idées

Magazine
France Inter sous le Quelle exemplarité
règne d’Adèle Van Reeth exiger des politiques ?

uniquement en france métropolitaine,

en belgique et au luxembourg

Week-end
­­Samedi 2­ septembre 2023 - 79e année - No 24467 - 5,20 € - France métropolitaine - www.lemonde.fr - Fondateur : Hubert Beuve-Méry Directeur : Jérôme Fenoglio

En France, le risque d’une inflation qui persiste

▶ Alors que l’inflation ▶ Cette augmentation, due ▶ Le secteur décisif des ▶ La crainte est que les ▶ Le ministre de l’écono-
a progressé en août en partie au relèvement services (transports, santé, hausses de salaire – parti- mie, Bruno Le Maire,
dans dix des vingt pays des tarifs de l’électricité et restauration…) résiste culièrement significatives, a affiché, jeudi, sa volonté
de la zone euro, la hausse aux cours du pétrole, con- plutôt bien pour l’instant, ces derniers mois, dans de bloquer ceux de
des prix a rebondi à 4,8 % firme la difficulté du pays mais les analystes certaines activités – se certains produits
sur un an en France à sortir de cette spirale le surveillent de très près répercutent sur les prix page 15

Justice Etats-Unis
Des effectifs Des doutes
renforcés dans Gabon sur la stratégie
toute la France La dynastie des Ukrainiens
Dix mille postes (magis-
trats, greffiers…) doivent
Bongo, Si l’administration Biden s’en
tient à sa ligne de soutien ferme à
être créés d’ici à 2027, se-
lon un plan de répartition
une histoire Kiev, les critiques sur la stratégie
militaire des Ukrainiens, engagés
présenté en partie jeudi
page 12
française dans une contre-offensive qui
semble patiner, fuitent de plus en
plus dans la presse. A l’approche
▶ D’Omar Bongo de l’hiver et d’une troisième an-

Education à son fils Ali, desti-

tué par un coup
née de conflit, il leur est notam-
ment reproché d’avoir trop épar-
pillé leurs troupes et leurs équi-
Les consignes d’Etat, le destin pements entre l’est – en
particulier à Bakhmout, rayé de la
sur l’interdiction de la famille
est lié à la France
carte, mais lieu symbolique tou-
jours disputé – et le sud, au lieu de

des abayas Pag e 2

Une note du ministère
précise les contours de
l’interdiction de ces robes
traditionnelles dans les
établissements scolaires
page 14
se concentrer sur un seul front.
Pour l’heure, les Etats-Unis ont
consacré plus de 43 milliards de
dollars (39,6 milliards d’euros) à
l’Ukraine en aide militaire, équi-
Omar Bongo, pements et munitions, mais la
à l’Elysée, perspective de l’élection prési-
à Paris, dentielle de novembre 2024 rend
en 1999. le sujet plus sensible que jamais.
ÉRIC CABANIS/AFP page 6

Cinéma Royaume-Uni Alimentation Politique

Le Festival de La démission Vers une bataille
Deauville victime du ministre de sémantique et Les incertitudes
de la grève la défense, pilier juridique autour de la « conférence
Les heures
d’Hollywood du gouvernement du « steak végétal »
Page 21 Pag e 7 Page 8
sociale »
Peu d’informations ont
filtré, à ce jour, sur le som-
met social proposé par
heureuses
Dernier Royaume, tome XII
Emmanuel Macron aux
L’Italie au menu chefs de parti. Dans son
entourage, on explique
du « Goût de M » que le séminaire gouver-
nemental du 6 septembre
devrait permettre d’en
préciser les modalités
pag e 10

éditoria l
1
Le Medef
Photo auteur : © Pascal Ito

Cette semaine, notre trimestriel consacré en fait trop

à l’art de vivre décline en quatre couvertures sur la fiscalité
des thématiques liées à l’Italie : la cuisine,
la mode, le design et le voyage
des entreprises Albin Michel
P ag e 29

Algérie 220 DA, Allemagne 4,50 €, Andorre 3,90 €, Autriche 4,20 €, Belgique 5,40 €, Espagne 3,90 €, Grèce 3,90 €, Guadeloupe-Martinique 3,70 €,
Hongrie 1 790 HUF, Italie 3,90 €, Luxembourg 5,40 €, Maroc 28 DH, Pays-Bas 4,30 €, Portugal cont. 3,90 €, La Réunion 3,70 €, Sénégal 2 500 F CFA, Suisse 4,80 CHF, Tunisie 5,50 DT, Afrique CFA autres 2 600 F CFA
 International
2|
Le premier ministre Georges Pompidou et Omar Bongo, à Paris, le 22 mai 1967. STF / AFP
Les présidents Jacques Chirac et Omar Bongo, à l’Elysée, le 29 août 2006. PATRICK KOVARIK / AFP
La dynastie Bongo, une histoire française
D’Omar Bongo à son fils, Ali, le lien du Gabon avec l’ex-puissance coloniale est longtemps resté fusionnel
Récit
I
l y a plusieurs leçons à tirer de
la courte séquence vidéo
dans laquelle apparaît le pré-
sident gabonais quelques
heures seulement après avoir été
démis de ses fonctions par des mi-
litaires putschistes, mercredi
30 août au matin. Ali Bongo On-
dimba, 64 ans, amaigri, le corps
flottant dans une tunique bleue,
est assis dans un fauteuil posé
dans un salon de sa demeure de
La Sablière, à Libreville, où il est as-
signé à résidence par la junte.
La voix chevrote légèrement,
son regard, oblique, flotte un peu
dans le vague. L’homme est affai-
bli. Non pas tant par le coup d’Etat
surprise qui s’est produit la nuit
précédente, lorsque des militaires
ont contesté l’annonce de sa vic-
toire à la présidentielle, annulant
les résultats et s’emparant du
­pouvoir, mais par les conséquen-
ces de son grave accident vascu-
laire cérébral survenu en 2018,
dont il porte encore les stigmates.
Ce matin du 30 août, la surprise
de cette vidéo est autre : c’est la lan-
gue utilisée par le président. C’est
en anglais qu’Ali Bongo déclare :
« Je suis le président du Gabon, Ali
Bongo Ondimba, et j’envoie un
message à tous mes amis à travers
le monde pour leur dire de faire du
bruit pour les personnes ici. Ma
­famille, mon fils, est quelque part,
ma femme est à un autre endroit, et
je suis à ma résidence. » Si le Gabon
a rejoint l’organisation du Com-
monwealth en juin 2022, le fran-
çais reste la langue officielle du
pays, et celle quotidiennement
parlée par Ali Bongo Ondimba.
Choix d’idiome anecdotique ou
démarche délibérée ? La langue
choisie illustre, tout au moins,
combien les relations se sont dis-
tendues entre la France et le Ga-
bon. L’ancienne colonie qui, à
l’heure des indépendances africai-
nes, en 1960, aurait préféré rester
dans le giron français comme un
territoire d’outre-mer est devenue
un allié encombrant pour la diplo-
matie africaine de la France.
Initialement, pourtant, un
homme était parvenu à forger une
proximité sans équivalent entre
les deux Etats : Albert-Bernard
Bongo. Celui qui deviendra El Hadj
Omar Bongo après sa conversion à
l’islam en 1973 doit son ascension
politique à la France, dont il fait la
connaissance de près avec les para-
chutistes en 1964. Paris intervient
alors à Libreville pour sauver
d’une tentative de coup d’Etat le
président Léon Mba, installé par
ses soins à la tête du pays à l’indé-
pendance. Les autorités françaises
repèrent le jeune Albert-Bernard
Bongo, né en 1935, directeur de
­cabinet du chef de l’Etat. Aussi lors-
qu’en 1967 Léon Mba, malade de-
puis plusieurs années, meurt à Pa-
ris, l’ancienne puissance coloniale
le remplace par Albert-Bernard
Bongo. « Il aurait adoré être né plus
tôt pour devenir ministre français,
comme le fut Léopold Sédar Sen-
ghor avant l’indépendance du Sé-
négal », rapporte un ancien diplo-
mate français qui l’a côtoyé.
Le président n’est pas seulement
« charismatique, drôle et intelli-
gent », tel que le décrit ce diplo-
mate. « Il sait qu’il doit tout à la
Fance et s’en montre très reconnais-
L’opposition gabonaise réclame
la reconnaissance de sa victoire
Au lendemain du renversement d’Ali Bongo Ondimba, l’opposi-
tion a remercié, jeudi 31 août, l’armée de s’être « dressée contre
un coup d’Etat électoral », tout en lui demandant de reconnaître
la « victoire » d’Albert Ondo Ossa à la présidentielle. Les putschis-
tes ont, eux, annoncé que le général Brice Oligui Nguema prêtera
serment en tant que « président de transition » lundi 4 septembre.
sant, ce qui n’est jamais mauvais
pour les affaires », souligne une
autre source diplomatique. Or, le
pays ne manque pas d’attraits. De-
puis le milieu des années 1950, le
Gabon, qui attirait surtout des in-
vestisseurs dans le domaine de
l’exploitation forestière, est de-
venu producteur de pétrole, pour
le grand bonheur d’Elf Aquitaine,
qui se déploie sur ce marché captif.
A la même époque, de grandes ré-
serves de manganèse, que les mi-
niers français exploiteront jusqu’à
aujourd’hui par le biais de la so-
ciété Eramet, sont découvertes.
Scrutins truqués
Depuis cette période, l’argent
coule à flots dans les caisses de
l’Etat qu’Omar Bongo gère comme
un patrimoine privé. « Comme il
avait beaucoup de moyens et de
contacts à Paris, il se servait de ces
fonds pour appâter les responsa-
bles politiques établis et de jeunes
ministres français », se souvient un
ancien diplomate. Le président ga-
bonais sait comment s’acheter des
fidélités. Une partie de l’argent du
pétrole atterrit ainsi dans les cais-
ses de partis politiques français. « Il
arrosait un peu tout le monde »,
confie un ancien responsable fran-
çais. Cet argent profite en revanche
peu aux Gabonais. « Rien n’était
vraiment solide au Gabon en ma-
tière de gestion publique. Le pays
était administré comme un vil-
lage », témoigne un ancien con-
Les présidents Omar Bongo et François Mitterrand, à Franceville (Gabon), le 18 janvier 1983. AFP
Les présidents Nicolas Sarkozy et Ali Bongo Ondimba, à Libreville, le 24 février 2010.
seiller à l’Elysée. Souvent, Omar
Bongo venait d’ailleurs solliciter
une aide financière auprès de l’an-
cienne puissance coloniale, y com-
pris lorsque les cours du pétrole
étaient au plus haut.
Au temps d’Omar Bongo, le
­Gabon devient ainsi un lieu de pas-
sage obligé pour les responsables
politiques français, surtout de
droite. Lorsque Jacques Chirac
nomme, en 2002, Michel de Bon-
necorse conseiller Afrique, il lui
demande de voir Omar Bongo
avant tous les autres présidents
africains. Lors de la guerre civile du
Biafra, au Nigeria (1967-1970), « [le
Gabon] s’était imposé comme une
plate-forme incontournable de la
politique française en Afrique cen-
trale et australe », peut-on lire dans
l’ouvrage collectif L’Empire qui ne
veut pas mourir. Une histoire de la
Françafrique (Seuil, 2021). C’est là
aussi que « s’installent le merce-
naire français Bob Denard et nom-
bre des “affreux” qui ont écumé
l’Afrique dans les années 1960 »,
précisent les auteurs. Des « af-
freux » et tout un aréopage lié au
grand banditisme corse, qui ins-
talle des casinos au Gabon pour y
blanchir ses revenus illicites.
« Jusque dans les années 1990, le
Gabon servait d’appui pour des
opérations de la France dans la ré-
gion, mais il a perdu de son inté-
rêt stratégique avec la fin de la
guerre froide », rappelle un diplo-
mate français un temps en poste à
Libreville. Jusqu’à sa disparition,
en 2009, à Barcelone, le président
gabonais bénéficie pourtant du
prestige dû à son statut de doyen
des chefs d’Etat du continent. Il est
écouté par ses pairs. Paris s’appuie
encore un peu sur lui, mais de
moins en moins. Au fil du temps,
Omar Bongo est devenu un auto-
crate vieillissant qui finit par se dé-
crédibiliser en s’entêtant à dési-
Depuis les
années 1950,
l’argent coule
à flots dans les
caisses de l’Etat
qu’Omar Bongo
gère comme un
patrimoine privé
gner son fils comme son succes-
seur. « Jacques Chirac avait essayé
en vain de le dissuader », avance un
acteur politique de l’époque.
Le régime Bongo est usé, la
manne pétrolière du pays décline,
et le fils n’a ni l’entregent ni le cha-
risme de son père. Elu frauduleu-
sement dès son premier mandat
en 2009, Ali Bongo Ondimba ne
doit sa réélection en 2016, face à
Jean Ping, qu’à la faveur d’un
­nouveau scrutin truqué – tout
comme le dernier, le 26 août, ce
qui conduira à sa chute. Depuis le
départ de Nicolas Sarkozy, Ali
Bongo Ondimba n’est plus un in-
terlocuteur de poids à Paris.
« Au départ, il avait pourtant un
bon discours politique et une bonne
vision géopolitique, se remémore
un diplomate français qui le con-
naît depuis le temps où l’ex-prési-
dent gabonais avait été placé par
son père à la tête du ministère de la
défense (1999-2009). Mais jamais
il n’a mis ces propos en pratique. »
« Ses relations avec François Hol-
lande étaient tièdes, puis froides à
la fin de son mandat [de 2012 à
2017] », ajoute un ex-conseiller pré-
sidentiel français. Jamais non plus
il n’y aura de proximité avec Em-
manuel Macron. Lors de sa visite à
Libreville, en mars, le président
avait justifié sa visite par sa partici-
pation au One Forest Summit sur
0123
­
­Samedi 2­ septembre 2023
PHILIPPE WOJAZER/AFP
la préservation des forêts tropica-
les, et n’avait pas prononcé un mot
au sortir du dîner avec son homo-
logue gabonais. Il ne vient « ni
adouber ni stigmatiser personne »,
insistait l’entourage du chef de
l’Etat français face aux critiques.
Biens mal acquis
La méfiance était semble-t-il réci-
proque, entretenue par les rebon-
dissements d’un long feuilleton
judiciaire que le clan Bongo pen-
sait instrumentalisé par Paris.
­Depuis 2007, la justice française
enquête en effet sur les biens mal
acquis, le patrimoine de la famille
présidentielle, estimé au mini-
mum à quelque 85 millions
d’euros en France et constitué de
33 propriétés en région parisienne
et 11 sur la Côte d’Azur. Un patri-
moine acquis « frauduleusement »,
selon un arrêt de la cour d’appel de
Paris de février 2022.
Ces enquêtes, qui avaient déjà
éloigné Omar Bongo, le chef de
l’Etat ayant préféré Barcelone à
Paris pour être hospitalisé à la fin
de sa vie en 2009, ont maintenu
son fils à distance de la France ces
dernières années. C’est à Londres,
où il possède une propriété, et au
Maroc, qu’Ali Bongo Ondimba
s’est fait soigner après son acci-
dent vasculaire cérébral en 2018.
Ce 30 août, la France, pourtant en
première ligne pour apporter son
soutien au président nigérien
renversé fin juillet, n’a répondu
qu’a minima à l’appel à l’aide en
anglais d’Ali Bongo Ondimba,
condamnant le coup d’Etat, mais
rappelant l’« attachement [fran-
çais] à des processus électoraux
­libres et transparents ». p
Christophe Châtelot
Retrouvez en ligne l’ensemble de nos contenus

4 | International
La Chine prise au dépourvu par la Aisolée
Tolède, la France
sur le Niger
succession de putschs en Afrique face aux Vingt-Sept
L’instabilité politique sur le continent rend les investissements menés
par Pékin dans le cadre des « nouvelles routes de la soie » plus risqués
Pékin - correspondant
P R
our la Chine, les coups
d’Etat en Afrique ont un
bon et un mauvais côté.
Le bon côté est qu’ils
mettent en lumière les limites de
la démocratie « à l’occidentale »
­basée sur des élections au suffrage
universel et permettent, par
­ricochet, de critiquer le rôle des an-
ciennes puissances coloniales. Le
mauvais est qu’ils déstabilisent les
pays concernés, y rendent les in-
vestissements plus risqués et nui-
sent à ses propres intérêts écono-
miques. Mais globalement, durant
ces périodes de crise, « la Chine fait
profil bas même quand elle pour-
rait avoir les moyens d’exercer une
certaine influence », témoigne un
diplomate français présent dans
un des pays concernés.
Selon lui, « c’est à tort qu’on rap-
proche en Occident le rôle des Chi-
nois de celui des Russes. En Afrique,
les premiers misent sur la stabilité
du continent dont ils sont devenus
le principal bailleur de fonds [en bi-
latéral] et les seconds cherchent au
contraire à le déstabiliser pour des
raisons à la fois stratégiques et
d’intérêt financier à court terme »,
poursuit-il. « Au Conseil de sécurité
de l’ONU [Organisation des Na-
tions unies], la Russie vient de
­mettre son veto à une résolution
prolongeant les sanctions contre la
junte au Mali alors que la Chine
s’est abstenue », remarque-t-il.
Hasard du calendrier, le coup
d’Etat au Gabon est intervenu au
moment où la Chine organise à
Pékin durant six jours (du lundi
28 août au samedi 2 septembre) le
troisième forum Chine-Afrique
pour la paix et la sécurité. Une ren-
contre qui, selon les Chinois, ras-
semble « plus de cent représentants
de l’Union africaine et de près de
cinquante pays africains ».
L’Algérie à la manœuvre pour éviter
le recours à la force contre la junte à Niamey
Le chef de la diplomatie, Ahmed Attaf, a effectué une tournée dans trois pays d’Afrique
de l’Ouest et prône des « arrangements politiques entre toutes les parties » au Niger
L’ Algérie a tenté de donner
un contenu à son double
non face à la situation au
Niger : ni acceptation du coup
d’Etat ni approbation d’une
­intervention militaire étrangère
contre les putschistes, en propo-
sant, mardi 29 août, un plan de
transition de six mois pour un re-
tour à l’ordre constitutionnel et
démocratique. L’initiative,
­annoncée au cours d’une
­conférence de presse à Alger par
le chef de la diplomatie algé-
rienne, ­Ahmed Attaf, réduit de
manière drastique la durée de
trois ans de la « transition »
­proposée par la junte.
« Le processus peut être terminé
en six mois, de manière que le
coup d’Etat ne devienne pas un
fait accompli », a indiqué M. At-
taf, qui vient d’effectuer une
tournée dans trois pays de la
Communauté économique des
Etats de l’Afrique de l’Ouest (Ce-
deao) : il s’est rendu au Nigeria,
dont le président Bola Tinubu di-
rige actuellement l’organisation
régionale, au Bénin et au Ghana.
Il s’était entretenu, le 9 août, à
Washington, avec le secrétaire
américain, Antony Blinken.
De son côté, le secrétaire général
du ministère des affaires étrangè-
Mardi, le ministre de la défense
chinois, Li Shangfu, a indiqué que
« la tradition de s’aider mutuelle-
ment ne change pas » et a même
appelé à « renforcer la coopéra-
tion » entre la Chine et l’Afrique.
Selon l’agence de presse Chine
nouvelle, le ministre a « notam-
ment » eu des entretiens avec des
« responsables de la défense » du
Sénégal, des Comores, de la Répu-
blique du Congo, du Cameroun,
du Ghana, de la Zambie, du Sud-
Soudan, de la Gambie, de Mauri-
tanie et de l’Ouganda.
Accords de coopération
Si, à la différence de la Russie, la
Chine n’envoie pas de mercenai-
res en Afrique et si elle évite de se
trouver militairement impliquée
dans des conflits locaux, elle a de
nombreux accords de coopéra-
tion avec la plupart des pays
­africains à qui elle vend du maté-
riel militaire et technologique.
Principaux axes d’intervention :
le maintien de la paix, l’antiterro-
risme, la lutte contre la piraterie,
l’aide humanitaire et la forma-
tion militaire. Autant de domai-
nes désormais intégrés aux
« nouvelles routes de la soie », le
grand programme d’investisse-
ments internationaux lancé
en 2013 par Xi Jinping.
Que l’Afrique soit l’une des prio-
rités de la diplomatie chinoise ne
fait aucun doute. Depuis 1991,
c’est systématiquement en Afri-
que que les ministres des affaires
étrangères chinois effectuent,
chaque mois de janvier, leur pre-
mier voyage de l’année. « La nou-
velle hégémonie de la Chine en
Afrique ne repose pas tant sur sa
puissance militaire que sur le déve-
loppement de relations économi-
ques asymétriques, en particulier
sur des projets d’infrastructures
basés sur des prêts ainsi que sur un
res algérien, Lounes Magramane,
s’est lui rendu à Niamey le 24 août
où il s’est entretenu avec le pre-
mier ministre ­désigné par la junte,
Ali Mahamane Lamine Zeine,
sans rencontrer le président Mo-
hamed Bazoum, séquestré depuis
le 26 juillet. Cette action diploma-
tique est destinée à promouvoir
une solution fondée à la fois « sur
le rejet du changement anticonsti-
tutionnel et le refus du recours à la
force pour faire face à la crise qui
en résulte », a expliqué M. Attaf.
Garanties aux putschistes
L’objectif premier d’Alger est de
travailler à trouver des « arrange-
ments politiques » internes au Ni-
ger « entre toutes les parties », no-
tamment en octroyant des ga-
ranties aux putschistes. Il est pré-
cisé que la transition serait
supervisée « par une autorité ci-
vile exercée par une figure con-
sensuelle et acceptée par toutes
les couches de la classe politique
au Niger pour déboucher sur le ré-
tablissement de l’ordre constitu-
tionnel dans le pays ».
L’Algérie « engagera des con-
tacts et des consultations inten-
sifs avec toutes les parties concer-
nées qui peuvent contribuer et
aider à la résolution politique de
« La Chine n’aime
pas l’imprévu
et était assez
proche du
président
Bazoum »
Jean-Pierre Cabestan
chercheur
activisme diplomatique, idéologi-
que et culturel incomparable »,
juge Jean-Pierre Cabestan, cher-
cheur à l’Asia Centre.
Présente au Niger où elle ex-
ploite une mini-raffinerie et où
elle est en train de construire un
oléoduc de 2 000 kilomètres (et
dont le coût se chiffrerait à envi-
ron 4 milliards d’euros), qui doit
permettre d’exporter le pétrole
en passant par le Bénin, la Chine
ne voit pas forcément d’un bon
œil le coup d’Etat opéré par les
militaires fin juillet. En avril 2023,
elle avait annoncé sa volonté de
construire un « parc industriel »
au Niger, notamment pour y dé-
velopper la transformation de
produits agricoles.
« La Chine n’aime pas l’imprévu
et était assez proche du président
Bazoum mais elle n’a pas con-
damné le coup d’Etat. Sa priorité
est toujours d’assurer la sécurité
des Chinois sur place puis de re-
prendre ses activités. La division de
la Cedeao, la Communauté éco­-
nomique des Etats d’Afrique de
l’Ouest, lui convient bien.
D’ailleurs, elle a financé pour
32 millions de dollars le siège de
cette organisation et les Africains
l’écoutent », estime M. Cabestan.
Même prudence chinoise au
Mali. Si Pékin ne s’est pas opposé
à la prolongation des sanctions
la crise ou soutenir les efforts vi-
sant à y parvenir », a indiqué
M. Attaf. Le pays préconise égale-
ment la tenue d’une « conférence
internationale sur le développe-
ment au Sahel » afin de mobiliser
des fonds pour des programmes
de développement et « assurer la
stabilité et la sécurité de manière
durable », a-t-il encore expliqué.
La diplomatie algérienne veut à
tout prix éloigner la perspective
d’une intervention militaire qui
continue d’être évoquée comme
une « option » par les dirigeants
de la Cedeao avec le soutien de la
France. M. Attaf a qualifié de
« fructueuses » les rencontres avec
les dirigeants du Nigeria, du Bé-
nin ou du Ghana, précisant que
ces derniers lui ont assuré qu’ils
ne sont pas des « va-t-en-guerre ».
Traditionnellement hostile aux
interventions étrangères, l’Algé-
rie évoque avec insistance le « dé-
sastre » provoqué, selon elle, par
l’opération militaire franco-bri-
tannique menée en Libye en 2011,
et la déstabilisation générale du
Sahel qui s’est ensuivie. Le pays,
qui a une frontière de mille kilo-
mètres avec le Niger, estime que
cette option ne ferait qu’aggraver
la situation. « La raison de notre
forte opposition au recours à la
de l’ONU, la Chine coopère avec la
junte dans différents domaines,
notamment, d’après le ministère
chinois des affaires étrangères,
pour électrifier certains villages.
Mais à l’heure où la croissance
chinoise ralentit, Pékin n’a plus
forcément autant d’argent à in-
vestir dans les « nouvelles routes
de la soie » et n’entend pas mettre
la sécurité des Chinois en danger.
« Même si Pékin cherche à conso-
lider sa présence en Afrique, la ra-
pide détérioration des conditions
de sécurité, notamment au Sahel,
pousse Pékin à reconsidérer la via-
bilité de plusieurs projets d’infras-
tructures et à orienter ses efforts
dans des zones plus sûres », estime
de son côté Alessandro Arduino,
maître de conférences au King’s
College de Londres dans la revue
en ligne ThinkChina.
Mais la liste des pays « à risques »
s’allonge. La Chine devrait égale-
ment se montrer plus prudente
au Gabon où elle a construit la
seule route reliant Libreville à
Port-Gentil et où elle envisageait
d’investir dans un important pro-
jet d’exploitation de minerai à la
frontière avec le Cameroun. Mer-
credi 30 août, le porte-parole du
ministère chinois des affaires
étrangères, Wang Wenbin, a ap-
pelé les différents acteurs à « ré-
soudre pacifiquement leurs diffé-
rends par le dialogue, au retour
immédiat à l’ordre normal, et à ga-
rantir la sécurité personnelle d’Ali
Bongo », le président de la Répu-
blique placé par les militaires en
« résidence surveillée ».
Alors qu’elle avait déployé le ta-
pis rouge ces dernières années au
président Bongo pour l’éloigner
de la France, la Chine se trouve,
comme Paris, prise au dépourvu
par un coup d’Etat qu’elle n’avait
pas vu venir. p
Frédéric Lemaître
force pour résoudre la crise au Ni-
ger réside dans les répercussions
graves et désastreuses qu’aurait
toute intervention militaire sur le
Niger et l’ensemble de la région. De
plus, il y a peu de chances que cette
option réussisse à atteindre les ob-
jectifs souhaités », a réaffirmé le
chef de la diplomatie algérienne.
Cette question est de ce fait
­devenue un nouveau sujet de
friction entre Paris et Alger. Avec
le recours à des moyens peu
­conventionnels pour le montrer.
Ainsi, la radio d’Etat Radio Algé-
rie a annoncé le 22 août sur son
site Internet qu’Alger a donné
« une suite négative à la demande
française de survol du territoire
national pour attaquer le
­Niger ». L’article, qui cite des
« sources confirmées », indiquait
que l’intervention militaire était
« imminente » et que tout le
­dispositif militaire était « en
place », une affirmation immé-
diatement démentie par l’armée
française, qui a assuré n’avoir
formulé aucune demande de
­survol militaire. p
Karim Amrouche
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Réunis en Espagne, les ministres
européens des affaires étrangères ont exclu
l’idée d’une intervention militaire
Tolède (Espagne) - envoyé spécial
éunis à Tolède, en Espa-
gne, jeudi 31 août, les mi-
nistres des affaires étran-
gères de l’Union européenne sont
restés extrêmement prudents sur
la position à adopter au Sahel.
S’ils s’accordent sur la création
d’un régime de sanctions contre
la junte au pouvoir au Niger de-
puis le 26 juillet, il en va tout
autrement sur le plan militaire. La
perspective d’une intervention
militaire, évoquée un temps par
la Communauté économique des
Etats d’Afrique de l’Ouest (Ce-
deao), est pour l’instant totale-
ment écartée. La France, qui sou-
tient cette option si nécessaire,
est apparue isolée.
Le coup d’Etat au Gabon du
30 août a été également évoqué,
et condamné, mais « il n’a rien à
voir avec la situation au Niger, a
souligné Josep Borrell, le chef de
la diplomatie européenne. Au
­Niger, un président démocratique-
ment élu a été déposé, alors qu’au
Gabon, le président a été reconduit
après des élections dont le carac-
tère démocratique suscite de nom-
breux doutes ».
De manière générale, le sort du
président gabonais Ali Bongo a
bien moins été discuté que celui
de son homologue nigérien,
­Mohamed Bazoum, sous rési-
dence surveillée depuis le
26 juillet. « Le coup d’Etat au Niger
marque une nouvelle ère d’instabi-
lité dans la région du Sahel, a com-
menté M. Borrell. Et les ministres
des affaires étrangères ont été très
clairs : il faut donner priorité à la
voie diplomatique pour rétablir
l’ordre constitutionnel. Ils ont éga-
lement réaffirmé leur volonté de
trouver une solution africaine à
une situation africaine, d’où notre
soutien à la Cedeao. »
« Un terrain glissant »
Invités à Tolède pour expliquer la
situation sur le terrain, le prési-
dent de commission de la Cedeao,
Omar Alieu Touray, et le ministre
des affaires étrangères du gouver-
nement renversé au Niger, Has-
soumi Massoudou, ont rappelé
que « le seul cadre de gestion de
cette crise est celui de la Cedeao ».
« Il ne faut pas que l’Europe soit
perçue comme imposant sa solu-
tion de l’extérieur », a estimé
Alexander Schallenberg, le chef
de la diplomatie autrichienne.
Très discrète, Catherine Colonna,
son homologue française, a évité
les micros et les caméras.
« Aujourd’hui, la France est prise
pour cible au Niger, donc elle n’a
aucun intérêt à s’afficher », dé-
crypte un diplomate européen.
A Niamey, le même jour, jeudi,
la junte a de son côté annoncé la
levée de l’immunité diplomati-
que de l’ambassadeur français,
Sylvain Itté, et demandé à la po-
lice de l’expulser du pays. La
France, qui ne reconnaît pas les
militaires au pouvoir, n’a pas
donné suite. M. Borrell s’est dit so-
lidaire de Paris, qui réclame ce-
pendant une plus grande fer-
meté. « Certains pensent que ce
coup d’Etat va passer tout seul,
comme le pensent les Etats-Unis,
analyse une source diplomatique.
Mais on l’a vu au Mali, au Burkina
Faso, le retour à la démocratie
après un coup d’Etat est extrême-
ment compliqué… » Pour peser,
ajoute cet interlocuteur, « il faut
exercer une pression continue.
Sans cela, il ne se passera rien ».
L’Union européenne a fait un
premier pas. A l’initiative de l’Alle-
magne, soutenue rapidement par
la France, un nouveau régime de
sanctions contre le Niger a donc
été proposé. Une fois établi, il
pourra viser les chefs putschistes,
0123
­
­Samedi 2­ septembre 2023
« Il faut donner
priorité à la voie
diplomatique
pour rétablir
l’ordre
constitutionnel »
Josep Borrell
chef de la diplomatie
européenne
bloquer leurs avoirs et leur inter-
dire de voyager. « Outre ce régime
de restrictions, nous avons sus-
pendu l’aide budgétaire et les diffé-
rentes coopérations en cours, à
l’exception de l’aide humanitaire,
précise M. Borrell. Nous ne sou-
haitons pas que ces sanctions
constituent une punition supplé-
mentaire pour le deuxième pays le
plus pauvre au monde. »
Lors de son intervention devant
ses pairs européens, le chef de la
diplomatie du Niger, M. Massou-
dou, a tenté de convaincre les
Vingt-Sept d’apporter un soutien
militaire à la Cedeao. En vain. « Il
faut privilégier la solution diplo-
matique, insiste M. Borrell. Pour le
reste, nous attendons de voir ce
que demande exactement la Ce-
deao. Et quand nous saurons, nous
l’analyserons. »
« Pour la grande majorité des
pays, l’imposition de sanctions est
la seule étape pour l’instant ac-
ceptable. Ils n’entendent pas aller
plus loin », commente un partici-
pant de la réunion. Soutenir une
intervention militaire, « c’est en-
trer sur un terrain glissant »,
ajoute un autre.
L’Italie s’est montrée encore
plus véhémente. « Ce serait un dé-
sastre, a jugé le ministre des affai-
res étrangères, Antonio Tajani.
Nous devons travailler jour après
jour pour une solution diplomati-
que soutenant la démocratie. »
« L’instabilité de l’Afrique constitue
un danger pour l’immigration
clandestine », a-t-il ajouté, ap-
prouvé en silence par de nom-
breux autres pays.
Dans la soirée, le président en
exercice de la Cedeao, Bola Ti-
nubu, chef de l’Etat du Nigeria, a
suggéré dans un communiqué
une transition de neuf mois pour
les militaires au pouvoir au Niger,
à l’image de ce qui s’était passé
dans son pays dans les années
1990. Les sanctions imposées à ce
pays par l’organisation régionale
ne seront pas allégées sans « ajus-
tements positifs » des militaires à
Niamey, poursuit le communi-
qué. Quelques heures plus tard, la
Cedeao a démenti qu’un « calen-
drier de transition » ait été pro-
posé à la junte nigérienne. L’orga-
nisation demande aux putschis-
tes « de rétablir immédiatement »
l’ordre constitutionnel, en « libé-
rant et restaurant immédiate-
ment le président Bazoum dans
ses fonctions ».
La junte au pouvoir à Niamey a,
elle, annoncé la suspension de
toutes les activités des organisa-
tions internationales, ONG et
agences onusiennes dans les « zo-
nes d’opérations » militaires. « En
raison de la situation sécuritaire du
moment et de l’engagement opéra-
tionnel actuel des forces armées ni-
gériennes, le ministère informe les
organisations internationales, les
ONG nationales et internationales
et agences onusiennes présentes
au Niger, que toutes les activités et
ou mouvements dans les zones
d’opérations sont momentané-
ment suspendus », indique un
communiqué du ministère de l’in-
térieur lu à la radio nationale, sans
préciser les régions concernées. p
Philippe Jacqué

