MERCREDI 24 OCTOBRE 2018

74E ANNÉE– NO 22949

2,60 € – FRANCE MÉTROPOLITAINE
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FONDATEUR : HUBERT BEUVE-MÉRY
DIRECTEUR : JÉRÔME FENOGLIO

SCIENCE

L’alimentation bio réduit

& MÉDECINE
SUPPLÉMENT
▶ La biologie française
minée par l’inconduite

sensiblement les risques de cancer

scientifique
▶ BepiColombo en
route vers Mercure
▶ Abderrahmane
Kheddar, entre
▶ Une étude épidémiologi- ▶ Ce résultat s’expliquerait ▶ La réduction du risque ▶ Même si l’étude ne peut hommes et machines
que portant sur 70 000 per- par la moindre présence serait même de 34 % pour apporter de conclusion
sonnes indique que les gros de résidus de pesticides les cancers du sein et de définitive, elle vient
consommateurs d’aliments synthétiques dans 76 % pour les lymphomes, « conforter un édifice de 1 ÉDITORIAL
biologiques ont un risque la nourriture bio, selon une affection surreprésen- preuves déjà important » L’INTÉGRITÉ
de cancer réduit de 25 % une chercheuse de l’INRA tée chez les agriculteurs PAGE 8 SCIENTIFIQUE
EST INTANGIBLE
P A G E 25

Négationnisme Comment
Mort de Robert
mesurer les
Faurisson,
faussaire QUEL MODÈLE violences scolaires
DE PROTECTION
la diffusion d’une vidéo mon-

de l’histoire trant un élève braquant un pisto-

let factice sur une enseignante a
exacerbé le débat sur les violen-

SOCIALE ?
L’ancien professeur de ces scolaires. Le sociologue Benja-
lettres, condamné pour min Moignard, spécialiste de la
avoir toute sa vie contesté question, estime que, globale-
l’existence des chambres ment, les professeurs « ne subis-
sent pas plus de violences
à gaz, est mort chez lui, aujourd’hui que dans les an-
à Vichy, à l’âge de 89 ans ▶ Emmanuel Macron envisage nées 2000 ». En revanche, il ob-
PAGE 2 2 un changement en profondeur serve un phénomène de « polari-
sation » dans quelques établisse-
du modèle social français ments et la difficulté de mesurer

Palestine ▶ Va-t-on vers une « flexisécurité »

l’ampleur du phénomène.
PAGE 1 4

Les autorités à la scandinave ou un modèle

recourent
libéral à l’anglo-saxonne ?
Brexit
à la torture
▶ Les députés examinent à partir
du 23 octobre le projet de loi Négociations à
Tant l’Autorité palesti-
de financement de la Sécurité sociale trois sur Gibraltar
nienne que le Hamas PAGE S 1 0 - 1 1 Madrid, Londres et le Ro-
torturent leurs cher discutent des condi-
opposants, selon tions de leurs relations
un rapport de l’ONG A l’Élysée, le 9 octobre. post-Brexit, qui achop-
Human Rights Watch PASCAL ROSSIGNOL/REUTERS pent encore sur la fiscalité
PAGE 4 CAHIER ÉCO – PAGE 2

La comédie
Europe Russie Justice Procès LES FILMS PELLÉAS 


Budget : Bruxelles Les Ingouches Tariq Ramadan Georges Tron Fait rire

de l’aRirnens eéneca. scade.

envisage de se révoltent reconnaît des de retour aux et très fo rt.
MON DE
LE
demander à Rome pour leur terre relations sexuelles assises pour viols et
de revoir sa copie dans le Caucase avec les plaignantes agressions sexuelles LE FIGA RO
TÉLÉ RAM A
CAHIER ÉCO – PAGE 3 PAGE 2 PAGE 1 4 PAGE 1 3 Ultra
Un pur joyau co mique.
joui ssif. LES INRO CKS

ie hilarante
L’OBS

Une coméd’é motion.

LE REGARD DE PLANTU Cinéma bourrée d PREMIÈRE
« Le Grand
Bain » : ballet
aquatique
et déjanté
Gilles Lellouche signe
un film choral,
excentrique et joyeuse-
ment mélancolique,
autour d’une équipe
rmaï Damien Bonnard
masculine de natation Adèle Haenel Pio Ma y Tautou
synchronisée. Cette bande Vincent Elbaz et Audre
de bras cassés tente de
surnager dans la piscine,
mais aussi dans la vie,
Salvadori
TO

aidée dans sa quête un film de Pierre

par de fortes femmes. 31 OCT

PAGE 1 6
Algérie 220 DA, Allemagne 3,30 €, Andorre 3,20 €, Autriche 3,30 €, Belgique 2,90 €, Cameroun 2 200 F CFA, Canada 5,40 $, Chypre 2,70 €, Côte d'Ivoire 2 200 F CFA, Danemark 34 KRD, Espagne 3,10 €, Gabon 2 200 F CFA, Grande-Bretagne 2,60 £, Grèce 3,20 €, Guadeloupe-Martinique 3,10 €, Guyane 3,20 €, Hongrie 1 050 HUF,
Irlande 3,10 €, Italie 3,10 €, Liban 6 500 LBP, Luxembourg 2,90 €, Malte 2,70 €, Maroc 19 DH, Pays-Bas 3,20 €, Portugal cont. 3,10 €, La Réunion 3,20 €, Sénégal 2 200 F CFA, Slovénie 3,20 €, Saint-Martin 3,20 €, Suisse 4,00 CHF, TOM Avion 500 XPF, Tunisie 3,20 DT, Afrique CFA autres 2 200 F CFA
2|
INTERNATIONAL
Dans le Caucase, la révolte des Ingouches
Un accord sur le tracé de la frontière avec la Tchétchénie menace la stabilité dans la région russe
bek Evkourov, en fonction depuis
REPORTAGE dix ans, a annoncé qu’un accord
magas (russie) - envoyée spéciale
sur la nouvelle définition des
U
n petit tapis de prière frontières avec la Tchétchénie voi-
enroulé sous le bras, sine avait été ratifié. Lancée de-
les hommes repar- puis la foule, une bouteille a sifflé
tent, leur colère in- à ses oreilles. En réaction, des gar-
tacte. Ils le démontrent en faisant des ont tiré en l’air.
hurler les avertisseurs de leurs Le soir même, les protestataires
voitures qui s’éloignent de l’ave- envahissaient la principale artère
nue où quelque 3 000 d’entre eux de Magas, déterminés à ne « ja-
se sont agenouillés à même l’as- mais » accepter un tel accord qui
phalte. Juché sur le toit d’une impliquerait, selon leurs calculs,
fourgonnette, un jeune s’est la perte de 9 % de leur territoire
drapé les épaules du drapeau in- grand comme un confetti à
gouche. La prière de rue, vendredi l’échelle russe. « 38 341 hectares en
19 octobre, à Magas, capitale de moins pour être exact », précise
l’Ingouchie, dans le Caucase Isabela Ievloieva, les cheveux en-
russe, fait suite à un mouvement veloppés d’un foulard à fleurs. A
inédit. Pour la première fois de- 36 ans, cette mère d’une famille de
puis l’arrivée au pouvoir de Vladi- quatre enfants, journaliste à Alif
mir Poutine en 2000, des centai- TV, un canal musulman qui émet
nes d’hommes et de femmes ont en russe, s’est imposée comme la
tenu tête aux autorités en cam- porte-parole du mouvement.
pant de jour comme de nuit dans
la rue, avec tentes, cantines et toi- « Manifestations sans précédent »
lettes bio improvisées. « Depuis le début, notre chef
La plus petite des « républi- [Evkourov] nous a menti, insiste-
ques » de la fédération de Russie t-elle, et cela a unifié tous les In-
(moins de 500 000 habitants) est gouches, quels que soient leurs dé-
entrée en ébullition le 4 octobre, saccords. » « Ces manifestations
lorsque, sur le perron du Parle- sans précédent réunissent des ci-
ment local, le chef de cette région toyens, les élites et même parfois
à majorité musulmane, Iounous- les forces de sécurité. Il n’existe
FÉDÉRATION DE RUSSIE Mer
Caspienne
Stavropol
Karatchaevo-
Tcherkessie Tchétchénie
Kabardino-
Balkarie Grozny
Ossétie
Magas
du Nord
Daghestan
Ingouchie
GÉORGIE
50 km
aucun exemple de ce genre en Rus-
sie sous Poutine », confirme Ekate-
rina Sokirianskaïa, spécialiste du
Caucase et fondatrice du Centre
d’analyse et de prévention des
conflits à Moscou qui s’est rendue
sur place. Fait rarissime, des poli-
ciers locaux ont en effet pris fait et
cause pour les manifestants, em-
pêchant la garde nationale russe
de les déloger de l’espace public.
Après l’entrée en vigueur le
16 octobre, malgré tout, de l’accord
contesté, le rassemblement a été
suspendu. Mais un nouvel appel a
déjà été lancé pour revenir occu-
per l’espace le 31 octobre, sous les
fenêtres de la télévision régionale
impassible. Un congrès ingouche
avec le renfort de la diaspora est
annoncé, et les organisateurs de la
fronde affichent leur volonté de se
tourner vers la Cour européenne
des droits de l’homme ou la Ligue
islamique mondiale si le recours
déposé devant la Cour constitu-
tionnelle ingouche n’aboutit pas.
En principe, ce recours devrait être
examiné le 25 octobre. A 1 700 km
au sud de Moscou, la mobilisa-
tion ne faiblit pas.
Aucune réunion de conciliation,
y compris en présence du repré-
sentant personnel de Vladimir
Poutine dans le Caucase du Nord,
Alexander Matovnikov, et du chef
du département de politique inté-
rieure du Kremlin, Andreï Iarine,
n’est parvenue jusqu’ici à désa-
morcer les tensions. La dernière
rencontre a été boycottée par les
opposants au projet. Car le sujet
des frontières a réveillé un trau-
matisme ancien.
Unis avec les Tchétchènes dans
une seule et même république à
l’époque soviétique, les Ingou-
ches, comme l’ensemble des peu-
ples du Caucase russe, ont été dé-
portés en 1944 par Staline au Ka-
zakhstan. Mais seuls ces derniers,
à leur retour treize ans plus tard,
n’ont pas récupéré l’entièreté de
leur territoire, dont une partie a
Après la chute
de l’URSS en 1991,
l’Ingouchie
avait choisi
de rester dans
le giron russe,
à la différence
de la Tchétchénie
été cédée à l’Ossétie du Nord.
Après la chute de l’URSS en 1991,
l’Ingouchie avait choisi, cepen-
dant, de rester dans le giron russe,
à la différence de la Tchétchénie,
qui réclamait son indépendance.
En 1992, ce petit territoire, qui a ac-
cueilli de nombreux réfugiés au
cours des deux guerres russo-
tchétchènes, est officiellement
devenu l’un des 85 sujets de la Rus-
sie, adoptant son propre drapeau,
sans qu’aucune frontière n’ait ja-
mais été formellement définie
avec le voisin tchétchène. Resté en
suspens, le tracé est depuis à l’ori-
gine de tensions récurrentes.
« Depuis vingt-six ans, il y a des
disputes sur la définition des fron-
tières et chacun a essayé de dire
son mot sur cette question (…). Des
commissions des deux régions ont
effectué un grand travail depuis
2009 », a tenté de plaider Iou-
nous-Bek Evkourov, un ancien
militaire qui commandait les for-
ces russes à Pristina en 1999, pen-
dant la guerre du Kosovo. Sans ré-
sultats autres que de renforcer la
détermination des manifestants.
« Le 4 octobre, les violations ont
été nombreuses au Parlement, ac-
cuse Zakri Mamilov, un député in-
dépendant attablé dans un café de
Magas. Nous n’avons même pas eu
le temps de prendre connaissance
du texte qui nous a été présenté au
dernier moment, sur une page,
alors que tous les détails figuraient
dans les annexes, poursuit l’élu de
Lors d’une manifestation
ingouche, à Magas (Russie),
le 6 octobre. MAXIM SHEMETOV/REUTERS
70 ans. J’ai moi-même vu trois de
mes collègues voter contre, et seuls
7 ou 8 députés ont voté pour, mais
selon le décompte officiel, il y a eu
17 voix pour, 3 contre et 4 nuls. »
Les Ingouches se sentent lésés.
Dans cette région pauvre où le
chômage atteint des niveaux re-
cord, la terre devient le symbole
d’une résistance farouche. « Pour
comprendre comme c’est impor-
tant, il faut savoir qu’un habitant
sur dix seulement a du travail et
qu’en Russie, la densité moyenne
de la population est de 6 habitants
au km², alors qu’elle est de 180 ici.
La Tchétchénie possède un terri-
toire cinq fois plus grand. Ce trans-
fert n’a aucune justification »,
martèle Barakh Tchemourziev,
l’un des piliers du comité d’orga-
nisation qui réunit les « anciens »
de cette société traditionnelle
comme des plus jeunes.
« Ambitions comme Napoléon »
Revenu il y a un an sur sa terre na-
tale après avoir longtemps ensei-
gné l’économie à Saint-Péters-
bourg, ce dernier a acquis une véri-
table notoriété en fondant plu-
sieurs organisations sociales. Les
tensions s’accroissent, il ne dort
donc plus chez lui et ne se déplace
plus qu’accompagné d’un « té-
moin ». Dans la nuit du 6 octobre,
Oleg Kozlovsky, un chercheur
d’Amnesty International envoyé à
Magas pour observer les manifes-
tations, a été enlevé à l’entrée de
son hôtel, battu, et soumis à des si-
mulacres d’exécutions par des
hommes se réclamant des services
de sécurité.
Nombre d’Ingouches rencon-
trés font remarquer que la por-
tion de territoire cédée à la Tchét-
chénie comporte trois gisements
de pétrole, inactifs en raison
d’une forte teneur en soufre, mais
potentiellement sources de reve-
nus. Mais ils sont encore plus
nombreux à dénoncer les préten-
tions de Ramzan Kadyrov, le chef
0123
MERCREDI 24 OCTOBRE 2018
implacable de la Tchétchénie, qui
a réduit au silence toute opposi-
tion sur ses terres. « Il a des ambi-
tions comme Napoléon », affirme
Barakh Tchemourziev. « Kadyrov
a l’intention de créer la grande
Tchétchénie, il veut s’imposer dans
tout le Caucase », estime Nour-
dine Kodsoiev, un historien.
« Nous n’avons rien contre nos
frères tchétchènes, mais ne vou-
lons pas vivre dans le monde de
Kadyrov ! », tempête Khadija, une
enseignante de langue russe à la
retraite. L’implication des fem-
mes dans la fronde ne surprend
personne ici. A plusieurs reprises,
Para Partchieva a pris la parole en
public, dans les rues de Magas, au
point d’acquérir le surnom de
« Mère Ingouchie ». Résidente en
France, cette spécialiste en lin-
guistique de 81 ans, n’a pas hésité
à prendre l’avion pour rejoindre
les manifestants. « J’ai très peur,
mais c’est une question de dignité
et de survie de notre identité, ce
n’est pas une question matérielle »,
dit-elle en français.
Ramzan Kadyrov s’est moqué de
la présence de ces femmes ingou-
ches dans la révolte qui secoue la
région. Puis il s’est fait menaçant,
lors d’une réunion filmée par la té-
lévision tchétchène. « Si vous êtes
des hommes, venez sur mon terri-
toire et essayez de faire au moins
une manifestation. On verra si
vous en sortez vivants. »
Finalement, dans la soirée qui a
suivi la prière de vendredi, il a fini
par franchir lui-même la « fron-
tière », en treillis militaire, pour se
rendre à la tête d’un imposant cor-
tège, à Sourhahi, dans le village
d’un notable ingouche. Alertés par
les réseaux sociaux, des jeunes se
sont précipités sur place. Tendue,
la réunion s’est finalement con-
clue par des propos apaisants de
part et d’autre. Mais l’alerte a été
chaude. Sitôt après, l’appel pour le
31 octobre a circulé de plus belle. p
isabelle mandraud
4 | international
En Palestine, un recours
systématique à la torture
L’ONG Human Rights Watch souligne le climat d’impunité instauré
à la fois en Cisjordanie par l’Autorité palestinienne et à Gaza par le Hamas
jérusalem - correspondant
N L’
ous allons te dévorer. »
C’est la phrase qu’en-
tendit le journaliste
Sami As-Sai, en fé-
vrier 2017, peu après son transfert
dans les locaux des services de
renseignement de l’Autorité pales-
tinienne (AP), à Jéricho. Interrogé
sur ses liens supposés avec le Ha-
mas, Sami As-Saï a été traîné avec
une corde, les mains attachées,
dans un couloir. Les policiers ont
accroché la corde à une porte
avant de la pousser lentement,
pour étirer les membres. Il s’est
évanoui. A son réveil, il a été
frappé à la plante des pieds une
vingtaine de fois. La douleur était
si forte qu’après avoir été conduit
aux toilettes, il n’était plus capable
de remonter son pantalon seul.
Lors d’un autre interrogatoire, il
a été menotté dans le dos, puis
suspendu ainsi au plafond. Les
policiers ont menacé de l’accu-
ser publiquement d’adultère, de
l’empêcher de revoir son son fils
de 10 ans, gravement malade. Au
bout de treize jours de déten-
tion, Sami As-Sai a plaidé cou-
pable pour « incitation au conflit
sectaire » et « blanchiment ». La
peine prononcée de quinze mois
fut ramenée à trois, puis suppri-
mée, dès lors que l’accusé accepta
de payer une simple amende. Il a
donc été remis en liberté à la fin
de sa garde à vue.
Cette histoire, une parmi tant
d’autres, figure dans un rapport
glaçant, fouillé, implacable, pu-
blié mardi 23 octobre par l’organi-
sation Human Rights Watch
(HRW). Intitulé « Deux autorités,
Italie : la Ligue de Salvini confirme sa
poussée, jusqu’à la frontière autrichienne
Prospère et traditionnellement modéré, le Trentin-Haut-Adige cède à l’extrême droite
trente, bolzano - envoyé spécial
A peine 4 % de chômage,
un PIB par habitant
supérieur de 50 % à la
moyenne nationale, une autono-
mie fiscale presque totale. Des
rues à la propreté irréprochable et
même des trains qui arrivent à
l’heure… Au premier abord, on a
peine à trouver ce qui pourrait
pousser les habitants du Trentin-
Haut-Adige à exprimer leur co-
lère. Et pourtant.
Dimanche 21 octobre, ils
étaient appelés à désigner leurs
représentants au Parlement de
cette région autonome atypique,
constituée de deux provinces à
l’autonomie quasi totale. Dans le
Trentin, vieille terre modérée ac-
quise au centre gauche depuis
l’explosion de la démocratie
chrétienne, au début des années
1990, la Ligue a opéré une pro-
Trente
Milan
TRENTIN-HAUT-ADIGE
Rome
ITALIE
200 km
« Aucun membre
d’une force
de sécurité n’a
été condamné
pour mauvais
traitement »,
souligne le
rapport de l’ONG
une voie, zéro contestation », ce
document est le fruit de deux ans
d’enquête, de 147 entretiens avec
essentiellement d’anciens déte-
nus, leurs proches, des avocats et
des représentants de la société ci-
vile palestinienne. Le rapport in-
siste sur la face sombre et mécon-
nue de l’Autorité palestinienne et
du Hamas, engagés depuis 2007
dans une lutte acharnée dont la
politique n’est qu’un volet.
Chacun sur son territoire appli-
que des méthodes répressives au
mépris du droit et des engage-
ments pris, afin de contraindre les
voix critiques au silence, persécu-
ter les militants de l’adversaire, ou
bien extorquer des aveux. Le para-
doxe est le suivant : les services de
sécurité palestiniens commettent
à l’égard de leurs citoyens les mê-
mes abus dont ils accusent régu-
lièrement leurs homologues israé-
liens. « La torture pratiquée à la fois
par l’AP et le Hamas peut constituer
un crime contre l’humanité, étant
donné sa pratique systématique au
cours de nombreuses années »,
note HRW. Les officiers palesti-
niens placent les détenus « dans
des positions douloureuses pen-
gression spectaculaire, dépas-
sant les 27 % des voix.
A la tête d’une coalition de droite
constituée en totale contradiction
avec la politique nationale – à
Rome, la Ligue gouverne avec le
Mouvement 5 étoiles (antisys-
tème), tandis que les centristes,
Forza Italia (pro-Berlusconi) et
Fratelli d’italia (postfascistes)
sont dans l’opposition – et qui to-
talise plus de 46 % des voix, l’ac-
tuel secrétaire d’Etat à la santé
du gouvernement de Giuseppe
Conte, Maurizio Fugatti, remporte
une indiscutable victoire. Il de-
vrait être intronisé à la présidence
de la province, sans coup férir,
dans les prochains jours.
« Ça a été d’autant plus facile
pour lui que la gauche n’a jamais
vraiment essayé de lui disputer la
victoire, de mettre en avant ce
qui fonctionne au niveau local »,
souligne l’ancien maire de Trente
et président de la province, Al-
berto Pacher, aujourd’hui retiré
de la politique. Il poursuit : « C’est
comme si vous deviez jouer contre
le Real Madrid de la grande épo-
que, et que vous décidiez d’essayer
de limiter la casse. Dans ces cas-là,
vous prenez une raclée. »
Rattaché à l’Italie après la pre-
mière guerre mondiale, le Tren-
tin, terre natale du fondateur de
la République italienne, Alcide
De Gasperi, n’est pas devenu subi-
tement eurosceptique. La Ligue
n’a eu qu’à mettre en sourdine ses
attaques contre Bruxelles, pour
insister sur les thèmes de l’immi-
dant de nombreuses heures à la
suite, en utilisant un mélange de
techniques qui laissent peu ou pas
du tout de traces corporelles. » Ap-
pelé « shabeh », ce procédé de tor-
ture est le plus fréquent. Ces mê-
mes méthodes ont été dénoncées
dans le passé par l’ONG israélienne
B’Tselem, notamment en 1998,
à propos des services de sécurité
intérieure israéliens.
A Gaza, les forces du Hamas pla-
cent les détenus dans une pièce
appelée « le bus », où ils sont obli-
gés de rester debout pendant des
heures voire des jours, ou bien de
s’asseoir dans une chaise d’enfant.
C’est ce qui arriva par exemple à
certains manifestants en jan-
vier 2017 qui protestaient contre la
crise énergétique aiguë. En Cisjor-
danie, des jeunes du camp de
Balata, à Naplouse, connu pour
son opposition à Mahmoud Ab-
bas, ont subi un sort encore plus
violent. Zaïd – un pseudonyme – a
décrit des chocs électriques de plu-
sieurs dizaines de secondes aux
épaules. Il a aussi expliqué qu’on
avait attaché une corde à son pénis
pendant huit heures environ, jus-
qu’à ce qu’il devienne bleu.
« Crimes numériques »
L’engagement politique n’est pas
le seul motif possible pour ces
traitements abusifs. Ils sont aussi
appliqués dans des enquêtes cri-
minelles, par exemple pour pos-
session de drogue, afin d’arracher
des aveux. La torture s’accompa-
gne souvent d’autres moyens de
pression. De façon systématique,
les enquêteurs exigent que leur
soient communiqués les codes se-
crets des téléphones portables,
gration et de l’insécurité, princi-
paux ingrédients de ses succès
dans les régions voisines de Lom-
bardie et de Vénétie, où la Ligue
est devenue presque hégémoni-
que. Et la dynamique nationale
a fait le reste ; de toute façon, ses
concurrents étaient inaudibles.
Premier parti national
Dissocié de son allié autonomiste
du Trentin, qui obtient 12 % des
voix, le centre gauche emmené
par Giorgio Tonini en a recueilli
un peu plus de 25 %, mais en son
sein, la liste du Parti démocrate ne
pèse pas plus de 14 %. Là aussi,
les considérations nationales ont
joué à plein, mais en sens inverse.
Incapable de formuler des propo-
sitions audibles face au discours
antimigrants et eurosceptique
du gouvernement, le parti de
centre gauche, naguère hégémo-
nique, est exsangue. A Trente
comme ailleurs, l’étiquette PD est
devenue un handicap. Quant aux
5 Etoiles, peu présents en Trentin,
ils ont pâti de leur hostilité au
chantier de tunnel sous le col du
Brenner, qui doit améliorer les
liaisons entre la région et le centre
de l’Europe. Ils rassemblent
moins de 8 % des voix.
A une cinquantaine de kilomè-
tres au nord, à Bolzano, la situa-
tion est complètement diffé-
rente. Majoritairement germa-
nophone, le Haut-Adige reste so-
lidement aux mains d’une
formation locale, le Südtiroler
Volkspartei (SVP), qui perd près
des comptes sur les réseaux
sociaux. L’Autorité palestinienne
prête une grande attention à Face-
book et aux autres plates-formes,
en profitant d’une législation très
décriée sur les « crimes numéri-
ques ». Dans un courrier à HRW, la
Sécurité préventive de l’AP a pré-
cisé qu’elle avait détenu, en 2016
et 2017, 220 personnes pour des
messages sur les réseaux sociaux,
65 étudiants et 2 journalistes. La
plupart du temps, il s’agissait de
sympathisants supposés du Ha-
mas. Pendant que les factions
palestiniennes prétendaient œu-
vrer à la réconciliation, l’espace
d’expression se rétrécissait de fa-
çon spectaculaire, à Gaza comme
en Cisjordanie.
En annexe du rapport de HRW fi-
gurent les réponses écrites des dif-
férents services palestiniens solli-
cités, à Gaza et à Ramallah. Ils se
surpassent en garanties de trans-
parence et promesses éthiques.
Comme le note l’ONG, des centai-
nes de plaintes ont été déposées
ces dernières années auprès de ces
services. « Human Rights Watch ne
connaît pas le moindre cas dans
lequel un membre d’une force de
sécurité aurait été condamné pour
arrestation arbitraire ou mauvais
traitement de détenu », souligne le
rapport. Dans ce contexte d’impu-
nité, HRW en appelle aux Etats-
Unis, à l’Union européenne et
aux pays européens qui fournis-
sent financements et assistance
à ces forces de sécurité palesti-
niennes. L’organisation les ap-
pelle à s’émouvoir publiquement
de cette situation et à suspendre
leurs aides. p
piotr smolar
de 4 points mais obtient tout
de même plus de 42 % des voix.
« Il y a, certes, un léger recul,
convient le président de la pro-
vince, Arno Kompatscher, mais
au fond, il s’agit plutôt d’un retour
à la normale. Aux dernières élec-
tions, les italianophones n’étaient
pas allés voter, et ils n’avaient eu
que cinq élus. Ils en auront huit
dans la prochaine assemblée et
c’est plus logique. »
Ici au moins, les considérations
locales ont primé sur le national.
Mais comment pourrait-il en être
autrement dans une province qui
se sent si peu italienne, et telle-
ment européenne ? « Ici, les élec-
teurs tiennent avant tout à conser-
ver notre statut spécial, souligne
Arno Kompatscher. D’ailleurs les
partis de droite germanophone, qui
ont soutenu sans réserve le projet
autrichien d’offrir un double passe-
port aux germanophones de la pro-
vince, ont nettement reculé… »
Mais même ici, et de façon très
atténuée, l’écho de la politique ro-
maine n’est pas totalement ab-
sent. A moins de 4 %, le Parti dé-
mocrate, allié historique du SVP,
connaît une défaite retentissante,
et la Ligue (11 % des voix) réalise
une percée spectaculaire : elle a
obtenu jusqu’à 27 % dans la capi-
tale de la province, Bolzano, ville
« italienne » où elle est même arri-
vée en tête. Même au pied du col
du Brenner, la Ligue est devenue,
incontestablement, le premier
parti national en Italie. p
jérôme gautheret
Biya réélu pour un
septième mandat à
la tête du Cameroun
Le chef de l’Etat sortant, 85 ans, dont près
de trente-six au pouvoir, a été reconduit
pour un mandat de sept ans
élection présidentielle au
Cameroun obéit à une
scénographie bien réglée.
Le contexte et le déroulement du
vote, le casting des rôles secon-
daires varient selon les époques,
mais la conclusion reste imman-
quablement la même. La campa-
gne peut offrir une apparence de
vitalité démocratique, les oppo-
sants clamer leur certitude de vic-
toire dans les urnes, les contesta-
tions légales être bien argumen-
tées, l’attente du résultat contenir
juste ce qu’il faut de faux sus-
pense ; à la fin, un même visage
émerge, seulement marqué de
quelques rides supplémentaires.
Lundi 22 octobre, au terme des
quinze jours légaux qui leur
étaient offerts après le vote, les
onze membres du Conseil consti-
tutionnel, perruqués, les épaules
couvertes d’hermine, tous nom-
més par Paul Biya, ont proclamé la
victoire définitive et sans appel du
même Paul Biya à l’élection prési-
dentielle. Un septième mandat
obtenu officiellement avec 71,28 %
des suffrages pour un homme de
85 ans qui a déjà occupé pendant
près de trente-six ans la plus
haute fonction de l’Etat.
Que peut-il encore promettre
que le temps ne lui a pas permis
de réaliser ? Pour sa réélection, le
président sortant n’a pas eu be-
soin de faire campagne ni de faire
miroiter de nouvelles opportuni-
tés à son peuple. Son slogan, qui
tapissait ces dernières semaines
tout ce que le Cameroun compte
de murs, s’est limité à une for-
mule : « La force de l’expérience »,
qui ne l’engage en rien auprès de
ses concitoyens. Il aurait aussi pu
choisir « le poids des habitudes ».
Une élection pour rien, pour-
rait-on dire ? Peut-être pas, car de
l’avis de tous les observateurs de la
vie locale, ce scrutin présidentiel a
redonné un certain intérêt pour la
politique à nombre de Camerou-
nais jusque-là désabusés par la
sclérose du débat public. Retrans-
mis à la télévision nationale et re-
pris sur les réseaux sociaux, les
trois jours d’audience devant le
Conseil constitutionnel ont offert
un spectacle inédit et largement
suivi : celui de la mise en accusa-
tion des pratiques électorales du
régime devant un tribunal.
« Arrogance régnante »
Devant cette instance chargée
pour la première fois, vingt-deux
ans après sa création, de se pro-
noncer sur les recours déposés
lors d’une élection à la fonction
suprême, le candidat Maurice
Kamto, qui demandait l’annula-
tion du vote dans sept des dix ré-
gions du pays, estimant notam-
ment que 1,327 million de voix
ont été frauduleusement oc-
troyées à Paul Biya, s’est fait le hé-
raut d’un « Cameroun aplati, qui
depuis les origines cherche à se re-
dresser » face au « Cameroun de
l’arrogance régnante, méprisante,
sûre de son fait ».
Sans surprise, les membres du
Conseil constitutionnel ne lui ont
pas donné satisfaction – pas plus
qu’aux deux autres candidats, Jos-
hua Osih et Cabral Libii, qui récla-
maient l’annulation complète du
scrutin du 7 octobre – mais Mau-
rice Kamto (14,23 % des suffrages) a
Que peut encore
promettre
Paul Biya que
le temps ne lui
a pas permis
de réaliser ?
0123
MERCREDI 24 OCTOBRE 2018
LE PROFIL
Paul Biya
Paul Biya, 85 ans, est à la tête
du Cameroun depuis 1982, date
à laquelle il remplace son prédé-
cesseur, Ahmadou Ahidjo, dont il
était le premier ministre. Allié de
la France qui considère le Came-
roun comme un îlot de stabilité
en Afrique centrale, M. Biya
dirige à distance. Il réside une
bonne partie du temps à Genève
et ne contrôle quasiment pas ses
équipes. Ainsi, le dernier conseil
des ministres s’est tenu le
15 mars, quand le précédent re-
montait à décembre 2014. Le Ca-
meroun est pourtant soumis à
trois crises : économique, dans le
nord avec la guerre contre Boko
Haram, et dans l’ouest anglo-
phone où l’armée affronte une
rébellion indépendantiste.
montré lors de cette élection qu’il
pouvait désormais endosser la te-
nue de premier opposant à Paul
Biya. Un pari sur l’avenir, en
somme, sachant que la présidence
Biya est entrée dans une ère cré-
pusculaire et que personne ne sait
comment les ténors du parti au
pouvoir géreront l’inéluctable
succession du « Sphinx d’Etoudi ».
Dans cette première élection or-
ganisée à l’ère des réseaux so-
ciaux, propices à la diffusion d’in-
formations rarement vérifiées, et
des groupes WhatsApp permet-
tant le rassemblement de tous
ceux qui partagent un même avis,
le Cameroun aura aussi montré
un visage inquiétant.
« On a pu voir un ethnofascisme
se développer contre les Bamiléké.
Il faut pour cela regarder certaines
chaînes de télévision soutenues
par le pouvoir », indique Stéphane
Akoa, politologue à la Fondation
Paul Ango Ela. En effet, que ce soit
dans les groupes de discussions
ou dans certains médias, la cam-
pagne contre Maurice Kamto a
été menée bien davantage contre
la communauté à laquelle il ap-
partient que contre le pro-
gramme défendu par cet ancien
ministre (2004-2011) à la per-
sonnalité policée et aux manières
de technocrate.
Pour Paul Biya, tout le défi de son
nouveau mandat de sept ans sera
de préserver l’unité d’un pays qui
n’a jamais paru aussi morcelé.
Dans les provinces septentriona-
les, le combat contre les islamistes
de Boko Haram, qui a permis à
Yaoundé de se replacer sur l’échi-
quier international comme l’un
des rouages de la lutte contre le dji-
hadisme, n’est pas achevé. « Ils ont
récupéré beaucoup d’armes lors de
deux attaques sur des bases militai-
res au Nigeria. Dès la saison sèche,
ils vont relancer des attaques »,
s’inquiète un officier de haut rang.
Dans les deux régions du Nord-
Ouest et du Sud-Ouest, les autori-
tés camerounaises mènent en re-
vanche depuis un an une guerre
sans appui extérieur et sans re-
gard étranger contre les rebelles
indépendantistes anglophones.
Nul n’est en mesure de savoir si,
dans un avenir proche, Paul Biya
privilégiera le dialogue, comme
l’y incitent diplomates et leaders
de la société civile, ou s’il poursui-
vra la répression à huis clos. p
cyril bensimon
« La Fondation
Francis Bouygues
m’a aidé à réaliser
mon rêve. »
David, ingénieur R&D à Lyon
CentraleSupélec (2017)

La Fondation d’entreprise Francis Bouygues

apporte son aide à des bacheliers motivés
et confrontés à des difficultés financières
pour leur permettre d’effectuer des études
supérieures. Chaque élève boursier est
accompagné pendant son cursus par un
parrain, collaborateur du groupe Bouygues
ou ancien boursier. Depuis 2005, date
de sa création, la Fondation a soutenu
789 étudiants, dont 375 sont maintenant
diplômés.
facebook.com/fondationfrancisbouygues
RCS Paris n° 490 841 228 00029 – Crédit photo : Frédéric Stucin –
6 | international
En Iran, les pauvres, premières victimes des sanctions
Déjà affectés par l’inflation, les Iraniens redoutent les mesures que Washington doit adopter le 4 novembre
REPORTAGE
téhéran - correspondance
I
l y a deux mois que Fate-
meh n’a pas acheté de
viande pour ses deux fils.
Cet été, pendant un mois,
cette femme de ménage de
42 ans du quartier défavorisé de
Nazi Abad, dans le sud de Téhé-
ran, a même dû renoncer à ache-
ter des tomates. Leur prix était
passé de 21 000 à 71 000 rials
(soit de 0,12 à 0,40 euros) le kilo
en quelques semaines, avant de
redescendre. Cette femme volon-
taire ne ménage pourtant
aucun effort. Depuis le mois
d’avril, Fatemeh travaille aussi le
week-end et parfois même le
soir. « Si les clients font appel à
moi », précise-t-elle.
Elle n’a plus vraiment le choix.
Le prix des marchandises en Iran
ne cesse d’augmenter depuis la
décision, en mai, du locataire de
la Maison Blanche, Donald
Trump, de se retirer unilatérale-
ment de l’accord sur le nucléaire
iranien de 2015 et de rétablir gra-
duellement les sanctions améri-
caines contre Téhéran. « L’année
dernière [achevée le 21 mars der-
nier, selon le calendrier persan],
il me fallait 15 millions de rials
pour finir le mois. Aujourd’hui,
même en étant propriétaire, avec
30 millions je n’y arrive pas »,
déplore Fatemeh.
La promesse, faite par le prési-
dent Rohani au début de son
premier mandat, en 2013, d’une
reprise rapide de l’économie a
fait long feu. L’arrivée massive
des investissements étrangers
en Iran escomptée après la
signature de l’accord en 2015 a
été remise en cause. Le retour
des sanctions a déclenché le dé-
part de presque tous les investis-
seurs européens.
La crise a gagné le marché des
devises étrangères. Depuis fé-
vrier, le rial a perdu 70 % de sa va-
leur face au dollar. Aujourd’hui,
malgré une reprise légère de la
valeur de la monnaie iranienne,
le billet vert s’achète à 140 000
rials (contre 40 000 en février,
avant le début de la crise). Des
économistes craignent qu’avec
l’imposition du deuxième volet
des sanctions américaines, le
4 novembre, visant le secteur pé-
trolier et gazier ainsi que la Ban-
que centrale iranienne, la chute
du rial reprenne de plus belle.
Massoud Barzani sort renforcé des législatives kurdes
L’ex-président de la région autonome est en position de force pour négocier des portefeuilles dans le futur gouvernement de Bagdad
U n an après le fiasco du ré-
férendum sur l’autodé-
termination du Kurdis-
tan irakien du 25 septembre 2017,
Massoud Barzani engrange les di-
videndes de son entêtement à
porter coûte que coûte le rêve
d’indépendance kurde. La forma-
tion de l’ancien président kurde,
le Parti démocratique du Kurdis-
tan (PDK), a remporté une vic-
toire écrasante sur son rival,
l’Union patriotique du Kurdistan
(UPK), aux élections législatives
de la région autonome, selon les
résultats définitifs, publiés di-
manche 21 octobre.
Vainqueur à l’échelle locale, le
PDK est en position de force pour
obtenir des portefeuilles au sein
du futur gouvernement fédéral.
Or l’avenir pour le camp kurde,
miné par les divisions, se joue
plus que jamais à Bagdad. Mas-
soud Barzani a su tirer profit de
son pari perdu de septem-
bre 2017, en dépit de la recon-
quête consécutive par Bagdad
des territoires disputés – dont la
province pétrolifère de Kirkouk –
« Avant, il me
fallait 15 millions
de rials pour
finir le mois.
Aujourd’hui,
même en étant
propriétaire, avec
30 millions, je n’y
arrive pas »
FATEMEH
femme de ménage
Lors du rétablissement du pre-
mier volet de sanctions, le 6 août,
comprenant des blocages des
transactions financières et des
importations de matières pre-
mières, ainsi que des mesures
pénalisant les achats dans le sec-
teur automobile et l’aviation
commerciale, un sentiment de
panique s’est emparé de la popu-
lation. Soucieux d’avoir des ré-
serves en produits dont les ma-
tières premières sont importées
en Iran, notamment les mou-
choirs, les couches pour bébé,
les serviettes hygiéniques et les
détergents, des Iraniens ont af-
flué dans les supermarchés du
pays, obligeant les commerçants
à imposer des quotas sur l’achat
de ces marchandises. Les prix
ont augmenté, parfois de ma-
nière vertigineuse.
Selon le dernier rapport du
Fonds monétaire international,
publié début octobre, la détério-
ration de l’économie iranienne
va se poursuivre : elle devrait se
contracter de – 1,5 % cette année
et de – 3,6 % en 2019, alors que
l’Iran a enregistré, en 2017, une
croissance de 3,7 %. Les prévi-
sions du FMI concernant l’infla-
tion ne sont pas plus prometteu-
ses : cette année, elle devrait at-
teindre 29,6 %, et 34,1 % en 2019.
Fatemeh, elle, n’a pas besoin de
chiffres pour savoir que son pou-
voir d’achat a baissé. Elle n’a plus
les moyens d’acheter des mou-
choirs, devenus trop chers : pour
ses deux fils, Alireza et Mehdi,
âgés de 22 et 15 ans, elle a acheté à
chacun une petite serviette.
Dans ce contexte économique
difficile, il n’est plus question
pour cette famille iranienne, où
seule la mère travaille, de céder à
la tentation de manger au restau-
que les forces kurdes occupaient
depuis 2014 et la guerre contre
l’organisation Etat islamique.
Après trois semaines de re-
comptage des votes sur fond d’al-
légations de fraude, la commis-
sion électorale kurde a confirmé,
dimanche, la victoire du PDK
avec 45 sièges sur les 111 au Parle-
ment local. Second avec 21 sièges,
l’UPK n’obtient que trois sièges
supplémentaires. Le parti rival de
la famille Talabani paie le prix de
ce que M. Barzani avait dénoncé
comme une « haute trahison » en
octobre 2017, quand les combat-
tants kurdes peshmergas de
l’UPK s’étaient retirés sans com-
battre de Kirkouk face à l’avancée
des forces fédérales.
« Erreur stratégique »
L’UPK conserve cependant sa
position dominante dans ses
bastions traditionnels du sud du
Kurdistan. Le scrutin du 30 sep-
tembre marque ainsi un retour
au bipartisme entre deux clans,
qui se partagent politiquement,
économiquement et militaire-
Dans une pharmacie d’hôpital à Téhéran, le 11 septembre. AFP
rant. « Pour l’anniversaire de mon
aîné, nous sommes sortis dîner
mais, une fois arrivés sur place,
vu les prix, nous avons décidé de
ne prendre que des boissons », se
rappelle Fatemeh.
« Très pessimiste »
Pour faire des économies, elle a
commencé, comme beaucoup de
femmes lors des années de la
guerre Iran-Irak (1980-1988), à
faire du double concentré de to-
mate et du yaourt à la maison.
Elle compte en faire un nouveau
gagne-pain. Et si avant elle se per-
mettait de prendre un taxi collec-
tif pour ses déplacements,
aujourd’hui, elle n’utilise que le
bus et le métro, des moyens de
transport beaucoup moins chers.
« Je mets donc beaucoup plus de
temps à arriver à destination,
surtout le soir où je passe presque
trois heures dans les embouteilla-
ment la région autonome. Il voit
aussi la montée en puissance de
personnalités sécuritaires au
détriment de membres de la
société civile. Le parti d’opposi-
tion Goran (« changement ») a
perdu la moitié de ses sièges,
avec 12 députés élus. Les deux
partis islamistes sont également
en recul. Outsider, le parti Nou-
velle Génération réalise une
percée, avec huit sièges. Dénon-
çant des fraudes, tous ont an-
noncé leur intention de contes-
ter les résultats. La victoire des
deux partis historiques est nuan-
cée par un fort taux d’abstention
– 42 % selon les chiffres officiels –,
signe d’une défiance accrue de la
population envers les responsa-
bles politiques.
Avec les 11 députés issus des mi-
norités, le PDK est en position
d’obtenir la majorité au Parle-
ment et de former seul le futur
gouvernement de la région auto-
nome. Pour la première fois de-
puis vingt-six ans, le PDK dit
exclure de former un gouverne-
ment d’union nationale avec
ges pour arriver chez moi. » Alors
que son aîné doit finir son service
militaire en mars 2019, et même
s’il a une formation en mécani-
que de maintenance automobile,
Fatemeh n’a pas espoir qu’il
trouve un travail, tant le chômage
est élevé chez les jeunes dans cer-
taines régions (allant jusqu’à
30 %, selon les chiffres officiels).
« Lui aussi est très pessimiste,
confie Fatemeh. Il avait une co-
pine avec qui je voulais le marier.
Mais il a rompu avec elle. Il lui a
dit : “Je ne peux pas t’offrir une
vie.” Le destin de son frère, ingé-
nieur civil et titulaire d’un master,
qui travaille depuis trois ans
comme chauffeur chez Snapp (la
réplique iranienne d’Uber), n’a pas
été très encourageant non plus. »
Alors que le président Rohani a
promis, lors d’un discours à l’uni-
versité de Téhéran, le 14 octobre,
que « rien ne se passera le 4 no-
Le scrutin du
30 septembre
marque un
retour au
bipartisme des
deux partis-clans
qui se partagent
le Kurdistan
l’UPK. « Ce serait une erreur
stratégique. On voit mal comment
le PDK peut gérer le sud du Kurdis-
tan qui est contrôlé politiquement,
militairement et économique-
ment par l’UPK. Ce serait prendre
le risque d’un retour à la guerre ci-
vile des années 1990 et de la divi-
sion en deux gouvernements [ce-
lui du PDK à Erbil et celui de l’UPK
à Souleimaniyé de 1994 à 2006].
Le PDK est dans l’obligation de co-
habiter avec l’UPK », estime Adel
Bakawan, chercheur associé à
l’Ecole des hautes études en
sciences sociales (EHESS).
Fatemeh n’a pas
voté depuis
« des années ».
« Rien de bien
n’arrive avec
aucun de ces
présidents »,
dit-elle
vembre » et a appelé à garder
« l’espoir » de voir surmontés les
problèmes actuels, Fatemeh, elle,
n’a pas de doute que les choses
« iront de mal en pis ». Elle n’a pas
voté pour Hassan Rohani, qui est
aujourd’hui très critiqué pour sa
gestion de la crise. En fait, cela
fait « des années » qu’elle n’a pas
voté tout court. « Rien de bien
n’arrive avec aucun de ces prési-
« Toutes les discussions kurdes
sur leur avenir passent désormais
par Bagdad, et non plus par Erbil.
Ce déplacement du centre de gra-
vité est lourd de conséquences
dans le camp kurde », analyse
Hosham Dawood, chercheur à
l’EHESS. De fait, la rivalité entre
les deux partis a été aiguisée par
la bataille inédite qu’ils se sont li-
vrée pour la présidence de l’Irak,
dévolue à un Kurde, le 2 octobre
au Parlement fédéral à Bagdad.
Après avoir démissionné de la
présidence du Kurdistan irakien
en novembre 2017, Massoud Bar-
zani avait décidé de remettre en
cause l’arrangement tacite qui,
depuis 2005, garantissait ce
poste honorifique à l’UPK.
Appuyé en principe au Parle-
ment par la coalition de partis
chiites pro-iraniens et leurs alliés
sunnites, qui voient dans le PDK
la seule force à même de stabili-
ser le Kurdistan, M. Barzani pen-
sait pouvoir imposer son candi-
dat, son fidèle conseiller Fouad
Hussein. C’était sans compter les
ambitions du candidat de l’UPK,
0123
MERCREDI 24 OCTOBRE 2018
dents », dit-elle, ignorant tout des
promesses de début de mandat
du président Rohani et de l’ac-
cord sur le nucléaire iranien.
Fatemeh est loin d’être un cas
isolé. La crise commence à ga-
gner d’autres pans de l’économie
et un nombre croissant d’Ira-
niens. Parmi les classes moyen-
nes, nombreux se voient désor-
mais obligés de faire preuve
d’ingéniosité pour faire des éco-
nomies. Les pénuries de médica-
ments, dont ceux pour traiter les
hépatites B et C et le sida, ainsi
que les traitements de chimio-
thérapie, se multiplient. Cela an-
goisse Fatemeh plus que tout.
« Une fois, dans le métro, j’ai en-
tendu qu’un médecin parlait des
queues interminables dans certai-
nes pharmacies. Elle disait : “Priez
pour que rien ne vous arrive en ces
temps difficiles.” » p
ghazal golshiri
Barham Salih, qui a rejeté l’ac-
cord que négociaient les deux
partis kurdes pour présenter un
candidat unique. « C’était, pour
M. Salih, le moment ou jamais. S’il
n’avait pas ce poste, il était mort
politiquement », analyse Adel Ba-
kawan. Partisan de l’intégrité de
l’Irak, M. Salih a pu compter sur
le profond rejet de M. Barzani
chez les députés chiites, qui ont
ignoré les consignes de vote. Il l’a
emporté avec 219 voix sur 329,
infligeant un revers cinglant au
candidat du PDK.
Ce camouflet a été dénoncé
comme une nouvelle trahison de
l’UPK par Massoud Barzani. Face
au risque d’une escalade entre les
deux rivaux, acteurs locaux et ré-
gionaux s’évertuent à apaiser les
tensions. Ami proche de M. Bar-
zani, le nouveau premier minis-
tre irakien, Adel Abdul Mahdi, « a
joué un rôle positif de dédramati-
sation de ses rapports avec l’UPK,
assure M. Bakawan. Et l’UPK est
disposé à lâcher beaucoup de lest
envers le PDK. » p
hélène sallon

0123
MERCREDI 24 OCTOBRE 2018
Brésil : « Mon doigt ne tremblera
pas pour voter Bolsonaro »
A Belo Horizonte, dans le sud-est prospère du pays, une famille
explique son choix pour le candidat d’extrême droite à la présidentielle
TÉMOIGNAGES
belo horizonte (brésil) -
envoyée spéciale
A qui le dites.
u dixième étage d’un im-
meuble moderne de Belo
Horizonte, capitale pros-
père de l’Etat de Minas Gerais,
deux générations d’une famille
brésilienne s’apprêtent à passer à
table. Ils sont huit dans une grande
pièce lumineuse, ornée de toiles
contemporaines : deux couples
nés dans les années 1940 et leurs
enfants âgés de 40 à 50 ans. Ici, pas
de rentiers, tout le monde tra-
vaille. Ils appartiennent à la classe
moyenne supérieure, celle qui vit
bien, quoique sans luxe excessif, et
préfèrent ne pas donner leur nom.
Ce sont des gens ouverts, curieux,
qui ont voyagé en Amérique la-
tine, aux Etats-Unis et en Europe.
Ils lisent beaucoup, livres et jour-
naux, se tiennent informés des af-
faires du monde, et surtout, de cel-
les de leur pays.
Tous ont décidé de voter pour le
candidat d’extrême droite à la pré-
sidentielle brésilienne, Jair Bolso-
naro. A une semaine du second
tour, la discussion démarre sur les
chapeaux de roues. Comme c’est
dimanche et que l’employée de
maison ne travaille pas, Veronica,
l’une des belles-filles, a préparé le
repas. En même temps que les
plats, salade verte, gigot mariné,
graine de couscous au jambon, la
politique arrive sur table elle aussi,
et à la place d’honneur. Car les
convives ne sont pas encore assis
que le ton monte déjà : ils ont beau
miser sur le même candidat, tous
ne le font pas exactement dans le
même état d’esprit.
Ce qu’ils partagent, sans excep-
tion, c’est le rejet du Parti des tra-
vailleurs, ce PT dont Lula fut
l’icône et Dilma Rousseff, celle qui
lui a succédé, le repoussoir. C’est
avec elle, disent-ils à l’unisson,
qu’a commencé la dégringolade
du Brésil. Lula, le flamboyant mé-
tallurgiste, n’était pas du même
monde qu’eux, mais Luiz, vétéri-
naire de 50 ans, avait voté pour lui,
en 2003. Il reconnaît que Lula a
permis au Brésil d’apparaître
« comme un pays qui respectait les
plus défavorisés ». Il a donné aux
pauvres un accès à la consomma-
tion et permis qu’aujourd’hui,
presque tout le monde ait un télé-
phone portable.
Seulement, cette séduction n’a
pas duré. Quand la justice a mis
au jour l’impressionnant système
de corruption organisé par le PT,
dans lequel une grande partie de
« On aurait peut-
être pu avoir
quelqu’un d’un
peu mieux que
Bolsonaro, non ?
Moins grossier,
moins agressif ? »
ARLINDA
peintre
MI GRAT I ON S
Trump veut couper
les aides à trois pays
d’Amérique centrale
Accusant le Honduras, le Salva-
dor et le Guatemala de ne pas
avoir réussi à « empêcher les
gens de quitter leur pays pour
entrer illégalement aux Etats-
Unis », le président américain,
Donald Trump, a menacé, lundi
22 octobre, de « couper ou ré-
duire l’aide internationale » ac-
cordée à ces pays. Il cible la « ca-
ravane » de 7 000 migrants en
route vers la frontière mexica-
no-américaine. – (AFP.)
la classe politique s’est compro-
mise, plusieurs partis confondus,
une énorme colère s’est emparée
de la famille. Et c’est d’abord cette
fureur que traduit leur vote pour
Bolsonaro. « Tant de saleté !, s’ex-
clame Elena, psychanalyste à la
retraite. L’exemple que ces gens
ont donné est épouvantable. »
Chacun à son tour, ils énumèrent
les malversations du personnel
politique et surtout celles des
membres du PT, Lula en tête.
A la faveur de cette colère, tout le
reste remonte pêle-mêle. D’abord,
bien sûr, les millions de chô-
meurs, l’insécurité, l’argent dé-
pensé par le PT pour construire
des infrastructures dans d’autres
pays, Venezuela, Bolivie ou Cuba,
quand le Brésil en manquait. Ils
dénoncent aussi « l’instrumentali-
sation du mouvement des sans-
terre » et ce que les plus âgés appel-
lent la « survalorisation des mino-
rités » (LGBT et Indiens)… Enfin, ils
accusent le PT d’avoir mis en place
un système clientéliste, sans in-
vestir suffisamment dans la santé,
la formation des enseignants, la
consolidation de la croissance.
Car même dans la classe privilé-
giée dont ils font partie, la crise
économique a bousculé les habi-
tudes. Junio, l’un des gendres,
n’est pas là, parce qu’il a retrouvé
du travail dans le Nordeste, après
une période de chômage. Il ne re-
vient qu’une fois par mois pour
voir sa femme pédiatre et ses
deux enfants : trop loin, trop cher
pour faire mieux.
Inculte et « mal préparé »
Paulo, son beau-père, a fondé une
entreprise de sécurité sociale pri-
vée, qui vend ses services aux en-
treprises. Dans les dernières an-
nées, il a vu fondre le nombre de
salariés pris en charge par leurs
employeurs. « Et pendant ce
temps, dit-il, la Bolsa familia [une
bourse allouée aux plus pauvres]
décourage les gens de travailler
autrement qu’au noir, parce qu’elle
est un peu supérieure au salaire mi-
nimum. » Veronica, elle, travaille
dans une société qui installe des
caméras de sécurité. La plupart de
ses clients sont des entreprises pu-
bliques qui n’ont plus d’argent et
paient en retard, ou pas du tout.
S’ils se sont tous ralliés à Bolso-
naro, tous n’ont cependant pas la
même vision de l’homme. A leurs
yeux, ce député serait l’un des
seuls à ne s’être pas laissé cor-
rompre, mais pour le reste, seul
Esio, chirurgien de 45 ans, votera
de bon cœur en sa faveur : « Moi,
je ne le choisis pas par défaut. Je
pense qu’il a eu l’intelligence de
comprendre ce sentiment de ras-
le-bol des Brésiliens. Il va nettoyer
tout ce bordel. »
Aucune crainte d’une nouvelle
dictature ? « Non. De toute façon,
les gens qui luttaient contre la dic-
tature dans les années 1970
n’étaient eux-mêmes pas de
grands démocrates. » Près de lui,
sa femme acquiesce : « Cette gau-
che latino-américaine est indé-
crottable. Ils disent qu’ils agissent
pour les pauvres et, quand ils sont
C HI N E
Inauguration d’un pont
entre Hongkong, Macao
et le continent
Le président chinois,
Xi Jinping, a inauguré, mardi
23 octobre, le plus grand pont
maritime au monde, reliant
Hongkong, Macao et la Chine
continentale. Pour Pékin,
cette infrastructure de 55 kilo-
mètres doit permettre de do-
per le commerce. Pour les
opposants au projet, il est
une tentative de plus de Pékin
d’accroître sa mainmise
sur Hongkong. – (AFP.)
international | 7
Tout est dit,
LE CONTEXTE
et c’est vous
SONDAGE
Jair Bolsonaro est crédité de
57 % des intentions de vote au
second tour de l’élection prési-
dentielle du 28 octobre, selon un
Année 2018 • LIDL RCS Strasbourg 343 262 622
sondage CNT/MDA publié lundi
22 octobre. Son rival, Fernando
Haddad, du Parti des travailleurs,
obtiendrait 43 % des suffrages.
DÉMOCRATIE
M. Haddad a affirmé lundi que la
démocratie brésilienne serait en
danger si son adversaire venait à
être élu. Le candidat du PT s’est
appuyé sur une vidéo diffusée di-
manche dans laquelle Eduardo
Bolsonaro, un des fils du candi-
dat d’extrême droite, affirmait
que la Cour suprême devrait être
démantelée si elle prenait une
initiative pour priver son père
d’une victoire dans les urnes.
au pouvoir, ils se mettent à faire
n’importe quoi pour y rester. »
Paulo, lui, est un homme opti-
miste. Il veut croire que Bolso-
naro fera l’affaire, même s’il a
quelques doutes sur son enver-
gure personnelle. « Mais mon
doigt ne tremblera pas quand j’ap-
puierai sur le bouton, soutient-il
en évoquant le système de vote
électronique en vigueur au Brésil.
Il faut savoir ce qu’on veut. »
Elena, pour sa part, n’a aucune
admiration pour Bolsonaro,
qu’elle trouve inculte et « mal pré-
paré à la fonction présidentielle ».
La première fois qu’elle l’a entendu
parler, elle s’est dit qu’un candidat
pareil serait un véritable danger,
s’il devenait un jour président. Elle
a peur de l’avenir, mais elle a aussi
l’impression d’être coincée : « Je
préfère voter démocratiquement
pour un militaire que de risquer un
coup d’Etat de l’armée, si le chaos
actuel devait se poursuivre. »
« Tout de même, on aurait peut-
Catégorie fruits
être pu avoir quelqu’un d’un peu
mieux, non ? Un peu moins gros-
sier, moins agressif ? » La question
vient d’Arlinda, la mère de Vero-
et légumes
nica, qui est peintre. Un silence. Au
bout de la table, son mari répond :
« Non, parce qu’il n’aurait pas été
aussi courageux. » Ce sentiment de
ne pas avoir le choix les réunit.
Beaucoup auraient aimé voter
pour quelqu’un d’autre, le candi-
dat du Partido Novo (droite), Joao
Amoedo, ou Henrique Mereilles,
et aussi
directeur de la banque centrale
du temps de Lula, mais ces candi-
dats semblaient n’avoir aucune
chance, trop bas dans les sonda-
ges. Alors, pour se débarrasser du
PT, ils s’apprêtent à voter au se-
cond tour pour Bolsonaro, ce can-
didat dont, au fond, presque tous
se méfient. « Ce sera peut-être qua-
tre ans de perdus, concède Luiz. Le
temps d’un mandat. Mais on sera
sortis de cette ère PT. » Et après ?
« Après, un autre viendra. » p
raphaëlle rérolle
ÉTATS- U N I S
Un engin explosif
Merci à vous !
chez George Soros
Un engin explosif a été re-
trouvé, lundi 22 octobre, dans
une boîte aux lettres au domi-
cile du milliardaire d’origine
hongroise George Soros à Kato-
nah, dans l’Etat de New York.
Un employé de la résidence a
découvert le colis piégé, l’a dé-
posé dans un bois et a appelé la Étude basée sur 359 606 évaluations de consommateurs
police. M. Soros est fréquem- de mai à juillet 2018 par Khedia.
ment la cible de critiques éma-
nant de mouvements d’ex-
trême droite aux Etats-Unis
comme en Europe. – (Reuters.)
8|
PLANÈTE
Manger bio réduit
les risques de cancer
Une étude montre que les gros consommateurs
de produits bio ont un risque réduit de 25 %
de développer la maladie
P
our les agences régle-
mentaires, les résidus de
pesticides dans l’ali-
mentation ne présen-
tent aucun risque pour la santé.
Mais un corpus scientifique ré-
cent, sur les effets des mélanges
de molécules et des expositions
chroniques à faibles doses, sug-
gère que les risques posés par les
traces de produits phytosanitai-
res sont, au contraire, bien réels
pour le consommateur. Une
étude épidémiologique française,
publiée lundi 22 octobre dans la
revue JAMA Internal Medicine, est
la première à pointer de tels ris-
ques dans la population générale,
s’agissant du cancer.
Elle indique que les plus gros
consommateurs d’alimentation
issue de l’agriculture biologique
ont un risque de cancer réduit de
25 %, par rapport à ceux qui en
consomment le moins. « Pour ex-
pliquer ces résultats, l’hypothèse
de la présence de résidus de pestici-
des synthétiques bien plus fré-
quente et à des doses plus élevées
dans les aliments issus de l’agri-
culture conventionnelle comparés
aux aliments bio est la plus proba-
ble », indique Emmanuelle Kesse-
Guyot, chercheuse (INRA) dans
l’équipe de recherche en épidé-
miologie nutritionnelle (Inserm,
INRA, université Paris-XIII) et
coauteure de ces travaux. De fait,
les types de cancer dont les ris-
ques sont les plus réduits chez les
consommateurs d’aliments la-
bellisés « AB » sont également as-
sociés aux expositions des agri-
culteurs aux pesticides.
Corriger les biais
Conduits par Julia Baudry et Em-
manuelle Kesse-Guyot, les auteurs
ont exploité les données d’une
grande cohorte, dite NutriNet, de
près de 70 000 volontaires suivis
entre 2009 et 2016. Ils ont divisé
en quatre groupes les individus,
en les classant des plus gros con-
sommateurs de bio (environ plus
de 50 % de leur alimentation), à
ceux qui n’en consomment que
de manière occasionnelle, ou ja-
mais. Durant les sept années de
suivi, 1 340 nouveaux cas de can-
Des microplastiques détectés dans les excréments humains
Des chercheurs mettent en évidence la contamination de la chaîne alimentaire en analysant les matières fécales de huit individus
N ous mangeons, et donc
déféquons, du plastique.
C’est la conclusion ma-
jeure d’une étude au protocole
simple et pourtant inédit, présen-
tée mardi 23 octobre au congrès
de l’Union européenne de gastro-
entérologie qui se tient à Vienne,
en Autriche.
Elle montre, à partir d’analyses
conduites sur des individus re-
crutés dans six pays européens
ainsi qu’au Japon et en Russie, la
présence généralisée de micro-
plastiques dans leurs selles. Ex-
ploratoire, l’étude n’a porté que
sur huit personnes bien portan-
tes, mais vivant dans des pays dif-
férents (Italie, Finlande, Pologne,
Royaume-Uni…) à des latitudes
diverses (de la Sibérie au pour-
tour méditerranéen), aux régi-
mes alimentaires variés.
Les lymphomes
font partie
des cancers
surreprésentés
chez les
agriculteurs
exposés
aux pesticides
cer ont été enregistrés ; les
auteurs ont ensuite observé la ré-
partition de ces maladies dans les
différents groupes.
Au total, en tenant compte de
toutes les localisations cancéreu-
ses, la baisse du risque est de 25 %
pour le groupe le plus consom-
mateur de bio par rapport au
groupe le moins consommateur.
Mais les réductions de risque
vont jusqu’à 34 % pour les can-
cers du sein post-ménopause,
76 % pour les lymphomes (un
type de cancer du sang). « L’une
des grandes forces de ces conclu-
sions est qu’elles sont largement
cohérentes avec les résultats des
études menées sur les expositions
professionnelles aux pesticides,
explique l’épidémiologiste Philip
Landrigan (Boston College, Etats-
Unis), qui n’a pas participé à
l’étude. Cela renforce grandement
la plausibilité d’un lien entre l’ef-
fet mis en évidence et la présence
de résidus de pesticides dans l’ali-
mentation. » Les lymphomes, no-
tamment, font partie des cancers
surreprésentés chez les agri-
culteurs exposés aux pesticides.
« C’est, à ma connaissance, la
première fois que l’on met en évi-
dence et à partir d’une enquête
prospective [c’est-à-dire en sui-
vant dans le temps un ensemble
d’individus], un lien entre alimen-
tation bio et risque de cancer,
ajoute M. Landrigan. Les grandes
forces de l’étude sont la taille de la
cohorte et la durée du suivi. Il s’agit
clairement d’une étude impor-
tante et ce résultat mérite beau-
coup de considération. »
L’une des difficultés de l’exercice
est de corriger l’analyse de nom-
Cela suffit à Philip Schwabl (uni-
versité de médecine de Vienne,
Autriche) et à ses coauteurs de
l’Agence autrichienne de l’envi-
ronnement, pour suspecter qu’au
moins la moitié de la population
mondiale porte, dans son système
digestif, des microparticules de
différentes matières plastiques. Et
vraisemblablement bien plus.
Tous les échantillons analysés se
sont révélés positifs : au mini-
mum, 10 grammes de fèces con-
tiennent dix-huit microparticules
de plastique, le maximum étant
de 172, et la médiane située à
vingt… Plus surprenant, presque
tous les types de plastiques recher-
chés ont été retrouvés. Du poly-
propylène et du polytéréphtalate
d’éthylène (PET) ont été identifiés
dans tous les échantillons, les
autres matières les plus fréquem-
breux biais possibles. En particu-
lier, des travaux antérieurs mon-
trent que les consommateurs
d’aliments bio ont en moyenne
une alimentation plus saine, pra-
tiquent plus régulièrement de
l’exercice physique ou encore ap-
partiennent à des catégories so-
ciales plus élevées que la
moyenne. Autant de facteurs qui
influent sur le risque de contracter
diverses maladies – dont le cancer.
Les auteurs ont donc corrigé
leur analyse grâce au relevé d’un
grand nombre de caractéristiques
des individus de la cohorte : in-
dice de masse corporelle, niveau
d’activité physique, catégorie so-
cioprofessionnelle, qualité du ré-
gime alimentaire, statut tabagi-
que, etc. « La prise en compte de
ces nombreux facteurs de risque
est à mettre au crédit des auteurs,
estime l’épidémiologiste Rémy
Slama (Inserm, université Greno-
ble-Alpes), qui n’a pas participé à
ces travaux. Au total, il est peu
plausible que des facteurs liés au
style de vie, autres que la consom-
mation d’aliments bio, soient en
cause dans l’effet observé. »
M. Landrigan met cependant
en avant un biais de recrutement
ment retrouvées étant le polysty-
rène, le polyéthylène et le polyoxy-
méthylène.
Au total, neuf des dix types re-
cherchés ont été retrouvés dans
au moins un échantillon, et cha-
cun d’eux en contenait entre trois
et sept. Quant à la taille des micro-
particules découvertes, elle est
très variable et se situe entre
50 microns et 0,5 millimètre.
Les miels contaminés
Les sources de ces contaminations
n’ont pas été investiguées en dé-
tail par les auteurs. « Cette question
est difficile en raison de la petite
taille de l’échantillon de population
étudié, expliquent les auteurs
dans un message transmis au
Monde. Il est aujourd’hui estimé
que 2 % à 5 % du plastique produit
finit dans les océans. Or une fois
possible. « Ainsi que les auteurs le
notent, la cohorte repose sur des
volontaires. Or, ces derniers ont
généralement un niveau d’éduca-
tion plus élevé que la moyenne et
un style de vie plus sain, dit le
chercheur américain. Cela peut
jouer sur les résultats. » Emma-
nuelle Kesse-Guyot n’en discon-
vient pas, mais estime que cet ef-
fet de recrutement « aura plutôt
tendance à sous-estimer l’effet ob-
servé que le contraire ». De fait,
même les plus faibles consom-
mateurs de bio de la cohorte ont
sans doute un risque de cancer
moindre qu’une grande part de
la population réelle…
« L’attitude
de bon sens est
de limiter son
exposition aux
substances
de synthèse »
EMMANUEL RICARD
délégué à la prévention
à la Ligue contre le cancer
dans la mer, il est consommé par
les animaux marins, entre dans la
chaîne alimentaire avant de finir,
en dernier ressort, consommé par
les humains. » De fait, sur les huit
personnes choisies pour partici-
per à l’enquête, six avaient con-
sommé des produits de la mer au
cours de la période d’étude.
« Il est hautement probable qu’au
cours des différentes étapes de sa
confection, de son emballage et de
son conditionnement, notre ali-
mentation soit contaminée par des
plastiques », ajoutent les auteurs.
De plus, tous les participants
avaient bu de l’eau dans des bou-
teilles en plastique, généralement
en PET, matériau retrouvé dans
tous les échantillons analysés…
Le caractère généralisé de la con-
tamination de l’environnement
par le plastique est difficile à per-
« Cette étude s’attaque à une
question compliquée, et il est
toujours préférable d’avoir confir-
mation de l’effet mis en évidence
par d’autres études, dit Rémy
Slama. Mais il faut aussi avoir à
l’esprit que ce nouveau travail
s’ajoute à un édifice de preuves
déjà important et qu’il reste dans
la chaîne alimentaire des résidus
de pesticides de synthèse classés
“cancérogènes probables”, actuel-
lement autorisés ou interdits,
mais rémanents dans les sols et
l’environnement. »
Aliments transformés pointés
A elle seule, une étude épidémio-
logique ne peut apporter la
preuve définitive d’une causalité
et, précise Mme Kesse-Guyot,
« d’autres études doivent être me-
nées pour préciser le lien de cause
à effet ». Mais, en cas de confir-
mation, conclut la chercheuse,
« des mesures de santé publique
devraient être mises en place ». En
attendant, juge Emmanuel Ri-
card, délégué à la prévention à la
Ligue contre le cancer, « l’attitude
de bon sens est de limiter son ex-
position aux pesticides et autres
substances de synthèse ».
cevoir ; les voies d’exposition à ces
contaminants peuvent être sur-
prenantes. Selon une étude alle-
mande de 2013, sur 19 échantillons
de miels produits en Allemagne,
en France, en Espagne ou au Mexi-
que, tous contenaient des micro-
plastiques. En 2014, l’association
60 millions de consommateurs a
reproduit l’étude sur douze miels
produits en France : ils étaient tous
contaminés.
Ces dernières années, la pré-
sence de microplastiques dans
l’environnement et la chaîne ali-
mentaire a été au centre d’une in-
tense activité scientifique. Gros
poissons pélagiques de Méditerra-
née, coquillages (moules en parti-
culier), cachalots, crevette grise de
la mer du Nord, phoques, amphi-
biens… Tous les organismes testés
se révèlent généralement positifs.
0123
MERCREDI 24 OCTOBRE 2018
D’autant plus que la cohorte
NutriNet a déjà montré, en fé-
vrier, que les aliments ultratrans-
formés étaient également un fac-
teur de risque pour le cancer.
En 2017, elle a aussi mis en évi-
dence un risque diminué de 30 %
d’être touché par un syndrome
métabolique chez les plus gros
consommateurs de produits is-
sus de l’agriculture biologique,
par rapport aux consommateurs
occasionnels.
Etablir la preuve définitive de
la responsabilité des résidus de
pesticides est, là encore, com-
plexe. Mais une étude sur l’ani-
mal, publiée en juin dans la re-
vue Environmental Health Pers-
pectives par des chercheurs de
l’INRA et de l’Inserm, a montré
que des rongeurs exposés à un
cocktail de six pesticides cou-
rants, fréquemment rencontrés
dans les fruits et légumes et à
des niveaux théoriquement
sans risques, présentaient les
mêmes troubles métaboliques :
forte prise de poids, glycémie
élevée et accumulation de
masse grasse. p
stéphane foucart
et pascale santi
La question des effets sanitaires
de cette contamination de leur
alimentation sur les humains est
loin d’être tranchée. « A l’heure
actuelle, il n’existe pas d’études
menées sur l’être humain pour ré-
pondre à cette question impor-
tante, indiquent les auteurs. Mais
des études sur les animaux mon-
trent que des microplastiques
sont capables d’entrer dans la cir-
culation sanguine, le système
lymphatique, et même d’atteindre
le foie. De plus, chez l’animal, il
a été montré que ces microplasti-
ques peuvent causer des domma-
ges sur le système digestif en re-
modelant les villosités intestina-
les [les replis de la muqueuse de
l’intestin grêle], en produisant du
stress hépatique et en perturbant
l’absorption de fer. » p
s. fo.

