ARGENTINE — LE RÉVEIL DE
LA GAUCHE AFRIQUE DU SUD —
LES CONTRIBUABLES SE REBIFFENT
UNE FRACTURE MONDIALE
M 03183 - 1721 - F: 4,90 €
3’:HIKNLI=XUY^UY:?l@h@m@b@a";
SOCIÉTÉ LES SORCIÈRES
SONT DE RETOUR
Sénégal 3400 FCFA, Suisse 7,20 CHF,
Grande-Bretagne 5 £, Grèce 5,80 €,
Algérie 530 DA, Allemagne 6,30 €,
Andorre 6 €, Canada 8,25 $CAN,
Afrique CFA autres 3600 FCFA.
DOM 5,30 €, Espagne 5,50 €,
Maroc 45 DH, Pays-Bas 6 €,
TOM 1100 XPF, Tunisie 9 DT,
Italie 5,50 €, Japon 900 ¥,
No 1721 du 26 octobre
Portugal cont. 5,50 €,
au 1er novembre 2023
courrierinternational.com
France : 4,90 €
GUERRE ISRAËL-HAMAS
Le conflit polarise violemment les sociétés
et les pays du monde. Et oppose
notamment l’Occident et le “Sud global”,
s’inquiète la presse étrangère.
 Mes valeurs
et mon argent
versés aux associations

vont bien s
grâce aux produits solidaire

ensemble
Vous aussi devenez client
d’une banque différente

www.credit-cooperatif.coop
Coût de connexion selon votre opérateur.
* Pour en savoir plus, voir le site internet, rubrique finance engagée.
DOCUMENT À CARACTÈRE PUBLICITAIRE ET SANS VALEUR CONTRACTUELLE - Crédit Coopératif - Société coopérative anonyme de Banque Populaire à capital variable - RCS Nanterre 349 974 931
APE 6419Z - N° de TVA intracommunautaire FR 06 349 974 931. Intermédiaire en assurance ORIAS 07 005 463 – Siège social : 12, boulevard Pesaro - CS 10002 - 92024 Nanterre cedex - Téléphone : 01 47 24 85 00
www.credit-cooperatif.coop - Illustration : Artus -
 Courrier international — no 1721 du 26 octobre au 1er novembre 2023 3

LES CHOIX
DE “COURRIER” nouveau choc des civilisations”.
En cause, le soutien
CLAIRE CARRARD inconditionnel du président
américain, Joe Biden, et d’une
Une fracture grande partie de ses alliés
occidentaux à Israël,
mondiale alors que des milliers de civils
palestiniens sont morts sous
les bombes de Tsahal dans
une question politique totémique à
travers le Moyen-Orient, capable
de mobiliser la colère et la
protestation populaires comme
peu d’autres”. Même si la
solidarité de la rue arabe est
plus complexe qu’il n’y paraît,
comme l’explique très bien
Nesrine Malik dans The
dès le 10 octobre. The New York
Times évoque, lui, “l’un des
débats les plus clivants sur les
campus depuis des décennies”.
À Chicago, un enfant musulman
de 6 ans a été assassiné ;
en Europe et ailleurs, les actes
antisémites se multiplient.
Pour la presse étrangère,
de l’Ukraine rejaillissent”,
déplore El País.
L’Ukraine, il en est aussi
fortement question dans
l’article du Wall Street Journal
qui clôt ce dossier. Pour
Yaroslav Troimov, la guerre
entre Israël et le Hamas “est une
aubaine pour les grands rivaux

O n mesure sans doute mal

encore l’onde de choc
provoquée par la guerre
entre Israël et le Hamas depuis
l’attaque terroriste perpétrée
le 7 octobre par le mouvement
islamiste palestinien
sur le territoire israélien. Mais,
à lire chaque jour les médias
étrangers, il devient clair que
l’on assiste à un clivage mondial
des débats autour de ce conlit.
C’est ce que nous avons
voulu aborder cette semaine
dans notre dossier.
“Nous assistons aujourd’hui à
une réelle fracture entre le monde
occidental et ce que certains
désignent comme le Sud global”,
écrit Amine Ater, rédacteur en
chef du magazine marocain
TelQuel, qui a consacré
sa une à “cette fracture ouverte”
et n’hésite pas à évoquer “un
la bande de Gaza, soumise à
un blocus complet et où l’aide
humanitaire (largement
insuisante, selon l’ONU)
commence seulement à arriver
au compte-gouttes.
Alors que l’Occident s’est ému
du sort des victimes
israéliennes du Hamas, il refuse
de voir la soufrance du peuple
palestinien, accusent des voix
de plus en plus nombreuses
dans le monde arabe, qui
dénoncent un deux poids,
deux mesures systématique.
Après l’explosion survenue
à l’hôpital Al-Ahli, à Gaza,
le 17 octobre, la veille de la visite
de Joe Biden en Israël, des
manifestations ont éclaté du
Maroc à Bahreïn, en passant par
la Jordanie, l’Iran, le Liban.
Signe, écrit The Economist, que
la question palestinienne “reste
Guardian. “Il y a dans cette
colère propalestinienne quelque
chose qui n’a rien à voir avec
la Palestine, et tout à voir
avec ce que symbolise la situation
des Palestiniens, nuance la
chroniqueuse. Ce ne sont pas là
que des accès de mécontentement.
Ce sont d’amples courants qui
viennent menacer la stabilité
des régimes arabes eux-mêmes.
Et c’est un problème dont ces
derniers se seraient bien passés.”
Il n’empêche. La colère est là
et elle s’étend bien au-delà
du monde arabe. Aux États-
Unis, les manifestations
propalestiniennes et pro-
israéliennes se multiplient.
“À travers [le pays], les universités
sont aujourd’hui le théâtre de
divisions particulièrement vives
au sujet des attaques du Hamas
contre Israël”, écrivait Politico
le cas de la France est un peu
particulier. À la diférence de
ses voisins européens, explique
The Local, l’Hexagone “compte
la plus grande communauté juive
d’Europe. Il compte également
la plus grande population
musulmane d’Europe. Les conlits
entre Israéliens et Palestiniens ne
sont pas des actualités étrangères
en France, mais des actualités
nationales.” Si Paris redoute
une importation du conlit, c’est
pourtant au sein de la classe
politique que sont apparues
les divisions les plus visibles.
La Nupes est “au bord
de l’efondrement”, estime
The Daily Telegraph.
Ailleurs en Europe, le camp
progressiste se déchire aussi :
“Les divisions observées
au sein de la gauche d’Europe
occidentale après l’invasion russe
géopolitiques de l’Amérique”,
Russie en tête. “Le Kremlin
a beau jeu de dénoncer ce qu’il
dépeint comme l’hypocrisie
des gouvernements occidentaux,
qui ont clairement condamné
les massacres de civils commis
par les Russes en Ukraine,
mais qui critiquent à peine,
voire pas du tout, les actions
israéliennes à Gaza.”
La guerre des récits a
commencé et toute la diiculté
sera, dans les semaines à venir,
de continuer à faire la part
des choses.
En couverture :
Guerre Israël-Hamas : dessin de
Taylor Callery, États-Unis, pour
Courrier international
(d’après un dessin paru dans
The Wall Street Journal).
Sorcières : photo Nikita Teryoshin

Sommaire
ARGENTINE p.6 JAPON p.36 LES SOURCES

Un surprenant Les justiciers Chaque semaine, les journalistes

de Courrier international sélectionnent
leader autoproclamés et traduisent des articles tirés de plus
de 1 500 médias du monde entier. Voici
Sergio Massa est arrivé de YouTube
ALBA BLAZQUEZ, ESPAGNE

la liste exhaustive des journaux, sites

en tête au premier tour et blogs utilisés dans ce numéro :
de la présidentielle. Pourtant, L’Internet nippon regorge
Asahi Shimbun Tokyo, quotidien. The
s’étonne El País América, de vidéos d’arrestations Belfast Telegraph Belfast, quotidien. The
l’actuel ministre de d’individus jugés suspects par Boston Globe Boston, quotidien. Business
l’Économie n’a pas su juguler des particuliers. Une dérive News (businessnews.com.tn) Tunis, en ligne.
The Christian Science Monitor Boston,
p.52 une inflation de 140 %. qui inquiète l’Asahi Shimbun. hebdomadaire. Daily Maverick
360° (dailymaverick. co.za) Johannesburg, en
ligne. Domani Rome, quotidien. Financial
ROYAUME-UNI p.22 Times Londres, quotidien. Folha de
Les sorcières Pernambuco Recife, quotidien. The Guardian

sont de retour Qui a tué Londres, quotidien. Lianhe Zaobao

Singapour, quotidien. MIT Technology
Review Cambridge (États-Unis), bimestriel.
Elles ne se cachent plus, raconte le Lough Neagh? New Statesman Londres, hebdomadaire.
RAMSÉS, CUBA

The New York Times New York, quotidien.

Der Spiegel. Elles défilent
dans la rue, hantent la Toile,
collectionnent les vues sur TikTok.
De l’Allemagne aux États-Unis,
les sorcières nouvelle génération
s’affichent, libres et assumées.
Situé en Irlande du Nord, le plus grand Oukraïnska Pravda (pravda.com.ua) Kiev,
plan d’eau du royaume étouffe en ligne. El País Madrid, quotidien. El País
América (elpais.com/america) Mexico, en
sous une couche verdâtre et gluante. ligne. The Spectator Londres, hebdomadaire.
Pour The Belfast Telegraph, Der Spiegel Hambourg, hebdomadaire. Der
Standard Vienne, quotidien. Süddeutsche
c’est la dramatique métaphore Zeitung Munich, quotidien. The Wall Street
du système politique local. Journal New York, quotidien.
4. Courrier international — no 1721 du 26 octobre au 1er novembre 2023

Édité par Courrier international SA, société anonyme avec

SOMMAIRE SUR NOTRE SITE directoire et conseil de surveillance au capital de 106 400 €
Actionnaire : La Société éditrice du Monde
7 jours dans le monde Guerre Israël-Hamas. Macron : priorité Président du directoire, directeur de la publication :
François-Xavier Devaux
6. Argentine. Un surprenant
aux otages
Directrice de la rédaction, membre du directoire : Claire Carrard
Conseil de surveillance : Louis Dreyfus, président
leader Dépôt légal Octobre 2023. Commission paritaire no 0727 c 82101.
À la une Deux semaines après l’attaque du Hamas, le chef de l’État s’est rendu en Israël, ISSN no 1154-516X Imprimé en France/Printed in France

10. Guerre Israël-Hamas. qu’il a assuré de la “solidarité” de la France, affirmant que “le premier objectif Rédaction 67-69 avenue Pierre-Mendès-France 75013 Paris. Accueil 33 (0) 1 46 46
16 00 Fax général 33 (0) 1 46 46 16 01 Fax rédaction 33 (0) 1 46 46 16 02 Site web
Une fracture mondiale est la libération de tous les otages”. Il devait aller à Ramallah mardi. Suivez www.courrierinternational.com Courriel lecteurs@courrierinternational.com
Directrice de la rédaction Claire Carrard Rédactrices en chef Virginie Lepetit,
au quotidien toute l’actualité du conflit entre Israël et le Hamas sur notre site. Claire Pomarès Rédacteurs en chef adjoints Luc Briand, Raymond Clarinard, Nicolas
D’un continent à l’autre Coisplet, Matthieu Recarte Conception graphique Javier Errea Comunicación
20. France. La peur des attentats édition Anouk Delport, Ophélie Négros, Fatima Rizki 7 jours dans le monde
est omniprésente Coupe du monde. À Notre-Dame-du-Rugby, François Gerles (chef de rubrique, 17 48) Europe Gerry Feehily (chef de service,
16 95), Laurence Habay (chef de service adjointe, Russie, est de l’Europe), Marie
22. Royaume-Uni. Qui a tué
on prie pour nos piliers !
Daoudal (Allemagne, Autriche, Suisse alémanique), Carole Lyon (Belgique), Sasha
Mitchell (Royaume-Uni, Irlande), Beniamino Morante (Italie), Hélène Bienvenu
le Lough Neagh ? (Pologne), Antoine Mouteau (Pays-Bas), Valentin Scholz (Espagne), Vincent Barros

24. Ukraine. La politique Le rugby a tout d’une religion en Nouvelle-Zélande, en Afrique du Sud (Portugal), Antoine Jacob (Danemark, Norvège, Suède), Alexandre Lévy (Bulgarie),
Alexandros Kottis (Grèce, Chypre), Joël Le Pavous (Hongrie), Guillaume Narguet
reprend ses droits ou au pays de Galles. En France, il a même sa propre église : la chapelle (République tchèque, Slovaquie), Kika Curovic (Serbie, Monténégro, Croatie,
Bosnie-Herzégovine), Marielle Vitureau (Lituanie), Alda Engoian (Caucase, Asie
26. Allemagne. Le dernier foyer Notre-Dame-du-Rugby, à Larrivière-Saint-Savin, dans les Landes. centrale), Larissa Kotelevets (Ukraine) France Carolin Lohrenz (chef de rubrique,

pour célibataires John Lichfield raconte son histoire dans sa chronique Au-dessus de la mêlée. 16 93) Amériques Bérangère Cagnat (chef de service, Amérique du Nord, 16 14),
Jean-Hébert Armengaud (chef de service, Amérique latine, 16 57), Diego Legrand
(Colombie, Venezuela, Équateur), Morgann Jezequel (Brésil), Martin Gauthier
28. États-Unis. En transit (Canada), Mathilde Guillaume (Argentine) Asie Daniel Bastard (chef de service,
dans l’hôtel Roosevelt Vu d’Allemagne. En France, la chocolatine Chine, Singapour, Taïwan, 16 39), Christine Chaumeau (Asie du Sud-Est), Zhang
Zhulin (Chine), Carole Dieterich (Asie du Sud), Élisabeth D. Inandiak (Indonésie),
30. Pérou. Un ceviche sans citron
fait de la résistance
Jeong Eun-jin (Corées) Yuta Yagishita (Japon).Moyen-Orient Bachir El-Khoury
(chef de service), Julien Abiramia (Liban, Syrie, Palestine, Irak), Pascal Fenaux
vert ? C’est une affaire d’État ! (Israël), Ahmad Parhizi (Iran), Raphaël Boukandoura (Turquie), Philippe Mischkowsky

32. Afrique du Sud. Dans une boulangerie près de Bordeaux, un “pain au chocolat” coûte (pays du Golfe) Afrique Hassina Mechaï (chef de rubrique), Vincent Barros
(Afrique lusophone), Malik Ben Salem (Maghreb), Mathilde Boussion (Afrique
Les contribuables se rebiffent 100 000 euros. Derrière ce prix exorbitant, un journaliste de la Frankfurter australe et Afrique de l’Est), Agnès Faivre (Afrique de l’Ouest) Transversales
Pascale Boyen (chef des informations, Économie, 16 47), Carole Lembezat (chef
34. Chine. Les vieilles ruelles Allgemeine Zeitung découvre le débat séculaire français quant à la juste de rubrique, Sciences et Signaux, 16 15), Annick Rivoire (Économie) Magazine

de Pékin font peau neuve appellation de cette viennoiserie – et une lutte identitaire fondamentale. 360° Marie Bélœil (chef des informations, 17 32), Hugo Florent, Oumeïma Nechi
Histoire Mélanie Liffschitz (16 96)
36. Japon. Les justiciers Site Internet Claire Pomarès, Nicolas Coisplet, Adrien Oster (chef d’édition),
éditeurs Paul Blondé, Antoine Cuny-Le Callet, Gabriel Hassan, Carole Lyon,
autoproclamés de YouTube L ’ h o r o s c o p e d e R o b B r e z s n y Retrouvez chaque semaine les prévisions Hoda Saliby, Mélanie Chenouard (vidéo, podcasts), Emmanuelle Bour (SME)
Courrier Expat Ingrid Therwath (16 51), Jean-Luc Majouret (16 42)
Transversales poétiques et philosophiques de l’astrologue le plus original de la planète. Traduction Raymond Clarinard (Courrier Histoire), Mélanie Liffschitz (chef de
48. Économie. Microsoft s’est fait service adjointe, anglais, espagnol), Julie Marcot (chef de service adjointe, anglais,
Retrouvez-nous aussi sur Facebook, espagnol, portugais), Catherine Baron (anglais, espagnol), Isabelle Boudon
diplomate pour acheter Activision Twitter, Instagram et Pinterest. (anglais, allemand, portugais), Manon Delfour-Peyrethon (anglais, allemand),
Caroline Lee (anglais, allemand, coréen), Françoise Lemoine-Minaudier (chinois,
49. Énergie. L’Europe trouve anglais), Olivier Ragasol (anglais, espagnol, catalan, russe), Leslie Talaga (anglais,
espagnol) Révision Jean-Baptiste Luciani (chef de service, 17 35), Isabelle
un accord sur le marché Bryskier, Philippe Czerepak, Françoise Hérold, Julie Martin, Anne Romefort
de l’électricité Direction artistique Alice Andersen Maquette Cécile Chemel (première
maquettiste), Denis Scudeller, Gilles de Obaldia Cartographie Paul Gallet
50. Techno. Mon coach est une IA Infographie Catherine Doutey Web design et animation Alexandre Errichiello
(chef de service), Benjamin Fernandez, Jonnathan Renaud-Badet Iconographie
51. Signaux. Le bisphénol A, Luc Briand, Lidwine Kervella (chef de service adjointe), Stéphanie Saindon, Céline

Découvrez
Merrien (colorisation), Astrid Mouget Agence courrier Patricia Fernández Pérez
à réduire drastiquement (directrice du développement et de la communication, 1737), Diane Perpère (1608),
Alizée Marchal (17 38), Florent Normand
360°
52. Ésotérisme. Les sorcières notre nouvelle Directrice de la fabrication Nathalie Communeau, Nathalie Mounié (chef de
fabrication, 4535) Impression, brochage, routage:Maury, 45330 Malesherbes
sont de retour application Ont participé à ce numéro Solal Abélès, Christophe Alexandre, Nell Antona,
Giuseppe Ardiri, Jean-Baptiste Bor, Chloé Boyer, Solène Cahon, Marine Cygler,
60. Culture. “La Ferme des Geneviève Deschamps, Eva Douley, Dorian Gallais, Pierre Kadlub, Hong-Kyung

L’appli qui met tout

Kang, Valentine Morizot, Derwell Queffelec, Isabelle Taudière Maddalena de Vio
animaux”, récit zimbabwéen Publicité MPublicité, 67-69, avenue Pierre-Mendès-France CS 11 469, 75707

Courrier international
Paris Cedex 13, tél. : 01 57 28 20 00 Directrice générale Élisabeth Cialdella (elisa-
61. Plein écran. Dernière beth.cialdella@mpublicite.fr, 39 68), Directeur délégué, directeur de Marque
séance à Recife
dans votre poche
Courrier international Steeve Dablin (01 57 28 38 84) Directeur délégué Activités
programmatiques, AD Tech & Monétisation Sébastien Noel (sebastien.noel@
62. Histoire. La “propagande mpublicite.fr, 37 00) Directeur délégué, pôle Agences François de Ren (francois.
deren@mpublicite.fr, 30 21) Directeur délégué, pôle Opérations spéciales
noire” de Sefton Delmer Steeve Dablin (steeve.dablin@mpublicite.fr, 38 84)
Directrice administrative et financière Carine de Castellan (16 06) Gestion
Lucie Madalena (16 26) Droits Blandine Mosnat (16 52) Comptabilité 01 48 88 45 51
Bulletin à retourner à : Courrier international Directeur de la diffusion et de la productionXavier Loth Directrice des ventes
Ofre d’abonnement Service Abonnements - A2100 - 62066 Arras Cedex 9 Sabine Gude Responsable commerciale international Saveria Colosimo Morin
(0157283220) Chef de produits Valentin Moreau (0157283399) Communication et
promotion Christiane Montillet Marketing et produitsSophie Gerbaud (directrice,
Je m’abonne pour : RCO23BO01 Avantages abonnés : 16 18), Marie Donal, Véronique Saudemont (17 39), Martine Prévot (16 49), Mynn-
May Vang, Anthony Pittavino Responsable du numérique Kévin Jolivet, Louise
m 1 AN (52 numéros) au prix de 129 € au lieu de 237,20 €* m La version numérique du magazine
Dugeai (développement web), Camille Lefaix (cheffe de produit abo numérique)
dès le mercredi soir
m 1 AN (52 numéros) + 6 hors-séries au prix de 159 € au lieu de 290,60 €* m L’édition abonnés du site Internet Modifications de services ventes au numéro, réassorts 0805 05 0147 Service clients
m Nos archives, soit plus de 100 000 articles Abonnements Courrier international, Se rvice abonnements, A2100 — 62066 Arras
N Monsieur N Madame m L’accès illimité sur tous vos supports
Cedex 9 Tél. 0 321130431 Fax 0157674496 (du lundi au samedi de 9h à 18h) Courriel
abo@courrierinternational.com. Prix de l’abonnement annuel en France métro-
NOM..................................................................... PRÉNOM............................................................................................ numériques politaine : 129 €. Autres destinations : https ://boutique.courrierinternational.com
m Les applications iOS et Android Nos conditions générales de vente et d’utilisation sont disponibles sur https ://
ADRESSE.......................................................................................................................................................................... m Réveil Courrier www.courrierinternational.com/page/cgu
CPm m m m m VILLE....................................................................................................................................... Votre abonnement à l’étranger : Courrier international, USPS Origine du papier :
Je règle par chèque bancaire à l’ordre de Courrier international Belgique : (32) 2 744 44 33 number 013-465, is published
weekly 48times per year (triple
UK, Allemagne.
100 % de fibres
abonnements@saipm.com issue in Aug and in Dec), by recyclées. Ce maga-

Pour tout autre moyen de paiement, rendez-vous sur notre site : États-Unis/Canada : (1) 800 363 1310 Courrier International SA zine est imprimé
chez MAURY
c/o Distribution Grid. at
https://abo.courrierinternational.com/ours2023 expressmag@expressmag.co m 900 Castle Rd Secaucus,
certifié PEFC.
Eutrophisations :
ou téléphonez au 03 21 13 04 31 (du lundi au samedi, de 9 heures à 18 heures) Suisse : (41) 022 860 84 01 NJ 07094, USA. Periodicals Ptot = 0,0083 kg/
abonne@edigroup.ch Postage paid at Secaucus, tonne de papier.
NJ. and at additional mailing Papier issu de forêts
*Ofre réservée aux particuliers jusqu’au 31/3/2024 pour un premier abonnement en France métropolitaine. Pour les entreprises et l’étranger, nous consulter. Visuels non contractuels. En retournant ce formulaire, vous acceptez que Courrier international, responsable gérées durablement
Offices. POSTMASTER : Send et de sources
de traitement, utilise vos données personnelles pour les besoins de votre commande, de la relation client et d’actions marketing sur ses produits et services. address changes to Courrier contrôlées. Ouvrage
h Je ne souhaite pas recevoir les ofres commerciales de Courrier international par voie postale. h Je ne souhaite pas recevoir les ofres commerciales des partenaires de Courrier international par voie postale. International c/o Express Mag, imprimé à 100 %
Pour connaître les modalités de traitement de vos données ainsi que les droits dont vous disposez (accès, rectiication, efacement, opposition, portabilité, limitation des traitements, sort des données après décès), consultez notre politique de conidentialité 8275, avenue Marco-Polo, avec des encres
à l’adresse : https://www.courrierinternational.com/page/donnees-personnelles ou écrivez à notre délégué à la protection des données 67-69, avenue Pierre-Mendès-France 75013 Paris ou dpo@groupelemonde.fr. Vous avez le droit de formuler une réclamation Montréal, QC H1E 7K1, Canada. conformes à la
norme Blue Angel.
auprès de la Cnil. Pour toute question, contactez notre service clients par e-mail abo@courrierinternational.com ou par téléphone au 03 21 13 04 31 du lundi au samedi de 9 heures à 18 heures. Nos CGV sont consultables et téléchargeables en suivant ce lien :
https://www.courrierinternational.com/page/cgv
Ce numéro comprend un encart Handicap international
posé sur la totalité des abonnés France Métropolitaine
 Devenons l’énergie qui change tout.

© Stade de France® – Macary, Zublena et Regembal, Costantini – Architectes, ADAGP – Paris 2023
Pour Paris 2024,
pour tous les Français.
Le groupe EDF installe 4 680 m2 de panneaux photovoltaïques
sur le toit du Centre aquatique olympique pour Paris 2024 et demain
pour la Seine-Saint-Denis.

edf.fr/paris2024
L’énergie est notre avenir, économisons-la !
6.
a ns
7 jours odnde
le m
Argentine. Un
surprenant leader
Le candidat de gauche Sergio Massa est arrivé en tête
au premier tour de la présidentielle. L’actuel ministre
de l’Économie a pourtant été incapable de juguler une
inflation de 140 %, s’étonne ce chroniqueur du quotidien
conservateur La Nación sur le site El País América.
—El País América, extraits (Mexico)
E n Argentine, la pomme ne tombe
pas du pommier : elle monte au
ciel. Une fois encore, des mil-
lions d’Argentins ont eu cette impression
dimanche 22 octobre. Car, dans un pays
où l’inflation atteint 140 % par an, où 40 %
de la population vit en dessous du seuil de
pauvreté, où le dollar atteint 1000 pesos
au marché noir et où le PIB perd 3,3 % par
an, le candidat de la coalition péroniste
de gauche au pouvoir s’est qualifié pour
le second tour – et a bien failli conqué-
rir la présidence dès le premier tour [avec
36,7 % des voix, or il suffit d’obtenir 40 %
des voix, avec une avance de 10 points sur
le deuxième, pour être élu au premier tour].
On a du mal à y croire. Dans n’importe
quel pays du monde, un tel contexte
économique et social aurait eu raison du
candidat sortant. Mais pas en Argentine,
où le verdict des urnes paraît d’autant
plus invraisemblable que le candidat en
question, Sergio Massa, est ministre de
l’Économie depuis plus d’un an. Autant dire
qu’il devrait être le fonctionnaire le plus
vilipendé du pays. Mais pas en Argentine.
Massa doit la victoire à sa personnalité.
Ce requin de la politique a toujours nagé
en eaux troubles, et il a bénéficié des
faiblesses de ses adversaires pour gagner
le premier tour. [L’ultralibéral libertaire]
Javier Milei [qui a obtenu 30 % des voix]
et Patricia Bullrich [de la coalition JxC,
“Ensemble pour le changement”, de la droite
Courrier international — no 1721 du 26 octobre au 1er novembre 2023
traditionnelle] se sont tiré méthodiquement
une balle dans le pied : mous dans les débats
télévisés, prompts aux discussions inutiles,
ils ont divisé le vote d’opposition.
La messe est dite? Bien sûr que non. Le
19 novembre, les Argentins retourneront
aux urnes pour désigner le nouveau
locataire de la Casa Rosada. Massa et Milei
vont devoir l’un comme l’autre convaincre
les 33 % de l’électorat qui n’ont pas voté
pour eux – en comptant les petits candidats
et l’abstention.
Électorat réticent. Ces quatre semaines
intenses seront ponctuées par un débat
entre les deux hommes. Bien des ques-
tions restent en suspens : Massa parvien-
dra-t-il à contenir la hausse du dollar et
l’inflation? Saura-t-il séduire les électeurs
les plus progressistes de JxC et ceux de
gauche ? Milei réussira-t-il à apaiser les
craintes que suscitent son instabilité psy-
chique, la faiblesse de son équipe et tant
d’autres aspects? Pourra-t-il attirer suffi-
samment d’électeurs de JxC pour s’adju-
ger la victoire?
Une chose est sûre, l’avenir de Massa,
celui de Milei et surtout celui de l’Argentine
dépendront en grande partie des citoyens
qui ont voté en faveur de JxC (environ
23,8 %). Tant Massa que Milei ont consacré
à cet électorat réticent de longs passages
dans les discours qu’ils ont prononcés
le 22 au soir. Le candidat du parti au
pouvoir s’est adressé aux indécis, appelant
à “un gouvernement d’union nationale”.
Le libertarien a harangué ceux qui veulent
plus de liberté et en ont assez du populisme :
“Tous ceux qui veulent le changement doivent
travailler ensemble.”
Ce sont bel et bien deux visions très dif-
férentes qui vont s’affronter. Massa, arrivé
en troisième position aux primaires d’août
[générales, obligatoires et qui concernaient
tous les partis le même jour], cherchera
à apparaître comme un train lancé vers
la Casa Rosada. Quant à Milei, qui avait
remporté les primaires et se voyait déjà
président sans passer par un second tour,
il cherchera à incarner toute l’opposition.
Ce seront quatre semaines de vertige
dans le pays où la pomme monte au ciel.
—Hugo Alconada Mon
(de Buenos Aires), publié le 23 octobre
SOURCE
EL PAÍS AMÉRICA
Mexico, Mexique
elpais.com/america
C’est depuis sa rédaction
de Mexico que le plus grand
quotidien espagnol, qui se veut
“global”, alimente ce site
consacré à l’actualité des
Amériques. Il s’appuie sur
des correspondants installés
dans la quasi-totalité des pays
d’Amérique latine mais aussi,
bien sûr, aux États-Unis.
← À gauche, Sergio Massa ;
à droite, Javier Milei.
Dessin de Becs, Argentine.
Des “croûtes”
embarrassantes
ITALIE — Au cours des der-
nières années de sa vie, Silvio
Berlusconi a accumulé quelque
25000 œuvres d’art, des tableaux
essentiellement. L’entreposage
et l’entretien de cette collection
coûtent 800 000 euros chaque
année, écrit La Repubblica le
19 octobre. “Berlusconi voulait
tout simplement devenir le pre-
mier collectionneur d’art au monde,
raconte le quotidien romain. Il
a rempli un hangar de 4 500 m2
de peintures de la Vierge Marie,
d’images provocantes de femmes
nues, de tableaux de villes qu’il a
aimées (Paris, Naples et Venise),
d’autoportraits et de bustes en
marbre à son effigie.” Aujourd’hui,
les héritiers de l’ancien Premier
ministre, mort le 12 juin, cher-
cheraient à se débarrasser de ces
“croûtes”, comme les a qualifiées
la RAI. Mais, sans attendre leur
décision, des vers xylophages
ont déjà commencé à dévorer
ce “lourd héritage”.
Collisions
en mer de Chine
méridionale
PHILIPPINES
— “Dangereux
et irresponsable.”
C’est la légende
de la photo qui
s’étale à la une
du Philippine
Daily Inquirer
le 23 octobre.
L’image montre
la collision qui a eu lieu, la veille
vers 6 heures, entre un vaisseau
des gardes-côtes chinois et un
navire philippin de ravitaille-
ment. Deux heures plus tard, c’est
un bâtiment des gardes-côtes
philippins qui a été heurté par
un navire de la milice maritime
chinoise. Les deux collisions ont
eu lieu aux alentours d’un banc
de sable perdu en mer, dans l’ar-
chipel des Spratly, appelé “banc
Second Thomas”. La marine phi-
lippine y avait volontairement
échoué, il y a près de vingt-cinq
ans, un vieux navire, le Sierra
Madre, pour y servir d’avant-
CARTOON MOVEMENT
poste. Selon le droit internatio-
nal, la souveraineté sur la zone
revient à Manille, souveraineté
régulièrement remise en cause
par l’expansionnisme de Pékin.
 O
50 €
SOUS CF F E RTS
Il n’est jamais trop tôt ONDIT
IONS *

pour préparer sa retraite.

50€ offerts pour toute nouvelle adhésion
à un Plan Epargne Retraite entre le 16/10/2023
et le 30/11/2023 inclus, sous conditions*.

*Retrouvez toutes les conditions de l’offre promotionnelle auprès de votre conseiller ou sur www.caisse-epargne.fr/conseils/preparer-sa-retraite
La recherche de performance vous expose à un risque de perte en capital.
Communication à caractère publicitaire et promotionnel.
Plans Epargne Retraite, contrats d’assurance vie distribués par votre Caisse d’Epargne.
BPCE - Société anonyme à directoire et conseil de surveillance au capital de 188 932 730 euros - Siège social : 7, promenade Germaine Sablon 75013 PARIS - RCS Paris N°493 455 042, intermédiaire d’assurance
immatriculé à l’Orias sous le N° 08 045 100 www.orias.fr - Contrat d’assurance distribué par votre Caisse d’Epargne - ALTMANN + PACREAU - Crédit photo : Ronan Merot.
8. 7 JOURS Courrier international — no 1721 du 26 octobre au 1er novembre 2023

IRAN
Halte aux LE DESSIN Le prix
“passeports DE LA SEMAINE Sakharov pour
dorés”
La droite de retour ↓ Dessin de Chappatte paru
dans Le Temps, Genève.
Mahsa Amini
Océan
Atlantique Après que le prix Nobel
de la paix a été décerné
Rép. dominicaine à Narges Mohammadi,
Porto Rico
(États-Unis) Antigua-et- le combat des femmes
Barbuda
iraniennes est salué par
le Parlement européen.
Saint-Kitts-et-Nevis

Dominique
Mer des
Caraïbes
Sainte-Lucie

Grenade
200 km VENEZUELA
Modalités d’accès à l’espace Schengen
Pas de visa requis
Visa obligatoire
Territoires de l'Union européenne
hors espace Schengen
et autres statuts
SOURCE : SIXIÈME RAPPORT DE LA COMMISSION
EUROPÉENNE SUR LE MÉCANISME
DE SUSPENSION DES VISAS (2023)
UNION EUROPÉENNE — Voilà plu-
sieurs années que la Commission
européenne tentait d’y voir plus
clair. Selon un rapport qu’elle a
rendu public le 18 octobre, les
autorités d’Antigua-et-Barbuda,
de la Grenade, de Sainte-Lucie, de
la Dominique et de Saint-Kitts-et-
Nevis ont délivré 88000 “passe-
ports dorés” à des ressortissants
de diverses nationalités, y com-
pris iraniens, russes et chinois,
précise The Guardian. La seule
Dominique (70 000 habitants)
en a émis 34 500, parfois sans
même exiger que les candidats
se rendent sur place. L’île est
devenue l’un des pays les plus
attirants en la matière “grâce à
des conditions imbattables”, note
N ous sommes heureux que
son nom soit devenu un
symbole de liberté et d’éga-
lité dans le monde”, ont réagi les
parents de Mahsa Amini, cités par
BBC Persian, après l’attribution,
le 19 octobre, à leur fille – ainsi
qu’au mouvement des femmes en
Iran – du prix Sakharov, la plus
haute distinction de l’Union euro-
SUISSE — La “fondue”, le “cervelas” et “les étrangers dehors” de l’UDC (Union péenne pour les droits humains.
démocratique du centre) plutôt que le “menu végane inclusif” des Vert·e·s. Voilà comment Mahsa Amini est morte à l’hôpital,
le dessinateur Patrick Chappatte résume le choix fait par les Suisses le 22 octobre lors à Téhéran, le 16 septembre 2022,
des élections fédérales, comparables à des législatives. “L’UDC brise la vague verte”, à l’âge de 22 ans, après avoir été
titre Le Temps, alors que les écologistes “passent sous la barre des 10 % des suffrages”. arrêtée et battue par la police des
“Le premier parti du pays a bénéficié de l’effet Covid, qui a fortement durci le climat politique mœurs pour port inapproprié
en Suisse, analyse le journal de Genève. La moralisation de la société incarnée notamment du voile.
par Les Vert·e·s a aussi passablement agacé et divisé.” Au début d’octobre, une autre
jeune femme, Armita Geravand,
16 ans, a sombré dans le coma
après avoir été violentée, elle
Le football pleure Les femmes 24 octobre. Quarante-huit ans aussi, par la police des mœurs.
une légende en grève après une première grève histo- Le 22 octobre, des médias d’État,
rique, au cours de laquelle 90 % cités par Iran International, ont
ANGLETERRE ISLANDE — Même la Première des Islandaises avaient cessé le indiqué qu’elle était dans un état
— “Nous ne ministre, Katrin Jakobsdottir, travail, rémunéré ou pas, elles ont de mort cérébrale.
l’oublie ron s l’avait annoncé, écrit l’Iceland une nouvelle fois paralysé l’île. Le pouvoir nie toute implica-
jamais et le Monitor : “Je ne travaillerai pas ce Afin de faire entendre leur prin- tion dans les deux cas et conti-
football non jour-là et je m’attends à ce que toutes cipal mot d’ordre : en finir avec nue de réprimer aveuglément la
plus”, s’émeut, les femmes ici présentes fassent l’écart de rémunération entre contestation. Des centaines de
le 22 octobre, de même.” Ce jour-là, c’était le hommes et femmes. personnes ont été tuées lors des
l e S u n d ay manifestations qui ont ébranlé
Mirror, après la disparition de sir la République islamique pendant
Bobby Charlton à l’âge de 86 ans. des mois. Sept manifestants ont

Heidi News, notamment un “prix
abordable de 100 000 dollars” et
un “délai record d’environ trois
mois”. Les ventes ont bondi après
2015 quand les ressortissants de
certains pays caribéens ont été
autorisés à séjourner dans l’es-
pace Schengen pendant quatre-
vingt-dix jours par an sans visa.
La Commission européenne dit
vouloir sévir, note The Guardian.
Elle craint que ces passeports
dorés ne permettent “l’infiltra-
tion de la criminalité organisée,
le blanchiment d’argent, l’évasion
fi scale et la corruption”.
Le journal a choisi une photo de
lui prise en 1958, année où il a
survécu à l’accident, à Munich,
de l’avion qui transportait son
équipe de Manchester United.
Considéré par certains comme
le meilleur joueur anglais de
tous les temps, le milieu de ter-
rain offensif a écrit une des plus
belles pages de l’histoire des Red
Devils et de la sélection nationale.
En 1966, il a ainsi participé à la
seule victoire des Trois Lions en
Coupe du monde. “Un héros pour
des millions de personnes”, écrit le
Sunday Mirror.
2%
été pendus. Les arrestations se
comptent en dizaines de milliers.
Le 22 octobre, Niloufar Hamedi et
Elaheh Mohammadi, deux jour-
nalistes ayant couvert la mort
de Mahsa Amini, emprisonnées
IMPOSER LE PATRIMOINE DES MILLIARDAIRES depuis, ont été condamnées respec-
à cette hauteur générerait plus de 200 milliards d’euros tivement à sept et six ans de prison.
de recettes annuelles à l’échelle de la planète, dont Elles étaient accusées de collabo-
40 milliards pour les États européens. La préconisation ration avec le gouvernement des
figure dans un rapport de l’Observatoire européen de États-Unis. Leur condamnation,
la fiscalité, publié le 23 octobre. Si, comme le souligne écrit Iran International, “envoie un
la Süddeutsche Zeitung, “la lutte contre l’évasion fiscale message clair aux journalistes : ceux
fait d’étonnants progrès”, celle-ci ayant été divisée qui s’écartent de la ligne de conduite
par trois en dix ans, les multinationales et les milliardaires seront punis”.
réussissent toujours à largement échapper à l’impôt. —Courrier international
 CO2301
Courrier Bon d’abonnement
international À retourner à : Courrier international
Service Abonnements – A 2100 – 62066 ARRAS CEDEX 9

* Prix de vente au numéro.