6 | International
Etats-Unis:
des doutes sur la
contre-offensive
ukrainienne
Si l’administration Biden
se refuse à parler d’impasse, alors
que l’hiver approche, les critiques
se multiplient dans la presse
Washington - correspondant
L’
un des contrastes sai-
sissants entre l’admi-
nistration Biden et la
précédente, celle de
­Donald Trump, réside dans sa
communication disciplinée. De-
puis deux ans et demi, les fuites
non contrôlées ont été rares et les
propos anonymes souvent coor-
donnés en haut lieu, pour faire
passer des messages. La succes-
sion, depuis début août, d’articles
dans la presse américaine préten-
dant refléter la déception et les
critiques des officiels au sujet de
la contre-offensive ukrainienne
contre l’armée russe apparaît
donc d’autant plus surprenante.
Divergence entre civils et mili-
taires ? L’administration Biden
s’en tient à sa ligne de soutien
ferme à Kiev, malgré la perspec-
tive probable d’une troisième
­année de conflit. L’élection prési-
dentielle américaine en novem-
bre 2024 se profile déjà et suscite
une nervosité compréhensible.
L’hiver devrait freiner ou inter-
rompre la poussée ukrainienne
vers le sud, malgré les récentes
avancées autour des villages de
Robotyne et Verbove et le fran-
chissement de la première ligne
de défense russe. Le risque d’un
conflit en accordéon, long, avec
des poussées dans les deux sens,
semble élevé. Certains experts
n’écartent pas l’hypothèse d’une
vaste offensive russe vers la ré-
gion de Kharkiv, reprise par les
forces de Kiev en 2022.
« Les Ukrainiens se confrontent
actuellement à l’un des réseaux dé-
fensifs les plus complexes qu’on ait
vus depuis des décennies, rappelle
Dara Massicot, experte au centre
de réflexion Rand, proche des
­milieux de la défense. L’armée
américaine n’a pas beaucoup d’ex-
périence face à cela, sans supério-
rité aérienne. » Le 22 août, le
­conseiller à la sécurité nationale,
Jake Sullivan, a invité les com-
mentateurs à un certain « niveau
d’humilité » dans l’appréciation
Moscou enterre Outkine, fondateur de Wagner, avec les honneurs
Le pouvoir russe espère clore la page née de la mutinerie du groupe de mercenaires et fait taire les critiques des ultranationalistes
Moscou - correspondant
C omme pour son patron,
Evgueni Prigojine, c’est « à
la demande de ses pro-
ches » que Dmitri Outkine a été
enterré dans l’intimité. L’homme
qui a donné son nom de guerre,
« Wagner », au groupe de mer­-
cenaires du même nom, a été
­inhumé près de Moscou, jeudi
31 août.
Mais à la différence de ­Prigojine,
inhumé dans le secret et l’anony-
mat d’un cimetière de Saint-Pé-
tersbourg, Outkine, 53 ans, a été
enterré dans le ­« panthéon des dé-
fenseurs de la patrie », à Myticht-
chi, un immense complexe
ouvert en 2013 et destiné à deve-
nir le plus grand cimetière mili-
des opérations ukrainiennes. Ef-
fectivement, l’armée américaine
n’a aucune expérience récente
d’un théâtre d’opérations sem­-
blable, avec des tranchées et des
défenses renforcées, creusées par
une armée régulière adverse
­fournie. Le modèle contre-insur-
rectionnel – si on peut parler de
­modèle, au vu des résultats de
long terme – appliqué en Afgha-
nistan et en Irak n’est d’aucune
utilité ici.
Insistant sur la « dynamique »
d’un tel conflit, Jake Sullivan a
­refusé de parler d’impasse. Le
­conseiller a rappelé que les
manœuvres en cours relevaient de
« décisions souveraines » de
l’Ukraine, écartant ainsi l’idée
d’une forme de coproduction, qui
associerait l’administration Biden
à l’absence de reconquêtes mas­-
sives. Il a préféré mettre l’accent
sur la pérennité de l’engagement
américain, malgré les résistances
croissantes au Congrès, en parti-
culier parmi les élus trumpistes à
la Chambre des représentants.
« Même s’il y a des voix dissonantes
sur l’autre bord, nous croyons que,
au fond, il existe encore une base bi-
partisane forte de soutien à notre
politique ukrainienne et au soutien
et à la défense de l’Ukraine. »
Pour l’heure, les Etats-Unis ont
consacré plus de 43 milliards de
dollars (39,6 milliards d’euros) à
l’Ukraine en aide militaire, équi-
pements et munitions. Début
août, l’administration Biden a
­demandé une tranche supplé-
mentaire de 13 milliards de dol-
lars au Congrès, dans le cadre d’un
paquet de dépenses d’urgences
plus large de 40 milliards.
Le lendemain de l’intervention
de Jake Sullivan, le New York Times
publiait un nouvel article criti-
que. Il expliquait que les Ukrai-
niens avaient trop étalé leurs
troupes et leurs équipements
­entre l’est – en particulier à
­Bakhmout, rayé de la carte, mais
lieu symbolique toujours disputé
– et le sud, au lieu de se concentrer
sur un seul front. Les gradés amé-
taire de Russie. Cet admirateur du
III Reich, connu pour ses tatoua-
ges nazis, repose donc auprès de
mémoriaux aux morts de la se-
conde guerre mondiale.
Le très discret mercenaire a bel
et bien commencé sa carrière
dans l’armée, atteignant le grade
de lieutenant-colonel du GRU, le
renseignement militaire. Il a en-
suite rejoint, en 2013, le Corps
slave, embryon de compagnie mi-
litaire privée active en Syrie, avant
de fonder son propre groupe,
­Wagner, dont il transférera plus
tard le contrôle à Prigojine.
Jusqu’à sa mort le 23 août, dans
le même crash d’avion que son
patron, Outkine continuait de di-
riger les opérations militaires de
Wagner. « Héros de la Russie »
Volodymyr Zelensky et le président américain, Joe Biden, lors du sommet du G7, auquel le chef de l’Etat ukrainien était invité,
à Hiroshima, le 21 mai. UKRAINIAN PRESIDENTIAL PRESS SERVICE / AFP
ricains, eux, les auraient encoura-
gés à se focaliser sur leur objectif
principal, l’avancée vers la ville de
Melitopol pour rompre le pont
terrestre entre la Russie et la Cri-
mée annexée.
Selon le journal, le chef d’état-
major des armées, le général
Mark Milley, aurait communiqué
cette analyse au commandant en
chef des forces ukrainiennes, Va-
leri Zaloujny, le 10 août, au cours
d’une vidéoconférence qui asso-
ciait son homologue britannique,
Tony Radakin, et le général Chris-
topher Cavoli, commandant des
forces américaines en Europe.
Un nouveau « Manhattan Project »
Depuis novembre 2022, le général
Mark Milley fait entendre une
voix un rien dissonante parmi les
officiels américains. A l’époque
déjà, il évoquait la nécessité
­d’envisager une solution politi-
que. « Lorsque l’occasion se pré-
sente de négocier, lorsque la paix
peut être obtenue, saisissez-la », di-
sait-il publiquement. « Des gens
comme le général Milley ou ses
­homologues britannique et cana-
dien tiennent ces propos prudents
depuis un moment, souligne Dara
Massicot. Or, j’imagine qu’ils dis-
posent d’informations assez bon-
nes sur l’état des stocks et les inven-
taires. Cela vaut la peine de prêter
attention à leurs avertissements. »
Selon cette experte, la progres-
sion ukrainienne « dépendra de
plusieurs facteurs n’apparaissant
pas dans le débat public, comme le
taux de consommation des obus
d’artillerie et des armes automati-
ques. De même, les chiffres des
comme son patron, il s’était vu
distinguer six fois de l’ordre du
Courage, ce qui constituerait un
record. Selon les agences russes, il
aurait été enterré « avec les hon-
neurs militaires ».
Une autonomie inégalée
Peut-être faut-il voir dans la diffé-
rence de traitement entre Prigo-
jine et Outkine la suite logique
des mots prononcés par le prési-
dent russe, Vladimir Poutine, au
lendemain du crash. Le président
avait alors évoqué les collabo­-
rateurs de la société Wagner, que
« nous n’oublierons jamais », et re-
légué Evgueni Prigojine, pourtant
un proche depuis les années
1990, au rang de simple « busines-
sman talentueux ».
­ ertes et des blessés sont imprécis
p tion conduite par les Etats-Unis
des deux côtés. »
Peu après l’article du New York
Times, les conseils appuyés des
hauts gradés américains aux
Ukrainiens étaient confirmés
dans le Wall Street Journal. Le
­quotidien conservateur expli-
quait que, depuis des semaines, le
Pentagone essayait de convaincre
l’armée ukrainienne de revenir à
la philosophie de la formation
dispensée à ses soldats en Allema-
gne, soit des opérations com­-
binées avec chars, artillerie et sol-
dats au sol.
Mais les Ukrainiens essaient, lo-
giquement, de limiter leurs pro-
pres pertes humaines et avancent
avec précaution, par groupes res-
treints, d’autant qu’ils ne dispo-
sent pas de la supériorité aérienne
qu’implique normalement cette
stratégie américaine. Les chas-
seurs F-16, que plusieurs pays se
sont engagés à fournir à Kiev
(Norvège, Pays-Bas, Danemark)
n’entreront dans le conflit qu’au
début 2024. L’administration Bi-
den estime depuis le début que
ces F-16 ne changeront pas radica-
lement l’équilibre des forces, et ne
seront donc pas un atout décisif.
Le consensus quasi général chez
les responsables américains et les
experts consiste à dire que le
­président russe, Vladimir Poutine,
n’est pas du tout disposé à négo-
cier, qu’il mise sur l’épuisement de
la mobilisation chez les alliés et la
résilience russe face aux sanc-
tions, malgré le choc inflation-
niste sans doute à venir. « On a be-
soin de plus d’outils de pression sur
Poutine, souligne une source
En enterrant les dernières victi-
mes du crash, le pouvoir russe
­entend en tout cas refermer une
page – celle de la mutinerie des
23 et 24 juin et, plus générale-
ment, celle de l’existence de
­Wagner, une société de mercenai-
res à l’autonomie inégalée. Jeudi,
l’agence Bloomberg estimait que
les dernières activités de Wagner,
celles que le groupe conduit en
Afrique, passaient progressive-
ment sous le contrôle de l’armée.
Un autre événement, survenu
également jeudi, montre toute-
fois que les conséquences poli­-
tiques de la mutinerie sont plus
difficiles à effacer. Depuis la pri-
son où il est détenu avant d’être
jugé pour « extrémisme », Igor
Strelkov, ancien du FSB, le service
Le risque
d’un conflit
en accordéon,
long, avec des
poussées dans
les deux sens,
semble élevé
ukrainienne. C’est lui qui prolonge
cette guerre et déclare qu’il veut oc-
cuper plus de territoire ukrainien.
La guerre ne va pas s’arrêter par
­miracle parce que quelqu’un à
Washington ou en Europe le veut.
Croire cela relève de la naïveté occi-
dentale. »
Les rares appels à un processus
diplomatique avec Moscou –
même en vue d’un simple armis-
tice sans traité de paix, à l’instar du
chercheur Samuel Charap – pa-
raissent ainsi hors sol, considérant
surtout les Ukrainiens comme des
figurants de leur propre tragédie.
Dans un article publié le 31 août
dans Foreign Affairs, intitulé
« Comment l’Ukraine peut ga-
gner une guerre longue », l’ex-gé-
néral australien Mick Ryan ap-
pelle les pays occidentaux à
l’autocritique et à la réflexion. Ex-
pert au centre de réflexion Center
for Strategic and International
Studies (CSIS), il souligne que la
doctrine et les formations pré-
vues face à des forces militaires
combinées défensives ne sont
plus adaptées. « Les heures glo-
rieuses de la guerre du Golfe
en 1991, dans laquelle une coali-
de sécurité russe, et ex-chef mili-
taire des séparatistes du Donbass,
a dit son intention de se présenter
à l’élection présidentielle de
mars 2024.
En substance, Igor Guirkine, de
son vrai nom, reproche à Vladi-
mir Poutine sa mollesse dans la
conduite de la guerre et ses liens
avec « des milliardaires et autres
businessmen à qui il ne peut rien
refuser ».
Certes, cette déclaration de can-
didature est toute théorique, et
les chances que le Kremlin laisse
Strelkov troubler le jeu électoral
sont proches de zéro. Certes,
aussi, l’homme n’était pas un
­proche de Prigojine, avec qui il
avait pris ses distances durant le
putsch, mais son positionnement
0123
­
­Samedi 2­ septembre 2023
avait rapidement repoussé l’ar-
mée irakienne en dehors du
Koweït, sont simplement impossi-
bles dans un environnement dé-
pourvu de ­contrôle favorable des
airs et avec un terrain de guerre
couvert d’un filet dense de cap-
teurs permettant aux Russes de
détecter rapidement et de frapper
des cibles ukrainiennes. »
Mick Ryan appelle à un nouveau
« Manhattan Project » – du nom
du programme de recherche
­conduit par les Etats-Unis pour
concevoir une bombe nucléaire
pendant la seconde guerre mon-
diale – afin de trouver des outils
de détection et de neutralisation
rapides contre les mines, permet-
tant aux Ukrainiens d’avancer.
Certaines des critiques formu-
lées à l’adresse de l’Ukraine tra-
hissent parfois des espérances ir-
réalistes, une méconnaissance
des forces en présence ou des fan-
tasmes sur un écroulement du ré-
gime russe. Tous les experts sé-
rieux notaient, plusieurs mois
avant le début de la contre-offen-
sive, que la Russie avait tiré certai-
nes leçons de ses errements opé-
rationnels en 2022. Dès mars, le
Washington Post s’était ainsi fait
l’écho d’une analyse confiden-
tielle, attribuée au Bureau du di-
recteur du renseignement natio-
nal, qui doutait déjà de gains terri-
toriaux substantiels dans une
éventuelle contre-offensive. Le
document évoquait à la fois les
défenses russes renforcées et cer-
taines lacunes ukrainiennes (mu-
nitions, formations). On y est. p
Piotr Smolar
est proche et les critiques qu’il
émet depuis le lancement de
­l’invasion de l’Ukraine sont large-
ment partagées dans la frange
­radicale et ultranationaliste de
l’opinion.
Jeudi également, un autre blo-
gueur dit « militaire » a été arrêté
à Moscou. Andreï Kourchine, qui
a également combattu au côté des
séparatistes du Donbass, ne mé-
nageait pas ses critiques envers
l’armée. Il pourrait être inculpé
selon les lois de censure militaire
pour « discréditation de l’armée »
ou « diffusion de fausses nou­-
velles ». D’autres blogueurs « Z »,
c’est-à-dire ultranationalistes,
­disaient craindre une vague d’ar-
restations plus large. p
Benoît Vitkine
0123
­
­Samedi 2­ septembre 2023
A Londres, la démission attendue de Ben Wallace
Le ministre britannique de la défense, partisan précoce du soutien à l’Ukraine, avait annoncé son départ
Londres - correspondante
J
oignant les actes à la parole,
Ben Wallace, le ministre de la
défense britannique, a
­officiellement démissionné
jeudi 31 août. Partisan du
« Remain » lors du référendum de
2016 sur l’appartenance à l’Union
européenne, il comptait néan-
moins parmi les fidèles de Boris
Johnson. Il avait annoncé son in-
tention de partir en juillet, en in-
voquant son envie, à 53 ans, de
consacrer plus de temps à sa fa-
mille. Il devrait terminer son man-
dat de député à Westminster, mais
a indiqué qu’il ne se représente-
rait pas aux prochaines élections
parlementaires, courant 2024.
« That’s all folks ! [C’est tout, les
amis !] Ce fut un privilège de servir
cette grande nation », a posté avec
désinvolture l’élu, jeudi, sur le ré-
seau X (anciennement Twitter).
Avec son départ, le gouverne-
ment britannique perd un minis-
tre populaire et sérieux, qui a joué
un rôle prééminent dans le sou-
tien précoce et très ferme du
Royaume-Uni à l’Ukraine. M. Wal-
lace sera remplacé par Grant
Shapps, 54 ans, ex-ministre de
l’énergie et soutien du premier
ministre, Rishi Sunak.
« Stabilité » dans le chaos
Fils d’un militaire (membre du ré-
giment de cavalerie 1st King’s Dra-
goon Guards), Ben Wallace a un
parcours plutôt atypique pour un
conservateur de sa génération : il
est certes passé par un collège
privé mais n’a pas mis les pieds à
« Oxbridge » (les universités de
l’élite politique et sociale, Oxford
et Cambridge), préférant rejoindre
l’académie militaire Sandhurst,
après quelques petits boulots – il
fut notamment moniteur de ski
dans le Tyrol autrichien. Enrôlé
dans les Scots Guards, il sert une
dizaine d’années, en Allemagne, à
Chypre, ou en Irlande du Nord, et
quitte le service actif avec le grade
de capitaine.
Sa carrière politique commence
en 1999, quand il est élu député
(conservateur) du tout nouveau
Parlement régional écossais. Il
quitte cet hémicycle pour la
Chambre des communes
en 2005, après avoir présenté sa
candidature à Westminster dans
une circonscription du nord-est
de l’Angleterre. C’est Boris John-
son, dont il soutient la campagne
pour prendre la tête des tories, qui
Japon : le souvenir toujours tabou du massacre des Coréens en 1923
Les commémorations du centenaire du séisme qui a dévasté la région de Tokyo continuent d’occulter les tueries qui ont suivi la catastrophe
Tokyo - correspondance
L es célébrations, vendredi
1er septembre, du cente-
naire du tremblement de
terre qui fit 105 000 morts à Tokyo
et sa région se dérouleront, une
nouvelle fois, en occultant l’autre
catastrophe, directement liée au
séisme : les massacres de Coréens,
de personnes soupçonnées de
l’être, mais aussi de militants poli-
tiques et de Chinois, dans les jours
qui ont suivi la tragédie.
Le silence durable autour de ces
massacres explique les difficultés
du cinéaste Tatsuya Mori à réali-
ser son film Fukudamura jiken
(« l’incident du village de
Fukuda »), prévu pour sortir le
1er septembre. Le long-métrage re-
late un drame survenu cinq jours
après le séisme, celui du meurtre
de neuf marchands ambulants
dans le village de Fukuda,
aujourd’hui Noda, dans le dépar-
tement de Chiba (est de Tokyo).
Les colporteurs faisaient partie de
la communauté des burakumin,
« That’s all folks !
[C’est tout,
les amis !] Ce fut
un privilège
de servir
cette grande
nation », a posté
l’élu, jeudi, sur X
le nomme au portefeuille de la dé-
fense, en juillet 2019. Il y restera
donc quatre ans, faisant preuve
d’une longévité remarquable.
Cet homme plutôt discret n’a
pas été rattrapé par les scandales.
Il ne s’est pas compromis en parti-
cipant à des fêtes à Downing Street
pendant le confinement, contrai-
rement à Boris Johnson (ou même
à Rishi Sunak, qui s’est vu infliger
une amende en 2022 pour avoir
passé une tête à la fête d’anniver-
saire de M. Johnson). « En Europe
et à l’OTAN, M. Wallace était consi-
déré comme quelqu’un apportant
de la stabilité quand les gouverne-
ments britanniques conservateurs
étaient en plein chaos », juge
­Camille Grand, chercheur à l’Euro-
pean Council on Foreign Relations
(ECFR) et ex-secrétaire général ad-
joint pour les investissements de
défense à l’OTAN.
C’est surtout son soutien indé-
fectible à l’Ukraine qui lui vaut le
respect au sein des tories et à l’in-
ternational. « Je veux remercier
mon ami et collègue pour tout ce
qu’il a fait pour l’Ukraine, a souli-
gné dans un hommage appuyé
Oleksii Reznikov, le ministre
ukrainien de la défense, sur X.
Son énergie et son dévouement
ont permis aux plans les plus
audacieux de se réaliser (…). Il a
donné l’exemple, son autorité a
inspiré d’autres pays de nous por-
ter assistance. » « Merci ! Pour no-
tre excellent travail en commun,
en soutien à l’Ukraine et pour une
sécurité commune plus forte », a
également réagi le Français Sé-
bastien Lecornu.
Dès fin 2021, M. Wallace a battu
le rappel pour armer l’Ukraine
face à la menace russe. Londres a
été ainsi le premier à fournir des
armes létales à Kiev – des lance-
missiles portatifs dès jan-
vier 2022, qui contribueront à
stopper l’avancée des chars russes
sur la capitale ukrainienne un
mois plus tard. Le Royaume-Uni
discriminée car considérée
comme « impure ». Venus du dé-
partement de Kagawa (Ouest), ils
vendaient des médicaments le
long du fleuve Tone. Ils ont été
massacrés par une centaine de vil-
lageois parce qu’ils s’exprimaient
dans le dialecte de Sanuki. Ils ont
été confondus avec des Coréens.
Comme dans ses documentaires
A et A2 sur les membres de la secte
Aum Shinrikyo, responsable de
l’attaque au gaz sarin, en 1995,
dans le métro de Tokyo, M. Mori
s’attarde sur la vie quotidienne des
auteurs du massacre et les événe-
ments qui l’ont précédé. « J’ai voulu
montrer que des gens bien peuvent
se rendre coupables du pire sous la
pression de leur environnement, a-
t-il indiqué début août, lors d’une
conférence de presse. Cela n’arrive
pas qu’aux autres. Nous avons tous
ça en nous. Le facteur déclenchant
est un sentiment d’insécurité qui
pousse à se rassembler, ce qui peut
provoquer des drames. Les Japo-
nais, en particulier, tendent à fonc-
tionner comme ça. »
Le ministre britannique de la défense, Ben Wallace, le 13 octobre 2022, à Bruxelles. KENZO TRIBOUILLARD/AFP
est aussi, dans les premiers mois
du conflit, le pays européen ap-
portant le soutien financier le
plus important d’Europe, for-
mant également des milliers de
soldats ukrainiens, et livrant les
premiers chars de combat et mis-
siles de longue portée. Des déci-
sions qui portent toutes la mar-
que du ministère de la défense.
Ambition déçue
« Les Occidentaux ont été trop lents
à armer les Ukrainiens avant le
conflit, leurs efforts en matériel et
en formation auraient dû être plus
consistants », estimait M. Wallace
lors d’une conférence organisée
par le Tony Blair Institute, fin
juillet, à Londres. Seul accroc à son
zèle en faveur de Kiev : son mou-
vement d’humeur lors du som-
met de l’OTAN à Vilnius, quand il a
enjoint aux Ukrainiens de « mon-
trer plus de gratitude » envers
l’aide occidentale, après que le pré-
sident Volodymyr Zelensky a jugé
« absurde » de n’avoir pas obtenu
Dans la panique
suivant le séisme,
des rumeurs
affirmaient
que les migrants
coréens avaient
empoisonné
les puits
La réalisation du film n’a pas été
simple, notamment pour réunir
le budget nécessaire. Une campa-
gne de financement participatif a
généré 35 millions de yens
(221 000 euros), la moitié des
coûts de production. Il a aussi
fallu trouver des acteurs, alors que
les agences de stars hésitent à lais-
ser leurs protégés apparaître dans
des films abordant des sujets sen-
sibles. A l’affiche figure toutefois
Arata Iura, un habitué des films
polémiques comme ceux sur l’Ar-
mée rouge japonaise. L’actrice
de l’OTAN un calendrier d’adhé-
sion. Cette remarque, jugée bru-
tale, lui a été reprochée dans les
cercles européens.
Au printemps, le Britannique
fut l’un des candidats officieux au
remplacement de Jens Stolten-
berg, le secrétariat général de
l’OTAN, et sa démission ne serait
pas étrangère à cette ambition dé-
çue, ont supputé les médias bri-
tanniques – le mandat de M. Stol-
tenberg a été prolongé d’un an.
Les Américains voulaient « proba-
blement un chef de gouvernement
ou d’Etat à ce poste », a-t-il glissé à
la conférence du Tony Blair Insti-
tute, assurant n’avoir pas d’amer-
tume : « Je n’avais pas rêvé du
poste pendant vingt ans. »
Avec Rishi Sunak, à qui Ben Wal-
lace avait préféré Liz Truss pour
succéder à Boris Johnson à l’été
2022, les tensions, palpables, por-
taient sur le budget militaire. Le
ministre défendait un accroisse-
ment très notable, jusqu’à 3 % du
PIB britannique. Le premier
Rena Tanaka a rejoint le projet en
raison de la guerre en Ukraine.
« J’ai trouvé des similitudes entre
l’invasion de l’Ukraine et la tragé-
die de Fukuda », a-t-elle expliqué.
En 1923, dans la panique qui a
suivi le séisme, des rumeurs se
sont répandues prétendant que
des migrants de Corée, alors colo-
nie du Japon, avaient empoisonné
les puits, allumé des incendies et
provoqué des émeutes. A l’époque,
les Coréens venaient au Japon
pour travailler dans une industrie
en manque de main-d’œuvre.
Quatre ans après le mouvement
du 1er mars 1919 en faveur de l’indé-
pendance de la péninsule, les auto-
rités japonaises les considéraient
comme des factieux.
Comme le rappelle le site spé-
cialisé 1923news, le ministère de
l’intérieur a, dès le lendemain du
séisme, imposé la loi martiale et
adressé à chaque ville une direc-
tive demandant de « prendre les
mesures appropriées » contre les
« Coréens rebelles », avec le con-
cours de la population. Des grou-
International | 7
Grant Shapps,
son successeur,
ne jouit pas de la
même popularité
que M. Wallace.
Son inexpérience
inquiète
­ inistre, ex-chancelier de l’Echi-
m lace : sa proximité avec M. Sunak
quier, plus comptable que vision-
naire, et obnubilé par les chif-
fres de l’inflation, a refusé de sui-
vre, n’accordant, ce printemps,
qu’une rallonge de 5 milliards de
livres sterling (5,8 milliards
d’euros) par an au budget mili-
taire, porté ainsi à plus de 55 mil-
liards de livres sterling (64 mil-
liards d’euros) annuels. « Je pars
en ayant essayé de préparer le ter-
rain pour des dépenses militaires
correspondant aux besoins du fu-
tur dans un monde aux risques de
pes d’autodéfense japonais, sou-
tenus par la police et l’armée, ont
été formés. Certains ont commis
des massacres.
Controverses mémorielles
Une étude de 2009 de l’agence
des catastrophes fait état de
2 600 à 6 600 victimes coréennes,
ainsi que de plusieurs centaines
de Chinois, mais aussi des mili-
tants politiques, comme l’anar-
chiste Osugi Sakae, l’activiste chi-
nois Wang Xitien et des buraku-
min. Ce bilan reste contesté, le
corps de certaines victimes
n’ayant pas été retrouvé.
Il a fallu attendre 1973 pour
qu’une stèle soit érigée en mé-
moire des Coréens assassinés. Elle
se trouve dans le parc Yokoamicho
de l’arrondissement de Sumida
(nord-est de Tokyo), près du mé-
morial construit pour les victimes
du séisme. Chaque 1er septembre,
des associations s’y recueillent.
Cet hommage provoque parfois
des heurts avec des mouvements
d’extrême droite, comme Soyo-
conflit bien plus importants », in-
sistait M. Wallace cet été.
Sa nomination tout juste officia-
lisée, Grant Shapps s’est empressé
jeudi de confirmer « le soutien du
Royaume-Uni à l’Ukraine », pour
rassurer Kiev que son action s’ins-
crira dans la voie tracée par son
prédécesseur. Ce bon communi-
cant, qui fut en moins d’un an mi-
nistre des transports, de l’inté-
rieur et de l’énergie, ne jouit pas de
la même popularité que M. Wal-
et son inexpérience inquiètent.
« Il va être un “yes man” [il
n’osera pas contredire son chef] »,
assène Richard Foord, porte-pa-
role du Parti des démocrates libé-
raux sur les sujets de défense.
« Nous voilà avec un nouveau mi-
nistre sachant très peu de choses
sur la défense. Or, c’est un porte-
feuille complexe, qui demande du
temps avant d’être maîtrisé », a
réagi Lord Dannatt, ex-chef d’état-
major, sur la chaîne Sky News. p
Cécile Ducourtieux
kaze (« brise »), une association de
femmes japonaises qui nie la réa-
lité du massacre. « De nombreux
Japonais ont vu leurs proches tués
et leurs maisons brûlées par les re-
belles coréens », déclarait l’organi-
sation lors du rassemblement de
2022. La très nationaliste gouver-
neure de Tokyo, Yuriko Koike, pro-
che du Parti libéral démocrate
(PLD au pouvoir), refuse aussi de
rendre hommage à ces victimes.
« Les faits historiques peuvent faire
l’objet de diverses interprétations,
c’est aux historiens d’y réfléchir »,
éludait-elle en février.
Cela rappelle que des rumeurs
accusant les Coréens de méfaits
avaient aussi circulé après les
séismes de 1995 et de 2011. Pour
Tatsuya Mori, ces attitudes té-
moignent de la réalité du Japon
d’aujourd’hui, où domine « une
tendance forte et croissante à dé-
tourner le regard des aspects né-
gatifs de l’histoire. Je crois pour-
tant que l’on se grandit en affron-
tant ses erreurs ». p
Philippe Mesmer
8 | Planète
L’exécutif veut faire interdire la
dénomination « steak végétal »
Après la suspension d’un décret par le Conseil d’Etat, le gouvernement
a notifié un nouveau projet pour prohiber certaines appellations
L P
a bataille sémantique
autour des boulettes végé-
tales et autres steaks à
base de plantes est relan-
cée. Un an après qu’un premier dé-
cret publié au Journal officiel, fin
juin 2022, interdisant de désigner
des produits végétaux par des ter-
mes de boucherie, a été suspendu
par le Conseil d’Etat, le gouverne-
ment français a notifié, le 23 août,
un nouveau texte à la Commission
européenne, que le site Contexte
d’information publie jeudi 31 août.
Dans ce projet de décret, le gou-
vernement tient compte des re-
marques du Conseil d’Etat, qui
avait jugé le premier texte trop va-
gue. Celui-ci ciblait, sans plus de
précisions, « la terminologie spéci-
fique de la boucherie, de la charcu-
terie ou de la poissonnerie ». Le
nouveau texte, signé de la pre-
mière ministre, Elisabeth Borne,
du ministre de l’économie, Bruno
Le Maire, et du ministre de l’agri-
culture, Marc Fesneau, se veut
cette fois exhaustif. Il comporte
une liste de vingt et un termes
« dont l’utilisation est interdite
pour la désignation de denrées ali-
mentaires comportant des protéi-
nes végétales ». Si le veto aux ter-
mes de « paleron », de « tendron »,
de « hampe » ou de « bavette » vé-
gétaux ne devrait guère perturber
le secteur des simili-carnés, celui
visant les appellations « steak »,
« jambon » ou « escalope » porte-
rait davantage à conséquence.
Le projet de décret comporte en
outre une seconde liste d’une
­centaine de termes – parmi les-
quels « bacon », « boudin », « lar-
don », « nugget », « saucisse »… –
désignant des produits qui ne
Les marais et les mangroves pourraient
disparaître au-delà de 2 0C de réchauffement
L’étude de la dernière glaciation a permis d’illustrer les effets de la hausse du niveau des mers
E tudier la dernière déglacia-
tion pour mieux compren-
dre la montée des océans
au XXIe siècle. Dans une étude pu-
bliée par la revue Nature, jeudi
31 août, vingt et un scientifiques
issus de dix-sept centres de re-
cherche (Australie, Singapour, Al-
lemagne, Etats-Unis, Hongkong,
Royaume-Uni) se sont penchés
sur la façon dont les mangroves,
les marais maritimes ou les îles
coralliennes se sont adaptés, ou
ont disparu, lors la fonte des calot-
tes glaciaires au début de l’holo-
cène, il y a environ douze mille
ans. Une plongée dans le passé qui
permet d’illustrer les conséquen-
ces probables de la hausse du ni-
veau des mers actuel. « Nos recher-
ches montrent que ces zones côtiè-
res peuvent probablement s’adap-
ter à un certain degré d’élévation
du niveau de la mer, mais qu’ils at-
teindront un point de bascule dé-
clenché par un réchauffement cli-
matique de plus de 2 0C », analyse,
dans les commentaires du rap-
port, le professeur Neil Saintilan,
de l’université Macquarie (Syd-
ney), qui a coordonné les travaux.
Lors du pic de la dernière glacia-
tion, il y a environ vingt et un
mille ans, le niveau des océans
était 120 mètres plus bas
qu’aujourd’hui. La Manche, entre
la France et le Royaume-Uni,
n’existait pas. Pendant des millé-
naires, le climat s’est ensuite ré-
chauffé et les océans sont montés,
parfois de façon rapide (environ
un mètre par siècle), parfois de fa-
Si le texte
s’appliquait,
les « lardons »
ou les « rillettes
végétales »
devraient
changer de nom
pourraient contenir qu’une te-
neur marginale de protéines végé-
tales (de 0,5 % à 5 % autorisés selon
les catégories). Si le décret s’appli-
quait, les produits aujourd’hui
commercialisés sous l’appellation
« lardons végétaux », « knacks vé-
gétaux » ou « rillettes végétales »
devraient donc changer de nom.
Le marché des protéines alterna-
tives reste minoritaire, avec des
ventes estimées à 425 millions
d’euros en 2022 en France (essen-
tiellement portées par les bois-
sons végétales), mais les gammes
de substituts à la viande se sont
étoffées et diversifiées ces derniè-
res années. Au niveau mondial, le
secteur des simili-viandes repré-
sente 1 % du marché et, après des
investissements massifs, a connu
des revers. Mais, face à l’enjeu cli-
matique et sanitaire de réduire la
consommation carnée dans les
pays développés, ces alternatives
restent une des pistes pour végéta-
liser les assiettes. « Pour les con-
sommateurs, les substituts permet-
tent de changer son alimentation
sans avoir à changer sa façon de
cuisiner », explique Romain Espi-
nosa, chercheur en économie
(CNRS, Centre international de re-
çon plus lente. Les auteurs ont
compilé les données paléontologi-
ques et sondé les couches sédi-
mentaires, aujourd’hui submer-
gées, parfois sous 90 mètres d’eau.
Selon leurs conclusions, les man-
groves et les marais maritimes ont
réussi à s’adapter par sédimenta-
tion lorsque l’élévation du niveau
des mers était inférieure à 4 milli-
mètres par an. Mais leur inonda-
tion à terme est devenue « proba-
ble » à partir de ce seuil, et « haute-
ment probable » à partir de 7 milli-
mètres d’élévation par an. « Plus la
montée des océans est rapide, plus
la menace qui pèse sur les marais,
les mangroves et les récifs coral-
liens du monde entier est grande »,
résume Robert Kopp, professeur
émérite au département des scien-
ces de la Terre de l’université Ru-
tgers, dans le New Jersey, qui a par-
ticipé aussi au sixième rapport
d’évaluation du Groupe d’experts
intergouvernemental sur l’évolu-
tion du climat (GIEC).
Accélération
L’intérêt de cette étude est qu’elle
compare des vitesses d’élévation
du niveau de la mer du passé à cel-
les qui sont provoquées par le ré-
chauffement climatique actuel.
En 2019, le GIEC avait consacré un
rapport à ce sujet, estimant que la
montée des eaux s’accélérait. Elle
est en moyenne de 3,6 millimètres
par an, contre 1,4 millimètre sur la
période 1901-1990. Dans le pire des
scénarios, celui d’une augmenta-
tion au rythme actuel des émis-
cherche sur l’environnement et le
développement). Les Français res-
tent toutefois frileux devant ces
protéines alternatives, au prix
élevé, et pour certaines très trans-
formées. « En France, l’attache-
ment à la viande est très fort, cons-
tate l’économiste, et on a une aver-
sion aux produits transformés. »
Même si l’industrie des simili-
carnés cherche encore son posi-
tionnement, entre produits re-
produisant texture et goût de la
viande à grand renfort de techno-
logies et d’additifs, et autres pro-
duits à base de légumineuses bru-
tes ou céréales, elle est perçue
comme une menace par les sec-
teurs de la viande et du lait. Et c’est
sur le champ lexical que ces
­derniers ferraillent, en arguant
d’une possible confusion pour le
consommateur. En octobre 2020,
le Parlement européen avait reto-
qué un texte visant à interdire ces
appellations, à l’exception des si-
mili-lactés, qui se sont vu prohi-
ber d’employer les termes de
« lait », « yaourt » ou « fromage ».
« Un frein au changement »
« Les études scientifiques sur le
­sujet montrent que les consomma-
teurs font très bien la différence en-
tre la viande et ses substituts, souli-
gne M. Espinosa. La mention “vé-
gétarien” est généralement claire-
ment écrite sur les paquets, et
souvent, les substituts sont présen-
tés dans des rayonnages séparés. »
Avec son décret de 2022, la France
était le premier Etat européen à
vouloir réglementer les appella-
tions des simili-carnés. Mais l’as-
sociation Protéines France, qui re-
groupe les industriels des protéi-
sions de CO2 (RCP 8.5, soit en
moyenne 4 oC de réchauffement),
les océans pourraient s’élever de
1,10 mètre d’ici à 2100. Même dans
des hypothèses intermédiaires,
au-delà de 2 0C de réchauffement,
les vitesses pourraient être com-
prises entre 5 et 10 millimètres par
an, selon les zones. « La plupart des
marais maritimes seront probable-
ment capables d’accompagner une
élévation du niveau de la mer au-
dessous de 1,5 0C de réchauffement,
mais il est peu probable que les
deux tiers soient capables de le faire
avec un réchauffement de 2 0C de
réchauffement », poursuit
M. Kopp. Avec une hausse
moyenne des tem­pératures de
3 0C, les chercheurs estiment que
presque toutes les forêts de man-
groves et les îles de récifs coralliens
du monde pourraient disparaître.
Ces conséquences sur les zones
humides illustrent l’importance
des engagements internationaux
« Les zones
humides côtières
protègent contre
l’érosion et les
inondations
associées aux
tempêtes »,
alertait le sixième
rapport du GIEC
nes végétales, avait contesté avoir
le temps de se plier à la nouvelle
réglementation et saisi le Conseil
d’Etat. Un an après avoir suspendu
le décret, le rapporteur public ren-
voyait le dossier, le 28 juin, à la
Cour de justice de l’UE.
Sans attendre cette décision, qui
pourrait intervenir courant 2024,
le gouvernement présente donc
un nouveau texte, mais la ques-
tion de sa conformité avec le règle-
ment européen sur l’étiquetage
reste posée. Par ailleurs, le projet
de décret prévoit que des substi-
tuts importés d’autres Etats mem-
bres et commercialisés en France
puissent continuer à s’appeler
« bacon » ou « saucisse » végétaux.
« Ce nouveau texte du gouverne-
ment, c’est un frein au changement
alimentaire, souligne M. Espinosa,
d’autant qu’il n’y a, par ailleurs, pas
de volonté politique pour déve­-
lopper une alimentation végétale
moins transformée, comme les
­lentilles ou le tofu. »
En attendant les retours de la
Commission européenne sur le
projet de décret, l’appellation
« steak végétal » creuse son sillon.
Le 9 mai, le ministre de l’agricul-
ture employait le terme lors d’une
interview radio. Interrogé par
Franceinfo sur la nomination de
sa directrice de communication,
venue de l’Association nationale
des industries alimentaires, Marc
Fesneau répondait : « Si elle avait
travaillé pour quelqu’un qui fait du
steak végétal, ça ne vous poserait
pas de problème ? » Preuve que le
ministre a bien intégré la distinc-
tion entre steak végétal et steak
d’origine animale. p
Mathilde Gérard
en matière climatique. Adopté
en 2015 à l’issue de la COP21, l’ac-
cord de Paris affichait l’ambition
de maintenir l’augmentation de la
température moyenne de la pla-
nète bien en deçà de 2 0C et, de pré-
férence, de la limiter à 1,5 0C (le ré-
chauffement actuel est quasi-
ment de 1,2 0C par rapport à l’ère
préindustrielle).
Depuis de nombreuses années,
les scientifiques répètent que cha-
que dixième de réchauffement
peut provoquer des effets en cas-
cade. Car ces zones côtières ont un
rôle très important, en tant que
puits de carbone et comme barriè-
res ­contre les tempêtes et les inon-
dations. « Les mangroves et les ma-
rais agissent comme un tampon
entre l’océan et la terre : ils absor-
bent l’impact de l’action des va-
gues, préviennent l’érosion et sont
cruciaux pour la biodiversité des
pêcheries et des plantes côtières »,
estime Neil Saintilan.
Dans son sixième rapport d’éva-
luation, le GIEC alertait déjà sur le
franchissement de certains seuils.
« Les zones humides côtières protè-
gent contre l’érosion et les inonda-
tions associées aux tempêtes et à
l’élévation du niveau de la mer,
écrivaient les auteurs. Ce proces-
sus peut se poursuivre là où il y a
suffisamment d’espace et des habi-
tats adéquats disponibles. Il s’ar-
rête lorsque les taux d’élévation du
niveau de la mer dépassent la ca-
pacité d’adaptation naturelle à la
formation de sédiments. » p
Matthieu Goar
Les baleines n’étaient pas
aussi nombreuses qu’on
le pensait il y a trois siècles
Le calcul des mutations du génome entre
générations a révisé à la baisse la population
des cétacés de l’Atlantique Nord
rofesseur de biologie ma-
rine à l’université de Gro-
ningue, aux Pays-Bas, Per
Palsboll prend bien soin de met-
tre les choses à leur place : « Nous
ne sommes que des scientifiques.
Pour arrêter une décision sur la pê-
che à la baleine, il y a beaucoup de
critères à prendre en compte et nos
résultats ne sont qu’un élément. »
Il n’empêche, l’article que son
équipe publie dans Science, ven-
dredi 1er septembre, promet de
faire des vagues lors des pro­-
chaines discussions entre Etats
sur la conduite à tenir. Il conclut
que la population de baleines à
bosse dans l’Atlantique Nord
avant l’ère de la pêche industrielle
– il y a de cela trois siècles – était
beaucoup moins importante
qu’on le pensait jusqu’ici : un peu
plus de 20 000 individus, loin des
150 000 cétacés envisagés. La
­population actuelle estimée à
12 000 baleines à bosse serait
donc en bien meilleure santé
qu’on ne le croyait.
Aussi spectaculaire qu’il soit, ce
résultat n’est qu’une conséquence
de l’étude présentée dans Science.
Le but des chercheurs de neuf na-
tionalités, coordonnés par l’uni-
versité de Groningue et le Center
for coastal studies de Province-
town (Maine, Etats-Unis), était en
réalité de déterminer ce que les gé-
néticiens nomment le taux de
mutations des baleines à fanons,
soit la probabilité qu’une muta-
tion intervienne dans le génome
d’un individu entre deux généra-
tions. Ces mutations sont essen-
tielles : ce sont elles, quand elles
sont favorables, qui vont permet-
tre à une espèce de s’adapter aux
changements de son environne-
ment ; elles aussi, quand elles sont
délétères, qui conduisent au déve-
loppement de pathologies.
Pour calculer cette valeur, les
scientifiques disposaient jus-
qu’ici de deux méthodes. La pre-
mière multipliait le séquençage
d’individus, déterminait ainsi la
diversité génétique de la popula-
tion, estimait ensuite la date d’ap-
parition de cette espèce dans l’ar-
bre de la vie et le temps passé en-
tre deux générations et en dédui-
sait le fameux taux. Problème :
ces deux dernières valeurs appa-
raissent très difficiles à évaluer
avec précision. La seconde mé-
thode consiste à comparer l’ADN
des individus actuels à celui de
spécimens anciens. Encore faut-il
disposer de fossiles de suffisam-
ment bonne qualité.
Méthode dite des « pedigrees »
Beaucoup plus simple dans son
principe, la nouvelle technique se
contente de comparer l’ADN de
trios mère/père/enfant. Elle a
déjà été abondamment utilisée
chez les groupes d’animaux éle-
vés en captivité. Mais ce mode de
vie modifie tous les paramètres.
Chez les animaux sauvages, des
loups, des mésanges bleues, des
phoques… et des ornithorynques
ont profité de cette méthode dite
des « pedigrees ». L’équipe de Per
Palsboll l’a utilisé pour la pre-
mière fois sur quatre espèces de
baleines : bleue, à bosse, boréale
et le rorqual commun. « Toute la
difficulté, c’est de pouvoir disposer
Plus simple dans
son principe,
la nouvelle
technique
se contente
de comparer
l’ADN de trios
mère/père/enfant
­
0123
­Samedi 2­ septembre 2023
Avant la pêche
industrielle,
on recense un
peu plus de
20 000 individus,
loin des
150 000 cétacés
envisagés
de ces trios, or si les femelles res-
tent souvent avec leurs petits, les
mâles peuvent être très éloignés »,
insiste Marcos Suarez Menendez,
premier auteur de la publication.
Pour contourner cet écueil, les
chercheurs se sont appuyés sur
quelque 2 500 échantillons re-
cueillis depuis quarante ans dans
l’Atlantique Nord. Un séquençage
rapide a permis de déterminer les
filiations et de dégager deux
cents trios. Les scientifiques en ont
alors extrait huit et ont procédé
cette fois au séquençage complet
des vingt et un génomes concer-
nés. Ils ont d’abord constaté que
80 % des mutations enregistrées
provenaient des pères. Pas vrai-
ment étonnant : la production
constante de sperme au cours de la
vie impose davantage de divisions
cellulaires que celle d’ovocytes,
donc plus de mutations. Ce cons-
tat vaut aussi pour les humains.
Mais surtout, ils ont vu apparaî-
tre un taux de mutation beaucoup
plus élevé que prévu. Alors que les
deux autres méthodes avaient fait
émerger, chez les baleines à
­fanons, des valeurs inférieures à
celles enregistrées chez les hu-
mains, les autres primates ou en-
core les cachalots et les orques,
cette fois le taux de mutation ap-
paraît tout à fait similaire : entre
24 et 37 mutations sur une généra-
tion, suivant les trios, soit un taux
moyen de 1,11 × 10⁻⁸.
« C’est de la très belle science avec
une surprise majeure à l’arrivée
qui brise une idée reçue », com-
mente Jean-Luc Jung, professeur
au Muséum national d’histoire
naturelle et chef de la station ma-
rine de Dinard. Celle-ci veut que
ces énormes mammifères, avec
leur métabolisme lent, produi-
sent moins de stress oxydatif et
donc moins de mutations. De
quoi expliquer notamment le ni-
veau réduit de cancers chez les ba-
leines à fanons. « Il va falloir trou-
ver une autre explication », sourit
Jean-Luc Jung. « En tout cas, on
n’aura pas besoin de devenir énor-
mes pour lutter contre le cancer,
c’est une bonne nouvelle »,
s’amuse Per Palsboll. Plus sérieu-
sement, les chercheurs avancent
comme hypothèse alternative la
présence, dans le génome des cé-
tacés, de plusieurs copies de cer-
tains gènes à l’origine de méca-
nismes antitumoraux.
« Le plus important pour nous,
c’est de démontrer que cette mé-
thode fonctionne, même avec des
animaux aussi peu accessibles que
les baleines, insiste le biologiste
de Groningue. Les autres techni-
ques ne permettaient pas de com-
paraisons fiables entre espèces dif-
férentes. Désormais ça va être pos-
sible… pour peu qu’on nous en
donne les moyens. » En attendant,
c’est assurément l’évaluation de
la population de cétacés avant la
pêche industrielle qui va faire
parler d’elle. Elle sera probable-
ment contestée. Mais Palsboll et
ses collègues ont un atout : leur
résultat rejoint les évaluations
« non génétiques » déjà existantes,
réalisées à partir des vieux livres
de bord des marins, des pêche-
ries, des observatoires. Du passé,
ne jamais faire table rase. p
Nathaniel Herzberg
 Quand tous les prix augmentent,
il faut pouvoir tout comparer.
Vraiment tout...
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9,6 % +CHER QUE LIDL

6,3 % +CHER QUE LIDL

+CHER
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 France
0123
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­Samedi 2­ septembre 2023

Un sommet social pour sortir de l’impasse

Le chef de l’Etat tente de renouer le dialogue avec ses opposants et les acteurs sociaux. Le patronat est réservé

