Confidentiel

Angélique Cristofari (Louis Delhaize) rejoint le groupe Casino

au poste de directrice financière.

Air France aiguille ses clients

Malgré la mise en
place de la réforme vers le carburant vert Engie a mis
discrètement fin à ses
de l’assurance agricole activités en Russie,
en février 2023, les Pour marquer sa volonté d’être le champion de la transition énergétique, Air après l’arrêt des
assureurs n’ont livraisons de gaz par
toujours pas mis en
France modifie son parcours client sur Internet. La proposition de soutien aux Gazprom, et fermé son
place de pool dédié de « carburants durables », dernière étape avant d’acheter un billet, sera placée tout bureau. Aucun chiffre
co-réassurance. Nouvel en haut et intégrée aux différentes offres (Business, Business Premium Economy, d’affaires n’y a été
horizon : janvier 2025. Economy). La possibilité d’une contribution volontaire correspondant à un trajet enregistré en 2023.
avec 30, 50 ou 100 % de « durable » peut aboutir à un doublement du tarif. Objectif
Air liquide rouvre A compter du 1er avril,
le 28 mars sa station
affiché de la compagnie : voler avec 10 % de carburant vert en 2030.  • les magasins
d’hydrogène de la place Carrefour de proximité
de l’Alma, à Paris. baissent d’environ 7 %
Quick aiguise les appétits le prix de 450
Ardian, Capza et ICG Au moins trois fonds (Lone Star, Black- Le pape se à 700 produits.
fait apôtre
Alessia Giuliani/CPP/Hans Lucas/AFP
sont candidats à la stone et CVC) sont sur les rangs pour
reprise d’Alstef Group racheter Quick (160 restaurants) à du travail Motorola (Lenovo)
(équipement veut porter sa part de
aéroportuaire, Loiret).
H.I.G. Valorisation : 600 à 700 millions Le pape Fran- marché en France dans
Bpifrance et QIA (Qatar) d’euros, soit près de 10 fois le résultat çois a adressé le les smartphones de 5 %
sont dans l’actuel tour d’exploitation (Ebitda). 13 mars un mes- à 15 % d’ici à 2028.
de table. Valorisation : sage au congrès
300 à 350 millions. annuel des En- Xavier Huillard (Vinci)
trepreneurs et a vendu 12 000 actions
Léon Laulusa (ESCP) du groupe pour
et Yannick Lintz
dirigeants chrétiens, réuni à Bor- 1,4 million d’euros.
(Musée Guimet) sont deaux : « Le travail, au-delà des Il lui en reste un peu
Romuald Meigneux/Sipa

les seuls dirigeants épreuves et des difficultés, est un moins de 340 000.
français à intervenir chemin de développement humain
le 27 mars au Boao intégral, qui permet la réalisation Guillaume Decugis
Forum for Asia, personnelle. » (ex-Scoop.it) devient
le « Davos chinois ». associé du fonds
Serena au côté
Raphaël Palti, président de Bertrand Diard
fondateur d’Altavia Trottinettes et vélos partagés Bercy sauve la mise de Gifi (ex-Talend).
(services marketing) avancent en accordéon Dans la nuit du 15 mars, à Bercy, la di-
passe la main à son Le suédois Voi (trottinettes et vélos rection de Gifi (distribution), conseillée Le français Crime
fils Sydney. Une étape électriques) a levé 23 millions d’euros. par Lazard, a signé sous l’égide du Comi- Science Technology
accompagnée (sécurisation) a obtenu
par Matthieu Leclercq
Bonne nouvelle pour la start-up pré- té interministériel de restructuration avec la Lituanie le prix
(For Talents). sente dans 12 pays, alors que le marché industrielle un accord avec ses créan- du meilleur passeport
de la micromobilité traverse une pé- ciers, épaulés par Rothschild & Co. au monde.
La Drieets d’Ile-de- riode compliquée. Deux de ses concur- Dans la foulée, le PDG Philippe Ginestet
France a infligé à rents, Dott et Tier, préparent une fusion. a communiqué aux salariés son ambi- Florence Hardouin
Renault une amende tion de devenir leader du discount de (ex-FFF) rejoint
de 2 millions d’euros A ADP, on dénonce un « coup l’advisory board
en raison de retards
centre-ville en Ile-de-France avec un d’Exanter (conseil).
de paiement. de force » sur la gouvernance nouveau service de livraison à domicile.
Au conseil d’ADP, A l’occasion des
Le FLNC corse a on qualifie de Les Allemands d’Airbus ont commémorations
S. Lagoutte/Myop pour Challenges

adressé un courrier « coup de force » le fait dérailler l’opération Atos du Débarquement,

aux repreneurs non-renouvelle- Au sein des instances dirigeantes d’Air- Michelin fait rééditer
potentiels de Codim 2 les cartes routières
(19 magasins Casino) :
ment du PDG Au- bus, ce sont les Allemands qui ont déci- de l’époque pour
« Méfiez-vous du choc gustin de Roma- dé d’interrompre les négociations pour la Normandie. Un
des cultures, n e t . Plusieurs l’acquisition d’Atos BDS. En raison d’un exemplaire géant
jusque dans vos sites administrateurs, « risque opérationnel très fort ». Du sera exposé gare
en France. » dont les représen- coup, Daniel Kretinsky a indiqué ne pas Saint-Lazare (Paris).
tants des salariés, ont appris par la être hostile à une reprise totale d’Atos.
presse la décision de l’Etat actionnaire. Mais sans officialiser sa candidature.

Sommaire en pages 16 et 17
21 MARS 2024 - CHALLENGES N°822  5
 Confidentiel

Aux européennes, Hubert Védrine envisage de voter pour la liste

Ecologie positive et territoires (Yann Wehrling).

En toute indiscrétion
Le président du groupe Catherine Vautrin
PS à l’Assemblée, Hollande n’est pas Clooney, (Travail) a obtenu gain
Boris Vallaud, et pourtant… de cause contre
multiplie les La remontée de François Hollande dans Bercy pour que la loi
déplacements dans sur la simplification
les universités. Après
les sondages d’opinion, en particulier ne contienne pas
Lille, Bordeaux et dans l’électorat féminin, enchante ce d’articles sur la
Angers, il prépare une proche de l’ex-président : « Ce n’est pas révision des seuils

Alain Robert/Sipa
conférence à Toulouse. George Clooney, ni l’Apollon du Belvé- d’effectifs.
dère, mais le charme opère. »
Gabriel Attal, qui L’inspection générale
suit de très près les Glucksmann se détache des Finances prépare
dossiers de Nicole un rapport sur la
Belloubet (Education Challenges, en partenariat avec RTL, L’IVG et la fin de vie divisent gestion prévisionnelle
nationale), s’appuie M6 et Toluna-Harris Interactive, lance le Rassemblement national des RH dans la
sur l’ex-recteur son baromètre pour les élections euro- Jordan Bardella et Marine Le Pen sont fonction publique,
d’Orléans-Tours Gilles péennes. Enseignement de la première furieux que onze députés RN aient voté à la demande
Halbout, qui dirige vague, dévoilée sur Challenges.fr : la contre l’inscription du droit à l’IVG de Bruno Le Maire,
le « pôle » dédié Thomas Cazenave
au sujet à Matignon.
percée de la liste PS-Place publique de dans la Constitution, alors qu’ils et Stanislas Guerini.
Raphaël Glucksmann à 13 % d’inten- avaient passé la consigne aux récal­
Marylise Léon (CFDT) tions de vote, contre 8 % pour Manon citrants de s’abstenir. « Tout en pré­ Nicole Notat (ex-CFDT)
et Sophie Binet (CGT) Aubry (LFI), 7 % pour Marie Toussaint tendant nous laisser la liberté de vote rejoint le conseil de
préparent un sur les sujets sociétaux, ils redoutent la Fondation AP-HP.
événement commun le décalage avec l’opinion, souffle un
mi-avril pour pousser Franck Allisio (RN)
les jeunes à voter et
de ces rebelles, et ils anticipent le organise le 26 mars
faire barrage au RN. même problème avec le projet de loi des états généraux
sur la fin de vie. » de l’immigration
Jean-Philippe Ksiazek/AFP

Sylvain Maillard à Paris (VIIe). Sur

(groupe Renaissance) Bardella prend cher le modèle de ceux
a dîné le 18 mars avec sur les réseaux du RPR en 1990.
Thomas Cazenave
(Comptes publics).
Les stratèges du RN s’inquiètent de la Robert Ménard
Pour lui rappeler que prolifération de comptes hostiles sur pourrait briguer
les députés doivent (Les Ecologistes) et 2 % pour Léon Def- les réseaux sociaux, qui détournent un siège de sénateur
être consultés avant fontaines (PCF). En tête : Jordan Bar- leurs slogans ou moquent la tête de de l’Hérault lors
des annonces della (30 %), loin devant les 18 % de Valé- liste. « Certains de ces comptes ne du renouvellement
budgétaires. rie Hayer (majorité présidentielle). cachent même pas leur appartenance à de 2026. Son épouse
Emmanuelle Ménard,
« C’est un texte, trop
la majorité », tempête le directeur députée, lui
complexe, dont je ne Mélenchon prend un risque de campagne de Jordan Bardella, succéderait à la mairie
suis pas fier », reconnaît Un proche de Jean-Luc Mélenchon est Alexandre Loubet. Et de s’étonner de de Béziers.
Frédéric Descrozaille dérouté par la stratégie du champion de voir certains arguments repris directe-
(Renaissance) LFI : « En tweetant que le 8 juin n’est ment sur les plateaux de télévision par Ni Laurent Wauquiez
à propos de la loi pas une élection européenne, mais le des ministres macronistes. (Auvergne-Rhône-Alpes)
portant son nom, ni Xavier Bertrand
qui encadre le secteur
premier tour de la présidentielle, il (Hauts-de-France) n’ont
de la distribution. prend le risque de s’éliminer lui-même Thevenot fait lever les yeux reçu le livre de Bruno
si notre liste se plante. » sur l’Europe Le Maire, La Voie
Pour Olivia Grégoire A un jeune qui lui affirmait « L’Europe française (Flammarion).
(Entreprises), le projet Falorni préfère ne fait rien pour nous » lors d’un
de directive l’accompagnement au palliatif déplacement en Seine-Saint-Denis, la Simon Pecnard
européenne sur (Jeunes avec Macron)
l’obligation des
Le député Olivier Falorni (MoDem et porte-parole du gouvernement Prisca rejoint l’équipe
rapports RSE est indépendants), qui mène le combat Thevenot lui a simplement demandé de de campagne
« la voie de salut du pour l’aide à mourir, pèse chacun des lever les yeux. « Coïncidence, il se trou- de Valérie Hayer
capitalisme ». France mots : « Soins palliatifs renvoie à un vait sur un terrain de basket récem- (Renaissance),
Industrie y est opposé. expédient, une atténuation de symp- ment inauguré et où figurait encore la comme plume.
tôme ; alors qu’accompagnement signi- liste des financeurs, parmi lesquels
fie qu’on est avec vous jusqu’au bout. » l’Union européenne. »

6  CHALLENGES N°822 - 21 MARS 2024

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 Médias

Le magazine Marianne lance sa nouvelle formule alors qu’il est déficitaire

depuis trois exercices, avec 13 millions de chiffre d’affaires en 2023.

Spotify se fait entendre

Rentable, le groupe de
photographie Fisheye contre la taxe streaming La PDG de Radio
France, Sibyle Veil,
enregistre 7,5 millions passe à l’attaque.
d’euros de chiffre La colère de Spotify ne retombe pas. bureaux à Paris, où son budget a été Après un long entretien
d’affaires en 2023, paru dans La Tribune
en hausse de 15 %.
La plateforme suédoise de musique n’a réduit de 30 % en 2024. L’idée de devoir dimanche, elle doit
Avec 8 000 abonnés pas digéré l’instauration de la taxe strea- payer une nouvelle contribution as- rencontrer Rachida
pour son bimestriel, ming. « La start-up nation est devenue sombrit encore ses finances. « Les pou- Dati fin mars pour
l’essentiel de ses la taxe-up nation », déplore Antoine voirs publics viennent taxer un sec- la convaincre de
revenus proviennent Monin, directeur général de Spotify teur avec une croissance amoindrie », ne pas fusionner
de ses activités de France. En vigueur depuis le 1er janvier, se lamente son directeur général. Le l’audiovisuel public
diversification, comme dans un seul et même
le festival Palais
cette contribu- marché du streaming français, dont le bloc, en une « BBC
augmenté, au Grand tion doit aider à chiffre d’affaires s’élève à 1 milliard à la française ».
Palais éphémère. Le financer le Centre d’euros, reste en retard par rapport à
groupe va lancer cette national de la son homologue allemand, souligne le Bayard va créer
année un média d’art un poste de chief
Sébastien Calvet/Réa

musique. Elle de- Syndicat national de l’édition phono-

digital immersif. vrait coûter plus graphique dans sa dernière étude pu- information officer
pour piloter la mutation
L’offre de streaming
de 7 millions bliée le 12 mars. digitale de ce groupe
TF1+ arrive le 26 mars d’euros en 2024 « Au lieu d’encourager l’usage du strea- encore très papier.
sur les box SFR avec au leader du sec- ming, on pénalise tout un secteur », Depuis septembre,
à la fois l’offre gratuite teur, soit 1,2 % de son chiffre d’affaires. poursuit Antoine Monin, qui rappelle Bayard Jeunesse
et payante. A partir du Un coût difficile à assumer selon l’entre- que « Spotify contribue déjà aux fi- et Milan Jeunesse
2 avril, les télévisions prise, qui souhaite le répercuter sur le nances publiques » via la taxe sur les ont perdu
connectées Samsung 100 000 abonnements
afficheront l’application
prix de ses abonnements en France. In- services numériques et la TVA à 20 % sur par rapport au
du groupe TF1 sur terrogé sur le montant de cette hausse, ses abonnements. Mezza voce, Deezer, budget prévisionnel,
leur écran d’accueil. Antoine Monin ne se prononce pas : son concurrent français, où les em- soit une perte de
« Nous allons rester à Paris, mais de- bauches ont été gelées, reprend la 3 millions d’euros de
La fédération vrons rentrer dans nos frais. » même rengaine. « Cette taxe n’est pas la marge opérationnelle.
regroupant les agences Malgré sa première place dans le strea- bienvenue », ajoute Ludovic Pouilly,
d’influenceurs en Après la récente
France, l’Umicc, s’allie
ming musical, Spotify n’est toujours son vice-président en charge des rela- diffusion, sur Arte,
avec ses homologues pas rentable. En janvier, la plateforme tions publiques. Les deux leaders d’un documentaire
britannique, l’Influencer a lancé un plan de restructuration. craignent surtout qu’une telle fiscalité très critique sur Ikea
Marketing Trade Body, D’après nos informations, cinq à six ne fasse le jeu des géants américains en matière
et allemand, salariés seraient sur le départ dans ses Apple, YouTube et Amazon. D. Pa. environnementale,
la Bundesverband beaucoup d’auditeurs
Influencer Marketing, se sont émus auprès
afin de créer
une association L’Equipe trouve son champion de la médiatrice
de Radio France

pour élargir sa diversification

européenne à Bruxelles de la diffusion,
pour défendre leurs sur France Inter,
intérêts : l’European de publicités pour
Influencer Marketing Le groupe L’Equipe s’est trouvé un nou- dente du média sportif, qui assurera la marque.
Alliance.
veau patron. C’est Rolf Heinz qui pren- l’intérim. « Heinz coche beaucoup de La revue Regards,
Isabelle Juppé, dra le 1er juin la tête du média détenu cases, décrypte un connaisseur du proche du Parti
ancienne journaliste par la famille Amaury. La candidature groupe. Il a une vraie vision straté- communiste, compte
à La Croix, a rejoint de cet ancien de Prisma Media, où il a gique de la presse, tout en sachant 10 800 abonnés.
le comité de soutien passé douze ans et accéléré la transfor- mener une politique de croissance et Passée de trimestriel
du quotidien. A titre mation numérique du groupe, a séduit de diversification. » Le quotidien ne à semestriel, elle
bénévole comme les a la particularité
autres membres,
l’actionnariat familial parmi une tren- s’interdit pas des rachats à l’avenir. Ces d’afficher un prix
elle aide le journal taine de candidats. dernières années, L’Equipe a tenté de d’abonnement
à trouver des fonds Le poste était vacant depuis l’automne, trouver de nouvelles sources de reve- à 60 euros, plus cher
pour des projets l’ex-directeur général Laurent nus avec la création du Ballon d’or fé- qu’un achat en
spécifiques. Prud’homme ayant démissionné pour minin en 2018 ou l’organisation de la kiosques à 44 euros.
rejoindre l’Olympique lyonnais. D’ici là, conférence Demain Le Sport, qui fête sa
c’est toujours Aurore Amaury, prési- deuxième édition. A. S.

8  CHALLENGES N°822 - 21 MARS 2024

Garantir l’identité de Charlotte,
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94200 Ivry-sur-Seine - Réf. : AP challenges SIN - 02/24 - Crédit photo : Adobe Stock

Le maire de Nice, Christian Estrosi (Horizons), effectuera
Lors de sa visite
en Arabie saoudite,
Franck Riester a
posé les bases d’une
éventuelle visite
d’Etat d’Emmanuel
Macron en 2025.
Deux sujets à
l’agenda : l’exposition
universelle de 2030
et la présence
accrue d’entreprises
françaises dans
le projet Neom.
Le Turkménistan doit
signer des accords
de coopération avec
plusieurs sociétés
françaises, dont
Arterail, dans le
domaine ferroviaire.
Dans le cadre
des cérémonies
pour les 80 ans
du débarquement,
l'ambassadrice des
Etats-Unis en France,
Denise Bauer, fera
le voyage en avril
sur la « route de la
Liberté » entre Reims
et Utah Beach.
Alexis Berthier
devient sous-directeur
des affaires politiques
à la Direction des
Nations unies
du Quai d’Orsay.
Paris double Moscou dans les ventes
d’armes. Selon le centre de recherche
suédois Sipri, la France a juste dépassé,
Parts de marché
des exportations
d’armement* (en %)
Etats-Unis
42 Les ventes d’armes
France
11
Russie
11
Chine
5,8
Allemagne
5,6 *SUR 2019-2023.
SOURCE : SIPRI. de 53 %.
10  CHALLENGES N°822 - 21 MARS 2024
Radars
Par Antoine Izambard
une visite au Japon du 18 au 25 mai.
Bezrukov, la très francophile
star des espions russes
L’écrivain Boualem
Sansal a rejoint
le comité stratégique
du Centre de réflexion
C’est l’un des agents sur la sécurité
secrets les plus popu­ intérieure (CRSI) que
laires dans son pays. Et préside l’avocat
l’un des plus actifs dans Thibault de Montbrial.
les médias, où il ne rate
La députée
pas une occasion de don­ Renaissance des
ner son avis sur la guerre Hauts-de-Seine
en Ukraine ou sur l’Otan. Constance Le Grip
Ramil Sitdikov/Sputnik/Sipa
Peu de temps avant la ré­ remettra un rapport
élection sans surprise d’information sur les
de Vladimir Poutine, le ingérences étrangères
à l’Assemblée
17 mars, Andreï Bezru­ nationale le 20 mai.
kov, ex-agent du KGB
puis du SVR a, par exem­ Andreï Bezrukov, au Forum Russia Expo, à Moscou, Le sénateur centriste
p l e , e s t i m é q u ’ u n en décembre 2023. Juste avant la réélection de Poutine, Olivier Cadic a
« cycle de six ans va il assurait : « Un cycle de six ans va commencer.» récemment visité
commencer, au cours le Department of
Homeland Security,
duquel nous devrons assurer la crois- accueilli en héros. Bezrukov est ensuite l’équivalent américain
sance économique, et cela sera d’une devenu le conseiller du président de de l’Anssi, qui
importance cruciale. Si nous n’assu- Rosneft, Igor Setchine (proche de Pou­ constate que la Chine
rons pas la croissance économique, tine et ancien du KGB). Parfaitement a progressé dans
nous ne remplirons pas les tâches francophone – il a un diplôme de l’Ecole le ciblage des
géostratégiques de lutte contre nos en- nationale des ponts et chaussées –, l’ex- infrastructures
critiques.
nemis qui nous oppriment. » agent est devenu la porte d’entrée pour
Le maître-espion a acquis une notoriété les businessmen français souhaitant Pawel Szota a été
planétaire en inspirant la série télévi­ accéder au boss de Rosneft. « Je le nommé à la tête
sée The Americans. Bezrukov, alias voyais souvent, il faisait passer les du renseignement
Donald Heathfield, avait été arrêté, messages de mon PDG à Setchine », extérieur polonais
en 2010, aux Etats-Unis, avec son précise un ex-patron de la filiale russe (AW). Il a notamment
dirigé le secteur
épouse Elena Vavilova. Bénéficiant d’un groupe du CAC 40. L’ex-espion, qui Russie à la Direction
comme cette dernière d’un échange de a quitté Rosneft, donne désormais des des opérations de
prisonniers en juillet 2010 à Vienne – le cours à l’Institut des relations interna­ l’AW de 2012 à 2013.
plus important depuis la fin de la guerre tionales de Moscou (MGIMO), pépi­
froide –, le couple était rentré au pays, nière d’espions russes. •
L’inflation explose au Nigeria. Les prix Pékin monopolise les terres rares. Alors
à la consommation dans ce pays le plus qu’un smartphone contient 50 matériaux
peuplé d’Afrique s’envolent de 30 % tels que l’or, le silicium, le cobalt ou le
pour la première Evolution des prix sur un an. Un Parts de marché des pays palladium, la course
fois, la Russie sur à la consommation phénomène lié producteurs d’oxydes à ces métaux
les exportations au Nigeria (en %) à l’effondrement de de terres rares (en %) stratégiques bat son
d’armement. 30 sa monnaie (Naira), plein entre grandes
Bola
Tinubu qui a affiché Chine puissances. Mais la
tricolores ont devient en 2023 la deuxième 60 Chine, qui produit
25 président
augmenté de 47 % pire performance 60 % des métaux
entre la période mondiale derrière rares et fournit 98 %
8 15
2014-2018 et la 20 la livre libanaise. des terres rares
8 9
période 2019-2023, La volatilité des Autres consommées dans
quand celles de devises décourage
15 Australie Etats-Unis l’Union européenne,
Moscou chutaient
2022 23 24 les investissements Birmanie a une sacrée
SOURCE : HAVER ANALYTICS. étrangers. SOURCE : INSTITUT CHOISEUL. longueur d'avance.
 Le graphique

La route barre le passage

au fret ferroviaire LEÇON N°1

Des énormes camions sur les routes fran- fret ferroviaire peine déjà à se stabiliser Réduction
çaises comme aux Etats-Unis ? C’est la autour des 10 %. Désindustrialisation,
crainte des militants écologistes et des L’arrivée des mégacamions pourrait encore moindre dynamisme
des ports français par
défenseurs du fret ferroviaire depuis faire baisser cette activité de plus de 20 %, rapport aux concurrents
l’adoption, le 12 mars dernier, par le Parle- selon les calculs des experts du rail. « Au- européens : depuis
ment européen d’un projet de directive sur jourd’hui, la priorité est le report modal, les années 2000,
les poids lourds. Actuellement limitée à en particulier vers le ferroviaire », fait le fret a vu son activité
18,75 mètres pour 40 tonnes, leur taille valoir le ministère des Transports. Après le chuter de 43 %.
maximale pourrait être rehaussée au-delà vote du Parlement, le texte doit encore être Le modèle économique
de 25 mètres et 60 tonnes. La France s’y négocié avec le Conseil et la Commission reste introuvable,
lié à une rigidité
oppose alors que la part de marché du européenne.  Pauline Damour
d’organisation et à
une structure de coûts
plus lourde que celle
du transport routier.
Transport de marchandises en France exprimé en tonnes LEÇON N°2
par kilomètre (en %) Concentration
Trois corridors
100 v traversant la France
2014
(Nord Méditerranée,
Seulement 63 % du transport Atlantique et
1995 de marchandises est réalisé
par des camions français,
Méditerranée)
Le réseau routier
90 se développe. Entre contre 78 % en 1995. concentrent l’essentiel
1995 et 2014, du transit ferroviaire
sa longueur va (fret et voyageurs).
progresser de 12 %. Ce qui n’arrange pas les
80 retards et la dégradation
de la qualité de service
2020 devenus le lot commun
La crise sanitaire et les des trains de fret, qui
70 confinements pèsent moins sur roulent à 52 kilomètres
la route que sur le rail. à l’heure en moyenne
sur des infrastructures
TRANSPORT vieillissantes.
60 ROUTIER 2012
La SNCF est sanctionnée pour abus Fin 2022 LEÇON N°3
de position dominante. Seulement Démantèlement de Ambition
cinq entreprises privées sont présentes sur Malgré une stabilisation
50 le secteur, avec 45 % de part de marché.
Fret SNCF, qui doit
créer une nouvelle de sa part modale
société et céder 20 % depuis 2011, autour de
de son activité à ses 9 %, le fret ferroviaire
2008 concurrents pour
40 Rachat de Geodis, géant du éviter une sanction français se situe bien
transport routier, par la SNCF. de Bruxelles. en dessous de la
moyenne de l’Union
européenne, à 18 %.
30 2005 Un niveau que le
Ouverture à la concurrence gouvernement veut
du transport international du fret. 2021 atteindre d’ici à 2030,
Plan de relance de visant même 25 % en
20 l’Etat d’1,3 milliard 2050. Quatre milliards
d’euros, à la suite d’euros ont été promis
de la Convention sur dix ans pour
citoyenne. améliorer les
10 FRET infrastructures du fret.
FERROVIAIRE
0
1985 1990 1995 2000 2005 2010 2015 2020 2022
SOURCES : ART SDES.

12  CHALLENGES N°822 - 21 MARS 2024

 100%

-23%

-68%
+140%
 Regards

Réserves d’or en décembre 2023 : 8 133 tonnes aux Etats-Unis, 3 353 en Allemagne,
2 452 en Italie, 2 437 en France.
87 % de la population mondiale vit dans l’hémisphère nord.
Part de la population adulte en surpoids : 60 % en Finlande, 56 % au Royaume-Uni,
53 % en Allemagne, 46 % en France.
36 % des adultes américains ont plus de dettes de cartes de crédit que d’épargne.
161 des 422 réacteurs nucléaires en service dans le monde sont opérationnels
depuis plus de 30 ans.
L’âge moyen au mariage en France pour les couples de sexe différent est de 37,3 ans
pour les femmes et 39,8 ans pour les hommes.
Parts du marché mondial des véhicules électriques en 2023 : 20 % pour Tesla,
suivi des chinois BYD, avec 17 %, et Aion, à 5 %.
60 % des lignes ferroviaires en France sont électrifiées.
En 2023, 41 % des ventes mondiales de médias ont été réalisées dans le numérique,
1 point de plus par rapport à 2022.

En direct de mon Open Space, par James

© James - Dargaud/2024

14  CHALLENGES N°822 - 21 MARS 2024


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Commission paritaire :
0627 C 81826.
ISSN : 0751-4417.
Dépôt légal : mars 2024.
Fondateurs : Patrick FAUCONNIER
et Cécile AYRAL.
16  CHALLENGES N°822 - 21 MARS 2024
N° 822 - 21 mars 2024
Photos : D. Allard/Leextra via opale.photo
Evénement
Saadé contre Bolloré,
le choc des tycoons
Le patron de CMA CGM rachète BFMTV et relance
le combat dans la guerre des médias.  p. 18
Avant-premières Monde
5 Confidentiels. 32 L’horizon du Sénagal se dégage.
6 En toute indiscrétion. 34 Au Portugal, l’extrême droite
8 Médias. exploite les laissés-pour-compte.
10 Radars. 36 Aux Etats-Unis, le bitcoin
12 Le graphique. se transforme en or numérique.
14 Regards.L’Open Space de James. 38 Leaders.
40 Les économistes du Bien
Evénement
Commun. Paul Krugman.
18 La guerre des tycoons
des médias est déclarée. Entreprise
22 L’édito de Ghislaine Ottenheimer. 42 Microsoft, puissance
reprogrammée.
France 45 La rencontre. Sam Altman
24 Le Medef préfère jouer cavalier préfigure le futur de l’IA.
seul sur « la vie au travail ». 46 Remariage intéressé avec Intel.
25 Pour la CFDT, « les attaques contre 48 La loi contre la fast fashion
le modèle social, ça suffit ! » déchire les professionnels.
28 L’édito de Nicolas Domenach. 50 Entre les Français et les grandes
29 L’édito d’André Comte-Sponville. marques, la rupture est
30 Les écrans, un mal français. consommée.
DIRECTION High-tech - Médias Thuy-Diep NGUYEN (rédactrice en chef
Directeur Claude PERDRIEL. adjointe), Adrien SCHWYTER (rédacteur en chef adjoint),
Directeur de la publication Vincent BEAUFILS. Alix COUTURES, Véronique GROUSSARD (cheffe de rubrique),
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France Laurent FARGUES (rédacteur en chef adjoint), David EDITION Secrétariat de rédaction Christophe BAZIRE
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(grand reporter), Alain-Gabriel VERDEVOYE (grand reporter). BOURDAIS (product owner junior), Léo OULD (community manager).

En couverture
Faire redécoller le Made in France
Le déficit du commerce extérieur a atteint 100 milliards en
2023. Comment en est-on arrivé là ? Comment en sortir ? p. 56
Entreprise
Microsoft
retrouve sa
puissance
Depuis Redmond, le
géant a su miser sur
l’IA et Sam Altman.
Gilles Fontaine
Sa valeur dépasse
désormais Apple. p. 42
53 Reddit et Telegram soldent leurs Finances
valeurs en Bourse.
54 Le nouveau Guide Michelin. 76 Les meilleures SCPI 2024.
55 Le Club Entrepreneurs. Valérie 80 Prendre la vague des placements
Messika (Messika Paris). sans frais.
70 Portrait d’Audrey Derveloy, 82 Négocier l’écueil de la liquidité.
la patronne de Sanofi France.
74 Santé & sciences. Luxes
84 Création.Mathilde Nivet.
En couverture 87 Griffe.Loro Piana.
56 Faire redécoller l’industrie 88 Mode.Sacs week-end.
française. Face au déficit du 89 Horlogerie.Carl F. Bucherer.
commerce extérieur, Etat, 90 Design.Diffuseurs olfactifs.
collectivités, multinationales 91 Destination. Fontainebleau.
et PME se mobilisent.
62 Les cinq leçons pour devenir Cultures
champion de l’exportation :
gagner en agilité, investir 92 Ecrans et scènes.
dans l’innovation, jouer la carte 94 Arts. Stat Crux.
de la valeur ajoutée, exploiter 95 Livres.
le soutien politique, construire 98 Double Je, par Nicolas Domenach
un réseau local. et Pierre-Henri de Menthon.
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Valéry SOURIEAU. jeté sur couverture sur la totalité de la diffusion abonnés.
21 MARS 2024 - CHALLENGES N°822 
Avant-propos
par Vincent Beaufils
Commerce extérieur français
Faute collective
Dassault Aviation/V.Almansa
FAUT-IL S’EN DÉSOLER ? Oui, bien sûr, le déficit
commercial a atteint en 2023 le niveau record de près
de 100 milliards d’euros, en excluant l’année atypique
de 2022 qui avait vu exploser les importations d’énergie
avec la guerre en Ukraine. Et Nicolas Dufourcq, le patron
de Bpifrance, ne trouve aucune circonstance atténuante
à cette situation, lui qui avait constaté dans son livre
La Désindustrialisation de la France (éd. Odile Jacob)
que celle-ci portait « les empreintes digitales de tout
le monde, car elle est le résultat d’une préférence
collective ». Cela a commencé quand même par celles
de la dame des 35 heures, Martine Aubry, dont le zèle
à réduire le temps de travail n’a pas peu compté dans le
renchérissement des coûts de main-d’œuvre en France.
Vingt ans ont passé, le Crédit d’impôt pour la
compétitivité et l’emploi (CICE) de François Hollande
a partiellement corrigé cette anomalie, et si la France a
un coût du travail encore 30 % plus élevé que l’Italie, il
est, à quelques centimes près, égal à celui de l’Allemagne.
Ce qui n’empêche pas celle-ci, grâce à la puissance
de ses entreprises moyennes qui font tellement défaut
de ce côté-ci du Rhin, d’afficher une balance des biens
manufacturés positive de 350 milliards d’euros, quand
le déficit français en la matière est d’une cinquantaine
de milliards. Mais est-ce le seul chiffre qui compte ?
Il faut rappeler que l’économie française équilibre
quasiment ses comptes extérieurs – moins de
10 milliards de déficit de la balance des paiements
courants en 2021, l’année 2022 étant hors norme –
et les résultats 2023 seront presqu’aussi bons grâce
aux 63 milliards de recettes touristiques. Ce qui peut se
traduire par le constat suivant, que peu d’économistes
assumeraient : le pays peut s’offrir cet excès
d’importations, d’autant que celles-ci assurent aux
ménages des gains de pouvoir d’achat considérables. En
son temps, Patrick Artus avait établi à près de 5 points
de revenu les avantages-coût d’une offre mondialisée.
Reste une énigme : le rôle du CAC 40 dans cette
dégradation du commerce extérieur français. Son poids
dans les exportations est effectivement déclinant, au fur
et à mesure que ses positions se sont consolidées
à l’étranger. Les multinationales tricolores comptent
donc largement dans cette statistique que regrette
Nicolas Dufourcq : les entreprises françaises ont 2,5 fois
plus d’actifs industriels à l’étranger que sur le territoire
national, quand, pour nos grands voisins, le chiffre
est plutôt de 1,6. Alors, le CAC 40 traître à la patrie ?
Pas vraiment, à l’image d’un Sanofi, souvent critiqué,
B. Delessard/Challenges
mais dont la meilleure défense se résume au triple
constat de son « empreinte » en France : le laboratoire
y réalise à peine 5 % de ses ventes, mais y concentre
20 % de ses effectifs et 33 % de sa recherche.
N’est-ce pas cela qui importe ?•
17
Evénement

La guerre des tycoons

des médias est déclarée
En rachetant le groupe Altice Media et sa chaîne phare BFMTV,
le discret patron de CMA CGM, Rodolphe Saadé, entre
dans le club fermé des magnats français de l’information.
Et se dresse face à son grand rival, Vincent Bolloré.

C
e mardi 12 mars, déambu-
lant dans les salons dorés
de l’Hôtel de la Marine,
place de la Concorde à Pa-
ris, Rodolphe Saadé a le sourire aux
lèvres. Le patron du géant des mers
CMA CGM fête avec ses équipes
l’acquisition de Bolloré Logistics, un
deal à 4,8 milliards qui propulse son
groupe familial aux premiers rangs
de la logistique mondiale. Mais le
milliardaire franco-libanais a une
autre raison de se réjouir : trois jours
plus tard, il va lancer un pavé dans la
mare médiatico-politique, annon-
çant le rachat d’Altice Media, mai-
son mère de BFMTV et RMC. Son
intérêt pour les chaînes de Patrick
Drahi n’était un secret pour per-
sonne : à la fin de l’été, une première
discussion avait capoté en raison du
prix exigé par l’homme d’affaires,
obligé de céder sa filiale audio­
visuelle pour se renflouer : autour de
2 milliards d’euros.
Depuis, les contacts n’avaient jamais
vraiment cessé. « Le dossier est re-
venu sur la table il y a moins de
deux mois, raconte un proche des
négociations. Il y avait une bonne
fenêtre de tir, notamment en raison
des échéances de renouvellement de
la fréquence TNT de BFMTV », pour
laquelle il faut déposer un dossier de
candidature auprès de l’Arcom
avant la mi-mai. Certes, à 1,5 milliard
d’euros, c’est payer un peu cher par
rapport à une valorisation qui tour-
nait plutôt entre 800 millions d’euros
et 1 milliard. Mais les Saadé ont les
poches profondes. Surtout, « quand
Rodolphe veut quelque chose il a
tendance à l’obtenir », souffle-t-on
dans son entourage. Et le patron de
CMA CGM n’était pas seul sur le
coup. Les noms de Bernard Arnault
(actionnaire de Challenges) ou de
Xavier Niel avaient été évoqués,
même si l’entourage du fondateur de
Free dément : « Il n’a pas regardé
le dossier. D’autant que Xavier Niel
avait aidé Alain Weill au lance-
ment, cela aurait été étonnant de
racheter un média que nous avons
vendu en 2015. »
Par Pauline Rivalité de gentlemen
Damour Difficile pour le moment de cerner
et les motivations de ce milliardaire
très réservé : « Le secteur m’inté-
Adrien
resse, je regarde tout », se contente-
Schwyter t-il régulièrement de répondre.
Après le rachat de La Tribune et de
La Provence, la cinquième fortune
française se positionne comme un
tycoon en mettant la main sur un
groupe de médias très influent :
BFMTV reste la chaîne d’informa-
tion en continu la plus regardée de
France, avec 3 % de part d’audience
l’année dernière, talonnée par
CNews la chaîne du groupe Vivendi,
propriété de la famille de Vincent
Bolloré, principal rival de Saadé
dans l’univers des médias.

Les grandes manœuvres de Rodolphe Saadé

8 oct. 2023
30 sept. 2022 6 avril 2023 Lancement de Tout en
Jacques Witt/Sipa

Rachat de Investissement La Tribune dimanche. renforçant son

La Provence dans Brut au côté pôle presse,
et Corse-Matin de Xavier Niel. le patron de
pour 81 millions 27 juillet 2023
d’euros. 15 mars 2024 CMA CGM
Rachat accélère dans
du journal Rachat d’Altice
économique Media pour l’audiovisuel
15 déc. 2022 La Tribune 1,55 milliard avec Altice
Entrée au capital pour 7 millions d’euros.
Media. Il pourrait
SDP

de M6. d’euros.
aussi monter
en puissance
2022 2023 2024 dans M6.

18  CHALLENGES N°822 - 21 MARS 2024

 Vincent Bolloré Rodolphe Saadé
Fortune : 11,1 milliards d’euros Fortune : 39 milliards d’euros

PRESSE ÉCRITE PRESSE ÉCRITE

Prisma Media (Capital, Geo, Télé-Loisirs, Voici …) La Provence
Le Journal du dimanche Corse-Matin
La Tribune, La Tribune dimanche
AUDIOVISUEL
Groupe Canal+ (Canal+, CNews, C8, OCS …) AUDIOVISUEL
Europe 1  Altice Media
(BFMTV, BFM Business, RMC…)
ÉDITION  M6 (10,25 % du capital)
Hachette Livre
 Brut (participation)
PUBLICITÉ
Havas SOURCE : CHALLENGES.