□ Oui, je m’abonne pour 10,75€ par mois ON
RÉDUCTI
par prélèvement automatique, au lieu de 19,77 €*.
Je reçois en cadeau 4 numéros supplémentaires de Courrier international. Je remplis le mandat SEPA ci-dessous. -45%*

EN CADEAU

Tous les magazines livrés chaque semaine.

+ L’accès au site Internet en illimité
sur tous les supports numériques.
4 numéros
supplémentaires
de Courrier international
si j’opte pour le prélèvement mensuel.

VALEUR
19,60€
www.courrierinternational.com
■ Possibilité de lecture en mode “sombre” pour une
meilleure accessibilité.
■ Pour chaque article, vous avez le temps de lecture, la date de publication, Mon premier prélèvement
la source et la langue de traduction. aura lieu après la réception
■ Vous avez un lien pour le lire dans sa version originale. Et vous pouvez également le partager avec vos amis.
de mes 4 numéros gratuits.
■ Vous accédez à la totalité des articles qui vous sont réservés et bien d’autres contenus : cartes, infographies...

□Je préfère payer en une seule fois.

s imappliede res
Je règle 129 € par chèque bancaire ++ r d ’off Abonnez-vous directement sur le site Internet
à l’ordre de Courrier international. + et profitez immédiatement du site
https://abo.courrierinternational.com/auto2301
1 an - 52 numéros + l’accès à la totalité du site Internet.

J’indique mes coordonnées : Je remplis le mandat de prélèvement SEPA et je joins un RIB.

En signant ce formulaire de mandat, vous autorisez Courrier international SA à envoyer des instructions à votre banque pour débiter votre compte et votre banque à débiter votre compte confor-
□ Monsieur □ Madame RCO23BA01 mément aux instructions de Courrier international SA. Vous bénéficiez du droit d’être remboursé par votre banque selon les conditions décrites dans la convention que vous avez passée avec celle-
ci. Une demande de remboursement doit être présentée dans les huit semaines suivant la date de débit de votre compte pour un prélèvement autorisé.

Titulaire du compte à débiter RÉFÉRENCE UNIQUE DU MANDAT (RUM)

NOM ........................................................................
PRÉNOM ..................................................................
ADRESSE .................................................................
............................................................
Nom : ............................................................... Prénom : ...................................................... Sera rempli par Courrier international
Paiement répétitif
Adresse :................................................................................................................................
Fait à : ..................................................
Code postal : qqqqq Ville : .......................................................................................... Le : .......................................................

Signature obligatoire
................................................................................. Désignation du compte à débiter
qqqqqqqqqqqqqqqqqqqqqqqqqqqq Organisme créancier :
................................................................................. IBAN – Numéro d’identification international du compte bancaire Courrier international
ICS : FR11ZZZ396542
qqqqqqqqqqq BIC – Code international d’identification de votre banque 67-69, av. Pierre-Mendès-France 75013 Paris
CP
Note : Vous acceptez que le prélèvement soit effectué à l’installation de votre abonnement. Vos droits concernant le prélèvement sont expliqués dans un document que vous pouvez obtenir auprès
de votre banque. Les informations contenues dans le présent mandat, qui doit être complété, sont destinées à n’être utilisées par le créancier que pour la gestion de sa relation avec son client. Elles
pourront donner lieu à l’exercice par ce dernier de ses droits d’accès, de rectification, d’effacement, d’opposition, de portabilité, de limitation des traitements, que vous pouvez exercer à l’adresse sui-
VILLE ....................................................................... vante : DPO CI – 67-69, avenue Pierre-Mendès-France 75013 Paris. Pour toute réclamation : www.cnil.fr

Offre réservée aux particuliers jusqu’au 31/3/2024 pour un premier abonnement en France métropolitaine. Pour les entreprises et l’étranger, nous consulter. Visuels non contractuels. En retournant ce formulaire, vous acceptez que Courrier international, responsable de traitement, utilise vos données
personnelles pour les besoins de votre commande, de la relation client et d’actions marketing sur ses produits et services.
䡵 Je ne souhaite pas recevoir les offres commerciales de Courrier international par voie postale. 䡵 Je ne souhaite pas recevoir les offres commerciales des partenaires de Courrier international par voie postale.
Pour connaître les modalités de traitement de vos données ainsi que les droits dont vous disposez (accès, rectification, effacement, opposition, portabilité, limitation des traitements, sort des données après décès), consultez notre politique de confidentialité à l’adresse :
https://www.courrierinternational.com/page/donnees-personnelles ou écrivez à notre délégué à la protection des données 67-69, avenue Pierre-Mendès-France 75013 Paris ou dpo@groupelemonde.fr. Vous avez le droit de formuler une réclamation auprès de la Cnil. Pour toute question, contactez
notre service clients par e-mail abo@courrierinternational.com ou par téléphone au 03 21 13 04 31 du lundi au samedi de 9 heures à 18 heures. Nos CGV sont consultables et téléchargeables en suivant ce lien : https://www.courrierinternational.com/page/cgvu
10. Courrier international — no 1721 du 26 octobre au 1er novembre 2023

à la une
GUERRE ISRAËL-HAMAS
UNE FRACTURE
MONDIALE
 Courrier international — no 1721 du 26 octobre au 1er novembre 2023 11

La guerre entre l’État hébreu et le groupe islamiste
palestinien a dépassé de loin les frontières et consacré
un clivage de plus en plus profond entre les États-Unis
et leurs alliés, accusés de soutenir sans nuance Israël,
et un “Sud global” où la défiance à l’égard de l’Occident
ne cesse de s’amplifier. Un clivage qui semble profiter
à Moscou et à Pékin, mais qui n’est pas que géopolitique :
la presse étrangère s’inquiète d’une radicalisation
du débat qui traverse les sociétés dans le monde arabe
mais aussi en Afrique, en Europe et aux États-Unis.
ous assistons aujourd’hui à une réelle fracture
Le continent africain n’a pas échappé à ces
au cours des derniers mois avec l’État hébreu,
sous la houlette des États-Unis, un éventuel
accord de normalisation, a annoncé la suspen-
sion des pourparlers.
D’autres pays signataires d’un accord de
À la une paix ou de normalisation, dont le Maroc, ont
également haussé le ton. Le roi de Jordanie,
un idèle allié de l’Occident et dont le pays a
conclu un traité de paix en 1994, a ainsi quali-
ié les représailles à Gaza de “crime de guerre”,
accusant Israël d’inliger “une punition collective
à un peuple assiégé et impuissant”.
Nouvelles alliances. Point d’orgue de cette
fracture : le sommet international tenu samedi
21 octobre au Caire pour tenter de trouver une
issue, et qui a échoué à accoucher d’un commu-
“LA FRACTURE niqué inal en raison des profondes divergences

N entre le monde occidental et ce que certains divisions : en Tunisie, où une synagogue a

désignent comme le Sud global”, voire à un été incendiée, le débat s’est corsé alors que
“nouveau choc des civilisations”, résume le président Kaïs Saïed, connu pour ses posi-
EST OUVERTE”
TelQuel
(hebdomadaire
entre le bloc arabe et les pays occidentaux.
Ce conlit a enin “révélé des changements
inattendus dans les alliances” et brouillé ainsi
d’emblée Amine Ater, rédacteur en chef tions hostiles à la normalisation avec Israël, a marocain, 20 octobre) quelque peu les grilles de lecture, note First
du magazine marocain TelQuel, qui a estimé que les territoires attaqués par le Hamas Post. L’Inde, par exemple, “un partisan de longue
consacré son dernier numéro à la guerre entre ne sont en réalité que “des terres palestiniennes date de la Palestine, a airmé son soutien ferme
Israël et le Hamas sous le titre “Occident vs Sud sous occupation sioniste depuis des décennies”. à Israël”. Un repositionnement décrit par le
global : la fracture est ouverte” [lire ci-contre]. L’Afrique du Sud a elle aussi exprimé son site espagnol El Confidencial comme “l’un des
La guerre entre l’État hébreu et le groupe soutien inconditionnel à la Palestine, mais ce mouvements géopolitiques collatéraux les plus
islamiste palestinien est en efet loin d’être un soutien oiciel est loin de faire l’unanimité, importants” de cette guerre (New Delhi n’a
conlit localisé. À l’instar de l’invasion russe tandis qu’un échange téléphonique entre une noué des relations diplomatiques avec Israël
de l’Ukraine, voire peut-être même davantage, ministre et le chef du Hamas a provoqué une qu’en 1992).
elle a déchaîné les passions, bipolarisé le débat polémique dans le pays. Ainsi, peut-on parler de “Grand Sud” ou de
partout dans le monde, ravivé des lignes de En Europe et aux États-Unis, les manifesta- “Sud global” alors que la fracture s’est éten-
fracture de plus en plus profondes, aussi bien à tions pro- et anti-israéliennes se multiplient, due jusqu’aux Brics, dont l’Inde fait partie, en
l’échelle internationale qu’au niveau les partis politiques se tirent dessus “ILS NE SONT PAS faisant “apparaître au grand jour” une nouvelle
des continents, des pays, voire par- à boulets rouges, les réseaux sociaux DES NOMBRES” fracture inter-Sud, s’interroge Amine Ater. Si
fois au sein même d’une société. s’enlamment et la question de l’im- Al-Araby Al-Jadid peu linéaires soient-elles, ces divisions mon-
Des États-Unis jusqu’en Malaisie, migration musulmane ressurgit. (quotidien panarabe, diales s’inscrivent dans un mouvement de pola-
en passant par la France, l’Allemagne REVUE C’est la planète entière qui semble 24 octobre) risation amorcé au début des années 2000 avec
et les pays arabes, les citoyens se sont DE PRESSE ainsi prise dans la tourmente du les guerres menées par les États-Unis après les
mobilisés, écharpés, continuent de conflit. Sur le plan géopolitique, attentats du 11 septembre, notamment celle
se déchirer, y compris en Israël : les uns sou- tout comme la guerre en Ukraine, le monde lancée en 2003 contre l’Irak, rappelle le jour-
tiennent le “droit absolu d’Israël à se défendre”, s’est de nouveau divisé en deux camps : les naliste marocain.
les autres appellent à la in du carnage à Gaza États-Unis et leurs alliés d’un côté, la Chine, D’autres épisodes de guerre, comme en
et rappellent des décennies d’occupation, de la Russie et leurs alliés de l’autre. Ukraine, ou même des événements sportifs
colonisation et les dérives du gouvernement de Mais les lignes de fracture sont plus com- planétaires, à l’instar de la Coupe du monde
Benyamin Nétanyahou, le plus à droite dans plexes et moins linéaires, estiment certains au Qatar, ont creusé ce fossé et révélé une
l’histoire de l’État hébreu. médias. “La communauté internationale est “déiance croissante envers l’Occident”. Celle-ci
divisée en plusieurs camps distincts”, analyse s’est matérialisée lors de l’invasion russe de
Rancœurs interarabes. Dans le monde ainsi le site d’information indien First Post. l’Ukraine “par les votes de certains pays du Sud
arabe et au Moyen-Orient, la guerre a certes “Premièrement, il y a le camp occidental, qui “MERCI AU lors de la résolution condamnant l’invasion, […]
galvanisé et ressuscité le sentiment nationa- s’aligne étroitement sur la position israélienne. PRÉSIDENT BIDEN à travers lesquels ils ont exprimé leur refus de
liste propalestinien mais, derrière l’image d’un […] Ensuite, le camp des nations neutres […], et aux États-Unis suivre l’Occident”, estime le journaliste.
front uni, les avis divergent aussi, tant au niveau qui condamne l’attaque du Hamas mais défend pour leur soutien “L’empressement de l’Occident à soutenir Israël
du leadership politique qu’au sein même des également les droits des Palestiniens et une solution indéfectible à Israël” érode encore plus l’appui à l’Ukraine parmi les
sociétés. “De nombreux Libanais craignent que à deux États. […] Et enin, les pays qui soutiennent The Jerusalem Post pays en développement”, souligne le Financial
le Hezbollah […] n’ouvre un deuxième front contre le Hamas”, Iran en tête. (quotidien israélien, Times. La réaction occidentale “a annulé des
Israël, entraînant ainsi leur pays dans une autre L’onde de choc a même atteint des pays d’Asie 18 octobre) mois de travail pour faire de Moscou un paria
guerre dévastatrice, comme celle de 2006”, sou- du Sud-Est ayant peu de poids sur l’échiquier coupable d’avoir enfreint le droit international”,
ligne ainsi The Economist. international, dont la Malaisie, qui a adopté “une selon des sources du journal britannique. Un
Les lignes de fracture traditionnelles entre position ferme, rejetant les pressions occidentales haut diplomate d’un pays du G7, anonyme, est
NEWS LICENSING

l’Arabie saoudite et l’“axe de la résistance” visant à condamner le Hamas”. amer : “Nous avons déinitivement perdu la bataille
emmené par l’Iran ont quelque peu été ravi- Au Moyen-Orient, la rupture semble aussi ← Dessin de Morten pour le Sud global. […] Oubliez les règles, l’ordre
vées, et les rancœurs interarabes ou celles assez largement consommée avec Israël et le Morland paru dans mondial. Ils ne nous écouteront plus jamais.”
héritées des printemps déchus refont surface. camp occidental. L’Arabie saoudite, qui négociait The Times, Londres. —Courrier international
12. À LA UNE Courrier international — no 1721 du 26 octobre au 1er novembre 2023

Des peuples arabes

en colère contre
leurs dirigeants
Dans les pays arabes ayant normalisé leurs relations avec Israël, les
manifestations de solidarité avec le peuple palestinien sont aussi une
façon de protester contre les dirigeants, analyse cette chroniqueuse
britannique originaire du Soudan, qui a vécu en Égypte.

—The Guardian, extraits (Londres) signataires des accords d’Abraham [Émirats

arabes unis, Bahreïn, Soudan et Maroc] (2020) –
e dossier palestinien est une constante. Il que cet efet est le plus marqué.

L arrive qu’il soit oublié pendant des années, En Jordanie, des afrontements ont opposé
voire refermé, comme ce fut le cas avec les la police à des manifestants qui tentaient de
traités de paix et de normalisation succes- pénétrer dans l’ambassade d’Israël à Amman.
sifs signés par Israël et les pays arabes. À Beyrouth [capitale du Liban], manifestants
Mais un rien suit à le rouvrir. et forces de l’ordre se sont afrontés aussi,
Les générations ayant vécu dans leur chair les cette fois devant l’ambassade des États-Unis.
guerres avec Israël commencent aujourd’hui à Vendredi 20 octobre, comme le vendredi pré-
disparaître, et avec elle le savoir intime qu’une cédent, des Égyptiens sont descendus dans la
guerre avec Israël est toujours une cause perdue. rue pour dénoncer la stratégie israélienne qui
À leur place émergent de nouvelles géné- vise de facto à chasser les Palestiniens
rations qui n’ont connu la Palestine que pour les envoyer en Égypte. rélexes des contestations qui, régulièrement,
comme une éternelle et criante injustice, Au Maroc, ils étaient des milliers ras- chaque fois que la question palestinienne est
un amer héritage laissé par leurs aînés. semblés derrière le slogan “Le peuple ravivée, éclatent et s’apaisent. Ce sont d’amples
En lançant ses attaques le 7 octobre, demande la criminalisation de la nor- courants qui viennent menacer la stabilité des
le Hamas avait pour objectif de rompre OPINION malisation”. Israël a fermé son bureau régimes arabes eux-mêmes. Et c’est un pro-
le statu quo en Israël et à l’étranger. de liaison à Rabat, et rapatrié son per- blème dont ces derniers se seraient bien passés.
Et, par cette œuvre de déstabilisation, il était sonnel. À Bahreïn, des manifestants en route Il y a dans cette colère propalestinienne
attendu que la réaction des Arabes à l’inévitable vers l’ambassade d’Israël ont été dispersés par ↑ Dessin de Haddad quelque chose qui n’a rien à voir avec la Palestine,
riposte israélienne – avec une colère capable la police. Au Soudan, si le pays n’était pas lui- paru dans Al-Hayat, et tout à voir avec ce que symbolise la situation
soit d’aiguillonner, soit de réfréner leurs gou- même en proie à la guerre, des mobilisations Londres. des Palestiniens.
vernements – joue un grand rôle. comme celles qui sont survenues en 2020 en
Deux semaines seulement se sont écoulées, réaction à la normalisation des relations avec Exutoire. Les manifestations sont de plus
et, comme l’on pouvait s’y attendre, c’est dans Israël auraient certainement eu lieu. en plus, pour les populations, une forme de
les pays arabes ayant normalisé leurs relations Ce ne sont pas là que des accès de mécon- catharsis de tous les deuils qu’elles ont dû
avec Israël – Égypte (1979), Jordanie (1994), et tentement. Il ne s’agit pas de simples échos faire. À cause de la faiblesse et de l’absence de
solidarité et d’entente au sein de ce large bloc
de pays qui, au lieu du panarabisme, ont fait
Contexte le choix du chacun pour soi, à cause de l’indi-
gence de la démocratie dans la région, à cause
De l’Égypte à l’Arabie saoudite, la crainte d’un débordement de l’absence de dignité et de l’état déplorable
des droits humains.
●●● Le fait qu’Israël ait rejeté toute responsabilité poursuit l’hebdomadaire britannique. Ainsi, Dans ces sociétés, l’espace d’expression et de
“n’a plus d’importance”. L’explosion survenue dans les médias du Golfe, la chaîne panarabe qatarie contestation est si congru que les manifesta-
à l’hôpital Al-Ahli de Gaza, le 17 octobre, a déclenché Al-Jazeera “accorde beaucoup de temps [d’antenne] tions pour la Palestine sont le seul lieu d’exu-
des manifestations du Maroc à Bahreïn, en passant au Hamas”, soutenu par Doha, tandis que les chaînes toire possible pour des colères nationales qui,
par la Jordanie, l’Iran et d’autres pays de la région. satellitaires saoudiennes tentent de “maintenir si elles étaient clairement nommées, entraîne-
Une illustration, écrit The Economist, du fait un certain équilibre”. Par ailleurs, certains pays raient non seulement la répression, mais des
que la question palestinienne “reste une question redoutent un élargissement du conlit. En Égypte, arrestations, des disparitions, voire la mort et
politique totémique à travers le Moyen-Orient, la crainte d’un alux massif de Palestiniens dans
capable de mobiliser la colère et la protestation le désert du Sinaï est vive. Au Liban, on redoute
populaires comme peu d’autres”. l’ouverture d’un front avec le Hezbollah. Les Syriens, Les manifestations sont
Néanmoins, cette unanimité qui semble se dégager eux, sont “consternés par les scènes qui se déroulent de plus en plus, pour
de la rue arabe, beaucoup plus mobilisée cette fois-ci à Gaza, où la politique de siège israélienne leur rappelle les populations, une forme
que lors des précédents épisodes de guerre entre les tactiques déployées” par le régime de Bachar
le Hamas et Israël, en 2014 ou en 2021, est à nuancer, El-Assad dans la guerre qui dure depuis 2011. de catharsis de tous les deuils
qu’elles ont dû faire.
Courrier international — no 1721 du 26 octobre au 1er novembre 2023
le démembrement, comme l’a montré le cas tra-
gique de Jamal Khashoggi [journaliste saou-
dien, opposant au prince héritier Mohammed
Ben Salmane, assassiné le 2 octobre 2018 au
consulat d’Arabie saoudite à Istanbul].
Les manifestations pour la Palestine ont déjà
franchi la ligne rouge. Vendredi [20 octobre],
la volonté du président égyptien, Abdel Fattah
Al-Sissi, d’exploiter cette colère à son avan-
tage – en autorisant une journée de manifes-
tations propalestiniennes – s’est retournée
contre lui. Les manifestants sont en effet
sortis des parcours autorisés pour converger
vers la place Tahrir. De ce lieu hautement sym-
bolique, ils ont scandé “Pain, liberté, justice”,
reprenant ainsi un slogan des manifestations
de 2011 [qui ont abouti à la démission du pré-
sident Hosni Moubarak], ce qui a dû donner
des sueurs froides au gouvernement égyptien.
Le monde arabe a beaucoup changé depuis
la dernière guerre à Gaza, il y a presque dix
ans. L’Égypte est aux prises avec une crise
économique et elle est dirigée par un gouver-
nement qui ne sait sur quel pied danser. C’est
la même chose en Jordanie. Cette dernière,
comme l’Arabie saoudite, est une monarchie
qui cherche à trouver un équilibre entre la
tyrannie d’un pouvoir absolu et incontes-
table et la carte de l’apaisement et du pater-
nalisme ; ce qui constitue les fondements de
ce genre de régime.
Le Qatar, qui accueille le bureau politique du
Hamas, est très puissant et a le vent en poupe,
depuis qu’il est devenu le premier exportateur
de gaz naturel du monde ces deux dernières
années. Il cherche désormais à concurrencer
En Égypte, les manifestants
ont scandé “Pain, liberté,
justice”, un slogan
des manifestations de 2011.
les États-Unis pour devenir le premier four-
nisseur de gaz en Europe, après la mise sur la
touche de la Russie.
Quant aux États-Unis – le seul allié d’Israël
dans la région –, leur inluence est en déclin.
Une perte d’inluence qui s’explique par une
stratégie erratique au Moyen-Orient, mais
aussi par les prix élevés de l’énergie, qui ont
donné des ailes aux pays producteurs de gaz
et de pétrole, en plus de les enrichir. Par ail-
leurs, la diminution des tensions dans les pays
arabes ainsi qu’un relatif apaisement de leurs
relations ne justiient plus une présence mili-
taire américaine dans la région. En outre, le
peu d’inluence qui leur reste est soumis aux
aléas des considérations et des pressions sur
le plan intérieur.
Normalisation enterrée. Il n’est donc pas
diicile de prévoir que des rapprochements
durement négociés vont faire long feu. La nor-
malisation des relations avec l’Arabie saou-
dite, un énorme atout pour les Israéliens si
elle avait abouti, est à l’arrêt, et sans doute
enterrée déinitivement. Pire, le prince héritier,
Mohammed ben Salmane, a parlé au président
iranien, Ebrahim Raïssi, ce qui est apparem-
ment leur premier entretien téléphonique
depuis la reprise de leurs relations en mars.
Ce qui laisse Israël dans une position peu
enviable. Une position qui rend sa riposte
brutale à Gaza – sans stratégie ou objectif
inal – d’autant plus insensée. Le bombarde-
ment massif de Gaza et son isolement ont eu
pour efet de déclencher la colère non seule-
ment des foules arabes, généralement ignorées
parce que promptes à s’embraser et à brûler
des drapeaux, mais surtout des organisations
internationales des droits de l’homme à New
York et à Londres, qui accusent désormais
Israël de crimes de guerre.
Les pays arabes ne vont pas déclarer la
guerre à Israël. Ils n’en ont pas besoin pour
afaiblir durablement la position de ce pays,
faire reculer les pourparlers de paix dans la
région – comme ils l’ont déjà fait avec l’annu-
lation d’un sommet avec Joe Biden à Amman –
et entraîner encore davantage d’acteurs non
étatiques dans la guerre.
La question palestinienne revient aujourd’hui
sur le devant de la scène internationale de
la pire façon qui soit : elle ne laisse aucune
perspective de résolution ou de paix pour
les Palestiniens, elle conirme la vulnérabi-
lité permanente d’Israël, et la déstabilisation
d’une région dont la capacité de révolte ne
s’est pas du tout éteinte depuis 2011. Il suf-
ira d’un rien pour embraser à nouveau les
populations arabes.
—Nesrine Malik,
publié le 22 octobre
UNE FRACTURE MONDIALE. 13
OPINION
L’hypocrisie
de l’Occident
démasquée
Dans ce texte au vitriol, une chroniqueuse
tunisienne dénonce le traitement de la guerre
entre Israël et le Hamas dans les médias du
“monde libre”, qui ont pris fait et cause pour
l’État hébreu, déniant au peuple palestinien le
statut de victime. Un point de vue qui reflète
l’opinion d’une grande partie du monde arabe.
Et traduit l’extrême polarisation des débats.
—Business News, extraits (Tunis)
O
n allume la télé sur les chaînes occi-
dentales et on a l’impression que tout a
commencé un certain samedi 7 octobre
2023. Aucune contextualisation, rien.
Israël est victime du Hamas, classé ter-
roriste par ces mêmes pays occiden-
taux. C’est simpliste, aucune nuance. Pourquoi
aller plus loin ou expliquer la situation dans
son contexte global ? Non, ça viendrait à dis-
créditer l’histoire que les médias occidentaux
s’apprêtaient à nous raconter.
Tout est dans la surémotion. Une avalanche
d’images de colons kidnappés ou tués, en boucle.
On est pris à la gorge. Un être humain normale-
ment constitué ne peut rester de marbre face à la
mort d’autres êtres humains. Ce qui interpelle,
SOURCE c’est qu’on n’a pas souvenir de tel emballement
quand des Palestiniens sont décimés, depuis des
BUSINESS NEWS décennies. Rien que pour l’année 2023, entre jan-
Tunis, Tunisie vier et septembre, plus de 300 Palestiniens sont
businessnews.com.tn morts sous les balles et les bombardements de
Webzine tunisien Tsahal [l’acronyme hébreu désignant l’armée
lancé en 2008 israélienne] dans l’indiférence la plus totale.
et édité par Pour les colons israéliens [en réalité, essentielle-
la société Digital ment des kibboutzim : les colonies israéliennes sont
Media Company. situées en Cisjordanie], on met des visages sur les
Spécialisé dans noms, on nous invite à nous identiier à eux. Les
les informations victimes palestiniennes ne comptent pas. Ils n’ont
économiques, pas de noms, ils ne sont qu’une masse informe.
financières Les journalistes les plus “empathiques” s’apitoie-
et technologiques, ront sur ces pauvres Palestiniens pris en otage
il propose par le méchant Hamas et utilisés comme bou-
également cliers humains. D’autres auront un soupçon de
des informations condescendante compassion en nous disant que
et des chroniques “les Palestiniens ne sont pas le Hamas”.
politiques. Voyez le glissement dans les notions. Ce n’est
plus Israël qui assassine des milliers de gens
coincés dans la plus grande prison à ciel ouvert
du monde, non ! Ce n’est pas Israël qui commet
aujourd’hui et depuis plus de soixante-dix ans
un génocide, mais le Hamas. → 14
14. À LA UNE
13 ← Ce n’est absolument pas étonnant.
Défendre une cause juste ou les droits humains
est à géométrie variable, ne vous y trompez
pas. Ce monde dit “libre” a toujours soutenu,
et soutient encore, des régimes dictatoriaux
qui oppriment les libertés les plus élémen-
taires de leurs peuples. Parce que ça sert tout
simplement leurs intérêts.
Propagande médiatique. On a pu assis-
ter à un emballement médiatique ressem-
blant lors du déclenchement de la guerre
russo-ukrainienne. Le fait est que, cette fois-
ci, on constate que le rouleau compresseur
médiatique est plus violent, plus intense. Le
contexte est gommé, l’histoire est niée, les
partis pris et les efets rhétoriques se suc-
cèdent et gare à celui qui relève les approxi-
mations ou les incohérences. De mémoire,
un tel niveau de propagande n’a jamais été
atteint, même avec les guerres en Irak ou le
11 Septembre. Israël a le droit de se défendre
et donc on ferme les yeux sur les violations
à la pelle du droit international et de tous les
droits humains. On fait tout pour gommer la
tragédie palestinienne qui se déroule sous les
yeux du monde complaisant.
Les rares voix qui refusent d’absoudre Israël
et ses crimes, les rares voix qui remettent
le récit dans son contexte historique sont
attaquées, lynchées, traitées d’islamistes
ou d’antisémites ou de terroristes. Derrière
ces réactions violentes, on le sent suinter, ce
racisme antiarabe bien enfoui sous le vernis
du politiquement correct, on les sent, ces
rélexes de l’ancien colonisateur qui dénie
tout droit aux peuples opprimés.
Cette propagande médiatique fait éhon-
tément abstraction de l’occupation. Elle fait
abstraction de la politique d’apartheid que
subissent les Palestiniens et renvoient ces der-
niers dos à dos avec les Israéliens, alors que
ce sont eux qui subissent le terrorisme d’État
raciste aux relents théocratiques. On dénie à
un peuple opprimé et spolié par la force des
armes et l’appui des puissances mondiales de
résister par tous les moyens qui lui sont pos-
sibles. Pourtant, on encourage les Ukrainiens
à résister et on les aide, mais eux ne sont pas
taxés de terrorisme quand ils résistent.
Inaudibles sont ceux qui portent encore
la cause palestinienne dans sa dimension
humaniste et universelle. Ils ressentent l’im-
puissance face à une puissante machine qui
a ancré la sémantique sioniste [en référence
au mouvement du sionisme, qui prônait la
formation d’un État juif en Palestine] dans
l’inconscient collectif.
Force aux Palestiniens qui font face à la
mort et à la désolation. L’issue tragique de ce
nouvel épisode meurtrier est écrite d’avance.
Le patron de Tsahal n’avait-il pas dit qu’ils
allaient anéantir ces “animaux humains”, et
personne parmi ces médias défenseurs des
libertés et des droits de l’homme ne s’en est
ofusqué.
—Ikhlas Latif,
publié le 13 octobre
Courrier international — no 1721 du 26 octobre au 1er novembre 2023
LA SOCIÉTÉ ISRAÉLIENNE
ENTRE VIOLENCE ET PEUR
Les divisions profondes apparues lors du débat sur la “réforme
Vu du judiciaire” n’ont pas été gommées par la guerre actuelle
Liban et restent sous-jacentes. De nouvelles fractures sont apparues,
LE MOYEN- et les voix dissidentes sont mises à rude épreuve.
ORIENT,
“CHAMPION
DU MONDE usqu’au samedi 7 octobre, la vie politique du sort des civils palestiniens de la bande de
DU DEUX POIDS,
DEUX MESURES”
Certes, le monde arabe
J israélienne était dominée depuis dix mois Gaza. Ces attaques ont un efet dissuasif sur
par la crise de régime déclenchée par le certains professionnels.” Toujours dans le New
Premier ministre, Benyamin Nétanyahou, York Times, Tehilla Shwartz Altshuler, cher-
a “mille fois raison et sa volonté de soumettre le pouvoir judi- cheuse à l’Institut israélien pour la démocra-
de reprocher ciaire. Le carnage commis dans l’“enveloppe tie, explique avoir mis sur pied il y a déjà de
aux Occidentaux de Gaza” par le Hamas et l’enlèvement de nombreux mois une structure pour venir en
d’apporter un soutien 220 otages ont rebattu les cartes. Les lignes de aide à des journalistes agressés physiquement.
inconditionnel à Israël”, fracture persistent mais d’autres apparaissent, “Depuis mars dernier, nous avions déjà enregistré
qui “peut emprisonner, portant surtout sur le sort des otages israéliens un millier de cas, et les choses devraient empirer
tuer, coloniser, et celui des civils palestiniens. dans les semaines à venir.”
bombarder “À Tel-Aviv, rue Kaplan, là où il y a encore Un cas emblématique d’intimidation physique
en toute impunité” quelques semaines 100 000 manifes- est celui d’Israel Frey, un journaliste
les Palestiniens tants se rassemblaient tous les same- ultraorthodoxe de gauche et critique
“au seul prétexte dis soir pour exiger l’abandon de la virulent de la politique israélienne,
qu’il a le ‘droit de se ‘réforme judiciaire’, seules deux tentes “lequel a non seulement été plusieurs
défendre’”, trahissant se dressent, séparées d’une centaine de REVUE fois attaqué à son domicile de Bnei
ainsi “les valeurs dont mètres et dont les occupants tentent DE PRESSE Brak [banlieue ultraorthodoxe de Tel-
ils ne cessent pourtant d’interpeller les passants, à deux pas de Aviv], mais a en outre été à plusieurs
de se réclamer”, la Kirya, le siège du ministère de la Défense, raconte reprises convoqué et menacé physiquement par la
écrit l’éditorialiste la Süddeutsche Zeitung dans un long repor- police à cause de ses tweets hétérodoxes”, raconte
Anthony Samrani tage. Une tente demande que la priorité du gou- Ido David Cohen dans Ha’Aretz.
dans les colonnes vernement israélien soit le sauvetage des otages La position des journalistes et internautes
de L’Orient-Le Jour. […]. L’autre exige que le gouvernement ne se lie arabes israéliens est évidemment encore plus
Mais nous, au Moyen- pas les mains autour de la question des otages et fragile que celle de leurs confrères juifs. Ainsi,
Orient, “devons ‘aille jusqu’au bout’ dans son efort de guerre le directeur général d’Adalah, Hassan Jabareen,
commencer par contre la bande de Gaza.” airme au site de gauche Siha Mekomit que
balayer devant notre Durant les dix mois de manifestations anti- son organisation de défense des droits civiques
porte : nous sommes Nétanyahou, les journalistes israéliens n’avaient “reçoit de plus en plus d’informations faisant état
les champions du pas échappé au clivage politique, mais leur d’arrestations policières illégales, brutales et le plus
monde du deux poids, situation s’est fragilisée depuis le 7 octobre. souvent nocturnes, sans autre justiication que
deux mesures”, Interrogée par Emma Goldberg dans The New des publications repérées sur les réseaux sociaux,
estime-t-il. York Times, Anat Saragusti, responsable du ce qui entretient un climat de persécution, voire
D’une part, “nous Syndicat des journalistes israéliens, explique conduit à l’autocensure”.
aimons la Palestine que, pour ces derniers, “développer des analyses Toujours dans Siha Mekomit, Rula Daud, codi-
plus que nous n’aimons dissidentes ou exprimer des opinions critiques rectrice du mouvement Standing Together,
les Palestiniens, quant à la politique menée depuis des années par explique quant à elle que, “vu le caractère inédit
en témoigne la façon Israël est aujourd’hui plus diicile que lors des de la situation politique et militaire actuelle, l’at-
dont nous les traitons conlits précédents”. mosphère est devenue irrespirable dans le sec-
au Liban, en Syrie ou Les réseaux sociaux bruissent d’attaques ad teur arabe”.
en Jordanie”. D’autre hominem contre des journalistes qui, “même Cependant, les événements de mai 2021,
part, nous restons s’ils ont perdu des proches le 7 octobre, s’inquiètent la lourde répression qui s’est à l’époque abat-
“silencieux” vis-à-vis, tue sur les manifestants et émeutiers arabes
par exemple, des et l’adoption de lois comme celle pénalisant
exactions commises
“Exprimer des opinions la présence de drapeaux palestiniens dans
au Yémen ou en Libye, critiques quant à la politique l’espace public ont pour l’instant eu un efet
ou du nettoyage menée depuis des années par dissuasif sur les citoyens arabes.
ethnique des Kurdes. Pour Rula Daud, c’est bien simple : “Depuis le
Israël est plus dificile que lors gouvernement militaire [état d’exception imposé
des conflits précédents.” aux Arabes israéliens de 1948 à 1966], la peur n’a
Anat Saragusti, RESPONSABLE jamais été aussi perceptible dans la rue.”
DU SYNDICAT DES JOURNALISTES ISRAÉLIENS —Courrier international
Courrier international — no 1721 du 26 octobre au 1er novembre 2023 UNE FRACTURE MONDIALE. 15

Aux États-Unis, Leurs administrations sont aux prises avec des

la “guerre
des discours”
Sur les campus, dans la rue,
dans l’arène politique,
les Américains s’écharpent au
sujet de cette guerre. Le soutien
inconditionnel de Joe Biden
à Israël est sévèrement critiqué.
e 16 octobre, un petit garçon musulman de Et une ambiance délétère, alors que la polémique
groupes d’étudiants d’extrême gauche qui tiennent
un discours propalestinien.”
“Des appels au calme et à la compassion de pré-
sidents d’université ont été durement condam-
nés par des associations d’étudiants, éreintant
le contrôle qu’exerce Israël au Proche-Orient.
Tandis que des messages d’étudiants propalesti-
niens ont suscité l’indignation”, précise le site
américain. À la faculté de droit de l’univer-
sité de New York, le président de l’association
des étudiants juristes a ainsi appelé à “ne pas
condamner la résistance palestinienne”, écrivant :
“Israël porte l’entière responsabilité de cet efarant
bilan humain.” Tandis qu’à Harvard un com-
muniqué conjoint d’une trentaine de groupes
d’étudiants solidaires avec la Palestine tenait
“le régime israélien pour entièrement responsable
des violences auxquelles on assiste”.
The New York Times évoque “l’un des débats les
plus clivants sur les campus depuis des décennies”.
Réactions
McDonald’s
dans la tourmente
●●● C’est une des nombreuses victimes
collatérales de cette guerre. Après
la décision de McDonald’s Israel (société
franchisée qui gère une grande partie
de ces restaurants dans l’État hébreu)
d’ofrir des repas gratuits aux soldats
↖ Des manifestants israéliens, une dangereuse dynamique
lors d'un s’est enclenchée. D’abord, les sociétés
rassemblement en qui gèrent des McDonald’s dans les pays
soutien à la Palestine voisins (Liban, Égypte, Jordanie)
à Washington se sont désolidarisées de l’initiative
Square, à New York, en annonçant des aides pour Gaza.
le 17 octobre 2023. Mais cela n’a pas sui. Comme l’explique
Photo Ahmed Gaber/ The Washington Post, dernièrement,

