­­Mercredi 27­ septembre 2023

79e année – No 24488

3,40 € – France métropolitaine
www.lemonde.fr –
Fondateur : Hubert Beuve-Méry
Directeur : Jérôme Fenoglio

Science & médecine – Supplément L’exercice physique, un médicament à rembourser

Planification écologique : la doctrine Macron

▶ Repoussant toute idée
de contrainte ou de
changements sociétaux,
le chef de l’Etat a dessiné,
lundi, les contours de son
« écologie à la française »
▶ N’abordant que briève-
ment les questions relati-
▶ Ce « discours de la
méthode », assure l’Elysée,
▶ Cette vision, mariant
idéal européen, souverai- 1 éditorial
ves à l’aérien et à l’agricul- détaille comment la France neté industrielle et justice
ture, il a insisté sur les parviendra, d’ici à 2030, sociale, n’a pas convaincu Un équilibre
aides dans les domaines du à réduire de 55 % ses émis- les oppositions précaire
logement et des transports sions de gaz à effet de serre Pag es 8- 9 Page 33

Inflation Vivre et survivre dans

L’exode des Arméniens du Haut-Karabakh une France où les prix flambent
▶ Après l’offensive éclair de l’Azerbaïdjan, les autorités arméniennes De Roubaix (Nord) à Vauvert
s’attendent à l’arrivée de plusieurs dizaines de milliers de réfugiés (Gard) en passant par Gimouille,
dans la Nièvre, les correspon-
▶ Notre envoyée spéciale est allée à la rencontre de ces familles, dants du Monde se sont rendus
persuadées d’accomplir un voyage sans retour dans un garage, à la sortie de su-
permarchés, dans un vide-gre-
page 2 nier, sur un marché, ont suivi la
tournée d’une épicerie ambu-
lante en Bretagne. Dans une série
à paraître durant toute la se-
maine, ils ra­content ce nouveau
quotidien des Français, marqué
par une ­envolée des prix parfois
­insupportable sur certains pro-
duits de la vie courante.
Des exemples ? Dans le chariot
de courses, le prix du paquet de
sucre blanc a augmenté de 82,3 %,
le bidon de lessive de 28,5 %… Bri-
gitte, une mère de famille vivant
seule à Vauvert avec 564 euros de
pension de retraite par mois, ré-
sume la situation de bien des
­personnes rencontrées : « Le 7 de
ce mois, j’étais à moins 100 euros.
C’est très dur. On vit dans l’anxiété
en permanence. Cet été, les fac­-
tures d’électricité et de gaz nous
ont assommés. »
Pag es 14 - 15

Corse Niger
Le chef de l’Etat La junte a gagné
attendu sur l’épreuve de force
le statut de l’île face à la France
Emmanuel Macron doit Après deux mois de ten-
se rendre en Corse du 27 sions, Paris a dû rappeler
au 29 septembre. Les élus ses troupes et son ambas-
s’interrogent : y aura-t-il sadeur. Les putschistes
un compromis sur la se réjouissent de ce
Au poste de contrôle de Kornidzor (Arménie),
le 25 septembre. ERIC GRIGORIAN POUR « LE MONDE » question de l’autonomie ? « moment historique »
page 12 e t tribune Pag e 2 9 pag e 6

Russie Education Harkis Disparition SAÏD BEN SAÏD

PRÉSENTE
Le Kremlin prévoit Avec 2 milliards La Sonacotra et Matteo Messina
d’euros, le marché la SNCF sommées Denaro, « LÉA DRUCKER « LÉA DRUCKER,
d’augmenter son
EN ÉTAT INQUIÉTANTE
budget militaire du soutien scolaire de créer un fonds dit « le Maigre », DE GRÂCE » ET SUBLIME »
de 70 % en 2024 est en plein essor d’indemnisation chef mafieux LE MONDE ★★★ TÉLÉRAMA

Page 4 Pag e 1 3 Page 1 2 Pag e 2 5 LÉA DRUCKER

Cinéma Vu par Urbs (France) Cartooning for Peace l’été dernier

« Le Procès un film de
CATHERINE BREILLAT

Goldman »,
une captivante
reconstitution
Sans trancher sur la culpa-
bilité de l’accusé – il fut
acquitté faute de preuves
suffisantes –, le film de
AFFICHE : ©2023 PYRAMIDE, LOUISE MATAS, SALOMÉ WOJTOWIEZ

Cédric Kahn reconstitue

brillamment le second
procès de Pierre Goldman,
ce « juif polonais » proche
de l’extrême gauche,
poursuivi pour le meurtre
OLIVIER RABOURDIN SAMUEL KIRCHER CLOTILDE COURAU
de deux pharmaciennes. ET

Les autres sorties en salle ACTUELLEMENT AU CINÉMA

pages 20 à 23

Algérie 220 DA, Allemagne 4,50 €, Andorre 3,90 €, Autriche 4,20 €, Belgique 3,70 €, Espagne 3,90 €, Grèce 3,90 €, Guadeloupe-Martinique 3,70 €,
Hongrie 1 790 HUF, Italie 3,90 €, Luxembourg 3,80 €, Maroc 28 DH, Pays-Bas 4,30 €, Portugal cont. 3,90 €, La Réunion 3,70 €, Sénégal 2 500 F CFA, Suisse 4,80 CHF, Tunisie 5,50 DT, Afrique CFA autres 2 600 F CFA
 International
2|
Haut-Karabakh : la fuite éperdue des Arméniens
Après l’offensive éclair de l’Azerbaïdjan, plus de 13 000 habitants de l’enclave se sont déjà réfugiés en Arménie
Reportage
Goris et Kornidzor (Arménie) -
envoyée spéciale
L
e panneau surgit le long
de la route qui serpente à
travers les montagnes
d’Arménie : « Artsakh » –
« Haut-Karabakh », en arménien.
La flèche indique le chemin, d’une
apparente facilité : pour y accéder,
il suffit de tourner à droite. Mais
moins d’une semaine après l’of-
fensive éclair de l’Azerbaïdjan sur
l’enclave séparatiste et la capitula-
tion, le 20 septembre, des autori-
tés autoproclamées, le panneau
apparaît déjà comme le vestige
d’une époque révolue. Depuis que
Bakou a repris la main sur cette ré-
gion du Caucase, qui échappait à
son contrôle depuis plus de trente
ans, les quelque 120 000 Armé-
niens du Haut-Karabakh fuient en
masse, effrayés par l’arrivée des
Azerbaïdjanais, et conscients qu’il
s’agit d’un voyage sans retour.
Selon les chiffres officiels,
13 000 réfugiés étaient déjà arri-
vés en Arménie mardi 26 septem-
bre, et les autorités s’attendent à
un exode massif. Le premier mi-
nistre arménien, Nikol Pachinian,
a annoncé que le pays accueillerait
« avec le plus grand soin [ses] frères
et sœurs du Haut-Karabakh ». De-
puis les premières évacuations, di-
manche, les voitures arrivent par
grappes au poste de contrôle ar-
ménien de Kornidzor. Le village
est situé près de l’entrée du corri-
dor de Latchine, la seule route re-
liant l’Arménie à l’enclave dispu-
tée, reconnue internationalement
comme appartenant à l’Azerbaïd-
jan, mais peuplée en majorité
d’Arméniens. Erevan entend régu-
ler au mieux l’afflux, loin du chaos
qui règne de l’autre côté.
A Stepanakert, la capitale de la ré-
gion séparatiste, les embouteilla-
ges sont si importants qu’ils em-
pêchent « d’évacuer les blessés gra-
ves et d’apporter de l’aide médicale
et humanitaire », a averti le défen-
seur des droits du Haut-Karabakh,
Gegham Stepanyan. La situation
s’est encore aggravée lundi soir
avec l’explosion d’un dépôt de car-
burant, faisant plus de 200 blessés,
selon les autorités séparatistes.
Six nuits dans la voiture
Au poste de Kornidzor, des centai-
nes de véhicules, à l’arrêt, s’étirent
le long de la route. Les familles des
habitants de l’enclave attendent
depuis des heures, parfois des
jours, l’arrivée de leurs proches.
Arayik Sarkissian, 33 ans, tue le
temps en nettoyant sa voiture, ci-
garette aux lèvres et une quin-
zaine de bidons d’essence à ses
pieds. « Je vais les donner aux gens
qui n’auront pas assez de carbu-
rant pour partir », explique le
jeune homme. Arrivé à 6 heures
du matin, il se prépare à passer la
nuit dans son véhicule en atten-
dant que ses parents puissent sor-
tir de Stepanakert.
Jrahars Petrossian, elle, vient
d’évacuer. Cette Arménienne du
Haut-Karabakh sort de la voiture
avec ses enfants et sa mère, l’air
hagard. La famille a dormi pen-
dant six nuits à l’intérieur du véhi-
cule, en attendant la réouverture
du corridor de Latchine. Le coffre
est vide : « On n’a pas eu le temps de
faire nos bagages », explique la
mère de Jrahars, Evelyna Akopian,
encore en chaussons. La famille a
fui Martakert quand les Azerbaïd-
janais ont encerclé la ville. « Les
chars étaient tout autour », frémit
Jrahars, serrant dans ses bras ses
filles de 5 et 8 ans. Elle essuie ses
larmes et se tourne vers sa mère.
« Maman, tu crois qu’on pourra re-
venir dans notre village un jour ? »
« Non ma chérie, je ne pense pas. »
Le maire de Martakert a annoncé
lundi que le village s’était « entiè-
rement rendu » et était désormais
« vide ». En Azerbaïdjan, les
­médias ont montré les soldats
Levon, un militaire arménien de 48 ans, et sa nièce, à Goris (Arménie), le 25 septembre, peu après avoir quitté Martakert, au Haut-Karabakh. ÉRIC GRIGORIAN POUR « LE MONDE »
­ ccrochant le drapeau national à
a Azerbaïdjanais ­détruire les khat-
l’entrée de la ville.
En Arménie, la « réintégration
pacifique » de la population du
Haut-Karabakh promise par le
président azerbaïdjanais, Ilham
Aliev, ne convainc personne. Tous
les réfugiés ont entendu parler
d’exactions après leur départ. Ge-
gham Stepanyan s’alarme face au
discours de haine antiarménien
qui envahit les chaînes Telegram
azerbaïdjanaises lesquelles « en-
couragent les gens à retrouver,
tuer, torturer et violer les habi-
tants d’Artsakh, offrant même de
l’argent pour cela ». Mhkitar Sar-
kissian, entassé avec sa famille
dans sa vieille Lada bleue le long
de la route de Kornidzor, sous la
pluie, a réussi à fuir à temps. Mais
dans son village, dans la région
de Martakert, « les derniers habi-
tants qui sont partis ont vu les
RUSSIE
GÉORGIE
Mer
Caspienne
ARMÉNIE AZERBAÏDJAN
Everan Bakou
TURQUIE
HAUT-KARABAKH
IRAN 200 km
ARMÉNIE
HAUT-
KARABAKH
Stepanakert
Poste de contrôle
arménien de Kornidzor
Corridor
de Latchine
bloqué
par l’Azerbaïdjan
NAKHITCHEVAN depuis décembre 2022
(AZERBAÏDJAN)
25 km
Aujourd’hui, le président triom-
chkar [des croix arméniennes en phe. Sonnés, les réfugiés de l’en-
pierre], les églises, et brûler les clave dénoncent la « trahison de la
maisons », assure-t-il. Russie ». Les quelque 2 000 soldats
russes d’interposition – déployés
« Trahison de la Russie » dans le Haut-Karabakh depuis le
La crainte d’un nettoyage ethni- cessez-le-feu du 9 novembre 2020,
que est plus forte que jamais. signé sous l’égide de Moscou –
D’autant qu’après la victoire de sont restés passifs lors de l’attaque
Bakou lors de la dernière guerre de Bakou. Le premier ministre ar-
dans le Haut-Karabakh, en 2020, ménien est, lui aussi, considéré
Aliev s’était vanté d’avoir « chassé comme un « traître » car, contrai-
[les Arméniens] comme des rement à 2020, il n’a pas envoyé
chiens ». Le pays attendait cette re- d’aide militaire lors de l’offensive
vanche depuis plus de trente ans, du 19 septembre, ni participé à
lorsque l’Arménie, vainqueur de la l’accord de cessez-le-feu.
première guerre (1988-1994), avait Aux yeux des réfugiés, la passi-
chassé des centaines de milliers vité de Moscou, accaparé par la
d’Azerbaïdjanais et annexé les ter- guerre en Ukraine, scelle leur ave-
ritoires autour de l’enclave. nir : comment imaginer retourner
En 2020, la victoire d’Aliev était vivre dans le Haut-Karabakh sous
incomplète, puisqu’une partie du contrôle azerbaïdjanais sans pro-
Haut-Karabakh restait sous con- tection ? « En 2020, on était revenus
trôle des autorités séparatistes. après les combats parce qu’on
Depuis l’offensive de l’Azerbaïdjan
dans le Haut-Karabakh,
le 19 septembre
AZERBAÏDJAN Zone conquise par l’Azerbaïdjan
Après le cessez-le-feu
de novembre 2020
Territoire repassé
sous le contrôle de Bakou
Territoire arménien conquis
par l’Azerbaïdjan
Martakert Force d’interposition russe
déployée pour cinq ans
Askeran Poste d’observation russe
Avant novembre 2020
Ligne de cessez-le-feu de 1994
Limite du Haut-Karabakh ayant
fait sécession en 1991 dont
Martouni le statut n’est pas défini
Chouchi
IRAN
Sources : état-major russe ; War Mapper ; Le Monde Infographie Le Monde
« Les derniers
habitants [du
village] ont vu les
Azerbaïdjanais
détruire les
églises et brûler
les maisons »
Mhkitar Sarkissian
Arménien qui a fui
la région de Martakert
croyait que les Russes nous proté-
geraient, mais ils nous ont donné
un coup de poignard dans le dos »,
s’indigne Evelyna Akopian.
La grand-mère s’engouffre dans
l’une des tentes de la Croix-Rouge
arménienne déployées à Korni-
dzor pour enregistrer les réfugiés
et les aider à trouver un héberge-
ment. Ses petites-filles sont prises
en charge par une psychologue,
qui tente d’échanger quelques
mots et leur tend des gâteaux. Les
deux sœurs mangent en silence,
l’air grave. « C’est horrible, confie la
volontaire. Les gens arrivent terro-
risés. Très peu parlent. Et puis, il y a
l’incertitude : on va s’occuper d’eux
quelques jours, mais après ? Ils
n’ont nulle part où aller. »
Voilà plus de trente ans que les
habitants du Haut-Karabakh vi-
vent avec la guerre, ouverte ou lar-
vée. « Ils disent qu’ils en ont connu
quatre [en 1988-1994, 2016, 2020
et septembre 2023], mais que la ré-
cente offensive a été, de loin, la plus
brutale, explique Yana Avenesian,
coordinatrice au centre d’accueil
de Kornidzor. Ils ont été attaqués
de tous côtés, sans pouvoir com-
muniquer ni s’abriter. » L’attaque a
fait au moins 200 morts et
400 blessés, selon les autorités sé-
paratistes, mais « on ne connaîtra
probablement jamais le nombre
exact », estime Yana Avenesian.
Tout juste arrivée de la région de
Martakert avec son bébé et son
mari, Taguni Karapetian, 27 ans,
se souvient de son angoisse en at-
tendant le retour de son époux
parti au front. « Beaucoup de fem-
mes ont perdu leur mari et restent
0123
­
­Mercredi 27­ septembre 2023
seules avec le corps sans savoir
quoi en faire, raconte-t-elle : tenter
de partir avec ou l’enterrer là-bas,
sans ­jamais pouvoir revenir ? »
A la nuit, les réfugiés convergent
vers Goris, dernière ville armé-
nienne avant le Haut-Karabakh,
où un autre centre humanitaire a
été installé Dans la rue, une fa-
mille oscille entre rire et larmes.
Ils s’étreignent, s’embrassent, se
prennent en photo, étonnés
d’être en vie. « On revient de l’enfer,
raconte le grand-père, 53 ans, de la
­région de Martakert. Grâce à Dieu,
on a pu échapper à un génocide. »
« On a tout laissé »
Son beau-frère, Levon, a le bras en
écharpe. Ce militaire de 48 ans,
dont le nom n’est pas divulgué
pour des raisons de sécurité, était
au front quand il a été blessé par
un bombardement. La famille a
pris la fuite dans la précipitation,
en tongs et chaussons. « On savait
qu’Aliev voulait mettre les soldats
en prison, explique Levon. Partir
était risqué, mais rester aurait été
encore plus dangereux. » Il a brûlé
tous les documents prouvant qu’il
est militaire. Aux checkpoints
azerbaïdjanais, il a simplement
montré son passeport, et menti
sur sa blessure : « Oh, je me suis fait
ça en réparant ma voiture. » Ils ont
roulé jusqu’à Stepanakert et re-
joint le flot de candidats au départ.
C’est la seconde fois que sa fa-
mille doit tout quitter. En 2020, ils
avaient dû laisser leur maison à
Hadrout, dans le sud-ouest, dont
le territoire a été restitué à l’Azer-
baïdjan après sa victoire. Ils ont re-
bâti leur vie à Martakert, convain-
cus de pouvoir rester sur ce bout
de territoire montagneux, même
morcelé, même encerclé par leurs
ennemis. Les neuf mois de blocus
imposé par l’Azerbaïdjan à partir
de décembre 2022 et la récente
­offensive de Bakou ont vaincu
leurs dernières illusions. « On a
tout laissé. Notre maison, notre
­troupeau, notre terre… tout », sou-
pire Marine, 53 ans, la sœur de Le-
von. Elle a jeté la clé juste avant de
passer en Arménie. « Je savais que,
cette fois, je ne reviendrais pas. » p
Faustine Vincent
 LES PORTES
BLINDÉES
QUI NE
LAISSENT
RIEN PASSER

4 | International
A Odessa, une nuit sous les bombardements russes
Une pluie de missiles et de drones s’est abattue dimanche sur le port, causant deux morts et de lourds dégâts
Reportage
Odessa (Ukraine) - envoyé spécial
V
ers minuit et demi, di-
manche 24 septembre,
la nuit d’Odessa s’est
embrasée. Dans un
bruit assourdissant, une pluie de
missiles russes et de drones s’est
abattue sur le grand port du sud
de l’Ukraine. Pendant près d’une
demi-heure, en deux salves dis-
tinctes, le ciel s’est illuminé et de
lourdes explosions ont grondé,
celles causées par les intercep-
tions de la défense antiaérienne
et celles dues au bruit des projec-
tiles atteignant leurs cibles. Les
­lumières des balles traçantes des
armes automatiques visant les
drones éclairaient plus encore
une nuit d’un coup devenue jour.
Réveillée en sursaut, faute de si-
rènes d’alerte, la population est
restée terrée. Certains habitants,
plus téméraires, ont filmé la
­bataille aérienne de leurs fenê-
tres, alors que les immeubles du
centre-ville tremblaient sous
­l’effet des frappes. Lundi soir, les
autorités locales déploraient au
moins deux morts, une blessée et
d’importants dégâts. Les deux
personnes tuées ont été ense­-
velies sous les décombres
d’un silo à grains, « vide » selon
Natalia Houmeniouk, une porte-
parole de l’armée.
D’après les forces ukrainiennes,
la Russie a lancé, en une seule nuit,
dix-neuf drones Shahed de fabri-
cation iranienne et deux missiles
de croisière P-800 Oniks. Douze
autres missiles Kalibr ont égale-
ment été tirés dans les environs
d’Odessa. Un sous-marin russe
aurait participé à l’opération. Les
autorités militaires de la ville affir-
ment avoir abattu tous les drones
russes au cours de la nuit, mais
l’un des douze Kalibr et les Oniks
auraient visiblement réussi à per-
cer la défense antiaérienne.
C’est une réalité récurrente pour
de nombreuses villes d’Ukraine,
depuis le 24 février 2022, début de
la guerre, mais Odessa avait été,
jusqu’ici, relativement épargnée
par de telles frappes massives. Au
petit matin, les habitants ont pu
découvrir la façade noircie et
éventrée de l’Hôtel Odessa (an-
ciennement Kempinski). Long-
temps figure de proue du port
d’Odessa, face à la mer Noire,
Kiev, discret soutien de la junte soudanaise
Des drones ukrainiens ont frappé les forces du général « Hemetti », allié au Groupe Wagner
L es forces spéciales ukrai-
niennes font la chasse au
Groupe Wagner et le conti-
nent africain constitue une cible
de choix. Les Ukrainiens ont si-
gnalé leur présence – fort inatten-
due – au Soudan par une série d’at-
taques au drone FPV (avec pilo-
tage en immersion), en août et en
septembre, contre la Force de sou-
tien rapide (RSF) du général « He-
metti », allié aux mercenaires rus-
ses. Ce mode opératoire apparu à
la fin 2022 sur le champ de bataille
ukrainien n’avait jamais été ob-
servé sur le continent africain. Sur
certaines images enregistrées par
le pilote anonyme du drone et qui
ont fuité sur les réseaux sociaux,
on distingue des caractères de l’al-
phabet ukrainien.
Kiev n’a pas assumé la respon-
sabilité de ces attaques, mais la
rencontre présentée comme
­« imprévue » samedi 23 septembre
­entre le président ukrainien,
­Volodymyr Zelensky, et le général
Abdel Fattah Al-Bourhane, chef
de la junte au pouvoir à Khar-
toum, ressemblait à une confir-
mation. Les deux hommes, ac-
compagnés de leur ministre de la
avant d’être abandonné car jugé
trop exposé, il est situé au cœur
de la zone militaire portuaire
­interdite d’accès. Les vingt étages
vitrés du bâtiment, en feu une
partie de la nuit, ont résisté, mais
les infrastructures au pied de
l’édifice sont en ruine.
Lundi, le propriétaire de l’hôtel,
Andrey Stavnitser, a réagi avec
ironie et sans concession :
« Comme tous les Odessites, je
n’aimais pas cet hôtel et je rêvais
de le reconstruire (…). Tout se fera,
bande de salauds. Odessa sera
aussi belle que vous ne le rêverez
jamais dans vos pires cauchemars
(…). C’est Yom Kippour, le moment
où l’on se demande mutuellement
– et à Dieu – pardon pour nos actes
et même nos pensées. Je con-
nais un pays entier qui ne sera pas
pardonné. »
L’armée a, par ailleurs, fait état
d’autres entrepôts et entreprises
endommagés par les débris d’un
missile Kalibr abattu par la dé-
fense antiaérienne dans la ban-
lieue de la ville. Deux ateliers de la
zone industrielle de Peressyp ont
ainsi été détruits. Aucune victime
n’est à déplorer.
Réaction à deux événements
Pour sa part, le ministère de la
­défense russe a déclaré, lundi, que
des missiles à longue portée
et des drones avaient été utilisés
pour frapper des installations,
abritant selon lui des mercenaires
étrangers. Aucun élément de
preuve n’a été apporté en sou-
tien de ces affirmations. Les
­autorités russes ont aussi déclaré
avoir abattu des drones ukrai-
niens ayant tenté de frapper leur
territoire.
Selon toute vraisemblance,
Moscou a tenu, par cette frappe
massive, à réagir à deux événe-
ments récents. Tout d’abord, di-
manche, un deuxième cargo de
blé ukrainien est arrivé à Istanbul,
via la mer Noire, en empruntant
un corridor maritime mis en
place par Kiev en dépit des mena-
ces de la Russie de s’attaquer aux
bateaux de céréales affrétés par
l’Ukraine. Ce type d’attaques se
multiplie depuis l’abandon, en
juillet, par la Russie, de l’accord cé-
réalier qui permettait à Kiev d’ex-
porter librement sa production.
Par ailleurs, Moscou a sans
doute voulu répondre à l’attaque
défense, se sont entretenus dans
un salon de l’aéroport Shannon
en Irlande, lieu improbable pour
une rencontre fortuite.
« Cette rencontre établit claire-
ment que l’Ukraine a pris parti
pour un camp dans la guerre civile
au Soudan. Et ce camp est, natu­-
rellement, celui qui est opposé au
camp soutenu par Moscou », sou-
ligne Evgen Dikiy, fondateur du
bataillon Aïdar et aujourd’hui
­expert militaire. Il fait allusion au
soutien, d’abord discret au début
du conflit, puis évident ces deux
derniers mois, du Groupe Wagner
à la RSF commandée par le chef
rebelle Mohammed Hamdan
Daglo, dit « Hemetti ».
Forces spéciales du GUR
« L’Ukraine n’a pas de politique
africaine. En revanche, nous avons
des comptes à régler avec [le
Groupe] Wagner et avec la Russie.
Chaque officier ukrainien, où qu’il
soit, se fera un honneur de contre-
carrer leurs plans », poursuit
M. Dikiy. L’expert rappelle que la
présence ukrainienne en Afrique,
si elle était discrète, n’est pas
­nouvelle. Environ 400 militaires
L’Hôtel Odessa après une attaque de la ville ukrainienne par l’armée russe, lundi 25 septembre. ADRIEN VAUTIER/LE PICTORIUM POUR « LE MONDE »
Le Kremlin aurait
voulu répondre
à l’attaque des
forces de Kiev
contre le
quartier général
de sa flotte
en mer Noire
ukrainienne, le 22 septembre,
contre le quartier général de la
flotte russe en mer Noire, basé
à Sébastopol, en Crimée. Si l’ar-
mée russe n’a reconnu qu’un
­disparu, le bilan annoncé, lundi,
par les forces spéciales ukrai-
niennes, sur leur chaîne Tele-
gram, serait beaucoup plus
lourd. Le tir de missile aurait, en
effet, tué 34 officiers, dont le
commandant de la flotte, et
blessé 105 personnes. De nou-
ukrainiens sont restés déployés à
Goma (dans l’est de la République
démocratique du Congo) pen-
dant une décennie, jusqu’à l’inva-
sion russe de 2022.
La « guerre des généraux » qui
déchire le Soudan depuis avril
2023 a fourni aux Ukrainiens l’oc-
casion de reprendre pied dans le
continent. Selon une source du
Monde, les forces spéciales du
GUR (renseignement militaire
ukrainien) sont entrées dans les
petits papiers du général Abdel
Fattah Al-Bourhane en réussis-
sant une ­évacuation très com-
plexe de civils étrangers par voie
terrestre vers l’Egypte. « Ils ont dé-
montré leur ­efficacité et ont su
alors créer un lien de confiance qui
explique pourquoi le général a fait
appel au GUR pour contrer son ad-
versaire prorusse. Tout laisse à pen-
ser que des conseillers militaires
ukrainiens sont toujours présents à
Khartoum », poursuit la source.
Le pic des attaques contre la RSF
du chef rebelle « Hemetti » s’est
déroulé début septembre, après
que son camp a réceptionné une
importante livraison d’armes
fournies par le Groupe Wagner.
veau, aucune preuve n’a été four-
nie à l’appui de ces déclarations.
Le chef du renseignement mili-
taire ukrainien, Kyrylo Boudanov,
avait déclaré, samedi, qu’« au
moins neuf personnes avaient été
tuées et seize autres blessées, lors
de l’attaque qui a laissé le bâtiment
en flammes ». Il avait ajouté
qu’Alexandre Romantchouk, le gé-
néral russe commandant les for-
ces le long de la ligne de front sud-
est, était « dans un état très grave ».
Le commandement des forces
spéciales précise, lui, lundi, que le
chef de la flotte aurait également
perdu la vie dans l’attaque, sans
pour autant citer le nom de l’ami-
ral Viktor Sokolov. Cette précision
est, en revanche, assumée par An-
ton Gerashchenko, conseiller du
ministre des affaires intérieures
ukrainien, qui a repris, le même
jour, l’information à son compte,
en publiant le nom et la photo de
l’amiral sur les réseaux sociaux. p
Jacques Follorou
Environ 100 camions sont entrés
par la frontière tchadienne, selon
les informations de la chaîne
américaine CNN. Ces armes ve-
naient probablement de la base
des mercenaires à Birao, dans le
nord de la République centra­-
fricaine, où Wagner opère en
­soutien du président Touadéra.
Le Soudan fut, dès 2017, la porte
d’entrée du groupe russe en Afri-
que. A l’époque, Evgueni Prigojine,
défunt patron des paramilitaires,
avait décroché un contrat auprès
du président soudanais Omar
­Al-Bachir permettant aux Russes
d’exploiter et d’exporter l’or du
pays, qui possède les troisièmes
plus importantes réserves de mé-
tal jaune de l’Afrique. Wagner avait
ensuite étendu ses opérations en
République centrafricaine, en Li-
bye, puis au Mali, avec la béné­-
diction de Moscou. Les opposants
à la présence russe en Afrique
­savent désormais qu’ils peuvent
compter sur le soutien de Kiev. p
Emmanuel Grynszpan
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Moscou veut accroître de
70% son budget militaire
En 2024, la Russie prévoit de dépenser plus
pour la défense que pour la politique sociale
Moscou - correspondant
S’ il fallait une confirma-
tion, les préparatifs du
budget 2024 de la Fédéra-
tion de Russie en sont une : le
Kremlin se prépare à une guerre
longue et se donne pour cela
les moyens financiers. Les chif-
fres, encore à l’état de projet, ont
été dévoilés, vendredi 22 septem-
bre, par l’agence de presse Bloom-
berg, sans être démentis : le bud-
get de la défense russe ­devrait at-
teindre l’année prochaine 10
800 milliards de roubles (107 mil-
liards d’euros), soit 6 % du pro-
duit intérieur brut (PIB) du pays.
L’augmentation – près de 70 % –
est vertigineuse : en 2023, pour-
tant déjà un budget de guerre, les
dépenses allouées à la défense
étaient de 6 400 milliards de rou-
bles (63 milliards d’euros), soit
3,9 % du PIB. En 2021, elles équiva-
laient à 2,7 % du PIB. Pour compa-
raison, le budget de la défense des
Etats-Unis pour 2024 devrait s’éle-
ver à 842 milliards de dollars
(795 milliards d’euros), soit 3,2 %
de plus que l’année précédente.
Pour la première fois dans son
histoire, note la journaliste Fa-
rida Rustamova, la Russie s’ap-
prête à dépenser plus pour la dé-
fense que pour la politique so-
ciale (7 500 milliards de roubles),
poste du budget très large qui in-
clut notamment les retraites. Ce
résultat est d’autant plus incon-
gru s’agissant d’une année élec-
torale – un scrutin présidentiel
est prévu en mars 2024 – tradi-
tionnellement propice à d’im-
portantes dépenses sociales.
Les dépenses
secrètes,
qui incluent
les primes pour
les familles
endeuillées,
devraient
doubler
0123
­
­Mercredi 27­ septembre 2023
Autre nouveauté : les dépenses
secrètes, ou dont l’objet n’est pas
spécifié, doubleraient presque, à
11 100 milliards de roubles, soit
30 % du budget total. Une part de
ces dépenses est également con-
sacrée à « l’opération militaire
spéciale » en Ukraine, mais il per-
met avant tout au gouvernement
d’agir avec discrétion. Les primes
exceptionnellement élevées ver-
sées aux familles des soldats
tués (5 millions de roubles,
49 585 euros) sont par exemple
prélevées sur ce poste.
Optimisme
Diverses sources ont d’ailleurs
déjà observé un recours accru à
ces dépenses secrètes depuis le
1er janvier. En août, Reuters esti-
mait que les dépenses militai-
res pour les six premiers mois
de l’année avaient déjà dépassé
le budget militaire total pour
cette année.
L’autre enseignement de ce pro-
jet de budget dévoilé par Bloom-
berg est que la Russie regarde
l’avenir avec optimisme. Malgré
le coût de la guerre, et en particu-
lier celui des sanctions, Moscou
compte sur un budget en hausse
de 22 % par rapport à celui de
2023, et un déficit en recul, à 0,9 %
du PIB. Ces prévisions reposent
en grande partie sur une crois-
sance attendue des revenus ga-
ziers et pétroliers, qui, selon les
autorités russes, augmenteraient
de près d’un quart, à 11 500 mil-
liards de roubles.
A l’inverse, le gouvernement
semble s’attendre à ne plus rece-
voir de revenus liés au départ de
firmes étrangères (différents ty-
pes de « taxes » que doivent payer
les entreprises désireuses de céder
leurs affaires en Russie). Ces dé-
parts rapporteraient 114,5 mil-
liards de roubles en 2023, mais
seulement 2,1 milliards de roubles
pour l’exercice 2024.
Avant son adoption, le budget
doit être approuvé cet automne
par les deux chambres du Parle-
ment et être signé par le président
russe, Vladimir Poutine. p
Benoît Vitkine
0123
­
­Mercredi 27­ septembre 2023
En Inde, le fléau
du suicide des
étudiants dalits
Sept élèves de grandes écoles, tous
issus des basses castes, ont mis fin
à leurs jours depuis janvier
New Delhi - correspondante
A
nil Kumar avait 21 ans.
Il avait intégré l’une
des écoles les plus con-
voitées de l’enseigne-
ment international, l’Institut in-
dien de technologie de Delhi (IIT),
où il étudiait les mathématiques.
Il vivait sur le campus, dans le sud
de la capitale. Une bulle de
130 hectares, isolée de l’atmos-
phère bruyante de la mégapole,
avec laboratoires de pointe, pelou-
ses fleuries et arbres majestueux.
Depuis sa création en 1961, l’éta-
blissement s’enorgueillit d’avoir
délivré plus de 48 000 diplômes,
dont 5 070 doctorats.
Le 1er septembre, Anil Kumar a
été retrouvé pendu dans sa cham-
bre. Le jeune homme était un da-
lit (les « opprimés »), cette com-
munauté autrefois appelée les
« intouchables » située tout en
bas de la hiérarchie des castes, les
parias de l’Inde, encore très majo-
ritairement assignés à des em-
plois peu qualifiés du secteur in-
formel. Il avait raté ses examens
mais s’était vu accorder une pro-
longation de six mois.
Son geste a frappé les esprits car
il n’est pas isolé. Le 10 juillet, sur le
même campus, un autre étudiant
dalit, Ayush Ashna, avait mis fin à
ses jours. En février, Darshan So-
lanki s’était donné la mort en sau-
tant du septième étage du bâti-
ment de son établissement de
Bombay. Depuis le début de l’an-
née, les vingt-trois IIT que compte
le pays ont totalisé sept suicides
d’élèves dalits.
Cette série de drames a ravivé le
débat sur la discrimination ins­-
É g y pt e
L’élection présidentielle
avancée à décembre
L’élection présidentielle en
Egypte aura lieu les 10, 11 et
12 décembre, et non au prin-
temps 2024, comme le per-
met la Constitution, un délai
raccourci par des considéra-
tions économiques, dans un
pays pris en étau entre
­inflation et dévaluation.
La campagne électorale aura
lieu du 9 au 29 novembre et
les ­résultats seront publiés
au journal officiel le 18 dé-
cembre. Ce scrutin, le troi-
sième auquel devrait partici-
per ­Abdel Fattah Al-Sissi (sa
­candidature officielle est at-
tendue sous peu), s’annonce
sous tension pour le chef de
l’Etat. Le ­pouvoir d’achat des
Egyptiens ne cesse de fondre
dans ce pays de 105 millions
d’habitants. La dévaluation,
au début de l’année, de 50 %
de la monnaie locale, la livre,
a fait ­bondir les prix des biens­
– quasiment tous importés
en Egypte – et les récentes
­primes et augmentations
­annoncées par le président
pour les fonctionnaires et
les retraités n’ont eu que peu
d’effets. – (AFP.)
Sy r i e
Vingt-cinq morts dans
des combats dans l’Est
Vingt-cinq personnes ont
été tuées lors d’affrontements
entre les Forces démocra­-
tiques syriennes (FDS), domi-
nées par les Kurdes, et des
combattants fidèles au
titutionnelle dont sont victimes
les étudiants des basses castes
sur les campus de ces écoles
­prestigieuses. « Pourquoi les Ins-
tituts de technologie indiens de-
viennent-ils des cimetières pour
les étudiants issus de communau-
tés marginalisées ? », demande
le cercle d’études Ambedkar-Pe-
riyar-Phule, engagé contre les
discriminations.
Ces établissements d’élite sont
réputés pour être les plus sélectifs
au monde, plus qu’Harvard ou le
Massachusetts Institute of Tech-
nology, aux Etats-Unis. Sur le mil-
lion de candidats se présentant
chaque année au concours d’en-
trée, seulement 1 % est admis, soit
à peine 10 000. Malgré les faibles
chances de réussite, ils se pres-
sent au portillon car la réputation
de ces pépinières dépasse large-
ment les frontières. Chaque an-
née les grandes compagnies in-
ternationales viennent recruter
les meilleurs cerveaux sur le cam-
pus. La grande majorité des pa-
trons des GAFA – Google, Apple,
Facebook et Amazon – sont issus
de ces écoles d’excellence.
Politique de quotas
Anil et Ayush avaient pu accéder
à l’IIT de Delhi grâce à la politique
de discrimination positive mis
en place en Inde à partir de 1935
par les colons britanniques. Les
instituts indiens de technologies
qui avaient au départ échappé à
ces astreintes doivent, depuis
1973, réserver des quotas aux élè-
ves issus des castes les plus défa-
vorisées : 15 % pour les dalits,
7,5 % pour les Adivasis, les abori-
gènes indiens. Une « classe inter-
r­ égime syrien dans une loca-
lité de l’est de la Syrie. Des af-
frontements avaient déjà op-
posé, début septembre, les
FDS à des combattants de tri-
bus locales arabes. – (AFP.)
Yémen
Mort de deux militaires
de Bahreïn
L’Etat de Bahreïn a annoncé
lundi la mort de deux de
ses soldats impliqués dans la
guerre au Yémen. L’attaque,
menée au moyen de drones,
que Manama a attribuée aux
rebelles houthistes, survient
au moment où les pourpar-
lers de paix s’intensifient
entre les rebelles et l’Arabie
saoudite. Les tirs ont touché
le sud de l’Arabie saoudite,
à la frontière avec le Yémen,
ont déclaré les forces armées
bahreïnies. Riyad dirige de-
puis 2015 une coalition mili-
taire anti-houthistes, dont
Bah­reïn est membre. – (AFP.)
B u rk i n a Fa so
Interdiction du journal et
du site « Jeune Afrique »
Le Burkina Faso a annoncé
lundi la suspension de « tous
les supports de diffusion »
du média français Jeune Afri-
que, qui compte un journal
papier et un site Internet,
après la parution d’articles
évoquant des tensions au
sein de ­l’armée burkinabée.
La junte au pouvoir à Ouaga-
dougou a ­dénoncé une vo-
lonté « de ­jeter un discrédit
inacceptable sur les Forces ar-
mées natio­nales ». – (AFP.)
Manifestation
à New Delhi,
le 23 février
2016, après
le suicide
d’un étudiant
dalit. SAJJAD
HUSSAIN/AFP
médiaire » (« Other Backward
Class ») bénéficie ­également d’un
quota de 27 % des places.
Au total 49,5 % des entrées dans
les IIT et dans les établissements
publics de l’enseignement supé-
rieur, ainsi que dans l’administra-
tion centrale, sont en principe at-
tribuées à des catégories sociales
défavorisées et marginalisées.
Les dalits et les Adivasis bénéfi-
cient également d’une « décote »,
qui leur permet d’être retenus
avec des notes inférieures au ni-
veau requis. L’élite brahmanique
n’a jamais vu d’un bon œil l’arri-
vée de ces concurrents sélection-
nés, selon elle, « au rabais ». Dans
les faits, la politique de discrimi-
Refonder la politi ue
Les élèves
tentent souvent
de dissimuler leur
identité de caste
et vivent dans
la peur d’être
démasqués
nation positive n’a ouvert qu’un
­accès précaire aux basses castes
car le dispositif pèche par man-
que d’ambition et de moyens. Les
étudiants de ces groupes se re-
trouvent propulsés dans un envi-
Liberté, égalité… dignité !
SEUIL
International | 5
ronnement hyperconcurrentiel
auquel ils ne sont pas préparés.
Ils sont souvent livrés à eux-mê-
mes, sans remise à niveau, sans
accompagnement et marginali-
sés, avec des professeurs difficile-
ment ­accessibles.
« L’Etat donne de l’argent pour
des classes de remédiation [une re-
mise à niveau], mais il n’est pas
utilisé pour cela. Or les dalits et
Adivasis accusent un retard, ils
sont issus de milieux pauvres ou
modestes, peu éduqués, ils ne sont
pas habitués à étudier en anglais,
à la pression, au stress. Résultat :
très peu décrochent leur diplôme »,
observe Odile Henry, sociologue,
directrice du Centre de sciences
humaines de Delhi et coautrice
d’une étude sur cette politique de
réservation dans les instituts de
technologie indiens.
Les discriminations en classe,
mais aussi dans les pratiques cul-
turelles, sportives, dans le loge-
ment et même à la cantine res-
tent tellement persistantes que
souvent, les élèves tentent de dis-
simuler leur identité de caste et
­vivent dans la peur d’être démas-
qués et humiliés, facteur supplé-
mentaire de stress. Les établisse-
ments ont commencé à recru-
ter des professeurs issus des bas-
ses castes, mais en nombre
insuffisant, et les enseignants
­appartenant aux castes supé-
rieures sont réputés traiter sé-
vèrement en public les élèves ad-
mis sur quotas.
« Cancer insidieux »
« Les étudiants des groupes réser-
vés restent définis par la caste,
quels que soient leurs résultats
scolaires, tandis que les étudiants
des hautes castes le sont par le mé-
rite », poursuit Odile Henry. L’im-
pératif de réussite est d’autant
plus fort pour eux qu’un échec
peut plonger leur famille dans
la difficulté. Les parents ont géné-
ralement dû emprunter de l’ar-
gent pour donner une éducation
performante à leurs enfants, mi-
sant sur le diplôme pour rem-
bourser les prêts.
Devant le Parlement, le gouver-
nement a révélé qu’entre 2014 et
2021, 122 étudiants de l’IIT, de
l’Indian Institute of Manage-
ment et de l’Indian Institute of
Science, les trois grandes écoles
du pays, avaient mis fin à leurs
jours. Près de 60 % étaient des
dalits. Tout l’enseignement su-
périeur est frappé par ce fléau.
En 2016, le suicide de Rohith
­Vemula, doctorant en sociologie
à l’université d’Hyderabad, dans
le sud de l’Inde, injustement
­sanctionné par l’administration,
avait créé une émotion considé-
rable et servi de catalyseur pour
relancer la question du traite-
ment des basses castes dans le
système de l’enseignement supé-
rieur indien. En vain. « Le cancer
insidieux du castéisme, souligne
Deelip Mhaske, ancien élève dalit
de l’institut de Bombay et mili-
tant anticastes aux Etats-Unis,
continue de s’infiltrer dans la
moelle des campus ». p
Sophie Landrin

6 | International
Niger : la junte a gagné l’épreuve de force avec Paris
Après deux mois de tensions avec les putschistes, la France a dû rappeler ses troupes et son ambassadeur
V
u de Niamey, le départ
précipité et contraint
des troupes françaises
stationnées au Niger,
ainsi que le retour à Paris, tout
aussi prématuré, de l’ambassa-
deur de France en poste dans ce
pays sahélien sonnent incontes-
tablement comme une victoire.
Après deux mois d’épreuve de
force, la junte a fait plier le princi-
pal allié du président Mohamed
Bazoum, démis le 26 juillet et sé-
questré depuis dans sa résidence.
Emmanuel Macron a certes redit,
dimanche 24 septembre, que
M. Bazoum est la « seule autorité
légitime ». Mais l’annonce du re-
pli français confirme que le pou-
voir a, de facto, changé de mains
à Niamey.
La junte militaire conduite par
Abdourahamane Tiani s’est im-
médiatement réjouie de « ce mo-
ment historique [marquant] la
nouvelle étape vers la souverai-
neté du Niger ». Lundi matin,
Aujourd’hui au Faso, quotidien
du Burkina Faso (Etat voisin lui
aussi dirigé par des militaires), ré-
sumait une opinion largement
partagée. Selon ce média, le refus
de la France de rappeler son am-
bassadeur et les quelque 1 500 sol-
dats présents dans le pays, et de
les maintenir au Niger « contre la
volonté des autorités, fussent-elles
putschistes et non reconnues par
la France (…), était intenable et
inopérant ».
Depuis le putsch, la pression ni-
gérienne était allée crescendo en
fonction du renforcement du
pouvoir du général Tiani, soutenu
par les commandants en chef de
tous les corps d’armée. Cette
unité éloignait la perspective
d’une restauration rapide du pré-
sident Bazoum, chef suprême
d’une armée qui ne lui répond
plus. C’était l’objectif intangible
fixé par la France. Mais il n’était
pas partagé par tout le monde au
Niger, particulièrement à Niamey.
La capitale est majoritairement
acquise à l’opposition au prési-
dent Mahamadou Issoufou (2011
à 2021), puis à son successeur, Mo-
hamed Bazoum. Il ne fut pas très
compliqué d’y mobiliser quel-
ques bataillons de militants pour
dénoncer le « néocolonialisme »
français et son ingérence dans les
affaires nigériennes. Quatre jours
Le désarroi des militaires français face au retrait des troupes d’Afrique
Au-delà des arguments sécuritaires avancés pour y maintenir des soldats, le théâtre africain constitue un terrain prisé des états-majors
A près deux mois de con-
frontation avec la junte
nigérienne, l’annonce
par Emmanuel Macron du retrait
des quelque 1 500 soldats fran-
çais déployés au Niger, le 24 sep-
tembre, est l’un des coups les
plus rudes que l’armée française
ait eu à encaisser ces dix derniè-
res années. Même si des alertes
existaient quant à la stabilité du
régime de Mohamed Bazoum, le
président nigérien renversé par
les putschistes en juillet, rares
sont ceux au sein de l’institution
militaire à avoir anticipé que ce
rejet de l’uniforme français serait
aussi rapide, après les retraits du
Mali en 2022, et du Burkina Faso
en début d’année.
« Une page historique se tourne »,
confiait avec regret, quelques
jours avant l’annonce du départ
des militaires français, un général
reconverti dans le secteur privé.
« J’ai vu finir le monde ancien », lâ-
chait un autre gradé, dépité, fin
juillet, dans la foulée du coup
d’Etat nigérien, en référence au li-
vre de l’ancien journaliste spécia-
liste des questions internationa-
les Alexandre Adler, décédé quel-
ques jours plus tôt. Un inhabituel
Des soldats montent la garde devant la base aérienne de Niamey, où sont stationnées les forces françaises, le 16 septembre. AFP
seulement après le putsch, des
manifestants se rassemblaient
déjà devant l’ambassade de
France pour demander le départ
des soldats stationnés au Niger.
Ponctuellement, des groupes de
Nigériens se sont retrouvés ces
dernières semaines aux abords
de la chancellerie. Ce fut de nou-
veau le cas lors de l’expiration de
l’ultimatum de quarante-huit
heures lancé, le 25 août, par les
militaires à l’ambassadeur de
France pour son départ du pays.
Menace d’une intervention
La pression populaire, dont il est
difficile de mesurer le degré de
spontanéité, s’exerçait également
aux portes de la base française
installée à l’aéroport internatio-
nal de Niamey.
Parallèlement, les forces de sé-
curité nigériennes soumettaient
ces deux lieux symboliques de la
présence française à un blocus, li-
mitant les mouvements hu-
mains, restreignant les approvi-
moment de désarroi au sein des
cercles militaires face à un reflux
de la présence française en Afri-
que qu’ils espéraient jusque-là
évitable.
Cet attachement à l’Afrique,
l’institution militaire l’a long-
temps défendu, avec le soutien de
l’exécutif, au nom d’enjeux de sé-
curité : lutte contre le terrorisme,
la corruption, le trafic de mi-
grants et, plus largement, contre
la création de larges zones de non-
droit. Avec la fin de l’opération
« Barkhane » en 2022, et face à
l’impossibilité de venir à bout de
la menace djihadiste, ces visées
sécuritaires se sont muées en
souci de préserver une zone d’in-
fluence française, alors même
que grandissaient les ambitions
russes. Mais cette posture censée
s’accompagner d’un effacement
du militaire au profit de la diplo-
matie culturelle et économique, a
entretenu malgré elle une forme
de statu quo avec le continent.
Face au rejet grandissant de la
politique française en Afrique et à
son lot d’humiliations, des voix
au sein des cercles de défense
commencent toutefois à dénon-
cer en coulisse ce qui a toujours
Le gouvernement
français,
tenant
d’une ligne
dure, s’est
retrouvé isolé
sionnements. La dernière déci-
sion en date prise par Niamey a
été, quelques heures avant l’inter-
vention d’Emmanuel Macron, de
fermer l’espace aérien du Niger
aux « avions français ou aux avi-
ons affrétés par la France, dont
ceux de la flotte d’Air France ».
Confortée en interne, la junte
s’est aussi servie de la menace
d’une intervention militaire ex-
térieure, agitée par la Commu-
nauté économique des Etats
d’Afrique de l’Ouest (Cedeao) et
soutenue par la France, pour ren-
forcer la cohésion nationale et
entretenir son discours antifran-
été une forme de tabou au sein
des armées : le difficile décro-
chage du continent africain pour
des raisons moins opérationnel-
les qu’organisationnelles. En clair,
la difficulté à renoncer à un ter-
rain d’entraînement rugueux
mais pas trop exposé, franco-
phone, permettant de faire tour-
ner les troupes, les primes, et les
postes de commandement, tout
en contribuant au savant avance-
ment des carrières.
Bascule compliquée vers l’Est
Des enjeux devenus plus impor-
tants ces dernières années, à me-
sure qu’est apparue une crise des
vocations, particulièrement au
sein de l’armée de terre – 700 pos-
tes n’ont pas été pourvus, en
2021. La pression sur le maintien
des effectifs en Afrique s’est aussi
paradoxalement renforcée de-
puis le début de la guerre en
Ukraine. La bascule éventuelle de
forces françaises vers l’Europe est
aujourd’hui compliquée par le
fait que beaucoup de pays du
flanc est sont déjà engagés dans
de la coopération avec d’autres
puissances : l’Estonie avec le
Royaume-Uni, la Lituanie avec
çais. La Cedeao eut beau préciser
qu’elle ne jouerait cette carte
qu’en cas d’échec de tous les re-
cours diplomatiques, son atti-
tude alimenta la défiance nigé-
rienne, d’autant que les militai-
res français s’accrochaient à son
territoire.
Toutefois la détermination de
cette organisation à rétablir l’or-
dre constitutionnel au Niger,
fût-ce par la force, montra vite
des signes de faiblesse. Le Nige-
ria, qui devait être le pays moteur
de l’opération, a été rattrapé par
ses propres démons : la secte
Boko Haram et l’organisation
Etat islamique d’Afrique de
l’Ouest. Deux périls qui accapa-
rent une bonne partie des forces
armées nigérianes.
Les putschistes voient ainsi se
desserrer la pression régionale,
la France, tenante d’une ligne
dure, se retrouvant isolée. Les
militaires de Niamey peuvent
aussi tirer profit du pragma-
tisme américain. Tout comme
l’Allemagne, la Pologne et la Rou-
manie avec les Etats-Unis.
Si l’armée française est aujour­-
d’hui parvenue à déployer des
troupes – soit environ 1 300 hom-
mes – en Roumanie et en Estonie,
leur quotidien est surtout fait de
surveillance et d’entraînement
en coalition. A l’inverse, les mis-
sions africaines permettaient de
confronter les troupes au com-
bat, ce qui explique en partie la
difficulté des états-majors à re-
noncer à ce terrain. Fut-ce au prix
de morts (58 au Sahel entre 2013
et 2022) et de l’enfermement
Difficile
de renoncer
à un terrain
d’entraînement
rugueux mais pas
trop exposé,
francophone
et permettant
de faire tourner
les troupes
Paris, les Etats-Unis ne recon-
naissent pas la légitimité de la
junte. A une nuance près : ils ne
peuvent pas qualifier cette prise
de pouvoir de coup d’Etat sous
peine de devoir, obligation lé-
gale, suspendre toute coopéra-
tion militaire avec le Niger.
« Pacte d’assistance mutuelle »
Une telle rupture avec Niamey
aurait probablement un impact
sur la base américaine de drones
d’attaque et de surveillance du Sa-
hel, construite – pour 100 mil-
lions de dollars (94 millions
d’euros) à Agadez. Les forces amé-
ricaines ont repris partiellement
leurs activités au Niger, alors que
les soldats français se claquemu-
raient dans leurs bases.
Parallèlement, le Niger peut
compter sur la solidarité des régi-
mes putschistes voisins. Le
16 septembre, à Bamako, les pré-
sidents des juntes du Mali, du
Burkina Faso et du Niger ont
ainsi signé la « charte du Liptako
dans une monoactivité : la guerre
asymétrique contre des groupes
djihadistes sous-équipés. Le « sa-
voir faire » des missions expédi-
tionnaires françaises a, en outre,
longtemps soutenu l’industrie de
défense, très dépendante des ex-
portations.
Amertume générationnelle
« Les armées ont toujours pensé
qu’elles pourraient s’en sortir en
retirant peu de troupes d’Afrique.
Le deuil sera difficile, la situation
actuelle allait bien à tout le
monde », résume un ancien mili-
taire engagé en Afrique. « La ba-
lance entre les opérations exté-
rieures en Afrique subsaharienne
et les engagements en Europe de
l’Est n’est pas inédite, nuance
pour sa part Bénédicte Chéron,
historienne et maîtresse de con-
férences à l’Institut catholique de
Paris. Elle structure la vie des ar-
mées à partir des années 1970,
avec des tiraillements structurels,
de formation, de doctrine, que les
armées ont déjà connus, même si
la donne se renouvelle évidem-
ment aujourd’hui. »
L’amertume actuelle au sein
des armées est en partie généra-
0123
­
­Mercredi 27­ septembre 2023
Le pays peut
compter sur
la solidarité
des régimes
putschistes
voisins : le Mali et
le Burkina Faso
Gourma » instituant l’Alliance
des Etats du Sahel. L’article 6 de ce
texte stipule que « toute atteinte
à la souveraineté et à l’intégrité du
territoire d’une ou de plusieurs
parties contractantes sera consi-
dérée comme une agression con-
tre les autres parties et engagera
un devoir d’assistance et de se-
cours (…) y compris l’emploi de la
force armée ».
Quelle est l’efficacité opération-
nelle de ce « pacte d’assistance
mutuelle » conclu entre trois ar-
mées incapables de contenir la
guérilla des groupes djihadistes
sur leurs sols respectifs ? La Ce-
deao prendra-t-elle le risque de ré-
pondre à cette question sur le
champ de bataille ?
Niamey a aussi pu mesurer la
solidarité entre voisins putschis-
tes lors de la dernière Assemblée
générale des Nations unies, à New
York, où le Niger n’a pas été auto-
risé à s’exprimer. A la tribune, les
représentants malien et burki-
nabé, avec des accents anti-impé-
rialistes, ont accusé, contre toute
évidence, la France de soutenir les
groupes terroristes pour déstabi-
liser le Sahel. Niamey ne dit pas
autre chose.
Si elle avait été présente dans la
salle, la junte nigérienne aurait
sans doute applaudi un autre
putschiste ouest-africain, Ma-
madi Doumbouya. Le président
de la transition en Guinée, autre
ancienne colonie française, a
tenu à rappeler que « l’Afrique de
papa, la vieille Afrique, c’est ter-
miné », avant de dénoncer le « mo-
dèle démocratique insidieusement
et savamment imposé à l’Afrique
[qui] ne fonctionne pas ». p
Christophe Châtelot
Retrouvez en ligne l’ensemble de nos contenus
tionnelle. La hiérarchie de l’ar-
mée de terre, qui compte pour
beaucoup dans les équilibres au
sommet de l’institution, a tradi-
tionnellement toujours privilé-
gié les opérations légères, me-
nées par l’infanterie. Issus des
premiers du classement de l’école
de Saint-Cyr, les plus haut gradés
sont souvent plus attirés par les
commandos parachutistes ou les
troupes de marine que par la ca-
valerie ou l’artillerie. Or, ces régi-
ments sont par nature plus sou-
cieux de garder ouverts les ca-
naux de coopération avec l’Afri-
que que de se lancer dans une
guerre de positions avec la Russie
sous l’égide de l’OTAN.
« Le dilemme, c’est que l’on sait ce
que coûte éventuellement de quit-
ter l’Afrique, mais on ne sait pas ce
que l’on y gagne », observe un an-
cien coopérant. Mais le mouve-
ment semble inéluctable. Avant
l’été, le principe d’une réduction
des effectifs militaires français du
Gabon (300 soldats), du Sénégal
(300) et de Côte d’Ivoire (900)
avant la fin de l’année avait été
acté après d’âpres discussions en-
tre l’Elysée et les armées. p
Élise Vincent
 France
0123
­
­Mercredi 27­ septembre 2023 |7

Un premier 49.3 en vue sur le budget 2024

Le gouvernement juge « fondamental » l’adoption de la loi de programmation des finances publiques

C’
est un texte qui
passe d’habitude re-
lativement inaperçu
des non-spécialistes
du budget. Pourtant, cette année,
la loi de programmation des fi-
nances publiques (LPFP) devrait,
sauf surprise, contraindre le gou-
vernement à recourir pour la pre-
mière fois depuis la réforme des
retraites à l’article 49.3 de la Cons-
titution. Ce dernier, qui permet de
faire adopter un texte sans vote,
est perçu comme un passage en
force dans une Assemblée natio-
nale privée de majorité absolue
depuis un an. Un nouveau re-
cours à cet outil s’imposera néan-
moins, mercredi 27 septembre en
soirée, si les oppositions refusent
de voter le texte, martèle-t-on à
Bercy, alors que Les Républicains
et le Rassemblement national
laissaient planer le suspense ces
derniers jours.
La LPFP fixe la trajectoire budgé-
taire du pays jusqu’en 2027, dé-
taillant les étapes permettant de
faire baisser le poids de la dette et
de revenir sous les 3 % de déficit
public (à 2,7 % du PIB) en fin de
quinquennat. « Ce texte est fonda-
mental pour la crédibilité budgé-
taire de la nation française », a
lancé Bruno Le Maire, lundi
25 septembre. Signe de la déter-
mination du gouvernement, le
ministre de l’économie avait
bousculé son agenda pour ouvrir
les débats à la commission des fi-
nances de l’Assemblée, enjoi-
gnant aux députés de « dépasser
les clivages politiques ».
Le ministre de l’économie, Bruno Le Maire, à Paris, le 25 septembre. MEHDI FEDOUACH/AFP
Un blocage des crédits de l’UE ?
La case parlementaire a été taillée
sur mesure : c’est dans le cadre avec Les Républicains s’était révélé pas ainsi. La LPFP constitue certes, Le texte présente donc une di- travail [censées doper l’économie],
d’une session extraordinaire que impossible. Depuis, Bercy a accé-
« L’adoption dans le jargon bruxellois, un « ja- mension politique forte, alors que trop important et rapide », indique
la LPFP devrait être examinée dans léré le rythme de réduction du dé- d’une loi de lon qualitatif » pour jauger des ef- la France négocie à la Commission l’avis, paru lundi. La prévision de
l’Hémicycle, peu après la présenta- ficit à l’horizon 2027, et ajusté son forts de la France en matière bud- une réforme des règles budgétai- croissance du PIB pour 2024
tion en conseil des ministres du texte pour tenir compte des de-
programmation gétaire. Néanmoins, « il est difficile res européennes – et du fameux (+ 1,4 %) est « optimiste » et la tra-
budget 2024. Objectif : permettre mandes des collectivités locales et conditionne le d’affirmer que l’absence d’adoption ratio de 3 % de déficit – qui s’appli- jectoire de réduction du déficit
au gouvernement de recourir au de la droite, en allégeant les con- [du texte] serait à elle seule un mo- queront à nouveau à compter de « suppose, en plus de l’effet des ré-
49.3 sans consommer son unique traintes pesant sur les premières.
paiement de tif de blocage des versements euro- 2024. Son adoption sera aussi vue formes des retraites et de l’assuran-
cartouche autorisée lors de la ses- Mais c’est aussi – et surtout – vis- financements péens », lit-on dans une note des d’un bon œil par les agences de ce-chômage, la réalisation d’im-
sion ordinaire, dévolue aux textes à-vis de Bruxelles que l’exécutif services du président (La France notation, qui continuent de scru- portantes économies », qui ne sont
non budgétaires. tient à se doter d’une loi de pro-
européens » insoumise) de la commission des ter la faramineuse dette française, pas précisées.
Pourquoi un tel volontarisme de grammation budgétaire. « L’adop- Pierre Moscovici finances Eric Coquerel. après la dégradation de sa note par Par ailleurs, la trajectoire du gou-
l’exécutif ? D’abord, parce que cet tion d’une LPFP répond aux enga- président de la Cour l’agence Fitch, en avril. « Il y va de vernement implique que les dé-
examen n’est pas une première. gements communautaires de la des comptes Agences de notation notre crédibilité auprès des inves- penses publiques restent en
En décembre 2022, dans un Hémi- France (…) et conditionne le paie- « C’est à l’appréciation de la Com- tisseurs », a précisé le ministre dé- moyenne quasi stables (en vo-
cycle chauffé à blanc par les débats ment de financements européens mission européenne, mais elle a un légué aux comptes publics, Tho- lume) d’ici à 2027 (+ 0,1 %). Soit une
budgétaires de l’automne, il avait importants pour notre pays », a « La non-adoption de la LPFP pouvoir discrétionnaire sur l’octroi mas Cazenave. hausse dix fois moins rapide que
échoué à faire adopter une LPFP souligné M. Moscovici. C’est sur ce pourrait bloquer non seulement les ou non des crédits », résume l’en- Sur le fond, le Haut Conseil des fi- celle qui prévalait avant les crises
comme il est d’usage en début de dernier point que ferraillent de- versements de l’Union européenne tourage de M. Cazeneuve. « Je n’ai nances publiques, organisme rat- (+ 1,2 % jusqu’en 2019). Et même
quinquennat. « C’est pourtant une puis plusieurs semaines majorité attendus en 2023 et en 2024, soit pas envie que la Commission joue taché à la Cour des comptes et ainsi, la France serait l’un des der-
obligation que s’est donnée le Par- et oppositions. A Bercy, on se fait 17,8 milliards d’euros, mais risque- avec l’argent des Français ! », a dra- chargé de donner un avis sur le niers pays européens à revenir
lement (…) et une nécessité de pressant : sans adoption de la loi, rait également de bloquer la suite matisé le rapporteur général texte, s’est toutefois voulu critique sous la barre des 3 %. D’où l’avertis-
bonne gestion, elle donne un cap pas de versement des quelque de l’exécution du plan français et lundi. Le député centriste Charles sur la trajectoire budgétaire portée sement lancé par M. Moscovici,
aux responsables publics », a rap- 18 milliards d’euros que la Com- les versements associés, soit 28 mil- de Courson (Marne) ou le socia- par le gouvernement. Les prévi- lundi : « C’est peu ambitieux, et cela
pelé Pierre Moscovici, le président mission européenne doit à la liards d’euros », a prévenu le minis- liste Philippe Brun (Eure) ont dé- sions de croissance sur lesquelles manque de crédibilité. » p
de la Cour des comptes, lundi. A France dans le cadre du plan de re- tre de l’économie, Bruno Le Maire. noncé un « chantage au versement repose la LPFP « supposent un im- Elsa Conesa
l’époque, trouver un compromis lance post-Covid-19. Les oppositions ne l’entendent des fonds communautaires ». pact des réformes du marché du et Audrey Tonnelier

