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JEUDI 2 MAI 2019

75E ANNÉE– NO 23111


2,80 € – FRANCE MÉTROPOLITAINE
WWW.LEMONDE.FR ―
FONDATEUR : HUBERT BEUVE-MÉRY
DIRECTEUR : JÉRÔME FENOGLIO

SCIENCE & MÉDECINE – SUPPLÉMENT  LES OISEAUX MIGRATEURS ONT­ILS UNE BOUSSOLE ?

Les mesures Macron coûteront 17 milliards
▶ Les nouvelles annonces ▶ L’indexation des pen­ ▶ Ces quelque 7 milliards, ▶ Bruno Le Maire, ministre ▶ Le premier ministre a,
du chef de l’Etat ont été sions de retraite devrait qui s’ajoutent aux 10 mil­ de l’économie, assure pour­ de son côté, détaillé le
chiffrées à près de 7 mil­ représenter 1,5 milliard liards promis en décembre, tant que ces mesures seront calendrier des réformes
liards d’euros, selon Gé­ d’euros, s’y ajoutent les remettent en question financées par une baisse présidentielles prévu pour
rald Darmanin, le ministre 5 milliards de baisse d’im­ l’objectif de réduction du de la dépense publique sans les six prochains mois
des comptes publics pôts promis aux ménages déficit public à 2 % expliquer comment PAGE 10

Environnement AL­BAGHDADI PROMET « UNE LONGUE BATAILLE » Manifestations


Le scandale  Le 1er­Mai 
du trafic des  ▶ Le chef de l’organisation Etat s’annonce
gaz réfrigérants islamique n’était plus apparu
en public depuis la proclamation
très tendu
la production d’hydrofluoro­ du « califat », en juin 2014 Le gouvernement s’in­
carbures (HFC), des gaz surtout quiète de l’addition des
utilisés dans les réfrigérateurs et ▶ Après sa défaite en Irak défilés des syndicats et des
les climatiseurs dont l’effet de et en Syrie, Abou Bakr Al­Baghdadi « gilets jaunes », peu con­
serre est 15 000 fois plus puissant
que celui du CO2, doit être réduite a promis, dans une vidéo vaincus par les annonces
de 85 % d’ici à 2047 – de quoi évi­ authentifiée, de « se venger » du chef de l’Etat. Les black
ter jusqu’à 0,5 % de réchauffe­ de l’Occident blocs ont, eux, appelé à
ment de la planète en 2100. « une journée en enfer ».
Mais la Chine n’a pas ratifié PAG E S 2 - 3 Le dispositif policier a été
l’accord de limitation des HFC,
dont les prix ont explosé. Et la
renforcé à Paris, de Mont­
contrebande de ces gaz se déve­ parnasse à la place d’Italie
loppe : 16,3 millions de tonnes PAGE 9
équivalent CO2 de HFC ont été
placées illégalement en Europe
en 2018.
PAG E 6 Affaire Benalla
Les premières 
violences, au 
1
ÉD ITO R IA L Jardin des plantes
Alexandre Benalla et son
L’ÉCOLOGIE Capture d’écran de la vidéo
de propagande diffusée par ami Vincent Crase étaient
AU POINT MORT l’organisation Etat islamique,
le 29 avril. AP
déjà sortis de leur rôle, il y
a un an, avant l’interven­
PA GE 30 tion de la Contrescarpe
PAGE S 8- 9

Japon
Julianne Moore Le prince Naruhito, ÉCONOMIE 
La méthode et le goût du risque nouvel empereur, & ENTREPRISE
ouvre l’ère Reiwa
PAGE 5 La croissance 
Haïti
française 
La vitrine résiste
touristique de l’Ile­ Le produit intérieur brut
à­Vache dévorée a progressé de 0,3 % au
premier trimestre, c’est
par la corruption mieux que l’Allemagne,
PAGE 19 mais moins que prévu

Cour européenne Emploi


L’Algérien Les écarts de chômage
condamné pour en Europe s’échelonnent
de 1,3 % dans la région
terrorisme pourra de Prague à 29 % à Ceuta
être expulsé
PAGE 12 Yves Rocher
Les frères Alexeï et Oleg
Navalny attaquent le
Sur le tournage de « Gloria Bell », en 2017. MARS FILM Paris groupe de cosmétiques
elle a vu « gloria » en 2013, le qu’elle a demandé au réalisateur Un plan
film de Sebastian Lelio qui a valu d’en faire un remake. pour réduire Urbanisme
un prix d’interprétation à l’actrice Le Chilien a accepté et signe Patrick Bouchain, scéno-
chilienne Paulina Garcia, à la Ber­ aujourd’hui « Gloria Bell », ni tout la circulation sur graphe, architecte, pay-
linale. Et Julianne Moore, l’étoile à fait le même ni tout à fait diffé­
du cinéma indépendant améri­ rent. Avec Julianne Moore.
le périphérique sagiste et promoteur
cain, en a été tellement émue PAGE 20 PAGE 12 PAGES 14 À 1 6
Algérie 220 DA, Allemagne 3,50 €, Andorre 3,20 €, Autriche 3,50 €, Belgique 3,00 €, Cameroun 2 300 F CFA, Canada 5,50 $ Can, Chypre 3,20 €, Côte d'Ivoire 2 300 F CFA, Danemark 35 KRD, Espagne 3,30 €, Gabon 2 300 F CFA, Grande-Bretagne 2,90 £, Grèce 3,40 €, Guadeloupe-Martinique 3,20 €, Guyane 3,40 €,
Hongrie 1 190 HUF, Irlande 3,30 €, Italie 3,30 €, Liban 6 500 LBP, Luxembourg 3,00 €, Malte 3,20 €, Maroc 20 DH, Pays-Bas 3,50 €, Portugal cont. 3,30 €, La Réunion 3,20 €, Sénégal 2 300 F CFA, Suisse 4,20 CHF, TOM Avion 500 XPF, Tunisie 3,80 DT, Afrique CFA autres 2 300 F CFA
INTERNATIONAL
0123
2| JEUDI 2 MAI 2019

L A   L U T T E   C O N T R E   L’ O R G A N I S AT I O N   É TAT   I S L A M I Q U E

Al­Baghdadi promet « une longue bataille »
Après sa défaite en Syrie et en Irak, le chef de l’EI réapparaît pour afficher sa stratégie mondiale

A
bou Bakr Al­Baghdadi
n’était plus apparu en Photo extraite
public depuis la procla­ de la vidéo de
mation du « califat » à la propagande
mosquée Al­Nouri, à Mossoul en diffusée par
Irak, en juin 2014. Aucun message l’EI le 29 avril
audio ne lui a plus été attribué de­ montrant
puis août 2018. Donné plusieurs le chef de
fois mort ou blessé, le chef de l’or­ l’organisation
ganisation Etat islamique (EI) est Etat islamique,
réapparu dans un enregistrement Abou Bakr
vidéo de dix­huit minutes, diffusé Al­Baghdadi.
lundi 29 avril par Al­Fourqan, SAISIE D’ECRAN/
l’organe de propagande de l’EI, et AL-FURQAN/AP
authentifié par le centre améri­
cain de surveillance des mouve­
ments extrémistes SITE.
Bien portant et sans blessure ap­
parente, le djihadiste irakien de
47 ans a peu changé, si ce n’est une
barbe poivre et sel, teintée de
henné à son extrémité. Le discours
qu’il assène est attendu. D’une
voix basse, il promet que l’EI « se
vengera » au nom de ses membres
tués et que le combat contre l’Occi­
dent sera « une longue bataille » à
l’échelle internationale.
La vidéo aurait été tournée après
la chute de Baghouz, le dernier ré­
duit territorial du « califat » dans
l’est de la Syrie, repris le 23 mars, et
avant les attentats au Sri Lanka, le
21 avril, évoqués en fin d’enregis­
trement dans un message audio
qui pourrait avoir été ajouté après
le tournage. Des événements ré­
cents comme la victoire de Benya­
min Nétanyahou aux législatives
en Israël, le 9 avril, ainsi que la
chute d’Abdelaziz Bouteflika en Al­ visage flouté. « Il est présenté non Abou Bakr Al­Baghdadi promet taine de pays : l’Afrique de l’Ouest, gulières, les attentats au Sri Lanka se trouver dans les territoires dé­
gérie et celle d’Omar Al­Bachir au pas comme un calife distant et loin­ d’autres actions « contre les croi­ la Somalie, le Sinaï égyptien, la sont, estime­t­il avec le chercheur sertiques entre les deux pays, dans
Soudan, le 11 avril, sont évoqués. tain qui se cache de ses ennemis, sés », comme les attentats ayant Libye, l’Afrique centrale, le Caucase Aymenn Al­Tamimi dans un arti­ le désert syrien de la Badiya ou la
S’il salue la chute des « tyrans en Al­ mais comme quelqu’un qui conti­ tué 253 personnes dans des églises et la Turquie. Le chef djihadiste re­ cle publié le 27 avril dans le maga­ province irakienne de l’Anbar.
gérie et au Soudan », Abou Bakr Al­ nue de commander », commente et hôtels du Sri Lanka – une « ven­ mercie les groupes qui lui ont zine américain The Atlantic, la En réponse à cette vidéo, en
Baghdadi dit regretter que les gens sur Twitter Charlie Winter, cher­ geance pour les frères à Baghouz » – prêté allégeance ces derniers mois, marque d’une nouvelle stratégie cours d’authentification par la
aient « remplacé un tyran par un cheur au centre sur la radicalisa­ ou les 92 attaques dans huit pays notamment au Burkina Faso et au de globalisation de l’EI qui, désor­ coalition, le porte­parole du dé­
autre » et estime que seul « le dji­ tion du King’s College de Londres. qu’il revendique au nom de l’EI. Mali. « Nous leur recommandons à mais revenu à la clandestinité, partement d’Etat américain a as­
had peut réprimer les tyrans ». « Ce n’est pas un appel aux armes Les rapports d’activité mensuels tous d’attaquer leurs ennemis et cherche à s’ancrer et à perpétrer suré que cette dernière se battra
mais un appel à la continuité. L’EI se des provinces de l’EI qu’il étudie d’épuiser toutes leurs capacités – des attaques d’ampleur. dans le monde pour « garantir la
Avec un fusil d’assaut AKS74 présente comme dynamique et vi­ devant la caméra donnent un humaines, militaires, économiques défaite durable de ces terroristes et
La mise en scène est étudiée pour vant, et appelle son noyau dur à aperçu de la toile tissée par le et logistiques », dit­il, appelant à Sa tête est mise à prix que tous les dirigeants qui restent
réaffirmer son rôle central et actif poursuivre la cause quoi qu’il ar­ groupe djihadiste dans une ving­ une « guerre d’attrition » et au dji­ Al­Baghdadi a pris beaucoup de soient traduits en justice. » Mais,
à la tête de l’EI et redonner con­ rive », poursuit­il. had « jusqu’au Jugement dernier ». risques pour délivrer ce message. s’il estime que « la défaite territo­
fiance en l’organisation après les « La bataille pour Baghouz est S’adressant à l’émir de l’EI pour le L’homme, qui fin 2014 présidait riale de l’EI en Syrie et en Irak a
dissensions qui ont traversé le maintenant finie », débute le chef Grand Sahara, Abou Walid Al­Sa­ aux destinées de sept millions porté un coup fatal stratégique et
groupe à la suite de la chute du de l’EI, imputant la défaite à « la « L’EI se présente hrawi, actif dans le Sahel, il l’ex­ d’habitants dans de larges pans de psychologique », la directrice de
« califat ». Assis sur un matelas barbarie et à la brutalité » de l’Occi­ horte à intensifier les attaques la Syrie et près d’un tiers de l’Irak, SITE, Rita Katz, s’alarme du « dan­
fleuri, vêtu d’une tunique noire et dent. Il salue l’« endurance » et la
comme vivant, et contre la France. est l’un des derniers chefs de l’EI à ger sérieux que posent non seule­
d’un gilet de combattant beige, il « détermination » des combattants appelle son noyau « Depuis un an, l’EI a commencé avoir survécu à la traque des forces ment le fait que Baghdadi, le soi­di­
pose avec un fusil d’assaut AKS74 à assiégés à Baghouz, citant notam­ à se démarquer de son projet de de la coalition internationale et de sant calife de l’EI soit vivant, mais
ses côtés. Le même modèle qu’affi­ ment Fabien et Jean­Michel Clain,
dur à poursuivre proto­Etat en Syrie et en Irak. Cette leurs alliés locaux. Sa tête est mise aussi qu’il soit capable de réémer­
chaient jadis Oussama Ben Laden, deux djihadistes français apparte­ la cause quoi vidéo tourne la page définitive­ à prix à 25 millions de dollars (plus ger pour ses soutiens et réaffirmer
le chef d’Al­Qaida, et Abou Mous­ nant à la branche médiatique de ment », estime Charlie Winter. Si de 22 millions d’euros) par les le message du groupe “nous contre
sab Al­Zarkaoui, le premier chef de l’EI, qui ont été tués dans une
qu’il arrive » le groupe reste une menace en Sy­ Américains. Malgré la chute du le monde” après tous les progrès
l’EI. Il apparaît entouré de trois frappe de drone à Baghouz, fin fé­ CHARLIE WINTER rie et en Irak, où des cellules dor­ califat, défait en Irak fin 2017 et en réalisés contre le groupe ». 
hommes de son cercle restreint, le vrier. La perte du califat actée, chercheur mantes mènent des attaques ré­ Syrie en mars, il pourrait toujours hélène sallon

La délicate question d’un tribunal pénal international


Pour l’ex­procureure Carla Del Ponte, l’absence d’une juridiction pour juger les crimes en Syrie est un échec de la communauté internationale

A lors que le conflit syrien


reste le plus fracassant
échec de la justice pénale
internationale, l’idée d’un tribunal
international pour juger les djiha­
et de l’est de la Syrie, est revenue à
la charge auprès d’Emmanuel Ma­
cron pour demander la création
d’une telle cour. Les autorités du
Rojava, le territoire kurde au nord­
pays limitrophe, la Jordanie ou
l’Irak, même si elle reconnaît
qu’un tel projet est presque im­
possible à mettre sur pied.
Les autorités britanniques évo­
un tribunal international à même
de juger les crimes commis, qui
sont d’une ampleur inédite par
l’utilisation des armes chimiques
contre les civils », relève Carla Del
Fatou Bensouda, lui demandant
d’enquêter sur les ressortissants
étrangers de l’EI. La magistrate
avait botté en touche, affirmant
qu’il s’agissait d’une « organisa­
pour créer un « mécanisme » de
centralisation des preuves.
Basé à Genève, ce méca­
nisme prépare des dossiers à des­
tination de tout juge qui en ferait
distes étrangers de l’organisation est de la Syrie, voudraient juger ces quent une cour internationale en Ponte. En 2014 et 2015, Moscou et tion militaire et politique principa­ la demande. Plusieurs juges euro­
Etat islamique (EI) est de nouveau djihadistes mais ne le peuvent pas, Irak. Paris, comme nombre de ses Pékin ont mis leur veto à toute lement dirigée par des ressortis­ péens l’ont sollicité, dont le « pôle
évoquée. En premier lieu par les n’étant pas un Etat reconnu. partenaires, reste prudent. « On initiative de justice internatio­ sants d’Irak et de Syrie ». Elle assu­ crimes de guerre » de Paris, pour
Kurdes syriens alliés de la coali­ « Les Kurdes m’ont proposé d’être continue à se poser la question de nale, que ce soit la CPI ou la mise rait que ses enquêtes ne ciblent des crimes commis par le régime
tion. Ceux­ci changent de stratégie la procureure d’une telle instance, l’opportunité de mettre sur pied un sur pied d’un tribunal spécial sur que les « plus hauts responsa­ syrien, sur lesquels il enquête au
après avoir demandé, le plus sou­ mais j’ai décliné, explique au mécanisme juridirictionnel spéci­ la Syrie. Mais selon l’ex­magis­ bles », qui, dans le cas de l’EI, ne premier chef. En 2011 avait été
vent en vain, aux pays d’origine de Monde Carla Del Ponte, ancienne fique, vu la complexité juridique et trate suisse, cette crise a aussi été sont pas européens. « La position mise sur pied une commission
rapatrier leurs ressortissants cap­ procureure du tribunal pour l’ex­ politique de la chose », explique le « le révélateur de toutes les limites n’a pas changé », explique le bu­ d’enquête indépendante par le
turés. Menacés par la Turquie ou Yougoslavie. La création d’un tri­ Quai d’Orsay. A commencer par la du mandat de la Cour pénale inter­ reau de la procureure. Haut Conseil des droits de
par un retour de la tutelle du ré­ bunal pénal international spécial nécessité d’obtenir un feu vert du nationale ». La Syrie et l’Irak, n’ont Depuis le début de la guerre en l’homme de l’ONU. Carla Del
gime, ils y voient une occasion de est une nécessité, mais il ne pour­ Conseil de sécurité de l’ONU s’il pas ratifié le traité de 1998. Syrie, des millions de preuves ont Ponte en avait démissionné avec
renforcer leur légitimité ainsi que rait être basé en Syrie, même dans s’agit de s’inspirer du modèle des été collectées, souvent par des fracas en août 2017 en dénonçant
le soutien de pays occidentaux la région kurde, car il aurait néces­ tribunaux ad hoc pour l’ex­You­ Millions de preuves Syriens eux­mêmes, mais sans l’impuissance de cette « commis­
peu enclins au retour, même judi­ sairement vocation à juger non goslavie et le Rwanda. La CPI pourrait néanmoins en­ pouvoir les présenter devant un sion devenue un alibi pour ne rien
ciarisé, de leurs djihadistes. pas seulement les crimes de Daech « La guerre syrienne n’incarne quêter spécifiquement sur les res­ tribunal international. En dé­ faire », et accusant les membres
Reçue à l’Elysée le 19 avril, une [acronyme arabe de l’EI] mais pas tant l’échec de la justice inter­ sortissants européens de l’EI, la cembre 2016, des Etats sont par­ du Conseil de sécurité « de ne pas
délégation kurde syrienne con­ ceux de tous les belligérants, à nationale ; c’est celui de l’ONU et de totalité des Etats européens ayant venus à contourner le Conseil de vouloir établir la justice ». 
duite par Abd Al­Mehbache, copré­ commencer par le régime. » Cette la communauté internationale ratifié le traité. Dès 2014, le Liban sécurité et se sont tournés vers marc semo, avec stéphanie
sident de l’administration du nord cour devrait donc siéger dans un qui n’a pas réussi à mettre sur pied avait d’ailleurs saisi la procureure l’Assemblée générale de l’ONU maupas (à la haye)
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JEUDI 2 MAI 2019 international | 3

Deux femmes dans la débâcle de l’EI en Syrie


Une djihadiste française et une autre belge racontent leur quotidien, de la chute de Rakka à celle de Baghouz

TÉMOIGNAGES TURQUIE
« capitale » de l’EI en Syrie, elles
partent, avec d’autres djihadistes
A Baghouz, elles ont occupé
pendant plusieurs semaines une
l’idéologie de l’EI. Elles sur­
veillent les autres « sœurs » et
noncé contre elle une interdic­
tion d’entrée sur le territoire dans
al­hol (syrie) ­ envoyée spéciale
Al-Hol et leurs familles, à Mayadin, une maison avec une trentaine de menacent les gardes kurdes et les le cadre des poursuites ouvertes

D
es dizaines de mil­ Alep ville sur l’Euphrate, à 100 km de la femmes et leurs enfants, avant journalistes, qu’elles accueillent après son départ en Syrie.
Rakka
liers de femmes en Al-Chaddadeh frontière irakienne. « Ça s’est de se réfugier dans des tentes à par des insultes et des jets de Myriam a peur, elle aussi, de
niqab noir et de jeu­ Idlib beaucoup dégradé à ce mo­ l’abri des tranchées. « Ce n’est bouteilles en plastique. Malgré faire de la prison et d’être séparée
SYRIE IRAK
nes enfants hagards Mayadin ment­là : il n’y a plus eu d’aides, de qu’à Baghouz qu’on s’est retrou­ cette surveillance et les condi­ de ses trois enfants. Elle ne peut
s’entassent dans de grandes ten­ LIBAN Baghouz salaires, ni de camions qui ren­ vées, pour la première fois, sur le tions humanitaires déplorables, pas envisager qu’ils soient placés
tes blanches qui s’étalent à perte traient. Mon mari a arrêté de tra­ champ de bataille. C’était le dues à la surpopulation du camp en famille d’accueil et réintégrés
Damas
de vue. Le camp de déplacés d’Al­ vailler », explique Myriam. chaos. Les bombes tombaient qui accueille 75 000 personnes, dans le système scolaire français.
Hol, dans le nord­est syrien, n’a Puis, de Mayadin, elles n’ont autour de nous, les balles sif­ Elise et Myriam ont du mal à en­ Elle réprouve la mixité, la laïcité
rien de l’image idyllique qu’Elise JORDANIE cessé de déménager de village en flaient. Il y avait des gens blessés visager leur retour en Europe. et les cours de sexualité. « Ils ne
100 km
et Myriam (les noms ont été mo­ village, battant en retraite à cha­ dans leurs tentes, des familles « Si je rentre, ce sera en Belgique. savent pas ce que c’est, je les en ai
difiés) s’étaient faite de leur vie que avancée de la coalition arabo­ entières », raconte Myriam. Mais je ne me vois pas faire de la préservés. Les écoles en France
sous l’autorité de l’organisation kurde des FDS. « On a dû s’adapter, prison et sortir à 35 ans », dit Elise. créent des choses malsaines dans
Etat islamique (EI). Sorties à con­ main » avec des amies. Sa voisine reconnaît Elise. Ce qui était dur « On est chez les illuminées » Elle réfléchit et ajoute cependant : la nature des enfants », explique­
trecœur le 5 mars de l’enfer de n’est autre que Dorothée Maquère, psychologiquement, c’était les dé­ Depuis mi­mars, Elise et Myriam « En même temps, s’ils envisagent t­elle. Myriam assure qu’en Syrie
Baghouz, le dernier réduit du l’épouse de Jean­Michel Clain, l’un ménagements. » Chaque semaine, ont été transférées dans le quar­ de nous envoyer chez Bachar Al­ ses deux garçons de 8 et 11 ans
« califat », à 400 kilomètres plus des Français les plus recherchés du parfois moins, la famille part à la tier des étrangères du camp d’Al­ Assad ou en Irak, c’est sûr qu’on de­ n’ont appris que « les maths, le
au sud, tombé aux mains des califat avec son frère Fabien. Ils ont recherche de nourriture et d’un Hol. « On est chez les illuminées », mandera le rapatriement et qu’on français et le Coran », mais pas le
Forces démocratiques syriennes été tués lors de frappes à Baghouz. logis où femmes et hommes s’inquiète Elise. Les plus intransi­ fera des années de prison en Eu­ maniement des armes. 
(FDS) le 23 mars après trois mois La fratrie, convertie à l’islam ra­ vivent désormais séparés. geantes veillent à faire vivre rope. » La justice française a pro­ hélène sallon
de siège et de combats, les deux dical au tournant des années
djihadistes – respectivement 2000, a inspiré et revendiqué cer­
belge et française – disent pour­ tains attentats commis en France
tant n’avoir ni remords ni regret. au nom de l’EI. A Rakka, Elise les
Après avoir vécu pendant cinq voyait « de temps en temps » mais
ans ce qu’elles appellent une vie elle assure n’avoir pas tissé de
« normale » sous le califat en Sy­ liens étroits avec les Clain ou les
rie, elles ne savent pas de quoi autres Français.
leur avenir sera fait. Si ce n’est Son mari est mort sur le front, au
qu’il restera lié à l’EI, sous l’em­ nord de Rakka, il y a deux ans. Pen­
prise duquel elles restent. « Le ca­ dant cinq mois, Elise a réussi à
lifat, c’est un idéal qu’on a voulu, échapper à la madafa, la maison
qui fait partie de notre islam. des veuves et des célibataires. Puis
Mais, il va s’éteindre », reconnaît son destin s’est lié à celui de My­
Elise, rencontrée dans la zone de riam, une femme beaucoup plus
réception du camp d’Al­Hol. affirmée qu’elle. Elise est devenue
Myriam la coupe, pour la con­ la seconde épouse du mari de My­
tredire. « La victoire nous sera riam, un Franco­Tunisien actif
donnée. Le Daoula [« Etat » en dans l’équipe chargée de la propa­
arabe] a préparé la suite et tout est gande de l’EI. Elles ont accepté la
possible ici », veut­elle croire. Ce polygamie. « C’est nouveau pour
qu’elle a vécue à Baghouz n’altère nous, on n’a pas été éduquées là­de­
en rien sa foi en l’EI. « Dans le cali­ dans », concède Elise, tandis que
fat, il y a eu des fautes comme par­ Myriam ajoute : « Après, ça devient
tout, il faut le temps de s’adapter, normal et on est moins fatiguées,
d’apprendre de ses erreurs. Il n’a c’est le partage de tout ! »
pas pu prospérer car on était en Myriam avait deux fils de 6 et
temps de guerre », dit Myriam. 3 ans quand elle a rejoint la Syrie, à
27 ans, en septembre 2014, avec
« A cause du niqab » son mari, sa belle­mère tuni­
Désormais obligée d’utiliser des sienne et ses deux belles­sœurs.
béquilles, Myriam ne s’est résolue Originaire de Nice, elle s’est con­
à quitter Baghouz que parce vertie quand elle est tombée en­
qu’elle était devenue un « poids ceinte de l’aîné de ses enfants. Le
mort » après avoir été blessée par couple a plongé dans le salafisme
balle à la jambe gauche, le 1er mars. djihadiste après sa rencontre avec
Son mari l’a poussée à partir avec Omar Omsen, l’un des grands re­
leurs trois enfants âgés de 2 à cruteurs de djihadistes français,
11 ans. « C’est difficile de se dire un Niçois d’origine sénégalaise
qu’on a enduré tout cela, qu’on a toujours actif dans la mouvance
vu les enfants souffrir, surtout de proche d’Al­Qaida dans la pro­
la faim, pour partir chez ceux qui vince d’Idlib, en Syrie.
sont responsables de cette souf­ Le couple part s’installer à Al­
france », dit­elle des FDS. Chaddadeh, dans l’est de la Syrie,
Elise, elle, est soulagée. Fin fé­ après la proclamation du califat
vrier, depuis Baghouz, elle confiait en juin 2014. « C’était une obliga­
déjà sur WhatsApp son envie de tion vis­à­vis de ma religion de re­
sortir. « Je ne me voyais pas rester, joindre le califat », dit Myriam.
c’était terrorisant, explique­t­elle. Dans ses échanges avec son père,
On voulait juste attendre le dernier elle dit vivre une vie « normale » à
jour de la trêve, rester le plus de Al­Chaddadeh, loin des champs
temps possible en famille. On sa­ de bataille. Elle lui jure que les en­
vait qu’on serait séparés après, on fants n’y sont exposés ni à la vio­
ne sait pour combien d’années. » lence de la guerre ni aux exac­
Elise est la première à être partie tions. « Les châtiments publics,
en Syrie, début 2014, quelques c’était tellement rare que ça atti­
mois avant la proclamation du ca­ rait de grosses foules. Ça fait par­
lifat. Alors âgée de 18 ans, conver­ tie de la religion, ça empêche les
tie depuis trois ans, elle quitte forniqueurs de forniquer et les vo­
Tourcoing (Nord), où elle vit avec leurs de voler. Mais, on ne s’amu­
sa famille, pour rejoindre son sait pas à montrer ça aux en­
époux, un Franco­Algérien d’un fants », dit­elle.
an de moins qu’elle, parti deux Après l’offensive, en juin 2017,
mois plus tôt suivre un entraîne­ des FDS avec le soutien de la coali­
ment militaire en Syrie. « Je ne vi­ tion internationale sur Rakka, la
vais pas bien ma religion en France
à cause du port du niqab. J’ai
trouvé avec le Daoula les libertés
que je voulais », explique­t­elle. Le « S’ils envisagent
jeune couple s’installe à Rakka,
dans une belle maison de 100 m²,
de nous envoyer
propriété d’un médecin qui est chez Bachar Al-
parti. Les débuts sont difficiles ;
elle ne parle pas encore arabe. Son
Assad ou en Irak,
mari travaille toute la journée on demandera
dans la police islamique.
La jeune Belge passe son temps
le rapatriement
au téléphone avec la famille, dans et on fera de la
les cybercafés, chez la coiffeuse
pour refaire son balayage, et à chi­
prison en Europe »
ner des « fringues de seconde ÉLISE
0123
4 | international JEUDI 2 MAI 2019

A Tripoli,
la rancœur des
combattants
anti­Haftar
Le maréchal intensifie ses raids
aériens sur la capitale libyenne

REPORTAGE pareil intrus, riposte plutôt vaine


à la menace venue de trop haut. Le
tripoli ­ envoyé spécial
ciel, ce péril de chaque instant.

L
e regard des deux hom­ Plus de trois semaines après le
mes se perd dans le ciel début de l’offensive lancée contre
poussiéreux de Tripoli. Ils les forces du GAN à Tripoli par les
marchent prudemment troupes du maréchal Khalifa Haf­
le long d’un mur de pierres scel­ tar, le patron de l’Armée nationale
lées, tête levée. L’un d’eux, en libyenne (ANL), les combats font
veste de treillis et jeans, tient un rage dans des poches urbaines
AK­47. Alentour, les pâtés de mai­ non loin du centre­ville : Aïn­Zara,
sons sont vides, enveloppés d’un Khalat Al­Ferjan, Salaheddine,
silence sépulcral. Un vieux berger camp de Yarmouk, aéroport inter­ Dans le 4 × 4 d’Ali Awad, chef local de la brigade Mahjoub des forces anti­Haftar, au sud de Tripoli. SAMUEL GRATACAP POUR « LE MONDE »
flanqué de ses moutons traverse national. C’est le « front intérieur »,
le décor pétrifié, indifférent aux distinct de la périphérie d’Aziziya
nuées de la guerre. et d’Al­Hira (40 à 50 kilomètres au naud Delalande, les projectiles ponsable local de la brigade Ma­ qu’elle s’est contentée de fournir
Les deux miliciens loyaux au sud­ouest) où les belligérants s’af­ tirés sont des missiles guidés an­
Les drones de jour hjoub, talkie­walkie au poing, à au patron de l’ANL un soutien
gouvernement d’« accord natio­ frontent dans les champs d’oli­ tichar de fabrication chinoise renseignent sur sillonner ces quartiers fantoma­ ponctuel limité au « contre­terro­
nal » (GAN) de Faïez Sarraj ont le viers de zones rurales. LJ­7 Blue Arrow. Et les drones qui tiques. Le pare­brise est étoilé risme », mais le camp anti­Haftar
nez en l’air car ils ont aperçu un Dans les deux cas, après les dé­ les transportent sont également
les positions des d’un impact de balle. à Tripoli, à Misrata et dans l’Ouest
drone survolant ce quartier de convenues des premiers jours, les de fabrication chinoise, les Wing combattants et Après la visite de la ligne de libyen assure que la bien­
Khalat Al­Ferjan, à une dizaine de forces de Tripoli résistent bien et Loong 2. Selon M. Delalande, il front du camp de Yarmouk, Ali veillance de Paris a de facto con­
kilomètres au sud du cœur histo­ ont même repris un peu de ter­ existe une forte probabilité que
font place, la nuit, Awad nous ramène, un peu plus tribué à mettre sur orbite le ma­
rique de Tripoli. L’un s’exclame : rain à l’assaillant. Le bilan des ces drones armés aient été acquis aux drones armés au nord, à la base arrière de Sala­ réchal, qui n’avait jamais caché
« Chouf, chouf » (« regarde, re­ combats s’élevait lundi 29 avril à par les Emirats arabes unis (EAU), heddine, vaste hangar où ses son projet de « libérer Tripoli ».
garde »). L’autre, armé du fusil­mi­ 345 morts (dont 22 civils) et voire par l’Egypte, deux alliés du hommes se reposent avant de re­ Alors, Ali Awad veut marquer le
trailleur, lâche une rafale vers l’ap­ 1 332 blessés (dont 74 civils), selon maréchal Haftar. allusion à l’acronyme arabe de partir au combat. Des matelas coup. Il tient entre ses doigts une
l’Organisation mondiale de la Les Blue Arrow sèment la mort l’organisation Etat islamique (EI). sont jetés sur le sol en ciment. Ils bouteille d’eau minérale et il s’in­
santé (OMS), et 40 100 déplacés. et le désarroi au sein des combat­ Il explique qu’il a été blessé lors de ont tous entre 18 et 25 ans. Ils se terroge : « La politique française
Mer tants anti­Hafar de Tripoli. « Nous l’offensive fin 2016 contre le sanc­ sont assis en cercle autour d’un en Libye est un choc pour nous. La
Méditerranée
« No Daech, no Daech ! » perdons des hommes chaque nuit tuaire de l’EI à Syrte, à l’est de Mis­ plateau de bananes, pommes et France nous avait aidés pendant
Tripoli Quand les deux combattants de à cause de ces drones armés venus rata. La coalition anti­EI, agrégée pastèque. Ali Awad, leur chef, a la révolution de 2011. Nous étions
Janzour Khalat Al­Ferjan ont aperçu le de l’étranger, gronde Ahmed B., autour des milices de Misrata, tenu à les réunir pour qu’ils té­ très contents de la décision de
Aïn Zara
bourdon ronfler au­dessus de un milicien loyal du GAN de Tri­ avait alors perdu 700 hommes. moignent de leur combat aux Sarkozy de protéger les civils face
Al-Swani
leur tête, ils ont aussitôt alerté poli. Cela pèse sur notre moral. » Aujourd’hui, ces combattants étrangers de passage. à la répression de Kadhafi. Mais
leurs camarades concentrés A ses côtés, les hommes de la anti­Haftar, qui ont aussi mené la L’un après l’autre, ils évoquent nous sommes déçus de la politi­
Aéroport dans une rue adjacente. Chacun brigade Mahjoub, originaire de campagne anti­EI à Syrte, tien­ leur « rêve de liberté et de démo­ que de votre président Macron
international sait ici le mal qu’infligent ces dro­ Misrata, s’affairent autour de nent à clarifier qu’ils ne sont pas cratie », leur « guerre anti­Daech qui soutient Haftar. Que fait­il
nes de reconnaissance diurnes murs de sable en lisière du camp les « extrémistes » que vilipende la à Syrte » – « on a combattu Daech pour protéger les civils libyens
LIBYE de l’ANL qui, riches des rensei­ de Yarmouk, non loin de Khalat propagande du maréchal. plus que Haftar lui­même », in­ maintenant ? »
Tripoli gnements engrangés sur les po­ Al­Ferjan. La ligne de front est Ali Awad porte lui aussi les stig­ siste l’un d’eux – et les difficultés Sur les différents fronts de Tri­
Azizia sitions adverses, font place la calme cet après­midi. Les mili­ mates de bien des guerres, ces du front, notamment « le danger poli, la récrimination anti­fran­
LIBYE nuit à des drones armés aux frap­ ciens font le « V » de la victoire convulsions qui n’ont cessé venu du ciel ». çaise est amère et lancinante. Et
pes d’une précision redoutable. adossés à leur canon antiaérien et d’ébranler la Libye depuis le dé­ même si les Blue Arrow et les
10 km
Selon l’expert en aviation Ar­ leurs 4 × 4 Toyota hérissés de clenchement de l’insurrection « La France nous avait aidés » drones Wing­Loong 2 sont chi­
mitrailleuses. Ils échangent des anti­Kadhafi en février 2011. Joue, Quand Ali Awad prend la parole, nois, même si leurs opérateurs
plaisanteries, sachant que le répit cou, bras ou ventre : son corps est c’est pour délivrer un message à sont émiratis ou égyptiens, la
sera de courte durée. comme une pièce de géologie mi­ la France. Depuis le début de France demeure la cible privilé­
L’un d’eux montre son bras fili­ litaire où s’étagent les différentes cette nouvelle bataille de Tripoli, giée d’une lourde rancœur. Parce
forme et couturé de cicatrices, en­ déchirures libyennes. Il a miracu­ la position française est dénon­ que, glisse un combattant, « nous
serré dans des attelles. « No Daech, leusement survécu à toutes. Et il cée dans la capitale comme « pro­ attendions autre chose d’elle ». 
no Daech ! », répète­t­il dans une est là, au volant de son 4 × 4 de res­ Haftar ». La France proteste frédéric bobin
HORS-SÉRIE

UNE VIE, UNE ŒUVRE

Estonie : l’extrême droite au gouvernement


Les membres du parti EKRE, nommés par le premier ministre centriste, suscitent la polémique

malmö (suède) ­ cistes blancs américains, imitant minorité russophone. « Au final, traîner « un retour en arrière » dans
correspondante régionale un de leurs députés qui avait cho­ constate le politologue Juhan Kivi­ un pays devenu en quelques an­
qué le pays lors de sa prestation de rähk, c’est l’intérêt du parti qui a nées l’un des meilleurs élèves de

P our la cérémonie de pres­


tation de serment du nou­
veau gouvernement esto­
nien, lundi 29 avril, devant le Par­
lement, la présidente de la petite
serment. EKRE décroche cinq por­
tefeuilles ministériels : l’intérieur,
les finances, l’environnement, les
affaires rurales et le commerce.
Avant le scrutin, Jüri Rata avait
prévalu avant celui du pays. »
Le 13 mars, Guy Verhofstadt, le
président de l’Alliance des démo­
crates et des libéraux pour l’Eu­
rope (ALDE), dont fait partie la for­
l’Union européenne. Quatre jours
plus tard, Jüri Ratas s’est voulu ras­
surant. Il a appelé à « l’unité » et ga­
ranti que « l’Estonie maintiendra
fermement sa ligne actuelle en ma­
Honoré République balte, Kersti Kalju­ pourtant exclu tout rapproche­ mation centriste, a estimé qu’une tière de politique étrangère et de sé­
de Balzac laid, est venue habillée d’un ment avec EKRE. Créé en 2015, le collaboration avec EKRE serait curité, dont un élément crucial est
La fureur des mots sweat­shirt blanc, barré du slo­ parti eurosceptique et antimi­ « nuisible à la société estonienne et l’adhésion à l’UE et à l’OTAN ».
gan « Sona on vaba » – littérale­ grant a fait campagne sur le rejet à la position géopolitique du pays » Le 24 avril, le président d’EKRE,
ment, « la parole est libre ». des élites et du multicultura­ et causerait « des dommages irré­ Mart Helme, a suscité la polémi­
Le message ne pouvait être plus lisme, du droit à l’avortement, parables à l’excellente coopération que, en appelant à la « responsabi­
Vu par Hugo, Baudelaire, Barthes, Engels, Zweig, Rohmer…
clair, alors que, pour la première des droits des homosexuels et au sein de la famille libérale ». lité des médias », alors que son
fois, une formation d’extrême ceux de la minorité russophone. M. Ratas s’est empressé de lui ré­ fils, Martin Helm, avait demandé
droite, EKRE (Parti conservateur pondre que « Bruxelles n’avait pas plus tôt le retrait des ondes publi­
d’Estonie), arrivé en troisième po­ Collaboration « nuisible » à dicter à l’Estonie » sa conduite. ques des journalistes « parti­
sition aux législatives du 3 mars Mais le 3 mars, les centristes, avec Mais il est également critiqué par sans ». Ces menaces voilées sur la

HONORÉ DE BALZAC avec 17,8 % des votes, entre au


gouvernement, sous la direction
23,1 % des voix, sont arrivés en
deuxième position, derrière le
les siens : plusieurs cadres du parti
ont voté contre l’alliance et les der­
liberté de la presse sont d’autant
plus prises au sérieux que deux

LA FUREUR DES MOTS du centriste et premier ministre


sortant, Jüri Ratas.
Parti de la réforme (28,9 %), dont la
chef de file a d’abord tenté de for­
niers sondages montrent une dé­
sertion des électeurs centristes
journalistes réputés pour leurs
positions contre l’extrême droite
Les inquiétudes des détracteurs mer un gouvernement. Sans suc­ vers le Parti de la réforme. Le pro­ – l’une pour le quotidien Posti­
Un hors-série du « Monde » de ce parti, qui dénoncent déjà des cès. Quelques jours après le scru­ fesseur Alar Kilp s’étonne de « la mees, l’autre pour la radio publi­
attaques contre la liberté d’expres­ tin, Jüri Rata a fait savoir qu’il était mobilisation politique post­élec­ que – ont annoncé leur démis­
124 pages - 8,50 € sion, n’auront pas été apaisées par prêt à s’allier avec les conserva­ tion inhabituelle en Estonie » et y sion, ces derniers jours. Ils dénon­
Chez votre marchand de journaux l’attitude de son dirigeant, Mart teurs et l’extrême droite. Un em­ voit « une polarisation du débat ». çaient les pressions exercées par
et sur lemonde.fr/boutique Helme, nommé à l’intérieur, et de pressement suspect pour l’opposi­ Le 15 avril, la dirigeante du Parti leur direction, qui leur aurait de­
son fils, Martin Helme, aux finan­ tion, sachant qu’EKRE se présente de la réforme, Kaja Kallas, a mis en mandé, selon eux, de tempérer
ces. Devant le Parlement, tous comme très antirusse et que le garde contre un « gouvernement leurs critiques contre EKRE. 
deux ont fait le signe des supréma­ Parti du centre est celui de la de stagnation », qui risquait d’en­ anne­françoise hivert
0123
JEUDI 2 MAI 2019 international | 5

Le Japon change d’ère et d’empereur


ÉTATS -U NIS
Un ex-militaire arrêté en
pleine préparation d’un
attentat en Californie
Les autorités californiennes
Après l’abdication de son père, Akihito, le 30 avril, Naruhito montera sur le trône le 1er mai ont annoncé, lundi 29 avril,
l’arrestation d’un ancien mi­
litaire américain converti à
l’islam, qui tentait d’organi­
tokyo ­ correspondants tagne », aux éditions de l’univer­ monie avec son temps la fonction leurs démocratiques et pacifistes ser un attentat pour venger
En rupture avec les sité Gakushuin, 1993, non tra­ des descendants de la dynastie. sur lesquelles le Japon s’est re­ les attaques commises con­

A
cte symbolique plus pratiques passées, duit). Ce séjour lui a permis de dé­ Premier souverain du Japon à construit après la défaite de 1945. tre deux mosquées en Nou­
que politique, la mon­ couvrir la sociabilité des pubs et avoir été intronisé sous la Consti­ Respectant la retenue que lui velle­Zélande, en mars. Mark
tée, mercredi 1er mai,
Akihito avait de s’étonner des manières relati­ tution de 1947, qui fait du monar­ impose sa charge, il a toujours Steven Domingo, 26 ans, a
sur le trône impérial choisi de s’investir vement détendues de la famille que le « symbole de l’Etat et de posé discrètement, au fil de ses été appréhendé vendredi
japonais du prince héritier, Naru­ royale britannique : « La reine Eli­ l’unité du peuple » sans autres discours, des balises à ne pas 26 avril, après avoir reçu, au
hito, doit conclure deux journées
dans l’éducation zabeth II se verse le thé et sert les fonctions que protocolaires, Aki­ franchir pour maintenir la démo­ lieu d’une bombe, un engin
de cérémonies, ponctuées de de Naruhito sandwichs. » hito est aussi le premier à abdi­ cratie japonaise sur la voie tracée. factice livré par un policier
rituels shintoïstes au palais Il a également pu apprécier la quer depuis l’empereur Kokaku Assumant le fardeau de l’ère sous couverture. Selon le FBI,
impérial de Tokyo. Les premières liberté de ton dont jouissaient (1771­1840). L’abdication d’un em­ Showa (1926­1989), il a sans cesse cet ancien combattant ayant
accompagneront l’abdication Joueur d’alto, Naruhito est ama­ les étudiantes, ce qui l’aurait pereur, pratiquée avant la restau­ rappelé le Japon au devoir de mé­ servi notamment en Afgha­
d’Akihito, le père de Naruhito, of­ teur de tennis, de jogging et de incité à se chercher une épouse ration de Meiji (1868), avait été moire pour les guerres qu’il nistan entre 2012 et 2013 ci­
ficialisée dans l’après­midi du randonnée. Très intéressé par la « ayant des idées bien à elle ». Son écartée dans les lois fondamenta­ mena, exprimant ses profonds blait un rassemblement
30 avril, lors d’une courte céré­ navigation maritime, il consacre dévolu s’est rapidement porté les de 1889 et de 1947. Il fallut une remords pour les souffrances in­ d’extrême droite le 28 avril, à
monie d’une dizaine de minutes, ses études d’histoire, au début des sur Masako Owada, une roturière loi, en juin 2017, pour autoriser fligées par l’armée japonaise lors Long Beach, au sud de Los
en présence de trois cents per­ années 1980, à l’université Gakus­ rencontrée lors d’un thé donné, celle d’Akihito. de ses visites à l’étranger et sur Angeles. Il avait affiché sa dé­
sonnes, dont le premier ministre, huin, à Tokyo, aux réseaux de en novembre 1986, en l’honneur les champs de bataille de la termination à devenir un
Shinzo Abe. transports dans la mer Intérieure de l’infante Elena d’Espagne. Balises à ne pas franchir guerre du Pacifique. C’est sur la martyr de sa religion dans
A minuit, le 1er mai, le Japon en­ (à l’ouest du Japon) au Moyen­Age. Fille du diplomate et ancien L’image de son père, l’empereur voie de la continuité que se situe des conversations Internet
trera dans « Reiwa », nom donné à président de la Cour internatio­ Showa (nom posthume d’Hiro­ le nouveau monarque. avec un agent. – (AFP.)
l’ère correspondant au règne du Un couple ouvert au monde nale de justice Hisashi Owada, di­ hito, les empereurs prenant à Naruhito porte un regard simi­
nouvel empereur, le 126e de la plus De 1983 à 1985, au Merton College plômée d’Harvard et d’Oxford et leur mort le nom de l’ère de leur laire à celui de son père sur le GABON
ancienne dynastie du monde. Na­ de l’université britannique d’Ox­ sur le point de faire carrière au règne), fut entachée par un ex­ passé. A plusieurs reprises, il a ap­ Le président Ali Bongo
ruhito doit assister à la remise des ford, il rédige une thèse sur le sein de la diplomatie nippone, pansionnisme commencé par pelé lui aussi « à regarder avec hu­ réapparaît après un mois
symboles et des sceaux impé­ commerce sur la Tamise au Masako a fini, après deux refus, l’invasion de la Chine en 1931, milité » ce passé. Il avait appelé, d’absence
riaux, puis à un événement en­ XVIIIe siècle. « Comme ma vie ne par accepter la demande en ma­ puis par la guerre du Pacifique en 2015, les générations qui ont Le chef de l’Etat gabonais, Ali
tourant sa montée sur le trône. me laisse que peu de chances de riage du prince. dans laquelle il eut une part de vécu la guerre à « transmettre cor­ Bongo Ondimba, dont on
Né en février 1960, Naruhito est sortir librement, a­t­il déclaré, les Le couple a une fille, Aiko, née responsabilité. Akihito s’est atta­ rectement à celles qui ne l’ont pas était sans nouvelles depuis
l’aîné des trois enfants d’Akihito et routes sont pour moi un lien pré­ en 2001, mais pas de fils. La pres­ ché, au cours des trente années connue les expériences de l’his­ près d’un mois, a reçu, lundi
de l’impératrice Michiko. Il fut le cieux vers des mondes inconnus. » sion subie par Masako pour don­ de son règne, à rappeler les va­ toire tragique du Japon ». 29 avril, le premier ministre,
premier de la dynastie à être élevé Son intérêt s’est ensuite porté sur ner au Japon un héritier mâle a L’utilisation du terme « correc­ Julien Nkoghe Bekalé, à Li­
par ses parents. Selon la tradition, le rapport entre l’humain et l’eau, largement contribué à la dépres­ tement » l’année du 70e anniver­ breville. Le président gabo­
son père avait été séparé, dès ses de l’accès à l’eau potable aux ca­ sion dont elle souffre depuis saire de la fin de la seconde nais a tweeté une photo de la
3 ans, de ses parents, pour être tastrophes provoquées par l’eau. 2003. Sa santé se serait améliorée, En 2015, Naruhito guerre mondiale avait une signi­ rencontre. Plusieurs médias
confié à des chambellans et à des Naruhito intervient régulière­ et elle reprend peu à peu, depuis fication particulière : elle mar­ avaient laissé entendre que
précepteurs. Il en avait souffert. ment dans les conférences inter­ 2012, ses activités officielles. De
avait appelé quait une discrète prise de dis­ le chef de l’Etat était reparti
En rupture avec les pratiques pas­ nationales sur ces sujets. quoi faire espérer voir le nouveau à « transmettre tance des tendances révisionnis­ pour l’étranger pour des rai­
sées, il avait choisi de s’investir Son séjour britannique reste couple impérial, multilingue et tes, frôlant le négationnisme, de sons de santé. Victime d’un
dans l’éducation de Naruhito, qui pour lui un excellent souvenir, ouvert au monde, répondre aux
correctement (...) Shinzo Abe, dont le grand objec­ accident vasculaire cérébral
a dès lors bénéficié des soins de qu’il a relaté dans un mémoire, attentes d’Akihito. les expériences de tif est une révision de la Constitu­ en octobre 2018, le président
parents presque « normaux ». Sa Temuzu to tomoni : Eikoku no ni­ Le retrait de l’empereur au pro­ tion pacifique de 1947.  Ali Bongo avait passé cinq
mère, Michiko, lui préparait ses nenkan (« auprès de la Tamise : fit de son fils aîné est significatif
l’histoire tragique philippe mesmer mois de convalescence en
bentos quand il allait à l’école. mes deux années en Grande­Bre­ de sa tentative de mettre en har­ du Japon » et philippe pons dehors du Gabon. – (AFP.)

L’impossible accession des femmes


au trône, un anachronisme japonais HALETANT SAISISSANT ÉDIFIANT
POSITIF PARIS MATCH MADAME FIGARO
L’empereur Naruhito et l’impératrice Masako n’ont eu qu’une fille,
rendant inévitable un futur débat sur la discrimination de genre IMPLACABLE ÉPOUSTOUFLANT
PREMIÈRE TÉLÉRAMA

tokyo ­ correspondant Selon les narchie en harmonie avec son


temps en permettant aux empe­
sondages,
L ors de la cérémonie d’in­
tronisation de l’empereur
Naruhito, mercredi 1er mai,
les femmes de la famille impé­
plus de 80 %
des Japonais
reurs de disposer de leur per­
sonne – comme dans les familles
royales à travers le monde – et
amorcer le débat sur la possibilité
riale ne seront pas présentes. sont favorables pour une femme de monter sur le
Seule Satsuki Katayama, ministre trône. C’est le cas en Belgique, en
chargée de l’égalité femmes­ à ce qu’une Espagne, au Royaume­Uni, en
hommes et unique femme du femme accède Suède et en Norvège. Des mem­
gouvernement, y assistera. La bres du Parlement y étaient favo­
maison impériale japonaise n’est au trône rables, mais la droite s’y opposa.
guère féministe et l’intronisation Exclues de la succession au
de Naruhito soulèvera, tôt ou trône, les filles de la famille impé­
tard, une question qui taraude la Jusqu’à l’empereur Showa (nom riale, y compris celles du monar­
monarchie : l’accession d’une posthume d’Hirohito, qui régna que, n’en font plus partie une fois
femme au trône impérial. de 1926 à 1989), les enfants des mariées en dehors de celle­ci.
Au­delà de l’anachronisme concubines palliaient l’absence Quant aux roturières qui y en­
qu’elle représente pour une mo­ de descendant mâle d’un couple trent – comme ce fut le cas de l’im­
narchie constitutionnelle du dé­ impérial. Hirohito écarta cette pératrice Michiko, épouse d’Aki­
but du XXIe siècle, la discrimina­ tradition et eut un garçon, Aki­ hito, et de la nouvelle impératrice
tion à l’égard des femmes du code hito. Le code de la maison impé­ Masako –, elles sont broyées par la
de la maison impériale obscurcit riale de 1947, qui reprit sur ce rigidité de la vie au palais.
l’avenir. Le nouvel empereur et point les dispositions de celui de
son épouse, l’impératrice Ma­ 1889 sur la succession patrili­ « Troubles d’adaptation » U N F I L M D E R O D R I G O S O R O G O Y E N
sako, n’ont en effet qu’une fille : néaire, ne reconnaît comme héri­ Michiko traversa plusieurs pha­
Aiko, âgée de 17 ans. tier au trône que les garçons dont ses de dépression, dont une se
Or, depuis le basculement du Ja­ le père est lui­même membre de manifesta par une crise d’apha­
pon dans l’ère moderne au milieu la famille impériale. sie, avant de trouver comme im­
du XIXe siècle, le code de la maison A la suite de la naissance pératrice une certaine sérénité.
impériale écarte les femmes de la en 2001 de la princesse Aiko, un Quant à Masako, brillante diplo­
succession au trône. Auparavant, débat s’était ouvert sur le main­ mate qui épousa le prince héri­
le titre de tenno (« maître du tien de ce système de succession, tier en 1993, elle souffrit pendant
Ciel »), traduit traditionnellement puis il s’est enlisé avec la nais­ de longues années de « troubles
par « empereur », n’était pas genré sance, en 2006, du prince Hisa­ d’adaptation », vivant largement
et il pouvait revenir à une femme. hito, fils du frère de l’empereur renfermée au palais Togu, rési­
La dernière en date fut Go­Sakura­ Naruhito, qui rendait la question dence du couple princier, dont
machi, qui régna à 1762 à 1770. moins urgente, sans pour autant elle s’est lentement dégagée. Au
la résoudre. point que, en 2004, son époux
Quelques accommodements Selon les sondages, plus de 80 % sortit de sa réserve : « La princesse
A la suite de la réforme de Meiji des Japonais sont favorables à ce Masako s’est épuisée à essayer de
(1868) fut instituée, sur le modèle
prussien, une succession patrili­
qu’une femme accède au trône.
Anathème pour la droite, les plus
s’adapter à la vie à la cour (…). Il lui
a été dénié son expérience et sa
ACTUELLEMENT
néaire mettant en avant la lignée virulents défenseurs de la lignée personnalité. »
supposée ininterrompue des mo­ patrilinéaire faisant valoir qu’une En entrant dans la famille impé­
CINEMA

narques depuis le mythique em­ femme accédant au trône pour­ riale, les femmes extérieures à la
pereur Jimmu, qui aurait régné au rait « entamer la pureté » de la li­ cour perdent toute liberté. L’insti­
VIe siècle avant J.­C. gnée impériale. tution en souffre plus qu’elle n’y
Ininterrompue ? Avec quelques En annonçant son abdication, gagne en termes d’image. 
accommodements cependant… Akihito souhaitait mettre la mo­ ph. p.
6 | planète 0123
JEUDI 2 MAI 2019

Climat : vaste trafic de gaz HFC en Europe


Ces réfrigérants, jusqu’à 15 000 fois plus nocifs que le CO2, entrent illégalement dans l’UE, au mépris des quotas