Jusqu’à présent, une forme de gent-
leman’s agreement semblait régir les
relations entre les deux milliar-
daires, « qui s’apprécient et dont les
familles se connaissent depuis
25 ans », rappelle l’entourage des
deux hommes, au style radicalement
différent. Est-ce pour cette raison
que Rodolphe Saadé a toujours pris
soin de ne pas court-circuiter
l’homme d’affaires breton, même si
Photos : Eric Tschaen/Réa - Bruno Delessard pour Challenges
rendu à l’Etat, se trompent, martèle
l’entourage du nouveau mogul des
médias. « Rodolphe n’a pas besoin
d’être propriétaire de médias pour
appeler Macron ou le PDG de Total­
Energies », argue un ami. Même si,
à l’Elysée, on se félicite sûrement
de voir la première chaîne d’info en
continu tomber entre les mains
d’un patron plutôt de centre droit et
qui n’a pas oublié le sauvetage de
la concentration dans les médias.
Interrogé sur ses motivations, ce
dernier avait eu cette réponse lapi-
daire : « C’est uniquement un projet
économique. Le secteur des médias
est le deuxième secteur le plus ren­
table après le luxe. »
En bon spécialiste de la logistique,
le nouveau patron de BFMTV a
aussi le sens parfait du timing. Le
calendrier du rachat ne doit rien au

le lancement, en octobre, de La Tri­
bune dimanche avait été perçu pour
beaucoup comme une contre-offen-
sive après le repositionnement édi-
torial du Journal du dimanche ?
Qu’en sera-t-il désormais, alors que
l’armateur change d’envergure et
devient un réel concurrent ? Il est
trop tôt pour le dire.
Ceux qui ne voient dans son attrait
pour les médias qu’une simple lubie
de patron, un moyen de gagner de
l’influence ou même un service
CMA CGM il y a quinze ans, grâce à
la puissance publique.
Motivations économiques
Rodolphe Saadé est un homme d’af-
faires avant tout. Et le groupe Altice
est une bonne affaire, rentable, avec
362 millions d’euros de chiffre d’af-
faires, pour 120 millions d’Ebitda
en 2023. Sans doute le patron de
CMA CGM rejoint-il Vincent Bolloré
dans sa récente intervention devant
la Commission parlementaire sur
hasard. Celui-ci doit être bouclé
d’ici à l’été. L’Arcom a en effet ou-
vert la procédure menant au renou-
vellement d’autorisation de diffu-
sion de quinze chaînes TNT, dont
BFMTV. La date limite pour le dé-
pôt des dossiers est fixée au 15 mai
prochain. Or c’est au propriétaire
d’une chaîne de solliciter le renou-
vellement et une fois celui-ci obte-
nu, il devient impossible de céder
une chaîne de télévision durant
cinq à dix ans. uuu

21 MARS 2024 - CHALLENGES N°822  19

Evénement

Le mur de la dette se rapproche pour Drahi nouvel actionnaire. Un CSE extraor-

dinaire s’est tenu mardi 19 mars, au

P
rès de huit mois après cours duquel les organisations syn-
le début du scandale dicales ont pu rencontrer les équipes
de corruption qui a fait de l’armateur marseillais. « On passe
vaciller l’empire de Patrick
Drahi, la proposition de rachat d’un milliardaire à un autre »,
d’Altice Media par Rodolphe confie un représentant du person-
Saadé ne pouvait se refuser. nel. Pour un journaliste, l’essentiel
Cet été, le milliardaire sera de « maintenir l’indépendance
des télécoms a promis aux éditoriale et de ne pas transformer
investisseurs de n’avoir BFMTV en un CNews bis ».
plus qu’un objectif : le
désendettement. Valorisant le
pôle à 1,5 milliard de dollars, Gouvernance familiale

Stéphane de Sakutin/AFP
l’offre représente 14 fois son Le maintien d’Arthur Dreyfuss à la
résultat brut d’exploitation. tête du groupe devrait prévenir ce
« On s’attendait plutôt à la genre de dérive. Mais celui-ci devra
vente d'un actif télécom, mais composer avec une gouvernance
il s’agit d’un très bon prix,
d’une valorisation élevée », fluctuante côté CMA CGM. Dé-
décrypte Franck Abihssira, Patrick Drahi, président d’Altice, en 2022. Le groupe affronte but 2023, Laurent Guimier, homme
spécialiste médias et un mur de dettes de 60 milliards d’euros, dont 24 en France. de télévision et de radio, avait été
télécoms au cabinet de appelé pour structurer le pôle presse
conseil Emerton. Car la et prêt à se séparer d’actifs dernières semaines. Six fonds composé de La Tribune et du
pression se maintient sur le auxquels il est très attaché », sont sur les rangs pour groupe La Provence (La Provence
groupe, pressé par une dette analyse un bon connaisseur acquérir les 50 % du capital
de près de 60 milliards du dossier. Le 1,5 milliard d’Altice dans XpFibre, et Corse-Matin), en plus de partici-
d’euros, dont 24 milliards tiré d’Altice Media permettra l’opérateur de réseau de fibre pations dans le groupe M6 et le mé-
en France. Le milliardaire de faire face aux maturités optique valorisé à 9 milliards dia vidéo en ligne Brut. En janvier
s’active depuis septembre courtes : les premières d’euros. Selon une source, dernier, le patron de La Tribune,
pour céder des morceaux échéances sont fixées à 2025 la vente pourrait avoir lieu Jean-Christophe Tortora, a été choi-
d’Altice et en tirer le et 2026, avec respectivement dans les deux prochains mois. si pour diriger la filiale du magnat
maximum. La vente des 1,65 et 1,33 milliard d’euros. Autre actif, l’opérateur
257 centres de données en Les suivantes sont Meo au Portugal, valorisé marseillais Whynot Media, en rem-
novembre à la banque Morgan vertigineuses. En 2027, à 7,4 milliards d’euros, placement de Laurent Guimier, dé-
Stanley pour 530 millions le groupe doit rembourser suscite notamment les sormais directeur de l’information.
d’euros a posé un premier 5,48 milliards d’euros, convoitises de l’opérateur Dans le même temps, la présidence
jalon sur le long chemin quasiment le double en 2028, saoudien STC. Quant à SFR, non exécutive du pôle a été confiée
du désendettement. Avec avec 9,42 milliards, puis sa vente s’avère délicate, à Véronique Saadé, épouse du mil-
la cession des actifs médias, 6,34 milliards en 2029. la valorisation à 24 milliards
le groupe franchit une étape La vente d’Altice Media offre étant égale à la dette. Et liardaire et membre du conseil de
qui donne du crédit à la du temps à Drahi, qui espère il faudrait attendre 2025 surveillance de M6. « Chez les Saa-
stratégie exposée par Drahi. ainsi rassurer les marchés. au moins, selon notre source, dé, famille et affaires sont toujours
« L’opération montre qu’il est Signe de l’urgence, les pour voir un actionnaire entrer mêlées », rappelle un proche. D’ail-
sincère dans sa démarche cessions s’accélèrent ces à son capital. A. C. leurs, 20 % du rachat d’Altice Media
est financé par le family office Merit,
détenu à parts égales par Rodolphe,
uuu L’opération sera aussi sou- Au passage, Arthur Dreyfuss, actuel Jacques Junior et l’aînée, Tanya.
mise à l’aval de l’Autorité de la patron d’Altice France, a annoncé Côté BFMTV, le sort de son direc-
concurrence, qui ne devrait pas per- qu’il resterait à la tête de la branche teur Marc-Olivier Fogiel n’est pas
turber ce mégadeal, puisque CMA média, rejoignant le camp Saadé. La encore connu, mais nombre de jour-
CGM ne détient aucun actif dans fin d’une histoire pour ce proche col- nalistes de la rédaction l’estimaient
l’audiovisuel. L’ensemble du proces- laborateur de Patrick Drahi qui, à prêt à s’en aller depuis plusieurs
sus devrait être bouclé d’ici au mois 38 ans, a fait l’essentiel de sa carrière mois. « Je ne suis pas sur le départ,
de juillet, espèrent les équipes de dans le sillage du milliardaire des dément-il, le nouvel actionnaire a
Rodolphe Saadé, qui auront ainsi le télécoms. « J’ai eu quinze heures de manifesté sa volonté de poursuivre
temps de peaufiner l’organisation discussions avec Rodolphe Saadé, avec l’équipe actuelle. » Le nom de
d’un groupe un peu sonné par le ra- alors que j’ai dix ans d’expérience Bruno Jeudy, qui dirige la rédaction
chat. Les salariés de BFMTV et RMC avec Patrick Drahi, a expliqué le de La Tribune dimanche et n’est
ont appris la nouvelle par un courriel directeur d’Altice Media devant les pas un inconnu des plateaux de télé-
interne, vendredi 15 mars à 10 h 30. salariés. Nous avons eu des discus- vision, fait pourtant partie des favo-
Des réunions ont été organisées ven- sions chaleureuses et approfondies, ris pour diriger BFMTV.
dredi et lundi pour rassurer les très claires sur l’avenir, et c’est Ces questions de personnes peuvent
équipes : pas de déménagement des pour ça que je me projette avec en- paraître anodines au regard des
rédactions et les services mutualisés thousiasme. » Reste à savoir si les grandes ambitions du nouveau ty-
avec SFR continueront au moins un 1 700 salariés du groupe suivront coon. A 54 ans, le cadet des Saadé,
an et demi après la vente. avec le même enthousiasme leur auquel son père Jacques avait uuu

20  CHALLENGES N°822 - 21 MARS 2024

Evénement
uuu confié les rênes du groupe
dès 2017, aurait surtout la volonté de
développer un solide pôle à côté du L’éditorial de
transport maritime et de la logis- GHISLAINE OTTENHEIMER
tique. « Rodolphe me fait penser à
Martin Bouygues il y a trente-cinq
ans, confie Nicolas de Tavernost,
président du directoire de M6, qui a
vu le novice à l’œuvre. Il a la même
La revanche
fibre entrepreneuriale pour mettre
à exécution son ambition, même
du quatrième pouvoir

B
s’il n’est pas du secteur. » Après La
isque bisque rage ! Parfois, Il va désormais se confronter à lui
Provence, remportée de haute lutte
on a le sentiment que le besoin à travers BFMTV et RMC face à CNews
face à Xavier Niel, actionnaire du
irrésistible de puissance des et Europe 1. Car, Rodolphe Saadé
titre et propriétaire de Nice-Matin,
tycoons s’apparente aux défis l’a sans doute pressenti, le quatrième
Rodolphe Saadé est monté en
des cours de récréation. Ainsi, le prix pouvoir est de retour. Comme dans
avril 2023 à 10 % du capital de la
concédé par l’armateur Rodolphe Saadé les années 1970, lorsque s’affrontaient
chaîne du géant Bertelsmann. Un
pour acquérir le groupe de médias deux camps irréconciliables, la droite
groupe qu’il avait convoité deux ans
Altice ne répond en apparence à aucune et la gauche. Les alternances, les
plus tôt, avant que l’allemand ne re-
logique économique : 1,55 milliard, soit cohabitations ont ensuite contribué
nonce à vendre. Que faire désormais
14 fois le résultat d’exploitation du pôle à affadir le débat. Et les lignes
de la participation dans M6 ? Deux
média. Pour un groupe familial réputé éditoriales. Mais l’émergence d’une
hypothèses possibles, selon le diri-
très prudent, voilà qui est intrigant. droite ultraconservatrice, soutenue
geant de la chaîne privée : « Soit il
Alors quelle motivation ? Ce provincial, par Vincent Bolloré, et l’irrésistible
ne fait rien et garde la participa-
héritier, qui a fait ses études au Canada, ascension du Rassemblement national
tion comme placement financier ;
aurait-il besoin de reconnaissance ravivent le débat. Et contrairement
soit il passe à la vitesse supérieure
sociale ? De se faire respecter dans les à ce que l’on pouvait supposer,
et monte dans le capital pour relan-
cercles parisiens ? L’acquisition de en matière d’information politique, les
cer la consolidation de son groupe.
médias correspond en effet à une forme réseaux sociaux n’ont pas supplanté
Altice et M6, c’est mieux qu’Altice
d’anoblissement. Et pas seulement les médias traditionnels. Sauf chez les
tout seul, notamment pour contrer
en France. C’est un ticket d’entrée dans moins de 24 ans. En 2023, la Fondapol
les géants du streaming. »
la cour des puissants. Une danseuse, a mené une étude pour connaître les
diront certains, tant ils ont la réputation trois principales sources des électeurs
Tentation pour M6
d’être un gouffre financier. D’autant de 2022 : 62 % des personnes ont
Pour que se réalise le rêve éveillé de
plus qu’avec l’émergence des réseaux cité les grandes chaînes télévisées
Nicolas de Tavernost, il faudrait que
sociaux et la captation des recettes généralistes, devant les chaînes d’info
la législation change, car M6 vient
publicitaires par les Gafa, les supports en continu (41 %), les journaux (33 %)
juste d’obtenir le renouvellement de
et la radio (29 %). Les
sa fréquence. Or les planètes pour-
raient s’aligner. La nouvelle ministre Saadé va désormais se confronter réseaux sociaux viennent
ensuite (23 %). Et les plus
de la Culture, Rachida Dati, s’est dite
favorable à une grande réforme de
à Bolloré à travers BFMTV et RMC de 65 ans, les plus
l’audiovisuel et s’appuie sur la pro- face à CNews et Europe 1. assidus dans les urnes,
plébiscitent la
position de loi du sénateur Laurent
traditionnels sont fragilisés. Et semblent télévision (71 %) et les journaux (47 %).
Lafon, assouplissant notamment les
même marginalisés. Et si la réalité Est-ce à dire que les médias
dispositions sur la revente d’une
était tout autre ? Si l’homme d’affaires traditionnels ont le pouvoir de faire
chaîne de la TNT. L’homme d’af-
marseillais construisait patiemment une élection ? Si c’était le cas, avec
faires se retrouverait alors devant un
un empire dans une vraie logique l’ORTF, jamais de Gaulle n’aurait
choix cornélien, car l’investissement
de puissance ? La Provence, La Tribune perdu son référendum. Les raisons
dans M6 serait de taille. Et si les mil-
et La Tribune dimanche, BFM, RMC, d’un vote sont multiples : origine
liards de profits engrangés pendant
un peu de M6… Avec l’ambition, sociale, environnement familial, niveau
la pandémie ont permis à CMA CGM
certainement, de construire un groupe d’éducation et de revenus, lieu de
de multiplier les acquisitions, la
sérieux, profitable. Mais ce macroniste résidence, circonstances, etc. Mais
flambée des taux de fret (leur ta-
convaincu veut surtout peser dans le les médias peuvent faire surgir des
rif) est depuis retombée. Un signe :
Christophe Lebedinsky/Challenges

débat. Et s’opposer à un autre tycoon thématiques susceptibles de mobiliser

Rodolphe Saadé vient de renoncer à
qui a investi l’univers médiatique : tel ou tel camp, ou de le décrédibiliser.
surenchérir sur le logisticien britan-
Vincent Bolloré. Saadé a commencé Une chose est sûre, Gramsci est de
nique Wincanton, laissant le champ
à croiser le fer en créant La Tribune retour. Avec son principe d’hégémonie
libre à son concurrent américain
dimanche au moment du rachat du JDD culturelle. Et Rodolphe Saadé veut
GXO Logistics. Reste à savoir s’il
par l’homme d’affaires breton. participer à ce combat.•
procèdera avec la même mesure
dans les médias.  •
22  CHALLENGES N°822 - 21 MARS 2024
 France

Eric Tschaen/Réa
Patrick Martin, au Conseil national de la refondation dédié au modèle social et productif, en décembre 2023, à Paris. Malgré des désaccords
avec la CFDT, le président du Medef assure ne pas vouloir rompre avec la centrale réformiste.

Le Medef la joue
cavalier seul
Dans la négociation sur l’emploi des seniors, le patronat a rejeté tout de go
la principale proposition de la CFDT : le compte épargne-temps universel.
Et semble se détacher de la cogestion de l’assurance-chômage.

C
’est un non catégori­
que. Le Medef, présidé
depuis l’été dernier
par Patrick Martin,
veut tuer dans l’œuf le
compte épargne-
temps universel (Cetu), l’un des
points centraux de la grande négo­
ciation « Pacte de la vie au travail »
qui doit se conclure le 26 mars entre
le gouvernement et les partenaires
sociaux. L’organisation patronale y
voit un dispositif « usine à gaz »,
« d’une complexité rare » et
« n’apparaissant pas comme une
priorité » pour les employeurs et
les salariés. En clair, dans un
contexte de retournement de la
conjoncture économique, il est hors
de question d’empoisonner la vie
des chefs d’entreprise avec une
mesure jugée impossible à mettre
en place sur le terrain.
Preuve de son opposition farouche,
le Medef n’a même pas pris la peine
de mentionner le Cetu dans la pre­
mière mouture d’accord transmis
début mars aux syndicats. Une atti­
tude jugée jusqu’au-boutiste par la
CFDT de Marylise Léon (lire son
interview ci-contre). La centrale
réformiste martèle que la mesure,
qu’elle porte depuis 2014, figurait au
programme d’Emmanuel Macron
en 2022, et que le gouvernement a
promis de l’intégrer dans une future
loi. Ce duel à distance a de quoi sé­
rieusement compromettre les chan­
ces d’un accord ambitieux entre les
partenaires sociaux.
Une autre pomme de discorde tend
les relations entre les deux organisa­
tions. Le Medef pousse pour la mise
en place d’un CDI senior, un nou­
veau contrat de travail qui vise à faci­
liter l’embauche des chômeurs de
plus de 60 ans. Mais la CFDT n’en
veut pas, préférant des aménage­
ments des conditions de travail qui
permettent le maintien des seniors
en emploi. Autant de désaccords qui
ne paraissent toutefois pas insur­
montables à Pierre Ferracci, spécia­
liste des relations entre les syndicats
et le patronat : « Un accord a mini-
ma pourrait être in fine trouvé
entre le patronat et les syndicats. »
Car, malgré des désaccords avec
la CFDT, Patrick Martin ne veut
pas rompre avec la centrale uuu

24  CHALLENGES N°822 - 21 MARS 2024

 MARYLISE LÉON, SECRÉTAIRE GÉNÉRALE DE LA CFDT
Les attaques contre notre
modèle social, ça suffit !
La leader du premier syndicat de France réagit aux déclarations du gouvernement
sur l’assurance-chômage. Et appelle le patronat à être constructif.
Challenges. Il y a tout juste
un an, la réforme des retraites
passait à l’Assemblée nationale
grâce au 49.3. Quelles
traces ce conflit a-t-il laissées
sur les travailleurs ?
Marylise Léon. Cette réforme a
suscité une forte contestation
dans le pays et des colères de-
meurent. Pour autant, il est
trop tôt pour se prononcer sur
la volonté des travailleurs de
réclamer un retour à un âge
légal à 62 ans. Ce sera peut-être
dans le programme de certains
candidats à la prochaine prési-
dentielle, mais l’immense ma-
jorité des Français ne songe
pas tous les matins à 2027.
L’actualité, c’est la négociation
sur le « Pacte de la vie au tra-
vail », qui vise précisément à
répondre à toutes les questions
ouvertes durant le conflit des
retraites.
En théorie, cette négociation
doit aboutir le 26 mars. Etes-
vous optimiste sur la signature d’un
accord entre syndicats et patronat ?
S’il doit y avoir un accord, il sera
trouvé d’ici à la fin mars. L’enjeu est
fondamental. Après le report de
deux ans de l’âge de départ à la re-
traite, il s’agit d’améliorer les condi-
tions de travail, les possibilités de
reconversion professionnelle et la
Stephane Lagoutte/MYOP pour Challenges
gestion du temps de travail tout au
long de la vie.
Quelles sont vos propositions ?
Pour la CFDT, la plupart de ces
sujets doivent être traités au niveau
de l’entreprise. Il faut du sur-me-
sure. Nous préconisons que l’em-
ploi des seniors fasse l’objet d’une
négociation obligatoire dans toutes
les entreprises de plus de 50 sala-
riés, que soient systématisés des
entretiens de perspectives profes-
sionnelles dès l’âge de 45 ans et que
les employeurs réfléchissent réelle-
ment à l’aménagement des carrières
de leurs seniors.
Vous proposez aussi d’instaurer
un Compte épargne-temps universel
(Cetu). Quel en est le principe ?
Cette proposition consiste à donner
aux salariés davantage de liberté
dans la gestion de leur temps de tra-
Retrouvez vail tout au long de leur vie profes-
l’intégralité sionnelle. Le principe est qu’un sala-
de l’interview rié puisse stocker des jours de RTT
sur
Challenges.fr ou de congés à certaines périodes
sur un compte épargne-temps et les
21 MARS 2024 - CHALLENGES N°822 
utiliser plus tard ou se les faire
payer. Avec la possibilité de
conserver ce compte en cas de
changement d’employeur.
Cette proposition est vivement
rejetée par le patronat…
Le Medef et la CPME ont en ef-
fet annoncé qu’ils ne voulaient
pas en entendre parler. L’Union
des entreprises de proximité,
qui représente les artisans,
commerçants et professions
libérales, y est en revanche fa-
vorable. La CFDT reste déter-
minée à ce que le Cetu figure
dans l’accord, comme c’était
prévu au départ. Le patronat ne
peut pas jouer le jeu du dialo­
gue social uniquement quand
cela l’arrange.
Emmanuel Macron a d’ailleurs
lui-même repris l’idée du Cetu
dans son programme de 2022…
Oui, et le Premier ministre
Gabriel Attal comme la ministre
du Travail Catherine Vautrin
nous ont assuré que le Cetu
serait intégré au projet de loi prévu
à l’automne. Dès lors, ce serait
dommage que les syndicats et le
patronat ne se mettent pas d’accord
avant. A moins que le Medef et la
CPME préfèrent jouer la carte du
lobbying auprès des députés plutôt
que celle de la négociation avec les
syndicats.
Au total, sentez-vous une volonté
du patronat d’aboutir à un accord
sur l’emploi des seniors ?
Je reste optimiste, même si je me
désole de voir le Medef et la CPME
ressortir la vieille idée d’un CDI
senior au rabais pour les plus de
60 ans. Cette proposition n’est pas à
la hauteur des enjeux. uuu
25
 France
Stéphane Lagoutte/MYOP pour Challenges
« A la CFDT, nous prônons
un réalignement de la fiscalité
du capital sur celle du travail. »
uuu Dernièrement, Gabriel Attal
et Bruno Le Maire ont multiplié
les déclarations sur une possible
baisse de la durée de l’indemnisation
chômage. La cogestion de
l’assurance-chômage par le patronat
et les syndicats est-elle
définitivement enterrée ?
Marylise Léon. Depuis 2018, le gou-
vernement fixe des limites tellement
étroites à la négociation sur l’assu-
rance-chômage que les syndicats et
le patronat n’ont pas de réelle marge
de manœuvre. Le ministre des
Finances Bruno Le Maire appelle
désormais publiquement à une re-
prise en main par l’Etat de l’assu-
rance-chômage, même si Catherine
Vautrin n’a jamais évoqué cela dans
nos échanges. Il faut maintenant que
le gouvernement nous dise claire-
ment s’il veut nous virer, nous relé-
guer sur un strapontin ou nous gar-
der une place sur le canapé.
Si syndicats et patronat perdaient
ce dossier de l’assurance-chômage,
il n’y aurait guère plus que les
caisses de retraite complémentaire
qu’ils continueraient de cogérer…
Depuis l’élection d’Emmanuel Ma-
cron, le pouvoir exécutif paraît mé-
fiant quant à l’utilité des syndicats et
du patronat pour traiter de poli-
tiques nationales. On a parfois l’im-
pression que, pour le président de la
République, seuls les élus politiques
peuvent œuvrer à l’intérêt général.
Je suis personnellement convaincue
que les syndicats et le patronat ont
26  CHALLENGES N°822 - 21 MARS 2024
aussi un rôle à jouer. Le gouverne-
ment était bien content de s’appuyer
sur nous pour développer massive-
ment le télé­travail durant la pandé-
mie ou pour augmenter les minima
salariaux des branches profession-
nelles face à l’inflation.
Avec plus de 3 000 milliards d’euros
de dette publique, le gouvernement
cherche aussi à réduire les dépenses
d’assurance-chômage…
Il serait scandaleux qu’après avoir
multiplié des aides non ciblées face
à la hausse des prix des carburants,
le gouvernement fasse payer les
chômeurs. Tout comme il serait pro­
fondément injuste de diminuer les
droits des demandeurs d’emploi au
moment où le chômage remonte.
Les attaques contre notre modèle
social, ça suffit !
Que faire alors pour réduire le déficit ?
Nous proposons au gouvernement
de lancer une conférence des finan­
ces publiques qui associent Etat,
collectivités, syndicats et patronat.
Cela doit être l’occasion de passer
en revue l’ensemble des dépenses et
recettes publiques. A mes yeux, le
gouvernement n’aura d’autre choix
que de faire une réforme fiscale d’ici
à 2027. La CFDT prône un réaligne-
ment de la fiscalité du capital sur
celle du travail, une taxation des
transactions financières et une taxe
exceptionnelle des plus grandes for-
tunes pour financer la transition
écologique.  Propos recueillis par
 Laurent Fargues et Florian Fayolle
uuu réformiste. Il a placé le début
de son mandat sous le signe d’un
dialogue renforcé avec Marylise
Léon avec qui il a noué une relation
de travail « franche où on se dit les
choses », dixit un proche du patron
des patrons. Une position auda-
cieuse alors qu’une partie du patro-
nat l’incite à négocier directement
avec le gouvernement.
Sur le long terme, les deux lea-
ders souhaitent toujours sauver la
gestion partagée entre syndicats et
patronat de quelques pans du mo-
dèle social tricolore, mise à mal par
le gouvernement. Leur alliance a
permis de mener en octobre dernier
une bataille victorieuse : l’exécutif a
dû renoncer à ponctionner une par-
tie des excédents budgétaires des
retraites complémentaires du privé
pour renflouer la Sécurité sociale.
Ce qui a mis en rage l’Elysée… Il y a
quelques semaines, les deux organi-
sations ont aussi poussé pour ouvrir
une nouvelle négociation interpro-
fessionnelle afin de renforcer la gou-
vernance des groupes de protection
sociale (AG2R La Mondiale ou Mala-
koff Humanis) cogérés par les parte-
naires sociaux. Une façon de barri-
cader ces régimes contre tout assaut
de l’Etat.
« Au bout de la logique »
Las ! Sur le dossier brûlant de l’assu-
rance-chômage, le duo ne sera peut-
être pas assez solide pour contrer
une reprise en main par l’Etat du
régime, comme le veut le ministre
de l’Economie Bruno Le Maire. Le
Medef n’en fait plus un casus belli.
Mieux, la nationalisation de l’Uné-
dic, l’organisme gestionnaire du
régime, peut le laisser espérer une
suppression des cotisations so-
ciales des entreprises. « Si le gou-
vernement veut y aller, alors il faut
qu’il aille au bout de la logique en
transférant les 4,05 % de cotisations
chômage des entreprises sur la CSG
comme il l’a fait pour les cotisa-
tions salariales », a lâché Patrick
Martin dans La Tribune dimanche.
La première organisation patronale
ne serait pas non plus opposée à un
nouveau durcissement des règles
d’assurance-chômage, promis par
le Premier ministre Gabriel Attal,
sans avoir à l’endosser directement.
Une sorte de realpolitik à la sauce
Medef.  Florian Fayolle
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 France
L’éditorial de
NICOLAS DOMENACH
Guerre des mémoires de guerre
’est reparti comme en 40 !
Ou comme en 14… Il y a une
guerre des mémoires
de guerre. Une confrontation
des imaginaires instrumentalisés par
chaque camp politique qui cherche
à revitaliser le récit de ses choix aux
sources tumultueuses du passé. Et,
reconnaissons-le, en dépit de ses
zigzags diplomatiques malencontreux,
la narration de fermeté d’Emmanuel
Macron au sujet de la guerre en
Ukraine est beaucoup plus percutante
que celle des extrêmes qui en appellent
au « parti de la paix ». Avec pour
chacun son recours aux mythes qui
agitent notre psyché pour tenter
d’asseoir sa posture politique.
Celle de Marine Le Pen est, sur
ce terrain de la guerre, la plus
inconfortable tant l’embarrassent ses
connivences poutiniennes et, plus
avant, les origines collaborationnistes
de son mouvement. Comment
prétendre sauver la France quand des
fondateurs de son paternel parti ont
donné la main aux envahisseurs nazis ?
Quant à Jean-Luc Mélenchon, son
Entre le poutinisme de Le Pen
et celui de Mélenchon, Macron
a un boulevard pour se réclamer
de « l’esprit de résistance ».
poutinisme le poursuit aussi.
Le président de la République a trouvé
là un boulevard pour se réclamer
de « l’esprit français de résistance ».
Feu sur « l’esprit munichois » exhumé
avec force car, dans notre mémoire
collective, le remords de l’abandon
des Sudètes à l’Allemagne d’Adolf
Hitler rôde encore. Et pour cause :
ce reniement de la honte préludait
à tous les abandons jusqu’à l’armistice
Bruno Delessard/Challenges
et la collaboration pétainiste. Même
si elle remonte au 30 septembre 1938,
cette blessure ne s’est jamais refermée.
Le Britannique Neville Chamberlain
et le Français Edouard Daladier,
28  CHALLENGES N°822 - 21 MARS 2024
Bonne semaine
Philippe Aghion et Anne
Bouverot plébiscités
Eric Tschaen/Pool-Réa
qui paraphèrent cette capitulation
sans combat, furent accueillis en héros
à leur retour. Le premier fut baptisé
le « peacemaker », le second
à l’aéroport du Bourget fut célébré par
un peuple en liesse. La légende veut L’économiste spécialiste de
l’innovation et la présidente du conseil
que le leader radical, alors président d’administration de l’Ecole normale
du Conseil, ait avec lucidité lâché : supérieure, coprésidents du comité
« Ah les cons s’ils savaient… » chargé de plancher sur les opportunités
Le choix était entre la guerre et le et les risques liés à l’IA, ont rendu un
déshonneur. Pour avoir tout sacrifié rapport qui a été salué unanimement.
Après 600 auditions et la consultation
à la paix, nous eûmes la défaite
de 7 000 citoyens, ni trop pessimistes
et le déshonneur. Cette meurtrissure ni trop optimistes, ils soulignent le
d’une France en dessous d’elle-même, potentiel de croissance et la nécessité
l’héroïsme de Charles de Gaulle n’a pas d’investir massivement.
suffi à l’effacer. On en retrouve
la brûlure et le désir du rachat face Stéphane Bern élu
à Poutine. Emmanuel Macron nous Candidat
invite à tirer cette leçon d’histoire face aux élections
Stéphane Lemouton/Pool-Réa
à un autre dictateur qui ne peut municipales
comprendre que le langage de fermeté. partielles
Le président français a d’ailleurs cité complémentaires
Winston Churchill, qui était opposé aux dans le village de
Thiron-Gardais situé
accords de Munich et en appela à ne dans l’Eure-et-Loir,
rien céder à la dictature nazie – comme l’animateur de
il ne faut rien abandonner désormais France 2 a été élu conseiller municipal
à l’autocrate du Kremlin. En face, avec 97,3 % des voix. L’organisateur
l’extrême droite et l’extrême gauche du loto du patrimoine veut défendre
revendiquent une puissante les trésors de sa commune. Il avait déjà
été élu à Paris entre 1999 et 2001.
logique pacifiste inspirée par
« la boucherie de 14-18 ».
Un pays mutilé de ses forces Mauvaise semaine
vives. Le traumatisme de
la Grande Guerre, dont Eric Ciotti désenchanté
chaque village et combien
de mémoires gardent encore la trace
douloureuse dans laquelle tentent
de s’inscrire ces néopacifistes.
« L’Ukraine, c’est le Verdun
du xxie siècle », tonne Marine Le Pen
Eric Tschaen/Réa
faisant écho, comme Jean-Luc
Mélenchon, au pacifisme de Jean
Jaurès. Invocation abusive. Le leader
socialiste, assassiné en juillet 1914,
loin de rejeter la guerre, a au contraire Le patron de LR a fait réaliser
un sondage secret pour voir
défendu la lutte armée en cas les conséquences politiques d’une
d’agression contre une démocratie. éventuelle dissolution si son parti votait
Mais « dans la guerre des mémoires une motion de censure. Le résultat
comme dans la guerre tout court, est catastrophique. Le RN obtiendrait
écrivait Rudyard Kipling, la première entre 243 et 305 sièges, très proche
victime est toujours la vérité ».• de la majorité absolue (289) et LR, 40
à 60 sièges, contre 62 actuellement.
La majorité en perdrait une centaine.

L’éditorial de
ANDRÉ COMTE-SPONVILLE
Sur l’aide à mourir, Emmanuel
Macron manque d’audace
N QUELLE EUROPE
ous aurons donc une loi
sur « l’aide à mourir »,
autrement dit sur
l’euthanasie et le suicide
assisté. Tant mieux ! Nous sommes
des millions à la réclamer, depuis
des décennies, et huit Français sur dix,
aujourd’hui, y sont favorables. Quelle
loi ? Le président de la République
vient d’en préciser les contours dans
un entretien publié par La Croix
et Libération.
Je ne suis pas certain qu’il fût bien
inspiré d’entrer à ce point dans
les détails. Cela ne lui vaudra guère
que quelques haines ou critiques
supplémentaires. Sur un sujet
si débattu, si rebattu et si passionnel,
que ne laisse-t-il l’initiative aux députés
du groupe Renaissance ? Que ne s’en
remet-il à la sagesse du Parlement ?
Mais puisqu’il jugea bon de le faire,
examinons ce qu’il propose.
Il a bien sûr raison de noter que la loi
Claeys-Leonetti ne permet pas
de résoudre certaines situations
A quoi bon une nouvelle loi
si elle laisse les cas les plus
difficiles hors de son champ ?
« humainement très difficiles », et qu’il
fallait donc « aller plus loin ». Mais il
se montre exagérément restrictif, selon
moi, dans les possibilités d’ « aide
à mourir » qu’il envisage. Ne pourront
y avoir droit, précise-t-il, que des
« personnes atteintes d’une maladie
incurable » et dont le pronostic vital
est « engagé à court ou moyen terme ».
Ce n’était pas le cas, rappelons-le, du
jeune Vincent Humbert : âgé de 20 ans,
il se trouve, après un accident de moto,
à la fois paralysé des quatre membres
S. Lagoutte/Challenges
(il ne peut plus bouger que le pouce
de la main droite), aveugle et muet.
Il supplie sa mère de l’aider à mourir,
ce qu’elle fit avec l’aide d’un médecin.
SOUS LE HAUT PATRONAGE DE MONSIEUR THIERRY BEAUDET
PRÉSIDENT DU CONSEIL ÉCONOMIQUE SOCIAL ET ENVIRONNEMENTAL
EMPAREZ-VOUS DE L’ÉCONOMIE !
J’aurais fait comme elle, s’il s’était agi
de mon fils. Or Vincent Humbert n’était
nullement en fin de vie, ni d’ailleurs
malade : il était simplement très
lourdement handicapé. Sa demande
DANS UN MONDE
n’aurait donc pu être acceptée dans
le cadre de la loi Claeys-Leonetti,
mais pas davantage, c’est ce
qui m’inquiète, dans le cadre annoncé
FRAGMENTÉ ?
par Emmanuel Macron. A quoi
bon une nouvelle loi si elle laisse
les cas les plus difficiles et les plus
douloureux hors de son champ ?
Le président stipule aussi que ce projet
de loi « exclut de cette aide les patients
atteints de maladies psychiatriques
ou de maladies neurodégénératives
qui altèrent le discernement, comme
Alzheimer ». Soit, s’agissant de
l’exigence du discernement. Mais
imaginez que je commence une maladie
d’Alzheimer (c’est une maladie que
je connais bien : mon père et ma belle-
mère en sont morts) et que je veuille,
tant que je jouis encore de ma lucidité,
m’éviter (et épargner à mes proches)
les quelques années d’horreur
qui m’attendent, donc en finir :
il sera trop tôt pour que
je puisse bénéficier de la loi
(mon pronostic vital n’étant
engagé qu’à long terme). Et si
j’attends, il sera trop tard (puisque
je ne disposerai plus de tout mon
discernement). Rappelons qu’il y a,
dans notre pays, 225 000 nouveaux cas
d’Alzheimer chaque année. Combien, 30 CONFÉRENCES-DÉBATS | 120 INTERVENANTS | AU CESE
DU 2 AU 5 AVRIL 2024
parmi eux, préféreraient en finir, tant
qu’il est encore temps, volontairement ?
Je ne sais. Mais pourquoi la loi devrait-
elle leur interdire de le faire ?
Bref, la nouvelle loi, telle qu’on nous
l’annonce, sera assurément un progrès,
dont il faut se féliciter. Mais si limité
qu’elle ressemble déjà à une déception.
PRINTEMPSDELECO.FR
Espérons que le Parlement, pour une
fois, se montrera plus audacieux et plus
libéral que notre trop prudent (sur ce
point) président !•
21 MARS 2024 - CHALLENGES N°822  29
France

L’addiction aux écrans,

le mal du siècle
Troubles du comportement, anxiété, suicides… Face à des effets inquétants,
notamment sur les enfants, le gouvernement fait du « bon usage numérique »
une priorité. Les plateformes, elles, sont mises face à leurs responsabilités.

A
l’hôpital Jean-Verdier de
Bondy, en région pari-
sienne, Sylvie Dieu Osika
mène un combat solitaire.
Cette pédiatre a ouvert en 2019 la
première consultation en France
destinée à prendre en charge des
enfants exposés aux écrans.
Chaque lundi matin, elle accueille
dans son cabinet des parents in-
quiets de voir leurs petits absorbés
par la lumière bleue depuis leur
plus jeune âge. Ceux qui défilent
dans son cabinet passent déjà plu-
sieurs heures par jour devant You-
Tube Kids, la version pour enfants
de la plateforme de vidéos. Avec
des conséquences sur leur dévelop-
pement. « Je vois passer des
troubles qui n’existaient pas il y a
encore dix ans », confie-t-elle. Par-
mi les plus courants, on trouve des
retards de langage, des troubles du
sommeil, des difficultés à gérer la
frustration…
La Chine cherche le bon équilibre législatif
Avec d’autres pédiatres, Sylvie Dieu
Osika s’est engagée à faire recon-
naître ces troubles comme un enjeu
de santé publique. Elle a formé un
collectif pour lutter contre la surex-
position aux écrans. Et alerte les
parents sur ces risques encore mal
connus. « Ils pensent souvent bien
faire, soupire-t-elle. On ne peut pas
leur en vouloir. » Sa liste d’attente
résume la détresse des médecins
face à ce phénomène, ignoré par les
autorités. « Il y a un manque de for-
mation », constate la spécialiste.
Aucun diagnostic
Mais une initiative politique pourrait
redonner un peu d’espoir à Sylvie
Dieu Osika. Lors d’une conférence
de presse le 16 janvier dernier, le
président Emmanuel Macron a dé-
claré vouloir faire du « bon usage
des écrans » une priorité. A l’Elysée,
les écrans sont accusés d’être res-
ponsables de tous les maux, des
émeutes de l’été dernier au phéno-
mène de harcèlement en ligne. Un
dossier qui passionne jusqu’à
l’épouse du président, Brigitte Ma-
cron. Un comité constitué de dix
experts, dont des neurologues et
des psychiatres, a donc été chargé
de s’attaquer au sujet. Pressé d’aller
vite, le groupe doit dégager un
« consensus scientifique » sur les
mesures à prendre. Il doit rendre ses
conclusions fin mars sur un do-
maine où « la recherche n’est pas
encore stabilisée », note le profes-
seur Marc Auriacombe, addicto-
logue à l’hôpital de Bordeaux.
A ce jour, les troubles liés aux écrans
ne sont pas reconnus par l’Organisa-
tion mondiale de la santé (OMS). Le
problème a bien été ajouté à la liste
des addictions sans substance dans
le dernier manuel diagnostique et
statistique des troubles mentaux
(DSM‑5). Mais cette catégorie n’a
pas valeur de diagnostic. Même
constat pour les troubles du com-
portement liés aux réseaux sociaux.
Perte de contrôle

P
oursuivi en Europe,
attaqué aux Etats-Unis,
TikTok continue de faire
l’autruche. Pourtant, dans
son pays d’origine, la Chine,
le temps passé par les plus
jeunes sur les écrans est
strictement minuté.
Depuis octobre dernier, le
gouvernement veut interdire
aux moins de 18 ans de
se connecter sur les réseaux
sociaux entre 22 heures
et 6 heures du matin.
Une limite de temps a été
fixée pour les jeux vidéo.
Les adolescents chinois sont
invités à ne pas y passer
plus de 90 minutes par jour.
Portées par l’administration
responsable du cyberespace
en Chine (CAC), ces mesures
ne sont pas toutes entrées
en vigueur. Mais un nouveau
règlement sur la protection
des mineurs a été publié
le 1er janvier. Des contrôles
y sont imposés aux
constructeurs. « Les
fabricants de terminaux
doivent installer un logiciel
de protection du réseau
pour les mineurs avant que
le produit ne quitte l’usine »,
affirme le texte. Une reprise
en main musclée du
problème, alors que le pays
interdit déjà certains jeux.
Bien qu’ils ne soient pas
nommés, « les produits
et les services qui induisent
une dépendance » sont
visés par les autorités.
Ils seront exposés
à des amendes pouvant
aller jusqu’à 1 million
de yuans (128 000 euros).
En décembre dernier,
l’annonce de ces mesures
avait fait chuter les cours
des grandes entreprises
technologiques chinoises,
dont ceux de Tencent
et de NetEase. Un argument
qui a incité le Conseil
des affaires d’Etat chinois
•
à alléger cette loi.
Leurs effets sont pourtant étudiés
depuis longtemps, notamment en
Chine, où le sujet a été pris très au
sérieux (lire encadré). De nom-
breuses études confirment le rôle
des plateformes comme TikTok ou
Instagram dans l’apparition de
troubles associés, comme l’anxiété,
la dépression ou la perte de som-
meil. Des chercheurs de l’université
de Changsha, dans la province de
Hunan, ont ainsi mesuré la dépen-
dance des étudiants à leurs réseaux.
Cette expérience menée en 2022 sur
1 539 étudiants chinois a montré que
la plupart répondent aux critères
pour définir une addiction.

30  CHALLENGES N°822 - 21 MARS 2024

John Moore/Getty Images via AFP

A Stamford (Connecticut),
aux Etats-Unis. De nombreuses
études confirment le rôle
des plateformes dans l’apparition
de troubles associés.