0123
MERCREDI 24 OCTOBRE 2018
Les oiseaux migrateurs menacés
par le changement climatique
En 2050, près de 80 % des espèces migratrices pourraient être affectées
par la modification de l’environnement due au réchauffement
L’
avenir s’annonce com-
pliqué pour les oiseaux
migrateurs. L’altéra-
tion à l’échelle plané-
taire des conditions climatiques,
de l’utilisation des terres et de la
couverture des sols constitue une
menace pour la majorité de ces
populations, selon des estima-
tions pour 2050 publiées, lundi
22 octobre, dans la revue Nature
Climate Change.
Or, à l’heure actuelle, très peu de
ces espèces sont classées comme
menacées par l’Union internatio-
nale pour la conservation de la
nature (UICN) et font l’objet d’une
protection, s’inquiète l’équipe de
recherche internationale qui a
mené ces travaux.
« Très forte mortalité »
Afin d’appréhender au mieux
l’impact du changement climati-
que sur les populations de migra-
teurs, encore mal connu, les
chercheurs ont pris le parti de
considérer l’ensemble de leur cy-
cle de vie annuel. « La plupart des
études s’étaient focalisées sur les
aires de nidification, mais on
s’aperçoit maintenant qu’il y a de
plus en plus d’espèces qui ne re-
viennent pas ou qui subissent une
très forte mortalité dans les zones
d’hivernage », souligne Wilfried
Thuiller, chercheur au labora-
toire d’écologie alpine de Greno-
ble (université Grenoble-Alpes,
CNRS) et coauteur de l’étude.
Les scientifiques ont concentré
leur attention sur les espèces ni-
Des collectivités et des associations interpellent
Total sur sa responsabilité environnementale
Le pétrolier est sommé d’appliquer la loi sur le devoir de vigilance des entreprises
P our l’heure, il s’agit d’un
simple rappel à l’ordre,
mais ses auteurs assurent
qu’ils recourront au contentieux
si leur démarche est ignorée.
Lundi 22 octobre, treize collectivi-
tés territoriales et quatre associa-
tions de défense des droits hu-
mains et de l’environnement ont
adressé à Patrick Pouyanné, PDG
de Total, un courrier recommandé
le priant de mettre l’entreprise en
conformité avec la loi de fé-
vrier 2017 relative au devoir de vi-
gilance des sociétés mères et des
entreprises donneuses d’ordre.
Cosignée par les maires aux éti-
quettes politiques diverses d’Ar-
cueil, Bayonne, Bègles, Correns,
Grande-Synthe, Grenoble, La
Possession (La Réunion),
Mouans-Sartoux, Nanterre, Se-
vran et Vitry-le-François, par les
élus de l’intercommunalité fran-
cilienne Est Ensemble (Bagnolet,
Bobigny, Bondy, Les Lilas, Mon-
treuil, Le Pré-Saint-Gervais, Noi-
sy-le-Sec et Pantin) et par les as-
sociations Notre affaire à tous,
Les Eco Maires, Sherpa et Zéa,
cette lettre devait être rendue pu-
blique, le 23 octobre. Elle inter-
pelle le groupe pétrolier et gazier
sur les « conséquences néfastes et
irréversibles » de son activité que
ces entités estiment subir.
Présente dans plus de 130 pays,
Total forme, avec ExxonMobil,
Shell, Chevron, BP et Conoco-
Phillips, le clan des « superma-
jors », les six plus grosses entre-
prises mondiales du secteur pé-
trolier et gazier. Le groupe fran-
çais n’est pas le premier à être
visé. Tenus pour principaux res-
ponsables de la hausse de la con-
chant au nord du tropique du
Cancer et parcourant de longues
distances pour hiverner (1 100 à
13 500 km). Grues, hirondelles,
foulques, rossignols, faucons,
oies… un total de 825 espèces ré-
pondaient à ces critères, et
715 d’entre elles étaient suffisam-
ment documentées pour être in-
cluses dans l’analyse.
Ils ont alors répertorié l’ac-
tuelle répartition, été comme
hiver, des volatiles, ainsi que les
distances qu’ils parcourent lors
des migrations. Puis, en combi-
nant plusieurs modèles et scéna-
rios de changement du climat et
d’utilisation des terres pour 2050
– établis notamment par le
Groupe d’experts intergouverne-
mental sur l’évolution du climat
(GIEC) et une collaboration entre
l’agence onusienne de l’environ-
nement et son homologue
néerlandaise (Global Biodiver-
sity Model, Globio) –, les cher-
cheurs ont estimé les variations
à prévoir au niveau des aires de
nidification et d’hivernage des
migrateurs ainsi que l’impact sur
le nombre de kilomètres à
survoler.
Les résultats sont très préoccu-
pants : en 2050, près de 80 % des
espèces migratrices pourraient
être affectées par les change-
ments environnementaux, soit
que leurs populations estivales
ou hivernales seront amputées
de plus de 10 %, ou encore que
leur parcours migratoire sera
rallongé de 10 %.
centration atmosphérique en
CO2, les homologues de Total font
d’ores et déjà l’objet d’actions en
justice engagées par les villes de
New York, San Francisco ou
Oakland (Californie).
Sur son site Internet, Total affi-
che l’ambition de fournir « au
meilleur coût » une énergie « pro-
pre ». Mais en juillet 2017, la firme a
été désignée par un rapport du Cli-
mate Accountability Institute
comme le 19e plus gros émetteur
de gaz à effet de serre (GES) au
monde entre 1988 et 2015. Respon-
sable de 0,7 % des émissions mon-
diales de GES en 2015 et de 0,9 %
pour la période 1998-2015, Total af-
fiche aussi, pour la seule année
2015, des émissions représentant
l’équivalent de plus des deux tiers
de l’ensemble de celles de la France
(311 mégatonnes en équivalent de
CO2 contre 463 pour la France).
En France, la récente loi sur le
devoir de vigilance oblige les en-
treprises de plus de 5 000 em-
ployés en France – 10 000 salariés
si le siège social se trouve à l’étran-
ger – à recenser tous les risques
liés aux droits fondamentaux
(travail des enfants, travail forcé,
non-respect de la liberté syndi-
Total a été
désigné comme
le 19e plus gros
émetteur de gaz
à effet de serre
au monde entre
1988 et 2015
Comme la
cigogne blanche,
certaines
espèces
pourraient
modifier leur
comportement et
choisir d’arrêter
de migrer
« Plus la migration est longue,
plus il y a de risques de dégâts ou
de pertes », note en effet Wilfried
Thuiller : les oiseaux se fatiguent
davantage et s’exposent aux chas-
seurs et braconniers. Il se peut
aussi, en raison de conditions cli-
matiques erratiques, qu’ils arri-
vent trop tôt ou trop tard sur les
zones de nidification, ce qui pose
le risque d’une désynchronisa-
tion entre la reproduction et le pic
de nourriture. Sans parler de la
détérioration des habitats liée
aux modifications de l’utilisation
des terres et de la couverture des
sols (déforestation, urbanisation,
agriculture intensive, emploi
d’intrants, etc.), qui peuvent avoir
des impacts notables.
Mais le plus inquiétant est
peut-être que le déclin des migra-
teurs s’observe déjà. Dans nos
contrées, « une diminution très
importante des populations de
fauvettes à tête noire, de coucous
cale, locaux non conformes aux
normes de sécurité…), mais aussi
aux dommages environnemen-
taux que leur activité peut engen-
drer dans l’Hexagone comme à
l’étranger.
Comme les autres entreprises
de cette taille, Total doit désor-
mais publier chaque année un
« plan de vigilance » et adopter
des « actions adaptées d’atténua-
tion du risque climatique et de pré-
vention des atteintes graves à l’en-
vironnement et aux droits hu-
mains qui en découlent ».
« Se dégager du fossile »
Or, selon les signataires de la lettre
du 22 octobre, son premier plan de
vigilance, datant de mars, « ne
mentionne pas » le risque climati-
que résultant de la hausse globale
des émissions de GES induite par
ses activités. Dans ce document, le
pétrolier-gazier n’oublie cepen-
dant pas de signaler des « deman-
des de la part de collectivités publi-
ques de différents pays » pour « fi-
nancer des mesures de protection à
prendre en vue de limiter les effets
du changement climatique ». Des
contradictions qui font bondir les
auteurs du courrier.
« Le rapport spécial du Groupe
d’experts intergouvernemental sur
l’évolution du climat du 8 octobre
dit que, pour limiter le réchauffe-
ment global au-dessous de 2 de-
grés par rapport à l’époque préin-
dustrielle, il faut parvenir à la neu-
tralité carbone d’ici 2050, rappelle
Me Sébastien Mabile, un de leurs
avocats. Or, l’investissement
en 2017 par Total de 1,22 milliard
d’euros dans l’exploration de nou-
veaux gisements semble incompa-
gris ou encore de gobemouches
noirs a par exemple été consta-
tée », souligne Damaris Zurell,
géo-écologue à l’université Hum-
boldt de Berlin et première
auteure de l’étude. A l’échelle
mondiale, c’est plus de la moitié
des populations d’oiseaux migra-
teurs dont la taille a été réduite
ces trente dernières années, ajou-
te-t-elle. Or, note Wilfried
Thuiller, il existe des seuils criti-
ques en termes de taille de popu-
lation en deçà desquels « le moin-
dre événement extrême » – telle
une sécheresse – peut conduire à
la disparition d’une espèce.
Nourriture des décharges
Certains migrateurs semblent
néanmoins avoir trouvé un
moyen de s’adapter à la situa-
tion. C’est le cas, par exemple, de
la cigogne blanche, qui délaisse
désormais volontiers ses quar-
tiers d’hiver au sud du Sahara
pour les contrées ibériques.
Grâce à la nourriture trouvée
dans les décharges publiques, la
taille de sa population est même
en hausse. Comme elle, d’autres
espèces pourraient modifier leur
comportement et choisir d’arrê-
ter de migrer. « Mais avec quelles
conséquences ? », s’interroge Wil-
fried Thuiller. L’écologue craint
une « perturbation des écosystè-
mes » par ces oiseaux peuplant
en masse des régions dont les
ressources seraient trop rapide-
ment épuisées. p
sylvie burnouf
tible avec cet objectif. Pour l’attein-
dre, l’entreprise doit se dégager
progressivement des énergies fos-
siles en investissant massivement
et dès maintenant dans le solaire,
l’éolien… » Si Total ne revoit pas sa
copie, d’ici mars 2019, date de la
publication de son deuxième
plan de vigilance, les clients de
Me Mabile saisiront la justice. p
patricia jolly
Êtes-
vous
#avec
nous ?
Nous sommes 900 000. Nous sommes parents, aidants, professionnels,
soignants ou encore éducateurs. Partout en France, dans nos associations,
nous accompagnons les personnes en situation de handicap.
Avec elles, nous appelons à une société plus solidaire.
Une société qui réserve une place à chacun. Une société qui soit #avecnous.
Nous sommes l’Unapei.
www.unapei.org
Voies sur berges :
nouveau désaveu
pour la Mairie de Paris
La Cour administrative d’appel a annulé
le premier arrêté de piétonnisation
N ouveau rebondissement
dans le feuilleton des
voies sur berges. La cour
administrative d’appel de Paris a
confirmé, lundi 22 octobre, le ju-
gement de première instance
qui, le 21 février, avait annulé la
fermeture à la circulation de la
voie Georges-Pompidou, obli-
geant la Mairie de Paris à prendre
un nouvel arrêté pour maintenir
la piétonnisation du secteur.
Cette décision a pris de court la
municipalité, qui s’attendait à
une issue positive et définitive
après les conclusions favorables
du rapporteur public lors de
l’audience, début octobre. C’est
aussi un nouvel accroc pour
Anne Hidalgo, après une sé-
quence par ailleurs marquée par
les fiascos Vélib’et Autolib’et la
démission fracassante de son
premier adjoint, Bruno Julliard.
La fermeture à la circulation de
cette voie longue de 3,3 km en
plein cœur historique de Paris
constitue l’une des mesures
les plus emblématiques et les
plus contestées de la maire socia-
liste dans sa politique de restric-
tion de la place de la voiture dans
la capitale.
« Inexactitudes et omissions »
Appliquée depuis un arrêté d’oc-
tobre 2016, elle avait été vive-
ment combattue par sa première
opposante politique, Valérie Pé-
cresse. La présidente (LR) du con-
seil régional d’Ile-de-France avait
contesté la fermeture des voies
sur berges devant le tribunal ad-
ministratif avec le maire (LR) du
1er arrondissement, Jean-François
Legaret, ou encore l’association
40 millions d’automobilistes. Ils
avaient emporté la première
manche quand la juridiction leur
avait donné raison, le 21 février.
Le tribunal avait alors estimé
que l’étude d’impact préalable à
la fermeture des voies sur berge
comportait « des inexactitudes,
des omissions et des insuffisances
concernant les effets du projet sur
la circulation automobile, les
émissions de polluants atmosphé-
riques et les nuisances sonores ».
Dans son jugement, la cour ad-
ministrative d’appel reprend la
critique : « L’étude d’impact a déli-
bérément occulté une partie nota-
ble des incidences du projet sur les
émissions de polluants atmosphé-
riques et les nuisances sonores,
notamment en limitant l’analyse
de ses effets sur la pollution at-
mosphérique à une bande étroite
“ Eloi est des fois en colère,
mais quand on est avec lui,
il est trop content ”
Maxime et Elsa M., frère et sœur d’Eloi
planète | 9
Cette décision ne
signifie pas que
les voitures vont
faire leur retour.
La Mairie
attend un autre
jugement,
le 25 octobre
autour des berges, sans en étudier
l’impact sur les principaux axes de
report de trafic, en ne prenant pas
suffisamment en compte les effets
négatifs dus au phénomène prévi-
sible de congestion du trafic et en
s’abstenant d’évaluer les nuisan-
ces sonores nocturnes. »
« Un acquis »
Cette décision ne signifie toute-
fois pas que les voitures vont
faire leur retour sur la prome-
nade. La Mairie de Paris a an-
noncé qu’elle allait se pourvoir
en cassation devant le Conseil
d’Etat. Surtout, après le juge-
ment défavorable en première
instance, elle a pris un nouvel ar-
rêté. Le texte, publié le 6 mars, ne
fait plus référence à des considé-
rations de qualité de l’air, mais se
fonde uniquement sur la protec-
tion d’un site classé au Patri-
moine mondial de l’humanité
depuis 1991 et qui, selon la Mai-
rie, a accueilli « plus de 2,4 mil-
lions de visiteurs en deux ans ». Ce
nouvel arrêté a, lui aussi, été at-
taqué devant le tribunal admi-
nistratif. Ce dernier devrait ren-
dre son jugement jeudi 25 octo-
bre. « Nous sommes beaucoup
plus confiants sur le deuxième ar-
rêté, car nous savions que nous
avions pris un risque en étant
innovants sur le premier », réa-
git-on dans l’entourage de la
maire Anne Hidalgo.
Quelle que soit l’issue, Anne
Hidalgo ne compte pas faire ma-
chine arrière. « Nous ne rouvri-
rons plus les berges aux voitu-
res », assure-t-on à l’Hôtel de
Ville. « Nous avons gagné la
bataille culturelle sur ce sujet
essentiel, assure Emmanuel Gré-
goire, premier adjoint à la maire
de Paris. Les berges piétonnes
sont un acquis, soutenu par
une immense majorité des Pari-
siens. Même les élus de l’oppo-
sition ne demandent plus le re-
tour des voitures. » p
stéphane mandard
id
anuel agos
to
10 |
FRANCE
0123
MERCREDI 24 OCTOBRE 2018

FINANCEMENT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE

Scandinave ou anglo-saxon,
quel modèle social pour Macron ?
L’examen du PLFSS devait débuter mardi 23 octobre. Les choix
de l’exécutif provoquent des débats chez les acteurs sociaux

L
a phrase, prononcée par Emma-
nuel Macron devant le Parle-
ment réuni en Congrès à Ver-
sailles le 10 juillet, en a surpris
plus d’un : « La priorité de l’année
qui vient est simple : nous devons
construire l’Etat-providence du XXIe siècle. »
« Un Etat-providence émancipateur, univer-
sel, efficace, responsabilisant, c’est-à-dire
couvrant davantage, protégeant mieux,
s’appuyant aussi sur les mêmes droits et les
mêmes devoirs pour tous », ajoutait-il.
Des termes qui se voulaient rassurants et
inclusifs, mais qui laissaient entrevoir un
changement en profondeur du modèle so-
cial français. Au point d’inquiéter nombre
d’observateurs pour lesquels la question de
cette transformation se pose avec
d’autant plus d’acuité que les députés sont
appelés, à partir du mardi 23 octobre, à dis-
cuter du projet de loi de financement de la
Sécurité sociale (PLFSS).
Au-delà des mesures, c’est aussi l’inspira-
tion qui inquiète : se dirige-t-on vers une
« flexisécurité » à la scandinave, moult fois
vantée par Emmanuel Macron pendant la
campagne présidentielle ? Ou sommes-
nous en train de basculer lentement mais
sûrement vers un modèle libéral à l’anglo-
saxonne ?
Pour les Cassandre, l’affaire serait enten-
due. Il s’agirait ni plus ni moins que de met-
tre à bas l’héritage du Conseil national de la
résistance, en 1945 : un système géré par les
partenaires sociaux et basé sur les cotisa-
tions sociales des salariés et des em-
ployeurs. Le sujet est sensible, comme l’a
montré cet été une polémique née du sou-
hait du député (La République en marche,
LRM) de l’Isère Olivier Véran de modifier la
Constitution pour y remplacer quasiment
toutes les occurrences « Sécurité sociale »
par « protection sociale ».
L’opposition, tant politique que syndicale,
reproche surtout au gouvernement les mo-
difications intervenues dernièrement dans
le mode de financement de la Sécurité so-
ciale : certes, la part des cotisations de-
meure majoritaire, mais l’impôt, notam-
ment la contribution sociale généralisée
(CSG), y occupe une place croissante. Don-
nant de fait à l’Etat un contrôle sans précé-
dent sur la « Sécu », faisant craindre pour
son autonomie.
Si cette évolution ne date pas d’hier, elle a
été renforcée par Emmanuel Macron. Très
vite, le chef de l’Etat a supprimé les cotisa-
tions maladie et chômage des salariés dans
le but assumé de redonner du pouvoir
d’achat aux actifs. Le PLFSS pour 2019 va
dans le même sens : les cotisations d’assu-
rance vieillesse sur les heures supplémentai-
res vont disparaître.
« UNE ENTREPRISE DE DÉMOLITION »
Autre récrimination à l’égard de l’exécutif : à
l’heure où le budget de la Sécurité sociale
devrait revenir dans le vert en 2019, les
choix de désindexer certaines prestations
sociales et de ne plus compenser en intégra-
lité des allégements de cotisations sont dé-
criés par certains. « Alors que la “Sécu” de-
vrait dégager des excédents, l’Etat continue à
demander des efforts aux familles, aux re-
traités, aux hôpitaux pour financer les bais-
ses d’impôts des plus riches », s’indigne Boris
Vallaud, député (Parti socialiste, PS) des
Landes.
Le débat qui a ressurgi en 2017 sur un exa-
men conjoint des budgets de l’Etat et de la
Sécurité sociale fait également craindre le
pire aux détracteurs du gouvernement.
Parmi eux, Alain Milon, président (Les Ré-
publicains, LR) de la commission des affai-
res sociales du Sénat, parle de « bercysation
du budget de la “Sécu” » et réclame une
« consultation » sur le sujet : « On change de
modèle sans prévenir les Français, déplore-
t-il. On peut avoir le débat d’un système à la
française, à l’anglo-saxonne ou à la scandi-
nave, mais à condition de l’assumer. »
A l’autre bout du spectre politique, Pierre
Dharréville, député (Parti communiste,
PCF) des Bouches-du-Rhône, ne dit pas
autre chose quand il juge qu’il y a « une en-
treprise de démolition de la Sécurité sociale
telle qu’elle a été édifiée » : « Il y a une vo-
lonté d’étatisation avec la reprise en main de
la gestion par l’Etat au détriment des parte-
naires sociaux. »
Ces derniers, dont Emmanuel Macron fait
peu de cas depuis son élection, y sont
d’ailleurs sensibles, eux qui continuent à
cogérer nombre d’institutions sociales.
« L’ensemble des choix du gouvernement
sont d’abord budgétaires et leur impact sur
la Sécurité sociale perçu comme secon-
daire », critique Jocelyne Cabanal (CFDT).
Serge Legagnoa (FO) va plus loin : pour lui,
le modèle « est très clairement d’inspiration
anglo-saxonne ». Pessimiste, le syndica-
liste voit se dessiner « à petites touches »
une Sécu « a minima ».
Outre les lois de finances, l’ambition de
l’exécutif d’instaurer un système universel de
« IL Y A UNE VOLONTÉ retraite, qui mettrait fin aux quarante-deux
D’ÉTATISATION régimes existants, ou encore la création an-
noncée d’un « revenu universel d’activité », qui
AVEC LA REPRISE fusionnerait plusieurs prestations sociales
sans que l’on sache encore précisément les-
EN MAIN DE LA quelles, serait pour beaucoup le signe d’un li-
GESTION PAR L’ÉTAT béralisme débridé, venu d’outre-Manche et
centré sur l’individu.
AU DÉTRIMENT Un avis contrebalancé par Julien Damon,
professeur associé à Sciences Po. « Ce n’est
DES PARTENAIRES pas du tout un modèle à l’anglo-saxonne
avec des coupes claires et très élevées. Jusqu’à
SOCIAUX » présent, il y a certes eu des coups de rabot,
PIERRE DHARRÉVILLE mais qui ne correspondent pas à ce qui s’est
député PCF passé au Royaume-Uni. » Pour lui, il s’agit
des Bouches-du-Rhône plutôt d’un « approfondissement du projet
français » avec « des inflexions ».
Les défenseurs d’un schéma à la nordique
« LIBÉRER ET PROTÉGER » brandissent aussi les réformes faites sur le
« On a des inspirations mais pas forcément de front de l’emploi. Pour eux, le « libérer proté-
modèle, explique une source au sein de l’exé- ger » qui a présidé à la conception des or-
cutif. Nous regardons attentivement les pays donnances réformant le marché du travail
qui ont réussi à se transformer tout en maîtri- et de la loi sur la formation professionnelle
sant inégalités et en baissant le chômage. » et l’apprentissage est inspiré de la fameuse
Pas de doutes, c’est du côté du Grand Nord « flexisécurité » scandinave.
que le gouvernement dit regarder. « Global, « En commençant par la flexibilité [les or-
assis sur l’impôt, ce système est redistributif », donnances], le gouvernement a pris un ris-
affirme aussi Sacha Houlié, député (LRM) de que. Il a intérêt à ce que le volet sécurité fonc-
la Vienne. Ce macroniste de la première tionne. D’autant qu’en Scandinavie, cette der-
heure assume le changement, en assurant nière passe aussi par des syndicats puissants,
qu’il épouse mieux les vicissitudes de l’exis- capables de peser dans le rapport de force »,
tence d’aujourd’hui : « L’idée est de se dire avertit Pierre Ferracci, fondateur du groupe
qu’on ne protège plus uniquement sur le sta- Alpha, spécialiste du dialogue social. p
tut professionnel des personnes, on protège sarah belouezzane
tout le monde. » et raphaëlle besse desmoulières

« Le problème, c’est l’expression de notre président »

Les retraités ont encore du mal à accepter les décisions budgétaires. Sur le terrain, les députés macronistes doivent répondre à leur colère

REPORTAGE retraités. Une mesure qui passait

bourg-achard et bourneville
(eure) - envoyée spéciale
R ien n’a changé ou pres-
que. Ni la salle, la grande
maison des associations
logée en périphérie du bourg, ni
les longues tables, alignées de
part et d’autre de la pièce. Il est
bientôt 14 heures ce dimanche
d’octobre à Bourg-Achard. La pe-
tite localité de l’Eure célèbre ses
« aînés ». Près de 300 convives de
plus de 65 ans sont invités par la
mairie pour un repas offert cha-
que début d’automne. La députée
de la 3e circonscription, Marie
Tamarelle-Verhaeghe, élue de La
République en marche (LRM) fait
le tour des tables, une flûte de
champagne à la main.
En 2017, déjà, Le Monde l’avait
accompagnée pour ce rendez-
vous à quelques jours du début de
l’examen du budget de l’année
2018. La députée s’apprêtait à vo-
ter une hausse de la contribution
sociale généralisée (CSG) pour les
mal chez ces aînés. « 1,7 point
d’augmentation, ce n’est pas rien »,
lui avait rappelé un convive. A
l’époque, l’élue faisait une pro-
messe en retour. Cet engagement
de campagne serait tenu, mais
pour compenser cette perte de re-
venus des retraités, la taxe d’habi-
tation baisserait progressive-
ment pour 80 % des ménages.
« Beaucoup de critiques »
L’impact n’est perceptible que de-
puis ce mois d’octobre, après l’en-
voi des avis d’imposition locaux.
A Bourg-Achard, on a bien vu la
CSG augmenter et la taxe d’habi-
tation « un peu » baisser. « Mais la
taxe foncière a augmenté ! », cons-
tate une convive, sa flûte de kir
tendue vers la députée. « Il y a ca-
fouillage », abonde un autre. Dans
de nombreuses villes, les effets de
cette mesure phare du premier
budget de l’ère Macron ont été
gommés par l’augmentation de
certains impôts locaux. A Bourg-
Achard, des anciens y voient le
signe d’un gouvernement qui
« donne d’un côté et reprend de
l’autre ». « Si les impôts locaux ont
augmenté, il faut voir avec vos
communes », rectifie la députée.
Par rapport à l’automne 2017, les
inquiétudes sont moindres con-
cernant la hausse de la CSG. Les
interrogations portent davantage
sur la place que la majorité entend
réserver aux retraités, eux qui se
sont sentis stigmatisés par la me-
sure d’Emmanuel Macron. Avant
de faire le tour des tables, Marie
Tamarelle-Verhaeghe prend la pa-
role pour leur rendre un hom-
mage appuyé. « Vous êtes notre
fierté », lance-t-elle au micro.
L’élue insiste sur ses futurs
travaux sur la dépendance et met
l’accent sur le « reste à charge
zéro » pour l’achat de lunettes et
de prothèses auditives qui sera
bientôt voté à l’Assemblée natio-
nale. « Vous avez bien parlé des
anciens, remercie au bout d’une
table l’un des convives. Car on
entend beaucoup de critiques à
notre égard. »
La musique n’est pas très diffé-
rente à quelques kilomètres de là,
lors du repas des anciens à Bour-
neville. Marie Tamarelle-Verhae-
ghe commence un nouveau tour
de table à la rencontre des aînés,
posant ici une main sur une
épaule, là sur un bras. Assis à l’une
des tables, Ginette et Jean, un cou-
ple de retraités plutôt de gauche.
L’an dernier, ils étaient enthou-
siasmés par Emmanuel Macron.
« J’espère beaucoup de lui. Il peut
réussir, sinon ce seront les extrê-
mes », racontait alors Jean, alors
que, dans la commune, Marine
Le Pen était arrivée en tête avec
52,5 % des suffrages lors du se-
cond tour de la présidentielle.
Un an plus tard, l’enthousiasme
s’est émoussé. « Le problème, c’est
l’expression de notre président »,
confie le retraité, un sourire au
milieu de sa barbe blanche. A ses
côtés, « Gigi », apprêtée dans sa
robe noire, ne se plaint pas de la
hausse de la CSG. « Il est normal
d’être solidaire et que tout le
monde contribue », commence-t-
« On nous dit
de nous serrer
la ceinture,
mais est-ce que
les ministres, eux,
font des efforts ? »
GINETTE
retraitée
elle. « Mais on n’aime pas quand
Macron dit qu’il ne faut pas qu’on
se plaigne », complète Jean. « La
seule chose qu’on n’a pas le droit de
faire, c’est de se plaindre », avait ré-
pondu à une retraitée le président
de la République à Colombey-les-
Deux-Eglises, le 4 octobre, repre-
nant, selon lui, un mot du
Général de Gaulle. La remarque
passe mal pour le couple nor-
mand après les sorties du prési-
dent sur les « Gaulois réfractaires
au changement » et les Français
« fainéants ».
Autour d’eux, Gigi et Jean voient
la déception poindre chez leurs
amis « qui y croyaient ». « On nous
dit de nous serrer la ceinture, mais
est-ce que les ministres, eux, font
des efforts ? », relate Ginette.
« Quand on pense à tous les avan-
tages dont bénéficient les anciens
présidents… », ajoute son mari.
Marie Tamarelle-Verhaeghe ter-
mine son tour de table. « Je crois
que M. Macron n’aime pas beau-
coup les retraités », lui lance une
femme. « Pourtant, on fait tant de
choses, rétorque l’élue. On remet
des infirmières de nuit dans les
Ehpad et je vais travailler pour que
les prix des complémentaires santé
diminuent pour les retraités les
plus modestes. » A Bourg-Achard,
elle avait dit sa « fierté » d’avoir
voté l’augmentation du mini-
mum vieillesse. Mais dans l’Eure,
les petites phrases de M. Macron
semblent aujourd’hui avoir plus
d’impact que ces mesures. « Par-
fois, un mot ça fait plus de mal
qu’une action », conclut Jean. p
manon rescan

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MERCREDI 24 OCTOBRE 2018
Dans le Lot, les services publics
se déplacent en camping-car
Cette expérimentation a été lancée dans treize villages éloignés des administrations
REPORTAGE
saint-pierre-lafeuille (lot) - envoyé spécial
A chaque enfant qui naît, on redistri-
bue les cartes : travail, chômage,
nounou… Pour moi, c’est toujours
compliqué. C’est le calvaire, même… » Ce
vendredi après-midi d’octobre, Joséphine
Gouasdon est venue avec son petit der-
nier, Noé, pour avoir quelques précisions
sur la manière dont sa vie va dorénavant
s’organiser : comment s’articuleront em-
ploi partiel, allocations chômage et congé
parental ? Comment les cotisations vont-
elles évoluer ? Son enfant dans les bras, la
jeune femme écoute les explications de
Claire Vonarb, la conseillère du « car des
services publics ».
Le camping-car a fait une halte à Saint-
Pierre-Lafeuille, petit village du Lot situé
non loin de Cahors. Les deux agents pu-
blics qui l’animent, Claire Vonarb et sa col-
lègue, Lori Soulé, ont installé leur ordina-
teur portable sur une table de jardin, avec
quelques chaises, à l’ombre des arbres. Le
matin même, elles étaient à Cours, un
bourg situé à dix kilomètres, « sur le
causse ». Le véhicule qui permet ces péré-
grinations est un vrai camping-car que
l’Etat a acheté pour lancer cette opération
inédite d’administration itinérante. L’idée
est simple : « C’est un moyen de rapprocher
les gens de l’administration, explique le
maire de Saint-Pierre-Lafeuille, Joël Gil-
bert. Dans nos petits villages, il y a telle-
ment de services publics qui sont partis… »
« Ne jamais dire non »
Le « car des services publics » n’est qu’un
des éléments d’une démarche d’ensem-
ble, lancée en décembre 2017, dans le Lot,
par le premier ministre. Lors de ce dépla-
cement, Edouard Philippe a proposé à
tous les acteurs du territoire de « repenser
entièrement le service public en partant des
besoins de la population locale ». Plusieurs
idées ont émergé de ce travail collectif et
Manifestation de retraités, à Paris, le 18 octobre. THOMAS SAMSON/AFP
les expérimentations ont débuté en octo-
bre. Ainsi, Pôle emploi va prendre en
charge les ressources humaines de petites
entreprises. Les moyens de transport al-
ternatifs et fondés sur la solidarité locale
seront également rendus plus accessibles.
Et le « car des services publics » a donc dé-
buté ses tournées.
Treize villages des environs de Cahors
ont été sélectionnés. Le camping-car s’y
rend deux fois par mois et se gare une de-
mi-journée près de la mairie. Les deux
agentes qui l’utilisent sont polyvalentes.
« Le principe, c’est de ne jamais dire “non”,
explique Claire Vonarb, même si on réo-
riente la personne vers le service qui pourra
l’aider. » Et c’est le cas pour ce monsieur,
qui veut savoir si ses chats pouvaient, oui
ou non, être considérés comme « diva-
gants alors qu’ils ne se déplacent pas à plus
de cent mètres de chez moi ». Ou de cette
autre personne, qui a « un problème de
fosse septique ». Mais, le plus souvent, il
s’agit d’obtenir des renseignements sur
une allocation, de régler un problème avec
Pôle emploi ou de lancer les démarches
pour changer une carte grise.
Pour ces villageois, il faut se déplacer à
Cahors pour rencontrer l’administration.
« Quand on a des enfants, on est vite coin-
cés, note Mme Gouasdon. C’est comme pour
les personnes âgées. Aller à Cahors, c’est
compliqué : il faut avoir un rendez-vous,
« Quand on a des
enfants, on est vite
coincés. C’est comme
pour les personnes
âgées. Aller à Cahors,
c’est compliqué »
JOSÉPHINE GOUASDON
usagère du camping-car
prendre la voiture, puis le parking, une
heure de file d’attente avec quatre enfants…
Tout ça pour obtenir une réponse à une
simple question. » Certes, il y a Internet.
Une technologie parfois excluante. « Les
formalités sur l’ordinateur, j’y arrive pas, re-
connaît Mme Gouasdon, c’est trop compli-
qué. J’ai besoin d’avoir quelqu’un en face de
moi qui m’explique. » C’est aussi le cas, sou-
vent, des personnes âgées. « Elles me di-
sent : “Je ne sais pas faire et je ne veux pas
qu’on le sache” », témoigne Joël Gilbert.
Lorsqu’il a dû monter son dossier de re-
traite, Michel Chastrusse, 64 ans, a eu tou-
tes les peines du monde à obtenir en ligne
une attestation de la caisse de retraite :
« On n’y est pas arrivé, se souvient-il. A un
moment, il fallait un code confidentiel et là,
c’était terminé… Impossible de l’avoir. Il a
fallu que la mairie m’aide, mais il y avait de
quoi se faire un ulcère. » Internet ne lui fait
pas peur, pourtant. « J’arrive à me dé-
brouiller, assure le jeune retraité, habitant
de Cours. Le problème, c’est que je n’ai pas
les moyens de m’acheter un ordinateur et
que, de toute façon, j’habite en bout de li-
gne. Le technicien a dit que c’était pas renta-
ble et que la ligne ne serait donc jamais mo-
dernisée. » Ce jour-là, il est venu au
« car des services publics » pour avoir des
renseignements sur la manière de procé-
der lorsqu’il aurait de nouveau des justifi-
catifs à produire.
L’expérimentation s’achèvera en jan-
vier 2019. Un bilan sera tiré. « Si ça ne mar-
che pas, ça ne marche pas ! On revendra le
camping-car… », explique Jean-Marc Vays-
souze-Faure. Mais le maire PS de Cahors,
qui préside la communauté d’aggloméra-
tion, est persuadé du contraire. C’est
d’ailleurs bien pour cela qu’il soutient acti-
vement ce projet, qui coûtera 35 000 euros
la première année, dont la moitié est assu-
mée par l’Etat et l’autre moitié par l’inter-
communalité. « Le besoin est là, c’est une
évidence », estime M. Vayssouze-Faure. p
benoît floc'h
Un fonds de
80 millions pour
les victimes de l’Aude
M. Macron s’est rendu, lundi, au chevet des
sinistrés des inondations dans le Sud-Ouest
trèbes, villalier (aude) -
envoyée spéciale
E mpathique et à l’écoute. En
déplacement dans l’Aude,
lundi 22 octobre, une se-
maine après les intempéries qui y
ont fait quatorze morts et plus de
soixante-dix blessés, Emmanuel
Macron a échangé avec les Fran-
çais victimes des inondations. A
Villalier, où deux personnes ont
péri des pluies diluviennes, puis à
Trèbes où six habitants sont décé-
dés, le président de la République a
longuement serré les mains et
étreint les rescapés. « On va vous
aider, on va aller vite », a-t-il promis
à plusieurs reprises, le visage som-
bre avant d’annoncer le déblocage
d’un fonds de 80 millions d’euros.
Dès son arrivée, le chef de l’Etat a
rencontré la veuve de Jean Maziè-
res, tué en mars par un djihadiste à
Carcassone, et qui a perdu son
père et sa mère dans la catastrophe
de la semaine dernière. Accompa-
gné notamment du ministre de
l’intérieur, Christophe Castaner, il
a ensuite passé un long moment,
dans la salle polyvalente de Villa-
lier, avec les familles endeuillées.
Lors d’un déjeuner au Centre
communal d’action sociale de Trè-
bes, qu’il partageait avec des élus
locaux, des pompiers, des poli-
ciers, des bénévoles, il a entendu
les témoignages de ceux qui ont
passé leur nuit du lundi 15 au
mardi 16 octobre à sauver des vies.
Un homme a raconté avoir re-
trouvé une femme coincée entre
un réfrigérateur et des meubles
que l’eau avait poussés contre elle
et avoir aidé une autre de 98 ans
prise en tenaille entre son matelas
devenu flottant et le plafond. Un
sauveteur a évoqué cet homme
sourd qui n’entendait pas la pluie…
« Merci à vous pour ce qui a été fait,
a lancé M. Macron. L’appartenance
à une même nation, à un même
projet, c’est ça qui vous a portés. »
« Je suis fier de vous »
Comme durant son voyage aux
Antilles, fin septembre où il reve-
nait un an après les ravages du cy-
clone Irma, le président a voulu se
montrer au chevet des Français.
« Et vous voyez quelqu’un ? », a-t-il
demandé à un habitant de Saint-
Hilaire qui lui confiait avoir du
mal à dormir depuis cette nuit ter-
rible où il a couru d’une maison à
l’autre pour aider les habitants.
« On avait l’impression d’être coupé
du monde, on traversait le village à
la nage. »
Sur un ton paternel, Emmanuel
Macron a dit « merci » à plusieurs
reprises aux « courageuses et cou-
BU D GET
Gilles Le Gendre
recadre des députés
de la majorité
Le chef de file des députés
La République en marche
(LRM), Gilles Le Gendre, a an-
noncé, lundi 22 octobre sur
Franceinfo, que le crédit
d’impôt pour les particuliers
hébergeant des réfugiés,
voté à l’Assemblée contre
l’avis du gouvernement, « ne
figurera pas dans la loi de fi-
nances », y voyant « une ni-
che fiscale ». Cet amende-
ment au projet de budget
2019, porté par le député
Aurélien Taché et cosigné
par une cinquantaine de ses
collègues LRM, avait reçu un
avis défavorable du ministre
des comptes publics, Gérald
Darmanin. M. Le Gendre les
a recadrés : « Les députés doi-
vent s’inscrire dans la politi-
que du gouvernement. »
france | 11
L’Etat va doubler
les subventions
aux travaux en
zone inondable,
qu’il financera
désormais à
hauteur de 80 %
rageux que vous êtes ». « Je suis fier
de vous », a-t-il répété à ceux et à
celles qui lui ont raconté leur com-
bat contre les éléments. « Je ne suis
pas loin de vous, je suis toujours
avec vous », a-t-il répondu à une
femme qui redoutait que le chef de
l’Etat ne les oublie une fois revenu
à Paris. Emmanuelle Wargon, se-
crétaire d’Etat auprès du ministre
de la transition écologique, et Sé-
bastien Lecornu, ministre chargé
des collectivités territoriales, pré-
sents au déplacement, ont prévu
de revenir le 15 novembre, pour as-
surer le suivi des opérations.
A l’occasion d’un discours dans
le gymnase de Trèbes, le président
a annoncé que 80 millions d’euros
allaient être débloqués pour rem-
placer les biens et les services des
collectivités locales qui ne peuvent
être assurés, comme les routes, les
réseaux d’eau ou d’assainisse-
ment, a ajouté Emmanuel Ma-
cron. « Bien entendu, on ne rempla-
cera pas une route usée par une
route usée », précise l’Elysée. Cette
somme s’ajoutera aux 200 mil-
lions que les assureurs s’attendent
à devoir rembourser, alors que
l’Etat a reconnu l’état de catastro-
phe naturelle pour 126 communes
et que cette liste devrait encore
s’allonger. Elle viendra aussi com-
pléter les 37 millions de crédits
supplémentaires prévus par le
conseil départemental de l’Aude et
le plan d’investissement de 25 mil-
lions que doit voter le 16 novem-
bre la région Occitanie. L’Etat va
également doubler les subven-
tions aux travaux en zone inonda-
ble, qu’il financera désormais à
hauteur de 80 % contre 40 %. Et
prendre aussi totalement à sa
charge, et ce pendant au moins six
mois, l’hébergement d’urgence.
« Trèbes, c’est une ville de la Répu-
blique. Et la République, c’est vous »,
a lancé Emmanuel Macron pour
conclure son discours. « Vous avez
donné un formidable visage de la
République. Et cela, nul ne peut le
décréter », a-t-il ajouté, s’expri-
mant devant les élus locaux et les
forces de secours qui ont participé
aux opérations de sauvetage. p
virginie malingre
- CESSATIONS DE GARANTIE
LOI DU 2 JANVIER 1970 - DECRET
D’APPLICATION N° 72-678 DU 20
JUILLET 1972 - ARTICLES 44
QBE FRANCE, sis Cœur Défense – Tour
A – 110 esplanade du Général de Gaulle
– 92931 LA DEFENSE CEDEX (RCS
NANTERRE 414 108 708), succursale
de QBE Insurance (Europe) Limited,
Plantation Place dont le siège social est à
30 Fenchurch Street, London EC3M 3BD,
fait savoir que, la garantie financière dont
bénéficiait la :
SASU CABINET ROUSSEAU
8 bis rue de Bréa
44000 NANTES
RCS: 791 356 504
depuis le 01/04/2013 pour ses activités de :
TRANSACTIONS SUR IMMEUBLES ET
FONDS DE COMMERCE cessera de por-
ter effet trois jours francs après publication
du présent avis. Les créances éventuelles
se rapportant à ces opérations devront
être produites dans les trois mois de cette
insertion à l’adresse de l’Établissement
garant sis Cœur Défense – Tour A – 110
esplanade du Général de Gaulle – 92931
LA DEFENSE CEDEX Il est précisé qu’il
s’agit de créances éventuelles et que le pré-
sent avis ne préjuge en rien du paiement
ou du non-paiement des sommes dues et
ne peut en aucune façon mettre en cause
la solvabilité ou l’honorabilité de la SASU
CABINET ROUSSEAU.
12 | france
Le délitement
de l’empire
fabiusien en
Seine-Maritime
En trois décennies, Laurent Fabius
s’était construit un fief électoral.
A l’image du PS, ce bastion périclite
seine-maritime - envoyée spéciale
I
ls avaient mis près de trente
ans pour construire cet em-
pire de Seine-Maritime où
Laurent Fabius régnait en
maître. La débâcle du mandat de
François Hollande et l’ampleur du
tsunami macronien ont ruiné ce
bel édifice. Alors que le PS natio-
nal est au plus mal, avec la scis-
sion organisée par Emmanuel
Maurel, la Fabiusie se délite elle
aussi. Après avoir perdu, en 2015,
le conseil départemental puis la
région, les socialistes sont sortis
laminés des législatives de 2017.
Ils n’ont plus qu’un siège de dé-
puté sur les dix qu’ils détenaient
au temps de leur superbe. Ils ont
surtout vu leur échapper « l’im-
perdable » circonscription de
Grand-Quevilly (Seine-Maritime),
celle que Fabius avait léguée à
Guillaume Bachelay en 2012.
A l’aube des années 2000, les fa-
biusiens avaient pourtant tout
conquis. Villes, conseil départe-
mental, conseil régional, sièges
de députés et de sénateurs… Le
curieux mélange entre élite pari-
sienne et militants syndicaux
concocté par l’ancien premier mi-
nistre s’était transformé au fil des
années en une redoutable ma-
chine de guerre électorale. Et
même si lui s’était éloigné, ses
lieutenants géraient l’héritage. La
vague de défaites socialistes les a
mis à terre.
Fin mars 1989, la journée est hu-
mide en ce printemps normand.
Dans la salle du conseil municipal
de Rouen, les socialistes ont le
sourire. Sous les plafonds à la géo-
métrie moderne imaginés par le
designer Maxime Old, se déroule
un moment historique : la fin de
l’ère du « Roi Jean ». Jean Leca-
nuet, maire centriste de la capi-
Entre affaires et politique, Marcel Campion joue sur plusieurs tableaux
Le forain veut être candidat aux municipales à Paris. Bruno Julliard va porte plainte contre lui pour injure publique à caractère homophobe
S a grande roue ne tourne
plus place de la Concorde.
Son marché de Noël a dis-
paru des Champs-Elysées. Mais
Marcel Campion s’est trouvé une
nouvelle vocation : bateleur poli-
tique. A près de 79 ans, l’entrepre-
neur forain rêve maintenant de
briguer la Mairie de Paris en 2020.
« Dans quelques mois », promet-il,
il présentera ses listes sous la ban-
nière « Libérons Paris ». « J’irai jus-
qu’au bout… à moins que je sois
mort », a-t-il déclaré, bravache,
le 17 octobre, sous les dorures de
la demeure d’un ami, collection-
neur de souvenirs de Napoléon,
Pierre-Jean Chalençon, dans le
2e arrondissement.
Après l’avoir activement soute-
nue en 2014, M. Campion voue
aux gémonies Anne Hidalgo. La
maire de Paris est devenue sa bête
noire depuis qu’elle a mis fin à
près de trente-cinq ans de liaisons
tumultueuses entre le roi des ma-
nèges et les maires successifs de
la capitale. Une histoire qu’il ra-
conte dans son livre Chamboule-
tout (éditions du Rocher, 248 p.,
16,90 euros) à paraître le 2 no-
tale normande passe la main à un
jeune énarque, ancien secrétaire
particulier de François Mit-
terrand. Laurent Fabius préside sa
première séance du syndicat in-
tercommunal des trente-trois
communes de l’agglomération.
Sa stratégie de maillage du terri-
toire, avec ses hommes et quel-
ques – très rares – femmes, com-
mence à payer.
Quinze ans plus tard, autre as-
semblée d’élus, autre séisme élec-
toral : dans l’immense vaisseau
cintré du conseil général, la majo-
rité vient de basculer dans les
mains des socialistes qui exul-
tent. Dans le public, l’énarque
savoure, arborant ce discret sou-
rire qui le caractérise. Il a beau être
un peu marginalisé à la direction
du parti, ici, il est un prince à la
cour devenue pléthorique. « On
avait renversé la table, se souvient
Didier Marie, alors président de
l’assemblée départementale, un
fidèle parmi les fidèles. On voyait
enfin le résultat d’un lent et patient
travail d’implantation. »
Rarement un bastion aura été
aussi méthodiquement cons-
truit. Dès son arrivée en 1976,
Fabius, envoyé par François Mit-
terrand auprès de Tony Larue,
maire du Grand-Quevilly, prend
conscience qu’il lui faut un ré-
seau. Coincée entre la droite cen-
triste qui tient Rouen et quel-
ques communes bourgeoises, et
un PCF très implanté dans les
banlieues et les bourgs indus-
triels des bords de la Seine, la
commune ouvrière est alors une
des rares enclaves socialistes du
département.
Le jeune député – il a pris la suc-
cession de son mentor local – va se
constituer une meute d’incondi-
tionnels avec qui il va gagner, un à
un, ses points d’appui. Et faire de
vembre, prétendant qu’il va
« faire le ménage » à l’Hôtel de
Ville. « Si Campion était candidat,
c’est à la droite qu’il prendrait des
voix », se rassure-t-on dans l’en-
tourage de Mme Hidalgo.
« Une petite protection »
En attendant de battre l’estrade,
M. Campion se débat avec la jus-
tice. Bruno Julliard, ancien pre-
mier adjoint de Mme Hidalgo, de-
vait porter plainte contre lui cette
semaine pour diffamation et in-
jure publique à caractère homo-
phobe devant le tribunal correc-
tionnel de Bobigny. M. Julliard
poursuit M. Campion pour ses dé-
clarations tenues le 27 janvier et
enregistrées dans une vidéo révé-
lée par Le Journal du dimanche le
22 septembre. Filmé dans son res-
taurant, La Chope des puces, à
Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis),
M. Campion avait déclaré, en petit
comité, au sujet de M. Julliard :
« Comme il était un peu de la ja-
quette, il a rencontré Delanoë, ils
ont fait leurs folies ensemble et
premier adjoint, paf ! » Il avait
ajouté : « Toute la ville maintenant
« En Seine-
Maritime,
l’opposition
à Macron, c’est
nous. Le PS est
devenu un grand
corps malade »
SÉBASTIEN JUMEL
député communiste
la Seine-Maritime la base fortifiée
de sa puissance au sein du PS. Il
recrute d’abord sur place les élus
les plus madrés puis fait venir de
Paris les jeunes hommes brillants
qui l’entourent. Grands et mai-
gres, surdiplômés, à son image en
tout, les « Fafaboys » débarquent
dans cette Normandie à deux heu-
res de Paris, et commencent à ra-
vir mairies, sièges de conseillers
généraux et régionaux.
Une faille dans le système
Fabius va s’attaquer aux deux
fronts politiques qui se partagent
le territoire : les troupes de Jean
Lecanuet sur la rive droite de la
Seine et celles du communiste Ro-
land Leroy, sur la rive gauche. Les
municipales de 1989 voient tom-
ber Petit-Quevilly, Grand-Cou-
ronne et Canteleu détenues jus-
qu’alors par le PCF, tout comme
Fécamp, Sotteville et Barentin,
ravies à la droite. « C’est à partir de
ce scrutin que Fabius construit
son mécano. A chaque élection,
est gouvernée par des homos. Moi
j’ai rien contre les homos. (…) Mais
ceux qui sont là, c’est des pervers :
le petit Julliard là… »
La plainte de M. Julliard pourrait
être examinée en janvier 2019. Le
jugement sera rendu six à huit
mois plus tard. « Qu’il porte
plainte ! Ça me fera une tribune ! »,
a ironisé M. Campion, le 17 octo-
bre. Sous le coup par ailleurs de
onze contrôles fiscaux, M. Ca-
mion est mis en examen, depuis
juin 2017, pour abus de biens
sociaux et pour recel de favori-
tisme concernant le marché de la
grande roue passé en 2015 avec la
Mairie de Paris, elle-même mise
en examen pour favoritisme.
Pour tenter de sortir du collima-
teur de la justice, M. Campion
fait depuis plusieurs mois le siège
de l’Elysée. Le 2 août, il a écrit à
la garde des sceaux, Nicole Bel-
loubet. Dans ce courrier que
Le Monde a consulté, son avocate,
Marie-Alix Canu-Bernard, dé-
plore que la requête en nullité des
mises en examen de M. Campion,
qu’elle a déposée en juillet, n’ait
toujours pas été examinée par la
chaque renouvellement de canton,
son réseau d’élus progresse et cette
dynamique va perdurer jus-
qu’en 2008 malgré les hauts et les
bas du PS national », constate An-
toine Rensonnet, docteur en his-
toire à l’université de Rouen.
Les socialistes voient bien
Rouen leur échapper, aux muni-
cipales de 2001, à cause des bis-
billes avec les Verts. Ils la récupè-
rent un mandat plus tard. La ville,
devenue moins bourgeoise, s’est
transformée et son électorat cor-
respond en tout point à ces fabiu-
siens réformateurs. Ils leur par-
donneront même ce non au réfé-
rendum sur le traité constitution-
nel de 2005 – position imposée
par Fabius à ses troupes – qui sied
mal à cette nouvelle population,
plutôt d’une gauche modérée. Ils
continueront à tricoter leur ré-
seau jusqu’en 2008. Les législati-
ves les verront emporter huit siè-
ges de députés sur douze. Ce sera
la même proportion en 2012.
Mais entre ces deux dates, une
faille apparaît dans le système :
après l’élection de François Hol-
lande, en 2012, le chef a compris
qu’il ne briguerait plus la prési-
dence de la République ; son
étoile pâlit. « Quand [Laurent Fa-
bius] a compris qu’il ne serait plus
le candidat possible, il s’est désin-
vesti progressivement de la Seine-
Maritime et le réseau collectif
s’est délité. De cette belle mécani-
que, il ne reste que des marquise-
ries », remarque Marc-Antoine
Jamet, maire du Val-de-Reuil et
secrétaire général de LVMH.
cour d’appel de Paris. Une lenteur
qui signale, selon l’avocate, de
« graves dysfonctionnements de la
justice ». « L’enquête menée par
le juge Van Ruymbeke est suspen-
due à la décision sur les nullités des
mises en examen, ce qui fait
que, depuis plus de seize mois,
M. Campion reste un coupable
présumé dans les médias », s’indi-
gne Me Canu-Bernard.
La missive de M. Campion est
parvenue au cabinet d’Emmanuel
Macron. En août 2017, il avait
déjà adressé au président une
Malgré son
engagement
à cesser ses
activités, sa
société va louer
une grande partie
des chalets qui
seront installés
aux Tuileries
« C’était lui le patron qui arbitrait
les divergences. Après son retrait,
les dissensions entre Rouen et la
métropole se sont accentuées »,
confirme Didier Marie.
« On n’est pas à terre »
Une fois nommé aux affaires
étrangères par François Hollande
en juin 2012, Laurent Fabius vient
encore quelquefois dans sa cir-
conscription. Mais sa vie est loin
de ses terres d’adoption. La cohé-
sion de la bande se détériore. Ses
poulains se divisent sur les sujets
locaux : équipements culturels, li-
gne nouvelle Paris-Normandie
ou candidature sur les listes dé-
partementales. La vieille garde,
Alain Le Vern (son premier lieute-
nant) en tête, se retire.
« Fabius savait arbitrer les ambi-
tions. Quand les ressources de
postes se sont réduites, les conflits
de personnes se sont multipliés »,
souligne M. Rensonnet. En 2014,
alors que le quinquennat de
M. Hollande a déjà du plomb dans
l’aile, les villes sont les premières
à tomber : Fécamp, Mont-Saint-
Aignan, Lillebonne. Puis c’est au
tour du département et de la ré-
gion. La chute sera brutale lors des
législatives : il ne leur reste qu’un
seul siège et le PCF est repassé de-
vant. Le député communiste Sé-
bastien Jumel l’assure : « En Seine-
Maritime, l’opposition à Macron
c’est nous. Le PS est devenu un
grand corps malade. »
Un corps pas tout à fait agoni-
sant. « On n’est pas dans la béré-
zina nationale et on a de quoi re-
première lettre ouverte pour lui
demander de défendre la profes-
sion foraine. Ses courriers sont
restés sans réponse. L’ancien cat-
cheur continue pourtant à se pré-
valoir d’« une petite protection »
de M. Macron et se targue de la vi-
site de Brigitte Macron, comme
chaque année, à la fête foraine des
Tuileries. « Elle a dit à ma bel-
le-sœur de me passer le bonjour »,
sourit-il. Malgré ces affirmations,
la réalité est plus nuancée. Ses
saillies, jugées homophobes par
bon nombre d’élus macronistes et
ministres, ont failli mettre à mal
ses bonnes relations avec l’exécu-
tif. Au lendemain de la diffusion
de ses propos contre M. Julliard,
François Nyssen, alors ministre
de la culture avait proposé que le
Musée du Louvre renonce à louer
les jardins des Tuileries pour la
manifestation festive de fin d’an-
née, imaginée par M. Campion
pour remplacer le marché de Noël
supprimé par la Mairie de Paris.
Pour sauver l’accord avec l’Etat,
M. Campion a dû opérer un repli
tactique. Il a démissionné de ses
fonctions de secrétaire général de
0123
MERCREDI 24 OCTOBRE 2018
Guillaume
Bachelay,
Laurent
Fabius et
Christophe
Bouillon,
lors d’une
manifestation
à Rouen, le
7 mars 2006.
THIBAULT ROUSSEAU/
PHOTOPQR/MAXPPP
construire », affirme Yvon Robert,
maire de Rouen. La capitale nor-
mande et la métropole demeu-
rent effectivement des places for-
tes. Les socialistes constituent en-
core une opposition structurée
dans les assemblées départemen-
tales et régionales. La fédération
tient debout avec 1 800 adhérents
– moitié moins qu’il y a cinq ans.
Et peu d’élus se sont convertis
au macronisme. « On a pris une
belle toise mais on n’est pas à
terre », jure Marc Massion, maire
du Grand-Quevilly, un des der-
niers anciens. « On est dans un es-
prit post-traumatique. La période
dégagiste est passée et les sympa-
thisants reviennent », confirme
Christophe Bouillon, député de
Seine-Maritime. Lui estime qu’il
faut reconstruire à partir de ce so-
cialisme municipal encore im-
planté. Pas en perspective des
européennes trop périlleuses,
mais des municipales de 2020.
Garder Rouen, et donc la métro-
pole, serait le signe d’une possible
résurrection. La faible implanta-
tion de La République en marche
tout comme celle de la droite leur
laissent cet espoir. Au grand dam
de Dominique Gambier, maire de
Déville-lès-Rouen, un des rares
à s’être rangés derrière le candidat
En marche ! durant la prési-
dentielle. « Macron pense que la
gauche est finie mais il oublie
que les municipales se jouent sur
des rapports de forces locaux,
constate le sexagénaire. Le PS a
encore une base ici, pas LRM. » p
sylvia zappi
l’association Le Monde festif,
signataire de la convention avec
le Musée du Louvre. Mais son fils,
Chriss Campion, en demeure le
secrétaire général adjoint.
M. Campion s’était aussi en-
gagé, le 27 septembre, à « cesser
ses activités foraines » à Paris. Or,
selon les informations du Monde,
sa société Loisirs associés, dont sa
femme a longtemps été la gé-
rante, va louer une grande partie
des chalets qui seront installés
aux Tuileries en novembre. « Ma
société est en faillite depuis l’arrêt
du marché de Noël sur les Champs-
Elysées, expliquait M. Campion,
au Monde le 17 octobre. ll se trouve
qu’on a des chalets blancs… Ce
n’est pas cela qui va la renflouer
mais si ça peut payer quelques
frais de louer une centaine de cha-
lets, tant mieux. » Désormais cer-
tain que les manèges à Noël tour-
neront aux Tuileries, M. Campion
revendique ses faux adieux : « Je
ne quitterai jamais ma profes-
sion », confiait cet amateur de jazz
manouche sous un portrait en
pied de Napoléon III. p
béatrice jérôme
 france | 13
0123
MERCREDI 24 OCTOBRE 2018