Le MoDem propose la création d’un « ISF vert » au niveau européen

Des « prélèvements exceptionnels » sur le patrimoine des « plus riches » serviraient à financer la transition climatique

L orsqu’il avait évoqué l’idée

d’un « ISF vert » pour finan-
cer les investissements
dans la transition écologique,
l’économiste Jean Pisani-Ferry
avait provoqué une levée de bou-
cliers dans la majorité ainsi que
chez nombre d’économistes.
« Est-ce que l’impôt est une solu-
tion ? Non ! », avait immédiate-
ment réagi le ministre de l’écono-
mie, Bruno Le Maire.
L’idée a pourtant fait son che-
min. Un rapport parlementaire
sur la fiscalité du patrimoine, ré-
digé par le chef de file des dépu-
tés MoDem, Jean-Paul Mattei,
et par le député communiste du
Cher, Nicolas Sansu, qui doit
être présenté en commission des
finances, à l’Assemblée natio-
nale, mardi 26 septembre, re-
prend la proposition.
Alors que le projet de budget
pour 2024 doit être présenté en
conseil des ministres mercredi
27 septembre, le rapport met le
gouvernement au défi de por-
ter la création d’un tel prélève-
ment au niveau européen.
« Pour financer les nécessaires in-
vestissements dans la transition
climatique », les deux élus préco-
nisent « la mise en place au niveau
européen de prélèvements excep-
tionnels et explicitement tempo-
raires sur le patrimoine des contri-
buables les plus riches, dont le
montant serait calibré ex ante en
fonction du coût anticipé pour les
finances publiques ». Les auteurs
suggèrent ainsi « un prélèvement
de 5 % étalé sur trente années, assis
sur l’actif ­financier net des 10 % les
mieux ­dotés », qui procurerait
« 150 milliards d’euros ».
Une proposition parmi la tren-
taine de pistes évoquées dans ce
document de 227 pages pour dé-
finir « un système fiscal qui ga-
rantit l’équité », écrit Jean-Paul
Mattei. L’élu des Pyrénées-Atlan-
tiques – une terre de gauche où
il exerce le métier de notaire
­depuis trente ans – jure toutefois
ne pas avoir l’ambition d’un
« grand soir fiscal ».
Contexte budgétaire tendu
Le rapport paraît au moment où
les questions de transition clima-
tique et de finances publiques
sont sous les projecteurs. Après
avoir détaillé sa planification
écologique, lundi 25 septembre,
par la voix d’Emmanuel Macron,
l’exécutif s’apprête à présenter
un budget 2024 sous tension,
pris en étau entre la nécessité de
renflouer les caisses de l’Etat, sa
propre doctrine hostile aux haus-
ses d’impôts, et l’impossibilité de
refermer le robinet des aides aux
ménages alors que les prix du
carburant et de l’alimentation
demeurent élevés.
Jean-Paul Mattei n’en est pas à
son premier essai : c’est lui qui, à
l’automne 2022, était parvenu à
faire adopter, contre l’avis du
­gouvernement, un amendement
taxant les « superdividendes »
versés par les grands groupes à la
faveur de la guerre en Ukraine.
Une mesure aussitôt retirée par
l’exécutif dans le texte adopté
avec l’article 49.3 de la Constitu-
tion. Le député n’a toutefois ja-
mais cessé de creuser son sillon,
militant pour un relèvement de la
« flat tax » sur le capital – une pro-
position reprise dans son rapport.
Les rapporteurs partent d’un
« constat » : l’accroissement des
inégalités de patrimoine en
France depuis vingt ans. « 92 % de
la masse de patrimoine brut est
ainsi détenue par la moitié la
mieux dotée des ménages », écri-
vent-ils, citant les travaux de
l’économiste Thomas Piketty.
Le rapport propose ainsi, entre
autres, de repenser la fiscalité de
l’assurance-vie et des holdings
patrimoniales, d’adapter celle des
successions pour tenir compte de
l’évolution des modèles fami-
liaux, d’indexer le barème de l’im-
pôt sur la fortune immobilière
sur l’inflation, ou encore d’en pla-
fonner l’abattement sur la rési-
dence principale à 600 000 euros.
Des pistes qui feront pour certai-
nes l’objet d’amendements pen-
dant le débat au Parlement.
Si Bercy avait écarté l’idée d’un
« ISF vert » au printemps, Bruno
Le Maire et le ministre délégué
aux comptes publics, Thomas Ca-
zenave, ne sont pas hostiles à
l’ouverture d’un chantier sur le
sujet au niveau international.
La prochaine réunion du G20 au
Brésil, en novembre 2024, pour-
rait offrir une fenêtre. « J’ai de-
mandé aux groupes parlementai-
res d’y travailler, admettait Tho-
mas Cazenave, il y a quelques
jours, lors d’un déplacement dans
le Gers. Nous sommes prêts à
prendre des initiatives au niveau
mondial. Nous travaillons déjà à la
mise en place d’un cadastre finan-
cier mondial pour savoir qui pos-
sède quoi, où et comment. Si les
parlementaires sont intéressés, ils
feront des propositions. » p
Elsa Conesa
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8 | France ­
­Mercredi 27­ septembre 2023

c h a n g e m e n t c l i m at i q u e

Ecologie :
les contours
de la doctrine
Macron
A l’issue d’un conseil de planification
écologique, le chef de l’Etat a mis en
avant les aides dans les secteurs du
logement et des transports et a rejeté
les « ruptures » et les contraintes

M
ettre des de minutes, le chef de l’Etat a dé-
mots sur des voilé un peu plus sa philosophie
trajectoires de la transition écologique. Une
et ­dépeindre doctrine où toute idée de con-
un avenir traintes ou de changements socié-
concret à taux est repoussée. « Nous avons
partir de tableaux Excel… Lundi décidé d’encourager nos compa-
25 septembre, Emmanuel Macron triotes, sans interdiction, mais en
s’est plié à un exercice attendu de- les incitant à changer plus vite », a-
puis des mois. Pendant un an, le t-il ainsi assumé au sujet des
secrétariat général à la planifica- ­chaudières à gaz. Comme un ré-
tion écologique lui avait construit sumé de sa pensée. En mai 2023,
des graphiques des réductions at- Elisabeth Borne avait pourtant
tendues des émissions de gaz à évoqué une interdiction de ce Lors de la réunion spéciale sur le climat, Emmanuel Macron et les ministres concernés, à l’Elysée, le 25 septembre. M. EULER/AFP
­effet de serre, secteur par secteur. type de chauffage en 2026.
Une façon de paver le chemin de la Des sujets comme la limitation
neutralité carbone en 2050 avec de la vitesse à 110 km/h sur l’auto-
un premier objectif : la baisse des route, la consommation de
émissions de CO2 de 55 % viande ou l’usage de l’avion n’ont
en 2030 par rapport à 1990. même pas été abordés. Le chef de
En conclusion d’un conseil de l’Etat s’est contenté de parler de
planification écologique, entouré façon très vague d’« une politique Dans le logiciel
de sa première ministre et des de transformation de tous les
membres du gouvernement con- comportements ». macroniste,
cernés par ces sujets, le président
de la République a donc pris la pa- « Politique de justice »
chaque pan de
role pour présenter sa vision Selon plusieurs de ses conseillers, la planification
d’une « écologie à la française » le président de la République est
censée répondre à un triple défi, conscient que les modes de vie doit être pensé
« celui du dérèglement climatique seront à terme amenés à évoluer.
et de ses conséquences, celui d’un Mais il ne veut pas que ces chan- pour dynamiser
effondrement de notre biodiversité gements se fassent dans « des les filières
et celui (…) de la rareté de nos res- ruptures ». Traumatisé par le
sources », selon ses mots. mouvement des « gilets jaunes » économiques
Au pied de cette montagne d’en- de l’hiver 2018-2019, M. Macron
jeux créée par le réchauffement aurait également été récemment
planétaire, ce « portage » politique marqué de voir l’extrême droite
était réclamé par les défenseurs de allemande monter dans les son-
la cause climatique, par les scien­- dages en menant la bataille
tifiques et par l’aile gauche de la ­contre l’interdiction des chaudiè-
majorité. Pendant une trentaine res à gaz et au fioul.
Le président de la République endosse les habits d’un « Pompidou vert »
Mettre en avant les opportunités, rationalité et la « science », a-t-il martelé.
plutôt que les sacrifices. Emmanuel Loin de la « cure » imposée par les Verts
­Macron a dessiné un avenir radieux prônant la décroissance, le chef de l’Etat
pour le pays, source d’emplois, d’indus- promet aux Français une « sobriété me-
tries vertes et de paysages fleuris, lors de surée ». Fustigeant le « déni » d’une partie
son discours tant attendu sur la planifi- de la droite et de l’extrême droite, il
cation écologique, lundi 25 septembre. vante une trajectoire qui permettra de
Depuis l’Elysée, le chef de l’Etat a pré- « protéger nos vies et nos paysages », et
senté sa stratégie pour faire face au ré- donc « l’identité profonde de la France ».
chauffement climatique, à l’issue de plus
de deux heures de réunion aux côtés de « Reprendre le contrôle »
sa première ministre, Elisabeth Borne, et Le sujet du réchauffement climatique
de dix-sept membres du gouvernement. qui charrie son lot de tragédies, allant
Initialement programmé début juillet, des canicules meurtrières aux inonda-
mais reporté à la suite des émeutes tions torrentielles, est anxiogène. Cer-
­urbaines, ce « discours de la méthode », tes. M. Macron avait théorisé, en 2022, la
selon l’Elysée, détaille comment la « fin de l’abondance », évoquant l’épuise-
France parviendra à réduire 55 % de ses ment programmé des ressources natu-
émissions de gaz à effet de serre, d’ici à relles. A cela s’ajoutent le dérèglement
2030 par rapport à 1990. Une gageure ? du climat et l’effondrement de la biodi-
« Un chemin atteignable », rassure M. Ma- versité. Mais la France, croit-il, peut af-
cron, troquant le chiffre de 55 % pour fronter le défi et même en tirer profit.
­celui, bien moins vertigineux, d’une Puisque son écologie, dit-il, « crée de la
baisse de 5 % par an de nos émissions. valeur » et va faire « massivement tra-
Présenté comme l’équivalent du dis- vailler les Français » avec de grands pro-
cours de la Sorbonne qu’Emmanuel Ma- jets comme la construction de treize RER
cron avait tenu en septembre 2017 sur métropolitains, financés à hauteur de
l’Europe, et de celui de Belfort en fé- 700 millions d’euros par l’Etat, et la pro-
vrier 2022 sur la politique énergétique, le duction sur son sol d’usines de batteries
propos présidentiel devait poser la doc- et de voitures électriques.
trine macroniste de l’écologie. Une Prenant le contre-pied du déclinisme, il
­« écologie à la française », fondée sur la vante une France qui « reprend le con-
Alors, lundi, il a plutôt insisté sur veloppement durable de l’Assem- 700 millions d’euros. « Tout ça a le
les aides et les accompagnements blée nationale, Jean-Marc Zulesi, mérite de mettre la transition en
qu’il veut mettre en place dans les député Renaissance des Bouches- haut de l’agenda, avec des mon-
domaines du logement et des du-Rhône, le président de la Répu- tants d’investissement significatifs,
transports, deux sujets de la vie blique a aussi annoncé que le estime Matthieu Auzanneau,
quotidienne des Français, une de leasing permettant l’accès à une ­directeur du think tank The Shift
ses obsessions. « La rénovation voiture électrique pour 100 euros Project. Mais nous sommes sur des
thermique des bâtiments doit se par mois sera lancé en novembre réponses presque exclusivement
doubler d’une politique de justice et et réservé aux véhicules « produits techniques et financières, alors
d’accessibilité. Il nous faudra donc en Europe ». « Nous sommes parfai- qu’il faut impulser dès maintenant
accompagner les ménages qui sont tement conscients qu’une partie des changements profonds de
les plus modestes », a-t-il promis, des Français n’a pas les moyens de mode de vie et d’organisation éco-
sans préciser les aides mais en financer sa propre transition éner- nomique, ce que RTE [le gestion-
­assurant que les chantiers dans les gétique, commente Agnès Pan- naire du réseau de transport
logements sociaux pourraient nier-Runacher, ministre de la d’électricité français] appelle la
commencer « rapidement ». Lors transition énergétique. L’impor- “sobriété structurelle”, sans la-
de la présentation du projet de loi tant est de bien calibrer les aides quelle nous risquons dans dix ans
de finances, mercredi 27 septem- pour embarquer les classes modes- de ne pas avoir assez d’éoliennes et
bre, le dispositif MaPrimeRénov’ tes et moyennes tout en ayant un de centrales nucléaires pour faire
passera de 2,4 milliards à 4 mil- Etat qui donne l’exemple sur son fonctionner le pays. »
liards d’euros. Le montant des propre fonctionnement. »
­bonus et malus automobiles Autre priorité, le développement Techno-solutionnisme
pourrait aussi être modifié. d’infrastructures avec les treize Sans surprise, l’autre mantra
Après avoir reçu une note du projets de RER métropolitains d’Emmanuel Macron est écono-
président de la commission du dé- dans lesquels l’Etat va investir mique. Sortir du charbon
en 2027 et réduire la dépendance
aux énergies fossiles de 60 % à
40 % en 2030 offrirait, selon lui,
une opportunité à la France, « celle
de développer une écologie qui crée
trôle » – terme cher à la droite –, et pion- tion (…) qui touchent souvent les plus vul- de la valeur » dans un pays plus
nière, qui sortira du charbon d’ici au nérables d’entre nous ». souverain. « Au fond, notre dépen-
1er janvier 2027. « Nous sommes le premier Après avoir envoyé des signaux sou- dance aux énergies fossiles, ça
pays à nous doter d’une stratégie natio- vent contradictoires sur l’environnement nous coûte 120 milliards par an. Et
nale », se félicite-t-il. – il avait lancé un plaidoyer sur la scène nos compatriotes doivent l’avoir en
Lorsqu’il évoque une transition verte internationale avec son slogan « Make tête, c’est le prix de notre dépen-
synonyme de « progrès », M. Macron en- our planet great again » en 2017, avant de dance », a-t-il résumé vingt-quatre
dosse les habits d’un « Pompidou vert ». Il moquer le « modèle amish » de certains heures après avoir annoncé une
concilie cette écologie productiviste avec écologistes, en 2020 –, le chef de l’Etat nouvelle aide au carburant de
son attachement à l’Europe qui, grâce, tente de dissiper les malentendus. « Il y 100 euros pour les gros rouleurs
aux mécanismes de « clauses miroirs » et avait une opposition entre l’écologie et son les plus modestes. En ces temps
de taxe carbone aux frontières, doit pro- idéal industrialiste. Il a maintenant récon- d’inflation, le chef de l’Etat tente
téger notre agriculture et la compétitivité cilié intérieurement les deux en déve­- peu à peu d’insérer la thématique
de notre industrie. « Que ceux qui nous loppant cette politique de l’offre verte », du pouvoir d’achat dans celle de la
­expliquent qu’au fond, la taxe carbone aux ­estime l’eurodéputé macroniste Pascal transition écologique. Lundi, il
frontières ne serait pas une bonne chose, ­Canfin, président de la commission envi- s’est engagé à reprendre dès octo-
quand ils refusent de la voter à l’Europe, se ronnement au Parlement européen. bre le « contrôle du prix de notre
rangent à notre solution », tance-t-il, sou- Cette vision de l’écologie mariant idéal électricité » pour qu’elle soit « sou-
lignant l’incohérence des eurodéputés du européen, souveraineté industrielle et tenable à la fois pour nos entrepri-
Rassemblement national. justice sociale, n’a pas encore bâti la « con- ses et pour nos ménages ».
S’engageant à « ne laisser personne sans corde » à laquelle rêve M. Macron. « C’est Dans le logiciel macroniste, cha-
solution », le chef de l’Etat attaque aussi la quand même très abstrait », cingle Olivier que pan de la planification doit
gauche qui le critique. En particulier La Marleix, chef des députés Les Républi- être pensé pour dynamiser les fi-
France insoumise qui, le 18 septembre, a cains. « Du greenwashing », enfonce son lières économiques. Sans entrer
refusé de se rendre à la présentation du homologue au Sénat, Bruno Retailleau. dans le débat sur les restructura-
plan de planification écologique faite par « On a un président qui nous parle d’écolo- tions, M. Macron a ainsi aligné les
Elisabeth Borne aux différents chefs de gie à la française, mais on a l’impression objectifs : 1 million de véhicules
parti présents au Parlement. « Je ne peux que l’écologie à la française, c’est qu’il ne électriques et 1 million de pompes
pas imaginer que ce ne soit par désintérêt, faut rien changer », a déploré la prési- à chaleur devront être produits en
c’était sans doute par oubli », glisse-t-il, dente d’Europe Ecologie-Les Verts, Ma- France d’ici à 2027… « On a renforcé
sarcastique. Avant de rappeler que « ré- rine Tondelier, lundi, sur Franceinfo. p aussi une politique de souveraineté
duire les émissions, c’est réduire la pollu- Claire Gatinois écologique ces dernières années.
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­Mercredi 27­ septembre 2023 France | 9

Transports Le train et la voiture électrique Energie L’enjeu des pompes à

au cœur d’un plan qui fait l’impasse sur l’aérien
Dans les émissions nationales
de gaz à effet de serre, le transport
pèse 30 % et, sur ce total, les deux
tiers proviennent des véhicules
particuliers. La stratégie définie
par le Conseil de planification
­écologique et confirmée par
­Emmanuel Macron, lundi 25 sep-
tembre, est triple : faire basculer
les voitures vers l’électrique, inci-
ter les Français à privilégier les
transports en commun grâce aux
RER métropolitains et encou­-
rager la sobriété. Le chef de l’Etat
table aussi sur les progrès tech­-
nologiques, notamment pour
­décarboner l’aviation.
Pour faire aimer la voiture élec-
trique aux Français et défendre
une écologie « accessible et juste »,
le président de la République mise
sur un mécanisme de location
longue durée (leasing) subven-
tionné par l’Etat, qui permettra de
réduire à 100 euros la mensualité
d’achat pour un véhicule neuf. Les
détails de ce dispositif seront
­connus en novembre. A cette date,
les clients pourront se connecter
sur une plate-forme et réserver un
véhicule qui leur sera livré
en 2024. « Plusieurs dizaines de
milliers de voitures électriques »
­seront ainsi financées en 2024,
­selon Emmanuel Macron, un ob-
jectif plus ambitieux que prévu.
Le chef de l’Etat n’a précisé ni les
conditions de revenus pour y
avoir accès ni les modèles éligi-
bles. En revanche, ces véhicules
devront être produits en France
ou en Europe, comme ceux à qui
sera réservé le nouveau bonus
écologique. Emmanuel Macron
veut utiliser l’écologie comme un
levier pour renforcer la souverai-
neté de la France. Il souhaite que le
pays produise 1 million de voitu-
res électriques par an en 2027 et
soit exportateur de batteries.
« Nous articulons le calendrier du
leasing avec la capacité de produc-
tion en Europe et en France », pré-
cise l’entourage du président pour
expliquer que la mesure annon-
cée pendant la campagne de
2022 ne soit pas encore prête.
Miser sur la sobriété
Le délai laisse le temps à Citroën
de lancer sa ë-C3, produite en Slo-
vénie, et à Renault sa R5, fabriquée
à Douai (Nord). La Dacia Spring,
qui vient de Chine, n’entrerait pas
dans le dispositif. L’Elysée précise
qu’un ménage qui fait 1 000 kilo-
mètres par mois – ce qui est fré-
quent chez ceux qui utilisent leur
voiture pour se rendre à leur tra-
vail – paierait ainsi 20 euros pour
recharger sa voiture au lieu de
200 euros d’essence par mois.
La bascule des particuliers et des
entreprises vers la voiture électri-
que doit représenter 30 % des ré-
ductions des émissions nationa-
les de gaz à effet de serre attendues
d’ici à 2030. Le report vers le train
et les transports collectifs, lui, doit
permettre de faire 15 % du chemin.
Une enveloppe de 700 millions
d’euros sera débloquée dès 2024
pour que les régions puissent fi-
nancer la mise en place de services
express métropolitains dans
treize villes. Il s’agit d’assurer un
train, tram ou bus tous les quarts
d’heures, la journée, pour rejoin-
dre et traverser une métropole,
afin de convaincre les habitants de
renoncer à la voiture.
Certains projets sont très avan-
cés – comme le réseau express
métropolitain européen (REME) à
Strasbourg, ou les programmes de
Bordeaux et Toulouse –, d’autres
moins, comme celui de Lille, pré-
cise l’Elysée, qui n’a toutefois pas
publié la liste des treize villes : elle
est « quasi finalisée », mais il fau-
dra encore attendre « quelques
­semaines ». Au total, Emmanuel
Macron promet une enveloppe de
10 milliards d’euros pour ces servi-
ces express régionaux métropo­-
litains, dont les contours ont été
définis dans une proposition de
loi du député (Renaissance) des
Bouches-du-Rhône Jean-Marc Zu-
lesi, adoptée en première lecture à
l’Assemblée nationale, le 15 juin.
Le dernier volet pour réduire les
émissions repose sur la sobriété,
mentionnée plus rapidement,
mais détaillée dans la présenta-
tion au Conseil national de la re-
fondation, le 19 septembre : 8 % de
l’effort pourrait venir du télétra-
vail, 8 % du covoiturage et 5 % de la
« maîtrise de la demande » sur le
transport aérien. L’Elysée le con-
firme : c’est la fin de l’abondance. p
Sophie Fay
chaleur et du prix de l’électricité
Pour se défaire des énergies
fossiles (pétrole, gaz, charbon),
l’une des solutions réside dans la
décarbonation des logements.
Emmanuel Macron entend tri-
pler le nombre de pompes à cha-
leur produites en France d’ici à
2027, dernière année du quin-
quennat. En vue : 1 million d’uni-
tés par an, a annoncé le chef de
l’Etat, lundi 25 septembre, à l’is-
sue du conseil de planification
écologique, confirmant une in-
formation du quotidien La Croix.
Ce qui impliquerait de bâtir une
filière industrielle, avec la forma-
tion de 30 000 installateurs en
parallèle, et d’accompagner les
ménages les plus modestes.
Ce mode de chauffage bas car-
bone supposera aussi un surcroît
d’électricité. Il concerne déjà
­environ 2,6 millions de foyers.
M. Macron y voit un « formidable
levier de substitution » par rap-
port à des installations au gaz,
quatre fois plus nombreuses.
Pour autant, contrairement à une
hypothèse envisagée, il ne
compte pas interdire dans l’im-
médiat la pose de nouvelles chau-
dières à gaz. Il ne faut « pas laisser
nos compatriotes, en particulier
dans les zones les plus rurales,
sans solution », arguait-il, le
24 septembre, sur TF1 et France 2.
Sans livrer de détail, le chef de
l’Etat a aussi affirmé, lundi, son in-
tention de « reprendre le contrôle »
sur le prix de l’électricité. Un futur
texte de loi sur la production
d’énergie est attendu pour la fin
de l’année. La question est indis-
sociable des débats sur une ré-
forme du marché électrique en
Europe, plus de deux décennies
après sa libéralisation. Sujet sensi-
ble pour les ménages et les indus-
triels, au vu de l’envolée des prix.
Discussions âpres avec EDF
Il fait aussi l’objet d’âpres discus-
sions entre le gouvernement et
l’électricien EDF, dont l’Etat a re-
pris le contrôle intégral en juin. Le
PDG de l’entreprise publique, Luc
Rémont, plaide pour la prise en
compte d’un coût de production
nucléaire plus important que
­celui anticipé par la Commission
de régulation de l’énergie. Cette
autorité chargée des marchés
français l’a estimé à près de
61 euros du mégawattheure entre
2026 et 2030, selon un rapport ré-
vélé le 18 septembre par Contexte.
Malgré une électricité déjà dé-
carbonée grâce au nucléaire et aux
renouvelables (hydraulique, éo-
lien, solaire), la France peut encore
avoir recours aux centrales à char-
bon de Cordemais (Loire-Atlanti-
que) et de Saint-Avold (Moselle).
Soit 0,6 % de sa production électri-
que en 2022. Elles seront conver-
ties à la biomasse d’ici à 2027, a
­déclaré, le 24 septembre, M. Ma-
cron. Au cours de sa première
campagne présidentielle, en 2017,
celui-ci avait pourtant promis de
fixer la fin du charbon à… 2022. p
Adrien Pécout

Pour les voitures, nous avons une

stratégie batterie qui nous permet
d’avoir quatre grandes usines de
batteries, en particulier dans les
Hauts-de-France », s’est-il félicité.
« Il faut montrer qu’il y a des
avantages à faire la transition et il
met un récit sur quelque chose qui
peut être très angoissant, analyse
Benoît Leguet, directeur général
d’I4CE, l’Institut de l’économie
pour le climat. Mais cela ne doit
pas cacher le défi du financement à
long terme. Comme il ne veut pas
contraindre les Français, il faut de
l’argent public pour aider les ména-
ges mais aussi une partie des entre-
prises. Et cela se construit sur plu-
sieurs années. » Pour la première
fois, lundi, M. Macron a esquissé
l’idée d’un plan de financement
pluriannuel et a même réclamé
un « un pacte de stabilité européen
cohérent avec cette approche ».
Avec ce mélange d’un refus des
interdictions et d’une ambition
assumée pour une « croissance
verte », teintée d’un techno-solu-
tionnisme sur l’hydrogène ou le
captage du carbone, cités lundi,
M. Macron dessine sa vision d’une
écologie « positive », de « progrès »,
deux termes en vogue chez ses
partisans depuis 2017. Une façon
de se tenir sur un fil de crête entre
« une écologie du déni » et « une
écologie de la cure » incarnées,
­selon l’Elysée, par l’extrême droite
et une partie de la gauche.
Le chef de l’Etat met aussi en
avant des thématiques moins abs-
traites que les trajectoires d’émis-
sions, comme la biodiversité pour
laquelle un plan sera présenté en
octobre, comme la protection des
forêts ou comme la territoriali­-
sation avec des débats organisés
cet automne. « [Nous devons] tra-
vailler pour, au fond, protéger no-
tre nature et nos paysages, ce qui
montre que notre écologie est aussi
une stratégie de préservation de
notre cadre de vie, de notre richesse
de biodiversité et au fond, de nos
paysages qui constituent l’identité
profonde de la France », a-t-il con-
clu, comme si la transition n’était
qu’une évolution nécessaire pour
mieux protéger les modes de vie.
Loin du grand moment de bascule
annoncé par certains… p
Matthieu Goar
Agriculture Un virage
d’ampleur à peine évoqué
Evoquée en quelques phrases
lors de la prise de parole d’Emma-
nuel Macron, lundi 25 septembre,
en clôture du conseil de planifi­-
cation écologique, l’agriculture
­occupe néanmoins une place
­centrale dans le plan de transition.
En amont de ce rendez-vous, l’en-
tourage du président avait promis
un discours positif : la planifica-
tion envoie un « message d’espoir
à l’agriculture, qui va nous aider à
sortir des énergies fossiles », expli-
quait-on à l’Elysée.
Rien n’a été dit toutefois, dans
cette prise de parole présiden-
tielle, sur les efforts de décarbona-
tion que devra engager le secteur,
le deuxième le plus émetteur
après les transports. Selon la pro-
chaine stratégie nationale bas
­carbone (SNBC), l’agriculture de-
vra réduire ses émissions de gaz à
effet de serre de 16 % entre 2022 et
2030. Si l’objectif de baisse de-
mandé est inférieur à celui
d’autres secteurs, « cela s’explique
logiquement par le caractère en
partie incompressible des émis-
sions issues de l’agriculture », souli-
gne Aurélie Catallo, de l’Institut du
développement durable et des re-
lations internationales.
« Plusieurs points de vigilance »
Mais réduire les émissions agri­-
coles de 13 millions de tonnes
équivalent CO2 nécessitera un vi-
rage d’ampleur, dont les leviers
n’ont pour l’heure pas été dé-
taillés. Le secteur devra agir sur ses
deux principaux postes d’émis-
sions : le méthane (45 % des rejets
agricoles), émis par la fermenta-
tion entérique des ruminants
d’élevage, et le protoxyde d’azote
(42 %), lié aux engrais de synthèse.
« Sur le méthane, le gouverne-
ment est dans une attitude très
passive face à la baisse tendancielle
des cheptels », déplore Aurélie
­Catallo. Sujet sensible, la baisse du
nombre d’animaux d’élevage fi-
gure bien dans le projet de SNBC,
avec une trajectoire de – 12 % d’ici à
2030 des cheptels, alignée sur la
tendance de ces dernières années.
Mais cette baisse est plus subie
que planifiée, en raison des dé-
parts à la retraite d’éleveurs et des
difficultés économiques du sec-
teur. « On ne peut pas continuer à
mettre une cagoule sur ce sujet de
l’élevage et ne pas en parler », s’in-
quiète Ronan Groussier, du Ré-
seau Action Climat.
Autre problème : la consom­-
mation ne suit pas et les Français
mangent toujours autant de
viande, entraînant une hausse des
importations. Le plan de planifica-
tion prévoit une baisse (non chif- À partir du 6 novembre
frée) de la consommation carnée,
mais le gouvernement ne propose
pas de nouveau levier d’action.
Concernant le protoxyde
d’azote, l’objectif affiché est ré-
duire de 30 % l’utilisation des en-
grais de synthèse d’ici à 2030. Mais Avec « Le Monde des livres », apprenez aux côtés de
Aurélie Catallo constate « une ex-
trême prudence à activer ce levier,
parce que ça représente un change- JEAN ROUAUD
ment systémique pour le secteur
agricole (…) : nouvelles rotations,
nouvelles cultures, et une réorgani-
sation des filières, en envisageant Romancier français, Jean Rouaud a obtenu le prix Goncourt pour son livre
une baisse des rendements ».
Plusieurs cibles et sous-objectifs Les Champs d’honneur (Editions de Minuit). Il a depuis patiemment construit une œuvre de la mémoire,
du plan de planification et de la structurée par cycles (La Vie poétique, La Déposition du roman, Marginalia…).
SNBC sont ambitieux mais s’an-
noncent ardus à atteindre : le
­gouvernement veut notamment
accroître la part de l’agriculture
­biologique de 11 % de la surface
agricole utile à 21 % en 2030, ce qui
nécessitera un soutien résolu,
alors que les consommateurs se
détournent du bio. « On a plusieurs
points de vigilance, il faut que les
trajectoires de décarbonation
soient crédibles », avertit Samuel
Féret, de l’Institute for Climate
Economics, qui s’inquiète d’une
surestimation des capacités de
stockage de CO2 dans les sols.
La production agricole se voit
ainsi assigner différents objectifs
– nourrir les Français en émettant
le moins possible, produire de
l’énergie décarbonée pour les
autres secteurs d’activité, stocker
du carbone… – dont la mise en
équilibre s’avère périlleuse. p
Mathilde Gérard

10 | France
Inquiétude sur la formation continue des enseignants
Gabriel Attal veut que les personnels soient formés hors des heures de cours. Une mesure qui ne convainc pas
L’
objectif a été énoncé
d’une phrase par Ga-
briel Attal lors de sa
conférence de presse de
rentrée, le 28 août : « Qu’à la ren-
trée 2024 plus aucun élève ne soit
privé de son professeur en raison
d’une formation, ou d’une con-
trainte administrative. » Sur les
quinze millions d’heures non as-
surées en collège et lycée, environ
10 % sont dues à la formation.
Mais depuis son entrée en fonc-
tions au mois de juillet, le minis-
tre de l’éducation nationale, qui a
fait des absences non remplacées
une « priorité », a plusieurs fois es-
timé qu’il n’était « pas concevable
[qu’autant] d’heures de forma-
tions ou de réunions pédagogi-
ques soient proposées [par l’édu-
cation nationale] aux enseignants
sur leur temps de cours ».
En parallèle, de fortes incita-
tions à développer en priorité le
remplacement de courte durée
dans le cadre du « pacte ensei-
gnant », consigne a ainsi été pas-
sée dans les rectorats d’organiser
la moitié des formations conti-
nues en dehors des heures d’ici à
juin 2024, et la totalité à partir de
septembre 2024.
Sur le terrain, la soudaine appli-
cation de cette directive fait l’effet
d’une conflagration. Les profes-
seurs des écoles étant déjà très
majoritairement formés en de-
hors de leur temps de classe, le
nouveau paradigme concerne es-
sentiellement les enseignants du
second degré, pour qui la forma-
tion n’a jamais été incluse dans
les « obligations de service », limi-
tées aux heures de cours.
« Un chantier très complexe »
Les acteurs de la formation, qui
doivent reprogrammer les projets
finalisés depuis le printemps,
sont invités par le ministère à ex-
plorer plusieurs pistes : travailler
la coordination avec les établisse-
ments pour trouver des plages
horaires communes à certains
enseignants, proposer des forma-
tions partiellement ou entière-
ment à distance, en fin de journée
– sur des horaires que le ministère
ne souhaite pas définir –, ou bien
divisées en plusieurs sessions
d’une ou deux heures plutôt que
pensées sur une journée.
« C’est un chantier énorme et très
complexe », juge Vincent Valéry, le
directeur de l’école académique de
formation d’Aix-Marseille, où
120 000 journées de formation
Au rectorat de Versailles, la gestion du harcèlement en question
Le ministre de l’éducation a reconnu lundi que 55 courriers adressés à des familles semblaient problématiques. Un audit est lancé
I l y a eu une erreur, une faute.
Ces familles n’auraient pas dû
recevoir ces courriers », assure
Gabriel Attal, lundi 25 septembre,
devant le rectorat de Versailles. Le
ministre de l’éducation nationale
poursuit son opération transpa-
rence et fermeté face au harcèle-
ment scolaire. Il est allé rencon-
trer les personnels et le nouveau
recteur de cette académie, après la
révélation par BFM-TV d’un cour-
rier au ton menaçant envoyé aux
parents de Nicolas, l’adolescent
qui s’est suicidé, début septem-
bre, à Poissy, dans les Yvelines.
Ce type de missive est habituelle-
ment adressé aux familles qui me-
nacent ou agressent des agents de
l’éducation nationale. Selon M. At-
tal, sur l’année scolaire 2022-2023,
« 120 courriers dits de réprobation »
ont été envoyés par le rectorat de
Versailles, marqué, en 2020, par
l’assassinat du professeur d’histoi-
re-géographie Samuel Paty. Et « 55
semblent poser question », a-t-il an-
noncé, lundi. Il attend encore des
investigations complémentaires
sont proposées. « On ne peut pas se
contenter de modules à distance,
les enseignants ont besoin de se re-
trouver et d’échanger. Or, pour le
présentiel, les mercredis après-midi
ne suffisent pas et les emplois du
temps en collège et lycée sont telle-
ment différents qu’on ne peut pas
trouver des créneaux qui corres-
pondent à tout le monde. »
« Il faut s’assurer que les forma-
tions n’empiètent pas sur le temps
de cours, donc que l’enseignant
n’ait pas classe, soit remplacé, ou
rattrape son cours », fait valoir le
ministère, reconnaissant qu’il
s’agit d’une « transformation im-
portante ». La Rue de Grenelle af-
firme toutefois qu’il n’est pas
question de déporter les forma-
tions en dehors du temps de tra-
vail : « Nous ne demandons pas
qu’elles soient organisées le soir ou
sur les vacances scolaires. »
Mais depuis plusieurs jours, de
nombreux témoignages d’ensei-
gnants font état, outre de partici-
pations à des formations raccour-
pour faire la lumière sur ces
­dysfonctionnements.
Le scandale survient alors que la
première ministre, Elisabeth
Borne, devait présenter, mercredi
27 septembre, un plan interminis-
tériel de lutte contre le harcèle-
ment. Parmi les pistes explorées :
la confiscation du téléphone por-
table des harceleurs, leur bannis-
sement des réseaux sociaux, l’en-
voi d’un questionnaire à tous les
élèves pour détecter « les signaux
faibles », des cours d’empathie en
primaire ou le renforcement du
programme pHARe (programme
de lutte contre le harcèlement à
l’école) en cours de généralisation
dans les établissements scolaires.
Gabriel Attal a confirmé, lundi, à
Versailles, vouloir également ren-
forcer les moyens des rectorats
avec « des personnels dédiés » à la
lutte contre le harcèlement. « La
situation ne se gère pas avec des
courriers, mais avec de l’humain »,
assure le ministre.
La gestion par l’académie de Ver-
sailles de ce fléau qui toucherait
cies ou conditionnées au rempla-
cement des heures de cours, de
convocations en visioconférence
entre 18 heures et 20 heures, voire
le samedi. Certains reçoivent aussi
des propositions de formations
décalées sur les vacances scolaires,
qui ne peuvent toutefois être obli-
gatoires en vertu de leur statut.
L’association des professeurs
d’histoire et de géographie
(APHG) a aussi rapporté, à la mi-
septembre, la suppression d’or-
dres de mission permettant à des
enseignants de se rendre au Festi-
val international de géographie
de Saint-Dié-des-Vosges ou pour
les Rendez-vous de l’histoire de
Blois, des manifestations « essen-
tielles pour la formation des ensei-
gnants » et qui se déroulent pour
partie sur des journées de classe.
« Il y a trop de contraintes, on est
en train de brutaliser une mécani-
que sensible et cela met tout le
monde en difficulté », déplore
Christian Champendal, le secré-
taire général du SNIA-IPR-UNSA,
près d’un élève sur dix est deve-
nue, en quelques jours, le sym-
bole des manquements de l’édu-
cation nationale dans ce do-
maine. Le courrier reçu, le 4 mai,
par les parents du jeune Nicolas,
qui s’est suicidé, le 5 septembre à
l’âge de 15 ans, a provoqué une
première polémique à la mi-sep-
tembre, avant que l’existence d’un
deuxième courrier, sur certains
points semblables au premier et
également envoyé par le rectorat
de Versailles, ne soit révélée, ven-
dredi 22 septembre, par BFM-TV.
Les regrets de l’ancienne rectrice
Mécontent de la réaction de
l’école après des suspicions d’at-
touchement sur sa fille de 11 ans
par un animateur périscolaire, le
père d’une élève avait porté
plainte contre X, à la mi-mars,
avant de recevoir un courrier si-
milaire à celui reçu par les parents
de Nicolas, début mai.
Dans la foulée de la publication
de ce deuxième courrier, l’an-
cienne rectrice de Versailles, Char-
syndicat majoritaire chez les
­inspecteurs.
« Certains formateurs nous ont
prévenus qu’ils ne souhaitaient
pas continuer », rapporte en
outre Eric Nicollet, le secrétaire
général du SUI-FSU. Les forma-
tions continues sont en effet en
majorité assurées par des ensei-
gnants en poste, en parallèle de
leurs cours, fonction qualifiée de
« peu attractive » par la Cour des
comptes pour sa très faible rétri-
bution en dépit de la charge de
travail supplémentaire.
Même si la Rue de Grenelle as-
sure que l’objectif n’est pas à la
« réduction du temps de forma-
tion » qu’il faudrait au contraire
« renforcer », l’inquiétude est pa-
tente, y compris au-delà des cer-
cles enseignants, quant à l’appau-
vrissement de l’offre et du con-
tenu des formations. La Fonda-
tion pour la mémoire de
l’esclavage, qui propose comme
nombre d’institutions mémoriel-
les et culturelles des formations
line Avenel, est sortie de son si-
lence. Dans les colonnes du Pari-
sien, dimanche 24 septembre,
celle qui a rejoint, à la mi-juillet, le
groupe d’enseignement supérieur
privé Ionis, a expliqué que le prin-
cipal du collège où était scolarisé
Nicolas avait demandé une « pro-
tection fonctionnelle », ce qui a dé-
clenché l’envoi d’un courrier type.
« [Les] parents envisageaient
manifestement de porter plainte
contre le chef d’établissement. En
matière de protection fonction-
nelle, c’est-à-dire l’assistance juri-
dique et la prise en charge des frais
d’avocat, un courrier de réproba-
tion est adressé par le rectorat aux
« Un recteur est
responsable de
tout ce qui sort
de son rectorat »
Bernard Toulemonde
juriste, ancien recteur
aux professeurs, a par exemple
aussi exprimé ses appréhensions.
« Concilier heures de cours assu-
rées et formation conséquente et
de qualité supposerait un vaste
chantier, considère Alain Boissi-
not, ancien recteur. En l’état, je ne
vois pas comment il serait possible
d’appliquer les nouvelles consignes
sans que la formation en pâtisse, et
c’est une mauvaise nouvelle. »
Les enseignants français bénéfi-
ciaient déjà d’un temps de forma-
tion continue plus de deux fois
moindre que la moyenne des pays
de l’Organisation de coopération
et de développement économi-
ques avant la pandémie de Co-
vid-19, qui l’a encore atrophié, et
bien moins élevé que tous les per-
sonnels des autres ministères. Ils
sont aussi ceux qui estiment le
plus qu’il n’existe pas de forma-
tion appropriée à leurs besoins.
Comme le soulignait un rapport
de la Cour des comptes, le 7 sep-
tembre, la formation des ensei-
gnants est pourtant l’un des « prin-
parents qui menacent un membre
du corps enseignant », détaille
l’ancienne rectrice. Elle reconnaît
que, dans un cas de harcèlement,
cet envoi était inapproprié, même
si elle avait « validé le principe de
courriers adressés aux familles qui
menacent les enseignants ». « Je re-
grette de ne pas avoir eu connais-
sance de ces courriers et de ne pas
avoir pu m’assurer qu’on tienne
compte de la détresse des fa-
milles », ajoute-t-elle.
Une réaction qui agace les an-
ciens cadres de l’éducation natio-
nale. « Plusieurs anciens recteurs
de mon âge sont choqués par sa
réaction, rapporte Bernard Toule-
monde, juriste, ancien recteur et
fin connaisseur du système édu-
catif. Un recteur est responsable de
tout ce qui sort de son rectorat. Elle
ne peut donc pas dire qu’elle n’a
pas vu. Les employés du rectorat
n’agissent que par délégation du
recteur, ils ont d’ailleurs déléga-
tion de signature. »
Découvrira-t-on d’autres cour-
riers du même type ? L’audit
0123
­
­Mercredi 27­ septembre 2023
« Certains
formateurs nous
ont prévenus
qu’ils ne
souhaitaient pas
continuer »
Éric Nicollet
secrétaire général du SUI-FSU
cipaux leviers susceptibles d’amé-
liorer à court et moyen termes les
résultats des élèves français » et le
service public d’enseignement.
« Les collègues risquent d’être dé-
couragés de se former ou de renon-
cer à des projets qui nécessitent
des formations », redoute Sophie
Vénétitay, la secrétaire générale
du SNES-FSU. Dans une lettre aler-
tant le ministre sur un risque
d’« effondrement pur et simple de
la formation continue ».
« Charge de travail intenable »
Catherine Nave-Bekhti, la secré-
taire générale du SGEN-CFDT,
abonde : « Les enseignants som-
més de se former de manière mor-
celée ou exclusivement sur le
temps de vacances des élèves y re-
nonceront pour se protéger d’une
charge de travail intenable et
parce que la formation n’aura plus
l’intérêt de [leur] permettre de se
former ensemble, au sein d’un
groupe, avec du temps pour s’ex-
traire du quotidien. »
Des risques que les inspecteurs
jugent trop élevés au regard de la
durée des absences que la nou-
velle consigne est censée éviter :
le temps moyen de formation
dans le second degré ne dépassait
pas un jour et demi par an et par
professeur en 2020-2021, trois
jours au maximum avant la pan-
démie de Covid-19.
« On se trompe de cible : le vrai
problème tient aux non-rempla-
cements de longue durée, pas
à quelques jours de formation ou
de réunions qui sont par ailleurs
importantes pour le système édu-
catif », déclare Christian Cham-
pendal. « Trente enseignants ab-
sents une journée ont bien moins
d’effet sur la scolarité d’un élève
qu’un seul enseignant absent
trente jours d’affilée sans rempla-
cement, complète Eric Nicollet,
du SUI-FSU. Et, là-dessus, nous
n’avons pas de réponse. » p
Éléa Pommiers
lancé dans l’ensemble des recto-
rats et dont les conclusions doi-
vent être rendues mi-octobre doit
permettre de lister d’éventuelles
défaillances. Une chose est sûre,
de nombreuses familles ont ap-
pelé à l’aide et n’ont pas obtenu la
réponse attendue.
« Bien souvent, les parents disent
“au secours !” et le rectorat ne ré-
pond rien, ce qui est une autre
forme de violence, souligne Valé-
rie Piau, avocate qui accompagne
des parents en conflit avec l’école.
Et comme les familles sont très in-
quiètes parce que leur enfant est
en danger, elles peuvent être un
peu véhémentes dans leur expres-
sion. A ce moment-là, le rectorat
va les taxer d’agressivité et vivre
cela comme une mise en cause du
travail de ses fonctionnaires. »
L’avocate plaide pour qu’il soit
possible pour les parents de saisir
une inspection indépendante, ca-
pable de regarder de près ce qui
s’est passé dans l’établissement. p
Sylvie Lecherbonnier
et Violaine Morin
0123
­
­Mercredi 27­ septembre 2023 France | 11

Redoine Faïd, ou le récit incomplet d’une évasion

Pour la première fois, le braqueur a raconté sa fuite de la prison de Réau. Et s’est évertué à dédouaner ses proches

R
edoine Faïd s’était tu
pendant cinq ans ; il a
parlé pendant trois heu-
res sans s’arrêter, lundi
25 septembre, livrant pour la pre-
mière fois le récit de ce
1er juillet 2018 où, s’élevant en héli-
coptère au-dessus du centre péni-
tentiaire de Réau (Seine-et-Marne),
il a « pris le soleil en plein visage,
comme un premier goût de li-
berté », et vécu « une sensation in-
racontable, celle d’un huis clos qui
soudain s’est ouvert aux quatre
vents, à l’espace, à l’infini ».
Trois heures d’un étonnant ver-
biage pour narrer l’évasion spec-
taculaire qui lui vaut de compa-
raître devant la cour d’assises de
Paris, trois heures pour conter
son histoire comme on conte une
légende, murmurant par mo-
ments, haussant le ton à d’autres,
tantôt grandiloquent, tantôt bra-
vache, plein d’aplomb et manifes-
tement fier de son coup, trois
heures dont on ressort avec la
sensation paradoxale que
­Redoine Faïd n’a pas dit grand-
chose, et qu’il a surtout tâché de
sauver ce qui pouvait encore
l’être : son image et ses proches.
L’accusé de 51 ans, braqueur
multirécidiviste, commence son
récit au quartier d’isolement de la
prison de Fresnes (Val-de-Marne),
où il se trouvait en 2017, un « gouf-
fre inouï », des « conditions de dé-
tention extrêmes », obscures, froi-
des, insalubres, une « machine à
broyer » où « la folie vous guette ».
« Un jour, vous avez l’évasion qui
passe devant vos yeux. “Pourquoi
je me barrerais pas ? Je vais crever
ici.” L’évasion, c’est une solution.
Mauvaise, mais elle permet de res-
pirer, de croire, elle fait entrer un
espoir. Elle t’empêche peut-être de
te suicider, parce que tu t’accroches
à quelque chose. »
Sa décision devient irrévocable.
« Dorénavant, la liberté est ce pour
quoi je vis. A ce moment-là, je sais
que je ne cesserai d’être libre que
lorsque je cesserai de vivre. »
« Des choses irrationnelles »
Redoine Faïd est transféré à Réau
en novembre 2017, toujours en
quartier d’isolement, « un grand
laboratoire du temps qui ne passe
pas », où il se met en condition.
« Faut pas juste une Kalachnikov et
un hélico pour s’évader. Ça se passe
d’abord dans la tête. Le plus impor-
tant, c’est de trouver la sérénité. »
« Il y avait plusieurs manières de
s’évader de Réau. Je les dirai pas, ça
peut servir à d’autres », poursuit
l’accusé. Jusqu’à la mi-mai 2018,
« ça devait se faire avec des explo-
sifs ». Mais Redoine Faïd ne veut
« pas une goutte de sang », alors il
choisit une méthode « plus so-
phistiquée », inspirée de rois de
l’évasion, notamment de « Jac-
ques Mesrine », « Pascal Payet et sa
disqueuse », « Michel Vaujour et
son hélicoptère ». « Je fusionne
tous ces modes opératoires, et j’ap-
porte ma touche personnelle. »
« A partir du moment où j’ai dé-
cidé de prendre ma liberté, il s’est
passé des choses irrationnelles »,
annonce-t-il. Il y a d’abord cette
« faille irrationnelle » dans la struc-
ture de la prison de Réau : l’ab-
sence de filins antihélicoptères
au-dessus de la cour d’honneur.
« Ils en ont pas mis, je sais pas
pourquoi. J’ai eu du mal à y croire.
L’irrationalité commence là. » Il y a
ensuite ce « tuyau ­irrationnel » qui
lui parvient : dans cette cour,
« une porte de service donne accès
aux parloirs. L’idée commence à
germer. Si on trouve un moyen de
péter cette porte, c’est faisable ».
Pour s’évader des prisons
­modernes « bunkérisées », il faut
une aide extérieure. « J’ai la
chance d’avoir des amis. Quand je
suis dans la merde, ils sont là. »
On ne saura pas de qui il s’agit :
« Les potes, je les balancerai pas.
J’ai des réticences à créer des en-
Pour son évasion,
l’accusé a choisi
une méthode
inspirée des rois
en la matière,
notamment
Jacques Mesrine
nuis aux gens qui m’ont aidé au
péril de leur vie. »
Redoine Faïd évoque « un ami
de trente ans », « mon gars sûr »,
cerveau désigné de l’opération,
que ce dernier coordonne depuis
une voiture à bord de laquelle
l’accusé prendra la fuite à sa
­descente d’hélicoptère. Il est éga-
lement question d’un « deuxième
gars », « un spécialiste de l’aérien »,
leader supposé du ­commando à
bord de l’aéronef. L’accusé expli-
que encore avoir fait appel à son
grand frère ­Rachid pour sa qualité
de « professionnel du bâtiment » :
ayant renoncé aux explosifs, il
avait ­besoin de quelqu’un qui
« sait utiliser une disqueuse sans
perdre de temps » pour scier les
grilles menant aux parloirs.
« Coïncidence »
En revanche, aucun autre partici-
pant à l’opération ne se trouve
dans la salle d’audience, promet
Redoine Faïd, qui affirme que les
membres de son entourage assis
sur les bancs des accusés – un
autre frère, trois neveux, une
amie – n’ont rien à y faire. Surtout
pas son neveu Ishaac Herizi, « le
mec le plus clean de la famille ».
Ce dernier a pourtant raconté à
Alima A., l’amie chez qui Redoine
Faïd sera interpellé, qu’il était
monté dans l’hélicoptère – c’est
en tout cas ce qu’elle a avoué en
garde à vue. « Alors oui, y a les pa-
roles d’Alima », a reconnu Redoine
Faïd, qui a mis ces aveux sur le
compte de la « pression » poli-
cière : « Faut voir comment ils lui
ont parlé. Ils l’ont insultée, ils l’ont
rudoyée, elle a eu peur. »
Bref, à l’issue du monologue de
Redoine Faïd, les points d’interro-
gation demeurent : on ignore tou-
jours qui était le troisième – voire
le deuxième – homme dans l’héli-
coptère ; on ne sait pas comment
il a appris l’existence de la fa-
meuse porte reliant la cour dé-
pourvue de filins aux parloirs, ni
comment ses complices ont eu le
feu vert le jour J, sans parler du
choix du pilote d’hélicoptère pris
en otage, dont la belle-fille – bien-
tôt entendue à l’audience – avait
entretenu, quelques années plus
tôt, une relation épistolaire avec
le futur évadé. « Irrationnel », ça
aussi, a dit Redoine Faïd, qui parle
d’une « coïncidence ».
L’accusé devait encore affronter,
mardi 26 septembre, les ques-
tions des magistrats de la cour et
de l’accusation. Nul doute que
ceux-ci voudront remettre un
peu de rationalité dans tout ça. p
Henri Seckel

Fin de vie : la justice

européenne va statuer
sur le recours de Dignitas
L’association se bat pour l’ouverture en
France d’un « droit de mourir dans la dignité »
L a France va-t-elle devoir légi-
férer en faveur du suicide
assisté ou de l’euthana-
sie sous la menace d’une éven-
tuelle condamnation de la Cour
européenne des droits de
l’homme (CEDH) ? Le projet de loi
instaurant une aide active à mou-
IL N’Y A JAMAIS
EU AUTANT DE
grands principes qui figurent
tous dans la Convention euro-
péenne des droits de l’homme. TENSION POSITIVE
ENTRE LA FRANCE
La décision de la CEDH d’ins-
truire ces requêtes va désormais
donner lieu à un débat contradic-
toire avec le gouvernement fran-
çais qui prendra du temps. Les

rir devrait être rendu public « dans
les prochaines semaines », selon
l’Elysée. Mais pour contraindre le
gouvernement à tenir ses engage-
ments, les partisans d’un change-
ment du cadre légal de la fin de vie
estiment disposer d’un nouveau
moyen de pression.
La CEDH a, en effet, annoncé,
lundi 25 septembre, sa décision
d’instruire trente et une requêtes
déposées en avril par Dignitas
contre la France. Ces requêtes,
toutes identiques, émanent de
membres – en grande majorité
français – de cette association
suisse connue pour accompagner
des personnes qui souhaitent
mettre fin à leur vie. Le fait que la
CEDH ait considéré que les requê-
tes de Dignitas sont recevables est
« une victoire d’étape décisive, se
félicite Me Patrice Spinosi, avocat
de l’association. Plus de 90 % des
actions engagées contre la France
devant la CEDH échouent à passer
le filtre de l’admissibilité ».
Débat contradictoire
Dignitas, qui a saisi la CEDH dans
l’espoir d’obtenir l’ouverture en
France « d’un droit de mourir dans
la dignité », espère parvenir à ses
fins en se fondant sur la Conven-
tion européenne des droits de
l’homme. Dans son argumentaire
juridique, l’association fait valoir
que la France – faute de législation
sur l’aide active à mourir – viole le
« droit à la vie », à « la protection
contre un traitement inhumain ou
dégradant », « à l’autonomie per-
sonnelle », « à la liberté de pensée
et de conscience », autant de
ET L’ANGLETERRE.
échanges entre la France et la Cour
devraient s’achever au plus tard en
septembre 2024. La délibération
de la CEDH pourrait ensuite pren-
dre au minimum un an. L’arrêt de
la Cour ne devrait pas intervenir
avant fin 2025.
D’ici là, « la France ne peut pas En créant ElecLink, le premier interconnecteur à très haute tension installé
faire l’impasse sur une législation dans un tunnel sous la mer, nous avons accru de 33 % les capacités
sauf à risquer une condamnation de transport d’électricité entre le Royaume-Uni et la France*.
de la CEDH », plaide Me Spinosi. D’une capacité d’1 gigawatt, notre câble peut alimenter en électricité
Selon l’avocat de Dignitas, le
une métropole comme Lyon, soit 1,6 million d’habitants. ElecLink renforce
contexte européen est favorable
à un jugement de la CEDH éta- également l’intégration des réseaux électriques européens nécessaires
blissant que « l’interdiction de à l’essor des énergies renouvelables et à l’équilibre des besoins
toute forme d’aide active à mou- énergétiques entre la France et l’Angleterre.
rir » est incompatible avec les
droits de la Convention. « Les
pays autorisant l’aide active à
mourir sont de plus en plus nom-
breux, poursuit-il, et un consen-
sus se dégage au sein des opinions
publiques européennes en faveur
de l’ouverture de ce droit. » LE PLUS COURT CHEMIN
La Cour se prononcera sur l’état VERS LE FUTUR BAS-CARBONE.
du droit en France tel qu’il était au
moment où elle a été saisie, soit getlinkgroup.com
au printemps 2023. Autrement
dit, même si une loi sur la fin de
vie était adoptée avant 2025, la
CEDH pourrait donner raison sur
le fond à Dignitas.
Dans ce cas, l’arrêt qu’elle ren-
dra ferait jurisprudence pour
tous les pays européens qui se
trouvent aujourd’hui dans le
même cas que la France. Ceux-ci
pourraient alors potentiellement
devoir faire évoluer leurs législa-
*L’interconnexion ElecLink complète celles déjà existantes entre les deux pays : IFA2000, entrée en vigueur en 1986 pour une capacité de 2 000 mégawatts (MW),
tions vers la reconnaissance et IFA2, entrée en service début 2021 et qui passe par des câbles sous-marins pour échanger 1 000 MW.Avec 1 GW de capacité, ElecLink vient augmenter de + 33 %
d’une aide active à mourir. Sous la capacité d’échange électrique entre la France et le Royaume-Uni. Plus d’informations sur : getlinkgroup.com/groupe/eleclink - © Getlink |
peine d’un nouveau recours de-
vant la Cour de Strasbourg. p
Béatrice Jérôme