L’un de ses symptômes touche parti-
culièrement les plus jeunes. Bien
connu des adolescents, il s’agit du
FOMO (Fear of Missing Out en an-
glais) qui désigne la peur de rater un
événement sur les réseaux sociaux.
« On ne parle pas ici de regarder un
peu trop son téléphone, insiste le
professeur Marc Auriacombe. Mais
d’adolescents qui ont le sentiment
de perdre le contrôle. » Un sentiment
qui peut devenir source de souf-
france chez les plus jeunes avec des
conséquences graves, comme des
troubles de l’alimentation ou des
tentatives de suicide.
Du côté des réseaux sociaux, le su-
jet a été pendant longtemps mis
sous le tapis. Il a fallu attendre les
révélations en 2021 de la lanceuse
d’alerte Frances Haugen, ex-em-
ployée de Facebook, pour découvrir
que le groupe avait mené ses propres
études. Et mis au jour le rôle d’Insta-
gram dans certains troubles de la
santé mentale chez les adolescents,
comme la dysmorphophobie, ou le
fait d’être obsédé par son apparence
physique. « Nous empirons le rap-
port à son corps d’une adolescente
sur trois », s’alarme l’entreprise
dans une diapositive datée de 2019,
récupérée par la lanceuse d’alerte
VIRUS parmi des milliers d’autres docu-
RÉPANDU ments internes.
15 minutes
maximum Multiplication de procès
C’est le temps La responsabilité des plateformes se
que passe un précise. Sous la pression du Sénat
adulte sans américain, le créateur de Facebook,
vérifier ses Mark Zuckerberg, s’est excusé
notifications et
ses messages d’avoir contribué au mal-être des
sur son adolescents. « Je suis désolé », a-t-il
téléphone. admis devant des familles de vic-
37 minutes times lors d’une audition publique le
par jour 31 janvier dernier. Contacté, Insta-
passées en gram affirme avoir pris des mesures.
moyenne sur Une option peut, par exemple, être
YouTube par activée par ses abonnés pour se rap-
les Français.
peler de « faire une pause ». Un ar-
8 ans et demi gumentaire adopté par la plupart des
C’est l’âge moyen
de la première géants d’Internet, qui consiste à
inscription des rendre l’utilisateur responsable de
enfants sur les son temps d’écran. Les fabricants de
réseaux sociaux. smartphones se réfugient, eux, der-
SOURCES : CONSEIL
NATIONAL DU NUMÉRIQUE, rière les applications de « bien-être
COMSCORE, E-ENFANCE.
numérique » (mode « Chut », option
« Lever la tête »…). Des gadgets bien
pratiques pour échapper aux procès
qui se multiplient aux Etats-Unis.
Le 14 février dernier, Match, la socié-
té derrière les applis de rencontre
Tinder, Hinge et OkCupid, a été atta-
quée en justice pour avoir rendu ac-
crocs au « swipe » ses utilisateurs.
Ce geste, qui consiste à balayer
l’écran pour faire glisser les profils,
fait partie des technologies invi-
sibles qui poussent à l’addiction.
« Ces fonctionnalités reposent sur
un mécanisme de récompense aléa-
toire, explique Karl Pineau, ensei-
gnant et chercheur à l’Ecole de de-
sign de Nantes. L’utilisateur ne sait
pas si le prochain contenu sera in-
téressant, donc il continue à regar-
der. » Un recours collectif a été dé-
posé par six ex-clients pour signaler
ces « fonctionnalités addictives »,
« semblables à celles d’un jeu ».
Les méthodes de TikTok font aussi
l’objet d’une enquête de Bruxelles.
Le 19 février, une instruction a été
ouverte contre le réseau social. Le
commissaire européen au Marché
intérieur, Thierry Breton, a dénoncé
le « design addictif » de son applica-
tion qui enferme les utilisateurs dans
une « spirale infernale » de vidéos
sur un thème.  David Pargamin

21 MARS 2024 - CHALLENGES N°822  31

Monde

John Wessels/AFP
Manifestation anti-establishment, à Dakar, le 10 mars. Avec le leader du Pastef, Ousmane Sonko, le candidat Bassirou Diomaye Faye promet
de renégocier les contrats des mines et des hydrocarbures signés par le Sénégal avec les entreprises étrangères.

L’horizon du Sénégal
se dégage
A la veille de l’élection du 24 mars, le dauphin du président sortant Macky
Sall, son bilan économique en porte-étendard, prône la continuité. Son
opposant, lui, veut changer le système, favorable aux entreprises étrangères.  

S
ur le marché de Colobane, à
Dakar, la campagne prési-
dentielle bat son plein. Çà et
là, des affiches des candi-
dats sont placardées sur les devan-
tures des boutiques exiguës. Les
goodies distribués par les partis po-
litiques sont partout. « Les campa­
gnes provoquent beaucoup d’ani­
mation et d’euphorie, explique
Hassan Samb, cogérant d’une bou-
tique d’accessoires pour smart-
phones, le poignet habillé de trois
bracelets à l’effigie des figures du
parti de l’opposition, le Pastef. Cette
année, les gens ont particulière­
ment hâte d’aller enfin au vote. »
Après des semaines d’incertitudes,
et la tentative du président Macky
Sall de reporter les élections, initia-
lement prévues le 25 février, l’hori-
zon se dégage pour les Sénégalais,
qui devraient élire leur cinquième
président dimanche 24 mars. A l’ap-
proche de la présidentielle la plus
ouverte de l’histoire du pays, où
aucun candidat n’est assuré d’être
au second tour, l’heure est au bilan
du président sortant.
L’inventaire économique semble, à
première vue, mettre tout le monde
d’accord, y compris les plus fer-
vents détracteurs de Macky Sall.
« Il a fait beaucoup de choses bien,
LE BILAN SALL qu’on se dise la vérité », opine
8% Yatma, qui vend des maillots de
de croissance
prévue en 2024.
l’équipe nationale de foot estampil-
lés du slogan du parti de l’opposi-
21 %
de chômage. tion. « Le bilan économique sous
sa mandature est positif, juge Ar-
90 %
des actifs dans le thur Minsat, économiste, chef d’uni-
secteur informel. té Afrique au centre de développe-
35 % ment de l’OCDE. Elle a été marquée
de pauvreté. par des travaux importants dans
76,6 % le cadre de la stratégie du Plan
d’endettement Sénégal Emergent (PSE) réalisés
public, rapporté sur toute la durée de son mandat ».
au PIB. Une politique qui prolonge le pari sur

32  CHALLENGES N°822 - 21 MARS 2024

les infrastructures déjà mené par le
prédécesseur de Macky Sall, Abdou­
laye Wade. En douze ans, le Sénégal
a ainsi vu son réseau routier s’allon­
ger. Près de 2 526 kilomètres de
routes ont été créés, 6 673 kilomètres
de pistes et les premières autoroutes
du pays. La ville nouvelle de Diam­
niadio (lire encadré ci-contre) est
sortie de terre, promettant d’être un
pôle économique important pour le
Sénégal, et pour l’Afrique. Et à Dakar,
la capitale, le réseau de transport
urbain s’est s’étoffé, avec la mise en
marche d’un TER, reliant la banlieue,
ainsi que d’une ligne de bus électri­
que à l’espace réservé. Fin 2020, le
chef de l’Etat a également lancé la
construction d’un nouveau port à
conteneurs en eau profonde à
Ndayane, à 70 kilomètres de Dakar,
pour remplacer celui du centre-ville,
vétuste et sous-dimensionné.
« Tête de file en Afrique »
Dopée par ces grands travaux, la
croissance annuelle du PIB s’est ac­
célérée, passant de 2,9 % en moyenne
sur la période 2005-2011 à 5,3 % entre
2012 et 2023. Avec l’entrée en exploi­
tation de deux gisements de gaz et de
pétrole au large de ses côtes prévue
d’ici à fin 2024, elle devrait encore
progresser, pour atteindre 8 % en
2024, selon le Fonds monétaire inter­
national. « Dans l’ensemble, les in-
dicateurs classent le Sénégal en tête
de file des pays africains, notam-
ment en Afrique de l’Ouest », ob­
serve Arthur Minsat. Avec un PIB de
près de 28 milliards de dollars pour
18 millions d’habitants en 2022, le
petit pays se place juste derrière la
Côte d’Ivoire (70 milliards de dollars
pour 29,3 millions d’habitants).
Les experts restent toutefois pru­
dents sur la véritable capacité du
pays à émerger. Car Macky Sall n’a
pas réussi à dompter l’inflation (à
10 %), ni à mieux intégrer le secteur
informel dans l’économie du pays,
qui emploie pourtant près de 90 %
des actifs. « Le bilan matériel de
Macky Sall ne correspond que très
peu aux aspirations des Sénéga-
lais, estime le chercheur en sciences
politiques Moussa Diaw. L’inci-
dence de la pauvreté (35 %) et le
taux de chômage (21 %) n’ont pas
baissé, tandis que le nombre de
candidats à l’émigration n’a fait
qu’augmenter. » Thiaba Camara Sy,
Un premier pas vers la souveraineté sanitaire
A
60 kilomètres de Dakar,
tout près de l’aéroport
international Blaise-
Diagne, la ville nouvelle de
Diamniadio promet d’être un
pôle économique important.
Elle héberge déjà plusieurs
ministères, ainsi qu’une
centaine d’entreprises. Et
c’est là que les fondations de
l’industrie pharmaceutique
sénégalaise deviennent une
réalité. Au bout d’un chemin
de terre rouge, deux grands
bâtiments industriels se
laissent découvrir. Le premier,
SP
quasiment achevé, abrite le Le projet Madiba, à Diamniadio. Le bâtiment devrait accueillir
projet AfricAmaril : une unité la première usine de vaccins à ARN messager en Afrique.
de fabrication de vaccins
contre la fièvre jaune, maladie l’Agence française de réchauffement climatique.
endémique sur le continent développement, la Banque Et d’ajouter : « L’ARN peut
africain. Les premières doses africaine de développement nous permettre un saut
devraient pouvoir en sortir ou encore la Fondation Bill et technologique important sur
d’ici à fin 2024. Le second, Melinda Gates. « Au départ, d’autres types de maladies. »
un peu moins avancé, nous devions utiliser l’ARN Avec son nouveau site de
hébergera le projet Madiba : pour fabriquer des vaccins Diamniadio, l’Institut Pasteur
une unité de fabrication contre le Covid-19, rapporte de Dakar se réjouit de pouvoir
de vaccins à ARN messager, Amadou Alpha Sall, directeur contribuer à la « souveraineté
grâce à un transfert de général de l’Institut Pasteur sanitaire » de l’Afrique. Pour
technologie de la biotech de Dakar. Le Covid n’étant ne plus avoir à connaître
belge Quantoom Biosciences. déjà plus d’actualité, la de situation similaire à celle
L’usine pharmaceutique, à technologie devrait désormais de la pandémie de Covid-19,
l’initiative de l’Institut Pasteur permettre de développer des où les pays du Nord avaient
de Dakar, est une première vaccins pour des maladies accaparé toutes les doses.
en Afrique : jusqu’à présent, typiquement africaines qui L’institution souhaite aussi
seulement 1 % des vaccins n’intéressent pas les grands aller plus loin. « Notre objectif :
consommés sont fabriqués groupes pharmaceutiques, arriver à créer un vaccinopôle,
sur le continent. Son coût : en priorité contre la fièvre pouvant réunir un ensemble
220 millions de dollars, dont de la vallée du Rift », indique d’activités, de la recherche
le financement a été réparti le docteur Sall. Un virus à la production de vaccins »,
entre l’Etat du Sénégal largement présent en Afrique conclut le docteur Sall, ayant
et différents bailleurs, dont et au Moyen-Orient, et qui à cœur d’en faire une vitrine
la Banque européenne pourrait muter dans les des capacités africaines
d’investissement (BEI), prochaines années face au de développement. •
administratrice de société et inves­ continuité, avec quelques ajuste­
tisseuse, déplore, elle, une crois­ ments, promettant une « prospérité
sance exogène, portée uniquement partagée ». Face à lui, son principal
par des investissements publics sur opposant, Bassirou Diomaye Faye,
des marchés confiés à des entre­ libéré de prison le 14 mars, se veut
prises étrangères. Les années Macky « candidat du changement de sys-
Sall s’achè­vent aussi avec un endet­ tème » et défend un « panafrica-
tement important : la dette publique nisme de gau­che », mettant l’accent
de 45 % du PIB entre 2002 et 2012 a sur la souveraineté économique. Le
bondi à 76,6 % en 2022, dépassant le candidat du Pastef promet notam­
seuil de convergence de l’Union éco­ ment de renégocier les contrats des
nomique et monétaire ouest-afri­ mines et des hydrocarbures signés
caine (UEMOA), fixé à 70 %. par le Sénégal avec les entreprises
étrangères, quand Amadou Ba pré­
« Panafricanisme de gauche » voit de les « actualiser ». Quelle que
Pour défendre son bilan, Macky Sall soit l’issue du scrutin, les milieux
peut compter sur son ex-Premier d’affaires attendent avec impatience
ministre Amadou Ba, artisan du PSE que s’achè­ve une année ayant mis à
et candidat du pouvoir à la présiden­ l’arrêt de nombreux projets.
tielle. Celui-ci prône la stabilité et la  Célia Cuordifede (à Dakar)
21 MARS 2024 - CHALLENGES N°822  33
 Monde
L’extrême droite portugaise exploite
les oubliés du miracle économique
Les jeunes et la classe moyenne, laissés de côté par le gouvernement socialiste,
ont porté le parti Chega à 18 % des voix lors des législatives du 10 mars.
André Dias Nobre/AFP
F
ini, l’oasis portugaise. Les
élections législatives du
10 mars ont donné 48 siè­
ges à l’extrême droite (18 %
des voix), au lieu de 12 il y a deux
ans. En moins de cinq ans d’exis­
tence, la formation ultra Chega a
réussi à s’imposer dans le jeu poli­
tique. Le choc est rude à Lisbonne
où l’on voulait croire le Portugal
« vacciné » contre l’extrême droite
par quarante-huit ans de régime au­
toritaire, de 1926 à la révolution des
œillets en 1974.
La page de huit ans de gouverne­
ment socialiste se tourne. Le pré­
sident de la République, Marcelo
Rebelo de Sousa, devrait désigner
ces jours-ci le leader de la droite
modérée, Luis Montenegro, comme
prochain Premier ministre. Mais le
vrai vainqueur du scrutin est sans
conteste le leader de Chega, André
Ventura. Ancien séminariste et ex-
commentateur sportif, il a réussi à
fédérer les ras-le-bol grâce à ses
34  CHALLENGES N°822 - 21 MARS 2024
tirades virulentes contre la corrup­
tion, la vie chère, l’insécurité, l’im­
migration, les impôts ou le mauvais
fonctionnement des hôpitaux.
Il parle à ceux qui ont l’impression
de vivre dans l’envers du décor de
ce « miracle économique portu-
gais » applaudi par Bruxelles et les
marchés. Officiellement, le pays est
le bon élève de l’Europe. Il a redres­
sé ses comptes publics bien mieux
que ses voisins, en bouclant 2023
avec un excédent budgétaire, une
réduction de la dette à 98,7 % et une
forte croissance à 2,3 %.
Avenir bouché
Le Premier ministre socialiste sor­
tant, Antonio Costa, a tenu sa pro­
messe, faite à son arrivée en 2015, de
« tourner la page de l’austérité ». Il
a effectivement relancé l’économie
en faisant du Portugal une destina­
tion attractive pour les vacanciers et
les investisseurs. Mais aujourd’hui,
la classe moyenne ne voit plus les
choses de la même façon. « Elle su-
bit les loyers qui flambent, sous la
pression des locations touristiques
et pour les jeunes, il y a la sensa-
tion d’un avenir bouché, décrit la
chercheuse Raquel García, de l’insti­
tut d’études stratégiques Elcano. Il
est difficile de s’en sortir, avec un
salaire minimum à 957 euros, et la
perspective de jobs précaires dans
l’hôtellerie ou d’emplois dans des
PME souvent peu performantes. »
L’indignation est d’autant plus forte
face au régime fiscal avantageux
réservé aux nomades numériques,
aux cadres de multinationales ou
aux retraités européens. Ce qui était
une sorte de stratégie d’urgence
pour attirer des investissements, au
sortir de la crise de 2008, s’est trans­
formé en manière de gouverner.
Emigration des diplômés
« Les performances macroécono-
miques sont incontestables mais
André Ventura elles ont été obtenues sans réformes
à Lisbonne, structurelles, ni simplification de
le 10 mars. Ex- l’administration, au prix de la dé-
commentateur
sportif, le leader
térioration des services publics »,
du parti ajoute l’économiste Pedro Martins,
d’extrême droite professeur de la Nova School of
Chega a fédéré Business and Economics de Lis­
les ras-le-bol bonne. Cette inertie a débouché sur
grâce à ses une paralysie, explique-t-il. « Les
tirades contre
la corruption,
efforts de réindustrialisation vers
la vie chère, des secteurs innovants restent des
l’insécurité, exceptions qui n’ont pas d’effet
l’immigration… d’entraînement. »
Pendant que sur les bords du Tage,
les incubateurs de start-up inventent
l’économie de demain, une bonne
part de la population vivote. Et c’est
sur cette rage que prospère Chega.
« Le gouvernement socialiste a soi-
gné les retraités et protégé les fonc-
tionnaires, mais il a tourné le dos
aux jeunes », constate Pedro Mar­
tins. La preuve dit-il, depuis vingt
ans, 30 % des nouveaux diplômés ont
choisi d’émigrer, faute de pouvoir
prospérer au Portugal.Cécile Thibaud
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Un événement du groupe
 Monde
Indiscrétions
Les vinyles ressuscités
C’est parce
que Taylor
Swift a affolé
les compteurs
au Royaume-
Uni avec son
dernier album,
et ses ventes
record, que
SP
les vinyles ont été réintroduits mi-mars
par l’office des statistiques britannique
(ONS) dans le panier des 700 biens
qui déterminent le taux d’inflation.
Ejectés il y a trente-deux ans au profit
des CD, les disques (ou LPs pour
Long Play) ont fait un retour en force,
boostés par la soif du rétro. L’an
dernier, les Britanniques en ont acheté
6 millions d’exemplaires.
Rutte concurrencé
Bart Maat/ANP Mag/ANP via AFP
Premier ministre des Pays-Bas pendant
quatorze ans, Mark Rutte a annoncé
depuis longtemps son intention de
briguer la tête de l’Otan. Mais comme
le Hongrois Viktor Orban s’oppose
toujours fermement à son homologue
néerlandais, qui l’avait attaqué pour
ses atteintes aux droits des personnes
LGBT, d’autres candidats sont sortis
du bois, dont le président roumain
Klaus Iohannis et la Première ministre
d’Estonie Kaja Kallas.
La techno sanctifiée
Hannibal Hanschke/Reuters
Symbole du vent de liberté qui
a soufflé sur l’Europe à la fin de
la guerre froide, la musique techno
berlinoise a été inscrite le 13 mars
au patrimoine culturel immatériel
de l’Unesco. L’institution a commenté :
« La techno est devenue la bande-son
de l’atmosphère de renouveau
qui a suivi la chute du mur. »
Une bénédiction pour les clubs,
qui espèrent se refaire une santé
après la pandémie.
36  CHALLENGES N°822 - 21 MARS 2024
Le bitcoin se transforme
en or numérique
Grâce à un nouvel instrument financier, la cryptomonnaie
a retrouvé tout son dynamisme en Bourse. Mais ses réserves
sont par nature limitées, et son rendement va se stabiliser.
AMÉRIQUES © The Economist
P
endant un bref moment, le 5 mars,
tous les propriétaires de bitcoins
ont gagné de l’argent : le cours du
jeton cryptographique a atteint un
sommet historique de 69 000 dollars. Un re-
tour remarquable après les jours sombres
de novembre 2022 ayant suivi la faillite de la
plateforme FTX. Certes, tout est à la hausse
– les marchés boursiers, l’or, et même les
obligations –, mais le bitcoin se porte encore
mieux que la plupart des actifs.
Le 10 janvier dernier, la Securities and Ex-
change Commission, le régulateur améri-
cain de la Bourse, a autorisé la création de
bitcoin Exchange-Traded Funds (ETF, que
l’on pourrait traduire par « fonds bitcoins
négociés en Bourse »). Une demande portée
par onze sociétés de gestion d’investisse-
ment. Ces nouveaux instruments sont desti-
nés à faciliter l’achat de cryptomonnaie par
les investisseurs. Plutôt que d’ouvrir un
compte dans une Bourse spécialisée, de
créer un portefeuille crypto, d’effectuer un
transfert bancaire pour enfin pouvoir acqué-
rir des bitcoins, ils pourront désormais sim-
plement se connecter à leur compte de
courtage et acheter un ETF Bitcoin Spot.
Aujourd’hui, les actifs des dix principaux
ETF s’élèvent à environ 50 milliards de dol-
lars. Une activité qui semble s’auto-alimen-
ter : plus il y a d’argent versé, plus le prix
monte, plus on parle des ETF en bitcoins et
plus l’argent afflue, et ainsi de suite. Il est
pourtant évident que la cryptomonnaie est
d’une utilité limitée pour des paiements, et
que son usage est restreint du fait des coûts
élevés et de la lenteur des transactions.
Avec les ETF, l’avenir du bitcoin semble
être de devenir un actif d’investissement et
guère plus. Mais à quoi ressembleront les
futurs retours sur investissement ?
Il serait hasardeux d’extrapoler à partir de
l’histoire de cette cryptomonnaie. Depuis
quatorze ans, elle est passée d’un concept de
niche cyberpunk à un actif financier quasi
ordinaire. Certaines hypothèses permettent
d’expliquer ses fluctuations de valeur. La
première, c’est que les achats de bitcoins
procèdent essentiellement d’un pari sur le
Transition permanente
Cours du bitcoin (en milliers de dollars)
75
Premier jour d’échanges
des ETF Bitcoin Spot
60
45
30
15
0
2010 12 14 16 18 20 22 24
SOURCE : BLOOMBERG.
La création d’ETF a suscité une volée
de profits juteux, mais l’avenir du bitcoin
pourrait être plus lent et plus stable.
progrès technologique. Par exemple, à la
mi-2021, au moment où les actions tech ex-
plosaient, des tweets négatifs d’Elon Musk
sur le bitcoin avaient fait plonger son cours.
Il avait à nouveau baissé fin 2022 à la suite
de la faillite de FTX, alors que les marchés
boursiers se redressaient.
L’autre théorie est que le bitcoin fonctionne-
rait comme une sorte d’or numérique. Ses
réserves sont par nature limitées, comme
celles d’or dans le sous-sol. Or et bitcoin ne
procurent ni rendement ni bénéfices. Cette
théorie a été quelque peu invalidée en 2021
et 2022 lorsque l’inflation a explosé et que le
bitcoin s’est effondré, mais l’année dernière
la cryptomonnaie s’est à nouveau rappro-
chée de l’or. Peut-être les deux théories
contiennent-elles des fragments de vérité.
Admettons dans ce cas qu’il soit utile d’avoir
1 % d’un fonds en bitcoin. Que se passera-t-il
lorsque la cryptomonnaie aura achevé sa
transition en un actif financier standard ?
Les rendements du bitcoin ressembleront
probablement à ceux de l’or : il en existe une
certaine quantité, et son prix augmentera à
peu près au même rythme que le stock de
monnaie. Ce qui implique des retours régu-
liers à un seul chiffre. La création d’un ETF
en bitcoins a peut-être suscité une volée de
profits juteux, mais son avenir pourrait se
révéler plus lent et plus stable. •
© The Economist - London 2024
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imprimés et vernis
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kinedo.com
 Monde
Bonne semaine
Le Gallois Vaughan Gething
pionnier
M. Horwood/Getty Images Europe/AFP
Le 16 mars, cet avocat de formation
a été désigné chef de file du Parti
travailliste gallois, ce qui devrait lui
garantir la nomination au poste de
Premier ministre du Pays de Galles
ces prochains jours. Ancien ministre
de la Santé pendant la pandémie de
Covid-19, le quinquagénaire, né d’un
père gallois et d’une mère zambienne,
incarne une nouvelle génération.
Le Sénégalais Ousmane
Sonko libéré
Ousmane Sonko
et son second,
Bassirou Diomaye
Cem Ozdel/Anadolu/AFP
Faye, candidat
à la présidentielle,
sont sortis de
prison le 14 mars,
dix jours avant
l’élection,
provoquant la liesse de milliers de
Dakarois descendus dans les rues
de la capitale. S’exprimant devant
la presse le lendemain, l’opposant
a prédit une large victoire de son parti
face à Amadou Ba, le dauphin
du président sortant Macky Sall.
Mauvaise semaine
Le Polonais Jaroslaw
Kaczynski rattrapé
Andrzej Iwanczuk/NurPhoto/AFP
A l’issue de huit heures d’audition
le 15 mars, l’ex-homme fort de Pologne
a choisi la stratégie de la négation et de
l’obstruction dans l’affaire Pegasus. Une
commission d’enquête parlementaire
est chargée de faire la lumière sur
la légalité de l’utilisation du logiciel
espion, notamment pour surveiller des
membres de l’opposition démocrate.
38  CHALLENGES N°822 - 21 MARS 2024
L E A D E R S
©The Economist
Les démocraties d’Asie veulent
croire au bouclier américain
Face au risque de voir Pékin profiter de la guerre en Ukraine
pour remodeler l’ordre régional, la Corée du Sud, Taïwan
et le Japon se réarment, et se rapprochent des Etats-Unis.
P
our Taïwan, le Japon et
la Corée du Sud –, l’invasion
russe de l’Ukraine a retenti
comme un signal d’alarme.
Les conséquences d’une défaite
ukrainienne seraient dévastatrices
de ce côté-là du globe, car une victoire
de Vladimir Poutine pourrait
encourager la Chine à remodeler l’ordre
régional à son profit. Et c’est pour
Taïwan que les implications sont les
plus inquiétantes. Taipei comprend très
bien que ce que Poutine fait en Ukraine,
Xi Jinping pourrait le faire dans son pays
– d’autant que les deux hommes
affichent une amitié « sans limite ».
Le président élu taïwanais a ainsi
promis de porter le budget militaire
à un niveau record, soit 2,6 % du PIB.
Trop peu pour dissuader Pékin, mais
proportionnellement plus important
que moult budgets européens.
De son côté, le Japon prévoit
de quasiment doubler ses budgets
de défense d’ici cinq ans. Car tout
en continuant à professer un pacifisme
officiel, Tokyo est proche de s’engager
à aider les Etats-Unis à défendre Taïwan.
Les relations militaires entre le Japon,
la Corée du Sud et l’Amérique se sont
récemment renforcées. Le président
sud‑coréen Yoon Suk-yeol hésitait
jusqu’à présent à livrer des munitions
à l’Ukraine pour ne pas favoriser
le rapprochement entre la Russie
et la Corée du Nord. Mais maintenant
que Pyongyang fournit des obus
à Moscou, des voix s’élèvent à Séoul
pour que la Corée du Sud se positionne
plus fermement en faveur de l’Ukraine.
Du côté des Etats-Unis, face au possible
retour de Donald Trump à la Maison-
Blanche, deux possibilités s’ouvrent.
La plus sombre serait que ce dernier
jette aux orties les garanties de sécurité
offertes jusqu’alors aux alliés asiatiques.
Ceux-ci réagiraient en renforçant
leur propre sécurité, notamment
en cherchant à acquérir un arsenal
nucléaire. A moins qu’ils ne décident
qu’ils n’ont d’autre choix que de conclure
des arrangements avec Pékin, mettant
ainsi fin à sept décennies d’ordre
sécuritaire sous la houlette américaine,
et offrant une vaste sphère d’influence à
la Chine. Un scénario cauchemardesque.
Seconde possibilité, beaucoup plus
vraisemblable, les politiciens asiatiques
pourraient se rapprocher encore plus
de l’Amérique, dans l’espoir d’augmenter
les chances que l’administration Donald
Trump respecte
Tout en ses engagements
professant sécuritaires en Asie.
un pacifisme L’ancien Premier
ministre japonais
officiel, Tokyo Shinzo Abe était
est proche passé maître dans
de s’engager cette politique. Il
avait été le premier
à aider les
Etats-Unis
dirigeant étranger
à rencontrer Donald
à défendre Trump au lendemain
Taïwan. de son élection
en novembre 2016,
et lui avait par la suite offert un club
de golf en or. Certains parmi la droite
trumpienne américaine affirment
que l’Ukraine ne fait que distraire
les Etats‑Unis de la véritable menace :
la Chine. Les principaux alliés asiatiques
de Washington pourraient chercher
à exploiter ce point de vue, tout
en augmentant encore leurs dépenses
militaires afin de montrer qu’ils
ne sont pas de simples profiteurs
du parapluie américain. Ce qui se passe
à une extrémité de la vaste masse
continentale eurasienne façonne
les calculs à l’autre extrémité.•
 LES ÉCONOMISTES DU BIEN COMMUN
PAUL KRUGMAN
PRIX NOBEL D’ÉCONOMIE 2008
La rage rurale blanche menace
les Etats-Unis
S
i le progrès ne se fait pas
sans douleur, et que
les hommes d’affaires et
certains économistes peuvent
parler avec enthousiasme
de « destruction créatrice »,
le processus lui-même peut être
économiquement et socialement
dévastateur pour ceux qui se trouvent
à l’extrémité « destruction »
de l’équation. C’est, pour beaucoup,
ce qui s’est passé dans l’Amérique
rurale. De fait, les fermes américaines
produisent cinq fois plus qu’il y a 75 ans,
alors que durant la même période,
la main-d’œuvre agricole a diminué
d’environ deux tiers en raison de
la mécanisation, de l’amélioration des
semences, des engrais et des pesticides.
La technologie a enrichi l’Amérique
En même temps que les emplois
agricoles, l’Amérique des campagnes
a perdu le sentiment de dignité.
Et Trump profite de ce ressentiment.
dans son ensemble, mais réduit
les opportunités économiques dans
les zones rurales. Alors pourquoi
les travailleurs ruraux ne vont-ils pas là
où il y a des emplois ? Certains le font.
Mais nombre de villes sont devenues
financièrement inaccessibles, et
par ailleurs beaucoup de travailleurs
sont réticents à l’idée de quitter
leurs familles et leurs communautés.
Dans ce cas, ne devrions-nous pas aider
ces collectivités ? C’est ce que nous
Aristidis Vafeiadakis/Zuma/Réa
faisons. Les programmes fédéraux
– Social Security, Medicare, Medicaid
et autres – sont disponibles pour tous
les Américains, mais sont financés
de manière disproportionnée par
les impôts versés par les riches zones
40  CHALLENGES N°822 - 21 MARS 2024
urbaines. Il en résulte d’énormes
transferts d’argent des riches Etats
urbains comme le New Jersey vers
les Etats pauvres et relativement
ruraux comme la Virginie occidentale.
Si ces transferts amortissent quelque
peu les difficultés auxquelles est
confrontée l’Amérique rurale, ils ne
rétablissent pas le sentiment de dignité
qui a été perdu en même temps que les
emplois agricoles. Et peut-être que cette
perte de dignité explique à la fois la rage
rurale blanche et la raison pour laquelle
elle est aussi mal dirigée. C’est pourquoi
il est assez évident qu’en novembre
prochain, une majorité de ruraux
américains blancs voteront à nouveau
contre Joe Biden, qui en tant que
président a tenté de ramener des
emplois dans leurs communautés,
et en faveur
de Donald Trump,
un bonimenteur
du Queens qui n’a
guère d’autre chose
à proposer que
la validation de
leur ressentiment.
Cette impression
d’avoir perdu sa dignité est peut-être
accentuée par le fait que certains ruraux
américains se sont longtemps vus
comme plus travailleurs, plus patriotes
et peut-être même moralement
supérieurs aux habitants des grandes
villes. Au sens le plus commun,
l’Amérique des campagnes et des petites
villes est censée être peuplée de gens
durs à la tâche pétris de valeurs
traditionnelles, radicalement différents
de ces citadins dégénérés vivant
des prestations sociales. Or la réalité
économique et sociale ne correspond
pas à cette image. Les hommes dans
la force de l’âge vivant en dehors
des métropoles sont beaucoup moins
susceptibles d’obtenir un emploi
que leurs homologues des zones
urbaines – non parce qu’ils sont
paresseux, mais parce qu’il n’y a pas
d’embauches là où ils sont. L’écart
est bien moins important en ce qui
concerne les femmes, peut-être
parce que les postes soutenus par le
gouvernement fédéral ont tendance
à être majoritairement féminins, comme
les emplois du secteur de la santé.
Bon nombre d’Etats ruraux enregistrent
en outre des taux élevés d’homicides,
de suicides et de mères célibataires
– là encore, non parce que les ruraux
américains sont de mauvaises gens,
mais parce que le désordre social,
comme l’a montré il y a longtemps
le sociologue William Julius Wilson
à propos des problèmes urbains, est
ce qui arrive lorsque l’emploi disparaît.
Quand vous attirez l’attention sur
certaines de ces réalités, on vous traite
d’arrogant élitiste urbain. Je suis sûr
que les réactions à cette chronique
seront… intéressantes. Le résultat
est que de nombreux électeurs ruraux
blancs soutiennent des politiciens
qui leur débitent les mensonges qu’ils
ont envie d’entendre. Cela aide
à comprendre pourquoi le narratif
MAGA (Make America Great Again)
décrit des villes relativement sûres
comme New York comme des
enfers ravagés par la criminalité,
et l’Amérique rurale comme la victime
non pas de la technologie mais
de l’immigration illégale, du wokisme
et de l’Etat profond.
Dans ces circonstances, vous espérez
sans doute une solution à cette
lamentable situation politique. Mais
la vérité est que si la rage rurale blanche
est probablement la pire menace
pesant sur la démocratie américaine,
je n’ai aucune idée satisfaisante
sur la façon de la combattre.•
© The New York Times 2024
Chez votre marchand de journaux
Entreprise

Campus Microsoft à Redmond, en

mars 2024. Le groupe a rebâti une petite
ville du futur, rasant même les bureaux
historiques de Bill Gates et Steve Ballmer.

Microsoft, une puissance

reprogrammée
Sous la houlette de Satya Nadella, le géant informatique a misé très tôt
sur l’intelligence artificielle et la pépite OpenAI. Depuis son siège historique
de Redmond, le groupe se forge un futur prometteur. Et encore dominateur.

Q
uelques grues et écha-
faudages gâchent en-
core la vue, mais le nou-
veau campus de
Microsoft à Redmond
(Etat de Washington)
est opérationnel depuis quelques
semaines. Décision sacrilège, les
quatre bâtiments historiques ont été
rasés, y compris ceux des bureaux
de Bill Gates et Steve Ballmer. Dis-
parus aussi le mythique Building 3,
s’élèvent désormais 17 bâtiments de
bois et de verre, jouant à fond le de-
sign, le bien-être des employés, les
énergies renouvelables… Ici, on cir-
cule à pied, tout le trafic automobile
est organisé sur quatre niveaux,
sous terre, dans un ensemble qui
comprend le plus vaste parking en-
terré au monde. Toutes les livrai-
sons se font à travers un dédale de
tunnels qui relient les différents bâti-
ments. Dès l’an prochain, un train
cupe qu’une fraction de l’immense
quartier général de Microsoft qui
s’étend sur 740 000 mètres carrés,
accueillant plus de 50 000 salariés
dans 125 immeubles. Mais elle en dit
long sur les grandes ambitions du
Par Gilles géant informatique et de son PDG
Fontaine Satya Nadella, qui vient de fêter ses
(à Seattle) dix années de règne.
Ce projet de campus flambant neuf,
c’est lui qui l’a déclenché en 2017,
comme pour tourner la page sur
Gilles Fontaine

des ressources humaines, où beau- reliera le quartier général à l’aéro- l’action de ses prédécesseurs et lan-
coup de Microsofties ont passé leur port de Seattle en moins de 30 mi- cer le groupe dans sa bataille sui-
entretien d’embauche. A leur place nutes. La petite ville du futur n’oc- vante, face à de nouveaux adver-

42  CHALLENGES 822 - 21 MARS 2024

saires. « Au cours des dernières
décennies, notre paysage concur-
rentiel a radicalement changé, ob-
L’arme complémentaire du jeu vidéo

D
serve Steve Bathiche, en charge de
la recherche appliquée de la division
Windows. Il y a trente ans, notre
principal ennemi s’appelait AOL. »
Beaucoup de ses anciens rivaux ont
disparu de la circulation. Déstabilisé
par l’avènement du Web au siècle
dernier, affaibli par les actions en
justice de ses concurrents, débordé
par la percée du smartphone, Micro-
soft aurait pu succomber mille fois
lui aussi. Acteur majeur des services
de cloud avec 24 % du marché mon-
dial et un écart qui va en se réduisant
sur le leader Amazon, le géant de
Redmond apparaît plus puissant que
jamais, dépassant même en Bourse
son éternel rival Apple, avec une
valorisation estimée à plus de
3 000 milliards de dollars.
Applications en rafale
Mais son nouvel ennemi est le plus
impitoyable de tous : le temps. Le
groupe informatique mène la course
e l’intrigue, du
suspens, des
rebondissements en
cascade… L’acquisition par
Microsoft du géant mondial
du gaming Activision Blizzard
a tout du scénario parfait
pour un jeu vidéo. Y compris
le budget : 69 milliards de
dollars pour mettre la main
sur le propriétaire de Call
of Duty, World of Warcraft
ou Candy Crush. Une somme
record dans cette industrie,
tout comme la durée du
processus d’acquisition :
bloquée par l’autorité de Call of Duty. Le portefeuille de jeux
d’Activision Blizzard, racheté par Microsoft,
la concurrence britannique,
l’opération initiée en lui permet d’entraîner ses modèles d’IA.
janvier 2022 a finalement été
conclue en octobre dernier. géant de Redmond s’impose vidéo constitue une
« Qui aurait cru que nous comme l’acteur dominant excellente charge de travail
fournirions un jour des jeux à du gaming. Le groupe à haute intensité pour son
Nintendo et Sony », s’exclame s’intéresse évidemment au cloud Azure. La montagne
Frank Shaw, grand patron modèle économique de cette de données utilisateurs
de la communication de industrie fondé en grande permettra de mieux entraîner
Microsoft. Pas étonnant partie sur l’abonnement. ses modèles d’IA. Enfin, ses
que ce rachat inquiète les Mais l’activité résonne aussi futurs jeux devraient être
régulateurs. Plus de 22 ans parfaitement avec ses autres conçus en partie avec ces
après le lancement de sa business. Très gourmand en algorithmes, comme Sora, le

en tête sur le marché en plein boom
de l’intelligence artificielle (IA). Sa-
tya Nadella et ses équipes ont eu la
bonne idée de s’associer très tôt au
champion incontesté de la catégo-
rie : OpenAI et son interface Chat­
GPT. Ils y ont investi 13 milliards de
dollars, pour aider la société califor-
nienne à acheter l’infrastructure et la
puissance de calcul nécesaires à
entraîner son modèle. Mais pour
encore dominer, Microsoft doit dé-
ployer les grands moyens. Sur le
papier, son avance paraît irrattra-
pable. Dans son cloud Azure, le
groupe offre quelque 1 600 modèles
d’IA, dont Llama, celui de Meta, ou
celui de Mistral AI, start-up française
qui monte. « On ne voit pas beau-
coup de concurrence, tranche John
Montgomery, vice-président en
charge de la plateforme d’IA sur
Azure. Le dernier modèle de Google
est bon, mais les autres ont encore
des problèmes de qualité. Sur les
fonctionnalités, peu de gens riva-
lisent avec nous. »
Voilà un an que Microsoft intègre
progressivement l’IA dans ses pro-
duits. « Notre rythme de lancement
est impressionnant », s’enthou-
siasme Diviya Kumar, directrice du
marketing du robot conversationnel
(ou chatbot) Copilot, lancé en sep-
première console Xbox, le puissance de calcul, le jeu
tembre dernier. Depuis mars 2023, et
l’intégration de l’IA dans son moteur
de recherche Bing, jusqu’à au-
jourd’hui, le groupe totalise une
quinzaine de nouveautés. Dernière
en date : l’installation d’une touche
Copilot sur les claviers des ordina-
teurs Microsoft. Le chatbot s’invite
partout : il génère automatiquement
des fichiers Excel ou des démonstra-
tions PowerPoint ; résume ce qui
s’est dit dans une réunion en visio-
conférence Teams ; aide les direc-
teurs financiers à boucler rapide-
ment les comptes et à détecter les
erreurs ; soutient les experts en cy-
bersécurité pour lutter plus efficace-
ment contre les attaques… Cette
panoplie de services compte déjà
quelque 53 000 clients, dont la moitié
des entreprises du Fortune 500.
Pour développer ces services à base
d’IA, Microsoft a besoin d’ingénieurs
talentueux mais aussi d’une phéno-
ménale puissance de calcul. Pro-
blème, celle-ci est générée par des
processeurs graphiques ou GPU,
dont la production est assurée à 80 %
par le seul Nvidia. « Les grands ac-
teurs de l’IA générative dans le
Photos : SP
modèle vidéo d’OpenAI.•
cloud, comme Microsoft, ont décidé
de développer leurs propres puces,
explique l’auteur et analyste Georges
Nahon. Leur objectif n’est pas de les
commercialiser mais d’optimiser
leurs coûts d’exploitation pour aug-
menter leurs capacités et proposer
des offres moins chères. » Satya
Nadella comme Sam Altman ont une
grande angoisse : voir Google les
dépasser dans le courant de l’année
grâce à des modèles entraînés avec
plus de données et une puissance de
calcul supérieure.
Prototypage maison
« C’était inévitable et attendu, mais
nous avons maintenant un nouvel
acteur de poids dans le paysage
toujours plus vaste des semi-
conducteurs : Microsoft », s’enthou-
siasme Glenn O’Donnell, vice-pré-
sident de Forrester Research. Et le
géant de Redmond n’a pas fait les
choses à moitié. Au cœur de son
campus, il a inauguré en octobre
dernier un building où sont assem-
blés et testés les serveurs équipés de
ses nouvelles puces IA, les Co-
balt 100 et Maia. Annoncés en uuu