L 6 ans et sa mère ont été poignardés dans sur la liberté d’expression continue de faire des
la région de Chicago par le propriétaire de vagues à Harvard. “Cette guerre des discours
leur logement. L’enfant a succombé à ses ampliie des tensions de longue date à Harvard et
The New York Times

↑ Manifestation
“plusieurs restaurants de la chaîne ont
été vandalisés en Turquie, au Liban
et en Égypte”. La faute de la marque
blessures. L’auteur de l’attaque avait proféré dans beaucoup d’autres universités américaines, où paciique contre serait d’avoir soutenu Israël, mais aussi,
des propos haineux contre les musulmans. les étudiants sont très divisés sur le conlit israélo- le bombardement plus largement, d’être un symbole
Ce terrible fait divers témoigne de la violence palestinien”, souligne The Boston Globe. de la bande de Gaza de l’impérialisme occidental.
qui déchire la société américaine au sujet de la Ces positions ont provoqué des réactions organisée à
guerre qui oppose Israël et le Hamas. scandalisées de la part d’élus et d’intellectuels. Washington Square
À New York, la tension est palpable dans En témoigne cette tribune de Naomi Klein le 11 octobre Dans une tribune publiée dans The Washington
la communauté juive et dans la communauté publiée dans The Guardian et traduite sur par If Not Now, Post le 23 octobre, il dénonce l’absence totale
musulmane, souligne The New York notre site, dans laquelle l’essayiste un collectif juif de débats sur la fourniture d’armes létales à
Times, alors que ces derniers jours canadienne explique que “ne pas opposé à l'occupation Israël, alors même que cette discussion a été
les manifestations pro-Israël et pro- condamner explicitement le Hamas, israélienne possible au sujet de l’Ukraine : “L’absence de
Palestine se sont succédé dans un c’est nourrir le sionisme militant”. des Territoires volonté de tenir ce débat lorsqu’il s’agit d’Israël
contexte tendu d’“augmentation REVUE Elle en appelle à la gauche, mais une palestiniens. ne prouve pas notre attachement à la sécurité
des agressions antisémites et islamo- DE PRESSE gauche qui manifeste “une opposition Photo Yuvraj Khanna/ d’Israël. C’est plutôt la preuve de notre enga-
phobes”. De même, à Washington, la farouche à toutes les formes de haine The New York Times gement en faveur d’une politique qui, comme le
colline du Capitole et les abords de la Maison- fondées sur l’identité, y compris l’antisémitisme”. montre le dossier, est une impasse – et la preuve
Blanche sont, depuis deux semaines, le théâtre De là à soutenir aveuglément Israël, il y a un de notre volonté d’abandonner nos valeurs et de
de manifestations diverses. Tout comme les pas énorme. Et dans les bastions démocrates, fermer les yeux sur les soufrances de millions de
campus. “À travers les États-Unis, les universi- des fractures se font jour. Pour preuve, la démis- personnes à Gaza lorsque cela s’avère politique-
tés sont aujourd’hui le théâtre de divisions parti- sion, le 18 octobre, de Josh Paul, un haut res- ment opportun. Ce n’est pas le département d’État
culièrement vives au sujet des attaques du Hamas ponsable du département d’État, en réaction que je connais. Et c’est pourquoi j’ai dû le quitter.”
contre Israël, constatait Politico le 10 octobre. au soutien inconditionnel de Joe Biden à Israël. —Courrier international
16. À LA UNE Courrier international — no 1721 du 26 octobre au 1er novembre 2023

LA GAUCHE EUROPÉENNE
DANS TOUS SES ÉTATS
En Europe occidentale, les mouvements progressistes se divisent
sur de vieilles lignes de fracture. Celles-ci sont essentiellement
liées à l’histoire de la colonisation et à l’impérialisme américain,
analyse la presse du Vieux Continent.

a faille s’est rouverte. Ou plutôt appro- les débats liés au conlit israélo-palestinien,

L fondie. “Les divisions observées au sein de estime El País.

la gauche d’Europe occidentale après l’inva- “La gauche radicale a toutes les peines du monde
sion russe de l’Ukraine rejaillissent depuis à condamner sans ambiguïté les attaques terroristes
le massacre du Hamas en Israël, suivi des et terriblement meurtrières du Hamas”, conirme
bombardements de représailles sur Gaza et De Morgen, en Belgique. Outre-Quiévrain, “le
des milliers de morts civiles”, déplore El País. silence du Parti du travail de Belgique (PTB) au
D’un côté, le quotidien madrilène range les premier jour du raid était intense. Ce n’est que
partis qu’“on pourrait appeler sociaux-démo- quand Israël a répliqué que le président du parti [à
crates et atlantistes”, partisans du droit d’Israël son plus haut niveau historique dans les sondages
à se défendre “dans les limites du droit interna- en Wallonie, avec 19,8 %, juste derrière les 21 % du
tional”. De l’autre, “une gauche qui dénonce avant Parti socialiste], Raoul Hedebouw, a donné signe
tout la responsabilité” de l’État hébreu dans l’es- de vie, visiblement soulagé de pouvoir également
calade de la violence, “même si elle condamner Israël.”
condamne aussi dans la plupart des Cette attitude rappelle à l’édito-
cas les actions” du groupe islamiste. rialiste du journal lamand la straté-
Dans cette deuxième catégorie, par gie de Jeremy Corbyn, ancien leader Contexte
exemple : le Sinn Féin, en Irlande, qui REVUE du Parti travailliste britannique. “Du
“entretient des liens” avec le Hamas et DE PRESSE côté de la gauche radicale – tout comme à
lie la lutte des Palestiniens à celle des droite –, idéologie et opportunisme vont de La rue divisée
Irlandais pour la réuniication de l’île d’Éme- pair. L’idéologie consiste ici à opter pour la classique
raude. “Le parti semble s’être modéré depuis le vision anti-impérialiste et à s’ériger contre tout inté-
au Royaume-Uni
7 octobre”, tempère The Irish Times. rêt géopolitique américain ou occidental, que ce soit ●●● Le 21 octobre, c’était une marée
Particularité espagnole, reprend El País, les en Ukraine ou en Israël. L’opportunisme, lui, réside humaine de soutien aux Palestiniens
deux nuances d’izquierda cohabitent au sein dans le fait de courir après un électorat d’origine “sous la pluie, mais dans une bonne
du gouvernement. Le mouvement Sumar, étrangère et/ou musulmane, traditionnellement atmosphère”, note The Guardian.
lancé par la ministre du Travail communiste, plutôt à gauche.” Le lendemain, “une émouvante mer de
Yolanda Díaz, conditionne d’ailleurs le renou- Au Royaume-Uni, le Labour paraît justement ↑ Ursula von der Leyen drapeaux bleu et blanc” venue réclamer
vellement de son accord de coalition avec le tétanisé par l’héritage de son ex-dirigeant (2015- et Charles Michel, avec la libération des otages du Hamas, se
Premier ministre socialiste, Pedro Sánchez, à 2020), très engagé sur la question palestinienne Volodymyr Zelensky, félicite The Jewish Chronicle. Les deux
la reconnaissance d’un État palestinien. “Pour mais accusé à de nombreuses reprises de pas- à gauche, au sujet du grandes manifestations du week-end
décrire la riposte d’Israël, Sumar va bien plus loin sivité face à l’antisémitisme d’une frange de Moyen Orient, à droite. à Londres ont rassemblé respectivement
que le PSOE [Parti socialiste ouvrier espagnol] et militants et d’indulgence vis-à-vis des groupes Dessin d’Oliver paru 100 000 et 15 000 personnes. Mais
qualiie les actions de Tsahal de crimes de guerre”, terroristes. Au point, désormais, d’omettre entiè- dans Der Standard, l’attention médiatique a surtout été
analyse le journal progressiste. rement les droits des populations civiles pales- Vienne. retenue par les paroles lancées lors d’un
tiniennes : “Israël a le droit [de couper l’électricité petit contre-événement, à l’appel du
et l’eau aux Gazaouis]”, a d’abord soutenu l’actuel groupe fondamentaliste Hizb ut-Tahrir :
“La gauche radicale a chef du parti, sir Keir Starmer, avant de nuan- comment libérer les Palestiniens ?
toutes les peines du monde cer sa position. Par “le djihad”, ont scandé une poignée
à condamner sans ambiguïté “Les travaillistes soufrent de Corbyn long, sou- d’hommes. Vidéo transmise à la police,
pire l’hebdomadaire de gauche New Statesman, qui n’a pas décelé d’infraction. La faute
les attaques terroristes comme le montre l’interdiction pour les députés du aux multiples sens du terme “djihad” et à
du Hamas.” Labour de participer aux manifestations propalesti- “des failles dans les lois antiterroristes”,
DE MORGEN niennes.” Une punition collective, persilent cer- indique The Guardian. Tollé jusqu’à
tains parlementaires (plusieurs élus locaux ont Downing Street. Ailleurs sur le continent,
Au nord des Pyrénées, les forces de gauche quant à eux quitté le parti en signe de protesta- des manifestations propalestiniennes
s’écharpent depuis les bancs de l’opposition : La tion), “pour faire oublier à quelques mois des pro- ont réuni 70 000 personnes à Barcelone,
France insoumise y campe le rôle de la “vieille chaines législatives que Keir Starmer a longtemps de dizaines de milliers d’autres à
gauche ancrée dans l’héritage anticolonial”, au soutenu Jeremy Corbyn”. Et qu’importe si “sa Bruxelles, et quelque 30 000 participants
discours ambivalent et qui “minimise systé- vision du conlit au Moyen-Orient en ressort biaisée”. à Paris (15 000 selon la police).
matiquement le rôle de l’antisémitisme” dans —Courrier international
Courrier international — no 1721 du 26 octobre au 1er novembre 2023 UNE FRACTURE MONDIALE. 17

EN FRANCE, DE
sont historiquement plus sensibles
aux revendications palestiniennes.
La division à l’intérieur de l’UE
sur cette question est donc quasi
structurelle, mais ce qui est plus
surprenant, c’est que ces frac-
“PROFONDES
tures ont même contaminé les
représentant des institutions LIGNES
DE FAILLE”
communautaires, qui devraient
incarner une médiation entre les
voix des 27 États membres. En ce
sens, Il Foglio n’y va pas par quatre
chemins et explique que “l’UE a un Réaction
problème Ursula”.
L’Ursula en question, c’est bien LE “EN MÊME
sûr Ursula von der Leyen, la pré- TEMPS” Un débordement en France du
sidente de la Commission, “tou­ DE MACRON conflit au Moyen-Orient faisait
jours plus contestée par les autres En visite en Israël, et fait partie des risques identifiés.
leaders de l’UE et par les euro­ le mardi 24 octobre, Mais aux fractures de la société
députés pour avoir accordé un sou­ Emmanuel Macron
tien inconditionnel à Benyamin a proposé à l’issue s’ajoute une crise politique.
Nétanyahou dans sa réponse au de son entretien avec
Hamas”. le Premier ministre
Benyamin Nétanyahou n France, si les divisions sur le conlit au

E
“D’abord il y a eu l’annonce du
commissaire Oliver Varhelyi [cor­ que la coalition Moyen-Orient ont éclaté dès le lendemain
rigée ensuite] d’une suspension des internationale contre des attaques du Hamas contre Israël, le
aides à la Palestine, énumère le quo- l’organisation État 7 octobre, c’est peu surprenant. L’Hexagone
tidien italien, puis les multiples mes­ islamique, déployée “compte la plus grande communauté juive
sages de von der Leyen exprimant sa en Syrie et en Irak, d’Europe, explique The Local. Il compte
solidarité avec Israël sans mention­ “puisse lutter aussi également la plus grande population musulmane
ner la situation humanitaire à Gaza, contre le Hamas”, d’Europe. Les conlits entre Israéliens et Palestiniens
et, enin, le déplacement en Israël, où la rapporte Ha’A retz. ne sont pas des actualités étrangères en France,

L’Union présidente de la Commission a déclaré : ‘Je sais

que la réponse d’Israël démontrera qu’il s’agit
d’une démocratie.’”
Le chef de l’État a fait
valoir que la France
était aux côtés d’Israël
mais des actualités nationales.” Et ils “ont provo­
qué des violences aveugles par le passé”, rappelle
le journal britannique.

européenne Des prises de position controversées qui

se déchire
au sommet
Les déclarations pro-israéliennes
de la présidente de la Commission
européenne, Ursula von der Leyen,
créent des tensions à Bruxelles.
ncore une fois le constat est le même.
avaient même poussé Charles Michel, président
du Conseil de l’UE, à convoquer, le 17 octobre,
un sommet des Vingt-Sept pour déinir “une
position commune”. Or von der Leyen n’a fonda-
mentalement pas changé de discours, poussant
ainsi “presque 800 membres du personnel de l’UE
à écrire une lettre ouverte pour protester contre
son parti pris injustiiable à l’égard d’Israël”, rap-
portait le 20 octobre le média établi à Bruxelles
Politico.eu.
Un parti pris d’autant plus injustiiable qu’au
regard des traités la compétence de la politique
étrangère de l’UE ne revient pas à la Commission,
mais au président du Conseil européen, Charles
Michel, et au haut représentant de l’UE, Josep
Borrell. Deux personnalités qui auraient des rela-
tions très tendues avec Ursula von der Leyen.
La fronde contre la présidente de la Commission
dans sa lutte contre
le Hamas, “un groupe
terroriste dont
Redoutant l’“importation du conlit sur son ter­
ritoire, l’Hexagone renforce les mesures de sécurité”,
relevait El Mundo, à Madrid. Les manifestations
l’objectif même est
la destruction de l’État
d’Israël”. Il a aussi
de solidarité avec les Palestiniens, notamment,
ont fait l’objet d’un bras de fer. Elles ont été inter-
dites par le ministre de l’Intérieur par la voie
assuré que “la sécurité
d’Israël ne [pouvait]
des préfets, le 12 octobre, mais certaines sont
autorisées – au cas par cas – par la justice depuis
être durable sans le 18. Dans les dix jours qui ont suivi l’attaque,
une relance décisive 327 actes antisémites ont été commis sur le ter-
du processus politique ritoire, contre 436 pendant toute l’année 2022.
avec les Palestiniens”. Mais la division la plus visible est politique.
Le Hamas “doit être Prise dans un feuilleton sans in alimenté par le
combattu avec force. refus de La France insoumise et de son chef de
Et la cause ile, Jean-Luc Mélenchon, de qualiier le Hamas
palestinienne, elle, de “terroriste”, l’alliance de gauche, la Nupes,
doit être entendue est “au bord de l’efondrement”, souligne The
avec raison.” Macron Daily Telegraph, à Londres. Elle a été achevée
devrait se rendre par ce “débat du positionnement vis­à­vis de l’is­

E Systématiquement, à l’exception notable

du début de la guerre en Ukraine, lorsqu’une
crise géopolitique pointe le bout de son nez
à ses frontières, l’Union européenne (UE)
réagit en ordre dispersé. “Bruxelles n’est
pas célèbre pour son unité en politique étrangère,
ironise même El Conidencial, et d’un certain
point de vue c’est normal.” Car, comme le rap-
pelle le quotidien espagnol, “l’UE est composée
de 27 membres, et les relations avec les pays tiers
dépendent de l’histoire de chaque pays”. Pour des
raisons qui ont trait à son passé, l’Allemagne est
par exemple très attentive à son rapport avec
Israël, tandis que des États comme l’Irlande
est donc lancée à l’intérieur des institutions, mais
la politique allemande pourrait ne guère s’en sou-
cier, théorise Il Foglio en guise de conclusion.
En efet, “certains soupçonnent que von der Leyen
n’est pas intéressée par un deuxième mandat, mais
plutôt par le poste de secrétaire général de l’Otan,
qui se libérera lorsque le mandat de la commissaire
prendra in”. Ainsi, le biais pro-israélien de von
der Leyen ne serait qu’une façon de complaire
aux États-Unis, meilleur allié d’Israël. Logique,
puisque, comme le rappelle le quotidien libéral,
“le vote le plus important pour choisir le succes­
seur de Jens Stoltenberg sera celui de Joe Biden”.
—Courrier international
ensuite en Cisjordanie,
pour une rencontre
avec le président
lamisme”, rappelle Le Temps, ainsi que par une
attitude que The Local juge “totalement irrespon­
sable”, en ce qu’elle est une “simpliication dan­
de l’Autorité gereuse d’une situation dangereusement confuse”.
palestinienne, “On se demande désormais ouvertement si, en
Mahmoud Abbas. in de compte, La France insoumise ne serait pas le
véritable danger pour la démocratie française – plus
encore que le Rassemblement national, à qui le rôle
de paria avait toujours été dévolu”, écrit le Tages-
Anzeiger, de Zurich. Révélées par le conlit au
Moyen-Orient, voilà de “dangereuses lignes de
faille qui divisent la classe politique et la société
française dans son ensemble”, conclut The Local.
—Courrier international
18. À LA UNE
Comment Moscou
et Pékin tentent de tirer
leur épingle du jeu
L’attention de Washington est concentrée sur le Moyen-Orient.
Une aubaine pour la Chine, qui se prépare à un possible bras de fer
avec les États-Unis au sujet de Taïwan. Mais surtout pour la Russie,
qui espère un tarissement du soutien occidental à l’Ukraine.
—The Wall Street Journal,
extraits (New York)
a guerre entre Israël et le Hamas ne risque
L pas seulement de dégénérer en conlit régio-
nal. Elle afecte également l’équilibre des
puissances au niveau mondial et entraîne
un étirement des ressources américaines
et européennes, tout en soulageant la pres-
sion qui pèse sur la Russie et en ofrant de nou-
velles possibilités à la Chine.
Il est diicile de prédire les conséquences à
long terme de l’embrasement au Moyen-Orient.
Elles dépendent avant tout du succès éventuel
d’Israël dans sa volonté d’éliminer le Hamas
en tant que principale force politique et mili-
taire dans la bande de Gaza.
L’autre question essentielle est de savoir si les
relations diplomatiques de l’État hébreu dans
Courrier international — no 1721 du 26 octobre au 1er novembre 2023
la région et l’inluence de ses soutiens occi-
dentaux sur la scène internationale peuvent
survivre aux pertes civiles qui ne cessent de
croître à Gaza.
Mais pour l’heure, la guerre déclenchée par le
Hamas le 7 octobre, quand il a lancé une attaque
sans merci sur des villes et villages israéliens
qui a causé la mort de près de 1 400 personnes,
est une aubaine pour les grands rivaux géopo-
litiques de l’Amérique.
La Chine, la Russie et l’Iran cherchent depuis
longtemps à saper le système international sou-
tenu par Washington et exploitent aujourd’hui
le fait que l’attention des États-Unis se foca-
lise ailleurs. “Nous sommes témoins d’un glis-
sement et d’un basculement de l’ordre mondial,
commente l’ancien Premier ministre inlandais
Alexander Stubb, actuellement candidat à la
présidence de son pays. Quand les États-Unis
laissent un vide de pouvoir, quelqu’un va combler
le vide en question.”
Ce qui est certain, c’est que l’Amérique est déjà
de retour au Moyen-Orient, mettant en avant
son rôle de partenaire indispensable d’Israël
et des pays arabes clés, à coups de navette
diplomatique et de déploiements militaires.
Un engagement approuvé aux États-Unis par
les républicains et les démocrates et qui dis-
sipe en partie le sentiment isolationniste qui
progressait ces dernières années.
Or, alors que les regards de Washington se
braquent sur le Moyen-Orient, la Russie est
sans doute celle qui proite le plus des boule-
versements en cours. Citant les morts toujours
plus nombreux du côté palestinien, le Kremlin
a beau jeu de dénoncer ce qu’il dépeint comme
l’hypocrisie des gouvernements occidentaux,
qui ont clairement condamné les massacres
de civils commis par les Russes en Ukraine,
mais qui critiquent à peine, voire pas du tout,
les actions israéliennes à Gaza.
Rhétorique poutinienne. Le président
Vladimir Poutine, dont les forces, d’après les
autorités ukrainiennes, auraient tué des dizaines
de milliers de civils lors des combats dans la
ville ukrainienne de Marioupol, qui ont duré
des mois l’année dernière, a comparé le siège
de Gaza par les Israéliens à celui de sa ville de
Saint-Pétersbourg – alors baptisée Leningrad –
pendant la Seconde Guerre mondiale. Ce qui
revient fondamentalement à mettre sur un pied
d’égalité les Israéliens et les nazis.
Cette rhétorique constitue une rupture nette
dans les relations autrefois chaleureuses qu’entre-
tenait Poutine avec le Premier ministre israélien,
Benyamin Nétanyahou. C’est une composante
de l’efort diplomatique de la Russie, qui cherche
à se poser en chef de ile du mouvement plané-
SUR NOTRE SITE taire contre le “néocolonialisme” occidental,
courrierinternational.com alors qu’il mène une guerre de conquête colo-
niale en Ukraine. “Tout conflit qui détourne un tant
Suivez toute l’actualité soit peu l’attention de l’Ukraine rend un fier ser-
de la guerre entre vice à la Russie, explique le ministre des Afaires
Israël et le Hamas. étrangères lituanien, Gabrielius Landsbergis.
Quelles conséquences Les Russes ne l’ont peut-être pas déclenché, mais
en cas d’intervention ils ont tout intérêt à ce que le conflit en Israël dure
terrestre à Gaza ? aussi longtemps que possible. Ce serait un gain tac-
Y a-t-il un risque tique pour les Russes en Ukraine, et cela leur per-
d’embrasement mettrait, au niveau stratégique, de renforcer leur
régional ? Les analyses discours hostile au monde occidental.”
et reportages de La Chine a elle aussi épousé la cause palesti-
la presse étrangère.
À lire en particulier,
cet article du
nienne comme elle ne l’avait jamais fait depuis
des décennies. Ses relations un temps cordiales
avec Israël sont en lambeaux. Pékin n’a jamais
chroniqueur Nicholas cessé d’invoquer la nécessité de combattre le
Kristof paru dans terrorisme pour réprimer les Ouïgours dans
The New York Times : le Xinjiang, mais s’est toujours soigneusement
“Nous ne devons pas abstenu d’user du mot “terrorisme” pour décrire
tuer les enfants l’attaque du Hamas, au grand dam d’Israël. “Ce
de Gaza pour essayer qui est crucial, c’est que le peuple palestinien a de
de protéger les tout temps été victime d’une injustice”, a airmé
enfants d’Israël”. le ministre des Afaires étrangères chinois,
Wang Yi, le 19 octobre.
Alors que Pékin se prépare à un possible bras
de fer avec Washington au sujet de Taïwan, la
Chine tire parti du fait que l’attention de la
Courrier international — no 1721 du 26 octobre au 1er novembre 2023
Maison-Blanche est une fois de plus détour-
née par les troubles au Moyen-Orient.
La guerre lancée par le Hamas afecte éga-
lement l’Inde, le principal rival de la Chine en
Asie, qui s’est nettement rapprochée d’Israël
ces dernières années. Au mois de septembre,
l’Inde et les États-Unis ont annoncé qu’ils
prévoyaient de mettre en place un corridor
de transit reliant l’Inde, le Moyen-Orient et
l’Europe en passant par les Émirats arabes
unis [EAU], l’Arabie saoudite, la Jordanie et
Israël, concurrençant ainsi le projet chinois
des nouvelles routes de la soie. Toutefois, les
pourparlers sur la normalisation des relations
entre Israël et l’Arabie saoudite – un élément
clé du plan – ont été torpillés par la guerre de
Gaza, et leur avenir paraît désormais compro-
mis. “Dans l’ensemble, l’Inde a beaucoup investi
au Moyen-Orient, en particulier en Israël et dans
des pays arabes importants, comme les EAU et
l’Arabie saoudite, rappelle Ashok Malik, du cabi-
net de conseil Asia Group. La normalisation
des relations entre Israël et les pays arabes pro-
gressistes, qui veulent proiter d’ouvertures éco-
nomiques et technologiques pour se moderniser,
dans le cadre d’une normalisation plus générale
au Moyen-Orient, bénéicie clairement du sou-
tien de l’Inde – pour des raisons commerciales et
politiques à plus long terme.”
Pour de nombreux pays d’Europe, une esca-
lade du conlit, outre qu’elle accroîtrait les ten-
sions régionales et détournerait l’attention de
l’Ukraine, engendrerait aussi une crise éner-
gétique, qui pourrait les priver de la solution
moyen-orientale pour remplacer le pétrole
et le gaz russes. Par ailleurs, un bain de sang
au Moyen-Orient accentuerait également le
risque de nouvelles violences commises sur
leur territoire par des groupes islamistes mili-
tants. D’immenses manifestations propalesti-
niennes ont déjà envahi les rues des grandes
capitales européennes, certains participants
scandant leur soutien à l’objectif du Hamas, à
savoir l’élimination d’Israël.
Danger pour Kiev. La Russie espère bien que
l’attention de l’Occident inira par se détour-
ner de l’Ukraine. Si le conlit au Moyen-Orient
implique le Liban puis, peut-être, l’Iran et les
États-Unis directement, les ressources mili-
taires destinées à l’Ukraine, déjà en baisse, pour-
raient se faire encore plus rares – un danger
dont Kiev a bien conscience. “Si la situation
traîne en longueur, il est évident qu’il y aura des
problèmes liés au fait que l’Ukraine ne sera pas
la seule à avoir besoin d’être ravitaillée en armes
et en munitions”, a souligné Kyrylo Boudanov,
le chef du HUR, le renseignement militaire
ukrainien, au site Oukraïnska Pravda.
Jusqu’à présent, l’aide militaire envoyée en
toute hâte par Washington à Israël n’est pas
vraiment du même type que celle dont Kiev a
besoin. Israël a urgemment réclamé des inter-
cepteurs pour le Dôme de fer, son système de
défense antimissiles, des équipements que n’uti-
lise pas l’Ukraine, dont l’armée a surtout besoin
d’obus de 155 mm. Dans l’ensemble, Israël s’ap-
puie essentiellement sur son énorme aviation,
alors que la puissance aérienne ne joue qu’un
rôle limité dans la guerre en Ukraine.
Pour l’Ukraine, le plus grand risque, ces
dernières semaines, a été la répugnance, aux
États-Unis, de certains représentants répu-
blicains à autoriser un nouveau plan d’aide
américaine. Un obstacle qui pourrait être levé
par la crise au Moyen-Orient, alors que l’ad-
ministration Biden s’eforce d’associer l’aide
Une escalade du conflit
engendrerait une crise
énergétique dans de
nombreux pays d’Europe.
militaire à Israël et l’aide à l’Ukraine. Pour
Ivo Daalder, directeur général du think tank
Chicago Council on Global Afairs et ancien
ambassadeur américain auprès de l’Otan,
Washington devrait être en mesure de soute-
nir Israël et l’Ukraine tout en respectant ses
engagements envers Taïwan. “Nous sommes
capables de marcher et de mâcher du chewing-
gum en même temps, assure-t-il. Nous en avons
la capacité et nous sommes la puissance mondiale
à même de faire les trois.”
À vrai dire, la crise au Moyen-Orient vient
aussi rappeler à quel point l’Amérique reste
importante pour la région et pour le monde. En
mars, la Chine est ostensiblement intervenue
sur la scène politique régionale en obtenant un
accord sur le rétablissement de relations diplo-
matiques entre Riyad et Téhéran. Mais mainte-
nant, alors que le risque d’une guerre régionale
augmente, Pékin fait proil bas – tandis que
les États-Unis ont dépêché deux porte-avions
et que le secrétaire d’État américain a ratissé
la région dans l’espoir d’éviter une extension
du conlit. “Le principal levier de pouvoir de la
Chine dans la région, c’est sa puissance écono-
mique, conclut Gordon Flake, directeur du
think tank australien USAsia Center. Ils n’ont
pas encore de capacité de projection de puissance
dans cette région, par conséquent, personne ne se
tourne vers eux pour leur demander de résoudre
les problèmes.”
—Yaroslav Trofimov (à Dubaï),
publié le 16 octobre
SOURCE
THE WALL STREET
JOURNAL
New York, États-Unis
Quotidien, 600 000 ex.
wsj.com
C’est la bible des milieux
d’afaires. Mais à manier
avec précaution : d’un côté,
des enquêtes et reportages
de grande qualité, avec
un souci de neutralité ;
de l’autre, des pages
éditoriales très partisanes.
UNE FRACTURE MONDIALE. 19
Décryptage
Les États-Unis
← Dessin de Darío décrédibilisés
paru dans En apportant d’emblée un soutien
El Imparcial, sans réserve à Israël, Washington
Mexico. a suscité la déiance des pays arabes
et du Sud, sapant son discours
moraliste sur l’invasion de l’Ukraine.
“S’exprimant du Bureau ovale jeudi
[19 octobre], le président Joe Biden a lié
le soutien des États-Unis à l’Ukraine
et à Israël, décrivant les deux pays
comme des démocraties aux prises avec
des ennemis déterminés à les ‘annihiler
complètement’”, rappelle The New York
Times. “Mais la contre-attaque d’Israël
Réactions à Gaza, ses menaces d’invasion terrestre
et le soutien sans faille des États-Unis […]
LE FOOTBALL suscitent des accusations d’hypocrisie.”
PRIS “EN Le 18 octobre, rappelle le chroniqueur
TENAILLE” Ishaan Tharoor dans The Washington
“Le réveil de la guerre Post, “au Conseil de sécurité des Nations
au Proche-Orient unies, les États-Unis ont mis leur veto
a de multiples pour enterrer un projet de résolution
conséquences dans modéré, porté par le Brésil, appelant
le plus populaire à une pause humanitaire dans le conlit”.
des sports”, écrit Un veto d’autant plus frappant
Le Temps. En plus vu “leurs récentes dénonciations
de la polémique de la Russie au sein de cette même
en France autour instance”. En somme, cette guerre “sape
du soutien unilatéral le moralisme occidental sur l’Ukraine”.
de Karim Benzema La Maison-Blanche a bien tenté d’inléchir
aux Gazaouis, son discours : après avoir assuré Israël
le quotidien suisse de son appui, elle a mis l’accent sur le
évoque le cas de droit de la guerre, la protection des civils,
l’Algérien Youcef Atal, et aiché ses eforts pour ouvrir l’accès
suspendu par son club à l’aide humanitaire à Gaza.
de Nice et visé par une L’administration démocrate “semble
enquête préliminaire œuvrer en coulisse pour réfréner
pour “apologie du le cabinet de guerre israélien”, ajoute
terrorisme” après avoir le Washington Post. Joe Biden a appelé
relayé un appel à la à ne pas répéter les “erreurs” commises
haine d’un prédicateur après le 11 Septembre et à ne pas
palestinien. Mais aussi assimiler “les Palestiniens innocents”
celui de Mohamed au Hamas. “Mais ce discours sonne creux
Salah. La star au regard des actes américains”, conclut
égyptienne, “que le chroniqueur, qui relève le manque
le monde arabe de détermination de Washington
trépignait d’entendre”, pour raviver le processus de paix
a ini par sortir de entre Israéliens et Palestiniens. En in
son silence en livrant de compte, la réponse des États-Unis
“un message de paix”. à la guerre “suscite la fureur au
En Algérie, Moyen-Orient”, constate The New York
la fédération Times, lequel souligne que le slogan
a suspendu toutes “Mort à l’Amérique” a trouvé “un nouvel
ses compétitions écho dans la région”. Les manifestations
en solidarité avec visant les ambassades des États-Unis
les Palestiniens. à Beyrouth ou Tunis après la tragédie
Le pays s’était aussi de l’hôpital Al-Ahli à Gaza ont illustré
proposé d’accueillir cette déiance. Selon Hafsa Halawa,
les matchs de l’équipe chercheuse au Middle East Institute,
nationale de Palestine. “les Américains n’ont absolument aucune
Une demande refusée crédibilité morale” au Moyen-Orient.
par la Fifa.
20. Courrier international — no 1721 du 26 octobre au 1er novembre 2023
d’un
continent
à l’a ut r e. Europe ......... 22 —Der Standard (Vienne)
fra nce Amériques...... 28
Afrique ........
Asie ...........
32
34
V oyager en France com-
mence à ressembler à
une loterie inquiétante :
alertes à la bombe, évacuations et
autres fermetures se multiplient à
travers le pays. Pas plus tard que le
week-end [du 14 octobre], le châ-
teau de Versailles et ses jardins
ont été évacués [cinq fois cette
semaine], ainsi que le musée du
Louvre. À la gare de Lyon, d’où
Societé. La peur
les TGV desservent le sud du
pays, des milliers de personnes
ont également dû quitter les lieux
à la suite d’un appel anonyme.
Mercredi [18 octobre], le même
des attentats est scénario s’est répété dans pas
moins de six aéroports, dont ceux
de Lille, Nantes, Toulouse, ou
encore l’un des grands aéroports
omniprésente français, celui de Nice. [Les éva-
cuations de nombreux aéroports
régionaux ont continué tous les
jours depuis.] On ignore à ce jour
s’il s’agit d’une action concer-
Le Louvre, Versailles, six aéroports, des grandes gares… : tée. Par chance, les deux plaques
tournantes parisiennes, Roissy et
les évacuations en raison d’alertes à la bombe se succèdent Orly, n’ont pas été touchées – les
en France. Dans tout le pays, l’ambiance est tendue. répercussions auraient affecté
le trafic aérien bien au-delà de
l’Hexagone.
Le ministre de l’Intérieur,
Gérald Darmanin, n’y est pas
allé par quatre chemins : le lien
avec le conflit au Proche-Orient
est “évident”,
a-t-il déclaré,
avant d’appe-
ler ses com-
patriotes à la
“vigilance”. Le gou-
vernement vient de
porter l’alerte au niveau
maximum. Les militaires
de l’opération Sentinelle, qui
patrouillent dans les centres-
villes depuis des années dans
le cadre du plan Vigipirate,
en armes et treillis, vont voir
leurs effectifs renforcés, pas-
sant de 3000 à 7000.
La police peut également placer
des individus en garde à vue sans
avoir à demander au préalable l’au-
torisation d’un juge, et le préfet de
Paris a la possibilité d’interdire les
manifestations – une option qu’il
a voulu mettre à profit sans succès
samedi dernier [le 14 octobre] pour
une manifestation propalesti-
nienne. À l’heure où nous parlons,
l’interdiction serait sans doute
appliquée avec plus de fermeté.
Pour les inscrire dans la durée,
toutes ces mesures afférentes à
l’état d’urgence devront avoir
↙ Dessin de Niels Bo Bojesen
paru dans Jyllands-Posten,
Danemark.
l’imprimatur de l’Assemblée.
Jusqu’à présent, cela ne s’est
produit que dans des circons-
tances exceptionnelles et dra-
matiques – la guerre d’Algérie
en 1958, les émeutes de 2005 ou
encore les attentats à Charlie
Hebdo et au Bataclan, en 2015.
Si nous n’en sommes pas encore
là, l’inquiétude de l’exécutif et
de la population n’en était pas
moins palpable la semaine der-
nière, lorsque Emmanuel Macron
a lancé un vibrant appel à l’“unité
nationale”. Que l’oubli soit volon-
taire ou non, il n’a cependant pas
eu un mot pour les millions de
musulmans qui vivent dans les
banlieues. Le fait qu’il se soit
borné à rappeler les droits d’Is-
raël et n’ait pas fait de différence
entre le Hamas et les Palestiniens
lui a été reproché jusque dans les
rangs de la Macronie.
“Djhadistes low cost”. Le
lendemain, un jeune homme
de 20 ans originaire de la répu-
blique d’Ingouchie, dans le
Caucase russe (à l’ouest de la
Tchétchénie), s’est rendu dans
son ancien lycée, dans la ville
d’Arras. Il y a tué un professeur
et blessé plusieurs personnes à
coups de couteau avant d’être
arrêté. La France se souvient
avec effroi de la décapitation
du professeur d’histoire Samuel
Paty voilà trois ans à Conflans-
Sainte-Honorine, dans la ban-
lieue parisienne. Les obsèques
de l’enseignant qui vient de trou-
ver la mort, Dominique Bernard
– qui avait, comme Samuel Paty,
la réputation d’être un homme
ouvert sur le monde et bien-
veillant –, ont eu lieu jeudi à la
cathédrale d’Arras, en présence
d’Emmanuel Macron.
Mais il en faudra plus pour
ramener la paix en France.
Spécialiste des questions de sécu-
rité, Floran Vadillo met en garde :
“Il y aura d’autres attentats de ce
type.” Il fait ici allusion aux “dji-
hadistes low cost” qui agissent
de leur propre initiative, armés
d’un simple couteau de cuisine.
Leurs intentions sont quasi indé-
celables : l’auteur de l’attentat
“Il y aura d’autres
attentats [comme
celui qui a été
commis à Arras].”
Floran Vadillo, SPÉCIALISTE
DES QUESTIONS DE SÉCURITÉ
Courrier international — no 1721 du 26 octobre au 1er novembre 2023
d’Arras, Mohammed M., qui igu-
rait dans le fichier des indivi-
dus radicalisés, était entendu
encore la veille par la police. Il
était reparti libre. Pour Floran
Vadillo, il faudrait 30 000 enquê-
teurs pour surveiller l’ensemble
des 17 000 “ichés S”. Ce qui est
aussi impossible que la promesse
formulée par Darmanin d’expul-
ser les djihadistes du pays.
Le fait que l’assaillant n’ait
même pas mentionné la situa-
tion au Proche-Orient dans son
message de revendication inquiète
également les autorités. Lors de
l’attaque, il a crié [aux personnes
qui se trouvaient là] que “leur”
République et “leur” Marianne
n’étaient pas les siennes – illus-
trant le fossé abyssal entre les
banlieues et le reste du pays.
Cette haine antifrançaise pro-
férée par le terroriste revient plus
souvent qu’on ne le croit dans
les écoles des banlieues situées
autour de Paris et de Marseille.
Tout comme ce qu’on appelle
l’“antisémitisme musulman”. Dans
une étude, les deux tiers des ensei-
gnants déclarent ainsi ne plus
pouvoir discuter de la Shoah ou
d’Israël avec des élèves de 12 ans.
La laïcité, ce concept bien
français qui sert à justifier
l’interdiction du voile à l’école
et dans l’administration, se heurte
également à une réaction de rejet
farouche dans les banlieues.
Des positions que l’on retrouve
jusqu’en Afrique de l’Ouest, où
les jeunes scandent dans la rue
des slogans antifrançais contre la
puissance coloniale. Autant
de phénomènes qui donnent
actuellement aux Français le
sentiment d’être aux prises avec
un ennemi invisible et d’avoir
une véritable épée de Damoclès
au-dessus de la tête.
—Stefan Brändle,
publié le 18 octobre
SOURCE
DER STANDARD
Vienne, Autriche
Quotidien, 88 000 ex.
derStandard.at
Ce journal libéral est imprimé
sur feuilles roses. Depuis son
lancement en 1995, le site
Internet a toujours cherché
à se positionner comme l’une
des références parmi les sites
du monde germanophone.
Des profs pris pour cible
Après l’attentat d’Arras, le journaliste de
ce quotidien conservateur raconte l’expérience
de son épouse, enseignante en Seine-Saint-Denis.
—The Spectator, extraits
(Londres)
I l est rare que la publica-
tion d’un livre ait été aussi
providentielle. Sorti en
France le 11 octobre dernier, Les
profs ont peur est l’œuvre de Jean-
Pierre Obin, ancien enseignant
et inspecteur général de l’Éduca-
tion nationale [de 1990 à 2008].
Deux jours plus tard, Dominique
Bernard était assassiné à coups de
couteau dans son lycée d’Arras.
L’homme arrêté et soupçonné du
meurtre est un jeune islamiste
d’origine tchétchène [en réalité né
en Ingouchie, une république voi-
sine de la Tchétchénie], le même
proil que l’extrémiste qui a tué
Samuel Paty en 2020. Pas éton-
nant que “80 % des profs [aient]
peur”, comme l’airme Obin.
Iannis Roder, professeur et
membre du Conseil des sages de la
laïcité de l’Éducation nationale, se
livre à une analyse sans complai-
sance des implications de l’attentat
du 13 octobre. “Tous les enseignants
sont des cibles potentielles, explique-
t-il. Samuel Paty a été tué parce qu’il
avait montré des caricatures [de
Mahomet]. Dominique Bernard a
été tué parce qu’il était prof et parce
qu’il était là. […] Il n’y a que de la
haine pour ce que nous sommes et
ce que nous faisons.”
Autocensure. Le week-end
suivant, la Première ministre,
Élisabeth Borne, a déclaré au
corps enseignant qu’il pouvait
compter sur le soutien indéfec-
tible du gouvernement. “Nous ne
céderons rien à la violence, nous
lui ferons face et nous la combat-
trons”, a-t-elle assuré. Ce qui est
facile à dire quand on est une
personnalité politique encadrée
par ses gardes du corps armés et
qui n’est jamais exposée aux ten-
sions omniprésentes dans bien
des écoles de France.
Selon un rapport de l’an der-
nier, 56 % des professeurs s’au-
tocensureraient en classe ain
“d’éviter de possibles incidents
provoqués par certains élèves” au
↙ Paix, égalité, tolérance, dialogue.
Dessin d’Arcadio paru dans La Prensa
nom de convictions religieuses ou
philosophiques. Soit une hausse
de 20 % par rapport à un sondage
comparable en 2018.
Pendant six ans, mon épouse a
enseigné dans un établissement
public en Seine-Saint-Denis, au
nord-est de Paris, le départe-
ment qui aiche le plus fort taux
de misère et d’immigration en
France continentale. Quand je
lui ai demandé si elle s’autocen-
surait, elle a réfléchi pendant
un moment, avant de répondre
qu’elle faisait attention à ce qu’elle
disait. Donc, oui, sans doute, à
l’occasion.
Je lui ai aussi demandé si elle
ressentait de la peur dans son tra-
vail. Non, mais elle est entrée dans
l’enseignement après une carrière
en entreprise. Elle a plus coniance
en elle et a une plus grande expé-
rience de la vie que ses collègues
plus jeunes, sortis depuis peu de
l’université. Elle estime que ces
derniers en particulier devraient
être mieux accompagnés.
Mon épouse enseigne la litté-
rature française, et non l’histoire,
qui était la spécialité de Samuel
Paty. À en croire cer-
tains rapports, le cou-
pable de l’attentat du
13 octobre cherchait
précisément des pro-
fesseurs d’histoire.
Quoi qu’il en soit, il
arrive que mon épouse, en cours,
aborde des questions religieuses
et politiques, et c’est là qu’elle se
montre prudente dans ses propos.
La plupart de ses élèves défendent
leur religion avec ferveur et sont
de plus en plus disposés à remettre
en cause la laïcité française.
Une étude réalisée en 2021 a
révélé que 65 % des élèves musul-
mans du secondaire prêtaient
davantage allégeance à l’islam qu’à
la république. Une insurrection
dont elle a récemment fait l’expé-
rience, quand six jeunes illes ont
refusé de poser pour une photo
de classe parce qu’elles n’avaient
pas le droit de porter le foulard.
D’après mon épouse, ce bas-
culement en matière de loyauté
s’est accéléré au cours des trois
années qui se sont écoulées depuis
que le mouvement Black Lives
Matter a balayé l’Occident. Il y
a, me dit-elle, une attitude de
plus en plus anti-Blancs chez ses
élèves, ce qui a également sus-
cité l’inquiétude de ses collègues
musulmans en salle des profs.
Cette hostilité ne vise pas mon
FRANCE. 21
Libre, San José (Costa Rica).
épouse personnellement. Mais
elle les entend parler entre eux
des Français blancs – les “babtou”,
comme ils les appellent, dérivé
d’un mot péjoratif pour quali-
ier les Blancs venu d’Afrique de
l’Ouest.
Cette animosité est attisée par
les réseaux sociaux, mais aussi
par les déclarations et les agisse-
ments de certains à gauche. Mon
épouse partageait autrefois des
convictions de gauche, mais ce
n’est plus le cas aujourd’hui. Elle
a le sentiment qu’au xxie siècle la
gauche politique et culturelle a
renoncé à ses idéaux républicains.
Devoir de protection. En
important la politique identi-
taire d’Amérique en France, la
gauche a favorisé l’ascension de
l’islamisme en encourageant un
sentiment de victimisation et
d’oppression chez les 6 millions
de musulmans du pays.
Le 17 octobre, dans toute la
France, les écoles ont respecté
une minute de silence, non seule-
ment à la mémoire de Dominique
Bernard, mais aussi pour rendre
hommage à Samuel
Paty, assassiné ce
même jour en 2020.
La sœur de ce der-
nier, Mickaëlle, se bat
pour qu’une enquête
fasse toute la lumière
sur la mort de son frère.
Plus tôt cette année, elle a
adressé une lettre au Sénat en
appelant à prendre des mesures
pour protéger les enseignants de
l’extrémisme islamique. “L’enjeu
est bien devant nous et il est de notre
devoir de ne plus laisser seuls nos
professeurs prendre ‘un risque’,
comme on dit, en défendant nos
valeurs républicaines, a-t-elle écrit.
Il est temps de faire preuve d’unité,
de fraternité et de courage pour
montrer autre chose que notre peur
réclamant protection.”
Dès que j’ai appris la tragédie
du 13 octobre, j’ai téléphoné à mon
épouse. Elle n’était pas au cou-
rant. À l’autre bout du il, elle a
eu le soule coupé, puis ses pre-
miers mots ont été : “Non, pas
encore.” Deux morts en trois ans,
et les enseignants français vivent
dans la peur, ils redoutent qu’il y
en ait d’autres. La ligne de front
de la guerre entre la République
et l’extrémisme islamique passe
désormais par la salle de classe.
—Gavin Mortimer,
publié le 16 octobre
22. D’UN CONTINENT À L’AUTRE
europe
Royaume-Uni. Qui a tué
le Lough Neagh?
Le plus grand plan d’eau du Royaume-Uni, situé en Irlande du Nord, étouffe
sous une couche verdâtre et gluante. Une métaphore dramatique du système
politique local, inepte et paralysé depuis plus d’un an, déplore ce journaliste
très remonté.
—The Belfast Telegraph,
extraits (Belfast)
E lles tuent des chiens. Elles
tuent des cygnes. Et près
de la moitié de la popula-
tion d’Irlande du Nord boit de l’eau
tirée d’une source qui en regorge.
Le Lough Neagh est pollué par
des cyanobactéries mortelles à un
point qui paraît à peine croyable.
Un des plus grands lacs d’Europe
est aujourd’hui le théâtre d’une
catastrophe sans équivalent. Là où
le Nil s’était mué en fleuve de sang,
le Lough Neagh, lui, semble s’être
transformé en peinture verte, vic-
time d’une pollution dévastatrice.
Le Lough Neagh se meurt,
et son trépas est désormais si
évident qu’on peut le voir de l’es-
pace. Pourtant, ceux qui tentent
de le sauver affirment qu’ils ne
parviennent même pas à en discu-
ter avec les hauts fonctionnaires.
La puanteur est nauséabonde.
Par endroits, il flotte comme une
odeur de fosse septique en putré-
faction. Le gaz est émis par une
vase épaisse composée de ce que
l’on appelle communément des
“algues vertes”. Une substance
capable de tuer un animal de la
taille d’un cheval et de gravement
affecter la santé des êtres humains.
“Far West”. Cette immense
étendue d’eau – qui équivaut à
7 millions de piscines et est aussi
grande que Malte – est aujourd’hui
saturée de cyanobactéries. Nous
savons pourquoi elles sont là, nous
savons comment en réduire la pro-
gression, mais – comme c’est le cas
Courrier international — no 1721 du 26 octobre au 1er novembre 2023
pour tant d’autres problèmes en
Irlande du Nord – Stormont [le
siège du Parlement nord-irlan-
dais] a encore aggravé la situation.
À Cranfield Point, nous rencon-
trons deux pêcheurs d’un certain
âge, qui n’ont jamais rien vu de
tel. La vase est si épaisse autour
de leur bateau qu’ils sont obli-
gés d’écarter leur embarcation de
son mouillage à la main, de peur
qu’elle n’encrasse le moteur. Ils
l’amarrent ici depuis peu – leur
mouillage précédent était encore
pire. Quelqu’un a jeté une canette
dans “l’eau”, mais elle n’a pas coulé,
car il n’y a pas d’eau. À sa place
flotte une substance aussi solide
que du porridge.
À quelques kilomètres de là, à
l’entrée du Toome Canal, nous
avons vu un cygne empoisonné
gisant dans la vase. Ces dernières
semaines, des chiens et des renards
sont morts. Les oiseaux migrateurs
ont été décimés. Sur la plage de
Ballyronan, des bambins jouent à
quelques centimètres de la boue
gluante. Même à 1 ou 2 kilomètres
au large, le sillage laissé par le
bateau est souvent d’un vert vif.
Directeur du Lough Neagh
Partnership, une association
caritative, Gerry Darby nous
accompagne sur le lac. Selon
lui, le principal responsable de
la pollution serait l’accord du
Vendredi saint [signé en 1998
pour mettre fin à trente ans de
conflits dans la région entre para-
militaires proréunification et
autorités britanniques]. Ce qui
a de quoi surprendre.
Il assure que c’est “de là que
viennent les problèmes de ce lough,
dans la mesure où cinq organismes
transfrontaliers ont été créés, dont
Waterways Ireland, chargé de la
Des chiens et
des renards sont
morts. Les oiseaux
migrateurs ont
été décimés.
circulation sur toutes les voies navi-
gables dans l’ensemble de l’Irlande,
du Nord comme du Sud. Mais, en
Irlande du Nord, ils ont laissé de
côté la plus grande voie navigable
de toute l’île”, explique-t-il.
Il ajoute que personne ne sait
pourquoi cette décision a été
prise, mais qu’il “s’est passé un
truc, et quelqu’un a dû avoir une dis-
cussion en coulisses, à Stormont ou
ailleurs”. Par conséquent, le Lough
Neagh n’a pas droit au même trai-
tement que le Lough Erne, par
exemple – il n’a pas d’écologistes,
de systèmes de marqueurs, d’in-
génieurs, de programmes d’inves-
tissements, ni de réglementations.
“C’est comme un bébé moche; nous
cherchons à nous occuper de quelque
chose qui n’intéresse pas vraiment
les gens du point de vue de l’État…
C’est le Far West.”
La cause de la crise est évi-
dente. Les bactéries sont dues à
une surcharge en nutriments – qui
provient en majorité de l’agricul-
ture, des eaux usées et des fosses
septiques. “C’est pas de la chirur-
gie du cerveau”, lâche Gerry, qui
souligne que le phénomène n’est
pas récent, que les nutriments se
sont accumulés dans la boue pen-
dant des décennies.
↙ Dessin de Ramsès,
Cuba.
Du fait de la présence de moules
zébrées, la situation a empiré.
Les pêcheurs avec lesquels je me
suis entretenu leur accordent une
grande importance, ils disent qu’ils
en récupèrent par centaines dans
leurs filets. Cette espèce invasive
issue de la mer Caspienne filtre
l’eau, qui laisse alors la lumière
pénétrer en profondeur, stimu-
lant la croissance des cyanobac-
téries. Ces moules ne sont là que
depuis quelques années, mais elles
se reproduisent de façon exponen-
tielle, et il paraît irréaliste d’envi-
sager leur éradication.
Agriculture intensive. Toute
sa vie, Eimear Kearney a vécu
près du lough. Beaucoup de gens
qui le longent en voiture n’ont
pas conscience de son immensité,
explique-t-elle. Contrairement à la
mer, le lac est entouré par un ter-
rain plat, si bien qu’on ne le voit
pas – pourtant, du nord au sud,
sa longueur (30 kilomètres) est
plus importante que la distance
qui sépare l’Irlande du Nord de
l’Écosse (21 kilomètres). Loin des
yeux, loin du cœur, certes, mais pas
loin de la bouche. Car, en Irlande
du Nord, presque tous les habitants
boivent l’eau du Lough Neagh, que
ce soit à partir de leurs propres
robinets ou de ceux des autres,
quand ils se déplacent.
Avec l’aide d’un pêcheur, nous
avons trouvé le site de prélève-
ment d’eau de NI Water [la société
nord-irlandaise de gestion du cycle
de l’eau], près de l’embouchure
de la Moyola. La zone est pol-
luée, mais NI Water soutient que
son processus de traitement éli-
mine les toxines. Quand je leur ai
demandé si cela signifiait que la
dégradation de la qualité de l’eau
du Lough Neagh était sans impor-
tance, aussi grave soit-elle, ils n’ont
pas vraiment répondu à la ques-
tion. NI Water prélève une énorme
quantité d’eau du lac, et ne donne
rien en échange, se plaint Gerry
Darby. En fait, ce n’est pas tout
à fait vrai. NI Water déverse des
eaux usées dans le lough.
En 2021, en s’appuyant sur les
données de Stormont, le jour-
naliste Tommy Greene a décou-
vert que près de 200000 tonnes
d’eaux usées étaient déversées
chaque année dans la zone du bas-
sin-versant du Lough Neagh. Il y
a dix ans, un rapport parlemen-
taire avait mis en avant le pro-
blème de l’efflorescence algale, et
indiqué qu’il était nécessaire de
Courrier international — no 1721 du 26 octobre au 1er novembre 2023 EUROPE. 23