12 | France
Corse : Macron
attendu sur
le statut de l’île
Le chef de l’Etat devrait se rendre
sur l’île de mercredi à vendredi,
dans un climat qui oscille entre
compromis et regain des tensions
Ajaccio - envoyé spécial
I
ls posent tous le même dia-
gnostic : la Corse ne va pas
très bien et il y a urgence. « On
est sur un volcan », s’alarme
même Jean-Jacques Ciccolini, le
président de l’association des mai-
res de Corse-du-Sud. A l’instar de
l’édile de Cozzano, village de près
de 300 habitants perché sur les
flancs escarpés du Haut-Taravo, les
responsables politiques corses,
nationalistes ou pas, sont quasi
unanimes. « On est sur un point de
bascule ; soit on avance par le com-
promis, soit c’est un blocage et les
tensions se durcissent », estiment-
ils en substance.
C’est dans ce contexte d’inquié-
tude et d’expectative qu’Emma-
nuel Macron est attendu en Corse
du mercredi 27 au vendredi
29 septembre. Motif officiel de
cette quatrième visite présiden-
tielle : la célébration du 80e anni-
versaire de la libération de l’île,
avec au programme un hommage
à deux résistants corses : Fred
­Scamaroni, qui s’est suicidé le
19 mars 1943 dans une cellule de la
citadelle d’Ajaccio après avoir été
torturé par les nazis, et Danielle
Casanova, morte du typhus à Aus-
chwitz le 9 mai 1943, où elle avait
été déportée en janvier 1943 après
son arrestation par la police fran-
çaise, en février 1942, à Paris.
Séquence mémorielle, donc,
comme le chef de l’Etat les affec-
tionne, mais, personne n’est dupe,
l’enjeu de cette visite dépasse lar-
gement ce cadre. Pour Gilles Si-
meoni, le président nationaliste
de l’exécutif corse, « l’enjeu de ce
déplacement est d’abord et surtout
politique ». Le chef de file de la
droite insulaire, le député (Hori-
zons) de Corse-du-Sud, Laurent
Des harkis demandent « réparation » à la SNCF et à la Sonacotra
L’association Générations harkis réclame un fonds d’indemnisation pour les personnes victimes de « conditions indignes de l’accueil »
C’ est une requête qu’il
n’aurait jamais imaginé
rédiger. Mercredi
20 septembre, Mohamed Djafour,
président de l’association Généra-
tions harkis – ces combattants en-
gagés dans l’armée française, dé-
laissés par l’Etat, avec leurs fa-
milles, au lendemain de la fin de la
guerre d’Algérie (1954-1962) –, a
envoyé deux recommandés : l’un
adressé à Jean-Pierre Farandou,
PDG de la SNCF, et l’autre à Eric
Lombard, directeur général de la
Caisse des dépôts. Dans ces missi-
ves que Le Monde a pu consulter,
ce fils de harkis suggère à ces deux
grands patrons de « mettre en
place un fonds national d’indem-
nisation des victimes [de cette tra-
gédie] (…) afin de prévenir un con-
tentieux de masse ». Pour quelle
raison ? Comment est-il arrivé à
formuler cette proposition ? Et
pourquoi viser seulement ces
deux institutions publiques ?
Tout commence le 15 mai : ce
jour-là, la Commission nationale
indépendante de reconnaissance
et de réparation des préjudices
subis par les harkis (CNIH) rend
son rapport d’activité à la pre-
mière ministre, Elisabeth Borne.
Ce long document dresse le bilan
Marcangeli, ou encore Jean-Chris-
tophe Angelini, le maire autono-
miste de Porto-Vecchio (Corse-du-
Sud), l’une des figures nationalis-
tes opposantes à Gilles Simeoni,
partagent ce point de vue. Tous
s’impatientent de la parole prési-
dentielle et de ses annonces
­concernant une éventuelle évolu-
tion du statut de l’île.
Voilà près d’un an et demi
qu’élus corses de tout bord et
gouvernement sont engagés
dans des discussions au centre
desquelles revient de manière
­incontournable la question
­institutionnelle. Ouvertes en
juillet 2022, à la suite des émeu-
tes qui ont secoué l’île après
l’agression mortelle d’Yvan Co-
lonna le 2 mars 2022 dans la pri-
son d’Arles (Bouches-du-Rhône),
ces discussions menées sous la
houlette du ministre de l’inté-
rieur, Gérald Darmanin, avan-
cent par intermittence (cinq réu-
nions en quatorze mois), selon
un rythme que les soubresauts
de l’actualité et les humeurs des
différents acteurs dictent.
Bulle « médiatique »
Autonomie ou pas ? Et si oui,
quelle autonomie ? Vieux débat
insulaire qui exacerbe les pas-
sions et que M. Darmanin a tenté
de désamorcer dès mars 2022,
alors que la jeunesse insulaire
manifestait au cri de « statu fran-
cese assassinu » (Etat français as-
sassin). « Nous sommes prêts à al-
ler jusqu’à l’autonomie », avait-il
même concédé dans Corse-Matin.
Depuis, les différents acteurs riva-
lisent de déclarations et de postu-
res. « Derrière le mot autonomie, il
faut un contenu. Je ne suis pas sûr
que l’autonomie rendra les gens
plus heureux », souligne Jean-
La commission
décrit des
conditions de vie
atroces dans les
lieux d’accueil
dirigés par les
deux institutions
d’une première année d’action
depuis la promulgation de la loi
du 23 février 2022, traduction en
droit du discours tenu à l’Elysée
par Emmanuel Macron, le 20 sep-
tembre 2021, dans lequel il avait
demandé « pardon » aux harkis et
admis « un abandon de la Républi-
que française ».
Cette loi, qui reconnaît « les con-
ditions indignes de l’accueil » ré-
servé aux 90 000 harkis et à leurs
familles, prévoit d’indemniser
uniquement ceux qui sont passés
de 1962 à 1975 par 89 structures
identifiées (camps ou hameaux
de forestage) et gérées par l’admi-
nistration. La commission, elle,
valide, ou non, les dossiers. A ce
jour, elle en a approuvé 9 200 sur
les 10 000 examinés (31 200 de-
Gilles Simeoni, président de l’exécutif de Corse, et Gérald Darmanin, à Ajaccio, le 14 septembre. PASCAL POCHARD-CASABIANCA/AFP
Martin Mondoloni, le coprési-
dent du groupe Un Soffiu Novu.
Ce proviseur de lycée, élu de
droite, considère que ce débat sur
l’autonomie « n’est qu’une bulle
politiquement médiatique » dont
la grande majorité des Corses n’a
rien à faire. A l’exception de quel-
ques militants, « largement mino-
ritaires », selon lui. Stéphane
Sbraggia, le maire (Horizons)
d’Ajaccio, dresse le même constat.
« Les Ajacciens ne me parlent pas
d’autonomie, ni de réforme institu-
tionnelle. Ce qui les préoccupe, c’est
le pouvoir d’achat, le logement, les
questions sociales… », dit-il.
A l’opposé, les thuriféraires de
l’autonomie voient dans sa mise
en œuvre et les modifications ins-
titutionnelles qu’elle implique
l’amorce des solutions au pro-
blème corse. M. Angelini en fait
« un outil politique pour entre-
prendre les réformes dont la Corse
a besoin ». Pour M. Simeoni, son
avènement constituerait l’abou-
tissement d’un combat entamé
lors des événements d’Aléria
en 1975 et dont son père, Edmond,
fut la figure emblématique.
En attendant la parole présiden-
tielle, dans l’île chaque camp af-
fûte ses arguments. Chacun s’em-
mandes déposées), la moyenne
des indemnisations s’élevant à
8 000 euros. Cette réparation est
jugée, par ailleurs, « ridicule » par
les représentants des harkis :
2 000 euros pour trois mois vécus
dans un camp, 3 000 pour une an-
née, puis 1 000 euros pour cha-
que année supplémentaire.
Dans son rapport d’activité, un
passage de plusieurs dizaines de
pages a révélé un aspect insoup-
çonné dans le drame réservé à ces
soldats dès leur arrivée en France.
« Nous sommes tombés des
nues », confie Mohamed Djafour.
Dans le chapitre IV, la CNIH pro-
pose au gouvernement – qui a ac-
cepté – d’élargir la liste des sites
pouvant donner droit à répara-
tion en y intégrant 45 nouveaux
lieux. Cette solution permet de
contenter des harkis et leurs des-
cendants qui se sont sentis ex-
clus du dispositif d’indemnisa-
tion et régler ainsi la « principale
source d’insatisfaction », comme
le reconnaît la commission.
« Que ce soit pour les réparations
ou pour la détermination des sites,
nous avons un regard bienveillant
mais qui se veut quand même ri-
goureux pour être crédible, pas at-
taquable », a assuré Jean-Marie
Les nationalistes
aux commandes
de la collectivité
corse imposent
leur marque
à la force
des symboles
ploie à rassurer ses troupes, quitte
à verser parfois dans la suren-
chère. Les attentats ont repris de-
puis 2022, année depuis laquelle le
Front de libération nationale corse
(FLNC) est concurrencé par l’émer-
gence d’une nouvelle organisa-
tion clandestine, la Ghjuventu
Clandestina Corsa (GCC), consti-
tuée de quelques groupes épars
qui agissent essentiellement dans
la région ajaccienne.
Sur un plan purement politique,
les nationalistes aux commandes
de la collectivité corse imposent
leur marque à la force des symbo-
les. Le dernier épisode en date re-
monte au 5 juillet. Ce jour-là, l’As-
semblée de Corse a adopté par
46 voix sur 63 – autonomistes et
indépendantistes du groupe Core
Bockel, président de la CNIH lors
d’une audition à l’Assemblée na-
tionale, le 21 juin. Jusqu’à
14 000 personnes supplémentai-
res pourraient être concernées.
« Ce n’est pas marginal », a ajouté
M. Bockel. Ce recensement s’est
fait avec les historiens de la com-
mission qui « ont fourni un travail
d’expertise historique approfondi
pour chacun des lieux de cette liste
à partir des archives nationales,
départementales et municipales »,
lit-on dans le rapport.
« Ce n’est pas contestable »
Parmi ces nouveaux sites, certains
ont été « gérés » par deux entrepri-
ses publiques qui avaient signé
une convention avec l’Etat pour
loger des harkis et leurs familles.
Trois lieux ont été administrés par
la SNCF et la Sonacotra (foyers de
travailleurs algériens), devenue
Adoma, filiale de la Caisse des dé-
pôts ; douze autres uniquement
par la Sonacotra. « Nous avons dé-
couvert cette histoire que nous
ignorions », assure M. Djafour.
La commission décrit, sans pin-
cettes, avec minutie, parfois à
l’aide de photos et de plans, des
conditions de vie atroces dans ces
endroits dirigés par ces deux insti-
in Fronte rassemblés – une délibé-
ration soumise au vote par le
groupe du président Simeoni, Fà
Populu Inseme, qui énonce « sa
volonté que la Corse soit dotée d’un
statut d’autonomie dans le cadre
de la République française », et qui
stipule « la reconnaissance de
l’existence du peuple corse et de ses
droits ; un statut de coofficialité de
la langue corse ; un statut de rési-
dent ». En bon ancien avocat qu’il
est et fort d’une confortable majo-
rité au sein de cette assemblée,
M. Simeoni plaide : « On a dit ce
qu’on veut et ce qu’on ne veut pas. »
Profond malaise
Une manière de répondre au chef
de l’Etat, qui, lors d’une rencontre
avec les élus corses, le 24 février au
ministère de l’intérieur, s’était en-
gagé à s’exprimer sur le sujet avant
« la fin de l’été », dès lors que ces
élus lui présenteraient « une pro-
position ». « Pas de tabou » et « pas
de solution prédéterminée », avait
alors lancé M. Macron. Tout en se
disant favorable à une forme de
compromis et « à la recherche des
équilibres », M. Simeoni considère
que la délibération du 5 juillet doit
être le socle des discussions à ve-
nir. « Nous avons été élus sur ce pro-
tutions. Par exemple, elle évoque
les 24 « logements Sonacotra-
SNCF » édifiés en 1963 à Gevrey-
Chambertin (Côte-d’Or) qui
étaient précaires. Elle mentionne
le service départemental des rapa-
triés qui avait envoyé, le 17 novem-
bre 1964, au préfet dirigeant le ser-
vice d’accueil et de reclassement
des Français d’Indochine et des
Français musulmans un rapport
« pour dénoncer la situation “inop-
portune sinon injuste” imposée
aux harkis résidant dans cette
cité ». Ou encore, elle raconte le cas
de supplétifs qui, à Dreux (Eure-et-
Loir), avaient habité « dans 15 bara-
ques de chantiers dont le directeur
[de la Sonacotra] convenait (…)
qu’elles “ne constitu[ai]ent pas un
véritable logement” ». La liste des
45 lieux, mentionnant la SNCF et
la Sonacotra, a été publiée samedi
23 septembre au Journal officiel.
Pour M. Djafour, « l’Etat a avoué
qu’il n’était pas le seul responsable
dans notre drame et a désigné
deux entreprises publiques qui
avaient fauté ». Il ajoute, encore
étonné : « Les faits sont avérés par
l’Etat qui nous apporte toutes les
preuves. Ce n’est pas contestable.
Nous avons donc décidé d’une ac-
tion en réparation. Puisque la SNCF
0123
­
­Mercredi 27­ septembre 2023
gramme et le fait majoritaire doit
être respecté », martèle-t-il.
Un fait majoritaire que nul ne
cherche à nier. Ni la droite insu-
laire ni le gouvernement. Tout
comme l’autonomiste M. Ange-
lini, M. Marcangeli défend l’exi-
gence d’un compromis, au nom de
« l’intérêt supérieur de la Corse ».
Sur l’île, tout le monde en est
conscient : sans le soulèvement de
la jeunesse insulaire qui a suivi
l’assassinat d’Yvan Colonna, le
gouvernement n’aurait pas ouvert
ce débat en fixant des échéances.
Chacun sait que le vif émoi ex-
primé par ces jeunes, qui n’étaient
pas nés en 1998, au moment de
l’assassinat du préfet Erignac, ca-
che un profond malaise. « Au-delà
des réformes structurelles et
d’adaptations à sa spécificité, la
Corse a besoin qu’on lui fixe un
cap », affirme M. Ciccolini. En
avril 2019, il avait accueilli M. Ma-
cron dans la salle des fêtes de sa
commune, lors d’un débat avec
des maires insulaires. Ce jour-là, le
chef de l’Etat avait déclaré : « Je ne
suis pas pour l’autonomie sous la
République (…) mais pour une re-
connaissance de la spécificité qui
permet des libertés. » p
Yves Bordenave
et la Caisse des dépôts n’ont pas
contesté leur mise en cause, nous
saisissons l’occasion que l’Etat
nous a offerte. » Une « action » me-
née lundi 25 septembre, jour de
l’hommage national aux harkis,
avec les courriers envoyés aux pa-
trons des deux entreprises.
Pour la commission, « nous
n’établissons aucune responsabi-
lité. L’expertise est historique, pas
juridique, ce sont deux sujets dis-
tincts », assure son secrétaire gé-
néral Marc Del Grande. Lors de son
audition à l’Assemblée, M. Bockel
avait reconnu qu’« à travers les
45 sites déjà ajoutés et ceux que
nous allons ajouter, on étend sé-
rieusement le champ de la loi ».
La SNCF et la Caisse des dépôts
assurent qu’elles n’étaient pas au
courant de « cette mise en cause »
publiée par la CNIH dans son rap-
port. « La SNCF va étudier attenti-
vement cette lettre et fera connaî-
tre sa réaction à l’association qui l’a
saisie », commente-t-on du côté de
l’entreprise ferroviaire. La Caisse
des dépôts ne se prononce pas en-
core. Toutefois, si leurs réponses
ne satisfont pas les représentants
des harkis, M. Djafour annonce
qu’il saisira les tribunaux. p
Mustapha Kessous
0123
­
­Mercredi 27­ septembre 2023
Le business en plein essor des cours particuliers
Le recours des familles au soutien scolaire est croissant, mais il contribue à creuser les écarts sociaux
M
ais maman, tu m’as
mis un cours parti-
culier, alors que je
suis encore en va-
cances ? », a soupiré le fils d’Isa-
belle Miécaze lorsqu’il a vu ce qui
l’attendait pour sa dernière se-
maine d’août. Cette mère de deux
enfants, qui travaille dans les res-
sources humaines, à Lille, s’est
montrée catégorique : « Mon
chéri, ça fait deux mois que tu es en
vacances. Il est temps de recadrer
ton cerveau. » Mme Miécaze est dé-
sormais habituée à répondre aux
mécontentements de ses enfants.
Son aîné, dyslexique et en diffi-
culté pour ses devoirs, a suivi des
cours particuliers de la 4e à la ter-
minale (il rentre en BTS), en
maths, français et sciences écono-
miques. Pour le second, bon élève,
ce sont surtout des cours de
maths. Des heures de français lui
ont aussi été ajoutées en 2023, en
prévision de l’épreuve du bac de
1re. C’est du temps et un budget :
pour ces cours de soutien à domi-
cile, la famille prévoit environ
2 000 euros par an et par enfant.
La France est l’une des cham-
pionnes d’Europe en la matière : le
marché du soutien scolaire est es-
timé, dans l’Hexagone, à 2 mil-
liards d’euros. Il serait difficile
d’évaluer précisément l’essor qu’a
connu le secteur ces vingt derniè-
res années, longtemps porté par
une économie souterraine, et qui
s’est progressivement déplacé
après des mesures fiscales avanta-
geuses de crédit d’impôts, incitant
les familles à davantage déclarer
les heures de soutien. Reste que,
d’année en année, la plupart des
entreprises spécialisées observent
une croissance continue. Acado-
mia, l’un des leaders du marché,
constate une hausse de 19 % de
son chiffre d’affaires depuis 2018.
Si ce business a dû faire face
en 2020 à un reflux temporaire lié
à la crise due au Covid, il a depuis
largement repris du poil de la bête.
Et c’est même de plus en plus tôt
dans l’année que les familles
­concernées se positionnent pour
remplir les soirées de leurs ado-
lescents, ou même pour les ins-
crire à des stages de « training » in-
tensif. La plate-forme Superprof a
observé près d’un tiers de deman-
des supplémentaires en ce mois
d’août par rapport à août 2022.
« On note une inquiétude et une
anticipation de plus en plus pré-
coce chez les parents », souligne
son fondateur, Wilfried Granier.
Le poids du contrôle continu,
qui compte depuis 2018 pour 40 %
de la note du bac mais qui pèse
aussi fortement pour la sélection
à l’entrée du supérieur, incite ces
parents à se mobiliser tôt.
D’autant plus que, avec la nouvelle
refonte du bac annoncée à la ren-
trée 2023, qui comprend le report
des épreuves de spécialité de mars
à juin (dont les résultats ne pour-
ront donc pas être pris en compte
dans les dossiers Parcoursup), les
notes tout au long de l’année se
font plus déterminantes encore
dans la course à l’orientation.
« C’est la loterie »
« Il y a une vraie pression sur les no-
tes, explique une mère dans un
quartier favorisé de Paris, qui a
souhaité garder l’anonymat. On a
l’impression qu’il faut performer
rapidement, et sur chaque évalua-
tion. » Son fils, qui entre en termi-
nale dans un lycée public huppé
de la capitale, a passé sa dernière
semaine d’août en stage de « pré-
rentrée ».
Au fil de l’année, c’est 400 euros
par mois que cette profession-
nelle de la joaillerie consacre à des
heures de soutien pour lui, en
maths, en français et en anglais,
avec le regard rivé sur l’objectif
Parcoursup. En 2023, le lycéen sui-
vra également des semaines de
stage pour préparer les concours
d’admission post bac aux écoles
de commerce, quitte à rogner sur
le reste de son emploi du temps.
Campus | 13
Pour certaines
familles
favorisées,
le soutien
scolaire constitue
davantage
un outil
de distinction
(pour environ 300 euros par se-
maine chacun).
Dans ces milieux favorisés et ur-
bains, on se passe les contacts. Les
noms des bons profs du quartier
circulent dans le « groupe What-
sApp de parents » de Marie (son
prénom a été modifié), mère de
trois enfants à Paris, pour qui « les
cours particuliers sont une ma-
nière d’éviter les crises de nerfs fa-
miliales liées aux devoirs ». Eric,
enseignant en classe prépa, a, lui,
trouvé un prof particulier de
maths pour son fils par l’entre-
mise de l’une de ses anciennes en-
seignantes. Avant l’entrée de leur
fils, excellent élève, dans un des
lycées publics parisiens cotés, lui
et sa conjointe avaient été alertés
sur la nécessité de supplémenter
sa scolarité. « Et le fait est que, dans
sa classe, quasiment tous les ga-
mins ont des cours particuliers. »
ANNA WANDA GOGUSEY « Marchandisation »
Selon Anne-Claudine Oller, cette
course folle est le symptôme d’une
« Ça nous paraît nécessaire. son – et celles qui ne le peuvent ou des lacunes », complète la so- « marchandisation de l’éducation
D’autant plus que, chaque année,
« On note pas. Plus accessible que les séances ciologue Sandrine Garcia. en marche ces dernières années ».
c’est la loterie en fonction des une inquiétude et de « coaching », le recours aux Au sein de l’école française, clas- « Le recours grandissant à des ac-
profs, pour les cours comme pour cours particuliers concerne pres- sée d’une enquête PISA (Pro- teurs privés est d’ailleurs soutenu
la notation », affirme sa mère.
une anticipation que toutes les couches sociopro- gramme international pour le de façon insidieuse par l’Etat à tra-
Dans certaines familles, recou- de plus en plus fessionnelles. Mais il reste l’apa- suivi des acquis des élèves) à vers les crédits d’impôt, et l’avance
rir à ces prestations semble aussi nage des groupes les plus favori- l’autre comme l’une des plus iné- récente sur ce crédit [en 2022] »,
s’imposer comme une solution
précoce chez sés, au profit des enfants les plus galitaires socialement de l’Organi- souligne-t-elle. Dans son livre Le
pour combler les lacunes entraî- les parents » dotés socialement. La dernière sation de coopération et de déve- Coaching scolaire. Un marché de la
nées par les heures de cours non étude en date, de France Stratégie, loppement économiques (OCDE), réalisation de soi (Presses universi-
Wilfried Granier
remplacées dans les établisse- en 2013, montrait que 13 % des en- cette réalité renforce les disparités taires de France, 2020), la cher-
fondateur de Superprof
ments scolaires. Le sujet n’est pas fants de cadres, de commerçants scolaires. Si des dispositifs publics cheuse rappelle que le Conseil de
anecdotique : dans le second de- ou de personnes exerçant une d’accompagnement existent, l’emploi, des revenus et de la cohé-
gré, les absences non remplacées profession libérale disposaient comme « Devoirs faits », ils se ré- sion sociale évaluait, en 2006, à
représentent 15 millions d’heures d’un soutien scolaire, contre 6 % vèlent à géométrie variable selon 240 millions d’euros annuels
de cours perdues par an, révélait des enfants d’agriculteurs. les politiques des établissements. l’aide publique au secteur du sou-
le ministère de l’éducation natio- Un rapport de France Stratégie, tien scolaire. « Et ce chiffre a depuis
nale en 2022. Et, en cette rentrée, Pratiques « de compensation » publié le 6 septembre, alertait pré- certainement augmenté. Il s’agit di-
le manque d’enseignants était en- « Ce seront aussi les parents les plus cisément sur l’inégal accès à ces rectement d’argent public mis au
core signalé par les syndicats, pro- favorisés qui se positionneront dès pratiques « de compensation », qui service du marché privé, mais aussi
voquant une inquiétude chez les la 3e, avant même que de gros sou- « contribuent à renforcer le poids à destination d’un cadre privé, pour
parents. « La prof particulière cis n’apparaissent, souligne la so- de l’origine sociale dans les diver- des familles, des individus, et non
qu’on a prise pour notre deuxième ciologue de l’éducation Anne- gences de parcours ». En parti­- une offre publique ouverte à tous. »
nous a alertés sur des grosses Claudine Oller. Cette anticipation culier concernant les mathémati- Le président d’Acadomia, Philippe
­lacunes liées aux deux mois d’ab- est très socialement marquée : les ques, discipline record des entre- Coléon, soutient que l’avance sur
sence de son enseignant de fran- familles favorisées sont celles qui prises de cours particuliers. défiscalisation a permis à des fa-
çais en 2022, en 2de. On a mis en surveillent les notes dès le début de Pour certaines familles favori- milles qui ne pouvaient pas avan-
place un plan d’urgence pour cette l’année, qui sont proactives. Cela sées, le soutien scolaire constitue cer les frais de bénéficier de cette
année afin de rattraper toutes les ne veut pas dire que les familles les davantage un outil de distinction aide, et explique avoir conquis de-
notions qui n’avaient pas été moins socialisées aux codes scolai- en amont de Parcoursup. « Nos puis de nouveaux territoires.
vues », relate Mme Miécaze. res s’en désintéressent, mais elles enfants sont déjà de très bons élè- Pour son fils en 2de, Marie s’in-
Mais cette situation creuse ont tendance à faire confiance à ves, qui n’ont aucun problème à terroge : est-ce qu’être ainsi pris
l’écart entre les familles qui auront l’école, à attendre l’échéance des l’école. Avec les cours particuliers, par la main ne retarde pas son ap-
les moyens de colmater ces brè- conseils de classe ou le guidage de on vise l’excellence », assume prentissage de l’autonomie ? Elle
ches dans la scolarité – alors que l’enseignant. » « Or, les acteurs du Thanh Agullo, pédopsychiatre à songe à des cours de soutien plus
les élèves français doivent passer système scolaire n’ont plus néces- Lyon, dont les deux fils lycéens collectifs durant l’année scolaire
cinq heures par semaine en sairement le temps de tirer la son- suivent des cours de soutien de qui vient de démarrer. p
moyenne sur des devoirs à la mai- nette d’alarme sur des difficultés maths et de physique depuis la 2de Alice Raybaud
La surcharge d’activités extrascolaires, une source de stress
Qui dit rentrée dit activités extrascolaires et ruée çais sont déjà les plus occupés d’Europe (864 heures en de France, 2018). La mécanique a été étudiée par la cher-
pour nombre de familles vers la danse, le piano, le judo classe par an, contre 799 heures pour la moyenne des cheuse Muriel Darmon, dans son livre Classes prépara-
ou le dessin. Alors que les trois quarts des enfants de pays membres de l’Organisation de coopération et de toires. La fabrique d’une jeunesse dominante (La Décou-
9-10 ans effectuent une activité, ils sont un tiers à cumu- développement économiques). Cela implique une opti- verte, 2015), avec l’exemple des élèves de prépa. Leurs
ler au moins deux occupations par semaine, selon une misation de leur semaine, au risque de ne laisser aucun emplois du temps extrêmement contraints visent à leur
étude de la Caisse nationale des allocations familiales. La espace à des moments de liberté. inculquer quelques dispositions nécessaires pour le res-
fracture sociale dans l’accès à ces pratiques est visible : tant de leurs études et pour leur carrière, comme une
84 % des enfants de moins de 10 ans de familles dispo- « Je vois des adolescents s’effondrer » bonne gestion du temps, très valorisée dans les forma-
sant d’un revenu supérieur à 2 250 euros net par mois Avec ces emplois du temps très balisés, fabrique-t-on des tions sélectives suivantes, et une certaine docilité dans
suivent au moins une activité, contre 32 % dans les fa- adolescents qui ne sauront plus s’occuper par eux-mê- leur rapport au travail. Le même « apprentissage du
milles à bas revenus, annonçait le Haut ­Conseil de la fa- mes, ou qui seront moins autonomes ? La réponse est temps » se joue avec les adolescents qui, dans les familles
mille, en 2018. Pourtant, l’enjeu est devenu crucial, no- plus complexe. « Les enfants qui sont considérés comme favorisées, enchaînent les activités dans la semaine.
tamment lors de l’arrivée au lycée : ces activités permet- les plus autonomes à l’école sont en fait ceux qui ont été Le danger est celui de l’épuisement. « Je vois des adoles-
tent ainsi d’enrichir son dossier, pour se distinguer sur très encadrés dans leur famille, guidés à un moment cents, ou des jeunes adultes, s’effondrer dans mon bureau,
Parcoursup. D’ailleurs, les familles les plus favorisées, donné : à rebours des idées reçues, les études montrent sous la surcharge », observe Sophie Campredon, psychia-
conscientes du « plus » qu’apportent ces expériences, bien que l’autonomie ne peut se construire que si elle est tre à la Fondation Santé des étudiants de France, qui s’in-
développent à présent « une logique presque instrumen- soutenue », souligne la sociologue Anne-Claudine Oller. quiète de la hausse des troubles anxieux chez ce jeune
tale » de ces activités extra­scolaires, expliquait le sociolo- Souvent sans que ce soit conscient dans ces familles, public, dont elle précise qu’ils ne sont pas seulement im-
gue Vincent Tiberj au Monde, en 2020. ces agendas chargés ont pour effet de préparer les ado- putables à cette tendance. Plutôt que multiplier les ins-
Pour que leurs enfants puissent tirer leur épingle du lescents à un « cadre » scolaire et de travail spécifique et à criptions, la psychiatre prescrit un type d’activité : le
jeu, ces familles informées ajoutent parfois à cela cours certains codes socialement valorisés : ceux de « l’élève sport. « Quand l’enfant est en surcharge, épuisé ou stressé,
particuliers et autres séances de « coaching » d’orienta- idéal », selon les mots de la sociologue Sandrine Garcia, il s’agit de la meilleure des solutions pour retrouver de la
tion. Si bien que les emplois du temps de certains jeu- autrice de l’ouvrage Le Goût de l’effort. La construction fa- sérénité, comme de l’efficacité, dans sa scolarité. » p
nes sont surchargés, alors même que les écoliers fran- miliale des dispositions scolaires (Presses universitaires A. Ra.
 Économie & Entreprise
0123
14 | ­
­Mercredi 27­ septembre 2023

Hausse des prix

Voyage dans
une France
plus chère
Vivre et survivre avec l’inflation 1|5
Les difficultés, la débrouille,
les solidarités… « Le Monde »
raconte le nouveau quotidien
des Français

Les bénévoles du Secours catholique distribuent des paniers bio à Vauvert (Gard), jeudi 21 septembre. NANDA GONZAGUE POUR « LE MONDE »

A
vec la sortie de la crise due au
­Covid-19 puis la guerre en
Ukraine, l’inflation a fait un re-
tour en force dans la vie des
Français. Durant trente ans, ils
n’avaient pas eu à trop s’en sou-
cier. La hausse des prix annuelle est restée can-
« Cet été, les factures d’électricité
et de gaz nous ont assommés »
tonnée, sur cette période, dans une fourchette
allant de 0 % à 4 %. Depuis deux ans, la donne
a donc changé. D’abord centrée sur les prix
de l’énergie, l’inflation s’est progressivement
diffusée à tous les biens et services pour figurer
désormais au cœur des préoccupations des mé- A Vauvert, dans le Gard, une chaîne de solidarité s’est mise en place
nages. En 2022, elle s’est établie à 5,2 % dans le
pays, et elle devrait monter à 5 % cette année.
Ce (léger) ralentissement ne peut masquer la
réalité. Electricité, gaz, carburants, produits ali-
mentaires, services en tous genres : peu à peu,
Reportage ses au centime près, comme Ma-
thilde, est devenu le quotidien Dans cette cité
meilleure santé et leur expliquer
que, souvent, ça coûte moins cher.
Vauvert (Gard) - envoyée spéciale
tous les postes de dépenses ont vu leurs prix d’une grande partie de la popula- populaire, On est aussi là pour les revalori-
flamber et ils ne reviendront pas à leurs ni-
veaux d’avant. Dans le chariot de courses, cer-
tains produits de consommation courante ont
ainsi vu leurs tarifs s’envoler : + 82,3 % sur un
an en août 2023 pour le paquet de sucre blanc
A la sortie du centre aéré ce
jour-là, Mathilde (qui ne
souhaite pas donner son
nom de famille) presse ses trois
enfants. Habitante de Vauvert
tion. Dans ce secteur, où la préca-
rité s’est enracinée, l’inflation se
ressent fortement.

premier prix, + 28,5 % pour le bidon de lessive,
+ 28,1 % pour le paquet de 500 grammes de riz
basmati… Un contexte qui a révélé la relative
impuissance des pouvoirs publics à juguler
cette valse des étiquettes.
C’est cette vie marquée par l’inflation que
nous avons choisi de raconter avec les corres-
pondants régionaux du Monde. De Roubaix
(Nord) à Vauvert (Gard), en passant par Gi-
mouille, dans la Nièvre, ou la Guadeloupe… ils
se sont rendus dans un garage, à la sortie de su-
permarchés, dans un vide-grenier, sur un mar-
ché, dans des jardins ouvriers, ont suivi la tour-
née d’une épicerie ambulante en Bretagne.
Une manière de décrire en plusieurs reporta-
ges, publiés à partir d’aujourd’hui, les nouvel-
les habitudes qu’adoptent les Français dans
leur vie quotidienne. Une façon d’aller au-delà
des chiffres et des moyennes qui ont le fâcheux
défaut de lisser, voire d’affadir, la réalité de
­l’impact de l’inflation sur la vie de chacun. p
Anne Eveno
« Avec les prix de l’essence, je suis contente de rouler en Tesla »
La hausse des prix des produits de l’ali-
mentation, l’augmentation des factures
d’électricité et du plein de carburant, les
difficultés à la fin du mois, bref l’inflation.
Dans les quartiers chics de la ville de Nî-
mes, ces inquiétudes ne semblent pas en-
core s’être invitées dans le quotidien de fa-
milles plutôt privilégiées. Ou, en tout cas,
elles ne le diront qu’à demi-mot.
A la sortie d’un supermarché situé en bor-
dure du golf de Vacquerolles, Aurore (qui
requiert l’anonymat) est une des seules à
accepter d’évoquer le sujet : « Je paie plus
cher mon chariot, c’est certain, mais cela n’a
pas vraiment de conséquences sur nos habi-
tudes. Nous n’avons pas changé notre train
de vie, explique cette consultante en RH,
mariée à un chef d’entreprise, mère de trois
enfants, et qui a réservé leur prochaine se-
maine de vacances, début novembre, en Si-
cile. Mais quand je vois le prix de l’essence, je
suis contente de rouler en Tesla. »
Dans ce quartier situé en bordure du cen-
tre-ville où vit la classe moyenne supé-
rieure, dans des villas et belles demeures
construites sur de grands terrains arborés,
24 % de foyers monoparentaux
(Gard), cette jeune mère doit être Nawal Mounnhir, une autre mère
à 17 h 30 au plus tard à Nîmes, à de famille, raconte : « Avec cinq
25 kilomètres de là, pour un ren- ­enfants, c’est vraiment dur. Mon
dez-vous médical « pour le der- mari travaille, moi aussi, mais je
nier ». Séparée depuis plusieurs vais prendre des heures de ménage
années, cette secrétaire médicale le week-end. Tout est trop cher. On
ne se déplace plus qu’en transport a dû dire non à notre fils qui vou-
en commun. « Ça m’oblige à une lait faire du judo et on a acheté les
organisation très serrée, mais je vêtements pour la rentrée dans
n’ai pas le choix, raconte la trente- une friperie du Secours populaire. »
naire. Jusqu’au début de l’été, j’uti- Plus loin, Fatima Houtach expli-
lisais encore ma voiture mais, avec que qu’elle n’achète plus que des
tous les frais de rentrée scolaire, j’ai matières premières en grande
à peine les moyens de nourrir mes quantité : « Par exemple, des pa-
enfants comme il faut. » quets de riz et de semoule de 5 kilos,
Au Bosquet, quartier prioritaire du café en grain et non moulu… »
de la politique de la ville, situé à Ici, 24 % des foyers sont des fa-
deux pas du centre de cette com- milles monoparentales, c’est dix
mune de presque 12 000 habi- points de plus que sur le reste de
tants, se succèdent les petits HLM commune. « Ce sont des parents
à trois ou quatre étages. Faire des qui s’épuisent pour boucler les fins
compromis et compter les dépen- de mois et qui ont plus de mal à
l’inflation qui a commencé il y a dix-huit de Nîmes, un marché couvert du centre-
mois n’est pas devenue un véritable sujet ville, a changé ses habitudes. « Presque
de préoccupation. N’empêche, certaines 10 euros les 500 grammes de beurre, ça
familles font plus attention aux dépenses, commence à faire. Il faut revenir au principe
même si elles l’admettent difficilement. de réalité. Je prends maintenant la marque
Une quinquagénaire, mère de famille, du supermarché, il y a plus de 2 euros de dif-
explique : « Je n’ai pas l’impression d’avoir à férence ! Pareil pour les yaourts. »
faire trop d’efforts, on ne subit pas vraiment Devant son SUV électrique tout neuf, Ca-
les prix. Nos filles font de l’équitation et de la mille Marchand, 33 ans, reconnaît « bien ga-
musique. Cette année, c’est vrai, nous leur gner » sa vie. La hausse des prix a modifié
avons demandé d’abandonner leur troi- ses achats, même si elle trouverait « dé-
sième activité… Ça commençait à faire cher, placé » de se plaindre : « Nous avons deux
mais nous ne sommes pas à plaindre. Lors- voitures à rembourser chaque mois, des frais
que je vois le prix de certains aliments, je me qui ne baissent pas comme la cantine à
demande comment peuvent faire les gens 7 euros par enfant chaque jour, le crédit de la
payés au smic. » maison qu’on vient de faire construire à rem-
bourser ! Alors oui, je regarde les prix quand
« Déplacé » de se plaindre j’achète des produits. Nous avions l’habitude
Didier Blanc, qui travaille pour l’industrie de partir deux fois dans l’hiver au ski. Cette
pharmaceutique, lui, ne se plaint pas, mais fois, nous ne prendrons peut-être qu’une se-
depuis septembre dit avoir « rééquilibré les maine. » Plus loin, un retraité, tout juste ren-
choses ». Il avoue ne pas « aller souvent faire tré de Corse, où il a une maison secondaire,
les courses au supermarché », et vient déclare : « Depuis quelque temps, j’achète
­d’opter « pour la sous-marque des compo- mes parfums sur Amazon. C’est drôlement
tes à boire ». Et lui qui avait l’habitude de moins cher, mais je ne l’ai dit à personne. » p
n’acheter ses produits frais qu’aux Halles A.B. (à Nîmes)
la distribution
de paniers bio par
le Secours catholique
est devenue un rendez-
vous incontournable
trouver un emploi », explique Es-
ther Mulongo à la direction des
solidarités et de la cohésion so-
ciale de la ville. « Beaucoup de
femmes ne s’en sortent pas, expli-
que Mathilde. Elles vont à la distri-
bution du panier solidaire. Je n’ai
pas encore osé… »
Dans cette cité populaire, la dis-
tribution de paniers bio, orches-
trée chaque jeudi matin par le
­Secours catholique, est devenue
un rendez-vous incontournable
pour une partie de la population.
Simone Meynadier fait partie des
habitués. Retraitée, ancienne
auxiliaire de vie, cette dynamique
Vauverdoise ne roule pas sur l’or
mais serait tout aussi incapable de
faire une croix sur son alimenta-
tion : « On est français, ce qu’on met
dans l’assiette, c’est important. »
« Dans l’anxiété »
Elle s’adapte et vient chaque
­semaine chercher des légumes et
fruits issus de l’agriculture bio­-
logique contre quelques pièces.
Pour le reste ? Le poisson, acheté
chaque vendredi en filet au super-
marché, a remplacé la viande. Elle
consomme plus d’œufs qu’avant,
guette « les réclames » et s’octroie
encore un plaisir, le chocolat,
« acheté en lot de trois ».
Une quarantaine de mères ont
repéré le rendez-vous du jeudi, où
Michel Germont, figure du Se-
cours catholique local, souhaite
que le plus grand nombre ait ac-
cès « à de bons produits ». « L’infla-
tion ne fait qu’aggraver la situa-
tion. Les produits transformés
­coûtent très cher ! Notre objectif,
c’est de permettre à ces familles qui
sont souvent oubliées de se nourrir
de façon plus saine pour une
ser », déclare celui qui plaide pour
une Sécurité sociale alimentaire.
« Cette distribution a commencé
lors de la pandémie du Covid-19 »,
se souvient le bénévole. Et ne s’est
depuis jamais essoufflée. Une
­action parmi tant d’autres dans le
quartier. A quelques kilomètres
de là, à Beauvoisin, le centre des
Restos du cœur ne désemplit pas.
« Sans la chaîne de solidarité mise
en place dans la ville et autour, ce
serait vraiment très dur pour de
nombreuses familles », estime
Mme Mulongo. D’une semaine sur
l’autre, les bénéficiaires précom-
mandent les produits (1 kilo de
poivrons, une laitue, des citrons…)
pour une valeur maximale de
20 euros, et versent en fonction de
leurs moyens. « Je donne le mini-
mum, 5 euros, et je sais qu’au
moins je nourris bien ma famille »,
témoigne l’une d’elles, venue avec
une poussette, et vite repartie.
Autour d’un café, ceux qui se
connaissent échangent quelques
paroles, mais parler des fins de
mois n’a rien d’évident. « Ça nous
interpelle, avoue Michel Germont.
Dans le quartier, tout le monde
souffre mais personne n’a envie
que le voisin le sache. » Brigitte
(qui ne souhaite pas donner son
nom de famille) vit seule, avec
564 euros par mois de pension de
retraite et des allocations loge-
ment. C’est en passant devant la
cour à plusieurs reprises et en ob-
servant la distribution qu’un jour
elle s’est décidée à franchir le
seuil. « Le 7 de ce mois, j’étais déjà à
moins 100 euros. C’est très dur. On
vit dans l’anxiété en permanence.
Cet été, les factures d’électricité et
de gaz nous ont assommés. »
A côté d’elle, une femme, avec
trois enfants, montre l’écran de
son téléphone portable où elle
suit ses dépenses quotidien­-
nement. « J’ai une facture de
222 euros d’électricité. Mon fils n’a
pas arrêté de jouer à l’ordinateur
cet été et j’avais mis les ventila-
teurs, la machine à laver, et voilà !
Mais je n’ai pas les moyens. Ça me
donne mal au ventre. » p
Agathe Beaudouin
0123
­
­Mercredi 27­ septembre 2023
Les automobilistes tentent de réduire leurs frais
Les clients et le personnel du garage Serieys Auto, à Albi, racontent leurs calculs et astuces
Albi - envoyée spéciale
K arine, qui souhaite rester
anonyme, franchit le
14 septembre l’encadre-
ment de la porte du garage Se-
rieys Auto, à Albi, les traits tendus.
Depuis trois semaines, le Renault
Scenic familial, acheté d’occasion
en 2015, est en réparation, en rai-
son d’un court-circuit dans le dé-
marreur. « Au total, ça chiffre à
combien ? », interroge-t-elle, an-
xieuse. Le couperet tombe :
438 euros. La quadragénaire ac-
cuse le coup en silence et paye.
« Je peux absorber cette dépense
avec la plus-value réalisée lors de
la vente de notre ancienne maison
en banlieue bordelaise. Mais cela
m’inquiète. Car je veux me servir
de ce matelas pour être à nouveau
propriétaire », explique, contra-
riée, cette ancienne chargée de
projet, installée dans la préfecture
du Tarn depuis l’été.
« Une situation inédite »
Cette facture automobile inopi-
née, Karine s’en serait bien pas-
sée. Car seule son allocation-chô-
mage mensuelle de 1 300 euros
permet de faire vivre le ménage,
avec deux jeunes enfants. Mais
elle ne peut se résoudre à lâcher le
volant définitivement. « C’est im-
possible car je suis en reconversion
professionnelle », se justifie-t-elle.
Alors, pour réduire les dépenses,
Karine a renoncé cet été à des
­vacances trop lointaines, privilé-
giant un court séjour de quatre
jours dans un camping tarnais et
des sorties à la journée.
Au volant de sa Peugeot 308,
achetée avec 190 000 kilomètres
au compteur, Vincent Roca se
gare dans l’entrée encombrée du
garage. Sa venue n’est pas une
coïncidence. Le formateur indé-
pendant avait pris soin, au préa-
lable, de comparer les prix prati-
qués par plusieurs garagistes
­albigeois avant de choisir cet
­établissement familial, ouvert
en 1970 dans le quartier du
Breuil, dans le nord-est d’Albi,
tout près de la route qui part
vers Rodez.
La voiture de M. Roca lui est in-
dispensable. « C’est mon outil de
travail. Je l’utilise tous les jours,
notamment pour de longs trajets,
Le vide-grenier, rempart fragile face à la valse des étiquettes
A Gimouille, un village populaire situé près de Nevers, le vide-grenier apporte un complément de revenus aux familles
Gimouille (Nièvre) -
envoyé spécial
S i vous cherchez un chômeur,
c’est lui », glousse un
homme en treillis. « T’es con
ou quoi ? », lui répond Allan Seux,
44 ans, maillot des Bleus, trois en-
fants et titulaire d’un CAP de pay-
sagiste. Autour de lui sont étalés
les dauphins miniatures de sa
tante, des posters de licornes, des
meubles en Formica récupérés et
retapés. Mais aussi du petit élec-
troménager, gagné avec sa femme
dans les lotos du Nivernais.
« Cette crêpière neuve, je vous la
fais à 20 balles. Elle en vaut le dou-
ble. J’ai des Senseo en stock, si ça
vous dit. » Dimanche 24 septem-
bre, Allan en est à son deuxième
vide-grenier. Le premier lui avait
rapporté 300 euros. « J’ai aussi
coupé du bois pour mon beau-
père, contre un billet. Pour payer le
loyer, remplir le frigo et espérer re-
tourner au camping l’été prochain,
on marche à la débrouille. »
Gimouille, dans la Nièvre,
480 habitants, à mi-chemin entre
Nevers et le circuit de Magny-
« Je passe plusieurs
heures par jour
à chercher, sur
Internet et auprès
de mon réseau,
des voitures
d’occasion
en bon état »
Thierry Serieys
gérant du garage Serieys Auto
précise le quinquagénaire, an-
cien directeur d’Ehpad, qui a em-
ménagé à Albi il y a six mois. Je ne
peux pas me permettre d’acheter
un véhicule neuf, alors je l’entre-
tiens afin de réduire les risques de
panne. Mes pneus et mes amortis-
seurs doivent être en bon état. »
L’entreprise Serieys n’est pas
passée entre les mailles de la
flambée des prix. « Nous vivons
une situation inédite. On n’a ja-
mais vu une telle augmentation »,
observe Thierry Serieys, le gé-
rant, qui a repris le garage fami-
lial en 1985. « Mais la hausse des
matières premières a bon dos. Ce
sont surtout les constructeurs qui
ont pris des marges énormes »,
fulmine-t-il. Chez ce garagiste, la
facture pour la révision d’un
­véhicule atteint aujourd’hui
450 euros, contre 300 euros
en 2020. Pour acheter une voi-
ture neuve, il faut débourser
­jusqu’à 8 000 euros de plus
qu’en 2020, selon le modèle du
véhicule.
Gestes commerciaux
La demande se reporte alors sur
les voitures d’occasion. Celles
dont le prix de vente est inférieur
à 10 000 euros sont prisées. Mais
ce type de véhicules à bas prix ne
courent plus les rues en raison de
la « forte demande », prévient
M. Serieys. Alors, ce dernier se dé-
mène. « Je me bagarre pour trou-
ver des solutions. Je consacre plu-
sieurs heures par jour à chercher,
sur Internet et auprès de mon ré-
seau professionnel, des occasions
en bon état », affirme le chef d’en-
treprise, qui n’hésite pas non plus
Cours, est un village paisible avec
une église romane, de jolies
­maisons de pierre, un gros lotisse-
ment décati et un vieux dépôt ga-
zier classé Seveso.
La première boulangerie est à
8 kilomètres. La voiture est indis-
pensable. « On a des bus qui pas-
sent, mais les Gémoliens ne les uti-
lisent pas et n’ont jamais été sé-
duits par le covoiturage. Alors
quand l’essence atteint 2 euros, ils
souffrent », dit le maire, Alain
Bourcier, présent dès l’aube pour
saluer les premiers exposants.
Allan chuchote : « Moi, je n’ai pas
le permis. Ma femme, oui, et c’est
elle qui conduit toutes les semai-
nes nos enfants à leurs rendez-
vous médicaux. C’est parfois à Ne-
vers, souvent à Clermont-Ferrand,
et alors ça prend la journée. L’un
est sourd, l’autre est diabétique et
sa pompe à insuline nous cause
toujours du tourment. »
Grâce à son conseiller Pôle
­emploi, Allan va démarrer une
formation de maraîcher. Non pas
que le secteur recrute mais…
« comme on a un grand terrain, on
va pouvoir cultiver et manger cor-
Marie-Laure Roget, du garage Serieys Auto d’Albi, avec Karine, une cliente, le 14 septembre. VINCENT NGUYEN/RIVA PRESS POUR « LE MONDE »
à parcourir des kilomètres pour
acheter la perle rare qu’il aura dé-
nichée à l’autre bout de la France.
Pour faire passer la pilule, le
­garage familial multiplie égale-
ment les petits gestes : prêt de
­voiture de courtoisie, ristourne
de 20 % à 25 % sur les utilitaires et
paiement en quatre fois sans
frais. « On s’aperçoit que ce service
est de plus en plus demandé. Car
les clients ne veulent pas se mettre
dedans », constate Marie-Laure
Roget, la secrétaire polyvalente de
l’établissement.
Des clients font également
preuve d’initiatives. « Certains
apportent leurs propres pièces dé-
tachées achetées en ligne », té-
rectement. Et puis je vais prendre
ma carte de pêche ». Gimouille est
aussi au confluent poissonneux
de la Loire et de l’Allier.
Silvia Dos Santos, 48 ans, a étalé
de la vaisselle, des couteaux suis-
ses et des objets de piété devant
leur fourgon Mercedes gris. Son
mari observe, à l’écart. A 57 ans, cet
ex-directeur d’exploitation d’une
société de transport se remet d’un
burn-out. « On avait une pénurie
de chauffeurs. Je me faisais tout le
temps engueuler à cause de ça. Ça
devenait invivable. »
Pauvreté rampante
Sa femme est accompagnante
d’enfants en situation de handi-
cap à Bourges, en contrat à durée
indéterminée, vingt-sept heures
par semaine : « Je gagne près de
1 000 euros par mois et j’en dé-
pense 300 en carburant. Vous vous
rendez compte ? L’autre jour, j’ai dit
à un de mes responsables qu’il
avait devant lui une femme qui al-
lait à l’épicerie solidaire et, claire-
ment, il n’en avait rien à foutre. »
Une femme maigre, à talons
hauts, s’avance. Elle tient la main
Économie & Entreprise | 15
moigne, les mains dans le cam-
bouis, Kader Zeroual, le mécani-
cien et carrossier, en quatrième
année d’apprentissage. Il n’est
pas rare, non plus, ajoute-t-il, que
des automobilistes remplissent
eux-mêmes le radiateur avec du
liquide de refroidissement et le
réservoir du lave-glace. Objectif :
déduire ces opérations de la note
finale. Autre conséquence liée à
la hausse des prix : la diminution
des pourboires. Seuls les retrai-
tés gratifient M. Zeroual de
­quelques euros, regrette celui qui
se rend au travail en trottinette
électrique.
Car lui aussi est touché de plein
fouet par la hausse des prix du
de sa fille de 7 ans et attend un
deuxième enfant. Elle fait des
ménages de temps en temps,
payés en chèques emploi-service.
Ce matin, elle cherche une gigo-
teuse à moins de 3 euros. « Quand
on vit seule à la campagne, il faut
choisir entre le travail et élever ses
gosses. Moi je ne confierai jamais
mes enfants », explique-t-elle en
refusant de donner son nom.
L’inflation l’a fait renoncer à la
viande. « Je nourris ma fille grâce
au rayon antigaspi du supermar-
Pour payer le loyer,
remplir le frigo
et espérer retourner
au camping
l’été prochain,
on marche
à la débrouille. »
Allan Seux
habitant de Gimouille
carburant. Pour préserver son
porte-monnaie, il s’est alors fixé
une règle : ne pas dépenser plus
de 90 euros pour remplir le réser-
voir de sa Renault Megane III, à
­laquelle il consacre 30 % de son
budget. « Au-delà, ça me fait
peur », confie-t-il.
Yves Vericel, lui, s’est moins
privé de rouler. Ce retraité de
63 ans, qui vient de parcourir
15 000 kilomètres en deux mois,
a trouvé une solution pour
amoindrir le coût à la pompe. En
août, il s’est fait installer un kit
bioéthanol sur sa voiture neuve.
Si cette pose est facturée
800 euros, il a bénéficié d’une
aide de 300 euros à la conversion
ché. Même l’appli Too Good To Go
[qui propose des invendus à pe-
tits prix] n’est plus intéressante.
La plupart du temps, ce sont des
viennoiseries d’hôtel congelées. »
Le maire de la commune ne nie
pas la pauvreté rampante, mais la
nuance. « Il y a des parents qui ne
paient plus la cantine des enfants
mais achètent des croquettes très
coûteuses pour leurs chiens ! » Il
réfléchit : « On a désormais deux
générations de fainéants au vil-
lage, des gens qui ne sont pas issus
de la ruralité mais qui s’y instal-
lent pour s’isoler. Les maisons
louées et leurs jardins ne sont pas
entretenus. A leurs enfants, nous
trouvons des stages mais ils ne
viennent pas. »
A Gimouille, selon le maire, il
existe aussi un « clan » d’une quin-
zaine de membres. Leurs parents,
des familles modestes, avaient fait
construire au début des années
1980. Les enfants sont restés au
village, arborent des ­tatouages
identiques et cultivent la solida-
rité. Nicolas Menard, 43 ans, trois
enfants dont une fille de 20 ans,
est l’un d’entre eux. Sa mère était
au superéthanol des moteurs
thermiques de la part de la com-
munauté d’agglomération de
l’Albigeois.
« J’ai vite amorti cette dépense
car je paye 1,10 euro le litre », as-
sure cet ancien chauffeur routier,
dont le budget mensuel consacré
à la voiture avoisine les 450 euros,
sur une pension de 1 700 euros.
Autre combine que pratique
M. Vericel : il partage son véhicule
avec des inconnus en allant sur le
site de covoiturage BlaBlaCar, ce
qui lui permet de diviser le coût
des longs trajets. « Je rentre dans
mes frais et je ne me prive de rien »,
certifie-t-il. p
Audrey Sommazi
femme de ménage, son père am-
bulancier à Nevers. Sa femme est
agent territorial, ­spécialisée dans
les écoles maternelles (Atsem).
Lui fabrique des maisons à
­ossature bois, qui nécessitent peu
de chauffage. « Mon patron a dit
que les commandes avaient chuté
de 30 %, mais les studios de jardin
cartonnent. Cent vingt par an…
c’est pas la même clientèle. »
­Nicolas a vu son salaire grimper
de 70 euros par mois pour contrer
l’inflation. « Mais ça ne compense
pas les prix de l’essence, de l’ali-
mentation et même du bois pour
se chauffer. »
Un vieil homme s’arrête sous
son barnum et repart avec une
­babiole à 50 centimes. « Le vide-
grenier aide un peu mais l’entraide
fait le reste. Je suis menuisier. Mes
potes ici sont soudeur, électricien,
chauffagiste. Nos travaux se font
entre nous… Le plus important, au
final, c’est que les enfants aient
tout ce qu’ils veulent. » p
Jordan Pouille
Prochain article Une épicerie
ambulante en Bretagne