21 MARS 2024 - CHALLENGES N°822  43

 Entreprise

T
uuu novembre dernier, ces pré- pable de générer des vidéos très réa- -shirt, jean et basket, Sam
cieux composants sont conçus par listes à partir de textes. La promesse Altman, 38 ans, ressemble
les équipes de Microsoft et fabriqués est très ambitieuse, mais cette fois à un étudiant tout droit
par le taïwanais TSMC, le sud-co- l’utilisation de l’interface est réser- sorti de l’université. Le
réen Samsung ou l’américain Intel. vée à quelques experts triés sur le même look que Mark Zuckerberg à
« Microsoft élabore des puces de- volet. Pas question, comme pour ses débuts, à cette différence près :
puis longtemps, précise Wes McCul- ChatGPT, de laisser le grand public OpenAI et sa plateforme ChatGPT
lough, son vice-président. Nous s’amuser gratuitement avec le mo- ont atteint le succès mondial en
avons notamment développé des dèle. Les risques sont trop grands. Le quelques mois, quand il a fallu dix
composants pour la console de jeux 6 mars dernier, Shane Jones, ingé- ans à Facebook pour s’imposer. Le
Xbox. » Lui-même est un petit nou- nieur en IA travaillant pour Micro- roi de l’IA paraît plus à l’aise derrière
veau : retraité du géant Intel, où il a soft, a tiré la sonnette d’alarme en des ordinateurs que devant la foule
fait toute sa carrière, ce spécialiste a pointant les risques de Copilot Desi- du centre de convention de San
rejoint le groupe gner. Dans une Jose, près de San Francisco : un mil-
en 2020, pour pilo- lettre à la Federal lier d’analystes, investisseurs ou
ter son développe- Trade Commission, hommes d’affaires de la Silicon Val-
ment sur le marché il explique que l’ou- ley venus l’écouter ce 21 février dia-
des semi-conduc- til de génération loguer avec Pat Gelsinger, patron
teurs. d’images de Micro- d’Intel, en clôture de l’IFS Direct
A quelques cen- soft permet de réali- Connect, événement annuel du fa-
taines de mètres, ser des contenus bricant de semi-conducteurs.
les occupants du violents ou sexuels.
building 87 sont « Copilot Designer « Pouvoir des puces »
déjà de gros utilisa- génère des conte- Même s’il ne raffole pas de l’exer-
teurs de ces puces. nus préjudiciables cice, le cofondateur d’OpenAI est
Ouvert il y a une di- sur d’autres plans, bien obligé de se montrer. En no-
zaine d’années, le poursuit-il, dont les vembre 2023, il a été la cible d’une
centre de prototy- Satya Nadella. En dix ans, le préjugés poli- fronde d’une partie de son conseil
page avancé utilise PDG de Microsoft a rattrapé et tiques, la consom- d’administration, qui lui reprochait
de plus en plus l’IA dépassé la valorisation d’Apple. mation d’alcool et notamment d’avoir détourné l’orga-
dans la mise au de drogues par des nisation de son but non lucratif ini-
point des appareils de la marque. De mineurs, l’utilisation abusive des tial pour la transformer en entre-
la manette de jeu Xbox à l’ordina- marques et des droits d’auteur des prise commerciale. Il n’avait dû son
teur Surface, tout y passe. « Ce bâti- entreprises, les théories du complot salut qu’au soutien sans faille de
ment abritait autrefois les archives et la religion… » Microsoft, son premier actionnaire
d’une compagnie d’assurance, ra- après y avoir injecté 13 milliards de
conte Andrew Hill, vice-président en Progrès très observés dollars. Un investissement précieux
charge de Surface. Il n’y a pas de A ces risques de biais s’ajoutent des qui place le géant de Redmond en
fenêtres, et c’est tant mieux. » Rares craintes sur la protection de la pro- position de leader incontestable
sont les visiteurs acceptés en ce lieu, priété intellectuelle. Microsoft et dans la bataille technologique ac-
et ceux qui y pénètrent sont empê- OpenAI sont ainsi poursuivis par le tuelle. Et Sam Altman en est devenu
chés de voir certains compartiments New York Times, qui les accuse la figure iconique. A San Jose, le nou-
par de grands rideaux noirs. Ici, les d’avoir utilisé ses articles sans sa veau gourou de la tech californienne
équipes de designers et d’ingénieurs permission pour entraîner ses mo- est venu parler d’intelligence artifi-
maltraitent des objets : « On les jette, dèles. Microsoft a créé dès 2019 un cielle et de ses énormes besoins en
on les tord, on les mesure, pour poste de chargé de l’IA responsable, puissance de calcul : « Le monde de
améliorer l’interaction entre l’hu- confié à la juriste Natasha Cramp- demain n’échappera pas à l’IA, in-
main et ces produits », commente le ton. « Il faut tester ces systèmes siste-t-il. Le pouvoir que cette tech-
product manager Carlos Carrasco. pour comprendre leur fonctionne- nologie est en train de prendre est
Le positionnement du casque de réa- ment, estime-t-elle. Apprendre en intrinsèquement lié aux puces.
lité virtuelle sur le crâne, le bruit des faisant est la bonne méthode. A ce Donc cela requiert un investisse-
doigts sur le clavier ou le son du PC stade de la technologie, il faut ment massif dans ce domaine si
qui se ferme, le filtrage des bruits de prendre le temps d’agir, mais les nous voulons réussir. »
fond par le micro d’un smartphone gouvernements doivent aussi Deux semaines plus tôt, le patron
ou d’un ordinateur… tout est passé prendre des mesures. » Et leurs ré- d’OpenAI a révélé son vaste plan,
à la moulinette de l’IA. ponses ne vont pas forcément dans estimé à près de 7 000 milliards de
Et le groupe n’en est qu’au début du le sens de Microsoft. A Washington dollars, visant à remodeler l’indus-
potentiel de cette technologie et Bruxelles, les régulateurs ob- trie mondiale des semi-conducteurs
Eric Risberg/AP/Sipa

disruptive. Sans cesse, il ouvre de servent de près la puissance retrou- pour doper la production de proces-
nouveaux fronts avec OpenAI. Le vée du géant de Redmond. Dans sa seurs graphiques (GPU), ces puces
15 février, ils ont ainsi annoncé le course de vitesse, il aurait tort de se indispensables à l’entraînement des
lancement de Sora, un modèle ca- précipiter. • intelligences artificielles. Jusqu’à

44  CHALLENGES N°822 - 21 MARS 2024

 Making of
Invité star de l’IFS Direct Connect d’Intel,
le 21 février à San Jose, Sam Altman a
dialogué durant une heure avec le patron
d’Intel, Pat Gelsinger, devant un public
conquis. Et quelques journalistes.

lance-t-il. Le marché explose et les

concurrents vont devenir nom-
breux, mais OpenAI conforte pour
l’instant sa place de leader et fixe les
standards. Sam Altman compare l’IA
générative à l’apparition de l’iPhone,
en 2007 : « Au début, on se pose des
questions tellement cela paraît fou
de disposer de toutes ces fonction-
nalités dans un appareil, puis tout
le monde finit par l’adopter. »
Mais ne vous attendez pas à ce que
ce gourou techno sorte sa boule de
cristal pour prédire ce que donnera
précisément l’IA ces années à venir.
« Il y a tellement d’opportunités
possibles », soupire-t-il. Un comble,
ou un jeu de dupes pour celui qui est
aux manettes du leader du secteur.
La vitesse de déploiement de l’IA et
ses capacités se sont dernièrement
Michael Liedtke/AP/Sipa

illustrées avec Sora, générateur de

vidéos développé par OpenAI, aux
résultats impressionnants.

Intérêt des régulations

L’émergence éclair de cette techno-

Sam Altman préfigure

logie disruptive interroge les régula-
teurs européens et américains, qui
tentent de suivre et de fixer un
cadre. Sam Altman voit plutôt d’un

le futur de l’IA bon œil que le gouvernement améri-

cain s’y intéresse. Il a d’ailleurs
échangé quelques jours plus tôt avec
Gina Raimondo, secrétaire d’Etat au
Dans une apparition attendue au rendez-vous annuel Commerce. Mais les politiques
d’Intel, le créateur de ChatGPT a décrypté les enjeux d’une avancent encore à tâtons. « Chaque
technologie qui changera le monde. Pour l’allié de Microsoft, gouvernement fait des choses diffé-
rentes et il faut voir si ces initia-
l’intelligence artificielle sera un « big deal ». Rencontre. tives fonctionnent ou non », com-
mente-t-il. Pas un mot en revanche
présent, OpenAI a développé son IA la production est assurée essentiel- sur Elon Musk, grand pourfendeur
en utilisant les ressources de Micro- lement par l’américain Nvidia. Le d’OpenAI. Cofondateur de l’entre-
soft. Désormais, il mène une quête champion mondial de l’IA doit abso- prise en 2015, le milliardaire s’en est
mondiale de financements, du côté lument diversifier ses sources d’ap- depuis dissocié et a porté plainte
du gouvernement américain mais provisionnement. Sam Altman fait début mars contre ses dirigeants,
aussi des Emirats arabes unis. de l’œil au taïwanais TSMC, géant qu’il accuse d’avoir détourné la pla-
« Combien de GPU sont nécessaires mondial du secteur, mais il aura teforme de sa mission, notamment
pour entraîner ChatGPT ? », l’inter- aussi besoin d’Intel, qui vient d’ail- en s’alliant à Microsoft. Le roi de l’IA
roge le patron d’Intel. « Plus nous leurs de sceller un accord de 15 mil- est aussi un expert de l’esquive. In-
mettons de ressources dans nos liards de dollars avec Microsoft. terrogez-le sur son impact écolo-
modèles, plus ils seront perfor- L’intelligence artificielle a investi gique, et il répondra que « le coût
mants », lui répond Sam Altman. tous les domaines, s’emballe le pa- environnemental doit être aussi
OpenAI est confronté à la rareté de tron d’OpenAI : éducation, santé, conséquent que celui de la perfor-
ces composants très coûteux, de recherche scientifique… « This is a mance. » Une formule à la Chat­
l’ordre de 40 000 dollars pièce, dont big deal », un business considérable, GPT.  Margaux Vulliet (à San Jose) u

21 MARS 2024 - CHALLENGES N°822  45

Entreprise

Remariage intéressé
avec le revenant Intel
Microsoft a conçu un accord géant pour s’approvisionner en puces auprès
de son partenaire historique, qui compte sur l’IA pour retrouver sa suprématie.
Une reconnexion stratégique face aux fabricants asiatiques.

L
’annonce fait penser à une
reconstitution de ligue dis-
soute : un accord de
15 milliards de dollars
entre Microsoft et Intel conclu à la
fin du mois de février dernier pour
accélérer dans la course à l’intelli-
gence artificielle. Jamais, depuis la
fin des années 1990 et leur alliance
sur le marché de l’ordinateur per-
sonnel, les deux géants industriels
n’avaient à ce point mis en scène
leur union. Le 21 février dernier, à
l’occasion de l’IFS Direct Connect,
le rendez-vous annuel qu’il organise
en son fief de San Jose, dans la Si-
licon Valley, Intel a voulu montrer
les muscles. Dans une vidéo, Satya
Nadella, le PDG de Microsoft, a fait
une apparition remarquée pour van-
ter le pacte. « Nous sommes en
plein milieu d’un changement très
excitant qui transformera fonda-
mentalement la productivité de
chaque organisation et de l’en-
SP

semble de l’industrie. » Et le patron

d’Intel n’a pas manqué de se féliciter
de ce partenariat : « Cela crée une
opportunité sans précédent pour
Intel, la première fonderie de sys-
tèmes au monde pour l’ère de l’IA.»
Avance technologique
Pour ces deux légendes de l’indus-
trie informatique, c’est un moment
charnière. Ni l’un ni l’autre ne
peuvent se permettre de rater le ren-
dez-vous de l’intelligence artificielle.
Microsoft s’est pour l’instant assuré
une place de leader, mais pour Intel,
l’essentiel du chemin reste à faire.
Son nouveau PDG, Pat Gelsinger,
arrivé en 2021, a fait de l’IA la prio-
rité absolue. Le procédé 18A déve-
loppé par le groupe, une technique
de gravure très fine (1,8 nano-
mètre alors que la plupart des gra-
Salle blanche vures actuelles se trouvent en 3 et
d’Intel en Irlande. 2 nm), intéresse particulièrement le
Le groupe géant de Redmond. Conçu pour
a développé
un procédé
l’intelligence artificielle générative, il
permettant de devrait voir le jour d’ici à 2025 et as-
graver des puces sure à Intel une avance considé-
très fines, rable, lui donnant plusieurs mois de
idéales pour tranquillité sur ses grands rivaux. Le
l’IA générative, taïwanais TSMC en particulier, avec
qui seront
disponibles
lequel Microsoft travaille depuis six
dès 2025. ans. En 2020, ce dernier a signé un
partenariat avec le fondeur asiatique
pour la création d’un laboratoire
d’innovation conjoint.
L’alliance avec Intel revêt une autre
dimension. « Multiplier les partena-
riats est nécessaire pour Microsoft,
qui ne peut pas se permettre de
n’avoir qu’une seule collaboration,
notamment pour des raisons géo-
politiques », remarque Chris Drake,
directeur de recherche au sein du
cabinet IDC. Durant l’IFS Direct
Connect, Pat Gelsinger a lui aussi
insisté sur la nécessité de relocali-
ser la production aux Etats-Unis et
en Europe afin de moins dépendre
des fournisseurs asiatiques.
Pour Intel, cette flamme rallumée
avec Microsoft apparaît comme un
puissant rebond, alors qu’il « essaye
de rattraper son retard sur Sam-
sung et lui chiper la deuxième
place », fait remarquer Chris Drake.
Une remontada inscrite au cœur des
objectifs d’Intel, qui a annoncé vou-
loir devenir le deuxième fabricant
mondial de puces d’ici à 2030 en pro-
fitant des accélérations de l’intelli-
gence artificielle. « Intel ne pouvait
pas passer à côté de ce partenariat
avec Microsoft. Ne pas vouloir

46  CHALLENGES N°822 - 21 MARS 2024

investir le champ de l’IA aujour­
d’hui est synonyme de mise à mort
pour une entreprise », avertit Shane
Rau, chercheur spécialiste des mi-
croprocesseurs.
Car Intel est en perte de vitesse de-
puis qu’il a loupé le virage du smart-
phone dans les années 2000. Tout
comme Microsoft à la même
époque. Dans une interview fleuve
au magazine The Atlantic, l’ancien
patron d’Intel, Paul Otellini, racon-
tait les raisons pour lesquelles l’en-
treprise avait raté cette nouvelle
déferlante technologique, il y a une
vingtaine d’années. Au moment de
prendre sa retraite, il reconnaissait
avoir été sollicité par Apple pour la
conception des puces de son télé-
phone, mais qu’Intel avait décliné la
proposition : « Il faut se rappeler
que c’était avant le lancement de
l’iPhone et que personne ne savait
ce qui allait se passer, expliquait-il.
Il y avait une puce qui les intéres­
sait et ils étaient disposés à payer
un certain prix qui était en dessous
de nos projections. » Il faut aussi se
souvenir qu’à la même époque, Intel,
fort de son alliance avec Microsoft,
accaparait 80 % du marché des pro-
cesseurs pour ordinateurs person-
nels, quand AMD se contentait des
20 % restants.
Retour des PC
L’intelligence artificielle et ce parte-
nariat stratégique avec Microsoft
sont donc une opportunité pour le
fondeur californien de ne pas revivre
cette défaite. « Il est clair qu’Intel
surfe sur ce partenariat historique
pour marquer le coup et rappeler
qu’il est bien dans la course à l’IA »,
note Chris Drake. Et cette course est
très rapide, emmenée par le califor-
nien Nvidia, qui enchaîne les résul-
tats record. Pour revenir en tête de
peloton, Pat Gelsinger et ses équipes
peuvent notamment compter sur
l’intégration de l’IA dans les PC. Se-
lon les dernières prévisions du cabi-
net IDC, les livraisons d’ordinateurs
conçus pour exécuter des tâches
d’IA générative passeront de près de
50 millions d’unités cette année à
plus de 167 millions en 2027. Dans
une note récente, il prédit que cette
niche constituée pourrait vite deve-
nir un marché de masse. Et cette
fois, Intel et Microsoft comptent
être prêts.  M. V. (à San Jose)
Vents porteurs pour
le français Mistral
Les modèles de pointe de la start-up
viennent renforcer Azure de Microsoft.
selon les fondateurs de Mistral.
Ces derniers veulent vendre
cette version commerciale à
des entreprises et commencer
ainsi à monétiser leur modèle,
qui maîtrise parfaitement
le code, les mathématiques
et parle couramment le
français, l’anglais, l’allemand,
l’espagnol et l’italien. Lors
de l’annonce surprise de cet
accord, Arthur Mensch,
l’un des trois fondateurs,
Cha Gonzalez
a dit toute sa fierté d’avoir
obtenu la « confiance » du
groupe de Redmond, ce
N
Codeurs de « ous avons un accord partenariat constituant selon
Mistral AI à Paris, avec Mistral pour que lui « une avancée majeure
le 20 février. ses modèles soient pour rendre l’IA de pointe
Les modèles sur Azure, pose accessible à tous ».
développés
par la start-up fièrement John Montgomery, Tout semble donc aller pour
maîtrisent vice-président de Microsoft le mieux dans le meilleur des
parfaitement en charge de la plateforme mondes. Mais cette alliance
le code, les Azure AI. Il ne s’agit donc pas fait grincer quelques dents.
mathématiques seulement de leurs modèles Les puristes reprochent aux
et parlent ouverts, mais aussi de leurs dirigeants de Mistral, déjà
couramment
le français, modèles propriétaires qui valorisé plus de 2 milliards
l’anglais, s’exécutent sur Azure afin que d’euros, d’avoir vendu son âme
l’allemand, nos clients puissent les au diable en sacrifiant son
l’espagnol utiliser. » Annoncé à la fin modèle open source, libre
et l’italien. du mois de février, ce deal d’accès, pour une offre
semble faire non seulement commerciale. Et déplorent
la fierté des dirigeants du géant le choix d’un cloud américain
informatique mais aussi du petit plutôt qu’une solution
cercle tricolore de l’intelligence européenne – mais avaient-ils
artificielle générative. Fondée vraiment le choix ? Et les
il y a un an seulement par trois régulateurs des deux côtés
jeunes ingénieurs français de l’Atlantique scrutent un
venus de Google et de Meta, accord qui renforce les
la start-up parisienne, tant louée positions de Microsoft.
par Emmanuel Macron, Dès novembre dernier,
évolue déjà parmi les grands le commissaire Thierry Breton
du secteur. s’était montré sceptique vis‑à‑vis
Baptisé Mistral Large, son de la start-up : « Je l’observe,
grand modèle de langage elle fait du lobbying, c’est
proposé sur le cloud Azure normal. Mais nous ne sommes
est capable d’atteindre « des dupes de rien. Les Gafam
capacités de raisonnement et Mistral ne défendent pas
de très haut niveau », proche l’intérêt général. » De quoi
de celui de ChatGPT d’OpenAI, doucher les enthousiasmes. G. F.
21 MARS 2024 - CHALLENGES N°822  47
 Entreprise

Panos Pictures/Public Eye

Dans les ateliers de confection de Shein, en Chine. « Le seul impact de cette loi est de dégrader le pouvoir d’achat des consommateurs français
qui subissent déjà les effets de l’inflation », estime Marion Bouchut, porte-parole du géant chinois en France.

La loi contre la fast fashion

déchire les professionnels
A l’avant-garde européenne, le texte que vient de voter l’Assemblée nationale
vise d’abord les acteurs comme Shein ou Temu. Mais sa mise
en application et son impact environnemental restent sujets à caution.

E
t si on en finissait avec la
fast fashion ? Le 14 mars,
l’Assemblée nationale a
voté à l’unanimité le projet
de loi visant à freiner cette industrie
de la mode express qui produit des
vêtements très vite, très souvent,
et à très bas prix. Au terme de cinq
heures de débats animés, ce texte
fera de la France « le premier pays
du monde à légiférer pour limiter
les dérives de l’ultra fast fashion »,
s’est félicité Christophe Béchu, le
ministre de la Transition écologi­
que. Ces mesures sont « simples,
concrètes, efficaces », résume la
députée Horizons Anne-Cécile Viol­
land, qui a porté le projet. A la clé,
une interdiction de faire de la publi­
cité pour la vente de vêtements à
prix cassés, sous peine d’amende.
Une méthode à définir
Mais également la mise en place
d’un « malus » environnemental
renforcé pour tenir compte des
« coûts environnementaux » d’une
production excessive. La pénalité
appliquée sera ainsi liée à l’affichage
environnemental des produits, se­
lon une nouvelle méthode de nota­
tion de ceux-ci qui sera mise en
œuvre en France. Mais qui n’a tou­
jours pas été définie par le gouver­
nement. Ce montant pourra at­
teindre jusqu’à 10 euros par produit
en 2030, avec un plafond de 50 % du
prix de vente. Mais « rien n’oblige
les entreprises à répercuter cette
pénalité sur le prix d’achat », pré­
cise la députée. L’argent collecté
sera reversé à l’éco-organisme Re­
fashion, chargé par le gouverne­
ment d’accompagner l’industrie
vers une économie plus circulaire.
« Ce système pénalise les entre-
prises les plus polluantes et encou-
rage les plus vertueuses, dans

48  CHALLENGES 822 - 21 MARS 2024

l­’objectif que les prix de ces der-
niers baissent », assure Anne-Cé-
cile Violland, qui s’est saisie du sujet
dès la fin 2023 avec cette proposi-
tion validée en commission dans un
climat de rare concorde.
Les sites chinois dans le viseur
En jeu ici, une industrie du textile et
de l’habillement responsable d’envi-
ron 10 % des émissions de gaz à effet
de serre, selon le programme des
Nations Unies pour l’environ­
nement. Et un marché de la fast
fashion estimé par le Boston
Consul­ting Group sollicité par l’AFP
à près de 200 milliards d’euros
en 2022, dont 3 milliards en France,
soit 10 % des revenus du secteur de
l’habillement. Dans le viseur de
cette loi, des acteurs chinois à la
croissance fulgurante comme Shein
et Temu, qui ne semblent en aucun
cas céder à la panique. Le premier
préfère se placer du côté du
consommateur. « Le seul impact de
cette loi est de dégrader le pouvoir
d’achat des consommateurs fran-
çais qui subissent déjà les effets de
l’inflation », estime Marion Bou-
chut, porte-parole du géant Shein en
France. De son côté, la place de
marché Temu se défend d’être une
entreprise de fast fashion : « Nous
sommes une marketplace et nous
n’avons pas nos propres marques,
nous ne fabriquons pas de produits
et nous ne produisons pas de
grandes quantités de modèles. » Le
groupe s’engage même « à explorer
les moyens d’améliorer ses pra-
tiques en matière de développe-
ment durable ».
Le problème ici est la définition
même de ce qui relève de la fast
fashion. Pour ce faire, il va falloir
attendre un seuil décidé ultérieure-
ment par décret. Ce dernier devrait
être calculé en fonction du nombre
de nouvelles références proposées
par jour rapporté à leur durée de
commercialisation. Ce qui permet-
tra de contraindre Shein, qui réfé-
rence en moyenne près de 8 000 nou-
veaux modèles de vêtements par
jour, tout en épargnant un acteur
comme Decathlon, au fort taux de
renouvellement de modèles mais au
temps de commercialisation plus
long. Mais le seuil n’étant pas fixé,
difficile de savoir quelles seront les
marques visées et si certaines
e­ nseignes françaises ne se retrouve-
ront pas pénalisées en retour.
Avant-gardiste sur le papier, cette
loi s’apparente en réalité à « une loi
panique difficilement applicable en
l’état », pointe Elisabeth Denner,
associée au cabinet de conseil Bea-
ringPoint. Les profession- MARCHÉ
nels se déchirent en effet PORTEUR
sur son réel impact. Si Volume des
la Fédération féminine du ventes mondiales
prêt-à-porter relève « un de vêtements
grand pas pour la mode (en milliards) 130
dura­ble », la Fédération
Allure évoque « un tout
petit pas qui ne va en réa-
74
lité toucher que 5 % de la
consommation fran- 50
çaise ». Pendant ce temps,
les associations réclament
un texte nettement plus 2000 2005 2016 2020
ambitieux. « Il faut péna- SOURCES : OXFAM, EUROMONITOR
INTERNATIONAL ELLEN MCARTHUR
liser toutes les enseignes FOUNDATION.
qui commercialisent plus Malgré
de 10 000 références le manque de
données
par an », estime Valérie récentes,
Fayard, déléguée générale le marché de la
d’Emmaüs France et fast fashion est
porte-parole de la coali- estimé à près
tion Stop Fast Fashion. Ce de 200 milliards
qu’abonde Charlotte Sou- d’euros en 2022,
dont 3 milliards
lary, responsable du plai- en France.
doyer Zero Waste France,
selon laquelle « il est primordial
d’éviter que les enseignes histo-
riques de fast fashion, telles que
Zara, H&M ou encore Primark, ne
passent entre les mailles du filet ».
Des contrôles difficiles
Autre point critique, la difficulté de
contrôler des marques étrangères
dont le siège n’est pas en Europe. La
députée Anne-Cécile Violland ré-
pond qu’elle a introduit une dispo-
sition qui permettrait à la DGCCRF,
la répression des fraudes, d’être
dotée de plus de moyens sans qu’on
ne connaisse à ce jour, ni le pouvoir
d’investigation, ni réellement le per-
sonnel dédié à ce chantier. Cette loi
intervient au moment où l’Europe
travaille déjà à un « Eco score tex-
tile », un barème qui pointerait les
bons et les mauvais élèves du sec-
teur. Reste à savoir si le texte fran-
çais s’accordera avec l’initiative de
Bruxelles. Prochaine étape de cette
proposition de loi : son examen au
Sénat dans l’espoir d’être appliquée
« au mieux » en 2025. Le temps de
durcir sa copie ?  Laure Croiset
Indiscrétions
Lévy concurrence Publicis
L’ancien directeur
général du géant
de la publicité veut
Romuald Meigneux/Sipa
sauver Solocal de la
faillite. Son holding
familial Ycor s’est
porté acquéreur de
l’ex-Pages Jaunes
(2 300 salariés),
devenu un spécialiste du marketing
numérique. Un domaine où Publicis
excelle grâce… à Maurice Lévy.
100 En 2006, c’est lui qui avait lancé le
premier grand rachat de l’agence dans
ce secteur avec Digitas aux Etats-Unis.
Esménard est hanté
par sa propre succession
Olivier Dion/LH/Opale.photo
A 87 ans, le président du holding
familial qui contrôle Albin Michel,
Francis Esménard, n’aime pas qu’on
l’interroge sur sa succession. « C’est
compliqué, reconnaît-il cette semaine
dans Le Figaro. J’y réfléchis. » Il y a
vingt ans, dans Les Echos, il avouait :
« Il n’y a pas un soir où je me couche
sans y penser. » Cette question qu’il
traîne comme un boulet depuis
des décennies n’est pas tranchée,
mais la maison reste très rentable.
Soussan brandit Rungis
en trophée
Eric Tschaen/Réa
Après la lourde défaite du contrat
pour les eaux d’Ile-de-France remporté
par le concurrent Veolia (4 milliards
d’euros), Sabrina Soussan, PDG de
Suez, cherchait un contre-feu. Le contrat
des déchets de Rungis lui en apporte,
en partie, l’occasion. Nettement moins
rémunérateur (31 millions d’euros), le
dossier est néanmoins emblématique :
c’est le plus grand marché de produits
frais au monde. Une jolie référence
qu’elle compte bien exploiter.
21 MARS 2024 - CHALLENGES N°822  49
 Entreprise
Entre les Français et
les grandes marques,
la rupture est consommée
L’inflation a éloigné les consommateurs des produits
les plus chers. Dans tous les secteurs, la tendance est à
la simplicité et à la transparence pour les reconquérir.
L
es grandes marques n’ont
plus la cote. Certes, il ne
s’agit pas d’un rejet total,
mais la flambée des prix
altère le lien avec les consomma-
teurs. Quand leur pouvoir d’achat
s’effrite, près de la moitié des Fran-
çais disent moins remplir leurs
chariots, en particulier des produits
de marques nationales générale-
ment plus chers. En 2023, leurs
ventes ont baissé de 6,2 % en volume,
selon l’institut Circana, alors que les
marques de distributeurs gagnent du
terrain. Désormais, ces dernières,
comme Reflets de France (Carre-
four), Pâturages (Intermarché) ou
Envia (Lidl), captent plus d’un tiers
du budget consacré aux courses. Au
Royaume-Uni ou en Espagne, c’est
même la moitié des achats.
« Il y a une rupture dans les com-
portements, relève en exclusivité à
Challenges Claire Doin, directrice
de l’observatoire Marque Préférée
des Français. Depuis dix ans, hor-
Utilité
Hasan Bratic/Zuma-Réa
RANG MARQUES INDEX
1 DOCTOLIB 100
2 GOOGLE 99
3 MERCUROCHROME 98
4 MONDIAL RELAY 94
5 BIC 93
50  CHALLENGES N°822 - 21 MARS 2024
mis pendant les années Covid, leur
attachement aux grandes marques
se délite. » Selon le sondage réalisé
par OpinionWay, les avis positifs sur
ces dernières reculent de 3 points
globalement. Une distance s’installe
surtout quand des industriels
comme Coca-Cola, Lindt ou Dove
réduisent les quantités de leurs pro-
duits sans baisser les prix. « C’est
une arnaque », dénonce Bruno Le
Maire, qui veut faire figurer « de fa-
çon très visible » les réductions de
contenu. « A partir de mai, il y
1 300 FOIS « J’AIME » (OU PAS)
Cette enquête a été réalisée par Marque Préférée des
Français avec OpinionWay du 2 au 15 janvier 2024
auprès de 4 900 personnes. Parmi les 1 300 marques
évaluées, celles ayant le plus de réponses « j’aime »
dans leur secteur obtiennent le score 100. Celles
en gras font leur entrée dans le Top-5.
L’utilisation à des fins publicitaires et de
communication des textes et tableaux
issus de cet article est interdite.
Innovation
Philippe Roy/Aurimages/AFP
RANG MARQUES
1 SAMSUNG
2 DYSON
3 PUY DU FOU
4 MICROSOFT
5 NETFLIX
aura une obligation réglementaire
pour tous les distributeurs de si-
gnaler par exemple qu’un paquet de
chips de 100 grammes est passé à
90, ou qu’un jus d’orange de 75 cl
est passé à 70 », a annoncé le mi-
nistre de l’Economie au quotidien
Nice-Matin.
Après la poussée inflationniste, les
grandes marques doivent repartir à
la conquête des consommateurs, y
compris en baissant les prix (lire
page 52). « Les gens en veulent pour
leur argent, rappelle David de Mat-
teis, associé d’OC&C Consultants et
expert grande consommation. Les
marques qui n’offrent pas d’élé-
ments différenciants forts souffrent
particulièrement. » A contrario,
celles qui mixent tradition et inno-
vation font des étincelles. A l’instar
de Barilla, la marque qui inspire le
plus confiance aux Français.
Proximité déterminante
Les loisirs ont aussi le vent en
poupe. Jeux de société, parcs d’at-
tractions, transport aérien… Des
acteurs historiques, comme Mono-
poly et Scrabble, cartonnent avec
leurs versions numériques. Jamais
le Puy du Fou n’avait accueilli au-
tant de visiteurs qu’en 2023. « Le
côté spectaculaire et l’ambiance
historique du parc en font une des-
tination familiale parfaite », ana-
lyse OC&C, qui place cette destina-
tion devant Disney, le Parc Astérix
et le Futuroscope. « Mais c’est
d’abord la proximité qui explique
le succès d’une marque », assure
Claire Doin. Proche des yeux, pro­
che du cœur. Kira Mitrofanoff
Confiance
©nDenis/Réa
INDEX RANG MARQUES INDEX
100 1 BARILLA 100
97 2 AIR FRANCE 92
93 3 BOSCH 90
90 3 MICHELIN 90
86 5 SAMSUNG 89

Loisirs
SP
SP
RANG MARQUES INDEX
1 MONOPOLY 100
2 LEGO 94
3 M6 92
4 SCRABBLE 86
5 WALT DISNEY 85
Le numérique
relance les jeux
V T
oici la preuve qu’on
peut rester dans le vent
à presque 90 ans.
Car si Monopoly fait la course
en tête dans la catégorie
loisirs des marques
préférées, c’est grâce
aux nombreuses déclinaisons
du célèbre jeu de plateau.
Comme celle éditée avec
le musée du Louvre et
ses chefs-d’œuvre. Mais
il doit surtout sa pole position
à sa nouvelle application,
lancée en avril 2023,
Monopoly Go ! à télécharger
gratuitement. Cette version
numérique met en scène
un univers festif en constante
évolution qui réunit des
millions de joueurs. Grâce
à ses options payantes,
comme le fait de pouvoir
lancer ses dés plus souvent
que ses adversaires, quelque
2 milliards de dollars
de recettes ont été engrangées
en moins d’un an. En 2020,
le groupe Hasbro, propriétaire
de la licence, avait déjà lancé
avec le même studio de
création l’appli Scrabble Go.
Très ludique également, elle
s’inspire du monde des jeux
vidéo avec de nombreuses
récompenses qui permettent
entre autres de personnaliser
ses lettres, et de jouer
à plusieurs sur Facebook
ou WhatsApp. Voilà comment
un autre vétéran des loisirs,
Disney, s’est fait devancer
par des jeux de société.
Equipements
Mobilité de la maison Distribution
Matthias Oesterle/Zuma-Réa
SP
RANG MARQUES INDEX RANG MARQUES INDEX RANG MARQUES INDEX
1 MICHELIN 100 1 SAMSUNG 100 1 DECATHLON 100
2 PEUGEOT 99 2 BIC 96 2 AMAZON 99
3 AIR FRANCE 86 2 TEFAL 96 3 LEROY MERLIN 94
4 RENAULT 85 4 MOULINEX 93 4 LECLERC 90
5 CITROËN 82 5 BOSCH 90 5 LIDL 43
La voiture roule La technologie Les marques
sur la concurrence triomphe enseignes percent
U Q
ous ceux qui rêvent n téléphone, une uand les prix flambent
d’un monde sans voiture télévision, de quoi écrire dans les rayons, les
doivent se rendre et se raser, et bien sûr commerçants doivent
à l’évidence. Pour leurs cuisiner. Quand ils sont chez défendre le pouvoir d’achat
déplacements, les Français eux, les Français ont des de leurs clients. Dans cette
citent d’abord les marques plaisirs simples. En haut bataille, les marques enseignes
automobiles, en particulier du podium, donc, Samsung qui déploient leur propre offre
celles créées par de grands continue de séduire le grand à côté de celle des
industriels au siècle dernier public. Le géant coréen multinationales ont un atout
comme Michelin et Renault est le premier vendeur puissant. Il suffit d’observer
mais aussi Citroën, qui rejoint de téléviseurs au monde ce Top-5 des distributeurs.
le Top-5 de cette catégorie. depuis 2006 en innovant sans C’est la gamme d’articles
La filiale du groupe Stellantis cesse. Ses Smart TV reliées de jardin Naterial de Leroy
s’est fixé comme mission à Internet permettent d’accéder Merlin, Bio Village dans
d’aider les conducteurs à des jeux vidéo en ligne avec l’alimentaire chez Leclerc
à entrer dans l’ère de ou sans console. De même, ou encore l’électroménager
l’électrique avec des modèles ses nouveaux Galaxy S24, Silvercrest de Lidl. Mais
abordables. Cet hiver, dopés à l’intelligence artificielle, le champion toute catégorie
sa nouvelle citadine ë-C3 doivent lui permettre des MDD s’appelle Decathlon.
fabriquée en Slovaquie a connu de repasser devant Apple sur L’enseigne de la famille Mulliez
un démarrage en fanfare le marché mondial des en comptait une soixantaine
avec 15 000 précommandes smartphones. Ce n’est pas il y a encore trois ans, comme
en deux mois et demi. Elle un hasard si la marque arrive Quechua et Btwin, qui vont être
est vendue 23 000 euros, en tête du palmarès ramenées à une dizaine pour
ou 99 euros par mois « innovation ». Derrière être encore plus puissantes
en location longue durée, Samsung, Bic, connu depuis chacune dans leur univers :
et seulement 54 euros dans toujours pour ses stylos, ses mer, montagne, vélo… Et un
le cadre du leasing social. briquets et ses rasoirs jetables, nouveau logo sera désormais
Des arguments solides pour repousse ses frontières avec accolé à chacun des articles
tenir tête à la Dacia Spring, de multiples lancements, de Decathlon. La directrice
fabriquée en Chine. Le comme ses marqueurs générale du groupe, Barbara
partenariat de Citroën avec BodyMark de tatouage Martin Coppola, passée
le duo de rappeurs BigFlo temporaire. Quant au groupe par Samsung, Google et Ikea,
et Oli, très apprécié des jeunes, Seb, il mise sur l’engouement entend défier les grands
contribue aussi à son retour des consommateurs pour équipementiers sportifs comme
parmi les marques populaires. des solutions simples et adidas et Nike avec des
Au milieu de ces constructeurs efficaces, comme les planchas produits à la fois performants
historiques, Air France, qui vient électriques et les défroisseurs techniquement et accessibles
de signer une année record, vapeurs de Tefal. Sans oublier en prix. La marque, qui compte
atteint la troisième marche les friteuses sans huile de 1 751 magasins dans le monde
du podium, preuve que la Moulinex, véritable phénomène et réalise plus de 15 milliards
compagnie nationale continue des rayons d’électroménager d’euros de ventes annuelles,
d’incarner une part de rêve. en 2023. en a les moyens. u
21 MARS 2024 - CHALLENGES N°822  51
Entreprise

Des baisses de prix Bonne semaine

opportunistes
Isabelle Loc rejoint le comex
de BNP Paribas

Profitant du recul des coûts du transport et des matières

premières, certaines marques réduisent leurs tarifs.

Daniel Derajinski/Abaca
Entre choix stratégique et coup de communication.

C
« ’était quand même plus simple, teurs, qui avaient des niveaux de prix
l’inflation… » Voici la rengaine déjà élevés avant l’inflation, ont passé un La directrice générale de Leasing
presque nostalgique qu’entend seuil psychologique. En valeur absolue, ils Solutions, filiale spécialisée de location
aujourd’hui David Vidal, direc- sont devenus trop chers pour les consom- d’équipements professionnels de la
teur général de Simon-Kucher France. Ce mateurs, et en valeur relative ils ont banque, succède à Marguerite Bérard,
cabinet de conseil aide les entreprises à décroché par rapport à la concurrence. » qui quitte le groupe, à la tête des
ajuster leur politique tarifaire. Or après la Là où So.bio ou Maisons du Monde sont sur activités de banque commerciale.
Cette polytechnicienne de 41 ans,
flambée des prix de 2022 et 2023, l’inflation la défensive, d’autres, nullement en diffi- entrée à BNP Paribas en 2010, sera
est retombée à moins de 3 % au mois de culté, se montrent opportunistes pour aussi membre du comité exécutif.
février. « Tout le gagner des parts de
monde se regarde en marché. C’est le cas Thierry Abribat se sépare
chiens de faïence du géant suédois Ikea,
pour voir qui va tirer qui profite de la baisse de sa licorne
en premier à la des coûts du transport La biotech Amolyt
baisse », s’amuse-t-il. et des matières pre- Pharma, dont
il est le président
C’est le cas de So.bio mières pour enfoncer fondateur, est
et Bio c’Bon, deux le clou. « Un leader vendue 1 milliard
enseignes du groupe n’a quasiment ja- de dollars

Amolyt Pharma
Carrefour qui souf­ mais intérêt à baisser au laboratoire
frent de la désaffec- les prix », estime britannique
tion des consomma- pourtant Emilie AstraZeneca.
« C’est une véritable fierté d’avoir pu
teurs sur ce marché. Gariel, de Converteo. développer la société en s’appuyant,
« Remettre du beurre ll peut cependant entre autres, sur un important noyau
dans les épinards », s’agir d’un choix stra- d’investisseurs français », a-t-il déclaré.
clame la campagne de tégique payant quand Amolyt Pharma est spécialisé dans
publicité de Bio c’Bon le client est débou­s­ le traitement des maladies rares
à l’occasion d’une solé. « Nous avons endocriniennes.
nouvelle baisse des investi 200 millions
SP

prix, début mars, de Publicité Bio c’Bon. Plus chers de 30 % d’euros pour baisser Mauvaise semaine
7,5 % en moyenne sur que les gammes conventionnelles en les prix de 1 500 pro-
plus de 300 produits. grande surface, les produits bio souf­frent duits », rappelle Stephen Scherr quitte
Il fallait réagir : les de la désaffection des consommateurs. Emma Recco, direc-
produits bio, plus trice générale d’Ikea la route
chers de 30 % que les gammes convention- France. « Et cela marche car les clients font
nelles en grande surface, subissent les arbi- confiance à l’enseigne, ils savent que ce
Erik Pendzich/Shutterstock/Sipa

trages des Français au budget contraint. n’est pas de l’esbroufe », abonde David
« Nous avions lancé une première cam- Vidal, de Simon-Kucher France.
pagne de baisses en septembre et la fré- Mais ces initiatives restent ponctuelles. Il
quentation de nos magasins a augmenté ne faut pas s’attendre à une déflation
de 6 %, raconte Benoît Soury, directeur du massive en rayon. Certaines opérations
marché bio au sein de Carrefour. On s’est tiennent même davantage du coup de com-
dit que c’était le moment de lancer une munication. Auchan, qui avait annoncé une Le PDG de Hertz abandonne les
deuxième vague. » opération massive de réduction des prix commandes du géant américain de
Même calcul pour la chaîne Maisons du début décembre, s’est fait à nouveau dis- la location de voitures deux ans après
Monde, dont le chiffre d’affaires s’est effon- tancer en février par Leclerc. L’enseigne sa nomination. Il avait opté pour une
dré de près de 10 % en 2023. Le spécialiste des Mulliez est plus chère de 9 % en électrification accélérée de la flotte,
avec la commande de 100 000 Tesla.
du meuble et de la décoration change les moyenne que le groupe coopératif, selon Mais leurs frais de réparation plus
étiquettes de 2 000 articles. Emilie Gariel, les éditions Dauvers et le cabinet A3Distrib. élevés et des collisions plus
consultante spécialiste du prix pour Le plus dur, ce n’est pas de baisser les prix ; nombreuses ont plombé les comptes
Converteo, explique : « Certains distribu- c’est de ne pas les laisser remonter. G. E. de Hertz, qui en a déjà revendu 20 000.

