al-Muntasar, vol. 2,
chap. 2, http://archive2.libya-al-mostakbal.org/news/
clicked/67996.
82. Abdesselam, 1990, t. 1, p. 403‑404.
83. Abdesselam, 1990, t. 1, p. 329.

CHAPITRE IV
LE PÉTROLE ARABE AUX ARABES !
LA DÉCENNIE 1970

1. Muzaffar al-Nawwab, « Tall al-Za‘tar (Jisr al-mabahij


al-qadima) », 1977, cité dans Daniel Weissbort et Saadi
Simawe (éd.), 2003, p. 178‑180.
2. El-Moudjahid, 25 février 1971.
3. Boumediene, discours du 19 juin 1971, El-Moudjahid,
no 566, 27 juin 1971, p. 6 ; discours de Skikda, 16 juillet
2019, El-Moudjahid (fr.), no 1831, 2‑3 mai 1971.
4. Malti, 2012, p. 159‑164 et p. 189‑195.
5. ‘Atif Sulayman, « L’Algérie présente une expérience
pionnière au monde arabe », El-Moudjahid, no 556, 21 mars
1971, p. 9.
6. Malti, 2012, p. 202‑205 ; El-Moudjahid (fr.), no 1872,
19 juin 1971, et no 1873, 20‑21 juin 1971.
7. Yacine, 1999, p. 316.
8. Middle East Economic Survey, vol. 14, no 48, 24 sep-
tembre 1971, dans Burdett (éd.), 2004, vol. 5, p. 403‑409
9. MEES Supplement, 2 juin 1972, p. 7.
10. Tristani, 2014, p. 549‑557.
11. El-Moudjahid, no 615, 4 juin 1972, p. 7.
12. ‘Atif Sulayman, « Les nationalisations du gaz et du
pétrole en Algérie : lumières sur quelques-uns de leurs aspects
juridiques et économiques », intervention au 8e Congrès arabe
du pétrole, reproduite dans Naft al-‘Arab, mars 1973, p. 16‑24.
13. Chalabi, 2010, p. 51 et 123‑133.
14. Abdesselam, 1990, t. 1, p. 423‑428.
15. Khalil, 1980 ; Chalabi, 2010, p. 92‑93.
16. Sulayman, 2009, p. 132 ; El-Moudjahid (fr.), no 2150,
3 juin 1972.
432 Aux pays de l’or noir

17. Naft al-Arab, vol. 7, no 4, janvier 1974.


18. El-Moudjahid, no 1771, 21 février 1971 et no 1773,
23 février 1971.
19. Middle East Economic Survey, vol. 14, no 48, 24 sep-
tembre 1971, dans Burdett (éd.), 2004, vol. 5, p. 403‑409.
20. Sabry Hafez, « An Arabian Master », New Left
Review, no 37, janvier-février 2006.
21. Note par C.T. McGurk, Koweït, 29 août 1971, sur
l’entretien avec ‘Atiqi, Foreign and Commonwealth Office
Records (FCO) 67/561, dans Burdett (éd.), 2004, vol. 5,
p. 329‑330 ; al-Otaïba, 1980, p. 231 ; al-Rumayhi, 1982,
p. 138.
22. Robinson, 1989, p. 89 ; interview télévisée à Riyad,
29 décembre 1972, dans Burdett (éd.), 2004, vol. 6,
p. 567‑568.
23. Naft al-‘Arab, vol. 18, no 2, 11/1972, p. 3.
24. al-Tali‘a, no 401, 25 novembre 1972 ; no 410, 3 février
1973, p. 4‑8, et no 505, 4 janvier 1975, p. 6‑7 ; interview croi-
sée de ‘Abdallah al-Nibari et ‘Abdallah al-Tariqi, émission
« Qadaya wa rudud » de la chaîne koweïtienne al-Qurayn,
1975, https://www.youtube.com/watch?v=krrlE4315xo ;
Sarkis, 1975, p. 299‑300 ; al-Rumayhi, 1982, p. 137‑143.
25. al-Othman, 1984, p. 106‑108 ; Chalabi, 2010, p. 96.
26. al-Naimi, 2016, p. 15‑16.
27. Marcel, 2006 ; Hertog, 2008 ; Vitalis, 2007.
28. Yahya al-Sumayt (ministre du Logement en 1990‑1991
et membre du conseil d’administration de KPC), interviewé
dans The Kuwaiti Digest, 2016, p. 15‑20 ; entretien avec
Sami F. al-Rushayd (président du conseil d’administration
de la KNPC puis de la KOC entre 2004 et 2013), 27 octobre
2018 ; Marcel, 2006 ; Rebah, 2006, p. 216.
29. al-Naimi, 2016, p. 92‑97.
30. ‘Ali Ahmad ‘Atiqa, « al-naft wa-l-azma al-iqtisadiyya
al-‘alamiyya (le pétrole et la crise économique mondiale) »,
in ‘Atiqa et Bassada, 1975, p. 11‑28.
31. al-Wasba, 11 mars 1975, p. 1 et 4, cité dans Yakan,
1977, p. 303‑304 ; al-Rumayhi, 1982, p. 171‑178.
32. Nicolas Sarkis, entretien avec l’auteur, 20 avril 2019.
33. Constat proche de l’historiographie la plus récente :
Mitchell, 2017 ; Bini, Garavini et Romero (dir.), 2016.
Notes des pages 232 à 258 433

34. Sarkis, 1975, p. 76‑77 et 92‑94 ; ‘Ali Ahmad ‘Atiqa,


« Le pétrole et la crise économique mondiale » (en arabe)
in ‘Atiqa et Bassada, 1975, p. 11‑28 ; « Conférence d’Ahmad
Zaki Yamani à l’université de Riyad » (en arabe), Naft al-
‘Arab, vol. 13, no 9, juin 1978, p. 22‑23 ; Fuad Itayim, « Arab
oil : the political dimension », Journal of Palestine Studies,
vol. 3, no 2, 1974, p. 84‑97 ; Sulayman, 2009, p. 179.
35. al-Ahram, 21 juillet 1972 ; Terzian, 1983, p. 203.
36. Bulletin de l’OPEP, no 2, 1972, dans Burdett (éd.),
2004, vol. 6, p. 527‑528.
37. The International Seminar on Oil As a Weapon, Bag-
dad, 11‑14 novembre 1972, Le Caire, Afro-Asian People s’
Solidarity Organization, 1974, p. 700, cité par Alnasrawi,
1991, p. 84.
38. Lahbabi, 1974, p. 89.
39. Sulayman, 2009, p. 45 ; Abdel Razzaq Takriti, « Poli-
tical praxis in the Gulf : Ahmad al-Khatib and the move-
ment of Arab nationalists, 1948‑1969 », in Hanssen et
Weiss (dir.), 2018, p. 101 ; ‘Abdallah al-Tariqi, « L’OPEP
et la position de certains États à son égard » (en arabe),
Majallat al-Bitrul wa-l-ghaz al-‘arabi, no 8, avril 1966, p. 5‑9 ;
Chalabi, 2010, p. 111‑113.
40. Yusif A. Sayigh, « Oil in Arab developmental and
political strategy : an Arab view », in Sherbiny et Tessler
(dir.), 1976, p. 257‑264 ; Farouk A. Sankari, « The character
and impact of Arab oil embargoes », in Sherbiny et Tessler
(dir.), 1976, p. 265‑278 ; Sulayman, 2009, p. 192‑195.
41. Woertz, 2013, p. 115 ; al-Qabas, 16 avril 1974.
42. El-Moudjahid, 615, 4 juin 1972, p. 8 ; Khalid Tahsin
Ali, « Food security and the joint Arab effort », in Sources
and Problems of Arab Development, OPAEC, Koweït, 1980,
p. 58‑97 ; M. M. al-Imam, « Decline in Arab oil revenues »,
in Farid et Sirriyeh (dir.), 1986, p. 1‑35 ; Mikdashi, 1986,
p. 151‑153 ; Woertz, 2013.
43. El-Moudjahid, 615, 4 juin 1972, p. 9.
44. al-Wasba, 11 mars 1975, p. 1 et 4, cité dans Yakan,
1977, p. 303‑304.
45. Al-Rumayhi, 1982, p. 165‑167 ; Willard R. Johnson,
« Africans and Arabs : Collaboration without co-operation,
change without challenge », International Journal, vol. 35,
434 Aux pays de l’or noir