Georges Tron
de retour
aux assises
Le maire de Draveil comparaît
pour viols et agressions sexuelles

G
eorges Tron et son ex-
adjointe à la culture à la
mairie de Draveil (Es-
sonne), Brigitte Gruel,
sont de retour devant la cour d’as-
sises de Seine-Saint-Denis, à Bobi-
gny, à compter de mardi 23 octo-
bre, sous l’accusation de « viols et
agressions sexuelles en réunion » et
« complicité » de ces crimes et dé-
lits sur deux femmes, Virginie
Faux et Eva Loubrieu.
Ouvert en décembre 2017, le pro-
cès avait explosé en vol quelques
jours plus tard à la suite d’un dou-
ble incident. D’abord la diffusion,
au même moment, sur une
chaîne du service public, d’un do-
cumentaire consacré à l’affaire, à
laquelle participait l’une des plai-
gnantes, Virginie Faux. L’avocat
de Georges Tron, Me Eric Dupond-
Moretti, avait dénoncé cette diffu-
sion qui constituait, selon lui,
« une atteinte particulièrement
grave » à la présomption d’inno-
cence de son client et apparaissait
« susceptible d’influencer large-
ment les débats de justice ».
Saisi de cette affaire par la dé-
fense de Georges Tron, le Conseil
Les deux
plaignantes
affirmaient
avoir dû céder
à des jeux sexuels
par peur
d’être licenciées
supérieur de l’audiovisuel (CSA) a,
depuis, prononcé un blâme contre
France Télévisions, en considérant
que « le crédit accordé à la partie ci-
vile, les déclarations des témoins in-
terrogés et les commentaires hors
champ concouraient à l’établisse-
ment d’un reportage déséquilibré
et essentiellement centré sur les
charges retenues contre l’accusé ».
Une dizaine de témoignages
A cette première difficulté s’était
ajoutée la maladresse du prési-
dent de la cour, Régis de Jorna. Lors
d’une discussion informelle avec
les avocats de toutes les parties au
procès, il leur avait confié ses dou-
tes sur sa capacité à mener sereine-
ment à leur terme des débats
ouverts dans le contexte particu-
lier des révélations de l’affaire Har-
vey Weinstein aux Etats-Unis et du
mouvement #metoo.
Croyant s’exprimer sous la « foi
du palais » – ce code de bienséance
non écrit qui régit les relations en-
tre magistrats et avocats –, il avait
évoqué la violence des attaques
personnelles dont il faisait l’objet
sur les réseaux sociaux depuis son
premier interrogatoire de l’une
des deux plaignantes et il avait
laissé entendre que, pour juger
une telle affaire, il aurait été plus
judicieux d’avoir choisi une
femme. La défense s’était saisie de
ces propos pour créer un nouvel
incident qui avait contraint le pré-
sident à jeter l’éponge.
Tout repart donc à zéro avec une
nouvelle cour, présidée par Phi-
lippe Coire, et de nouveaux jurés,
dans un contexte – celui de la lame
Georges Tron et son avocat, Eric Dupond-Moretti, au tribunal de Bobigny, le 12 décembre 2017. V. LESAGE/MAXPPP
de fond soulevée par l’affaire
Weinstein et de la libération de la
parole des femmes – toujours
aussi prégnant. Comment et jus-
qu’où pèsera-t-il dans l’apprécia-
tion d’une affaire qui remonte
sept ans en arrière ?
A l’époque, Nicolas Sarkozy était
président de la République, Fran-
çois Fillon premier ministre, et
Georges Tron, maire (Les Républi-
cains) de Draveil, venait tout juste
d’être nommé secrétaire d’Etat à la
fonction publique. La révélation,
en mai 2011, de deux plaintes le vi-
sant pour des faits de violences
sexuelles avait mis fin à son éphé-
mère carrière ministérielle.
Virginie Faux et Eva Loubrieu af-
firmaient avoir dû céder, par peur
d’être licenciées, à des jeux sexuels
auxquels le maire de Draveil et son
adjointe Brigitte Gruel les auraient
soumises à plusieurs reprises en-
tre 2008 et 2010. Toutes deux ra-
contaient le même enchaîne-
ment : commencées sous couvert
d’expérimenter la passion de l’élu
pour la réflexologie plantaire, les
séances se terminaient sur la mo-
quette du bureau du maire, dans la
salle à manger d’un château mis à
la disposition de la municipalité
ou sous la nappe d’une table de
restaurant, par des caresses et des
relations sexuelles à trois.
Aux accusations portées par les
deux plaignantes sont venus
s’ajouter pendant l’instruction,
les témoignages d’une dizaine
d’autres femmes sur le comporte-
ment déplacé de Georges Tron,
avec ou sans la complicité de Bri-
gitte Gruel, baptisée « la Mainte-
non » dans les couloirs de l’hôtel
de ville. Anciennes secrétaires ou
collaboratrices parlementaires,
candidates à l’embauche, char-
gées de mission dans les divers
services de la mairie, aide-soi-
gnante ou journaliste ont raconté
comment, à l’occasion d’un ren-
dez-vous ou d’un trajet en voiture,
il avait insisté pour leur saisir le
pied et s’était livré à des massages
« à connotation sexuelle ». Parmi
celles qui étaient venues solliciter
l’élu pour un emploi ou un loge-
ment, plusieurs disaient avoir res-
senti une sorte de « chantage »,
dont dépendait l’issue favorable
ou non donnée à leur demande.
Théorie d’un complot politique
A toutes ces déclarations, Georges
Tron et Brigitte Gruel ont dès le dé-
part opposé le démenti le plus for-
mel, l’un et l’autre assurant n’être
liés que par une « amitié pro-
fonde » et une complicité profes-
sionnelle et se disant victimes
d’un complot politique ourdi par
le Front national. Cette ligne de dé-
fense était toujours la leur à
l’ouverture de l’audience en dé-
cembre 2017. « La question n’est pas
celle du consentement ou pas, elle
est celle de l’existence même des
faits reprochés et des preuves qui en
sont rapportées », avait alors pré-
venu Me Dupond-Moretti.
La défense compte surtout s’ap-
puyer sur les doutes qui ont tra-
versé les magistrats pendant l’ins-
truction, en raison de plusieurs in-
cohérences dans le récit des plai-
gnantes. Celles-ci avaient conduit
les deux juges d’instruction à ren-
dre, en décembre 2013, une ordon-
nance de non-lieu en faveur de
Georges Tron et Brigitte Gruel,
conformément aux réquisitions
du procureur. Saisie d’un appel des
trois parties civiles, Virginie Faux,
Eva Loubrieu et l’Association euro-
péenne contre les violences faites
aux femmes au travail, la chambre
de l’instruction de la cour d’appel
de Paris avait fait une lecture radi-
calement différente du dossier et
avait décidé de renvoyer les deux
accusés devant la cour d’assises,
en dépit de nouvelles réquisitions
de non-lieu du parquet général. Le
procès, qui s’annonce d’ores et
déjà tendu, est prévu sur une du-
rée de trois semaines. p
pascale robert-diard

La médecine de ville reste difficilement Devant la justice, l’Etat réfute les

accusations de contrôle au faciès
accessible aux personnes les plus démunies
Les médecins libéraux constatent les lourdeurs de la prise en charge de la patientèle vulnérable I ls avaient promis de porter le fer sur le terrain médiatique et
juridique. A voir les micros tendus, à la sortie du procès qui
les a opposés à l’Etat pour une affaire de contrôle au faciès
lundi 22 octobre, Mamadou, Zakaria et Ilyas ont au moins tenu
leur premier engagement. Les trois jeunes hommes avaient assi-

Y a-t-il un malentendu entre

les médecins libéraux et
les patients précaires ou
vulnérables, en particulier ceux
bénéficiaires de l’aide médicale
d’Etat (AME) ? Le 16 octobre, pour
la parution de son rapport annuel,
Médecins du monde alertait l’opi-
nion : « La médecine de ville est
inaccessible aux personnes sans
couverture médicale et à celles qui
n’ont que l’AME, et si elles se tour-
nent vers les circuits de droit com-
mun, hôpital, urgences, ils sont sa-
turés, surchargés et parfois dégra-
dés », expliquait Christian Bensi-
mon, généraliste bénévole depuis
qu’il est retraité, et qui a fait toute
sa carrière en Seine-Saint-Denis.
Ce 22 octobre, c’était au tour de la
direction de la recherche, des étu-
des, de l’évaluation et des statisti-
ques (Drees) du ministère des soli-
darités et de la santé d’exposer le
point de vue des médecins, après
une enquête menée auprès de
1 540 généralistes libéraux (inter-
rogés de mars à mai 2017) sur leur
perception des publics vulnéra-
bles. Les trois quarts de ces prati-
ciens disent se sentir « en diffi-
culté » pour prendre en charge des
patients « en situation de vulnéra-
bilité sociale » qui, selon eux, accu-
mulent des problèmes de santé
(86 %), ont du mal à suivre un trai-
tement (84 %) et dont la patholo-
gie en est souvent à un stade
avancé, conséquence d’un recours
aux soins tardif (83 %).
Les associations humanitaires
recoupent ce constat : « Quand on
est à la rue ou en situation très pré-
caire, la santé passe au second
plan, confirme M. Bensimon.
Parmi les 24 000 personnes ac-
cueillies dans les centres de Méde-
cins du monde, une forte majorité,
y compris des femmes enceintes,
est en retard de soins, la moitié
souffre de pathologies chroniques
et 83 % nécessitent un suivi très dif-
ficile à réaliser dans leur environne-
ment. Sur le plan buccal, ils souf-
frent d’en moyenne 4,4 dents ca-
riées et 5,3 dents manquantes. » Les
dentistes et les spécialistes sont les
plus montrés du doigt par les asso-
ciations pour les refus de soins,
une pratique dont l’ampleur est
cependant difficile à évaluer.
« Système expéditif »
C’est de haute lutte, après un mois
d’attente, que Karla Missouwa
N’Kola, hébergée dans un centre à
Châteauroux et souffrant d’un
horrible mal de dents, a fini par ob-
tenir rendez-vous chez un den-
tiste : « J’attendais d’être enfin sou-
lagée mais, arrivée au cabinet, j’ai
été éconduite par une secrétaire
médicale qui m’a dit être désolée de
ne pas pouvoir me prendre en
charge parce que mon AME a été
délivrée à La Roche-sur-Yon, dans le
département voisin, raconte-t-elle.
On ne m’avait jamais opposé cet ar-
gument qui n’a ni queue ni tête.
J’étais si furieuse que j’ai signalé le
« Quand
on est à la rue
ou en situation
très précaire,
la santé passe
au second plan »
CHRISTIAN BENSIMON
généraliste bénévole
pour Médecins du monde
fait à la Caisse primaire d’assuran-
ce-maladie qui a pris note, sans
plus de conséquences, à ce que je
sais. » Karla a dû attendre un mois
de plus pour être enfin soignée. La
course aux ophtalmologistes l’a
aussi obligée à en contacter trois
avant de trouver le bon.
Les Petits Frères des pauvres
soutiennent, eux, les grands ex-
clus, alcooliques, psychotiques :
« C’est un public déprimé, qui a une
image dévalorisée de lui-même et
refuse de se soigner, constate Mus-
tapha Djellouli, chef de service. Et
en réponse, le système actuel de
soins se montre parfois expéditif.
Les médecins sont pressés, les hôpi-
taux ont consigne de garder les
malades le moins longtemps pos-
sible. Alors pour être sûrs qu’ils
sont bien traités, nous devons
nous-mêmes prendre rendez-vous,
les accompagner, assurer le suivi. »
Lassées des refus de soins, des as-
sociations ont mis en place leur
propre réseau, sollicitant toujours
les mêmes médecins volontaires
et concentrant chez eux cette dif-
ficile patientèle.
Le rapport de la Drees relève
aussi de nombreuses raisons non
médicales aux réticences des gé-
néralistes libéraux, qui constatent
que les consultations prennent
plus de temps (82 %), regrettent le
« manque de coordination » entre
secteur médical et social (78 %) et
déplorent l’inefficacité de la pré-
vention envers ce public (75 %).
Sept médecins sur dix (72,9 %)
pointent une surcharge de travail
administratif liée à ces patients et
les deux tiers (64,6 %) font état de
rendez-vous non honorés.
Le constat n’est pas que négatif,
puisque la plupart des médecins
généralistes se disent prêts à ac-
corder des facilités de paiement
aux plus démunis (80 %) et sou-
haiteraient être mieux formés à
leur prise en charge (54 %), au lien
avec les travailleurs sociaux (82 %)
et aux modalités d’accès aux
droits concernant la santé (79 %).
Ces vœux pourraient figurer en
bonne place parmi les préconisa-
tions du premier rapport de la
Commission nationale d’évalua-
tion des pratiques de refus de
soins qui doit, d’ici à novembre,
être communiqué à la ministre de
la santé, Agnès Buzyn. p
françois béguin
et isabelle rey-lefebvre
gné l’Etat, après avoir été interpellés par des policiers sur un quai
de la gare du Nord, sur des critères qu’ils estiment discriminants,
en mars 2017. Ils revenaient d’un voyage scolaire à Bruxelles avec
leur classe de Seine-Saint-Denis. Les trois ex-lycéens étaient
donc pressés d’en découdre devant la justice. L’Etat beaucoup
moins, qui ne souhaite pas qu’une nouvelle jurisprudence
vienne compliquer la procédure des contrôles d’identité. Les
trois jeunes gens demandent 30 000 euros chacun, l’adminis-
tration réclame en retour 1 500 euros par tête.
La tension ambiante était palpable dans la voix de l’avocat des
adolescents. « Ce sont des jeunes qui sont venus me voir car ils vou-
laient changer le monde en appliquant simplement le droit », a-t-il
conclu sa longue plaidoirie, avec des sanglots dans la gorge.
Me Slim Ben Achour avait reçu quelques instants plus tôt le sou-
tien du Défenseur des droits, qui a estimé que les jeunes gens
avaient tout fait pour apporter des
éléments à la justice (quatorze té-
LES TROIS JEUNES GENS moignages de leurs camarades et de
leur professeure). En 2016, la Cour
DEMANDENT de cassation avait jugé que le ci-
30 000 EUROS CHACUN, toyen devait simplement « apporter
au juge des éléments qui laissent pré-
L’ADMINISTRATION sumer l’existence d’une discrimina-
tion ». C’est à l’Etat d’en démontrer
RÉCLAME EN RETOUR par la suite l’absence.
1 500 EUROS PAR TÊTE c’est « Le point principal de ce dossier,
la question de la charge de la
preuve », a rétorqué l’avocat de
l’Agent judiciaire de l’Etat. Selon lui, les attestations des lycéens
« ne permettent pas de caractériser un comportement discrimina-
toire ». Le procureur de Paris a apporté son appui à l’avocat de
l’Etat, en estimant que les agents dépositaires de l’autorité publi-
que devaient bénéficier d’une « présomption de légalité ». C’est
donc bien la question des conditions nécessaires pour établir un
contrôle au faciès qui se jouait ce lundi. « Il n’y a pas de fatalité, on
peut changer les choses grâce à des décisions de justice », a estimé
l’avocat des lycéens. « Une somme d’allégations ne peut suffire à
renverser la charge de la preuve », a répondu le procureur. Deux
conceptions qui seront départagées le 17 décembre. p
nicolas chapuis
14 | france
Les enseignants éprouvent « un sentiment d’abandon »
Selon des enquêtes, moins de 1 % des enseignants sont victimes de violences physiques. Les insultes, elles, sont fréquentes
ENTRETIEN
B enjamin Moignard est so-
ciologue à l’université Pa-
ris-Est-Créteil. Spécialiste
des violences scolaires, il est le
coauteur, avec Eric Debarbieux et
Kamel Hamchaoui, d’une en-
quête de victimation auprès de
18 000 enseignants du second de-
gré, publiée en 2013. Il a en outre
mené de nombreuses recherches,
notamment sur la délinquance
juvénile, et finalise actuellement
un travail consacré aux nouvelles
problématiques éducatives dans
l’académie de Créteil.
La vidéo d’un lycéen braquant
une arme factice sur une
enseignante dans un lycée
à Créteil, mise en ligne jeudi
18 octobre, suscite l’émoi. Ce
type d’agression envers
un professeur est-il fréquent ?
Les enquêtes montrent réguliè-
rement que moins de 1 % des en-
seignants sont touchés par des
violences physiques. Dans l’en-
quête de victimation de 2013,
99,2 % des enseignants décla-
raient n’avoir jamais subi de
coups, ce qui n’a pas tendancielle-
Gabriel Attal demande plus de sanctions
Pour lutter contre la violence à l’école, « il faut plus de transpa-
rence et plus de sanctions », a déclaré, mardi 23 octobre, Gabriel
Attal, secrétaire d’Etat auprès du ministre de l’éducation. La réu-
nion d’un comité stratégique, mercredi 24 octobre, annoncée par
le ministre de l’éducation, Jean-Michel Blanquer, et le ministre
de l’intérieur, Christophe Castaner, donnera lieu à « des mesures
fortes », a assuré le secrétaire d’Etat, qui a évoqué un « sentiment
d’omerta chez beaucoup de professeurs ». Selon lui, il faut
notamment revoir « l’échelle des sanctions et leur effectivité ».
ment changé depuis. Ce sont des
incidents peu fréquents, mais
traumatiques. Ce qui est plus or-
dinaire, ce sont les insultes. Dans
les enquêtes de victimation, on a
toujours autour d’un tiers des
enseignants qui disent en avoir
subi pendant l’année. Ce n’est
d’ailleurs pas une spécialité des
établissements des quartiers po-
pulaires. Depuis le milieu des an-
nées 1990, on a vu naître un dis-
cours très alarmiste à l’apparition
de chaque nouveau fait divers,
alors qu’on observe plutôt une
stagnation, et en aucun cas une
explosion du phénomène des
violences à l’école. En outre, une
partie des établissements con-
centrent la majeure partie des dif-
ficultés, créant des effets de « po-
larisation », mais ils ne subissent
pas plus de violences aujourd’hui
que dans les années 2000.
Existe-t-il un décalage entre les
faits qui remontent jusqu’au
ministère et les faits réels ?
Il y a ce qu’on appelle le chiffre
noir des faits de violence à l’école,
qui est incontournable dès lors
qu’il y a un traitement public des
données qui sont fournies à l’ins-
titution. Deux raisons à cela : soit
les incidents ne sont pas signalés,
soit le chef d’établissement ne
veut pas qu’ils soient connus. On
peut également ajouter que, pour
qu’ils soient remontés, encore
faut-il que les incidents en ques-
tion soient signalés par ceux qui
les subissent, ce qui est loin d’être
systématique. Dire qu’il y a une
omerta sur ces questions, eu
égard aux outils dont l’éducation
nationale s’est dotée, me paraît
cependant exagéré. La France est
l’un des rares pays à disposer de
moyens multiples pour mesurer
le phénomène.
La DEPP [le service d’études sta-
tistiques de l’éducation nationale]
produit des enquêtes de climat
scolaire et de victimation dont la
dernière remonte à 2017. Il y a
aussi le système Sivis, un disposi-
tif pensé pour faire remonter des
données de violence scolaire si-
gnalées par les chefs d’établisse-
ment à partir d’un échantillon re-
présentatif. Ces outils ont des li-
mites et ne sont pas parfaits, mais
ils témoignent d’une certaine
continuité de l’action publique.
En revanche, le succès du hashtag
#pasdevague sur Twitter renvoie
bien à mon sens aux difficultés
éprouvées par les enseignants et
à leur sentiment d’abandon par
l’institution.
Qu’en est-il de ce sentiment
d’abandon dont témoignent
les enseignants par rapport
à la réalité des chiffres ?
Les enseignants considèrent très
souvent qu’ils ne sont pas soute-
nus par leur hiérarchie, toutes les
enquêtes le montrent. L’exemple
Punir à répétition
constitue
un facteur
déclenchant
des phénomènes
de violence
de Créteil est frappant : si cette en-
seignante a porté plainte seule-
ment après avoir vu la vidéo sur le
Web, peut-être pouvons-nous
considérer qu’elle se sent isolée, à
tort ou à raison, comme beaucoup
d’autres de ses collègues. Il y a sou-
vent l’idée que les chefs d’établis-
sement ne prennent pas les mesu-
res adaptées pour soutenir les
équipes enseignantes et punir les
fauteurs de trouble. Il faut y prêter
fortement attention, car la ma-
nière dont se vit la solidarité entre
les profs se fait parfois au détri-
ment des élèves.
Le code de l’éducation est relati-
vement clair sur ce point. Il insiste
sur l’équilibre nécessaire entre les
enjeux éducatifs que portent
l’école et la nécessaire réponse à
des actes qui n’ont aucune place
en contexte scolaire. Que la ques-
tion des sanctions soit le prisme
principal à partir duquel les ensei-
gnants mesurent la solidarité de
leur hiérarchie témoigne d’une
difficulté forte.
Est-ce que les problèmes disci-
plinaires se concentrent sur
les établissements prioritaires,
comme on le dit souvent ?
Les chiffres montrent que le ris-
que de victimation est plus élevé
Ramadan reconnaît des relations
sexuelles avec deux plaignantes
Confronté à ses juges, l’islamologue suisse, en détention provisoire
depuis février, avoue avoir menti lors de ses premières dépositions
T ariq Ramadan avait donc
menti. Entendu par les ju-
ges d’instruction, lundi
22 octobre, l’islamologue de
56 ans a reconnu des relations
sexuelles avec Henda Ayari et
« Christelle » (un prénom d’em-
prunt), les deux premières fem-
mes à avoir déposé plainte contre
lui, en octobre 2017, pour viols. « Je
voulais simplement revenir sur
mes déclarations, (…) je n’avais pas
dit la vérité, j’avais menti, a-t-il dé-
claré aux magistrats, selon une
source proche du dossier. Sur les
deux cas. » Dans ce feuilleton judi-
ciaire qui s’étire depuis bientôt un
an, le rebondissement est majeur :
l’intellectuel musulman, mis en
examen depuis le 2 février, avait
toujours nié le moindre rapport
physique avec l’une ou l’autre.
Mais le mea culpa n’est pas allé
plus loin. Après deux heures
d’audition, Me Emmanuel Marsi-
gny a résumé la nouvelle ligne de
défense de son client : les rela-
tions avec les deux plaignantes
ont été « parfaitement souhai-
tées et consenties ». « Sa parole est
enfin libérée, et il en est soulagé »,
a assuré l’avocat dans le hall du
nouveau palais de justice de Pa-
ris, devant une quinzaine de
journalistes.
« La raison pour laquelle Tariq
Ramadan a été contraint jusqu’à
présent de ne pas reconnaître
avoir eu des relations, a-t-il pour-
suivi, tient au fait que, depuis le
départ, tant sur le plan médiati-
que qu’au cours de sa garde à vue
(…), il a eu le sentiment que la con-
viction était acquise de ce qu’il
était coupable des faits pour les-
quels il était mis en examen, sans
être en mesure de disposer des élé-
ments matériels qui viennent ré-
cemment d’être versés au dos-
dans les établissements priori-
taires que dans les autres. Toute-
fois la réalité est nettement plus
complexe. On connaît les fac-
teurs de prévalence de la vio-
lence scolaire : la stabilité des
équipes fait partie des éléments
les plus déterminants. Dans les
établissements de l’éducation
prioritaire, on trouve parfois
plus d’un tiers d’enseignants va-
cataires, et un fort turnover des
équipes. Le deuxième élément,
c’est le sentiment de justice pour
les élèves et l’application de sanc-
tions équitables.
Des voix s’élèvent dénonçant
une sorte de mansuétude
de l’administration vis-à-vis
des comportements violents.
Qu’en est-il ?
Une multiplicité d’enquêtes
montre que punir à répétition est
contre-productif et constitue un
facteur déclenchant des phéno-
mènes de violence. Le discours
qui consiste à dire « si on punit
plus il y aura moins de violences »,
n’est pas approprié. La France est
l’un des pays qui sanctionne le
plus et le plus sévèrement. Dans
mon enquête sur les exclusions
temporaires, j’avais constaté que
les établissements qui utilisent le
plus cette sanction sont aussi
ceux qui ont les risques de victi-
mation les plus élevés. Il faut sor-
tir des postures idéologiques et sé-
curitaires, pour inciter les ensei-
gnants à travailler dans des équi-
pes et des collectifs renforcés, très
éloignés des logiques infantilisan-
tes qui les isolent trop souvent. p
propos recueillis
par violaine morin
sier. » Ce dernier retournement
de situation résulte de la récente
expertise informatique d’un an-
cien téléphone de Christelle, la
plaignante qui l’accuse d’un viol
lors de leur unique rencontre, le
9 octobre 2009 dans une cham-
bre d’hôtel à Lyon.
Les 399 SMS exhumés de l’appa-
reil, versés au dossier d’instruc-
tion fin septembre, ne laissaient
guère de doute sur la réalité d’un
rapport physique dans la cham-
bre du théologien suisse. Le 10 oc-
tobre 2009, Tariq Ramadan avait
écrit à Christelle, en début de soi-
rée : « J’ai senti ta gêne… désolé
pour ma “violence”. J’ai aimé… Tu
veux encore ? Pas déçue ? » Puis,
quelques heures plus tard : « Tu
n’as pas aimé… Je suis désolé,
[Christelle]. Désolé. »
« Eléments accablants »
De l’été à la fin de l’année 2009,
tous deux se sont envoyé des
messages à caractère sexuel, ainsi
que des textos plus conflictuels.
Mais l’exégèse de ces SMS, rendue
ardue par le fait que seuls ceux de
Tariq Ramadan sont horodatés et
que certains échanges sont in-
complets, suscite désormais des
conclusions opposées entre les
avocats des différentes parties.
Si l’islamologue a désormais
changé de version, son avocat
adopte toujours un ton offensif,
accusant les plaignantes de men-
tir. Il assure que les SMS démon-
trent que les deux plaignantes
étaient consentantes. « Quel cré-
dit donner aux accusations de
[Christelle] alors qu’on retrouve
un texto de sa part lui disant que si
elle passait un mauvais moment
elle serait partie (…), que la peau
de M. Ramadan lui a manqué dès
qu’elle a claqué la porte ? », s’est-il
0123
MERCREDI 24 OCTOBRE 2018
MI GRAN TS
Le campement de
Grande-Synthe évacué
Un important dispositif
policier a été déployé, mardi
23 octobre, sur le campement
Grande-Synthe (Nord)
occupé par des migrants.
« Plus de 1 800 personnes
seront prises en charge »
dans des structures d’héber-
gement dans les Hauts-de-
France et des régions
alentours. Fin septembre,
500 personnes avaient déjà
été évacuées. – (AFP)
J UST I C E
Le parquet demande
l’abandon des poursuites
pour viol sur mineure
visant deux pompiers
Le parquet de Versailles a re-
quis l’abandon des poursuites
pour viol visant deux pom-
piers et demandé leur renvoi
devant le tribunal pour « at-
teinte sexuelle » sur une ado-
lescente de 14 ans. Le « défaut
de consentement » de l’adoles-
cente paraît « insuffisamment
caractérisé ». Entre 2008 et
2010, la mineure dont la fragi-
lité psychologique a été attes-
tée a eu des rapports sexuels
avec environ vingt pompiers.
Sept sont poursuivis. – (AFP.)
FAI TS D I VERS
Suicide d’un prêtre
visé par une enquête
pour agression sexuelle
Un prêtre de 38 ans, Pierre-
Yves Fumery, a été découvert,
samedi, pendu dans son pres-
bytère à Gien (Loiret). Selon le
procureur de Montargis, une
enquête préliminaire pour
« suspicion d’agression sexuelle
sur mineur de moins de 15 ans »
avait été ouverte le 21 septem-
bre à la suite d’« informations
préoccupantes ». – (AFP.)
interrogé, lundi. Il a par ailleurs
indiqué avoir versé au dossier de
nouveaux SMS de Henda Ayari,
prouvant selon lui une relation
consentie.
« L’avocat de M. Ramadan ment,
comme son client a menti et sali
les plaignantes pendant onze
mois, a réagi Me Eric Morain, l’avo-
cat de Christelle. Les SMS de ma
cliente ne sont pas horodatés et,
aujourd’hui, personne, à part elle,
n’est capable de dire quand elle les
a envoyés. Elle s’expliquera de-
vant les magistrats instructeurs si
ceux-ci la convoquent. »
Confrontée pour la deuxième
fois à Tariq Ramadan le 18 sep-
tembre, Christelle avait main-
tenu sa version et renouvelé ses
accusations. Lui, avait assuré
n’avoir fait que boire un verre
avec elle dans le hall de l’hôtel. Il
ignorait alors les résultats de l’ex-
pertise téléphonique, arrivée sur
le bureau des juges quelques
jours plus tard. « La réalité du dos-
sier montrait que la position de
Tariq Ramadan n’était plus soute-
nable, estime Me Francis Szpiner,
l’avocat de Henda Ayari. Les élé-
ments matériels, malgré les gesti-
culations de sa défense, étaient ac-
cablants. Mais ce n’est pas parce
que M. Ramadan reconnaît quel-
que chose qu’il est obligé de recon-
naître, que brusquement il dit vrai.
Il a encore du chemin à faire sur le
chemin de la vérité. »
Lundi, le théologien est reparti
à l’hôpital pénitentiaire de
Fresnes (Val-de-Marne), où il est
détenu. Son avocat a annoncé, de
son côté, avoir déposé une nou-
velle demande de mise en li-
berté, la quatrième depuis l’in-
carcération de son client, il y a
plus de huit mois. p
yann bouchez
0123
MERCREDI 24 OCTOBRE 2018 horizons | 15

saint-malo (ille-et-vilaine) - envoyée spéciale

M
onsieur le vicomte a
belle allure. Pistolet
d’abordage en main
droite et mousquet de
hune en main gauche,
Hervé de la Choüe de la
Mettrie – « Et que le dernier ferme la porte »,
a-t-il coutume de gouailler quand on le grati-
fie de toutes ses particules – a gardé une âme
d’aventurier. Si son CV détaille la carrière aus-
tère d’un cadre supérieur au service d’une
banque internationale, son arbre généalogi-
que et ses cheveux blancs en bataille campent
cent fois mieux le noble retraité breton. A
peine franchie la porte de sa demeure médié-
vale, on découvre, exposés sur la longue table
en chêne de la salle à manger, des documents
si anciens qu’on ose à peine les manipuler :
actes seigneuriaux, cartes d’état-major, or-
donnances royales… « Je ne crois qu’aux écrits,
il faut se méfier du reste », prévient l’érudit.
L’un de ses aïeux, « un preux cavalier », s’est
battu aux côtés de Guillaume le Conquérant
en 1066, à Hastings. « C’est une immense fierté,
vous pensez bien », clame-t-il, agitant son pis-
tolet à silex comme le capitaine Haddock
brandit son sabre dans Le Secret de La Licorne,
avant d’ajouter : « Je descends de neuf corsai-
res. » L’un des plus célèbres, Alain Porée, sieur
de La Touche et du Breil, né à Saint-Malo
en 1665, fut le premier Français à franchir le
cap Horn. Membre de l’Association des des-
cendants de capitaines corsaires (ADCC), dont
il est l’un des présidents d’honneur, Hervé de
la Choüe de la Mettrie se révèle être un intré-
pide gardien de la mémoire locale.
En ce mois d’octobre presque estival, le
vicomte a le sourire. De ses terres de Trégon
(Côtes-d’Armor), situées à une vingtaine de
kilomètres de Saint-Malo, sa ville bien-
aimée, ce passionné de combats navals se

A Saint-Malo, des
réjouit de la joute à venir : la centaine d’har-
dis navigateurs prêts à en découdre sur la
Route du rhum, la transat en solitaire qui
s’élance tous les quatre ans du port malouin
et s’achève à Pointe-à-Pitre, en Guadeloupe.
Le départ sera donné dimanche 4 novembre,

corsaires de légende
mais à partir du 24 octobre, comme l’exige le
règlement, tous les voiliers doivent attendre
sous les remparts l’ultime inspection des
commissaires de course. « L’appel du grand
large ! Qui peut mieux l’incarner que Saint-
Malo, notre cité corsaire ? La radio et la télévi-
sion vont comme à l’habitude célébrer Surcouf
et Duguay-Trouin, nos héros ! »

MÉLANGE DES GENRES Jacques Meslé de Grandclos, un armateur

Saint-Malo, cité corsaire ? Vraiment ? « Ah
c’est sûr que cité corsaire fait plus chic que cité
de la morue », lance, un rien provocateur,
l’historien André Lespagnol, 75 ans, ancien
président de l’université de Rennes. L’expert
se montre agacé par « cette image trop réduc-
trice de l’extraordinaire épopée maritime de
la ville », qu’il a relatée dans de nombreux
ouvrages, dont le précieux Messieurs de
Saint-Malo. Une élite négociante au temps de
Louis XIV (L’Ancre de marine, 1991).
Difficile de résumer cinq cents ans de foi-
sonnement portuaire, mais tout commence
vers 1510 avec la pêche à la morue dans les
eaux du Grand Nord canadien, où s’aventu-
rent déjà les Malouins, des marins connus
pour être durs au mal. En 1535, Jacques Car-
tier, un enfant du pays, fils de l’un de ces
audacieux, découvrira le Québec en explo-
rant les rives du Saint-Laurent. Dès le milieu
du XVIIe siècle, Saint-Malo devient l’un des
principaux ports d’armement morutier au
monde. Le poisson séché est livré en Médi-
terranée, à Civitavecchia (Italie) notamment,
la résidence du pape. Il y est mangé les ven-
dredis et pendant le Carême, quand l’Eglise
enjoint de « faire maigre ». Les navires rega-
gnent ensuite la Bretagne, les cales gorgées
d’huile, de fruits et de savon. L’exportation
vers l’Andalousie de toiles fabriquées à Vitré
et à Fougères conforte l’essor de la cité, forti-
fiée par Vauban : l’Espagne paie les cargai-
sons drapières en piastres d’argent depuis sa
conquête du Pérou et du Mexique.
Un peu plus tard, l’ouverture, en 1700, de la
route maritime du sud, par le cap Horn, va
donner au bastion malouin un accès direct
aux richesses de l’Amérique du Sud. Par la
suite, la création de la Compagnie des Indes
orientales lancera le commerce du café à par-
tir de Moka, ce port de l’Arabie Heureuse – le
Yémen aujourd’hui. A la cour de Versailles,
Saint-Malo, considérée comme l’un des cof-
fres-forts du roi, est traitée avec noblesse.
« Vous comprenez combien il est important de
relativiser l’historiographie locale qui met en
avant les corsaires, insiste André Lespagnol.
Savez-vous d’ailleurs qu’il y eut peu de com-
bats ? Les Malouins rusaient et prenaient la
fuite si un bâtiment de guerre croisait dans les
parages. La cible, c’était le navire marchand. »
Faudrait-il alors douter de cette légende que
l’on croise à tous les coins de rue de la ville
Les Malouins, qui accueillent en ce moment les
navigateurs de la Route du rhum, misent depuis
toujours sur l’image de leurs ancêtres. Quitte, parfois,
à exagérer leur importance dans l’histoire de la ville
close ? Crêperies, cafés et boutiques de souve-
nirs célèbrent, intra-muros, la saga de ces
héros prêts à l’abordage. Les cartes postales
du bosco Mathurin Pévidic, dit « Pisse-Tafia »,
qui arbore une énorme verrue sur le nez, et
celles du calfat Valentin Ménard, un édenté
qui louche, dit « Ma Mignonne », comblent
de joie les enfants. Mais où s’arrête la mise en
scène et où commence la réalité ? La question
se pose d’autant plus que corsaire n’est pas le
métier de toute une vie. Beaucoup furent
aussi des armateurs, des négociants et des
morutiers qui forgèrent la richesse de la ville.
Pour comprendre ce mélange des genres, il
faut avoir en tête que le corsaire ne sévissait
qu’en temps de guerre. De Louis XIV à Napo-
léon, ce soldat des mers était alors autorisé à
pratiquer la « course », en clair à foncer sur
l’ennemi – l’Anglais, il va sans dire – pour
s’emparer de ses navires marchands. Le capi-
taine du bâtiment obtenait de l’amirauté une
lettre de marque, un passeport d’honneur en « AH, C’EST SÛR
quelque sorte, qui le distinguait d’un pirate.
Adoubés par les plus hautes autorités mariti- QUE CITÉ
mes, les membres de l’équipage corsaire
étaient traités comme prisonniers de guerre,
CORSAIRE FAIT
tandis que les forbans au drapeau noir finis- PLUS CHIC
saient pendus haut et court aux vergues de
leur vaisseau. Afin d’éviter (un peu) les filou- QUE CITÉ
teries, Colbert s’empressa, en 1681, de fixer
dans une ordonnance de marine les pre-
DE LA MORUE »
miers principes des missions, comme la limi- ANDRÉ LESPAGNOL
tation dans le temps des lettres de marque ou historien
les règles de répartition du butin entre l’Etat,
l’armateur et l’équipage. Quand la paix était
signée, les corsaires devaient retourner à
leurs affaires civiles : le commerce, la pêche
et l’armement naval.
Marguerite Onraët, 78 ans, connaît parfai-
tement ces allers-retours. A l’instar du vi-
comte, la truculente vieille dame compte
dans ses ancêtres plusieurs corsaires, dont
Claude-Dominique Avice (1711-1783). « Ce n’est
pas mon préféré, car si on étudie sa descen-
dance, c’est toujours par les mecs, les mecs et
les mecs que ça se joue. On oublie trop les fem-
mes », se rebelle un instant cette ancienne in-
firmière qui, en quarante ans de service à
l’hôpital, a dû certainement subir – elle n’en
dit mot – la loi des hommes.
« COMMERCE TRIANGULAIRE »
Son gaillard des mers à elle, le jeune Claude-
Dominique Avice, débute en tant que terre-
neuvas. En temps de paix, la pêche à la morue
restera son commerce de prédilection.
Quand le royaume de France fait gronder ses
canons, le marin se révèle être un excellent
capitaine. En 1760, pendant la guerre de Sept
Ans, il entre au service de René-Auguste de
Chateaubriand, le père de l’écrivain, dont il
fait la fortune. Ses exploits à bord de
l’Amarante, douze prises et cinq rançons,
permettent à son armateur, enrichi de
350 000 livres, d’acheter les terres et le châ-
teau de Combourg, où François-René enten-
dra l’appel de la muse. « C’est vrai que Claude-
Dominique était pêcheur à la morue et cor-
saire tout à la fois », convient Marguerite
Onraët, membre, elle aussi, de la petite
famille de l’ADCC, qui réunit 851 adhérents
aujourd’hui, en majorité des tempes grises.
Deux vies pour un seul homme, mais celle de
l’aventurier bagarreur n’est-elle pas plus plai-
sante à raconter ? Au sourire rêveur de Mar-
guerite, on comprend que oui.
Benoît Laude a de quoi rêver, lui aussi. Sur-
couf, ce roi des corsaires dont la statue de
bronze qui se dresse sur les remparts de
Saint-Malo pointe l’Angleterre – « l’ennemi
héréditaire » –, est l’arrière-grand-père de son
arrière-grand-père. Depuis 2005, cet ancien
représentant en spiritueux et sa femme sont
les propriétaires du Manoir de la Baronnie,
où ils proposent des chambres d’hôte. Au
XVIIIe siècle, la demeure a appartenu à Pierre-
malouin qui fit fortune grâce à la traite des
Noirs. Saint-Malo fut, avec 80 000 esclaves
transportés, le cinquième port négrier fran-
çais, loin derrière Nantes, le premier
(550 000 captifs). Rien dans les rues de la ville
n’y fait pourtant mention. « Les touristes qui
résident chez nous veulent tout connaître des
exploits de Surcouf, et il y en a eu de fabuleux,
c’est vrai. Mais aucun ne se doute qu’il vécut
cinquante-quatre ans et ne fut corsaire que
pendant quatre ans. Et qu’il participa, lui
aussi, au commerce triangulaire. »
Il suffit de lire le dernier ouvrage du très
sérieux Alain Roman, Robert Surcouf, cor-
saire et armateur (Cristel, 160 p., 29,50 €) pour
s’en assurer. Certes, le héros malouin captura
plus de 40 vaisseaux ennemis, mais il fut
aussi le propriétaire terrien de 800 hectares
de labours et de prairies ainsi que l’armateur
d’une centaine de voyages commerciaux. Un
véritable homme d’affaires, que Napoléon
désigna pour être le premier civil décoré de la
Légion d’honneur.
A Saint-Malo, le cabinet de M. le maire est
tout de boiseries et de lambris, vestiges de
l’hôtel particulier d’André Marion, sieur Du-
fresne, puissant armateur malouin sous
Louis XIV. « Comme vous le voyez, c’est assez
symbolique de l’histoire de la ville »,
témoigne Claude Renoult (divers droite), à la
tête de la cité depuis 2014. Le futur Musée
d’histoire maritime, conçu par l’architecte
japonais Kengo Kuma et qui sera érigé
en 2022 le long du bassin Duguay-Trouin,
devrait permettre, selon l’édile, de restituer
l’épopée malouine comme il se doit. « Cha-
cun y trouvera sa place, les descendants de
capitaines corsaires comme l’association
Mémoire et Patrimoine des terre-neuvas. Et
oui, je souhaite qu’il sente la morue, mais il
glorifiera aussi nos marins si redoutés par-
tout dans le monde. » Le commerce des escla-
ves y aura son lieu de mémoire.
Président de l’ADCC et descendant d’Alain
Porée, comme le vicomte, Dominique de
Ferron reste sur ses gardes, craignant de voir
son ancêtre relégué au second plan. Se-
rait-ce imaginable ? Pas à en croire les ma-
quillages choisis par les enfants invités à se
grimer dans le village de la Route du rhum.
Depuis son ouverture, les quais sont enva-
his de corsaires en herbe. p
marie-béatrice baudet
16 |
CULTURE
0123
MERCREDI 24 OCTOBRE 2018

pppp CHEF-D'ŒUVRE pppv À NE PAS MANQUER ppvv À VOIR pvvv POURQUOI PAS vvvv ON PEUT ÉVITER

Le ballet aquatique des bras cassés

Avec sa fine équipe masculine, Gilles Lellouche signe une comédie chorale joyeusement mélancolique

LE GRAND BAIN
ppvv

T
rop rares sont les comé-
dies populaires fran-
çaises qui ne courent
pas après le succès – qui
peut d’ailleurs se révéler un in-
succès – en appliquant une for-
mule resucée. C’est peut-être de
se ressourcer à The Full Monty
(1997), de Peter Cattaneo, qui fai-
sait s’effeuiller ses chômeurs-
strip-teaseurs sur fond de déman-
tèlement métallurgique et de li-
béralisme thatchérien, qui donne
à ce Grand Bain ce petit goût ex-
centrique, collectif et absurde qui
lui va si bien. Renouant avec
une vocation de réalisateur plu-
tôt sporadique et jusqu’ici à
moitié assumée (Narco, avec Tris-
tan Aurouet, 2004 ; Les Infidèles,
avec Jean Dujardin, 2012), l’acteur
Gilles Lellouche convoque pour
ce faire un imposant aréopage de
virilités malmenées par la vie,
parsème son récit de rôles fémi-
nins par contraste bien trempés,
pour ne pas dire sévèrement
« burnés », et jette tout ce petit
monde dans l’eau du bain pour
signer une comédie chorale
joyeusement mélancolique, dé-
croissante, tendre et décalée.

Biceps tombants
Reprenons du début. Voici Ber-
trand (Mathieu Amalric), dépres-
sif chronique mais mari aimé, qui
a dépassé depuis belle lurette le
stade du faux-semblant. Laurent
(Guillaume Canet), l’homme en
colère quitté par sa femme, qui ne
sait plus que régler des comptes
avec la vie. Marcus (Benoît Poel-
voorde), le petit patron mytho-
mane qui coule avec sa boîte
sans vouloir l’admettre. Simon
(Jean-Hugues Anglade), le rockeur
has been qui y croit encore mais
ne peut même plus en convaincre
son adolescente de fille. Thierry
(Philippe Katerine), l’employé
hypertimide de la piscine munici-
pale qui se gave de sucreries. Ava-
nish (Balasingham Thamilchel-
van), le Sri-Lankais jovial et ron-
douillard qui ne parle pas un mot
de français et en lequel le groupe
trouve, pour cette raison même
peut-être, une source solide de
compréhension et de réconfort.
On a cité les piliers de l’équipe
masculine du film, rassemblés
pour les besoins de l’histoire à la
piscine municipale, et formant,
tout en rondeurs, biceps tom-
bants et graisses superflues, une
Bertrand (Mathieu Amalric), Marcus (Benoît Poelvoorde), Thierry (Philippe Katerine) et Basile (Alban Ivanov), prêts à se jeter à l’eau. STUDIO CANAL
équipe de natation synchronisée
qui devient évidemment la risée
des vrais sportifs du cru. On n’en
a cure et l’on n’en prépare pas
moins les championnats du
monde en Suède, tranquillou. La
raison en est simple : la tiédeur
aquatique protège des vicissitu-
des du monde extérieur, l’humi-
dité embue la cruauté environ-
nante. C’est aussi qu’à plusieurs,
on se tient d’autant plus chaud,
et que la somme des échecs et des
handicaps réunis dans cette
équipe de bras cassés pourrait, al-
lez savoir, se transformer en grâce.
Autour de ces mecs en chute li-
bre qui trouvent à surnager dans
la pratique d’un sport de filles, le
réalisateur prend soin de disposer
quelques figures féminines à poi-
Rilke à ces messieurs. Amanda
Autour (Leïla Bekhti), son ancienne co-
de ces mecs équipière devenue paralysée, qui
la remplace sur le mode Mère
en chute libre, le Fouettarde, en passant sa hargne
réalisateur prend et ses nerfs sur cette équipe de
mâles lambda. Claire enfin (Ma-
soin de disposer rina Foïs), la femme de Bertrand,
quelques figures modèle d’amour, de solidarité, de
stoïcisme et de compréhension.
féminines C’est en imaginant rétrospecti-
à poigne vement l’amusant patchwork que
devait constituer ce projet sur le
papier, avec toutes les tentations
gne, qui permettent à ces cham- afférentes de le figer en énième
pions olympiques de la lose de se- gelée du rire français, qu’on ne
couer leur léthargie et de lutter peut qu’admirer la matière vi-
contre la fatalité. Il y a là Delphine vante, drôle et subtile, qu’en a ti-
(Virginie Efira), ex-alcoolique et rée Gilles Lellouche. Une ligne
entraîneuse bien secouée, qui claire et d’une modestie bienve-
lit clope au bec du Rainer Maria nue, avec le souci de ne pas en ra-
jouter sur le plan scénaristique.
Une volonté de donner une pro-
fondeur à suffisamment de per-
sonnages. Une fluidité et une lé-
gèreté de touche dans la manière
d’agencer cette machinerie re-
doutable qu’est un film choral.
Tunnels musicaux dynamisants
(Physical, d’Olivia Newton-John)
et sens efficace du croquis drolati-
que font le reste du travail.
Mentionnons enfin, sans que le
film en appelle pour autant au
Grand Soir ni ne se considère da-
vantage comme le brûlot comi-
que qui va nous en montrer la
voie, une envie de déboussoler un
peu les valeurs dominantes de
l’époque, et partant, le système
qui les soutient. La beauté. La
jeunesse. La réussite. La compéti-
tivité. L’égoïsme et l’égotisme gé-
néralisés. On en passe, et des
meilleures. Rien de tout cela ici,
juste une bande de quinquas ven-
tripotents qui se serrent les cou-
des en slip de bain et que la pure
fantaisie d’une fable à contre-cou-
rant destine à une improbable
success story. Le vrai succès est na-
turellement à chercher ailleurs,
du côté du challenge démocrati-
que qui a permis à autant d’ac-
teurs et d’actrices, et non des
moindres, de se mettre ensemble
à disposition du film. p
jacques mandelbaum
Film français de Gilles Lellouche.
Avec Virginie Efira, Leïla Bekhti,
Mathieu Amalric,
Benoît Poelvoorde (2 h 02).

La piscine au cinéma, un rectangle qui échappe aux lois du réel

De Billy Wilder à Nanni Moretti, nombreux sont les réalisateurs à avoir utilisé cet élément aussi ductile que duplice

P rivée ou municipale, force

est de constater la puis-
sance cinégénique de la
piscine, rectangle bleu turquoise
où les corps qui y plongent échap-
pent pour un temps aux lois du
réel. Pour de nombreux cinéastes,
la piscine est souvent appré-
hendée comme une utopie. Le
Grand Bain, de Gilles Lellouche,
filme les cours de natation syn-
chronisée comme la concrétisa-
tion d’un idéal d’égalité et de ca-
maraderie, suivant quelque peu la
trace de Nanni Moretti.
Jeune, le cinéaste italien a deux
passions : le cinéma et le water-
polo, qu’il conciliera dans Palom-
bella rossa (1989), rumination mé-
lancolique sur son pays, le Parti
communiste italien et ses souve-
nirs d’enfance. Moretti incarne un
député communiste et joueur de
water-polo devenu amnésique à
la suite d’un accident et qui, en
maillot de bain, recolle peu à peu
les morceaux de son identité.
Cette remémoration sera l’occa-
sion d’une grande réflexion in-
time et collective. Son idéal politi-
que se confond peu à peu avec son
sport, et la piscine devient un ter-
rain de jeu critique : « Que veut dire
être communiste ? – C’est un senti-
ment de totalité – Mais qu’est-ce
que cette totalité ? – Un terrain de
jeu, une piscine. » Maillots et bon-
nets de bain logent tout le monde
à la même enseigne, la nudité co-
difiée fait tomber les masques et
les contingences de toutes sortes.
Chacun s’extirpe de son milieu so-
cial pour rejoindre le grand bain
égalitaire où les complexes physi-
ques sont magiquement gommés.
Flux vital
C’est aussi ce que croit Burt Lan-
caster dans Le Plongeon, de Frank
Perry (1968), road-movie aquati-
que adapté d’une nouvelle de
John Cheever. Ned Merrill, habi-
tant d’un quartier résidentiel du
Connecticut, souhaite rentrer chez
lui en suivant la piste dessinée par
les piscines alentour puisque « les
piscines forment une rivière ininter-
rompue jusqu’à chez nous ». S’invi-
tant chez ses voisins et amis, Mer-
rill oublie qu’un carré rectangu-
laire dans une propriété est le
contraire même d’une rivière. Son
périple en maillot de bain, loin
d’être l’occasion d’une commu-
nion avec le voisinage, réveillera
les inimitiés et de douloureux sou-
venirs. Son rêve d’une grande nage
réconciliatrice se cogne contre les
parois de la piscine privée. La pis-
cine devient le symbole d’un flux
vital, l’eau, stoppée dans sa course
par les limites de l’individualisme,
mais également l’image d’une
réussite clinquante et matérialiste.
C’est ce qu’expérimentera aussi
Dustin Hoffman dans Le Lauréat
(1967), de Mike Nichols, récit
d’une liaison charnelle entre Ben-
jamin Braddock, un tout jeune di-
plômé, et l’amie de ses parents, la
désormais célèbre Mrs Robinson.
Le sentiment d’intime claustra-
tion qu’éprouve Braddock, pro-
mis à un avenir aussi brillant que
tout tracé, est tout entier décliné
dans la séquence où, dans sa te-
nue de plongée, il s’immerge dans
la piscine parentale. Immobile au
fond de l’eau, sa respiration pour
seul bruit, le lauréat explore son
néant intérieur, à ce point anes-
thésié par son milieu qu’il perçoit
le monde à travers la vitre d’un
aquarium. Sa crise existentielle
est autant celle d’une génération
que d’une industrie en pleine mu-
tation : le film sonne les prémices
du « nouvel Hollywood ».
Ce film est l’exact contemporain
du tableau de David Hockney,
A Bigger Splash (1967), qui im-
mortalise, par la combinaison
piscine-villa-palmiers, l’image
d’un ennui doré et californien.
Mais, avec ses aplats de couleur et
ses surfaces strictement délimi-
tées, le peintre britannique fait
surgir de cette sérénité triviale
Maillots et bonnets
de bain logent
tout le monde
à la même
enseigne, la nudité
codifiée fait tomber
les masques
une angoisse sourde qui influen-
cera d’innombrables cinéastes.
En 2015, Luca Guadagnino em-
pruntera le titre dudit tableau
pour son remake de La Piscine, de
Jacques Deray (1969) ; quant au ci-
néma de Sofia Coppola, il peut
être perçu comme une déclinai-
son de l’univers d’Hockney.
D’un film à l’autre, la piscine ré-
vèle sa duplicité. Elle est prétexte
à un rapprochement des corps
dans L’Effet aquatique, de Solveig
Anspach (2016), ou encore dans
Naissance des pieuvres, de Céline
Sciamma (2007) : l’eau renvoie ici
à un liquide amniotique, un
monde prénatal où le corps re-
trouve un semblant d’état de na-
ture qui glisse vers l’érotisme. La
séquence de la piscine couverte de
La Féline (Jacques Tourneur, 1942)
marquera le cinéma d’épouvante,
de Morse, de Tomas Alfredson
(2008), à It Follows, de David Ro-
bert Mitchell (2014). Le rectangle
d’eau devient le lieu d’une mise à
nu propice à la menace : électrocu-
tion, meurtre, noyade révèlent
son versant cauchemardesque.
L’ouverture de Boulevard du cré-
puscule (Billy Wilder, 1950), où le
corps sans vie de William Holden
flotte à la surface d’une piscine ca-
lifornienne, nous avait prévenus.
Une règle semble toutefois l’em-
porter : la piscine devient le lieu
d’une utopie affective et politique
à la seule condition que les corps
se mouillent à l’unisson pour y di-
luer leurs tenaces solitudes. p
murielle joudet
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MERCREDI 24 OCTOBRE 2018

Un mausolée pour les victimes du maoïsme

Le documentariste chinois Wang Bing donne la parole aux rescapés d’un camp de rééducation par le travail

LES AMES MORTES pourrait sembler un monolithe

surplombant s’il n’était en fait
pppv une course contre la montre, re-
Au fil des témoignages, tous
bouleversants, on plonge au cœur
des dérives d’une glaçante entre-
« Les Ames même le sol. Un abandon qui
répond moins à une froide logi-
mortes » se vit que d’extermination qu’à un nau-
précisions : des dates, des faits,
des détails, des circonstances, des
noms surtout. C’est que le travail

S’
il fallait trouver une
ligne de mire à l’œu-
vre du documentariste
Wang Bing, ce serait as-
surément le Grand Bond en avant
(la politique économique lancée
par Mao Tsé-toung en 1958), au-
tour duquel le cinéaste n’a cessé
de tourner, avec Fengming, chro-
nique d’une femme chinoise
(2007), puis avec Le Fossé (2010, sa
seule fiction), pour mettre au jour
ses zones d’ombres et ses exac-
tions. Les Ames mortes, son nou-
veau film, tourné sur plus de
dix ans et présenté hors compéti-
tion au dernier Festival de Cannes,
s’inscrit dans cette démarche dé-
mystificatrice, concernant les pur-
ges antidroitistes de 1957 dont les
victimes furent envoyées de force
au laogai, (« camp de rééducation
par le travail »). Du haut de ses
huit heures et quinze minutes, ré-
parties en trois séances, le film
cueillant le plus de témoignages
possible auprès des rescapés, afin
de constituer une batterie de faits
opposables aux versions officiel-
les d’une histoire en voie d’être
définitivement réécrite.
Témoignages bouleversants
Les Ames mortes s’intéresse plus
particulièrement à un lieu de si-
nistre mémoire : la ferme de Jian-
biangou, proche du désert de
Badain Jaran, où près de 2 500 pri-
sonniers politiques (sur 3 000 in-
ternés) ont trouvé la mort entre
1957 et 1961. Devant la caméra de
Wang Bing se succèdent les survi-
vants de ce camp infernal, aujour-
d’hui des vieillards retirés, qui re-
viennent in extenso sur cette sé-
quence historique et l’éclairent
au jour des expériences indivi-
duelles – cette lumière tant re-
doutée (et pour cause) par les
grands récits collectivistes.
prise de déshumanisation, qui
prend ici le visage d’une bureau-
cratie en proie à la paranoïa la plus
délirante. Frappe en premier lieu
le fait que les ex-prisonniers de
Jianbiangou n’avaient rien de vio-
lents dissidents politiques, mais
étaient pour la plupart des ci-
toyens comme les autres, souvent
des intellectuels (enseignants, in-
génieurs, etc.), qui accueillirent la
révolution d’un acquiescement
sincère. Beaucoup d’entre eux
sont tombés dans le panneau de
la campagne des Cent Fleurs (de
février à juin 1957), grand appel
lancé à la population pour faire
remonter ses critiques au Parti,
mais qui servit aussi à couper les
têtes qui dépassaient ou les lan-
gues trop bien pendues.
Les Ames mortes se vit surtout
comme un effroyable et effarant
récit de la faim, cette ultime dé-
tresse humaine qui fonctionne
surtout comme
un effroyable
et effarant récit
de la faim, cette
ultime détresse
humaine
comme une suspension de toute
humanité. Jianbiangou fut le
siège d’une famine terrible, cause
première de son haut taux de
mortalité. Les rescapés racontent
comment les prisonniers étaient,
par manque de vivres, renvoyés à
l’état sauvage et réduits aux der-
nières extrémités, jusqu’à celle
du cannibalisme, mais aussi les
conditions d’internement déplo-
rables qui étaient les leurs : le
manque d’hygiène, la saleté, la
vermine, les couches creusées à
frage complet de l’administration
pénitentiaire, incapable de ré-
pondre à l’afflux de prisonniers
comme au tarissement des res-
sources agricoles.
Wang Bing construit, pour les in-
tervenants, un cadre qui, au sein
de leurs petits intérieurs, leur
ouvre un espace de parole appro-
prié. Les témoins se montrent
alternativement diserts ou éva-
sifs, distants ou emportés, mais ce
que l’on remarque à leur côté, c’est
aussi la présence de leurs épou-
ses. Souvent silencieuses, elles
nimbent les récits d’une cons-
cience supplémentaire, terrible-
ment émouvante : celles des pro-
ches frappés par l’internement
d’un parent, qui devaient en sup-
porter à la fois l’infamie, l’angoisse
et les privations subséquentes.
Le cinéaste ne lâche pas ses té-
moins d’un pouce, les relance,
leur demande toujours plus de
filmique court contre la dispari-
tion de ces rescapés âgés. Parfois,
la caméra s’aventure à l’extérieur,
pour filmer l’enterrement d’un
témoin ou retourner sur le site
même de Jianbiangou, devenu
un paisible village, où disparais-
sent peu à peu les traces du camp
et où l’on n’admet pas même
une plaque commémorative. On
comprend alors l’insistance de
Wang Bing à faire énoncer le nom
des victimes, de toutes les victi-
mes possibles, aux derniers res-
capés : Les Ames mortes est un
mausolée dressé à leur mémoire.
En l’érigeant au fil des années,
le cinéaste a endossé la défroque
de l’historien, venu déterrer les
souffrances enfouies sous l’écra-
sant roulement du siècle. p
mathieu macheret
Documentaire francais et suisse
de Wang Bing (8 h 43).