52  CHALLENGES N°822 - 21 MARS 2024

 Reddit et Telegram soldent
leurs valeurs en Bourse
Pionniers du web libertaire, les deux réseaux font évoluer leur modèle
au profit de la rentabilité. Mais déçoivent leurs utilisateurs.

L
’entrée en Bourse se fait
souvent au prix de sacri-
fices. Pour obtenir le feu
vert du gendarme boursier
de Wall Street, les réseaux sociaux
Reddit et Telegram sont prêts à
quelques petits arrangements avec
leurs valeurs initiales. La plateforme
de forums Reddit compte lever
500 millions de dollars lors de son
Steve Jennings/Getty Images North America/Getty

entrée en Bourse, jeudi 21 mars, à

New York. Cette opération valorise-

Randy Shropshire/Getty Images via AFP

rait le groupe à environ 6,5 milliards
de dollars. Mais déjà, les « reddi-
tors », à savoir les utilisateurs et
modérateurs les plus actifs, pré-
voient de faire capoter l’opération et
de tirer l’action à la baisse. Le
tout sur fond de crise qui couve de-
puis plusieurs mois.
La fronde a commencé en avril 2023, Pavel Durov, PDG de Telegram. « Nous monétisons Steve Huffman, PDG de Reddit. La plateforme
lorsque le pionnier du web a décidé pour rester indépendants », assure le fondateur rend payant son accès aux développeurs d’applis
de rendre payant l’accès à son inter- en 2013 de la messagerie sécurisée. avant son entrée en Bourse le 21 mars.
face de programmation d’applica-
tions (API), qui permet de communi- les modérateurs bénévoles s’en ser- tisés. « Nous commençons à moné-
quer avec des applications tierces. vaient également pour veiller au tiser pour rester indépendants », a
Le groupe fait la chasse à ces ser- bon fonctionnement de la plate- déclaré son fondateur, Pavel Durov,
vices qui développent leur offre à forme. Mécontents, ils ont fait grève au Financial Times. De quoi géné-
partir des données de la plateforme, et bloqué l’accès à plus de 8 000 fo- rer des « centaines de millions de
sans publicité ou recommandation rums pendant plusieurs semaines. dollars », selon lui. Mais là encore, la
algorithmique. Avec cette mesure Reddit a finalement gagné la ba- quête de profits se heurte à la liberté
d’exclusion, Reddit vise surtout les taille et les forums ont repris leur d’expression prônée par le groupe
sociétés d’intelligence artificielle cours. Mais avec cette crise, l’uto- depuis sa création, en 2013.
comme OpenAI, qui pompent les pie de la liberté d’expression et de Ancien repaire de spécialistes de
données des API pour entraîner la gratuité a déraillé, se heurtant à cryptomonnaies, Telegram est de
leurs modèles. « Le but officieux est la quête du profit. plus en plus utilisé par les gouverne-
de faire fermer ces applications qui ments et opposants dans les régimes
n’ont pas de publicité, analyse le Publicité automatisée autoritaires. Sa quasi-absence de
YouTubeur spécialisé TheGreat­ Et Telegram lui emboîte le pas. L’ap- modération en a fait un réseau prisé
Review dans une vidéo. Comme plication de messagerie sécurisée, des criminels de tout poil. Mais en
Twitter, Reddit joue sur la peur de encore déficitaire, devrait entrer en annonçant dans le Financial Times
l’IA pour augmenter ses profits. » Bourse en 2025, après avoir atteint la une amélioration du contrôle des
Toujours pas rentable près de vingt rentabilité. Pour y parvenir, le ré- contenus, Pavel Durov a sonné la fin
ans après sa création, le groupe aux seau aux 900 millions d’utilisateurs de la fête. « L’entrée en Bourse sera
804 millions de dollars de chiffre actifs mensuels, contre 500 millions un moyen de démocratiser l’accès à
d’affaires en 2023 tire l’essentiel de en 2021, compte aussi sur les annon- la valeur de Telegram », sou-
ses revenus de la publicité. Or les ceurs. Testée depuis deux ans dans ligne son patron. A moins qu’à
interfaces tierces comme Apol- certaines régions, la publicité sera terme, les utilisateurs ne finissent
lo permettaient d’accéder à Reddit déployée cette année à l’échelle pas se retourner, eux aussi, contre
en contournant les publicités. Mais mondiale via des systèmes automa- l’application.  Adrien Schwyter

21 MARS 2024 - CHALLENGES N°822  53

 Entreprise
Le Guide Michelin
éprouve sa recette
Même si son influence décroît, le Guide rouge, principal
baromètre de la restauration française, a su se diversifier.
Illustration à Tours, lors de sa cérémonie annuelle.
Capture d’écran YouTube
Gwendal Poullennec sur la scène du Palais des Congrès, à Tours, le 18 mars. Cette année, ce
sont la ville et l’agglomération de Tours qui ont payé l’addition de la cérémonie : 500 000 euros.
C
’est à Tours que le couperet est
tombé, le 18 mars. Lors d’un événe-
ment qui a réuni près de 700 pro-
fessionnels sur place et quelques
milliers de spectateurs en ligne, le directeur
du Guide Michelin Gwendal Poullennec a
annoncé les principaux changements
concernant sa notation annuelle des meil-
leures tables françaises. Afin de ne pas gâ-
cher la fête, la liste des déchus avait été pu-
bliée une dizaine de jours plus tôt.
Pour les promus comme pour les rétrogra-
dés, l’octroi d’un macaron est un événe-
ment considérable, capable de doper leur
activité ou au contraire de la ruiner. Malgré
des ventes en baisse constante depuis une
vingtaine d’années, le guide créé en 1900
(1926 pour les étoiles) reste le principal
baromètre de la restauration française,
même si le plus grand secret entoure son
audience réelle. « On ne connaît pas les
ventes du Guide rouge mais on évoque le
chiffre de 30 000 exemplaires édités »,
affirme un grand libraire.
Michelin s’est désengagé de l’édition en 2021
en cédant 60 % de son activité papier à son
diffuseur, le groupe Média-Participations,
dont la famille Michelin est elle-même ac-
54  CHALLENGES N°822 - 21 MARS 2024
tionnaire. A l’époque, Média-Participations
annonçait 35 000 exemplaires vendus par
an, parmi plus de 6 millions de guides tou-
ristiques et cartes géographiques commer-
cialisés. « Les ventes de guides sont anec-
dotiques mais, plus inquiétant, l’influence
sur le Web est aussi en train de s’éroder »,
révèle Olivier Gergaud, professeur à Kedge
Business School et auteur d’une étude basée
sur la fréquentation des sites et les requêtes
SP
sur Google. Il estime la perte d’influence du
Guide rouge à 85 % en vingt ans. Le guide
Le Fooding, qui, lui, progresse, a été racheté
par Michelin en 2020.
La firme auvergnate ne cesse de diversifier
les ressources de son célèbre guide. Ainsi, la
ville et l’agglomération de Tours paient l’ad-
dition de la cérémonie cette année. Un bud-
get de 500 000 euros, selon la lettre spéciali-
sée Bouillant(e)s, pour recevoir chefs et
journalistes tous frais payés pendant deux
jours, dans l’espoir d’attirer ensuite des tou-
ristes. De même, une dizaine d’annonceurs,
bien visibles lors de l’événement, ont mis la
main au portefeuille, parmi lesquels Metro,
Blancpain, Valrhona, Président, San Pelle-
grino et Petrossian. Bibendum n’a pas be-
soin de se mettre au régime. J.-F. A.
Le carnet
En partenariat avec
Pierre-Emmanuel Angeloglou, 49 ans,
HEC, CEMS, est promu directeur
général du LVMH Fashion Group.
En 2022, il était devenu directeur
général adjoint de Louis Vuitton.
Catherine Cousinard, 49 ans,
master spécialisé en ingénierie
gazière des Mines de Paris,
ingénieur civil des Mines, rejoint
Spie Batignolles énergie en qualité
de directrice générale déléguée.
Jasmine Casvigny, 45 ans,
Toulouse Business School
(TBS Education), devient directrice
financement, trésorerie et assurance
de Kering. Dernièrement, elle était
directrice financement et trésorerie
de Plastic Omnium.
Guillaume Durand, 36 ans, master 2
en communication et multimédia,
devient directeur France de la société
Elu Produit de l’Année.
Christian Gibot, 45 ans,
Polytechnique, actuaire qualifié,
auditeur de l’IHEE, MBA CHEA de Paris-
Dauphine, Saïd Business School
d’Oxford, est désormais directeur de
l’actuariat financier, du capital et de la
modélisation de BNP Paribas Cardif.
A ce titre, il siège au comité exécutif.
Chrystelle Renaud,
50 ans, diplômée
en mathématiques
pures et appliquées
et en finance,
entre au comité
exécutif de BNP
Paribas Cardif
en qualité de directrice générale
adjointe et secrétaire générale.
Christian Bouzaid, 48 ans, HEC,
LSE, est nommé chief revenue
and marketing officer d’Europcar
Mobility Group.
Virginie Linard, 48 ans, maîtrise
AES-gestion des ressources humaines,
est la nouvelle DRH du groupe Up.
Dominique Gerber, 56 ans, master 2
en marketing et communication
de l’Inseec Bordeaux, master
en international business management
de l’Edhec, rejoint Nice France
en tant que directeur marketing
et communication. A cet effet,
il intègre le comité de direction.
le Club Entrepreneurs Challenges - Montefiore
Messika Paris veut
désacraliser l’industrie
du diamant
Valérie Messika, diplômée du Celsa, a fondé cette maison de
joaillerie en 2005. Présente sur tous les continents, elle prévoit quinze
ouvertures de boutiques cette année, et une à New York en 2025.
Challenges. Votre entreprise est
avant tout une histoire familiale…
Valérie Messika. Oui, tout a com-
mencé en 1972, quand mon père a
créé son entreprise de diamants. Il a
débuté en tant que coursier, puis a
gravi les échelons un par un. Je l’ai
rejoint au début des années 2000
pour l’accompagner dans le négoce
de pierres. Aujourd’hui, Messika
Paris est détenu à 100 % par notre
famille.
Pourquoi avoir créé Messika Paris ?
A l’époque, le marché du diamant
était divisé en deux. D’un côté, il y
avait le mass market avec des ac-
teurs comme Tati Or et Le Manège
Mahema Productions
à Bijoux. De l’autre, la place Ven-
La vidéo sur
Challenges.fr dôme et son image du diamant éter-
nel. Avec Messika Paris, mon objec-
tif était de désacraliser le diamant
afin de le rendre plus accessible. Et
d’en faire une sorte de tatouage
moderne qui soit facile à porter.
Comment avez-vous bousculé
concrètement cette industrie ?
Principalement grâce à l’accessibili-
té de prix, avec des bijoux à partir de
500 euros, pour un panier moyen en
France de 4 000 euros. Le diamant
vient ainsi concurrencer un sac à
main de marque ou une paire de
Propos
recueillis par chaussures de luxe. J’ai donc dessi-
Laure Croiset né des bijoux avec des diamants
21 MARS 2024 - CHALLENGES N°822 
plus petits qui ne soient pas trop
ostentatoires. Ainsi, nous nous
adressons à toutes les femmes.
Par quels biais vendez-vous
vos bijoux ?
Nous avons commencé par une dis-
tribution multimarques. Puis nous
avons ouvert notre premier magasin
en 2013, rue Saint-Honoré, à Paris.
Aujourd’hui, nous avons 80 bou-
tiques en France et à l’international.
Et Internet pèse 5 % de nos ventes,
c’est un vrai levier de croissance.
Allez-vous ouvrir d’autres magasins ?
Oui, quinze ouvertures sont pro-
grammées cette année, dont la
Chine, l’Inde et la Corée du Sud.
Nous nous installerons aussi à New
York en 2025. Aujourd’hui, nous
sommes présents sur tous les conti-
nents. Notre deuxième marché
après la France est le Moyen-Orient.
Sourcez-vous vos diamants ?
Comme tous les acteurs du marché,
la traçabilité est une priorité pour
nous. Notre objectif est d’avoir un
stock à 100 % traçable, même si cela
prend du temps.
Avez-vous perçu l’arrivée du diamant
de synthèse comme une menace ?
Je pense qu’il y a de la place pour
tout le monde. Même si l’approche
est bien différente des codes du
luxe. En effet, photocopier un dia-
mant enlève de sa valeur. Et on ne
se positionne pas sur un marché en
dénigrant l’autre, comme a pu le
faire cette industrie qui a voulu salir
l’image du diamant naturel.
Etes-vous rentables ?
Oui. Nous prenons des risques
contrôlés, ce qui est le propre des
entreprises familiales. Et il n’est pas
question d’ouvrir le capital.
Votre rêve de croissance ?
Continuer à avoir une croissance
saine autour de 15 % et devenir la
marque référente sur le diamant.•
Vous êtes une PME ou
une ETI française, rentable
et en croissance ?
Candidatez au Grand Prix des
Lionnes avant le 7 juin 2024.
grandprixdeslionnes.montefiore.fr
55
En couverture

EXPORTATIONS Avions Rafale et Falcon,

de Dassault, sur le tarmac de
607 milliards Mérignac. Les exportations
d’armement se sont montées
d’euros à 12,7 milliards en 2023.

COMMERCE EXTÉRIEUR

Faire redécoller
l’industrie française
Depuis vingt ans, le fossé entre les exportations insuffisantes
de la France et ses importations grandissantes n’a jamais été comblé.
Comment en est-on arrivé là  ? Pour inverser la tendance,
Etat, collectivités, multinationales et PME se mobilisent.

S
’agit-il d’une punition ?
Après avoir été chargé
des Relations avec le
du Commerce extérieur, qu’il occu- été parmi les plus denses de ma vie
pait déjà entre 2020 et 2022. Il ne politique, explique-t-il. Réussir sur
Par peut donc guère se faire d’illusion ce sujet est essentiel. Il faut donc
Dassault Aviation - V. Almansa

Parlement du gouverne-
ment Borne et pris sa
part dans le fiasco du
vote de la loi Immigration, Franck
Riester a retrouvé au sein du gou-
vernement Attal le poste de ministre
Grégoire sur le job, condamné à égrener, tri-
mestre après trimestre, les chiffres
Pinson
d’un déficit qui jamais ne s’efface.
Lui se refuse pourtant à tout fata-
lisme : « Les deux années que j’ai
passées au Commerce extérieur ont
relever le défi. »
Le défi en question est immense.
Vingt ans que le fossé entre les im-
portations et les exportations de
biens n’a pas été comblé. En 2022,
selon les Douanes, le déficit du com-

56  CHALLENGES N°822 - 21 MARS 2024

 Méthanier Cape Ann, dans
le port du Havre. L’an dernier,
la France a importé pour
73 milliards d’euros d’énergie
et d’hydrocarbures.
merce extérieur a atteint des profon­
deurs abyssales, entraîné par la fac­
ture énergétique : un trou de plus de
163 milliards d’euros. Et en 2023,
malgré la relance des centrales nu­
cléaires et un léger rebond des ex­
portations de biens, le chiffre est à
peine repassé sous les 100 milliards.
C’est près de deux fois plus qu’en
2019, avant le Covid. Et encore, ces
données ne tiennent pas compte du
coût des transports de nos impor­
tations massives. Pour Carine
Guillaud, cofondatrice du think tank
Relocalisations.fr, « en intégrant le
transport de marchandises, les
“vrais” chiffres de la balance com-
merciale sont plus pro­ches des
200 milliards de déficit en 2022 et
de 135 milliards en 2023 ».
Une plongée dans les données des
Martin Roche/Ouest France/ PhotoPQR/MaxPPP
Douanes souligne l’ampleur des
dépendances de la France. La Chine
fournit aux Français 85 % de leurs
sous-vêtements ; le déficit sur les
téléphones et équipements de com­
munication a doublé en dix ans,
pour atteindre 9,5 milliards ; sur les
appareils ménagers, c’est 4,5 mil­
liards. Plus inquiétant encore, au
moment où les agriculteurs mani­
IMPORTATIONS
706 milliards
d’euros
festent, la France importe entre 2 et Et ce n’est pas en se comparant que
4 milliards de plus qu’elle n’exporte la France se rassurera. Après un
pour chacun des produits aussi trou d’air il y a deux ans, l’Italie a
essentiels que la viande, les conser­ retrouvé un excédent commercial
ves, les fruits et légumes et l’huile. de 34,5 milliards (voir page 68).
Le Haut-Commissariat au Plan avait Quant à l’Allemagne, malgré l’affai­
frappé les esprits il y a quelques blissement de son économie, elle
mois en livrant un « indice rata­ continue à cavaler en tête de l’Union
touille » peu ragoûtant : sur 2020, le européenne, avec 210 milliards
pays avait accumulé 650 millions de d’excédent l’an passé.
déficit pour les cinq légumes compo­
sant ce plat – tomate, courgette, poi­ Descente par palier
vron, aubergine et oignon. La différence entre l’économie de
l’Hexagone et celles de ces deux
PROFONDEURS ABYSSALES voisins immédiats ? Le poids de
l’industrie. Celle-ci pèse 10 % du PIB
Evolution du commerce extérieur Evolution du solde commercial
(en milliards d’euros) (en milliards d’euros) français, contre 15 % en Italie et 18 %
760 0 en Allemagne. Pour Sylvain Ber­
720 Import singer, chef économiste au cabinet
680 Asterès, pas de doute, « le déficit
-50
640 commercial français est le révéla-
teur d’un problème plus profond : la
600
-100 faiblesse de la production indus-
560
trielle du pays ». Les courbes de la
520 manufacture et du commerce pour­
480 -150
suivent en quasi-parallèle un même
440 Export schéma périlleux : à chaque crise
400 SOURCE : DOUANES.
-200 SOURCE : DOUANES. (krach de 2008, pandémie du Covid,
2014 2016 2018 2020 2022 2014 2016 2018 2020 2022 guerre en Ukraine), les données
En 2022, le déficit commercial de la France a atteint chutent dangereusement et ne par­
163 milliards d’euros, plombé par la facture énergétique. viennent pas à se rétablir, uuu
21 MARS 2024 - CHALLENGES N°822  57
En couverture
Renault et PSA ont pris la pente de la délocalisation
Ligne de production de la Yaris, dans l’usine Toyota de Valenciennes. Contrairement au japonais,
Renault et Stellantis ont peu à peu vidé leurs usines françaises, pour se délocaliser.
D
epuis 2010, le déficit
du commerce
automobile français
ne cesse de plonger :
15,4 milliards d'euros en
2020, 18 milliards en 2021,
19,9 milliards en 2022,
24 milliards en 2023.
L’automobile représente
près de la moitié du déficit
tricolore des produits
manufacturés ! En 2004, la
filière affichait pourtant un
excédent de 12,3 milliards.
Les Français aiment certes
les Volkswagen, Audi,
Mercedes – d’où le
déséquilibre de la balance
avec l’Allemagne
(- 6,4 milliards en 2023).
Mais l’Hexagone nourrit
surtout un énorme déficit
vis-à-vis de l’Espagne,
la Slovaquie, la Roumanie
et le Maroc (- 11 milliards
cumulés). La raison
essentielle ? Les
délocalisations de Renault et
PSA (devenu Stellantis
en 2021). Le creusement du
déficit est en effet corrélé à
la chute des fabrications
dans l’Hexagone. La France
n’a produit qu’un peu plus de
1,5 million de véhicules l’an
58  CHALLENGES N°822 - 21 MARS 2024
AUTOMOBILE
dernier, contre 3,66 millions
en 2004. Quant aux seules
voitures électriques, « elles
sont très minoritairement
produites en France », lâche
Marc Mortureux, directeur
général de la Plateforme
automobile française (PFA).
Et sur les dix modèles les
plus vendus dans l’Hexagone
en 2023, un seul était made
en France, la Peugeot 308.
La Renault Clio ? Produite
à Bursa (Turquie) et Novo
Mesto (Slovénie). Sa rivale,
la Peugeot 208 ? Assemblée
à Trnava (Slovaquie), y
compris la variante électrique,
et Kenitra (Maroc). Les petits
SUV Peugeot 2008 et
Renault Captur ? En Espagne.
Flux du secteur automobile
(données brutes en milliards d’euros)
80
60 Import
40
Export
20
0 automobiles », analyse Stépha­ne
-20 Solde
2000 2005 2010 2015
SOURCE : DOUANES.
Samuel Dhote
Cette délocalisation des
années 2010 à début 2020
s’explique principalement par
le coût du travail en France.
Car Renault comme l’ex-PSA
sont spécialistes des petits
modèles, les plus sensibles
aux prix. Le coût salarial
horaire dans l’industrie
manufacturière est 4,5 fois
plus bas en Roumanie,
où sont produites la plupart
des Dacia à bas coûts, qu’en
France, trois fois moindre
en Slovaquie. Le différentiel
entre l’Espagne et la France
est de 40 %, selon le cabinet
Rexecode. Certes, Renault
a cédé à la pression de l’Etat
actionnaire – à hauteur
de 15 % – pour produire
dans le Nord sa prochaine
R5 électrique. Mais Carlos
Tavares a dit non à Bruno
Le Maire, lorsque le ministre
80,4
de l’Economie lui a demandé
à l’été 2023 de suivre
l’exemple : « Stellantis est
56,5 en condition de se battre
contre les chinois, mais
ce ne serait pas le cas si on
- 23,9 produisait dans des pays
à coûts élevés », a affirmé
lapidairement le directeur
2020 2023
général de Stellantis. A.-G. V.
uuu ensuite, au niveau précédent.
Une descente par palier sur un esca­
lier glissant. « Un soutien massif de
l’Etat pour relancer des filiè­res in­
dustrielles est indispensable afin
de rétablir les équilibres, plaide
Carine Guillaud. Sinon, on restera
piégé par une double contrainte :
faute de produire, nous dépen­
drons de l’extérieur pour notre
consommation, et simultanément
nous n’aurons pas suffisamment
de biens à exporter. »
Les multinationales françaises, de
Renault à Schneider Electric, qui
n’ont pas lésiné sur les délocalisa­
tions, portent une lourde respon­
sabilité dans ces dégradations. Le
Centre d’études prospectives et
d’informations internationales
(CEPII) relève ainsi que leurs expor­
tations sont engagées sur une pente
descendante depuis le début des
années 2000, avec une chute de 9,4 %
à 7,7 % du PIB entre 2019 et 2021.
Amortisseurs efficaces
Certes, les habituels amortisseurs
du commerce extérieur tricolore
devraient continuer à produire leur
effet. Les carnets de commandes
d’Airbus sont pleins. Naval Group
est en passe de remporter un nou­
veau contrat du siècle en vendant
une flotte de sous-marins aux Pays-
Bas (lire page 66). Quant au luxe et
à la cosmétique, leur succès ne se
dément pas : les parfums ont enre­
gistré un excédent de 16,4 milliards
en 2023, contre 9 milliards il y a dix
ans (lire p. 65).
Pour autant, les perspectives ne sont
pas réjouissantes, avec un déficit du
commerce de biens manufacturés
qui, en janvier, s’est creusé d’1 mil­
liard de plus sur un mois, à 4,7 mil­
liards, selon la Banque de France.
Les difficultés de l’industrie alleman­
de pourraient être regardées avec
une pointe de « Schadenfreude »
(joie coupable) à voir le géant mettre
un genou à terre. « En réalité, on
ressent les effets négatifs de cet af­
faiblissement, puisque les entrepri­
ses françaises sont de gros fournis­
seurs des firmes allemandes – à
commencer par nos équipementiers
Colliac, économiste à BNP Paribas.
Même inquiétude autour du coup de
mou chinois. Après les années
Covid, la relance des exportations a
PHARMACIE
Un retard dangereux dans
les médicaments innovants
E
n 2023, le secteur
pharmaceutique a fini sur
un solde excédentaire de
380 millions d’euros, évitant sur
le fil un déficit commercial qui
aurait été historique. Il s’agit
néanmoins d’un effondrement
par rapport à l’excédent de
3 milliards de 2022. « La France
produit des médicaments
matures qu’elle exporte à bas
prix », explique Thierry Hulot,
PDG de Merck France et
président du Leem, le lobby
Flux du secteur pharmaceutique
(données brutes en milliards d’euros)
40 37,1
Export
30 36,8
Import
20
10 Solde
0,3
0 importe encore plus de 90 % de
2000 2005 2010 2015 2020 2023
SOURCE : DOUANES.
été limitée vers l’empire du Milieu :
seulement 1,3 milliard supplémen­
taire sur 2023. « On pouvait at­
tendre un rebond plus puissant,
puisque les chiffres étaient tombés
dans le rouge en 2022 », continue
Stéphane Colliac. Le gouvernement
a déjà intégré, dans son projet de loi
de Finances pour 2024, un déficit
commercial de 95 milliards.
Train d’aides publiques
Pas de quoi abattre Franck Riester,
qui continue de sillonner le monde
mais aussi la France, en détaillant le
lourd catalogue des aides mises à
disposition des entreprises, depuis
les financements pour la participa­
tion à des Salons, jusqu’au program­
me annuel d’accompagnement de
200 PME à fort potentiel. Bpifrance
déploie des crédits, prêts et garan­
ties d’emprunt pour partir à l’inter­
national. L’agence Business France
finance plus de 11 500 jeunes volon­
taires (les VIE) qui s’installent à
l’international afin de préparer les
pistes d’atterrissage à l’export. Sur
le même mode, Olivier Becht, le pré­
décesseur de Franck Riester, a créé
du secteur dans l’Hexagone.
A l’inverse, le pays importe
de plus en plus de produits
innovants et chers, tels que
les anticorps monoclonaux,
les thérapies géniques ou les
traitements immunologiques.
Sur les 404 nouveaux
médicaments autorisés en
Europe entre 2016 et 2020,
33 seulement sont fabriqués en
France, contre 82 en Allemagne,
68 au Royaume-Uni ou 62 en
Irlande. « La France, qui était
le premier producteur de
médicaments en Europe
en 2010, est tombée à la
cinquième place », précise Eric
Baseilhac, directeur accès,
économie et export du Leem.
Deux ans plus tard, l’objectif fixé
par le plan France 2030 du
gouvernement de produire au
moins 20 biomédicaments sur
le sol français semble avoir du
plomb dans l’aile. L’Hexagone
ces médicaments biologiques
RÔLE MOTEUR
Excédent commercial
des multinationales
françaises
(en % du PIB)
5 nombre de PME exportatrices sta­
4 moitié moins que l’Allemagne. Peut-
3
2
1 Plutôt que de proposer un énième
2000 2020
SOURCE : DOUANES.
Bon an mal an,
les fleurons
nationaux
comme Airbus,
Naval Group,
L’Oréal ou LVMH
jouent leur
rôle de moteur
du commerce
extérieur
tricolore.
Site Novo Nordisk de Chartres. Le groupe danois a investi 2,1 milliards
d’euros pour y produire son médicament star contre l’obésité.
devenus incontournables dans
le traitement des cancers,
notamment. Pour Eric Baseilhac,
« la France a raté ce virage,
contrairement à l’Irlande, qui a
fait des efforts conséquents en
réduisant par exemple les délais
de construction des usines ».
Malgré tout, des « signaux
encourageants » sur la recherche
clinique ne demandent qu’à être
confirmés. « La France est
désormais le deuxième pays en
Europe pour les essais cliniques
des volontaires territoriaux, instal­
lés pour leur part dans les sièges en
France, afin de préparer leur décol­
lage vers l’étranger. Et les régions se
mobilisent, à l’image du schéma
d’aide à l’internationalisation mis en
place par l’Occitanie.
Mais les résultats restent timides. Le
gne sous la barre des 150 000 – soit
être, d’ailleurs, parce que l’embarras
du choix face au nombre de gui­
chets et de programmes finit par
décourager les chefs d’entreprise.
plan, Franck Riester planche sur
une simplification de l’accès aux
dispositifs, qui s’intégrera dans le
plan général de débureaucratisation
du gouvernement.
« Mais attention, ces aides ne doi­
vent pas donner l’impression que
l’on peut partir à l’international
gratuitement et sans efforts, avertit
Frédéric Guiral de Haas, conseiller
du Commerce extérieur pour l’Asie
et repreneur de la marque de chaus­
sons Airplum. Pénétrer de nouveaux
marchés, c’est long et complexe.
21 MARS 2024 - CHALLENGES N°822 
Stéphane Lemouton/Pool/Sipa
de biomédicaments. Or, on peut
penser que là où sont implantés
les centres cliniques, il y aura
une usine », relève l’expert
du Leem. Certains laboratoires
ont aussi investi massivement
dans leurs usines tricolores
ces derniers mois. A l’instar
du danois Novo Nordisk qui,
en septembre dernier, a injecté
2,1 milliards d’euros dans
son site de Chartres pour
produire son médicament star
contre l’obésité. I. F.
Beaucoup de chefs d’entreprise par­
ticipent à un Salon puis, rattrapés
par le quotidien, remettent le dos­
sier en dessous de la pile. »
Belles avancées
Pourtant, à l’image de Frédéric Gui­
ral de Haas, qui défend le Fabriqué
en France à l’autre bout du monde,
quelques entrepreneurs signent de
belles percées sur des champs de
bataille qui pouvaient paraître per­
dus d’avance. C’est le cas d’Ervor,
qui exporte 90 % de ses compres­
seurs d’air depuis son usine d’Argen­
teuil. Le cas aussi du mobilier de
jardin Fermob, qui depuis son usine
de Thoissey dans l’Ain exporte dans
le monde entier (lire page 60). Ou
encore de Montabert, qui fabrique
des brise-roches que l’industrie mi­
nière du monde entier s’arrache. In­
novations incessantes, implantation
solide sur leur niche d’activité, tra­
vail étroit avec des multinatio­
nales… : les ingrédients du succès
sont aussi nombreux que délicats à
doser. Or pour redresser le com­
merce extérieur, il y a urgence à in­
dustrialiser la recette.  • u
59
En couverture

BERNARD REYBIER, président de Fermob

Il faut au moins trois ans

pour percer à l’international
Président du think tank Le French Design by VIA, le patron de Fermob
défend une vision très volontariste de l’export. A ses yeux, il ne faut rien
attendre de l’Etat, mais faire confiance au soft power français.

Challenges. Vous êtes à la tête

de Fermob, qui réalise une grosse
partie de son chiffre d’affaires à
l’export. Comment avez-vous réussi
à pénétrer les marchés américains
et asiatiques dans un secteur,
l’ameublement, aussi bataillé ?
Bernard Reybier. Fermob est d’abord
un fabricant industriel avec des
usines qui doivent tourner et qui ne
peuvent se contenter du marché in­
térieur français. L’export est au ser­
vice d’une logique industrielle. Il faut
oser voir grand. Lorsque j’ai repris
cette entreprise en 1989 avec seule­
ment 12 personnes [aujourd’hui elle
en emploie 600], je leur ai dit : « Nous
sommes une entreprise mondiale. »
Martin Barzilai/Haytham pour Challenges

Aujourd’hui, Fermob réalise 50 % de

son chiffre d’affaires à l’étranger.
Pour nous distinguer de la concur­
rence chinoise, nous avons visé le
marché de la qualité en vendant nos
chaises entre 69 à 300 euros.
Le succès de Fermob est d’abord dû
à notre absence de complexe par
rapport à la conquête des marchés
étrangers. Certes, les paiements, Bernard Reybier. Le savoir-faire français est-il encore Angeles Times avait titré à sa une
c’est compliqué, mais c’est le métier Plus de trente suffisamment reconnu ? « Only French Design Can Do That ».
des banques ; le transport, c’est ans après avoir Nous négligeons trop souvent notre Comment expliquez-vous la frilosité
repris l’enseigne
complexe, mais c’est le métier des soft power. Bien au-delà de nos française à l’international ? Quelles
de meubles
logisticiens. On a tendance à faire de jardin, son champions du luxe, les designers sont les clés pour réussir ?
peur aux gens quand on leur parle président est français n’ont pas de complexe à Il faut plus de pugnacité que sur son
d’international, notamment aux fier de réaliser avoir face à la concurrence mon­ marché domestique pour réussir à
PME, qui ne sont pas assez présen­ 50 % de son diale. A la tête du think tank Le l’international. Il faut aussi savoir
tes à l’étranger. N’ayons pas de com­ chiffre d’affaires French Design by VIA, nous avons être patient et compter au moins
à l’export.
plexe vis-à-vis des Allemands et de créé un prix avec un jury interna­ trois ans pour percer. La première
leur Deut­sche Qualität. Je constate tional avec les meilleurs du monde année, on vous dit bonjour sur les
une très grande bienveillance de entier. Je peux vous dire qu’on s’ar­ Salons ; la deuxième, on vous re­
l’étranger vis-à-vis de la France, no­ rache la création française. Il faut père ; la troisième, vous concluez.
tamment dans notre secteur de l’art que nous nous fassions davantage Les premières conquêtes sont les
de vivre où nos produits sont confiance. A l’occasion d’une expo­ plus enthousiasmantes et ensuite
ultra­légitimes. sition dans 14 capitales, le Los vous profitez d’un effet boule de

60  CHALLENGES N°822 - 21 MARS 2024

neige. J’ai commencé par deux mar-
chés clés – l’Allemagne et les Etats-
Unis – en 1990, un an après avoir
racheté l’entreprise. Il faut planter
des graines aux bons endroits pour
gagner en visibilité : j’ai équipé en
mobilier Fermob Bryant Park,
quatre hectares au cœur de Manhat-
tan, à New York. Nous avons ainsi
été repérés par des salariés de Goo­
gle qui nous ont choisis, quinze ans
plus tard, pour doter l’ensemble du
siège du groupe à Mountain View.
Mais avant d’aller à l’autre bout du
monde, je conseillerais aux PME de
se tester d’abord sur les marchés
limitrophes de Belgique, Suisse et
Allemagne. Des pays faci­les d’accès,
à fort pouvoir d’achat.
Les PME sont à la traîne à l’export.
Les mesures publiques d’aides
sont-elles suffisamment ciblées
en leur faveur ?
L’Etat ne doit pas être le déclen-
cheur d’une conquête à l’internatio-
nal. Quand les PME n’exportent pas
assez, c’est d’abord la faute du diri-
geant. Ensuite, il faut savoir utiliser
à bon escient les aides publiques.
Les garanties de prospection de Bpi-
france, qui sont en partie rembour-
sées en cas d’échec, sont efficaces.
De même, les aides ciblées pour
frais de Salon ou foire fonction­nent
mieux. Nous utilisons aussi beau-
coup le triptyque « alternance, VIE,
CDI », qui nous permet de diviser
par deux ou trois les risques dans le
recrutement. N’attendons pas tout
de l’Etat. Je ne crois pas non plus au
« Faut chassez plus en meute ». En
revanche, les grands groupes du
CAC 40 n’ont pas assez le réflexe
d’entraîner avec eux les PME.
Les exportations françaises
progressent, mais restent à des
années-lumière des volumes
allemands. Quels freins faut-il
encore lever ?
Le principal frein reste le coût du
travail. Je trouverais légitime de
soutenir davantage les efforts à
l’exportation en créant par exemple
un crédit d’impôt développement à
l’international. Une sorte de bonus
sur les charges sociales, évidem-
Bruno Levy/Challenges
ment plafonné et réservé aux PME
qui démarrent à l’international pour
leur donner un coup de fouet. Je
connais très bien le patron du Medef
et j’entends bien lui en parler.
Propos recueillis par Thiébault Dromard
PATRICK ARTUS
Economiste
Notre déficit commercial est
d’abord un problème d’offre
Difficultés de recrutement, charges et coût du travail élevés,
investissements insuffisants, capacités disponibles limitées :
la production française est freinée dans son développement.
L
’état de la balance
du commerce extérieur
français en dit long sur
la situation économique
du pays. Isolons en premier lieu
les services, notamment la contribution
historiquement positive du tourisme,
qui a beaucoup progressé l’an dernier ;
et celle, très négative, de l’énergie,
avec un déséquilibre de plus
de 60 milliards d’euros. Car c’est
véritablement la balance commerciale
des produits industriels qui permet
de prendre le pouls de l’économie.
Or celle-ci s’est continuellement 822-COV-Artus.indd
dégradée en France, avec un déficit
de plus de 50 milliards en 2023,
contre à peine une dizaine de milliards
il y a dix ans. Cela remet d’ailleurs
en cause un certain nombre d’idées
reçues sur la réindustrialisation
de la France, en réalité plus que
relative. Jusqu’en 2008, la production
manufacturière croît très peu année
après année, et puis, de 2010 à 2019,
elle chute d’environ 10 % sur la période,
pour descendre encore d’une marche
aujourd’hui. Cela montre qu’il y a un
vrai problème d’offre. Les insuffisances
de la production française ne sont
plus seulement le fait de la baisse
de la demande, mais bien des difficultés industriel français. Un succès qui est
de recrutement et des capacités
disponibles limitées. Ces difficultés
de recrutement sont à rapprocher
du faible nombre de diplômes
immédiatement employables
pour l’industrie. Seulement 10 %
des étudiants au profil scientifique
sont titulaires d’un diplôme
d’ingénieur ou de technicien
supérieur. En Allemagne, c’est 30 %.
Balance commerciale pour les biens
manufacturés (annualisée, en milliards d’euros)
450
350 Allemagne
250
150
50 France
0
-50
-150
99 03 07 11 15 19 23
SOURCE : DATASTREAM /NATIXIS.
Autre difficulté : le coût du travail et
des charges sociales reste très élevé
en France,
bien supérieur à celui de12/03/2024
1 13:08
l’Espagne, de l’Italie ou des Etats-Unis.
Cela affecte la compétitivité industrielle
française. Enfin, l’investissement
dans les entreprises industrielles reste
insuffisant : il est de 2 % du PIB,
contre 4 % du PIB aux Etats-Unis.
En dehors des grands groupes, ce sont
essentiellement les entreprises
de tailles intermédiaires (ETI) les vraies
championnes de l’export en France,
car les PME exportent très peu. Or il y a
15 000 ETI allemandes et seulement
5 000 françaises. Et même si aujourd’hui
l’industrie allemande souffre de sa
dépendance à la Chine, elle reste deux
fois plus importante que le secteur
essentiellement le fait des entreprises.
Le problème des exportations
françaises, c’est aussi qu’elles sont
concentrées sur un petit nombre
de produits et restent beaucoup moins
diversifiées que celles de ses voisins.
La France exporte du luxe, de
l’aéronautique, mais de moins en moins
de produits pharmaceutiques et
de voitures. Un spectre bien limité.•
u
21 MARS 2024 - CHALLENGES N°822  61
En couverture

Cinq leçons pour devenir

champion de l’exportation
1. Gagner en agilité
L
’industrie agroalimentaire
tricolore en perte de
vitesse ? Ce n’est pas
si sûr. Certes, la concurrence
étrangère gagne du terrain,
y compris sur le marché
français, mais la production
nationale ne cesse de
se renouveler pour suivre
les changements d’habitude
des consommateurs.
Et bien souvent un produit
en remplace un autre. C’est
le cas du foie gras. Il faut bien
le reconnaître, le fleuron de
la gastronomie française est à
la peine : les exportations, qui
s’élèvent à 2 700 tonnes vers
l’Espagne, la Belgique et
la Suisse, dépassent encore,
mais de peu, les importations,
à 2 450 tonnes (en provenance
essentiellement de Bulgarie
et Hongrie). La filière
avicole, déjà touchée par
les épizooties, souffre. Mais
simultanément, la France est
devenue l’un des dix principaux
producteurs de caviar au
monde. Une activité quasi
inexistante il y a seulement
quinze ans sur les rives de la
Gironde, en Dordogne et en
Sologne, mais dont on exporte
35 tonnes par an (177 tonnes
en comptant le négoce).
La baisse des ventes de
grands crus de Bordeaux ?
Triste, mais nos rosés
de Provence sont en train
de conquérir la planète et
sont devenus des références
pour tous les autres pays
de production. Notre bon vieil
armagnac peine à séduire
les amateurs de la jeune
génération ? Les distilleries
françaises se mettent à
produire du whisky après s’être
essayées avec succès au gin,
et même à la vodka. Idem pour
nos pisciculteurs, qui ont
imposé la truite fumée comme
concurrent, plus éthique et
plus sain, aux saumons
d’Ecosse et de Norvège.
Certes, nous croquons parfois
dans des pommes et poires
venues de l’étranger, mais
depuis une quarantaine
d’années, nous cultivons et
même exportons des kiwis
savoureux. Personne ne s’en
félicite jamais, mais grâce
à son agilité industrielle, son
avance technologique dans
la sélection des variétés et
sa souveraineté dans le génie
génétique, la France tire
plutôt bien son épingle dans
le jeu de la mondialisation
agroalimentaire.•

Neuvic fait éclore un nouveau Plus personne ne s’étonne de voir le

caviar et la vodka parmi les spécia-

marché pour le caviar bio  

lités du Périgord. Mais cela témoi­
gne d’un incroyable dynamisme.
Cela fait douze ans que cet ancien
consultant d’un grand cabinet anglo-
Spécialisée dans l’élevage d’esturgeons, qu’elle « valorise à saxon a créé de toutes pièces Caviar
95 % », la PME périgourdine se démarque de la concurrence de Neuvic, qui emploie aujourd’hui
internationale par son engagement pour l’économie durable. 67 salariés et réalise 8,5 millions
d’euros de chiffre d’affaires, pour un
bénéfice de 300 000 euros en 2023.