E
mmanuel Macron adopte
un cérémonial cher à son
prédécesseur alors qu’il
n’y goûtait guère, jusqu’à
présent. Au cours du long échange
avec les responsables des partis
politiques et les présidents des
trois Chambres, qu’il a clôturé du-
rant la nuit du mercredi 30 au
jeudi 31 août, le chef de l’Etat s’est
engagé à tenir une « conférence
­sociale ». Cette initiative, qui évo-
que les conclaves organisés à plu-
sieurs reprises pendant le quin-
quennat de François Hollande, a
pour but d’apporter de nouvelles
réponses aux travailleurs dont le
pouvoir d’achat est laminé par
l’envolée des prix.
Seul élément vraiment tangible
de la rencontre orchestrée dans
l’ancienne abbaye royale à Saint-
Denis (Seine-Saint-Denis), l’an-
nonce a suscité un peu d’étonne-
ment, même si elle donne satis-
faction à une requête de la gauche.
A ce stade, beaucoup d’inconnues
prévalent, sur le calendrier, la liste
des participants et l’ordre du jour
exact de cet événement.
Les douze coups de minuit
avaient retenti depuis plus d’une
heure lorsque M. Macron a tran-
ché en faveur d’une « conférence
sociale sur les carrières et les bran-
ches situées en dessous du smic ».
D’après l’entourage du président
de la République, il s’agit d’une
proposition des formations com-
posant la Nouvelle Union popu-
laire écologique et sociale (Nupes)
que le locataire de l’Elysée « a vali-
dée » et à laquelle la droite ne s’est
pas opposée. Un proche collabo- Patrick Martin, président du Medef, et Marylise Léon, secrétaire générale de la CFDT, à l’université d’été de la CFDT, à Boissy-la-Rivière (Essonne), le 31 août. Alexis Sciard/IP3
rateur de Gérard Larcher (Les Ré-
publicains), le président du Sénat
– présent à Saint-Denis –, rap- L’idée d’une conférence sociale mais vous ne voulez pas les in- secrétaire générale de la CFDT, poursuivi, en prévenant qu’il
porte que ce dernier y a toujours ne paraît pas avoir frappé les es- dexer sur l’inflation ! » jeudi, lors de l’université d’été de
L’idée d’une sera « extrêmement attentif à ce
été favorable et l’avait d’ailleurs prits à gauche. Les leaders des Pour sa part, Manuel Bompard, la centrale cédétiste à Boissy-la- conférence que les partenaires sociaux soient
suggéré durant les discussions partis de la Nupes ont surtout re- coordinateur de La France insou- Rivière (Essonne), dans un dis- respectés ».
sur la réforme des retraites : « A tenu le « non » de M. Macron à mise, reconnaît avoir eu vent cours prononcé debout malgré
sociale ne paraît En d’autres termes, il n’est pas
condition que l’on sache de quoi on leur préconisation de faire pro- d’une discussion avec les parte- une jambe blessée. C’est « une pas avoir frappé question de tordre le bras aux
parle et où l’on va », souligne ce gresser les salaires au même naires sociaux sur les conven- bonne nouvelle » qui répond à chefs d’entreprise pour qu’ils sor-
même collaborateur. rythme que les prix et de revalori- tions collectives avec des minima « une priorité absolue dont on
les esprits tent le carnet de chèques : ceux-ci
ser les basses rémunérations. Fa- salariaux en dessous du smic. « Si parle depuis des mois », renchérit à gauche le font déjà d’eux-mêmes et « sont
« Bonne nouvelle » bien Roussel, le secrétaire natio- c’est bien ça [qui sera abordé lors Cyril Chabanier, le président de la au rendez-vous », selon la formule
Pour le moment, très peu d’infor- nal du Parti communiste, dit de la conférence sociale], c’est une CFTC. Cela dénote également de M. Martin, puisque, globale-
mations ont filtré. Dans l’entou- avoir interrompu le chef de l’Etat, vaste fumisterie, parce que c’est « une volonté de la part de l’exécu- D’ores et déjà, des exigences ment, ils ont accordé à leurs colla-
rage de M. Macron, on explique alors que celui-ci concluait l’un déjà hors la loi », tempête-t-il. Sur tif de sortir de la séquence compli- émergent. « Des engagements (…) borateurs des augmentations qui
que le séminaire gouvernemen- des tours de table, en lançant : « Il le réseau social X (anciennement quée des retraites et de renouer le doivent être pris », a martelé ont permis de « gommer l’infla-
tal, programmé le 6 septembre, y a un problème sur les salaires Twitter), Olivier Faure, le premier dialogue avec les partenaires so- Mme Léon, en insistant sur « la res- tion » – c’est-à-dire de préserver le
devrait permettre d’affiner les secrétaire du Parti socialiste, se ciaux », complète-t-il. ponsabilité des organisations pa- pouvoir d’achat. Dans un entre-
conditions dans lesquelles se dé- montre plus indulgent : « C’est (…) tronales » dans les négociations à tien à La Tribune mis en ligne
roulera cette consultation. « C’est le seul point positif [de la rencon- « De la com » venir. Interrogée par Le Monde, la jeudi, François Asselin, le prési-
une bonne idée, une bonne chose
Seul élément tre de Saint-Denis] parce que Sophie Binet, la numéro un de la dirigeante de la CFDT affirme dent de la Confédération des peti-
qu’il y ait des projets concrets tangible de ­concret. » Il relève toutefois que sa CGT, ne peut s’empêcher, elle, qu’elle veut « entendre le gouver- tes et moyennes entreprises, a, lui
comme celui-ci », a déclaré, jeudi « demande initiale était beaucoup d’ironiser : « Miracle ! Le gouver- nement » sur une revendication aussi, manifesté sa circonspec-
sur Europe 1, Clément Beaune,
la rencontre plus large que les minima conven- nement a retrouvé le mot salaire portée par sa confédération : sus- tion : « Il ne faut pas faire miroiter
sans plus de précisions. Le minis- de M. Macron tionnels sous le smic ». qui avait disparu de son vocabu- pendre les exonérations de cotisa- aux gens un Grenelle des salaires
tre délégué aux transports a Plusieurs syndicats commen- laire », observe-t-elle. Et de faire tions aux entreprises qui sont comme en 1968. C’est hors sujet. »
ajouté qu’il s’agissait d’une des
avec les chefs de tent assez positivement la démar- remarquer que « c’est quand dans des branches situées sous le Le fait que des conventions col-
« préoccupations (…) exprimées » parti, l’annonce che du chef de l’Etat. « Se mettre même étrange qu’Emmanuel Ma- smic. M. Chabanier souhaite que lectives de branches prévoient
lors de l’examen du projet de loi autour d’une table nous semble cron n’en a pas parlé » lorsque ce- la conférence sociale porte sur un des grilles de rémunérations avec
reportant à 64 ans l’âge légal de
a suscité un peu plutôt intéressant et plutôt intelli- lui-ci l’a reçue, mardi soir, au pa- périmètre plus large que celui des coefficients inférieurs au sa-
départ à la retraite. d’étonnement gent », a estimé Marylise Léon, la lais de l’Elysée. évoqué jeudi et aborde « l’ensem- laire minimum est une anomalie
ble des salaires », en se penchant ancienne et plus ou moins aiguë
notamment sur la notion d’« écart selon les périodes. Une telle situa-
La réforme des retraites est entrée en application le 1er septembre maximum » entre la plus petite et
la plus grande rémunération.
tion ne signifie pas que des fem-
mes et des hommes sont rétri-
« Ce qui ressortira de cette bués sous le smic, puisque celui-ci
Malgré des mois de mouvements so- ment de la durée de cotisation prévu par la à partir du 1er janvier 2025. Quant aux autres ­consultation doit être intégré dans est d’ordre public et s’impose à
ciaux, manifestations, batailles législatives loi Touraine de 2014. Pour obtenir une re- régimes spéciaux, ils se maintiennent. C’est une politique sociale cohérente et tous les employeurs.
et un recours devant le Conseil constitu- traite à taux plein, il faudra cotiser quaran- le cas de la Comédie française, de l’Opéra de efficace », plaide François Hom- Mais le phénomène, lié à un dia-
tionnel, la réforme des retraites est entrée te-trois ans dès 2027, au lieu de 2035. Cette Paris, des marins ou des sénateurs. meril, le président de la CFE-CGC, logue social défaillant entre re-
en vigueur vendredi 1er septembre. augmentation se fera aussi progressive- qui milite pour une « indexation présentants patronaux et syndi-
ment, sur un rythme d’un trimestre sup- Revalorisation des petites pensions Le des grilles salariales sur l’infla- caux à l’échelon sectoriel, en-
Recul de l’âge de départ à la retraite C’est plémentaire par an. L’annulation de la dé- gouvernement avait initialement laissé tion ». Quant à Mme Binet, elle ré- traîne des difficultés : faute d’être
le cœur de la réforme voulue par le gou- cote est maintenue à 67 ans (comme avant penser qu’aucune pension ne pourrait être clame des « mesures contraignan- renégociées à intervalles régu-
vernement, et sans doute la mesure la la réforme) pour les cotisants qui n’auront inférieure à 1 200 euros net. Mais une mi- tes », impliquant de faire varier les liers, les grilles de certaines con-
plus ­contestée, validée par le décret 2023- pas tous les trimestres requis. norité des retraités concernés devrait at- salaires en fonction des prix et de ventions collectives ne s’adaptent
436 du 3 juin : l’âge de départ à la retraite à teindre ce montant, autour de 250 000 per- conditionner les aides publiques pas – ou trop lentement – à l’évo-
taux plein (hors cas particuliers) est dé- Régimes spéciaux La réforme met fin à sonnes dès cette année, auxquels il faudra versées aux entreprises. « Sinon, lution du smic, si bien qu’elles
calé de deux ans, de 62 à 64 ans. Dès ven- plusieurs régimes spéciaux pour les tra- rajouter chaque année 10 000 à 20 000 prophétise-t-elle, ça risque encore contiennent des coefficients sous
dredi, les personnes nées à partir du vailleurs recrutés après le 1er septembre. nouveaux retraités. une fois de se limiter à de la com ! » le salaire minimum, pour les pos-
1er septembre 1961 devront attendre 62 ans Cela concerne la RATP, les industries élec- Le gouvernement assurait début août Le patronat, de son côté, ac- tes les moins qualifiés. Un dys-
et trois mois pour prétendre à la retraite ; triques et gazières (comme EDF), les clercs que 1,7 million de retraités bénéficieraient cueille fraîchement l’arbitrage fonctionnement qui peut se tra-
cet âge légal sera progressivement décalé et employés de notaires, la Banque de d’une « revalorisation de leur retraite » (sans élyséen. « Je suis toujours un peu duire, au fil des mois, par un nom-
de trois mois chaque année, pour attein- France et le Conseil économique, social et en préciser le montant), mais que seule une inquiet [face à] ces grands-messes bre grandissant de bulletins de
dre 64 ans en 2030. environnemental. partie (700 000 personnes) recevrait ces qui, souvent, ne disent pas grand- paye « tassés » autour du smic.
Le recul de l’âge est aménagé pour les car- Les salariés qui étaient déjà dans les effec- sommes dès l’automne. Les revalorisations chose », a indiqué Patrick Martin, D’après le ministère du travail,
rières longues : ceux qui ont commencé à tifs avant le 1er septembre continueront à ultérieures doivent avoir lieu au printemps le président du Medef, lors d’une 80 branches n’étaient pas dans
travailler entre 20 et 21 ans pourront partir bénéficier des régimes spéciaux. Ils ne sont 2024, avec effet rétroactif au 1er septem- intervention prononcée jeudi à les clous, au 25 août (contre quel-
un an plus tôt que les autres, à 63 ans ; ceux toutefois pas entièrement épargnés par la bre 2023. Le minimum de pension était jus- l’université d’été de la CFDT. « Si que 150 en mai, selon la CFDT). p
qui ont débuté avant 20 ans, à 62 ans ; ceux réforme : leur âge légal de départ à la re- qu’à présent revalorisé annuellement en cela nous incite à aller encore plus Bertrand Bissuel,
qui ont commencé avant 18 ans, à 60 ans ; traite et la durée d’assurance imposée pour fonction de l’inflation. Avec la réforme, il loin dans le dialogue social, pour- Julie Carriat,
et les rares à avoir travaillé avant 16 ans, à obtenir une pension à taux plein vont pro- sera désormais indexé sur le smic. p quoi pas, mais enfin, je crois qu’on Thibaud Métais
58 ans. La réforme accélère aussi l’allonge- gressivement augmenter, mais seulement Les Décodeurs est majeurs et vaccinés », a-t-il et Nathalie Segaunes
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­Samedi 2­ septembre 2023
La revalorisation
du travail de nuit des
soignants se poursuit
Elisabeth Borne a annoncé jeudi plusieurs
hausses de rémunération, qui concernent
aussi les dimanches et les jours fériés
L e « choc » d’attractivité sera-
t-il enfin au rendez-vous ?
Alors que la crise de l’hôpi-
tal se poursuit, la première minis-
tre, Elisabeth Borne, a annoncé,
jeudi 31 août, lors d’un déplace-
ment à Rouen, plusieurs mesures
de revalorisation du travail de
nuit des soignants, l’un des
points noirs soulignés par les pro-
fessionnels de santé hospitaliers.
« Il faut reconnaître ces contrain-
tes particulières », a affirmé la
cheffe du gouvernement.
Les personnels dits « non médi-
caux » (infirmiers, aides-soi-
gnants…) verront la rémunération
de leurs heures de nuit rehaussées
de 25 % par rapport au tarif de
jour, et le forfait versé pour le tra-
vail le dimanche et les jours fériés
augmenté de 20 %. Le tarif de la
garde de nuit des médecins sera,
lui, augmenté de 50 % dans le pu-
blic comme dans le privé, et les as-
treintes des praticiens seront re-
valorisées à l’hôpital public à hau-
teur de celles versées dans le privé.
Attendues, ces revalorisations
viennent ainsi « pérenniser » les
dispositions provisoires décidées
à l’été 2022, alors que l’hôpital se
retrouvait sous haute tension
avec la multiplication des ferme-
tures dans les services d’urgen-
ces, et prolongés depuis. François
Braun, tout juste nommé minis-
tre de la santé, avait déployé une
quarantaine de mesures, et parmi
elles la revalorisation de 50 % des
gardes des médecins à l’hôpital, et
le doublement de l’indemnité
versée aux soignants la nuit, pas-
sant de 1 à 2 euros par heure.
« C’est insuffisant »
Le nouveau système présenté par
la cheffe de gouvernement, qui
sera inscrit dans le projet de loi de
financement de la Sécurité so-
ciale 2024, représente une enve-
loppe de 1,1 milliard d’euros en an-
née pleine, selon Matignon. Il en-
trera en vigueur en janvier 2024,
tandis que les mesures « Braun »
seront prolongées jusque-là.
Les revalorisations seront « plus
avantageuses » pour les soignants,
assure-t-on à Matignon, où l’on
met en avant la prise en compte
de l’ancienneté : l’augmentation
­consiste en un pourcentage du sa-
laire, et non plus à un doublement
d’une indemnité fixe. Pour une in-
firmière en milieu de carrière, qui
effectuerait douze nuits par mois,
cela représentera 300 euros brut
d’augmentation ; 496 euros en fin
de carrière. « Nous assumons une
priorité sur les personnels non mé-
dicaux, aux rémunérations plus
faibles », défend Aurélien Rous-
seau, ministre de la santé.
Avec une boucle vertueuse re-
cherchée pour tous les acteurs de
l’hôpital : « Si nous parvenons ainsi
à multiplier les recrutements et à
mieux fidéliser des infirmiers, nous
pourrons rouvrir des “lits” », rap-
DIMANCHE3SEPTEMBRE
12H-13H
Gérard Larcher,
Président du Sénat.
Sénateur LR des Yvelines
Le système,
qui représente
une enveloppe
de 1,1 milliard
d’euros, entrera
en vigueur
en janvier 2024
pelle le ministre, qui aspire dans le
même temps à « avancer sur les
autres chantiers pour redonner du
sens au métier de soignant »,
comme la réorganisation au plus
près du service hospitalier, ou en-
core la formation des personnels.
Dans les rangs syndicaux, les
premières réactions sont miti-
gées. « C’est un petit plus toujours
bienvenu, mais c’est insuffisant au
regard de la crise actuelle, ça ne ré-
glera pas le problème, ça n’arrêtera
pas la fuite des personnels », es-
time Christophe Prudhomme, de
la CGT-Santé (et élu apparenté La
France insoumise), qui appelle à
ouvrir les négociations sur le
temps de travail, la rémunération
et les conditions de travail.
Chez son collègue du Syndicat
national des professionnels infir-
miers, Thierry Amouroux, on sa-
lue le mode de calcul retenu.
« Cela permet de tenir compte de
l’ancienneté et donc des compéten-
ces, c’est une bonne chose, dit-il.
Mais cela reste des sommes très
faibles, je rappelle qu’on touche
46 euros de plus pour un dimanche
de travail… Ça ne va pas retenir les
collègues qui en ont marre de tra-
vailler en sous-effectif, d’être sous-
payés et de la maltraitance institu-
tionnelle. » Le syndicaliste défend
l’instauration d’un ratio de soi-
gnants par nombre de patients.
Dans les rangs des médecins, on
reste aussi mesuré. « Il était néces-
saire de maintenir la revalorisation
des gardes, c’est une bonne chose, il
n’y avait rien eu depuis quasiment
vingt ans, souligne Anne Wernet,
du Syndicat national des prati-
ciens hospitaliers anesthésistes-
réanimateurs élargi (SNPHAR-E).
Mais nous sortons tous d’un été
difficile, nous sommes épuisés, ce
n’est pas ça qui va faire revenir les
praticiens. » Pour la praticienne,
les questions du temps de travail,
du nombre d’heures de garde, de
la valorisation de la pénibilité, doi-
vent enfin revenir sur la table,
avec la reprise des négociations
sur la permanence des soins et
l’attractivité du métier, interrom-
pues par le gouvernement au
printemps. « L’hémorragie de mé-
decins continue vers le privé, assu-
re-t-elle. Pas seulement parce que
les rémunérations y sont meilleu-
res, mais aussi à cause du rythme
de travail et de l’absence de garde
la nuit et le week-end. » p
Camille Stromboni
Pour Macron, la nuit de Saint-
Denis au miroir de ses paradoxes
Le chef de l’Etat a dialogué douze heures durant avec les chefs de parti
Analyse
L
a nuit, le « salon des prin-
ces » d’une ancienne ab-
baye royale, les télépho-
nes interdits, déposés
dans des casiers à l’entrée… Au-
delà de la dimension spectaculaire
d’un événement soigneusement
mis en scène, que restera-t-il des
« Rencontres de Saint-Denis »,
pendant lesquelles Emmanuel
Macron a dialogué à huis clos avec
les chefs de parti, douze heures du-
rant, dans la nuit de mercredi à
jeudi ? D’évidence, il s’agit d’abord
d’une performance : de La France
insoumise au Rassemblement na-
tional (RN), tous les invités sont ve-
nus et sont restés, jusqu’à 3 h 15 du
matin, se soumettant à l’agenda et
au rythme du président. Louant
même, pour certains, la qualité
des échanges, loin des excès d’un
Parlement fragmenté et radicalisé.
Pour M. Macron, cette séquence
qui « produit de l’apaisement », se-
lon l’Elysée, est bienvenue.
Sur le fond, ces Rencontres sont
un condensé chimiquement pur
de la geste macronienne. Fidèle à
ce qu’il a toujours porté, le chef de
l’Etat a voulu démontrer qu’il
reste possible de dépasser les éti-
quettes et les postures enferman-
tes, qui conduisent, selon lui, au
blocage et à l’impuissance. Dans le
président de Saint-Denis, il y avait
un peu du Macron de 2015, quand,
ministre de l’économie, il cher-
chait à entraîner les parlementai-
res de tous bords derrière son pro-
jet de loi pour la croissance, l’acti-
vité et l’égalité des chances écono-
miques. « La guerre de position
devient guerre de mouvement,
théorisait-il alors, les choses se dé-
OUESTIONS
POLITIOUES.
placent, les gens finissent par réflé-
chir… J’ai vu des débats s’ouvrir. »
Le macronisme s’est forgé dans
cette conviction qu’il est possible
de transformer en bâtissant des
majorités de projet, au service
d’un intérêt général supposé. A
Saint-Denis (Seine-Saint-Denis),
le but ne pouvait être aussi ambi-
tieux, mais il obéissait à la même
logique, dans une tentative de dé-
samorcer les réflexes politiques
pour produire un diagnostic par-
tagé sur un certain nombre de
grands sujets, afin d’essayer de
conjurer l’impuissance qui me-
nace le système dans un moment
marqué par le tragique et l’ur-
gence (retour des guerres classi-
ques, émancipation des forces ca-
pitalistes vis-à-vis du pouvoir po-
litique, montée des populismes,
martingale introuvable de la tran-
sition écologique…). « L’idée n’était
pas de trouver des compromis
d’eau tiède, mais de forcer chacun
à sortir des postures et à se
­confronter au réel, pour partager
la contrainte », résumait, jeudi
soir, un conseiller élyséen.
Gagner du temps
Sur le plan tactique, la séquence
permet aussi au président, qui
semblait démonétisé et en perte
d’élan, voire débordé par les offen-
sives estivales des prétendants à sa
succession (impertinence du mi-
nistre de l’intérieur, Gérald
­Darmanin, suractivité du ministre
de l’éducation nationale, Gabriel
Attal), de scénariser sa capacité à
rester – en tout cas momentané-
ment – maître du jeu, en position
d’arbitre. L’enjeu-clé de son second
quinquennat, de son propre aveu
formulé à huis clos, en réponse à la
Vidéo d’Emmanuel Macron,
diffusée lors de l’université d’été
du Medef, à l’hippodrome de
Longchamp, à Paris, le 28 août.
OLIVIER LABAN-MATTEI/MYOP POUR « LE MONDE »
Les oppositions
rappellent
la longue liste
des initiatives
« inédites »
n’ayant abouti
à rien ou si peu
proposition du président du RN,
Jordan Bardella, d’instaurer le sep-
tennat unique. « Un élu qui ne peut
pas se représenter perd tout rap-
port de force. Le système politique
pense alors à l’après. La limitation à
deux quinquennats a été une con-
nerie, elle démonétise le président
sur un second mandat », a-t-il lâ-
ché, dans un propos rapporté par
L’Express qu’a fustigé le leader des
« insoumis », Jean-Luc Mélenchon.
Le président gagne du temps.
Mais jusqu’à quand ? Pendant
cette nuit de discussions, les chefs
de parti ont été saisis par sa capa-
cité à poser des diagnostics et à re-
mettre chaque problème dans son
contexte, à vide. Sans jamais faire
de propositions nouvelles ni sug-
gérer le moindre point d’arrivée,
renvoyant à de nécessaires « ben-
chmarks », à d’éventuelles « com-
missions » ou à de futurs « débats ».
Performant dans l’analyse, mais
prisonnier du commentaire, don-
nant le sentiment « d’être rincé sur
le fond, à court d’idées », selon les
mots d’Olivier Faure, qui l’a jugé
« flou » et « peu concret ».
Sceptiques, les oppositions rap-
pellent, échaudées, la longue liste
des initiatives « inédites » n’ayant
abouti à rien, ou si peu, du grand
CARINE
BÉCARD avec
Nathalie Saint-Cricq
et Françoise Fressoz
France | 11
débat au Conseil national de la re-
fondation en passant par les
­consultations citoyennes pour le
climat. Habile et mobile, « acro-
bate », selon le mot de l’un de ses
proches, M. Macron est, en effet,
passé maître dans l’art de faire di-
version et illusion, au risque de dé-
cevoir et d’alimenter les critiques.
Cette nuit a, en outre, mis au
jour plusieurs paradoxes. Après
avoir longtemps pourfendu les
corps intermédiaires, au premier
rang desquels les partis, afin de se
poser seul face à « [s]on peuple »,
le voilà qui tend la main à ces or-
ganisations honnies. Un aveu
d’échec, comme si, prisonnier de
sa pratique verticale du pouvoir,
et contraint depuis un an par sa
majorité relative, le président ad-
mettait qu’il ne pouvait plus faire
seul. « Saint-Denis, c’est la cité du
roi mort et du peuple vivant », écri-
vait le poète Jean Marcenac.
Au-delà des incertitudes sur le
devenir de cette longue nuit, un
participant en sort conforté. En
invitant Jordan Bardella à sa table,
après avoir décrété dans un pre-
mier temps que seuls les partis de
« l’arc républicain » le seraient, le
président de la République para-
chève en grande pompe l’entre-
prise de normalisation du RN. Le
porte-parole du gouvernement,
Olivier Véran, ne s’est d’ailleurs
pas gêné pour s’en féliciter : « Ça
veut dire qu’Emmanuel Macron
est prêt, maintenant, à parler au
Rassemblement national comme
à La France insoumise. » L’histoire
retiendra peut-être que le front
républicain fut définitivement
enterré une nuit d’été, à quelques
pas du tombeau des rois. p
Solenn de Royer
TV canal 27
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14 | France
Gabriel Attal précise les contours Les
fausse alerte » terroriste
de l’interdiction de l’abaya à l’école face à la justice, à Lille
Un texte paru au « Bulletin officiel de l’éducation nationale » considère la
tenue comme manifestant ostensiblement une appartenance religieuse
A
quelques heures de la
rentrée des personnels
de l’éducation, une
« note de service » pu-
bliée publiée au Bulletin officiel de
l’éducation nationale, de la jeu-
nesse et des sports jeudi 31 août
vient entériner l’interdiction des
abayas (robes longues de tradi-
tion moyen-orientale, portées
par-dessus d’autres vêtements) et
des qamis (tuniques longues
pour les hommes) à l’école, an-
noncée dimanche 27 août au jour-
nal télévisé de TF1 par le nouveau
ministre de l’éducation nationale,
Gabriel ­Attal, au nom du respect
des principes de laïcité dans les
établissements scolaires.
Alors que la polémique enfle de-
puis et prend un tour politique – la
gauche se déchirant sur le sujet,
quand la droite et l’extrême droite
approuvent –, le texte apporte,
dans une sobriété toute juridique,
les « consignes claires » qu’atten-
daient les chefs d’établissement
depuis un an.
« La montée en puissance du port
de tenues de type abaya ou qamis
a fait naître un grand nombre de
questions sur la conduite à tenir »,
souligne le texte en préambule.
Or « le port de telles tenues, qui
manifestent ostensiblement en
milieu scolaire une appartenance
religieuse, ne peut y être toléré ».
« Tout est dans cette phrase, par la-
quelle le ministère fait de l’abaya et
du qamis des vêtements dont le
port, par lui-même, manifeste une
appartenance religieuse, et qui en-
trent ainsi systématiquement
dans le champ d’application de la
loi de 2004 », analyse Jean-Paul
Dix-sept hommes renvoyés devant la cour
criminelle dans l’affaire French Bukkake
Dans leur ordonnance de renvoi, les magistrates décrivent un système de prédation
et d’exploitation rodé, qui nourrissait des vidéos pornographiques
A vec dix-sept hommes ac-
cusés et une quarantaine
de femmes parties civi-
les, le procès de l’affaire French
Bukkake va se tenir devant la cour
criminelle départementale de
­Paris. Les deux juges d’instruc-
tion chargés de cette tentaculaire
procédure ont rendu, jeudi
31 août, leur ordonnance de mise
en accusation, poursuivant globa-
lement les réquisitions émises
par le parquet avant l’été.
Dans ce dossier majeur, par le
nombre de ses protagonistes, par
la mise au jour d’un système de
prédation et d’exploitation des
femmes pour produire des vidéos
consommées par des centaines
de milliers de personnes, les chefs
d’accusation sont éloquents :
« viols en réunion », « traite d’être
humains en bande organisée » ou
encore « proxénétisme aggravé ».
Au début de l’histoire, il y a une
patrouille numérique des gendar-
mes de la section de recherches
de Paris qui s’étonnent de cette
proposition faite aux amateurs
du site de vidéos pornographi-
ques French Bukkake : les mem-
bres les plus fidèles peuvent s’ins-
crire pour participer à de vrais
« bukkakes », soit des réunions
d’hommes cagoulés, le pantalon
baissé, se masturbant en même
temps sur une seule femme, qui
apparaît apeurée sur les images.
La violence des vidéos et des pra-
tiques posent rapidement des
questions pénales, auxquelles les
enquêteurs vont répondre en re-
« pieds nickelés de la
Markus, professeur de droit pu-
blic à l’université Paris-Saclay.
La loi du 15 mars 2004, qui enca-
dre cette question, ne dresse pas
une liste des tenues et signes reli-
gieux, mais rappelle un grand
principe : « Dans les écoles, les col-
lèges et les lycées publics, le port de
signes ou tenues par lesquels les
élèves manifestent ostensiblement
une appartenance religieuse est in-
terdit. » Sa circulaire d’application,
de mai 2004, et la jurisprudence
établie par le Conseil d’Etat, a ainsi
prohibé les signes conduisant à
« se faire immédiatement recon-
naître par son appartenance reli-
gieuse » – comme le voile, la kippa
ou une grande croix –, mais aussi
les signes ou les tenues qui ne sont
pas par nature d’appartenance re-
ligieuse mais le deviennent « indi-
rectement et manifestement »
compte tenu de la volonté de
l’élève de leur faire produire cette
signification. L’abaya entrait jus-
qu’à présent dans cette zone grise.
Phénomène en croissance
Le texte ne manquera pas de faire
réagir ceux qui jugent que cette
décision s’apparente à « une police
du vêtement », voire à de l’islamo-
phobie, alors que le Conseil fran-
çais du culte musulman, entre
autres, ne considère pas l’abaya
ou le qamis comme des signes re-
ligieux. Le député La France in-
soumise Manuel Bompard a déjà
annoncé vouloir saisir le Conseil
d’Etat pour contester sa légalité.
Si le recours était accepté – ce qui
n’est pas certain –, il reviendrait
alors au juge administratif de
trancher quant à l’assimilation de
cueillant les témoignages et les
plaintes de victimes du réseau.
Les jeunes femmes ont des récits
convergents, celui d’un recrute-
ment frauduleux pour tourner
dans ces films. Sur les réseaux so-
ciaux, elles ont été contactées par
« Axelle Vercoutre », une fausse es-
cort-girl clinquante qui cache un
vrai manipulateur, Julien Dhaussy.
Il les fait ensuite venir dans un hô-
tel de Reims, où il habite, au nom
d’une fausse passe, qu’il trans-
forme en viol qu’il commet sur el-
les. Une fois leurs défenses psychi-
ques brisées, précarisées par l’ar-
gent qu’elles n’ont pas gagné, elles
acceptent à contrecœur de partici-
per aux tournages de « Pascal OP »,
le patron de French Bukkake.
Dans sa dernière audition par le
magistrat instructeur, Julien
Dhaussy minimise les violences
que les femmes subissent sur les
tournages par sa faute : « Dans le
cinéma traditionnel, je ne suis pas
sûr que toutes les actrices s’enten-
dent bien avec le réalisateur. Qu’il
Les plaignantes
ont des récits
convergents,
celui d’un
recrutement
frauduleux
pour tourner
dans les films
La note
de service insiste
sur la « phase
de dialogue » qui
« doit constituer
le premier moyen
à mobiliser »
l’abaya et du qamis à des vête-
ments manifestant systématique-
ment l’appartenance religieuse.
« S’il considère que ce n’est pas le
cas, il pourra annuler la note de
service, et ramener à la gestion au
cas par cas », résume M. Markus.
Alors que beaucoup s’inquiè-
tent d’un débat sans fin sur la lon-
gueur des jupes, cette note de ser-
vice ne définit ni l’abaya ni le qa-
mis. Pour Didier Georges, du syn-
dicat des personnels de direction
SNPDEN-UNSA, ce n’est cepen-
dant « pas un sujet » : « Nous sa-
vons très bien reconnaître le vête-
ment. Une élève en jupe longue ou
en sweat ample ne sera pas consi-
dérée comme portant une abaya. »
Les chefs d’établissement de-
mandaient cette directive claire,
« quelle qu’elle soit », face à la
croissance du phénomène. Ainsi,
150 établissements, sur les 10 000
collèges et lycées et 45 000 écoles
que compte la France, ont eu à si-
gnaler le port d’une abaya ou d’un
qamis au cours de l’année sco-
laire 2022-2023, selon des don-
nées des services de l’Etat.
Didier Georges se dit aujour­-
d’hui « rassuré ». Pour ce provi-
seur de lycée professionnel, le
y ait incompatibilité d’humeur
parfois entre deux personnes,
j’étais loin de penser que l’on pour-
rait partir sur des notions de viol
juste pour une mésentente. »
Julien Dhaussy envoyait donc
les jeunes femmes sur les tourna-
ges de Pascal Ollitrault, dit
­« Pascal OP », qui suscitait les in-
terrogations des professionnels
du porno français. Il était à la fois
connu pour ses vidéos « hard » et
les participantes sans cesse re-
nouvelées qu’il trouvait. Entendu
en avril 2022, il analysait ainsi ses
nombreuses mises en examen
pour viol : « Je pense qu’elles se vic-
timisent (…). C’est plus facile pour
elles de dire qu’elles ont été abu-
sées plutôt que de dire clairement
à leurs familles qu’elles sont ve-
nues volontairement faire des
films pornographiques. »
« J’ai appris à m’en foutre »
S’il reconnaissait duper les victi-
mes quant à la destination des vi-
déos tournées, en prétendant
que les images ne seraient pas vi-
sibles en France, il considérait
qu’il leur appartenait de savoir
lire correctement un contrat de
cession de droits à l’image. « Fina-
lement, confronté aux déclara-
tions des plaignantes relatives
aux conséquences des faits sur
leur personne (dépression, tenta-
tive de suicide), il se dédouanait de
toute responsabilité », écrivent les
deux magistrates.
Pascal OP travaillait avec son
ami et associé, Mathieu Lauret,
texte reprend les trois points fon-
damentaux attendus par les chefs
d’établissement. « Une règle
claire, l’assurance du soutien indé-
fectible de notre hiérarchie et la né-
cessité d’une phase de dialogue
qui sera toujours prioritaire pour
nous », détaille-t-il.
La note de service insiste en effet
sur cette « phase de dialogue » qui
« doit constituer le premier moyen
à mobiliser lors de ces situations »
et permet, « dans un grand nombre
de cas », de « résoudre les tensions »
et de « dissiper les incompréhen-
sions ». Ce dialogue « doit être en-
gagé dans un temps resserré »
(sans plus de précision) et « ne sau-
rait être une négociation, sous
quelque forme que ce soit ». Une
procédure disciplinaire est « systé-
matiquement engagée » si ces
échanges n’aboutissent pas. Cha-
que recteur doit, en outre, prépa-
rer un « plan d’accompagnement »
pour les personnels de direction
les plus en difficulté ou ceux qui
auraient à connaître des incidents.
M. Attal accompagne cette note
de service d’une lettre « signée de
sa main » que principaux et provi-
seurs pourront montrer aux fa-
milles, le cas échéant. « L’école de
la République accueille tous les élè-
ves sans stigmatisation ni discri-
mination. Votre enfant y a toute sa
place », y écrit le ministre, en pré-
cisant que la « laïcité ne s’oppose à
aucune religion » et « protège les
élèves de toute pression physique,
symbolique ou psychique ». Une
manière, toute politique, d’allier
fermeté et pédagogie. p
Sylvie Lecherbonnier
et Éléa Pommiers
troisième rouage important du ré-
seau. Questionné par l’une des
deux juges sur le fait qu’Axelle Ver-
coutre soit un leurre, il se défend :
« Vous me demandez si je ne me
pose pas de questions alors je vais
vous dire un truc : en étant dans le
porno, j’ai appris à m’en foutre et à
ne pas me poser de question. »
Dans le sillage des trois hom-
mes, leur assistant, co-inventeur
et utilisateur d’un logiciel de fa-
brication de faux tests pour les
MST, est aussi mis en accusation.
Plusieurs acteurs ayant participé
aux tournages de French Bukkake
connaissant l’existence de la
fausse Axelle et du vrai Julien, et
filmés en train d’outrepasser le
consentement des victimes, vont
aussi devoir répondre devant la
cour criminelle départementale.
Les accusés restants sont des réa-
lisateurs ayant bénéficié à leur
tour des jeunes femmes recrutées
et violentées par French Bukkake.
Enfin, les deux juges répondent
aux observations des avocats de
la défense : « Il ne saurait être re-
proché à l’instruction de n’avoir
pris en considération que les seules
déclarations des victimes sans re-
lever leurs contradictions et non
les propos des mis en examen qui
auraient été mis dans le même sac
au regard du caractère volumi-
neux du dossier. En effet, si le dos-
sier est devenu volumineux, c’est
parce qu’il a justement mis en lu-
mière une pratique systémique et
volumineuse… » p
Lorraine de Foucher
Un couple a été condamné, jeudi, pour
avoir inventé une menace d’attentat, afin
de retarder un train qu’il devait prendre
Lille - envoyé spécial
L e 19 juillet, peu avant 9 heu-
res, le 3117, numéro d’alerte
de la SNCF, recevait ce mes-
sage : « Il y a un terroriste dans le
train Paris-Lille n° 7015. » C’est
dans ce TGV – départ 8 h 46 de Pa-
ris gare du Nord, arrivée 9 h 48 à
Lille-Flandres – que Yohann B. et
Prisca C. devaient monter. Partis
aux aurores de Bordeaux, ils
avaient effectué plusieurs corres-
pondances, et le retard pris par le
Orléans-Paris menaçait de leur
faire rater celle pour le Nord.
Après avoir imploré en vain le
contrôleur de ce dernier trajet
d’user de son pouvoir pour retar-
der le départ du Paris-Lille, les
deux amoureux s’étaient dit
qu’une fausse alerte terroriste
entraînerait un contrôle d’iden-
tité des passagers qui maintien-
drait le TGV à quai juste assez
pour qu’ils l’attrapent. « C’est moi
qui ai eu l’idée, a précisé Prisca C.
Et Yohann a dit : “Ça devrait mar-
cher.” » Dans le métro entre la
gare d’Austerlitz et la gare du
Nord, celui-ci avait donc écrit au
3117, puis éteint son téléphone,
« pour pas qu’il soit tracé ».
L’alerte avait généré une gigan-
tesque pagaille, les deux gares de
Lille (Flandres et Europe) avaient
été évacuées, le périmètre bouclé
pendant quatre heures, quinze
trains déroutés ou retardés, quel-
ques autres supprimés, mille
voyageurs touchés, sans parler du
manque à gagner – 70 000 euros –
pour les commerces implantés en
gare, et de la mobilisation du
RAID, du GIGN, de la sûreté dépar-
tementale, de la sûreté urbaine,
des militaires de l’opération « Sen-
tinelle », de la BAC, d’une unité cy-
nophile, des démineurs, et de tous
les pompiers lillois. Pour rien.
Face au tribunal correctionnel
de Lille, jeudi 31 août, le couple a
passé une bonne partie des deux
heures d’audience à pleurer, re-
gretter, s’excuser. « Nous ne som-
mes pas des terroristes. Nous ne
sommes pas des monstres. On n’a
pas pensé aux conséquences », a
sangloté Yohann B. « On n’a pensé
qu’à nous », a chevroté Prisca C.
en demandant pardon pour cette
« grosse bêtise ». « L’égoïsme
poussé à son paroxysme », a
grondé la procureure. « Normale-
ment, quand on rate un train, on
regarde à quelle heure est le sui-
vant, vous n’avez pas pensé à faire
ça ? », a soufflé la présidente du
tribunal, dépitée.
Constatant que leur stratagème
avait échoué et que le TGV n° 7015
était parti sans eux à 8 h 46, ils
avaient pris le TGV suivant, dans
lequel, au fil des notifications du
journal quotidien régional La
Voix du Nord sur leur téléphone,
ils avaient pris conscience du
chaos que leur idée fumeuse avait
créé. « C’était la panique complète,
a raconté Prisca C., penaude. On
ne savait plus quoi faire à ce mo-
ment-là. On s’est mis dans la voitu-
re-bar et on a attendu. » Pendant
ce temps, les enquêteurs identi-
Immigratio n
Une structure débordée
ferme à Briançon
La structure d’accueil de mi-
grants de Briançon (Hautes-
Alpes) Les Terrasses solidai-
res ferme ses portes,
incapable d’assurer la sécu-
rité des arrivants en raison
de locaux surchargés, ont an-
noncé, vendredi 1er septem-
bre, ses responsables. Ils
estiment « les conditions de
sécurité et de dignité » insuffi-
santes. – (AFP.)
0123
­
­Samedi 2­ septembre 2023
fiaient le propriétaire du numéro
auteur la fausse alerte, et notaient
que ce numéro avait réservé deux
places dans le TGV d’après. A leur
arrivée à Lille-Europe, à 11 h 20, Yo-
hann B. et Prisca C. étaient cueillis
par le RAID.
Elle, 27 ans, est aide-soignante.
Lui, 30 ans, chauffeur-livreur.
Quand ils se sont rencontrés
en 2017, elle avait déjà une petite
fille, qu’elle ne voit plus (pour des
raisons qu’elle n’a pas voulu évo-
quer) ; lui, déjà deux garçons, qu’il
ne voit plus non plus (« j’ai eu un
problème avec le plus petit, il a dit
que je l’avais tapé »). Ils ont eu un
enfant ensemble, aujourd’hui âgé
de 4 ans, qui vit en famille d’ac-
cueil à Carvin (Pas-de-Calais), en-
tre Lille et Lens. C’est pour le voir
(ils ont droit à une heure par se-
maine) qu’ils venaient ce jour-là
de la région bordelaise, où ils rési-
dent dans un foyer pour jeunes.
Yohann B. compte dix-huit
mentions à son casier judiciaire,
notamment pour des faits de vio-
lences contre sa conjointe précé-
dente, sa conjointe actuelle, la
sœur de sa conjointe, et l’amant
de sa conjointe. Ce dernier épi-
sode, en mai 2022, agrémenté de
menaces de mort à l’encontre de
Prisca C., avait poussé la justice à
placer leur enfant en famille d’ac-
cueil et à prononcer une interdic-
tion de contact entre les deux, ce
qui ne les a pas empêchés de se
pacser et de se réinstaller ensem-
ble huit mois plus tard.
Mauvais numéro
« On s’aime toujours, vous n’y pou-
vez rien, on ne sait pas faire l’un
sans l’autre », a justifié Yohann B.,
pour qui les conséquences de
cette affaire sont fâcheuses : jus-
qu’au 19 juillet et son placement
en détention provisoire, il était li-
bre. Condamné jeudi à seize mois
de prison, dont huit ferme, il reste
détenu et devra en outre purger
les vingt-quatre mois qui pla-
naient au-dessus de lui à la suite
de diverses condamnations, pour
lesquels le sursis a été révoqué en
raison de ce nouveau délit.
Prisca B., elle, a été condamnée à
douze mois avec sursis.
Les avocats de la défense ont
plaidé comme ils ont pu pour dé-
fendre « les pieds nickelés de la
fausse alerte », qui avaient réussi,
dans un premier temps, à en-
voyer leur message à un mauvais
numéro. A plusieurs reprises, la
présidente a souligné « le plus in-
croyable », « le summum », « l’iro-
nie » de ce dossier : « Le train que
vous avez finalement pris vous
permettait largement d’arriver à
temps à Lille, puis de prendre le
train et le bus pour Carvin, et
même d’être un peu en avance
pour voir votre fils », avec qui le
rendez-vous était à 14 heures. Au
policier qui le lui avait fait remar-
quer pendant sa garde à vue,
Prisca C. avait répondu : « On
aime bien avoir un peu d’avance
pour aller au magasin acheter un
petit goûter. » p
Henri Seckel
Justic e
Un hackeur relaxé
pour des raisons
de procédure
Soupçonné d’avoir fomenté
une série d’attaques du ran-
çongiciel PyLocky depuis
sa prison américaine, un
­Algérien de 35 ans, Hamza B.,
a été relaxé, jeudi 31 août, par
le tribunal de Paris pour un
motif de procédure. A l’été
2018, un tribunal et des pri-
sons avaient notamment
été visés. – (AFP.)
 Économie & Entreprise
0123
­
­Samedi 2­ septembre 2023 | 15

Les prix des services scrutés fébrilement

Transports, santé, restauration… autant de secteurs sensibles à la revalorisation des salaires

L
es services, c’est un peu le
paquebot de l’indice des
prix : c’est le secteur qui
pèse le plus lourd et qui est
le moins volatil. C’est là où les prix
augmentent en dernier, mais aussi
celui où ils baissent en dernier »,
explique Olivier Garnier, chef
économiste à la Banque de
France. Et ce « paquebot », les éco-
nomistes l’observent depuis quel-
ques mois avec des jumelles, de
crainte qu’il n’accélère, prenant le
relais de l’énergie, puis de l’ali-
mentation comme locomotive
de l’inflation.
Pour le moment, si la marée in-
flationniste n’est pas retombée – la
hausse des prix en France a connu
un sursaut en août, passant de
4,3 % à 4,8 % en raison du relève-
ment des tarifs de l’électricité et de
la hausse des cours du pétrole –, le
« paquebot » des services, qui re-
groupe des activités aussi variées
que les transports, la rénovation
des bâtiments, la santé ou les sa-
lons de coiffure, tient bon.