no 4, 1980, p. 766‑793 ; Willard R. Johnson, « The role of


the Arab Bank for Economic Development in Africa »,
The Journal of Modern African Studies, vol. 21, no 4, 1983,
p. 625‑644.
46. Lahbabi, 1974, p. 16 et 220 ; Chalabi, 2010,
p. 115‑116.
47. Sarkis, 1975, p. 18‑19.
48. Yizraeli, 2012, p. 46 ; Alnasrawi, 1994, p. 71 ; Malti,
2012, p. 265.
49. Lahbabi, 1974, p. 70 ; al-Otaïba, 1980, p. 103.
50. Source : Banque mondiale.
51. Ibrahim, 1982, p. 154 ; Mikdashi, 1986, p. 159.
52. Ragaei El Mallakh, « Industrialization in the Arab
World : Obstacles and Prospects », in Sherbiny et Tessler
(dir.), 1976, p. 58‑74.
53. al-Othman, 1984, p. 128.
54. Abdesselam, 1990, t. 1, p. 453‑458 ; Dahmani, 1999,
p. 33.
55. Mekideche (économiste algérien), 1983 ; Abdesse-
lam, Bennoune et el-Kenz, 1990, p. 459‑460 ; Brahimi (éco-
nomiste, ministre puis Premier ministre de 1984 à 1988),
1991, p. 159‑173.
56. Le Monde, 5 février 1974.
57. Al-Rumayhi, 1982, p. 157 ; Mikdashi, 1976 et Mik-
dashi, 1986, p. 125 ; Kassir, 2003, p. 472 ; Hertog, 2010,
p. 98‑103.
58. Ragaei El Mallakh, « Industrialization in the Arab
World : Obstacles and Prospects », in Sherbiny et Tessler
(dir.), 1976, p. 58‑74.
59. Hanieh, 2018, chap. 2 ; Rebah, 2006, p. 132 ; Ouaïssa,
2018, p. 121‑145.
60. Benhouria, 1980, p. 302‑311 et p. 435 ; Harbi, 1992,
p. 38‑39 et p. 194‑196 sur l’époque du président Boume-
diene (1965‑1978) en Algérie ; al-Rumayhi, 1982, p. 135
pour l’Irak.
61. Sarkis, 1975, p. 121‑122 ; interview de ‘Abdallah al-
Tariqi, Naft al-‘Arab, vol. 13, no 11, août 1978, p. 6‑9.
62. Mohammed al-Rumaihi, « Social and psychological
impact on the Arab world », in Farid (dir.), 1986, p. 84‑99 ;
Mustafa Kamel el-Sayyed, « Économie politique de la
Notes des pages 259 à 279 435

croissance : du capitalisme d’État à la libéralisation », in


Battesti et Ireton (dir.), 2011.
63. Benachenhou, 1993.
64. Mohammed al-Rumaihi, « Social and Psychological
Impact on the Arab World », in Farid (dir.), 1986, p. 84‑99 ;
Saad Eddin, 1980.
65. al-Gosaybi, 1989, p. 46 ; pour une retranscription des
témoignages recueillis auprès de groupes tribaux ruraux
comme les Rwala dans les années 1970‑1980 : William
et Fidelity Lancaster, « Integration into modernity : some
tribal rural societies in the Bilad ash-Sham », in Dawn
Chatty (dir.), 2006, p. 335‑369.
66. Munif, 1991, publié en arabe à Beyrouth en 1986.
67. al-Othman, 1984, p. 490‑491.
68. ‘Atiqa, 1978, p. 10 ; Sayigh, 1978.
69. Sulayman, 2009, p. 151‑152 et p. 222‑223 ; Malti,
2012, p. 237.
70. Sayigh, 1991, p. 131‑132 ; entretien avec Sami F. al-
Rushayd, 27 octobre 2018.
71. Saad Eddin, 1980 ; Abbas Alnasrawi, « Middle East
and economic development : regional and global implica-
tions », in Sami G. Hajjar (dir.), 1985, p. 22.
72. Haykal, 1977.
73. Mohammed al-Rumaihi, « Social and Psychological
Impact on the Arab World », in Farid (dir.), 1986, p. 90.
74. Saad Eddin, 1980 ; Ibrahim, 1982.
75. Ibrahim, 1982 ; Abbas Alnasrawi, « Middle East and
economic development : regional and global implications »,
in Sami G. Hajjar (dir.), 1985, p. 23.
76. Shihata, 1982, p. 202‑217 ; Alnasrawi, 1985, p. 23.
77. al-Ahram, 4 août 1976 et 3 avril 1979 cité par Gilbar,
1997, p. 68‑69.
78. Saad Eddin, 1980, p. 7‑26.
436 Aux pays de l’or noir

CHAPITRE V
LA CRISE DES ÉTATS PÉTROLIERS
(LES ANNÉES 1980 ET 1990)

1. al-Naimi, 2016, p. 146‑164 ; Heroes of Fire, documen-


taire de l’Ahmad al-Jaber Oil and Gas Exhibition Center
(Kuwait Oil Company), réalisé par la société Graham
English et Beck Productions, 2019.
2. Ibrahim, 1994, p. 293.
3. El-Kenz, 1991, p. 33‑47.
4. Alnasrawi, 2001.
5. El Moudjahid, 26 septembre 1985, cité par Dahmani,
1999, p. 90.
6. Yizraeli, 2012, p. 96.
7. Khadduri, 2009, p. 111.
8. Entelis, 1999.
9. Hertog, 2010 et « The oil-driven nation-building of
the Gulf States after World War II », in Peterson (dir.),
2016, p. 323‑352.
10. Mabro, Robert (1969), « La Libye, un État rentier ? »,
Projet, no 39, p. 1090‑1101 ; Hossein Mahdavy, « The
patterns and problems of economic development in rentier
states : the case of Iran », in Cook (dir.), 1970, p. 428‑467.
11. Hazem al-Beblawi, « The rentier state in the Arab
world », in al-Beblawi et Luciani (dir.), 1987, p. 49‑62.
12. Abdel-Meguid, 1994.
13. al-Gosaybi, 1989, p. 39‑53 et 1995, p. 73‑74.
14. Abdesselam, 1990, t. 1, p. 453‑458.
15. « La Sonatrach, première compagnie pétrolière du
Tiers-Monde », Révolution africaine, 4 mai 1971, cité par
Rebah, 2006, p. 131.
16. Abdesselam, 1990, t. 2, p. 75‑85 ; Rebah, 2006,
p. 136‑137.
17. El-Kenz, 1991, p. 40.
18. Hertog, 2008 ; al-Naimi, 2016, p. 139.
19. Middle East Economic Survey, 27 avril 1981 ; United
Press International, 19 avril 1981 ; Mabro, 1987.
20. Chalabi, 2010, p. 203‑208 ; M. M. al-Imam (ancien
ministre de la Planification de l’émirat d’Abu Dhabi),
Notes des pages 282 à 305 437

« Decline in Arab Oil Revenues », in Farid et Sirriyeh (dir.),


1986, p. 1‑35.
21. Ibrahim al-Marashi, « Iraq, Saudi Arabia and the
Counter-Shock », in Basosi, Garavini et Trentin (dir.),
2018, p. 140‑157.
22. Cité par Alnasrawi, 1986, p. 889.
23. Cité par Alnasrawi, 1986, p. 890.
24. Basosi, Garavani et Trentin (dir.), 2018, p. 1 et Ibra-
him al-Marashi, « Iraq, Saudi Arabia and the Counter-
Shock », in Basosi, Garavini et Trentin (dir.), 2018, p. 144.
25. Majid al-Moneef, « Saudi Arabia and the Counter-
Shock of 1986 », in Basosi, Garavini et Trentin (dir.), 2018,
p. 99‑116.
26. Middle East Economic Survey, 18 octobre 1982, p. 3,
cité par Alnasrawi, 1991, p. 144.
27. Sayigh, 1991, p. 133 ; Aziz Alkazaz, « The distribu-
tion of national income in Iraq with particular reference
to the development of policies applied by the State », in
Hopwood, Ishow et Koszinowski (dir.), 1993, p. 223 ;
Ibrahim al-Marashi, « Iraq, Saudi Arabia and the Counter-
Shock », in Basosi, Garavini et Trentin (dir.), 2018,
p. 140‑157.
28. Mussab al-Dujayli, « Political, strategic and econo-
mic effect on Arab relations with the Thirld World », in
Farid et Sirriyeh (dir.), 1986, p. 113‑129 ; al-Naimi, 2016,
p. 137.
29. Alnasrawi, 1984 et 1991, p. 144 ; Majid al-Moneef,
« Saudi Arabia and the Counter-Shock of 1986 », in Basosi,
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2003, p. 211.
34. Alnasrawi, 2001.
35. Paul Dresch, « Societies, Identities and Global
Issues », p. 16, cité dans Ulrichsen, 2011, p. 88 ; Eliyahu
438 Aux pays de l’or noir