D
es tonnes de marchan­ tant aux douaniers de déterminer
dises qui entrent illé­ la légalité ou non des HFC impor­
galement sur le terri­ tés – ce qui impliquerait des mo­
toire européen, en difications législatives qui de­
provenance de la Chine, via la Rus­ vraient être approuvées par la
sie, l’Ukraine ou la Turquie. Des Commission et le Conseil.
douaniers bernés. Des millions « La réduction des émissions de
d’euros en jeu. Ce trafic d’am­ HFC de l’UE est efficace », répond
pleur, qui vient d’être mis au jour la Commission européenne, ajou­
dans un rapport par l’association tant qu’elle a récemment pris avec
britannique Environmental In­ les Etats membres un certain
vestigation Agency (EIA), n’est pas nombre de « mesures concertées ».
celui de la drogue, des armes ou « Les autorités douanières lancent
des espèces animales protégées. un projet dans le cadre du pro­
C’est une contrebande active gramme “Douane 2020” financé
d’hydrofluorocarbures (HFC), par l’UE, qui vise à partager les ex­
des gaz principalement utilisés périences et à mettre au point les
comme réfrigérants dans les cli­ meilleures pratiques permettant
matiseurs et les réfrigérateurs, et aux autorités douanières de
dont l’effet de serre s’avère jus­ mettre fin au commerce illicite de
qu’à 15 000 fois plus puissant que HFC », poursuit­on.
celui du dioxyde de carbone. Ce
commerce illégal affaiblit la lutte « Appareil répressif »
de l’Union européenne contre le L’entrée en vigueur de l’amende­
changement climatique. ment de Kigali au protocole de
Les HFC sont un problème qui Montréal peut­elle également ar­
en remplace un autre. Leur utili­ rêter ce trafic ? « Cela va améliorer
sation a explosé après l’adoption la situation, mais pas résoudre le
en 1987 du protocole de Mon­ problème puisque certains Etats,
tréal, un traité international qui a comme la Chine, ne vont geler leur
abouti à la suppression progres­ production qu’en 2024, voire
sive des chlorofluorocarbures en 2028 pour l’Inde, avant de la ré­
(CFC), des gaz responsables de la duire », répond Clare Perry. Même
destruction de la couche d’ozone, à ce moment­là, le commerce illi­
et de leurs substituts de première cite pourrait perdurer. Dans un
génération. Des réfrigérateurs hors d’usage dans un site de recyclage à Dongxiaokou, près de Pékin. KIM KYUNG HOON/REUTERS précédent rapport publié en
Mais les substituts de deuxième juillet 2018, des investigateurs de
génération, les HFC, se sont révé­ l’EIA avaient montré que des en­
lés de redoutables contributeurs L’association, spécialisée dans au même titre que le commerce Carbons Technical Committee, treprises chinoises continuaient
au réchauffement climatique. Ils
Selon l’ONG la traque du commerce illégal, a légal d’hydrofluorocarbures. qui représente les industriels du de produire et d’utiliser des CFC­11,
représentent l’équivalent de britannique EIA, utilisé les données des douanes Comment expliquer ce tour de secteur. L’UE joue un rôle de pre­ l’un des gaz interdits en 1987.
1 milliard de tonnes de CO2 émi­ européennes et chinoises entre passe­passe ? « Les douaniers ont mier plan dans la réduction pro­ « Nos mesures montrent que la
ses par an, en raison des fuites
ces gaz viennent 2016 et 2018 retraçant le com­ accès au registre HFC où ils peu­ gressive des HFC à l’échelle mon­ baisse des concentrations du CFC­11
des équipements qui les contien­ surtout de Chine, merce effectif d’hydrofluorocar­ vent vérifier si un importateur est diale. Elle doit maintenir cette dans l’atmosphère a ralenti depuis
nent lors de leur fonctionnement bures et les a comparées au regis­ bien enregistré et regarder quel est avance, mais les importations illé­ 2012 », confirme pour sa part So­
et lorsqu’ils sont mis au rebut. Or
directement tre HFC, un document géré par la son quota d’importation annuel. gales sapent cet objectif. » phie Godin­Beekmann, directrice
ces émissions ne cessent d’aug­ ou via la Russie, Commission européenne dans Mais ils ne peuvent pas savoir Les alternatives aux gaz HFC de recherches au CNRS et prési­
menter, alors que les besoins en lequel les industriels déclarent quelle quantité cet industriel a existent pourtant, rappelle Sli­ dente de la Commission interna­
réfrigération s’accroissent.
l’Ukraine, la Turquie leurs importations et exporta­ déjà importée », explique Clare mane Bekki, directeur de recher­ tionale pour l’ozone. Aujourd’hui,
et l’Albanie tions de ces gaz. Perry. A ces failles s’ajoutent des ches au CNRS (Laboratoire at­ si le trou de la couche d’ozone en
Tour de passe-passe Résultat : 16,3 millions de ton­ sanctions faibles et rarement mi­ mosphères, milieux, observa­ Antarctique s’est stabilisé, on ne
En octobre 2016, l’horizon sem­ nes équivalent CO2 de HFC ses en œuvre. tions spatiales) : les hydrocarbu­ voit pas encore de rétablissement
ble se dégager : un accord mon­ une législation (la F­gas Regula­ (l’unité de mesure prise en res, comme le propane, ou les de l’ozone à l’échelle globale au ni­
dial, l’amendement de Kigali au tion) pour réduire fortement compte par la réglementation) Des alternatives existent hydrofluorooléfines (HFO) affi­ veau de la basse stratosphère, à
protocole de Montréal, signe la l’usage des HFC d’ici à 2030. De ont été placées illégalement sur Le montant total de ce trafic n’a chent un potentiel de réchauffe­ 20 km d’altitude.
fin progressive des HFC. Ratifié sorte que chaque industriel euro­ le marché européen en 2018, soit pas pu être calculé par l’ONG, mais ment global « très faible ». « Mais « Le protocole de Montréal est un
par 69 pays, dont la France mais péen s’est vu allouer des quotas. 16 % du quota autorisé, et il a engendré une perte de trésore­ cette transition n’est pas assez ra­ outil très efficace et simple pour
pas la Chine, il est entré en vi­ Pourtant, ce succès est mis à 14,8 millions de tonnes équiva­ rie (TVA et droits de douane) de pide, de sorte qu’il y a toujours lutter contre le changement clima­
gueur en janvier 2019. Il prévoit mal par un sombre trafic. La fin lent CO2 en 2017 (8,7 % du quota). 7 millions d’euros pour la Pologne une forte demande de HFC pour tique, souligne Sophie Godin­
une diminution de la production programmée des HFC dans l’UE a Selon l’organisation, ces gaz et de 20 millions d’euros pour la l’entretien de l’équipement exis­ Beekmann. Contrairement au
et consommation de HFC de 85 % provoqué l’accroissement de la viennent en majorité de Chine, Grèce en 2018. Il en découle égale­ tant, explique Clare Perry. Il existe CO2, tout est en place pour suppri­
d’ici à 2047, avec un calendrier demande et donc l’explosion de soit directement, soit en passant ment une concurrence déloyale également des obstacles à l’adop­ mer les CFC et progressivement les
différent entre les pays dévelop­ leurs prix (+ 800 % en quatre ans par la Russie, l’Ukraine, la Tur­ pour les entreprises qui se plient tion de technologies de remplace­ HFC les plus polluants. La lutte
pés et ceux en développement. pour certaines molécules). « La quie et l’Albanie. Les HFC hors aux règles du jeu. ment, comme un manque de con­ contre le trafic est donc essen­
De quoi éviter jusqu’à 0,5 0C de ré­ production de ces gaz à des coûts quotas relèvent en partie de la « Ce trafic a d’importantes con­ naissances ou des normes de sé­ tielle. » « L’Europe devrait d’ur­
chauffement à l’échelle mondiale largement inférieurs dans des contrebande classique, dissimu­ séquences sur l’environnement, la curité désuètes. » gence faire appliquer la législation
d’ici à 2100, et ainsi permettre de pays comme la Chine a entraîné le lés dans des voitures et des ba­ sécurité et l’économie et a des ré­ L’EIA recommande le renforce­ et mettre en œuvre l’appareil ré­
réaliser un quart de l’objectif de développement d’un marché teaux ou maquillés grâce à des percussions sur la stabilité du ment des contrôles par les Etats pressif pour sanctionner les man­
moins de 2 0C fixé par l’accord de noir et d’un trafic à travers l’UE », documentations frauduleuses. marché en Europe, déclare dans membres, ainsi que la mise en quements », affirme aussi son col­
Paris sur le climat. L’Europe, en explique Clare Perry, chargée de Mais l’essentiel transite par les un communiqué Nick Campbell, place « urgente » d’un système de lègue Slimane Bekki. 
avance, avait déjà mis en place la campagne climat pour EIA. circuits douaniers normaux, président du European Fluoro­ licences « fonctionnel » permet­ audrey garric

La France va inscrire dans la loi l’objectif de neutralité carbone


Le projet de loi relatif à l’énergie et au climat modifie plusieurs objectifs de la loi de transition énergétique de 2015

R ehausser l’ambition de la
France sur le climat »,
pour être en phase avec
l’accord de Paris scellé en décem­
bre 2015, lors de la COP 21. Tel est
à l’arrêt 14 des 58 réacteurs du
parc nucléaire hexagonal d’ici à
2035. Mais aucun ne fermera du­
rant l’actuel quinquennat, à l’ex­
ception des deux unités de la cen­
gaz à effet de serre par un facteur
supérieur à six entre 1990 et 2050 ».
En février, M. de Rugy avait évo­
qué une division « par huit », en­
core plus ambitieuse donc. Au mi­
le prévoyait la loi de transition
énergétique. Le sort des quatre
dernières centrales à charbon
françaises, celles de Cordemais
(Loire­Atlantique), Le Havre (Sei­
Le sort des
quatre dernières
centrales
tropole ». Ce qui vise surtout les
centrales à charbon. Ce plafond
aura pour effet de diviser par
sept la durée de fonctionnement
possible de ces unités, par rap­
l’objet du « projet de loi relatif à trale alsacienne de Fessenheim, nistère, on explique que l’impor­ ne­Maritime), Gardanne (Bou­ à charbon de port à aujourd’hui.
l’énergie et au climat » présenté et deux au maximum durant le tant est que le principe de neutra­ ches­du­Rhône) et Saint­Avold Le ministère escompte en fait
en conseil des ministres, mardi quinquennat suivant. lité, c’est­à­dire de « zéro émission (Moselle), n’est toutefois pas
France n’est pas que les opérateurs des quatre cen­
30 avril, par le ministre de la tran­ nette » de gaz à effet de serre, soit complètement réglé. totalement réglé trales ne trouveront plus d’intérêt
sition écologique et solidaire, Noir sur blanc inscrit noir sur blanc dans la légis­ économique à les maintenir en
François de Rugy. Le texte vise aussi à graver dans la lation française. Reste qu’un fac­ Les soudures de Flamanville activité pour un usage aussi res­
Cette « petite loi » de huit articles loi l’objectif de neutralité carbone teur plus élevé de division des Emmanuel Macron s’était engagé ville (Manche), empêtré dans des treint, ce qui les conduira à les ar­
était rendue nécessaire par la déci­ au milieu du siècle. Ce cap avait émissions aurait été plus contrai­ à fermer ces quatre unités en 2022. problèmes de soudures non con­ rêter. Le gouvernement espère
sion du gouvernement de repous­ été fixé par le prédécesseur de M. gnant qu’un objectif de neutralité, Mais le gestionnaire du réseau de formes, pourrait connaître de aussi, en évitant par ce moyen de
ser « à l’horizon 2035 » la réduction de Rugy, Nicolas Hulot, dans son qui peut reposer sur un recours transport d’électricité (RTE) a pré­ nouveaux retards. Le ministère recourir à une décision adminis­
à 50 % de la part du nucléaire dans « plan climat » présenté à l’été important à des puits de carbone venu que la sécurité d’approvi­ envisage donc de pouvoir mobili­ trative de fermeture, ne pas avoir
la production d’électricité (contre 2017. Là encore, il fallait corriger naturels (forêts, prairies, sols agri­ sionnement pourrait ne pas être ser Cordemais au­delà de 2022 à verser d’éventuelles indemnisa­
environ 75 % aujourd’hui). Car la – cette fois à la hausse – la loi de coles ou zones humides), voire à garantie en cas de « conditions pendant « quelques dizaines tions aux exploitants.
loi de transition énergétique de transition énergétique, qui s’en des techniques de séquestration particulièrement dégradées ». En d’heures par an ». Le projet de loi énergie­climat,
2015 avait fixé comme échéance tenait à une division par quatre du CO2 encore très aléatoires. particulier, le « maintien en veille » Le projet de loi prévoit qu’à qui devrait être présenté en pro­
« l’horizon 2025 ». Elle devait donc des émissions nationales de gaz à Le gouvernement a par ailleurs de la centrale de Cordemais, qui compter du 1er janvier 2022, cédure accélérée, doit être dis­
être rectifiée pour entériner ce effet de serre d’ici à 2050, par rap­ décidé d’aller plus vite pour sortir joue un rôle crucial dans l’alimen­ l’autorité administrative définira cuté fin juin à l’Assemblée natio­
report de dix ans. port à leur niveau de 1990. des énergies fossiles : leur part tation électrique du Grand Ouest, un plafond d’émissions de CO2 nale, puis examiné au début de
Dans le projet de programma­ Le projet de loi précise que la dans la consommation nationale est « nécessaire tant que l’EPR n’est pour « les installations de produc­ l’été au Sénat, pour une adoption
tion pluriannuelle de l’énergie neutralité carbone devra être at­ devra diminuer de 40 % d’ici à pas mis en service ». Or, le chantier tion électrique à partir de com­ finale à l’automne. 
(PPE), l’exécutif a prévu de mettre teinte « en divisant les émissions de 2030, et non plus de 30 % comme du réacteur nucléaire de Flaman­ bustibles fossiles situées en mé­ pierre le hir
FRANCE
0123
8| JEUDI 2 MAI 2019

1 ER­ M A I

Les prémices musclées de l’affaire Benalla
Avant les violences
de la place de
la Contrescarpe,
le chargé de
mission à l’Elysée
et son ami Vincent
Crase sont sortis
de leur rôle
d’observateurs
des opérations
de maintien de
l’ordre, au Jardin
des plantes, lors
du 1er mai 2018

RÉCIT

L
es paisibles allées
arborées « à la fran­
çaise » du Jardin des
plantes ne sont pas
habituées à pareil L’ÉPISODE DU JARDIN 
charivari. Il est près de
17 heures ce mardi 1er mai 2018
DES PLANTES EST PLUS 
quand Alexandre Benalla et Vin­ OPAQUE QUE CELUI 
cent Crase, accompagnés d’une
quinzaine de policiers, font irrup­ DE LA PLACE DE 
tion dans le parc botanique.
L’odeur de brûlé et les gaz en sus­ LA CONTRESCARPE, 
pension dans l’air témoignent de CAR IL N’EXISTE QUE 
la violence des affrontements
dans ce qui est d’ordinaire un ha­ DES VIDÉOS PARTIELLES
vre de paix au cœur du 5e arron­
dissement de Paris.
Autour d’eux volent les projecti­
les. Les grenades lacrymogènes A deux cents mètres de là, des
des forces de l’ordre répondent hommes en uniforme de la Com­
aux jets de pavés des membres du pagnie de sécurisation et d’inter­
black bloc, cette mouvance anti­ vention voient un individu leur
capitaliste qui manie l’émeute foncer dessus, manifestement
urbaine comme d’autres enton­ aveuglé, et « des collègues à la
nent les slogans. courette », c’est­à­dire des poli­
Le chargé de mission de l’Elysée ciers en civil – tout du moins le
et son acolyte, gendarme réser­ croient­ils – en train de le pour­
viste, ne sont alors que deux « ob­ suivre. Ils immobilisent Khe­
servateurs » des opérations de lifa M. en le plaquant au sol.
maintien de l’ordre, totalement Alexandre Benalla et Vincent
inconnus du grand public. Ils Crase font irruption et assurent
n’ont pas encore molesté deux que cet homme vient de jeter des
manifestants place de la Contres­ projectiles sur les forces de l’or­
carpe, à quelques rues de là. Une dre. « Vu leurs dires, je leur ai alors
interpellation musclée, dont la remis la personne, assure le com­
révélation par Le Monde, le missaire B. J’ai immédiatement
18 juillet 2018, déclenchera la dé­ senti chez eux une certaine fébri­
sormais célèbre affaire Benalla. Captures d’écran lité, à l’image d’un jeune policier
Mais si les détails de cet les trous. Et surtout de se faire de la vidéo syndical et à charger les forces de dans l’enceinte, par la porte sud, qui fait sa première interpellation
incident sont désormais bien une idée plus claire du déroulé diffusée par l’ordre. Impuissantes, ces derniè­ rue Buffon. et qui ne sait pas trop quoi faire
connus, les juges d’instruction d’événements qui pourraient « Mediapart » res voient un restaurant McDo­ Que s’est­il réellement passé en­ avec son interpellé. »
chargées du dossier s’attachent coûter cher aux protagonistes : ils montrant nald’s et une concession automo­ suite dans les travées du parc ? A
également à faire toute la lumière ont tous deux été mis en examen Alexandre bile partir en fumée. Alexandre partir de cet instant, les versions « TU N’AS QU’À ALLER À CUBA ! »
sur ce qui s’est passé au cœur du à la mi­mars pour « immixtion Benalla Benalla, Vincent Crase et leur cha­ divergent concernant les deux Plutôt que d’expliquer leur statut
Jardin des plantes, quelques mi­ dans l’exercice d’une fonction (à gauche avec peron, le major Philippe Mizerski, scènes qui vaudront des mises en d’observateur, les deux hommes
nutes plus tôt. Un épisode plus publique » et « violences volontai­ une capuche) assistent à la scène depuis le bou­ examen à MM. Benalla et Crase. prennent en charge Khelifa M.,
opaque, et pour cause : il n’existe res en réunion ayant entraîné une et Vincent Crase levard de l’Hôpital en compagnie Un premier policier assure avoir comme des policiers. Devant les
que des vidéos partielles quand incapacité totale de travail infé­ maîtrisant un d’une équipe de vidéastes de la repéré un individu portant des juges, Alexandre Benalla assure
ce qui s’est passé sur la place de la rieure à huit jours », dans ce volet manifestant, préfecture de police, chargée de gants rouges, qui sera identifié qu’il n’a fait qu’apporter son
Contrescarpe a été filmé sous de l’affaire. au Jardin retransmettre les images en di­ comme Khelifa M., en train de je­ « concours » aux forces de l’ordre,
tous les angles. Les policiers entendus, même des plantes, rect à la salle de commandement. ter un morceau de goudron sur les dans un « réflexe citoyen », un
Fin juillet 2018, Libération, puis les plus aguerris, font tous le récit le 1er mai 2018. AFP policiers. Montré du doigt par les geste « permis par la loi dans un
Franceinfo et Mediapart avaient d’une journée de grande vio­ « RÉFLEXE CITOYEN » forces de l’ordre, l’homme prend Etat de droit ».
ainsi publié plusieurs séquences lence. « L’ambiance était dégradée, Les CRS tentent de récupérer le la fuite et se faufile à travers un Plusieurs gardiens de la paix se
de quelques dizaines de secondes hostile aux forces de police », ré­ terrain et de « nasser » les black petit groupe de policiers en civil, font la réflexion qu’ils ne lui pas­
montrant Alexandre Benalla et sume sobrement le lieutenant D. blocs, place Valhubert, entre le qui ne parviennent pas à le stop­ sent pas de menottes. A la place,
Vincent Crase prenant part « Nous étions dans un affronte­ Jardin des plantes et la Seine. En­ per dans sa course mais l’arrosent Vincent Crase lui maintient le
notamment à des opérations de ment de type guérilla : nous avions cerclés, ces derniers se ruent dans de gaz lacrymogène. « Il était buste d’une main, matraque
maintien de l’ordre. en face de nous des personnes qui le parc, dont certaines grilles ont comme un joueur de rugby, il était télescopique dans l’autre, tandis
voulaient voir des policiers à terre, été ouvertes. D’autres enjambent très mobile, il évitait les obstacles », qu’Alexandre Benalla réalise une
JOURNÉE DE GRANDE VIOLENCE si possible gravement blessés », les barrières et s’éparpillent dans décrit Vincent Crase devant les ju­ clé de bras dans son dos. « Un
Les dizaines d’auditions de complète le gardien de la paix Z. les allées, suivis de près par des ges. Avec Alexandre Benalla, ils le geste technique que j’ai appris
fonctionnaires conduites entre Le briefing du matin annonçait colonnes de policiers. C’est dans prennent en chasse. « Par réflexe, quand j’étais réserviste de la gen­
septembre et novembre, que entre 400 et 800 « ultras ». Ils ce contexte qu’Alexandre Benalla je me suis mis à courir derrière lui darmerie, pas douloureux si la per­
Le Monde a pu consulter, ont per­ sont en réalité plus d’un millier et Vincent Crase, qui ont enfilé avec Vincent », raconte l’ancien sonne ne se rebelle pas », assure­
mis aux enquêteurs de combler à se positionner devant le cortège des brassards « police » pénètrent chargé de mission de l’Elysée. t­il devant les juges.
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JEUDI 2 MAI 2019 france | 9

Un 1er­Mai sous haute tension


sociale pour le gouvernement
L’exécutif craint que « gilets jaunes » et black blocs affluent aux défilés syndicaux

Khelifa M. a une tout autre ap­


préciation de la scène. « Benalla
est en train de me bousiller
l’épaule en me tordant l’avant­
moment, elle a adoré », raconte la
jeune femme. Son compagnon,
qu’elle décrit « de type méditerra­
néen », avec « la peau plus bron­
L’ exécutif s’attend à vivre
un mercredi 1er mai sous
très haute tension. Au plus
haut sommet de l’Etat, cette tradi­
« ON SAIT BIEN QUE 
LES ULTRAVIOLENTS, 
Le but de cette mouvance radi­
cale est de construire une conver­
gence avec certains « gilets jau­
nes » les plus remontés contre le
conseiller social de Nicolas
Sarkozy. D’où le calme qui prévaut
dans le monde du travail. Calme
peut­être provisoire, puisque les
bras », commente­t­il, en regar­ zée », lui présente « très rapide­ tionnelle journée de mobilisation ULTRAGAUCHE MAIS AUSSI  pouvoir. Depuis la mi­novem­ fonctionnaires sont appelés à faire
dant les vidéos de cette interpel­ ment » une carte avec un bandeau syndicale est, en effet, guettée avec bre 2018, les nombreux incidents grève, le 9 mai, pour dénoncer la
lation peu conventionnelle, qui tricolore, sur laquelle elle ne voit appréhension, car vont confluer DES “ULTRAJAUNES”  émaillant les manifestations, cha­ réforme des administrations et de
seront diffusées par les médias aucune mention « police ». dans la rue, à Paris comme dans que samedi, font craindre la nais­ l’action publiques.
fin juillet. Il donne également Simon D., un de ses amis qui a plusieurs villes de province, des
VIENDRONT POUR  sance d’un terreau insurrection­ Eclipsés par les « gilets jaunes »,
une autre version du début des voulu s’interposer, est, lui, balayé adversaires résolus du pouvoir en CASSER » nel. Si elle est réduite en nombre, les syndicats tentent de retrouver
événements. Selon lui, deux indi­ et plaqué au sol. Un homme qu’il place : les « gilets jaunes », nulle­ la gauche extraparlementaire de la visibilité, en blocs épars. Avec,
vidus, parmi lesquels il assure décrit également comme ressem­ ment satisfaits des annonces fai­ CHRISTOPHE CASTANER reste, en effet, assez active dans ces d’un côté, un pôle formé par la
reconnaître Vincent Crase, lui ont blant à Vincent Crase se penche tes le 25 avril par Emmanuel Ma­ ministre de l’intérieur mobilisations hebdomadaires, la CGT, la FSU, Solidaires, l’UNEF et
tendu des pierres pour tenter de sur lui et le menace au visage avec cron, et des groupes de militants répression policière jouant le rôle l’UNL : ce sont ces organisations
l’incriminer avant de lui asséner sa matraque télescopique. Il sera radicaux se réclamant de l’antifas­ de catalyseur entre différentes qui défileront entre Montpar­
un coup de matraque télescopi­ finalement interpellé et placé en cisme, de l’anarchisme ou de 1er ­Mai violent se sont multipliés franges, politisées ou non. nasse et la place d’Italie, rejointes
que dans la jambe. garde à vue pour « violences l’autonomie – dont quelques­uns dans la sphère de la gauche extra­ par FO Ile­de­France. « Les annon­
En prenant la fuite, il reçoit du volontaires avec arme sur une per­ forment le black bloc. parlementaire. « Aujourd’hui, ce « De l’enfumage à l’entourloupe » ces de Macron, le 25 avril, nous con­
gaz lacrymogène en plein visage. sonne dépositaire de l’autorité », Ces derniers ont promis, tout qui fait peur à l’Etat, ce ne sont Il y a un an, le nombre de manifes­ fortent dans l’idée qu’il faut pour­
Alors qu’il se dirige en courant quand bien même aucune arme comme l’an passé à la même date, plus les émeutiers eux­mêmes, tants radicaux prêts à en découdre suivre un mouvement fort de lutte,
vers des policiers, il est plaqué au n’est trouvée sur lui et que la de faire vivre « une journée en mais bien l’adhésion et la compré­ dans la capitale avait frappé les es­ estime Fabrice Angei, secrétaire
sol et reçoit plusieurs coups de seule « violence » répertoriée enfer ». « On sait bien que les ultra­ hension qu’ils suscitent parmi le prits. La Préfecture de police avait confédéral de la CGT. On est passé
matraque. Au moins un témoin, serait d’avoir « poussé » le major violents, ultragauche mais aussi reste de la population », pou­ dénombré 14 500 personnes (dont de l’enfumage du grand débat à
Théo B., atteste de ces coups por­ Mizerski pour porter secours à des “ultrajaunes”, viendront pour vait­on lire dans un texte publié 1 200 militants du black bloc) défi­ l’entourloupe des conclusions. »
tés par des policiers sur l’homme son amie. casser sur Paris et pas seulement en avril sur Facebook, intitulé lant devant le cortège syndical qui, Lundi, Philippe Martinez, le nu­
recroquevillé au sol. Qui est responsable de quoi sur Paris », a mis en garde le mi­ « Pour un 1er­Mai jaune et noir » lui, en comptait quelque 20 000. méro un de la centrale de Mon­
dans cet épisode qui vaut à nistre de l’intérieur, Christophe – retiré depuis. Les auteurs, ano­ Des incidents s’étaient produits, treuil, avait appelé au « rassemble­
UN GENOU SUR LA NUQUE Alexandre Benalla et Vincent Castaner. nymes, ajoutaient : « Nous lan­ notamment sur le boulevard de ment de tous ceux qui manifestent
Le major Mizerski, lui, n’a rien vu Crase une mise en examen ? Le Dans la capitale, un dispositif po­ çons un appel à tous les révolu­ l’Hôpital : McDonald’s incendié, depuis des mois et des mois, parfois
de tout cela. Il raconte aux enquê­ premier assure n’avoir rien à voir licier très important a été prévu, tionnaires de France et d’ailleurs, voitures brûlées… côte à côte, mais trop souvent les
teurs avoir perdu le contact, dès avec cette scène et s’être tenu en particulier tout au long de l’iti­ à tous ceux qui veulent que cela A l’époque, Emmanuel Macron uns après les autres ou les uns der­
l’entrée du parc, avec les deux à distance. Tout juste glisse­t­il à néraire que des organisations de change, à venir former un cortège avait condamné ces violences de­ rière les autres ». Un vœu manifes­
hommes dont il avait la charge. propos de la jeune femme salariés et des mouvements de déterminé et combatif. Car si la ré­ puis l’Australie, où il effectuait un tement adressé aux « gilets jau­
Quand il les retrouve « quatre à plaquée contre l’arbre : « Elle peut jeunesse doivent emprunter, en­ pression s’abat sur toutes et tous, déplacement officiel. Cette fois, le nes », même si le leader de la CGT
cinq minutes » plus tard, ils sont crier avec sa voix fluette, mais si tre Montparnasse et la place d’Ita­ notre riposte doit être commune président de la République se trou­ se garde de vouloir « récupérer »
en train d’escorter Khelifa M., elle est là, c’est qu’elle a quelque lie. Le cortège va frôler deux sym­ et solidaire. » Et de conclure, un vera à Paris. Son agenda men­ qui que ce soit.
entourés de policiers. chose à se reprocher. » Le second boles macronistes : la brasserie La brin provocateur : « La guerre est tionne une réception, à midi, dans De son côté, le numéro un de FO,
« J’étais surpris de leur entrée nie aussi toute implication et Rotonde, dans laquelle le candidat déclarée. » Malgré tout, certains la salle des fêtes de l’Elysée « en Yves Veyrier, doit participer à un
dans le Jardin des plantes puis assure que c’est un policier en d’En marche ! avait célébré, le « émeutiers » demeurent circons­ l’honneur de la formation profes­ meeting à Marseille. Parmi les re­
stupéfié de les voir accompagner civil non identifié qui a plaqué la 23 avril 2017, sa qualification au se­ pects sur l’attitude à adopter et sionnelle des métiers de bouche et vendications qu’il compte mettre
cette personne », se justifie­t­il. Il jeune femme et pris son cond tour de l’élection présiden­ optent pour un changement de des fleuristes ». « Une tradition à en avant, il y a celles, habituelles,
ne pose pas de question sur cette téléphone. tielle, et la place de la Contres­ stratégie, comme on a pu le lire cette période de l’année où le prési­ sur le pouvoir d’achat, dont l’amé­
étrange scène mais assure avoir Philippe Mizerski a pour sa part carpe, où l’ex­chargé de mission de sur le site Lundi matin, proche du dent se voit offrir du muguet », affir­ lioration implique « d’augmenter
glissé à Alexandre Benalla que des souvenirs flous de la scène. Il l’Elysée Alexandre Benalla avait « comité invisible » (collectif me­t­on dans l’entourage du chef le smic, ainsi que les rémunérations
« l’accompagnement d’une per­ assure néanmoins que c’est bien molesté un couple, le 1er mai 2018. anonyme auteur, entre autres, de de l’Etat. dans les entreprises et la fonction
sonne interpellée n’était pas son Alexandre Benalla ou Vincent Au cours des dernières se­ L’Insurrection qui vient, La Fa­ Alors que des débordements publique ». M. Veyrier s’interroge,
rôle ». Khelifa M. sera finalement Crase qui a ordonné à la jeune maines, les appels à un défilé du brique, 2007). sont redoutés, la situation s’avère, cependant, sur le risque que des
remis à un policier qui s’occupera femme d’arrêter de filmer : « Je à ce stade, « relativement paisible » militants ne se mettent pas en
de lui décontaminer les yeux et pense qu’ils ont dit ça afin de dans les entreprises et, dans une mouvement, le 1er­Mai, face aux
de l’emmener au poste. protéger leur image, peut­être Appels au suicide : un homme condamné moindre mesure, au sein de la risques d’exactions en marge des
Si à ce stade, le major Mizerski parce qu’ils se rendaient compte fonction publique, observe Ray­ cortèges. Quant aux syndicats dits
semble déjà avoir perdu le con­ qu’ils sortaient de leur rôle Un homme de 49 ans jugé pour avoir participé aux appels au sui- mond Soubie, président de la so­ « réformistes » (CFDT, CFTC, FAGE,
trôle de ses deux « observateurs », d’observateur. » cide lancés à l’adresse de policiers lors de l’ « acte XXIII » des « gi- ciété de conseil Alixio et spécia­ UNSA), ils organisent un rassem­
il n’est pas au bout de ses peines. Selon lui, c’est Alexandre lets jaunes », le 20 avril, a été condamné, mardi 30 avril, à huit liste des questions sociales. « Plu­ blement sur la place de l’Odéon, à
Un petit groupe de manifestants Benalla qui a « manipulé » le télé­ mois de prison avec sursis par le tribunal de Paris pour « outrage sieurs chantiers évoqués par Paris, qui est placé sous le signe de
qui cherchent à sortir du jardin phone de la jeune femme et à personne dépositaire de l’autorité publique commis en réunion ». M. Macron lors de sa conférence de « l’Europe sociale et écologique »,
tombe sur le trio. Parmi eux, une Vincent Crase qui a plaqué le Ce cuisinier au chômage devra en outre effectuer 180 heures de presse sont pourtant potentielle­ précise Marylise Léon, la numéro
jeune femme, Mélisande C., filme jeune homme au sol. Le brigadier travail d’intérêt général et verser 500 euros aux deux policiers qui ment risqués, à commencer par ce­ deux la centrale cédétiste. 
la scène. On y voit Vincent Crase, G. qui prendra en charge l’inter­ ont porté plainte. « Mes paroles sont parties plus vite que mes lui sur les retraites, mais l’opinion bertrand bissuel,
brassard de police en évidence, pellé assure au contraire qu’à son pensées. C’était la folie du moment », s’est-il défendu. Depuis jan- peine encore à en discerner les ef­ virginie malingre
lui indiquer une autre sortie, arrivée sur les lieux, c’est Alexan­ vier, vingt-huit suicides de policiers ont été dénombrés. fets tangibles », poursuit l’ancien et abel mestre
tandis qu’Alexandre Benalla, dre Benalla qui maintient le ma­
capuche sur la tête, est visible en nifestant au sol, avec « un genou
arrière­plan. sur sa nuque ».
Alors que l’objectif se détourne,
une voix non identifiée lui in­
time d’arrêter de filmer. Elle est
UN DÉTAIL LES TARAUDE
Simon D. a été relâché après qua­
Contrôle judiciaire levé pour Gaspard Glanz
immédiatement plaquée contre rante­huit heures de garde à vue. Le journaliste indépendant avait interdiction de paraître à Paris tous les samedis et le 1er­Mai
un arbre. Selon son témoignage, Il se portera partie civile dans le
un homme, dont la description dossier, après la révélation de
physique correspond à Vincent l’affaire Benalla, tout comme
Crase, saisit son téléphone. « On
n’a pas le droit de manifester en
France un 1er­Mai ? », s’écrie­t­elle.
« Non tu n’as qu’à aller au Ve­
nezuela ou à Cuba ! » se serait­elle
Mélisande C. et Khelifa M. Ce
dernier a été jugé, mardi 2 avril,
pour des violences envers des
forces de l’ordre. Le parquet a de­
mandé la relaxe, après s’être
L e droit, rien que le droit, a
été la réponse apaisante ap­
portée, lundi 29 avril, par le
tribunal correctionnel de Paris à la
polémique sur le contrôle judi­
terme d’un raisonnement pé­
rilleux, il avait demandé au tribu­
nal de maintenir ce contrôle judi­
ciaire, à charge pour lui d’y intro­
duire la motivation juridique né­
« SI C’EST POUR ÉVITER 
LA RÉITÉRATION D’UN 
DOIGT D’HONNEUR, 
machine d’Etat serait contre lui est
grotesque », leur avait répliqué le
procureur. Le constat de l’irrégu­
larité de l’ordonnance, qui justifie
la levée du contrôle judiciaire, a
vu rétorquer. rendu compte que les témoigna­ ciaire imposé au journaliste Gas­ cessaire, à savoir le risque de dispensé le tribunal de prendre
L’homme efface la vidéo de son ges des policiers assurant l’avoir pard Glanz après son interpella­ réitération du délit reproché à POURQUOI L’INTERDIRE  part à ce débat.
portable – une manœuvre illé­ vu jeter un projectile sont posté­ tion lors d’une manifestation des Gaspard Glanz. SEULEMENT Ce souci du respect de la légalité
gale, même pour un policier – et rieurs à l’heure de la vidéo de son « gilets jaunes » samedi 20 avril. « Nous venons d’apprendre le manifesté par les juges a fait un
fouille dans ses données. Alors interpellation. Le délibéré est at­ Saisi d’une demande de mainle­ motif de ce contrôle judiciaire, À PARIS ET LE SAMEDI ? » heureux. Parmi les autres justi­
qu’elle lui demande son matri­ tendu le 4 juin. vée de ce contrôle judiciaire, le tri­ s’est exclamé l’avocat du journa­ ciables qui demandaient à cette
ME RAPHAËL KEMPF
cule, il lâche « 007 » en souriant. Quant aux enquêteurs, ils ont bunal a constaté que, faute de mo­ liste indépendant, Me Raphaël audience la levée de leur contrôle
avocat du journaliste
« Cette personne était très enthou­ quasiment achevé leurs recher­ tivation suffisante, l’ordonnance Kempf. Mais alors, si c’est pour judiciaire en attente de leur pro­
siaste dans ce qu’elle faisait sur le ches. Reste un détail qui semble du juge des libertés et de la déten­ éviter la réitération d’un doigt cès, figurait un homme pour­
les tarauder. Qui est le mysté­ tion (JLD) qui interdisait à Gaspard d’honneur, pourquoi l’interdire suivi pour violences sur sa com­
rieux correspondant, répondant Glanz de paraître à Paris tous les seulement à Paris et seulement le nifestations des « gilets jaunes ». pagne, enceinte. Il lui était inter­
à l’indicatif G51, qui a demandé à samedis et le 1er mai jusqu’à son samedi ? Il fallait aller au bout de la « Gaspard Glanz ne participe pas à dit de paraître au domicile conju­
LE MAJOR MIZERSKI  la radio un véhicule de transport procès, fixé au 18 octobre, pour logique ! » a­t­il ironisé. la manifestation. Il couvre la ma­ gal. Circonstance aggravante : il
pour un interpellé au Jardin des « outrage à personne dépositaire Le vice de forme soulevé à titre nifestation. Il est connu du public avait déjà été condamné pour le
ASSURE AVOIR GLISSÉ  plantes, se trompant au passage de l’autorité publique », était irré­ principal n’avait toutefois pas en sa qualité de journaliste et re­ même motif six ans plus tôt, à
de fréquence ? gulière. Il a donc en conséquence empêché la défense du journa­ connu ainsi par ses pairs », a no­ l’encontre d’une autre femme.
À ALEXANDRE  Alexandre Benalla disposait levé l’interdiction prononcée. liste de reprendre devant le tribu­ tamment plaidé Me Pascual, en Son avocate a soulevé elle aussi
BENALLA QUE  bien d’un poste Acropol, le maté­ A l’audience, le procureur de la nal les arguments développés évoquant le soutien que lui ont l’irrégularité du défaut de moti­
riel utilisé par la police nationale, République avait lui­même re­ depuis une semaine dans les apporté les sociétés de journalis­ vation de l’ordonnance du juge.
« L’ACCOMPAGNEMENT  mais il assure n’avoir jamais connu que « les motifs étaient la­ médias. Pour Me Aïnoha Pascual, tes. « On veut utiliser la procédure Le droit, rien que le droit s’appli­
interféré sur les ondes officielles. cunaires, voire absents » tant comme pour Me Kempf, c’est le pénale à des fins de police admi­ quant (parfois) pour tous, le tri­
D’UNE PERSONNE  Sollicitée, la préfecture a cherché dans les réquisitions du parquet journaliste que l’on avait voulu vi­ nistrative », a observé en écho Me bunal n’a pu que prononcer la le­
INTERPELLÉE N’ÉTAIT  dans sa base de données. En vain : que dans l’ordonnance du juge. ser par ce contrôle judiciaire, afin Kempf. « Le fait qu’il soit journa­ vée intégrale du contrôle judi­
G51 n’existe pas.  Mais il n’en a bizarrement pas de le priver de la possibilité liste ou pas ne se pose pas. Dire ciaire du compagnon violent. 
PAS SON RÔLE » nicolas chapuis tiré les mêmes conséquences : au d’exercer son métier lors des ma­ qu’il serait poursuivi parce que la pascale robert­diard
0123
10 | france JEUDI 2 MAI 2019

Grand débat :
le plan d’action Le premier
ministre,

à six mois Edouard


Philippe,
le 29 avril
à Matignon.

de l’exécutif CHRISTOPHE
ARCHAMBAULT / AFP

Le premier ministre a détaillé,


lundi, le calendrier des réformes
annoncées le 25 avril par le chef
de l’Etat pour tenter de sortir
de la crise des « gilets jaunes »

Q ui, quoi et quand ? » Voilà


résumées dans la bou­
che d’Edouard Philippe
les trois questions qui
M. Le Maire a également confirmé
que cette baisse d’impôt devrait
être financée par des coupes dans
la dépense publique, notamment
étaient posées aux ministres et
aux représentants de la majorité
des suppressions de niches fisca­
les pour les entreprises « qui ne
territoriale pour l’emploi et les
transitions » autour des partenai­
restreindre quelque peu le champ
de travail de ces citoyens.
17 milliards d’euros de mesures
réunis à Matignon, lundi 29 avril, sont pas efficaces et ne créent pas res sociaux, des associations Le ministre de la transition éco­
dans le cadre d’un séminaire de d’emplois », sans plus de préci­ d’élus et des ONG environnemen­ logique et solidaire, François de après le menu des annonces jaunes”, a reconnu le sénateur
travail. C’est maintenant sur les sions à ce stade. tales « pour réfléchir au niveau na­ Rugy, aimerait les voir accompa­ d’Emmanuel Macron, le 25 avril, d’Eure­et­Loir. Mais il fallait le
épaules du premier ministre et de tional puis territorial » aux ques­ gnés par ailleurs d’une cinquan­ l’addition. Selon le ministre de compenser par une plus grande
son gouvernement que repose la Virage à 180 degrés tions de l’emploi et de la transi­ taine d’élus, de syndicalistes et de l’action et des comptes publics, maîtrise de la dépense publique. »
charge d’assurer la mise en œuvre Le nouvel acte de décentralisation tion écologique. militants associatifs. Leur travail Gérald Darmanin, le coût des nou­ Une maîtrise dont il considère,
des réponses apportées par Em­ souhaité par le chef de l’Etat fera, « Il s’agit de réfléchir collective­ devrait courir jusqu’à la fin de veaux gestes consentis par le chef pour l’heure, qu’elle fait défaut.
manuel Macron, le 25 avril, à la lui, l’objet d’une réunion avec les ment à la France que nous voulons l’année. Avant cela, le premier de l’Etat devrait s’élever à environ
crise des « gilets jaunes » et au représentants des élus locaux du­ dessiner, à cet agenda 2025 qu’a conseil de défense écologique – 6,5 milliards d’euros. Après les « Jusqu’à 0,4 point de PIB »
grand débat national. rant la première semaine du évoqué le président de la Républi­ cénacle imaginé sur le modèle du 10 milliards d’euros de mesures M. de Montgolfier estime que « le
M. Philippe s’est pour l’heure at­ même mois. L’occasion de discu­ que », a assuré M. Philippe. En conseil de défense – aura été en faveur du pouvoir d’achat pré­ Parlement n’est pas en mesure de
telé à détailler le calendrier de tra­ ter, aussi, de la manière de revoir, clair, de prendre un virage à 180 réuni courant mai. sentées en décembre 2018, « ça juger de la crédibilité des engage­
vail des mois à venir et à tenir un au cas par cas, l’abaissement à degrés par rapport à ce qui se pra­ fait donc à peu près 17 milliards en ments pris, compte tenu des incer­
discours de la méthode, sans se 80 km/h de la vitesse maximale tiquait depuis le début du quin­ Embouteillage législatif tout », a­t­il déclaré, lundi 29 avril, titudes », le programme de stabi­
prononcer sur certains arbitrages autorisée sur les routes secondai­ quennat. Les relations entre l’exé­ La révision constitutionnelle, qui sur Europe 1. lité ayant été établi « indépendam­
de fond. res. Car un nouveau mantra est cutif et les associations d’élus doit permettre notamment Selon le décompte effectué par ment des conclusions tirées du
Les modalités entourant la apparu en Macronie : celui de sont en effet au plus bas. Les syn­ d’abaisser le nombre de parle­ Bercy, la réindexation sur l’infla­ grand débat national ». Il conteste
baisse de 5 milliards d’euros de l’écoute. dicats, eux, bien qu’associés dans mentaires et d’introduire une tion des pensions de retraite infé­ en outre le chiffrage présenté par
l’impôt sur le revenu à partir de « Il faut aller vite et aller bien », a le cadre de certaines réformes, dose de proportionnelle aux élec­ rieures à 2 000 euros par mois M. Darmanin. Ainsi, selon lui, à la
2020 attendront juin. Mais le mi­ résumé le locataire de Matignon à ont volontiers eu mauvaise tions législatives, sera présentée en 2020 représente environ baisse de 5 milliards d’euros de
nistre de l’économie, Bruno la sortie du séminaire. « C’est im­ presse au sein du gouvernement pour sa part en conseil des minis­ 1,5 milliard d’euros, s’ajoutant aux l’impôt sur le revenu s’ajoutent la
Le Maire, a indiqué dès mardi ma­ portant de dire comment on depuis deux ans. Mais ça, c’était tres début juillet, a par ailleurs as­ 5 milliards de baisse d’impôt sur le réindexation partielle des pen­
tin sur France 2, qu’il va proposer à compte conjuguer le besoin de con­ avant. suré M. Philippe. Tout comme de­ revenu promis aux ménages. Plus sions de retraite en 2020 (1,4 mil­
l’exécutif une baisse moyenne de certation et le fait de devoir délivrer Chargé d’une réflexion sur la vraient être présentées, le même de 15 millions de foyers fiscaux de­ liard), le renoncement total ou
350 euros pour les foyers assujet­ nos réponses rapidement, justifie suppression de l’Ecole nationale mois, les modalités retenues pour vraient être concernés par cette partiel aux suppressions de
tis à la première tranche de cet im­ un ministre. Il ne faut pas non plus d’administration (ENA) et des lutter contre les impayés des pen­ baisse. En dépit de ce coût supplé­ 120 000 postes de fonctionnaires
pôt – soit « 12 millions de foyers », donner le sentiment aux Français grands corps dans la fonction pu­ sions alimentaires et les mesures mentaire, M. Darmanin a assuré (3 milliards d’euros), le plancher à
selon le patron de Bercy – et de que l’on va noyer le poisson. » blique, Frédéric Thiriez, avocat au en faveur des aidants familiaux. que la réduction du déficit public 1 000 euros des pensions pour les
180 euros pour ceux qui payent la Sur la méthode, donc, le chef du Conseil d’Etat et à la Cour de cas­ La réforme des retraites doit arri­ à 2 % du produit intérieur brut carrières complètes dans le privé
deuxième tranche. Un choix gou­ gouvernement a annoncé qu’il sation, devra remettre ses propo­ ver de son côté à l’agenda à la ren­ (PIB) prévue dans le programme (150 millions d’euros), soit près de
vernemental destiné à cibler en réunira, à partir du lundi 6 mai, sitions « dans six mois », a déclaré trée de septembre, et devrait être de stabilité budgétaire présenté le 10 milliards d’euros. « Cela pour­
priorité les classes moyennes. une « mobilisation nationale et le premier ministre. De quoi lais­ suivie, à l’automne, par le chan­ 10 avril en conseil des ministres rait aller jusqu’à 0,4 point de PIB,
ser le temps de voir venir sur une tier de la dépendance. serait respectée. « Nous tiendrons évalue le rapporteur. Ce projet ap­
réforme qui risque de rencontrer Cet embouteillage législatif dé­ les comptes publics et nous serons paraît donc plus que jamais décon­
des résistances au sein de la haute cale une fois encore la présenta­ autour de 2 % de déficit l’année pro­ necté des arbitrages budgétaires. »
Un bonus-malus « pour responsabiliser administration. tion du projet de loi bioéthique, chaine », a­t­il indiqué. Le ministre de l’économie et des
les employeurs » sur les contrats courts Un autre sujet majeur est ren­ qui doit permettre d’étendre la Un objectif que le rapporteur gé­ finances, Bruno Le Maire, n’a pas
Le gouvernement instaurera cet été « un bonus-malus » sur voyé à la concertation : celui de la procréation médicalement assis­ néral de la commission des finan­ apporté d’éléments de réponse
les cotisations d’assurance-chômage « pour responsabiliser transition écologique. Comme l’a tée (PMA) à toutes les femmes : ces du Sénat, Albéric de Montgol­ sur ce chiffrage. Il a réaffirmé que
les employeurs » sur les contrats courts et les dissuader annoncé Emmanuel Macron, une prévu pour juin, le texte devrait fier (LR), juge « sujet à caution ». l’impôt sur le revenu baisserait de
de multiplier ces formes d’emploi, a indiqué la ministre du tra- convention citoyenne sur le cli­ finalement être présenté en Les sénateurs débattaient, lundi 5 milliards d’euros dès le 1er jan­
vail, Muriel Pénicaud, dans un entretien aux Echos, mardi mat de 150 personnes tirées au juillet au conseil des ministres. après­midi, du projet de pro­ vier 2020, « en particulier pour les
30 avril. Elle confirme ainsi une piste évoquée par elle-même et sort sera réunie à partir du mois « Nous avons besoin de toutes les gramme de stabilité budgétaire classes moyennes ». « Cette baisse
par le chef du gouvernement, Edouard Philippe, lors d’une con- de juin pour travailler « sur les bonnes volontés », a réclamé 2019­2022 qui doit être transmis sera financée par une baisse de la
férence de presse, le 26 février. Cette mesure s’inscrit dans le ca- questions de précarité énergétique Edouard Philippe. Et des vertus le 30 avril au plus tard à la Com­ dépense publique », a­t­il assuré,
dre de la réforme du système d’indemnisation des demandeurs et de mobilité périurbaine », a pré­ de la patience.  mission européenne. « Bien sûr, il sans préciser comment. 
d’emploi, qui fera l’objet d’un décret, « à l’été ». cisé M. Philippe. Une manière de olivier faye fallait répondre à la crise des “gilets patrick roger

Les pistes de Richard Ferrand pour réformer l’Assemblée nationale


Le président du Palais­Bourbon veut accélérer le temps d’examen des lois et réduire les « artifices » qui freinent, selon lui, le travail législatif

E tre efficace, c’est en finir avec


le bavardage législatif. » Le
constat était posé par Em­
manuel Macron dans son livre
Révolution (XO éditions, 2016).
de tous les groupes. M. Ferrand
propose de réduire la voilure pour
la séance, ce moment solennel où
la loi est discutée dans l’hémicy­
cle, mais où les prises de parole
d’effet », selon le président de l’As­
semblée. De même la discussion
générale, où chaque groupe donne
sa position sur le texte, serait ré­
duite. La disposition qui fâche le
encore loin de satisfaire tout le
monde. « C’est une réduction des
droits de l’opposition », s’inquiète
Alexis Corbière, élu du groupe La
France insoumise. « Que le débat
« C’est un cadre, pas un corset »,
veut rassurer M. Ferrand, qui rap­
pelle que, selon les débats, les pré­
sidents de séance auront toute la­
titude d’adapter cette règle. « L’idée
aujourd’hui. Autre nouveauté : les
groupes d’opposition pourraient
être rapporteurs des commissions
d’enquête qu’ils sollicitent – « c’est
l’avancée la plus importante,
Richard Ferrand en a fait le mètre sont parfois utilisées pour ralentir plus le groupe Les Républicains dure dans les arcanes parlementai­ n’est pas de brider l’expression mais même si elle est moins spectacu­
étalon de sa proposition de ré­ la procédure. Il propose d’enca­ concerne les amendements. Dans res permet à la société de prendre le de la rendre plus intelligible », ajou­ laire », affirme M. Ferrand.
forme du règlement intérieur de drer les « rappels au règlement » le cas où des députés en dépose­ temps du débat, c’est ça qui est pré­ te­t­il. Le président de l’Assemblée Reste à savoir combien de grou­
l’Assemblée qu’il devait présenter dont la multiplication avait con­ raient des strictement identiques, cieux dans le fonctionnement de revendique d’avoir eu le souci pes soutiendront ce plan qui doit
mardi 30 avril. Une partie des pro­ duit au blocage de la révision Richard Ferrand veut limiter leur notre institution », souligne le « d’équilibrer les choses » en don­ entrer en vigueur à l’automne.
positions figurait déjà dans la révi­ constitutionnelle en 2018. « Ce défense à une par groupe. « Nous, communiste Pierre Dharréville. nant « plus de droits aux différentes « Une chose serait ridicule : que le
sion constitutionnelle dont l’exa­ que je veux éviter, ce sont les artifi­ on a une approche gaulliste, avec composantes de l’opposition ». règlement soit modifié avec les
men a été reporté à cause de l’af­ ces, pour donner une vraie lisibilité une liberté de vote, la liberté Ainsi, s’il prévoit de limiter à une seules voix de la majorité, sans
faire Benalla. L’incertitude plane aux points de vue et que nos débats d’amendement en découle », pré­ par semaine les séances de ques­ qu’aucun groupe d’opposition ne la
toujours sur la possibilité d’abou­ soient plus compréhensibles », ex­ vient Christian Jacob, patron du Les groupes tions au gouvernement, l’opposi­ vote », prévient Jean­Christophe
tir sur un tel texte, qui nécessite plique­t­il. groupe LR pour qui cette proposi­ tion y aura plus de questions que Lagarde, président du groupe UDI,
l’accord de la droite sénatoriale. tion est un point de crispation.
d’opposition la majorité et bénéficiera d’un Agir et indépendants, qui condi­
Devançant ces blocages, Richard « Pas dans la provocation » La discussion est engagée depuis pourraient droit de réplique après la réponse tionne son vote à des aménage­
Ferrand mise donc sur un autre Les principales modifications con­ de longs mois en toute discrétion de l’exécutif. Autre changement ments. « Dans le passé, les modifi­
texte, interne à l’Assemblée. cernent les prises de parole qui avec les présidents de groupe. « Ri­
être rapporteurs majeur : les textes de loi proposés cations significatives du règlement
Son projet fait la chasse aux dis­ précèdent l’examen d’un texte. Il chard Ferrand est dans la recherche des commissions par l’opposition ne pourront plus ont été adoptées avec strictement
cussions inutiles en permettant en sera fini des trente minutes de du consensus. C’est fait intelligem­ faire l’objet de motions de rejet et les voix de la majorité », se rassure,
que la loi soit votée en commis­ motions de renvoi en commis­ ment, pas dans la provocation », re­
d’enquête verront leur examen mené à leur sans illusions, M. Ferrand. 
sion, à condition d’avoir l’accord sion, qui n’ont « jamais produit connaît M. Jacob. Mais le texte est qu’ils sollicitent terme, ce qui est rarement le cas manon rescan
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JEUDI 2 MAI 2019 france | 11

Des écoliers de la Vienne «dans la cour des grands»


A L’Isle­Jourdain, deux classes de l’école élémentaire ont élu domicile au collège René­Cassin

REPORTAGE En regroupant physiquement


les deux entités, L’Isle­Jourdain
l’isle­jourdain (vienne) ­
envoyé spécial
fait donc office de précurseur, et
pousse la logique au­delà de ce

A
ccoudés sur une que prévoit la future loi. Dans
paillasse derrière un l’aile du bâtiment où se trouvent
chauffe­ballon fu­ les deux salles réservées à l’école,
mant, Hugo, Clément les cartables aux couleurs de la
et Elina portent à ébullition une Reine des neiges, des Pokemon ou
solution d’eau et de sucre. « C’est des Transformers, accrochés sur Dans la cour
pour voir si c’est soluble », expli­ des patères nominatives comme du pôle
que Hugo, 10 ans, en touillant la dans n’importe quelle école, sont éducatif
mixture, sous le regard amusé de venus égayer le couloir. De même de L’Isle­
ses deux camarades. que, dans la cour, de grosses jardi­ Jourdain
La frimousse enfantine de cer­ nières fluo et des pergolas délimi­ (Vienne),
tains élèves, perchés sur leur tent le royaume des petits. le 11 avril.
grande chaise pivotante, détonne CLAUDE PAUQUET/
dans cette salle de sciences du col­ Pérennisation des établissements AGENCE VU POUR
lège René­Cassin, à L’Isle­Jourdain « Au début, ça faisait bizarre de les « LE MONDE »
(Vienne). Tout comme la présence voir jouer ici, dans la cour des
de deux adultes : une professeure grands », commente Valentin,
des écoles et une enseignante de 14 ans, en classe de 3e. Au même
sciences physiques. Quand, pen­ moment, dans une salle de l’éta­
dant l’activité, cette dernière blissement est organisé un atelier
« parle trop “scientifique” et qu’on d’anglais ouvert à la fois aux éco­
ne comprend pas, commente liers et aux collégiens.
Elina, la maîtresse nous réexpli­ Ce rapprochement physique en­
que plus simplement ». tre le premier et le second degré
A raison de six heures par se­ s’est imposé dans un double ob­
maine, cette classe de CM1­CM2 jectif « de réduction des coûts et de
participe ainsi à des cours (scien­ pérennisation de l’école et du col­
ces physiques, français, anglais, lège », résume Jean­Pierre Melon,
etc.) en co­intervention dans le le maire de cette commune de
cadre du rapprochement entre 1 200 habitants. La création du
l’école et le collège amorcé il y a pôle éducatif « permet d’éviter les
six ans. « Le dispositif permet de coûts de rénovation de l’école ma­
les familiariser avec les matières, ternelle », ses élèves étant transfé­
le rythme des cours et l’organisa­ rés au sein de l’école élémentaire,
tion du collège. La marche à fran­ elle­même libérée de ses deux (en CE1) côtoyer des adolescents gerait rien », explique de son côté familles en permettant de rappro­
chir en 6e est alors moindre », ré­ classes de cours élémentaire et qui en ont le double (en 3e). la principale.
« Le dispositif cher les écoles de secteur avec le
sume Marie Teulière, la princi­ cours moyen installées au collège. « L’organisation de l’espace a Une séparation assez éloignée, permet de collège » selon les mots du direc­
pale du collège en faisant le tour La cinquantaine d’élèves sup­ donc été pensée pour qu’ils se sen­ en somme, de ce qui est prévu teur d’académie Thierry Claverie.
du propriétaire. plémentaires y est la bienvenue tent “à l’école” » : outre la décora­ dans les futurs EPSF où le direc­
familiariser Sans pour autant aller, comme à
Mais à L’Isle­Jourdain, cette ex­ dans la mesure où le « collège était tion, un espace propre aux éco­ teur d’école deviendrait adjoint les écoliers avec L’Isle­Jourdain, jusqu’à un regrou­
périmentation de « l’école du so­ stable, mais fragile en termes d’ef­ liers est réservé à l’extérieur, du chef d’établissement. Les res­ pement physique.
cle », qui promeut la continuité fectifs », commente Thierry Clave­ comme dans un coin du centre de ponsables insistent sur l’impor­
le collège. Dans la commune il est, de fait,
des apprentissages du CP à la 3e, a rie, directeur académique de la documentation et d’information tance de garder l’identité des deux La marche difficile de trouver une voix dis­
passé un nouveau cap en septem­ Vienne. Il souligne « la baisse dé­ (CDI). Les échanges avec les structures et de maintenir un dia­ sonante sur ce regroupement. Il
bre 2018. A la fin du cours, Elina, mographique importante » qui « grands » sont par ailleurs limi­ logue permanent entre les acteurs
à franchir en 6e faut, pour cela, parcourir seule­
Hugo et Clément retourneront touche ce département rural. tés, les flux d’élèves étant canali­ afin que les rapprochements de ce est moindre » ment trois kilomètres : le déve­
dans leur école située… un étage La mise en place du pôle éduca­ sés par des entrées et des escaliers type soient une réussite. Résultat : loppement des pôles éducatifs
MARIE TEULIÈRE
au­dessus. Les deux classes de CE1­ tif a été rendue possible grâce à la réservés aux uns et aux autres, la promiscuité entre écoliers et n’enchante pas, et c’est peu dire,
principale du collège
CE2 et CM1­CM2 de l’école élémen­ signature, en 2017, d’un « proto­ tout comme les heures de pas­ collégiens se passe sans anicro­ les parents d’élèves de l’école
taire résident désormais au sein cole ruralité » entre le départe­ sage à la cantine. che : « Je peux même surveiller ce communale du Vigeant. En 2018,
du collège. « Pôle éducatif : collège ment, l’académie, la préfecture et que fait ma grande sœur qui est en ils se sont mobilisés pour éviter la
& élémentaire », affiche un pan­ les maires de la Vienne. Celui­ci « Moyen de fermer des classes » 3e », sourit la petite Elina. cependant des heures de forma­ fermeture d’une des deux classes
neau devant le bâtiment qui a vu facilite les rapprochements et Les frontières entre les deux ni­ De leur côté, les enseignants du tion et de coordination « pour ap­ de l’établissement, faute d’élèves.
défiler plusieurs élus locaux et mutualisations de moyens entre veaux ont ainsi été maintenues secondaire qui participent aux prendre à travailler ensemble ». Leur crainte : « que les pôles éduca­
journalistes depuis la rentrée. les structures scolaires, commu­ au maximum, mais chaque se­ dispositifs de co­intervention ap­ Tout se passe bien, donc. Au tifs soient un moyen de fermer des
Il faut dire que le dispositif nales et associatives (type MJC). maine, la principale et la direc­ précient « la capacité d’émerveille­ point que la principale imagine classes et de tuer les petites éco­
prend une résonance particulière Mais tout cela n’aurait pu se faire trice se voient afin de discuter or­ ment des écoliers », raconte déjà, dans un futur lointain, les », explique Laetitia Carolo la
dans le contexte de l’examen de la sans « quelques nuits sans som­ ganisation et projets communs. Catherine Garcia­Maisonnier, en­ « pourquoi pas des classes de socle coprésidente de l’association des
loi Blanquer en commission au meil », raconte Séverine Caille, la Si Séverine Caille assiste doréna­ seignante de sciences physiques. de cycle 3 » réunissant des CM1, parents d’élèves de cette com­
Sénat. Son très débattu arti­ directrice de l’école, dans son bu­ vant aux conseils pédagogiques « Avec les professeurs des écoles, des CM2 et des 6e. Au point aussi mune de 700 habitants.
cle 6 quater prévoit la possibilité reau qui jouxte les salles de ses du collège, aucun lien hiérarchi­ nous nous enrichissons de nos cul­ que l’académie prévoit qu’à la ren­ Selon les calculs de l’académie,
pour les collectivités de regrouper « petits ». Il fallait s’assurer « que le que n’existe avec la chef d’établis­ tures et méthodes professionnelles trée 2020, sept pôles éducatifs ter­ le département de la Vienne aura,
juridiquement écoles et collège projet ait une plus­value pour sement, Marie Teulière. « On fonc­ différentes », commente son collè­ ritoriaux puissent, dans la Vienne, à la rentrée 2019, « perdu 1 700 élè­
dans des établissements publics tous » et « rassurer les parents » in­ tionne très bien comme cela », ré­ gue de biologie Anthony Girard. « mutualiser les efforts, pérenniser ves en quatre ans ». 
des savoirs fondamentaux (EPSF). quiets de voir leur enfant de 7 ans sume la directrice. « Cela ne chan­ Certains enseignants demandent les établissements et fidéliser les séverin graveleau