Bonnie et Clyde
en terre kazakhe TOUS FOUS DE
Adilkhan Yerzhanov suit la route tragique
d’un tandem burlesque et délicat

LA TENDRE INDIFFÉRENCE
DU MONDE
pppv
« Le destin
de 100 %
de mes films,
HHHHH LE PARiSiEN
HHH LE FiGARO
HHH L’OBS
HHH FiGAROSCOPE

I l faut imaginer un film de

Takeshi Kitano où l’amour
aurait pris (largement) le
dessus, où la violence serait une
bulle pop qui finit par éclater,
au Kazakhstan,
c’est l’étagère,
personne
FOLLEMENT DRôLE
UNE PERLE. D’UNE LiBERTé FOLLE
UNE COMéDiE GéNiALE
TéLéRAMA

éMOUvANT ET jUBiLATOiRE
de temps à autre, dans un bain
ne les voit » RFi MARiANNE LEBLOGDUCiNEMA.COM

d’une douceur infinie. Le sang

n’est pas au programme, mais
quelques gouttes viennent tacher
une fleur immaculée. Sélectionné
à Un certain regard, à Cannes,
La Tendre Indifférence du monde,
du cinéaste kazakh Adilkhan
Yerzhanov, a marqué les esprits
par sa beauté visuelle, son épure
bressonienne, son tandem de co-
médiens qui se lance sur la route
tels Roméo et Juliette, et la ter-
mine façon Bonnie and Clyde.
Comme le résume Serge Gains-
bourg dans sa chanson (1968),
c’est la société qui les a abîmés.
Au Kazakhstan, le cinéma
d’Adilkhan Yerzhanov est classé
comme « partisan », parce qu’il
raconte la société contemporaine.
Le réalisateur revendique dans
le dossier de presse son appar-
tenance à la génération de la nou-
velle vague kazakhe qui l’a pré-
cédée, tel le bressonien Darezhan
Omirbaev. Mais il avoue avoir
regardé dernièrement beaucoup
de films de Kitano et de Fellini :
« Vous savez, quand j’ai commencé
à faire le film, je ne rêvais même
pas qu’il serait à Un certain regard,
à Cannes. Le destin de 100 % de
mes films, au Kazakhstan, c’est
l’étagère, personne ne les voit.
Donc j’essayais simplement de
faire un film qui me plaise à moi. »
L’éphémère du bonheur
Saltanat, jeune femme d’une
grande beauté – incarnée par
Dinara Baktybayeva, star de films
commerciaux au Kazakhstan –,
doit quitter sa maison et les
champs de son enfance pour
éponger les dettes de son père dé-
funt. Elle est promise à un mariage
avec un homme d’affaires. Sa mère
n’est pas tendre et l’envoie pour
ainsi dire à l’abattoir. Saltanat peut
toutefois compter sur son ami de
toujours, Kuandyk (Kuandyk Dus-
senbaev), amoureux transi, plus
délicat que maladroit : il décide
de l’accompagner en ville et de
veiller sur elle. Mais peut-on ga-
ADILKHAN YERZHANOV
réalisateur
vOUS EN SORTiREz GRANDi ET HEUREUx ! jOUiSSiF ET HiLARANT
AUGUSTiN TRAPENARD - FRANCE iNTER
PARi RéUSSi
LE CANARD ENCHAiNé
GéNiAL, LiBRE, DRôLE, iNTELLiGENT. BiBA
gner de l’argent dans ce pays sans
trahir, sans mettre soi-même un
pied dans l’engrenage mafieux ?
UNE COMéDiE iRRéSiSTiBLE AU CHARME FOU SUD OUEST
Les deux personnages ne per-
dent jamais complètement leur UN FiLM qUi FAiT DU BiEN LiBRE ET jOyEUx SiNCèRE ET DRôLE
20 MiNUTES TF1 OUEST FRANCE
droiture. Quand ils dévalent l’es-
calier après avoir dégommé d’af-
freux bandits, ils sont juste en
UNE COMéDiE jOyEUSE ET TENDRE LE MONDE
MALiCiEUSE ET ATTACHANTE LES iNROCkS
train d’apprendre les règles de la
survie. Kuandyk va conserver hu- ON A BEAUCOUP AiMé MON qUOTiDiEN
vOUS ALLEz BEAUCOUP RiRE TéLéMATiN
mour et autodérision envers et
contre tout : dans une scène ma-
gnifique de poésie, il mime un
ON A ADORé. COUREz y!
LAURENT RUqUiER - ON N’EST PAS COUCHé
L’AMOUR FLOU, C’EST FOU! LES éCHOS
voyage en avion qui les emmène-
rait lui et sa belle loin de ce cau-
chemar. La craie sur le mur et le
dessin naïf sont promis à l’efface-
ment et à l’éphémère du bonheur.
Kuandyk Dussenbaev, jeune ac-
PRix DU PUBLiC
ANGOULêME 2018
teur qui tient son premier rôle
principal au cinéma, joue un per-
sonnage rassurant et naïf, si cela
est possible. Il est donc un peu
hors du temps et de la réalité.
Comme sorti d’une bande dessi-
née, il est capable de reprendre sa
course, à peine essoufflé, après
avoir combattu tous les malfrats
qui se présentent. Ce côté gagues-
que, kitanesque, garde le film
en lévitation, lui évite de plonger
dans une vraisemblance mélo-
dramatique. De même, la comé-
dienne, en gardant sa retenue ori-
ginelle, et sa tenue rouge comme
emblème d’une grâce et d’une élé-
gance que rien ne saurait attein-
dre, s’envole littéralement avec
son ombrelle. Elle devient bulle,
pétale de coquelicot… La beauté
n’est jamais sirupeuse, et la fin
pas malheureuse, si l’on en croit le
jeune réalisateur. Ils sont mieux
là, nous dit-il, ensemble et réunis
dans la mort, que sur Terre. p
UN FILM DE ROMANE BOHRiNGER ET PHiLiPPE REBBOT
clarisse fabre
Film kazakh et français ACTUELLEMENT AU CiNéMA
d’Adilkhan Yerzhanov.
Avec Dinara Baktybayeva,
Kuandyk Dussenbaev (1 h 40).
18 | culture 0123
MERCREDI 24 OCTOBRE 2018

Bonneteau sentimental et sexuel à Tel-Aviv

Le premier long-métrage d’Hadas Ben Aroya se révèle une tragi-comédie drolatique et débordante de vie

sentimental des séries contempo-

PEOPLE raines produites par Judd Apatow,
THAT ARE NOT ME comme Girls ou Love.
pppv Le décor télavivien accueillant
cette tragi-comédie de la quête

T
out plaide – dès le pre- sentimentale est réduit à sa plus
mier plan – pour un film simple expression. Un apparte-
générationnel. Une fille ment, bulle « girly » destinée à
en pleurs, dans un ap- contenir tout le désenchante-
partement de postadolescente, à ment du monde. Une allée arbo-
moitié nue devant son ordina- rée pour en sortir. Un autre ap-
teur, envoie un message comme partement, non loin dans la
une bouteille à la mer au garçon même allée, devant la porte du-
dont on suppose qu’il vient de la quel son ancien petit ami la laisse
laisser tomber. Extension infor- moisir. Un bar-dance floor électro
matique de soi-même, précarité où pister de potentiels nouveaux
et insatisfaction sociale, errance décollages. Le film tourne entre
affective, ordalie sexuelle. Ou ces lieux sans que rien n’y bouge
égotisme généralisé, tout le réellement, tel un manège à
monde se parlant à soi-même quatre chevaux. Il y a là l’ex, qui la
alors même qu’il s’adresse à fuit et voudrait tout au plus récu-
l’autre. People That Are Not Me, pérer le double des clés de son ap-
comme le titre le dit si bien. Ça fait partement. Nir, un échalas qui
effectivement du monde. termine sa thèse, en qui Joy est
Joy, Israélienne d’à vue de nez encline à voir son sauveur affectif.
30 ans, représente ici un type so- Et Oren, un kibboutznik intro-
ciologique occidental, une sorte verti qui déménage en ville et as-
de keatonisme féministe. La réali- pire à devenir son colocataire.
satrice Hadas Ben Aroya, qui a bri-
colé ce premier long-métrage Stoïcisme masochiste
pour la fin de ses études, compose La mise en scène organise entre
et interprète ce personnage avec ces figures un jeu de bonneteau
un culot, un charme et un talent burlesque, qui met les apparences Hadas Ben Aroya interprète Joy, personnage insolite, attachant et drolatique. WAYNA PITCH
remarquables. Petite brunette cul par-dessus tête. Nir affecte la
vive au visage polymorphe, mar- souffrance romantique. En réa-
chant à cent à l’heure, laconique et lité, c’est un salopard d’autant le paysan sioniste au verbe rare et sation des sentiments, du timing sombre fatalité qui désaccorde les
rentre-dedans, baignant dans un plus splendide qu’il s’ignore. Pho-
Il y a là l’ex, qui aux épaules de déménageur se ré- passionnel cahoteux entre les per- personnages tombent sur le film
océan de mauve et de violet, vic- bique, incapable de nouer un lien la fuit. Nir, un vèle d’une sensibilité maladive. sonnages. A la traîne perpétuelle comme une force qui s’ingénie à
time sérielle de son angoisse et de véritable avec quiconque, logor- Lorsque Joy, par une nuit de doute de Nir, faux rédempteur qui lui in- contrecarrer son aspiration mani-
la fatalité quant au choix de ses rhéique, il ne songe qu’à terminer
grand échalas et de déconvenue, jette brutale- flige la nécessité d’un stoïcisme feste à la joie, à la simplicité, à la lé-
partenaires masculins. Le person- sa thèse. Ce grand oiseau malade qui termine ment et crûment sur lui son dé- masochiste, Joy, par un sursaut gèreté. Tout dans la mise en scène
nage est insolite, attachant, drola- envoûte Joy par son érudition, volu, l’athlète perd tous ses qu’elle pense salvateur, tétanise à y conduit pourtant : Joy et son
tique. Il conjoint l’humour dé- mais passe son temps à parler au
sa thèse. Et Oren, moyens, se révèle tout en pudeur son tour le doux et timide Oren sourire désarmant, sa propension
pressif à la première personne lit et ne semble pouvoir tirer plai- un kibboutznik et en demande de tendresse. par l’électrochoc d’une franche et à vivre nue, le minimalisme de
du cinéma de Woody Allen à la sir que de l’éventualité d’une éja- Le désarroi – et aussi bien sa drô- impérieuse avance sexuelle. Ce fu- l’action et du décor, la fluidité des
crudité sexuelle et au marasme culation faciale. A l’inverse, Oren
introverti lerie – vient ici de la désynchroni- neste désordre des choses, cette plans-séquences, la pop télavi-
vienne ténue et planante (Butte-
ring Trio, Garden City Movement)
« Le numérique est inhérent à tout type de relation aujourd’hui » qui enrobe ce monde de douceur.
Cette sourde lutte des forces an-
tagonistes, ces constants para-
hadas ben aroya, réalisatrice d’à beaucoup, au point de fonder notre petite qu’il devient difficile de créer une quel- écran. On voit beaucoup de films au su- doxes qui déjouent le programme
peine 30 ans, fraîchement sortie de ses maison de production et de donner nais- conque parcelle d’intimité. jet du conflit israélo-palestinien, de l’ar- font en même temps de People
études de cinéma, apporte avec son pre- sance à ce film comme à notre premier mée, des religieux, de la banlieue, parmi That Are Not Me un film plein de
mier long-métrage, People That Are Not enfant. On a rompu depuis, mais on Vous jouez le rôle de Joy et n’hésitez lesquels le mien a sans doute apporté vie. Une œuvre venue du Moyen-
Me, remarqué en 2016 au Festival de Lo- s’acharne à travailler ensemble ! pas à vous exposer frontalement… quelque chose de différent, un courant Orient mais tournée dans la lu-
carno, un vent de renouveau, de fran- Oui, c’était même ce qui comptait le d’air frais. Israël, c’est tellement plus que mière hivernale de Tel-Aviv. Un
chise et de spontanéité dans le champ Votre film est le portrait d’une généra- plus pour moi au moment où je tournais les soldats et la guerre… film obsédé par la sexualité, mais
du cinéma israélien. Un film tourné en tion connectée, qui mène sa vie senti- le film. Je savais que je devais affronter la dont les images les plus frappan-
neuf jours, qui a l’impudeur d’une mise mentale avec les outils numériques. nudité pour que ça fonctionne. Joy est Que pensez-vous de la réforme tes en la matière prennent des
à nu et l’effronterie des premières fois. C’était impensable de dresser un por- blessée et blesse les autres, elle devait se controversée concernant le finance- voies de traverse. L’autoérotisme
trait des relations amoureuses actuelles mettre à nu dans tous les sens du terme, ment public de la création culturelle ? d’un orang-outan qui urine joyeu-
Quel est votre parcours ? sans les rattacher à notre environne- pour que l’on puisse s’identifier à elle. Je Malheureusement, la loi dite de sement dans sa propre bouche sur
Je viens d’une ville du sud d’Israël. Ma ment numérique. A vrai dire, c’est inhé- devais prendre ce risque : « Ose ou rentre « loyauté culturelle » est passée aujour- la chaîne YouTube. L’amour aliéné
mère était professeure de mathémati- rent à n’importe quel type de relation chez toi ! », comme on le clame dans les d’hui [le 21 octobre]. C’est une grande me- d’une jeune femme entrée par ef-
ques et mon père ingénieur : aucun rap- aujourd’hui. Par exemple, Joy, l’héroïne, émissions que Joy regarde à la télévision. nace pour la démocratie, pour la liberté fraction, qui s’agrippe avec l’éner-
port avec le monde de l’art. Je suis passée s’enregistre avec sa webcam pour en- d’expression et pour l’art comme vecteur gie d’une possédée à son ex-
par la peinture, le théâtre, la danse, avant voyer un message d’amour à son ex-pe- Le film a connu un beau parcours de critique. Il est d’une importance amant endormi. Deux images
d’étudier le cinéma. People That Are Not tit ami. Elle pleure à chaudes larmes, dans les festivals. Comment a-t-il été capitale que les différentes opinions trou- nocturnes, enragées, déviantes,
Me est mon film de fin d’études à l’uni- mais, à la fin, elle choisit quand même la reçu en Israël ? vent à s’exprimer. L’art ne devrait jamais saisies au cœur de la solitude qui
versité de Tel-Aviv. Ce n’est que pendant meilleure prise. Elle exprime sincère- Très bien. Une critique a dit : « Si vous être soumis au contrôle d’un gouverne- les engendre, mais exprimées
le tournage que moi et mon petit ami de ment ses sentiments et, en même avez 20 ans, c’est un film qui parle de ment. C’est un jour triste, mais je suis cer- avec la distance humoristique qui
l’époque, Meidan Arama, le chef opéra- temps, elle les met en scène. C’était une vous. Sinon, de vos enfants. » C’est de- taine que les réalisateurs ne se tairont permet de les partager. p
teur du film, nous nous sommes rendu façon de montrer comment on façonne, venu une sorte de film-culte que cer- pas. Au contraire, nous sommes plus que jacques mandelbaum
compte qu’on pouvait en tirer un long- comment on arrange notre image dans tains spectateurs retournaient voir en jamais résolus à élever la voix et à faire
métrage. Ce fut difficile, car nous faisions le monde virtuel. On filtre, on fait le boucle. Son succès m’a beaucoup sur- des films qui comptent. p Film israélien d’Hadas Ben Aroya.
tout nous-mêmes, des affiches à la ban- montage de sa vie sur les réseaux so- prise. Par ailleurs, cela fait bientôt dix propos recueillis par Avec Hadas Ben Aroya, Yonatan
de-annonce… Mais nous nous aimions ciaux, on est connectés à un point tel ans que Tel-Aviv est montrée sur grand mathieu macheret Bar-Or, Netzer Charitt (1 h 20).

Retour sur cinquante ans de bouleversements en Serbie

Le documentaire de Mila Turajlic retrace l’histoire récente de son pays à travers le regard de sa mère, combattante pour la liberté

Pour cela, la réalisatrice, née
L’ENVERS D’UNE en 1979, choisit de poser sa caméra
HISTOIRE dans un lieu stratégique : un ap-
ppvv partement familial en plein cœur
de Belgrade, nationalisé en 1949
réélections successives, puis le
renversement du régime par la ré-
volution démocratique du 5 octo-
bre 2000. Autant d’événements
qui ne furent jamais que les symp-
tre du gouvernement de transi-
tion démocratique, avant qu’elle
ne se retire de la vie publique,
qu’elle commente néanmoins ré-
gulièrement à la télévision. Pour-
ment efficace, d’une grande flui-
dité narrative, truffé en outre
d’images d’archives étonnantes et
peu montrées (l’apostrophe catas-
trophée de Vinko Hafner, l’un des
aussi la télévision, où bruissent les
images du pays. Le film n’est ainsi
fait que de seuils à franchir, jus-
qu’au seuil ultime et originel : la
scission de l’appartement.

L e second long-métrage do-

cumentaire de Mila Turajlic
(après Cinema Komunisto,
2010) est habité tout du long par
une idée forte : celle des rapports
par le pouvoir communiste de
Tito et scindé depuis en deux, où
ses grands-parents et parents du-
rent cohabiter à proximité de nou-
veaux voisins, derrière les pans
tômes d’une division profonde et
toujours persistante de la Serbie.

entre histoire et héritage ou, pour
le dire autrement, que ce que l’on
reçoit de ses parents concerne
tout autant le domaine intime
que le destin politique d’un pays.
Ainsi peut-on voir L’Envers d’une
histoire autant comme un portrait
de famille que comme un retour
sur cinquante ans d’histoire serbe.
d’un faux mur posé à l’occasion
dans leur salon. C’est depuis cette
paroi, à la fois physique et symbo-
lique, que Mila Turajlic envisage
les bouleversements historiques
qui suivirent : la désagrégation de
la Yougoslavie, l’arrivée au pou-
voir de Slobodan Milosevic, sa po-
litique ethniciste et belliciste, ses
Scepticisme et résignation
Mais, dans cet appartement vit
une résidente hors du commun
qui apparaît comme le véritable
sujet du film : Srbijanka Turajlic, la
propre mère de la réalisatrice, pro-
fesseure de maths aux cheveux
courts et vêtue comme un garçon,
figure majeure de l’opposition à
Milosevic, mais aussi de la révolu-
tion du 5 octobre, puis une minis-
tant, devant la caméra de sa fille,
Srbijanka affiche un troublant
scepticisme teinté de résignation :
elle eut beau lutter toute sa vie
pour la liberté, ses concitoyens
n’en restent pas moins tiraillés, à
chaque nouvelle élection, entre les
tentations nationalistes, populis-
tes ou l’illibéralisme prorusse.
Animé par un esprit de clarté, le
film parvient à entremêler des tra-
mes historiques, générationnelles
et géopolitiques complexes, grâce
à un travail de montage extrême-
« pères fondateurs » de la Yougos-
lavie, à un Milosevic drapé dans
son orgueil sur les bancs du Parle-
ment). Mila Turajlic joue sur la fa-
çon dont l’intérieur (l’apparte-
ment) et l’extérieur (la rue, l’espace
public) se convoquent mutuelle-
ment. Sa caméra joue avec habi-
leté du motif des embrasures et
des fenêtres qui permettent à l’un
et l’autre de communiquer : celles
qui ouvrent au-dehors et permet-
tent d’observer, par exemple,
les manifestations en cours, mais
Mais, en matière de passage, le
plus beau est encore le relais, d’un
côté à l’autre de la caméra, entre la
mère et sa fille : ce flambeau des
luttes que l’on n’a pas pu mener
jusqu’au bout et, avec lui, la vi-
gueur d’un pessimisme sachant
qu’il n’y a, peut-être, pas grand-
chose à espérer des révolutions.
Du moins jusqu’à la prochaine. p
mathieu macheret
Documentaire serbe, français et
quatari de Mila Turajlic (1 h 40).

0123
MERCREDI 24 OCTOBRE 2018
Joanna Kulig
interprète Zula.
Ici, à Cannes,
le 10 mai.
STEPHAN VANFLETEREN
POUR « LE MONDE ».
Romance polonaise
en temps de guerre froide
Pawel Pawlikowski peint l’asservissement du désir à l’histoire
COLD WAR
ppvv
I
l ne s’agit pas d’un film en
chambre. Il s’agit de faire
tenir en moins d’une
heure et demie dix ans de
conflit entre blocs – de 1949 à
1959 –, de guerre amoureuse, et
de peindre l’asservissement du
désir à l’histoire.
Le pari est audacieux, il vise à la
concision, à l’acuité. Mais il risque
aussi la sécheresse, piège que
Pawel Pawlikowski n’évite pas
toujours. Le réalisateur retrouve
ce noir et blanc qui ne fut pas
étranger au succès mondial d’Ida
(2014). Il ne s’agit plus de célébrer
la spiritualité des personnages,
mais, comme chez son collègue
russe Kirill Serebrennikov, de re-
venir au gris universel de l’ère so-
viétique pour ce film qui a rem-
porté au Festival de Cannes le Prix
de la mise en scène.
Dans les coins les plus recu-
lés de la campagne polonaise,
Pawlikowski fait d’abord circuler
un étrange trio composé d’un
musicien, Viktor (Tomasz Kot),
A La Roche-sur-Yon, la cinéphilie toute l’année
Paolo Moretti mène un travail de fond avec le festival international et le cinéma Le Concorde
la roche-sur-yon
envoyée spéciale
U ne semaine de météo au
zénith. Et cependant une
semaine de salles obscu-
res remplies, du matin jusqu’au
soir, d’un public assidu et éclairé.
Voilà, en tout premier lieu, ce qui
surprend au Festival international
de La Roche-sur-Yon, en Vendée :
la présence en nombre de specta-
teurs qui aiment le cinéma et dont
on devine qu’ils ne s’en laissent
pas si facilement conter.
Cela tombe bien puisque la sé-
lection des films en compétition
n’a assombri d’aucune fausse
note sa 9e édition. Parvenant
même à trouver dans son carac-
tère généraliste, et parmi tous les
autres festivals, son identité pro-
pre. Cette identité s’est établie sur
la créativité narrative et formelle
reliant chacun des films présen-
tés. Elle est perceptible dans le pal-
marès révélé lors de la soirée de
clôture, dimanche 21 octobre.
Le Prix spécial du jury ayant été
décerné, ex æquo, à l’irrévéren-
cieux film de Yorgos Lanthimos,
d’une musicologue, Irena (Agata
Kulesza) et d’un bureaucrate du
parti, Kaczmarek (Borys Szyc). Ils
ont pour tâche de collecter le pa-
trimoine musical polonais dans
les fermes et les villages, tout
comme le faisaient, à peu près à la
même époque, Alan Lomax dans
le Mississippi ou Ewan MacColl au
Royaume-Uni. Les Polonais vou-
draient œuvrer dans le même
sens que leurs collègues anglo-
saxons : préserver la culture po-
pulaire, méprisée par les élites.
Mais, en Pologne, ils sont en passe
d’entrer dans les rangs de l’élite.
Retenue extrême
La première partie de Cold War,
qui met en scène l’appropriation
d’un art populaire par un régime,
est un modèle de mise en scène
politique et historique. Le trio est
chargé de constituer un ensem-
ble national de chanteurs et de
danseurs destiné à propager
dans le pays et dans le monde, à
commencer par le bloc commu-
niste, la glorieuse culture polo-
naise. Dans un château en ruine,
des jeunes passent des auditions,
et, déjà, l’habileté et la séduction
The Favourite (Prix d’interpréta-
tion et Grand Prix du jury à la
Mostra de Venise), et à Profile, de
Timur Bekmambetov, un long-
métrage entièrement construit
sur les images des ordinateurs
des protagonistes. Tandis que le
Grand Prix du jury Ciné + a cou-
ronné What You Gonna Do When
the World’s on Fire ?, le film docu-
mentaire de Roberto Minervini
sur la communauté afro-améri-
caine de Baton Rouge.
Politique culturelle ambitieuse
La raison de cette double exi-
gence – du public et de la pro-
grammation –, qui fait l’une des
spécificités de ce rendez-vous an-
nuel, tient en grande partie à la
sensibilité d’un homme qui, de-
puis presque vingt ans, consacre
sa vie au cinéma. Paolo Moretti,
42 ans (l’air d’en avoir à peine 30),
est un Italien qui n’a cessé de par-
courir l’Europe au gré des institu-
tions et festivals où il a travaillé, le
Centre Pompidou à Paris, la Fil-
moteca Española à Madrid, la Ci-
némathèque portugaise à Lis-
bonne. De 2008 à 2013, il a colla-
La première partie,
qui met en scène
l’appropriation
d’un art populaire
par un régime,
est un modèle
de mise en scène
politique
et historique
prennent le pas sur l’authenticité
et la rudesse. La première à en bé-
néficier est une belle jeune fille
blonde, Zula (Joanna Kulig), qui
n’a pas besoin de faire de grands
efforts pour séduire Viktor.
Cold War devient aussi l’his-
toire de leur amour violent et im-
possible, pas tant à cause de la
différence d’âge que de l’incom-
patibilité entre les aspirations
velléitaires de Viktor, qui se rêve
en artiste, et les désirs plus
terrestres de Zula, préoccupée de
se préserver des dangers (les
hommes, les mauvaises langues,
boré aux festivals de Venise et
Rome avant de devenir délégué
général de celui de La Roche-sur-
Yon, où il a été également chargé
de la direction du cinéma d’art et
d’essai de la ville, Le Concorde.
Une double casquette qui lui per-
met de soutenir une activité de
fond, dont les fruits, semble-t-il, se
récoltent au moment du festival.
« Toute l’année, au Concorde, nous
nous efforçons de sortir des che-
mins balisés et de faire découvrir
différentes écritures cinématogra-
phiques, souligne Paolo Moretti.
Cette volonté ne va néanmoins pas
sans une notion de plaisir à la-
quelle je suis très attaché. Conduire
le public vers des choix élevés ne
doit jamais compromettre l’acces-
sibilité aux films. » Porté dans cet
élan par une ville qui soutient une
politique culturelle ambitieuse,
Paolo Moretti peut ainsi « installer
un esprit de festival toute l’année »
qui s’alimente de nombreux évé-
nements, de la venue régulière de
cinéastes à des sessions de forma-
tion à l’image : « Nous avons su
créer des synergies avec une cin-
quantaine d’associations, des éta-
culture | 19
K Retrouvez l’intégralité des critiques
S E M A I N E
sur Lemonde.fr
pppv À N E PAS MAN QU ER
La Tendre Indifférence du monde
Film kazakh et français d’AdilkhanYerzhanov (1 h 40).
Les Ames mortes
Film documentaire français et suisse de Wang Bing (8 h 43).
People That Are Not Me
Film israélien d’Hadas Ben Aroya (1 h 20).
L A
Le Rouge et le Gris. Ernst Jünger
dans la Grande Guerre
Documentaire français de François Lagarde (3 h 28).
Il aura fallu pas moins de vingt ans au photographe et réalisa-
D E
teur François Lagarde, mort en janvier 2017, pour collecter, res-
taurer et assembler les quelque 3 000 photographies qui re-
constituent l’un des témoignages existants les plus précis et
poignants sur la première guerre mondiale, Orages d’acier
F I L M S
(1920), d’Ernst Jünger. En s’associant ainsi par les pouvoirs du
cinéma, image et littérature ouvrent un point de vue inédit
sur l’expérience traumatique de la guerre, d’une puissance de
suggestion bien au-delà des artifices de la fiction. p ma. mt.
ppvv À VOI R
Cold War
Film polonais, anglais et français de Pawel Pawlikowski (1 h 28).
L E S
Le Grand Bain
Film français de Gilles Lellouche (2 h 02).
L’Envers d’une histoire
Documentaire français, serbe et quatari de Mila Turajlic (1 h 40).
pvvv POU R QU OI PAS
Halloween
Film américain de David Gordon Green (1 h 49).
La suite à un récit ancien (La Nuit des masques, de John Car-
penter), en reprenant les deux principaux protagonistes : un
tueur en série et la femme qui lui tint tête quarante ans aupa-
ravant. Détaché de l’architecture qui structurait ce modèle pri-
mitif, il ne reste qu’une suite de péripéties répétitives. p j.-f. r.
les autres, quoi) dont elle a Jean-Christophe et Winnie
fait l’expérience avant de re- Film américain de Marc Forster (1 h 43).
joindre la troupe. Winnie l’ourson en prises de vues réelles ? On attend des
Le récit procède par ellipses qui acteurs (Ewan McGregor), des créatures numériques, un scéna-
laissent le couple à Berlin pour le rio qui fait rire et pleurer, un happy end. A la sortie du nou-
cueillir à Paris, avant de les faire veau produit de Disney, on peut cocher chacun de ces ingré-
se croiser, se rater à Zagreb, à Pa- dients sur la liste des commissions. Et pourtant il flotte un
ris de nouveau, puis en Pologne. parfum d’étrangeté qui l’empêche de parvenir à la perfection,
Viktor est passé à l’Ouest, Zula n’a ce qui fait aussi son charme. p t. s.
pas voulu le suivre, avant de se ra-
viser. Paris se révèle un terreau vvvv ON PEU T ÉVI T ER
moins fertile pour le musicien Quien te cantara
que ne l’était la Pologne stali- Film espagnol et français de Carlos Vermut (2 h 02).
nienne. On voit passer Jeanne Amnésique, une artiste de variétés s’appuie sur la mémoire
Balibar en poétesse, Cédric Kahn d’une chanteuse de karaoké pour préparer son retour
en cinéaste séducteur. Les per- sur scène. Sur cette trame, un édifice compliqué qui fait entrer
sonnages centraux qui étaient si en jeu des traumatismes cachés, des cinéastes adulés
nettement dessinés deviennent (De Palma, Aldrich…) et des rebondissements mélodramati-
flous, on a à peine le temps de ques. Le film est hanté par des figures hiératiques creuses,
comprendre ce qui les façonne, dont le sort finit par indifférer. p t. s.
ce qui les change. Manque
surtout le temps de l’empathie. À L’AF F I C HE ÉGALEMEN T
Pawel Pawlikowski s’est inspiré Bamse au pays des voleurs
de l’histoire de ses parents, on Film d’animation suédois de Christian Ryltenius (1 h 03).
mettra cette retenue extrême sur Chair de poule 2 : les fantômes d’Halloween
le compte de la pudeur. p Film américain d’Ari Sandel (1 h 52).
thomas sotinel Dakini
Film du Bouthan, de Dechen Roder (1 h 58).
Film polonais, anglais et Invasion
français de Pawel Pawlikowski. Film iranien de Shahram Mokri (1 h 40).
Avec Joanna Kulig, Tomasz Kot, Place de la République, printemps 2016
Agata Kulesza (1 h 28). Documentaire français de Leïla Ben Aribi (1 h 11).
LES MEILLEURES ENTRÉES EN FRANCE
Nombre
Evolution
par rapport Total
de semaines
d’exploitation
Nombre
d’entrées (*)
Nombre
d’écrans
à la semaine
précédente
depuis
la sortie
blissements scolaires et le Cyel
Venom 2 373 021 673 ↓ – 56 % 1 314 892
[conservatoire et école d’art], qui, Le Jeu 1 313 520 470 313 520
à mon sens, représente un investis- First Man 1 239 540 449 239 540
sement d’avenir pour la jeunesse. »
Paolo Moretti y croit. Le festival
de La Roche-sur-Yon ne saurait le
démentir. Ni dans l’esprit qui y rè-
gne ni dans les choix qui le défi-
Yéti & Compagnie
Alad’2
A Star Is Born
1
3
3
230 242
183 978
183 772
544
723
353
↓
↓
– 49 %
– 20 %
230 242
1 418 130
821 347
nissent. Pas plus ne sauraient Le Flic de Belleville 1 183 169 512 183 169
l’ébranler les statistiques du Cen- The Predator 1 153 792 385 153 792
tre national du cinéma et de
l’image animée (CNC) qui, très Capharnaüm 1 81 815 159 81 815
souvent, classent la ville comme Voyez comme on danse 2 80 124 370 ↓ – 56 % 306 413
l’une des plus cinéphiles de France
ou encore les 72 000 entrées qu’a
AP : avant-première * Estimation
enregistrées Le Concorde en 2017. Source : « Ecran total » Période du 17 au 21 octobre inclus
Installé depuis quatre ans à La Ro-
che-sur-Yon, Paolo Moretti dit ne
plus avoir le temps pour rien L’été indien a peut-être sa part de responsabilité dans la mollesse
d’autre que ses activités profes- générale de cette semaine cinématographique. Pour le reste, et
sionnelles et le visionnage des nonobstant une chute certaine de sa fréquentation en deuxième
films qu’il reçoit. Sa nomination, semaine d’exploitation (– 56 %), Venom, super-teigneux de la saga
en mars, au poste de délégué gé- Spiderman, continue de tenir la dragée haute à ses concurrents, por-
néral de la Quinzaine des réalisa- tant son score à 1,3 million d’entrées. C’est Le Jeu, comédie dramati-
teurs du Festival de Cannes n’ar- que française, qui, à sa suite, prend la tête des entrées de la semaine
rangera rien à l’affaire. Il s’en mo- dernière, avec une très bonne moyenne de 667 spectateurs par copie.
que. Puisque cette vie vouée au ci- La reconstitution spatiale First Man, l’animation Yéti & Compagnie
néma pourrait bien être, ainsi et le mélodrame social Capharnaüm tirent aussi leur épingle du jeu.
qu’il se plaît à le croire, le secret de Il semblerait en revanche que The House that Jack Built, film de serial
son allure juvénile. p killer philosophique et nouvel opus du super-auteur Lars von Trier,
véronique cauhapé ait un peu plus de mal à trouver son public.
20 | télévision
Un thriller sur l’arrière-cuisine politique
Jed Mercurio, créateur de « Bodyguard », est passé maître dans l’art de produire des séries sous haute tension
NETFLIX
À LA DEMANDE
E
ncore jeune, mais « vété-
ran » hanté par ses an-
nées passées en Afghanis-
tan notamment, David
Budd (qui fut Robb Stark pendant
trois saisons dans Game of
Thrones) a le regard lourd et la
lippe maussade de la déprime.
Aujourd’hui agent de protection
des personnalités au sein du Me-
tropolitan Police Service de Lon-
dres, il met sur le compte de son
passé de soldat sa très doulou-
reuse séparation d’avec sa femme
et ses deux jeunes enfants. Un
soir, alors qu’il revient de vacances
à Londres avec eux, son sens
de l’observation l’amène à déjouer
un attentat terroriste : soit une
longue scène d’ouverture toute de
tension et de patience, impres-
sionnante de maîtrise tant de la
part de l’ancien soldat que du met-
teur en scène (français) Thomas
Vincent, réalisateur de trois des six
épisodes de Bodyguard. La tonalité
de la série est installée : le pays vit
sous la pression de possibles at-
tentats djihadistes.
Mais, à peine cette menace est-
elle pointée du doigt qu’en surgit
une autre, qui va entraîner Bo-
dyguard au cœur du pouvoir poli-
tique. En effet, reconnu pour son
acte de bravoure dans le train, Ri-
chard Budd est affecté à la garde
Et Otto Wagner transforma Vienne
Une passionnante plongée dans l’œuvre de l’architecte autrichien, artisan de la Sécession viennoise
ARTE
MERCREDI 24 - 22 H 30
DOCUMENTAIRE
F aire entrer Vienne l’impé-
riale, la baroque, dans la
modernité. Faire d’une vil-
le-musée une grande cité tournée
vers le futur, à la fois belle et pra-
tique pour celles et ceux qui y vi-
vent. Oser des formes simples,
fonctionnelles, avec des façades
débarrassées de l’historicisme
pompeux qui caractérisait la capi-
tale de l’Empire austro-hongrois.
Voilà la tâche risquée à laquelle
GRILLE N° 18 - 249
PAR PHILIPPE DUPUIS
1 2 3 4 5 6
I 9
II
III
IV
V
VI
VII
VIII
IX
X
SOLUTION DE LA GRILLE N° 18 - 248
HORIZONTALEMENT I. Perquisition. II. Ecourte. Accu. III. Roue. Epar. Aï.
IV. Plénum. Meurt. V. Lérot. Mu. Nia. VI. Esaü. Cuit. Nm. VII. Silos.
Adam. VIII. Is. Leucate. IX. Toilai. Lumen. X. Encerclement.
VERTICALEMENT 1. Perplexité. 2. Ecoles. Son. 3. Roueras. Ic. 4. Que-
nouille. 5. Ur. Ut. Lear. 6. Item. Couic. 7. Sep. Musc. 8. Amuï. Ale. 9. Tare.
Tatum. 10. IC. Un. Dème. 11. Ocarina. En. 12. Nuitamment.
David Budd (Richard Madden) veille sur Julia Montague (Keeley Hawes). WORLD PRODUCTIONS/NETFLIX
rapprochée de la très conspiratrice
ministre des affaires étrangères,
Julia Montague (Keeley Hawes).
Une femme dont la politique et
l’idéologie représentent tout ce
qu’il hait et méprise, et qu’il es-
time responsable de ses propres
traumatismes militaires. Une
femme ambitieuse qu’il va cô-
toyer jour et nuit, ce qui va l’ame-
ner à découvrir la guerre sans pitié
s’est livré avec brio l’architecte
Otto Wagner (1841-1918), dont
l’œuvre, immense et variée,
donne à Vienne une grande partie
de sa splendeur.
En offrant une passionnante
plongée dans l’œuvre d’Otto Wa-
gner, à l’aide de vues aériennes,
d’explications d’architectes, d’his-
toriens et de belles images d’archi-
ves, ce documentaire retrace la vie
d’un architecte de génie dont les
fulgurances modernistes ne fu-
rent pas toujours du goût de la
cour impériale. Le premier tour-
nant de sa carrière se situe en 1882,
7 8 9 10 11 12
à laquelle politiques du même
parti, services de police, agences
de renseignement et de contre-es-
pionnage se livrent entre eux.
Guerre sans merci
Rien de bien original, donc, en ap-
parence, pour ne pas dire que l’on
part de prémisses cent fois vues :
les musulmans en terroristes dans
la scène d’ouverture ; le policier
lorsqu’il remporte l’appel d’offres
pour construire le bâtiment d’une
grande banque viennoise. Il s’af-
franchit des fardeaux de l’histoire,
imagine un énorme bâtiment à
six angles, des cloisons de bu-
reaux amovibles, une salle des
caisses surmontée d’une verrière.
Fonctionnel et confortable
Plus tard, certaines de ses façades
feront scandale, et le peuple vien-
nois, à l’humour féroce, parlera
de « maisons à bretelles », de « mai-
sons à clous », ou, concernant
l’église Saint-Léopold, de « monta-
HORIZONTALEMENT
I. Pourra toujours repartir. II. Accueil-
lir favorablement. Passe à l’action.
III. Deux-roues, passe partout. Sur
l’Orne dans le Calvados. Pompé
vulgairement. IV. Desséchés, cœurs
et âmes. Bolivienne sur le lac Poopo.
V. Petites souris. Dérangea ses
proches. Paresse dans les arbres.
VI. Débuts scolaires. Très mauvais
conducteur. VII. Interjection. Regar-
das de près. Page d’histoire. VIII. Belle
blonde un peu amère. Bien familier.
Choix écologiques. IX. Dans la
gamme. Perdras ton naturel. X. Rend
l’atmosphère de la cabine
irrespirable.
VERTICALEMENT
1. Risque de souvent manger froid.
2. Transposée pour calculer. 3. A vécu
de ses charmes. 4. Un peu d’humeur.
Cervidé des parcs et forêts. En France.
5. Pourra être abordé sans difficulté.
6. Roulent dans les moufles. Restent
en bordures. 7. Evitera d’utiliser la
force. Jeunes pousses. 8. Rapprochas
solidement. Cours élémentaire.
9. Pour un premier tour de cadran.
Déesse nordique. Dangereusement
nourri. 10. Le vieux cherche encore
à plaire. Tas près des mines. 11. Se
manifestera brillamment. Ouver-
tures sur la mer. 12. Limite les élans
du cœur et de l’esprit.
jouant les sauveurs héroïques
mais incapable de se débarrasser
de son propre syndrome post-
traumatique ; le MI5 menant une
guerre froide et sans merci contre
les services officiellement chargés
des enquêtes… Mais dense, ryth-
mée, ponctuée de scènes intimis-
tes, forte d’un regard ambivalent
sur les personnages et magnifiée
par la performance de ses deux
gne de citron ». Mais jamais Wa-
gner ne doutera du bien-fondé de
ses idées. Construit en 1904, le
bâtiment de la Caisse d’épargne
de la Poste autrichienne résume
ses idées : moderne, fonctionnel,
confortable. Avec des hauteurs de
marche réduites et de nouveaux
matériaux (fer, aluminium, lino-
léum) utilisés avec intelligence.
En 1894, il décroche le plus gros
contrat de toute l’Europe avec la
construction du métro de Vienne
et la rénovation du canal du Da-
nube. Nommé professeur à l’Aca-
démie des beaux-arts, il sera vé-
SUDOKU
N°18-249
8 3
6 4
3 7
5 2
1 2 3 9
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4 5 6 2 par
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SCIENCES LES PROMESSES
HORS-SÉRIE
LES PROMESSES DE
L’INTELLIGENCE
ARTIFICIELLE
acteurs principaux, Bodyguard
vous entraîne, de rebondisse-
ments en coups bas mystérieux,
sans vous lâcher un instant.
Cette série attirera aussi bien les
amateurs d’action à la Homeland
que ceux qui lui préfèrent les des-
sous peu chics de la politique à la
State of Play – ou la série originale,
anglaise, de House of Cards. Les
Britanniques, pour leur part, l’ont
massivement regardée, de bout en
bout, entre fin août et septembre,
permettant à la BBC de réaliser le
plus gros lancement d’une série
télévisée anglaise depuis dix ans.
Elle est le fruit de l’imagination
d’un grand professionnel depuis
longtemps reconnu, Jed Mercurio,
par ailleurs auteur de l’excellente
série policière Line of Duty, que
FranceTélévisions diffuse actuel-
lement – la saison 4, que l’on peut
voir indépendamment des autres,
a débuté vendredi 19 octobre sur
France Ô, et jeudi 11 sur France 3.
Hors Royaume-Uni, la diffusion
mondiale de Bodyguard revient à
Netflix, la plate-forme s’y étant
portée candidate dès l’étape du
scénario. Une nouvelle saison
n’est pas encore signée, mais se-
rait en cours de discussion. p
martine delahaye
Bodyguard, série créée par
Jed Mercurio. Avec Richard
Madden, Keeley Hawes, Gina
McKee (GB, 2018, 6 × 60 min).
néré par des élèves qui, à leur tour,
laisseront une empreinte archi-
tecturale moderniste à Vienne.
Pour toute une génération d’ar-
chitectes à travers le monde, Otto
Wagner est un exemple à suivre.
Chez lui, la modernité est toujours
une fête des sens, comme le
prouve notamment la splendide
façade carrelée et très colorée de la
Maison des majoliques. p
alain constant
Otto Wagner ou l’Art nouveau
viennois, de Rudolf Klingohr
(Aut., 2017, 55 min).
3 5 7 4 8 1
2 1 8 9 6 7
6 9 4 5 2 3
4 5 8 6 7 4 2 1
1 4 3 8 9 6
7 2 9 3 1 5
8 3 1 6 5 4
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0123 est édité par la Société éditrice
du « Monde » SA. Durée de la société : 99 ans à
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L’Imprimerie, 79 rue de Roissy,
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Ce journal est imprimé sur un papier UPM issu de forêts gérées
durablement, porteur de l’Ecolabel européen sous le N°FI/37/001.
Eutrophisation : PTot = 0.009 kg/tonne de papier
0123
MERCREDI 24 OCTOBRE 2018
AUTOMOBILE
jackson hole (wyoming)
R
ien ne lui aura été épar-
gné. A l’extrémité du ca-
pot, le « Spirit of ecs-
tasy » a bravé les giclu-
res de gadoue, les galets qui rico-
chent et les griffures perfides des
branchages. La petite figure de
proue ailée a même ouvert le che-
min vers les sommets d’une piste
destinée, l’hiver venu, aux
skieurs. Organiser une virée en
tout-terrain dans les montagnes
du Wyoming au volant d’une
Rolls-Royce était une idée assez
baroque, mais notre Cullinan gris
métallisé a pris son bain de boue
sans rechigner ni jamais renon-
cer devant l’obstacle. La firme an-
glaise voulait apporter la dé-
monstration que son premier
SUV devait être pris au sérieux,
même si elle a longtemps jugé
l’exercice peu en phase avec son
blason. Devancée par l’éternel ri-
val Bentley, elle ne pouvait plus
longtemps se tenir à l’écart d’une
catégorie que, selon la marque,
les clients réclamaient et qui, ac-
cessoirement, présente une ap-
préciable profitabilité.
Dernière-née d’un construc-
teur supposé conservateur, le
Cullinan cumule les premières.
Exit les traditionnelles dénomi-
nations spectrales (Ghost, Phan-
tom, Wraith). Son nom fait réfé-
rence à l’énorme diamant brut
découvert en 1905 dans les mi-
nes d’Afrique du Sud par Sir Tho-
mas Cullinan, en partie intégré
au sceptre de la Couronne britan-
nique. Inédits, également, la pré-
sence d’une banquette arrière ra-
battable, d’un hayon ou de qua-
tre roues directrices. Autre inno-
vation, une transmission
intégrale, conçue par la maison
mère BMW, avec ce qu’il faut de
béquilles électroniques pour
faire grimper aux arbres un véhi-
cule de 2,6 tonnes et le faire des-
cendre avec la plus parfaite placi-
dité. « Une Rolls-Royce est d’abord
Le bébé 4 × 4 est de retour
Encore plus compact que ses prédécesseurs, le Suzuki Jimny quatrième génération allie branchitude et les qualités d’un vrai tout-terrain
C’ est loin, 1998. Les Bleus
remportent la Coupe du
monde, le duo exécutif
Chirac-Jospin cohabite tant bien
que mal, et la vogue du 4 × 4 com-
mence à déferler. Cette année-là,
apparaît le Suzuki Jimny, un tout-
terrain de poche qui va rapide-
ment devenir la coqueluche des
habitants des zones de montagne
et des propriétaires de résidence
secondaire. Il aura donc fallu vingt
ans pour que le Jimny, enfin, se re-
nouvelle. Lancée en octobre, la
quatrième génération de ce petit
véhicule né en 1970 et que l’on a
aussi connu sous les appellations
Santana ou Samurai renove un
genre automobile en voie d’ex-
tinction. Celui des 4 × 4 de la vieille
école, rustiques et sans chichis.
Encore plus ramassé que son
prédécesseur (il mesure 3,65 m,
roue de secours comprise, soit
4,5 cm de moins) et toujours aussi
réfractaire aux considérations aé-
rodynamiques, le petit Suzuki a
fini par prendre conscience de son
potentiel de branchitude décalée.
Il n’est plus rond, mais délibéré-
la rolls-royce des familles
La firme anglaise rejoint à son tour le segment très porteur des SUV
avec son dernier-né, le Cullinan. Présenté comme une familiale pour
super-riches, ce modèle délivre d’étonnantes sensations de conduite
un objet de désir, mais le Cullinan
est une voiture dont les clients
vont avoir besoin pour leur fa-
mille, parce qu’elle s’adapte à
leurs loisirs ou que l’on peut y faire
grimper le chien », explique un
porte-parole.
Rolls-Royce, pourvoyeur de voi-
tures pour papa, maman et les en-
fants ? Pour comprendre la raison
d’être d’un SUV au sein de la mar-
que la plus huppée du monde, il
faut aussi considérer l’évolution
de l’âge moyen de son aimable
clientèle. En dix ans, celui-ci est
passé de 56 ans à 44 ans – « on de-
vient très riche de plus en plus
jeune en Chine, en Arabie saoudite
ou dans la Silicon Valley », fait re-
marquer notre interlocuteur – et
l’arrivée de modèles (à peine)
moins élitistes tels le cabriolet
Dawn et le coupé Wraith ont ac-
ment anguleux, à la manière d’un
bébé Jeep, et se pare de couleurs vi-
ves. Une bonne bouille, un capot
plat et un pare-brise vertical : diffi-
cile de ne pas remarquer le Jimny.
Il a adopté une direction électri-
que et la prise de roulis est mieux
maîtrisée mais, une fois passé les
100 km/h, il faut sans cesse ajuster
la trajectoire pour tenir le cap et
élever la voix pour parler avec ses
passagers à cause des bruits d’air
et du grondement du moteur (la
boîte de vitesses ne compte que
cinq rapports).
Petite taille et poids plume
Loin des SUV sophistiqués qui
prennent la pose, le Jimny n’a pas
trahi ses origines. Il repose sur un
authentique châssis-échelle, a
outrageusement raccourci ses
porte-à-faux, quitte à passer le vo-
lume de son coffre par pertes et
profits, conservé des suspensions
à grand débattement, augmenté
encore un peu sa garde au sol et
conservé des roues de 15 pouces à
gros pneus. La transmission inté-
grale s’enclenche en actionnant
EN OPTION, DEUX SIÈGES
ET UNE TABLE À COCKTAIL
PEUVENT SE DÉPLIER
DEPUIS LE COFFRE, POUR
JOUIR DU PAYSAGE OU
PARTICIPER À UN PIQUE-
NIQUE ENTRE GENS
DE BONNE COMPAGNIE
Avec des
couleurs vives,
un capot plat
et un pare-brise
vertical, le
Jimny affiche
sa singularité.
SUZUKI
un levier, comme au bon vieux
temps, et les puristes apprécie-
ront la gamme de vitesses courtes
ainsi que l’efficace système de ges-
tion du freinage en pente. Sa dota-
tion, sa petite taille et son poids
plume (1,1 tonne) lui permettent
de conserver ses remarquables ca-
compagné le mouvement. Le Cul-
linan, dont le carnet de comman-
des est d’ores et déjà rempli pour
l’année 2019, devrait surtout re-
cruter des tout juste quadragénai-
res, assure le constructeur. Reste
que se bâtir une crédibilité de
SUV familial tout en portant haut
les couleurs de Rolls-Royce n’est
pas une mince affaire.
Une poupe curieusement cintrée
La fameuse calandre évoque tou-
jours un temple grec, mais avec
des lignes adoucies, modernisées,
et les optiques conservent leur
forme rectangulaire, quoique le
recours aux LED introduise une
découpe moins austère qu’autre-
fois. Hélas, la raideur toute germa-
nique des prises d’air s’inscrit à
contre-courant. L’obligation de
conserver une stature haute (la
pacités de franchissement et de
passer là où des véhicules plus im-
posants doivent renoncer.
Dommage que cette voiture
qui n’engendre pas la mélancolie
ne propose pas de version ca-
briolet, comme autrefois, ni
même le moindre toit ouvrant.
styles | 21
Le Cullinan
affiche
2,6 tonnes
sur la balance.
ROLLS-ROYCE
voiture culmine à 1,84 m) tout en
s’efforçant d’ébaucher un profil en
« trois volumes » (pas question de
dessiner une Rolls-Royce aux allu-
res de savonnette) engendre un
langage formel sans fioritures
mais assez atypique. La poupe est
curieusement cintrée et l’impor-
tante surface vitrée fait entrer
beaucoup de lumière dans l’habi-
tacle, mais tend à alourdir le profil.
« Nous avons voulu suggérer l’expé-
rience d’un luxe décontracté plutôt
que l’expression formelle et symbo-
lique du statut. Faire simple,
authentique », plaide le jeune
(40 ans) designer autrichien Felix
Kilbertus, qui a réalisé le style ex-
térieur du Cullinan.
Dans l’habitacle, où l’on accède
toujours par des portières antago-
nistes, un courant de modernité se
fraie un chemin. La planche de
Si le style extérieur est extraverti,
l’habitacle, qui s’est modernisé
– en vingt ans, c’était un mini-
mum –, reste encore guindé. Il
est vrai qu’avant de jouer la carte
du fun pour les vacanciers du
bord de mer ou des stations de
sport d’hiver, le petit Suzuki se
bord adopte un dessin plus
contemporain sans pour autant
s’aventurer trop loin dans la nu-
mérisation et introduit des cuirs
grainés inspirés de l’univers de la
maroquinerie. Soulagement : les
nobles boiseries sans lesquelles
une Rolls-Royce ne serait plus tout
à fait une Rolls-Royce sont tou-
jours là. En option, deux sièges et
une table à cocktail peuvent se dé-
plier depuis le coffre pour installer
confortablement, une fois le
hayon ouvert, deux personnes qui
pourront jouir du paysage ou par-
ticiper à un pique-nique entre
gens de bonne compagnie.
Sous le long capot, le toujours
soyeux et discret V12 bi-turbo de
6,75 litres (563 ch) est lui aussi fi-
dèle au poste, avec ses accéléra-
tions dantesques et son appétit
d’ogre (15 litres aux 100 km en
moyenne, selon le constructeur).
Malgré ses proportions et sa
masse, le Cullinan délivre de déli-
cieuses sensations de conduite.
Elle freine fort, vire parfaitement
à plat et sa suspension pneuma-
tique offre l’inimitable effet « ta-
pis volant », perceptible y com-
pris lorsque l’on s’aventure en
hors-piste. Au démarrage du mo-
teur, la voiture monte de quatre
centimètres afin que ses passa-
gers puissent, au sens propre,
monter à son bord.
Le Cullinan, qui devrait se
négocier à partir d’environ
325 000 euros, se présente très
simplement et sans le moindre
complexe comme une familiale
pour les super-riches. Chez Rolls-
Royce, on ne s’embarrasse pas de
discours sur l’acceptabilité sociale,
comme Porsche, par exemple. Si
ce SUV a été présenté à Jackson
Hole, dans le Wyoming, c’est pour
ses paysages magnifiques et ses
sentiers forestiers. C’est aussi, pré-
cise la marque, parce que cet Etat,
où la fiscalité est particulièrement
avantageuse, abrite le comté de Te-
ton, celui dont le revenu par tête
est le plus élevé des Etats-Unis. p
jean-michel normand
destine aux viticulteurs, chas-
seurs, pêcheurs, pompiers, habi-
tués à franchir des bourbiers et à
escalader des raidillons.
Commercialisé à partir de
17 250 euros, ce qui en fait un
authentique 4 × 4 plutôt accessi-
ble, le Jimny risque pourtant de
s’embourber dans le malus écolo-
gique. Son nouveau moteur es-
sence (1,5 litre, 102 ch) est sous le
coup d’une taxe de… 2 940 euros
pour 2018. La nécessité de conser-
ver des rapports de transmission
courts et un couple-moteur en
adéquation avec les contraintes
du tout-terrain ont fait exploser
les valeurs de CO2. Dommage que
Suzuki n’ait pas implanté le sys-
tème de microhybridation pro-
posé à bord des petites Swift, Ignis
et Baleno. Antidote à la multipli-
cation de véhicules de loisirs de
plus en plus chers, ce mini-4 × 4
d’appellation d’origine contrôlée
conserve un atout qu’on ne peut
lui contester ; dans son genre, il
n’a pas de concurrent. A son bord,
on est secoué, mais content. p
j.-m. n.
22 | disparitions
Robert Faurisson
Idéologue du négationnisme
J
usqu’à sa mort à son domi-
cile à Vichy (Allier), le diman-
che 21 octobre, à l’âge de
89 ans, Robert Faurisson,
idéologue du négation-
nisme à la française, n’avait cessé
de contester le génocide des juifs.
Né à Shepperton, au Royaume-
Uni, le 25 janvier 1929, d’une mère
écossaise et d’un père français
employé à la Compagnie des mes-
sageries maritimes, il grandit en-
tre Saïgon, Singapour, Kobe, Shan-
ghaï, Marseille et Paris. Après des
études au lycée Henri-IV, il est
reçu à l’agrégation de lettres.
Exerçant d’abord dans le secon-
daire avant d’enseigner à l’univer-
sité Paris-III, il se fait remarquer
dans les pages littéraires du
Monde. En 1961, il prétend dévoi-
ler le sens caché du sonnet de Rim-
baud, Voyelles (1871-1872). Le grand
linguiste René Etiemble, en per-
sonne, lui répond le 3 février 1962 :
« M. Faurisson a-t-il lu Rimbaud ? »
L’agrégé de lettres y est traité de
« polisson », sa démonstration
qualifiée de « comédie ».
Début mars 1962, alors que le
gouvernement français s’apprête
à engager des pourparlers à Evian
avec le gouvernement provisoire
de la République algérienne pour
mettre fin à la guerre d’Algérie,
Robert Faurisson tient des propos
injurieux à l’encontre du chef de
l’Etat. Au juge d’instruction du tri-
bunal de Cusset (Allier) qui l’inter-
roge sur la signification qu’il ac-
corde aux trois lettres OAS (Orga-
nisation de l’armée secrète), il ré-
pond : « Oui… Vous n’êtes pas des
hommes libres, vous !… Vous ser-
vez l’Etat, hier Léon Blum,
aujourd’hui Ferhat Abbas… Moi…
je suis libre, vous entendez, libre !…
J’emmerde de Gaulle, le préfet, le
sous-préfet. » Il est alors incarcéré
à Riom (Puy-de-Dôme).
Il devient professeur à l’univer-
sité Lyon-II en 1973. Personne ne
semble remarquer qu’en 1978, l’un
de ses cours s’intitule « Le journal
d’Anne Frank est-il authentique ? »
Les travaux de l’historienne Valé-
rie Igounet, auteure de Robert Fau-
risson : portrait d’un négationniste
(Denoël, 2012), montrent que le
professeur, qui se présente
comme apolitique, baigne en réa-
Paul Allen
Cofondateur de Microsoft
S
on nom est peut-être
moins connu que celui
de Bill Gates, mais Paul
Allen a marqué l’histoire
de l’informatique pour la même
raison : ensemble, ils ont co-
fondé Microsoft, en 1975. Lundi
15 octobre, Paul Allen, 65 ans, est
mort à Seattle, aux Etats-Unis,
« des complications d’un lym-
phome non hodgkinien », a pré-
cisé sa société Vulcan dans un
communiqué. M. Allen avait an-
noncé, début octobre, une réci-
dive de cette maladie, initia-
lement apparue en 2009, et avait
souligné que ses médecins
étaient « optimistes ».
Né le 21 janvier 1953, fils d’un
bibliothécaire et d’une ensei-
gnante, il avait rencontré Bill
Gates dans le lycée qu’ils fréquen-
taient tous les deux à Seattle. Pas-
sionnés d’informatique, ils dé-
laissèrent vite leurs études pour
fonder Micro-Soft – le nom origi-
nal de l’entreprise – et vendre
leurs premiers grands produits :
le langage Basic et le système
d’exploitation MS-Dos.
Malgré les succès de la jeune
entreprise, Paul Allen, qui souffre
lité dans l’antisémitisme depuis la
fin des années 1940.
Ses lectures de Maurice Bardè-
che (1907-1998) et de Paul Rassi-
nier (1906-1967) le conduisent à
remettre en question, dans les
années 1950, l’existence des
chambres à gaz nazies, comme il
le reconnaîtra lui-même dans un
entretien donné à l’historienne.
Auprès d’anciens élèves, celle-ci
apprendra par ailleurs que leur
professeur, en plus de faire ré-
gner la terreur, les incitait à lire
Mein Kampf.
Prêche dans le désert
C’est à la fin des années 1970 que
Robert Faurisson passe de la criti-
que littéraire à la négation histori-
que. Mais à l’instar de Maurice
Bardèche et de Paul Rassinier, il
n’a pas encore dessiné une idéolo-
gie constituée, et prêche dans le
désert. L’historien Henry Rousso
n’a d’ailleurs pas inventé le mot
qui permettra en 1987 de les quali-
fier : « négationniste ».
Le 28 juin 1977, il envoie au
Monde une tribune intitulée « Le
problème des chambres à gaz ou
la rumeur d’Auschwitz », qui est
rejetée. Il la fait alors paraître dans
Défense de l’Occident. Une actua-
lité lui donne l’occasion de sortir
de la marginalité : le 28 octo-
bre 1978, L’Express offre quinze pa-
ges d’interview à Louis Darquier
de Pellepoix, l’un des organisa-
teurs de la rafle du Vél’d’Hiv’, en
juillet 1942. L’ancien commissaire
aux questions juives du maréchal
Pétain y déclare : « A Auschwitz, on
n’a gazé que les poux. »
La polémique enfle, le 16 no-
vembre 1978, dans Le Matin de Pa-
ris, qui titre son « événement » du
jour : « Les chambres à gaz : ça
n’existe pas ». Cette fois, c’est
M. Faurisson qui s’exprime. L’uni-
versitaire se félicite que Darquier
ait contribué à dénoncer des
« mensonges ». Scandalisé par ces
propos, le député du Loir-et-Cher
Pierre Sudreau (Union pour la dé-
mocratie française) demande
l’ouverture d’une enquête au
nom du groupe des anciens résis-
tants et déportés de l’Assemblée.
La direction de l’université
Lyon-II décide de suspendre le
En 2012. ELAINE THOMPSON/AP
alors depuis peu de la maladie
de Hodgkin (une forme de can-
cer du système lymphatique), dé-
cide de la quitter en 1983. Il don-
nera plus de détails sur cet épi-
sode en 2011, dans son livre Idea
Man (« Homme d’idées », Portfo-
lio, non traduit), accusant Bill
professeur quelques semaines.
Lorsqu’il se rend à la fac, quatre
jours plus tard, M. Faurisson es-
suie insultes (« nazi ! ») et coups de
poing, confie-t-il alors au Monde,
qui rend compte de l’« agression ».
Le 16 décembre, M. Faurisson de-
mande dans un nouveau courrier
adressé au Monde pourquoi il
n’aurait pas le droit d’exposer en-
fin ses thèses.
De guerre lasse, le quotidien du
soir publie, le 29 décembre 1978,
une version remaniée du texte, in-
titulé « Le problème des chambres
à gaz ou la rumeur d’Auschwitz ».
Olga Wormser-Migot (1912-2002)
et Georges Wellers (1905-1991),
deux spécialistes de la Shoah en
France, sont sollicités pour dé-
monter les thèses du falsificateur.
En février 1979, une trentaine
d’historiens, dont Pierre Vidal-
Naquet (1930-2006), répliquent,
toujours dans Le Monde, par une
« déclaration » réfutant les thèses
de Robert Faurisson. Ce dernier se
rapproche de Pierre Guillaume,
de Serge Thion et d’une poignée
de militants de l’ultragauche, ras-
semblés autour des éditions de
La Vieille Taupe. En 1980, M. Fau-
risson y publie Mémoire en dé-
fense contre ceux qui m’accusent
de falsifier l’histoire, préfacé par
le linguiste américain Noam
Chomsky, défenseur à tous crins
de la liberté d’expression. Ces
soutiens lui permettent d’élar-
gir son audience dans des mi-
lieux d’extrême gauche, perméa-
bles à l’antisionisme depuis les
années 1970.
« Exception de vérité »
Ce qui est devenu « l’affaire Fau-
risson » contribue alors grande-
ment à diffuser les thèses néga-
tionnistes dans l’espace public,
alors qu’elles étaient jusque-là
confinées dans les milieux d’ex-
trême droite, notamment au sein
du Front national, créé en 1972.
Après avoir fait l’objet de plu-
sieurs agressions, M. Faurisson
ne peut plus exercer normale-
ment ses cours. S’employant à in-
tenter des procès à ceux qui le
qualifient de « menteur profes-
sionnel » ou de « falsificateur », il
fait des tribunaux sa tribune. Se-
21 JANVIER 1953 Naissance
à Seattle (Etat de Washington)
1975 Fonde Micro-Soft
avec Bill Gates
1983 Quitte Microsoft
1986 Fonde Vulcan
15 OCTOBRE 2018 Mort
à Seattle
lon M. Rousso, il sera débouté
« au moins quatre fois de ses plain-
tes pour injures ou diffamation, et
condamné au moins cinq fois,
dont trois pour contestation de
crimes contre l’humanité, en vertu
de la loi Gayssot ». Alors qu’il avait
utilisé à l’encontre de M. Fauris-
son le terme de « faussaire de l’his-
toire », l’ancien garde des sceaux
et fils de déporté, Robert Badin-
ter, était relaxé, le 21 mai 2007 –
mais, comble du comble, en vertu
de sa « bonne foi ».
Ce n’est qu’au mois d’avril 2018
que la justice a brandi « l’exception
de vérité » – fait rare dans l’histoire
de la presse – pour débouter
M. Faurisson de son action en dif-
famation contre la journaliste du
Monde Ariane Chemin, à la suite
d’un article écrit en 2014. La cour
d’appel reconnaissait qu’il pou-
vait être qualifié de « faussaire de
Gates d’avoir essayé de « l’arna-
quer » dans le partage de l’entre-
prise – il n’en détenait que 36 %.
En tournant la page Microsoft à
l’aube de la trentaine, Paul Allen
ouvre un nouveau chapitre dans
sa vie en créant, trois ans plus
tard, l’entreprise Vulcan avec sa
sœur Jody Allen. Cette société
d’investissement basée à Seattle
gère des actifs dans de nombreux
domaines, comme l’immobilier,
la culture, le sport ou les médias.
Richissime – sa fortune est esti-
mée par Forbes à 20,3 milliards
de dollars, soit 17,5 milliards
d’euros –, Paul Allen était connu
pour être touche-à-tout. Pas-
sionné de sport, il était proprié-
taire de l’équipe de football amé-
ricain de Seattle, les Seahawks,
mais aussi de l’équipe de basket
de Portland, les Trail Blazers.
Féru de guitare, fan de Jimi
Hendrix, il jouait lui-même de
cet instrument et avait sorti
un album, en 2013, avec son
groupe, baptisé « Paul Allen and
the Underthinkers ».
Fasciné par la conquête spa-
tiale, l’entrepreneur a aussi
fondé la société Stratolaunch, qui
25 JANVIER 1929 Naissance
à Shepperton (Angleterre)
1973 Nommé professeur
de lettres à Lyon-II
1978 Publication dans
« Le Monde » d’une tribune
intitulée « Le problème
des chambres à gaz
ou la rumeur d’Auschwitz »
1980 « Mémoire en défense.
Contre ceux qui m’accusent
de falsifier l’histoire »,
préfacé par Noam Chomsky
21 OCTOBRE 2018 Mort
à Vichy (Allier)
a conçu un énorme avion, actuel-
lement en test, censé placer
des satellites en orbite. L’homme
a également financé des expé-
ditions sous-marines ayant, par
exemple, permis de retrouver
des épaves de la seconde guer-
re mondiale.
Engagé pour Seattle
Très engagé localement, Paul
Allen aura marqué l’histoire de
Seattle et son paysage : il y a no-
tamment créé le Musée de la pop
culture, conçu par l’architecte
Frank Gehry, qui abrite un musée
du rock et accueille des exposi-
tions sur la science-fiction.
Mais la vie post-Microsoft de
Paul Allen fut aussi marquée par
son engagement philanthropi-
que, notamment dans le secteur
de la santé, avec la fondation de
l’Allen Institute, un organisme de
recherche consacré au cerveau et
aux cellules. L’entrepreneur phi-
lanthrope, qui a donné des cen-
taines de millions de dollars au
cours de sa vie à différentes cau-
ses, s’était aussi engagé, en 2010,
à léguer au moins la moitié de sa
fortune à des œuvres caritatives
0123
MERCREDI 24 OCTOBRE 2018
En 2016. ALAIN GUILHOT/DIVERGENCE
l’histoire » par la journaliste. Un
autre jugement l’attendait : le
25 octobre, le tribunal correction-
nel de Cusset devait se prononcer
sur de nouvelles contestations de
crime contre l’humanité relevées
dans trois textes publiés sur son
blog en 2013 et 2014.
Remis en selle dans les années
2000 grâce à une nébuleuse anti-
sioniste en France constituée
autour de l’essayiste Paul-Eric
Blanrue et par des invitations en
Iran, notamment celle du prési-
dent Mahmoud Ahmadinejad
en 2012, il n’était plus, comme
l’avait rappelé Robert Badinter,
qu’un protagoniste de la rubrique
justice, un bouffon qui se produi-
sait sur les estrades avec l’humo-
riste Dieudonné. Ses thèses
avaient été anéanties par les tra-
vaux des historiens. p
antoine flandrin
après sa mort. Il répondait ainsi
à l’appel de Bill Gates et de sa
campagne « The Giving Pledge »
(« promesse de don ») lancée
à destination des milliardai-
res. « Ceux qui ont la chance
d’avoir accumulé une grande for-
tune devraient la mettre au ser-
vice du bien de l’humanité », avait
alors écrit Paul Allen. Pour lui,
« notre valeur, en fin de compte,
n’est pas définie par les dollars,
mais par la façon dont nous ser-
vons les autres ».
« L’informatique personnelle
n’aurait pas existé sans lui », a
écrit Bill Gates dans un commu-
niqué après la mort de son an-
cien camarade. Il a salué un de
ses « plus vieux et chers amis »
ainsi qu’un philanthrope « qui
se consacrait à améliorer la vie
des gens et à renforcer les com-
munautés à Seattle et dans le
monde entier. »
L’actuel PDG de Microsoft, Satya
Nadella, a, lui aussi, tenu à lui ren-
dre hommage. Paul Allen « a créé
des produits, des expériences et des
institutions magiques, et, en le fai-
sant, il a changé le monde ». p
morgane tual
0123
MERCREDI 24 OCTOBRE 2018 carnet | 23
Gérard Rouyer, Anne Marzolf-Kereun, Marie Leca-Tsiomis, Monique Eleb, Mme Michel Rémond,
son conjoint, son épouse, Jean-Paul Leca, Jean-Louis Cohen, Jean-Yves et Florence Rémond
Emmanuelle Barbara, Jean-Louis Violeau, et leurs enfants,
Valérie Cros-Barbara, Ses proches, les familles Andreadis,
/H &DUQHW Hélène Marzolf, Jac Fol,
ses enfants, Bersos, Bonneau, Bretecher, Cohen, Le père Christian Rémond,
Vincent Marzolf Tous les membres
9RV JUDQGV pYpQHPHQWV Gilles Cros,
et sa compagne, Marie Pellet,
Colonna d’Istria, Dertilis, Dupin, Eleb,
du Laboratoire architecture, culture et
Emmanuelle Rémond-Dalyac
son gendre, de Grandpré, Kouba, Kouroupos, Mazzoni- et Stéphane Dalyac
Camille, Ugo, Lara, ses enfants, société, de l’École nationale supérieure
1DLVVDQFHV EDSWrPHV PDULDJHV Folliot, Mitsou, Passeron, Pinheiro- et leurs enfants,
Gaétan, Victorine, Mélanie, d’architecture Paris-Malaquais,
$YLV GH GpFqV UHPHUFLHPHQWV ses petits-enfants, Machado, Prin, Revault, Stenou, Streiff, UMR/AUSSER CNRS/MCC n°3329
Gabin et Adèle, très touchés par les marques de sympathie
PHVVHV DQQLYHUVDLUHV Topalov, Tordjman, Et toutes celles et ceux qui furent
ont l’immense tristesse de faire part ses petits-enfants, et d’affection que vous avez témoignées
Ses amis, formés par le DEA « Le projet architectural
&ROORTXHV FRQIpUHQFHV du décès de lors du décès de
Ses étudiants et urbain »,
SRUWHVRXYHUWHV VLJQDWXUHV Raphaël et Candice Jeudy
Sylvie BARBARA, et leurs enfants, Et ses collègues,
6RXWHQDQFHV GH PpPRLUH WKqVHV née VICHNIEVSKY, ont la douleur d’annoncer le décès de leur Michel RÉMOND,
Alexandre et Elise, très cher ami, collègue et enseignant,
3RXU WRXWH LQIRUPDWLRQ &DUQHW  Caroline Jeudy ont la douleur d’annoncer la mort de
survenu le vendredi 19 octobre 2018, vous remercient chaleureusement d’avoir
     à l’âge de soixante-douze ans. et son compagnon, Etienne Gilbert,
partagé leur peine et vous expriment leur
     ses beaux-enfants, Yannis TSIOMIS, Yannis TSIOMIS. reconnaissance.
FDUQHW#PSXEOLFLWHIU La cérémonie religieuse se tiendra architecte, urbaniste, historien,
le mercredi 24 octobre, à 10 h 30, ont la tristesse de faire part du décès de directeur d’études à l’EHESS.
en l’église Saint-Augustin, Paris 8e. Anniversaire de décès
AU CARNET DU «MONDE» Ils se joignent à celle de son épouse
L’inhumation aura lieu, dans la plus Jean-Daniel MARZOLF Nous nous réunirons au crématorium Marie Leca et garderont en mémoire
Il y a quatre ans,
stricte intimité, au cimetière du Rayol- HEC 66, ses talents de chercheur et de pédagogue,
Naissances du cimetière du Père-Lachaise, Paris 20e,
Canadel-sur-Mer (Var). directeur général honoraire sa générosité et sa chaleur humaine.
le jeudi 25 octobre 2018, à 10 h 30. Nathalie, Marguerite KERBER
Aude TROLLEY de PREVAUX, de la Chambre de commerce et d’industrie
Cet avis tient lieu de faire-part. de Paris, Un hommage lui sera rendu le jeudi
Richard YUNG, nous quittait.
chevalier de la Légion d’honneur, L’École nationale supérieure 25 octobre 2018, à 10 h 30, au crématorium
sont heureux de faire part de la naissance 117, boulevard Malesherbes,
de chevalier de l’ordre national du Mérite, d’architecture de Paris-La Villette du cimetière du Père-Lachaise, Paris 20e. Nous pensons à elle en y associant
75008 Paris.
gggrouyer@aol.com le souvenir de ses parents,
Liam, ebarbara@augdeb.com survenu le 18 octobre 2018, a la tristesse de faire part de la disparition Remerciements
à l’âge de soixante-quinze ans. de Chaim et Sarah KERBER
frère de
Melle (Deux-Sèvres). Sa famille
Alexandre,
Les obsèques ont eu lieu le mardi et son neveu,
Patrice Delezay, remercie toutes les personnes qui, par leurs
le 17 octobre 2018, 23 octobre, à Perros-Guirec, dans l’intimité Yannis TSIOMIS,
son mari, messages, par leur présence et leur soutien, Fabian BOISSON.
familiale. se sont associées à sa peine lors du décès
au foyer de Adeline Delezay et Patrick Dupouey,
leurs enfants du
Sarah et Issam Ben SOLTAN. 69, boulevard de la Mer, Communication diverse
et petits-enfants, survenue le 19 octobre 2018.
Bruno et Marie Thérèse Delezay 22700 Perros-Guirec. docteur Alain BAKHOUCHE.
53, chemin Francis-Poulenc,
37231 Noizay. et leur fils,
ses enfants, Architecte, urbaniste et docteur d’Etat
Paule Monory,
Henri Marie et Monique Goursaud ès Lettres, Yannis a enseigné au sein de Saint-Aubin (Jura).
Gisèle RICOU COZETTE et leurs enfants, son épouse,
notre établissement de 1977 à 2012.
est heureuse d’annoncer la naissance son frère et sa belle-sœur, Antoine Monory,
de son premier petit-fils, Ginette Mekachera,
Anne Delezay, son fils,
sa belle-sœur Professeur des Ecoles nationales son épouse,
Jean-Christophe Bailly
Noah, et Salomon N’Simba supérieures d’architecture, il était praticien Ses enfants
Et tous ses proches, SOS AMITIE
et leur fils, et chercheur spécialisé dans le projet et leurs conjoints,
le 15 octobre 2018, à Versailles, Ses petits-enfants, Envie d’être utile ? Rejoignez-nous !
ont la douleur de faire part du décès de urbain.
ont la douleur d’informer du décès de Ses arrière-petits-enfants,
de son fils, Les bénévoles de SOS Amitié écoutent
Etienne DUSSART Mme Michelle DELEZAY, Jacques MONORY, Son implication au sein de notre ont été très touchés par les nombreux par téléphone et par internet
et de sa belle-fille, née GOURSAUD, établissement s’est poursuivie jusqu’à ses témoignages d’amitié et de sympathie ceux qui souffrent de solitude, mal-être
Amélie MOREIRA DUSSART, infirmière DE, survenu à Paris, et pensées suicidaires.
derniers jours au grand bénéfice de nos reçus lors de la disparition, le 17 octobre
habitant Voisin-le-Bretonneux.
survenu le 16 octobre 2018, le 17 octobre 2018, étud iants et de no s ens eign ants - 2018, de
Toute la famille partage son immense dans sa quatre-vingt-troisième année. dans sa quatre-vingt-quinzième année. chercheurs. Nous ne répondons qu’à 1 appel sur 3
joie. Hamlaoui MEKACHERA, et recherchons des écoutants bénévoles.
La cérémonie civile a eu lieu le mardi Une cérémonie d’adieu aura lieu ancien ministre, L’écoute peut sauver des vies
Les obsèques auront lieu le jeudi
23 octobre, à 10 h 30, à la maison le mercredi 24 octobre, à 10 h 30, dans grand officier de la Légion d’honneur, et enrichir la vôtre.
Décès funéraire, suivie de la crémation, 25 octobre, à 10 h 30, au crématorium
la salle de la Coupole du cimetière du officier de l’ordre national du Mérite,
à 15 heures, dans l’intimité familiale du cimetière du Père-Lachaise, Paris 20e. croix de la Valeur militaire. Horaires flexibles, formation assurée.
Françoise Manent, au crématorium de Niort. Père-Lachaise, Paris 20e.
Catherine Deliyannis, En IdF RDV sur
Pierre-Antoine Albouy, M me Delezay repose salon la Belle, Nous transmettons nos plus sincères La famille exprime sa profonde www.sosamitieidf.asso.fr
Le corps sera ensuite inhumé dans
ses enfants 3, rue de la Pièce, à Saint-Léger-de- l’intimité au cimetière de Château-Chalon, condoléances à sa famille. gratitude. En région RDV sur www.sos-amitie.com
et leurs conjoints et conjointe, la-Martinière. dans le Jura.
Ses petits-enfants
Et arrière-petits-enfants, La famille remercie le docteur Piketty (Le Monde du 22 octobre.)
et le personnel de l’EHPAD du château