16 | Économie & Entreprise
Porte-conteneurs : le retour des surcapacités
Le transport maritime est pris en étau entre ses nouveaux bateaux et le ralentissement du commerce mondial
L
es embouteillages à l’en-
trée des ports, la recherche
effrénée de conteneurs et
de navires pour les trans-
porter, la multiplication par cinq à
dix des taux de fret, réclamés par
les armateurs à leurs clients char-
geurs… Ces tensions constatées
entre mi-2020 et mi-2022 sem-
blent un lointain souvenir. Le prix
des transports de boîtes est revenu
à la normale et les goulets d’étran-
glement ont disparu.
C’est désormais le spectre des
surcapacités, mal endémique du
transport maritime, qui refait
surface. Il n’est pas aussi inquié-
tant qu’après la crise de 2008,
quand la demande des clients des
géants des mers s’était effondrée,
mais il va continuer de peser sur
les taux de fret, et donc le profit
des compagnies, jusque mi-2024.
En 2021-2022, les compagnies
ont réalisé des bénéfices sans pré-
cédent : plus de 300 milliards de
dollars (280 milliards d’euros). El-
les ont alors commandé aux
chantiers navals chinois et sud-
coréens près de 900 navires, sou-
vent au gaz naturel liquéfié (GNL),
parfois au méthanol, comme le
taïwanais Evergreen, le chinois
Cosco ou l’israélien Zim. Et sur-
tout l’italo-suisse MSC, qui a con-
solidé sa première place mon-
diale décrochée début 2022, avec
une capacité de 5,3 millions de
conteneurs équivalent 20 pieds
(EVP), suivi du danois Maersk
(4,15 millions). Le cabinet Alphali-
ner estime que le français CMA
CGM deviendra le deuxième ar-
mateur en 2026.
HORS-SÉRIE
LA MORT EN FACE
Comment légiférer sur la fin de vie
De nombreux livres poignants racontent l’agonie de proches dans des
circonstances indignes. La fin de vie est au cœur de l’actualité alors que le
Parlement, sur les instances d’Emmanuel Macron, va légiférer sur cette question
vitale. Mais même les mots posent problème. Faut-il parler d’euthanasie ou de
« mort choisie passive », de suicide assisté ou de « mort choisie active » ? Dans ce
hors-série du Monde, avec l’aide de Vinciane Despret, d’André Comte-Sponville,
de Delphine Horvilleur, de Michèle Lévy-Soussan, d’Anne Carol, de Stéphanie
Sauget, nous essayons d’y voir plus clair sur la vie, la mort et l’au-delà.
Mais ces mastodontes d’acier ca-
pables de transporter de 18 000 à
24 000 EVP prennent la mer par
gros temps, au moment où les
échanges mondiaux se contrac-
tent. Les flux conteneurisés ont
fléchi de 3,9 % en 2022 (à 173,6 mil-
lions d’EVP), explique Container
Trades Statistics. Le mouvement
se poursuit, et les ports enregis-
trent une nette baisse de la manu-
tention des « boîtes ». Maersk an-
ticipe un recul de 4 % de la de-
mande globale pour ce mode de
transport cette année.
Baisse de la vitesse des navires
« Il y a un risque du côté de l’offre »
de bateaux dans les douze à dix-
huit prochains mois, prévenait
son patron, Vincent Clerc, en
août, sur Bloomberg TV. CMA
CGM annonçait, peu avant, que
« les livraisons de nouvelles capaci-
tés devraient peser sur les taux de
fret et particulièrement sur les
axes est-ouest », de l’Asie vers l’Eu-
rope et la côte est des Etats-Unis,
les principaux corridors du com-
merce avec le transpacifique. « Les
transporteurs sont confrontés à
une période difficile sur le marché
contractuel en raison de la faible
demande et de l’augmentation de
la capacité des navires, ce qui en-
traîne des réductions généralisées
des tarifs à long terme », confirme
le cabinet norvégien Xeneta.
« On le voit venir depuis un an,
résume Pierre Cariou, professeur
d’économie maritime à la Kedge
Business School. Ces surcapacités
sont de l’ordre de 20 %. » En juillet,
la banque néerlandaise ING esti-
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Dans cet
environnement
de nouveau
déprimé,
une guerre
des prix est
très improbable
mait à 75 % le taux de remplissage
de la flotte des quelque 6 700 por-
te-conteneurs au premier trimes-
tre. Loueur et vendeur de ces
« boîtes », ContainerZ constate
que « les quelques navires déjà sor-
tis de chantier affichent une renta-
bilité proche de zéro voire en des-
sous, le tout avec des tarifs de plus
en plus bas ». Les plus pessimistes
assurent que le marché continue
de dévisser dangereusement en
deçà des coûts d’exploitation.
Ces surcapacités sont « géra-
bles », tempère M. Cariou. D’abord
en supprimant certaines escales,
même si les chargeurs protestent
contre ces pratiques des arma-
teurs. Fin 2022, on estimait ces
suppressions à 10 %. « Ces suppres-
sions d’escales permettent aux ar-
mateurs de faire des économies de
frais portuaires, mais aussi de ré-
duire la vitesse des navires », expli-
que M. Cariou. Et de réduire la fac-
ture de carburant, au moment où
le baril de pétrole se rapproche des
100 dollars. Au lieu de faire une ro-
tation Shanghaï-Rotterdam-Shan-
ghaï en douze semaines (soit
douze bateaux à raison d’un par
semaine), ils peuvent la faire en
quatorze semaines et ainsi rajou-
ter deux navires inutilisés.
Dès les premiers mois de 2023, la
vitesse moyenne a baissé de 4 % (à
13,8 nœuds) par rapport au début
de 2022, une tendance lourde
poussée par l’Organisation mari-
time internationale (OMI). Cette
instance des Nations unies oblige
les armateurs à tendre vers le net
zéro carbone en 2050 après les
avoir contraints à désoufrer leurs
navires. Sur les lignes Asie-Europe,
un gros porte-conteneurs peut
aussi passer par le cap de Bonne-
Espérance et économiser de coû-
teux droits de passage par le canal
de Suez, même si cela rallonge le
voyage de cinq à sept jours.
Diversification
Dans cet environnement tarifaire
de nouveau déprimé, une guerre
des prix est très improbable. « En
général, les taux de fret ont chuté
de 80 % en un an pour retrouver un
niveau pré-Covid, où les armateurs
dégageaient à peine des marges,
constate M. Cariou. Il est difficile
d’imaginer qu’ils se lancent dans
une guerre massive sur ce terrain. »
Enfin, la réduction des surcapaci-
tés passe par la réduction des flot-
tes. De l’ordre de 45 % des bateaux
sont loués par les armateurs, une
marge de flexibilité qui leur per-
met de se séparer de ces navires en
location souvent plus vieux que
les bateaux qu’ils possèdent. L’âge
moyen de la flotte de 6 700 porte-
conteneurs est de 13,7 ans, selon
le cabinet londonien Clarksons.
T ec hn olog i e
Iliad va investir dans
l’intelligence artificielle
Achat d’un supercalculateur,
laboratoire de recherche et
conférence européenne « de
référence » sur l’intelligence
artificielle (IA) : Xavier Niel,
propriétaire du groupe
­technologique Iliad (et
­actionnaire à titre individuel
du Monde), a annoncé, mardi
26 septembre, à l’AFP des « in-
vestissements stratégiques »
dans l’IA, estimés « autour
de 200 millions d’euros ».
ChatGPT bientôt doté
de la vue et de la parole
OpenAI a indiqué, lundi
25 septembre, qu’il allait
doter son programme d’intel-
ligence artificielle ChatGPT
de la parole et de la vision
pour le rendre « plus intuitif ».
L’interface qui a rendu popu-
laire l’IA générative va ainsi
bientôt pouvoir traiter des
requêtes contenant des ima-
ges et aussi discuter orale-
ment avec ses utilisateurs. Ils
pourront, par exemple, pren-
dre une photo d’un monu-
ment et « avoir une conversa-
tion avec ChatGPT » sur
l’histoire du bâtiment, sug-
gère OpenAI dans un com-
muniqué. − (AFP.)
T ra n sp orts
Clément Beaune
va annoncer l’arrêt
de certains projets
autoroutiers
Le gouvernement prendra
« dans les prochaines semai-
nes » la décision de stopper
« plusieurs » projets autorou-
tiers et routiers, a indiqué Clé-
ment Beaune, mardi 26 sep-
tembre, tout en assurant que
l’A69 entre Toulouse et Cas-
tres sera bien construite.
« Quand il y a des décisions qui
sont prises, on les applique »,
et « ça vaut pour l’A69 », qui
« a fait l’objet de très nombreu-
ses décisions politiques et judi-
ciaires », a expliqué le minis-
tre délégué aux transports
sur France Inter. − (AFP.)
Mais les 1 100 bateaux d’au moins
vingt ans sont souvent les plus pe-
tits, et leur désarmement ne reti-
rera pas de grosses capacités. Les
armateurs regroupés au sein du
Bimco tablent sur une baisse limi-
tée à 3 % en 2023-2024. A moyen
terme, les réglementations envi-
ronnementales de l’OMI vont ac-
célérer ces départs à la casse.
Les grandes compagnies sont-
elles menacées ? Elles sont plus
solides financièrement que lors
des crises précédentes et certai-
nes comptent sur leur diversifica-
tion dans la logistique (entrepôts,
camions…), moins volatile que le
shipping, pour amortir le choc.
« Les compagnies qui ont profité de
leurs ressources financières pour
faire de l’intégration verticale et
maîtriser des moyens de transport
terrestre bénéficieront d’un avan-
tage concurrentiel », estime Jé-
rôme de Ricqlès, expert du trans-
port maritime. Maersk ne se pré-
sente plus comme un armateur,
mais comme un « intégrateur lo-
gistique global », titre que CMA
CGM peut aussi revendiquer.
Ces groupes restent à la merci de
risques macroéconomiques et
géopolitiques : remontée des taux
d’intérêt, consommation freinée
par l’inflation, croissance molle,
poursuite de la guerre en Ukraine,
tensions autour de Taïwan… Et, de
manière plus structurelle, un re-
tour en force du protectionnisme
et un mouvement de relocalisa-
tions industrielles qui commence
à réduire les volumes des biens
transportés sur longue distance. p
Jean-Michel Bezat
Pertes & profits | air France
par Ph ilippe E sc ande
Commande record
« au nom de l’écologie »
Si tous les observateurs n’ont pas
été convaincus par le concept
d’écologie « de progrès » détaillé
lundi 25 septembre par le prési-
dent Macron, il y en a un qui a
bien compris le message, c’est
Ben Smith, le patron d’Air France-
KLM. Acheter plus pour polluer
moins, c’est l’argument para-
doxal brandi par le groupe pour
annoncer, le même jour, une
commande record d’Airbus A350,
le gros-porteur de la firme de
Toulouse. La compagnie aérienne
va acheter 50 appareils qui lui se-
ront livrés entre 2026 et 2030. Le
prix pourrait avoisiner les 10 mil-
liards d’euros, selon l’estimation
des Echos. Une option sur qua-
rante appareils supplémentaires
a également été prise.
L’argument environnemental,
et financier, réside dans une con-
sommation réduite de 20 % à
25 %. Son autonomie, supérieure
à celle de ses concurrents de
Boeing pour un plus grand nom-
bre de passagers, a également
joué. Comme le rappelle Ben
Smith, l’interdiction de survoler
l’espace aérien russe a rallongé sé-
rieusement les routes vers l’Asie.
D’où la nécessité d’un avion capa-
ble de parcourir jusqu’à 16 000 ki-
lomètres d’une seule traite avec
400 passagers à son bord.
Enfin, Airbus avait opportuné-
ment conclu un accord, début
septembre, avec la compagnie
pour créer une société commune
dédiée à la maintenance des
équipements des A350. Pour le
constructeur, c’est donc une belle
victoire qui va encore enrichir
son carnet de commandes bien
rempli. Historiquement, Air
France et KLM utilisaient majori-
tairement des Boeing pour leurs
vols long-courriers, des 747, puis
des 777 et des 787. Cette bascule
0123
­
­Mercredi 27­ septembre 2023
Les chiffres
280
C’est, en milliards d’euros,
le montant cumulé des profits
engrangés par les armateurs
en 2021-2022. Le français
CMA CGM a, pour sa part, réalisé
un bénéfice de 41 milliards
d’euros sur cette période.
900
C’est, à quelques unités près,
le nombre de porte-conteneurs
en commande actuellement
à travers le monde. Ils seront
­livrés entre 2023 et 2027.
80 %
C’est la baisse enregistrée
par le taux de fret − le prix
payé pour le transport d’un
conteneur − en un an par
rapport à septembre 2022.
Il retrouve ainsi le niveau qui
était le sien en 2019, avant la
pandémie de Covid-19, période
durant laquelle les marges des
­armateurs étaient quasi nulles.
en faveur du constructeur euro-
péen est à marquer d’une pierre
blanche. Elle consacre le succès
de l’A350, redessiné à plusieurs
reprises pour mieux concurren-
cer le 777. Bien sûr, Ben Smith
s’est empressé de préciser qu’il
comptait sur Boeing pour candi-
dater lors du remplacement de
sa flotte très importante de B777.
Monnaie d’échange
Ne pas mettre tous ses œufs
dans le même panier et ne pas
injurier l’avenir semble la ligne
de conduite du patron d’Air
France. Il envisage également
d’utiliser cet investissement
comme monnaie d’échange dans
une éventuelle consolidation. Le
communiqué précise aussi que
l’attribution de ces avions entre
ses filiales dépendra « des dyna-
miques économiques du marché
et du cadre réglementaire local ».
Les gouvernements qui s’avise-
raient de défavoriser le transport
aérien sont prévenus. Heureuse-
ment, ce n’est visiblement pas
l’idée d’Emmanuel Macron, qui
s’est bien gardé, lundi, d’évoquer
ce secteur sensible.
Il reste tout de même que si la
participation de cette activité à la
lutte contre le réchauffement se
limite à accélérer le renouvelle-
ment de sa flotte dans un con-
texte de reprise forte du trafic, on
n’ira pas bien loin. Les carbu-
rants alternatifs et l’avion électri-
que sont encore dans les limbes.
Interrogé lundi 25 septembre,
lors d’une conférence sur le sujet,
le patron de Lufthansa a reconnu
que si sa flotte se convertissait
aux carburants synthétiques,
leur fabrication consommerait la
moitié de toute l’électricité pro-
duite en Allemagne. On mesure
le chemin à parcourir. p
0123
­
­Mercredi 27­ septembre 2023
Appel d’offres de Ligue 1 : le retrait Traçabilité : l’intelligence
artificielle et l’ADN au
de Canal+ renforce l’incertitude secours des entreprises
La stratégie de la filiale du groupe de Vincent Bolloré, qui critique
les conditions des enchères des droits télévisuels, interroge
L’
annonce a jeté un froid.
Pour la première fois
depuis son lancement
en 1984, Canal+ pour-
rait ne pas participer à l’appel d’of-
fres des droits télévisuels de la Li-
gue 1. Le président du Groupe Ca-
nal+, Maxime Saada, l’a fait savoir
par une missive de deux pages
adressée lundi 25 septembre au
président de la Ligue de football
professionnelle, Vincent Labrune
− et que le quotidien sportif
L’Equipe a publiée. « Les conditions
ne sont pas réunies pour que le
Groupe Canal+ dépose une offre les
16 et 17 octobre », date limite fixée
par la Ligue française pour candi-
dater à l’appel d’offres des droits
du championnat français de foot-
ball pour la période 2024-2029.
M. Saada critique notamment
« le choix inédit d’un prix fixe et si
élevé », car la Ligue, espérant obte-
nir 1 milliard d’euros par an, dont
800 millions pour la France, a im-
posé un minimum de 530 mil-
lions d’euros pour le lot conte-
nant les trois meilleurs matchs et
270 millions pour les six autres.
Tensions récurrentes
Pour M. Saada, les conditions de
l’appel d’offres et son calendrier,
« tardif », ont pour but « d’en écar-
ter Canal+ et de favoriser Ama-
zon » (dont la filiale, Prime Video,
est l’actuel principal diffuseur de
la Ligue 1, avec sept matchs sur
neuf). Maxime Saada va jusqu’à
accuser la LFP de viser l’échec vo-
lontairement afin de se « libérer
de la contrainte juridique d’un ap-
pel à candidatures » et « de pou-
voir négocier une nouvelle fois di-
L’UE renonce à durcir les normes antipollution
Les Etats membres se sont rangés derrière les arguments de l’industrie automobile
Bruxelles - Bureau européen
L’ industrie automobile a eu
gain de cause. Les minis-
tres de l’industrie euro-
péens se sont entendus, lundi
25 septembre, pour ne pas exiger
des constructeurs des efforts sup-
plémentaires en matière d’émis-
sions des gaz d’échappement des
voitures. En clair, les Vingt-Sept
ne veulent pas leur demander
d’investir pour améliorer les per-
formances des moteurs thermi-
ques, alors qu’après 2035, seules
les voitures électriques pourront
être mises sur le marché commu-
nautaire.
L’exécutif européen considérait
qu’en attendant cette échéance, il
fallait relever le niveau d’ambi-
tion des exigences en matière
d’émissions d’oxyde d’azote et de
particules fines des moteurs ther-
miques, afin de lutter contre la
pollution de l’air. D’autant que les
voitures roulant à l’essence ou au
diesel qui seront produites dans
les prochaines années seront en
circulation pendant longtemps,
bien au-delà de 2035.
Conscient néanmoins de la ré-
volution industrielle et sociale
que doivent engager les construc-
teurs, l’exécutif communautaire
avait présenté, le 10 novem-
bre 2022, un projet de loi sur
les nouvelles limites d’émissions
polluantes – les normes dites
« Euro 7 », qui s’appliqueront à
compter de 2025 –, qui prévoyait
de réduire, dans des proportions
modestes, les émissions des gaz
d’échappement par rapport aux
standards actuels (les normes
Euro 6, en vigueur depuis 2014).
Sur fond de croissance atone et
« Canal+ estime
que les montants
fixés par la ligue
sont trop élevés »
Pierre Rondeau
économiste
rectement et dans des conditions
parfaitement opaques ». La LFP a
rétorqué que « les affirmations ou
insinuations contenues dans ce
courrier sont au demeurant d’une
particulière gravité ». Et ajouté
n’avoir « aucune forme d’accord
avec quelque acteur que ce soit ».
Pour la Ligue, la divulgation pu-
blique du courrier est une volonté
« de porter atteinte au processus
de commercialisation » des droits.
Plus qu’une surprise, ce clash
entre Canal+ et la LFP est l’énième
épisode de tensions récurrentes :
depuis deux ans, la filiale de Vi-
vendi, le groupe de Vincent Bol-
loré, tente de faire prouver en jus-
tice que son lot de deux matchs,
racheté 332 millions d’euros à
BeIN Sports, est surévalué par rap-
port à celui détenu par Amazon
(250 millions pour sept matchs,
attribués après la défaillance du
diffuseur espagnol Mediapro).
Sans succès jusqu’ici : six jours
avant sa lettre, Canal+ a été dé-
bouté pour la cinquième fois.
Si la chaîne cryptée avait, sans
hésiter, investi 540 millions
d’euros par an en 2016 pour les
trois meilleures rencontres, elle
clame désormais être « en déficit
en France ». Pour Pierre Rondeau,
économiste et enseignant, « Ca-
d’inflation soutenue depuis le dé-
but de la guerre en Ukraine, plu-
sieurs Etats membres, en premier
lieu la France, ont commencé à
s’interroger sur la pertinence de
poursuivre le Pacte vert. Le projet
législatif Euro 7 en a fait les frais,
d’autant que l’industrie automo-
bile a plaidé qu’il mettrait en dan-
ger ses 14 millions d’emplois et fe-
rait monter les prix des voitures.
A quelques mois des élections
européennes, qui auront lieu du
6 au 9 juin 2024, elle a été enten-
due. « Puisqu’on a décidé ensemble
de sortir des moteurs thermiques,
il n’est pas forcément indispensa-
ble de rajouter de la régulation »
sur ces motorisations, argue le
ministre délégué à l’industrie
français, Roland Lescure.
Les Vingt-Sept ont donc revu à la
baisse les ambitions du texte. Il fal-
lait « trouver un juste milieu entre
la nécessité d’améliorer la qualité
de l’air et celle de maintenir la com-
pétitivité de l’industrie automobile
européenne », explique le secré-
taire d’Etat espagnol, Pascual Igna-
cio Navarro Rios, dont le pays oc-
cupe la présidence tournante du
Conseil de l’Union européenne.
Plusieurs Etats membres – dont
l’Autriche, le Danemark, l’Irlande
ou les Pays-Bas – s’en sont émus.
Certains parce qu’il est écologi-
quement moins disant. D’autres
parce qu’il mettrait les construc-
teurs européens en mauvaise po-
sition face à leurs concurrents
pour vendre des véhicules à mo-
teur thermique en dehors de
leurs frontières, comme le dit
d’ailleurs Thierry Breton, com-
missaire européen au marché in-
térieur. Une législation plus am-
bitieuse, comme celle de la Com-
nal+ estime que les montants fixés
par la Ligue sont trop élevés ». Par
ailleurs, la chaîne payante a atté-
nué sa dépendance à la Ligue 1 en
proposant des matchs de Ligue
des champions (jusqu’en 2028) et
du championnat anglais, outre
du rugby ou de la formule 1.
Mais Canal+ n’a pas pour autant
renoncé à la Ligue 1 : si l’appel d’of-
fres échoue, le groupe pourrait né-
gocier de gré à gré. Voire continuer
à proposer de la Ligue 1 mais en
tant que distributeur, grâce à ses
contrats avec la chaîne qatarie
BeIN Sports et la plate-forme bri-
tannique Dazn. « Le contrat avec
Dazn est une roue de secours pour
Canal+ », décrypte François Go-
dard, du cabinet Enders Analysis.
« Très atypique »
Car Dazn, qui se rêve en « Netflix
du sport », claironne son envie de
se positionner sur les deux lots
ainsi que sur les droits à l’interna-
tional. Ces derniers mois, Dazn a
déjà noué mis un pied en France
via des premiers accords avec Ca-
nal+, lui permettant de diffuser
deux matchs de Ligue 1 et deux af-
fiches de D1 féminine. Certains
pointent pourtant ses 6 milliards
d’euros de dettes accumulées de-
puis sa 2016 et y voient une fragi-
lité rappelant celle de Mediapro.
L’entreprise présente dans
soixante pays répond qu’elle a
toujours honoré ses droits.
Amazon serait-il donc le grand
acteur prêt à s’installer dans la du-
rée comme un diffuseur majeur
de la Ligue 1 ? La LFP, qui a lancé un
appel d’offres à deux lots en anti-
cipant la non-participation de Ca-
mission européenne, répondait
« aussi à un objectif de compétiti-
vité », explique M. Breton, qui n’a
jamais été favorable à l’interdic-
tion du moteur thermique après
2035 : elle aurait permis « d’expor-
ter les véhicules les plus propres au
monde face à la concurrence amé-
ricaine et asiatique ».
L’Allemagne aussi, dont la coali-
tion entre les sociaux-démocra-
tes, les Verts et les libéraux est à
couteaux tirés, s’y est opposée,
avançant deux arguments, diffici-
les à concilier. Le secrétaire d’Etat
(Vert), Sven Giegold, épingle des
« conditions de test et des valeurs
limites peu ambitieuses qui revien-
nent quasiment au niveau de la
norme Euro 6 », quand Berlin a
tenté jusqu’au bout d’inclure
dans la législation les véhicules à
moteurs thermiques roulant aux
carburants de synthèse, qu’elle
souhaite voir autorisés pour
l’après-2035.
Quelques avancées
Afin d’emporter le vote allemand
sur la fin des moteurs thermi-
ques, les Européens se sont enga-
gés à spécifier dans un futur acte
législatif qu’une exception serait
faite pour les « carburants de syn-
thèse neutres en carbone ». En
cours d’écriture, celui-ci provo-
que de nombreux débats, et, avec
la législation Euro 7, l’Allemagne
souhaitait inscrire dans le mar-
bre, sans attendre, cet engage-
ment de ses partenaires.
Le texte adopté, lundi, par les
Vingt-Sept marque néanmoins
quelques avancées en matière de
lutte contre la pollution. Les
seuils d’émissions pour les poids
lourds ont ainsi été abaissés et
Économie & Entreprise | 17
nal+, semble le penser. L’entre-
prise a assuré être satisfaite de son
exploitation de la Ligue 1, mais
elle maintient une certaine opa-
cité en ne publiant ni audience ni
nombre d’abonnés. Selon des
sondages d’Harris Interactive
pour NPA Conseil, la Ligue 1 sur
Prime Video serait aujourd’hui,
avec 1,4 à 1,8 million d’abonnés,
une activité déficitaire (d’environ
130 millions d’euros par an).
Malgré la fragilité de ces chiffres,
Pierre Maes, auteur du Business
des droits TV du foot (FYP, 2019) est
« très sceptique sur le fait qu’Ama-
zon voudra continuer, en devant
investir deux fois plus d’argent »
(530 millions pour les trois matchs
du lot 1 contre 250 millions pour
sept matchs aujourd’hui). Les ob-
servateurs soulignent le caractère
« très atypique » de la stratégie
d’Amazon en France, où la Ligue 1
est accessible par un abonnement
de plus (14,99 euros par mois).
Ailleurs, au Royaume-Uni, en
Allemagne, en Italie ou aux Etats-
Unis, le groupe d’e-commerce a
acheté un nombre plus restreint
de matchs de premier choix et les
offre dans son bouquet de servi-
ces Prime. Toutefois, le groupe
fondé par Jeff Bezos s’est souvent
distingué par son pragmatisme et
sa créativité stratégique. Et il
pourrait, lui aussi, négocier de gré
à gré en cas d’échec de l’appel d’of-
fres. Deux ans après la fin du
feuilleton autour de Mediapro, la
nouvelle bataille des droits pour
la Ligue s’annonce de nouveau
avec un lot d’incertitudes. p
Brice Laemle et
Alexandre Piquard
les règles en matière d’émissions
des gaz d’échappement doivent
désormais être respectées du-
rant dix ans, contre cinq ans à
l’heure actuelle. Les Vingt-Sept
ont également introduit, pour la
première fois en Europe, des li-
mites aux émissions de particu-
les provoquées par l’usure des
freins et des pneus, une mesure
qui concerne aussi bien les voitu-
res électriques que celles à mo-
teur thermique.
Le Parlement européen devrait
arrêter sa position d’ici peu. Les
conservateurs du Parti populaire
européen, les libéraux de Renew
et la droite nationaliste des Con-
servateurs et réformistes euro-
péens sont plutôt en phase avec
le texte arrêté par les Etats mem-
bres, quand les Verts et une par-
tie de la gauche s’y opposent.
« Ce serait curieux de demander
aux constructeurs de fabriquer un
moteur thermique ultraperfor-
mant pour qu’ensuite, ils ne puis-
sent pas le vendre », explique Pas-
cal Canfin (Renew), le président
de la commission environne-
ment du Parlement européen,
qui se félicite par ailleurs des
nouvelles contraintes sur les
pneus et les freins.
« La position des Etats membres
est une amélioration par rapport à
la proposition de la Commission
qui était totalement dispropor-
tionnée », a affirmé Sigrid de
Vries, directrice générale de l’As-
sociation des constructeurs euro-
péens d’automobiles. Ce texte est
« un désastre pour la qualité de
l’air », estime, au contraire, Anna
Krajinska, de l’ONG Transport &
Environment. p
Virginie Malingre
Des techniques de pointe permettent
de tracer les circuits d’approvisionnement
L a marque suisse d’habille-
ment FTC Cashmere prend
très au sérieux la traçabilité
de ses vêtements. Elle s’est lancée
dans l’élevage de 30 000 chèvres
dans un lieu reculé de Chine, sur
les hauteurs du Shaanxi, près de
la province de Mongolie-Inté-
rieure. Toutes les deux semaines,
elle leur fait passer un bilan de
santé. Elle vaporise aussi sur leur
laine des gouttelettes d’ADN arti-
ficiel, créé en laboratoire, comme
un code-barres invisible, qui res-
tera tout au long de la chaîne de
fabrication des vêtements, du tis-
sage à la teinture. « Il suffit ensuite
d’un simple test, dans les rayons
d’un magasin, pour vérifier la pro-
venance du pull », explique
Adrian Knezovic, vice-président
de FTC Cashmere.
Les chaînes d’approvisionne-
ment sont devenues si mondiali-
sées et complexes que les entre-
prises doivent emprunter à la po-
lice scientifique ses techniques
médico-légales pour les démêler
et les cartographier. Une entre-
prise peut compter jusqu’à un
million de sous-traitants, directs
et indirects. Elle est donc à la
merci du moindre événement,
que ce soit une catastrophe,
comme celle de Fukushima, en
2011, qui avait paralysé une partie
de l’industrie mondiale de l’élec-
tronique et automobile, une crise
sanitaire comme celle du Co-
vid-19 ou, encore, des tensions di-
plomatiques pouvant déboucher
sur des sanctions ou des mesures
de rétorsion commerciale.
La cartographie des fournisseurs
permet aussi d’éviter les fraudes.
En mars, Bruxelles a par exemple
révélé que, sur 320 échantillons de
miel collectés aux frontières de
l’Union européenne, près de la
moitié était falsifiés.
La certification de l’origine sert
également d’argument de vente.
Ainsi, la chaîne de magasins
Marks & Spencer a lancé en avril
une campagne de publicité basée
sur le slogan « We trace it, you can
trust it » (« Nous traçons pour que
vous puissiez faire confiance »).
Grâce à des prélèvements d’ADN,
elle peut identifier la ferme – et
même l’animal – d’où provient la
tranche de jambon vendue dans
ses sandwichs.
Pour garantir aux consomma-
teurs l’origine de sa viande, l’Irish
Cattle Breeding Federation, le
groupement d’éleveurs irlandais
de bovins, effectue chaque année
des millions de prélèvements si-
milaires. Ces derniers sont réali-
sés sur la bête à son arrivée à
l’abattoir, puis transmis et stoc-
kés dans les laboratoires du
groupe de bioanalyses Eurofins,
qui peuvent ensuite contrôler et
certifier la viande irlandaise ven-
due dans les boucheries en com-
parant les échantillons. « Les
clients utilisent aussi nos techno-
logies pour pouvoir être plus réac-
tifs en cas de crise », explique An-
tonina Constantine, responsable
de la division « alimentation, en-
vironnement et biotech » chez
Eurofins Genomics.
Pour les matières comme le co-
ton, l’ADN renseigne sur la variété
et non pas l’origine géographique.
Or cette information est indispen-
sable depuis que les Etats-Unis ont
Les prélèvements
d’ADN
permettent
d’identifier
l’animal
à l’origine
d’une tranche
de jambon
interdit les importations de pro-
duits fabriqués avec des matières
originaires du Xinjiang, où les
autorités chinoises sont accusées
d’avoir massivement enfermé et
soumis au travail forcé les
Ouïgours. En mars, les douanes
américaines ont annoncé avoir
confisqué pour 1 milliard de dol-
lars (943 millions d’euros) de mar-
chandises pour ce motif.
La start-up néo-zélandaise Ori-
tain a donc mis au point une tech-
nologie permettant d’identifier
l’« empreinte d’origine » d’une ma-
tière végétale à partir des traces
laissées par la composition du sol,
le climat ou encore l’altitude. L’en-
treprise a récolté des centaines de
milliers d’échantillons qui lui per-
mettent de dire à ses clients si le
coton utilisé dans leurs vêtements
provient ou non du Xinjiang, qui
assurerait 40 % de la production
mondiale. « Notre base de données
couvre 90 % des régions productri-
ces de coton dans le monde, ce qui
nous permet de vérifier la quasi-to-
talité des origines du coton », as-
sure Stew Whitehead, responsable
de la clientèle d’Oritain.
Plans de vigilance
Ces nouvelles technologies ont un
coût. « Mais ce n’est pas aussi élevé
qu’on pourrait le penser, corrige
Antonina Constantine, seulement
quelques centimes d’euro par kilo
de bœuf, par exemple. » La pulvéri-
sation d’un marqueur ADN,
comme le fait FTC Cashmere sur
sa laine, suscite aussi quelques
craintes. « Des distributeurs nous
ont demandé si l’ADN pulvérisé ne
risquait pas de modifier les gènes
de ceux qui portent les vêtements »,
reconnaît Adrian Knezovic, vice-
président de FTC Cashmere.
Dernier inconvénient : ces tech-
niques ne permettent pas de tra-
cer les matières qui subissent
des transformations importan-
tes, surtout à des températures
élevées, comme les métaux, le
cuir ou le chocolat. « Et, si l’on dé-
couvre qu’il y a une anomalie dans
la chaîne d’approvisionnement,
comment fait-on pour identifier et
résoudre le problème ? », interroge
Leonardo Bonanni, fondateur et
directeur général de Sourcemap,
une entreprise américaine qui
propose à ses clients de cartogra-
phier ses fournisseurs.
Les lois française, allemande,
américaine, et bientôt euro-
péenne, obligent les grandes en-
treprises donneuses d’ordre à
mettre en œuvre des plans de vi-
gilance pour prévenir les risques
sociaux, environnementaux et
de gouvernance chez leurs four-
nisseurs. « Les tests d’ADN seuls ne
satisfont pas aux exigences de la
réglementation, souligne M. Bo-
nanni, mais ils peuvent être utiles
pour repérer les fraudes ou les con-
trefaçons, tout comme l’intelli-
gence artificielle [IA]. »
En croisant des données, par
exemple la superficie d’une terre
agricole obtenue grâce aux ima-
ges satellites avec la quantité de
production déclarée, ou les achats
de matières premières avec la
quantité de production finale, l’IA,
utilisée par Sourcemap, permet
seulement d’identifier des ris-
ques. La cartographie des chaînes
de valeur permet d’identifier les
vulnérabilités ou les dépendan-
ces, mais permet aussi de prévenir
les risques de rupture d’approvi-
sionnement en donnant accès
aux niveaux de stocks chez les
fournisseurs. « Les entreprises qui
cartographient leurs chaînes de va-
leur pour identifier les risques envi-
ronnementaux ou de violation des
droits de l’homme s’en servent fina-
lement pour mieux gérer les flux et
éviter des ruptures d’approvision-
nement », note M. Bonanni. p
Julien Bouissou
 Planète
18 |
En Australie, la lente
guérison après l’« été
noir » des incendies
Revivre après la catastrophe 2­|6 Les mégafeux de l’été austral
2019-2020 ont détruit un cinquième des forêts du pays.
Depuis, la nature s’est en partie régénérée, mais
les habitants redoutent le retour des brasiers
Reportage
Sydney - correspondance
L’
obscurité a enveloppé depuis
quelques heures les Blue
Mountains, à l’ouest de Syd-
ney, quand, une nuit de jan-
vier 2020, Sarah Hyde, pom-
pière volontaire, se réveille,
en sursaut. Par la fenêtre, elle aperçoit les ca-
mions rouges de sa brigade. Ils l’attendent,
toutes sirènes hurlantes. Immédiatement,
elle enfile la lourde veste jaune de son uni-
forme, son pantalon, met son casque et se
précipite dans la rue. « Et là, rien. Il n’y avait
rien. Pas de véhicule. Pas d’incendie. J’étais
seule : une folle, au milieu de la route », se re-
mémore-t-elle, trois ans et demi plus tard,
les yeux inondés de larmes à la simple
­évocation de cette hallucination.
Les mégafeux qui, entre octobre 2019 et fé-
vrier 2020, ont ravagé l’île-continent n’en fi-
nissent pas de hanter ses habitants : la jeune
orthophoniste est toujours aux prises avec le
syndrome de stress post-traumatique dont
elle souffre depuis que, le 15 décembre 2019,
elle s’est retrouvée piégée par les flammes,
l’une d’elles grimpant le long de son dos jus-
qu’à embraser sa longue chevelure.
Cet été-là, le « Black Summer », comme l’ont
surnommé les Australiens, l’« été noir », des
centaines d’incendies ont déferlé sur 24 mil-
lions d’hectares de terre – une étendue supé-
rieure à celle de la Tunisie –, coûté la vie à
trente-trois personnes, détruit un cinquième
des forêts du pays, tué plusieurs centaines de
millions d’animaux et mis en péril des éco-
systèmes uniques au monde. La région des
montagnes Bleues, une zone forestière de
1 million d’hectares d’une exceptionnelle
biodiversité classée au Patrimoine mondial
de l’Unesco, a été particulièrement affectée :
80 % de sa surface a été touchée par des feux.
Depuis, chacun panse ses plaies tout en se
préparant à l’avenir. Selon les conclusions de
la commission d’enquête royale sur les catas-
trophes naturelles nationales, publiées le
30 octobre 2020 : « Ce qui était sans précédent
est désormais notre futur. »
« Le jour de mon accident, tout n’était que
chaos. J’avais l’impression que des rivières de
lave coulaient de la cime des arbres. Des
troncs s’abattaient sur les routes. Des braises
grandes comme des assiettes tourbillon-
naient dans l’air. Et moi, j’étais là, au milieu de
cet enfer, chargée du système d’alimentation
de la lance à incendie, dérisoire, impuis-
sante », se souvient Sarah Hyde, qui s’est je-
tée au sol pour éteindre les flammes et s’est
relevée indemne mais « en vrac ».
Depuis, elle a rapidement quitté le village
fondé par son arrière-grand-père, Mount
­Irvine, un hameau de neuf âmes, pour s’ins-
taller à proximité de son lieu de travail et
échapper aux souvenirs que ravivait, chaque
jour, le trajet en voiture entre les forêts
d’eucalyptus noircis. Mais ils sont restés tapis
en elle, comme un mal dont elle n’arrive pas
à se débarrasser. C’est ce que réalise son père,
Allen Hyde, en cette journée de juin, boule-
versé de la découvrir encore si fragile. Les
conclusions d’une étude préliminaire pu-
bliée par l’université nationale australienne,
en 2022, « indiquent que les personnes tou-
chées par les catastrophes sont à risque accru
de problèmes de santé mentale persistants ».
Les incendies ont aussi, indirectement,
coûté la vie à 445 personnes qui ont inhalé
leurs fumées composées d’un assortiment
de substances polluantes toxiques, pouvant
causer des irritations respiratoires et réduire
la capacité des globules rouges à transporter
l’oxygène, mais aussi des particules fines
PM2,5, responsables d’accidents cardio-vas-
culaires. Au total, 80 % de la population du
pays a été exposée, à des degrés variés. A
terme, combien d’Australiens développeront-
ils un cancer ? Personne ne le sait encore.
« Régénération massive »
« Mais attention, nous ne sommes pas là pour
raconter une histoire sinistre. Je veux parler
d’action, je veux parler d’espoir », intervient le
père de Sarah. Avant même que les pluies
n’aient éteint les dernières flammes, en fé-
vrier 2020, cet ingénieur à la retraite, égale-
ment pompier volontaire, s’est plongé avec
ferveur dans les livres de botanique. Dans sa
maison de bois, il a élaboré un plan d’action
qui a pris la forme d’une organisation, fon-
dée grâce à une petite subvention du conseil
des Blue Mountains, la Rainforest Conser-
vancy. Son objectif : restaurer la forêt tropi-
cale à l’orée des habitations afin que celles-ci
servent de tampon naturel, en cas d’incendie,
« La végétation dans ces poches pluvieuses de la montagne.
« Vous sentez l’humidité ? Vous voyez la den-
a besoin de temps sité de cette canopée qui laisse à peine passer
la lumière du soleil ? », demande ce pas-
pour se remettre sionné, en parcourant un chemin serpentant
au milieu des fougères arborescentes. « Nous
d’un incendie. devons favoriser ce type de végétation qui re-
Leur fréquence tient l’eau et brûle difficilement », recomman-
de-t-il. Dans sa propriété de 50 acres, il a ar-
jouera un rôle rêté de débroussailler les parcelles herbeuses
pour laisser libre cours à la nature et mis en
crucial pour terre plus de deux cents pousses. Certains de
la conservation ces arbustes dépassent déjà les 3 mètres. Aux
alentours, plus d’une dizaine de personnes
et la survie ont d’ores et déjà rejoint son organisation.
« Cela nous aide aussi à aller mieux. Au lieu de
des espèces » ressasser le passé, nous préparons l’avenir »,
Liz Tasker glisse Sarah, en lui emboîtant le pas, son fils
écologue bien calé dans un porte-bébé.
Les forêts pluviales des Blue Mountains,
qui n’occupent plus que 1 % du territoire, re-
cèlent des trésors comme les pins de Wol-
lemi, dont l’histoire remonte à l’ère des dino-
saures et que les experts croyaient disparus
jusqu’à leur découverte, en 1994. Pour pré-
server ces quelque deux cents spécimens,
0123
­
­Mercredi 27­ septembre 2023
Des eucalyptus près
de la route de Bell,
dans les Blue Mountains
(Nouvelle-Galles du Sud,
Australie), le 14 juin.
Photos : ANDREW QUILTY/AGENCE VU POUR « LE MONDE »
leur emplacement n’a jamais été rendu pu-
blic. Face à la menace des incendies, en 2019,
les autorités ont monté une opération aux
allures de mission commando, larguant des
retardateurs de feu et installant un système
d’irrigation grâce à l’hélitreuillage de pom-
piers sur la zone. Leurs efforts ont permis
que ces « fossiles vivants » ne soient pas ré-
duits en cendres, mais la plupart ont été fra-
gilisés. Les forêts humides sont particulière-
ment vulnérables aux incendies.
Cette région de la cordillère australienne a
néanmoins une chance rare, plus de 90 % de
sa surface est occupée par un autre type de
flore, une végétation résistante voire adap-
tée aux feux. « Il est essentiel de toujours gar-
der à l’esprit qu’il y a, dans ces montagnes,
une diversité extraordinaire. La vaste majo-
rité des plantes a bien récupéré après le “Black
Summer”. Et, dès lors que nombre d’entre elles
ont besoin de flammes ou de fumée pour ger-
mer, nous avons même assisté à une régéné-
ration massive », explique Liz Tasker, écolo-
gue pour le Bureau de l’environnement et du
patrimoine de la Nouvelle-Galles du Sud.
A Blackheath, une petite ville réputée pour
sa vue panoramique sur de vertigineuses fa-
laises rouge et brun, la chaleur de ces brasiers
a notamment ouvert les cônes des graines de
Banksia. Dès que les conditions environne-
mentales ont été plus favorables, elles ont
germé. « Les acacias réagissent de façon simi-
laire », explique Jamie Salijevic, garde forestier,
en désignant leurs délicates fleurs, dont l’écla-
tante couleur jaune égaie, chaque hiver, la
montagne. Cet amoureux de la nature, qui a
découvert enfant les sentiers de la région avec
son père, est aujourd’hui l’un des guides char-
gés du circuit sur la régénération de la nature
proposé, depuis 2020, par le Centre du patri-
moine des Blue Mountains de Blackheath.
« En parcourant diverses sections de la forêt,
nous comprenons que la résilience des écosys-
tèmes dépend aussi de l’intensité des feux. Par
exemple, là où ils ont été extrêmement forts,
les eucalyptus sont toujours en convales-
cence. Cela se voit à leurs parties aériennes
­dénudées et à la présence de nouvelles bran-
ches sur le tronc. Après un incendie, des bour-
geons épicormiques émergent de l’écorce brû-
lée et leurs feuilles fournissent à ces arbres les
nutriments et l’énergie essentiels à leur sur-
vie », décrypte celui qui a grandi au rythme
des incendies, mais s’inquiète désormais de
l’accélération de leur fréquence.
Selon les météorologues, la hausse des tem-
pératures sur l’île-continent – 1 oC supplé-
mentaire depuis 1910 – conjuguée à la baisse
des précipitations dans le Sud-Est – moins
10 % depuis 1990 – est responsable d’une sai-
son des incendies plus longue et plus viru-
lente. « Evidemment, le changement climati-
que est une source de préoccupation majeure.
0123
­
­Mercredi 27­ septembre 2023
La végétation, qui souffre déjà des épisodes de
sécheresse, a besoin de temps pour se remettre
d’un incendie. Leur fréquence jouera un rôle
crucial pour la conservation et la survie des es-
pèces », met en garde l’écologue Liz Tasker.
Après l’« été noir », les Australiens, excédés
que leur premier ministre de l’époque, le con-
servateur Scott Morrison, ait non seulement
ignoré les questions climatiques mais se soit
offert des vacances à Hawaï pendant que son
pays partait en fumée, ont profité des élec-
tions de mai 2022 pour porter les travaillistes
au pouvoir, emmenés par Anthony Albanese.
Ce dernier a promis de ne jamais « disparaî-
tre quand les choses deviennent difficiles »
mais, surtout, de faire de son pays une « su-
perpuissance » des énergies renouvelables.
Dans les Blue Mountains, où l’on a coutume
de dire que « le bush a besoin du feu », les forêts
brûlent d’autant plus facilement qu’elles sont
dominées par une centaine d’espèces d’euca-
lyptus. Leurs feuilles contiennent une huile
dont l’évaporation forme un voile bleuté au-
dessus de la canopée, d’où le nom des monta-
gnes, et très inflammable. Le 26 octobre 2019,
quand un éclair a provoqué un incendie dans
les sous-bois de la Gospers Mountain, il s’est
propagé à la cime des arbres comme s’il sau-
tait de mèche en mèche dans une forêt d’allu-
mettes. En ce printemps austral, l’Etat de Nou-
velle-Galles du Sud venait de traverser plu-
sieurs années d’une virulente sécheresse et
les températures battaient des records.
Un seul point d’ignition
« Dans de telles conditions, nous avons vu des
flammes atteindre les 100 mètres de hauteur.
Elles avançaient deux fois plus vite que d’habi-
tude. Même la nuit, lorsque l’humidité nous
offre généralement un peu de répit, elles ne fai-
blissaient pas. Progressivement, elles ont brisé
toutes nos lignes de confinement », se rappelle
le capitaine des pompiers, Craig Burley, le vi-
sage creusé de profondes rides et qui était
commandant de division lors de ce mégafeu.
Sur les murs du centre de contrôle des in-
cendies de Hawkesbury, auquel il est attaché,
trône encore la carte sur laquelle sont tracés
les contours « du monstre », tel que l’ont dé-
nommé les Australiens, qui a brûlé pendant
soixante-dix-neuf jours pour devenir le plus
grand feu de brousse, à partir d’un seul point
d’ignition, de l’histoire du pays.
« Dans les bois, après qu’il a été éteint, il n’y
avait plus un bruit, plus un chant d’oiseau,
plus rien. L’air avait une odeur de barbecue et,
çà et là, gisaient des carcasses d’animaux »,
témoigne Emma Spencer, coordinatrice du
projet Eyes on Recovery, conduit par le Fonds
mondial pour la nature (WWF) afin d’étudier
le rétablissement de la faune.
Au lendemain de l’« été noir », des experts
avaient estimé que trois milliards d’ani-
maux, vivant sur le passage des incendies,
avaient pu être tués ou déplacés. En analy-
sant, grâce à l’intelligence artificielle, plus de
7 millions de photos prises par 1 100 caméras
placées dans la nature, ils observent désor-
mais que de nombreuses populations ani-
males se rétablissent mieux qu’anticipé. Non
loin de Mount Irvine, l’une de ces caméras,
ceinturée sur un tronc d’arbre, a notamment
capturé des clichés de wallabys bicolores, de
chats marsupiaux à queue tachetée ou en-
core de phalangers volants, un petit mammi-
fère capable d’effectuer des vols planés.
« C’est très encourageant. Quand les feux ont
traversé leurs habitats, nombre d’animaux ont
réussi à se cacher dans des terriers ou dans des
cavités, d’autres sont parvenus à fuir. Avec le
temps, ils sont réapparus », se réjouit l’écolo-
gue, spécialiste de la faune sauvage et qui a
fait de ces forêts son bureau. Mais ces don-
nées restent parcellaires et certaines espèces
ont davantage souffert que d’autres, notam-
ment des populations d’insectes localisées et
peu mobiles. « Et puis, il ne faut pas oublier que
ces incendies ont été suivis par trois années de
pluies torrentielles qui ont permis à la nature
de se régénérer rapidement. Il n’est pas évident
que nous bénéficiions des mêmes conditions la
prochaine fois », nuance Emma Spencer.
Pour les habitants, ces pluies, qui ont causé
des inondations à répétition, y compris dans
les Blue Mountains, ont été un autre cata-
clysme, suivi d’un troisième, la pandémie de
Covid-19. Oubliés de tous, ils ont dû jongler
entre les crises, faire avec des moyens réduits
et des services de santé occupés à autre chose.
A Dargan, quelques maisons éparses au
bout d’une route bordée d’arbres morts – des
Eucalyptus regnans, dont la particularité est
d’être peu résistants au feu –, les époux Green,
sans abri après que les flammes ont englouti
leur maison, le 21 décembre 2019, sont restés
coincés là, dans l’impossibilité d’aller se ré­-
fugier chez leurs enfants, établis en Europe.
L’Australie a fermé ses frontières en
mars 2020 pour se protéger de la pandémie.
Après avoir vécu dans une chambre d’hôtel,
puis dans un appartement de location et enfin
dans une caravane installée sur leur terrain
noirci, ils ont pris possession des clés de leur
nouvelle demeure un an plus tard. Mais ils ont
beau l’avoir habillée de couleurs chaudes et de
leurs photos de famille, ils ne s’y sentent tou-
jours pas chez eux. Senga ­confie qu’elle conti-
nue à pleurer « pour un oui, pour un non ». « Au
moins, nous espérons que cette maison résis-
tera s’il y a un nouveau sinistre », lâche son
mari, Michael, qui a ­consulté un expert avant
de reconstruire afin de respecter des normes
très précises désormais nécessaires à l’obten-
tion d’un permis dans ces zones à risque.
D’autres montagnards ont pris la clé des
champs. « Pour tout un tas de raisons diffé-
Sarah Hyde, pompière
volontaire, avec sa fille,
Percy, et sa grand-mère,
Robyn Hyde, dans leur maison,
à Mount Irvine, dans les Blue
Mountains (Nouvelle-Galles
du Sud, Australie), le 15 juin.
rentes. Parce qu’ils n’ont plus envie de prendre
le risque de tout perdre, parce qu’ils sont fati-
gués, parce qu’ils sont trop âgés pour entrete-
nir leur terrain, parce qu’ils n’ont pas l’argent
pour se payer une assurance », égrènent
Anne Crestani, Joanna Brown et Claire Abso-
lum, qui connaissent bien les habitants des
Blue Mountains pour les soutenir dans le ca-
dre de Resilient Villages, un projet financé
par le gouvernement fédéral.
L’usage des « feux culturels »
Dans les Blue Dans un café de Katoomba, le principal cen-
Mountains, tre urbain de la région, ces trois femmes dy-
namiques insistent sur le rôle fondamental
les habitants joué par le voisinage et l’importance d’agir
au niveau local. « Nous allons dans les villa-
« veulent ges, dans les hameaux isolés et nous deman-
dons aux populations quels sont leurs be-
apprendre à soins, expliquent-elles. Certains souhaitent
se débrouiller comprendre comment mieux protéger leur
propriété, d’autres ont réclamé des télépho-
seuls, car ils nes satellitaires ou encore des défibrillateurs.
Tous ont en commun de vouloir apprendre à
savent que les se débrouiller seuls, car ils savent que les pom-
pompiers ne piers ne peuvent être partout, ils doivent être
plus résilients dans ce nouveau monde
peuvent être ­modelé par le dérèglement climatique. »
Les 74 000 hommes, essentiellement des
partout » volontaires, du Service rural de lutte contre
les incendies de Nouvelle-Galles du Sud (NSW
RFS) sont systématiquement loués pour leur
courage, mais la décision prise le 14 décem-
bre 2019 d’allumer un ­contre-feu (une techni-
que couramment utilisée pour arrêter la pro-
gression des incendies) pour protéger la zone
reliant Mount Irvine à Bell, distants d’une
trentaine de kilomètres, fait toujours l’objet
de critiques. En quelques heures, il a totale-
ment échappé à la brigade de Mount Wilson,
se muant en un gigantesque brasier qui s’est
QUEENSLAND
AUSTRALIE
NOUVELLE-
GALLES DU SUD Zone touchée
par les feux
Blue Mountains de l’été austral
2019-2020
Sydney
Canberra
Océan
VICTORIA
Pacifique
Melbourne
500 km
Infographie Le Monde
Planète | 19
propagé à neuf villages, dont celui des Green.
Depuis, Allen Hyde, le fondateur de la Rainfo-
rest Conservancy et membre de cette ca-
serne, a coiffé la casquette de capitaine ad-
joint pour convaincre ses collègues d’éviter
de combattre le feu par le feu. Wayne Bren-
nan, un archéologue aborigène, qui dénonce
une mauvaise gestion des techniques de brû-
lage préventif par les pompiers, car « exclusi-
vement concentrée sur la protection des zones
d’habitation », a rejoint cette brigade, au dé-
but de l’hiver 2023, pour promouvoir l’usage
des « feux culturels », des feux de basse inten-
sité et sur de petites surfaces.
Après le « Black Summer », le grand public a
redécouvert cette pratique, employée depuis
des temps immémoriaux par les peuples
­premiers pour faciliter la chasse, aider à la ré-
génération des plantes, préserver la biodiver-
sité et prévenir les incendies incontrôlés. « Ces
feux nécessitent une connaissance approfon-
die de l’environnement local et des cycles natu-
rels. Ils s’inscrivent dans une gestion à long
terme en harmonie avec les écosystèmes »,
­décrit l’archéologue de 68 ans. Aujourd’hui,
peu de personnes possèdent encore cette
­expertise dans la région.
Le Service des parcs nationaux et de la
faune sauvage de Nouvelle-Galles du Sud,
qui gère 890 parcs nationaux et réserves,
collabore avec certains d’entre eux. « Nous
sommes aussi une autorité compétente en
matière de feu et, dans notre zone d’action,
nous avons recours aux feux contrôlés », pré-
cise Glenn Meade, un des responsables. Face
à lui, une surface grande comme treize ter-
rains de football, brûlée à relativement faible
intensité en amont de la prochaine saison
des incendies. « Notre but est de réduire la
quantité de combustible végétal disponible,
mais aussi d’aider la végétation locale, ama-
trice de flammes ou de chaleur, à prospérer ».
A la suite des incendies de 2019-2020, son
service, qui dispose de sa propre équipe de
1 200 pompiers, a ouvert de nouveaux postes
pour pouvoir intervenir plus rapidement
dans les zones reculées. Le NSW RFS a, quant
à lui, été doté de nouveaux moyens aériens,
expérimenté des jumelles de vision noc-
turne, fait des essais avec des drones et amé-
lioré ses systèmes de communication.
Le 4 juillet, l’Organisation météorologique
mondiale a annoncé le retour du phénomène
climatique El Niño. Dans ce Sud-Est austra-
lien, marqué par trois années d’inondations
et où la végétation a repoussé en abondance,
il va provoquer une hausse des températures
et une baisse de la pluviométrie. Soit les con-
ditions idéales pour un nouvel « été noir ». p
Isabelle Dellerba
Prochain article En Colombie, la quête
incessante des enfants perdus d’Armero
 Culture
20 |
« Pierre Goldman, un personnage de cinéma »
Cédric Kahn raconte comment il a reconstitué le second procès du militant d’extrême gauche acquitté en 1976
Entretien
Q
ui se souvient encore
de Pierre Goldman ?
Né en 1944 à Lyon,
sous l’Occupation,
d’un couple de résis-
tants juifs polonais installés en
France, enfant, de ce fait, promis à
la mort. Proche de l’extrême
­gauche, il se met, à la fin des
­années 1960, au service d’une uto-
pie révolutionnaire en train d’ago-
niser. Puis se tourne, en compa-
gnie d’amis guadeloupéens, vers
le banditisme. Accusé en 1969 du
meurtre de deux pharmaciennes
à Paris, il est reconnu coupable
en 1974. Plaidant son innocence, il
écrit en prison un monument
­littéraire, Souvenirs ­obscurs d’un
juif polonais né en France (Seuil,
1975). Allant en cassation, il est fi-
nalement acquitté, en 1976, faute
de preuves suffisantes.
C’est ce second procès, qui
­mobilise en sa faveur une grande
­partie de l’intelligentsia de
­gauche de l’époque, que le réalisa-
teur Cédric Kahn reconstitue dans
Le Procès Goldman. Le film se fait
épopée rhétorique, condensé
d’une passion qui demeurera
­jusqu’à la fin mystérieuse, avec
l’assassinat non élucidé de Pierre
Goldman, en 1979, à Paris, à 35 ans.
Vous aviez 8 ans lors
du premier procès de Pierre
­Goldman. Quand avez-vous
rencontré cette affaire ?
Je ne sais rien à cet âge, mais
quand même, ça existe chez moi.
Il y a ce livre – Souvenirs obscurs
d’un juif polonais né en France –
dont le titre retient mon atten-
tion dans la bibliothèque de mes
parents. Un jour, j’ai 30 ans, je suis
déjà cinéaste, je l’ouvre, je le lis.
C’est un choc. Je suis intrigué, je
ne suis pas fan, je me dis : « Ce mec
est étrange. » Flambeur, brillant,
provocateur, ambigu, manipula-
teur. Je me dis tout de suite que
c’est un personnage de cinéma.
L’idée mettra tout de même
plus de vingt-cinq ans
à cheminer…
Oui. Avec d’abord la proposition
de Canal+ de réaliser un téléfilm,
que je trouve trop hagiographi-
que et que je refuse. Christophe
Blanc le réalise en 2011 avec
­Samuel ­Benchetrit dans le rôle
principal. Mais je pense déjà que
ce second procès, celui de l’acquit-
tement, est l’angle par lequel il
convient d’aborder cette histoire.
En faire un film sur l’art du
­discours, parce que le grand ex-
ploit de Goldman, son acte de bra-
voure ultime, pour moi, c’est le li-
vre qu’il écrit et la dialectique qui
va mener à son acquittement.
Cédric Kahn immergé au cœur d’une lutte théorique et politique
Le cinéaste organise, avec les outils de la fiction, une captivante reconstitution de prétoire, sans trancher sur la culpabilité de l’accusé
Le Procès Goldman
pppv
D es gangsters qui sont en
même temps de grands
intellectuels, il n’y en a
pas beaucoup. Le film de Cédric
Kahn nous rappelle l’existence de
Pierre Goldman à travers la cap­-
tivante reconstitution de son
­second procès. Présenté en ouver-
ture de la Quinzaine des cinéastes
au Festival de Cannes, le long-mé-
trage s’inscrit dans le sillage de
deux autres films de prétoire
français récents, dont les préve-
nus ont le chic de présenter tous
les traits de l’homme ou de la
femme à anéantir. La résurgence
d’un cinéma de procès est sans
doute le signe d’une société qui
Pierre Goldman (Arieh Worthalter). MOONSHAKER/AD VITAM
Puis je passe à autre chose, jus-
qu’au jour où je croise la scéna-
riste Nathalie Hertzberg, qui avait
travaillé à l’époque sur ce projet,
et qui me dit qu’il faut qu’on s’y
remette. Je me suis dit qu’elle
avait raison.
Sur quelles sources travaillez-
vous pour nourrir le film ?
Quand nous les avons deman-
dées, on nous a répondu que les
minutes du procès n’existaient
pas. C’est à vérifier. Nathalie a
compilé les articles quotidiens de
grands supports qui couvraient le
procès, et obtenu un document
de trois cents pages à partir du-
quel nous avons écrit le scénario.
Nous avons recousu beaucoup de
dialogues et rapatrié des choses
que nous avons trouvées dans la
littérature consacrée à Goldman,
à commencer par son propre
ouvrage, ou même venant du
­premier procès. C’est de la fiction,
mais avec beaucoup de vrai.
N’avez-vous pas ressenti le be-
soin, étant donné la délicatesse
requalifie l’histoire du point de
vue des minoritaires.
Dans Saint Omer, d’Alice Diop,
l’audition d’une mère infanticide
et femme de lettres d’origine sé-
négalaise met en lumière les
­préjugés racistes, quand Anato-
mie d’une chute, de Justine Triet,
­décrit la suspicion engendrée par
le mode de vie d’une écrivaine à
­succès, après la mort de son mari,
tombé d’un grenier.
Pierre Goldman, lui, était le fils
de résistants juifs d’origine polo-
naise. Un juif entouré de Noirs qui
rêvait que ses enfants « soient des
juifs au sang nègre ». La police le
­répugnait. Militant d’extrême
gauche, il s’est rendu à Cuba et au
Venezuela. De retour en France,
poursuivi pour une série de bra-
pppp Chef-d'œuvre
« C’est de
la fiction, mais
avec beaucoup
de vrai »
de l’affaire, de faire appel
à un historien ?
Nous avons plutôt travaillé avec
des avocats, pour tout ce qui
­concernait le procès, et aussi avec
Michaël Prazan, qui n’est pas
­historien mais qui a écrit, en 2005,
une biographie de Pierre
­Goldman, Pierre Goldman. Le frère
de l’ombre [Seuil], et qui connaît
parfaitement l’affaire. C’est lui qui
nous a présentés aux avocats de
Pierre Goldman, Georges ­Kiejman
et Francis Chouraqui, dont nous
avons recueilli les souvenirs.
Ce livre que vous citez remet en
cause l’alibi de Pierre ­Goldman.
Il produit un témoignage de
Joël Lautric, qui revient sur son
affirmation selon laquelle
Goldman était chez lui à l’heure
quages, dont un ayant entraîné la
mort de deux pharmaciennes, le
19 décembre 1969, boulevard
­Richard-Lenoir, à Paris, il a été con-
damné en première instance à la
réclusion criminelle à perpétuité.
Prodigieux face-à-face
En prison, il a clamé son inno-
cence et tenté d’éclairer le mys-
tère de sa vie dans un livre, Souve-
nirs obscurs d’un juif polonais né
en France (Seuil, 1975). La gauche
de l’époque, fascinée, et des célé-
brités, de Régis Debray à Simone
Signoret, ont réuni autour de lui
des comités de soutien.
C’est dans ce climat fébrile que
débute, en novembre 1975, son se-
cond procès, objet tout entier du
film. Il fut son moment de grâce et
pppv à ne pas manquer
de l’assassinat. La veuve de
Pierre Goldman, Christiane
Succab-Goldman, avait critiqué
l’ouvrage, en rappelant que
Joël Lautric s’était trop dédit
pour être crédible…
Je suis d’accord, c’est ce que
nous montrons dans le film.
Lautric avait déjà changé d’avis
entre le premier et le deuxième
procès. A chaque fois que Lautric a
parlé, il a changé d’avis. Qu’est-ce
qui nous prouve même qu’il a dit
la vérité à Prazan ? Cet alibi est de
toute façon très flageolant.
Avez-vous sollicité Christiane
Succab-Goldman, qui fut
un ­témoin de premier plan ?
Non. Nous avons voulu rendre
hommage au débat contra­-
dictoire de l’époque en nous
­contentant des faits publics, qui
ne sont pas contestables, et pour
éviter justement d’entrer dans la
sphère privée. A l’exception des
deux avocats de Pierre Goldman,
nous n’avons d’ailleurs voulu
­rencontrer aucun acteur de l’épo-
que. Donc on ne la sollicite pas
sa dernière gloire. De fait, la tâche
de restitution était ardue. Après
coup, comment retrouver l’alchi-
mie de cette épiphanie ? De la
même manière que Pierre
­Goldman projetait de se « présen-
ter avec [sa] seule innocence », sans
recourir au moindre témoin pour
sa défense, Cédric Kahn a effacé
l’aspect théâtral de la cour pour y
tisser une étoffe autrement plus
drue. En utilisant un format carré,
en coupant la musique et en se
passant de flash-back, il nous
donne l’impression de plonger
dans des archives. A moins que ce
ne soit dans un guet-apens… Une
fois entrés dans le tribunal, nous
n’en sortirons plus.
Au milieu de la lutte rhétorique,
manœuvrée au moyen de prodi-
ppvv à voir pvvv pourquoi pas
parce qu’on pense qu’on n’est
pas attaquables.
Et, cependant, vous la faites
­témoigner au procès, alors
qu’elle n’y a, en accord avec son
compagnon, jamais témoigné…
Je l’ignorais. J’étais persuadé
qu’elle y était, contre l’avis de
Goldman, cela, je le savais, ce qui
créait, pour moi, une tension inté-
ressante. A vrai dire, sa présence et
son témoignage, au même titre
que ceux du père de Goldman,
nous semblaient tellement évi-
dents qu’on ne s’est même pas
posé la question. En écrivant cette
scène, nous n’avions aucune in-
tention ni de blesser ni de diffa-
mer Christiane Succab-Goldman,
mais, bien au contraire, de
­montrer une femme digne,
­combative et amoureuse.
Dans l’arsenal de la défense,
l’hypothèse d’une conduite
orientée de l’enquête et de
­préjugés racistes de la police
est forte. Cette question
­résonne avec notre époque…
gieux face-à-face, le film impres-
sionne une matière sensible qui
doit beaucoup à la fiction : des
­acteurs au firmament (Arieh
­Worthalter, Arthur Harari,
­Nicolas Briançon…), un recadrage
scénaristique qui amplifie la
­matière brûlante du dossier (anti-
sémitisme, racisme, violences
­policières) et une dilution de l’ins-
tance juridique dans des inserts
prélevés parmi le public, en parti-
culier le visage de la compagne de
Goldman, femme noire devant la
justice blanche.
A la différence de Roberto Succo
(2001), le quatrième film du réali-
sateur, Le Procès Goldman ne
tranche pas. Plus exactement, il
prend le parti de la défense, celui
du bénéfice du doute, défendu
0123
­
­Mercredi 27­ septembre 2023
vvvv on peut éviter
Je vais vous faire une réponse
honnête, je n’y ai jamais pensé.
J’avais même la crainte inverse, à
savoir que toute cette affaire soit
terriblement datée. Et je me rends
compte que les jeunes, tout par­-
ticulièrement, s’emparent forte-
ment de cette histoire en y met-
tant des enjeux d’aujourd’hui.
Votre film laisse ouverte
la question de la ­culpabilité
ou de l’innocence de Pierre
­Goldman. Avez-vous une
­intime conviction à ce sujet ?
Non, et d’ailleurs peu importe
mon opinion. Je voulais surtout
que le film respecte les débats,
restitue l’ambiance du procès, et
que le spectateur soit mis pour
ainsi dire dans la position du juré
et se fasse sa propre opinion. Et je
vois bien que ce qui passionne les
gens qui découvrent le film, c’est
qu’ils sentent bien que quelque
chose échappe à l’entendement
dans ce procès, que la vérité y est
sans doute inatteignable. p
Propos recueillis par
Jacques Mandelbaum
par Me Georges Kiejman, puisqu’il
n’y a pas de preuve incontestable
de culpabilité. Le plus fort du film
se trouve incontestablement
dans la relation complexe de ces
deux hommes, tous deux enfants
de la Shoah.
D’un côté, Goldman, écorché
vif et autodestructeur, plaide
pour des idéaux, de l’autre,
­Kiejman, résilient et rationnel,
s’attelle à libérer l’homme. C’est
dans cette faille creusée dans la
même roche que le film dessine
les ombres irréconciliables de ce
grand procès. p
Maroussia Dubreuil
Film français de Cédric Kahn.
Avec Arieh Worthalter, Arthur
Harari, Nicolas Briançon (1 h 55).
0123
­
­Mercredi 27­ septembre 2023
Collage visuel
sur les routes
de Bucarest
Le cinéaste roumain Radu Jude
poursuit sa dénonciation
des travers du libéralisme effréné
N’attendez pas trop
la fin du monde
pppv
C
inéaste dialecticien, qui
n’aime rien mieux que
semer la zizanie entre
les images, le Roumain
Radu Jude, 46 ans, livre avec son
dernier long-métrage une œuvre
somme, un pamphlet à sa façon,
virulent et malpoli, jovial et déses-
péré, cette fois élargie aux dimen-
sions d’une odyssée contempo-
raine. Après Bad Luck Banging or
Loony Porn, N’attendez pas trop de
la fin du monde, Prix spécial du
jury à Locarno, se dresse de nou-
veau contre la société néolibérale
en voie terminale de dérégula-
tion. Bucarest, capitale âpre et
brutaliste, stigmate à ciel ouvert
d’une Roumanie postcommu-
niste propulsée au pas de course
dans l’économie de marché, en est
le parfait avant-poste.
D’une durée inhabituelle pour
le cinéaste (cent soixante-
trois minutes : un record), ce nou-
veau film de forme accidentée,
fourmillant de récits et d’interlu-
des, tourne autour du travail, de
l’acception dégradée qu’on en a
aujourd’hui. Pour cela, il s’attache
au personnage d’Angela, une as-
sistante de production lancée
dans des courses en voiture inter-
minables dans tout Bucarest. Sa
mission du jour est de recueillir
les témoignages d’invalides ayant
subi de graves accidents du tra-
vail, en vue d’un spot de préven-
tion commandité par une multi-
nationale autrichienne.
Or, dans la ville connue pour ses
embouteillages monstres, chaque
course est un parcours du combat-
tant, dans le vacarme des klaxons,
des insultes, des hymnes mar-
tiaux crachés par l’autoradio, et
Dans l’habitacle du véhicule de Radu Jude
Radu Jude est capable de vous
parler de son cinéma de « col-
lage » godardien avec une simpli-
cité déconcertante. Et l’Ours d’or
que le cinéaste roumain, âgé de
46 ans, a remporté à la Berlinale
en 2021, pour Bad Luck Banging or
Loony Porn – l’histoire d’une en-
seignante dont la vie bascule
après la divulgation d’une vidéo
sexuelle sur les réseaux sociaux –,
n’y a rien changé. Le réalisateur
semble plus libre que jamais, du
moins est-ce l’impression qui se
dégage de son dernier long-mé-
trage, le foisonnant N’attendez
pas trop de la fin du monde.
Nous l’avons rencontré là, en
août, sur les bords du lac Majeur,
en Suisse, aux côtés de l’actrice
roumaine et blonde incendiaire
Ilinca Manolache, qui porte le
film avec la rage de son person-
nage. Voici la jeune Angela, assis-
tante de production surmenée,
qui enchaîne les interviews
auprès de salariés ayant subi un
accident du travail, en vue de la
création d’un film sur la préven-
tion. Ironie de l’histoire, Angela
prend des risques inconsidérés
au volant de sa voiture pour assu-
rer ses rendez-vous, dans une
mise en abyme de la perfor-
mance et du désastre…
Radu Jude entrelace au montage
cette vertigineuse épopée avec
des extraits d’un film roumain
­datant de 1981, qui met en scène
une autre Angela, chauffeuse de
taxi : Angela merge mai departe
l’air vicié des gaz d’échappement
(« composé à 100 % de pets », cau-
chemarde la conductrice). Les ho-
raires d’Angela s’allongent à perte
de vue, le sommeil gagne, sans
compter les courses subsidiaires :
conduire sa mère au cimetière, re-
trouver un amant pour une
étreinte furtive sur la banquette
arrière, puis repartir au turbin.
Double avatar
Cette héroïne, pimpante blonde
en robe à paillettes jurant au vo-
lant comme un charretier,
vaillante recrue de la corvéabilité
ubérisée, jouée avec une verve in-
croyable par la jeune actrice Ilinca
Manolache, vaut avant tout parce
qu’elle s’inscrit dans le nœud
­gordien des contradictions con-
temporaines. La voilà, en effet,
œuvrant à produire une image po-
sitive du travail en entreprise,
alors qu’elle-même est exploitée
jusqu’à la moelle, jetée sans ména-
gement dans la centrifugeuse ur-
baine. De même, on approche les
grands accidentés du travail pour
mieux les mettre en concurrence
les uns avec les autres : un seul sera
retenu pour tourner le spot et tou-
cher le providentiel cachet.
La schizophrénie monte d’un
cran avec l’avatar que se crée An-
gela sur les réseaux sociaux, se
­filmant avec son téléphone, un
­filtre numérique apposé sur le
Dans Bucarest,
connue pour ses
embouteillages
monstres, chaque
course devient
un parcours
du combattant
(Angela poursuit sa route), de Lu-
cian Bratu. L’héroïne en jupe plis-
sée y sillonne les mêmes routes de
Bucarest que l’Angela contempo-
raine, dans un troublant jeu de
piste sur les époques et sur la
­condition féminine. Le plus rabe-
laisien des réalisateurs roumains
a toujours aimé connecter ses fic-
tions au passé traumatique de son
pays (la dictature de Ceaucescu, le
passage sans transition à l’écono-
mie de marché débridée, etc.).
« Créature malfaisante »
C’est la résurgence d’un souvenir
qui est à l’origine du film, expli-
que Radu Jude : « Il y a quelques
années, j’ai eu une paralysie fa-
ciale. Rien de grave, mais cela m’a
fait penser à mes débuts, quand je
faisais plein de boulots sur les
tournages. J’ai commencé comme
troisième assistant, j’ai tourné des
telenovelas, de la pub, du téléshop-
ping… Je me souviens d’un garçon
qui était assistant de prod, comme
Angela : il conduisait sans arrêt,
s’est endormi au volant et il est
mort à 22 ans. Je le connaissais très
peu, mais c’était choquant. »
Dans l’habitacle du véhicule,
Angela est filmée de profil, pas-
sant les vitesses frénétiquement,
jetant des regards caméra. Sur les
réseaux sociaux, l’assistante de
prod a un avatar masculin qui
­vomit des horreurs sur les filles,
et elle poste ses vidéos salaces
­entre deux rendez-vous. Il fallait
un certain culot pour accepter le
Culture | 21
Angela (Ilinca Manolache), une assistante de production lancée dans des courses en voiture interminables. METEORE FILMS
­ isage : une caricature de macho
v le chantier du Palais du peuple de et capte toujours un surplus de réalité quelconque, elles partici-
mal embouché qui l’autorise à Ceausescu) et ses angles morts. réalité imprévue. pent à leur échelle à la transforma-
proférer les pires outrages – seule Le cinéaste ralentit l’image du L’image constitue bien l’objet de tion générale de l’espace public en
soupape de son quotidien sous film des années 1980 pour en ré- réflexion de N’attendez pas trop de une grande poubelle. Jouant l’exa-
pression. Or, ce double ultravul- véler les fragments : les files d’at- la fin du monde, qui s’achève sur men par le montage, misant sur le
gaire n’est autre que le prurit sym- tente à l’entrée des magasins rap- un plan fixe, retraçant le tournage choc comparatif des images, Radu
bolique du haut degré de violence pelant le rationnement des den- du fameux spot de prévention, à la Jude s’affirme ainsi comme l’un
émanant de la ville, ce dédale sa- rées, des déshérités prenant le façon d’un petit théâtre de l’échec des rares disciples crédibles d’un
turé de véhicules, de publicités tramway, une centrale nucléaire et du reniement. Le cinéaste éta- Jean-Luc Godard. p
agressives, de devantures criar- pointant son nez à l’horizon… blit ainsi un lien stimulant entre Mathieu Macheret
des, de décharges sauvages. La tra- Autant de détails documentaires l’état d’une société et celui des
verser revient à déambuler dans qui exposent l’inconscient de la images qu’elle produit : quand cel- Film roumain, français,
une forêt de symptômes. fiction. Jude nous rappelle ainsi les-ci ne sont plus que des biens de luxembourgeois, croate de Radu
Tout paradoxe scinde la réalité qu’une image est une empreinte, consommation jetables, perdant Jude. Avec Ilinca Manolache,
en deux. Il n’en fallait pas plus qu’elle comporte un double fond leur capacité à témoigner d’une Ovidiu Pirșan (2 h 43).
pour faire de N’attendez pas trop
de la fin du monde un film de
montage, maniant coupes et con-
trastes, jonglant avec les formats
(noir et blanc/couleur, film/vi-
déo). Son régime est celui de l’hé-
térogène. Ainsi Radu Jude n’hési-
te-t-il pas à entrecouper les trajets
de son héroïne avec des extraits PARTENAIRE OFFICIEL DE LA 15 e ÉDITION !
d’un ancien film, Angela merge
mai departe (1981), de Lucian
Bratu, fiction de l’ère communiste
sur une femme taxi, sillonnant
elle aussi les rues de Bucarest.
D’une époque à l’autre, du réa-
lisme d’Etat à la satire à boulets
rouges alternent des visages de la
ville qui exposent ses mutilations
(le quartier Uranus englouti dans
© Argos Films, Wim Wenders Stiftung / Photo Robbin Holland
rôle. Ilinca Manolache, qui vient
du théâtre, s’explique : « Cet ava-
tar masculin, c’est moi qui l’ai créé
bien avant le film. Je voulais criti-
quer cette manière d’objectiver les
femmes, de les insulter et de les do-
miner sur les réseaux sociaux. Ces
vidéos masculinistes font un tabac
auprès des adolescents. Radu Jude
voulait absolument que je re-
prenne cette créature malfaisante
dans sa fiction. »
Ensemble, le cinéaste et la comé-
dienne ont créé un personnage
insaisissable : tel un alter ego du
réalisateur, Angela se fond dans la
fabrique du film, jusqu’à en faire
apparaître les coutures. Dès les
premiers plans, quand Angela se
réveille, Radu Jude s’amuse à faire
sauter l’image, comme si elle se
­levait deux fois du lit. « J’y trouve
une certaine poésie. N’attendez
pas trop de la fin du monde est
une œuvre moderniste, ou prémo-
derniste, comme aux premiers
temps du cinéma, où la construc-
tion reste un peu visible, avec quel-
ques mauvaises coupes au mon-
tage. Je regrette d’ailleurs de ne pas
en avoir fait plus, c’est toujours
­difficile de trouver le dosage. »
Radu Jude se plaît dans la recher-
che et ne court pas après la perfec-
tion : « C’est ce que j’aime aussi Photo : Paris, Texas (1984) de Wim Wenders, Prix Lumière 2023
dans le cinéma d’Andy Warhol, qui
tournait vite et beaucoup, et faisait
peu de prises, avec l’idée d’accepter
les erreurs. J’essaie de retrouver cet
esprit libérateur. » p
Clarisse Fabre