Regroupements école­collège : le débat gagne l’arène politique


A partir de mardi, le Sénat devait examiner en commission la loi Blanquer, dont l’amendement sur les rapprochements d’établissements

Q u’est­ce qui coince avec


les « établissements pu­
blics des savoirs fonda­
mentaux » (EPSF) ? Il y a
encore quelques semaines, l’ex­
Pour ces enseignants, l’inquié­
tude est de deux ordres. Primo, le
rapprochement école­collège que
ces EPSF dessinent, parce qu’ils se­
raient dirigés par un chef d’établis­
Troie » pour une autre gouver­
nance du système éducatif, disent
les syndicats d’enseignants, no­
tamment dans les territoires ru­
raux qui se battent pour conserver
térêt de l’école du socle » – expres­
sion qui désigne ce mode de scola­
risation de 6 ans à 16 ans, déjà
adopté par moult pays, Finlande
en tête – « tient à la mutualisation
des savoirs fondamentaux « ne
doit être imposé nulle part et doit
relever de la volonté locale ».
La polémique perdure pour­
tant ; elle prend même un tour
tion Vincent Peillon avait renoncé
à en faire état dans sa loi sur l’école
(2013), se contentant d’un « con­
seil de cycle » entre primaire et
collège heurtant moins frontale­
pression ne parlait à personne. sement, feraient selon eux peser ouvertes leurs petites écoles (elles des personnels et des moyens ». plus politique. A la promesse mi­ ment la culture et les statuts des
Inscrite par un amendement une « menace directe » sur les di­ sont 45 000, au plan national, à nistérielle d’une « meilleure rédac­ enseignants.
dans l’article 6 quater du projet recteurs d’école qui n’ont pas de compter moins de quatre classes), Tout reprendre de zéro tion » du texte de loi, d’aucuns, Les représentants de la majorité
de loi « Blanquer », adopté à l’As­ statut en propre (contrairement alors que les effectifs fondent. Pour désamorcer la polémique, parmi Les Républicains notam­ continuent, eux, de défendre ces
semblée nationale le 19 février, aux principaux et aux proviseurs). L’avis rendu fin mars par la Cour Jean­Michel Blanquer a multiplié ment, réclament désormais de entités nouvelles, déjà expéri­
elle sème, depuis, l’émoi dans Secundo, ils pourraient aboutir, à des comptes sur les services pu­ les gages : il s’est dit « prêt à amen­ tout reprendre de zéro. Ainsi du mentées dans la Vienne, en Hau­
bon nombre d’écoles. Celles­ci se terme, à une « fusion » légitimant blics ruraux n’est pas de nature à der [son] projet de loi » au Sénat, sénateur Jacques Grosperrin, pro­ te­Saône, dans les Hautes­Alpes
mobilisent : une telle contesta­ des économies de locaux, de clas­ calmer le débat : les magistrats de où le texte sera débattu en séance fesseur agrégé qui, lors de l’audi­ ou encore à la Martinique. Elles
tion n’avait plus été observée à ses, de postes… Un « cheval de la Rue Cambon estiment que l’« in­ publique à compter du 13 mai, tion du 9 avril, a demandé que ne verraient le jour que « sur la
l’échelle nationale depuis deux après examen devant la commis­ l’article 6 quater soit annulé et base du volontariat », martèle la
ans, disent les spécialistes du sion de la culture, de l’éducation réécrit, seule condition pour cal­ députée Cécile Rilhac (LRM,
syndicalisme enseignant ; à Pa­
ris, notamment dans les 18e, 19e
« 6 000 postes en plus en trois ans » et de la communication à partir
du 30 avril. Cette annonce, faite
mer la contestation.
On peut aussi s’attendre à ce que
Val­d’Oise) qui a défendu l’amen­
dement controversé à l’Assem­
et 20e arrondissements, rien de Le ministre de l’éducation, Jean-Michel Blanquer, s’est engagé, dans Le Parisien, le 27 mars, a été le sénateur Max Brisson (LR), rap­ blée nationale, même s’il se dit,
tel depuis la fronde contre les le 27 avril au micro de Franceinfo, à créer « au minimum 2 000 pos- précisée le 9 avril devant les séna­ porteur du projet de loi au Sénat, dans les rangs syndicaux, que
rythmes scolaires. tes par an » dans le premier degré d’ici la fin du quinquennat, soit teurs. Le ministre a promis que porte le débat sur les effets – pour l’« initiative est téléguidée par le
Quatorze amendements de « 6 000 postes en plus en trois ans ». Ces postes supplémentaires l’article 6 quater « évoluera forcé­ les communes notamment – de cabinet Blanquer ».
suppression ont été déposés doivent permettre de financer les mesures annoncées par Emma- ment à la lumière des échanges ». l’instruction obligatoire à 3 ans : il Mme Rilhac avait, à l’été 2018, co­
pour la commission sénatoriale nuel Macron en clôture du grand débat national : le dédouble- « Nous avons à mettre comme a déjà interpellé M. Blanquer à ce signé un rapport plutôt bien ac­
qui devait étudier le texte le ment des grandes sections de maternelle en éducation prioritaire conditions l’accord des élus lo­ sujet en commission. cueilli sur les directeurs d’école.
30 avril. L’article sera probable­ et le plafonnement du nombre d’élèves à 24, pour les classes de caux, des conseils des écoles et des Dans les rangs de la gauche, Elle promet aujourd’hui que les
ment réécrit au cours de la la grande section au CE1, partout sur le territoire et pas seule- conseils d’administration des col­ l’« école du socle », dont les avan­ « établissements publics » en ges­
séance publique, qui débutera le ment en ZEP, à partir de 2020. Le ministère de l’éducation natio- lèges », a­t­il précisé. M. Blanquer tages pédagogiques ne font pour­ tation viendront renforcer la
14 mai, au Sénat, selon un mem­ nale estime que le nombre de classes supplémentaires pour me- a par ailleurs réitéré l’engage­ tant pas débat, manque aussi de fonction, et non l’inverse. 
bre des Républicains. ner à bien ces deux projets se situe entre 9 000 et 11 000. ment que l’établissement public soutien. L’ex­ministre de l’éduca­ mattea battaglia
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12 | france JEUDI 2 MAI 2019

La CEDH autorise l’expulsion d’un Le plan de Paris


pour transformer
Algérien condamné pour terrorisme le périphérique
Jusqu’à maintenant, la Cour européenne des droits de l’homme Un rapport propose notamment de réduire la
vitesse à 50 km/h ainsi que le nombre de voies
bloquait les expulsions vers ce pays en raison du recours à la torture

L’
affaire était sensible et
la décision très atten­
due. Elle est favorable à
la France. Lundi 29 avril,
La juridiction
européenne
n’ait pu obtenir d’Alger des garan­
ties sur le traitement futur d’Ali
Meguimi, comme l’avait de­
mandé la CEDH.
Le représentant du Quai d’Orsay
s’était attaché à démontrer « l’évo­
lution positive » de la situation gé­
nérale des droits de l’homme en
Q ue faire du périphérique,
cette rocade embou­
teillée qui enserre Paris
et sur laquelle plus d’un
million d’automobilistes passent
Hidalgo, le demandent depuis
longtemps. Dans la même logi­
que, les élus souhaiteraient que
la vitesse maximum soit abais­
sée à 70 km/h « sur les axes auto­
la Cour européenne des droits de
considère « Le pays a changé ses pratiques, Algérie, devant la cinquième sec­ chaque jour en pestant ? Le sujet routiers et les voies rapides qui
l’homme (CEDH) a autorisé l’ex­ que la situation ce qui rend les expulsions possi­ tion de la CEDH présidée par la sera au cœur du prochain Conseil ceinturent Paris à l’intérieur de
pulsion de France vers l’Algérie bles », déclare au Monde un proche juge allemande Angelika Nussber­ de Paris, à partir du 11 juin, et un l’A86 ». Toutefois, la décision re­
d’un Algérien condamné pour
a changé de la CEDH. En avril 2018, la Cour ger. Il avait pris appui sur les der­ plan précis commence à se déga­ lève ici de l’Etat.
terrorisme, ainsi que l’avait de­ en Algérie avait déjà autorisé l’expulsion vers niers rapports d’Amnesty interna­ ger. L’idée consiste à réduire dras­ La deuxième étape envisagée
mandé le gouvernement français l’Algérie d’un imam de Marseille tional (2017­2018) et du départe­ tiquement la circulation sur le vise à réduire au strict minimum
en janvier, en sollicitant une
depuis 2015 controversé, mais cet homme ment d’Etat américain (2017), qui, « périph », pour le transformer en la circulation sur le périphérique.
audience devant la chambre – un n’avait pas été condamné pour contrairement aux précédents, ne un simple boulevard urbain, avec « C’est un peu comme assécher un
fait rare, dans une procédure d’or­ des faits de terrorisme. mentionnent plus de cas de tor­ des feux. Et à y limiter d’emblée la fleuve, tous les moyens possibles
dinaire écrite. expulsable en droit, même s’il a Pour la France, qui a convaincu ture. L’exemple de Djamel Beghal, vitesse maximale à 50 km/h. doivent être mobilisés », explique
L’arrêt rendu lundi marque une trois mois pour demander à la la Cour européenne, il s’agit d’un qui a accepté en juillet 2018 d’être Ces mesures­chocs figurent M. Azière. Dans ce but, les élus
inflexion de la jurisprudence de la Cour un réexamen de sa situa­ succès en droit. Lors de l’audience expulsé vers Alger à l’issue de sa dans le rapport que bouclent ac­ souhaitent interdire l’accès du pé­
juridiction européenne de Stras­ tion, par un collège de cinq juges. exceptionnelle de janvier, elle peine de prison, en constituerait tuellement une quinzaine d’élus riphérique aux poids lourds en
bourg, qui avait jusqu’à présent Un arrêt de chambre ne devient avait invoqué le contexte terro­ une illustration. de Paris, de toutes tendances. transit. Ils proposent par ailleurs
toujours bloqué de telles expul­ en effet définitif qu’après ce délai. riste pour souligner l’importance Se référant à la jurisprudence de Leur mission sur l’avenir du péri­ de ramener le nombre de voies à
sions, en raison des risques de tor­ Dans son arrêt publié lundi, la de l’enjeu sécuritaire lié à l’expul­ la CEDH, M. Alabrune avait estimé phérique doit valider son projet trois, là où il y en a actuellement
ture en Algérie, par les services an­ CEDH, dont le rôle est d’éviter que sion dans leur pays d’origine de que pour refuser l’éloignement de le 13 mai. Mais, pour l’essentiel, quatre ou cinq, et d’en réserver
titerroristes. C’est une première des personnes expulsées ou ex­ ressortissants étrangers, notam­ M. Meguimi, il faudrait démontrer les mesures sont déjà arrêtées et une aux transports en commun,
dans l’histoire de la Cour, votée à tradées soient torturées ou mal­ ment algériens, condamnés pour que l’Algérie torture systématique­ font l’objet d’un assez large con­ aux véhicules propres et au
l’unanimité. La juridiction euro­ traitées, explique sa décision. Elle terrorisme. ment les personnes soupçonnées sensus, avec le soutien de la covoiturage. « Aujourd’hui, le taux
péenne considère que la situation déclare qu’il « n’existe pas de mo­ de terrorisme ou à défaut, qu’il en­ maire (PS), Anne Hidalgo. « Cette d’occupation des véhicules sur le
a changé en Algérie depuis 2015, et tifs sérieux et avérés » de penser Principe de précaution court un tel risque, pour des rai­ démarche est pleinement cohé­ périphérique est très faible, envi­
s’adapte donc au contexte. qu’Ali Meguimi serait « soumis à « Une présomption de mauvais sons propres à sa situation. rente avec son action, qui a per­ ron 1,1 passager par véhicule »,
Le cas jugé concerne Ali Me­ des traitements inhumains dans traitement de tous les ressortis­ Sollicités, les avocats d’Ali Me­ mis de faire reculer la pollution souligne le rapport.
guimi, interpellé en 2013 et con­ son pays » et « exposé à un risque sants algériens condamnés pour guimi n’ont pas souhaité faire de dans la capitale », affirme­t­on à
damné en 2015 par le tribunal cor­ réel » de torture. « Dans l’éventua­ terrorisme aurait de lourdes con­ commentaire. En janvier devant l’Hôtel de Ville. Un boulevard comme un autre
rectionnel de Paris à six ans de lité (de son expulsion), il n’y aurait séquences en termes de sécurité, les juges de la Cour, Yannis Lanth­ Le diagnostic est partagé : le péri­ Au fur et à mesure que la circula­
prison et à une interdiction défi­ pas violation de l’article 3 » de la en obligeant le maintien sur le ter­ eaume et Thomas Fourrey avaient phérique, cet anneau de bitume de tion diminuera, le périphérique
nitive de territoire français pour Convention européenne des ritoire français d’individus consi­ opposé le principe de précaution. 35 kilomètres, inauguré en 1973, pourra être remanié. Il ne s’agit
« participation à une association droits de l’homme sur l’interdic­ dérés comme dangereux, alors que « La France vous demande l’impos­ est une « source de pollutions mul­ pas seulement de diminuer le
de malfaiteurs en vue de la prépa­ tion de la torture et des traite­ les mesures d’assignation à rési­ sible : renvoyer quelqu’un vers l’Al­ tiples », une « véritable barrière ur­ nombre de voies. La mission pro­
ration d’un acte terroriste ». Il lui ments inhumains ou dégradants, dence ne permettent de prévenir ni gérie sans la moindre garantie qu’il baine et un fossé culturel », indique pose aussi de planter des végé­
avait été reproché un soutien actif estime donc la CEDH. le risque de fuite ni celui de com­ n’y soit pas mal traité à son arri­ le rapport. Il convient donc d’« en taux sur les parois, le terre­plein
à des responsables algériens de La Cour conclut que « la situa­ mission d’un acte troublant l’ordre vée », avaient­ils plaidé, rappelant finir » avec le périph, estiment les central ainsi que sur les murs
l’organisation terroriste Al­Qaida tion générale en matière de traite­ public », avait déclaré François les doutes du Comité des droits de élus. Comment ? Pas question de antibruit. Les arrivées d’autorou­
au Maghreb islamique (AQMI), ment des personnes liées au terro­ Alabrune, le directeur des affaires l’homme de l’ONU sur le fait que le supprimer, comme le propose tes seraient modifiées, et un coup
qu’il voulait rejoindre, ainsi que risme en Algérie n’empêche pas, juridiques du ministère des affai­ l’actuel département de sur­ Gaspard Gantzer, l’ancien con­ d’accélérateur serait donné à la
d’avoir listé des cibles d’attentat en soi, l’éloignement du requé­ res étrangères, qui plaide pour la veillance et de sécurité d’Algérie seiller de François Hollande qui en refonte des portes de la capitale.
possibles en France. Sous le coup rant ». Elle partage en cela l’ana­ France devant les juridictions in­ ait renoncé aux pratiques de son a fait le principal marqueur de sa Certaines d’entre elles, qui cumu­
d’un arrêté d’expulsion pris par la lyse des juridictions françaises, ternationales. Sur les 165 mesures prédécesseur de sinistre réputa­ campagne pour les municipales lent entrées de Paris et arrivées
préfecture de la Loire en 2018, Ali précise­t­elle, qu’elle estime d’expulsion prononcées depuis tion, le département du rensei­ de 2020. « Ce n’est pas réaliste », d’autoroutes, comme la porte de
Meguimi avait saisi la CEDH. étayée par des données internes 2008 à l’égard de personnes liées gnement et de la sécurité, officiel­ juge la majorité des élus. Pas ques­ Bagnolet, « sont souvent plus pol­
Désormais, cet homme de ou provenant de sources fiables au terrorisme islamiste, 26 sont lement dissous en 2015.  tion non plus de le couvrir plus luées que le périph lui­même »,
34 ans est donc théoriquement et objectives. Et ce, bien que Paris des ressortissants algériens. anne michel qu’il ne l’est. note le rapport.
La mission penche pour un scé­ Aujourd’hui considéré comme
nario en trois temps. La première une autoroute urbaine, le périph
étape vise à diminuer au plus vite deviendrait, à terme, un boule­
le bruit et les émissions de particu­ vard comme un autre. Une voie

Meurtre de la famille Troadec : les fines, les deux principales nui­


sances liées au périphérique. La
mesure la plus spectaculaire pour
possible à traverser pour les pié­
tons et desservant les quartiers
où elle passe. « Il s’agit de recoudre
y parvenir consisterait à limiter la une plaie, plaide M. Azière. Dans

retour dans la maison du massacre vitesse maximale à 50 km/h.


« Cela pourrait se faire pour les Jeux
olympiques de 2024, au moins à ti­
l’idéal, on pourrait passer sans s’en
rendre compte du 14e arrondisse­
ment à la commune de Vanves,
Dans la nuit de lundi à mardi, les enquêteurs ont procédé à une reconstitution du drame de 2017 tre expérimental, avance Eric juste à côté. »
Azière, élu UDI­MoDem et rappor­ C’est le troisième temps ima­
teur de la mission. Cela donnerait giné par les élus parisiens, à l’hori­
un signal politique fort. » zon 2040 ou 2050. Celui sur le­
orvault (loire­atlantique) ­ faits » présentée par le mis en exa­ Pascal, Brigitte, Sébastien et Char­ La vitesse maximale sur le péri­ quel le consensus n’est pas encore
envoyée spéciale men ont été pointées par les avo­
« Ça s’est lotte Troadec sont morts. phérique a déjà été abaissée de évident. Pour les uns, le périph
cats des parties civiles, Me Cécile enchaîné, Ce récit de crimes imprévus et 80 km/h à 70 km/h en 2014. La di­ sera tellement intégré dans la

L a nuit allait tomber quand


Hubert Caouissin a quitté
sa cellule du secteur pro­
tégé de la maison d’arrêt de Nan­
tes pour retourner à Orvault (Loi­
de Oliveira et Me Olivier Pacheu.
Hubert Caouissin a toujours dé­
claré ne pas être venu avec de fu­
nestes intentions ce soir­là. Mais
les avocats des proches des victi­
c’est devenu fou.
J’ai frappé, je ne
sais plus dans quel
désordonnés est invraisemblable
pour les parties civiles. Ainsi,
Me Olivier Pacheu, qui assiste les
proches de Pascal Troadec, doute
« sérieusement que la scène crimi­
minuer encore est considéré par
les élus comme une mesure effi­
cace pour limiter à la fois le bruit,
la pollution de l’air et les acci­
dents, même si, en pratique, les
ville qu’il deviendra possible de
construire des logements sur
place. D’autres responsables
semblent plus réservés et souhai­
teraient conserver un « couloir
re­Atlantique). Peu avant 21 heu­ mes n’en croient pas un mot. Pour ordre », a rapporté nelle ait été improvisée comme le automobilistes roulent rare­ d’aération » vide autour de la ville
res, lundi, cet homme de 49 ans Me De Oliveira, les meurtres suspect le dit ». Pourtant, selon ment aussi vite aux heures de hyperdense. 
est descendu d’un fourgon et a vu étaient « extrêmement préparés ».
le suspect Me Thierry Fillion, au soutien de pointe. Les Verts, alliés d’Anne denis cosnard
les scellés posés sur le portail du Lors de sa garde à vue, le suspect la défense, « aucun élément con­
24, rue d’Auteuil brisés. Il est en­ avait expliqué s’être déplacé pour cret ne vient contredire les déclara­
suite entré dans ce pavillon des écouter depuis l’extérieur avec un l’opportunité de rentrer dans la tions livrées par Hubert Caouissin,
années 1960, où il est soupçonné stéthoscope ce qui se disait der­ maison, de faire un dessin d’une clé à ce sujet, depuis sa garde à vue ».
d’avoir tué, avec un pied­de­biche, rière les murs. Persuadé que son discrètement et d’investiguer plus Deux ans après les crimes, POLITIQU E PRISO N
son beau­frère, l’épouse de ce der­ beau­frère avait volé un trésor fa­ tard s’ils partent en vacances. Je l’arme, dont le suspect dit s’être La crise continue Suicide d’un détenu
nier et leurs deux enfants, il y a un milial, le suspect voulait « monter sais, c’est con », a­t­il notamment débarrassé depuis le pont de à La France insoumise ivoirien en passe
peu plus de deux ans. un dossier », pour « les dénoncer à déclaré devant les enquêteurs. l’Iroise, près de Brest, quelques Charlotte Girard, coordina­ d’être expulsé
Loin des caméras, pendant près Tracfin », disait­il alors. Seulement, à l’en croire, rien ne jours après les faits, n’a pas été re­ trice du programme de Un Ivoirien de 25 ans, qui
de cinq heures, le suspect au casier se serait passé comme il l’avait trouvée. Les crânes des victimes La France insoumise (LFI), venait de purger quatre ans
vierge décrit comme étant « précis « Délire paranoïaque » imaginé. « Ils m’ont entendu ou ils non plus. Ce qui restait des corps a déclaré, lundi 29 avril, de détention à la maison
et de bonne volonté » par ses avo­ L’instruction a depuis démontré ne dormaient pas, je ne sais pas », a­ – découpés et brûlés dans la pro­ qu’elle se désengagerait d’arrêt de Grasse (Alpes­Mari­
cats Me Thierry Fillion et Me Pa­ que cet homme, employé en qua­ t­il encore indiqué à l’époque. priété de Pont­de­Buis (Finistère), de cette responsabilité times) et devait être libéré,
trick Larvor, a dû indiquer aux ma­ lité de technicien à l’arsenal de Quoi qu’il en soit, Brigitte et Pascal où le suspect vivait reclus depuis après les élections euro­ puis expulsé vers son pays
gistrats instructeurs, techniciens, Brest, épiait son beau­frère et sa fa­ descendent l’escalier. Ce dernier plus d’un an, avec sa compagne et péennes, confirmant une d’origine, mardi 30 avril, a été
avocats et procureurs, comment il mille depuis plusieurs mois. Un attrape alors « un vieux pied­de­bi­ leur garçon – n’a pas permis aux information du Point, tout trouvé pendu, seul, dans sa
a tué Pascal, Brigitte, Sébastien et long arrêt de travail lui avait per­ che ». « J’avais peur. Je voulais me légistes de déterminer précisé­ en niant toute portée poli­ cellule, dimanche 28 avril
Charlotte Troadec, dans la nuit du mis de se concentrer sur ses « re­ sauver », dit Hubert Caouissin. ment les causes des décès. tique à ce retrait. vers 6 heures, par les sur­
16 au 17 février 2017. cherches » et de saturer de clichés Dans un corps­à­corps, il se serait Lundi soir, au 24, rue d’Auteuil, Néanmoins, ce départ d’une veillants pénitentiaires.
Cette étape de l’instruction était et d’informations en tous genres emparé de l’instrument et aurait la version des faits livrée par Hu­ des figures du mouvement Le jeune homme avait été
cruciale, tant les questions plusieurs disques durs. A la même frappé les parents. Les enfants se­ bert Caouissin est restée la même. dirigé par Jean­Luc Mélen­ incarcéré après avoir été
étaient nombreuses, après lec­ époque, il s’était, selon les experts raient sortis de leurs chambres. A l’issue de la reconstitution, les chon s’ajoute à ceux de qua­ condamné pour aide à l’en­
ture du long rapport livré par les psychologues, enfoncé « dans un « Ça s’est enchaîné, c’est devenu fou. regards portés sur le dossier par tre candidats pressentis sur trée illégale d’étrangers sur
experts en morphoanalyse qui délire paranoïaque », avant de finir J’ai frappé, je ne sais plus dans quel les avocats des deux parties la liste de LFI, dont celui, ré­ le territoire. Arrivé lui­même
ont étudié les traces dans la mai­ par se croire « persécuté ». ordre », a encore rapporté le sus­ n’avaient pas varié, eux non plus. cent, de Thomas Guénolé. par l’Italie, il devait être
son. Si leurs observations n’ex­ Le soir des crimes, il aurait, selon pect. Dans un mélange de « peur et Le procès pourrait s’ouvrir à « Comme d’autres, elle a une reconduit par la police
cluent pas l’utilisation d’un « ob­ ses déclarations, profité d’une de fureur », pour reprendre ses l’automne 2020, devant la cour certaine fatigue du fonction­ aux frontières vers la Côte
jet contondant », certaines « inco­ porte restée ouverte, côté jardin. mots, les coups s’enchaînent jus­ d’assises de Loire­Atlantique.  nement interne », explique d’Ivoire, l’Italie ayant refusé
hérences » sur la « chronologie des « A ce moment­là, je me dis que j’ai qu’à ce qu’ils « ne bougent plus ». anne­hélène dorison un de ses proches. – (AFP.) de le reprendre. – (AFP.)
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JEUDI 2 MAI 2019 sports | 13

Ligue des champions : le « modèle » Tottenham


Jeu spectaculaire, finances étincelantes… les Spurs affrontent l’Ajax Amsterdam en demi­finale, mardi

FOOTBALL de l’épreuve tant cette dernière


semblait verrouillée, ces derniè­

L
es gars, ce n’est que Tot­ res saisons, par les grandes écu­
tenham. » C’est dans ces ries européennes.
termes que Sir Alex Fer­ Installer, au fil du temps, « l’in­
guson, ex­manageur his­ trus » Tottenham parmi les favo­
torique de Manchester United ris : tel est l’objectif que s’était fixé
(1986­2013), s’est un jour moqué M. Pochettino, 47 ans, dont le club
du club du nord de Londres. Cette n’avait plus atteint le dernier
phrase de l’Ecossais, révélée carré de la Ligue des champions
en 2014 par l’ancien capitaine des depuis 1962. Ces quatre dernières
Red Devils Roy Keane, renvoie à la saisons, l’ex­défenseur du Paris­
réputation qui a longtemps collé Saint­Germain et ancien coach de
aux Spurs (« éperons ») : celle Southampton a réussi son pari en
d’une équipe de « petits bras », parvenant à maintenir son
incapable de rivaliser avec les équipe, vice­championne d’An­
meilleures formations anglaises gleterre en 2017 (une première
et de retrouver son lustre d’antan. depuis 1963) et actuellement 3e au
Vainqueur de trois Coupes d’Eu­ classement, sur le podium en Pre­
rope (la dernière victoire en mier League. Une constance qui
Coupe de l’UEFA remonte à 1984), s’explique par un état d’esprit so­
Tottenham est pourtant de re­ lidaire et combatif, et la capacité
tour au premier plan depuis la de l’Argentin à faire progresser les
nomination, en 2014, de l’entraî­ jeunes du centre de formation.
neur Mauricio Pochettino. Désor­ Blessé pour les demi­finales, uni­
mais perçu comme l’un des que star de l’équipe, le buteur
meilleurs coachs du Vieux Conti­ Harry Kane est issu de l’académie
nent, le technicien argentin va et symbolise ce cercle vertueux.
téléguider ses protégés, mardi
30 avril, contre la jeune garde hol­ Gestion sourcilleuse
landaise de l’Ajax Amsterdam, en Chantre d’un style de jeu specta­
demi­finale aller de Ligue des culaire mâtiné de « grinta » sud­
champions (le match retour est américaine, Mauricio Pochettino
prévu le 8 mai). Une opposition s’appuie sur un groupe discipliné,
qui semble improbable à ce stade accrocheur et jeune, constitué
d’étoiles montantes comme le
Danois Christian Eriksen, les An­ Le nouveau stade de Tottenham, à Londres, fort de 62 000 places, le 30 mars. MATTHEW CHILDS/ACTION IMAGES VIA REUTERS
glais Eric Dier et Dele Alli, ou le
LES DATES Sud­Coréen Son Heung­min,
auteur de trois buts lors des daire Joe Lewis et sa compagnie La gestion sourcilleuse de une augmentation des revenus de
quarts de Ligue des champions ENIC International Ltd, M. Levy M. Levy, qui n’a recruté aucun
Redoutable 29 millions d’euros », détaille
(victoire 1­0 puis défaite 4­3) s’est forgé une image de dirigeant joueur cette saison, est d’abord à négociateur, M. Maguire. Dans cette logique, les
1961 contre Manchester City. dur en affaires sur le marché des l’origine de ces bons résultats fi­
Daniel Levy, revenus commerciaux (+ 41 mil­
L’année du dernier titre de La modestie et la prudence sont transferts. Tottenham lui doit les nanciers. « Les Spurs ont été très lions d’euros) et ceux liés à la
champion d’Angleterre conquis pourtant de mise au sein de l’insti­ énormes plus­values générées par peu dépensiers sur le marché des le président, diffusion de (+ 13 millions) ont
par Tottenham. tution, première représentante les ventes records du Croate Luka transferts. Tottenham a la particu­ également explosé.
britannique à remporter un tro­ Modric (42 millions d’euros), larité de présenter une masse sala­
est l’homme qui L’édification du nouveau stade
phée européen (la Coupe des vain­ en 2012, et du Gallois Gareth Bale riale [171 millions d’euros] bien in­ a fait exploser les va également permettre à Totten­
1962 queurs de coupe en 1963) et sou­ (100 millions d’euros), un an plus férieure à celle des autres clubs du
revenus des Spurs ham de gonfler son chiffre d’affai­
L’année de la dernière apparition cieuse de recruter à tour de bras tard, au Real Madrid. “Big 6”, explique Kieran Maguire, res « d’environ 69 millions à 81 mil­
de Tottenham dans le dernier des joueurs en devenir. économiste spécialisé dans le lions d’euros par saison », selon
carré de la Ligue des champions « On a une équipe jeune qui n’a Un stade à 1,17 milliard d’euros football à l’université de Liverpool. l’économiste. « Historiquement, les
(alors appelée Coupe des clubs pas l’habitude d’évoluer à ce ni­ Redouble négociateur, Daniel Ses dirigeants ont réussi à garder la aura coûté une fortune (1,17 mil­ Spurs ont pris un certain retard
champions). Le club anglais avait veau­là de la compétition. C’est dif­ Levy est l’homme qui a fait explo­ majorité de l’effectif sans leur verser liard d’euros) aux dirigeants des – qui va perdurer – par rapport aux
été éliminé en demi-finale par le ficile de se projeter », confiait ainsi ser les revenus des Spurs : le club davantage d’argent. La facture des Spurs, propriétaires des lieux. En autres grands clubs en termes de re­
Benfica Lisbonne. au Monde Hugo Lloris, le gardien occupe le 10e rang mondial de la salaires des Spurs représente envi­ attendant la livraison de ce nouvel venus. Mais le stade contribuera à
et capitaine français des Spurs, Football Money League – palma­ ron la moitié de celle des deux clubs outil, l’équipe de Mauricio Pochet­ réduire cet écart, développe M. Ma­
avant la qualification de son rès annuel établi par le cabinet De­ de Manchester et de Chelsea depuis tino a disputé ses matchs à domi­ guire. Il permettra aux dirigeants
1984 équipe contre les Citizens. Héros loitte –, derrière le « Big 5 » anglais le début de la décennie. » cile à Wembley (90 000 places), le de faire face aux coûts financiers
Il faut remonter trente-cinq ans de cette double confrontation, le (Manchester United, Manchester Longtemps, le développement temple du football londonien, du­ liés au prêt [immobilier du stade]
en arrière pour retrouver trace champion du monde 2018 a no­ City, Liverpool, Chelsea, Arsenal). économique de Tottenham a été rant près de deux saisons. Cette et donnera au manageur des fonds
d’un sacre du club anglais dans tamment repoussé un penalty Avec un chiffre d’affaires évalué à freiné par la jauge modeste délocalisation temporaire a eu supplémentaires pour investir dans
une compétition européenne : lors de la manche aller. 428 millions d’euros au terme de (36 000 places) de White Hart pour effet d’augmenter les reve­ l’équipe. » En cas de qualification
c’était la Coupe de I’UEFA, ancê- L’exploit de Tottenham a aiguisé l’exercice 2017­2018, Tottenham a Lane, son stade historique depuis nus liés à la billetterie. pour la finale de Ligue des cham­
tre de l’actuelle Ligue Europa. les ambitions de Daniel Levy, indé­ réalisé « la meilleure performance » 1899. L’écrin a été détruit pour « En 2017­2018, les Spurs jouaient pions, prévue le 1er juin à Madrid,
Tottenham avait aussi gagné, boulonnable patron du club. « Pré­ depuis 2006­2007, selon Deloitte, faire place à une enceinte ultramo­ devant 70 000 spectateurs en l’argent coulerait d’autant plus à
en 1972, la première édition de sident exécutif » des Spurs depuis avec une hausse de 70 millions derne et élargie (62 000 places). La­ moyenne, soit deux fois plus qu’à flots à Tottenham. 
cette compétition. leur rachat, en 2001, par le milliar­ d’euros de ses revenus en un an. quelle a été inaugurée le 3 avril et White Hart Lane, ce qui représente rémi dupré

Le futur encadrement du XV de France se dessine dans la confusion


Malgré l’absence de communiqués officiels, plusieurs noms sont avancés pour épauler Fabien Galthié, sélectionneur à l’issue du Mondial

RUGBY che 28 avril, au lendemain d’un


déplacement à Sancerre (Cher).
Les nouvelles voix défavorables à l’idée d’« un
sélectionneur étranger », au terme
tous deux ont déjà postulé pour le
XV de France, en 2015. Autre simi­
aussi William Servat, entraîneur
des avants à Toulouse, actuelle­
tombent au cas
I l y a d’abord la bizarrerie du
calendrier. Le XV de France
connaît dès à présent le nom
du sélectionneur qui prendra la
relève de Jacques Brunel après la
« Le contrat n’est pas signé mais
il le sera prochainement, a toute­
fois éludé Bernard Laporte sur
Canal+, plus tard dans la journée
de dimanche, comme s’il regret­
par cas, parfois
au détour
d’un scrutin qui a mobilisé à
peine plus de la moitié de tous les
clubs français, amateurs comme
professionnels.
D’autres hommes accompagne­
litude : leur reconversion comme
consultants pour la télévision,
rôle qu’ils occupaient encore en
février et mars, lors du récent
Tournoi des six nations.
ment en tête du championnat de
France (« je crois que oui, William
fera partie du staff »). Tout comme
il reconnaissait son envie d’enrô­
ler Shaun Edwards (« On aimerait
Coupe du monde au Japon tait l’écho de ses déclarations an­
d’une question ront Fabien Galthié (champion de beaucoup ») dans le secteur spéci­
(20 septembre ­ 2 novembre), térieures. J’ai vu partout que de journaliste France en 2007 avec le Stade fran­ Arrivée de Laurent Labit fique de la défense, sur le modèle
compétition qu’il reste pourtant j’avais officialisé son arrivée, mais çais, finaliste en 2011 avec Mont­ Il y a bien eu, ces derniers jours, de ce que l’Anglais a déjà réussi
encore à disputer. Mais il y a aussi pas du tout. » pellier) dans son mandat de sélec­ un communiqué portant nomi­ avec les Gallois.
et surtout l’étrangeté de la com­ Selon un article de L’Equipe mis tentait d’évoquer des « supposi­ tionneur. Là encore, toujours nation. Mais celui­ci vient d’un Pas un mot, en revanche, sur le
munication, le sentiment que la en ligne presque deux semaines tions ». La FFR s’engageait aussi à aucun communiqué officiel. Le club du championnat de France, préparateur physique Thibault
Fédération française de rugby plus tôt, le 16 avril, Fabien Galthié préciser « sous quinze jours » l’en­ 26 avril, Raphaël Ibanez annon­ le Racing 92, qui a annoncé le dé­ Giroud, qui devrait pourtant arri­
(FFR) a perdu toute maîtrise sur (sans club) rejoindra dès le mois cadrement de l’équipe nationale çait à l’Agence France­Presse avoir part de Laurent Labit « pour re­ ver dès le mois de juin, avant
ses annonces. Voire sur leur canal de juin l’encadrement du XV de lors du tournoi au Japon. Depuis, déjà accepté le rôle de manageur joindre l’équipe de France de même le Mondial au Japon. En
d’expression. France comme adjoint de Brunel. toujours aucune précision, en du XV de France, sur proposition rugby ». En principe comme en­ conférence de presse, le 25 avril, le
Les nouvelles tombent au cas Puis il lui succédera à l’issue du date du mardi 30 avril au matin. de Bernard Laporte. « Je ne ferai traîneur chargé des arrières, président Mourad Boudjellal re­
par cas, parfois au détour d’une Mondial japonais, avec la lourde Cette absence d’officialisation pas de commentaire particulier même s’il doit encore signer son grettait déjà cette perte à venir
question de journaliste. C’est charge de reprendre une équipe trahit une certaine précipitation. dans les prochains jours à ce su­ prochain contrat, précise le com­ pour le Rugby club toulonnais.
presque par hasard, l’air de rien, en crise : sept défaites sur ses dix Il y a encore quelques semaines, jet », ajoutait l’ancien talonneur, muniqué du 29 avril. Un club que Bernard Laporte et
que Bernard Laporte a annoncé derniers matchs. Bernard Laporte songeait plutôt confirmant une information du La veille, Bernard Laporte actait Fabien Galthié ont entraîné. Avec
l’information principale du Le mandat de l’ancien demi de aux Néo­Zélandais Joe Schmidt quotidien Sud­Ouest. déjà ce renfort lors d’une autre bonheur pour le premier : trois
mois : oui, il a bien « nommé Fa­ mêlée international (1991­2003) ou Warren Gatland pour rempla­ Galthié et Ibanez, 50 ans pour interview, pour la radio RMC Coupes d’Europe et un titre natio­
bien Galthié » pour futur succes­ devrait le conduire jusqu’en 2023, cer Jacques Brunel, qu’il avait lui­ l’un, 46 pour l’autre, ont plusieurs Sport. Il en profitait aussi pour nal (2013­2015). Un peu moins
seur de Brunel. Le président de la date la Coupe du monde suivante, même choisi après avoir limogé points communs. Joueurs, tous considérer comme « une certi­ pour le second : licenciement
FFR l’a dit dans un entretien pu­ en France. Guy Novès, en décembre 2017. deux ont été capitaine du XV de tude » la venue de Karim Ghezal, en 2018, après une seule petite
blié par le site du quotidien régio­ Au lendemain de l’article, un Puis, entre les 9 et 11 avril, un réfé­ France et ont eu Bernard Laporte spécialiste de la touche (et des saison. 
nal Le Berry républicain, diman­ communiqué fédéral se con­ rendum l’en a dissuadé : 59 % de pour sélectionneur. Entraîneurs, avants) à Lyon. Le dirigeant citait adrien pécout
ÉCONOMIE & ENTREPRISE
0123
14 | JEUDI 2 MAI 2019

La croissance française se maintient
Le PIB de la France a crû de 0,3 % au premier trimestre et devrait dépasser celui de l’Allemagne en 2019

L’
économie française ré­
siste. D’après les pre­ La croissance L’investissement des entreprises
mières estimations de VARIATION TRIMESTRIELLE DU PIB, EN % VARIATION TRIMESTRIELLE DE L’INVESTISSEMENT
l’Institut national de la
DES ENTREPRISES NON FINANCIÈRES, EN %
statistique et des études écono­
miques (Insee) publiées mardi 3,9
30 avril, le produit intérieur brut 1,6
(PIB) a progressé de 0,3 % au pre­
mier trimestre de 2019. Une esti­ 2,0
0,8 1,6 1,7
mation légèrement inférieure 0,7 0,6 0,7 1,3 1,3
aux attentes, mais qui reste dans 0,3 0,3 0,3
0,2 0,2 0,4 0,3 0,4 0,5
la cadence des évolutions obser­
vées aux troisième et quatrième
trimestres de 2018. T2 T3 T4 T1 T2 T3 T4 T1 2018 Acquis T2 T3 T4 T1 T2 T3 T4 T1 2018 Acquis
Doit­on en conclure, comme 2019 2019
Emmanuel Macron le 25 avril, que 2017 2018 2019 2017 2018 2019
« les premiers résultats sont là » ?
Ce serait aller un peu vite en beso­
gne. Si rassurante soit­elle en La consommation des ménages Le pouvoir d’achat
pleine crise sociale, la solidité de
l’activité tricolore est toute rela­ ÉVOLUTION DES DÉPENSES DE CONSOMMATION DES MÉNAGES, EN % VARIATION TRIMESTRIELLE, EN %
tive. Comme le souligne Hélène
0,8 1,2
Baudchon, de BNP Paribas, « les 1,0
baisses d’impôts adoptées l’an der­ 0,8 0,7
nier sur les cotisations salariales et 0,5 0,5 0,7
la taxe d’habitation ont, certes, un 0,4 0,4 0,4 0,4 0,4
0,3 0,3
peu soutenu la croissance. Mais il 0,2
manque un truc »… Un ressort
profond. 0
Les chiffres un peu décevants du
premier trimestre tiennent, selon – 0,5
l’économiste, au repli des expor­
– 0,2
T2 T3 T4 T1 T2 T3 T4 T1 2018 Acquis T2 T3 T4 T1 T2 T3 T4 T1 2018
tations. « Un contrecoup qui était
2019
attendu après les grosses livrai­ 2017 2018 2019 2017 2018 2019*
sons aéronautiques de la fin
2018 », explique Mme Baudchon. *prévision SOURCE : INSEE

Cela ne devrait pas empêcher


l’Hexagone d’afficher, cette an­
née, de meilleures performances plis. Parallèlement, les recrute­ gistrer sa plus forte augmentation sent sur le principal moteur de Où sont passés ces gains de pou­
que son puissant voisin alle­
« Le pouvoir ments augmentent. D’après depuis fin 2006. Et pourtant, l’indi­ l’économie tricolore : la consom­ voir d’achat ? Pour le moment, ils
mand. Si on en croit la Banque de d’achat s’est l’Agence centrale des organismes cateur qui mesure la confiance des mation. L’indicateur, dans les semblent, comme à la fin de l’an­
France, la croissance approcherait de sécurité sociale (Acoss), les em­ ménages reste très dégradé. » limbes depuis plus d’un an, a bien née dernière, avoir gonflé les bas
1,4 % en 2019. Presque trois fois
redressé, bauches en CDI ont progressé de Une défiance qui transparaît commencé à frémir en début de laine. « Le mouvement social et
plus que les 0,5 % prévus outre­ mais l’indicateur 2,4 % au premier trimestre. dans les enquêtes d’opinion que d’année, progressant de 0,4 % au l’issue du grand débat ont sans
Rhin, où certains redoutent un re­ En outre, deux millions de sala­ synthétise l’Insee. D’après celle premier trimestre. « Mais on doute favorisé une forme épargne
tournement de conjoncture du
qui mesure riés ont bénéficié de la prime ex­ d’avril, les sondés s’inquiètent aurait pu s’attendre à ce que les de précaution », estime l’écono­
fait du ralentissement du com­ la confiance des ceptionnelle défiscalisée en dé­ d’une remontée du chômage et chiffres repartent beaucoup plus miste de l’OFCE.
merce mondial et des mauvaises cembre et janvier. Selon l’Acoss, de l’inflation. Des doutes qui pè­ vite », relève Mathieu Plane. A quel moment et dans quelle
anticipations des constructeurs
ménages reste un peu plus de 1 milliard d’euros proportion cet argent sera­t­il
automobiles. très dégradé » ont été versés sur la période. réinjecté dans l’économie ? Quels

Les entreprises ont le moral


MATHIEU PLANE
Autre effet des annonces prési­
dentielles de décembre : les cais­
Les prix à la pompe repartent à la hausse effets auront les 5 milliards
d’euros de baisse d’impôts sur le
économiste à l’OFCE
Gare, toutefois, aux « cocoricos » ses d’allocations familiales (CAF) Mauvaise nouvelle pour les automobilistes : les prix à la pompe revenu évoqués le 25 avril par le
intempestifs. « On ne peut pas se ont vu exploser les demandes de sont repartis à la hausse, selon des chiffres officiels publiés lundi chef de l’Etat ? Autant de ques­
réjouir qu’un pays qui représente prime d’activité. Etendu et revalo­ 29 avril par le ministère de la transition écologique et solidaire. tions sur lesquelles butent les pré­
30 % du PIB de la zone euro décé­ plutôt bon » dans les entreprises, risé, le dispositif a été pris d’as­ Le gazole, carburant le plus écoulé avec près de 80 % des volu- visionnistes. « Les réponses sont
lère », note Emmanuel Jessua, ana­ confiait au Monde, fin avril, le pré­ saut. En Haute­Garonne, les gui­ mes, se vend désormais, en moyenne, à 1,48 euro le litre, et il sans doute plus sociologiques que
lyste chez Rexecode, un think tank sident du Medef, Geoffroy Roux chets ont même dû fermer quel­ faut compter 1,64 euro pour le sans-plomb 98. Des augmenta- macroéconomiques », esquisse
proche du patronat. L’Allemagne de Bézieux. Une embellie que de­ ques jours pour traiter les dos­ tions qui étaient attendues, compte tenu du rebond des prix du Hélène Baudchon.
est le premier partenaire com­ vrait entretenir le doublement siers en retard, pouvait­on lire, en pétrole. Les cours sont remontés à 75 dollars le baril le 23 avril. Selon Véronique Janod, écono­
mercial de la France. Quant au exceptionnel du crédit d’impôt mars, dans La Dépêche du Midi. « Rien de dramatique pour l’instant, estime Philippe Waechter, miste chez Natixis, les effets des
deuxième, l’Italie, il fait encore pour la compétitivité et l’emploi « Il y a quand même un grand pa­ économiste en chef d’Ostrum Asset Management. On ne va pas annonces de décembre et d’avril
plus pâle figure, le pays étant entré (CICE) cette année. radoxe, fait remarquer Mathieu se retrouver dans une situation similaire à l’an dernier. Néan- pourraient ne pas se voir avant la
en récession technique fin 2018. En dépit des inquiétudes qui Plane, économiste à l’Observa­ moins, le taux d’inflation sera sans doute plus élevé que prévu et fin de 2019, voire 2020. « Mais el­
Les sociétés françaises pâtissent commencent à poindre du côté toire français des conjonctures pèsera sur le pouvoir d’achat. » C’est justement la hausse du prix les arrivent à point nommé, alors
forcément un peu de ce contexte de la construction et de l’indus­ économiques (OFCE) : le pouvoir des carburants, démultipliée par l’alourdissement de la fiscalité que le commerce international se
morose. Pourtant, « si les investis­ trie manufacturière, les carnets d’achat s’est nettement redressé ces sur le diesel et l’essence, qui avait déclenché, en novembre, le prend un coup de froid. » 
sements ont ralenti, le moral est de commandes restent bien rem­ six derniers mois, au point d’enre­ mouvement de protestation des « gilets jaunes ». élise barthet

En Europe, les écarts de chômage régionaux peinent à se résorber


Alors que le sud de l’Italie parvient difficilement à créer des emplois, l’Europe de l’Est est confrontée à un manque de main­d’œuvre

D oucement, mais sûre­


ment, les séquelles de la
crise se résorbent sur le
Vieux Continent. En février, le
taux de chômage est tombé à
taux de chômage des moins de
25 ans, qui varie de 4 % dans la
Haute­Bavière allemande à 66,1 %
à Melilla, en Espagne.
Sans surprise, ces disparités
péenne allant des Pays­Bas au nord
de l’Italie, en suivant l’axe rhénan. »
S’ajoute à cela ce que les écono­
mistes appellent « les phénomè­
nes d’agglomération », à savoir
C’est le cas notamment d’Ama­
zon, qui emploie près de 20 000
personnes en Slovaquie, Républi­
que tchèque et Pologne. Pour faire
face au pic d’activité au moment
grés à l’étranger acceptant de re­
venir travailler dans ses locaux.
Sur place, ils se voient également
offrir cours de yoga et massages
gratuits.
sur le déploiement de l’automati­
sation pour faire face au manque
de bras. La Slovaquie recense déjà
151 robots pour 10 000 employés,
et la Slovénie, 144, selon la Fédéra­
6,5 % dans l’Union européenne, le sont en partie l’héritage de la crise une tendance à la concentration des fêtes, le mastodonte améri­ Sous l’effet du plein­emploi, les tion internationale de robotique.
plus faible taux enregistré depuis de 2008. Ainsi, les régions les plus des activités autour des villes dy­ cain du e­commerce envoie des salaires progressent partout en C’est plus qu’en France (137).
janvier 2000, selon l’office statis­ frappées sont surtout situées namiques. A l’opposé, certaines autocars chercher des travailleurs Europe centrale. En Bulgarie, le Une tendance que l’Organisa­
tique européen. Cette moyenne dans le sud de l’Espagne et de l’Ita­ régions périphériques, à l’exem­ habitant jusqu’à 100 kilomètres salaire minimum mensuel est tion de coopération et de déve­
encourageante dissimule néan­ lie, et en Grèce, pays particulière­ ple du sud de l’Italie, accumulent de ses entrepôts. A Sofia, la capi­ passé de 184 euros à 286 euros loppement économiques (OCDE)
moins de grandes variations en­ ment affectés par la récession. A les retards et les handicaps : insti­ tale bulgare, le centre de contact bruts entre 2015 et 2019. En Répu­ juge préoccupante. « Elle risque de
tre les Etats membres, et plus en­ l’inverse, les taux de chômage les tutions publiques de moindre Telus International offre les blique tchèque, il a bondi de creuser le fossé entre les “entrepri­
core au sein même des Etats. plus faibles sont enregistrés dans qualité, faible qualification des billets d’avion et une aide au loge­ 331,7 euros à 518,9 euros, et en Po­ ses superstars” qui adoptent les
Les chiffres publiés lundi les territoires où la reprise a été la travailleurs, forte présence de ment aux jeunes Bulgares émi­ logne, de 409,5 euros à 523 euros. nouvelles technologies et celles,
29 avril par Eurostat permettent plus solide, notamment en Alle­ l’économie souterraine. « Ces hausses soutiennent la con­ plus nombreuses, peinant à suivre
d’en mesurer l’ampleur. En 2018, magne, au Royaume­Uni, en En Europe de l’Est, le vieillisse­ sommation, explique Richard le rythme de la transformation nu­
le taux de chômage a baissé dans Autriche et en Europe de l’Est. ment marqué de la population et Grieveson, de l’Institut de Vienne mérique, note l’institution dans
huit régions européennes sur dix. l’émigration des jeunes vers Selon Eurostat, le pour les études économiques in­ son dernier rapport. Cela pourrait
Mais, dans le détail, il s’échelon­ « Phénomènes d’agglomération » l’Ouest accentuent la pénurie de ternationales (Wiiw), dans un rap­ se traduire par une véritable frac­
nait encore de 1,3 % dans la région « Ces écarts sont aussi le fruit des main­d’œuvre, de plus en plus
taux de chômage port sur le sujet. Mais le manque ture, en termes de qualité des em­
de Prague et 1,5 % dans le sud­ politiques économiques nationales criante. Selon Manpower, le spé­ s’échelonnait, de main­d’œuvre est tel qu’il pour­ plois et de rémunération, entre
ouest de la République tchèque, et de l’inégale répartition des activi­ cialiste de l’intérim, plus de la moi­ rait, à terme, peser sur le potentiel ceux travaillant pour les “supers­
où il est historiquement bas, à tés sur le continent, observe Lau­ tié des entreprises polonaises,
en 2018, de 1,3 % de croissance. » tars” et les autres. » En particulier
29 % dans la ville autonome espa­ rent Chalard, docteur en géogra­ tchèques et slovaques se plaignent dans la région Nombre de groupes internatio­ ceux qui se trouvent dans les ré­
gnole de Ceuta, et 35,1 % à phie à Paris­IV­Sorbonne. Ainsi, les de difficultés de recrutement. Ré­ naux implantés dans ces régions, gions moins favorisées, éloignées
Mayotte, le record. L’écart est richesses productives tendent à se sultat : elles multiplient les straté­
de Prague à en particulier les constructeurs des capitales. 
presque aussi marqué pour le concentrer sur la dorsale euro­ gies pour attirer les candidats. 35,1 % à Mayotte automobiles, misent également marie charrel
0123
JEUDI 2 MAI 2019 économie & entreprise | 15

PERTES & PROFITS | MARRIOTT­AIRBNB
Les frères Alexeï et Oleg Navalny par j ean­mi ch el bezat

poursuivent Yves Rocher Grand ménage


dans les chambres
Le groupe français a fait condamner, en 2014, le principal opposant russe
à Poutine et son frère, qui l’accusent de « dénonciation calomnieuse » Dans les quartiers cossus de Lon­
dres, Paris, Rome et Lisbonne,
pose des chambres à prix réduits,
et proposer des packages, billets
Marriott International chassait d’avion compris.
depuis un an sur les terres d’Air­ Les grandes chaînes hôtelières

L
e groupe de cosmétiques plainte, et les enquêteurs russes que les frères Navalny étaient ac­ bnb avec la société de concierge­ tâtonnent face à l’agressivité
breton Yves Rocher est
Alexeï Navalny concluront qu’Oleg Navalny a pro­ tionnaires de ce prestataire. Cette rie Hostmaker, gestionnaire de commerciale d’Airbnb. La concen­
rattrapé par un vieux avait estimé être fité de sa position de cadre diri­ naïveté laisse sceptiques plu­ 2 000 appartements privés. Il faut tration ne suffit pas, il leur faut fi­
cauchemar. Sa filiale geant de la poste russe pour con­ sieurs acteurs ou témoins du dos­ croire que les résultats ont été à la déliser leur clientèle et diversifier
russe avait directement contribué
puni pour son traindre Yves Rocher à signer, sier. Un ancien diplomate fran­ hauteur des espérances du nu­ leurs offres. Marriott, Hilton et
à faire condamner, en décem­ activité politique en 2008, un contrat avec sa pro­ çais en poste à Moscou estime méro un mondial de l’hôtellerie AccorHotels veulent leur part du
bre 2014, Alexeï Navalny, le princi­ pre société de logistique, dont son que le groupe de cosmétiques avec ses marques et ses 6 700 éta­ gâteau dans le secteur du partage
pal opposant russe à Vladimir
et avait dénoncé, frère Alexeï est actionnaire. « était coincé et n’a pas mesuré le blissements, puisqu’il veut aller d’appartement, notamment pour
Poutine, et son frère Oleg. L’heure dans la peine A l’opposé de cette lecture, plu­ caractère politique de l’affaire ». plus loin : il devrait annoncer en les familles. Un segment promet­
de la contre­attaque judiciaire sieurs anciens salariés rappellent Yves Rocher aurait, en quelque mai la généralisation de ces teur où les clients séjournent
franco­française a sonné. Tout un
infligée à son les défaillances, à l’époque, du sorte, fauté par légèreté. Lorsque « expériences », en créant aux plus longtemps qu’à l’hôtel.
symbole, les deux frères, qui frère, « une prise centre postal de Iaroslavl, qui ap­ le procès a commencé, l’entre­ Etats­Unis une plate­forme de
avaient déposé, en juin 2018, une provisionne Moscou et Saint­Pé­ prise s’est montrée particulière­ réservation concurrente. Redoutable concurrence
plainte avec constitution de par­
d’otage » tersbourg. En 2008, le marché ment discrète. « Ils n’ont rien fait Ce n’est pas un hasard si cette Au début de l’aventure Airbnb,
tie civile, sont convoqués, mardi russe compte pour plus du quart pour nous accabler, relève Alexeï information a fuité dans le Wall ces géants prenaient de haut le
30 avril, à Vannes, par un juge et évoqué des décisions de justice des bénéfices d’Yves Rocher, et la Navalny. C’était évident pour tout Street Journal, lundi 29 avril, le Petit Poucet de San Francisco. Sa
d’instruction, dans le cadre d’une « arbitraires et manifestement dé­ vente par correspondance occupe le monde qu’ils étaient mal à jour où Airbnb annonçait le lan­ valorisation est désormais esti­
information judiciaire pour « dé­ raisonnables ». La CEDH a enfoncé une place centrale, avec 4 millions l’aise. Mais ils auraient pu refuser cement d’un nouveau business à mée à 31 milliards de dollars
nonciation calomnieuse » visant le clou en condamnant, le 9 avril, de colis livrés par an. Selon un an­ dès le début sans qu’il ne leur ar­ New York. Associé au groupe RXR (28 milliards d’euros), plus élevée
Yves Rocher, dont le siège se la Russie pour persécution politi­ cien cadre, le groupe français rive rien de grave. A l’époque, les Realty, il proposera une nouvelle que celle de la plupart des chaî­
trouve à La Gacilly (Morbihan). que contre Alexeï Navalny. aurait cherché une alternative et autorités cherchaient n’importe catégorie d’hébergements ur­ nes hôtelières. Leurs patrons ont
Premier marché à l’export, la C’est désormais l’origine de ce effectué plusieurs essais avant de quoi pour m’incriminer. Des en­ bains dans des immeubles à changé de ton, et ceux de Airbnb
Russie a longtemps été un para­ feuilleton que va étudier la justice choisir Glavpodpiska, qui se serait treprises russes ont su résister aux usage commercial spécialement s’en amusent. « L’imitation est la
dis pour l’entreprise française. française, après la plainte déposée révélée « un bon partenaire ». demandes, alors qu’Yves Rocher a aménagés avec salon, chambres forme la plus sincère de flatterie,
Avant de se métamorphoser en par l’avocat William Bourdon. Au cours des audiences, Chris­ plié tout de suite. A cause de cela, et cuisine. La société de Brian et nous leur souhaitons bon
une sérieuse source d’embarras, L’accusation de dénonciation ca­ tian Melnik, directeur financier mon frère a passé trois ans et Chesky a frappé fort en propo­ voyage », a ironisé Chris Lehane,
potentiellement désastreuse en lomnieuse est lourde. Elle sous­ d’Yves Rocher, confirmera aux demi en prison. » sant, dans quelques mois, 200 porte­parole d’Airbnb, en appre­
termes d’image. Ce groupe si fier entend qu’Yves Rocher aurait juges que les prix pratiqués par la Pour nombre d’observateurs, les suites haut de gamme dans dix nant l’initiative de Marriott.
d’utiliser des produits naturels prêté la main à un procès à carac­ société d’Oleg Navalny étaient moyens de pression potentiels étages du fameux 75, Rockefeller Cette convergence hôtellerie­
déclarait, lundi 29 avril, avoir tère politique contre le premier entre 4 % et 16 % inférieurs à ceux des autorités russes ne man­ Center, au cœur de Manhattan. partage d’appartement risque de
« appris avec surprise » l’accusa­ opposant de Vladimir Poutine, du marché. A la question : « Resi­ quaient pas. A l’époque de la A l’approche d’une introduction fragiliser les partenariats entre les
tion qui le vise. l’homme qui s’est imposé précisé­ gneriez­vous aujourd’hui le plainte, Yves Rocher fait l’objet de en Bourse envisagée en 2020, Air­ chaînes et leurs franchisés, qui y
Le 30 décembre 2014, après une ment en dénonçant la corruption même contrat ? », M. Melnik ré­ perquisitions du Comité d’en­ bnb doit montrer aux investis­ verront une redoutable concur­
plainte déposée par la filiale russe des caciques du régime russe. « Le pond « oui ». En novembre 2014, quête, dans le cadre d’un autre seurs qu’en dépit de ses cinq mil­ rence. Mais aussi d’exacerber les
d’Yves Rocher, Alexeï Navalny, fait qu’une société française ait ac­ Yves Rocher mènera parallèle­ dossier impliquant Alexeï Na­ lions d’hébergements, elle est conflits avec les élus, qui accusent
avocat et blogueur anticorrup­ cepté de jouer ce rôle a été un fac­ ment un audit interne sur les ac­ valny, dans le secteur du bois, ce­ bien plus que la start­up créée le boom du « home sharing » de
tion devenu le principal opposant teur important à l’époque, en don­ tivités de Glavpodpiska, qui con­ lui­là. Le domaine des cosméti­ en 2008 : une société proposant faire une concurrence déloyale
au chef d’Etat russe, avait été con­ nant un vernis de crédibilité à l’ac­ clura… à l’absence d’un quelcon­ ques est vulnérable aux mille pe­ une offre globale (hébergement, aux hôtels et d’assécher le mar­
damné par un tribunal moscovite cusation, explique M. Navalny, de que préjudice. tites tracasseries des administra­ loisirs, transports…). Elle va ac­ ché locatif. Le « voyage » s’an­
à trois ans et demi de prison avec passage à Paris, avant de se rendre Pourquoi, alors, avoir porté tions russes. Un salarié d’Yves quérir HotelTonight Inc, qui pro­ nonce agité, pour tous. 
sursis pour détournement de à Vannes. C’est donc important plainte contre ce prestataire ? Rocher se souvient de « choses bi­
fonds, escroquerie et blanchi­ pour nous, aujourd’hui, de lui de­ « Dans un cas comme celui­ci, dé­ zarres » : des visites dans les ma­
ment d’un montant de 26 mil­ mander des comptes. » poser une plainte est une réaction gasins, des inspections zélées des
lions de roubles (370 000 euros). classique », expliquait, en 2014, le pompiers, ou ces concurrents qui
Son frère, Oleg, a été condamné à
la même peine, mais ferme.
A l’époque, M. Navalny estimait
Naïveté
Cette dénonciation remonte à la
fin de 2012. Le 10 décembre, le di­
porte­parole de l’entreprise fran­
çaise. Aujourd’hui, la direction
précise : « La découverte d’impor­
envoient les services du fisc avec
masques et kalachnikovs.
« En fait, nous n’avons pas besoin
France Télévisions :
être puni pour son activité politi­
que et dénonçait, dans la peine in­
fligée à son frère, « une
recteur général d’Yves Rocher
Vostok, Bruno Leproux, demande
au Comité d’enquête russe d’éta­
tants indices concordants rendant
vraisemblable l’existence d’une es­
croquerie avait imposé à la direc­
de savoir s’il y a eu des pressions ou
simplement une bonne manière
faite au pouvoir par Yves Rocher,
les syndicats rejettent le
prise d’otage ». En octobre 2017, la
Cour européenne des droits de
blir si Glavpodpiska, la société de
logistique des frères Navalny,
tion de la filiale de faire appel à la
justice russe (…) pour avoir accès
tempère Me Bourdon. L’acte de dé­
nonciation me suffit, et il ne pou­
projet de plan de départs
l’homme (CEDH) avait estimé que prestataire d’Yves Rocher depuis au dossier. » vait être que de mauvaise foi. » 
les frères Navalny avaient été pri­ 2008, a escroqué le groupe fran­ La direction d’Yves Rocher affir­ nicole vulser Le groupe public visait 900 suppressions
vés du droit à un procès équitable çais. La démarche équivaut à une mait également ne pas avoir su et benoît vitkine nettes de postes d’ici à 2022