  
font part du décès de de Chaillé, pour sa gentillesse et son Le directeur
dévouement.
Fanny ALBOUY, de l’École normale supérieure
née ROUSSEL, PF. Geoffroy Melle-Saint-Léger. Et l’ensemble
Tél. 05 49 29 20 40. des enseignants-chercheurs, personnels,

    
survenu à l’âge de quatre-vingt-dix-huit élèves et étudiants,
ans. La famille
Et les proches de ont appris avec tristesse le décès de
Et rappellent le souvenir de son époux,
Rodolphe ISNER,
Pierre ALBOUY. professeur de Lettres classiques,
fervent lecteur du Monde,
Marcel RONCAYOLO
8, rue du Val-de-Grâce, géographe et urbaniste,
75005 Paris. ont la tristesse d’annoncer son décès, normalien (promotion 1946),     


 

survenu le 18 octobre 2018. agrégé de géographie (1950),
Annick Allaigre, caïman puis maître-assistant
présidente de l’université Anne-Sophie Levy-Simon, à l’ENS (1956-1965),

ÝÞ
Paris 8 Vincennes - Saint-Denis Julien Levy, docteur de l’université
Et l’ensemble ses enfants, Paris 1 Panthéon-Sorbonne (1981),
de la communauté universitaire, Jean-Charles Simon, sous-directeur puis directeur-adjoint
son gendre,
ont la tristesse de faire part du décès de

Eveline ANDREANI,
compositrice et musicologue,
Nathan, Noémie, Alma,
ses petits-enfants,

ont l’immense chagrin de faire part

vice-présidente de l’université
de 1993 à 1997.
Les obsèques ont lieu ce mardi
23 octobre, à 14 h 30, au crématorium
du cimetière du Père-Lachaise, Paris 20e.
Nous exprimons notre peine et notre
sympathie à sa famille et à ses proches.
du décès de
de l’ENS (1978-1987),
ancien professeur à l’université
Paris X Nanterre,
ancien directeur d’études à l’EHESS,
ancien directeur

de l’Institut d’urbanisme de Paris.
M. Bernard LEVY,
survenu le 20 octobre 2018, à Paris.
L’ENS tient à rendre hommage à son
Les obsèques auront lieu le vendredi action et à son engagement en faveur du
26 octobre, à 10 h 30, en la salle de la développement des sciences économiques
Coupole, au crématorium du cimetière
et sociales.
du Père-Lachaise, 71, rue des Rondeaux,
Paris 20e. (Le Monde du 19 octobre.)
  
   
 
  



  



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Société éditrice du « Monde » SA


 
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Président du directoire, directeur de la publication


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Louis Dreyfus
  


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Directeur du « Monde », directeur délégué de la

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publication, membre du directoire Jérôme Fenoglio

Directeur de la rédaction Luc Bronner

        Directrice déléguée à l’organisation des rédactions   
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       Françoise Tovo
        
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;:A/M ! K!5G! !5 2/7B?J!<= A"574 
Caroline Monnot, Cécile Prieur B7/G 3@#B  3@
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Rédaction en chef numérique  ! ! 
73/G" 
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Michel Guerrin, Christian Massol  
Directeur délégué au développement du groupe
M:/A! '/5  G! !G B/+5GJA! 73/+G7/A!B @!:G! ! A!!K7/A !B 7(A!B J 
Gilles van Kote @!:G! ! A!!K7/A !B 7(A!B !B :AG!5/A!B J 
Directeur du développement numérique 7G!N 3!B H !A5/!AB ,/(A!B
'/+JA5G J K!AB7
Julien Laroche-Joubert ! K7GA! AG! 
"3= 
Rédacteur en chef chargé des diversifications
éditoriales Emmanuel Davidenkoff 
   
    
 
Chef d’édition Sabine Ledoux
/B75 /5/K/J!33! 5G!A:,75!  7J/ 575 ":8G ,!N 3! +A/!5EJ!/3 ":8G
Directeur artistique Aris Papathéodorou
44!J3! 70G! JM 3!GGA!B  G= B:"/'/?J!
Photographie Nicolas Jimenez
Infographie Delphine Papin /+/7! 74/5G/K! 733!G/K! B3/!A 3! L!!2-!5

     Médiateur Franck Nouchi         
- $O  

.
 - C)O9H 
  - *HH $69 $)O  A/B - :/G3 ! 9I* D9O H*$CO= (A! A"B!AK"! JM 57JK!JM 755"B
Secrétaire générale du groupe Marguerite Moleux !G K33! !5 A5! 4"GA7:73/G/5! 1JB?J@J H9E9IEIO9$= 5 A!G7JA55G ! &7A4J3/A! K7JB !:G!N ?J! ! 75! A!B:75B3! ! GA/G!4!5G JG/3/B! K7B 755"!B :!AB755!33!B :7JA
     Secrétaire générale de la rédaction Christine Laget
3!B !B7/5B ! K7GA! 7445! ! 3 A!3G/75 3/!5G !G @G/75B 4A2!G/5+ BJA B!B :A7J/GB !G B!AK/!B= 7JA 7550GA! 3!B 473/G"B ! GA/G!4!5G ! K7B 755"!B /5B/ ?J! 3!B A7/GB
75G K7JB /B:7B!N ;#B A!G/'/G/75 !(!4!5G 7::7B/G/75 :7AG/3/G" 3/4/GG/75 !B GA/G!4!5GB B7AG !B 755"!B :A#B "#B< 75BJ3G!N 57GA! :73/G/?J! ! 75'/!5G/3/G" 

     Conseil de surveillance Jean-Louis Beffa, président, 3@A!BB! ,GG:BEELLL=3!475!=&AE75'/!5G/3/G!E 7J "A/K!N  57GA! "3"+J"  3 :A7G!G/75 !B 755"!B - $O 
J+JBG!-35?J/ % C)COC A/B !!M 9H 7J :7+A7J:!3!475!=&A=
Sébastien Carganico, vice-président
24 | débats & analyses 0123
MERCREDI 24 OCTOBRE 2018

L’amertume des Touareg en Libye

Analyse nale que représente le « manque de dévelop-
pement » dont souffre sa communauté,
forte d’environ 250 000 personnes (soit en-
viron 4 % de la population totale), surtout
frédéric bobin concentrées à proximité des frontières algé-
tunis - correspondant rienne et nigérienne, dans le sud-ouest du
combattants touareg – libyens, maliens ou
nigériens – dans les unités chargées de la ré-
pression.
Après la chute de Kadhafi, ces Touareg aux
connexions transfrontalières et au patrio-
tisme souvent suspect aux yeux des diri-
byenne, un atout gratifiant à l’époque où la
Libye brillait de tous ses feux d’eldorado pé-
trolier. Or, l’engagement n’a jamais été vrai-
ment honoré. Nombre de familles de ces ex-
combattants ont fait souche en Libye sans
être considérées comme des Libyens à part

A
voir Moulay Ag-Didi attablé
à une terrasse d’une ban-
lieue de Tunis bourgeon-
nant de nouveaux immeu-
APRÈS LA CHUTE bles, on peine à réaliser qu’il
est le chef politique des
DE KADHAFI, Touareg libyens. Avec sa barbe blanche et sa
casquette bleu nuit, on le prendrait plutôt
CES TOUAREG pour un artiste bohème. Et pourtant,
AU PATRIOTISME l’homme n’est autre que le président du
Conseil suprême des Touareg de Libye. Il a
SOUVENT SUSPECT été élu en 2017 à la tête de cette instance re-
présentative de la communauté en rempla-
AUX YEUX cement d’Hussein Al-Koni, une figure histo-
rique qui fut dix-sept ans durant ambassa-
DES DIRIGEANTS deur du régime de Mouammar Kadhafi
DE TRIPOLI ONT ÉTÉ au Niger.
M. Ag-Didi est moins connu que son pré-
TENUS À DISTANCE décesseur, moins lié au jeu cynique que fut
celui du Guide de Tripoli à l’endroit des
Touareg, minorité longtemps instrumenta-
lisée pour servir les desseins géopolitiques
de ce dernier dans l’aire sahélo-saharienne.
De passage à Tunis, M. Ag-Didi a rencontré
des Libyens y résidant, mais aussi des
interlocuteurs internationaux, dans l’in-
tention de les sensibiliser à la cause touareg
libyenne.
Inquiet, M. Ag-Didi met en garde contre la
« grande menace » pour la stabilité régio-
pays. Selon lui, le chômage, la précarité des
conditions de vie et l’« absence du gouverne-
ment » risquent de pousser les jeunes de la
communauté dans les bras des « trafi-
quants », des « criminels », voire des « terro-
ristes ».
Les Touareg de Libye ont vécu l’après--
révolution de 2011 dans l’amertume. Ils
avaient été choyés par l’ancien régime, qui
les avait recrutés en masse dans son appa-
reil sécuritaire, un passif « kadhafiste » que
les nouveaux maîtres issus de l’insurrection
leur ont ensuite fait chèrement payer à tra-
vers des politiques discriminatoires. A l’épo-
que de la Jamahiriya (« Etat des masses »), les
combattants touareg avaient formé l’essen-
tiel des troupes de la fameuse Légion islami-
que qui guerroya dans les années 1980 au
Tchad et jusqu’au Liban.
Forts de leur expérience de combat, cer-
tains de ces « légionnaires » fomentèrent au
seuil des années 1990 des rébellions au Mali
et au Niger, à partir de sanctuaires du Sud li-
byen. Usant de la carte touareg pour consoli-
der son influence dans le Sahel, Kadhafi s’im-
posa comme médiateur quand de nouvelles
rébellions éclatèrent une quinzaine d’an-
nées plus tard contre les gouvernements de
Bamako et de Niamey. Et quand il fut lui-
même défié en 2011 par l’insurrection d’une
partie de son propre peuple, il enrôla des
geants de Tripoli ont été tenus à distance.
Leur assise politique et économique dans le
Fezzan, la région méridionale de la Libye, a
été sévèrement affaiblie par l’essor d’un
groupe concurrent, celui des Toubou, autre
communauté sahélo-saharienne à cheval
sur la Libye, le Niger et le Tchad. Ouverte-
ment discriminés par Kadhafi, ils ont tôt
embrassé la cause de l’insurrection, ce qui
leur a permis de consolider, après 2011, leur
emprise sur les frontières et les puits de pé-
trole.
« CITOYENS DE SECONDE ZONE »
La rivalité culmina dans une sanglante
guerre interethnique en 2014-2015, dans la
ville d’Oubari. Ces affrontements entre mili-
ces touareg et toubou firent environ
300 morts et 2 000 blessés. Un accord de
paix parrainé par le Qatar fut signé à la fin de
2015, à Doha. Près de trois ans plus tard, la sta-
bilité d’Oubari a été globalement préservée.
Mais les promesses non tenues d’une re-
construction des quartiers détruits alimen-
tent bien des crispations.
Une autre source de désenchantement des
Touareg tient à la question, plus politique, de
la citoyenneté. Afin de motiver des jeunes
Touareg du Mali et du Niger à s’enrôler dans
ses troupes, le Guide leur avait fait miroiter la
promesse d’une future citoyenneté li-
entière.
Lors des premières élections législatives
postrévolution, en 2012, ces Touareg d’ori-
gine sahélienne ont pu voter. Mais pas
en 2014, sous prétexte qu’ils ne possédaient
pas de « numéro national », un document fai-
sant office de carte d’identité. De nombreux
Touareg s’inquiètent ainsi de devenir des
« citoyens de seconde zone » en Libye. « C’est
un crime contre la démocratie, dénonce
M. Ag-Didi. La plupart de ces gens privés de
leurs droits sont d’anciens militaires, ils ont
défendu la Libye. » A en croire M. Ag-Didi, un
tel déni de justice est potentiellement dan-
gereux. « Ils ont tous une formation militaire,
s’inquiète-t-il. Les déposséder de leurs droits
peut fragiliser la stabilité de toute la région du
Sahel. Car ils peuvent finir par rejoindre des
groupes criminels. »
Les Touareg ne sont pas seuls dans ce cas :
nombre de Toubou sont aussi dépourvus de
l’accès à la citoyenneté. Si le sentiment
d’amertume est profond chez les Touareg,
en raison de leur rôle militaire au service de
Tripoli, ils continuent de proclamer leur
loyalisme à l’égard du pays. Alors que des
voix s’élèvent parfois pour défendre une op-
tion fédérale, voire séparatiste, M. Ag-Didi af-
fiche son attachement à l’unité nationale.
« Ce qui nous rassemble est plus fort que ce qui
nous divise, dit-il. La Libye doit rester unie. » p

« Nous sommes députés de droite L’Europe vue

et favorables à la PMA ! »
Pour quatre députés Les Républicains, le débat
à travers son bâti
sur la loi bioéthique qui s’annonce doit se saisir du débat par une BRUXELLES CHANTIERS.
à l’Assemblée nationale doit être l’occasion contribution qui ne doit pas UNE CRITIQUE ARCHITECTURALE
faire l’économie d’une ouver-
pour la droite d’exprimer sa capacité ture sur la société.
DE L’EUROPE
de Ludovic Lamant
à être en phase avec la société L’avis du Comité d’éthique rap- LUX, 224 pages, 16 euros
pelle aussi que la disposition con-
tribuera à une plus grande auto-
nomie des femmes, à un plus

Collectif
grand respect des enfants nés de
cette disposition.
Le livre
ASSUMANT LES
VALEURS DE NOTRE DEVOIRS ET DROITS ÉGAUX

L C
e débat sur la procréation
médicalement assistée
(PMA) qui s’annonce à
l’Assemblée nationale est un défi
politique, moral et philosophi-
que pour la droite républicaine
que nous incarnons au Palais-
Bourbon. Ce débat, loin d’être
anecdotique, est celui qui cristal-
lisera le regard de l’opinion sur
notre législature et sur lequel
notre famille politique jouera sa
capacité à incarner une vision
politique progressiste… ou pas !
Nous ne pouvons manquer ce
rendez-vous. Car, au-delà des
passions, nous avons la respon-
sabilité de penser une vision de
société adaptée aux enjeux du
XXIe siècle et conforme à l’esprit
républicain auquel nous som-
mes attachés.
L’examen du projet de loi bioé-
thique annonce en réalité un dé-
bat plus large que celui de la PMA
ou de la GPA [gestation pour
autrui], et il doit interroger le
sens d’un engagement et de l’ad-
hésion à un courant de pensée.
Notre approche sera plus qu’un
choix favorable ou hostile à l’ex-
tension d’un droit, il exprimera
une conception de la droite du
L’EXAMEN
DU PROJET DE LOI
ANNONCE EN
RÉALITÉ UN DÉBAT
PLUS LARGE QUE
CELUI DE LA PMA
OU DE LA GPA
FAMILLE POLITIQUE,
NOUS REFUSONS
D’ÊTRE ENFERMÉS
DANS UNE POSTURE
HOSTILE
AU PROGRÈS
XXIe siècle. Cette droite se doit
d’être digne et fidèle à ce que nos
prédécesseurs ont réalisé en ma-
tière de droits des femmes et de
la famille, et nous ne pouvons
pas faire l’économie d’afficher
notre fierté sur la loi portée avec
courage par Simone Veil autori-
sant l’interruption volontaire de
grossesse, et contre une partie
des siens, rendant l’intérêt géné-
ral plus fort que l’esprit partisan.
La science et l’approche éthi-
que développée par le Comité
consultatif national d’éthique
(CCNE) posent un cadre de réfé-
rence offrant des garanties mo-
rales, médicales. La bioéthique
française s’est construite autour
de grands principes auxquels
nous accordons notre confiance,
car la dignité humaine et la pré-
servation de l’espèce sont au
cœur de cette approche.
Sans nous libérer de nos choix
politiques, l’avis du Comité con-
sultatif national d’éthique doit
nous éclairer et lever des doutes.
Nous ne souhaitons pas nous
enfermer dans une réflexion cli-
vée qui serait une paresse intel-
lectuelle nous consignant dans
un refuge réactionnaire, archaï-
que et conservateur ; la droite
Etendre le droit à la PMA à toutes
les femmes, célibataires, en cou-
ple hétérosexuel ou en couple
homosexuel, ne remet pas en
cause la famille. Quel député,
quel maire n’est pas confronté
sur son territoire à la souffrance
de ceux qui ne peuvent avoir
d’enfants et qui pourraient sortir
de cette difficulté grâce à cette
mesure pourtant autorisée chez
nos voisins européens ?
Députés de droite, assumant
les valeurs de notre famille poli-
tique, nous refusons d’être en-
fermés dans une posture hostile
au progrès. Ce débat ne doit pas
décrédibiliser la droite comme
ce fut le cas lors de l’examen du
projet de loi sur le PACS, ce débat
ne doit pas davantage nous divi-
ser comme ce fut le cas lors de la
loi sur le mariage pour tous. Ce
débat est une occasion pour la
droite d’exprimer sa capacité à
être en phase avec la société. Si
les Français sont majoritaire-
ment favorables à cette mesure,
nous lui reconnaissons la capa-
cité de s’adapter à l’évolution
d’une société où les familles
sont de plus en plus diverses.
Qu’ils soient des couples mariés,
pacsés, concubins, des parents
unis ou séparés, des familles
monoparentales, des familles
recomposées, des familles ho-
moparentales, toutes et tous ont
des devoirs et droits égaux en-
vers leurs enfants.
Au-delà des engagements que
cette mesure permettra de con-
crétiser, nous défendons une vi-
sion philosophique et politique
qui pose un enjeu d’avenir pour la
droite, celui de proposer un pro-
jet de société ouvert, mais ancré
sur des valeurs fondamentales. p
orrespondant à Bruxelles pour Mediapart pendant
six ans, Ludovic Lamant a sillonné les couloirs
des grandes institutions européennes jusqu’à en
connaître les moindres recoins. Fréquenter ces bâti-
ments froids, agencés sans cohérence de part et d’autre
d’une autoroute urbaine, arpenter leurs intérieurs, sinis-
tres comme des bureaux d’agences bancaires, auraient pu le
laisser indifférent. Il aurait pu oublier l’ineptie de ce quartier
européen sans âme que d’aucuns qualifient de « balafre
urbaine », d’autres de « trou noir qui assèche les énergies ». Au
lieu de cela, il en a fait un objet d’étude.
En revenant sur les étapes de la constitution du quar-
tier, en l’inscrivant dans une histoire de l’architecture
postmoderne, en évoquant les formes alternatives qu’il
¶ aurait pu prendre et les raisons pour lesquelles il ne les a
Maxime Minot, député pas prises, Ludovic Lamant lui restitue une contingence
de l’Oise (Les Républi- salutaire, qui invite à ne plus penser comme des fatali-
cains), Frédérique tés ni cette architecture ni la politique européenne qui se
Meunier, députée fabrique en son sein.
de la Corrèze (LR), Nadia
Ramassamy, députée RUPTURE ENTRE LES INSTITUTIONS ET LE PEUPLE
de La Réunion (LR), L’architecture des institutions est envisagée, c’est tout le
Laurence Trastour- propos de Bruxelles chantiers, comme le produit et le symp-
Isnart, députée des tôme des errements de la construction européenne, de
Alpes-Maritimes (LR), l’opacité à l’œuvre dans le processus législatif, de la dilution
Pierre Vatin, député progressive des idéaux démocratiques dans un dogma-
de l’Oise (LR) tisme néolibéral dont l’auteur détaille clairement les roua-
ges. De l’architecture à la politique, et réciproquement, il
glisse agilement, pour raconter l’histoire de la rupture en-
tre les institutions et le peuple.
Exemplaire à cet égard, le projet de refonte du rond-point
Robert-Schuman, dont le concours avait été remporté
en 2010 par l’architecte belge Xaveer de Geyter. Son idée, qui
consistait à soulever l’asphalte pour offrir un espace public
où manifester, a été retoquée dans un accès de frilosité qui
traduit, selon lui, la réticence des institutions à voir se créer
un espace social européen.
Etayant son propos d’un solide corpus critique et de nom-
breuses interviews – d’architectes, de philosophes, de politolo-
gues, d’activistes, d’élus… –, le journaliste assume son ancrage
politique à gauche. Il livre de l’Europe une critique d’autant
plus acerbe qu’il continue d’y voir le seul rempart aux idéolo-
gies haineuses qui gagnent partout du terrain. En révélant les
brèches qui subsistent dans la machine, il met au jour les voies
étroites, mais réelles, par lesquelles, selon lui, il reste possible
d’inverser la vapeur et d’espérer voir un jour se renouer le lien
entre l’Europe et les citoyens. p
isabelle regnier
0123
MERCREDI 24 OCTOBRE 2018
FRANCE | CHRONIQUE
par gé r ar d co urtois
Haro sur
la République !
D M. MÉLENCHON
urant la campagne
présidentielle de 2017,
Jean-Luc Mélenchon
avait fait de l’humour
une arme redoutable. Qui ne se
souvient de sa réplique, le
20 mars, lors du premier débat té-
lévisé entre les cinq principaux
candidats, à l’adresse du présen-
tateur qui venait de faire allusion
aux démêlés judiciaires de Fran-
çois Fillon et de Marine Le Pen :
« J’ai admiré vos pudeurs de ga-
zelle quand vous dites que la cam-
pagne a été polluée par les affaires
de certains… Ici, il n’y a que deux
personnes qui sont concernées,
M. Fillon et Mme Le Pen. Les trois
autres [Benoît Hamon, Emma-
nuel Macron et lui-même], nous
n’avons rien à voir avec tout ça.
Alors, s’il vous plaît, ne nous met-
tez pas dans le même sac. »
Rattrapé à son tour par la pa-
trouille judiciaire et, précisé-
ment, mis dans le même sac par
deux enquêtes préliminaires sur
le financement de sa campagne
et sur des soupçons d’emplois fic-
tifs au Parlement européen, le
leader de La France insoumise
(LFI) vient de montrer un tout
autre visage. L’humour a cédé la
place à la hargne, le sourire au ric-
tus, la brillante répartie à l’injure
la plus médiocre. Et les « pudeurs
de gazelle », qui ne sont pas son
genre, à des rugissements de
fauve bien décidé à lacérer qui-
conque viendrait lui chercher des
poux dans la crinière. Jusqu’à
cette exclamation indignée du
député des Bouches-du-Rhône,
mardi 16 octobre, devant le siège
parisien de son mouvement où la
police judiciaire perquisition-
nait : « La République, c’est moi ! »
– proclamation ensuite répétée à
l’adresse de ses partisans : « La Ré-
publique, c’est nous. Eux, c’est le
monde de la caste. »
Etrange conception de la démo-
cratie, en vérité, celle qui consiste
à crier haro sur ce qui constitue la
République : un pouvoir politi-
que légitimé par l’élection, des
institutions policières et judiciai-
res respectées, des contre-pou-
voirs vigilants, à commencer par
celui des médias.
Que n’a-t-on constaté, en effet,
ces derniers jours ? Le 16 octobre,
une entrée intempestive dans les
locaux de LFI, qui a eu pour effet
d’interrompre la perquisition en
cours. La procureure générale de
Paris n’a pas hésité à qualifier
cette intrusion de « coup de
force », qui aurait valu à n’importe
qui d’autre des poursuites immé-
diates pour entrave à la justice.
Et que n’a-t-on entendu, depuis,
dans la bouche de M. Mélenchon !
Personne n’a échappé à sa vin-
dicte. Le président de la Républi-
que, évidemment, puisque les en-
quêtes en cours ne sont, à ses
yeux, qu’« une offensive politique
menée par la Macronie », une opé-
ration de « police politique » desti-
née à « [les] détruire » et à « salir
[leur] honneur ». Les magistrats et
les policiers venus perquisition-
ner en ont également pris pour
leur grade : des « pieds nickelés »
dont il a assuré, contre toute évi-
dence, que la procédure était irré-
gulière et devrait être, tout bon-
nement, annulée. Au passage, le
rapporteur de la Commission na-
tionale des comptes de campa-
LES MAGISTRATS ET
LES POLICIERS VENUS
PERQUISITIONNER EN
ONT ÉGALEMENT PRIS
POUR LEUR GRADE :
DES « PIEDS NICKELÉS »
Tirage du Monde daté mardi 23 octobre : 179 478 exemplaires
0123 | 25
L’INTÉGRITÉ
SCIENTIFIQUE
EST INTANGIBLE que ses résultats ont été entièrement Mais, pour frapper fort, encore faut-il frap-
« bidonnés » et qu’ils ont fait depuis l’ob-
jet de rétractations.
per juste, et avec cohérence : l’enquête de
2015 a été bâclée, les responsabilités indivi-
Ces cas restent rares, mais ces incondui-
tes scientifiques ne sont que la forme la
plus extrême sur un continuum qui va du
duelles n’ont pas été suffisamment recher-
chées, pas plus que l’ampleur des atteintes à
la science engendrées par ces inconduites.
simple embellissement des données à leur Et, trois ans plus tard, les mêmes arguments
fabrication pure et simple. Avancement, fi- retenus contre Olivier Voinnet – sa respon-
nancement et gloire dépendent de la capa- sabilité de chef de groupe, l’atteinte à
cité des équipes à produire rapidement des l’image de l’organisme – seront oubliés
résultats publiables. Cette économie de la dans le cas de Catherine Jessus, responsable
S’ESTIME VICTIME connaissance induit des effets pervers : pa- de la biologie au CNRS. Plusieurs de ses pu-
nurgisme, saucissonnage des résultats, blications sont pourtant, elles aussi, enta-
D’UN COMPLOT émergence de revues prédatrices et con- chées de manipulations d’images, et l’ab-
« ORCHESTRÉ » grès bidons, inconduites scientifiques… sence de plusieurs données originales ne
PAR LE POUVOIR
EXÉCUTIF
Q uiconque s’intéresse à l’histoire
des sciences sait combien cette ac-
tivité est humaine, soumise aux
passions, aux rivalités, et que la
quête de la connaissance s’accommode
Des sites comme PubPeer, destinés à ac-
cueillir des critiques de la littérature scien-
tifique, y compris de façon anonyme, sont
honnis par une part des chercheurs, qui y
voient un abject instrument de délation.
permet malheureusement pas de conclure.
La biologie est-elle une science si « molle »
que ses spécialistes soient incapables de
s’accorder sur la gravité des faits ou de dire
si, oui ou non, les manipulations ont changé
parfois de petits arrangements avec les Imparfait, il a pourtant mis au jour de véri- le sens des « découvertes » ? L’Office français
gne, qui avait initialement épin- faits bruts, quand il ne s’agit pas de fraude tables fraudes, et n’existe qu’en raison de de l’intégrité scientifique, récemment créé,
glé des irrégularités de finance- pure et simple. l’incapacité de la science à répliquer ses ré- et le dispositif que le CNRS s’apprête à met-
ment de sa campagne de 2017, a L’astronome Claude Ptolémée est sus- sultats et à s’autocorriger efficacement. tre sur pied changeront-ils la donne ? Il est
été traité d’« être vil et dégénéré ». pecté d’avoir plagié les mesures du Grec Les institutions scientifiques françaises temps que la recherche française se dote de
Enfin, fidèle à son blog de fé- Hipparque, le moine Gregor Mendel soup- ne semblent pas avoir totalement tiré les règles claires et partagées sur les modalités
vrier qui estimait « juste et saine » çonné d’avoir « arrangé » la répartition de leçons du phénomène. La direction du d’enquête et de sanction des inconduites.
« la haine des médias », Jean-Luc ses petits pois pour coller à ses lois de l’hé- CNRS, face au « cas Olivier Voinnet », Qu’elle agisse et pèse à l’international sur les
Mélenchon a traîné les journalis- rédité. Vingt ans après sa publication, un en 2015, pensait en avoir fait un exemple conditions de production de connaissances
tes dans la boue. Ceux de Fran- article d’Andrew Wakefield dans The Lan- capable d’édifier la communauté : en frap- qui « poussent au crime ». Et qu’elle ne s’ef-
ceinfo, cette « radio d’Etat », qui cet affirmant que le vaccin ROR était res- pant durement cette star de la biologie vé- fraie pas de la publicité et du scandale : ce
ont publié une enquête (en réalité ponsable de cas d’autisme continue de gétale partie pour la Suisse, l’organisme pu- n’est pas abîmer la science que d’expliquer
réalisée par l’ensemble des anten- handicaper la politique vaccinale, alors blic montrait que nul n’était à l’abri. comment elle se corrige et se rédime. p
nes de Radio France) sur d’éven-
tuelles surfacturations lors de la
campagne de 2017 ? Des « abru-
tis », des « menteurs », des « tri-
cheurs », appliqués à déverser des
« saloperies », a-t-il accusé, avant
d’ajouter, à l’intention des « in-
soumis » : « Pourrissez-les partout
où vous pouvez ! » Quant au site COLLECTION HISTORIQUE
Mediapart, pour avoir apporté
d’autres éléments d’enquête, présente
M. Mélenchon l’a qualifié de « tor-
chon » et « d’officine de la police »,
avant d’appeler ses amis à se « dé-
sabonner ». Singulière concep- LES CONCERTS MYTHIQUES DE
tion de la liberté d’informer.
GOUTAL ARTWORKS
Les mêmes ressorts que Trump
Résumons : Jean-Luc Mélenchon
s’estime victime d’un complot
« orchestré » par le pouvoir exé-
cutif, assisté par une police et une À l’occasion du 65e anniversaire de l’Olympia,
justice aux ordres et attisé par des
médias venimeux. Sans remonter revivez l’émotion des plus grands concerts.
à des épisodes plus lointains, il est
saisissant de constater que c’est
exactement l’argumentaire em-
ployé en 2017 par François Fillon
et, depuis, par Marine Le Pen. Le
LE N°2
premier n’avait pas hésité à dé-
noncer « une chasse à l’homme ré-
voltante » et un « assassinat politi-
JACQUES BREL
que » fomenté par un « cabinet
noir » à l’Elysée. La seconde, égale-
ment en butte à la justice et désor-
mais mise en examen pour dé-
tournement de fonds publics, a
OLYMPIA 1964
utilisé la même expression d’« as-
sassinat politique » perpétré con- Amsterdam • Les Vieux •
tre son parti. Le leader de LFI fusti- Le Plat pays • Mathilde • Les Bonbons...
geait hier leur attitude. Il leur em-
boîte aujourd’hui le pas.
Mais il est plus troublant encore
qu’il prenne exemple sur le prési-
dent américain, depuis bientôt
deux ans à la Maison Blanche. Les
cibles permanentes de Donald
Trump sont connues : la police et
la justice fédérales – non seule-
ment incompétentes à ses yeux,
mais coupables de laisser prospé-
rer les enquêtes sur les interfé-
rences russes dans sa campagne
électorale de 2016 –, la « caste » de
Washington acharnée à sa perte
© Jacques Gargano / FLO - Mario gurrieri / FLO
et les médias peuplés de mina-
bles menteurs.
Jean-Luc Mélenchon utilise les
mêmes ressorts : victimisation,
complotisme, dénonciation des Un livre de 28 pages retraçant
élites et des institutions, injures la vie de chaque artiste avec
des photos rares, des anecdotes
6
et menaces contre la presse.
€
Dans un pays où tous ces poi- et un CD audio.
sons sont déjà à l’œuvre, où le dis-
crédit des responsables politiques www.collectionolympia.com
se généralise, où l’air du soupçon
devient réflexe, où l’anathème oc-
1 LIVRE + 1 CD ,99
culte toujours plus la confronta-
tion des idées et des projets, c’est SEULEMENT
irresponsable et inquiétant.
La révolution n’est pas un dîner
de gala, paraît-il. Celle que pré-
tend conduire l’« incorruptible »
Mélenchon – l’expression est de
lui et n’est pas fortuite chez cet
admirateur de Robespierre – ne
l’oblige pas à nous servir ce détes-
table brouet. Le pire serait que DÈS LE 18 OCTOBRE EN VENTE CHEZ VOTRE MARCHAND DE JOURNAUX
cela ne le desserve pas. p
louisvuitton.com
 Les affaires concernant
Olivier Voinnet, Catherine
Jessus et Anne Peyroche
renvoient une image peu
flatteuse de la discipline. Et
questionnent la solidité des

La biologie garde-fous de la recherche

david larousserie

française minée D
epuis trois ans, la biologie
française vit dans un climat
délétère, secouée par des af-
faires à répétition d’incondui-
tes scientifiques touchant,

par l’inconduite directement ou non, des chercheurs répu-

tés, des dirigeants d’organisme ou d’insti-
tut. Y aurait-il quelque chose de pourri en
ce royaume ? Avant d’esquisser quelques
réponses, résumons rapidement les plus

scientifique
marquantes de ces affaires.
A partir de septembre 2014, des articles co-
signés par une étoile montante de la biolo-
gie française, Olivier Voinnet, sont signalés
sur le site PubPeer.com comme contenant
des images incorrectes. PubPeer est une
sorte de forum destiné à discuter, y compris
de façon anonyme, d’articles scientifiques
déjà publiés. Ces signalements conduisent
au lancement, en janvier 2015, de deux
enquêtes indépendantes diligentées par le
Centre national de la recherche scientifique
(CNRS), l’employeur du biologiste, et l’Ecole
polytechnique fédérale de Zurich (ETHZ), où
il est détaché comme professeur. En juillet,
les inconduites scientifiques sont confir-
mées dans plusieurs cas, et des sanctions
sont prises contre Olivier Voinnet, mais
aussi l’un de ses collègues, Patrice Dunoyer.
En septembre 2016, le CNRS et l’ETHZ
lancent une enquête sur des faits nou-
veaux, autour des mêmes chercheurs, qui
aboutira à l’automne 2018 à de nouvelles
sanctions – un simple blâme pour Voinnet,
une dégradation d’échelon et une suspen-
sion de onze mois pour Dunoyer.

Le CNRS dans la tourmente

Dans l’intervalle, deux autres affaires ont
éclaté, toujours relayées par PubPeer et par
un blogueur allemand spécialisé dans ces
questions, Leonid Schneider.
La première, en septembre 2017, touche
Catherine Jessus, directrice de l’Institut des
sciences biologiques, un des dix instituts du
CNRS. La seconde, qui débute en novem-
bre 2017, vise Anne Peyroche, employée du
Commissariat à l’énergie atomique (CEA),
mais présidente du CNRS par intérim depuis
la fin octobre 2017. Dans le premier cas, une
enquête menée par Sorbonne Université, où
travaillait Catherine Jessus, la blanchit de
toute inconduite début 2018. Dans le second,
une expertise du CEA identifie des mécon-
duites graves, mais, faute d’avoir pu entendre
la principale mise en cause, Anne Peyroche,
en arrêt maladie, il ne peut trancher.
Voilà pour l’essentiel. Une poignée de cas
d’inconduites bien moins graves que les
fraudes qui ont ébranlé ces dernières an-
nées la biomédecine mondiale – les don-
nées falsifiées par Andrew Wakefield pour
faire croire à un lien entre vaccination et
autisme et les transplantations de trachées
mortelles du chirurgien italien Paolo
Macchiarini, par exemple. Ou encore les
trucages tout récemment révélés de l’Amé-
ricain Piero Anversa (Harvard) sur des cellu-
les souches cardiaques, dont l’impact sur
les patients reste à mesurer.
→ L I R E L A S U I T E PAG E S 4- 5
CLÉMENT QUINTARD

Portrait Le climat La mission spatiale

La science-fiction au à l’origine du déclin BepiColombo en
secours de la science d’Angkor ? route vers Mercure
Expert en robotique Des scientifiques tentent de Conçue par l’Agence spatiale
humanoïde, Abderrahmane comprendre comment le réseau européenne et son homologue
Kheddar s’inspire des films tels hydraulique mis en place japonaise, la sonde a décollé
que « Clones », « Avatar », ou par les Khmers a pu péricliter de Kourou, en Guyane, vendredi
encore « Matrix » pour stimuler et contribuer à l’abandon de 19 octobre, prélude à un voyage
ses recherches l’ancienne capitale du Cambodge qui devrait durer sept ans
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Cahier du « Monde » No 22949 daté Mercredi 24 octobre 2018 - Ne peut être vendu séparément
 ACTUALITÉ
2| ·
LE MONDE SCIENCE & MÉDECINE
MERCREDI 24 OCTOBRE 2018

qui finira par se confondre avec celle de Mercure,

en décembre 2025. A ce moment-là, 9 milliards
de kilomètres auront été parcourus. La sonde
utilisera ses différents moteurs à de nombreuses
reprises pour réussir ses rendez-vous planétai-
res et pour contrecarrer l’accélération due au
Soleil. Ainsi que le souligne Nicolas Chamussy,

BepiColombo vice-président exécutif d’Airbus Defence and

Space à qui l’ESA et la JAXA ont confié la cons-
truction de BepiColombo, « au total, le moteur
principal à propulsion électrique aura fonctionné

en route deux ans en temps cumulé ».

La gestion des grands panneaux solaires qui
alimenteront ce moteur est presque aussi com-
pliquée que le périple de la sonde, explique

pour un long voyage Frank Budnik, expert en dynamique de vol pour

l’ESA : « Ces panneaux doivent être inclinés selon
un angle bien précis, de façon à recevoir assez de
lumière du Soleil pour assurer l’importante de-

vers Mercure mande en énergie du système de propulsion et

faire fonctionner le vaisseau, sans pour autant être
trop exposés », auquel cas leurs cellules seraient
tout bonnement grillées : aux abords de la petite
planète, l’énergie reçue de notre étoile est plus
ASTRONOMIE - La sonde, composée de deux de dix fois supérieure à celle qui arrive sur Terre.
Aller sur Mercure et y travailler revient donc
satellites conçus par l’Agence spatiale à reproduire le vol d’Icare en essayant de ne pas
européenne et son homologue japonaise, connaître son sort tragique. Si la mission, dans
les cartons depuis les années 1990, ne part
a décollé de Kourou avec succès, à destination qu’aujourd’hui, c’est parce que le défi techno-
logique imposé par la proximité du Soleil est
de la plus petite et de la moins explorée immense et qu’il a fallu innover sans cesse
des planètes du Système solaire pour le relever. Certains matériaux devront
ainsi à la fois résister à un froid de – 170 °C et à
un enfer de 450 °C. C’est pour cette raison que
BepiColombo, en plus de son vaisseau et de ses
deux orbiteurs – le Mercury Planetary Orbiter
(MPO) de l’ESA et le Mercury Magnetospheric
Orbiter (MMO, rebaptisé Mio) de la JAXA –, est
équipé d’une sorte de coiffe qui assurera une
protection thermique pendant tout le voyage.

Couvertures cousues main

« Selfie » de la sonde BepiColombo montrant les panneaux solaires déployés. ESA/BEPI COLOMBO/MTM – CC BY-SA 3.0
kourou (guyane) étage de propulsion et amorçait sa route en solo.
Salve d’applaudissements. Un des membres de
Mercure, la planète la plus proche de notre
étoile, ressemble à un casse-tête, car cela revient
Celle-ci sera éjectée au moment de l’arrivée
autour de Mercure, en décembre 2025, et les deux
appareils scientifiques se sépareront pour suivre
des orbites différentes. Mio tournoiera sur lui-
même – façon de ne pas surchauffer – et, avec ses
cinq instruments, étudiera l’environnement ex-
terne de la planète (magnétosphère, atmosphère,
poussières, vent solaire). Quant à MPO, bardé
d’isolations – dont des couvertures cousues main
– et doté d’un immense radiateur pour évacuer la
chaleur, ses onze instruments se concentreront
sur la surface et les entrailles mercuriennes.
Car ne l’oublions pas, si l’on a dépensé 1,7 mil-
liard d’euros pour construire cette mission, ce
n’est pas tant pour l’exploit spatial ou l’innova-

V
endredi 19 octobre, la nuit était
tombée depuis quatre heures sur la
Guyane quand un soleil incandes-
cent et plus bruyant que dix feux
d’artifice se leva à toute allure,
faisant flamboyer un ciel d’ébène. Une fusée
Ariane 5 s’arrachait du sol, emportant à son bord
la mission BepiColombo, sonde double conçue
par l’Agence spatiale européenne (ESA) et son
homologue japonaise, la JAXA. Pour la première
fois, une mission spatiale à destination d’une
autre planète, en l’occurrence Mercure, décollait
de Kourou. « C’est époustouflant, s’exclamait
Günther Hasinger, directeur de la science à l’ESA,
aujourd’hui nous avons écrit l’histoire ! » Car
c’était aussi la première fois que l’ESA et la JAXA
prenaient la route de la plus petite planète du
Système solaire. Vingt-six minutes après le décol-
lage, le directeur des opérations lançait le très at-
tendu « Séparation BepiColombo », signifiant que
la sonde s’était détachée avec succès du dernier
l’équipe restait plus prudent, murmurant : « J’at-
tends que les panneaux solaires soient déployés,
et après je me saoule jusqu’à demain… »
Neuf coups de pouce
Pour BepiColombo, ce lancement ne constitue
que le début d’un long, d’un très long voyage.
Même si Mercure s’approche parfois à moins
de 80 millions de kilomètres de la Terre, il est pa-
radoxalement beaucoup plus rapide de se rendre
sur Jupiter, qui se trouve pourtant à des centaines
de millions de kilomètres de nous. Le paradoxe se
renforce quand on sait qu’il faut davantage d’éner-
gie pour atteindre Mercure que pour aller sur
Pluton, qui se promène à des milliards de kilomè-
tres… Les lois de la mécanique céleste impliquent
en effet qu’il est plus simple de naviguer vers
l’extérieur du Système solaire que vers l’intérieur.
La faute en incombe au Soleil, dont la masse
faramineuse crée un puits gravitationnel dans
l’espace. Placer une sonde en orbite autour de
à lancer une bille dans un entonnoir géant en
faisant en sorte qu’elle ne tombe pas dans le
trou… Hors de question d’emprunter une trajec-
toire directe : il serait impossible de freiner et le
vaisseau finirait dans la fournaise solaire. Game
over. La seule solution passe par un long chemin
des écoliers tracé il y a quelques décennies par le
chercheur italien Giuseppe « Bepi » Colombo
(1920-1984) qui donne son nom à la mission :
cette odyssée de l’espace prévoit d’effectuer pas
moins de 18 révolutions autour du Soleil,
18 ronds dans l’entonnoir, afin de n’entrer que
lentement vers l’intérieur du Système solaire et
ne pas finir englouti au fond du puits.
Pour ce faire, la sonde profitera de neuf coups
de pouce – appelés « assistances gravitation-
nelles » – donnés par trois planètes : la Terre, en
avril 2020 ; Vénus, en octobre 2020 et août 2021 ;
et Mercure elle-même à six reprises entre octo-
bre 2021 et janvier 2025. A chaque coup de
pouce, BepiColombo resserrera sa trajectoire,
tion technologique que pour la science. Même si
la NASA a déjà envoyé deux engins vers la petite
planète – Mariner 10 dans les années 1970 et
Messenger (en opération de 2011 à 2015) –, Günther
Hasinger rappelle que Mercure « reste la planète
la moins explorée du Système solaire, si on met de
côté les géantes de glace Uranus et Neptune, et
qu’elle comporte plusieurs mystères ».
Comment expliquer qu’elle soit si sombre ? D’où
provient son atmosphère très ténue et comment
évolue-t-elle avec le temps ? Qu’est-ce qui expli-
que la présence d’une magnétosphère ? Quid des
glaces détectées dans les cratères qui ne voient ja-
mais la lumière du Soleil au pôle nord (« des gla-
çons dans un four à pizza » pour reprendre la for-
mule imagée de Günther Hasinger) ? Mercure
s’est-elle formée plus loin que Mars comme le
suggèrent certains éléments ? Mais, dans ce cas,
comment a-t-elle migré là où elle se trouve ? Les
réponses sont peut-être au bout du voyage… p
pierre barthélémy

L’abandon d’Angkor serait lié à « une crise de l’eau »

ARCHÉOLOGIE - Le colossal réseau hydraulique de l’ancienne capitale khmère aurait périclité sous la pression de variations climatiques extrêmes

L’ énigme du déclin d’An-

gkor, capitale de l’Empire
khmer délaissée au
XVe siècle au profit d’Oudong,
dans le sud du Cambodge, serait
en partie levée. Une nouvelle
étape des recherches menées
par l’Ecole française d’Extrême-
Orient (EFEO), avec l’Apsara, l’au-
torité nationale responsable du
site angkorien, et l’université de
Sydney, est présentée dans la re-
vue Science Advances du 17 octo-
bre, sous le titre « L’abandon
d’Angkor ou la vulnérabilité de
l’infrastructure urbaine aux va-
riations climatiques ».
Cette publication fait le lien en-
tre ce qui s’est passé au Cam-
bodge il y a six cents ans et l’am-
pleur des ravages causés par les
inondations en France, cette se-
maine dans l’Aude, après l’Italie,
l’Espagne, le Japon, l’Inde, l’ouest
des Etats-Unis. Conséquence de
périodes de sécheresse entre-
coupées de séquences de préci-
pitations intenses.
Les scientifiques souhaitent
comprendre et expliquer com-
ment le réseau hydraulique mis
en place par les anciens Khmers
a pu péricliter et contribuer au
déclin du complexe urbain pré-
industriel, l’un des plus vastes de
la planète au XIIIe siècle, logeant
un demi-million d’habitants sur
1 000 kilomètres carrés. « Etudier
et numériser le phénomène à
partir des relevés et données ar-
chéologiques accumulés, telle a
été la méthode retenue », explique
Christophe Pottier.
Actuel directeur des études de
l’EFEO, il a passé quinze ans à
ausculter sur le terrain les vesti-
ges angkoriens. Il est secondé par
Roland Fletcher, de l’université
de Sydney, et Damian Evans, de
l’EFEO, qui a réalisé l’empreinte
du périmètre urbain au lidar. Ce
rayon laser à haute fréquence re-
lève, à travers le couvert fores-
tier, des millions de points en
trois dimensions avec une pré-
cision de quelques centimètres,
laquelle révèle les traces de l’an-
cien bâti, maisons, temples, py-
ramides, canaux, digues, réser-
voirs, etc.
« Vrai palimpseste »
« La modélisation de toutes ces
données – obtenues par prospec-
tion, détection, imagerie satelli-
taire, lidar – a fourni une carto-
graphie archéologique du réseau
hydraulique, indique Christophe
Pottier. A partir de ces éléments,
on a soumis ce modèle à des tests
de résistance pour voir comment
l’infrastructure réagissait face à
des épisodes climatiques extrê-
mes, sa vulnérabilité, les points
de fragilité et les répercussions. Il
ne s’agit pas d’une faiblesse in-
trinsèque du système, mais d’une
répétition des dysfonctionne-
ments de faible ampleur, avec des
réactions en chaîne et des effets
de cascades. »
Située dans la plaine, entre le
mont Kulen et ses nombreuses
sources, à quarante kilomètres au
nord, et le lac Tonlé Sap, au sud,
Angkor bénéficie d’une situation
privilégiée, à condition de maîtri-
ser les ressources en eau. Il faut
capter, stocker et redistribuer en
surface l’eau des rivières. « La
gestion du réseau hydraulique
d’Angkor est un vrai palimpseste
représentant des années d’exten-
sion, d’intensification et de modifi-
cations pour servir le développe-
ment d’une infrastructure massive,
complexe et interdépendante »,
résument les scientifiques dans
Science Advances, après avoir ex-
ploré la vulnérabilité du réseau,
les conséquences de l’érosion et
de la sédimentation.
La modélisation du réseau tel
qu’il existait au XIIIe siècle dé-
compte 1 013 structures bâties, ca-
naux, digues, remblais, levées de
terre, berges, chaussées, permet-
tant de contrôler le débit d’eau ; et
617 dispositifs de redistribution :
canaux de dérivation, douves, bas-
sins, réservoirs géants. Cette mo-
délisation identifie aussi les dom-
mages importants, situés très en
amont, au niveau des premières
bifurcations, au nord et à l’ouest,
ainsi qu’au nord-est d’Angkor
Thom, la « grande ville » de Jayavar-
man VII, bâtie au XIIe siècle et dé-
laissée au XVe, après la grande sé-
cheresse et les violentes moussons
du XIVe siècle. L’économie locale
s’en serait trouvée affaiblie, contri-
buant à l’abandon de la capitale.
Aujourd’hui, à Angkor, après
les inondations des années 2009
et 2013, l’Apsara a décidé d’op-
timiser la gestion du réseau hy-
draulique avec l’appui de la
France dans un projet de 1 mil-
lion d’euros. Un système de télé-
métrie contrôlant le débit de
l’eau, du même type que celui en
service sur la Bièvre, à Paris, a été
installé sur 20 stations. Dans le
même temps, Hang Peou, ingé-
nieur hydraulicien, directeur de
la conservation à l’Apsara, a réta-
bli la plupart des connexions en
panne, entre les douves, canaux,
réservoirs. Par gravité naturelle,
l’eau circule désormais du nord
au sud, du baray (réservoir) nord
aux douves d’Angkor Thom
(12 km de long sur 90 m), à celles
d’Angkor Vat (200 m de large) et
ainsi de suite. La « Cité hydrau-
lique » voit de nouveau ses reflets
démultipliés par d’immenses
plans d’eau. p
florence evin