22 | Culture
Une gourou
dans l’air
du temps
Jessica Hausner dresse le portrait
d’une professeure qui manipule
ses élèves, dans une école chic
Club Zéro
ppvv
D
es repas gargantues-
ques, des flatulences
et des crises de foie…
Satire rabelaisienne
du consumérisme et de la déca-
dence de la bourgeoisie, La Grande
Bouffe, de Marco Ferreri, dans la-
quelle quatre amis décidaient de
manger jusqu’à la mort, faisait
scandale au Festival de Cannes,
en 1973. Cinquante ans plus tard,
on observe un changement de pa-
radigme sur la Croisette. Dans
Club Zéro, présenté en Sélection
officielle, la cinéaste autrichienne
Jessica Hausner se passionne pour
une autre bourgeoisie plus con-
temporaine, celle des mises en
bouche, des petites assiettes et des
menus plaisirs. Le nouveau
­marqueur du prestige social et de
la bonne conscience, compatible
avec l’urgence socioenvironne-
mentale, se lit désormais dans le
minimalisme consumériste.
On s’explique. L’action se dé-
roule sur le campus d’un lycée
privé que seuls les richissimes
peuvent offrir à leurs enfants. Les
CapaPictures / Europe 1
intérieurs sont spacieux et épurés.
Les lignes, parallèles ou perpendi-
culaires. La lumière est jaune,
l’uniforme des élèves aussi. Cette
géométrie implacable et ces à-
plats à perte de vue, dont il ressort
une logique disciplinaire, offrent à
la cinéaste la possibilité de conce-
voir des cadres tirés au cordeau
dont la corrosion est d’autant plus
visible. Tout cela n’est pas sans rap-
peler la rigueur méthodique et le
goût pour l’abrasif de ses compa-
triotes, tels Michael Haneke, dont
elle a été la scripte, et Ulrich Seidl.
C’est dans ce contexte qu’une
nouvelle professeure arrive : ma-
dame Novak (Mia Wasikowska),
connue pour commercialiser sa
propre marque de thé détox – ce
qui n’empêche pas le sourire car-
nassier sur l’emballage –, va dis-
penser un cours d’alimentation
consciente qui vise à réduire le
gaspillage. Il s’agit de s’assurer
que chaque bouchée est utile à
son bien-être, ce qui implique de
manger moins pour se sauver soi-
même et le monde avec. Mais la
professeure est tordue et va pous-
ser l’exercice jusqu’à son pa-
roxysme : vivre sans manger.
9H -11H
CULTURE MÉDIAS
Fred (Samuel DeClan Anderson), Ragna (Florence Baker), Helen (Gwen Currant), Elsa (Ksenia Devriendt) et Ben (Luke Barker). COPRODUCTION OFFICE
Le cinéma passant souvent à ta-
ble, on pensait avoir tout vu en
matière de bizarrerie gastrono-
mique. Des cuvettes de toilettes
autour d’une table à manger (Le
Fantôme de la liberté, Luis
Buñuel, 1974), un seau pour
­vomir dans un restaurant gastro-
nomique (Monty Python. Le sens
de la vie, Terry Jones, 1983), des
disputes sur le rôti, des meurtres
au-dessus de l’assiette, mais la
proposition de Jessica Hausner
tranche avec ces débordements.
Elle conçoit des scènes de can-
tine sidérantes qu’on pourrait
qualifier d’« air repas ». On y voit
cinq élèves, envoûtés par leur
nouvelle professeure, mués en
maniaques du jeûne, faire
­semblant de découper une frite
en petites portions et de poursui-
vre le mime jusqu’à la dégluti-
tion. Le lunch est devenu dînette
de résistance.
Rupture générationnelle
En institutionnalisant l’anorexie
comme une forme d’autodisci-
pline apte à préserver le monde,
madame Novak instrumentalise
l’écoanxiété de ses élèves. En cela,
c’est peut-être l’un des films les
plus cruels qui soient envers les
adolescents. Néanmoins, on ap-
précierait davantage cette para-
bole des dérives du développe-
ment personnel si la distancia-
tion clinique ne prenait pas
­toujours le pas sur les motiva-
tions des élèves et leur assigna-
tion au gourou impavide.
Le véritable intérêt du film se
joue ailleurs, chez les parents, qui
Woody Allen se perd dans
un vaudeville sans surprise
Tourné avec des acteurs français, le cinquantième long-métrage
du cinéaste oscille entre comédie de boulevard et film de détective
Coup de chance
pvvv
L e cinquantième long-mé-
trage de Woody Allen, Coup
de chance, n’est pas sans
évoquer Match Point (2005), du
point de vue du scénario et de son
personnage masculin, prêt à tuer
froidement toute personne (tou-
jours avec un fusil de chasse) sus-
ceptible de mettre en péril sa
vie bourgeoise si difficilement
­acquise. L’arrivisme de l’homme
d’affaires (Jonathan Rhys Meyers),
dans Match Point, et le narcis-
sisme psychopathe du mari
trompé (Melvil Poupaud), dans
Coup de chance, prennent le des-
sus et terrassent les autres senti-
ments. Dans les deux cas, le héros
masculin est un intranquille,
­misant sur la chance et le destin
pour se faufiler aux premières
­loges. Un traître du quotidien
doté d’une double personnalité,
choisissant à dessein des compa-
gnes plutôt angéliques, ne
­cherchant pas trop à savoir.
Mais la comparaison s’arrête là.
Match Point connut un succès cri-
tique, mais Coup de chance, que le
cinéaste new-yorkais, âgé de
87 ans, est venu présenter à la
Mostra de Venise (hors compéti-
tion), souffre d’une mise en scène
linéaire et de dialogues qui
­sonnent faux. Est-ce parce que,
pour la première fois, Woody
­Allen tourne en langue française ?
Toujours est-il que le film a les
­travers – surtout dans sa première
partie – d’une mauvaise comédie
Madame Novak,
incarnée par Mia
Wasikowska, fait
de l’anorexie une
autodiscipline
apte à préserver
le monde
manquent nettement de lucidité,
aveuglés par le prestige de l’école.
Parmi eux, un personnage
émerge : malgré son inquiétude
grandissante devant l’amaigrisse-
ment de sa fille, Elsa, la mère (Elsa
Zylberstein) jalouse secrètement
sa capacité à se passer de nourri-
ture. A table, dans des face-à-face
coriaces comme des duels de
cow-boys, se profile une rupture
générationnelle qui fait les choux
ou du théâtre de boulevard avec
ses coups d’éclat.
Fanny (Lou de Laâge) et Jean
(Melvil Poupaud) s’aiment, ga-
gnent très bien leur vie, et leur im-
mense appartement est impecca-
blement tenu par une domestique
en tablier blanc – on croit ­rêver.
L’automne arrive à Paris et l’on
n’avait jamais vu autant de feuilles
mortes sur les allées piétonnes :
un vrai tapis couleur caramel, as-
sez raccord avec la chevelure cui-
vrée de Lou de Laâge – les teintes
sont ainsi rehaussées tout au long
du film, le vert du gazon, la lu-
mière du soleil, etc. Un jour, en bas
des Champs-Elysées, Fanny croise
un ancien copain, Alain (Niels
­Schneider), devenu écrivain. Ils
discutent et décident de se revoir…
Coup de foudre avenue Montai-
gne : Alain était déjà mordu de
Fanny au lycée, et ses sentiments
sont toujours là. Fanny a une vie
bien rangée, elle travaille dans le
marché de l’art et semble atta-
chée à son mari quinquagénaire
qui la comble de cadeaux. Mais
elle tombe sous le charme d’Alain
Melvil Poupaud,
cheveux gominés,
joue un très bon
cinglé, et Lou
de Laâge campe
une fausse
ingénue
0123
­
­Mercredi 27­ septembre 2023
gras du film : d’un côté, la quin-
qua, acquise à l’idée de picorer
pour rester mince, et, de l’autre, la
jeune fille, portée par l’espoir de
sauver le monde.
L’impérialisme minimaliste de
la mise en scène n’empêche pas la
cinéaste de frayer avec le gore
dans une scène spectaculaire.
Sans dévoiler le pot aux roses
­final, il s’agit d’une forme radicale
de recyclage qui rappelle le
­gâteau fécal recouvert du dôme
de Saint-Pierre de Rome dans La
Grande Bouffe. A ceci près que,
dans Club Zéro, on mange son
vomi proprement, en pleine
conscience. C’est toute la délicate
ironie de Jessica Hausner. p
Maroussia Dubreuil
Film autrichien de Jessica
Hausner. Avec Mia Wasikowska,
Sidse Babett Knudsen, Elsa
Zylberstein (1 h 50).
et de sa vie bohème. Comme il se
doit, le romancier vit dans un ap-
partement sous les toits, dans un
Paris de carte postale qui fait pen-
ser à la série Emily in Paris. Et il a le
chic pour prononcer des phrases
définitives sur le hasard et le
­miracle de la vie.
Un comique attendu
Niels Schneider est celui qui a le
rôle le plus ingrat dans cette his-
toire, tant les répliques de son
personnage, alignant les clichés,
le rendent fade. Bientôt, le mari
cocu se doute de quelque chose et
prend les choses en main. Mé-
chamment. Coup de chance bas-
cule dès lors dans le film de détec-
tive à la papa, au second degré, dé-
clenchant un comique attendu.
Melvil Poupaud, cheveux gomi-
nés, joue un très bon cinglé. Lou
de Laâge campe une fausse ingé-
nue et Valérie Lemercier, qui in-
carne la mère de Fanny, met son
grain de sel avec culot et drôlerie.
Pour le reste, les scènes s’enchaî-
nent comme sur un tapis roulant.
On suit par le menu la vengeance
du mari puis la contre-enquête,
avec le même standard de jazz qui
relance chaque action. Un lavage
de cerveau musical, qui nous
hante longtemps. Mais, pour ce
qui est de l’image, il ne reste pas
grand-chose. p
Clarisse Fabre
Film britannique de Woody
Allen. Avec Lou de Laâge,
Melvil Poupaud, Niels Schneider,
Valérie Lemercier (1 h 36).
0123
­Mercredi 27­ septembre 2023
­
Culture | 23

La revanche d’un antihéros

ppvv à voir
E

Jeune cinéma
N

Uniquement composé d’archives et sans nulle trace de voix off,

Jeune cinéma retrace l’histoire du festival du même nom, qui,
I

de 1965 à 1983, s’est tenu dans le Var. Réservé aux premiers et

sauvé par l’amour canin

A

deuxièmes films et construit contre le glamour du Festival

de Cannes, Jeune cinéma n’en était pas moins tout aussi
M

important. Yves-Marie Mahé nous ramène à un temps lointain,

­presque irréel, où un cinéma produit « hors de l’argent » pouvait
E

galvaniser les troupes, remplir des salles entières et où l’on Luc Besson reprend le thème de l’enfance meurtrie dans son dernier film
S

­pouvait en venir aux mains pour un film. Le cœur du documen-

taire tend à capturer l’ambiance mouvementée qui suit une
projection, le raffut des cérémonies de remise de prix. p M. Jo.
A

Documentaire français d’Yves-Marie Mahé (1 h 14).

DogMan
L

Poisson rouge pvvv

D
Souffrant d’une maladie dégénérative qui voit sa mémoire e retour du festival de
E

­décliner, Guillaume, 33 ans, s’apprête à intégrer un centre Venise où son film

D

­spécialisé. Avant ça, ses amis lui organisent un week-end festif était en compétition,
qui sera l’occasion de faire le tour de ses proches. Sur la base Luc Besson, bon pied,
d’un canevas très simple, Poisson rouge se lance dans un road- bon œil, dévoile son nouveau
S

movie entre potes cerné par l’imminence d’un drame. On est film en France, quatre ans après
dans une petite production, hors des clous de l’industrie du Anna, dont le flop, après celui de
M

­cinéma, de ses visages connus et de sa logistique habituelle. Valérian (2017), fut cuisant. Rien
L

Cette manière frondeuse profite au jeu des acteurs. p M. Jo. ne semble toutefois pouvoir abat-
Film français d’Hugo Bachelet, Clément Vallos tre l’ex-machiniste devenu capi-
I

et Matthieu Yakovleff (1 h 40). taine d’industrie au destin balza-

F

cien, cultivant réussite exception-

The Creator nelle, réseaux politiques et
Film américain de Gareth Edwards (2 h 13). œuvre philanthropique, mon-
S

Le nouveau film de Gareth Edwards conjugue avec bonheur tant au firmament des affaires et
E

les prescriptions d’une lourde fabrication industrielle avec un de la renommée internationale

­regard très personnel. Dans un futur lointain, la Terre est le avant de chuter d’autant plus ru-
R

théâtre d’un conflit qui oppose les humains à une civilisation dement ces dernières années, en-
T

de robots. L’armée envoie un soldat d’élite pour détruire une tre difficultés financières et pro-
arme redoutable détenue par les créatures artificielles. Celui-ci cès. L’homme, blessé mais au cuir
U

découvre qu’il s’agit d’une enfant androïde et refuse de la dé- tanné, n’en continue pas moins
A

truire. Mélange de road-movie guerrier et de voyage initiatique, de monter des projets, de tenir la
le film convoque une imagerie familière en renvoyant le specta- barre et de rêver, comme au
teur aux conflits contemporains, de la guerre du Vietnam à temps jadis, de faire main basse
S

la guerre du Golfe. Mais surtout, The Creator est gavé d’effets sur l’imaginaire contemporain. Douglas (Caleb Landry Jones). APOLLO FILMS
E

visuels d’une beauté à la fois écrasante et spectaculaire. Le ci- DogMan nous parle, évidem-
néaste ­invente un monde sous nos yeux qui se nourrit de la réa- ment, de tout cela ; il ne nous
L

lité pour mieux la transformer en cauchemar futuriste. p J.-F. R. parle, peut-être, que de cela. En Cette intrigue qui a le mérite l’acteur aime à se signaler, depuis par exemple en playback La Foule,
voici le pitch, signé, veut-on croire, d’une certaine simplicité misan- Antiviral (2012), de Brandon Cro- de Piaf, juché stoïquement sur ses
pvvv pourquoi pas par le réalisateur : « L’incroyable thropique, Besson a voulu qu’elle nenberg, jusqu’à Nitram (2021), de jambes en métal – qui la sauvent
Ciné-Guérillas et Non-Alignés histoire d’un enfant, meurtri par la soit portée par Caleb Landry Jones. Justin Kurzel. Autant dire que le de sa constante propension à la
Après L’Envers d’une histoire (2018), Mila Turajlic revient avec vie, qui trouvera son salut grâce à Peut-être par facétie lacanienne risque de la grandiloquence et du surenchère. p
un diptyque issu d’une exploration des archives d’une contrée l’amour que lui portent ses chiens. » (étymologiquement, le prénom grotesque est ici assumé, alors Jacques Mandelbaum
­disparue, l’ex-Yougoslavie. Dans le premier volet, la documenta- Les temps difficiles favorisent le Caleb renvoie au mot « chien » même qu’il ressort de cette fantai-
riste retrouve des images de la conférence de ­Belgrade qui, du retour à soi : le motif de l’enfance dans les langues sémitiques). Plus sie paroxystique quelques mo- Film français de Luc Besson. Avec
1er au 6 septembre 1961, a rassemblé les chefs d’Etats dits « non- blessée, et l’orgueilleuse revanche sûrement pour entériner le regis- ments d’incongruité expression- Caleb Landry Jones, Jonica T. Gibbs,
alignés », Tito cherchant à inscrire la Yougoslavie dans une troi- qui en découle, on le sait, est une tre du bizarre malsain dans lequel niste – Douglas surinterprétant Christopher Denham (1 h 54).
sième voie pionnière. Après avoir rencontré Stevan Labudovic, des pierres de touche de l’imagi-
caméraman attitré de Tito, aujourd’hui âgé de 90 ans, la réalisa- naire bessonien depuis Le Grand
trice montre dans Ciné-Guérillas, en Algérie, entre 1959 et 1962, Bleu (1988). Il s’exprime ici dans
comment ce dernier fut « prêté » par Tito à l’Armée de libération une manière de quintessence
nationale, branche du FLN, pour diffuser ses combats. p Ma. Mt monstrueuse. Besson, fils mal-
Documentaires français, serbes, croates, monténégrains heureux de parents séparés dans
et qataris de Mila Turajlic (1 h 34 et 1 h 40). sa prime jeunesse, réalise ainsi
DogMan comme Orson Welles
Nouveau départ ­Citizen Kane ou Steven Spielberg
Film français de Philippe Lefebvre (1 h 40). The Fabelmans.
Le fils aîné vient de partir, laissant ses parents (trente ans de vie
commune) en tête à tête. Le père (Franck Dubosc) se réjouit, Chef de meute
émoustillé de retrouver une vie de couple sans contrainte. Il le fait à sa manière, dans un film

Edelweiss
La mère (Karin Viard) craint de s’ennuyer ferme. Déçu par d’anti-super-héros dont il semble
ce ­manque d’enthousiasme, le mari tente le tout pour le tout, qu’il aurait pu sortir de l’imagi­-
quitte sa femme, espérant créer le manque et donc un retour nation d’un Tod Browning (La
de flamme. A partir de là, Philippe Lefebvre organise tout un Monstrueuse Parade, 1932) ou
tas d’événements assez attendus pour retarder le dénouement d’un Walt Disney (Les 101 Dalma-
dont la teneur ne fait aucun doute. C’est la règle de la comédie tiens, 1956). Douglas, étrange
sentimentale. Laquelle manœuvre ici au milieu de plusieurs créature, en occupe le centre, de

[France Fascisme]
thèmes de notre époque (la séduction post-#metoo, les affres de son adolescence martyrisée à son
la ­ménopause, le malaise des hommes) avec une légèreté forcée état chimérique d’adulte trans-
que vient plomber de bonnes vieilles lourdeurs scénaristiques. formé en chef de meute. Au pre-
Ses faiblesses pourraient obtenir quelque indulgence si elles mier chapitre, un père éleveur de
n’étaient accentuées par la paresse de la mise en scène. p V. Cau. chiens de combat, psychopathe
qui terrorise sa famille, finit par
mise en scène
À l’affiche également
Au Clemenceau
enfermer Douglas, enfant rétif,
dans les cages à chiens. Adopté
Sylvain Creuzevault
Documentaire français de Xavier Gayan (1 h 26). par la gent canine, qui lui rend création
Caillou, chou, hibou son amour mieux que l’huma-
Programme de cinq courts-métrages d’animation français,
­suisses, arménien et géorgien (44 min).
nité, Douglas, voulant défendre
ses compagnons, se fera tirer des-
21 septembre – 22 octobre
Self Fiction, Self Migration sus à bout portant par son père et Berthier 17e
Documentaire français de Fabienne Le Houérou (1 h 07). en perdra l’usage de ses jambes.
We Have a Dream Le voici à l’état adulte, ignoré
Documentaire français de Pascal Plisson (1 h 36). par une belle actrice dont il est
Xaraasi Xanne (Les Voix croisées) amoureux, assumant son statut
Documentaire français et allemand de Raphaël Grisey de monstre cloîtré dans une mai-
et Bouba Touré (2 h 02). son-chenil, rendu tel par la fa-
mille et la société. Infirme, il

The
n’aime rien tant que de vivre avec
ses chiens et de se travestir en
femme pour se produire, la nuit,
Les meilleures entrées en France sur les scènes des cabarets. A l’oc-
casion, il répare les injustices.

Confessions
Evolution
Nombre par rapport Total Pour défendre une vieille femme,
de semaines Nombre Nombre à la semaine depuis il se met ainsi à dos une bande de
d’exploitation d’entrées (*) d’écrans précédente la sortie
dealeurs qui terrorise le quartier,
La Nonne 2 2 231 692 464 ↓ – 43 % 695 794 bêtes sauvages sur lesquelles il lâ-
che ses chiens et dont la ven-
La Petite 1 164 697 641 – 164 697 geance annoncera les ultimes dé-
Mystère à Venise 2 154 185 452 ↓ – 26 % 404 333 veloppements du film. texte et mise en scène
Un métier sérieux 2 113 733 743 ↓ – 35 % 329 145 Alexander Zeldin
Acide 1 109 456 458 – 109 456
Une fantaisie en anglais, surtitré en français
Le Livre des solutions 2 91 087 436 ↓ – 41 % 280 007
Anatomie d’une chute 5 89 889 826 ↓ – 26 % 1 050 017 paroxystique 29 septembre – 14 octobre
qui aurait
Les Feuilles mortes 1 87 783 240 – 87 783
Odéon 6e
Equalizer 3 4 82 081 552 ↓ – 27 % 771 993 pu sortir de
Toni, en famille 3 47 928 660 ↓ – 18 % 245 160 l’imagination d’un
AP : Avant-première * Estimation
Tod Browning ou
Source : « Ecran total » Période du 20 au 24 septembre inclus d’un Walt Disney
24 | Télévision
Une invitation universelle à libérer les cours d’eau
Le téléspectateur adhérera à ce documentaire hyperesthétisant, à condition de se laisser porter par sa poésie onirique
Ushuaïa TV
Mercredi 27 - 20 h 45
Documentaire
P
our Mountain (2017), ode
enchanteresse à l’appel
des montagnes, la réali-
satrice Jennifer Peedom
nouait son premier partenariat
avec l’Australian Chamber Orches-
tra et avec l’acteur américain
Willem Dafoe, à la narration. Elle
reprend la même recette pour
­River, inédit diffusé ce soir et réa-
lisé à partir de trois mêmes ingré-
dients : des images qui subju-
guent, une musique puissante et
un texte prêchant la vénération de
la nature en général – ici, celle des
fleuves et rivières. Elle pérennise
ainsi sa vision du documentaire
hyperesthétisant et à message, à
laquelle le téléspectateur adhérera
avec plaisir, à condition de se lais-
ser porter par sa poésie onirique.
Heureusement, quelques breaks
jouent l’effet de surprise. A com-
mencer par le prélude, filmé dans
un studio d’enregistrement, en
présence des musiciens de l’Or-
chestre de chambre australien,
et de Willem Dafoe. « L’homme ex-
ploite la puissance [des rivières et
fleuves]. A-t-il oublié qu’il doit aussi
les vénérer ? », interroge la voix en
off d’Eric Herson-Macarel, au dou-
blage pour la version française.
Ambitieux, le film remonte
à l’origine des cours d’eau, nés
La rencontre du troisième type entre le génie créatif de la mode et la finance
Un documentaire relate l’ascension parallèle de quatre stylistes de griffes de luxe et de leurs dirigeants, Bernard Arnault et François Pinault
France 4
Mercredi 27 - 21 h 10
Série documentaire
E xit le rêve américain, bon-
jour le rêve français ? Pour
la première fois, en 2023,
l’homme et la femme les plus
­riches au monde sont français (se-
lon le magazine Forbes) : Bernard
Arnault, à la tête de Louis Vuitton-
Moët Hennessy (LVMH), avec une
fortune de 197,4 milliards d’euros ;
et Françoise Bettencourt-Meyers,
héritière de L’Oréal (74,8 milliards
d’euros). François Pinault, qui
GRILLE N° 23 - 224
PAR PHILIPPE DUPUIS
Retrouvez l’ensemble de nos grilles sur
1 2 3 4 5 6
I feuilles et beaucoup d’eau. Beaucoup
II
III
IV
V
VI
VII
VIII
IX
X
SOLUTION DE LA GRILLE N° 23 - 223
HORIZONTALEMENT I. Concomitance. II. Araldite. Eon. III. Rêvée. Emue.
IV. Tir. Ut. PS. Na. V. Olécrâne. Vis. VI. NL. Astéroïde. VII. Néri. Acéra.
VIII. Itérait. An. IX. Etend. Allure. X. Ressourceras.
VERTICALEMENT 1. Cartonnier. 2. Oreillette. 3. Navré. Rées. 4. Clé. Cairns.
5. Odeurs. Ado. 6. Mi. Tâtai. 7. Ite. Nectar. 8. Tempéré. Lc. 9. US. Orale.
10. Née. Via. Ur. 11. Co. Nid. Ara. 12. Encasernés.
Un bateau de pêcheur dans le delta du fleuve Colorado, aux Etats-Unis, en 2009. PETER MCBRIDE
d’une pluie tombée « pendant
plusieurs milliers d’années ». Les
vues aériennes, graphiques, font
penser à des peintures abstraites :
vert vif et gris acier, jaune et mar-
ron, camaïeu de bleus glacés.
Situation intenable
Les plans, d’une à deux secondes,
se succèdent dans une unité de
tons et de thématiques, mais sans
complète le podium national avec
37,2 milliards d’euros, est un au­-
todidacte ayant quitté l’école
à 16 ans, patron du groupe Kering.
Deux Britanniques, Nick Green
et Peter Ettedgui, se sont intéres-
sés aux deux leaders mondiaux
du luxe, pour décrypter leur « fa-
brique du rêve » : diffusée en deux
soirées (deux épisodes ce soir,
deux le 28 septembre), leur série
captive de bout en bout. Pourquoi
deux Britanniques ? Parce qu’il est
ici beaucoup question de deux
stylistes anglais : John Galliano et
Alexander McQueen (1969-2010),
jeux.lemonde.fr
7 8 9 10 11
légende – une volonté d’universa-
lité de la réalisatrice. Inutile donc
de chercher dans quelle partie du
globe elles ont été prises. Tout
juste peut-on essayer de deviner :
ces temples qui se détachent dans
la brume à l’évocation des pre-
mières cités humaines font ainsi
penser aux cités incas.
La deuxième cassure se matéria-
lise par une séquence archives,
deux « petits gars » de la banlieue
londonienne, qui vont se retrou-
ver directeurs artistiques respecti-
vement des maisons Dior et Gi-
venchy ; mais aussi d’Anna Win-
tour, autre Londonienne, devenue
rédactrice en chef incontournable
du Vogue américain. C’est elle qui
va susurrer les noms de Galliano
et de Marc Jacobs (pour Louis
­Vuitton) à l’oreille de Bernard Ar-
nault. Arnault dont on va suivre
l’ascension depuis 1984, lorsqu’il
convainc son père d’investir dans
le groupe Boussac, auquel appar-
tient Christian Dior.
HORIZONTALEMENT
I. Ne pas forcer ni trop en faire.
II. Poulets faisandés. Redresseuse de
courants alternés. III. Au cœur du
foyer. Son école a eu Zénon dans sa
12
classe. Romains de Vinci. IV. Des
trop d’eau. Déplacement ouvrier.
V. En fin d’addition. Des portes dans
la descente. VI. A vraiment belle al-
lure. Convient. VII. Ouvre le monde.
Fermeture obligatoire. Dieu porteur
de rayons. VIII. Grecque du golfe Saro-
nique. Très léger. IX. Négation. Grosse
colère. Chiennes de chasse. X. Part
dans toutes les directions.
VERTICALEMENT
1. Difficile de lui résister, s’il persiste.
2. Pour tout savoir sur les pierres et
les roches. 3. Dure et pénible. 4. Pro-
tecteur des espèces. Couvre d’injures.
5. Article. Annoncera haut et fort.
6. Deux barres sur le parcours. Vient
d’arriver. Ouvre l’écoute. 7. Apporta
un bon coup de brillant. 8. Concep-
tuel. Colline artificielle du Proche-
Orient. 9. Rapproche solidement. En-
dommagea sérieusement. 10. Patron
en région. Fatigué et défait. Ne cher-
chez pas ailleurs. 11. Engage le jour-
nal. Crier comme un porteur de bois.
12. Prime et décoration.
montrant les premières exploita-
tions des cours d’eau (voiliers, sys-
tèmes d’irrigation…), afin de repré-
senter les prémices du commerce,
avant les enjeux politiques et les
conflits. Puis elle enchaîne sur les
constructions des barrages et des
canaux, lancées pour dompter les
eaux qui inondent ou détruisent.
Même si les bonnes intentions
sont soulignées – nourrir les po-
Sans état d’âme, le jeune patron
de 35 ans licenciera les salariés du
textile et fera de Dior la première
pierre de son futur groupe de
luxe. « Pour lui, les gens sont des
marchandises, décrypte Mimma
Viglezio, cadre dirigeante chez
LVMH puis chez Gucci. Je pense
qu’il donne cette image parce qu’il
a besoin qu’on ait peur de lui. »
Un homme, toutefois, va l’af-
fronter : François Pinault, d’abord
en tant que « chevalier blanc »
de la maison Gucci, présidée alors
par Domenico De Sole – interve-
nant passionnant de la série –,
sudoku
n°23-224
7 8
7 5
5 3
1 8
6 1 9
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9 8 5 1 2 par
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100 GRILLES
pulations, rendre fertiles des ter-
res arides, éviter les crues –, le com-
mentaire oppose les sociétés hu-
maines – pauvres – qui continuent
de vénérer les fleuves et les rivières
à celles – riches – qui ne font que
les exploiter ou s’y amuser.
Le passage à aujourd’hui marque
le retour de l’enchaînement rapide
de très brèves images de vues
­aériennes. Elles dénoncent alors
l’irrigation excessive de l’agricul-
ture intensive, les ponts pharao­-
niques, et montrent, notamment,
l’image désormais connue de
­centaines de baigneurs asiatiques
agglutinés avec leurs bouées, au
point que l’eau n’est plus visible.
Une situation intenable : « Les
plus grands barrages retiennent
tellement d’eau qu’ils ont ralenti la
rotation de la Terre », alerte la voix
off. De magiques, les images, tou-
jours aussi graphiques, devien-
nent effrayantes, et résonnent
particulièrement après les inon-
dations survenues en Libye, les
10 et 11 septembre, après que des
barrages défectueux ont cédé.
Une ultime rupture sur le cycle
de l’eau et ses « fleuves du ciel » pré-
cède le chapitre des solutions, qui
peut dérouter. Disons seulement
que, « si on les libère de notre joug,
les rivières peuvent renaître ». p
Catherine Pacary
River, documentaire de Jennifer
Peedom (Aus., 2021, 74 min).
puis au cours de la guerre que
vont se livrer les deux milliardai-
res français, à coups de sacs à main
et de débauchage de créateurs.
Yves Saint Laurent n’y apparaît
pas sous son meilleur jour.
De même, si l’ultime épisode
(Descente aux enfers) débute le
11 septembre 2001, il montre sur-
tout que, tel un phénix, le consu-
mérisme reprend vite ses droits,
alors que l’utilisation des logos va
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0123
­Mercredi 27­ septembre 2023
Notre
sélection
Me r cr e di 2 7 se pte mbre
LCP
The Beatles vs The Rolling
Stones : It’s (not) only rock’n’roll
20.30 Gendres idéaux contre
bad boys. Le mythe de deux
groupes rivaux déconstruit dans un
documentaire riche en archives et en
entretiens des témoins de l’époque.
France 3
Jean Paul II, l’athlète de Dieu
21.10 Stéphane Bern retrace,
en Pologne, le parcours du premier
souverain pontife non italien depuis
quatre cent cinquante ans, élu
en 1978 à 58 ans, canonisé en 2014.
Arte
Fanny Ardant :
naissance d’une passion
22.35 William Karel compose
un portrait de l’actrice par le prisme
de sa passion avec François Truffaut,
qui lui permettra de concrétiser
sa passion pour le cinéma, où Fanny
Ardant, de sa belle voix, raconte
son tropisme pour « les personnages
qui perdent leur vie pour l’amour ».
France 2
Justice en France
22.45 Immersion au cœur
des tribunaux, où sont filmées
des audiences pénales, civiles,
commerciales ou prud’homales,
décryptées ensuite par
Dominique Verdeilhan et ses
invités magistrats ou avocats.
Pour Galliano et McQueen,
l’épilogue sera tragique. Pour
la planète, l’industrie textile est
désormais la deuxième plus pol-
luante au monde. « Lorsqu’un
jean coûte moins cher qu’un café
et qu’il est moins onéreux de le je-
ter que de le laver, il est évident
qu’il y a un problème », résume
Mimma Viglezio. p
C. Pa.
Luxe. La fabrique du rêve, de
Nick Green et Peter Ettedgui (RU,
2023, 4 × 48 min). Sur France.tv
jusqu’au 20 septembre 2026.
0123 est édité par la Société éditrice
du « Monde » SA. Durée de la société :
99 ans à compter du 15 décembre 2000.
Capital social : 124.610.348,70 ¤.
Actionnaire principal : Le Monde Libre (SCS).
Rédaction 67-69, avenue Pierre-Mendès-France,
75013 Paris. Tél. : 01-57-28-20-00
5
8 Abonnements par téléphone au 03 28 25 71 71
7 (prix d’un appel local) de 9 heures à 18 heures.
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n° 0722 C 81975 ISSN 0395-2037
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Elisabeth Cialdella
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L’Imprimerie, 79, rue de Roissy,
93290 Tremblay-en-France
Midi-Print, Gallargues le Montueux
Origine du papier : France, Belgique.
Taux de fibres recyclées : 87 %. Ce journal est imprimé sur un
papier issu de forêts gérées durablement et de sources controlées.
Eutrophisation : PTot = 0.008 kg/tonne de papier
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­
­Mercredi 27­ septembre 2023
Matteo Messina
Denaro
Chef mafieux italien
A
l’été 1993, c’est par une
lettre d’amour que
Matteo Messina De-
naro, 30 ans, la police
italienne aux trousses, annonce
le début de sa cavale : « Tu enten-
dras parler de moi, ils me dépein-
dront comme un diable, mais ce
ne seront que des mensonges »,
écrit-il à Angela, sa petite amie
d’alors, en guise d’adieu. Du jour
au lendemain, le jeune chef ma-
fieux le plus craint de Sicile de-
vient un fantôme.
Les trente années suivantes, cet
homme brutal, à la réputation de
play-boy, échappera aux enquê-
teurs avec la même virtuosité que
son héros de BD favori, Diabolik,
dont il s’est fait un surnom. L’Italie
connaît de lui le portrait photo de
son avis de recherche pour homi-
cides, attentats, trafic d’armes et
de stupéfiants : un visage angu-
leux, nimbé de mystère, caché
­derrière des lunettes fumées. Le vi-
sage d’un tueur sans pitié devenu
le symbole des superlatitanti, les
boss les plus insaisissables.
Mais c’est à l’hôpital que le pa-
tient Messina Denaro, âgé de
61 ans et rongé par le cancer, s’est
éteint lundi 25 septembre, a rap-
porté l’agence ANSA. Plusieurs di-
zaines d’agents montaient la
garde autour de sa chambre, dans
l’hôpital San Salvatore de L’Aquila,
dans les Abruzzes.
Huit mois auparavant, le 16 jan-
vier, c’est précisément en suivant
la piste de sa tumeur du côlon
que les enquêteurs étaient parve-
nus à arrêter le plus célèbre fugi-
tif d’Italie, alors qu’il se rendait à
une consultation médicale, sous
une identité d’emprunt, dans
une clinique de Palerme. Ainsi
s’était achevée la carrière d’un
homme qui n’avait jusqu’alors ja-
mais mis les pieds dans une cel-
lule de prison, ni même sur le
banc des ­prévenus d’un tribunal.
Le destin criminel de Matteo
Messina Denaro prend racine à
Castelvetrano, dans la province de
Trapani, où il naît le 26 avril 1962.
Bien que quatrième d’une fratrie
de six (et deuxième garçon), il
grandit en héritier, programmé
pour succéder à son père, Fran-
Stephen Gould
Ténor américain
P
ilier du Festival de Bay-
reuth, où il se sera pro-
duit plus d’une centaine
de fois en moins de vingt
ans, Stephen Gould était encore
attendu, en juillet et en août, dans
les trois rôles wagnériens qui ont
fait sa réputation : Tannhäuser,
Tristan, ainsi que celui de Sieg-
fried dans Le Crépuscule des dieux.
Après avoir annulé pour raisons
de santé, il avait annoncé mettre
fin à sa carrière et expliqué, dans
un communiqué publié le 5 sep-
tembre sur son site Internet, être
atteint d’un cancer incurable.
Le grand ténor américain est
mort, le 19 septembre, à Chesa-
peake (Virginie), à l’âge de 61 ans.
« J’ai attendu la fin du festival pour
ne pas entraver les efforts formida-
bles et héroïques déployés par
l’équipe de cette année 2023, écri-
vait-il (…). On m’a diagnostiqué un
cancer des voies biliaires avec com-
plications. Il s’agit du cholangio-
carcinome, une maladie mortelle
avec une évolution à dix mois. Il n’y
cesco, connu sous le nom de
« Don Ciccio ». Simple agriculteur,
selon ses papiers d’identité, « Cic-
cio » est en réalité le chef mafieux
de cette région de l’ouest de la Si-
cile. Un taiseux, allié des Corléo-
nais, devenus au début des an-
nées 1980 les nouveaux maîtres
de l’île, au prix d’un bain de sang.
A leur tête, « Toto » Riina, « le chef
de tous les chefs », aussi sur-
nommé « La Belva » (« la Bête »).
C’est « la Bête » en personne qui
sera le mentor du jeune Matteo et
le propulsera parmi l’élite de Cosa
Nostra. Riina inculque à ce garçon
prometteur, d’abord surnommé
« U Seccu » (« le Maigre ») en raison
de sa silhouette filiforme, l’art des
manigances autant que des liqui-
dations express. A coups de Wal-
ther P38, l’ambitieux fait ses preu-
ves. Il dépasse même les attentes
de son maître, mais s’affranchit
aussi des règles des « hommes
d’honneur » de la vieille école, en
général discrets et plutôt austères.
Messina Denaro est un flambeur.
Il sort en discothèque, roule en
Porsche, parade en costumes Ver-
sace, foulard autour du cou, mon-
tre en or au poignet.
Toujours un temps d’avance
Après l’arrestation de Riina, en
janvier 1993, Messina Denaro
joue un rôle opérationnel dans
des attentats commis à Florence,
à Milan et à Rome. C’est à ce mo-
ment chaotique de l’histoire poli-
tique italienne qu’« U Seccu » en-
tre dans la clandestinité pour
échapper aux poursuites judiciai-
res. Il quitte la lumière, mais de-
meure le protagoniste d’une Ma-
fia en profonde mutation. Il est le
« boss des deux mondes », celui
qui fait la transition entre la Ma-
fia des massacres et un modèle
plus entrepreneurial, cherchant à
faire profil bas pour s’infiltrer
dans la zone grise de l’économie.
En 1998, le cadavre d’un vieil
homme, revêtu du costume noir
des enterrements traditionnels,
est retrouvé dans un champ non
loin de Castelvetrano. Le règne de
« Don Ciccio » sur la province de
Trapani s’achève, après huit ans
de cavale. Mais son successeur,
a pas de remède (…). Je suis recon-
naissant à Bayreuth de m’avoir ap-
pris tout ce que j’aurais pu espérer
savoir sur l’interprétation des
œuvres de ce grand musicien. »
Stephen Gould est né dans une
famille musicienne et méthodiste
le 24 janvier 1962 à Roanoke, en
Virginie. Il étudie au conserva-
toire de musique de la Nouvelle-
Angleterre à Boston ainsi qu’à
l’Olivet Nazarene University (Illi-
nois), où il obtient un Bachelor of
Arts en 1984. Il commence à se
produire dans des comédies mu-
sicales dans des rôles de baryton –
ainsi entre 1990 et 1998, les rôles
de Porter et du Machiniste dans
quelque 3 000 représentations
du Fantôme de l’Opéra (1986),
d’Andrew Lloyd Webber – tout en
assurant ses premiers pas de té-
nor lyrique en 1989, à Los Angeles.
Le chanteur de 27 ans, alors
membre du programme de for-
mation du Center for American
Artists du Lyric Opera de Chicago,
remplace Chris Merritt, souffrant,
lui aussi en fuite, gravite déjà
au sommet de la hiérarchie du
crime. « Avec toutes les personnes
que j’ai tuées, je pourrais remplir
un cimetière », se vante l’arrogant
« Diabolik ».
De fait, on lui prête plus de cin-
quante homicides avant même
son trentième anniversaire.
Parmi les assassinats commis
sous son commandement, l’Italie
découvre avec effroi celui du petit
Giuseppe Di Matteo, fils d’un re-
penti, enlevé à l’âge de 12 ans et sé-
questré pendant sept cent dix-
neuf jours, entre 1993 et 1996,
avant d’être étranglé puis dissous
dans un bain d’acide.
Le superlatitante, où qu’il se
trouve, ne coupe pas les ponts
avec son île. Il communique avec
ses lieutenants au moyen de piz-
zini, de petits bouts de papier cryp-
tiques disséminés avec parcimo-
nie. Son réseau de complices en
col blanc prospère lui aussi. Grâce
à ses prête-noms, Messina Denaro
s’enrichit dans tous les domaines :
champs d’éoliennes, plantations
d’oliviers, centres de vacances ou
encore supermarchés.
Toujours avec un temps
d’avance, le fugitif échappe aux
traquenards tendus par les en-
quêteurs. Ils croient retrouver sa
trace en croisière romantique en
Grèce, en visite en Amérique du
Sud, en rendez-vous d’affaires en
Calabre… Las, les années passent,
son portrait-robot se pare de ri-
des et les condamnations à per-
pétuité par contumace s’accu-
mulent. Les anciens Corleonais,
vestiges d’une Mafia d’un autre
temps, sont morts ou derrière les
barreaux. Quelle place peut
prendre ce « Diabolik », charis-
matique mais guère diplomate,
au sein d’une « Cupola » fissurée
de toutes parts ?
Pour isoler plus encore leur ci-
ble numéro un, les enquêteurs
pratiquent la stratégie de la terre
brûlée. Objectif : faire le vide
autour de « Diabolik ». Sa famille,
proche et élargie, ses maîtresses,
ses amis, sont arrêtés un par un…
Jusqu’à ce que des indices sur sa
condition de santé, couplés à la
mise sur écoute de ses ultimes
en Argirio belcantiste dans le Tan-
credi, de Rossini, aux côtés de Ma-
rilyn Horne. Mais sa vraie nature
ne s’affirme que lors de ses débuts
à Bayreuth, en 2004, dans Tann-
häuser, mis en scène par Wolfgang
Wagner sous la direction de Chris-
tian Thielemann. L’année sui-
vante, il reprend le rôle avec Oli-
vier Py au Grand Théâtre de Ge-
nève (avec l’Elisabeth de Nina
Stemme) puis en 2007 à l’Opéra-
Bastille sous la régie de Robert Car-
sen et la baguette de Seiji Ozawa
avant le Staatsoper de Vienne, où il
est le héros de Claus Guth en 2011.
« Curiosité irrépressible »
Stephen Gould fait partie de cette
catégorie vocale recherchée
qu’est le Heldentenor (« ténor hé-
roïque ») wagnérien, doté d’une
voix puissante à la tessiture large,
capable de passer le mur d’un
grand orchestre symphonique et
de tenir la distance d’un rôle sou-
vent très long, à la vocalité ten-
due. Un statut qui lui ouvre les
26 avril 1962 Naissance
à Castelvetrano, en Sicile
1993 Entre dans
la clandestinité
1998 Succède à son père,
« Don Ciccio », à la tête de
la Mafia dans la province
de Trapani, en Sicile
16 janvier 2023
Arrestation à Palerme
25 septembre 2023 Mort
à L’Aquila (Abruzzes, Italie)
soutiens, permettent aux enquê-
teurs de repérer un rendez-vous
de chimiothérapie réservé à Pa-
lerme au nom d’un patient rési-
dent au cœur du fief de Messina
Denaro. Un certain Andrea Bona-
fede, géomètre de profession. Les
carabiniers, persuadés qu’il s’agit
là de l’homme qui leur échappe
depuis trente ans préparent leur
« blitz » dans le plus grand secret.
Ils jouent à quitte ou double.
Le matin du 16 janvier, à la clini-
que La Maddalena de Palerme, ils
repèrent cet homme vieilli, au vi-
sage émacié, emmitouflé dans
un manteau de cuir beige, caché
sous un bonnet et portant des lu-
nettes fumées. « Je suis Matteo
Messina Denaro », confirme-t-il à
24 janvier 1962 Naissance
à Roanoke (Virginie)
1989 Débuts à Los Angeles
dans « Tancredi », de Rossini
2004 Chante pour la
première fois à Bayreuth
2015 Reçoit le titre d’Öster-
reichischer Kammersänger
à l’Opéra de Vienne
19 septembre 2023 Mort
à Chesapeake (Virginie)
portes des grandes scènes inter-
nationales, de New York à Vienne,
de Milan à Paris, du Festival de
Salzbourg au Covent Garden de
Londres, en passant par Berlin,
Dresde, Munich, Rome, Zurich.
Les chefs qu’il côtoie se nomment
Daniel Barenboim, Riccardo
Chailly, Marek Janowski, Philippe
Jordan, Zubin Mehta, Andris Nel-
sons, Simon Rattle, Esa-Pekka Sa-
lonen, Christian Thielemann.
Dans sa discographie : Siegfried,
Le Crépuscule des dieux et Tristan
et Isolde sous la direction de Ma-
rek Janowski (Pentatone Classics),
La Femme sans ombre avec Chris-
tian Thielemann (Orfeo Classic),
Tannhäuser avec Valery Gergiev
(Deutsche Grammophon).
En France, on se souvient de son
Tristan de 2012 au Théâtre des
Disparitions | 25
Portrait-robot de Matteo Messina Denaro, diffusé par
la police italienne, date inconnue. Lannino & Naccari Studio/SIPA
ceux qui l’encerclent, avant de se
laisser menotter.
Le mafieux malade, soigné sous
l’identité de son vieil ami Bona-
fede, abdique enfin. L’Italie, stupé-
faite, découvre que le play-boy a
perdu de sa superbe. Les forces de
police se déploient à Campobello
di Mazara, un village situé à 8 kilo-
mètres à peine de Castelvetrano,
son lieu de naissance. Une sorte
de forteresse murée de silence, où
nul n’avait osé dénoncer ce voisin
tranquille, qui aime jouer au po-
ker et prendre son café au bar.
« Jamais je ne serai un repenti »
La perquisition de sa modeste de-
meure – un petit appartement
dans un immeuble à la façade jau-
nie – ne révèle aucun trésor. Les
magistrats du parquet antimafia
de Palerme rêvent sans y croire à
un autre miracle : faire parler cet
homme rompu au silence, déten-
teur d’un demi-siècle de secrets
de la Mafia sicilienne, dissiper les
mystères sur des dizaines d’ho-
micides, révéler les liens entrete-
nus avec les services secrets, voire
les compromissions de l’Etat avec
le sommet de la Mafia sicilienne.
Incarcéré dans la prison de
haute sécurité de L’Aquila, « Dia-
Champs-Elysées sous la baguette
d’Andris Nelsons, moins du Tann-
häuser de 2022 à l’Opéra de Lyon
mis en scène façon Guerre des étoi-
les par David Hermann. Dans ce
rôle mythique, il formait avec
l’Isolde de Nina Stemme, depuis
leur rencontre scénique en 2014,
un couple de légende adulé des
wagnériens. C’est avec lui qu’elle
avait prévu de faire ses adieux au
rôle en 2024 à Palerme. Avec elle
qu’il aura chanté son dernier Tris-
tan à Bayreuth, en juillet 2022.
Le répertoire wagnérien, dont il a
également chanté Erik du Vaisseau
fantôme, Siegmund dans La Walk-
yrie ainsi que les rôles-titres de Lo-
hengrin et de Parsifal ne saurait ce-
pendant résumer tout l’art de Ste-
phen Gould, qui s’illustre égale-
ment, entre autres, dans La Ville
morte, de Korngold (dans le rôle de
Paul), Peter Grimes, de Britten, ou
encore Otello, de Verdi (un compo-
siteur qu’il aurait aimé chanter da-
vantage si sa tessiture le lui avait
permis, disait-il), sans oublier le
bolik » ne dévoilera pas ses se-
crets. « Jamais je ne serai un re-
penti ! », se défend-il lors de son
premier interrogatoire, avant de
nier les crimes qui lui sont repro-
chés, affirmant n’avoir entendu
parler de Cosa Nostra que dans
les journaux et n’avoir mené
qu’une simple vie « d’aventurier ».
Mais le prévenu dépérit à vue
d’œil. Jusqu’à être hospitalisé en
urgence le 8 août, à l’hôpital San
Salvatore de L’Aquila, pour une
occlusion intestinale.
A son chevet, le mourant reçoit
sa fille, Lorenza, 26 ans, qu’il avait
toujours tenue à distance, avec un
certain mépris. Après quelques
rendez-vous au parloir, la jeune
femme a décidé de reprendre le
nom de famille de son père, deve-
nant ainsi son héritière formelle.
Au même moment, au tribunal
de Marsala, l’autorité judiciaire
du fief des Messina Denaro, de-
vait s’ouvrir le tant attendu pro-
cès baptisé « Annozero », s’atta-
quant aux familles mafieuses de
la province de Trapani. Une fois
encore, sur le banc vide des
­prévenus, demeureront l’ombre
menaçante de l’insaisissable boss
et le poids de ses secrets. p
Thomas Saintourens
Florestan de Fidelio, de Beethoven,
l’Empereur dans La Femme sans
ombre, de Richard Strauss, ou Bac-
chus dans Ariane à Naxos, du
même Strauss. Et même quelques
ouvrages en français, comme
Samson et Dalila, de Camille Saint-
Saëns, ou Les Troyens, de Berlioz.
« Son endurance remarquable, sa
curiosité irrépressible et son grand
professionnalisme (…) le distin-
guaient », témoigne Bogdan Ros-
cic, directeur de l’Opéra de Vienne,
où Stephen Gould avait reçu, en
2015, le titre d’Österreichischer
Kammersänger. En 2022, celui que
l’on avait surnommé l’« Iron Man »
de Bayreuth déclarait à la radio pu-
blique allemande BR-Klassik : « Je
ne suis pas un sprinteur. Plutôt un
coureur de fond. C’est dommage
que, dans notre monde avec Tik-
Tok, tout doive se passer dans les
plus brefs délais. Wagner n’est pas
un opéra, ce n’est pas non plus
un divertissement. C’est une médi-
tation, un mantra. » p
Marie-Aude Roux
26 | Styles
milan | prêt-à-porter printemps-été 2024
De festivités en créativité
Nouveau directeur artistique chez Tom Ford, défilés aux allures de concert
chez Diesel et nouveaux arrivants : la folle semaine de la mode à Milan
Mode
Milan (Italie) - envoyée spéciale
U
n sacré cocktail ! Pour ce prin-
temps-été femme 2024, la
fashion week de Milan qui
s’est déroulée du 19 au 25 sep-
tembre mélangeait tous les bons ingré-
dients : des nouveaux directeurs artisti-
ques chez Gucci, Tom Ford et Bally, une
dose de hype du côté de la jeune création
(The Attico, Andreadamo), un défilé anni-
versaire pour Moschino, des fêtes en
­pagaille, dont une pour célébrer la col­la­-
boration entre Moncler et Pharrell
Williams (scellée avant que celui-ci ne de-
vienne directeur artistique de Vuitton).
En tout, plus de cent cinquante événe-
ments entre les défilés, les présentations
et les mondanités de tous genres.
Comme à son habitude, Diesel a vu les
choses en grand : « Diesel aime faire la
fête, donc on a invité 7 000 personnes
[1 000 professionnels, 6 000 tickets of-
ferts au public, dont 1 500 pour les étu-
diants] à notre rave », explique le desi-
gner Glenn Martens. Le défilé en plein air
a des allures de concert avec un écran
géant, une scène centrale, des gradins
tout autour et des fans hystériques dans
la fosse, même pas découragés par la
pluie battante.
Comme la marque se porte bien et
­rencontre un vif succès auprès des
moins de 30 ans, l’esthétique ne change
guère : le denim sert de base à toutes sor-
tes d’expérimentations textiles plutôt
réussies où le tissu est dévoré, déchi-
queté, raccommodé, effiloché… laissant
le corps dénudé, assumant le côté
sexuel. Pas sûr que les robes filets trans-
parentes portées en dessous d’un string
(magie de la mode !) fassent un tabac en
magasin, mais elles assurent la viralité
de l’événement. « Cette collection repré-
sente l’esprit de Diesel, démocratique et
expérimental. Je suis pour vivre à fond, et
chaque jour devrait être une fête », ré-
sume Glenn Martens.
Cette saison, Moschino célèbre son
quarantième anniversaire. La marque
qui s’est séparée au début de l’année de
Jeremy Scott, son designer américain ré-
puté pour mélanger glamour et humour,
a demandé cette saison à quatre stylistes
de réinterpréter son héritage. Le résultat
est contrasté : vestiaire bon chic bon
genre chez Carlyne Cerf de Dudzeele, hip-
pie bling sexy avec Gabriella Karefa-John-
son, romantique froufrouteux pour Lu-
cia Liu. D’un point de vue style, ça ne
fonctionne pas très bien et on se prend à
regretter l’esprit décalé de Jeremy Scott.
Mais pour ce qui est du sens de la fête… le
défilé se poursuit avec un spectacle de
danse, un solo de violon sur l’air de I Am
What I Am, de Gloria Gaynor, et l’arrivée
impressionnante de toutes les manne-
quins en même temps sur le podium,
gambadant pieds nus, en jean et tee-shirt
blanc dont la vente ira à la fondation
­Elton John de lutte contre le sida.
L’ambiance est aussi festive chez Prada,
submergé par une foule compacte venue
examiner les total looks des invités et la
brochette de célébrités, de Scarlett Jo-
hansson à Kylie Jenner en passant par des
stars de la K-pop. Et, dans la salle, les ama-
teurs de mode sont extatiques, tant le
tandem Miuccia Prada/Raf Simons dé-
ploie d’ingéniosité. Le décor consiste en
un grillage métallique d’où s’échappe du
plafond un liquide visqueux formant un
rideau transparent autour du « catwalk ».
Les vêtements oscillent entre vestes
­masculines aux épaules larges et robes
vaporeuses en voiles superposés d’or-
ganza et de gazar, comme un nuage
autour du corps. « J’en ai marre des
­concepts, j’avais envie de parler de vête-
ments », affirme Miuccia Prada.
La collection est très technique, avec de
longues franges métalliques ceintes
autour de la taille qui donnent de l’éclat à
une veste sombre ou des imprimés mé-
langés à des broderies grâce auxquels les
vêtements prennent du relief. « On n’évo-
­
0123
­Mercredi 27­ septembre 2023
Tod’s. Shutterstock/SIPA
que pas beaucoup l’artisanat chez Prada,
en tout cas comparé à d’autres maisons.
On voulait montrer l’étendue de nos capa-
cités », explique Raf Simons. « La question
qui nous animait pour cette collection
était : qu’est-ce que la beauté dans le
monde d’aujourd’hui ? », complète son bi-
nôme. Prada en offre sa propre version.
Milan était aussi en ébullition pour le
défilé Bottega Veneta, qui offre depuis
l’arrivée de Matthieu Blazy à la direction
artistique en 2021 une des propositions
esthétiques les plus poussées du mo-
ment, s’appuyant sur des expérimenta-
tions techniques et une mise en valeur
des savoir-faire artisanaux. « Quand
j’étais gamin, il y avait toujours des jeux de
piste, des cartes au trésor sur les boîtes de
Choco Pops qu’on mangeait au petit dé-
jeuner. Je voulais recréer cette impression
de voyager depuis la maison, une collec-
tion pour s’échapper du quotidien », expli-
que le ­designer qui a mélangé les cultures
du monde entier « pour leur donner une
­nouvelle forme ».
Une robe-lustre en cristaux
Peu de risque d’appropriation culturelle
ici, car le résultat ne ressemble à rien de
connu : des robes en bandelettes de cuir
multicolores ou en coton tressé très Prada. prada
épais, comme des plaids drapés ensem-
ble, côtoient des jupes où se superposent
différents niveaux de franges, des man- notion de « nouveau » étant toute rela- de bandelettes qui se détachent… Un style
teaux traversés par des lignes sinueuses, tive puisque l’Anglais a été le bras droit de affirmé qui lui vaudra sans doute, un jour,
des costumes tellement architecturés Tom Ford pendant vingt-cinq ans. Sur le de se faire approcher par une grande mai-
qu’ils semblent presque rigides. « On a podium, rien de très nouveau non plus, son en quête de sang neuf.
développé de nouvelles techniques avec de on croirait que Tom Ford – celui des De sexy il est aussi question chez The
vieux métiers à tisser », se réjouit Mat-
« Je voulais (grandes) années 2000 – est encore aux Attico, marque la plus hype du moment,
thieu Blazy qui parvient à trouver une recréer cette manettes : les femmes incarnent un gla- lancée par deux Italiennes trentenaires.
fois encore le juste équilibre entre expéri- mour conquérant et sexy au parfum se- Giorgia Tordini et Gilda Ambrosio ont
mentation et désirabilité.
impression venties, avec leur chemise ouverte jus- commencé par vendre des souliers avant
L’autre point fort de Milan, cette sai- de voyager qu’au nombril, leur jupe crayon en cuir de se diversifier avec des vêtements, qui
son, était son lot de nouveaux arrivants. verni et leurs talons aiguilles. Les saha- font pour la première fois l’objet d’un
Parmi eux, le premier défilé de Simone
depuis riennes associées à des shorts très courts, ­défilé. Il faut leur reconnaître un vrai sens
Bellotti pour Bally. Le designer a passé la maison, une les beaux costumes en velours et panta- de la mise en scène, avec des canapés vin-
seize ans chez Gucci où il a été le bras lon pattes d’ef, les robes aussi longues tage installés sur la chaussée, dans une
droit d’Alessandro Michele, mais cela ne
collection pour que moulantes… tout a un air de déjà-vu. rue privatisée pour l’occasion.
se sent pas dans sa collection qui n’a rien s’échapper En même temps, la proposition est bien Dans ce salon en plein air, les manne-
de baroque et propose un vestiaire sage faite et il n’y a pas tellement de concur- quins arborent toutes un look différent,
et charmant d’étudiant aux Beaux-Arts :
du quotidien » rents sur ce créneau actuellement. Par- glamour (une robe-lustre en cristaux),
chemisette bleu ciel et jupe marine, Matthieu Blazy fois, le passé est toujours d’actualité. street (le combo baggy-brassière), expéri-
­caban et jean, veste en cuir camel et jupe directeur artistique de Cette saison avait aussi le mérite de pré- mental (la veste de costume déstructu-
assortie… de quoi mettre en valeur la Bottega Veneta senter le travail de jeunes créateurs. rée), chic (total look noir)… Trop décousu
­panoplie de jolis petits sacs en cuir lisse Parmi eux, Andreadamo, qui, depuis pour être convaincant. Cette saison mila-
– car Bally est un maroquinier, il ne faut quelques saisons, est parvenu à se faire un naise avait suscité tant d’attentes, il est
pas l’oublier. nom. Le finaliste du prix de mode de normal que toutes ne soient pas com-
Il y a aussi du changement chez Tom ­l’Andam en 2023 continue d’imaginer une blées. La capitale lombarde a en tout cas
Ford : le fondateur texan a quitté sa griffe femme sensuelle et conquérante, dans prouvé qu’elle pouvait encore surpren-
en début d’année après le rachat par Es- une veine un peu saint-laurentesque : dre. Dans un monde obsédé par la nou-
tée Lauder. Cette saison est la première blouson en cuir à carrure large, maille veauté, ce n’est pas rien. p
du nouveau designer Peter Hawkings, la près du corps qui ne cache rien, robe faite Elvire von Bardeleben
 0123
­
­Mercredi 27­ septembre 2023
Versace. Shutterstock/SIPA
Giorgio Armani. Giorgio Armani
Des maîtres en leur palais milanais
Secouée par une valse de desi-
gners sur le départ ou signant leur
premier défilé, la Milano Fashion
Week, qui s’est déroulée du 19 au
25 septembre, n’avait pas connu une
telle effervescence depuis longtemps.
Dans cette tempête, on peut toujours
compter sur les piliers que sont Ver-
sace, Dolce & Gabbana et Armani
pour apporter un peu de stabilité.
« On traverse une période faite de
chaos et de contradictions, il est im-
portant de se tenir tranquille et d’ob-
server. On raconte notre histoire de-
puis 1984, et on veut continuer de met-
tre en avant l’italianité, la beauté, la
féminité, une mode centrée sur le
tailleur », affirment Domenico Dolce
et Stefano Gabbana.
Le duo a présenté une collection
noire et blanche, très orientée vers la
lingerie. La plupart des mannequins
sont en corset et porte-jarretelles,
couvertes d’un voile qui fait office
de robe, de nuisette ou de manteau.
Un trench en soie, un paletot en
Dolce & Gabbana. monic
fourrure, une veste de smoking
ou une cape complètent parfois
cette silhouette sobre qui, selon le
degré de transparence, évoque une
veuve sicilienne ou une pin-up des
années 1950.
Le tandem, qui entend « célébrer
toutes les femmes », a aussi mis sur
les podiums des modèles plus âgées
ou plus rondes que la moyenne et
clôt son défilé avec une quinqua­-
génaire, mais pas n’importe laquelle :
Naomi Campbell, 53 ans (et qui en fait
vingt de moins).
Les supermodèles, c’est aussi la si-
gnature de Versace, qui, cette saison,
a fait revenir sur le podium Claudia
Schiffer, que l’on ne voit plus guère.
L’Allemande a fermé le show dans
une robe fourreau métallique vert
anis, inspirée de la collection cou-
ture printemps-été 1995. L’ensemble
des looks prend racine dans les
­archives de la maison, jouant sur le
motif damier créé en 1981, et opte
pour une allure assez sage : robe
­ aby-doll, tailleur-jupe en tweed et
b talliques et irisées, flottent comme
cardigan-short à petits carreaux
sont déclinés dans des couleurs
­pastel, bleu layette, rose bonbon et
jaune pâle.
Le résultat évoque finalement
moins le glamour offensif des années
1980 qu’une carte postale des années
1950. « C’est un été graphique et léger,
doux et lumineux », détaille Donatella
Versace, qui n’oublie pas de montrer
l’étendue du savoir-faire de ses ate-
liers en envoyant sur le podium quel-
ques tenues couture, comme une mi-
nirobe en cotte de mailles froncée qui
épouse parfaitement le corps.
Des tissus flottant comme des voiles
En ce qui concerne la constance, per-
sonne ne bat Giorgio Armani. Pour sa
ligne Emporio Armani, le créateur de
89 ans reçoit comme toujours dans
les bureaux de la marque, où il ima-
gine un été léger « comme une
brise », titre de la collection. Les tissus
sont illuminés par des touches mé-
La parade du luxe discret
Robes en maille monochrome chez Fendi ou
vestiaire inspiré de l’arte povera pour Ferragamo,
les créateurs se sont convertis au « quiet luxury »
Milan (Italie) - envoyée spéciale
P ourrait-il s’agir d’une tendance de
fond ? Au printemps 2023, la mou-
vance « luxe discret » fait son appa-
rition à la suite du procès de Gwyneth
­Paltrow pour un accident de ski. L’actrice
marque alors les esprits en arborant tous
les jours au tribunal des tenues d’un chic
intemporel et délesté de tout signe osten-
tatoire de richesse – qui viennent toutes
de griffes de luxe. Après plusieurs saisons
marquées par la proéminence de logos,
de volumes exagérés, d’une esthétique
sexy trash décongelée des années 2000,
le quiet luxury, en VO, semble se faire une
place sérieuse sur les podiums de la
fashion week milanaise, qui a eu lieu du 19
au 25 septembre.
Fendi joue toujours un peu avec son
logo « F », présent sur les sacs, mais la to-
nalité générale est sobre. Le designer Kim
Jones a été inspiré par la beauté impéris-
sable de Rome, en particulier du Colisée,
qui se trouve sur le chemin de son bu-
reau. Pour le défilé, point d’amphithéâtre
en vue, mais des statues blanches et mo-
numentales de sacs Fendi devant lesquel-
les passent des élégantes parées pour
toutes les occasions.
Certaines n’ont qu’une simple robe en
maille monochrome col roulé (mais
­subtilement découverte sur une épaule),
d’autres jouent avec les couleurs, avec un
pantalon à pinces anis sous un trench
ocre et des gants vermillon. La version
soir se décline sous forme d’une longue
robe bleu ciel, comme un drap de satin
nonchalamment posé sur le corps. Le
­public, composé d’une brochette de stars
quinquagénaires (Kate Moss, Demi
Moore, Linda Evangelista, Naomi
­Campbell…), incarne les clientes idéales
de ce vestiaire de très bon goût, d’une
rectitude et d’une précision parfois un
peu froides.
De son côté, Max Mara propose une
version plus solaire du quiet luxury, ins-
pirée par un thème qui n’a rien de fas-
tueux : le quotidien de l’Armée britanni-
que des femmes de la terre (Women’s
Land Army), ces 80 000 femmes venues
des campagnes ou des villes qui, pendant
la seconde guerre mondiale, se sont en-
gagées dans les travaux agricoles pour
nourrir la nation pendant que les hom-
mes étaient au combat.
des voiles. Des vestes fluides tou-
chent à peine le corps, des hauts et
des shorts courts révèlent la peau,
des sarouels et des jupons en mil­-
lefeuille d’organza couvrent la chair
sans jamais la contraindre, dans des
tons beige doré, des nuances
­d’argent, des gris minéraux, du vert
menthe à l’eau et du rose fuchsia.
On retrouve la même brillance
bien dosée pour son autre ligne,
Giorgio Armani, où le designer
poursuit son idéal de garde-robe
­intemporelle, tout en vestes déstruc-
turées, manteaux nets et pantalons
souples, décorée cette fois-ci d’on­-
dulations sous forme de broderies,
de découpes ou d’imprimés. Une so-
briété bousculée par les tissus miroi-
tants (soie, satin, cuir brillant), les
strass, les pierres brodées qui
­viennent illuminer la collection. Le
style Armani, immuable et recon-
naissable entre tous. p
E. v. B.
Styles | 27
Pour donner du cachet à ses pièces
workwear, le designer Ian Griffiths les a
taillées dans une épaisse toile blanche de
coton, les a teintes séparément, puis pas-
sées à la machine pour nuancer leur cou-
leur et « donner à chaque pièce un carac-
tère unique ». Le résultat est très convain-
cant, qu’il s’agisse des grands trenchs in-
digo sans col, des robes tabliers bleu roi,
des combi-shorts magenta, des chemises
jaune bouton d’or, des pantalons à poches
plaquées émeraude ou des vestes ocre.
Chez Ferragamo aussi, la source d’inspi-
ration s’éloigne de l’opulence : Maximi-
lian Davis s’est intéressé à l’arte povera,
ce mouvement artistique d’avant-garde
apparu en Italie dans les années 1960, qui
privilégie l’usage de matériaux naturels
ou récupérés. Le designer a transposé
l’idée d’anoblir des matières élémentai-
res par la création en travaillant de sim-
ples toiles de coton et de lin qu’il a bro-
dées sur des capes de satin ou traitées
pour qu’elles se confondent avec du cuir.
« Je voulais que les choses soient légères, à
la fois en termes de tissu et de construc-
tion, mais aussi de silhouette. Que cette
collection soit pure et honnête, mais
­intéressante au toucher », explique le de-
signer. Elle foisonne en tout cas d’idées,
entre les toges à motifs abstraits qui en-
veloppent le corps, les costumes aux
manches fendues jusqu’aux épaules et
les robes moulées en cuir rigide, illumi-
nées par de gros fermoirs en argent
comme des bijoux.
Veston à même la peau
A défaut de mettre en avant leur logo, les
marques versées dans le luxe discret ont
plutôt tendance à promouvoir la qualité
de leur artisanat. C’est exactement ce que
fait Tod’s, qui, pour célébrer le « made in
Italy », convie ses invités dans les ateliers
de fabrication des décors de la Scala de
Milan : les mannequins se fraient un
­chemin entre des colonnes ou des sculp-
tures en plâtre qui serviront pour la
­prochaine production de l’opéra Don
­Carlos, de Verdi, dont la première aura
lieu en décembre.
Pour sa dernière collection chez Tod’s, le
designer Walter Chiapponi s’est inspiré
des années 1990, la décennie dominée
par le minimalisme de Prada et Helmut
Lang, pour concevoir un vestiaire d’un
goût parfait dans lequel les femmes ont
l’air à l’aise. Les tailleurs sont à la fois for-
mels mais très souples (car sans toile inté-
rieure), les jupes plissées foisonnantes
sont portées avec un veston à même la
peau, une robe-chemise terre de Sienne
suffit à donner de l’allure. Faussement
simple, habilement coupée, cette garde-
robe a aussi le mérite de ne pas proposer
une vision de la femme fantasmée.
C’est aussi la force de Jil Sander, capable
de créer un vestiaire qui donne de l’allure
sans avoir l’air d’y penser. Les designers
Luke et Lucie Meier ne s’embarrassent
pas de concepts, ils jouent sur les contras-
tes, entre féminin et masculin, quotidien
et glamour, le tout porté par une recher-
che technique très poussée et des matiè-
res à tomber. Le défilé s’ouvre sur une
robe vert amande dont le haut en maille
fine contraste avec l’opulence de la jupe
en laine épaisse froncée ; la mannequin
porte aussi un petit bonnet fin et un col-
lier de grosses pierres scintillantes. Un
manteau rose pâle un peu trop large, un
vaste trench noir, une robe en popeline
blanche ajourée de broderies, une che-
mise XXL qui cache les mains, une longue
robe ivoire simplement décorée de deux
ronds métalliques au niveau du col che-
mise… Il suffit parfois de peu de choses
pour avoir l’air très classe. p
Elvire von Bardeleben
28 | Carnet ­
0123
­Mercredi 27­ septembre 2023