En Russie, les cas d’accusation de crime L e revers est de taille pour


Delphine Ernotte, la pa­
tronne de France Télévi­
texte, il faut obtenir l’accord d’or­
ganisations ayant recueilli au
moins 50 % des suffrages expri­

économique se multiplient
sions. Le projet de rupture con­ més ou le faire valider par référen­
ventionnelle collective qu’elle dum s’il est été approuvé par des
avait dévoilé fin 2018 au nom de la syndicats représentant au moins
« recomposition des effectifs né­ 30 % des suffrages exprimés.
Ces dernières années, la justice s’est muée en arme au service du pouvoir politique cessaires à la transformation » ne Cependant, vendredi 26 avril,
sera pas signé par la majorité des jour prévu de la signature, le SNJ
organisations syndicales du faisait connaître son refus. « Nous
groupe audiovisuel public, mardi avons consulté nos adhérents, qui

A vec moi, en prison, il y


avait beaucoup d’hom­
mes d’affaires condamnés
à des peines de cinq ou six ans », se
souvient Oleg Navalny, de passage
braconnage… L’affaire Yves Ro­
cher, qui plus est portée par une
firme étrangère, leur convenait
parfaitement. »
De fait, en se faisant accuser d’es­
Les procès pour
corruption de
hauts dirigeants
miques – fraude, escroquerie,
blanchiment, détournement… –
sont de plus en plus en nom­
breux. « Techniquement, rien n’est
plus simple que de fabriquer une
30 avril. L’objectif était d’aboutir à
900 suppressions nettes de pos­
tes d’ici à 2022, en prévoyant
2 000 départs sur la base du vo­
lontariat et 1 100 embauches de
ont rejeté le texte que nous avions
négocié », a déclaré Serge Cimino,
délégué SNJ. Dans le même
temps, la direction annonçait re­
porter de quatre jours, à mardi, la
à Paris avec son frère Alexeï, l’op­ croquerie, M. Navalny se voyait sont devenus affaire, assure M. Navalny. Il suffit profils plus jeunes et plus adaptés signature du texte. Il restait en ef­
posant russe qui porte plainte ainsi attaqué sur son propre ter­ monnaie d’un document quelconque avec à la révolution numérique. fet la possibilité de le faire valider
contre la société française Yves rain. En effet, l’ancien avocat s’est quelques chiffres écrits dessus, qui Dans un contexte où le groupe par référendum auprès des sala­
Rocher pour « dénonciation ca­ imposé au sein de l’opposition par courante servira de preuve, et d’un juge aux public, avec ses 9 600 employés à riés, s’il avait été signé par la CFDT
lomnieuse ». « Beaucoup d’entre ses enquêtes sur la corruption des ordres ou acheté, dont le travail se temps plein, dont 8 400 perma­ et FO, qui représentent au moins
eux s’étaient simplement opposés caciques du régime. En 2011, sa for­ limite à recopier l’acte d’accusa­ nents, doit gérer à la fois la concur­ 30 % des suffrages exprimés.
à la saisie de leurs actifs par des re­ mule faisant de Russie unie, le en mars 2019, les accusations de tion dans son verdict. » rence des plates­formes américai­ Lundi, FO a fait savoir, par la voix
présentants du pouvoir, ou avaient parti au pouvoir, « le parti des vo­ détournement contre l’ex­minis­ Quant au nombre toujours plus nes comme Netflix et les écono­ de son secrétaire général, Eric Vial,
refusé de se faire racketter. » leurs et des escrocs » fait florès. tre du « gouvernement ouvert », élevé de membres de l’élite diri­ mies imposées par l’autorité de tu­ qu’il ne signerait pas non plus. Le
Ces dernières années, la justice Mikhaïl Abyzov, qui font suite à geante inquiétés, elle s’explique­ telle – entre 350 millions et syndicat avait pourtant indiqué sa
s’est de plus en plus transformée, « Affaires fabriquées » plusieurs arrestations de gouver­ rait, selon M. Navalny, par la mise 400 millions d’euros d’ici à 2022 –, volonté de le faire après avoir réa­
en Russie, en un outil de résolu­ Dès juillet 2012, une première af­ neurs ou de hauts fonctionnaires. en retrait du président Vladimir ce projet devait lui permettre de lisé un sondage auprès de l’en­
tion de conflits commerciaux, ou faire, dite Kirovles, avait été « Oulioukaïev et Abyzov sont des Poutine des affaires intérieures. trouver des marges de manœuvre. semble des salariés de France Télé­
en arme au service du pouvoir po­ ouverte contre lui, qui aboutira à voleurs, des gens sur lesquels nous « Avant, pour attaquer un ministre visions qui s’était conclu, fin mars,
litique. S’il n’a pas été le premier une condamnation pour un dé­ avons enquêté. Mais nous ne pou­ ou un gros poisson, il fallait un or­ La CGT s’est vite retirée par une majorité (sur 4 226 suffra­
condamné dans une affaire éco­ tournement supposé. Comme vons pas crier victoire, explique dre direct de Poutine. Aujourd’hui, Cette procédure, créée par les or­ ges exprimés) en faveur du texte.
nomique manifestement fabri­ dans l’affaire Yves Rocher, la Cour Alexeï Navalny, car leurs affaires le président est occupé à ses jeux donnances Macron qui ont ré­ Si M. Vial explique avoir obtenu
quée, l’opposant Alexeï Navalny, européenne des droits de ont aussi été fabriquées. Ce que géopolitiques, et n’importe quel gé­ formé le code du travail en 2017, des améliorations, notamment
grand frère d’Oleg, fait partie des l’homme (CEDH) a évoqué un nous exigeons, ce sont de vrais tri­ néral du FSB [les services de sécu­ permet à une entreprise de négo­ sur l’embauche en CDI de 500
précurseurs. procès « arbitraire » et « de nature bunaux et une vraie lutte contre la rité] peut rentrer dans ce jeu pour cier des plans de départs volontai­ CDD et le versement d’une prime
« En 2012, quand l’affaire Yves Ro­ politique ». corruption, pas quelques victimes obtenir des galons ou de l’argent. » res sans justifier de difficultés éco­ de 2 000 euros par an pour les sa­
cher a démarré, ces accusations Depuis, les procès pour corrup­ des luttes de clans qui sont ensuite D’après lui, la logique à l’œuvre se­ nomiques. Même si la CGT, pre­ lariés qui restent, il dit ne pas vou­
étaient encore exceptionnelles, as­ tion de hauts dirigeants sont recyclées en une prétendue lutte rait la même s’agissant des diri­ mier syndicat avec 40,6 % des loir porter la responsabilité d’un
sure­t­il. A l’époque, le pouvoir monnaie courante, avec quelques contre la corruption. Sinon les “pe­ geants américain et français du voix, s’était très vite retirée des dis­ référendum. Et craint la suite :
cherchait n’importe quoi pour me cas retentissants, comme ceux, tits”, ceux qui dérangent, continue­ fonds d’investissement Baring cussions, la direction misait sur « Les efforts ne vont pas s’arrêter
faire taire, sans pour autant faire en 2016, du ministre de l’écono­ ront, eux aussi, d’être victimes. » Vostok, en conflit commercial les autres organisations (CFDT, FO parce qu’on refuse le plan. » La di­
de moi un prisonnier politique. Il a mie Alexeï Oulioukaïev ou du Des simples hommes d’affaires avec un banquier influent et à pré­ et SNJ), qui représentent, respecti­ rection de France Télévisions n’a
été jusqu’à solliciter des anciens de gouverneur de Kirov Nikita aux opposants locaux, les cas sent poursuivis pour fraude.  vement, 23,5 %, 19,6 % et 15,9 % des pas souhaité s’exprimer. 
mon école, à évoquer des cas de Bielykh. Dernière affaire en date, d’accusations de crimes écono­ b. vi. voix. Pour pouvoir signer un tel françois bougon
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16 | économie & entreprise JEUDI 2 MAI 2019

« Il faut revenir à un urbanisme démocratique »


Patrick Bouchain, lauréat du Grand Prix de l’urbanisme 2019, appelle à laisser l’initiative aux citoyens

ENTRETIEN A Paris,
« L’aménagement

C’
est un pionnier et en septembre 2015. du territoire
un agitateur que cé­
lèbre le Grand Prix
DIDIER GOUPY/SIGNATURES
et les logiques
de l’urbanisme 2019, de marché, par
décerné mi­avril par un jury
auquel participait Le Monde. A
le zonage du sol,
74 ans, Patrick Bouchain sillonne produisent
depuis plus de trente ans des che­
mins de traverse, devenus depuis
des délaissés »
des passages obligés de l’aména­
gement et de la construction : la
transformation des friches, le autoentrepreneur mais on n’a pas
réemploi des matériaux, la cons­ le droit de travailler dans un
truction en bois et la participa­ HLM… A Mayotte, on travaille sur
tion active des futurs usagers. Cet l’autoconstruction, à Orléans sur
homme­orchestre autodidacte, à la dépollution de terres…
qui une partie de la profession dé­
nie la qualité d’architecte en rai­ Vous êtes un précurseur
son de son côté touche­à­tout et de la reconversion de friches.
rétif aux corporations, sait se faire Notre urbanisme produit­il
tour à tour scénographe, archi­ beaucoup de déchets ?
tecte, paysagiste, enseignant, Plus qu’avant. L’aménagement
maître d’ouvrage et promoteur… du territoire et les logiques de
On lui doit des lieux provisoires marché, par le zonage du sol, le
dont on ne sait plus se passer, découpage des lots par les pro­
comme le Théâtre Zingaro à moteurs, produisent des délais­
Aubervilliers, des friches ressusci­ sés. L’aménagement contempo­
tées comme la Belle­de­Mai à rain, c’est 25 % de gâché. Autant
Marseille, la métamorphose d’espaces désaffectés et dépré­
d’usines comme le Lieu unique à ciés qu’il faut apprendre à consi­
Nantes… Père spirituel de l’urba­ dérer pour se les réapproprier.
nisme temporaire, inventeur du Par ailleurs, la désindustrialisa­
« permis de faire » transcrit dans la tion a laissé beaucoup de friches,
loi pour autoriser des expérimen­ mais avec les zones commercia­
tations, ce retraité très actif bous­ les des entrées de ville ou les
cule les normes rigides comme tours de bureaux, on a intérêt à se
les logiques de marché pour réali­ préparer…
ser ce que chacun jugeait impossi­
ble, avec un enthousiasme com­ Dernière question : que feriez­
municatif. vous à Notre­Dame de Paris ?
A Notre­Dame, je créerais un
Vous plaidez pour un grand lieu de culte ouvert sur le
« urbanisme démocratique ». un projet d’intérêt général puisse s’approprier leur logement. A des habitants, les connaître, com­ il y a un maire volontaire : ils sont parvis et j’organiserais la recons­
Ne l’est­il pas, aujourd’hui ? recevoir la délégation de le mettre Boulogne­sur­Mer (Pas­de­Calais), prendre leur vie, les aider à définir les seuls élus qui peuvent encore truction sur le temps long, avec
Non, il est technocratique ! Il en œuvre. On le fait pour les en­ une opération de rénovation ur­ leur projet. Elle est restée trois parler à leur population. La loi est une charpente en bois, mais pas
faut revenir à une meilleure défi­ treprises, avec les partenariats baine était arrêtée : l’argent n’arri­ ans ! On a fait un chantier totale­ faite pour vivre ensemble, il ne telle qu’elle était : on peut en faire
nition de la commande, à un ur­ public­privé, les délégations de vait pas. C’était invivable. Il était ment ouvert au public, en site oc­ faut pas y déroger. Mais il faut la un grand chantier­école pour ap­
banisme démocratique. On ne service public. Pourquoi pas pour prévu de démolir les logements cupé, avec des travaux coordon­ mettre à l’épreuve de la vie et prendre à construire en consom­
peut pas dire le peuple veut ceci des citoyens ? On confond privé et – pour 40 000 euros chacun – et nés par les gens eux­mêmes. On a créer une jurisprudence. Dans la mant moins de bois, en utilisant
ou cela, nous le consultons en privatisation au sens commer­ d’en reconstruire de nouveaux, ensuite fait d’autres opérations loi, le législateur prévoit toujours des petits bois pauvres, et non pas
tant qu’élus et nous confions à cial. Le privé, c’est l’individu, c’est pour 100 000 euros. J’ai proposé sur le même principe à Tourcoing une lacune, un vide qui permet des grands chênes – une techni­
des entreprises privées la réalisa­ vous et moi. Le privé à toute au maire d’utiliser l’argent de la (Nord) et à Beaumont, en Ardèche. l’interprétation. J’ai eu envie de que inventée au XVIe siècle par
tion de ce que nous avons en­ échelle doit avoir le droit d’agir, et démolition pour réhabiliter les lo­ travailler sur la lacune. l’architecte Philibert Delorme.
tendu. On le voit dans la revendi­ non pas de redéléguer à un privé gements avec leurs habitants. Il Cherchez­vous à étendre On a pris sept échelles de terri­ Ensuite, je rouvrirais la Sainte­
cation des « gilets jaunes » : il y a spéculatif la réalisation d’une pensait que c’était impossible. ce principe grâce au tour toire, du village au département Chapelle située non loin : c’est là
une envie d’action de la part des opération. On a pris soixante maisons so­ de France que vous menez d’outre­mer en passant par la mé­ qu’est le cœur du roi, et le tribunal
gens. L’urbanisme démocratique, ciales qui devaient être démolies. actuellement, baptisé tropole régionale. Par exemple, de grande instance qui occupait
c’est celui qui permet à des indivi­ Comment avez­vous appliqué Au lieu de faire un projet de « la preuve par sept » ? un maire d’un petit village peut­il les alentours est parti. Enfin, je dé­
dus ou des collectifs d’agir. Cons­ ce principe au logement soixante maisons, on a fait Dans cette France coupée en construire deux logements so­ placerais toutes les activités de
truire, c’est positif ! Ça permet de social ? soixante projets d’une maison. deux, bien avant les « gilets jau­ ciaux, ce qui n’intéressera aucun Notre­Dame pour quinze ans à la
réunir tout le monde. Il faut « dénormer » le logement J’ai chargé une jeune architecte nes » et le grand débat, j’ai eu en­ office HLM ? Ce logement social basilique Saint­Denis : le voilà le
Le problème, c’est l’absence de social, laisser de la place à l’ina­ d’aller s’installer dans un de ces vie d’aller travailler sur l’expéri­ peut­il héberger un berger avec Grand Paris ! 
confiance. Il faut que quelqu’un chevé, donner aux habitants un logements pour mener un vrai mentation, là où on dit que c’est ses moutons ? Aujourd’hui, on propos recueillis par
qui porte une revendication ou peu de liberté pour qu’ils puissent travail anthropologique auprès impossible de le faire. Partout où pousse tout le monde à être grégoire allix

T É L ÉCO M M UN I C AT I O N S
L’AMF inflige au président
d’Iliad une amende
Les multiples griefs de KLM vis­à­vis d’Air France
de 600 000 euros
La commission des sanctions Sur le départ, Hans Smits, le président du conseil de surveillance de la compagnie néerlandaise, règle ses comptes
de l’Autorité des marchés
financiers (AMF) a annoncé,
lundi 29 avril, avoir
infligé une amende de bruxelles ­ correspondant l’avis du dirigeant canadien, à la M. Smits tresse en revanche des Pays­Bas, d’autant que M. Smith
600 000 euros à Maxime
Côté néerlandais, suite d’une mobilisation du gou­ louanges au gouvernement de vient de faire son entrée au conseil
Lombardini, président du
conseil d’administration
d’Iliad (maison mère de Free,
dont le fondateur, Xavier
Niel, est actionnaire à titre
D e la « jalousie », de la
« rancœur » et des « ma­
lentendus » : voici, selon
Hans Smits, ce qui complique la
relation entre Néerlandais et Fran­
on se dit résolu
à préserver
l’autonomie
vernement néerlandais, du col­
lège des dirigeants de la compa­
gnie et de 25 000 salariés, signa­
taires d’une pétition en vue de
son maintien. « Cela aurait pour­
Mark Rutte. En février toujours,
celui­ci provoquait une minicrise
diplomatique, en portant à 14 % la
part de l’Etat néerlandais dans le
groupe, à la consternation de Pa­
de surveillance de KLM. Et qu’il
aurait, selon divers médias, exigé
des garanties pour accepter finale­
ment le renouvellement pour
quatre ans du mandat de M. El­
personnel du Monde), pour çais au sein du groupe Air France­
de KLM, quitte tant été le moment de se dire : “OK ris, où l’on évoquait une opéra­ bers. Parmi celles­ci figurerait le
manquement d’initié, et de KLM. Le président du conseil de à provoquer les gars, oublions ce mauvais mo­ tion « très surprenante et inami­ contrôle, par Air France, de Transa­
100 000 euros au groupe. surveillance de la compagnie ment. Prenons un nouveau départ cale », avant de calmer le jeu et via, la filiale à bas coût de KLM.
L’entreprise s’est vu repro­ néerlandaise quitte son poste – il
d’autres tensions et serrons­nous la main.” Mais Ben d’évoquer une volonté commune La marge de manœuvre du Cana­
cher d’avoir tardé à est remplacé par Cees’T Hart, pa­ Smith s’est dit : “C’est moi le patron, de « consolidation » de la so­ dien semble toutefois entravée par
communiquer son intérêt tron du brasseur danois Carls­ et c’est d’abord à l’autre de me ten­ ciété. Pour M. Smits, ce fut « une l’accord conclu entre La Haye et Pa­
pour l’américain T­Mobile, berg – avec nombre de griefs, qu’il sure M. Smits, c’est parce que tous dre la main.” C’est, selon moi, sa fa­ sorte de rétablissement des équili­ ris à l’issue de la récente crise. Un
dévoilé fin juillet 2014, et a énumérés dans divers entre­ les arguments avancés par ses çon de gérer », déplore M. Smits. bres », susceptible, peut­être, d’as­ groupe de travail, qui doit rendre
d’avoir ainsi manqué « à ses tiens accordés ces derniers jours. compatriotes ont toujours été in­ surer la viabilité d’une entente ses conclusions en juin, est censé
obligations d’information Le diagnostic de l’ancien res­ terprétés comme de l’hostilité à Opération « inamicale » dont il estime qu’elle a « 70 % à régler la question des participa­
au public ». – (AFP.) ponsable, qui siégeait depuis l’égard de la maison mère. Par ailleurs, il juge « significatif » le 80 % » de chances de devenir « un tions et de la structure capitalisti­
quinze ans et exerçait la prési­ Un moment a « particulière­ sort que lui a réservé Alexandre de bon mariage ». que du groupe. Côté néerlandais,
M US IQ UE dence depuis 2014, a rallié pas mal ment déçu » l’ex­président, a­t­il Juniac, l’un des prédécesseurs de Ces déclarations contrastent on se dit résolu à préserver l’auto­
Spotify franchit le cap de suffrages dans son pays quand expliqué à la chaîne publique M. Smith. Il lui aurait proposé de avec celles de M. Elbers qui, la se­ nomie de KLM, quitte à provoquer
des 100 millions il a reproché aux dirigeants NOS : lors d’une conférence de devenir le vice­président de la maine dernière, soulignait que de nouvelles tensions. Les « règles
d’abonnés payants français de se soucier davantage presse organisée à Paris, le 20 fé­ maison mère, avant de ne plus ja­ quinze années de collaboration de gouvernance et le respect, par les
Le suédois Spotify, numéro d’assurer leur pouvoir que d’« op­ vrier, à l’occasion de la présenta­ mais lui en parler durant ses trois avaient « beaucoup apporté » à la deux Etats, de règles de bonne
un mondial de l’écoute de timiser le profit ». Alors même, tion du bilan annuel du groupe, années à la tête de l’entreprise. Il compagnie néerlandaise, laquelle, conduite » sont aussi au menu des
musique en ligne, a annoncé, souligne­t­il, que la branche néer­ Benjamin Smith, le directeur gé­ considère tout aussi « significa­ disait­il, n’aurait pu assurer ses discussions, tout comme la pré­
lundi 29 avril, avoir franchi landaise du groupe a dégagé néral d’Air France­KLM, aurait re­ tive » la visite aux Pays­Bas de positions en Chine, en Amérique servation du rôle de Schiphol en
la barre des 100 millions quatre fois plus de bénéfices fusé à trois reprises de serrer la M. Smith, à la mi­février : M. Elbers latine, aux Etats­Unis ou en Eu­ tant que « hub » européen majeur,
d’abonnés payants, ce qui (80 % du 1,3 milliard d’euros en­ main de Pieter Elbers. n’avait pas été informé, pas plus rope sans l’appui d’Air France. « le » sujet qui mobilise tous les
représente une hausse grangé) que la française en 2018. Ce dernier avait conservé son qu’il n’avait été convié à dîner à Des propos apaisants, qui n’atté­ responsables aux Pays­Bas. 
de 32 % en un an. – (AFP.) Si « la défiance » s’est installée, as­ poste de patron de KLM contre l’ambassade de France à La Haye. nuent pas toutes les craintes aux jean­pierre stroobants
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JEUDI 2 MAI 2019 économie & entreprise | 17

Des affiches
publicitaires
vantant
les spectacles
proposés par
les théâtres
de Londres,
dans le
quartier
de West End,
en mars 2018.
MIKE KEMP/IN
PICTURES VIA GETTY
IMAGES

londres ­ correspondance 500 000 livres sterling. » Ce mo­


PLEIN CADRE dèle économique permet de ven­

L
e palais de Buckin­ dre des billets pour un prix
gham et la relève de la moyen d’une soixantaine

Plus fort que Broadway,


garde, le British Mu­ d’euros, moitié moins que les
seum, la Tate Modern, spectacles de Broadway. Le revers
Madame Tussauds de la médaille est que les succès
pour les adolescents, de New York, avec un énorme
Tower Bridge… A cette liste des vi­ chiffre d’affaires, peuvent rappor­
sites classiques pour les touristes
venus à Londres s’ajoute, de plus
en plus, un passage par une des
grandes comédies musicales de la
capitale britannique. Beaucoup se
le West End londonien ter beaucoup plus d’argent.

« DES MARCHANDISES »
Joseph Smith, un producteur lon­
donien, vient d’importer à Lon­
ruent vers les superproductions dres Come From Away, une comé­
du Roi lion, des Misérables ou du Avec 15,5 millions de tickets vendus en 2018, die musicale très touchante qui
Fantôme de l’Opéra, indétrôna­ raconte l’incroyable histoire des
bles succès qui se jouent depuis les théâtres de Londres réunissent, chaque année, dizaines d’avions forcés d’atterrir
des décennies. Décors impres­ à Gander (Terre­Neuve), au Ca­
sionnants, acteurs impeccables, plus de spectateurs que la scène new­yorkaise et nada, le 11 septembre 2001. Le ciel
tubes planétaires, ces spectacles américain étant interdit d’accès
sont au théâtre ce que les films même que la Premier League anglaise de football… après les attentats contre le World
hollywoodiens sont au cinéma : Trade Center, 6 500 passagers du
un travail de professionnels de monde entier ont été détournés
haute qualité qui attire les foules vers cette petite ville de
et une industrie florissante. 10 000 habitants, bloqués sur
Le West End, surnom du quartier cette hausse quasi linéaire. Un tosh a continué le renouvelle­ tres et les producteurs de pièces ces, la société américaine ne place pendant de longs jours.
des théâtres de Londres, situé près tiers des visiteurs sont des touris­ ment du genre, produisant Les sont les mêmes personnes, préci­ prend guère de risques finan­ Créée au Canada, devenue un
de Trafalgar Square, traverse une tes étrangers, un autre tiers, des Misérables (« Les Mis’», comme se­t­elle. L’argent gagné est princi­ ciers. immense succès à Broadway, la
période dorée. Avec 15,5 millions touristes britanniques, et le der­ disent les initiés à Londres), qui se palement réinvesti, tous les efforts L’une des raisons de l’émer­ pièce a dépassé sa 100e représen­
de tickets vendus en 2018, l’endroit nier tiers, des Londoniens. « Mais joue sans interruption depuis sont portés pour faire fructifier le gence du West End est sa complé­ tation à Londres. « Dans la vie
attire 1 million de spectateurs de certaines grandes productions, 1985, et Le Fantôme de l’Opéra théâtre. » mentarité avec Broadway. « Les d’une création théâtrale qui arrive
plus que les matchs de football de comme Le Fantôme de l’Opéra, (sans interruption depuis 1986). coûts y sont deux à trois fois plus des Etats­Unis, le West End est l’iné­
la Premier League. Broadway, son sont fréquentées à 90 % par des « J’ai grandi à New York dans les « COÛTS PLUS FAIBLES » faibles qu’à New York, note vitable pièce de puzzle suivante,
pendant new­yorkais, fait égale­ touristes étrangers », précise ainsi années 1980, explique M. Blans­ Dans une ville où l’urbanisme Mme Burns. Il est possible d’être explique M. Smith. Il y a d’autres
ment moins bien, avec 13,8 mil­ M. Bird. hay. Je voyais ces incroyables co­ n’est guère planifié, une petite rè­ beaucoup plus expérimental ici. » marchés, notamment en Allema­
lions de spectateurs seulement. « A la fin des années 1970, la si­ médies musicales qui venaient de gle a joué un rôle central dans cet Le milieu théâtral new­yorkais gne, ou en Australie, où Come
« Plus de spectateurs que le foot­ tuation était médiocre, rappelle le Londres. C’était des histoires épi­ effort culturel. « A Londres, il est est très syndiqué, imposant des From Away est produit pendant
ball !, insiste Julian Bird, le direc­ directeur de la Société des théâ­ ques, sans dialogues, juste en interdit de transformer les théâ­ règles strictes pour ses conditions trente­huit semaines, mais aucun
teur de la Société des théâtres de tres de Londres. La télévision chansons. On a assisté à une véri­ tres pour les utiliser pour d’autres de travail, ce qui augmente les n’a la taille de Londres. »
Londres. J’en suis très fier. » avait tué les vaudevilles et le table invasion britannique. Cela fonctions, prévient Mme Burns. A coûts. Les mêmes tâches nécessi­ Les échanges entre le West End
« Avec Broadway, le West End est music­hall d’autrefois. » Beau­ m’a énormément inspiré et j’ai tou­ une époque, tout le monde voulait tent souvent plus d’employés et Broadway sont constants, les
l’autre lieu incontournable du coup de théâtres, la plupart cons­ jours voulu travailler [ici]. » C’est en faire des hôtels, étant donné qu’à Londres. Les méthodes de mêmes productions étant sou­
théâtre anglophone, déclare, avec truits à la fin du XIXe siècle, désormais chose faite. M. Blans­ leur emplacement central, mais marketing sont également plus vent jouées au même moment
enthousiasme, Adam Blanshay, n’étaient pas en très bon état. Cer­ hay importe aujourd’hui des piè­ c’était impossible. » Les propriétai­ chères, la publicité à la télévision par des équipes différentes. Come
un producteur canadien qui s’est tains avaient été détruits pendant ces françaises au Royaume­Uni, res n’avaient donc d’autre choix restant un incontournable From Away est actuellement joué
installé dans la capitale britanni­ les bombardements de la se­ dont Edmond de Bergerac, l’his­ que de s’impliquer pour faire de moyen pour se faire connaître dans cinq endroits en même
que, attiré par la créativité du conde guerre mondiale. toire de l’auteur de Cyrano de Ber­ cet art un succès. aux Etats­Unis. A Londres, les pla­ temps, entre Londres, New York,
théâtre londonien. La concentra­ Quelques créations très origina­ gerac, Edmond Rostand. La pre­ Aujourd’hui, une grande pro­ cards publicitaires dans le métro, l’Australie, le Canada et une tour­
tion de talents et d’expertises est les ont complètement cham­ mière représentation a lieu mardi duction théâtrale, à Londres, bien plus abordables, sont le vec­ née américaine. Un passage en
impressionnante. » boulé le paysage. Cats, l’improba­ 30 avril, à Londres. coûte environ 10 millions de li­ teur le plus courant. Chine est également prévu et un
ble comédie musicale tirée d’un Le succès du West End est aussi vres sterling (soit 11,6 millions « Commercialement, c’est beau­ autre au Japon est à l’étude. « Les
UN SUCCÈS PUREMENT PRIVÉ recueil de poèmes de T. S. Eliot, a le triomphe de quatre grands pro­ d’euros). « Il faut qu’elle reste à coup plus facile à Londres, con­ comédies musicales deviennent
Si Paris connaît une scène théâ­ été la première d’entre elles, priétaires de théâtres, qui sont l’affiche pendant un an pour être firme M. Blanshay. On peut par­ des marchandises », reconnaît
trale très dynamique, son modèle en 1981. Le procédé narratif habi­ également les producteurs des rentabilisée », précise Nica Burns. fois monter quelque chose pour M. Smith, même si Come From
économique est mixte, entre tuel a volé en éclats : tout le spec­ pièces qu’ils présentent. A eux Ensuite, certains spectacles, qui Away, avec simplement douze ac­
fonds publics et privés. Inverse­ tacle était entièrement chanté, la quatre, ils possèdent 31 des 45 sal­ tiennent des décennies, sont de teurs et son sujet touchant, n’a
ment, Londres est un succès pure­ danse, mise en avant, renouve­ les qui composent le quartier. véritables machines à cash. rien à voir avec les spectacles for­
ment privé, où les salles ont réussi lant profondément le genre. Le M. Mackintosh, avec sa société Disney l’a bien compris, qui a
Le nombre matés de Disney.
à attirer le grand public. succès a été phénoménal, et Cats Delfont Mackintosh, et M. Lloyd lancé, en 1993, sa propre branche de spectateurs L’industrie du West End est dé­
L’histoire du West End est celle s’est joué pendant vingt et un ans Webber, avec LW Theatres, sont de comédies musicales, d’abord sormais assez solide pour que des
d’une renaissance qui a com­ à Londres, s’exportant à Broad­ deux d’entre eux. à Broadway, puis rapidement
dans les théâtres travaux aient démarré en mars
mencé dans les années 1980. Le way et dans le reste du monde. Les deux autres sociétés sont dans le West End. Aladdin est ac­ de Londres pour la construction d’un nou­
nombre de spectateurs a aug­ Un duo était derrière ce succès : Ambassador Theatre Group (ATG) tuellement à l’affiche à Londres, veau théâtre, le premier en cinq
menté de 50 % au cours des trois Andrew Lloyd Webber, son et Nimax. Nica Burns, grande ainsi que l’incontournable Roi
a augmenté décennies. Nimax va ouvrir une
dernières décennies, sans que de auteur, et Cameron Mackintosh, dame du théâtre londonien, déco­ lion, qui en est à sa vingtième an­ de 50 % au cours nouvelle salle de 600 places, fin
nouveaux théâtres soient cons­ le producteur et propriétaire du rée par la reine, est la directrice de née. En diversifiant ses franchi­ 2021, en investissant 195 millions
truits. Même la grande crise fi­ théâtre où Cats était joué. Dans les cette dernière, qui possède six sal­ ses, avec des spectacles parfois
des trois dernières de livres. The show must go on. 
nancière de 2008 n’a guère ralenti années qui ont suivi, M. Mackin­ les. « Ici, les propriétaires de théâ­ un peu froids, mais ultra­effica­ décennies éric albert
18 | campus 0123
JEUDI 2 MAI 2019

Après le bac, la tentation des études à l’étranger


Baisse d’intérêt pour les prépas, choix d’études internationales… de plus en plus de lycéens sont sur le départ

A
lice Kreziak n’était de réagir. Si Neoma Business
même pas majeure School et d’autres proposent des
quand elle a débarqué à départs à l’étranger dès la pre­
Montréal à la rentrée mière année depuis près de vingt
2018 pour suivre un bachelor en ans, d’autres s’y mettent progressi­
commerce de l’université McGill. vement. Lancé en 2015, le bachelor
« J’ai toujours beaucoup voyagé d’ESCP Europe accueille 380 élèves
avec mes parents, mais c’était une par promotion, venus de plus de
lourde décision de partir de l’autre 50 pays. Parmi eux, un quart de ba­
côté de l’Atlantique à 17 ans », confie cheliers français. En première an­
aujourd’hui l’étudiante. En termi­ née, ils ont le choix d’étudier à Pa­
nale au lycée Saint­Marc à Nivolas­ ris, Londres ou Pékin – les trois
Vermelle (Isère), la bonne élève se quarts des Français optent pour la
destine à des études de manage­ capitale britannique.
ment et postule à McGill, HEC Lau­ L’EM Normandie, elle, a fait le
sanne et en prépa via Parcoursup. choix d’ouvrir un campus à Ox­
« Je pouvais entrer directement ford il y a cinq ans. D’abord desti­
dans une université aussi presti­ née aux étudiants de niveau mas­
gieuse, voire plus, que HEC, alors ter, cette expatriation est possible
que je ne pouvais peut­être pas pré­ dès la première année du pro­
tendre à cette école après deux ans gramme grande école postbac, de­
de prépa. C’était maintenant ou ja­ puis septembre. Cette année,
mais », se rappelle la jeune femme. 17 étudiants en ont bénéficié.
Lors de ses premières semaines « Nous allons rapidement monter à
de cours outre­Atlantique, Alice 30 ou 40, affirme Hendrik Lohse,
est surprise. Elle entend parler directeur du campus. Les lycéens et
français partout. « Tous mes amis leurs familles nous posent plein de
sur place sont français », s’étonne­ questions sur cette opportunité
t­elle encore. Les accords entre la dans les salons d’orientation. »
France et le Québec permettent à Paradoxalement, l’arrivée des
un étudiant français de payer le bachelors des écoles de commerce
même tarif qu’un Québécois, soit sur Parcoursup en 2020 pourrait
6 300 euros pour un an à McGill amplifier ces départs à l’étranger,
– ce qui représente autant, voire pour des questions de calendrier.
moins, qu’un bachelor d’une école C’est l’une des inquiétudes des di­
de commerce réputée en France. recteurs d’école actuellement
Des avantages séduisants. McGill, ANNA WANDA GOGUSEY – qu’ils ne manquent pas de faire
qui dispense son enseignement remonter au ministère de l’ensei­
en anglais, compte 1 800 étudiants gnement supérieur. « Si on veut at­
français sur 32 200 étudiants, HEC France s’intéresse surtout aux ré­ Alice Guilhon, directrice de de l’IE (Instituto de Empresa) à Ma­ tirer et retenir les excellents candi­
Montréal 1 570 étudiants français, sultats scolaires. Les élèves créatifs
« L’enseignement Skema et présidente du Chapitre drid, Jean­Baptiste François, qui vi­ dats français, le calendrier de Par­
dont 750 en bachelor. Outre le et autonomes y sont sensibles. » supérieur des écoles de management de la vait à Versailles, a ainsi voulu élar­ coursup n’est pas adapté à la con­
Québec, le Royaume­Uni, l’Espa­ Amandine Romeo, aujourd’hui Conférence des grandes écoles, y gir ses horizons. « En France, il faut currence mondiale, explique Léon
gne, l’Allemagne et l’Italie attirent en deuxième année du premier
anglo-saxon voit surtout une accélération de la absolument un master, alors que Laulusa, directeur général adjoint
les lycéens, ainsi que les Etats­Unis, cycle d’ingénierie biomédicale de attire globalisation de l’enseignement dans beaucoup de pays, un bache­ d’ESCP Europe. Les universités
même si les procédures adminis­ la City University de Londres, en supérieur : « Un étudiant va forcé­ lor donne accès à de très bons pos­ américaines donnent une réponse
tratives et le coût des études dans fait partie. « Les Anglais semblaient
par la liberté ment se questionner sur son projet, tes dans les meilleures entreprises, dès la classe de première. Pour l’An­
ce pays limitent les départs. plus intéressés par mes activités ex­ qu’il donne les expériences qu’il a envie d’ac­ analyse­t­il. Entre ma formation en gleterre ou l’Espagne, les réponses
trascolaires que par mes notes au quérir et donc le ou les pays où il anglais et ma vie quotidienne espa­ s’échelonnent entre octobre et
Lycéens de milieux aisés bac », se souvient l’étudiante, qui
aux étudiants » veut étudier. » A côté du système gnole, je sortirai trilingue avec cette mars, soit bien avant les résultats
Campus France estime à 18 000 le juge le système français « trop “old ARNAUD PARIENTY des prépas, le marché des bache­ expérience. » Le jeune homme bai­ d’admission de Parcoursup [en
nombre de bacheliers qui sont school” », notamment les classes enseignant et essayiste lors connaît, il est vrai, une forte gne dans une ambiance interna­ mai]. » Alice Kreziak, elle, est loin
partis directement à l’étranger préparatoires. « J’hésitais en France croissance partout dans le monde. tionale à l’IE : seuls trois étudiants de ces questionnements. L’étu­
après le bac, selon les derniers chif­ entre médecine et ingénierie. Ici, je En adoptant cette dénomination sur dix sont espagnols dans ce pro­ diante de McGill s’envolera au
fres (2014). Une tendance plus ré­ peux combiner les deux. » Opinion internationale, les écoles de com­ gramme, qui coûte… 21 000 euros printemps 2020 pour la Nouvelle­
pandue parmi les lycéens de mi­ qui fait écho à la baisse du nombre merce françaises ont rendu ces l’année. L’école lui a accordé une Zélande, pour un semestre d’étu­
lieux aisés ou de sections interna­ d’étudiants en classes préparatoi­ formations post­bac populaires, et bourse d’études réduisant de 30 % des dans le cadre de son bachelor.
tionales. Au lycée Sainte­Marie de res à la rentrée 2018. Après quinze certains lycéens n’hésitent plus à ces frais de scolarité. Pour la jeune Iséroise, qui a pris
Neuilly (Hauts­de­Seine), un élève ans de hausse, cette diminution regarder ce qui se fait ailleurs. Les grandes écoles françaises, goût au dépaysement, « autant al­
de terminale sur cinq postule dans globale de 1,6 % atteint 5,4 % en fi­ En deuxième année du BBA (ba­ conscientes de ces phénomènes ler le plus loin possible » ! 
au moins une formation à l’étran­ lière économique et commerciale. chelor in business administration) touchant leur public cible, tentent sylvie lecherbonnier
ger et 10 % à 15 % partent, note la di­
rectrice Véronique Philouze. Au ly­
cée Lakanal de Sceaux (Hauts­de­
Seine), les départs à l’étranger juste
Quand les enfants prennent leur envol, les parents ont le blues
après le bac font figure d’excep­
tion, mais Patrick Fournié, le provi­ dans le film « mon bébé », de Lisa Azuelos, le person­ jusqu’au départ de mon bus vers l’aéroport, raconte­t­elle. Mais si les expatriations sont bordées, l’anxiété de­
seur, constate « un plus grand inté­ nage incarné par Sandrine Kiberlain passe plusieurs Mais dès qu’il a démarré et que je n’ai plus vu le visage de meure. « L’identité de parent prend beaucoup de place
rêt des élèves pour les études à mois à accepter l’idée que sa fille, lycéenne en terminale mon fils, je me suis effondrée en larmes. » dans nos vies. On peut avoir tendance à la surinvestir et
l’étranger, surtout pour ceux qui vi­ à Paris, partira l’année suivante à l’université McGill, au Avant le départ, l’angoisse des parents se focalise beau­ donc, quand l’enfant est parti, à se focaliser sur la perte »,
sent des filières économiques et Canada. Après des épisodes de tristesse, d’angoisse et de coup sur les détails pratiques. Certains parents, en parti­ souligne la psychologue Adélaïde Russell, spécialiste de
commerciales où la concurrence nostalgie, elle acceptera ce départ loin du nid. culier ceux qui financent des écoles onéreuses, n’hési­ l’expatriation. L’accompagnement dans l’installation sur
entre formations devient féroce ». Pour les parents, il est difficile de laisser partir son tent pas à solliciter les établissements. « Il faut dédramati­ place « est idéal, car il permet au parent de terminer sa
Selon lui, « les élèves dont les pa­ enfant de 18 ans ou 20 ans à l’autre bout du continent ou ser en expliquant factuellement ce qui se passe », dit Na­ fonction de protection : plus on prépare les choses, moins
rents travaillent ou ont déjà vécu à du monde. Et ce, quand bien même ils s’y attendent, en thalie Abadie, de Kedge Business School. Mais aussi on se met en situation de vulnérabilité ».
l’étranger sont évidemment plus raison de l’internationalisation progressive des par­ poser des limites : les écoles rappellent que l’étudiant, Côté parents, il faut garder un œil sur des débuts par­
enclins à un départ précoce ». cours. « Dans les parcours actuels, il arrive de plus en plus majeur, reste leur « interlocuteur principal », signale Felix fois un peu heurtés pour l’étudiant expatrié. Et l’aider, si
Un phénomène qui en dit long que les étudiants partent tôt et longtemps », souligne Papier, directeur général adjoint de l’Essec. besoin, à traverser les aléas des premières semaines dus à
sur l’attractivité de l’enseigne­ Frédéric Beaumont, directeur du Centre d’études supé­ l’éloignement familial, aux amitiés qui tardent à éclore, à
ment supérieur français, note Ar­ rieures européennes de management (Cesem), une L’anxiété demeure de nouveaux codes culturels… A Dublin, au début, Jessica
naud Parienty, enseignant au lycée école rattachée à Neoma Business School dans laquelle Certains établissements mettent en place un maillage appelait ses parents pour leur faire part de ses difficultés.
Pasteur de Neuilly, et essayiste. les étudiants passent deux années hors de France. pour que ces départs se fassent dans la sérénité, à l’ins­ Sa mère la rassurait, même s’il lui arrivait de « craquer »,
« L’enseignement supérieur anglo­ Micheline se souvient d’un 14­Juillet qui n’avait pas un tar de l’Essec, qui dispose de correspondants pour assu­ après des appels où sa fille lui semblait « un peu défaite ».
saxon attire par la liberté qu’il goût de fête. Sa fille Jessica, jeune bachelière admise au rer un relais sur place au jeune. Quelques semaines Si le jeune rencontre des obstacles, mieux vaut, estime
donne aux étudiants. L’enseigne­ Cesem, venait de lui apprendre qu’elle partait pour deux après leur départ, Frédéric Beaumont fait la « tournée Adélaïde Russell, ne pas débouler dans la minute : cela re­
ment français est jugé plus rigide et ans à Dublin. « Nous étions tous sur la plage. Je suis restée des popotes », visitant les universités partenaires de viendrait à lui envoyer le message qu’il est incapable de
plus contraignant, notamment les assise sur le sable, et j’ai pleuré », se souvient Micheline. Neoma et prenant ainsi le pouls de ses étudiants. Kedge gérer sa vie. Les psychologues ou coachs sont nombreux
prépas, dit­il. La sélection à l’anglo­ Pour Camille, le coup de mou survint au moment de a même mis en place un dispositif « Safety » avec une à proposer des consultations par Skype. Un séjour en
saxonne laisse ainsi davantage la laisser son fils Théodore à Montréal pour dix mois dans ligne téléphonique ouverte 24 heures sur 24 en cas de France peut aussi permettre une respiration. 
place aux centres d’intérêt, là où la le cadre de son cursus à Sciences Po. « Je suis restée digne « catastrophe climatique, politique, d’accident ». joséphine lebard

Un voyage à travers le temps et les grandes


& CIVILISA TIONS

N° 50
MAI 2019

S
& CI VI LI SA TI ON
LA RENAISSANCE
civilisations à l’origine de notre monde
FRANÇAISE
COMMENT TOUT
A COMMENCÉ
Dans chaque numéro, vous retrouverez
■ les signatures d’historiens et d’un comité scientifique renommés
■ six dossiers riches en infographie et en iconographie
■ un regard sur toutes les civilisations qui ont marqué notre humanité

MATA HARI ANGLETE


E
RRE
LA GRAND
SASSANID ES
ÉCLAT
L’ULTIME
DE LA PERSE
CHAQUE MOIS CHEZ VOTRE MARCHAND DE JOURNAUX
L’ESPIONNE CONQUÊTE DE
A-T-ELLE TRAHI ANTIQUE
GUILLAUME
LA FRANCE ?
0123
JEUDI 2 MAI 2019 horizons | 19

l’île­à­vache (haïti) ­ envoyée spéciale

I
l faut imaginer l’hélicoptère se posant
dans les broussailles et Sweet Micky,
chanteur haïtien populaire, qui en
descend. Le sentier s’enfonce sous les
manguiers, puis, sans prévenir, débou­
che sur une anse de sable lisse. Mer
éblouissante, vert acidulé des palmiers, pas un
humain dans le paysage, sauf une silhouette
ou deux. C’est l’Ile­à­Vache, pure et candide, à
10 kilomètres de la côte sud d’Haïti. Vous réali­
sez où vous êtes ? Vingt plages, 45 km2, deux
fois la taille de Saint­Barthélemy, mais « vierge,
non exploitée, une des dernières îles au trésor
des Caraïbes », s’émerveilleront bientôt les pla­
quettes du ministère du tourisme haïtien. Pré­
cisons que Sweet Micky n’est pas seulement
chanteur. De son vrai nom Michel Martelly, il
vient de remporter l’élection présidentielle à
Haïti. On est en mai 2011, le tremblement de
terre et ses 200 000 morts remontent à l’an­
née précédente.
Devise du nouveau quinquennat : « Haïti is
open for business ». Mais appâter des investis­
seurs n’est pas une mince affaire dans le pays
le plus pauvre de la zone, régulièrement
ravagé par divers cataclysmes, naturels ou
politiques. Il faudrait faire rêver, un projet à la
fois juteux et glamour : l’Ile­à­Vache, par
exemple. D’autant que sa situation géographi­
que la préserve « des tumultes du continent, un
havre de paix », jurent les communicants. La
fable paraît connue d’avance : une petite île
trop belle dévorée par les requins du tourisme.
Erreur. Huit ans plus tard, le nombre de voya­
geurs – pourtant modeste – s’est effondré. Et la Monsite Larraque, 68 ans, dont la maison, sur l’Ile­à­Vache, a été démolie pour faire place à une route. GEORGE HARRY ROUZIER POUR « LE MONDE »
discrète Ile­à­Vache est devenue un symbole
de l’Etat corrompu dans les manifestations

L’impossibilité
qui soulèvent le pays depuis huit mois.
Sur l’île, les travaux commencent pourtant
par une inauguration grandiose, en août 2013.
Même le tronc des palmiers a été peint en
rose, la couleur du parti de Sweet Micky. On
promet un aéroport international, un golf de
18 trous, 1 500 chambres, deux ports, un

d’une île
centre de plongée. Bref, 250 millions de
dollars d’investissements. Discours de Lau­
rent Lamothe, premier ministre d’alors : « Ce
paradis peut changer l’image du pays et deve­ L’ensemble du projet avait commencé à bat­
nir un motif de fierté. » tre de l’aile dès 2014, après le départ du pre­
mier ministre, Laurent Lamothe, face à des
EXPROPRIATIONS ET LITIGES FONCIERS mouvements sociaux, déjà. La fin du mandat
Mascari Mesira, 72 ans, se souvient de « la de Sweet Micky, en 2016, en a sonné l’arrêt. Les
fougue » qui avait accueilli le projet. Jus­ fonds publics pour l’Ile­à­Vache provenaient
que­là, ni ministre ni président n’avaient dai­ L’Ile­à­Vache, à 10 kilomètres au sud d’Haïti, devait en bonne partie de PetroCaribe, un crédit très
gné poser un pied sur l’île. Il est temps, en avantageux consenti par le Venezuela à Haïti,
effet, de retourner la carte postale : le paradis devenir une vitrine touristique, selon Port­au­Prince. entre 2006 et 2016 : des enquêtes sont en
ressemble surtout à une île délaissée depuis cours pour évaluer l’ampleur des détourne­
toujours. Dans le reste du pays, on s’en Mais le projet pharaonique, mené contre l’avis des ments par les dirigeants successifs.
moque volontiers, la décrivant peuplée « de Sur l’île, quand une nouvelle équipe muni­
troupeaux d’hommes, de bétail et de mousti­ habitants, a capoté à cause de l’ incurie des autorités cipale a été élue, les dossiers avaient disparu
ques ». Ce n’est pas la misère qui frappe, mais et tout était dévasté dans la mairie, un préfa­
l’isolement et le dénuement. Pour tirer une briqué offert par une ONG. Quant à l’eau et à
eau douteuse de puits ou de trous, on marche l’électricité, rien. En fait, les pouvoirs publics
longtemps avec des bidons. La typhoïde et comptaient sur « les partenaires internatio­
autres maux font des ravages. Transportés à sans sa plantation, « comme si j’étais morte ». emprisonné neuf mois, puis contraint à l’exil. naux » pour « la prise en charge financière de
dos d’homme, les malades meurent parfois D’autres ont sollicité du travail. « Ils m’ont Des membres de Kopi sont arrêtés et battus. ces services étatiques », précisait un docu­
avant d’arriver au centre de santé. Il n’en proposé d’abattre les arbres des voisins », se « Les figures du mouvement allaient être ment gouvernemental. Le Bureau des droits
existe que 2 pour 20 000 « chrétiens vi­ souvient l’un. sacrifiées, c’est sûr, explique aujourd’hui un humains en Haïti a commencé à recueillir
vants ». Pas de réseau électrique, pas L’implantation touristique devait se jeune gars bien bâti, ex­dirigeant de Kopi. Ma des plaintes pour expropriations sauvages et
d’assainissement. « Ici, il y a deux catégories concentrer sur la côte ouest. Au hameau de famille a eu peur. » Il est de ceux qui ont atteintes aux droits fondamentaux. Pas un
d’hommes : ceux qui pêchent et ceux qui culti­ Grand­Sable, « on a vu un plan avec un gros accepté de « changer d’avis » contre un poste habitant n’avait osé le faire jusque­là.
vent », dit un agent de la mairie. Tous tra­ point dessiné sur nous, dit un pêcheur. On a de directeur dans un futur « centre public ». Un homme d’affaires s’est toutefois accro­
vaillent à la main, gestes figés dans le passé. compris qu’on était ciblés. » Une clinique Sa femme cache un rire moqueur derrière sa ché davantage que les autres : Sweet Micky
Les habitants s’étaient sentis flattés du brus­ esthétique, une marina ou un centre com­ main en éventail. Le centre n’a jamais ouvert. lui­même. Trois hôtels discrets, plutôt
que engouement des politiques. Ils les aper­ mercial allaient être édifiés à la place des Pour en amadouer d’autres, on a fait miroiter luxueux, offraient en effet une centaine de
çoivent désormais le week­end, chevauchant chaumières aux couleurs pastel, coquette­ un visa pour l’Amérique ou bien un vélomo­ chambres sur l’île, avant le projet. Chacun
des Jet­Skis ou des 4 × 4, convoyés tout exprès. ment semées sur la clairière, des barques à teur. Mais, en général, la situation a radicalisé avait payé la terre aux exploitants, monté sa
La divine baie d’Abaka, sur la côte sud­ouest, voile et de la véranda derrière les hibiscus, où de plus en plus de gens. « L’Etat se comporte logistique, offert des équipements publics,
entre dans le Top 100 des « plus belles plages on se masse, les jours de match, devant l’uni­ comme les colons, dit Justin Pierre Adrien, école ou centre de santé. Sweet Micky avait
du monde » de CNN, et Petra Nemcova, top­ que téléviseur, branché sur batterie solaire éleveur. Si nous devons mourir pour notre jeté son dévolu sur l’hôtel Abaka Bay, sur la
modèle tchèque et compagne de Laurent portable. Le nom même s’effacerait : Grand­ terre, nous mourrons. » plage repérée par CNN. Il a voulu en expulser
Lamothe, bondit dans les vagues pour les Sable deviendrait le « village de Mary­Ann ». un propriétaire, Robert Dietrich, un Améri­
magazines. « Un cadeau du ciel pour les misé­ Pudiquement, le ministère du tourisme « ON EST D’ACCORD  « ILS M’ONT ZOMBIFIÉ » cain de Detroit. M. Dietrich a quitté Haïti
reux habitants », s’émeut un reportage. évoque une « délocalisation des habitants ». POUR LE  Il faut continuer la route – une piste, après avoir adressé une lettre ouverte à Sweet
Des entreprises débarquent avec leurs équi­ Lesquels ? Pour aller où ? Seraient­ils parqués devrait­on dire – pour arriver à l’autre bout Micky : « Ce n’est pas ainsi que vous attirerez
pes, leurs générateurs, leurs cuisiniers et leurs ailleurs ? Ou chassés ? Les peurs enflent encore DÉVELOPPEMENT,  de l’île, sur la pointe est, à Balai­Rase, lieu du des investisseurs privés. (…) Vous dites que le
mitraillettes. « Une vraie armée », reprend quand un décret vient classer l’île entière fameux aéroport international. Il devait être développement est une chance pour la popu­
l’agriculteur Mascari Mesira. « Ils répétaient : « zone réservée et touristique ». Autrement MAIS NOUS  la clé de voûte du projet, à laquelle les inves­ lation. En fait, vous travaillez à vous enrichir. »
“Soyez relax, le développement est bon pour dit, les habitants n’ont plus aucun droit sur tisseurs privés (américains et canadiens sur­ La clientèle s’est effondrée, les trois hôtels
vous, vous êtes comme des bêtes sauvages.” » cette terre, transmise au fil des générations. A
VOULONS ÊTRE  tout) avaient conditionné leur venue. sont aujourd’hui en vente. « Nous avons
Les habitants auraient l’eau, la lumière, la Haïti, pays sans réel cadastre, la propriété fon­ ASSOCIÉS ET  Aujourd’hui, il se révèle le spot le plus célèbre gagné des batailles, mais nous avons perdu la
santé. Promis. M. Mesira revoit surtout les cière fait litige depuis la révolution de 1804. de l’île, détrônant lagon, palmiers et top­ paix », dit un pêcheur.
engins arrivant sans prévenir sur sa planta­ C’est la loi du plus fort qui a surtout fini par TRAITÉS COMME  modèle tchèque. On s’y relaie régulièrement La visite serait terminée si Georges Lamar­
tion, le 12 octobre 2013 au matin. « Il faut faire s’imposer, de putsch en dictature. « Un minis­ – journalistes, enquêteurs publics ou ONG, tine ne surgissait soudain de la carcasse de
un lac pour les touristes », lui explique­t­on. Au tre peut tout, même couper les têtes. Ça s’est vu, DES HOMMES » sénateurs – pour y étudier ce cas d’école : un l’aéroport. Les entrepreneurs avaient choisi
premier arbre arraché, il a l’impression qu’on dit une marchande de boissons. Contre eux, JÉRÔME GENEST gâchis chimiquement pur. ses terres pour le chantier. « Pourquoi les mien­
lui coupe un membre. Il est comme fou, se que peuvent les malheureux ? » porte-parole Sur une bande de terre pelée vaquent un nes ? », avait demandé M. Lamartine, 60 ans.
couche devant le tracteur. Cela n’empêche pas Il se trouve qu’un natif de l’île, Jean Antunes de l’association Kopi âne et quelques chèvres. C’est le tarmac. Leur réponse le gonfle encore d’orgueil :
l’abattage de ses 28 cocotiers, de ses papayers Lamy, est devenu policier à Port­au­Prince. Il Autour, s’effondrent les restes d’un commis­ « Parce que ce sont les meilleures. » Après le
et de ses pieds d’oranges douces. enquête, s’indigne, informe. Autour de lui se sariat et des bâtiments où vivaient les départ des derniers ouvriers, il a été nommé
Le gros ouvrage sera la route, traversant l’île crée une association locale, Kopi, qui réclame ouvriers dominicains. Coût : 13 millions de gardien. Il s’est installé dans les ruines et les
d’ouest en est, là où n’existaient que des sen­ l’abolition du décret. « On est d’accord pour le dollars, détaille un rapport publié par la Cour attend. Ils reviendront, n’est­ce pas ? Et il sera
tiers escarpés. Aujourd’hui, la même histoire développement, mais nous voulons être asso­ des comptes haïtienne sous la pression des payé ? Parfois, M. Lamartine se demande s’il a
se raconte au long des 15 kilomètres du tracé. ciés et traités comme des hommes », dit manifestations à travers le pays. Sans appel rêvé. « Peut­être qu’ils m’ont zombifié. » Le pro­
« On entendait un moteur, vroum, vroum, le Jérôme Genest, instituteur, aujourd’hui por­ d’offres, un contrat de 19,5 millions de dollars jet devait­il vraiment exister ou tout n’était
temps de se retourner, nos arbres ou nos mai­ te­parole de Kopi. Des manifestations pacifi­ avait été signé avec Estralla, compagnie qu’illusion ? En 2018, le nouveau président de
sons étaient par terre », dit une paysanne. ques sont organisées en 2014. « On a fait dominicaine, pour construire un aéroport la République, Jovenel Moïse, est venu sur l’île
Aucun dédommagement. Sans malice, elle comme à la télé, des pneus enflammés et des dans un délai de deux ans. Le chantier a été à son tour. Des engins sont arrivés, d’autres
porte un tee­shirt siglé « Je suis là pour vous barricades », raconte un autre. Une centaine abandonné au bout de dix­sept mois, sans plantations ont été coupées. Et puis, une fois
emmerder » que son bébé s’ingénie à soule­ de policiers lourdement armés sont envoyés motif, toujours selon la Cour des comptes. Es­ encore, tout s’est arrêté. 
ver. Elle ne sait plus que faire de ses journées sur l’île. M. Antunes Lamy, le leader, est trella renvoie la faute sur l’Etat haïtien. florence aubenas
CULTURE
0123
20 | JEUDI 2 MAI 2019