“réduire les alux de nutriments” Le vent lui soulait de l’eau au Nous vivons à une époque où

SOURCE : OPENSTREETMAP ET CONTRIBUTEURS

et de “limiter […] la libération de visage. Il est tombé malade deux l’on déclare des guerres pour de
nutriments à partir des sédiments”. heures plus tard. “J’ai dû m’ali- l’eau. Et nous qui en avons en abon-
Pourtant, Stormont a autorisé IRLANDE ter parce que j’étais sur le point de dance, nous la gaspillons, non seu-
Océan
que le dragage de sable, qui per- DU NORD
Atlantique perdre conscience, c’était à ce point- lement par négligence, mais aussi
turbe les sédiments, continue sans oyola là”, raconte-t-il. parce que nous la détruisons déli-

réglementation, jusqu’à ce qu’un
tribunal l’oblige à restreindre son
activité, sans pour autant l’inter-
dire. Puis, par le biais de la célèbre
stratégie du Going for Growth
[“Tout pour la croissance”], le
Parlement a encore accru le déver-
sement de nutriments dans le
lough. Tous les partis de l’exécu-
tif ont approuvé un plan qui pré-
voit d’intensiier l’agriculture. De
2011 à 2017, le nombre d’élevages de
porcs et de volailles a augmenté de
68 %. Cela a entraîné une hausse
massive du volume d’excréments,
dont une grande partie a ini dans
les voies navigables.
Ces derniers temps, les prin-
cipales formations politiques
ont exprimé leurs inquiétudes
quand à l’état du lac. Or, ce sont
ces mêmes formations qui ont
applaudi le lancement de Going
M
Toome Canal
Lough Erne Ballyronan
Belfast
Lough Neagh
30 km
for Growth [l’exécutif nord-irlan-
dais est paralysé depuis plus d’un
an par le refus du principal parti
unioniste de s’associer aux natio-
nalistes, sur fond de tensions liées
au Brexit]. Autre diiculté : le lit
du lough appartient au comte de
Shaftesbury, tandis que l’eau, elle,
est propriété publique.
Du point de vue de Gerry, lord
Shaftesbury est “plutôt brave”,
mais, rarement présent, ce pro-
priétaire terrien aristocratique est
un bouc émissaire bien pratique.
Les célèbres anguilles du Lough
Neagh avaient coutume de se ras-
IRLANDE sembler dans certains coins pour
ROYAUME-UNI s’y nourrir. “Maintenant, elles sont
Londres éparpillées dans tout le lough”,
explique-t-il. “L’argent luisant
de l’anguille grasse” que chantait
le poète Seamus Heaney a dis-
paru. Remplacé par “de longue
En 2005, il a proposé de vendre anguilles, ines, maigres, émaciées
le lough à Stormont pour 6 mil- – elles ne sont même plus vrai-
lions de livres – soit l’équivalent de ment attirées par nos appâts”, se
10 millions [11,6 millions d’euros] lamente Martin.
aujourd’hui –, mais le Parlement Le lough se meurt, et avec lui
a refusé. certaines de ses traditions les plus
Martin pêche dans le Lough vénérables. Le ils de Martin repré-
Neagh depuis un demi-siècle. À sentait au moins la huitième géné-
ses yeux, ce qui se passe est “une ration à vivre de la pêche dans le
catastrophe écologique colossale”. lac, mais il sera peut-être égale-
Au début de septembre, il se trou- ment la dernière. Il y a trois ans,
vait sur le lough depuis 4 heures du ne parvenant plus à joindre les
matin, à ramasser ses ilets dans deux bouts, il a renoncé à la pêche
une zone extrêmement polluée. pour travailler en usine.
bérément, et de façon prévisible.
—Sam McBride,
publié le 9 septembre
SOURCE
THE BELFAST TELEGRAPH
Belfast, Royaume-Uni
Quotidien
belfasttelegraph.co.uk
Ce journal est lu par les deux
communautés d’Irlande
du Nord : les unionistes
(protestants) et les nationalistes
(catholiques). Contrairement
à une fraction notoire de son
lectorat protestant, le journal
a soutenu les accords de paix
de Belfast de 1998 et a salué
la mise en place d’une nouvelle
administration autonome.

PASSIONNANT
SALUTAIRE.
UNE ALERTE POUR LE FUTUR.
Baptiste Liger, Lire Magazine

«Un texte très important, brillant, comme une boussole.»

Augustin Trapenard, La Grande Librairie

«Une méditation puissante, une magistrale leçon d’histoire.»

Alexandre Devecchio, Le Figaro

«Un formidable conteur.»

Thomas Mahler et Laetitia Strauch-Bonart, L’Express

«Lisez Le Labyrinthe des égarés !»

Patrick Cohen, C à Vous

«Un livre qui se lit d’une traite.» DANS TOUTES LES LISTES
Guy Duplat, La Libre DES MEILLEURES VENTES

www.grasset.fr www.facebook.com/editionsgrasset www.twitter.com/editionsgrasset Grasset

24. EUROPE
UKRAINE
La politique
reprend
ses droits
À Kiev, la possible tenue
d’élections est devenue
un débat prégnant
ces derniers mois.
Elles favoriseraient
Zelensky, qui
compte peu
d’adversaires
crédibles.
—Domani (Rome)
L e président ukrainien,
Volodymyr Zelensky, ne
lâche rien. Malgré les
énormes problèmes d’organi-
sation, malgré la bronca des ONG
et de l’opposition, il garde la
porte ouverte à de nouvelles
élections en temps de guerre.
Si celles-ci sont officiellement
suspendues par la Constitution
lorsque le pays est soumis à loi
martiale, elles n’en sont pas
moins appelées de leurs vœux
par certains alliés de l’Ukraine.
Et aussi par un pan du parti de
Zelensky, Serviteur du peuple.
Pour le président du Parlement,
Ruslan Stefanchuk, des élections
seraient l’occasion de renou-
veler un hémicycle qui n’a pas
toujours été à la hauteur.
Plus de la moitié des 400 dépu-
tés siégeant à la Rada sont
membres de Serviteur du peuple,
le parti fondé en 2019 pour sou-
tenir la campagne présidentielle
de Zelensky. Son succès a été si
grand et si inattendu que toutes
sortes de personnages ont accédé
à la députation. L’un d’entre eux
fait l’objet d’une enquête pour
coups et blessures, un autre a été
suspendu après avoir été photo-
graphié dans un hôtel cinq étoiles
aux Maldives, malgré l’interdic-
tion pour les hommes de 18 à
60 ans de quitter le pays. Mais
c’est le parti tout entier qui s’est
montré peu digne de confiance.
Voilà un mois, à l’issue d’un
vote décisif pour l’intégration
dans l’Union européenne (UE),
plus de la moitié des députés
de Serviteur du peuple ont fait
adopter un texte qui retarde d’un
an l’entrée en vigueur de l’obli-
gation pour les parlementaires
de publier leurs déclarations
de revenus et de patrimoine.
Zelensky a dû mettre son veto à
la mesure, renvoyant l’ensemble
du processus à la case départ.
Opinions favorables. Bien
que Zelensky ait parlé à quatre
reprises au moins d’élections
cet été, il ne l’a jamais fait de
gaieté de cœur, soulignant les
problèmes d’organisation consi-
dérables d’une telle entreprise.
Les plus pragmatiques de ses
alliés y sont opposés. “Il n’y aura
pas d’élections tant que nous n’au-
rons pas obtenu la victoire”, a
déclaré son ministre des Affaires
étrangères, Dmytro Kuleba.
Pourtant, rares sont ceux qui
doutent que des élections soient
dans l’intérêt de Zelensky. Avec
90 % d’opinions favorables, le
président serait en effet presque
certain d’être réélu. En assu-
rant ses arrières pour un second
mandat, il serait libre de deman-
der de nouveaux sacrifices pour
poursuivre le conflit ou d’enga-
ger des pourparlers en vue d’y
mettre un terme.
“Pour l’instant, les gens cri-
tiquent son équipe, pas Zelensky,
analyse Anton Gruchetsky,
directeur des programmes à
l’Institut de sociologie de Kiev.
Mais, petit à petit, ils commencent
à s’en prendre aussi au président.”
Une chose est sûre : l’échiquier
politique ukrainien n’a que peu
d’adversaires à lui opposer.
Courrier international — no 1721 du 26 octobre au 1er novembre 2023
L’ancien président Petro
Porochenko, chef de file de
Solidarité européenne (qui, avec
27 députés, est le deuxième parti
au Parlement), est en théorie le
mieux placé. C’est l’un des der-
niers oligarques à détenir une
chaîne de télévision indépen-
dante, et l’homme s’est forgé une
solide réputation de nationaliste
au cours de son mandat présiden-
tiel. Les intellectuels de la classe
moyenne ukrainienne, qui sou-
tiennent l’armée, le considèrent
toujours comme un des candidats
les plus sérieux, mais, pour la
grande majorité des Ukrainiens, il
reste un “professionnel de la poli-
tique”, encore plus soupçonné de
corruption et de collusion avec les
élites économiques du pays que
Zelensky. Sa cote de popularité
ne passe pas la barre des 10 %.
La posture de l’ancienne
P rem ière m i n ist re Iou l ia
Timochenko, héroïne de la
“révolution orange” de 2004,
est encore moins favorable.
Son parti, Patrie, troisième en
nombre de sièges au Parlement,
se présente comme le premier
pourfendeur des droits des
LGBT et le premier défenseur
de la “famille traditionnelle”.
Des thèmes qui, en temps de
guerre, ne lui ont pas permis de
“Pour l’instant,
les gens critiquent
son équipe,
pas Zelensky.”
Anton Gruchetsky,
DE L’INSTITUT
DE SOCIOLOGIE DE KIEV
rallier beaucoup de soutiens.
Une loi sur la reconnais-
sance des unions civiles,
concoctée par quelques
parlementaires d’oppo-
sition avec l’aide d’as-
sociations LGBT, est
en débat depuis des
semaines. Mais le
gouvernement plan-
cherait actuellement
sur sa propre pro-
position, plus
modérée.
Quoi qu’il
en soit,
l’ancienne
Première ministre recueille
un petit 5 % d’opinions favo-
rables à l’heure actuelle.
Sondages et experts indiquent
que les adversaires les plus dan-
gereux pour Zelensky sont tous
extérieurs au sérail politique.
Le plus crédible de tous est
encore Serhiy Prytula, une sorte
de Zelensky 2.0. Humoriste,
acteur, présentateur, il était,
après l’actuel président, l’ani-
mateur le plus célèbre du pays.
Mais, à la différence de Zelensky,
qui est russophone, il a toujours
été un nationaliste ukrainien
convaincu, engagé dans des
actions de soutien bénévole à
l’armée depuis 2014.
Peu de temps avant l’invasion,
il avait fait part de son intention
de former un parti politique,
mais, quand la guerre a éclaté,
il a mis de côté tous ses projets
politiques et s’est concentré sur
ses activités de soutien bénévole.
En l’espace d’un an et demi, sa
fondation a ainsi recueilli plu-
sieurs dizaines de millions de
dollars. Une collecte de fonds a
même permis de réunir 5,5 mil-
lions d’euros en vingt-quatre
heures pour l’achat de blindés
britanniques.
Politiquement, le noyau dur
de ses partisans se confond
avec celui de Porochenko : des
Ukrainiens de la classe moyenne,
dans la tranche d’âge des
18-40 ans, vivant dans le centre
et l’ouest du pays. Aujourd’hui,
seul Zelensky le devance dans
les sondages.
Le commandant en chef des
forces armées ukrainiennes, le
général Valeri Zaloujny, est au
coude-à-coude avec Prytula dans
les enquêtes d’opinion. À 50 ans
à peine, il est considéré par beau-
coup comme l’homme qui a sauvé
le pays. D’un naturel modeste,
↙ Dessin de Kazanevsky,
Ukraine.
adepte de l’autodérision (il est
connu pour se promener avec un
pin’s du Baby Yoda, de la saga Star
Wars), Zaloujny n’a jamais affi-
ché ouvertement ses ambitions
politiques. La loi martiale l’em-
pêche du reste de se présenter
aux élections. Après le conflit,
il pourrait cependant avoir de
bonnes cartes à jouer.
Premiers clivages. Quoi qu’il
en soit, à ce jour, les décisions
se prennent essentiellement par
consensus. Les débats ont lieu en
dehors du Parlement, un accord
est trouvé et l’on vote ensuite à
toute vitesse (la Rada est une
cible possible des missiles russes
et personne ne s’y attarde volon-
tiers). Sur les grandes questions,
la politique présente donc un
front en apparence uni.
Mais au bout de vingt mois de
guerre, on voit émerger les pre-
miers clivages, qui pourraient se
révéler déterminants à l’avenir.
Abandonner une partie des terri-
toires occupés en échange d’une
adhésion à l’Otan, par exemple.
Ou se contenter de négocier avec
l’UE un rattachement partiel
pour ne pas avoir à se plier à
toutes ses règles.
Pour l’heure, ces propositions
émanent de personnages qui
évoluent à la marge de l’échi-
quier politique. Comme l’an-
cien conseiller controversé de
Zelensky, Oleksiy Arestovytch.
“Son message ne touche pas les
gens aujourd’hui, assure Anton
Gruchetsky, mais ce genre de
politique populiste pourrait trouver
un écho à l’avenir.”
—Davide Maria De Luca,
publié le 14 octobre
SOURCE
DOMANI
Rome, Italie
Quotidien
editorialedomani.it
Fondé par Carlo De Benedetti,
ancien propriétaire du groupe
La Repubblica, le quotidien
Domani est le dernier né
dans la galaxie des journaux
de centre gauche italiens.
Disponible en kiosque depuis
septembre 2020, ce quotidien
propose des analyses
politiques et des sujets
de société, parfois sous
la forme de longs formats.
Faites un don sur perce-neige.org DON DE 5 € PAR SMS
Tél. 01 47 17 19 30 Envoyez PNEIGE par SMS au 92030
26. EUROPE
ALLEMAGNE
Le dernier foyer pour célibataires
Munich accueille depuis près d’un siècle une maison pour “hommes seuls
dans le besoin”. Elle permet à quelque 400 personnes de se loger à moindre
coût. Mais à quelques conditions.
—Süddeutsche Zeitung
(Munich)
Q uatre mois. C’est le temps
maximum que Reinhold
Dietz comptait passer ici
quand il s’est installé en 2005.
C’est son oncle qui lui avait parlé
du Ledigenheim [foyer pour céliba-
taires] de Westend, à Munich. Un
logement abordable pour hommes
seuls dans le besoin, des gens
qui ne trouveraient pas grand-
chose ailleurs.
Voilà maintenant près de
vingt ans que Reinhold Dietz y
habite. D’abord dans 7 m2 , puis
10, aujourd’hui 16. “À l’époque
j’avais déjà regardé un peu sous
quel pont je pourrais m’installer
à Munich.” Puis il a trouvé son
bonheur au Ledigenheim. Quelque
380 hommes de 50 nationalités
y habitent. Les règles : visites
féminines interdites dans les
chambres, pas d’alcool dans le
hall, plus un bruit à partir de
22 heures.
Dietz paie 580 euros par mois,
“tout compris”, comme il dit. Les
chambres sont nettoyées tous les
Courrier international — no 1721 du 26 octobre au 1er novembre 2023
religions diférentes qui vivent
ensemble, c’est étonnamment
calme, déclare Dietz. Bien sûr,
il y a des conlits de temps en
temps, mais c’est pareil dans
les immeubles locatifs normaux.
Contrairement à beaucoup
d’autres, Dietz a aussi une salle
de bains et une cuisine dans sa
chambre.
“Les garçons”. Il travaille
comme cuisinier dans un hôpi-
tal depuis 2007. Avant, il a eu
sa propre affaire : l’auberge
Kollmeder, près de Landshut
[dans le sud-est de la Bavière].
Certains clients venaient même
de Munich pour son rôti de bœuf,
raconte-t-il. “Cette afaire, c’était
mon rêve.” Quand son mariage
a volé en éclats, il ne pouvait
plus continuer tout seul, et le
restaurant a capoté. “Je me suis
retrouvé K.-O.”
Outre son boulot à l’hôpital,
Dietz travaille quatre fois par
mois à l’accueil du Ledigenheim.
Aujourd’hui, par exemple : service
de nuit de 22 heures à 6 heures. “Je
connais la plupart des gens de vue.”
Ceux qui n’ont pas de cuisi-
nière dans leur chambre peuvent
faire la cuisine au rez-de-chaus-
sée. Il y a dix places séparées.
On peut utiliser un des com-
partiments réfrigérés numéro-
jours (sauf les week-ends et jours Reinhold Dietz a 62 ans, est tés pour 3,10 euros par mois,
fériés), les draps changés toutes cuisinier de formation et vient faire une lessive pour 1,50 euro.
les quatre semaines. “Où trouve-t- de Basse-Bavière, dans la cam- On quitte la cuisine collec-
on ça à Munich pour ce prix ? C’est pagne. Au début des années 2000,
presque comme un hôtel ici”, lance- sa vie est partie en vrille : divorce,
t-il en riant. pension alimentaire, dettes. Et
Quand on vient lui rendre c’est comme ça qu’il a atterri au
tive. Rendez-vous avec Claudia
Bethcke, la patronne du foyer. Et
c’est vraiment comme ça qu’ils
l’appellent : “Patronne”. Au début
visite et qu’on se retrouve sou- Ledigenheim.“Il faudrait trois ou elle trouvait ça drôle, depuis elle
dain dans un grand hall à porte quatre maisons comme celle-là rien s’est habituée. Quand elle parle
tournante, on se croit qu’à Munich.” des résidents, elle dit parfois “les
efectivement dans le Cependa nt, le garçons”, on dirait presque qu’elle
hall d’un hôtel. Dietz Ledigenheim est le der- parle de ses enfants.
habite au quatrième nier établissement de Claudia Bethcke a fait des
étage du bâtiment du REPORTAGE ce genre en Europe. Il études de droit, a été avocate,
milieu. Avant d’arriver est porté par une asso- mais en a eu assez à un moment
à sa chambre, on passe devant de ciation éponyme fondée par des et a voulu changer. Elle occupe
longs couloirs parfois sombres Munichois engagés il y a plus de son emploi actuel depuis près
sur lesquels donnent plusieurs cent ans. de treize ans.
portes. Reinhold Dietz n’a pas trouvé El le ex pl ique com ment
seulement un chez-lui ici, mais fonctionne le microcosme du
Diversité. Et partout des pan- aussi des amis. L’un de ses plus Ledigenheim avec une certaine
cartes qui exigent : “Silence dans proches camarades est un homme ierté. Par exemple, quand elle
les escaliers et les couloirs.” du Kosovo. “Il y a plus de cinquante évoque l’importance du per-
On init par se retrouver dans ans qu’il habite au foyer. Je suis déjà sonnel de nettoyage. Sans lui,
sa chambre. C’est nettement plus allé le voir chez lui, dans son pays. tout s’effondrerait, déclare-t-
sympa que dans le couloir. À C’est un type bien.” elle. “Je ne peux pas regarder
droite le lit, et en face une grande Près de 400 hommes ori- dans 400 chambres, je ne sais pas
armoire en bois, plus un bureau. ginaires de 50 pays diférents si quelqu’un est malade, a besoin
Sur le rebord de la fenêtre baigné dans de petites chambres : ça ne d’aide.” C’est l’une des raisons
de lumière, des gobelets décorés pète pas, par moments ? Pour un pour lesquelles elle fait appel à
et un vase vert foncé. endroit avec autant de gens de du personnel de nettoyage.
↙ Reinhold Dietz dans le foyer
de Westend. Photo Mark Siaulys
Pfeifer/Süddeutsche Zeitung
Pourquoi les résidents n’ont-
ils pas le droit de recevoir des
visites féminines dans leur
chambre ? “On ne peut pas
faire autrement. Avec près de
400 chambres relativement petites,
ce serait le chaos total s’il y avait
400 femmes en plus.”
En général, tout se passe bien,
malgré la présence de tant de
gens dans un espace si réduit
mais, bien entendu, il y a parfois
des problèmes. Claudia Bethcke
se rappelle un homme dont le lit
avait l’air d’être boufé par des
souris. “On a ini par apprendre
qu’il ouvrait toujours sa bière sur
le bord du lit.”
Soudain, elle se lève, elle veut
encore nous montrer quelque
chose. On ressort du bureau,
on passe le portail, on traverse
le hall et la salle commune. Elle
ouvre une porte : “Et voilà notre
bibliothèque.”
Construit en briques, le com-
plexe a été conçu par l’archi-
tecte Theodor Fischer et achevé
Il y a des conflits
de temps en temps,
mais c’est pareil dans
les immeubles
locatifs normaux.
en 1927. Il comprenait à l’époque
un restaurant ouvert au public
pour assurer sa rentabilité.
On peut voir au premier étage
de quoi les couloirs avaient l’air à
l’époque. C’est le “couloir modèle”
pour reprendre les termes de
Claudia Bethcke : portes orange
et sol recouvert de linoléum, “le
tout conforme aux couleurs ori-
ginales de 1927”.
Même des détails comme les
cadres des plans d’évacuation et
l’écriture des panneaux indica-
teurs s’inspirent de l’original. “Il
faut quand même garder en tête
que les travaux d’entretien et de
conservation se font dans un éta-
blissement en activité. On ne peut
pas simplement fermer comme un
hôtel”, précise Claudia Bethcke.
Ce n’est cependant pas seule-
ment le couloir modèle qui est
unique, c’est tout le concept. “Je
dis toujours : tous ces politiciens,
les Trump, Erdogan ou Poutine,
devraient venir voir comment c’est
ici. Toutes les religions du monde
sont représentées. Et ça marche.”
—Julian Gerstner,
publié le 22 juin
 NOUVEAU E-2008
100 % ÉLECTRIQUE

Jusqu’à 406 km d’autonomie*

Nouveau PEUGEOT i-Cockpit® 3D**
Recharge rapide 80% en 30min***

Consommation mixte WLTP (l/100 km) : 0

*L’autonomie de la batterie peut varier en fonction des conditions réelles d’utilisation. **De série, en
option ou indisponible selon les versions. ***Recharge sur une borne publique à courant continu.
OPEn - Automobile PEUGEOT 552 144 503 RCS Versailles.

Pour les trajets courts, privilégiez la marche ou le vélo. #SeDéplacerMoinsPolluer

28. D’UN CONTINENT À L’AUTRE Courrier international — no 1721 du 26 octobre au 1er novembre 2023

↙ Des migrants en attente d’un hébergement

amériques dans le hall de l’hôtel Roosevelt, à New York.