Les antipsychotiques très mal surveillés
SANTÉ - Ces traitements provoquent des effets indésirables comme le diabète et des troubles
lipidiques. Pourtant, moins de 3 % des patients à qui ils sont prescrits ont un suivi optimal
C’ est un constat catastro-
phique qui devrait aler-
ter les patients et leurs
familles, interpeller les médecins
prescripteurs et les autorités sani-
taires. Moins de 3 % des person-
nes prenant des antipsychotiques
ont une surveillance biologique
conforme aux recommandations,
et 15 % n’ont aucun suivi, selon
une enquête du docteur Marine
Le Pierres pour sa thèse de psy-
chiatrie, soutenue le 11 octobre à
l’université de Nantes. Ce travail,
qui n’a pas encore fait l’objet d’une
publication scientifique, a été réa-
lisé à partir des bases de données
de l’Assurance-maladie des Pays
de la Loire, sur une population de
près de 20 000 individus. « Ces ca-
rences dans la surveillance sont
une perte de chance pour des pa-
tients qui ont déjà une perte de
chance », résume le professeur
Olivier Bonnot (chef du service de
pédopsychiatrie du CHU de Nan-
tes), à l’origine de ce sujet de thèse
et directeur de celle-ci.
De fait, les médicaments anti-
psychotiques – que se voient pres-
crire de 0,8 à 2,7 % des Français,
dans des indications multiples –
sont fréquemment à l’origine, sin-
gulièrement ceux de deuxième
génération, d’un syndrome méta-
bolique associant prise de poids,
diabète, et dyslipidémie. Ces effets
indésirables, plus importants avec
certaines molécules, telles la cloza-
pine ou l’olanzapine, sont des fac-
teurs de risque cardio-vasculaires.
Des recommandations
Or, en dehors de tout traitement,
les malades psychiatriques et
notamment les schizophrènes
sont déjà vulnérables au diabète
et aux maladies cardiaques, qui
représentent d’ailleurs l’une des
premières causes de décès pré-
maturé (avant 65 ans). Selon une
étude de l’Institut de recherche
et documentation en économie
de la santé publiée en septem-
bre, le taux de mortalité prématu-
rée de ces patients est 4,4 fois plus
élevé que celui de la population
générale, et leur espérance de vie
est diminuée en moyenne de
seize ans chez les hommes, de
treize chez les femmes.
Pour limiter les risques métabo-
liques liés aux antipsychotiques
(qui sont des traitements indis-
pensables en psychiatrie), de nom-
breuses recommandations ont été
Six experts de la HAS dans le viseur d’Anticor
DÉONTOLOGIE - L’association de lutte contre la corruption dénonce une « prise illégale d’intérêts »
C’ est une première. Selon
une information de
L’Express confirmée par
Le Monde, l’association de lutte
contre la corruption Anticor a
adressé une plainte contre X,
mercredi 3 octobre, au parquet de
Bobigny, pour « prise illégale d’in-
térêts »… en visant des médecins.
L’association accuse six des neuf
membres d’un groupe d’expertise
de la Haute Autorité de santé (HAS)
d’avoir négligé de déclarer les liens
financiers qu’ils entretenaient
avec des laboratoires pharmaceu-
tiques. Une omission d’autant plus
équivoque qu’ils ont rédigé, en
tant qu’experts, une recomman-
dation sur la prise en charge des
dyslipidémies (cholestérol, excès
de triglycérides…) et que celle-ci
« accroît notablement le nombre de
patients chez qui un traitement est
indiqué », selon Anticor. « Notre
plainte porte sur une recomman-
Les patients « psy » ont un taux de mortalité prématurée 4,4 fois supérieur à celui de la population générale. AMÉLIE-BENOIST/BSIP
publiées, en France et à l’étranger.
En France, l’Agence nationale de
sécurité du médicament (ANSM)
préconise depuis 2010 un bilan
biologique avec glycémie et bilan
lipidique préthérapeutique et à
trois mois, puis une surveillance
annuelle de la glycémie, et tous les
cinq ans pour les lipides. Depuis
2015, des recommandations de la
Fédération française de psychia-
trie vont encore plus loin, et cette
société savante préconise « de défi-
nir clairement le médecin qui assu-
rera le suivi somatique afin d’avoir
une prise en charge optimale »,
écrit Mme Le Pierres.
Au vu des résultats de son en-
quête, on se demande qui lit ces
documents. Avec l’aide de l’Assu-
rance-maladie et du service de
pharmacologie du CHU, la psy-
chiatre a étudié les rembourse-
ments des bilans biologiques de
près de 20 000 adultes et enfants
ayant débuté des antipsychotiques
entre le 1er juillet 2013 et le 31 dé-
cembre 2017. L’étude a porté sur la
première année de ce traitement,
prescrit dans diverses indications.
La référence était les recomman-
dations de l’ANSM, et il a été consi-
déré qu’un bilan était réalisé si les
personnes étaient hospitalisées.
dation [précise] mais le phéno-
mène est systémique », explique au
Monde Elise Van Beneden, secré-
taire générale adjointe d’Anticor.
Un « oubli » concédé
Sur les six médecins épinglés par
Anticor, deux ont particulière-
ment attiré l’attention de l’asso-
ciation. Le premier, le professeur
Bruno Vergès, chef de service au
CHU de Dijon, ne mentionne
qu’un lien d’intérêts lors de sa dé-
claration à la HAS : sa qualité de se-
crétaire général de la Société fran-
çaise d’endocrinologie. Mais il ne
mentionne pas les revenus perçus
par ailleurs – 65 088 euros d’avan-
tages et 36 940 euros de rémuné-
rations et honoraires, de 2013 à
2017. « Ces avantages correspon-
dent à des inscriptions offertes à
des congrès, explique le professeur
Vergès au Monde. Ils n’influencent
pas nos recommandations. Pour
Moins de 3 % des patients
(2,89 %) ont eu les trois bilans com-
plets recommandés, 15 % n’ont eu
aucun suivi sur l’ensemble de la
période. La majorité, soit 74 %, ont
eu un bilan partiel à un moment
de la période d’observation. Des ré-
sultats qui ne surprennent guère
le docteur Le Pierres, d’autres étu-
des en France ou à l’étranger ayant
fait à peu près le même constat.
Risque vital
Manque de communication entre
professionnels, défaut de forma-
tion ou de connaissances, réti-
cence des psychiatres à s’occuper
de la santé physique de leurs pa-
tients, méconnaissance des ris-
ques par les principaux intéres-
sés… De nombreux freins peu-
vent potentiellement expliquer
les suivis insuffisants. Reste que,
selon le code de déontologie, la
prévention et la gestion des ef-
fets secondaires d’un médica-
ment sont sous la responsabilité
du prescripteur.
Comment améliorer cette situa-
tion calamiteuse, qui fait courir
un risque vital à une population
déjà fragilisée ? La sensibilisation
des médecins et des malades est
une étape indispensable. « Etre
les écrire, nous nous appuyons sur
des éléments de preuve indiscu-
tables. Nous ne citons d’ailleurs
aucun produit précis. »
Le second, le docteur Jean-Michel
Lecerf, chef de service à l’Institut
Pasteur de Lille, a, lui, bien déclaré
ses liens avec l’industrie de l’agroa-
limentaire. Il a cependant omis de
mentionner ceux avec celle du
médicament, alors qu’il a reçu
25 268 euros en tant que consul-
tant, notamment pour MSD et
Sanofi-Aventis-Regeneron. « C’est
invraisemblable d’être épinglé pour
un travail bénévole effectué pour la
HAS », s’étonne le docteur Lecerf,
concédant toutefois un « oubli »
concernant ses liens avec l’indus-
trie pharmaceutique.
Le code de la santé publique
oblige tout expert participant à ce
type d’étude à rédiger une décla-
ration contenant tous les liens
d’intérêts durant les cinq années
informée a changé ma pratique.
Quand j’explique à mes patients
les risques de prise de poids et de
diabète, et leur mécanisme, ils de-
viennent plus acteurs de leurs
soins », assure Marine Le Pierres.
« C’est inadmissible, les patients
psy ont droit à une surveillance
correcte des effets indésirables, il
faut trouver des solutions »,
insiste Olivier Bonnot.
Parmi les pistes envisagées, une
campagne d’information régio-
nale avec l’Assurance-maladie
auprès des prescripteurs. Le pédo-
psychiatre a par ailleurs été mis-
sionné, avec son confrère Mario
Speranza (centre hospitalier de
Versailles), par la Société française
de psychiatrie de l’enfant et de
l’adolescent pour créer un site
Internet d’information sur les
psychotropes chez l’enfant et
l’adolescent. De son côté, l’Asso-
ciation nationale pour la promo-
tion des soins somatiques en
santé mentale œuvre depuis 2002
pour, comme son nom l’indique,
mieux prendre en charge les
soins somatiques (et la douleur)
chez les patients souffrant d’une
maladie mentale ou de troubles
autistiques. Il y a urgence. p
sandrine cabut
précédant sa mission. A la HAS de
déterminer si ces liens sont ma-
jeurs et, le cas échéant, d’écarter
un expert. Or, selon l’association
pour une formation médicale in-
dépendante (Formindep), dont le
travail a servi d’appui à la plainte
d’Anticor, les omissions des ex-
perts du groupe d’étude sur la
prise en charge des dyslipidémies
sont justement « susceptibles de
produire un conflit d’intérêts ».
Formindep a d’ailleurs déposé une
requête au Conseil d’Etat fin août,
demandant le retrait de la fiche
mémo sur les dyslipidémies.
Les déclarations publiques d’in-
térêts signées par ces experts et
fournies à la HAS ne correspon-
dent pas à ce qui est déclaré sur la
base Transparence.sante.gouv.fr.
Interrogée lundi 22 octobre, la HAS
répond qu’elle n’a pas à ce jour con-
naissance de la plainte d’Anticor. p
pascale santi et laura motet
ACTUALITÉ
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MERCREDI 24 OCTOBRE 2018 |3
TÉLESCOPE
ZOOLOGI E
La queue des mammifères chasse bien
les moustiques
Les expériences scientifiques servent par-
fois à confirmer la croyance populaire. Une
équipe de l’Institut technologique de Géor-
gie (Etats-Unis) vient ainsi de démontrer
que les mammifères usent bien de leur
queue pour éloigner les insectes. En analy-
sant les mouvements de chevaux, zèbres,
éléphants, girafes ou encore de chiens, ils
ont constaté un double effet. D’abord, un
phénomène de fouet, par lequel les ani-
maux visent directement les indésirables.
Mais, surtout, un effet de souffle, provoqué
par le mouvement pendulaire accéléré de
leur appendice postérieur. Les chercheurs
ont construit un simulateur pour mieux
quantifier le phénomène, et constaté que la
douce brise ainsi créée, soufflant à 1 mètre
par seconde, réduisait de moitié les atterris-
sages de moustiques et donc leurs piqûres.
Un sacré soulagement pour les mammifè-
res : on sait, depuis 1958, qu’une vache
assaillie par ces petits vampires peut perdre
jusqu’à un tiers de litre de sang par jour.
> Matherne et al., « Journal of Experimental
Biology », 15 octobre
MAT HÉMAT I QU ES
Un Français à l’honneur
Le Français Vincent Lafforgue, 44 ans, rece-
vra, le 4 novembre, le prix Breakthrough
en mathématiques, une récompense dé-
cernée depuis 2012 par de riches mécènes
fondateurs de Google, Facebook, Tencent…
et dotée de 3 millions de dollars. Ce mathé-
maticien de l’Institut Fourier de Grenoble,
médaille d’argent du CNRS, est un spécia-
liste de géométrie algébrique, plus parti-
culièrement sur un sujet qui avait valu
à son frère, Laurent, une médaille Fields
en 2002. Avant lui, cinq autres Français ont
reçu ce prix. En mathématiques (Maxim
Kontsevitch et Hugo Duminil-Copin,
catégorie « jeunes » dite « New Horizons ») ;
en biologie (Alim-Louis Benabid) ; et en
physique (un prix spécial pour la détection
des ondes gravitationnelles, décerné
en 2016 à deux chercheurs).
(PHOTO : HO COURTESY OF GÉRARD LAUMON/CNRS/AFP)
ÉVOLU T I ON
Fin du mystère des hiboux géants
des Mascareignes
De ces trois oiseaux, on ne connaissait
jusqu’ici que les conditions de leur dispari-
tion, il y a quelques siècles. L’arrivée des
hommes à La Réunion, Maurice et Rodrigues
avait eu raison de trois espèces de hiboux
géants qui y vivaient alors. Une équipe
de scientifiques lyonnais vient pour la pre-
mière fois d’en retracer l’évolution. En ex-
ploitant l’ADN mitochondrial préservé dans
leurs squelettes, ils ont découvert qu’ils
étaient issus de la colonisation des îles
par l’ancêtre du petit-duc oriental, qui vit
aujourd’hui en Asie du Sud-Est. Cette arri-
vée serait intervenue il y a 3,5 millions d’an-
nées, favorisée par les puissants cyclones
qui soufflaient à la fin du pliocène. Isolés
dans leurs îles, les oiseaux auraient évolué
en trois espèces distinctes, avec un mouve-
ment commun : ils auraient doublé de
volume. Cette trajectoire ressemble à celle
empruntée, quelques millions d’années
plus tôt, par un pigeon qui, après une longue
évolution, donna naissance au mythique
dodo. Lui aussi fut exterminé par les hom-
mes. Comme quelque 1 500 autres espèces
d’oiseaux insulaires, soit la moitié des
volatiles qui vivaient autrefois dans les îles.
> Louchart et al., « Journal of Biogeography »,
11 octobre
R ECT I F I C AT I F
Dans l’article « Comment le champ magné-
tique agit sur les cellules » (« Le Monde
Science & Médecine » du 17 octobre), la
valeur du champ magnétique utilisée dans
l’expérience est quarante fois supérieure
à celle du champ magnétique terrestre
et non 25 000 fois comme écrit par erreur.
 ÉVÉNEMENT
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LE MONDE SCIENCE & MÉDECINE
MERCREDI 24 OCTOBRE 2018

Biologie : enquête
sur trois affaires françaises
▶ SUITE DE LA PREMIÈRE PAGE
Sauf que ces « petites » affaires françaises ten-
dent un miroir peu flatteur à la communauté de
la biologie nationale qui s’interroge sur sa capa-
cité à faire face collectivement à certaines dé-
faillances dans la culture de l’intégrité scientifi-
que. Elles posent aussi crûment la question de
ce qu’est une preuve en science et sur la façon
dont elle est présentée, évaluée et questionnée
– et, le cas échéant, corrigée. Elles suggèrent que
la confiance entre pairs, pilier de l’évaluation
scientifique, est un rempart fragile face aux ten-
tatives de triche. Bref, même si les institutions
commencent à se doter de « référents à l’inté-
grité » et à sensibiliser les jeunes chercheurs à ces
sujets, et qu’a été fondé l’Office français de l’inté-
grité scientifique, ces questions devraient mobi-
liser la communauté scientifique. Mais cette der-
nière oppose bien souvent une omerta ou une
réaction de défense épidermique dès lors qu’on
s’y intéresse – raison pour laquelle la majorité
des témoignages qui suivent sont anonymes.
Commençons par l’origine de ces problèmes :
les fautes des chercheurs repérées par ces enquê-
tes successives. Elles ont pour point commun de
porter non pas sur des expériences frauduleuses,
montées de toutes pièces, mais sur la présenta-
tion incorrecte, voire illicite, des résultats. Ce qui
constitue, selon les canons académiques, des
manquements à l’intégrité scientifique.
Car ces manipulations touchent des images qui
sont autant d’éléments accréditant les conclu-
sions des chercheurs. Pour la plupart, il s’agit
d’une succession de formes oblongues noires ou
grises, appelées bandes. Leur présence et leur in-
tensité informent sur la nature et la quantité des
molécules identifiées dans l’expérience, comme
des protéines. Chaque expérience fournit des di-
zaines de ces bandes en fonction des conditions
expérimentales testées (souches sauvages ou
mutantes, présence de tel ou tel réactif, tempéra-
ture…). Dans l’article de recherche, on ne montre
jamais toutes ces bandes, mais une sélection. Une
erreur involontaire peut conduire à se tromper
de légende pour une bande ou en oublier.
Mais ce qu’ont fait les chercheurs incriminés
était souvent plus grave. Certains ont « nettoyé »
les images afin d’« enjoliver » les bandes. C’est
interdit, car on pourrait soupçonner la volonté
d’effacer une information dérangeante. Ils ont
aussi copié-collé des bandes d’une image à
l’autre, mais pour différentes conditions expéri-
mentales. Ou dupliqué des bandes d’un article
dans un autre. Les outils numériques permet-
tent aussi d’inverser en miroir des bandes, de les
étirer… Des bandes ont aussi été masquées, ou
bien ajoutées. Patrice Dunoyer – que, malgré de
nombreuses tentatives, nous n’avons pu inter-
roger – a même modifié une image faite pour
corriger une figure déjà trafiquée…
Son ancien mentor, Olivier Voinnet, confie au
Monde ne pas avoir été assez vigilant. Mais il
n’est pas l’auteur de la totalité des erreurs re-
censées dans une vingtaine de ses articles.
Outre Patrice Dunoyer, les notices des éditeurs
ou les enquêtes désignent aussi d’autres res-
ponsables. Il y a plus de mises en cause que le
laissent penser des sanctions individuelles.
Négligence collective
Le constat est donc qu’une poignée de biologistes
français ont enfreint des règles de bonnes prati-
ques. Mais tous les participants à l’élaboration
d’une expérience, sa réalisation et sa publication,
ne suivent pas plus méticuleusement ce qui cons-
titue l’aboutissement de leur travail : l’article
scientifique. Or souvent, lors des enquêtes, les
coauteurs des fautifs désignés se sont déclarés
« surpris », « étonnés », face aux figures publiées,
alors que, dans bien des cas, ils auraient pu consta-
ter qu’elles ne correspondaient pas aux originaux
qu’ils avaient obtenus. Sur l’affaire Peyroche, les
enquêteurs ont pudiquement qualifié de « regard
furtif » cette négligence collective.
Ces « découvertes » tardives traduisent aussi
une certaine faillite des relecteurs des articles
pour les revues, qui n’ont pas vu ce que, a poste-
riori, tout le monde a l’air de considérer comme
sautant aux yeux. Et quand une relectrice se
montre plus pointilleuse, telle l’Américaine Vicki
Vance, qui s’est trouvée par hasard relectrice de
trois versions différentes d’un même article co-
signé par le duo Voinnet-Dunoyer, successive-
ment soumis à trois revues, ses remarques ne
sont pas prises en compte (l’article sera finale-
ment retiré de la littérature par l’éditeur, mais
sur d’autres fondements que ceux pointés par la
biologiste). Cela pose la question du « contrôle s’expriment sur ces histoires sans avoir regardé les Mais venons-en au cœur de ces controverses :
qualité » du système scientifique. Même si, de- données ! », s’emporte un biologiste qui a pris le pourquoi se donner du mal à manipuler des ima-
puis quelques années, la plupart des revues de- temps de se faire sa propre idée. Il fait allusion, ges ? Plusieurs rapports d’enquête constatent que
mandent l’accès aux données brutes, avant notamment, aux affaires Jessus et Peyroche. Leur les vraies données étaient bien disponibles. Y
« montage », afin d’éviter ces problèmes. position hiérarchique et leur bonne réputation aurait-il une forme de névrose chez certains au
Le cercle de l’aveuglement peut malheureuse- ont conduit beaucoup de chercheurs à prendre point de vouloir obtenir des figures « parfaites » ?
ment s’élargir encore plus au-delà des principaux leur défense sans vraiment examiner ce qu’on Patrice Dunoyer était ainsi réputé pour son per-
concernés. « Je suis outré de voir que des gens leur reprochait précisément. Il faut dire que les fectionnisme méticuleux – quand Olivier Voinnet
allégations étaient postées sur le site PubPeer, l’était pour son désordre. Une explication plus
honni par la majorité de la communauté à cause rationnelle est que reproduire plusieurs fois une
de l’anonymat des commentaires. Fin mai 2018, expérience pour s’assurer de sa validité prend
une pétition rassemblant 500 biologistes mettra du temps et qu’il peut être tentant de ne pas le
CES AFFAIRES SUGGÈRENT en scène cette aversion pour PubPeer et pour Le faire. Quitte à jeter aux orties la sacro-sainte re-
QUE LA CONFIANCE ENTRE Monde, qui avait relayé ces accusations. productibilité des résultats. Dans une lettre
Sauf que ce site a permis de découvrir les cas ouverte écrite à la suite de l’affaire Jessus, le bio-
PAIRS, PILIER DE Voinnet et Dunoyer… Et que bon nombre de biolo- logiste Patrick Lemaire s’étonnait, par exemple,
L’ÉVALUATION SCIENTIFIQUE, gistes, anonymement, trouvent des similitudes que des articles publiés ne mentionnent pas le
entre certaines des fautes reprochées à ces cher- nombre d’expériences réalisées.
EST UN REMPART FRAGILE cheurs et celles, non sanctionnées, présentes dans On peut aussi s’abstenir d’effectuer des expé-
FACE À LA TRICHE des articles d’autres chercheurs de renom. riences dites « de contrôle » (donnant un standard

PUBPEER, LE SITE PAR QUI LE SCANDALE ARRIVE

S ite de merde ! », voilà com-
ment est souvent décrit,
dans les couloirs des labos
français, le site PubPeer. Créé
en 2012, ce « journal-club en li-
gne », comme il se décrit lui-
même, se veut un forum de com-
mentaires scientifiques sur des
articles déjà publiés. Ce qui lui
vaut ce qualificatif peu amène,
c’est qu’il a acquis une certaine
notoriété en France pour avoir
déclenché au moins trois des
dernières affaires d’inconduites
scientifiques ayant secoué jus-
qu’aux plus hauts sommets de la
hiérarchie le système de recher-
che français.
En septembre 2014, c’est par lui
que passe la campagne contre
Olivier Voinnet, relayée par des
mails anonymes en décem-
bre 2014 et surtout en jan-
vier 2015. En juillet 2016, c’est son
système de signalement automa-
tique qui alerte toujours le
même biologiste pour un pro-
blème dans un article déjà cor-
rigé. Ce qui débouchera sur une
nouvelle enquête.
En septembre 2017, le blogueur
allemand spécialisé Leonid
Schneider révèle des problèmes
dans des articles de la patronne
de la biologie du CNRS, Catherine
Jessus, en mettant ses figures si-
multanément sur PubPeer. Les
jours suivants, sept autres arti-
cles, déposés anonymement, re-
joindront les quatre premiers.
L’agitation du blogueur, ancien
chercheur, lui vaudra en retour de
voir ses propres travaux critiqués
sur PubPeer !
Quelques semaines plus tard,
en novembre 2017, c’est la prési-
dente par intérim du CNRS, Anne
Peyroche, qui devient la cible. Et,
tout récemment, un vieil article
de l’actuelle ministre de la recher-
che, Frédérique Vidal, y a même
été épinglé. Voilà qui peut agacer.
En apprenant, fin août 2015, que
deux des responsables de Pub-
Peer, Boris Barbour et Brandon
Stell, sont des collègues du CNRS,
un chercheur menace d’en venir
aux mains avec l’un d’eux ! Oli-
vier Voinnet lui-même, dans un
message au précédent président
du CNRS début 2017, parle de
« machine à détruire la science ».
Sur France Culture, le 8 mars 2018,
le nouveau président de l’organis-
me, Antoine Petit, estime qu’être
pointé sur PubPeer est aussi infa-
mant que de se trouver accusé de
pédophilie.
« C’est de la délation »
Bien que le site, y compris hors de
France, ait permis de signaler des
affaires graves de fraude scientifi-
que, il est donc toujours consi-
déré avec suspicion en raison de
l’anonymat qu’il autorise. « C’est
de la délation qui rappelle des heu-
res sombres de notre histoire », en-
tend-on souvent. Pourtant, la mo-
dération du site oblige à porter
des arguments vérifiables scienti-
fiquement, et chacun peut répon-
dre, avancent ses animateurs.
La communauté scientifique
pratique elle-même régulière-
ment l’anonymat lors du contrô-
le qualité effectué par les relec-
teurs des articles. Cependant, si
ces derniers sont en général in-
connus des auteurs, ils ne le sont
pas de l’éditeur qui les a sollicités.
C’est ce que rappelait Jean-Ga-
briel Ganascia, président du co-
mité d’éthique du CNRS, dans une
chronique de La Recherche en
septembre 2018. Le nouvel Office
français de l’intégrité scientifi-
que a indiqué, en juin 2018, que
« les allégations anonymes ne
sont pas recevables » sur ces ques-
tions d’intégrité scientifique. Ce
serait se priver d’un outil effi-
cace : les anonymes de PubPeer
ont permis de corriger des arti-
cles, d’en obtenir la rétractation
et de sanctionner des chercheurs.
« Un mal nécessaire »
« PubPeer est un mal nécessaire,
qui permet à des lanceurs d’alerte
de signaler des problèmes en se
protégeant », préfèrent dire d’au-
tres, plus conscients que la théo-
rie selon laquelle la science se
corrige d’elle-même par la dis-
cussion ne marche pas en prati-
que. Quel étudiant critiquerait
son directeur ? Et c’est notam-
ment parce que des journaux
scientifiques restaient sourds à
des critiques formulées contre
des articles que PubPeer a été
lancé. « Je n’aime pas PubPeer,
mais ce système de post-relecture
a aidé à assainir la littérature
scientifique », estime désormais
Olivier Voinnet.
Une option de PubPeer a ajouté
de l’huile sur le feu : en surfant et
visitant les pages des articles de
journaux, automatiquement, un
rectangle vert apparaît si l’article
est signalé sur PubPeer. Certains
considèrent que cela vaut marque
d’infamie et en restent à cette pre-
mière impression, sans analyser
par eux-mêmes les allégations.
Dans cette situation contrastée,
que doivent faire les dizaines de
chercheurs français dont les arti-
cles sont signalés sur ce site ? Ré-
pondre avec les données brutes
et éteindre l’incendie, comme le
font certains ? Ou faire le dos
rond, plutôt que de légitimer
cette forme inédite de police de
la science ? Cette seconde option
semble aujourd’hui être le choix
de la majorité. p
d. l.

de comparaison) pour gagner du temps en utili-
sant celles réalisées précédemment. Le temps, si
précieux pour doubler une équipe concurrente,
dans un système de recherche mondialisé et
hypercompétitif, où la pression du « publish or
perish » (« publier ou périr ») est impitoyable,
pour obtenir un financement, un recrutement,
un avancement de carrière, une part de gloire…
Comme en sport, où le dopage procure un avan-
tage par rapport à la majorité, qui, elle, ne cède
pas à ce système pousse-au-crime.
Mais le « crime » lui-même semble sujet à in-
terprétation. Quand certains « tombent de leur
chaise » au vu de bricolages qui vaudraient à un
étudiant d’être « viré immédiatement », d’autres
constatent que « tout le monde fait ça » et « qu’à
ce compte-là, tout le monde devrait être sanc-
tionné ». Relativisme perturbant de la preuve et
des règles en biologie…
Dysfonctionnements au plus haut sommet
Car qu’en est-il in fine des résultats obtenus par
ces méthodes illicites ? On s’attendrait à ce que,
unanimement, la communauté réponde qu’ils
ne sont plus valides. C’est bien plus compliqué.
L’article le plus cité d’Olivier Voinnet a fait l’ob-
jet d’une rétractation des éditeurs en 2015, mais
a été cité des centaines de fois depuis ! Les ex-
perts de l’affaire Peyroche, prudents, déclarent
qu’ils n’ont pas répondu à la question de la
modification éventuelle du message scientifi-
que, car « cela relèverait d’une expertise d’une
autre nature ». « Cela prendrait trois mois »,
estime l’un de ces experts.
La science reste donc incertaine, mais il faut
bien dire le droit et le juste. Là aussi, les dys-
fonctionnements ont abondé. Commençons
par le sommet : le ministère de l’enseignement
supérieur et de la recherche. Le 18 janvier, il
surprend tout le monde. Le Journal officiel an-
nonce le remplacement d’Anne Peyroche, em-
ployée du CEA et présidente par intérim du
CNRS depuis fin octobre 2017, par Antoine Petit,
alors que la nomination de ce dernier était
prévue la semaine suivante. La décision, prise à
cause d’un arrêt maladie d’Anne Peyroche
(depuis le 6 janvier), attire immédiatement
l’attention de la presse sur une information qui
jusqu’alors n’était connue que des lecteurs de
PubPeer : des soupçons d’inconduite scienti-
fique publiés sur le site début novembre 2017
et relayés par Leonid Schneider. La précipita-
tion du ministère a permis d’avoir la confirma-
tion qu’une enquête était en cours ; ce que le
ministère voulait éviter…
Dans cette affaire, le CEA a aussi un peu dévié
de sa route, alors qu’il partait sur de bonnes ba-
ses. En décembre 2017, après les révélations de
soupçons, il est décidé de demander indépen-
damment à quatre experts de donner leur avis
sur la solidité de ces accusations. Des cahiers de
laboratoires et des fichiers numériques sont
saisis et envoyés à ces spécialistes. Début jan-
vier, leur verdict est sévère : il y a bien des mani-
pulations illicites d’images. Le CEA décide donc
de lancer une expertise contradictoire avec qua-
tre autres spécialistes chargés d’auditionner la
plupart des coauteurs. La convocation était
prête. Malheureusement, une autre lettre était
déjà partie : une convocation d’Anne Peyroche
devant les ressources humaines pouvant con-
duire à licenciement. Soit une sorte de condam-
nation sociale avant même l’expertise scientifi-
que… Mauvais timing ? La maladresse a nourri
des soupçons de règlements de comptes plus
politiques entre personnalités pouvant préten-
dre aux postes les plus élevés des organismes
publics de recherche.
Nouvelle péripétie quelques mois plus tard. En
mai 2018, les experts remettent leur rapport, sé-
vère, sur les inconduites relevées, mais provi-
soire car la principale intéressée et mise en
cause n’a pu être auditionnée à la suite de son
arrêt maladie prolongé. Rien ne se passe, jusqu’à
ce que L’Express révèle le 8 octobre le contenu
du rapport et le fait que le ministère de la re-
cherche s’est opposé au licenciement de la cher-
cheuse. En trois mois, aucune solution n’a pu
être trouvée pour respecter la présomption
d’innocence, le travail des enquêteurs et sauver
l’intégrité scientifique.
Mais le CNRS, Sorbonne Université ou en
Suisse, l’ETHZ, ont aussi eu leur lot de soucis
dans la gestion de ces affaires complexes. Sor-
bonne Université, par exemple, s’est empêtrée
dans une expertise « bâclée », selon l’expression
du biologiste Patrick Lemaire, pour blanchir de
tout soupçon la patronne de la biologie du CNRS,
Catherine Jessus, ancienne chercheuse d’un la-
boratoire de l’université. Sa direction est restée
« JE NE SUIS PAS DREYFUS,
JE NE SUIS PAS UN SAINT,
JE VEUX JUSTE LA VÉRITÉ »
OLIVIER VOINNET
BIOLOGISTE, PROFESSEUR À L’ETHZ
mutique et ne voulait pas même donner le nom-
bre de membres de la commission d’enquête…
Autres exemples. Entre l’ETHZ et le CNRS, le tor-
chon a brûlé au moins deux fois, autour du cas
Olivier Voinnet, directeur de recherche au CNRS
mais détaché depuis 2010 en Suisse. La première
lorsqu’en juillet 2015, autour des mêmes faits, le
CNRS sanctionne le chercheur de deux ans de
suspension, alors que l’ETHZ ne lui donne qu’un
« avertissement ». En outre, alors qu’il a fallu
trois mois aux Suisses pour se faire une idée,
l’enquête du CNRS n’a duré qu’une semaine,
comme l’a révélé Nature le 10 octobre 2018, alors
que l’organisme avait annoncé une investigation
poussée. Certaines enquêtes sont courtes et les
sanctions dures ; d’autres investigations sont
longues avec des sanctions plus légères.
Le second épisode n’est pas moins étrange. En
septembre 2016, les deux organismes décident
une nouvelle enquête commune sur le duo
Voinnet-Dunoyer que le CNRS fera traîner jus-
qu’en juillet 2017, date de la première réunion
du groupe d’experts. Catherine Jessus bloque
un temps la transmission d’un mémoire en dé-
fense d’Olivier Voinnet aux enquêteurs, « pour
ne pas les influencer », lit-on dans leur rapport
que nous nous sommes procuré. Ces derniers
rendent leurs conclusions en janvier 2018, mais
rien ne se passe. Les commissions disciplinaires
attendront l’été, et seront informées le jour
même de leur réunion d’éléments d’appré-
ciation pourtant cruciaux. L’ETHZ s’impatiente
et rend ses conclusions sur le cas Voinnet, clé-
mentes, en septembre 2018, un mois avant le
CNRS, le prenant de court.
Des conséquences humaines lourdes
Ce n’est là qu’un échantillon des difficultés à
bien gérer ces situations – il est vrai d’une am-
pleur inédite. Ces exemples montrent des poli-
tiques à géométrie variable. Tantôt des rapports
d’enquête sont publiés, tantôt non. Tantôt il
faut aller vite, tantôt lentement. Tantôt les sanc-
tions sont dures, tantôt plus légères. Tantôt on
invoque un argument pour sanctionner (une
responsabilité de chef), tantôt non. Comment
s’y retrouver ?
Le CNRS promet, sur les conseils de l’Office
français de l’intégrité scientifique, de rendre
prochainement publique une procédure claire
sur la conduite à tenir en cas de soupçons de
manquement à l’intégrité scientifique. L’ETHZ,
en septembre 2018, a fait part de ses mesures en
matière d’intégrité scientifique qui feraient pâ-
lir bien des institutions françaises de plus
ÉVÉNEMENT
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LE MONDE SCIENCE & MÉDECINE
MERCREDI 24 OCTOBRE 2018 |5
TROIS EXEMPLES
DE MANIPULATION D’IMAGES
Ces trois images litigieuses sont
extraites de trois articles cosignés,
notamment, par Olivier Voinnet
et Patrice Dunoyer, et publiées sur le site
PubPeer par un anonyme. Ce dernier
a voulu pointer des irrégularités dans
la construction de ces figures.
Ainsi, une partie de l’image de l’article à
gauche datant de 2007 (Nature Genetics)
a été réutilisée plusieurs fois (partie
encadrée en bas). D’abord, dans
un article de Science de 2010 (images
au centre), puis de 2012, dans The EMBO
Journal (images de droite). Cette
réutilisation est illicite, car les conditions
expérimentales entre ces trois articles
sont différentes.
L’article de droite a été corrigé en 2015,
mais une enquête menée en 2017
a jeté des doutes sur la fiabilité même
de cette correction. L’article de 2010,
au centre, a été corrigé deux fois avant
d’avoir finalement fait l’objet d’une
rétractation de l’éditeur en 2016 pour
de multiples irrégularités.
L’article de 2007, à gauche, n’a pas
encore été corrigé, mais les experts
de l’enquête de 2017 y ont trouvé
de nouvelles erreurs graves. Le rapport
d’enquête, dont Le Monde a eu connais-
sance, indique que Patrice Dunoyer a
effectué « des manipulations irrégulières
nombreuses et répétées » dans ces
trois articles. Et considère « difficile de
croire qu’Olivier Voinnet n’ait pu avoir
de suspicions sur ces images publiées ».
PUBPEER
grande importance : deux délégués à l’intégrité
scientifique, au lieu d’un précédemment, et
une commission de 16 membres chargée des
bonnes pratiques scientifiques.
Face aux accusations d’inconduite, les consé-
quences humaines peuvent être lourdes. Olivier
Voinnet a été arrêté six mois et évoque des pas-
sages à l’isolement en hôpital psychiatrique
en 2015. Anne Peyroche est en arrêt maladie de-
puis janvier 2018. D’autres ont connu des épiso-
des dépressifs. Des enquêteurs ou des témoins
rapportent avoir vu des coauteurs en pleurs du-
rant les enquêtes. On ne peut qu’être frappé par
le malaise régnant dans les laboratoires autour
de ces questions. Un comité d’évaluation du
Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et
de l’enseignement supérieur (HCERES), lors de
sa visite à Strasbourg à l’IBMP, l’ancien labora-
toire d’Olivier Voinnet, confirme ces consé-
quences : « Les effets collatéraux sur les vies per-
sonnelles et professionnelles de l’IBMP ont été pé-
nibles, et beaucoup de personnes ont été touchées
par l’affaire », lit-on dans son rapport. Le comité
du HCERES égratignait ainsi la direction de
l’IBMP en se montrant « surpris et déçu » que le
rapport envoyé par l’IBMP pour cette évaluation
ne mentionne pas ces affaires d’inconduites et
les rétractations d’articles.
Au journaliste curieux d’autres enquêtes en
cours, certains responsables d’organisme font
parfois valoir la fragilité psychologique des mis
en cause. En outre, il est clair que de la mal-
veillance, voire de la haine, nourrissent ces scan-
dales. Les accusations anonymes contre Olivier
Voinnet, puis contre Catherine Jessus ou Anne
Peyroche ont été lancées moins pour le bien de la
science que par vindicte personnelle. L’identité
des « lanceurs d’alerte », visiblement du sérail,
reste à ce jour inconnue.
Olivier Voinnet, celui par qui le scandale est
involontairement arrivé, est quant à lui sorti de
son silence. Pour assurer sa défense certes, et
pointer la responsabilité de son fidèle second,
Patrice Dunoyer, qui a aujourd’hui quitté la
recherche. Mais l’opiniâtreté de l’ancien
« Wunderkind » à « nettoyer » sa production (sa
thèse amendée et une trentaine d’articles cor-
rigés ou faisant l’objet de rétractations à ce
jour) témoigne d’une volonté de prendre ces
choses au sérieux : « Je ne suis pas Dreyfus, je ne
suis pas un saint, je veux juste la vérité. » Il ne ca-
che pas, exemples à l’appui, qu’une part de la
production des laboratoires français mériterait
encore un examen attentif. p
david larousserie
 RENDEZ-VOUS
6| ·
LE MONDE SCIENCE & MÉDECINE
MERCREDI 24 OCTOBRE 2018
LE LIVRE
Avancées
vers le passé
Le collectif
Paléo-énergétique écrit
une contre-histoire
de l’énergie en revenant
sur des inventions oubliées
R echercher les innovations d’autrefois
pour préparer les solutions de de-
main », tel est le credo d’un livre, mais
surtout de ses auteurs, membres de l’associa-
tion Paléo-énergétique. Passionnés d’archi-
ves et de technologies, ils fouillent dans la lit-
térature ou les témoignages en quête d’idées
anciennes, voire de prototypes du passé,
autour des questions d’énergie, de sa produc-
tion, de son stockage ou de son utilisation,
notamment dans le transport…
Il pourrait y avoir de la naïveté à espérer
trouver dans de vieux pots de meilleures
soupes que celles existant aujourd’hui. Cha-
cun pense en effet que les technologies qui
l’entourent sont le résultat d’une sorte
d’évolution inexorable ayant sélectionné les
meilleures idées. C’est évidemment faux,
tant il existe d’exemples où les succès s’ex-
pliquent moins par leur qualité intrinsèque
que par des choix économiques, politiques,
sociologiques… Il n’est donc pas impossible
que des idées originales du passé puissent
(re) marcher si le besoin s’en faisait sentir ou
si de nouvelles technologies rendaient effi-
cace ce qui ne pouvait l’être à l’époque. C’est
ce que rappelle ce collectif, qui a l’ambition
d’écrire une contre-histoire de l’énergie,
dont ce livre n’est qu’un des aspects. Il s’en-
gage aussi dans des expositions, des inter-
ventions pédagogiques, des conférences et
dans l’action, par exemple en diffusant une
sono d’extérieur autoalimentée par le soleil
ou le pédalage des spectateurs. Leur propos
sur l’énergie est nourri de la prise en
compte du changement climatique. Et la so-
briété, le recyclage, le partage… sont des
valeurs omniprésentes dans leur livre.
Du coup, il y a plusieurs façons de lire cet
ouvrage, écrit par une quinzaine d’auteurs.
Dans l’ordre chronologique en partant des
semelles chauffantes de Lavoisier de 1780
jusqu’aux piles alcalines rechargeables des
années 1980, en passant par la première
Porsche électrique de la fin du XIXe siècle.
Mais on peut aussi picorer aléatoirement
dans les planches et photos présentées pour
découvrir des curiosités comme le photo-
phone de Bell (1880), l’imprimante solaire de
Mouchot (1882) ou un hydroptère conçu dès
1905… On peut aussi ne lire que la dizaine de
textes intercalés dans cette succession d’in-
ventions et qui apportent des réflexions sur
le progrès technique, la propriété intellec-
tuelle, les relations entre art et énergie, la
mobilité ou la technique du design fiction…
Quel que soit le choix, l’ensemble est stimu-
lant et riche de leçons pour l’avenir. Les
« vieux » pots servent déjà (chauffage solaire,
covoiturage, circuit court en agriculture, véhi-
cules électriques…). Mais l’invitation aux uti-
lisateurs à mettre un peu plus le nez dans les
machines pour mieux s’en saisir est bienve-
nue. Ou encore l’avertissement à ne pas lais-
ser aux seuls industriels le soin d’arbitrer les
choix énergétiques. Comme quoi, regarder
dans le rétro peut être une bonne idée. p
david larousserie
Rétrofutur. Une contre-histoire des
innovations énergétiques. Sous la direction
de Cédric Carles, Thomas Ortiz et Eric Dussert,
éditions Buchet-Chastel, 24 euros, 205 pages.
LIVRAISON
LI VR E
« 100 idées pour mieux comprendre
ce qu’est l’intelligence »
Comment un bébé apprend-il à parler ? Que
sont les fonctions exécutives ? Comment un
bilan neuropsychologique se déroule-t-il ?
Qu’est-ce que la courbe de Gauss ou la notion
d’intervalle de confiance ? En 100 courts cha-
pitres d’une ou deux pages chacun, la neuro-
pédiatre Domitille Gras et la psychologue
Emmanuelle Ploix Maes donnent des clés
pour comprendre le neurodéveloppement
et ses troubles. Accessible, didactique, cet
ouvrage pourra être utile aux familles, aux
enseignants et aux professionnels de santé.
> Editions Tom Pousse (213 pages, 15,50 euros)
UN CHARANÇON
CAPARAÇONNÉ
Ce portrait de Sternochetus
mangiferae, le charançon
du noyau de la mangue, a valu
à Pia Scanlon, photographe
dans un service de protection
des plantes du gouvernement
d’Australie-Occidentale, la
huitième place dans la catégorie
microphotographie du concours
Small World, organisé par Nikon.
Le premier prix a récompensé
Yousef Al Habshi (Emirats arabes
unis) pour un gros plan de l’œil
à facettes de Metapocyrtus
subquadrulifer, un autre
coléoptère. Mais celui immortalisé
par la photographe-entomologiste
australienne impressionne par
son allure martiale d’alien. Il s’agit
bien d’un envahisseur : inféodé
à la mangue, la bestiole, de moins
d’un cm à l’âge adulte, l’a suivie
depuis la Birmanie et le nord-est
de l’Inde dans de nombreux pays
où le fruit est aujourd’hui cultivé.
Sa posture renfrognée, avec la
trompe rentrée dans une rainure
ventrale et les pattes rétractées, est
caractéristique d’un état de stress.
PIA SCANLON/DPIRD ENTOMOLOGY/SOUTH
PERTH, WESTERN AUSTRALIA, AUSTRALIA
DIX MILLE PAS ET PLUS
UNE ORDONNANCE D’ACTIVITÉ PHYSIQUE
Par PASCALE SANTI maladie, favorise le lien social… », indique la profes- Le praticien doit aussi évaluer la motivation. La
seure Martine Duclos, médecin du sport et physio- HAS fournit là aussi des indications pour aider le
F aire quinze minutes de marche par jour, une
demi-heure de natation trois fois par semaine,
aller trois fois par semaine à la séance de ka-
raté, à deux séances de yoga. » Sortir du cabinet mé-
dical avec une telle prescription n’est pas si fré-
logiste au CHU de Clermont-Ferrand. Cela permet
aussi d’éviter ou de retarder le recours aux médica-
ments dans certaines pathologies comme le diabète
de type 2 ou le cholestérol, ou de mieux supporter
les traitements contre le cancer.
médecin à interroger son patient, à le motiver. En-
core faut-il qu’il soit lui-même convaincu, ce qui est
loin d’être toujours le cas. Il doit donc lui proposer
une activité adaptée à son état de santé. Dans les
faits, ce n’est pas toujours simple quand le patient
quent. Et pourtant cela devrait être la règle, au vu se sent fatigué, se déprécie. De plus, il faut trouver
des connaissances scientifiques. On le dit et le redit, Aider le médecin à motiver le patient une structure adaptée.
le sport est souvent le meilleur des « médicaments ». Depuis la loi du 26 janvier 2016, les médecins peuvent Quant aux éventuelles contre-indications, les ex-
D’abord en prévention. Les données de la science prescrire de l’activité physique et sportive aux person- perts sont formels : il n’y en a quasiment aucune.
ne laissent plus place au doute sur ses bienfaits. « Il nes en affection longue durée (ALD), ce qui représente Certes, il faut identifier d’éventuels risques, no-
faut que l’activité physique devienne un sujet d’entre- 10 millions de patients. Mais les freins sont encore tamment cardio-vasculaires. Mais « le test d’effort,
tien dans les cabinets médicaux », martèle le docteur nombreux pour la mise en œuvre de cette nouvelle trop souvent prescrit, n’est pas une assurance tout
Alexandre Feltz, adjoint au maire de Strasbourg en pratique. Pour accompagner les médecins, la Haute risque. Il n’a sa place que pour les patients à risque
charge de la santé : « Où habitez-vous ? Où travaillez- Autorité de santé (HAS) a donc élaboré un guide d’une cardio-vasculaire élevé et/ou qui envisagent une
vous ? Où allez-vous avoir une activité de loisirs ? C’est centaine de pages, qui leur donne des outils et des ré- activité sportive soutenue », note le cardiologue et
aujourd’hui une question que l’on devrait poser à férentiels pour six pathologies : bronchites chroni- médecin du sport François Carré.
tous ses patients. » « Le parcours contraint doit deve- ques (BPCO), maladie coronaire stable, hypertension Dans les faits, sur quelque 55 000 médecins généra-
nir un parcours santé, à pied, à vélo, électrique ou artérielle, obésité, diabète de type 2 et accidents vascu- listes et 200 000 médecins, seuls 2 000 d’entre eux
pas », poursuit le docteur Feltz, chiffres à l’appui : laires cérébraux. La HAS en produira pour d’autres si- prescrivent régulièrement de l’activité physique, se-
dans les grandes villes, 30 % de la population prend tuations en 2019 : les cancers, l’insuffisance cardiaque lon Alexandre Feltz. Pourtant, les études ont montré
la voiture pour moins de 1 kilomètre. Plus de 50 % chronique, la dépression, les personnes âgées et la que la prescription par le médecin est un facteur d’ad-
pour moins de 3 km ! femme enceinte. « On ne se soigne pas seulement avec hésion, et de meilleure observance des traitements.
« L’activité physique est une thérapeutique à part les médicaments et le bistouri », a insisté mercredi Un bémol : « Nous avons un problème de financement
entière dans la prise en charge des maladies chroni- 17 octobre Dominique Le Guludec, présidente de la de l’activité physique adaptée », souligne le docteur
ques : elle améliore les symptômes, l’équilibre de la HAS, lors de la présentation de ce guide. Feltz. Un message à l’attention du gouvernement. p
AFFAIRE DE LOGIQUE – N°1073
Grand écart interdit N° 1073
Solution du problème 1071
Les membres de cette famille de nombres entiers positifs possèdent les caractéristiques suivantes : 1. La date d’anniversaire de Cédric est le 7 juillet (707).
- leur écriture décimale contient 15 chiffres pris exclusivement parmi 1, 2, 3 ou 4 ; Au départ, on a : 1 ≤ J (Alice) ≤ M (Bob) ≤ 12
- l’écart entre deux chiffres consécutifs est obligatoirement 1. • Quand Alice dit « Je sais que Bob ne connaît pas J », on en
1. Combien y a-t-il de nombres dans cette famille ? déduit que J > 1 (si J = 1, Bob pourrait deviner si M = 1).
Fasciné par ces propriétés, Bob observe les chiffres des milliers de tous ces nombres. Après les avoir dénombrés, On a donc : 2 ≤ J ≤ M ≤ 12.
il écrit à la suite, de gauche à droite, sans séparation, le nombre de 1 puis le nombre de 2 qui figurent parmi • Quand Bob dit « Je sais qu’Alice ne connaît pas M », on en
les chiffres des milliers. déduit que M < 12 (si M = 12, Alice pourrait deviner si J = 12).
2. Quel est le nombre écrit par Bob ? On a donc : 2 ≤ J ≤ M ≤ 11.
• Quand Alice dit « Je sais que Bob ne connaît pas J », on en
déduit que J > 2 (si J = 2, Bob pourrait deviner si M = 2).
Pour participer au concours, dont c’est le dernier problème, répondre avant le 30/10 minuit sur www.affairedelogique.com
La question subsidiaire paraîtra la semaine prochaine. On a donc : 3 ≤ J ≤ M ≤ 11.
Et ainsi de suite… A chaque tour, les bornes se rapprochent.
CRYPTOLOGIE À PARIS « LA MACHINE DE TURING » À PARIS GÉOMÉTRIES SUD-AMÉRICAINES
Après le dixième tour, on est à : 6 ≤ J ≤ M ≤ 7.
LE 8/11 À LA BNF AU THÉÂTRE JUSQU’AU 30/11 À PARIS (FONDATION CARTIER)
Les 12e rencontres de l’ARCSI (Association La pièce de Benoît Solès mise en scène par La Fondation Cartier pour l’art contempo- Quand Alice dit qu'elle vient de deviner, c'est que J= 7 (et
des réservistes du chiffre et de la sécurité Tristan Petitgirard présentée au théâtre rain (261, bd Raspail, à Paris) célèbre jusqu’au donc M = 7). Bob (qui a 7) va effectivement deviner.
de l’information) auront lieu jeudi 8 Michel (38, rue des Mathurins, Paris 8e), 24 février 2019, avec l’exposition Géométries 2. La date d’anniversaire d’Annie est le 22 février (2202).
novembre à la BNF. Conférences et tables retrace l’incroyable destin d’Alan Turing, le Sud, du Mexique à la Terre de Feu, la richesse
M < J. Si Alice avait un nombre entre 13 et 20 ou entre 23
rondes retraceront les grandes évolutions mathématicien anglais qui a brisé le code de et la variété des motifs géométriques dans
de la cryptologie, des événements mar- la machine allemande Enigma pendant la l’art latino-américain, des formes multiples et 30, elle saurait que c’est le jour et devinerait le mois car
quants de l’histoire liés à cette science du seconde guerre mondiale en imaginant un qui trouvent leurs sources dans l’art préco- il n’y en a qu’un se terminant par ce chiffre. Mais elle n’a
secret aux problématiques d’aujourd’hui véritable mécanisme pensant qui se révélera lombien. Ces motifs constituent le trait pas non plus entre 3 et 10, car Bob pourrait deviner s’il
et de demain : industrialisation de la cryp- être le premier ordinateur. Contraint au commun des quelque 250 œuvres qui sont
avait entre 13 et 20 ou entre 23 et 30.
tanalyse, ordinateurs quantiques, impact silence par les services secrets britanniques, présentées, créées par 70 artistes.
de la science du chiffre sur l’informatique… sa contribution à la victoire ne fut jamais Parmi elles, une emblématique « salle de Restent 1 ( Bob 11, 21 ou 31), 2 (Bob 12, 22), 11 (Bob 1, 21, 31), 12
Durant les pauses sera présenté un micro- reconnue de son vivant. Pourtant, c’est peut- bal » dont l’architecte a transposé en plein (Bob 2, 22), 21 (Bob 1, 11), 22 (Bob 2 , 12), 31 (Bob 1, 11).
simulateur de la machine Enigma. être en partie grâce à lui que nous vivons cœur de Paris l’iconographie géométrique Bob peut donc avoir aussi 1, 2, 11, 12, 21, 22, 31 mais il sait si
Informations et inscription (obligatoire) dans le monde d’aujourd’hui. et colorée de sa culture d’origine.
son nombre est le jour ou le mois. Cela élimine 11 et 12.
sur www.arcsi.fr Informations sur www.theatre-michel.fr Informations sur www.fondationcartier.com
Alice trouve. Elle était donc dans un des cas (en rouge) où
E. BUSSER, G. COHEN ET J.L. LEGRAND © POLE 2018 affairedelogique@poleditions.com l’élimination de 11 ou 12 lui a permis de conclure : (2, 21,
22, 31). Bob conclut : c’est qu’il a 2 ou 22 (et Alice l’autre).