A
vec les grottes de Lascaux
et les châteaux médié-
vaux, c’est devenu l’une
des attractions touris-
tiques les plus appréciées du dépar-
tement de la Dordogne. A Neuvic-
sur-l’Isle, l’élevage d’esturgeons bio
de Laurent Deverlanges est ouvert
aux touristes et, clou de la visite, il
est possible de descendre dans un
bassin avec ces poissons paisibles,
dont les plus grands peuvent mesu-
rer plus d’1 mètre de long. « La
visite d’une heure et demie se ter-
mine immanquablement par une
dégustation, c’est un moyen puis-
sant de recruter de nouveaux
consommateurs qui peuvent être
intimidés par un produit associé
au grand luxe », explique le fonda-
teur et PDG. Bien entendu, Laurent
Deverlanges reçoit de nombreux
touristes étrangers dans cette ré-
gion très appréciée des Britan-
niques, Belges, Néerlandais et Alle-
mands, qui terminent toujours leur
tour par la boutique, où il vend toute
sa production et, depuis peu, une
vodka locale, idéale pour accompa-
gner son caviar.
« J’avais de longue date l’ambition
de créer mon entreprise. J’ai rache-
té cette ancienne pisciculture de
carpes et de pêche à la truite en
2011 et investi 3,5 millions d’eu-
ros, dont 1,5 million de prêts ban-
caires et 1,8 million provenant
d’investisseurs privés », confie
Laurent Deverlanges.
Plusieurs fonds d’investissement
sont arrivés au gré des levées de
capitaux et aujourd’hui, le spécia-
liste des PME de luxe Olma détient
25 % du capital au côté du fondateur
(26 %). Ce fonds, qui a de grands

62  CHALLENGES N°822 - 21 MARS 2024


projets dans le marché du caviar, est
aussi actionnaire de Prunier, autre
marque française de caviar, qui ap-
partenait autrefois à l’homme d’af-
faires Pierre Bergé. Une fusion est
prévue entre Prunier et Neuvic,
mais elle n’est pas encore effective.
Du luxe, mais pas que
Spécificité de Neuvic, sa production
est certifiée bio, et la PME, devenue
« entreprise à mission » et très enga-
gée pour le développement durable,
a reçu la certification B-Corp en
2021. Une façon vertueuse de se dé-
marquer de la concurrence quand on
est le dernier arrivé parmi les sept
élevages français d’esturgeons mais
le premier en bio : « Nous valorisons
95 % de l’esturgeon, en produisant
du poisson fumé, des rillettes, du
beurre Bordier au caviar, du beurre
de truffe et du beurre de rillettes
d’esturgeon », affirme Laurent De-
verlanges. Cette diversification per-
met à la marque d’aligner toute une
gamme de produits plus accessibles
que les œufs d’esturgeon et ainsi de
recruter une clientèle très large.
Très vite l’entreprise a pu exporter
jusqu’à 10 % de sa production, por-
tée par une très forte demande in-
Caroline Blumberg/EPA/MaxPPP
Dans les bassins ternationale. Une chance historique années et expédie ses boîtes vers le
d’esturgeons de a permis au caviar français d’occu- Japon (la moitié de ses exportations
Neuvic-sur-l’Isle, per une place de premier plan dans part dans les restaurants de luxe
en Dordogne.
Portée par
le commerce mondial. « La Cites, la nippons), l’Allemagne, l’Australie,
une très forte Convention internationale sur le Singapour et la Roumanie notam-
demande commerce des espèces en voie d’ex- ment. « Nous développons lente-
internationale, tinction, a interdit toute exploita- ment nos ventes à l’étranger, nous
l’entreprise tion d’esturgeons sauvages en 2010, avons une culture de la lenteur liée
créée en 2012 alors que la quasi-totalité de la pro- au rythme biologique de nos pois-
a vite exporté
jusqu’à 10 % de
duction provenait de la pêche en sons qui mettent au moins sept ans
sa production. mer Caspienne et dans le lac Baï- à grandir avant d’être productifs »,
kal », raconte Laurent Deverlanges. raconte Laurent Deverlanges.
La France, l’Italie, la Russie, les
Etats-Unis et surtout la Chine, qui Du caviar à la truffe
est aujourd’hui le premier produc- Autre exemple de cette stratégie de
teur mondial, se sont invités dans ce la lenteur, il vient de planter des
business. La France bénéficiait dizaines de chênes truffiers à proxi-
d’une bonne maîtrise technologique mité de ses bassins, qui ne produi-
en pisciculture et occupait une ront de précieux tubercules que
EAUX CALMES place centrale dans le négoce des dans plusieurs années. Certes, la
Flux de produits précieux œufs de poissons sauva­ truffe noire est de longue date une
agroalimentaires ges en provenance de la Caspienne, production du Périgord, mais de-
(données brutes
en milliards d’euros) depuis près d’un siècle et l’arrivée puis quelques années, la concur-
70 des Russes blancs à Paris en 1917. rence d’Asie, d’Italie et d’Espagne
62,7
60 « Il y avait deux éléments impor- impose ses produits cultivés. « Ce
50 Import tants à maîtriser, révèle le patron n’est pas encore un sujet d’actualité
40 de Neuvic. D’une part, l’élevage de pour nous, mais on est en train de
57,2
30 ce poisson très sensible et fragile. se documenter et d’apprendre les
Export
20 Et d’autre part, l’affinage des œufs techniques de culture auprès de nos
10 Solde 5,5 qui permet de révéler leur goût si amis espagnols, plus en avance que
0 subtil et recherché. » Neuvic ac- nous sur ce produit ! » 
2000 2023
SOURCE : DOUANES. quiert cette maîtrise en quelques  Jean-François Arnaud u
21 MARS 2024 - CHALLENGES N°822  63
En couverture
2. Investir dans l’innovation
A
contrario des idées
reçues, l’industrie textile
française rayonne
à l’international. L’an dernier,
ses exportations ont atteint
12,4 milliards d’euros,
en hausse de 5 % sur un an.
Chamatex court le monde avec son tissu tech
Une fibre révolutionnaire brevetée, une usine dernier cri : en dix ans, la PME ardéchoise
a réussi son virage stratégique. Et doublé son chiffre d’affaires hors de France.
N
ichée à 400 mètres d’al­
titude au-dessus de la
rivière L’Ay, à Ardoix
(Ardèche du Nord), et
non loin de la résidence de son
fondateur Jean-Claude Montagnon
en 1980, la société Chamatex a
émergé d’un bassin textile sinistré
grâce au virage stratégique enclen­
ché par son nouveau président,
Gilles Reguillon. Signe de cette
réussite : en juin 2023, le site a reçu
la visite du président Emmanuel
Macron dans le cadre du plan
France 2030 visant la reconquête
industrielle tricolore. « Une recon­
naissance et une grande fierté »
pour son dirigeant.
De l’Europe au Japon
Depuis sa reprise en main en 2011,
Gilles Reguillon a multiplié par huit
le chiffre d’affaires de Chamatex,
pour atteindre 55 millions d’euros
l’an dernier. L’entreprise, qui em­
ploie 350 collaborateurs, est désor­
mais rentable. « La stratégie que j’ai
mise en place est claire, soutient ce
dirigeant aussi dynamique que franc.
Sortir le textile du textile stan­
dard en inscrivant l’innovation au
cœur de notre ADN. » Un tournant
gagnant. Sa division Chamatex
Textile, « locomotive du groupe », a
doublé en dix ans son chiffre à l’ex­
port, passant de 30 à 60 % de son
chiffre d’affaires (24 millions en
2023). « Le secret pour durer dans le
textile passe par l’innovation, mais
64  CHALLENGES N°822 - 21 MARS 2024
La Corée du Sud et le Moyen- La maille traditionnelle
Orient montrent de l’appétit progresse, avec un fleuron
pour son savoir-faire. « Ils comme Lacoste, mais
recherchent notre créativité », l’industrie se distingue surtout
note Pascal Denizart, directeur car elle sait innover. La
général du Centre européen coopérative NatUp a ainsi
des textiles innovants. conçu un fil de chanvre unique
Jacques Witt/Pool/Abacapress.com
Emmanuel pas seulement, pour­suit le patron. Il
Macron en visite faut renverser la table tous les jours
dans l’usine ASF en tant que dirigeant et c’est un tra­
4.0 de Chamatex,
en juin 2023,
vail de titan de toute une équipe. »
à Ardoix. Montré Si il vend majoritairement en
en exemple Europe, Chamatex dessert égale­
par le président, ment les Etats-Unis, le Japon, l’Aus­
le site, doté de tralie et la Nouvelle-Zélande. « Nous
cinq îlots de sommes le champion de l’export sur
machines ultra-
performantes,
les tissus destinés aux chaussures
fabrique des de sport et les vêtements tissus anti­
paires de basket feu pour la Formule 1 », assure
pour Salomon Gilles Reguillon.
et Millet. Après trois ans de tests, son tissu
révolutionnaire Matryx a été breve­
té en 2014, puis lancé commerciale­
ment en 2016 avec des baskets de la
marque lyonnaise spécialisée dans
les sports de raquette Babolat.
« Nous avons fait gagner 100 gram­
mes à une paire de chaussures
pour le leader du tissage du
lin, Lemaitre Demeestere, dont
le premier client était chinois.
« L’international permet
à l’industrie française de se
remettre en question », affirme
Cécile Boury, de CBCI.•
en améliorant la respirabilité, la
durabilité et tout en gardant ses
propriétés de maintien », affirme le
dirigeant, qui consacre 5 % de son
chiffre d’affaires à la R&D. Cette
fibre innovante est désormais utili­
sée par trente marques, dont la
moitié est étrangère, comme l’équi­
pementier américain NoBull ou la
griffe italienne Diadora, pour une
dizaine de disciplines sportives.
L’entreprise a notamment su tirer
son épingle du jeu grâce au lance­
ment en 2018 de WeLab, un labora­
toire miniature qui permet de créer
des prototypes en un temps record.
Concept dupliqué au Portugal
Mais Chamatex vise encore plus
loin. En 2021, l’entreprise ardé­
choise a inauguré sur son site histo­
rique d’Ardoix une usine de 3 000 m2
entièrement automatisée, ASF 4.0.
Dotée de cinq îlots de machines
ultraperformantes, elle y fabrique
intégralement des paires de basket
pour les marques Salomon et Millet.
L’année dernière, 50 000 paires sont
déjà sorties de cette usine. Son ob­
jectif ? « Devenir le numéro un eu­
ropéen de la chaussure de sport » en
multipliant par cinq la cadence d’ici
à 2025. Pour y parvenir, Gilles Re­
guillon prévoit de dupliquer son
concept en Haute-Savoie, puis au
Portugal. Depuis Ardoix, bourg de
1 200 habitants, Chamatex n’en finit
pas de pousser les murs pour
conquérir le monde. Laure Croiset
3. Jouer la carte de la valeur ajoutée
U
n record. En 2023, premiers fabricants de part du gâteau mondial reposée sur son aura historique
les exportations de la parfums, avec un savoir-faire diminue, alerte Marc-Antoine et culturelle, est challengée
parfumerie-cosmétique, très pointu et des marques Jamet, président de la par des pays comme la Corée. »
deuxième contributeur à la mondialement connues », Cosmetic Valley, le pôle de Pour conserver son avance,
balance commerciale, ont décrypte Philippe Benacin, compétitivité du secteur, qui elle travaille aujourd’hui sur
atteint 21,3 milliards d’euros. directeur général regroupe 800 entreprises. 250 projets de recherche
« Les Français sont de loin les d’Interparfums. Mais « notre La filière, qui s’est longtemps partagée.•

Le savoir-faire unique de Guerlain fait florès

Créée en 1828, la maison de parfums est championne à l’export. Pour les Japonais,
Américains ou Moyen-Orientaux, ses jus d’exception incarnent le luxe à la française.

D
es gestes délicats et très d’agrumes. Quand le bois de santal
précis. Ce 1er mars, dans a quasiment disparu d’Inde, je me
l’usine des parfums suis mis à chercher et j’ai retrouvé
Guerlain à Orphin, dans la même espèce en Australie. »
les Yvelines, les doigts de fée de
Didy Duchesne nous hypnotisent. Grimoire ancestral
D’une main, elle tient un flacon rose Loin du mythe, la ville de Grasse
en forme de tortue ; de l’autre, une n’a donc plus l’apanage de la pro­
petite brosse avec laquelle elle duction florale. Mais pour toutes
peigne doucement la barbiche en fil les au­tres étapes, c’est bien dans
de soie qui orne la fiole, avant de la l’Hexagone que cela se passe. A
tailler aux ciseaux. Son métier ? quelques couloirs des « Dames
« Dame de table », chargée d’ha­ de table », l’« assembleur » Paulo
biller et de sceller minutieusement Dinis, un ancien élève de Jean-Paul
chaque flacon. « Elles sont six et Guerlain, descendant du fondateur,
leur profession n’existe qu’ici », se chapeaute la fabrication et appli­
Thomas Samson/AFP

vante Benjamin Rosart, le directeur que scrupuleusement les formules

de l’usine, la seule au monde à
produire les parfums de Guerlain,
située dans le triangle Orléans-
Tours-Chartres, rassemblant de
nombreux acteurs du secteur. Et
de préciser : « Ce parfum ne sera
produit qu’en une trentaine
d’exemplaires. » Une édition limi­
tée, donc, mais bientôt éparpillée
aux quatre coins du globe.
Mille huiles du monde entier
Car à presque 200 ans d’existence,
la maison rachetée en 1994 par
LVMH (actionnaire de Challenges)
est devenue une championne à
l’export. Sur les 10 millions de pro­
duits qui sortent chaque année du
site d’Orphin, seuls 30 % sont desti­
nés à la France. Quelque 20 % atter­
rissent ailleurs en Europe. Et l’autre
moitié dans les salles de bains de
de Thierry Wasser, dont certaines
s’inspirent du grimoire de la mai­
son (stocké dans un coffre-fort),
Didy Duchesne, « Dame de table » dans l’usine d’Orphin. Sur qui a traversé les siècles. Le mé­
les 10 millions de produits qui sortent chaque année du site lange macère ensuite jusqu’à trois
Guerlain, seulement 30 % sont commercialisés en France. semaines, puis, une fois l’alcool
ajouté, jusqu’à un mois supplémen­
Japonais, Américains ou Moyen- taire. « Beaucoup de maisons ont
BAUME Orientaux séduits par des best- supprimé ce temps de macé­ration,
Flux de produits sellers comme La Petite Robe noire pas nous », se félicite Benjamin
cosmétiques et Aqua Alle­goria, ou des fragrances Rosart. Paulo Dinis abonde : « Je
(données brutes
en milliards d’euros) plus sophistiquées, voire sur me­ n’ai jamais vu Guerlain céder à la
25 23,6 sure. Ce qui les motive ? S’offrir le facilité. Nous ne fuyons ni les dif­
Export luxe à la française, mais aussi les ficultés techniques ni les diffi­cultés
20 efflu­ves raffinés élaborés par financières. Et nous gardons la
15 Thierry Wasser, 62 ans, nez de main sur toute la chaîne de pro­
Guerlain depuis 2008. « Nous tra­ duction. »
10 16,4 vaillons avec mille huiles essentiel­ Une formule gagnante. L’année
Solde les qui viennent du monde entier, dernière, le chiffre d’affai­res de la
5 7,2
Import toutes stockées ici, s’enthousiasme maison, d’environ 700 millions d’eu­
0 le Suisse, qui revient tout juste de ros selon nos estimations, a encore
2000 2023
SOURCE : DOUANES. Sicile où il a déniché des essences progressé.  Claire Bouleau u

21 MARS 2024 - CHALLENGES N°822  65

En couverture
4. Exploiter le soutien politique
C
ertaines exportations
ne peuvent se faire
sans soutien politique.
C’est le cas des contrats
d’armement, sujet régalien
par excellence. Aux Etats-Unis,
le gouvernement est même,
L’équipe de France défend
son pré carré militaire
Grâce à la coopération efficace de l’Etat, des industriels et des armées,
connue sous le nom de Soutex, les ventes d’armement français à l’étranger
battent tous les records. Mais gare aux effets de bord.
U
n coup fumant. Deux
ans et demi après l’an-
nulation du contrat des
sous-marins australiens,
Naval Group s’est offert, le 15 mars,
un rebond spectaculaire. Le géant
naval français a été sélectionné par
le gouvernement des Pays-Bas pour
un contrat de quatre sous-marins à
propulsion conventionnelle, estimé
à 4 milliards d’euros. Si elle est vali-
dée par sa Chambre des représen-
tants néerlandaise, cette sélection
sera une sacrée victoire pour l’ex-
DCNS. La compétition, lancée il y a
sept ans, l’opposait à deux concur-
rents redoutables : son meilleur
ennemi, l’allemand TKMS, leader
mondial du segment ; et le suédois
Saab Kockums, associé au cham-
pion local, le néerlandais Damen.
Victoire totale pour Naval Group,
donc ? Pas seulement. Si la qualité
de l’offre a été le facteur clé de la
décision, c’est tout l’appareil d’Etat
français qui a mouillé la chemise
pour gagner la compétition. L’exé-
cutif, d’abord, avec la visite d’Etat
d’Emmanuel Macron à La Haye en
avril 2023, puis le déplacement du
Premier ministre Gabriel Attal le
6 mars dernier. Les armées, ensuite,
avec l’escale à Amsterdam de la
66  CHALLENGES N°822 - 21 MARS 2024
le plus souvent, l’unique de contrats en 2023, c’est
interlocuteur des Etats clients, le Pentagone qui gère les
à travers le dispositif des FMS commandes aux industriels
(Foreign Military Sales). Selon américains, et prend en charge
cette procédure, qui a permis la logistique et les paiements.
à Washington de signer pour La France n’a pas d’outil
80,9 milliards de dollars comparable, mais le poids de
frégate Normandie de la Marine
nationale lors de la visite présiden-
tielle. La même stratégie avait été
employée pour décrocher la com-
mande de 24 Rafale Marine en
Inde en juillet 2023 : pas moins de
neuf visites ministérielles en Inde
en deux ans, et une visite du porte-
avions Charles-de-Gaulle à Goa
pour montrer les appareils en
action, à quelques mois du choix fi-
nal de l’Inde.
Ce dispositif politico-militaire ambi-
tieux, connu sous le nom de Soutex
Louisa Gouliamaki/AFP
Le ministre de la Défense grec et son homologue français
Sébastien Lecornu, à Athènes, en février 2023. Pour signer
des contrats, Paris a accepté de livrer 24 Rafale d’occasion
à la Grèce et à la Croatie, prélevés dans la flotte française.
l’Etat est tout aussi important :
c’est lui, à travers le ministère
des Armées, qui fédère tous
les acteurs publics et privés :
industriels, Direction générale
de l’armement (DGA), armées,
Bercy, Quai d’Orsay.•
(soutien à l’exportation), a fait ses
preuves. Alors que le déficit com-
mercial français ne cesse de se creu-
ser, les ventes d’armement made in
France ont battu leur record histo-
rique en 2022 (27 milliards d’euros).
Avec une part de marché passée
de 5 % sur la période 2009-2013 à 11 %
sur la période 2019-2023, l’Hexagone
a doublé la Russie pour s’imposer
comme le deuxième exportateur
mondial d’armement, derrière les
Etats-Unis, soulignait le think tank
suédois Sipri le 10 mars. Résultat,
l’excédent commercial sur l’arme-
ment a plus que doublé de 2012 à
2021, passant de 4,2 milliards à
10,2 milliards, selon l’Observatoire
économique de la défense.
Rôle essentiel de Bpifrance
Même la Cour des comptes, dans
un rapport sur le Soutex publié en
janvier 2023, accordait un satisfecit
au dispositif français. Elle saluait un
« ensemble cohérent et efficace »,
estimant les effectifs cumulés des
structures dédiées au soutien à l’ex-
portation entre 850 et 1 000 postes,
selon les années. Le document
soulignait aussi le rôle essentiel de
Bercy, à travers Bpifrance : celle-ci
garantit le paiement des contrats, via
 sa division dédiée à l’assurance-cré-
dit, dont les encours sur les contrats
d’armement atteignent 17 milliards.
Les armées versent aussi leur écot
à l’effort collectif : la mission an-
nuelle Pégase de l’armée de l’air,
qui consiste à projeter en Asie-Paci-
fique une vingtaine de chasseurs et
d’avions de transport de ravitaille-
ment, permet également de mettre
en valeur ces matériels auprès des
prospects export.
L’équipe de France de l’export mili-
taire n’a pas toujours été aussi effi-
cace. A la fin des années 2000, le dis­
positif de Soutex est ultracentralisé
à l’Elysée. Créée en 2007 par Nico-
las Sarkozy, une war room, animée
par le secrétaire général de l’Elysée
et le chef d’état-major particulier
du président, est censée piloter les
efforts de l’Etat et des industriels.
Axel Manzano/Marine Nationale/Défense
« Dans les faits, elle s’est révélée
contre-productive : le politique, en
mettant son nez dans les contrats
et les négociations, polluait les
efforts des industriels », explique
Jean-Pierre Maulny, directeur
adjoint du think tank Iris. En 2012,
François Hollande et son ministre
de la Défense Jean-Yves Le Drian
sifflent la fin de la récréation. Le
dispositif est réarticulé autour de
deux principes : un, les exportations
d’armement seront désormais sous
l’autorité du ministre de la Défense ;
deux, chaque acteur reste dans
son rôle. Le ministre se charge de
la relation politique et stratégique
avec les Etats clients ; les indus-
triels gèrent les négociations sur les
équipements et les prix, avec le sou-
tien de la DGA. Jean-Yves Le Drian
ne ménage pas ses efforts : de 2012
à 2017, il effectuera 255 voyages
dans 64 pays, soit 1,5 million de kilo-
mètres. L’activisme paie : en 2015, la
France décroche le premier contrat
Rafale en Egypte, bientôt suivi par
deux autres, au Qatar et en Inde.
PME à la traîne
Ce soutien résolu, poursuivi par Flo-
rence Parly puis Sébastien Lecornu,
a quand même des limites. La pre-
mière, c’est qu’il reste concentré sur
les gros acteurs, comme Dassault ou
Naval Group. « Bien que des efforts
aient été accomplis pour mieux
soutenir les PME, cette politique
Le sous-marin de bénéficie principalement aux
classe Barracuda grands groupes », soulignait la Cour
Suffren, au sud des comptes en janvier 2023. Autre
de Toulon.
Naval Group
problème : la priorité donnée à
vient d’être l’export pénalise parfois les armées
sélectionné par françaises. Pour décrocher des
le gouvernement contrats en Grèce et en Croatie, Pa-
néerlandais ris a ainsi accepté de livrer 24 Rafale
pour un contrat d’occasion prélevés dans la flotte de
de quatre
sous-marins
l’armée de l’air et de l’espace.
à propulsion Cette ponction, qui représente plus
conventionnelle, de 20 % des Rafale de l’armée de l’air,
estimé à a eu un effet direct sur les forces : les
4 milliards pilotes français n’ont pu effectuer
d’euros. que 147 heures de vol d’entraînement
en moyenne en 2023, contre 162 en
2022, alors que la norme Otan est de
180 heures. « Cet effort, destiné à
gagner des contrats export, est com-
préhensible, mais il ne doit pas se
traduire par un assèchement dura­
ble des capacités françaises », pré-
vient le député LR Jean-Louis Thié-
riot, vice-prési­dent de la commission
de la Défense à l’Assemblée. C’est
mal parti : si les commandes ont été
lancées, les livraisons des Rafale
destinés à compenser la commande
croate ne débuteront qu’en 2027.
 Vincent Lamigeon u
21 MARS 2024 - CHALLENGES N°822  67
En couverture

5. Construire un réseau local

S
i le PIB italien a marqué
le pas en 2023, sa
balance commerciale
résiste, avec un excédent
de 34 milliards d’euros.
A faire pâlir d’envie son voisin
français. La raison de cet
export gagnant ? Les districts
industriels. A savoir cette
organisation conceptualisée
en 1890 consistant encore
aujourd’hui à concentrer,
localement, un ensemble
de PME et d’ETI spécialisées
sur un même secteur.
L’industrie pharmaceutique
a ainsi ses quartiers dans
le Latium, la bonneterie
à Capri, les lunettes à Cadore,
les chaussures dans…
le Marches. Cette fidélité aux
anciennes terres industrielles
permet une cohésion plus aux crises et repartent
forte entre les donneurs inlassablement à l’assaut de
d’ordres et les sous-traitants, l’international. Ainsi, 65 % des
mais aussi entre patrons et entreprises qui sont présentes
ouvriers. Si en France, seuls dans ces districts exportent
quelques points du territoire leurs produits, contre 53 % des
dans le Jura et en Vendée sociétés hors des districts.
fonctionnent ainsi, en Italie, Et dans des secteurs comme
ce sont 159 districts la joaillerie, plus des deux tiers
– essentiellement situés dans des exports italiens sont issus
le nord du pays – qui résistent de ces localisations.•

La fraternita italienne
à la conquête de la planète
De longue date, les PME et ETI transalpines se sont organisées pour
monter ensemble à l’assaut des marchés étrangers. Exemple dans le secteur
des machines-outils et autour du Kilometro Rosso, près de Bergame.

E
n septembre dernier, sept est elle-même représentante de la
entreprises italiennes spé­ Trentin- troisième génération à la tête de
cialisées dans les machi­ Haut-Adige l’entreprise familiale Ficep, spéciali­
nes-outils, pour la plupart Tyrol du Frioul-Vénétie sée dans les engins pour la produc­
Sud Julienne
des PME, ont joint leurs forces afin Vallée tion de l’acier. Ce type d’initiative de
d’ouvrir ensemble un bureau à d’Aoste l’Ucimu a déjà été couronné de
Lombardie Vénétie
Hô Chi Minh-Ville, au Vietnam. succès en Inde, où un dispositif
Objectif de ces sociétés implan­ Piémont commun a été ouvert il y a dix
tées autour de Brescia et de la Emilie-Romagne ans. Et la prochaine destina­
petite ville de Varese, dans le tion sera sans doute le
Ligurie
nord du pays : prendre leurs Mexique.
marques sur un marché où,
d’après les études menées par Toscane Tortue romaine
Marches
.
-FRANCE

leurs soins, la demande en ro­ Difficile pour des entreprises

bot de production doit croître concurrentes de partager les
ITALIE

Ombrie
de plus de 10 % par an d’ici à mêmes études et les mêmes
CLUB
CE :

2026. « Moyennant une cotisa- carnets d’adresses ? « Le monde

Latium
R
SOU

tion annuelle de l’ordre de Abruzzes est suffisamment vaste pour que

1 000 euros, la même pour chaque
entreprise adhérente, ces dernières
bénéficieront d’une organisation
stable pour leur prospection sur
place, mais aussi pour tenir, une
fois par an, un événement et profi-
ter de visites groupées auprès d’une
sélection de clients potentiels », dé­
taille Barbara Colombo. La prési­
dente de l’organisation patronale de
la machine-outil en Italie (Ucimu)
tout le monde y trouve sa place, phi­
losophe Barbara Colombo. De sur-
croît, nos vrais concurrents, dans
Sardaigne notre secteur, ce ne sont pas nos
voisins de palier mais les firmes
A chaque région ses chinoises ou taïwanaises. » Cette
spécialités industrielles progression en formation de tortue
romaine est efficace : l’Italie est au­
Textile Pharmaceutique Aérospatiale jourd’hui le quatrième exportateur
de machines-outils dans le monde.
Céramique Automobile Alors que la France, elle, a été rayée

68  CHALLENGES N°822 - 21 MARS 2024


de la carte sur ces activités, malgré
les multi­ples plans de relance éta-
tique. « C’est une vraie différence
entre nos deux pays, analyse
l’homme d’affaires Edoardo Secchi,
fondateur du Club Italie-France.
L’Etat est historiquement plus
faible dans la péninsule. Les entre-
prises ont donc appris à travailler
d’abord avec les régions et surtout à
s’organiser entre elles. »
PME, start-up et R & D
Une telle solidarité de l’autre côté
des Alpes offre en effet un contraste
saisissant avec la France. Alors que
Paris a parié sur des multinationales
verticales concentrées à la Défense,
qui décrochent des contrats géants
mais délocalisent promptement, le
dynamisme à l’export de l’Italie re-
pose, lui, sur un réseau de PME soli-
dement campées sur leur territoire.
Le fabricant de freins Brembo, qui
pèse 3,8 milliards d’euros de chiffre
d’affaires, a beau fournir aussi bien
Porsche que les fabricants de motos
Honda et Kawasaki, son implanta-
tion demeure à un jet de pierre de
Bergame, où le petit atelier de méca-
nique était né en 1961. C’est là qu’il
a contribué à créer un district bap-
tisé le Kilometro Rosso, où flamboie
le bâtiment de son centre de re-
cherche du même rouge pétard que
ses systèmes de freinage et dessiné
par Jean Nouvel.
En proximité immédiate se cris­
tallisent des PME, une pépinière de
start-up, un centre de recherche et
un campus de formation. Lorsque
des patrons de grands groupes étran-
gers se déplacent à l’invitation d’une
des firmes du lieu, c’est l’ensemble
de cet écosystème qui peut y avoir
accès pour tester une idée à l’export
ou prendre date pour une visite
sur place. « En 2020, lorsque nous
avons décidé de quitter le centre de
Bergame, c’est naturellement au
sein du Kilometro Rosso que nous
avons décidé de nous installer, se
souvient Luca Pandolfi, respon-
sable local de l’interna­tionalisation
au sein de la Cofindustria, l’équiva-
lent italien du Medef. Nous parti-
cipons ainsi à un formidable lieu
d’échange et de transmission infor-
melle des idées, qui circulent non
en suivant un circuit hiérarchique,
mais à l’occasion des déjeuners
dans les cantines ou lorsque l’on se
croise sur les parkings. »
Par petites touches et sans que
quiconque ne revendique pour lui
seul le projet, est ainsi né le consor-
tium Intellimech, centre de recher­
che dans la mécatronique, qui est
partagé par les entreprises du cru
pour maintenir leur compétitivité à
l’international. « Chacun cotise
financièrement au même niveau
(quelques milliers d’euros), quelle
que soit sa taille, de Brembo à ABB
en passant par les PME du district,
détaille Roberto Marelli, directeur
du développement du Kilometro
Rosso. Surtout, chacun apporte
équitablement sa contribution
intellectuelle aux débats, en faisant
part d’une idée, d’une innovation
constatée sur des marchés à l’étran-
ger, d’une recherche à engager.
Pas question que les uns écoutent
religieusement pendant que les
autres pérorent ! »
Capitalisme démocratique
Les nombreuses recherches savan­
tes menées depuis des décennies
sur les districts insistent sur l’intérêt
de ce capitalisme mâtiné de démo-
cratie : l’intégration des grou­pes les
Ucimu
plus importants au milieu d’un tissu
local d’entrepreneurs est gage de
Barbara Colombo, plus d’efficacité qu’une organisation
présidente en firmes verticales ou en rapports
du spécialiste brutaux de donneurs d’ordre à sous-
des engins pour
la production
traitants. « Cette façon de travailler
d’acier Ficep. ensemble, entre concurrents qui se
Après l’Inde, sentent aussi partenaires, entre
l’Ucimu, PME et ETI ou grands groupes, qui
l’organisation se sentent coresponsables du dé-
patronale qu’elle ploiement sur un marché, est un
dirige, a ouvert
des bureaux
point marquant du tissu humain
au Vietnam en qui maille les districts, confirme
septembre 2023, Edoardo Secchi. Cela explique bien
et vise désormais des succès à l’étranger, où un tel
le Mexique, fonctionnement séduit. »
pour mettre Car ces entreprises du Made in Italy,
en lumière toutes
les entreprises
qui vont parfois jusqu’à se cotiser
italiennes pour se déplacer en meute, ne
de son secteur. passent pas inaperçues aux yeux
des autres visiteurs européens. « De-
puis des décennies, les entreprises
du nord de l’Italie marquent ferme-
ment de leur présence les Salons de
l’export en Chine, constate ainsi
Frédéric Guiral, conseiller du com-
merce extérieur pour l’Asie et qui
sillonne le continent depuis plus de
trente ans. C’est une manière de
procéder dont nous devrions nous
inspirer davantage pour défendre
nos marques françaises. » En fai-
sant descendre la fraternité de la
devise républicaine dans le monde
des affaires.  Grégoire Pinson
21 MARS 2024 - CHALLENGES N°822  69
Entreprise
Audrey Derveloy
Urgentiste
Pénurie de médicaments, négociations avec l’Etat, affaire Doliprane :
depuis sa nomination à la tête de Sanofi France, cette médecin de formation,
discrète, gère une crise après l’autre. Sans jamais perdre son sang-froid.
Par Isabelle de Foucaud
S
ous une pluie fine, Audrey Derveloy file
d’un pas agile, malgré ses hauts talons,
dans le quartier de l’Odéon à Paris. La
présidente de Sanofi France, qui dirige
20 000 collaborateurs répartis sur
28 sites, n’envisage pas d’être en retard.
Ce soir du 8 février, elle est invitée à prononcer le
discours de clôture d’un « afterwork » organisé par
la fondation Université Paris Cité. « Si j’arrive à la
fin sans avoir rien écouté des débats, autant ne pas
venir du tout », souffle la quadragénaire au sourire
résolu, qui tranche avec sa voix timide et sa poignée
de main fugace. Sa présence paraît incongrue dans
ce bâtiment classé, rue de l’Ecole-de-Médecine,
parmi les chercheurs et médecins qui débattent de
la prévention des maladies.
Quand on lui demande ce que vient faire ici une re-
présentante de la Big Pharma, elle ne se dégonfle
pas. « Par principe, je me sens toujours à ma
place », lance l’intéressée, tout à fait consciente de
la réputation d’ogre financier que traîne encore, au
pays de Pasteur et de Curie, un groupe comme
Sanofi. Devant ce parterre de scientifiques, cette
Picarde d’origine tient à faire passer un message :
« Les laboratoires, notamment parce qu’ils fa-
briquent des vaccins contre la grippe ou la ménin-
gite, sont légitimes dans les débats de santé pu-
blique et de prévention ! »
A 46 ans, cette médecin de formation au caractère
bien trempé, n’a d’ailleurs pas peur de s’aventurer
sur les plateaux télévisés pour défendre le géant
mondial de la santé, où elle a succédé à Olivier Bogil-
lot en septembre 2022. Tant pis si c’est pour s’y
prendre des coups. Dès sa nomination, la crise sans
fin des pénuries de médicaments, dont celle très
médiatisée du Doliprane, a propulsé cette jeune diri-
geante sur le devant de la scène. Pour ce ponte de
l’industrie, « on l’a jetée dans la bassine et il a fallu
qu’elle se débrouille ».
70  CHALLENGES N°822 - 21 MARS 2024
DU MÉDICAL Toujours tirée à quatre épingles, avec ses jupes et
AU pantalons en cuir, Audrey Derveloy ne passe pas
MÉDICAMENT inaperçue dans le cénacle, très masculin – et parfois
1977 un peu condescendant – de l’industrie phamaceu-
Naît à Paris.
tique, mais où elle navigue avec naturel, témoignent
ses pairs. Son poste n’en reste pas moins complexe :
Collection personnelle
si elle est responsable de la France, sa feuille de
route est dictée par le Britannique Paul Hudson, di-
recteur général du groupe. Ce grand patron à la per-
sonnalité flamboyante avait suscité l’ire des Fran-
çais en 2020, en déclarant que les Etats-Unis
1995
Faculté de
pourraient être prioritaires dans l’accès au vaccin
médecine Cochin- contre le Covid. Certes réduit à 5 % du chiffre d’af-
Paris Ve. faires global, l’Hexagone n’en reste pas moins le
2002 berceau de la maison. « Avec 40 % de notre produc-
Internat à l’AP-HP. tion mondiale réalisée en France, Audrey est en
2007 première ligne pour dialoguer avec l’Etat sur des
Centre de sujets clés comme la réglementation ou les prix des
recherche médicaments », rappelle Frédéric Oudéa, l’ex-
Pasteur patron de la Société générale nommé en mai der-
de l’université
de Hong-kong. nier président du conseil d’administration de Sanofi.
Ce qui rend la mission de la jeune femme éminem-
2010
Pfizer France. ment politique, quitte à servir parfois de paraton-
2013 nerre au nom du groupe. Pas simple !
C
Novartis France.
2020 onvoquée à deux reprises par la commis-
Présidence de sion d’enquête du Sénat sur les pénuries
Novartis Irlande. de médicaments, en avril et juin 2023,
2022 Audrey Derveloy a ainsi dû justifier les
Présidence pertes d’emplois liées à la réorganisation des sites
de Sanofi France. de Sisteron et Aramon, dans le Sud-Est. « Elle est
restée extrêmement prudente, voire floue, sur la
stratégie du groupe », juge l’ex-sénatrice Laurence
Cohen. De quoi semer le doute chez les syndica-
Portrait listes. « Elle est envoyée au feu, mais ne tient pas
Audrey Derveloy
au siège mondial les manettes », tance de son côté Fabien Mallet, de
de Sanofi, à Paris, la CGT, qui garde en travers de la gorge le couac sur
photographiée par
Bruno Levy
le projet de scission du pôle de santé grand public
pour Challenges. du groupe, le fabricant du Doliprane. uuu
 Entreprise

Le parcours de santé d’Audrey Derveloy

Le 9 septembre 2022, avec Paul Hudson,
directeur général du groupe, à Vitry-sur-Seine.
Sa feuille de route est dictée par le flamboyant
Britannique, pas toujours facile à suivre.

Dominic McGrath/PA Wire/Abaca

En avril 2022, avec un dirigeant d’entreprise
médicale et le Premier ministre irlandais, Leo

Benoît Rajau
Varadkar, à Dublin. Repérée par le Canadien
Luc Beaulieu, devenu son mentor, elle a gravi
les échelons à la vitesse grand V.

uuu L’annonce a été faite par Paul Hudson le 27 oc- jeune à des situations difficiles où la vie de patients
tobre dernier, quand, quinze jours plus tôt, Audrey était en jeu. Cela apprend à relativiser », glisse
Derveloy dévoilait un investissement de 20 millions cette diplômée de la faculté de médecine Cochin-
d’euros à Lisieux pour doper la production de la Paris Ve, spécialisée en biologie médicale.

R
marque phare de paracétamol. Un court-circuit qui
a placé la dirigeante dans une situation délicate aux ien ne prédestinait vraiment cette « bonne
yeux des salariés. Pas de quoi pourtant ébran- élève », « curieuse de tout », comme la
ler cette sportive disciplinée au self-control à décrivent ses proches, à faire médecine.
toute épreuve. « Elle a beaucoup de sang-froid dans Adolescente, à Saint-Quentin, dans l’Aisne,
les situations potentiellement explosives, ce qui lui elle se passionne cependant très tôt pour la science
vient sans doute de ses études de médecine », – « elle est très factuelle, méthodique et ne laisse pas
admire son collègue Charles Wolf, directeur général grand-chose au hasard », confie son frère, l’indus-
vaccins de Sanofi France. « J’ai été confrontée très triel Alexis Duval –, sans doute aussi inspirée par sa
mère professeure de biologie, qui a élevé des triplés.
Du côté paternel, elle a hérité de la fibre entrepreneu-
Ce qu’ils disent d’elle riale. Magnats de l’industrie sucrière picarde, les
Duval ont transformé la petite coopérative d’Origny-
Elisabeth Moreno, Fabien Mallet, délégué CGT Sainte-Benoite en mastodonte : Tereos, le deuxième
ex-ministre, membre de Sanofi : « Quand elle visite groupe sucrier mondial. Et si Audrey Derveloy – qui
du conseil Diversité, des usines, elle est a grandi avec sa grande sœur, Marie-Noëlle, et ses
équité, inclusion de généralement entourée d’un jumeaux, Fanny et Alexis – n’était pas pressentie
Sanofi : « Il faut pas mal d’audace, aréopage d’élus du coin.
pour reprendre les rênes de l’entreprise, transmises
quand on est la patronne de C’est frustrant pour les salariés
Sanofi, pour aller à l’émission qui aimeraient avoir des échanges à son frère, elle a baigné dans les codes du leadership
Quotidien ou sur la matinale avec elle. » dès son plus jeune âge. « Le dimanche, notre père
d’Apolline de Malherbe. » nous emmenait faire le tour de l’usine pour saluer
Serge Weinberg, ancien les ouvriers », se souvient-elle. « Sa carrière est un
Humberto de Sousa, coordinateur président du conseil de Sanofi : peu la synthèse des métiers de nos parents, résume
CFDT de Sanofi : « Nous voulons « Elle a une vision à 360 degrés,
qu’elle défende l’indépendance très complète, plus encore que son frère. Comme si elle était programmée pour
sanitaire française. Le Doliprane, je ne m’y attendais. » faire ça. » Avec le recul, son camarade de faculté le
on ne veut pas le perdre ! » docteur Thomas Drevillon n’est pas surpris qu’elle ait
Mary Harney, ex-ministre décroché, avant ses 45 ans, un poste « si exposé et
Laurent Le Crabe/Hans Lucas/AFP

Alexandre Saubot, président
de France Industrie : « Elle a pris
un poste compliqué, avec une
expérience faible de l’écosystème
français où les labos sont vus
comme un coût pour la Sécu. »
irlandaise de la Santé : casse-gueule. C’est une bosseuse, très efficace, qui
« Elle était populaire au sein
du gouvernement irlandais,
n’est jamais dépassée par l’ampleur des
car elle avait une approche de responsabilités ».
partenariats entre son groupe, Malgré son allure frêle – « qui cache une vraie force
les autorités et les médecins. » de conviction », selon le professeur José-Alain Sa-
hel, un ponte de l’ophtalmologie –, Audrey Derveloy

72  CHALLENGES N°822 - 21 MARS 2024

 Le 19 avril 2023, avec Brigitte Macron,
à l’hôpital de Férolles-Attilly. Cette ancienne
interne de l’AP-HP n’a jamais vraiment coupé
les ponts avec les soignants, que la Première
dame soutient également.