Micheline Scolnic Champion, Paris.

son épouse, Remerciements Conférences
Marie Taboulet,
sa fille, Marguerite, Christina Vanthomme,
en vente Pierre Taboulet, son épouse, sa compagne,
son gendre,
actuellement Le Carnet Judith et Félix Taboulet,
Louise et Dorothée, Andrée Michel,
ses filles,
ses petits-enfants son ex-conjointe,
Et tous ses amis, Samuel et Zazon,
Guillaume Les Mardis de la Philo
ses enfants par alliance,
K En kiosque Vous pouvez nous faire ont l’immense tristesse de faire part leurs conjoints, Ben, Charlotte et
et sa conjointe, Alice von der Weid, Dès le 19 septembre à 9 h 30,
du décès de ses enfants,
parvenir vos textes Gætan,
Léopold, Edgar et Victor,
chaque mardi,
M. Jean CHAMPION Lou, Luna, Nino, Brune, Mia, Noam, venez penser le monde
ses petits-enfants,
HORS-SÉRIE
soit par e-mail : diplômé de Sciences Po Paris, Albert et Isaac,
Kim, Benoît et Sylvie,
contemporain à la lumière
ancien secrétaire général ses petits-enfants, de grands philosophes :
carnet@mpublicite.fr de Van Cleef & Arpels, ses beaux-enfants
cofondateur des parfums et leurs enfants, • Réguler internet, Charles Girard
(en précisant impérativement Van Cleef & Arpels, ont la tristesse de faire part du décès
Nicolas et Florence von der Weid, • Questions d’éthique, Éric Fiat
votre numéro de téléphone auteur de livres de droit social, de
Sabine von der Weid, François et • Les philosophes et le temps,
amateur d’art
et votre éventuel numéro et collectionneur éclectique, Christine von der Weid, Marie- Francis Wolff
M. Jean-Loup LAMARCHE,
d’abonné ou de membre Dominique et Peter King von der • L’expérience esthétique,
LA MORT EN FACE survenu le 23 septembre 2023, Weid,
Comment légiférer sur la fin de vie de la SDL) à l’âge de quatre-vingt-quinze ans. survenu le 21 septembre 2023, à Paris, Charles Pépin
ses frères et sœurs, beau-frère et
à l’âge de quatre-vingt-six ans. • Entre la vie et la mort, Delphine
L’inhumation aura lieu le vendredi belles-sœurs,
Hors-série soit sur le site : 29 septembre, à 15 h 30, au cimetière Ses neveux et nièces,
Horvilleur et Marion Muller-Colard
de Varennes-sur-Loire (Maine-et-Loire), Les obsèques auront lieu le mardi
https://carnet.lemonde.fr son village d’adoption. 3 octobre, à 15 h 30, au crématorium
• Démocratie et écologie,
très touchés du soutien et des Céline Spector
du cimetière du Père-Lachaise, en
HORS-SÉRIE

L’équipe du Carnet Nantes. la salle de la Coupole, 71, rue des marques d’affection témoignés lors • Faire Renaissance, Karine Safa
reviendra vers vous Rondeaux, Paris 20e. du décès, survenu le 22 août 2023, de • JS Mill et Nietzsche,
Sa famille Camille Dejardin
dans les meilleurs délais Jean-Noël VON DER WEID, • Les clés de la pensée,
a la tristesse de faire part du décès de Isabelle, François et Séverine de Ren,
INCLUS :
DES ILLUSTRATIONS
INÉDITES,
pour vous confirmer ses enfants, Heinz Wismann
Jacques DULIEU,
UN ENTRETIEN EXCLUSIf

vous adressent leurs sincères

la parution.
AVEC L’AUTEUR

François-Xavier Hervouet et Clarisse • Le temps et ses avatars,

ZEPraconte 30 ans de
architecte DPLG,
urbaniste IUP, Mazoyer,
remerciements.
Etienne Klein
titeuf carnet@mpublicite.fr
ancien enseignant
à l’École nationale supérieure
son gendre et sa belle-fille,
Anniversaire de décès
• La valeur des personnes,
En partenariat avec

Gaspard, Noémie, Mathilde, Sarah Nathalie Heinich

https://carnet.lemonde.fr d’architecture de Nantes,
et Nina, Sylvie Reulet • Pourquoi se raconte-t-on
Hors-série
survenu le mardi 19 septembre 2023, ses petits-enfants,
à l’âge de quatre-vingt-cinq ans. et sa fille, Laurence, des histoires ? Michel Eltchaninoff
AU CARNET DU «MONDE» Les familles de Ren, Weyrauch, Verra,
• L’art de la dispute,
Ses obsèques auront lieu le Trautmann et Meston,
se souviennent avec tendresse de Pierre-Henri Tavoillot
100 GRILLES Décès mercredi 27 septembre, à 16 h 30, au
crématorium du cimetière Parc de ont la profonde tristesse d’annoncer • Stoïcisme et épicurisme,
Sa femme Nantes. René CAQUET, Pierre Descotes
PAR PHILIPPE DUPUIS – N° 7
le décès de
Et ses enfants, • La psychologie de l’individu
Emmanuel et Catherine Véron,
ont la tristesse d’annoncer le décès Marianne Véron Lottman,
Jean de REN, disparu le 27 septembre 2022 contemporain, Marcel Gauchet
de Nicolas Véron et Catherine Baude, ENSP 1973-1976, • Spinoza, Chantal Jaquet
ses frères, sœur et belles-sœurs, directeur honoraire des Hôpitaux, et remercient ses amis d’avoir une • La vie divine, Bertrand Vergely
M. Pascal AUDOUZE. Stéphane, Géraldine, Valentine et
Bruno, pensée pour lui. • Sur l’islam, Rémi Brague
Les obsèques auront lieu le jeudi Aurélien et Emmanuelle, Jérémie survenu à l’âge de soixante-douze • Le lien social,
28 septembre 2023, à 13 h 30, au et Kerstin, ans.
Magazine n°7 crématorium de Villefranche-sur- Charlotte et Sylvain, Dimitri et Souvenir Jean-Michel Le Lannou
Saône, à Gleizé (Rhône). Cécile, Alexandre et Liza, • La Chine contemporaine,
ses neveux et nièces, La cérémonie religieuse a eu lieu
Marie Holzman
Vous pouvez nous contacter à Romain, Eline, Charles, Victoire et ce mardi 26 septembre 2023, à 10 h 30, Chantal ESTEVE,
Fabien, Jeanne et Solal, Marc, Julie, Les conférences ont lieu
HORS-SÉRIE
l’adresse suivante : en l’église Saint-Michel, 42, rue Hector- née LAIDET,
audouze.mailys@gmail.com Lemmy, Simon, William, au Centre Sèvres,
ses petits-neveux et petites-nièces, Berlioz, à Saint-Max (Meurthe-et- 26 décembre 1952 - 26 septembre 2021.

L’ATLAS Arthur, Raphaël, Alix, Moselle). 35 bis, rue de Sèvres, Paris 6e.
Hélène, Catherine, Antoine, Sandra, ses arrière-petits-neveux et arrière- « Mon bel amour mon cher amour Pour en savoir plus : 06 77 66 09 55.
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Julien et Maria, petite-nièce, www.lesmardisdelaphilo.com
D’HISTOIRE CARTES

Félix et Claire Gilbert, Dons au profit du Secours ma déchirure / Je te porte dans moi
ses six enfants
AFRIQUES et leurs conjoints, son beau-frère et sa belle-sœur, catholique. comme un oiseau blessé ». Podcasts www.mercisocrate.com
Ses treize petits-enfants, Marie-Hélène, Olivier et Anne,
Ses quatre arrière-petits-enfants, Myriam, Eloïse, Edouard,
Toute sa famille ses neveux et nièces,
ÉDITION 2023 Et tous ses amis, Alice, Nicolas,
sa petite-nièce et son petit-neveu
Hors-série ont l’immense chagrin d’annoncer la Ainsi que Marie-Rose, Anne, Sylvie,
mort du ses fidèles amies,

ont l’immense peine d’annoncer la

docteur André BASCH,
Quotidien + numérique
Collection survenue le 19 septembre 2023.
mort de

Suzel GILBERT,
née VÉRON,
Il sera enterré au cimetière de
Juliénas (Rhône), le jeudi 28 septembre,
à 16 heures.
le 17 septembre 2023, à l’âge de Le journal et ses suppléments
soixante-quinze ans, au terme d’une
longue et cruelle maladie. livrés chez vous
Jeanne et Marie Vitez,
Les obsèques auront lieu le
Aneta Szynkiel,
ses amies, mercredi 27 septembre, à 16 heures,
au crématorium du cimetière du
Tous les contenus numériques
font part du décès de
Père-Lachaise, Paris 20e. sur le site et les applications
Ils remercient de tout cœur le
Morando BELLANDI,

19 € par mois pendant 3 mois

personnel des Jardins d’Alésia, qui l’a
si bien entourée.
survenu à son domicile,
le 15 septembre 2023.
Catherine et Isabelle, au lieu de 96,20 € (prix de vente au numéro)
Un dernier hommage lui sera ses filles,
rendu le mardi 3 octobre, à 11 h 30, Cyril, Virgile, Nathan et Pauline,
Actuellement en vente, au crématorium du cimetière du ses petits-enfants,
Père-Lachaise, 71, rue des Rondeaux, Bernadette et Marie-Josèphe,
le volume n° 3 ses sœurs,
Paris 20e.
FRANÇOIS 1ER Gérard et Jean-Louis, Abonnez-vous en ligne sur :
marie.vitez@free.fr ses frères, abo.lemonde.fr/quotidien3M
Jérôme,
son beau-fils,
Hélène Fricout Cassignol,
sa fille, ont l’immense chagrin d’annoncer le
Natacha, Romain, Chloé, Valentine décès de BULLETIN D’ABONNEMENT 231EMQAPA
DYSTOPIES · HORREUR · MONDES IMAGINAIRES
et Marie, A compléter et à renvoyer à : Le Monde - Service Abonnements - A1100 - 62066 Arras Cedex 9
ses petits-enfants, M. André HUET,
Jacqueline Cassignol, professeur émérite OUI, je m’abonne à l’offre Quotidien + numérique du Monde pendant 3 mois pour seulement 19€ par mois puis 24,90 €/mois
son ex-épouse de l’université de Strasbourg, 6 quotidiens + « M le magazine du Monde » + tous les contenus numériques sur le site et les applications + les archives du Monde depuis
Et toute sa famille, officier de l’ordre 1944 + l’application La Matinale + plus de 2000 grilles de jeux en ligne.
des Palmes académiques,
docteur honoris causa Je complète le mandat de prélèvement SEPA ci-dessous
ont la tristesse de faire part du décès
de de l’université de la Sarre,
E-mail : @ Tél. :

M. Étienne CASSIGNOL, enlevé à leur tendre affection le
23 septembre 2023, à l’âge de quatre-
docteur ès sciences physiques, vingt-cinq ans.
chevalier de la Légion d’honneur,
officier
Une cérémonie religieuse en
de l’ordre national du Mérite, sa mémoire aura lieu le samedi
médaillé de la Ville de Paris, 30 septembre, à 11 h 30, en l’église
Actuellement en vente, catholique Saint-Pierre-le-Jeune, à
survenu le 20 septembre 2023.
le volume n° 5 Strasbourg.
LA GUERRE DES MONDES La cérémonie religieuse sera Les fleurs pourront
célébrée le mercredi 27 septembre, remplacées par des dons
à 10 heures, en l’église Saint-Honoré- paroisse.
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Secrétaire général de la rédaction Sébastien Carganico
Conseil de surveillance Aline Sylla-Walbaum, présidente, Gilles Paris, vice-président
 Idées
0123
­
­Mercredi 27­ septembre 2023 | 29

Jean-Christophe Angelini L’autonomie va nous

permettre de changer la vie des Corses
Le maire autonomiste de Porto-Vecchio estime ne relève pas d’un fétichisme institution-
nel, d’un présupposé idéologique qui se-
que le temps est venu de solder des décennies raient propres aux mouvements natio-
de conflit entre l’Etat et la Corse. Un nouveau nalistes ou aux Corses, pas davantage
d’une volonté de conflit ou de rup-
statut politique de l’île doit permettre de répondre ture. Elle n’est pas une finalité mais un
à la crise sociale et structurelle qu’elle traverse puissant moyen, qui va nous permettre
de changer résolument la vie des Corses.
A une crise historique, nourrie par l’ab-
voté la délibération intitulée Autono-
mia, le 5 juillet. Je me suis néanmoins re-
fusé, avec mon groupe, à voter contre la
proposition avancée par d’autres collè-
gues de l’opposition, de sensibilité « ré-
Pour construire publicaine ». Nous savions qu’il nous
une solution faudrait échanger et tenter, en dépit de
nos différences, de converger. Le mo-
politique, le ment est venu. Nul, dès lors, ne doit se

L
es jours à venir devraient enfin
clarifier l’issue du processus
d’autonomie, entamé en mars
2022, au lendemain du tragique
assassinat d’Yvan Colonna. La mobilisa-
tion populaire, en tout point de l’île,
avait alors fini de convaincre les plus
sceptiques : la Corse, tout particulière-
ment sa jeunesse, aspirait à la pleine lu-
mière quant aux circonstances effroya-
bles de ce décès ainsi qu’à une évolution
décisive sur le plan institutionnel.
La victoire aux régionales de 2015, obte-
nue au moment où la famille nationa-
liste se rassemblait, avait ouvert une
perspective, mais sans rien régler pour
autant, du moins en ce domaine. Il fallait
encore créer les conditions d’une avan-
cée, que les résultats électoraux et les
conquêtes, pourtant sans précédent,
n’avaient pu matérialiser.
Ce fut l’embrasement, au confluent
d’une exigence de vérité, d’une volonté
d’affirmation et d’une colère sociale,
puis l’ouverture de négociations ten-
dant, pour la première fois, à concrétiser
un objectif fort ancien.
L’autonomie, depuis les événements
d’Aléria, en 1975 [des affrontements vio-
lents entre gendarmes et militants auto-
nomistes], a emprunté bien des chemins,
et autant de vocables, au cours de notre
histoire contemporaine. Elle a surtout
cristallisé, au sein du courant nationaliste
d’abord, puis de la société corse, des es-
poirs de toute nature, jusqu’à incarner un
réel point d’équilibre. Elle apparaît, au
sens de la capacité à légiférer et à régle-
menter dans les grands secteurs de l’ac-
tion publique, à l’exception du régalien,
comme une évolution logique, au regard
des institutions en Méditerranée autant
que des injustices et des drames qui ont
jalonné notre existence.
Besoin d’une réponse massive
La visite annoncée du président de la
République dans l’île [du mercredi 27 au
vendredi 29 septembre] suscite ainsi de
nombreux commentaires, mais aussi,
et c’est à considérer avec prudence, pos-
tures ou surenchères. D’une évolution
présentée comme un « risque sépara-
tiste » à tant d’autres proses teintées
d’excès, rien ou presque, de la litanie des
incantations meurtries et des caricatu-
res, ne manque à l’appel. C’est pourtant
une évidence : des millions d’Euro-
péens, depuis des décennies pour la plu-
part, vivent sous ce statut de façon har-
monieuse, paisible, en déployant des
politiques adaptées et fécondes.
Le peuple corse, rappelons-le, l’a ex-
primé à près de 70 % lors de la consulta-
tion électorale la plus récente [les élec-
tions territoriales en 2021]. L’autonomie
sence de reconnaissance d’une langue et
d’une communauté particulières, s’ajoute
en effet, dans des proportions inédites,
une crise de société. Sous-développement
durable, vulnérabilité de l’économie et du
corps social, bouleversements démogra-
phiques, spéculation foncière et immobi-
lière, dérive mafieuse… Notre île est dure-
ment frappée, au surplus, par le fléau des
addictions, ou des conduites à risque, à re-
bours de certaines idées reçues.
Cette demande relève donc d’une né-
cessité. Elle traduit le caractère urgent
d’une réponse, massive et coordonnée,
aux difficultés structurelles et aux dé-
sordres. Elle est la solution aux problè-
mes du réel, du quotidien, en aucun cas
le réflexe partisan décrit par ses détrac-
teurs. C’est elle, en ces temps doulou-
reux, qui va nous permettre d’exprimer
une vision, un rapport singulier et sensi-
ble au monde, une trajectoire fondée sur
notre identité et ouverte sur l’autre, aux
antipodes du repli et des logiques de re-
jet. C’est elle, encore, qui va nous inscrire
dans une Corse de projets et d’entre-
prise, de façon pragmatique et agile.
C’est elle, enfin, qui va nous permettre
de tramer de nouveaux liens, comme
tous ces territoires qui cherchent, libre-
ment, les motifs de leur pérennité dans
un contexte mondialisé. Ils sont, et nous
devons l’être avec eux, plus réactifs, plus
efficients et profondément adaptatifs.
compromis doit
prévaloir. Entre
l’État et la Corse,
et entre les Corses
eux-mêmes
L’actuelle Collectivité de Corse, sclérosée
dans ses fonctionnements, doit par là
même évoluer. Centralisée, drastique-
ment limitée en matière de ressources
propres, elle a été conçue par le législa-
teur à travers le prisme d’une fusion,
bien plus que comme une institution
nouvelle et dynamique. En témoignent,
avec cruauté et parmi tant d’autres, les
dossiers des transports, des déchets ou
de la fiscalité. Elle favorise ainsi la con-
centration des pouvoirs et ses funestes
corollaires. Il faut donc, par le dialogue
et une ingénierie dédiée, imprimer un
changement de paradigme.
Le moment est venu
Pour solder des décennies de conflit et
construire une solution politique, le
compromis doit prévaloir. Entre l’Etat et
la Corse et, disons-le clairement, entre
les Corses eux-mêmes. J’ai, comme une
large majorité des élus de la Collectivité,
sentir dévalué. Le compromis nécessite
souvent plus de lucidité et de courage
que la poursuite du conflit.
Si l’idée d’une « autonomie pour la
Corse » cristallise nos affects, si elle con-
voque avec elle les rendez-vous man-
qués de l’histoire, ses tensions et blessu-
res, quoi de plus naturel, au fond ? Mais
prenons garde. Essayons, dans l’absolu
respect de nos convictions, de ne pas ra-
ter cette occasion. A nous, Corses, d’être
collectivement à la hauteur de l’enjeu. A
Paris de purger une longue période d’in-
compréhension, par ces gestes clairs et
audacieux qui nous conduiront à une
révision constitutionnelle et, in fine, à
la consultation populaire, garantie dé-
mocratique ultime.
A nous, ensemble, d’écrire cette page,
guidés par l’esprit de réforme et la
­volonté de paix. Nous le devons à
­l’histoire et, plus encore, à l’avenir de
nos enfants. p
Jean-Christophe Angelini est maire
Partitu di a Nazione Corsa (PNC)
de Porto-Vecchio (Corse-du-Sud), prési-
dent de la Communauté de communes
du Sud Corse et président du groupe
Avanzemu/PNC à l’Assemblée de Corse

Michel Barnier et Antoine Vermorel-Marques

Pour une politique environnementale européenne plus équilibrée
L’ancien ministre et le député (LR) regrettent que les récentes mesures adoptées par Bruxelles en faveur de l’interdiction des voitures thermiques
en 2035 et de la diminution de 50 % de l’usage des pesticides d’ici à 2030 donnent un caractère punitif aux orientations de l’Union

D
epuis 2019, les avancées
de l’Union européenne
(UE) en matière environ-
nementale ont été nom-
breuses. L’objectif de neutralité
carbone en 2050 est désormais
incontournable. L’objectif inter-
médiaire de 2030 est également
un bon moyen de faire converger
les Etats (réduction des gaz à effet
de serre de 55 %, et non plus de
40 %, par rapport à 1990).
La réforme du marché des quo-
tas de carbone de 2018 et le pilo-
tage efficace de ce marché ont
­notamment permis de faire pas-
ser la valeur du carbone de 5 euros
la tonne à 80 euros. Cette ré-
forme permet, enfin, d’appliquer
le principe pollueur-payeur. Les
10 000 plus grands centres indus-
triels de l’UE sont désormais inci-
tés à limiter leurs émissions de
carbone. De plus, des dizaines de
milliards d’euros, et non plus quel-
ques milliards, sont ainsi collectés
au profit de la transition énergéti-
que. Le marché des quotas vient
d’être étendu très opportunément
au secteur maritime. L’UE a égale-
ment acté la fin progressive des
quotas gratuits, des droits à pol-
luer qui étaient distribués aux
groupes industriels susceptibles
de se délocaliser hors d’Europe.
Toutes ces réformes vont dans
la bonne direction. La taxe car-
bone aux frontières de l’UE est
également une excellente initia-
tive, mais elle a malheureuse-
ment été vidée de son contenu.
Réclamée par la France depuis
une vingtaine d’années, cette taxe
aurait pu compléter utilement le
marché des quotas. Destinée à
lutter contre la concurrence dé-
loyale des industries hors UE qui
ne respectent pas les mêmes nor-
mes environnementales, la taxe
ne rapportera que 1 à 2 milliards
d’euros, un montant dérisoire au
regard des importations hors UE
en 2022, 3 000 milliards d’euros.
L’Europe n’aime décidément tou-
jours pas ce qui pourrait ressem-
bler à du protectionnisme.
Emballement technocratique
A ces mesures, indispensables, la
Commission vient d’ajouter beau-
coup d’autres mesures dont cer-
taines sont parfois contestables.
Dans certains cas, elles donnent
un caractère punitif très marqué à
la politique environnementale
européenne. La Commission a par
exemple proposé la création d’un
deuxième marché des quotas de
carbone couvrant non plus les in-
dustriels mais les ménages, cela
afin de taxer leurs émissions de
carbone (chauffage des bâtiments
et transports routiers). La taxation
des ménages pour leurs émis-
sions de carbone était jusqu’à
maintenant du ressort des Etats
(taxe sur le carburant).
Ce transfert de souveraineté n’a
été ni discuté ni même évoqué
avec nos concitoyens. Sont-ils
aujourd’hui au courant ? Certes,
la Commission s’est engagée à li-
miter cette taxe carbone à
45 euros la tonne jusqu’en 2030
(niveau actuel de la taxe natio-
nale) mais, au-delà de 2030, rien
n’interdit de propulser la taxe
vers 100 euros, voire beaucoup
plus. La Commission s’engage à
aider les ménages les plus vulné-
rables à travers le Fonds social
pour le climat, mais aucun critère
On ne retrouve
pas aux États-
Unis un tel flot
d’interdictions
et de taxes
dans tous les
domaines de la
vie quotidienne
de distribution n’a été évoqué.
On peut imaginer qu’il existe
dans certains pays européens des
ménages beaucoup plus à plain-
dre que les ménages français…
De très nombreuses mesures,
parfois spectaculaires, ont égale-
ment été annoncées récemment.
Cela peut donner l’impression
d’un emballement technocrati-
que. L’interdiction des voitures
thermiques en 2035, la réduction
des émissions de carbone des ca-
mions de 90 % d’ici à 2040, la di-
minution à hauteur de 50 % de
l’usage des pesticides d’ici à 2030,
les innombrables mesures por-
tant sur la « restauration de la na-
ture » pour au moins 20 % des su-
perficies terrestres et maritimes
de l’UE d’ici à 2030, toutes ces rè-
gles ont des conséquences parfois
considérables pour l’agriculture,
l’artisanat, l’industrie, le com-
merce et… nos concitoyens. Ces
conséquences ont-elles été suffi-
samment analysées, évaluées,
compensées ? On peut en douter.
Si certains Etats américains en-
visagent d’interdire, eux aussi, les
moteurs thermiques à partir de
2035, on ne retrouve pas outre-At-
lantique un tel flot d’interdictions
et de taxes dans tous les
­domaines de la vie quotidienne.
L’Amérique préfère utiliser l’arme
des subventions industrielles
pour inciter à produire écologique
plutôt que de punir l’industriel et
le consommateur. L’In­flation Re-
duction Act, d’un ­montant de
370 milliards de ­dollars (348 mil-
liards d’euros), et le Chips and
Science Act (aide complémentaire
à la recherche et investissements
dans les semi-conducteurs), d’un
montant de 280 milliards de dol-
lars, sont des outils spectaculaires.
L’objectif est clair : convaincre les
industriels européens qu’il vaut
mieux investir sur le continent
américain que sur le continent
européen. Leur politique est plus
incitative que punitive.
Financement de la recherche
De l’Europe ou des Etats-Unis, qui
a raison ? Il est naturellement
trop tôt pour le dire, mais l’enjeu
de ce débat est vertigineux. Le
continent qui se trompe le paiera
très cher. D’où l’intérêt d’avoir en
Europe une politique plus équili-
brée. Depuis toujours hostile au
protectionnisme et aux aides
d’Etat, deux politiques qui faus-
sent à ses yeux la concurrence,
l’UE ne doit pas s’interdire d’évo-
luer. Elle a commencé à le faire,
mais trop timidement.
Il faut laisser beaucoup plus de
liberté aux Etats dans l’attribution
des aides industrielles. Il faut leur
laisser plus de liberté dans les
choix des investissements afin de
mieux répondre à l’attente des
­citoyens de chaque pays (politi-
que en matière d’éoliennes, déve-
loppement agricole, etc.). Il faut
accélérer la mise en œuvre des
subventions de l’emprunt euro-
péen puisque plus du tiers de ces
subventions sont liées à la cause
climatique. La taxe carbone aux
frontières de l’UE doit être beau-
coup plus ambitieuse. En France,
la loi de programmation de la
­recherche est insuffisante (3 % du
PIB en faveur de la recherche
­publique et privée en 2030). Nous
consacrons actuellement 2,2 % de
notre PIB à la recherche publique
et privée contre 3,1 % en Allema-
gne et 3,5 % aux Etats-Unis. Il faut
atteindre 3 % bien avant 2030.
Pour cette raison, et pour bien
d’autres, il nous faut désormais
gérer plus efficacement nos dé-
penses publiques. p
Michel Barnier est ancien
ministre et commissaire
européen. Il est membre
du conseil stratégique du parti
Les Républicains (LR) ;
Antoine Vermorel-Marques
est député (LR) de la Loire
 0123
30 | Idées ­
­Mercredi 27­ septembre 2023

Cynthia Miller-Idriss Aux Etats-Unis,

les discours clivants des mouvements politiques
radicaux et des élus attisent les violences
Alors que l’on compte déjà près de cinq cents fusillades toriques aux Etats-Unis et les chiffres des
crimes ­haineux flambent dans presque
de masse dans le pays en 2023, la sociologue alerte toutes les catégories.
sur la montée des violences politiques et Le fait que les Américains soient si lour-
antidémocratiques, notamment d’individus isolés
dement armés n’aide pas. Pendant la pan-
démie, ils ont acheté quelque
soixante millions d’armes à feu et accu-
mulé des munitions au point de provo-
il ne faut pas grand-chose pour qu’un in-
dividu radicalisé et déterminé commette
l’irréparable – en particulier s’il peut faci-
lement se procurer des armes de guerre.
Les États-Unis La bonne nouvelle, c’est que l’être hu-
main peut apprendre à reconnaître ce
sont devenus type de propagande, de désinformation
et de contenus manipulateurs en ligne
une poudrière où

D
ébut septembre, Enrique Tarrio, an-
cien chef des Proud Boys, a été
­condamné à vingt-deux ans de pri-
son. Il écope de la plus longue peine
prononcée à ce jour à l’encontre des mille
cent personnes arrêtées dans le cadre de
l’attaque du ­Capitole du 6 janvier 2021.
Son procès, ainsi que ceux de plusieurs
leaders de groupes extrémistes poursui-
vis pour « conspiration séditieuse » – une
accusation aussi rare que grave –, a cap-
tivé l’attention du public américain. Tou-
jours est-il que, en fait de violence politi-
que aux Etats-Unis, ces groupes extrémis-
tes organisés ne constituent que la partie
émergée de l’iceberg.
On accorde beaucoup moins d’atten-
tion à ce qui est sans doute une bien plus
grande menace : la violence d’individus
­radicalisés sans lien avec ces groupes.
Dans leur immense majorité, les tueries
de masse motivées par des idées supré-
macistes et antigouvernement sont en
effet ­commises par des assaillants isolés,
du moins depuis l’attentat à la bombe
d’Oklahoma City, qui a fait 168 morts
en 1995. Ce type de violence continue de
gagner du terrain et ne montre aucun si-
gne d’affaiblissement, et ce alors que les
Etats-Unis s’apprêtent à entrer dans une
fiévreuse année de campagne en amont
des présidentielles de 2024.
La violence antidémocratique contre
des employés de la fonction publique,
des élus ainsi que des membres du per-
sonnel ­électoral grimpe en flèche. Au
mois d’août, dans l’Utah, des agents du
FBI ont abattu un homme armé qui
aurait proféré des menaces contre le pré-
sident Biden, peu avant sa visite dans
l’Etat. Dix jours plus tard, une femme a
été accusée d’avoir intentionnellement
fait de fausses déclarations dans le but
d’acheter des armes à feu pour son fils de
30 ans, atteint de troubles mentaux, qui
avait par le passé été arrêté pour avoir
menacé en ligne d’assassiner Joe Biden.
« Seconde guerre civile »
Du jour au lendemain, des personnes or-
dinaires sont la cible de graves menaces
après avoir été membres d’un bureau de
vote ou d’un conseil scolaire. Aux Etats-
Unis, une dizaine de personnes ont été
accusées d’avoir proféré des menaces
contre du personnel électoral – entre
autres, un homme de l’Iowa a menacé de
« lyncher » et de « pendre » un membre
du personnel électoral de l’Arizona, et,
au Texas, un homme a appelé à une « fu-
sillade de masse » contre les membres
des bureaux de vote et le personnel élec-
toral en général.
Il n’y a pas que les acteurs politiques qui
soient confrontés à ce type de menaces.
La violence ­haineuse visant les minorités
est également en hausse. Les incidents
antisémites atteignent des sommets his-
quer des ruptures de stock. Globalement,
les ventes d’armes à feu ont doublé par
rapport à leur niveau d’il y a vingt ans, et
aujourd’hui, plus de quatre cents millions
d’armes à feu circulent aux Etats-Unis.
La plupart des Américains qui détien-
nent des armes disent que leur but est de
se défendre. Cela dit, certains sont moti-
vés par leurs convictions politiques, mais
aussi par de la propagande et de fausses
informations sur le ­contrôle des armes,
ou encore par leur souhait de défendre la
stabilité de la société et de l’Etat de droit.
En réaction à la saga ­judiciaire de Trump,
plusieurs partisans de l’ancien président
américain parlent d’acheter des armes en
vue d’une « seconde guerre civile ». Que
les motifs des violences soient politiques
ou non, toutes ces armes font des rava-
ges. En 2023, on compte déjà près de cinq
cents fusillades de masse dans le pays.
Les discours clivants des mouvements
politiques radicaux et des élus attisent
également les violences. Par exemple,
alors que, en 2023, des centaines de lois
anti-LGBTQ+ ont été introduites dans
des Etats des quatre coins du pays, les
menaces contre cette communauté sont
à la hausse. Des hôpitaux qui dispensent
des soins spécifiques aux minorités
sexuelles, notamment, ont été menacés
d’attentats à la bombe. Les conflits vio-
lents ou les propos menaçants se multi-
plient lors des réunions de conseils
d’établissements scolaires, dans les
il est à tout moment
possible qu’un
individu radicalisé
passe à l’acte
­ ibliothèques et dans les librairies jeu-
b doivent comprendre que des mesures
nesse lorsque sont abordées les ques-
tions du genre et de la sexualité dans
l’enseignement. C’est également le cas
lors d’événements comme les lectures
de contes par des drag-queens.
Alors qu’un tiers des Américains est en-
core convaincu que les élections de 2020
étaient frauduleuses, avec une popula-
tion en colère et armée jusqu’aux dents,
les Etats-Unis sont devenus une pou-
drière où il est à tout moment possible
qu’un individu radicalisé passe à l’acte.
Un changement de mentalité
Cela ne signifie pas qu’un autre 6 janvier
se profile à l’horizon. Ces dernières an-
nées, une vague de condamnations
exemplaires, de peines de plusieurs an-
nées de prison et de faillites a contribué à
saper le pouvoir des groupes supréma-
cistes blancs et des milices illégales, ré-
duisant la probabilité que des conspira-
tions organisées et complots coordon-
nés débouchent sur des violences. Mais
qui alimentent les violences politiques
et haineuses. Mais, pour parvenir à ce ré-
sultat, il faut investir bien plus tôt et bien
plus en amont. Il faut faire de cet ensei-
gnement un élément fondamental de
l’éducation civique et politique de tous,
tout au long de la vie.
La prévention de la violence politique
aux Etats-Unis nécessite un change-
ment de mentalité des Américains : ils
de défense seules n’amélioreront jamais
leur sécurité. Nous devons cultiver la dé-
mocratie américaine en enseignant les
valeurs que nous partageons, et pas seu-
lement en nous barricadant toujours
plus derrière nos portes. L’échec des
Etats-Unis sur ce point doit être une
­leçon pour le monde entier. p
Traduit de l’anglais par
Valentine Morizot
Cynthia Miller-Idriss est professeure
de sociologie et d’éducation à l’Ameri-
can University de Washington et autrice
de « The Extreme Gone Mainstream.
Commercialization and Far Right Youth
­Culture in Germany » (Princeton Univer-
sity Press, 2018) et de « Hate in the Ho-
meland. The New Global Far Right »
(Princeton University Press, 2020)

Kamel El Hilali et Jean-Pierre Mignard Face aux catastrophes

climatiques en Méditerranée, le seul remède est la coopération
Le chercheur et l’avocat proposent que les pays du bassin méditerranéen signent
une convention pour faciliter les interventions rapides des équipes en cas de catastrophes naturelles

S
éismes au Maroc et en Tur-
quie. Incendies à répéti-
tion en Espagne, en France,
en Grèce, en Turquie, au
Maroc. Inondations en Bulgarie,
en Grèce, en Turquie, et à présent
en Libye. Eboulement en France.
Les pays du bassin méditerra-
néen subissent avec une particu-
lière intensité les conséquences
du réchauffement climatique.
Pourtant, à chaque épisode, et
alors que les premières heures
sont cruciales pour le sauvetage
des victimes et la préservation
de l’environnement, les autorités
nationales se retrouvent à inter-
venir en autonomie face à des
phénomènes dont l’ampleur dé-
passe largement leur capacité
de prise en charge. La solidarité
des pays voisins, souvent propo-
sée, n’intervient que tardive-
ment, si tant est qu’elle soit ac-
ceptée, ce qui est un obstacle
supplémentaire.
On observe régulièrement que
le matériel manque cruellement
pour lutter contre les incendies,
porter secours aux habitants en
danger et assurer le retour à une
situation sous ­contrôle des auto-
rités nationales. Cet été, l’Espa-
gne et la France n’ont pas disposé
de suffisamment de Canadair
pour éteindre les incendies et
ont accepté de sacrifier des hec-
tares de forêts pour contenir la
propagation des feux. De même,
la Turquie et le Maroc ont man-
qué de matériel et de personnel
formé aux risques sismiques,
avec les terribles pertes humai-
nes que cela entraîne. Il en va de
même en Bulgarie, en Grèce et
en Libye, où le cyclone Daniel a
emporté des vies après son pas-
sage et faute de matériel de dé-
blaiement et de secours.
Les catastrophes climatiques à
­répétition vont éprouver les po-
pulations, les secouristes, les fi-
nances publiques et la confiance
envers les ­gouvernants. Cepen-
dant, le seul remède à la démobi-
lisation et à la désolation de-
meure la coopération. Il est
plus que temps de l’organiser et
de soustraire la réponse aux ca-
tastrophes des contingences de
Ce mécanisme
inédit doit
permettre
de mutualiser
l’achat de
matériel
d’intervention
nature politique qui en pertur-
bent le cours.
Alors, nous proposons aux pays
du bassin méditerranéen de si-
gner une convention de coopéra-
tion et d’assistance pour amélio-
rer la réponse aux phénomènes
climatiques de grande ampleur.
Idéalement, cette convention
réunirait l’ensemble des pays de
la région qui y ont tous un intérêt
­manifeste. Cependant, nous pou-
vons sans attendre espérer qu’un
groupe de pays, au rang desquels
sept Etats – la France, l’Espagne, le
Portugal, l’Italie, le Maroc, l’Algé-
rie et la Tunisie –, prenne le lea-
dership de cette initiative et joue
un rôle moteur.
Concrètement, ce mécanisme
inédit doit permettre, par exem-
ple à travers la création d’un
fonds de dotation, de mutualiser
l’achat de matériel d’interven-
tion (Canadair, hélicoptères, en-
gins de déblaiement, robots, ma-
tériel médical, denrées de pre-
mière nécessité) stocké dans des
hubs localisés, dans les ports ou
les aéroports du pourtour médi-
terranéen, afin de faciliter les in-
terventions rapides des équipes,
le sauvetage des populations
touchées et la préservation de
l’environnement (en cas d’incen-
die de forêt).
Naturellement, la coordina-
tion des équipes de sauvetage
jouera un rôle essentiel dans ce
mécanisme. Il faudra ici comp-
ter sur les protocoles existants et
l’appui déterminant des ONG
pour assurer une communica-
tion plus efficace. Une plate-
forme en ligne pourrait ainsi
être créée afin de ­centraliser les
informations (matériel néces-
saire à l’intervention, zone géo-
graphique sinistrée, contact…) et
d’améliorer leur diffusion
auprès des professionnels en
fonction de leur spécialité.
Limiter le coût
Ce mécanisme favorisera la
montée en compétences des
équipes d’intervention mobiles.
Si l’on peut compter sur l’enga-
gement de la société civile, l’ef-
fort financier doit avant tout re-
poser sur les Etats, qui disposent
de moyens considérables,
d’agents capables d’assurer la
gestion continue de ce système
et d’un intérêt réel à le maintenir
au meilleur niveau. La constitu-
tion d’un tel réseau profitera di-
rectement aux Etats et aux po-
pulations qui accueillent ces
hubs. Il ne s’agit pas de se priver
de matériel, mais d’en mutuali-
ser l’usage afin de limiter le coût
des matériels les plus chers (héli-
coptères, Canadair, machines de
déblaiement…).
Un tel mécanisme pourra être
reproduit dans d’autres régions
du monde confrontées aux mê-
mes enjeux. A terme, les partages
de bonnes pratiques permettront
aux populations et aux Etats de
mieux ­anticiper et répondre au
défi de notre époque, et de se pro-
téger de leurs ­divergences sur
d’autres causes. Seul doit comp-
ter le secours dû aux sinistrés. p
Kamel El Hilali, docteur en
droit public à l’université Paris
Panthéon-­Assas, chercheur as-
socié à l’Information Society
Project de la Yale Law School ;
Jean-Pierre Mignard,
avocat, associé et fondateur
de la société Lysias Partners,
docteur en droit pénal
et maître de conférences
à Sciences Po Paris
0123
­
­Mercredi 27­ septembre 2023 Idées | 31

Raphaël Maurel Le décret sur la vidéoprotection

prévue lors des JO ouvre la porte aux dérives
Le décret relatif aux Jeux olympiques de l’éthique du numérique comme des li-
bertés publiques. La liste des événements
et paralympiques a validé la détection d’une prédéterminés que les traitements algo-
« densité trop importante de personnes » par rithmiques peuvent avoir pour mission
de détecter, en ce qu’ils sont susceptibles
les traitements algorithmiques, en dépit des risques de créer un risque terroriste ou d’atteinte
pour les libertés publiques, s’alarme le juriste grave à la sécurité, est édifiante. On n’y
trouve pas moins de huit « événements » :
présence d’objets abandonnés, présence
tielle de la détection de l’utilisation d’ar-
mes à feu, de départs de feux ou de per-
sonnes blessées au sol. Le « non-respect
par une personne ou un véhicule du sens
de circulation commun » est cependant
un sujet de vigilance. Qu’un véhicule rou-
lant à contresens puisse faire l’objet d’une
détection automatique est une chose. La
détection d’un individu – qui peut être un
que. Ces dérives seront certes contestées
devant le juge, mais le mal sera fait.
L’autocensure des citoyens, restreignant
par eux-mêmes leur propre liberté de cir-
culation et d’attroupement par habitude
ou crainte d’être identifié par un système
d’intelligence artificielle, est un phéno-
mène documenté que l’on ne peut, dans
nos sociétés démocratiques, ignorer.