« Pas d’emballement »
Les prix dans ce secteur, qui re-
présente la moitié de l’indice,
contre 9 % pour l’énergie et 16 %
pour l’alimentation, ont aug-
menté de 2,9 % sur les douze der-
niers mois, soit un léger retrait
par rapport au printemps. « Il n’y a
pas pour le moment d’emballe-
ment de ce côté-là », confirme Ju-
lien Pouget, chef du département
de la conjoncture à l’Insee.
Si les services sont sous sur-
veillance renforcée, c’est parce
qu’ils sont très sensibles à la
hausse des salaires, qui s’est accé-
lérée ces derniers mois en France
comme ailleurs. « Dans ce secteur,
les rémunérations représentent la
plus grosse partie des coûts, con-
trairement aux biens manufactu-
rés, par exemple, qui dépendent
aussi du cours des matières pre-
mières, explique Sylvain Bersin-
ger, chef économiste chez Aste-
rès. L’inflation des services, c’est
d’abord la progression des salai-
res. Or, celle-ci est en train de pas-
ser au-dessus du rythme de la
hausse des prix. »
Selon les données publiées le
28 août par la Dares, le service sta-
tistique du ministère du travail,
pour la première fois depuis 2021,
les salaires ont augmenté au
deuxième trimestre 2023 plus
vite que les prix (+ 4,6 % sur un an,
contre + 4,4 % pour l’inflation
hors tabac).
Le cabinet Deloitte, dans une
étude publiée jeudi 31 août, indi-
que même que les augmenta-
tions salariales ont atteint des
« niveaux inédits en 2023 » en
France, de 4,6 % pour les ouvriers,
employés, techniciens, agents de
Travaux de rénovation énergétique sur une résidence pour étudiants à Saint-Martin-d’Hères (Isère). François HENRY/REA
maîtrise, et de 4 % pour les cadres. Dans une note publiée le « une importante détérioration tains, + 9,8 % pour les transports
Les catégories les plus modestes 29 août, Patrick Artus, conseiller des perspectives de l’emploi », par-
Selon la Dares, maritimes… Mais l’entretien de
ont notamment bénéficié de l’in- économique chez Natixis, estime ticulièrement en France, qui joue- les rémunérations l’habitat (+ 14 %) ou les cinémas,
dexation du smic sur l’inflation. que « les salaires vont continuer à rait plutôt pour une modération théâtres et concerts (+ 7,5 %) sont
Toute la question est de savoir à progresser rapidement en 2024, de salariale. « Le fait que l’inflation se
ont augmenté aussi concernés. « En juillet, tout
quel rythme augmenteront les ré- l’ordre de 4 % en zone euro ». Mais replie signifie aussi que les hausses plus vite que les ce qui relève des communications
munérations ces prochains mois, d’autres experts, comme Véroni- du smic seront moins importantes [Internet, téléphonie] a baissé de
et si les chefs d’entreprise réper- que Riches-Flores, économiste et dans les prochains mois », observe
prix au deuxième 6 %, alors que l’entretien-répara-
cuteront intégralement ces haus- présidente de Riches-Flores Re- pour sa part Olivier Garnier. trimestre tion automobile a augmenté de
ses dans leurs tarifs. search, soulignent, au contraire, 7 %, ce qui montre que le principal
Logiques différentes moteur de la hausse des services,
Difficile néanmoins de faire un des prix dans l’hébergement après c’est bien les salaires », décrypte
Le gouvernement avance constat monolithique. « La situa-
tion dans les services n’est pas uni-
la saison estivale soit moins im-
portant cette année », note M. Col-
M. Garnier.
« On peut penser qu’en 2023,
les négociations commerciales forme », rappelle Stéphane Col- liac. D’autres services, encore, nous avons atteint un plateau en
Après avoir réuni les distributeurs et les représentants des indus- liac, chez BNP Paribas. Certaines sont bien moins volatils, comme termes de hausses des prix des ser-
triels, le ministre de l’économie, Bruno Le Maire, a annoncé, sur activités connaissent une con- la santé ou les loyers, et obéissent vices, de la même manière que
France 2, jeudi 31 août, plusieurs mesures pour tenter de contrer joncture morose, comme les à des logiques différentes. nous sommes sur un plateau en
l’inflation. Et notamment un doublement « du nombre de pro- agences immobilières ou l’inté- La décomposition détaillée des termes de salaires, conclut M. Gar-
duits dont les prix ne doivent plus bouger » ou baisseront, soit rim – ce qui a tendance à peser sur hausses publiée par Eurostat, sur nier. Mais cela ne veut pas dire
« 5 000 références au total ». Citant « Unilever, Nestlé et PepsiCo » les prix. Mais d’autres, comme la la période allant de juillet 2022 à que, lors de la phase de repli de l’in-
dans la liste des entreprises qui « n’ont pas joué le jeu » de réajus- restauration ou l’hébergement, juillet 2023, est riche d’enseigne- flation dans les prochains mois,
ter leurs tarifs pour répercuter la baisse des prix des matières qui subissent aussi la hausse des ments. Globalement, les trans- c’est dans les services que ce sera le
premières, le ministre a annoncé que, pour les 75 plus grands in- prix de l’énergie et des matières ports sont très bien représentés plus visible. » Sur une longue pé-
dustriels, la date de démarrage des négociations commerciales premières alimentaires, ont re- sur le podium des plus fortes riode, les prix dans ce secteur ont
annuelles allait être, cette année, avancée au 15 octobre au plus levé significativement leurs tarifs, hausses, du fait de leur consom- tendance à progresser un peu
tard, au lieu du 1er décembre, afin que les négociations soient comme l’ont constaté les vacan- mation d’énergie : + 14,6 % pour plus vite que les autres, du fait de
conclues « début 2024 » et non pas « au printemps », « l’objectif ciers durant l’été. « Il se pourrait les vols domestiques, + 12,3 % moindres gains de productivité. p
étant d’avoir des baisses de tarifs dès janvier ». d’ailleurs que le traditionnel reflux pour les transports métropoli- Béatrice Madeline

Dans la zone euro, l’inquiétante persistance de l’inflation

La hausse des prix atteint 5,3 % en août, au même niveau qu’en juillet, continuant de rogner le pouvoir d’achat des ménages européens

C’ est une mauvaise nou-

velle pour les ménages
comme pour la Banque
centrale européenne (BCE). En
août, l’inflation en zone euro a
cessé son mouvement de reflux,
qui était entamé depuis novem-
bre 2022. Elle demeure à 5,3 %, au
même niveau qu’en juillet,
d’après les données publiées,
jeudi 31 août, par Eurostat, l’insti-
tut européen des statistiques.
Il s’agit essentiellement de la
conséquence de l’augmentation
récente des prix du pétrole. Le ba-
ril de brent, qui avait flambé à plus
de 110 dollars (101 euros) au début
de la guerre en Ukraine, mais était
redescendu de façon progressive
autour de 70 dollars, a repris pres-
que 20 % de hausse ces deux der-
niers mois, tournant désormais
autour de 85 dollars. La baisse de la
production d’or noir, décidée par
l’Organisation des pays exporta-
teurs de pétrole, l’OPEP+, explique
l’essentiel de ce mouvement.
Cette pression sur l’énergie se
ressent dans toute la zone euro.
L’inflation progresse dans dix des
vingt pays de la monnaie unique,
dont la Belgique, l’Espagne, l’Ir-
lande, le Portugal et l’Autriche.
L’augmentation est la plus forte en
France, où elle passe de 5,1 % en
juillet à 5,7 % en août (les statisti-
ques harmonisées au niveau de
l’Union européenne sont légère-
ment différentes de celles de
l’Insee, qui situe l’inflation à 4,8 %).
Mais même au-delà de cet effet
conjoncturel, le reste de l’inflation
semble stagner. Celle dite « sous-
jacente » (hors des prix de l’ali-
mentation, de l’alcool, du tabac et
de l’énergie, qui sont très volatils)
atteint, en août, 5,3 %. C’est un peu
mieux que 5,5 %, en juillet, mais
c’est le même niveau qu’en mai. La
tendance n’est guère plus claire
du côté des prix des services, qui
comptent pour presque la moitié
de la consommation, dont la
hausse annuelle recule margina-
lement, de 5,6 % à 5,5 %.
Pour les ménages européens,
cette persistance de l’inflation si-
gnifie que leur pouvoir d’achat
continue à s’éroder. Sur deux ans,
la hausse des prix en zone euro
frôle désormais 15 %, forçant une
réduction de leur consommation.
Les Français ont fortement baissé
leurs dépenses dans l’alimentaire,
dont les ventes en volume ont re-
culé de 7,9 % entre juillet 2022 et
juillet 2023. En Allemagne, les ven-
tes au détail ont chuté de 0,8 %, en
juillet, par rapport à juin.
Désaccords à la BCE
Si le marché du travail reste so-
lide, tous les signaux indiquent
une stagnation de l’économie
européenne au troisième trimes-
tre, voire un léger recul. L’indice
de confiance des consommateurs
et des entreprises en zone euro,
publié mercredi 30 août par la
Commission européenne, a une
nouvelle fois reculé, pour attein-
dre son plus bas niveau depuis la
pandémie. Cette stagnation, dou-
blée d’une inflation persistante,
complique la tâche de la BCE, dont
le mandat est de maintenir l’infla-
tion à 2 % à moyen terme.
Fin août, à Jackson Hole, lors du
symposium annuel organisé par
la Réserve fédérale aux Etats-
Unis, Christine Lagarde, la prési-
dente de la BCE, s’est gardée de
donner la moindre indication
pour la réunion de l’institution,
le 14 septembre. Fidèle à son ap-
proche de chercher un consen-
sus entre les vingt-six membres
du Conseil des gouverneurs, elle
laisse ses différents membres
s’exprimer.
Ceux-ci ont commencé à faire
connaître leurs désaccords, sui-
vant les lignes de fracture classi-
ques entre les pays. L’Autrichien
Robert Holzmann, traditionnel-
lement un faucon, appelle à con-
tinuer la hausse des taux d’inté-
rêt, qui sont déjà passés de −
0,5 % à 3,75 % en un an : « Nous ne
sommes pas encore tirés d’affaire
sur l’inflation », disait-il lundi.
Joachim Nagel, son homologue
allemand, ajoute qu’il est « bien
trop tôt » pour faire une pause
monétaire.
A l’inverse, Mario Centeno, le
gouverneur de la banque centrale
du Portugal, situé dans le camp
des colombes, s’alarme du ralen-
tissement économique entamé
au troisième trimestre. Pour la
première fois depuis un an, l’in-
certitude est réelle sur l’action de
la BCE, entre une pause et une
hausse supplémentaire. p
éric Albert
 0123
16 | Économie & Entreprise ­
­Samedi 2­ septembre 2023

Le pouvoir d’attraction croissant des chaînes d’info

BFM-TV, CNews, LCI et Franceinfo ont atteint, en juin, une part de marché cumulée historique, à 9 %

D’
où qu’elles vien-
nent, les nouvelles
sont mauvaises,
mais les chaînes
d’information ne sont pas près de
s’en plaindre. Tandis que BFM-TV
s’apprête à étrenner un nouveau
plateau tout en écrans géants et
que LCI se flatte d’inaugurer une
nouvelle formule de sa matinale,
elles font leur rentrée pleines
d’espoir : en juin, la part de mar-
ché de BFM-TV (3,4 %), CNews
(2,4 %, un record), LCI (2,4 %, autre
record) et Franceinfo (0,8 %) réu-
nies a atteint le chiffre historique
de 9 %, une proportion inédite.
Le poste de télévision a beau
perdre de sa superbe dans les sa-
lons, le pouvoir d’attraction des
chaînes d’info, lui, continue
d’agir. Même les 25-49 ans en sont
de plus en plus friands, consti-
tuant 16 % de leur public. Et « je
pense qu’on peut encore progres-
ser », assure Marc-Olivier Fogiel, le
directeur général de BFM-TV.
« Structurellement, détaille le di-
rigeant, les gens consomment
moins la télévision en linéaire, et
davantage à la demande. Mais ils
se retrouvent devant le téléviseur
pour les événements en direct que
sont le sport et l’information. » Et,
comme les réseaux sociaux
abreuvent les téléspectateurs de
tweets et de posts à longueur de
journée, ils s’en remettent tou-
jours plus aux chaînes d’info
pour répondre à leur « besoin
d’une référence éditoriale, certi-
fiée », affirme-t-il.
« Incarnations spécifiques »
Première à s’être installée sur la
TNT gratuite, en 2005, BFM-TV est
la plus regardée « chaque année,
chaque mois, chaque semaine », a
rappelé, jeudi 31 août, Hervé Be-
roud, le directeur général délégué
d’Altice Média, à l’occasion de la
présentation des programmes de
rentrée de BFM-TV, BFM Business,
RMC, etc. – même si, à 3,1 %, la
chaîne a perdu 0,2 point de part
de marché sur la saison par rap-
port à la précédente, marquée par
l’élection présidentielle.
L’actualité étant la même pour
tous, « c’est l’emballage » dans le-
quel elle est présentée qui permet
à chacune de trouver sa voie, ex-
plique Marc Bassoni, maître de
conférences à l’école de journa-
lisme d’Aix-Marseille, auteur, avec
Alexandre Joux, d’une Introduc-
tion à l’économie des médias (Ar-
mand Colin, 2014). « Dans ce mar-
ché standardisé, chacune élabore
un cocktail particulier, une niche
dans laquelle elle va être unique »,
détaille-t-il.
Deuxième sur le podium (2,2 %
sur 2022-2023), CNews a ainsi vu
son audience décoller lorsqu’elle
s’est muée en une chaîne d’opi-
nion à dominante réactionnaire,
après son rachat par Vivendi,
en 2016. Pour LCI, la révélation est
arrivée en 2022. Avec le déclen-
chement de la guerre en Ukraine,
la chaîne du groupe TF1 a vu croî-
tre le nombre de ses fidèles, au
point d’enregistrer, la saison der-
nière, la « plus forte progression
en part d’audience » de toutes les
chaînes d’info (2 %, + 0,6 point),
ont souligné de concert Fabien
Namias, son directeur général, et
Thierry Thuillier, le directeur de
l’information du groupe TF1,
mercredi 30 août. « Soit on ré-
pond à l’anxiété informationnelle
en attisant les peurs, soit on fait
sortir les gens d’une forme de
brouillard dans lequel ils sont
plongés, en choisissant de les
éclairer », explique M. Namias, re-
vendiquant fièrement d’avoir
choisi la deuxième option.
Cette logique de différenciation
justifie aussi pourquoi BFM-TV a
« Dans ce marché
standardisé,
chacune élabore
un cocktail
particulier »
Marc Bassoni
maître de conférences
à l’école de journalisme
d’Aix-Marseille
choisi un non-journaliste, en la
personne de Laurent Ruquier,
pour animer la tranche 20 heu-
res-21 heures dès la fin du mois de
septembre. Le présentateur de di-
vertissements sur France Télévi-
sions depuis plus de vingt ans as-
CNews. Il n’empêche : en animant
des débats provocants à coups de
mimiques surjouées, Pascal
Praud assure déjà une forme de
spectacle qui situe son émission à
mi-chemin entre l’information et
le divertissement, comme pour-
rait l’être le rendez-vous de Lau-
rent Ruquier, qui sera accompa-
gné de la journaliste Julie Ham-
mett, et comme le sont, à cette
heure-là, les émissions concur-
rentes « Quotidien » (TMC), « C à
vous » (France 5) ou encore « Tou-
che pas à mon poste » (C8).
« Phénomène d’addiction »
Le nombre et le succès de ces for-
mats qui mélangent les genres
paraissent battre en brèche l’idée
selon laquelle les Français se-
raient victimes de « fatigue infor-
mationnelle ». C’est tout le
­contraire, rétorque David Me-
dioni, le directeur de l’Observa-
toire des médias à la Fondation
Jean Jaurès, à l’origine de ce
­concept. « Des émissions comme
celle de Cyril Hanouna, où l’on ne
retient rien des emportements
face à l’actualité, sont vecteurs de
dégoût », assure l’auteur, avec
Guénaëlle Gault, de Quand l’info
épuise (Editions de l’Aube, 96 pa-
ges, 8,90 euros – une édition
réactualisée devrait voir le jour à
la fin de 2023).
Quant au succès des seules chaî-
nes d’info, il semblent, aux yeux
surera un « talk d’info », « Le du journaliste, relever d’une « lo-
20 heures de Laurent Ruquier ». gique de court terme ». « En conti-
« BFM-TV a souvent été caricatu- nuant d’alimenter le cercle vicieux
rée en robinet à infos, rappelle du flux permanent émotionnel au
Marc-Olivier Fogiel. Aujourd’hui, détriment de la hiérarchisation de
devenue plus mature, elle propose l’information, elles encouragent
des émissions spéciales, des for- un phénomène d’addiction nuisi-
mats et des incarnations spécifi- ble aux individus et aux médias »,
ques : elle est devenue une chaîne critique-t-il.
généraliste d’info. » Avec le pré- Ce phénomène est pourtant
sentateur des « Grosses Têtes » de loin de prendre fin. BFM-TV s’ap-
RTL, M. Fogiel espère trouver prête à donner naissance à
« une possibilité d’augmenter » « BFM2 » (un nom de code), une
l’audience sur un créneau ho- chaîne numérique à part entière
raire où, traditionnellement, destinée à reprendre les actualités
BFM-TV « est faible sur le public de qui ne trouvent pas leur place sur
4 ans et plus ». le direct de la chaîne amirale. Une
Le dirigeant affirme ne pas avoir façon de répondre à l’appétit des
procédé au recrutement du chan- Français pour l’info, au risque se
sonnier pour contrecarrer le suc- contribuer à l’« infobésité ». p
cès de « L’Heure des pros », sur Aude Dassonville

En Haute-Savoie, une commune se résigne Habillement

Naf Naf demande
son placement en
En 2020, le gouvernement
avait lancé un vaste plan de
soutien à la filière de 9 mil-
redressement judiciaire liards d’euros, d’où est issue

à fermer définitivement sa station de ski L’enseigne de prêt-à-porter

féminin Naf Naf a demandé
son placement en redresse-
l’enveloppe de 4 milliards
annoncée jeudi. – (AFP)

Faute d’enneigement suffisant, le télésiège de la station de La Sambuy Seythenex arrêtera
de tourner le 15 septembre. Habitants et professionnels du tourisme ont du mal à l’accepter
Reportage
Faverges-Seythenex
(Haute-Savoie) - envoyée spéciale
I ls y tiennent, à leur télésiège.
Ce colosse de 1 800 mètres de
long, grimpant près de
700 mètres de dénivelé, emmène,
pour quelques jours encore, les
clients dès leur sortie du parking
de la station de La Sambuy Sey-
thenex, en Haute-Savoie, jusqu’au
sommet, à 1 850 mètres, le tout en
vingt-cinq minutes. Ce télésiège
est le seul du domaine. Datant de
la fin des années 1980, il est la « co-
lonne vertébrale » de cette petite
station « construite par les lo-
caux » et dotée de cinq commer-
ces, explique Christian Bailly, le
président de l’association Tous
ensemble pour La Sambuy.
Avec d’autres habitants, des tou-
ristes et des professionnels, ils
continuent de se battre pour sau-
ver « leur » station. Et ce, même si
La Sambuy, le 15 septembre, ce
sera fini. Après une concertation
citoyenne de plusieurs mois, Jac-
ques Dalex, le maire (divers gau-
che) de Faverges-Seythenex, où
est située la station, a décidé, en
juin, avec son conseil municipal, ,
à 22 voix pour sur 33, le démantè-
lement du télésiège. Le recours en
référé formé par Tous ensemble
pour La Sambuy devant le tribu-
nal administratif de Grenoble
pour contester cette décision a,
lui, été rejeté, le 24 août.
Déficit évalué à 500 000 euros
« Cette station a toujours été défici-
taire, raconte l’édile. Et la com-
mune l’a toujours financée. Un dé-
ficit à combler de 150 000 à
200 000 euros par an, on peut l’ad-
mettre. Plus, cela paraît difficile. »
Or, il est évalué par la municipalité
à 500 000 euros. Dans un courrier
daté du 5 mai, le préfet de la Haute-
Savoie a rappelé au maire que ren-
flouer le budget annexe des re-
montées mécaniques (qui doit
normalement s’autofinancer) ne
pouvait être qu’exceptionnel,
sous peine de devenir illégal.
Année après année, le manque
de neige complique la saison hi-
vernale. Et si l’été est plus profita-
ble au site, grâce à une luge d’été
et au télésiège permettant l’accès
au sommet, cela ne permet pas à
la commune d’entrer dans ses
« Notre travail
est d’ouvrir les
yeux. Ce n’est pas
un échec, c’est
une adaptation »
Jacques Dalex
maire de Faverges-Seythenex
frais. « Si on avait de l’eau, de la
neige abondante ou des ennei-
geurs, on verrait peut-être les cho-
ses différemment. Mais notre tra-
vail est d’ouvrir les yeux. Ce n’est
pas un échec, c’est une adaptation.
Le monde change, le climat, les
priorités des gens. Nous ne som-
mes plus dans les années 1960, où
le tout-ski pouvait se compren-
dre », explique le maire. Et celui-ci
de rappeler que la commune
(7 800 habitants) a soutenu finan-
cièrement l’installation d’une
école de bijouterie, utile pour
l’avenir et synonyme de forma-
tion pour les jeunes du coin.
« Cette implantation doit aussi at-
tirer des entreprises en quête de
main-d’œuvre », espère-t-il.
Reste que « la station ferme dans
quelques jours et on ne sait pas
comment ça va se passer », désap-
prouve Cyril Michaud, restaura-
teur. « Cette décision est un coup de
bambou », s’inquiète un des sala-
riés de la station, qui souhaite gar-
der l’anonymat. Lui aussi reproche
au maire son manque de commu-
nication depuis la décision de la
fermeture. La station faisait tra-
vailler 45 personnes, soit une ving-
taine d’équivalents temps plein.
L’histoire rappelle la fermeture,
en 2017, de la petite station de Gra-
nier-sur-Aime (1 250 mètres d’alti-
tude), en Savoie, pour cause no-
tamment de manque de neige.
« C’est l’une des décisions les plus
difficiles que j’ai eues à prendre avec
le conseil municipal, raconte Co-
rine Maironi-Gonthier, la maire
(divers gauche) d’Aime-La Plagne.
Mais ce choix s’imposait : le ski clas-
sique, ici, à cette altitude, ce n’est
plus possible. » L’élue a alors en-
gagé de nouveaux projets touristi-
ques et sportifs plus modestes. « Il
faut anticiper ce moment, souli-
gne-t-elle, pour combler le vide que
représente la fin de la station. » p
Fanny Hardy
ment judiciaire en début de
semaine, a indiqué, jeudi
31 août, un porte-parole à
l’AFP, confirmant une infor-
mation du site spécialisé
Fashion Network, pour faire
face à « des arriérés de paie-
ment de loyers » accumulés
durant la crise économique
due au Covid-19. La marque
française, lancée en 1973 par
deux frères, emploie 660 sa-
lariés en France, compte
131 magasins et affiche un
chiffre d’affaires 2022 de
141 millions d’euros. – (AFP)
Éne rg ie
Plan de soutien
à la filière hydrogène
de 4 milliards d’euros
La ministre de la transition
énergétique, Agnès Pannier-
Runacher, a annoncé, jeudi
31 août, lors d’un déplace-
ment en Alsace, un dispositif
de soutien à la filière hydro-
gène, à hauteur de 4 mil-
liards d’euros. Il « vise à ac-
compagner les industriels
pour acheter les électroly-
seurs et pour produire de
l’hydrogène décarboné à un
coût compétitif », a déclaré la
ministre à l’issue d’une visite
de l’usine d’électrolyseurs
John Cockerill d’Aspach-Mi-
chelbach (Haut-Rhin).
Les commandes
d’éoliennes dans le
monde en nette hausse
au premier semestre
Les commandes d’éoliennes
ont nettement augmenté au
premier semestre 2023 com-
paré à la même période de
2022, grâce au large rebond
des achats en Amérique du
Nord et à un volume tou-
jours conséquent en Chine,
selon une étude publiée
jeudi 1er septembre. De jan-
vier à juin, les commandes
d’éoliennes ont représenté
une capacité de 69,5 gi-
gawatts, en hausse de 12 %,
indique le cabinet d’étude
Wood Mackenzie. – (AFP)
Agricultu re
Les géants du foie gras
Euralis et Maïsadour
renoncent à leur fusion
Les groupes Euralis et Maïsa-
dour, qui représentent à eux
deux 50 % de la production
de foie gras en France,
ont renoncé à leur projet
de fusion, a annoncé, jeudi
31 août, l’Autorité de la con-
currence, qui avait ouvert fin
2022 une enquête approfon-
die. La fusion aurait conduit
à une situation de quasi-
monopole. – (AFP)
0123
­
­Samedi 2­ septembre 2023
Le lent décollage du marché
du camion électrique
La filiale du suédois Volvo vient de signer la vente à Schenker France
de 53 poids lourds à batterie. Ils sont produits dans le Calvados
Blainville-sur-Orne (Calvados)
D
es dizaines de ca-
mions attendent,
prêts à être livrés sur
le parking de l’usine
Renault Trucks de Blainville-sur-
Orne (Calvados). Ceux que vient
chercher Frédéric Vallet, prési-
dent pour la France de DB Schen-
ker, le plus gros groupe de logisti-
que allemand, sont blancs et un
peu particuliers : l’avant de leur
cabine est barré d’une bande bleu
roi avec l’inscription E-Tech. Ce
sont des camions électriques. La
filiale de la « SNCF allemande » en
a commandé 53 : 50 véhicules de
16 tonnes et 3 de 19 tonnes. Elle
disposait déjà de 13 petits ca-
mions de 7,5 tonnes. In fine, 6 %
de sa flotte sera sans émission.
Les chiffres
200 000
C’est, au minimum, le nombre
de poids lourds que devra
compter le parc européen
en 2030, si le secteur veut
­réduire ses émissions de CO2
de 30 % à cet horizon.
166
C’est le nombre de camions
à batterie vendus en France
en 2022 (sur 44 000).
9 450
C’est le nombre de salariés
de Renault Trucks dans
le monde. En France, le groupe
compte quatre sites
de production.
Des batteries automobiles toujours
plus puissantes, un mauvais calcul
Davantage d’autonomie se paie en matière de poids, ce qui accroît la consommation
Q ui a dit que l’on ne pou-
vait pas voyager au long
cours avec une voiture
électrique ? Le nouveau
Scénic E-Tech, qui sera dévoilé
par Renault le 4 septembre au sa-
lon de Munich, est homologué
pour parcourir un peu plus de
600 kilomètres d’une seule
traite. C’est presque aussi bien
que les 634 kilomètres que peut
abattre entre deux recharges la
version Long Range de la Tesla
Model S. Pour sa part, Peugeot
annonce que la future version
électrique de la 3008 atteindra le
seuil des 700 kilomètres.
Proches de ce que peut proposer
un véhicule thermique classique,
ces valeurs d’autonomie ont de
quoi rassurer. Pour les atteindre,
les constructeurs n’ont pas
adopté une nouvelle chimie révo-
lutionnaire pour leurs accumula-
teurs. Ils ont simplement accru le
nombre des cellules. La plus
grosse des batteries proposées à
bord du Renault Scénic, qui pour-
rait assurer 80 % des ventes selon
la marque, se rapproche de la ca-
pacité du Nissan Ariya (87 kilo-
wattheures) conçu sur la même
plate-forme. La prochaine Volk-
swagen ID.7 va embarquer
86 kWh pour s’élancer sur 700 ki-
lomètres, Peugeot est parvenu à
stocker 98 kWh entre les essieux
de la e-3008 et Tesla embarque
jusqu’à 100 kWh.
Christophe Martin, directeur
général de Renault Trucks France,
filiale du constructeur suédois de
camion Volvo – elle n’a plus de
lien avec la marque de voiture –,
en profite pour lui présenter le
site. C’est le premier employeur
privé du département, avec
2 900 personnes. L’usine produit
des cabines Renault ou Volvo
Trucks et en fournit aussi à DAF.
« Chaque jour, 110 camions en
sortent », explique David Brasseur,
qui guide la visite des deux lignes
de production ultra-robotisées de
cet ancien site Saviem, dont les
modèles électriques partent dans
toute l’Europe. Ces véhicules sont
encore largement minoritaires,
mais la barre des 1 000 produits a
été franchie en 2022.
Pour M. Martin, ils sont l’avenir
du site, voire du groupe. L’usine
de Bourg-en-Bresse, dévolue aux
plus gros camions, livrera aussi,
avant la fin de 2023, son premier
44-tonnes électrique. Le groupe
travaille aussi sur l’hydrogène.
L’électrique représente 1 % du
marché, « mais de 3 % à 4 % de nos
commandes », précise Christophe
Martin, qui affiche une part de
marché de 75 % en France contre
30 % sur les autres motorisations.
« Une démarche de pionnier »
En 2022, il s’est vendu 166 ca-
mions à batterie sur 44 000. Au
Royaume-Uni et en Allemagne,
c’est plus de 800, selon l’Associa-
tion des constructeurs européens
d’automobiles. D’après une étude
du cabinet de conseil en stratégie
Roland Berger, publiée en juin, le
parc européen doit atteindre plus
de 200 000 poids lourds en 2030,
si le secteur veut réduire ses émis-
sions de CO de 30 % à cet horizon.
Les obstacles sont nombreux.
Outre le développement des in-
Cette inflation se paie au prix
fort en termes de poids. Dans sa
version la plus élaborée, le Scénic
est lesté de près de 520 kilos de bat-
teries – 100 kilos de plus que la ver-
sion standard permettant de par-
courir quelque 400 kilomètres –,
ce qui conduit sa masse globale à
se rapprocher des 1,9 tonne. La
Mercedes EQS, qui peut parcourir
autour de 700 kilomètres, pèse
2,8 tonnes, alors que la BMW iX
(630 kilomètres sans recharger)
avoue trois tonnes sur la balance.
« Marges confortables »
L’équation consistant à saturer le
soubassement d’une voiture de
lourdes batteries afin d’accroître
son autonomie pèse sur sa con-
sommation. Plus un véhicule
électrique est lourd, plus il lui
faudra parcourir de kilomètres
pour « rembourser » la quantité
de CO2 dissipée lors de sa produc-
tion, en particulier pour fabri-
quer ses batteries. Renault es-
time qu’en moyenne, sa Mégane
E-Tech électrique qui pèse
1,6 tonne et dispose d’une batte-
rie de 60 kWh, devra parcourir
70 000 kilomètres pour honorer
cette « dette de CO2 ».
La dérive risque de s’amplifier
avec l’arrivée des batteries li-
thium fer phosphate (LFP), moins
chères et moins consommatrices
de terres rares que la technologie
lithium-ion mais offrant une
Les obstacles
sont encore
nombreux :
outre les
infrastructures
de recharge,
il y a le prix
frastructures de recharge, pour le-
quel, affirme Roland Berger, l’Alle-
magne, le Royaume-Uni et la
France sont plutôt « à l’avant-
garde », il y a le prix. Un camion
électrique coûte 300 000 euros
environ, trois fois plus qu’un die-
sel. L’usage, surtout, est à réinven-
ter. Malgré quatre encombrants
packs de batteries de 94 kilowatts
chacun, l’autonomie du camion
est d’à peine 300 kilomètres.
Chez Schenker France, Frédéric
Vallet se heurte à de nouvelles
questions pour adapter les
19 agences (sur 125 en France) à
cette nouvelle flotte électrique.
Quelles bornes installer ? Faut-il
produire son énergie avec pan-
neaux solaires et éoliennes ? Avoir
une capacité de stockage de l’élec-
tricité ? A quelle distance des en-
trepôts doit-on installer ces batte-
ries ? « C’est une démarche de pion-
nier », admet Christophe Martin.
DB Schenker ne connaît pas en-
core le coût de revient final de ses
camions. Pour aider à la transi-
tion, l’Etat français fonctionne
avec des appels à projets. Une en-
veloppe budgétaire de 60 millions
d’euros de subventions, pour en-
viron 500 camions, est prévue. Ce
procédé est trop bureaucratique
et beaucoup plus compliqué que
le système de bonus écologique
allemand déduit directement par
moindre densité énergétique,
très prisées des constructeurs chi-
nois, notamment.
« Limiter la taille des batteries
constituerait pourtant le levier le
plus efficace pour réduire la de-
mande de métaux critiques », re-
grette Diane Strauss, directrice de
l’ONG Transport & Environment
pour la France. « Il faut aussi rap-
peler que plus une voiture est
grosse et lourde, plus les marges
sont confortables pour la mar-
que », ajoute-t-elle. « Le Scénic est
un véhicule familial qui convient
aux départs en vacances. Propo-
ser une batterie à forte capacité
permet d’envisager plus sereine-
ment les longs trajets et rassure
les acheteurs qui hésitent à passer
à l’électrique », se défend-on chez
Renault.
Compte tenu de l’impact des
batteries sur le coût d’un véhicule
électrique – plus d’un tiers du prix
total –, embarquer toujours plus
de kilowattheures contribue aussi
à renchérir davantage son prix. La
masse croissante de ces voitures
risque également de se heurter à
la perspective, ouvertement évo-
quée par les pouvoirs publics,
d’un prochain élargissement du
« malus au poids » aux électriques
les plus lourdes. Même si les cons-
tructeurs évoquent « une forte de-
mande du marché », certains indi-
ces suggèrent que l’angoisse de la
panne d’électricité qui étreint
Économie & Entreprise | 17
le constructeur, regrettent les ex-
perts de Schenker France.
Malgré ces embûches, Schenker
France n’est pas le seul à avoir
sauté le pas. Début 2023, le trans-
porteur XPO Logistics a com-
mandé une centaine de poids
lourds électriques à Renault
Trucks. Certains secteurs bascu-
lent vite, comme celui du ramas-
sage d’ordures. Suez a une flotte
de 150 camions électriques.
Afin de limiter les aléas, Schenc-
ker France achète sa flotte électri-
que en location de longue durée
par le biais de la société financière
Clovis, dont Renault Trucks et ses
distributeurs sont actionnaires.
Aujourd’hui, 20 % de ses ventes
s’effectuent avec cette solution fi-
nancière. Sur le marché de l’électri-
que, ce sera plutôt la moitié, pro-
nostique Christophe Martin : cela
réduit le risque des clients sur la
valeur de revente face à des tech-
nologies qui évoluent beaucoup.
D’ici à 2030, Renault Trucks es-
père vendre un camion électrique
sur deux. Les constructeurs, qui
comptent aussi sur l’hydrogène
ou les agrocarburants, sont sous
pression. « En 2025, nous devons
avoir réduit nos émissions de 15 %,
explique le patron, et, en 2030, de
43 %, selon la norme européenne. »
« Si, en 2030, nous n’avons atteint
que 35 % de réduction des émis-
sions sur nos ventes, cela fait huit
640 millions d’euros de pénalités.
C’est 13 % de notre chiffre d’affaires.
Notre rentabilité ne serait plus as-
surée. » Loin de prendre cette con-
trainte pour un poids, il y voit un
moment assez exaltant : « Ce pas-
sage à l’électrique, c’est l’occasion
de rendre notre secteur, qui doit ab-
solument attirer des jeunes, plus at-
tractif. » Il y a urgence, vu la pyra-
mide des âges des mécaniciens. p
Sophie Fay
tout nouveau converti à l’électro-
mobilité se dissipe après quel-
ques mois de pratique.
Chez Hyundai, la capacité maxi-
male de la nouvelle Kona
(65 kWh) n’a pratiquement pas
été rehaussée. Les ventes de la
version électrique de la Fiat 500
ont décollé après l’introduction
d’une petite batterie, moins chère
et plus adaptée à l’usage urbain de
cette voiture. Sans le crier sur les
toits, de nombreux constructeurs
admettent que la problématique
de l’autonomie ne se résume pas
seulement à une question de per-
formances de la batterie. C’est
aussi une affaire de densité du
maillage des bornes de recharge à
haute puissance.
Or, avec un réseau public de plus
de 105 000 terminaux (dont 7 000
points de recharge de 150 kW et
plus), la France est assez bien pour-
vue. « Conséquence de la crois-
sance des ventes de voitures électri-
ques, nous avons connu une forte
fréquentation cet été mais pas de
problèmes de saturation, hormis
quelques cas sporadiques comme
les stations-service traditionnelles
peuvent aussi en rencontrer, té-
moigne Pierre Courgeon, direc-
teur France du réseau Fastned.
Nous avons de la marge : en France,
99 % des stations-service d’auto-
route disposent de bornes de re-
charge haute puissance. » p
Jean-Michel Normand
Pertes & profits | Conjoncture
par Philippe Esc and e
L’immobilier
craque de toutes parts
Branle-bas de combat à Pékin.
Face aux perspectives économi-
ce secteur constitue la première
ressource. Après vingt ans
ques de plus en plus moroses et de cavalcade, l’immobilier, qui a
à la crise immobilière qui s’ins- longtemps expliqué la résilience
talle, le gouvernement sort l’ar- de l’économie chinoise, est à
tillerie lourde. Il a annoncé, jeudi bout de souffle. Une gigantesque
31 août, un train de mesures bulle éclate.
spectaculaire, de l’assouplisse-
ment des règles bancaires desti- Correction salutaire
nées à soutenir le yuan jusqu’à Mais la Chine n’est pas seule dans
l’aide aux promoteurs et aux ac- ce pétrin. Le phénomène est
quéreurs d’appartement. Les pri- mondial. Les prix reculent de
mo-accédants pourront ainsi, 10 % à 20 % dans les grandes vil-
dès ce mois de septembre, rené- les américaines, les ventes s’ef-
gocier à la baisse leurs prêts im- fondrent en Grande-Bretagne. En
mobiliers, tandis que de nou- France, selon Les Echos, le prix
veaux fonds vont être dégagés moyen du mètre carré parisien
pour finir les programmes en est repassé sous la barre des
cours. Les fonds d’investisse- 10 000 euros. La correction d’une
ment, par ailleurs, vont être séquence de hausse phénomé-
autorisés à lever de l’argent pour nale, qui a vu les prix bondir de
se développer dans l’immobilier. près de 40 % entre 2015 et 2020.
Le feu couve depuis le début Que ce soit en Chine, aux Etats-
des ennuis du géant du secteur Unis ou en Europe, les arbres ne
Evergrande, en 2021, mais n’a pas montent pas jusqu’au ciel, et
été éteint. Il s’est propagé depuis, cette correction est salutaire. Ce
notamment chez son concurrent sont les autorités et la crise de
Country Garden, qui est au bord 2008 qui sont, finalement, les
de la faillite. Les ventes des pro- principaux responsables de cette
moteurs se sont effondrées en situation. En Chine, parce que le
août de 34 % par rapport à l’an- pays a sauvé sa croissance en dé-
née précédente. Or l’immobilier versant des milliards sur ce sec-
et la construction représentent teur, et en Occident, parce que les
entre 20 % et 30 % de l’économie banques centrales ont écrasé les
chinoise. Les raisons de cette bé- taux jusqu’à les rendre négatifs
rézina sont connues : ralentisse- pour soutenir l’économie. Il n’y a
ment économique dû à la crise pas mieux pour alimenter des
sanitaire, démographie en berne bulles boursières et immobiliè-
et, surtout, spéculation effrénée res. Le Covid-19 a sifflé la fin de
tant de la part des investisseurs cette euphorie que l’on croyait,
que des collectivités locales, dont comme toujours, éternelle. p
En Occitanie, la région
accélère sur le ferroviaire
C’ est un événement qui fera date à Figeac, commune
de moins de 10 000 habitants située dans le nord-est
du département du Lot. Jeudi 31 août, dans le quartier
résidentiel de Font-Redonde, la gare réhabilitée, qui avait été ra-
vagée par les flammes en novembre 2018, doit être inaugurée
en présence d’un parterre d’élus locaux. Parmi eux, Carole
Delga, la présidente socialiste de la région Occitanie. Car la col-
lectivité est entièrement partie prenante de cette rénovation.
En 2019, elle rachète à la SNCF le bâtiment endommagé pour le
reconstruire dans sa quasi-totalité.
« Pour raccourcir les délais de sa réouverture, prévue en 2030
par la SNCF, la région est devenue propriétaire. C’est une pre-
mière en France », souligne Mme Delga, qui a engagé 4 millions
d’euros dans cette opération. Ce choix est guidé par le position-
nement géographique de Figeac puisque cette ville moyenne,
qui tire son économie de l’aéronautique et du tourisme, dessert
la vallée sinistrée de Decazeville, à cheval sur l’Aveyron, le Can-
« Nous avons
tal et la Corrèze. Cette décision s’ins-
crit dans une stratégie ferroviaire
plus globale, menée par la présidente
depuis son élection en 2016 à la tête
le budget de de la collectivité.
fonctionnement « Le train est ma priorité, mon com-
bat politique et je le mène à l’échelle de
ramené au nombre l’Occitanie », déclare Mme Delga. « Je
veux montrer l’exemple. La France doit
d’habitants le plus engager une grande révolution ferro-
viaire pour faire face aux enjeux clima-
élevé du pays » tiques, tout en répondant aux besoins
Carole Delga de mobilité des habitants », exhorte-t-
présidente socialiste elle. En Occitanie, traversée par
de la région Occitanie 2 636 kilomètres de voies ferrées, ce
sont 80 000 voyageurs qui montent à
bord de l’un des 500 trains de transport express régional LIO qui
sillonnent chaque jour ce territoire, le deuxième de France par sa
superficie. Insuffisant pour la présidente, qui espère atteindre les
100 000 usagers par jour « dès que possible ».
Pour inciter les habitants à opter pour le train, la collectivité a
voté, en mars, un plan ambitieux consacré au développement
des trains régionaux, doté d’un budget de 4 milliards d’euros
pour la période 2023-2032. « Nous avons le budget de fonctionne-
ment ramené au nombre d’habitants le plus élevé du pays », se fé-
licite l’élue socialiste. Ce programme prévoit d’augmenter le
nombre de trains quotidiens sur les liaisons les plus fréquentées,
comme le Toulouse-Auch à l’horizon 2029, mais aussi de réou-
vrir des liaisons supprimées… A l’opérateur historique de faire
fonctionner le réseau régional dans le cadre de cette convention
avec la région. La volonté de ne pas chercher de candidat alterna-
tif à la SNCF est assortie d’une condition. « Tous les retards, liés à
l’exploitation du réseau ou aux investissements, sont imputables à
la SNCF qui devra payer des pénalités », avertit Mme Delga. Autre
volet pour faire du train une alternative à la voiture : la région
multiplie les offres tarifaires attractives, à bas prix, pour diffé-
rents publics (jeunes, étudiants, salariés…). p
Audrey Sommazi (à Toulouse)
 0123
18 | Économie & Entreprise ­
­Samedi 2­ septembre 2023