CARTE
BLANCHE
L’« effet IKEA » ou
comment l’amour
va aux objets
Par SYLVIE CHOKRON
V ous est-il déjà arrivé d’arpenter dis-
traitement les allées d’une grande
surface et d’emprunter par mégarde
le Caddie d’un autre client, à moitié rempli,
pour continuer vos courses ? Celui-ci n’a cer-
tainement pas manqué de venir vous arra-
cher « son » Caddie des mains, bien qu’il ne
contienne a priori que des produits qui ne
sont pas encore payés, mais qui semblent
déjà être les siens ! Rien d’étonnant à cela, il
semblerait que les objets que nous possé-
dons, ou qui, dans le cas qui nous intéresse,
vont bientôt nous appartenir représentent
une très grande valeur à nos yeux…
Mais ce qui fait qu’un objet nous est parti-
culièrement précieux pourrait également
venir du fait que nous l’avons fabriqué de
nos propres mains. Ainsi, nous sommes
plus attachés à nos propres créations qu’à
un objet identique, voire de meilleure fac-
ture, mais construit par autrui. Ce phéno-
mène, bien connu des chercheurs depuis les
années 1950, a sans doute inspiré les maga-
sins de grande distribution de meubles à
monter soi-même un peu partout dans le
monde. Depuis quelques années, il porte
d’ailleurs le nom d’une célèbre enseigne :
« l’effet IKEA ».
Cet effet, dénommé ainsi en 2012 par
Michael Norton, de la Business School de
Harvard, désigne le fait que, loin de juger
les objets de manière objective sur la base
des matériaux qui les composent ou sur
leur origine, nous sommes enclins à pré-
férer les objets que nous avons fabriqués
nous-mêmes. Cela vaut pour tous les domai-
nes, cuisine, vêtements, mobilier, et nous
pousserait donc à payer, entre autres, pour
des objets en pièces détachées que nous
assemblons nous-mêmes… Fait qui peut
sembler paradoxal mais qui s’expliquerait
de différentes façons : démontrer que nous
sommes compétents, prouver que nous
pouvons fournir un effort, mais également
accroître notre sentiment de propriété de
l’objet fabriqué par nos soins.
Chez l’enfant également
Si cet effet a été retrouvé par plusieurs
auteurs chez l’adulte, est-il déjà présent chez
l’enfant et à quel âge apparaît-il ? Ce sont
exactement les questions que Lauren Marsh,
de l’université de Bristol, s’est posées. Pour
étudier le développement de ce phénomène,
elle a récemment présenté à des enfants de
3 à 6 ans de petits monstres, très simples,
avec lesquels ils pouvaient jouer. Dans l’une
des conditions de l’expérience, ces jouets
étaient simplement proposés à l’enfant, déjà
construits par l’adulte auparavant, alors que
dans l’autre condition, les enfants devaient
les construire eux-mêmes avant de pouvoir
jouer avec. Après avoir interagi avec ces ob-
jets, les enfants étaient invités à les noter
afin d’évaluer leur préférence.
L’« effet IKEA » est très clairement retrouvé
chez les enfants uniquement à partir de
5 ans. Il s’exprime par une préférence signifi-
cative pour les jouets que les enfants ont
construits comparés à des petits monstres
identiques mais fabriqués par autrui et sim-
plement manipulés. Les résultats montrent
néanmoins des différences avec ce qui est
observé chez l’adulte car si les enfants préfè-
rent les objets qu’ils ont réalisés eux-mêmes,
le sentiment de propriété est comparable
pour les deux classes d’objets.
Les auteurs se sont également demandé si
le degré d’effort fourni pendant la construc-
tion déterminait le jugement de valeur porté
par les enfants sur ces jouets. Fait intéressant,
il n’en est rien, la façon dont les enfants éva-
luent les objets ne dépend en aucun cas de la
difficulté liée à leur fabrication. Heureuse-
ment, sinon, qui sait si les entreprises de
meubles à monter soi-même n’auraient pas
eu l’idée saugrenue de nous vendre plus cher
du mobilier en kit, sans plan de montage, ou
avec une pièce manquante en misant sur le
fait que plus grand serait l’effort fourni, plus
fort serait notre sentiment de propriété ! p
Sylvie Chokron
Directrice de recherches au CNRS, Laboratoire
de psychologie de la perception, université
Paris-Descartes et Fondation ophtalmologique
Rothschild.
Vaccination des soignants contre la grippe :
il est urgent d’agir !
TRIBUNE - Seuls 30 % des professionnels sont vaccinés. Etienne Grass et Cyril Goulenok, de la chaire
santé de Sciences Po, proposent une stratégie incitative en lieu et place de l’obligation vaccinale
D epuis la consultation ci-
toyenne, il y a deux ans, la
France est en train de franchir
un palier de maturité en matière de
vaccination. Les décisions prises l’an-
née passée par la ministre de la santé,
Agnès Buzyn, y ont sans doute contri-
bué : en étendant l’obligation vaccinale
des enfants, le gouvernement a réaf-
firmé dans la clarté la priorité donnée à
la santé publique. L’opinion publique,
que l’on croyait rétive, paraît le suivre.
Un récent sondage Ipsos a montré que
83 % des Français se disent favorables à
la vaccination, loin du triste résultat de
la grande enquête de la London School
of Hygiene en 2016, qui montrait un ni-
veau de défiance inédit dans la popula-
tion française à l’égard des vaccins.
Dans ce contexte, on pourrait être
déçu par l’annonce récente (le 18 octo-
bre) d’une simple charte, cosignée par
les ordres professionnels, concernant
la vaccination des soignants contre la
grippe. Une charte, là où le code de la
santé publique permettrait une obli-
gation (article L3111-4) dont la mise en
application reste une épine dans le
pied du gouvernement.
Il y a urgence à agir, car la situation ac-
tuelle est inacceptable. Malgré un ris-
que de transmission aux patients, le
taux de vaccination chez les profes-
sionnels de santé atteint difficilement
les 30 %, et ce, quel que soit le type
d’établissement (public ou privé) ou
de profession (médecins, infirmières,
aides-soignantes, kinésithérapeutes).
Lorsqu’on se penche sur le sujet,
l’obligation vaccinale est pourtant
moins évidente qu’il n’y paraît. Dans
Le supplément « Science & médecine » publie chaque semaine une tribune libre. Si vous souhaitez soumettre un texte, prière de l’adresser à sciences@lemonde.fr
COLLECTION « LES DÉFIS DE LA SCIENCE »
Relier entre eux
les cerveaux humains
D ébut octobre, un article de cher-
cheurs en neurosciences des
universités de Washington et
de Carnegie-Mellon – qui devra encore
être évalué par des spécialistes avant pu-
blication – a fait le « buzz » avec son titre
alléchant, « Brain-Net, une interface
cerveau-cerveau pour une collaboration
directe entre cerveaux ».
Le dispositif fait communiquer, mais
de manière très primaire, le cerveau de
trois personnes pour déclencher une
action sans intervention manuelle. Il
combine deux techniques non inva-
sives, l’électro-encéphalographie (EEG)
pour enregistrer les ondes de l’activité
cérébrale et la stimulation magnétique
transcrânienne (TMS) pour stimuler
certains neurones en leur appliquant un
champ magnétique.
Trois personnes, deux émetteurs et un
récepteur, toutes pourvues d’un casque
EEG, sont mises en relation. Les deux
émetteurs indiquent au récepteur « par
la pensée », si oui ou non il doit faire pi-
voter une brique dans un jeu de Tetris
simplifié et ralenti. Comment cela se pas-
se-t-il ? Les émetteurs voient défiler sur
leur écran une brique et la ligne du bas
où elle pourrait s’encastrer si elle était
placée dans le bon sens. Le receveur ne
voit que la brique sur le sien. Les émet-
teurs fixent leur attention sur l’une ou
l’autre des deux LED placées de chaque
côté de l’écran : l’une clignote à 17 hertz
(Hz) pour oui, l’autre à 15 Hz pour non.
Ce choix déclenche dans leur cerveau
une onde à la même fréquence captée
par leur casque EEG ; elle est convertie
en signal numérique (en pratique 1 bit)
son principe, l’objectif est peu contes-
table : malgré l’efficacité aléatoire du
vaccin contre la grippe, plusieurs étu-
des ont montré le bénéfice d’une cou-
verture vaccinale quasi exhaustive des
soignants. D’autres enquêtes mon-
trent à l’inverse l’effet causal de la faible
vaccination dans la propagation du
virus. Les patients, eux, que l’on inter-
roge si peu, ont une vision très claire de
la question : l’enquête que nous avons
réalisée en mars 2017 auprès de plus de
1 160 malades chroniques a montré
que les trois quarts d’entre eux se di-
sent favorables à une obligation vacci-
nale et aimeraient connaître la perfor-
mance vaccinale dans l’établissement
qu’ils fréquentent.
Reste à savoir si l’obligation est le plus
sûr moyen d’atteindre la cible que l’on
s’est fixée. A notre surprise, la revue de
littérature internationale que nous
avons réalisée dans le cadre de la chaire
santé de Sciences Po nous a conduits
loin de notre conviction initiale en
faveur d’une obligation. Certes, il existe
des cas dans lesquels l’obligation a eu
un effet d’accélération remarquable,
notamment dans certains établisse-
ments des Etats-Unis, avec une couver-
ture vaccinale de 98 %. Mais ce pro-
gramme n’est pas nécessairement re-
productible, et l’obligation pose immé-
diatement la question de la nature de la
sanction à appliquer.
Ici est la complexité : l’obligation porte
en elle un risque de désadhésion des
professionnels de santé à l’égard des
vaccins. Le lien entre obligation et
exemplarité ne se conjugue pas de la
même façon selon les contextes et selon
qui sert à faire ou non pivoter la brique
et est transmise via un réseau Internet
au système TMS placé, dans un bonnet,
sur la tête du receveur au niveau du
cortex visuel. S’il faut faire pivoter la
brique, le système génère via la TMS un
phosphène, une illusion de flash lumi-
neux perçue par le receveur. Ce dernier
décide alors (ou non) de faire pivoter la
brique en fixant lui aussi son attention
sur la LED idoine. Le jeu s’effectue en
deux tours, ce qui permet au récepteur
de corriger son premier choix. Le test a
été effectué auprès de cinq groupes de
trois personnes avec un taux de réussite
de 81,25 %.
Dans un deuxième temps, de manière
aléatoire, l’un des deux émetteurs se
trompe systématiquement. Résultat :
au bout de quelques parties, le receveur
choisit l’émetteur qui le fait gagner. Les
chercheurs estiment ainsi refléter un
peu la complexité de la communication
sociale humaine, où l’on établit des
priorités dans les échanges.
Applications thérapeutiques
Toutefois, pour Jérémie Mattout, du
Centre de recherche en neurosciences
de l’Inserm à Lyon, « cette expérience
n’offre pas grand intérêt. Elle montre
qu’on peut coupler deux technologies
déjà éprouvées pour réaliser un échange
très limité et n’offre aucune perspective
d’application. Aujourd’hui, on mise plu-
tôt sur l’intérêt thérapeutique des inter-
faces cerveau-machine non invasives ».
Son équipe teste actuellement un sys-
tème de « neurofeedback » pour stimu-
ler l’attention des enfants hyperactifs.
RENDEZ-VOUS
· LE MONDE SCIENCE & MÉDECINE
LAISSER LE CHOIX,
C’EST ACCEPTER
L’ÉVENTUALITÉ
D’UN REFUS
MAIS AUSSI
LA POSSIBILITÉ
D’UN DÉBAT
les cultures. Alors que, dans les pays
anglo-saxons, exemplarité et obligation
sont sœurs jumelles, particulièrement
dans le monde du travail, elles devien-
nent sœurs ennemies dans le contexte
de la société française, particulièrement
dans les institutions publiques.
Le risque existe ainsi que l’obligation
vaccinale diminue la motivation pri-
maire qui doit inspirer les profession-
nels : leur exemplarité dans la relation
de soins. Cette exemplarité ne peut
s’exprimer que dans le cadre d’une li-
berté totale de choix, car elle repose sur
la valeur fondamentale du soignant :
d’abord ne pas nuire – primum non
nocere. Peut-on se qualifier de géné-
reux parce que l’on paie beaucoup
d’impôts ? Certes non, et c’est pour cela
que justifier une obligation au titre de
l’exemplarité perd de son sens. Pour le
soignant, c’est justement parce qu’il est
libre de choisir qu’il peut être exem-
plaire et engage sa responsabilité
morale. Laisser le choix, c’est accepter
l’éventualité d’un refus mais aussi la
possibilité d’un débat. Imposer une
L’expérience des chercheurs des universités de Washington et Carnegie-Mellon
amène trois personnes à jouer ensemble à Tetris « par la pensée ». PHOTO NITENDO
9,99 EUROS. EN KIOSQUE
LE 24 OCTOBRE
MERCREDI 24 OCTOBRE 2018 |7
vérité n’est jamais la meilleure solution
pour la rendre acceptable ; celle-ci se
forge en effet dans le débat. La vaccina-
tion contre la grippe, en restant libre,
pourrait ainsi être le vecteur de l’ex-
pression de la responsabilité morale
qu’ont les soignants envers les patients.
A l’issue de ce travail, nous sommes
arrivés à la conclusion que seule une
stratégie plurielle et incitative permet-
tra d’améliorer significativement et
durablement le taux de vaccination des
professionnels de santé. Cette stratégie
doit combiner quatre leviers : forma-
tion des soignants, logistique avec sim-
plification du circuit d’accès au vaccin,
transparence des taux de vaccination
par établissement, dynamisation des
espaces de parole entre professionnels
autour de leurs valeurs et du sens de
l’acte. Plus complexe et plus exigeante,
cette stratégie serait aussi plus payante,
en faisant du geste vaccinal un point de
rendez-vous concret pour les équipes
autour de leur devoir et de leurs valeurs
essentielles. La vaccination est sans
doute le meilleur fil conducteur pour
réaffirmer le sens qui relie une com-
munauté professionnelle tout entière,
celle du soin. p
¶
Cyril Goulenok, médecin réanimateur,
et Etienne Grass, haut fonctionnaire,
sont membres de la chaire santé
de Sciences Po.
Cyril Goulenok et Etienne Grass sont
consultants ; ils n’ont pas de lien d’intérêt
avec des entreprises commercialisant
des vaccins contre la grippe.
Equipé d’un casque EEG, l’enfant doit
fixer une colonne d’un jeu pour gagner :
la concentration déclenche une onde
dans son cerveau, et l’interface fait avan-
cer le pion au bon endroit. En progres-
sant par essai/erreur, l’enfant est censé
améliorer son attention.
Le même type de système semble faire
ses preuves pour la rééducation motrice
après un accident vasculaire cérébral
(AVC). Dans ce cas, le casque EEG enre-
gistre l’intention de bouger le bras, qui
est transmise à un stimulateur élec-
trique des muscles ou à une image vir-
tuelle du bras. De même, en progressant
par essai/erreur, le patient parvient de
mieux en mieux à commander son
bras. Une méta-étude parue en 2017 sur
cette rééducation post-AVC présente
des résultats encourageants. p
marie-laure théodule
Pour accompagner la collection
« Les défis de la science », état des lieux
d’une thématique de recherche.
 RENDEZ-VOUS
8| ·
LE MONDE SCIENCE & MÉDECINE
MERCREDI 24 OCTOBRE 2018
La réalité d’Abderrahmane Kheddar
dépasse la science-fiction
PORTRAIT - L’expert en robotique humanoïde est fasciné par les films dans lesquels
les frontières entre les hommes et les machines disparaissent. Comme dans ses recherches
U
n visage rond plutôt bon-
homme et des pommettes rieu-
ses qui ne collent pas vraiment
avec la face d’acier du robot
auprès duquel il pose. Abderrah-
mane Kheddar, né en 1967 en Algérie, a depuis
quinze ans un pied au Japon et l’autre en
France. A l’aise en Orient comme en Occident,
il est aussi détendu avec les machines qu’avec
les humains. « Ma passion pour les robots a dé-
marré quand j’étudiais à l’Institut national d’in-
formatique d’Alger. A la bibliothèque j’avais dé-
niché le seul livre consacré à la robotique, et la
bibliothécaire a fini par me le donner ! » Faute de
pouvoir poursuivre ses études en France, il
crée une société d’informatique. « J’avais une
bonne situation, mais ma chance est venue d’un
client qui m’a mis en relation avec un chercheur
français en robotique, et la passion l’a emporté.
C’était aussi l’époque des attentats à répétition.
Je me suis décidé à partir. »
Le voici dans le laboratoire de Philippe Coiffet,
père de la robotique française, à l’université
Paris-VI. En 1997, il obtient sa thèse et déjà une
réputation internationale dans le domaine de
la téléopération : il est le premier à faire assem-
bler simultanément des pièces d’un puzzle à
quatre robots géographiquement éloignés. Re-
cruté à l’université d’Evry, il est professeur
quand Philippe Coiffet lui propose en 2003 de
participer à l’aventure de la création du Labo-
ratoire de robotique franco-japonais à Tsukuba,
le Joint Robotics Laboratory (JRL), association
entre l’Institut national japonais des sciences et
technologies – l’AIST – et le CNRS). « Il a apporté
une vraie valeur ajoutée au laboratoire, raconte
Eiichi Yoshida, codirecteur du JRL. Nous savions
faire des robots qui avancent sur du plat, mais
pour obtenir des déplacements utiles, il faut
générer des points d’appui. Abder a été clair-
voyant, il était le seul à travailler sur l’haptique
[la science du toucher] et à imaginer calquer les
mouvements des robots sur celui des humains. »
Un esprit agnostique
Ces recherches se concrétisent aujourd’hui
dans les usines d’Airbus. « L’avionneur était ré-
ticent à l’idée d’utiliser des robots humanoï-
des pour la construction des avions, raconte
Abderrahmane Kheddar. Mais quand je leur ai
montré un robot grimpant à une échelle, ils ont
été convaincus ! Les robots que nous concevons
pour Airbus seront en mesure d’évoluer dans
des espaces réduits tels qu’un fuselage, de s’age-
nouiller ou de se pencher comme un humain
pour exécuter des fonctions sophistiquées : vis-
ser, ou serrer un boulon. » Une menace pour
l’emploi ? « Au Japon, la robotisation ne s’est pas
faite aux dépens de l’humain ! Le taux de chô-
mage est faible. Et quand vous appelez un ser-
vice public, la sonnerie ne retentit jamais plus de
trois fois avant qu’on vous passe une personne,
et non pas une boîte vocale. »
Le shintoïsme, pensée selon laquelle l’être
humain n’est pas plus sacré qu’une pierre, un
arbre ou une rivière, a aussi séduit cet esprit
agnostique, amoureux de la société nippone,
qu’il juge très apaisante. Seule sa façon de par-
ler détone au Japon. « Il a une façon directe de
s’exprimer, surprenante pour nous qui n’avons
pas l’habitude de dire ce que nous pensons,
souligne Eiichi Yoshida. Mais j’apprécie… »
Effectivement, « Abder » n’est pas du genre à
faire des circonlocutions ! Diapositives à l’ap-
pui, il montre les robots militaires de Boston
Dynamics, qui font des saltos arrière, ou le
Fedor des Russes, qui vise une cible en utilisant
ses deux mains. « La robotique est une techno-
logie de dissuasion, au même titre que l’arme nu-
cléaire ! La France se fait encore entendre, car De
Gaulle a dit oui à la bombe atomique. Si nous ne
voulons pas disparaître comme l’Empire romain,
alors il faut être au niveau technologique de ces
grandes puissances. » Egalement directeur de
l’unité Interactive Digital Humans au Labora-
toire d’informatique, de robotique et de micro-
électronique de Montpellier, Kheddar voudrait
que la robotique française reste dans la course.
Outre l’ingénierie des robots, des questions
plus fondamentales le taraudent et consti-
tuent son deuxième champ de recherches.
En 2009, il est sollicité par Mel Slater, spécia-
liste de la réalité virtuelle à Barcelone, pour
travailler avec d’autres équipes sur l’« embodi-
ment », c’est-à-dire la capacité d’un être hu-
main à s’approprier une machine comme
étant son propre corps. « J’étais dans l’avion de
Tokyo à Bruxelles, où nous devions présenter le
projet, quand je visionne le film Surrogates
[Clones], avec Bruce Willis. J’étais affolé, car le
Abderrahmane Kheddar, dans son laboratoire au Japon, le 18 octobre. MEHDI BENALLEGUE
scénario, dans lequel une majorité de la po-
pulation pilote mentalement une version robo-
tisée d’elle-même, suivait exactement celui de
notre projet de recherche ! Le coordinateur du
projet a eu l’idée géniale de l’illustrer par des ex-
traits du film, et nous avons remporté l’appel
d’offres… » Le projet Vere (Virtual Embodiment
and Robotic Re-Embodiment) est lancé, qui
réunit roboticiens, psychologues, philoso-
phes, pour « dissoudre la frontière » entre corps
humains et représentations de substitution,
virtuelles ou réelles. En 2012, l’équipe parvient
à faire effectuer à distance plusieurs tâches dif-
férentes à un robot : par exemple, saisir une ca-
nette, puis se déplacer dans la pièce et la poser
à une place choisie par l’homme.
Transférer le contenu d’un cerveau
Kheddar souhaiterait aller bien plus loin. Dans
une présentation faite en août à une confé-
rence internationale sur les robots, à Nanjing
(Chine), il cite Avatar, Clones et Matrix – qu’il a
vu au moins cinq fois –, et explique : « En
regardant ces films, les chercheurs se deman-
dent généralement : “Où le scénariste s’est-il
trompé ?” Moi, je me demande comment dépas-
ser l’obstacle. Par exemple, avoir des corps tech-
nologiques anthropomorphes, ce n’est vraiment
plus un problème. En revanche, il faudra une rup-
ture technologique pour que les interfaces cer-
veau-machine soient efficaces. Quant au moyen,
comme dans le film Chappie [de Neill Blom-
kamp], de transférer le contenu d’un cerveau sur
la carte mère d’un ordinateur afin qu’il puisse
continuer de vivre dans un corps-machine, c’est
une autre affaire ! Mais contrairement à ce que
beaucoup de mes collègues pensent, ce scénario
n’est pas si fantaisiste. Grâce à l’intelligence arti-
ficielle, il est déjà possible de reconstituer une
partie de votre expérience, de votre vécu, sur un
ordinateur qui sera capable de prédire, à partir
de ces données, certains de vos comportements,
donc d’agir à votre place. Cela pose des questions
passionnantes, notamment sur la conscience
de soi, et je voudrais y travailler. »
Don’t limit your challenge ! Ce pourrait être le
slogan de Kheddar, qui ne voit pas quels pro-
blèmes peuvent poser ces travaux. « Contrai-
rement aux transhumanistes, qui rêvent de vie
éternelle, ce qui me guide, c’est l’appétit de
connaissance. Comprendre ce qu’est l’intelli-
gence, la pensée, voilà le défi. Et rien ne m’an-
goisse là-dedans ! Ces clones ne sont – et ne reste-
ront – que des machines. Seules les personnes
croyantes, qui estiment que les chercheurs ne
doivent pas se prendre pour Dieu, sont hostiles. »
Raja Chatila, directeur de l’Institut des systè-
mes intelligents et de robotique n’est pas de cet
avis. « Tout ce qui est faisable n’est pas à faire, es-
time ce membre de la commission de réflexion
sur l’éthique de la recherche en sciences et tech-
nologies du numérique (Cerna). Il faut s’interro-
ger sur la façon dont nous souhaitons maintenir
ou modifier notre humanité. Créer un monde de
clones, d’esprits, c’est créer quelque chose de
“différent”. Or il me semble important de ne pas
changer la nature de ce que nous sommes. En
outre, croire que c’est faisable, c’est croire que
notre esprit n’est que calculs et connexions. »
Ce que ne dément pas Kheddar, qui pense que
seuls les nombres régissent notre esprit, et
que le monde est divisé en deux : ceux qui
croient à l’âme, et ceux qui, n’y croyant pas, ne
redoutent rien de ces recherches.
Pour l’instant, une seule chose l’inquiète : les
réseaux sociaux. « J’interdis à mes enfants le
téléphone portable, Twitter, Facebook. L’objec-
tif de ces réseaux est de les rendre dépendants
de “likes”, de les transformer en produits mar-
keting. Je préfère qu’ils restent dans la réalité en
apprenant à programmer des robots ! » Un ami
à qui il racontait cela lui répondit que, quand
il serait vieux, ses enfants le priveraient d’exo-
squelette, et qu’il devrait se débrouiller avec
une canne. Mais c’était en plaisantant… p
marina julienne
ZOOLOGIE
La seiche, la pensée
à portée de peau
D ans le grand carnaval des animaux,
la seiche n’a pas la cote du poulpe.
Moins spectaculaire, moins harmo-
nieuse. Moins facétieuse aussi. Pour ce qui
est du camouflage, pourtant, l’un des prin-
cipaux talents de son cousin, elle n’a rien à
lui envier. Comme lui, elle peut changer son
apparence – forme, couleurs, motifs, texture
– en quelques millisecondes. Son secret ? Des
millions de petits points colorés de quelques
dizaines de microns de diamètre, les chro-
matophores, que le céphalopode ouvre ou
ferme sur commande de ses neurones mo-
teurs. De nombreux scientifiques ont tenté
de comprendre comment agissaient ces
cellules pigmentaires, à toutes les échelles,
celle du point comme celle du tableau. Dans
un article publié le 18 octobre par la revue
Nature, une équipe du Max Planck Institute
de Francfort, pilotée par le Français Gilles
Laurent, vient de faire une sérieuse percée.
En filmant six animaux dans un bassin, les
neurobiologistes ont développé une méthode
pour suivre l’évolution de dizaines de milliers
de chromatophores en parallèle. Un exploit
technique : il faut non seulement découper
l’image afin d’isoler chaque cellule mais en-
suite, à chaque instant, pouvoir recomposer
l’ensemble alors que chaque unité a changé de
taille, de couleur, de forme, de voisins.
Cette performance de traitement de l’image,
recette complexe de mathématiques et d’in-
formatique, a permis de comprendre les rè-
gles pilotant l’évolution des chromatophores.
Jaune pâle à la naissance, les points s’assom-
brissent avec le temps, orange, rouges, bruns,
noirs. Sauf que, pour rester performant, l’ani-
mal doit conserver intacte sa palette. Il pro-
duit donc constamment de nouveaux points
jaunes qui, l’âge avançant, prennent de plus
en plus de temps à changer de couleur. « Ainsi,
il reste toujours à l’équilibre », explique Gilles
Laurent. Equilibre global mais aussi local,
l’animal produisant ses points clairs au mi-
lieu des points sombres. « Cette perfection
nous a effarés », admet le neurobiologiste.
Les chercheurs sont ensuite parvenus à sui-
vre l’activité des muscles radiaux entourant
les chromatophores et à lier ainsi les cellules
pigmentées aux neurones qui les pilotent.
Chaque fois, ils ont constaté que quelques
neurones se retrouvaient associés à quelques
points. « Ils ont démontré ce qui n’était qu’une
intuition : que l’on pouvait savoir ce qui se
passe dans la tête de l’animal en observant son
dos, commente, enthousiaste, Ludovic Dickel,
professeur d’éthologie à l’université de Caen
et spécialiste des céphalopodes. Et tout ça sans
imagerie intrusive sur des bêtes vivantes ! »
Enfin, l’équipe de Francfort a observé les
réactions des seiches au changement de pay-
sage, tel le passage de la main d’un chercheur
dans l’aquarium. Elle a découvert que les
transformations suivaient des chemins sys-
tématiques, « sans doute imposés par la physi-
que des réseaux de neurones », poursuit Gilles
Laurent. Car c’est bien ce qui se passe dans le
Seiche adulte. MICHAEL NOLAN/ROBERTHARDING/PHOTONONSTOP
cerveau de la seiche qui intéresse les cher-
cheurs en neurosciences. « Sa capacité de ca-
mouflage, elle l’a dès la naissance, précise le
neurobiologiste. Donc il existe un système re-
lativement simple, inscrit dans ses gènes, qui
lui permet de visualiser une image puis d’acti-
ver les neurones nécessaires. » Comment ?
« Pour l’instant, on l’ignore, mais c’est ce que
nous allons chercher. Vérifier que nos hypothè-
ses sont bonnes en allant regarder dans le cer-
veau, avec de l’imagerie ou des électrodes,
cette fois. » Et ainsi approcher le Graal. Non
pas comprendre la façon dont les seiches re-
produisent les images, mais comment elles
les perçoivent. En effet, si leur capacité de
camouflage nous est étrangère, leur repré-
sentation mentale des motifs et des textures
pourrait bien s’approcher de la nôtre. Mieux
comprendre notre cerveau grâce au dos d’un
animal dont notre ancêtre commun, un ver
marin, a vécu il y a 600 millions d’années : le
défi ne manque pas de sel. p
nathaniel herzberg
Bruxelles devrait retoquer
le budget italien
▶ La Commission, présidée
par Jean-Claude Juncker, est
sur le point de demander
à Rome de réviser son bud-
get, le gouvernement italien
ayant refusé de le modifier
Brexit : ménage à trois
sur le rocher de Gibraltar
Madrid, Londres et le territoire britannique négocient leurs futures relations.
Les tractations butent sur la fiscalité, très douce, du Rocher P A GE 2
A Gibraltar, le 10 septembre, lors de la fête nationale. JON NAZCA/REUTERS
TRANSFORMATIONS | CHRONIQUE PAR JEAN-BAPTISTE FRESSOZ
« Transition énergétique » : le grand malentendu
D
u fait de la crise clima-
tique, l’histoire de l’éner-
gie prend une impor-
tance existentielle. Ainsi, dans
son dernier rapport, le Groupe
d’experts intergouvernemental
sur l’évolution du climat (GIEC)
raisonne à partir de l’histoire des
transitions énergétiques pas-
sées pour inférer la probabilité
d’une transition compatible avec
un réchauffement de 1,5 °C. L’op-
timisme est mesuré, mais il est
tout de même affirmé : « Ces tran-
sitions systémiques sont sans pré-
cédent en termes d’échelle, mais
pas nécessairement en termes de
vitesse », peut-on lire dans le « ré-
sumé aux décideurs ».
Mais l’usage du mot « transi-
tion » repose ici sur un sérieux
malentendu. Ce que les histo-
riens étudient sont en fait des
« additions énergétiques » et non
des transitions. Par exemple, le
gaz d’éclairage n’a pas supprimé
les bougies, et les machines à va-
peur n’ont pas remplacé la force
musculaire : au contraire, la pro-
duction de bougies explose au
XIXe siècle, et le nombre de che-
vaux atteint son sommet histori-
que dans les années 1900. Même
Cahier du « Monde » No 22949 daté Mercredi 24 octobre 2018 - Ne peut être vendu séparément
▶ C’est une première dans
l’histoire européenne.
Bruxelles n’avait pas
d’autres choix, sous peine
de se décrédibiliser
complètement
dans l’industrie sidérurgique, où
l’usage de la houille est précoce,
le bois reste dominant jusque
dans les années 1860 en France et
jusqu’au XXe siècle en Suède.
On ne passe pas simplement du
bois au charbon, puis du char-
bon au pétrole, puis du pétrole
au nucléaire : ces sources d’éner-
gie n’ont fait que s’additionner au
cours du temps. Si, au cours du
XXe siècle, l’usage du charbon dé-
croît relativement au pétrole, il
reste que sa consommation croît
continûment, et qu’on n’en a ja-
mais autant brûlé qu’en 2017.
Et, pour l’instant, le nucléaire et
les renouvelables n’ont fait
qu’ajouter une fine couche sup-
plémentaire à un mix énergéti-
que qui demeure fondamentale-
ment carboné : selon les statisti-
ques de British Petroleum, les
fossiles (charbon, pétrole, gaz)
représentaient 87 % de l’éner-
gie consommée sur le globe
en 1980… et 86 % actuellement.
Si l’expression « transition éner-
gétique » est source de confusion,
cela tient peut-être à son histoire.
Son origine est en effet très éloi-
gnée des objectifs climatiques
ou écologiques. Dans les années
PERTES & PROFITS | MATIÈRES PREMIÈRES
UN MONDE BÂTI
SUR DU SABLE
▶ La décision risque de créer
des tensions sur les mar-
chés et de fragiliser les pays
d’Europe du Sud comme
l’Espagne et le Portugal
PAGE 3
DÉFENSE
LE SERPENT DE
MER DE L’EUROPE
NAVALE
Depuis des années,
les Européens parlent
de créer un « Airbus
des mers » pour faire face
à la concurrence. En vain.
La nouvelle tentative
franco-italienne risque
de suivre la même voie
PAGE 5
ÉDITION
LE STATUT DES
DIRECTEURS DE
COLLECTION REMIS
EN QUESTION
Le mode de rémunération,
en droits d’auteur, de ces
maillons-clés de l’édition
est aujourd’hui contesté
PAGE 8
1970, les Etats-Unis sont sonnés tives » : le nucléaire avant tout
par les deux chocs pétroliers, qui – de manière troublante, le
génèrent une véritable angoisse terme de transition énergétique
nationale. Le 15 juillet 1979, le pré- est d’ailleurs emprunté à la phy-
sident Jimmy Carter prononce sique atomique –, mais aussi le
devant 65 millions de téléspecta- gaz, les pétroles de schiste et
teurs le fameux « discours du
malaise », dont l’idée centrale
même… le charbon. Au milieu
des années 1970, dire « transi-
était que la crise énergétique ne tion » plutôt que « crise » rendait
pourrait être combattue sans le futur beaucoup moins anxio-
changer la société américaine. gène en l’arrimant à une rationa-
Les Etats-Unis devaient renoncer lité planificatrice et gestionnaire.
au consumérisme pour renouer Les mots sont piégés : appliquée
avec le fonds des vertus civiques à l’Histoire, la « transition énergé-
et chrétiennes. tique » nous empêche de voir la
persistance des systèmes an-
Emprunt à la physique atomique ciens. Appliquée au défi climati-
C’est dans ce contexte que le vo- que contemporain, elle sous-es-
cable « transition énergétique » time radicalement la transfor-
prend tout son sens. Il est promu mation qu’il faut opérer pour ne
par des institutions puissantes pas dépasser 1,5 °C en 2100 : car,
– le bureau de la planification cette fois-ci, il ne s’agit pas de
énergétique américain, le secré- faire une énième addition éner-
tariat suédois pour l’étude du fu- gétique, mais bel et bien de sous-
tur, la Commission trilatérale, la traire de notre mix énergétique
Communauté économique euro- les 85 % qui sont issus du char-
péenne – et repris par les indus- bon, du pétrole et du gaz ! p
triels pour combattre les expres-
sions autrement plus angois- Jean-Baptiste Fressoz est chargé
santes de « crise énergétique » ou de recherche CNRS au Centre de
de « gap énergétique ». Dans la recherches historiques de l’Ecole
plupart des cas, il sert à dési- des hautes études en sciences
gner des énergies dites « alterna- sociales (EHESS)
Depuis l’Antiquité, les civilisa-
tions se sont construites sur
des matières premières sim-
ples, un peu d’argile, de paille,
de solides blocs de pierre. La
nôtre est bâtie sur du sable. De
toutes les matières premières
consommées par l’homme, il
est de très loin le plus utilisé,
avec ses cousins graviers et
cailloux de toute sorte, qui ren-
trent, notamment, dans la pro-
duction du béton. La planète
en consomme près de dix fois
plus que de pétrole ou de gaz.
Au XXe siècle, nous avons con-
sommé 34 fois plus de maté-
riaux de construction qu’au
cours de tous les siècles précé-
dents. Et selon le dernier rap-
port de l’OCDE (Organisation
de coopération et de dévelop-
pement économiques), paru ce
mardi 23 octobre, cette dépen-
dance sera encore plus grande
dans les décennies à venir. La
consommation de matériaux,
et surtout de sable et de pierre,
devrait doubler d’ici à 2060,
avec les conséquences que l’on
imagine sur les milieux natu-
rels, sur la pollution et le climat
(ils représentent 10 % des émis-
sions de gaz à effet de serre).
La première raison est l’ac-
croissement de la population,
qui devrait passer de 7 à 9 mil-
liards d’individus. La deuxième
est l’urbanisation, qui devrait
en 2060 concerner les deux
tiers des habitants de la pla-
nète. Sans oublier, bien sûr, la
croissance économique dont
l’effet est multiplicateur mais
assez paradoxal : au-delà d’un
certain stade, plus elle aug-
mente, plus son appétit dimi-
nue. Dans les pays les plus dé-
veloppés, la progression de
l’économie est moins consom-
matrice de matières premières.
C’est le cas en Europe ou aux
Etats-Unis et cela le devient en
Chine. L’ex-empire du Milieu,
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moitié des grues du monde,
devrait dès 2025 avoir stabilisé
sa consommation de maté-
riaux de construction aux
alentours de 24 gigatonnes,
sans augmentation par la suite,
soit tout de même un quart du
total mondial. C’est la raison
pour laquelle, si la richesse glo-
bale (production intérieure
brute mondiale) est prévue
pour être multiplié par quatre
entre 2011 et 2060, la quantité
de matières premières devrait
se « contenter » de doubler.
Pas de recyclage à 100 %
Le premier facteur de limita-
tion est le changement de
structure de l’économie. En
s’orientant vers les services,
elle consomme moins de ma-
tières premières qu’une société
industrielle, même si une par-
tie de cette transformation ré-
sulte d’un transfert des activi-
tés les plus gourmandes vers
des pays en développement.
L’autre facteur est la techno-
logie, notamment en ce qui
concerne le recyclage. La
hausse prévisible du prix des
matières premières rentabili-
sera ce secteur, plus intensif en
main-d’œuvre que les mines. Il
devrait d’ailleurs se développer
plus rapidement que l’extrac-
tion. Mais insuffisamment
pour la stopper. Le rêve d’une
économie circulaire à 100 %
n’est pas atteignable pour les
experts de l’OCDE. La demande
sera telle qu’elle absorbera allé-
grement matériaux primaires
et secondaires. Comment dès
lors imaginer une société à la
fois sobre, prospère et durable.
C’est le plus grand défi que de-
vra relever le capitalisme au
XXIe siècle, celui d’une écono-
mie qui s’affranchisse de son
appétit de sable. p
philippe escande
2 | plein cadre
A Gibraltar, le Brexit
se joue à trois
REPORTAGE
gibraltar - envoyée spéciale
S
ous une pluie battante, une lon-
gue file de voitures traverse au
compte-gouttes la frontière de Gi-
braltar ce vendredi 19 octobre au
matin. Les plus pressés garent leur
véhicule dans l’un des nombreux
parkings de La Linea de la Concepcion, la ville
andalouse qui jouxte le Rocher, et continuent
à pied. Ils se mêlent ainsi à une marée de pié-
tons qui chaque jour se plient au même rituel.
Passeport ouvert à la main, brandi à hauteur
des yeux, ils passent le premier « contrôle »,
côté espagnol, sans s’arrêter devant les gardes
civils. Idem côté Gibraltar.
Près de 14 500 travailleurs frontaliers traver-
sent chaque jour la « verja », le « grillage » qui
sépare l’Espagne du territoire britannique,
dont 9 000 Espagnols, plus de 2 000 Britanni-
ques et presque 1 millier de Portugais. Trop
pour être logés sur ce bout de territoire de
7 kilomètres carrés et de 32 000 habitants, où
les rares logements disponibles, malgré une
construction frénétique, coûtent le même
prix que dans une capitale européenne.
Diana, 35 ans, marche à bon rythme aux cô-
tés de sa mère et d’une amie pour traverser
l’isthme. Il est occupé depuis le XIXe siècle par
Gibraltar, sur lequel se trouve la piste d’atter-
rissage de l’aéroport contesté par l’Espagne,
dont les vols ne rejoignent que le Royaume-
Uni. Ces trois Espagnoles travaillent comme
femmes de ménage sur le Rocher.
La baisse brutale de la livre sterling, après
l’annonce de la victoire du Brexit, en
juin 2016, a certes fortement rogné leur pou-
voir d’achat. Mais elles se disent à présent re-
lativement sereines. « Il y a deux ans, nous
avons eu très peur. Mon salaire a baissé d’un
coup de 1 200 euros mensuels à 1 000 euros,
mais la livre s’est stabilisée, et cela reste intéres-
sant de travailler ici. Côté espagnol, je pourrais
espérer au mieux 700 euros. Et encore, seule-
ment, si je trouve un emploi… », résume Diana.
Dans le Campo de Gibraltar, la région espa-
gnole située autour de la baie, le taux de chô-
mage dépasse 30 %. Des milliers de familles
dépendent de l’emploi à Gibraltar. Sur cet îlot
de prospérité à la pointe sud de l’Andalousie,
3 % de la population active est sans emploi. La
croissance y dépasse les 10 % par an depuis
2011, la dette publique plafonne à 19 % du pro-
duit intérieur brut (PIB), et le PIB par habitant
s’élève à 70 000 dollars (61 000 euros), selon le
Madrid, Londres et le territoire
britannique négocient
les conditions de leurs relations
post-Brexit. Les tractations
avancent, mais butent toujours
sur la fiscalité, particulièrement
douce sur le Rocher
Fond monétaire international (FMI). Soit le
troisième au monde. Lors du référendum sur
le Brexit, 96 % des habitants de Gibraltar ont
voté « remain » (« rester »)…
Pour l’Espagne, qui revendique la souverai-
neté sur le Rocher, cédé en 1713 avec le traité
d’Utrecht, qualifié de colonie britannique par
les Nations unies (ONU) mais de territoire
d’outre-mer par Londres, cette différence de
revenus s’explique par les avantages obtenus
par Gibraltar lorsque le Royaume-Uni a ad-
héré à la Communauté économique euro-
péenne (CEE) le 1er janvier 1973, en tant que
« territoire dont les relations extérieures in-
combent à un Etat membre ».
LE PARADIS DES GÉANTS DU PARI EN LIGNE
Gibraltar ne fait pas partie de l’espace Schen-
gen ni de l’union douanière, mais bénéficie
des libertés de circulation des marchandises,
des travailleurs, des services et des capitaux
du marché intérieur. Le territoire n’applique
ni impôts sur le revenu ni TVA, mais une taxe
sur les sociétés de 10 % et ce, uniquement sur
les bénéfices réalisés sur l’île.
Les entreprises de paris en ligne doivent en
outre payer une taxe de 1 % sur les sommes
jouées, contre 25 % en Espagne. Pas étonnant,
dès lors, que ce secteur soit devenu la princi-
pale activité économique de ce territoire, avec
trente-deux entreprises, parmi lesquelles plu-
sieurs géants mondiaux.
Dans les ruelles qui grimpent vers les hau-
teurs du Rocher, parsemées de vieilles mai-
sons coloniales, se trouve le bureau de Da-
mon Bosino, avocat du cabinet TSN. Pour cet
ancien député social-démocrate au Parle-
ment de Gibraltar, marié à une avocate espa-
gnole, « la principale inquiétude porte sur la
fluidité de la frontière ».
Lorsque l’Espagne postulait pour entrer
dans la CEE, une des conditions posée par les
Etats membres avait été l’obligation de rou-
vrir la frontière, dont la fermeture avait été
ordonnée par Franco en 1969 (elle le restera
jusqu’en 1982).
Or le Brexit annule de fait cette obligation. Et
même si personne n’imagine aujourd’hui l’Es-
pagne bloquer le seul accès terrestre au Ro-
cher, cette opportunité retrouvée suscite une
certaine inquiétude. « Fermer la frontière serait
un choc. Je n’y crois pas. Le surf à Tarifa, le golf à
Sotogrande, le ski dans la Sierra Nevada, l’Espa-
gne est une grande destination de loisirs pour
les habitants de Gibraltar. Et en même temps,
nous vivons avec les horaires, le système d’édu-
cation et la culture britannique, avec le système
juridique et entrepreneurial du Common law
qui est bien plus souple… Il serait terrible de
rompre cet équilibre », résume M. Bosino.
Lors du Conseil européen du 31 mars 2017,
l’Espagne a obtenu un droit de veto sur toutes
les décisions touchant à Gibraltar, lesquelles
dépendront d’une négociation bilatérale en-
tre le Royaume-Uni et l’Espagne. Mais Madrid
n’a pas souhaité soulever avec Gibraltar les
problèmes qui se posent en Irlande du Nord.
Pour le moment.
« GIBRALTAR Le protocole qui fera partie de l’accord du
ET LA RÉGION SONT SI Brexit est « presque résolu », a assuré le minis-
tre espagnol des affaires étrangères Josep Bor-
IMBRIQUÉS rell, le 17 octobre. Gibraltar devrait être inscrit
dans l’accord de transition. Le ministre socia-
ÉCONOMIQUEMENT liste a assuré à plusieurs reprises que l’Espa-
QUE JE DOUTE QUE gne « ne renonce pas » à sa revendication his-
torique sur Gibraltar, mais que le Brexit ne
L’ESPAGNE SOUHAITE constitue pas le cadre pour l’aborder. « Pour
l’accord de divorce, il était évident que l’Espa-
PORTER PRÉJUDICE gne n’allait pas poser de veto, estime le cher-
cheur du think tank espagnol Real Instituto
À SES PROPRES Elcano, Ignacio Molina. En revanche, elle ne
CITOYENS » permettra pas que Gibraltar ait accès au mar-
ché intérieur sans obtenir un accord avanta-
JOHN ISOLA geux dans les futures relations post-brexit. »
vice-président de Cinq mémorandums se trouvent en cours de
la chambre de commerce négociation entre Madrid, Londres et Gibral-
tar. Les droits des citoyens qui résident en Es-
pagne mais travaillent sur le Rocher devraient
être garantis durant la période de transition,
afin de palier l’absence de statut de travailleur
transfrontalier.
La coopération policière et douanière, régu-
lièrement mise à mal du fait de la bataille
pour les eaux territoriales de Gibraltar, que
l’Espagne ne reconnaît pas, devrait être ren-
forcée. Les prix du tabac (près de 40 % moins
0123
MERCREDI 24 OCTOBRE 2018
A la frontière
entre l’Espagne
et le territoire
britannique de
Gibraltar, en
septembre 2013.
JON NAZCA/REUTERS
ESPAGNE
La Linea
Gibraltar (Roy.-Uni) de la
Conception
Algésiras
ar
Océan Tarifa a l t Mer
Atlantique G ibr
e Méditerranée
oit d
Détr
Tanger Ceuta
(Esp.)
MAROC
10 km
chers qu’en Espagne), qui expliquent l’impor-
tance de la contrebande, devraient être aug-
mentés. La protection commune de l’environ-
nement, et en particulier la question du bun-
kering, le ravitaillement en mer des navires
qui croisent le détroit, est bien avancée. En re-
vanche, les équipes de négociation achoppent
sur le thème de la fiscalité.
« Nous sommes prêts pour un “no deal”, as-
sure le Chief Minister, Fabian Picardo. La libre
circulation entre Gibraltar et le Royaume-Uni
va perdurer durant la période de transition, or
c’est avec lui que nous réalisons plus de 90 % de
nos échanges de services. »
L’économie du Rocher repose essentielle-
ment sur le secteur des assurances, des paris
en ligne ou des services bancaires et juridi-
ques, ainsi que du tourisme. « Nous allons à
présent essayer de négocier pour que le projet
européen perdure dans la région, poursuit
M. Picardo. Pas seulement pour des raisons
économiques mais aussi personnelles : nos voi-
sins espagnols sont nos amis, nos cousins… »
UNE POSSIBLE « COSOUVERAINETÉ »
A la chambre de commerce de Gibraltar, dans
les bureaux situés au-dessus d’un fish and
chip de Grand Casemates Square, John Isola, le
vice-président, se veut optimiste. « En cas de
“no deal”, il est possible que la livre baisse, et
que cela affecte nos entreprises, mais Gibraltar
et le Campo de Gibraltar sont si imbriqués éco-
nomiquement que je doute que l’Espagne sou-
haite porter préjudice à ses propres citoyens,
résume ce PDG du groupe Anglo Hispano spé-
cialisé dans l’importation de vins et spiri-
tueux et le secteur hôtelier. Outre les tra-
vailleurs frontaliers, de nombreuses entrepri-
ses de Gibraltar achètent et vendent leurs pro-
duits et services en Espagne. Beaucoup
d’habitants y acquièrent des résidences secon-
daires et y dépensent pour leurs loisirs… » Selon
une étude, près de 25 000 emplois côté espa-
gnol dépendraient de Gibraltar.
Optimistes aussi, certains chefs d’entreprise
de Gibraltar veulent croire que le Brexit de-
viendra une opportunité : celle d’attirer les
entreprises européennes désireuses de main-
tenir des liens commerciaux étroits avec le
Royaume-Uni. Ainsi, en 2017, la compagnie
d’assurances automobile St Julians Insurance
a annoncé qu’elle étudiait la possibilité de
transférer son siège de Malte à Gibraltar.
En Espagne, des analystes comme M. Molina
estiment que son besoin de maintenir l’accès
au marché intérieur pourrait pousser Gibral-
tar à accepter une « cosouveraineté » de fait,
même si elle n’en porterait pas le nom, qui
passerait par la double nationalité pour ses
ressortissants en échange d’une solution sur
les sujets fiscaux, financiers ou aéroportuai-
res. « Il est impossible que Gibraltar main-
tienne un statut aussi particulier que l’actuel
après avoir abandonné l’Union européenne »,
reconnaît simplement une source diplomati-
que. L’Espagne se réserve le gros des négocia-
tions sur Gibraltar pour l’après-Brexit… p
sandrine morel
0123
MERCREDI 24 OCTOBRE 2018 économie & entreprise | 3

Bruxelles sur le point de retoquer le budget italien

La Commission Juncker devrait demander à Rome de lui « resoumettre » sa copie. Une première

bruxelles, rome - correspondants

Populaire, le

L
a Commission présidée
par Jean-Claude Juncker
n’a plus vraiment le choix.
Le gouvernement italien a
formellement refusé, lundi 22 oc-
tobre, de reculer sur son budget
prévisionnel 2019, malgré « une
déviation sans précédent » par rap-
port aux règles du pacte de stabi-
lité et de croissance, dénoncée par
Bruxelles, jeudi 18 octobre.
Les règles communes ont beau
être plutôt souples, le cas italien,
aux yeux de la plupart des obser-
vateurs, oblige l’institution à ré-
clamer une révision du budget. Si
elle n’agit pas, la Commission
court en effet le risque de se dé-
crédibiliser complètement.
Le gouvernement transalpin,
constitué de l’alliance du Mouve-
ment 5 étoiles (antisystème) et de
la Ligue (extrême droite), se dé-
clare prêt, depuis quelques jours,
à un « dialogue constructif » avec
Bruxelles et ses partenaires. Mais
dans les faits, il n’a tenu, pour
l’heure, aucun compte des obser-
vations qui ont été formulées.
Le « budget du peuple » – pour re-
prendre l’expression du Mouve-
ment 5 étoiles – affichera un défi-
cit prévisionnel de 2,4 % du pro-
duit intérieur brut (PIB) en 2019,
au lieu du 0,8 % promis en juin.
Et une détérioration structurelle
(creusement du déficit lié à des ré-
formes) de 0,8 % du PIB en 2019,
contre un effort structurel at-
tendu de 0,6 % (réductions bud-
gétaires liées à des réformes).
En revanche, Rome s’est engagé à
prendre les mesures nécessaires
pour ne pas dépasser ce niveau de
déficit, et à le réduire à 2,1 %
en 2020, puis à 1,8 % en 2021. Lundi
soir, les principaux ministres se
sont réunis au palais Chigi, autour
du premier ministre, Giuseppe
Conte, pour réfléchir à d’éventuel-
les mesures additionnelles si la si-
tuation sur les marchés financiers
devenait incontrôlable.
Le ministre de l’économie et des
finances, Giovanni Tria, qui aura
cherché – pour l’heure, sans suc-
gouvernement
semble assuré de
sa légitimité et
confiant dans sa
capacité à résister
aux pressions
extérieures
cès – à obtenir que la Ligue et le
Mouvement 5 étoiles lâchent un
peu de lest face à Bruxelles, ad-
met, dans sa réponse aux instan-
ces européennes, qu’il est « cons-
cient » d’enfreindre les règles. Il
explique cette décision, « difficile
mais nécessaire », par le retard
pris par son pays dans le retour au
niveau de PIB d’avant le début de
la crise financière, ainsi que « les
conditions dramatiques dans les-
quelles se trouvent les couches les
plus désavantagées de la société ».
Une formulation habile et diffi-
cile à contester pour l’opposition :
en effet, ce raisonnement était au
cœur du programme de l’ancien
premier ministre et chef de file du
Parti démocrate, Matteo Renzi,
défait aux élections de mars.
Assis sur un confortable socle de Le chef du gouvernement italien, Giuseppe Conte, et ses deux vice-premiers ministres, Luigi Di Maio et Matteo Salvini,
popularité (60 % d’opinions favo- à Rome, le 15 octobre. FILIPPO MONTEFORTE/AFP
rables, un niveau très inhabituel
en Italie), le gouvernement Conte
semble assuré de sa légitimité et La Commission pourrait rendre lité de la Commission. Mais dans sigeance une crise irréparable. Les l’histoire ! Parce qu’après, il y a en-
confiant dans sa capacité à résister sa décision publique dès mardi ce cas délicat, qui interroge jus- commissaires craignent aussi de core un débat entre nous, un dia-
aux pressions extérieures. Para- 23 octobre après-midi, après la qu’à la souveraineté d’un Etat trop fortes secousses sur le mar- logue qui peut durer trois semaines,
doxalement, la dégradation de la réunion hebdomadaire du col- membre, une concertation préa- ché des obligations souveraines, au terme duquel nous entrons dans
note de la dette italienne de lège de l’institution. Le commis- lable avec les autres commissai- qui pourraient fragiliser des Etats une autre phase », a insisté l’ex-mi-
« Baa2 » à « Baa3 » par l’agence saire à l’économie, Pierre Mosco- res était probable, mardi. encore convalescents comme l’Es- nistre des finances français. Après
Moody’s, vendredi 19 octobre, vici, et le vice-président de la pagne ou le Portugal. Personne n’y la probable demande bruxelloise,
aura plutôt contribué à calmer Commission chargé de l’euro, Val- Craintes sur les marchés a intérêt : les autorités grecques re- l’Italie aura trois semaines, dans le
les esprits : en effet, celle-ci n’a pas dis Dombrovskis, sont tous deux MM. Moscovici et Dombrovskis doutent que leurs banques, encore cadre de la procédure dite du « se-
provoqué la tempête que beau- en première ligne sur cette an- devraient surtout prendre soin fragiles après dix années de crise mestre européen », pour revoir
coup craignaient. De fait, cette dé- nonce historique. Bruxelles n’a, d’éviter le recours à une rhétori- financière, en soient les premières sa copie. En cas de refus, une pro-
cision était attendue, et avait donc jusqu’à présent, jamais « reto- que trop brutale – par exemple, ils victimes collatérales. cédure dite de « déficits excessifs »,
été anticipée. Par ailleurs, les ana- qué » aucun budget national. devraient parler d’un budget à M. Moscovici jouait déjà la carte liée à l’énorme dette du pays (envi-
lystes ont assorti leur jugement Le Français et le Letton parta- « resoumettre » plutôt que d’un de l’apaisement, lundi matin, sur ron 132 % de son PIB), pourra
défavorable d’une perspective gent une même volonté de dialo- texte « retoqué ». L’institution les ondes de Radio France. Une de- être ouverte par l’institution, à
« stable », en raison des « bases ro- gue, mais aussi de fermeté, depuis veut au maximum dédramatiser mande d’une nouvelle version du tout moment. p
bustes » de l’économie italienne. le début de l’épreuve de force avec sa démarche, afin d’échapper, budget italien ? « Ce serait un geste cécile ducourtieux
Une raison de plus d’attendre de Rome, fin septembre. Leur avis autant que faire se peut, à l’accusa- politique qui aurait un sens, mais, (à bruxelles) et jérôme
pied ferme le verdict de Bruxelles. suffit pour engager la responsabi- tion d’avoir ouvert par son intran- attention, cela ne serait pas la fin de gautheret (à rome)

Taxe GAFA : Bruno Le Maire tente Quand la justice espagnole

cherche à épargner les banques
à nouveau de convaincre les Européens
Son adoption serait pour Emmanuel Macron un signal fort avant les élections européennes

bruxelles - bureau européen
rhofstadt, avec celui des sociaux-
démocrates, Udo Bullmann, ras-
les Pays-Bas se sont ralliés du bout
des lèvres après la suggestion de
Quant à l’Irlande, qui a en partie
bâti son modèle économique sur
L es cours de la Bourse peuvent-ils faire flancher la décision
d’un tribunal ? Les Espagnols ont dû se poser la question
après le vaudeville judiciaire des derniers jours. Jeudi
18 octobre, la salle de contentieux administratif de la Cour su-
prême a rendu un verdict qui a provoqué un petit séisme finan-
cier. Dans le cadre d’un achat immobilier, le tribunal a conclu

D écrocher avant la fin de

l’année un accord à
Bruxelles à propos de la
taxe GAFA (sur les géants du Net,
Google, Apple, Facebook et Ama-
semblement avec des poids lourds
du parti conservateur, les Alle-
mands Manfred Weber et Elmar
Brok… L’idée d’un nouvel impôt
sur l’activité des géants du Web est
M. Le Maire que cette taxe ne soit
que temporaire.
Censée porter sur une fraction
du chiffre d’affaires des GAFA, elle
aurait vocation à être remplacée
une fiscalité attractive pour les
géants du Net, elle maintient son
veto, alors que tout nouvel impôt
européen nécessite que le feu vert
soit donné à l’unanimité. « On ne
que c’est à la banque, et non au client, de s’acquitter de la taxe sur
les documents juridiques lors de la signature devant notaire
d’un prêt immobilier. Jusque-là, la coutume voulait que le client
paye entre 0,5 % et 1,5 % du montant du prêt, selon la région.
Coût estimé pour le secteur : plus de 4 milliards d’euros, selon
zon) relève désormais du pari. plutôt populaire en France, mais par un impôt défini au niveau ferait pas tout cela si on ne pensait les estimations de l’agence de notation Moodys. Le montant to-
Pourtant Bruno Le Maire ne rac- nettement moins dans les pays du mondial, dès que l’Organisation pas qu’un accord est possible, assu- tal dépendant de l’ampleur des réclamations et de la possible ré-
croche pas. Mardi 23 octobre, le Nord de l’Union. de coopération et de développe- rait-on à Bercy, lundi 22 octobre. troactivité de la décision. Aussitôt, les
ministre des finances français de- ment économiques (OCDE) aura Par rapport à d’autres négociations cours des banques espagnoles ont
vait se rendre au Parlement de Unanimité requise achevé ses travaux. Mais la Suède, fiscales, celle-ci va très vite. » LA COUR SUPRÊME chuté, de 6,7 % pour la Banque Saba-
Strasbourg pour « mobiliser et L’opération de communication fe- le Danemark et, surtout, l’Allema- De fait, quand il s’agit de nou- dell, 6,3 % pour Bankinter, 5,1 % pour
sensibiliser » les eurodéputés, et ra-t-elle changer les équilibres gne tergiversent. Dans le Welt am veaux impôts, les Européens met- EST REVENUE SUR SA Bankia, 4,5 % pour CaixaBank… Près
utiliser l’hémicycle européen
comme « caisse de résonance »,
européens ? Ils semblent figés de-
puis la fin de l’été, une vingtaine
Sontag, dimanche 21 octobre, Olaf
Scholz, son ministre des finances,
tent plutôt des années à s’enten-
dre et les projets mort-nés ne sont
DÉCISION QUI AVAIT de 6 milliards d’euros de capitalisa-
tion boursière sont partis en fumée.
précise-t-on à Bercy. d’Etats membres (sur 28) ayant a plaidé en faveur « d’un taux d’im- pas rares, comme la taxe carbone FAIT CHUTER LE Le lendemain, du fait de « l’énorme
Audition devant la commission d’ores et déjà répondu favorable- position minimum valable dans le aux frontières et celle sur les tran- répercussion économique et sociale »
ECON, spécialiste des questions ment à la proposition française monde entier et auquel aucun Etat sactions financières. COURS DES BANQUES du « changement radical de jurispru-
économiques, rencontre avec le soutenue par la commission Junc- ne puisse se soustraire ». Mais Emmanuel Macron, qui dence », le président de la salle, Luis
chef de file des libéraux Guy Ve- ker. Les Baltes, le Luxembourg et Le social-démocrate soutient les avait réclamé cette taxe GAFA en Diez-Picaso, a donc annoncé la suspension de l’application du
travaux de l’OCDE sans pour septembre 2017, veut un signal po- verdict, afin que le tribunal réuni en assemblée plénière la réexa-
autant envoyer ce signal franc en litique fort avant le début de la mine. Résultat : les cours ont remonté… tout comme la polémi-
Nick Clegg rejoint Facebook faveur de la solution européenne campagne pour les élections euro- que. Lundi 22 octobre, l’association progressiste Juges pour la dé-
qu’espérait Paris. Au cœur des pré- péennes : une mesure concrète, mocratie a demandé la démission de M. Diez-Picaso dans un
L’ancien vice-premier ministre du Royaume-Uni dans le gouver- occupations allemandes : le fait qui parle à tout le monde et ré- communiqué critiquant le « désarroi des citoyens » et mettant en
nement de coalition dirigé par le conservateur David Cameron que l’impôt, en visant les revenus ponde à une demande de justice doute « l’impartialité et de l’indépendance des juges ».
entre 2010 et 2015, Nick Clegg, a annoncé vendredi 19 octobre plutôt que les profits des GAFA, ne fiscale. Décrocher un accord à Finalement, lundi 22 octobre, le président du tribunal su-
qu’il rejoignait Facebook pour l’aider à réparer son image crée un dangereux précédent, en Bruxelles apporterait aussi la prême, Carlos Lesmes, a annoncé que la plénière, composée de
écornée par des scandales. Ancien dirigeant du Parti libéral-dé- redirigeant les recettes fiscales des preuve qu’il est capable d’y faire 31 magistrats, décidera le 5 novembre quel doit être le critère à
mocrate, M. Clegg a fait cette annonce surprise sur son compte lieux de production aux lieux de bouger les lignes, même si l’impôt suivre. Ils ne remettront pas en cause le fond du verdict : l’article
Facebook, sans préciser quelles fonctions exactes il occupera consommation. Berlin redoute ne rapporterait que des sommes du règlement de la taxe, qui établissait, de manière générale, que
en Californie, où il va s’installer. L’agence de presse britannique aussi qu’à trop viser les groupes symboliques (5 milliards d’euros « le prestataire est le sujet passif de l’impôt », est jugé contraire à la
Press Association a affirmé pour sa part qu’il prendrait dès lundi américains, Bruxelles et Paris ré- au niveau européen, 500 millions loi et sera annulé. Mais ils devront déterminer si cette sentence
22 octobre la tête du service de communication de Facebook, veillent la guerre commerciale la- tout au plus pour la France). p implique que la banque doive la payer. p
confirmant une information du Financial Times. tente entre Trump et l’Europe. c. du. sandrine morel (madrid, correspondance)
4 | économie & entreprise 0123
MERCREDI 24 OCTOBRE 2018

8 MILLIARDS Pascal Lamy appelle à une

C’est, en euros, les pertes en exportations de biens que risque
d’encaisser l’Allemagne, en 2019, dans le scénario d’un Brexit sans
signature d’un nouvel accord de libre-échange entre le Royaume-Uni
et l’Union européenne, selon une étude de l’assureur-crédit Coface
extraterritorialité européenne
publiée mardi 23 octobre. Derrière l’Allemagne, grande perdante
d’un « no deal », les exportateurs des Pays-Bas (– 4 milliards d’euros),
Le président émérite de l’Institut Jacques-Delors et quatre experts
de la Belgique (– 3 milliards) et de la France (– 3 milliards) seraient
aussi exposés à des pertes conséquentes.
veulent donner des moyens d’action à l’Europe face aux Etats-Unis

AGR OC HI MI E ser les populations », a précisé new york - correspondant soupçonné de corruption au Ka- tre les banques américaines sous
Procès Monsanto : M. Pouyanné dans un com- Après le retrait zakhstan, par le biais de la Securi- pression en les soumettant à un

la justice veut réduire muniqué. Les PDG d’une
les dommages-intérêts vingtaine de sociétés interna-
Un tribunal californien a re- tionales ont renoncé à faire le
jeté lundi 22 octobre l’appel déplacement, dont le patron
de Monsanto, filiale de Bayer, d’EDF, Jean-Bernard Lévy.
qui demandait un nouveau
procès, après avoir été con- Fessenheim :
damné à verser 289 millions les réacteurs devront
de dollars (253 millions s’arrêter en 2020 et 2022
d’euros) au jardinier Dewayne Les deux réacteurs de la cen-
Johnson, qui accuse le Roun- trale nucléaire de Fessenheim
dup, son herbicide à base de (Haut-Rhin) devront cesser de
glyphosate, d’être la cause de fonctionner au plus tard res-
son cancer, mais cette somme pectivement en 2020 et 2022,
devrait être revue à la baisse. a précisé lundi 22 octobre
La juge Suzanne Bolanos a in- l’Autorité de sûreté nucléaire.
diqué qu’elle allait réduire les Ce calendrier a été fourni par
dommages-intérêts à 39 mil- EDF. Les présidents François
lions de dollars, si M. Johnson Hollande puis Emmanuel
était d’accord. – (Reuters.) Macron s’étaient engagés à
fermer la doyenne des centra-
EN ER GI E les françaises. – (AFP.)
Le PDG de Total
participe au forum D ÉF EN SE
économique saoudien La Belgique choisit
Le PDG de Total, Patrick Pou- le F-35 de Lockheed
yanné, a confirmé sa partici- pour remplacer ses F-16
pation au forum internatio- La Belgique a préféré l’avion
nal sur l’investissement de combat F-35 de l’américain
s’ouvrant à Riyad mardi Lockheed Martin au Typhoon
23 octobre, en dépit du scan- d’Eurofighter et au Rafale de
dale causé par le meurtre du Dassault pour remplacer ses
journaliste saoudien Jamal F-16, rapporte lundi 22 octo-
Khashoggi. « Les politiques de bre l’agence de presse Belga.
boycott et de retrait de l’inves- Ce marché porte sur 34 appa-
tissement ne font que pénali- reils. – (Reuters.)
LE SALON DES GRANDES ÉCOLES
10 & 11 NOVEMBRE 2018
10h - 18h
ENTRÉE GRATUITE
B décidé par
ien entendu, nous ne fe-
rons rien. » Les plus an-
ciens se souviennent du
commentaire de Claude
Cheysson, ministre des affaires
étrangères de François Mit-
terrand, lâché en décembre 1981
lors du putsch du général Jaru-
zelski en Pologne. Bis repetita,
mais avec les Américains, cette
fois-ci. A l’approche du 4 novem-
bre et de l’annonce par les Améri-
cains de nouvelles sanctions ex-
traterritoriales, après le retrait dé-
cidé par Donald Trump de l’ac-
cord nucléaire avec l’Iran, les
Européens ont juré de réagir…
mais ne font rien de concret, si ce
n’est se soumettre à la décision
américaine.
Pascal Lamy, président émérite
de l’Institut Jacques Delors, a
planché (avec la banquière Marie-
Hélène Bérard, le juriste Farid
Fata, l’ancien président de Re-
nault Louis Schweitzer et le spé-
cialiste de l’Europe Pierre Vi-
mont) sur une possible riposte à
l’extraterritorialité américaine.
Extraterritorial ? A l’heure où les
Européens sanctionnent Google
et forcent Apple à payer 12 mil-
liards d’euros d’impôt à l’Irlande,
le sentiment outre-Atlantique est
que les Européens sont, eux aussi,
largement extraterritoriaux.
Donald Trump de
l’accord nucléaire
avec l’Iran, les
Européens ont
juré de réagir…
mais ne font rien
de concret
Nenni, prétendent les auteurs,
qui assurent que ces décisions
sont prises parce qu’elles affec-
tent la concurrence en Europe.
Même l’interdiction en 2001 de la
fusion mémorable de deux en-
treprises américaines, General
Electric et Honeywell, pourtant
autorisée aux Etats-Unis, n’aurait
été décidée que parce qu’elle af-
fectait la concurrence sur le terri-
toire de l’Union.
La seule riposte de l’Europe a
consisté à adopter en 1996 un rè-
glement dit de blocage, qui inter-
dit aux sociétés européennes de
se soumettre à un embargo amé-
ricain et les autorise à demander
justice en cas de sanction. L’Eu-
rope se prétend fondée sur le
droit, mais ce dispositif est inopé-
rant : elle n’a sanctionné aucune
entreprise qui aurait respecté un
embargo américain, aucune en-
treprise n’a obtenu la saisie de
biens américains en dédomma-
gement de son préjudice.
Bref, les Européens sont nus,
alors que les Américains ont mis
en place une machine de guerre
cohérente. Ils disposent de deux
moyens d’action : ceux qui résul-
tent de l’application du Foreign
Corrupt Practices Act, qui a per-
mis de sanctionner Siemens
en 2008 et récemment Sanofi
ties and Exchange Commission
(SEC) ; ceux liés à un embargo
américain unilatéral, qui ont con-
duit à la sanction de BNP Paribas
et de Deutsche Bank. Les fonde-
ments juridiques sont la lutte
contre la corruption, les régle-
mentations américaines (fiscales,
comptables, blanchiment, etc.) et
la « sécurité nationale », concept
fourre-tout et évolutif qui permet
d’agir à sa guise.
Bref, les Européens sont dému-
nis dans une crise que les auteurs
comparent à l’expédition de Suez,
qui marqua un pic de tensions en-
tre les Anglo-Français et les Amé-
ricains. Deux pistes. Y aller sabre
au clair, comme à Suez. Ou plus
sournoisement.
Supériorité du dollar
La première piste consisterait à
franchir le Rubicon et à instaurer
une extraterritorialité à l’euro-
péenne. Comme les Américains,
les Européens prendraient une
posture morale pour défendre
leur unilatéralisme, qui s’appli-
querait au respect de l’environne-
ment, à la lutte contre la corrup-
tion et à l’évasion fiscale, ainsi
qu’à la protection des données
personnelles. Pour mettre en
œuvre cette extraterritorialité,
l’Europe devrait créer un Office
européen de contrôle des actifs
étrangers, calqué sur le modèle
américain de l’Office of Foreign
Assets Control. Elle aurait sa liste
de personnes sanctionnées et
élargirait la tâche de l’Office euro-
péen de lutte antifraude à la cor-
ruption. Programme à mettre en
œuvre à 27 ou à quelques-uns
dans le cadre d’une coopération
renforcée.
Faute d’y parvenir, la piste de
repli consisterait à renforcer les
dispositifs actuels. D’abord, met-
nouvel agrément. La piste fait un
brin sourire lorsqu’on voit la
danse du ventre que font Paris et
Francfort pour attirer les ban-
quiers de la City dans la foulée
du Brexit.
Second outil, sans doute plus
réaliste, instituer réellement un
dispositif européen qui permette
aux entreprises de réaliser des
transactions sans passer par le
dollar. La banque européenne
d’investissement (BEI) n’ayant
pas choisi de jouer le rôle de fi-
nanceur d’opérations avec l’Iran,
il faudrait créer un véhicule ad
hoc. S’y ajoutent toute une série
de renforcements des règles
européennes de la concurrence,
l’application plus stricte des obli-
gations vis-à-vis de l’Organisa-
tion mondiale du commerce
(OMC), particulièrement délicate
à une période où l’administra-
tion Trump se refuse de facto à
accepter la supranationalité des
décisions de cette institution
multilatérale en bloquant la no-
mination des juges dans ses pa-
nels arbitraux.
Il n’empêche, les Européens
sont durablement faibles, et en-
core plus avec le Brexit face aux
Américains. Ils subissent la supé-
riorité du dollar, seule monnaie
de réserve, voire de facturation,
que l’euro est loin de supplanter.
Et ils sont pour l’instant passifs,
alors que l’Amérique de Donald
Trump a pris vis-à-vis de la Chine
non plus une stratégie de « con-
tainment » (endiguement), mais
de « push back » (reconquête).
« Peut-être serait-il sage de prendre
les décisions qu’implique l’affaire
iranienne en envisageant un con-
texte d’une tout autre dimension
économique et politique », conclut
l’Institut Jacques Delors. p
arnaud leparmentier

PRISES DE PAROLE
Gaz industriels : Linde détrône
SAMEDI 10 NOVEMBRE 2018

SALLE DE CONFÉRENCE GALERIE D’ACTUALITÉS - RDC son rival français Air liquide
10 h 15 Evaluer son niveau d’anglais : 14 h 15 Intégrer une Grande Ecole d’Ingénieurs
l’importance des tests TOEIC et TOEFL après le Bac : Bien choisir… et bien candidater Le champion allemand est sur le point de fusionner avec l’américain
pour valoriser ses compétences, sur Parcoursup, animée par le Concours Avenir
animée par ETS GLOBAL
15 h 15 Accédez aux Grandes Ecoles de
Praxair pour devenir le nouveau numéro un mondial
11 h 15 Les ingénieurs au cœur des enjeux Management en admissions parallèles,
de demain, animée par le Concours Advance animée par le Concours Passerelle