Photo Todd Heisler/The New York Times

États-Unis. En transit
Dans un récent entretien sur la
chaîne CNN, la gouverneure démo-
crate de l’État de New York, Kathy
Hochul, évoquait une victoire : la
pathologies, de la tuberculose à la
dépression, avant d’être invités à
se déshabiller derrière des para-
vents pour un examen cutané sur

dans l’hôtel Roosevelt décision du gouvernement Biden

d’ofrir un titre de séjour et de tra-
vail à des centaines de milliers de
Vénézuéliens, qui représentent le
Dans ce grand hôtel décati de Manhattan, les autorités municipales premier contingent d’arrivants à
ont bien du mal à faire face à l’afflux actuel de demandeurs d’asile. New York [ce qui doit leur per-
Près d’un quart
des nouveaux
arrivants quittent
les lieux dans les
vingt-quatre heures.
mettre de trouver du travail, de
gagner de l’argent et de sortir des
dispositifs d’accueil d’urgence]. La
gouverneure a par ailleurs exprimé
son soutien à la volonté du maire
Eric Adams de restreindre le cadre
du droit à l’hébergement d’ur-
gence. “Nous n’avons pas les capa-
cités suffisantes, a-t-elle martelé, il
n’a jamais été envisagé comme un
droit illimité, universel, ni comme
une obligation faite à la municipa-
lité de loger la terre entière.”
Les autorités ont longtemps
rechigné à ouvrir les portes de
l’hôtel Roosevelt à la presse. Dans
l’air moite et coniné du hall de
l’hôtel, d’innombrables migrants
attendent des heures avant de se
voir attribuer un lit dans l’une
—The New York Times la tête de l’orchestre de cet hôtel de New York”, se félicitait-il, alors des 850 chambres de l’hôtel, qui
(New York) autrefois fastueux. qu’un nouveau groupe de migrants sont rarement vacantes, ou dans
L’hôtel Roosevelt, où le candi- venait tout juste d’arriver : un des centres d’hébergement, pour
l’ensemble du corps, qui permet de
détecter la rougeole et la varicelle.
Le jour de notre passage,
une Vénézuélienne patien-
tait avec sa ille et son ils, qui
devaient recevoir le vaccin
rougeole-oreillons-rubéole.
Non loin, une Ouzbèke au visage
stoïque berçait un nourrisson âgé
de 3 jours. Son mari, Komiljon
Doniyorov, 31 ans, aichait un
sourire ier à tout personne se
tournant vers eux : “C’est mon
premier, c’est mon fils.”
Mais les autres ne cherchaient
guère son regard. Ici, les familles
restent entre elles. Le voyage a
été long pour tous, et les enfants
sont plutôt silencieux.
Retrouver des proches. Ce
jour-là, un couple de Vénézuéliens
devait prendre une importante
décision : choisir entre rester chez
une sœur à New York ou rejoindre
un autre membre de leur famille,
à l’autre bout du pays, dans l’État
de Washington, qui leur proposait
du travail dans l’agriculture, s’ils
pouvaient faire le voyage. Dans
ce genre de cas, la ville propose
aux migrants de leur payer les bil-
lets, en avion, en train ou en bus.
À une table du bar de l’hôtel,
des sous-traitants de la mairie
étaient justement là pour aider les
migrants dans leurs réservations

A u cœur de Manhattan, dat républicain Thomas Dewey

dans un grand hôtel qui a a concédé la victoire à Harry
connu des jours meilleurs, Truman à la présidentielle de 1948,
ils sont des dizaines d’immigrants est aujourd’hui un symbole de
à attendre, sous des lustres gran- l’ampleur de la crise migratoire
Syrien avec une casquette de base-
ball à l’envers et une valise rouge
à roulettes, une famille de quatre
personnes venue d’Angola, un
couple de Vénézuéliens qui hésitait
certains sans douches, répartis
dans New York.
Comme Ellis Island, le centre
d’immigration situé sur une petite
île du port de New York qui a vu
de billets. Sur le mur, quelqu’un
avait jugé bon de scotcher une cita-
tion vaguement rassurante : “Tout
ira bien, peut-être pas aujourd’hui,
mais un jour, pour sûr.”
dioses. Ils doivent répondre à des aux États-Unis et des diicultés entre rester à New York et mettre passer quelque 12 millions de per- Le couple vénézuélien a inale-
questions (pays d’origine, desti- des autorités à y faire face. le cap sur l’État de Washington, sonnes [entre 1892 et sa ferme- ment décidé de partir vers l’ouest.
nation) et se déshabiller pour se C’est en mai dernier que la ville et des dizaines d’autres. ture en 1954], l’hôtel Roosevelt Ted Long estime qu’environ
soumettre à un examen médical. de New York a commencé à diriger est aujourd’hui la porte d’entrée un quart des nouveaux arrivants
Ils se reposent et serrent leurs les nouveaux arrivants vers l’hô- “Appel d’air”. Mais Eric Adams, de tous les néo-New-Yorkais. repartent pour un autre endroit
enfants dans leurs bras. tel, où a lieu leur enregistrement le maire démocrate de New York, Mais les diférences ne manquent aux États-Unis dans les vingt-
Sauf qu’à l’hôtel Roosevelt, le auprès de la municipalité. En juil- entend limiter le nombre d’arri- pas. L’envergure, pour commen- quatre heures qui suivent leur arri-
“nouvel Ellis Island”, comme l’ap- let, l’hôtel a fermé ses portes plu- vants et de bénéiciaires du droit cer. Les candidats à l’immigra- vée à New York, souvent pour y
pelle un responsable municipal, sieurs nuits durant et les candidats à l’hébergement d’urgence que tion accueillis au Roosevelt se retrouver des proches ou des amis.
les fenêtres ne donnent pas sur à l’immigration ont dû dormir sur garantit la ville, légalement tenue comptent en dizaines de milliers. Mais chaque jour, ils sont des
la statue de la Liberté mais sur le le trottoir. La ville n’arrivait plus à d’ofrir un toit à toute personne Et alors qu’Ellis Island était géré centaines à arriver à New York
grand magasin Men’s répondre à l’augmenta- sans domicile cherchant où passer par l’État fédéral, l’hôtel Roosevelt et à vouloir y rester. Les familles
Wearhouse, de l’autre tion des arrivées. la nuit. Les autorités estiment est géré par la municipalité de sont installées dans des chambres
côté de la rue. Ici, pas Pour Ted Long, qui aujourd’hui que cela crée un “appel New York, et son personnel recruté au Roosevelt ou ailleurs, pas les
de drapeau américain codirige la gestion de d’air” en direction des migrants en sous-traitance. hommes seuls. Ce jour-là, à
géant pour accueillir REPORTAGE la crise migratoire à la qui arrivent aux États-Unis sans Les immigrants traversent ce 17 heures, les hommes seuls qui
les migrants, comme municipalité [et orga- rien ni personne pour les accueil- qu’on appelait autrefois la Palm attendaient dans le hall ont été
c’était le cas dans le grand hall du nisait la récente visite guidée de lir. Pour faire face à l’alux, l’en- Room, avec ses ciels peints au invités à se mettre en rang pour
centre d’immigration historique l’hôtel pour les journalistes], le cadrement de ce droit est donc plafond, puis une vaste salle quitter l’hôtel et embarquer à
d’Ellis Island. Juste un portrait Roosevelt n’en est pas moins un aujourd’hui l’une des mesures de banquet où ont lieu les exa- bord d’un bus.
tout sourire de Guy Lombardo, symbole d’espoir. “Nous avons créé sur lesquelles planchent la ville mens médicaux. Ils sont alors —Joseph Goldstein,
musicien jadis célèbre qui fut à un nouvel Ellis Island pour la ville et l’État de New York. soumis à un dépistage de diverses publié le 21 septembre
30. AMÉRIQUES
PÉROU
Un ceviche
sans citron
vert? C’est
une affaire d’État
d’État!
Le plat national péruvien est-il menacé
par les prix astronomiques du citron
vert?? Une question prise très
au sérieux par le gouvernement.
—El País América (Mexico)
D epuis plusieurs semaines,
le Pérou fait la grimace. Ce
n’est pas qu’il suce trop
de citron vert, mais que celui-ci
atteint des prix astronomiques.
Une vérité amère martelée tous
les jours, car la question revient
tous les jours pour les Péruviens :
mais combien coûte un kilo de
citrons, à Lima et dans les pro-
vinces? Le citron vert péruvien
serait-il le nouveau baromètre
de l’état du pays?
La question est presque méta-
physique : peut-on préparer un
ceviche sans limón peruano? Dans
cette contrée si fière de sa gas-
tronomie, l’inquiétude monte : la
spécialité culinaire du Pérou, ins-
crite au patrimoine culturel natio-
nal depuis 2004, est aujourd’hui
menacée. La quintessence du
ceviche, ce sont cinq ingrédients,
en tout et pour tout : poisson cru
[ou parfois fruits de mer], sel,
piment, oignon et citron vert.
Délicat équilibre. Toute la
magie, y compris dans sa version
la plus moderne, tient à la macé-
ration instantanée de tous ces
ingrédients, dans un voyage éclair
du saladier à l’assiette. Et sans le
haut niveau d’acidité du citron
péruvien, les experts l’assurent,
impossible de parvenir à la par-
faite cuisson à froid du ceviche,
délicat équilibre entre fraîcheur,
piquant et notes citronnées.
Selon l’Institut péruvien de
la statistique (INEI), le prix
du citron vert a augmenté de
121,7 % entre juin et août. Et la
hausse est plus forte encore si
l’on observe ces chiffres : au pre-
mier trimestre 2023, le kilo de
citron était
à 3 soles
[0,76 euro]
en moyenne
moyenne;
début septembre
à Chiclayo, la capi-
tale du Lambayeque [dans
le Nord], il avoisinait les 60 soles
[15 euros]. À Lima, l’agrume a
atteint 20 soles [5 euros] le kilo.
Précision : celui que l’on appelle
ici le limón peruano n’a au fond
rien de péruvien. Le Citrus
aurantifolia est arrivé durant la
conquête espagnole depuis l’Asie
du Sud-Est, pour s’implanter sur
la côte nord du Pérou, en parti-
culier dans le département de
Piura. Jadis connu sous le nom
de limón ceutí, en référence à l’en-
clave espagnole d’Afrique du Nord
de Ceuta, où il était aussi cultivé,
il a dérivé en langue populaire en
limón sutil. Pourtant, son goût
ne fait pas franchement dans la
subtilité : ce citron vert présente
une acidité intense, à nulle autre
pareille, irremplaçable. Des atouts
indispensables au ceviche mais
aussi pour le fameux pisco sour,
cocktail emblématique du Pérou.
Dans ce pays sacré meilleure
destination culinaire d’Amérique
du Sud au palmarès 2023 des
World Travel Awards, la bonne
chère est une affaire d’État, et les
plus hautes autorités ont donc dû
rendre des comptes à la popula-
tion. Il y a quelques semaines,
le ministre de l’Économie, Alex
Contreras, osait suggérer aux
Péruviens de remplacer le ceviche
par le poulet sauté, et aux cevi-
cherías [restaurants spécialisés]
de proposer d’autres recettes.
Quel ne fut pas le tollé ! Le
ministre a dû rétropédaler : “Je
dois reconnaître que je n’ai pas été
Courrier international — no 1721 du 26 octobre au 1er novembre 2023
s uf f i samme nt
clair, et mon inten-
tion n’était pas de dicter
aux familles leurs choix éco-
nomiques. J’ai commis une erreur, je
l’admets.” Trop tard, visiblement,
puisque l’impopularité du ministre
était passée de 59 % à 64 %.
Alex Contreras a cependant
conservé la confiance de la pré-
sidente de la République, Dina
Sans le citron
péruvien, impossible
de parvenir
à la parfaite cuisson
à froid du ceviche.
Boluarte, ce qui n’a pas été le cas
de Nelly Paredes del Castillo, qui
a dû, début septembre, quitter
le ministère de l’Agriculture et
de l’Irrigation. Elle avait mini-
misé la crise en laissant entendre
que le citron vert occupait une
place dérisoire dans le panier de
la ménagère. “Il représente 2 % de
notre consommation totale, à nous
Péruviens : il suffit de le remplacer.
Dans les salades, mettons un peu
plus de sel, de vinaigre, de cidre
même. On trouve aussi sur les mar-
chés de la lime de Tahiti [Citrus lati-
folia, autre grande variété de citron
vert] : cette lime est moins acide,
certes, mais je crois que nous pou-
vons tous faire un effort.” Le 6 sep-
tembre, Nelly Paredes del Castillo
était poussée à la démission.
Selon l’Association des pro-
ducteurs agricoles du Pérou, la
pénurie de citron est due aux
assauts de la nature, entre phé-
nomène El Niño et cyclone Yaku
[qui a frappé le Pérou en mars].
Les citronniers n’ont guère
apprécié les sols détrempés :
ils se sont couverts de cham-
pignons et de parasites
ou ont donné des fruits
plus petits. Piura est la
région la plus touchée,
or elle concentre 60 % de
la production de citron
vert, avec 16904 hectares
de cultures.
Et à ces problèmes
climatiques est
venue s’ajou-
ter une crise
des engrais.
R u b é n
C a r r a s c o,
président de
la corpora-
tion de pro-
tection des
cultures
(Protec) à
la chambre
de commerce
de Lima, explique : “De nombreux
agriculteurs ont diminué la fertili-
sation de leurs cultures, qui se sont
retrouvées affaiblies alors que la
situation était critique.”
Les mois d’août, septembre
et octobre sont traditionnelle-
ment marqués par une baisse de
la récolte de limes, mais cet or
vert possède de surcroît un cycle
long : sachant qu’il faut compter
quatre ans entre semis et récolte,
l’augmentation des surfaces de
culture ne peut donc pas porter
ses fruits à brève échéance. Si ce
choix est fait, ce sera une mesure
de long terme.
Le Péruvien peut-il accepter que
son ceviche change de goût, de
saveur, de texture? Javier Vargas,
président de l’Association des res-
taurants péruviens de cuisine de
la mer (Armap), milite en faveur
d’une baisse des quantités de citron
par plat, pour préserver le goût
du plat sans provoquer ni flam-
bée des coûts ni fuite des clients :
“Mieux vaut mettre deux citrons au
lieu de quatre que de devoir augmen-
ter les prix.”
Sur les marchés péruviens,
d’autres produits sont désor-
mais proposés, comme la lime
de Tahiti, qui pousse en forêt. Le
fruit est plus gros et plus vert que
la lime “subtile”, mais il est moins
acide et moins juteux. Autre solu-
tion de remplacement, le limón
cañita, à peau jaune et à la chair
plus sucrée, ou le limón pavita,
mais qui a l’inconvénient de devoir
être consommé dans la semaine.
On remarque aussi la présence
du citron vert dit “colombien”,
car venu du pays voisin, un fruit
de grande taille et de forte aci-
dité. Il est introduit illégalement
dans le pays : dans la région de
Tumbes à la frontière équato-
rienne, la police péruvienne en a
saisi récemment des cargaisons
évaluées à 160000 soles [environ
40000 euros].
Acides, trop acides. Face à
la pénurie, le risque aussi est de
recourir à des substituts issus
de la chimie organique, comme
l’acide acétique ou l’acide citrique.
Pour prévenir des intoxications
dues à des ceviches dénaturés,
l’Institut péruvien de la santé a
mis en garde contre les risques
que présente l’ingestion d’acide
citrique : usure de l’émail den-
taire, irritation du système diges-
tif et même gastrite.
Ce qui reste en travers de la
gorge des Péruviens, tout de
même, c’est l’achat de trois tonnes
de citron vert, sur douze mois,
réalisé le 21 août par la prési-
dence, quand l’agrume affichait
des prix record. Et du citron vert
de la meilleure qualité. Si le palais
présidentiel n’a pas réagi à cette
révélation de la presse, le pré-
sident de la Banque centrale, Julio
Velarde, a bien tenté d’apaiser
les esprits avec une projection :
en décembre, le kilo de limón
sutil devrait être redescendu à
6,58 soles – mais “nous pouvons
nous tromper”. Gare à la soupe à
la grimace !
—Renzo Gómez Vega
(à Lima), publié le 17 septembre
SOURCE
EL PAÍS AMÉRICA
Mexico, Mexique
elpais.com/america
C’est depuis sa rédaction
de Mexico que le plus grand
quotidien espagnol,
PHOTO IVARY INC./ALAMY/PHOTO12
qui se veut “global”, alimente
ce site d’information dédié
à l’actualité des Amériques.
Il s’appuie sur des
correspondants installés
dans la quasi-totalité des pays
d’Amérique latine mais aussi,
bien sûr, aux États-Unis.
 Notre mission :
vous aider à protéger vos
données personnelles.
Avec les Solutions sécurité
smartphone incluses dans tous
nos
no forfaits
orfaits Bouygues Telecom,
nous vous aidons à vous protéger
face aux messages frauduleux
et aux tentatives de piratage.

Offres soumises à conditions. Service Norton inclus pendant 24 mois à compter de la souscription à un forfait Bouygues Telecom avec engagement 12 ou 24 mois.
32. D’UN CONTINENT À L’AUTRE
afrique
Afrique du Sud.
Les contribuables
se rebiffent
Exaspéré par l’état des services publics, un groupe
de citoyens de la ville d’eThekwini a décidé de faire la grève
des taxes municipales. Depuis, le mouvement s’étend.
—Daily Maverick, extraits
(Johannesburg)
S
i le personnel de l’un ou l’autre des
bureaux municipaux de Durban
avait un soupçon de l’énergie qui
se dégage du siège de l’eThekwini Rate
Protest Movement, le maire Mxolisi Kaunda
et son conseil n’auraient pas à se préoc-
cuper d’Asad Gaffar. Hélas, ce n’est pas le
cas, et cela explique que l’homme de 51 ans
Courrier international — no 1721 du 26 octobre au 1er novembre 2023
ait organisé un boycott des taxes munici-
pales et qu’il soit prêt à en découdre avec
la municipalité devant les tribunaux. Dans
la vie de tous les jours, Asad est vendeur.
Au cours des derniers mois, il a acquis
une certaine notoriété. Non pas avec les
blagues bien envoyées auxquelles on pour-
rait s’attendre de la part d’un vendeur,
mais plutôt parce qu’il tire parti d’un
fort mécontentement populaire envers la
municipalité d’eThekwini [l’une des huit
municipalités métropoli-
taines d’Afrique du Sud,
créée en 2000, incluant la
ville de Durban et d’autres
villes environnantes].
Heureusement pour lui, son
mouvement n’est pas le fait
d’un seul homme. Asad Gaffar
et un groupe de volontaires ont
installé leur quartier général dans
le salon d’une maison du quar-
tier ouvrier de Sydenham. Les
habitués, à savoir Asad Gaffar,
Rose Cortes, Mahommed Peer,
Warren Manning, Poovie
Pillay et Enzo Gallo, plai-
santent beaucoup entre eux.
Depuis que l’Association
des contribuables de
Westville – dont ils sont
les membres fondateurs –
s’est déclarée en litige
avec la municipalité,
20 organisations l’ont
rejointe, et l’initiative a
pris le nom d’eThekwini
Rate Protest Movement.
Son logo est un poing
aux couleurs du drapeau
nationa l sous lequel
on peut lire les mots
#ourcitymatters.
À la fin août, dix-sept jours
après le début du boycott des
taxes municipales, les résidents
d’eThekwini avaient accumulé
704000 rands [35000 euros] dans
un compte géré par Asad Gaffar et ses
collègues. Dans ses interactions avec le maire
et les hauts fonctionnaires, le cinquantenaire
se montre brusque, presque discourtois. Il
n’est pas du genre à faire des manières et il
n’aime pas trop les longs discours.
L’animation règne dans les locaux
spartiates du mouvement. Un paquet de
biscuits au chocolat bon marché circule
parmi les volontaires penchés sur des
documents. Ils se préparent à défendre
leur cause devant les tribunaux. Efficaces,
ils répondent aux appels, aux courriels,
aux messages sur WhatsApp et à toutes
sortes de demandes d’un air empressé. Ils
s’en remettent à Asad Gaffar, mais il n’est
pas leur patron.
“Il ne fait aucun doute que c’est Asad qui
nous a rassemblés”, explique Rose Cortes
en faisant imprimer des documents. “Mais
il n’y a pas de hiérarchie ici. Tout le monde
participe. Et on pourrait presque croire à une
intervention divine tant on a reçu d’aide. Les
gens ont été nombreux à contribuer à toutes
les étapes du processus.”
Asad Gaffar est originaire de la ville de
Ladysmith, où il a aussi réussi à rallier des
contribuables sans aucune affiliation poli-
tique. L’ANC au pouvoir à Durban s’est
peut-être attiré les foudres des résidents
en raison de sa mauvaise gestion du budget
↙ Dessin de Martirena,
Cuba.
de la ville et de sa maintenance inadéquate
des infrastructures, explique Asad Gaffar,
mais ce que le mouvement cherche à faire,
c’est remettre l’administration en état. Un
changement de régime pourrait être utile,
mais ce n’est pas l’objectif.
Les politiques préférentielles de l’ANC
en matière d’appel d’offres sont une consé-
quence de la “transformation économique
radicale” du parti, qui a favorisé la corrup-
tion dans les dépenses publiques.
Compte protégé. Selon Asad Gaffar, la
ville rencontre les citoyens et fait preuve
de bienveillance envers eux, mais elle
rejette la demande du mouvement en
faveur de l’établissement d’un comité
de contribuables chargé de superviser
les procédures d’appel d’off res. Cela ris-
querait en effet de révéler au grand jour
les contrats crapuleux qui expliquent les
bris récurrents dans les conduites d’eau,
le délabrement des infrastructures et la
mauvaise qualité des services offerts.
Il est à espérer que l’action en justice
qui est en cours prouvera que, selon la
loi relative aux systèmes municipaux, les
contribuables insatisfaits qui boycottent
les taxes municipales ne peuvent faire l’ob-
jet de mesures punitives de la part d’une
municipalité. Asad Gaffar soutient que la
ville ne peut couper l’électricité, l’eau, ni
les autres services publics fournis. Il prédit
qu’une fois que les résidents l’apprendront
ils seront encore plus nombreux à appuyer
son mouvement.
Les 704000 rands que
les boycotteurs ont décidé
de ne pas verser à
la ville sont conservés
sur un compte protégé.
Des citoyens préoccupés ont généreu-
sement soutenu le mouvement. Ce n’est
pas une fortune, dit Asad Gaffar, mais
les donateurs ont déboursé au moins
600000 rands [29500 euros] en frais juri-
diques. Les 704000 rands que de “braves”
boycotteurs ont décidé de ne pas verser à
la ville sont conservés sur un compte qui
est protégé par divers mécanismes, notam-
ment la nomination de cinq signataires
autorisés et la désignation de la munici-
palité comme seul bénéficiaire.
Le mouvement peut compter sur l’appui
de quelques parrains bien nantis. Ces der-
niers préféreraient sans doute rester ano-
nymes, mais, en tant qu’organisation sans
but lucratif enregistrée, l’eThekwini Rate
Protest Movement doit présenter, à l’occa-
sion de son assemblée générale annuelle,
un rapport dans lequel figurent les don-
nées financières de l’organisation, y com-
pris tous les dons qu’elle a reçus.
Qui sont donc les citoyens à l’origine
de l’eThekwini Rate Protest Movement ?
Courrier international — no 1721 du 26 octobre au 1er novembre 2023 AFRIQUE. 33

“On est une bande d’amateurs”, affirme “On nous raconte in août, l’ANC a voté en faveur du ver- représailles. La date de l’audience a cepen-
Warren Manning en gloussant, arrachant n’importe quoi. sement au directeur municipal Musa dant été ixée au 1er novembre et l’afaire
un sourire aux autres. “Mais on est atta- Mbele d’un salaire annuel de 3,9 millions ne risque pas de se régler de sitôt.
chés à la démocratie et à la transparence des On ne peut pas laisser de rands [192 000 euros], soit presque En attendant, les plaignants cherchent
pouvoirs publics. Et on a accès à l’expertise [ces gens] continuer à autant que ce que touche le président à trouver ailleurs dans le pays des cas
nécessaire pour régler les problèmes dont gaspiller notre argent.” Cyril Ramaphosa. L’annonce a provoqué semblables qui pourraient servir de
soufre la ville.” Asad Gafar, MEMBRE D’ETHEKWINI un tollé, d’autant plus que le parti a aussi précédents.
À Durban, certains diront que même RATE PROTEST MOVEMENT demandé que le conseil municipal auto- —Greg Ardé,
une bande d’amateurs pourrait gérer la rise des dépenses de près de 11 millions publié le 2 septembre
ville mieux qu’elle ne l’est en ce moment. de rands [543 000 euros] pour inancer
Les sommes empruntées et dilapidées ne sont pas entendus. Ce ne sont pas seu- des primes pour le personnel, un pique-
atteignent des niveaux sans précédent. lement les contribuables de Westville qui nique et un festival de hip-hop. “C’est
Presque 60 % de l’eau que consomme sont concernés. La ville nous demande de totalement ridicule”, estime Asad Gafar. SOURCE
la ville est perdue en raison de fuites lui donner l’argent dont elle a besoin pour
dans les tuyaux. Cela représente pas régler les problèmes, en particulier dans les Éviterlesreprésailles. L’ANC décrira DAILY MAVERICK
loin de 2 milliards de rands [98 millions zones mal desservies, mais elle ne le fait pas. peut-être le mouvement comme une Johannesburg, Afrique du Sud
d’euros] sur un budget municipal total de On nous raconte n’importe quoi. On ne peut révolte, mais ce que font les contribuables, dailymaverick.co.za
65 milliards de rands [3,2 milliards d’euros]. pas laisser [ces gens] continuer de gaspiller en réalité, ils le font pour eux. Si la révolte Le Daily Maverick est né
Si le mouvement parvient à ses ins, notre argent”, airme Asad Gafar. des contribuables d’eThekwini attire sur les cendres de Maverick,
il veillera en priorité à établir un méca- Terri MacLarty, présidente de l’Asso- autant l’attention, c’est sans doute parce un magazine d’afaires lancé
nisme de surveillance civile des dépenses ciation des contribuables d’Umhlanga, dit qu’elle se déroule dans la plus grande ville à la in de 2005. Mais la société
publiques et à faire réparer que son organisation a conseillé du pays, où le parti au pouvoir détient tou- éditrice est emportée par
le plus rapidement possible à ses membres de ne pas parti- jours la majorité et où il gère plus ou moins la crise inancière de 2008.
les fuites d’eau. Certains rési- ciper au boycott, même si elle a comme il veut les inances publiques. L’équipe de la rédaction ne
dents n’ont pas d’eau courante de la sympathie pour le mouve- Tous les regards sont tournés vers les renonce pas : elle crée une
depuis trois ans, et d’autres REPORTAGE ment. “Les gens sont prêts à cesser contribuables d’eThekwini qui ont entre- version en ligne. Audacieux,
doivent composer avec des cou- de verser les taxes qu’ils doivent, pris une action en justice pour obtenir décalé et réactif, le webzine
pures quotidiennes qui durent jusqu’à mais le boycott est illégal. Les contribuables que les participants au boycott soient est devenu l’un des sites phares
douze heures. d’Umhlanga possèdent environ 100 milliards légalement protégés contre d’éventuelles de la presse sud-africaine.
Les entrepreneurs ne réparent pas cor- de rands [4,9 milliards d’euros] de proprié-
rectement les fuites, mais, selon Asad tés et contribuent à hauteur de 38 % aux
Gafar, il existe à Durban un exemple taxes municipales. Cela faisait deux mois
concret d’un partenariat public-privé qui qu’on demandait à rencontrer le maire, et il
pourrait servir de modèle et permettre a inalement accepté à la in août.”
d’améliorer dès maintenant l’approvi- “On veut voir des plans précis en ce qui
sionnement en eau. Mondi, un produc- concerne la réparation des infrastructures,
teur de pâte à papier et de papier, s’est explique-t-elle. On est aux prises avec
engagé auprès de la ville à recycler l’eau une corruption endémique et des dépenses
qu’il utilise dans son usine de Merebank. injustiiées et on doit voir comment on peut
L’établissement de mécanismes de sur- régler ça. On a des experts qui peuvent
veillance civile concernant les contrats de aider la ville. On doit mieux contrôler la
réparation des réseaux d’aqueduc de la façon dont les deniers publics sont dépensés.
ville pourrait permettre d’épargner des Chacun des contrats accordés par la ville
milliards de rands [des millions d’euros] doit être examiné.”
et de redonner leur dignité à des cen- S’bu Zikode, président d’une association
taines de milliers de citadins en diiculté. de résidents de bidonvilles appelée Abahlali
Chaque semaine, le mouvement reçoit baseMjondolo, appuie le boycott : “C’est
des appels de résidents de Clermont, le seul pouvoir de négociation qu’ont les
Chesterville et Umlazi. “Ces zones sont citoyens. Si l’argent public ne proite plus
les plus touchées et les gens qui vivent là-bas aux contribuables, à quoi bon payer des
taxes ?” Avant d’ajouter : “Il n’y a plus
de services et les infrastructures sont au
COURRIER INTERNATIONAL

MO. bord de l’efondrement. La corruption et le

BOTSWANA
Pretoria gang-stérisme politique ont pris le dessus.
NAMIBIE ES. Verser de l’argent à la ville revient presque
KWAZULU-
NATAL à inancer des maias politiques.”
LE.
D’après Rose Cortes, l’eThekwini Rate
Durban
AFRIQUE Protest Movement est formé de “patriotes
DU SUD radicaux”. “On aime notre pays”, dit-elle.
Le Cap
Warren Manning abonde dans le même
sens : “On n’a nulle part où aller. On doit
250 km trouver une solution.” “Les problèmes doivent
Municipalité être réglés à partir d’en bas, pas d’en haut”,
métropolitaine
d’eThekwini ajoute Enzo Gallo.
Les sommes concernées par le boycott
ne représentent peut-être qu’une fraction
ES. Eswatini
LE. Lesotho du budget de la ville, mais le boycott lui-
MO. Mozambique
même survient à un moment crucial.À la
34. D’UN CONTINENT À L’AUTRE Courrier international — no 1721 du 26 octobre au 1er novembre 2023
↙ Dans la ruelle de Nanluoguxiang,
asie l’une des plus anciennes de Pékin,
le 1er janvier 2022. Photo Noel Celis/AFP
Chine. Les vieilles ruelles ne paye que 50 yuans par mois
[6,50 euros] – un tarif déiant
toute concurrence pour la zone
urbaine située à l’intérieur de la
de Pékin font peau neuve petite couronne de Pékin. “Si les
pouvoirs publics nous demandent
un jour de partir, nous suivrons
Après des décennies de démolition, les “hutongs” pékinoises sont désormais les directives du parti, explique
Yao Jianhua. Mais au fond, nous
préservées et rénovées. Mais le devenir de ces ruelles fait encore débat. aimerions mieux rester ici. À notre
âge, ce ne serait pas très pratique
d’aller habiter dans un quartier qui
se trouverait au-delà des cinquième
et sixième périphériques [la grande
ceinture de Pékin].”
À côté du vieil homme, sa
femme proteste avec véhémence :
“Mais quel intérêt y a-t-il à vivre
ici ? Moi je veux bien aller habiter
dans un grand immeuble !” De fait,
le manque d’espace et la vétusté
des installations poussent de
nombreux Pékinois âgés à quit-
ter les hutong. C’est aussi ce qui
rebute les jeunes à venir vivre
dans ces vieilles maisons.
Chen Fang est une Pékinoise
de 70 ans qui a grandi dans les
hutong. Dans les années 1980, à la
faveur d’un programme de démo-
lition, elle a quitté ses vieilles
ruelles pour vivre dans un trois-
pièces qu’on lui a attribué à l’in-
térieur de la petite couronne.
Aujourd’hui, en cas d’expro-
priation, la municipalité de Pékin
ne propose plus de solutions de
relogement aussi favorables. Elle
a d’ailleurs lancé dans certaines
—Lianhe Zaobao, extraits encore intactes est passé de de toilettes indépendantes et d’une hutong une campagne de “libéra-
(Singapour) plus de 3 000 en 1949 à moins cuisine équipée d’une ventilation tion des lieux sur demande” pour
de 1 000 en 2016. En 2017, la motorisée. Auparavant, Yao inciter les locataires de maisons
D ans notre hutong, près de publication d’un nouveau Plan Jianhua et sa femme devaient qu’elles souhaitent récupérer à
deux tiers des habitants général d’urbanisme 2016-2035, aller aux toilettes publiques du partir volontairement. En contre-
sont partis, explique Yao qui précise qu’“on ne peut plus quartier et se contenter, pour partie, les occupants peuvent
Jianhua, un Pékinois de 65 ans. continuer à démolir la vieille ville”, cuisiner, d’un petit recoin de être relogés dans des quartiers
Ceux qui restent ont plus de 60 ans a permis que les hutong de Pékin moins d’un mètre de large. en général excentrés.
pour la plupart, il y a très peu de soient préservées et restaurées. Mais si la rénovation a permis La volonté de préserver les
jeunes.” L’émotion transparaît d’apporter des améliorations, hutong déclenche souvent des
dans les propos du vieil homme Ni toilettes ni cuisine. Yao elle n’a pas résolu le problème réactions ambiguës : d’un côté,
pendant qu’il décrit avec ierté la Jianhua fait partie des rares du manque d’espace. Or le leurs habitants affichent une
beauté singulière de ces ruelles. Pékinois de souche à vivre encore vieux Yao adore collectionner préférence pour le cadre de vie
Les hutong sont l’un des sym- dans les hutong. Sa femme et lui des objets anciens caractéris- plus confortable des grands
boles les plus emblématiques habitent un logement social d’une tiques des hutong. immeubles, mais, de
de la culture de Pékin. Mais ces vingtaine de mètres carrés. On On trouve chez lui l’autre, ils estiment
éléments du patrimoine urbain, entre directement dans le séjour, de grandes portes en que ces bâtiments
vieux de plus de sept cents ans, ont plein à craquer de meubles et d’ap- bois, des paravents, des chargés de souvenirs
subi des changements considé- pareils ménagers. La chambre à pierres d’entrée déco- REPORTAGE d’enfance et empreints
rables ces dernières dizaines d’an- coucher se trouve sur une petite ratives… Sa femme se du mode de vie des
nées, en raison de l’urbanisation mezzanine, où un matelas double plaint souvent d’un tel bazar. Pékinois d’autrefois méritent
fulgurante de l’agglomération. occupe toute la place. Mais Yao Jianhua, lui, est habi- d’être conservés.
Entre les années 1970 et le En 2019, Yao Jianhua a participé tué. À ses yeux, tous ces vieux “Depuis que j’ai emménagé dans
début des années 2010, les vieux à un programme télévisé de objets sont extrêmement pré- cet immeuble, ma vie quotidienne
quartiers au cœur de Pékin ont rénovation de logements anciens. cieux car ils sont le charme et s’est bien sûr améliorée, résume
connu une démolition massive, La production a fait venir des l’histoire du vieux Pékin. Chen Fang. Avant, quand j’habitais
assortie d’une campagne de spécialistes pour l’aider à Pour les habitants des hutong, dans une hutong, je n’avais pas
relogement à grande échelle. reconigurer sa maison. Le plus un autre élément entre en jeu : le de chauffage. En même temps,
De fait, le nombre de hutong grand changement a été la création montant du loyer. Le couple Yao beaucoup de Pékinois ont grandi
dans ces ruelles ; elles sont chargées
de vieux souvenirs qu’ils ne veulent
pas perdre”, poursuit-elle.
Qu’il s’agisse de leur apparence
ou de leur fonction, les hutong de
Pékin sont en train de se méta-
morphoser. Certaines ruelles
ont adopté une vocation radi-
calement commerciale, avec des
restaurants branchés, des cafés
et des boutiques de créateurs.
Mais entre ceux qui souhaitent
développer cette tendance et
ceux qui veulent préserver le
patrimoine culturel des lieux,
la bataille fait rage. Diicile de
savoir quel sera le nouveau visage
des hutong une fois que la géné-
ration actuelle de vieux Pékinois
aura quitté la scène.
Boutiques touristiques. “Il n’y
a pas de solution simple à ce pro-
blème, reconnaît Donia Zhang, qui
a fondé et dirige la Revue chinoise
d’architecture et d’urbanisation. Il
est vrai que les revenus générés par
le développement commercial consti-
tuent un moyen de préserver l’as-
pect original des hutong et de faire
connaître aux visiteurs ce qu’était
le Pékin d’autrefois. Mais cela peut
également susciter le mécontente-
ment de certains résidents. Je pense
que le travail de réhabilitation doit
se faire dans le respect de la forme
et du style d’origine ; le changement
est une vérité immuable.”
La chercheuse Zhang Xiaodong,
du Centre de recherches en archi-
tecture et en sciences humaines,
fait des prédictions. Dans dix ans,
explique-t-elle, la plupart des
hutong de Pékin ressembleront à
la rue piétonne Nanluoguxiang,
bardée de boutiques destinées
aux touristes chinois et étran-
gers, qui vendent des objets
traditionnels. De nombreuses
maisons à cour carrée [appelées
siheyuan en chinois, typiques des
hutong] pourraient également
être transformées en salons de
thé, en cafés ou en restaurants,
une fois réaménagées.
“On va en arriver là, c’est iné-
vitable, pense-t-elle. L’envie de
modernisation fait peser une forte
pression sur le foncier, tant au
niveau de la destination des ter-
rains que de leur valeur. Ce n’est
tout simplement plus possible que
les maisons traditionnelles à cour
carrée correspondent au mode de
vie et d’habitation des habitants du
centre de Pékin.”
—Huang Xiaofang,
publié le 6 septembre
 PUBLICITÉ
MADAGASCAR :

la double peine face aux

dérèglements climatiques
Malgré des ressources naturelles considérables, la cinquième plus grande île du monde

© Laurent Hazgui/CCFD-Terre Solidaire

fait face à une insécurité alimentaire croissante. En cause : les dérèglements climatiques,
mais aussi l’exploitation intensive de ressources locales par des sociétés étrangères. Pour
inverser la tendance, des structures se mobilisent localement et en France, soutenues
par le CCFD-Terre Solidaire, première ONG française de solidarité internationale et de
développement.