Reportage
New Delhi - correspondance

L
es cageots de tomates
écarlates ont enfin
fait leur retour dans
les allées du marché
de gros d’Okhla, dans
le sud de New Delhi.
Le matin, vers 6 heures, les ca-
mions ayant parcouru des mil-
liers de kilomètres depuis Ahme-
dabad (Gujarat), à l’ouest, Banga-
lore (Karnataka) ou Nashik (Ma-
harashtra), au sud, sont déchargés
avec un entrain particulier. « De
nouvelles tomates arrivent, et elles
sont de bonne qualité », se réjouit
Pappu Singh, un marchand qui se
fournit ici depuis plus de trente-
cinq ans, avant d’approvisionner
restaurants et vendeurs ambu-
lants d’un quartier voisin.
En juillet, les pluies diluviennes
de la mousson et les attaques de
nuisibles dans les régions produc-
trices ont détruit une partie des ré-
coltes, et les inondations ont blo-
qué les routes, mettant à mal le
transport des tomates. Résultat,
les prix de cet aliment de base, uti-
lisé pour la préparation de nom-
breux plats indiens en sauce, ont
explosé, enregistrant une hausse
de 700 % à son plus haut. « J’ai be- Des Indiens achètent des tomates à un tarif subventionné par le biais d’un organisme gouvernemental, le 8 août à New Delhi. Raj K Raj/« Hindustan Times » via Getty Images
soin de 1 000 kilos de tomates par
jour, et je n’en obtenais plus que 100
à cause des intempéries, les prix de
gros avaient atteint les 200 roupies
[2,20 euros] le kilo », raconte Pappu
Singh. En cette fin août, ils sont re-
PLEIN CADRE
descendus à 50 roupies le kilo, soit
0,55 euro, et c’est un soulagement
collectif. « Tout le monde est heu-
reux, car les tomates sont bon mar-
ché », déclare un autre marchand,
tout sourire.
L’Inde tente d’endiguer sur le blé et les légumineuses, mais
aussi l’oignon », abonde Rahul Ba-
joria, économiste chez Barclays
Bank, qui rappelle que ces ali-
ments représentent, à eux seuls,
Le pays a traversé, cet été, une
« crise de la tomate ». La tomate
étant devenue une denrée rare, les
vols sur les exploitations agricoles
se sont multipliés, tout comme à
l’inflation alimentaire de 40 % à 50 % des dépenses ali-
mentaires des Indiens.

bord des camions de transport.
Dans le Karnataka, une agricul-
trice s’est ainsi fait dérober, début
juillet, 50 à 60 sacs de tomates,
pour une valeur de 250 000 rou-
pies, soit près de 2 800 euros. Un
autre cultivateur de la même ré-
gion a porté plainte, après que des
inconnus ont cueilli les fruits de
sa récolte pour une valeur de
1,5 million de roupies, soit plus de
16 000 euros. Aussi, le mois sui-
vant, à l’approche des nouvelles
récoltes, les agriculteurs du Karna-
taka, mais aussi d’autres régions
productrices, comme le Maha­-
rashtra et le Madhya Pradesh, ont
monté la garde vingt-quatre heu-
res sur vingt-quatre pour empê-
cher les vols de tomates.
Les chaînes de restauration ra-
pide ont annoncé, les unes après
les autres, la suppression des to-
mates de leur menu. Après les
mauvaises récoltes et en raison de
la flambée des prix, McDonald’s,
Subway ou Burger King avaient dé-
cidé de la rayer de leurs cartes. Ces
informations ont pu faire sourire,
mais la hausse des prix a eu des
conséquences considérables sur
les budgets des ménages indiens,
qui ont, eux aussi, dû s’adapter.
Certains sont allés s’approvi-
sionner directement sur les mar-
CHINE
PAKISTAN New Delhi
UTTAR NÉPAL
RAJASTHAN PRADESH
BIHAR
INDE
BIRMANIE
Après la « crise de la tomate », cet été, céréales, légumineuses
ou oignons inquiètent New Delhi, qui restreint les exportations, afin
de contrôler l’envolée des prix de denrées essentielles à la population
chés de gros, car moins chers. La
plupart ont revu leurs recettes et
leurs menus. « Lorsque les to­-
mates ont atteint les 300 à
350 roupies le kilo [3,30 euros à
3,90 euros], je me suis mise à cuisi-
ner des légumes sans sauce à base
de tomates, alors que d’ordinaire
on utilise cet aliment sans comp-
ter, explique Bhupinder Kaur, une
femme au foyer de 52 ans. Je ne
mettais plus qu’une tomate dans
mes currys, alors qu’il en faut d’or-
dinaire trois. Au pic de la crise, j’ai
remplacé la tomate fraîche par de
la purée industrielle. »
Crainte avant les élections
La banque centrale indienne, dans
sa note sur l’état de l’économie pu-
bliée en juillet, s’était inquiétée de
l’augmentation des prix de la to-
mate. Les denrées alimentaires pè-
sent pour près de la moitié dans le
calcul de l’indice de l’inflation en
Inde. En juillet, l’indice des prix à la
consommation s’est établi à
7,44 %. Il n’avait pas été aussi haut
depuis plus d’un an. Et l’inflation
des denrées alimentaires est mon-
tée en flèche, à 11,51 %, un sommet
depuis avril 2020. Pour le mo-
ment, la Banque de réserve de
l’Inde a néanmoins choisi de
maintenir son principal taux di-
recteur à 6,5 %.
Rajasthan ou en Uttar Pradesh.
Afin d’endiguer la hausse des
prix, l’Inde a également autorisé
les importations de tomates du
Népal voisin.
Si le prix des tomates a considé-
rablement baissé, c’est désormais
l’oignon qui inquiète le gouverne-
ment. « Le prix des oignons a dou-
blé en l’espace de rien, il est passé
de 20 roupies le kilo à 40 aujour­-
d’hui », dit, en soufflant, Bhupin-
der Kaur. « Mais peu importe le
prix, les gens continuent toujours
d’en acheter, car on ne peut pas
s’en passer », affirme Suresh Ku-
mar, un vendeur au marché de
gros d’Okhla. Les légumes dits
« TOP », en référence à leur acro-
nyme pour « tomate, oignon,
pomme de terre », sont cruciaux
pour l’alimentation des Indiens.
Les consommateurs sont néan-
moins plus sensibles en ce qui
concerne les oignons, difficiles à
remplacer par d’autres produits
dans la cuisine locale.
En Inde, l’oignon est omnipré-
sent dans la cuisine, tous les mé-
nages en consomment, qu’ils
soient riches ou pauvres. A tel
point que l’on dit ici qu’il a le pou-
voir de faire tomber les gouverne-
ments. Les élections générales de
1980 avaient été surnommées
« les élections de l’oignon » par
bulbe, en particulier à l’approche
d’élections. Alors que plusieurs
Etats se rendront aux urnes d’ici à
la fin de l’année, comme le Rajas-
than, le Madhya Pradesh ou le
Chhattisgarh, et que le premier
ministre indien briguera un troi-
sième mandat au printemps 2024,
le gouvernement a rapidement
imposé une taxe à l’exportation
de 40 % sur les oignons et prévoit
même de les vendre localement à
des tarifs subventionnés.
Alors qu’en 2022 le premier mi-
nistre, Narendra Modi, avait fière-
ment affirmé que l’Inde pourrait
nourrir le monde, le gouverne-
ment a, depuis, pris une série de
mesures protectionnistes. « Nous
devons prendre davantage de me-
sures pour minimiser le fardeau de
l’inflation sur la population du
pays », a déclaré le premier minis-
tre, lors de son discours annuel de-
puis le Fort rouge, à New Delhi, à
l’occasion de la fête de l’indépen-
dance, le 15 août. « Nos efforts se
poursuivront », a-t-il même assuré.
de 40 % à 50 % des dépenses
L’Inde a déjà interdit les exporta-
tions de brisures de riz et de riz
blanc non basmati, afin d’atténuer
la hausse des prix sur le marché in-
térieur. Une taxe à l’exportation
de 20 % sur le riz étuvé a égale-
« La politique
indienne
a toujours été
de protéger ses
consommateurs,
même si c’est
au détriment
des agriculteurs
et des marchés »
Avinash Kishore
chercheur à l’International
Food Policy Research
Institute
le réel problème c’est l’inflation des
céréales comme le riz et le blé, ou
des légumineuses », avertit Hi-
manshu, professeur au Centre
d’études économiques et de plani-
fication, à l’université Jawaharlal-
Nehru de New Delhi. Le prix des lé-
gumes est en partie lié à la saison-
nalité de ces derniers, et leur poids
dans les dépenses des ménages
n’est pas aussi considérable que
celui du riz ou du blé, dont les In-
diens ne peuvent se passer, fait-il
valoir. « Vous pouvez vivre sans to-
mate, mais vous ne pouvez pas vi-
vre sans riz ou sans blé, qui sont les
Mauvaise Mousson
« L’alimentation représente une
telle part du budget des ménages
que le gouvernement utilise l’uni-
que outil qu’il a à sa disposition
pour contrôler les prix, c’est-à-dire
les restrictions d’exportations »,
fait valoir Abhirup Sarkar, ancien
professeur d’économie à l’Indian
Statistical Institute. Pour cet éco-
nomiste, de telles mesures pour-
raient continuer en raison de la
mauvaise mousson qu’a connue
l’Inde cette année. Les précipita-
tions dans les principaux Etats
producteurs de riz ont été au
moins 12 % inférieures à la nor-
male, alors que la récolte de ­l’hiver
précédent avait déjà été mauvaise.
Par ailleurs, les régions productri-
ces de sucre ont, elles aussi, connu
de faibles précipitations. Et le phé-
nomène climatique El Niño pour-
rait désormais nuire aux semis.
« L’augmentation des denrées
alimentaires frappe les pauvres de
plein fouet, et la politique de l’Inde
a toujours été de protéger ses
­consommateurs, même si cela doit
se faire au détriment des agricul-
teurs et des marchés mondiaux »,
rappelle Avinash Kishore, cher-
cheur à l’International Food Po-
licy Research Institute.
L’Inde étant le plus gros exporta-
teur de riz dans le monde, les res-
trictions imposées vont avoir une
incidence sur les prix mondiaux
et pénaliser les pays importateurs,
notamment en Afrique subsaha-
rienne. Les prix ont augmenté de
2,8 % en juillet par rapport au
mois précédent, et de 19,7 % cette
année, selon l’Organisation des
Nations unies pour l’alimentation
et l’agriculture (FAO). Cette hausse
« soulève d’importantes inquiétu-

GUJARAT BANG.
Le gouvernement, à l’inverse, a ­Indira Gandhi, qui avait alors battu ment été mise en place. Les restric- cultures principales en Inde, con- des en matière de sécurité alimen-
MAHARASHTRA choisi d’intervenir activement. le parti au pouvoir. Puis, en 1998, la tions couvrent désormais toutes sommées par tous les segments de taire pour une grande partie de la
Les autorités ont notamment forte hausse des prix de l’oignon a les variétés. Le pays envisagerait la population », ajoute-t-il. population mondiale », a regretté
KARNATAKA Golfe
du Bengale
acheté des tomates pour les ven- coûté au Bharatiya Janata Party, le également une baisse des droits « Nous sommes plus inquiets la FAO. Mais, à un an des élections
Bangalore dre aux consommateurs à des parti de Narendra Modi, les élec- de douane sur le blé, afin de facili- concernant les produits de base, et générales, le gouvernement conti-
prix subventionnés dans les tions locales à Delhi. ter l’importation de cette céréale. c’est le cas du gouvernement éga- nuera sans aucun doute de privilé-
Mer SRI LANKA
d’Oman 500 km
grands centres de consomma- Les dirigeants ne prennent donc « La hausse des prix des légumes lement, qui se focalise sur le riz, gier sa population. p
tion, comme à Delhi, au Bihar, au aucun risque lorsqu’il s’agit du se fait davantage remarquer, mais l’huile de cuisson et garde un œil Carole Dieterich
0123
­
­Samedi 2­ septembre 2023 Argent | 19

Etudes à l’étranger : avoir les bons Sos conso

Chronique par Rafaële Rivais

réflexes banque et assurance Maison du crime, décote

La facturation des frais pour les paiements hors zone euro peut être évitée et indemnisation

L L
es Français sont nom-
breux à étudier à l’étran-
ger. L’Hexagone est le
sixième pays « exporta-
teur » d’étudiants, avec près de
109 000 jeunes partis en mobi-
lité internationale en 2020, soit
25 % de plus qu’en 2015, selon
Campus France, l’agence chargée
de la promotion de l’enseigne-
ment supérieur français à l’étran-
ger. Leurs destinations préfé-
rées ? Le Canada, la Belgique, le
Royaume-Uni.
Pour qui part un semestre, un
an ou plusieurs années se pose la
question de la gestion de l’argent.
Pour les étudiants s’installant
dans l’un des vingt pays de la
zone euro, c’est simple : le coût
des opérations par carte bancaire
est le même qu’en France. Les
paiements sont donc gratuits. Si
votre banque facture les retraits
aux distributeurs hors de son ré-
seau, vous paierez les mêmes
frais que vous soyez en France ou
ailleurs dans la zone euro.
« Les moins de 25 ans bénéficient
parfois de retraits gratuits illimi-
tés, notamment chez BNP Paribas
et dans certaines agences du Cré-
dit agricole et de la Caisse d’épar-
gne », précise toutefois Basile Du-
val, porte-parole du comparateur
Panorabanques.
L’addition est beaucoup plus sa-
lée pour les études hors zone
euro. En moyenne, les réseaux
facturent 0,5 euro par paiement
par carte en devise, plus une
commission de 2,5 %, selon Pano-
rabanques. Cafés, transports, dé-
jeuners, courses, sorties : la note
monte très vite si on multiplie les
petits achats. Idem pour les re-
traits, eux aussi souvent payants.
Des solutions existent cepen-
dant tant dans les banques tradi-
tionnelles que dans celles en li-
gne. Réservée aux 18-30 ans, l’of-
fre Globe Trotter (2 euros par
mois) du Crédit agricole Ile-de-
France permet par exemple des
paiements et des retraits gratuits
partout dans le monde. Chez BNP
Paribas, SG (nouveau nom de la
banque de détail du groupe So-
ciété générale) ou LCL, il faut sous-
crire un forfait international (2 à
5 euros par mois) en plus de la co-
tisation de la carte bancaire (2 à
3 euros par mois hors promotion).
Du côté des banques en ligne, le
compte Original (2,90 euros par
mois) de Ma French Bank pro-
pose les paiements et les retraits
gratuits partout dans le monde.
Boursorama (carte Ultim), Fortu-
neo (Fosfo) et Hello Bank (Hello
One) affichent, elles, des offres
gratuites incluant les paiements
illimités à l’étranger (et des re-
traits pour Fortuneo), à condition
de réaliser au moins une opéra-
tion par mois.
Les jeunes séjournant hors zone
euro plébiscitent par ailleurs les
néobanques Revolut et N26, dont
les offres standards sont gratui-
tes. « Nous ne facturons pas de
frais en cas de paiement par carte
en devises, et le taux de change
que nous appliquons est plus favo-
rable que celui des autres ban-
ques », indique Antoine Le Nel, di-
recteur chargé de la croissance
monde chez ­Revolut.
Ces deux établissements,
comme l’application Lydia, doi-
vent aussi leur succès à la fonc-
tionnalité du remboursement
entre amis, instantané et en quel-
ques clics. « On se prête de l’argent
en permanence pour se rembour-
ser les courses ou un pot. C’est ga-
lère si tu n’es pas dans le même
système que tes potes. Du coup,
j’ai ouvert un compte chez Revolut
en arrivant à Londres l’an der-
nier », explique Nicolas, 19 ans.
Compte à l’étranger
Certains étudiants doivent par
ailleurs réaliser des virements en
devises. L’opération coûte sou-
vent environ 0,1 % du montant
avec un minimum de 20 euros.
Autrement dit, un étudiant ré-
glant un loyer de l’équivalent de
400 euros pendant neuf mois
aura 180 euros de frais. Certains
établissements, comme le Crédit
agricole Ile-de-France (pour l’of-
fre Globe Trotter) ou BNP Paribas,
ne les facturent pas. « Le vire-
ment international en ligne sans
frais est de plus en plus utilisé par
des étudiants réglant un loyer ou
des frais de scolarité à l’étranger,
Concernant les frais
de santé, des offres
spécifiques prévues
pour des périodes
allant d’un mois
à un an coûtent de 30
à 50 euros mensuels
mais aussi par des parents en-
voyant de l’argent sur le compte
de leur enfant dans une banque
locale », précise Bénédicte Galliot,
responsable du pilotage des
moyens de paiement du particu-
lier chez BNP Paribas.
Faut-il ouvrir un compte sur
place ? « Cela dépend des destina-
tions. C’est recommandé, voire in-
dispensable, dans certains pays
pour souscrire un abonnement de
téléphonie, mettre en place un pré-
lèvement pour son loyer ou perce-
voir un salaire », ajoute M. Duval.
La question se pose surtout pour
les séjours longs hors zone euro.
« Le groupe Crédit agricole a si-
gné un partenariat avec la Ban-
que nationale du Canada permet-
tant de faciliter l’ouverture d’un
compte à nos clients étudiants, in-
dique Guy Poyen, directeur mar-
keting et digital clients du Crédit
agricole Ile-de-France. Ils bénéfi-
cient d’une ouverture de compte
en ligne, de conditions préféren-
tielles durant trois ans et d’une
carte de crédit indispensable pour
la location d’un logement. »
colcanopa
Au-delà de la banque, les étu-
diants s’expatriant doivent pen-
ser aux frais de santé. « Le coût des
soins est généralement plus élevé à
l’étranger. Il est donc recommandé
de souscrire une assurance dédiée
avant de partir », souligne Benja-
min Biale, directeur général de la
mutuelle Heyme, spécialisée dans
l’expatriation étudiante.
Les banques, compagnies d’as-
surances et mutuelles proposent
des offres spécifiques pour les
étudiants partant à l’étranger, sur
une période comprise entre un
mois et un an, renouvelable. Elles
coûtent 30 à 50 euros par mois.
Les étudiants se rendant dans
l’Espace économique européen,
en Suisse ou au Royaume-Uni,
doivent demander la carte euro-
péenne d’assurance-maladie,
permettant la prise en charge des
soins sur place. « L’étudiant
avance les frais et, selon les desti-
Clignotant
nations, peut ensuite soit se faire
rembourser sur place, soit à son
retour par la Sécurité sociale. Un
reste à charge peut exister », indi-
que Sabrina Leroy, directrice mar-
keting de Heyme.
C’est à l’étudiant de se rensei-
gner en amont, selon la destina-
tion et la durée du séjour.
Comme pour tout contrat d’assu-
rance, il faut vérifier les exclu-
sions de garantie. « Nous cou-
vrons les risques inopinés comme
un accident ou une maladie décla-
rés sur place. En revanche, les
soins consécutifs à la consomma-
tion de drogue ou d’alcool ne sont
pas couverts », rappelle M. Biale. p
Agnès Lambert
Question à un expert
es maisons dans lesquelles un crime a été commis
se vendent mal, leurs éventuels acquéreurs ayant
peur qu’elles ne portent malheur, ou réclamant une
forte baisse du prix. Leurs propriétaires peuvent-ils
être indemnisés de cette décote par la solidarité nationale ?
Telle est la question que pose l’affaire qui suit.
Le 8 janvier 2009, Sébastien C. fête la naissance de sa
deuxième fille avec des amis et des connaissances, dont Eric
B., qui s’alcoolise, et qu’il doit, avec l’aide de Wilfried S., met-
tre dehors. Eric B. revient les tuer tous les deux avec un fusil.
En juin 2012, la cour d’assises de la Charente le ­condamne à
vingt-cinq ans de prison, ainsi qu’au paiement de 1,2 million
d’euros, en réparation du préjudice économique subi par la
veuve de Sébastien C. et ses filles.
Mme C. demande que le fonds de garantie des victimes des
actes de terrorisme et d’autres infractions (FGTI) se substi-
tue à lui pour le règlement – comme elle en a le droit, même
si le condamné est solvable. Son avocat, Me Lionel Béthune
de Moro, saisit pour ce faire la commission d’indemnisation
des victimes d’infractions (CIVI) d’An-
goulême, en invoquant l’article 706-3 du
Le préjudice code de procédure pénale, qui prévoit
matériel de une « réparation intégrale » du préjudice
causé par les dommages résultant d’at-
dépréciation teintes à la personne et ayant le caractère
d’une ­infraction.
du bien ne peut Le 9 octobre 2014, la CIVI leur accorde les
sommes demandées, mais le FGTI fait ap-
être réclamé pel. Le 16 mai 2019, la cour d’appel de Bor-
qu’au meurtrier deaux revoit les sommes à ela baisse. Pour
combler la différence, M Béthune de
Moro a l’idée de réclamer l’indemnisation du préjudice de dé-
préciation de la maison. La cour juge sa demande recevable,
et désigne un expert immobilier.
Celui-ci explique que, dans trois grandes affaires crimi-
nelles récentes, notamment Dupont de Ligonnès, la moins-
value a représenté entre 38 % et 62 % du prix de la maison.
Il propose de fixer à 20 % celle que pourrait subir l’habita-
tion des C., compte tenu de la moindre « médiatisation » du
double assassinat. Le 20 mai 2021, la cour girondine, qui le
suit, alloue quelque 48 000 euros aux C., en expliquant que
la réparation prévue par l’article 706-3 du code de procé-
dure pénale n’est pas « limitée aux atteintes à la personne ».
Le FGTI se pourvoit en cassation et son avocat, Me Louis
Boré, rappelle qu’au contraire cet article ne permet de répa-
rer que « les seuls dommages résultant des atteintes à la per-
sonne », et donc le seul « préjudice corporel » qui en résulte.
La Cour de cassation le suit, le 20 avril, et censure l’arrêt
d’appel. Le préjudice matériel de dépréciation de la maison
ne peut donc être réclamé qu’au meurtrier. Il n’est pas cer-
tain que les victimes aient envie de le faire. p
Immo bilie r
Nouvelle hausse du taux d’usure
Le taux maximal auquel les banques peuvent prêter
de l’argent, le « taux d’usure », augmente de nouveau
le 1er septembre. Il passe de 5,33 % (assurance incluse)
à 5,56 % pour les crédits immobiliers souscrits par les
ménages sur vingt ans ou plus. C’est 5,28 % (contre
5,12 % en août) pour les prêts sur dix à dix-neuf ans.
Habituellement revu une fois par trimestre, le taux
d’usure est actuellement recalculé chaque mois par la
Banque de France, de façon dérogatoire, jusqu’à la fin
de l’année. Il croît constamment depuis le printemps
2022, en raison de la hausse des taux des crédits.

Logement étudiant : des pistes alternatives de dernière minute Peut-on hériter

Une fois sa formation ou son école décro-
chée, encore faut-il parvenir à se loger. « Si
la moitié des étudiants ont anticipé et cher-
ché un logement quatre mois avant la ren-
trée, 22 % s’y prennent deux mois avant ou
juste avant », indique William Vieillard, di-
recteur général d’Immojeune, se basant
sur les recherches effectuées sur sa plate-
forme d’annonces.
Certains n’ont obtenu leurs résultats dé-
finitifs que récemment. D’autres ne pou-
vaient se permettre de réserver le loge-
ment en le payant tout l’été. Et la pénurie
structurelle de logements étudiants, aggra-
vée cette année par la crise dans le parc
privé, notamment liée au ralentissement
du marché des crédits immobiliers, accroît
encore le nombre de jeunes en quête d’un
toit à la dernière minute.
En pratique, où s’adresser si l’on n’a pas
encore trouvé, et que l’on n’a pas le budget
ou le bon dossier pour être accepté dans le
parc privé ? Si les logements les plus aborda-
bles, situés dans les résidences universitai-
res, sont déjà tous complets, les foyers d’étu-
diants restent une solution. Ils sont souvent
gérés par des organismes religieux ou cari-
tatifs. On peut passer par les sites Foyers-ca-
tholiques.org, Unme-asso.com ou encore
Habitatjeunes.org. Le tarif, en général entre
500 euros et 600 euros par mois, varie se-
lon la localisation et les prestations. Une
partie des repas peut être incluse. N’hésitez
pas, aussi, à frapper à la porte des foyers
pour jeunes actifs.
Une chambre chez un senior
Autre option : une chambre chez l’habi-
tant. Les sites Cohebergement.com,
Roomlala.com, ou plus simplement Le-
boncoin.fr en proposent. Les tarifs sont
très différents d’une ville à l’autre, et les ni-
veaux de confort hétérogènes ; en région
parisienne, il faut compter entre 600 euros
et 700 euros par mois.
Il est par ailleurs possible d’être logé à
coût très réduit par l’intermédiaire de sites
mettant en relation étudiants en quête
d’une chambre et seniors à la recherche
d’une présence ou de certains services.
Ensemble2generations.fr, par exemple,
demande 390 euros de cotisation annuelle
à l’association, auxquels s’ajoute un mon-
tant mensuel à régler au propriétaire, va-
riable selon la formule choisie. Attention à
clarifier en amont les services à fournir.
Opter pour une chambre en colocation
avec d’autres étudiants permet également
de payer moins cher. Les sites Lacartedes-
colocs.fr, Appartager.com, Locservice.fr
peuvent faciliter les recherches. Comptez
300 euros à 500 euros par mois à Nantes,
par exemple, mais aux alentours de
800 euros à Paris. Enfin, plus cher, mais
pratique lorsqu’on s’y prend tard : les rési-
dences étudiantes. Il s’agit de studios avec
des services associés, comme de la petite
restauration ou du ménage. Le prix : sou-
vent de 500 euros à 900 euros par mois
pour un studio. Il s’agit d’un tarif tout com-
pris, incluant notamment le Wi-Fi. p
Nathalie Coulaud
de son ­beau-parent ?
Thomas Prud’Homoz, notaire associé chez KL Conseil
En droit français, il est tout à fait possible d’hériter d’un beau-parent
– donc du conjoint de sa mère ou de son père –, mais avec des
­contraintes particulières. Juridiquement, une transmission par des
beaux-parents ne peut être que volontaire ; elle doit résulter d’une
donation ou d’un testament. Il n’existe en effet aucun droit à héri-
tage au profit des beaux-enfants, sauf s’ils ont été adoptés par le
beau-parent. Attention, en présence d’héritiers « réservataires »
(descendants ou conjoint), il n’est pas possible de gratifier ses
beaux-enfants non adoptés au-delà d’une certaine partie de son
­patrimoine appelée « quotité disponible ». Il y a d’autres moyens de
transmission non soumis à ces règles. C’est le cas notamment de
l’assurance-vie, qui permet de gratifier ses beaux-enfants par une
clause bénéficiaire et sous réserve de respecter certaines règles.
De même, de manière indirecte, on peut hériter d’un beau-parent par
l’intermédiaire de son parent, qui aurait hérité de son conjoint du fait
du mariage ou par un testament. Fiscalement, en l’absence de liens
familiaux, l’héritage reçu d’un beau-parent est taxé à 60 %. Là aussi,
l’assurance-vie a un régime particulier lié à sa fiscalité propre : le capi-
tal reçu sera, dans le cas général, taxé à 20 % jusqu’à 700 000 euros
(31,25 % au-delà), après un abattement de 152 500 euros. p
 Culture
20 |
Raoul Walsh, l’action comme seule morale
La Cinémathèque française, à Paris, propose une large rétrospective du réalisateur américain, en 80 films
Cinéma
W
alsh en quatre-
vingts films, sur
une palette qui va
de l’exultation à la
fureur, du charme à l’incongruité,
voilà bien du plaisir que promet la
Cinémathèque française, à Paris.
Parmi la sainte trinité du classi-
cisme hollywoodien (où il figure
aux côtés de John Ford et de
­Howard Hawks), le rôle du fils lui
convient à merveille. Soit une ma-
nière corruptible d’être dans l’his-
toire, dans la chair, dans la
­passion. La lutte, en un mot, sur le
terrain du péché. Brillant de mille
genres (western, polar, film noir,
comédie musicale, mélodrame…),
brûlant d’une énergie indéfini-
ment renouvelée, aussitôt que
consommée, quatre-vingt-treize
années d’existence à cheval sur
deux siècles (1887-1980), dont cin-
quante ans de création (1914-
1964), soit plus de cent films réali-
sés entre muet et parlant.
Il est d’autant moins aisé de déli-
miter les contours de l’œuvre de
Raoul Walsh. La boussole la plus
fiable est, à cet égard, celle qui
pointe vers son goût de l’action,
frénétique, confinant parfois au
délire. L’action, c’est la seule mo-
rale du cinéaste. Elle est une sorte
de « sur-vie » débordant de l’écran,
impétueuse et chaotique, folle-
ment aventureuse, sensuelle, pul-
sionnelle, souvent, et pour cette
raison même, tragique. On ne
­considérera pas comme un ­hasard
que l’un de ses rôles les plus
­marquants comme jeune acteur
ait été celui de John Wilkes Booth,
l’assassin du président Lincoln,
abattu dans un théâtre, dans Nais-
sance d’une nation (1915), de David
Griffith. Voilà ce qu’on aime chez
Walsh : sa confrontation féroce-
ment vitaliste à la sauvagerie de la
jeune scène américaine.
Le voici qui signe la même
­année, comme réalisateur,
­Regeneration, premier film de
gangsters de l’histoire du cinéma.
­Filmée dans le quartier de Bowery,
toute la cruauté des bas-fonds
new-yorkais y est exprimée entre
réalisme documentaire, chroni-
que sociale et vision lyrique. Dans
Le Voleur de Bagdad (1924), fantas-
magorie grandiose, Douglas
­Fairbanks, petit voleur, tombe
amoureux de la femme du calife.
Au service de la gloire (1926) orga-
nise, sur fond de boucherie de la
première guerre mondiale, la riva-
lité sexuelle de deux soudards
amoureux d’une fille d’aubergiste
français. Dans Annie du Klondike
(1936), Mae West, danseuse légère
La star James Cagney, telle une grenade dégoupillée
Dirigé sur quatre tournages par Raoul Walsh, l’acteur new-yorkais aura joué des rôles d’antihéros dans une société américaine en crise
Portrait
R aoul Walsh, consacré jus-
qu’au 8 novembre à la
­Cinémathèque française
dans une rétrospective en
80 films, est sous contrat avec les
studios Warner Bros lors de leur
période faste, ce qui lui permet de
réaliser une vingtaine de films
dont de nombreux chefs-d’œuvre.
Plusieurs acteurs, contractuelle-
ment liés aux studios, vont ainsi
devenir les ­compagnons de che-
vauchée du ­cinéaste. Parmi eux,
James Cagney (1899-1986). Pour
des raisons différentes – Walsh est
un enfant de la haute qui a le goût
­effréné de l’aventure, Cagney, un
prolo irlandais de petite taille plein
de bagou et de rage –, les deux
New-Yorkais se rencontrent sur les
dangereuses vertus de la con-
quête. Et sur leur capacité à être à
Jorja Curtright
et Jane Russell,
dans
« Bungalow
pour femmes »
(1956),
de Raoul
Walsh.
PROD DB/TWENTIETH
CENTURY-FOX FILM
CORPORATION
déguisée en missionnaire chré-
tienne convoitée par un capitaine
de cargo, fait parler sa poudre.
En 1942, Gentleman Jim est un film
pugilistique inégalé où Errol Flynn
incarne un héros décrochant, à
force d’intelligence et d’élégance,
sa victoire sur le monde.
Etincelant dédale
La Grande Evasion (1941) et La Fille
du désert (1949) figurent, quant à
eux, les deux faces de la même et
poignante tragédie du dernier
coup, le premier façon polar, avec
Humphrey Bogart et Ida Lupino,
le second sous la forme d’un
­western avec les magnifiques Joel
McCrea et Virginia Mayo. Allez
donc dire, quand bien même la
balance pencherait du côté du
western, lequel est le plus formi-
dable des deux. Que Walsh fasse
plus que se défendre du côté du
noir, il n’est qu’à voir L’enfer est à
lui (1949) pour s’en convaincre :
personne à ce jour n’aura égalé
l’aise dans tous les genres. Sous ce
sceau américain, quatre films les
réunissent : Les Fantastiques An-
nées 20 (1939), La Blonde framboise
(1941), L’enfer est à lui (1949), Un
lion dans les rues (1953). Cagney les
traverse comme un arc électrique,
imposant à ses rôles davantage
qu’ils ne lui en imposent. Tics tra-
vaillés, débit de ­mitraillette, voix
haut perchée et volontiers gogue-
narde, ­démarche sautillante, lè-
vres retroussées. Hors pression,
un charme irrésistible.
Immense star dès les années
1930, il forme avec Walsh un cou-
ple parfait dans leur rapport à
Warner Bros : le cinéaste y joue la
souplesse, quand l’acteur impose
un bras de fer constant qui lui vaut
le titre infamant d’« opposant pro-
fessionnel » de la part du produc-
teur Jack Warner. Dans Les Fantas-
tiques Années 20, Cagney inter-
J­ ames Cagney dans l’incarnation
psychopathique du criminel.
C’est un peu l’ennui avec ce
­cinéaste, tant il en a fait, qu’on
n’ose même plus écrire le mot
« chef-d’œuvre », par crainte de
lasser. On pourrait, de fait, conti-
nuer la liste ad libitum. Avec
­Bungalow pour femmes (1956),
par exemple, qui dépeint le corps-
à-corps d’une prostituée améri-
caine avec la honte (sacrificielle et
flamboyante Jane Russell) à
Hawaï, durant la seconde guerre
« La Grande
Evasion »
et « La Fille du
désert » figurent
les deux faces de
la même tragédie
du dernier coup
prète Eddie, un brave troufion du-
rant la première guerre mondiale,
que l’on découvre dans un trou
d’obus et qui, d’une certaine fa-
çon, n’en sortira jamais. A son re-
tour, il tourne malfrat durant la
Prohibition. Raoul Walsh y dé-
peint, dans la société civile améri-
caine, la continuation de la guerre
par d’autres moyens.
Hubris américaine
Dans La Blonde framboise, il est
Biff Grimes, un dentiste querel-
leur qui s’est fait voler sa fiancée
par un escroc de haut vol, lequel
l’envoie de surcroît en prison. Fils
de prolo contre arrivistes corrom-
pus, voici encore une touche de so-
cial qui ne dépare pas dans cette
savoureuse comédie.
Dans L’enfer est à lui, Cagney
campe un gangster migraineux,
déséquilibré infantile et tueur sa-
mondiale. Avec encore L’Esclave
­libre (1957), aventureux et palpi-
tant récit d’une belle métisse, fille
d’un riche propriétaire, confron-
tée, à la mort de celui-ci, à la vio-
lence de l’histoire, à l’assujettisse-
ment ­racial et à la ­passion amou-
reuse, avec Yvonne De Carlo et
Clark ­Gable en corps conducteurs.
Encore ne parle-t-on ici que de
ce que l’on connaît. On aurait, à
simplement lire le programme,
furieusement envie de découvrir
des titres plus rares. Tel Wild Girl
(1932), western de vengeance où
la blonde Joan Bennett interprète
une sauvageonne convoitée de la
sierra Nevada, et qu’on nous pré-
sente comme une célébration
américaine de la vie dans les bois.
Tel Empreintes digitales (1936), co-
médie qui lance un policier (Cary
Grant) et une manucure (Joan
­Bennett) à la poursuite d’une
bande de voleurs de bijoux. Tel
encore The Horn Blows at
­Midnight (1945), dans ­lequel un
dique, fouetté par une emprise
maternelle névrotique qui lui en-
joint de devenir le roi du monde.
L’affaire tournera autrement. Ici,
ce n’est pas seulement que Ca-
gney surpasse sa propre sauvage-
rie telle que L’Ennemi public
(William A. Wellman, 1931) l’avait
durablement cristallisée, c’est
aussi qu’il relègue le Paul Muni de
Scarface (Howard Hawks, 1932), le
Edward G. Robinson du Petit
­César (Mervyn LeRoy, 1931), le Ray-
mond Burr de Marché de brutes
(Anthony Mann, 1948) ou le
­Richard Widmark du Carrefour de
la mort (Henry Hathaway, 1948)
aux ébats du jardin d’enfants.
Dans Un lion dans les rues, le
voici, enfin, sous les traits de
Hank Martin, petit colporteur de-
venu candidat populiste au poste
de gouverneur, en cheville avec la
Mafia. Il appellera, après son
trompettiste joué par le génial
Jack Benny (le Hamlet du To Be or
Not to Be, d’Ernst ­Lubitsch,
en 1942) rêve qu’il est un ange
chargé de sonner l’apocalypse
pour le genre humain.
Pour se diriger dans cet étince-
lant dédale, on peut s’aider de la
publication Raoul Walsh. En jeux,
qui paraît simultanément aux Edi-
tions de l’Œil (336 pages, 30 euros),
sous la direction de notre collabo-
rateur Mathieu ­Macheret. La lec-
ture de ces pages expose toutefois
au risque d’arriver tout armé à la
­Cinémathèque. Les contributions
y sont suffisamment nombreuses
pour qu’on y picore quelques pis-
tes sur le vif, notamment celle que
cet ouvrage fait partir des comé-
diens, s’essayant ainsi à une « poli-
tique des acteurs ». Humphrey
­Bogart, qui conquiert tardivement
son statut de légende dans La
Grande Evasion, après avoir essuyé
les ­plâtres des seconds rôles. John
Wayne, acteur fordien en jachère
échec, ses partisans à prendre
d’assaut le Capitole. Inspiré du ro-
man d’Adria Locke Langley (1899-
1983) consacré à la vie de l’ancien
gouverneur de Louisiane Huey
Pierce Long (1893-1935), ce film
Technicolor filme une sombre
hantise avec laquelle l’Amérique,
comme nous le savons, n’en finit
plus de se débattre.
Et c’est bien, fondamentale-
ment, l’hubris américaine, dans
ce qu’elle comporte de plus tragi-
que, que filme Raoul Walsh avec
James Cagney. Si l’on excepte la
comédie La Blonde framboise,
qui met logiquement ce mouve-
ment cul par-dessus tête (de la
chute à l’élévation), ces « Cagney
movies » filment la chute d’un
héros qui aura voulu s’élever au-
delà du possible. Sans doute cet
itinéraire appartient-il de plein
droit au genre noir, et sans doute
0123
­
­Samedi 2­ septembre 2023
chez Walsh. Errol Flynn, imposant
à sept reprises son insolente désin-
volture et sa fièvre intuitive dans
la conquête du monde de ses per-
sonnages. James Cagney, pure et
violente force en marche, génie
noir de l’énergie autodestructrice.
Ida Lupino, bouleversante actrice
qui y apprend à se défaire d’elle-
même pour accéder à son tour à la
réalisation. Clark Gable, frère exis-
tentiel et acteur d’une dernière
­ligne droite walshienne détachée
de toute contingence industrielle
ou morale. Et beaucoup d’autres
encore. Ce ne serait jamais qu’une
manière de suivre ce mirobolant
cycle de rentrée, qui promet deux
mois d’affolants transports à la
­Cinémathèque française. p
Jacques Mandelbaum
Rétrospective Raoul Walsh.
Cinémathèque française,
Paris 12e. Jusqu’au 8 novembre.
A lire : Raoul Walsh. En jeux,
L’Œil, 336 p., 30 €.
aussi Cagney en aura-t-il été l’in-
carnation chez bien d’autres réa-
lisateurs.
Mais plus dure et pathétique en
est la chute chez Walsh. D’une
balle dans le dos, agonisant sur
une volée de marches menant à
une église, entre les bras d’une
femme qu’il n’aura pas su aimer
(Les Fantastiques Années 20).
­Convulsé au sommet d’une usine
en flammes, un pistolet dans
chaque main, criblé de balles sur
le Golgotha de la prophétie ma-
ternelle (L’enfer est à lui). Abattu
par la veuve d’une de ses victi-
mes, alors que la foule qu’il a sou-
levée se retourne contre lui (Un
lion dans les rues). Découvert
chez Walsh dans la boue d’une
tranchée, Cagney y finit dans la
tourbe : nul n’aura été, dans l’en-
tre-deux, plus vivant que lui. p
J. MA.
0123
­
­Samedi 2­ septembre 2023 Culture | 21

Deauville perturbé par la grève à Hollywood

Le Festival du cinéma américain va devoir faire sans les acteurs qui ont rejoint la mobilisation des scénaristes

Enquête qué. Et, tertio, une réglementa-

tion face aux menaces de l’intelli-
­ révistes. Mais, condamnés à
g
­attendre, nous ­sommes évidem-
« L’intelligence 10 % de chances qu’il s’écrase sans
que personne en réchappe. Monte-
recherche la source, qu’il s’agisse
d’Imagine, d’Anna Apter, un