Romuald Meigneux/Sipa
Alain Apaydin/Abaca
Aymeric Figueiredo/Le Parisien/MaxPPP

Le 4 octobre 2023, dans le Face à face
d’Apolline de Malherbe, à Paris. Discrète
en apparence, cette dirigeante au caractère
bien trempé défend dès que nécessaire
Sanofi sur les plateaux de télévision.
Le 20 octobre 2023, sur le site de production du
Doliprane, à Lisieux (Calvados). En pleine polémique,
Sanofi a investi l’an dernier 20 millions d’euros dans
l’usine normande de paracétamol, que les syndicats
craignent désormais de voir céder.

ne manque pas d’ambitions et de culot. Elle a depuis l’Etat s’épuisaient plus vite que prévu, semant la
longtemps Sanofi dans son viseur. Alors, au prin- panique dans les hôpitaux et pharmacies. « Nous lui
temps 2022, quand elle croise par hasard Paul avons mis la pression pour avoir des doses supplé-
Hudson dans la rue à Paris, elle n’hésite pas : « On mentaires, et elle s’est démenée auprès des hautes
s’est salué, il était au téléphone et je n’ai pas pu lui instances de son groupe pour en faire distribuer
parler, donc je lui ai envoyé dans la foulée un SMS 50 000 de plus à la France », reconnaît l’ex-ministre
ELLE AIME
pour reprendre contact. » A l’époque, celle qui a été de la Santé Aurélien Rousseau.

D
La mer
nommée à la tête de Novartis Irlande en janvier et ses amis
2020, juste avant le confinement, déprime à Dublin. de Noirmoutier. ifficile de savoir si les injonctions
« Cette période a été difficile, reconnaît-elle. Mes Les pâtes de la des politiques stressent cette pa-
enfants [une fille de 17 ans et un garçon de 15 ans cantine du bureau tronne imperturbable. Mais pour
aujourd’hui] ont commencé l’école à distance, à Paris. gérer la pression, cette amoureuse
sans se faire d’amis, tandis que mon mari était Echanger avec de la mer part, dès que son agenda
resté en poste en France », confie la quadra obligée les patients. « surbooké » le lui permet, se res-
de diriger 200 personnes en visioconférence, enfer- Lire des livres sur sourcer à Noirmoutier, en Vendée. C’est dans le fief
mée chez elle. le leadership. de villégiature des Duval qu’elle retrouve sa famille
Quand, quelques semaines après leur rencontre, et ses plus proches amis. Aux antipodes de l’agita-
Paul Hudson lui propose de la rejoindre chez Sanofi, ELLE N’AIME PAS tion des réseaux parisiens dont elle dit se tenir éloi-
elle n’hésite pas un instant. L’ex-PDG de Novartis La bière (malgré gnée. « Ne faites pas comme moi et cultivez votre
l’avait lui-même déjà repérée au siège tricolore du son séjour carnet d’adresses », répète-t-elle aux étudiants.
groupe suisse. « Elle était la superstar de la filiale en Irlande…). Même si cela peut sembler curieux, vu son poste et
française », l’encense-t-il aujourd’hui, conquis par La routine ses origines familiales.
et la lenteur.
son ascension météoritique. Cette trajectoire, la La visite, le 23 novembre dernier, d’Emmanuel
jeune dirigeante la doit « pour beaucoup », dit-elle, La nostalgie Macron à Chartres, pour célébrer en grande pompe
du passé.
à son ancien mentor, aujourd’hui décédé, le Cana- l’investissement de 2,1 milliards d’euros du concur-
dien Luc Beaulieu, qui l’a promue au sein de Novartis rent danois Novo Nordisk, l’a sans doute irritée,
alors qu’elle était encore peu expérimentée. mais, prudente, elle n’en dira rien. « C’était halluci-
Désormais à la tête de Sanofi France, Audrey Derve- nant », grince-t-on pourtant en interne. Inébranlable,
loy endosse des responsabilités d’une autre dimen- la directrice générale tente de rationaliser. « La prio-
sion. « Elle a vite appris à gérer des dossiers sen- rité de l’exécutif est d’attirer les investisseurs étran-
sibles », salue son concurrent Eric Ducournau, gers, alors que nous, nous sommes déjà là. » Spon-
président du groupe Pierre Fabre. Déjà dans la ligne sor des jeux Olympiques de Paris 2024, Sanofi attend
de mire des autorités publiques au moment du Covid, son heure. Le groupe accueillera la flamme olym-
Sanofi France se retrouve sur la sellette, cet hiver, en pique dans trois de ses sites, dont celui de Neuville-
pleine épidémie de bronchiolite des nourrissons, lors sur-Saône, où sa nouvelle usine de vaccins à ARN
du lancement du vaccin Beyfortus, développé avec messager devrait être livrée cet été. Peut-être que,
AstraZeneca. Les 200 000 doses commandées par cette fois, le chef de l’Etat fera le déplacement. •

21 MARS 2024 - CHALLENGES N°822  73

Santé & sciences
Des insectes inspirent
les plus petits
robots du monde
Minuscules, les machines
pourraient servir à la pollinisation
artificielle ou à la surveillance
de milieux environnementaux.
A
l’université d’Etat de
Washington (Etats-Unis),
des chercheurs de la facul-
té de mécanique et de gé-
nie des matériaux estiment avoir
conçu les plus petits robots du
monde. Le MiniBug mesure 8,5 mil-
limètres de long et pèse 8 milli-
grammes quand l’autre, le Water­
Strider, mesure 22 millimètres pour
55 milligrammes. Développés en
collaboration avec le fabricant de
drones volants Flyby Robotics, ils
Une thérapie génique pour
guérir la surdité infantile
Audiogene, un essai clinique inédit, espère rétablir
l’audition chez des enfants de moins de 3 ans.
C
’est une « rupture thérapeu-
tique » qui s’annonce dans la
prise en charge de la surdité
profonde chez l’enfant, anticipe
Natalie Loundon, directrice du
Centre de recherche en audiologie
pédiatrique et chirurgienne à l’hôpi-
tal Necker à Paris. Elle participe au
lancement d’Audiogene, premier
essai clinique de thérapie génique
contre la surdité dite DFNB9. Celle-
ci se caractérise par une mutation
74  CHALLENGES N°822 - 21 MARS 2024
s’inspirent d’insectes. Le second
imite précisément une araignée
d’eau, comme son nom l’indique.
Les minirobots se déplacent à la
vitesse de 6 millimètres à la se-
conde, mais sans motorisation. Ils
fonctionnent en effet grâce à un
minuscule actionneur en matériau à
mémoire de forme, système qui est
l’objet principal de l’article scienti-
fique les présentant. L’actionneur
est fait en nitinol, un alliage de titane
et de nickel pouvant se contracter
empêchant la production de la pro-
téine otoferline, sans laquelle l’in-
formation auditive ne circule pas au
niveau des synapses des cellules
sensorielles dédiées.
Douze patients âgés de 6 à 31 mois
recevront cette année une partie du
long ADN codant pour l’otoferline.
« Au vu des éléments précliniques,
il est raisonnable de penser qu’il y
aura d’excellents résultats chez le
nourrisson », précise la chercheuse.
WaterStrider. sous l’effet de la chaleur. Celle-ci
Ce robot imitant est appliquée par des impulsions
une araignée électriques transmises via un fil de
d’eau mesure
22 millimètres
cuivre. Les contractions succèdent
et se déplace aux retours à la position initiale, fai-
à la vitesse de sant vibrer les pattes des robots et
6 millimètres à provoquant leur déplacement.
la seconde, sans Selon les fréquences de courant tes-
motorisation. tées, ces minimachines se mettent à
« galoper », selon le terme des ingé-
nieurs. Si vite à 40 Hz, que le mouve-
ment des pattes n’est plus visible et
donne l’impression que les robots
flottent ! Les applications pourraient
être assez variées. Les chercheurs
citent la pollinisation artificielle,
mais aussi des missions de re-
cherche et secours, ou la surveil-
Bob Hubner
lance d’un milieu environnemen-
tale, plutôt aquatique. •
Ale Ventura/Altopress/AFP
Douze nourrissons Cette nouvelle thérapie est une
recevront cette avancée aussi majeure que celle
année une partie qu’a apportée l’implantation co-
de l’ADN codant
pour une protéine
chléaire il y a 30 ans. » Il faudra
essentielle attendre début 2026 pour que les
à l’audition. premiers résultats tombent, un an
après l’injection du médicament.•
 Un cinquième océan

B. Delessard/Challenges
dans le Système solaire
La veille de
GILLES FONTAINE
Rédacteur en chef à Challenges

Pour vivre longtemps,

sachez pivoter

L
Nasa

es Français ont toujours du mal

C’est la revanche de Mimas, petite avec le changement. Rien de bien
lune cabossée de Saturne aux allures neuf de ce côté. Quand il s’agit
d’étoile de la mort de Star Wars. de pivoter, la résistance est tout
Selon une étude, l’astre longtemps
aussi grande. Quand on est entrepreneur,
délaissé posséderait un gigantesque
océan enfoui sous sa surface. Avec mettre de côté une idée, un modèle
Europe et Ganymède (autour de économique auquel on a cru, pour lequel
Jupiter), Encelade et Titan (Saturne), on s’est battu, c’est très compliqué.
c’est le cinquième satellite du Une question d’ego, sûrement. La peur
Système solaire à posséder un océan. de faire pire que mal, aussi. L’incapacité
à accepter l’échec, souvent.
Un écosystème primitif Anh-Tho Chuong n’a pas trop de problèmes

en Argentine avec le pivot. Vietnamienne de père et de
mère, née en France, elle pensait prendre
la décision de sa vie, en septembre 2019,
quand elle décide de quitter les rangs
de la fintech Qonto, dont elle avait été
la première employée, après trois années
de bons et loyaux services. Destination :
le Vietnam et ses origines. Elle sent
Brian Hynek
SP
Anh-Tho Chuong et Raffi Sarkissian. Après
avoir tenté plusieurs pistes, leur start-up Lago
a finalement levé 22 millions d’euros.
règle d’or du pivot : identifier un problème
réel qui n’a pas encore été résolu. Au bout
de sept mois, il était clair que Lago, leur
start-up, ne deviendrait jamais une grande

l’énergie et les opportunités dans un pays entreprise mondiale de logiciel. Ils

en pleine mutation technologique
et sociologique. Rattrapée par la crise
A quelque 4 000 mètres d’altitude,
dans l’un des environnements les mondiale sanitaire quelques mois plus tard,
plus hostiles à la vie, un écosystème la jeune femme effectue son deuxième
jusque-là inconnu des scientifiques pivot : difficile de faire du business dans
a pu être étudié. L’analyse révèle les conditions de confinement très strictes
qu’il s’agit de l’un des meilleurs imposées par les autorités locales. Retour
laboratoires naturels pour étudier les
en France. La première règle d’or du pivot
premiers développements de la vie
sur Terre, il y a 3,5 milliards d’années. consiste à prendre sa décision rapidement.
Avec Raffi Sarkissian, ancien collègue
Inauguration du plus de Qonto, elle décide de lancer sa propre
boîte, à Paris, mais en suivant à distance le
grand réacteur à fusion programme d’incubation de Y Combinator,
Mesurant 15,5 mètres de haut et le célèbre incubateur de San Francisco
13,5 mètres de large, le tokamak qui a vu naître Airbnb, entre autres. Dans
JT-60SA est désormais le plus grand ce temple de l’entrepreneuriat et de
réacteur à fusion nucléaire du monde.
l’innovation, le pivot est une règle sacro-
Il a été inauguré à Naka, au Japon,
après dix ans de travaux d’un coût sainte. On y cite l’exemple de Hugging
dépassant 600 millions de dollars. Face, le spécialiste de l’apprentissage
Il servira non pas à produire automatique, qui a commencé avec des
de l’énergie, mais à étudier Tamagotchis pour ados. Ou la fintech Brex,
le comportement d’un plasma qui avait d’abord œuvré dans la réalité
de 135 m3. Un record. virtuelle. La première idée d’Anh-Tho
Chuong et Raffi Sarkissian était un outil
Rubrique réalisée no code d’analyse de données pour les
avec la rédaction de professionnels du marketing. Deuxième
sciencesetavenir.fr
exécutent alors un hard pivot : ils jettent
le produit à la poubelle, ne gardent que
le nom, et se lancent sur une nouvelle
piste. Troisième règle d’or : prendre
la bonne vague, au bon moment. Un soir,
Raffi Sarkissian publie un post sur Hacker
News, la plateforme de référence des
développeurs. Sujet : le cauchemar
de la facturation pour les ingénieurs qui
conçoivent du logiciel. L’article fait un
carton. Un énorme marché s’ouvre à Lago
qui est parvenu à lever 22 millions d’euros
en quelques mois, sans aucune mention
de l’intelligence artificielle dans leur
présentation PowerPoint. Un exploit.
Il rivalise aujourd’hui avec Stripe, le géant
californien du paiement en ligne
et compte des clients comme Mistral AI,
Together AI ou Swan, des start-up
qui montent. Et la coquette levée
de fonds va enfin leur permettre de
construire leur équipe commerciale.
Depuis sa création, Lago tourne avec
une dizaine de développeurs. Pour réussir
son pivot, mieux vaut être mince et agile.
C’est la dernière règle d’or.•

21 MARS 2024 - CHALLENGES N°822  75

Dossier

PLACEMENTS

Les meilleures
SCPI 2024
Toujours rentables, avec un taux moyen de distribution de 4,5 %
en 2023, ces placements immobiliers se transforment pour répondre
aux mutations du travail et de l’économie. Avec France SCPI,
Challenges présente une sélection de produits performants et prometteurs.

A
fuir de toute Il ne faut toutefois pas jeter le bébé

urgence, les
SCPI ? La col-
lecte brute 2023
sur ces véhi-
cules d’investis-
sements immo-
biliers est en
berne. Ou du moins en recul assez
sensible par rapport aux perfor-
mances record de 2022. Quelque
7,7 milliards d’euros ont ainsi été
collectés l’an passé, alors que ce
chiffre culminait à 11,6 milliards
d’euros en 2022. Cette défiance des
souscripteurs, jusqu’à présent sé-
duits par les promesses de ces ou-
tils, a commencé avec les différentes
annonces de baisse des prix de sous-
cription de leurs parts. Un signal
plutôt négatif imposé par le repli des
valorisations des biens en porte-
feuille. Pour cause, la hausse sou-
daine des taux d’intérêt a rebattu les
cartes pour toutes ces entreprises.
Bureaux en transformation
L’année 2023 a aussi été l’occasion
de constater une très nette évolution
dans les investissements, certains
segments minoritaires ces dernières
années ayant concentré l’attention.
Les SCPI diversifiées, dans la santé,
l’éducation, la logistique et les lo-
caux d’activité ont capté près de
75 % de la collecte au quatrième tri-
mestre 2023, alors que celles spécia-
lisées dans les bureaux sont descen-
dues à 20 %, contre 33 % sur
l’ensemble de 2023 et 41 % en 2022.
Catella
Les SCPI les plus récentes
avec une collecte positive
pourraient jouer un rôle clé
dans le soutien du marché
immobilier en 2024.
RAPHAËL AMOURETTI, président du cabinet
d’études Catella Property.
C’est dire si les bureaux n’ont plus la
cote, malgré le déni de l’ensemble de
la profession, qui a longtemps refusé
d’admettre les nouvelles habitudes
de travail post-Covid. « Les bureaux
centraux bien placés, en cœur de
ville et aux dernières normes envi-
ronnementales, n’ont pas de soucis
à se faire, assure Guillaume Arnaud,
président du directoire de Sofi-
dy. En revanche, ceux situés en pé-
riphérie et non rénovés ont perdu
de leur valeur. »
avec l’eau du bain, comme le
montre le tableau (lire page 78)
élaboré avec les données de notre
partenaire France SCPI. En
moyenne, les SCPI ont affiché
en 2023 un taux de distribution
– leur rémunération – de 4,52 %,
quasiment stable par rapport à 2022
(4,53 %). Une quinzaine ont même
offert plus de 6 %. Dans le détail, les
SCPI de logistique et locaux d’acti-
vité ont été les plus performantes,
avec 5,9 %, et les SCPI de bureaux
les moins généreuses, avec 4,1 %.
« La preuve que ces outils de place-
ment continuent de délivrer, même
en période difficile, assure Jérémy
Schorr, directeur commercial de la
plateforme Primaliance. Sachant
que les SCPI sont avant tout des
produits de rente générant des re-
venus réguliers grâce aux divi-
dendes versés. »
« Marché à deux vitesses »
Il faut surtout avoir en tête que
toutes les SCPI ne se ressemblent
pas, et qu’au sein d’une même caté-
gorie, certaines s’en sortent mieux
que d’autres. Sont privilégiées les
plus jeunes, peu endettées et qui
ont pu mettre la main sur des actifs
au rabais. Ce sont justement celles
qui attirent le plus les souscriptions
des particuliers ces derniers mois,
ce qui favorise en même temps leurs
investissements. « Les SCPI les plus
récentes avec une collecte posi-
tive pourraient jouer un rôle 

76  CHALLENGES N°822 - 21 MARS 2024

 L’ÉPARGNE IMMOBILIÈRE
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numéro 20002932 en ses qualités de CIF, membre de la CNCEF, chambre agréée par l’AMF, de MOBSP, de MIA et d’AGA sous le contrôle de l’ACPR.
Les SCPI CORUM Origin, visa SCPI n°12-17 de l’AMF du 24 juillet 2012 ; CORUM XL, visa SCPI n°19-10 de l’AMF du 28 mai 2019 ; CORUM Eurion, visa SCPI n°20-04 de l’AMF du 21
janvier 2020 sont gérées par CORUM Asset Management, société de gestion de portefeuille, SAS au capital social de 600 000€, RCS Paris n° 531 636 546, 1 rue Euler 75008
Paris, agréée par l’AMF, le 14 avril 2011 sous le numéro GP-11000012 et sous le régime de la directive AIFM 2011/61/UE.

ÉPARGNE IMMOBILIÈRE | ÉPARGNE VIE ET RETRAITE

Dossier

Notre sélection de 20 SCPI

COLLECTE ENDETTEMENT
CAPITALISATION NETTE TAUX DE Prix de Note
NOM TYPOLOGIE (en millions 2023 (dette/capital, DISTRIBUTION 2023 souscription* France SCPI
SOCIÉTÉ d’euros) (en millions en %) (Evolution 2023/2022) (en euros) 2024**
d’euros)
Transitions Europe Diversifiée 111 109 - 8,16 % (-) 200
Arkea REIM
Remake Live Diversifiée 391 267 17,48 % 7,79 % (+ 2 %) 204
Remake AM
Iroko Zen Diversifiée 467,2 255 29,2 % 7,12 % (+ 1 %) 200
Iroko
Epargne Pierre Europe Diversifiée 75 60 - 6,26 % (-) 200
Atland Voisin
Epsilon 360 Diversifiée 79 41 21 % 6,25 % (+ 3 %) 250
Epsicap REIM
Log In Logistique 107 58 - 6,21 % (-) 250
Theoreim
Cœur de régions Diversifiée 322,7 126 - 6,2 % (- 3 %) 664
Sogenial Immobilier
Corum Origin Diversifiée 2 940 351 3,5 % 6,06 % (- 12 %) 1 135
Corum AM
Cristal Life Diversifiée 107,8 58 4% 6,02 % (+ 9 %) 204
Inter Gestion REIM
Vendôme Régions Bureaux 853 222 13,59 % 6,01 % (+ 5 %) 670
Norma Capital
Cap Foncières et Territoires Diversifiée 83 18 2,18 % 6 % (+ 1 %) 258
Foncières & Territoires
Interpierre Europe centrale Bureaux 42,7 6 9,7 % 5,8 % (+ 8 %) 250
Paref Gestion
Altixia Cadence XII Diversifiée 165,26 39 12,9 % 5,6 % (+ 2 %) 200
Altixia REIM
Activimmo Logistique 98,3 324 - 5,52 % (0 %) 610
Alderan
LF Opportunité Immo Logistique 312,3 21 9,2 % 5,46 % (+ 1 %) 203
La Française
Cœur d'Europe Diversifiée 104,6 65 - 5,4 % (0 %) 200
Sogenial Immobilier
Foncière des Praticiens Santé /
Foncière Magellan 148,9 45 20,17 % 5,4% (+ 6 %) 1 100
Éducation
Atream Hôtels Hôtels 276,3 20 21,32 % 5,3 % (+ 5 %) 1 000
Atream
Kyaneos Pierre Résidentiel 331 89 22 % 5,28 % (- 2 %) 1 100
Kyaneos AM
Pierval Santé Santé /
Euryale AM 3 200 360 21,05 % 5,1 % (- 5 %) 204
Éducation
* Au 26 février 2024. ** avis très positif pour l'année en cours, avec un potentiel important de performances. avis positif pour SOURCES : FRANCE SCPI, CHALLENGES.
l'année en cours et performances surpassant la moyenne des SCPI. avis satisfaisant pour ces SCPI pour un investissement marginal.

uuu clé dans le soutien du marché
immobilier en 2024 », augure Ra-
phaël Amouretti, président du cabi-
net d’études Catella Property, spé-
cialisé en conseils financiers, asset
management et investissements
immobiliers. « Nous sommes face à
un marché à deux vitesses, détaille
Frédéric Puzin, président et fonda-
teur de Corum L’Epargne. Avec d’un
côté de jeunes SCPI bien placées
pour saisir les opportunités du
moment et de l’autre les anciennes,
à la tête de gros immeubles franci-
liens et monolocataires. Il ne fait
aucun doute que les premières,
telles les SCPI Corum qui ont initié
ce mouvement il y a plus de dix
ans, attirent plus l’attention, no-
tamment auprès des conseillers en
gestion de patrimoine. »
Il est ainsi symptomatique de voir
que de grandes sociétés n’hésitent
pas à lancer elles-mêmes de nou-
velles SCPI, en plus de celles
qu’elles pilotent déjà. Huit au total
ont été mises sur le marché en 2023,
et d’autres s’apprêtent à
suivre en 2024. Sofidy a notamment
annoncé le lancement de Sofidyna-
mic, une SCPI « high yield » qui se
Sélection réalisée veut différente de ses grandes
avec les données sœurs. « Affichant des frais d’entrée
fournies par
notre partenaire limités à 2 %, son profil de risque
France SCPI sera un peu plus élevé et visera un
objectif de rendement plus ambi-
tieux de 7  % », assure Jérôme Grum­
ler, directeur général délégué de
Sofidy.  Pascale Besses-Boumard u

78  CHALLENGES N°822 - 21 MARS 2024

 Le profit seul
n’est rien

Répondre à vos objectifs

patrimoniaux (transmission,
retraite…) Investir dans
l’immobilier de santé,
un secteur résilient
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dividende attrayante, via
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de long terme pour lequel la liquidité peut être limitée et dont le capital et les revenus ne sont pas garantis
(risque de perte en capital). Le détail des risques est décrit dans la documentation réglementaire de chaque
produit financier (et notamment Document d’Informations Clés et Notice d’information). Il est impératif de
prendre connaissance de ces documents avant toute souscription.
Le label ISR ne garantit pas la performance du fonds.

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Dossier
Prendre la vague des SCPI sans frais
La nouvelle génération séduit, et avec une collecte positive, les résultats sont là.
Mais leur avantage initial diminue à long terme, à cause des frais de gestion.
A
fin d’attirer le chaland et
de se démarquer de la
concurrence, plusieurs
sociétés de gestion ont
fait le pari de proposer des SCPI
sans frais d’entrée. Cette décision a
jeté un véritable pavé dans la mare,
l’ensemble des acteurs ponction-
nant habituellement 10 %. C’est ainsi
qu’Iroko ou Remake ont bâti leur
offre sur cette nouveauté, affirmant
qu’ils mettaient davantage d’argent
au travail d’entrée de jeu. Cela n’a
pas manqué d’attirer un nombre
important d’épargnants, mais aussi
de convaincre plusieurs acteurs de
suivre ce chemin. Parmi eux, Axipit
Real Estate Partners, qui vient de
lancer sa première SCPI sans frais
d’entrée, et Upêka, dont la vocation
est de se constituer un parc immo-
bilier diversifié (bureaux, com-
merces, logistique, hôtels, parkings,
logements, résidences de services,
etc.) en France, dans la zone euro et
au Royaume-Uni. Cela a aussi pous-
sé d’autres sociétés de gestion à re-
voir leur système de tarification,
comme Sofidy, qui vient de lancer
une SCPI (Sofidynamic) avec seule-
ment 2 % de frais d’entrée.
Actifs porteurs
Les spécialistes font toutefois re-
marquer que ces initiatives ont for-
cément un contrepoint : les frais de
fonctionnement ponctionnés an-
nuellement sont plus importants que
ceux des SCPI classiques. « Ce qui,
sur la durée, coûte finalement plus
cher au souscripteur, sachant que
la détention moyenne de ces outils
est de 22 ans », souligne Jonathan
Dhiver, fondateur de Meilleurescpi.
SP
com. Pour lui, l’idéal serait de mettre
au point une SCPI sans frais d’en-
trée mais avec des commissions
de sortie dégressives au fil des
ans. A savoir 12 % la première
année et plus aucuns frais dès la
douzième. Mécanique que les
sociétés de gestion ne sont pas
capables de mettre en œuvre au-
80  CHALLENGES N°822 - 21 MARS 2024
Alternative payante
Rendement des placements sécurisés et des SCPI (en %)
8 cements sans frais d’entrée sont fra-
7 nés en cas de programmes de
SCPI
6 désengagement. « Il est logique de
5 4,52*
Fonds en euros
4
3
2 durée, il faut une forme de stabili-
Livret A
1
0 * Taux de distribution. SOURCE : CATELLA PROPERTY.
2002 2010 2020
Alors que le rendement des SCPI se rapproche de celui
du Livret A ou des fonds euros, les offres sans frais
peuvent afficher un taux de distribution de plus de 7 %.
jourd’hui. « Ce qui est dommage, car
il faut donner du crédit à la déten-
tion de long terme », ajoute-t-il.
Dans l’immédiat, ces disrup-
L’absence teurs rencontrent un succès certain.
de frais Ils ont donc les moyens de saisir de
d’entrée très belles opportunités grâce au
nous a fruit de leur collecte et affichent des
permis performances plus que solides
d’investir
18 millions (voir tableau page 78). Le succès
d’euros de appelant le succès, ils sont donc
plus que si aussi les chouchous des conseillers
nous avions en gestion de patrimoine et family
prélevé 10 % offices, gros prescripteurs dans ce
de frais à la domaine. « Ces véhicules ont effec-
souscription. tivement pu mettre la main sur de
très beaux actifs à un très bon
prix, observe Stéphane Van Huffel,
PIERRE-ANTOINE directeur général et cofondateur de
BURGALA, Netinvestissement, cabinet de ges-
directeur général tion de patrimoine. Mais cette poli-
adjoint à Iroko.
tique du zéro frais d’entrée impose
aussi aux fournisseurs de faire du
volume pour s’y retrouver. Ce qui
peut avoir un impact sur la
qualité de service. » Celui-ci
conseille de se diversifier en
mélangeant les genres :
« jeunes et anciennes SCPI,
grosses et petites, traditionnelles
et disruptives ». Dans le détail, sa
préférence va aussi bien à Iroko
qu’à Immorente.
Il faut aussi avoir en tête que ces pla-
giles, car il sont les premiers concer-
vendre en priorité les SCPI sur les-
quelles vous perdez le moins lorsque
vous voulez récupérer du cash, sou-
3 ligne un expert. Or pour qu’un tel
placement puisse délivrer sur la
2,5
té. » De fait, pour éviter les ventes
prématurées, les produits jeunes et
sans frais, tout comme les plus clas-
2023 siques, instaurent généralement des
commissions de sortie assez dissua-
sives (5 % en moyenne), pour ceux
qui seraient tentés de vendre avant
huit années de détention, qui est la
durée jugée compatible avec un pla-
cement immobilier.
Rendement de 7%
Si les gérants des SCPI historiques
se montrent logiquement circons-
pects sur cette offre nouvelle géné-
ration, les résultats sont là pour
attester de leurs indéniables perfor-
mances. Iroko, par exemple, a déli-
vré un rendement net de 7,12 % au
titre de 2023. « Nous avons collecté,
l’an passé, 255 millions d’euros,
détaille Pierre-Antoine Burgala,
directeur général adjoint associé
d’Iroko. L’absence de frais d’entrée
nous a permis d’investir 18 mil-
lions d’euros de plus que si nous
avions prélevé 10 % de frais à la
souscription. Cela a représenté pas
moins de 0,3 % sur les 7,12 % de la
performance d’Iroko Zen en 2023. »
Quant à la question des frais de ges-
tion, il fait remarquer qu’au regard
de ses commissions, il faudrait
atten­dre vingt-cinq ans pour que sa
SCPI soit plus onéreuse que celles
de ses semblables à rendement
d’actifs identique. Pour 2024, il a
pour objectif (non garanti) de déli-
vrer un rendement compris entre
6,75 % et 7,5 %.  P. B.-B. u
Dossier
Négocier l’écueil de la liquidité
Contraintes de dévaloriser leurs parts, certaines SCPI peinent à suivre le boom des
demandes de rachat. Les solutions pour fluidifier le marché restent incertaines.
C
e n’est pas un secret : le
MeilleureSCPI.com
marché secondaire des
SCPI est tout sauf liquide.
Mais les souscripteurs fi-
naux qui ont inséré ces produits à
l’intérieur d’un contrat d’assurance-
vie ne le savent sans doute pas, car
l’assureur doit assurer la liquidité de
tout placement logé dans ces sup-
ports. A l’instar de ces profession-
nels, les clients ayant directement
investi via un compte-titres ont au-
jourd’hui la preuve de cette difficulté
à la revente : fin 2023, les parts en
attente représentaient 2,1 milliards
d’euros, soit 2,3 % de la capitalisation
totale des SCPI (au nombre de 216 à
ce jour), contre 142 millions d’euros
(0,16 %) à la fin 2022.
Pour celles qui réussissent encore à
collecter, les nouveaux fonds sont
prioritairement utilisés pour rem-
bourser ces demandes de sortie.
Mais pour les SCPI qui n’ont plus la
cote, le problème est de taille. « Ce
sont souvent celles qui ont baissé
leur prix de part, se situant dans la
borne basse des taux de rendement
de l’an passé, explique Jérémy
Schorr, directeur commercial de Pri-
maliance. Elles doivent faire face à
d’importantes parts en attente,
créant un cercle infernal. »
Pression des assureurs
Qui sont ces souscripteurs soucieux
de récupérer leur argent ? Pas des
particuliers, mais des investisseurs
institutionnels, assurantiels pour la
plupart, qui ne souhaitent pas
conserver ces positions. « Un cer-
tain nombre d’assurances-vie, à la
recherche d’un second souffle il y a
quelques années pour améliorer les
rendements de leurs fonds en euros,
ont afflué dans la collecte de nom-
breuses SCPI, indique Raphaël
Amouretti, de Catella Property. En
oubliant un peu trop vite qu’il est
difficile d’en assurer la liquidité,
particulièrement en période de
crise immobilière. Ce sont en partie
ces acteurs qui mettent aujourd’hui
82  CHALLENGES N°822 - 21 MARS 2024
Avec le statut de capital
fixe, il est possible d’établir
un carnet d’ordres centralisé
confrontant l’offre et la demande
avec des réponses au cas par
cas. Ceux qui veulent vendre le
pourront, pas forcément dans de
bonnes conditions, mais ce
sera le prix de la liquidité.
JONATHAN DHIVER, fondateur de Meilleurescpi.com.
la pression sur certaines SCPI pour
vendre des actifs, au moment de
marché le moins opportun… »
Dans ce contexte, certaines auront
du mal à relever la tête, ou du moins
cela prendra-t-il du temps. Jusqu’à
ce que le marché se reprenne et
qu’elles puissent enfin solder les dé-
parts et revenir à l’achat sur des
biens intéressants.
Celles qui le peuvent attendent donc
de meilleures conditions pour réali-
ser leurs arbitrages. « Nous consta-
tons sur PFO2 un certain nombre de
parts en attente, et dans l’immé-
diat, nous n’avons pas l’inten-
tion de céder des actifs, relève le
président de Perial, Eric Cosserat.
Nous le ferions dans de trop mau-
vaises conditions. Pour certains de
nos fonds, la collecte de 2023 a été
mobilisée pour rembourser une
partie des parts en attente. » Du
côté de Primonial REIM France, ces
parts représentent 6,8 % de la capita-
lisation de Primopierre (bureaux) et
moins de 3 % de Primovie (santé).
Pour Laurent Fléchet, président de
Primonial REIM Holding, « les
vendre en ce moment consisterait à
acter définitivement une baisse
au pire moment et renoncer aux
opportunités du cycle immobilier
qui va s’ouvrir. Nous souhaitons
par ailleurs réfléchir, avec les ac-
teurs de la place et nos associations
professionnelles, aux modifications
à apporter aux règles régissant la
liquidité de ce marché. »
Réfléchir à long terme
Pour résoudre à court terme ce pro-
blème de liquidité, certains profes-
sionnels envisagent l’idée de trans-
former les SCPI à capital variable en
SCPI à capital fixe. Avec quel résul-
tat ? « En choisissant ce statut, il est
possible d’établir un carnet d’ordres
centralisé permettant de confronter
l’offre et la demande avec des ré-
ponses au cas par cas, contraire-
ment au capital variable où le prix
fixé l’est pour tout le monde, ex-
plique Jonathan Dhiver, fondateur
de Meilleurescpi.com. Ceux qui
veulent absolument vendre pour-
ront le faire, pas forcément dans de
bonnes conditions, mais ils paie-
ront le prix de la liquidité. »
« Il ne faut surtout pas oublier que
l’achat de SCPI doit répondre à une
stratégie patrimoniale de long
terme, rappelle Sylvain Durand-­
Millien, du Cercle des Avisés, et
membre de Neofa. L’achat en dé-
membrement de propriété (avec
usufruit et nue-propriété) reste,
aujourd’hui encore, l’un des outils
assez méconnus et pourtant le plus
intéressant sur le plan tant finan-
cier que fiscal. »  P. B.-B.
SP
Luxes création

D
Mathilde Nivet

Beauté
es nuées d’hiron-
delles et des envo-
lées de cigognes

fragile
dans les vitrines
du Printemps
Haussmann à Pa-
ris ; des margue-
rites et des brins
de muguet géants
pour Dior, des ci- Par Isabelle Lortholary
tronniers et tour-
nesols blancs pour Artiste du papier, elle met en scène vitrines et campagnes de
Jacquemus, un cheval à la robe de
pétales de rose pour Hermès, un
publicité d’innombrables maisons de luxe. Visite de son atelier
dragon au visage de clown chez où naissent fleurs et oiseaux, poétiques et éphémères.
Louis Vuitton ; ou encore, sous les
verrières de Burlington Arcade, à
Londres, un jardin suspendu d’où seulement à ses sujets – faune et qui me plaît, qu’il soit là depuis
retombent des brassées multico- flore graciles, volatiles et animaux toujours, qu’il soit encore là dans
lores de glycine, clématites, ané- magiques et légendaires –, mais au longtemps, analyse la jeune femme
mones, ipomées, hortensias, iris et caractère à la fois éphémère, fragile de 40 ans. Peu encombrant, un bout
roses… Les créations de Mathilde et modeste de leur matière : le pa- de papier peut être détruit ou en-
Nivet possèdent un supplément pier. « C’est peut-être d’abord l’idée dommagé en un instant – brûlé,
d’âme et de grâce qui ne tient pas qu’il ait traversé toutes les cultures déchiré ou froissé – ou bien durer