L
e très attendu décret d’application
de la loi du 19 mai 2023 relative aux
Jeux olympiques et paralympiques
de 2024 est paru le 30 août. Le con-
tenu de ce texte, qui encadre le contesté
traitement algorithmique des images de
vidéoprotection acté par la loi, pose
question, au point qu’une réécriture est
hautement souhaitable.
Le décret ne pouvait que retranscrire les
limites de cette loi, qui autorise à titre ex-
périmental le traitement algorithmique
des images collectées au moyen de systè-
mes de vidéoprotection. Premier pas vers
une société de surveillance par intelli-
gence artificielle, cette loi devait fixer des
garde-fous pour éviter la dérive vers la
­fameuse « notation sociale » qui sévit
­notamment en Chine, et menace nos
­démocraties avides de sécurité.
Alors que les experts n’ont eu de cesse
d’alerter – dans une quasi-unanimité re-
marquable – sur les biais algorithmi-
ques, sur l’impossibilité de revenir en ar-
rière une fois ces technologies déployées
ou encore sur l’absence d’étude démon-
trant clairement l’efficacité de ces dispo-
sitifs coûteux, le Parlement, mené par
une majorité inquiète, a adopté un texte
peu rassurant pour les défenseurs des li-
bertés publiques. La temporalité de la loi,
que reprend son décret d’application, té-
moigne à elle seule des risques d’exten-
sion de ces dispositifs techno-sécuritai-
res : alors que les Jeux olympiques et pa-
ralympiques ne s’étendront pas au-delà
de l’année 2024, l’expérimentation
pourra, de manière peu compréhensible,
avoir lieu jusqu’au 31 mars 2025.
Manque cruel de précision
Après des débats houleux au Parlement,
le décret se veut rassurant. Les traite-
ments algorithmiques des données de vi-
déoprotection « se bornent à signaler en
temps réel » un certain nombre d’événe-
ments prédéterminés, en vue d’une con-
firmation par des agents chargés de vi-
sionner les images. Surtout, ils n’utilisent
aucun système d’identification biométri-
que ni de reconnaissance faciale, « ne
peuvent procéder à aucun rapprochement
(…) avec d’autres traitements de données »
et ne peuvent fonder par eux-mêmes une
quelconque décision. L’objet exclusif de
ces traitements reste de détecter des évé-
nements « susceptibles de présenter ou de
révéler un risque d’acte de terrorisme ou
d’atteinte grave à la sécurité des person-
nes », ce qui paraît raisonnable.
La lecture de l’article 3 du décret ne
peut, cependant, qu’alarmer les experts
ou utilisation d’armes, non-respect par
une personne ou un véhicule du sens de
circulation commun, franchissement ou
présence d’une personne ou d’un véhi-
cule dans une zone interdite ou sensible,
présence d’une personne au sol à la
suite d’une chute, mouvement de foule,
densité trop importante de personnes,
départs de feux.
Au sein de cette liste, nul ne contestera
l’intérêt, l’utilité ni l’importance poten-
La détection
automatique d’un
véhicule roulant
à contresens
est une chose.
Celle d’un individu
marchant en sens
inverse d’une file
en est une autre
enfant – marchant en sens inverse d’une
file ou du « sens de circulation commun »
en est une autre, d’autant que la détermi-
nation de la norme prescrivant le « sens
de circulation » sera malaisée… voire su-
jette à l’arbitraire. Ici, le décret manque
cruellement de précision et il est à crain-
dre que son application soit hasardeuse.
Autocensure des citoyens
La détection d’une « densité trop impor-
tante de personnes » laisse, pour sa part,
perplexe. Qui définit le seuil à partir du-
quel la densité est « trop importante »
dans l’espace public, alors même que ce-
lui-ci n’est pas soumis à une quelconque
jauge ? Cette expression particulière-
ment floue ne désigne pas une infrac-
tion dans l’espace public. Sauf en temps
de pandémie.
Si l’on comprend la volonté d’anticiper
des mouvements de foule – qui fait l’ob-
jet d’un autre « événement » –, la détec-
tion automatique d’une densité « trop
importante de personnes » ouvre ainsi la
porte à toutes sortes de dérives adminis-
tratives difficilement contrôlables. De-
main, on imagine aisément l’autorité lo-
cale user, au nom de la sécurité publique,
de ses pouvoirs de police administrative
pour disperser tout attroupement sus-
ceptible de constituer un risque quelcon-
Les événements sportifs mondiaux ont
toujours été l’occasion d’adopter des dis-
positifs renforçant le droit commun. Le
traitement algorithmique de la vidéo-
protection est cependant une boîte de
Pandore qu’il n’aurait certainement pas
fallu ouvrir. Faute d’une nouvelle loi res-
treignant la portée de l’expérimentation,
la réécriture du décret pour en corriger
les imprécisions manifestes, et éviter
ainsi des dérives prévisibles, est au mini-
mum une nécessité.
Surtout, l’opinion publique doit impé-
rativement se saisir de ces enjeux, qui ne
peuvent être réduits à des débats techni-
ques sur les capacités exactes des traite-
ments algorithmiques. Ce n’est qu’en re-
plaçant le citoyen au cœur du débat sur
la numérisation de notre société, y com-
pris – mais pas exclusivement – sur le vo-
let sécuritaire, que la démocratie sortira
grandie de ces évolutions technologi-
ques par ailleurs remarquables. p
Raphaël Maurel est secrétaire
général de l’Observatoire de l’éthique
publique et maître de conférences en
droit public à l’université de Bourgogne

Pierre-Vladimir Ennezat et Guillaume Sarre Coca-Cola sponsorise

les Jeux de 2024 et le Comité d’organisation n’y voit rien à redire
Les deux médecins déplorent que la firme américaine soit le sponsor majeur d’un événement sportif mondial, ce choix dénotant
une absence de stratégie cohérente pour prévenir la pandémie meurtrière des pathologies causées par les boissons sucrées

P
lus vite, plus haut, plus
fort ». La devise de l’olym-
pisme pourrait se parer
d’autres superlatifs, par
exemple « plus grandiose », inhé-
rents à l’organisation des Jeux
olympiques (JO). Ces principes en
appellent un autre : « plus cher ».
Et l’on se rend bien compte que,
pour financer un tel gigantisme,
il est nécessaire de se mettre en
chasse de budgets supplémentai-
res. La présence de Coca-Cola
parmi les sponsors majeurs de
l’événement s’inscrit dans ce ca-
dre. Elle est aussi symptomatique
de l’absence de changement de
paradigme en matière de ré-
flexion sur la ­politique de santé
de nos concitoyens, mais aussi
sur notre environnement.
Parrain officiel du relais de la
flamme, Coca-Cola a également
obtenu le privilège d’avoir son
image jouxtant celle des porteurs
du flambeau. La multinationale
est une nouvelle fois associée à
l’idéal d’un esprit sain dans un
corps sain, visant ainsi à être assi-
milée, dans l’esprit du grand pu-
blic, à une boisson pour sportifs.
Pourtant, l’organisation des JO
en France était une belle occa-
sion pour promouvoir la santé et
réduire nos dépenses de soins
abyssales. Malheureusement, le
choix de Coca-Cola comme
sponsor n’incite pas à l’opti-
misme. Car il est bien docu-
menté que la consommation de
boissons sucrées (jus de fruits et
sodas) provoque un dérègle-
ment métabolique contribuant
largement à une pandémie
meurtrière et silencieuse : celle
des maladies chroniques dites
« non transmissibles ».
Elles se nomment obésité, dys-
lipidémie, diabète, stéatose hé-
patique non alcoolique (appelée
NASH), hypertension artérielle.
Elles font le lit de nombreuses
complications, comme les
­infarctus du myocarde, les acci-
dents vasculaires cérébraux,
mais aussi l’insuffisance cardia-
que, les apnées du sommeil, les
maladies rénales, les cancers
ou l’arthrose. La NASH est même
devenue la première cause de
cirrhose et de cancer du foie
aux Etats-Unis.
Surcroît de pollution
Les sodas sont également un
fléau pour la denture en favori-
sant l’érosion de l’émail et les ca-
ries. Contrairement aux idées re-
çues, les boissons estampillées
« Light » ou « Zéro » altèrent la ré-
gulation de la satiété et sont asso-
ciées à un risque accru de trou-
bles métaboliques et de maladies
cardio-vasculaires. Récemment,
l’Organisation mondiale de la
santé a enfin déconseillé la con-
sommation des édulcorants.
Toutes ces pathologies ont
pour point commun d’être plus
faciles et moins coûteuses à pré-
venir qu’à traiter, avec des mesu-
res très simples : moins de su-
cres, moins d’aliments transfor-
més, de l’activité physique. Il est
donc aisé de comprendre qu’une
stratégie cohérente de préven-
tion de ces pathologies doit repo-
ser sur des messages simples vi-
sant à dissuader la consomma-
tion de tels produits. Ces
messages sont constamment pa-
rasités par la communication ta-
pageuse de ces entreprises,
comme Coca-Cola, qui vendent
des risques et produisent des
maladies (Jean-David Zeitoun,
Le Suicide de l’espèce, Denoël,
256 pages, 20 euros).
Le Comité d’organisation des
JO a décidé de fermer les yeux
sur ce sponsoring toxique, pour
Les surcoûts
de soins dus à la
consommation
de sodas seront
bien supérieurs
au financement
apporté par
Coca-Cola
les rouvrir sur l’argent récupéré.
En échange d’un chèque, Coca-
Cola va déployer sa straté-
gie marketing aboutissant à da-
vantage de maladies et, in fine,
de handicaps.
Ces années de vie en bonne
santé perdues provoqueront des
surcoûts de soins, lesquels seront
bien évidemment supérieurs au
financement apporté par le spon-
sor et inévitablement répercutés
sur la solidarité nationale. Le
­politique tenait une belle occa-
sion de faire de substantielles
économies de santé, tout en dé-
montrant son volontarisme à en-
gager le pays dans une réelle
transition vers un modèle de so-
ciété plus vertueux.
Parmi les composantes de ce
modèle sociétal, l’impact environ-
nemental en lien avec la fabrica-
tion des boissons sucrées ne doit
pas être négligé. Les opérations
éphémères de greenwashing de
Coca-Cola, telle la promotion des
gobelets recyclables, ne permet-
tront pas de compenser la pollu-
tion mondiale à laquelle il parti-
cipe largement. On peut tabler sur
la fabrication accrue de plusieurs
centaines de millions de canettes,
gobelets et bouteilles.
En parallèle, le prélèvement
quotidien par Coca-Cola des
750 000 litres d’eau de la nappe
phréatique de San Cristobal né-
cessaires à la production de la
boisson provoque une raréfac-
tion de l’eau dans cette région du
Mexique. Le coût de l’eau pota-
ble, supérieur à celui du Coca-
Cola, aboutit à une surconsom-
mation de sodas dans le pays, qui
détient le record de surpoids
(75 % de la population adulte et
un enfant sur trois) et de diabète
(un adulte sur sept). Ce type de re-
cord n’est pas homologué par le
Comité international olympique
(CIO). C’est bien dommage.
Urgence à taxer la junk food
Le libéralisme politique invo-
quera la responsabilité indivi-
duelle pour se dédouaner de
son rôle de garde-fou face à
l’omniprésence publicitaire de
ce ­partenaire privilégié du CIO.
Or, la liberté de choisir de ne
pas consommer ces boissons
diabétogènes et addictives dé-
pend de l’information délivrée
au consommateur. Le citoyen
piégé, abandonné par le politi-
que, devient une proie dont les
choix sont orientés pour servir
non pas son intérêt mais celui
de l’entreprise.
Cette logique va parfois très
loin, comme en Ouganda, où des
panneaux publicitaires sont éri-
gés à l’entrée des écoles, ou aux
Etats-Unis, où des sociétés médi-
cales savantes (American College
of Cardiology) reçoivent des fi-
nancements de Coca-Cola. Pis, les
distributeurs de sodas franchis-
sent les murs de nos hôpitaux. Il
est donc urgent de mettre en
place une taxation dissuasive de
la junk food afin d’endiguer le
tsunami de maladies chroniques
qui met en péril notre système de
soins, tout en supprimant les
taxes imposées à l’eau et aux pro-
duits alimentaires sains. Une
campagne publicitaire incitant à
ne pas consommer sodas et jus
de fruits devrait être financée par
le ministère de la santé.
Entre 2020 et 2022, des mesures
inédites étaient édictées par le
politique pour enrayer la morta-
lité en lien avec le Covid-19. Obé-
sité et maladies chroniques
étaient rapidement identifiées
comme facteurs de risque de for-
mes graves et de décès par infec-
tion par le SARS-CoV-2. En 2023,
au nom de la croissance écono-
mique, nous assistons à un aban-
don des ambitions en matière de
santé publique et d’écologie. En-
fin, aucun sportif de haut niveau
ne s’abreuve de sodas ou de jus
de fruits et l’on ne peut que dé-
plorer leur silence. p
Pierre-Vladimir Ennezat est
médecin des hôpitaux au CHU
Henri-Mondor-AP-HP, à Créteil
Guillaume Sarre est médecin
du sport à Grenoble
 0123
32 | Idées ­
­Mercredi 27­ septembre 2023

Xi Jinping, confronté à ses erreurs de casting dans l’armée chinoise

Analyse ciety Policy Institute et auteur de Daring to
Struggle. China’s Global Ambitions under Xi
poste, ­supervisé l’acquisition de matériel
russe, il était d’ailleurs placé sous sanction
autorité sur ce vaste empire qu’est l’APL », en
conclut Bates Gill.

D
Signes de la toute-
puissance de Xi ou
aveu de faiblesse,
les mouvements
en cours
au sein de l’Armée
populaire de
libération divisent
les experts
ix ans après son arrivée au pou-
voir, Xi Jinping contrôle-t-il réel-
lement l’Armée populaire de li-
bération (APL) ? Le remplace-
ment, fin juillet, des deux généraux qui diri-
geaient la force missilière et la disparition,
depuis le 29 août, du ministre de la défense,
Li Shangfu, conduisent à s’interroger.
Pourtant, depuis une décennie, les médias
chinois répètent systématiquement que Xi
occupe trois fonctions : il est secrétaire géné-
ral du Parti communiste chinois, président de
la République, mais aussi président de la
Commission militaire centrale (CMC). C’est
cet organisme qui dirige l’APL, bien plus que le
ministère de la défense, qui a surtout un rôle
de représentation à l’égard de l’étranger. Dans
le système chinois, l’armée dépend du Parti
communiste, et non de l’Etat. Si Li Shangfu est
l’un des sept membres de la CMC, il n’en est
même pas l’un des deux vice-présidents.
Quand Xi arrive au pouvoir, en octo-
bre 2012, l’APL est une pétaudière. « Dans les
années 1990 et 2000 (…), l’APL dérivait et deve-
nait plus indépendante et dépolitisée. La cor-
ruption et les malversations – mises en œuvre
à travers la gestion de bars, de maisons de
passe, d’entreprises de transport, le détourne-
ment de fonds et de ressources, la vente de
promotions hiérarchiques – étaient répan-
dues dans les rangs et avaient même atteint le
sommet », écrit Bates Gill, directeur du Cen-
tre d’analyse de la Chine au sein de l’Asia So-
Jinping (« Oser combattre. Les ambitions
mondiales de la Chine sous Xi Jinping », Ox-
ford University Press, 2022, non traduit).
Nombreuses sanctions disciplinaires
Dès 2014, Xi Jinping fait arrêter deux géné-
raux, Xu Caihou et Guo Boxiong, vice-prési-
dents de la CMC, que lui-même préside alors
depuis deux ans. Au total, quelque
13 000 militaires ont fait, ces dix dernières
années, l’objet de sanctions disciplinaires,
dont plus de 70 officiers généraux et une
douzaine de généraux. Parallèlement, Xi
réorganise l’armée en profondeur pour cas-
ser les baronnies et remettre la Commission
militaire au centre du dispositif. S’il donne
davantage de moyens à l’armée, il en réduit
les effectifs de 300 000 personnes « pour que
la force active soit maintenue à 2 millions »
d’hommes. Autant de remises en cause de
rentes de situation qui ne lui valent pas que
des amis au sein de l’armée.
Mais les événements de cet été semblent
indiquer que la réorganisation est loin d’être
terminée. Selon Washington, une enquête
aurait été lancée contre Li Shangfu,
­soupçonné de corruption. Avant d’être mi-
nistre, Li Shangfu, ingénieur de formation, a
été l’un des pères du programme spatial
­chinois. En 2017, il a été nommé à la tête du
département développement de l’équipe-
ment de la CMC. Une sorte de superdirec-
teur des achats de l’armée. Pour avoir, à ce
par les Etats-Unis.
Or, fin juillet, la Commission centrale
d’inspection disciplinaire a lancé une en-
quête sur la corruption au sein de ce dépar-
tement, précisant qu’elle remonterait jus-
qu’en 2017. Se pourrait-il qu’elle enquête éga-
lement sur les années antérieures à 2017 ? Le
prédécesseur de Li n’était autre que Zhang
Youxia, un général qui, malgré ses 73 ans, a
été maintenu par Xi à la vice-présidence de
la CMC. Il est en fait le militaire le plus puis-
sant du pays, le véritable trait d’union entre
Xi et l’armée. Si Zhang était à son tour accusé
de corruption, ce serait un séisme dans l’ar-
mée. Or, Zhang, lui, n’est pas réapparu en pu-
blic depuis le 8 septembre. D’où également
des rumeurs le concernant.
Corruption persistante
Les interrogations sont d’autant plus vives
que, dans le même temps, Xi a décapité la
très stratégique force missilière pour nom-
mer à sa tête deux généraux provenant de
l’extérieur : l’un est issu de la marine, l’autre
de l’aviation. Si, durant les premières années
du règne de Xi, les sanctions pouvaient en
partie s’expliquer par des critères politiques,
ce n’est plus le cas. Les hommes aujourd’hui
mis en cause ont été nommés par Xi
­lui-même. « Il semble que, malgré les efforts
de Xi pour nettoyer l’APL, la corruption reste
un problème persistant. En ce sens, il faut s’in-
terroger sur la capacité de Xi à exercer son
Mais est-ce uniquement un problème de
corruption ? « Vu la stature de Li Shangfu et
son expertise dans un domaine stratégique
pour la Chine aujourd’hui [le domaine spa-
tial], on comprend mal sa mise à l’écart s’il ne
s’agit “que” de corruption. De même, la force
missilière étant la force la plus stratégique de
l’APL, décapiter son commandement et nom-
mer des officiers qui n’y ont jamais servi indi-
que bien davantage une dissension politique et
la mise à l’écart de “brebis galeuses” », analyse
Marc Julienne, responsable Chine à l’Institut
français des relations internationales. « Plu-
sieurs noms dans la liste des disparus – outre
Zhang Youxia, Liu Yazhou [ex-commandant
de la force des missiles] et Li Yuchao [ex-com-
missaire politique à l’université nationale de
la défense]– ne sont pas très enthousiastes à
l’idée d’une campagne militaire contre
Taïwan », décrypte le sinologue canadien
Alex Payette dans la revue en ligne Asialyst.
Signes de la toute-puissance de Xi pour les
uns, aveu de faiblesse pour les autres, les
mouvements en cours au sein de l’Armée
populaire de libération divisent les experts.
Mais, dans tous les cas, ils montrent que Xi
Jinping a commis des erreurs dans les nomi-
nations qu’il a lui-même effectuées ou au
moins validées et que nul, même parmi
ses proches, ne peut plus se sentir à l’abri
d’une soudaine disgrâce. p
Frédéric Lemaître
(Pékin, correspondant)

Chronique | par Frédéric Lemaître Les ressorts du déni climatique

N’enterrons pas Livre losophe pose aussi les limites de
son écologie politique. Il réfute le
Contre l’« incurie séculaire » des
humains, l’auteur salue le rôle

la Chine trop vite ! L’ accélération du dérègle-

ment climatique est loin
de signer la fin du déni
­climatique. Il est plutôt, clame le
philosophe Dominique Bourg, le
terme d’« islamophobie », s’in-
surge contre la morale végane
mais aussi contre « l’étrange
­retour d’une gauche prompte à
sécher le sang des dictateurs », en
d’une science désormais déliée
du primat du progrès technique.
Ecartant l’idée d’une « dictature
verte », il constate cependant que
les démocraties sont « coincées »

D’ importants promoteurs
immobiliers en défaut de
paiement, des collectivités
locales surendettées, un chômage des
jeunes urbains officiellement supé-
rieur à 21 %… L’économie chinoise a,
de toute évidence, connu des jours
meilleurs. Pourtant en déduire que
rien ne va plus dans l’empire du Mi-
lieu et que celui-ci est au bord de l’ef-
fondrement paraît largement exces-
sif. N’enterrons pas la Chine trop vite.
Au quotidien, la crise est même lar-
gement invisible. A Pékin comme
dans les grandes villes de province,
les consommateurs ne semblent
bouder ni les restaurants ni les cen-
tres ­commerciaux. Trouver des
billets de train à l’occasion des congés
accordés pour la fête de mi-automne
(le 29 septembre) n’a rien d’évident.
En dépit du nationalisme ambiant et
du lancement, trois semaines aupara-
vant, du nouveau téléphone portable
de Huawei, le Mate 60 Pro, les Chinois
se sont rués dans les boutiques Apple,
vendredi 22 septembre, pour acheter
le nouvel iPhone 15. Pourtant, la ver-
sion Pro Max coûte la coquette
somme de 9 999 yuans (environ
1 287 euros), soit environ deux mois
de salaire d’une femme de ménage
ou d’un coursier. Malgré tout, pas
moins de 25 000 appareils se sont
vendus en ligne dans les dix minutes
qui ont suivi l’ouverture des
­commandes, le 15 septembre.
Pas de désinvestissement massif
Bref, si la Chine ne va pas très bien,
nombre de Chinois ne vont pas mal
du tout. La plupart des économistes, y
compris américains, continuent de
prévoir une croissance d’au moins
5 % cette année. Et, comme la popula-
tion a tendance à diminuer, le PIB par
habitant va encore progresser davan-
tage. Alors que leur taux d’épargne
était déjà l’un des plus élevés au
monde, les ménages chinois ont, en
raison de la politique zéro Covid, mis
La plupart des
économistes, y compris
américains, continuent
de prévoir une croissance
chinoise d’au moins 5 %
pour 2023
de côté en 2022 quelque 2 500 mil-
liards de dollars (environ 2 350 mil-
liards d’euros) supplémentaires.
L’équivalent du PIB français ! Large-
ment de quoi s’offrir quelques
début de quelque chose : « Des an-
nées affreuses, sales et méchan-
tes », comme s’intitule son dernier
livre. Ces années, nous y ­entrons
tout juste, prévient le philosophe,
visant l’attitude de Jean-Luc
­Mélenchon vis-à-vis de la Russie.
En un peu plus de 200 pages
­surgissent les ressorts politiques
d’un déni organisé.
entre un consensus productiviste
et la reconnaissance progressive
d’un diagnostic climatique appe-
lant à une urgente autolimita-
tion. Centré sur l’explication de ce
iPhone, voire quelques Tesla. qui livre aux PUF un « journal éco- déni et de ses serviteurs, le livre
Les entreprises étrangères ne s’y philosophique de 2019 à 2023 », Un monde de malades offre aussi des pistes, comme
trompent pas. Certes le fort rebond es- Au cœur des sombre, révolté mais pas fataliste. Ainsi de la Russie de Vladimir l’idée de changer la Constitution
péré après trois ans de politique zéro années affreuses, Affreuses, ces années le sont, « car Poutine, emblème du « climato- pour ancrer la nation sur terre et
Covid est moindre que prévu, certes sales et marquées par le commencement fascisme ou climatocynisme », dans la nature. Des idées démo-
les tensions entre la Chine et l’Occi- méchantes. des effets boomerang de décennies « premier empire à prendre au cratiques aussi fragiles et déli­-
dent les inquiètent, certes l’accent mis Journal éco- de dégradations écologiques ». ­sérieux l’état du monde qu’est en cates à mettre en œuvre que le
par Xi Jinping sur la sécurité nationale philosophique « Sales car ­gratifiées d’une pollu- train de façonner le dérèglement déni climatique est aisé ; l’auteur
fait peser sur elles une épée de Damo- 2019-2023 tion de plus en plus insistante ». climatique, non bien sûr pour accé- dresse d’ailleurs un parallèle en-
clès, certes elles sont moins optimis- de Dominique « Bêtes et ­méchantes », enfin, « car lérer la décarbonation des écono- tre la démocratie et les écosystè-
tes qu’auparavant… Néanmoins, ni les Bourg, bêtise et méchanceté – et donc le mies (…) mais pour profiter sans mes, tous les deux bien malades.
Américains ni les Européens ne désin- PUF, 248 p., 18 € déni de ce qui précède – sont deve- ­attendre du désordre mondial à A ceux qui l’accuseraient de
vestissent massivement de Chine. Au nues la règle ». ­venir ». Il y a beaucoup d’ironie peindre un tableau trop som-
contraire. Selon une enquête publiée, Soutien de Delphine Batho dans cet ouvrage – « en rabattre de bre, Dominique Bourg répond
mardi 19 septembre, par la Chambre pendant la primaire des écologis- notre démesure, de nos passions que ni le pessimisme ni l’opti-
de commerce américaine de Shan- tes en 2021, défenseur des maires consuméristes (…) quelle horreur ! misme ne sont plus des catégo-
ghaï, 31 % des entreprises américaines écologistes attaqués pour avoir Et si peu vendable électoralement ! ries per­tinentes pour quantifier
interrogées envisagent d’augmenter tenté de « changer les imaginai- Mieux vaut rêver d’instaurer un l’ampleur des changements de
leurs investissements cette année, res », du sapin de Noël aux sub- ­califat extrême droitier dans des ­l’« anthropocène ». p
­davantage qu’en 2022. Plus de la moi- ventions aux aérodromes, le phi- contrées fournaises ». Julie Carriat
tié sont d’ailleurs convaincues que
leur chiffre d’affaires va progresser.
L’américain Starbucks vient d’an-
noncer qu’il allait investir 1,5 milliard
de yuans (environ 193 mil-
lions d’euros) dans un nouveau
Prolifération | par serguei
« campus » près de Shanghaï afin
d’approvisionner toujours plus de
magasins. « Nous allons renforcer no-
tre inébranlable engagement de long
terme en Chine », a déclaré le PDG de
Starbucks, Laxman Narasimhan.
Même chose du côté des construc-
teurs automobiles allemands. Les
­dirigeants européens ont beau s’in-
quiéter de l’arrivée massive et subven-
tionnée de véhicules électriques
­chinois sur le Vieux Continent, BMW a
annoncé, en mai, investir 10 milliards
de yuans (environ 1,2 milliard d’euros)
dans une nouvelle usine de batteries
électriques située à ­Shenyang (Liao-
ning), destinée à ­équiper sa nouvelle
gamme qui verra le jour en 2025 et
sera produite en Chine dès 2026.
En 2022, BMW avait déjà ­dépensé
3,7 milliards d’euros pour porter de
50 % à 75 % sa participation dans la
coentreprise détenue avec le chinois
Brilliance. Myopie ? Peut-être. Tou-
jours est-il que le groupe bavarois s’ap-
prête à embaucher deux mille Chi-
nois supplémentaires.
D’ailleurs, après un mauvais mois de
juillet, tant les ventes au détail que la
production industrielle ont progressé
davantage que prévu en août. La Chine
est un continent dont la lecture univo-
que est nécessairement erronée. p
0123
­
­Mercredi 27­ septembre 2023 0123 | 33

France | chronique Planification

par Fr ançoi se Fr e ss oz
écologique :
en 2030 une réduction de 55 % de nos GES ou le lancement de treize RER métropoli-
un équilibre
La « nouvelle précaire
par rapport à 1990, la France doit faire da-
vantage en sept ans que ce qui a été réalisé
en trente-trois. Cette accélération du
tains, il s’agit d’accompagner les Français
dans cette bascule historique en les proté-
geant, sans brusquer les adaptations, afin
question sociale » rythme de la décarbonation implique de
profonds changements dans la vie des
Français. Qu’il s’agisse de la façon de se dé-
que celles-ci ne soient pas vécues comme
des contraintes insupportables.
Au moment où l’Allemagne, le Royaume-
placer, de se loger, de produire, de consom- Uni ou la Suède sont obligés d’assouplir
mer, sans parler de la nécessité de protéger leur agenda climatique en revenant sur des

L
orsque l’on interroge les Le grand sujet et de restaurer les écosystèmes naturels, les mesures mal acceptées par la population,
membres de la majorité efforts s’annoncent inédits. Emmanuel Macron tente d’avancer sans
sur la finalité sociale du politique de Planifier n’a pas été une mince affaire. Les braquer. Il fait le choix d’inciter plutôt que
double quinquennat annonces sur cette trajectoire ont été re- de contraindre pour mobiliser largement. Il
d’Emmanuel Macron, la réponse cette rentrée portées à plusieurs reprises, jetant le doute prend néanmoins le risque d’une transition
la mieux partagée est celle-ci : le sur le volontarisme présidentiel, après un plus lente, et de rester au milieu du gué.
concerne
retour au plein-emploi, autre-
ment dit la fin du chômage de
masse qui mine le pays depuis
cinq décennies. En 2017, la France
comptait 9,1 % de sa population
le travail

L’Etat découvre quant à lui que, à

active au chômage. En 2022, le
pourcentage était tombé à 7,1 %.
L’objectif affiché est d’atteindre
5 % en 2027 et de pouvoir dire qu’à
force d’obstination, une révolu-
tion s’est opérée, qui ne touche
pas qu’aux chiffres, mais con-
cerne aussi le mental d’une so-
ciété collectivement dépressive : si
une source profonde d’angoisse
parvient à être levée, tout pourrait
aller mieux. Le ralentissement de
la croissance a beau fragiliser l’ob-
jectif, le gouvernement s’y accro-
che d’autant plus que de lui dé-
coule la cohérence d’une bonne
force d’alléger le coût du travail
sur les bas salaires, il a beaucoup
chargé la barque pour un gain po-
litique quasi nul : la prime d’acti-
vité notamment, revalorisée après
le mouvement des « gilets jau-
nes », représente une dépense pu-
blique annuelle de plus de 10 mil-
liards d’euros. Les allégements de
charges jusqu’à 3,5 smic coûtent
plus de 80 milliards d’euros cha-
que année. Si ces dispositifs ont
permis de soutenir les bas salaires,
ils ont aussi contribué à écraser les
salaires vers le bas, car l’em-
ployeur n’a aucun intérêt à sortir
A près avoir pris conscience de l’ur-
gence climatique et de l’effondre-
ment de la biodiversité, après avoir
fixé des objectifs ambitieux de réduction
des émissions de gaz à effet de serre (GES),
la France aborde désormais la phase sans
doute la plus délicate de la transition écolo-
gique, celle de sa mise en œuvre concrète.
Emmanuel Macron en a présenté les princi-
paux jalons, lundi 25 septembre, à l’issue
d’un conseil de planification écologique.
Cette nouvelle instance, dont la création
était une promesse de campagne du chef
de l’Etat, a été chargée de bâtir une stratégie
globale et cohérente pour permettre à la
France de respecter ses engagements inter-
nationaux en matière d’environnement.
La marche est haute. Pour atteindre
bilan du premier quinquennat décevant du
point de vue environnemental. Même si sa
gestation a été mouvementée, le plan a le
mérite d’exister. La France est l’un des pre-
miers pays à se doter d’une telle feuille de
route chiffrée, destinée à impliquer et à res-
ponsabiliser tous les acteurs de la transi-
tion écologique, de l’Etat aux entreprises
en passant par les collectivités locales et les
ménages. C’est un prérequis pour passer ef-
ficacement à l’action.
Le chef de l’Etat fait le pari d’une écologie
« de progrès » au service d’une transition
capable de concilier souveraineté, compéti-
tivité et justice sociale. Derrière des objec-
tifs mobilisateurs comme la production de
1 million de pompes à chaleur, la réduction
de notre dépendance aux énergies fossiles
Entre la « cure » prônée par les partisans
de la décroissance et le « déni » climatique
porté par l’extrême droite se dessine un
équilibre précaire, difficile à tenir. La pour-
suite d’une souveraineté industrielle, forcé-
ment de longue haleine, devra être compa-
tible avec l’urgence de la décarbonation,
qui réclame des résultats à court terme.
Quant aux ajustements annoncés, ils ne
débouchent pas encore sur un changement
d’organisation économique pourtant né-
cessaire. L’économiste Jean Pisani-Ferry,
auteur d’un rapport sur le financement de
la transition écologique, a prévenu que cel-
le-ci ne serait pas un sentier parsemé de pé-
tales de rose. A ne pas vouloir angoisser les
Français aujourd’hui, le danger est de les
exposer demain à un réveil difficile. p

partie de ce qui a été engagé de-
puis six ans : la politique de l’offre,
la réforme de l’assurance-chô-
mage, celles de l’apprentissage et
du lycée professionnel.
Une angoisse chassant l’autre, ce
n’est pourtant plus le niveau du
chômage qui préoccupe les Fran-
çais. Le grand sujet politique de
cette rentrée concerne le travail,
ou plutôt la capacité du travail à
assurer une vie digne et un avenir
meilleur à chacun. La revalorisa-
L ’
du dispositif, et l’employé n’a que
peu d’avantages à le revendiquer.
Dans une note éclairante publiée
sur le site Telos, l’économiste Gil-
bert Cette a calculé qu’un tra-
vailleur célibataire payé au smic
qui passerait au salaire médian
n’augmenterait son revenu net ACTUALITÉ
que de 25 % alors même que son
salaire aurait été valorisé de près de
65 %. Il toucherait en effet moins
d’aides sociales et paierait beau-
coup plus d’impôt sur le revenu

tion des salaires des enseignants
et de ceux des métiers du soin,
menacés par la même désaffec-
tion, la hausse du point d’indice
des fonctionnaires assortie de me-
sures spécifiques pour les bas et
les moyens salaires, l’annonce
d’une conférence sociale portant
sur les bas salaires et les carrières
n’épuisent pas le sujet.
Une bombe politique
Par un retournement de conjonc-
ture que personne n’avait anti-
H E U R
que dans la situation de départ.
Le sujet a été identifié par la ma-
jorité, mais il est si complexe que
l’Elysée et Matignon se sont
donné une année pour tenter d’y
apporter un début de réponse.
Cette approche prudente a eu
pour effet de révéler une première
fracture significative au sein du
gouvernement : à l’offensive de-
puis la rentrée, le ministre de l’in-
térieur, Gérald Darmanin, y joue
sans complexe la carte de la droite
sociale, soulignant le ressenti-

cipé, la question du travail qui
n’ouvre pas suffisamment de
perspectives est en passe de se
transformer en une bombe politi-
que : l’inflation bien plus tenace
que prévu ronge le pouvoir
d’achat ; la hausse rapide des taux
d’intérêt annihile pour beaucoup
de ménages la perspective de de-
venir propriétaires de leur loge-
ment ; le marché locatif est hyper-
tendu. Quant à l’Etat surendetté, il
ne peut plus jouer autant que ces
E D U
ment des classes populaires et le
risque de décrochage des classes
moyennes, qui rendraient possi-
ble, selon lui, l’élection de Marine
Le Pen en 2027.
Profitant du relatif effacement
de l’aile gauche de la Macronie
dont il dénonce la technicité, il ANALYSE
n’hésite pas à bousculer Bercy et
les dogmes macroniens en préco-
nisant, fin août, dans La Voix du
Nord, de « mettre la pression sur les
propriétaires du capital ». Recadré

dernières années le rôle de pom-
pier social. Comme les autres ac-
teurs, il est touché par la hausse
des taux d’intérêt, qui pèse sur le
remboursement de sa dette.
La tentative avortée d’Elisabeth
Borne, la première ministre, de
faire baisser les prix de l’essence en
autorisant la vente à perte, la ré-
ponse négative des distributeurs
sont révélatrices du changement
de climat en train de s’opérer entre
le gouvernement et le patronat. Bi-
M O N
quelques jours plus tard par Elisa-
beth Borne à Tourcoing, il a
trouvé, depuis, l’oreille attentive
d’Edouard Philippe, qui alerte à
son tour sur les risques de la situa-
tion. « Aucune démocratie ne me
paraît pouvoir résister durable-
ment à un appauvrissement de la
classe moyenne, ou même à une
absence de perspectives de la classe
moyenne », a déclaré l’ancien pre-
mier ministre devant les parle-
mentaires de son mouvement,

beronnées pendant des années à la
politique de l’offre, habituées à être
choyées au nom de la restauration
de la compétitivité, les entreprises
ont du mal à admettre que le gou-
vernement puisse leur demander
de « prendre leur part ». Elles rechi-
gnent à réduire leur marge pour li-
miter les effets de l’inflation ou à
revoir le partage de la valeur ajou-
tée pour augmenter les salaires.
Une angoisse
chassant
D E
vendredi 15 septembre.
Comme le ministre de l’inté-
rieur, le patron d’Horizons dia-
gnostique l’existence d’une « nou-
velle question sociale » à traiter ré-
solument, même si les marges de
manœuvre paraissent infiniment
réduites. La constitution d’un axe
Philippe-Darmanin sur ce sujet
RÉCIT
surprend, tant la droite s’est long-
temps divisée entre libéraux et so-
ciaux. Elle est à rapprocher de la
réflexion que mène Laurent Wau-
quiez, autre prétendant putatif à la
présidentielle de 2027 pour Les Ré-
publicains, à la recherche de me-
PODCASTS
Design graphique : Cheeri

sures fortes pour tenter de réenga-

l’autre, ce n’est ger les classes moyennes autour
du travail. Ce début de bouillonne-
plus le niveau
LE TEMPS DE L’ÉCOUTE
ment à droite sur la question so-
ciale est significatif à deux titres : il
du chômage souligne, par contraste, la relative
qui préoccupe atonie de la gauche sur le sujet et
Disponibles sur toutes les plateformes de podcasts
marque l’entrée des esprits dans le
les Français postmacronisme. p
 Décor mural peint par Fernand Léger pour la salle de culture physique d’un appartement réalisé en 1935 par Le Corbusier et Charlotte Perriand. Adrien Didierjean/Musée Fernand Léger/RMN-Grand Palais
Le sport, un médicament universel
Cancers, maladies cardio-vasculaires,
I
maginez que la metformine, antidiabétique
diabète, dépression… les bénéfices de référence, soit gratuite à Strasbourg
mais coûte 200 euros dans d’autres villes…
de l’activité physique sont prouvés Ce serait révoltant », lance Alexandre Feltz,
adjoint à la santé à la mairie de Strasbourg
en prévention et en traitement. et président de la maison sport-santé (MSS) de la
En France, la population est à la fois ville. S’il utilise cette métaphore, c’est pour souli-
gner le fait que l’activité physique adaptée (APA),
trop peu active et trop sédentaire, thérapeutique non médicamenteuse, reconnue
deux facteurs de risque pour la santé dans certaines maladies chroniques, n’est finan-
cée que dans la capitale alsacienne, la région
Grand-Est et quelques autres municipalités ou
territoires, mais pas au niveau national.
La promotion de l’activité physique et spor-
tive, décrétée « grande cause nationale » pour
2024 par Emmanuel Macron dans le cadre des
Jeux olympiques et paralympiques (JOP) de
­Paris 2024, va-t-elle faire passer le sport-santé à
la vitesse supérieure ?
Le gouvernement devrait faire un pas en avant
lors de la présentation du projet de loi de fi­-
nancement de la sécurité sociale (PLFSS), pré-
vue mercredi 27 septembre, en annonçant une
Le musée des Le verre romain
mathématiques gagne en qualités
ouvre à Paris avec le temps
Dans l’ancien laboratoire Des cristaux photoniques,
d’Henri Poincaré, les maths une structure rare utilisée
sortent des stéréo­types et dans les fibres optiques et
des chiffres pour montrer les lasers, ont été retrouvés
les liens de cette discipline sur un tesson resté enterré
avec le quotidien pendant deux mille ans
Page 2 Page 3
Cahier du « Monde » No 24488 daté ­­Mercredi 27­ septembre 2023 - Ne peut être vendu séparément
prise en charge de l’APA dans le domaine du
­cancer et du diabète. En attendant, l’expérience
strasbourgeoise fait toujours figure de référence.
Lancé en 2012, à l’initiative de M. Feltz, médecin
généraliste convaincu que l’activité physique est
un véritable médicament, le dispositif appelé
« Sport santé sur ordonnance » (SSSO) s’est
d’abord adressé aux adultes touchés par une ma-
ladie chronique, reconnue ou non en affection
longue durée : cancer, maladie cardio-vasculaire,
diabète, obésité, hypertension artérielle… Puis
il a été progressivement étendu aux personnes
âgées fragilisées, aux sujets souffrant de trou-
bles psychiatriques, de Covid long, aux femmes
enceintes et aux jeunes mères.
Séance d’évaluation
Quelque 5 000 habitants de la ville ont bénéficié
de cette prise en charge, orientés par 500 méde-
cins, sur un total de 650 installés dans la capitale
alsacienne. « Chaque semaine, 1 000 personnes
fréquentent une centaine de créneaux d’activité
physique », précise Matthieu Jung, responsable
du pôle accompagnement de la MSS de Stras-
bourg. Par ailleurs, depuis 2014, 1 000 enfants
ont intégré un programme de prise en charge de
l’obésité et du surpoids.
Muni d’une ordonnance, le patient bénéficie
d’abord d’une séance d’évaluation médico-
sportive, qui comprend, entre autres, un test
consistant à marcher la plus grande distance
possible en six minutes. Un enseignant en acti-
vité physique adaptée lui propose ensuite plu-
sieurs activités (natation, vélo, marche nordi-
que, basket, yoga…) et l’aide à choisir selon ses
goûts, sa pathologie, ses habitudes de vie, etc.
Gratuit la première année, ce dispositif fait
­l’objet d’une tarification progressive, de 20 à
100 euros par an, en fonction des revenus, la
deuxième année.
Le principe a essaimé au niveau de la région
Grand-Est, avec Prescri’mouv, lancé en 2018.
­Financé majoritairement par l’agence régionale
de santé (ARS), il est ouvert depuis fin 2022 à
­l’ensemble des malades chroniques.
→ L i r e l a s u i t e pag e s 4 - 5
L’origine des
neurones trouvée
dans une petite
créature marine
Une équipe internationale
a mis en évidence chez le
placozoaire des composants
des futurs neurones
Pag e 6
 Actualité
2| ·
Le Monde Science & Médecine
­
­Mercredi 27­ septembre 2023

La Maison Poincaré met en scène les mathématiques

Vulgarisation - Un nouveau musée, à Paris, s’attache à montrer les liens entre la science des chiffres et le quotidien

U
n lieu original et unique va ouvrir
à Paris, dans le 5e arrondissement,
le samedi 30 septembre : un mu-
sée des mathématiques baptisé
« Maison Poincaré ». Et il a déjà
fait une heureuse. « Je me suis bien amusée ! », té-
moigne Sylvie Benzoni-Gavage, directrice de
l’Institut Henri-Poincaré (IHP). Ce célèbre lieu
des maths en France accueille les 900 mètres
carrés d’exposition dans le bâtiment qui lui fait
face et en profite pour s’agrandir dans les étages
au-dessus du musée.
En succédant en 2018 à Cédric Villani, qui avait
porté cette initiative, la mathématicienne a dû
animer les réflexions pour occuper les espaces.
Et mettre elle-même la main à la pâte.
C’est elle qui a rédigé les portraits d’une quin-
zaine de personnes racontant leur rapport à la
discipline. Elle encore qui a empilé des oranges
en pyramide pour illustrer un panneau insistant
sur le temps long que peut prendre une démons-
tration. « J’ai dû m’intéresser à des maths que je ne
connaissais pas trop et ça m’a même ouvert de
nouvelles pistes pour mes recherches », affirme
Sylvie Benzoni-Gavage. Elle a aussi construit un
drôle de pendule, au fonctionnement hélas trop
incertain pour trouver place dans l’exposition.
Son bureau est encore plein de modèles, de des-
sins, de maquettes qui ont servi pour concevoir
les salles, dont le but est de montrer concrète-
ment la science des nombres. « On ne voulait pas
du stéréotype “les maths, ce sont des chiffres” »,
tranche la directrice, qui attend avec impatience
l’une des dernières pièces originales du musée :
un générateur d’ondes, appelé soliton, réalisé
grâce à des pendules oscillants.
Dans chacun des sept espaces de la Maison Poincaré, des jeux et manipulations interactifs permettent de comprendre les techniques mathématiques. Thibaut Voisin
« Une expérience physique et humaine »
En réalité, dans chacune des sept salles dont les
intitulés rappellent des compétences à maî­- L’aspect « humain » n’est pas en reste, avec une homme-femme. Dans l’animation baptisée « En plus, le découpage a un rapport avec l’icosaè-
triser ou à acquérir, comme visualiser, modéli- programmation culturelle riche en conférences, « Chuchoteur de formules », les voix sont alterna- dre, un polyèdre bien connu », apprécie la mathé-
ser, partager, connecter, inventer, elle a mis sa en rencontres, en projections-débats… Et une tivement masculines et féminines. Les noms des maticienne dans la salle qui est aussi la plus « ar-
marque. « A 56 ans, j’ai appris à faire mes la- configuration des espaces repensée pour per- salles d’animation réservées aux scolaires sont tistique ». Une sélection des quelque 600 modèles
cets ! », s’amuse-t-elle pour évoquer les efforts mettre aux visiteurs et aux scientifiques venus aussi à parité, comme les nombreuses vidéos. Ce géométriques de l’IHP, dont certains ont inspiré
qu’elle a dû faire pour se familiariser avec la travailler de se croiser. Une autre originalité du souci se voit jusque dans la salle aménagée dans Man Ray, est montrée en vitrine.
théorie des nœuds, et surtout pour les fabri- lieu. « Nous montrons aussi dans ce musée le côté le bureau de Jean Perrin, où est présenté le célèbre Si la visite peut s’effectuer librement dans les
quer en collier de perles. humain de notre activité. Les mathématiciens scientifique, mais aussi Yvette Cauchois, qui lui a sept salles ou le sous-sol consacré aux exposi-
Son enthousiasme et son engagement, tout sont aussi des gens qui peuvent se tromper, qui ne succédé. « On a eu du mal à trouver un portrait tions temporaires – à l’ouverture, sur le thème de
comme celui du comité qui a piloté le projet, col- comprennent pas certaines choses, qui travaillent d’elle au travail qui puisse être imprimé en grande l’intelligence artificielle, grâce à une création de
lent bien au slogan que s’est donné l’établisse- à plusieurs… », décrit Sylvie Benzoni-Gavage. taille », rappelle Sylvie Benzoni-Gavage. la Maison des mathématiques et de l’informati-
ment abrité dans l’ancien laboratoire de chimie Douze ambassadrices et ambassadeurs, dont le que de Lyon, l’un des espaces pionniers dans la
physique de Jean Perrin, Prix Nobel de physique dernier Médaille Fields français, Hugo Duminil- Musée féministe promotion de la discipline auprès du public –, le
en 1926 et père du Palais de la découverte et du Copin, ont été en outre mandatés pour incarner Avec sa collègue Céline Nadal, muséographe, elles musée est aussi tourné vers les scolaires. A partir
CNRS dans les années 1930 : « Le lieu où les maths la maison et la discipline à l’extérieur. ont contribué au guide pour un musée féministe, de la classe de 4e, les enseignants pourront trou-
prennent vie ». « Une expérience à la fois physique Surtout, « nous nous voulons accueillants pour relatant leur expérience. « Les débats ont été hou- ver pour leurs élèves une dizaine de parcours,
et humaine », précise Sylvie Benzoni-Gavage. tous les publics », insiste la directrice, avec en tête leux et il y avait des réticences à obtenir un équili- animés par des médiatrices.
Chaque salle propose son lot d’interactions, la gent féminine, qui ne représente que 20 % de bre de représentation. Nous avons insisté sur l’im- Tous les visiteurs, à l’extérieur, pourront aussi
comme tenter de recouvrir une sphère avec des la communauté mathématique. Pour sensibili- portance de montrer une image diversifiée et équi- « toucher » des maths grâce à la sculpture monu-
hexagones ou d’autres polyèdres (ce que font les ser au sujet, il n’était pas question de consacrer librée des maths », précise Sylvie Benzoni-Gavage, mentale d’Ulysse Lacoste, Le Rulpidon, une drôle
fabricants de ballons de football !), guider du une salle au thème des femmes en maths ni de qui a aussi en tête l’accueil des publics moins de forme trouée qui évoque un cube rond. Ou
mieux possible un troupeau de moutons ou sui- réaliser des panneaux sur ce sujet. « Cela aurait ­favorisés socialement. Une vidéo de François des points et un carré. Tout un symbole. p
vre, casque de réalité virtuelle sur les yeux, des contribué à enfoncer les stéréotypes. » Alors l’en- Gaudel, fondateur de l’Association science David Larousserie
abeilles et des pollens pour s’initier au mouve- gagement a été plus fort. ouverte, qui intervient dans les territoires défavo-
ment brownien. « Malgré l’aspect ludique, nous Exit les quatre portraits d’hommes célèbres, risés, est d’ailleurs présente pour évoquer ce sujet. La Maison Poincaré,
­essayons de montrer les maths qu’il y a derrière », dont Henri Poincaré, qui auraient dû être accro- Autre détail, un planisphère montre les conti- 11, rue Pierre-et-Marie-Curie, Paris 5e. Fermé
insiste la responsable, qui désigne des fiches ajou- chés à l’entrée. Place à une étonnante et poétique nents dans une représentation ne mettant pas le mercredi et le dimanche. Tarifs : de 5 à 10 €.
tant des explications à certaines démonstrations. scène de « théâtre optique » montrant un duo l’Europe au « centre » de la carte comme souvent. Ihp.fr/fr/musee-maison-poincare

Les chercheurs français perdent leurs faisceaux de neutrons

Physique - Les scientifiques s’inquiètent de la raréfaction des instruments qui sondent la structure des matériaux solides, mous ou liquides

L es scientifiques français
vont-ils devenir partielle-
ment aveugles, perdant
leur capacité à voir dans la ma-
tière ? C’est en substance l’alerte
lancée fin août par la Société fran-
çaise de la neutronique (SFN), re-
présentant la communauté férue
d’une technologie particulière, la
diffusion de neutrons.
Cette technologie, profitant de
la petite taille de ces particules,
aussi massives que les protons
avec lesquels ils forment les
noyaux des atomes, est une ma-
nière de sonder la structure de
matériaux solides, mous ou liqui-
des. Un flux de neutrons pénètre
une cible et ressort perturbé par
les « objets » rencontrés aussi lé-
gers que l’hydrogène. De quoi étu-
dier l’intérieur des batteries, des
piles à combustible, des réser-
voirs à hydrogène, des membra-
nes filtrantes pour dessaler l’eau
de mer ou des composants de
centrales nucléaires… Pour ne
parler que des applications liées à
la transition énergétique.
Mais la position de la France,
deuxième mondiale à égalité avec
l’Allemagne, fléchit. « Le parc ins-
trumental français [utilisant des
neutrons] qui représentait 13 %
du parc mondial dans les années
2000 ne correspondra plus qu’à
1 % à l’horizon 2035 », regrette le
courrier de la SFN. Le nombre
d’appareils permettant de réaliser
des expériences, « de 29 instru-
ments, (…) est passé à 9 et (…) pour-
rait chuter à 2 ». Pendant ce temps,
les Etats-Unis, la Chine et le Japon
augmentent leurs capacités.
Perte d’expertise
Le problème français vient de la
disparition des infrastructures
de production des neutrons,
dont chacune abrite plusieurs
instruments. En 2019, la source
française Orphée, alimentée par
un réacteur nucléaire, a fermé.
Ne reste plus que le réacteur de
l’Institut Laue-Langevin (ILL), à
Grenoble, qui est un équipement
international, partagé essentiel-
lement avec l’Allemagne et le
Royaume-Uni. L’ILL représente
environ 40 % des capacités euro-
péennes. Le reste est fourni par
l’Allemagne, l’Angleterre et la
Suisse, qui disposent encore de
sources nationales.
« Nous constatons une baisse de
l’activité des chercheurs français
en neutronique depuis la ferme-
ture d’Orphée », signale Pascale
Launois, la présidente de la SFN,
qui cite des chiffres de la Fédéra-
tion française de diffusion neu-
tronique : de trente articles par
mois environ cosignés par des
Français, on est passé à moins de
seize en moyenne sur la période
de mars 2022 à mars 2023.
« La France était leader, et risque
de perdre plus de quarante ans
d’expertise, et de jouer en deuxième
division », regrette Frédéric Ott,
chercheur au CEA au laboratoire
Léon Brillouin (LLB) et au conseil
d’administration de la SFN.
Deux revendications
Cette communauté inquiète de-
mande donc au CEA, au CNRS et
au ministère de la recherche de
lancer la construction d’une nou-
velle source nationale, baptisée
Icone, sans réacteur nucléaire,
mais avec un accélérateur de pro-
tons cassent des noyaux lourds
pour en éjecter des neutrons. Se-
lon nos informations, un budget
de préétude pour deux ans de-
vrait être débloqué pour 2024 par
le CNRS et le CEA afin de préciser
le design d’Icone, qui coûterait
plus de 130 millions d’euros. Sans
préjuger d’une décision défini-
tive. L’infrastructure ne serait dis-
ponible qu’au-delà de 2035. Soit
après la fermeture de l’ILL…
En effet, pour l’instant, cet insti-
tut, cinquantenaire, est censé
fonctionner jusqu’en 2030. Mais
le dernier protocole d’accord en-
tre les trois pays fondateurs men-
tionne qu’une prolongation de
trois ans est possible. Cette der-
nière doit être décidée avant
2027. Pour la SFN, qui en fait sa
seconde revendication, le calen-
drier devrait être accéléré pour
acter la possibilité d’expérimen-
ter jusqu’en 2033. « Cela donne-
rait de la visibilité aux chercheurs
et aux employés – plus de 560 per-
sonnes –, mais aussi sur les appro-
visionnements en combustible »,
déclare Jacques Jestin, directeur
associé de l’ILL.
Cela permettrait aussi d’éviter
une traversée du désert pour les
Européens. Une nouvelle source,
la plus puissante du monde, est
en effet en construction à Lund,
en Suède, la European Spallation
Source (ESS). Mais celle-ci, qui
fonctionnera sans réacteur nu-
cléaire, avec un accélérateur à pro-
tons de 600 mètres de long, a pris
du retard. Prévus pour 2020, ses
premiers neutrons sont attendus
en 2025 ou en 2026, pour des ex-
périences à partir de 2028, à ca­-
pacité réduite. En 2030, si l’ILL
s’arrête, l’ESS ne suffirait donc pas
à répondre aux besoins.
« Il ne faut pas opposer toutes ces
sources, rappelle Pascale Launois.
Nous avons besoin d’une source
nationale non seulement pour
former les équipes à la nouvelle
source européenne mais aussi
parce que toutes les expériences
n’ont pas besoin des hauts flux de
l’ESS et pourraient utiliser Icone. »
L’entourage de la ministre de la re-
cherche informe être « alerté de la
question ». Pour Arnaud Desmedt,
le directeur du LLB, « On a déjà
pris assez de retard. Le message
est : ça suffit, il faut y aller. » p
D. L.

Le verre romain enrichi par le temps
Archéologie - Une collaboration italo-américaine a découvert qu’un tesson d’encrier, enterré
pendant 2 000 ans, avait produit un cristal photonique, structure utilisée dans la fibre optique
L a science n’aime pas les mi-
racles. Elle s’acharne même
à les combattre. Deux équi-
pes de scientifiques américains et
italiens se sont donc employées à
trouver des explications tout à fait
rationnelles à l’aventure éton-
nante qu’elles viennent de vivre et
au résultat de leurs travaux, livrés
le 18 septembre dans les Comptes
rendus de l’Académie des sciences
américaines (PNAS). Il n’empêche :
découvrir sur un vieux tesson de
verre romain, enterré pendant
près de deux mille ans, des cris-
taux photoniques, une structure
aussi rare et complexe que pré-
cieuse, utilisée dans les fibres op-
tiques et les lasers, apparaît tout
simplement stupéfiant. De quoi
ouvrir par ailleurs la voie à de nou-
veaux modes de production de
ces nanomatériaux.
« Tout a commencé un jour nua-
geux de 2012, quand une de mes
collaboratrices a découvert dans
un champ proche de la ville anti-
que d’Aquilée, au nord-est de l’Ita-
lie, au niveau d’un ancien canal de-
puis longtemps comblé, ce tesson
de verre », se souvient Arianna
Traviglia, directrice du Centre de
technologie du patrimoine cultu-
rel, à Venise. La pièce n’est pas bien
grande, mais elle semble émettre
une lumière tout à la fois vive et
colorée, du bleu, de l’orange et
même du doré. « On était d’autant
plus surpris qu’aucune excavation
n’avait été conduite, elle était là,
dans ce sol labouré. » Alors ils lui
accolent un surnom : le verre
« wow », comme l’exclamation
que poussent tous ceux qui dé-
couvrent l’objet.
L’équipe vénitienne commence
à l’étudier. D’abord, ils la datent,
entre le Ier siècle avant J.-C. et le
Ier siècle de notre ère, au début de
l’Empire romain. Rien d’étonnant,
en vérité : née en Mésopotamie il
y a cinq mille ans, la fabrication du
verre, par un mélange de silice, de
soude et de chaux sous haute
température, s’est développée en
Egypte pharaonique et encore
perfectionnée par les Romains,
véritables experts en la matière.
L’étude chimique met en évidence
une recette un peu particulière,
bien que déjà connue : en guise de
sable, on a utilisé du natron, une
roche venue d’Egypte, et adjoint
des cendres de plantes de milieux
salés. Les scientifiques relèvent
Mission Osiris-REx accomplie
Espace - La capsule de la NASA a atterri le 24 septembre avec des fragments d’astéroïde
O siris-REx est de retour.
Après avoir parcouru
plus de 6 milliards de ki-
lomètres dans l’espace lors de son
voyage de sept ans. Après avoir ac-
compagné de près et ausculté l’as-
téroïde Bénou. Après lui avoir pré-
levé 250 grammes d’échantillons
en 2020. Dimanche 24 septembre,
la sonde de la NASA est revenue à
la hauteur de notre planète et a lar-
gué une petite capsule contenant
son précieux chargement, qui a at-
terri peu avant 17 heures (heure de
Paris) dans une vaste zone mili-
taire de 9 300 kilomètres carrés,
­située dans le désert de l’Utah.
La manœuvre était critique, qui
consistait à poser en douceur un
objet voyageant à l’origine à
44 500 kilomètres à l’heure. Tout
a commencé à 12 h 42, lorsque
Osiris-REx, alors à un peu plus de
100 000 kilomètres de la Terre, a li-
béré dans l’espace la capsule d’une
cinquantaine de kilogrammes.
Vue microscopique de cristaux photoniques à la surface d’un verre romain ancien. Giulia Guidetti
également une présence impor-
tante d’oxyde de magnésium et,
enfin, des traces de fer. Ce sont ces
dernières qui auraient donné à ce
flacon – « probablement un en-
crier », selon Arianna Traviglia – sa
couleur vert foncé.
Des dizaines de strates
Vert foncé, en profondeur. Car le
tesson est recouvert d’une patine
de près d’un millimètre. Et c’est
elle qui en transforme la couleur et
l’aspect. En visite quelques années
plus tard dans le centre vénitien,
Fiorenzo Omenetto, physicien et
directeur du Silklab de l’université
Tufts (Massachusetts, Etats-Unis),
tombe lui aussi en arrêt. « Sa
brillance m’a saisi, se souvient-il.
Surtout, son iridescence était com-
plètement similaire à celle des cris-
taux photoniques que nous étu-
dions dans les ailes de papillons
morphos et dans certaines pierres
précieuses. »
La particularité de ces couleurs
iridescentes vient de leur origine :
non pas des pigments, mais un
agencement physique de la struc-
ture. La lumière réfléchie se trouve
ainsi transformée et certaines lon-
Quatre heures plus tard, celle-ci
a commencé son entrée dans
l’atmosphère terrestre. Les frot-
tements avec l’air ont porté la
température de son bouclier de
protection à environ 2 800 °C.
A 31 kilomètres d’altitude, un
premier parachute de 80 centi-
mètres de diamètre a jailli de l’ar-
rière de la capsule pour la stabili-
ser. Quelques minutes plus tard,
un second parachute de 7,3 mè-
tres de diamètre a pris le relais
pour la fin de la descente. L’équipe
de récupération est rapidement
arrivée sur le lieu de l’atterrissage
et a constaté l’absence de brèche
sur la capsule. La destination fi-
nale des échantillons sera le Cen-
tre spatial Lyndon-B.-Johnson, à
Houston (Texas), où se trouve la
­division de la NASA chargée des
matériaux venus d’ailleurs,
comme les roches lunaires des
missions Apollo, des particules du
vent solaire ou des météorites.
gueurs d’onde, donc couleurs, pri-
vilégiées. Faites pivoter l’échan-
tillon, l’incidence de la lumière
change, la couleur également.
Quant au cristal photonique, il est
composé de couches régulières et
successives de matériaux de diffé-
rentes densités. « Des couches de
quelques centaines de nanomètres
d’épaisseur, soit la longueur d’onde
de la lumière, qui vont agir comme
des filtres et permettre de manipu-
ler les propriétés de celle-ci », expli-
que Fiorenzo Omenetto.
Et c’est précisément ce que son
équipe va découvrir en étudiant la
patine sous toutes les coutures et
avec toutes les technologies de
pointe disponibles. « Des couches
nanométriques multiples très simi-
laires à ce que l’on nomme des “mi-
roirs de Bragg”, ces structures qui
permettent une très haute ré-
flexion de certaines couleurs et l’ab-
sorption ou la diffusion d’autres »,
poursuit-il.
Comment se sont amassées ces
dizaines de strates ? Par des pro-
cessus de corrosion et de recons-
truction successifs, affirment les
auteurs, modélisations à l’appui.
Au fil des siècles, l’eau et l’argile
Pour les astronomes, les échan-
tillons prélevés sur les astéroïdes
sont précieux. Comme l’expliquait
au Monde, en 2019, Patrick Michel,
directeur de recherche CNRS à
l’Observatoire de la Côte d’Azur et
membre de l’équipe scientifique
d’Osiris-REx, « les astéroïdes sont
les restes des briques qui ont cons-
truit les planètes ». Des vestiges de
la formation du Système solaire.
Contrairement aux planètes, qui
ont beaucoup chauffé et se sont
chimiquement métamorphosées,
les astéroïdes ne sont que peu
transformés, et ils conservent en
quelque sorte la mémoire de ces
briques primitives.
A priori, la cargaison d’Osiris-
REx, même si elle n’est pas le pre-
mier prélèvement in situ de ce
genre, sera la plus importante ja-
mais rapportée. La toute première
tentative, menée par le Japon avec
la sonde Hayabusa, s’était soldée
par un semi-échec : en raison
dans lesquelles baignait le tesson
auraient corrodé le verre et per-
mis également de nouvelles com-
binaisons entre la silice et les mi-
néraux présents. L’évolution cy-
clique de la température et de
l’acidité du milieu aurait, elle
aussi, joué un rôle essentiel dans
la régularité de la structure. « Pen-
ser que ce cristal photonique pres-
que modèle a été produit naturel-
lement dans le sol au cours du
temps est stupéfiant », s’émer-
veille encore le physicien.
De quoi nourrir le domaine
naissant de la paléo-inspiration,
qui propose de puiser dans les
matériaux anciens ou modifiés
par le temps des solutions pour le
présent. Professeur à l’ENS Saclay
et pionnier de cette discipline,
Loïc Bertrand salue cet article
« très complet et élégant ». Permet-
tra-t-il l’invention de nouveaux
matériaux ? L’article ne s’avance
pas. Mais Fiorenzo Omenetto rêve
tout haut : « Si nous parvenions à
accélérer le vieillissement du verre
en laboratoire, nous pourrions cul-
tiver des matériaux optiques plu-
tôt que les fabriquer. » Wow ! p
Nathaniel Herzberg
d’une série de problèmes, seuls
1 500 grains microscopiques de
l’astéroïde Itokawa étaient reve-
nus sur la Terre en 2010. Sa « mis-
sion fille », Hayabusa-2, avait en
revanche été un succès total : elle
avait prélevé un peu plus de
5 grammes de matériau sur l’asté-
roïde Ryugu. Bien plus que son
objectif initial d’une fraction
de gramme, mais bien moins
qu’Osiris-REx avec ses 250 gram-
mes estimés. Ceux-ci ne seront pas
confiés en intégralité aux cher-
cheurs d’aujourd’hui : 70 % de la
récolte sera gardé pour plus tard,
en attendant que les techniques
d’analyse aient progressé.
Quant à Osiris-REx, elle n’est
pas abandonnée à son sort dans
l’espace glacial. Encore opéra-
tionnelle, la sonde a été repro-
grammée pour aller observer un
autre astéroïde, Apophis, qu’elle
atteindra en 2029. p
Pierre Barthélémy
Actualité
·
Le Monde Science & Médecine
­
­Mercredi 27­ septembre 2023 |3
Télescope
b
Méde c ine
Une deuxième xénogreffe cardiaque
aux Etats-Unis
Pour la deuxième fois au monde, une xéno-
transplantation d’un cœur de porc généti-
quement modifié a été réalisée sur un pa-
tient, a annoncé l’université de médecine du
Maryland, vendredi 22 septembre, quarante-
huit heures après l’intervention. Inéligible à
une greffe cardiaque classique, l’homme, âgé
de 58 ans, souffrait d’insuffisance cardiaque
terminale. Il respire actuellement de façon
autonome, et son nouveau cœur fonctionne
sans assistance. En janvier 2022, cette équipe
médicale avait été à l’origine de la première
mondiale chez un homme, David Bennett,
qui avait survécu deux mois, sans rejet
hyper­aigu de l’organe étranger. Pour amélio-
rer la tolérance immunitaire, le cœur porcin
a été modifié sur une dizaine de gènes.
Ne u ro lo g ie
Un mécanisme d’apprentissage
identifié chez une méduse
Les organes visuels de la cuboméduse
­Tripedalia cystophora semblent être le siège
de capacités d’apprentissage, selon une
étude conduite en aquarium par une équipe
germano-danoise. Cette méduse de la taille
d’un raisin réside dans les mangroves des
Caraïbes. Dépourvue de système nerveux
central, elle dispose de quatre rhopalies,
des structures renfermant chacune six yeux.
Placé dans un aquarium orné de bandes
plus ou moins foncées figurant des racines
immergées, l’animal commence par s’y
­cogner, mais apprend en quelques minutes
à les éviter. Anders Garm (université
de Copenhague) et ses collègues ont montré
que des cellules nerveuses tirées de rhopa-
lies pouvaient associer la vision de ces
­bandes foncées à un stimulus électrique
pour lancer un signal d’évitement.
> Bielecki et al., « Current Biology », 22 septembre
Paléo nto lo gie
Une araignée fossile livre ses secrets
Deuxième plus grand fossile d’araignée
au monde, ce spécimen a été prélevé,
en juin 2020, sur un site connu du sud
de l’Australie, McGraths Flat. Il s’agit de la pre-
mière araignée barychelide fossile au monde
et de la deuxième araignée mygalomorphe
fossile d’Australie. Une étude menée par
le paléontologue Matthew McCurry, notam-
ment au moyen d’un microscope électroni-
que à balayage, a permis de déterminer qu’il
s’agit d’un nouveau genre et d’une nouvelle
espèce. Baptisée Megamonodontium
mccluskyi, elle ressemble à un genre persis-
tant dans les forêts humides de Singapour,
d’Indonésie et de Papouasie-Nouvelle-
Guinée. Cette lignée occupait au miocène, il
y a onze à seize millions d’années, des forêts
tropicales, en Australie. (Photo : Matthew McCurry)
> McCurry et al., « Zoological Journal
of the LinneanSociety », 15 septembre
5%
C’est la baisse moyenne de la taille des yeux,
étudiée chez deux oiseaux chanteurs,
le cardinal du Nord et le troglodyte de
Caroline, vivant toute l’année dans le centre
urbain de San Antonio (Texas). Aucune
différence n’a en revanche été constatée
pour deux espèces d’oiseaux migrateurs,
le bruant peint et le viréo aux yeux blancs.
« Les oiseaux résidentiels peuvent s’adapter
avec le temps aux zones urbaines et à leur
pression lumineuse, ce que ne font pas
les oiseaux migrateurs, probablement parce
que là où ils passent l’hiver, ils sont moins
­susceptibles de subir les mêmes pressions
­causées par l’homme , suggère Jennifer
Phillips, écologiste de la faune et de la flore
à l’université de l’Etat de Washington.
> Phillips et al., « Global Change Biology »,
20 septembre
 Événement
4| ·
Le Monde Science & Médecine
­
­Mercredi 27­ septembre 2023

Des recommandations internationales peu suivies

Temps d’activité physique modérée ou soutenue recommandé par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), selon l’âge de la population
% française adulte
Jeune enfant Enfant et adolescent Adulte et senior Pour tous serait exposée à un risque de détérioration
de la santé par manque d’activité
(1 à 5 ans) (6 à 17 ans) (18 ans et plus) physique ou un temps trop long
passé assis.
Au moins 3 h par jour Au moins 1 h par jour Au moins 30 min
par jour

Faire en plus deux séances

par semaine de renforcement A l’échelle mondiale,
musculaire
% des décès
seraient directement attribuables
à l’inactivité physique.