Kanovsky, « Middle East oil power : mirage or reality ? »,


in Esfandiari et Udovitch (dir.), 1990, p. 63‑91.
36. Robinson, 1989, p. 315‑327 ; Majid al-Moneef,
« Saudi Arabia and the Counter-Shock of 1986 », in Basosi,
Garavini et Trentin (dir.), 2018, p. 99‑116.
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the Middle Eastern oil industry », in Esfandiari et Udovitch
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43. Krimly, 1999.
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national Organization, vol. 43, no 1, 1989, p. 101‑145 ; Kiren
Aziz Chaudry, The Price of Wealth : Economies and Institu-
tions in the Middle East, Ithaca, Cornell University Press,
p. 7 ; Mussab H. al-Dujayli, « Political, strategic and eco-
nomic effect on Arab relations with the Thirld World », in
Farid et Sirriyeh (dir.), 1986, p. 113‑129 ; Rey, 2018, p. 278.
45. Al-Naimi, 2016, p. 129.
46. Abdesselam, 1990, p. 320‑327 ; Rebah, 2006 ; Malti,
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47. El Kenz, 1995.
48. Rebah, 2006.
49. Algérie-Actualité, 10‑16 février 1993, cité par Dah-
mani, 1999, p. 173.
50. El-Watan, 13 novembre 1993 et Algérie-Actualité,
21‑27 septembre 1993, cités par Dahmani, 1993, p. 207‑209.
51. Nazer, 1985‑1986.
52. Mohammed al-Rumayhi, « Social and Psychological
Impact on the Arab World », in Farid et Sirriyeh (dir.),
1986, p. 93.
53. Alnasrawi, 1967, p. 2 et p. 158 ; Ibrahim Saad Eldin,
« Social tension in the Arab World in the post-oil era »,
Notes des pages 306 à 324 439

in Farid et Sirriyeh (dir.), 1986, p. 103 ; Alnasrawi, 1991,


p. 191‑192.
54. Munif, 1998, p. 133.
55. Farid et Sirriyeh (dir.), 1986 ; Dahmani, 1999, p. 7.
56. Chiffres de l’Arab Unified Economic Report, 1988,
repris dans Sayigh, 1991, p. 133‑138.
57. Alnasrawi, 1991 ; Sayigh, 1991, p. 139.
58. Sayigh, 1991, p. 132
59. Martinez, 2010.
60. Malti, 2014, chap. 16 ; El Moudjahid, 31 octobre
1982, cité par Dahmani, 1999, p. 27.
61. Harbi, 1992, p. 201.
62. Gosaybi, 1989, p. 44 ; Sayigh, 1991, p. 236.
63. Farid, 1986, préface, p. ii.
64. Arab and Oil Gas, février 1985, cité par M. M. al-
Imam, ancien ministre de la Planification, « Decline in
Arab Oil Revenues », in Farid et Sirriyeh (dir.), 1986,
p. 1‑35 ; Révolution africaine, 8‑14 février 1985, cité par
Dahmani, 1999, p. 82.
65. Mohammed al-Rumaihi, « Social and psychological
impact on the Arab world », in Farid et Sirriyeh (dir.),
1986, p. 99.
66. Takriti, 2013, p. 267‑268.
67. Khalid ibn al-Walid, célèbre chef de guerre mecquois
rallié au Prophète Muhammad et surnommé « l’épée levée
de Dieu » pour ses nombreuses conquêtes.
68. Sakher Habash, « al-Janub wa-l-thawra : Oman (le
Sud et la révolution : Oman) », Front Populaire de Libéra-
tion d’Oman, 9 Yunyu, vol. 5, juin 1975, p. 92‑93, cité par
Takriti, 2013, p. 258‑259.
69. Khalid, 1984, p. 78‑94.
70. Zakariyya, 1986.
71. C’est d’abord la généralité du modèle qui est criti-
quée parce qu’elle le rend incapable d’expliquer les formes
de contrat social qui existent bel et bien, les divergences
des voies politiques et économiques entre États produc-
teurs (entre l’Arabie Saoudite, le Koweït et l’Algérie par
exemple). Ensuite, c’est la fin de la pertinence de la théorie
qui est critiquée pour comprendre les changements susci-
tés par les débats les réformes sur l’après-pétrole.
440 Aux pays de l’or noir

72. Dahmani, 1999, p. 54‑55.


73. Bachir Mustapha, « Une réforme économique selon
des critères islamiques », al-Irshad, avril-mai 1990, cité
dans al-Ahnaf, Botiveau et Fregosi, 1991, p. 155‑203.
74. Matthiesen, 2015, p. 133‑136.
75. Interview de Ali Khalifa Al Kuwari, Heinrich Böll
Stiftung, 3 mars 2014, https://lb.boell.org/en/2014/03/03/
interview-dr-ali-khalifa-al-kuwari-author-people-want-
reform-qatar-too-statehood ; al-Kuwari, 2017, chap. 14.
76. Alrefai, 2018.

CHAPITRE VI
LE DÉSENCHANTEMENT PÉTROLIER
DES ANNÉES 2000 À AUJOURD’HUI

1. « Kuwait’s government must work harder to pass pri-


vatization bill : economists », AFP, 6 décembre 2001, cité
dans Champion, 2003, p. 212.
2. Martinez, 2010, p. 11‑12.
3. al-Naimi, 2016, p. 262.
4. al-Naimi, 2016, p. 278‑289
5. Abderrahmane Mebtoul, « Réserves de change de l’Al-
gérie : la Banque mondiale tire la sonnette d’alarme ! », Le
Matin d’Algérie, 9 août 2016 ; Entretien avec Badr al-Din
Nouioua, ancien gouverneur de la Banque d’Algérie : « Il
faut agir avec détermination pour éviter une situation qui
conduirait l’Algérie à la catastrophe » (en arabe), El Kha-
bar, 11 août 2016 (en ligne).
6. Simeon Kerr, « IMF warns on Gulf States growth amid
oil price fall and conflict », Financial Times, 21 octobre
2015, cité par Kristian Coates Ulrichsen, « The Politics of
Economic Reform in Arab Gulf States », James A. Baker
III Institute for Public Policy of Rice University, juin 2016.
7. Rapport arabe sur le développement humain, PNUD,
2002, p. 4.
8. Par exemple : Matthews Simmons, Twilight in the
Desert : The Coming Saudi Oil Shock and the World Eco-
nomy, Wiley, 2006 ; al-Naimi, 2016, p. 245‑246.
9. « Saudi Aramco : les déclarations d’al-Husayni au
Notes des pages 325 à 351 441

sujet de l’augmentation de la capacité de production sont


sans fondements » (en arabe), al-Riyad, 14 novembre 2005 ;
« Wilikeaks et les réserves en pétrole du royaume (simple
répétition d’informations anciennes) » (en arabe), al-Riyad,
12 mars 2011 ; Financial Times, 5 juillet 2010 ; Malti, 2012,
p. 353.
10. Yamani, en juin 2000, cité dans Champion, 2003,
p. 159.
11. Bahi Muhammad, El-Moudjahid, 615, 4 juin 1972, p. 9.
12. Yamani, 1999, p. 22 et 129‑130.
13. Rapport arabe sur le développement humain, PNUD,
2009, p. 113‑118.
14. Lamya Harub, « Omani identity amid the oil cri-
sis », in Fromherz (dir.), 2018, p. 333‑357 ; Steffen Hertog,
« The oil-driven nation-building of the Gulf states after
World War II », in Peterson (dir.), 2016, p. 323‑352. Hélène
Thiollet, « Gérer les migrations, gérer les migrants : une
perspective historique et transnationale sur les migrations
dans les monarchies du Golfe », Arabian Humanities, 7,
2016 ; Vora, 2013.
15. Martinez, 2010, chap. 4 ; Salem Saif, « When consul-
tants reign », Jacobin, 5 septembre 2016 (en ligne).
16. Hanieh, 2011, p. 150.
17. Nicolas Sarkis, « Pétrole et gaz en Méditerranée
orientale : chances et défis pour le Liban », L’Orient — Le
Jour, 15 octobre 2012.
18. Interview sur al-‘Arabiyya, 25 avril 2016, https://
www.youtube.com/watch?v=uhWfUK0aizw.
19. Sébastien Castelier, « Les fonds souverains du Golfe
changent de cap », Orient XXI, 29 juillet 2020 (en ligne) ;
Salem Saif, « When consultants reign », Jacobin, 5 sep-
tembre 2016 (en ligne).
20. General Authority for Statistics (en ligne), avec un
taux de chômage officiel à 16 % au second trimestre de
l’année 2020.
21. Hanieh, 2018 ; Ouaïssa, 2018 ; Fadaak et Roberts,
2019, p. 170‑184.
22. Le Quotidien d’Oran, 24 février 2001, cité par Rebah,
2012, p. 178.
23. ‘Aql al-‘Aql, « ‘Abdallah al-Tariqi… celui qui a préparé
442 Aux pays de l’or noir