84  CHALLENGES N°822 - 21 MARS 2024


Le monde merveilleux de Mathilde
Nivet en vitrine du Printemps
Haussmann, à Paris, en 2023.
Un travail de six mois, avec une
équipe de 80 personnes, comme
pour un décor de cinéma.
Michael Huard
Vitrine Louis Vuitton en 2021. Avant ce dragon au visage de clown, la marque avait fait appel
à Mathilde Nivet pour l’ouverture de son Cabinet d’écriture, place Saint-Sulpice, à Paris, en 2012.
Dans son atelier à Paris. « Chaque “paper artist” a son écriture, dit Mathilde Nivet. Ce qui
caractérise la mienne est peut-être cette volonté de ne pas vouloir encombrer le monde.»
l’éternité, à l’exemple des paperolles
de la Renaissance et des dessins de
Léonard de Vinci. »
Depuis quinze ans, c’est en pliant,
découpant, embossant et collant
que la créatrice poétise, imagine et
met en scène vitrines et campagnes
des maisons de luxe comme Her-
mès, Chanel, Louis Vuitton, Hen-
N
nessy, Bulgari, Mellerio, Louboutin,
Jacquemus, Guerlain, Lancôme,
Uniqlo, Chaumet, Lacoste, Chopard,
Céline, by Far, Swatch, Fred, Van
Cleef & Arpels, Rochas, Cartier. Son
art, sa griffe et son succès dans le
monde du luxe tiennent autant à son
21 MARS 2024 - CHALLENGES N°822 
Stéphane Lagoutte/MYOP pour Challenges
unique matériau qu’à l’extrême déli-
catesse de ses sujets. « Chaque
“paper artist” a son écriture, confie-
t-elle. Ce qui caractérise la mienne
est peut-être cette volonté de ne pas
vouloir encombrer le monde. Je
suis écolo depuis toujours et reste
fascinée, chaque printemps, par
l’arrivée des fleurs. C’est une source
inépuisable d’inspiration. »
ée en 1983, ayant grandi
dans le Berry entre un
père agriculteur et une
mère pharmacienne, et
vivant maintenant dans
une maison avec jardin
dans le Val-d’Oise, Ma-
thilde Nivet choisit, dès
que possible, de travailler avec des
gammes de papiers recyclés et des
prestataires locaux, soignant son
empreinte carbone jusqu’à se dépla-
cer à vélo pour porter ses maquettes
aux clients. Elle avoue pourtant que
cette matière est arrivée un peu par
hasard dans sa vie, contrairement au
dessin. Après son baccalauréat, elle
passe le concours de l’Ecole supé-
rieure d’arts appliqués Duperré,
qu’elle réussit, et suit un BTS art tex-
tile, spécialité matière-couleur-mo-
tif. Elle choisit pour sujet de diplôme
le thème du courrier, collecte des
enveloppes, qu’elle associe, déploie,
sérigraphie, imaginant des patch­
works et découpant des dentelles de
papier.
En 2007, son diplôme en poche, elle
s’installe en free-lance. « On arrivait
à la fin d’un cycle et de cette fasci­
nation pour le numérique et uuu
85
Luxes création
uuu la conception sur ordi-
nateur avec Photo­shop. Cette
lassitude pour le virtuel a
entraîné un nouvel engoue-
ment pour le travail de la
main. Avec mon papier, je
correspondais précisément à
ce goût : j’ai assez vite trouvé
ma place. L’expression “pa-
per artist” est apparue. » La
même année, le musée de La
Poste lui commande décor et
vitrines. Depuis, elle partage
son activité entre la scénogra-
phie de vitrines et d’événe-
ments pour de prestigieuses
maisons de luxe et la concep-
tion de décors et l’accessoiri-
sation de séances photo ou de
films pour des campagnes
publicitaires. « J’aime l’idée
d’excellence à la française
liée au monde du luxe autant
SP
qu’à l’artisanat, quand je
peux décider de l’histoire à racon-
ter, avec un ADN pour point de dé-
part et que la création l’emporte sur
la production. Dans ces collabora-
tions avec des maisons historiques,
les attentes sont très élevées et
obligent à toujours plus de rigueur
et d’exigence. » Ainsi celle avec Her-
mès, en 2010, pour laquelle elle crée
un cheval ailé en pop-up pour la sor-
tie d’un parfum. La légèreté de ses
petits papiers devient la signature de
Mathilde Nivet, les portes du luxe lui
E
sont ouvertes.
n 2011, elle réalise les
décors de toutes les vi-
trines du flagship Bulgari
à l’occasion du lance-
ment du nouveau par-
fum Mon Jasmin Noir.
En 2012, Louis Vuitton
fait appel à elle pour
l’ouverture de son Cabinet d’écri-
ture, place Saint-Sulpice, à Paris.
En 2014, c’est au tour du Bon Mar-
ché, pour un nouvel espace joaille-
rie. « Un de mes premiers décors
avec mes premières sculptures, des
saynètes autour des oiseaux, se
souvient la créatrice. Beaucoup de
vitrines, avec un impact extraordi-
naire car l’exposition est restée pé-
renne quatre ans. »
En 2017 puis en 2018, Burlington
Arcade, un passage couvert de
Londres, lui donne carte blanche et
ainsi naissent d’abord 300 hiron-
86  CHALLENGES N°822 - 21 MARS 2024
Stéphane Lagoutte/MYOP pour Challenges
Pliage. « Peu encombrant, un bout
de papier peut être détruit en un instant
ou durer l’éternité », dit Mathilde Nivet.
Composition delles bleues en vol immobile puis, matériel simple pour sculpter son
de tournesols l’année suivante, un véritable jardin papier. Une grande table sur la-
pour Jacquemus. suspendu, foisonnant de couleurs. quelle sont alignés plusieurs pots
« Je suis fascinée,
chaque
La gigantesque installation de avec multitude de ciseaux, de
printemps, 20 mètres de long décuple sa renom- crayons ou de feutres, des cutters,
par l’arrivée mée. Jusqu’à l’hiver dernier, où la des pistolets à colle, toutes sortes
des fleurs. C’est foule de Noël a pu découvrir son de glus, un plioir – une sorte de lame
une source monde merveilleux dans les vitrines non coupante pour plier, courber,
inépuisable du Printemps Haussmann : « Etre modeler –, des stylets de différentes
d’inspiration »,
confie Mathilde
invitée comme directrice artistique tailles pour bomber le papier, un
Nivet. de ce grand magasin, c’est le rêve. ordinateur ainsi qu’une machine à
Le Graal. » Un travail de six mois, découper d’après programmation.
avec un brief et une équipe de Et des rouleaux de grandes feuilles,
80 personnes, comme pour un dé- colorées ou non et de différents
cor de cinéma. grammages, qu’elle commande chez
C’est dans son petit atelier en rez- des grossistes spécialisés. Jusqu’à
de-chaussée du Xe arrondissement, sept personnes la secondent sur les
près du canal Saint-Martin, que plus gros projets, mais le plus sou-
naissent la plupart de ses créations, vent elle travaille seule ou en com-
à l’exception des plus volumineuses, pagnie d’une ou deux assistantes.
qu’elle fabrique chez elle dans le Val- De ce papier qui peut couper, que
d’Oise. Pas de gros outillage, un l’on jette et froisse et déplie depuis
la classe de maternelle et que les
enfants déchirent à loisir lorsqu’ils
sont mécontents de leurs dessins,
Mathilde Nivet sait réinventer
toutes les possibilités. Depuis le
début de l’année, des panthères et
colibris en rouge et blanc peuplent
les vitrines des boutiques Cartier
d’Europe. En janvier 2025, la « pa-
per artist » présentera sa première
exposition monographique, à la
Michael Huard
Maison des Arts de Châtillon, qui lui
a donné carte blanche. De sa ma-
tière préférée, elle est certaine
Dans l’atelier parisien. Volatiles et animaux magiques ont un qu’elle n’aura pas assez de toute une
supplément d’âme qui tient aussi à leur matière : le papier. vie pour en faire le tour.  •
griffe
Loro Piana
Dolce
cachemire
Par Xavière Laffont
L
e nom évoque à la fois sens
des affaires et savoir-faire.
Dès le début du xixe siècle,
la famille Loro Piana
s’impose dans le
commerce de la laine avant
de créer sa propre filature dans
les montagnes du nord de l’Italie.
Fondée en 1924, la société ne cesse
par la suite de monter en gamme
et devient une maison de luxe
à part entière dans les années 1970,
sous la houlette des petits-fils
du fondateur, Sergio et Pier Luigi.
Numéro un mondial sur le marché
du cachemire, la maison offre
plusieurs gammes de produits allant
de l’accessoire au prêt-à-porter,
masculin comme féminin.
Elle ne propose que des matières
d’exception, travaillées par les
artisans les plus expérimentés.
Contrôlée par le groupe LVMH
(actionnaire de Challenges),
l’entreprise se fournit dans les plus
lointaines contrées, telles que la
Mongolie pour son baby cachemire,
l’Australie pour sa laine mérinos
extrafine, ou encore la Birmanie
pour sa fibre de lotus. Mais, surtout,
elle fabrique, encore aujourd’hui,
exclusivement en Italie !•
Icône de saison
Loro Piana nous propose une version
printanière dans les tons pêche de son sac
à main Ghiera, en cuir de veau extradoux
avec bandoulière réglable. Le fermoir rond
traditionnel a été modernisé.
Sac Ghiera Small. Prix : 2 800 euros.
fr.loropiana.com/fr
Jeu de lignes
Le costume féminin se réinvente
en un ensemble à la fois fluide
et raffiné. La veste Spagna,
iconique depuis sa création en 1998,
en 100 % cachemire, est ici raccourcie
pour allonger la silhouette.
Collection printemps-été 2024.
Pied vénitien
Le créateur se démarque
avec ces mocassins originaux
inspirés des slippers plats.
Confectionné en cuir
d’agneau ultradoux, ce soulier
offre un confort ultime tout
en dynamisant la silhouette.
Mocassins Kami. Prix : 820 euros.
Millefeuille
chic
L’art de se vêtir prend ici
tout son sens. L’habile
superposition de différents
styles confère à la
silhouette son élégance :
chemise à col japonais,
gilet à boutons col V,
longue parka
à poches larges.
Collection automne‑hiver 2024.
: SP
Photos
Elégance marine
Saison après saison, l’emblématique
veste Spagna ne cesse de se renouveler.
Son col officier et son tissu
extrêmement léger en cachemire
doux permettent d’allier confort
et chic décontracté.
Veste Spagna. Prix : 4 400 euros.
21 MARS 2024 - CHALLENGES N°822  87
Luxes mode
: SP
Photos
COLMAR
Matelassé
Dans un genre sportswear, ce sac à bandoulière,
dit fourre-tout, est idéal pour les petites escapades.
Le plus : doté d’une matière déperlante et rembourrée,
il peut se transformer en oreiller durant les trajets.
Sac matelassé. Prix : 149 euros. colmar.com
Sacs week-end
Départ au
pied levé
Par Xavière Laffont
L’arrivée du printemps réveille
les envies d’évasion. Pour en profiter,
le bagage 48 heures est
indispensable, et toujours tendance.
RIMOWA
Décontracté
Equipé d’une bandoulière amovible, de poignées
et d’anses ajustables, ce sac Nylon associe praticité
et décontraction. Il offre de nombreuses poches de
rangement et un passant qui permet de le fixer à une valise.
Sac de voyage. Prix : 1 230 euros. rimowa.com
88  CHALLENGES N°822 - 21 MARS 2024
HECHTER PARIS
Stylé
Optez pour un esprit country club grâce à ce sac
en cuir grainé. La forme bowling oversize,
la double fermeture et les poignées dites tubulaires font
de ce modèle le it‑bag pour un week‑end à la campagne.
Sac Daily. Prix : 299 euros. hechter.com
LE TANNEUR
Organisé
En cuir grainé ultrarésistant, voici un sac astucieux.
Spacieux et organisé, il permet de ranger facilement
ses effets personnels, mais aussi de glisser un ordinateur
ou encore une tablette dans la poche extérieure.
Sac Charles 48 heures. Prix : 600 euros. letanneur.com
LONGCHAMP
Distingué
Allure chic assurée avec ce modèle en toile polyester
et ses détails en cuir cognac. Pourvu d’anses rigides,
d’un rabat en cuir et d’une étiquette pour bagages,
il permet de prendre l’avion en toute sérénité.
Sac M Boxford. Prix : 280 euros. longchamp.com
horlogerie
Manero Central Counter.
Boîtier : acier. Diamètre : 42,5 mm.
Mouvement : automatique.
Réserve de marche :
de 40 à 44 heures.
Fonctions : chronographe,
tachymètre.
Prix conseillé : 7 650 euros.
Complications
urbaines
I
Manero Peripheral Perpetual
Calendar. l s’agit de l’une
Boîtier : or rose 18 carats. des complications
Diamètre : 41,6 mm. horlogères les plus
Mouvement : automatique. recherchées.
Réserve de marche : 55 heures.
Fonctions : quantième perpétuel, Le quantième perpétuel
phase de Lune. permet d’afficher
Prix conseillé : 41 000 euros. correctement le jour du mois
sans qu’aucune correction
manuelle ne soit nécessaire,
y compris lors des années
bissextiles : la date ne doit
être ajustée qu’une fois
Photos : SP
par siècle, la prochaine fois,
en 2100 ! Cette complication
Carl F. Bucherer
Par Bertrand Fraysse
donne son nom à un
nouveau modèle proposé
par Carl F. Bucherer. Il est
doté d’une phase de Lune
et d’un mouvement à masse
oscillante périphérique
qui permet d’observer
l’ensemble des rouages
depuis le fond du boîtier.
Proposée avec un cadran
noir, vert ou taupe,
la Peripheral Perpetual
Calendar fait partie de la
collection Manero, urbaine
21 MARS 2024 - CHALLENGES N°822 
Manero Flyback.
Boîtier : acier. Diamètre : 40 mm.
Mouvement : automatique.
Réserve de marche : 56 heures.
Fonctions : chronographe, flyback,
tachymètre.
Prix conseillé : 6 700 euros.
et mode, où la maison
horlogère de Lucerne
exprime son goût pour
la couleur. Lancées il y a
un peu plus d’un an, les
Manero Flyback sont ainsi
disponibles en rouge, vert,
bleu, blanc ou noir.
Le nouveau chronographe
Manero Central Counter
– au cadran bleu, saumon,
marron ou vert – joue
également la carte de la
diversité chromatique.•
89
 Luxes design

TRUDON

Atypique
Qui de l’œuf ou de la poule
est arrivé en premier ?
Trudon répond de façon
originale en présentant ce
diffuseur de forme ovoïde
en céramique non émaillée.
En guise de mouillettes :
des bâtonnets.
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sur mesure en continu ou par intermittence.
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une manière ludique de
parfumer son intérieur. Une fois
retourné, ce sablier d’inspiration
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les effluves subtils de la senteur.
Ou comment réinventer l’art

Une déco d’embaumer.

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Par Xavière Laffont

Soucoupe volante, œuf, sablier… De plus

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par brumisation ou en bâtonnets signent
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propagation maîtrisée en termes la couleur cuivrée du liquide parfumé.
d’intensité et de fréquence. Ses huit bâtonnets offrent une
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90  CHALLENGES N°822 - 21 MARS 2024

destination
Hôtel & Spa Napoléon (Fontainebleau)
impériale
Par Sophie Massalovitch
Situé face à l’un des jardins qui enserrent le château
de Fontainebleau, l’hôtel bénéficie d’un emplacement stratégique
pour accueillir les visiteurs de la demeure royale.
R
afraîchie depuis peu, la fa-
çade de l’Hôtel & Spa Napo-
léon toise fièrement la rue
qui conduit en droite ligne
au château de Fontaine-
bleau. Juste en face s’ouvre le jardin
de Diane, protégé par une superbe
Photos : Yoni H Photography
La suite 201. Ordonnées autour
d’un patio, les chambres déploient
une déco sobre et élégante.
à cheval, sur les marches du-
quel Napoléon fit ses adieux à
la garde en 1814, a été restauré
avec minutie. D’une blancheur
éclatante, il surprend les visi-
teurs qui redécouvrent au-
jourd’hui le château.
A son fronton, l’hôtel Napo-
léon arbore le nom de l’empe-
reur – noblesse oblige ! Au
xviiie siècle, un relais de dili-
gences s’abritait entre ses
murs. La légende veut que Na-
poléon Bonaparte, alors jeune
lieutenant en second, s’y soit
arrêté (il faisait route vers Va-
lence, sa première affectation).
Dans le hall de l’hôtel, quatre
carrés de soie Hermès, dé-
ployés sous verre, évoquent
avec beaucoup d’élégance
l’épopée impériale.
Les chambres et suites s’or-
donnent autour d’un large pa-
Escale tio. Les plus prisées possèdent
un balcon. Notre préférée, si-
tuée au premier étage, porte le
numéro 101 : elle dispose d’une
vaste terrasse. La présence
d’un joli lit de repos habillé de
velours bleu contrebalance la
sobriété de son aménagement.
A travers ses larges baies vi-
trées, le restaurant Em-
preinte tutoie la végétation du
patio. Son joyeux foisonne-
ment signe le cachet du lieu.
L’après-midi, le bar Les Secrets
est le rendez-vous des becs su-
crés. C’est que la talentueuse
La façade de grille – c’était autrefois le jardin pri- cheffe pâtissière Adeline Poinsard y
l’hôtel. Rénové, vé des souverains. Une porte déro- propose un chariot de douceurs qui
l’établissement
qui abritait
bée y livre accès. Une allée se faufile affole les papilles !  •
au xviiie siècle
entre les buissons fleuris, puis HÔTEL & SPA NAPOLÉON
un relais de contourne la bâtisse du Jeu de 9, rue Grande, 77300 Fontainebleau.
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21 MARS 2024 - CHALLENGES N°822  91
 Cultures écrans
Guillaume Canet et Alba
Rohrwacher. Les chemins
de Mathieu et d’Alice,
anciens amants, se
recroisent après quinze ans.

une professeure de piano

qui fut sa compagne
quinze ans plus tôt, dont
il n’a plus eu de nouvelles
et qui vit là en couple…
Après sa trilogie consa‑
crée au monde du travail
(La Loi du marché/
En guerre/Un autre
monde), Stéphane Brizé
a choisi de reparler
d’amour, sujet de ses
premiers longs-métrages
(du Bleu des villes à Ma-
demoiselle Chambon).
Gaumont

Des cœurs qui s’em‑

M
brasent de nouveau
athieu est comédien. Un comme des volcans trop longtemps
comédien à succès, mais
Hors-saison endormis et viennent bouleverser

Vague
qui vient de faire un refus les vies des anciens amants.
d’obstacle en plantant la Accompagné par la bande originale

pièce de théâtre dans la‑
quelle il devait jouer, à
quelques jours de la première. Pour
oublier et se faire oublier, il a mis le
cap sur une thalasso en Bretagne.
Mathieu garde tout de même contact
par téléphone avec sa compagne,
présentatrice de journal à la télévi‑
sion (Marie Drucker, aussi coscéna‑
riste de ce Hors-saison). Elle lui
donne des conseils sur la suite de sa
carrière. Mais on sent que quelque
chose a vrillé chez lui. Puis le destin
remet sur sa route, dans cette petite
ville du bord de l’Atlantique, Alice,
d’amour
virevoltante de Vincent Delerm, le
résultat est un petit bijou roman‑
tique et romanesque. Un film à la
beauté lumineuse qui s’appuie sur
l’alchimie inouïe entre ses deux
Par Thierry Chèze merveilleux comédiens : Guillaume
Canet et Alba Rohrwacher. Brizé
aime à filmer en longueur leurs si‑
Après sa trilogie consacrée au lences et leurs regards, dépouillant
monde du travail, Stéphane Brizé les échanges de mots inutiles. Un
propose un film lumineux, grand film d’amour, avec un A
rappelant ses premiers majuscule. •
longs‑métrages. Un petit bijou De Stéphane Brizé. Avec Guillaume
Canet, Alba Rohrwacher, Sharif Andoura…
romantique et romanesque. Durée : 1 h 46.

Averroès et Rosa Parks

Folie humaniste

I
l y a un an, Nicolas
Philibert triomphait
au festival de Berlin avec
Sur l’Adamant, une
plongée dans le quotidien
de cette péniche amarrée
en bord de Seine qui offre un
cadre de soins et des ateliers
à des malades en souffrance
psychique. Un sujet
passionnant qu’il continue
de creuser dans deux
SP
longs‑métrages : La Machine
à écrire et autres sources
de tracas (en salles le 17 avril)
et cet Averroès et Rosa Parks.
Pour ce dernier, il s’est glissé
à l’intérieur de deux unités de
l’hôpital Esquirol, appartenant
au pôle psychiatrique Paris
Centre. Et la magie opère.
Sa caméra sait capter, sans
jamais se faire intrusive
ou voyeuse, les mots et les
maux de ces patients, leurs
échanges teintés souvent de
surréalisme avec les soignants
à l’engagement chevillé au
corps et au cœur. Humaniste
et jamais misérabiliste,
Philibert donne à voir
un monde que l’on cache
ou qu’on ne veut pas voir.
Un film d’utilité publique.•
De Nicolas Philibert.

Durée : 2 h 23.

92  CHALLENGES N°822 - 21 MARS 2024

 scènes
Souvenir Little Rock Story
adolescent
En 1985, avant sa première Sensations
fortes
rencontre avec David Lynch
(dans Blue Velvet), Laura Dern
était l’héroïne de Smooth Talk,
récit d’apprentissage adapté
SP

de Where Are You Going,

Where Have You Been ? de Joyce Carol Oates. Par Rodolphe Fouano
Un grand film sur l’adolescence qui, bien que primé
au festival de Sundance, est resté inédit en France.
Merci à l’éditeur Carlotta d’exhumer ce trésor caché. Un concert-spectacle immersif pour revivre trois
Smooth Talk. De Joyce Chopra. Durée : 1 h 32.
quarts de siècle de rock en moins de deux heures.
Disponible en Blue-ray.

Navalny tout en nuances

Ce documentaire, projet entamé voilà quinze ans, mêle
images d’archives et témoignages de proches, pour
raconter Alexeï Navalny, dénonciateur infatigable de
la corruption du régime russe, retrouvé mort en prison
en février dernier. Un portrait passionnant car refusant
la facilité hagiographique : il pointe aussi son
nationalisme et les propos racistes qu’il a pu tenir.
Navalny, l’ennemi de Poutine. D’Igor Sadreev et Aleksandr
Urzhanov. Durée : 1 h 29. Disponible sur Arte.tv.

Guerre de stratégies

Bertrand Perrin
Thibault Grabherr/Quad+Ten/Canal+

Claude Whipple, Romain Piot, Nicolas Liesnard et Vincent Benoist. Au-delà

du didactisme annoncé, les musiciens restituent « l’énergie d’un concert ».

Quand le dérapage face caméra d’un footballeur
célèbre provoque une tempête médiatique qui met le
pays en surchauffe. Eric Benzekri, le créateur de Baron
noir, raconte une France fracturée comme jamais
à travers les guerres d’influence menées par des
communicants de crise roués pour faire basculer la
balance d’un côté ou de l’autre. Edifiant et angoissant.
La Fièvre. Série créée par Eric Benzekri. 6 épisodes.
Disponible sur MyCanal.
Poison russe
En 2018, un ex-espion russe et sa fille étaient retrouvés
sans vie, empoisonnés par un neurotoxique sur un banc
de Salisbury, dans le Wiltshire. La série Affaire Skripal
éclaire cette tragédie sous un angle original : le point
de vue des habitants et autorités locales de cette ville
anglaise, confrontés à des événements et une tempête
médiatique auxquels ils n’étaient pas préparés.
Affaire Skripal : l’espion empoisonné. Série créée
par Declan Lawn et Adam Patterson. 4 épisodes.
Disponible sur Arte.tv.
L
es compilations sont à la
mode. Hector Obalk fait un
tabac avec son stand-up
aussi drôle que pédago-
gique, balayant Toute l’his-
toire de la peinture en
moins de deux heures (13e Art,
jusqu’au 3 juin). Les anthologies
font aussi florès dans le genre musi-
cal. Après The Simon & Garfunkel
Story récemment passé en France
dans le cadre d’une tournée mon-
diale, demeurent à l’affiche pari-
sienne Toute une vie sans se voir
(Studio Hébertot, jusqu’au 7 avril),
Les Années Twist (Théâtre de la
Tour-Eiffel) et Black Legends (Bobi-
no, jusqu’au 28 avril). Focus de la
semaine : Little Rock Story, qui
concentre « 75 ans d’histoire du
rock en 75 minutes ».
Au-delà du didactisme annoncé,
Claude Whipple (guitare et chant) et
ses musiciens – Romain Piot (batte-
rie), Nicolas Liesnard (guitare et
clavier) et Vincent Benoist (basse),
aussi choristes – restituent « l’éner-
gie d’un concert ». Le metteur en
scène Olivier Prou le confirme : « Le
rock n’est pas une affaire de bavar-
dage ; ça se vit ! » Fil rouge : la fée
électricité – courant oblige – et la
personnification du rock sous les
traits d’un virtuel Robertson.
Le public (re)découvre tous les
styles depuis Elvis Presley jusqu’au
punk et au grunge, au psychédé-
lisme et au métal. Medley et riffs des
standards les plus significatifs (Beat-
les, Rolling Stones, Deep Purple, Led
Zeppelin, Bowie, Police, Queen,
Prince…) ramènent à la conclusion
de Joan Jett : « I love rock and roll ! »
Une expérience immersive à vivre
en famille, dès 6 ans. •
Concert-spectacle de Claude Whipple.
Mise en scène d’Olivier Prou. Son de Nicola
Bouchillou. Lumières de Mathieu Le Parc.
Durée : 1 h 15. Tarifs : de 16 à 42 euros.
Le dimanche à 15 heures. Jusqu’au
28 avril. Théâtre Bobino (Paris XIVe).
Tél. : 01-43-27-24-24. bobino.fr

21 MARS 2024 - CHALLENGES N°822  93

Cultures arts
Stat Crux

Authenticité
inspirée
Par Caroline Brun

Exposé en majesté au Collège des Bernardins,

François-Xavier de Boissoudy revisite le thème

Bonhams Cornette de Saint Cyr

de la crucifixion avec un point de vue original.

L
orsque le Collège des Ber-
nardins propose à François-
Xavier de Boissoudy une
exposition autour du thème
de la Croix, pour accompa-
gner Pâques, le peintre ca-
tholique se lance corps et âme dans
ce sujet « qui le dépasse ». Il fallait
quand même un certain culot pour
Croix demeure, tandis que le
monde tourne », et s’est interrogé
sur ce « face à face » immémorial. Portrait de Constantin Jelinski (1950),
Le résultat est inspiré. La technique Leonor Fini. Estimé 12 000 à 18 000 euros.
utilisée du lavis d’encre sur papier
allie légèreté du trait et densité des VENTES AUX ENCHÈRES
contrastes. La séquence des visages
du Christ souffrant jusqu’à la mort
semble prise sur le vif. Quant aux Cent ans
grands formats, ils
imposent au visi- de surréalisme

S
teur leur architec-
ture complexe : igné par André Breton et publié en 1924,
notamment La le Manifeste du surréalisme fête ses 100 ans !
Ville, où une masse Plusieurs maisons de ventes marqueront
de cubes dessine le coup, dont Bonhams Cornette de Saint Cyr
Jérusalem, sur la avec la vente du 27 mars. « Elle compte environ
droite, tandis qu’au 80 œuvres, présente Emilie Millon, experte de la
centre apparaît un vente. Nous avons mis l’accent sur des artistes peu
Golgotha lumi- connus, mais qui ont participé à ce mouvement,
neux d’où émerge, en ont été proches ou en ont été inspirés. »
vue de haut, une Des membres fondateurs figurent néanmoins sur
petite Croix. la liste : Magritte, avec un dessin non titré sur papier
Le point de vue de (15 000 à 20 000 euros), Man Ray avec une petite
l’artiste sur la sculpture, Au poil, constituée d’un pinceau entre
scène fatale est ori- deux plaques de plexiglas (2 000 à 3 000 euros).
Luc Pâris

ginal. « La Croix Et parmi les « dissidents », Leonor Fini, qui n’a

n’est pas en situa-
La Ville (2022), François-Xavier de Boissoudy. A droite, tion élevée, elle
une masse de cubes dessine Jérusalem ; au centre apparaît est à hauteur
un Golgotha lumineux d’où émerge une petite Croix. d’homme, une re-
présentation ex-
s’inscrire dans une tradition de cru- ceptionnelle », explique l’historienne
cifixions mémorables qui émaillent de l’art Paule Amblard dans le cata-
l’histoire de l’art : Masaccio, Fra An- logue de l’exposition. De même, au-
gelico, Bellini, Rembrandt, Rubens, cun spectateur ou témoin n’est iden-
Dalí, Picasso… et tant d’autres. tifiable dans cette foule stylisée qui
Jusqu’aux versions les plus contem- rappelle l’art pariétal. « Voici mon
poraines, subversives ou non. travail, comme une boue qui serait
L’authenticité de la démarche de visitée par la lumière », présente le
l’artiste resplendit dans ce travail peintre. Du bel art sacré qui parle
exposé en majesté dans l’ancienne aussi au profane.
sacristie de l’église médiévale dé- Stat Crux, de François-Xavier
truite par Haussmann. Boissoudy a de Boissoudy. Au Collège des Bernardins
médité la devise des Chartreux, « la (Paris Ve), jusqu’au 6 avril.
jamais officiellement adhéré au mouvement, mais
dont le portrait de Constantin Jelinski sur papier
(12 000 à 18 000 euros) est bien intégré à la vente.
« Nous mettons en avant les femmes surréalistes,
souligne l’experte, et présentons aussi une toile de
la Belge Jane Graverol (Le Bon Bout de la raison,
50 000 à 70 000 euros) et un cadavre exquis de
Valentine Hugo, André Breton et Greta Knutson,
daté de 1930 (15 000 à 20 000 euros). » Le succès
des ventes surréalistes ne semble pas se démentir
depuis quelques années. Emilie Millon l’attribue
au travail de fond mené par les institutions,
avec des expositions telles que Surréalisme
au féminin ? au musée de Montmartre en 2023.
• L’experte pointe aussi « la modernité des œuvres,
qui inspirent beaucoup de contemporains :
il y a une surréalité inavouée chez beaucoup
d’artistes actuels ». Clémentine Pomeau-Peyre

94  CHALLENGES N°822 - 21 MARS 2024

 livres
Essai
Aimer
Israël
Dans un texte brûlant, Bernard-Henri
Lévy donne sa vision des conséquences
tragiques du pogrom du 7 octobre.
Par Maurice Szafran
P
récisons-le pour ne plus
avoir à y revenir : Bernard-
Henri Lévy, depuis des dé-
cennies, milite en faveur de
la création d’un Etat palesti-
nien ; il a toujours appartenu
à ce « camp de la paix » qui croyait
avoir triomphé après les accords
d’Oslo en 1993 ; il abhorre Benyamin
Netanyahou et sa politique de colo-
Zunino Celotto/Getty Images via AFP
nisation en Cisjordanie. C’est dit.
Donc ce livre, Solitude d’Israël, ce
texte écrit d’une main brûlante
après le pogrom du 7 octobre, ce
jour où le destin d’Israël, et des juifs
aussi, a vacillé. Voilà ce que le philo-
sophe dit de cet « infracassable
Bernard-Henri
Lévy. « Le pogrom
qui aurait dû être noyau de nuit », repre-
l’occasion d’une nant une expression de
solidarité sans Primo Levi : « Jamais,
faille avec les
morts et ceux
depuis la Shoah par
qui les pleuraient balles, l’on n’avait vu
des juifs massacrés
produisit l’effet
inverse », décrit ainsi, à bout portant,
le philosophe. juste parce qu’ils
étaient juifs. Ce lyn-
chage puissance mille et
cette prise d’otages sans
exemple, le tout par sur-
prise et diffusé en temps
réel sur des réseaux so-
ciaux où l’on exultait
d’avoir saigné des juifs
SP
comme des moutons,
cela ne s’était jamais
produit. »
Les Israéliens à terre, les
juifs des diasporas ron-
gés d’inquiétude et de
malheurs. Peuvent-ils
seulement se raccrocher
au soutien des peuples
et des gouvernements ?
Oui, mais quelques jours
seulement : « Le pogrom
qui aurait dû être – et
qui fut un court ins-
tant – l’occasion d’une
solidarité sans faille
avec les morts et ceux
qui les pleuraient pro-
duisit l’effet inverse : un
vent d’antisémitisme,
de haine contre les juifs
sans précédent depuis
la Seconde Guerre
mondiale. »
Certains argueront que
le gouvernement d’Is-
raël est responsable de
ce retournement des
opinions. Les mêmes
reprocheront à Bernard-Henri Lévy
une indifférence au sort des Palesti-
niens et de leurs enfants martyrs. Il
SP
s’en défend : « Cette guerre est une
guerre atroce que les Israéliens
n’ont pas voulue. La responsabilité
de ces morts d’enfants ne revient
pas d’abord à Israël, mais à ceux
qui s’en sont fait des boucliers.
Confondre les soldats de Tsahal
avec les nazis, cela est contraire au
vrai, c’est un outrage aux victimes
SP
d’hier, un affront à celles d’au-
Solitude d’Israël, jourd’hui, un cadeau fait aux
Bernard-Henri
Lévy, Grasset, tueurs d’enfants du Hamas et un
176 pages, ajout au malheur du monde. »
17 euros. A méditer. • 144 pages, 16,90 euros.
21 MARS 2024 - CHALLENGES N°822 
Roman
Le bon côté
de l’horreur
Comme à l’accoutumée, le
héros de ce nouveau roman de
Jean-Paul Dubois se prénomme
Paul. Paul Sorensen a tiré deux
balles dans la tête de son père
déjà… mort.
Formidable
question : cet
acte bizarre
en fait-il un
meurtrier ?
Paul Sorensen
n’est certes
pas embastillé,
mais il doit se confier, sinon
s’expliquer, à un psychiatre,
entre pertes (sa mère, un frère
jumeau) et haine – contre
son père, cela va de soi. Texte
magnifique qui confirme
l’importance de Dubois dans
la littérature. Car il évoque
l’atroce d’une écriture si
délicate, d’un ton en apparence
détaché et parfois même
rigolard. Du grand art.
L’Origine des larmes, Jean-Paul
Dubois, Editions de l’Olivier,
256 pages, 21 euros.
Roman
L’aventure selon
García Marquez
Fallait-il publier ce texte,
que Gabriel García Marquez
(1927-2014) avait écrit pour
l’inclure dans un livre en cinq
récits – « des histoires d’amour
de gens âgés » ?
La réponse
est évidente :
les deux fils de
« Gabo » ont eu
mille fois raison
d’autoriser
cette parution.
On y retrouve
tout García Marquez, en
particulier son attrait pour le
sexe. Avec ce réalisme magique
qui a tant inspiré la littérature
sud-américaine. Une fille qui,
chaque 16 août, se rend sur la
tombe de sa mère dans une île
des Caraïbes. Jusque-là épouse
fidèle, elle aura chaque 16 août
une aventure sexuelle avec
un inconnu. Pourquoi ? Laissons
l’écrivain nous guider…
Nous nous verrons en août,
Gabriel García Marquez, Grasset,
95
Cultures livres
Christine Kerdellant

Les nouveaux
« barons voleurs »
Musk, Zuckerberg ou Bezos : le pouvoir des patrons des plus grandes entreprises du monde
semble sans limite. Et leurs exactions font froid dans le dos. Extraits (p. 142 à 144).

Le cas Toys « R » Us est sans doute le
plus édifiant. En 1999, Amazon n’est en-
core qu’un libraire en ligne qui cherche à
élargir son offre. Le jouet lui semble un bon créneau.
Il commence à référencer plusieurs fabricants, mais
très vite, manque de stocks. Jeff Bezos va alors ache-
ter ses cartes Pokémon et ses chiens Mattel chez
Toys « R » Us, fort de ses 1 600 magasins dans le
il a besoin pour dominer ce secteur : les contacts
des clients, bien sûr, mais aussi des indications sur
les produits qui se vendent le mieux, la saisonnalité,
les occasions d’achat, les arguments de vente, l’effi-
cacité de telle ou telle promotion… En un mot, il
fourbit les armes qui lui permettront un jour de se
passer de son partenaire.
En 2004, Toys « R » Us comprend qu’il a signé un

monde. Ce faisant, il perd évidemment de l’argent,
car il est obligé de vendre les jouets au prix où il les
a achetés et de les transporter en plus, mais il en-
grange 3 millions de nouveaux clients : c’est ce qui
l’intéresse à moyen terme. Toys « R » Us, lui, se ré-
jouit de ce nouveau débouché, car son propre site
Internet est indigent, et son patron, John Eyler, ne
croit pas que le web puisse constituer un jour un
canal de distribution de premier plan. Le jouet,
pense-t-il, le client ne l’achètera jamais sans le tou-
cher ! Première grosse erreur.
La seconde est une faute stratégique : Eyler signe
un contrat de dix ans avec Amazon afin de devenir
son fournisseur officiel de jouets. Jeff Bezos et
John Eyler font leur annonce commune le 10 août
2000 : ensemble, ils seront respectivement le « pre-
mier site de jouets au monde » et « le plus gros
vendeur de jouets du monde ». L’accord stipule que
l’enseigne de jouets abandonnera son propre site
Internet et versera à Amazon 50 millions de dollars
réparation. Des
par an, en plus de la commission que le distributeur
lui prélève sur chaque vente. Tout cela lui paraît
raisonnable.
En réalité, John Eyler est tombé dans un piège. Car
Amazon, en vendant de plus en plus de jouets en
ligne, va collecter peu à peu toutes les données dont
SP
marché de dupes et perdu sur tous les tableaux. Il
« Toys “R” Us dénonce l’accord, attaque Amazon en justice, et ob-
comprend tient… 51 millions de dollars de réparation. Des ca-
cahuètes. Il reprend son indépendance et tente de
qu’il a signé développer son site Internet, mais il est trop tard :
un marché en 2009, Amazon vend deux fois plus de jouets que
de dupes et lui ! Toys « R » Us a déposé le bilan en 2018.
Quel est le biais de construction, l’anomalie concur-
perdu sur tous rentielle qui rend la firme de Jeff Bezos si irrésis-
les tableaux. tible ? Facile : Amazon est juge et partie ! Il est à la
Il attaque fois market place, c’est-à-dire plateforme de mar-
ché pour les revendeurs extérieurs, et vendeur lui-
Amazon en même, en direct. Et ça dure depuis plus de deux
justice, décennies. Des centaines de revendeurs qui ont fait
et obtient… confiance à Amazon se sont ainsi fait court-circui-
ter lorsqu’un de leurs produits se vendait particu-
51 millions lièrement bien : le site géant contactait leur fournis-
de dollars de seur et les vendait en direct, à leur place. Bien sûr,
l’Europe lui a infligé des amendes pour ces activités
qui faussent le jeu de la concurrence. Le groupe a
cacahuètes. » fait l’objet de trois enquêtes antitrust, et Amazon a
préféré conclure un accord avec l’Union euro-
péenne en décembre 2022 pour éviter une amende
qui aurait pu atteindre 10 % de son
chiffre d’affaires mondial (plus de
500 milliards de dollars en 2022) !

Notre avis. Elon Musk, Mark
Zuckerberg, Larry Page et Sergey
Brin, Jeff Bezos, Bill Gates… Ils sont
« les barons voleurs du xxie siècle »,
selon Christine Kerdellant. Notre
consœur, longtemps responsable
de la page « Idées » des Echos,
n’est pourtant pas une adepte
du langage de La France insoumise,
elle qui a dirigé plusieurs rédactions
de grands magazines (Le Figaro
Magazine, L’Express, L’Expansion,
L’Entreprise…). Il faut dire que les
portraits dressés, même si les
impétrants sont largement connus,
font souvent froid dans le dos,
comme cet épisode oublié
du meurtre avec préméditation
de Toys « R » Us par Amazon.
Comme toujours, les solutions
proposées pour limiter le pouvoir
de « ces milliardaires plus forts que
les Etats » pèchent par leur
simplicité. La Commission
européenne et Thierry Breton en
savent quelque chose. Et la seule
méthode efficace, à la chinoise,
nous est interdite. On ne peut avoir
le beurre et l’argent du beurre. V. B.
Ces milliardaires plus forts
que les Etats, Christine Kerdellant,
Editions de L’Observatoire,
288 pages, 22 euros.

96  CHALLENGES N°822 - 21 MARS 2024

 Menthon
Domenach Double je
VENDREDI 15 MARS
Le rabot de Bruno Le Maire agace
les députés Renaissance
E
x-ministre de la Ville et députée macroniste de la première
heure, Nadia Hai ne se résout pas au dogme fiscal de Bercy
érigé comme intouchable, « alors que le macronisme origi-
nel exige de la souplesse, du dépassement, de l’innovation ».
Cette fille d’ouvrier, passée par HSBC et Barclays, n’imagine pas
que « face à un mur de dettes on ne puisse pas bouger ». Bref,
il y a mieux à faire que le rabot sur les dépenses publiques
assené par Bruno Le Marie. Il est vrai qu’à la commission des
Finances de l’Assemblée, dont elle fait partie, on n’a guère
apprécié de ne pas être consulté sur ces annonces.
Selon Hai, il faut « réajuster » les niches fiscales dont bénéfi-
cient les entreprises, mais aussi prévoir « un impôt provisoire
des plus riches et une initiative européenne pour éviter le dum-
ping de certains partenaires ». Une opinion largement partagée
par les élus Renaissance menés par David Amiel. Les uns et les
autres promettent de se retrouver sur une position commune
« car si des économies budgétaires sont nécessaires, il va fal-
loir faire preuve d’imagination : la rigueur et la cohérence
n’empêchent pas l’adaptation ».
LUNDI 18
La Suisse prépare un rendez-vous
de la paix pour l’Ukraine
P D
révu en mars, le sommet se tiendra finalement plutôt fin mai.
Depuis qu’elle a accepté, en janvier, d’organiser une confé-
rence de paix pour l’Ukraine, à la demande du président
Volodymyr Zelensky, la diplomatie suisse se démène. L’ambas-
sadeur à Paris, Roberto Balzaretti, qui œuvre dans l’ombre, nous
confirme que la rencontre ne se tiendra pas à Genève, siège eu-
ropéen de l’ONU, mais dans une ville comme Lucerne ou Zurich,
suffisamment proches d’un aéroport international et grandes
pour accueillir les délégations que Berne souhaite les plus nom-
breuses possibles.
« L’idée est d’avoir les Bics et non les Brics. » Pas de Russie,
donc, mais le Brésil, l’Inde, la Chine, l’Afrique du Sud, l’Egypte,
l’Iran, l’Arabie saoudite, les Emirats arabes unis et l’Ethiopie, qui
font partie du groupe des puissances du « Sud global ». Façon
de sortir de la paralysie onusienne et du face-à-face avec
B. Delessard/Challenges
l’Otan. A toutes fins utiles, Balzaretti rappelle que depuis 1993,
la neutralité helvétique n’est que militaire. La Confédération a
refusé de livrer des obus à l’Ukraine, mais elle applique les sanc-
tions économiques décidées à Bruxelles contre Moscou : « Et
cela sans discussion, ni concertation d’ailleurs. »
98  CHALLENGES N°822 - 21 MARS 2024
LUNDI 18
Les apôtres de l’IA prêchent
au Collège des Bernardins
M
ouna Sepehri et Patrick Ropert, après avoir quitté respec-
tivement les états-majors de Renault et de la SNCF, ont
créé Orson. Ce cabinet de conseil organise un événement
hors norme où se pressent journalistes, avocats, start-uppers,
universitaires et ambitieux du CAC 40. Sous les voûtes du
Collège des Bernardins (Paris Ve), le dominicain Eric Salobir
mène les débats dans le cadre de sa Human Technology
Foundation, que préside le prince Nikolaus de Liechtenstein,
qui s’est donné comme objectif de « faire du bien au bien
commun ».
La très vieille Europe accueille ce soir des vedettes américaines
pour célébrer l’intelligence artificielle (IA). Pour Kevin Scott,
qui pilote la R&D de Microsoft, celle-ci « remet en jeu le partage
entre ce qui est rare et ce qui est abondant ». Joëlle Barral
(Google) insiste sur son « potentiel authentiquement démocra-
tique ». Encore lui faut-il, pour cela, construire les bases de la
confiance, nuancent Mira Murati (OpenAI) et Reid Hoffman
(cofondateur de LinkedIn), qui ne disent pas non à une « régu-
lation intelligente ». Tous ces apôtres de l’IA prêchent pour
l’« ouverture », le « dialogue », la « responsabilité partagée ».
On dit amen.
MARDI 19
L’Assemblée nationale s’offre
une pause coiffée
es plaisanteries capillotractées, Olivier Serva, député de
Guadeloupe, en a subies : il porte depuis un an une proposi-
tion de loi contre la discrimination capillaire. Le texte
devrait enfin venir en discussion à la fin du mois. Soutenu par
huit groupes parlementaires et cosigné par une bonne soixan-
taine de ses collègues, il a de bonnes chances de le faire adopter.
On peut se demander si un tel combat n’est pas superfétatoire,
tiré par les cheveux. Or le diable d’homme est convaincant. Il
livre des témoignages de discriminations d’« employés
afros obligés de s’aplatir », de menaces de licenciements qui
planent sur les cheveux frisés, les dreadlocks, mais aussi les
roux. Il y a également les blondes, qui ont peur d’être prises
pour des cruches. Sans parler de ceux pénalisés professionnel-
lement par leur calvitie. A l’Assemblée, ce débat sera celui de
la pause coiffée. •
A la semaine prochaine