Lesdérèglementsclimatiques
sont devenus une cause
majeure de la faim dans le
monde. La multiplication
des phénomènes climatiques
extrêmes (cyclones, inonda-
tions, sécheresses…) détruit
les écosystèmes, aggravant
ainsi l’insécurité alimen-
taire qui touchait plus de
828 millions de personnes
en 2022. Cas emblématique
de ce lien entre crise clima-
tique et insécurité alimen-
taire : Madagascar. Cete île
de 30 millions d’habitants,
située dans l’océan Indien,
fait face à une alternance de
sécheresses et d’inondations.
En 2022, cinq cyclones ont
ainsi frappé l’île, causant
notamment d’importants
dégâtssurlesterresagricoles.
Sachant que plus de 80 %
des Malgaches vivent de
l’agriculture, l’impact de
ces phénomènes climatiques
est considérable.
À cela s’ajoute une deuxième
menace pour la sécurité
alimentaire de l’île : l’ex-
tractivisme. Il peut être
déini comme « l’exploita-
tion massive des ressources
naturelles d’un territoire
par des moyens industriels
intensifs ». Dans le cas de
Madagascar, des entreprises
étrangères extraient du sol
ducobalt,dunickeletsurtout
des terres rares, ces métaux
stratégiques qui servent
aux bateries des véhicules
électriques. Cete activité
est polluante et surtout
néfaste pour les systèmes
alimentaires, car elle se
développe sur des terres
cultivées ou cultivables,
causant l’expropriation des
paysa ns i mpactés. Ces
derniers sont alors reloca-
l isés sur des pa rcel les
beaucoup moins fertiles, ce
qui fragilise leur autonomie
alimentaire.
Fa c e à c e t t e « d o ub l e
peine », des str uctures
lo c a le s s e mobi l i s ent .
Parmi elles : le CRAAD-OI
(Centre de recherches et
d’appui pour les alternatives
de développement – océan
Indien). Cette association
fait la promotion de solutions
de développement durable
basées sur les principes
d’égalité de genre et de
justice sociale, économique
et écologique. Le CRAAD-OI
mène un travail de plaidoyer
auprès des politiques locaux
et sensibilise également la
populationpourqu’ellerefuse
le modèle de l’extractivisme.
« La population ne profite
pas de la présence de ces
entreprises étrangères. Je
trouve injuste que les pays du
Sud soient toujours victimes
du développement des pays
du Nord », explique Mamina
Rakotondravao, activiste
du CRAAD-OI. « Il faut que
l’on entende nos voix pour que
ça bouge ! Sinon, rien ne
changera ! », martèle pour sa
part Volahery Andriama-
nantenasoa, directrice des
programmes au sein du
CRAAD-OI.
Le CCFD-Terre Solidaire
soutient le CRAAD-OI de
multiples manières : insti-
tutionnelle, technique,inan-
cière, via des plaidoyers
communs ou encore en
donnant de la visibilité à
ses actions. « Le CRAAD-OI
a réussi à stopper plusieurs
projets extractifs, notamment
autour des terres rares du
nord de l’île, et grâce à leurs
actions, des leaders locaux
émergent, explique Jéromine
Chaumard,chargéedemission
partenariatAfriqueauCCFD-
Terre Solidaire. Nous parta-
geons leur combat social,
économique et politique
autour de la justice clima-
tique. La situation de cete
île fait écho à ce qui se passe
partout dans le monde. La
justice climatique, ainsi que
l’insécurité alimentaire,
sont des enjeux globaux qui
nous concernent tous. »
Le CCFD-Terre Solidaire est la première
ONG française de solidarité internationale
et de développement. Elle agit depuis plus
de 60 ans aux côtés des populations les
plus vulnérables contre toutes les formes
d’injustice, et en premier lieu, celle de
souffrir de la faim. Car régler le problème
de la faim est un préalable à la résolution
de toutes les autres injustices, telles que
le dificile accès à l’éducation, à la santé,
la pauvreté... Loin des pratiques d’assis-
tance et d’urgence, son action passe
par le soutien, notamment inancier,
à des associations partenaires locales.
« Nous ne faisons jamais “à la place de”
mais “avec eux” », résume l’ONG.
En 2022, le CCFD-Terre Solidaire
a soutenu 621 projets dans 72 pays, via
525 organisations locales. En France,
l’ONG est portée par 7 500 bénévoles.

Les pluies arrivent de plus en Les terres agricoles

plus tard chaque année, et le
manque d’eau provoque de
lourdes pertes pour les
producteurs malgaches :
jusqu’à 50 % de la production
pour certains.
que les communautés
malgaches cultivent
pour vivre sont de plus
en plus menacées par les
projets extractifs
d’entreprises étrangères.

© Charlotte Kreder/CCFD-Terre Solidaire © Jéromine Chaumard/CCFD-Terre Solidaire

 36. ASIE
JAPON
Les justiciers
autoproclamés
de YouTube
L’Internet nippon regorge de vidéos montrant
des arrestations d’individus jugés suspects par
des particuliers. Une dérive qui viole la vie privée
et pourrait mener à des cas de lynchage social.
IKON IMAGES
—Asahi Shimbun (Tokyo)
L a vidéo a été publiée
sur YouTube le 20 août
de r n ie r : on y voit
plusieurs hommes encercler
un individu, l’accusant d’avoir
suivi une passante devant les
portiques de la gare de Shin-
Okubo. Située dans le centre-
ville de Tokyo, cette gare est
fréquentée quotidiennement
LES OTS
M
DES
FALCO/CUBA
AUTRES
par plus de 40 000 personnes.
Les hommes pressent le passant
de questions : “Pourquoi tu as
regardé la fille qui passait ?” Après
quoi, ils l’obligent à présenter
ses excuses devant la caméra et
l’emmènent au poste de police.
Le visage du “suspect” – comme il
est désigné par les sous-titres – a
été flouté.
Âgé de 30 ans, l’auteur de la
vidéo a accepté de répondre à
L’actualité
L’ac tualité racontée par les langues étrangères. Un podcast de Courrier international.
Courrier international — no 1721 du 26 octobre au 1er novembre 2023
nos questions. Il se présente
comme un “youtubeur qui œuvre
à l’éradication des voyeurs et des
frotteurs du métro”. Depuis
février, il a publié plus de
280 vidéos sur sa chaîne, à
laquelle 220 000 personnes
sont abonnées [au 22 septembre,
date de publication de l’article
original]. Dans ces contenus,
il repère des indiv idus au
comportement douteux dans
les gares et dans la rue pour
les contraindre à avouer leurs
fautes et les livrer à la police.
Certaines vidéos montrent les
prétendus suspects immobilisés
au sol, avec les mentions “arrêté”
ou “maîtrisé” incrustées sur la
vidéo.
“Faire le buzz”. La vidéo de
la gare de Shin-Okubo a été
visionnée plus de 170 000 fois.
Elle a également été repostée
sur X [ex-Twitter], où elle
a dépassé les 36 m illions
d’“impressions” – c’est le nombre
de fois que le contenu est apparu
sur la plateforme. En ligne, des
commentaires s’élèvent contre
ces interpellations, jugées
arbitraires : “De quel droit font-
ils cela ?” ; “Je crains des dérives.”
Qu’est-il arrivé à l’homme de
la gare de Shin-Okubo ? Selon
une source policière, il aurait été
immédiatement relâché, faute
de preuve. “Ce genre de vidéos
ne débouche presque jamais sur
des arrestations”, nous a-t-on
expliqué. Mais le 21 septembre,
la vidéo n’avait toujours pas été
supprimée. Son auteur l’a postée
pour “faire le buzz”. Fort de son
expérience, il se dit convaincu
que la personne appréhendée
prenait des photos voyeuristes.
Sans toutefois en apporter la
moindre preuve.
Dans environ 10 % des vidéos
qu’il a postées, les visages ne
sont pas floutés. “Même si l’in-
dividu n’est pas inculpé, si je juge
son comportement répréhensible,
je supprime le floutage pour que
les gens se souviennent de son
visage et s’en méfient, assure-t-il.
À ÉCOUTER SUR NOTRE SITE ET SUR VOTRE APPLICATION DE PODCAST PRÉFÉRÉE
L’objectif est de révéler au public la
nature perverse de ces individus.”
Chaque fois que ses vidéos sont
repostées, il touche des revenus
publicitaires. Il recrute aussi des
membres qui paient leur abon-
nement. “Je veux obtenir des vues
et générer des revenus. C’est pour
faire connaître la réalité des vio-
lences sexuelles.”
On trouve d’autres vidéos
similaires en ligne. En août, un
compte X fort de 16000 abonnés
a publié une vidéo montrant un
homme maîtrisé par- derrière
pour avoir, affirme-t-on, revendu
des billets de concert d’un groupe
d’“idoles” [les jeunes stars de la
pop japonaise]. Son visage n’est
pas flouté. La publication compte
9,2 millions d’impressions.
Au Japon, le code de procédure
pénale autorise tout citoyen,
appartenant ou non à la police,
à arrêter un “délinquant” pris
La police explique
que “ce genre de
vidéos ne débouche
presque jamais sur
des arrestations”.
en flagrant délit ou juste après
qu’il a commis un acte délic-
tueux. Il faut pour cela que l’in-
dividu soit clairement identifié
comme tel, par exemple s’il est
pourchassé ou porteur de l’arme
utilisée pour commettre le délit.
Concernant les arrestations
filmées qui circulent sur les
réseaux sociaux, un cadre de
la préfecture de police de Tokyo
se montre sceptique. “En tant
qu’acte qui restreint les droits d’une
personne, la contrainte physique ne
doit pas être employée à la légère,
prévient-il. Les faits doivent faire
l’objet d’une enquête minutieuse
à travers, par exemple, le recueil
des témoignages des victimes ou le
visionnage des images des camé-
ras de surveillance.”
Pour Yohei Shimizu, avocat
spécialisé dans les questions
numériques, publier de telles
vidéos sans f louter le visage
↙ Dessin de Roy Scott,
États-Unis.
des présumés suspects peut
constituer une atteinte à leur
vie privée. Il met en garde contre
ces “lynchages, susceptibles de
conduire à l’élimination sociale
de la personne accusée”.
Dérives. Professeur de philoso-
phie du droit à l’université Keio,
Yuhiro Oya indique, pour sa part,
que les dispositions du code de
procédure pénale relatives aux
arrestations ne permettent pas
un usage abusif de la contrainte
physique à la place de la police. Il
met en garde contre les dérives,
qui pourraient, pénalement,
être considérées comme une
agression physique. Et estime
que montrer le visage des per-
sonnes accusées représente, par
ailleurs, une sanction sociale
excessive. “Si les plateformes ne
mettent pas en place un mécanisme
de contrôle des contenus diffama-
toires, prévient-il, ils continue-
ront à proliférer.”
Interrogé sur le sujet, Google,
qui exploite YouTube, affi rme
interdire les “comportements pré-
judiciables” comme les menaces
et les dénonciations. L’entreprise
aurait supprimé certaines vidéos
d’“arrestations privées” dans
lesquelles ont été identifiées
des violations de sa politique
en matière de harcèlement et
d’intimidation en ligne.
—Tabito Fukutomi,
publié le 22 septembre
SOURCE
ASAHI SHIMBUN
Tokyo, Japon
Quotidien, 3800000 ex.
asahi.com
Fondé en1879, chantre
dupacifisme nippon depuis
la Seconde Guerre mondiale,
le “Journal du Soleil-Levant”
est une véritable institution.
Trois mille journalistes, répartis
dans 300 bureaux nationaux
et 30 à l’étranger, veillent
à la récolte de l’information.
 avec

EN MOUVEMENT
Un tour du monde de la mobilité inclusive à travers les yeux de sportifs en situation de handicap

MADRID AU DÉFI DE L’ACCESSIBILITÉ

Dans la capitale espagnole, l’accessibilité est érigée comme enjeu NOM s
Perale
Teresa
majeur avec le nouveau plan “Accessibilité et inclusion 2021-2028”, LINE
DISCIP
visant à améliorer la mobilité des 322 000 personnes handicapées Nata t io n
ENCE
qui vivent dans la communauté madrilène. Teresa Perales, nageuse E RÉSID
PAYS D
ne
paralympique multimédaillée à la carrière exceptionnelle, revient Espag

sur les enjeux de l’inclusivité.

Q
uand elle ne nage pas
dans les piscines olym-
piques du monde, Teresa
Perales par tage son
temps entre Saragosse, sa ville natale,
et Madrid. À 19 ans, elle perd l’usage
de ses jambes à cause d’une neuro-
pathie et retrouve dans la natation la
liberté de mouvement dont sa mala-
die la prive. À 45 ans, elle est une
icône du mouvement paralympique,
avec 27 médailles décrochées en
6 Jeux paralympiques. En récompense
de sa carrière exceptionnelle, elle a
reçu le prestigieux prix Princesse des
Asturies.
Depuis 2021, elle souffre d’une luxa-
tion aiguë de l’épaule gauche, consé-
quence de sa neuropathie.
Mais aucun défi ne lui semble insur-
montable, pas même nager avec un
seul bras. “Je m’astreins à une double
préparation : la partie physique de
l’entraînement habituel et la prépa-
ration mentale. J’ai fait de la compé-
tition avec les deux bras pendant
vingt-cinq ans, maintenant je dois
réapprendre à nager sans mon bras
gauche. Le compte à rebours est lan-
cé pour les Jeux de Paris !”
Pour cela, elle s’entraîne dans un
centre de haute performance. En Es-
pagne, il en existe quatre, dont celui
de la Sierra Nevada, à Grenade, situé
à 2 310 mètres. “Ici, on s’entraîne
24 heures/24, que l’on soit dans l’eau
ou dans son lit, le corps produit des
globules rouges pour compenser
l’altitude.”
ACCESSIBILITÉ :
UN CHANTIER PERFECTIBLE
“Au début de ma carrière, les athlètes
handicapés ne pouvaient pas entrer
dans les centres de haut niveau. Même
si nous étions allés aux Jeux, même si
nous avions gagné des médailles,
nous n’étions pas considérés comme
des sportifs de haut niveau. Au-
jourd’hui on a atteint ce statut.”
Désormais, la loi espagnole oblige les
installations sportives à être acces-
sibles à tous. “Pour que tout le monde
ait accès au sport, outre les barrières
architecturales il y a une deuxième
accessibilité qui doit être prise en
compte, sur le terrain des mentalités.
Teresa Perales, nageuse paralympique
À Saragosse, ma ville natale, je m’en-
traîne en même temps que les usagers
de la piscine publique, parce que le
club n’a pas souhaité créer une section
de sport adapté, ça risquait d’être trop
difficile, trop cher… J’ai donc ma li-
cence sportive à Madrid.” Il reste en-
core de nombreuses barrières à lever,
notamment dans les transports. Ma-
drid a lancé un plan “Accessibilité et
inclusion 2021-2028”, avec pour ob-
jectif de rendre 82 % des stations du
réseau métropolitain accessibles à
tous. “Depuis la candidature de Ma-
drid aux Jeux de 2012 et 2016, on
constate une nette amélioration. Les
bus sont accessibles, le réseau du mé-
tro s’améliore, il y a une carte interac-
tive qui nous permet de savoir quelle
station est accessible aux personnes
à mobilité réduite. En revanche, il y a
de moins en moins de taxis adaptés.”
La Fédération des associations de
personnes handicapées physiques et
organiques de la communauté de Ma-
drid (Famma) dénonce une réduction
de l’offre de taxis adaptés dans le
cadre de l’interdiction des véhicules
thermiques dans la ville d’ici à 2025.
Désormais, les taxis électriques bé-
néficient des mêmes incitations que
celles initialement mises en place pour
les taxis adaptés, ce qui entraîne un
transfert vers les taxis électriques
conventionnels, en raison de leur coût
moins élevé. ●
Perle Bouge,
un nom prédestiné
Perle Bouge est une rameuse d’aviron han-
disport française. Elle a déjà remporté deux
médailles olympiques à Londres et à Rio. En
2022, à plus de 40 ans, elle réalise l’exploit
de devenir vice-championne d’Europe de
sa discipline. A côté de ses performances
sportives, Perle Bouge est Chevalier de
l’Ordre National du Mérite depuis 2013 et
fait partie depuis 2018 de la Commission
des Athlètes de Paris 2024. Membre de
la TEAM TOYOTA, elle incarne l’exigence,
le dépassement de soi et l’ensemble des
valeurs qui sont à l’origine du mouvement
“Start Your Impossible”.
Offre de bienvenue*
réservée aux nouveaux clients,

80
valable du 16/10/2023 au 30/11/2023

€de prime de
souscription

+ 4,50 %
annuel brut
pendant 3 mois

Livret Zesto par Renault Bank,

épargnez pour vivre vos projets
en toute liberté
Avec le Livret Zesto par Renault Bank, profitez d’une
rémunération attractive et faites fructifier votre
épargne ! Votre Livret d’épargne Zesto par Renault
Bank vous assure un plafond de dépôts élevé, une
gestion de la majorité des opérations en ligne, un taux
attractif et un service client géré depuis la France du
lundi au samedi de 9 h à 19 h.
Et vous avez jusqu’au 30 novembre 2023 pour profiter
de notre offre de bienvenue.*

Alors, n’attendez plus !

Ouvrez dès maintenant votre Livret d’épargne
sur www.renaultbank.fr !

* Offre non cumulable, constituée d’un taux promotionnel (limité dans le temps et dans le montant) et d’une prime de souscription, soumise aux conditions suivantes : valable du
16/10/2023 au 30/11/2023 (ci-après désignée la « période promotionnelle »), pour tout dossier complet déposé avant cette date. Réservée aux nouveaux clients, personnes physiques
majeures, à l’exclusion de toute personne ayant résilié un Livret Zesto au cours des 12 mois précédant la demande de souscription. Le taux nominal annuel brut promotionnel de
4,50 % s’applique pendant 3 mois sur le premier versement d’un montant supérieur ou égal à 500 € et les éventuels versements complémentaires d’un montant supérieur ou égal à
500 €, réalisés pendant la période promotionnelle (ci-après désignés les « versements éligibles »). Le calcul des intérêts promotionnels portera sur les versements éligibles nets
d’éventuels retraits, dans la limite de 100 000 € de dépôts cumulés. Ce taux sera ramené au taux annuel brut standard actuellement en vigueur de 2,90 %, susceptible de variations,
au-delà de ces 3 mois, et/ou en cas d’un solde du Livret Zesto supérieur à 100 000 €. Renault Bank se réserve le droit de ramener le taux promotionnel au taux standard calculé sur
les versements éligibles, en cas de clôture du Livret Zesto avant le 31/05/2024 inclus. Les intérêts sont calculés selon la règle des quinzaines et sont soumis aux prélèvements sociaux
et iscaux. La prime de souscription de 80 € sera versée le 31/05/2024, sous réserve que le Livret soit toujours ouvert à cette date et que le solde de l’encours du Livret ait été en
permanence de 50 000 € minimum entre le 15/12/2023 et le 31/05/2024 inclus. Une seule prime par personne et par Livret. Offre non cumulable.
Conditions générales du Livret Zesto par Renault Bank, et Convention des Comptes Renault Bank disponibles sur le site www.renaultbank.fr. Renault Bank est une marque
commerciale déposée par RCI Banque S.A. RCI Banque S.A. est un établissement de crédit au capital de 100 000 000 €. Siège social : 15 rue d’Uzès – 75002 Paris, RCS de
Paris n° 306 523 358.

Renault Bank
 Carnet
Agir sur
l’empreinte
écologique
et sociale
de son
argent
Nos comptes bancaires
ont un impact social
et environnemental
considérable.
Mais il est possible
de choisir où placer
son épargne,
de l’investir
dans des projets
au service
de ses valeurs,
dans les domaines
de l’écologie,
de la solidarité,

CONCEPTION GRAPHIQUE WWW.LILIKLIK.COM / © CRÉDIT : FREEPIK

de l’économie locale…

R É A L I S É PA R L’AG E N C E C O U R R I E R I N T E R N AT I O N A L I N D É P E N DA M M E N T D E L A R É DAC T I O N
 carnet

Une application pour

comprendre l’impact
de son compte bancaire
Lancée par la plateforme d’investissement responsable Lita,
Rift est une application qui permet de scanner son épargne
pour en connaître l’impact social et environnemental.

Q uelles activités financent votre

Livret A ou votre assurance-vie ?
Vérifier que votre épargne ne participe pas
l’application le montant de l’épargne
détenue, le type de placement et le nom
de la banque. Les algorithmes calculent
Volet action

Dans la partie “Agir”, l’application propose

© DRAGANA_GORDIC/FREEPIK

au financement d’activités polluantes et est
en adéquation avec vos valeurs, c’est le
principe de l’application Rift, lancée par Lita.
co, une plateforme participative et solidaire
certifiée par l’Autorité des marchés financiers
et labellisée Finansol. Le fonctionnement
est simple : il suffit de renseigner dans
ensuite l’impact carbone de votre argent.
L’application estime notamment le nombre
de kilogrammes de CO2 émis par an ainsi que
les secteurs financés par votre épargne.
Un point rouge apparaît lorsqu’elle finance
un domaine sensible, comme l’armement
ou les énergies fossiles.
un questionnaire pour mieux cerner
les priorités de l’épargnant. Lutte contre
le changement climatique, emploi,
investissement dans les entreprises
françaises ou respect des droits de l’homme :
l’application propose différents produits
d’épargne respectueux de ces valeurs.

II
Avec nous,
choisissez
un blé sans
OGM.
BoursoBank est fière de rejoindre la communauté
B Corp, mouvement mondial d’entreprises qui
œuvre en faveur d’une économie plus inclusive
et plus équitable.

Boursorama, SA au capital de 51 171 597,60 € – RCS Nanterre 351 058 151 – TVA FR 69 351 058 151 – 44 rue Traversière – CS 80134
92772 Boulogne-Billancourt Cedex.
 carnet

Investir dans une entreprise

solidaire d’utilité sociale
C’est une solution d’épargne au service de projets concrets et engagés : les foncières solidaires.
Avec Fermes en vie (FEVE), l’épargne solidaire des citoyens finance l’achat d’exploitations agricoles
qui sont louées à des porteurs de projets agroécologiques.

D ’ici à dix ans, 40 % des agriculteurs

installés en France partiront à la retraite,
ce qui présage la disparition de quelque
200 000 fermes. Partant du constat que
le principal frein à l’installation hors cadre
familial de la nouvelle génération est
l’acquisition du foncier, Fermes en vie
(FEVE) achète des fermes, qu’elle loue
ensuite à des agriculteurs sous forme
de bail rural environnemental (une location
avec option d’achat). Fondée en 2021,
l’entreprise a effectué une première levée
de fonds de 1,7 million d’euros auprès
de BPI France et de 9 business angels.
Épargne citoyenne solidaire
FEVE est une foncière solidaire,
sous forme de société en commandite
par actions, financée par l’épargne
citoyenne. Elle a récolté 9,4 millions d’euros
auprès de 892 investisseurs particuliers.
Le ticket d’entrée pour investir est de
500 euros. Acheter des parts de capital
dans la foncière donne droit à une réduction
d’impôt à hauteur de 25 % du montant
investi (subordonné à la conservation
des actions pendant sept ans). À ce jour,
FEVE a aidé 16 agriculteurs et agricultrices
à s’installer.

© YULIAN ALEXEYEV/UNSPLASH

IV
INFOGRAPHIE

L’épargne solidaire en chiffres

7,4 % 3 modes
d’investissement
o épargne salariale solidaire via votre entreprise
o En 2022, l’épargne solidaire a o placement d’épargne solidaire via votre établissement financier
progressé de 7,4 % par rapport à 2021. o investir dans le capital d’une entreprise solidaire

26,3 milliards d’€

o En 2022, l’épargne solidaire a atteint 26,3 milliards d’euros d’encours.

SOURCE : BAROMÈTRE 2023 DE LA FINANCE SOLIDAIRE 2023 LA CROIX/FAIR

0,45 %
o L’épargne solidaire reste un secteur de niche qui
représente 0,45 % de l’épargne totale des ménages français.

V
 carnet

© JANNOON028/FREEPIK
Un fonds d’investissement citoyen
pour décarboner l’économie
Team for the Planet est un fonds d’investissement citoyen à but non lucratif qui repère et finance des
innovations prometteuses pour lutter contre le changement climatique. Depuis sa création en 2019, il a
levé 24 millions d’euros auprès de 114 654 actionnaires et financé 5 projets en France et à l’international.

L
e postulat de l’entreprise à mission*
trouve sa source dans les rapports
du Giec, qui mettent en avant l’importance
de l’innovation dans la lutte contre
le réchauffement climatique.
Or les scientifiques qui font naître ces
innovations ne sont pas forcément formés
à l’entrepreneuriat et à la finance.
La start-up intervient en finançant
celles-ci et en recrutant des entrepreneurs
capables de les mettre en œuvre. Le projet
a convaincu 114 654 actionnaires à ce jour
et levé 24 millions d’euros. Les actions de
Team for the Planet sont accessibles au prix
de 1 euro. Les actionnaires ne touchent pas
de dividendes : les statuts indiquent que leur
distribution est conditionnée à la limitation
du réchauffement climatique à 0 ° C
par rapport à l’ère préindustrielle – soit
* qualité introduite par la loi PACTE de 2019.
Sélection et financement des projets
Il s’agit pour une entreprise d’affirmer
publiquement sa raison d’être, ainsi
7 000 “évaluateurs bénévoles” aident qu’un ou plusieurs objectifs sociaux
à sélectionner les innovations sur une et environnementaux qu’elle se donne
plateforme en ligne. Chaque trimestre, pour mission de poursuivre dans
le cadre de son activité.
les 10 meilleurs projets sont soumis à
un comité scientifique de 14 experts
issus du CNRS, de l’Inrae et de la
Commission européenne qui départagent
les innovations au consensus.
En parallèle, la start-up sélectionne
des candidats entrepreneurs pour porter
économiquement les innovations et valider
le fait qu’il y a un réel marché pour chacune.
Parmi les innovations financées : Beyond
the Sea, qui développe des systèmes
de traction de navires issus de la technologie
des kitesurfs, ou encore Carbon Impact,
qui mise sur l’olivine, un minéral issu
© FREEPIK

une probabilité infime, selon le Giec. de roches volcaniques, pour capter

Les bénéfices sont réinvestis dans le projet. naturellement du CO2.

VI
Des labels pour se repérer
S’il est difficile de se repérer parmi la multitude de produits de finance durable, des labels aident le consommateur a y voir plus clair.
o Label ISR
Créé en 2009 et officialisé en 2016
sous l’égide du ministère de l’Économie,
le label ISR (investissement socialement
responsable), il garantit que les fonds
labellisés prennent en compte des critères
ESG (environnementaux, sociaux et
de gouvernance) dans leur processus
d’investissement. Le label est valable
trois ans. Épinglé dans un rapport
de l’Inspection générale des finances
en 2020, une refonte du référentiel est
en cours, afin de le rendre plus sélectif.
o Greenfin
Créé par le ministère de la Transition
écologique en 2015, au moment de
la COP21, initialement appelé TEEC
(transition énergétique et écologique
pour le climat), il a été renommé Greenfin
en 2019. C’est le seul label qui prenne
en compte uniquement le critère
environnemental, excluant ainsi
les fonds qui investissent dans des
entreprises opérant dans le secteur
nucléaire ou les énergies fossiles.
La certification est valable un an.
o Finansol
Créé en 1997 et géré par l’association
FAIR, il est le label historique de la finance
solidaire. Son but est d’aider au
financement d’activités à forte utilité
sociale et/ou environnementale.
VII
Il est attribué par un comité d’experts
indépendant issus de la société civile
o Label CIES
Créé en 2002, délivré par le Comité
intersyndical de l’épargne salariale,
le label CIES atteste que les fonds
d’épargne salariale intègrent bien
des critères ESG dans leur gestion.
En Europe, il existe d’autres labels,
comme Towards Sustainability en Belgique,
FNG-Siegel en Allemagne, en Autriche et en
Suisse, ou LuxFlag au Luxembourg. Dans un
but de clarification à l’échelle européenne,
la Commission planche sur la création d’un
écolabel excluant les activités polluantes.
 carnet

QUIZ

Testez vos connaissances

sur l’investissement responsable
1 Que signifie
le sigle ISR
a| Investissement
3 Quels sont les produits
d’épargne ou
d’investissement qui
5 Que signifie
l’investissement
socialement responsable ?
6 Par rapport
à un investissement
classique, l’investissement
sociétal régulé permettent d’investir a| Le financement responsable présente
b| Investissement de manière responsable ? d’entreprises ou d’entités a| Moins de risques
socialement responsable a| L’assurance-vie publiques qui contribuent b| Plus de risques
c| Investissement social b| L’épargne retraite au développement c| Autant de risques
et rentable c| Les SCPI durable, quel que soit
d| Tous ces produits leur secteur d’activité

2 Parmi ces labels,

lequel n’est pas français
a| ISR 4 L’investissement
responsable rapporte
b| L’exclusion des entreprises
actives dans les secteurs
des énergies fossiles,
b| Greenfin moins qu’un du tabac et de l’armement
c| LuxFLAG Environnement investissement classique c| L’investissement
d| Finansol a| Vrai dans des entreprises
b| Faux développant des énergies
renouvelables RÉPONSES : 1:B, 2:C, 3:D, 4:B, 5:A, 6:C

© FREEPIK

VIII

— R É A L I S É PA R L’AG E N C E C O U R R I E R I N T E R N AT I O N A L I N D É P E N DA M M E N T D E L A R É DAC T I O N —
ÊTRE RÉMUNÉRÉ
EN EUROS OU
EN NATURE ? Avec Mirova Europe
Environmental Equity,
vous avez les deux.
En investissant avec votre assurance-vie
Fortuneo Vie* dans le fonds Mirova
Europe Environmental Equity, vous
soutenez des entreprises engagées en
faveur de la protection de la biodiversité,
de la stabilité climatique et de la sécurité
des ressources. (1)

Ce fonds présente un
risque de perte en capital.

L’adhésion au contrat Fortuneo Vie* implique en gestion

libre un minimum de 30% d’investissement en unités
de compte qui présentent un risque de perte en capital.

Les performances passées ne préjugent pas des

performances futures.

(1) Retrouvez les informations en application du règlement dit “SFDR” sur https://www.mirova.com/fr/reglementation-sfdr et sur https://reglementaire-priips.suravenir.fr/ Ce fonds est uniquement utilisé à titre
d’exemple. Il fait partie des diférents supports en unité de compte accessibles grâce au contrat Fortuneo Vie.
*Fortuneo Vie est un contrat d’assurance-vie de groupe de type multisupport géré par Suravenir, entreprise régie par le Code des assurances et distribué par Fortuneo.
Le document d’informations clés du contrat Fortuneo Vie contient les informations essentielles de ce contrat. Ce document est disponible sur fortuneo.fr auprès de Suravenir ou en vous rendant sur le site suravenir.fr.
Fortuneo est une marque commerciale d’Arkéa Direct Bank, Société Anonyme à Directoire et Conseil de Surveillance au capital de 89 198 952 euros. RCS Nanterre 384 288 890. Siège social : Tour Ariane - 5 Place de
la Pyramide 92 088 Paris La Défense. Courtier en assurance n°ORIAS 07 008 441 - Adresse postale : FORTUNEO - TSA 41707 - 35917 CEDEX 9.
Document publicitaire dépourvu de valeur contractuelle.
48.
tra n s-
versales.
économie
Microsoft s’est fait
diplomate pour
acheter Activision
Numérique. Le feu vert donné à l’acquisition
de l’éditeur de jeux vidéo couronne la stratégie
de conciliation du géant américain.
—Financial Times,
extraits (Londres)
L a bataille de vingt et un mois
menée par Microsoft pour rache-
ter Activision [pour 69 milliards de
dollars, environ 65 milliards d’euros], poids
lourd des jeux vidéo, est l’une des sagas qui
a connu dernièrement le plus de rebondis-
sements dans l’univers des fusions-acqui-
sitions. Elle a démontré la toute-puissance
de la machine juridique, politique et d’in-
luence de Microsoft, qui lui coûte plus
de 1 milliard de dollars par an et en a fait
l’une des entreprises américaines prati-
quant avec le plus d’eicacité une nouvelle
forme de diplomatie d’entreprise.
Pour conclure l’accord avec Activision,
il lui a fallu déjouer la tentative du gouver-
nement américain de le bloquer devant la
justice, tout en persuadant les régulateurs
britanniques de permettre des change-
ments de dernière minute dans une opé-
ration qu’ils avaient déjà décidé de rejeter.
Il fallait aussi convaincre les régulateurs
dans de nombreuses autres arènes – notam-
ment à Bruxelles, où Microsoft a long-
temps suscité une profonde méiance – à
un moment où les rachats menés par les
Gafam se heurtent à une forte opposition.
La conclusion de l’accord est l’aboutisse-
ment de deux décennies passées à redo-
rer la réputation d’une entreprise autrefois
vue comme le principal tyran de la tech.
Sous la houlette de Brad Smith, direc-
teur juridique à partir de 2002 et pré-
sident depuis 2015, Microsoft s’est eforcé
de présenter aux autorités un visage plus
conciliant. L’entreprise a aussi cherché à
se rendre utile auprès des pouvoirs publics
dans tous les domaines, de la stratégie
technologique aux interventions d’urgence
Techno ........50
Signaux .......51
lors de cyberattaques, ain de restaurer la
coniance et d’améliorer ses chances de
l’emporter lors d’auditions où ses intérêts
commerciaux sont mis en cause.
Si la signature de l’accord peut être inter-
prétée comme une victoire notable à une
époque où les acquisitions par les géants
du numérique se font rares, elle pourrait
aussi augurer un tournant des relations
entre Microsoft et les autorités de régu-
lation du monde entier.
Transparence. Alors que Microsoft
avait jusque-là choisi l’afrontement, Brad
Smith s’est fait l’avocat de la conciliation
et a défendu la nécessité d’être plus trans-
parent avec ces autorités. Il a aussi fait
évoluer les pratiques de Microsoft, ain
de couper court aux plaintes pour abus
de position dominante avant qu’elles ne
prennent de l’ampleur. En 2022, à la suite
de plaintes concernant les pratiques du
groupe en matière de propriété intellec-
tuelle dans le cloud, qui risquaient de le
placer dans le viseur des autorités anti-
trust, le président de Microsoft a pré-
senté des excuses publiques et annoncé
des changements qui, selon lui, régle-
raient les problèmes.
Certaines des méthodes qui ont dopé ses
bénéices pendant de nombreuses années
sont aussi contestées. [Le 11 octobre], l’en-
treprise a annoncé avoir fait l’objet d’une
régularisation iscale de près de 29 mil-
liards de dollars aux États-Unis pour
la période 2004-2013. L’administration
estime qu’en déclarant des bénéices dans
des pays à faible taux d’imposition, elle a
réduit artiiciellement ses impôts.
Autre signe que l’entreprise est sous
pression, Brad Smith a eu un coup de
sang, en avril, quand les régulateurs
Dessin de Falco,
Cuba.
britanniques ont déclaré qu’ils bloque-
raient le rachat d’Activision. Cette déci-
sion était “mauvaise pour le Royaume-Uni”,
a-t-il dit à la BBC. Mais le géant du logi-
ciel a tout de même persuadé l’Autorité
britannique de la concurrence et des
marchés de réexaminer son dossier, en
proposant un compromis qui a abouti à
sa validation tout en permettant au régu-
lateur d’obtenir plus de concessions que
ses homologues.
La victoire de Microsoft résulte prin-
cipalement d’un travail de fond de son
service juridique et des négociations
avec les régulateurs, mais elle est aussi
le fruit d’années d’eforts pour présenter
l’entreprise sous un jour plus favorable.
En coulisse, Brad Smith a encouragé une
campagne concertée de lobbying auprès
des gouvernements du monde entier.
“C’est l’une des plus
grandes armées de
diplomates d’entreprise
que l’on ait vues.”
Manas Chawla, CHERCHEUR
Microsoft a créé “l’une des plus grandes
armées de diplomates d’entreprise que l’on ait
vues, airme le chercheur Manas Chawla.
Ils ont des stratèges qui travaillent sur tout,
de la réglementation des intelligences artii-
cielles à la protection des élections, en pas-
sant par la cyberguerre contre des États
souverains.”
Microsoft va plus loin que les autres
géants de la tech, comme en témoigne la
création d’un bureau de représentation
permanente auprès de l’ONU en 2020,
non loin du siège de l’organisation, à New
York. Le président ukrainien, Volodymyr
Zelensky, a été le premier chef d’État à s’y
rendre, ain d’encourager l’entreprise à
investir dans son pays. Microsoft, de son
côté, espère mettre à proit ce contact pour
promouvoir ses outils de cybersécurité.
Ce lobbying auprès de l’ONU fait partie
d’une opération menée sous la direction
de Brad Smith. Les services qui lui sont
rattachés sont notamment chargés des
questions juridiques et commerciales et
des relations avec les États, représentant
quelque 2 000 “spécialistes”, comme les
appelle Microsoft.
Selon un ancien cadre de Microsoft, le
travail politique considérable de l’entre-
prise à l’international est symptomatique
de sa conviction qu’œuvrer au progrès
du multilatéralisme et de la primauté du
droit à l’échelle mondiale proitera, à long
terme, à l’entreprise et ses clients. Mais
cette même personne ajoute que ces acti-
vités servent aussi les intérêts immédiats
de Microsoft : “L’une des leçons que nous
avons tirées des afaires liées à la concur-
rence : mieux vaut nouer des relations, les
entretenir et faire en sorte que les gens com-
prennent vos activités en amont avant de
faire face à des problèmes épineux.”
La détermination de Brad Smith à se
présenter comme ambassadeur oicieux
de la tech a été payante pour Microsoft,
selon ses partisans. “Les régulateurs ne
vous donneront pas de blanc-seing, mais
ils seront à l’écoute. On peut espérer être
une voix crédible auprès d’eux et c’est ce qui
compte”, explique un autre ancien cadre.
À l’heure où Microsoft conclut le plus
grand rachat de son histoire, cette stra-
tégie semble porter ses fruits.
—Richard Waters (à San Francisco)
et Arjun Neil Alim (à Londres),
publié le 14 octobre
Courrier international — no 1721 du 26 octobre au 1er novembre 2023 TRANSVERSALES. 49

L’Europe trouve un accord LA LETTRE

TECH
Tous les quinze jours,
l’actualité de la Silicon
Valley vue des États-Unis
sur le marché de l’électricité PHILIPPE COSTE, à New York

Énergie. Les Vingt-Sept ont conçu un nouvel outil de fixation

du prix du kilowattheure. L’Allemagne a cédé sur le nucléaire, Le diagnostic par la voix et
pomme de discorde avec la France, laquelle a accepté de se les futurs bébés de l’espace
soumettre aux régulateurs de l’UE.