la voie de la “saoudisation” de l’Aramco » (‘Abdallah al-


Tariqi, al-mumahhid li-sa‘wadat Aramku), al-‘Arabiyya,
27 décembre 2016 (en ligne).
24. al-Rifai, 2018 ; Rapport arabe sur le développement
humain, 2016, p. 151‑153.
25. Marcel, 2006, p. 45 et 118 ; Ouaïssa, 2018 ; Kingdom
of Saudi Arabia, General Authority for Statistics, Labor
Force Survey, 2017 et Industrial Survey Report, 2017 ; Wald,
2018, p. 212.
26. Entretien avec Sami F. al-Rushayd, 27 octobre 2018 ;
Rapport arabe sur le développement humain, PNUD, 2002,
p. 13 ; Hanieh, 2018 ; Wald, 2018, p. 214.
27. Malti, 2012, p. 325‑344.
28. « Sonatrach : les cadres brisent le silence », El-
Watan, 22 janvier 2010.
29. Rebah, 2012, p. 168‑178.
30. Samya Kullab, « Iraq’s protests raise question :
where does the oil money go ? », The Washington Post,
14 novembre 2019 ; Hélène Sallon, « “Ils ont volé nos
droits, ils doivent tous dégager” : les jeunes exaspérés dans
le sud de l’Irak », Le Monde, 19 novembre 2019.
31. Mary-Ann Tétreault, « Pleasant dreams : The WTO
as Kuwait’s Holy Grail », Critical Middle Eastern Studies,
vol. 12, no 1, 2003, p. 80‑82 ; Marcel, 2006, p. 47.
32. Munir al-Hudayb, « Un document qui confirme
l’orientation du roi fondateur pour l’investissement dans
l’entreprise Aramco » (en arabe), al-Hayat, 3 mai 2017.
33. Barjas Hamud al-Barjas, « Aramco li-l-bay‘ »
(Aramco : à vendre), al-Watan online, 3 avril 2016.
34. Arab Region Progress in Sustainable Energy : GTF
Regional Report, United Nations, Beyrouth, 2017, p. 12.
35. Living Planet Report 2008, WWF, p. 34.
36. Stanley Reed, « From oil to solar : Saudi Arabia
plots a shift to renewables », The New York Times, 5 février
2018 ; Wassila Ould Hamouda, « Énergies renouvelables :
signature de trois accords entre Sonatrach et ENI », Sud
Horizons, 24 novembre 2018 (en ligne).
37. Bahgat, 2013.
38. Fattouh et El-Katiri, 2012 ; BP, 2019.
39. al-Naimi, 2016, p. 271 ; Glada Lahn et Paul Stevens,
Notes des pages 352 à 381 443

« Burning Oil to Keep Cool : The Hidden Energy Crisis in


Saudi Arabia », Chatham House, 2011 ; Krane, 2019, p. 91.
40. Fattouh et El-Katiri, 2017 ; Mouloud Hedir, « Ce que
coûtent les subventions au Trésor », El Watan, 14 mai 2018.
41. Cité dans Krane, 2019, p. 86 ; Bahgat, 2013 pour des
déclarations similaires en Arabie Saoudite.
42. Krane, 2019, p. 104‑109.
43. https://fr.globalpetrolprices.com/.
44. Mohammad El-Sayed Selim, « The environment in
the 2002 Arab human development report : a critique »,
Arab Studies Quarterly, vol. 26, no 2, p. 81‑89 ; Osama
al-Sharif, « Arab States should do their part to combat
climate change », Arab News, 26 avril 2017 ; Najib Saab,
« Arab public opinion and climate change », in Tolba et
Saab (dir.), 2009, p. 1‑12.
45. Rapport arabe sur le développement humain, PNUD,
2009, p. 51‑53 ; Arab Region Progress in Sustainable Energy,
United Nations, Beyrouth, 2017, p. 41‑2.
46. al-Naimi, 2016, p. 275.
47. Statistiques de l’Agence Internationale de l’Énergie
disponibles jusqu’en 2017 : iea.org.
48. Compilation des déclarations d’Oussama Bin Ladin,
1994‑2004, FBIS Report, 20 : traduite et citée par Bernard
Haykel dans « Oil in Saudi Arabian culture and politics :
from tribal poets to al-Qaeda’s ideologues », in Haykel,
Hegghammer et Lacroix (dir.), 2015, p. 142 ; Abu Mus‘ab
al-Suri, « Appel à la résistance islamique mondiale »,
chap. 8, trad. dans Brynjar, 2008, p. 398‑399.
49. Interview avec Peter Arnett (CNN), mars 1997, et
« Pourquoi vous combattons-nous ? », 2002, dans Law-
rence (éd.), 2005, p. 44‑47 et p. 163‑164.
50. Bernard Haykel, « Oil in Saudi Arabian culture and
politics : from tribal poets to al-Qaeda’s ideologues », in
Haykel, Hegghammer et Lacroix (dir.), 2015, p. 125‑148.
51. Lawrence (éd.), 2005, p. 72 ; Adib Bassam, « Bin
Ladin wa silah al-naft » (Bin Ladin et l’arme du pétrole),
Sawt al-Jihad, 30, 1428/2007, p. 28‑33, cité par Bernard
Haykel, 2015, p. 147.
52. ‘Abd al-‘Aziz bin Rashid al-‘Anazi, Hukm istihdaf
al-masalih al-naftiyyawata’silahkam al-jihad al-iqtisadi
444 Notes des pages 383 à 392

(Prescription de viser les intérêts pétroliers et établisse-


ment des règles du jihad économique) cité par Bernard
Haykel, 2015, p. 145.
53. Sayyid Qutb, al-‘Adala al-ijtima‘iyya fi-l-islam (la jus-
tice sociale en islam), 1949, traduit et cité par Shepard,
1996, p. 136‑137 ; Brynjar, 2008, p. 399‑401 ; Abu Mus‘ab
al-Suri, « Responsabilité du peuple du Yémen à l’égard
des Lieux Saints et Trésors musulmans », cité par Bernard
Haykel, 2015, p. 139‑140.
54. Brynjar, 2008, p. 401 ; Lawrence (éd.), 2005, p. 46.
55. Erika Solomon, Robin Kwong et Steven Bernard,
« Inside Isis Inc : The journey of a barrel of oil », Financial
Times, 29 février 2016.
56. Ahmad, 2017, p. 167‑168.
57. Do, Shapiro et al., 2017 ; Tichý, 2019.

CONCLUSION
LES ARABES, LE PÉTROLE ET LE MONDE

1. Simpfendorfer, 2011 ; Hanieh, 2018, p. 29.


Index

Abadan : 28, 36-37, 96-97.