J
ude Law, annulé ; Natalie
Portman, annulée ; Julianne
Moore, annulée… Le Festival
du cinéma américain de
Deauville, qui s’ouvre ­ven­-
dredi 1er septembre, va devoir
faire sans les stars hollywoodien-
nes qui, au-delà des films, font sa
réputation depuis 1975. En rejoi-
gnant, au début de l’été, la grève
des scénaristes, la puissante as­-
sociation des acteurs américains,
la Screen Actors Guild (SAG) a, en
­effet, privé le cinéma de ses
paillettes. Mais pas seulement.
« Ce n’est pas que ça : cette grève
est en train de bouleverser tout le
calendrier des sorties, se désole la
distributrice et productrice fran-
çaise Michèle Halberstadt. Cela
tombe au pire moment, alors
qu’on s’était tout juste remis de la
fermeture liée à la pandémie. » A
quoi va ressembler l’économie du
cinéma en 2024, si les blockbus-
ters américains manquent à
­l’appel ? Crise économique, mais
également politique et sociétale.
Tout a commencé il y a quatre
mois. Faute d’un accord trouvé
avec les studios et les plates-for-
mes de streaming, les 11 500 scé-
naristes regroupés au sein de la
Writers Guild of America (WGA)
se mettent en grève. Ils réclament
trois choses. Primo, des salaires
garantis alors que les studios
­raccourcissent de plus en plus
leurs temps d’intervention et
d’écriture, notamment sur les sé-
ries – c’est classique. Secundo, une
refonte des droits résiduels (les
droits de diffusion) rendus caducs
par des plates-formes qui ne com-
muniquent pas leurs chiffres de
consultation – c’est plus compli-
« Cela est en train
de bouleverser
tout le calendrier
des sorties »
gence artificielle vécue de moins
en moins comme un outil et de
plus en plus comme une concur-
rence – c’est là que ça se corse.
« C’est la grève d’une rupture tech-
nologique qui me fait penser à celle
qui a eu lieu en 1960, au ­moment de
l’apparition de la télévision », ana-
lyse Xavier Lardoux, longtemps
directeur du cinéma et de l’audio-
visuel au Centre national du ci-
néma et de l’image animée. Le
mouvement conjugué des acteurs
et des scénaristes qui, pour la pre-
mière fois, mit ­Hollywood à l’arrêt
(avec un certain Ronald Reagan en
négociateur en chef) venait en
­clôture d’une décennie d’équipe-
ment massif en téléviseurs. L’Amé-
rique n’avait plus besoin d’aller au
cinéma pour voir du cinéma. Il en
sortit l’accord sur les droits rési-
duels que l’opacité des plates-for-
mes bat aujourd’hui en brèche
après une décennie de montée en
puissance du streaming et des
­Gafam (Google, Apple, Facebook,
Amazon, Microsoft), qui rebat à la
fois les cartes des métiers et la
­géographie du pouvoir. L’arrivée
de ChatGPT aura mis le commun
des mortels devant l’évidence :
­l’algorithme, cet ami qui nous
veut du bien, a sonné le glas des
équilibres anciens.
Conflit hors norme
L’ensemble de l’industrie ciné­-
matographique a l’œil tourné
aujourd’hui vers ce conflit hors
norme. Même si l’association des
réalisateurs (la Directors Guild of
America, DGA) est parvenue rapi-
dement à un accord qui semble
les satisfaire – « La DGA a la répu-
tation de faire des grèves qui
­durent dix minutes, ironise un scé-
nariste. Ou bien ils n’ont pas ­encore
compris qu’ils étaient eux aussi
remplaçables par la machine » –, le
consensus est global. Tout le
monde retient son souffle. Même
les producteurs comme Christine
Vachon, chez Killer Films. « Nous
aimerions que ça se résolve, parce
ment à leurs côtés. »
La productrice sera à Deauville
avec notamment Past Lives, de
­Celine Song, May December, de
Todd Haynes, et She Came to Me,
de Rebecca Miller. Sans leurs
­acteurs. Faute de Peter Dinklage,
le héros de She Came to Me, acteur
hors pair, terrible Tyrion Lannis-
ter dans Game of Thrones, on se
rabattra sur Emilia Clarke, la
­comédienne qui jouait Daenerys
Targaryen, la Mère des dragons,
qui sera, elle, à Deauville pour la
présentation de The Pod Genera-
tion, de Sophie Barthes.
La réalisatrice française, instal-
lée à New York depuis vingt-
deux ans, a obtenu, tout comme
son actrice, une dérogation de la
WGA parce que le film a été fait en
Belgique sous le régime de la ré-
glementation anglaise, le Pact
Equity. « Ils donnent de plus en
plus de dérogations, notamment
parce que ça permet de participer,
comme ici, à des tables rondes [sa-
medi 2 septembre à 14 heures, en
partenariat avec Le Monde] pour
expliquer les enjeux de la grève »,
explique la réalisatrice, convain-
cue de la nécessité de réglementer
les mutations technologiques,
elle qui prépare justement une
­série sur l’intelligence artificielle.
« Les progrès technologiques
sont tellement exponentiels qu’on
peut tout à fait imaginer que d’ici
très peu de temps Marvel puisse
demander à la machine, sur la
base de son catalogue, d’écrire un
scénario Marvel tout à fait crédi-
ble. En tout cas, un premier “draft”
qui serait ensuite relu par des scé-
naristes, affirme-t-elle. De même,
à partir de quelques secondes de la
voix d’Emilia Clarke, l’algorithme
est en mesure de fabriquer son
­propre doublage. Emilia Clarke en
français… » De quoi remettre en
question tous les équilibres fi-
nanciers de la profession. Quelle
solution face à cette révolution
industrielle dans les négociations
en cours ? Créer un label « made
artificielle est
générative, pas
créative, ce n’est
guère plus qu’un
magnétoscope »
Pierre Zandrowicz
réalisateur
reproductibilité à l’infini de l’être
par le néant artificiel ?
Et l’on rit jaune en constatant
que c’est tout le sujet de Joan Is
Awful (Joan est horrible), le
­premier épisode de la dernière
­saison de Black Mirror… sur
­Netflix : mise en abyme sans fin. Si
la bataille qui se joue à ­Hollywood
est si violente et si ­longue, c’est
qu’elle dépasse le cadre du cinéma
et de l’audiovisuel. Joe Biden a pris
parti pour les grévistes. Les débats
sur la place de l’humain face à la
­machine résonnent jusqu’au
­Congrès. Comment légiférer dans
ce monde de l’image, où la fiction
et le réel finissent par se perdre
l’un dans l’autre ?
Dans une tribune publiée, le
24 mars, dans le New York Times,
Tristan Harris (ex-Google) et Aza
Raskin (ex-Firefox), deux fonda-
teurs du très actif Center for Hu-
mane Technology, écrivent avec
Yuval Noah Harari (l’auteur du
best-seller Sapiens en 2011) : « Ima-
ginez que vous embarquez dans un
avion. La moitié des ingénieurs qui
l’ont construit vous disent qu’il y a
Lilies films présente
62e SEMAINE
DE LA CRITIQUE
CANNES 2023
FILM DʼOUVERTURE
riez-vous toujours à bord ? En 2022,
on a demandé à 700 ­chercheurs
travaillant dans l’intelligence arti-
ficielle si elle était potentiellement
dangereuse. La ­moitié a répondu
qu’il y avait au moins 10 % de
­chances qu’elle entraîne l’extinc-
tion de l’humanité… »
Inquiétude pour les Oscars
Vendredi 14 juillet, le jour où les
160 000 acteurs de la SAG décident
de rejoindre la grève, Pierre Zan-
drowicz, un réalisateur français
venu du milieu de la réalité vir-
tuelle, lui aussi désormais installé
à New York, met en ligne le court-
métrage In Search of Time (réalisé à
l’aide de l’intelligence artificielle),
qu’il avait montré au Tribeca Film
Festival. Il se prend une avalanche
de commentaires – « négatifs »,
­résume-t-il sobrement. « L’intelli-
gence artificielle, pour tous ces
gens, c’est le diable, alors que c’est
très artisanal. On fantasme
­beaucoup alors que l’IA est généra-
tive, pas créative, ce n’est guère plus
qu’un énorme magnétoscope dans
lequel il y aurait des milliards de
choses. Je suis resté quatre mois
­enfermé dans une cave avec mon
coréalisateur et un logiciel som-
maire en open source. Ça aurait été
plus simple avec des humains… »
Reste qu’on l’a constaté : ce qui
se fait aujourd’hui était inimagi-
nable hier, et l’IA seule peut-être
sait de quoi demain sera fait. Les
bruits courent : « J’ai vu un film
­entièrement réalisé en intelligence
artificielle. » Sauf que, dès que l’on
court-métrage montré au Festival
du film francophone d’An-
goulême, ou, comme ici, d’In
Search of Time, la réalisatrice ou le
réalisateur n’ont en réalité fait
­appel à l’algorithme que comme
un outil. On guette encore le film
entièrement créé par la machine.
En attendant, les négociations
achoppent. Mardi 22 août, la
­contre-proposition de l’Alliance of
Motion Picture and Television
Producers, l’organisation qui
­réunit les diffuseurs, studios et
plates-formes, a été vécue comme
un camouflet par les scénaristes,
qui sont en première ligne dans ce
bras de fer, expliquant qu’elle se
résume, selon eux, à une façon de
« donner avec une main pour re-
prendre de l’autre ». Sur Wikipédia,
la liste des productions affectées
par la grève (« List of productions
impacted by the 2023 Writers
Guild of America strike ») ne cesse
de s’allonger. Les traditionnels
late shows ont disparu faute de
combattants sur les chaînes amé-
ricaines. Des événements comme
les MTV Awards ont été totale-
ment ou partiellement annulés.
Et certains commencent même
à s’inquiéter pour la cérémonie
des Oscars. « J’espère que c’est
­assez loin dans le temps pour qu’ils
ne soient pas impactés, glisse la
productrice de Killer Films. La
seule chose qui me rassure,
aujourd’hui, c’est que les représen-
tants sont toujours assis autour de
la table des négociations. » p
Laurent Carpentier

Michèle Halberstadt que cela devient difficile pour tout by human » ? Mieux protéger la
distributrice et productrice le monde, y ­compris pour les propriété intellectuelle face à la

Avec Pascale Marthine Tayou,

joie apparente et regard piquant
La Collection Lambert expose les œuvres ambivalentes du plasticien

Arts
Avignon
P our qui ne connaît pas
Pascale Marthine Tayou,
plasticien camerounais
qui vit à Gand (Belgique), l’expo-
sition « Petits riens » est une par-
per les espaces – quelles que soient nents, découpés dans un fer aussi
leurs dimensions et leurs lumiè-
res – et de ménager des surprises,
lourd et sombre qu’elles, s’écar-
tent les uns des autres : l’Afrique SUPERBE MAGNIFIQUE FORMIDABLE
on pourrait croire qu’il n’a cherché
qu’à donner du plaisir, en grand
virtuose de l’installation. Mais – et
c’est là une autre de ses caractéris-
tiques, la plus importante sans
est ainsi au centre, mais séparée
du reste du monde.
Dans la dernière salle, l’artiste
trace au fusain, sur les murs, les da-
tes d’une chronologie mondiale
PREMIÈRE

LE RÉCIT TENDRE ET DÉCHIRANT D’UN

LE MONDE

AMOUR INFINI
ELLE

faite initiation à son œuvre. On
trouve ainsi réunis à la Collection
Lambert, à Avignon, la plupart
des éléments de son vocabulaire,
des plus pauvres – sacs et bou-
teilles en plastique, câbles élec-
triques et branchages – aux plus
élaborés – ses bustes de verre po-
lychromes qui actualisent la sta-
tuaire africaine par le change­-
ment de matériau et les acces­-
soires dont il environne ces
« poupées ».
doute – il serait léger de s’en tenir à
cette impression, car Tayou ne sé-
duit que pour mieux piquer. Quel-
ques indices préviennent vite que
ces jeux ont une raison d’être et
que la gaieté n’est qu’apparente.
Images invisibles
Des tronçons de chaîne semblent
avoir été abandonnés partout sur
le sol. Leurs coupures ont beau
être peintes en jaune ou vert vifs,
ce n’en sont pas moins des chaî-
LES INROCKUPTIBLES
qui commence par le partage de
l’Afrique lors de la conférence de
Berlin (1884-1885) et se poursuit,
de guerres en congrès, jusqu’à
aujourd’hui. Ce rappel répond aux
paroles qui sortent d’écrans vidéo
que l’artiste a voulus tournés con-
tre les murs, de sorte que les ima-
ges sont invisibles.
Mais ce que l’on entend suffit : un
montage de déclarations politi-
ques des années 1960 et 1970 qui
célèbrent, par exemple, l’amitié in-

un film de Marie AMACHOUKELI

On y trouve aussi des tableaux
en canne séchée dans lesquels il
insère de petites statues d’Euro-
péens à casque blanc et uniforme
militaire, ce que l’on appelle « art
colon », et ces mêmes figures édi-
nes, qui font penser à celles des
navires négriers. Elles gisent au
pied des statues colons et près
d’une mappemonde où les conti-
défectible des « Africains » pour la
France et leur ­reconnaissance.
L’exposition rejoint ainsi l’actua-
lité, et l’on ­comprend pourquoi
Tayou écrit dans le texte d’intro- Louise Mauroy-Panzani Arnaud Rebotini Ilça Moreno Zego
duction à la visite : « Les “Petits

ACTUELLEMENT AU CINÉMA
tées en verre et fixées au mur riens”, c’est mon appel d’urgence
comme des crucifix. Des tôles aux On pourrait face aux terreurs multiples qui me
couleurs tendres volent sous le tordent les boyaux. » p
plafond au-dessus d’une cité dont
croire que Philippe Dagen
les maisons ont, en guise de murs le Camerounais
et de toits, des tissus chamarrés. Petits riens, Collection Lambert,
Etant donné la dextérité dont
n’a cherché qu’à Avignon. Jusqu’au 19 novembre.
Tayou fait preuve dans l’art d’occu- donner du plaisir Entrée : de 5 € à 10 €.
22 | Télévision
Une bureaucrate américaine contre la famille Sackler
La minisérie « Painkiller » raconte la crise des opiacés à travers le travail d’une enquêtrice interprétée par Uzo Aduba
NETFLIX
À LA DEMANDE
MINISÉRIE
I
l existe une forme de savoir-
faire très américain dans le
domaine de la série-dossier,
ce format qui met en évi-
dence les failles d’un système tout
autant que sa difficulté, voire son
impossibilité, à être corrigé. Cela
explique sans doute la popularité
sur Netflix de Painkiller depuis sa
mise en ligne fin août, mais pour-
quoi remettre le sujet des opioï-
des sur le tapis quand la minisérie
Dopesick, diffusée sur Disney+
en 2021, l’avait si bien couvert ?
Un peu moins exhaustive dans
la description de la responsabilité
de la famille Sackler dans la crise
sanitaire liée à l’oxycodone, Pain-
killer choisit également un angle
légèrement différent de Dopesick
en mettant au centre du récit la
­figure d’une enquêtrice fictive,
Edie Flowers, interprétée par Uzo
Aduba. C’est en grande partie pour
elle que l’on regardera les six épi-
sodes de cette série.
Découverte dans le rôle d’une
détenue aussi fêlée qu’inquié-
tante dans Orange Is the New
Black, la comédienne avait en-
suite montré sa capacité à incar-
ner une voix d’autorité en endos-
sant les habits de la psychologue
d’In Treatment, version postconfi-
nement. Elle est dans Painkiller la
Il était une fois Hollywood en son miroir
« Babylon », de Damien Chazelle, brosse un tableau de la cité du cinéma en capitale du péché dans les années 1920
Canal+ Box Office
À la demande
Film
I l y a quelque chose de toujours
inquiétant à voir ­Hollywood
se regarder dans le miroir,
comme si l’industrie se dotait
d’une conscience de soi mélanco-
lique, pressentant la fin d’une ère.
En 2019, dans Once Upon a Time…
in Hollywood, Quentin Tarantino,
à travers l’amitié entre un acteur
de seconde zone et son cascadeur,
filmait la fin d’un certain
­Hollywood.
GRILLE N° 23 - 203
PAR PHILIPPE DUPUIS
Retrouvez l’ensemble de nos grilles sur
1 2 3 4 5 6
I
II
III
IV
V ne. Personnel. IX. Vous entraînent
VI
VII
VIII
IX
X
SOLUTION DE LA GRILLE N° 23 - 202
HORIZONTALEMENT I. Thuriféraire. II. Rasibus. Psys. III. Ira. Orthoses.
IV. Pige. Ee. Tu. V. Ocelot. Créai. VI. Tore. Epie. Le. VII. Et. Meurt. Ter.
VIII. Uélé. Sien. Za. IX. Suintes. Usai. X. Erotisations.
VERTICALEMENT 1. Tripoteuse. 2. Haricoteur. 3. Usager. Lio. 4. Ri. Elé-
ment. 5. Ibo. Ti. 6. Fureteuse. 7. Este. Prisa. 8. Cité. 9. Apôtre. Nui (uni).
10. Issue. SO. 11. Rye. Alezan. 12. Essaierais.
John Brownlee (Tyler Ritter) et Edie (Uzo Aduba). KERI ANDERSON/NETFLIX
conscience de l’Amérique, une bu-
reaucrate pugnace qui, à force de
traquer les irrégularités d’un sys-
tème de santé qui coûte trop cher
et soigne mal, finit par s’intéres-
ser aux surdosages et à la dépen-
dance entraînés par un médica-
ment trop puissant et mal évalué,
l’OxyContin, que commercialise
une famille d’industriels inquiets
de voir bientôt expirer ses bre-
Quatre ans plus tard, Babylon
semble entretenir sa gémellité
avec le film de Tarantino : même
structure chorale suivant trois
personnages qui tentent de se
faire une place sous le soleil cali-
fornien, mêmes vedettes – Margot
Robbie et Brad Pitt – en tête d’affi-
che ; choix de situer l’intrigue à un
moment de bascule : ici, la fin des
années 1920 et la transition du
muet au parlant, qui transformera
Los Angeles en mastodonte ten­-
taculaire et hyperorganisé.
Babylon puise son énergie dans
la frénésie de la période électri-
jeux.lemonde.fr
7 8 9 10 11 12
vets, et qui refuse la diminution,
fût-elle minime, de ses revenus.
Le soin avec lequel est écrit le
personnage d’Edie Flowers et
­l’interprétation sans fioriture
qu’en fait Uzo Aduba fournissent
une colonne vertébrale solide à
un récit qui déconstruit avec
­méthode les rouages de l’indus-
trie ­pharmaceutique, dénonce
les manquements des autorités
que où Hollywood était un ter-
rain de jeu bohème et décadent,
un refuge de saltimbanques
­partageant leur temps entre des
fêtes dionysiaques et les tour­-
nages bordéliques qui sem-
blaient les prolonger.
Vedette sur le déclin
Le titre s’inspire sans doute du
­récit sulfureux de Kenneth An-
ger, Hollywood Babylone (1959,
réédité en 2013 chez Tristam Edi-
tions), portrait d’une capitale du
péché se régénérant à coups de
scandales sexuels et d’ambitions
HORIZONTALEMENT
I. S’impose ici encore plus qu’ailleurs
dans le journal. II. Cuisson à couvert
et à feu doux. Teinta délicatement.
III. Drôle dans tous les sens. Abjects et
sans morale. IV. Prophète biblique.
Ecole fermée. Dans les bourses mol-
daves. V. Cordes pincées chez les Ira-
niens. Se jette dans la Seine. VI. Por-
teur de chapeau blanc. Pourchassée
par Zeus, chassée par Héra. Article es-
pagnol. VII. Deux gouttes de liquide.
Doux rêveur ou homme de caractère.
VIII. Termine son cours dans le Rhô-
vers des paradis artificiels. X. Sans
bavures. Bien grasse sur le plateau.
VERTICALEMENT
1. Pas bête du tout. 2. Fait tout pour
vous en mettre plein la vue. 3. Se ma-
nifestera comme un fauve. Boisson
renversée. 4. Romains de Livourne.
Fait des éclats. 5. Ridiculement
prétentieux. Canards sauvages.
6. Gouffre en région. Démonstratif.
Aide à se retrouver dans les notes.
7. Marque de fatigue. Sait apprécier.
8. Apprécié par les amateurs des
grands châteaux. 9. Geste écolo.
Se meurt chez Eugène. Négation.
10. S’exprime comme un Tyrolien.
Attaqua à coups de dents. 11. Un peu
déplacée. Fait la liaison. Dieu, n’im-
porte lequel. 12. S’exprime comme
une porteuse de palmes.
de santé et l’engrenage qui con-
duit de simples patients à
­devenir des toxicomanes.
Descente aux enfers
Six épisodes suffisent à peine à
creuser des sujets dont la série
souligne pourtant l’importance,
comme lorsqu’elle replace la crise
des opiacés dans le temps plus
long de la « guerre contre la dro-
dévorantes qui se rétractent en
destins funestes.
Damien Chazelle introduit son
film par une immense orgie dans
le manoir d’un dirigeant de studio
où les corps s’abîment dans un
bain de luxure et de stupéfiants.
Babylon emboîte les séquences
comme d’imposants tableaux
que traversent des parades felli-
niennes. A chaque fois, le même
principe : la situation pourrit
­lentement, révélant peu à peu son
envers cauchemardesque.
Dans ces enfers se distingue une
galerie de personnages : Jack Con-
sudoku
n°23-203
2 9
3 1 8
5 4 7 1 3 Chaque chiffre ne doit
3 1 4 6
7 2
Réalisé par Yan Georget (https://about.me/yangeorget)
Cahier numéro un de l’édition n°  3074 du 31 août au 6 septembre 2023
UKRAINE LASACRIFIÉE
GÉNÉRATION
RETOUR AUX
FONDAMENTAUX
BAISSE
DU NIVEAU
SARAH BOUILLAUD
gue » intensifiée par Ronald
­Reagan au cours des années 1980.
Il fallait sans doute ce personnage
de femme noire, mû par la
rancœur contre son frère ex-dea-
leur, pour laisser entrevoir les
fractures économiques et sociales
du pays dont l’OxyContin n’est
qu’un des symptômes.
Pédagogique et parfois bavarde,
la série respire grâce à la mise en
scène remuante de Peter Berg, qui
va puiser du côté d’Adam McKay
pour filmer la descente aux enfers
d’un capitalisme dévoyé. L’échec,
ou plutôt l’absence de volonté, des
autorités à endiguer un scandale
sanitaire écrit d’avance n’est pas
sans rappeler le cynisme exposé
dans Don’t Look Up.
Painkiller offre à Dopesick un
contrepoint à la hauteur des en-
jeux du drame sanitaire à l’œuvre,
dont la série rappelle qu’elle fait
des morts chaque jour malgré les
procédures en cours contre la fa-
mille Sackler. Seul le personnage
de Richard Sackler (Matthew Bro-
derick) manque de la noirceur qui
fait les grands méchants. Comme
si les racines du mal perpétré par
les Sackler conservaient une part
de mystère insondable. p
Audrey Fournier
Painkiller, série créée par Noah
Harpster, Micah Fitzerman-Blue.
Avec Uzo Aduba, Matthew
Broderick (EU, 2023, 6 × 52 min).
rad (Brad Pitt), acteur vedette sur
le déclin, Nellie LaRoy (Margot
Robbie), starlette mal dégrossie, et
Manny Torres (Diego Calva), jeune
Mexicain rêveur – ces deux der-
niers sont prêts à tout pour gravir
les sommets.
Chez Chazelle, un personnage
ne s’individualise que par un af-
fect cardinal qui lui fait office
d’unique bagage psychologique :
l’ambition. En face, le spectacle est
un ogre aveugle qui met au pas les
corps, les dévore avant de les
­recracher. Le cinéaste n’observe la
jouissance de ses personnages
4 1 6 9 7 8
3 5 2 1 4 6
7 8 9 3 5 2
1 9 4 9 7 1 8 2 3 6
5 4 8 7 6 9
2 8 6 2 3 4 1 5
2 6 4 5 3 1
3 1 9 5 2 8 7 3
8 3 7 6 9 4
6 Très difficile
5 Complétez toute la
grille avec des chiffres
allant de 1 à 9.
être utilisé qu’une
seule fois par ligne,
4 9 par colonne et par
carré de neuf cases.
“BARBIE” FILM FÉMINISTE OU
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EN VENTE
CHEZ VOTRE
MARCHAND
QUERELLE
DES LINGUISTES
FAUT-IL DE JOURNAUX
SAUVER
LE FRANÇAIS ?
­
0123
­Samedi 2­ septembre 2023
Notre
sélection
S ame di 2 se pte mbre
France 2
Les Rencontres du Papotin :
Jonathan Cohen
20.30 L’acteur de La Flamme et
du Flambeau sera mis sur le gril par
le magazine d’interviews atypiques
proposé par Eric Toledano et Olivier
Nakache, dont la rédaction est
composée de jeunes journalistes
non professionnels, porteurs de
troubles du spectre autistique.
France 5
Vétérinaires de l’Arctique
20.05 Ours polaire, renard arctique,
léopard des neiges, béluga…
Une équipe de vétérinaires de terrain
se consacre à sauver, protéger
et guérir ces animaux dans le Grand
Nord du Canada.
Canal+
Rugby : Clermont-Auvergne -
La Rochelle
21.00 Rencontre choc entre les deux
derniers finalistes du Top 14. Les
Maritimes, toujours champions
d’Europe en titre, vont devoir
affronter la volonté de revanche
des Jaunards, qui jouent à domicile
et veulent tourner la page de leur
médiocre saison passée.
OCS Géants
Un frisson dans la nuit
21.00 Clint Eastwood dans le rôle
d’un disc-jockey pour son premier
film en tant que réalisateur (1971).
que pour mieux la sanctionner
(un à un, ils seront sacrifiés).
Il y a ce que le film croit être : un
geste d’auteur suprêmement li-
bre célébrant un vieux Hol-
lywood artisan face aux block­-
busters régressifs. Et puis, ce qu’il
est vraiment : un épilogue filmé
du point de vue de l’industrie,
l’œuvre d’un Père Fouettard an-
nonçant la fin de la récré. p
Murielle Joudet
Babylon, film de Damien Chazelle
(EU, 2022, 188 min). Avec Margot
Robbie, Diego Calva, Brad Pitt.
0123 est édité par la Société éditrice
du « Monde » SA. Durée de la société :
99 ans à compter du 15 décembre 2000.
Capital social : 124.610.348,70 ¤.
Actionnaire principal : Le Monde Libre (SCS).
Rédaction 67-69, avenue Pierre-Mendès-France,
75013 Paris. Tél. : 01-57-28-20-00
5 2 3
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4 6 1 (prix d’un appel local) de 9 heures à 18 heures.
5 4 Depuis l’étranger au : 00 33 3 28 25 71 71.
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7 8 9
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L’Imprimerie, 79, rue de Roissy,
93290 Tremblay-en-France
Midi-Print, Gallargues le Montueux
Origine du papier : France, Belgique.
Taux de fibres recyclées : 87 %. Ce journal est imprimé sur un
papier issu de forêts gérées durablement et de sources controlées.
Eutrophisation : PTot = 0.008 kg/tonne de papier
0123
­
­Samedi 2­ septembre 2023
François Gèze
Editeur
F
igure de la gauche intel-
lectuelle dont le rôle fut
capital dans la vie des
sciences humaines en
France, l’éditeur François Gèze est
mort à l‘âge de 75 ans. Directeur
pendant plus de trente ans des
éditions La Découverte, qui
avaient pris la relève des éditions
Maspero, il est décédé brutale-
ment, à la suite d’un malaise res-
piratoire, lundi 28 août, dans
l’ambulance qui l’emportait vers
l’hôpital de Vannes.
Né le 17 avril 1948, à Casablanca
(Maroc), François Gèze, dont le
père était officier, avait été « vac-
ciné définitivement » contre l’ar-
mée, après sa classe de terminale
passée dans la Sarthe, au Pry­-
tanée militaire de La Flèche. Sa
mère, Thérèse d’Aviau de Ternay
(« une femme extraordinaire », se
souvient l’économiste Gustave
Massiah, ami de François Gèze),
était engagée, entre autres, au
sein du Planning familial. De son
enfance, de ses parents, de ses
cinq frères et sœurs, pas plus que
de la famille qu’il avait fondée – il
était père de trois enfants –, le pa-
tron de La Découverte n’aimait
parler. Sur sa vie militante et ses
premiers voyages en Amérique
latine, comme sur le métier d’édi-
teur, ses combats pour le livre et la
transmission des savoirs, cet
homme pudique se confiait, en
revanche, volontiers.
Fibre écologiste
Tout commence en 1968, l’année
de ses 20 ans : élève au lycée Pier-
re-de-Fermat à Toulouse, le jeune
Gèze vit le printemps 1968
comme un « éblouissement ». En
quelques mois, sa vie bascule.
Cette année-là, qui est celle de la
mort de son père, est aussi celle
des premiers engagements.
Ayant adhéré au Parti socialiste
unifié, il rejoint, à Paris, l’équipe
du Centre d’études anti-impé­-
rialistes (Cedetim), fondé par
­Gustave Massiah. Ce qui ne l’em-
pêche pas de suivre des études à
l’Ecole des mines et, en prime, un
cursus d’économie.
Le révolutionnaire en herbe est
un bosseur vertigineux. Les su-
jets les plus sérieux ne le rebutent
pas ; au contraire. En 1972, à l’Ecole
pratique des hautes études, il
­présente, sous la direction
d’Ignacy Sachs, un mémoire au ti-
tre peu glamour : « Pollution et
compétitivité dans l’industrie du
cuivre au Pérou. Contribution à
une ­méthodologie d’évaluation
des projets industriels, prenant
en compte la protection de
Axel Bogousslavsky
Comédien
A
xel Bogousslavsky
était un petit homme
fluet et un acteur mo-
numental. « Un ange »,
témoignent, sur les réseaux so-
ciaux, ceux qui l’ont connu et
aimé. C’était un comédien artisan
comme on n’en croise pas si sou-
vent : discret, pudique, mélancoli-
que, avec, dans l’œil, la joie exubé-
rante mais contenue de celui qui
se sait à sa place sur les planches
des théâtres.
Alors qu’il vient de mourir, sa-
medi 26 août, à Cannes, à l’âge de
86 ans, Axel Bogousslavsky em-
porte avec lui un peu de cette en-
fance dont l’art ne saurait se pas-
ser s’il veut continuer à grandir.
Une enfance qui n’a jamais dé-
serté ce comédien à qui on ne
donnait pas d’âge tant il paraissait
l­ ’environnement ». Le futur
­éditeur du ­livre de José Bové,
François Dufour et Gilles Luneau,
Le monde n’est pas une marchan-
dise, publié en 2000 à La Dé­-
couverte et qui sera vendu à plus
de 70 000 exemplaires, a déjà la fi-
bre écologiste.
Le Pérou l’attire, mais aussi et
surtout le Chili et l’Argentine.
D’un séjour à Buenos Aires il rap-
porte un essai, écrit avec Alain
­Labrousse, Argentine. Révolution
et contre-révolutions (Seuil, 1975).
A son retour en France, il milite
pour le boycott de la Coupe du
monde de football, organisée
en 1978 par l’Argentine. Quant au
Chili, il avait rêvé un moment,
avant que les militaires ne renver-
sent le régime socialiste de Salva-
dor Allende, en septembre 1973,
de s’y installer, pour mettre au
service de la jeune révolution ses
talents d’ingénieur.
Rien d’étonnant, donc, à ce qu’il
s’intéresse, au milieu des années
2000, à l’enquête menée en Ar-
gentine par Marie-Monique Ro-
bin, Escadrons de la mort, l’école
française (La Découverte, 2008).
La journaliste y révèle l’implica-
tion de l’armée française, dès la
fin des années 1950, dans la for-
mation des militaires latino-amé-
ricains aux techniques de la
« guerre sale » (torture, rafles, exé-
cutions sommaires…).
« C’était un homme d’une modes-
tie et d’une culture inouïes », com-
mente la journaliste, encore
« sous le choc » après l’annonce du
décès de l’éditeur. François Gèze et
Marie-Monique Robin « feront »
huit livres ensemble, parmi les-
quels Le Monde selon Monsanto
(La Découverte, 2008), consacré à
la multinationale « reine » des
pesticides. Saluant son « enthou-
siasme bienveillant » vis-à-vis des
auteurs, Mme Robin souligne le
fait, « assez rare chez les éditeurs »,
qu’il « tenait en haute estime le mé-
tier de journaliste. Pour lui, livres,
articles, films participent au débat
démocratique, tant qu’ils sont ri-
goureux et bien documentés ».
L’Algérie aura été, avec l’Améri-
que latine, l’un de ses grands pô-
les d’intérêt. Il y vient grâce aux li-
vres édités par François Maspero,
découverts à la fin des années
1970. Ceux de Frantz Fanon, mais
aussi de l’anthropologue Mou-
loud Mammeri, critique lucide
des dérives dictatoriales du ré-
gime algérien. C’est en 1977 que
François Gèze est chargé de la
­collection de livres sur les luttes
anti-impérialistes du Cedetim,
collection que François Maspero
échapper à la fatalité des années
qui lestent les corps, ralentissent
les mouvements, entravent les
mémoires pour, finalement, éloi-
gner des scènes les plus anciens
de leurs serviteurs.
En 2021, lui jouait encore au Ja-
pon, dans La Cerisaie, de Tche­-
khov, mise en scène par Daniel
Jeanneteau et Mammar Benra-
nou. La même année, il participait
au Mélisande, de Maeterlinck, que
créait Richard Brunel à l’Opéra de
Lyon. En le conviant à leurs côtés
et à plusieurs reprises, ces artistes
(et, avec eux, les metteurs en scène
Lazare, Jean-Michel Rabeux, Ma-
rie-Christine Soma, Xavier Mar-
chand, Julie Berès, Bruno Bayen,
Etienne Pommeret ou Jean-Bap-
tiste Sastre) ne s’y sont pas trom-
pés. Quel que soit le spectacle dans
a accepté d’accueillir. A ses côtés,
­l’ancien élève de l’Ecole des mines
fait son apprentissage du métier
d’éditeur.
En 1980, François Maspero,
­confronté à de graves difficultés
financières, demande à François
Gèze de lui prêter main-forte
pour gérer la maison. Deux ans
plus tard, en février 1982, il lui pro-
pose de prendre la relève – c’est-à-
dire la tête de la maison d’édition.
A condition de changer de nom :
en 1983, La Découverte est née.
Grâce à l’aide de Bruno Parmen-
tier, puis de Jean-Guy Boin, deve-
nus ses deux amis les plus pro-
ches, François Gèze va réussir, en
quelques années, à redresser l’en-
treprise en renouvelant ses bases.
Gros succès de librairie en 1986
Il est l’un des premiers à com-
prendre la révolution qui s’opère.
« Notre génération, les post-68,
était souvent réductrice : pour
beaucoup, le marxisme expliquait
tout. On a vu que c’était une im-
passe, et on voit désormais se dé-
ployer de nouvelles formes de
­compréhension intellectuelle, plus
holistes, qui pensent le monde
­globalement et sont beaucoup
plus saines à mes yeux que celles
des années 1970, quand la dimen-
sion écologique, environnemen-
tale, était pratiquement absente
ou du moins très minoritaire », ex-
pliquait-il, en 2019, dans une in-
terview à la revue Mouvements.
Les collections qu’il lance, à par-
tir des années 1980, sont des réus-
sites : L’Etat du monde et ses va-
riantes (L’Etat de la France, du Ma-
ghreb, etc.) se vendent bien. De
même, la collection « Repères »
née en 1983 et qui existe encore.
Sans parler des livres d’enquête,
écrits par des journalistes d’inves-
tigation. « Il savait saisir l’air du
temps, au sens fort du terme », ré-
sume Jean-Guy Boin.
Si La Découverte connaît de gros
succès de librairie (Tête de Turc, de
Günter Wallraff, publié en 1986,
est vendu à 500 000 exemplai-
res), la maison de François Gèze
gagne aussi le pari de faire décou-
vrir à un large public des auteurs
(Bruno Latour, entre cent autres)
et des thèmes réputés difficiles (le
cyberespace, l’histoire des scien-
ces et des techniques…). François
Gèze n’était pas qu’un moine-sol-
dat ou un pionnier du numéri-
que : il était un « philosophe de
l’édition », dit Jean-Guy Boin.
« François était l’un des seuls en
France à conjuguer l’engagement
et une vision globale du monde de
l’édition », explique Pascale Iltis,
lequel il apparaissait, Axel Bo-
gousslavsky y faisait surgir un
monde à lui, où le silence précé-
dait le mot, enrobant la parole de
mystère, déréalisant le familier
pour donner chair à l’étrangeté.
Proche de Marguerite Duras
Singulière présence qui n’avait
pas besoin d’exhibition tapageuse
pour être. Irréductible sauvagerie,
entre le céleste et le terrien, forgée
à coup sûr dans une solitude
aimée, lorsque gamin, il crevait les
roues de son vélo pour ne pas aller
à l’école et dormait « sous le ciel et
les nuages », confiait-il en 2012 au
micro de Laure Adler (« Hors-
champs », France Culture).
Connecté au cosmos plus qu’à
l’ordinaire d’une maison, Axel
­Bogousslavsky a peu vécu avec
attachée de presse aux éditions
La Découverte. En témoignent ses
implications tous azimuts dans le
secteur interprofessionnel : en
­faveur des librairies (création de
l’Association pour le développe-
ment de la librairie de création,
en 1988) ; au sein du Syndicat
­national de l’édition ; pour le lan-
cement de Cairn.info et du pro-
gramme ReLire, qui permet de
numériser les livres indisponi-
bles du XXe siècle…
Bête noire du pouvoir algérien
Cet engagement professionnel
est aussi politique. Et ce qui était
vrai à l’époque de Maspero, dans
la France des années 1950-1960,
l’est autant à l’époque de Gèze,
dans la France des années 1990-
2000 : l’Algérie est la grande af-
faire. Après l’interruption autori-
taire du processus électoral,
en 1992, imposée par les mili­-
taires, qui se pensent menacés
par une victoire du Front islami-
que du salut, les éditions La Dé-
couverte, reprenant le flambeau,
publient plusieurs ouvrages qui
mettent en lumière l’histoire lon-
gue de l’islam et de l’islamisme au
Maghreb. François Gèze a contri-
bué à « diffuser la pensée des libé-
1937 Naissance à Paris
1977 Première collaboration
avec Claude Régy pour
« L’Eden Cinéma »,
de Marguerite Duras
1985 Rôle d’Ernesto
dans « Les Enfants »,
de Marguerite Duras
26 août 2023 Mort à
­Cannes (Alpes-Maritimes)
ses parents. Son père était un
faussaire d’origine ukrainienne.
Sa mère, Denise, l’envoie dans des
familles d’adoption, puis, jusqu’à
l’adolescence, dans une commu-
nauté fondée par Lanza del Vasto,
un disciple de Gandhi.
Il apprend de l’univers ces cho-
ses improbables que la normalité
ignore. Il déchiffre les signes de la
nature, il fait mille boulots, il
Disparitions | 23
raux et des religieux du monde
arabo-musulman du XIXe et du
XXe siècle », se félicite l’historien
Mohammed Harbi.
Les prises de position de l’édi-
teur, appuyé par l’historien Pierre
Vidal-Naquet, pointant l’implica-
tion du pouvoir dans le conflit et
le « climat de terreur » qu’il im-
pose « afin de prévenir toute ré-
volte populaire » (Le Monde du
5 mars 1998), lui valent des volées
de bois vert des deux côtés de la
Méditerranée.
« Durant les années noires, Fran-
çois Gèze a été l’un des rares édi-
teurs à avoir dénoncé les violations
des droits de l’homme perpétrées
par le régime algérien, au prétexte
de la lutte contre l’islamisme »,
constate l’historien Gilles Mance-
ron. La publication, en 2001, du li-
vre de Habib Souaïdia La Sale
Guerre. Le témoignage d’un an-
cien officier des forces spéciales de
l’armée algérienne fait du patron
de La Découverte, membre actif
du site Algeria-Watch, l’une des
bêtes noires du pouvoir algérien.
Il faudra la révolte du Hirak,
en 2019, pour donner raison, au
moins en partie, à cet éditeur aux
engagements obstinés. p
Catherine Simon
voyage, il fréquente les situation-
nistes. Ami de Jean Mascolo, il en
rencontre la mère, Marguerite
Duras, dont il devient un proche.
En 1985, pour son film Les Enfants,
la romancière le dirige dans le rôle
d’Ernesto, élève récalcitrant qui
refuse d’aller à l’école parce qu’on
lui apprend ce qu’il ne sait pas. Et
puis, elle lui présente Claude Régy
(1923-2019), qui cherche un comé-
dien pour incarner un caporal
vietnamien muet dans L’Eden Ci-
néma (adapté d’Un barrage contre
le Pacifique, 1950). L’essai est
­concluant. Le comédien et le met-
teur en scène ne se quitteront
plus. Le lien, entre eux, est « intui-
tif » et a l’évidence d’une « respira-
tion », dira Axel Bogousslavsky.
De 1977 (création de L’Eden Ci-
néma) à 2007 (l’Homme sans but,
A Paris,
en février 1989.
Louis MONIER/Gamma-Rapho
via Getty Images
17 avril 1948 Naissance
à Casablanca (Maroc)
1975 « Argentine, révolution
et contre-révolutions »,
avec Alain Labrousse (Seuil)
1982 Les éditions
La Découverte prennent la
relève des éditions Maspero
1986 « Tête de Turc »,
de Günter Wallraff ­
(La Découverte), se vend
à 500 000 exemplaires
2001 Publication de
« La Sale guerre. ­
Le témoignage d’un ancien
officier des forces spéciales
de l’armée algérienne »,
de Habib Souaïdia
(La Découverte)
2008 Publication
d’« Escadrons de la mort,
l’école française »,
de Marie-Monique Robin
(La Découverte)
28 août 2023 Mort
à Vannes
d’Arne Lygre), Régy et Bogous­-
slavsky travailleront quatorze fois
ensemble. L’acteur traverse de
son pas feutré et légèrement titu-
bant les univers de Botho Strauss,
Leslie Kaplan, Gregory Motton ou
Jon Fosse, ce qui ne l’empêche pas
de tourner un peu pour le cinéma,
d’écrire, de peindre et de faire de la
musique. Il est chez lui dans l’ima-
ginaire des poètes. Lorsqu’il
prend la parole en leur nom, sa
voix précise, douce, chuchotante,
un peu fêlée scinde les sons
comme s’il en pesait avec soin les
contours et le contenu avant de
les déposer délicatement dans
l’espace du théâtre. « Je l’ai trouvé
génial », affirmait Claude Régy.
Génial, c’est le mot qui convient
en cas de génie. p
Joëlle Gayot
24 | Carnet ­
0123
­Samedi 2­ septembre 2023