 CHEF­D'ŒUVRE           À  NE  PAS  MANQUER           À  VOIR           POURQUOI  PAS           ON  PEUT  ÉVITER

Julianne Moore, dans « Gloria Bell ». MARS FILMS

Julianne Moore, méthode et goût du risque
L’actrice, à l’affiche de « Gloria Bell », occupe une place excentrée dans le star­système américain

RENCONTRE parisien, où elle s’arrête une jour­


née, le temps de parler de Gloria
« Pour chaque ria Bell et se tournait dans les rues
de Los Angeles. « C’est un peu fou,
metteur en scène de théâtre new­
yorkais Andre Gregory, un travail
venue une actrice de premier
plan. Une comédienne qui attirait

Q
uand Julianne Moore Bell, le film qu’elle a tourné sous la personnage, s’émerveille Julianne Moore, les dont Vanya, 42e Rue, de Louis aussi bien la fine fleur du cinéma
apparaît à l’écran, elle direction du cinéaste chilien Se­ choses se défont si facilement, il est Malle (1994), garde la trace. indépendant, Todd Haynes, Paul
impose l’illusion de bastian Lelio, elle n’impose rien
il s’agit toujours toujours improbable d’y arriver. » « On se disputait avec Andre, se Thomas Anderson, les frères
la perfection, ne se­ de plus qu’une disponibilité et de travailler A ce personnage d’employée des souvient­elle. Il était très exigeant, Coen, que Steven Spielberg ou Ri­
rait­ce qu’un instant. une acuité rares chez un acteur assurances que personne ne re­ et j’ai traversé ce moment, on s’est dley Scott.
Cela tient à sa physionomie, bien (elle dit actor et non actress,
les petits détails marquerait, elle a appliqué la retrouvés. Ça m’a appris à persévé­ Cette expérience, presque sans
sûr : l’un des premiers portraits quand elle parle de sa profession) de l’expression » même méthode qu’au monstre de rer, à ne pas tout juger en fonction égale chez ses contemporaines,
qui lui ont été consacrés, dans le qui se prête depuis si longtemps à Maps to the Stars, qu’à la prési­ du résultat : très souvent, les gens n’a pas sculpté un bloc de certitu­
JULIANNE MOORE
New York Times, en 1992, évoquait l’exercice de l’interview. dente mégalomane d’Hunger Ga­ abordent un texte en ayant une des. Alors qu’elle vient d’analyser
« un croisement entre un Botticelli Le reste, l’humour, la force d’at­ mes, de Francis Lawrence : « Je cher­ idée précise de ce qu’ils veulent en avec précision son travail, de rap­
et un gamin des rues » ; un quart traction… ne sont que des éviden­ che toujours quelque chose qui fait obtenir. Et les metteurs en scène les peler quelques­uns des sommets
de siècle plus tard, la gaminerie ces qu’elle tient en réserve et ne allée le voir parce que c’est mon que les gens lèvent la tête et se di­ dirigent en fonction de ça. Avec An­ de sa filmographie, Julianne
s’est estompée, la Renaissance ita­ laisse apparaître que par éclairs, métier de voir des films », explique sent : “Ah oui, c’est moi, ça aussi”. dre, j’ai appris qu’on ne sait pas ce Moore décrit un moment récur­
lienne est toujours là. parce que, après tout, on ne peut Julianne Moore avant d’ajouter Pour chaque personnage, il s’agit que donnera le travail, il faut le rent dans sa carrière : « Quand je
Mais si l’on reconnaît cette per­ pas être Julianne Moore, l’étoile qu’elle a été « incroyablement toujours de travailler les petits dé­ faire, et ce n’est qu’après qu’on sait travaille, aux trois quarts du tour­
fection, dans les fauteuils de la du cinéma indépendant améri­ émue ». De passage à Paris, elle a tails de l’expression, la manière de de quoi il retourne. » nage, je rentre à la maison, ou
salle de cinéma, parmi les specta­ cain, vingt­quatre heures sur demandé à rencontrer Sebastian communiquer avec les autres, ses j’appelle mon mari [le metteur en
teurs, ou, à l’écran, dans les rangs vingt­quatre. Elle est parvenue à Lelio, qui est venu de Berlin où il bizarreries, sa taille par rapport à Rôles périlleux scène Bart Freundlich], et je lui
des autres personnages, cela tient la place éminente, mais légère­ résidait alors. « Nous avons eu une ceux qui partagent sa vie. » Cet apprentissage a transformé la dis : “Je ne sais pas ce que je suis en
aussi à l’autorité qui émane de ment excentrée qu’elle occupe longue conversation, très sympa­ Elle s’est soumise à la méthode diplômée de l’école d’art dramati­ train de faire, et je ne me rappelle
l’actrice au travail. Cette primauté dans le star­ système, en dosant thique, se souvient­elle. A la fin, il Lelio, qui exige un grand nombre que de Boston, abonnée aux scè­ plus ce que j’ai fait. Je n’ai pas fait
sera probablement abîmée ou dé­ raison et sentiment, méthode et m’a dit : “Si je comprends bien, vous de prises pour chaque plan, « con­ nes régionales et aux soap operas assez attention. Si j’avais fait plus
truite au cours de la projection, goût du risque. n’avez pas envie d’un remake ?” Je trairement à David Cronenberg en comédienne aguerrie, capable attention au début, j’aurais fait
que le personnage révèle des vices lui ai répondu que si, mais à condi­ qui n’en fait qu’une ou deux », de ne pas trembler quand Robert des choix différents. Et mainte­
abominables, comme la star de « Incroyablement émue » tion qu’il le réalise. Lui ne voulait le parce que Julianne Moore Altman et Todd Haynes lui propo­ nant, le film est presque fini, et
Maps to the Stars, de David Cro­ Elle a vu Gloria en 2013. A la Berli­ faire que si je jouais Gloria. » s’adapte toujours à la manière de sent, presque simultanément, c’est trop tard.” Il m’a fait remar­
nenberg (2014), ou que, profes­ nale, le film de Sebastian Lelio ve­ Mais le Chilien était sur le point travailler de son metteur en des rôles périlleux dans Short quer que je disais ça à chaque fois.
seur d’université au sommet de sa nait de valoir un prix d’interpréta­ de réaliser Une femme fantasti­ scène. C’est l’une des leçons Cuts (1993) et dans Safe (1995). Quelque part, j’ai l’impression de
carrière, elle soit victime de la ma­ tion à l’actrice chilienne Paulina que, à Santiago, et devait tourner qu’elle a tirées d’une expérience L’adolescente réservée, qui ne me réveiller à la fin du film, et je
ladie d’Alzheimer (Still Alice, qui Garcia, qui incarnait une quin­ Désobéissance, à Londres, avec déterminante, qui a décidé en s’était inscrite aux clubs de théâ­ me dis qu’il faut que j’arrête de bri­
lui a valu un Oscar en 2015), il en quagénaire naviguant entre les Rachel Weisz et Rachel McAdams. grande partie de son parcours : les tre des lycées qu’elle fréquentait, coler. » Un instant, les fêlures des
restera toujours quelque chose. contraintes d’une vie de mère et Cinq ans plus tard, Gloria, réécrit cinq ans passés à jouer, dans le ca­ au gré des affectations de son personnages se laissent deviner
Quand Julianne Moore apparaît d’ex­épouse, les attentes des hom­ en anglais pour des acteurs amé­ dre d’un atelier, Oncle Vania, de père militaire, que parce qu’elle chez l’actrice. 
dans un salon d’un grand hôtel mes et ses propres désirs. « Je suis ricains par l’auteur, devenait Glo­ Tchekhov, sous la direction du était mauvaise en sport, était de­ thomas sotinel

Le retour de Gloria, ni tout à fait la même ni tout à fait une autre


Julianne Moore est fantastique dans le rôle qu’avait tenu Paulina Garcia dans le précédent film de Sebastian Lelio

riste et le metteur en scène sont mond ?), servie par une mise en danse très bien, aussi, dans les tits travers ou penchants inatten­ nenberg) pour ne pas canoniser
GLORIA BELL restés le même d’une version scène discrète et sensible. clubs un peu ringards où elle on­ dus. Barbara Sukowa (Fassbinder) Gloria Bell. Parfois égocentrique,
 l’autre, Sebastian Lelio. Divorcée depuis longtemps, dule sur les tubes des années 1980. fait une collègue vulnérable, Brad souvent naïve, elle fait une victime
Ne pas aller voir Gloria Bell parce mère d’un fils (Michael Cera) dont C’est là qu’elle rencontre Arnold Garrett (Tout le monde aime Ray­ idéale face à la boulimie d’amour

A u commencement était
Gloria Cumplido, quin­
quagénaire chilienne,
personnage central de Gloria, qua­
trième long­métrage de Sebastian
qu’on a vu le film de 2013 est une
aussi mauvaise raison de s’abste­
nir que d’invoquer le fait qu’on a
déjà vu un film avec Julianne
Moore. Car la réaction chimique
le mariage se défait déjà, d’une fille
(Caren Pistorius) qui s’apprête à
s’envoler très loin, Gloria Bell ex­
celle en tout, mais personne ne
s’en aperçoit, parce que chacune
(John Turturro), qu’elle succombe
à son charme fait de tristesse et
d’hésitation. Arnold a été obèse,
s’en est sorti grâce à la chirurgie, ce
qui l’oblige à porter une ceinture
mond), un ex­mari plein d’une
bonne volonté aussi inépuisable
que son aveuglement.
Gloria Bell traite chacun de ces
êtres avec la même considération
et d’attentions de son nouvel
amant. C’est un MacGuffin d’un
genre nouveau : la préservation de
l’autonomie d’une femme face au
désir masculin, fût­il animé des
Lelio, qui valut l’Ours d’argent de la que produit la rencontre entre ce de ses réussites se dissimule der­ de contention. Ce détail biographi­ sans qu’il soit possible de détermi­ meilleures pulsions. Un sujet d’in­
meilleure actrice à son interprète, matériau et cette actrice fait naî­ rière la banalité du quotidien. que prend une réalité inattendue ner si c’est le personnage qui quiétude un peu théorique, s’il ne
Paulina Garcia, à la Berlinale 2013. tre un film inédit. Plus rêveur, lorsque les préliminaires de la pre­ l’exige ou l’un des rouages essen­ reposait pas sur les épaules d’une
Six ans plus tard, voici Gloria Bell, plus poétique que le précédent, il Petits travers inattendus mière nuit sont déchirés par le tiels de la méthode Julianne actrice fantastique. 
employée dans un cabinet d’assu­ permet à son interprète princi­ C’est une excellente mère, à peine bruit d’un Velcro que l’on arrache. Moore, qui veut que l’actrice soit t. s.
rances à Los Angeles, qu’incarne pale de déployer son talent, for­ envahissante, toujours à l’écoute, Plutôt que d’ancrer ses person­ d’abord le médium de ce qui l’en­
Julianne Moore. Si vous avez déjà midablement soutenue par une une amie fidèle, une employée nages dans la réalité d’un milieu toure, personnes ou situations. La Film américain et chilien de
vu Gloria, vous saurez, avant d’en­ distribution étonnante d’éclec­ modèle qui se décarcasse pour les (comme il l’a fait dans ses films comédienne a joué suffisamment Sebastian Lelio. Avec Julianne
trer dans la salle, ce qui attend Glo­ tisme (où verra­t­on réunis une assurés, une collègue capable de chiliens, Gloria ou Une femme fan­ de personnages gravement en­ Moore, John Turturro, Michael
ria Bell. Rarement remake aura été actrice de Fassbinder et un acteur prendre des risques pour défendre tastique), Sebastian Lelio préfère dommagés (entre autres dans Cera, Brad Garrett, Barbara
aussi proche de l’original, le scéna­ de Tout le monde aime Ray­ la victime d’une injustice. Elle leur prêter des idiosyncrasies, pe­ Maps to the Stars, de David Cro­ Sukowa (1 h 41).
0123
JEUDI 2 MAI 2019 culture | 21

Face à la crise, une femme au foyer émancipée


Le Grec Nikos Labôt met en scène une mère qui réussit, grâce à un petit boulot, à s’extraire du carcan familial

 HER JOB Porté par


 une actrice

U
ne femme photogra­
phiée en contre­plon­
bouleversante,
gée, le dos courbé, « Her Job » fait
passe l’aspirateur. Au­
dessous s’inscrit en grosses let­
entendre une
tres jaunes, sur fond rouge, le ti­ voix, simple et
tre du film « Her Job » (« son tra­
vail »). L’affiche du premier long­
quasi silencieuse
métrage de Nikos Labôt ne
trompe pas. Elle résume l’enjeu
du film. Et révèle la façon directe, sait à obtenir plus de spontanéité
claire et abrupte que le réalisa­ de la part des comédiens. Elle a
teur a choisie pour traiter son su­ aidé au réalisme du film. Lequel a
jet, à travers le portrait d’une hé­ Marisha d’abord pour vertu de créer l’illu­
roïne, Panayiota (Marisha Trian­ Triantafyllidou sion de la simplicité, pour révéler
tafyllidou), dont le beau visage joue toutes les ambiguïtés et la souf­
occupe entièrement le cadre, dès Panayiota. france qu’elle dissimule.
le plan d’ouverture. Et dont l’his­ PANAGIOTIS ZEPPOS Victime d’une société en crise
toire singulière accapare égale­ où les entreprises sous­paient et
ment tout le film. licencient sans explication ses
Porté par une actrice boulever­ employés, Panayiota n’apparaît
sante, Her Job fait entendre une pas moins comme un person­
voix, simple et quasi silencieuse. nage animé d’un esprit de résis­
Semblable à beaucoup d’autres et tance. Ce trait de caractère tient
soudain rendue unique par ce en respect l’émotion que suscite
timbre d’une profonde humanité le film et suffit à la dimension po­
qu’a su lui apporter le réalisateur. litique qu’il revêt.
A Athènes, dans l’appartement Le scénario coécrit par Nikos La­
qu’elle partage avec son mari, bôt et Katerina Kleitsioti s’inscrit
Kostas (Dimitris Imellos), et ses dans la même veine, épuré de
deux enfants, le quotidien de Pa­ phrases inutiles, astreint à une
nayiota, 37 ans, est réglé au l’espace confiné du foyer en fond cial voisin, elle surprend. Hésitant pause accordée aux amitiés nais­ nous est rapporté par les petits rectitude qui conduit droit, et
rythme des activités ménagères. sonore, par la radio et la télévision à peine dans la décision qui sem­ santes). Dans ce lieu plus vaste détails d’une existence dont le avec pudeur, à l’empathie. En s’at­
Lessive, ménage, courses, prépa­ qui diffusent les informations sur blait lui être interdite, elle part se que son appartement, mais tout glissement s’accomplit douce­ tachant aux pas de cette héroïne
ration des repas, accompagne­ la crise économique grecque. présenter au bureau de recrute­ aussi aliénant, Panayiota trouve ment. La caméra, proche des co­ qu’il met en lumière, et qui lui a
ment à l’école et devoirs des en­ Chaque flash alimente le fiel du ment et y décroche un poste de sa sortie de secours. Un espace de médiens, donne à voir les émo­ été inspirée d’une histoire vraie,
fants… lui incombent. Autant que mari et l’immobilise toujours un femme de ménage. liberté où elle apprend, à la ma­ tions sur les visages et les muta­ Nikos Labôt donne une identité
lui revient le droit de se taire, peu plus sur sa chaise. Tandis que L’emploi la soumet, ailleurs que nière dont on monte des mar­ tions qui s’exercent sur le corps aux femmes invisibles, les sous­
quand s’expriment contre elles Panayiota se meut avec une éner­ chez elle, à l’autorité, à la subordi­ ches, l’usage de la carte bancaire, de son héroïne, à mesure qu’elle trayant ainsi, le temps d’un film, à
les plaintes et les aigreurs cinglan­ gie que contredisent son regard nation et aux tâches harassantes. la conduite d’une voiture, la ca­ s’émancipe. la manière d’un Ken Loach, à la
tes d’un mari au chômage, les re­ éteint et son visage sans âge. Mais Il la conduit, on ne s’y attend pas, maraderie, l’estime de soi. Pour atteindre ce résultat, Nikos disparition. 
proches d’une fille aînée que cha­ que l’objectif de la caméra signale à gagner une autonomie dont les Labôt a travaillé près de deux ans véronique cauhapé
que caprice insatisfait conduit à la comme un indice sur le bascule­ effets apparaissent en touches Un esprit de résistance avec l’actrice Marisha Triantafylli­
crise de nerfs. L’argent manque, ment qui va s’opérer. Quand, en subtiles, à peine perceptibles (un Ce long et complexe processus de dou. De même qu’il a laissé la Film grec, français, serbe de Nikos
l’amour vit sa peine, le monde ex­ effet, revient aux oreilles de la sourire esquissé au moment de la libération d’une femme, au sein place à des moments d’improvi­ Labôt. Avec Marisha
térieur demeure inabordable. Ce jeune femme que s’ouvrent des première paie, un désir énoncé d’un univers asservissant, sation durant les répétitions et Triantafyllidou, Dimitris Imellos,
dernier pénètre cependant dans embauches au centre commer­ avec fermeté face au mari, une auquel demeure attentif le film, sur le tournage. La démarche vi­ Konstantinos Gogoulos (1 h 30).

Les paradoxes de l’adolescence et ses jeux troubles avec la vérité


Le Roumain Radu Muntean dresse le portrait d’une jeune fille dont la grossesse bouscule les relations avec sa mère adoptive

Alice, adolescente à la chevelure prêter le flanc au déballage hy­ d’ailleurs, avec l’omniprésence un jour uniformément gris et op­
ALICE T. ondulante teintée d’un rouge
Le rapport pernaturaliste d’un certain ci­ des téléphones portables et des pressant. Si Alice ment, elle crée
 éclatant, sèche les cours et vaque mère-fille néma d’auteur roumain, mais ne réseaux sociaux, qui alimentent aussi, à travers son mensonge,
à de secrètes occupations. Bog­ cesse, à chaque scène, de gagner une relation tronquée au réel. l’espace d’une possible relation
est ici saisi
D es films sur l’adoles­
cence, il en sort beau­
coup, qui prennent, la
plupart du temps, la forme conve­
nue de récits initiatiques. Plus ra­
dana (Mihaela Sirbu), sa mère
adoptive et divorcée, surprend
sur son téléphone portable un cu­
rieux message laissant soupçon­
ner une grossesse. Alice ne dé­
dans toute sa
complexité, car
pétri de forces
en trouble et en ambiguïté, en
faisant son lit des discordances et
paradoxes de son héroïne.
Car le portrait d’Alice ne gagne
en intérêt que dans la mesure où
Bucarest en lumière
Radu Muntean privilégie la conti­
nuité, la sensation du présent.
Ainsi les plus belles scènes du
avec les autres, passant ainsi
outre à l’éparpillement de sa fa­
mille et à la filiation problémati­
que liée à son adoption.
On peut toutefois regretter que
res sont ceux, comme Alice T., ment pas et va même jusqu’à pré­ le personnage ne cesse de nous film sont­elles celles qui plon­ le film cède à un dénouement mo­
sixième long­métrage du cinéaste tendre, par pirouette ou provoca­
contradictoires échapper, se dérobe en même gent dans l’instant : telle réunion ral, discutable, qui consiste à con­
roumain Radu Muntean (Boogie tion, désirer garder l’enfant. temps qu’il se dévoile, conser­ de famille, où les femmes réunies fondre son héroïne par un retour
en 2008, L’Etage du dessous Contre toute attente, Bogdana vant tout ou partie de son mys­ sur trois générations évoquent de culpabilité inattendu. Radu
en 2015), écrit avec ses fidèles cos­ accède à sa volonté, d’autant plus les problèmes liés à son âge (mais tère. La mise en scène avance par sans fausse pudeur des questions Muntean n’en aura pas moins in­
cénaristes Razvan Radulescu et favorablement qu’elle­même n’a aussi à son sexe), notamment blocs de longues scènes filées, qui de sexualité ; telle soirée d’été au venté, en symbiose avec son ac­
Alexandru Baciu, qui considèrent jamais pu être enceinte. Ce qu’elle cette jonction infiniment délicate retracent le parcours d’Alice sur bord de la mer Noire, où le temps trice, remarquable, un person­
l’adolescence non comme une ne sait pas, c’est qu’Alice s’est pro­ à construire entre sexualité et fa­ quelques mois (jusqu’au retour passé ensemble suit les progrès nage passionnant, aussi irritant
épreuve de vérité, mais comme curé des pilules abortives. Réelle mille. Rapport mère­fille saisi ici des vacances d’été). du crépuscule. qu’attachant, qui finit par s’inven­
l’âge du mensonge et de l’affabula­ ou fantasmée, sa grossesse ouvre dans toute sa complexité car pétri Leur progression elliptique, Pas à pas, Muntean nous fait ter une vie propre grâce aux fic­
tion, évasif par excellence. néanmoins à l’adolescente les de forces contradictoires : identifi­ comme en pointillé, génère une partager la désorientation de son tions sur lesquelles il repose. 
Son héroïne, Alice Tarpan, dont portes d’une relation renouvelée cation et rejet, connivence et pro­ temporalité incertaine et juxta­ héroïne, sans surdramatiser ses mathieu macheret
l’interprète débutante Andra Guti avec sa mère, qui la considère vocation, prévention et cruauté, pose plusieurs visages d’Alice, errements ni pour autant noircir
a remporté le Prix d’interpréta­ d’un autre œil, passe du temps tendu vers un rêve de fusion im­ plusieurs dimensions de son ses relations avec son entourage.
tion féminine au Festival de Lo­ avec elle, l’exempte de lycée et de­ possible et pourtant miné par une existence (famille, amis, amou­ On notera à ce titre l’attention Film roumain, français et
carno en août 2018, est une ly­ vient sa plus proche confidente. différenciation inévitable. reux) qui entrent parfois en con­ que le cinéaste porte aux lumino­ suédois de Radu Muntean,
céenne hâbleuse, fanfaronne, qui C’est ainsi, par le filtre du rapport S’ouvrant sur une scène de rè­ tradiction. Se creuse ainsi un hia­ sités et aux couleurs de Bucarest, Avec Andra Guti, Mihaela
se définit par son rapport flottant à la mère, que se dessine le portrait glement de comptes entre l’une tus entre les mots et les actes capitale que les cinéastes rou­ Sirbu, Cristina Hambasanu,
et plus qu’incertain à la réalité. de l’adolescente et que se profilent et l’autre, le film semble d’abord d’Alice, non sans rapport, mains montrent d’ordinaire sous Ela Lonescu (1 h 45).

ALD OUS HARDING


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LE 25 MAI À LA MAROQUINERIE
LE 12 NOVEMBRE À LA CIGALE
0123
22 | culture JEUDI 2 MAI 2019

Une madone en cuir pour le bien de l’humanité


A la tête d’une bande de garçons au lourd passé, une étrange guerrière cherche à mettre un terme à la violence

JESSICA FOREVER Jessica semble


 avoir tout

U
n blockbuster mental
et son héroïne aux
compris de
yeux menthe à l’eau : la société sans
voilà pour l’affiche de
Jessica Forever, de Caroline Poggi
faire de discours,
et Jonathan Vinel. Car il faut bien tout comme elle
trouver une formule à ce film qui
ne semble appartenir à aucun
dirige le groupe
genre. A la lisière de la science­fic­ sans jamais
tion et du réalisme, ce premier
long­métrage (en compétition à
hausser le ton
la Berlinale en février) questionne
un sujet brûlant : la violence con­ réunis : le film peut séduire des
temporaine est­elle une fatalité ? adolescents en quête d’univers
Peut­on s’en extraire, en guérir ? A inquiétants, mais aussi des ciné­
quelles conditions les assassins, philes et amateurs de nouvelles
bourreaux et autres criminels écritures. A rebours de nombreux
pourraient­ils renoncer à leurs récits actuels qui explorent l’avè­
pulsions meurtrières et trouver nement de la catastrophe, Jes­
une sorte d’apaisement ? sica Forever cherche au contraire
Le film démarre au quart de comment l’éviter. Caroline Poggi
tour, mais la piste du « James et Jonathan Vinel s’inscrivent
Bond » est vite évacuée. Un jeune dans le sillage de Bertrand
homme fonce dans la baie vitrée Mandico et Yann Gonzalez, deux
d’une maison et l’explose. Il se auteurs à l’imaginaire débordant
fait mal, forcément. Très vite, des et aux univers surréalistes.
garçons surarmés encerclent le Aomi Muyock, dans « Jessica Forever ». ECCE FILMS/LE PACTE Jessica Forever fait enfin écho à
pavillon, tandis que Jessica un court­métrage de Poggi et Vi­
(Aomi Muyock) les rejoint et nel, qui obtint l’Ours d’or à la Berli­
s’agenouille devant le blessé… mais ce n’est pas si simple. Jessica auteurs : dans le futur proche du font la sieste, s’entraînent comme de la société sans faire de dis­ nale de 2014 : Tant qu’il nous reste
Il n’y aura pas de bagarre spec­ Forever, c’est d’abord une atmos­ film, on ne change pas les hom­ s’ils partaient au combat. Car l’en­ cours, tout comme elle dirige le des fusils à pompe est l’esquisse
taculaire ni de romance avec la phère étrange, un sentiment mes avec des punitions, mais avec nemi guette : les « forces spécia­ groupe sans jamais hausser le d’une communauté qui prend les
sublime chef de bande. Jessica d’anormalité, comme si vous de l’amour. C’est dit sans préten­ les » sont à leurs trousses, en l’oc­ ton. En face, les garçons forment armes et effectue des rondes face
n’est pas un objet sexuel, mais marchiez de longues heures dans tion ni naïveté, mais au second de­ currence des drones fondent ré­ un corps collectif dont se déta­ à un ennemi invisible. Le film
plutôt une déesse mère. La ma­ une ville déserte. C’est ensuite gré, avec la distance installée par gulièrement sur eux tel un es­ chent seulement quelques indivi­ pousse jusqu’à l’absurde les
done en cuir et métal a décidé de une image, très nette, soyeuse, qui la mise en scène. Cette « dévia­ saim de bourdons vengeurs. La dus. On fait ainsi connaissance symptômes de l’époque, la société
recueillir des jeunes hommes – magnifie les corps et les visages, tion » politique va agir sur les rela­ répression qui plane met le avec Michael – Sebastian Urzen­ de surveillance, l’hostilité qui
des orphelins, dit­elle – au passé jusqu’à les rendre surréels. Le dé­ tions entre les personnages. groupe à rude épreuve. Jessica va­ dowsky, qui tenait l’un des rôles nourrit la violence, etc. Jessica… et
violent, très dur, parfois innom­ cor est celui d’aujourd’hui, mais Face à Jessica, les garçons res­ t­elle gagner son pari ? principaux dans Un amour de jeu­ Les fusils à pompe posent la même
mable. Elle s’est donné pour mis­ les comportements ne cadrent semblent à de grands enfants. Ils nesse (2011), de Mia Hansen­ question : ne serait­on pas en
sion de leur prodiguer beaucoup pas avec notre époque. On est dé­ la respectent autant qu’elle se Un corps collectif Love – qui va tomber amoureux train de tourner en rond ? 
d’amour, afin qu’ils retrouvent paysé, au sens premier du mot : on montre attentionnée à leur égard, La Suédoise Aomi Muyock, une de Camille (Maya Coline). Mais y clarisse fabre
confiance dans l’humanité. ne reconnaît pas le territoire que comme dans une famille mannequin découverte dans le a­t­il une vie en dehors du clan ?
La question n’est pas tant de sa­ l’on nous donne à voir et qui est « idéale ». Il y a Michael (Sebastian sulfureux Love (2015), de Gaspar Objet hybride avec son scénario Film français de Caroline
voir pourquoi ils ont commis des pourtant celui que l’on est censé le Urzendowsky), Lucas (Augustin Noé, trouble cette fois­ci par le de film d’action et son esthétique Poggi et Jonathan Vinel,
atrocités, mais comment, à l’ave­ mieux connaître, le nôtre. Raguenet), Kevin (Eddy Suiveng), mystère qu’elle diffuse et main­ dépouillée, ce premier long­mé­ avec Aomi Muyock, Sebastian
nir, ils peuvent devenir meilleurs. Ce dépaysement tient d’abord à Dimitri (Jordan Klioua) et les tient autour de son personnage. trage est une perche tendue à des Urzendowsky, Augustin
Elle les materne, ils fraternisent, la proposition radicale des autres. Ils aiment les friandises, Jessica semble avoir tout compris publics que l’on voit rarement Raguenet (1 h 37).

Echapper au joug du patriarcat par la nage Mille manières de dire


Teona Strugar Mitevska s’attache à une jeune femme en butte aux traditions macédoniennes son homosexualité
comédies satiriques bulgares. d’enfant qu’elle n’a jamais quittée. son personnage doit accomplir en
Denis Parrot compile des séquences où des
DIEU EXISTE, SON NOM Mais le troisième long­métrage de Dans sa petite ville de Macédoine une nuit. Sa culture et son intelli­ jeunes gens font, en ligne, leur coming out
EST PETRUNYA Teona Strugar Mitevska se détache du Nord (l’ancienne république gence, laissées en jachère pendant
nettement dans ce foisonnement yougoslave de Macédoine), il n’y a les années d’inactivité, repren­
 de remords et de désillusions. pas de travail pour une diplômée nent du service, lui permettant de

L es films venus des Balkans


et du Danube, de la Croatie à
la Roumanie, semblent sou­
vent issus d’un cauchemar fait de
Cette singularité tient surtout à
Petrunya, le personnage, et à son
interprète Zorica Nusheva, une fi­
gure rare qui, par sa seule pré­
de l’université de Skopje.
Forcée par sa mère de se rendre à
un entretien dans une usine tex­
tile, Petrunya fait peine à voir. Trop
garder la tête haute face aux figu­
res du pouvoir, commissaire ou
pope. La réalisatrice et scénariste
ne se donne pas la peine d’élever
COMING OUT

On entrevoit ainsi l’infini éven­
tail de l’intolérance : les regrets
qu’il n’en aille pas autrement, qui
accompagnent la résignation ; les
séquelles indélébiles, d’espoirs
étouffés dans l’œuf, et de ce point
de vue, Dieu existe, son nom est Pe­
trunya ressemble aussi bien aux
drames réalistes roumains qu’aux
sence, réorganise toute la galerie
des représentations féminines au
cinéma. Petrunya a plus de 30 ans,
elle vit chez ses parents, plus exac­
tement dans le lit de la chambre
grande, trop lourde au regard des
critères masculins, elle oppose au
monde une morne bouderie. Un
rituel local veut qu’à la fonte des
neiges, le pope jette dans la rivière
ces pantins au rang de personna­
ges. Et le père de Petrunya a beau
être plus sympathique, il reste le
simple représentant de la défunte
idéologie socialiste.
C’ est à peine un film. Cette
heure de projection est
un assemblage d’ima­
ges trouvées sur Internet. Elles ont
été tournées par les protagonistes
craintes sur les malheurs que
porte en elle l’homosexualité (ce
n’est pas un problème pour moi
mais il faut penser aux autres),
l’apparition d’une brèche dans
une croix de bois que les jeunes qui, pour la plupart, ont capturé le l’unité familiale (le petit frère du
gens se disputent dans l’eau gla­ Des femmes enfermées moment de leur coming out jeune Australien précédemment
cée. Celui qui l’attrape est promu Teona Strugar Mitevska préfère se auprès d’un membre de leur fa­ évoqué fait preuve d’autant de
au rang de célébrité locale et se concentrer sur les personnages mille (les autres évoquent cet épi­ violence que sa mère de bien­
voit promettre amour et prospé­ féminins, la formidable Petrunya, sode a posteriori). Denis Parrot en veillance) les arguments théolo­

La science rité par les autorités religieuses.


Petrunya, qui passe par là, se jette
bien sûr, mais aussi la journaliste,
citadine, salariée, qui n’en a pour­
a fait un patchwork (mode d’ex­
pression privilégié de la commu­
giques, jusqu’au rejet épidermi­
que. On verra un jeune Japonais

du bien-être
dans les flots et emporte la croix. tant pas fini avec la division du nauté gay américaine dans les an­ avec sa mère et une Sud­Africaine
NOUVELLE Ce geste fait vaciller toute la so­ travail domestique et la discrimi­ nées 1980) de personnages et au téléphone avec la sienne se
FORMULE ciété qui l’environne. nation salariale, la mère enserrée d’instants, un petit patchwork au heurter à des formes d’hostilité
Les jeunes gens, certains que la dans une infernale combinaison regard du territoire couvert (qua­ qui ne sont pas tout à fait celles
compétition est réservée aux mâ­ de préceptes religieux et de préju­ tre continents), plein de trous, auxquelles sont confrontés les
les, le prêtre, obligé de trouver les gés sociaux, la meilleure amie, mais qui finit par tenir chaud. jeunes d’Europe de l’Ouest ou des
LA SCIENCE DU BIEN-ÊTRE # 11 - PRINTEMPS 2019
arguments théologiques justi­ dont l’armure cynique est fêlée On ne peut dégager qu’une gé­ Etats­Unis.
fiant pareille discrimination, le par le sentimentalisme. néralité de Coming Out : on pré­ Les jeunes gays de toutes les ré­
CAHIER NEUROSCIENCES
Et maintenant, commissaire de police, qui voit La seconde partie du film, un fère presque toujours déclarer gions du monde où l’on ne peut
on mange
DANS LE CERVEAU
DES COUPLES AMOUREUX
AV EC NOTRE PROGR A MME
GRE ATER GOOD SCIENCE
bien que l’ordre a été troublé, la huis clos au commissariat, est son homosexualité à sa mère ou à risquer son coming out que dans

quoi ?
D E L’ U N I V E R S I T É
BERKELE Y EN CALIFORNIE mère de Petrunya, qui préférerait moins enlevée que la première. Et sa grand­mère. On ne verra qu’un l’intimité de gens à qui l’on fait
ART CULINAIRE
qu’elle fasse des efforts de présen­ plus on approche de la conclusion, père, plutôt compréhensif, assez toute confiance sont logiquement
ANNE-SOPHIE PIC
LES ÉMOTIONS
D’UNE CHEFFE ÉTOILÉE
tation : il se forme contre la por­ plus la menace d’une idylle ro­ maladroit. Le reste – et c’est sans absents. Denis Parrot a trouvé,
BON POUR MON CORPS
ET POUR LA PLANÈTE
teuse de croix un front aussi divers mantique se précise, à l’encontre doute ce qui rend le projet de pour les représenter, le témoi­
MOINS DE VIANDE
qu’uni dans son désir de préserver même du propos du film. Reste Denis Parrot aussi frustrant que gnage d’un violoniste qui a quitté
ET PLUS DE VITALITÉ le patriarcat. Elle est alors forcée à que Dieu existe parvient, à travers passionnant – se décline en une la Russie pour le Canada, et qui se
MOINS DE SUCRES
ET PLUS DE PLAISIR
l’héroïsme, sortant de sa position les idiosyncrasies historiques et infinité de situations qui amor­ souvient de l’impossibilité de s’ac­
par défaut (mutisme, indifférence religieuses de la situation, à une cent chacune une histoire, un cepter face à la pression sociale et
+ 50 ASTUCES
ET RECETTES affichée) pour affronter le sabre et espèce d’universalité dans son portrait : de la révélation idyllique religieuse. C’est à ces prisonniers
le goupillon au poste de police as­ évocation de la lutte des genres.  à une mère australienne, à l’ana­ et à leurs geôliers que s’adresse
siégé par une journaliste (Labina thomas sotinel thème jeté sur un jeune homme d’abord le film, c’est à eux qu’il
Hélène De Vestele Mitevska) et par les post­adoles­ qui ne peut qu’enregistrer sur un parviendra le plus difficilement. 
« Zéro déchet, c’est possible et je l’ai fait »
cents, presque prêts au lynchage Film macédonien de Teona téléphone caché dans sa poche le t. s.
pour récupérer l’objet de bois. Strugar Mitevska, avec Zorica tombereau de malédictions qui
Zorica Nusheva dessine nette­ Nusheva, Labina Mitevska, s’abat sur lui, quelque part dans le Documentaire français de Denis
EN VENTE CHEZ VOTRE MARCHAND DE JOURNAUX
ment le parcours épuisant que Simeon Moni Damevski (1 h 40). Sud des Etats­Unis. Parrot (1 h 03).
0123
JEUDI 2 MAI 2019 culture | 23

Bricomonge ou la lutte perdue


 Retrouvez l’intégralité des critiques
L E S   F I L M S   D E   L A   S E M A I N E

sur Lemonde.fr

À N E PA S M A NQ U E R
Her Job
Film grec, français et serbe, de Nikos Labôt (1 h 30).

Jessica Forever
Film français de Jonathan Vinel et Caroline Poggi (1 h 37).
contre les grandes enseignes
À VO IR
Samuel Bigiaoui illustre la difficulté des petits commerces à survivre
Alice T.
Film roumain, français et suédois de Radu Muntean (1 h 45).
à Paris à travers le parcours de son père, Jean, gérant d’une quincaillerie
Coming Out
Documentaire français de Denis Parrot (1 h 03). tit commerce de proximité et les L’aveu de ce passé est toutefois
68, MON PÈRE grandes enseignes qui dévorent la
Le fils filme suffisamment laconique pour
Dieu existe, son nom est Petrunya  ET LES CLOUS capitale. Pour ne rien gâcher, c’est le père avec ce qu’on ne parvienne pas complète­
Film macédonien, belge, slovène, croate et français ici le fils, Samuel Bigiaoui, qui ment à comprendre comment ce
de Teona Strugar Mitevska (1 h 40).  filme le père, Jean, avec ce que la
que leur relation révolutionnaire et agrégatif d’his­

L
e sens du timing et l’intui­ relation père­fils implique de non­ implique de toire a fini par faire sa vie dans la
Gloria Bell tion des situations pren­ dits pudiques, de secrets partagés, quincaillerie. On le pressent toute­
Film américain de Sebastian Lelio (1 h 41). nent une part importante de rugueuse tendresse.
non-dits pudiques fois. Car ce que ne dit pas le père,
dans la réussite d’un do­ et de rugueuse un compagnon politique, évo­
68, mon père et les clous cumentaire, lorsqu’il ne se veut Havre discret d’utopie sociale quant le sabordement du mouve­
Documentaire français de Samuel Bigiaoui (1 h 24). pas une composition savamment Jean, il faut le décrire. Mèche blan­
tendresse ment et plus largement la défaite
concertée. Etre là au bon moment, che dans les yeux, plongé dans ses des idéaux progressistes, le dit à sa
P O UR Q UO I PA S avec les bons personnages, est une carnets de comptes, cachant du place : « Ça nous a mis en face de
Nous finirons ensemble manière presque assurée de sucre dans sa caisse, pestant con­ s’ouvre à la révélation d’une desti­ l’impossibilité d’une action collec­
Film français de Guillaume Canet (2 h 15). s’ouvrir cette voie. Quelque chose tre tout et tous, il est l’ombrageux née insolite. Non sans mal cette tive. Nous étions des marginaux et
de vif, de palpitant, de direct se dé­ souverain de l’empire Brico­ fois, tant le père aura résisté au nous le sommes restés. »
Tremblements gage, qu’on ne retrouve pas, ou en monge déclinant. Sous sa rudesse fils : « Je ne peux répondre à On pressent alors que c’est de cet
Film guatémaltèque, français et luxembourgeois, tout cas pas de cette manière, dans qui lui tient lieu d’armure, le fils aucune question de fond me con­ amer désenchantement qu’est né
de Jayro Bustamante (1 h 47). la fiction. 68, mon père et les clous opiniâtre ne met pas longtemps à cernant. » Ce dernier le fera finale­ Bricomonge, modeste phalans­
Le réalisateur d’Ixcanul est retourné en ville, à Guatemala, pour s’inscrit dans cette catégorie. Une retrouver le soleil. ment craquer en le traquant dans tère ouvert aux bâtisseurs du
y tirer le portrait d’une bourgeoisie qui a abandonné l’Eglise tragédie douce y couve sous l’infi­ Employés d’origine immigrée le sous­sol de la boutique. Mon­ quartier, mais que sa modestie
pour les sectes évangéliques. Dans une famille qui voit dans la nie trivialité de son sujet. qui lui vouent le culte de la recon­ sieur Bigiaoui père fut en sa jeu­ même n’aura pu sauver plus long­
réussite matérielle la manifestation de la grâce, Pablo (Juan Donc, unité de temps, de lieu, naissance depuis trente ans, nesse un membre de la Gauche temps de la marche cruelle du
Pablo Olyslager) a quitté le droit chemin et sa famille pour un d’action. Tout Parisien qui se res­ clients interlopes et autochtones prolétarienne. Né dans la foulée monde. Samuel Bigiaoui, filmant
homme. Si la description du carcan est terrifiante, celle des vic­ pecte connaît le lieu, ne serait­ce feignant d’acheter des clous pour de Mai 68, d’esprit antifasciste et la boutique qui se vide inexorable­
times qu’il enserre l’est moins, et la raideur de l’interprétation que de vue. Une quincaillerie sise taper la discute, et s’attrister à l’an­ d’obédience maoïste, ce mouve­ ment de ses rayons, fait en même
atténue l’impact de ce récit d’un retour à l’ordre.  t. s. en plein Quartier latin, à un angle nonce de la fermeture inéluctable. ment rapidement clandestin pra­ temps monter dans le cœur de ses
de la rue Monge, et qui se nomme, Qui aurait suspecté dans ce ca­ tiquait l’action violente, depuis spectateurs la vieille nostalgie
O N P E U T É VI T E R ou plutôt se nommait Brico­ pharnaüm de panneaux de bois, l’incendie de commissariat jus­ d’un monde meilleur. 
Cœurs ennemis monge. L’action, pathétique, a lieu de pots de peinture, de porte auto­ qu’au tabassage des maîtrises jacques mandelbaum
Film britannique de James Kent (1 h 48). durant les derniers mois d’exis­ matique pétée, le havre discrète­ d’usine. On y trouvait aussi Benny
Pendant l’hiver 1945­1946, dans une somptueuse villa des tence de la boutique, dans une ment bricolé d’une utopie sociale ? Lévy, Alain Geismar, Serge July, Documentaire français de Samuel
environs de Hambourg préservée de la destruction qui s’est lutte perdue d’avance entre le pe­ C’est ici, d’ailleurs, que le film André Glucksmann. Bigiaoui (1 h 24).
abattue sur la ville, la femme d’un officier britannique (Keira
Knightley) cohabite avec un architecte allemand (Alexander
Skasrgard). Les ruines de l’Allemagne nazie ont souvent été
inspirantes pour le cinéma : cette fois, il n’y pousse qu’un
drame sentimental à la fois ordinaire et vide de sens, qui
se pare des oripeaux de l’histoire.  t. s. Platitude de l’entre­soi au Cap Ferret C INÉMA
Records en série pour
« Avengers : Endgame »
À L’A F F I CH E É GA L E M E N T Guillaume Canet a concocté une suite dispensable aux « Petits « Avengers : Endgame », le
Amir et Mina : les aventures du tapis volant 22e film de l’univers cinémato­
Film d’animation danois de Karsten Kiilerich (1 h 21). Mouchoirs » avec la même bande de copains, lestés de dix ans de plus graphique Marvel, a pulvérisé
tous les records au box­office
Duelles mondial avec plus de 1,2 mil­
Film belge et français d’Olivier Masset­Depasse (1 h 37). liard de dollars (1,07 milliard
bien sûr, pour sauver l’ami atrabi­ d’euros) de recette lors de son
Female Pleasure NOUS FINIRONS Les bonnes laire Max de sa tentation du néant. premier week­end dans les
Documentaire suisse et allemand de Barbara Miller (1 h 37). ENSEMBLE intentions ont Les bonnes intentions ont donc salles, selon les chiffres dispo­
 succédé aux vilains petits travers, nibles lundi 29 avril. Avec
Filles de mai
succédé aux et le résultat est possiblement « 356 millions de dollars sur le
Documentaire français de Jorge Amat (1 h 34).

Le Fruit de l’espoir
Film français d’Alain Williams (1 h 15).
A cteur depuis 1993 et
réalisateur depuis 2002,
Guillaume Canet mène
de front ces deux activités avec un
abattage impressionnant, des ré­
vilains travers,
le résultat est
moins supportable
moins supportable encore.
Le sordide évacué, ne reste que la
platitude de l’entre­soi, qui est au
fond le vrai sujet de cette saga. On
imaginera un film dont le sus­
marché domestique (Etats­
Unis et Canada) et 866 millions
de dollars à l’étranger », selon
Disney, qui a racheté Marvel
en 2009, le film est ainsi le
Lettre à Inger sultats généralement probants au
encore pense consiste à savoir si le héros premier à dépasser le cap
Documentaire français de Maria Lucia Castrillon (1 h 16). box­office, mais une réussite conservera ou non sa résidence symbolique du milliard de
artistique plus relative. Il revient secondaire, dont le climax est la dollars en l’espace de cinq
aujourd’hui proposer une suite à procès, il accueille froidement ces nuit d’ivresse, torse nu, du même jours. – (AFP).
son plus grand succès de salle, Les convives, qui vont s’efforcer de le homme dans une boîte girondine
Petits Mouchoirs, comédie drama­ réconforter. Tout le monde recon­ et dont l’épilogue réunit les per­ Elle Fanning, Yorgos
LES MEILLEURES ENTRÉES EN FRANCE tique chorale qui avait culminé à naîtra Eric (Gilles Lellouche), Marie sonnages autour d’un plateau de Lanthimos et Enki Bilal
Evolution plus de 5 millions d’entrées. (Marion Cotillard), la veuve incon­ fruits de mer. dans le jury de Cannes
Nombre par rapport Total
Eu égard à ce méga­club d’ama­ solée, Antoine (Laurent Lafitte), Certes, ce plateau de vedettes L’actrice américaine Elle
de semaines Nombre Nombre à la semaine depuis
d’exploitation d’entrées* d’écrans précédente la sortie teurs, on comprend qu’il eût été qui a à peine grandi, Vincent (Be­ dessert le programme avec les Fanning, l’auteur français de
malhabile de chambouler la noît Magimel), qui vit désormais honneurs, à l’occasion avec drôle­ BD Enki Bilal, les réalisateurs
Avengers : Endgame 1 2 844 886 633 2 844 886 donne. On retrouve donc intacte la ouvertement son homosexualité, rie, œuvrant à l’hypothèse d’une grec Yorgos Lanthimos et
bande de copains petits­bour­ mais hélas avec un compagnon soirée divertissante. C’est toute­ français Robin Campillo fe­
After - Chapitre 1 2 237 439 517 ↓ – 55 % 861 952
geois, réunis pour quelques jours psychorigide, et sa femme, Isabelle fois une maigre compensation. ront partie du jury du 72e Fes­
Dumbo 5 208 271 935 ↑ + 13 % 2 003 750 au Cap­Ferret (Gironde), enferrés (Pascale Arbillot), qui du coup s’est Quant à l’horizon de référence, tival de Cannes (14­25 mai),
Le Parc des merveilles 4 197 810 767 ↑ + 46 % 1 134 095 dans des problématiques senti­ payé un bon coup de jeune. plus ou moins expressément selon un communiqué des or­
mentalo­amicales aisément com­ induit, du film, qu’il s’agisse de ganisateurs publié lundi
Royal Corgi 3 166 337 554 ↑ + 60 % 597 869 préhensibles, mais avec dix ans de A l’occasion avec drôlerie Nous ne vieillirons pas ensemble, 29 avril. Quatre femmes et
La Malédiction plus au compteur. L’intrigue On notera, dans le ton, une sorte de Maurice Pialat, ou de Vincent, quatre hommes entoureront
de la Dame blanche
2 159 761 230 ↓ – 36 % 475 836 s’inaugure sur une surprise : la de révolution copernicienne. Les François, Paul et les autres, de le président du jury, le réalisa­
réunion de tout le groupe, qui ne Petits Mouchoirs, on s’en souvient, Claude Sautet, mieux vaut ne pas teur mexicain Alejandro Gon­
Tanguy, le retour 3 137 229 615 ↓ – 8% 838 992
s’est pas vu depuis trois ans, pour était centré sur la médiocrité des le relever.  zalez Iñarritu. Il comprendra
Simetierre 3 103 195 371 ↓ – 26 % 672 707 fêter les 60 ans de Max (François personnages, qui laissaient plus j. ma. aussi l’actrice et réalisatrice du
L'Adieu à la nuit 1 78 316 162 78 316 Cluzet), venu se ressourcer dans sa ou moins crever seul à Paris l’ami Burkina Faso Maimouna
maison secondaire. Jean Dujardin fauché à moto pour Film français de Guillaume N’Diaye, l’Américaine Kelly
Shazam ! 4 75 734 476 ↓ – 42 % 990 154 En vérité, Max est rincé, au bord se chamailler au Cap. Ici, au con­ Canet. Avec François Cluzet, Reichardt, l’Italienne Alice Ro­
AP : Avant­première * Estimation de la dépression. Professionnelle­ traire, les voici réunis, non sans Marion Cotillard, Gilles Lellouche hrwacher et le Polonais Pawel
Source : « Ecran total » Période du 24 au 28 avril inclus ment en faillite, conjugalement en quelques vénielles chicaneries (2 h 15). Pawlikowski. – (AFP).

Gatsby Représentations exceptionnelles en public !