Abdel-Meguid, Ibrahim : 282, 290, 401, 436.
Abdesselam, Belaïd : 165, 230, 234, 240, 291-292, 311-312,
401, 425, 427, 430-431, 434, 436, 438.
Abdülhamid II : 22-23, 26-27, 29-31, 33-34, 400.
Abqaiq : 59, 380.
Abu Dhabi : 60, 137, 141, 158, 192, 216, 241, 261, 266, 274,
335, 337, 364, 367-368, 370, 395, 436.
Abu Dhabi National Oil Company (ADNOC) : 241, 274.
Aden : 93, 97.
al-‘Adsani, Mahmud Khaled : 205.
Ahmadi : 84, 97, 104, 108-110, 119, 131, 400.
al-‘Ajmi, Khamis ibn Rimthan : 66, 242, 423.
Alexandrie : 98, 177.
Alger : 15, 141, 161, 180, 224, 227-228, 239, 247, 258, 262,
363, 372.
Algérie : 9, 15, 38, 82, 94, 111, 126-127, 129, 137-138, 141,
147, 154, 160-161, 164-165, 168, 180, 192, 195, 203, 206,
211-213, 215-216, 218, 221-231, 233-234, 236, 239-240,
242-244, 247, 249, 251, 254, 257-258, 262-265, 269-270,
274, 284, 286-288, 291, 293, 300, 304, 309, 311-312, 316,
318, 324-326, 329, 333, 339, 341, 343-344, 348, 350, 352,
354-356, 362-364, 366, 369, 372-373, 386, 391, 425, 431,
434, 439-440.
Anglo-Egyptian Oilfields Limited : 34-35, 61, 97.
Anglo-Iranian Oil Company (AIOC) : 91, 93, 132, 157.
446 Aux pays de l’or noir

Anglo-Persian Oil Company (APOC) : 28, 34, 37-38, 40,


49, 57-58, 65.
Arabian American Oil Company (Aramco) et Saudi
Aramco : 9, 59, 64, 66, 70, 78-83, 97, 101, 114-116, 121-
124, 126-128, 131-132, 134, 139, 142-146, 157, 159-160,
162, 173-174, 182, 187, 190, 199, 201, 205, 207, 210, 212,
215, 238, 241-243, 245, 256, 282, 293, 302, 310, 328-329,
338, 352-354, 360-362, 365, 391, 421, 440, 442.
Arabie Saoudite : 9-10, 38, 45, 63-64, 69-70, 74, 77-78,
80-85, 92, 94, 96-97, 102, 104, 117, 120, 123, 125-128,
131-132, 134, 136-137, 139-140, 142, 151, 153-154, 156-
157, 160, 163, 169-170, 174, 178, 180, 187, 189-190, 199,
201-206, 209-212, 216, 220, 232, 237-239, 241, 243, 245,
254, 258, 260-267, 272, 275-276, 279, 282, 286-287, 289-
290, 296-300, 302-306, 309-310, 313, 320, 323, 326-329,
335-338, 340-341, 343-346, 348-350, 352, 354, 361-366,
369, 374-375, 377-378, 380-381, 390-391, 396, 414, 427,
429, 432-433, 439, 443.
al-Assad, Hafez : 227, 256, 310.
‘Atiqa, ‘Ali Ahmad : 248, 273, 432-433, 435.
al-‘Atiqi, ‘Abd al-Rahman Salim : 151, 236, 432.
‘Awali : 104, 106-107.

Baas (parti) : 135, 211, 230-231, 235, 283, 307.


Badre, Albert : 13, 103, 112, 183, 403, 417, 422-424, 429.
al-Badri, ‘Abdallah Salem : 187.
al-Bakir, ‘Abd al-Rahman : 70, 80, 403, 420.
al-Bakr, Hassan : 211, 228, 236, 250.
Bagdad : 10, 25-30, 33-34, 98-99, 105, 174-175, 201, 204,
208, 216, 226, 236, 250, 274, 429-430.
Bahrain Petroleum Company (BAPCO) : 9, 51-52, 58, 61,
67-68, 70-71, 80, 85-86, 97, 106-108, 114-115, 125-126.
Bahreïn : 9, 57, 59, 61, 68-71, 77-80, 84-86, 94, 97, 104,
106-108, 117, 120, 124-126, 128, 132, 158-159, 267, 273,
305, 319-320, 329, 335, 341, 343-344, 350, 370, 406, 424.
Basra : 27, 53, 98, 113, 121, 133, 296, 307, 360.
al-Bazzaz, ‘Abd al-Rahman : 208.
al-Beblawi, Hazem : 289, 403, 436.
Bedjaoui, Mohammed : 194-195, 403, 429.
Index 447

Beyrouth : 100, 103, 123, 126, 142, 156, 176, 179, 182,
191-192, 194, 199, 205, 210, 235, 238, 245, 266, 343, 428.
Bin Ladin, Muhammad : 142.
Bin Ladin, Oussama : 281, 328-329, 378-383, 443.
Boumediene, Houari : 137, 141, 147, 155, 166, 211, 213,
221-222, 224-225, 227, 229, 233, 239-240, 244, 256, 265-
266, 278, 291-292, 311, 317, 426, 431, 434.
Boustani, Emile : 142, 173, 195-196, 404, 418, 421, 428-
429.
Bouteflika, Abdelaziz : 313, 357, 376.
British Petroleum (BP) : 10, 97, 155, 213, 227, 231, 234,
253, 342, 347, 404.
Buraymi : 60, 137.

al-Chalabi, Fadil Jaafar : 159, 188, 198, 296, 404, 426,


429, 431-434, 436.
Chine : 277, 333, 335, 347, 360, 365-366, 390-392.
Compagnie Française des Pétroles : 40, 213, 224, 231, 426.
Conseil de Coopération du Golfe (CCG) : 9, 304, 306, 323,
347, 366-367, 369, 391.
Corée du Sud : 267, 391.

Damas : 55, 214, 330.


Destanne de Bernis, Gérard : 141, 425.
Dhahran : 59, 82, 84, 103-104, 113, 121, 126, 139, 143,
145, 354.
Dhofar : 60, 199, 321-322, 344.
Doha : 63, 67-68.
Dubaï : 71-72, 80, 92, 180, 246, 258, 303, 335, 343, 346, 391.
Dukhan, Jabal Dukhan : 58, 68, 92, 107.

Égypte : 10, 15, 24, 34, 38, 60-61, 65, 77, 81, 89, 92, 94, 97,
99, 112, 122, 126, 132-133, 156, 162-163, 166, 170-172,
175, 177-178, 189, 191-192, 198-199, 202-203, 205-206,
208, 212, 218, 224, 227, 229, 232, 241, 250-251, 256, 275-
277, 282, 284, 319-320, 334, 341, 348, 363-364, 370, 427.
El-Borma : 137.
Émirats arabes unis (EAU) : 35, 60, 92, 94, 162, 216, 229,
254, 261, 263, 275, 303-304, 306, 309, 320, 335, 341,
448 Aux pays de l’or noir

344, 349-350, 352, 362, 364, 366-367, 371-372, 374-376,


391, 395.
Ente Nazionale Idrocarburi (ENI) : 154, 302, 318, 442.
Erbil : 25.
État islamique en Irak et en Syrie (EI) : 377-378, 383-386,
395.
États-Unis : 9-12, 16-17, 19, 23, 25, 32, 36-37, 40, 48, 58-59,
64, 66, 75-76, 78-79, 81-83, 87-88, 91, 96-97, 100, 102-
104, 106-107, 112-114, 121-123, 126, 131, 134-137, 139,
143-146, 151-153, 155-156, 159, 165-166, 168, 172-173,
177, 179-180, 187, 191, 194-195, 200-202, 210, 212-216,
222, 231, 238, 240, 242-245, 247, 249, 251, 254-256, 261,
265-266, 284, 290, 301-302, 308-309, 318, 327-329, 333,
335, 338-340, 342, 346-347, 352, 355-356, 359, 363, 365,
367, 372, 377-384, 389-392, 396, 421.

France : 38, 46, 49, 125-126, 137, 150, 158-160, 165, 167,
170, 178, 192, 195, 213, 221, 224, 244, 288, 291, 356,
366, 375-376.
Front Islamique de Salut (FIS) : 325-326.
Front de Libération Nationale (FLN) : 9, 127, 129, 152, 158,
160-161, 167-168, 233, 239, 292, 326, 329, 376, 400-401.

Ghawar : 45, 92.