C
12 h 15 Ingénieurs de demain : 16 h 15 Écoles Mines, Télécom ou IMT ?
Pourquoi ? Comment ? Laquelle choisir ?
ette fois, c’est certain : Air
animée par le Concours Mines Telecom animée par l’Institut Mines Telecom Liquide va perdre sa cou-
ronne de numéro un
13 h 15 Bachelor ou Programme Grande École,
comment choisir son école de commerce, mondial des gaz industriels.
animée par Ipag Business School Après deux ans de tractations dif-
ficiles, puis une année de négo-
ciations avec les autorités char-
gées de la concurrence, les deux
DIMANCHE 11 NOVEMBRE 2018 principaux rivaux du champion
français, l’allemand Linde et
SALLE DE CONFÉRENCE GALERIE D’ACTUALITÉS - RDC l’américain Praxair, sont sur le
point de fusionner. L’autorité
11 h 15 Intégrez un Bachelor en Grande École 14 h 15 Les nouveaux métiers du business américaine, la Federal Trade Com-
de Management après le Bac, et du management. Comment s’y préparer ?,
animée par le Concours Atout +3 animée par l’ISG
mission (FTC), a donné, lundi
22 octobre, le dernier feu vert at-
12 h 15 Accéder à 42 programmes de Grandes Ecoles 15 h 15 Groupe INSA : Intégrer une Grande École
d’Ingénieurs post-bac en 1 seul vœu Parcoursup, d’Ingénieur au niveau bac, bac+1 ou bac+2,
tendu. Les actions Linde AG cesse-
animée par le Concours Puissance Alpha animée par INSA GROUPE ront d’être cotées le 26 octobre,
celles de Praxair, le 30 octobre. Les
13 h 15 Prise de parole animée par UniLaSalle
titres du nouvel ensemble, Linde
PLC, s’échangeront, fin octobre, à
Francfort et à New York.
ET AUSSI UN ESPACE DÉDIÉ À :
C’est un géant qui va naître d’em-
blée. Sur le papier, le duo Linde-
• DES SÉANCES DE COACHING PERSONNALISÉES Praxair compte 80 000 salariés, et
• DES CONFÉRENCES ANIMÉES PAR DES JOURNALISTES DU MONDE affiche, pour 2017, un chiffre d’af-
faires de 27 milliards de dollars,
soit près de 24 milliards d’euros. A
comparer à 20 milliards d’euros
pour Air Liquide. En Bourse, sur-
PLUS D’INFORMATIONS SUR : SALON-GRANDES-ECOLES.COM tout, l’écart entre les deux groupes
LES DOCKS - CITÉ DE LA MODE ET DU DESIGN devient majeur : ensemble, Linde
34, QUAI D’AUSTERLITZ - PARIS et Praxair valent 77,2 milliards
d’euros, contre 45,5 milliards pour
leur rival français.
Wolfgang Reitzle, président de
Linde et figure du capitalisme
rhénan, se montre enthousiaste :
cette fusion constitue « une op-
portunité sans précédent pour les
clients, les actionnaires et les em-
ployés ». En combinant l’« avance
technologique » de Linde et l’« ex-
cellence opérationnelle » de
Praxair, le nouveau champion
peut espérer dominer durable-
ment le marché des gaz vendus
aux usines et aux hôpitaux,
comme l’oxygène, l’azote, l’hé-
lium ou l’hydrogène.
Une fusion complexe
La réalisation concrète de la fusion
s’annonce cependant complexe.
Pour éviter que le nouveau groupe
écrase la concurrence au détri-
ment des consommateurs, Linde
et Praxair ont en effet accepté de se
défaire de pans entiers de leurs ac-
tivités. En Europe, l’ensemble des
usines de Praxair ont été cédées
pour 5 milliards d’euros au japo-
nais Taiyo Nippon Sanso, qui de-
vient ainsi un opérateur non né-
gligeable sur le Vieux Continent.
Aux Etats-Unis, la FTC a exigé la
vente d’actifs supplémentaires
dans neuf segments de marché
d’ici au 29 janvier 2019. Les usines
de Linde à Clear Lake et La Porte,
au Texas, vont ainsi passer respec-
tivement chez Celanese et Lyon-
dellBasell. Plusieurs dizaines
d’autres sites seront repris par un
consortium mené par l’industriel
allemand Messer allié au fonds
CVC Capital Partners.
Du fait de ces concessions, les di-
rigeants visent des économies
d’échelle limitées : entre 1,1 mil-
liard et 1,2 milliard de dollars d’ici
trois ans. « Surtout, le nouveau
groupe risque, au départ, d’avoir un
peu de mal à travailler, à décider de
façon efficace », dit un concurrent.
Il ne s’agit en effet pas d’une ac-
quisition simple dans laquelle les
Allemands ou les Américains
pourraient imposer leurs vues,
mais d’une « fusion entre égaux »,
reposant sur des équilibres déli-
cats. Si le groupe garde le nom al-
lemand de Linde, il aura son siège
fiscal en Irlande et sera dirigé de-
puis les Etats-Unis par le patron
de Praxair, Steve Angel. Les équi-
pes centrales seront réparties en-
tre Londres, Munich et Danbury,
dans le Connecticut. Quant au
conseil et au comité exécutif, ils
seront partagés à égalité entre ex-
Linde et ex-Praxair. p
denis cosnard

0123
MERCREDI 24 OCTOBRE 2018
Alliance contrariée entre Naval Group et Fincantieri
Dans le secteur de la défense navale, le scénario d’une union entre le français et l’italien prend l’eau
L’
emplacement a valeur
de symbole. Pour la
première fois, le fran-
çais Naval Group (ex-
DCNS) aura pour voisin l’italien
Fincantieri au salon Euronaval
qui se tient, tous les deux ans, au
parc des expositions du Bourget,
près de Paris. Une manière de rap-
peler leur volonté de s’allier dans
le domaine militaire aux profes-
sionnels qui, de mardi 23 à ven-
dredi 26 octobre, arpenteront les
allées du plus grand Salon mon-
dial naval de défense. Et ce malgré
les vents contraires qui soufflent
de part et d’autre des Alpes.
Depuis plus de vingt ans, les
Européens parlent de créer un
« Airbus des mers » pour faire face
à la concurrence. En vain. Eclatés
entre une dizaine d’acteurs, le
plus important étant le français
Naval Group, aujourd’hui 6e mon-
dial, ces chantiers doivent faire
face à quatre grands groupes
américains, et surtout à la mon-
tée en puissance des Chinois et
des Russes.
Or, jusqu’à présent, tous les pro-
jets de rapprochement ont ca-
poté, pour de multiples raisons,
économiques, stratégiques, mais
aussi diplomatiques, et les grou-
pes continuent de s’affronter sur
les grands appels d’offres. Ainsi,
au fil des décennies, le partenaire
LES CHIFFRES
45 MILLIARDS
Tel est en euros, le chiffre
d’affaires dans le monde de
l’industrie navale de défense.
Ce marché est en croissance.
Les sous-marins constituent le
tiers du carnet de commandes
mondial en plates-formes
navales militaires.
9,5 MILLIARDS
C’est, en euros, l’activité
annuelle de la filière en France,
qui représente 42 000 emplois
directs. Il devrait dépasser les
12 milliards en 2020.
3,7 MILLIARDS
En euros, c’est le chiffre
d’affaires de Naval Group
en 2017, dont 35 % à l’interna-
tional. Il compte 13 429 salariés
répartis sur dix sites en France
et dans dix-huit pays.
La holding de Casino vend Courir pour 283 millions d’euros
Rallye, actionnaire de contrôle de Groupe Go Sport, va céder la chaîne de magasins de chaussures de sport au fonds Equistone
G roupe Go Sport se sépare
de sa pépite. Rallye, hol-
ding financière de Jean-
Charles Naouri, qui détient Ca-
sino, a annoncé, lundi 22 octobre,
avoir reçu une offre ferme du
fonds d’investissement Equis-
tone Partners Europe pour acqué-
rir 100 % du capital de l’enseigne
Courir. La signature de cette ces-
sion devrait intervenir au pre-
mier semestre 2019, après consul-
tation des instances représentati-
ves du personnel de l’enseigne
aux 264 magasins.
La vente de Courir, enseigne
fondée en 1980, n’est pas une sur-
prise. Rallye, actionnaire de con-
trôle du groupe, n’a jamais caché
combien Go Sport et Courir, éter-
nels challengers de Decathlon et
d’Intersport, ne faisaient plus
partie de ses priorités.
Fin 2014, Groupe Go Sport a été
retiré de la cote, à la suite d’une
OPA simplifiée menée par sa mai-
son mère Rallye. Et, en juin 2018,
stratégique de la France aurait pu
être espagnol avec Navantia, puis
allemand avec TKMS, et
aujourd’hui, italien avec Fincan-
tieri. Cette fois encore, les obsta-
cles sont nombreux face à une al-
liance qui se voulait au départ ca-
pitalistique, avec une participa-
tion croisée, et industrielle, avec la
création d’une société commune.
Nom de code : « Poséidon »
Depuis l’annonce de ce rappro-
chement, à l’été 2017, le dossier au
nom de code « Poséidon » patine.
Désormais, les patrons de Naval
Group et de Fincantieri, Hervé
Guillou et Giuseppe Bono, sem-
blent être les seuls à défendre
leur projet.
Et pour cause, la question d’une
participation croisée entre les
deux groupes de 5 % à 10 % est
abandonnée. Dès le départ, Tha-
les, actionnaire de Naval Group à
hauteur de 35 % aux côtés de l’Etat
majoritaire (62,5 %), s’est montré
réticent devant un accord qui
ouvrirait les marchés à son con-
current l’italien Leonardo, allié de
Fincantieri, pour fournir les ra-
dars et les sonars des futurs navi-
res franco-italiens.
« Nous sommes davantage
qu’un actionnaire puisque nous
avons apporté, en 2007, nos systè-
mes de combat en échange d’une
montée dans le capital du cons-
tructeur naval, afin de partager
notre destin. Quand on fait la fré-
gate FTI avec Naval Group, c’est
comme pour le Rafale avec Das-
sault, c’est une alliance à la vie, à la
mort », prévenait au mois de mai
Patrice Caine, le PDG de Thales. Il
menaçait même de reprendre
cette activité systèmes de combat
en cas de participation croisée.
Initialement sans préjugé défa-
vorable, l’Etat s’est rallié en juillet
à la position du groupe d’électro-
nique de défense et depuis ne
montre aucun allant dans ce pro-
jet. Une manière de s’y opposer.
De plus, les relations diplomati-
ques entre la France et l’Italie, ex-
trêmement tendues depuis l’arri-
vée au pouvoir de la coalition po-
puliste à Rome, virent à l’affronte-
ment dans la perspective des
élections européennes, principa-
lement sur la question des réfu-
giés. Difficile, dans ce contexte,
d’envisager une alliance dans le
militaire.
Malgré tout, les deux groupes
ont remis, mi-juillet, leur feuille
de route industrielle à leurs ac-
tionnaires respectifs. Les quatre
axes principaux sont la remise
la presse avait déjà évoqué ce pro-
jet de cession partielle. « A l’épo-
que, le marché espérait un mon-
tant de cession de Courir compris
entre 300 et 400 millions d’euros »,
rapporte Alain Lopez, analyste
crédit chez Octo Finances. Le
montant final est légèrement in-
férieur à cette fourchette. Courir
sera vendu pour 283 millions
d’euros, une valeur d’entreprise
jugée « suffisante », fait valoir un
proche du groupe Rallye, au re-
gard des « 330 millions d’euros de
volume d’activité de Courir in-
cluant les revenus des franchises,
son chiffre d’affaires réalisé en li-
gne et en magasins ».
La holding financière profite
d’une fenêtre de tir jugée idoine.
En France, alors que le marché de
la mode enregistre une crise sans
précédent, les ventes de chaussu-
res de sport se portent toujours à
merveille. Les hommes en raffo-
lent. Ils les préfèrent aux chaussu-
res de ville. Résultat : entre 2013 et
Une frégate multimission (Fremm) en construction aux chantiers Naval Group de Lorient, en mars. LOIC VENANCE/AFP
d’offres communes, l’accent mis
sur la recherche et développe-
ment en spécialisant chaque cen-
tre, l’achat commun d’équipe-
ments et le partage de méthodes
industrielles.
Hervé Guillou et Giuseppe Bono
souhaitent maintenant jeter les
bases de leur société commune.
Elle aurait dans sa corbeille la
construction de quatre pétroliers
ravitailleurs destinés à la marine
nationale ou la modernisation
des frégates Horizon. En revan-
che, il n’y aura pas de grands pro-
jets fédérateurs, puisque la France
développe ses futures frégates FTI
et les Italiens leurs navires de
combat PPA.
L’alliance semble donc se ré-
duire à minima. « En dépit de tout
ce qu’on entend, le projet n’est pas
mort », conteste Hervé Guillou. Et
le fait que Fincantieri vienne de
resserrer encore plus ses liens
avec Leonardo n’est pas considéré
comme un obstacle. Au contraire.
« Nous le souhaitions, car cela réé-
quilibre notre projet. Fincantieri
était un coquier et n’avait pas de
système de combat comme nous. »
Le patron de Naval Group sou-
Rallye a pour
principal actif
les 51,4 % du
capital de Casino.
Son endettement
atteignait
2,867 milliards
d’euros à fin
décembre 2017
2017, les ventes de baskets mascu-
lines ont progressé de 5,3 % par an
en moyenne, selon la Fédération
française de la chaussure. Les jeu-
nes femmes en ont aussi fait leur
péché mignon. Les modèles fémi-
nins et masculins ont enregistré,
en 2017, une progression de l’or-
dre de 4 %.
Manifestement, Rallye est par-
venu à bien vendre cette ensei-
tient ainsi son confrère italien
Giuseppe Bono, pour lequel ce
rééquilibrage va « faciliter la coo-
pération entre les deux groupes ».
Un point de vue loin d’être par-
tagé par les actionnaires français,
pour qui, au contraire, cette al-
liance italo-italienne alimente en-
core plus les réticences.
Russes et chinois très offensifs
Mais le temps presse, prévient le
patron de Naval Group. « Ne nous
retrouvons pas dans la situation
de la filière des trains à grande
vitesse, qui voilà trente ans était
développée par quatre pays en
Europe, l’Italie, l’Allemagne, la
France et l’Espagne. A force d’être
fragmentée, cette filière a vu ses
acteurs mourir ou contraints à
des alliances. » Autant anticiper
et profiter d’un marché en crois-
sance pour nouer des alliances,
prévient M. Guillou. D’autant
que, comme pour le train à
grande vitesse, de nouveaux ac-
teurs sont en train de modifier en
profondeur le paysage.
Le chinois CSCC devrait franchir
le seuil des 10 milliards d’euros de
chiffre d’affaires cette année, et ra-
gne. Le produit de cette cession
sera d’abord adressé à Go Sport.
Le groupe devrait alors réduire
son endettement qui, à la faveur
de différentes lignes de crédit, at-
teignait 165 millions d’euros à fin
décembre 2017, assure un proche
du distributeur.
« Un sauve-qui-peut »
Le solde pourrait tomber dans les
poches de sa maison mère. Toute-
fois, cette cession ne devrait
guère résoudre le problème d’en-
dettement de Rallye. Loin s’en
faut. « Cette cession est accessoire
au regard du montant de l’endet-
tement du groupe Rallye. Ce n’est
qu’un sauve-qui-peut », juge M.
Lopez. La holding a pour principal
actif les 56,7 millions de titres du
groupe de distribution Casino
(soit 51,4 % du capital de Casino).
Mais son endettement est colos-
sal : il atteignait 2,867 milliards
d’euros à fin décembre 2017. Et à la
faveur des fluctuations du titre
économie & entreprise | 5
« Seuls, nous ne
pourrons pas
répondre à toutes
les offres qui
seront lancées
dans les dix ans
à venir »
HERVÉ GUILLOU
PDG de Naval Group
vir la première place à l’américain
General Dynamics, un acteur his-
torique qui domine la construc-
tion navale avec ses 8 milliards de
dollars (7 milliards d’euros) d’acti-
vités. Le Russe OSK devrait grim-
per de la cinquième à la deuxième
place du palmarès en 2020. Tous
deux sont très offensifs à l’export,
Pékin en particulier qui, en trois
ans, après avoir constitué l’équiva-
lent de la flotte militaire française,
fabrique une frégate par mois et
un sous-marin tous les trimestres.
Les Européens se retrouvent
loin derrière, pesant 3,7 milliards
d’euros pour Naval Group, 1,9 mil-
Casino en Bourse, notamment
cet été, cette dette pèse lourd au
regard des actifs Rallye.
En août 2018, l’action Casino a
touché son plus bas depuis plus
de vingt ans, à 25,37 euros. Depuis,
à la faveur de discussions avor-
tées d’un éventuel rapproche-
ment avec le groupe Carrefour, la
valorisation boursière de Casino
s’est redressée. Le titre se négocie
désormais plus de 40 euros. Tou-
tefois, sa fragilité entrave sa mai-
son mère. « En mars 2019, Rallye
devra honorer une échéance obli-
gataire de 300 millions d’euros.
Mais la holding n’a plus accès au
marché obligataire, compte tenu
de l’évolution très volatile du cours
de Bourse du titre Casino. D’autant
qu’elle vient de tirer sur des lignes
de crédit pour rembourser deux
obligations de 375 et 300 millions,
en octobre », décode M. Lopez.
Le 16 septembre, quelques jours
avant ces échéances, le groupe
avait annoncé avoir « renforcé son
liard pour l’allemand TKMS et
1,3 milliard pour Fincantieri.
« Seuls, nous sommes trop petits,
et nous ne pourrons pas répondre
à toutes les offres qui vont être lan-
cées dans les dix ans à venir », aver-
tit Hervé Guillou, estimant à une
centaine les projets de comman-
des de navires de guerre ou de
sous-marins de par le monde,
pour un montant global de
200 milliards d’euros. « A deux, ce
sera plus facile. »
Mais cette intention ne suffira
pas à concrétiser l’alliance fran-
co-italienne, pas plus que l’em-
placement choisi au salon Euro-
naval. Pour installer Fincantieri
au côté de Naval Group, il a fallu
demander à MBDA de laisser sa
place. Le missilier issu d’une fu-
sion de sociétés française, britan-
nique et italienne est l’un des
seuls regroupements réussis
dans la défense européenne, avec
la création d’Airbus. Au moment
de sa constitution surgissait
l’idée d’un rapprochement analo-
gue dans le naval. Ce serpent de
mer, depuis, n’a cessé de revenir
pour mieux disparaître. p
dominique gallois
dispositif de liquidités avec la si-
gnature de 500 millions d’euros de
lignes de crédit à échéance
en 2020 ». Comment Rallye régle-
ra-t-il ces 300 millions d’euros du
printemps 2019 ? Le groupe dit ne
pas avoir de « précisions à donner
sur la manière dont il honorera ces
échéances ». D’ici là, Jean-Charles
Naouri espère avoir relancé le ti-
tre Casino, notamment en dé-
montrant avoir bien avancé dans
son plan de cession de 1,5 milliard
d’euros annoncé en juin 2018.
Le 18 octobre, lors de la publica-
tion de son chiffre d’affaires tri-
mestriel, le groupe avait même
assuré pouvoir dépasser ce mon-
tant de cession censé réduire l’en-
dettement net du groupe de dis-
tribution. En 2017, malgré la ces-
sion d’actifs asiatiques signés
en 2016, sous la pression du fonds
activiste Muddy Waters, sa dette
financière avait atteint le niveau
de 4,1 milliards d’euros. p
juliette garnier
6 | campus 0123
MERCREDI 24 OCTOBRE 2018

Le Maroc veut former ses génies du numérique

Lancée par l’Office chérifien des phosphates et Xavier Niel, l’école 1337 accueille sa première promotion

parents aient assez d’argent

REPORTAGE pour l’envoyer étudier à l’étranger.
khouribga (maroc) -
envoyée spéciale
S’il n’a ni l’un ni l’autre, il est fini »,
déplore Larbi El Hilali, directeur

C’
est peut-être la chan- de 1337 et ombudsman (« média-
ce de sa vie. Mehdi, teur ») à l’OCP.
22 ans, n’a pas l’in- Une grande partie des candidats
tention de la laisser sont en marge de la société, désco-
passer. « Au Maroc, ceux qui ont des larisés, ou travaillent dans le sec-
parents pauvres ont très peu de teur informel. « Ils s’autoforment
chances de réussir. Si je suis admis dans le domaine de l’informatique
dans cette école, je pourrai dévelop- et, souvent, ils sont talentueux,
per une idée aussi révolutionnaire mais ils n’ont pas de perspectives,
que Facebook ou WhatsApp. Et je poursuit M. El Hilali. Nous sommes
deviendrai milliardaire ! » En atten- allés chercher les jeunes talents
dant cette fortune rêvée, le jeune dans les patelins à travers le pays
homme a vendu les biens qu’il pour en faire les génies de demain. »
possède – un téléphone portable
et quelques gadgets informati- Un futur incubateur de start-up
ques – pour faire le chemin de Na- Approchée par l’OCP fin 2017,
dor, dans le nord-est du royaume, l’école 42, qui cherche à s’exporter
jusqu’à la cité minière de Khouri- et a ouvert un deuxième campus
bga, à 600 km de là. en Californie, a donné son aval
Au milieu des mines de phos- pour se joindre au projet en jan-
phate, un bâtiment neuf abrite son vier. « Il n’y a aucune différence en-
rêve : 1337 – prononcez : « treize tre un élève de Khouribga ou de la
trente-sept » –, référence à un sys- Silicon Valley », assure le directeur.
tème d’écriture, le « leet speak », Pour le géant des phosphates, qui
utilisant des caractères alphanu- se dit investi « d’une responsabilité
mériques. C’est la première école sociétale », l’objectif est clair : le
de code gratuite et sans prérequis Maroc forme des ingénieurs mais
de diplôme du pays. Fruit d’un par- manque de codeurs et « ça freine
tenariat pédagogique avec l’école l’implantation de certaines entre-
42, un établissement de formation prises », affirme M. El Hilali. Les
en informatique cofondé en 2013 à « petits génies » qui sortiront du
Paris par Xavier Niel, le patron du lot – « environ 30 % des diplômés » –
groupe de télécoms Free (et action- JULES LE BARAZER/TALKIE WALKIE seront soutenus par l’OCP pour
naire à titre personnel du Monde), créer leur entreprise.
elle est financée par l’Office chéri- Autour de l’école, déjà, des
fien des phosphates (OCP), pre- cipe de « peer to peer education », claquettes, on s’en fiche », lance la pas parce qu’on ne maîtrise pas le grues s’activent pour la construc-
mière entreprise du pays. une pédagogie fondée sur le par-
« Pour une fois, responsable de la communication. français qu’on n’aura pas de travail, tion d’un espace de 1,5 ha, le
tage des connaissances : ni pro- on n’a pas besoin Au moment où le système édu- dit Soumiya, 20 ans, originaire de « mail central », qui servira d’in-
L’épreuve de la « piscine » fesseurs, ni manuels, ni horaires catif marocain est décrié et alors Meknès. Ce qu’on apprend ici en cubateur de start-up. « C’est
Comme les 599 autres candidats fixes – l’école ne ferme jamais. « Si
de piston pour que le chômage explose – 26,5 % quelques jours, je ne l’ai pas appris comparable à une résidence d’ar-
venus tenter leur chance pour in- un élève ne parvient pas à résou- étudier. Et ce chez les 15-24 ans –, les passionnés en deux ans à la fac. » Le débat sur tistes. Nous donnerons à ces ta-
tégrer la première promotion de dre un exercice, il doit demander à d’informatique pensent avoir l’échec de l’éducation dans le lents numériques le soutien et le
ces futurs développeurs, Mehdi son camarade, explique Mme Ber-
n’est pas parce trouvé leur eldorado. Ici, il n’y a pas royaume revient sans arrêt. « J’en temps pour développer leurs
doit affronter l’éprouvante et aty- noussi. Si les 150 ne trouvent pas, qu’on ne maîtrise de hogra, ce « mépris » auquel sont ai marre des profs absents, des exa- idées. Nous prenons le risque »,
pique épreuve de la « piscine ». alors le staff technique intervient. » confrontés nombre d’élèves peu mens retardés. J’étudie la topogra- soutient M. El Hilali. L’OCP, dont
Pendant quatre semaines de com- A Khouribga, le seul critère de sé-
pas le français argentés dans le système classi- phie à la fac d’Agadir et il n’y a le chiffre d’affaires dépasse
pétition intense, les postulants ef- lection est l’âge : il faut avoir entre qu’on n’aura pas que. L’éternelle problématique de même pas de matériel. Comment 4,4 milliards d’euros, refuse de
fectuent une véritable plongée 18 et 30 ans. Quelque 15 000 candi- l’enseignement en arabe dans les étudier sans matériel ? », s’offus- communiquer le montant de l’in-
dans l’établissement : des travaux dats ont passé un test de logique et
de travail » lycées publics puis en français que Tarik, un autre étudiant. vestissement engagé pour l’en-
de programmation informatique de mémoire en ligne pour préten- SOUMIYA dans les universités est gommée : Pour ces jeunes Marocains, inté- semble du projet. « Peu importe
sept jours sur sept, vingt-quatre dre à la « piscine ». « Ensuite, c’est 20 ans à 1337, on parle C, Python ou Ruby grer 1337, c’est la promesse d’une le chiffre, nous investissons sur
heures sur vingt-quatre. venez comme vous êtes ! En djel- – des langages informatiques. ascension sociale. « Aujourd’hui, les générations futures », avance
« Nous avons organisé deux laba, voilée, en jupe, avec des « Pour une fois, on n’a pas besoin au Maroc, avoir le bac définit toute le directeur de 1337. p
“piscines” avec 300 candidats pour dreadlocks, une casquette ou en de piston pour étudier. Et ce n’est la vie d’un enfant. A moins que ses ghalia kadiri
chacune, et il y en aura encore
d’autres au cours de l’année. Le pro-
cessus de sélection, la formation,
les méthodes pédagogiques… C’est
A Casablanca, l’appel d’air des cursus français
la même chose qu’à Paris », précise
Hind Bernoussi, responsable de la dauphine, l’essec, l’em lyon, Centrale, l’Eigsi ont françaises viennent avec les mêmes contenus, les mêmes l’EM Lyon Maroc. De jeunes Africains qui peuvent agir
communication de 1337 et collabo- toutes participé à la rentrée universitaire marocaine, programmes qu’en France… L’accréditation de la commis- dans leur pays. Le fameux format “glocal”. » Les nou-
ratrice de l’OCP. A une différence à Casablanca ou à Fès. Le savoir-faire pédagogique de sion des titres d’ingénieur valide la formation que nous veaux élèves du BBA de l’EM Lyon à Casablanca ont
près : ici, tous les repas sont offerts. grandes écoles et d’universités françaises – et leur instal- délivrons sur le sol marocain ». Oui, mais… « Mon premier ainsi commencé leur année par un voyage à Shanghaï :
« Nous ne voulons pas décourager lation sur place – est censé freiner la fuite des jeunes concurrent, c’est ma maison mère à Lyon ! », s’exclame « Dix jours de “disruption” pour comprendre le monde »,
certains élèves qui n’auraient pas cerveaux de l’Etat chérifien vers l’Europe. Mais près de Tawhid Chtioui, directeur général (dean, doyen) de la dit Tawhid Chtioui.
les moyens. Nous cherchons des ta- 40 000 d’entre eux (39 855 exactement), en 2018, ont en- filiale marocaine de l’EM Lyon, qui a inauguré à Casa- L’internationalisation des formations des écoles fran-
lents, où qu’ils se trouvent. » core traversé la Méditerranée pour étudier en France. blanca, le 13 octobre, un campus flambant neuf, en pré- çaises est un véritable atout. « Le Maroc veut être un hub
Fin août, les 300 candidats (dont C’est le plus fort contingent d’étudiants internationaux sence de Bruno Bonnell, président du conseil d’adminis- de formation au niveau du continent », rappelle M. Ben
32 filles) venus de tout le pays ont dans l’Hexagone ; ils étaient 36 000 en 2017. L’hémorra- tration du groupe EM Lyon (et député LRM). El Mostapha. Cette volonté d’irradier vers l’Afrique sub-
participé à la deuxième « piscine », gie des futures élites marocaines n’est pas suturée. saharienne autant que vers l’Europe se construit par une
la plus grande partie de leur temps En 2005, le royaume s’est pourtant engagé dans un « Garder les talents africains » maîtrise des langues et un apprentissage de la mobilité.
dans les « clusters », deux immen- vaste plan d’accélération industrielle, le plan Emer- Outre les fondamentaux techniques et pédagogiques « Nos étudiants parlent arabe, français, anglais et une
ses salles aux murs tagués où sont gence, dont l’un des objectifs était de former 15 000 in- importés de France, les étudiants africains qui suivent quatrième langue », souligne François Kiefer, de l’INSA.
disposés 300 iMac 27 pouces, co- génieurs marocains en dix ans pour répondre aux be- leur scolarité au Maroc bénéficieraient d’une « accultu- L’EM Lyon a lancé le premier MOOC consacré à l’Afrique,
dant jusqu’à quinze heures par soins d’un pays en pleine croissance. « Les écoles publi- ration » qu’ils n’auront jamais en Europe. « Ici, la forma- avec des contenus spécifiques : « 20 % des apprenants en
jour. Lorsque les cerveaux chauf- ques et privées en forment 8 000 par an. Nous sommes à tion est plus interculturelle, affirme François Kiefer, di- ligne dans le monde sont des Africains », affirme le dean.
fent, filles et garçons font une par- la moitié des objectifs », constate Youssef Ben El Mosta- recteur de l’Insa Fès. L’ingénieur sera mieux armé pour Ensuite, chaque école dispose d’un réseau d’établisse-
tie de baby-foot ou de billard dans pha, directeur de l’Eigsi Casablanca. bourlinguer. Il intéressera les entreprises par sa capacité ments partenaires et impose à ses étudiants de six à dix-
les salles de repos à l’ambiance Les établissements français installés sur place font tout à assurer des missions d’ingénierie très variées, de l’en- huit mois de mobilité, « ce qui leur permettra d’appren-
geek et colorées. Au dernier étage, pour convaincre les étudiants marocains qu’ils peuvent treprise high-tech à des missions de développement dans dre à travailler dans un environnement international et
un « squat » temporaire permet de trouver dans leur pays les cursus de haut niveau répon- un contexte moins formel. » Des ingénieurs tout-terrain pas seulement marocain », rappelle Serge Delle-Vedove.
dormir un peu avant de reprendre dant à leurs ambitions. « Il faut les convaincre qu’ils en somme, susceptibles de comprendre un contexte Reste, souligne M. Chtioui, que « le turn-over des expats
un travail acharné. auront ici les mêmes niveaux de formation que ceux qu’ils politique, juridique, organisationnel différent. marocains qui rentrent de France est trois fois plus élevé
Les 150 à 200 étudiants retenus auraient en Europe ou dans le monde », analyse Serge Même constat dans l’univers du commerce et du ma- que celui des Marocains formés ici ». Le vrai enjeu de l’Afri-
effectueront une formation éta- Delle-Vedove, directeur adjoint de l’Ecole centrale nagement. « On a besoin de gens qui pensent global, que, selon lui, « c’est de garder ses talents africains ». p
lée sur trois ans, inspirée du prin- Casablanca. M. Ben El Mostapha est formel, « les écoles mais qui connaissent le marché local, analyse le dean de pascal galinier et éric nunès

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MERCREDI 24 OCTOBRE 2018
Et si les données
privées sauvaient
le monde ?
Le professeur de droit Alberto Alemanno
plaide pour que les informations
personnelles collectées par les géants de
la Silicon Valley deviennent accessibles aux
Etats pour des nécessités de service public
Par ALBERTO ALEMANNO
C omment les données
peuvent-elles sauver litté-
ralement des millions de
vies menacées par des pan-
démies, des catastrophes naturel-
les ou tout simplement une mau-
vaise alimentation ? La question
peut sembler provocante, mais la
réponse est à la fois simple et
stimulante. En collectant, en
traitant et en utilisant ce « pétrole
du XXIe siècle », nous pouvons
désormais savoir exactement
comment se propage une pan-
démie telle que le virus Zika, où se
situe l’épicentre d’une catastro-
phe ou quel nutriment cause une
pathologie.
Il n’y a qu’une seule difficulté : la
plupart de ces données appar-
tiennent à des sociétés privées, et
non aux autorités publiques qui
pourraient les exploiter au mieux
pour mettre fin à ces crises. Ces
entreprises incluent à la fois des
opérateurs de réseaux mobiles,
mais aussi des entreprises tech-
nologiques, comme Google, et
enfin, bien sûr, la part du lion
réside dans les réseaux sociaux
tels que Facebook et Twitter. La
quantité croissante de données
collectées par les entreprises est le
résultat de l’interaction d’intérêts
commerciaux, de processus algo-
rithmiques et de l’indication des
préférences de l’utilisateur.
Grâce à leurs nombreuses fonc-
tionnalités – notamment la
géolocalisation et le contact
visuel –, mais aussi à notre « géné-
rosité » peu critique pour divul-
guer autant d’informations per-
sonnelles. Dans les faits, ces entre-
prises en savent davantage sur
nous que nous-mêmes. Par exem-
ple, des recherches empiriques
menées sur près de 100 000 per-
sonnes ont révélé que
300 « j’aime » sur Facebook per-
mettent à un ordinateur de déter-
miner votre personnalité mieux
que votre conjoint ne pourrait le
faire.
L’utilisation de données privées
dans les situations d’urgence hu-
manitaire met en lumière leur
formidable potentiel – mais leur
utilisation quotidienne pourrait
être encore plus large. En effet,
l’utilisation de données commer-
ciales dans les services publics,
comme l’urbanisme ou la santé,
est un formidable levier pour les
améliorer.
IMPACT IMMÉDIAT
On peut également imaginer
qu’en évaluant mieux certains
messages associés au suicide chez
les adolescents, les autorités
publiques pourraient mieux éva-
luer quelle approche préventive
est la plus pertinente. Enfin, en
surveillant l’utilisation des
moyens de transport publics et
privés, vous fournissez des don-
nées extrêmement riches capa-
bles de déterminer le fonctionne-
ment d’une ville, de réduire le tra-
fic et, bien entendu, la pollution.
Si ces outils et ces données
étaient entre les mains du gouver-
nement, l’impact positif serait
immédiat, le big data jouant le rôle
de ressource essentielle pour la
création de sens à l’ère du
numérique. En les combinant en-
tre elles, les entreprises du secteur
des technologies pourraient per-
mettre aux autorités publiques
d’améliorer à la fois la connais-
sance de la situation, leur réacti-
vité et leur capacité à hiérarchiser
les interventions, ce qui permet-
DES ACCORDS
NÉGOCIÉS AVEC
GOOGLE, APPLE,
FACEBOOK ET
AMAZON POUR
PARTAGER LEURS
BASES DE DONNÉES
DOIVENT ÊTRE
MIS EN ŒUVRE
trait d’économiser des ressources
publiques et de sauver des vies.
Les mégadonnées sont égale-
ment un formidable outil pour
l’évaluation des politiques publi-
ques : les données des entreprises
peuvent indiquer si une interven-
tion est efficace ou non, mais
aussi comment elle pourrait être
corrigée. Par exemple, les déci-
deurs publics pourraient savoir si
les citoyens consomment moins
un produit mauvais pour la santé
à la suite de la mise en œuvre
d’une politique, que ce soit une
taxe sur la consommation, un
avertissement pour la santé ou
une restriction de vente de ce pro-
duit. En d’autres termes, l’accès
aux données peut améliorer non
seulement la conception de nou-
velles politiques publiques, mais
leur impact sur le monde réel.
ENJEU ÉNORME
Ainsi, les avantages essentiels du
partage de données font de cette
pratique une nécessité morale.
Pour ce faire, nous avons besoin
de cadres juridiques capables de
traduire cet impératif en solu-
tions adaptées et plausibles. En
l’absence de solution à court
terme, les problèmes sociétaux
évitables augmenteront de
manière exponentielle. Des
accords négociés avec des entre-
prises telles que Google, Apple,
Facebook et Amazon pour parta-
ger leurs bases de données doi-
vent être mis en œuvre.
Autre avantage pour ces entre-
prises : cela contribuera à endi-
guer le rejet par la société de leurs
modèles commerciaux sous-
jacents. Un enjeu énorme pour les
GAFA, qui sont actuellement sous
le choc de scandales tels que la col-
lecte de données par Cambridge
Analytica. Le refus persistant du
secteur privé de divulguer leurs
informations ne devrait pas amé-
liorer leur image. En effet, com-
ment les GAFA pourront-ils justi-
fier vis-à-vis de leurs utilisateurs
que leurs propres données – qui
ont été exploitées au fil du temps –
ne peuvent pas être utilisées pour
le bien commun, pas même dans
des situations d’urgence ?
Répondre à cette question
nécessite un parcours de recher-
che à la fois rigoureux et fascinant
non seulement pour les spécialis-
tes, mais aussi pour les décideurs
publics qui souhaitent explorer
les promesses du big data. Si le fait
de garder le big data sous clé
représente une opportunité pour
quelques-uns, il s’agit déjà d’un
enjeu vital pour tous. p
¶ prix à la pompe ont baissé, malgré les aug-
Alberto Alemanno est professeur
titulaire de la chaire Jean-Monnet
en droit européen à HEC Paris
L’heure de vérité pour la taxe carbone
Le gouvernement doit faire
preuve de courage
et de pédagogie en ne cédant
pas aux critiques sur la
fiscalité écologique, explique
le professeur d’économie
Christian de Perthuis
Par CHRISTIAN DE PERTHUIS
C
urieusement, c’est une disposi-
tion ne figurant pas dans le projet
de loi de finances pour 2019 qui
provoque les réactions les plus vi-
ves dans le débat budgétaire. Les hausses de
6,5 centimes pour le litre de diesel et de
2,9 centimes pour l’essence, comme celles
affectant le gaz et le fioul domestique pour
le chauffage, ont été adoptées il y a un an.
Députés et sénateurs ont voté le renchéris-
sement du coût des énergies fossiles jus-
qu’en 2022. Pourquoi ce qui passait comme
une lettre à la poste à l’automne 2017 pose
tant de difficultés en 2018 ?
Ecartons les explications anecdotiques,
du type changement de locataire au minis-
tère de l’écologie. Le problème vient du prix
du pétrole : en 2017, le cours du brent était
voisin de 40 dollars le baril (environ
34 euros). Lors de la conférence de presse de
Bruno Le Maire sur le budget 2019, il cotait
plus de 80 dollars. Une hausse qui se réper-
cute sans délai sur les produits pétroliers
que nous achetons. Pour la fiscalité car-
bone, c’est l’heure de vérité.
La taxe carbone a été introduite en 2014
sous la forme d’une composante incorporée
IL FAUT ACCOMPAGNER
LA MONTÉE EN RÉGIME DE
LA TAXE À LONG TERME,
AVEC L’ACCÈS AUX
ÉNERGIES DÉCARBONÉES
POUR TOUS, ET À COURT
TERME, AVEC DES
AIDES FINANCIÈRES
La fiscalité écologique ne doit pas être sacrifiée
Si les taxes « vertes » procurent des
recettes à l’Etat, l’objectif est aussi
de changer le comportement des
Français, rappelle la professeure de
droit Mireille Chiroleu-Assouline
Par MIREILLE CHIROLEU-ASSOULINE
L a hausse de la fiscalité énergétique
fait une fois de plus pousser des hauts
cris alors que débutent les débats sur
le projet de loi de finances pour 2019. Cette
augmentation était-elle inattendue cette
année ? Non, puisque la loi de finances pour
2018 avait déjà fixé une trajectoire crois-
sante de la composante carbone des tarifs
des taxes intérieures de consommation des
produits énergétiques (TICPE) sur la période
2018-2022, pour atteindre un objectif plus
ambitieux que celui fixé par la loi relative à
la transition énergétique promulguée
en 2016, laquelle avait alors une valeur cible
de la tonne carbone à 100 euros en 2030.
Ainsi, la valeur de la composante carbone
des tarifs de ces taxes doit passer de
44,60 euros/tonne de CO2 en 2018 à
86,20 euros en 2022. En outre, la convergence
du tarif du gazole vers les tarifs des essences
devrait être achevée en quatre ans, soit à l’ho-
rizon 2021. Pour 2019, l’ensemble de ces me-
sures conduit à une augmentation de
2,9 centimes par litre de supercarburant et de
6,5 centimes par litre pour le gazole routier.
Ces hausses de taxes sont indéniables
mais sont-elles responsables de la flambée
des prix qui est dénoncée ? Non. De 2014
– année de l’introduction de la composante
carbone dans la TICPE –, jusqu’en 2017, les
mentations de taxes. L’essentiel des varia-
tions de prix est en effet dû aux fluctuations
du prix du pétrole sur le marché mondial.
dans les accises énergétiques (taxes sur les
volumes d’énergie consommés), au prorata
de leurs contenus respectifs en CO2. Entre
2014 et 2017, le taux de cette taxe a aug-
menté, mais son impact sur les énergies fos-
siles a été moindre que celui de la baisse de
leurs prix hors taxe résultant de l’affaiblisse-
ment des cours mondiaux. Pour les ména-
ges, le renchérissement de la taxe a donc été
indolore. Bercy en a profité pour engranger
des recettes supplémentaires, et le gouver-
nement s’est bien gardé de faire la moindre
publicité sur un impôt resté confidentiel.
Le retour à la réalité est violent. Les arbi-
trages essentiels pour la montée en charge
de cette taxe que personne n’ose appeler de
son nom n’ont pas été discutés et ne sont
pas assumés politiquement. Ils concernent
au premier chef ses recettes. Pour chaque
euro de taxe carbone, il y a trois usages en
concurrence.
PRIME À LA CASSE ET « CHÈQUE ÉNERGIE »
Le ministère de l’écologie souhaite utiliser le
produit de la taxe carbone pour le « finance-
ment de la transition écologique ». Ce faisant,
il entretient une confusion sur la nature de
la taxe carbone, qui se définit par son as-
siette – les émissions de CO2 – et non par son
usage. Une confusion que reprennent à leur
compte les collectivités territoriales, qui ré-
clament leur dû en la matière puisque nom-
bre de projets bas carbone se déploient effec-
tivement à l’échelle des territoires.
Le ministère des finances rappelle que si
on flèche les recettes de la taxe vers le finan-
cement des politiques bas carbone, on ac-
cepte une hausse des prélèvements obliga-
toires sans recul du déficit public. Il pousse à
ce que les recettes de la taxe carbone soient
utilisées pour baisser d’autres impôts,
comme cela a été fait en Suède, ou réduire le
déficit public, comme dans le cas de l’Ir-
lande. Il est de fait souhaitable que la hausse
progressive de la taxe carbone s’inscrive
dans un schéma de verdissement de l’impôt
à pression fiscale constante.
Le ministère des solidarités et de la santé
objectera qu’une vision de l’efficacité éco-
nomique provoquera de la casse sociale. La
taxe carbone est par nature antiredistribu-
tive : elle pèse en proportion plus sur les
ménages à faible revenu (et ceux qui sont
loin de centres-villes). Il faut donc accompa-
gner à court et long terme la montée en ré-
gime de la taxe. Le long terme, c’est l’accès
aux énergies décarbonées pour tous. Le
La hausse du prix des carburants a-t-elle
vraiment réduit le pouvoir d’achat des
Français par rapport aux années 1980 ?
Non. Et même si le prix du litre de gazole
avait simplement augmenté depuis 1983 au
même rythme que le taux du smic horaire,
il pourrait être aujourd’hui à 1,63 euro sans
que la quantité de carburant achetée grâce
à une heure de travail payée au smic ait di-
minué ! Or, déjà en 1983, le gazole bénéfi-
ciait d’une fiscalité préférentielle par rap-
port aux autres énergies, dont il a été dé-
montré qu’elle était injustifiée sur le plan
écologique.
NÉCESSAIRE ADAPTATION
Le renforcement de la fiscalité verte pèse-t-il
si lourd dans le budget des Français ? Non, si
on le rapporte à l’ensemble de la fiscalité des
ménages. La TVA, par exemple, aura rap-
porté environ 211 milliards d’euros en 2018,
quand la composante carbone en rapporte
3,8 milliards. Par ailleurs, les ménages béné-
ficient d’un peu plus de 4 milliards d’euros
de subventions spécifiques d’accompagne-
ment, allant du crédit d’impôt transition
énergétique au chèque énergie, en passant
par le taux réduit de TVA sur les travaux de
rénovation énergétique ou l’éco-prêt à taux
zéro. Le supplément de fiscalité écologique
inscrit dans la loi pour 2019 représente une
charge supplémentaire de 2,9 milliards
d’euros au total, dont 1,9 milliard d’euros
pour les ménages.
Faut-il blâmer la fiscalité écologique de ce
dont elle n’est pas responsable ? C’est la seule
composante de la fiscalité qui ait une justifi-
cation autre que celle de procurer des recet-
tes à l’Etat. Il s’agit de provoquer chez les
Français des changements nécessaires dans
leurs comportements de consommation et
dans leur vie courante, afin de réduire l’utili-
sation des énergies fossiles et donc les émis-
sions de gaz à effet de serre, de particules fi-
nes et autres polluants atmosphériques.
Certes, en roulant autant et avec le même
idées | 7
court terme, ce sont des mesures financiè-
res d’accompagnement. Elles sont actuelle-
ment au nombre de deux : une prime à la
casse des vieux véhicules diesel renforcée
pour les ménages à faible revenu et le « chè-
que énergie », dont le montant moyen doit
passer de 150 à 200 euros en 2019. Exami-
nons-les rapidement.
Les aides à la casse des vieux diesels ont
connu un réel engouement. C’est bien pour
le verdissement du parc automobile et… les
vendeurs de voitures. L’impact social est
plus incertain car l’expérience montre que
ce type d’aide profite plus aux vendeurs
qu’aux acheteurs !
De fait, c’est le chèque énergie qui consti-
tue la vraie mesure d’accompagnement. Ce
dispositif est « moins pire » que les tarifs so-
ciaux auxquels il s’est substitué. A y regar-
der de plus près, il reste très imparfait : plus
que d’un chèque, il s’agit d’un « bon
d’achat » qui facilite l’abaissement des fac-
tures pour les seuls usages du chauffage et
dont les créneaux de distribution risquent
de laisser une partie des ayants droit sur le
bord du chemin. Il est urgent d’améliorer ce
filet de sécurité pour contrer les risques
d’accroissement de la précarité énergétique
résultant de la montée en régime de la taxe
carbone. Des améliorations ponctuelles
sont sans doute possibles dans le cadre du
débat parlementaire actuel avant une re-
fonte du dispositif.
Face à ces difficultés, certains songent à
freiner, voire remettre en cause, la hausse
graduelle de la taxe carbone. Ce serait faire
un grand pas en arrière quand le récent rap-
port du GIEC nous incite à redoubler d’ef-
forts : pour passer d’un objectif contenant le
réchauffement climatique de 2 °C à 1,5 °C au
XXIe siècle, ce rapport estime qu’il convien-
drait de multiplier par trois ou quatre le prix
du carbone. p
¶
Christian de Perthuis
est professeur d’économie
à l’université Paris-Dauphine,
fondateur de la chaire
d’économie du climat.
véhicule diesel que les années précéden-
tes, ou en chauffant à la même tempéra-
ture un logement toujours aussi mal isolé,
grâce à la même chaudière au fuel, une fa-
mille verra sa facture énergétique alourdie
par la hausse des prix des énergies. Mais
l’effet de la fiscalité verte, en élevant le prix
de certaines énergies plutôt que d’autres,
sera de pousser chacun à rouler moins, à
utiliser davantage les transports en com-
mun ou son vélo, à revendre son véhicule
diesel pour en acheter un autre, à amélio-
rer l’isolation de son logement, etc. Les
seules mesures à prendre, quand elles ne
l’ont pas déjà été, concernent l’accompa-
gnement des ménages les plus pauvres
dans cette nécessaire adaptation.
Notons, à l’adresse des sceptiques qui
nient l’efficacité du signal prix pour réduire
la consommation d’énergie, que des études
récentes montrent que toute augmenta-
tion de 10 % du prix des carburants et com-
bustibles fossiles entraîne un recul d’envi-
ron 5 % de leur consommation. Une confir-
mation de la sensibilité des comporte-
ments aux fluctuations des prix nous est
donnée par l’évolution du transport indivi-
duel (en véhicule particulier) reparti à la
hausse depuis 2014 (+ 2,3 % en 2016) avec la
baisse du prix du carburant.
Tenons bon la barre de la trajectoire déci-
dée par la loi pour la composante carbone
jusqu’en 2022 et cessons de faire porter à la
fiscalité écologique la responsabilité d’une
charge fiscale jugée trop lourde. p
¶
Mireille Chiroleu-Assouline
est professeure d’économie
de l’environnement à PSE-Ecole
d’économie de Paris et
à l’université Paris-I
- Panthéon-Sorbonne
8 | MÉDIAS&PIXELS
Le statut des directeurs de collection en question
Ces maillons-clés de l’édition pourraient ne plus être rémunérés en droits d’auteur, comme ils l’ont toujours été
B
ataille de statut dans
l’édition. Une audience
en référé, attendue
mardi 23 octobre au
Conseil d’Etat, doit permettre de
décider, dans les tout prochains
jours, si les directeurs de collec-
tion, ces maillons méconnus
mais essentiels des maisons
d’édition, continueront d’être ré-
munérés en droits d’auteur,
comme ils l’ont toujours été, à
partir du 1er janvier 2019.
En octobre 2017, de façon unila-
térale, l’Agessa, qui assure la ges-
tion du régime de sécurité sociale
des artistes auteurs, avait décidé
d’exclure de son périmètre les
900 directeurs de collection dont
elle a la charge. L’association leur
a donné jusqu’au 1er janvier 2019
pour adopter un autre statut.
Un arbitrage du ministère des
affaires sociales et du ministère de
la culture – du temps où Françoise
Nyssen, ex-patronne de l’éditeur
Actes Sud, était à sa tête – a con-
firmé cette décision en avril 2018.
De très rares chanceux peuvent
espérer être embauchés en CDI à
plein temps par les éditeurs, les
autres devront choisir entre
l’auto-entrepreunariat ou le paie-
ment d’honoraires sur factures.
Equilibre fragile
Vent debout contre une telle me-
sure, le Syndicat national de l’édi-
tion (SNE), épaulé par la Société
des gens de lettres (SDGL), a dé-
posé un recours pour excès de
pouvoir contre la décision de
l’Agessa. Le jugement sur le fond
est attendu au mieux dans dix-
huit mois, c’est la raison pour la-
quelle le syndicat a parallèlement
demandé en référé la suspension
de la décision.
Pour le SNE, cette réforme ris-
que de mettre en péril l’équilibre
fragile de l’édition. « Cette mesure
brutale et non négociée », selon les
éditeurs, se traduira, si elle est ap-
pliquée, par une hausse des coti-
Docusign, le leader mondial de la signature Matthieu Pigasse a songé
électronique, voit l’avenir en (plus) grand à sortir du « Monde »
L’entreprise de San Francisco veut enrichir sa gamme de services par des acquisitions
E tre numéro un mondial de
la signature électronique
ne suffit plus à Docusign.
Après avoir popularisé une solu-
tion qui digitalise cette formalité
quotidienne pour les entreprises
– qu’il s’agisse de signer le contrat
d’embauche d’un nouveau colla-
borateur ou de permettre à un
client de souscrire à un abonne-
ment –, l’entreprise de San Fran-
cisco veut aller plus loin.
A l’origine, Docusign a séduit les
entreprises avec des arguments
très concrets : la promesse d’éco-
nomies sur les frais d’impression
et d’expédition, des délais plus
courts pour faire parapher des
documents (50 % dans l’heure,
90 % dans la journée, selon les
chiffres donnés par la société).
Promettant à ses clients un de-
gré d’authenticité et de sécurité
aussi élevé que dans le processus
classique de signature de contrat,
et en conformité avec les lois des
différents pays dans lesquels il
opère, Docusign a d’abord percé
dans le secteur de l’immobilier
aux Etats-Unis. Il s’est ensuite im-
posé dans les services financiers,
la santé et les télécoms, qui cons-
tituent aujourd’hui ses princi-
paux terrains d’activités. La so-
ciété compte désormais 430 000
utilisateurs payants dans le
monde, du petit entrepreneur in-
dépendant aux plus grandes mul-
tinationales. A elle seule, elle con-
trôlerait 40 % du marché de la si-
« Il s’agit
d’une stratégie
d’évasion
de cotisations
sociales de la part
des éditeurs »
THIERRY DUMAS
directeur de l’Agessa
sations sociales des directeurs de
collection (22 % dans l’option du
micropartenariat contre 10 %
pour les droits d’auteur). Mais ce
sont surtout les éditeurs qui pré-
fèrent les 1,10 % de charges payés
sur les droits d’auteur aux 42 %
sur les CDI…
Pour les éditeurs, c’est aussi
faire fi de la dimension culturelle
de ce dossier. « Cela va ankyloser
la création », affirme Laurent Laf-
font, directeur général des édi-
tions JC Lattès. Antoine Galli-
mard, président du groupe Ma-
drigall, avait signé, dès mars, dans
Le Figaro, un plaidoyer en faveur
des directeurs de collection et de
leur apport à la vie intellectuelle,
passée et présente : « Il n’est pas
anodin qu’à la Libération, René
Char ait souhaité publier son jour-
nal poétique de la Résistance,
Feuillets d’Hypnos, dans la collec-
tion “Espoir” dirigée par Albert Ca-
mus. Ce choix avait un sens, hu-
main et intellectuel », estimait-il.
Et il rappelait le rôle de plus
grands directeurs de collection –
depuis Michel Leiris et « L’Espèce
humaine », Jean Malaurie et
« Terre humaine », à Fernand
Braudel et sa « Nouvelle Biblio-
thèque scientifique »…
Le directeur de l’Agessa, Thierry
Dumas, est bien plus pragmati-
que : « Notre responsabilité con-
siste à ce que les gens qui doivent
payer des cotisations sociales le
fassent et ne profitent pas abusive-
L’actionnaire a envisagé de céder ses parts à
gnature électronique, face à des
rivaux tels qu’Adobe ou SIGNix.
Mais Docusign veut désormais
élargir le champ de sa collabora-
tion avec les entreprises. C’est le
sens du projet « System of Agree-
ment » soutenu par la nouvelle
direction arrivée à la tête de l’en-
treprise il y a moins de deux ans.
L’objectif : réussir à faire de Docu-
sign le partenaire incontournable
tout au long de la « vie » des con-
trats, de la préparation des docu-
ments à leur mise en exécution.
L’entreprise offre ainsi, depuis
peu, à ses clients la possibilité de
générer automatiquement des
contrats. Pour ce faire, Docusign
s’appuie sur le savoir-faire de la
société Spring CM dont elle a fina-
lisé l’acquisition à la fin du mois
de juillet pour 220 millions de
dollars (192 millions d’euros).
Intégré dans 350 logiciels
Par ailleurs, Docusign propose de
plus en plus largement une inté-
gration de son service au sein des
outils utilisés par les entreprises
afin que sitôt un contrat signé, les
actions nécessaires soient en-
clenchées : ouvrir une ligne télé-
phonique pour le nouveau client
d’une compagnie de téléphone,
communiquer les informations
de rémunération à la signature
du contrat d’un nouveau collabo-
rateur… Aujourd’hui Docusign est
ainsi intégré dans plus de 350 lo-
giciels tels que SAP ou Salesforce.
ment d’un système qui leur coûte
beaucoup moins cher que le ré-
gime général », dit-il. Tout est
aujourd’hui réglé au cas par cas,
selon l’importance de l’activité
d’écriture des directeurs de collec-
tion. « Or, le SNE avait imposé un
contrat type pour qu’il y ait tou-
jours une part créative, ce qu’ont
vérifié les inspecteurs de l’Urssaf
[l’organisme qui recouvre les co-
tisations] », explique M. Dumas.
« Il s’agit purement d’une stratégie
d’évasion de cotisations sociales
de la part des éditeurs », ajoute-t-il.
Les deux positions semblent
« Le contrat qui était jusque-là une
simple feuille de papier devient
une page de code, un objet intelli-
gent », explique Scott Olrich, le
responsable de la stratégie de l’en-
treprise.
Pour Dan Springer, le patron de
Docusign, qui a présenté cette
stratégie lors de la conférence an-
nuelle de la société, le 9 octobre,
cette évolution correspond à une
attente du marché : « Nous cons-
tatons une hausse de demandes de
clients pour une modernisation
des processus en amont et en aval
de la signature électronique. »
Pour mener cette stratégie, Docu-
sign envisage déjà de réaliser de
nouvelles acquisitions afin d’en-
richir sa gamme de services.
La récente entrée en Bourse de
Docusign, en avril, qui le valorise
aujourd’hui à près de 7 milliards
de dollars, lui a donné un confor-
table matelas financier pour
« Le contrat, qui
était une simple
feuille de papier,
devient une page
de code, un objet
intelligent »
SCOTT OLRICH
responsable de la stratégie
chez Docusign
difficilement réconciliables. Sur
les 900 directeurs de collection, la
majorité se targue d’un réel ap-
port créatif, d’autres sont effecti-
vement davantage des « appor-
teurs d’affaires », qui mettent en
lien un auteur et un éditeur. « Il y
a eu des abus du côté des édi-
teurs », reconnaissent même
Geoffroy Pelletier, directeur géné-
ral de la SGDL, et Pierre Dutilleul,
directeur général du SNE.
Mais, au lieu de procéder à une
analyse fine de la situation pour
trier ceux qui n’auraient pas dû
figurer dans la liste, l’Agessa a
poursuivre ses emplettes, après
les rachats récents du spécialiste
de machine learning Appuri, fin
2017, ou celui plus ancien du fran-
çais Open Trust.
Développer l’international
L’autre priorité de l’entreprise,
avec son entrée en Bourse, est
d’accélérer son développement
international. En effet, seulement
19 % de son activité est réalisée
aujourd’hui hors de son territoire
domestique, un chiffre que Dan
Springer juge très insuffisant :
« On devrait pouvoir faire au
moins deux fois mieux. » Docu-
sign mise en particulier sur le po-
tentiel du marché européen :
« C’est notre plus grand marché en
dehors des Etats-Unis, et celui qui
est appelé à avoir la plus forte
croissance », assure-t-il.
La société est, en tout cas, por-
tée par une conjoncture favora-
ble. Selon le cabinet P&S Market
Research, le marché de la signa-
ture électronique, estimé en 2017
à un peu plus de 800 millions de
dollars, devrait connaître une
croissance annuelle moyenne su-
périeure à 25 % d’ici 2023, pour se
situer aux alentours de 3,5 mil-
liards à cette date. Une dynami-
que portée notamment par la
multiplication des lois donnant
valeur légale à la signature élec-
tronique et sur laquelle Docusign
est tout disposé à surfer. p
vincent fagot
adopté la manière forte en ex-
cluant tout le monde de ce ré-
gime, regrettent-ils. Les sommes
en jeu ne sont pourtant pas astro-
nomiques. « Il en va de quelques
centaines de milliers d’euros par
an », explique M. Dutilleul. « Des
millions qui, depuis des années,
auraient permis de mieux finan-
cer le régime général », rétorque
M. Dumas.
Cette réforme, si elle est mainte-
nue, posera des problèmes aux
nombreux enseignants qui sont
également directeurs de collec-
tion. Les fonctionnaires ne peu-
l’homme d’affaires tchèque Daniel Kretinsky
M atthieu Pigasse, coac-
tionnaire majoritaire
du Groupe Le Monde, a
songé, cet été, à céder ses parts à
l’homme d’affaires tchèque Da-
niel Kretinsky, selon les informa-
tions publiées par Libération,
lundi 22 octobre. M. Pigasse s’est
ensuite ravisé et c’est pour une
cession de 40 % à 49 % de sa so-
ciété Le Nouveau Monde (LNM)
qu’il est entré, le 17 octobre, en né-
gociations exclusives avec l’indus-
triel de l’énergie et des médias.
Ces révélations contrastent avec
les propos récents de M. Pigasse,
qui a assuré ne chercher en M. Kre-
tinsky qu’un partenaire minori-
taire. Contacté, le banquier d’affai-
res « maintient l’intégralité de son
communiqué de presse du 17 octo-
bre ». « L’accord porte sur une parti-
cipation minoritaire. Matthieu Pi-
gasse conserve seul le contrôle de
la société Le Nouveau Monde et de-
meure le seul cogérant, aux côtés
de Xavier Niel [coactionnaire ma-
joritaire et fondateur de Free], de
la société Le Monde libre, holding
de contrôle du Groupe Le Monde et
de L’Obs », souligne-t-il. M. Pi-
gasse ajoute que « son seul objectif
a toujours été, est et sera de préser-
ver l’équilibre et l’indépendance du
Groupe Le Monde, auxquels Da-
niel Kretinsky pourra utilement
contribuer ». Contacté, l’entourage
de l’industriel tchèque n’a pas
souhaité réagir.
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MERCREDI 24 OCTOBRE 2018
vent pas être micro-entrepre-
neurs sauf à exercer à temps par-
tiel et à obtenir l’aval de leur hié-
rarchie.
Que faire, par exemple, pour les
contrats déjà signés et qui rap-
portent des droits d’auteur en-
core plusieurs années après la
parution d’un ouvrage ? Sans
compter que les auteurs égale-
ment directeurs de collection ris-
quent une double peine puisque
leur statut d’auteur fait depuis
des mois l’objet d’une très diffi-
cile remise à plat. p
nicole vulser
De son côté, Libération précise
avoir consulté « plusieurs docu-
ments » qui « attestent qu’un ac-
cord pour une cession à 100 % de
LNM a été bouclé dès juillet ». Cette
transaction aurait fait de Daniel
Kretinsky un cogérant comman-
dité du Monde aux côtés de Xavier
Niel. Elle valorisait LNM autour de
100 millions d’euros, soit, pour
M. Pigasse, une plus-value d’envi-
ron 50 millions d’euros.
Etat avancé des négociations
S’il a renoncé à cette cession majo-
ritaire, le banquier d’affaires a,
ajoute Libération, déjà touché un
versement de M. Kretinsky, grâce
auquel il a remboursé un prêt con-
tracté pour investir dans Le
Monde en 2010. Cela montre l’état
avancé des « négociations exclusi-
ves » annoncées.
L’absence de concertation en
amont et la localisation de l’inves-
tissement de M. Kretinsky dans
LNM – dont le seul actif est la parti-
cipation de M. Pigasse dans Le
Monde – sèment un doute au sein
de la rédaction sur la volonté de
l’homme d’affaires tchèque de res-
ter minoritaire. Le Pôle d’indépen-
dance du Monde – représentant ré-
dacteurs, personnels, lecteurs… – a
rendez-vous avec les actionnaires
jeudi 25 octobre. Daniel Kretinsky
a fait savoir qu’il était disposé à
rencontrer les salariés. p
alexandre piquard