Part de la population respectant les recommandations en France La France est classée

Limiter le temps sur 146 pays

de sédentarité (passé assis par l’OMS pour le niveau d’activité
ou allongé, notamment physique des 11-17 ans
adolescent sur adultes sur
devant un écran)

Sources : OMS ; Onaps ; The Lancet ; Anses ; Santé publique France Infographie : Le Monde

L’exercice physique, ▶ suite de la première page l’Assurance-maladie de 86 milliards d’euros (61 %

des dépenses de santé). L’activité physique repré-
sente « un formidable levier de prévention des ma-

une thérapie
Après une prescription médicale et un bilan
médico-sportif, les patients ont accès à douze
séances gratuites de pratique sur trois mois.
« L’idée est que ces personnes, à l’issue du pro-
gramme, intègrent un parcours d’activité physique
dans un club, une association ou chez elles, s’achè-
ladies chroniques », comme le résume l’ancien dé-
puté (Parti socialiste) Régis Juanico dans le livre
Bougeons ! (L’Aube-Fondation Jean Jaurès, 146 pa-
ges, 16 euros), qu’il vient de publier. Ce manifeste
fait dix propositions pour remettre les Français
en mouvement, « de la naissance à l’Ehpad ».

à rembourser
tent un vélo, et n’aient plus besoin de cet accompa-
gnement », explique la docteure Arielle Brunner,
directrice de la promotion de la santé à l’ARS
Grand-Est. « L’objectif majeur est d’instaurer un
changement de comportement par l’activité physi-
que, et de favoriser les déplacements actifs », ajoute
M. Feltz, également auteur du livre Sport santé sur
ordonnance. Manifeste pour le mouvement (Equa-
teurs, 2020). Selon lui, tout déplacement contraint
doit se transformer en déplacement favorable à
la santé. Strasbourg est d’ailleurs la première
ville pour les déplacements domicile-travail à
vélo, estimait le classement de l’Insee en 2021.
Depuis 2018, ce sont 17 402 patients qui ont eu re-
cours au dispositif dans le Grand-Est. La région
compte plus de maladies cardio-vasculaires, plus
d’obésité et une mortalité plus élevée que la
moyenne en France. Dans les faits, « au moins 20 %
à 25 % de la population du Grand-Est pourrait béné-
ficier de ce programme », précise Mme Brunner. A
l’échelle nationale, le fardeau des maladies chro-
niques ne cesse de s’alourdir : 21 millions de per-
sonnes seraient concernées, avec un coût pour
Des bénéfices multiples
sur l'organisme
– 30 % de risque
De – 30 % à – 50 %
de dépression, stimulation
de risque d’hypertension
de la neurogenèse, baisse
artérielle, baisse du
du stress et de l’anxiété.
risque de maladie
coronaire.
RÉAS
NC De – 25 % à – 30 % de risque
PA
Cancers, maladies cardio-vasculaires, diabète,
dépression… Les bénéfices sont prouvés, tant en
prévention qu’en traitement. Ainsi, chez les pa-
tients atteints de cancer, bouger diminue sensi-
blement la fatigue et les effets indésirables des
traitements. Cela peut aussi réduire de 40 % à
60 % le risque de récidive d’une tumeur au sein.
Pour l’heure, toutefois, le constat est inquié-
tant. En France, comme dans de nombreux pays,
la population est à la fois insuffisamment active
et trop sédentaire (passant trop de temps assise
ou allongée, en dehors des heures de sommeil).
Des comportements qui se sont accentués lors
des confinements pendant la pandémie de
­Covid-19, comme l’ont montré des enquêtes
chez des enfants et adolescents.
Or, le manque d’activité physique et la sédenta-
rité sont deux facteurs de risque indépendants
qui se conjuguent pour dégrader l’état de santé.
Selon des données reprises par l’Observatoire na-
tional de l’activité physique et de la sédentarité
(Onaps), 47 % des femmes et 29 % des hommes
sont physiquement inactifs. Et le temps de sé-
dentarité va croissant, dans toutes les tranches
d’âge. Les enfants et les adolescents passent en
moyenne entre trois et quatre heures par jour de-
vant un écran. Les adultes passent en moyenne
douze heures par jour assis les jours travaillés, et
neuf heures les jours non travaillés.
Il y a là tous les ingrédients d’une bombe à retar-
dement sanitaire. « On va arriver à un tsunami de
malades chroniques non pas à 50-60 ans mais
dans la trentaine », redoute le cardiologue du
sport François Carré, qui alerte depuis des années
sur ces sujets. « A l’échelle planétaire, l’Organisa-
tion mondiale de la santé [OMS] estime que près
de 500 millions de nouveaux cas de maladies chro-

– 58 % de risque de cancer du sein,

niques évitables apparaîtront entre 2020 et 2030,
de diabète de type 2. de – 40 % à – 60 % de risque si le manque d’activité physique reste à ce niveau,
de récidive. ajoute-t-il. En France, les prévisions sont de
150 000 à 200 000 cas en plus par an entre 2020 et
2025. Comment va-t-on faire pour les soigner ? »

LON
CÔ
Défaut de prise en charge
TÈRES
AR
Pourtant, dès 2016, le principe du « sport sur
­ordonnance » a été inscrit dans la loi pour les per-
– 25 % de risque – 25 % de risque d’AVC,
sonnes en affection de longue durée (ALD). La loi
de cancer du côlon, amélioration de la souplesse
de mars 2022 a démocratisé le sport-santé en
– 40 % de risque des artères, diminution
des plaques d’athérome. l’ouvrant aux personnes ayant une maladie chro-
de récidive. nique ou des facteurs de risque, tels le surpoids,
l’obésité ou l’hypertension artérielle, ainsi que
celles en perte d’autonomie. Mais dans les faits, la
majorité des médecins n’ont pas ce réflexe de
prescription. Et surtout, la prise en charge finan-
cière fait défaut, sauf exception. De nombreuses
initiatives ont cependant vu le jour, portées par
OS des associations telles Siel bleu, Cami Sport
Prévention & Cancer ou le dispositif Prescri’form, développé
SCLE
MU S de l'ostéoporose, notamment par l’ARS d’Ile-de-France qui vise à
réduction du risque « mettre en réseau les acteurs du champ médical et
Améliore
le développement de chutes et de fractures du sport ». Certaines complémentaires santé pro-
et l’entretien musculaires. chez les sujets âgés. posent un panier de séances d’activité physique.
Entretien du cartilage Pour accélérer le déploiement du sport-santé
(articulations). dans le pays d’ici aux Jeux olympiques de l’été
2024, une mission conjointe des ministères de la
santé et des sports avait été lancée en novem-
bre 2022, confiée au médecin généraliste Domini-
que Delandre. Elle a rendu une première copie en
mars concernant la prise en charge en APA des
maladies chroniques, le soutien aux maisons
sport-santé et à l’activité physique et sportive en
milieu scolaire. Sans véritable suite jusqu’ici.
 Événement
·
Le Monde Science & Médecine
­
­Mercredi 27­ septembre 2023 |5
Des habitudes à changer Une inactivité au coût exorbitant de 140 milliards d’euros
par an en France
Sédentarité Activité physique
Le coût évité par personne inactive Estimation du coût de l’inactivité physique,
Transport qui deviendrait définitivement par type de coût
active serait de ... Coûts directs
81 % Dépenses de santé

par an Coûts indirects

12 % Invalidité
Déplacement motorisé Déplacement actif 2 % Perte de production
(voiture, bus, trottinette électrique...) (vélo, marche, trottinette...) 5 % Mortalité
Travail

Coût d’une pathologie sur toute sa durée,

en euros

AVC 203 528

Temps de travail passif Temps de travail actif
Parkinson 190 315
(devant un ordinateur, en réunion) (escalier, métiers manuels, pauses actives)
Loisirs Diabète 184 156

Cancer du sein 137 507

par an
Alzheimer 135 524
pour une pour une
Cancer du côlon 84 805
personne personne
Activité sédentaire Occupation active âgée de 20 âgée de 40 Pathologie coronarienne 45 994
(regarder la TV, jouer aux jeux vidéo, lire un livre...) (sport, bricolage, jardinage, ménage...) à 39 ans à 74 ans

Avec le remaniement ministériel de l’été, où le
ministre de la santé et de la prévention François
Braun a été remplacé par Aurélien Rousseau, des
réunions ont été reportées, les prises de décision
ont patiné. « On nous avait demandé de prioriser
les affections où l’activité physique adaptée pour-
rait être prise en charge financièrement, mais ce
n’est pas à nous de le faire, raconte un des mem-
bres de la mission Delandre. A partir du moment
où la Haute autorité de santé [HAS] valide l’APA
comme une thérapeutique efficace dans une ma-
ladie prise en charge à 100 %, il n’y a pas de raison
de ne pas la rembourser. Et choisir certaines de ces
pathologies en ALD plutôt que d’autres créerait
des inégalités entre malades. »
Dès l’été, l’Assurance-maladie a, de son côté,
proposé une prise en charge financière de l’APA
sur tout le territoire pour des patients atteints de
cancer ou de diabète. Une étape qui n’avait jus-
qu’ici jamais été franchie, sauf dans le cadre d’ex-
périmentations locales. Concrètement, le par-
cours durerait trois mois, à raison de deux ou
trois séances par semaine. Environ 7 millions de
personnes touchées par ces deux pathologies
­seraient éligibles : celles qui, précise l’Assurance-
maladie, ne peuvent reprendre une activité phy-
sique de manière autonome (patients dits « de
niveau 2 », selon les critères de la HAS).
« On va arriver
à un tsunami de malades
chroniques non pas
à 50-60 ans mais
dans la trentaine »
François Carré
cardiologue du sport
de la nouvelle démarche d’habilitation, risque de
décourager des MSS précédemment labellisées »,
craint M. Jung.
Là encore, Strasbourg se distingue, notamment
par le financement de sa structure. Le budget glo-
bal de la MSS, qui est un groupement d’intérêt pu-
blic, atteint plus de 2 millions d’euros par an, ré-
partis entre de nombreuses sources, dont deux
principales : la ville à hauteur de 30 %, l’ARS pour
27 %. Ses futurs locaux vont ouvrir leurs portes
en 2024 dans l’aile médicale des Bains munici-
paux, un bâtiment qui date de 1908. La tradition
de la santé à Strasbourg remonte à la fin du
XIXe siècle, avec l’Allemagne hygiéniste. Les Bains,
classés monument historique, ont été rénovés
en 2021 en restant fidèles à leur tradition.
« Ce sera l’une des plus grandes maisons sport-
santé en France, elle se veut une vitrine au cœur de
la ville, le vaisseau amiral du sport-santé », se ré-
jouit M. Feltz. Proche du quartier des universités,
cet édifice comprendra quatre étages sur
1 500 mètres carrés. Trente personnes y travail­-
leront, médecins, enseignants en APA, kinési-
thérapeutes, psychologues, infirmières…
Sur le plan médical, le modèle strasbourgeois a
aussi fait ses preuves. Une étude, réalisée en 2021
à partir des données de la Caisse primaire d’Assu-
rance-maladie du Bas-Rhin portant sur 172 per-
sonnes bénéficiant du programme, comparées à
135 000 sujets témoins, a montré que les résul-
tats des tests de marche et d’équilibre s’amélio-
rent de façon significative. De même, la consom-
mation de soins de ville a baissé de 35 % au bout
de dix-huit mois d’accompagnement (avec no-
tamment un moindre recours aux médica-
ments), alors qu’elle a augmenté de 12 % dans le
groupe témoin. Ces résultats, présentés par
François Jouan, directeur de la maison sport-
santé de Strasbourg, lors des Assises nationales
et européennes du sport-santé, en octobre 2022
à Strasbourg, ont été publiés en mars. Ils sont
d’autant plus intéressants qu’un autre travail,
mené par les sociologues Sandrine Knobé et
William ­Gasparini (université de Strasbourg), a
démontré que ce dispositif bénéficie à des publics
fragiles : en 2022, près de 60 % des bénéficiaires
touchaient les minima sociaux ou le smic.
L’enjeu majeur de santé publique réside aussi
dans la prévention dès le plus jeune âge, où se
constitue le capital santé. Or, les nouvelles ac-
tions prévues en milieu scolaire, dévoilées début
septembre par Emmanuel Macron, sont loin
d’être suffisantes, selon François Carré. « Une de
mes propositions, reprise par la mission Delandre,
dont je fais partie, était de réaliser des tests de ca-
pacité physique annuellement, de l’entrée en pri-
maire jusqu’au baccalauréat, comme le font les
Slovènes, détaille-t-il. L’objectif n’est pas de repérer
de futurs champions, mais de déceler les enfants
en difficulté, afin de leur proposer un rattrapage
par des cours spécifiques d’activité physique. » Un
équivalent du soutien scolaire, en quelque sorte.
Le président de la République a simplement
annoncé un bilan lors de l’entrée en 6e.
Quant au supplément de deux heures hebdo-
madaires optionnelles d’activité physique au
­collège, effectuées sur des temps périscolaires,
qu’a évoqué M. Macron, il s’agira d’« une source
d’inégalité supplémentaire », déplore le professeur
Carré. La mesure ne sera généralisée qu’en 2026. p
Sandrine Cabut
et Pascale Santi

Accompagner les médecins

La balle est dans le camp du gouvernement, où
les arbitrages semblent difficiles. L’attente est
donc grande concernant les annonces dans le ca-
dre du PLFSS. « Reste à savoir ce qui sera réelle-
ment remboursé, et où sera mis le curseur », relève
le député (Renaissance) Belkhir Belhaddad, qui
mène un combat pour le sport-santé.
La prise en charge nationale de l’APA dans
d’autres pathologies pourrait suivre dans les
­années à venir, en fonction des résultats d’expéri-
mentations locales menées par l’Assurance-ma-
ladie. Une trentaine sont en cours (dans le cadre
d’un dispositif réglementaire appelé « article 51 »,
introduit en 2018), notamment dans le cadre de
bronchites chroniques, de suites de réadaptation
cardiaque, etc. S’il n’est pas prévu que l’activité
physique soit un jour remboursée dans un cadre
de prévention, l’organisme se dit engagé sur la
question. « Nous souhaitons sensibiliser la popu-
lation et accompagner les médecins afin de repé-
rer les personnes trop sédentaires, en agissant sur
la prévention », assure Marguerite Cazeneuve,
­directrice déléguée de l’Assurance-maladie.
La Haute autorité de santé s’est, elle, investie de
longue date pour accompagner les profession-
nels de santé dans la prescription d’activité phy-
sique. Dès 2011, l’autorité publique indépen-
dante a reconnu cette approche dans un rapport
sur « les thérapeutiques non médicamenteuses
validées ». Depuis, elle a publié à plusieurs repri-
ses des documents pour les médecins et les pa-
tients, notamment des guides et référentiels
d’aide à la prescription d’activité physique ou
d’activité physique adaptée dans différentes pa-
thologies, selon l’état de santé. Des fiches sont
disponibles pour une petite vingtaine de patho-
logies : surpoids et obésité, asthme, maladie de
Parkinson, diabète de types 1 et 2…
Le PLFSS devrait aussi aborder la question épi-
neuse des maisons sport-santé. Lancés en 2019,
ces dispositifs visent à accompagner les person-
nes, malades ou non, dans un programme de
sport-santé personnalisé, en maillant tout le ter-
ritoire. Il y en a aujourd’hui 573, portées par
des structures publiques ou privées, mais leur
fonctionnement reste très hétérogène, et leur fi-
nancement fragile. « C’est une discordance de
l’Etat, qui crée des maisons sport-santé sans en
­assurer le financement ni la pérennisation », dé-
plore M. Feltz. « Nous sommes vigilants, car le
­cahier des charges imposé par l’Etat, dans le cadre
Les JO vont-ils doper la pratique du sport ?
C e serait sans doute la plus
belle médaille que la France
pourrait remporter aux pro-
chains Jeux olympiques et paralym-
piques de Paris 2024 : avoir su profi-
ter de l’organisation de cet événe-
ment sportif mondial pour rendre
ses 68 millions d’habitants physi-
quement plus actifs, et donc, à terme,
en meilleure santé.
Cette volonté est affichée au plus
haut sommet de l’Etat. En mai 2021, le
président de la République, Emma-
nuel Macron, s’est dit déterminé à
faire de la France « une nation spor-
tive ». La promotion de l’activité phy-
sique et sportive a été choisie comme
grande cause nationale en 2024. Pour
donner un coup d’accélérateur aux
pratiques, 5 000 installations sporti-
ves de proximité sont en cours de
construction ou de rénovation. Mais
l’essentiel est ailleurs, porté notam-
ment par l’équipe Impact et héritage
du Comité d’organisation de ­Paris
2024, qui travaille avec le collectif
d’experts Pour une France en forme.
« On s’est donné l’ambition forte de
faire bouger les Français, et plus parti-
culièrement trois types de publics – les
enfants de 6 à 11 ans, les femmes et les
personnes en situation de handicap –,
en agissant à l’école, dans la ville et sur
les lieux de travail », résume Marie Bar-
sacq, directrice Impact et héritage de
Paris 2024. « Le sujet, ce n’est pas tant de
faire de l’activité physique que d’être en
bonne santé, poursuit-elle. Il faut faire
prendre conscience aux gens que, s’ils
sont au-dessous des recommandations
de l’Organisation mondiale de la santé,
ils mettent leur santé en danger. »
C’est en milieu scolaire que se met-
tent en place les mesures les plus
­ mblématiques, dont les trente mi-
e
nutes d’activité physique quotidienne
(30’APQ). Depuis la rentrée 2022-2023,
ce dispositif se déploie dans les
35 500 établissements primaires du
pays. Un plan de formation des ensei-
gnants est prévu. Sur le terrain, seule-
ment 20 % des écoles appliqueraient le
30’APQ , tempère Véronique Moreira,
présidente de l’Union sportive de
l’enseignement du premier degré.
Autre initiative dans les écoles élé-
mentaires : l’aménagement de cours
dites « actives ». S’appuyant sur les tra-
vaux de la géographe du genre Edith
Maruéjouls, montrant que ces espa-
ces sont majoritairement investis par
les garçons, et sur une expérience
­pilote à Saint-Dizier (Haute-Marne),
l’équipe Impact et héritage de Paris
2024 veut donner une impulsion en
ce sens. Pour l’heure, l’échelle est
­modeste : 200 établissements sont
concernés, avec un budget de 1 mil-
lion d’euros. Mais les cours d’école ac-
tives sont désormais inscrites dans le
bâti scolaire des primaires. « Avec de
petits aménagements, peu coûteux,
on peut favoriser l’activité physique en
mixité. Dès lors qu’on ne parle pas de
football, qui est très genré dans ces es-
paces, la mixité se fait naturellement
à cet âge », souligne Mme Barsacq.
Des actions sont aussi prévues dans
les collèges. Début septembre, le pré-
sident de la République a annoncé le
principe de tests de forme physique à
l’entrée en 6e et la généralisation
en 2026 des deux heures hebdoma-
daires de sport supplémentaires pour
les collégiens volontaires. Pour favo-
riser l’activité physique des publics
avec handicap, l’équipe Impact et
­héritage de Paris 2024 mise sur un
système de clubs sportifs inclusifs,
proposant des créneaux spécifiques,
avec des éducateurs formés. « Une
étude a montré que les personnes en
situation de handicap sont deux fois
sur le niveau d’activité physique des
Français ? Une récente revue de la
­littérature, analysant 36 articles
moins actives que la population géné-
rale, parce qu’il n’y a pas d’offre à
proximité qui leur plaît, qu’elles ne
sont pas toujours bien accueillies, ou
freinées par le coût, l’accessibilité… »,
justifie Mme Barsacq.
Le principe a été testé dans une ving-
taine de clubs omnisports parisiens, et
une douzaine en Seine-Saint-Denis,
dans les deux cas cofinancés à 50/50
par le fonds de dotation de Paris 2024
et la ville. « Le dispositif ayant fait ses
preuves, l’Etat s’est engagé à accompa-
gner 3 000 clubs inclusifs d’ici à 2024 »,
précise la directrice Impact et héritage.
Des projets à court terme
Depuis 2020, plus de 1 050 projets à
impact social grâce au sport ont été
soutenus, avec un budget de 38 mil-
lions d’euros, dont 24 millions levés
auprès de cofinanceurs. « On ne peut
pas être les seuls à financer des projets
et qu’ils s’écroulent quand nous retire-
rons nos billes, après les Jeux de 2024.
Notre rôle, c’est de sensibiliser les terri-
toires, d’amorcer des pompes à solu-
tions, de montrer que des dispositifs
fonctionnent pour que les financeurs
aient envie de continuer leur action »,
explique Mme Barsacq, en insistant
sur le volet sport-santé. « Favoriser
l’offre dans les quartiers populaires est
une priorité, la carte de France de la
­sédentarité et celle de la pauvreté, c’est
du copier-coller », ajoute-t-elle.
Ces multiples initiatives tiendront-
elles au-delà des Jeux, et surtout
auront-elles des effets à long terme
scientifiques, a montré que l’impact
sur les pratiques sportives de méga-
événements sportifs, des succès de
sportifs ou d’équipes d’élite et des
sportifs médiatisés sont négligeables
ou mitigés. Par exemple, après les JO
de Londres de 2012, l’objectif de 2 mil-
lions de pratiquants réguliers supplé-
mentaires est loin d’avoir été atteint.
« Ce qui se fait aujourd’hui en
France n’est pas fondamentalement
différent de ce qu’ont fait les Britanni-
ques, qui avaient été les plus investis
dans ce domaine », remarque Anne
Vuillemin, coautrice de la revue de
la littérature et actuelle présidente
de la Société française de santé pu-
blique. Pour la chercheuse de l’uni-
versité Côte d’Azur, spécialiste en
promotion de la santé, de bonnes
initiatives se mettent en place,
comme les cours d’école actives,
« mais les projets restent à court
terme, sans cohérence globale, et avec
des moyens très insuffisants ».
Des actions de promotion de la
santé par l’activité physique exis-
taient déjà, avec les mêmes travers,
souligne Mme Vuillemin, en citant
l’exemple emblématique des mai-
sons sport-santé, qui assument des
missions ambitieuses, en bricolant
sur le plan financier. « Si les enjeux
­sanitaires de Paris 2024 étaient aussi
importants que le clament nos respon-
sables politiques, ils devraient être lisi-
bles dans les budgets. Or, dans les do-
cuments budgétaires des Jeux olympi-
ques et paralympiques, le mot santé
n’apparaît même pas… » p
S. Ca.
 Rendez-vous
6| ·
Le Monde Science & Médecine
­
­Mercredi 27­ septembre 2023

le livre

Sous les paillettes

de la Silicon Valley
Le sociologue Olivier
Alexandre explore
les nombreux paradoxes
de la tech californienne

C es dernières décennies, toutes les in-

novations dans l’industrie du numé-
rique ramènent à la Silicon Valley,
étroite bande qui s’étale sur 50 kilomètres de
long, au sud de San Francisco, en Californie.
Google, Apple, Facebook, ou le nouveau
venu, OpenAI, avec son fameux logiciel Chat­-
GPT d’intelligence artificielle, y sont nés et s’y
développent. Les transistors, les micropro-
cesseurs, les ordinateurs individuels, Inter- Le tigre de Tasmanie revivra-t-il ? Le but était de prouver que l’ARN, bien plus fragile L’équipe suédoise a jeté son dévolu sur le thylacine,
net et le Web, les smartphones, l’intelligence que l’ADN, peut lui aussi être récupéré pour éclairer le plus grand des marsupiaux carnivores, dont un spécimen
Déterminés à être les premiers à extraire l’acide ribonucléi- l’évolution d’espèces disparues. Cette molécule remplit était conservé au Muséum de Stockholm. Tirées
artificielle ont fleuri dans cette zone dont
que (ARN) d’une espèce disparue, Emilio Marmol de nombreuses fonctions au sein des cellules, dont d’échantillons de muscles et de peau, des séquences
les « héros » font fantasmer. « Hackeurs », Sanchez (Centre de paléogénétique de Stockholm) la traduction en protéines et la régulation de l’information d’ARN ont pu être multipliées par la technique de la PCR
« pionniers », « génies », les qualificatifs ne et ses collègues se sont tournés vers le tigre de Tasmanie. portée par l’ADN. Si les différents tissus d’un organisme (la même que pour les tests anti-Covid) et séquencées.
manquent pas pour désigner l’élite des en- Le dernier individu connu s’est éteint en 1936 au zoo portent un ADN identique, c’est le profil d’activité D’autres rêvent déjà de « déséteindre » le thylacine.
trepreneurs qui ont bouleversé nos vies de Hobart, en Australie. Les résultats de ces travaux de l’ARN qui assure leur spécificité. Et qui pourrait donc Un projet jugé peu crédible et/ou non souhaitable.
quotidiennes par leurs produits. ont été publiés le 21 septembre dans Genome Research. livrer des détails plus fins sur leur physiologie. (Photo, au zoo de Hobart, en 1933 : Universal History Archive/Getty Images)
Il fallait bien 500 pages et le regard d’un so-
ciologue pour aller au-delà des mythes véhi-
culés par cette région. L’objet a tellement de
facettes que l’ouvrage d’Olivier Alexandre,
La Tech, s’apparente tantôt à un manuel du
savoir-vivre dans la Silicon Valley (ponctua-
ZOOLOGIE
lité, rendez-vous courts, décontraction plus
qu’exubérance…), tantôt à un essai écono-
mique sur l’art de financer sa start-up, ou
La bestiole à l’origine de nos neurones
encore à une réflexion politique sur les
idéologies qui animent ces habitants (liber-
tarisme, transhumanisme, long-termisme).

Une région ouverte, mais sélective

Cependant, cela reste un livre de sociologue
qui a mouillé sa chemise, pendant sept ans
(2015-2022), avec des dizaines d’entretiens,
parfois réalisés en marchant, de participa-
tion à des événements, souvent rejoints sur
vélo d’occasion, sportif mais pas tape-
à-l’œil, pour rester dans l’esprit local. Il a
aussi analysé des centaines de discours de
l’élite de la Silicon Valley, ou passé au crible
les informations économiques des quelque
12 000 entreprises du secteur.
Le tout se découpe en trois concepts, l’es-
pace, le travail et l’esprit, avec un fil rouge,
ténu mais parlant, celui de la figure du
« joueur », à laquelle il compare bon nombre
des acteurs rencontrés. Ces derniers passent
sans cesse des épreuves, évoluent dans un
monde changeant, respectent des règles et,
évidemment, gagnent et perdent.
L’ensemble est très riche, permettant de
dépasser les clichés, avec notamment un
beau chapitre sur le festival Burning Man
(passage quasi obligé pour qui veut acquérir
l’esprit de la Silicon Valley). Le lecteur décou-
vrira aussi les nombreux paradoxes et ambi-
valences qui marquent la région : ouverte,
mais sélective et peu inclusive, proclamant
vouloir changer le monde, quand en réalité
c’est souvent seulement mieux entrer en
Bourse, innovante, mais plutôt suiviste de
thèmes à la mode… Sans compter que le
­numérique a aussi des « coûts » sociaux
(hausse de l’immobilier), éthiques (protec-
tion de la vie privée) ou environnementaux
(consommation d’énergie et d’eau), qui de-
vraient interroger sur les valeurs de progrès
véhiculées dans la vallée enchantée. p
David Larousserie
La Tech. Quand la Silicon Valley
refait le monde, d’Olivier Alexandre
(Seuil, 560 p., 23 €).
A vouons-le d’emblée : nous n’avions jamais
entendu parler des placozoaires. Malgré des
dizaines de chroniques consacrées à la vie
animale, ni le nom ni l’existence même de cette bes-
tiole ne nous étaient connus. L’aurions-nous même
rencontrée que nous l’aurions très probablement re-
jetée hors du règne animal. Imaginez : voilà une créa-
ture de 1 à 3 millimètres, exclusivement marine, qui
vit accrochée sur les rochers ou à la surface des algues.
Arrondie ou allongée, elle n’a pas de forme définie, si
ce n’est qu’elle est plate. S’il fallait la rapprocher d’un
être vivant connu, on pencherait pour une amibe.
Sauf que c’est bel et bien d’un animal qu’il s’agit.
Loin de l’unicellulaire précédemment nommé, les
placozoaires abritent des milliers de cellules.
Comme tous les animaux, ils disposent notamment
de cellules épithéliales – celles de notre épiderme – et
se déplacent de manière active, au moyen de cils. Pas
de système respiratoire, ni digestif, toutefois. Pour
s’alimenter, ils se collent à des morceaux d’algues, li-
bèrent des enzymes qui vont dégrader leur cible.
Puis ils l’absorbent par phagocytose. Dit autrement,
ils ­digèrent avant d’avaler.
Le plus simple des animaux existants, en vérité. Et
l’un des plus mal connus. Découvert en 1883 à l’aqua-
rium de Graz, en Autriche, Trichoplax adhaearens
était jusqu’à ces dernières années considéré comme
la seule espèce de l’embranchement des placozoaires.
L’embranchement est pourtant le premier niveau de
Affaire de logique – N° 1259
La puissance du premier chiffre
A l’aide d’un programme informatique, Alice et Bob ont calculé les 100 premières puissances de 2 et de 5.
Pour chaque exposant n tel que 2n et 5n ont le même premier chiffre, ils ont constaté que ce premier chiffre, qu’ils
ont nommé C, était toujours le même.
1. Est-ce un hasard, ou est-il vrai que, pour tout n, si les puissances 2n et 5n ont le même premier chiffre, ce chiffre,
appelé C, est toujours le même ? Si oui, quelle est la valeur de C ?
2. Sauriez-vous trouver, sans ordinateur (mais avec une bonne démarche de calcul mental), les exposants n
inférieurs à 100 tels que 2n et 5n commencent par le même chiffre ?
séparation de l’arbre de la vie après le règne. Chaque
embranchement compte donc des centaines, des
milliers, parfois des millions d’espèces. Là, il n’y en
avait qu’une. Depuis dix ans, trois nouvelles ont été
décrites et quelques autres sont dans les tuyaux des
f­ ibreuses, les auteurs ont, en effet, identifié un type
scientifiques. Avec une dernière particularité que les
placozoaires ne partagent qu’avec le groupe des
éponges : l’absence de système nerveux.
Un type cellulaire très particulier
Seulement voilà : dans un article paru le 19 septembre
dans la prestigieuse revue Cell, une équipe de scienti-
fiques espagnols et allemands vient d’annoncer que
la minuscule crêpe, ou plutôt son ancêtre, dont nous
nous sommes séparés il y a environ 800 millions
d’années, pourrait nous avoir fourni les composants
de nos futurs neurones. Pour apporter ce résultat,
l’équipe d’Arnau Sebé-Pedros, au Centre de régulation
génomique de l’Institut de sciences et technologie de
Barcelone, a accompli un travail d’analyse particuliè-
rement méticuleux : non pas séquencer le seul gé-
nome, mais caractériser l’expression de tous les gènes
dans chaque cellule. Elle est ainsi parvenue à mettre
en évidence neuf grands types cellulaires. « Un travail
impressionnant, tant dans la quantité que dans la qua-
lité des données générées et les techniques de pointe
utilisées, salue Michaël Manuel, professeur de biolo-
gie animale et d’évolution à Sorbonne Université. Et
puis il y a leur découverte. »
N° 1259
A côté des cellules épithéliales, glandulaires ou
cellulaire très particulier nommé « peptidergique ».
En relâchant des peptides (petites protéines), ces cellu-
les permettent à l’animal de changer de forme, de se
déplacer ou de se nourrir, expliquent les chercheurs.
Mais plus que leur usage, ce sont « les parallèles avec
les neurones » qui ont « saisi » Arnau Sebé-Pedros.
D’abord, elles se développent en se différenciant de
cellules épithéliales par un processus très proche de la
neurogenèse. Ensuite, elles disposent de toutes les
protéines que l’on retrouve dans la partie émettrice
des neurones, ce que l’on nomme le « complexe présy-
naptique ». Enfin, ces cellules communiquent entre
elles par l’intermédiaire des fameux peptides et grâce
à des récepteurs que l’on retrouve dans les neurones
des cnidaires (coraux, méduses, anémones de mer),
mais aussi dans certains des nôtres.
Que l’on soit clair : ces drôles de bestioles n’ont pas
de neurones. Elles ne disposent ni de la fonction ré-
ceptrice, ni du signal électrique, ni des prolonge-
ments (axones, dendrites) de nos cellules nerveu-
ses, liste le chercheur catalan. Leurs ancêtres ne
nous les ont donc pas léguées. Mais leurs quelques
millimètres abritaient déjà l’essentiel des gènes né-
cessaires à leur production. Les ingrédients de nos
neurones piochés dans des petites crêpes informes :
l’évolution n’a pas fini de nous surprendre. p
Nathaniel Herzberg
Solution du problème 1258
1. Les droites (BM) et (DE) sont perpendiculaires.
On commence par remarquer que le triangle BOE est rec-
tangle isocèle. En effet, les droites (BO) et (OE) étant les dia-
gonales des deux carrés, elles font avec (BE) des angles de 45°.
Le troisième angle, BOE, est donc droit. [EO], perpendiculaire
à [BD], est donc une hauteur du triangle BDE. [DC] en est
naturellement une autre. Leur intersection G est donc l’or-
thocentre du triangle BDE. [BM], qui passe par G, est donc la
troisième hauteur. Ainsi (BM) est-elle perpendiculaire à (DE).

L’AGENDA 2. Les points A, M, F sont effectivement alignés.

É v én e m e nt
A la rencontre des chercheurs
Curieux, ne pas s’abstenir ! la Nuit euro-
péenne des chercheur·e·s, organisée ven-
dredi 29 septembre dans 300 villes d’Europe
– dont 16 en France –, permet de rencontrer
des chercheurs de toutes disciplines (écolo-
gie, littérature, physique, patrimoine, santé…)
FÊTE DE LA SCIENCE DU 06/10 AU 16/10
LES MATHS MOITIÉ SUD DE LA FRANCE
Suite de la sélection des événements
mathématiques de la 32e Fête de la science,
qui se déroulera du 6 au 16 octobre en
métropole, avec, cette semaine, un regard
sur la moitié sud de la France.
Infos sur Fetedelascience.fr/programme
Auvergne-Rhône-Alpes : exposition « IA…
mais encore », à la médiathèque d’Ecully.
Conférences : « Apport de la science dans
la médiathèque du Tonkin, Villeurbanne ;
« Mathématiques et sport », les 12/10 et
13/10 à Saint-Martin-d’Hères ;
« L’optique d’un message caché », le 14/10 au
Village des sciences de l’université Lyon I ;
« Jouer avec les mathématiques », les 14/10
et 15/10 à la salle des fêtes de Caromb.
Nouvelle-Aquitaine : conférence « Relations
transversales entre sport et numérique », le
05/10, chapelle de la Visitation, Limoges.
Atelier « Les probabilités dans le sport », le
tiques pour l’optimisation et l’évaluation
de la performance sportive », le 10/10 à
l’Institut de mathématiques de Toulouse.
Ateliers au Village des sciences de Beau-
mont-de-Lomagne : « Le jeu des sumos de
papier », origamis, les 10/10 et 13/10 ;
« Rugby et mathématiques », le 15/10 ;
« Faire des maths… un jeu d’enfant », les
12/10, 13/10 et 15/10.
Ateliers « Jouer avec les maths » et « Jeu de
calcul mental coopératif » les 11/10 et 13/10
L’angle BMD étant droit, M est sur le cercle de diamètre [BD],
cercle circonscrit au carré ABCD. En vertu du théorème de
l’angle inscrit, l’angle AMB est égal à l’angle ADB, soit 45°. De
même, l’angle GME étant droit, M est sur le cercle de diamètre
[GE], cercle circonscrit au carré CGFE. En vertu du théorème
de l’angle inscrit, l’angle EMF est égal à l’angle EGF, soit 45°.
Quand on ajoute à ces deux angles l’angle BME dont on a
montré dans la question 1 qu’il était droit, on voit que l’angle
AMF est égal à AMG + GME + EMF = 45° + 90° + 45° = 180°.
3. La diagonale du carré de côté [DE] a pour longueur AF.
En appelant H le projeté orthogo- A O
D

les équipements de cyclisme », le 05/10 au 19/10, salle polyvalente d’Ussel. aux Forges de Pyrène, à Montgaillard. nal de G sur (AB) et en désignant M
dans des châteaux, des musées, des hangars, cinéma La Turbine, à Annecy ; Occitanie : expositions « Comme par Provence-Alpes-Côte d’Azur : circuit H
F

des parcs… Sont proposées des projections, « Probabilités, hasard et incertitude », le hasard », du 03/10 au 30/11 à l’abbaye de Bel- « La science au quotidien », les 05/10 et 10/10
par a le côté du carré rouge et b G

des performances, des miniconférences,
et aussi un « speed-searching », un contact
entre les scientifiques et le public en ligne,
pour ceux qui ne peuvent se déplacer.
> Nuitdeschercheurs-france.eu
05/10 au Centre social de Roussillon.
Spectacle : Contes mathématiques, de Marie
Lhuissier, le 08/10 à Varces.
Ateliers : « La marelle de Turing », le 07/10 à
E. BUSSER, G. COHEN ET J.-L. LEGRAND © POLE 2023
leperche, près de Beaumont-de-Lomagne ;
« Pourquoi les mathématiques », du 07/10 au
09/10, Village des sciences de Montpellier.
Conférence grand public « Les mathéma-
au Village des sciences de Gardanne.
Atelier « Comprendre, découvrir et expéri-
menter l’intelligence artificielle », le 06/10 au
Village des sciences de Villeneuve-Loubet.
affairedelogique@poleditions.com
celui du carré bleu, on a DE² = a² + b²
(le triangle ECD est rectangle en C). B C E
De même, pour le triangle rectangle AHF, on a :
AF² = AH2 + HF2 = (b – a)² + (b + a)² = 2 (a² + b²) = 2 DE2.
Ainsi, AF = DE√2, longueur de la diagonale du carré de côté [DE].
 Rendez-vous
· Le Monde Science & Médecine
­
­Mercredi 27­ septembre 2023 |7
carte
blanche Reconnaître officiellement l’algologie pour
Hommage à René améliorer la prise en charge de la douleur
Thom, théoricien
Tribune - Le neurochirurgien Marc Lévêque prône la pratique libérale de cette médecine
des catastrophes de la douleur pour soulager les patients et les hôpitaux, et pour sortir du tout-médicament
Par étienne Ghys

A u moment où tant de savants cal­-

culent de par le monde, n’est-il pas
souhaitable que d’aucuns, qui le
peuvent, rêvent ? » C’est ainsi que se conclut
le ­livre de René Thom (1923-2002) Stabilité
structurelle et morphogenèse, écrit en 1972.
L’auteur est l’un des mathématiciens les
plus influents du XXe siècle. A l’occasion du
centenaire de sa naissance, deux colloques,
à l’Académie des sciences et à l’Institut des
hautes études scientifiques, viennent de
­revenir sur l’héritage intellectuel de ce géo-
mètre hors norme.
Un rêveur, sans aucun doute. Lorsqu’il pré-
parait sa thèse, son mentor, Henri Cartan,
avait le plus grand mal à le canaliser. Il lui écrit
par exemple : « Abstenez-vous d’énoncer des
théorèmes qui non seulement ne sont pas dé-
montrés, mais dont l’énoncé n’a même pas de
sens clairement défini. » Un collègue d’Henri
Cartan lui expliquera qu’une bonne dizaine
de mathématiciens pourraient fournir les
­démonstrations manquantes, mais que seul
René Thom était capable d’imaginer de tels
énoncés, incroyablement novateurs. La thèse
sera soutenue en 1951, et René Thom recevra
la médaille Fields en 1958 pour ses découver-
tes dans le domaine de la topologie différen-
tielle, dont il est l’un des pionniers. Cette mé-
daille le perturbera beaucoup. Il expliquera
qu’il pensait ne pas la mériter, ce qui n’est pas
ce que pensent d’ordinaire les médaillés.
Une question de bord
Il décida de prendre une autre direction,
qu’on pourrait qualifier de « plus appli-
quée ». Il postule qu’en général un système
(par exemple physique ou biologique) se
trouve dans un état stable, et qu’à certains
moments très particuliers il passe par des
­situations qu’il qualifie de « singulières » ou
« catastrophiques », en sautant très rapide-
ment d’un domaine de stabilité à un autre. Il
s’agissait donc de comprendre la nature de
ces singularités, et ce sera la naissance de la
« théorie des catastrophes », au succès
­immense dans les années 1970.
Thom établit une liste de sept catastrophes
élémentaires aux noms poétiques : « pli »,
« fronce », « queue-d’aronde », « papillon »,
« ombilic elliptique », « parabolique » ou
« hyperbolique ». Le mathématicien anglais
Erik Christopher Zeeman étend le champ
d’application à des situations de plus en plus
variées : émeutes dans les prisons, agressi-
vité du chien, krach boursier, etc.
Bien des critiques furent adressées à cette
théorie, et Thom les analysa avec sérieux et
en reconnut souvent la validité. Par exem-
ple, on lui reprocha de ne pas avoir tenu
compte de l’existence de dynamiques chao-
tiques (dont la théorie se développait alors),
ou encore d’avoir construit un outil per-
mettant de comprendre mais pas de pré-
voir. Il remet en question la nécessité d’une
validation expérimentale dans les sciences,
ce qui ne fut pas sans engendrer des réac-
tions violentes, mais souvent justifiées, de
E n France, 14 millions de person-
nes souffrent de douleur chro-
nique, 70 % sont mécontentes
de leur prise en charge et 3 % seule-
ment accèdent à l’un des 300 centres
de la douleur chronique. Quatre-
vingts millions de journées de travail
se trouvent affectées par ce fléau,
avec, au bas mot, un préjudice de
1,2 milliard d’euros par an. Le constat
est dramatique et l’addition salée.
Le système français – exemplaire
dans les années 1990 grâce à ses diffé-
rents plans concernant la douleur –
est aujourd’hui à bout de souffle. La
précarité, la sédentarité, la solitude et
la sénescence – ces trois « S » qui sif-
flent sur nos sociétés occidentales –
viennent assombrir un tableau déjà
pré­occupant.
Les ressources financières et humai-
nes de plus en plus « anémiées » de
cette spécialité, l’algologie – qui tarde à
être officiellement reconnue –, sont
une des explications les plus commu-
nément admises. D’autre part, cette
médecine de la douleur souffre d’un
maillage géographique insuffisant et,
surtout, hospitalo-centré. L’offre n’a ja-
mais pu se développer en ville, en rai-
son d’une tarification « non rentable »,
et les structures hospitalières publi-
ques sont saturées, avec des délais d’at-
tente devenus indécents. Six mois pour
une première consultation est aujour­-
d’hui la norme, si toutefois la structure
accepte de nouveaux patients.
Enfin, s’agissant de la thérapeutique,
cette prise en charge de la douleur
chronique repose, pour le médecin gé-
néraliste, en première ligne, presque
Le supplément « Science & médecine » publie chaque semaine une tribune libre. Si vous souhaitez soumettre un texte, prière de l’adresser à sciences@lemonde.fr
des mini-planeurs pliants pour analyser l’environnement
Afin de déployer des capteurs pour étudier l’environnement (température,
humidité...) sur de grandes étendues, des objets volants en forme de parachute
se métamorphosent pour se déplacer au gré du vent et retomber plus ou moins loin.
1 Largage
Des dizaines de planeurs
peuvent être lâchés.
exclusivement sur les médicaments.
Cette réponse unique a le mérite d’être
commode pour le praticien et son pa-
tient : rapidité de prescription pour
l’un et absence d’implication pour
l’autre. Pourtant, la faible efficacité de
cette antalgie chimique, en particulier
pour les douleurs neuropathiques, est
de mieux en mieux documentée, tan-
dis que les effets indésirables (effets
sur l’humeur ou la concentration, in-
compatibilité avec la conduite auto-
mobile, mésusage…) ont des répercus-
sions psychosociales indéniables. Les
morphiniques illustrent ce constat, et
le demi-million de morts aux Etats-
Unis liées à la crise des opioïdes nous
alerte sur les dangers d’une culture du
médicament trop prégnante.
Des solutions existent et découlent,
point par point, de ce constat. L’algolo-
gie doit rejoindre sans plus tarder les
autres disciplines médicales « à part
entière », afin d’être correctement en-
seignée à la faculté. Moins d’une di-
zaine d’heures, au cours des six ans
d’études médicales, sont consacrées à
la douleur, pourtant premier motif de
consultation chez le médecin généra-
liste. Cette structuration permettra,
enfin, à cette discipline de bénéficier
de moyens humains et financiers
comparables à ceux des spécialités
« officielles ».
D’autre part, le développement de
l’algologie en pratique libérale devrait
aider à désengorger les structures hos-
pitalières publiques. L’essor de cette
activité en ville nécessite un modèle
économique viable et, pour cela, une
valorisation des actes intellectuels et
par drone
Mise en forme
du dispositif
Les cellules solaires
génèrent un courant
dans une bobine.
Le champ magnétique
induit repousse, vers
le haut, un aimant
m
« Moins
d’une dizaine
d’heures,
gique – doit également être généralisé.
Seulement 5 % des patients éligibles
à l’électrostimulation cutanée y ont
­accès, les malades bénéficiant de sti-
au cours des
six ans d’études
médicales,
sont consacrées
à la douleur »
techniques à la hauteur des investisse-
ments en temps ou en moyens techni-
ques. De nombreux actes demeurent
aujourd’hui sans codage, par exemple
la stimulation magnétique trans­-
crânienne (rTMS), ou sont considérés
comme gratuits.
Les remèdes non médicamenteux
– aux effets souvent désirables – doi-
vent être promus. Chaque fois que
leur efficacité a scientifiquement été
validée, ces thérapies devraient au
même titre rejoindre l’arsenal anti-
douleur (et, idéalement, sur la base
du même remboursement que le
­médicament). L’activité physique
adaptée, les thérapies cognitives et
comportementales, la méditation de
pleine conscience, la musicothérapie,
l’hypnose ou l’acupuncture demeu-
rent sous-utilisées, en dépit de vertus
antidouleur prouvées et d’absence
d’effets délétères.
Le recours aux dispositifs médicaux
de neuromodulation – aux performan-
ces dopées par l’accélération technolo-
Capteur
de pression
(altitude)
Courant
2
« La voile »,
un circuit
imprimé
pliable
mulation médullaire sont trois fois
moins nombreux qu’en Belgique, et
la rTMS n’est toujours pas rembour-
sée ; tous ces outils antidouleur
n’étant accessibles que dans des
structures publiques saturées.
Outre la facilité de prescription des
médicaments, ils dominent largement
les autres thérapies par le haut niveau
de preuve que leur confèrent les « étu-
des en double aveugle randomisées »,
ce « gold standard » accessible seule-
ment aux spécialités pharmaceuti-
ques. Cette supériorité méthodolo­-
gique n’est pas synonyme d’un niveau
élevé d’efficacité et ne renseigne pas,
bien entendu, sur les effets collatéraux.
La diffusion d’outils numériques d’éva-
luation devrait permettre d’apporter
des preuves d’efficacité solides à ces so-
lutions non médicamenteuses desser-
vies par une méthodologie profitant
anormalement aux molécules.
Si le fléau de la douleur chronique
progresse, réjouissons-nous de consta-
ter que les outils pour la combattre se
diversifient et se perfectionnent. Pour
que les patients puissent en bénéfi-
cier, l’algologie doit être reconnue
comme une véritable spécialité, avec
un exercice libéral comparable à n’im-
porte quelle autre discipline, afin de
démultiplier la prise en charge. p
¶
Marc Lévêque, neurochirurgien
et spécialiste de la douleur à Marseille.
Câbles
en fibre
de carbone
Bobine
en cuivre
Aimant
Transmetteur
Bluetooth

qui tire sur la surface

4c

la part des biologistes. Son livre Prédire n’est

Entre 20 de la voile, ce qui
pas expliquer (1991) examine tous ces sujets
et 40 mètres 4 cm l’oblige à s’incurver.
avec honnêteté et sérénité.
Aujourd’hui, les concepts introduits par
Thom, comme la stabilité structurelle, la gé- Cellules solaires
néricité (le fait pour une propriété de s’appli- Poids : 0,4 g
Ve

quer au cas général) ou la transversalité, sont

nt

si importants qu’ils sont entrés dans le sub-

conscient de tous les mathématiciens.
Par la suite, il se tournera vers la philoso-
Ve
nt 4 Récupération du dispositif
Un « tracteur » muni d’un aimant
phie d’Aristote. Il s’y reconnaît dans bien des peut récupérer facilement
aspects, comme celui qui consiste à définir
un objet ou une idée à travers son bord. Sa
3 Descente
Si la forme de la « voile »
les dispositifs au sol.

thèse développait déjà une théorie du « co- est plate ( ), l’objet

bordisme », et ses catastrophes ne sont que virevolte et tombe loin de son
les traversées du bord d’un domaine de point de largage. Si elle est
­stabilité. « En vérité, écrit-il, il existe une réelle incurvée ( ), il tombe droit.
unité dans ma réflexion. Je ne la perçois
qu’aujourd’hui, après y avoir beaucoup réflé-
chi, sur le plan philosophique. Et cette unité, je 100 mètres
la trouve dans cette notion de bord. »
Source : K. Johnson et al., Science Robotics, 13 septembre Infographie : Le Monde, Audrey Lagadec Echelles non respectées
Les quatre derniers tableaux de Dali,
en 1983, sont des Hommages à René Thom. p

Etienne Ghys
Mathématicien, secrétaire perpétuel
de l’Académie des sciences, directeur
de recherche (CNRS) à l’ENS Lyon.
etienne.ghys@ens-lyon.fr
L’origami est aussi l’art de la métamor-
phose. S’en inspirant, des chercheurs
américains de l’université de Washing-
ton sont parvenus à transformer sur
commande des mini-planeurs, tantôt
en feuilles d’automne virevoltant sous
le vent, tantôt en lourdes graines tom-
bant à la verticale. L’objectif était de dé-
ployer des essaims de ces systèmes, en
une seule fois, sur des distances plus
ou moins longues afin de surveiller
des paramètres environnementaux
(humidité, température, présence de
gaz…), à moindre coût. Pari réussi. Le lar-
gage entre 20 et 40 mètres du sol a per-
mis de déposer en douceur ces objets
volants, juste sous le drone ou à 100 mè-
tres de lui, avec un vent de moins de
15 kilo­mètres à l’heure. « Le plus difficile
a été de mettre ensemble toute une série
de technologies », résume Vikram Iyer,
co­auteur de l’article paru dans Science
Robotics, le 13 septembre. p
David Larousserie
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TROUBLES DU NEURODÉVELOPPEMENT

Les troubles DYS,

un enjeu médical
et sociétal
Les troubles du neurodéveloppement,
appelés aussi TND, touchent de plus
en plus d’enfants et peuvent avoir
un impact significatif sur leur
croissance et leur vie quotidienne.
Il est donc important de mieux
les comprendre pour prévoir un
accompagnement sur mesure.

Une prise en charge De nouveaux outils de diagnostic

adaptée à chaque TND et d’accompagnement
Les troubles du neurodéveloppement regroupent un Aujourd’hui, des équipes de recherche d’excellence,
ensemble de conditions, d’origine génétique ou envi- financées par le mécénat des Mutuelles AXA à tra-
ronnementale, qui affectent le fonctionnement du cer- vers son programme santé, développent de nouvelles

veau et du système nerveux.
Ils peuvent se manifester dès la petite enfance et persis-
ter tout au long de la vie.
Parmi les troubles les plus courants, on retrouve l’au-
tisme, le trouble du déficit de l’attention avec ou sans
hyperactivité (TDAH), les troubles DYS comme la
dyslexie, la dyspraxie ou la dysphasie, et le trouble du
spectre de l’alcoolisation fœtale (TSAF).
Ces troubles peuvent entraîner des difficultés dans diffé-
rents domaines tels que la communication, les interac-
tions sociales, l’apprentissage, la coordination motrice
1 6
approches pour diagnostiquer les TND le plus tôt
possible et accompagner les enfants et leur famille. enfant
Premier exemple, le projet de François Jouen (doyen de sur
la section Sciences de la Vie et de la Terre de l’École est touché par un trouble
du neurodéveloppement
Pratique des Hautes Études) s’intéresse à l’activité mo-
trice des nourrissons : « Nous filmons puis analysons par
ordinateur les mouvements des bébés pour fournir aux
parents et aux spécialistes des outils de diagnostic pré-
coce de la neurologie des enfants et pouvoir ainsi réagir
au plus vite en cas de troubles du neurodéveloppement. »
Deuxième exemple, le travail de recherche du profes-

et la gestion des émotions.
Il est important de savoir que les TND ne sont pas le
résultat d’un manque d’intelligence ou d’efforts de la
part de l’enfant. Et que chaque enfant peut présenter
des symptômes différents et être affecté de manière va-
riable par ces troubles.
Les TND nécessitent donc une prise en charge adap-
tée et un soutien approprié.
35000
seur Stéphane Bezieau (chef du service de génétique
médicale du CHU de Nantes) vise à développer des
tests simples, applicables dans les laboratoires de gé- naissances par an sont concer-
nétique moléculaire, pour suivre l’évolution de la ma- nées par les TND*
ladie et adapter les soins en conséquence. « Le but est
d’identifier chez chaque enfant atteint d’un TND la cause
de son trouble s’il est d’origine génétique et de fournir des
modèles pour concevoir de futures thérapies, et cela au
niveau international. »

LES MUTUELLES AXA ENGAGÉES POUR LA SANTÉ DE DEMAIN

En complément de ses actions de mécénat en faveur de la solidarité, de l’environnement et des territoires,
les Mutuelles AXA ont lancé un programme de santé doté d’un budget de 45 millions d’euros sur trois ans
visant à soutenir des projets innovants et transformants en France autour de la jeunesse, du grand âge et de
la formation d’excellence des jeunes scientifiques. Pour en savoir plus : https://mutuelles-axa.fr/mecenat/
mecenat-sante.html

*source : «La stratégie nationale autisme et troubles du neuro-développement »

(document de la Haute Autorité de santé MAJ 01/08/2023 disponible sur le site www.has-sante.fr).