Les 2 et 3 mai à 20H30
le magni- Studio 104 Maison de la radio à Paris
avec Sofiane Zermani, Rebecca Marder de la Comédie-Française,
Photo : © Eric Guillemain

fique Pascal Rénéric et sur une musique originale d’Issam Krimi


Infos et réservations sur maisondelaradio.fr
24 | carnet 0123
JEUDI 2 MAI 2019

Robert Créange,

John Singleton
Françoise et Gérard Hernan, Ma Carmen,
Chantal et Jean-Claude Lauprêtre, Manuel, Pablo, Marianne, son frère,
Denise Lauprêtre et Boubacar Koné, leurs conjoints et leurs enfants, Bernard et Susan Picard,
Le Carnet Josette et Patrick Lemaire, son beau-frère et sa belle-sœur,
Sa famille, Serge et Susanne, Olivier et Nora,
ses enfants, Ses amis, François et Alison, Valérie,
Vos grands événements
Cinéaste américain Naissances, mariages
Avis de décès, remerciements
Anthony Grenet,
Cynthia et Olivier Hernan,
Nicolas Hernan
et Emma Fabien Lauprêtre,
ont la tristesse de faire part du décès
de
Raphaël, Alban, Rachel, Dylan,
Mána, Sóley,
ses neveux et nièces,

Colloques, conférences, séminaires Rémi Lauprêtre, Daniel et Netty Créange,


Emilie et Christophe Lemaire, Georges COUFFIGNAL, Michel et Jeannine Emschwiller,
Soutenances de mémoire, thèses
Stéphane Lemaire
Expositions, vernissages, et Tiphaine Bosdeveix, survenu le 28 avril 2019. La famille Salomon,
signatures, lectures, ses petits-enfants et leurs conjoints, Natacha,
communications diverses Léya Hernan, sa filleule,
« Heureux qui comme Ulysse,
Adèle Lauprêtre, a fait un beau voyage… » Annick et Jean-François, Mireille,
Vous pouvez nous envoyer Quentin Lemaire, François et Vonnette, Sylvie et Romain,
vos annonces par mail : Jeanne et Lola Lemaire, Claire,
ses arrière-petits-enfants, Françoise Simecek, ses cousins et cousines,
carnet@mpublicite.fr son épouse, leurs enfants et leurs petits-enfants,
en précisant vos coordonnées ont la très grande tristesse de faire Florence Gluckman,
(nom, adresse, téléphone part du décès de sa belle-fille, ont la grande tristesse de faire part
et votre éventuel numéro d’abonné du décès de
ou membre de la SDL) Ses amis,
Réception de vos annonces : Françoise PICARD,
Julien LAUPRÊTRE, font part de la mort de née CRÉANGE,
du lundi au vendredi né le 26 janvier 1926, à Paris,
jusqu’à 16 heures Georges GOLDFAYN, survenu le 23 avril 2019, dans sa
chevalier de la Légion d’honneur, quatre-vingt-dix-neuvième année.
le samedi surréaliste,
officier de la Légion d’honneur,
jusqu’à 12 h 30
officier Nous associons à nos pensées la
de l’ordre des Arts et des Lettres, à l’âge de quatre-vingt-six ans. mémoire de ses parents,
Pour toute information commandeur de la Légion
complémentaire Carnet : d’honneur, 149, rue du Faubourg Saint-Denis, Pierre et Raymonde,
01 57 28 28 28 lauréat du Prix du rayonnement 75010 Paris.
humanitaire, assassinés à Auschwitz.
médaille de la famille,
grand officier René Giudicelli, La levée de corps aura lieu à
AU CARNET DU «MONDE» de la Légion d’honneur, son compagnon, 15 heures, à l’hôpital Beaujon,
officier 100, boulevard du Général Leclerc,
de l’ordre national du Burkina Faso, a la profonde tristesse de faire part à Clichy (Hauts-de-Seine).
Décès du décès de
L’inhumation aura lieu à
16 heures, au cimetière israélite
Les familles Aflallo, Azancot, survenu le 26 avril 2019. Martine MAZÉRIS, de Pershing, 3, boulevard du Général
Pimienta et Villacèque Pershing, à Versailles (Yvelines).
Les obsèques se tiendront dans la survenu le 21 avril 2019, dans sa
En 2018. ont le chagrin d’annoncer le décès de stricte intimité familiale. Cet avis tient lieu de faire-part.
RICHARD SHOTWELL/INVISION/AP
soixante-treizième année, au terme
Giuseppe AFLALLO, de quelques semaines d’une maladie
(Le Monde du 30 avril.)
né le 6 septembre 1938, à Tanger, incurable. Sa famille,
Ses proches,
survenu le vendredi 5 avril 2019, à Le secrétariat national, L’inhumation aura lieu le Ses amis,
Madrid. Le conseil d’administration, vendredi 3 mai, à 14 h 45, au vieux Ses collègues,
Tous les membres

J
Le bureau national, cimetière de La Courneuve, dans le
usqu’au bout, alors qu’il 6 JANVIER 1968 Naissance Le comité national du Secours de la communauté de la cité scolaire
Il a rejoint le paradis des pêcheurs caveau familial.
vient de mourir prématuré­ à Los Angeles (Californie) Populaire Rodin,
au large de Formentera.
ment d’un accident vas­ 1991 « Boyz N the Hood » Et leurs nombreux et fidèles amis
de l’association, Géographe de formation, Martine ont la douleur de faire part du décès
culaire cérébral, à l’âge de 1992 Nommé à l’Oscar de
Stéphane Aron, Mazéris arpenta pendant une
51 ans, le 29 avril, à Los Ange­ du meilleur scénario et du son neveu, ont la très grande tristesse de faire trentaine d’années, l’Asie du Sud-Est et
les, John Singleton sera resté meilleur réalisateur pour ce film Dominique Aron, part du décès de l’Extrème-Orient en quête de
M. Jean-Louis TRONCI,
sa nièce, proviseur adjoint,
l’homme d’un film, son premier, 1993 « Poetic Justice » nouvelles routes touristiques. Sa chevalier
Boyz N the Hood (1991). Ce coup 2003 « 2 Fast 2 Furious » Elsa et Maxime Roux, gentillesse, son humour bienveillant,
sa petite-nièce et son petit-neveu, dans l’ordre des Palmes
d’essai historique éclipsait les sept 29 AVRIL 2019 Mort Julien LAUPRÊTRE, son sens de l’écoute l’ont conduite académiques.
leur père, Bernard Roux,
autres films du réalisateur, et allait à Los Angeles Catherine Garnier, naturellement à aider de nombreux
chevalier de la Légion d’honneur, projets de développement. Les obsèques seront célébrées le
bouleverser de manière durable le Sa famille, officier de la Légion d’honneur, vendredi 3 mai 2019, à 10 h 30, en
paysage du cinéma américain. Sin­ Ses amis, officier l’église Sainte-Rosalie, 50, boulevard
gleton avait été nommé, en 1992, à de l’ordre des Arts et des Lettres, La famille Parnaudeau Lecomble, A. Blanqui, Paris 13e.
ont le chagrin de faire part de la mort commandeur de la Légion Louise,
l’Oscar du meilleur scénario et du avait grandi dans la banlieue plus de d’honneur, sa fille, Nos pensées et notre affection
meilleur réalisateur pour ce film. cossue de Pasadena, à l’extérieur lauréat du Prix Yolande, l’accompagnent.
C’était la première fois qu’un ci­ de Los Angeles, mais South Cen­ Pierre ARON, du rayonnement humanitaire, sa maman,
médaille de la famille,
néaste noir était nommé dans la tral restait un aimant où il avait survenue le 25 avril 2019, grand officier
Olivier et Nicolas, Anniversaire de décès
catégorie du meilleur réalisateur passé son adolescence. La décou­ à son domicile, ses frères,
de la Légion d’honneur,
et jamais un metteur en scène verte du cinéma néoréaliste ita­ à l’âge de quatre-vingt-quatorze ans. leurs conjointes, A notre enfant chérie,
officier
aussi jeune, 24 ans, n’avait été gra­ lien, Rome, ville ouverte et Allema­ de l’ordre national du Burkina Faso, Martine et Emmanuelle,
La levée de corps aura lieu le 2 mai, Alexis, Arthur et Gauthier, Marion.
tifié de cette distinction. gne année zéro, puis celle d’un ci­ à 13 h 30, à la chambre funéraire des ses neveux, Si profondément absente.
John Singleton faisait partie, néma américain à la culture ita­ Batignolles, 21, boulevard du Bois le survenu le 26 avril 2019. Agathe,
avec Spike Lee, Matty Rich, Keenen lienne très forte, Mean Streets et Le Prêtre, Paris 17e et l’inhumation ce sa nièce,
Ivory Wayans, Reginald Hudlin, Parrain, convainquent le jeune même jour, à 16 heures, au cimetière Novembre 1943 - Mars 1944 : Souvenir
Ses tantes, oncles et cousins,
de Richebourg (Yvelines). arrestation pour propagande
Robert Townsend, d’une nouvelle réalisateur qu’il devient possible
génération de cinéastes noirs. Ce d’écrire sur un univers que l’on antinazie par les policiers des ont la douleur de faire part du décès
8, avenue de Verzy, Alain MOUNIER,
Brigades spéciales. A la Préfecture de de
groupe disparate n’entretenait pas connaît à la perfection sans que le 75017 Paris. homme de goût, avocat honoraire,
police, il est emprisonné avec les
de liens particuliers. Ils avaient en spectateur en possède les clés. membres de l’Affiche rouge - dont
Micheline Caussat, Missak Manouchian - qui seront
Brigitte PARNAUDEAU, nous a quittés le 28 février 2019.
commun leur précocité et une en­
fance passée dans les quartiers Le sens du casting son épouse, fusillés au Mont Valérien le 21 février
Laurent et Nicole Caussat, 1944. 1947 : mariage avec Jeannette survenu à l’âge de cinquante-huit Ceux qui l’ont connu sont invités
noirs urbains. Des quartiers qui al­ Boyz N the Hood suit trois adoles­ ans. à se réunir en sa mémoire, le samedi
Denis et Ruta Caussat, Antoine. 1949 - 1950 : responsable
laient accéder à une tout autre no­ cents de South Central, l’un veut 18 mai, à 16 heures, 19 bis, rue
Bruno et Maryse Caussat, national des Jeunesses communistes. Tournefort, Paris 5e, dans les locaux
toriété dans les années 1990, plus poursuivre son éducation à l’uni­ Anne et Jean-Michel Pétron, De 1951 à 1953 : secrétaire du député Un hommage lui sera rendu le de l’APSM.
seulement en raison du fort taux versité, le deuxième rêve d’une Pascale et Douglas (†) Caussat- de la Seine, Raymond Guyot. 1954 : jeudi 2 mai 2019, à 13 h 30, dans la
Clerk, secrétaire administratif au Secours salle de la Coupole du crématorium anne.bussery@free.fr
de criminalité qui y régnait, mais carrière sportive, tandis que le ses enfants, populaire français. De 1955 à 1958 : du cimetière du Père-Lachaise,
parce qu’une nouvelle culture, le troisième a choisi la délinquance Paul, Léa, David, Yann, Cyril, Leslie, secrétaire général du Secours Paris 20e.
hip­hop, émergeait et attirait les et fait partie d’un gang. Ce trio Mathilde, Elise, Vincent, Adam, populaire français. De 1958 à 1983 : Communication diverse
convoitises d’Hollywood et de symbolisait à la perfection les che­ Ewan, secrétaire général faisant fonction de
ses petits-enfants, Selon les préférences de Brigitte,
président du Secours populaire
Wall Street. La génération Single­ mins que pouvaient emprunter Nour, Eliott, français. De 1970 à 2000 : membre dons aux associations, pas de
ton/Spike Lee apparaissait aussi un Afro­Américain. Le sens du ses arrière-petits-enfants, du Comité central du Parti couronnes et si fleurs, blanches
comme la première véritable va­ casting de John Singleton allait communiste français. Depuis 1983 : uniquement.
gue de cinéastes noirs américains. faire la différence, avec la présence ont la tristesse de faire part du décès président du Secours populaire
de français. La vie de Julien Lauprêtre a Mme Jeanine Szlifke,
Ceux qui les avaient précédés, de Laurence Fishburne, Angela
été une vie d’humanité et Richard et Jérôme,
principalement les metteurs en Bassett et surtout Ice Cube. Ce der­ Pierre CAUSSAT, d’engagement. Toute sa vie, il a Le Keren Hayessod
agrégé de philosophie, ses enfants,
scène de la « blaxploitation », ces nier venait de quitter le groupe du œuvré pour un monde meilleur, rend hommage aux personnes
ancien maître de conférences Laurence et Sylvie, qui ont inscrit
films d’action, situés dans les rap, NWA, Niggaz Wit Attitudes, recherché inlassablement ceux et
à l’université Paris-X Nanterre, celles qui, d’où qu’ils viennent et ses belles-filles, pour toujours leur nom
ghettos noirs urbains, avec des ve­ puis avait signé l’un des albums Léa et Telma, dans l’histoire d’Israël
quoi qu’ils pensent, accepteraient
dettes noires, qui dominaient le emblématiques de cette musique, à l’orée de sa quatre-vingt-neuvième avec lui, en toute indépendance, de ses petites-filles et du peuple juif.
box­office américain dans les an­ AmeriKKKa’s Most Wanted. année. peser sur les conséquences des Et toute sa famille,
nées 1970, restaient le fruit d’indi­ Ce n’est pas le moindre des mé­ drames vécus par les êtres humains, Par un legs ou une assurance-vie,
La cérémonie religieuse sera au plus près de chez eux comme sur ont le chagrin de faire part du décès elles ont contribué à renforcer
vidualités – Gordon Parks (Shaft) rites de Singleton d’avoir su saisir célébrée en l’église Saint-Antoine des la société israélienne,
l’ensemble de la planète, dans le de
ou Gordon Parks Jr (Superfly) avec autant de vérité la personna­ Quinze-Vingt, 66, avenue Ledru- en soutenant notamment
respect absolu de la dignité des
– sans que l’on puisse soutenir que lité complexe du musicien pour la Rollin, Paris 12e, le jeudi 2 mai 2019, à des projets éducatifs
personnes. Grand combattant contre M. Robert SZLIFKE, pour les plus démunis.
la diversité qui s’était enfin instal­ confronter à l’univers dont il était 10 h 30. la pauvreté en France et dans le époux, père et grand-père aimant, Chaque année leur nom est cité
lée à l’écran existait également issu. Boyz N the Hood tendait un monde, convaincu que cette lutte se à Jérusalem.
4, rue Maurice Denis, gagne avec les enfants, l’éducation
derrière la caméra. miroir dans lequel la commu­ 75012 Paris. populaire et la mise en mouvement survenu le 27 avril 2019.
Keren Hayessod,
Une décennie après, Spike Lee, nauté noire se regardait avec bon­ de tous, il a traduit en acte la mise en 10, place de Catalogne, 75014 Paris.
avec Nola Darling n’en fait qu’à sa heur, tant le film abordait avec ta­ Eric et Marie-Pierre, œuvre de la convention Les obsèques auront lieu le jeudi Karine Boukris :
tête (1986) et Do the Right Thing lent les différentes tendances de ses enfants, internationale des droits de l’enfant 2 mai, à 15 h 30, au cimetière du Père- 01 77 37 70 80.
leurs conjoints, Magali et Frédéric, par le lancement et la promotion du Lachaise (porte principale), Paris 20e. keren-hayessod.fr
(1989), qui mettait en scène, l’es­ cette minorité : la tentation de se
Diane, Eloïse et Raphaël, mouvement d’enfants copain du
pace d’une journée d’été, les ten­ retrancher du reste de la société, ses petits-enfants, monde du Secours populaire.
sions raciales grandissantes d’un la culture du ghetto, la présence Société éditrice du « Monde » SA
Président du directoire, directeur de la publication Louis Dreyfus
quartier de Brooklyn, jusqu’à de la religion aussi. Singleton ont la tristesse de faire part du décès Un hommage public sera rendu le Directeur du « Monde », directeur délégué de la publication, membre du directoire Jérôme Fenoglio
l’émeute, relançait brillamment et avait tenté de suivre ce sillon dans de jeudi 2 mai, à 10 h 30, à l’Hôtel de Directeur de la rédaction Luc Bronner
Ville de Paris. Directrice déléguée à l’organisation des rédactions Françoise Tovo
durablement la vague du cinéma les années ultérieures – dans Poe­ Odette DEBRAY, Direction adjointe de la rédaction Philippe Broussard, Alexis Delcambre, Benoît Hopquin, Franck Johannes,
noir américain. C’est après avoir tic Justice (1993), avec la chanteuse Un lieu de recueillement à la Marie-Pierre Lannelongue, Caroline Monnot, Cécile Prieur
née ROUSSEAU, Direction éditoriale Gérard Courtois, Alain Frachon, Sylvie Kauffmann
découvert Do the Right Thing que Janet Jackson et le rappeur Tupac chambre funéraire, 7, boulevard de Rédaction en chef numérique Hélène Bekmezian, Emmanuelle Chevallereau
John Singleton, alors étudiant en Shakur, dans Fièvre à Columbus survenu le 25 avril 2019, à Rueil- Ménilmontant, à Paris 11e, permet à Rédaction en chef quotidien Michel Guerrin, Christian Massol
Malmaison, dans sa quatre-vingt- chacun de lui rendre un hommage Directeur délégué au développement du groupe Gilles van Kote
cinéma à la prestigieuse univer­ University (1995), Rosewood treizième année. personnel et d’y écrire ce qu’il Directeur du numérique Julien Laroche-Joubert
sité de Californie du Sud, s’était dit (1997), Shaft (2000), un remake du souhaite. Rédacteur en chef chargé des diversifications éditoriales Emmanuel Davidenkoff
Chef d’édition Sabine Ledoux
que, pour son premier film, il se classique éponyme de la blaxploi­ Une cérémonie religieuse aura Directrice du design Mélina Zerbib
devrait de parler de ce qu’il con­ tation Baby Boy (2001), avec le lieu le vendredi 3 mai, à 14 h 15, en Ni fleurs ni couronnes. Selon la Direction artistique du quotidien Sylvain Peirani
Photographie Nicolas Jimenez
l’église Saint-Joseph de Buzenval, volonté du défunt les dons peuvent Infographie Delphine Papin
naissait : le quartier de South Cen­ rappeur Snoop Dogg –, sans ja­ 3, passage Saint-Antoine, à Rueil- être versés au Secours populaire Médiateur Franck Nouchi
tral Los Angeles, centre névralgi­ mais retrouver la force de son Malmaison. pour le développement du Directrice des ressources humaines du groupe Emilie Conte
que de la culture des gangs. Single­ étincelant début.  mouvement d’enfant copain du Secrétaire générale de la rédaction Christine Laget
ton, issu de la bourgeoisie noire, samuel blumenfeld eric.debray@yahoo.com monde. Conseil de surveillance Jean-Louis Beffa, président, Sébastien Carganico, vice-président
0123
JEUDI 2 MAI 2019 télévision | 25
Cinq récits autour de la crise migratoire en Europe VOS
SOIRÉES
TÉLÉ
Avec « Eden », le cinéaste Dominik Moll signe une série sur les migrants, « héros contemporains »

ARTE
JEUDI 2 - 20 H 55 MERCREDI  1 ER   MAI
MINI-SÉRIE TF1
21.00 Grey’s Anatomy

D
éfinition de l’éden : Série avec Ellen Pompeo, Debbie
paradis terrestre, lieu Allen (EU, 2018).
de délices. C’est ce que France 2
semble être la petite 21.00 Peur sur la base
plage de l’île grecque de Chios, sa­ Téléfilm de Laurence Katrian, avec
turée de soleil, où un couple alle­ Audrey Fleurot, Philippe Lefebvre,
mand et leur ado, les Hennings, Maryne Bertieaux (Fr., 2017, 100 min).
sont en villégiature. Jusqu’à cet France 3
éclat d’irréel à deux pas d’eux, sur 21.00 Des racines et des ailes,
le même sable fin où ils se prélas­ 100e de Passion patrimoine :
sent : l’accostage d’un canot que sont-ils devenus ?
pneumatique hérissé de mi­ Présenté par Carole Gaessler.
grants, qui vont vite s’égailler Canal+
dans la nature. Existe­t­il un éden 21.00 Les Municipaux, ces héros
pour eux ? Comment se le repré­ Film de et avec Eric Carrière et
sentent­ils ? Francis Ginibre (Fr., 2018, 90 min).
Cette première scène, où deux France 5
mondes destinés à ne jamais se 20.50 La Grande Librairie
côtoyer se font face, rappelle le Présentée par François Busnel.
goût de son réalisateur, Dominik Arte
Moll (Harry, un ami qui vous veut 20.55 Retour à Montauk
du bien ; Lemming), pour l’ironie Film de Volker Schlöndorff avec
et une inquiétante étrangeté. Stellan Skarsgard, Nina Hoss,
Mais ce tropisme prend fin avec Susanne Wolff (All., 2017, 105 min).
cette scène d’ouverture, car cette M6
fois­ci, le cinéaste se frotte à un 21.00 Top chef
thème d’actualité : celui des mi­ Jeu-concours, demi-finale présentée
grants. « Les héros contemporains, par Stéphane Rotenberg.
ce sont eux, qui bravent tous les
dangers pour essayer de venir en
Europe, estime­t­il. C’est un sujet JEUDI  2  MAI
très peu traité alors qu’on en parle Joshua Edoze interprète le rôle du jeune migrant Amare. PIMARSAUT/PIERRE MEURSAUT TF1
partout, tout le temps. Sans igno­ 21.00 Section de recherches
rer que nous ne ferions rien d’ex­ Série avec Xavier Deluc (Fr., 2019).
haustif, j’ai entrevu la possibilité de dans la maisonnée), miroir du parce que Dominik Moll a tourné l’énorme marché de la gestion des France 2
m’approcher de quelques aspects « Wir shaffen das ! » (« Nous y arri­
Dominik Moll dans un véritable camp de mi­ flux migratoires et des missions 21.00 Laissez-vous guider au
de la complexité du sujet. » verons ! ») d’Angela Merkel. Cette a tourné dans un grants, celui de Skaramagas aux afférentes pourrait bien être con­ cœur de la Révolution française
Croisant la problématique de la trame se révèle au final la moins abords d’Athènes. Un « camp ins­ fié à des compagnies privées (dé­ Magazine culturel présenté par
traversée de l’Europe par un mi­ convaincante de la série.
véritable camp tallé », un « sas de longue durée », marches administratives, habitat, Stéphane Bern et Lorant Deutsch.
neur sans papiers et celle de l’ac­ de migrants, celui où les réfugiés sont envoyés une sécurité, emploi, enseignement, France 3
cueil des migrants sur notre con­ Des intérêts privés fois leur identification enregistrée etc.), si l’on devait suivre ce que 21.00 Une famille à louer
tinent, cette minisérie entrelace Eden suit par ailleurs la demande
de Skaramagas et leur procédure d’asile lancée. préconise la très pragmatique di­ Film de Jean-Pierre Améris, avec
plusieurs récits, au départ indé­ d’asile politique et l’exil à Paris aux abords Par ailleurs, le camp d’Eden, que rectrice du camp où échoit Amare. Benoît Poelvoorde, Virginie Efira,
pendants les uns des autres, qui d’un couple syrien alaouite aisé, dirige Hélène (Sylvie Testud), se On ne divulguera rien en ajou­ François Morel (Fr., 2015, 105 min).
se dérouleront à Athènes, Mann­ qu’accompagne un journaliste
d’Athènes veut un modèle de partenariat pu­ tant que l’on suivra l’errance de ce Canal+
heim, Paris et Bruxelles au fil de français en quête de preuves sur blic­privé, comme il en existe réel­ jeune Amare, personnage que l’on 21.00 False Flag
quelques semaines. les exactions de Bachar Al­Assad. lement à la frontière turco­sy­ aurait aimé mieux connaître en­ Série avec Hanna Azoulay Hasfari
A Mannheim en Allemagne, de Mais Paris ne sera pas le havre de C’est dans ce camp de transit rienne, où, à la suite du pacte mi­ core, jusqu’au seuil du Royaume­ (Isr., 2018, 2 × 45 min).
retour de l’île de Chios, les Hen­ paix qu’ils imaginaient. Certes, grec qu’arrive Amare (16 ans, très gratoire que les Européens ont Uni, pays où joue son idole, le plus France 5
nings, couple de profs ouverts, ac­ leur petite fille sera intégrée dans sobrement interprété par Joshua passé avec la Turquie, le gouverne­ grand footballeur à ses yeux. 20.55 A la conquête de Titan
cueillent chez eux Bassam, un une école française, mais lui, chi­ Edoze, Grec d’origine nigériane), ment turc délègue la gestion de « Nous ne voulions pas montrer Documentaire de Jonathan
jeune Syrien (il est interprété par rurgien, aura emmené avec lui le l’un des migrants ayant abordé certains camps à des intérêts pri­ son parcours de l’Afrique vers l’Eu­ Tavel et Frédéric Ramade
Adnan Jafar, qui lui­même tra­ secret d’un choix terrifiant, sur l’île de Chios. Amare y re­ vés, nous a certifié Arte. Des fonds rope, mais bien au sein de l’Europe : (Fr.-Jap., 2017, 85 min).
versa les Balkans en passant deux auquel il était confronté à Damas. trouve son grand frère, Daniel, à européens, une gestion privée et ce que veut dire en traverser les Arte
ans dans un camp de réfugiés Dans le même temps, dans la qui l’on signifie bientôt qu’il n’a efficace, voilà ce que prône la très frontières, comment ça se passe », 20.55 Eden
avant d’atteindre Munich où il ré­ banlieue d’Athènes, deux beaux­ pas obtenu le statut de réfugié. pragmatique Hélène. « Quand j’ai conclut Dominik Moll.  Mini-série avec Sylvie Testud,
side). Se jouent alors les thèmes frères que la crise économique a Double contrainte : devenir un découvert le script et le person­ Diamand Abou Abboud
de l’intégration et du vivre­en­ contraints de vivre sous le même clandestin, ou attendre d’être nage, j’ai vraiment eu du mal à martine delahaye (Fr.-All., 2019, 3 × 45 min).
semble (notamment au travers toit vont être confrontés à une renvoyé ? croire que ça existait ! », notait Syl­ M6
du fils unique des Hennings, tragédie silencieuse, en tant que Ce camp où se retrouvent les vie Testud sur le tournage. Eden, série réalisée par Dominik 21.00 9-1-1
outrageusement réticent à l’in­ gardiens d’un camp de migrants deux frères s’avère être un lieu Dans les huis clos de la Commis­ Moll (Fr.­All., 2018, 6 × 45 min) Série avec Angela Bassett, Jennifer
trusion d’un autre jeune homme en attente de papiers. très particulier. Tout d’abord sion européenne, à Bruxelles, en ligne jusqu’au 2 juin sur Arte.tv. Love Hewitt (EU, 2018, 110 min).

0123 est édité par la Société éditrice


HORIZONTALEMENT du « Monde » SA. Durée de la société : 99 ans à

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verture de gamme. Province de Bel-
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n° 0722 C 81975 ISSN 0395-2037
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26 | styles 0123
JEUDI 2 MAI 2019

GASTRONOMIE

Q
u’est­ce qu’un restau­
rant ? A une époque,
on aurait répondu
sans hésiter que c’est
un lieu où manger,
souvent incarné par un chef.
Aujourd’hui, sa définition est en
train de changer : il n’a plus forcé­
ment besoin d’être associé à un en­
droit physique ou une personne en
particulier, il peut être éphémère,
itinérant, partagé entre plusieurs
cuisiniers. Et Tontine, qui a ouvert Céline et
vendredi 26 avril à Paris, a franchi Julien Pham,
un cap supplémentaire dans la dé­ fratrie
sintégration du concept. perchée
Tontine fait fi de tous les codes à la tête du
de la gastronomie classique : pour restaurant
commencer, il n’y a pas de lieu at­ conceptuel
titré. « Tu peux l’emmener partout, Tontine.
le faire voyager, le poser à Paris, Au Perchoir
Amsterdam ou Tokyo », explique le (Paris)
fondateur, Julien Pham. Il n’y a pas jusqu’au
un chef, mais des cuisiniers qui se 31 décembre.
succèdent, et un « food director » WILLIAM BEAUCARDET
pour faire le lien entre eux – cette POUR « LE MONDE »
mission étant confiée à Céline
Pham, la talentueuse jeune chef et
sœur du fondateur. Pas de style de
cuisine en particulier, la carte pou­
vant proposer des plats ouest­afri­
cains une semaine, puis chinois du
Sichuan la suivante. Et le lieu qui
accueille Tontine servira aussi à
d’autres événements : « On pour­
rait en faire un showroom, une
salle de conférences ou de dégusta­
une cuisine sans toit ni loi
tion de vins… Tontine, c’est un en­
droit qui est ouvert à tous ceux qui
Il n’y a ni adresse fixe, ni sommelier, ni chef attitré, mais des pour souligner la dimension indé­
ont envie de faire les choses bien »,
affirme Julien Pham.
cuisiniers du monde entier qui se succèdent aux fourneaux. pendante du projet.
S’il est vrai qu’il institutionnalise
Avec un champ des possibles
aussi large, comment donner une
Avec le concept­restaurant Tontine, Julien et Céline Pham la flexibilité du lieu et du chef,
avant lui, d’autres ont pavé la voie.
identité au projet ? A ce sujet, Julien
Pham ne semble pas inquiet. Ce
parient sur l’éphémère. A découvrir à Paris jusqu’à la fin 2019 Des restaurants accueillant des cui­
siniers en résidence ont vu le jour,
Franco­Vietnamien de 35 ans tra­ comme Fulgurances à Paris ou A la
vaille depuis une dizaine d’années Piscine à Lyon. Des chefs ont aban­
« dans la bouffe » (il n’emploie pas le lien Pham a compris les attentes du nais (9 euros) ou cette stratosphéri­ niers « hypertalentueux mais qui donné l’idée de restaurant fixe
mot gastronomie). Il a fondé une public et peut faire appel aux bon­ que crème cacaotée à la mélasse n’ont pas le temps, le courage ou les pour multiplier les projets et les
agence, Phamily First, qui propose nes personnes pour les contenter. (8 euros) ? Tout ! moyens de se lancer », annonce Ju­ clients, à l’instar du Paris Popup
ses services aux marques, à des par­ CÉLINE PHAM  Pour sa première version, Tontine Pour arroser ce festin, il faut lien Pham. Dans son viseur, il y a un ou… de Céline Pham. Quant au
ticuliers, à des restaurants ; il s’oc­ LAISSERA LA PLACE  s’est installé au Perchoir, ce restau­ aimer les vins complètement fous, Togolais­Nigérian imprégné des Noma, le restaurant star danois, il
cupe de positionnement, conseil, rant parisien saturé de hype et de des pétillants rafraîchissants, des techniques françaises classiques, un s’est déjà délocalisé en Angleterre,
stratégie, organise des événe­ EN CUISINE À UN  bruit, juché au 6e étage d’un im­ rouges légèrement effervescents, ami mexicain qui fait fureur dans au Japon, en Australie et au Mexi­
ments. Pour Nike, en 2017, il était en meuble industriel du côté de Mé­ des blancs orangés à la structure une taqueria, une chef vietna­ que pour quelques jours ou quel­
charge du dîner parisien qui réu­ TOGOLAIS­NIGÉRIAN  nilmontant. Le 31 décembre, ri­ complexe. La carte est 100 % na­ mienne basée à Hongkong. ques mois, emmenant toute
nissait le basketteur américain deau. En attendant, les trois pre­ ture. Ça ne va pas plaire à tout le l’équipe à chaque fois.
Kobe Bryant, l’ancien directeur ar­
IMPRÉGNÉ DES  miers mois, c’est Céline Pham qui monde, mais le maître des lieux « On n’est pas rebelles » « On n’a pas peur que ça se finisse.
tistique de Givenchy Riccardo Tisci TECHNIQUES  est seule aux manettes en cuisine. justifie sa décision par l’intérêt su­ Cette rotation permanente sera On sera tristes, mais c’est pas grave,
et l’attaquant du PSG Neymar. Plus Et c’est délicieux. En entrée, impos­ périeur de la santé et du respect de aussi ponctuée de repas spéciaux, à on recommencera ailleurs », prévoit
récemment, il a agencé l’espace FRANÇAISES  sible de choisir entre les croquettes l’environnement : l’absence de l’instar de cette grosse choucroute Julien Pham. Reste que la phase de
consacré à l’alimentation des nou­ électrisées par une sauce poire et produits chimiques qui caractérise préparée avec le charcutier Gilles Vé­ rodage d’un restaurant peut durer
velles Galeries Lafayette sur les CLASSIQUES, PUIS  piment (11 euros) ou les ravioles de ce type de vins est plus importante rot qui sera proposée quand les plusieurs mois et qu’il est un peu
Champs­Elysées. À UN AMI MEXICAIN  bœuf confit réveillées par de l’an­ que le goût de chacun, dit­il. En beaux jours s’en seront allés. Ici, ce incongru de s’arrêter au moment
Parce qu’il baigne dans le milieu guille et attendries par les carottes tout cas, l’approche est intéres­ n’est pas un style de cuisine qui doit où ça commence à rouler. Et sur­
depuis longtemps, qu’il connaît QUI FAIT FUREUR  et le beurre noisette (13 euros). sante ; pas de sommelier ici, les ser­ donner envie de (re)venir, mais tout, quand c’est aussi bon, quelle
aussi bien les marques de grande Les plats amènent aussi de cruels veurs sont tous habilités à parler l’ambiance. « On n’est pas rebelles, on frustration de savoir qu’il y a une
distribution, les producteurs indé­ DANS UNE TAQUERIA dilemmes : lieu jaune croustillant pinard, et de préférence avec leurs ne fait pas manger les gens par terre. date de péremption ! 
pendants, les vignerons rebelles, dans les brisures de riz soufflé mots plutôt qu’avec des expres­ Mais on fait les choses à notre ma­ elvire von bardeleben
les chefs confirmés que les commis (24 euros) ou soba avec herbes en sions toutes faites. nière », se justifie Julien Pham, qui a
de cuisine qui n’ont pas encore eu tempura (22 euros) ? Quant au des­ Dans trois mois, Céline Pham lais­ choisi le nom « Tontine » (une ban­ Le Perchoir, 14, rue Crespin­du­
l’occasion de faire leurs preuves, Ju­ sert, baba à l’alcool de prune japo­ sera la place en cuisine à des cuisi­ que communautaire entre voisins) Gast, Paris 11e.

CUISINEZ­MOI | CHRONIQUE PAR CAMILLE LABRO
J’ai bu pendant sept heures sur une scène de théâtre

J e ne boirai plus jamais mon vin


comme avant. Car enfin je sais qui je
bois. On m’avait beaucoup parlé de Sé­
bastien Barrier, de son spectacle phé­
pour l’apéro, un verre de rouge à la main.
Il discute avec les premiers attablés. Et
puis, l’air de rien, alors que certains s’ins­
tallent encore, il commence à parler et à
NOUS SAVOURONS 
LE SAUVIGNON DE 
le long du fleuve fondamental (la Loire), à
la rencontre des vignerons et vigneron­
nes, mais aussi à la découverte des rites
papous, de souvenirs de cuites carabinées,
traits désordonnés. Son chat Wewe surgit
d’entre les chaises, se glisse dans ses bras.
L’acteur souffle, siffle, bégaie parfois, avale
le micro, boit, fume, chante, interpelle son
nomène, performance solo de sept heures déambuler. Il se déplie, se déploie, nous NOËLLA MORANTIN,  de portraits de Japonais sensibles, du mi­ père assis à côté de nous, boit encore, ras­
sur les vignerons et le vin nature (sans sul­ embarque en alternant mots, murmures, racle des fermentations et de la chimie de sure sa mère, qui est là elle aussi. « Ne t’in­
fites ni chimie de synthèse), à ne rater vociférations, gesticulations, accords de PENDANT QUE LE  Jules Chauvet, père du vin nature. quiète pas, maman, je vais bien. »
sous aucun prétexte. Parler de vin pen­ guitare, gorgées et bouffées, dans un uni­ Quand il n’a plus les mots, ou qu’il feint
dant sept heures, vraiment ? Cela m’intri­ vers tonitruant, festif et digressif, à la fois
COMÉDIEN SÉBASTIEN  DES HISTOIRES À TIROIRS la paresse, il nous renvoie à son livre (Sa­
guait. Mais j’arrivais après la bataille, après étrange et familier. BARRIER PARLE D’ELLE,  Vers 22 heures, après deux pauses et deux voir enfin qui nous buvons, Actes Sud,
l’ivresse : le comédien avait annoncé qu’il On apprend qu’il attend un enfant. Que vins goûtés, il précise qu’il arrive au bout 2016). L’humour succède au désespoir, il
arrêtait le spectacle, cela avait duré cinq ce soir sera, c’est sûr, la « der des der ». Il PUIS LE CHEVERNY DE  de son introduction : « Attention, j’entre titube, se reprend, clown anarchique,
ans, c’était fini. Frustration, déception. joue sur les incertitudes de durée, parie dans le cœur de l’histoire… » Nous sommes caustique, digne et fragile, la musique
Jusqu’au jour où je découvre, il y a quel­ sur qui partira avant la fin de soirée. Une THIERRY PUZELAT,  suspendus à ses lèvres vineuses, à ses ges­ prend le pas sur la raison, borborygmes
ques semaines, que trois ultimes repré­ équipe de serveurs – à moins que ce ne AUQUEL IL DÉDIE UNE  tes hoquetants, entraînés dans son flot de éclatants. Tout devient culte, mythe, sym­
sentations sont prévues, au Théâtre de soit des acteurs ? – se faufile entre les ta­ paroles ruisselant, ses confessions azimu­ bole. Est­ce cela l’ivresse ? Quand il ter­
Saint­Quentin­en­Yvelines, dans le cadre bles pour nous verser un premier vin, CHANSON PUNK DES  tées, ses histoires à tiroirs qui parlent mine, au son de la guitare, il est 2 h 30 du
des Rencontres InCité « A table ! ». J’y trois centilitres à peine, à hauteur des trois d’humanité, brailleuse et buveuse. matin, les sept heures ont filé. Nous som­
cours. A l’entrée, on nous distribue des petits points sur nos verres. Un exquis SLEAFORD MODS Il boit. Nous beaucoup moins, nous sa­ mes sonnés. Nous avons bu sept fonds de
verres siglés « Savoir enfin qui nous bu­ « pet nat » (pétillant naturel), sans doute vourons le sauvignon de Noëlla Morantin, verre, l’équivalent d’un verre et demi,
vons ». Et nous voilà attablés, à 19 h 30, sur un chenin, mais nous ne sommes pas là pendant qu’il parle d’elle, puis le cheverny nous savons bien que l’émotion vient
les planches du Grand Théâtre – sur la pour faire des analyses œnologiques, on le de Thierry Puzelat, auquel il dédie une d’ailleurs. Lui aussi est ému. « Peut­être,
scène même, où des tables et des chaises comprendra vite. Car des vins, l’acteur­ chanson punk des Sleaford Mods. Ce sont souffle­t­il, vais­je le refaire ce spectacle,
sont dressées, façon bistro. Sébastien Bar­ conteur, ancien circassien, ne dit presque ainsi six ou sept vignerons naturels, héros après tout. » En attendant, il propose de
rier est déjà là, comme s’il nous attendait rien. Il nous emmène en terre ligérienne, du monde ordinaire, dont il conte les por­ boire un dernier coup. 
IDÉES
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JEUDI 2 MAI 2019 | 27

QUÉBEC : VERS UNE REDÉFINITION DE LA LAÏCITÉ ?


Le projet de loi 21 sur la laïcité déposé fin mars par le gouvernement québécois
fait débat. Il prévoit d’interdire aux fonctionnaires en position d’autorité
(juges, policiers et enseignants) de porter des signes religieux au travail

Jocelyn Maclure La présente Christiane Pelchat Le projet


crispation sur la laïcité de loi renforce l’égalité entre
québécoise est malheureuse les citoyennes et les citoyens
Pour le philosophe, l’Etat doit un égal respect à tous les citoyens, or ce Selon l’avocate, les « accommodements raisonnables » accordés au nom
texte sert en grande partie les aspirations identitaires des nationalistes de la liberté religieuse se font généralement au détriment des femmes

L A
e Québec vit à présent un nouvel épi­ vocate en droit des femmes et fémi­
sode de son débat sur le modèle de laï­ niste universaliste, je ne peux qu’ap­
cité et d’aménagement de la diversité puyer le projet de loi 21 « sur la laï­
qui lui sied le mieux. Le gouverne­ cité de l’Etat » déposé par le gouver­
ment majoritaire de centre droit de la Coali­ L’ÉTAT LAÏQUE NE nement québécois à l’Assemblée nationale DE NOMBREUSES
tion avenir Québec vient de déposer un pro­ fin mars. Un tel geste est devenu néces­
jet de loi sur la laïcité dont les dispositions DOIT PAS CHERCHER saire, car le régime en place pour encadrer DEMANDES VISAIENT
les plus discutées auraient pour effet d’in­
terdire le port de signes religieux par les
À FAVORISER la liberté religieuse tend à fragiliser les
droits des femmes.
LE REMPLACEMENT
agents de l’Etat qui ont un pouvoir de coerci­ L’ÉMANCIPATION De 2006 à 2011, j’ai eu la chance de présider DE FEMMES
tion ou qui sont en position d’autorité. le Conseil du statut de la femme (CSF), une
Le projet de loi bénéficie actuellement de PAR RAPPORT instance qui correspond en France au Haut EMPLOYÉES DE L’ÉTAT
l’appui d’une large majorité de la popula­ Conseil à l’égalité entre les femmes et les
tion, ainsi que du troisième parti d’opposi­
À LA FOI RELIGIEUSE hommes. Au cours de nos travaux, nous PAR DES HOMMES
tion. Le débat social est malgré tout vigou­ avons constaté que l’égalité entre les sexes
reux. L’opposition officielle [le parti politi­ est le droit qui est le plus susceptible d’être
que qui arrive au deuxième rang lors d’une compromis lorsque des accommodements
élection] et le second parti d’opposition se On ne manque pas d’affirmer que les droits raisonnables sont accordés au nom de la les. C’est ce que prévoit le projet de loi 21 : la
dressent contre le projet, outre un grand fondamentaux sont respectés puisque tout liberté de religion, ce qui ne surprend guère laïcité comme guide et comme protecteur
nombre d’universitaires, la Commission des un chacun demeure souverain quant à ses tant les grands récits monothéistes réservent du droit à l’égalité. Pour la première fois
droits et libertés de la personne et les élus convictions de conscience. Tout ce qui est aux femmes un statut de subordonnées. dans l’histoire du Québec, la laïcité sera af­
municipaux de la ville de Montréal. exigé est que les signes religieux soient lais­ Les accommodements raisonnables visent firmée dans une loi et dans la Charte des
Vu de la France, le débat pourrait surpren­ sés au vestiaire pendant les heures de travail. à empêcher les discriminations. Lorsqu’une droits et libertés individuelles. Ainsi les de­
dre. La laïcité n’exige­t­elle pas que les agents Comme une nouvelle ruse de l’histoire, cet personne estime en être victime à cause mandes d’accommodements pour des mo­
de l’Etat n’expriment pas leur appartenance argument révèle jusqu’à quel point certains d’une norme juridique ou d’une règle pro­ tifs religieux pourront être modulées en
religieuse lorsqu’ils sont en fonction ? L’in­ défenseurs de la laïcité sont décidément très pre à son travail, elle peut demander à en fonction de ce principe. Il s’agit là d’un
terdiction ne devrait­elle d’ailleurs pas viser chrétiens. Ce sont les enfants du tournant in­ être exemptée. Les accommodements s’ap­ grand progrès, qui honore le Québec et le
tous les employés des organismes publics ? térieur augustinien et de la critique protes­ puient sur la Charte des droits et libertés de place parmi les nations les plus avant­gar­
Disons d’abord qu’on peut être à la fois pour tante du catholicisme. La « vraie religion » se la personne du Québec adoptée en juin 1975 distes sur le plan de l’égalité entre les sexes,
la laïcité de l’Etat et contre certaines des lois joue selon eux dans le for intérieur ; les prati­ (le Canada a suivi son exemple en 1982). de l’équilibre entre le respect des droits de
qui prohibent le port de symboles religieux. ques et rituels sont secondaires et supersti­ Pour donner plein effet au droit à l’égalité, la la personne et des valeurs collectives essen­
Le philosophe Charles Taylor et moi avons tieux. Les interdire dans certains contextes Cour suprême du Canada a déclaré en 1985 tielles, composantes nécessaires à son épa­
soutenu que les fondements éthiques de la ne constitue pas une atteinte significative et qu’un employeur ou un prestataire de servi­ nouissement et à sa cohésion.
laïcité sont le respect égal que l’Etat doit à répréhensible à la liberté de religion. ces doit concéder un accommodement afin Le principe de laïcité tel qu’il est proposé
tous les citoyens – quels que soient leurs sys­ Pourtant, ce mode de religiosité centré sur qu’une personne ne soit pas discriminée à par le gouvernement actuel est inspiré des
tèmes de croyance et de valeurs – et la vo­ la conscience et la quête spirituelle n’est cause d’un handicap, ou de sa religion, ou à réflexions engagées au Québec depuis la
lonté d’assurer leur liberté de conscience et qu’une façon de vivre sa foi parmi d’autres. cause de son sexe ou pour tout autre motif tenue en 2007 de la Commission Bouchard­
de religion. Pour parvenir à ses fins, l’Etat Pour un très grand nombre de croyants, la énuméré dans les chartes des droits de la Taylor sur les accommodements rai­
doit être séparé des religions en ce sens que foi exige autant un mode de vie particulier personne québécoise et canadienne. sonnables. Il faut saluer le courage politique
les lois doivent être justifiées sur la base de que le respect de croyances sincères. Nul du gouvernement québécois. En choisissant
raisons accessibles à tous et que le gouverne­ besoin d’avoir soi­même la foi pour penser Valeurs partagées d’exprimer la laïcité, notamment par la
ment civil jouisse de sa pleine autorité poli­ que notre engagement envers la liberté de Or, depuis 2005, il est apparu que de nom­ neutralité « en fait et en apparence » de ses
tique. L’Etat laïque doit aussi être neutre par religion serait bien superficiel s’il consistait breuses demandes d’accommodements représentantes et représentants, le législa­
rapport aux religions ; il ne doit ni les favori­ à ne tolérer qu’un seul mode de religiosité. pour motif religieux (fondées ou non) teur trace une ligne et donne un chemin aux
ser ni les défavoriser. De plus, peut­on à la fois défendre la laïcité visaient le remplacement de femmes em­ tribunaux pour interpréter le droit.
et demander à l’Etat de se faire théologien et ployées de l’Etat par des hommes, monitri­ Ajoutons que le droit à l’égalité des fem­
La place de l’humain d’établir la vérité en matière de ce que ces pour le permis de conduire ou policières, mes est confirmé de nouveau par le préam­
Bien que je sois conscient que cela n’est pas constitue la foi véritable ? puisque certains usagers ne souhaitaient bule du projet de loi, qui énonce : « Considé­
unanimement accepté, en particulier par De sa Révolution tranquille [la période de pas être en présence de femmes représen­ rant l’importance que la nation québécoise
certains des penseurs français de la laïcité, modernisation accélérée qu’a connue la pro­ tantes du gouvernement. accorde à l’égalité entre les femmes et les
l’Etat véritablement laïque ne doit pas cher­ vince dans les années 1960] jusqu’à la pre­ L’entreprise privée a aussi été touchée par hommes… ; » et par son article 2 où il est
cher à favoriser l’émancipation par rapport mière moitié des années 2000, le Québec a ce type de demandes, lorsque des hommes expressément mentionné que la laïcité re­
à la foi religieuse – ce qui contrevient au montré que la mise en œuvre d’une laïcité d’une communauté religieuse ont demandé pose entre autres « sur le principe de l’égalité
principe de respect égal et de neutralité –, équilibrée et apaisée était possible. Dans un d’apposer un film occultant sur les vitres de tous les citoyens et citoyennes ». L’Etat réi­
mais bien à créer les conditions d’une contexte où le défi n’est plus de libérer le d’un gymnase, car on y voyait des femmes tère que l’égalité des sexes est un principe
authentique autonomie morale ou liberté pouvoir public de l’influence indue d’une en tenue de sport. Ces atteintes aux droits qui sous­tend la laïcité de l’Etat.
de conscience, c’est­à­dire à permettre à tout Eglise dominante, mais bien d’aménager de des femmes ont été durement ressenties au De plus, on oublie trop souvent que la laï­
un chacun de donner ses propres réponses façon juste et stable la diversité des concep­ Québec, où les valeurs d’égalité entre les cité est un gage d’une réelle égalité, puis­
aux questions relatives à la place de l’hu­ tions séculières et religieuses de l’existence, femmes et les hommes sont largement qu’elle soutient l’exercice de la liberté de
main dans l’Univers et au sens d’une vie la présente crispation sur la laïcité qué­ partagées. conscience et de religion afin que ses deux
réussie. Les principes de séparation entre bécoise est malheureuse. Des nationalistes Dans son premier avis, « Droit à l’égalité facettes, la liberté de croire et celle de ne pas
l’Etat et les institutions religieuses et de québécois qui déplorent le faible engoue­ entre les femmes et les hommes et liberté croire, soient pleinement respectées. En ce
neutralité religieuse de l’Etat sont les modes ment de leurs concitoyens pour l’idée de religieuse », en 2007, le CSF a demandé au sens, affirmer que les mesures d’application
opératoires de la laïcité. Je ne peux y revenir faire du Québec un pays souverain se ré­ gouvernement de prendre des mesures lé­ de la laïcité proposées porteraient atteinte
ici, mais le fait qu’un agent de l’Etat exprime jouissent présentement de la politique gislatives et réglementaires afin que jamais au droit à l’égalité de manière discrimina­
une appartenance religieuse n’entame pas identitaire du gouvernement. Ils espèrent y un accommodement qui porte atteinte toire, c’est méconnaître les fondements mê­
la laïcité de l’Etat. L’essentiel est qu’il s’abs­ trouver les prémices d’un réveil nationa­ aux droits des femmes à l’égalité ne soit ac­ mes de ce principe. La laïcité renforce l’éga­
tienne de tout prosélytisme et qu’il agisse liste. Mais pour ceux qui pensent que la pré­ cordé. Tout accommodement qui viole le lité entre les citoyennes et les citoyens, peu
sur la base des valeurs et des règles inhéren­ sente ère des populismes autoritaires ap­ droit des femmes devrait être déclaré dérai­ importe leur croyance ou leur non­
tes à sa fonction. pelle à une défense de l’Etat de droit démo­ sonnable et rejeté. croyance. 
Si l’opposition au projet de loi est vive, c’est cratique partout où il est menacé, l’heure est Afin de faire respecter ce droit et cette
qu’il porte atteinte à des droits fondamen­ plutôt à l’inquiétude.  valeur collective, au terme de nos travaux
taux protégés par les chartes québécoise et qui ont culminé avec l’avis « Affirmer la laï­
canadienne des droits et libertés. En interdi­ cité, un pas de plus vers l’égalité réelle entre
sant le port de signes religieux pour certains les femmes et les hommes », en 2011, le CSF
agents de l’Etat, la loi force un petit nombre concluait que l’affirmation de la laïcité en Christiane Pelchat est avocate
de personnes à renoncer ou bien à une prati­ tant que principe structurant était essen­ et consultante en droit des femmes.
que religieuse porteuse de sens ou bien à Jocelyn Maclure est professeur de tielle pour faire avancer les femmes vers Elle a siégé à l’Assemblée nationale
une carrière désirée. La loi contraint ainsi philosophie à l’université Laval (Québec). une égalité de fait. Il recommandait l’ajout du Québec de 1985 à 1994 en tant
certains à choisir entre l’exercice de leur li­ Il a coécrit avec Charles Taylor de la laïcité dans la Charte des droits et li­ que députée du Parti libéral (centre
berté de religion et leur droit à l’égalité sur le « Laïcité et liberté de conscience » bertés de la personne, afin d’empêcher de droit).De 2006 à 2011, elle a présidé le
plan de l’accès à certains postes et fonctions. (La Découverte, 2010) possibles excès pour les libertés individuel­ Conseil du statut de la femme du Québec
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28 | idées JEUDI 2 MAI 2019

L’Espagne, horizon de la gauche française


ANALYSE gestion sociale­démocrate et celle de droite.
Avec pour conséquence une désaffection du­
tions de gauche qui rompaient avec les recet­
tes de l’austérité. Ce qu’il a réussi en faisant re­
çais sont beaucoup plus réticents à une quel­
conque union de la gauche avec les socialis­

P
edro Sanchez, le patron du Parti so­ rable et un électorat qui se tourne notam­ venir les socialistes sur leurs valeurs d’égalité, tes que les Espagnols qui ont appelé, diman­
cialiste ouvrier espagnol (PSOE, ment vers les mouvements adeptes de la de justice, de redistribution des richesses, est che soir, à un « gouvernement de coalition des
gauche) arrivé en tête lors des élec­ stratégie populiste avec qui le PS ne partage une petite lueur d’espoir. Son travail d’union gauches », par la voix de Pablo Iglesias.
tions législatives espagnoles du pas certains fondamentaux, comme, par quand il a tendu la main à Podemos est très Ces influences réciproques tiennent aussi
28 avril, en est certain : sa victoire envoie un exemple, le rejet du clivage gauche­droite. inspirant. C’est de ce côté que nous devons re­ beaucoup au tropisme hispanique des diri­
signal « clair à l’Europe et au monde : on peut Pour tenter de regagner une légitimité, Oli­ garder », analyse­t­elle. geants de LFI. A l’image de Jean­Luc Mélen­
vaincre la réaction, l’autoritarisme et la ré­ vier Faure préfère suivre l’exemple de Pedro S’il est loin d’être certain que le scénario es­ chon (sollicité, il a refusé de répondre au
gression ». Un message parfaitement reçu Sanchez : couper avec la vieille génération, pagnol trouve son décalque en France, une Monde), beaucoup d’« insoumis » de premier
par ses camarades français qui regardent en adoptant une nouvelle offre politique chose est sûre : Podemos et LFI ont lié leurs plan parlent la langue de Cervantes, sont pas­
EN ESPAGNE ET  avec envie la réussite de M. Sanchez qui a su avec une ligne plus à gauche, et renouveler destins depuis longtemps. Les deux mouve­ sionnés par l’histoire espagnole et sud­amé­
AU PORTUGAL, LES  « gauchir » la ligne de son parti, tout en res­ fortement les instances du parti et ses diri­ ments populistes de gauche entretiennent ricaine, lisent les penseurs post­marxistes Er­
tant fidèle à la social­démocratie. Une équa­ geants. Mais le chemin pour retrouver des des relations serrées. Ils font, d’ailleurs, par­ nesto Laclau et Chantal Mouffe, deux auteurs
PARTIS SOCIALISTES  tion complexe qui inspire. scores majoritaires est encore long. tie de la même coalition européenne, Main­ qui ont beaucoup influencé Podemos…
Du côté de la gauche de la gauche, le résul­ En Espagne et au Portugal, les partis socia­ tenant le peuple, avec le Bloco portugais.
NE SONT PLUS  tat de Podemos qui arrive en quatrième posi­ listes ne sont plus hégémoniques, mais ils Surtout, LFI et Podemos exercent une in­ « Ce n’est pas juste politique »
tion, montre qu’un discours sans concession ont su revenir au pouvoir en se réinventant fluence réciproque l’un sur l’autre. « Il y a eu « Les dirigeants de LFI sont pétris d’internatio­
HÉGÉMONIQUES,  peut s’enraciner dans le paysage politique, et en passant des alliances à gauche. Les Por­ plusieurs impulsions au fil des années, note nalisme, ils ont une appétence pour la culture
MAIS ILS ONT  malgré les crises internes et un résultat en tugais en premier avec Antonio Costa qui a Christophe Ventura, chercheur à l’Institut de et la langue espagnoles… Cela donne des diri­
demi­teinte (perte de 29 sièges de députés et fait le choix dès 2015 d’une politique anti­ relations internationales et stratégiques, spé­ geants sensibilisés, informés, confirme
SU REVENIR  de plus d’un million de voix par rapport à austérité pour sortir de la crise sociale ma­ cialiste de l’Amérique latine et proche de LFI. M. Ventura. Cependant ce n’est pas par Chan­
2016). Une situation que La France insou­ jeure dans laquelle se trouvait son pays, en Dès 2010­2011, le Parti de gauche [PG, matrice tal Mouffe et Ernesto Laclau que le rapproche­
AU POUVOIR EN  mise (LFI), proche de Podemos, observe éga­ étant soutenu par le Bloc de gauche et le Parti de LFI] observe attentivement le mouvement ment s’est effectué. Mais cela crée un climat de
SE RÉINVENTANT  lement avec attention. communiste portugais. des “indignés” et la manière dont se passe la confiance et de reconnaissance mutuelle. »
Depuis le résultat calamiteux de l’élection fondation de Podemos. On voit alors se dérou­ « Laclau est un point de départ mais ce n’est
ET EN PASSANT présidentielle de 2017 (6,36 % des voix), les « Une petite lueur d’espoir » ler le premier scénario de la Révolution ci­ pas la Bible, abonde la communicante Sophia
responsables du Parti socialiste redoutent la Une formule de « soutien sans participation » toyenne que Jean­Luc Mélenchon a théorisé. » Chikirou. Jean­Luc Mélenchon est un intellec­
DES ALLIANCES « pasokisation [du nom du parti socialiste qui est aussi la marque de Pedro Sanchez. Sergio Coronado, ancien Vert qui a rejoint tuel, un idéologue, il théorise. Pablo Iglesias est
À GAUCHE grec] » de leur parti. Comprendre : une mar­ Ainsi, alors que Podemos ne participait pas à LFI, confirme : « Podemos est une source d’ins­ un intellectuel aussi. Juan Carlos Monedero
ginalisation qui les effacerait durablement son gouvernement, le premier ministre espa­ piration pour ceux qui ont une vision mouve­ [politologue, membre de Podemos] égale­
de l’échiquier politique. Pour la conjurer, les gnol avait présenté un budget que le parti de mentiste. Il y a un souffle, une énergie, une ra­ ment. C’est ce qui caractérise notre mouvance :
socialistes français cherchent à tout prix un Pablo Iglesias appuyait. Cependant, les indé­ dicalité que l’on n’avait pas vus depuis long­ ce n’est pas juste politique, c’est une mouvance
modèle, voire une formule magique qui leur pendantistes catalans ne l’ont pas voté, pro­ temps. Ils cassent les codes. » intellectuelle. » Sergio Coronado ajoute :
évite le sort de leurs camarades grecs ou ita­ voquant les élections anticipées qui se sont Manuel Bompard, le chef d’orchestre de LFI « Pour une fois, avec Podemos, un mouvement
liens. Après avoir longtemps lorgné vers tenues le 28 avril. « Il faut regarder l’Espagne et tient, lui, à souligner que Podemos s’est aussi social se traduit politiquement, avec des jeu­
l’Amérique latine et les exemples de Lula ou le Portugal, à la fois pour leur modèle d’union inspiré de la campagne présidentielle de nes, des femmes, des intellectuels. C’est une
de Michelle Bachelet, c’est désormais vers le de la gauche, sans tentative hégémonique, et Jean­Luc Mélenchon en 2012. « On a aussi force politique qui repense la politique. »
sud de l’Europe − l’Espagne, donc, mais aussi pour les propositions politiques qu’ils portent, l’inspiration commune des processus de Révo­ Sophia Chikirou a pu observer de longue
le Portugal − qu’ils ont tourné leurs regards. affirme Gabrielle Siry, porte­parole du PS. Les lutions citoyennes en Amérique latine, note­ date l’influence de la gauche radicale espa­
De la défaite à la présidentielle, Olivier priorités qu’ils portent, comme le rejet de l’aus­ t­il. Podemos et nous refusons d’être prison­ gnole en France mais aussi dans le monde,
Faure a tiré les leçons en dressant un bilan sé­ térité et la relance de la consommation par la niers de pré carré politique, le refus de la laté­ notamment dans son domaine d’expertise,
vère du quinquennat Hollande. Le premier hausse des salaires, doivent nous inspirer. » ralisation [le clivage droite­gauche] pour in­ la communication politique. « Avec la crise, ils
secrétaire du PS entend aller au­delà en rom­ Anne Hidalgo partage cet enthousiasme. La carner une centralité populaire. Nous tirons se sont exportés partout. Je l’ai vu avec Bernie
pant avec une ligne sociale­libérale qui a maire de Paris, d’origine espagnole, entre­ les leçons de la double impasse de la social­dé­ Sanders aux Etats­Unis, chez Lopez Obrador
marqué le déclin des sociaux­démocrates en tient de longue date des relations étroites mocratie et du communisme d’Etat. Il y eut au Mexique, en Equateur… Il y a une réelle in­
Europe. La gestion drastique des comptes pu­ avec Pedro Sanchez et loue son courage plusieurs tentatives, d’abord avec des coali­ fluence espagnole. » Au regard de la situation
blics et l’application attentionnée de politi­ contre les barons du PSOE qui ont tenté de le tions, comme le Front de gauche [avec le PCF]. espagnole, socialistes ou « insoumis » le sa­
ques d’austérité ont eu comme effets immé­ faire échouer. « Pedro a pris le pouls du peuple LFI et Podemos sont la deuxième génération », vent : le soleil se lève aussi pour la gauche. 
diats la disparition de la frontière entre la et est revenu plus fort avec de vraies proposi­ poursuit M. Bompard. En revanche, les Fran­ abel mestre et sylvia zappi

Yves Pascouau
Les limites d’un Schengen réduit
Instaurer, comme l’envisage Emmanuel Macron, un espace Schengen
comprenant un nombre réduit d’Etats se heurterait à de sérieux cité de l’Union européenne de contrer membres de l’espace Schengen figure
obstacles, ne serait­ce que sur le plan juridique, explique le chercheur, cette orientation, le président Macron dans un protocole annexé au traité.
est contraint de porter le combat sur le Pour exclure un Etat, il faudrait modi­
spécialiste des politiques européennes terrain privilégié de ses adversaires. fier le traité. Cette opération est possi­
Dans ce contexte, le président fran­ ble en droit, mais elle requiert une
çais plaide pour une remise à plat de décision à l’unanimité, ce qui la

A
l’espace Schengen. Schématiquement, condamne politiquement.
l’occasion de sa conférence de question de la gestion des frontières. les Etats qui n’assureraient pas la res­ Une autre voie serait de modifier les
presse du jeudi 25 avril, le prési­ Or cette politique ne peut se résumer à ponsabilité de contrôler rigoureu­ règles existantes en proposant de réta­
dent de la République a abordé cette seule dimension. Elle doit être sement les frontières ou qui n’assume­ blir les contrôles aux frontières inté­
la question de Schengen. Il a plus large et englober notamment la raient pas leur part de solidarité en rieures vis­à­vis des Etats qui ne
repris, avec un vocabulaire légèrement question de l’immigration légale. matière d’asile ne pourront plus parti­ remplissent pas leurs obligations. Cela
différent, les orientations qu’il avait Cela découle de l’existence même de ciper à l’espace Schengen. concernerait notamment les manque­
déjà développées dans sa lettre « Pour l’espace Schengen, qui implique une ments aux obligations de solidarité.
une renaissance européenne », publiée coordination, voire une harmonisa­ Opération difficile Mais il faudrait pour cela qu’une majo­
au mois de mars. tion, des politiques nationales d’immi­ Si le message s’adresse à l’Italie et aux rité qualifiée d’Etats ainsi que le Parle­
L’idée centrale, rappelée en avril, re­ gration légale, telles que l’immigration pays du groupe de Visegrad (Hongrie, ment européen acceptent ces modifi­
pose sur la proposition de modifier les professionnelle ou étudiante. Cela Pologne, République tchèque et Slova­ cations. Dans le contexte politique
règles qui gouvernent le fonctionne­ résulte de la mondialisation, dont les quie), il propose l’ouverture d’une dis­ actuel et futur, rien ne permet de pré­
ment de l’espace Schengen, et en parti­ migrations font partie intégrante, cussion sur l’articulation entre liberté juger d’une telle issue.
culier d’envisager un espace compre­ comme l’a souligné le pacte mondial de circulation, solidarité et responsa­ Le débat sur la « remise à plat » ou la
nant un nombre réduit d’Etats. Si cette des Nations unies sur les migrations. EXCLURE DES ÉTATS bilité. Tout manquement aux obliga­ « refondation » de l’espace Schengen
proposition a une dimension politique tions des deux dernières exclurait du est posé, mais rien n’indique qu’il
forte, elle mérite néanmoins d’être dis­ Frontières et ambitions
DE SCHENGEN, bénéfice de la première. Cependant, la puisse aboutir. Si la voie d’une réforme
cutée, tant dans sa conception que Or, et indépendamment de l’évocation C’EST RÉDUIRE LE mise en œuvre de ce projet reste incer­ est étroite, tout échec fragiliserait
dans sa mise en œuvre. vague d’établir des partenariats uni­ taine. encore plus l’espace et les libertés qui
« La frontière, c’est la liberté en sécu­ versitaires avec l’Afrique, l’approche for­ MARCHÉ INTÉRIEUR Sur le plan des principes, tout l’accompagnent. 
rité. » La lettre du président français fai­ mulée dans le projet « pour une renais­ d’abord, car l’éventuelle réduction du
sait de la frontière, et de son contrôle, le sance européenne » est articulée sur la ET LES GAINS nombre d’Etats faisant partie de l’es­
point d’ancrage de la politique migra­ seule question de la frontière et réduit ÉCONOMIQUES pace Schengen réduirait d’autant… le
toire. La frontière doit protéger, c’est­à­ par conséquent la portée des ambitions marché intérieur. Schengen a permis
dire garantir la liberté de circulation de européennes. QU’IL GÉNÈRE l’établissement d’un espace sans
ceux qui sont déjà dans l’espace Schen­ En focalisant sur ce thème, le prési­ contrôles aux frontières intérieures. Yves Pascouau est chercheur senior
gen et assurer le contrôle efficace de dent souligne aussi que la frontière est Exclure des Etats de Schengen, c’est associé à l’Institut Jacques Delors
ceux qui veulent y accéder. devenue, sous l’impulsion de la Hongrie réduire le marché intérieur et les gains et chercheur à l’université de Nantes,
Pour réaliste qu’elle soit, la perti­ et de ses partenaires, le seul point sur économiques qu’il génère. directeur du site European
nence de cette approche interroge, car lequel il est désormais possible de discu­ Sur le plan juridique, ensuite, l’opé­ Migration Law, coordinateur
elle réduit la politique migratoire à la ter au niveau européen. Face à l’incapa­ ration est difficile. La liste des Etats du site Migrationsenquestions.fr
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JEUDI 2 MAI 2019 idées | 29

« BOYCOTT »
laissera son nom à la postérité. Le « boycott », à un passager blanc – ou bien de discrimi­
ou boycottage, franchit rapidement les mers nation, tel celui imposé par les nazis, le
pour gagner le continent – devenant boicot 1er avril 1933, contre les commerces juifs ? Boy­
en espagnol, boicottaggio en italien, boykott cott préventif, ayant pour but de faire aban­
en allemand. Le dictionnaire de l’Académie donner un projet, ou bien punitif, afin d’exer­
française le considérera longtemps comme cer des représailles pour un fait accompli ?
un anglicisme, avant de l’admettre, en 1986, Boycott politique (fondé sur une certaine
dans sa neuvième édition. image du bien commun et de l’intérêt géné­
ral), consumériste (basé sur des considéra­
Sanctionné par ses employés et fournisseurs, l’intransigeant capitaine De la sanction à la récompense tions d’ordre économique), ou bien un mé­
Boycott (1832­1897) a donné malgré lui son nom à cette forme d’action Si le mot date du XIXe siècle, la pratique, elle, lange des deux, comme dans le cas de la cam­
remonte à des temps très anciens. « Ostraci­ pagne « Boycott, désinvestissement, sanc­
de rétorsion. Perçu à ses débuts comme l’arme des opprimés, le boycott ser, mettre à l’index, mettre au ban, excom­ tion » (BDS), lancée en 2005 contre les
s’est aujourd’hui adapté aux évolutions de nos sociétés mondialisées munier, frapper d’un embargo ou encore d’un produits israéliens provenant des colonies
blocus : comme le boycott, toutes ces actions pour lutter contre l’occupation des territoi­
ont pour but d’affaiblir un adversaire en l’iso­ res ? L’acte se décline de multiples manières.
HISTOIRE D’UNE NOTION ves –, c’est en effet dans la lutte des classes du
comté irlandais de Mayo que le mot trouve
lant socialement ou économiquement », rap­
pellent les chercheuses Ingrid Nyström et
Et peut même donner naissance à son
contraire : le « buycott » – ou boycott inversé.