V ou s m’a ve z bie n
entendu : on peut
dire si une personne
essentielle. Un rapport des
Académies nationales améri-
caines, publié en septembre,

A près des mois de discussions, les de l’Économie, Robert Habeck”, constate

Vingt-Sept se sont mis d’accord, Handelsblatt. La France a gagné le droit
mardi 19 octobre, sur la réforme de “subventionner ses centrales nucléaires”
du marché européen de l’électricité, dépas- et “les ménages et les entreprises continue-
sant le bras de fer entre l’Allemagne et la ront de bénéicier de la baisse des coûts de
soufre d’un diabète de type 2
grâce à sa voix. Le magazine
New Atlas annonce même
qu’un laboratoire de la Silicon
Valley, Klick Labs, est en train
conirme que presque aucune
recherche n’est consacrée à la
reproduction humaine dans
l’espace et déplore qu’“une
question pourtant vitale pour
France sur la question du nucléaire. La production du bouquet énergétique français, de développer une application l’exploration spatiale à long
presse salue le “compromis”. dont le nucléaire représente environ 70 %”. permettant de faciliter le dia- terme soit encore largement
“La crise énergétique de l’an dernier a Mais l’Allemagne a réussi à faire en sorte gnostic à partir de certaines inexplorée”.
failli provoquer l’efondrement des marchés”, que les CFD “ne puissent pas être utilisés inlexions de la voix diici- En 1983, les Russes avaient
souligne Der Spiegel, alors que “les cours indéiniment pour les anciennes centrales lement perceptibles par une placé une rate gravide en orbite
élevés de l’électricité nourrissent l’inlation et nucléaires”. Le quotidien économique met oreille humaine. Depuis plus pendant cinq jours. Elle avait
nuisent aux consommateurs.” Les ministres en évidence une “lacune cruciale” dans l’ac- de dix ans, diverses recherches perdu toute sa portée après
de l’Industrie “se sont mis d’accord sur un cord, qui se garde de préciser dans quelle ont établi que le diabète s’ac- son retour sur Terre. Mais
ensemble d’instruments” pour réformer le mesure les capacités de production d’élec- compagnait d’altérations dix ans plus tard, des scien-
marché de l’énergie, mais “les détails sont tricité peuvent ou non entrer dans le cadre vocales spéciiques. tiiques japonais ont réussi à
compliqués”, résume l’hebdomadaire alle- des CFD. Et l’Allemagne a bon espoir de Pour concevoir un outil faire éclore des œufs de pois-
mand. Pour l’essentiel, “il s’agissait de savoir “réduire le nombre de centrales” qui pour- de dépistage rapide, Klick son dans la navette spatiale
comment développer des sources d’électri- raient être concernées. Labs a réuni un échantillon Challenger. Pour le reste, on
cité plus respectueuses du climat au moindre La France peut “conclure des contrats de 192 individus non diabé- lotte dans l’inconnu. La MIT
coût possible”, chaque pays ayant jusque- pour la diférence pour ses 56 réacteurs exis- tiques et de 75 diabétiques qui Technology Review rappelle que
là “encouragé à sa façon” la transition vers tants”, soit “exactement ce que Berlin voulait ont dû enregistrer la même les autorités scientiiques amé-
les énergies renouvelables. Le nouvel ins- empêcher”, fait remarquer la Frankfurter phrase, d’une durée de six à ricaines, et a fortiori la Nasa,
trument qui devrait permettre cette avan- Allgemeine Zeitung. Mais “Paris ne peut dix secondes, plusieurs fois perçoivent tout ce qui a trait à
cée s’intitule “contrats pour la recourir aux prix garantis que par jour. Leurs voix ont été la sexualité et à la reproduction
diférence” (CFD). sous certaines conditions”, qui analysées selon 14 critères, en apesanteur comme un sujet
Ces contrats entre fournis- l’obligent notamment à moder- avec des résultats apparem- casse-gueule. En Europe, une
seurs d’énergie et gouverne- niser son parc nucléaire. Pour le ment presque aussi iables que start-up néerlandaise nommée
ments doivent permettre de REVUE quotidien conservateur, le com- les tests sanguins. À terme, ce SpaceBorn United espère pou-
“convenir d’un prix garanti pour DE PRESSE promis octroie un “rôle central” type de tests pourrait servir au voir mener l’année prochaine
le kilowattheure d’électricité, pro- aux régulateurs européens, qui dépistage de masse, et ce bien la conception in vitro d’un
venant par exemple d’un parc éolien ofshore”. auront un droit de regard sur ces conditions. plus facilement que des visites embryon de souris en orbite,
Si le prix de gros est plus bas que le CFD, Autre bémol : au Parlement européen, médicales et des prises de sang dans une petite capsule labo-
“l’État paie la diférence au producteur”. Dans “il y a une résistance” au nucléaire de la dans des laboratoires souvent ratoire. Complication supplé-
le cas contraire, “l’argent passe du produc- part des eurodéputés verts, comme l’ex- éloignés et coûteux. Les États- mentaire : il faudra rapporter
teur à l’État”. Les CFD seront généralisés plique l’un d’entre eux, Michael Bloss, au Unis comptent 37,3 millions de ces cellules intactes sur Terre
“à tous les investissements dans de nouvelles journal de Francfort : “Le fait que les cen- diabétiques, plus de 11 % de la malgré la brutale traversée
infrastructures éoliennes, solaires, hydroélec- trales nucléaires ne soient pas soumises à la population. Selon le CDC, le de l’atmosphère. Des essais
triques ou de biogaz”, détaille le journal alle- concurrence et au marché est ineicace et centre de veille sanitaire améri- sur des embryons humains
mand. Mais “un autre type d’énergie devrait antieuropéen.” cain, un patient sur cinq, faute ne sont pas, mais alors pas du
être ainsi sécurisé : le nucléaire”. Et c’est L’Allemagne, en accordant “à la France de diagnostic, ignore qu’il est tout, envisagés.—
la source du diférend franco-allemand. la possibilité de subventionner ses centrales porteur de la maladie.
La France a fait pression pour que les nucléaires, a débloqué une réforme du marché
États membres puissent “recourir à des CFD de l’électricité au point mort”, résume le In vitro orbitale
lorsqu’ils investissent dans le parc nucléaire Financial Times. Selon plusieurs ministres, C’est évident : si nous vou-
existant”, y compris “pour en prolonger la cette réforme est une “réponse cruciale lons coloniser l’Univers, il
durée”. Les États “ne sont pas autorisés à aux plans massifs de subventions aux éner- nous faudra apprendre à faire
ixer arbitrairement des prix bas pour les gies renouvelables des États-Unis et de la des bébés durant les inter-
consommateurs et l’industrie”, de façon à Chine”. Le journal britannique insiste sur minables voyages vers nos SUR NOTRE SITE
éviter toute distorsion de concurrence. le chemin parcouru : “Trouver un accord futures destinations. La MIT courrierinternational.com
Curieusement, “Paris parle d’une ‘grande était ‘comme marcher sur une corde raide’”, Technology Review s’of-
victoire française’, tandis que, dans l’entou- explique un haut fonctionnaire de l’Union fusque du manque d’intérêt Inscrivez-vous sur notre site
rage du gouvernement [allemand], on parle européenne. des bailleurs de fonds institu- pour recevoir chaque mardi
des négociations réussies du ministre [vert] —Courrier international tionnels pour cette question La Lettre tech.
50. TRANSVERSALES
TECHNO
Mon coach est une IA
Algorithme. Au Texas, une salle de fitness d’un nouveau genre vient
d’ouvrir. Équipée d’écrans à LED et de capteurs de mouvements,
elle s’appuie sur l’intelligence artificielle pour superviser les entraînements.
—MIT Technology Review
(Cambridge, États-Unis)
C omme toute salle de sport
qui se respecte, Lumin
Fitness se targue d’avoir
les meilleurs coachs. La jeune
et énergique Chloé promet de
vous aider à pulvériser vos objec-
tifs. Rex, très carré, aux airs de
sergent instructeur, encourage
ses clients à donner le meilleur
d’eux-mêmes, tout en leur rap-
pelant qu’il faudra soufrir. Si
vous cherchez une méthode
plus douce, Emma et Ethan sont
chaleureux et vous mettent en
coniance tranquillement.
Mais Lumin Fitness n’est pas
une salle de sport ordinaire. Ces
coachs n’existent pas – du moins
physiquement. Ce sont des intel-
ligences artiicielles (IA), conçues
ain d’accompagner les sportifs
dans leur entraînement sur les
grands écrans à LED couvrant
les murs de cette salle de sport,
qui a ouvert en septembre à Las
Colinas, au Texas. Même si l’IA
est de plus en plus omniprésente
dans le secteur de la remise en
forme, elle est généralement
associée à des produits comme
les miroirs connectés, les applis
d’entraînement et les caméras
intelligentes. Les fondateurs de
Lumin Fitness assurent que c’est
la première salle de sport à inté-
grer aussi complètement l’IA.
Ils sont convaincus que leur for-
mule de coaching par IA encoura-
gera les gens à faire plus de sport
même s’ils avaient eu une mau-
vaise expérience de l’entraîne-
ment en salle. L’idée, c’est d’ofrir
une méthode plus personnalisée
pour les personnes qui redoutent
les relations humaines et peuvent
se sentir intimidées ou démotivées
face à un coach en chair et en os.
Martial ou relax. La salle de
sport, plongée dans la pénombre,
peut accueillir 14 personnes en
même temps. Chacune peut
suivre un programme d’entraî-
nement individuel ou partici-
per à des séances collectives de
haute intensité où les membres
du groupe efectuent les mêmes
mouvements, font des squats, des
abdos ou soulèvent des poids.
Chaque personne s’entraîne
dans un espace personnel face à
un écran géant à led. Ces grands
écrans cachent des capteurs qui
enregistrent à la fois les mouve-
ments des sportifs mais aussi
Courrier international — no 1721 du 26 octobre au 1er novembre 2023
ceux des équipements spécia-
lement conçus pour cette salle,
comme les haltères, les balles
d’exercice et les cordes à sauter,
grâce à un mélange d’algorithmes
et de modèles d’apprentissage
automatique.
Quand vous arrivez, vous
pouvez choisir votre coach virtuel
sur l’appli de Lumin Fitness : pré-
férence pour une voix d’homme
ou de femme et choix entre un
ton martial, bienveillant ou relax
pour trouver votre motivation. Si
vous n’êtes pas convaincu, vous
pouvez changer de coach à tout
moment. Les conseils audio sont
difusés dans des écouteurs et
accompagnés par un genre musi-
cal, choisi au préalable, comme
le rock ou la country.
Même si chaque cours de la
salle de Las Colinas est toujours
supervisé par un professionnel,
cette personne n’a pas besoin
d’être un coach sportif qualiié,
“Grâce aux jeux,
je peux voir en
temps réel le travail
que je fournis.”
Olivia Lord,
ASSISTANTE
explique Brandon Bean, cofon-
dateur de l’entreprise. “Ses fonc-
tions relèvent plus de celle d’un
personnel de bord que d’un véri-
table entraîneur. C’est à lui que
vous vous adressez si quelque chose
ne marche pas, mais c’est l’IA qui
donne les retours, qui vous motive
et vous explique comment faire
les mouvements.”
Lors des échaufements et des
étirements, avant et après les
séances, les écrans LED aichent
une silhouette humanoïde sans
visage qui efectue les mouve-
ments, et cette aide visuelle
permet aux sportifs de suivre
les enchaînements. Une fois que
l’entraînement à proprement
parler a commencé, les écrans
aichent des jeux de motivation,
par exemple un panier virtuel
qui se remplit de balles à chaque
abdo réalisé ou des briques qui
s’empilent pour former une tour.
Cette approche vidéoludique
du itness est très intéressante
pour certaines personnes,
explique Andy Lane, professeur
de psychologie du sport à l’uni-
versité de Wolverhampton, au
Royaume-Uni. “Il s’agit de mettre
en place un système de récompense/
renforcement pour activer les récep-
teurs de la dopamine, et immé-
diatement la personne a envie de
recommencer, assure-t-il. Si vous
en faites un jeu pour que les gens
soient iers de leur progression,
alors c’est encore mieux.”
Ces capteurs permettent au sys-
tème de Lumin Fitness de comp-
ter le nombre de séries réalisées et
de s’assurer que les participants
efectuent correctement leurs
mouvements. S’ils se cambrent
trop quand ils sont censés garder
le dos droit, par exemple, l’IA
ne considère pas le mouvement
comme terminé tant que la pos-
ture n’est pas corrigée. L’objectif
est de tirer le maximum de béné-
ices de chaque exercice et d’éviter
de se faire mal.
Quand les gens reviennent à la
salle de sport, le système enre-
gistre leur progression dans le
temps grâce à l’appli. L’entreprise
envisage prochainement d’en-
traîner son IA à repérer quand
les exercices sont trop faciles
pour une personne et pouvoir
ainsi recommander d’utiliser des
poids plus lourds ou de faire des
mouvements diférents.
Olivia Lord, qui travaille pour
l’équipe de basket des Texas
Rangers, a été l’une des premières
↙ L’exercice physique
en mode vidéoludique.
Photo Lumin Fitness
à tester ces IA, il y a quelques
mois, et elle se rend régulière-
ment à la salle depuis. Avant, elle
n’était pas à l’aise dans les salles
de itness, mais là, elle appré-
cie beaucoup cette voix dans
les écouteurs qui la guide et la
motive. “La salle de sport n’est
pas un espace où je me sens bien.
C’est efrayant et inconfortable au
possible, reconnaît-elle. Mais ici
tout est très immersif et interac-
tif. Grâce aux jeux, je peux voir en
temps réel le travail que je fournis,
c’est vraiment inédit.”
Engouement. Même s’il y aura
toujours des gens qui préféreront
des entraîneurs en chair et en os, il
est probable qu’un grand nombre
de personnes apprécieront d’être
coachées par des IA, estime Neil
Cronin, chercheur en bioméca-
nique du sport et de l’exercice
à l’université de Jyväskylä, en
Finlande, qui étudie comment les
techniques de l’IA peuvent amé-
liorer l’analyse des mouvements
humains.
L’engouement récent pour les
IA de soutien psychologique et
les agents conversationnels de
compagnie montrent que les gens
se livrent plus facilement à des
machines qu’à des êtres humains,
souligne-t-il. “Personnellement,
j’adorerais essayer, notamment
pour voir les bénéices que je tire
de mes entraînements, en matière
de force musculaire ou d’endu-
rance, dit-il. Je ne crois pas qu’une
IA soit moins intéressante qu’un
coach. Au contraire, si elle peut
vraiment suivre toutes mes don-
nées sur le long terme et me concoc-
ter un programme personnalisé, je
suis partant !”
—Rhiannon Williams,
publié le 9 octobre
SOURCE
MIT TECHNOLOGY REVIEW
Cambridge, États-Unis
Bimestriel, 166 000 ex.
techreview.com
Fondé en 1899, et installé
sur le campus du célèbre
Massachusetts Institute of
Technology, c’est le magazine
des ingénieurs, des scientifiques
et des hommes d’affaires
soucieux de s’informer
des nouvelles tendances
technologiques et des décisions
politiques en la matière.
Courrier international — no 1721 du 26 octobre au 1er novembre 2023 TRANSVERSALES. 51

sig n au x
Chaque semaine, une page
visuelle pour présenter
l’information autrement

Le bisphénol A, à réduire drastiquement

Présent dans de nombreux emballages alimentaires, ce pertubateur endocrinien est potentiellement nocif pour notre organisme.

Cette année, l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) a revu à la baisse la dose limite journalière de bisphénol A (BPA)
à ne pas dépasser pour notre organisme. Le seuil recommandé est 20 000 fois plus bas que le précédent.

Une boîte de thon

(100 grammes)
peut contenir
en moyenne
3,7 microgrammes
de bisphénol A.

Selon le seuil précédent,

l’ingestion journalière de 75 boîtes
de thon – dont l’emballage
contient cette substance –
ne présentait pas de risque
pour la santé d’une personne
pesant 70 kilos.

Concentration de bisphénol A
Microgrammes de BPA par kilo de produit emballé (en moyenne)

Snacks, desserts et autres aliments 52

Herbes, épices et condiments 41,4
Poisson et autres produits de la mer 37
Préparations alimentaires 37
Céréales et produits à base de céréales 36,6

SOURCES : EUROPEAN FOOD SAFETY AUTHORITY / “EL PAÍS”

Légumes, fruits à coques et oléagineux 34,6
Viande et produits carnés 31,5
Légumes et produits à base de légumes 23,5
Fruits et produits à base de fruits 13,4
Lait et laitages 4,9
Jus de fruits et de légumes 2,7
Selon une révision des données
Boissons alcoolisées 0,8
publiées cette année, une seule boîte
Boissons non alcoolisées 0,5 représente 264 fois la dose journalière
Aliments pour bébés et jeunes enfants 0,3 de BPA à ne pas dépasser.
Sucre et confiseries 0,2
Eau potable (en bouteille et du robinet) 0

EL PAÍS Le plus grand quotidien espagnol se veut mondial. Cette nocifs de l’exposition alimentaire au bisphénol A sur le système
infographie est extraite de son édition américaine. Elle a été publiée immunitaire humain. Une étude publiée depuis par l’Agence
le 28 août, quelques mois après que l’Autorité européenne de Européenne de l’Environnement a révélé la présence de BPA
La source sécurité des aliments (EFSA) a confirmé des effets potentiellement dans l’organisme de 92 % des 2 756 participants issus de 11 pays.
52. Courrier international — no 1721 du 26 octobre au 1er novembre 2023

360 MAGAZINE
“La Ferme des animaux” en shona • Culture ...... 60
Dernière séance à Recife • Cinéma .............. 61
La “propagande noire” • Histoire ............... 62
Courrier international — no 1721 du 26 octobre au 1er novembre 2023
↙ Dessin d’Alba Blazquez,
Espagne.
Les sorcières
sont de retour
Elles ne se cachent plus : elles défilent dans la rue,
hantent la Toile, collectionnent les vues sur TikTok.
De l’Allemagne aux États-Unis, les sorcières
nouvelle génération s’affichent, libres et assumées.
—Der Spiegel (Hambourg)
u-dessus de la table basse de son appar-
A
tement berlinois, Shisha Rainbow tend la
main et lance : “Gardien de la porte du Nord,
je t’invoque.” Puis elle allume une bougie
noire. Les gardiens des portes, commente-
t-elle, sont des êtres qui protègent le rituel
et donnent accès à “l’autre monde”. Quand toutes les
bougies sont allumées, la trentenaire écarte les bras.
“J’ouvre mes centres d’énergie, mes chakras.”
Rainbow, qui se présente comme une sorcière moderne,
veut jeter un sort de protection sur les bougies qu’elle a
fabriquées et qu’elle vendra plus tard. Elle a ajouté aux
bougies du jasmin pour les “vibrations positives”, des
pétales de rose pour l’estime de soi, du métal doré pour
la richesse. Rainbow ferme les yeux et tend ses paumes
vers l’avant. Elle reste ainsi un moment avant de prendre
PORTRAIT
congé des gardiens des portes. Au lieu de souler les
bougies, elle abaisse un gobelet sur les lammes jusqu’à
ce qu’elles s’éteignent. Ce qui serait plus respectueux.
Autrefois, Rainbow était maquilleuse, aujourd’hui
elle travaille comme sorcière professionnelle. Elle ne
ressemble pas à un personnage de conte de fées, mais
plutôt à une punk. Au lieu d’une cape, elle porte un petit
haut qui lui dénude le ventre, elle s’est teint les cheveux
et les sourcils en rose vif et ses ongles eilés sont vernis.
Dans ses vidéos, Rainbow explique par exemple com-
ment réaliser un philtre d’amour : on place un cercle
de leurs autour de soi, on boit un thé à la rose avec
du miel et on scande : “Bien-aimée Aphrodite, fais aussi
entrer l’amour dans ma vie.”
Elle montre également comment trouver de l’argent :
on dessine une rune sur un coquillage et on le jette
dans un plan d’eau quand la lune est croissante. Et elle
décrit comment contacter des êtres de l’autre monde
– ou comment repousser les attaques magiques avec des
piquants de porc-épic. Sur TikTok, elle fait également
la promotion de son livre, de son école de magie et de
ses consultations. Ce qui lui permet de gagner de quoi
360o. 53
vivre. Combien ? Autant que quand elle était maquil-
leuse – et assez pour partir en croisière ain d’écrire
son prochain livre.
La chaîne vidéo de Rainbow est loin d’être un coin
perdu dans les ténèbres de la Toile. Tout comme d’autres
witchfluencer, la sorcière moderne touche un public en
ligne de plus en plus étendu. Le hashtag #WitchTok hante
les réseaux sociaux depuis des années, les vidéos ont
été visionnées plus de 42 milliards de fois sur TikTok
dans le monde. Ce sont surtout des jeunes femmes
qui y racontent comment contacter les morts, tirer
les cartes ou utiliser des cristaux magiques. Il devient
possible de reproduire des rituels autrefois occultes,
presque comme dans les vidéos de recettes de cuisine.
D’où vient cette fascination pour ce mysticisme
supposé – et qui sont ces personnes qui se déinissent
comme des sorcières modernes ? Pourraient-elles consti-
tuer un danger pour les utilisateurs et utilisatrices ?
Plus de 40 % des habitants des 95 pays où des don-
nées représentatives sont disponibles sont convaincus
de l’existence des sorcières. C’est ce que révèle l’étude
“Witchcraft beliefs around the world” [“Croyance dans
54. 360o Courrier international — no 1721 du 26 octobre au 1er novembre 2023

la sorcellerie dans le monde entier”], publiée à la in de

2022. Mais cette croyance n’est pas répartie de façon
égale : en Tunisie, 90 % des personnes interrogées la
partagent ; en Allemagne, environ une personne sur
huit croit au mauvais œil.
La superstition n’est pas un phénomène nouveau, elle
est omniprésente dans l’histoire culturelle humaine. Dès
l’Antiquité, les gens croyaient aux oracles, à la magie, à
l’invocation des démons. À la in du Moyen Âge, les sor-
cières deviennent l’incarnation du mal qui pactise avec
Satan. Au début des temps modernes, la persécution
des personnes accusées d’être des sorcières et des sor-
ciers coûte la vie à d’innombrables personnes – le plus
souvent des femmes. Avec les récits des frères Grimm,
l’image de la sorcière vieille et laide des contes de fées
se répand. Une image à laquelle Rainbow est confron-
tée aujourd’hui encore.
Pourtant elle l’assure : “Je ne connais personne qui col-
labore avec le diable.” Mais elle est certaine que la magie
noire existe et que les malédictions peuvent avoir un
efet. Pour elle, son identité de sorcière est une foi.

ictoria Hegner, ethnologue à l’université

V
Humboldt, à Berlin, a mené des recherches
sur l’origine des sorcières actuelles et a par-
ticipé à plusieurs cérémonies de sorcellerie. → Sisha Rainbow
Accrochée au mur, une photo témoigne de chez elle, à Berlin,
ses expériences : on y voit des femmes danser ensorcelle
sur le Teufelsberg à Berlin. Vêtues de peaux, elles sont les bougies qu’elle
coifées de couronnes de leurs et de cornes. a fabriquées et qui
Victoria Hegner rappelle que les sorcières modernes sont destinées à la
sont apparues dans les années 1950 sous forme de contre- vente. Photo Nikita
culture ésotérique. Elles cherchaient à combler le fossé Teryoshin
entre une “rationalité urbaine désenchantée” et la nos-
talgie de la nature, de la vie en communauté, du lien avec
l’univers. Ensuite, dans les années 1960, les féministes traces des sorcières de ce type que marche Rainbow. plumes de paon sont censées protéger du “mauvais œil”.
ont réinterprété l’image efrayante de la sorcière. La sor- Elle dit cependant avoir adapté ses pratiques à la vie Dans un bocal, un bébé poulpe lotte dans du formol.
cière est devenue le symbole de la femme indépendante, moderne. L’énergie magique de la nuit de Walpurgis ne Rainbow se dépeint comme une mystique de la sixième
capable par elle-même de changer le monde à sa guise. se ressentirait pas seulement autour d’un feu dans la génération, mais reconnaît ne pas s’être toujours identi-
Les sorcières plus âgées que Victoria Hegner a ren- forêt, mais aussi ailleurs : en dansant dans un club ou iée comme une sorcière. Elle a grandi avec sa mère céli-
contrées au cours de ses recherches étaient des femmes dans une baignoire à la lueur des bougies. Le plancher bataire, se souvient de foires de l’ésotérisme, de visiteurs
qui vivaient à l’écart des courants dominants, souvent de son appartement est recouvert d’un tapis en peluche étranges, de guérisseuses spirituelles, de chamanes. “Je
célibataires, sans enfants, lesbiennes, et c’est sur les violet, des boules de cristal scintillent sur l’étagère. Des détestais ça, je pensais que c’était complètement débile.” Elle
ne parlait à personne des passions occultes de sa mère.
Mais à 12 ans, alors qu’elle désespérait d’avoir une
amie, elle a feuilleté un livre de sorts de sa mère. S’en
Le phénomène Mona Chollet inspirant, elle a inscrit son souhait sur un papier et l’a
laissé s’envoler dans les airs attaché à un ballon. Une
En France, la parution en 2018 de Sorcières. et d’aujourd’hui : des femmes indépendantes qui semaine plus tard, elle a rencontré la ille qui a ini par
La puissance invaincue des femmes aux éditions ne correspondent pas aux attentes de la société devenir sa meilleure amie. Adolescente, elle s’est plon-
La Découverte a fait date. Mona Chollet patriarcale. “C’est particulièrement vrai en gée dans des livres de sorcellerie et a commencé à dis-
y mène une rélexion sur l’héritage des chasses France. En efet, si les Français mettent la femme cuter avec les hôtes étranges qui passaient chez elle.
aux sorcières et sur les violences à l’encontre libre à l’honneur, la France n’en demeure pas Du moins le prétend-elle, mais cette histoire ne peut
des femmes. Dans le sillage du mouvement moins un pays qui, de sa iscalité à son solide pas être vériiée.
#MeToo, l’essai est devenu un livre générationnel. système de garde d’enfants, met en avant Professionnellement, elle devient maquilleuse, spi-
Un phénomène remarqué en Allemagne, la famille et la maternité. Ce n’est pas non plus rituellement, sorcière. Avec la pandémie, les conine-
où il a été traduit en 2020 aux éditions Nautilus, un hasard si cette vision de la féminité joue ments, elle perd des contrats, explique-t-elle. Par ennui,
et aux États-Unis, où il est paru en 2022 un rôle très important dans l’économie française, elle télécharge TikTok, poste d’abord des vidéos de pein-
chez St. Martin’s Press. “À l’aide de la igure puisque la France est numéro un mondial dans ture corporelle qui n’attirent que quelques vues. Elle
de la sorcière, elle critique le culte français le secteur de la beauté.” Le livre a fait découvrir change alors d’orientation, utilise son portable pour se
de la rationalité et cette croyance absolue dans des références féministes à ses plus jeunes ilmer en train de parler de sorcellerie.
les bienfaits de la technologie. […] En ce sens, lecteurs et lectrices, en synthétisant des travaux “Mon compte a explosé”, se réjouit Rainbow. Depuis,
la sorcière incarne un mode de vie alternatif antérieurs sur la igure de la sorcière. elle a mis en ligne des milliers de clips et acquis une
à la société capitaliste, industrielle et Une question dont se sont emparées de notoriété sur les réseaux sociaux, s’est parée d’une
uniformisée”, résume l’hebdomadaire Die Zeit. nombreuses autrices dès les années 1970, comme certaine autorité auprès de ses followers. Dans ses
Pour The New York Times, Chollet plaît les Américaines Starhawk ou Barbara Ehrenreich, vidéos, elle utilise des iltres de beauté sur son visage,
parce qu’elle réhabilite les sorcières d’hier et qui ne cesse d’être explorée depuis. danse, bavarde sur la magie, donne des détails sur son
“sort pour perdre du poids” : pour cela, il faut écrire
Courrier international — no 1721 du 26 octobre au 1er novembre 2023
“La sorcellerie peut aider les jeunes
femmes à croire en elles-mêmes,
à se démarquer.”
Victoria Hegner,
ETHNOLOGUE
sur un papier “je perds du poids”, y dessiner un pen-
tagramme et le brûler. Les internautes commentent :
“Tu peux faire de la magie ?” ou “Comment sait-on qu’on
est une sorcière ? Tout ça est tellement passionnant” ou
“Je trouve que la manipulation des énergies, etc. est plus
plausible qu’un dieu”.
Mais il y en a aussi qui écrivent : “C’est de la conne-
rie, pourquoi tu diff uses ça ?” Sur le web en particulier, la
frontière entre sorcellerie et théories du complot semble
ténue. Ce qui chagrine Rainbow. Elle croit aux décou-
vertes de la science. Tout en prétendant être capable
d’identifier des liens que les chercheurs ne peuvent pas
démontrer. Elle voit de la magie là où d’autres ne voient
que des coïncidences.
Ses amis plaisantent parfois en lui demandant de
faire apparaître une place de parking libre, une caisse
de supermarché ouverte. Ils ne croient pas à ses pou-
voirs magiques, pas plus que son partenaire. Cela n’a
pas beaucoup d’importance pour elle, souligne Rainbow,
car ses amis l’acceptent telle qu’elle est. “Grâce à eux,
je garde les pieds sur terre, ajoute-t-elle. Pour que je ne
dérive pas, que je ne devienne pas trop extrême et n’accepte
plus d’autres points de vue.”
Si certains doutent, d’autres croient. En Allemagne,
de plus en plus de gens se tournent vers les supersti-
tions pour expliquer le monde qui les entoure : chez les
360o. 55
40%
Allemands âgés de 18 à 24 ans, près de deux sur trois
croient par exemple aux horoscopes. Chez les plus de
55 ans, ils ne sont qu’un sur trois – selon un sondage
YouGov datant de 2021.
Pourquoi l’ésotérisme devient-il tendance ? Pour
l’ethnologue Victoria Hegner, “le climat, la pandémie, la DE LA POPULATION DE
guerre y concourent – la science n’a pas réussi à résoudre 95 PAYS EN EST CONVAINCUE,
les problèmes du monde”. Alors, en période de crise, les il existe des sorcières qui
gens douteraient de leurs convictions et se tourne- peuvent utiliser leurs capacités
raient parfois vers d’autres visions du monde. Les sor- surnaturelles pour nuire aux autres,
cières n’appartiendraient plus à une contre-culture, selon une étude publiée
mais à un courant dominant de plus en plus diversifié. en novembre 2022 sur le site de
“La sorcellerie peut aider plus particulièrement les jeunes publication scientifique Plos One.
femmes à croire en elles-mêmes, à se démarquer – et à se Pour parvenir à ce résultat,
sentir légitimées dans un monde dont les règles sont par l’auteur, l’économiste
ailleurs plutôt rigides”, poursuit Victoria Hegner. Boris Gershman, de l’université
de Washington D.C., a compilé
n avis que ne partage pas la publiciste Katharina des données provenant de 95 pays,
U
Nocun. Dans son livre intitulé Gefährlicher s’appuyant sur des enquêtes
Glaube [“Dangereuses croyances”], elle critique réalisées en 2008 et 2017
la scène spirituelle. Interrogée à ce sujet au auprès de 140 000 personnes.
téléphone, elle met en garde : “L’ésotérisme paraît Résultat : plus de 40 %
inoffensif, mais il peut faire énormément de mal.” des personnes interrogées
Ce sont justement les jeunes à la recherche de repères ont déclaré croire que “certaines
qui sont vulnérables – les rituels magiques peuvent personnes peuvent lancer
alors “donner l’illusion que l’on contrôle la situation, se des malédictions ou jeter
présenter comme une solution prétendument simple à des des sorts et nuire aux autres”.
problèmes graves”. Mais si quelqu’un reste dans une Un chiffre dont la portée
relation toxique sur le conseil d’une “sorcière”, ou ne mondiale reste limitée, souligne
demande pas d’aide thérapeutique en cas de maladie la Süddeutsche Zeitung,
psychique, cette personne se met en danger, souligne qui avait commenté l’enquête
Katharina Nocun. au moment de sa parution.
Internet a bouleversé le monde des sorcières. “Le Bien que les régions couvertes
risque, avec les réseaux sociaux, c’est que l’entourage ne représentent environ la moitié
remarque que très tard quand quelqu’un est de plus en plus de la population adulte mondiale,
à la dérive”, s’inquiète Katharina Nocun. Un effet que l’étude ne comporte pas
les algorithmes ne feraient que renforcer. Qui reste d’informations sur la Chine,
plus longtemps sur une vidéo de sorcière se verra pro- l’Inde et certains pays africains,
poser davantage de vidéos de ce genre. “Les utilisatrices et peu de pays de l’Asie de l’Est
se retrouvent dans une bulle qui ne cesse de les conforter et du Sud-Est sont cités.
dans une vision ésotérique du monde.” Et les différences régionales sont
Shisha Rainbow reconnaît qu’il existe effectivement très importantes. Ainsi, seulement
des sorcières qui profitent du désespoir des autres. “Et 9 % des personnes interrogées
je dois l’admettre, personne ou presque dans le milieu n’at- en Suède ont déclaré croire
tire l’attention sur les dangers.” Car on pourrait ainsi à la sorcellerie, tandis qu’en Tunisie
faire fuir les clientes potentielles. Elle-même a un jour la proportion s’élevait à 90 %.
déconseillé à une cliente de verser une somme considé-
rable à une autre “sorcière” afin qu’elle la libère d’une
malédiction.
Rainbow facture ses healing sessions [“séances de
soins”] 299 euros. Au cours de l’appel WhatsApp, qui SOURCE
dure une heure, on apprend par exemple à “se défaire de
ses blocages” avec elle. Elle nous fait visiter son atelier. DER SPIEGEL
C’est devant un écran étoilé qu’elle filme ses vidéos. Hambourg, Allemagne
Rainbow a transformé sa chaîne de sorcières en usine à Hebdomadaire, 655 371 ex.
magie : dans l’école qu’elle gère en ligne, on peut aussi spiegel.de
apprendre à pratiquer soi-même la sorcellerie, la “for- Un grand, très grand
mation complète de sorcière” coûte 2 222 euros. Rainbow magazine d’enquêtes,
y explique en vidéo “l’art de la lecture des os”, contrôle les lancé en 1947, agressivement
“connaissances” acquises et délivre ensuite un certificat indépendant, et qui a
de sorcellerie qu’elle a établi. révélé plusieurs scandales
Rainbow nous raccompagne à la porte. Elle jette un politiques.
bref coup d’œil à son smartphone, son téléphone pro- Depuis sa création, le Spiegel
fessionnel. Elle ne l’allume plus qu’une fois par jour, a choisi la ligne du journalisme
met en ligne de nouveaux clips, ne lit plus les commen- d’investigation. Il est
taires. Tout le reste, dit-elle, nuit à sa santé psychique. le magazine d’actualités
—Alexander Kauschanski, allemand à la plus large
publié le 2 juin diffusion.
56. 360o
Une génération ensorcelée
Chez les jeunes Anglo-Saxons, la religion organisée est en déclin, au profit
d’autres croyances nourries de rituels, de charmes et de sorts. Ce sont surtout
les femmes qui rejettent la rigidité et le patriarcat des religions traditionnelles.
—New Statesman, extraits (Londres)
etty pratique la magie depuis seize ans. Elle
N
a efectué un rituel pour obtenir son emploi
actuel dans la banque. Elle est convaincue que
les augmentations de salaire qu’elle a eues sont
dues à ceux qu’elle a faits par la suite. Une fois,
elle a exercé un rituel pour que son patron
l’aime davantage. Un autre lui a valu de trouver l’amour
de sa vie il y a sept ans. Elle a toujours le pot de miel dont
elle s’était servi pour cela – elle y avait mis des herbes, sa
demande et une capsule de Corona que l’homme qu’elle
visait avait jetée. Il est au courant, m’assure-t-elle.
Courrier international — no 1721 du 26 octobre au 1er novembre 2023
Élevée dans le catholicisme, Netty n’a pas complè-
tement renié sa religion et ne voit rien de contradic-
toire dans le fait d’opérer des rituels et de prier les
saints. On pourrait la qualiier de sorcière chrétienne.
Et igurez-vous qu’il y en a des milliers.
La religion organisée est en déclin. Les gens se
détournent de plus en plus de l’Église dans les pays occi-
dentaux. Des milliers d’églises, de moins en moins fré-
quentées et à bout de ressources, ferment chaque année.
Le recensement de 2021 sur la religion en Angleterre et
au pays de Galles en a alarmé plus d’un : pour la pre-
mière fois depuis la première enquête, en 1810, moins
de la moitié de la population se déclarait chrétienne, soit
← Dessin d’Alba Blazquez,
Espagne.
72 % de moins que vingt ans plus tôt. Les personnes qui
cochent la case “sans religion” représentent désormais
37,2 % de la population, c’est la réponse qui arrive en deu-
xième position. Statistiquement parlant, le Royaume-Uni
est désormais l’un des pays les moins religieux du monde.
C’est la même histoire de l’autre côté de l’Atlantique.
En 2020, moins de la moitié des Américains faisaient
partie d’une église, d’une synagogue ou d’une mos-
quée. C’était la première fois que le nombre de pra-
tiquants passait sous la barre de la majorité depuis
quatre-vingts ans que Gallup faisait cette étude. On
constate la même tendance au Canada, en Australie,
en Nouvelle-Zélande et en Europe.
En revanche, d’autres formes de spiritualité pros-
pèrent, ce que conirment les statistiques. D’après une
étude réalisée par le Pew Research Center en 2017, un
quart des Américains se considèrent comme “spirituels
mais pas religieux”. Les jeunes sont plus susceptibles de
croire en la vie après la mort que les générations plus
âgées, même s’ils sont moins religieux en général, selon
l’enquête mondiale sur les valeurs publiée cette année.
La sorcellerie est l’une des autres formes de spiritua-
lité qui montent : le hashtag #WitchTok compte plus de
45 milliards de vues sur TikTok. Les inluenceurs sor-
ciers prolifèrent sur les réseaux sociaux. Sur Instagram,
8 millions de posts tagués #WitchCraft expliquent
comment, sur quoi et quand faire de la magie : rituels
lunaires, malédictions, tarots, potions aux herbes,
sorts. Certaines pages de Reddit, par exemple r/Witch
(101 000 membres) et r/Witchcraft (380 000 membres)
voient passer des centaines de commentaires chaque
jour. On demande et on donne des conseils : comment
exécuter un sort d’amitié, faire sécher des herbes, char-
ger des cristaux, faire de la divination par les bougies.
Des pratiques qui ont été pendant des siècles en marge
et parfois hérétiques sont de plus en plus acceptées,
voire révérées, en particulier chez les jeunes.
Dans ce contexte, on assiste à un phénomène inté-
ressant : les gens troquent de plus en plus la religion
pour la magie ou tentent de marier les deux.
Netty a 38 ans et vit à Las Vegas. Elle a grandi à New
York au sein d’une famille hispanique et catholique stricte
dans laquelle le dogme déinissait la féminité, la foi et
le monde en général. Elle a fait sa première incursion
dans la magie quand elle avait 13 ans, alors qu’elle souf-
frait de terreurs nocturnes et de paralysie du sommeil
que la religion ne pouvait ni expliquer ni calmer. Elle
a suivi une forme de méditation prescrite par un livre
– The Occult Truth [Vampires. La vérité occulte, éditions
Ada] de Konstantinos –, et ses terreurs ont disparu.
Aujourd’hui, sa foi est holistique : elle trouve la vérité
dans toutes les religions. Elle puise dans la magie popu-
laire américaine pour les bénédictions, fait appel aux
saints catholiques, utilise les techniques bouddhiques de
puriication pour débarrasser ses amis Reddit de leurs
problèmes de fantômes. En quittant les structures reli-
gieuses traditionnelles, elle a pu prendre le pouvoir sur
son développement spirituel. “Je trouve ça très restrictif,
déclare-t-elle au sujet du catholicisme. C’est beaucoup
trop rigide. Toutes les religions possèdent une spiritualité,
elles coexistent comme ça, mais tout le monde se demande
quelle réponse est la bonne ou la mauvaise. On ne peut pas
avoir tout ensemble ? Les saints et les bodhisattvas [sages
bouddhistes] ne peuvent-ils pas être tous super ?”
Courrier international — no 1721 du 26 octobre au 1er novembre 2023 360o. 57