Simone, Marianne de Kermel, David Newhouse,

Diane de Le Carnet
son épouse,
Nicole,
sa fille,
Les familles Chavranski, Desvignes,
son épouse,
Pierre et Claire de Kermel,
Anne et Gauthier Lodéon,
Marie-Bénédicte
Caroline Ulmer-Newhouse,
ses enfants,
leurs conjoints, Catherine Malek et
Jean-Christophe Ulmer,

Margerie
de Kermel-Chardenon,
Bienenfeld et alliées, Cécile et Jérôme Delort, Constance, Claire, Samson, Zoé,
Ses cousins et neveux, ses enfants et leurs conjoints, Tobie, Emma, Antonin,
Vous pouvez nous faire Ses amis de toujours Sophie, Bertrand et Blandine de ses petits-enfants,
parvenir vos textes et leurs enfants, Kermel, leurs compagnes et compagnons,

Autrice soit par e-mail :

carnet@mpublicite.fr
ont la tristesse d’annoncer le décès
de
Baptiste, Pauline, Valentine et Victor
Lodéon,
Mathilde, Estelle et Clara Chardenon,
Marcus,
son arrière-petit-fils,

(en précisant impérativement Marie et Augustin Delort,

votre numéro de téléphone
et votre éventuel numéro
d’abonné ou de membre
de la SDL)
soit sur le site :
https://carnet.lemonde.fr
L’équipe du Carnet reviendra
vers vous dans les meilleurs
délais pour vous confirmer
la parution.
carnet@mpublicite.fr
https://carnet.lemonde.fr
AU CARNET DU «MONDE»
Naissance
Raphaël
est né le 10 août 2023,
chez
Mélanie DORNE et Manu LETELLIER,
à la plus grande joie de toute la
famille, premier arrière-petit-enfant
de
Andrée ROUSSY et Michel FERRY.
En 1985. Sophie Bassouls/Sygma via Getty Images
Noces de Diamant
Henri CHAVRANSKI,
survenu le 24 août 2023,
à quatre-vingt-treize ans.
Voyageur du monde, il repose
à Toulouse-le-Château, son village
d’adoption dans le Jura qu’il aimait
tant.
Que la Terre lui soit légère.
Roger et Christian,
ses enfants
et leurs conjointes, Florence et Hélène,
Léa, Marie-Laure et Aurélie,
ses petites-filles,
Jeanne, Arthur, Leonard et Lucie,
ses arrière-petits-enfants,
Les familles Duffau, Bentsen,
Castillon, Constanty,
ont la tristesse de faire part du décès
de
Mme Else DUFFAU,
née BENTSEN,
officier
de l’ordre des Palmes académiques,
survenu le jeudi 24 août 2023, à Paris,
à son domicile, à l’âge de quatre-
vingt-dix-sept ans.
ses petits-enfants, ont la tristesse d’annoncer le décès
Gabin, de
son arrière-petit-fils,
Peter NEWHOUSE,
ont la grande tristesse de faire part
ancien directeur de société,
du décès du
M.A. Oxford,
membre de l’équipe
vicomte
Georges De KERMEL, de boxe d’Oxford,
francophile,
survenu à Valence, le 21 août 2023,
dans sa quatre-vingt-treizième année. survenu le 25 août 2023, à l’âge de
quatre-vingt-dix-sept ans.
Les obsèques religieuses ont eu
lieu le 26 août, suivies de l’inhumation
au cimetière de Châtillon-Saint-Jean Conformément à ses dernières
(Drôme). volontés, il reposera à Dejoux près
de ceux qu’il a chéris.
Paris 14e, Fréjus (Var).
Ils tiennent à remercier le personnel
Mme Josiane Launay, de Ger’home, à Courbevoie.
son épouse,
Philippe,
son fils newhouse.david@gmail.com
et sa compagne, Isabelle, carolinenewhouse@aol.com
Florian et Alexis,
ses petits-enfants,
Jean-Luc Jouk,
Les familles Launay, Guilbaud,
Del Pino, Jouault, Agathe Cury et Pierre-Louis Pigé,
leurs conjoints, enfants et petits- Annie-Marie Lallier et Laurent Vidal,
enfants,
ont la tristesse d’annoncer le décès,
ont la douleur de faire part du décès
de survenu le 26 août 2023, de
M. Jean Paul LAUNAY, Dominique PIGÉ,
née VIDAL,
survenu le 26 août 2023.
ancienne pharmacien inspecteur

L
a romancière, traductrice
et essayiste Diane de Mar-
gerie, membre pendant
près de trente-cinq ans du
jury du prix Femina, est morte
vendredi 25 août, a annoncé sa
­famille à l’Agence France-Presse
(AFP). L’autrice de La Femme en
pierre s’est éteinte à l’hôpital
­Cochin, à Paris, à l’âge de 95 ans.
Cette fille du diplomate aristo-
crate Roland de Margerie (1899-
1990) était née en 1927 au cœur de
la littérature. André Gide s’était
penché sur son berceau. Sa mère,
Jenny, était la sœur de l’écrivain et
homme politique Alfred Fabre-
Luce, et avait été aimée de Rilke.
Son père était le neveu d’Edmond
Rostand et le cousin de Gérard
Mante, qui avait épousé la nièce
de Marcel Proust. A ce dernier,
Diane de Margerie consacrera de
nombreux essais (dont A la re-
cherche de Robert Proust, Flam-
marion, 2012).
Mais c’est surtout le Japon qui
lui inspira d’admirables essais et
albums (dont Bestiaire insolite du
Japon, Albin Michel, 1987), et où
elle recherchait une complicité
naturelle pour exprimer sa pro-
pre esthétique et ses angoisses,
que dissimulait parfois une socia-
bilité d’apparence heureuse.
Influences orientales
Son rôle important dans le
monde éditorial la mettait en
contact avec de nombreux écri-
vains, français, anglais, italiens et
japonais. Elle dirigea une collec-
tion chez Flammarion et elle dis-
tribuait ses conseils à ses confrè-
res, tout en employant une
grande partie de son temps à tra-
duire ou à préfacer ses auteurs de
prédilection : Kathleen Raine,
Henry James, Edith Wharton…
Cette dernière était, avec George
Sand, l’un de ses « doubles »,
peut-on dire : elle rédigea leurs
biographies (Edith Wharton. Lec-
ture d’une vie, Flammarion, 2000,
et Aurore et George, Albin Michel,
2004), avec une grande liberté de
style et d’intuition, laissant écla-
ter des affinités évidentes. La fi-
nesse de ses analyses parlait plus
en faveur de la grandeur de la lit-
térature féminine que tout slogan
féministe.
Elle était soucieuse de faire
oublier, par un travail acharné, le
milieu protégé dont elle était is-
sue. Son autobiographie, le plus
souvent romancée (La Volière, Le
Ressouvenir, La Femme en pierre,
Dans la spirale, Isola, Maintenant,
Eclats d’insomnie, dispersée chez
plusieurs éditeurs), se ressent de
sa crainte de ne pas être comprise
et aimée par son cercle familial
24 décembre 1927
Naissance à Paris
1985 « Le Ressouvenir »
(Flammarion), premier tome
de ses Mémoires
2004 « Aurore et George »
(Albin Michel), prix Médicis
de l’essai
25 août 2023 Mort à Paris
ascendant, ni par l’environne-
ment professionnel où elle a évo-
lué et exercé pourtant un certain
pouvoir (en particulier au prix Fe-
mina) et qui l’a célébrée en lui at-
tribuant, entre autres, les prix de
l’Académie française, Médicis,
Prince-Pierre-de-Monaco.
Son œuvre romanesque est
marquée par des influences
orientales (Le Paravent des Enfers,
Flammarion, 1974 ; L’empereur
Ming vous attend, Gallimard,
1990) liées non seulement à ses
lectures, mais aussi à son adoles-
cence passée à Pékin et à Shan-
ghaï, où son père était consul gé-
néral pendant la seconde guerre
mondiale. En Chine, l’amitié et
l’enseignement du père Teilhard
de Chardin furent déterminants
pour son ouverture d’esprit, sa cu-
riosité, son cosmopolitisme.
L’Italie était, après l’Orient et le
monde anglo-saxon, le troisième
tropisme de Diane de Margerie
qui se maria avec le prince Ric-
cardo Pignatelli, dont elle eut un
premier fils, Fabrizio, qui devien-
drait à son tour ambassadeur. Son
séjour à Rome la rendit familière
de Fellini et d’Alberto Moravia,
auquel la lia une profonde amitié.
Son second mariage, avec l’écri-
vain italianiste Dominique Fer-
nandez, ne dura pas, mais eut le
temps de lui donner deux autres
enfants, Ramon et Laetitia. Elle les
éleva surtout avec le traducteur et
éditeur François-Xavier Jaujard
(1946-1996), qui l’incita à traduire
des auteurs anglais avec lui.
Diane de Margerie aurait pu être
une Agatha Christie française, tant
elle était passionnée d’énigmes et
d’enquêtes policières, comme en
témoignent plusieurs de ses ro-
mans, essais ou nouvelles insoli-
tes (Le Détail révélateur, Ailleurs et
autrement, Duplicités, L’Etranglée,
La Passion Brando). Et c’est aussi
sur le mode de l’investigation
qu’elle concevait son analyse des
livres et de la vie de tous les écri-
vains qui n’ont cessé d’accompa-
gner ses réflexions et auxquels
elle a rendu mille hommages (No-
ces d’encre, Philippe Rey, 2007), au
risque d’occulter sa propre œuvre
pourtant tout aussi singulière. p
René de Ceccatty
Muriel et Ludovic Leteurtre,
Fabrice, Margot, Thomas
Roumestant et Hélène,
Pierre et Laure Amandine, Médéric
et Camille, Guillaume et Chloé,
sont heureux d’annoncer les noces
de Diamant, de
Malou et Bernard
ROUMESTANT,
qui se sont mariés le 14 septembre
1963, en l’église Saint-Pierre-et-Saint-
Paul de la Bessière, à Murat-sur-Vèbre.
Soixante ans de mariage, deux
enfants, cinq petits-enfants.
Toutes nos félicitations pour ce
long et beau chemin parcouru à deux,
empli d’amour, de tendresse et de
respect.
Merci pour votre amour
inconditionnel, votre présence
attentive mais discrète et tous ces
très bons moments partagés ensemble.
Décès
Paris.
Michel, Jacotte et Zoé,
son frère et ses sœurs,
Ses neveux et nièces,
Ses amis fidèles,
ont la tristesse de faire part du décès
de
M. Claude BLANVILLAIN.
Il sera inhumé dans l’intimité au
cimetière de Beaujeu (Rhône).
La famille rappelle à votre souvenir
ses compagnons,
Pierre et Jeannin.
Paris. Magny-en-Vexin. Bordeaux.
Le Lavandou.
Sophie Brinet et Madeleine,
Camille Brinet et Isée, Alexandre
Brinet, Marjorie Cavaignac et Vassili,
ses enfants, belle-fille et petits-enfants,
Françoise La Balme,
sa compagne
et ses enfants, Alix et Vincent,
Dominique et Lydie Brinet, Riva
et Johanna, Hubert Brinet, Dimitri
et Margaux,
ses frères, belle-sœur, ses nièces et
neveu
Et toute sa famille,
ont la tristesse de faire part du décès
de
Jean-Philippe BRINET,
survenu le 6 août 2023, à Paris,
à l’âge de quatre-vingts ans.
Une bénédiction aura lieu le
6 septembre, à 14 h 30, au cimetière
du Père-Lachaise, avenue de
l’Ouest, division 63, à l’occasion de
l’inhumation.
brinet.sophie@orange.fr
camillebr2@free.fr
alexandre.brinet@numericable.fr
francoise.labalme@gmail.com
La cérémonie religieuse sera de la santé publique.
La cérémonie religieuse a été célébrée le lundi 4 septembre, à
15 heures, en la paroisse Saint-Pierre-
célébrée ce vendredi 1er septembre, Une bénédiction est célébrée ce
de-Montrouge, 82, avenue du Général
à 10 h 30, en l’église protestante vendredi 1er septembre, à 15 heures,
Leclerc, Paris 14e.
danoise de Paris, suivie de en l’église Saint-Joseph-des-Quatre-
l’inhumation, le lendemain, à Kirke- Elle sera suivie de l’inhumation au Routes, à Asnières (Hauts-de-Seine).
Kyllinge (Danemark). cimetière de Montparnasse, Paris 14e,
à 17 heures.
Nantes.
Maria,
Un registre à signatures tiendra
son épouse lieu de condoléances. Sophie, Armelle, Lydia, Xavier,
Sébastien, Marjolaine et Capucine,
ses enfants,
ses enfants Crépy-en-Valois, Rouville (Oise).
Ses dix petits-enfants
et leurs conjoints,
Et toute la famille Ripoche,
Marie-Hélène, Patrick et Roselyne, Mme Georges Lécallier,
ses frère et sœurs son épouse,
Laurence (†), Fabienne, Adeline, ont l’immense tristesse de faire part
et leurs conjoints,
Dorothée, Sylvie, Joëlle, du décès de
ses filles
ont l’immense douleur de faire part ainsi que leurs conjoints,
du départ de Ses quatorze petits-enfants, Pierre RIPOCHE,
ont la tristesse de faire part du décès
François GÈZE, survenu le 27 août 2023,
de
éditeur, dans sa quatre-vingt-huitième année.
militant, humaniste. Georges LÉCALLIER,
Il reposera au cimetière de Batz-
L’inhumation aura lieu ce samedi survenu le mardi 29 août 2023,
à l’âge de quatre-vingt-douze ans. sur-Mer.
2 septembre 2023, à 11 heures, au
cimetière ancien de Vitry-sur-Seine, La cérémonie religieuse sera Cet avis tient lieu de faire-part et
suivie d’un temps de partage, à célébrée le mardi 5 septembre, à
de remerciements.
15 heures, au CICP, Paris 11e. 10 h 30, en l’église Saint-Denis de
Crépy-en-Valois.
famille.ripoche2023@gmail.com
Mont-Saint-Aignan.
11, rue Parmentier,
92200 Neuilly-sur-Seine.
Grégoire Hurard, Souvenir
son fils, Montpellier (Hérault). Le 2 septembre 1943, arraché à
Dominique Gogny,
son épouse, Madeleine, à dix petits-
sa mère, Mme Marie-Claude Neuschwander,
son épouse, enfants et à trois autres qu’il n’avait
Vincent Dubois
Xavier, Sylvie, Bertrand, Marie, Julien pu connaître,
Gilles, Ingrid, Thomas Gogny,
et Jeanne,
ses frères et sœur, ses enfants,
Alexandre BERNHEIM,
Sophie Cordier, Lucia Marabini, leurs conjoints, Isabelle, Laurent, Sylvie,
ses belles-sœurs, Bruno, Aurore et Raphaël,
Claire, Béatrice, Guilhem, Pauline, quittait Drancy pour Auschwitz-
Raphaëlle, Jonah, Nina, Tristan et
Pierre, Louise, Marc, Paul, Judith, Birkenau.
Saul Gogny,
Théotime, Suzanne, Arthur, Alice et
Suzanne et Abel Saint-Cast, Zoé,
Son fils,
ses neveux et nièces, ses petits-enfants,
Maloya et Noée, Antoine, Adrien, Ambre, Manon,
Camille, Lise, Robin, Tristan, Matteo Pierre,
ses petites-nièces,
et Lou,
ses arrière-petits-enfants,
ont le grand chagrin de faire part de l’accompagnait bien loin de Raymonde
Mme Odile Louvet,
la mort de maman de Xavier, Sylvie, Bertrand et de ses deux fils.
et Marie,
Anne JÉZÉQUEL Mme Josette Nebout, Ils restent toujours si près de nous.
sa grande sœur,
(14 juin 1958 - 24 août 2023).
Toute sa famille
Et ses amis, Les familles Bernheim, Guéron,
domdomdom@free.fr Hirsch, Saglier.
ont la profonde tristesse de faire part
Ses enfants, du décès de
Ses petites-filles,
Société éditrice du « Monde » SA
Claude NEUSCHWANDER, Président du directoire, directeur de la publication
Ses frères, Louis Dreyfus
officier Directeur du « Monde », directeur délégué de la
Ses nièces et neveux, de la Légion d’honneur,
publication, membre du directoire Jérôme Fenoglio
Les famille Ehresmann et Johner,
Directrice de la rédaction Caroline Monnot
survenu le 28 août 2023, Direction adjointe de la rédaction
Grégoire Allix, Maryline Baumard, Hélène Bekmézian,
à son domicile de Montpellier, Philippe Broussard, Nicolas Chapuis, Emmanuelle
ont la tristesse d’annoncer la à l’âge de quatre-vingt-dix ans. Chevallereau, Alexis Delcambre, Marie-Pierre
Lannelongue, Franck Nouchi, Harold Thibault
disparition de Directrice éditoriale Sylvie Kauffmann
Une cérémonie religieuse a été Directrice déléguée au développement des services
célébrée ce 1er septembre, à 9 heures,
abonnés Françoise Tovo
Françoise en l’église Don Bosco, rue Léon-Blum, Directeur délégué aux relations avec les lecteurs
Gilles van Kote
JOHNER-EHRESMANN, à Montpellier. Rédaction en chef Laurent Borredon, Emmanuel
Davidenkoff (Evénements), Jérôme Gautheret, Michel
La famille tient à remercier toutes Guerrin, Nicolas Jimenez (photographie), Sabine Ledoux
survenue le 12 juin 2023. les personnes qui, par leur présence (cheffe d’édition), Alain Salles (Débats et Idées)
Directrice du design Mélina Zerbib
et leurs marques de sympathie, Direction artistique du quotidien Natalie Lebreton
Un hommage pour partager sa s’associeront à sa peine. Infographie Delphine Papin
Directrice des ressources humaines du groupe
mémoire aura lieu le 14 septembre, à Emilie Conte
Ni fleurs ni couronnes. Merci de
partir de 10 h 30, au Temple du Port- Secrétaire général de la rédaction Sébastien Carganico
les remplacer par un don au profit de Conseil de surveillance Aline Sylla-Walbaum,
Royal, 18, boulevard Arago, Paris 13e. la Fondation de France. présidente, Gilles Paris, vice-président
 Idées
0123
­
­Samedi 2­ septembre 2023 | 25

Bernard Guetta La campagne pour les élections

européennes pourrait tracer les premiers contours
du nouvel échiquier européen
E
t si nous y parlions politique, la
vraie, grands périls, grands atouts,
grands enjeux ? Et si les prochai-
nes élections européennes étaient
l’occasion de dépasser la compétition
des partis nationaux et d’aborder en
même temps, dans chacun de nos vingt-
sept pays, les tempêtes qui nous mena-
cent et les moyens d’y faire face ?
C’est alors que les électeurs repren-
draient goût à la politique et que le taux
de participation à ce scrutin pourrait être
autrement moins navrant que d’ordi-
naire, car, pour l’heure, la démocratie
chrétienne et la social-démocratie sont
trop intellectuellement épuisées pour
que la bataille entre droite et gauche
puisse encore intéresser. Progrès so-
ciaux et reconstruction d’après-guerre,
leur héritage est essentiel ; mais, issues
de la révolution industrielle, elles sont
l’une et l’autre dépassées par la transfor-
mation du travail, les ravages de la crois-
sance et la résurrection, sur les cinq
­continents, de droites réactionnaires re-
mettant en question les Lumières.
La droite et la gauche n’en disparaîtront
pas pour autant, mais, comme on le voit
si régulièrement au Parlement euro-
péen, une nouvelle frontière se cherche
entre le rapprochement, d’un côté, des
droites dures et des extrêmes droites et,
de l’autre, la lente gestation d’une force
universaliste et démocrate allant des
gauches utopistes au centre droit.
C’est ce qui prend forme aux Etats-
Unis. C’est ce qui s’entend en France lors-
que M. Ruffin fait valoir à ses amis la né-
cessité de gagner en « centralité », tandis
que M. Sarkozy appelle, à l’inverse, à fé-
dérer les électeurs de MM. Zemmour,
Macron et Ciotti. C’est aussi ce qui s’est
esquissé en Pologne et en Hongrie. Alors
ce débat à vingt-sept, cette campagne
qui pourrait bien tracer les premiers
contours du nouvel échiquier européen,
ouvrons-les, dès aujourd’hui, autour de
Selon le député européen Renaissance, la campagne pour C’est déjà le cas aujourd’hui. Tous les Je sais. Beaucoup ne verront qu’une vue
Vingt-Sept n’ont pas adopté la monnaie de l’esprit dans cette ambition d’un débat
les élections européennes du printemps 2024 et ses débats unique ou ne sont pas membres de l’es- paneuropéen venant revivifier nos vies
politiques doivent se mener, non plus à l’échelle nationale, pace Schengen. Tous ne souhaitent pas et nos échiquiers politiques, mais les
aller plus avant sur la voie de l’unité nuages s’amoncellent sur l’Europe. La
mais à l’échelle des 27 pays de l’Union. Il détaille les quatre ­politique à laquelle tous les pays candi- protection américaine devient incertaine
thèmes qui lui semblent les plus urgents à aborder dats n’aspireraient pas non plus et il est au moment même où la Russie redevient
parfaitement concevable que cette inquiétante et où l’essoufflement chinois
Union élargie soit formée de plusieurs menace l’industrie allemande, pèse sur
étages ou « formats » comme Emmanuel nos partenaires commerciaux et pour-
quatre questions principales. La pre- taller dans les Balkans, et de refuser ­Macron l’a proposé à Bratislava. rait bientôt susciter un mécontentement
mière est l’Ukraine puisqu’il ne s’agit d’ouvrir nos portes à l’Ukraine puisque intérieur que M. Xi sera tenté de parer par
pas, monsieur Sarkozy, d’aller négocier ce serait dire qu’elle n’est pas des nôtres La donne a changé des aventures extérieures.
avec le despote du Kremlin mais de et appartiendrait à l’aire russe. Cela sem- Vient en troisième lieu la question de Parce qu’il y a péril en Europe, la donne
­contribuer à le battre, car ses objectifs ble insoluble, mais on peut, en réalité, l’Alliance atlantique, dont les Etats-Unis y a changé. L’idée que l’union fasse la
sont parfaitement clairs. Il veut et le dit faire valoir à ces pays candidats que rien n’accepteront pas d’éternellement sup- force n’est plus guère contestée. Les dé-
reconstituer l’empire perdu des tsars et ne sert de vouloir monter sur un bateau porter la charge alors qu’ils ont plus de bats du Conseil, du Parlement et de la
espère maintenant que l’Union, les qu’un trop-plein de passagers ferait cou- défis à relever en Asie qu’à nos côtés. Si Commission commencent à intéresser
Etats-Unis et le monde imposent aux ler et que nous pouvons d’ores et déjà nous voulons la pérenniser, il nous faut beaucoup d’Européens, car le fait est que
Ukrainiens le cessez-le-feu qui lui per- mettre en place des coopérations renfor- la rebâtir autour de deux puissances éga- les Britanniques refuseraient aujourd’hui
mettrait de ne pas avoir à renoncer à ses cées dans une multitude de domaines ci- les en droits et en devoirs : les Etats-Unis le Brexit et que, sans notre unité, nous
annexions, d’enrayer son affaiblisse- vils et militaires, tisser ainsi des liens d’Amérique et une Union européenne n’aurions pu ni relever les défis de la pan-
ment intérieur, d’obtenir la levée des toujours plus étroits et progressivement qui se serait enfin dotée d’une défense démie, ni prendre les premières mesures
sanctions internationales et de préparer bâtir ensemble une Union élargie – une crédible, autrement dit commune. L’Al- de transition verte, ni apporter l’aide re-
sa prochaine offensive. Union à vocation continentale, une seule liance atlantique et l’Europe de la dé- quise à l’Ukraine, ni commencer à réguler
et même Union, mais dont les degrés fense sont aussi indispensables l’une l’univers numérique.
Coopérations renforcées d’intégration politique seront pour long- que l’autre à la sécurité des démocraties Même les nouvelles extrêmes droites
La guerre demeurera rampante en Eu- temps différents. et la France aiderait à imposer cette n’appellent plus à défaire l’Union. Elles
rope tant que cette ambition impériale ­évidence en proposant un candidat au ne parlent plus que de lui substituer ce
habitera le Kremlin et ce n’est donc pas à secrétariat général de l’Organisation du qu’elle n’a jamais cessé d’être – une « Eu-
ce régime d’empoisonneurs et de crimi- traité de l’Atlantique Nord. rope des nations » – et la voie est par
nels de guerre que nous devons tendre la Quant à la quatrième des questions à ­conséquent libre. Allons-y ! Innovons !
main mais à un peuple muselé. Il nous débattre à vingt-sept, c’est l’Afrique. Menons une campagne qui fasse de
faut tout à la fois développer nos fourni- ­Personne d’autre qu’elle-même ne l’Union un grand ensemble politique
tures d’armes à l’Ukraine et nous adres- Bâtissons ensemble ­résoudra ses problèmes. Sa stabilisation cherchant des réponses communes à des
ser directement au peuple russe pour lui ne se fera pas en un jour, mais nous problèmes communs. N’hésitons plus,
dire que son destin n’est pas de devenir une Union ­devons y faciliter la création d’emplois car « on ne croit, disait Talleyrand, qu’en
un vassal de la Chine et que nous som- en y relocalisant nombre des pro­- ceux qui croient en eux ». p
mes prêts à coopérer avec lui sitôt que
à vocation ductions que nos industries avaient dé-
cette agression aura pris fin. continentale, localisées en Asie.
La deuxième question à débattre est C’est un impératif, car ce serait le
l’élargissement de l’Union. Il est vrai qu’il mais dont les degrés moyen de tout à la fois réduire les temps
serait impossible de faire fonctionner à de transport et leur pollution, de dimi-
trente-cinq ou plus des institutions euro- d’intégration nuer la pression migratoire et de jeter les Bernard Guetta est journaliste et
péennes qui grippent à vingt-sept. Il est politique seront bases d’un partenariat mutuellement ­député européen (Renaissance, groupe
encore plus vrai qu’il serait dangereux de bénéfique autour de ce lac eurafricain Renew). Il vient de publier « La Nation
laisser MM. Poutine, Xi et Erdogan s’ins- différents qu’est la Méditerranée. européenne » (Flammarion, 192 p., 20 €)

Brian Castner et Tigere Chagutah Au Soudan, certains Etats

alimentent le conflit en livrant des armes
Les deux cadres d’Amnesty International f­ abriqués en 2020, en Serbie. Des
caisses contenant les mêmes
appellent la France et ses partenaires européens mortiers, sur lesquelles étaient
à faire pression pour qu’un embargo effectif imprimés les mêmes numéros de
lot, ont aussi été trouvées récem-
sur les armes soit imposé au pays, en proie ment au Soudan avec des indica-
à un violent conflit entre généraux depuis avril tions de transport montrant que
ces armes avaient été, à l’origine,
improbable que la MIC puisse
produire assez d’armes pour com-
bler les besoins des FAS dans ce
conflit, ce qui explique pourquoi
des pays comme la Russie leur en
vendent également. Par ailleurs,
les Emirats arabes unis fournis-
sent des armes aux FSR, tout
pour le Darfour, et il n’existe
aucun mécanisme efficace pour
surveiller les ventes internationa-
les ou empêcher les transferts
d’armes illégaux vers le Darfour
en provenance du reste du Sou-
dan ou de pays voisins. Depuis
son entrée en vigueur, en 2004, il
les crimes de guerre sont
aujourd’hui généralisés au Sou-
dan et comment les civils sont
confrontés à des « horreurs inima-
ginables ». Les FAS et les FSR se
moquent du droit international,
tant sur le champ de bataille que
par leur mépris flagrant de l’em-

P
artout au Soudan, des af-
frontements armés et des
frappes aériennes sèment
la mort dans les rues, tan-
dis que le pays s’enfonce dans un
bain de sang. Depuis que des
combats ont éclaté, à la mi-avril,
entre les Forces armées souda-
naises (FAS) et les Forces de sou-
tien rapide (FSR), des milliers de
personnes ont été tuées et près
de 4 millions de nouvelles per-
sonnes ont été déplacées. Les
­espoirs des protestataires de la
société civile, dont les manifes-
tations non violentes ont ren-
versé le gouvernement de l’an-
cien président Omar Al-Bachir
en avril 2019, ne semblent plus
qu’un lointain souvenir.
Le spectre du « nettoyage eth-
nique » plane de nouveau au-
dessus du Darfour. Certaines
communautés vivant dans cette
région, notamment les mem-
bres de l’ethnie Masalit, ont été
prises pour cibles par les FSR et
les milices arabes alliées. Des
c­ ivils réfugiés au Tchad nous ont
raconté que des membres de ces
deux forces les ont attaqués
d’abord dans leur ville, puis lors-
qu’ils ont tenté de fuir, tuant et
blessant de nombreuses person-
nes. Pendant ce temps, au lieu
d’apporter une aide humani-
taire, certains Etats alimentent
activement le conflit en livrant
des armes et des munitions.
Début juin, deux mois après le
début de ce nouveau conflit, les
FAS ont abattu un drone utilisé
par les FSR. Cet aéronef était un
gros quadricoptère à décollage et
atterrissage verticaux transpor-
tant une charge de deux mortiers
de 120 millimètres. Bien qu’on
ignore quelle entreprise a fabri-
qué ce drone, le site d’investiga-
tion en sources ouvertes Oryx a
identifié des appareils identiques
en Ethiopie et au Yémen. Dans les
deux cas, les drones avaient été
fournis par les Emirats arabes
unis. Les inscriptions sur les mor-
tiers témoignent qu’ils ont été
livrées aux Emirats arabes unis.
Chargement provenant de Libye
Alors que ce conflit devient rapi-
dement incontrôlable et que les
populations civiles sont les prin-
cipales victimes (morts, blessu-
res, déplacements), aucun Etat ne
doit accroître leurs souffrances et
le Conseil de sécurité des Nations
unies doit imposer un embargo
total sur les armes pour tout le
Soudan. Il convient toutefois de
faire preuve de réalisme quant
aux effets concrets à court terme
d’un embargo sur les armes sur
les combats en cours.
Le Soudan est inondé d’armes
légères et l’entreprise d’Etat Mili-
tary Industry Corporation (MIC)
produit un vaste arsenal allant
des roquettes à l’artillerie, en pas-
sant par les bombes aériennes.
Certaines de ces armes, telles que
les mitrailleuses W85, sont fabri-
quées sous des licences chinoises,
mais d’autres sont des contrefa-
çons ­illégales de modèles soviéti-
ques ou iraniens d’origine. Il est
comme le ­général Khalifa Haftar,
chef des Forces armées arabes li-
byennes, qui dirigent de facto une
grande partie de l’est et du sud de
la Libye, ainsi que la société mili-
taire privée russe Wagner.
Amnesty International appelle
à un embargo complet sur les
­armes qui remplacerait l’actuel
embargo, pratiquement fictif.
­Celui-ci ne s’applique en effet que
Alors que
les civils sont
les principales
victimes, aucun
État ne devrait
accroître leurs
souffrances
est resté quasiment sans effet.
Ainsi, dans son dernier rapport,
publié en février, le Groupe d’ex-
perts des Nations unies sur le
Soudan a relevé qu’un important
chargement d’armes en prove-
nance de Libye était arrivé au
Darfour. Il comportait notam-
ment des mitrailleuses lourdes et
des fusils-mitrailleurs, des lance-
roquettes, des véhicules tout-ter-
rain et des systèmes de défense
antiaérienne.
Ces armes ont ensuite été trans-
férées à des groupes armés au
Darfour sans aucun obstacle ni
contrôle, ni même le moindre do-
cument à fournir. Le Groupe d’ex-
perts note ironiquement que « de
multiples nouveaux véhicules tech-
niques tout-terrain », notamment
27 véhicules blindés de transport
de troupes, ont été présentés aux
FSR lors d’une manifestation pu-
blique, ce qui constituait une vio-
lation de l’embargo sur les armes.
Il y a un mois, Amnesty Interna-
tional publiait un nouveau rap-
port détaillé, qui montre combien
bargo sur les armes. C’est pour-
quoi la France et ses partenaires
européens doivent, de toute ur-
gence, pousser les institutions in-
ternationales et les Etats concer-
nés par ces ventes à mettre en
place un embargo effectif sur les
armes à destination du Soudan.
Créer et appliquer demain un
embargo sur les armes à destina-
tion du Soudan n’arrêtera pas les
homicides de civils, mais, quand
on veut lutter contre un incendie,
il semble tout de même logique
de cesser de jeter de l’essence sur
les flammes. p
Brian Castner est spécialiste
en armements et conseiller
principal de l’équipe Réaction
aux crises d’Amnesty Interna-
tional ; Tigere Chagutah est
directeur régional d’Amnesty
International pour l’Afrique
de l’Est et l’Afrique australe