Ghozali, Sid Ahmed : 141, 264, 312, 318, 407, 427.
Golfe, golfe Persique : 9, 11, 13, 23, 35-36, 38, 50, 57, 59, 61,
63-65, 69, 72, 75-76, 79, 81, 83, 86, 88-89, 91, 96-97, 102,
108, 131, 133, 135, 138, 140, 142, 144, 152, 157, 173, 178,
180-181, 198, 209, 217-218, 220, 226-227, 230-244, 251-
254, 263, 267, 273, 275-277, 280, 282, 284, 286, 296, 298,
300, 305-306, 308-310, 312, 319, 322-323, 326-328, 331,
334, 337, 339, 343-347, 350-351, 355, 359, 362, 365, 368,
371-375, 378, 380-381, 386, 389-391, 394, 408, 415, 441.
al-Gosaybi, Ghazi : 289-290, 306, 402, 407, 435-436, 439.
Grande-Bretagne : 12, 30, 32, 35, 38, 46-47, 49, 51, 120,
125, 137, 145, 153, 170, 179-180, 192, 201, 227, 253, 265,
319, 321, 342.
Gulbenkian, Calouste Serkis : 31, 33, 40.
Gulf Organization for the Development of Egypt (GODE) :
279.
Index 449

Haïfa : 32, 43, 55, 70, 81, 214.


Hamadi, Saadun : 152, 198, 255.
Hassi Messaoud : 165, 168, 224, 227, 242, 312.
Hassi R’Mel : 168.
Haykal, Muhammad Hasanayn : 167, 250, 275, 407, 435.
Hendryx, Frank : 173.
Hizbollah al-Hijaz (parti de Dieu au Hedjaz) : 327-328.
Houthis : 380.
Hussein, Saddam : 211, 231, 236, 283, 297, 307, 359, 384.

Ibrahim, Saad Eldin : 263, 279, 314, 318, 408, 413, 434-
435, 438.
Inde : 76, 80, 189, 389-391.
In Salah : 111, 168, 363.
Irak : 10-11, 13-15, 19-20, 25-31, 33-34, 36-41, 43, 49, 52,
54, 61, 77, 81, 85, 87-88, 92-94, 96, 98-99, 101, 104-105,
113-114, 117, 120, 127-128, 131, 133-135, 139, 142, 147,
151-152, 156-157, 159-160, 164, 169-170, 174-175, 177-178,
189, 192-193, 195, 199, 201-202, 204, 208, 211-212, 216-
218, 222-223, 225-229, 231-232, 235-236, 239-240, 242-243,
249-250, 254, 260-262, 274, 276, 282-284, 286, 288, 294,
296-298, 300, 303-304, 307-309, 314, 316, 319, 323-324, 327,
333, 341, 344, 347, 350, 355, 359-360, 363, 366, 368, 377,
381, 384, 390-391, 395, 409, 421, 427, 429-430, 434, 442.
Iraq National Oil Company (INOC) : 9, 152, 159, 163-164,
206, 228, 301.
Iraq Petroleum Company (IPC) : 9, 43-44, 52-60, 65-66, 68,
70, 73-74, 79, 92-93, 104-106, 114, 120-121, 128, 134-135,
139, 142, 157, 163-164, 174, 184, 193, 206, 208-209, 223,
227-228, 230-231, 250, 260, 423.
Iran : 10, 30, 36-37, 49, 61, 65, 77, 87, 91-92, 95, 96-97,
121, 134, 156-157, 175-177, 180, 189, 202, 205, 221, 227,
232-234, 248-249, 251-254, 283, 294, 296-297, 299-300,
305, 309, 319-321, 323, 327, 360, 384.
Israël : 101, 125, 136, 169-170, 185, 198, 201, 203, 208, 211,
214, 249-251, 253-254, 256, 258, 324, 348, 394.
Istanbul : 15, 20, 22, 34, 87.
Itayim, Fuad : 182, 187, 248, 408, 429, 433.
450 Aux pays de l’or noir

al-Jabri, Ihsan : 46-47, 419.


Japon : 74, 154, 168, 190, 226, 239, 267, 365, 389, 391-392.
Jordanie, Transjordanie : 37-38, 40, 54-55, 93-94, 99, 101,
120, 131, 134, 136, 203, 205, 274, 284, 297, 308, 316, 384.
Joukhdar, Muhammad : 157, 190, 428.

al-Ka‘bazi, Fu’ad : 153.


Kadhafi, Mu‘ammar : 127, 211-212, 214-215, 227, 232,
253, 326, 333, 346.
Kanafani, Ghassan : 133, 409, 424.
Karachuk : 92.
Khadduri, Walid : 287, 409, 415, 436.
Khartoum : 203, 205, 258.
Khelil, Chakib : 244, 354-355, 357.
al-Khobar : 328, 380.
Kirkouk : 19-23, 25, 39-40, 52-53, 55, 68, 81, 96, 103-106,
113, 134, 139, 259-260, 384, 423.
Koweït : 10, 15-16, 35, 40, 57-58, 68-69, 71-72, 74, 77-79,
84-85, 92, 94, 96-97, 104, 108-111, 113, 115-117, 119-120,
123, 128, 131-133, 138, 144, 146, 151-154, 156, 158-159,
162-163, 174, 177, 184, 189, 201, 203-206, 216, 231, 236-
237, 239-241, 251, 253-254, 258, 261-263, 265, 267, 271,
275, 278-279, 282, 284, 288-289, 294, 297, 300, 303, 306-
310, 320-321, 323, 327-329, 335, 341-345, 350, 352, 355,
360, 366, 368, 372-373, 379, 409, 415, 421, 424, 429-430,
432, 439.
Kuwait Investment Authority : 266, 342.
Kuwait Oil Company (KOC) : 10, 58, 68-69, 74, 79, 84, 86,
97, 109-110, 115, 119, 124, 130-131, 144-146, 162, 193,
203, 205, 240, 342, 400, 432.
al-Kuwari, ‘Ali Khalifa : 330, 410, 440.

Liban : 31, 38, 54-55, 81, 93-94, 100-101, 103, 117, 123-124,
126, 128, 134-136, 142, 156, 170, 173, 176, 179, 182, 191-
192, 194, 196, 198-199, 205, 210, 228, 235, 238, 245, 266,
310, 319, 343, 348, 427-428, 441.
Libye : 10, 92, 94, 131, 153, 161, 164, 193, 195, 201, 203,
205-206, 211-212, 214-216, 218, 222-223, 225-227, 231-
234, 236, 239-240, 242-243, 249, 251, 253-254, 256, 258,
Index 451

262-263, 268, 271, 274, 284, 286, 288, 300, 310, 317, 320,
333, 335, 341, 344, 346, 350, 352, 366, 370, 386, 390, 410.
Ligue des États arabes (LEA) : 10, 154, 169-172, 174, 186,
196, 206, 251, 258, 261, 269, 364, 366, 410, 426-427.
Londres : 12, 32, 35, 153, 192, 265, 319, 342.
Lutfi, Ashraf : 132, 183, 207, 410, 429-430.

al-Mabruk, ‘Izz al-Din : 214, 255.


al-Maghribi, Mahmud : 187, 214-215, 232.
Malti, Hocine : 160, 222, 260, 410, 425, 427,430-431, 434-
435, 438-439, 441-442.
Maroc : 38, 94, 154, 169, 363-364, 390.
Mecque, La : 55, 59, 199, 219, 322, 378.
Méditerranée (mer) : 53, 65, 112, 134-135, 142, 165, 173,
215, 226, 232-233, 346, 348, 441.
Mendeli : 25, 36.
Midhat Pacha, Ahmad : 23, 25-26.
Mikdashi, Zuhayr : 156, 210, 266, 411, 420, 426, 428, 430,
433-434.
Mossadegh : 93, 207, 252.
Mossoul : 19-23, 25-26, 29-30, 34, 37, 53, 113, 363, 384.
Mounif, ‘Abd al-Rahman : 62, 83, 99-101, 107, 113, 235-
236, 272, 288, 314, 318, 411, 420, 422, 435, 439.
al-Mughrabi, Muhammad : 48-49, 74, 194-195, 207, 411,
419-420, 426, 428-430.

Nabi, Belkacem : 292, 311.