F
in mars, l’acteur américain George son origine. En 1880, l’Anglais Charles Cun­ Patricia Vendramin dans leur ouvrage Le Apparu dans les années 1960­1970, ce bar­
Clooney lançait un appel au boycott ningham Boycott (1832­1897) y gère d’une Boycott (Les Presses de Sciences Po, 2015). Le barisme désigne le fait d’acheter un bien plu­
de neuf hôtels de luxe détenus par le main de fer l’immense domaine de lord Erne  LE DICTIONNAIRE  boycott s’inscrit dans la continuité de ces tôt qu’un autre pour promouvoir une cause :
sultanat de Brunei, pour protester et expulse de leurs terres tous les paysans DE L’ACADÉMIE  sanctions, dont certaines remontent à la là où le boycott sanctionne un comporte­
contre la nouvelle législation de ce pays locataires qui ne peuvent plus assumer leur Grèce antique et au premier christianisme. ment, le buycott récompense. Une forme
d’Asie du Sud­Est, qui prévoit la peine de loyer. Deux hommes politiques, Charles FRANÇAISE LE  Mais, plus que les autres, il apparaît comme d’action désormais très présente chez le
mort en cas d’homosexualité ou d’adultère. Parnell et Michael Davitt, proposent alors l’arme des opprimés, la tribune des sans­ consommateur engagé, que le sociologue
Au Maroc, où les produits laitiers du groupe aux expulsés une tactique de rétorsion : CONSIDÉRERA  voix et des minorités. Une forme de résis­ Jean­Paul Bozonnet qualifiait en 2010, dans
Danone, jugés trop chers, sont boycottés rompre toute relation commerciale ou de tance passive difficilement réprimable par la revue Sociologies pratiques, de « consom­
depuis avril 2018, les ventes ont enregistré service avec le capitaine Boycott et avec les
LONGTEMPS COMME  les autorités, qui s’est ancrée avec force dans mation écocitoyenne » – les deux motiva­
une chute historique. En Algérie, plusieurs paysans qui ont repris leurs terres. UN ANGLICISME,  le répertoire de l’action collective, notam­ tions de loin les plus répandues du buycott
dizaines de maires annoncent vouloir Très vite, les résultats se font sentir. « Le ment dans les pays anglo­saxons. « Aux Etats­ étant, affirme­t­il, « celles à l’origine du com­
boycotter la présidentielle du 4 juillet en mot d’ordre donné, écrivait en 1909 dans la AVANT DE  Unis, précisent Mmes Nyström et Vendramin, merce équitable et celles pour la protection de
signe de soutien aux revendications popu­ Revue des deux mondes le journaliste René le recours à ce mode d’action est aussi systé­ l’environnement ». Perçu à ses débuts comme
laires… Dans sa verte Irlande du XIXe siècle, le Pinon, on vit, sur les terres de lord Erne, les ber­ L’ADMETTRE, EN  matique que l’appel à la grève ou à la manifes­ l’arme des pauvres, le boycott et ses avatars
capitaine Boycott ne soupçonnait sans doute gers abandonner leurs troupeaux, les paysans 1986, DANS SA  tation en France. » se sont ainsi adaptés aux évolutions de nos
guère que son nom franchirait ainsi le temps se croiser les bras en face des récoltes mûres, le Mais de quel boycott parle­t­on ? Boycott de sociétés : pour les activistes qui y ont recours,
et les frontières. maréchal­ferrant refuser de ferrer les chevaux NEUVIÈME ÉDITION protestation – tel celui déclenché en 1955 par il s’agit moins, désormais, de faire valoir la
Si cette forme de contestation collective de Boycott, le boulanger de lui fournir du pain, les Afro­Américains contre les bus publics de lutte des classes que de s’engager dans le
vise aujourd’hui toutes sortes d’activités – le facteur de lui remettre ses lettres. » Montgomery après l’arrestation de Rosa contexte d’une économie mondialisée. 
commerciales, politiques, culturelles, sporti­ L’homme finira par quitter la région, mais Parks, qui avait refusé de céder sa place assise catherine vincent

CHRONIQUE  | PAR ÉRIC ALBERT  LA SOUFFRANCE AU TRAVAIL SE PORTE BIEN


A la City, la tentation LE LIVRE DU JOUR nues à les faire reconnaître comme
maladies professionnelles. »
recommandations des cabinets
RH, soit à la mise en place de purs

de la dérégulation A u volant de leur camion


chargé de nitroglycérine,
Yves Montand et Charles
Pourtant, les entreprises sont
obligées par la loi d’évaluer les
risques professionnels, y compris
produits du business de la souf­
france au travail, des fausses solu­
tions étiquetées « bien­être au tra­
Vanel, en perdition dans un village les risques psychosociaux depuis vail » ou « bonheur au travail ».
d’Amérique centrale, vivent du­ 1991. Alors pour quelles raisons, Le problème est que le succès

S ous ses airs débonnaires, son


ton placide et son physique
passe­partout, Andrew Bailey a
prononcé, mardi 23 avril, un discours
important pour l’avenir de la City. Le
conduite, ce qui risquerait soit de les
asphyxier, soit de les pousser à
contourner la loi en en respectant la
lettre, pas l’esprit. Cette approche
évite l’instinct de surréglementation
rant 500 kilomètres le stress
d’une mission qui leur sera fatale
dans Le Salaire de la peur, réalisé
par Henri­Georges Clouzot en
1953. Le Salaire de la peine, le livre
malgré la prise de conscience des
employeurs et la multiplication
des audits, l’environnement de
travail des salariés ne s’améliore­
t­il pas ? Pourquoi, en 2018, la
économique des cabinets de con­
seil résulte d’un processus d’évi­
tement : le stress des salariés est
abordé dans une approche cen­
trée sur l’individu qui écarte « les
directeur de la Financial Conduct français ou européen, qui peut s’avé­ de Sylvaine Perragin, nous trans­ France comptait­elle encore causalités relatives à l’organisa­
Authority (FCA), le régulateur finan­ rer contre­productif. LE SALAIRE DE LA  pose dans un contexte beaucoup « 3,2 millions de personnes (…) “en tion du travail ». Les entreprises
cier britannique, a dressé les grandes Le revers de la médaille est malheu­ PEINE. LE BUSINESS  plus lisse que les routes guatémal­ danger” d’épuisement » ?, inter­ passent ainsi à côté du sujet.
lignes de ce que pourrait devenir la reusement connu de tous depuis la DE LA SOUFFRANCE  tèques et en apparence bien plus roge l’auteure, qui signale « plus La fragmentation des tâches, la
régulation après le Brexit. Et ça rap­ crise de 2008. Dans les années 2000, AU TRAVAIL serein : celui du monde du travail de 4 000 infarctus directement mobilité permanente, la dévalo­
pelle beaucoup ce qui se pratiquait la City se vantait de sa régulation de Sylvaine Perragin du XXIe siècle. Mais c’est bien de dus au stress professionnel ». risation de la parole, l’isolement
avant la crise de 2008, aux plus belles simple et peu codifiée, surnommée à Seuil, 192 pages, stress qu’il s’agit et plus largement des salariés, ce sont les facteurs
heures de la régulation dite « light l’époque « light touch ». Tout cela s’est 16 euros de souffrance au travail. « Un véritable marché » que Sylvaine Perragin tient claire­
touch ». Une décennie après l’implo­ terminé par une implosion du sys­ Dans son essai, la psychologue La souffrance au travail est deve­ ment pour responsables de la
sion du système financier, la tenta­ tème, une violente récession, une dé­ du travail revient sur l’origine de la nue « un véritable marché », au montée des risques psychoso­
tion de la dérégulation refait surface cennie de stagnation du pouvoir dangereuse montée des tensions point d’augmenter le chiffre d’af­ ciaux au travail. Des employeurs
au plus haut niveau à la City. d’achat et une forte montée des po­ dans l’univers feutré des bureaux faires du conseil en France de aux salariés en passant par les
L’homme est évidemment trop pulismes (dont le Brexit fait partie). alors que « 90 % des actifs pensent 10,5 % en 2017 ! Mais les préconi­ manageurs et les professionnels
prudent et subtil pour le dire de M. Bailey, fin politique, précise que que la souffrance au travail a aug­ sations des consultants ne sont du conseil, elle pointe distincte­
manière aussi abrupte. Mais tout de son discours ne concerne pas la lour­ menté depuis dix ans ». Elle en pas ou peu suivies par les entre­ ment les responsabilités de cha­
même, le tournant qu’il annonce est deur de la régulation qu’il prône après donne d’ailleurs, en quelques prises, explique­t­elle. cun et avance quelques solutions
clair : « Le Brexit va être un facteur dé­ le Brexit mais simplement son appro­ chiffres, une photographie inquié­ Sylvaine Perragin démonte, concrètes pour s’attaquer vrai­
cisif. Je crois que s’il agit seul, le Royau­ che. Il rejette explicitement l’ère de la tante : « En 2017, 400 000 person­ exemples à l’appui, les pratiques ment à ce qui génère de la souf­
me­Uni, avec sa common law [son « light touch », reconnaissant l’échec nes souffraient de troubles psychi­ managériales fautives, qui abou­ france au travail. 
système juridique] et ses marchés de cette approche. Mais il en reprend ques liés au travail ; 500 sont parve­ tissent soit à l’enterrement des anne rodier
financiers importants et internatio­ néanmoins les grands principes.
naux, construira une régulation diffé­
rente. » L’objectif d’Andrew Bailey: Consensus mou
« améliorer » les règles actuelles pour Au­delà de son contenu, ce discours
avoir « les mêmes résultats avec moins
de lourdeurs administratives » (« same
est important à cause de la person­
nalité de M. Bailey. Non seulement
Retraite indécente | par serguei
outcome, lower burden »). l’homme dirige la FCA, mais il fait
Difficile d’être en désaccord avec partie des favoris pour prendre la tête
une telle phrase. Les régulateurs du de la Banque d’Angleterre, quand
monde entier souhaitent éviter les l’actuel gouverneur, Mark Carney,
lourdeurs inutiles tout en imposant partira, en janvier 2020. Or, au
des règles efficaces qui protègent des Royaume­Uni, la banque centrale est
excès des marchés. La question est de de loin la plus importante des instan­
définir ce qu’il entend par là. ces de régulation financière, étant en
Le discours de M. Bailey est une charge de surveiller les risques systé­
explication de texte de l’approche bri­ miques des marchés. Par ailleurs,
tannique de la régulation financière. M. Bailey n’a rien du flambeur de la
Plutôt que d’imposer des règles trop City. Il a fait toute sa carrière à la
détaillées et prescriptives, l’idée est de Banque d’Angleterre, jusqu’à devenir
fixer de grands principes, charge aux vice­gouverneur. Il représente le
entreprises de les respecter. consensus mou qui règne parmi les
En théorie, cette vision présente de milieux financiers londoniens.
nombreux avantages. Elle évite de Son discours n’a pas grand­chose à
submerger les institutions financiè­ voir avec les élans fiévreux des brexi­
res de milliers de pages dictant leur ters ultralibéraux rêvant d’un grand
bûcher des régulations. Ce n’est pas
lui qui décrira l’avenir radieux d’une
possible « Singapour­sur­Tamise ».
LE DISCOURS D’ANDREW  Cela rend son approche réaliste.
Après le Brexit, la régulation finan­
BAILEY N’A PAS GRAND­ cière britannique va inévitablement
CHOSE À VOIR AVEC  s’éloigner de celle de l’Europe, pas à
pas. Au bout de longues années, les
LES ÉLANS FIÉVREUX DES  deux approches deviendront très dif­
férentes. Sauf virage politique majeur
BREXITERS ULTRALIBÉRAUX  (par exemple l’élection de Jeremy
RÊVANT D’UN GRAND BÛCHER  Corbyn, le leader du parti travailliste,
très à gauche), celle du Royaume­Uni
DES RÉGULATIONS sera inexorablement plus légère. 
0123
30 | 0123 JEUDI 2 MAI 2019

FRANCE | CHRONIQUE L’ÉCOLOGIE 


par fr ançoi se f re ssoz
AU POINT 
nes » : la trajectoire qui devait porter le prix gie est restée entre les mains de spécialistes
MORT
Et maintenant du carbone de 44,60 euros la tonne en 2018
à 86 euros en 2022 est suspendue.
« Il y a une espèce de béance de la politique
qui n’ont cependant pas combattu en vain :
tour à tour, les partis se sont convertis à la
cause. La gauche comme la droite ont voté,
débrouillez-vous ! publique », souligne pudiquement l’écono­
miste Jean Pisani­Ferry dans Le Journal du
dimanche, alors que la jeune génération
souvent à l’unanimité, une fiscalité verte
susceptible de permettre à la France de te­
nir ses engagements. Mais elles l’ont fait en
presse ses aînés de réagir. Désespérant. catimini, comme s’il s’agissait d’ajouter un
Faut­il incriminer le chef de l’Etat, qui n’a simple codicille aux impôts existants.

A
près six mois d’accal­ DÉSORMAIS,  consacré que trois courtes minutes à l’éco­ Or, la fiscalité écologique pose, par na­
mie, les choses sérieu­ logie, lors de sa conférence de presse, jeudi ture, un redoutable problème d’équité.
ses commencent. Mis DES FUSIBLES  25 avril ? Sans doute, mais en partie seule­ Pour détourner l’usager des énergies les
sous tension par les an­ ment. Emmanuel Macron est un converti plus polluantes, elle se doit de frapper fort
nonces présidentielles, le gouver­ SONT PRÉVUS EN  de fraîche date. Du temps de François Hol­ et, ce faisant, pénalise les plus faibles et les
nement va devoir décliner le plan lande, il militait, au côté d’Arnaud Monte­ moins mobiles. Elle aggrave la fracture en­
CAS DE COUP DUR, 
d’Emmanuel Macron en tentant
d’éviter la sortie de route. Bon
courage ! La profusion de mesures
annoncées, jeudi 25 avril, pour
tenter de répondre à la crise des
AU PREMIER RANG 
DESQUELS 
P lus ils en parlent, plus la frustration
augmente : Emmanuel Macron in­
voque « l’urgence climatique », les tê­
tes de liste aux élections européennes riva­
lisent de propositions pour verdir leur pro­
bourg, pour l’exploitation du gaz de
schiste. Puis, il a fait cause commune avec
Nicolas Hulot, qui a fini par claquer la porte
du gouvernement d’Edouard Philippe,
faute des moyens requis.
tre les mondialisés qui, aujourd’hui, pren­
nent l’avion sans acquitter de surcoût éco­
logique et les assignés à résidence qui n’ont
d’autres moyens que de payer l’essence
plus cher. Elle creuse le fossé entre les ur­
« gilets jaunes », la confirmation ÉDOUARD  jet. Et pourtant le pays fait du surplace. Le passif est lourd, mais le président de la bains qui disposent de moyens de trans­
de cinq réformes de structure d’ici PHILIPPE « Notre maison brûle et nous regardons République n’est pas le seul responsable du port collectifs et les autres.
à la fin du quinquennat (école, as­ ailleurs », déplorait, il y a dix­sept ans, Jac­ surplace. Il est à l’image de la société, divi­ L’erreur a été de ne jamais poser le pro­
surance­ chômage, retraite, fonc­ ques Chirac. Depuis, rien n’a fondamenta­ sée, hésitante, impliquée, mais pas suffi­ blème en ces termes, parce que le débat
tion publique, organisation de Tout le monde s’est crispé : les lement bougé. samment convaincue. Elle ne s’est pas ap­ était jugé trop explosif et le compromis
pouvoirs publics) étaient là pour élus, les syndicats et une grande La France a signé l’accord de Paris sur le proprié la cause environnementale. Certes, trop difficile à trouver. Un temps précieux
démontrer que rien n’arrêterait la partie des Français, qui ont eu climat en 2016, elle promet d’être en pointe en douze ans, des avancées ont été réali­ a été perdu, qu’il sera difficile de retrouver
volonté présidentielle de transfor­ l’impression qu’on voulait leur dans le combat contre le réchauffement cli­ sées, comme le Grenelle de l’environne­ parce que, avant de songer à avancer de
mer le pays. imposer à toute force un nouveau matique. En 2018, pourtant, les émissions ment de 2007 qui, sous l’égide de Jean­ nouveau, il faut commencer par rassurer.
Comme ses prédécesseurs, le modèle de société. mondiales de gaz à effet de serre ont aug­ Louis Borloo, a permis de réunir des ac­ Emmanuel Macron a confié à un jury de ci­
chef de l’Etat a fait le pari d’intensi­ Une partie de la difficulté ren­ menté de 2 % et ce qui, dans l’Hexagone, teurs aux points de vue diamétralement toyens tirés au sort le soin d’imaginer la
fier le mouvement en cours de contrée par le chef de l’Etat tient constituait le cœur de la lutte a été remis en opposés. Des engagements ont suivi, rapi­ suite. C’est maigre. Parce qu’en attendant la
mandat, en dépit d’une cote de po­ au caractère disruptif de son élec­ cause par le mouvement des « gilets jau­ dement effacés par la crise de 2008. L’écolo­ maison brûle. 
pularité toujours alarmante et, tion : le novice s’est fait élire, en
comme Nicolas Sarkozy, il a choisi mai 2017, sur le dos du vieux
de mener plusieurs chantiers à la monde, en profitant du discrédit
fois afin d’étourdir les oppositions dont souffraient les sortants de
et d’éviter la constitution d’un gauche comme de droite. A aucun
front unique du refus. Mais, dans moment il n’a cherché à compo­
un pays qui reste éruptif, une telle ser avec eux, récusant toute idée
stratégie n’est pas sans inconvé­ d’alliance ou de coalition, sauf
nients : outre qu’elle ne met pas à avec le MoDem, parce qu’il devait

FESTIVAL
l’abri d’un nouveau coup de gri­ à François Bayrou son élection.
sou, elle ne permet pas forcément D’emblée, il a pris le risque de les
d’aller au fond des choses, faute de avoir contre lui sans disposer en
temps – il reste à peine deux ans retour d’une force capable de por­
utiles d’ici à la fin du quinquen­ ter le macronisme : son mouve­
nat – et de méthode affirmée. ment En marche ! est resté dans les
Ce qui frappait dans l’offensive limbes. Quant aux députés nou­

INTER-
présidentielle, c’est, au contraire, vellement élus, ils ne connais­
l’approximation qui pointait dès saient rien au travail de terrain, si
qu’il était question d’exécution. bien que la dynamique de l’élec­
« Je fixe les orientations, je ne vais tion présidentielle a rapidement
pas me substituer au gouverne­ viré au dangereux isolement. Il
ment », répétait Emmanuel Ma­ fallait d’urgence le briser.
cron chaque fois qu’on lui récla­ Le nouvel acte de décentralisa­

NATIONAL
mait un détail, ce qui revenait à tion annoncé jeudi par Macron est
dire au premier ministre : « Et un geste en direction des trois
maintenant débrouillez­vous ! » grandes associations d’élus (com­
Ce retour à une lecture plus gaul­ munes, départements, régions)
lienne des institutions vise à des­ qui demandaient que le président
serrer l’étau autour du chef de cesse de vouloir s’occuper de tout
l’Etat qui, à force de verticalité, a et fasse confiance au terrain. Ma­
fini par prendre en pleine figure la cron les prend au mot en leur ac­

DE JOUR-
révolte des « gilets jaunes ». Le cordant un délai très court, neuf
trône a réellement vacillé en dé­ mois, pour tenter de bâtir une
cembre 2018, lorsque Emmanuel nouvelle répartition des compé­
Macron a pris conscience du degré tences et des financements.
de haine qu’il avait suscité dans
une partie de la population. Dé­ Remettre en mouvement
sormais, des fusibles sont prévus Compte tenu du passif, les chan­

NALISME
en cas de coup dur, au premier ces d’aboutir à un compromis
rang desquels Edouard Philippe. utile pour le pays sont minces. El­
Réassuré par le chef de l’Etat, le les ne sont pas complètement
chef du gouvernement a pour inexistantes, dans la mesure où
mission de mettre en ordre de ba­ les élus ont eux aussi beaucoup à
taille des troupes un peu plus se faire pardonner de leurs admi­
aguerries qu’il y a deux ans mais nistrés : contestés, ils sont mena­
qui ont découvert en même cés par la forte demande de démo­
temps que les Français les annon­ cratie participative. Emmanuel
ces présidentielles. Gare aux traî­ Macron en a tenu compte mais en
nards ou à ceux qui ne parvien­ refusant tout ce qui pouvait les af­
draient pas à maîtriser leur admi­ faiblir, notamment le référendum
nistration, réputée conservatrice ! d’initiative populaire ou la sup­
Des hauts fonctionnaires aux mi­ pression du Sénat. En contrepar­
nistres, tous sont désormais priés tie, il leur demande de jouer le jeu.
de mouiller la chemise pour ré­ Restent enfin les syndicats ou
pondre à l’exigence fondamentale plutôt le syndicat avec lequel Em­
des Français : un Etat plus proche manuel Macron peut encore espé­
et plus efficace. rer composer. Laurent Berger n’a
Mais, en déléguant, Emmanuel pas fermé la porte aux annonces
Macron tente aussi de corriger présidentielles, en dépit des rela­
son penchant naturel, qui est de tions tendues qu’il entretient avec
s’occuper de tout. Cette propen­ le chef de l’Etat et de la profonde
sion a mis en danger le début de déception qu’il a exprimée à pro­
son quinquennat. Le héraut du
changement n’est pas parvenu à
pos de l’écologie.
Conscient de la gravité du mo­
REJOIGNEZ-NOUS CET ÉTÉ !
mettre en mouvement la société. ment et des risques d’une nou­ festivalinternationaldejournalisme.com
velle montée de l’extrême droite,
©Camille Millerand

le leader de la CFDT s’est dit prêt


(Le Monde du 27 avril) à dire « chi­
MACRON  che », à condition que le « change­
ment de cap amorcé se confirme ».
TENTE AUSSI  Dès lors, on comprend mieux
DE CORRIGER  pourquoi Emmanuel Macron est Un événement Groupe Le Monde
resté si flou dans la réalisation des
SON PENCHANT  objectifs qu’il s’est fixés. A ce stade
du mandat, son objectif est moins
NATUREL :  d’aboutir à une transformation
S’OCCUPER  profonde du pays qu’à remettre en
mouvement les acteurs suscepti­
DE TOUT bles de l’accompagner. 

Tirage du Monde daté mardi 30 avril : 182 188 exemplaires


Les mystères
de l’orientation animale Une fauvette à tête noire est relâchée,
après avoir été baguée, depuis
l’Observatoire d’oiseaux de Sandwich Bay,
dans le comté du Kent (Royaume-Uni),
le 28 août 2018.
DAN KITWOOD/GETTY IMAGES/AFP

Comment les oiseaux, mais aussi certains nité. Non, les questions posées au cours de cette confé­
rence internationale, qui s’est tenue dans le Surrey, en
l’Institut Max­Planck de biologie évolutionnaire (Alle­
magne), coorganisatrice de cette réunion qui se tient
mammifères et même de simples vers banlieue londonienne, sont beaucoup plus triviales. tous les trois ans depuis 1989. « C’est fascinant ! », dit en­
Comment les pigeons voyageurs retrouvent­ils leur vo­ core, l’œil pétillant, Wolfgang Wiltschko, pionnier et vé­
retrouvent-ils leur chemin ? La question intéresse lière après des voyages de plusieurs centaines de kilomè­ téran, à plus de 80 ans, de ce sujet et qui n’a raté aucun de
désormais de nombreuses disciplines, tres ? Comment les rouges­gorges, fauvettes et autres ces rendez­vous. « C’est distrayant de ne pas savoir ! »,
passereaux migrateurs reviennent­ils du Sud africain confirme un autre ancien, Charles Walcott, de l’univer­
de la biologie à la physique. Malgré des vers le Nord européen pour nicher dans les mêmes buis­ sité Cornell (New York).
expériences inventives, la réponse continue sons ? Comment d’autres animaux voyageurs, saumons,
tortues ou anguilles ne se perdent­ils pas et retournent­
Il faut dire que les sous­questions s’enchaînent comme
des poupées russes, chacune ayant en soi de l’intérêt.
largement à échapper aux scientifiques ils à leur lieu de naissance ? Quels instruments pour se repérer, « carte », « sextant »,
Depuis que les Egyptiens, il y a au moins 4 000 ans, ont « boussole » ? Quels signaux utilisés ? Quel(s) organe(s) les
david larousserie utilisé Columba livia pour acheminer des messages, le détecte(nt) ? Qu’en fait le cerveau ? Dans cet organe, quel­
londres ­ envoyé spécial constat demeure : ces performances restent inexpliquées. les molécules et/ou quels gènes sont impliqués ? S’agit­il
La ritournelle a donc tourné à nouveau à la 10e confé­ d’une capacité innée ou apprise ?

N
ous sommes dans le noir », « nous ne pou­ rence sur l’orientation animale organisée par le Royal Pour y répondre, les cobayes à étudier sont très variés.
vons expliquer notre résultat », « quelque Institute of Navigation qui s’est tenue, du 10 au 12 avril, Même si les oiseaux se taillent la part du lion – rouge­
chose cloche dans nos modèles », « le méca­ à Royal Holloway University of London (Royaume­ gorge, rousserolle effarvatte, fauvette des jardins, dia­
nisme reste inconnu »… Rarement, lors Uni). Mais l’esprit n’était pas à la déprime chez la cen­ mant mandarin, passerin indigo, pigeon domestique… –,
d’une réunion scientifique, l’ignorance taine de participants, représentant la fine fleur de la les sangliers, tortues de mer, truites, papillons de nuit aus­
des spécialistes s’étale aussi crûment et souvent. Et en­ discipline. Au contraire. traliens ou grenouilles tropicales ont aussi fait irruption
core, il ne s’agit pas d’éclaircir les grands mystères de la « C’est un domaine en pleine croissance. Les question­ dans l’amphi.
science, sur l’origine de l’Univers, de la vie ou de l’huma­ nements sont sans fin », résume Miriam Liedvogel, de → L I R E L A S U I T E PAG E S 4 - 5

Psychotraumatisme : Océans : l’énigme  Portrait


l’art comme thérapie éclaircie des pompes La science sur scène
Un atelier de peinture à carbone Spécialiste de la physique
sensorielle a été mis en place des matériaux, Elisabeth
dans une unité spécialisée Une équipe internationale Bouchaud est aussi une passion­
à Aulnay­sous­Bois (Seine­Saint­ est parvenue à détailler née de littérature. Outre la Reine
Denis) afin d’aider les patients les différents dispositifs qui Blanche, à Paris, où elle a incarné
à verbaliser leurs émotions conduisent l’élément chimique, Marie Curie, la chercheuse
après un choc traumatique abondant dans le plancton, a repris plusieurs théâtres
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vers les profondeurs marines PAGE 8
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Cahier du « Monde » No 23111 daté Jeudi 2 mai 2019 ­ Ne peut être vendu séparément
ACTUALITÉ
2| ·
LE MONDE SCIENCE & MÉDECINE
JEUDI 2 MAI 2019

Apaiser le psychotraumatisme par la peinture sensorielle
SANTÉ - A Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), dans une unité spécialisée dans l’accompagnement du traumatisme, un atelier utilisant l’art
comme médiation thérapeutique vient d’être mis en place. Son objectif ? Aider les patients à se réapproprier leurs émotions

S
ur une table en bois, des feuilles blan­
ches faisant office de palettes sont rem­
plies de petits tas de peinture rouge,
verte, bleue, noire et jaune. La lumière
du soleil filtre à travers la fenêtre et
chauffe l’étendue d’herbe extérieure. En cet après­
midi, l’Unité spécialisée d’accompagnement du
psychotraumatisme (USAP) organise un atelier de
peinture sensorielle. Située à l’hôpital intercom­
munal Robert­Ballanger, à Aulnay­sous­Bois (Sei­
ne­Saint­Denis), l’unité a été labellisée fin 2018
« Centre national de prise en charge du psycho­
traumatisme ». Elle accueille, depuis sa création
en 2016, des victimes de violences sexuelles, con­
jugales, de traumatisme de guerre, de souffrance
au travail, de deuils, d’attentats, d’accidents…
Onze femmes et cinq hommes sont présents
aujourd’hui. Certains sont assis autour d’une
grande table rectangulaire. D’autres ont préféré
s’isoler sur des bureaux avec leur palette bigarrée.
Tous bénéficient d’un suivi thérapeutique in­
dividuel et participent à des groupes de paroles
ciblés sur leur traumatisme. Ils ont aussi chacun
réalisé une psychothérapie EMDR (pour eye
movement desensitization and reprocessing, « dé­
sensibilisation et retraitement par les mouve­
ments oculaires »), recommandée par l’Organisa­
tion mondiale de la santé depuis 2013. Cette tech­
nique aide « à atténuer les souvenirs vivaces, non
désirés et répétés d’événements traumatiques »,
explique l’OMS.

« Autres formes d’expression »


La psychologue Fatima Le Griguer­Atig, fonda­
trice de l’unité, a proposé cette médiation théra­
peutique par l’art, en janvier, pour répondre à la
difficulté de s’exprimer de patients : « Le psycho­ Dessin de Yam, 52 ans, réalisé dans l’atelier de peinture sensorielle, à l’hôpital intercommunal Robert-Ballanger,
traumatisme provoque dans le cerveau une dis­ à Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis). SOPHIE BOUTBOUL
jonction lorsque, dans la zone du système limbi­
que, l’amygdale, qui gère nos émotions et agit
comme un signal d’alerte à un danger, ne répond joie ». Cette fois­ci, ce sera « la contrariété ». Fa­ vie obscurcie, noircie par la guerre… Comme un fallait commencer à peindre, j’étais incapable de
plus. Le traumatisme produit alors un dérèglement tima Le Griguer­Atig propose une courte séance combat sans issue. J’ai tenté de m’extirper de cette bouger. Une chaleur a commencé à s’étaler dans
des émotions. Le but, notamment en utilisant la d’hypnose. « On va induire une modification de situation. » La psychologue lui propose de mon­ mon corps. Je me suis concentrée sur un lieu rassu­
peinture, est de les réguler à nouveau. » l’état de conscience pour s’attacher à une émotion trer son dessin. Nathalie le lève au­dessus de sa rant et j’ai retrouvé mon envie d’écrire. Je n’avais pas
Le professeur Thierry Baubet, psychiatre à l’hô­ et la retranscrire », précise­t­elle. tête et dit : « C’est moi, je suis la page blanche, je écrit depuis longtemps. » Le tour de table se ter­
pital Avicenne de Bobigny, confirme : « Le mé­ A 16 heures, l’atelier est lancé. « Laissez les choses suis comme encerclée. Il y a une souffrance, de la mine sous des applaudissements. Yam a changé
dium de l’art permet des formes d’expression venir, ressentez le dossier de votre siège sur votre colère. J’ai du mal à m’exprimer… » « Vous l’avez d’avis. Il commente son dessin, soutenu du regard
autres que la parole, impossible par moments. corps, ouvrez votre cage thoracique », articule la très bien fait », salue Fatima Le Griguer­Atig, par l’assemblée : « Cette femme que j’ai peinte m’a
Parfois, c’est la seule intervention que des patients psychologue d’une voix douce. Certains ferment alors que la salle applaudit. fait mal. C’est un monstre qui m’a harcelé, puis
acceptent. Cela peut les amener vers le soin. » les yeux. « Vous glissez à l’intérieur de vous, dit licencié. » Certains essuient quelques larmes.
Fatima Le Griguer­Atig et son équipe ont réa­ l’éducateur, William Petroque, d’un ton envelop­ « Le jaune du cutter » Fatima Le Griguer­Atig clôture la séance :
lisé, avant l’atelier, un entretien avec chaque pa­ pant. Visualisez ce que vous allez dessiner. Quand Ida, 42 ans, poursuit : « Je n’ai choisi que le rouge « Aujourd’hui, c’est un cap que vous venez de
tient en utilisant l’échelle PTSD Checklist, un vous le sentirez, vous pourrez passer à la réalisa­ pour la contrariété et la colère. Je suis partie du passer. On en reparlera en individuel. Continuez
outil d’évaluation de l’état de stress post­trauma­ tion. » Dans un silence parfait, un patient com­ nœud qui m’enserre perpétuellement. » Sa voix se à remobiliser vos émotions plutôt que de vous
tique. Cela permettra ensuite de mesurer si cette mence à peindre un cercle rouge tourbillonnant. tord. Pierre embraye : « Moi, c’est le jaune du cutter, faire mal à l’intérieur de vous. »
approche a un impact sur leur état. Une autre balaye son pinceau bleuté linéairement. c’est une agression quand je sortais du travail. Je La psychiatre spécialiste du psychotrauma­
« C’est ma première fois à l’atelier. Comment ça se Les soignants sont debout autour de la table pour n’arrive pas à me sortir de la tête cet objet car il me tisme, Muriel Salmona, analyse : « Le médium de
passe ? », s’enquiert une élégante quinquagénaire. « assurer un climat de sécurité » et répondre à toute l’a mis là, au cou. » La parole passe à Yam, 52 ans, l’art est un plus dans l’accompagnement des
La psychologue répond : « Ce qui vous rassemble, demande. Quelques patients sortent de la salle les casquette enfoncée sur la tête. Il ne trouve pas les adultes et des enfants. A l’origine du trauma­
c’est d’avoir vécu un psychotraumatisme. Parfois, yeux embués. La psychiatre et l’éducatrice les sui­ mots. Il montre sa peinture, représentant le vi­ tisme, il y a un déficit de représentation. Le traite­
vous avez trop d’émotions ou une absence de réac­ vent pour les soutenir, échanger avec eux et leur sage d’une femme aux cheveux noirs, les yeux ment, c’est de pouvoir repasser par l’événement
tion, une forme d’anesthésie. Pour remobiliser ces permettre de revenir à la peinture plus sereins. exorbités. Gisèle a dessiné un arbre, un soleil, avec avec des mots, des liens, des écrits, des dessins. Il
émotions, l’outil aujourd’hui, c’est la peinture. » Seuls des respirations pantelantes et des les mots « la paix » : « Le vert représente mes expé­ s’agit de le réintégrer pour que ce ne soit plus un
« Il me faut plus de noir », dit Benjamin (les pré­ bruits de pinceau sur le papier se font entendre. riences dans mon entreprise, le nuage, le négatif, et souvenir traumatique mais autobiographique.
noms ont été modifiés), un jeune homme à la Au bout de quarante­cinq minutes, presque tou­ les fleurs disent que je garde espoir, explique­t­elle Quand les choses commencent à remonter, c’est
barbe brune fournie. « Vous avez déjà choisi vo­ tes les feuilles ont pris des couleurs. A 17 heures, en souriant, je demande la paix. » que l’on va déjà mieux. C’est gagné une fois que
tre couleur, vous », lance, souriante, Fatima Le Fatima Le Griguer­Atig rompt le silence. Elle Sarah, trentenaire aux cheveux courts et bou­ l’on peut échanger sur le traumatisme, le trans­
Griguer­Atig. A la première séance, la psycho­ suggère un tour de table pour présenter les pein­ clés, s’exprime timidement : « J’ai visualisé une mettre, exprimer toute la gamme des émotions
logue, entourée de la psychiatre de l’unité et tures. Nathalie, coupe courte poivre et sel, com­ bombe qui implose en moi. Et en plus de peindre, ressenties… Revivre, en fait. » 
d’éducateurs, avait proposé un travail sur « la mence : « J’ai peint cette personne que je suis, sa j’ai écrit sur un papier. » Elle lit : « Au moment où il sophie boutboul

UNE PRISE EN CHARGE ENCORE PARTIELLE DU TERRITOIRE


D ix centres consacrés à la
prise en charge des victi­
mes de psychotrauma­
tismes seront lancés à l’été 2019, le
temps de débloquer les dotations
trafamiliales, de traumatismes de
guerre ou liés à la migration, d’at­
tentats, de catastrophes naturelles,
de deuils, de souffrance au travail…
« On imagine chaque unité comme
voir recruter des soignants »,
précise­t­il. Les pôles de psychia­
trie enfant et adulte de l’hôpital
Robert­Ballanger sont coporteurs
du projet avec le service de psycho­
et Lille, avec plusieurs missions,
dont la coordination des dix uni­
tés. Le CN2R devra favoriser la re­
cherche scientifique, organiser
des formations et créer un site
les offres de soin dangereuses,
notamment celles associées à un
risque de dérive sectaire. »
La réflexion sur ces projets a
commencé début 2017. « La
Tout l’Ouest n’a pas d’unité et les
DOM­TOM sont sous­représentés. »
Questionnée à ce sujet, la DGOS
répond : « Il est vrai que les centres
ne couvrent pas la région de Bor­
qui s’élèvent à 400 000 euros par un service de proximité, qui ouvrira pathologie du professeur Baubet. Web ressource. Le CN2R mettra Mission interministérielle pour la deaux ou de Nantes. Quant à l’unité
structure. A la suite d’un appel à des antennes sur le territoire pour L’Unité spécialisée d’accompagne­ aussi à disposition du public une protection des femmes contre les de la Martinique, elle a vocation à
projets, ont été choisis les CHU de des consultations », précise la Di­ ment du psychotraumatisme liste des approches thérapeuti­ violences et la lutte contre la traite travailler avec la Réunion et la
Dijon, de Tours, de Strasbourg, de rection générale de l’offre des soins (USAP) d’Aulnay­sous­Bois, qui re­ ques pratiquées dans les unités. des êtres humains avait alors mis Guyane pour animer des réseaux
Lille, de la Martinique, les hospi­ (DGOS), qui a piloté le projet. çoit 700 patients par an, fait partie en place un groupe de travail avec sur place. Le nombre de dix disposi­
ces civils de Lyon, les établisse­ du centre Paris Nord. « Dix centres, c’est insuffisant » la DGOS, raconte la psychiatre tifs est en effet limité mais répon­
ments de l’Assistance publique­ « Recruter des soignants » A Toulouse, la psychiatre Bar­ A Paris Nord, « nous utilisons dif­ Muriel Salmona. On a travaillé dait à la volonté du président de la
Hôpitaux de Paris (AP­HP) Sud et Le professeur Thierry Baubet, psy­ bara Combes, qui prend en charge férentes psychothérapies, qu’elles pendant plus d’un an sur le cahier République, Emmanuel Macron, et
Nord, le projet des trois CHU de chiatre à l’hôpital Avicennes de les personnes ayant subi un psy­ soient psychodynamiques, cogniti­ des charges ». Elle a été étonnée à son discours du 25 novembre 2017,
la région Occitanie (Toulouse, Bobigny, coordonnera l’unité Paris chotraumatisme il y a moins de vo­comportementales, EMDR, hyp­ que seules dix unités soient finale­ à l’occasion de la Journée inter­
Montpellier, Nîmes), et le projet Nord – qui couvrira les départe­ huit mois, est dans l’incertitude : nose, des médiations comme l’art, ment créées. « L’idée, lors de nos nationale pour l’élimination de la
commun du CHU de Nice et de la ments des Hauts­de­Seine, de Sei­ « Il y a trois CHU impliqués et on ne des prises en charge familiales, des réunions, c’était d’ouvrir des cen­ violence à l’égard des femmes. »
Fondation Lenval. ne­Saint­Denis, du Val­d’Oise, de sait pas encore comment notre thérapies mère­bébé », précise le tres par vagues successives avec Le professeur Thierry Baubet se
Tous ces services accueillent des Seine­et­Marne et le nord de Paris. service sera intégré au dispositif professeur Baubet. Des traite­ une égalité d’accès à une offre sur veut confiant : « A nous de bien
personnes traumatisées et seront « En France, il n’y avait jamais eu Occitanie. On espère des moyens ments médicamenteux peuvent tout le territoire », signale­t­elle. travailler et de montrer notre plus­
désormais identifiés ainsi au ni­ de financements publics pour des supplémentaires. » être indiqués, ainsi que l’orienta­ C’est important dix centres, mais value. On espère que ces centres
veau national, pour prendre en unités consacrées au trauma­ En parallèle, sera aussi créé un tion vers une aide sociale ou juri­ c’est insuffisant pour que les victi­ pourront ainsi être dupliqués dans
charge les enfants, adolescents et tisme. On se développait à moyens Centre national de ressources et de dique. Il ajoute : « Une des fonc­ mes aient la même chance d’être chaque région. » 
adultes victimes de violences in­ constants. On va désormais pou­ résilience (CN2R), piloté par Paris tions du CN2R sera de répertorier accompagnées partout en France. so. bo.
ACTUALITÉ
LE MONDE· SCIENCE & MÉDECINE
JEUDI 2 MAI 2019 |3

Les bons comptes du carbone des océans
TÉLESCOPE
b
MÉDE C INE
Un régime trop gras aggraverait
BIOLOGIE - Une équipe internationale a réévalué le rôle des pompes biologiques les maladies inflammatoires
qui conduisent l’élément chimique dans les profondeurs marines Les acides gras, très présents dans les plats
industriels et plus généralement dans les ré­
gimes alimentaires trop gras, aggraveraient

P ersonne ne peut aujour­


d’hui ignorer le danger pré­
senté par les gaz à effet de
serre. Hormis chez un explorateur
perdu en forêt profonde depuis
les maladies inflammatoires et notamment
le psoriasis. Une équipe de chercheurs lillois
(Inserm, Institut Pasteur, université et CHU)
en a fait la démonstration sur la souris. Elle
fournit une explication à la concomitance
trente ans ou un président amé­ fréquente du psoriasis et de maladies méta­
ricain récemment installé à la boliques et cardiovasculaires. Les acides
Maison Blanche, les termes de gras produisent des signaux qui inhibent
changement climatique, de fonte la production d’énergie à partir du glucose.
des glaces, d’acidification des mers Ils entraînent une production abondante
sont devenus d’usage courant. Les de radicaux oxydants toxiques et la dimi­
plus informés savent même que nution de molécules antioxydantes. Cela
l’océan joue un rôle essentiel dans provoque une cascade de stress cellulaire
la capture du gaz carbonique. En et une activation inflammatoire spécifique.
effet, sur l’ensemble du CO2 émis > Mogilenko et al. « Cell », 1­6 mai.
chaque année par l’homme, ses
animaux et ses machines, 25 à REC H ERC HE
30 %, soit 2,5 milliards de tonnes, Trois quarts des étudiantes en
sont absorbés par les eaux et trans­ physique harcelées sexuellement
portés vers le fond par les cou­ Un sondage réalisé aux Etats­Unis en 2017
rants. Les spécialistes résument ce lors d’un congrès auprès de 500 étudiantes
phénomène sous les termes de en physique aux niveaux licence et master
pompage physico­chimique. confirme qu’elles sont nombreuses à avoir
Mais un autre phénomène, subi différentes formes de harcèlement
étranger à l’homme celui­là et plus sexuel à l’université, dans les laboratoires
massif encore, se joue dans nos ou avec leurs camarades : 68 % rapportent
océans. Baptisé « cycle naturel », il avoir été confrontées à des remarques
consiste en la circulation annuelle sexistes, 51 % à des propos sexuels (com­
de quelque 10 milliards de tonnes mentaires sur le corps, l’apparence) et 24 %
de carbone à travers les différentes à des comportements pouvant aller jusqu’à
couches marines. Pour simplifier, de l’agression physique. Au total, les trois
le phytoplancton de surface, une Plancton de surface, à Tenerife, dans l’archipel des îles Canaries (Espagne). SERGIO HANQUET/BIOSPHOTO quarts ont subi ces comportements. Parmi
fois absorbé par ses prédateurs ou les sondées, 20 % ont rencontré ces trois
arrivé au terme de sa vie, gagne les catégories. Cela contribuerait à l’impression
couches intermédiaires ou pro­ vés. « Chacun dans son domaine, couche intermédiaire, entre 150 et Laurent Bopp, professeur attaché de ne pas être à sa place dans cette
fondes des océans, se reminéra­ nous avons repris les informations 400 mètres de profondeur. » à l’Ecole normale supérieure de communauté et renforce le sentiment
lise, puis regagne la lumière où la parcellaires existantes et avons re­ Les deux dernières pompes sont Paris. En mettant leur force en dit de « l’imposteur ». Ce qui pourrait
photosynthèse le réintègre dans le construit l’image complète, dans migratoires et alimentaires. En commun, ces chercheurs, tous de induire une désaffection pour la physique
cycle. D’un côté, du plancton mort l’espace et dans le temps », explique effet, le zooplancton, après avoir premier plan dans leur spécialité, à plus long terme, estiment les auteurs.
et les déjections de ses prédateurs la physicienne de l’océan Marina avalé des microalgues pendant la offrent une appréhension globale > Aycock et al., « Physical Review Physics
qui chutent ; de l’autre, du carbone Lévy (CNRS, Institut Pierre­Simon­ nuit, plonge le jour venu pour se de l’importance des pompes biolo­ Education Research », 22 avril.
minéral qui remonte. Laplace). Evaluer les différents protéger de ses prédateurs. Des giques. » Selon leurs calculs, elles
phénomènes, à toutes les latitudes espèces de petits poissons, avides compteraient ainsi, à elles quatre, PL ANÉTO LO G IE
Travail méticuleux et à toutes les saisons. « Et cette de plancton, font de même. Une pour 40 % de l’ensemble du trans­ Détection d’un séisme sur Mars
Seulement voilà : depuis des an­ fois, les bilans semblent équilibrés », fois à l’abri, tous digèrent et défè­ port du carbone vers le fond, Cinq mois après s’être posée sur Mars,
nées, les bilans n’étaient pas équi­ conclut­elle. quent, mais aussi respirent et presque autant, donc, que la la sonde InSight de la NASA, qui a pour
librés. « Les trappes à particules ins­ Jusqu’ici, on estimait qu’un prin­ transpirent, le tout produisant du pompe gravitationnelle. mission d’ausculter l’intérieur de la Planète
tallées pour mesurer ce qui tombe cipe simple entraînait les particu­ CO2. Un phénomène quotidien, Cette réévaluation permet enfin rouge, a détecté son premier séisme grâce
n’attrapaient pas assez de carbo­ les de la surface vers le fond : la gra­ doublé d’un second, saisonnier aux scientifiques d’équilibrer le
ne », résume Hervé Claustre, direc­ vitation. Or, quatre autres pompes celui­là, conduit par les copépo­ « budget carbone ». Mais elle
teur de recherche au CNRS (Labo­ opèrent en parallèle, rappelle l’ar­ des. Dans les régions de hautes la­ ouvre aussi un nouveau chantier :
ratoire d’océanographie de Ville­ ticle de Nature. Les deux premiè­ titudes, ces minuscules crustacés déterminer les conséquences pos­
franche­sur­Mer). Or, dans un arti­ res sont physiques et consistent à gagnent en hiver des couches plus sibles du réchauffement climati­
cle publié le 17 avril, dans la revue entraîner vers le bas non les parti­ profondes de l’océan, entre 600 et que sur ces pompes biologiques.
Nature, le biologiste et quatre col­ cules mais l’eau : soit par subduc­ 1 400 mètres de profondeur, où « Quel effet sur les tourbillons, sur
lègues français, américains et aus­ tion, les couches froides plon­ elles piègent le carbone. la subduction, mais aussi sur les
traliens sont parvenus à remettre geant sous les couches chaudes, à Si ces quatre phénomènes différentes espèces de plancton ? Et
la maison sur ses deux pieds. la manière des plaques tectoni­ avaient été identifiés, leur ensuite est­ce que ça peut jouer sur
Pour cela, nulle véritable décou­ ques ; soit par l’intermédiaire de quantification restait lacunaire. le phénomène physico­chimique à
verte. Ces cinq physiciens, bio­ tourbillons. « Ce dernier phénomè­ « L’une des difficultés venait du l’origine de la capture du carbone
chimistes, biologistes et océano­ ne ressemble à ce qui se passe dans fait qu’ils agissent différemment anthropique ? », explique Laurent
graphes, expérimentateurs ou l’atmosphère, mais à des échelles dans les zones subtropicales ou de Bopp. A première vue, les cher­
modélisateurs, ont simplement plus réduites, détaille Marina hautes latitudes et aux différents cheurs ne s’attendent pas à de
fait un travail méticuleux de « re­ Lévy. Un courant vertical descen­ moments de l’année, souligne le bonnes nouvelles.  à l’instrument français SEIS. Cet événement
vue » des phénomènes déjà obser­ dant conduit les particules dans la climatologue et océanographe nathaniel herzberg enregistré le 6 avril est cependant trop
peu intense pour fournir des informations
sur les entrailles martiennes. Trois signaux
encore plus faibles ont été captés entre
mars et avril. Leur interprétation reste

Ecouter les patients, une source d’intérêt
encore ambiguë. Contrairement à la Terre,
Mars n’a pas de plaque tectonique mais
des failles ou des fractures présentes
dans sa croûte peuvent céder lorsqu’elles
subissent des contraintes trop importantes,
SANTÉ - Une étude a permis de lister des milliers d’idées pour améliorer les prises en charge et provoquer ainsi des séismes.
(PHOTO : INSIGHT/NASA)

P rendre au sérieux ce que


disent les patients, recon­
la population adulte – et défient,
en France comme ailleurs, l’orga­
réponses ouvertes parvenues, les
investigateurs ont extrait des
la plupart portent sur la qualité
des échanges entre médecins et

195 728
naître leur propre exper­ nisation des soins, cette étude est idées qu’ils ont classées en trois patients, l’information de ces der­
tise sur leur maladie, apprendre originale par ses contributeurs et thématiques principales : consul­ niers sur leur prise en charge, mais
l’humilité, former les soignants à sa méthodologie. Sur les cinq si­ tations, hôpitaux et système de aussi l’adaptation du traitement
savoir quand passer la main, mais gnataires, trois sont chercheurs et santé. Les résultats ont été en­ en fonction des préférences du
aussi aider les patients à mieux deux sont des patients. suite soumis de nouveau aux principal intéressé et du contexte. C’est le nombre de populations virales distinctes
interpréter leurs résultats ou dé­ participants pour être validés, et « Certaines décisions servant à identifiées dans les océans à partir d’échan-
velopper des registres d’erreurs Questionnaires sur Internet ont été enrichis par un deuxième guérir un patient peuvent l’anéan­ tillons prélevés notamment par l’expédition
médicales pour éviter de les ré­ Les participants sont issus de la échantillon de patients, toujours tir, si ce n’est pas lui qui les a pri­ Tara Oceans. L’analyse génomique, dirigée par
péter… Voilà quelques­unes des cohorte virtuelle ComPaRe, une issus de la cohorte ComPaRe. ses », témoigne ainsi une femme des chercheurs de l’université de l’Ohio, multi-
3 613 idées avancées par plus de communauté d’individus at­ Au total, 1 636 personnes se sont suivie pour un cancer du sein. plie par douze le virome océanique. L’étude
1 600 malades chroniques pour teints de maladies chroniques qui exprimées, âgées en moyenne de Si certaines des propositions a permis de constater que les communautés de
améliorer les consultations, l’or­ répondent à des questionnaires 49 ans et aux trois­quarts de sexe risquent de faire grincer des virus se répartissent en cinq groupes majeurs,
ganisation des hôpitaux et plus sur Internet pour faire avancer la féminin. Maladies rhumatisma­ dents bien des soignants, la ri­ selon leur localisation et leur profondeur. Alors
généralement le système de santé. recherche. Plus de 25 700 person­ les, troubles neurologiques, dia­ chesse et l’originalité des contri­ que les recensements d’organismes cellulaires
Celles­ci font l’objet d’un article nes participent déjà à ce projet, bète, cancer, asthme… Plus de butions confirment que la voix et multicellulaires montraient jusqu’alors que
scientifique publié dans la revue porté par l’AP­HP. quinze maladies chroniques des malades doit absolument la biodiversité maximale se trouvait au niveau
BMJ Quality and Safety le 23 avril, Pour cette étude collaborative, étaient représentées, la moitié des être entendue. « Notre étude four­ des tropiques, l’étude publiée dans Cell révèle
par l’équipe du docteur Viet­Thi les volontaires se sont vu poser la patients souffrant de plusieurs nit la preuve de concept d’une mé­ aussi que l’Arctique constitue un « berceau »
Tran (centre d’épidémiologie question dont rêve tout usager pathologies (2,4 en moyenne). thode permettant de tirer parti de diversité virale jusqu’ici insoupçonné.
clinique de l’Hôtel­Dieu AP­HP, du système de soins : « Si vous Les auteurs ont finalement re­ des connaissances pratiques des Dans la mesure où l’action des virus influe sur
université Paris­Descartes). aviez une baguette magique, que cueilli plus de 3 600 idées, répar­ patients sur le système de soins la capacité des océans à capter le carbone
A l’heure où les maladies chro­ changeriez­vous dans votre prise ties en 147 axes sur les trois grands pour l’améliorer », concluent les atmosphérique, il importe de mieux prendre en
niques prennent une allure épi­ en charge pour la rendre plus fa­ thèmes. Sur les 1 701 propositions signataires de l’article.  compte cette diversité virale dans les modèles
démique – touchant 40 à 60 % de cile et/ou plus acceptable ? » Des pour améliorer les consultations, sandrine cabut climatiques, estiment les chercheurs.
ÉVÉNEMENT
4| ·
LE MONDE SCIENCE & MÉDECINE
JEUDI 2 MAI 2019

Orientation animale
Une boussole
dans la tête ?
▶ SUITE DE LA PREMIÈRE PAGE Bien entendu, ils progressent. Ils se doutent
que, comme des navigateurs, ces animaux ont
besoin d’« instruments » donnant une direction
Tous sont soumis à de rudes épreuves expéri­ et de « cartes » pour savoir où est leur maison.
mentales. Déplacement géographique loin du « Pendant longtemps on a pensé que les étoiles et
lieu de reproduction, y compris pour les jeunes le soleil donnaient la direction », raconte Wolf­
qui n’ont jamais voyagé (et qui sont désorientés). gang Wiltschko, qui, à la fin des années 1960, ap­
Déplacement « artificiel » en modifiant, dans porte avec ses rouges­gorges des éléments en fa­
une cage, le champ magnétique pour varier la dé­ veur d’une autre hypothèse, le champ magnéti­
clinaison. Ou bien, grâce à des chercheurs plus que terrestre. Depuis, ce signal a fait tourner les
tordus, l’identification et l’usage de zones géo­ têtes. « Le scepticisme a duré longtemps. Un con­
graphiques présentant des anomalies magnéti­ frère m’a même dit qu’il ne voyait pas d’erreurs,
ques ou même gravitationnelles, ce qui perturbe mais qu’il ne pouvait le croire », se souvient Wolf­
en effet les oiseaux, comme piégés par ces ré­ gang Wiltschko.
gions étranges. « Mais quand ils sortent de la Il semble cependant que les migrateurs aient
zone, ils se retrouvent. On dit qu’ils sont perdus bien une direction d’envol privilégiée, donnée
mais, en fait, on les récupère », rassure Hans­Peter par le champ magnétique. Plus précisément, ils
Lipp, de l’université de Zurich (Suisse). sont sensibles à l’inclinaison de ce champ par
D’autres expériences créent un décalage ho­ rapport à l’horizontale (ce qui varie depuis
raire forcé en maintenant dans la nuit les volati­ l’équateur jusqu’aux pôles). Si on renverse cette
les pour dérégler leur rythme circadien. Ou mo­ inclinaison artificiellement par des bobines élec­
difient, artificiellement là aussi, le ciel étoilé ou tromagnétiques autour des cages, on peut « for­
l’endroit d’apparition du soleil pour brouiller les cer » les oiseaux à partir à l’opposé. En revanche,
repères. varier la composante longitudinale, sur l’axe est­
ouest, donc, n’a pas d’effets.
GPS miniatures Pour la « carte », les controverses sont nom­
Les plus bricoleurs posent sur les oiseaux des breuses. Odeurs, repères visuels, paysage ma­
dispositifs les empêchant de voir, ou un petit gnétique…, des expériences ont montré que les
boîtier sur la tête créant un champ magnétique pigeons voyageurs y répondent mais étrange­
variable. D’autres techniques leur « coupent » le ment. Ainsi, des chercheurs ont observé qu’en
sens olfactif, provisoirement, les cellules re­ Italie les volatiles semblent suivre les routes, un
poussant après le traitement. Des GPS miniatu­ comportement qui n’a pas été mis en évidence
res permettent de suivre les animaux sur des en Allemagne. Au Royaume­Uni, ce serait entre
centaines de kilomètres. Des antennes radars les deux, un mélange de routes et d’autres repè­
repèrent les vols… res visuels.
Et puis, ces dernières années ont vu débouler, Concernant le rôle de l’olfaction, c’est pire. Dans
derrière les ornithologues – les historiques de la les années 1970, l’Italien Floriano Papi montre que
question –, de nouveaux acteurs, les biologistes les pigeons sont sensibles aux odeurs pour retrou­
moléculaires, les neuroscientifiques ou les in­ ver leur chemin, ce que ne confirme pas une expé­ conférence. En diplomate, Wolfgang Wiltschko facilement par des aimants. Mais chez les
formaticiens, pour traquer les gènes impliqués, rience aux Etats­Unis. Le chercheur américain note que « les pigeons sont opportunistes, ils uti­ oiseaux, on n’en retrouve pas forcément.
repérer les zones du cerveau actives ou simuler William Keeton invite son confrère italien chez lui lisent ce qui les arrange. Ni le magnétisme ni les
des interactions moléculaires. Le domaine est pour un protocole destiné à trancher. En 1978, les odeurs ne font tout ». Présence de lumière bleue
donc particulièrement interdisciplinaire, avec résultats sont publiés avec… deux conclusions des Une autre controverse est apparue, au début En 2012, une équipe qui pensait en avoir trouvé
même des physiciens, qui essaient de trouver auteurs diamétralement opposées. En 2009, on des années 2000, sur la boussole magnétique. dans le bec des pigeons au niveau de terminai­
des solutions originales. Dans ce bouillonne­ pense la réconciliation possible, lorsque Paulo Une fois qu’on a dit que des oiseaux, des pois­ sons nerveuses a dû déchanter. Las, ce n’était
ment, quelques laboratoires se concurrencent, Jorge estime que le nez a un rôle, non pas pour sons, des tortues sont magnétosensibles, il faut pas des cristaux mais du fer présent dans des
multipliant les exposés, et tenant souvent s’orienter directement, mais comme activateur quand même comprendre quelle peut être la cellules immunitaires, les macrophages, non
toute la chaîne depuis la capture des oiseaux à d’un autre système de navigation. En 2018, une petite aiguille qui donne la bonne direction. liées à des neurones… Par ailleurs, deux phéno­
leur analyse moléculaire : Henrik Mouritsen, à successeure de Papi, à Pise, Anna Gagliardo, pu­ Avant 2000, il n’y avait guère qu’une solution : mènes ne collent pas avec la magnétite. Plu­
l’université d’Oldenburg (Allemagne), David blie, dans Journal of Comparative Physiology, une des cristaux d’oxyde de fer. Telle la limaille de sieurs équipes trouvent que les oiseaux sont
Keays, à l’Institut de pathologie moléculaire du réfutation de ce scénario… fortement nuancée, fer s’alignant dans un champ magnétique, ces sensibles à l’axe nord­sud, mais ne distinguent
Biocentre de Vienne (Autriche), ou Miriam Lied­ dans le même numéro, par les pionniers du particules peuvent bouger et activer divers pro­ pas le nord du sud, ce que la magnétite permet­
vogel et ses collègues en Allemagne… domaine Wolfgang Wiltschko et Charles Walcott. cessus chimico­biologiques et finalement neu­ trait. En outre, ce sens magnétique dépendrait
Pourtant, malgré tout cet arsenal, les cher­ « C’est toujours compliqué ! », constate la philo­ ronaux. Ces magnétites existent bien chez cer­ de la présence de lumière bleue, ce qui n’est pas
cheurs restent un peu perdus. sophe Anna Gagliardo dans un couloir de la taines bactéries qui peuvent être manipulées le cas des cristaux…