26 | Idées
A la recherche
du devoir
d’exemplarité
Simple respect de la loi, de la décence, vertu, transparence ou héroïsme : quelle
« exemplarité » attendons-nous de nos dirigeants ? Si cette notion a envahi le discours
politique, ses contours sont flous et semblent évoluer au gré des scandales
I
l est brandi au sujet des vacances de l’ex-
ministre de l’éducation Jean-Michel
Blanquer, à Ibiza en plein Covid-19 et
des lumières qui restent allumées la
nuit au ministère de la transition écolo-
gique ; revendiqué par le député La
France Insoumise (LFI) du Nord Adrien Qua-
tennens, lorsqu’il reconnaît avoir giflé son
ex-épouse, puis encore lorsqu’il se met en
retrait de son poste à l’Assemblée nationale ;
opposé aussi bien au député Europe Ecolo-
gie-Les Verts (EELV) du Val-d’Oise Aurélien
Taché, lorsqu’il se rend, ivre, à une pièce de
théâtre, qu’à Nicolas Sarkozy, deux fois con-
damné et qui sera jugé, début 2025, pour
« corruption passive, association de malfai-
teurs, financement illégal de campagne élec-
torale et recel de détournement de fonds pu-
blics libyens ». Si l’exemplarité est un devoir,
ses contours s’avèrent flous et se modifient
au gré des scandales. Où commence et s’ar-
rête le « devoir d’exemplarité » ?
« Le terme d’“exemplarité” a récemment en-
vahi notre corpus normatif, davantage
comme un slogan que comme un concept
précisément défini », écrit Eric Buge, ancien
secrétaire général adjoint de la Haute Auto-
rité pour la transparence de la vie publique
(HATVP) et auteur de Droit de la vie politique
(PUF, 2018). L’exemplarité « n’a pas de
­contenu propre ». L’ex-secrétaire d’Etat Mar-
lène Schiappa manque-t-elle au même de-
voir lorsqu’elle pose pour Playboy et qu’elle
est mise en cause dans l’affaire du fonds Ma-
rianne ? Le garde des sceaux, Eric Dupond-
Moretti, lorsqu’il fait un bras d’honneur
dans l’Hémicycle et qu’il est renvoyé devant
la Cour de justice de la République pour
« prise illégale d’intérêts » ? Ce qui pourrait
constituer un devoir positif d’exemplarité
relève encore de textes « qui ont une portée
symbolique mais pas contraignante », selon
Jean-François Kerléo, professeur de droit pu-
blic à Aix-Marseille Université d’. La notion
La vertu en politique, une conception aux frontières mouvantes
Comment assurer l’intégrité des
gouvernants ? La question a été au
cœur de la réflexion politique depuis
l’Antiquité. Il existe, selon Eric Buge,
ancien secrétaire général adjoint de la
Haute Autorité pour la transparence
de la vie publique, deux modèles : l’un
est fondé sur l’intégrité des individus,
l’autre sur celle des institutions. Le pre-
mier consiste « à susciter la vertu dans
leur personne, notamment au travers
de l’éducation ou de la création d’une
culture politique adéquate ». C’est la
voie de Platon, celle de l’Antiquité ro-
maine, des humanistes de la Renais-
sance ou des jacobins. A Rome, la vertu
était au fondement de l’aptitude à
exercer le pouvoir. Les censeurs gèrent
le registre des personnes admises au
Sénat ; ils inspectent leur vie publique
et leur vie privée : se comportent-ils
bien avec leur famille, avec leurs escla-
ves ? Gèrent-ils bien leur propriété ?
Même sous la monarchie absolue,
une forme de devoir d’exemplarité
existe. Les monarques de l’Ancien Ré-
gime doivent suivre scrupuleusement
la praxis religieuse. « L’exemplarité est
pensée à l’aune des vertus chrétiennes :
le souverain est-il charitable, est-il bon,
pieux, sincère ? », décrypte l’historien
spécialiste du catholicisme moderne
Olivier Christin. La légitimité du mo-
narque lui venant de Dieu, il ne doit
« attend encore de prendre corps pleinement
dans l’organisation du pouvoir ».
Si l’usage du vocable a explosé depuis le
milieu des années 1980, la notion d’un de-
voir d’exemplarité des gouvernants n’a rien
de nouveau. « On peut faire une généalogie
du principe, qui apparaît sous différents ter-
mes, recouvrant différentes exigences », sou-
ligne Eric Buge. Il reflète les valeurs domi-
nantes d’une société : le puritanisme aux
Etats-Unis, les honneurs dus aux ancêtres à
Athènes, la Rome républicaine qui imposait
à tout candidat à une magistrature d’avoir
accompli ses campagnes militaires.
« Aujourd’hui, on est essentiellement attentif
à ce que les plus hauts responsables politi-
ques, et notamment les membres du gouver-
nement, aient rempli leurs obligations fisca-
les et ne se placent pas en situation de conflit
d’intérêts », note Eric Buge.
« À bas l’Inquisition ! »
L’exemplarité contemporaine se cherche en-
core une définition capable de mettre tout le
monde d’accord. Le Larousse la définit
comme le « caractère de ce qui est exem-
plaire, de ce qui est destiné à servir de leçon
en frappant les esprits ». « Le mot est polysé-
mique, note Lucien Jaume, philosophe du
politique. “Exemplaire” désigne aussi bien ce
qui est le membre d’une série d’objets identi-
ques entre eux (un exemplaire du Monde) et
la supériorité en valeur ou le caractère excep-
tionnel d’un être. » Les gouvernants doivent-
ils être conformes, ressembler aux ci-
toyens ? Servir de modèles ? Ou être soumis
à un régime exceptionnel ? Doivent-ils
être parfaits, ou plus que parfaits ?
Pour les juristes Olivier Beaud et Denis Ba-
ranger, la demande d’exemplarité « repose
sur une logique élitiste, sur le principe selon
lequel “noblesse oblige” ». Si une telle exi-
gence présente des affinités avec un régime
aristocratique, elle n’aurait pas lieu d’être en
pas de comptes au peuple. L’idée de
corruption « est complètement ana-
chronique avec les monarques », af-
firme le spécialiste. Quant aux
mœurs, « la tolérance sexuelle était in-
croyable. Louis XIV et Louis XV étaient
des consommateurs sexuels névroti-
ques », sans que cela leur vaille une
véritable réprobation morale.
Un sacrifice pour le bien public
La conception de l’exemplarité
change beaucoup à l’époque mo-
derne, Machiavel en proposant une
pensée sécularisée. « Il défend l’idée
que l’exemplarité n’est pas forcément
nécessaire. Ce qui compte, c’est d’avoir
l’air exemplaire, quelle que soit sa
­conduite », explique la philosophe
Laurence Devillairs. Le Prince est ver-
tueux au sens où il fait ce qui est utile,
« y compris, parfois, embrasser le mal.
La finalité, c’est toujours de conserver
le pouvoir pour le bien du peuple ».
Avec Hobbes, Locke et Rousseau, les
théories du contrat social créent des
obligations pour le souverain, dont
l’autorité n’émane plus de Dieu. Mon-
tesquieu développe le lien entre dé-
mocratie et vertu, proposant une
analyse politique, et non morale, de la
corruption. « Montesquieu dit que l’on
ne peut plus compter sur la vertu indi-
viduelle ni sur la vertu chrétienne, ex-
démocratie. « On demande aux gouvernants
de se comporter en égaux des gouvernés et
on n’attend pas d’eux une supériorité de quel-
que nature que ce soit, en tout cas pas une su-
périorité éthique », écrivent-ils en 2013.
L’exemplarité est-elle une « supériorité éthi-
que » demandée à nos gouvernants ? Une
grandeur d’un autre âge ?
« Les élus sont soumis à une double injonc-
tion contradictoire, analyse Etienne Ollion,
sociologue au CNRS et auteur du livre Les
Candidats. Novices et professionnels en politi-
que (PUF, 2021). D’un côté, on leur demande
d’être des gens normaux, des citoyens ordinai-
« La tendance res, de ne pas être des “professionnels de la po-
structurelle litique”. De l’autre, on leur demande d’être plus
exemplaires – de ne pas avoir été condamnés,
est remarquable : de ne jamais s’être trompés, de ne pas avoir de
fréquentations peu respectables, etc. Or les
la vertu gens ordinaires commettent des erreurs. »
Depuis dix ans, après l’affaire Cahuzac, les
ne se présume efforts pour formaliser la notion d’exempla-
plus, elle se rité se sont concentrés sur la transparence
financière et les conflits d’intérêts. François
démontre grâce à Hollande avait juré que lui, président, ferait
en sorte que son comportement « soit à cha-
la transparence » que instant exemplaire ». Il avait appelé,
Béligh Nabli après les révélations sur le compte suisse du
politiste ministre des finances, à un « choc de morali-
sation ». Les lois du 11 octobre 2013 relatives à
la transparence de la vie publique ont défini
pour la première fois le conflit d’intérêts en
droit. Autre avancée majeure : la création du
Parquet national financier en 2013, chargé
de traquer la grande délinquance économi-
que et financière, et de la HATVP la même
année, conçue pour promouvoir la probité
et la transparence financière au sein de la
sphère politique et publique. Des milliers de
serviteurs de l’Etat (dont la liste ne cesse de
s’allonger) doivent désormais remplir des
déclarations de patrimoine et d’intérêts.
Les premières demandes de la HATVP
avaient rencontré sarcasmes et mauvaise
plique la philosophe spécialiste des ges du passé, le patriotisme et le sacri-
Lumières Céline Spector. Ce qu’il faut fice de soi à la guerre », rappelle Lucien
alors penser, c’est l’équilibre des pou- Jaume, philosophe du politique.
voirs et des contre-pouvoirs, de telle Mais c’est du bon agencement des
sorte que les ambitions se répondent. » institutions que l’on attend désormais
Les révolutionnaires reprennent le la garantie d’un comportement ver-
culte romain de la vertu. Elle est alors tueux des gouvernants. « Le libéra-
« un concept à composantes multiples, lisme politique troque la morale indivi-
alliant républicanisme classique, vertu duelle des gouvernants comme forme
naturelle, pensée religieuse, et le motif de bon gouvernement contre une
du sacrifice de soi au nom du bien pu- forme exclusivement institutionnelle et
blic », écrivent Marisa Linton et Michel mécaniste du pouvoir », analyse Jean-
Biard dans Terreur ! La Révolution François Kerléo, professeur de droit
française face à ses démons (Armand public à Aix-Marseille Université.
Colin, 2020). Les gouvernants doivent Pour autant, « l’exemple de la Terreur
être dénués de toute ambition per- révolutionnaire a balayé, en France,
sonnelle et de tout désir de gloire. La l’idée que la vertu puisse avoir quoi que
vertu se prouve par l’acceptation ce soit à faire en politique », souligne
éventuelle du sacrifice pour le bien Eric Buge. Jean-Luc Mélenchon est l’un
public. La dénonciation, « outil-clé » des rares hommes politiques à y con-
de la terreur, est perçue comme un sacrer un livre : De la vertu (L’Observa-
acte civique de dévouement au bien toire, 2017). « La gauche a ­com­-
­commun. Saint-Just propose de décla- plètement laissé tomber cet héritage de
rer en mairie la liste de ses amis. la pensée républicaine, estime Olivier
Aucun décalage entre les actes et les Christin. C’est une défaite. On a fini par
discours n’est toléré, et « tous les as- oublier que la vertu de la Révolution, ce
pects de l’identité des gouvernants sont n’étaient pas les ligues de vertu, les ver-
soumis à l’examen des citoyens ». tus chrétiennes – la tempérance, la fidé-
Le recours à une rhétorique de la lité conjugale, la charité –, mais des ver-
vertu perdure au XIXe siècle. La IIIe Ré- tus politiques et civiques : le don de soi,
publique, qui tenait la phase initiale le renoncement à l’intérêt, l’intérêt gé-
de la Révolution en haute estime, se néral, la poursuite du bonheur pour
préoccupait vivement d’exemplarité, tous, le désintéressement. » p
incarnée dans « les grands personna- Valentine Faure
0123
­
­Samedi 2­ septembre 2023
volonté. « A bas l’Inquisition ! » et « vive le
­cumul ! », griffonna ainsi le député UMP Jac-
ques Myard sur sa déclaration. Interrogé par
Sud Radio, l’ex-député Henri Guaino trou-
vait la mesure « dégradante et mortelle pour
la démocratie », allant jusqu’à « remettre en
question la poursuite de [s]es activités politi-
ques ». Ces mesures « nourrissent plus le po-
pulisme qu’elles ne vont régler les problè-
mes », disait même le président de l’Assem-
blée nationale, Claude Bartolone. Dix ans
plus tard, seule une poignée de députés a
tardé à répondre : la HATVP s’est installée
dans les mœurs.
« La tendance structurelle est remarquable :
la vertu ne se présume plus, elle se démontre
grâce à la transparence », explique Béligh
Nabli, politiste auteur de La République du
soupçon. La vie politique au risque de la
transparence (Cerf, 2018). Les contraintes qui
pèsent sur les gouvernants n’ont plus rien à
voir avec ce qu’elles étaient avant que les
premiers textes de loi des années 1980 ne
commencent à structurer le financement de
la vie politique.
Exigence de probité
Ont-elles rendu les élus et gouvernants plus
exemplaires ? Difficile à dire. « Certaines in-
fractions ont disparu », relevait en 2019 le
président de la HATVP, Jean-Louis Nadal,
dans Le Monde – l’omission de déclaration
de comptes ouverts à l’étranger, notam-
ment. Elles produisent aussi, mécanique-
ment, des affaires. « On peut dire que l’affaire
Fillon ne serait jamais sortie s’il n’y avait pas
eu d’obligation de déclaration d’intérêts sous
le contrôle de la HATVP », remarque Pierre
Lascoumes, sociologue et juriste spécialiste
de la corruption. Jean-Paul Delevoye, ancien
haut-commissaire chargé des retraites, a dé-
missionné en 2019 après avoir omis de dé-
clarer à la HATVP une dizaine de mandats,
dont plusieurs étaient susceptibles de géné-
rer des conflits d’intérêts.
Malgré les efforts conduits en la matière, le
baromètre de la confiance politique du Cevi-
pof de février indique que 69 % des Français
jugent le personnel politique « plutôt cor-
rompu ». « Force est de constater que les rè-
gles actuelles d’exemplarité n’ont à ce jour
pas suffi à ramener la confiance dans les gou-
vernants, note Eric Buge. Il y a de plus en plus
de règles, mais la confiance ne progresse
pas. » Selon un sondage Elabe de septem-
bre 2019, 61 % des personnes interrogées es-
timaient que les diverses lois de moralisa-
tion de la vie publique n’avaient pas amé-
lioré la transparence ni restauré la confiance
dans la vie politique. Selon le baromètre de
la confiance Sciences Po-Cevipof-Opi-
nionWay de janvier 2022, 75 % des sondés es-
timent que notre pays « a perdu sa boussole
morale ». La lutte menée au nom de la trans-
parence « apparaît comme un vecteur insuf-
fisant d’assainissement de la vie publique, ré-
sume Béligh Nabli. Moraliser la vie politique
ne se limite pas à établir un registre des bon-
nes pratiques de nos élus ».
La consultation citoyenne « Ma France
2022 » montre pourtant que « l’exemplarité
des responsables politiques et la limitation de
leurs avantages » arrivent en tête des priori-
tés, loin devant le pouvoir d’achat, l’écologie
ou la hausse des moyens alloués à la santé.
Mais de quelle exemplarité s’agit-il ? La
question de la vie privée, longtemps tenue à
l’écart des exigences de transparence, vient
encore compliquer la réponse.
Le mouvement #metoo et la montée des
préoccupations écologiques sont venus
étendre le champ de la demande d’exempla-
rité en fournissant un nouveau terrain de
0123
­
­Samedi 2­ septembre 2023
Tali Randall
contradictions potentiel entre convictions
affichées et comportement privé. « L’exi-
gence de transparence et d’intégrité deman-
dée à nos représentants vaut aussi pour leur
capacité à ne pas exercer de violences, écri-
vait un collectif de féministes, parmi lesquel-
les Danièle Obono (LFI) et Laurence Rossi-
gnol (PS), dans une tribune au Monde. Des
progrès ont été réalisés en matière de trans-
parence financière de la vie publique. A
quand une évolution similaire concernant les
violences envers les femmes et les enfants ? » A
l’exigence de probité s’ajoutent des attentes
d’un autre ordre. Selon le baromètre Odoxa
de septembre 2022, 69 % des sondés récla-
ment aux hommes et femmes politiques
« plus de transparence sur leur vie privée ». Les
enquêtes du baromètre de la confiance du
Cevipof devraient bientôt intégrer ces sujets,
désormais « constitutifs du jugement qu’un
électeur porte sur la qualité d’un élu », selon
Bruno Cautrès, chercheur au Cevipof et spé-
cialiste des comportements politiques.
« Supplément d’âme »
Le soutien de Jean-Luc Mélenchon, grand
admirateur de Robespierre et auteur du li-
vre De la vertu (L’Observatoire, 2017), à
Adrien Quatennens, dont il avait salué la
« dignité » et le « courage », lui a valu une
chute de sa cote de popularité – plus encore
qu’à l’auteur des violences lui-même. LFI et
EELV ont créé respectivement un « comité »
et une « cellule » de suivi contre les violences
sexistes et sexuelles. Mais la gestion désac-
cordée des affaires Adrien Quatennens, Eric
Coquerel ou Taha Bouhafs a mis au jour les
visions différentes de l’exemplarité atten-
due d’une personnalité politique, au sein
d’un même parti. Pas de cellule de ce type à
droite ou dans la majorité, malgré des
­concessions oratoires à cette nouvelle vi-
sion de l’exemplarité qui semble se dessiner.
« Y compris dans le champ de ce qui n’est pas
pénalement répréhensible, il y a des compor-
tements que l’on n’a pas envie de voir », esti-
mait ainsi la première ministre, Elisabeth
Borne, au magazine Elle en juillet 2022. Visi-
blement éloigné de cette position, le minis-
tre de l’intérieur, Gérald Darmanin, préférait
pour sa part ironiser sur BFM-TV : « Est-ce
que je suis exemplaire ? Il faudra le demander
à mon épouse. » La cour d’appel de Paris a
confirmé, en janvier, le non-lieu rendu en sa
faveur en juillet 2022.
La demande d’exemplarité qui se dessine
au gré des « affaires » apparaît ambivalente.
« Elle correspond parfois à l’application de rè-
gles dans un contexte non juridiquement
contraint », note Jean-François Kerléo. L’ex-
ministre de la transition écologique Fran-
çois de Rugy, « tombé » en 2019 pour ses dî-
ners fastueux aux frais de l’Etat lorsqu’il
était président de l’Assemblée nationale,
n’avait pas enfreint la loi, mais plus simple-
ment la décence ordinaire.
« A un élu on demande un respect plus aigu
de la règle », avait asséné le procureur, lors
du procès de l’ex-secrétaire d’Etat Rama
Yade, en 2013, pour faux et usage de faux,
avant qu’elle soit relaxée. Mais comment
respecter une règle de façon « plus aiguë » ?
La notion d’exemplarité est « de plus en plus
sollicitée par les juges », estime Cécile Bar-
gues, professeure de droit public à Paris-
Panthéon-Assas. A la Cour de justice de la
République, où siègent des juges parlemen-
taires, elle est utilisée pour justifier des
­condamnations qui demeurent essentielle-
ment morales. Mais elle l’est d’autant plus
« que la peine prononcée demeure bien en
deçà du maximum prévu par la loi », affirme
Cécile Bargues. Les choses sont différentes
devant les tribunaux ordinaires, où la no-
tion d’exemplarité vient « s’ajouter aux ar-
guments juridiques, dont elle s’efforce parfois
de pallier la faiblesse », poursuit-elle. Ce n’est
pas la loi qui est transgressée, mais une
forme de « supplément d’âme » qui est ba-
foué, comme dit Jean-François Kerléo, et
« qui se greffe sur le droit en vue de l’envelop-
per d’une couverture morale ».
Si « certains actes non prohibés et réprimés
par la loi sont réprouvés par les citoyens, ré-
sume Béligh Nabli, inversement, certains
comportements délictueux sont tolérés. Les
citoyens ne rejettent pas systématiquement
un responsable politique impliqué dans une
« Ce qui est “affaire de corruption” ».
L’exemplarité attendue n’est pas la même
en cause, ce n’est pour un élu local que pour un ministre. « Les
pas le niveau citoyens ont un niveau de tolérance plus élevé
quand il s’agit d’acteurs politiques de proxi-
de moralité/ mité, dit Pierre Lascoumes. Ils les voient au
travail, ils voient les résultats. » Plusieurs fois
immoralité condamné, Patrick Balkany a ainsi été réélu
des dirigeants. quatre fois à la mairie de Levallois-Perret
(Hauts-de-Seine) par des administrés visi-
L’essentiel blement satisfaits. Incarcéré, il était, en 2019,
encore crédité de 44 % des intentions de
réside dans vote. Visage du clientélisme, il disait se
la conception ­réjouir que ses électeurs soient « indifférents
aux affaires judiciaires qui n’intéressent que
que les citoyens la presse ». C’est ce que l’on nomme le « syn-
drome Teflon », dont on affuble les person-
se font nes sur qui les condamnations n’accrochent
pas. C’était le cas du président Jacques
du politique » ­Chirac : en 2012, il conservait près de 70 %
Pierre Lascoumes d’avis favorables, malgré sa condamnation
sociologue et juriste dans l’affaire des emplois présumés fictifs
de la Ville de Paris. Au fond, « ce qui est en
cause, ce n’est pas le niveau de moralité/im-
moralité ou de normativité/laxisme des diri-
geants politiques, analyse Pierre Lascoumes.
L’essentiel réside dans la conception que les ci-
toyens se font du politique ».
La demande d’exemplarité serait le
« nom » d’autre chose, d’un désabusement
vis-à-vis du politique. Les premières lois qui
commencent à dessiner sans le nommer le
« devoir d’exemplarité » remontent au mi-
lieu des années 1980, au moment où, dans
Idées | 27
un contexte de montée du chômage, des
inégalités sociales, de la mondialisation éco-
nomique et du désengagement de l’Etat-
providence, grandit « le sentiment d’une dé-
connexion du politique et de sa capacité à ré-
pondre à ce qui est en train de se passer »,
pointe le politiste Bruno Cautrès.
« Les citoyens semblent avoir mûri, élevant
le niveau de leur exigence au fur et à mesure
que s’est abaissé celui du respect qu’ils témoi-
gnent à l’égard de leurs dirigeants et de
l’Etat », écrivait en 2001 le constitutionna-
liste Guy Carcassonne dans un article (« Le
trouble de la transparence », Pouvoirs) qui
mettait en garde contre l’exigence grandis-
sante de transparence. « Si l’on observe la
conjoncture immédiate dans laquelle ces pre-
mières lois ont pu voir le jour, relève le pro-
fesseur de science politique Eric Phélippeau
dans la revue juridique Jus Politicum, il est
aisé de voir à quel point tant la majorité que
l’opposition étaient divisées et cherchaient à
se distinguer politiquement sans nécessaire-
ment se concerter, se coaliser. »
Dans La Contre-démocratie. La politique à
l’âge de la défiance (Seuil, 2006), l’historien
Pierre Rosanvallon faisait de cette demande
de transparence le symptôme d’un « aban-
don des objectifs proprement politiques au
profit de la valorisation de qualités physiques
et morales ». La puissance du peuple s’expri-
merait dans ce contrôle, ces sanctions, faute
de se voir exercer positivement en actes. « La
transparence est devenue la vertu qui s’est
substituée à la vérité ou à l’idée d’intérêt gé-
néral dans un monde marqué par l’incerti-
tude », analyse l’historien. S’avérant « peu ca-
pables de contraindre les gouvernements à
conduire certaines actions », les citoyens
« ont retrouvé une forme d’efficacité en multi-
pliant les sanctions à l’égard du pouvoir ».
Une « idéologie de la transparence » se serait
substituée à l’idéal démocratique de produc-
tion d’un monde commun.
« Discours consensuel »
L’exemplarité est ainsi devenue un thème
incontournable des campagnes électorales.
Les trois derniers présidents français, quoi-
que aspirant à incarner des modèles d’exer-
cice du pouvoir très différents – hyperprési-
dence pour Sarkozy (qui visait une « démo-
cratie exemplaire »), normalité pour
Hollande, efficacité technocratique pour
Macron –, ont tous promis une « République
exemplaire ». « C’est une sorte de slogan ra-
masse-tout : personne n’est favorable à la cor-
ruption », juge Pierre Lascoumes. En 2017,
Emmanuel Macron, qui voyait dans l’affaire
Fillon une « lèpre démocratique », avait
même fait de la « moralisation de la vie poli-
tique » une priorité de son programme. Puis
les affaires se sont enchaînées. Le collectif
Lui Président, groupe de fact-checking
animé par les étudiants de l’Ecole supé-
rieure de journalisme de Lille, a mesuré que
c’est en matière de réformes des institutions
et de moralisation de la vie publique que le
président a le plus failli à ses promesses (no-
tamment l’interdiction à des personnes
ayant un casier judiciaire de se présenter à
une élection, la limitation du cumul à trois
mandats identiques successifs, l’audition
des nouveaux ministres à l’Assemblée).
Quand le discours sur la conduite exem-
plaire devient une incantation impuissante,
un mantra vide d’effets, quelle confiance est
possible ? L’historien grec Thucydide (Ve siè-
cle av. J.-C.) qui pointait les dangers de la cor-
ruption à Athènes, notait déjà que « les mots
étaient détournés de leur sens ordinaire », au
point que la délibération publique perdait
son sens. « Notre République démocratique a
cédé au discours consensuel sur la moralisa-
tion de la vie politique, instrument rhétorique
qui la pare des vertus de la morale », constate
Béligh Nabli. L’exemplarité contemporaine
se cherche encore un modèle. p
Valentine Faure

28 | Idées
Pour le président, La vraie vie de l’éducation nationale
le risque d’une école Livres
« domaine réservé »
Analyse
E
n cette fin d’été, alors
que la communauté
éducative attendait que
le ministre de l’éduca-
tion nationale, Gabriel Attal, con-
firme le retour des épreuves du
baccalauréat de mars à juin, c’est
Emmanuel Macron qui, dans un
entretien publié le 23 août par Le
Point, a entériné l’idée qu’il ne
pouvait pas y avoir d’épreuves « si
tôt dans l’année ».
Ce n’est pas la première fois que
le président de la République
coupe l’herbe sous le pied de ses
ministres. C’est lui qui a annoncé
l’instauration du « pacte ensei-
gnant », qui consiste à rémunérer
les professeurs pour des missions
supplémentaires, lui aussi qui a
porté la réforme du lycée profes-
sionnel, allant jusqu’à détailler à
l’euro près la gratification des ly-
céens stagiaires. Lui encore qui,
en juin, a annoncé de nouvelles
mesures pour l’éducation priori-
taire, en l’absence de son minis-
tre d’alors, Pap Ndiaye.
L’entretien d’Emmanuel Macron
dans Le Point marque cependant
un tournant. Pour la première
fois, il explique que l’éducation est
un « domaine réservé du prési-
dent ». L’expression n’est pas em-
ployée par hasard. Elle renvoie à
un usage selon lequel la défense et
les relations internationales sont
des prérogatives présidentielles.
On attribue cette idée au gaul-
liste Jacques Chaban-Delmas, qui,
en 1959, alors qu’il est président
de l’Assemblée nationale, offre
une lecture de la toute nouvelle
Constitution de la Ve République,
en en précisant le sens. Celle-ci
prévoit que le président est le
chef des armées (article 15) et le
garant de l’indépendance et de
l’intégrité du territoire national
(article 5) : la défense et la diplo-
matie seraient donc naturelle-
ment le « domaine réservé » du
président, les affaires intérieures
revenant au premier ministre.
La présidentialisation du ré-
gime est cependant en marche et,
pour ce qui concerne l’école, le
président s’en mêle déjà : le géné-
ral de Gaulle signe l’ordonnance
d’allongement de la durée de sco-
larisation obligatoire jusqu’à
16 ans en 1959, et joue la même
année un rôle décisif dans la loi
Debré, qui instaure le finance-
ment public de l’enseignement
privé. Après lui, les présidents
persistent à se mêler des affaires
scolaires, parfois dans les moin-
dres détails : au tout début des an-
nées 1980, alors que le ministre
de l’éducation Alain Savary a déjà
acté la suppression des mentions
au baccalauréat, François Mit-
terrand en personne lui demande
de les rétablir. En 1984, le prési-
dent socialiste défend personnel-
lement le « grand service public
unifié et laïque de l’éducation na-
tionale », alors que le mouvement
pour la défense de l’école privée
met en difficulté son ministre.
Annoncer dans la presse que
l’éducation est un « domaine ré-
servé » n’a donc pas de consé-
quences concrètes en soi : parce
que l’expression renvoie à une
coutume plutôt qu’à des bases ju-
ridiques réelles, et parce que le
président Macron sait bien qu’il
n’est pas le premier chef de l’Etat
à se préoccuper du système sco-
Emmanuel Macron
engage sa
responsabilité
dans l’éventualité
où les résultats
ne seraient pas
au rendez-vous
Le retour
à l’autorité
du maître tend
à hérisser
les enseignants
et à plaire
à la droite
laire, dans un pays où les fonde-
ments de l’école et de la nation
sont profondément liés.
En revanche, le fait de définir
l’éducation comme prérogative
présidentielle pose question. Em-
manuel Macron n’a plus à compo-
ser ni avec Jean-Michel Blanquer,
un excellent connaisseur du sys-
tème qui en défendait une vision
précise, ni avec Pap Ndiaye, plus
effacé mais non moins habité de
convictions et dont le projet sur la
mixité scolaire, visant à contrain-
dre les écoles privées à inscrire
plus d’élèves boursiers, a été édul-
coré par le président. Désormais,
la communication entre Emma-
nuel Macron et Gabriel Attal de-
vrait fonctionner sans accroc :
outre une entente manifeste sur
le plan des idées, le ministre est
un soutien fidèle du président. Il
n’y a donc pas, a priori, de béné-
fice stratégique à reprendre la
main sur ce ministère.
Nombreux intérêts opposés
Cette déclaration constitue, par
ailleurs, une prise de risque. Défi-
nir un « domaine réservé », c’est
engager sa responsabilité dans
l’éventualité où les résultats ne se-
raient pas au rendez-vous. Sur les
questions de défense et de diplo-
matie, enjeux éloignés du quoti-
dien des Français, le consensus
d’« union nationale » se fait plutôt
naturellement. Mais pour l’école,
c’est moins simple. D’abord parce
qu’on a plus vite fait de jeter dans
la rue des centaines de milliers de
Français mécontents (comme
François Mitterrand et Alain Sa-
vary en 1984), ensuite parce que
les intérêts s’opposent. Le plus
souvent entre familles et ensei-
gnants (ce fut le cas en 2014, lors
de la réforme des rythmes scolai-
res), mais aussi, parfois, entre la
communauté éducative, parents
et enseignants confondus, et son
ministère : la réforme du bac et
son détricotage en cours en sont
un bon exemple.
Que cherche alors le président ?
A se positionner comme garant de
ce qui fonde la nation, en action-
nant des leviers toujours efficaces
pour emporter l’adhésion du plus
grand nombre. Le retour aux sa-
voirs fondamentaux et à l’autorité
du maître, mentionné dans
Le Point, tend à la fois à hérisser les
enseignants et à plaire à un électo-
rat de droite qu’il veut retenir.
Dans le même mouvement, il con-
cède aux enseignants un gage de
taille avec l’abandon des épreuves
de mars du baccalauréat, distri-
buant ainsi aux uns et aux autres
des signes d’apaisement.
Pourtant, en cette rentrée, sa ca-
pacité à se mêler de tout agace
une profession qui a déjà en par-
tie rompu avec la figure présiden-
tielle : selon le Cevipof, 23 % des
enseignants ont voté pour Em-
manuel Macron en 2022 (le prési-
dent a ­cumulé 27,9 % des voix à
l’échelle nationale au premier
tour) contre 36 % en 2017. S’arro-
ger le portefeuille éducatif pour-
rait donc remplir une autre fonc-
tion : dans un domaine qui relève
presque exclusivement du régle-
mentaire, on peut réformer sans
faire de lois, donc sans passer par
le Parlement. En l’absence de ma-
jorité, l’école sera un terrain de
choix pour donner le sentiment
d’avancer. p
Violaine Morin
L
e foot et le centre de la cour de récréa-
tion pour les garçons, la danse et les
conciliabules dans un coin pour les
filles. Quoi de plus « naturel » ? De
même, n’est-ce pas la modestie innée
des filles et leur goût du rangement qui les font
se précipiter pour ramasser lorsque, dans la
classe, un objet tombe ? Quant au jeu innocent
consistant à « attraper les filles », n’est-il pas
conforme au besoin masculin de s’affirmer ?
Avec leur livre Entrer en pédagogie féministe,
c’est contre la force insidieuse de ces compor-
tements stéréotypés et socialement cons-
truits que se battent Véronique Decker, ex-di-
rectrice d’école à la retraite, et Audrey Chenu,
professeure des écoles en exercice. Ces mili-
tantes pédagogiques tendance Freinet ont
travaillé ensemble durant huit ans à l’école
Marie-Curie de Bobigny. A la fois journal de
bord de leur combat féministe et exhortation
à le rejoindre, leur livre, par son ancrage dans
le réel et son ton posé, marque la production
éditoriale de cette rentrée scolaire.
Les signes et les gestes de la domination
masculine sont précoces, nombreux, imprè-
gnent les mentalités aussi bien dans les fa-
milles que dans le cadre scolaire. La norme
inégalitaire peut aussi être inconsciemment
reproduite par le personnel enseignant, ne se-
rait-ce qu’en laissant faire. C’est pourquoi, af-
firment-elles, « le premier acte de l’éducation
féministe » est l’attention à ne pas agir « natu-
rellement », l’objectif étant d’appréhender
pour la modifier « une situation d’aliénation
des femmes héritée des générations précéden-
tes ». Cette modification passe au jour le jour
par un ensemble de microdécisions et de stra-
tégies subtiles, dans la conduite de la classe, la
réception de la parole des élèves, la manière
de poser fermement certaines limites…
Ces stratégies, qu’elles décrivent, s’appuient
sur les principes officiels de l’égalité entre les
Le facteur humain | par Serguei
Dans les urnes, l’autre exception française
La revue des revues
D ans sa plus récente édition, la
­Revue française de science politi-
que revient pour la première fois
sur les élections de 2022. Excentricité uni-
versitaire, ce numéro est daté de l’année
dernière, mais il est bien paru cet été. L’arti-
cle qui ouvre le dossier s’intéresse à une
­exception française : dans notre pays, les
femmes semblent n’avoir aucune réticence
à voter pour le principal parti d’extrême
droite, ce qui n’est pas le cas dans la plupart
des autres pays européens. Les politistes
Nonna Mayer et Anja Durovic reviennent
sur ce que l’on appelle dans le vocabulaire
spécialisé le « radical right gender gap »,
l’écart de genre face à la droite radicale, un
phénomène largement observé qui veut
que les hommes aient moins de réserve
que les femmes à soutenir l’extrême droite.
Dans l’Hexagone, cet écart était inexis-
tant depuis que Marine Le Pen avait pris la
tête du Rassemblement national en 2011.
0123
­
­Samedi 2­ septembre 2023
professions de l’enseignement mais à dissua-
der celles et ceux qui voudraient s’y destiner :
un cocktail de déclassement financier et so-
cial, d’instructions descendantes, de protoco-
les à prétention scientifique et de prothèses
technologiques, réduisant progressivement
le métier « à un ensemble de services soumis à
une concurrence de plus en plus vive ».
Parallèlement, les industriels du numérique
Entrer en Qui veut L’ex-plus développent le marché des interfaces indivi-
pédagogie encore des beau métier duelles d’enseignement, laissant entrevoir un
féministe professeurs ? du monde possible et glaçant « remplacement des profes-
d’Audrey Chenu de Philippe de William seurs par des processeurs ». Contestant « la pos-
et Véronique Meirieu, Seuil, Lafleur, sibilité de mesurer la qualité de l’éducation à
Decker, 60 p., 4,90 €. Flammarion, l’aide des seuls indicateurs quantifiables », Mei-
Libertalia, 448 p., 22 €.
188 p., 10 €.
rieu assure que « nulle machine ne saurait ap-
procher » ce qui se joue dans une transaction
entre humains. « Ce qu’un professeur trans-
hommes et les femmes, et sur les programmes met, ce n’est pas seulement un savoir », mais
et dispositifs pédagogiques existants. C’est no- « un rapport au savoir », insiste-t-il.
tamment le cas en matière d’éducation à la Chaque rentrée apporte son lot de témoigna-
sexualité, souvent en butte à la méfiance des ges plus ou moins choquants décrivant l’édu-
familles, alors même qu’elle est une protection cation nationale comme le radeau de La Mé-
contre les violences : « Plus c’est tabou, plus les duse en sélectionnant, voire en noircissant, le
victimes se taisent, plus les coupables para- pire de son fonctionnement. L’Ex-Plus Beau Mé-
dent », remarquent les autrices, attachées en ce tier du monde, de William Lafleur, aurait pu se
domaine comme en d’autres à l’idée de « con- ranger dans cette catégorie. Bonne surprise : ce
vaincre sans vaincre ». Soucieuses de ne pas n’est pas le cas. Au terme de douze ans d’ensei-
pratiquer une radicalité de pure posture, elles gnement de l’anglais, « Monsieur Le Prof », tel
incluent dans leur panoplie d’action la consti- qu’il était connu et très suivi sur les réseaux so-
tution délibérée de groupes non mixtes dans ciaux, a démissionné après la dernière année
certaines activités et sur certaines plages ho- scolaire. Il explique pourquoi. Mais il le fait de
raires, afin de compenser la pression sponta- manière patiente et didactique. Il détaille les
nément inégalitaire ou sexiste. mécanismes institutionnels en cause, trop
souvent kafkaïens ou infantilisants, et élargit
Mécanismes trop souvent kafkaïens son récit à l’expérience collective, à travers les
Ces figures d’enseignantes hyperengagées contributions issues d’un appel à témoignages
dans leur métier n’annulent pas la question qu’il avait lancé sur Facebook. On peut chipoter
posée par Philippe Meirieu dans son petit sur tel ou tel point, ou s’esbaudir de certaines
(pour une fois) livre de rentrée : Qui veut en- anecdotes pittoresques, mais on n’échappe pas
core des professeurs ?. Le professeur honoraire au constat de l’exaspération ambiante, et la lec-
en sciences de l’éducation sonne plus que ja- ture de ce livre est une plongée dans la vraie vie
mais la charge contre ce qui, à ses yeux, con- d’un système décidément déroutant. p
court non plus seulement à dévaloriser les Luc Cédelle
Mais l’arrivée, en 2022, d’un candidat adop-
tant « une ligne clairement antiféministe »,
d’avoir voté pour Eric Zemmour, particu-
lièrement chez les hommes.
Eric Zemmour, peut nous aider à mieux
comprendre l’impact des attitudes sexistes.
En s’appuyant sur les données de l’enquête
électorale coordonnée par les chercheurs
Vincent Tiberj et Amaïa Courty, « Young­-
Le cycle électoral 2022 s’est soldé par une
tripartition de l’échiquier politique, entre
l’extrême droite, le camp présidentiel et
l’alliance de gauche. Le vote populiste,
fondé sur une scission entre des élites cor-
elect », MMes Mayer et Durovic explorent rompues et un peuple vertueux, occupe
les clivages politiques selon une « perspec- dans cette nouvelle réalité une place déter-
tive intersectionnelle », le genre étant croisé minante, tant à gauche qu’à droite. Cepen-
notamment avec l’âge et la classe sociale. dant, les attitudes populistes de certains
électeurs pourraient en faire des électeurs
Populisme protestataire volatils, plus protestataires qu’attachés à
A la lumière de cette analyse, il apparaît un parti. Frédéric Gonthier, professeur à
que le vote Le Pen est le même chez les Sciences Po Grenoble, démontre sur la base
hommes et les femmes : il est composé de d’une enquête réalisée entre novem-
personnes jeunes, issues des classes popu- bre 2021 et juillet 2022 que le vote populiste
laires. Le sexisme, pourtant récemment n’est toutefois pas synonyme de « noma-
réintroduit dans le discours politique par disme » politique. La tripartition risque, à
certains représentants, n’a pas joué. L’hos- ce compte, de s’installer dans la durée. p
tilité à l’immigration, aux musulmans et à Marc-Olivier Bherer
l’Europe ont eu un impact bien plus net
sur le vote RN. Toutefois, endosser des pro- « Revue française de science politique »,
pos sexistes augmente les probabilités Les presses de Sciences Po, n° 4, 240 p., 25 €
0123
­
­Samedi 2­ septembre 2023
Culture | Chronique
p ar Gui l la um e F r ais sar d
Une désagréable
expérience estivale
L
es deux œuvres n’ont pas
grand-chose à voir entre
elles. La première est un
blockbuster mondial déjà
vu par 5 millions de spectateurs
en France. La seconde est un ro-
man destiné aux adolescents, tiré
à quelques centaines d’exemplai-
res. Barbie, de Greta Gerwig, et
Bien trop petit, de Manu Causse
(Thierry Magnier, 2022), parta-
gent pourtant une désagréable
expérience estivale, celle de la
censure et de l’interdiction en rai-
son de leur contenu. Le film est
jugé, dans certains pays, contraire
à la morale et faisant la promo-
tion de l’homosexualité. Le livre
est, selon le ministère de l’inté-
rieur français, à ne laisser qu’entre
les mains des adultes en raison de
son caractère pornographique.
Barbie donc et son milliard de
dollars de recettes mondiales en
seulement six semaines d’exploi-
tation ; Barbie et les multiples pri-
ses de position qu’il suscite, entre
celles et ceux qui saluent l’avène-
ment d’un véritable female gaze
(« regard féminin ») sur ce type de
production populaire et les autres
qui raillent, au contraire, un fémi-
nisme de pacotille cachant bien
mal le projet purement industriel
de Mattel, l’inventeur de la célè-
bre poupée en plastique. Barbie et
la censure enfin, plusieurs pays,
notamment dans le Golfe, goû-
tant peu la liberté de ton du film
et l’imagerie émancipatrice des
femmes qu’il véhicule.
Dernier en date, le Cameroun.
Comme le rapporte notre corres-
pondante Josiane Kouagheu
(« Monde Afrique »), le pays a dé-
cidé le 21 août, après un mois d’ex-
ploitation, de retirer le film des sal-
les de cinéma du pays. « On cen-
sure tous les films dont les contenus
ne sont pas appropriés pour nos
jeunes. Le film Barbie a des conte-
nus qui ne sont pas acceptables
pour eux », justifie ainsi Donatus
Fai Tangem, directeur de la ciné-
matographie et des productions
audiovisuelles au ministère des
arts et de la culture, au grand dam
des exploitants désormais privés
d’un succès mondial. Initialement
autorisée, la production des stu-
dios Warner, avec Margot Robbie
et Ryan Gosling, aurait subi cet ou-
kase à la suite de messages publiés
sur les réseaux sociaux accusant le
film de faire la promotion de l’ho-
mosexualité. Enfreignant par là
même les lois du pays.
Une politique imprévisible
C’est pour ce même motif que le
Liban – où sévit actuellement une
vague de haine anti-LGBT+ après
un projet de loi visant à dépénali-
ser l’homosexualité – pourrait lui
aussi bloquer la sortie du film pro-
chainement. Les Libanais rejoin-
draient ainsi les Koweïtiens et les
Algériens, déjà privés de Barbie.
Les autorités du Koweït ont banni
le film des écrans début août aux
motifs d’une « atteinte à la morale
publique » et, là encore, de « la pro-
motion de l’homosexualité ». En
Algérie, le film est resté trois se-
maines à l’affiche avant de quitter
les écrans, toujours pour cette
même supposée « atteinte à la mo-
rale ». Au Qatar et à Oman, le film
n’est tout simplement pas sorti.
Les mésaventures de Barbie
n’ont rien de très surprenant. Plu-
sieurs pays du Moyen-Orient ont
l’habitude de censurer les films
dès lors qu’ils contiennent des
La nécessaire
protection
des mineurs face
aux contenus
violents mériterait
d’être repensée
0123 | 29
Le Medef en fait
trop sur même situation qu’un chef d’entreprise, ment a raison de lever le pied sur les réduc-
la fiscalité qui doit s’adapter aux circonstances et cali-
brer sa stratégie en fonction de ses marges
tions d’impôts.
La mauvaise humeur du Medef est sans
des entreprises de manœuvre. Or, celles-ci sont de plus en doute à mettre sur le compte d’un jeu de
plus contraintes. Entre le ralentissement de
la croissance et la hausse des taux d’intérêt,
le respect de la trajectoire budgétaire pour
posture. Le nouveau président de l’organi-
sation tente ainsi d’asseoir son autorité en
montrant qu’il n’est pas à la remorque
satisfaire nos engagements européens de- d’une politique gouvernementale qui, de
vient compliqué. Dans cette période de va- toute façon, aux yeux de ses adhérents, ne
Le film « Barbie » ches maigres, les baisses d’impôts non fi- sera jamais suffisamment « pro-business ».
nancées par une baisse des dépenses sont Le patronat gagnerait pourtant en crédi-
et le roman difficilement justifiables. Alors que le patro- bilité en sachant faire preuve de discerne-
nat s’inquiète de l’état de nos finances pu- ment, et surtout de patience. Car le gouver-
« Bien trop bliques, un peu de cohérence ne nuirait pas. nement ne renonce pas à ces réductions
La critique de la part du Medef est d’impôts, il les décale dans le temps. Cette
petit » ont connu d’autant plus mal venue que, depuis 2017, temporisation devrait d’ailleurs être l’occa-
la censure et
l’interdiction L’ appétit vient en mangeant. Celui du
Medef est devenu insatiable. En pla-
çant sa rentrée sous le signe de la
grogne contre la fiscalité des entreprises, Pa-
trick Martin, le nouveau patron des patrons,
les entreprises n’ont pas eu à se plaindre de
la politique d’Emmanuel Macron. Sur la pé-
riode, leurs impôts ont baissé globalement
de 30 milliards d’euros. Le taux de l’impôt
sur les bénéfices est ainsi passé de 33,3 % à
sion d’obtenir des contreparties de la part
du Medef. L’organisation est particulière-
ment attendue sur deux sujets. La réforme
des retraites nécessite que les entreprises
s’attaquent enfin à la gestion des fins de
s­ cènes ou références LGBT+. En engage un combat qui tient davantage du 25 %. Un effort inédit en France. Quant aux carrière. L’inflation exacerbe les tensions
juin 2022, Buzz l’Eclair, produit par réflexe pavlovien que du pragmatisme pour impôts de production, comme la CVAE, les autour des bas salaires et des déroulés de
Disney, avait ainsi été interdit en tenir compte du contexte économique que entreprises ont déjà bénéficié d’un allége- carrière. Il est urgent de trouver des
Egypte, au Liban, aux Emirats ara- traverse la France. Lors de l’université de ment de 15 milliards d’euros. moyens de dégripper le système actuel.
bes unis ou encore au Koweït l’organisation patronale, les 28 et 29 août, Cette politique de l’offre a porté ses fruits Ce sera l’un des thèmes majeurs de la con-
(mais aussi en Indonésie, en son président a qualifié de « mauvais si- en contribuant à restaurer une partie du re- férence sociale promise le 31 août par Em-
­Malaisie), pour un chaste – et très gnal » la décision du gouvernement d’étaler tard de compétitivité accumulé par la manuel Macron à l’issue du sommet avec
furtif – baiser entre deux femmes. jusqu’en 2027 la baisse de 4 milliards d’euros France depuis la fin des années 1990. L’at- les chefs des partis politiques. Ce rendez-
Que Barbie soit projeté en de la cotisation sur la valeur ajoutée des en- tractivité du pays s’est redressée, il y a dé- vous pourrait être l’occasion pour le Medef
­Arabie saoudite et aux Emirats té- treprises (CVAE) qui aurait dû intervenir sormais un solde net d’ouvertures d’usines, de prouver qu’il est un partenaire social
moigne au mieux d’une politique d’une seule traite en 2024. et le chômage a reculé de façon inédite. responsable, et pas seulement une cham-
de censure à géométrie variable La déception du Medef est compréhensi- Mais, au regard de l’assombrissement des bre d’enregistrement des revendications de
dans la région. Une politique ble. Mais le gouvernement est placé dans la perspectives économiques, le gouverne- ses adhérents. p
d’autant plus imprévisible qu’elle
coïncide avec la stratégie des
grands studios de se montrer de
plus en plus inclusifs dans les
­scénarios et les personnages por-
tés à l’écran. Avec les nombreux
motifs d’interdiction future que
cela laisse supposer.
Beaucoup plus inattendu a été
l’arrêté d’interdiction de vente
aux mineurs de Bien trop petit
­signé le 17 juillet par le ministre
de l’intérieur, Gérald Darmanin,
après un avis de la Commission
de surveillance et de contrôle des
publications pour la jeunesse.
Sorti en septembre 2022 – avec
sur la couverture un avertisse-
ment conseillant la lecture aux
plus de 15 ans – , ce roman narre
les affres de Grégoire, 14 ans, raillé
par un camarade de classe pour la
taille de son sexe et qui trouve
­refuge et réconfort dans l’écriture
en ligne d’une histoire très crue. COURS DU SOIR GÉOPOLITIQUE
Un peu comme si le Petit Nicolas
de Sempé et Goscinny avait
grandi et s’était mis au clavier
pour libérer ses fantasmes.
L’article 2 de la loi du 16 juillet
LA RUSSIE
1949, qui s’applique aux publi­-
cations destinées à la jeunesse,
stipule que ces dernières « ne doi-
vent comporter aucun contenu à
CONTEMPORAINE
caractère pornographique ». Le li-
vre édité dans la collection « L’ar-
deur » comportant plusieurs pa-
ges avec des scènes de sexe expli-
cites, la sanction administrative
est tombée. Implacable au regard
de la loi mais disproportionnée
pour un livre justement destiné à
aborder de front la sexualité des A partir du 20 novembre, au cours de
ados pour les ados. Qui plus est
5 séances qui auront lieu dans l’auditorium
alors que n’importe quel site por-
nographique en ligne est accessi- du Monde et à distance, Sylvie Kauffmann
ble sans le moindre contrôle. proposera un retour sur les trente dernières
L’ancien ministre de la culture années de la Russie. De la chute de l’empire
Jean-Jacques Aillagon, qui ba- soviétique à l’invasion de l’Ukraine.
tailla – avec succès – pour éviter la
même sanction au livre Rose Sylvie Kauffmann est directrice éditoriale
Bonbon, de Nicolas Jones-Gorlin au journal Le Monde et spécialiste des avec Sylvie Kauffmann
(Gallimard, 2002), alors dans le relations internationales. Elle a été directrice
viseur du ministre de l’intérieur de la rédaction du quotidien, a collaboré
d’alors, Nicolas Sarkozy, ne s’est régulièrement aux pages « Opinion » du
pas privé de dénoncer sur le site New York Times et maintenant à celles du
spécialisé ActuaLitté une déci-
Financial Times. Elle a précédemment été
sion « anachronique » et « cho-
correspondante à Moscou où elle a couvert
quante ». Sur Instagram, le hash-
tag #wheniwas15 lancé par l’écri- l’effondrement du bloc soviétique, entre 1988
vain Nicolas Mathieu en réaction et 1993.
à cette censure administrative est
devenu un passionnant – et sou-
vent bouleversant – recueil de té-
moignages intimes liés à cet âge.
Qu’une commission ne relevant
pas directement du ministère de
la culture soit chargée depuis les
années 1950 de la police des
mœurs des publications apparaît
aujourd’hui dépassé. La néces-
saire protection des mineurs face
aux contenus violents mériterait ateliers.lemonde.fr
d’être repensée pour coller aux
évolutions de la société. Au train
où vont les choses, Bien trop petit
aura eu le temps peut-être de de-
venir un classique de la littérature
pour ados. Au mois d’août, le livre
s’est écoulé à 1 750 exemplaires…
contre seulement 20 en juillet. p
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