Naftkhana : 65.
al-Naimi, ‘Ali ibn Ibrahim : 123, 244-245, 336, 338, 369,
375, 412, 423, 429, 432, 436-438, 440, 442-443.
al-Nasrawi, ‘Abbas : 301-302, 314, 318, 402, 433-439.
Nasser, Gamal Abdel : 15, 125, 166-167, 187, 202-203, 208,
250, 276, 319, 412, 418.
Nassif, Sulayman : 31-32, 36.
al-Nawwab, Muzaffar : 219-220, 431.
Nazer, Hisham : 157, 189-190, 245, 260, 313, 412, 428, 438.
Neftçizade, famille : 19-21, 23, 26, 39.
Nemlizade, Hasan Tahsin : 27-29, 31.
al-Nibari, ‘Abdallah : 240, 432.
452 Aux pays de l’or noir

Oman : 35, 57, 60, 73, 92, 95, 131-132, 137, 140-141, 199,
276, 286, 319, 321, 341, 344, 366, 369, 371, 373, 391, 439.
Organisation des Pays Exportateurs de Pétrole (OPEP) : 10,
151, 156-157, 159, 175-178, 180-181, 183, 188, 190-191,
193, 195, 206, 208-209, 216-218, 227, 230, 232-234, 241,
248-253, 268-269, 275, 277-278, 283, 296, 299-303, 316,
335, 337, 340, 350, 355, 359, 389, 403, 429, 433.
Organisation des Pays Arabes Exportateurs de Pétrole
(OPAEP) : 10, 204-206, 211, 232, 248, 254, 257-258, 261,
267, 273, 275, 278-279, 283, 287, 296, 300, 315, 395, 400.
Organisation de l’Unité Africaine (OUA) : 258.
Ottoman, empire : 15, 20, 22-28, 30-34, 36-37, 40-41, 46, 87.

al-Pachachi, Nadim : 151-152, 158, 188, 192-194, 205, 426.


Pakistan : 66, 69, 110, 115, 131, 263.
Palestine : 11, 32-33, 36, 38, 43, 54-55, 81, 84, 93, 101, 120,
122, 126, 131-132, 153, 184, 230, 251, 305, 348, 394, 427.
Paris : 150, 159, 178, 192, 195, 224, 288, 375.
Pérez Alfonso, Juan Pablo : 156, 174, 176, 180.

Qabbani, Nizar : 150, 152, 178, 426.


Qabous, ibn Sa‘id, sultan : 92, 141, 321-322, 344.
al-Qaïda : 328, 377-382, 419, 443.
Qasim, ‘Abd al-Karim : 163-164, 174, 271.
al-Qasim, Anis : 153, 172, 193-194, 196, 215.
Qatar : 58, 63, 66-68, 79-80, 83-85, 92, 95, 131-132, 158,
205, 241, 254, 263-264, 309, 329, 339, 341, 344, 352, 367,
369-370, 391, 395, 421.
Qatar Petroleum Company (QPC) : 66, 79-80, 85, 118, 132,
142, 241, 272, 370.

Ras Tannura : 82, 97.


Rouge (mer) : 57, 60.
al-Rumayhi, Muhammad : 271, 314, 320-321, 413, 417,
427, 432-435, 438-439.
Rumayla : 92, 164, 284, 347.
Russie : 30, 36, 337.

al-Sabah, Ahmad Sabah, cheikh : 256, 282.


al-Sabah, Jaber, cheikh : 282, 327.
Index 453

al-Sadate, Anwar : 249, 256.


Sahara : 31, 82, 158, 160, 165, 167-168, 213, 326, 363.
al-Sa‘id, Nasir : 122-123, 199, 413, 423.
al-Sa‘id, Nuri : 74, 93, 127.
Salman, Muhammad : 164, 170, 172, 174, 186, 428-429.
al-Saoud, ‘Abd al-‘Aziz : 51, 57, 59-60, 64, 69, 83, 122-123,
126, 128, 132, 139-140, 146, 212, 243, 421.
al-Saoud, ‘Abdallah ibn ‘Abd al-‘Aziz : 304, 306, 339.
al-Saoud, Faysal ibn ‘Abd al-‘Aziz : 140, 146, 180, 199,
212, 239-240, 249.
al-Saoud, Muhammad Bin Salman : 344, 348, 360-362.
Saqr, Husayn : 118-119, 423.
Sarkis, Nicolas : 48-49, 91, 98, 147, 182, 184-185, 196,
204, 240, 248, 257, 259, 348, 413, 419, 421-423, 425-429,
432-434, 441.
Sayegh, Kamal : 91, 184-185, 202, 413, 420-423, 426-427,
429-430.
Sayigh, Yusuf : 210, 273, 316, 318-319, 413, 433, 435, 437,
439.
al-Shahwani, Mansour ibn Khalil : 65-66, 282, 430-431.
Shami, Ayyub : 126-127.
Sharja : 60, 131, 192.
Shell : 34, 37-38, 40, 57, 81, 92, 128, 155, 215, 231, 241,
244, 355, 371, 427.
al-Shirawi, Muhammad Qasim : 125, 128.
Siksek, Simon : 13, 103, 112, 183, 403, 417, 422-424, 429.
Sinaï : 23, 92, 203.
Sitra : 97, 106, 267.
Société Nationale pour la Recherche, la Production, le
Transport, la Transformation et la Commercialisation
des Hydrocarbures (Sonatrach) : 10, 141, 165, 192, 203,
206, 212-213, 216, 221, 240, 244, 264-265, 291-292, 312-
313, 317, 333, 353-358, 365, 436, 442.
Standard Oil of California : 9, 58-59, 64, 207.
Standard Oil of New Jersey : 82, 174, 207.
Suez : 34-35, 61, 81, 98, 125, 133-134, 170-171, 198, 226, 232.
al-Sulayman, ‘Abdallah : 58, 60, 64.
Sulayman, ‘Atef : 192, 202, 224, 229, 231, 248, 255, 414,
430-431, 433, 435.
al-Suri, Abu Mus‘ab : 379, 382-383, 443-444.
454 Aux pays de l’or noir

Syrie : 26, 31-32, 36, 38, 40, 54-55, 65, 92, 95, 100-101, 125,
128, 131, 134-136, 156, 170, 175, 178, 198, 214-215, 223,
227, 256, 295, 297, 308, 310, 319, 330, 341, 363, 370,
377, 385, 395, 427.

Tahir, ‘Abd al-Hadi Hassan : 204-205, 293, 414, 430.


al-Tariqi, ‘Abdallah : 17, 98, 151, 154, 158-159, 161, 173-
178, 180-182, 187-198, 202, 204-205, 207-208, 210, 232,
237-240, 245, 257, 269-270, 287, 313, 340, 351, 415, 422,
426, 428-430, 432-434, 441-442.
Taymur, Mahmud : 89, 421.
Trans-Arabian Pipeline (Tapline) : 57, 118, 124, 126, 134-
135, 143, 214-215, 226, 423-424.
Tripoli (Liban) : 55, 81.
Tripoli (Libye) : 161, 233, 256, 274.
Tunisie : 38, 95, 137, 169, 334, 341, 370.
Turkish Petroleum Company : 9, 33-34, 38-40, 43, 49-50,
52-53, 75, 104.
Turquie : 15, 20, 22, 34, 40, 54, 87, 297, 308, 348, 384.
Twitchell, Karl Saben : 63-64.

al-‘Ulayan, Sulayman : 143.


Umm al-Quwayn : 192.
URSS : 30, 36, 165, 169, 337, 366.
al-‘Utayba, Mani‘ Sa‘id : 75, 216, 247, 261.

Venezuela : 10, 156, 158, 171, 174-177, 179-180, 189, 216,


218, 226, 249, 251, 296, 301, 337, 418, 428.
Vienne : 234, 256.

Yacine, Kateb : 225, 416, 431.


al-Yamani, Ahmad Zaki : 136, 191, 202, 205, 209-210, 237-
238, 240, 245, 248, 250-251, 254, 261, 293, 295-297, 299,
301, 306, 313, 339-340, 416, 430, 433, 441.
Yanbu‘ : 264, 380.
Yémen : 9, 57, 63, 93-95, 131, 136, 198, 275, 278, 284, 305,
310, 321, 334, 341, 370, 380, 382, 444.

Zakariyya, Fouad : 323-324, 416, 439.