Je me demande si c’est le déclin général de la reli-

gion qui pousse les individus à choisir les croyances qui Sur les écrans, trois sorcières bien-aimées
marchent pour eux. “Les gens sont beaucoup plus ouverts
et libres d’esprit aujourd’hui, fait remarquer Netty. Et puis SÉRIE. MERCREDI SOUS JEU VIDÉO. FORTUNA, CINÉMA. SHULA
c’est beaucoup plus enthousiasmant : la magie, c’est sympa, UN NOUVEAU JOUR LA BONNE CARTE AU BOUT DU RUBAN
personnalisé, ça vous donne le pouvoir sur votre vie.” Lorsqu’elle a débarqué sur Fortuna se sent seule. Attaché dans son dos, un long
Nombre des personnes qui ont quitté les religions éta- Netlix, en 2022, dans la série Cette “sorcière immortelle” ruban blanc l’empêche de partir
blies pour la sorcellerie font valoir que l’Église a fortement qui porte son nom, elle a eu a été “bannie sur un astéroïde pour le lointain. Shula, illette
contribué à l’oppression des femmes et que la religion un succès monstre. Fille aînée étonnamment luxueux” au regard grave, est l’héroïne
est toujours un moyen d’étoufer leurs droits dans cer- de la famille Addams, Mercredi pour avoir prophétisé d’un ilm plein de rêve
tains pays. L’Église est pour eux incompatible avec l’idée (Jenny Ortega) n’est pas une une catastrophe devant et de poésie, I Am Not a Witch
qu’ils ont d’eux-mêmes et de la gestion de leur destin. La sorcière à proprement parler. s’abattre sur ses consœurs, (“Je ne suis pas une sorcière”).
sorcellerie célèbre le pouvoir féminin et les sorcières ont Mais dans la première saison relate le site spécialisé Elle vit dans un camp de
été persécutées par l’Église. Ce rejet de la religion éta- de ses aventures, coréalisées américain Rock Paper sorcières comme il en existe
blie constitue aussi un doigt d’honneur à une institution par Tim Burton, elle découvre Shotgun. L’héroïne de dans plusieurs pays d’Afrique,
jugée intrinsèquement patriarcale, une reconnaissance l’existence dans son ascendance The Cosmic Wheel Sisterhood où l’on enferme des femmes
d’impuissance et une tentative de reprendre le pouvoir. d’une certaine Goody Addams, (sorti le 16 août et développé accusées de sorcellerie,
Sarah a grandi dans une famille évangélique du qui, au xviie siècle, a été envoyée par le studio espagnol selon des coutumes qui doivent
Hertfordshire. La vie était ponctuée de jugements sur au bûcher pour sorcellerie. Deconstructeam) passe beaucoup “à la misogynie
tout, de l’important à l’insigniiant, de la sexualité aux Ironie que souligne le magazine alors un pacte avec le démon et à l’exploitation”, conie
bijoux. “On nous enseignait que les épouses devaient être Time, elle voulait protéger les Abramar pour créer un tarot au London Evening Standard
soumises à leur mari, se souvient-elle. On nous enfon- premiers colons de la bigoterie de toutes pièces. Avec elle, la réalisatrice zambienne
çait ça dans le crâne très tôt.” Elle récite un verset de et du puritanisme. Les sorcières, le joueur réinvente à sa guise Rungano Nyoni. Sorti en 2017,
l’“Épître aux Ephésiens” : “‘Femmes soyez soumises à ce sont toujours celles les arcanes du tirage son ilm est disponible
vos maris comme au Seigneur. Car le mari est le chef dont une société ne veut pas. de cartes. sur Amazon Prime et MyCanal.
de sa femme comme le Christ est le chef de l’Église.’
Les femmes devaient se couvrir car elles étaient respon-
sables des désirs sexuels des hommes. C’est efrayant de
penser qu’on vous colle cette responsabilité dès que vous “La masturbation était considérée comme une chose sale, bénir les unions de couples homosexuels, mais les tra-
commencez à avoir l’air d’une femme.” ce n’était pas permis. Je n’ai même pas essayé. Le sexisme ditionalistes ont réagi violemment. Les Britanniques
Sarah a épousé un homme dont elle avait fait la est un gros problème pour moi, conie Netty. Même si sont plus nombreux à penser que des extraterrestres se
connaissance à l’église quand elle avait 15 ans. Il avait vous devenez religieuse, vous serez toujours subordonnée sont rendus sur Terre qu’à voir la religion d’un bon œil.
17 ans de plus qu’elle – ils ont divorcé depuis. Avant la aux hommes. Vous ne pouvez pas devenir chef dans votre “Croire, c’est ça qui est important, déclare Lisa, 28 ans,
cérémonie, elle avait suivi un cours de préparation au propre religion. Moi, j’aurais été prêtre si j’avais eu le droit.” une protestante qui est devenue sorcière verte (sa magie
mariage qui précisait le rôle de chaque sexe. Il était inter- Sarah a quitté l’Église à 25 ans et a trouvé la liberté, est enracinée dans le monde naturel). Que ce soit les
dit d’exprimer ou d’explorer la sexualité à la maison, même si elle a perdu une grande partie de sa famille. herbes, les rituels ou Dieu, ce qu’il nous faut, c’est du sens.
raconte-t-elle, et la sienne ne s’est développée que bien Elle croit toujours en un être suprême, mais pas celui- Un moyen d’avoir foi et espoir au lieu d’être victime.”
plus tard dans la vie. là. Elle passe beaucoup de temps à parler aux morts, à Peut-être le déclin des religions organisées n’illustre-
Jésus à d’autres dieux et aux anges. Elle étudie les thèmes t-il pas notre absence de foi mais notre désillusion envers
astraux, les tarots et le paganisme, et efectue des rituels ce qu’incarne l’Église et les prescriptions qu’elle impose
“Le sexisme [dans la religion] pour faire venir la chance ou couper tout lien avec un ex. aux idèles. Les pratiques spirituelles et les rituels nous
est un gros problème pour moi. Le lien qui unit toutes les histoires que j’entends, c’est ancrent. Nous en avons toujours besoin. Et nous continue-
Même si vous devenez religieuse, la conviction que l’Église n’est plus en contact avec le rons à en chercher même si la messe du dimanche ne fait
monde moderne, ce qu’illustre sa position sclérosée sur pas partie de cette quête. La foi n’est pas en train de dis-
vous serez toujours les droits des LGBTQI. Le pape François a fait quelques paraître, elle se manifeste simplement de façon diférente.
subordonnée aux hommes.” tentatives timides de modernisation, l’Église d’Angle- —Jessica Rawnsley,
Netty, 38 ANS terre a décidé en février de permettre aux prêtres de publié le 14 août

présentent

LES JOURNÉES DE L’ORIENTATION

PARCOURSUP ET LES
ÉCOLES DE COMMERCE
25 NOV. 2023 | PARIS

INSCRIPTION GRATUITE SAGE.GROUPELEMONDE.FR

58. 360o
“On sort
du placard
à balais”
À Wickford, en Nouvelle-Angleterre,
les traditionnelles parades de sorcières
d’Halloween se sont muées
en véritables “marches des fiertés”.
—The Boston Globe, extraits (Boston)
es sorcières dansantes de Wickford ont ouvert
L
la porte du placard à balais à coups de pied – et
elles ne le regrettent pas. Par leurs chorégraphies,
ces enchanteresses ont su gagner le cœur des
habitants de cette petite station balnéaire du
Rhode Island et elles espèrent que leur popularité
grandissante leur permettra aussi d’ouvrir les yeux des
gens sur la sorcellerie.
Mais d’abord, réglons leur compte aux stéréotypes.
Laissez tomber le visage vert et la pomme empoison-
née, c’est insultant et blessant. Disney n’a décidément
pas rendu service aux sorcières. Le chapeau pointu et le
balai, d’accord, mais que l’on n’oublie pas qu’il n’y a pas
qu’une seule catégorie de sorcières. Il y a des voyantes,
Courrier international — no 1721 du 26 octobre au 1er novembre 2023
des herboristes, des chrétiennes, des païennes, d’autres of the Witch [“La Saison de la sorcière”]. C’est un peu
encore qui se déclarent empathes. “Pour être honnête, comme si les sorcières du Rhode Island avaient réussi
tout le monde pratique la sorcellerie, explique Nancy Rai, à trouver la recette pour montrer au monde que les sor-
65 ans, la sorcière en chef de la Guilde des sorcières du cières ne sont pas des harpies malveillantes toujours
Rhode Island. Si vous allez à une fête d’anniversaire, que prêtes à jeter un mauvais sort.
vous faites un vœu et que vous soulez des bougies, vous pra- La danse, le déilé et le bal organisés [le 21 octobre] à
tiquez cet art. C’est comme un sort. Les gens font des tas de Wickford sont davantage qu’un simple divertissement.
choses qui reposent là-dessus sans le savoir.” La guilde est un moyen de créer des liens, de se faire
Nancy Rai pratiquait en privé mais a décidé un jour des amies et d’alléger le poids de la stigmatisation que
de se faire connaître. En 2021, elle a annoncé sur les nombre d’entre elles ressentent du fait d’être sorcières.
réseaux sociaux qu’elle cherchait d’autres sorcières pour Susan Clements, 73 ans, la propriétaire de la bou-
participer avec elle au “Déilé des horribles” qui a lieu tique Earth & Ocean Herbals, à North Kingstown,
tous les ans à Wickford pour Halloween. Elle avait vu confie avoir eu droit à des moqueries pendant des
une vidéo sur YouTube montrant des sorcières qui exé- années. Elle est herboriste et a commencé à pratiquer
cutaient une chorégraphie sur un morceau de reggae- son métier au début des années 1980. Elle avait aupa-
punk en Allemagne et a décidé d’en faire autant. À sa ravant une autre boutique à Wickford et on l’appelait
grande stupéfaction, 147 sorcières et non-sorcières se “la sorcière du village”. Ce n’était pas un compliment,
sont manifestées. En 2022, le nombre de par- “certains parents interdisaient à leurs enfants
ticipants est passé à 482 personnes issues de de venir dans mon magasin”, se souvient-elle.
douze États [américains] et du Canada. Et le Susan Clements a été nommée meilleure sor-
déilé s’est transformé en une marche des ier- cière du déilé 2022. Elle était ravie. C’était
tés des sorcières. “Le centre de Wickford n’avait REPORTAGE comme si le travail qu’elle fait depuis des
jamais vu autant de monde. Il y a eu entre 3 000 et décennies était enin reconnu.
3 500 spectateurs, selon la police. Toute la ville s’est arrêtée.” C’est la même chose pour les autres membres de la
Il est peu étonnant que Wickford soit devenu un point guilde : elles ne se sentent plus seules. “Cela a été un
de ralliement pour les sorcières. Les Sorcières d’Eastwick, vrai bonheur de trouver des femmes comme moi”, conie
le livre de John Updike paru en 1984 (dont a été tiré un Katie-lyn Merolla, 49 ans. Elle est médium et pratique
ilm, du même intitulé, sorti en 1987), se déroule dans également les soins par les cristaux. “Il y a beaucoup
une version ictionnelle de cette petite ville. d’ignorance sur ce que nous faisons.” Cette ignorance
Lors d’une récente répétition à Newport, les sor- remonte à des siècles. Longtemps avant les procès des
cières ont dansé sur Schüttel deinen Speck [(“Secoue sorcières de Salem [en 1692 et 1693], des femmes étaient
ton lard”), de Peter Fox] et travaillé sur de nouveaux accusées de sorcellerie, mises à l’écart de leur commu-
morceaux, dont une reprise par Lana Del Rey de Season nauté, battues et tuées. Le stéréotype du visage vert de
la sorcière remonte à l’époque où elles étaient torturées
au point de provoquer chez elles une gangrène ou que
leur visage et leur corps soient couverts d’hématomes.
Menaces et insultes. Malheureusement, les sorcières
sont toujours mal vues. Nancy Rai reçoit des messages
de menaces et d’insultes. Elle n’est pas la seule. “Dans les
années 1980, j’ai dû prendre une décision : est-ce que j’an-
nonce publiquement que je suis une sorcière ou est-ce que
je reste dans le placard à balais ?” conie Cheryl Solyma-
Masson, professeure de danse du ventre, inirmière et chef
de la Guilde des sorcières du sud-est du Massachusetts,
récemment créée. “J’ai décidé que je devais à mes enfants
et aux générations futures d’être une sorcière publique.”
Certains membres de la guilde du Rhode Island ne sont
pas des sorcières. L’organisation est ouverte à tous et
tout le monde peut participer aux événements, même les
hommes, à condition d’avoir bon cœur et l’esprit ouvert.
Susan St Pierre est membre de la guilde de Providence
et de celle du sud-est du Massachusetts, mais elle n’est
pas sorcière. Elle vient pour la danse et les copines.
Depuis la création de la guilde du Rhode Island, Nancy
Rai est contactée par des femmes de tout le pays qui
souhaitent créer leur propre chapitre. On comprend
qu’il y ait de la demande : ces sorcières et leurs amis
ne cherchent qu’à faire le bien, à s’amuser et à aider
les autres. “Elles sont absolument merveilleuses”, déclare
Ellie Lupo, 83 ans. Ancienne danseuse classique et cho-
régraphe, elle a trouvé auprès des sorcières un nouvel
espace pour danser après le décès de son mari et s’est
fait beaucoup d’amies par la même occasion. “Leur vrai
pouvoir, c’est la positivité et les sourires qu’elles font naître
← Dessin sur les lèvres de toutes les personnes qu’elles croisent.”
d’Alba Blazquez, —Christopher Muther (de Wickford, Rhode Island),
Espagne. publié le 12 octobre
 HORS-SÉRIE

L’ATLAS
DES
6 000 ANS
D’HISTOIRE
150 CARTES
& INFOGRAPHIES

L’égalité, une utopie nécessaire

Économiques, sociales, culturelles, géographiques, politiques,
les inégalités sont au cœur de toutes les sociétés. Cet Atlas,
riche de cartes, d’infographies et d’analyses originales met en
lumière les différences de statut, de revenus, de patrimoine ;
les discriminations liées au genre, à l’âge, à la couleur de
la peau ; les distorsions de développement entre Nord et Sud…
De la préhistoire à aujourd’hui, un voyage indispensable pour
construire un monde équitable.
L’ATLAS DES INÉGALITÉS
Un hors-série
164 pages - 14,90 €
chez votre marchand de journaux
et sur Lemonde.fr/boutique
60. 360o Courrier international — no 1721 du 26 octobre au 1er novembre 2023

culture. ↙ Dessin d’Ale+Ale,

Italie.

intellectuel panafricain”, rappelle Tinashe classique de la langue, les personnages

Mushakavanhu, chercheur en littéra- parlent avec des accents régionaux.
ture africaine et comparative à l’univer- Sage l’Ancien, le sanglier dont les dis-
sité d’Oxford. cours galvanisants poussent les ani-
Encouragés par leur nouveau chef maux de la ferme à se révolter contre
d’État, lui-même grand lecteur et ancien leur maître, s’exprime en karanga, le dia-
professeur devenu révolutionnaire, Robert lecte de l’actuel président du Zimbabwe,
Mugabe [qui a dirigé le pays
de 1987 à 2017], les auteurs
LITTÉRATURE Emmerson Mnangagwa [réélu
le 23 août, à 80 ans, lors d’un
zimbabwéens ont commencé à traduire scrutin entaché d’irrégularités]. Brille-
en shona les œuvres de la littérature Babil, le ministre de la Propagande de
africaine, par exemple Et le blé jaillira Napoléon, parle une forme de shona de
de l’écrivain kényan Ngugi wa Thiong’o l’est du Zimbabwe qui est parsemée de
[traduit en français aux éditions Julliard termes anglais “parce que son personnage
en 1969]. “Ces traductions s’inscrivaient adore l’emphase et les mots compliqués”,
dans un projet politique bien plus large”, une explique Petina Gappah. Les moutons
volonté d’ouvrir le Zimbabwe au reste du en revanche parlent en argot.
monde, explique Mushakavanhu. “C’était La traduction, par conséquent, fait res-
une manière d’abolir les frontières.” sortir les ressorts comiques du livre et
tout son humour noir. “L’un des contre-
Paranoïa et injustice. Mais à mesure coups de l’isolement du Zimbabwe ces vingt-

“La Ferme des animaux”, que les décisions de Mugabe, à l’instar cinq dernières années, c’est que nos écrivains
de celles du dictateur porcin Napoléon ont été contraints de devenir politiques, d’ex-
dans La Ferme des animaux, devenaient pliquer constamment les maux de notre sys-

récit zimbabwéen de plus en plus paranoïaques et injustes, tème politique, dit-elle. Nous avions perdu
la communauté littéraire du pays a péri- cette capacité à jouer avec la langue et à
clité. Même s’ils n’ont pas été harcelés et faire de l’humour.”
emprisonnés comme les journalistes, les Maintenant que Chimurenga chemhuka
auteurs de iction ont soufert de l’iso- est terminé, les auteurs envisagent d’of-
Le roman dystopique de George Orwell a été traduit lement progressif du pays, ainsi que de frir d’autres traductions tout aussi per-
en shona, une des langues officielles du Zimbabwe. son efondrement économique dans les tinentes aux Zimbabwéens. “Les gens
années 1990 et au début des années 2000. retiennent mieux quand ils lisent dans leur
Il y gagne des échos avec l’actualité politique locale. Au moment où Mugabe a entamé son propre langue, et nous voulions qu’ils com-
troisième mandat [en 2002], la plupart prennent qu’une traduction en shona est aussi
des auteurs zimbabwéens publiaient leurs complète que l’original en anglais, explique
—The Christian Science Monitor, animaux en Chimurenga chemhuka – soit, écrits à l’étranger et y vivaient. Parmi eux Muchuri. Notre prochain projet est de tra-
extraits (Boston) littéralement, “La Révolution animale”. se trouvaient Petina Gappah, qui travail- duire Jules César, la pièce de Shakespeare.”
Leur traduction a été publiée en début lait comme avocate à Genève quand elle

Q
uand la romancière zimbabwéenne
Petina Gappah a lu pour la première
fois La Ferme des animaux de George
Orwell, elle a été bouleversée. Elle avait
alors 13 ans et se sentait bien seule dans le
pensionnat où elle était scolarisée. Cette
histoire d’un groupe d’animaux qui ren-
d’année.
L’objectif était de toucher une nouvelle
génération de lecteurs zimbabwéens avec
ce classique de la littérature, mais aussi de
repenser la place des langues africaines
dans la littérature. “Il y a un paradoxe au
Zimbabwe et dans un grand nombre d’autres
—Ryan Lenora Brown,
a publié en 2009 son premier recueil de publié le 27 juillet
nouvelles [traduit en français chez Plon
en 2010, sous le titre Les Racines déchi-
rées. Histoires]. En kiosque
En 2015, elle évoque sur Facebook son
idée de traduire La Ferme des animaux en
langue shona. “Un groupe d’amis et moi Hors-série Octobre-novembre 2023

versent un régime injuste pour inir par
être trahis par leur chef l’a fait “pleurer”,
se souvient-elle.
Quelques années plus tard, elle a relu le
livre à l’université et a découvert que La
Ferme des animaux [ouvrage initialement
publié en 1945] était une allégorie de la
révolution russe [qui, en 1917, a porté les
bolcheviks au pouvoir]. “J’ai alors conçu un
nouveau respect pour cette œuvre.”
Mais c’est seulement à la troisième relec-
ture, bien des années plus tard, avec son
ils adolescent, qu’elle s’est rendu compte
que ce cycle de révolution et de trahison
était “une histoire vraiment zimbabwéenne”.
Et cette découverte en a amené une autre :
il fallait absolument traduire le livre en
shona, l’une des langues oicielles les plus
parlées du Zimbabwe.
Dans les années qui ont suivi, Petina
Gappah et Tinashe Muchuri, un poète, ont
pris la tête d’une équipe d’écrivains zim-
babwéens pour transformer La Ferme des
pays africains : l’anglais est considéré comme
la langue de la modernité, alors que notre
langue maternelle est celle des ancêtres”,
déplore Petina Gappah. “Nous voulions
montrer qu’on peut lire des classiques en
langue shona sans rien perdre des subtilités
de l’anglais, parce que le shona est aussi une
langue très moderne.”
Bien sûr, ce n’est pas le premier ouvrage
de littérature étrangère à être traduit en
shona. Quand le Zimbabwe est devenu
indépendant [en 1980] et s’est libéré du
joug d’un gouvernement brutal dirigé par
une minorité blanche, ses écrivains ont
immédiatement rejoint “le mouvement
“Le Zimbabwe a été très
isolé, or la traduction est
un moyen de se rapprocher
des autres cultures.”
Petina Gappah,
ROMANCIÈRE ET TRADUCTRICE
avons pensé que ce serait marrant de faire
découvrir ce livre à de nouveaux lecteurs
dans toutes les langues parlées au Zimbabwe,
pouvait-on lire dans son post. Ce projet
nous tient à cœur parce que le Zimbabwe
a été très isolé ces dernières années, or la
traduction est un moyen de se rapprocher
des autres cultures et des autres peuples.”
Une vingtaine d’auteurs se sont mani-
festés, et le groupe a commencé à se mettre
au travail. Mais inalement ce sont Petina
Gappah et Tinashe Muchuri – qui écrit
en shona –, qui se sont attelés à la tâche.
Muchuri avait envie de traduire Orwell
parce que la construction du récit était
très proche de la manière de raconter
des histoires au Zimbabwe, dit-il. “Notre
culture utilise souvent des animaux pour
critiquer les individus et la société.”
Pour familiariser les lecteurs zimba-
bwéens avec le récit d’Orwell, les traduc-
teurs ont eu recours aux dialectes shona.
Si la narration est rédigée dans la forme
La bataille
des langues
LA BATAILLE DES LANGUES
Pourquoi est-il si important
de parler ukrainien en Ukraine,
cantonais à Hong Kong ou
swahili en Afrique ?
Notre hors-série est en vente
chez vos marchands de journaux.
Retrouvez-y les meilleurs articles
que nous avons sélectionnés dans
la presse étrangère. Ils décrivent,
sur tous les continents,
des langues en perpétuel
mouvement, qui s’afrontent,
disparaissent ou se réinventent.
Courrier international — no 1721 du 26 octobre au 1er novembre 2023
plein écran.
le Recife du xxe siècle, que le ilm atteint
Dernière séance son zénith. Entre humour et mélancolie,
le réalisateur fait revivre les temps glo-
rieux des cinémas de quartier comme
à Recife l’Art Palácio et le Trianon, somptueux
et disparus. Il faut saluer le remarquable
travail de recherche efectué, qui nous
livre non seulement des images jusque-
Dans le documentaire Portraits fantômes, en salles là “perdues”, mais aussi des informations
ce 1er novembre, le cinéaste brésilien Kleber Mendonça Filho méconnues – les deux cinémas cités ont
livre une émouvante déclaration d’amour à sa ville natale été construits à l’origine pour l’UFA, la
de Recife et aux cinémas disparus de sa jeunesse. grande société de production allemande
qui était l’organe cinématographique de
la propagande nazie [dans le cadre d’un
éphémère projet de soft power lancé par
le IIIe Reich avant que le Brésil ne inisse
par lui déclarer la guerre en août 1942,
rejoignant les Alliés].
Portraits fantômes fonctionne aussi,
dans une certaine mesure, comme un
grand patchwork de fragments de l’his-
toire de Recife telle que l’audiovisuel
l’a gravée. Le ilm est jalonné de scènes
surprenantes et attachantes pour qui
connaît la ville, comme lorsqu’on voit
Tony Curtis et Janet Leigh, couple star
d’Hollywood, flânant dans [le quar-
tier chic de] Boa Viagem et sur le pont
Duarte Coelho.
Kleber Mendonça Filho tient à nommer
chacun de ses personnages, des plus
célèbres aux plus anonymes. Il accorde
une attention toute particulière à Seu
Alexandre, qui fut le projectionniste de
l’Art Palácio, en incluant des entretiens
—Folha de Pernambuco (Recife) famille plusieurs décennies durant, Kleber qu’il a lui-même réalisés il y a trente ans,
Mendonça Filho choisit de mener la dis- alors que le cinéma était sur le point de
Q ui se rend en salle pour découvrir cussion cinématographique au cœur de
Portraits fantômes en s’attendant, l’intime. Là, il nous présente sa mère,
comme indiqué dans le synopsis, l’historienne Joselice Jucá, des images
à voir un ilm sur les anciens cinémas de sa propre jeunesse, mais aussi des
fermer. Le récit chargé d’émotion de l’an-
cien employé donne une dimension très
humaine aux questions abordées dans
le ilm. Un cinéma qui ferme, c’est bien
du centre-ville de Recife sera peut-être moments avec ses enfants et son épouse. plus qu’une salle déinitivement obscure
étonné, au moins dans un premier temps, Cet espace familial est aussi profondé- et un bâtiment désafecté.
de voir Kleber Mendonça Filho faire débu- ment lié au septième art, puisque l’ap- —Daniel Medeiros,
ter son long-métrage dans l’ap- partement a servi de cadre à ses publié le 24 août
partement où il a lui-même vécu CINÉMA premiers films, y compris celui
durant quarante ans, à Setúbal, dans qui l’a révélé, Les Bruits de Recife (2012). Courrier international est partenaire
les quartiers sud de la ville [capitale de Le réalisateur et son monteur, Matheus de ce film.
l’État du Pernambouc, sur la côte nord- Farias, ont eu l’idée brillante, entre cette
est du pays]. Ce choix s’éclaire cepen- première partie et la suite du ilm, d’unir,
dant lorsqu’on considère l’ensemble du par une coupe sans transition, une image
ilm qui, dès ses toutes premières scènes, brute des Bruits de Recife et un plan réa- SOURCE
airme sa volonté de déjouer les attentes. lisé depuis la terrasse d’un immeuble
Un symbolisme fort marque la pre- de l’Avenida Guararapes. Quittant la FOLHA DE PERNAMBUCO
mière partie de Portraits fantômes, dont zone sud, le regard du spectateur est Recife, Brésil
le narrateur à la première personne n’est ainsi conduit vers cette avenue qui a Quotidien
autre, de bout en bout, que le réalisateur jadis été le symbole de la modernité de folhape.com.br
lui-même. C’est la voix du cinéaste per- Recife [conçue dans les années 1930, cette Fondé en 1998, ce quotidien
namboucain, ainsi que ses souvenirs, ses artère a été inséparable de l’image de la régional du Pernambouc,
émotions et ses perceptions, qui guide le ville jusque dans les années 1970] et qui dans le Nordeste brésilien,
spectateur dans ce voyage à la fois extrê- est aujourd’hui l’incarnation de la déca- appartient au Grupo EQM
mement personnel et éminemment col- dence du centre-ville de la capitale per- (industrie de la canne
lectif, à travers l’évocation d’un temps où namboucaine [qui a été peu à peu déserté à sucre, énergie,
aller au cinéma était un événement, et par ses populations aisées et s’est déla- communication). Parmi
où les salles obscures, pleines à craquer, bré au fur et à mesure du temps]. les journaux publiés
étaient le baromètre de cette passion. Mais c’est dans la chronique que dessine à Recife, la capitale de l’État,
En faisant démarrer son récit à l’in- Kleber des salles obscures, qui ont fait il est le deuxième pour
térieur de l’immeuble qu’a occupé sa la pluie et le beau temps du cinéma dans ce qui concerne la diffusion.
360o. 61
↙ Une scène du film Portraits
fantômes. Photo Urban Distribution
Repères
LE CINÉASTE
Né en 1968 à Recife, dans
le nord-est du Brésil, Kleber
Mendonça Filho a longtemps
gagné sa vie comme critique
et programmateur d’une salle
de cinéma. Ses trois premiers
longs-métrages de fiction,
Les Bruits de Recife (2012),
Aquarius (2016) et Bacurau (2019),
l’ont imposé comme une figure
centrale du cinéma brésilien,
invitée à Cannes et dans les grands
festivals étrangers. Les Bruits
de Recife et Aquarius auscultaient
déjà Recife et ses mutations.
LE FILM
Portraits fantômes, sorti en août
au Brésil, est “un film sur
les espaces affectifs”, résume
O Globo, le grand quotidien
de Rio. Avec nostalgie mais non
sans malice, Kleber Mendonça
Filho entremêle scènes
d’aujourd’hui, images d’archives
publiques ou personnelles
et extraits de ses films
pour explorer, à travers
les âges, l’appartement familial
de Recife, dans lequel il a mené
ses premières expériences
de tournage, et les cinémas
du centre-ville, qu’il a aimé
fréquenter, photographier
et filmer, éléments clés
d’un tissu urbain disparu.
SUR NOTRE SITE
Découvrez l’interview que Kleber
Mendonça Filho a accordée
au Diario de Pernambuco,
un quotidien de Recife,
à propos de Portraits fantômes.
“C’est un documentaire
de fantaisie, dit-il. En tant
que cinéphile, j’ai toujours
beaucoup aimé les films qui
me laissent un peu perplexe.”
62. 360o
histoire.
L’efficace
“propagande noire”
de Sefton Delmer
1941-1945 — Royaume-Uni
Peut-on lutter contre la dictature sans
recourir aux coups bas de la propagande ?
Non, estime ce média en ligne ukrainien, en
citant l’exemple du “roi de la ruse” anglais
qui a semé le trouble dans l’opinion allemande
pendant la Seconde Guerre mondiale.
—Oukraïnska Pravda, extraits (Kiev)
M on credo politique : j’aime la patrie, j’obéis
à Poutine, Choïgou dehors, on va continuer
à faire la guerre.” L’auteur de cette décla-
ration n’est autre que le fondateur de la société
Wagner, Evgueni Prigojine. Durant l’hiver et
le printemps 2023, il n’a pas seulement lancé
des vagues de chair à canon sur Bakhmout et
tenté un putsch en juin, mais il a aussi joué un
rôle non négligeable dans la propagande russe.
Le personnage du “guerrier au franc-parler”
est toujours réclamé par le public, surtout en
temps de guerre. Il y a quatre-vingts ans, sur une
station de radio allemande du nom de Gustav
Siegfried I, un autre “guerrier au franc-parler”
– inventé, celui-là, sous le pseudonyme de “Der
Chef” – dénonçait la corruption des fonction-
naires du parti nazi du IIIe Reich et la racaille à
épaulettes de l’arrière. Des millions d’Allemands
étaient sûrs qu’ils écoutaient un “patriote en
colère” – un combattant prussien, qui “aime la
patrie et obéit à Hitler”. Bien peu d’entre eux se
seraient doutés qu’il vivait près de Londres et
que Gustav Siegfried I était une des dizaines de
stations créées par le Britannique Sefton Delmer.
↗ Sefton Delmer lors Delmer est né à Berlin dans une famille de
d’une émission de citoyens britanniques. Jusqu’à l’âge de 5 ans, il
propagande difusée ne parle qu’allemand, et même plus tard, il sera
vers l’Allemagne obligé de lutter contre son accent allemand en
depuis la BBC, le anglais. À la in des années 1920, il se prépare à
1er novembre 1941. une carrière de diplomate, mais une rencontre
Photo Kurt Hutton/ imprévue avec le propriétaire du journal Daily
Picture Post/Hulton Express change sa vie. À 24 ans, Delmer devient
Archive/Getty Images chef du bureau berlinois de la publication.
À Berlin, il écoute les premières déclarations
publiques d’Hitler et fait personnellement
connaissance du dirigeant nazi. En avril 1932,
il est invité à bord de l’avion d’Hitler, lors de
sa tournée préélectorale. Peu après, Delmer
quitte l’Allemagne – il fait des reportages
depuis l’Espagne pendant la guerre civile et
Courrier international — no 1721 du 26 octobre au 1er novembre 2023
depuis la Pologne après l’invasion du pays par
la Wehrmacht. De retour à Londres, il continue
à travailler pour la presse et commente les
événements politiques pour le service allemand
de la BBC. À cette époque, le mot “propagande”
est considéré comme une insulte par les
Britanniques. Ils n’ont pas oublié comment,
pendant la Première Guerre mondiale, ils avaient
été abreuvés de racontars sur les Allemands dans
les journaux. Et ils avaient éprouvé un sentiment
de dégoût quand ces mensonges avaient ini
par être éventés. La propagande grossière ne
touche pas seulement l’ennemi, mais aussi les
siens, quand, inalement, ils cessent d’y croire.
Rumeurs et mensonges. Delmer va pourtant
découvrir qu’il a des dons dans ce domaine
en 1941, quand il est invité à intégrer le Political
Warfare Executive (PWE), la direction de la
guerre politique. En pleine guerre, la BBC poursuit
son travail sous le contrôle du PWE. La BBC
est face à un choix : dire la vérité sur les pertes
britanniques ou la cacher. Pour préserver la
coniance des auditeurs, la BBC décide de dire
la vérité sur les pertes. Quant à la “propagande
noire”, qui se nourrit de rumeurs et de mensonges,
elle est coniée à Sefton Delmer.
Le 23 mai 1941, le premier programme de
la radio Gustav Siegfried I est difusé sur les
ondes. Plus tard, Delmer crée des dizaines
d’autres stations, très populaires en Allemagne.
On y entend des marches militaires, des chants
nazis, des discussions sur la résistance et
l’héroïsme des soldats du Führer, les rapports
quotidiens du front, le tout mêlé à des révélations
sur la corruption des membres du parti. Les
collègues de Delmer analysent les informations
du renseignement britannique, lisent les lettres
récupérées sur des soldats allemands au front,
écoutent les discussions des prisonniers de guerre
pour donner de la véracité à leurs émissions et
gagner la coniance des auditeurs.
Delmer mélange vérité et invention de telle
manière qu’il devient diicile de les distinguer.
Par exemple, en évoquant la réussite des services
allemands de transfusion de sang, il ajoute que
les donneurs sont souvent des prisonniers non
aryens qui, en plus, ne sont pas contrôlés pour
les maladies vénériennes. Et que des milliers de
soldats du Führer risquent d’attraper la syphilis.
Dans une autre opération, des collègues de
Delmer écrivent aux familles des soldats tués.
“Chère Frau… s’il vous plaît, ne demandez pas
où se trouve Martin. Il est en sécurité et en bonne
santé dans un pays neutre, avec un bon travail.
D’autres camarades sont avec lui. Il m’a demandé
de vous transmettre ses salutations à vous et Ernie,
et espère que tout va bien pour vous. Ne parlez à
personne de cette lettre.” Delmer escompte que
les parents ne résisteront pas à l’envie de racon-
ter aux proches que leur ils a survécu. Grâce à
cela, les nouvelles sur les soldats allemands réfu-
giés dans les pays neutres prendraient de l’am-
pleur et de plus en plus de militaires du Reich
suivraient cet exemple.
Delmer était un roi de la ruse. Pour que la pro-
pagande soit eicace, il fallait comprendre les
motivations profondes de ceux que l’on visait.
Delmer jouait dans le même domaine que les
nazis, sur le subconscient des Allemands. Sur
l’image, les suspicions, la colère.
La dernière émission de Delmer a été difu-
sée quelques semaines avant la capitulation de
l’Allemagne, le 14 avril 1945. Après cela, il s’est
rasé la barbe qu’il avait portée tout le temps qu’il
avait travaillé au PWE : “Le temps que le rasoir
fasse disparaître ma barbe, je me suis longuement
considéré dans la glace et j’ai ressenti toute l’horreur
de Dorian Gray face à mon portrait de traître. Un
visage pâle, mou, de combinard, qui me regardait.
Je me suis demandé si c’était là l’inluence de quatre
ans de ‘propagande noire’ sur Denis Sefton Delmer.”
—Mykhaïlo Kryhel,
publié le 16 août
 NOTRE NOUVEAU
HORS-SÉRIE

Hors-série Octobre-novembre 2023

Pourquoi est-il si important

de parler ukrainien en Ukraine,
cantonais à Hong Kong
ou swahili en Afrique de l’Est ?
La presse étrangère décrit
des langues en perpétuel
mouvement, qui s’affrontent,
s’effacent, ou se réinventent
en se mélangeant.

La bataille
des langues
E N PA R T E N A R I AT AV E C

EN VENTE CHEZ VOTRE MARCHAND DE JOURNAUX

Amsterdam
*Plus loin, ensemble