LES WILTSCHKO, UN COUPLE QUI NE PERD PAS LE NORD


L es Wiltschko sont de drôles
d’oiseaux si l’on ose dire.
Voilà près de soixante ans
que ces biologistes éthologues
essaient de percer le mystère de
encore des classes vertes pour
débutants à la découverte des
oiseaux, dès 5 heures du matin »,
rappelle Wolfgang Wiltschko, qui
évoque un souvenir ému récent
ment sur le périmètre intérieur,
il étudie des rouges­gorges.
« Ça m’a étonné au début de voir
leur agitation nocturne en période
de migration », note le chercheur,
un rouge­gorge qui allait intensé­
ment vers le sud­ouest qui m’a con­
vaincu ! », ajoute­t­il. Il fallut néan­
moins plus de temps pour con­
vaincre la communauté. Il a
Le temps passe et l’hypothèse
résiste, mais le couple se lance
dans une nouvelle bataille : trou­
ver le capteur magnétique.
En 2004, s’associant avec le phy­
le nerf olfactif des pigeons pour
nos expériences ! », rappelle
Wolfgang Wiltschko, qui « aime
les oiseaux ».
Une telle longévité avec plus de
l’orientation des animaux migra­ de l’observation de six aigles qui enregistre vers quel perchoir même embarqué ses cages à l’uni­ sicien Thorsten Ritz, de l’univer­ 150 articles (même 200 pour Wolf­
teurs ou voyageurs. Et, à respecti­ dans un arbre du Mecklembourg­ les oiseaux se dirigent. Mais, alors versité Cornell (New York), pour sité de Californie à Irvine, ils co­ gang), les a amenés à cosigner
vement 81 et 72 ans, Wolfgang et Poméranie­Occidentale. qu’un de ses collègues précédents les comparer avec celles de ses col­ signent un article qui cible le avec la plupart des vedettes du
Roswitha Wiltschko ont beau être C’est parce qu’il aimait la na­ n’avait pas observé de pertur­ lègues. cryptochrome, une molécule ac­ domaine, y compris des « oppo­
retraités officiellement de l’uni­ ture et l’observation des oiseaux, bation due au champ magnéti­ Ce qui se terminera par un de tivée par la lumière. Cette contro­ sants », Charles Walcott, William
versité de Francfort (depuis plus notamment migrateurs, que que, il refait l’expérience avec des ses articles les plus cités, dans verse n’est pas close, car la preuve Keeton, Henrik Mouritsen, Anna
de quinze ans pour le mari), ils Wolfgang s’est dirigé vers des champs plus faibles, proches de Science en 1976, confirmant que ultime manque encore. Gagliardo, Peter Hore, Joseph Kirs­
continuent d’être relecteurs d’ar­ études de zoologie à l’université ceux du magnétisme terrestre. les oiseaux disposent d’une Le couple, qui partage la même chvink… Près de Londres, dans la
ticles ou s’associent à d’autres de Francfort, qu’il ne quittera « C’était le truc ! », s’enthousiasme boussole. Roswitha, une an­ adresse mail, s’est aussi frotté au salle de l’université Royal Hollo­
équipes pour publier. plus. « A l’époque, à la fin des an­ encore le biologiste. cienne étudiante, avec qui il s’est débat houleux sur les pigeons way, pour la 10e conférence sur la
Leur dernière production est nées 1950, tout le monde pensait marié en 1968, est aussi signa­ voyageurs et la manière dont ils navigation animale, Wolfgang
parue en décembre 2018 et étudie que les migrateurs nocturnes Convaincre la communauté taire. « Le scepticisme était encore retrouvent leur colombier. fut le seul à lever la main lors­
la réponse des rétines de poulet s’orientaient grâce aux étoiles », Il voit alors que la modification du présent. Un confrère m’a même « Nous ne pensons pas que les qu’on a demandé qui avait assisté
sous différentes illuminations ; la se souvient le chercheur, qui va champ magnétique autour de la dit que cette hypothèse, c’était odeurs servent à la navigation. à la première, en 1989. Mais, au
lumière étant soupçonnée d’être proposer un autre scénario. A cage influence les directions dans comme avoir une licorne dans Nous pensons plutôt que cela ac­ premier rang, tous les deux ont
nécessaire pour la détection du l’aide d’une cage d’un mètre de lesquelles partent les rouges­gor­ son jardin, raconte Wolfgang. Je tive le système de navigation », souvent posé des questions,
champ magnétique et donc pour diamètre environ, piquetée de ges. « Je me souviens parfaitement lui ai répondu qu’il devait avoir résume Roswitha Wiltschko. « toujours fascinés par ce sujet ». 
l’orientation. « Nous faisons aussi perchoirs répartis uniformé­ de la date, le 12 octobre 1963. C’est un beau jardin ! » « J’ai toujours refusé qu’on coupe d. l.
ÉVÉNEMENT
·
LE MONDE SCIENCE & MÉDECINE
JEUDI 2 MAI 2019 |5

MÊME SANS
TÊTE, LE VER
GARDE LE CAP

R etour aux fondamentaux. Puis­


que chez les vertébrés, la commu­
nauté scientifique n’arrive guère
à progresser pour percer les mystères de
leur sens magnétique, Hervé Cadiou,
enseignant­chercheur à l’université de
Strasbourg et à l’Institut des neuroscien­
ces cellulaires et intégratives du CNRS, a
décidé de changer de sujet d’étude pour
Inspection d’une travailler sur des modèles plus simples.
fauvette pour en Adieu les truites, sur lesquelles il avait
déterminer l’âge, cherché en vain de la magnétite, place à
à l’Observatoire un autre organisme, la planaire, un ver
d’oiseaux plat aquatique de moins de quatre centi­
de Sandwich Bay, mètres de long. Cette bestiole est surtout
dans le comté connue pour ses capacités étonnantes de
du Kent régénération : la couper en deux donne
(Royaume-Uni). deux individus viables (c’est d’ailleurs
DAN KITWOOD/ comme cela qu’elle se reproduit).
GETTY IMAGES/AFP Quel rapport avec l’orientation ani­
male ? Dans les années 1960, des cher­
cheurs avaient observé que ces vers
étaient sensibles aux champs magné­
tiques et avaient tendance à éviter la
présence d’aimants.
Le chercheur a donc récupéré des
Dugesia dorotocephala de Caroline du
Nord pour les étudier à Strasbourg,
comme il l’a expliqué, en avant­première,
à la 10e conférence sur la navigation ani­
male, le 12 avril près de Londres, lors de la
session « Tout sauf les oiseaux ».
Premier constat, la planaire se déplace
vers l’ouest des compartiments d’élevage
pendant la nuit, lorsqu’elle cherche à man­
ger. Et vers le nord­est, durant la journée.

Boussole d’inclinaison
Second constat, cette préférence est liée
au champ magnétique puisque des bobi­
nes électromagnétiques disposées autour
des vers et créant des champs ad hoc sont
susceptibles de perturber les déambula­
tions des planaires. Plus précisément, si la
composante verticale du champ est inver­
sée, les vers s’orientent la nuit à l’est plutôt
que vers l’ouest. En revanche, modifier la
composante horizontale du champ envi­
ronnant ne change rien au comporte­
ment des cobayes. « Nous avons aussi
constaté que des espèces de planaires origi­
naires du Japon ou d’Espagne, où l’inclinai­
« Quand la nouvelle hypothèse est arrivée, j’étais « LES PIGEONS SONT Ces tensions s’expliquent non seulement par son magnétique est différente, ne s’orien­
ravi car c’était celle qu’on attendait ! », se souvient les rivalités habituelles dans le monde de la re­ tent pas, à Strasbourg, dans le champ envi­
Wolfgang Wiltschko. Cette « cigogne » apportant OPPORTUNISTES, cherche sur un sujet « ouvert », mais aussi par ronnant mais le font si nous modifions le
la bonne nouvelle est venue des Etats­Unis, sur ILS UTILISENT CE QUI un passé riche en études contredites ou résul­ champ pour imiter celui de leur lieu de
la base des travaux de physico­chimistes. tats incompatibles entre eux. naissance », précise Hervé Cadiou.
En 2000, Thorsten Ritz et Klaus Schulten (décédé LES ARRANGE. Une session originale était d’ailleurs consa­ Comme les oiseaux, il semble donc que
en 2016), à l’université de l’Illinois, ravivent une NI LE MAGNÉTISME NI crée à des tentatives de réplication de résultats. les planaires disposent d’une boussole
vieille proposition du second datant des années anciens Marco Basseto, des universités d’Oxford d’inclinaison. Mais cette dernière ne sem­
1970. Selon eux, contrairement à ce qu’une ana­ LES ODEURS NE FONT TOUT » et d’Oldenburg (Allemagne), s’apprête ainsi à ble pas liée à la lumière, contrairement à
lyse simple laisserait penser, des molécules peu­ WOLFGANG WILTSCHKO publier deux réfutations d’expériences anté­ ce qui est parfois observé chez les migra­
vent détecter un champ magnétique aussi faible BIOLOGISTE ÉTHOLOGUE rieures sur les mouches et le champ magnéti­ teurs à plumes. D’ailleurs, les planaires ne
que celui de la Terre. que. Non, des mouches ayant un cryptochrome possèdent pas de cryptochrome (Cry, en
Dans les couloirs de la conférence, Thorsten désactivé ne répondent pas comme leurs congé­ abrégé), la molécule soupçonnée d’être à
Ritz explique à grand renfort de gestes. « Prenez nères normales (une conclusion publiée l’origine du sens magnétique chez des
un pendule au bout d’une tige. Pour le faire bou­ Nous devons joindre nos forces plutôt que nous en 2008 par une équipe américaine). Et non, les vertébrés et qui serait activée par la lu­
ger, vous devez apporter pas mal d’énergie. Mais il combattre », plaide Miriam Liedvogel. mouches ne se mettent pas à descendre dans un mière. Ce qui a permis au chercheur de dé­
existe une autre position d’équilibre, si le pendule Signe tout de même que les feux ne sont pas tube si le champ magnétique est retourné (un tendre l’atmosphère en affichant à l’écran
est vertical en position très instable vers le haut. éteints, la séance de la conférence consacrée aux résultat précédemment paru en 2016). En outre, un ironique « NO CRY » (« pas de pleurs »).
Là une pichenette suffit pour le mettre en mouve­ alternatives a réveillé quelques participants. Une une autre équipe n’a pas trouvé de magnétite Mais surtout, lorsque les vers sont plon­
ment. C’est ce que nous avons proposé. » En fait équipe israélienne a tenté de convaincre qu’elle dans le système auriculaire du pigeon, où gés dans le noir, ils conservent l’alter­
les chercheurs détaillent qu’il est possible de avait mis la main sur une piste sérieuse. Des bac­ d’autres pensaient en avoir trouvé… nance des migrations « jour/nuit ». Et ils
créer une paire de molécules se transformant téries magnétosensibles, dans le microbiote des Dans ce jeu de massacre, une confirmation répondent aux modifications de champ
l’une en l’autre grâce à l’énergie faible apportée oiseaux, pourraient être le détecteur tant cher­ bienvenue est arrivée (et à paraître) grâce à plu­ magnétique. « Ils auraient donc une sorte
par le champ magnétique. Pour créer ce couple, ché. Dans ce cas, un traitement antibactérien sieurs étudiants de l’université de Bangor (Pays d’horloge interne, mais on sait qu’ils ne dis­
une activation est nécessaire, qui peut être pro­ pourrait éteindre ce « sens ». Ils ont ainsi observé de Galles) et trois ans de travail : oui, les chiens posent pas des gènes habituels codant pour
duite par la lumière. que des oiseaux migrateurs perdaient le sens de urinent selon un axe proche de nord­sud (une cette fonction », s’interroge Hervé Cadiou,
Qui plus est, leur article cible un candidat, le l’orientation après absorption d’antibiotiques. conclusion déjà publiée en 2013). qui veut chercher à comprendre cet autre
cryptochrome, une protéine photoactive res­ Mais l’un des problèmes est que les oiseaux non Dans le flot d’exposés, il n’est pas rare non plus mystère. En tout cas, pas de cryptochrome,
ponsable du rythme circadien de certaines espè­ traités avaient l’air aussi perdus… « Je parie que d’entendre des conclusions incompatibles entre pas de dépendance à la lumière : cela ne
ces. Depuis, c’est la ruée pour vérifier cette hypo­ votre truc est faux », a lancé l’un des congressistes. elles. Comme celles concernant la localisation colle pas à beaucoup de scénarios chez les
thèse originale. Et pour la contredire. Certains se des zones magnétosensibles dans la rétine. Au organismes plus complexes…
souviennent de conférences où les « magnéti­ Rivalités dans le monde de la recherche moins trois sites ont été identifiés. « Ça n’a l’air Enfin, continuant à suivre le déplace­
ciens » attaquaient violemment les « crypto­ Les chercheurs ne se font pas de cadeaux. « Ce de choquer personne ! », s’amuse Peter Hore. ment de centaines de vers, le chercheur a
chromiens » et réciproquement. n’est pas possible qu’une telle protéine réponde à Nikita Chernetsov, de l’Institut zoologique de exposé un autre résultat étonnant, impos­
Ainsi en 2005, après la parution d’un article de un champ magnétique », a ainsi tranché un l’Académie des sciences russes, à Saint­Péters­ sible à obtenir sur les oiseaux. Il a décapité
Ritz et Wiltschko favorisant le cryptochrome, autre participant devant un collègue qui propo­ bourg, a exposé aussi ces nouveaux résultats de ses cobayes ! « La tête reste mobile mais
Joseph Kirschvink, du California Institute of sait que la mélanopsine, un photopigment, soit déplacements d’oiseaux migrateurs. Deux espè­ ne s’oriente pas, alors que le reste du corps,
Technology (Caltech) a « énuméré les nombreuses un bon candidat. Le Chinois Can Xie, de l’univer­ ces semblent répondre à la déclinaison magné­ si », a­t­il exposé, en faisant encore sou­
façons dont cette expérience était mal faite et sité de Pékin, avait tenté en 2016 de convaincre tique, mais pas la troisième… « On va refaire et rire l’auditoire. Et lorsqu’une « queue »
devait être améliorée, ce qui a causé beaucoup qu’une protéine était directement magnéto­ re­refaire », explique­t­il dans les couloirs. finit par repousser à partir de la tête, la
d’étincelles », rappelle­t­il. Quatorze ans plus sensible. Malgré des calculs prouvant l’impossi­ Autre point « dur », dans le camp des crypto­ boussole semble marcher à nouveau.
tard, ce dernier a bien essayé de relancer la bilité de son hypothèse, il a retenté sa chance chromiens, beaucoup d’expériences montrent L’article résumant ces expériences est
controverse dans son exposé, parlant de « my­ en 2019, pour repartir irrité d’avoir entendu les qu’un champ magnétique oscillant perturbe en cours de rédaction. Le biophysicien es­
the » à propos du cryptochrome, mais les mis en mêmes arguments lui reprochant des contami­ l’orientation, ce qui est prévu par le scénario père maintenant repérer quelles cellules
cause n’ont pas réagi, habitués à ses provoca­ nations dans son expérience. Quant à la jeune cryptochrome. Sauf qu’il s’agit d’intensités trop expliquent ce comportement, afin d’iden­
tions. Néanmoins, « pour l’instant personne n’a doctorante russe qui présentait son étude sur la faibles pour être expliquées par le modèle… tifier des gènes qui peut­être serviront de
d’expériences permettant d’exclure l’un ou l’autre réponse de la rétine à un champ magnétique, les Dehors, comme un symbole, un rouge­gorge guides pour revenir au problème plus
des mécanismes », reconnaît Peter Hore, de l’uni­ plus anciens ont contredit son expérience assez chantonne, narguant les conférenciers.  complexe de l’orientation des vertébrés.
versité d’Oxford, plutôt « cryptochromien ». « La peu gentiment, en lui donnant des leçons de david larousserie Retour au grand mystère. 
conférence est plus polie qu’il y a quelques années. statistiques et de biophysique. (londres, envoyé spécial) d. l.
RENDEZ-VOUS
6| ·
LE MONDE SCIENCE & MÉDECINE
JEUDI 2 MAI 2019

LE LIVRE LES SECRETS DE LA


MÉMOIRE DU « BLOB »

Le « blob » – alias Physarum poly-

A la découverte des  cephalum – est en soi un mystère :


voilà un unicellulaire géant dépourvu
de système nerveux mais qui peut

mondes infravivants apprendre, mémoriser et même


transmettre des informations à un
congénère. Un individu ayant appris
à vaincre l’aversion à une substance
peut ainsi communiquer son savoir
Le biologiste Thomas Heams à un autre, après fusion de leurs
vaisseaux veineux, comme on le voit
tente de répondre sur la photo. Mais quel est le support
à la question fondamentale : de cette information ? Les chercheurs
du Centre de recherche sur la cogni-
qu’est-ce que la vie ? tion animale (CNRS, université
Toulouse-III) révèlent dans la revue
Philosophical Transactions B qu’il
s’agit de la substance elle-même.

Q u’est­ce que la vie ? Ce serait mentir Ainsi pour tolérer le sel, le blob
l’absorbe dans ses veines. La concen-
que de dire que le livre du biologiste tration en sel d’un blob résistant s’y
Thomas Heams répond à la ques­ révèle dix fois plus grande que celle
tion. Mais on regretterait de ne pas d’un blob « naïf ». Lorsque, au bout de
en conseiller la lecture malgré cet échec à ré­ deux jours, les unicellulaires excrètent
gler une question fondamentale, sur laquelle la substance, ils perdent du même
bien des philosophes ou des biologistes se coup la mémoire. A l’inverse, les cher-
sont déjà cassé le nez. cheurs ont directement injecté du sel
Il y a en effet plusieurs raisons de trouver dans un blob naïf : ils en ont fait, en
deux heures, un habitué. L’équipe
passionnant cet ouvrage. Des raisons de
va désormais tenter de voir si un indi-
culture générale, car on y croise beaucoup vidu peut absorber et mémoriser plu-
de formes de vie parfois très étonnantes. sieurs substances en même temps.
Des raisons épistémologiques surtout, car (PHOTO : DAVID VILLA/SCIENCEIMAGE/CBI/CNRS)
l’auteur, c’est sa principale ambition, ex­
plore une nouvelle voie pour penser cette
question. Des raisons politiques aussi, car il
se frotte aux controverses sur l’homme aug­
menté ou la marchandisation du vivant,
qu’il éclaire d’un nouveau jour grâce à son
arsenal intellectuel. Des raisons scientifi­
ques, enfin, car c’est un vrai programme de
recherche qui se dessine.
L’auteur veut bousculer sa discipline en
proposant une pirouette pour esquiver le
problème. Constatant l’incapacité des dizai­
nes de définitions précédentes à le résoudre,
DIX MILLE PAS ET PLUS
il propose un nouveau concept – les mondes
infravivants –, qui abolit toutes frontières
entre vivant et non­vivant.
POUR VOTRE SANTÉ, JETEZ-VOUS À L’EAU !
Des entités étranges
A l’intérieur, on trouve un bestiaire plus ou
moins connu. Des minéraux qui croissent et Par SANDRINE CABUT plus que sur la même période en 2015 (1 092), selon donnent des années en plus, la natation se place juste
se multiplient. Des molécules qui s’autoam­ Santé publique France. Elles ont aussi quasi doublé derrière les sports de raquette, qui diminuent de 47 %
plifient. Des réseaux de molécules qui se
créent, se « nourrissent » les unes des autres…
Des formes exotiques de cellules sans ADN,
ou ARN (une forme complémentaire de
l’ADN) pour se reproduire. Des vies sans car­
D eux séances par jour en bassin pendant une
semaine, dès la maternelle, pour se familiari­
ser avec l’eau, favoriser l’apprentissage de la
natation et prévenir les risques de noyade. Un plan
« aisance aquatique » a été lancé mi­avril par la minis­
chez les moins de 6 ans – de 180 en 2015 à 332
en 2018, même si le nombre de décès est, lui, resté
constant (une vingtaine par an).
Mais la prévention des accidents n’est pas le seul
objectif de cette familiarisation précoce avec le mi­
la mortalité globale et de 56 % celle d’origine cardio­
vasculaire (British Journal of Sports Medicine, 2017).
Outre ses effets directs sur le cœur, nager contri­
bue à réduire les facteurs de risque cardio­vasculaire,
en améliorant le profil lipidique et le contrôle glycé­
bone ou des ADN avec des bases nouvelles. tre des sports et ex­nageuse Roxana Maracineanu, lieu aquatique. C’est aussi un moyen de donner de mique, et en diminuant l’hypertension artérielle. La
Il existe aussi des virus dans des virus, des auprès d’élèves des moyenne et grande sections d’une bonnes habitudes en matière d’activité physique. natation permet aussi d’augmenter les capacités res­
bactéries dans des bactéries, des cellules école parisienne. Portée également par le ministère de « La natation est un super sport pour se remettre au piratoires. Chez les enfants et adolescents asthmati­
dans des cellules. On découvre des entités l’éducation nationale, cette expérimentation de clas­ sport », aime à rappeler Roxana Maracineanu. De ques, cette activité est bien tolérée et améliore la
étranges comme des protocellules, des ses piscine, à l’image des classes vertes, devrait s’éten­ fait, le milieu aquatique présente l’avantage d’être forme physique et la fonction pulmonaire, conclut
virocellules, des ultramicrobactéries… Tout dre à d’autres maternelles dès la rentrée prochaine. peu traumatisant et de créer un état d’apesanteur, une revue de la littérature Cochrane de 2013. Il faut
ce foisonnement est à chaque fois une Dans le cadre de ce plan, le dispositif « j’apprends à deux atouts pour faire bouger des personnes en cependant faire attention aux piscines très chlorées,
exception aux définitions courantes de la nager », créé en 2015 pour les 6­12 ans va, lui, être surpoids ou longtemps sédentaires. qui peuvent entraîner une irritation des voies respi­
vie. Autant donc les oublier. Et remplacer étendu aux 4­6 ans. Visant principalement les en­ Les bénéfices pour la santé de la natation et des acti­ ratoires chez ces jeunes patients. Des bénéfices ont
l’ordre par le désordre. Les catégories par fants des quartiers prioritaires et des zones rurales, ce vités aquatiques sont multiples, même si les études aussi été montrés sur l’appareil locomoteur (mus­
les relations et interactions entre ces ca­ programme de dix séances gratuites a déjà bénéficié scientifiques dans ce domaine sont bien moins nom­ cles, os), la santé mentale… Chez les personnes âgées,
tégories. Le statique par le dynamique. Le à 300 000 jeunes. Le ministère des sports va aussi breuses (et parfois moins solides) que celles consa­ la natation soulage les douleurs d’arthrose, améliore
collectif par l’individuel. mettre en ligne des vidéos donnant des conseils crées au vélo et à la course à pied, comme le souligne l’équilibre et réduit le risque de chutes. Les données
Avouons que, malgré tout, il reste difficile pratiques aux parents pour aider leurs petits (à partir un rapport de la commission natation et santé britan­ sont aussi encourageantes dans le domaine du han­
de se représenter ce nouveau continent, de 18 mois) à être plus à l’aise dans l’eau. nique de 2017. Les nageurs ont une mortalité globale dicap, notamment chez les enfants avec une para­
sans doute parce que nous sommes trop en­ Ces dispositifs devraient permettre de réduire les abaissée de 28 % et de 41 % pour les maladies cardio­ lysie cérébrale, avec des effets positifs en termes de
fermés dans de vieux concepts. L’un d’eux, noyades, en forte hausse. Entre le 1er juin et le vasculaires, estime une étude comparant les effets de rééducation, mais aussi de socialisation.
le vivant­machine, est d’ailleurs mis en 30 août 2018, 2 252 noyades entraînant un passage à six sports dans une cohorte de 80 000 quinquagé­ Bébés ou seniors, bien portants ou malades, tout
pièces par l’auteur de belle manière. l’hôpital ont été enregistrées en France, deux fois naires britanniques. Dans ce top 6 des disciplines qui le monde a une bonne raison de se jeter à l’eau. 
Comme si l’introduction d’une idée nou­
velle ne suffisait pas, le biologiste montre
aussi que cela permet de regarder avec un
œil neuf les questions éthiques soulevées
par la biologie de synthèse ou le trans­ AFFAIRE DE LOGIQUE - N°1098
humanisme. C’est là qu’il plaide pour une
biologie exploratoire qui testerait les échan­
ges entre objets plutôt que les objets eux­ Tous semblables ! N° 1098
Solution du problème 1097
mêmes, leur fragilité plutôt que leur robus­
tesse, les effets collectifs plutôt qu’indivi­ Alice s’amuse à découper un triangle de papier en triangles plus petits. Après plusieurs essais, elle dit à Bob : 18 personnes, au maximum, ont pris part au vote.
duels… Il rêverait de laboratoires interdiscipli­ « Tu sais ce que sont des triangles semblables ? Ce sont des triangles qui ont la même forme, donc les mêmes angles. On montre d’abord que le nombre de votants ne peut être
naires avec naturalistes, expérimentateurs, Leurs côtés sont proportionnels. Eh bien, je pense qu’en partant d’un triangle quelconque, on peut le découper en supérieur à 18. S’il était égal à 19 ou plus, d’après le principe
simulateurs, théoriciens… Il y substituerait la n’importe quel nombre N de triangles, pas forcément de même taille, mais tous semblables au triangle initial, dès des tiroirs de Dirichlet, au moins 7 d’entre eux auraient
« créativité à la course à la puissance ». Tout un lors que N est différent de 2, 3 ou 5. » fait la même réponse (disons A) à la résolution 1.
programme, très stimulant.  1. Alice a-t-elle raison ? Pourquoi ? Parmi ces 7 votants, au moins 3 auraient fait la même
david larousserie Bob ajoute : « Mais si on a affaire à un triangle rectangle, on peut aussi le diviser en 2, 3 ou 5 triangles semblables au réponse (disons encore A) à la résolution 2.
Ainsi, ces trois votants auraient les mêmes réponses aux
triangle initial. »
Infravies. Le vivant sans frontières, résolutions 1 et 2. Ils ne pourraient avoir d’autres réponses
2. Bob a-t-il raison ? Y a-t-il d’autres triangles que les triangles rectangles qui le permettent ? communes. Notons leurs réponses comme suit :
de Thomas Heams (Seuil, 190 p., 20 €).
R1 R2 R3 R4 R5 R6
Votant 1 : A A A A A A
À PARIS EXPOSITION « LE MONDE PARCOURSUP AU CAFÉ DE LA LA FACTORISATION DES GRANDS
Votant 2 : A A B B B B

LIVRAISON EN SPHÈRES » JUSQU’AU 21/07


Appréhender l’Univers tel qu’on le connais-
STATISTIQUE À LYON LE 14/05
« D’APB à Parcoursup, un enfer pavé de
NOMBRES LE 23/05 À PARIS
Parrain du XXe Salon Culture et jeux mathé-
Votant 3 : A A C C C C
Considérons alors un autre des votants ayant répondu A
sait avant Copernic, Newton et l’évolution bonnes intentions ? » est le thème du pro- matiques qui aura lieu du 23 au 26 mai à la résolution 1 (rappelons qu’il y en a au moins 4 autres).
des sciences est l’objet de cette exposition chain Café de la statistique de Lyon (Café de place Saint Sulpice, le mathématicien qué- Que pourrait-il répondre aux résolutions 3, 4, 5 et 6 ?
R E VU E conçue par la BNF (Paris 13e) qui retrace la Cloche, angle place Bellecour à 19 h). bécois Jean-Marie De Koninck, spécialiste Sûrement pas deux fois A (sous peine d’avoir trois
2 500 ans d’histoire des sciences et de repré- L’invité, Judicaël Courant, enseignant d’infor- de théorie des nombres, auteur de nom-
« Carnets de science » sentations de la Terre et du ciel. Un voyage matique, se penchera sur les algorithmes breux ouvrages et grand vulgarisateur, ani- réponses communes avec le votant 1), ni deux fois B (sous
La nouvelle livraison de la revue semestrielle exceptionnel rendant hommage aux d’admission dans l’enseignement supérieur mera le Kafemath (à 20 h à La Coulée peine d’avoir trois réponses communes avec le votant 2),
du CNRS consacre son dossier principal aux savants qui, de l’Antiquité à nos jours, ont comme Parcoursup et sur leur optimalité. Il Douce, Paris 12e). Il évoquera les travaux de ni deux fois C (sous peine d’avoir trois réponses com-
liens entre le sport et la science. Plusieurs approché la forme du cosmos et les trajec- examinera avec le public comment fonc- Pierre de Fermat, qui a donné en 1643 une munes avec le votant 3). C’est donc impossible.
toires des planètes. On pourra y voir des tionne informatiquement une telle procé- méthode générale permettant de factoriser Voici en revanche 18 votes respectant la condition :
laboratoires de recherche se sont en effet pièces exceptionnelles : globes et sphères dure d’affectation et quel rôle peuvent y de grands nombres, utilisant particulière-
organisés en vue des futurs Jeux olympiques A A A A A A, BBBBBB CCCCCC
souvent uniques, traités manuscrits, map- jouer les citoyens. Une occasion, peut-être, ment les différences de deux carrés, et fera
à Paris en 2024 pour aider les athlètes, pemondes, estampes et même des œuvres d’en approcher les algorithmes, dont l’inac- le lien entre ces calculs d’hier et les tech- AACBCB CBAACB ACACBB
y compris handicapés, à améliorer leurs d’artistes contemporains. ceptable secret est préjudiciable à l’équité. niques de factorisation d’aujourd’hui. ACBBAC BACCBA BBACAC
Informations sur www.bnf.fr Infos : cafestatistiquelyonnais.blogspot.com Informations sur www.kafemath.fr ABCABC ABBCCA BCCAAB
performances. Un article rappelle aussi les
CCBABA CABCAB CAABBC
bienfaits de l’activité physique sur la santé. E. BUSSER, G. COHEN ET J.L. LEGRAND © POLE 2019 affairedelogique@poleditions.com
CBCBAA BABACC BCABCA
> « Carnets de science », n° 6, 196 p., 12,50 €.
RENDEZ-VOUS
· LE MONDE SCIENCE & MÉDECINE
JEUDI 2 MAI 2019 |7
CARTE
BLANCHE Avant que le buis ne meure
Les condoléances  TRIBUNE - Le buis commun subit les ravages d’un papillon d’origine asiatique, détecté
en Europe en 2007. Pour combattre la pyrale, l’entomologiste Hervé Jactel propose
d’Einstein une stratégie de lutte biologique et des conservatoires botaniques pour sauvegarder le végétal

Par WIEBKE DRENCKHAN ET JEAN FARAGO

L e début du printemps à Strasbourg a


été passablement jésuite : les fleurs
étaient aux arbres, le soleil invitait à
D imanche 14 avril, une semaine
avant Pâques. Les cloches son­
nent dans mon village. Des fi­
dèles se pressent à l’église, porteurs de
rameaux à bénir. Ce sont quelques
Ce phénomène vient à la suite de
nombreuses introductions d’insectes
exotiques dans les forêts européennes,
en moyenne onze nouvelles espèces
par an depuis le début des années 2000,
LES DÉGÂTS SONT
CONSIDÉRABLES,
AUSSI BIEN
ront ensuite être relâchées dans la na­
ture afin de contrôler la pyrale du buis.
L’utilisation d’un parasitoïde origi­
naire de l’aire naturelle de l’insecte exo­
tique à combattre reste en effet la mé­
sortir et à se débarrasser des pelures de l’hi­ branches de buis, qu’ils conserveront avec un risque qui ne cesse de s’accélé­ DANS LES JARDINS thode la plus efficace à ce jour pour lut­
ver, tandis qu’un froid glacial interdisait pour protéger leur foyer. Mais cette tra­ rer. En cause, l’augmentation exponen­ QUE DANS LES ter contre les ravageurs invasifs, avec
dans le même mouvement tout change­ dition ne sera peut­être un jour qu’un tielle des échanges commerciaux, no­ déjà 172 succès dans le monde. En
ment de régime. Comme le vin au portier de lointain souvenir. Non pas que les chré­ tamment avec l’Asie, et l’accélération du SOUS-BOIS DE NOS France, les lâchers d’une petite guêpe
Macbeth, ce temps paradoxal aiguillonnait tiens auront oublié le symbole, mais transport qui place désormais la Chine FORÊTS, OFFRANT chinoise (Torymus sinensis) permettent
le désir des beaux jours et l’éteignait tout à la parce que le buis aura disparu. à dix jours de train de la France en sui­ de diminuer drastiquement les popu­
fois. Une météo qui invitait aux barbecues, Le buis commun (ou buis toujours vant les « nouvelles routes de la soie ». UN SPECTACLE lations de l’agent asiatique des galles de
mais avec des moufles ! vert, Buxus sempervirens) est un ar­ L’invasion de la pyrale du buis serait DE DÉSOLATION châtaignier (Dryocosmus kuriphilus).
De façon similaire à ce temps dissonant, on buste natif de nos contrées, présent passée inaperçue si l’insecte n’était un En attendant le déploiement de
trouve dans le corpus des théories physiques depuis le sud­ouest de l’Europe jus­ redoutable défoliateur, particulière­ cette technique de lutte, qui prendra
un exemple étonnant avec une telle co­ qu’au Caucase. Particulièrement rus­ ment prolifique (les femelles peuvent quelques années, il convient de sauve­
existence contradictoire, qui n’a jamais pu tique, il pousse dans les sous­bois de pondre jusqu’à mille œufs chacune). plus ancienne tablette d’écriture an bois garder le patrimoine naturel du buis
être dépassée par une unification ultérieure. nombreuses moyennes montagnes Ses chenilles sont très voraces, se nour­ jamais découverte – 1400 ans avant J.­C. en organisant des conservatoires bo­
Il vient de la fin du XIXe siècle, quand les phy­ ou en plaine, s’accommodant de sols rissant des feuilles, puis de l’écorce des – était en buis) jusqu’aux décors des jar­ taniques spécifiques. Cette deuxième
siciens prennent conscience de la nature cor­ pauvres et secs. Déjà utilisé au paléo­ jeunes pousses quand le feuillage a dis­ dins mondialement célèbres de nos mesure passe par un recensement des
pusculaire de la matière. En comprenant lithique pour la qualité de son bois, il paru. Si bien que les deux ou trois géné­ châteaux de la Loire ou du Périgord. populations survivantes de buis, afin
qu’elle est constituée d’atomes individuels, est un composant emblématique du rations annuelles de l’insecte condui­ Il existe bien une méthode efficace de d’en préserver la diversité génétique,
ils écartent définitivement la vision d’une jardin à la française car ses petites sent de plus en plus souvent à la mort lutte contre les chenilles de la pyrale, puis par une transplantation d’indivi­
matière continue et infiniment divisible. Ce feuilles et sa robustesse en font le ma­ du buis. Les dégâts sont considérables, fondée sur la pulvérisation de la toxine dus représentatifs dans des zones
faisant, un très grand nombre de faits expéri­ tériau idéal pour l’art topiaire. aussi bien dans les jardins que dans les Bt, la bactérie Bacillus thuringiensis. hors forêt où des traitements au Bt
mentaux trouvent un cadre unificateur élé­ Oui mais voilà. Le monde contempo­ sous­bois de nos forêts, offrant un spec­ Mais cette méthode n’est pas spécifi­ pourront être appliqués en attendant
gant (le mouvement brownien, les propriétés rain est tel qu’il est plus rentable d’éle­ tacle de désolation. Au point que les fo­ que, touchant toutes les espèces de pa­ la lutte biologique.
des gaz…), et une théorie majeure, la thermo­ ver en pot et de tailler les buis en Chine, restiers craignent désormais pour la pillons, et ne peut donc être appliquée Ces deux solutions sont simples tech­
dynamique, se voit éclairée et approfondie. d’en importer plus d’un million par an survie de l’espèce en Europe ! en milieu naturel. niquement et finalement peu coûteu­
Une contradiction demeure cependant pour les revendre en Europe, que de les Cette disparition serait un désastre Il convient donc d’agir, et vite. Deux ses au regard du bénéfice attendu. Au­
indépassable, ce qui suscita à l’époque des produire sur place. Oui mais voilà. Il ad­ écologique, économique et culturel. mesures sont à prendre en urgence. La delà du cas du buis, leur application
controverses houleuses. En effet, les équa­ vint un jour qu’un papillon asiatique, la Ecologique car le buis en bonne santé première est de mettre au point une permettrait de démontrer que nous
tions de la physique microscopique sont ré­ pyrale du buis Cydalima perspectalis, participe au bon fonctionnement des méthode de lutte biologique. En ce qui pouvons lutter concrètement contre le
versibles dans le temps, mais elles engen­ pondit sur ces buis destinés à l’exporta­ écosystèmes forestiers et notamment concerne la pyrale du buis, cette appro­ fléau majeur des invasions biologiques
drent une physique irréversible quand un très tion. Les chenilles, arrivées saines et leur régénération, réduit le risque d’ava­ che passera par l’identification en Asie, et leurs conséquences catastrophiques
grand nombre d’éléments interagissent. Par sauves en Europe, eurent tôt fait de se lanche et d’incendie, abrite quarante­ dans l’aire naturelle du ravageur exoti­ pour l’homme et les écosystèmes en
exemple, un spectateur regardant évoluer réveiller, donnant des papillons qui vo­ trois espèces de champignons et dix­ que, des ennemis naturels les plus effi­ utilisant justement ce que la nature
quelques molécules dans un film serait inca­ lèrent bientôt (ils peuvent parcourir huit d’invertébrés strictement inféodés caces et les plus spécifiques, sans doute offre de plus précieux, sa biodiversité. 
pable de dire si le film est passé à l’envers. En plusieurs dizaines de kilomètres) vers (qui disparaîtront avec la mort des des petites guêpes parasitoïdes. Elles se­
revanche, un glaçon qui se reconstituerait à des buis sauvages. Détectée pour la pre­ buis). Socio­économique car le buis ront élevées en quarantaine pour en ¶
la surface d’un verre d’eau qui, lui, irait se mière fois en Allemagne en 2007, douze fournit une extraordinaire variété tester l’innocuité sur les pyrales euro­ Hervé Jactel, directeur de recherche
réchauffant, choquerait immédiatement ! ans plus tard la pyrale du buis a envahi d’usages, depuis le bois tourné (flûtes et péennes, et si elles se révèlent inoffensi­ à l’INRA, membre de l’Académie
toute l’Europe, sauf la Scandinavie. hautbois, pièces d’échec, chapelets, la ves pour les espèces locales, elles pour­ d’agriculture de France
Inconfort persistant
Bien qu’une analyse pertinente de cette con­
tradiction ait été donnée dès 1896 par Ludwig Le supplément « Science & médecine » publie chaque semaine une tribune libre. Si vous souhaitez soumettre un texte, prière de l’adresser à sciences@lemonde.fr
Boltzmann (l’un des pères fondateurs de la
physique statistique), cette question de la flè­
che du temps a suscité des débats continus (et
des tentatives infructueuses pour la résoudre)
pendant tout le siècle suivant. La raison de cet
inconfort persistant tient essentiellement au PARLER GRÂCE À DES IMPLANTS CÉRÉBRAUX
fait que les arguments de Boltzmann ne résol­
vent pas mathématiquement la contradic­
tion, mais nous expliquent plutôt comment
vivre avec – un modus vivendi extrêmement 1 Les signaux cérébraux Une voix de synthèse à partir
original, que l’on ne rencontre dans aucune sont recueillis des signaux cérébraux
autre théorie classique. En physicien, Boltz­
mann parle de « probabilités », d’« entropie », et traités... Quand une maladie empêche l’appareil vocal
de « conditions initiales représentatives ». de produire ce que le cerveau lui commande,
Quoique pertinents, ces arguments mathé­ un procédé expérimental permet
matiques complexes masquent malgré tout une vocalisation synthétique.
un enjeu important du problème qui se situe Grille d’électrodes placée
aux frontières de la physique elle­même. à la surface du cortex 1 Les signaux cérébraux comportant
Car l’irréversibilité des phénomènes macro­ la consigne à vocaliser sont recueillis
scopiques est en fait intimement liée à notre au moyen d’une interface cerveau-ordinateur
perception du réel et à notre manière réduc­ par l’intermédiaire d’une grille d’électrodes
trice de le décrire. Serions­nous capables d’ap­ Activité neuronale placée à la surface du cortex.
préhender le monde d’une façon holistique, Les chercheurs ont déterminé les mouvements
prenant en compte l’intégralité de l’informa­ qui devraient se produire à partir d’une
tion constituée par les positions et vitesses de bibliothèque d’enregistrements qui a permis
toutes les molécules en présence, que leur
d’entraîner la machine.
évolution temporelle ne nous choquerait pas
plus dans un sens que dans l’autre. Mais nos 2 Les signaux sont alors convertis à leur tour en
capacités à percevoir et à décrire le monde
une voix de synthèse.
sont bien plus limitées, et notre cerveau « di­ Chez le sujet sain, les signaux
gère » le réel d’une manière à la fois synthéti­ cérébraux produisent des sons
que et imparfaite : dans l’information reçue par l’intermédiaire de l’appareil
par nos sens, nous singularisons en perma­ vocal
nence un petit nombre d’« objets » (l’eau li­ 2 ... pour être retransmis par une synthèse
quide et le glaçon dans l’exemple ci­dessus) Cavité buccale
évoluant les uns par rapport aux autres. C’est vocale
ce « regard réducteur » qui, tout en nous Langue
dotant d’un pouvoir unique d’analyse des
Epiglotte
phénomènes, révèle aussi la flèche du temps.
Einstein avait bien compris cette troublante Cordes vocales
situation, où la description d’une réalité ob­
jective ne peut éviter le filtre de notre rapport
au monde. Avec son sens de la formule, il écri­
vit dans une lettre à la famille d’un ami dis­ Trachée
paru : « [Nous physiciens] savons bien que la
distinction entre passé, présent et futur n’est
qu’une illusion obstinément persistante. » De
quoi méditer le dimanche au jardin, en at­ INFOGRAPHIE : PHILIPPE DA SILVA SOURCE : ANUMANCHIPALLI ET AL. , NATURE
tendant la transformation irréversible des
merguez, et l’illusion du printemps revenu. 
Parler est une activité complexe im­ d’accident vasculaire cérébral ou d’af­ synthèse (Nature du 25 avril). Afin de neuronal artificiel, les signaux d’origine
Wiebke Drenckhan (CNRS) pliquant une coordination subtile des fections neurologiques. Pour y remé­ réduire les distorsions constatées cérébrale en mouvements de l’appareil
et Jean Farago (université de Strasbourg) lèvres, langue, larynx, cordes vocales, dier, Gopala Anumanchipalli (univer­ dans les dispositifs de décodage direct vocal censés leur correspondre, puis en
Physicienne et physicien à l’Institut mâchoire pour mettre en œuvre les si­ sité de Californie) et ses collègues ont des signaux cérébraux, ils ont préféré transformant de la même manière ces
Charles-Sadron à Strasbourg gnaux cérébraux. Ce fonctionnement mis au point une interface cerveau­ une approche en deux temps : d’abord derniers en voix de synthèse. 
drenckhan@unistra.fr et farago@unistra.fr peut être profondément altéré en cas ordinateur pour produire une voix de en convertissant, grâce à un réseau paul benkimoun
RENDEZ-VOUS
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LE MONDE SCIENCE & MÉDECINE
JEUDI 2 MAI 2019

Elisabeth Bouchaud,  ZOOLOGIE
Le puceron, 
de la physique au théâtre kamikaze social
PORTRAIT - Cette spécialiste de la physique des matériaux, également passionnée
de littérature, met la science sous les feux de la rampe. Elle a repris plusieurs théâtres
L e puceron n’a pas bonne réputation. Ni
beau gosse ni beau chanteur, il envahit
les jardins et ravage les cultures. Tout
juste lui accorde­t­on le mérite d’alimenter

A
u Théâtre de la Reine Blanche, les coccinelles. Pourtant, derrière son appa­
niché dans un passage derrière rente médiocrité, l’insecte cache un mode de
la gare du Nord, à Paris, il y a, vie presque aussi évolué que ses lointaines
comme dans tous les théâtres, cousines, fourmis et abeilles. Insecte social,
un côté cour et un côté jardin. comme elles, il organise ses colonies autour
On y trouve aussi un côté grenier. C’est là­ de femelles fondatrices. Fondatrices car ce
haut, sous les toits, dans le bureau de la maî­ sont elles qui donneront naissance à des pe­
tresse des lieux, que beaucoup se joue. Yeux tits par parthénogenèse, mais aussi car elles
de braise, chevelure brune indomptée, teint seules sont capables de produire des galles.
méditerranéen, Elisabeth Bouchaud a tout Voilà sans doute la plus remarquable trou­
pour faire une Carmen plus vraie que nature. vaille des pucerons. Là où les chenilles se pro­
Mais, il y a quelques semaines encore, c’est tègent de leurs prédateurs en tissant un
une tout autre héroïne qu’elle incarnait sur les cocon, les aphides (nom scientifique de cette
planches de la Reine Blanche : Marie Curie, superfamille comptant quelque 4 000 espè­
dans Le Paradoxe des jumeaux, pièce coécrite ces) font faire le travail par les plantes sur les­
avec Jean­Louis Bauer. L’action se passe quelles elles vivent. Au printemps, la fonda­
en 1911, quelques années après la mort acci­ trice plante les stylets de son rostre sur une
dentelle de Pierre Curie. La chercheuse reçoit tige de son hôtesse et altère ainsi son dévelop­
son second prix Nobel alors qu’elle est au pement. Selon les espèces de pucerons et de
cœur d’un scandale en raison de sa liaison plantes, des excroissances de toutes formes et
avec le physicien Paul Langevin, homme de toutes tailles apparaissent. Les nymphes
marié et père de famille. La presse d’ex­ de pucerons s’y développent tranquillement,
trême droite traîne dans la boue cette étran­ à l’abri de la pluie, du vent et des agresseurs.
gère, cette Polonaise briseuse de ménage. Coccinelles, syrphes et autres papillons de
« Nous avons voulu montrer Marie Curie nuit ont évidemment compris la ruse et ten­
comme une vraie femme, amoureuse, capable tent de percer la galle. Une bataille com­
de se mettre en colère, loin de l’image classique mence. Des nymphes­soldates luttent, instal­
de la dame en noir qui fait la tête sur les pho­ lent des obstacles quand elles le peuvent ou
tos », explique Elisabeth Bouchaud. frappent de leurs pattes. Depuis 2003, une
équipe japonaise a décrit dans plusieurs
« Dingue de maths » articles le sacrifice suprême réalisé par Nippo­
Personne, sans doute, ne pouvait mieux com­ naphis monzeni, une espèce asiatique, pour
prendre Marie Curie qu’Elisabeth Bouchaud. réparer l’abri collectif après l’agression. Des
Elle­même immigrée – elle est née en 1961 en dizaines, voire des centaines de nymphes se
Tunisie, qu’elle a quittée à 3 ans et demi –, elle­ précipitent vers la brèche et y déversent, par
même mariée à un chercheur, Jean­Philippe le biais de deux petits tubes nommés corni­
Bouchaud, qu’elle a rencontré sur les bancs de cules, leur fluide corporel, l’hémolymphe.
la classe préparatoire – et épousé deux fois ! –, Une véritable éruption qui laisse les insectes
et, surtout, elle­même physicienne. Le par­ exsangues. Privés des deux tiers de leur
cours de cette « dingue de maths depuis le col­ poids, les pucerons trouvent encore la force
lège » est tout tracé. C’est celui d’une centra­ de remuer et d’étaler le liquide qui rapide­
lienne qui, sous l’influence de son futur mari, ment durcit. Certains restent emprisonnés,
se tourne vers la recherche et fait une thèse au d’autres parviennent à s’éloigner, mais la plu­
Commissariat à l’énergie atomique et aux part ne survivent pas à l’opération.
énergies alternatives (CEA). Dans sa dernière étude, publiée lundi
Elle bifurque aussitôt après en entrant à 15 avril dans les Comptes rendus de l’Académie
l’Office national d’études et de recherches des sciences américaine (PNAS), l’équipe japo­
aérospatiales (Onera), passant ainsi des poly­ naise révèle les ressorts moléculaires de
mères à la métallurgie – il s’agit de travailler l’opération. La cavité corporelle des nym­
sur les alliages utilisés en aéronautique –, de la phes­soldates abrite en effet des cellules
physique théorique à la mécanique, un do­ spécialisées pleines de gouttelettes de lipides
maine presque exclusivement masculin. « Les et d’une enzyme nommée phénoloxidase.
gens pensaient que j’étais folle, que j’avais brûlé De son côté, l’hémolymphe contient un acide
la carte mère, admet­elle dans un sourire. En aminé, la tyrosine, et des protéines particuliè­
travaillant dans le domaine des matériaux, je Elisabeth Bouchaud, en 2014. res (RCP). « Comme pour une colle époxy, les
suis devenue expérimentatrice mais la physi­ CAMPO ET BURCKEL composants sont stockés séparément dans le
que me manquait beaucoup… »
Pour réduire ce grand écart, Elisabeth Bou­
chaud va glisser des équations dans le cam­
bouis, en théorisant la manière dont les pour passer côté jardin et visionner ce second faut éviter de réveiller la blessure narcissique
matériaux se cassent. « Depuis la seconde film. Parce que, en surimpression de la « din­ qu’ont beaucoup de gens, à qui on a dit qu’ils
guerre mondiale, on voyait les matériaux gue de maths », il y a aussi une collégienne étaient trop bêtes pour comprendre la science
comme des milieux homogènes parfaits », amoureuse de littérature, « du français de et qui se sentent illégitimes vis­à­vis d’elle.
explique Laurent Ponson, de l’Institut Jean­ Molière et de Racine », de cette langue qu’elle Nous devons les emmener doucement vers un
Le­Rond­d’Alembert (CNRS­Sorbonne­Univer­ « regarde avec le respect et la déférence de l’im­ discours scientifique. » La chercheuse estime
sité), qui considère la chercheuse comme sa migré ». « Le théâtre, se rappelle­t­elle, mes que « la culture scientifique n’est pas assez di­
« mère scientifique ». « Elisabeth, au contraire, parents n’appréciaient pas particulièrement ça. vulguée et partagée. Elle fait pourtant partie de
les a vus comme des milieux hétérogènes non Appartenir à ce monde, c’était vu de manière la culture générale et il y a tellement de ques­
parfaits, avec des petits talons d’Achille qui négative. Mes parents ne m’ont jamais rien dit tions sociétales qui reposent sur les résultats de Nymphes-soldats de pucerons.
contrôlent leurs propriétés de rupture, ce qui a mais j’ai métabolisé cette interdiction. Et puis je la science, comme le changement climatique, MAYAKO KUTSUKAKE
permis d’élucider des problèmes qui restaient n’étais pas capable de ne pas savoir ce que j’al­ la procréation, l’eau… Il faut que le public ait
incompris. Elle dit souvent que les matériaux lais gagner à la fin du mois… » Ce ne sera pas un accès à un minimum de culture scientifique corps, explique Takema Fukatsu, professeur
sont comme les gens : ce qui les rend intéres­ métier, mais une passion qui vivra à côté, pour se positionner et faire ses choix sur ces à l’université de Tokyo et responsable de
sants, ce sont leurs défauts ! » parce que, dit­elle, « depuis les cours que j’ai questions ». Enfin, Elisabeth Bouchaud évo­ l’équipe. Lors de la décharge du fluide corpo­
Pendant plus de deux décennies, Elisabeth pris dans ma jeunesse au conservatoire de que une dernière bonne raison de placer la rel, les cellules éclatent, l’enzyme est activée et
Bouchaud étudie les surfaces de rupture, mo­ Bourg­la­Reine­Sceaux, la maladie du désir de science devant les feux de la rampe : « Simple­ convertit la tyrosine en molécules de quinone
délise la propagation des fissures dans les ma­ monter sur scène s’est installée ». ment considérer qu’elle peut être une source elles­mêmes très réactives, qui vont créer de
tériaux et montre que, dans le fond, le verre d’inspiration poétique ! » nombreuses liaisons. » Bref, la soupe devient
casse comme du métal. Théoricienne de la « Programmation inspirée des sciences » Elisabeth Bouchaud a arrêté la recherche, pâte, puis plâtre.
rupture, elle consacre aussi beaucoup de Quand elle a 20 ans, Jean­Philippe Bouchaud « au moins provisoirement. Je suis allée assez Au passage, les scientifiques japonais ont
temps à… « réconcilier la physique et la mécani­ lui lance – comme les phrases définitives et les loin dans les réponses aux questions que je me fait une autre découverte : ces ingrédients et
que, deux disciplines qui ne se parlaient pas, promesses qu’on lance à cet âge – : « Un jour je posais en sciences ». Elle doit encore terminer, cette recette, les pucerons l’utilisent égale­
ajoute Laurent Ponson. Elle est à l’opposé du t’achèterai un théâtre ! » Il ne sait pas encore avec Laurent Ponson, un manuel de référence ment, lorsqu’ils sont personnellement
cliché du scientifique renfermé sur lui­même : qu’il développera des techniques de gestion de sur la rupture des matériaux, mais elle a déjà blessés, pour cautériser les plaies sur leur
elle est très sensible, elle comprend extrême­ portefeuilles avec des outils de physique sta­ revêtu le manteau de Thespis, comme disait cuticule. « Que le mécanisme d’immunité in­
ment bien les gens et les embarque dans ses tistique, que la start­up qu’il montera passera Cyrano sous la plume d’Edmond Rostand, et née, individuel, soit repris et amplifié pour
projets. C’est à la fois une meneuse et une de trois à 280 personnes, il ne sait pas encore inaugurera une école de théâtre à l’automne. construire une défense sociale, collective, a été
personne à l’écoute ». En 1999, elle prend la tête qu’il fera fortune. Ni qu’il tiendra promesse. Outre la Reine Blanche, elle a aussi repris le pour nous une immense surprise », dit Takema
du service de physique des surfaces au CEA, « Le théâtre a toujours été là, en pointillé, recon­ théâtre Les Déchargeurs, dans le quartier des Fukatsu. Même la biologiste autrichienne
celui­ci s’intéressant de près aux propriétés naît Elisabeth Bouchaud, sous le couvercle de la Halles, à Paris, ainsi qu’un petit théâtre à Sylvia Cremer, qui a inventé le concept
intimes du verre, pour des questions de stoc­ marmite. » En 2014, elle reprend le bail du Avignon qui ouvrira le temps du Festival, d’« immunité sociale » en traçant un parallèle
kage des déchets nucléaires. Au début des Théâtre de la Reine Blanche. Un lieu plein d’es­ comme une vitrine « pour les professionnels entre les colonies d’insectes sociaux et le
années 2010, elle est détachée à l’Ecole supé­ caliers, de coins et de recoins, deux salles. Dans susceptibles d’acheter nos spectacles. Aucun corps d’un humain, s’avoue impressionnée.
rieure de physique et de chimie industrielles la plus grande des deux, ce sera « une program­ théâtre parisien ne peut vivre de la billetterie. « L’autorupture comme arme de défense était
de la Ville de Paris (ESPCI). mation inspirée des sciences ». Entre les baux, les cachets, les charges, c’est connue chez certaines fourmis, mais ce qui est
Des articles dans des revues spécialisées, des La première raison de ce choix tient bien sûr impossible ». Trouver l’équilibre financier de remarquable ici, c’est de voir le même méca­
étudiants en thèse, des récompenses scientifi­ au parcours d’Elisabeth Bouchaud. Mais l’ob­ sa passion pour le théâtre, voici une équa­ nisme utilisé pour défendre son propre corps et
ques, un cursus assez classique, somme toute, jectif consiste aussi « à faire passer l’idée que la tion que la matheuse n’est pas encore parve­ pour défendre la galle, donc la colonie », souli­
s’il n’y avait pas cette voie parallèle du théâtre. science est passionnante et drôle, explique­t­ nue à résoudre…  gne­t­elle. Médiocre, le puceron ? 
Rembobinons la vie d’Elisabeth Bouchaud elle. On part avec un lourd handicap parce qu’il pierre barthélémy nathaniel herzberg

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