Zayed (cheikh Zayed bin Sultan) : 141, 254.
A VANT-PROPOS. Une histoire arabe du pétrole 11

I NTRODUCTION. Les tard-venus du pétrole 19


Les premières affaires pétrolières 24
Les débuts de l’impérialisme pétrolier 30
Quand le pétrole échappe aux Arabes 36

C HAPITRE I. Les Arabes face au « partage du pétrole » 43


 e pétrole dans les premières revendications natio-
L
nalistes arabes 46
La ruée vers l’or noir 49
Avant le pétrole, l’eau 62
Les premiers forçats du pétrole 65
Dans le secret des concessions 72
Les répercussions de la Seconde Guerre mondiale
sur l’industrie pétrolière 77
Des inégalités aux premières revendications ou-
vrières 85

C HAPITRE II. Les pays de l’or noir des lendemains de


la guerre à la fin des années 1960 89
Le pétrole arabe coule à flots 91
Le contre-modèle iranien 93
456 Aux pays de l’or noir

Produire sans raffiner : l’écueil de l’industrie pétrolière 97


L’urbanisation pétrolière 99
Urbanisme et conditions de vie dans les villes du pétrole 102
Kirkouk : le pétrole creuse les divisions communau-
taires 104
‘Awali : le miroir inversé de Manama 106
Ahmadi : l’emblème de la planification urbaine 108
 es premières expériences ouvrières du pétrole :
L
turn-over et licenciements 111
Combien d’ouvriers du pétrole ? 114
Le temps des grèves 118
Sur les champs saoudiens de l’Aramco, l’expérience
fondatrice de la grève de 1953 121
Des revendications sociales aux revendications poli-
tiques 124
Une expérience arabe du pétrole 129
Et le pétrole irrigua le monde arabe 133
Le « développement » pour mot d’ordre 138
Le pétrole au service de politiques gouvernementales
volontaristes 140
Le bilan critiqué des retombées pétrolières sur les éco-
nomies nationales 144

C HAPITRE III. La politique arabe du pétrole des an-


nées 1950 et 1960 150
La bataille pour les revenus du pétrole 153
Le prix du pétrole arabe 158
Le début des industries pétrolières nationales 160
L’activisme des États irakien et algérien 163
Le nationalisme pétrolier 166
Le pétrole devient une question panarabe 169
Des Congrès à l’Organisation des Pays Exportateurs
de Pétrole 175
La communauté arabe du pétrole 179
La genèse d’un monde arabe du pétrole 181
Le pétrole aux « experts » 186
Table des matières 457

‘Abdallah al-Tariqi, premier technocrate arabe du pé-


trole 188
Nadim al-Pachachi : la loi pour défendre les intérêts
arabes 192
Muhammad al-Mughrabi, Mohammed Bedjaoui, théo-
riciens de la souveraineté permanente 194
Emile Bustani contre les tenants d’une ligne nationa-
liste intransigeante 195
 a première trahison du nationalisme arabe pétro-
L
lier 197
La guerre des Six Jours 200
La manifestation des premières fractures :
la création de l’OPAEP en 1968 204
 ationalisation révolutionnaire contre participa-
N
tion conservatrice 206
Yamani, la voix arabe de la participation 209
Pour une politique pétrolière plus radicale en Algérie,
Irak et Libye : les nationalisations 211

C HAPITRE IV. Le pétrole arabe aux Arabes ! La dé-


cennie 1970 219
L’épopée des nationalisations 221
Un contexte favorable aux nationalisations 225
Des nationalisations en chaîne 227
Le leadership pétrolier de l’Algérie 229
Qui sera le champion des nationalisations ? 230
Participation contre nationalisation ? 235
Le choix de la modération par les pays du Golfe ? 236
Les premières nationalisations au service des négo-
ciations 239
Faire carrière dans le pétrole 242
Y a-t-il eu un « choc » pétrolier ? 246
Le retour de l’« arme du pétrole » 249
La dernière bataille panarabe 252
L’unité arabe et les conséquences économiques des
décisions d’octobre 1973 256
Prospérités et disparités : l’ère de la tafra 259
Devenir les premiers producteurs mondiaux 261
458 Aux pays de l’or noir

L’industrialisation pétrolière contre le spectre du « sous-


développement » 263
Gérer les pétrodollars 265
De la bénédiction à la malédiction 268
La nostalgie de l’ère ante-pétrolière 272
Les Arabes inégaux devant le pétrole 273
L’eldorado du Golfe arabe 275
La création de fonds de développement pour colmater
des inégalités croissantes 278

C HAPITRE V. La crise des États pétroliers (les


années 1980 et 1990) 281
Le poids écrasant des États 285
Le pétrole, affaire d’État 288
Les économies arabes noyées dans le pétrole 294
Le début des tensions pétrolières entre l’Irak et les
autres pays du Golfe 296
Le pétrole arabe se soumet aux quotas 299
La fin des quotas : un « contre-choc pétrolier » 300
Explosion de la dette et restrictions budgétaires :
la fin de la tafra 304
Le secteur privé appelé au secours de l’État 305
Le modèle d’État-providence ébranlé 309
Après l’épopée des nationalisations, le choix de la priva-
tisation 311
L’heure des comptes 314
L’amertume des populations et des intellectuels 316
Tharwa (opulence) et Thawra (révolution) 320
Le « pétro-islam » conservateur des pays du Golfe 323
De l’Algérie à l’Irak, la contestation islamiste des États
révolutionnaires 324
La repolitisation du pétrole dans les monarchies du
Golfe 326

C HAPITRE VI. Le désenchantement pétrolier des


années 2000 à aujourd’hui 332
Le pétrole hors de contrôle 333
Table des matières 459

Le développement au péril de la fluctuation des cours 334


Les inconnues du « pic pétrolier » 338
L’heure des « visions » 342
La promotion de l’après-pétrole 344
La conversion néolibérale
des économies pétrolières 347
La résistance des champions nationaux 352
La difficile libéralisation du secteur pétrolier 355
La résistance du nationalisme pétrolier 358
Les énergies arabes du futur 362
Les coûts du nucléaire arabe 365
La fin de la politique des subventions 368
Des préoccupations environnementales croissantes 373
Y a-t-il un pétrole islamiste ? 376
Préserver un don de Dieu et son juste prix 377
L’« arme du pétrole » retournée
contre les États arabes 380
Dans les faits : la gestion de l’industrie pétrolière par
l’État islamique 383

C ONCLUSION. Les Arabes, le pétrole et le monde 389

APPENDICES

Remerciements 399
Bibliographie 400
Notes 417
Index 445
DU MÊME AUTEUR

LE NÉGOCE DES LIEUX SAINTS. LES GRANDES


FAMILLES MARCHANDES HADRAMIES DE DJEDDA,
1850‑1950, Paris, Publications de la Sorbonne, 2016.
HISTOIRE DU MOYEN-ORIENT DE L’EMPIRE OTTOMAN
À NOS JOURS : AU-DELÀ DE LA QUESTION D’ORIENT,
avec Olivier Bouquet et Pierre Vermeren, Paris, Publications de
la Sorbonne, 2016.
« CARAVAN TRADE IN THE LATE OTTOMAN EMPIRE :
THE AQIL NETWORK AND THE INSTITUTIONALIZA-
TION OF OVERLAND TRADE », Journal of Economic and
Social History of the Orient, Brill, vol. 63, nos 1‑2, 2020, p. 38‑72.
Philippe Pétriat
Aux pays de l’or noir
Une histoire arabe du pétrole
L’après-pétrole est désormais un mot d’ordre dans les pays
arabes. Dans le nouvel orientalisme que les pays du Golfe offrent
à leurs touristes, l’or noir est relégué à l’arrière-plan. Au début du
xxi siècle, la transition économique est pourtant particulièrement
e

difficile pour les pays arabes tant elle implique un changement


radical de leur modèle de société.
En un peu plus de deux générations, ces tard-venus du pétrole ont
vécu au cours de la seconde moitié du xxe siècle une transformation
sans équivalent dans le reste du monde, passant de l’opulence à
l’austérité et de l’enthousiasme au désenchantement. Fondement
d’un panarabisme volontiers révolutionnaire avant d’être le pilier
d’États autoritaires, moteur de l’industrialisation des économies,
exploité sans scrupules par l’État islamique, le pétrole a façonné
le monde arabe et conditionné les rapports que nous entretenons
avec lui.
Cet ouvrage décrit l’expérience que les pays arabes ont faite de
l’ère du pétrole depuis les premiers forçats de l’industrie jusqu’aux
hérauts de la modernité post-pétrolière. En donnant la priorité aux
sources arabes, il dévoile un versant surprenant de l’histoire de
l’énergie du monde contemporain.
Philippe Pétriat
Aux pays
de l’or noir
Une histoire arabe du pétrole
INÉDIT
histoire

Aux pays de l’or noir


Philippe Pétriat

Cette édition électronique du livre


Aux pays de l’or noir de Philippe Pétriat
a été réalisée le 27 janvier 2021 par les Éditions Gallimard.
Elle repose sur l’édition papier du même ouvrage
(ISBN : 9782072827396 - Numéro d’édition : 343524).
Code Sodis : U21913 - ISBN : 9782072827433.
Numéro d’édition : 343529.

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